Skip to main content

Full text of "Bulletin du glossaire des patois de la Suisse romande"

See other formats


i 


m 

Util 

''iiMml'' 

.,...^^>»Mî^« 


iiii 


'x:..'\i\ 


AU  LECTEUR 


En  entreprenant  la  publication  d'une  petite  feuille 
périodique,  la  rédaction  du  Glossaire  des  Patois  de  la         y-^/jt 
Suisse  romande  a  pensé  qu'elle  pourrait  être  agréable      *^  y^ 
à  plusieurs  catégories  de  lecteurs.  ^K^  "/■     *3 

Elle  a  songé  tout  d'abord  à  cette  vaillante  cohorte  >^iv  ' 
de  collaborateurs,  qui,  depuis  deux  ans  à  la  tâche,  (  ^ 
ne  se  lassent  pas  de  répondre  mois  après  mois  à  nos 
multiples  questionnaires.  Bien  du  temps  s'écoulera 
encore  avant  qu'ils  puissent  voir  le  fruit  de  leur  tra- 
vail et  de  leur  dévouement.  En  attendant,  ils  seront 
certainement  heureux  de  trouver  dans  le  Bulletin  un 
guide  qui  s'efforcera  de  leur  montrer  l'intérêt  (ju'offre 
l'étude  des  parlers  populaires,  qui  mettra  sous  leurs 
veux  des  spécimens  variés  de  nos  différents  patois, 
des  recherches  sur  leur  histoire  et  leur  littérature,  et 
qui  fera  ressortir  par  un  examen  comparatif  la  richesse 
et  la  diversité  de  leur  vocabulaire. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  à  ceux  dont  le  con- 
cours est  déjà  acquis  au  Glossaire  que  s'adresse  notre 
Bulletin.  Son  but  principal  est  bien  plutôt  d'intéresser 
à  cette  entreprise  nationale  les  nombreuses  personnes 
qui  n'ont  pu  lui  témoigner  jusqu'ici  qu'une  sympathie 
toute  passive.  Le  Bulletin^  destiné  à  frayer  la  voie  à 
Iceuvre  future,  établira  un  lien  entre  la  rédaction  et 
tous  ces  collaborateurs  ignorés,  patoisants  pratiquants 
ou  simples  amateurs,  qui  n'attendent  qu'une  occasion 
pour  se  révéler.    Mis    au    courant   de  nos  travaux,  ils 


pourront  désormais  y  prendre  part:  ils  compléteront 
nos  matériaux,  ils  préciseront  et  développeront  nos 
renseignements,  ils  nous  signaleront  les  mots  rares  et 
curieux.  A  leur  instigation,  l'artisan,  le  chasseur,  le 
pécheur  nous  communiqueront  ces  termes  originaux 
qu'ils  sont  presque  seuls  à  connaître  :  en  un  mot  cha- 
cun contribuera  dans  la  mesure  de  ses  forces  à  l'avan- 
cement de  l'œuvre  commune.  C'est  à  ce  prix  seulement, 
par  le  concours  de  toutes  les  bonnes  volontés,  que 
nous  pourrons  espérer  créer  un  ouvrage  qui  soit  vé- 
ritablement ce  qu'il  doit  être  :  l'image  fidèle  et  vivante 
de  notre  vieille  civilisation  romande,  telle  qu'elle  se 
reflète,  sous  ses  aspects  si  divers,  dans  une  langue 
bientôt  disparue. 

Enfin  nous  n'oublierons  pas  que  les  patois  de  la 
Suisse  française  occupent  une  place  d'honneur  dans 
les  recherches  scientifiques  consacrées  aux  dialectes 
gallo-romans.  Par  leur  variété  et  leur  originalité,  ils 
offrent  au  philologue  une  mine  inépuisable  de  rensei- 
gnements précieux.  Ce  qui  a  été  mis  au  jour  jusqu'à 
présent  est  bien  peu  de  chose  en  comparaison  de  tout 
ce  qui  reste  encore  à  trouver.  L'élaboration  du  Glos- 
saire nous  amènera  tout  naturellement  à  nous  occuper 
de  bien  des  problèmes,  étymologiques  ou  autres.  En 
les  soumettant  aux  romanistes,  en  les  invitant  à  en 
rechercher  avec  nous  la  solution,  nous  sommes  cer- 
tains de  faire  œuvre  utile  à  la  science  et  de  rencon- 
trer auprès  de  ses  représentants  un  accueil  favorable. 

La  Rédaction: 

L.  Gauchat,  J.  Jeanjaqiiet,  E.  Tappolet. 


NOS  PATOIS  ROMANDS 


Des  civilisations  diverses  n'ont  cessé,  depuis  les 
temps  les  plus  reculés,  de  rouler  leurs  flots  envahis- 
sants vers  notre  patrie:  la  civilisation  latine,  aujourd'hui 
italienne,  a  conquis  et  conquiert  tous  les  jours  par  la 
domination  de  la  pensée  notre  canton  du  Tessin,  la 
civilisation  gauloise,  maintenant  française,  cherche  à 
imposer  aux  cantons  romands  les  goûts  et,  jusque  dans 
ses  moindres  inflexions,  le  parler  de  Paris,  la  ville  des 
villes,  enfin  la  civilisation  germanique  ou  allemande 
établit  des  rapports  entre  le  cœur  de  la  Suisse  et 
les  pays  d'outre  Rhin  jusqu'aux  pays  Scandinaves, 
les  derniers  au  Nord  où  l'homme  sent  et  pense.  Les 
flots  venant  du  Xord  et  du  Sud  se  sont  brisés  contre 
les  Alpes,  barrière  qu'ils  n'ont  jamais  réussi  à  franchir 
définitivement.  La  chaîne  du  Jura  a  servi  de  contre- 
fort à  la  population  romande.  L'invasion  germanique 
a  fait  halte  non  loin  du  pied  de  ces  montagnes  et  des 
lacs  de  Bienne,  Morat  et  Xeuchàtel,  formés  par  les 
eaux  du  Jura.  Ce  sont  ainsi  nos  montagnes  qui  ont 
divisé  nos  ancêtres  en  leur  donnant  des  langues  si 
diverses.  Mais  les  Alpes  nous  ont  aussi  unis.  Grâce 
à  une  nature  grandiose,  mais  stérile,  il  s'est  formé  sur 
les  flancs  des  Alpes  un  peuple  fort  et  guerrier  d'agri- 
culteurs et  de  patres.  Bien  qu'ils  eussent  de  la  peine 
à  se  comprendre,  nos  rudes  ancêtres  ont  voulu  avoir 
la  même  histoire,  une  histoire  qui  nous  parle  de  nom- 
breuses  luttes   pour   l'indépendance    dans    le  domaine 


L.  GAUCHAT 


de  la  politique  comme  dans  celui  de  l'esprit.  Le  fils 
des  Alpes  n'était  pas  fait  pour  être  esclave! 

La  montagne  explique  ce  contraste  étrange  du 
caractère  à  la  fois  national  et  cosmopolite  des  Suisses: 
les  civilisations  les  plus  différentes  ont  trouvé  un  écho 
dans  nos  vallées  ;  la  lutte  incessante  contre  un  sol 
ingrat  a  resserré  les  liens  entre  ces  races  différentes. 
Famille  fière  et  paisible,  dont  les  membres  ne  se  res- 
semblent pas  ! 

Aujourd'hui  les  temps  ont  bien  changé  !  Les  villes, 
qui  étaient  autrefois  sous  le  joug  de  la  campagne, 
exercent  une  tyrannie  croissante.  L'agriculture  se  retire 
devant  l'industrie,  le  respect  des  Alpes  diminue,  on 
creuse  des  tunnels  dans  le  roc  le  plus  dur,  on  conduit 
un  chemin  de  fer  au  sommet  de  la  lungfrau  !  Les  bar- 
rières tombent,  les  diverses  influences  se  confondent, 
le  caractère  national  s'efface. 

L'histoire  de  nos  patois  romands  a  subi  le  contre- 
coup de  Ihistoire  nationale.  Une  langue  qui  a  servi  pen- 
dant deux  mille  ans  à  exprimer  les  pensées  d'un  peuple 
montagnard  s'éteint  en  soixante  ans  !  On  ne  peut  pas 
s'empêcher  de  frémir  à  l'idée  qu'un  travail  de  vingt  siècles 
puisse  se  perdre  en  si  peu  de  temps.  Car  une  langue 
représente  un  travail  de  pensée  énorme.  Tandis  que 
la  langue  littéraire  craint  plutôt  le  néologisme,  le 
patois  le  favorise,  en  est  une  source  abondante  et 
intarissable.  Au  moyen  d'un  nombre  relativement  res- 
treint de  suffixes,  le  patois  s'est  constamment  enrichi 
de  nouveaux  dérivés.  L'interjection  yoiip'  donne  nais- 
sance au  verbe  yotipè  (Jura  bern.)  =  lancer  en  l'air; 
le  mot  po  (pot)   engendre   le   diminutif  potè^    puis,   le 


NOS  PATOIS  ROMANDS 


sens  diminutif  de  ce  dernier  mot  s'étant  affaibli  avec 
le  temps,  on  a  formé  le  mot  pbtatchè^  au  moyen  des 
suffixes  acais  et  ïttiis  (pat.  neuch.).  De  là  on  est  arrivé 
à  créer  le  mot  pbtatchttbtè  désignant  un  tout  petit 
pot  de  rien  du  tout,  mot  formé  à  l'aide  de  quatre 
suffixes  diminutifs,  et  qui  donnerait,  si  on  le  traduisait 
en  latin,  la  forme  barbare:  potaccottottittus.^  Le  sens 
d'un  mot  peut  insensiblement  se  rétrécir  ou  s'élargir, 
le  mot  fan^  de  /ajues,  cesse  de  signifier  seulement  /a 
faim  et  prend  dans  les  patois  vaudois  le  sens  plus  gé- 
néral dH envie  :  l'avcT  prao  fan  de  la  inarya  =  il  avait 
beaucoup  envie  de  l'épouser  (Favrat).^  On  trouve  des 
noms  pour  toutes  sortes  de  choses,  qui  manquaient  de 
désignation  spéciale.  Ainsi  le  gruyérien  a  trois  mots 
différents  pour  désigner  l'idée  d'abri:  èvri  =  abri 
contre    le    vent,    chod-a    =    abri    contre    la    pluie    (de 

*  Le  suffixe  -dr  (du  latin  -ator,  curieux  reste  du  nominatif) 
sert,  par  exemple  en  gru3-érien,  à  désigner  la  personne  qui  exerce 
un  certain  métier.  Grâce  à  ce  moyen  de  dérivation  celui  qui 
fait  les  corbeilles  s'appelle  on  kr^bilyâr,  le  coutelier:  ou  koii- 
talâr,  rémouleur  Li  niàlOr;  ainsi  on  a  formé  les  mots  h  kitalO.r 
=  fabricant  de  pots  en  terre  cuite,  U  prèyâr  =^  le  prieur,  /<' 
plyàrâr  =  le  pleurnicheur,  li  ron/lyâr  =  le  ronfleur,  etc.  etc.  Je 
connais  une  bonne  soixantaine  de  ces  mots  en  -âr. 

-  On  bàkon,  qui  n'a  que  la  signification  de  morceau  dans  le 
canton  de  Neuchâtel,  signifie  un  peu  dans  les  cantons  de  Fribourg 
et  de  Vaud  :  oyi  bàkon  de  pa/yins3,  on  bàkon  plyd  fou  =  un  peu 
plus  tôt  ;  mnnèyl,  qui  a  dû  avoir  le  sens  plus  général  de  manier, 
prend  chez  nos  agriculteurs  le  sens  spécial  de  «préparer  la 
vache  à  donner  son  lait».  Ost,  le  mot  pour  oiseau,  sert  aussi 
à  désigner  spécialement  une  planche  ronde  montée  sur  quatre 
pieds  qui  reposent  sur  deux  traverses  et  que  nos  vachers  em- 
ploient au  transport  d'une  pièce  de  fromage  ou  d'autres  fardeaux. 


L.  GAUCHAT 


Sîibstaye^  se  mettre  dessous)  et  la  tson.ma  =  abri 
contre  le  soleil  et  les  mouches.  Dans  le  canton  de  Neu- 
chàtel  on  rencontre  un  terme  spécial,  Id  inyéd\  pour 
l'abri  contre  le  soleil  du  midi.'  Notons  en  passant  que 
cette  évolution  a  son  côté  poétique-  (onomatopée, 
métaphores).  Tout  ce  grand  travail  de  dérivation, 
d'extension  et  de  spécialisation  a  commencé  à  l'époque 
primitive  de  nos  patois  et  dure  toujours,  par  exemple  dans 
les  vallées  latérales  du  Valais  où  le  dialecte  est  encore 
très  vivace. 

Un  autre  travail,  lent  mais  inconscient,  est  l'ac- 
tion des  lois  phonétiques  ou  morphologiques  qui  ont 
insensiblement  changé  la  physionomie  du  latin  vul- 
gaire qui  est  à  la  base  de  nos  dialectes.  Et  comme 
les  tendances  phonétiques  ou  habitudes  de  parler,  les 
occupations  et  les  mœurs,  la  façon  de  voir  les  choses, 
diffèrent  d'un  village  à  l'autre,  plus  fortement  encore 

'  Notre  vocabulaire  étant  celui  d'un  pays  froid,  qui  ne 
connaît  guère  le  printemps,  contient  beaucoup  de  termes  rela- 
tifs à  l'hiver  et  à  ses  rigueurs,  comme  un  nèva,  tombée  de  neige 
passagère  au  printemps,  la  pous'  =  fine  poussière  de  neige,  la 
kramina  =  froid  intense,  la  rdbuza,  retour  du  froid  au  printemps, 
etc.,  etc.  Tous  ces  termes  n'ont  pas  d'équivalents  directs  en  français. 

^  Ainsi  la  lune  est  appelée  la  bal,  la  belle,  dans  une  partie 
du  canton  de  Neuchâtel.  Les  jeunes  gens  sont  nommés  en  Gruyère 
des  gracieux  ou  des  gracieuses.  Ils  se  disent:  bonjour,  gracieux, 
gracieuse.  L'eau-de-vie  est  appelée  fil  d'archal,  fyèrtsô,  parce 
qu'elle  descend  comme  un  fil  de  fer.  On  pourrait  citer  aussi 
toutes  les  jolies  locutions  qui  dénotent  l'esprit  satirique  de  nos 
paysans:  «fier  comme  la  justice  de  Berne»,  «il  fait  sa  Sophie», 
c'est-à-dire  la  demoiselle  sage,  ou,  d'un  ajustement  porté  d'une 
manière  ridicule:  «cela  lui  va  comme  un  tablier  à  une  vache»;  les 
Genevois  disent  :  «  cela  lui  va  comme  des  manchettes  à  un  cochon  ». 


NOS  PATOIS  ROMANDS 


d'une  vallée  ou  d'un  canton  à  l'autre,  ce  grand  travail 
s'est  accompli  différemment  dans  les  diverses  parties 
de  la  Suisse  romande,  et  le  latin  vulgaire  plus  ou 
moins  uniforme  s'est  transformé  en  une  foule  de  patois 
dissemblables,  à  tel  point  que  deux  Vaudois,  un  habi- 
tant de  la  vallée  de  Joux  et  un  Ormonnin  ont  de  la 
peine  à  se  comprendre.  Rien  de  plus  intéressant  c[ue 
d'étudier  la  façon  dont  nos  patois  rendent  un  groupe 
d'idées,  par  exemple  la  teruiùiologie  du  vigneroii^  de  voir 
le  petit  fonds  de  termes  latins  que  nos  viticulteurs  ont 
hérité  des  Romains  s'accroître,  se  doubler,  se  tripler, 
s'augmenter  de  termes  tirés  de  l'allemand,  etc.,  de 
sorte  qu'aujourd'hui  chaque  patois  possède  environ  200 
termes  de  vigneron,  qui  cependant  sont  si  variés  d'un 
canton  à  l'autre  quon  arrive  à  un  total  d'environ  550 
termes  pour  la  Suisse  romande.^ 

Toute  cette  étonnante  variété  de  sons,  de  mots, 
de  formes  est  destinée  à  périr.  La  langue  française 
étend  ses  bras  de  pieuvre  jusque  dans  nos  plus  hauts 
chalets.  Comme  le  feu  détruit  en  une  nuit  une  maison 
qui  a  résisté  pendant  des  siècles  aux  tempêtes  les 
plus  fortes,  les  patois  sont  supplantés  en  peu  de  temps 
par  leur  sœur  plus  fortunée,  la  langue  littéraire. 

Aujourd'hui  le  canton  de  Neuchàtel  a  complètement 
abandonné  le  patois.  Il  en  a  été  l'ennemi  le  plus  radi- 
cal et  en  a  été  récompensé  par  la  réputation  qu'il 
sest  faite  de  parler  le  bon  français.  Le  district  de  la 
montagne,  où  l'industrie  horlogère  s'est  le  mieux  accli- 
matée, s'est  plus  radicalement  débarrassé  du   dialecte, 

^  Voir  à  ce  sujet  l'intéressante  étude  de  M.  L.  Gignoux  dans 
la  Zeitsclirift  fi'ir  romanische  Philologie,  XXVI  (1902). 


L.  GAUCHAT 


que  par  exemple  la  contrée  plutôt  agricole  du\"al-de-Ruz. 
A  la  montagne  on  a  vu  le  patois  s'en  aller  en  40  ou  50  ans. 
Une  génération  s'est  mise  à  parler  français  aux  enfants. 
Ceux-ci,  qui  entendaient  les  vieux  jacasser  entre  eux, 
comprenaient  encore  le  patois  sans  le  parler;  pour  la 
troisième  génération  le  dialecte  était  déjà  devenu  in- 
intelligible, une  espèce  de  langue  secrète,  dont  les 
vieux  se  servaient  lorsqu'ils  ne  voulaient  pas  être 
compris.  Un  jour,  je  m'adressais  à  une  vieille  du  Val- 
de-Ruz  en  lui  demandant  :  Savez-vous  le  patois  ?  Elle 
me  répondit:  Pourquoi?  Est-ce  qu'il  y  a  des  oreilles 
de  trop  par  ici?  Voilà  où  en  est  arrivé  le  patois  dans 
ce  canton.  Il  végète  dans  le  canton  de  Vaud,  il  est  déjà 
fort  entamé  dans  le  canton  de  Genève,  il  perd  tous  les 
jours  du  terrain  dans  les  cantons  catholiques  :  Fribourg, 
Berne  et  le  Valais.  A  la  fin  de  ce  nouveau  siècle  il 
n'y  en  aura  plus  trace! 

Cette  disparition,  qui  paraît  subite,  est  préparée  de 
longue  date.  Dès  le  XIIP  siècle,  à  l'époque  où  Ion  cesse 
d'écrire  les  documents  uniquement  en  latin,  le  français 
apparaît  dans  nos  vallées.  A  part  quelques  rares  ex- 
ceptions, ce  n'est  qu'au  XIX*"  siècle  qu'on  a  songé  à 
écrire  en  patois.  On  a  attendu  que  cette  langue  fût 
méprisée  et  ridicule,  pour  l'employer  à  raconter  des 
bourdes,  toutes  sortes  de  mésaventures,  où  Jean-Louis 
joue  un  rôle  comique.  J'excepte  la  chanson  populaire, 
qui  partout  revêt  le  costume  du  pays  et  qui  chante 
en  patois,  surtout  dans  les  cantons  de  Fribourg  et  de 
Berne,  tout  ce  qui  émeut  le  cœur  d'un  villageois  ou 
d'une  villageoise. 

Nous  n'avons    ainsi    presque   pas  d'anciens  textes 


NOS  PATOIS  ROMANDS 


patois  et  il  est  extrêmement  difficile  de  reconstituer 
l'histoire  de  nos  dialectes.  Depuis  le  XIIP  siècle,  la 
langue  littéraire  s'y  est  insensiblement  infiltrée,  d'abord 
dans  les  villes,  ensuite  à  la  campagne.  Pendant  sept 
siècles  les  patois  ont  réussi  à  absorber  l'élément 
étranger,  à  se  l'assimiler,  si  bien  qu'il  est  souvent 
difficile  aujourd'hui  de  reconnaître  ces  intrus  d'autre- 
fois. Ainsi  la  forme  valaisanne  pir9  pour  père  a  l'air 
bien  patoise,  mais  la  vieille  forme  pard,  qui  existe 
encore  pour  désigner  le  mâle  des  animaux,  et  l'ana- 
logie de  formes  comme  férd^  prononcé  aujourd'hui 
/?r?,  nous  montrent  qu'il  s'agit  du  mot  français  pro- 
noncé d'abord  perd  (forme  qu'on  retrouve  dans  les 
autres  cantons),  cjui  a  dans  la  suite  subi  la  loi  pho- 
nétique moderne  d'après  laquelle  e  devient  /  dans 
certaines  contrées  du  Valais.  Au  XIX"  siècle,  le  poids 
du  français  est  devenu  plus  lourd,  et  le  patois  a  cédé. 
Les  raisons  de  ce  phénomène  sont  multiples  et  varient 
selon  les  contrées.  Les  plus  énergiques  agents  du  fran- 
çais ont  été  l'instruction  (les  écoles),  l'industrie,  le 
service  militaire,  la  religion  protestante,  en  un  mot  la 
culture  supérieure  du  XIX®  siècle,  fruit  du  rationa- 
lisme du  siècle  précédent.  Si  \"oltaire  avait  été  un 
Italien,  le  remplacement  du  patois  par  la  langue  litté- 
raire aurait  peut-être  commencé  dans  le  Tessin. 

Faut-il  blâmer  nos  paysans  d'avoir  d'un  cœur  si 
léger  oublié  leur  langue  maternelle,  la  langue  dans 
laquelle  leurs  parents  s'étaient  juré  un  amour  éternel, 
l'idiome  que  leur  mère  chantait  en  les  berçant,  ces 
doux  sons  qui  avaient  d'abord  frappé  leur  oreille? 
N'ont-ils    pas  échangé    la    langue    du    cœur    contre    la 


L.  GAUCHAT 


langue  de  la  raison?  Je  ne  le  crois  pas.  La  langue 
n'est  qu'un  instrument.  Ce  n'est  pas  une  partie  orga- 
nique de  notre  être,  et  celui  qui  échange  son  vieux 
patois  contre  la  langue  polie  et  châtiée  de  tout  le 
monde  n'est  pas  plus  coupable  que  celui  qui  troque 
sa  vieille  charrue  de  bois  contre  un  instrument  de  fer, 
perfectionné,  importé  d'Amérique.  Le  nouvel  outil  est 
plus  commode,  cela  en  justifie  assez  l'emploi.  Et  du 
reste,  l'ancienne  charrue  était  dans  un  triste  état,  ron- 
gée par  l'âge  comme  elle  l'était.  De  même  le  patois 
ne  se  rend  qu'après  avoir  épuisé  ses  forces  dans  ce 
combat  inégal.  Le  patois  qui  s'éteint  ne  ressemble 
pas  à  l'arbre  fruitier  que  le  vent  arrache  au  sol  natal, 
mais  à  un  vieil  arbre  dont  le  tronc  est  pourri  et  au- 
quel la  sève  vitale  manque.  Et  pourtant  le  dialecte  ne 
succombe  pas  sans  avoir  grièvement  blessé  son  ad- 
versaire. Les  blessures  que  le  français  reçoit  en  cher- 
chant à  terrasser  le  patois  s'appellent  provincialismes. 
La  langue  nouvelle  est  prononcée  d'abord  d'une  façon 
horrible,  les  sons  patois  se  confondant  avec  les  sons 
français.  De  là  les  parfèt9niàïn  ;  t  vœ  byintô  vni\  etc. 
des  Vaudois.  Une  foule  de  mots  qui  ne  sont  que  du 
patois  francisé,  comme  7i7ie  Irahie  =  épidémie,  gicler 
=  faire Jailiir,  etc.,  émaillent  le  discours  des  transfuges.^ 
Il  y  aurait  là  d'intéressantes  études  à  faire  sur  le  choix 

'  Voici  une  phrase  tirée  de  l'introduction  des  Scènes  vait- 
doiseSy  de  M.  Cérésole  :  «  ma  bonne  mère  vaudoise  qui  se  piquait 
de  savoir  parler,  disait  à  sa  fille  quittant  le  pays  pour  entrer  en 
place  à  Paris  :  Eh  bien,  adieu  ! . . .  ma  Fanny  ...  et  puis  ...  tu  sais  ! 
tu  ne  feras  pas  la  batoille;  tu  n'iras  pas  te  cougner  contre  les  mer- 
mites  et  surtout,  tu  tâcheras  voir  de  parler  bientôt  français  !  » 


NOS  PATOIS  ROMANDS 


de  ces  derniers  rejetons  du  dialecte,  sur  les  mots  fran- 
çais employés  à  contresens.  On  s'est  contenté  jusqu'ici 
de  collectionner  soigneusement  ces  expressions,  dans  un 
but  pratique,  afin  de  mettre  les  Suisses  romands  et  les 
étrano-ers  en  g-arde  contre  l'emploi  abusif  de  ces  mots.  On 
s'en  sert  aussi  pour  se  moquer  de  la  maladresse  des  nou- 
veaux adeptes  du  français.  En  d'autres  termes:  on  les 
a  mis  à  l'index,  on  les  couvre  de  honte  !  Honneur  à 
M.  A.  Cérésole  et  à  nos  romanciers  neuchàtelois  (jui 
les  emploient  dans  un  but  purement  poétique. 

La  charrue  de  fer  ne  produit  guère  d'abord  de  ré- 
sultats supérieurs  à  ceux  de  la  charrue  de  bois.  Il  faut 
apprendre  à  la  manier.  Et  plus  d  un  ne  peut  s'em- 
pêcher de  contempler  avec  un  léger  soupir  l'instru- 
ment qu'il  a  jeté  avec  tant  d'empressement.  Cet  outil 
qui  a  passé  de  père  en  fils  depuis  tant  d'années  mé- 
rite-t-il  le  mépris  avec  lequel  on  le  traite?  N'a-t-il  pas 
été  le  témoin  de  tant  de  scènes  de  famille  gaies  ou 
pénibles.  N'est-il  pas  devenu  un  peu  le  symbole  du 
labeur  des  pères,  sans  lequel  nous  ne  serions  pas  ce 
que  nous  sommes?  Mais  il  faut  se  décider,  on  ne  peut 
pas  employer  tantôt  l'une,  tantôt  l'autre  des  charrues. 
L'emploi  de  deux  langues,  gênante  même  pour 
des  lettrés,  comme  cela  se  voit  dans  la  Suisse  alle- 
mande, est  un  fardeau  trop  lourd  pour  un  paysan. 
Après  une  époque  de  tâtonnements,  il  réussira  à  mieux 
manier  son  nouvel  ouiil  et  ne  regrettera  plus  l'ancien. 

Et  d'ailleurs,  il  serait  insensé  de  vouloir  s'opposer 
à  la  marche  du  temps.  Comme  une  vieille  tour  pitto- 
resque mais  barrant  le  passage,  qui  doit  faire  place 
à  un  tramway  électrique,   le   patois  devra  reculer  de- 


L.  GAUCHAT 


vant  la  langue  française,  plus  souple,  plus  riche,  unique, 
compréhensible  à  tout  le  monde,  plus  élégante,  plus 
noble,  glorieuse  d'un  grand  passé  littéraire  et  destinée 
à  un  grand  avenir. 

Mais  que  les  brillantes  qualités  de  la  langue  litté- 
raire ne  nous  fassent  pas  méconnaître  celles  du  patois. 
On  a  répandu  sur  son  compte  bien  des  idées  fausses, 
que  je  tiens  à  signaler  brièvement.  On  a  prétendu  que 
le  patois  était  incapable  d'exprimer  des  idées  s'élevant 
tant  soit  peu  au-dessus  des  choses  les  plus  ordinaires. 
Comme  si  nos   pères    n'avaient    eu    que  des  idées  ba- 
nales, tandis  que  nous,  grâce  au  français,  formerions  tout 
à  coup  un  peuple  de  sages!  On  peut  être  philosophe 
en  patois  et  très  vulgaire  en  français!  Le  poète  pro 
vençal  Mistral  n'a-t-il  pas  traité  les  sujets  les  plus  su 
blimes  dans  la  langue  sonore  et  gracieuse  des  Félibres 
N'avons-nous   pas   les   livres    si  profonds  de  Gotthelf, 
écrits  en  mauvais  allemand  et  pensés  tout  en  patois 
On    a    dit    que    le    patois    était    pauvre.    Evidemment 
chaque  patois,  pris  isolément,  ne   peut  pas  être  com 
paré  à  la  langue  littéraire.  Mais  l'ensemble  des  patois 
français  est  infiniment    plus    riche    que    le  vocabulaire 
de  l'Académie  française.  Si  l'on  dressait  l'inventaire  de 
tous  les  dialectes  parlés  des  Pyrénées  à  la  Meuse,  on 
serait  émerveillé    de  l'incomparable  variété  de  termes 
pour  les  mêmes  objets.   Comparez  le  glossaire  du  doyen 
Bridel  à  des  vocabulaires  de  régions  limitrophes,  comme 
le  dictionnaire    lyonnais    de    Puitspelu   ou  le  glossaire 
de  Bournois,  par  Roussey,  vous  serez  obligé  d'avouer 
que  vous  vous  trouvez  en  présence  de  langues  totale- 
ment diverses  et  à  vous   inconnues.    Quels   trésors  de 


NOS  PATOIS  ROMANDS  13 

termes  expressifs,  d'images  pittoresques,  de  locutions 
bien  trouvées  auxijuels  la  langue  littéraire  a  tourné 
le  dos  avec  un  profond  dédain  !  Et  la  plus  grande 
partie  des  néologismes  français  ne  proviennent-ils  pas 
au  fond  de  l'argot  parisien,  qui  n'est  pas  autre  chose 
qu'un  patois  toujours  naissant!  La  plupart  des  modi- 
fications phonétiques  de  la  langue  française  nont-elles 
pas  toujours  été  dictées  par  les  gamins  de  Paris  ! 

Le  patois  est  laid,  a-t-on  dit.  Mais  n'a-t-on  pas 
toujours  trouvé  laid  ce  qu'on  ne  comprenait  pas.  Pour- 
quoi le  son  0^  serait-il  laid  en  patois  fribourgeois, 
valaisan  ou  genevois  et  beau  en  anglais  !  La  phrase 
ïû  t' anio  prononcée  par  une  Italienne  sonne-t-elle  vrai- 
ment moins  bien  que  le  i  fajuo  d'une  fraîche  et  jolie 
fille  de  la  Gruyère  ?  La  beauté  du  langage  est  une 
affaire  de  goût  et  de  giistibus  non  est  disputandiun  ! 

Il  me  serait  facile  de  citer  une  foule  de  mots 
abstraits  tirés  du  patois,  pour  prouver  que  nos  paysans 
font  souvent  des  distinctions  logiques  très  fines  dont 
ceux  qui  ne  connaissent  pas  le  patois  ne  les  juge- 
raient pas  capables. 

Après  avoir  essayé  de  dire  ce  que  le  patois  a 
été  pour  nos  ancêtres,  on  me  permettra  de  dire  ce 
quil  est  à  la  science.  L'homme  veut  savoir!  Comme 
on  retourne  toujours,  dans  le  domaine  de  l'art,  à  la 
maxime  :  rart  pour  l'art^  la  science  n'a  pas  toujours 
un  but  utile  et  pratique  ;  elle  se  suffit  à  elle-même. 
Et  cette  curiosité  du  passé,  ce  besoin  de  comprendre 
est  bien  la  principale  faculté  qui  élève  l'homme  au- 
dessus  de  l'animal.  Le  langage  humain,  le  véhicule 
de  notre  pensée  est  une  des  choses   les    plus    intéres- 


14 


L.  GAUCHAT 


santés  que  nous  puissions  étudier.  Une  foule  de  ques- 
tions très  graves,  comme  celle  des  changements  pho- 
nétiques ou  des  motifs  du  développement  continuel 
des  sons,  la  sémantique  ou  le  développement  des  si- 
gnifications, la  filiation  des  langues  et  enfin,  comme 
dernier  but  auquel  tendent  tous  nos  efforts,  l'origine 
du  langage,  occupent  et  passionnent  la  philologie  de- 
puis les  temps  des  anciens.  Les  méthodes  d'investiga- 
tion se  sont  beaucoup  perfectionnées,  surtout  au 
XIX"  siècle,  depuis  que  les  naturalistes  ont  appris 
aux  philologues  à  observer  et  à  s'entourer  de  maté- 
riaux sûrs  et  complets  avant  de  juger,  mais  malgré 
notre  connaissance  assez  exacte  de  certains  faits  isolés, 
les  grands  problèmes  attendent  toujours  leur  solution. 
La  science  a  établi  un  grand  nombre  de  lois  phoné- 
tiques, par  exemple,  mais  les  savants  sont  encore  bien 
loin  de  s'accorder  sur  la  nature  et  l'origine  de  ces  lois. 
L'étude  des  patois  ou  la  dialectologie  est  parti- 
culièrement apte  à  nous  ouvrir  les  yeux  et  à  nous 
dévoiler  les  secrets  du  développement  linguistique. 
Au  fond,  la  seule  vraie  différence  entre  une  langue 
littéraire  et  un  patois  est  celle  que  la  première  est 
parlée  et  écrite,  tandis  qu'un  dialecte  n'est  que  parlé. 
Toutes  les  langues  littéraires  tirent  leur  origine  dîin 
patois,  généralement  situé  au  centre  du  pays.  En  France, 
le  dialecte  de  l'Ile  de  France,  qui  était  le  parler  de 
Paris,  devenu  de  bonne  heure  la  capitale  du  pays, 
a  acquis  dès  le  XIP  siècle  une  prépondérance  notable 
sur  les  autres  dialectes.  Grâce  à  une  centralisation 
toujours  croissante,  toutes  les  tendances  d'émancipa- 
tion des  autres   dialectes  ont  été  repoussées  avec  suc- 


NOS  PATOIS  ROMANDS  15 

ces,  et  aujourd'hui  nous  n'avons  qu'une  norme  pour 
le  bon  français:  le  parler  de  la  bonne  société  de  Paris. 
La  langue  littéraire  est  continuellement  en  transforma- 
tion, comme  toutes  choses  ici-bas  ;  on  n'a  (ju'à  com- 
parer la  langue  d'Alphonse  Daudet  à  celle  de  Molière, 
celle  de  Molière  à  celle  d'un  écrivain  parisien  du 
XUP  siècle,  comme  Rustebeuf,  pour  s'en  persuader. 
Mais  le  développement  d'une  langue  littéraire  est  né- 
cessairement enrayé  par  des  idées  de  correction  qui 
résultent  de  lemploi  écrit  de  cette  langue.  La  gram- 
maire arrête  pour  une  certaine  époque,  plus  ou  moins 
longue,  le  mouvement  linguistique,  le  dictionnaire  énu- 
mère  les  locutions  reçues  et  nous  interdit  de  nous 
abandonner  aux  impulsions  individuelles,  aux  tendances 
non  consacrées.  Par  là,  le  mouvement  est  paralysé  ou 
ralenti,  de  sorte  que  le  besoin  de  réformer  la  gram- 
maire qui  se  fait  pourtant  sentir  à  de  longs  inter- 
valles, ne  rencontre  aucun  écho  d'abord  et  ne  s'impose 
que  lentement.  L'écriture  donne  un  caractère  émi- 
nemment conservateur  aux  langues  littéraires. 

Il  en  est  tout  autrement  du  patois  qui  chemine 
à  son  gré,  tantôt  agile,  tantôt  hésitant,  selon  son 
tempérament  ou  son  humeur.  La  langue  littéraire  res- 
semble à  un  canal  aux  eaux  endormies  dans  leur  lit 
d'écluses,  le  patois  à  un  torrent  dont  les  eaux  suivent 
tous  les  accidents  d'un  terrain  tantôt  rapide,  tantôt 
plat.  Le  patois  et  le  français  sont  tous  deux  des  pro- 
duits du  latin  populaire,  introduit  en  France  et,  peu 
de  temps  après,  en  Suisse,  par  les  armes  des  soldats 
romains.  Mais  tandis  que  le  français  a  subi  toutes  les 
influences  d'une  littérature  puissante,  les  patois  peuvent 


i6  L.  GAUCHAT 


être  considérés  comme  des  produits  spotitanés,  comme 
un  développement  lingidstique  livré  a  liii-ntêine.  [II  y 
aura  lieu  de  faire  une  restriction,  comme  nous  verrons 
tout  à  l'heure.]  On  pourra  donc  mieux  étudier  les  mo- 
biles du  développement  linguistique  en  observant  les 
dialectes  vivants  où  nous  voyons  tant  de  lois  phoné- 
tiques s'accomplir  momentanément,  qu'en  s'arrètant 
aux  formes  choisies  et  pour  ainsi  dire  cristallisées  des 
anciennes  phases  de  la  langue  littéraire. 

Celle-ci  se  distingue  des  patois  en  outre  par  le 
fait  qu'elle  est  ouverte  à  toutes  les  influences  étrangères. 
La  littérature,  notamment,  a  introduit  dans  la  langue 
française  une  quantité  de  mots  provençaux,  latins  ou 
grecs,  allemands,  anglais,  etc.,  tandis  que  le  patois  ne 
s'enrichit  que  d'un  certain  nombre  de  termes  empruntés 
à  ses  voisins  ou  à  la  langue  littéraire.  Nos  patois  ro- 
mands contiennent  un  assez  grand  nombre  d'expres- 
sions qui  viennent  des  patois  de  la  Suisse  allemande, 
quelques  rares  termes  italiens,  et,  sans  être  purs  de 
tout  alliage,  ils  représentent  donc  une  masse  plus  ho- 
mogène que  le  français.  Sous  ce  rapport  aussi,  ils  sont 
plus  naturels,  ils  ont  plus  de  race  et  leur  geste  est 
moins  étudié  !  La  dialectologie  ressemble  donc  en 
ciuelque  sorte  à  la  vivisection.  Le  dialectologue  taille 
dans  la  chair  vive,  il  observe  des  fojictions  sous  sa 
loupe,  tandis  que  la  plupart  des  philologues  se  con- 
tentent encore  d'étudier  la  langue  des  livres,  dont  les 
éléments  ont  la  rio-idité  des   fossiles. 

o 

Est-il  nécessaire  d'assurer  encore  que  ceux  qui 
ont  cru  reconnaître  dans  nos  patois  des  mots  hébreux, 
anglais,  arabes,  russes,  allemands,  etc.,    ont  démontré 


NOS  PATOIS  ROMANDS  17 

par  là  qu'ils  n'avaient  pas  la  moindre  idée  de  l'origine 
de  ces  patois.  Il  n'y  a  jamais  eu  de  colonie  anglaise 
dans  la  Suisse  romande,  et  il  est  impossible  (ju'une 
nation  avec  laquelle  nous  n'avons  pas  eu  de  rapports 
pendant  dix-huit  siècles,  ait  influencé  notre  vocabulaire. 
Je  doute  fort  que  nos  Valaisans  modernes  lui  aient  de- 
mandé autre  chose  que  des  écus.  Pour  faire  passer 
une  étymologie,  il  ne  suffit  plus  aujourd'hui  de  dé- 
couvrir dans  une  langue  quelconque  un  mot  ayant 
une  ressemblance  lointaine  avec  un  mot  patois,  mais 
il  faut  motiver  la  présence  de  ce  mot  dans  nos  vallées. 
Le  mot  neuchàtelois  la  (irez  pour  un  «  clédar  »  ne  vient 
pas  de  l'allemand  drchen^  comme  on  l'a  cru,  car  si  vrai- 
ment ce  verbe  avait  un  rapport  avec  le  mot  romand,  c'est 
sur  sa  forme  suisse  dràyo  qu'il  faudrait  se  baser  et  non  sur 
la  forme  berlinoise  qui  n'a  rien  à  voir  chez  nous.  Il  n'est 
pas  si  facile  de  trouver  une  étymologie  et  il  faut  laisser 
ce  soin  à  ceux  qui  connaissent  les  lois  de  dérivation 
de  nos  patois.  La  forme  fribourgeoise  est  dléj\  ce 
qui  prouve  que  l'ancien  mot  pouvait  contenir  une  / 
au  lieu  d'une  r'.  Il  vaudra  toujours  mieux  dire  qu'on 
ne  connaît  pas  l'origine  d'un  mot  que  de  proposer 
des  étymologies  absolument  fantaisistes.  11  n'y  a  ja- 
mais eu  de  Grecs  chez  nous,  les  courtes  apparitions 
d'Arabes  n'ont  guère  pu  transformer  notre  langue.  La 
base  de  nos  patois  est  donc  essentiellement  le  latin. 
Il  est  vrai  que  nous  sommes  très  peu  renseignés  sur 
la  proportion   qui  existait  entre   les  anciens  Helvètes, 

'  La  forme  vaudoise  est  dléz' ;  comparez  l'étude  de  M.  Mil- 
loud:  Un  vieux  mot  :  dclaise  dans  les  Anciennetés  du  Pays  de  l'aitd, 
1902,  p.  187  — 191. 

2 


i8  L.  GAUCHAT 


de  race  celtique  (clairsemés  probablement),  et  les  co- 
lons romains  qui  s'établirent  dans  le  pays,  et  nous  n'avons 
aucune  idée  du  nombre  des  Burgondes  ou  Francs  qui 
l'envahirent  plus  tard.  Cependant  il  est  certain  pour 
moi  que  la  langue  celtique  et  celle  des  envahisseurs 
germaniques  ont  laissé  des  traces  clans  la  prononcia- 
tion et  dans  le  vocabulaire  de  nos  patois.  Mais  comment 
trouver  ces  traces,  puisque  nous  ne  savons  absoliiDieiit 
rien  de  la  langue  de  ces  anciens  habitants  de  la  Suisse 
romande.  Les  trois  quarts  ou  davantage  des  étymo- 
logies  de  nos  mots  patois  sont  décidément  latines,  le 
quatrième  quart  représente  une  masse  en  partie  irré- 
ductible, pour  laquelle  nous  pourrons  trouver  des  ana- 
logies dans  le  bas-breton  ou  l'irlandais  ou  dans  de 
vieux  dialectes  germaniques,  sans  pouvoir  prétendre 
avec  assurance  avoir  trouvé  l'origine  des  mots  en 
question.  En  tout  cas,  il  ne  faut  se  résoudre  à  chercher 
une  éty  mologie  dans  les  langues  celtiques  ou  germaniques 
que  lorsqu'il  est  bien  démontré  que  le  latin,  que  nous 
ne  connaissons  que  bien  incomplètement,  ne  fournit  rien. 
J'ai  dit  que  l'opinion  d'après  laquelle  les  patois 
seraient  des  produits  spontanés  du  latin  vulgaire,  de- 
mandait une  restriction.  En  effet,  le  patois  du  village 
de  N^  dans  le  canton  de  C,  ne  vient  pas  en  ligne 
directe  dune  colonie  romaine  établie  à  iV,  car  très 
peu  de  villages  sont  aussi  anciens.  Beaucoup  d'endroits 
n'ont  été  habités  que  depuis  le  XIV*  siècle,  par 
exemple,  et  leur  patois  doit  être  un  rejeton  d'un  patois 
que  nous  ne  connaissons  pas,  peut-être  de  plusieurs 
patois,  si  les  premiers  habitants  venaient  de  différentes 
contrées.  Par  l'immigration,  d'autres  éléments  linguis- 


NOS  PATOIS  ROMANDS  19 

tiques  sont  venus  dans  la  suite  se  joindre  aux  élé- 
ments constitutifs.  Puis  il  ne  faut  pas  oublier  l'influence 
des  petites  villes,  comme  Avenches,  Payerne,  etc.,  qui 
se  trouvaient  elles-mêmes  sous  l'influence  de  villes 
plus  grandes:  Fribourg  et  Lausanne.  On  voit  que 
l'histoire  de  nos  patois  est  bien  compliquée,  surtout 
par  suite  de  notre  ignorance  de  la  manière  dont  nos 
vallées  ont  été  colonisées. 

Malgré  les  influences  diverses  qui  ont  agi  sur  le 
développement  de  nos  patois,  ils  représentent,  pris 
isolément,  une  masse  linguistique  assez  homogène,  avec 
des  caractères  très  saillants,  où  se  reconnaît  l'action 
de  lois  phonétiques  ou  morphologiques  bien  déter- 
minées. Le  philologue  qui  veut  se  faire  une  idée  d'une 
loi  phonétique,  par  exemple,  ne  peut  pas  désirer  un 
champ  d'activité,  un  objet  d'observation  plus  intéres- 
sant que  les  patois.  Non  seulement  les  phénomènes 
naissent  pour  ainsi  dire  devant  lui,  mais  à  l'aide  d'autres 
patois,  moins  avancés  ou  plus  développés  que  celui 
qu'il  observe,  il  lui  est  permis  de  reconstruire  l'his- 
toire de  ces  phénomènes  et  même  jusqu'à  un  certain 
point  d'en  deviner  l'issue. 

Ainsi  le  groupe  latin  -  st  -  a  donné  ^,  un  son 
(ju'on  croit  être  particulier  à  l'anglais  ou  au  grec 
moderne,  espagnol,  etc.,  et  qui  se  retrouve,  dans  des  con- 
ditions différentes,  dans  nos  cantons  de  Fribourg,  Genève, 
Vaud  et  Valais,  tandis  que  Berne  et  Neuchàtel  ne 
le  connaissent  pas.  Les  mots  latins  iesta.festa^fenestra 
se  prononcent  aujourd'hui  dans  la  plupart  des  patois 
fribourgeois  tid^a^  JîO-a,  f9nï%ra,  mais  il  y  a  des  pa- 
tois, où  le  son  d-  est  en  pleine    transformation    et   en 


L.  GAUCHAT 


voie  d'aboutir  à /z.  Donc:  tiha^  filia^  fdiiihra^  d'autres 
ont  encore  tid^a^  fid-a^  mais  Aé-]2ifd7nhra^  ce  qui  nous 
apprend  que  tous  les  d-  ne  sont  pas  devenus  du  coup 
h^  mais  que  les  mots  qui  présentaient  une  certaine 
combinaison  de  sons,  comme  i9-r,  sont  en  avance  sur 
les  autres.  Il  ne  serait  même  pas  impossible  qu'un 
patois  donnât  la  forme  fiha  à  côté  de  ti\fa^  malgré 
la  presque  identité  des  deux  mots.  Un  bon  observa- 
teur trouvera  une  quantité  de  mots  qui,  grâce  à  leur 
usage  très  fréquent  ou  à  d'autres  raisons  qui  nous 
échappent  encore,  semblent  seuls  avoir  subi  une  loi 
phonétique.  Ces  mots  sont  les  avant-postes,  que  les 
balles  ennemies  atteignent  d'abord.  On  peut  aussi  com- 
parer les  lois  phonétiques  à  des  épidémies  qui  com- 
mencent par  la  maladie  d'un  seul  individu.  11  est  bien 
démontré  aujourd'hui  qu'un  changement  phonétique, 
par  exemple  d-  ==  /z,  n'est  ni  subit  ni  général,  mais 
qu'il  y  a  entre  les  deux  étapes  une  période  de  fluc- 
tuations et  d'incertitude.  On  ne  saurait  assez  recom- 
mander l'étude  des  patois  à  ceux  qui  croient  encore 
à  l'infaillibilité  de  ces  lois.  Si  nous  sommes  encore 
divisés  dans  une  question  si  grave,  c'est  qu"on  s'est 
trop  occupé  jusqu'à  présent  des  faits  accomplis  et 
trop  peu  des  faits  naissants. 

Il  ne  faut  pas  croire  que  l'étude  d'un  mot  patois 
soit  moins  intéressante  que  celle  d'un  mot  français  ou 
italien.  Les  battements  du  cœur  d'un  nègre  sont-ils 
moins  intéressants  pour  un  physiologue  que  ceux  du 
cœur  d'un  hoinme  célèbre!  La  plus  modeste  fleur  des 
champs  ne  peut-elle  pas  avoir  un  parfum  plus  exquis 
que  les  éclatants  produits  d'une  serre  ! 


NOS  PATOIS  ROMANDS 


La  constatation  que  dans  un  patois  le  participe 
passé  du  verbe  puni  (punir)  est  prononcé  ptini  ou 
p2i7iè^  avec  les  féminins  ^/^7/y<7  ox  punètd^  pourrait  faire 
penser  que  les  patois  sont  des  langues  arbitraires,  où 
chacun  peut  s'exprimer  comme  il  veut.  Mais  n'avons- 
nous  pas  en  français  pour  le  futur  du  verbe  asseoir  les 
trois  formes  sanctionnées  par  l'Académie  je  m'assiérai, 
je  masseyerai  et  je  irî assoirai)  Et  une  foule  de  points 
de  la  grammaire  française  qui  nous  apparaissent  au- 
jourd'hui bien  arrêtés  et  définis,  se  trouvaient  autre- 
fois dans  le  cas  du  futur  du  verbe  asseoir  et  ont  coûté 
un  grand  travail  de  choix  et  de  préférences,  où  la 
mode  entrait  pour  beaucoup  et  la  logique  pour  peu  ! 
On  peut  avec  profit  étudier  l'histoire  de  ces  indéci- 
sions, des  influences  réciproques  d'un  verbe  sur  l'autre, 
etc.,  en  ancien  français,  ou,  tout  aussi  bien,  dans  la 
masse  bigarrée  des  patois. 

Une  question  qui  ne  passionne  pas  seulement  les 
philologues,  mais  aussi  tous  ceux  qui  ont  l'habitude 
de  rechercher  le  pourquoi  des  choses,  c'est  l'étymo- 
logie  ou  origine  des  mots.  Or,  comme  les  mots  fran- 
çais et  les  mots  patois  sont  en  grande  partie  des 
frères  issus  d'une  mère  commune,  on  fera  bien  de  ne 
pas  s'adresser  seulement  à  celui  des  frères  qui  occupe 
la  place  la  plus  brillante,  pour  savoir  quelle  fut  leur 
mère.  Les  autres  frères,  moins  fortunés,  peuvent  avoir 
mieux  conservé  les  traits  et  le  souvenir  de  celle  qui 
leur  donna  naissance.  Ainsi  maint  mot  patois  est  des- 
tiné à  mettre  en  lumière  l'origine  d'un  mot  français 
dont  l'étymologie  est  encore  inconnue.  Et  nous  n'avons 
(ju'à  feuilleter   le    Dictionnaire  général   de  la  langue 


L.  GAUCHAT 


française  pour  nous  persuader  qu'il  reste  encore  bien 
des  problèmes  à  résoudre  dans  le  domaine  de  l'éty- 
mologie  de  notre  langue  littéraire. 

Il  va  sans  dire  que  tous  les  patois,  ceux  de  la 
Suisse  française  aussi  bien  que  ceux  du  Midi  de  la 
France,  par  exemple,  offrent  à  peu  près  les  mêmes 
avantages  pour  l'étude  des  principes  linguistiques.  Les 
phénomènes  sont  très  différents,  mais  le  gain  à  en 
retirer  pour  la  connaissance  des  causes  de  ces  phéno- 
mènes est  le  même.  Cependant  la  Suisse  romande, 
avec  ses  races,  ses  confessions  et  ses  occupations  si 
diverses,  présente,  sur  un  espace  restreint,  plus  de 
variété  peut-être  que  n'importe  quel  autre  territoire 
de  même  étendue  des  pays  latins.  Elle  est  particu- 
lièrement apte  à  nous  éclairer  sur  la  question  si  ardue 
et  complexe  des  limites  dialectales.  Faut-il  admettre 
avec  M.  Gaston  Paris  que  tous  les  patois  se  fondent 
les  uns  dans  les  autres  par  des  nuances  insensibles, 
qu'en  marchant  dans  la  même  direction,  par  exemple 
de  Neuchâtel  à  Paris,  on  rencontrerait  successivement 
des  parlers  différant  très  peu  entre  eux,  de  sorte  que 
la  couleur  française  du  patois  s'accentuerait  de  plus 
en  plus,  en  proportion  directe  de  la  distance  des  loca- 
lités du  point  de  départ?  Retrouve-t-on  dans  le  do- 
maine des  patois  le  fameux  7iatura  non  faci't  sa/tuni  ? 

Est-il  vrai  que  les  limites  de  a  --=    ..   et  de  a/""'"^  ^= 

^  a  a 

ou  d'autres  phénomènes  n'occupent  pas  la  même  aire? 
Et  les  limites  des  traits  linguistiques  ne  coïncident- 
elles  pas  avec  les  limites  politiques  anciennes  ou  mo- 
dernes?   Les  travaux  que  la    Rédaction    du    Glossaire 


NOS  PATOIS  ROMANDS 


des  patois  roina^ids  a  entrepris  en  vue  de  l'élaboration 
d'un  Atlas  lingitistiqite  de  la  Suisse  romande^  où  les 
nuances  de  prononciation  seront  représentées  par  des 
teintes,  permettent  de  conclure  à  une  nouvelle  théorie. 
Le  patois  de  La  Perrière  (canton  de  Berne),  par 
exemple,  diffère  foncièrement  de  celui  du  prochain  vil- 
lage bernois  Les  Bois,  tandis  qu'il  est  presque  identique 
avec  celui  de  La  Brévine,  située  à  une  bonne  journée 
de  marche  de  La  Perrière.  La  limite  dialectale  bien 
tranchée  qui  sépare  La  Perrière  des  Bois  est  bien 
une  ancienne  limite  politique,  aujourd'hui  confession- 
nelle. Grâce  aux  rapports  continuels  des  habitants, 
les  patois  d'une  contrée  comme  la  montagne  neuchà- 
teloise,  y  compris  La  Perrière,  ont  conservé  un  carac- 
tère uniforme,  malgré  certaines  différences  de  détail; 
le  village  des  Bois  appartient  à  une  autre  contrée, 
catholique,  placée  sous  l'influence  de  Porrentruy,  ayant 
très  peu  de  rapports  avec  les  hérétiques  de  La  Chaux- 
de-Fonds  et  environs  et  présente  pour  cette  raison 
un  caractère  linguistique  qui  est  décidément  différent 
de  l'autre.  Beaucoup  de  traits  sont  communs  aux  deux 
groupes,  comme  le  tcJi  pour  c  latin  devant  a  {campii 
=  tchan,  t/iifi)  entre  autres,  mais  cela  n'empêche  pas 
qu'un  grand  nombre  de  traits  divergent  de  part  et 
d'autre.  En  reportant  toutes  les  limites  des  traits  lin- 
guistiques sur  la  même  carte,  on  obtiendra  certes  un 
tableau  d'une  bigarrure  étonnante,  mais  il  sera  facile 
de  découvrir  dans  le  réseau  irrégulier  de  ces  lignes  des 
faisceatix  où  plusieurs  lignes  sont  superposées  ou  très 
voisines.  Ils  se  trouveront  là  où  les  rapports  des 
habitants  ont  été  moins  étroits  tju'ailleurs  et  ce  manque 


24  L.  GAUCHAT 


de  rapports  devra  s'expliquer  par  l'histoire  de  la 
population,  et  par  la  configuration  du  terrain. 

Je  ne  puis  me  permettre  ici  d'insister  davantage 
sur  cette  question  intéressante  des  limites  dialectales  et 
je  me  hâte  d'arriver  à  la  conclusion  de  ce  petit  exposé. 

Quand  la  disparition  d'un  monument  historique 
est  devenue  une  nécessité,  nous  faisons  tout  pour  en 
conserver  au  moins  le  souvenir  aux  générations  fu- 
tures. Nous  ne  laissons  pas  disparaître  nos  vieux  châ- 
teaux sans  les  photographier  pour  en  retenir  l'image! 
C'est  aussi  pourquoi  on  a  songé  à  créer  le  Glossaire 
des  patois  romands^  qui  n'a  nullement  la  prétention 
de  devenir  un  code,  comme  l'est  le  Dictionnaire  de 
l'Académie  française,  ni  même  un  répertoire  de  mots 
curieux  et  de  locutions  originales  dont  la  lecture  pour- 
rait amuser  les  jeunes  et  les  vieux  dans  les  longues  soi- 
rées d'hiver.  Le  Glossaire  sera  tout  simplement  l'image 
aussi  fidèle  que  possible,  en  même  temps  que  la  pierre 
funéraire  de  nos  patois  romands.  On  y  inscrira  l'épi- 
taphe:  Ci-gît  la  langue  au  moyen  de  laquelle  nos  an- 
cêtres ont  exprimé  leurs  pensées  pendant  vingt  siècles. 
Cette  langue  était  rude  et  imparfaite,  mais  elle  suffisait 
à  leurs  besoins.  Aussi  l'aimaient-ils  et  ont-ils  voulu 
que  sa  tombe  fût  ornée  d'une  pierre  commémorative. 
Des  herbes  de  toute  sorte  pousseront  autour  de  cette 
pierre.  Les  herboristes  viendront  en  cueillir  quelques 
échantillons,  ils  les  examineront  soigneusement,  et  feront 
peut-être  quelques-unes  de  ces  petites  découvertes 
grâce  auxquelles  s'enrichit  de  jour  en  jour  la  science 
humaine. 


TEXTE  GENEVOIS  25 


TEXTES 


I.    A  LA  FOIRE 

Dialogue  en  patois  de  Bernex  (Genève) 

Konbé  s  ta  vad-\-  —  T  à  k  h  vb  plyé  :  —  Vàtyàl 
Id  n'a  pâ  l'er  d9  bé  niarkà  pi  L  lafé.  —  L?  mark  pâ 
pe  l  lafél  Vb  ni  kbnydsi  pâ  gran  chiizà.  La  baly  sô 
oui  litr  pe  tré  on  via  avan  d  vêla.  Y  è  na  bœttâ  vad-' 
pè  la  rata.  D  la  vad'  d3  konfyans  .  Déniandi  a  koiii 
ki  say  a  Konfnyon  si  Babel  h  garson  a  la  Jan  n'a 
pâ  tbôb  d3  bœn  vad-'  è  si  é  tronprd  sœlamii  on-n-àfan.  Y 
.  è  la  nièlyœ"  da  mon  bœ^\  e  si  da  ouà  la  vàdr^  y  e  pask 
ds  ouà  viadtâ  on  d-vo  pe  pbvà  alâ  u  mard^iâ.  —  Konbé 
à  vbli  vo  r   —  Konbé  d'à  oiiàr   na  vad''  dàntyal  h  nâ 


TRADUCTION 

Combien  cette  vache?  —  Est-ce  qu'elle  vous  plaît? 
—  \'oilà  !  elle  n'a  pas  l'air  de  bien  marquer  pour  le 
lait.  —  Elle  ne  marque  pas  pour  le  lait!  \"ous  n'y  con- 
naissez pas  grand'chose.  Elle  donne  ses  huit  litres  par 
traite  un  mois  avant  de  vêler.  C'est  une  bonne  vache 
pour  le  rendement.  Je  la  vends  de  confiance.  Demandez 
à  qui  que  ce  soit  à  Confignon,  si  Babel  le  garçon  à 
la  Jeanne  n'a  pas  toujours  de  bonnes  vaches  et  s'il 
tromperait  seulement  un  enfant.  C'est  la  meilleure  de 
mon  étable,  et  si  je  veux  la  vendre,  c'est  parce  cjue 
je  veux  m'acheter  un  cheval  pour  pouvoir  aller  au 
marché.  —  Combien  en  voulez-vous?  —  Combien  j'en 
veux?  une  vache  comme  ça!    elle  n'a   pas   sa  pareille 


26  C.  FLEURET 


pà  sa  parir  su  tbtà  la  farâ.  Tœd^i  là  yo  vb  vdri,  h  n 
branlrà  pà  mè  k'n  anyé.  —  Alô,  l  w<?  baly  pà  pi  trér  ? 
—  Le  sàô'  kbin  n  anyé,  Xv  d  vb  dû.  —  Ta  k'oji  pu 
la  lyetàr  —  A  dratà,  a  gôd-\  kbm  vb  vdri.  —  Konhé  à 
t  ply'  dp  vè  :  —  L  à-n-e-t-a  son  katryan.  Y  arà  non 
via  l  vàtyon  k  l  à  prà  lô  bu.  —  L  à  bé  l'er  dp  kbmàsi 
a  ai)iblyi,  mé  son  te  te  e  bé  gron.  Vb  n  l'i  pà  tré  sti 
matàn.  —  T  à  k  vb  m  prenyi  pé  on  briga^i  r  iV  y  é 
pà  a  vu  k'i  fo  dir  sa.  —  Vèyàn,  vtron  prir  —  Vàt' 
dou  napblyon  é  dmi,  pà  on  sou  d  niouà.  —  Vb  n  la 
v'ddri  pà  a  se  pri.  —  Vb  kréyi  sa  vb  !  ali  sœlàmà  pé 
la  farà;  si  vb-z-d  trbvi  dôup  dàntyp,  dd  ouà  m  làsi  kbpà 
la  tétà.  —    Tni.,  vàtyà  katr  va  éku,  poué  va  sou  pé  la 

sur  toute  la  foire.  Touchez-la  où  vous  voudrez,  elle 
ne  bougera  pas  plus  quun  agneau.  —  Alors,  elle  ne 
donne  pas  des  coups  quand  on  la  trait?  —  Elle  est 
sage  comme  un  agneau,  que  je  vous  dis.  —  Est-ce 
qu'on  peut  l'atteler?  —  A  droite,  à  gauche,  comme  vous 
voudrez.  —  Combien  a-t-elle  de  veaux?  —  Elle  en 
est  à  son  quatrième.  Il  y  aura  neuf  mois  le  21  qu'elle 
a  été  saillie.  —  Elle  a  bien  l'air  de  commencer  à  se 
préparer  au  vêlage,  mais  sa  tétine  est  bien  grosse, 
vous  ne  l'avez  pas  traite  ce  matin.  —  Est-ce  que  vous 
me  prenez  pour  un  brigand?  Ce  n'est  pas  à  moi  qu'il 
faut  dire  cela.  —  Voyons,  votre  prix?  —  Vingt-deux 
napoléons  et  demi,  pas  un  sou  de  moins.  —  Vous  ne 
la  vendrez  pas  à  ce  prix.  —  \'ous  croyez  ça  vous! 
allez  seulement  par  la  foire  ;  si  vous  en  trouvez  deux 
comme  ça,  je  veux  me  laisser  couper  la  tète.  —  Tenez, 
voilà  quatre-vingts  écus,  puis  vingt  sous  pour  la  fille. 


TEXTE  GENEVOIS  27 


fBly'.  —  Nan^  gardi  vtro-z-éku,  ma  vad-^  ne  pà  tyerà 
u  pri  ka  d  v'o  /V  fé.  —  Va  povi  garanti  son  terni  ?  — 
As9  vré  kp  d  sa  ztj'P.  L  ara  ptétr  on  rtâr  d  kàk  ôièr, 
mé  vb  povi  étr  sur  dû  s  k?  d  vo  di3.  —  Voli  vb  don 
éku  d  plyû :  —  Nan^  d'à  ouà  nbnantâ.  —  Katr  va  ira! 

—  Nbnantâ  —  È  bànl  tni,  partaôàn  b  difrà:  ouitanîsàn 

éku  poué   karantâ  sou  pc  la  fûly  .    Sa  y  e-t-œ:  —  1)3 

pcry3  di  fran,  tan  pt,  alan  bar  on  var. 

C.  Fleuret, 
instituteur  à  Bernex. 

—  Non,  gardez  vos  écus,  ma  vache  n'est  pas  chère 
au  prix  que  je  vous  l'ai  faite.  —  A'ous  pouvez  garantir 
son  terme?  —  Aussi  vrai  que  je  suis  ici.  Elle  aura 
peut-être  un  retard  de  quelques  jours,  mais  vous  pouvez 
être  sur  de  ce  que  je  vous  dis.  —  Voulez-vous  deux 
écus  de  plus?  —  Non,  j'en  veux  nonante.  —  Quatre- 
vingt-trois.  —  Nonante.  —  Eh  bien!  tenez,  partageons 
la  différence  :  huitante-cinq  écus  puis  quarante  sous 
pour  la  fille.  Ça  y  est-il?  —  Je  perds  dix  francs,  tant 
pis,  allons  boire  un  verre. 


ETYiMOLOGlES 


/.  Mots  d'origine  allemande  pour  désigner  le  tanrean 

Les  patois  de  la  Suisse  allemande  ont  donné  à 
leurs  voisins  romands  pas  moins  de  quatre  mots  signi- 
fiant bœiif  ou  taîireaît. 

I.  ourno  s.  m.  taureau  châtré,  mot  particulier  aux 
Alpes  vaudoises;  aux  Ormonts  c'est  un  bœuf  élevé 
pour  servir  de  bête  de  trait,  à  l'Etivaz  c'est  un  bœuf 


28  E.  TAPPOLET  ET  L.  GAUCHAT 

âg-é    par    opposition    à  tsad-ron  =  jeune  bœuf;    pour 
taureau  on  y  dit  baoït. 

Le  mot  vient  sans  aucun  doute  de  l'allemand 
suisse  Urner  s.  m.  taureau  coupé  étant  veau,  mot 
attesté  par  le  Schweïz.  Idiotikon  I  464  pour  les 
cantons  de  Berne  (Oberland),  de  Fribourg  et  de  Claris. 
Un  Urner  est,  toujours  d'après  X Idiotikon^  un  taureau 
traité  ou  coupé  à  la  façon  des  Uranais. 

2.  chvitss.va.  taureau,  mot  employé  dans  le  Gros-de- 
Vaud,  probablement  pour  une  bète  de  race  schwytzoise; 
mot  rare. 

3.  inotmi  s.  m.  taureau  d'un  troupeau  (Vully  vau- 
dois  et  Glossaire  de  Bridel).  Le  mot  allemand  est 
Mii7i7it\  mot  particulièrement  suisse,  d'un  usage  général 
dans  la  Suisse  centrale  et  orientale,  à  l'exclusion  de 
rOberland  bernois,  v.  Idiotikon  IV  316. 

4.  inani  s.  m.  i.  nom  donné  au  bœuf  d'attelage 
(Vully  vaudois)  ;  2.  taureau,  avec  le  diminutif: 

maniyon  s.  m.  jeune  taureau  (F'ranches-Montagnes). 

Ce  mot  semble  venir  de  Mànm\  qui  signifie 
I.  attelage,  2.  bète  de  trait,  mot  très  répandu  depuis 
les  Crisons  jusqu'à  l'Oberland,  ou  de  Manni,  diminutif 
de  Mann  (comparez  (Bàrd-)inam.,  nom  donné  à  Berne 
au  plus  vieil  habitant  mâle  de  la  fosse  aux  ours). 

E.  T. 
IL  pdfâ 

p9fâ  s.  m.  Les  exemples  de  ce  mot  que  j'ai  notés 
proviennent  tous  de  la  Montagne  neuchàteloise.  Dans 
ce  passage:  travallî  kema  de  pefâ  =  travailler  comme 
des...  i^Le  tin  don  viedge,  p.  2,  13),  une  dame  de  la 
Brévine    qui    m'a    fourni   un   grand    nombre    de    mots 


ETYMOLOGIES  29 


patois,  n'a  pas  su  me  définir  exactement  le  sens  du 
mot;  elle  n'a  pu  m'en  indiquer  que  l'emploi  suivant: 
i  va  vit'  kma  on  ppjâ.  Les  exemples  suivants,  tirés 
du  chansonnier  manuscrit  d'Ami  Huguenin,  le  fonda- 
teur du  Cercle  du  Sapin,  à  La  Chaux-de-F'onds,  ne 
laissent    plus   de  doute  sur  la  signification:  NoÉs  ïn  à 

faire  à  dets  pefâ  que  fouiya  et  nots  voiiéta  =  nous 
avons  à  faire  à  des  diables  qui  fuient  et  nous  guettent  ; 
et  surtout:  po  /'  r co77ipeiiisie  du  service  d'tus  les peiifâ 
qu'i  m'vantâve  =  pour  le  récompenser  du  service  de 
tous  les  diables  qu'il  me  vantait.  Je  retrouve  le  mot 
avec  un  sens  un  peu  différent  dans  la  nouvelle  patoise 
de  M.  Michelin-Bert  :  Ou  duiindge  et  Piaintschtets  (Un 
dimanche  aux  Planchettes):  ma  c'et  k'i  iann  ai  fâ  de 
stet  peufâ  =  mais  c'est  que  j'en  ai  fait  de  ces  méfaits. 
Il  est  donc  clair  que  pdja  est  un  des  nombreux  noms 
du  diable,  et  qu'il  remonte  2i  putidîi  factit  =  «  le  vilain 
fait  »  ou  putide  factit  =  «  celui  qui  est  laidement  fait  ». 
Pour   le  développement  de  -actu  comparez    les   mots 

fà  et  inà  (magis)  de  la  phrase  de  M.  Michelin-Bert. 
Le  Glossaire  de  Bridel  indique  ntaffi.  =  un  des  noms 
du  diable,  que  je  serais  disposé  à  tirer  de  malefectus 
malgré  les  difficultés  phonétiques  (comparez  en  alle- 
mand ein  Malejîzkerl  =  Teiifelskerl)^  et  qui  présen- 
terait une  analogie  frappante. 

///.  pila 

pila  s.  f.  Mot  fribourgeois  signifiant  :  omelette  », 
dérivé  de  la  pila,  la  poêle  (latin  patella)  au  moyen 
du  suffixe  -  ata,  comparez  l'expression  allemande 
jyannknchen.  L.  G. 


3° 


F.  ISABEL 


Vn  feiiil  aux  Onnoiits  (Alpes  vaudoises) 


Ce  petit  bâtiment  si  rustique  et  si  fruste,  construit  à  bois 
rond^  et  à  coches,  représente  un  des  plus  primitifs  spécimens 
du  genre  chalet'^;  c'est  seulement  \a\feniP,  un  tout  petit  mazot 
pour  abriter,  lors  de  la  fenaison^,  le  foin  d'une  très  petite  pro- 
priété isolée  ou  des  places  humides^  d'une  montagne,  en  atten- 
dant qu'on  le  fenate^,  c'est-à-dire  qu'on  le  lie''  pour  l'amener 
sous  forme  de  faix^,  en  hiver,  au  bas  de  la  vallée  où  loge  le  bétail. 

Ce  bâtiment  est  construit  sur  la  terre  nue.  S'il  était  plus 
élevé  et  qu'il  eût  à  son  plain-pied^  une  étable  à  vaches"*,  on 
l'appellerait  une  grange  ou  plutôt  une  grangette'',  construction 
fréquente  dans  toute  la  vallée  des  Ormonts  et  environs,  no- 
tamment au  Plan  des  Isles. 

Forme  carrée  ou  peu  s'en  faut.  Une  courte  échelle'-, 
appuyée  contre   le   seuil'^  de  l'aire'*,   placé   sur   les   premières 


'  a  èoti  ryon.  ^  f^naia^  v 

2  ou  tsalè.  -  ^^fâ,  V. 

^  on /s 7H  ,■  àimmnûî  on   g 

*  îi  tin  dé  fin.  '  apSan-pya.  loc.  adv. 

^  dd  màrè  (du  marais).  "*  07i  bao. 


onfé  owfé  de  fin. 


"  grand23  ;  grandsèta. 
^^on.n'  ètschlla;ètsèlèta. 
^^  h  lindâr" ;  le  pâ  de 

porta.,  le  batin. 
"  l' étra^  s.  f. 


UN  FENIL  AUX  ORMONTS 


pièces  ou  soubassements'^,  et  entre  deux  porte-soliveaux*^  à  peine 
saillants,  permet  d'arriver  à  la  porte  du  fenil.  Celle-ci  est  à 
deux  battants,  ou  deux  portes  avec  pentures'"  jadis  de  bois, 
portes  parfois  «à  chardonne/)'*.  Cette  ouverture  est  suffisam- 
ment grande  pour  pouvoir  y  faire  entrer  d^un  coup  une  charge 
de  foin  portée  sur  la  tête.  Les  deux  portes  viennent  parfois 
aboutir  à  un  piédroit  mobile'^  ou  montant  central,  assujetti  par 
des  mortaises  et  une  cheville^".  On  les  tire  à  soi  par  une  boucle-* 
ou  une  poignée'--  de  bois,  et  on  en  a  vu  qui  fermaient  avec 
une  simple  clef  à  languettes-^  qui  faisait  avancer  ou  reculer  un 
pêne-*  ou  loquet  de  bois  dur,  à  bord  en  dents  de  scie-^. 

La  pièce-"  de  faite  est  soutenue  par  une  poutre'-"  très 
caractéristique,  bifurquée  et  équarrie,  mais  tout  d'une  pièce 
vers  le  haut,  serrant,  comme  une  pince,  la  paroi  en  dedans  et 
en  dehors,  contribuant  ainsi  à  en  maintenir  l'aplomb  vertical, 
de  même  que  les  dagties  qui  l'escortent  parfois  parallèlement 
sous  deux  frètes  secondaires.  A  la  paroi  opposée  à  la  porte, 
ce  bouatsoir^  ou  batsô-'^  descend  au  moins  à  mi-hauteur  du  fenil. 
Il  fallait  probablement  courir,  un  bon  moment,  la  forêt^"  jusqu'à 
ce  que  l'on  trouvât  une  pièce   qui  se  prêtât  à  cet  assemblage. 

Uètèrpyao,  qui  remplace  parfois  la  porte,  n'est  fermé  que 
par  des  étèrpanon,  planches  placées  verticalement  les  unes 
après  les  autres. 

Des  deux  côtés  de  la  porte,  les  deux  portions  de  paroi 
adjacente  s'appellent  les  cantons^',  comme  en  héraldique.  Aux 
quatre    angles,   on  voit   les   coches  saillantes'^.   Les    chevrons'^ 

**  lou-2-assè^  s.  m.  pi.     --  on.na  pouattya.  -®  en  patois  d'Ormont- 

*^  /ozfJ>ôrtasà/ay,s.m.p\.-^/â  a  linvozialcta.  Dessus. 

1-  le-z-épârè,  s.  f.  pi.  ^*  mi  pé^a.  ''  î!.'k?,''*°''  "^""^  ^^^^^ 

Q      ■  •  j      7        j  ■      -  "  Ollon. 

^^  -porta. a  tserddna.  -^  din  de  rassd.  m  /    _?  /    j       -j 

^  _  _  ,  ■*"  /a  dzao  ;  la  dzorcta. 

'*  le  kohtiè.  ^®  la  fréta;  la  çrôssa    ,.   ,      ,      , 

■;  j       A  ji  loii  kantoti. 

^°  on  frodson  ;  na  fréta.  ,.,  ,      ,  -        ,    j   j  - .   • 

*             '  -^  ^'  lou  kara  da  le  kotse. 

ts3vdS3.  "  ig  bouatsozi,  s.  m.  ;  33  /^  Uevron;  lozi  tsè- 

-*  on.na  baya.  dagna.^  s.  f.                       vron. 


32  F.  ISABEL 

dépassent  de  tous  côtés  le  toit,  en  avant-toit^*.  Malgré  cela  la 
neige  chassée  par  le  vent^*  peut  pénétrer  encore  par  les 
interstices"^  des  parois.  Le  toit,  latte,  fait  de  gros  bardeaux 
ou  échandoles^^,  refendus  au  moyen  d'un  départoir^^,  est  sur- 
monté, en  sens  horizontal,  de  quelques  lattes^^  solidement 
retenues  par  des  crochets  de  toit*",  puis  chargé  de  gros  cail- 
loux*' équidistants,  afin  que  les  ouragans*-  et  gros  temps  ne 
soulèvent  et  n'emportent  pas  la  toiture  comme  un  fétu.  Il  faut 
avoir  eu  soin  de  bien  assembler,  crocher^^,  les  chevrons,  sans 
quoi  on  verrait,  malgré  leurs  cailloux,  des  toits  emportés  quand 
même  par  une  saute  de  vent". 

Enfin  les  soliveaux*^  ou  les  planches*''"  forment  le  plancher 
du  petit  mazot. 

F,  Isabel,  d'Ormont-Dessus, 
inst.  à  Villard-sur-Ollon. 


^*  avan-tCiy. 

^^  la  k0U3SS9. 

^^  lé  djotiiniè^  s.  f.  pi. 

d3  le  parây. 
''  on.n'assdSa. 
^*  on  fer  inyinlyâo 

(Ormonts). 


*^  loii  sàlCiy. 

■'^  loti  lan.    le  sèlan.iiè 

=^  planches  sous  les 

chevrons. 

L'aoâa  =  la  pointe 

du  pignon. 


39  lalè. 

*"  krà/sè  de  iây. 

*^  dp  le  rotsè. 

*■  la  grôss  oîira. 

■"  kràtschi. 

**  on  byan  d'ozira. 

Remarque  :  Le  J"  d"Ormont-Dessus  n'a  pas  tout  à  fait  la 
valeur  ordinaire  de  la  spirante  interdentale  sonore,  on  y  perçoit  un  reste 
de  \'l  mouilllée  dont  il  est  issu.  La  Rédaction  du  Glossaire  se  propose 
d'étudier  ce  son  particulier  au  moyen  du  palais  artificiel,  afin  d'en 
donner  une  définition  plus  exacte  que  celle  d'Alfred  Odin  (Phonologie 
des  patois  dti  canton  de  Vaud.  p.  600). 


TEXTES 

La  Konta  d   Pakâin. 
Randonnée  en  patois  de  Chanipéry  (Valais). 

La  petite  composition  dont  nous  donnons  ci- 
dessous  une  version  en  patois  de  Champéry  est  bien 
connue  des  amateurs  de  littérature  populaire.  On  en 
a  signalé  de  nombreuses  variantes  dans  la  plupart 
des  pays  d'Europe,  tantôt  sous  la  forme  de  randonnée, 
tantôt  sous  celle  de  chanson,  et  on  en  a  même  pour- 
suivi les  origines  lointaines  jusque  dans  la  vieille  litté- 
rature judaïque  et  dans  les  récits  bouddhiques  de 
l'Inde.  Il  nous  suffira  de  renvoyer  les  lecteurs  que 
ce  sujet  intéresse  aux  savantes  études  comparatives 
de  MM.  Gaston  Paris  et  E.  Cosquin,^  et  nous  ne 
mentionnerons  spécialement  ici  qu'une  variante  en 
patois  gruyérien,  recueillie  à  Albeuve  et  publiée  par 
M.  J.  Cornu  -.  C'est  une  randonnée  comme  la  nôtre, 
mais  l'entrée  en  matière,  ainsi  que  le  nombre  et  l'ordre 
de  succession  des  acteurs  du  récit  diffèrent  quelque 
peu.  Le  motif  du  début,  qui  se  retrouve  dans  une 
version  lorraine    donnée    par  Cosquin,   est  le  suivant: 

Pilon  é  Pilonna  chon  Joit  i-j-aiipc; 
Ly'  an  onityi  tyin  ly'  are  là  plyJ  viito  plyin. 
La  Pilonna  ly'  a  jon  plyin  dévan  Pilon  : 
Pilon  n'a  pà  pn  alà  a  cha  nicjon. 


'  Dans  la  Rotnania,  I,  p.  218     225  et  VII,  p.  548  —  552. 
-  Roniania,  IV,  p.  232. 


34  J-  JEANJAQUET 


Clion  joii  tsèrtchi  on  tsè  pô  insnâ  Psion, 
Ld  tsc  n'a  pà  valu  mdnà  Psion: 
Psion  n'é  pà  jou  a  cha  inéjon. 

c'est-à-dire: 

Pelon  et  Pelouna  sont  allés  aux  framboises; 
Ils  ont  regardé  lequel  aurait  le  plus  vite  plein. 
La  Pelouna  a  eu  plein  avant  Pelon: 
Pelon  n'a  pas  pu  aller  à  sa  maison. 

On  a  été  chercher  un  char  pour  conduire  Pelon, 
Le  char  n'a  pas  voulu  conduire  Pelon: 
Pelon  n'est  pas  allé  à  sa  maison. 

La  kyrielle  s'allonge  ensuite,  en  usant  toujours 
du  même  procédé.  On  a  recours  successivement  à 
un  cheval  pour  mener  le  char,  à  un  bâton  pour  battre 
le  cheval,  au  feu  pour  bniler  le  bâton,  à  leau  pour 
éteindre  le  feu,  à  une  souris  pour  boire  l'eau,  à  un 
chat  pour  manger  la  souris,  à  un  chien  pour  manger 
le  chat,  jusqu'à  ce  que  finalement  le  loup  consent  à 
manger  le  chien,  lequel  mange  le  chat,  celui-ci  la 
souris,  etc. 

Cet  arrangement  des  personnages  s'écarte  passa- 
blement de  celui  qui  paraît  primitif  et  n'offre  que  la 
série:  chien  —  bâton  —  feu  — ■  eau  —  bœuf  —  bou- 
cher. Certaines  variantes  ajoutent  comme  dernier 
terme:  la  mort. 

Ce  type  primitif  est  représenté  assez  exactement 
en  vSuisse  par  une  version  chantée,  recueillie  à  Neu- 
châtel  par  M.  Alfred  Godet  ^  Le  personnage  initial 
paraît  être  ici  un  bouc,  appelé  Bocant,  auquel  succèdent: 


^  A.  Godet.    Les  c/iansons  de  nos  grand'mères,   Neuchâtel 
et  Genève  1879,  p.  15. 


TEXTE  VALAIS  AN  35 


loup  —  chien  —  bâton  —  feu  —  eau  —  bœuf  — 
boucher.  Le  début  de  la  pièce  suffira  à  en  donner 
une  idée: 

Par  la  vertu  de  Boquine,  Bocant, 

Tu  sortiras  hors  de  mon  camp. 

Bocant  n'veut  pas  sortir  du  camp, 

J'm'en  vais  dire  au  loup  de  v'nir  manger  Bocant. 

Le  loup  n'veut  pas  manger  Bocant, 

Bocant  n'veut  pas  sortir  du  camp  — 

La  forme  camp  pour  cha))ip  montre  que  cette 
version  neuchàteloise  tire  son  origine  du  nord  de  la 
France. 

Nous  avons  recueilli  à  Liddes  (Valais)  une  ronde 
tout  à  fait  semblable: 

Va  t'en  chercher  Britou  |    .  . 

Qu'il  vienne  planter  ses  choux  I 
Britou  n'veut  pas  planter  ses  choux. 
Ses  choux  n'veulent  pas  s'tenir  debout. 
Ah!  coquin  Britou, 
Oui,  tu  planteras  tes  choux. 

Interviennent  ensuite  :  bâton  —  feu  —  eau  —  veau 
—  boucher  —  gendarme. 

Dans  notre  version  de  Champéry,  les  éléments 
traditionnels  ont  été  augmentés  et  leur  ordre  en  partie 
modifié.  Ils  s'enchaînent  ainsi  :  Pequin  —  hommes  — 
chiens  —  loups  —  bâtons  —  feu  —  eau  —  âne  — 
verges  —  souris  —  chats.  Il  est  clair  qu'un  genre 
de  composition  comme  celui  que  nous  étudions  était 
particulièrement  exposé  aux  transpositions  ou  aux 
omissions  et  devait  de  ce  fait  subir  des  remaniements 
multiples.    Quant  au  nom  de  Pequin,  il  est  en  relation 


36  J.  JEANJAQUET 


évidente  avec  ceux  de  Broquin,  Boquine,  Boc]uant  des 
versions  françaises  et  n'en  est  sans  doute  qu'une 
altération. 

Voici  le  texte  tel  que  nous  l'avons  transcrit  sous 
la  dictée  de  M.  Adolphe  Michaud,  auquel  sa  mère 
répétait  cette  amusette  il  y  a  quelque  cinquante  ans  ^  : 

V  ava  n'onda  k  P^kâin  ava  ita  invoya  tscrtchi  du 
hou.  E  poui  se  fi  doua  è  l a  pa  vœdu  tbrna  in  mizon. 
L  an  ità  tscrtchi  dé-z-bmô  pb  boussi  Pakàin.  Lou-z-omô 
nan  rin  vàbu  boussi  Pakàin  é  Pakâin  n'a  rin  vcèôu 
tbrna  in  mizon. 

L  ait  ità  tscrtchi  Ion  tsàin  pb  dzapa  lou-z-bmô. 
Lou  tsàin  nan  rin  vceôu  dzapa  lou-z-bmô,  lou-z-bmô 
n'an  rin  vœôu  boussi  Pakàin  é  P^kâin  n'a  rin  vœôu 
tbrna  in  mizon. 

TRADUCTION 

Il  y  avait  une  fois  que  Pequin  avait  été  envoyé  chercher 
du  bois.  Et  puis  il  s'est  fâché  et  n'a  pas  voulu  rentrer  à  la 
maison.  On  a  {litt.  Ils  ont)  été  chercher  des  hommes  pour 
battre  Pequin.  Les  hommes  n'ont  pas  voulu  battre  Pequin  et 
Pequin  n'a  pas  voulu  rentrer  à  la  maison. 

On  a  été  chercher  les  chiens  pour  aboyer  les  hommes. 
Les  chiens  n'ont  pas  voulu  aboyer  les  hommes,  les  hommes 
n'ont  pas  voulu  battre  Pequin  et  Pequin  n'a  pas  voulu  rentrer 
à  la  maison. 


'  Nous  notons  par  àin  une  diphtongue  dont  le  premier 
élément  est  long  et  participe  plus  ou  moins  à  la  nasalisation  ; 
à  indique  un  a  grave,  tendant  vers  rt.  Le  patois  de  Champéry 
distingue  nettement  la  terminaison  de  l'infinitif  a<iarc  de  celle 
du  participe  à  <  atum. 


TEXTE  VAL  Aïs  AN  37 


L  an  ita  tsertchi  lou  là  pb  viindji  Ion  tsàin.  Lan 
lœ  nan  ri?i  vcèôu,  etc. 

L  an  ità  tsertchi  lé  palantsé  pb  boussi  lou  lœ.  Lé 
palantsé^  etc.  » 

L  an  ità  tsertchi  l  foua  pb  bourla  lé  palantsé.  L 
foua,  etc. 

L  an  ita  tsertchi  l'ïvoué  pb  tua  l  foua.    L'ivoué.,  etc. 

L  an  ita  tsertchi  lou-z-âno  pb  bar  l'Jvoué.  Loii- 
z-atiô,  etc. 

L  an  ità  tsertchi  lé  byolé  pb  f ouata  loii-z-anô.  Lé 
byolé,  etc. 

L  an  ità  tsertchi  lé  raté  pb  tnindji  lé  byolé.  Lé 
raté^  etc. 

L  an  ità  tsertchi  lou  tsa  pb  mindji  lé  raté.  Adon 
lou  tsa  on  bain  inindjya  lé  raté,  lé  raté  on  bain  niin- 
djya  lé  byolé,  lé  byolé  on  bain  foîiatà  lou-z-qnô,  lou-z- 
anb    on    bain   byu    l'ïvoué,    l'ivoué    a  bain    tuà    l  foua. 

On  a  été  chercher  les  loups  pour  manger  les  chiens. 
Les  loups  n'ont  pas  voulu,  etc. 

On  a  été  chercher  les  bâtons  pour  battre  les  loups.  Les 
bâtons,  etc. 

On  a  été  chercher  le  feu  pour  brûler  les  bâtons.  Le 
feu,  etc. 

On  a  été  chercher  l'eau  pour  éteindre  le  feu.    L'eau,  etc. 

On  a  été  chercher  les  ânes  pour  boire  l'eau.   Les  ânes,  etc. 

On  a  été  chercher  les  branches  de  bouleau  pour  fouetter 
les  ânes>    Les  branches,  etc. 

On  a  été  chercher  les  souris  pour  manger  les  branches 
de  bouleau.     Les  souris,  etc. 

On  a  été  chercher  les  chats  pour  manger  les  souris.  Alors 
les  chats  ont  bien  mangé  les  souris,  les  souris  ont  bien  mangé 
les  branches  de  bouleau,  les  branches  de  bouleau  ont  bien 
fouetté  les  ânes,  les  ânes  ont  bien  bu  l'eau,  l'eau  a  bien  éteint 


L.  GAUCHAT 


/  foua  a  bain  hourlà  le  pahpitsé,  lé  palantsé  on  bain 
bouchya  lou  là,  Ion  là  on  bain  mindjya  Ion.  tsâin,  lou 
tsàin  on  bain  dzapà  lou-z-omô,  lou-z-hnd  on  bain  bouchya 
Ppkâi?i  é  Ppkâin  è  bain  torna  in  mizon. 

le  feu,  le  feu  a  bien  brûlé  les  bâtons,  les  bâtons  ont  bien  battu 
les  loups,  les  loups  ont  bien  mangé  les  chiens,  les  chiens  ont 
bien  aboyé  les  hommes,  les  hommes  ont  bien  battu  Pequin  et 
Pequin  est  bien  rentré  à  la  maison. 

J.  Jeanjaquet. 


Le  Lu  è  la  Gru. 
Patois  de  la  Montagne  neuchateloise  ^ 

Slu  k'ata'  d(p)  niétchan  l('p)  pri  d'on  servis   pécK 
du  vyédf"^ ,  pv^viirania,  poubcha  k'il  èd  dé  dja  indiny',  an- 

TRADUCTION 

LE  LOUP  ET  LA   GRUE. 

Celui   qui   attend  de  méchants  le  prix  d'un  service  pèche 
deux  fois,  premièrement  parce   qu'il   (pour  cela  qu'il)  aide  des 


'  Je  revêts  de  l'orthographe  du  Bulletin  cette  rédaction 
anonyme  de  la  fable  connue,  que  j'ai  trouvée  dans  les  Papiers 
Nicole t  à  la  Chaux-de-Fonds  (Bibliothèque  du  Collège). 

-  L'ancienne  nasale  an  provenant  de  en  ou  in  latins  s'est 
dénasalisée  [comparez  dans  ce  morceau  les  mots  prsmirama, 
dja  (gentes),  sèrma  fsacramenfn)] ,  tandis  que  an  de  a  latin  +  n 
ou  m  persiste  [comparez  dmandè  (demandas),  man  (manu), 
snan.na  (septimana) ,  etc.].  La  terminaison  des  participes  pré- 
sents :  promètan,  konfyan,  remonte  pour  toutes  les  conjugaisons  à 
•ante.  La  forme  mètchan  est  également  basée  sur  -ante.  Les 
mots  ansuif,  inpunéman,  sèna  (au  lieu  de  san.na)  sont  em- 
pruntés au  français.  Les  groupes  en  et  /;/  latins  donnent  du  reste 


TEXTE  DE  LA  MONTAGNE    NEUCHATELOISE  39 

suit'  poiibcha  k'i  pœ  a  pena  (ou  pin.nar)  sf?)  degadji  d(3) 
lœ^  inpuncnian. 

On  ht  ave  èvôla-'  a-n-o  ky  s'aréta  u  dari  du  kou 
e  ks  H  kozav'  aiia  fouô^  doulœr  ;  i  solista  tu  lé-z-btr 
aniiiiô  d(B)  1(3)  H  tiri  fouœ  a  pronictan  d(p)  lé  rkonpinsi. 
La  gru  s(p)  lassa  persuada  pa  1(3)  sernia;  a  konfyan 
son  Ion    kou  u   nioutè    du   lu,    H'    H  fœ'    a-n-opérasyon 

gens   indignes,   ensuite   parce   qu'il   peut    à  peine    se    dégager 
d'eux  impunément. 

Un  loup  avait  avalé  un  os  qui  s'arrêta  au  fond  (derrière) 
du  cou  et  qui  lui  causait  une  forte  douleur  ;  il  sollicita  tous  les 
autres  animaux  de  le  lui  tirer  dehors  en  promettant  de  les 
récompenser.  La  grue  se  laissa  persuader  par  le  serment;  en 
confiant   son    long   cou    à    la    bouche    du   loup,   elle  lui  fit  une 


dans  les  patois  bernois,  neuchàtelois  et  une  partie  des  patois 
tribourgeois  deux  résultats,  témoin  les  formes  rkonpinsi,  rkoii- 
pinsa,  comparez  asinbv'  (ensemble),  sin  (sans),  fin  (foin)  etc., 
sans  qu'il  soit  possible  d'établir  nettement  les  causes  de  ce 
double  développement.  La  carte  IX  du  Gnindriss  de  Grôber 
est  à  corriger  sous  ce  rapport. 

^  Tiré  du  latin  viafiatiii,  voyage. 

•*  Littéralement  «  de  leur  >,  comparez  l'italien  di  loro. 

'"  èvô/a,  du  latin  ""advaUavc ;  ail  -\-  a  çX.  al  ^  a  donnent  ici 
ôl,  comparez  pala  =  pôla  (pelle),  ala  =  ôla  (aile). 

"  Les  adjectifs  latins  du  type  fortis  ou  grandis  ont  con- 
servé ici  leur  forme  unique  pour  le  masculin  et  le  féminin, 
tandis  que  les  patois  des  cantons  de  Fribourg  et  de  Vaud,  par 
exemple,  ont  créé  des  féminins  analogiques.  On  dit  ainsi  : 
katr'  gran  bnctcy'  (quatre  grandes  corbeilles),  etc.  Comparez 
aussi  :  mèlyit,  masculin  et  féminin  ;  ana  inètchan  laga  (une 
mauvaise  langue),  etc. 

'  fà'  (latin  fecit),  à  est  le  résultat  d'un  ancien  i  entravé 
(JistJ,  comparez  vàny'  (vigne),  rcètch'  (riche).  Fà  est  un  précieux 


40  J.  JEANJAQUET 


dondj(9)rnza  ^  po  H  viénia.  Kvia  et'  r(d)chamav~  1(9) 
pri  konvni:  fé  a-n-ingrata,  li  d(3)za^-t-u,  fé  ro)tiri^ 
ta  téta  sena  d(p)  ma  gôrdf  c  t(p)  dviandè  ana  rkonpinsa. 

opération  dangereuse  pour  elle-même.  Comme  elle  réclamait  le 
prix  convenu:  tu  es  une  ingrate,  lui  dit -il,  tu  as  retiré  ta  tête 
saine  de  ma  gorge  et  tu  demandes  une  récompense. 

11.  Gaueliat. 


ETYMOLOGIES 


/.    La  «  trneille  ». 

Dans  les  régions  montagneuses  où  tous  les  trans- 
ports, y  compris  celui  des  récoltes,  doivent  se  faire 
à  dos   de  mulet,    il  importe  d'avoir   un  moyen  rapide 


reste  des  parfaits  forts  (aj^ant  l'accent  sur  le  radical),  ordinaire- 
ment remplacés  par  des  formes  analogiques,  comme  d(e)za  = 
«  il  disa  ». 

'  Comme  an  ne  devient  jamais  on  dans  ce  patois,  la  forme 
dondj(e)rH  appuie  l'étymologie  dominiarinin  =  autorité  du 
seigneur;  «  se  mettre,  être  en  danger  de ...»  a  signifié  se  mettre, 
être  sous  l'autorité,  à  la  merci  de ...  En  français,  le  mot  a  subi 
l'influence  du  mot  dam  (darnnum),  le  patois  est  resté  plus 
fidèle  à  l'origine  latine. 

^  Le  son  ch  pour  cl  latin  montre  que  le  morceau  a  été 
composé  dans  le  Nord  de  la  vallée;  à  la  Brévine,  à  la  Chaux- 
du-Milieu  et  aux  Ponts  on  dirait  rfyama.  Notre  morceau  repré- 
sente très  probablement  le  patois,  aujourd'hui  absolument  éteint, 
de  la  Chaux-de-Fonds. 

^  Le  manuscrit  porte  retira,  que  je  me  suis  cru  autorisé  à 
corriger  r{j)tiri  d'après  les  notes  que  j'ai  prises  sur  les  patois 
de  la  région. 


ETYMOLOGIES 


41 


et  commode  de  lier  les  charges  de  toute  espèce  pour 
lesquelles  on  emploie  des  cordes.  Ce  résultat  est 
obtenu  dans  toutes  nos  contrées  alpines  à  l'aide  d'un 
objet  que  nous  nommerons  la  «trueille»,  d'après  son 
appellation  patoise  la  plus  répandue,  La  forme  et 
les  dimensions  en  varient  plus  ou  moins,  mais  il  est 
toujours  constitué  essentiellement  par  un  morceau  de 


bois  dur  allongé,  évidé  au  centre  et  terminé  en  pointe 
à  une  de  ses  extrémités,  tandis  que  l'autre  est  percée 
d'un  trou  par  où  passe  la  corde  dont  la  «  trueille  »  n'est 
que  l'accessoire.  Le  fonctionnement  du  système  est 
aussi  simple  que  pratitjue.  Pour  opérer  le  serrage, 
le  bout  libre  de  la  corde  (}ui  entoure  la  charge  est 
passé  dans  l'évidement  de  la  «trueille  ■ ,  et  l'arrètage 
s'obtient  en  faisant  seulement  une  boucle  autour  de 
l'extrémité  amincie,    comme    le  montre    notre  crofiuis. 


J.  JEANJAQUET 


On  a  ainsi  un  attachage  solide  qui  ne  nécessite  aucun 
nœud  et  peut  par  conséquent  être  délié  avec  la  plus 
grande  facilité. 

Les  patois  valaisans  à  l'est  de  Sion  connaissent 
la  «  trueille  »  sous  le  nom  de  katéla^  (|ui  s'applique 
aussi  à  une  poulie  quelconque,  et  se  retrouve  avec 
ce  sens  général  dans  le  Bas -Valais  et  dans  le  canton 
de  Genève.  Dans  la  Haute-vSavoie,  nous  avons  relevé 
le  mot  iiavtin,  qui  s'explique  par  l'analogie  de  forme 
de  la  «  trueille  »  avec  la  navette  du  tisserand.  Mais, 
comme  nous  l'avons  dit,  le  terme  le  plus  répandu  est 
celui  auquel  correspondrait  une  forme  française  «  trueil- 
le ■ .  On  le  rencontre  dans  le  Bas -Valais  (Champéry 
trœÔJ,  avec  le  diminutif  trœbon;  Trient  tnièlju^;  Or- 
sières  troiieide^  diminutif  troueidon;  Liddes  grouçidc, 
diminutif  _^r(?//^7V/i;?;;  et  \eYh&  grou'elyè\  etc.),  dans  les 
Alpes  vaudoises  (Rossinières  triiôy,  diminutif  tniôon) 
et  dans  la  Gruyère  (Charmey  trslyi).  Bridel  a  en- 
registré dans  son  Glossaire  les  mots  vaudois,  qu'il 
orthographie  trutke,  truthon,  en  donnant  à  tort  au 
premier  le  genre  masculin.  Toutes  ces  formes  nous 
renvoient  à  une  base  étymologique  ayant  comme 
voyelle  tonique  un  o  ouvert  suivi  d'une  /  mouillée 
(cf.  pour  le  traitement  de  VI  mouillée  palea  >  palyp, 
pûôj^  padc%  dans  les  mêmes  patois).  Ces  conditions 
sont  remplies  par  le  mot  trochlea^  poulie,  que  le  latin 
avait  emprunté,  comme  beaucoup  dautres  termes 
techniques,  à  la  langue  grecque,   et  qui  convient  par- 

'  grouèlyè  signifie  «lier  avec  \a  groiièidè»;  le  contraire  est 
dégroiièlyè.  La  raison  du  changement  de  la  consonne  initiale 
dans  ce  patois  nous  échappe. 


ETYMOLOGIE5  43 


faitement  pour  le  sens,  puisque  certains  patois  em- 
ploient un  seul  et  même  mot  pour  poulie  et  «trueille». 
Du  Cange  mentionne,  d'après  un  ancien  glossaire,  une 
forme  trocla,  traduite  par  rota  textoris. 

Nous  n'hésitons  pas  à  rapporter  à  la  même  ori- 
gine latine  le  mot  qui,  dans  une  grande  partie  de  la 
Suisse  allemande,  sert  à  désigner  la  «trueille».  D'après 
les  renseignements  très  complets  que  nous  devons  à 
l'obligeance  de  M.  le  professeur  A.  Bachmann,  rédac- 
teur en  chef  de  Y Idiotikon  de  la  Suisse  allemande,  la 
forme  généralement  usitée  est  TrïiDgh^  à  côté  de 
laquelle  on  rencontre  les  variantes  Trudgs,  Trïugp, 
Triijgpl,  Triidgdh^  Trïogli.  Le  mot  a  été  relevé  dans 
les  cantons  d'Appenzell  (Heiden),  St-Gall  (Toggenburg, 
Gaster,  vallée  du  Rhin),  Grisons  (général),  Zurich 
(région  du  lac),  Schvvyz,  Zug,  Lucerne,  Uri,  Unter- 
wald,  Berne  (Oberland)  et  Valais,  ainsi  que  dans  les 
dialectes  allemands  du  Piémont,  soit  essentiellement 
dans  toute  la  région  des  Alpes.  (Voir  aussi  Stalder, 
Schw.  Id.^  I,  p.  311,  V"   Truegle). 

La  présence  simultanée  du  même  terme  dans  les 
dialectes  allemands  et  romands  laisse  à  supposer  (ju'il 
appartient  au  plus  ancien  vocabulaire  alpin.  En  re- 
vanche, le  Jura  et  la  plaine  semblent  l'ignorer  com- 
plètement, comme  l'objet  lui-même. 

//.  eitchyèzm. 

Dans  les  alpages  de  la  région  d'Evolène,  on  donne 
le  nom  dieitchycva  à  la  seconde  traite  de  la  journée, 
qui  a  lieu  vers  deux  heures  de  l'après-midi;  y  è  rôoiira 
d'eitchyeva  signifie   «  c'est  le  moment  de  traire  »  (après- 


44  J.  JEANJAQUET 


midi).  Les  bergers  du  versant  droit  de  la  vallée  ap- 
pellent pira  d'eitchyeva  un  rocher  du  versant  opposé 
que  les  rayons  du  soleil  atteignent  vers  deux  heures 
et  qui  leur  tient  lieu  de  régulateur.  Un  terme  cor- 
respondant est  connu  dans  TEntremont,  où  on  ren- 
contre les  expressions  fire  VéUiva^  aryé  a  Cètava 
(Liddes),  pour  dire  «  faire  la  seconde  traite  à  deux 
heures  de  l'après-midi»,  par  opposition  à  l'habitude 
pratiquée  dans  certains  alpages  ou  vers  la  fin  de  la 
saison  de  ne  traire  les  vaches  pour  la  seconde  fois 
c|ue  le  soir.  Le  mot  est  usité  également  dans  les 
patois  de  la  vallée  d'Aoste,  ainsi  qu'on  le  voit  par 
ce  vers  dune  des  poésies  de  l'abbé  Cerlogne: 

Uaoïira  d'eitava  arrcuvc,  alleu  don  vito  nrric, 

OÙ  l'auteur  annote  que  Xeitava  est  entre  deux  et  trois 
heures  de  l'après-midi  ^  A  Champéry,  on  nous  a 
signalé  l'expression  dz3ta  u  tchiva^  «  traire  de  bonne 
heure  et  reconduire  ensuite  les  vaches  au  pâturage», 
qui  renferme  certainement  notre  mot,  altéré  par 
suite  d'une  confusion  de  la  syllabe  initiale  avec  l'ar- 
ticle u  «au». 

Il  n'est  pas  douteux  que  toutes  ces  formes  doivent 
être  ramenées  au  latin  octava  (liora)^  la  huitième  heure. 
C'était  en  effet  un  usage  très  ancien,  adopté  par 
l'Eglise  et  pratiqué  encore  dans  les  campagnes  ita- 
liennes, de  compter  les  heures  à  partir  de  six  heures 
du  matin,  de  sorte  (|ue  la  huitième  heure  correspond 
exactement   à  deux  heures  de  l'après-midi,    comme  le 


'  J.-B.  Cerlogne,  Poésies  en  dialecte  valdotain,  Aoste  1889, 
page  52. 


ETYMOLOGIES  45 


réclame  le  sens  des  expressions  rapportées  ci-dessus. 
Le  développement  phonétique  de  ociava  à  citchycva 
est  parfaitement  rég^ulier  dans  le  patois  d'Evolène: 
la  triphtongue  initiale  uei  <  oc  s'est  réduite  ici  à  ei^  et 
1^;  tonitjue  est  devenu  ie  sous  l'influence  de  la  con- 
sonne palatalisée  précédente.  Le  même  traitement  de 
Va  est  à  la  base  de  la  forme  tcJiiva  de  Champéry  : 
cf.  le  verbe  aniittclu\  tiré  de  noctevi  +  are.  Il  devrait 
se  retrouver  aussi  dans  les  dialectes  de  l'Entremont 
et  de  la  vallée  d'Aoste  si  octava  était  un  mot  pure- 
ment populaire.  Mais  il  appartenait  surtout  au  latin 
ecclésiastique,  et  c'est  ce  qui  explicjue  les  formes  mi- 
savantes  étava,  citava.  Un  mot  correspondant  existe 
en  ancien  français,  également  sous  la  double  forme 
uitieve  et  iiitave^  mais,  d'après  les  exemples  (|u'en  cite 
Du  Cange  (v"  octava^.,  il  désigne  toujours  le  huitième 
jour  à  partir  d'une  fête,  l'octave,  et  non  la  huitième 
heure  du  jour. 

Les  patois  neuchàtelois  (Montagnes,  Val-de-Ruz) 
et  jurassiens  possèdent  dans  le  substantif  iion-na  un 
mot  dont  le  développement  est  tout  à  fait  analogue  à 
celui  de  octava.  Ce  mot  signifie  généralement  «goûter, 
repas  de  l'après-midi»,  quelquefois  «dîner»  (Dombresson, 
Malleray).  Ce  n'est  autre  chose  qu'un  dérivé  de 
nona  (hora)^  la  neuvième  heure,  et  le  sens  primitif 
était  donc  repas  pris  vers  trois  heures  de  l'après- 
midi    .     Cf.  l'anglais  iioon.,   (jui  a  la  même  origine. 

///.  œudèna. 

Sous  le  nom  d'ièudc/ia,  on  désigne  à  Liddes 
(Avalais)  une    herbe  dure,    aux    brins    arrondis    et   ter- 


46  L.  GAUCHAT 

minés  en  pointes  piquantes,  qui  pousse  par  touffes 
sur  les  pentes  élevées  des  montagnes.  En  automne, 
ou  même  au  printemps  quand  le  fourrage  vient  à 
manquer,  cette  herbe  maigre  est  recueillie  et  utilisée 
pour  la  nourriture  du  bétail. 

Pour  signifier  «aiguille»,  le  patois  de  Liddes  pos- 
sède à  côté  du  terme  courant  aivou/yè^  un  mot  aujour- 
d'hui vieilli  œudi\  qui  est  la  véritable  forme  indigène 
(cf.  aoude  à  Conthey).  Le  suffixe  latin  -ina  abou- 
tissant régulièrement  à  -ina  ^  dans  le  parler  de  Liddes, 
le  mot  œiidena  s'explique  d'une  façon  tout  à  fait  satis- 
faisante par  acidea  (ou  aciiculd)  +  -ina  et  signifie  donc 

«herbe  en  aiguille».  _    ._       .         , 

*  J.  Jeanjaquet. 

LA  DERNIÈRE  PAGE 
DE   L'HISTOIRE    DU   PATOIS 

A  LA  ChAUX-DE-FONDS. 

L 

M'étant  rendu  à  la  Chaux-de-Fonds,  dans  l'inten- 
tion 'd'y  rechercher  les  derniers  vestiges  du  patois, 
aujourd'hui  bien  éteint,  de  la  Montagne  neuchàteloise, 
je  m'adressai  tout  d'abord  au  Cercle  du  Sapin,  fondé 
en  1857  par  le  vaillant  patriote  Ami  Huguenin  dans 
le  but  de  conserver  le  dialecte  local.  On  me  remit 
plusieurs  textes,  notamment  la  ^  prière  »  et  «la  santé 
du   sapin»,   dont   il  sera  question  plus  bas^,   et  on  me 


^  Nous  notons  ici  par  iv  la  bilabiale  spirante  (ci'  anglais) 
que  nous  nous  contentons  en  général  d'indiquer  par  nii. 

*  -èna  n'est  qu'une  graphie  approximative.  En  réalité,  le 
son  provenant  de  1'/  est  intermédiaire  entre  è,  i  et  9. 

"^  Voir  la  deuxième  partie  de  cet  article. 


DERNIERE  PAGE   DE  L'HISTOIRE  DU  PATOIS  47 

confirma  dans  ma  supposition  que  les  archives  de  la 
Société  renfermaient  des  documents  intéressants  au 
point  de  vue  dialectologique.  Je  m'aperçus  toutefois 
bientôt  que  l'idiome  lui-même  était  depuis  bien  long- 
temps sorti  des  usages  du  Cercle,  et  que  les  membres 
actuels  ne  le  considèrent  plus  qu'avec  les  intérêts  d'un 
antic^uaire.  Il  est  vrai  que  les  ;  vSapins  ,  c'est-à-dire  les 
membres  du  Cercle,  n'oublient  jamais  de  faire  réciter 
leur  ancienne  «Prière»,  au  solennel  banquet  du  i^'mars', 
par  leur  président  ou  quelque  autre  membre  chargé 
de  remplir  cette  traditionnelle  fonction,  et  qu'on  chante 
encore  en  commun,  quelquefois,  la  «Santé  du  Sapin»; 
mais  le  seul  des  fondateurs  survivant  en  1901  me 
déclara  qu'il  avait  du  patois  des  souvenirs  beaucoup 
trop  vagues  pour  me  donner  des  renseignements  posi- 
tifs sur  la  langue  qui  avait  uni  les  sociétaires  en  1857. 
Quoique  le  patois  ait  donc  laissé  des  traces 
presque  ineffaçables  dans  les  us  et  coutumes  du  Cercle 
du  Sapin,  on  a  le  droit  dètre  surpris  du  profond 
changement  survenu  depuis  sa  fondation.  Quelle  triste 
épave  représentent  ces  quelques  mots  patois,  peu 
compris,  altérés,  prononcés  à  la  française,  en  regard 
des  discours  patois  dont  Ami  Huguenin  régalait  ses 
compagnons,  puisant  encore  à  pleines  mains  dans  les 
traditions  locales".  Ce  brave  patriote  adorait  son 
patois,  et  c'est  dans  l'intention  de  remettre  en  honneur 
le  vieux  parler    déjà  mourant    de    la  Chaux-de-Fonds 

^  Fête  commémoratlve  de  la  république  neuchâteloise. 

^  Un  de  ces  discours  a  été  reproduit,  assez  maladroite- 
ment retouché,  dans  le  «Patois  )iciichàtelois  ».  p.  207  ss.  L'ori- 
ginal se  trouve,  sous  le  titre  Invocation,  dans  le  Chansonnier 
(manuscrit)  de  Huguenin. 


48  L.  GAUCHAT 


qu'il  avait  créé  le  Cercle.  C'était  peu  de  temps  après 
les  événements  de  1848  et  de  1856.  Neuchàtel  venait 
d'être  rendu  à  lui-même.  Un  grand  courant  de  pa- 
triotisme traversait  le  pays  et  fit  surgir  entre  autres 
ce  cercle  de  républicains  progressistes,  qui,  groupés 
autour  d'un  sapin,  comme  symbole  du  sol  natal, 
convinrent  de  n'employer  dans  leurs  entretiens  que  la 
vieille  langue  du  pays.  Le  patois  de  la  montagne 
neuchàteloise  devait  être  le  lien  et  constituer  l'origi- 
nalité de  la  nouvelle  société.  Les  autres  caractères, 
la  politi(iue  radicale  et  la  bienfaisance,  qui  finirent 
dans  la  suite  par  l'emporter  sur  le  but  primitif,  n'étaient 
d'abord  qu'accessoires.  Il  nen  est  pas  c[uestion  dans 
l'acte  de  fondation. 

Mais  Ami  Huguenin  s'était  fait  des  illusions  sur 
la  possibilité  de  maintenir  l'emploi  du  patois,  même 
dans  un  milieu  très  restreint.  Il  eut  beau  choisir  ses 
compagnons  parmi  les  plus  dignes  représentants  de 
l'esprit  du  pays,  il  eut  beau  diriger  lui-même  les 
destinées  de  la  société,  comme  son  président,  jusqu'en 
1865,  il  eut  beau  égayer  les  séances  par  ses  discours 
et  ses  chants  patois,  il  ne  put  pas  empêcher  le  fran- 
çais de  se  rendre  maître  des  derniers  défenseurs  de 
la  langue    du  pays. 

11  n'est  pas  sans  intérêt  d'assister  aux  dernières 
phases  de  cette  lutte  entre  deux  langues,  qui  n'est 
que  le  reflet  de  la  lutte  bien  autrement  sérieuse  entre 
deux  civilisations  ^ 


^  J'emprunte  mes  renseignements  à  la  brochure  de 
M.  E.  Clerc:  Notice  sur  les  premières  années  du  Cercle  du  Sapin, 
La  Chaux-de -Fonds  1890,  et  surtout  aux  registres  2  —  4  des 
procès-verbaux  de  la  Société. 


DERNIERE  PAGE  DE  L'HISTOIRE  DU  PATOIS  49 

Déjà  en  1857,  l^rticle  du  règlement  ({ui  prescri- 
vait aux  membres  de  se  servir  du  patois  dans  les 
délibérations,  reçut  un  premier  assaut.  Il  n'avait  proba- 
blement jamais  été  entièrement  et  rigoureusement  ob- 
servé, et,  pour  mettre  la  règle  d'accord  avec  la  pra- 
tique, on  ajouta  aux  termes  enjoignant  de  parler  patois 
la  mention  autant  que  possible.  Un  fanatique  du  patois 
demande  qu'on  rédige  au  moins  en  patois  les  procès- 
verbaux  des  séances,  mais  ce  n'est  que  quatre  ans  plus 
tard  qu'un  sociétaire,  Justin  Billon,  se  déclare  disposé 
à  entreprendre  cette  besogne  ardue.  Passe  encore  de 
parler  cet  idiome  mourant,  mais  l'écrire!  Pourtant 
Justin  Billon  se  mit  à  l'œuvre  et  tint  bon  pendant  une 
demi-année.  Voici  en  quels  termes,  dans  la  séance 
du  12  janvier  1861,  ce  secrétaire  commença  son  dis- 
cours sur  l'usage  du  patois  : 

Citoyens  (déjà  un  mot  français  !) . . .  On  a  det  qnia 
motion  n'avet  quon  défaut:  ç' lu  d'ctre  fàta  a  français. 
Fardié,  quan  tchacon  sara  d'oub'dgie  d'prei'dgie  patois, 
i  voui  teit'chie  d'ma  tirie.,  to  qnia  a  natitre.  A  nat- 
tadan  i  vo  d' mando  la  permission  dfreid'gie  français  '. 

On  a  remarqué  la  tournure  toute  française  de 
ces  paroles,  qui  ne  contiennent  qu'une  seule  locution 
patoise:  preidgie  patois.  C'est  en  français  qu'avait 
été  faite  la  proposition  de  rédiger  les  procès-verbaux 
en  patois,  c'est  en  cette  même  langue  qu'on  la  défend. 
Le   secrétaire,    qui   y    met    autant  d'enthousiasme    que 

'  On  a  dit  que  ma  motion  n'avait  qu'un  défaut:  celui  d'être 
faite  en  français.  Pardieu,  quand  chacun  sera  obligé  de  parler 
patois,  je  veux  tâcher  de  m'en  tirer  tout  comme  un  autre.  En 
attendant,  je  vous  demande   la   permission   de  parler  français. 


50  L.  GAUCHAT 


s'il  s'agissait  d'un  enterrement,  tàcJie  de  s'en  tirer.  Il 
rappelle  ensuite  aux  membres  de  la  Société  dans 
quel  but  celle-ci  s'est  constituée  (il  parait  qu'on  l'avait 
un  peu  oublié  après  quatre  années  de  pratique)  et 
continue  :  «  Mais  pour  conserv^er  une  chose  de  cette 
nature  (le  patois),  il  faut  la  cultiver.  Si  on  la  néglige, 
si  on  l'abandonne,  évidemment  elle  périra.  Sans  doute 
nous  ne  pouvons  pas  empêcher  que  le  patois  ne  dispa- 
raisse dans  un  avenir  peu  éloigne.  Cet  idiome,  n'étant 
plus  le  langage  familier,  ni  dans  nos  villages^  ni  dans 
les  endroits  écartés  (en  1861  !),  il  est  condamné  à  une 
fin  prochaine.  Mais  notre  devoir  est  de  reculer  le 
moment  autant  que  possible,  car  nous  sommes  le  seul 
et  probablement  le  dernier  refuge  du  patois  à  la 
Chaux-de-Fonds.  );^  Suivent  quelques  considérations  sur 
l'ancienneté  des  patois,  «  qui  ne  sont  pas  du  français 
corrompu  >  et  quelques  regrets  à  propos  de  certains 
termes  du  crû  qu'on  a  tort  de  blâmer,  comme  le 
verbe  cniayer  que  Clément  Marot  a  «  pourtant  em- 
ployé dans  le  même  sens  x  ^  Cette  harangue  en  faveur 
du  dialecte  n'a  rien  d'éloquent.  On  plaide  le  cas  d'un 
condamné  à  mort.  On  lui  cherche  des  circonstances 
atténuantes.  Mais  écoutons  notre  secrétaire  :  «  Il  me 
semble   nécessaire,    si    nous  voulons    poursuivre    notre 


'  Ce  verbe  est  encore  très  usité  dans  tout  le  canton,  dans 
le  sens:  inquiéter  vivement,  effrayer,  mettre  en  émoi,  qu'il 
avait  déjà  en  vieux  français.  Cette  expression  paraît  surtout 
appartenir  aux  cantons  de  Neuchâtel  et  de  Berne.  A  Liddes 
(Valais)  on  trouve  éniàyé,  «  hésiter,  ne  savoir  que  faire  »  qui 
est  le  même  mot.  Le  français  actuel  n'a  plus  que  le  substantif 
verbal  émoi. 


DERNIERE  PAGE  DE  L'HISTOIRE  DU  PATOIS  51 

but,  de  faire  quelque  chose  pour  nous  replacer  à 
notre  origine.  Deux  moyens  s'offrent  à  nous.  Ou 
bien  de  décider  que  Ion  ne  devra  parler  que  patois  en 
jouant  la  partie,  ou  bien  d'en  revenir  aux  délibéra- 
tions en  patois.  J'avoue  que  le  premier  moyen  me 
semble  présenter  bien  des  difficultés.  Il  faudrait  éta- 
blir des  amendes  qui  seraient  très  difficiles  à  perce- 
voir, et  ensuite  ne  courrions-nous  pas  le  risque  d'éloi- 
gner des  sociétaires  qui,  ne  pouvant  parler  patois, 
quitteraient  la  réunion,  aussitôt  la  séance  levée,  pour 
aller  finir  la  soirée  là  où  ils  seraient  libres  de  parler 
à  leur  gré . . .  Le  second  moyen  serait  bien  préfé- 
rable. Il  ne  présenterait  pas  de  difficultés  sérieuses, 
car  il  est  peu  de  membres  parmi  nous  qui  ne  pîcissent 
dire  cinq  ou  six  mots  en  patois  et  il  n'en  faut  souvent 
pas  davantage  pour  exprimer  son  avis  sur  les  sujets  que 
nous  discutons.  »  En  effet,  d'après  les  procès-verbaux, 
il  s'agissait  presque  toujours  de  nécessiteux  pour 
lesquels  on  sollicitait  le  secours  de  la  caisse  du  Cercle 
et  les  discussions  devaient  être  bien  monotones  et  vite 
terminées.  La  proposition  de  Justin  Billon  tendant 
à  ramener  le  Cercle  à  ses  origines  est  ainsi  conçue: 
«  A  l'avenir  les  délibérations  auront  lieu  en  patois. 
On  ne  pourra  parler  français  durant  les  séances  sans 
y  être  autorisé  par  le  président,  qui  ne  devra  accor- 
der cette  permission  qu'aux  membres  évidemment  dans 
l'impossibilité  de  s'exprimer  dans  cet  idiome.  En  cas 
de  refus  du  président,  il  pourra  être  appelé  au  vote 
de  l'assemblée,  qui  prononcera  à  la  majorité  absolue 
des  membres  présents.  »  Après  avoir  écouté  l'opinion 
de  quelques  membres  qui  trouvaient  d'abord  ces  me- 


52  L.  GAUCHAT. 


sures  trop  sévères,  surtout  pour  ceux  qui  avaient 
«désiré  faire  partie  de  la  société  plutôt  pour  apprendre 
cet  idiome  que  pour  le  parler  (!)  »,  on  adopta  à 
Tunanimité  la  proposition,  que  son  auteur  avait  menacé 
de  retirer,  «  plutôt  que  de  causer  de  la  peine  à  un 
Sapin  ».  Et  le  reste  du  procès- verbal  est  écrit  en 
patois,  reproduisant  probablement  textuellement  les 
paroles  des  sociétaires  qui  prirent  ensuite  la  parole 
dans  cette  séance  mémorable. 

Je  transcris  ici  un  fragment  du  protocole,  pour 
donner  une  idée  du  patois  employé  :  «  Le  citoyen 
Cèlestin  Droue  (Droz)  a  la  paroule.  No  zattaran 
(enterrons)  deman  do  (deux)  bons  vïirzamis^  noîttre 
collègue  Auguste  Pic  te  t  et  Huinbert  Bar  le.  J  propouzo 
qu'on  réunisse  lets  do  convois  et  quon  na  (en)  fasse 
qu'on.  Le  citoyen  Président  questfoiissart'^  po  Auguste 
Pictet,  promet  de  faire  lets  dénier t'ches  po  ça.  La 
séance  est  levéye.  »  On  voit  cjue  le  Glossaire  des  patois 
n'a  pas  grand'chose  à  prendre  dans  ces  documents, 
pourtant  bien  intéressants  au  point  de  vue  de  l'his- 
toire de  nos  mœurs. 

A  partir  de  ce  moment,  et  jusqu'au  renouvelle- 
ment du  bureau,  Justin  Billon,  qui  ne  voulut  pas 
accepter  une  réélection ,  rédige  ses  procès  -  verbaux 
en  patois  (du  19  janvier  au  20  juillet  1861),  mais  il 
cherche  souvent  des  prétextes  pour  se  soustraire  à 
la  stricte  application  de  sa  motion,  tout  comme 
les    sociétaires,    témoin    ce    passage    du    procès-verbal 


*  On  appelait  ainsi  non  seulement  le  fossoyeur,  mais  aussi 
la  personne  qui  invitait  les  parents  et  amis  à  assister  à  l'en- 
errement. 


DERNIÈRE  PAGE  DE  L'HISTOIRE  DU  PATOIS  53 

de  l'assemblée  du  16  février  1861:  i^  Le  citoyen  Ulysse 
Sandoue  (Sandoz)  a  la  paroùle  po  ana  communication 
su  on  locau  (le  mot  local  patoisé)  ifiio  zet  offoué  (qui 
nous  est  offert).  Ma  y  reqiiiè  d'povet  (il  demande 
de  pouvoir)  preidgie  français.  Non  seàlama  le  Prési- 
dent Vy  accouôde  sa  demande,  ma  y  propoûze  lu  (lui) 
même,  qiCattadn  V importance  d' l'affaire  tchacon  set 
(soit)  libre  d" preidgie  français^  çà  qrassimbice  ratifiet 
pa  son  vote.  »  Tout  le  reste  du  procès-verbal  est  en 
français;  la  discussion  de  cette  «affaire  importante»  a 
donc  été  entièrement  française.  Le  patois  était  déjà 
réduit  à  quelques  formules  élémentaires  et  ne  suffi- 
sait plus  à  soutenir  le  moindre  effort  de  conversation 
sérieuse.  La  poudre  commençait  à  manquer  tout  à 
fait  dans  la  forteresse  de  la  langue  nationale.  En 
rendant  compte  du  souper  général  »  qui  a  suivi  la 
séance  du  i"  mars  1861,  le  secrétaire  se  sert  de  la 
langue  française,  tout  heureux  de  pouvoir  échapper 
à  l'obligation  du  patois  dans  tout  ce  qui  n'est  pas 
un  procès-verbal  proprement  dit.  Il  connaissait  trop 
peu  la  vieille  langue  pour  s'y  sentir  à  l'aise.  Dans 
le  procès -verbal  de  la  séance  du  16  février  1861, 
nous  rencontrons  la  remarque:  „Z.f  secrétaire  ayant 
racontrà  quéques  difficultàs  da  la  rédaction  de  ç'iii 
procès  verbal  preye  (prie)  lets  sociétaires  d'bin  volet 
Vy  V  ni  a  11  aide,  à  Vy  f assaut  (en  lui  faisant) 
dets  observatiojis  quand  il  apiéra  (emploiera)  dets 
mots  que  n'sarans  pà  a  bon  et  pur  patois.  Y  lets 
recivra  avoué  grand  piaizi.  »  C'est  probablement 
sur  l'avis  d'un  sociétaire  qu'il  a  d'abord  corrigé  au 
crayon    apiéra    en    apyéra    et    ensuite    remplacé    par 


54  L.  GAUCHAT 


s'djora  \  qui  est  en  effet  plus  patois.  D'autre  part,  il 
est  juste  de  dire  qu'il  possède  encore  bien  ses  formes 
verbales,  comme  le  démontrent  les  mots  f assaut,  re- 
civra  et  les  nombreux  parfaits  de  ses  procès-verbaux. 

Le  13  avril  1861,  nouveau  symptôme  de  la  fin 
prochaine  du  patois  neuchàtelois.  On  discute  grave- 
ment, en  plein  Cercle  du  Sapin,  s'il  faut  dire  Sociétà 
du  Sapé  ou  du  Sapin.  Après  avoir  établi  à  l'aide 
«  de  personnes  très  âgées  ayant  toujours  habité  soit 
le  village,  soit  nos  environs,  de  la  manière  la  plus 
positive  que  sapé  est  bien  le  mot  patois  de  sapin-j>,  la 
forme  sapin  obtint  néanmoins  une  forte  majorité.  On 
trouvait  déjà  la  vraie  forme  du  mot  trop  bizarre  et 
incongrue    pour    l'introduire    dans    le  nom   du  Cercle. 

Au  texte  patois  du  Règlement  de  la  Société  du 
Sapin,  adopté  dans  l'assemblée  du  13  avril  1861,  on 
trouva  bon  de  joindre  une  traduction  française.  On 
a  l'impression  que  c'est  la  rédaction  française  qui  fait 
loi.  L'autre  n'est  qu'une  parade.  La  langue  de  Paris 
avait  déjà  conquis  toute  la  partie  officielle  du  Cercle 
du  Sapin. 

La  même  année  il  y  eut  encore  un  échange  de 
lettres  patoises  entre  le  Cercle  et  un  membre  domi- 
cilié à  Neuchàtel. 

Le  20  juillet,  lorsqu'il  sagit  de  remplacer  le  se- 
crétaire démissionnaire,  un  des  proposés,  Jules  L'Eplat- 


'  Si  djoyi  =  se  servir,  p.  ex.  de  man  (des  mains),  d'on 
konté  (d'un  couteau),  etc.  Le  verbe  djoyi  s'emploie  aussi  acti- 
vement :  on  Vy  djoie  djeirè  toié  sôchè  d'iiti  (toutes  sortes  d'ou- 
tils. Patois  neuchàtelois  319,  34).  Nos  d'jorains  d'gèret  Ffy 
d'artcha II  ^=no\xs  emploierons  aussi  le  télégraphe  (V.Hirschy),etc. 


DERNIÈRE  PAGE  DE  L'HISTOIRE  DU  PATOIS  55 

tenier,  s'excuse  sur  son  peu  de  connaissance  du  patois. 
Il  n'est  pas  nommé,  cependant  le  nouveau  «sékertère», 
Eugène  Veuve,  n'a  pas  le  courage  non  plus  d'écrire 
ses  procès-verbaux  en  patois.  Lorsqu'un  de  ses  suc- 
cesseurs, Gustave  Jaquet,  revient  à  l'emploi  du  dialecte 
(procès-verbaux  du  23  août  1862  au  30  mai  1863), 
c'est  le  dernier  éclair  de  vitalité  du  patois  agonisant. 
Lui  aussi  d'ailleurs  profitait  de  chaque  opinion  émise 
en  français  pour  éviter  l'usage  du  patois.  A  l'occasion 
de  la  revision  des  statuts  du  6  décembre  1862,  un 
membre  ose  proposer  de  retrancher  l'obligation  de 
parler  patois.  Ses  paroles,  qui  auraient  jeté  le  plus 
grand  trouble  en  1857,  "^  paraissent  pas  avoir  produit 
la  moindre  irritation.  On  laisse  subsister  le  patois, 
comme  on  n'éloigne  pas  le  portrait  de  laïeul  après  sa 
mort.  La  proposition  est  encore  repoussée,  mais  dans 
les  statuts  du  4  février  1865,  par  lesquels  l'organisation 
du  Cercle  fut  définitivement  réglée,  il  n'est  plus  ques- 
tion de  patois.  Le  fameux  article  2  y  est  supprimé.  Le 
patois  est  relégué  dans  les  archives  et  désormais  les 
sociétaires  vouent  leur  attention  entière  aux  buts  qui, 
au  fond,  les  avaient  toujours  plus  intéressés  que  le 
patois,  sans  avoir  été  spécifiés  par  les  statuts  :  la 
charité  publique  et  le  progrès  social.  Le  vieil  idiome 
n'a  été  ainsi  qu'un  décor  dans  la  vie  du  Cercle  du 
Sapin.  Mais  quand,  au  banquet  du  i^""  mars,  l'ombre 
de  leur  brave  et  gai  ancêtre  passe  devant  leurs  yeux, 
les  vieux  souvenirs  remontent  à  la  surface,  et  les 
convives,  faisant  effort,  entonnent  de  leur  voix  mo- 
derne l'ancienne   «Prière  du  Sapin». 

(A  suivre).  L.  Gauchat. 


56  L.  GALXHAT 


Addition  aux  N°^  1-2  du  Bulletin. 

Un  des  correspondants  du  Glossaire,  M.  C.  Ruffieux,  pro- 
fesseur à  l'école  normale  de  Hauterive,  a  eu  l'amabilité  de  me 
signaler  une  omission  dans  mon  article  Nos  patois  romands. 
En  parlant  des  expressions  que  le  patois  gruyérien  emploie 
pour  désigner  un  abri,  j'ai  oublié  de  mentionner  la  locution 
a  chokrè,  qui  vient  donc  se  joindre  comme  quatrième  terme  à 
ceux  que  j'ai  nommés.  Ce  mot  ne  m'était  pas  inconnu,  car  je 
l'avais  déjà  rencontré  dans  les  glossaires  manuscrits  de  Louis 
Bornet  et  de  Louis  Ruffieux,  mais  il  ne  m'était  pas  présent  au 
moment  où  je  rédigeais  mon  article.  D'après  M.  C  Ruffieux, 
le  sens  du  nouveau  terme  serait  plus  vague  que  celui  des 
expressions  citées  [Bulletin  1—2,  p.  6),  bità  a  chokrè  signifierait 
«mettre  à  l'abri  des  intempéries,  quelles  qu'elles  soient:  vents, 
orages,  inondations».  Notre  correspondant  a  soin  d'en  préciser 
l'emploi  actuel  par  quelques  exemples.  On  dit:  ouna  méjon 
(maison),  on  tsalè  (chalet),  etc.  a  chokrè  =  bien  abrités.  On 
l'emploie  aussi  au  figuré  :  fô  bdtà  chi  niè  a  chokrè  po  kd  lè-j-infan 
Id  priri^nyan  pâ  =  «il  faut  mettre  ce  miel  en  sécurité  pour  que 
les  enfants  ne  le  prennent  pas».  Le  sens  de  la  locution  a  dû 
être  autrefois  plus  précis.  M.  L.  Ruffieux  la  définit  «à  l'abri 
du  vent  »  et  L.  Bornet  écrit  :  «  socrci  (à)  adv.  se  dit  d'un  lieu 
bien  exposé,  tourné  au  midi  et  abrité  contre  la  bise».  J'ai 
retrouvé  le  mot  dans  d'autres  parties  du  canton,  avec  d'autres 
significations  encore. 

Nous  serons  reconnaissants  à  toute  personne  gui  nous 
fera  connaître  des  erreurs  ou  omissions  contenues  dans  le 
«Bulletin»  et  nous  prions  nos  lecteurs  de  bien  zwuloir 
compléter  nos  renseignements  par  leurs  observations  locales. 
Ces  matériaux  complémentaires  seront  reçus  avec  la  plus 
vive  gratitude.  L.  G. 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE   LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR  LA 


Rédaction    du    GlOvSsaire. 


PREMIÈRE  AXXÉE 

1902. 


-*■         "■-' 


bp:rxe 

BUREAU   DU  GLOSSAIRE 
Hallerstrasse  39. 


LA  DERNIERE  PAGE 
DE   L'HISTOIRE    DU   PATOIS 

A  LA  ChAUX-DE-FONDS. 


II. 

Voici  le  texte  de  cette  prière  peu  connue  \  que 
je  publie  d'après  le  manuscrit  de  l'auteur,  Ami  Hugue- 
nin,  dont  le  chansonnier  autographe  est  en  ce  moment 
entre  mes  mains,  grâce  à  l'arnabilitë  du  président 
actuel  du  Cercle  du  Sapin,  M.  Ch.  Colomb,  avocat. 
Je  transcris  la  prière  d'abord  dans  l'orthographe  ori- 
ginale, puis  dans  celle  du  Bulletin,  afin  de  mieux  faire 
saisir  la  prononciation,  et  j'y  joins  quelques  remarciues 
linguistiques  que  me  suggère  ce  curieux  petit  docu- 
ment des  mœurs  d'autrefois,  conservé  par  la  tradition, 
malgré  tous  les  changements  survenus  depuis  1857 
dans  l'organisation  du  Cercle. 


Préyire. 

Quand  fchacoii  saide 
Nion  ne  se  crève 
Atre  Sapins  aidans 
Préscrvins  nots  adé 
De  trop  londgets  estomets 
De  matés  que  ne  se  raconfra  pas 
De  boues  crevas  dépondits 
De  tchones  niau  queii 
Dets  roupitres  de  la  renaye 
Dets  tchareutres 


Préyir'. 

Kan  tchakon  s'éd"^ 

nyon  n3  s3  krèv'  ^ 

air  sapin  édan* 

prèzèrvin  no  adé 

dd  trà  londjè-z-èstàmè,'' 

dd  maté^  k'nd  s3  rakontra  pâ, 

dd  boue  krèvâ  dèpondu,'' 

dd  tchoû  mô  kà, 

de  roïipitr'  *,  d'ia  rnéy'/ 

de  tcharcétr',^" 


L.  GAUCHAT 


Dets  oeùles  dégasse 

De  la  colique  de  la  to 

Dets  vielles  fannets  que  fan  la 

cela 
Dets  djouvcncts  po  nots  faire  la 

coiia 
Dets  propriaitres  sin  couchasse 
Dets  lars  dets  avocats 
Dets  apoticaires  dets  tniedges 
Et  dets  indcpendans,  récalcitrans 
Amen. 


dè-z-âly'  d'ègàs',^^ 

dd  la  kàlik',  d»  la  to,^^ 

de  vilyè  fànè  k'fan   la  sèta,^^ 

de    djoitv'nè   pà    nà  fer'    la 

koua,^* 
de  proprié tr'  sin  konchàs',^^ 
de  lâr',^^  dè-z-avoka, 
dè-z-apotikér' ,  de  mxdj' ^"^ 
è  dè-z-indèpandan  rèkalsitran;^^ 
amèn\ 


TRADUCTION: 

Prière. 

Quand  chacun  aide, 

Personne  ne  «se  crève»  (ne  se  tue  en  travaillant). 
Entre  «  Sapins  »  aidant, 
Préservons-nous  toujours 
D'estomacs  trop  longs  (vides), 
De  «  marteaux  »  qui  ne  se  rencontrent  pas, 
De  boyaux  percés,  déchirés. 
De  choux  mal  cuits. 
De  l'hydropisie,  du  lombago, 
Des  érj'^sipèles, 
Des  œils  de  perdrix  (cors), 
De  la  colique,  de  la  toux. 
Des  vieilles  femmes  qui  font  le  sabbat. 
Des  jeunes  pour  (capables  de)  nous  faire  «de  la  ficelle», 
Des  propriétaires  sans  conscience. 
Des  larrons,  des  avocats. 
Des  apothicaires,  des  médecins 
Et  des  indépendants,  récalcitrants; 
Amen. 


Cette  gaie  «  prière    ,  si  peu   en  rapport   avec  les 
tendances  actuelles  du   Cercle,    avant  tout   philanthro- 


DERNIERE  PAGE  DE  L'HISTOIRE  DU  PATOIS  59 

piques  et  politiques*  n'a  été  sauvée  de  l'oubli  que 
par  le  respect  des  traditions,  pour  ne  pas  perdre  le 
souvenir  de  l'esprit  malicieux  du  fondateur  de  la 
Société  du  Sapin.  Ce  n'est  pas  le  seul  ancien  usage 
que  le  Cercle  maintienne.  Il  est  resté  fidèle  à  l'insti- 
tution, aussi  ancienne  que  la  «prière»,  du  iban  du 
Sapin  y,  dont  il  est  souvent  question  dans  les  pre- 
miers procès-verbaux  des  séances.  Le  ban  »  ou  la 
«  Santé  du  Sapin  »  se  bat  de  la  manière  suivante  : 
Tous  les  membres  présents  se  lèvent,  se  découvrent 
et  se  frappent,  sous  le  commandement  du  président, 
trois  coups  sur  la  tète,  trois  sur  le  cœur  et  trois  dans 
la  main.  Le  ban^  bien  entré  aujourd'hui  dans  les 
usages  des  sociétés  de  la  Suisse  romande  et  qui  tient 
peut-être  son  origine  immédiate  des  coutumes  du 
Cercle  du  Sapin**,  a  pour  but  d'acclamer  une  action 
ou  une  personne.  On  «  bat  un  ban  »,  d'après  les 
registres  des  procès-verbaux,  par  exemple  en  l'hon- 
neur d'un  membre  décédé,  d'un  sociétaire  rentrant 
après  une  longue  maladie,  de  quatre  collègues  élus 
grands  conseillers,  etc.  Le  texte  qui  accompagnait 
le  ban  devait  être  approprié  aux  circonstances. 

J'ai    sous    la    main    un    exemplaire    récent,  hecto- 
graphié,  de   la  «  Santé  du  Sapin  »   que  je  transcris  ici 


*  Remarquons  cependant  la  pointe  satirique  de  la  fin. 

*  *  Il  rappelle  certaines  coutumes  des  étudiants  allemands 
et  doit  provenir,  en  dernière  ligne,  de  certaines  institutions  des 
ordres  du  moyen  âge.  J'ignore  si  l'usage  du  ban  est  connu 
en  France  dans  la  vie  des  sociétés;  en  tous  cas  les  diction- 
naires sont  muets  à  cet  égard. 


6o 


L.  GAUCHAT 


textuellement,    sans   la  musique,  avec  traduction  fran- 
çaise en  regard*. 

Santé  du  Sapin. 


Bouèbes  du  Sapin,'"  debout! 
Y  a-t-il  du  vin  patcho?-"  — 
Vè.—  Nos  allins  potcha  la  santa 
a  noutra  balla  Socièta.  Nos 
bérins  c'ta^'  santa  à  trè  timps. 

Permi  timps  :  U  piési  qu'nos 
ains  d'no  trovâ  tos^^  réunis 
da  c'tu  botcha  !  '-^. 

Deuzîme  timps  :  U  piési 
qu'nos  arins  adé  da  pareille 
circonstance. 

Trézîme  timps  :  A  la  pros- 
périta  de  notra  balla  Sociéta. 

Attention  !  ■*  La  man  drête 
es  ermes!^^  Et  qu'chacon^® 
fasse  chorus  c'mà  s'el  moêP'' 
était  dans  l'botcha! 

Le  chœur  chante: 

A  c'ta  Santà  que  tchacon 

li   réponde, 
A  c'ta  Santà  que  l'an  ^^  vint 

de  nomma  !^* 
Sapins!  Bevins  tu  a  la  ronde, 
Fasins  hanu  à  c'ta  Santà! 
Maudit  set  qui  n'a  berra 
Et  qui  s'en  barbille-bouille, 
Maudit  set  qui  n'a  berra 
Et  qui  s'en  barbouillera.^" 


Enfants  du  Sapin,  debout! 
Y  a-t-il  du  vin  partout?  —  Oui. 
—  Nous  allons  porter  la  santé 
à  notre  belle  Société.  Nous  boi- 
rons cette  santé  en  trois  temps. 

Premier  temps  :  Au  plaisir 
que  nous  avons  de  nous  trou- 
ver tous  réunis  dans  ce   bois! 

Deuxième  temps:  Au  plaisir 
que  nous  aurons  toujours  en 
pareille  circonstance. 

Troisième  temps:  A  la  pros- 
périté de  notre   belle  Société. 

Attention!  La  main  droite 
aux  armes!  Et  que  chacun 
fasse  chorus  comme  si  le  dia- 
ble était  dans  le  bois  ! 


A  cette  santé  que  chacun 

lui  réponde, 
A  cette  santé  que  l'on  vient 

de  nommer! 
Sapins!  Buvons  tous  à  la  ronde, 
Faisons  honneur  à  cette  santé! 
Maudit  soit  qui  n'en  boira 
Et  qui  s'embarbille-bouille. 
Maudit  soit  qui  n'en  boira 
Et  qui  s'embarbouillera. 


*   Le  patois   de   ce    texte    n'est    plus    pur,    il    est    entre- 
mêlé de  formes  françaises. 


DERNIERE  PAGE  DE  L'HISTOIRE  DU  PATOIS 


6i 


comme 
plus   haut. 


A    do    dets  ^'     d'ia     garga- 
melle  !  ^- 

Le  chceur  chante  : 

Morbleu!  il  en  vaut  ben  la 

peine/' 
Pô  c'ta  balla  sociètà  qu'on 

âme  !'* 
Bevins  rasade  â  fra  Sapins, 
i^^i  timps     I 
2*    timps 
3''    timps 

Suci  la  darire  gôtta!  Bras 
gautche,  an'avant!  Rubis  su 
l'onyé  !  '^  Suci  c'tu  rubis  !  Bras 
gautche  en  son  lieu!  Haut  les 
ermes  !  A  do  dets  du  cou- 
tcheron!^®  Faté  réz'na  c'tu 
coutcheron!  Haut  les  ermes! 
A  do  dets  du  coueu!  Faté 
rez'na  c'tu  coueu!  Haut  les 
ermes  !  Et  c'ma  ien  ''  soù  su 
•qu'aucun  d'vos  n'est  ennemi  du 
sexe,  a  do  dets  d'ia  beureuille! 
Faté  rez'na  c'ta  beureuille! 
Haut  les  ermes!  A  do  dets 
<l'la  tabie,'^  et  qu'u  mot  d'tré 
on  n'ouie^"  qu'on  coup!  On! 
Do!  Tré! 

Le  chœur  chante  : 

Halla  halla  halla  la  la  la 
etc. 


A  deux  doigts  du  gosier! 


Morbleu  !   il  en  vaut  bien  la 

peine, 

Pour  cette  belle  société  qu'on 
aime! 

Buvons  rasade  aux  frais  sapins. 

!«■■  temps  I 

„„    .  I        comme 

2*^    temps  / 

p    .   „  plus  haut. 

3*^    temps  )     ^ 

•  Sucez  la  dernière  goutte! 
Bras  gauche,  en  avant!  Rubis 
sur  l'ongle!  Sucez  ce  rubis! 
Bras  gauche  en  son  lieu  !  Haut 
les  armes!  A  deux  doigts  du 
sommet!  Faites  résonner  ce 
sommet!  Haut  les  armes!  A 
deux  doigts  du  cœur!     Faites 


résonner  ce  cœur!  Haut  les 
armes  !  Et  comme  j'en  suis  sûr 
qu'aucun  de  vous  n'est  ennemi 
du  sexe,  à  deux  doigts  du  nom- 
bril! Faites  résonner  ce  nom- 
bril !  Haut  les  armes  !  A  deux 
doigts  de  la  table,  et  qu'au  mot 
de  trois  on  n'entende  qu'un 
coup  !     Un  !     Deux  !     Trois  ! 


Ce  n'est  pas  évidemment  là  le  texte  de  l'ancien 
«  ban  »  du  Cercle,  celui  dont  on  honorait  les  membres 
nommés  du  Grand  Conseil!  Cependant  ce  texte  doit 
contenir    les  principaux  éléments    constitutifs    du    ban 


62  L.  GAUCHAT 


primitif  dont  l'introduction  dans  le  Cercle  remonte 
sans  doute,  comme  celle  de  la  «  prière  »,  à  Ami  Hugue- 
nin.  La  «  beureuille  »  n'y  figurait  probablement  pas. 
Je  ne  trouve  aucune  indication  précise  sur  la  forme 
du  ban  dans  les  archives  de  la  Société,  sauf  l'indica- 
tion, jointe  une  ou  deux  fois  à  la  mention  d'un  «  ban  >  : 
adé  pas  une  iresée-»^  que  j'interprète  ainsi:  «toujours 
pas  une  «rosée»,  c'est-à-dire  que  personne  n'a  versé 
de  vin,  ce  qui  s'accorderait  avec  les  paroles  :  maudit 
soit  qui  sembarbouillera. 

J'ai  trouvé  en  outre,  dans  les  archives  du  Cercle 
une  «  formule  de  souhaits  de  bienvenue  pour  les  mem- 
bres nouvellement  reçus  »  que  je  copie  d'un  papier 
contenu  dans  la  liasse  cotée  N''  41  : 

«  Le  président  invite  la  Société,  to  le  biotcha^  à  se 
mettre  debout  coiitcJierin  déquevoué^^  et  se  joindre  à 
lui  pour  témoigner  aux  nouveaux  sociétaires  notre 
contentement  et  le  plaisir  que  que  (sic)  nous  avons 
de  les  voir  réunis  à  nous  comme  sociétaires....  (fin:) 
et  que  si  reinerqua  dets  pets  bians  gris  noets  choco- 
lats y  na  n  an  pas  moins  le  coueu  voiiet^,,  c'est-à-dire:  et 
s'ils  remarquent  des  cheveux  (poils)  blancs,  gris,. 
noirs,  chocolats,  ils  n'en  ont  pas  moins  le  cœur  vert. 
Cette  formule  de  bienvenue  n'est  plus  en  usage  au- 
jourd'hui. 

Si  la  «  prière  »  ne  se  renouvelait  pas  chaque 
année,  et  si  l'on  n'avait  pas  de  temps  en  temps  l'occa- 
sion d'entendre  exécuter  le  «  ban  »  du  Cercle  du  Sapin, 
rien  ne  trahirait  plus  aujourd'hui  que  cette  Société 
a  été  fondée  à  l'origine  pour  être  une  sorte  d'Académie 
de    patois.     Le    jour,    peu    lointain    peut-être,    où   ces 


DERNIERE  PAGE  DE  L'HISTOIRE  DU  PATOIS  63 

usages  viendront  à  se  perdre,  l'histoire  du  patois  de 
la  Chaux-de-Fonds  sera  définitivement  close. 

L.  Gauchat. 

NOTES. 

'  Ce  document  a  été  reproduit  dans  le  volume  Le  Patois 
ncuchàtelois,  publié  en  1894  par  la  Société  d'histoire  du  canton 
de  Neuchâtel,  p.  330,  n»  i,  sous  le  titre  trop  général  de  Soua 
de  boun-an,  c'est-à-dire  Souhaits  de  noitvel-an.  Mon  texte  dif- 
fère quelque  peu  de  cette  version. 

2  En  français  populaire,  on  conjugue  souvent  le  verbe 
comme  réfléchi:  je  m'aide,  tu  t'aides,  etc.  Ce  premier  fait 
explique  l'emploi  de  se,  même  en  dehors  de  la  3™*^  personne: 
«je  m'en  vais  s'aider»,  etc.  De  là  une  tendance  du  pronom 
se  à  se  souder  à  certaines  formes  du  verbe,  surtout  à  l'infinitif. 
Le  sens  du  verbe  réfléchi  ne  diffère  pas  de  celui  du  verbe 
ordinaire. 

^)  Le  sens  de  ce  proverbe  répandu  dans  toute  la  Suisse 
romande  doit  être  celui-ci:  Quand  cliacun  fait  son  devoir  (quand 
le  travail  est  bien  réparti),  personne  ne  se  tue  de  fatigue.  Les 
Vaudois  disent  d'une  façon  analogue:  se  mètr  ao  krCio  =  «se 
mettre  au  creux»  (tombe),  pour  «  s'user  au  travail  ».  M.  Miche- 
lin-Bert  (On  dmindge  et  Piaintschtets  «  Un  dimanche  aux  Plan- 
chettes »,  nouvelle  patoise  en  majeure  partie  inédite)  donne  le 
proverbe  sous  cette  forme  :  Ca  tschacon  s'aide,   nion  n'se  grève 

et  traduit:  personne  ne  se  gêne,   mais,   outre  que  le  verbe 

grava  n'a  que  le  sens  de  gêner,  incommoder,  comme  verbe 
actif,  non  réfléchi,  je  ne  connais  comme  3™®  personne  que  la 
forme  gràv'.  Dans  l'édition  du  Patois  neuchâtelois,  le  proverbe 
est  remplacé  par  cet  autre  plus  répandu:  Que  ne  sa  ne  grave 
=  ce  qu'on  ne  sait  pas  ne  gène  pas,  qui  n'a  rien  à  voir  ici. 
Tant  qu'on  n'aura  pas  retrouvé  l'ancienne  forme  du  proverbe 
dans  des  collections  de  dictons  de  ce  genre,  il  sera  difficile  de 
se  prononcer  sur  la  valeur  exacte    des  mots  nyon  lU   s<)  krèv'. 

*  Faut-il  prononcer  Sapin-z-èdan,  avec  liaison,  et,  à  la  ligne 
suivante,  nà-z-adé?    Je   n'en   suis  pas   sûr.     Au   lieu   de   notre 


64  L.  GAUCHAT 


texte,  le  Patois  neuchâtelois  donne  pour  la  ligne  3  les  mots: 
no,  bramâ-fan,  bramâ-sei  —  nous  qui  avons  constamment  faim 
et  soif  [brama  =  crier].  En  tout  cas,  l'accent  circonflexe  n'a 
pas  sa  raison  d'être  sur  le  deuxième  a,  qui  est  atone  et  qui 
ne  se  prononce  peut-être  même  pas;  j'ai  rencontré  dans  mes 
lectures  avec  la  même  signification,  les  mots  bran.m'-sdpa,  et 
bran.m'-pidans'  [a  nasal  +  w'). 

'"  londj' ,  dérivé  phonétiquement  de  la  forme  féminine  du 
latin,  an'  èstçma,  pluriel  dè-z-èstàinè  s.  f.,  recul  d'accent  et 
changement  de  genre  sous  l'influence  analogique  de  mots 
comme  la  pâma  —  le  pdmè,  etc.;  èstçma  prend  aussi  la  signi- 
fication de  poitrine  dans  la  généralité  de  nos  patois. 

"  La  prononciation  du  mot  maté  donne  lieu  à  une  re- 
marque importante.  J'ai  noté  par  m  et  t  des  sons  très  parti- 
culiers du  dialecte  de  la  montagne  neuchâteloise.  Le  t  est  pro- 
noncé plus  en  arrière  que  le  f  français  ordinaire,  la  pointe  de 
la  langue  ne  s'applique  pas  contre  les  dents  d'en  haut,  mais 
contre  les  alvéoles.  Cela  arrive  toutes  les  fois  que  le  /  était 
anciennement  précédé  d'une  r.  Ce  son  alvéolaire  a  produit  un 
recul  de  l'articulation  du  /  vers  les  alvéoles.  En  dehors  de 
l'ancienne  combinaison  ;-/,  on  prononce  un  /  ordinaire,  de  sorte 
que  ce  patois  se  trouve  avoir  deux  /,  un  /  français  et  un  t 
anglais,  nettement  distincts  dans  la  prononciation  des  «patoi- 
sants». La  population  actuelle,  sauf  quelques  rares  représen- 
tants de  l'ancien  idiome,  n'a  plus  aucun  souvenir  de  cette  dis- 
tinction. On  prononçait  donc  autrefois  niètl  (moitié),  tchantâ 
(chanter),  gétâ  (gâter),  même  fnétra  avec  un  t  postdental  (ancien 
groupe  tr),  mais  f)''ôta  (porte),  k^atrè  (quarteret),  de  même 
avec  d  :  k''ôda  (corde),  v'^^ada  (verte),  etc.  Souvent  on  entend 
même  tch  et  dj,  donc  f'ôtcha  et  k^'àdja,  surtout  dans  une  pro- 
nonciation un  peu  rapide,  ensuite  d'un  recul  un  peu  plus  éner- 
gique de  l'articulation  du  /.  On  sait  que  les  patois  voisins  du 
Jura  bernois  et  de  France  prononcent  p'ôtch' ,  k'^ôdf.  Le  dia- 
lecte de  la  montagne  neuchâteloise,  en  conservant  une  pré- 
cieuse étape  de  transition,  nous  indique  la  voie  suivie  par 
l'évolution  des  groupes  rt  rd.  Il  arrive  même  que  l'r,  dont  il 
ne  reste  plus  de  trace  aujourd'hui,  a  agi  à  distance,  par  exem- 


DERNIERE  PAGE  DE  L'HISTORIE  DU  PATOIS  65 

pie  dans  le  mot  ami  (honneur)  ou  ma  (renard),  rnadà  («re- 
narder»,  c'est-à-dire  vomir).  On  trouve  n  également  dans  les 
mots  qui  avaient  anciennement  m,  comme:  on  b°^^anâ  (pelle  à 
feu,  en  patois  vaudois  on  bèrnâr'),  on  sattà  (cernil),  etc.  Ce 
patois  possède  donc  également  deux  espèces  d'n:  Vn  ordinaire 
ou  postdentale  (p.  ex. /âna,  femme;  an iibv',  nuage;  anoncirè,  à 
présent,  et  une  n  alvéolaire  emploj'ée  seulement  dans  quelques 
rares  exemples.  Un  de  ami  (honneur)  se  prononce,  au  dire  d'un 
vieillard  de  la  Chaux-de-Fonds,  avec  «la  bouche  pleine». 

Le  groupe  rs  devient  ch:  bursa  =  bocha.  D'autres  grou- 
pes comme  rk,  rg,  rf,  rv,  etc.  restent  intacts:  barkâ  (glisser 
de  travers),  borg'  (rouet),  ôrfàii  (orphelin),  ari'â  (arriver). 

Cependant  les  perturbations  occasionnées  par  le  son  r 
dans  ce  patois  sont  bien  plus  grandes  qu'elles  ne  paraissent 
de  prime  abord,  car  l'initiale  de  la  seconde  syllabe  agit  sur 
celle  de  la  première,  et  une  ancienne  r  finale  peut  exercer  son 
influence  sur  n'importe  quelle  consonne  simple  initiale  de  la 
syllabe  tonique.  De  là  ta  (tour),  sàd'  (sourd)  ;  j'ai  cru  consta- 
ter làd'  '^lourd)  à  la  Chaux-du-Milieu,  avec  une  /  retirée.  Les 
k  et  p  initiaux  deviennent  légèrement  aspirés  sous  cette  in- 
fluence et  ils  sont  suivis  d'un  petit  o//-consonne  (anglais  w, 
français  point).  Tantôt  c'est  l'un,  tantôt  l'autre  de  ces  sons 
parasites  qui  prédomine;  au  Cerneux-Péquignot,  c'est  le  //,  à 
Pont-Martel  c'est  le  zî'.  L'un  n'exclut  pas  l'autre.  Au  Locle 
j'ai  noté  k'^'^^'ôda  (corde),  etc.,  à  côté  de  kôta  (côte)  qui  se  pro- 
nonce avec  un  k  ordinaire.  Le  iv  apparaît  aussi  après  b,f,  et 
V  (je  n'ai  pas  d'exemples  pour  g):  B°"éHa  (Berne),  b""èna 
{borne),  b""odan-na  (mouche  à  viande,  «  bourdaine  »),  h°"on' 
(borgne)  ;  /^"ùnè  (fourneau),  cpv°*'é  (hiver),  (fi'^^'è  (ouvrir),  /""ôtti 
{fournir),  /■^"ôc/i'  (force).  L';«  du  mot  tnaté,  pour  revenir  à 
mon  point  de  départ,  se  distingue  d'une  /;/  ordinaire  par  la  ré- 
duction partielle  de  l'avancement  des  lèvres.  Ainsi  presque 
toute  la  série  des  consonnes  se  trouve  dédoublée:  sous  l'in- 
fluence d'une  r  finale,  ou,  plus  souvent,  des  groupes  rt,  rd,  m, 
rs  (et  autres  ?),  il  naît  par  le  contact  immédiat  de  l'r  alvéolaire 
ou  même  à  distance  une  série  de  consonnes  alvéolaires  qui, 
autrement,   restent   postdentales;    les   labiodentales    et  labiales 


66  L.  GAUCHAT 


sont  également  altérées  (retirées).  Les  palatales  ne  subissent 
aucun  changement,  l'r  n'agissant  que  sur  les  sons  s'articulant 
plus  en  avant  dans  la  bouche.    Remarquez  cependant  k^',  k°^'). 

Que  serait-il  arrivé,  si  le  dialecte  de  la  montagne  neuchâ- 
teloise  n'avait  pas  été  destiné  à  périr?  L'r  n'existant  plus 
dans  la  prononciation  actuelle,  la  distinction  de  mots  comme 
fà'itâ  (tonner)  et  tcènâ  (tourner)  devient  une  affaire  de  mémoire. 
11  peut  arriver  que  les  enfants  confondent  les  deux  sons.  Il 
est  possible  aussi  qu'un  son  s'impose  au  détriment  de  l'autre, 
le  k  peut  céder  la  place  au  k,  qui  est  en  majorité;  ou  le  k, 
c'est-à-dire  le  k'^  ou  k°^  peut  se  communiquer  à  tous  les  exem- 
ples. Dans  les  deux  cas,  sans  connaissance  de  la  curieuse 
étape  que  je  viens  de  constater,  la  science  s'}^  tromperait.  Si 
je  découvrais,  dans  le  voisinage,  un  patois  qui  aurait  transformé 
tous  les  k  en  k'',  je  serais  porté  maintenant  à  en  attribuer  l'ori- 
gine aux  quelques  cas  où  le  k  était  suivi  de  r  -|-  une  des  con- 
sonnes indiquées  plus  haut.  Chaque  loi  phonétique,  en  théorie, 
a  pu  être  limitée  primitivement  à  quelques  cas  isolés,  qu'il  est 
impossible  de  reconnaître,  une  fois  que  la  loi  a  pris  des  pro- 
portions plus  considérables.  Rien  ne  distingue  dans  les  trans- 
criptions vulgaires  de  patois,  tànâ  de  tàttâ,  écrits  tous  les  deux 
teiinâ.  Ce  n'est  qu'en  étudiant  les  langues  vwantes  qu'on  arrive 
à  constater  de  pareilles  nuances  de  prononciation  si  importantes 
pour  la  compréhension  de  l'évolution  linguistique. 

Je  termine  cette  longue  note  en  disant  à  ceux  qui  ne  le 
savent  pas  que  «  marteau  »,  dans  nos  patois,  a  aussi  le  sens 
de  «dent  molaire».  Le  Patois  neuchàtclois  remplace  dans 
son  édition  le  mot  par  masse,  c'est-à-dire  «  mâchoires  »  ou  même 
«  bouche  »,  et  fait  précéder  la  ligne  6  de  celle-ci,  qui  manque 
dans  l'original:  Dé  dgedgiva  avoué  dé  gougne  =  de  gencives 
avec  des  ampoules. 

"  dèpondr'  signifie  «briser  par  traction-.  On  dit  en  pa- 
tois :  rèstàma  m'dèpon  =  me  fait  mal,  tant  j'ai  faim. 

®  roûpïtr',  hydropisie,  probablement  par  déformation  du 
mot  savant.  La  forme  habituelle  est  roûpïf ,  voir  Saboulée  des 
Borgognons,  Le  Locle  i86i,  p.  8,  17;  Patois  neuchéitelois  186, 
23:  roiipife,  en  rime  avec  dépite;  Glossaire  Nicolet  cependant: 
rofipitre.     Au  Val-de-Ruz,  on  dit  également  roùpitr' . 


DERNIÈRE  PAGE   DE  L'HISTOIRE  DU  PATOIS  67 

^  rnèy^  est  tiré  de  renés,  les  reins,  au  moyen  du  suffixe  -ata. 

*"  tcharàtr"  s.  m.,  érysipèle;  Val-de-Ruz:  tchèrâtr' .  L'éty- 
mologie  caro  tirtica,  proposée  dans  le  Glossaire  Nicolet,  n'a 
aucune  valeur.  Le  mot  étant  masculin,  il  faut  renoncer  à  y 
voir  le  mot  caro.  L'allemand  bernois  dit  Scliaràti,  on  le  ren- 
contre également  dans  les  patois  allemands  de  Lucerne,  Soleure 
et  du  Valais,  même  avec  tch  à  l'initiale.  C'est  évidemment  le 
même  mot,  mais  d'où  est-il  originaire? 

'^  âly'  d'ègas',  cor;  comparez  l'expression  bernoise 
àg9rcht3-n-àougd.  Le  mot  patois  ègas'  vient  de  l'ancien  haut 
allemand  agazza  ^^  pie. 

'-  fà,  toux;  infinitif:  iâssi. 

^^  cèta,  frib.  chèta,  sabbat,  grand  bruit,  dérivé  de  secte, 
introduit  par  voie  savante  dans  les  patois.  Pour  le  sens, 
comparez  vôdCi'  =  sorcier,  de  Valdensis,  Archives  suisses  des 
Traditions  populaires  II,  181. 

"  /ér  la  koua,  litt.  faire  la  queue,  m'a  été  expliqué  par 
des  connaisseurs  du  patois  par  l'expression  «  faire  de  la  ficelle  », 
commettre  des  infidélités.  Le  Patois  neuchâtelois  traduit  :  «  qui 
ne  sont  pas  fidèles». 

*^  propriétr' ,  forme  curieuse,  influence  de  métr'  -—  maître  ? 
konchàs',  en  patois  de  la  Brévine:  konsyas' ;  ici  le  groupe  sy 
est  rendu  par  ch;  comparez  La  Brévine  :  syé  (ciel),  syadré  (cen- 
dres), syànt"  (psaume);  Les  Ponts,  La  Sagne,  La  Chaux-de- 
Fonds,  Le  Locle:  ché,  chadrè,  chôm' ,  etc. 

*®  lâr,  voleur,  remonte  à  l'ancien  nominatif  latin  latro, 
conservé  sous  l'influence  de  pater  =  patrem,  mater  =  matrem, 
f rater  ^=  fratreni  et  des  nombreux  mots  en  -ator,  conservés 
également  sous  la  forme  du  nominatif  dans  tous  nos  patois; 
comparez  ici  foUssâr',  fossoyeur,  etc.  Au  lieu  du  mot  avocats, 
le  Patois  iieucliàtelois  donne  boute-froit,  correction  due  évi- 
demment à  quelque  mauvais  plaisant.  Avoir  du  boute -frou 
signifie  en  patois  «  être  éloquent  »,  mais  ce  ne  serait  pas  là  la 
forme  du  patois  de  la  montagne,  où  l'on  dirait  bouèt'  'bout') 
-fyà.  Bouta  ou  bouètâ  a  le  sens  de  mettre.  J'ai  même  trouvé 
l'expression  lo  bous'-fyâ,  de  boussâ,  pousser.  Inutile  de  dire 
que  le  boute-frou  n'est  pas  un  apanage  spécial  des  avocats. 


68  L.  GAUCHAT 


^'  ufidg' ,  médecin,  n'a  pas  en  patois  le  sens  péjoratif  du 
français  mège  =  médicastre. 

'*  Les  Indépendants,  parti  radical  dissident.  Le  Patois 
neuchâtelois  a  tort  de  patoiser  ces  mots  en  Indèpadâ,  Rccal- 
citrâ.  On  n'a  jamais  pu  dire  ainsi,  car  si  le  patois  rend  par 
a  la  nasale  française  an  provenant  du  latin  in,  en,  par  exemple 
gentes  =  dja,  infantem  =  afan,  etc.,  ce  n'est  pas  le  cas  pour  la 
désinence  du  participe  présent  ante  =^  an.  On  trouve  tout  au 
plus  a  pour  la  terminaison  atone  -ant  à  la  troisième  personne 
du  pluriel  du  présent  de  la  I""*^  conjugaison,  comparez  à  la  ligne  6 
rakontra  =  rencontrent. 

''•*   En   bon  patois    on  dirait:    bouâb'   du   sapé   (sappellitm). 

^^  patcho,  potcha;  c'est  ainsi  qu'on  a  essayé  de  rendre 
l'ancienne  prononciation  pat'à,  pbt'â. 

-'  Prononcez  sta,  masc.  stit,  pi.  m.  et  ï.  stè,  du  latin  ecce 
istui,  forme  analogique  =  vieux  français  cestiii,  ecce  ista,  ecce 
istos  (istas). 

^2  Patois:  tu. 

-^  Les  membres  du  Cercle  s'appelant  «  Sapins  »  forment 
ensemble  le  b°^'btcha,  c'est-à-dire  bosquet  ou  petite  forêt,  terme 
qui  est  formé,  comme  le  mot  bosquet,  du  latin  hypothétique 
buscu,  bois,  d'où  est  tiré  aussi  l'allemand  Busch,  et  du  suffixe 
diminutif /////,  qui  est  généralement  rendu  en  patois  par  è  et  non 
par  a,  ce  qui  ferait  supposer  que  nous  avons  affaire  à  un  emprunt 
fait  au  patois  du  Jura  bernois,  où  le  mot  boitécha  est  très  répandu 
comme  appellatif,  comme  nom  de  lieu  et  de  famille,  à  moins 
d'y  voir  bitscaciii;  comparez  bouscas,  Mistral,  Trésor.  Le  Glos- 
saire de  Nicolet  donne  botchà  =  bosquet  (bois),  mais  Va  n'est 
pas  long,  comme  j'ai  pu  m'en  convaincre;  j'ai  noté  ce  mot  à 
plusieurs  endroits.  J'ignore  pourquoi  Ami  Huguenin  écrivait 
ce  mot  biotcha,  il  orthographiait  également  î'/o  =  huit,  bieiibes 
=  garçons,  fiait  =  fort,  biodons  =  bourdons,  grains  de  pian  = 
pissenlit  (grains  de  porc),  etc.  J'ai  partout  entendu  prononcer 
voilà,  bouâb',  fouô,  bouàdon,  gran  dd  poitô.  Le  mot  simple 
bov.  ne  signifie  pas  seulement  bois,  comme  matière  et  dans  le 
sens  de  forêt,  mais  remplace  ordinairement  le  mot  arbre:  léyié 
contre    on    boue  ^=  lié    contre    un   arbre    (Djaque -Ignace   Lam- 


DERNIÈRE  PAGE   DE  L'HISTOIRE  DU  PATOIS  69 

padut).  Le  terme  ordinaire  pour  forêt  est  koTita,  c'est-à-dire 
côte,  ce  qui  s'explique  par  le  fait  que  dans  les  longues  vallées 
du  Jura  les  côtes  sont  boisées,  tandis  que  la  plaine  est  maré- 
cageuse ou  cultivée.  Le  mot  dju,  qui  a  autrefois  concouru 
avec  les  mots  cités  dans  le  sens  de  forêt,  n'est  plus  senti  comme 
appellatif,  mais  existe  encore  comme  nom  de  lieu,  p.  ex.  la  dju 
du  Pyiin'  —  La  Joux  du  Plane,  etc.  Le  sommet  d'un  arbre 
s'appelle  koutchron,  dérivé  d'une  forme  perdue  kontchè,  qui  se 
retrouve  dans  les  patois  fribourgeois  et  vaudois  sous  la  forme 
koHtsè  =  sommet,  cime,  et  qui  vient  peut-être  de  l'allemand  suisse 
Chuts,  sommet  d'une  colline  boisée.  Le  koiitchron  désigne  ici 
la  tête  des  «Sapins». 

-■•  En  vrai  patois:  ba/yl-vo  a  voiiada  =  litt.  «donnez -vous 
en  garde». 

-'"  Patois:  ciriuè. 

^'^  Patois:  tchakon. 

-''  Lisez  s3  l  moiiàl  -—  si  le  diable,  iiioital  signifierait  merle. 

^*  Le  patois  dit  on,  comme  en  français.  C'est  peut-être 
une  faute  de  copie. 

-^  Prononcez  iion-mâ. 

^°  C'est  lin  verbe  en  patois:  s'abarbo/vî  =  s'embarbouiller. 

^'  «  A  deux  doigts  »,  marque  un  mouvement  préparatoire 
que  l'assemblée  exécute,  avant  de  boire,  de  frapper  sur  la 
tête,  etc.  La  main,  appelée  ici  aniic,  se  place  à  deux  doigts 
de   l'objet  nommé. 

'-  gargamelky  mot  populaire  pour  gosier,  qui  n'est  pas  patois. 

''  Patois:  pin.na. 

^^  Patois:  an.ni'. 

^*  Patois:  onlv\  Cette  vérification  s'il  reste  une  goutte 
dans  le  verre,  rappelle  la  Nagcl-Probe  des  étudiants  allemands, 
et,  si  je  ne  fais  erreur,  certains  usages  maçonniques.  Ami 
Huguenin  était  franc-maçon. 

^^  koiitcJiron,  voire  note  23. 

^'  Patois:  y  a  soR  sur. 

^*  bàràly',  dim.  bàrlyon,  nombril,  de  (um)  biliaila,  (ton)  - 
biliculonem,  devenus  biricula,  biricitlonem  par  dissimilation.   Les 


70  OCTAVE  CHAMBAZ 


formes   ayant   perdu  la   première  syllabe    (par  confusion  avec 
l'article  indéfini?)  sont  très  répandues   dans   les   pays   romans. 

^^  Prononcez  tâby' . 

*°  Prononcez  oûy' . 

*'  coutcherin,  lisez  kontchron  dèkvoiié  =  tête  découverte. 


TEXTES 


Lindèman  de  fîta. 
Dialogue  eu  patois  du  Gros-deA^aud  (Rovray). 

I. 

La  Janèt'  a  Samin  (a  sa  faly'  Maryon,  lô  lindè- 
man de  Tabayi  de  Biôlë)  Dzâtyè  dà  Gran  y  on  te 
tBiiye  hin  de  prl  yè-r-a  né  r     Yd  dzbypsé  de  vb  veral 

La  Maryon.  —  Pu  k^  ni  a  dp,  kp  pb  la  valts^  nin 
kbnypse  min  a  me,  e  k'in  me  véyin  avoué  mon  tsapi  nàvb 
é  me  bi  nyâ,  le  prdnye  invya  dé  me  chatà  à  kou. 

l^a  Janèt'.  —    Le  varé    kp   rire  té  la  pyp   bala   dé 

TRADUCTION 

Lendemain  de  fête. 

I. 

Jeannette  (femme)  de  Samuel  (à  sa  fille  Marie,  le  len- 
demain de  la  fête  de  Bioley).  Jacques  du  Grand  Clos  te  tenait 
bien  de  près  hier  soir?     Je  jouissais  de  vous  voir! 

Marie.  —  Puis  qu'il  m'a  dit  que  pour  (danser)  la  valse, 
il  n'en  connaissait  point  comme  (à)  moi,  et  qu'en  me  voyant 
avec  mon  chapeau  neuf  et  mes  beaux  nœuds  (rubans),  il  lui 
prenait  envie  de  me  sauter  au  cou. 

Jeannette.  —  C'est   vrai   que   c'était  toi  la  plus  belle  de 


TEXTE  DU  GROS-DE-VAUD  71 

tbtè.  Dzatye  lia  pu  atindu  de  roîw'  d^r^:  l'a  prà 
vu  bil 

La  Maryon  (in  sorizin).  M'in-n-a  kontâ  de  tbtè 
lè  sorte  è  liin  tan  rckafalâ  ks  vie  cJiinid  adi  la  vintro 

(kan  l'a-z-u  sondzi  on   mômsnè)  Le  ta  pare  gayâ 

dzinti . . .  Dzâtycl 

La  Janèt'.  —  Âl  vie  pinsb  k?  le  dzinti,  è,  t9  nd 
di  pa,  avoué  sin  Ib  méyà  parti  kd  ley  ose  bin  lyin  è 
bin  lârdzol . . .  (tô  pyan)  In  te  rampnin  fa-t-s  pàtitr' 
bayi  a  chintrs ...  .r 

La  Maryon.  —  Ô  ve!  de  dâtre  mb  kd  ma  ludzi 
à  pert3  de  Vdroy9^  inks,  à  ba  de  z'ègrâ.,  kan  l'a  vbyu 
parti.,  yé  de  suito  devina  kd  l'ave  rndou  fan...',  r 

La   Janèt'.  —    Ve-tou,  Maryon,    S3   sin  alâv'e  saré 

toutes.  Jacques  n'a  pas  attendu  de  l'entendre  dire:  il  a  vu 
assez  clair! 

Marie  (en  souriant).  II  m'en  a  conté  de  toutes  les  sortes 
et  nous  avons  tellement  ri  que  je  m'en  sens  encore  le  ventre 
malade...  (après  un  petit  moment  de  rêverie)  Il  est  quand  même 
bien  gentil...  Jacques! 

yeannette.  —  Ah!  je  crois  bien  qu'il  est  gentil,  et,  tu  ne 
dis  pas  avec  ça  le  meilleur  parti  qu'il  y  ait  à  dix  lieues  à  la 
ronde  (bien  loin  et  bien  large)  ! . . .  (tout  doucement)  En  t'accom- 
pagnant  (à  la  maison)  t'a-t-il  peut-être  donné  à  entendre  ...  ? 

Marie.  —  Oh  oui!  à  quelques  (deux-trois)  mots  qu'il  m'a 
glissés  au  trou  de  l'oreille,  là,  au  bas  des  escaliers,  quand  il  a 
voulu  partir,  j'ai  de  suite  deviné  qu'il  avait  bien  envie...!? 

yeannette.  —  Vois-tu,  Marie,  si  ça  allait  (si  ça  aboutissait 


*  La  coutume  veut,  dans  le  Gros-de-Vaud,  comme  ailleurs, 
que  le  danseur  qui  accompagne  sa  danseuse  chez  elle  l'em- 
brasse en  la  quittant,  ce  que  Marie  sous-entend  ici  en  pronon- 
çant les  paroles   «  glisser  deux-trois  mots,  etc.  » 


72  OCTAVE  CHAMBAZ 


tan  kontintal  È  t3  pà  kontâ  ke  ton  pér^  n3  rpfusère 
rin  pb  Ib  trbsi,  n'ôsi  pouërp . .  .1  Sarè-tou  pa  h3néz\ 
tè  asabin  ? 

La  Mary  on.  —  Ma  sondza  ve,  niera,  on  gale  valè 
dinchall 

La  Janèt'.  —  Lb  kreybl...  Pu  alà  à  Gran  yoiil 
tsi  le  pyp  grô  payisan  dà  valàdsbl  ?.. .  (ona  manut'  apri) 
Maryonl  atyuta  me  ! 

La   Mary  on.   —  Kè  và-tou^  mer 3? 

La  Janèt'.  —  Té  fà  fatmdrp,  dûzbrinlé,  ma  poura 
Mary  on,  a  avf  de  masè  de  dzalàzè,  pc  lou  mondb... 

II. 

Dzâtyè  dâ  Gran  ;^ou  (lô  mimou  dzô,  a  s' n  ami 
Djan,   in  bévasin  dami-po   à  kabarè  de  kamon).   Sa  yé 

rizii^  yc-r-a  né! 

Djan.   —   Avoué  la  Mary  on  a  Samin,  à  tyé  ? 

à  un  mariage),  je  serais  si  contente!  Et  tu  peux  compter  que 
ton  père  ne  refuserait  rien  pour  le  trousseau,  n'aie  pas  peur 
(litt. :  n'ayez  peur)...!  Ne  serais-tu  pas  contente,  toi  aussi? 

Marie.  —  Mais  songe  donc,  mère,  un  joli  garçon 
comme  ça!! 

Jeannette.  —  Je  le  crois  ! . . .  Puis  aller  au  Grand  Clos  ! 
chez  les  plus  gros  paysans  du  village!?...  (une  minute  après) 
Marie!  écoute-moi! 

Marie.   ~  Que  veux-tu  (dire),  mère? 

Jeannette.  —  Il  faut  t'attendre,  dorénavant,  ma  pauvre 
Marie,  à  avoir  un  grand  nombre  de  jalouses,   par  le  monde... 

II. 

Jacques  du  Grand  Clos  (le  même  jour,  à  son  ami  Jean, 
en  buvant  un  demi -pot  à  l'auberge  communale).  Si  j^ai  ri,, 
hier  soir! 

Jean.  —  Avec  (la)  Marie  de  (à)  Samuel,  ou  quoi? 


TEXTE  DU  GROS-DE-VAUD  73 

Dzatyè.   —   Just". 

Djan.  —  Le  vâ-îoii  a  de  bon  . . .  .- 

Dzâtyè.   —   Mè  kre-toii  as?  dâdoii  r '. 

Djan.  —  X?  savé  pa . . .  de  yàdzh  r  Kan  11?  pa- 
troudzè  pu  din  la  voiiarga  e  kp  le  dekou'enùy?  /'?  tan 
se  pou  boiina  fason . . .  .- 

Dzâtyè.  —  Le  dâ  i^ro  tropi^  e  onkh  y3iia  de  ponte. 
IL,  se  dp  intre  no,  le  ona  grocha  bpdonnia  a  koui  on 
pâ  fer  inkrerp  stn  le  on  va:  prin  tù  ph  bonna  innn/a ... 
Pâsè  ph-r-on  yâdzh...   A  la  tyon.nal 

D j a n .   —   De  minihl 

(Ka  déchu  l'an  retapa  p6  dami-pô  è  Tan  dèvaza 
d'ôtyiè  d'ôtrô). 

yacqitcs.  —  juste. 

'Jean.  —  Y  vas-tu  pour  de  bon? 

yacques.  —  Me  crois-tu  aussi  nigaud?! 

yean.  —  Je  ne  savais  pas...  des  fois?  Quand  elle  ne 
patauge  pas  dans  la  boue  et  qu'elle  est  décrassée,  elle  a  tant 
soit  peu  bonne  façon? 

yacques.  —  Elle  est  du  gros  troupeau,  et  encore  une  des 
laides.  Puis,  soit  dit  entre  nous,  c'est  une  grosse  niaise  à  la- 
quelle on  peut  faire  accroire  ce  que  l'on  veut:  elle  prend  tout 
pour  bonne  monnaie . . .  Passe  pour  une  fois ...  A  la  tienne  ! 

yean.   —   De  même! 

([Que]    Là-dessus    ils    ont    frappé    de   nouveau    pour    [un] 

demi-pot  et  ont  causé  d'autre  ciiose). 

Octave  Chambaz. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages 

Au  lecteur  .........         i 

L.  Gauchat,  Nos  patois  romands  ....        3 

C.  Fleuret,  A  la  foire   (Dialogue  en  patois  de  Bernex, 

Genève)  ........       25 

E.  Tapfolet,  Mots  d'origine  allemande  pour  désigner 

le  taureau        ........  27 

L.  Gauchat,  Etymologies:  p»fO,  pila    ....  28 

F.  IsABEL,  Un  fenil  aux  Ormonts  (Alpes  vaudoises)   .  30 
J.   Jeanjaouet,    La    konta    d   Pakâiii    (randonnée    en 

patois  de  Champéry,  Valais)        •         •         •         ■       33 
L.  Gauchat,    Le  lit  è  la  gnt   (patois   de  la  Montagne 

neuchâteloise) 38 

J.  Jeanjaquet,  Et\'mologies  :    La  •' fnteille  »,  citchyèva, 

àtidèna    .........       40 

L.  Gauchat,  La  dernière  page  de  l'histoire  du  patois 

à  la  Chaux-de-Fonds 46,  57 

—  Addition  aux  n"^  1—2  du  Bulletin    ....      56 
O.  Chambaz,    Lindèman   de  fita   ^Dialogue   en  patois 

du  Gros-de-Vaud)         ......       70 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du   Glossaire. 


DEUXIEME  ANNEE 
1903 


BERNE 

BUREAU  DU   GLOSSAIRE 

Hallerstrasse  39 


L  AGGLUTINATION  DE  LWRTICLE 

DANS  LES  MOTS  PATOIS 


On  sait  que  le  mot  lendemain  remonte  à  une  formation  latine 
in  de-mane,  qui  a  donné  régulièrement  en  ancien  français 
endemain.  Nous  retrouvons  cette  forme  dans  l'italien  indomani 
et  dans  certains  patois,  comme  par  exemple  celui  de  la  Vallée 
de  Joux,  où  l'on  dit  indnnan.  La  présence  de  17  dans  le  mot 
moderne  lendemain  s'explique  par  le  fait  que  l'article  défini, 
qui  accompagnait  très  souvent  le  mot,  a  fini  par  faire  corps 
avec  lui,  à  en  devenir  une  partie  intégrante  et  inséparable. 
C'est  ce  phénomène  qu'on  désigne  sous  le  nom  d'  «  agglutina- 
tion, »  et  l'on  dit  que  telle  particule,  comme  article,  pronom 
(par  exemple  dans  le  mononcle  pour  foncle),  préposition  {la 
dinde  pour  la  [poule]  d'/nde,  etc.),  s'est  «agglutinée»  au  mot 
qu'elle  précédait. 

Les  cas  de  ce  genre  sont  bien  plus  fréquents  dans  les  patois 
que  dans  la  langue  littéraire,  et  la  raison  en  est  facile  à  com- 
prendre. Les  formes  d'une  langue  qui  s'écrit  sont  bien  autre- 
ment gravées  dans  la  mémoire  de  ceux  qui  parlent  que  celles 
d'un  idiome  qui  ne  s'écrit  guère.  Combien  de  fois  le  patois 
n'hésite-t-il  pas  entre  deux  ou  trois  formes  ou  façons  de  dire, 
là  où  le  français  académique  plus  rigide,  plus  soucieux  de  cor- 
rection que  le  langage  populaire,  a  réduit  par  élimination  l'an- 
cienne variété  de  formes  !  Cet  état  d'hésitation,  propre  à  tous 
les  idiomes  qui  ne  connaissent  pas  le  correctif  de  l'écriture^ 
est  la  cause  générale  de  l'agglutination,  qui,  en  dernier  lieu^ 
n'est  autre  chose  qu'une  erreur  non  corrigée. 


4  E.    TAPPOLET 

Nous  ne  parlerons  pour  cette  fois  que  de  l'agglutination  de 
l'article. 

On  peut  distinguer  plusieurs  types,  selon  la  forme  ou  la  partie 
de  l'article  qui  se  soude  au  mot  suivant.  Voici  ceux  qui  sont 
représentés  dans  les  patois  de  la  Suisse  romande  : 

I.  Type  :  le  lendemain. 

Citons  d'abord  les  exemples  que  nos  patois  possèdent  en 
commun  avec  le  français  : 

1 .  lo  lindhnan  est  la  forme  usitée  dans  presque  tout  le  do- 
maine, je  ne  trouve  l'ancienne  forme  sans  article  que  dans  la 
Vallée  de  Joux  :  lou  indeman. 

2.  le  lierre,  du  latin  hedera,  en  ancien  français  ierre,  sem- 
ble avoir  partout  l'article.  Il  est  indigène  dans  le  canton  de 
Vaud  :  laira  ^  et  en  Valais  :  lair?^  (Vionnaz),  où  il  a  conservé 
le  genre  étymologique  féminin,  tandis  qu'il  est  d'importation 
récente  dans  les  patois  neuchâtelois,  où  la  Béroche,  par  exemple, 
dit  lyér,  forme  française,  comme  le  démontre  le  développement 
normal  de  è  latin  dans  lepore>  lâH'ra,  mel>  jnâ^,  etc. 

3.  le  loriot  se  dit  loriol  d'après  Bridel,  forme  agglutinée 
comme  en  français,  mais  qui  a  conservé  1'/ finale  de  aureo- 
lum,  si  ce  n'est  pas  une  simple  graphie.  Le  Glossaire  genevois 
de  Humbert  donne  louriou  et  ouriou. 

4.  le  landier,  chenets  de  cuisine,  en  ancien  français  andier, 
apparaît  sous  la  forme  lindai  (Bridel)  dont  le  in  pour  an  nous 
fait  douter  de  l'étymologie  amitarium  proposée  par  Meyer- 
Lùbke,  Einfiihrung  in  die  ro?nanische  Spraclnuissenschaft, 
p.  25. 


*  Leirein,s.ra.,  dans  le  Glossaire  de  Bridel,  semble  remonter  à 
hedera  +  inum. 

^  On  s'attend  à  *  laira  d'après  ya/Vra,  fièvre;  laivra,  lièvre.  Le 
mot  aurait-il  subi  l'analogie  de  la  classe  nombreuse  des  mots  en 
-air9  de  -aria m,  tels  que  tsèraird , pèraird , favaird ,  ou  est-ce  une 
influence  du  français  ? 


AGGLUTINATION   DE    I.'aRTICLE   DANS   LES   MOTS   PATOIS        5 

5.  la  luette^oMxVuette,  du  latin  populaire  uvitta,  se  dit  dans 
le  canton  de  Vaud  luetta,  aluetta  (sur  cette  formation  voir 
plus  loin)  et  louette  (Genève,  Fribourg). 

Quand  et  où  la  fusion  avec  l'article  s'est-elle  produite  dans 
ces  mots  ?  Nous  ignorons  l'un  et  l'autre.  Il  n'est  pas  probable 
cependant  qu'elle  se  soit  opérée  chez  nous  indépendamment 
des  formes  françaises. 

Par  contre,  l'agglutination  est  indigène  dans  les  exemples 
suivants  : 

6.  Lo  livro«  pis  de  la  vache,»  du  latin  uber,  «  pis,  mamelle,  » 
qui  s'est  conservé  en  outre  dans  certains  patois  italiens,  en 
espagnol,  en  portugais  et  en  roumain,  toujours  sans  agglutina- 
tion*. Ce  qu'il  y  a  d'intéressant,  c'est  que  la  Suisse  romande 
présente  les  deux  formes  du  mot  :  livro  et  ivro^  avec  ou  sans 
agglutination.  Il  faut  user  de  grandes  précautions  en  interro- 
geant les  patoisants  peu  versés  en  grammaire  pour  savoir  si  17 
fait  réellement  partie  du  mot  ou  non  ;  car  le  mot  ne  s'emploie 
guère  au  pluriel  ni  avec  l'article  indéfini  sans  adjectif;  même 
en  posant  la  question  :  Comment  dites-vous  pour  «  un  beau  pis,  » 
«  un  gros  pis  de  vache?  »  les  réponses  :  on  bc-l-ivro,  on  byà-l-ivro, 
on  grô-l-ivro  ne  prouvent  pas  péremptoirement  que  l'agglutina- 
tion existe,  car  plusieurs  patois,  surtout  dans  le  Jura  bernois, 
•disent  couramment  ïnptc-\-èn,  «  un  petit  âne,  »  ïn  grd-\-èn,  «  un 
gros  âne,  »  în  pté-\-bch\  ïn  grô-\-ûch\  «  un  petit,  un  gros  os,  » 
sans  dire  une  seule  fois  la  Yen  ni  la  \bch.  L'intercalation  de 
cette  /  s'explique  par  des  cas  où  1'/  est  légitime,  comme  dans  : 
sXèn.,  «  cet  âne,  »  de  e  c  c  e  i  1 1  u  m  a  s  i  n  u  m  et  ?«  ^/l  r«,  ïn  bé\  à  je 
de  bellum.  C'est  là  une  autre  espèce  d'agglutination  partielle 
ou  mieux  «  accidentelle  »,  qui  a  sans  doute  contribué  à  affermir 
dans  la  mémoire  les  formes  agglutinées  avec  l'article.  Pour 
être  bien  sûr  de  la  présence  de  ces  dernières,  il  faut  se  faire 
dire  en  patois,  par  plusieurs  personnes,  des  phrases  telles  que  : 


'  Certains  dialectes  rétoromans  connaissent  les  formes  agglu- 
titiées  liivro,  livro.  Voyez  iSiigra,  Arch.  glott.  XV,  p.  ii8. 


6  E.    TAPPOLET 

«  elle  a  le  pis  bien  plein,  »  «  son  pis  est  vide  depuis  long- 
temps, »  «  on  voit  bien  qu'elle  a  mal  an  pis ^  »  etc. 

Voici  maintenant  la  répartition  géographique  des  deux  types 
zvro  et  livro  dans  nos  patois.  Commençons  au  Nord  :  le  Jura 
bernois  dit  aussi  généralement  iit'r  que  Neuchâtel  dit  ivr.  Les 
exceptions  sont  ici  du  plus  haut  intérêt,  car  elles  confirment  la 
règle  constante  d'après  laquelle  le  Vallon  de  Saint-Imier,  la 
Montagne  de  Diesse  et  la  colonie  protestante  de  la  Ferrière 
vont  avec  Neuchâtel  ;  on  y  dit  zYr,  de  même  qu'à  Tramelan, 
dont  le  patois  est  aussi  isolé  à  d'autres  égards.  Dans  le  patois 
de  Fribourg,  c'est  de  nouveau  la  forme  agglutinée  (liivrou  ou 
lurou)  qui  prédomine  ;  la  Basse-Gruyère  dit  surtout  uvro,  iiro. 
De  35  localités  étudiées,  8  seulement  ont  conservé  la  forme  nor- 
male de  uber.  Le  canton  de  Vaud  est  partagé:  lïvro  dans  le 
Gros-de-Vaud  et  à  l'Ouest  dans  tous  les  villages  qui  ne  disent 
pas /(j'/ ou  pyé  {à.ç.  pectus,  cf.  lyé  <lectum);  ïvro  au  Nord- 
ouest  (district  de  Grandson  et  Yverdon)  et  dans  toute  la  partie 
Est  du  canton  (Alpes  vaudoises  et  vallée  du  Rhône).  Quelque 
divergentes  que  soient  les  formes  valaisannes  de  uber:  fvro^ 
uvro,  œryo,  éryo,  ourys,  ougro,  oubro,  etc.,  il  ne  se  trouve  nulle 
part  de  forme  agglutinée.  —  Genève  dit  pyè,  plyè,  comme  une 
grande  partie  de  l'Ouest  du  canton  de  Vaud. 

On  voit  par  là  que  les  formes  agglutinées  ne  font  pas  suite  les 
unes  aux  autres  ;  Neuchâtel  est  cette  fois  conservateur  vis-à-vis 
de  Berne  et  de  Fribourg,  et  on  ne  peut  admettre  que  l'aggluti- 
nation se  soit  propagée  du  Sud  au  Nord  ni  du  Nord  au  Sud  ; 
elle  doit  être  née  indépendamment  à  plusieurs  endroits. 

Ajoutons  que  la  forme  agglutinée  a  passé  dans  le  français 
populaire  du  pays  romand.  A  la  question  :  Comment  dites-vous 
pour  «  le  pis  de  la  vache  ?  »  on  m'a  corrigé  plus  d'une  fois  en 
me  disant:  vous  entendez  le  livre,  n'est-ce  pas?;  ou  bien  on 
m'explique  :  chez  nous  on  dit  h  pyé,  en  français  c'est /^  livre 'A 


*  Mentionnons  un  curieux  pendant  de  livre  que  nous  offre  un 
patois  de  la  Suisse  allemande.  A  Zollikon,  près  Zurich,  on  trouve 


AGGLUTIXATIOX   DE    L'aRTICLE    DAN'S    LES    MOTS    PATOIS         7 

Les  autres  exemples  d'agglutination  sont  tous  d'un  usage  très 
local. 

7.  «Le  nombril»  se  dit  lambouret  di  Genève,  forme  agglu- 
tinée de  umbilicu  +  ittu.  Ce  mot  présente  les  formes  les 
plus  irrégulières  dans  tous  les  idiomes  romans:  tantôt  c'est  l'ar- 
ticle défini  qui  s'est  ajouté,  tantôt  la  première  syllabe  du  mot, 
prise  pour  l'article  indéfini,  s'est  détachée.  Nous  parlerons  plus 
loin  de  ce  dernier  procédé  '. 

S.  Un  troisième  mot  désignant  une  partie  du  corps,  c'est 
«  l'orteil  »  de  articulus.  Le  mot  patois  correspondant  semble 
avoir  subi  l'agglutination  à  Saint-Biaise  et  à  Cressier  (Neuchâtel), 
où  on  dit  lèrtè,  h  grà  lèrtè  (voir  Zauner,  /.  c,  p.  140). 

On  peut  citer  ensuite  trois  noms  d'animaux  : 

9.  Lanvoué  «  orvet,  »  forme  attestée  pour  Dompierre  (Gau- 
chat,  Le  patois  de  Dompierre^  ?•  54'  et  pour  Saint-Cergues,  Le 
glossaire  de  Bridel  donne  anvoué.  C'est  sans  doute  un  diminutif 
de  anguis:  *anguittum.  Le  Jura  bernois  dit  dinvoua 
«  orvet  »,  dont  le  d  étonne.  Quant  à  la  forme  cxnvert  que  donne 
Bonhôte,  Glossaire  fieuchâtelois,  on  pourrait  y  voir  une  conta- 
mination de  notre  anvoué  avec  lanzer  ou  lainzer,  qu'on  trouve 
dans  le  même  sens  de  «  orvet  »  dans  les  glossaires  de  Bridel  et 
de  Callet. 

10.  livèrna,  s.  f.  (pluriel  lé  livcrne)  «  orvet  »,  à  l'Auberson 
près  Sainte-Croix,  de  hiberna,  appelé  ainsi  à  cause  de  son 
sommeil  hivernal. 

11.  lut  s  ér  an  {lut  s  ér  ou,  lut  cher  ou,  lut  serin  ;  lucheran  [Hum- 
bert]),  «hibou,  chouette,»  dans  les  cantons  de  Fribourg,  Vaud 
et  Genève.  Le  mot  est  probablement  dérivé  de  *huccare 
«hucher,  appeler  en  criant,  »  en  patois  utchi.  A  côté  de  utchi. 


sHtcr  au  lieu  de  uter,  forme  dialectale  habituelle  de  Eu  ter  «  pis.  » 
L'5  illégitime  provient  des  articles  tant  défini  qu'indéfini  :  das  et 
es  pour  eines.  (Voir  Schweis.  Idiotikon,  I,  606.) 

'  Voir  les  désignations  romanes  du  nombril  dans  Zauner,  Die 
ro)namschen  Namen  der  Kôrperteile,  p.  161- 164. 


6  E.    TAPPOLET 

nous  trouvons  jouUi,  jouiséyi  (radical  youts4-  idiare),  qui 
viennent  sans  doute  de  l'allemand  suisse  juc^se",  «  pousser  des 
cris  de  joie,  »  mot  qu'on  emploie  aussi  tout  particulièrement 
pour  les  cris  peu  joyeux  du  hibou  '. 
Restent  plusieurs  cas  isolés  : 

12.  /dfa,  s.  f.  «la  hotte,»  mot  fort  répandu  dans  les  patois 
de  Vaud  et  de  Fribourg.  Il  vient  de  l'allemand  méridional: 
Auf/e  {u  fort  ouvert),  «  panier  à  bretelles.  »  Les  dérivés  et 
composés  de  ce  mot  présentent  aussi  la  forme  agglutinée  :  ex  : 
Ibtârs,  Ibtayd  ;  tsdvô  de  Vota  «  chevalet  à  trois  pieds  sur  lequel 
on  pose  la  hotte  pour  la  remplir.  » 

13.  /(?  loquet  pour  «le  hoquet,»  forme  attestée  dans  le  fran- 
çais régional  de  Genève,  Neuchâtel  et  Fribourg. 

14.  h  là  «  le  haut,  le  sommet  »  (Ormonts),  mot  que  je  dérive 
de  l'adjectif  à,  àta,  «  haut.  » 

Dans  ces  trois  mots  l'aspiration  n'a  pas  empêché  l'agglutina- 
tion de  se  produire,  non  plus  que  dans  le  français  /e  layon,  fer- 
meture d'une  voiture  de  déménagement,  qu'on  dérive  de  \\ayon, 
haie,  ail.  haag. 

15.  landiule,  en  français  populaire  de  Genève  longeole 
(Humbert),  correspond  au  français  «andouille.  » 

16.  luiset  a  le  sens  de  «  petite  lucarne  »  à  Genève  (Humbert)  ; 
des  formes  analogues  se  rencontrent  en  Valais  et  dans  le 
canton  de  Fribourg  avec  le  sens  de  «  contrevent,  »  et  rendent 
probable  la  dérivation  de  ostium>  franc,  huis. 

17.  loirie  au  lieu  de  hoirie,  mot  vieilli  pour  «héritage,»  est 
donné  par  Humbert  comme  usité  à  Genève. 

18.  louèytan,  «mesure  pour  les  droits  d'alpage  »  (Evolène), 
dérive  de  octo  et  devait  être  à  l'origine  ouèytan. 

{A  suivre.)  E.  Tappolet. 


*  Quant  à  la  iorme.  yntséyi  que  donne  Bridel,  je  me  l'explique 
par  une  contamination  de  iitsi  «  hucher,  »  et  youtsi.  Lutsévi 
^Bridel)  semble  être  dérivé  du  substantif  agglutiné. 


LES  PARTIES  DU  VISAGE 

DANS  LES  LOCUTIONS  POPULAIRES  DE  LA  GRUYÈRE 

-4— 


On  a  souvent  dit  qu'une  langue  ne  se  compose  pas  de  mots, 
mais  de  phrases  dont  les  éléments  gisent  en  partie  tout  faits 
dans  notre  mémoire,  prêts  à  donner  une  forme  aux  pensées 
multiples  qui  traversent  journellement  notre  esprit.  L'originalité 
d'un  parler  ne  consiste  pas  seulement  dans  l'emploi  de  cer- 
taines formes  caractéristiques,  de  certains  mots  restreints  à  un 
petit  territoire,  mais  encore  dans  la  façon  dont  les  mots  usuels 
se  combinent  en  tours  de  phrases,  pour  revêtir  une  nuance  de 
la  pensée.  Les  mots  sont  les  matériaux  bruts  qui  ne  prennent 
vie  que  dans  le  corps  de  la  phrase.  Comme  le  Glossaire  a.  pour 
but  de  refléter  aussi  complètement  que  possible  la  langue  d'au- 
trefois du  pays  romand,  c'est-à-dire  la  forme  de  sa  pensée, 
nous  ne  saurions  assez  recommander  à  nos  collaborateurs  de 
bien  envisager  sous  tous  leurs  aspects  et  dans  leurs  multiples 
combinaisons  les  mots  qui  constituent  le  vocabulaire  patois. 

Pour  donner  une  idée  de  la  variété  de  sens  et  d'emplois 
des  mots  les  plus  communs,  nous  extrairons  de  la  riche  collec- 
tion de  locutions  gruyériennes  composée  pour  le  Glossaire 
par  M.  Louis  Ruffieux  celles  qui  renferment  les  noms  des 
diverses  parties  du  visage. 

Nous  laisserons  de  côté  les  nombreuses  locutions  communes 
à  la  langue  littéraire  et  au  patois  et  nous  ne  citerons  que  celles 
qui  paraissent  intéressantes  à  un  titre  quelconque.  Remarquons 
toutefois  que  plusieurs  locutions  françaises  se  retrouvent  en 
patois  avec   une   signification  un    peu  détournée,    avec  une 


lO  L.    GAUCHAT 

nuance  spéciale,  comme  avi  bon  nd,  «  avoir  bon  nez,  »  qu'on 
emploie  aussi  dans  un  sens  ironique  :  fd  bon  nd  de  vini  ché, 
«tu  as  bon  nez  de  venir  ici,  »  =tu  viens  inutilement;  che  fér' 
i?ri  pc  rbrblyd,  «  se  faire  tirer  par  l'oreille,  »  =:  se  faire  désirer. 
Quelquefois  un  mot  changé  d'une  locution  française  imprime 
un  caractère  propre  à  la  locution  patoise,  comme  dans  trér'  di 
grà-j'-yè,  «  sortir  de  gros  yeux,  »  etc.  Une  variante  d'une  locu- 
tion établit  souvent  une  nuance  assez  délicate:  n'a  pd  dèchard 
le  bbtsè,  «  il  n'a  pas  desserré  les  lèvres,  »  a  le  sens  ordinaire  de 
«  il  n'a  rien  dit,  »  tandis  que  n'a  pd  dèchard  le  pble,  où  l'on 
emploie  le  mot  plus  grossier,  ajoute  au  sens  indiqué  «  il  n'a 
rien  dit  »  la  nuance  <'  et  pour  cause.  » 

Les  locutions  que  nous  énumérons  démontrent  les  facultés 
d'observation  du  peuple  qui  les  a  créées,  comme  //r'  di  prhnè 
bbtsè,  «  faire  des  minces  lèvres,  »  =  paraître  mécontent,/»'  la 
grbba  pbta,  «  faire  la  grosse  lèvre,  »  =  bouder,  etc.  Mais  elles 
sont  surtout  dues  à  la  généralisation  de  certaines  situations  ou 
à  un  simple  jeu  de  l'imagination.  Sous  ce  rapport,  ce  sont  les 
yeux,  «  le  miroir  de  l'âme,  »  qui  ont  le  plus  donné  lieu  à  la 
création  de  dictons,  puis  vient  le  nez,  qui  est  si  souvent  l'objet 
de  la  raillerie,  puis  l'oreille,  et  enfin  les  lèvres  et  la  bouche  ;  les 
autres  parties  du  visage  ne  se  rencontrent  guère  dans  les  locu- 
tions caractéristiques  du  langage  rustique. 

Nous  n'avons  pas  la  prétention  de  donner  pour  gruyériemies 
des  locutions  répandues  en  partie  dans  toute  la  Suisse  romande 
et  ailleurs.  Les  locutions  voyagent  vite,  elles  sont  facilement 
traduites.  J'ai  été  surpris  de  retrouver  en  patois  fribourgeois 
un  assez  grand  nombre  de  locutions  usitées  dans  le  canton  de 
Berne  ;  ainsi  le  dicton  bien  connu  ntit  ich'  goiaf  fur  d  oouga 
est  rendu  en  fribourgeois  par  rin  lyè  bon  pb  lè-j'-yè,  «  il  n'y  a 
pas  de  remède  pour  les  yeux.  »  Telle  locution  frappée  au  coin 
du  bon  sens  a  fait  le  tour  du  monde.  Notre  désignation  de  locu- 
tions gruyériennes  n'indique  donc  que  le  lieu  où  elles  ont  été 
constatées,  non  leur  origine. 


LES    l'ARTIKS   DU   VISAUE,    I.OCUTIOVS   DE   LA   (IKUVERK        II 

L'ŒIL. 

•  J^an  on-n-a  ma  i-j-yè  i  n  /<>  Ir  tbtchi  tyc  avi  lè-j-èrtè, 
«  quand  on  a  mal  aux  yeux,  il  ne  faut  les  toucher  qu'avec 
les  orteils,  »  =  pas  du  tout;  avi  on  tèvi  dèvan  lè-J-yè,  «  avoir 
une  planche  devant  les  yeux,  »  =  ne  pas  comprendre  ses  inté- 
rêts; avi  lè-j-yc  in-n-ctsarpa,  «  avoir  les  yeux  en  écharpe,  » 
=  même  sens  ;  avi  l  ka  pri  di-J-yè,  «  avoir  le  cœur  près  des 
yeux,  »  =  pleurer  facilement;  i  n  H  chabt-è  tye  lè-j-ye  po  plybrd^ 
«  il  ne  lui  reste  que  les  yeux  pour  pleurer,  »  =  il  est  dénué 
de  tout  ;  i  n  m'a  pd  balyi  chin  k  pbri  me  grava  din  l'yè,  «  il  ne 
m'a  pas  donné  ce  qui  pourrait  me  gêner  dans  l'œil,  »  =  rien 
donné;  avi  dou  travô  pè  chu  lè-J-yè,  «  avoir  du  travail  par- 
dessus les  yeux  ;  »  /  chrc  pb  inè  trér'  lè-j'-yè  de  la  tida,  «  il  serait 
pour  me  tirer  les  yeux  de  la  tête,  »  ^  très  irrité  ;  avi  oun'  yè  k 
chè  fb  de  Vâtrb,  <  avoir  un  œil  qui  se  fiche  de  l'autre,  ">  =  lou- 
cher ;  avi  oun'  yè  k  di  mèrda  a  Vétro  (variante  grossière  du 
dicton  précédent)  ;  avi  ply3  g>'ô-j-yc  tyè  grà  viniro,  «  avoir 
[de]  plus  gros  yeux  que  gros  ventre,  »  =  avoir  peu  d'appétit; 
r9ri  l' yè,  «  tourner  l'œil,  »  =  mourir  ;  /  n'a  pd  frè  i-j-yè,  «  il 
n'a  pas  froid  aux  yeux,  »  c'est-à-dire  les  yeux  enflammés,  =  il 
est  amoureux,  etc.... 

LE  NEZ. 

N  pd  chè  léchi  pacha  la  bouts'  dèjb  l  nd,  «  ne  pas  se  laisser 
passer  le  fétu  de  paille  sous  le  nez,  »  =  être  susceptible  ;  avi 
di  mbtsè  din  l  nd,  «avoir  des  mouches  dans  le  nez,  »  =  être 
contrarié  ;  on  fts"  ?îd,  «  un  fiche-nez,  >^  =  un  fureteur  ;  avi  chi  pi 
de  tèra  chu  1 7id,  «  avoir  six  pieds  de  terre  sur  le  nez,  »  =  être 
enterré  ;  balyi  chu  l  nd,  =  punir  ;  avi  chu  l  nd,  =  être  puni  ; 
avi  l  nd  de  bou  fera  de  hlyou,  «  avoir  le  nez  de  bois  ferré  de 
clous,  »  =  trouver  porte  close  (  «  visage  de  bois  »)  ;  chè  trér' 
l  nd  pb  fér'  vèrgbny'  a  che  dzoutè,  «  se  tirer  le  nez  pour  faire 
honte  à  ses  joues,  »  =  être  dupe  de  soi-même,  etc.... 


12  L.    GAUCHAT 


L'OREILLE. 


Pri'ndr'  la  levra  pè  Ic-j-brolyè,  «  prendre  le  lièvre  par  les 
oreilles,  »  =:  saisir  une  occasion  ;  tini  l  là  pè  lè-j-orolyè,  «  tenir 
le  loup  par  les  oreilles,  »  =  être  dans  une  position  embarras- 
sante ;  le-j-brblye  n  grâvon  pd  i-j-àno  de  porta  h  bd,  «  les 
oreilles  n'empêchent  pas  les  ânes  de  porter  le  bât,  »  =  même 
l'âne  peut  rendre  des  services;  on-n-a  djèmé  jou  yu  oun'  dno 
a  kouriè-J-brblyè,  «  on  n'a  jamais  eu  vu  un  âne  à  courtes 
oreilles,  »  =  les  sots  sont  toujours  orgueilleux  ;  lè-j-brblyè  me 
chiiblyon,  troupa  mè  chu  l  pi  gàtsb,  «  les  oreilles  me  sifflent, 
marche-moi  sur  le  pied  gauche  »  ;  chri  on  ni  de  rate  din 
rbrbly?  d\m  tsa,  «  ce  serait  un  nid  de  souris  dans  l'oreille  d'un 
chat,  »  =  c'est  une  chose  impossible,  etc.... 

LES  LÈVRES. 

I  n  vou  pd  oujd  che  bbtsè  de  prèyi,  «  il  ne  veut  [=  futur] 
pas  user  ses  lèvres  à  prier  »  ;  fér'  la  pbta,  =  faire  la  moue  ;  chi?t 
lyè  a  cha  pota,  «  cela  est  à  sa  lèvre,  »  =  cela  lui  convient,  etc.... 

LA  BOUCHE. 

Balyi  bouna  bâts' ,  «  donner  bonne  bouche,  »  =:  faire  espérer; 
balyi  krouy'  bâts',  =  le  contraire;  oiird  la  bots',  =  parler; 
ûurd  la  bots'  è  nyon  moadr\  «  ouvrir  la  bouche  et  ne  mordre 
personne,  »  =  bâiller  ;  c}ib§d  l  pan  de  la  bats' ,  «  s'ôter  le  pain 
de  la  bouche,  »  =  se  faire  déshériter  ;  lyè  ktnin  la  gouna  à  ihu 
de  Bro,  lya  adi  l  rir'  a  la  bots' ,  »  il  est  comme  la  truie  à  ceux 
de  Broc,  il  a  toujours  le  ris  (riz)  à  la  bouche,  »  (jeu  de  mots 
qui  dénote  la  provenance  française  de  ce  dicton),  etc.... 

L.  Gauchat. 


TEXTE 

-♦- 

Sonnet. 

(Patois  du  Clos  du  Doues,  Jura  bernois.) 

}  a  souc.  i  ô^  kakè  an  le poiotcK  d'mè  tyœfifin'  : 
I  sât  d  dachu  me  sel  -  pb  défrbmè  3  mè  poiistcK  ; 
I  tchoitè  kâzi  à  dô  an  vouèyin  an  le  linn\ 
Din  stîi  k?  s'èmouinnè,  h  dyèl^  ou yiln'^  d  se  soiistcJi . 

■    I ma  rhbtè'^'  bïn  vit',  iy  bèye  ïn  bintcha. 

Tyin  èl  3  bu  ïn  vouer' .  è  m'  dyé:  «  èkout\ pté-l-ann'' ; 
Di  môman  k'  f  tn'é  bïn  rsyè,  i  n'  t3  vœ  p'  fer  d?  ma  ; 
Dâk'  ivïn  d?  l'anféy?,  i  n'  sa'  p'  chd  krouy'  k'èl  sann' . 

I  sœ  an  trin  d'  rblè,  dschu  vbt'  pousr  ptet  bôl\ 
AT?  foèrifi  tb pètcho^ .  pb  l'jnâ  n'éti/i  djmc  sôl^ 
E  ranpyéchin  Vanféyd  d'tb  se  k?  n'fin  'O  p'  h  bïn. 

Min^^,  kman  t?  m'é pyèj'u,  i  f  vœ  dir  s' k'  è  f  fâ  fer' 

Pb  f  sâvè  dd  l'anféy 3  :  pran  inn'  fann' ,  ns  boue  dyèr' . 

Bèy'  è pou3r,  «'  di  d'  ma  d'nyfin  ^'^i  n'anvéy' p'  s'k3  n'a  p'  h  tïu. 

Jules  Surdez. 

TRADUCTION 

Hier  soir,  j'entends  frapper  à  la  porte  de  ma  cuisine, 
Je  saute  de  dessus  ma  chaise,  pour  ouvrir  (défermer)  ma  porte  ; 
Je  tombe  presque  à  la  renverse  en  voyant,  à  la  lune  (au  clair  de 
Dans  celui  qui  «  s'amenait», le  diable  ou  un  de  sa  sorte,     [lune), 

Je  me  remis  bien  vite,  je  lui  donnai  un  petit  banc  (escabeau). 
Quand  il  eut  bu  un  verre,  il  me  dit  :  «  Ecoute,  petit  homme. 
Puisque  tu  m'as  bien  reçu,  je  ne  veux  pas  te  faire  de  mal  ; 
Quoique  je  vienne  de  l'enfer,  je  ne  suis  pas  si  mauvais  qu'il  le 

[semble. 


14  J.    SURDEZ 

Je  suis  en  train  de  rôder  sur  votre  pauvre  petite  boule, 

Me  fourrant  tout  partout,  de  faire  du  mal  n'étant  jamais  las, 

Et  remplissant  l'enfer  de  tous  ceux  qui  ne  font  pas  le  bien. 

Mais  comme  tu  m'as  plu,  je  veux  te  dire  ce  qu'il  te  faut  faire 
Pour  te  sauver  de  l'enfer  :  prends  une  femme,  ne  bois  guère, 
Donne  aux  pauvres,  ne  dis  du  mal  de  personne,  ne  convoite  pas 

[ce  qui  n'est  pas  le  tien.  » 

NOTES 

'  Inf.  oyi,  «  ouïr»,  mot  généralement  employé  dans  la  Suisse 
romande  pour  «  entendre,  »  et  qui  tend  à  être  remplacé  par  ce 
dernier. 

2  sèl,  Neuch.  :  sèl,  Vaud  :  sala  (cp.  bala  de  bellam),  Valais: 
séla  (Vionnaz),  mot  général  pour  «  chaise,  »  semble  remonter  au 
latin  sella,  «  chaise,  siège.  »  Le  sens  primitif  du  mot  «selle  » 
s'est  conservé  en  français  dans  plusieurs  expressions.  La  forme 
fribourgeoise  chôla  reste  à  expliquer. 

■"  défrbmè,  «  défermer,  »  curieux  synonyme  de  œvTd,  «  ouvrir.  » 
Le  patois  connaît  deux  mots  pour  «  fermer  »  (une  porte,  etc.)  : 
syoïir,  «  clore,  »  c'est  la  fermer  sans  faire  usage  de  la  clef  ou  du 
verrou,  c'est  la  fermeture  ordinaire,  eX.frdmè  «  fermer  à  clef.  » 
évT9  est  probablement  l' opposé  de  syofir,  et  défrbmè  celui  de 
frbmè.  Pour  la  formation,  cp.  dclayti,  «  sevrer,  »  contraire  de 
alayti,  «  allaiter  »  (Vaud). 

''  On  s'attendrait  à  dyâl,  d'après  ètâl,  de  stabulum;  djnùvrâl, 
de  diurnum  operabilem;  cp.  aussi  rual{e),  «  diable,  »  de 
rutabulum;  œjrâl,  «érable,»  de  acer  arborem. 

■'  «  un  »  apparaît  toujours  sous  deux  formes,  l'une  accentuée, 
l'autre  non  accentuée  ;  in  comme  article,  (v)m«  comme  nombre 
ou  comme  article  accentué  ;  «  une  »  est  inn'  ou  ènn  dans  les 
deux  cas. 

''  bbtè,  rbbtè;  bouta,  bdtû  (Vaud),  est  le  mot  de  la  Suisse  ro- 
mande pour  «  mettre  »,  qu'on  trouve  cependant  aussi  sous  la 
forme  mantr  dans  le  Jura  bernois. 

''  Pour  l'intercalation  de  cette  /,  voir  plus  haut  p.  5. 

*  La  forme  pètchà  nous  prouve  que  la  composition  de  l'ad- 
verbe «  partout,  »  attesté  du  reste  en  français  dès  le  douzième 
siècle,  est  antérieure  au  passage  de  rf  à  tch. 

''  soi,  de  là  sblè,  «  fatiguer,  »  de  satullare,  sblin,  adj.  «  fati- 
gant, ennuyant.  » 

^^  fin,  «  font,  »  de  même  in,  «  ont^  »  vin,  «  vont.  » 


NOTES  15 

^'  fuin,  forme  très  répandue  pour  «  mais  ;  »  pour  la  nasalisa- 
tion, cp.  mantr,  «  mettre;  »  è  nian,  «  il  met;  »  tiantèyb  «  nettoyer.» 
Aux  Ormonts,  on  dit  matixon,  «  maçon.  »  D'après  ces  exemples, 
la  nasalisation  semble  se  produire  quelquefois  sous  l'influence 
d'une  consonne  nasale  précédant  la  voyelle. 

12  nyiin,  «personne,»  de  necunum,  mot  conservé  dans  toute 

la  Suisse  romande. 

E.  Tappolet. 


NOTES  LEXICOGRAPHIQUES 

-♦- 

I.  touaô',  tyiièidè. 

Un  usage  qui  a  subsisté  dans  le  Bas-Valais  jusqu'à  une 
époque  assez  récente  était  de  présenter  à  l'offrande,  dans  les 
cérémonies  funèbres,  une  miche  de  pain.  Cette  miche,  portée 
dans  la  main  gauche,  pendant  que  la  droite  tenait  un  cierge, 
était  recouverte  d'une  sorte  de  serviette  plus  ou  moins  fine, 
parfois  ornée  de  broderies.  On  donnait  à  cet  accessoire  obligé 
le  nom  de  touad^  (Champéry),  tyucidc  (Liddes).  Il  est  facile  de 
reconnaître  dans  ce  mot  patois,  aujourd'hui  hors  d'usage,  l'équi- 
valent de  l'ancien  français  toaillc,  touaillc,  «  nappe,  serviette.  » 
que  Littré  et  le  Dictiomiaire  général  enregistrent  encore  comme 
mot  vieilli  ayant  le  sens  d'  «  essuie-mains  ». 

C'est  un  terme  d'origine  germanique,  thwahlia,  qui  a  passé 
dans  la  plupart  des  langues  romanes:  ital.  tovaglia,  esp. 
toalla,  prov.  et  port,  toalha.  En  Valais,  le  mot  ne  paraît  pas 
indigène.  La  terminaison  -eidc,  à  Liddes,  ne  peut  pas  remonter 
à  -alia.  Elle  indique  que  le  mot  a  été  emprunté  au  français  à 
une  époque  ancienne,  avec  la  prononciation  tueilh.  A  Cham- 
péry, le  passage  de-eille  à  -aà'  est  régulier.  D'après  Bridel,  les 
patois  du  Jura  bernois  emploient  touallha  avec  la  même  signi- 
fication qu'en  vieux  français:  «nappe,  essuie-mains.  »  A  Mont- 
béliard,  une  nappe  est  également  une  tiuaille  (Contejean,  Dic- 
tionnaire), et  le  Vocabulaire  de  Bournois  (Doubs),  par  Roussey, 
indique  un  diminutif  tyucyoiin,  «  petite  nappe  servant  à  couvrir 
le  panier  dans  lequel  on  porte  le  repas  aux  champs.  » 


l6  J.    JEANJAQUET 

Notons  à  ce  propos  que  le  français  toilette,  avec  la  significa- 
tion primitive  de  «linge  orné  servant  à  recouvrir  la  table  de 
toilette,  »  doit  être  considéré  comme  se  rattachant  à  touaille 
bien  plus  qu'à  toile,  d'où  le  font  dériver  les  dictionnaires 
étymologiques.  Il  y  a  eu  sans  doute  contamination  et  fusion 
des  deux  diminutifs  touaillette  et  toilette,  mais  les  termes  dia- 
lectaux que  nous  venons  de  rappeler  indiquent  que  l'idée  fon- 
damentale appartient  à  touaille. 

2.  fbchèla. 

La  plupart  des  patois  valaisans,  comme  en  général  ceux  de 
la  Suisse  romande,  se  servent  pour  désigner  la  poitrine  du  mot 
cstoma,  qu'ils  font  féminin.  Quelques-uns  des  plus  archaïques 
ont  cependant  conservé  le  dérivé  de  pectus;  ainsi  on  di pyès^ 
à  Miège  et  dans  la  vallée  d'Anniviers.  Mais  Evolène  offre  une 
forme  tout  à  fait  particulière  :  fbchèla.  Contrairement  à  ce  que 
nous  avons  entendu  soutenir,  ce  mot  n'a  rien  à  voir  avec  le 
latin  fauces,  «  gorge  »;  il  correspond  à  un  type  latin  *fur- 
cella,  diminutif  de  furca,  «  fourche,  bifurcation,»  et  désigne 
à  proprement  parler  la  partie  inférieure  de  la  poitrine,  la  région 
où  se  bifurquent  les  côtes.  On  trouve  assez  fréquemment  la 
même  expression  dans  l'ancienne  langue  (v.  les  dictionnaires 
de  DuCange,  y^  fur  cul  a;  Godefroy,  \^  for  celé  ;  Raynouard, 
\°  forselà),  et  elle  a  subsisté  jusqu'à  nos  jours  dans  certains 
patois  de  la  Normandie  et  du  Maine.  En  Suisse,  le  mot  a  dû 
aussi  être  autrefois  beaucoup  plus  répandu  qu'aujourd'hui.  En 
voici  deux  exemples  relevés  dans  des  documents  neuchâtelois 
du  XV«  siècle  :  (f  étranger)  peut  entrer  en  la  vigne  et  pranre 
des  rasins  en  sa  main  et  apoyer  a  sa  forcelle.  (Déclarât,  de 
coutumes,  vers  1450.  Arch.  de  Berne,  coll.  Gaudard).  En  oultre 
a  sentu  ledict  enfant  chault  sus  la  forcelle,  ayant  espérance  que 
ledict  enfaîit  avoit  vie.  (Déposit.  de  témoins,  1474.  Arch.  de 
Neuchâtel,  Reg.  A.  Baillod,  f»  67). 

J.    JEANJAQ.UET. 


UNE   TUILERIE   A   LAVAUX 

AU  XVP  SIÈCLE 

(D'après  les  matinaux  des  conseils  de  l'ancienne  conmmnauté  de   Villette.) 

— î— 


Le  titre  ci-dessus  ne  doit  pas  faire  croire  que  le  Bulletin  veuille 
•empiéter  sur  le  domaine  des  périodiques  consacrés  à  l'histoire,  et 
il  est  bien  entendu  que  c'est  l'intérêt  linguistisque  que  nous  avons 
en  vue  en  insérant  des  articles  du  genre  de  celui  de  M.  Voruz.  Si 
l'on  ne  veut  pas  se  contenter  de  connaître  nos  patois  dans  leur 
•état  actuel,  mais  chercher  à  étudier  leur  développement  et  à  re- 
constituer leur  histoire  au  cours  des  siècles,  on  devra  bien  vite  se 
convaincre  que  les  sources  directes  d'information,  c'est-à-dire  les 
textes  patois,  font  presque  complètement  défaut.  La  littérature 
dialectale,  bien  maigre  et  chétive,  n'est  guère  antérieure  au  XIX« 
siècle.  Les  rares  spécimens  qui  remontent  jusqu'au  XVH^  sont  tout 
à  fait  isolés,  et  au  delà  du  XVII^  siècle,  c'est  à  peu  près  le  néant. 
Dans  ces  conditions,  à  défaut  de  textes  patois  proprement  dits, 
c'est  dans  le  français  provincial  ou  dans  le  latin  barbare  des  docu- 
ments que  le  philologue  est  obligé  d'aller  chercher  les  traces  du 
langage  indigène  de  jadis.  Nos  archives  renferment  en  quantité  des 
textes  qui,  tout  en  voulant  être  du  français,  fournissent  cependant 
un  appoint  des  plus  précieux  à  l'histoire  de  nos  idiomes  locaux. 
Les  anciens  protocoles, les  dépositions  de  témoins,  les  comptes,  les 
inventaires,  les  règlements  de  métiers  et  autres  pièces  du  même 
genre  abondent  souvent  en  termes  techniques  et  en  expressions 
•du  crû,  qui  nous  révèlent,  en  même  temps  que  le  langage  de 
l'époque,  une  foule  de  coutumes  et  d'usages  disparus.  Le  Glos- 
saire des  Patois  ne  s'est  imposé  aucune  limite  chronologique  et 
cherchera  par  conséquent  à  recueillir  et  à  expliquer  tous  les 
mots  qui  ont  appartenu  à  la  langue  du  pays,  quelle  que  soit  leur 
date.  Ces  recherches  sont  le  complément  nécessaire  de  l'étude 


18  H.    VORUZ 

des  parlers  actuels,  qui  en  retirera  le  plus  grand  profit.  L'histoire 
de  certains  mots  s'éclaire  d'un  jour  tout  nouveau  lorsqu'on  étudie 
leur  forme  ou  leur  emploi  dans  les  anciens  textes,  et  pour  les 
régions  oîi  le  patois  est  à  peu  près  éteint,  c'est  seulement  en 
dépouillant  consciencieusement  les  documents  d'archives  qu'on 
pourra  arriver  à  reconstituer  dans  une  certaine  mesure  l'ancien 
vocabulaire. 

Une  tâche  aussi  vaste  réclame  nécessairement  le  concours  de 
nombreux  travailleurs ,  et  c'est  avec  reconnaissance  que  nous 
accueillerons  toutes  les  contributions.  Nous  devons  ajouter  que, 
pour  être  utiles,  ces  travaux  de  dépouillement  demandent  beau- 
coup de  soin  et  d'exactitude.  La  provenance  des  matériaux  doit 
toujours  être  clairement  indiquée  et  l'orthographe  des  originaux 
rigoureusement  conservée,  quelque  bizarre  ou  absurde  qu'elle 
puisse  paraître. 

Dans  les  extraits  qui  suivent,  on  a  imprimé  en  italiques  tous 
les  mots  intéressants  dont  on  retrouve  l'équivalent  eh  patois,  et 
les  formes  du  parler  actuel  de  Lavaux  sont  indiquées  en  note. 
Lorsque  nous  ne  possédions  pas  la  forme  patoise,  lorsque  les 
mots  n'existent  plus  ou  qu'ils  n'appartiennent  pas  à  la  langue 
populaire,  on  a  fait  usage  de  caractères  espacés.  La  comparaison 
avec  les  parlers  d'aujourd'hui  d'autres  régions  permettra  peut- 
être  de  préciser  ou  de  rectifier  les  interprétations  restées  dou- 
teuses. Nous  comptons  sur  les  communications  que  nos  lecteurs 
et  nos  correspondants  voudront  bien  nous  faire  à  ce  sujet. 

La  Rédaction. 


Le  lundi  15  avril  1560,  le  conseil  de  la  commune  de  Villette 
décide  d'élever  une  thiolleyre^  sur  les  monts  de  Lavaux  et  fait 
venir  maître  Grilley,  ihiolley-  à  Baulmes,  pour  choisir  rempla- 
cement le  plus  approprié  et  pour  diriger  la  construction.  Le 
conseil   '  largit'^  le  bois  nécessaire:   5  pièces  de   marrin^ 


^  tuilerie ,  patois  actuel  tyàlard.  —  '  tuilier ,  pat.  tyàlâ.  — 
3  accorde.  —  ^  bois  de  charpente,  pat.  marin,  d'où  le  verbe 
marina,  couper  du  bois  de  charpente  dans  la  forêt. 


UNE   TUILERIE    A    LAVAUX    AU    XVl"    SIÈCLE  I  Ç 

pour  T'asle'-'',  4  douzaines  de  lans^^  et  deux  de  cuegnis  - 
pour  la  couverture.  Les  chappiiis^  prêtent  serment,  sous  obli. 
gation  de  tous  leurs  biens,  d''  ouvrer  '  ^  la  rainure ^^  pour  le 
prochain  Carême.  Les  troncs  non  utilisables,  les  buchielles^^, 
passels^-  et  dex^"^  devront  se  monter  ^^.  Le  transport  à  partir  de 
la  forêt  de  Gourze  sera  fait  en  corvée  par  les  communiers.  Ceux 
qui  n'ont  pas  de  chert^'^  seront  tenus  d'aller  'encrosser  le 
fert'*^.  Pour  achever  le  bâtiment,  il  faudra  encore  de  Ven- 
selle^'^.  Le  tuilier  fera  les  lattes  et  'échellons'^^  nécessaires; 
on  lui  fournira  les  'essettes'^^  pour  'essuyer  sa  be- 
songne  '  2^,  et  des  mosfies-^  de  bois  ou  de  fer.  La  '  domiffi- 
cation  '—  sera  à  trois  pans,  avec  cheminée  dans  la  ramure^^. 
Le  manual  mentionne  encore  comme  se  rapportant  à  la  con- 
struction un  avaniey-"^,  des  pollens-^,  et  des  lans^  pour  '  brier 
la  terre'-'.  Le  conseil  fournira  des  gens  pour  tirer  la  pierre, 
mais  les  murailles  et  le  four  se  feront  aux  "^  missions  '  ^6  du 
tuilier.  Les  grangters"^'  donneront  les  càerts  ^^  pour  les  c/iar- 


^  la  halle,  le  corps  du  bâtiment.  Cf.  rue  de  l'Halle  (Lausanne), 
Bois  de  l'Halle  (Neuchâtel).  —  ''  planche,  pat.  /an.  Dans  les  do- 
cuments, le  mot  est  très  souvent  écrit  '  laon,  lahon  '.  —  "^  pre- 
mière planche  d'un  billon,  pat.  kouèné,  kouèni;  on  a  aussi  la  forme 
koiiènô.  Pour  l'origine  du  mot,  voir  plus  loin,  p.  34.  —  *  charpen- 
tier, pat.  tsapoué.  —  ^  exécuter.  —  ^°  charpente  d'un  bâtiment, 
pat.  ranttira  ou  ramira.  —  *'  éclats  de  bois,  copeaux,  pat.  bstsi- 
lyd.  —  '■-  Les  patois  emploient  aujourd'hui  pasi  avec  le  sens 
d''  échalas  '.  Il  faut  probablement  traduire  ici  par  '  grosses 
branches,  rondins.  '  —  '■*  branches  vertes  des  sapins,  pat.  dé.  — 
*^  mettre  aux  enchères,  pat.  monta.  Dans  le  français  régional, 
les  enchères  =  '  les  montes  ',  —  *^  char,  chariot,  pat.  tsè.  — 
i**  mettre  le  sabot,  enrayer  (?).  —  '"  bardeaux,  pat.  ansèla.  — 
^*  échelons  (?).  —  '^  petits  ais,  planchettes.  —  ^^  faire  sécher  ses 
tuiles.  Ce  sens  de  '  essuyer  '  se  retrouve  dans  beaucoup  de 
patois.  —  -'  moules,  pat.  mounô.  —  --'  mode  de  construction.  Mot 
savant.  —  -'  avant-toit,  pat.  avaniâ.  —  ^^  On  a  aujourd'hui  dans 
le  français  local  '  poulain  ',  pièce  de  bois  armée  d'un  crochet  de 
fer  pour  descendre  les  fardeaux  d'un  char.  —  '^■'  broyer,  pétrir  la 
terre  (?).  —  -*^  frais.  —  ^'  Am].  grandsi^  '  fermier  '. 


20  H.    VORUZ 

refs^^.  Le  tasche'^^  des  murs  échoit  à  Bidaux  pour  22  sols  la 
theyse^^.  Les  tiolles"^^  de  la  deuxième  fournée  seront  employées 
à  la  couverture  de  la  thiolleyre^  en  remplacement  des  lans^, 
qui  serviront  à  une  tralaison^-.  Le  maréchal  fera  la  'fer- 
rure' 33,  pour  laquelle  il  recevra  un/oux^^.  Chaque  feu  ou 
ménage  de  la  paroisse  subviendra  aux  frais  par  une  '  giette  '  35 
d'un  florin. 

La  thiolleyre'^  ne  demeura  pas  longtemps  en  bon  état  : 
quatre  ans  après  la  construction ,  le  thiolley  -  demande  des 
ouvriers  pour  '  raccoustrer  le  raffort  dedans  la  four- 
rure '  ^6^  pour  ranger  la  ramure  *''  de  la  '  fer  nasse  '  37  et  faire 
diverses  autres  réparations.  Quelques  années  plus  tard,  le  toit 
tombe  en  ruines;  des  chappuis^  sont  chargés  d'y  faire  des 
louvenos^^.  On  emploie  2  1/2  milliers  de  carrons^^  pour  refaire 
le  four. 

Autour  du  bâtiment ,  le  tuilier  avait  la  jouissance  d'un 
curtil'^^  clôturé  é'épondes'^^,  et  d'une  oche'^'^.  Il  dispose  aussi 
d'un  essert^^  au  Z>^t'(?«^**,  d'une  ??ioille'^^  pour  le  nourrissement 
de  deux  chevaux  et  du  terrain  qu'il  peut  'esserper'^^  pour  y 
planter  des  arbres.  Il  doit  descoppillier^'^  à  l'entour  de  la 
maison,  soigner  les  delaises^^,  mener  les  morsels  de  thiolle^^ 


2*  charrois,  pat.  tsaré.   —  "^^  ouvrage   entrepris  pour  un  prix 
déterminé,  pat.  tâtsa.  —  ^^  toise,  pat.  tciza.  —  -^^  tuile,  pat.  tyôla. 

—  ^^  poutraison,  plafond  d'une  chambre,  pat.  tralézon.  —  ^^  par- 
ties en  fer  du  bâtiment.  Les  patois  disent  plutôt  fèrminta,  fr. 
pop.  '  fermente  '.  —  ^^  hêtre,  pat.  fd.  —  ^^  imposition.  —  *'  ré- 
parer la  garniture  du  four.  —  ^^  fournaise  (?).  —  ^^  couvercle  mobile 
adapté  aux  cheminées,  pat.  loitvsnà.  On  trouve  plus  bas  la  men- 
tion de  '  louvenoux  pour  pouvoir  entrer  ',  ce  qui  ne  s'accorde 
guère  avec  le  sens  de  '  couvercle  de  cheminée  '.  —  '*^  briques. 

—  ''"jardin,  pat.  kurti.  —  *'  planches  dressées  dans  le  sens  de  la 
longueur,  pat.  éponda.  —  '*'''  chenevière  ou  jardin  potager,  pat. 
outs3. — ''■^  terrain  défriché,  pat.  èsèr.  —  "Nom  de  lieu  fréquent 
désignant  la  forêt  communale,  pat.  ddvin.  —  *^  pré  marécageux, 
pat.  niàlyd.  —  '"''  esserter,  défricher.  — •  ^"  débarrasser,  enlever 
ce  qui  obstrue,  pat.  dèkopdlyi.  —  ''^  claie,  porte  à  claire-voie  à 
l'entrée  des  pâturages  fermés,  pat.  ddléza.  —  ''^  morceaux  de  tuile. 


UNE    TUILERIE    A    LAVAUX    AU    XV1=    SIÈCLE  2  1 

OU  mellions'^^  par  les  chemins  et  clore  à.'ages^^  sa  tondiaz'^^, 
de  manière  que  les  bêtes  ne  puissent  y  aller. 

En  1583,  il  est  question  de  derrocher^'^  la  thiolleyre^.  On  se 
décida  cependant  à  la  conserver  en  la  réparant  :  on  fit  des 
louvenoiix  38  pour  pouvoir  entrer,  une  chambre  sur  le  poille  ^* 
et  des  trablas  ^5. 

L'exploitation  de  la  tuilerie  semble  avoir  donné  peu  de  satis- 
faction à  la  commune.  En  1560,  elle  est  amodiée  moyennant 
'  fiance  '  ^*'' pour  9  ans  à  Gilliet.  Celui-ci  doit  faire  par  ans 
4  fournées  de  4500  thiolles'^^,  à  répartir  par  les  '  gouver- 
neurs'^'^  aux  bourgeois,  à  l'exclusion  des  étrangers.  Le  prix 
du  millier  de  thiolles-^^,  tant  plaies  que  copues^^,  cornelz'^^. 
carrons"^,  planelles^,  chapperons^^,  est  fixé  à  5  florins.  Au 
bout  de  six  ans,  le  tuilier  devait  recevoir  un  manteau  et  une 
paire  de  chausses^-.  Il  lui  était  interdit  de  vendre  r\\ pasture^^, 
ni  druge^^,  ni  une  lottée^^  de  '  gr  ulons  '^. 

En  1562,  plaintes  générales:  la  tuile  n'est  pas  de  qualité, 
Gilliet  dissipe  le  bois  de  sa  tondue^-  et  en  brûle  de  celui  qui 
est  propre  à  faire  des  entres  ^"^  de  roues.  En  outre,  son  fils  a 
cueilli  de  Vaglan^tn  laTilliaz  et  s'est  moqué  du  missellier^^. 
Le  tuilier  est  menacé  d'être  '  e  xp  e  1 1  i  '  "o  et  promet  de  s'amender. 

En  1566  il  a  été  remplacé,  mais  son  successeur  est  convaincu 
d'avoir  dérobé  des  tuiles  et  du  bois  à  la  commune.  On  ne  veut 
plus  d'un  larre"^  et  il  est  renvoyé. 


^"débris,  menus  morceaux  de  pierre  ou  de  matières  analogues, 
pat.  mslyon.  —  '•'  haie,  pat.  adz9.  —  •'''■  coin  de  bois  nouvellement 
coupé,  pat.  tondya.  —  "'^  démolir,  pat.  dèrotsi.  —  ''^  chambre 
principale,  chambre  d'habitation,  pat.  pïdo.  —  ^'''  rayons,  tablettes, 
pat.  trablyd,  fr.  pop.  '  tablard  '.  —  ^''  caution.  —  ■'•  membres  de 
l'autorité  communale.  —  ^'*  tuiles  rondes  ordinaires.  —  ^^  tuiles 
faîtières,  pat.  kr^né.  —  *"*  briques  rectangulaires  plates  servant 
surtout  à  recouvrir  le  fond  des  cuisines.  —  ^^  tuiles  massives 
pour  le  faîte  du  toit.  —  ^■''  culottes,  pat.  tsôsè.  —  ^'^  herbage,  pat. 
pâtura.  —  ^^  engrais,  fumier,  pat.  drudzd.  — ^^hottée,  pat.  lotâyd. 
—  6f.  {y^  —  67  jantes,  pat.  intrb.  —  ^*  gland,  pat.  alyan.  —  '''*  garde- 
champêtre,  pat.  mèsèlyi.  —  '"  chassé.  —  ^'  voleur,  pat.  lûrè. 


32  E.    TAPPOLET 

Le  tuilier  qui  vient  après  lui  est  très  pauvre.  On  lui  fait  don 
de  sablon"^^  et  le  conseil  lui  accorde  une  aumône  de  4  florins 
parce  que  son  enfant  s'est  rompu'^'^  en  coupant  du  bois.  Il  est 
aussi  nommé  garde  de  la  forêt  de  Gourze  et  dénonce  en  cette 
qualité  le  '  challottiaux ''^4  des  Duboux,  qui  a  pris  des 
rancs'^^,  et  des  fagots  et  le  garçon  de  noble  Chalon,  qui  prenait 
du  cleyron'^^.  Il  gage  aussi  un  viouge'^'^  au  domestique  de 
Jacques  Richard ,  qui  a  été  vu  chapplant  '^^  un  tronc  de 
cleron"^^.  Comme  tuilier,  sa  fabrication  laisse  à  désirer;  il  est 
accusé  d'avoir  voulu  '  adviller  ' '^9  la  thiolle'^'^  et  deux 
'  idoynes'^'J  sont  chargés  de  le  surveiller.  Il  n'est  maintenu 
en  fonctions  qu'à  condition  d'  'hesmender'  ^i  le  dommage. 

H.    VORUZ. 

''"'■  sable,  pat.  sablyon.  —  '  '  fait  une  hernie,  pat.  se  rontrd,  rontu. 
—  ^"^  (^)  —  '"  grosse  branche,  rondin,  pat.  ran.  —  '^bois  d'éclaircie, 
pat.  klyèron.  —  ''  serpe,  patois  vybd\d.  —  ''^  couper,  mettre  en 
petits  morceaux,  pat.  tsaplya.  —  ™  avilir,  faire  de  qualité  infé- 
rieure. —  *"  personnes  expertes.  —  *'  amender,  réparer. 


L'AGGLUTINATION  DE  L'ARTICLE 

DANS  LES  MOTS  PATOIS 

II 

Nous  arrivons  aux  cas  moins  nombreux  où  une  partie  seu- 
lement de  l'article  s'est  détachée,  pour  se  souder  au  substantif 
que  cet  article  avait  l'habitude  de  précéder.  On  peut  distin- 
guer quatre  cas  d'agglutination  de  ce  genre: 

I.  ra.glan,  «  le  gland,  »  où  le  singulier  de  l'article  a  été  le 
point  de  départ;  2.  Vécorne,  pour  «  la  corne,  »  et  3.  le  zoiseau, 
pour  «  l'oiseau,  »  où  le  pluriel  de  l'article  a  produit  l'aggluti- 
nation; enfin  4.  le  nabit,  pour  «  l'habit,  »  où  s'est  ajouté  l'élé- 
ment consonantique  de  l'article  indéfini. 


AGGLUTIN'ATIOK  DE  L'aRTICLE  DANS  LES  MOTS  PATOIS     23 

I.  Type  :  aglan. 

1.  Le  mot  aglan  est  particulièrement  intéressant,  d'abord 
parce  que  c'est  une  des  rares  formes  agglutinées  qui  nous 
soient  attestées  dans  l'ancienne  langue,  en  provençal  et  en 
français,  ensuite  parce  qu'elle  occupe  un  domaine  géogra- 
phique très  étendu.  Nous  la  retrouvons,  en  effet,  de  la  Cata- 
logne jusque  dans  les  dialectes  franco-provençaux,  et  en  outre 
en  Lorraine,  dans  le  Morvan,  le  Berry,  le  Poitou,  le  Bas-Maine  ^ 
L'a!  initial  de  ce  mot  étonne  au  premier  moment,  et  on  a  eu 
recours,  pour  l'expliquer,  au  grec  axv).oç,  «  gland  mangeable  » 
et  au  gothique  akran,  «  fruit.  »  Mais  c'est  sans  aucun  doute 
simplement  le  latin  glans  qui  esta  la  base  de  la  forme  aglan. 
Le  mot  était  féminin  en  latin  et  conserve  ce  genre  en  roman. 
On  a  dit  la  glan,  una  glan,  et  de  là,  par  l'agglutination  de  Va 
final  de  l'article,  on  a  tiré  la  forme  aglan.  L'emploi  dominant 
du  mot  au  singulier  s'explique  par  sa  valeur  collective  :  de  la 
gland,  comme  :  de  la  feuille,  du  raisin,  etc. 

Quant  au  passage  de  alyanaM  masculin,  que  nous  constatons 
dans  toute  la  Suisse  romande,  de  même  qu'en  lyonnais  et  en 
lorrain,  il  est  dû  sans  doute  à  l'absence  de  terminaison  féminine 
et  a  été  facilité  par  la  présence  d'une  voyelle  à  l'initiale.  Le 
français  présente  plusieurs  exemples  de  changements  analogues. 

Le  Jura  bernois,  ici  comme  dans  bien  des  cas,  se  sépare 
des  autres  cantons  romands  et  fait  usage  d'une  forme  non 
agglutinée  yin,  du  genre  masculin. 

Les  autres  exemples  sont  d'un  usage  très  local  : 

2.  Vahson,  s.  f.,  «  la  leçon,  »  dans  les  patois  vaudois  et  neu- 
châtelois.  On  dit  par  exemple  :  rein  dere  ten'  alesson!  «.  viens 
dire  ta  leçon-!  »  ou  :  toi  es  sortes  d'alessons"^. 

3.  l'amaron,  s.  m.,  «  le  marron,  »  cf.  amarrûni,  <  marron- 
nier. »  Je  m'explique  cette  forme  curieuse  de  la  façon  suivante  : 


*  Voir  A.  Thomas,  Mélanges  d' étymologie  française,  p.  10.  — 
2  Cité  par  Cornu,  Romania  VII,  p.  109.  —  •'  Conteur  vaudois, 
1895,  n°  I. 


24  E.    TAPPOLET 

on  disait  autrefois  lo  maron,  puis  le  mot  devient  féminin  sous 
l'influence  du  synonyme  tsatanye,  d'où  la  maron  et,  par  agglu- 
tination, Vamaron. 

4.  l'aluetta,  aluvetta,  s.  f.,  «  la  luette,  »  (Vaud).  Le  mot  est 
particulièrement  intéressant  en  ce  qu'il  est  doublement  agglu- 
tiné: uvitta>  uetta^  Vuetta,  luetta,  la  luetta,  l'aluetta. 

5.  l'hôt\  s.  f.,  pour  le  sôt\  «  abri  contre  la  pluie;  »  on  dit 
par  exemple  inn  èsôt  à  Charmoille  (Jura  bernois).  Le  mot  est 
tiré  du  verbe  su(b)stare. 

Enfin  un  exemple  masculin: 

6.  ràstan,  pour  lo  stan,  «  le  stand  de  tir  »  (Blonay  et  Pays- 
d'Enhaut).  On  dit  à  Blonay:  on-n-ostan. 

Nous  passons  à  l'agglutination  ayant  pour  base  le  pluriel  de 
l'article. 

2.  Type  :  les  écornes. 

Les  patois  de  la  Suisse  romande  semblent  particulièrement 
riches  en  exemples  de  ce  genre.  Ce  qui  caractérise  ces  mots, 
c'est  qu'ils  expriment  tous,  ou  presque  tous,  une  idée  de  plu- 
ralité ;  ce  sont  des  pluralia  tantum,  comme  dit  la  grammaire 
latine,  dont  une  bonne  partie  désignent  des  objets  ou  instruments 
se  composant  de  deux  éléments,  comme  les  cornes,  les  narines, 
les  ciseaux,  les  tenailles,  la  balance. 

I.  éeorne,  forme  courante  du  Jura  bernois.  On  disait  d'abord: 
sing.  le  koudn\  ^Xwx.lê  koupti .  Puis  le  pluriel  étant  d'un  emploi 
extrêmement  fréquent,  on  a  pris  ce  pluriel  de  forme  pour  un 
singulier  de  sens  (cp.  la  balance,  le  pantalon,  etc.),  et  on 
est  arrivé  à  dire  èn'ékou9n\  «  une  corne,  »  dé  ko  d'ékou9n\  «  des 
coups  de  corne,  »  ïn  bon  d^ékou9n\  «  un  bout,  un  tronçon  de 
corne,  »  Même  dans  les  dérivés  il  y  a  la  prosthèse:  lè-z-ékouènaf 
«  les  petites  cornes.  »  La  forme  agglutinée  n'a  cependant  pas 
remplacé  partout  la  forme  régulière,  qu'on  trouve  encore,  par 
exemple,  dans  la  formulette  enfantine  :  koMn  dd  bu9,  kousn  d? 
vètch,  etc.  «  corne  de  bœuf,  corne  de  vache,  »  etc.  On  emploie 
aussi  communément:  le  kouarC  pour  désigner  la  corne  comme 


AGGLUTINATION  DE  l' ARTICLE   DANS  LES   MOTS  PATOIS     25 

substance,  ce  qui  confirme  notre  hypothèse  que  ékomn  est  un 
ancien  plurieL  Le  proverbe  :  pti  vêy  h  bok,  pu  dur  rékou?n\ 
«  pkis  le  bouc  est  vieux,  plus  la  corne  est  dure,  »  semble  ce- 
pendant indiquer  que  la  distinction  n'est  pas  toujours  stricte- 
ment observée. 

2.  èpilyon,  pour  pi Ijon,  «  cils,  »  est  attesté  pour  la  Gruyère 
(Fribourg). 

3.  lou-z-3nari,  «  les  narines,  »  à  Leysin  (Vaud),  exemple 
douteux. 

4.  les  éforces.,  «  ciseaux  (à  tondre  les  moutons),  »  pour  les 
forces,  du  latin  forpices,  cf.  l'italien  le  forbici.  Le  mot  est 
répandu  dans  presque  toute  la  Suisse  romande,  et  tout  parti- 
culièrement vivant  dans  le  Jura  bernois:  éfousch'  en  Ajoie  ■•. 

5.  les  étetmilles,  «  les  tenailles,  »  dans  les  cantons  de  Fri- 
bourg, de  Neuchâtel  et  de  Genève. 

6.  les  ébalances,  «  les  balances  ;  »  Vallée  de  Joux,  Gros-de- 
Vaud;  Crémine  (Jura  bernois). 

Termes  collectifs  proprement  dits: 

7.  les  égrâ,  «  escalier,» pour  lé grâ,  du  latin  gradus,  «mar- 
che, »  mot  courant  dans  toute  la  Suisse  romande,  ainsi  qu'en 
Savoie,  etc.  —  Bridel  donne  même  édegra,  s.  m.  «  escalier, 
degré,  »  qui  est  à  degra  ce  que  égrà  est  à  grà. 

8.  les  éloiiyes,  «  galeries  des  maisons  rustiques,  »  pour  // 
louyly  du  vieux  haut  allemand  latibja,  en  français  «  loge.  » 
élouys  est  neuchâtelois. 

9.  les  ébouatons,  s.  m.  pi.,  «  étable  à  porc,  »  pour  les  boua- 
tofis,  mot  vaudois.  Pour  le  pluriel,  comparez  «  les  écuries,  »  en 
allemand  «  die  Stallungen.  » 

Les  trois  mots  suivants  désignent  un  état  maladif,  qui  se  fait 
sentir  par  des  accès  répétés: 

10.  les  époints,  s.  m.  pi.,  «  les  points,  la  pleurésie,  »  Ormonts, 
Valais  et  ailleurs. 


^  L'agglutination  semble  avoir  déjà  existé  en  ancien  français, 
où  on  trouve  efforges,  s.  f.  pi.  «  tenailles.  » 


20  J.    JEANJAQUET 

11.  les  étours,  s.  m.  pi.,  pour  «  les  tours,  le  tournis,  » 
(maladie  du  bétail)  mot  vaudois  et  neuchâtelois.  Dans  le  parler 
neuchâtelois,  fai  les  étours  signifie  «  la  tête  me  tourne.  » 

12.  les  éfrissons,  s.  m.  pi.,  pour  «  les  frissons,  refroidisse- 
ment, »  mot  qui  m'est  attesté  pour  le  district  de  Grandson, 
pour  le  Pays  d'Enhaut  et  pour  la  montagne  neuchâteloise. 

Enfin  nous  avons  encore  : 

13.  les  écrevasses,  s.  f.  pL,  pour  «  les  crevasses,  gerçures  de 
la  peau.  »  lez  ékrévasé,  à  Vaulion  (Vaud). 

14.  éyéjard,  pour  «  les  lézardes,  lézard,  »  dans  le  Jura  ber- 
nois (Sornetan  et  Crémine). 

15.  éflyèyi,  pour  flyèyi,  «  fléau,  »  se  rencontre  dans  la  Broie 
(Fribourg),  et  dans  plusieurs  patois  valaisans. 

16.  ékramma^  s.  f.,  pour  kranidna,  «  froid  rigoureux,  »  à  Le 
Mont  (Vaud).  Je  dérive  le  pluriel  //  kranidné,  d'où  rékramsnê^ 
du  sens  de  «tourbillon  de  neige,  »  qu'indique  Bridel,  p.  216. 

E.  Tappolet. 


TEXTE 

— î— 

Les  Fées  de  Grand' Combe. 

Conte   populaire   en    patois    d'Evolène  (Valais). 

En  oun  tein  le  fây'^  U-j-ahdiâvoiin  in  la  nouera  koumouna. 
Lè-j-Oiinè  le  rèstâvotin  èmpè  le  frein:(^  dei  byény°,  lè-j-âtr^ 
èmpè  le  bouat^  dei  chès  ^  è  kakoun^  èmpè  de  loch  kp  le  fajan' 

TRADUCTION 

Jadis,  les  fées  habitaient  dans  notre  commune.  Les  unes 
logeaient  dans  les  crevasses  des  glaciers,  les  autres  dans  les 
fissures  des  rochers  et  quelques-unes  dans  des   tours  qu'elles 


LES    FÉES    DE    GRAND'COMBE  ij 

atb  de  niour^  de  rùvjna  -.  Eu  Olein-na  ^  y  avlk  oiuia  vyèl'f 
fây^  h  h  govèrnàv''  le-j-àîr'  e  kp  b  rèstav^  è)npèr  oniia  for 
lioiuilr^  Chachmeir^  chkr  oima  grocha  pareis  de  ché^.  L'avîk 
aoiié  lyè  dâoii^  ôou  trè-j-àtr'^.  To  doti'kèdon  le  fajan'  parti  de 
rùvin'-'  ka  vdnyan  konntchye  le  pras  dei  Fiants'^.  Là  tsâtein^ 
dâoii'^  de  lôoH  lè^-j-aldvoun'  che  fer^  notiri  ei  paâôouch'^  dei 
moun'lany^^  de  la  koiinioiiiia;  Voitna  b  rôlav'^  pè  le  momi'ta- 
ny^  dôoH  rèdout^  e  l'âtra  en'  xle  dôou  rêve.  To  b  mound°  che 
pleinjïk  kè  x^è  dàoii^  fày^  lè-j-iran  koâôoup,  ma  kè  féf^  ? 
Nyoun  onjâv^  lôoii  dir^  mbs  ni  lôou  fer^  la  meindra  tsoja  pè 
chèn'  k  y  avan'  poiiîr^  kû  lè-j-ôussan'  balya  de  niâ  a  x^ôous 
kp  lè-j-àlran^^  insùltay^  ôou  bhi  fé(t)  dè-j-étsçrny°. 

Oun  an'  b  paâôouch  de  la  Nisva  chè  chonn  dit:  No 
vblein  einkb  ver  chp  nb  pourein  pa  nb  dèharachyè  de  siè  kan- 
kbn^^K  Chè  chouii'  ènlèndouk  kè  kan'  l'ouna  ôou  l'âtra  dei 

faisaient  avec  des  matériaux  d'éboulis.  A  Evolène,  il  y  avait 
une  vieille  fée  qui  gouvernait  les  autres  et  qui  demeurait  dans 
une  tour  du  côté  de  Sasseneire  sur  une  grande  paroi  de  rocher. 
Elle  en  avait  avec  elle  deux  ou  trois  autres.  A  tout  moment 
elles  faisaient  descendre  des  éboulements  qui  venaient  salir  les 
prés  des  Flanches.  En  été,  deux  d'entre  elles  allaient  se  faire 
nourrir  par  les  pâtres  des  alpages  de  la  commune  ;  l'une  rôdait 
dans  les  alpages  du  versant  droit  de  la  vallée,  et  l'autre  dans 
ceux  du  versant  opposé.  Tout  le  monde  se  plaignait  que  ces 
deux  fées  coûtaient  beaucoup  ;  mais  que  faire  ?  Personne 
n'osait  leur  dire  mot  ni  leur  faire  la  moindre  chose,  parce 
qu'on  avait  peur  qu'elles  ne  donnassent  le  mal  à  ceux  qui  les 
auraient  insultées  ou  leur  auraient  joué  des  tours. 

Une  année,  les  pâtres  de  la  Niva  se  sont  dit  :  «  Nous  vou- 
lons cependant  voir  si  nous  ne  pourrons  pas  nous  débarrasser 
de  ces  sorcières.  »  Ils  sont  convenus  entre  eux  que  quand  l'une 
ou  l'autre  des  fées  passerait,  ils  devaient  s'appeler  par  le  nom 


28  J.    JEANJAQUET 

fây'^  h  pacbèrik,  che  dèvan  tsikoun  apèla  pè  là  non  de 
«  mîma  »  tsiP  vyâT^  h9  chè  dpvpjèran'  dèvan  lôou.  Oun  :(b 
l'ouna  dei  fà-f  VarÇuvK  Lp  pad-çoiich,  trei°  koitni'-'  de  boue  de 
fourts^,b  b  chouèloun  là  bonio,  h  b  fan'  nipl  Jwmpbmins^^, 
b  b  prèjèntoun  de  lasê,  de  flôou,  de  kalya,  de  pré^^,  de  bair'^, 
de  chèré^^,  fhikè  de  niota  ronâeit^,  infhi^^  ta  chèn'  k  y  avan" 
è  kp  b  qir'^  pbchoit(k)  fér^  pleiji.  Ld  j'ày^  l'a  eida  è'&bnày"  è 
rè:(ouyây^^^  de  chè  ver  cbp  byein  tratâf  è  de  trbva  de  paûôouch 
de  tan  de  fth  par  lyè.  Oun  pad-ôou  l'einvit''  a  ala  aouè  luïk 
fer  ouna  prbmènârda  chon(k)  pè  Ib  son  de  la  mountany^  pb 
chè  pacha  Ib  iein  è  pb  koulyi  kali^  ^ènt'^  flôouch  ky  airan 
pbchou  la  ièn'ta.  L^  fày^  b  parlK  Lp  paûôouch'  de  tspjyoïir^ 
chè  jyon  :  Ora  y  è  b  niounian  de  b  :(ùyè  nonâr^  tbr.  Fajein 
vï^t°  bouUka  de  lasé  ;  kan  b  vpndrè  l'are  chik.  Nb  b  mètrein 
Ib.  kblyôou^''  in  gor^^  è  pouè  nb  b  kblèrein  ouna  mèstrây^  ^^ 
de  chè  lasé  hourlèn.  Dèvé  Ib  ta,  b  fây^  l'arâlv'^  è  b  dèmand'^ 
a  beirK  Lp  pât^o  b  baly^  vi^i°  Ib  kblyôou  in  gor^^  è  pouè  b 

de  «  Même  »  chaque  fois  qu'ils  parleraient  devant  elles.  Un 
jour  une  des  fées  arrive.  Les  pâtres,  traîtres  comme  du  bois  de 
fourche,  lui  souhaitent  le  bonjour,  lui  font  mille  compliments, 
lui  offrent  du  lait,  de  la  crème,  du  lait  caillé,  du  fromage  frais, 
du  beurre,  du  sérac,  jusqu'à  du  fromage  grillé,  enfin  tout  ce 
qu'ils  avaient  et  qui  aurait  pu  lui  faire  plaisir.  La  fée  a  été 
étonnée  et  réjouie  de  se  voir  si  bien  traitée  et  de  trouver  des 
pâtres  qui  aient  tant  d'attentions  pour  elle.  Un  pâtre  l'invite  à 
aller  avec  lui  faire  une  promenade  au  sommet  de  la  montagne 
pour  se  passer  le  temps  et  pour  cueillir  quelques  jolies  fleurs 
qui  auraient  pu  la  tenter.  La  fée  part.  Les  pâtres  du  chalet  se 
disent  :  «  Maintenant,  c'est  le  moment  de  lui  jouer  notre  tour. 
Faisons  vite  bouillir  du  lait  ;  quand  elle  reviendra,  elle  aura 
soif.  Nous  lui  mettrons  le  couloir  dans  la  bouche  et  puis  nous 
lui  verserons  un  baquet  de  ce  lait  brûlant.  »  Vers  le  soir,  la  fée 
arrive  et  demande  à  boire.  Le  fromager  lui  met  vite  le  couloir 


LES    FEES    DE    GRAND  COMBE  2g 

le  ouf:(f  oiina  mèstrây'  de  lasé  botilikèn'.  Lp  fàf,  h  làch'^ 
hcûf^  là  hblyôou  è  b  chè  met  a  kriya  a  la  fây*  dôou  Kbr^e- 
«  M'am'  bourlaf.  »  x^^^^  dôou  Kbr^e  h  b  rèfon':  «  Ki  fa 
bourlây'  ?  »  «  Mïma  ^^,  »  l'âtra  b  b  dit.  «  Mïma  iù  là  t  é  fél, 
mima  tu  là  ouardèré.  »  Lp  fây^  de  la  NiH'a  Vè  morta  d'abà 
apré  è  xb  dôou  Kà^e  l  a  eiâa  bourlàf  de  la  jnîma  jnoda  en' 
ouna  mountanf  a  pa.  Lè-j-âtr^  fây^  kp  le  rèstâvoun  in  la 
koumouna,  lè-j-an  jou  pouJr^  è  lè-j-an  fàtou  là  kan  en  O'O^a. 
Bâlé  le  choun  ala  chè  fonrjyè  hnpè  de  pèrtuis  kp  lè-j-a?i'  fêt 
èmpèr  oum'pra.  Tchika  mi  apré^^  chp  ky  avi(k)  chè  pra 
lôou-j-a  fàtou  l'éou'  dèchouk.  Adon  le  chè  choun  mecli^  tàt^ 
a  kriya  '■  <(  0-&a,gd^a.  »  Lp  pràpriyèter^  dôou  pra  y  a  pa  balya 
ftk'^^  a  lôou  krtk  è  lôou-j-a  dît:  «  Mè  chàrchyèr\  resta  lei 
pyè  ei  pèrtuts.  »  È  tot^  le  fày^  lei  choun  rèstay'^  èâàfâyK  Di 
adon',  dei  fây''  n'en'  ein  pa  mi  aoui  dpvpja,  ma  i  jyon  kè  b 
non  de  la  vpla  d'OO^a  vpn'  de  x^àou  krïk  dei  fày^  :  àd^a,àd^a. 

à  la  bouche  et  y  vide  un  baquet  rempli  de  lait  bouillant.  La  fée 
laisse  tomber  le  couloir  et  se  met  à  crier  à  la  fée  du  Cotter: 
«  Ils  m'ont  brûlée.  »  La  fée  du  Cotter  lui  répond  :  «  Qui  t'a 
brûlée  »  —  «  Même,  »  lui  dit  l'autre.  «  (Puisque)  tu  te  l'es  fait 
toi-même,  toi-même  le  garderas.  »  La  fée  de  la  Niva  est  morte 
tout  de  suite  après  et  celle  du  Cotter  a  été  brûlée  de  la  même 
façon  dans  un  alpage  voisin.  Les  autres  fées  qui  résidaient 
dans  la  commune  ont  eu  peur  et  se  sont  enfuies  à  Aoste.  Là- 
bas,  elles  sont  allées  se  fourrer  dans  des  trous  qu'elles  ont  faits 
dans  un  pré.  Un  peu  plus  tard,  celui  qui  possédait  ce  pré  a  fait 
venir  l'eau  (d'irrigation)  sur  elles.  Alors  elles  se  sont  toutes 
mises  à  crier  :  «  Ote,  ôte.  »  Le  propriétaire  du  pré  n'a  pas  fait 
attention  à  leurs  cris  et  leur  a  dit  :  «  Mes  sorcières,  restez-y 
seulement  dans  vos  trous.  »  Et  toutes  les  fées  y  sont  restées 
étouffées.  Dès  lors,  nous  n'avons  plus  entendu  parler  des  fées, 
mais  on  dit  que  le  nom  de  la  ville  d'Aoste  vient  de  ces  cris  des 
fées  :  «  Ote  !  ôte  !  » 


30  J.    JEANJAQUET 


NOTES 


II  est  facile  de  reconnaître  dans  le  conte  reproduit  ci-dessus 
une  variante  populaire,  strictement  localisée,  d'un  motif  de 
l'antique  légende  de  Polyphème,  dont  on  a  déjà  relevé  de 
nombreuses  versions  dans  les  pays  les  plus  divers.  Comme 
nous  nous  proposons  de  signaler  ailleurs  l'intérêt  qu'offre  à  ce 
point  de  vue  notre  récit,  nous  ne  nous  y  arrêterons  pas  ici  et 
nous  nous  bornerons  à  mentionner  qu'une  variante  de  la  même 
légende  a  été  recueillie  dans  la  vallée  voisine  d'Anniviers. 
(V.  Archives  suisses  dus  Traditions  populaires  ^^  ^  i90i,p.  288). 
La  version  que  nous  donnons  nous  a  été  contée  en  1900  par 
M.  Jean  Pralong,  d'Evolène,  telle  qu'il  l'avait  entendue  lui- 
même  dans  les  veillées.  Grâce  à  l'obligeance  de  M.  P.  Gaudin, 
député,  également  d'Evolène,  nous  avons  pu  contrôler  récem- 
ment notre  première  transcription. 

Le  patois  d'Evolène  est  un  des  plus  archaïques  et  des  plus 
originaux  du  Valais.  Son  système  phonique  diffère  notablement 
de  celui  du  français.  La  simplicité  de  la  transcription  adoptée 
pour  le  Bulletin  ne  nous  permet  pas  d'en  rendre  toutes  les 
nuances  délicates  et  nous  oblige  à  nous  contenter  d'une  exac- 
titude approximative.  Nous  attirons  l'attention  sur  les  particu- 
larités suivantes  : 

Le  son  noté  /  désigne  un  i  d'un  timbre  particulier,  guttural, 
dont  l'impression  acoustique  oscille  entre  /  et  e.  Le  même  son 
plus  réduit  a  été  noté  par  p,  qui  n'est  donc  pas  l'équivalent 
exact  de  Ve  sourd  français. 

Le  timbre  guttural  de  >,  qui  donne  à  la  voyelle  un  caractère 
mal  déterminé,  affecte  aussi  d'autres  voyelles,  ou  bref  ou  atone 
est  toujours  ouvert.  Il  se  rapproche  parfois  de  u  et  nous  l'avons 
dans  ce  cas  transcrit  par  ///  è  atone  tend  à  un  son  voisin  de  Ve 
sourd  français. 

ei  et  ôou  sont  des  diphtongues  dont  le  second  élément  est 
faible. 

Les  voyelles  nasales  an,  ein,  on,  )n,  oun  sont  suivies  d'un  élé- 
ment consonantique  vélaire  plus  ou  moins  marqué,  sensible 
surtout  dans  les  voyelles  extrêmes  \n  et  oun;  ein  désigne  un  son 
plus  fermé  que  le  français  in. 

Les  notations  an\  on',  oun\  etc.,  indiquent  que  Vn  doit  être 


LES    FEES   DE    GRAND  COMBE  3I 

prononcée.  Il  faut  toutefois  remarquer  que  dans  ce  cas,  qui  se 
se  présente  lorsque  1'/^  était  suivie  en  latin  d'une  seconde  con- 
sonne, la  nasalisation  est  en  voie  de  se  produire  actuellement 
et  qu'on  rencontre  toute  la  série  des  phases  intermédiaires, 
suivant  l'intensité  plus  ou  moins  grande  de  la  syllabe. 

Le  V  intervocal  est  en  général  faible  et  parfois  à  peine  per- 
ceptible. Il  est  bilabial. 

Le  k  parasite  et  les  consonnes  finales  autres  que  r  et  n  ne 
sont  articulées  distinctement  qu'en  pause  ou  devant  voyelle. 
Dans  la  prononciation  rapide  devant  consonne,  ils  s'affai- 
blissent ou  disparaissent  complètement. 

"•  chës^  pluriel  de  ché,  rocher,  du  latm  saxum.  Les  nom- 
breuses formes  spéciales  de  pluriels  en  s  ou  ch  constituent  une 
des  particularités  les  plus  caractéristiques  du  patois  d'Evolène. 
Sans  entrer  dans  les  développements  que  réclamerait  l'étude 
de  cette  question,  constatons  seulement  que  Y  s  de  flexion  s'est 
maintenue  toutes  les  fois  qu'elle  était  appuyée  par  une  con- 
sonne précédente.  Après  les  voyelles  nasales  ou  r,  elle  se  pré- 
sente sous  la  forme  ch  :  h  man,  '  la  main  ',  plur.  le  manch;  h 
tàr,  '  la  tour  ',  pi.  le  tôch;  après  les  consonnes  /,  «,  /,  /  mouillée, 
on  a  en  revanche  s  ;  h  pra,  '  le  pré  ',  pi.  h  pras  ;  h  moulèt,  '  le 
mulet',  pi.  h  inovlès;  h  dèn\  'la  dent',  pi.  le  dins ;  Fàoujé, 
'  l'oiseau  ',  pi.  h-J-àoujês  ;  Pouèl,  '  l'œil  ',  pi.  h-J-ouh.  Ces  faits 
ne  sont  que  l'application  des  lois  générales  de  conservation 
des  consonnes  finales  dans  le  patois  d'Evolène  ;  mais  il  existe 
aussi  bon  nombre  de  cas  spéciaux,  parmi  lesquels  il  faut  faire 
rentrer  le  couple  ché,  chës,  où  l'état  de  choses  primitif  a  été 
troublé  par  l'action  de  l'analogie. 

-  mouro  de  rùvîna,  amas  de  terre  et  de  pierres  formé  par  un 
éboulement. 

3  en  Olein-na,  forme  réduite,  plus  courante  que  la  forme 
pleine  en  Èoublein-na. 

■^  partis  de  ché,  la  forme  isolée  du  mot  tsi  pari'k,  mais  dans 
la  prononciation  liée,  le  k  s'efface  et  on  perçoit  la  diphtongue. 

^  lo  tsâtein,  forme  du  cas  régime,  de  règle  pour  les  détermi- 
nations de  temps.  On  sait  qu'un  assez  grand  nombre  de  patois 
valaisans  ont  conservé  pour  l'article  défini   la  distinction  de 


32  J.   JEANJAQUET 

l'ancien  français  entre  cas  sujet  et  cas  régime.  A  Evolène,  les 
formes  de  l'article  défini  sont  les  suivantes  : 

Masculin.  Féminin. 

Sing.  Nom.  U.  ^iiig-  Nom.  h. 

Ace.    Ib.  Ace.  la. 

Plur.  Nom.  h.  Plur.  Nom.  /<?. 

Ace.    Ve.  Ace.    /<?. 

On  dit  donc  la  nioulH  y  e  vèn'douk,  la  vats^  Vè  vèn^ doucha^ 
mais  \  fô  vhn'dr'e  lô  frioulèt,  la  vais'. 

6  dâoii^  de  lôoii  Ih-j-ctlâvoun.  La  reprise  par  un  pronom  per- 
sonnel du  sujet  déjà  exprimé  par  un  nom  est  un  fait  à  peu  près 
constant  de  la  syntaxe  des  patois  de  la  région. 

■^  pa^ooti,  pi.  pU'd-ôouch,  est  le  terme  général  pour  désigner 
tous  les  employés  d'un  alpage,  tandis  que  pâ(^o  ne  s'applique 
qu'à  celui  qui  dirige  l'exploitation. 

8  moun^tafiy^,  est  toujours  équivalent  de  '  alpe,  alpage  ',  mots 
qui  sont  inconnus  au  patois. 

^  rèdâït,  versant  exposé  au  soleil,  par  opposition  à  rèvê. 

10  cûran,  forme  dérivée  du  plus-que-parfait  de  l'indicatif 
latin  habuerant,  mais  qui  a  pris  la  valeur  d'un  conditionnel. 
Ce  temps  se  conjugue  ainsi  : 

y  âir°,  t'aif^,  y  mr'^,  nouran,  y  ourâs,  y  âiran. 

Il  ne  subsiste  que   dans  les  verbes   être,  avoir  et  savoir. 

11  kankona,  terme  d'injure  'mégère,  sorcière'. 

12  kotnpldmins.  Dans  les  mots  terminés  en  -a«',  ~èn\  -on\  oîi 
\n  se  fait  encore  légèrement  sentir,  le  pluriel  a  des  formes 
presque  complètement  nasalisées  :  -ans,  -itis,  -ons. 

13  kalya.pré.  Le  kalya  est  du  lait  caillé,  mais  dont  les  parties 
caséeuses  ne  sont  pas  encore  séparées  du  petit  lait,  tandis  que 
le  pré  est  la  pâte  du  fromage  prêt  à  être  retiré  de  la  chaudière. 

1*  chcré,  sérac,  fromage  blanc  qu'on  obtient  en  faisant  cailler 
le  petit  lait. 

15  infin,  vieille  forme  généralement  remplacée  aujourd'hui 
par  atifein. 

16  rèzouyây^,  devient  dans  la  prononciation  courante  rèzouyèy. 


LES    FEES    DE    GRAXD  COMBE  ^^ 

^^  kblyôou,  grande  passoire  de  bois  en  forme  d'entonnoir 
pour  couler  le  lait  qui  vient  d'être  trait. 

18  mèsirây^,  contenu  d'une  nièstra,  baquet  étroit  de  forme 
ovale,  ayant  d'un  côté  une  douve  prolongée  servant  d'anse. 

*9  X_Ip.  Forme  du  cas  sujet.  Nous  avons  parlé  plus  haut  de  la 
conservation  dans  certaines  parties  du  Valais  de  la  déclinaison 
à  deux  cas  pour  l'article  défini.  Nous  ne  croyons  pas  qu'on  ait 
signalé  jusqu'ici  la  déclinaison  analogue  du  pronom  démons- 
tratif, qui  est  beaucoup  moins  répandue.  Evolène  possède  les 
trois  couples  suivants,  en  regard  desquels  nous  mettons  les 
formes  correspondantes  du  vieux  français  : 

Sing.  Nom.  câp  (cil  ),  celui-là.     Sing.  Nom.  y/y  (celi),  celle-là.    sff  (cesli),  celle-ci. 
Ace.  c/ié(c(\).  Ace.  ;;^/<z  (celé).  sfa{ces,k). 

Le  masculin  chi{k)  (cist),  celui-ci,  s'emploie  sans  distinction 
de  cas.  Les  formes  du  pluriel  sont  pour  le  masculin  ■/lôous, 
stôous,  et  pour  le  féminin  jlè^  stè. 

20  ffilma.  Le  français  étant  oblfgé  de  dire  «  moi-même  »  si 
l'on  veut  indiquer  que  la  personne  qui  parle  a  fait  l'action,  le 
jeu  de  mots  ne  peut  pas  être  traduit  exactement.  Mais  en  patois 
la  construction  de  «  même  »  sans  pronom  personnel  est  la  seule 
usitée.  Elle  est  souvent  transportée  dans  le  français  local,  et 
des  expressions  comme  :  '  Je  l'ai  fait  même'.  'Vas-y  même'  sont 
courantes  en  Valais. 

-1  tchika  mi  apré,  litt.  '  un  peu  plus  après  '. 

"  fik  est  à  proprement  parler  l'équivalent  du  français  '  foi  ', 
du  latin  fidem  ;  par  extension  de  sens,  balyè  fik  est  devenu  la 
locution  habituelle  pour  dire  '  faire  attention,  prendre  garde  '. 

J.  jEANJAaUET. 


ETYMOLOGIES   FRIBOURGEOISES 

— î— 

I.  Fére  kotô. 

Férd  kotô  '  faire  semblant  ',  par  exemple/,  k.  de  druttii,  '  de 
dormir';  de  rin,  '  de  rien  ':  n'a  pà fc  kotô  d'our?,  'il  n'a  pas 
fait  semblant  d'entendre  ',  =  littéralement  :  «  faire  comme  tel 
[qui  dort,  etc.].  »  Pour  aie-  >  ô  comparez  male>  mô ,  sale 
>  sô,  etc. 

II.  Kouini. 

Ce  mot,  qu'on  retrouve  sous  des  formes  variées  dans  les 
différentes  parties  de  la  Suisse  romande,  signifie  dosse,  c'est-à- 
dire  la  première  planche  qu'on  scie  dans  un  «  billon,  »  plate 
d'un  côté,  ronde  et  recouverte  de  l'écorce  de  l'autre.  C'est  de 
l'écorce  que  cette  planche  tire  son  nom,  qui  dérive  de  *cu- 
tinna  (de  ciitis,  peau),  kouin-na,  'couenne,  croûte'  (par 
exemple  du  pain),  auquel  on  a  ajouté  le  suffixe  -ellus  = /, 
donc  *cutinnellus.  Comparez  Mistral,  Trésor:  coud  en,  '  dosse'. 

III.  Kové(y). 

On  appelle  en  Gruyère  de  ce  nom  l'étui  où  le  faucheur  met 
la  pierre  à  aiguiser  la  faux,  donc  le  coffin.  Le  mot  patois  n'a 
rien  à  faire  avec  le  mot  français  coffin,  il  se  rattache  plutôt  au 
latin  cotarius,  de  cos,  pierre  à  aiguiser  =  queux  en  français. 
Cotarius  est  très  répandu  non  seulement  dans  tous  nos  pa- 
tois, mais  encore  en  réto-roman  (voir  Archivio  glottologico 
italiano  I,  381,  485  ;  II,  131),  et  dans  les  patois  de  France.  (Voir 


ETYMOLOGIES    FRIBOURGEOISES  35 

p.  ex.  Mistral,  i.  coudié,  etc.)  Le  mot  simple  cos,  comme  il  ar- 
rive très  souvent,  n'a  pas  laissé  de  traces;  il  a  e'té  remplacé 
par  ftiolèta,  diminutif  de  '^  nui  la  =  meule  (latin  mola).  Com- 
parez le  verbe  )nold  =  aiguiser.  Le  z'  de  kovè'v^  s'est  intercalé 
pour  effacer  l'hiatus,  comme  dans  *potere  =  povè,  pouvoir^ 
où  le  V  cependant  n'apparaît  pas  partout. 

IV.  Kunyu. 

Fribourg  :  kunyu  =  gâteau  cuit  au  four,  terme  ordinaire 
pour  gâteau  :  kunyu  i  chdrijè  (aux  cerises),  ou  vin  koué  (au  «  vin 
cuit  »),  ou  frs  (au  fromage),  etc.;  Neuchâtel  :  knyœ.  =  gâteau 
de  pâte  seule.  L'étymologie  est  cuneolus,  comme  l'a  fort 
bien  dit  M.  Horning.  {Zeitschrift  fiir  rom.  Phil.  XVIII,  216.) 
Le  suffixe  -eolus  donne  précisément  -yu  en  fribourgeois,  -yœ 
dans  la  montagne  neuchâteloise,  comparez  filiolus  =  Jilyu, 
flyx;  pour  1'//  atone  du  mot  fribourgeois,  comp.  kunyi  =  cogner, 
de  eu  ne  are.  Le  mot  a  donc  désigné  à  l'origine  un  gâteau  en 
forme  de  coin.  Les  patois  français  de  l'Est  et  du  Nord  appel- 
lent coucnua,  etc.,  des  gâteaux  ou  pains  d'une  certaine  forme. 
Beauquier  {Frovincialismes  du  Z>oul>s... sous  quigneux)  dit:  «  Ce 
gâteau  s'appelait  encore  autrefois  Coignole,  Conoignole.  C'était 
un  gâteau  pointu  des  deux  côtés  [à  l'origine  probablement 
seulement  de  l'un],  large  et  creux  dans  le  milieu,  afin  d'y  rece- 
voir un  petit  enfant  Jésus  en  terre  ou  en  sucre.  »  Ces  gâteaux 
se  faisaient  peut-être  à  l'origine  à  Noël  exclusivement  et  repré- 
sentaient le  cadeau  offert  par  les  parrains  à  leurs  filleuls.  La 
Gruyère  en  conserve  un  souvenir  en  nommant  kunyu  a  kouarne 
(gâteau  à  cornes  ou  pointes)  l'étrenne  d'un  parrain  ou  d'une 
marraine.  Notre  mot  est  apparenté  au  français  quignon. 

V.   Kuti  paryâ. 

C'est  le  nom  qu'on  donne  dans  un  grand  nombre  de  nos 
patois  à  la  plane,  c'est-à-dire  à  un  couteau  à  lame  droite  à 
deux  manches  servant  à  égaliser.  Cette  désignation  dérive  du 


36  L-  GAUCHAT 

verbe  latin  parare,  tiré  de  l'adjectif  par  =  égal,  pris  dans  le 
sens  de  égaliser,  et  conservé  dans  beaucoup  de  nos  patois.  Il 
signifie /^/<?r  en  Valais,  en  Savoie  et  à  Genève.  La  forme  latine 
correspondant  exactement  à  notre  kuti  paryâ  serait  donc 
cultellus  paratorius,  comp.  en  provençal  moderne  coutèu 
paradou  (Mistral).  Pour  le  développement  de  -atoriu,  com- 
parez miratoriu  >  msryâ,  «  miroir.» 

L.  Gauchat. 


ADDITION 

— î— 

M.  le  professeur  S.  Singer  me  fait  remarquer  qu'en  alle- 
mand nichts  signifie  aussi  fleurs  de  zinc,  pompholix,  de  sorte 
que  le  proverbe  nichts  ist  gut  fur  die  Augen  indique  un  ancien 
médicament  employé  pour  les  maladies  d'yeux.  Le  proverbe 
de  la  Suisse  allemande  niit  icK  goiisf  fiir  d  boug?,  mentionné 
à  la  page  10  du  Bulletin  (1903),  est  né  d'une  confusion  du 
terme  chimique  nichts  avec  nichts  =  rien.  Il  est  donc  évident 
que  la  locution  fribourgeoise  rin  lyè  bon  po  /^-y'-j^^?  est  d'origine 
allemande.  L.  G. 


— ooC>0<C<3<^ 


L'AGGLUTINATION  DE  L'ARTICLE 

DANS  LES  MOTS  PATOIS 
{Suite  et  Jîn.) 


3.  Type  :  le  zoiseau. 

Tout  le  monde  écrit  «  entre  quatre  yeux  »  et  prononce  <^  entre 
quatre-z-yeux,  »  en  dépit  de  l'orthographe  ;  c'est  une  des  rares 
concessions  que  l'Académie  française  a  bien  voulu  faire  à  la 
langue  parlée.  D'où  vient  ce  z  illégitime  ?  C'est  que  le  pluriel 
de  «  œil  »  ne  s'entend  guère  que  dans  la  liaison  :  les  yeux, 
des  yeux,  aux  yeux,  mes  yeux  ;  tes  yeux,  etc.,  deux  yeux,  de 
beaux  yeux,  etc.,  de  là  la  forme  «  zyeux  »  qui  se  grave  dans 
notre   mémoire  phonétique.    Ne   sommes-nous  pas  tentés  de 
demander  à  un  enfant:  «Combien  d'-z-yeux  as-tu?»  au  lieu  de 
combien  d'yeux  as-tu?  —  Ecoutez  les  enfants  eux-mêmes  qui 
vous  parlent  d'un  zoiseau,  d'un  zhantieton,  d'un  zeiifatif,  d'un 
zanimaux ;  ils   ont  tort  certainement,  mais  ils  nous  révèlent 
une  tendance  de  la  langue  qui  a  modifié  plus  d'un  mot  patois. 
Le  français  créole  ne  connaît  que  les  formes  agglutinées,  il  dit  au 
singulier  :  //  zie,  H  zozeau,  li  zanimaux.  Dans  les  patois  romands, 
cette  tendance  a  affecté  les  mots  :  œil  y  œuf,  oie  et  iga,  'jument  '. 
I.  jœ,  s.  m.,  sing.  et  plur.  pour  «  œil.  »  C'est  la  seule  forme 
agglutinée  de  cette  espèce  qui  ait  fait  disparaître  complètement 
la  forme  légitime  dans  certaines  régions.  Elle  se  rencontre  sur- 
tout dans  le  Valais  oîi  la  forme  zouc  l'emporte   de  beaucoup 
sur  ouK  qui  ne  se  trouve  que  dans  quelques  patois  isolés.  Fri- 
bourg,  dans  sa  partie  méridionale,  notamment  dans  les  districts 
de  la  Gruyère  et  de  la  Veveyse,  dit  de  préférence  :  yè  ;  cepen- 

3 


38  E.    TAPPOLET 

dant  le  VuUy,  le  district  du  Lac  et  la  Broyé  présentent  jà 
ou  je.  La  limite  est  formée  à  peu  près  par  la  ligne  de  chemin 
de  fer  Lausanne-Fribourg.  Le  Jura  vaudois  semble  préférer  yà,', 
je  ;  pour  '  œil-de-bœuf  '  (ouverture  dans  la  grange),  Sainte-Croix 
dit  \.o\x)0\xx'~,  jë-dé-bu.  En  général,  le  canton  de  Vaud  offre  la 
forme  jà  ou  je,  excepté  la  partie  qui  touche  au  canton  de 
Neuchâtel  (Bullet  :  ay,  Provence  :  z/),  les  Alpes  vaudoises  et  la 
plaine  du  Rhône  où  nous  voyons  dominer  les  formes  non  agglu- 
tinées :  yé,  uè,  u.  Dans  l'ouest  du  canton  la  lutte  entre  les  formes 
agglutinées  et  non  agglutinées  n'est  pas  terminée  :  on  y  ren- 
contre oiiè  à  côté  de  joué. 

Tel  est  également  le  cas  du  canton  de  Genève  oîi  l'on  trouve 
zone,  joue  à  côté  des  formes  plus  répandues:  sing.  nyuè  (avec 
agglutination  d'une  partie  de  l'article  indéfini  <?«),  plur,  joue. 

Les  cantons  de  Neuchâtel  {ou,  ou',  u,  ulyoUy  ulyo,  àyou,  œly') 
et  de  Berne  (ày,  éy,  éy)  ne  connaissent  absolument  que  les 
formes  légitimes. 

2.  za°,  s.  m.,  pour  '  œuf'  m'est  attesté  pour  Forel  et  pour 
Oron.  On  y  dit  :  bayi  on  za°  pbr  avay  on  ba°,  '  donner  un  œuf 
pour  avoir  un  bœuf. 

3.  zouyd,  s.  f.,  pour  '  oie,  '  se  rencontre  dans  le  patois  d'Hé- 
rémence  (Valais)  '. 

4.  ziga,  s.  f.,  vieille  jument,  dans  la  vallée  de  Joux,  pour  iga^ 
descendant  régulier  du  latin  equa,  '  jument  '  (cf.  le  provençal 
egua,  ancien  français  ive,  etc.) 

Ajoutons  à  ces  quatre  cas  d'agglutination  plutôt  accidentelle 
un  vieux  mot  valaisan  où  la  trace  de  l'article  n'a  été  révélée 
que  par  l'investigation  étymologique  : 

5.  frimisé,  s.  f.  pi.,  '  prémices  '   dans  le   val  d'Annivier^. 


^  Voir  de  Lavallaz,  Essai  sur  le  patois  d Hérénience,  p.  70,  171. 
On  devrait  avoir  lè-jouys  comme  on  a  lè-j-infan  ;  le  s  semble  im- 
porté d'un  autre  patois. 

-  Ces  prémices  consistent  en  fromages  que  les  Anniviards  pré- 
sentent solennellement  à  l'église  un  dimanche  de  septembre. 
Voir  Romania,  XXV,  p.  437. 


AGGLUTIXATION  DE   L  ARTICLE   DA\S   LES   MOTS   PATOIS     39 

Comment  expliquer  la  pre'sence  de  cet /à  la  place  du  p  qu'on 
attendrait?  M.  Gillie'ron  nous  rappelle  que  lyde  ce  patois  ]:)ro- 
vient  quelquefois  de  sp  latin  ;  ainsi  spina,  épine,  donne  é/jna, 
spissus,  épais,  devient  èfè,  et  il  dérive,  très  ingénieusement, 
notre  frimisé  de  illas  primitias,  où  Vs  du  pronom-article 
s'est  soudé  de  très  bonne  heure  à  la  consonne  initiale  du 
deuxième  mot  qui  était  toujours  employé  au  pluriel.  Reste  une 
difficulté  à  résoudre  :  spina  donnant  ép9na,  sprimitias  a  dû 
passer  par  éfrimisé.  Il  faut  supposer  que  dans  cette  forme  1'^ 
initial  a  été  retranché  par  confusion  avec  l'article  pluriel  //,  de 
là  la  forme  actuelle /r/////j'/. 

4.  Type  :  le  nabit. 

Les  cas  de  ce  genre  sont  rares  dans  nos  patois.  On  en  trouve 
par  contre  de  nombreux  exemples  dans  les  patois  de  la  Bel- 
gique ainsi  que  dans  ceux  de  la  Suisse  allemande,  où  l'on 
entend  fréquemment  dire  :  dr  nacht  pour  dr  acht  ('  le  hui- 
tième '),  dr  nàti  pour  dr  àti^  ('  le  père  ').  Ainsi  nous  avons  : 

1.  nirèson,  de  on-n-irèson  (un  hérisson),  à  Blonay  (Odin,  Pho- 
nologie, p.  153).  Le  hasard  veut  que  le  même  mot  présente  une 
forme  agglutinée  à  Mons  (Belgique). 

2.  noris3,  s.  f.,  mauvais  génie,  sorcière,  diable.  Bridel  a  tiré 
ce  mot  curieux,  non  sans  réserve,  de  nome,  nom  de  déesses 
Scandinaves  qui  correspondent  aux  Parques  des  anciens.  C'est 
pure  fantaisie  ;  cette  explication  est  aussi  inadmissible  que  celle 
qui  dérive  vôdè^  nom  du  diable,  du  dieu  germanique  Wuodan^. 
Si  de  pareils  rapprochements  étaient  pardonnables  à  l'époque 
de  Bridel,  ils  le  sont  déjà  beaucoup  moins  en  1903,  année  qui 
a  vu  paraître  X Histoire  du  canton  de  Vaud,  par  Maillefer,  où 


^  Comp.  le  français  nombril  pour  oinbril,  de  umbiliculum, 
où  \'n  peut  s'expliquer  par  agglutination  et  par  dissimilation, 
tombril,  puis  le  lornbril  =  le  nombril. 

■■'  Pour  la  vraie  origine  du  mot  vôdè^  voir  E.  Muret,  Archives 
suisses  des  traditions  populaires,  II,  p.  180  ss. 


40  E.    TAPPOLEï 

ces  étymologies  germaniques  sont  citées  à  la  page  76  comme 
traces  des  Burgondes  dans  nos  patois. 

Je  m'explique  le  mot  nortsd  de  la  façon  suivante  :  le  latin 
Or  eu  s,  nom  du  dieu  des  enfers,  est  devenu  dans  les  langues 
romanes  un  appellatif  dont  le  sens  varie,  mais  qui  désigne  par- 
tout un  être  à  la  fois  imaginaire  et  redoutable^.  Grâce  à  ce 
sens  flottant,  le  peuple  se  représentant  cet  être  qu'il  n'a  jamais 
vu,  tantôt  sous  forme  d'un  homme,  tantôt  sous  forme  d'une 
femme,  on  a  donné  à  or  eus  un  féminin,  orca,  qui  est  devenu 
régulièrement  brtsd  dans  le  patois  vaudois,  puis,  par  agglutina- 
tion de  l'article  indéfini,  nortsd.  On  a  dû  dire  souvent  fé  on-n- 
orts9,  ou  l'a  rizu  k^min  07i-n-ortsd,  '  il  a  ri  comme  une  sorcière  '. 
—  Si  le  substantif  norts9  tend  à  disparaître  avec  l'idée  peu  mo- 
derne, le  verbe  in-nortsi,  '  ensorceler,  endiabler,  faire  enrager  ' 
est  encore  bien  vivant  dans  le  patois.  —  On  pourrait  aussi 
songer  à  dériver  le  n  de  notre  nbrtsd  de  ce  verbe.  On  aurait  eu 
d'abord  brtsd.,  puis  innbrtsi,  enfin,  le  mot  simple  modifié  par 
le  dérivé  :  nbrtsd.  La  première  explication  a  l'avantage  d'être 
appuyée  par  de  nombreux  cas  analogues. 

III 

Nous  n'avons  vu  jusqu'à  présent  qu'un  côté  de  notre  phéno- 
mène linguistique.  Dans  tous  les  exemples  traités  le  corps  du 
substantif  en  question  est  augmetité  d'un  son  provenant  de  l'ar- 
ticle, soit  défini,  soit  indéfini.  Il  nous  reste  à  examiner  le  pro- 
cédé inverse.  Puisqu'on  se  fait  si  facilement  des  idées  fausses 
sur  la  vraie  forme  du  substantif  combiné  avec  l'article,  il  serait 
étonnant  si  cela   arrivait  toujours  au  profit   du  substantif  et 


*  En  Italie,  orco,  fort  répandu  dans  les  dialectes,  signifie 
«  croque-mitaine,  fantôme,  épouvantail.  »  'L'orco  est  le  person- 
nage typique  des  contes  de  fée  ;  comp.  ogre  en  français  ;  en 
Espagne,  uerco  désigne  l'enfer  (sens  latin)  et  le  diable.  La  femme 
de  Vorco  italien  s'appelle  orc/iessa.  Notre  féminin  orca  est  peut- 
être  né  sous  l'influence  d'un  autre  mot  orca  qui  en  latin  et  en 
italien  signifie  une  espèce  de  gros  dauphin,  «  hétérodon  ou  épau- 
lard.  » 


AGGLUTINATION   DE   L' ARTICLE   DANS   LES   MOTS  PATOIS     4I 

jamais  à  ses  dépens.  Plusieurs  exemples  sont  là  pour  démon- 
trer qu'en  effet  ce  procédé  contraire  existe,  c'est-à-dire  que  tel 
substantif,  au  lieu  de  gagner  en  consistance  par  la  confusion 
avec  l'article,  y  perd.  C'est  une  agglutination  négative  qu'on 
pourrait  appeler  «  déglutination.  »  On  l'observe  également 
dans  le  langage  des  enfants,  par  ex.  :  une  anterne,  les  anternes, 
pour  «  lanterne.  » 

LA  DÉGLUTINATION 

Nous  pouvons  distinguer  quatre  types  : 

I.  Le  contraire  du  type  :  lendemain. 
Les  mots  suivants  ont  perdu  leur  /  initial  qu'on  prenait  pour 
l'article  élidé. 

1.  écrelét,  s.  m.,  forme  employée  à  côté  de  lécrelet  dans  le 
langage  populaire  de  Genève  (Humbert).  Ce  n'est  pas  autre 
chose  que  le  mot  allemand  leckerli,  sorte  de  pain  d'épices.  Le 
dictionnaire  de  Littré  enregistre  écrelet,  parce  que  Rousseau 
l'a  employé  dans  la  Nouvelle  Héloïse,  IV,  lo,  où  il  dit:  La Fan- 
chon  me  servit  des  gauffres,  des  écrelets. 

2.  egrdfas' ,  s.  m.,  pour  lègr?fas'  '  grand  vase  de  cave  '  terme 
de  vigneron  (v.  Gignoux,  Terminologie  du  vigneron,  p.  43). 
C'est  le  mot  allemand  suisse  :  Làgerfass  '  tonneau  de  chantier, 
foudre  '  {Idiotikon,  I,  1051).  La  forme  sans  /  n'est  attestée  que 
pour  le  vignoble  de  Lavaux  ;  la  forme  normale  dans  les  can- 
tons de  Vaud  et  de  Fribourg  est  Icgr  ou  lègr^fas' . 

3.  0,  os,  s.  m.,  pour  lo,  los,  '  récompense  ',  c'est  le  latin 
laudes,  'louanges',  ancien  français  los.  O,  os  se  trouve  en 
ancien  fribourgeois  du  quinzième  siècle,  il  a  disparu  dans  les 
patois  modernes.  (Voir  Girardin,  Le  vocalisme  du  fribourgeois 
au  quinzième  siècle.,  p.  36.) 

4.  élargie^  s.  f.,  pour  '  léthargie  '  ;  le  Conteur  vaudois  (1895, 
No  48)  écrit  :  parait  que  Vétâi  coumeint  on  dit,  ein  nétargie  ; 
on  peut  interpréter  cette  graphie  de  deux  manières  :  ou  bien 
le  n  fait  partie  du  mot,  on  a  dit  la  léthargie,  dans  ce  cas  \n 


42  E.    TAPPOLET 

peut  s'expliquer  par  dissimilation  avec  /  (au  lieu  de  la  léthargie 
on  a  dit  la  néthargie),  ou  bien  le  n  n'est  que  la  consonne  de 
liaison,  nous  avons  alors  affaire  à  la  forme  déglutinée  :  élargie. 

2.  Le  contraire  du  type  :  aglan. 
En  général,  ce  sont  des  mots  féminins  dont  Va  initial  s'est 
détaché  par  confusion  avec  l'article. 

1.  valanlsd  ou  lavanlsd,  s.  f.  (Ormonts),  pour  avalanls3  ou 
alavantsa,  '  avalanche  ',  si  le  mot  vient  réellement  de  ad 
vallem  +  antia. 

2.  bai,  s.  f.,  pour  abaï^  '  abbaye  ',  ancienne  fête  de  tir  dans 
le  canton  de  Vaud.  Aux  Ormonts,  on  dit  par  ex.  :  la  vilyy  bai., 
'  la  vieille  abbaye  ',  ou  vin-t9  si-y-an  pbr  pasâ  le  bat  ?  «  Viens- 
tu  cette  année  pour  passer  les  '  abbayes  '.  » 

3.  grêla,  s.  f.,  pour  agrèta,  '  cerise  commune  ',  à  Dompierre 
(Fribourg).  C'est  une  variante  du  mot  français  griotte  pour 
agriote,  dérivé  de  aigre,  mot  qui  est  aussi  très  usité  dans  la 
Suisse  romande. 

4.  tsèta,'s,.ï.,\)Oux  atsèta,  'hache'  (Fribourg).  Dans  ces  deux 
mots,  la  voyelle  tonique  du  radical  primitif  a  passé  à  l'article. 

5.  luèta,  s.  f.,  pour  aluèta,  '  alouette,  '  forme  usitée  dans  la 
Broie  (Fribourg). 

6.  lèyna,  layna,  s.  f.,  '  alêne  ',  Fribourg  ;  l'Etivaz  (Vaud). 

7.  fjiidon,  s.  f.,  pour  emidon^  '  amidon  ',  Jura  bernois  (patois 
de  Delémont  et  de  l'Ajoie).  A  Charmoille,  on  dit  par  ex.  :  in 
pb  d'midon,  '  un  peu  d'amidon  '. 

8.  lèytyé-vatss,  s.  f.,  pour  '  allaite-vache  ',  un  des  mots  qui 
désignent  la  salamandre  (Fribourg). 

9.  brdfnch,  s.  f.,  pour  l'abr^mèh,  '  farine  d'avoine',  de  l'al- 
lemand suisse  Habermehl. 

Voici  un  exemple  pour  l'article  masculin,  l'inverse  de  Vostan 
pour  lo  stan. 

10.  relbdzo,  s.  m.,  pour  *  orlbdzo^  'horloge  ',  du  latin  horo- 
logium.  -  Ce  mot  montre  souvent  cette  aphérèse  dans  les 
langues  romanes,  ainsi  anc.  prov.  relotge,  espagnol  reloj,  etc. 


AGGLUTINATION  DE  L'ARTICLE  DANS  LES  MOTS  PATOIS      43 

3.  Le  contraire  du  type  :  nabit. 

Un  seul  mot  présente  la  perte  de  Vn  initiale  ;  c'est 
âdo,  s.  m.,  pour  nâlfo,  '  moyeu  d'une  roue',  Fribourg,  s'il 
vient  de  l'allemand  JVade  (voir  Idiotikon,  IV,  p.  631),  Bridel 
donne  abot  =  '  essieu  ',  c'est  sans  doute  le  même  mot. 

4.  Type  :  komotivs. 

1.  Dans  le  mot  français  locomotive,  d'importation  toute 
récente,  la  syllabe  initiale  avait  pour  les  patoisants  du  Jorat 
l'air  de  l'article  masculin  lo,  de  là  la  fausse  séparation  du  mot 
en  lo  komotiv?  qui  amène  un  changement  de  genre,  frécjuent 
dans  les  mots  importés.  Puis  le  mot  redevient  féminin,  c'est 
ainsi  que  Favrat  l'emploie  dans  la  phrase  :  vatelé  via  avoué  la 
comotive.  {Mélanges  vaudois,  p.  243.)  Comparez  le  sifèr,  '  le 
diable  ',  pour  lucifer,  dans  le  patois  de  Cellefrouin  (dép.  Cha- 
rente-Inférieure). 

2.  mala,  pour  lamala,  '  lamelle,  lame  '  (Valais). 

CONCLUSIONS 

Les  pages  qui  précèdent  sont  loin  d'avoir  épuisé  le  sujet, 
tant  pour  le  phénomène  de  l'agglutination  en  général,  que  pour 
les  exemples  à  tirer  de  nos  patois.  Mais  les  mots  que  nous 
avons  passés  en  revue,  au  nombre  de  plus  de  soixante,  suffiront 
à  donner  une  idée  d'ensemble  de  la  question. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  voir  comment  nos  exemples,  tirés 
tous  du  même  domaine  géographique,  se  répartissent  entre  les 
différents  procédés  ou  types  indiqués.  Ce  qui  frappe  tout 
<i'abord,  c'est  que  les  cas  d'agglutination  sont  bien  plus  nom- 
breux que  ceux  de  déglutination,  le  procédé  augmentatif  est 
représenté  par  47  cas,  soit  environ  3^^  du  total,  le  procédé 
inverse  seulement  par  17  cas,  soit  à  peu  près  1/4. 

Cette  disproportion  n'est  pas  l'effet  du  hasard,  car  en  cher- 
chant systématiquement  des  exemples  d'agglutination  et  de 
déglutination  dans  tout  le  domaine  des  langues  romanes,  on 


44  E.    TAPPOLET 

trouve  partout  que  les  substantifs  ont  été  bien  plus  souvent 
augmentés  que  diminués  par  leur  contact  avec  l'article. 

Quant  à  l'explication  de  cette  prédominance,  elle  est  bien 
simple.  En  théorie,  tous  les  substantifs,  quelle  que  soit  leur  ini- 
tiale, voyelle  (type  l-endemain)  ou  consonne  (typ e  :  /-f<?r«^i'),  peu- 
vent subir  l'agglutination,  tandis  que  la  déglutination  ne  peut 
se  produire  que  dans  certaines  conditions  phonétiques  :  le  mot 
doit  commencer  par  /  ou  n  (cas  leckerli  et  nabe),  ou  par  a  (cas 
a[midon),  par  o,  lo,  la,  etc.  On  voit  qu'un  nombre  beaucoup  plus 
restreint  de  mots  remplissant  ces  dernières  conditions,  la  déglu- 
tination a  forcément  moins  de  prise. 

Le  second  fait  qu'il  importe  de  relever,  c'est  que,  parmi  les 
9  types  étudiés,  il  y  en  a  3  qui  sont  de  beaucoup  plus  riches 
en  exemples  que  les  6  autres.  Ce  sont  tout  d'abord  les  deux 
types  :  lendemain  et  écornes,  remarquables  par  leur  fréquence 
relative  ;  ils  sont  à  peu  près  de  même  force  l'un  que  l'autre,  et 
forment  ensemble  environ  -j^  du  total.  Aucun  type  de  dégluti- 
nation  ne  peut  rivaliser  avec  eux  ;  un  seul,  celui  de  ajmidony 
est  d'une  fréquence  notable,  englobant  i/e  du  total  des  cas. 

Cette  statistique  sommaire  nous  permet  d'établir  certaines 
conditions  dans  lesquelles  l'agglutination  ou  la  déglutination  a 
lieu  et  sans  lesquelles  elle  ne  se  produit  pas.  Ces  conditions 
sont  d'ordre  différent  :  elles  concernent  avant  tout  la  composi- 
tio?i  phonétique  de  la  syllabe  initiale  du  substantif;  cependant, 
la  fonction  et  le  sens  du  mot  ne  sont  pas  indifférents. 

A.  Conditions  relatives  a  la  forme  du  substantif  : 

Sont  surtout  sujets  à  l'agglutination  avec  l'article  les  subs- 
tantifs qui  commencent  par  une  voyelle  quelconque  (type  :  le?i- 
demain). 

Sont  sujets  à  la  déglutination  les  substantifs  : 

1.  qui  commencent  par  /  (ou  ti),  type  :  IJécrelet  ; 

2.  dont  la  première  syllabe  est  égale  à  la  partie  vocalique 
de  l'article  défini,  type  :  a]mido?i. 


AGGLUTINATION  DE  L'aRTICLE  DANS  LES  MOTS  PATOIS      45 

B.  Conditions  relatives  a  la  fonction  du  substantif  : 

Pour  qu'une  forme  de  l'article,  plutôt  qu'une  autre,  se  soude 
plus  ou  moins  définitivement  au  substantif,  il  faut  que  ce  sub- 
stantif soit  ordinairement  employé  dans  un  des  deux  nombres  : 
ainsi  le  lendemain,  le  haut,  le  pis,  le  nombril,  le  hibou,  le 
hoquet,  etc.,  tous  mots  qui  ne  sont  guère  employés  au  pluriel  ; 
ou  alors  les  cornes,  les  ciseaux,  les  tenailles  ;  les  '  étours  '  ,•  les 
yeux,  les  œufs,  etc.,  qui  sont  surtout  ou  presque  exclusivement 
employés  au  pluriel. 

Enfin,  quant  aux  conditions  qu'imposerait  à  l'agglutination 
le  sens  des  substantifs,  notre  collection  ne  confirme  pas  entiè- 
rement l'opinion  de  M.  Meyer-Liibke,  qui  croit  que  la  maladie 
de  l'agglutination  n'atteint  guère  que  les  mots  rares,  Roma- 
nische  Grammatik,  I,  p.  356,  car,  pour  ne  citer  que  quelques 
exemples,  qui  oserait  appeler  rare  l'emploi  des  mots  :  yeux, 
escalier,  horloge,  cornes,  lendemain,  le  haut,  leçon.  En  outre,  des 
mots  tels  que  la  hotte,  le  pis,  abri  expriment  des  idées  très 
familières  à  la  vie  du  paysan. 

Toujours  est-il  que  de  notre  soixantaine  d'exemples,  il  y  en 
a  une  bonne  trentaine  dont  l'usage  peut  être  vraiment  qualifié 
de  rare,  comme  par  ex.  :  tournis,  hoquet,  gerçure,  chenet, 
amidon,  alêne,  etc.  Pour  s'en  mieux  convaincre,  on  n'a  qu'à 
prendre  un  groupe  d'idées  et  à  chercher  la  proportion  entre 
les  mots  rares  et  les  mots  fréquents  ;  ainsi  dans  les  parties  du 
corps  nous  trouvons  5  mots  rares  :  cils,  narines,  luette,  nom- 
bril, orteil,  contre  3  mots  plus  ou  moins  fréquents  :  yeux, 
écornes,  pis.  Parmi  les  noms  d'animaux,  la  proportion  est 
encore  davantage  en  faveur  de  la  thèse  des  «  mots  rares  ;  »  on 
ne  peut  pas  même  considérer  le  mot  oie  comme  étant  d'un 
usage  fréquent  ;  des  autres  bêtes  :  lézard,  orvet,  salamandre, 
loriol,  hérisson,  hibou,  on  n'en  parle  pas  même  tous  les  mois. 

Nous  ne  nous  éloignerons  donc  pas  trop  de  la  vérité  en 
disant  que,  toutes  les  autres  conditions  étant  égales,  un  mot 


40  L.    GAUCHAT 

rarement  employé  a  un  peu  plus  de  chance  de  subir  l'aggluti- 
nation qu'un  mot  d'un  usage  fréquent. 

Ajoutons  que  les  quelques  mots  d'origine  étrangère  {écrelet, 
ègrsfas,  bramèl,  abo),  ou  d'origine  savante  {léthargie,  amidon, 
locomotive)  confirment  cette  façon  de  voir,  car  au  moment  de 
leur  introduction  dans  le  patois  la  chose  qu'ils  désignent  était 
nouvelle  et  rare. 

Je  me  hâte  cependant  d'ajouter  que,  si  la  rareté  du  mot  est 
pour  quelque  chose  dans  l'agglutination,  le  facteur  le  plus  favo- 
rable à  produire  cet  accident  de  langage,  est  sans  aucun  doute 
le  contact  intime  d'un  substantif  avec  telle  forme  de  l'article 
plutôt  qu'avec  telle  autre,  de  là  les  cas  si  étonnants  au  premier 
abord  les  zyeux  et  les  écornes,  qui  semblent  narguer  la  théorie 
des  «  mots  rares.  » 

E.  Tappolet. 


LA   BOUA 

-♦- 

La  bibliothèque  du  collège  de  la  Chaux-de-Fonds  renferme, 
réunies  dans  un  portefeuille,  41  pièces  patoises  ou  relatives  au 
patois,  qui  sont  de  la  plus  haute  importance  pour  la  connais- 
sance de  l'ancienne  langue,  aujourd'hui  absolument  éteinte, 
de  la  Montagne  neuchâteloise.  Cette  collection  constitue  le 
No  7639  du  catalogue  manuscrit.  Elle  a  été  composée  jadis  par 
Célestin  Nicolet,  dont  lôs  héritiers  ont  eu  la  bonne  idée  de  la 
déposer  à  la  dite  bibliothèque,  sauvant  ainsi  ces  précieux  pa- 
piers de  l'oubli.  Plusieurs  de  ces  documents  sont  inédits,  no- 
tamment les  petits  vocabulaires,  dont  l'un  contient  entre  autres 
des  mots  très  rares,  par  exemple  des  noms  de  plantes,  etc., 
qui  figurent  sous  les  N"^  7  à  15.  C'est  d'une  pièce  de  vers  hu- 
moristique que  j'aimerais  aujourd'hui  entretenir  nos  lecteurs. 


LA    BOUA  47 

Elle  est  intitulée  La  boua  (la  lessive),  émane  de  feu  l'avocat 
Auguste  Billet  et  se  rencontre  quatre  fois  dans  le  recueil, 
sous  les  N<'*  25,  32  a  et  b,  et  n-  Disons  tout  de  suite  que  les 
N<'"  25,  32  a  et  33  sont  identiques,  sauf  les  variantes  orthogra- 
phiques inévitables  dans  la  copie  de  documents  patois.  Comme 
la  façon  d'écrire  les  dialectes  n'a  jamais  subi  l'influence  des 
académies,  chacun  est  libre  de  suivre  ses  goûts  et  préjugés.  Ce 
qui  frappe  davantage,  c'est  la  grande  indépendance  du  texte 
donné  sous  le  N"  32  b.  Nous  pouvons  distinguer,  comme  pour 
les  grandes  épopées  de  l'ancienne  littérature  française,  plusieurs 
familles  de  manuscrits,  que  j'appellerai  les  familles  A  (N'^*  25, 
32  (Z,  2,Z)  st  B  (Nf  32^).  Lequel  de  ces  deux  groupes  repose 
sur  la  bonne  tradition,  et  représente  le  plus  fidèlement  l'ori- 
ginal ?  Comme,  au  fond,  toute  poésie  populaire  est  sujette  à 
des  remaniements  arbitraires,  cette  question  n'est  pas  sans 
intérêt,  et  l'on  voudra  me  permettre  d'étudier,  à  la  manière 
des  philologues,  les  rapports  qui  existent  entre  les  variantes  de 
texte  de  notre  petit  poème,  tout  moderne  et  tout  patois  qu'il 
soit. 

Le  comité  du  patois  neuchâtelois  a  reproduit  le  morceau 
dans  le  volume  que  je  viens  de  citer  en  note,  p.  131,  d'après 
le  Ni^  32(5.  Etait-il  bien  inspiré  en  préférant  cette  rédaction? 
Notons  dès  à  présent  que  la  copie  du  Patois  7Uuchâtelois 
a  sauté  le  huitième  vers  de  la  rédaction  B,  de  sorte  que  la 
rime  gôdillon  se  trouve  sans  correspondance.  Je  ne  critique 
pas  la  transcription  souvent  erronée.  Quant  aux  variantes  de 
texte,  le  lecteur  verra  plus  loin  quelle  confiance  elles  méritent. 


'  Quant  à  l'auteur,  Lucien  Landry  parle,  dans  une  note  du 
volume  Le  patois  neuchâtelois,  Neuchâtel,  Wolfrath,  1894,  p.  131  : 
de  «  l'esprit  piquant,  humoristique  à  l'excès,  de  ce  bossu  à  l'air 
chétif,  mais  qui  avait  su  se  faire  une  place  distinguée  dans  la 
société.des  femmes  d'esprit  et  élégantes  de  la  Chaux-de-Fonds  ». 
Voir,  du  reste,  la  biographie  de  l'avocat  Bille,  par  John  Clerc, 
dans  le  volume  publié  à  l'occasion  du  Centenaire  de  l'incendie  de 
la  Chaux-de-Fonds. 


48 


L.    GAUCHAT 


Voici  maintenant  les  deux  principales  formes  de  notre 
poème,  d'après  les  leçons  des  N^s  25  et  32^  du  recueil  de  la 
Chaux-de-Fonds.  Je  laisse  de  côté  les  leçons  des  autres  repré- 
sentants de  la  famille  A  et  du  Patois  neuchâtelois  qui  n'offrent 
que  des  variantes  orthographiques. 


Famille  A,  N°  25. 
La  boua. 

Assetoue  que  vo  fat  ait  la  boua 
On  peu  konta  su  on  neva. 
Se  vo  povie  vo  z'a  passa 
Sa  sarait  grau  bei?i  djobia. 
5.  Ma  peiîiso  bin  que  vo  ?i'ie  pieu 
Ne  panetnafi,  ne  liasseu. 
Ne  pannemor^  ne  manti 
Ne  muodchu,  ne  gaudillon 
Ne  tchaussait,  ne  galeçon 

10.  Ke  ne  saia  to  cointchi, 

Voutre  bœube  a  knio  le  tchemin 
Et  vautrait  feuilletait  assebin 
Asse  qu'on  dit pa  dvouai  dchi  no 
Et  i  ne  le  kreyo  que  tro. 

1 5 .  Lait  djouvenait  dja  danondrait, 
{Ke  ne  sontu  tu  a  kuinottet) 
Baillia  treviaige  pieu  dovraige 
Ke  se  nétait  du  tin  don  viaige. 
Dieu  no  beugtie!...  attate  onpoue, 

20.  /  sou  greugne  kma  on  petoue  ! 
Ma,  kma  ne  le  sarait  on  pas 
A  reveyant  de  tau  névas 
Damatie  qu'avouai  le  bétain 
No  saran  kasi  u  tchautain 

25.  Ma  no  volein  espéra 

Ki  revadra  aprè  voutra  boua. 


Famille  B,  N°  32  ^. 
La  boua. 

Ass'toû  que  voz  fâtet  la  boua, 
On  peut  compta  su  on  nèva  : 
Ça  sarait  do7ic  gros  bein  djobiây 
Se  voz  povie  voz  à  passa. 
Ma  peinso  bein  que  voz  nHe  pieu 
Ra  d'pânne-mans,  ne  de  liasseux^ 
Ra  d'mouotchus,  ne  de  godillons, 
De  tchaussets,  ne  de  galeçons. 
Pieu  d'pânne-mors,  ne  de  d'vanties^ 
Pieu  de  ra,  que  n'seit  to  coijitchie. 
Voûtre  boueube  à  kniot  le  tchemin, 
Et  voûtret  feuiirtets  assebein, 
A  ce  qii'c  dia  pa  d'voai  tchi  noz. 
Po  met,  i  fie  l'creyo  que  trop  ; 
Cest  qu'let  djouv'nets  dj'as  d'anondret, 
{Que  ne  sont-u  tu  à  eu  7nottet  1  ) 
No  bailla  baicoilp  pieu  d'ovraidge 
Qu'on  n'a  faisait  u  teims  d'on  viaidge. 
Voz  n'sarie  donc  attadre  on  poue. 
To  ça  m'fâ  greugn'  ktna  on  petoue  ;. 
Eh  !  kma  ne  le  sar ait-on  pa, 
A  reveyant  de  taux  nèvas  : 
Damati  qiiavoai  le  bé  teims 
No  saran  quasi  u  tchaud-teims. 
Ma  péchasse  !  i  voui  espéra 
Qu'après  voutra  boua,  l'bé  r'vadra^ 


LA    BOUA  49 

On  trouvera  plus  loin  la  traduction  des  deux  rédactions.  En 
confrontant  A  et  B,  on  remarquera  qu'ils  se  correspondent 
vers  pour  vers,  sauf  les  lignes  3  et  4,  interverties  dans  B  et  le 
vers  y  de  A  (rime  manti)  qui  doit  évidemment  passer  après  9 
pour  former  la  rime  plate  avec  cointchi.  Il  s'agira  là  d'une  irré- 
gularité, voulue  ou  non,  du  type  A.  Sous  ce  rapport,  B  offre 
une  régularité  parfaite.  De  plus,  dans  B  la  ponctuation  est  plus 
soignée,  et  les  mots  sont  plus  intelligibles,  parce  qu'on  a  eu 
soin  d'ajouter  les  signes  de  la  flexion  1,  d'orthographier  plus  à 
la  française  '-,  de  mieux  rendre  les  sons  patois  ^  et,  enfin,  de 
séparer  convenablement  les  mots  *.  A  plusieurs  formes  et  mots 
rares  du  texte  A  correspondent  des  expressions  plus  claires 
de  B,  ainsi  à  treviaige  (vers  17)  baicoûp,  à  attate  (vers  19) 
attadre.  Outre  cela,  le  sens  est  plus  lié,  les  idées  se  tiennent 
mieux  dans  la  rédaction  B"".  Ainsi,  cette  dernière  forme  du 
morceau  paraît  se  recommander  à  tous  égards  et  être  plus 
digne  de  confiance,  et  il  semble  que  les  rédacteurs  du  Patois 
neuchdtelois  aient  bien  fait  de  s'en  tenir  à  ce  texte. 

Mais  nous  allons  examiner  nos  variantes  plus  en  détail.  Pour 
quel  motif  le  type  B  ofifre-t-il  par  exemple,  au  vers  10,  pour  : 
ke  ne  saia  to  cointchi,  ceci  :  pieu  de  ra,  que  n  seit  to  cointchie  ? 
Je  ne  me  serais  peut-être  pas  tout  de  suite  rendu  compte  de  la 
cause  de  cette  différence,  et  de  tant  d'autres,  si  je  n'avais 
trouvé  dans  le  manuscrit  N"  25  au-dessous  de  chaque  mot  un 
ou  plusieurs  petits  traits  d'une  autre  encre  que  le  morceau 


'  Cf.  B  :  voz,  peut,  pânne-inaiiB,  tiasseiix,  feiiit/'tets,  etc.,  vis-à- 
vis  de  A  :  vo,  peu,  paneman,  liasseu,  feuilletait,  etc. 

-  Ainsi  B  :  gros,  compta,  voz  à,  trop,  taux,  béteinis,  tcliaud- 
teiins,  quasi,  etc.,  vis-à-vis  de  grau,  konta,  vo  s'a,  tro,  tau,  bétaiu, 
tchautain,  kasi,  etc. 

■'  B  :  ass'toù,  /â/et,  compta.,  mouotchus ,  tchi,  bonenbe,  ovraiàge, 
viaidge,  etc.,  à  côté  de  A:  assetoue, /atait,  konta,  muodchu,  dch/,' 
bœube,  ovraige,  viaige,  etc. 

'  Cf.  A  :  dvouat,  danondrait,  sontn  et  B  :  d'voai,  d' anondret , 
sont-u. 

^  Voir  les  vers  3-4  de  5  ^  4-3  de  A  et  surtout  les  deux  vers  19. 


50 


L.    G  AU  CHAT 


même,  et  trahissant  que  quelqu'un  s'est  ingénié  à  compter  les- 
syllabes  de  ces  vers.  Grâce  à  ce  système,  ce  critique  inconnu 
est  arrivé  à  constater  que  les  vers  comptent  de  7  à  lo  syllabes. 
Le  vers  :  ke  ne  saia  to  cointchi  en  a  7,  le  vers  2  :  on  peu  konta 
su  on  neva  en  a  8,  le  vers  1 7  :  Baillia  treviaige  pieu  dovraige 
en  a  10.  Pauvre  avocat  Bille  !  Cette  fois  les  rieurs  ne  sont  pas 
de  ton  côté  !  Ta  satire  serait  plus  mordante  en  prose  qu'en  vers  t 

C'est  donc  pour  régulariser  la  pauvre  métrique  de  notre 
avocat  qu'un  inconnu  a  refait  tout  son  poème.  On  comprend 
du  coup  que  B  est  dérivé  de  A,  non  vice-versâ,  car  personne 
n'aurait  pu  s'aviser  de  gâter  une  poésie  à  octosyllabes  régu- 
liers en  la  réduisant  à  la  métrique  boiteuse  que  nous  avons 
vue.  On  se  demande  toutefois  s'il  n'y  aurait  pas  moyen  de 
sauver  l'art  de  l'avocat  Bille  en  supposant  qu'il  soit  l'auteur  de 
B,  non  de  A,  et  que  cette  mauvaise  rédaction  soit  due  à  quelque 
reproduction  inexacte  faite  de  mémoire. 

Il  n'en  est  rien  cependant.  A  représente  bien  l'original  et  ces 
vers  sont  plus  réguliers  qu'ils  ne  semblent  l'être  de  prime 
abord.  L'auteur  de  B  ne  s'est  pas  aperçu  que  la  pièce  est 
composée  tout  entière  en  vers  de  7  syllabes  et  qu'en  la  rema- 
niant il  en  a  faussé  le  caractère  vraiment  patois.  L'avocat  Bille 
n'avait  consulté  que  son  oreille  en  scandant  ses  vers,  il  n'avait 
compté  que  les  syllabes  qui  se  prononçaient  réellement,  se 
fondant  ainsi  sur  la  métrique  naturelle,  la  seule  bonne.  La 
reconstruction  phonétique  que  je  fais  suivre  en  fournira  la 
preuve.  Pour  arriver  à  découvrir  des  vers  de  7  à  lo  syllabes, 
l'inhabile  remanieur  a  été  obligé  d'employer  et  d'abuser  du 
système  métrique  de  la  langue  littéraire,  en  comptant  par 
exemple  comme  trois  syllabes  muodchu,  viaige,  etc.,  qui  n'en 
ont  réellement  que  deux  et  une.  Le  mot  bœube  (vers  11)  forme 
.pour  le  nouveau  rédacteur  trois  syllabes,  quoique  placé  devant 
une  voyelle,  tandis  qu'il  se  prononce  en  une  seule  émission  de 
voix.  Ce  qui  paraissait  une  infériorité  de  A,  l'apparente  irrégu- 
larité du  rythme,  tourne  tout  à  son  avantage,  et  témoigne  en 
faveur  des  facultés  d'observation  de  l'auteur.  Le  rédacteur  de 


LA    BOUA  51 

B,  au  contraire,  a  fait  œuvre  de  dilettante  mal  inspiré,  en  comp- 
tant les  syllabes  patoises  comme  des  syllabes  de  tragédie  de 
Corneille.  Je  ne  nie  pas  que  certains  vers  de  Bille  ne  soient  un 
peu  raboteux  :  sa  poésie  est  rude  comme  le  climat  de  la  Chaux- 
de-Fonds,  mais  elle  est  d'allure  franche  et  dégagée.  Quant  à 
la  ponctuation  négligente,  à  l'orthographe  inconstante  et 
inexacte,  elles  devaient  déjà  nous  avertir  que  le  type  A  était 
plus  voisin  de  l'original  que  B.  Aux  commentateurs  le  soin  de 
ponctuer  rigoureusement  !  Tant  que  le  morceau  se  dit,  tant 
que  la  parole  vibre,  elle  trouve  toute  seule  l'intonation  voulue. 
Mais  la  forme  écrite  qui  la  remplace  plus  tard  a  besoin  de  tous 
les  apprêts  de  la  grammaire.  Le  manuscrit  N"  25  cherche  à 
rendre  les  sons  patois  directement,  sans  égard  à  l'orthographe 
française.  Si  on  écrit  vo  z'a  passa,  c'est  que  le  s  commence  en 
réalité  la  seconde  syllabe,  comme  dans  les  mots  français  vous 
en  passer,  si  l'on  observe  bien.  On  a  écrit  tro  sans  p,  feuille- 
tait sans  j-  à  la  fin,  parce  que  ces  p  Qi  s  n'ont  laissé  aucune 
trace  dans  la  langue  parlée.  Loin  d'accuser  le  scribe  de  A 
d'inexactitudes,  on  le  louera  de  cet  essai  de  transcription  plus 
ou  moins  phonétique.  Le  vrai  connaisseur  du  patois  préfère 
l'aspect  rustique  et  primesautier  de  l'orthographe  de  ^  à  la 
couleur  française  de  la  rédaction  B.  Il  attachera  surtout  plus 
d'importance  aux  vieux  mots  treviaige'^,  etc.,  qu'à  leurs  succes- 
seurs baicoîîp^  etc.  La  rédaction  B  contient,  en  revanche,  une 
ou  deux  formes  dont  l'authenticité  patoise  est  plus  que  dou- 
teuse, comme  dia,  faisait  des  vers  13  et  18. 

On  voit  combien  les  apparences  trompent.  Ce  qui  avait  l'air 
d'un  texte  régulier  et  soigneusement  établi,  n'est  qu'une  mau- 
vaise contrefaçon.  Le  fait  que  deux  autres  copies  trouvées  à  la 
Chaux-de-Fonds  (les  N"*  32  a  et  33)  représentent  la  même  tra 
dition  que  A  confirme  notre  opinion  que  cette  famille  reproduit 
le  plus  fidèlement  l'original.  Cet  original  s'est-il  perdu  ?  Il  est 


'   Treviaige  n'est  du  reste  qu'une  façon  arbitraire  d'écrire  trè 
viédf  =.  trois  fois,  ce  que  le  rédacteur  de  B  n'a  pas  reconnu. 


52 


L.  GAUCHAT 


permis  d'en  douter.  Au  verso  du  manuscrit  25  on  lit  la  dédi- 
<:ace  suivante,  écrite  de  la  même  main:  LaBoua,  à  M"'^  Fran- 
çoise B.,  née  Jf'.,  par  A*'^  Bille.  Allons-nous  trop  loin  en  sup- 
posant que  c'est  la  lessive  de  M""^  Françoise  B.,  née  W.,  qui  a 
inspiré  l'avocat  Bille  et  que  le  manuscrit  25  en  est  l'autographe? 

RECONSTRUCTION    PHONÉTIQ.UI; 

La  boua. 

As'toû  k'  vb  fatc  la  boua, 

On  pé  kontà  su  on  nèva  ; 

S'  7'd  pbvî  vb-z-a  passa. 

Sa  s  are  grô  bin  djôbyâ. 
5 .  APâ  pinso  bin  K  vb  n'ï  pyœ 

Ni  pan.nd-man  ?i9  lyassœ, 

Nd  panji9-}}ibr  Ji?  vianti, 

Ab  moubtchu  ni  gôdilyon, 

Ni  tchàssè  m  galisson 
10.  Ki  ni  sqya  to  kouintchî. 

Voutn  bou^b'  a  knyb  li  ich'inin 

È  voutrè  fàly^tè  ass'bin, 

As'  k'on  di  pa  dvoué  tchi  nb, 

È  i  m  li  krèyo  k'  trb. 
15.  Le  djouronè  dja  d'anondre 

{Ki  fi'son-t-îi  tu  a  ku-mbtè  !) 

Balya  trè  vyédf  pyœ  d'bvrédf 

K'  Si  n'ètè  du  tiii  d'on  vyédf  ! 

Dyé  nb  bœny'  /...  ataf  on  pou: 
20.  I  sou  grœny' kma  on  pitou  ! 

Ma,  kma  m  V  sarè-t-on  pâ 

A  r'vèyan  di  té  nèva, 

Dainail  k'  avoué  V  hé  tiji 

Nb  saran  kazi  u  tcho-tin  ! 
25.  Ma  nb  vblin  èspèrâ 

KH  r'vadra  apré  voutra  boua. 


LA    BOUA  53 

Traduction. 
La  lessive. 

Aussitôt  que  vous  faites  la  lessive, 
On  peut  compter  sur  une  tombée  de  neige  ; 
Si  vous  pouviez  vous  en  passer. 
Ce  serait  très  bien  combiné. 
5.  Mais  je  pense  bien  que  vous  n'avez  plus 
Ni  essuie-mains  ni  draps  de  lit, 
Ni  serviettes  ni  nappes. 
Ni  mouchoirs  ni  jupons. 
Ni  pantalons  (bas?)  ni  caleçons 
ïo.  Qui  ne  soient  tout  sales. 

Votre  fils  en  connaît  le  chemin 
Et  vos  filles  aussi, 

A  ce  qu'on  dit  «  par  devers  chez  »  nous, 
Et  je  ne  le  crois  que  trop. 
15.  Les  jeunes  gens  d'à  présent 

(Que  ne  sont-ils  tous  le  derrière  nu  I) 
Donnent  trois  fois  plus  d'ouvrage 
Que  ce  n'était  (le  cas)  du  temps  d'autrefois. 
Pour  l'amour  de  Dieu  !  («  que  Dieu  nous  bénisse  !  ») 

[Attendez  un  peu  : 
20.  Je  suis  chagrin  comme  un  putois  ! 
Mais,  comment  ne  le  serait-on  pas 
En  revoyant  de  telles  tombées  de  neige. 
Attendu  qu'avec  le  beau  temps 
Nous  serions  presque  à  l'été  ! 
25.  Mais  nous  voulons  espérer 

Qu'il  reviendra  après  votre  lessive. 

Traduction  des  principales  variantes  de  B  :  v.  6  et  suiv.  ra  =: 
rien,  v.  9  d'vanties  =  tabliers  ;  v.  13  à  ce  que  dia  :=  à  ce  qu'ils 
disent;  v.  14  po  met  =  pour  moi;  v.  19  voz  n'sarie  =  vous  ne 
sauriez  ;  v.  25  pochasse  =  patience  ;  v.  26  l'bé  =  le  beau. 

L.    G.\UCHAT. 


TEXTES 

— î— 

I.  A  la  tsèri  *. 

(Patois  de  Rovray,  Gros-de-Vaud.) 

L6  pèr3  {k9  Un  le  kàrnè^).  —  Le  sin  nb  or  a  ? 

Le  valè  (k'akoulye).  —  Krèyb  k'byi.... 

L6  pèr3.  —  È  hin,  alin  !  Dyu  nb  kondui^è  ! 

L6  valè  (in-n-èxatin^).  —  I!  Kbll^,  MâniK'...  Dèvan!... 
Markï^  !... 

Lo  garson  (kd  min. ne  Ib  Marki,  dèvan).  —  //  Markî  !... 

L5  pèrs  {kan  san  zu  on  bè).  bhà  !  hœ  !  Voué  kp  vblyan 
arètà!...  bhà!  hé!...  on  dprè  kd  san  ti  sb*" !...  œlà!... 

TRADUCTION 
Au  labour 

(avec  trois  hommes  et  trois  chevaux). 

Le  père  (qui  tient  les  mancherons),  —  Y  sommes-nous,  main- 
tenant ? 

Le  fils  (qui  chasse  [les  chevaux]).  —  Je  crois  qu'oui.... 

Le  père.  —  Eh  bien,  allons  !  Dieu  nous  conduise  ! 

Le  fils  (en  faisant  claquer  son  fouet).  —  Hue  !  CoH  !  Mani  !... 
Devant  !...  Marquis  ! 

Le  DOMESTIQ.UE  (qui  mène  Marquis,  devant).  —  Hue  !  Mar- 
quis !... 

Le  PÈRE  (quand  ils  ont  été  un  bout),  —  Halte!  Arrêtez! 
Ouais  qu'ils  veulent  arrêter!...  Arrêtez!  Arrêtez!...  On  dirait 
qu'ils  sont  tous  sourds!...  Arrêtez  !... 


A    LA    TSERI 


55 


Lô  valè.  —  obâ  !  hé  !... 

Lô  garson.  —  hé!... 

Lô  pèr3  (tan  kp  pâ  gala).  —  Fd  iip  vèdè  pa  kp  là  Mâiii 
l'è  inhobyâ  !  bbrgnb  kp  v'îtè  !...  Sp  navè  rin  dp,  Valavan 
dinchp  kanly'â  bè  ! 

L6  valè  {apri  ave  dèkobyà  là  Màni).  —  Ardi!  àra  ! 

Lô  père  (dèvan  d'arpvà  a  bè).  —  Al  in  !  Kàlî,  Manî, 
Markî!...  Korâd:;^û !  Dèvan,  dèrè ;  ti  tre  pare^ !... 

Lô  valè  {in  arpvin  à  bè).  —  Ardi  â  bè  !  dèvan,  dèrè;  ti 
ire  pare  ! 

Lô  garson.  —  Fi)i...  Markî!  Kbràd:(à  â  bè  ! 

Lô  pèr9.  —  ohâ  !  hé  !  N'alâdè  pa  pye  lyin,  np  fin  àna 
tsintrp^ !  Np  volyin  pa  troupâ  la  naval'  èsparsèt'  â  vp::iin 
Tyénp...  Ça  son  valè  kan  Fan  ~u  rèpyantà  la  tsèri)  Pè^a  !  np 
vin  tru  te::^ou  !  Pe:;a,  tè  dyb  ! 

Le  fils.  —  Arrêtez!  Halte  !... 

Le  DOMESTIQ.UE.  —  Halte!... 

Le  PÈRE  (tant  qu'il  peut  crier).  —  Vous  ne  voyez  pas  que 
[le]  Mani  [il]  est  pris  dans  ses  traits!  borgnes  que  vous  êtes  !... 
Si  je  n'avais  rien  dit,  ils  allaient  ainsi  jusqu'au  bout  ! 

Le  fils  (après  avoir  démêlé  [le]  Mani). —  Hardi!  à  présent! 

Le  père  (avant  d'arriver  au  bout  [du  champ]).  —  Allons! 
Coli,  Mani,  Marquis!...  Courage!  Devant,  derrière;  tous  trois 
pareils  ! 

Le  fils  (en  arrivant  au  bout  [du  champ]).  —  Hardi  au  bout  ! 
Devant,  derrière  ;  tous  trois  pareils  ! 

Le  DOMESTIQ.UE.  —  Viens...  Marquis!  Courage  au  bout! 

Le  père.  —  Halte  !  Halte  !  N'allez  pas  plus  loin,  nous  faisons 
une  ^^/«/r(?  /  Nous  ne  voulons  pas  piétiner  la  nouvelle  espar- 
cette  du  voisin  Etienne...  (à  son  fils  quand  ils  ont  eu  planté  à 
nouveau  la  charrue)  Pèse!  nous  allons  trop  peu  profond!  Pèse, 
je  te  dis! 


56  O.    CHAMBAZ 

L6  valè.  —   Yd  pe^o! 

Lô  pèra.  —  Fç'^a  onhb  me! 

L6  valè.  —  Ve:(o  tan  hd  pu!... 

L5  pèr3.  —  Mè  aspbin!  Ma  on  119  le  fâ  pa  pipétp'^!... 
On  rintsp^!...  Rèkoulè!... 

Lô  valè  (in  tmyin  Ib  mand^^o  de  s'n  èkourdja  dèvan  la 
iîta  è  tsèvô).  —  Troukp!  Kblî!  Mânî!... 

L6  garson.  —  Troukp!  Markî! 

L6  pèr9  {â  tbr^  d'apri,  in  vprin  à  ht).  —  Yo  alà  vb  oral... 
btâ!  A  la  ràyp! 

Là  valè.  —  A  la  ràyp!  Kblî!  Markî! 

Lô  pèr3  [a  son  valè).  —  Tsanpa!  Busa  fçrmb !  {on  pou 
pyp  lyin)  Tirp  on  bbkon  !  {apri)  Pa  sp  ridb  :  nah-btsin  bna 
pyèra!...  Lâ<^  !  Là^!... 

Lô  valè.  —  Là»!  Là" !  Kblî!  Manî!... 

Lô  garson.  —  Là»!  Markî!... 

Le  fils.  —  Je  pèse! 

Le  père.  —  Pèse  encore  davantage  ! 

Le  fils.  —  Je  pèse  tant  que  je  peux  !... 

Le  père.  —  Moi  aussi  !  Mais  on  n'avance  à  rien  !...  On  ne 
laboure  plus!...  Recule!... 

Le  fils  (en  tenant  le  manche  de  son  fouet  devant  la  tête 
des  chevaux).  Reculez!  Coli!  Mani! 

Le  DOMESTIQ.UE.  —  Recule!  Marquis! 

Le  PÈRE  (au  tour  d'après,  en  tournant  au  bout  [du  champ]). 
—  Où  allez-vous  à  présent?...  A  droite!  Au  sillon! 

Le  fils.  —  A  la  raie  !  Coli  !  Marquis  ! 

Le  PÈRE  (à  son  fils  ).  —  Appuie  !  pousse  ferme  !  (un  peu  plus 
loin)  Tire  un  peu  !  (ensuite)  Pas  si  fortement  :  nous  atteignons 
une  pierre  !...  Doucement!  Lentement!... 

Le  fils.  —  Lentement  !  Lentement  !  Coli  !  Mani  ! 

Le  DOMESTIQ.UE.  —  Lentement  !  Marquis  ! 


A    LA    TSERI 


57 


Lô  pèr3.  —  btâ  !  btâ!  {apri  kôtye  kanbâye).  —  Ouè! 
ouè!...  Np  van  jamé  kè  d'bn-n-èkstréin9  a  Vôtra!...  (a  son 
vale).  Alin!  fâ  le  bud:{i;  k'on  pouésè  fini  sî  tsan  onœ. 

Lô  valè  Qn-n-èkourd/^in  le  Isevô).  —  Alin,  tsaropè  !  Dè- 
patsin  nb  ! 

L6  pèr9  (hp  voiiètè  dâ  kbté  dâ  garson).  —  Ouè!  Markî!... 
Voiièt9  vè  yô  va!...  L'è  Ib  tsèvô  kp  tè  min.  ne! 

L6  garson  (din  sa  katsèia).  —  N'a  jamé  tb  bbrdpnà... 

Lô  pèr3  {k'a  byii).  —  Le  vîlyb  dp^an  kp  yon  kp  np  save 
pa  brama  np  valye  rin  pb  tpni  le  kbrnè!... 

Lô  pèr3  (è-^-invpron  de  niid:;^b).  —  Dèpondè  mè  xà  bîtè!... 
Uè  bon  pb  sta  vouarba  *^. 

{Lb  valè  è  Ib  garson  dèpyeyan,  pu  d:{iii  è  bîtè  van  se  rèpétrè.) 

Le  père. —  A  droite!  A  droite!  (après  quelques  enjambées) 
A  gauche  !  A  gauche  !  Ils  ne  vont  jamais  que  d'un  extrême  à 
l'autre!...  (à  son  fils)  Allons!  fais-les  bouger  [afin]  qu'on  puisse 
finir  ce  champ  aujourd'hui. 

Le  fils  (en  fouettant  les  chevaux^.  —  Allons,  paresseux!  Dé- 
pêchons-nous ! 

Le  père  (qui  regarde  du  côté  du  domestique).  —  A  gauche  ! 
Marquis!...  Regarde  donc  où  il  va!...  C'est  le  cheval  qui  te 
mène! 

Le  DOMESTIQ.UE  (à  voix  basse  [dans  sa  poche]).  —  [II]  n'a 
jamais  tout  grondé.... 

Le  PÈRE  (qui  a  entendu).  —  Les  anciens  disaient  que  celui 
qui  ne  savait  pas  crier  [réprimander]  ne  valait  rien  pour  tenir 
les  mancherons. 

Le  père  (à  l'approche  de  midi).  —  Dételez-moi  ces  bêtes  !... 
C'est  bon  pour  cette  matinée. 

(Le  fils  et  le  domestique  détellent,  puis  gens  et  bêtes  vont  se 
repaître.) 


58  O.    CHAMBAZ 


NOTES 

1.  alâ  a  la  tsèri,  aller  labourer  avec  la  charrue  ;  pyantâ  la 
tsèri  (planter  la  charrue),  labourer  ;  inrèyi,  commencer  à  la- 
bourer. 

2.  Celui  qui,  avec  la  charrue  vieux  système,  «  tenait  les 
cornes,  »  prenait  en  quelque  sorte,  en  empoignant  les  manche- 
rons, le  bâton  de  commandement.  Aussi  cette  place  était-elle 
presque  toujours  occupée  par  le  chef  de  famille. 

3.  J'ai  fait  la  remarque,  dans  le  Gros-de-Vaud,  que  les  per- 
sonnes qui  depuis  longtemps  ont  abandonné  l'usage  du  patois, 
le  retrouvent  chaque  fois  qu'elles  s'adressent  aux  animaux,  ainsi 
que  lorsqu'elles  sont  en  colère  ou  ont  seulement  un  mouvement 
d'impatience. 

4.  Nom  de  cheval. 

5.  C'est-à-dire  en  tirant  tous  les  trois  pareillement,  d'égale 
force. 

6.  tslntrd,  s.  m.  {atsintri,  v.)  :=  l'extrémité  du  champ,  que 
l'on  laboure  dans  le  sens  de  la  largeur,  afin  de  ne  pas  empiéter 
avec  l'attelage  sur  la  propriété  du  voisin. 

7.  Nd  pa  le  fér?  pipétd  =  n'y  influencer  en  rien  ;  «^  mè  fâ 
pa  pipéta  =  cela  m'est  indifférent. 

8.  rintsi  onfér?  on  rm  =  passer  avec  la  charrue  sans  la- 
bourer. 

9.  on  tbr  de  tsèri  =  (un  tour  de  charrue)  deux  sillons  en 
longueur  du  champ  creusés  en  sens  opposé.  Il  faut,  pour  les 
-creuser,  faire  le  tour  du  champ. 

10.  on-na  vouarba  de  tsèri  —  le  temps  que  l'on  reste  au  labour 
sans  dételer  ;  de  là  l'expression,  pour  désigner  un  travail  quel- 
conque long  à  terminer  :  Vin-n-a  pb  on-na  vouarba  de  tsèri  =  il 
en  a  pour  longtemps. 

Octave  Chambaz. 


II.  Lou  fachon  de  la  bénichon. 

Dialogue  de  deux  commères  en  patois  de  la  Veveyse  (Fribourg). 

Dyn  vb-j-édè,  Goton  ^  ! 

—  Bon  viproii,  Tsika'^  !  Te.  fô  chobrâ^  oima  ouèrba  è  vini 
agbd-â*'  la  mb'&ârda^. 

—  Dyou  pâ  na,  on-n-è  dmrâ  hin  hhîirajè  k^  chl  achiou 
in-n-an'^.  On  chè  balyè  ink'  tan  de  pinna,  pu  rin.... 

—  Fâ  to  paré  galyâ  piéji  de  rtuèr  la  moûârda,  lou  pape 
a  la  bèya  "^^  de  irbchâ  Iwtyè  buuyt  ^  è  pm3-è  on  talyon  ''  de  ku- 
chôla^^. 

—  Ouna  râva  ^  *  /  N'a  îyè  lou  fachon  k^  mè  rètravè  lou 
kâ^-.  Lou  myb  nirè  ink'  rin  P  valyè.  La  mb'&ârda  n  p'kè  rin 
¥min  lè-j-ôtri  kou,  krèyé  jènié  de  fer'  a  krouch^lyi  le  br^cbi^^, 

TRADUCTION 

—  Dieu  vous  aide,  Marguerite  ! 

—  Bon  soir,  Françoise  !  Il  te  faut  rester  un  instant  et  venir 
goûter  la  moutarde. 

—  Je  ne  dis  pas  non.  Assurément,  nous  voilà  bienheureuses 
qu'elle  soit  bientôt  passée  (cette  bénichon).  On  se  donne  tant 
de  peine,  puis  rien.... 

—  On  a  cependant  bien  du  plaisir  à  revoir  la  moutarde,  le 
ragoût  de  mouton,  à  manger  quelques  beignets  et  un  morceau 
de  cuchôle. 

—  «  Une  rave.  »  (Pas  du  tout.)  Il  n'y  a  que  le  {façoii)  hachis 
de  chou  qui  me  fasse  plaisir.  Le  mien  n'était  absolument  pas 
réussi.  La  moutarde  n'a  plus  le  piquant  de  jadis,  je  ne  croyais 


6o 


H.    SAVOY 


oou  d:(oa  d'or  a  lou  chukrou  n^  chukrè  pâ  ouna  frèja,  ne  dybra 
tyè  de  la  chô.  Tb  chin  ne  rin,  n'ire  tyt  mon  fachon  ! 

—  Ma  !  chin  m'èd-ounè  kp  fôcbè  mankâ  ton  fachon,  kar 
id  châ  prbou  bin  houj^nâ  !  Pbr  me,  pu  d^r9  kp  h  myb  lyè-j-ou 
fèrmou  bon. 

—  A  /  chôplyé,  di-mè  k^min  t'a  fé  ! 

_ —  Mè  chu  t^rya  pri  ^'^  de  Fanchon,  d^mind^'.... 

—  Fanchon  lya  gran  tin  fikbtâ  ^  ^  pè  lou  kabarè,  lya  adt 
tbtè  le  tchan^è. 

La  vboudèja,  jhné  cha  katèl^na  ^*'  lya  mankâ. 

—  Aclf,  mè  chu  f et'  a  rèmbrâ^^  la  rè'&èta^^  dou  fachon,. 
è  lyé  galyâ  bin  rèoiichè. 

—  Ouâra  bon  f  tè  fô  la  mè  tsigâ  ^^  pb  l'an  If  vin. 

—  M'a  tan  rèk^mandâ  de  la  ouèrdâ,t^  nboudripâ  mè  vindr'. 

—  A  ko  /*  di-'&ou  ? 

jamais  arriver  à  donner  du  croquant  aux  bricelets,  aujourd'hui 
le  sucre  ne  sucre  plus  du  tout,  ce  n'est  bientôt  que  du  sel.  Mais 
tout  cela  n'est  rien,  s'il  n'y  avait  mon  [façon)  hachis  de  chou. 

—  Mais  !  cela  m'étonne  que  tu  aies  manqué  ton  «  fachon,  » 
car  tu  sais  très  bien  faire  la  cuisine  ;  pour  moi,  je  puis  dire  que 
le  mien  a  été  bien  bon. 

—  Ah  !  s'il  te  plaît,  dis-moi  comment  tu  as  fait  ! 

—  Je  me  suis  approchée  de  Fanchette  dimanche.... 

—  Fanchette  a  longtemps  préparé  les  petits  plats  au  cabaret^ 
elle  a  toujours  toutes  les  chances.  La  sorcière  !  jamais  sa  rave 
de  sainte  Catherine  ne  lui  a  manqué. 

—  Aussi,  je  me  suis  fait  rappeler  la  recette  du  hachis  de 
chou  et  j'ai  parfaitement  réussi. 

—  Voilà  qui  est  bien  !  tu  vas  me  la  passer  (donner  la  recette) 
pour  l'an  prochain. 

—  Elle  m'a  tant  recommandé]  de  la  garder  (pour  moi),  tu 
n'iras  pas  me  trahir. 

—  A  qui  le  dis-tu? 


LOU  FACHON  DE  LA  BÉNICHON  6l 

—  E  bin,  fô  k^minxi  ci  pbrbulyi  lè-j-èrbè,  pu  on  le  bHè  a 
èpourâ  chu  on  tèvi,  le  fô  adon  tsaplyâ  fin.  ne  avoué  lou  kult 
broché  ^^.  On  lèy  puâè  la  chô  è  on  tsaplyè  dey  kuvè  dè-j-inyon 
è  dey  piti-j-biyon.  Du  inh'  f  le  pâchè  bon  burou,  F  lèy  If  le  on 
bokon  de  mouchhaia.  E  adon  lou  ta  din  la  plia. 

—  M'in  vé  chin  b^tâ  chu  on  bokon  de  pape.  Adyu,  Goton  ! 

—  Bouna  né,  Tsika  !  A  rêver'  ! 

—  Eh  bien  !  on  commence  par  faire  bouillir  parfaitement  les 
herbes  (choux),  puis  on  les  laisse  égouter  sur  un  disque.  On  les 
coupe  alors  bien  fines  avec  le  couteau  à  deux  mains.  On  les 
saupoudre  de  sel  et  on  hache  des  tiges  d'oignons  et  des  petits 
oignons.  Puis  tu  les  passes  au  beurre  et  tu  y  mets  un  peu  de 
noix  de  muscade.  Et  alors  le  tout  dans  la  casserole. 

—  Je  m'en  vais  le  mettre  sur  un  bout  de  papier.  Adieu^ 
Marguerite  ! 

—  Bonsoir,  Françoise,  au  revoir  ! 

NOTES 

^  Goto7i  est  un  abre'viatif  du  diminutif  Mar goton,  petite  Mar- 
guerite. —  -  Tsika,  Françoise,  rappelle  l'italien  Franciska.  — 
^  Chbbrâ,  demeurer,  rester,  s'arrêter  un  peu  longtemps.  — 
^  Agbûâ  la  mod-ârda,  goûter  la  moutarde,  ou  agoûd  la  bénichon^ 
goûter  la  bénichon,  sont  les  expressions  dont  on  se  sert  pour 
inviter  à  un  repas  de  bénichon.  —  ^  Albûdrda,  préparation  dans 
laquelle  on  fait  entrer  de  la  farine  délayée,  du  vin  cuit  et  les 
graines  du  Sinapis  nigra  Z.,  qui  lui  donnent  un  goût  piquant. 
Les  cuisinières  mettent  tout  leur  soin  à  obtenir  une  moutarde 
piquante.  Cette  préparation  est  ordinairement  servie  avec  le 
beurre.  —  *^  In-n-an,  en  avant,  être  en  avant,  être  bientôt  passé. 
On  dit  d'un  malade  qui  ne  peut  plus  %oxi\x:  pbou  pâ  nié  in-n-an, 
il  ne  peut  plus  en  avant.  —  "^  Pape  a  la  beya,  ragoût  de  mouton, 
c'est  le  plat  par  excellence  de  la  bénichon.  Bénichon  vient  de 
benedictionem,  cette  réjouissance  coïncidait  autrefois  avec  la 
fête  de  la  dédicace  ou  de  la  bénédiction  de  l'église  paroissiale.  — 


62  H.    SAVOY 

^Bunyè,  beignet,  pâtisserie  inévitable  de  la  bénichon.  —  ^  Talyon, 
du  verbe  talyi,  couper,  désigne  une  tranche  de  pain,  de  gâteau, 
etc.  —  '^^  La  Kuchàla,  pain  pétri  avec  du  lait  et  du  beurre,  fait 
nécessairement  partie  des  accessoires  de  \d.  bénichon.  —  ^i  Ouna 
râva  !  une  rave,  expression  pittoresque  qui  indique  une  désap- 
probation, un  mépris.  N'  v6  pd  ouna  râva,  il  ne  vaut  pas  une 
rave,  il  ne  vaut  absolument  rien.  —  12  Retrbvâ  lou  kâ,  retrouver 
le  cœur,  se  dit  des  mets  qui  font  plaisir,  alors  qu'on  paraît 
n'avoir  goût  à  rien.  —  ''3  Br^chi,  bricelet,  croquettes  préparées 
avec  une  farine  très  pure,  de  la  crème  et  du  sucre.  —  ^*  Chè 
t'ri  pri,  se  tirer  près,  s'approcher  doucement,  câlinement,  avec 
l'intention  d'obtenir  une  faveur.  —  ^^  Fikotâ,  sans  doute  altéré 
de  frikotâ,  dérivé  de  fricot.  —  ^^  Katèl^na,  de  Catherine  ;  le 
soir  de  Sainte-Catherine,  on  prend  une  rave,  on  coupe  l'extré- 
mité de  la  racine  que  l'on  creuse.  On  remplit  la  cavité  de  terre 
et  on  y  fait  un  semis  ;  la  rave  est  suspendue  au  plafond.  Bientôt 
les  feuilles  commencent  à  pousser,  se  dressent  autour  de  la 
rave  et  forment  une  jolie  touffe  de  verdure,  que  l'on  salue  avec 
plaisir  comme  première  messagère  du  printemps.  On  donne 
encore  ce  nom  à  une  courge  que  l'on  évide  et  dont  on  découpe 
l'écorce  de  manière  à  représenter  une  tête  de  mort.  A  la  nuit 
tombante,  une  bougie  est  fixée  au  fond  de  la  courge,  que  l'on 
va  déposer  sur  une  borne  dans  les  champs  ou  aux  croisées  des 
chemins,  afin  d'effrayer  les  passants.  —  '^  Rémora,  rappeler, 
rèffiouér',  la  mémoire.  —  '^^Rè&èta,  recette  :  une  femme  habile 
est  appelée  ouna  fèniala  de  reûèta.  —  ''^  Tsigd,  glisser  en  ca- 
chette. Ce  verbe  indique  aussi  l'acte  des  marqueurs  à  la  cible, 
de  l'allemand  zeigen.  —  -O  Kuti  br'chè,  «  couteau  bercet,  »  le 
couteau  à  deux  mains  est  balancé  comme  un  berceau. 

•  Hubert  Savoy. 


•>■»<» 


LES   NOMS    DES    VENTS 

DANS  LA  SUISSE  ROMANDE 

Recherches  étymologiques. 

-♦- 

I.  Ubèr'. 

Le  mot  «  uberre  »  est  très  familier  à  tout  Neuchâtelois.  Il 
désigne  généralement  un  vent  un  peu  chaud  venant  du  Sud 
pour  les  habitants  du  Val-de-Travers  ou  de  la  Montagne  neu- 
châteloise,  du  Sud-est  pour  ceux  du  Val-de-Ruz.  On  croit  pou- 
voir l'identifier  avec  une  espèce  de  fôJvi  adouci.  Cette  ques- 
tion regarde  plutôt  les  naturalistes,  auxquels  nous  laissons 
volontiers  le  soin  de  rechercher  l'origine  atmosphérique  de  ce 
vent.  Nous  nous  bornerons  à  préciser  l'emploi  lexicologique 
de  son  nom  et  à  en  discuter  l'étymologie  la  plus  probable. 
Dans  le  langage  ordinaire,  1'  «  uberre  »  est  l'opposé  du  «Joran,  » 
vent  qui  descend  des  pentes  du  Jura,  tout  comme  le  «  vent  » 
désigne  la  direction  opposée  à  celle  de  la  «  bise.  »  On  ren- 
contre le  mot  «  uberre  »  dès  les  plus  anciens  documents  d'ar- 
chives, où  il  sert  à  indiquer  la  situation  d'une  terre,  etc.  >. 

Tout  essai  étymologique  doit  se  baser  en  première  ligne  sur 
les  sons.  Comme  il  s'agit  d'un  nom  exclusivement  neuchâtelois 
(voir  une  petite  restriction  plus  loin),  c'est  dans  le  système 
phonétique  de  ce  canton  qu'il  faudra  chercher  la  solution  de 
l'énigme.  Nous  diviserons  donc  le  mot  en  ses  deux  éléments, 


*  «  Ah  aiiberreria  seu  oriente  »  dans  un  document  de  1456 
(Lausanne),  dans  d'autres  documents  le  mot  désigne  plutôt  le 
vent  du  Sud. 


04  L.    GAUCHAT 

le  radical  ub-  et  le  suffixe  -erre.  Comme  tous  les  p  ou  b  latins 
entre  voyelles  ont  donné  un  t'  dans  tous  nos  patois,  cf.  râpa  = 
râv\  faba  z=  fâv\  etc.,  le  b  de  notre  mot  doit  venir  d'un  mot 
allemand  ou  d'un  b  appuyé,  c'est-à-dire  précédé  en  latin  d'une 
autre  consonne.  L'allemand,  ne  possédant  aucun  mot  sem- 
blable, est  hors  de  cause.  Nous  nous  demandons  ensuite  quelle 
peut  être  l'origine  de  Vu  atone.  Choisissons  par  exemple  le 
vocabulaire  de  Savagnier  dans  le  Val-de-Ruz  et  réunissons  un 
nombre  suffisant  de  mots  présentant  les  mêmes  conditions. 
Nous  trouverons  ainsi  les  sources  du  son  u  en  syllabe  antéto- 
nique.  L'//  peut  provenir  de  la  syllabe  tonique,  comme  dans 
rudf  (rouge)  :  rudjef  (espèce  de  prune),  ou  d'un  u  long  latin, 
comme  dans  djudjP  (juger),  dura  (durer),  etc.  Puis  nous  rencon- 
trons u  pour  le  groupe  latin  ul  ou  ol  +  consonne,  comme  dans 
addulcire  =  adussï  (adoucir),  auscultare  =  akutâ  (écouter),^ 
sulphurare  ^  suprâ  (soufrer),  ultra  =  utr  (outre,  forme  pro- 
clitique), bullicare  =  budj'P  (bouger),  cultellu  =  kuté  (couteau), 
collocare  ■=  kutchP  (coucher),  pulveraria  =^  pudrPr'  (pou- 
drière), etc.  Le  son  u  peut  ensuite  dériver  de  /  devant  labiale, 
comme  dans  sibilare  =  subyâ  (siffler).  Enfin,  u  tire  son  origine 
du  groupe  al  -+-  consonne.  C'est  le  cas  le  plus  fréquent  et,  de 
plus,  cette  évolution  est  spécialement  neuchâteloise.  Comme 
preuve,  je  citerai  les  formes  suivantes  :  ad  -\-  article  /  pour 
marquer  le  «  datif  »,  par  exemple  u  fou^  =  «  au  feu  »,  sait  are 
:=  sutalisdiViter),  faldare  —  fudar'  (tablier),  salvaticii  pour 
silvaticu  =  suvâdf  (sauvage),  Salvani...  pour  Silvani...  =^ 
Suva?iyP  (vieux  nom  de  Savagnier),  caldaria  =  tchudPr''  (chau- 
dière), calceare  =  tchussP  (chausser),  calceonaria  =  tchussnPr^ 
(faiseuse  de  bas),  salsicia  =  sus'  (pour  *  suss^ssj,  saucisse), 
calcare  =  tchutchP  {^rQ?,'s,tr),  falcarm  ^=  futchP  («  faucher  » 
=  manche  de  la  faux),  ad  illu  turnu  =:  utbr''  (autour),  etc. 
Avant  de  nous  décider  pour  une  étymologie  de  «  uberre  »  con- 
tenant le  groupe  al,  tâchons  d'écarter  les  autres  combinaisons 
de  sons.  La  voyelle  u  n'est  guère  due  à  l'influence  d'un  u 
tonique,  puisque  nous  n'avons  pas  de  mot  simple  auquel  cor- 


LES    NOMS    DES    VENTS    DANS    LA    SUISSE    ROMANDE  65 

responde  «  uberre  »,  les  cas  de  u  remontant  à  û  ou  i  latins  sont 
extrêmement  rares.  Comme  le  b  indique  qu'une  consonne  est 
tombée  devant  ce  son,  nous  disposons  encore  des  éventualités 
de  ?//,  ol  -\-  consonne  ou  de  al  -\-  consonne.  La  phonétique  est 
un  instrument  de  travail  trop  perfectionné  pour  nous  laisser 
longtemps   dans   l'embarras.  Tous  les  patois  n'obéissent  pas 
exactement  aux  mêmes  règles.  Ainsi  à  la  Montagne  neuchâte- 
loise  ul,  ol  +  consonne  aboutissent  à  ou,  non  à  u,  et  l'on  dit  à 
La  Brévine  :  akoutâ  (écouter),  koiité  (couteau),  koutchï  (cou- 
cher), etc.;   al  -\-  consonne  y  donne  régulièrement  ô:  sôtâ 
(sauter),  tchôdPr    (chaudière).  Le  vent  dont  nous  cherchons 
l'origine  s'appelle  à  la  Montagne  «  uberre  »  comme  dans  le 
Val-de-Ruz.  Par  conséquent,  l'étymologie  ne  contenait  ni  ///, 
ol  ni  al,  ou  le  nom  de  ce  vent  a  été  introduit  dans  cette  vallée 
par  les  habitants  du  Val-de-Travers  ou  du  Val-de-Ruz,  qui  pré- 
sentent tous  deux  l'évolution  linguistique  mentionnée  plus  haut. 
C'est  pour  cette  dernière  alternative  que  nous  nous  décidons, 
car  cette  dénomination  est  plus  rare  à  la  Montagne  que  dans 
les  autres  vallées,  et,  grâce  à  sa  direction,  le  vent  devait  passer 
d'abord  par  les  vallées  situées  plus  à  l'Est  ou  au  Sud.  Du  reste, 
un  des  correspondants  du  Glossaire,  habitant  la  Brévine,  inter- 
rogé sur  les  vents,  a  passé  1'  «  uberre  »  sous  silence.  Il  n'y  a 
donc  rien  à  gagner  de  ce  côté-là.  Adressons-nous  aux  patois 
vaudois.  Actuellement,  notre  vent  est  encore  connu  dans  les 
parties  de  ce  canton  touchant  au  canton  de  Neuchâtel,  c'est-à- 
dire  dans  le  Vully  et  sur  la  rive  gauche  du  lac.  Dans  ces  con- 
trées, le  groupe  id  donne  ou,  u  ou  ouœ,  ainsi  cultellu  =  kouti, 
kuti,  kouàti  ;  al  donne  6  ou  bou,  ainsi  caldaria  =  tsooudèr^, 
etc.  Notre  vent  s'appelle  dans  le  canton  de  Vaud  ubèra  (forme 
empruntée)  ou  àbèrs  ;  il  ne  peut  donc  s'agir  que  de  al  -f-  con- 
sonne. Ces  réflexions  nous  amènent  à  penser  que  1'  «  uberre  » 
tire  son  nom  du  mot  latin  albus,  blanc.  Comme  le  vent  du  Nord, 
la  bise,  désigne  à  l'origine  «  le  vent  noir  »  ou  «  foncé  »  (cf.  les 
expressions  pain  bis,  et  bise  noire,  ce  qui  équivaut  à  «  ve7it  noir- 
noir  »),  le  vent  du  Sud  aurait  été  désigné  comme  le  vent  blanc. 


66  L.    GAUCHAT 

Le  fait  qu'un  nom  de  couleur  serve  à  dénommer  un  vent  n'a. 
rien  de  surprenant.  J"ai  déjà  cité  la  bise,  je  pourrais  encore 
mentionner  par  exemple  les  expressions  suivantes  tirées  des 
patois  du  midi  de  la  France,  d'après  l'excellent  Dictionnaire 
français-occitanien  de  L.  Piat  (Montpellier,  1894,  sous  vent): 
auro  brunOy  auro  rousso,  marin  blanc,  biso  rousso,  biso  negro, 
aiitati  blanc,  vent  blanc,  etc.  Dans  ces  expressions,  l'adjectif 
bla?ic  indique  ordinairement  la  direction  est  ou  sud-est,  c'est-à- 
dire  la  direction  du  soleil  levant  ou  du  Midi  (l'opposé  du  Nord 
qui  nous  envoie  les  vents  noirs).  Au  reste,  les  Vaudois  (rives 
du  lac  Léman,  contrée  de  Montreux)  connaissent  un  «  ve?it 
blanc  »  qui  vient  du  Sud^. 

Reste  à  examiner  la  question  du  suffixe.  Cette  fois,  c'est  le 
Val-de-Travers  qui  nous  guidera  -.  Dans  cette  vallée,  le  suffixe 
-aria  (qui  a  par  exemple  servi  à  former  le  nom  du  vent  appelé 
dans  le  canton  de  Vaud  :  vboudèrd)  offre  deux  résultats  :  -ér'' 
ou  -èr\  etc.,  selon  la  prononciation  locale,  dans  les  types  ordi- 
naires, et  -ir'  dans  ceux  dont  la  fin  du  radical  contenait  une 
mouillure.  Caldaria  aboutit  à  la  Côte-aux-fées  à  tsadér\ 
fumaria  (fumée)  z.ftnér\  tandis  que  extraïAaria  donne  ètriii- 
dzir\  precaria  ('prière)  prcyir'.  D'après  les  lois  de  cette  con- 


'  Dans  la  Suisse  allemande,  on  ne  paraît  pas  connaître  de 
«  vent  blanc.  »  Les  auberges  qui  portent  le  nom  «  zum  vveissen 
Wind  »  (ville  de  Zurich,  Einsiedein)  le  doivent  à  l'emploi  du  mot 
Wind  pour  Windhiind  (chien-lévrier).  L'expression  n'était  cepen- 
dant pas  inconnue  à  l'antiquité  ;  Horace  nomme  le  vent  du  Sud  : 
albus  notits  {Odes,  i,  7,  15)  et  les  Grecs  l'appelaient  souvent 
àç-yearyç,  de  àçiyr/ç  =  éclatant  (voir  Forbiger,  Handbuch  dcr  alten 
Géographie,  P,  614,  note  37). 

Malheureusement,  les  formes  ^archives,  au  lieu  d'éclaircir  la 
question,  ne  font  que  l'embrouiller,  par  rapport  au  suffixe.  Le 
radical  apparaît  généralement  sous  les  formes  aub,  oub,  ub,  ce 
qui  confirme  notre  étymologie.  Les  principales  formes  que  pré- 
sentent les  archives  du  canton  de  Vaud  sont,  par  exemple  :  au- 
herra  1547,  auberras  1547,  et  auberreria  1437,  1456,  1471,  1476,  etc. 
Auberreria  nous  paraît  contenir  deux  fois  le  suffixe  -aria,  mais 
pourquoi  ne  traduisait-on  pas  simplement  par  auberia  ? 


LES    NOMS    DES    VENTS    DANS    LA    SUISSE    ROMANDE  67 

trée,  albaria  devait  devenir  ubér\  ou  ubèr' .  Entre  les  deux 
résultats  du  suffixe  -aria,  qui  restent  distincts  dans  les  patois 
des  cantons  de  Vaud,  de  Fri bourg  et  du  Valais,  comme  gé- 
ne'ralement    dans    le   Val-de-Travers,   une   longue   lutte   s'est 
engagée  dans  le  reste   de  notre  territoire,   dans  les  cantons 
de  Neuchâtel  (autres  vallées),  de  Genève  et  de  Berne.  Cette 
lutte  s'est  terminée  en  faveur  de  la  forme  du  suffixe  née  après 
mouillure,  toutefois    non    sans    que   par-ci  par-là  un  mot  ait 
échappé  à  l'action  analogique.  Au  milieu  du  Jura  bernois,  les 
patois  de  Tramelan,  Malleray  et  Court  présentent  encore  quel- 
ques formes  avec  /  (fmér\  etc.).  Ces  faibles  restes  démontrent 
que  l'état  des  cantons  de  Fribourg,  etc.,  où  le  développement 
double  s'est  conservé  jusqu'à  nos  jours,  était  autrefois  général. 
Au  Val-de-Ruz,  il  n'y  a  plus  que  le  mot  ubèr'  qui  maintienne 
la  tradition.  Pourquoi  a-t-il  réussi  à  se  soustraire  au  mouvement 
analogique  qui  remplaçait  -èr'  par  -Pr'  ?  Probablement  parce 
que  le  mot  était  considéré  comme  une  espèce  de  nom  propre, 
et  parce  que  la  fonction  du  suffixe  n'était  plus  reconnaissable. 
Le  suffixe  -arius  désigne  surtout  des  personnes  agissantes  (me- 
nuisier, charcutier,  etc.),  au  féminin  spécialement  encore  le  lieu 
où  se  fabrique  et  où  se  trouve  une  matière  quelconque  (argen- 
tière,    aumonière,    gouttière,    etc.).    Albaria    a   donc    signifié 
d'abord  le  vent  qui  émanait  de  la  région  blanche,  ensoleillée  ; 
mais  cela  a  été  oublié,  le  sens  du  suffixe  s'est  effacé,  surtout 
après  la  disparition  de  l'adjectif  albus  évincé  par  blancus  dans 
nos  patois,  et  ensuite  de  l'évolution  al  =  u  qui  a  si  bien 
masqué  la  provenance  du  mot  qu'il  a  fallu  toute  cette  petite 
investigation  pour  la  retrouver. 

L.  Gauchat. 


ARGOT   DE   MALFAITEURS 
DANS  LA  SUISSE  ROMANDE 

AU  XVIe  SIÈCLE 


Il  existe  aux  archives  de  l'Etat  de  Soleure  (^Schreiben  von 
Neuenburg,  l,  1 68- 171)  un  document  datant  de  1567,  qui 
n'est  pas  sans  intérêt  pour  l'histoire  des  mœurs  et  du  lan- 
gage dans  notre  pays.  C'est  une  liste  de  quarante  et  un 
malfaiteurs,  organisés  en  bande,  qui  opéraient  à  cette  époque 
dans  la  Suisse  occidentale  et  que  les  autorités  de  Neu- 
châtel  signalent  à  celles  de  Soleure,  afin  qu'elles  puissent  se 
mettre  en  garde  contre  cette  «  malheureuse  secte.  »  L'indi- 
cation de  chaque  nom  est  accompagnée  dans  la  règle  de  la 
mention  du  lieu  d'origine  et  de  quelque  détail  typique  con- 
cernant le  personnage.  Ces  renseignements,  qui  constituent 
un  signalement  rudimentaire,  étaient  dus  aux  aveux  d'un  des 
membres  de  la  bande,  Pierre  Cherdon,  qui  avait  été  capturé 
et  exécuté  à  la  Neuveville  l'année  précédente.  C'est  sans 
doute  sur  les  indications  du  même  individu  qu'a  été  dressée 
la  curieuse  liste  suivante  qui  termine  le  document  : 

«  S'ensuivent  aulcungs  noms  qu'ilz  avoyent  changés  et 
qu'ilz  parloient  par  ensembles  afin  que  l'on  ne  les  entendit  : 

('  Au  pain,  de  l'arty;  au  vin,  de  l'eau  forte;  au  grenier, 
iing  carar;  bourse, folUeuse;  argent,  paillie ;  la  coràt,  joyeuse: 
linceulx,  large;  chausses,  tirans;sa.c,  boyau;  chemise,  lyme 
robe,  sobre;  manteau,  voilant;  souUiers,  passans ;  chappeau, 
perfond;  chm.lL,  desterie  ;  firomage,  doraine  ;  espée,  trenchie; 


ARGOT    DE    MALFAITEURS    DANS    LA    SUISSE    ROMANDE        69 

es  grandes  villes  comme  Berne  et  autres  cantons,  i^rands 
biichies  ;  es  petites  villes,  abergies  et  temps  ;  la  prison,  abergies 
de  mydy  ;  es  gaigneurs  [paysans],  les  pagans  ;  l'hospital,  le 
chasteaii;  la  buia  [lessive],  la  mollieuse.  » 

L'emploi  par  les  malfaiteurs  de  profession  d'un  langage 
de  convention  leur  permettant  de  communiquer  entre  eux 
sans  être  entendus  des  non  initiés  est  un  fait  bien  connu, 
et  les  documents  qui  nous  ont  conservé  des  restes  plus  ou 
moins  considérables  de  ce  jargon  remontent  en  France  jus- 
qu'au xv^  siècle.  Une  comparaison  attentive  de  tous  cqs 
documents  avec  les  mots  de  notre  liste  donnerait  peut-être 
lieu  à  des  rapprochements  intéressants,  mais  nous  ne  pou- 
vons songer  à  entreprendre  ici  cette  étude.  Bornons-nous 
à  constater  que  des  termes  tels  que  tirants,  '  bas  ',  volant, 
'  manteau  ',  passants,  '  souliers  '  sont  encore  aujourd'hui  en 
usage  dans  l'argot  parisien  et  que  d'autres  de  nos  mots  du 
\Yf  siècle  se  retrouvent  dans  ces  jargons  du  Jura  et  de  la 
Savoie,  basés  en  grande  partie  sur  le  patois  local,  qui  ont 
servi  jusqu'à  une  époque  toute  récente  de  langage  secret  à 
certaines  corporations  d'artisans,  maçons,  tailleurs  de  pierre 
ou  peigneurs  de  chanvre,  lors  de  leurs  émigrations  pério- 
diques. C'est  ainsi  que  arti  '  pain  ',  fait  partie  du  «  bellau  » 
du  Jur^^  (des  formes  analogues  se  rencontrent  également 
dans  l'argot  de  Paris),  follieuse  '  bourse  '  se  trouve  dans  le 
«  mourmé  »  de  Samoëns-;  lynie,  'chemise'  est  évidemment 
le  même  mot  que  linma,  '  chemise  ',  dans  le  «  terratsu  »  de 
la  Tarentaise^,  et  peut-être  faut-il  voir  dans  doraine,  '  fro- 

*  Voy.  Ch.  Toubin,  Recherches  sur  la  langue  bellau,  argot  des 
peigneurs  de  chanvre  du  Haut  Jura. 

(Mém.  de  la  Société  d'Emulation  du  Doubs,  1867). 

-  Voy.  Th.  Buffet,  Vocabulaire  7)iourmé-français,Ps.x\r\&cy,  1900. 

■^  Voy.  Abbé  Pont,  Vocabulaire  du  terratsu  de  la  Tarentaise, 
Chambéry,  1869. 


70  J.    JEANJAQUET 

mage  '  une  erreur  de  transcription  pour  dorame,  correspon- 
dant au  mourmé  drame,  '  fromage  '.  Quant  à  carar,  '  gre- 
nier ',  c'est  sûrement  le  mot  valaisan  racard  modifié  par  le 
procédé  si  commun  dans  ces  jargons  de  la  transposition  des 
S341abes.  Comme  la  plupart  des  affiliés  de  la  bande  était  ori- 
ginaires du  Pays  de  Vaud,  du  Valais,  de  la  région  de  Genève 
et  de  la  Savoie,  il  n'est  que  naturel  que  certains  éléments 
de  leur  argot  proviennent  de  œs  contrées. 

J.  jEANJAdUET. 

— ->^< — 

ADDITIONS 

— î«- 

I.  A  propos  de  la  remarque  de  M.  le  professeur  Singer  sur 
le  proverbe  :  «  Nichts.  ist  gut  fUr  die  Augen,  »  j'ai  entendu  à 
Delémont,  à  la  pharmacie  d'un  de  mes  amis,  des  paysans  de- 
mander pour  lo  ou  20  centimes  de  rien  ou  de  nix.  On  donnait 
une  pommade  de  zinc  (d'oxyde  de  zinc,  je  crois).  Un  profes- 
seur de  Lausanne  m'a  expliqué  que  certain  composé  du  zinc 
ne  laissait  aucun  résidu  lors  de  la  combustion  ;  d'où  son  nom 
pharmaceutique  de:  nihilwn  (sic)  album. 

Bâle.  A.  Ross  AT. 


II.  Dans  le  N»  2  du  Bulletin  de  1903,  p.  25,  on  cite  le  mot 
lou-z-dnari  comme  exemple  douteux.  Rien  de  moins  douteux 
que  ce  mot.  Nous  disons  o-n-9nari  pour  une  narine,  et  lou-z- 
snari  pour  les  narines,  tout  comme  nous  disons  b-n-dpouà  pour 
un  point  au  côté  et,  lou-z-dpoud  pour  les  points  et  la  pleurésie, 
o-n-9tbr  pour  un  étourdissement  passager,  et  lou-z-9tbr  pour  le 
tournis  ou  des  maux  de  tête  fréquents. 

Leysin.  A.  Neveu. 


TABLE  DES  MATIERES 

— î— 

Pages. 

E.  Tappolet.    L'agglutination    de    l'article    dans    les   mots 

patois 3j     22,     37 

L.  Gauchat.  Les  parties  du  visage  dans  les  locutions  popu- 
laires de  la  Gruyère 9 

J.  SURDEZ.  Sonnet  (patois  du  Clos  du  Doubs,  Jura  bernois), 

avec  notes  de  M.  Tappolet 13 

J.  Jeanjaquet.    Notes    lexicographiques  :    i.   touad^,   tyèidè. 

2.  fbchèla 15 

H.  VORUZ.  Une  tuilerie  à  Lavaux  au  XVI^  siècle     .     .     .     .     17 

J.  Jeanjaquet.  Les  fées  de  Grand'Combe,  conte  populaire 
en  patois  d'Evolène  (Valais) 26 

L.   Gauchat.     Etymologies    fribourgeoises  :    i.    fèrd    koto  ; 

2.  kouini;  3.  kovè(y) ;  4.  kunyu;  5,  kuti paryû      ....     34 

L.  Gauchat.  La  bona 46 

O.  Chambaz.  a  la  tsèri  (patois  de  Rovray,  Gros-de-Vaud)  .     54 

H.  Savoy.  Lou  fachon  de  la  bènichon   (dialogue  de  deux 

commères  en  patois  de  la  Veveyse,  Fribourg)  ....     59 

L.  Gauchat.  Les  noms  des  vents  dans  la  Suisse  romande, 

recherches  étymologiques,  i.  ubèr 63 

J.  Jeanjaquet.  Argot  de  malfaiteurs  dans  la  Suisse  romande 

au  XVF  siècle 68 

Additions  aux  numéros  i  et  2  du  Bulletin  de  1903  ....     70 


Lausanne.  —  Imprimerie  Georges  Bridel  &  C" 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du   Glossaire, 


TROISIEME  ANNEE 
1904 


BERNE 

BUREAU  DU   GLOSSAIRE 

Hallerstrasse  39 


PROVERBES  PATOIS 

Recueillis  a  Lens  (Valais) 
-♦- 

Les  proverbes  que  nous  publions  ci-dessous  ont  été  recueillis 
en  1902  par  un  jeune  philologue  allemand  prématurément 
enlevé  à  la  science,  M.  G.  Pfeiffer,  qui  avait  entrepris  sur  le 
patois  de  Lens  des  recherches  qui  promettaient  d'être  fécondes. 
M.  Pfeiffer  s'était  appliqué  avec  beaucoup  de  conscience  à  ras- 
sembler le  plus  grand  nombre  possible  de  proverbes  patois,  à 
les  transcrire  phonétiquement  et  à  les  accompagner  d'une  tra- 
duction française.  Nous  n'avons  eu  que  fort  peu  de  retouches 
à  faire  à  son  travail.  La  transcription  a  été  contrôlée  sur  place, 
d'abord  par  AL  Muret,  dont  M.  Pfeiffer  avait  été  l'élève  à 
l'Université  de  Genève,  puis  par  M.  Jeanjaquet.  Cette  revision 
a  permis  de  faire  disparaître  un  certain  nombre  d'incertitudes 
et  quelques  inadvertances  que  renfermait  le  manuscrit  de 
l'auteur.  Pour  la  publication  dans  le  Bulletin^  nous  avons  été 
obligés  d'adopter  une  graphie  simplifiée,  qui  ne  rend  qu'ap- 
proximativement  les  nuances  délicates  du  parler  de  Lens.  Le 
signe  3  représente  uniformément  diverses  variétés  de  voyelle 
assourdie,  qui  se  confondent  dans  le  parler  rapide,  mais  peu- 
vent être  distinguées  dans  la  prononciation  lente  et  soignée. 
LV  sans  accent  indique  une  voyelle  mi-fermée,  <?/«  une  nasale 
légèrement  diphtonguée,  671  un  son  très  voisin  de  oiin.  Les  na- 
sales peuvent  être  suivies  d'un  élément  consonantique  vélaire, 
qui  est  particulièrement  sensible  dans  in  et  oun.  La  notation 
an\  etc.,  indique  que  Vn  n'est  pas  complètement  muette,  mais 
elle  est  généralement  très  affaiblie  et  la  voyelle  précédente  est 
plus  ou  moins  nasalisée. 

Un  autre  ancien  élève  de  M.  Muret,  M.  Joseph  Zettl,  a  bien 
voulu  se  charger  de  rechercher  dans  les  plus  importantes  col- 


GUSTAVE    PFEIFFER 


lections  parémiologiques  des  pays  romands  les  proverbes  qui 
peuvent  être  mis  en  parallèle  avec  ceux  de  Lens  *.  Ce  travail 
comparatif  pourrait  être  encore  développé  et  complété,  mais, 
tel  qu'il  est,  nous  avons  pensé  qu'il  ne  serait  pas  sans  intérêt 
pour  nos  lecteurs.  La  Rédaction. 


I.   Pronostics  et 

I 
Chïn  P'ol  klyar  e  ho. 
Tan  dp  vin  k\p  d'ô. 


dictons  agricoles. 
I 
Saint-Paul    clair    et   beau, 
tant  de  vin  que  d'eau. 


/  Roue,  h  dp  11  a  d'oiin  roue, 
A   la    Tsandpïâija,    h   dpna 
d'oun   tfmja. 

3 
Kan"^  balyp  a  Pâkyp, 
Lp  tèra  ta  l'an  cl/ïns'râchp. 


A  la  fête  des  Rois,  le  dîner 
d'un  roi,  à  la  Chandeleur,  le 
dîner  d'une  épouse. 

3 
Quand  il  pleut  à  Pâques, 
la  terre  s'engraisse  pour  toute 
l'année. 


*  Ouvrages  cités  dans  les  notes  :  Le  Roux  de  Linc}',  Livre  des  pro- 
verbes français,  2^  éd.,  Paris,  1859;  Chenaux  et  Cornu,  Una  panera 
de  revi fribord^ey  {Romania,  VI,  1877);  Bridel-Favrat,  Glossaire  du  patois 
de  ta  Suisse  romande,  Lausanne,  1866  {Mémoires  et  documents  publiés  par 
la  Société  d'Jiistoire  de  la  Suisse  romande,  tome  XXI)  ;  Gilliéron,  Patois  de 
la  commune  de  Fiomiai,  Paris,  1880  [BibliotJièque  de  l'Ecole  des  Hautes 
Etudes,  fascicule  40)  ;  J.  Ulrich,  Proverbes  ruraux  {Zeitschrift  fier  fran\. 
Sprache  und  Litteratur,  1902);  Gennaro  Finamore,  Proverbi  abru:(^esi 
(Romanische  Forschun^en,  V)  ;  Decurtins,  Ràtoromanische  Chrestomathie 
Bd.  II  ;  Dùringsfeld,  Sprict.tuôrter  der  germ.  u.  rom.  Sprachen,  2  vol., 
Leipzig,  1872  et  1875. 

'  Cf.  Le  Roux.  I,  p.  127  :  De  Saint-Paul  la  claire  journée  nous  dé- 
note une  bonne  année.  Decurtins  :  In  clar  sogn  Paul,  in  bien  onn. 

'^  Le  dicton  se  rapporte  à  la  longueur  des  jours.  Cf.  Gilliéron,  N°  17, 
et  Chenaux-Cornu,  No  17  :  A  la  xenta  Luxa,  b  xô  d'una  pudza,  A  la 
xent  Anteyno,  b  râpé  d'on  mueyno,  A  la  tsandelâja,  b  râpé  d'un'  epâja. 

^  Le  Roux  cite  le  jeu  de  mots  suivant  du  Calendrier  des  bons  labou- 
reurs :  Le  curé  de  Saint-Jean  dit  à  son  clerc  :  «  Les  Pasques  pluvieuses 
sont  souvent  fromenteuses,  »  et  le  clerc  lui  répond  :  «  Et  souvent  fort 
menteuses.  » 


PROVERBES    PATOIS 


Rafiià  ramolfp, 

Lp  fera  ib  l'an  là  dèjîrd. 


A  la  Madplein-na 
L'dver  fé  cbôn-fi-alèin-na. 


Kan'"  balyp  a  la  Chïn"'  Bèr- 

tàlanii, 
Lp  marein-7ip  trçin-nôn  lp  }an- 

iûlyp  dp  ri. 


Le  dimanche  des  Rameaux 
pluvieux,  la  terre  désire  la 
pluie  toute  l'année. 

5 

A  la  Sainte-Madeleine  (22 
juillet),  l'hiver  prend  son  ha- 
leine. 

6 

Quand  il  pleut  à  la  Saint- 
Barthélémy  (24  août),  les 
femmes  traînent  des  robes 
crottées  par  derrière. 


Chïn'"  Bèrtûlami  Saint-Barthélémy    met    le 

Mè  là  bon  'in  la  nui.  bon  (le  noyau)  dans  la  noix. 

8  8 

Chbflyaf  a  Noiihra  Dama,  S'il  fait  du  vent  à  Notre- 

Chbflyatp  tan  k'  a  Chïn  Jyan.  Dame,   il  en  fait  jusqu'à   la 

Saint-Jean. 

9  9 

Lp  tsatèin  dp  Chïn  Lbrèin,  L'été    de    Saint  -  Laurent, 

Gran  tsalour,  ma  ponk  don-  grande  chaleur,  mais  de  peu 


rein. 


de  durée. 


10 


10 


Chïn  Martin, 
Patron  di  ts'in. 


Saint-Martin,    patron    des 
chiens. 


II 


II 


A  Tsalèndp  lp  nwuchilyôn, 
A  Pâkyp  lp  lyachôn. 


A  Noël   les  moucherons, 
à  Pâques  les  glaçons. 


^  C'est-à-dire  on  en  sent  le  premier  souffle  (dans  les  régions  alpestres). 
'"  La  Saint-Martin  est  l'époque  des  paiements. 
"  Cf.  Bridel,  p.  530;  Le  Roux,  I,  p.  112. 


GUSTAVE    PFEIFFER 


12 

A  Noël  au  balcon,  à  Pâ- 
ques au  tison. . 

Pluie  de  février,  remplit  le 
q-renier. 


12 
A  TsaUrid?  ou  balkôn, 
A  Pàkyp  ou  ûjôn. 

13 

Plyo:{p  dp  fpbri 
ïnmplyè  là  gréni. 

Mi  dp  mer,  ounkbr  dp  l'pvèr, 
Abri,  oun  châ-t-i  ? 

Lp  lou  y  an  jyami  ppka  Vpvèr. 

16 

Plyo:^p  dp  mer 
Rein  là  bïn  dèjèr. 

17  17 

Plyo:(P  d'abri  Pluie  d'avril  remplit  sac  et 

ïnmplyè  gouirp*  (fata)  è  bari.     baril. 

18  18 

Lp  dpchan'do  chïn  cholè  Les    samedis    sans    soleil 

Chôn  mi  râr  kyp  h  filyp  chïn     sont  plus  rares  que  les  filles 

orgouè.  sans  orgueil. 

*  Ancien  mot  désignant  un  suc  de>cuir  où  l'on  conservait  le  blé. 


14 

Mois  de  mars,  encore  de 
l'hiver,  avril,  le  sait-on? 

15 
Les    loups    n'ont    jamais 
mangé  l'hiver. 

16 

Pluie  de  mars  rend  le  bien 
désert. 


«2  Cf.  Le  Roux,  I,  p.  112. 

*•''  Cf.  Le  Roux,  I,  p.  98  :  Pluie  de  février  Vaut  jus  de  fumier. 

i*'  Cf.  Chenaux-Cornu,  N»  11  ;  Le  Roux,  I,  p.  iio:  Quand  il  tonne 
en  mars  Le  bonhomme  dit  :  Hélas  ! 

*~  Cf.  Le -Roux,  I,  p.  93  :  Pluye  d'abvril  vaut  le  char  de  David  ;  de 
même  :  La  pluie  d'avril  remplit  le  grenier. 

^*  Cf.  Finamore  :  Majè  sabbate  sènza  sole,  Majè  donne  sènz'  amor. 

—  Dûringsfeld,  I,  p.  888  :  Non  y  a  pas  dissatté  chens  sou,  Ni  gouyatte 
chens  amou  (Béarnais).  —  No  ghé  sabat  senza  sul  Gné  pote  senz' 
amorus  (Brescia).  —  Nom  sabbado  sem  sol  Nem  moça  sem  amor  (port.). 

—  Ni  sabado  sin  sol  Ni  moza  sin  amor  (esp.). 


PROVERBES    PATOIS 


19 

La  canicule,  si  elle  com- 
mence très   chaude,  se  ter- 
mine pluvieuse. 
20 

Le  vent  chasse  la  gelée. 

21 
Les    années    se    suivent, 
mais  elles  ne  se  ressemblent 


pas. 


22 


19 

L9  kanikoiilo,  cl/  ïn'trp  rbhïk, 
cbourtè  pourik. 

20 

L?  vins'  tsas9  la  ~ùlâ. 

21 
L9-j-an  chp  chyouvàn,  ma  chd 
rdchhnhlàn  pa. 

22 

Kan  h  uybh  oiian  ba,  Quand  les  nuages  descen- 

Prèin  là  rahè  va-t-in  ou  pra;     dent,  prends  le  râteau,  va-t- 
Kan  h  nybb  ouan  choup',  en  au  pré  ;  quand  les  nuages 

Prèin  là  rabé,fà  là  tp  ou  koup\     montent,    prends    le    râteau, 

flanque-le  toi  au  cul. 

Ch'  3  fi  ho,  prèin  h  man:;;p,  S'il    fait    beau,   prends    la 

Cl/  pfé  pout'  (cl/  9  balyp),  t'a     casaque,    s'il    fait    laid    (s'il 

pleut),  tu  as  le  choix. 

24 
Mgne  à  ronces,  pré  à  ten- 
dons (?  ),  champ  à  chardons, 
garde-les  dans  ta  maison. 

25 
Taille-moi  en  rond(?),  fos- 
soie-moi  profond,  je  vous 
ferai  rire  et  chanter  en  au- 
tomne (dit  la  vigne  au  vigne- 
ron). 


Iyèl9. 


24 


Vmy9  di  ryônJ9,  pra  di  ièn\iôn, 

tsan  di  tsardôn, 
Ouârda  h  ïn  ta  mîjôn. 

25 

Poua  mè  ou  ryon,  fàchàra  me 

prèon, 
Vô  fari  rir  è  tsan  ta  d'outon. 


22  Cf.  Bridel,  p.  530. 

23  Cf.  Bridel,  p.  551. 

-''  C'est-à-dire  ne  les  vends  pas,  parce  qu'ils  sont  sûrement  fertiles. 


GUSTAVE    PFEIFFER 


26 

UAmlnyp,  h  mèlyou  plyan  dp 

la  vinyp. 
Ma  plyan'ta  pa  tbta  ta  vlnyp. 

27 
Rptso  ïn  rb:(o,  rptso  ïn  Kran, 
rptso  pèr  a?i. 

28 

Lp-j-an  tardîk,  jyami  ourtk. 

29 

Pp  plyo:(P  kyp  vpnyp, 
er^p  îou  pra  è  ton  vinyp. 

30 

Chp  ton  plyan  tp  tp  poinètp  ou 

mi  dp  jouïn, 
Ton  là  dire  pa  a  ton  vpjïn. 

31 

Chip  ton  fèin  dpvan  palyp, 
è  ton  poiiré  li  ajouta  ou  bp- 
jouïn  la  palyp. 

Bo  our:{0,  mégro  vin, 
Dpjôn  h  Ion  dou  latin. 


26 

L'Amigne  [est]  le  meilleur 
plant  de  la  vigne,  mais  n'en 
plante  pas  toute  ta  vigne. 

27 
Riche   en   rouge,   riche  à 
Crans,  riche  par  ans. 

28 
Les  années  tardives,  jamais 
stériles. 

29 

Par  pluie  qui  puisse  venir, 
arrose  tes  prés  et  tes  vignes. 


Si  tu  plantes  tes  pommes 
de  terre  au  mois  de  juin,  tu 
ne  le  diras  pas  à  ton  voisin. 

31 

Fauche  ton  foin  avant  qu'il 
soit  paille,  et  tu  pourras  y 
ajouter  de  la  paille  au  besoin. 

32 
Belle    orge,    maigre    vin, 
disent  ceux  du  latin  (c'est-à- 
dire  les  gens  instruits,  les  sa- 
vants j. 


'-^"  C'est-à-dire  celui  qui  possède  des  vignes  plantées  en  rouge  et  qui 
a  des  terres  à  Crans' (au-dessus  de  Lens)  aura  de  bonnes  récoltes,  mais 
incertaines. 

2*  Cf.  Bridel,  p.  532;  Cornu,  No  46,  où  sont  indiqués  aussi  des  pro- 
verbes espagnols  et  portugais. 

3°  Cf.  Bridel,  p.  533  :  Si  tu  vuagne  tard  et  que  te  t'ein  trovâi  bin, 
ne  le  dit  pas  à  tè-z-einfan. 


PROVERBES    PATOIS 


33  S3 

T'a  aoup  oiina  bbna  rpkolta  Tu  as  eu  une  bonne  ré- 

sti  an  ?  coite  cette  année  ?  demande- 

DpmarCda  a  Chïn  Michyèl  è  a  le  à  la  Saint-Michel  et  à  la 

Chin  Martin.  Saint-Martin. 

34_  34 

Kan  h  faya  tsoumôn  *  ou  mi  Quand  les  moutons  «  chô- 

dp  fpbri,  ment  »  au  mois  de  février, 

Tsmnôn  pa  ou  mi  dp  mer  è  ils  ne   «  chôment  »   pas  en 


d'abri. 


mars  et  avril. 


35 


35 

A  la  Saint-Urbain,  le  raisin 
à  la  main. 

36 

A  la  S'^-Agathe,  il  faut  avoir 
la  moitié  du  foin  et  de  la  paille. 

37 
Mois  d'août,  mois  dur. 

38 
Pour  avoir  du  lard,  il  faut 
commencer   à   Saint-Médard 
(8  juin),  après  c'est  trop  tard. 

39 
En  automne,  le  grand  gre- 
nier est  ouvert. 

40 
Celui  qui  n'a  pas  de  bêtes 
ne    va   pas    (c'est-à-dire   n'a 
pas  besoin  d'aller)  les  garder 
les  jours  de  fête. 

*  Se  dit  lorsque  les  moutons  cessent  de  brouter  à  cause  de  la  cha- 
leur et  cherchent  l'ombre. 


A  la  Chïn't  Ourban, 
Là  rajïn  a  la  man. 

36 

A  Chïnt  Agyèta, 
Myè  Jèin,  niyè  palyèta. 

37 
Mi  d'où,  mi  dô°"r. 

38 
Par  aï  dp  lar, 

Fa  komïncbyè  a  Chïn  Mèdar, 
Apre  y  è  tra  tar. 

D'outôn  Ip  gran  gréni  y  e-h- 
ouvèr. 

40 
Hlé  kp  y  a  pa  dp  béhyp, 
Va  pa  in  tsan  h  féhp. 

{A  suivre.) 


"^^  Ce  n'est  qu'à  cette  époque  (septembre,  octobre)  qu'on  sait  si  la 
récolte  a  été  bonne. 

3^  Cf.  Le  Roux,  I,  p.  128. 

^^  Cf.  Cornu,  No  21  ;  Decurtins  :  Sontya  Gada,  niesa  envernada. 

^"  C'est  le  mois  d'août  qui  est  le  plus  pénible,  celui  où  il  faut  s'im- 
poser le  plus  de  privations. 


LE  ROUET  DE  MA  GRAND'MERE* 

-♦- 

La  jeunesse  vit,  dit-on,  d'espoir  et  d'illusions,  l'âge  mûr  de 
réalité,  la  vieillesse  de  souvenirs. 

Pour  un  instant,  rajeunissons-nous  de  quelque  trente 
ù.         ans  en  nous  reportant  à  l'âge  d'or  du  rouet.  Il  est  par- 

i: 


1^         fois  si  doux  de  revivre  son  passé  ! 


Pendant  qu'au  dehors  le  vent  siffle^  amoncelant  la 
neige  par  tas,  faisant  tre?nbler  la  maison,  craquer  la 
charpente  et  grincer  sur  le  toit  le  couvercle  de  la  che- 
minée  dans   laquelle  il   cherche   à  s'engouffrer  ~,   une 
!\t^      vieille  lampe  fumeuse,  le  traditionnel  «  craizu^,  »  placé 
\^«       sur  son  support  de  bois'^  tourné,  au  fin  bord  de  la 
table  ^,  éclaire  de  sa  lumière  tantôt  filante, 
tantôt  vacillante,  le  visage  ridé  de  la  fileuse  ^. 
b  ^^M  Hl  "^^         Bonne  grand'maman,  je  l'entends  encore 
dire  de  sa  voix  brisée  :  «  Puisque  l'hiver  est 
bientôt  là,  il  me  faut  recommejicer  à 
tirer  ma  quenotiille  ;  laiszez-moi  l'aller 
préparer  '^.  »  Puis,  étendant  sur  la  table 
son  paquet  de  filasse  de  rite  ou  d'étoupe^,  je 
la  vois  le  rouler  autour  du  bâton,  l'attacher  avec  un 
beau  ruban  rouge^,  puis  s'installer  en  connaissance  de 
cause  derrière  son  vieux  rouet,  qu'elle  a  descendu  du  galetas, 
■  monté,  épousseté,  huilé  en  règle  ^^. 

PATOIS  DE  LA  HAUTE-GRUYÈRE 

'  h  hrgà  de  ma  méra-gran. 

2  dou  tin  h  dèfrô  l'aura  chublyè,  in-n-intsirman  la  nà  pè  gonyjyè,  in 
Jachin  a gurlâ  la  viéjon,  knjsnâ  la  lèvir,  è  hdchi chu  l  ta  h  tèvi de  la  bouarna 
yô  vudrà  chè  fitchi. 

3  Ne  se  dit  plus  en  patois,  terme  du  français  populaire. 
^  bpèroii. 

^  a  lafin-na  ruva  dé  la  trâblya. 


LE  ROUET  DE  MA  GRAND  MERE  1  I 

Là,  ça  y  est  :  les  cordes  sont  mises  et  tendues,  déjà  le  pied 
presse  la  pédale,  im  coup  de  main  à  la  roue  lui  donne  l'élan  'i 
et,...  en  avant  la  musique...  du  rouet.  Son  ron-ron-ron,  son  frou- 
oû-oû  qui  berce  et  fait  rêver  semble  vouloir  rimer  avec  le  vou- 
oû-oû  de  la  bise. 

Pendant  que  celle-ci  fait  rage  au  dehors,  pourchassant,  dis- 
persant, faisant  tourbillonner  ces  myriades  de  papillons  blancs 
dont  elle  tapisse  toute  chose,  le  calme  reposant  des  tranquilles 
occupations  préside  aux  longues  soirées  hivernales. 

Si  le  premier  état  de  choses  est  l'image  de  l'agitation  fiévreuse 
du  monde,  celui-ci  l'est  du  paisible  for  intérieur  de  la  famille 
où  tout  est  paix  et  douce  quiétude. 

Ah  !  pourtant  !...  voilà....  Il  s'élevait  bien  parfois  un  petit 
nuage  au  ciel  de  nos  tranquilles  veillées. 

Si,  profitant  des  arrêts  forcés,  des  relais  nécessaires  pour 
déplacer  le  fil  d'un  cran  i^,  pour  rattacher  et  relever  la  que- 
nouille'^'^, l'espiègle  bambin  a  lassé  la  patience  de  l'aïeule  en 
faisant  tomber  les  cor  des  ^'^  du  rouet  ou  en  montant  un  tic-tac 
étourdissant  aux  rayons  de  la  roue  qui  a  repris  sa  course  verti- 
gineuse^^, alors  un  charmant  petit  orage  éclatait  en  ces  termes 
qui  me  sont  restés  gravés  au  fond  du  tympan  (comme  du  reste 
tout  souvenir  d'enfance  l'est  au  fond  du  cœur)  :  ^  Tu  ne  veux- 
pas  cesser  ça!  attend  s- toi  voir,  petit  drôle.  Je  veux  déjà  te 


^  la  fdlàrs. 

''  puchky  l'n'à  lè  dyôra  inh,  inè  jô  réksminy^i  a  tjri  ma  kdnàlys  ;  léchi-mè. 
alà  hnolyi. 

*  lafolir  d'ara  (ou  de  i-sd-a)  o  dè-j-è'&àpè. 

^  on  bi  trèXou  ràd:^o. 

^^  k3  la  dègilyi  di  tèréchè,  monta,  dcpulh),  frdtn  in  rcilya. 

'  '  lè  kouardé  chou  balayé  è  tindyé,  h  pi  trépajè  d^a  chu  la  pyana,  on  kou 
de  man  inbriyè  la  r\a. 

'■•^  tsandji  on  kiàtsè. 

'^  pà  rarandji  la  hnolyi. 

'''  in  fachin  a  tsiji  (aussi  a  tsârs)  lè  kouardè. 

'■'  in  montin  on  moulin  (en  approchant  un  brin  de  paille  ou  de  papier 
des  rayons  de  la  roue)  i  ré  de  la  rya  h  voie. 


12  P.    BOVET 

donner,  moi,  de  venir  sans  cesse  toucher  à  mes  cordes  pour  les 
faire  tomber!  Si  Je  prends  ma  quenouille...  garef^^  » 

Et  le  bambin,  sans  être  autrement  effrayé,  s'éloignait  douce- 
ment en  se  suçant  le  pouce  gauche,  en  se  passant  le  bras 
droit  sur  le  front,  regardant  par  dessous  pour  explorer  la  situa- 
tion ;  puis,  rassuré  par  l'attitude  pacifique  de  la  trop  indulgente 
grand'maman,  il  se  rapprochait  tout  confiant  en  murmurant  à 
demi-voix  en  guise  de  traité  de  paix  :  «  /e  7i'ai  pas  eu  bien  peur  : 
elle  ne  frappe  jamais  ^'^.  » 

Quand  c'était  de  la  laine  qu'elle  filait,  ayant  préparé  d'avance 
ses  «  boudins,  »  il  ne  fallait  pas  y  toucher,  sinon  cette  singulière 
apostrophe  s'amenait  comme  second  coup  de  tonnerre  faisant 
pendant  au  premier  dans  cet  orage  domestique  en  miniature  : 
«  Enfants,  voulez-vous  bien  laisser  ces  "  boudins/  „  vous  allez  me 
faire  faire  des  inégalités  à  ma  laine  ;  quand  elle  sera  tout  ir  ré- 
gulière, le  drap  en  sera-t-il plus  beau,  alors. '^^  »  Le  ciel  rede- 
venu serein,  tout  rentre  dans  l'ordre  habituel  ;  comme  la  brise 
après  l'orage,  le  rouet  reprend  son  envolée;  l'infatigable  filan- 
dière  tire  les  derniers  brins  de  sa  quenouille  et  la  bobine  s'ar- 
rondit de  ce  fil  qui  va  faire  l'orgueil  de  la  ménagère. 

En  effet  :  que  de  belles  chaînes  de  toile"^^  ont  passé  par  Y  axe 
de  la  bobine  20.  Mais  combien  de  coups  de  pédale,  de  tours  de 
roue-^  n'a-t-il  pas  (slUu  pour  ces  belles  piles  de  nappes  à  raies 


'®  ts  nd  vou  pâ  plyèkâ  chin  !  alin-te  vci,  piti  hotirichko,  le  vu  d\a  balyi, 
tnè,  de  tàdoulon  vint  foiirgdnà  dèv3ron  mè  kouardè  pà  le  fér  a  tsârg  !  ch? 
prin-nyo  ma  hndlya,  gâ  ! 

''  ti'è  pâ-j-ou  lin  puiira,  fyà  jcmé  ! 

'*  jinjan  (sic  !),  vàli-và  léchi  hoti  boudin  (portion  de  laine  cardée,  mais 
non  filée,  forme  et  grosseur  d'un  gros  cigare),  và-j-alâdc  mè  fér  a  fera 
di  trouyè  a  ma  lan-na  ;  kan  chsrè  iota  trôyaja,  h  fràlson  chdrè-V^d  pîya  bi 
adon  ? 

^^  tsàna  de  tàla. 

2"  h  fu  de  la  boubma,  ou  de  V'epanèla  =  fuseau,  bobine  et  ailerons. 

'■''  ma  vhéro  de  kou  dé  pyana,  dé  toua  dé  rya. 

22  pà  hou  balé  tètsé  dé  manti  a  véré  gonXlyè  (la  vèra  =  la  raie). 


LE  ROUET  DE  MA  GRAN'D  MERE  I3 

lèvres-',  pour  ces  frais  draps  de  lit-'^,  ces  essuie-mains  de 
toile  faite  soi-même '^'^,  et  tous  ces  tas  de  chetnises  plissées  au 
compas  -5  ?  sans  compter  les  rouleaux  de  triège,  de  satin  rayé, 
de  grisaille,  de  drap  mi-laine,  qui  sont  aussi  sortis  du  même 
rouet  et  qu'il  me  semble  voir  encore  à  la  chambre  de  dessus-der- 
rière, en  ligne  devant  la  paroi,  raides  et  bariolés  cofn/ne  des 
soldats  du  landsturm  -^. 

Mais  la  quenouille  est  épuisée;  la  vieille  horloge  de  Bour- 
gogne vient  de  sonner  dix  heures  ;  la  fileuse  se  lève  et  dit  : 
Maintenant,  c'est  bon  pour  ce  soir,  allons  dormir,  il  a  déjà 
frappé  dix  heures  -'.  »  Puis,  après  avoir  secoué  de  son  tablier 
les  impuretés  et  les  débris  de  filasse  -S,  elle  enfonce  la  partie 
supérieure  de  sa  quenouille  dans  le  trou  fait  au  pied -^  et  remet 
en  place  son  vieux  compagnon  de  travail. 

P.    BOVET. 

— ->>£•< 

LES   NOMS   DES    VENTS 

DANS  LA  SUISSE  ROMANDE 
Recherches  étymologiques. 
{Suite.) 
— î— 
A  propos  des  vents  blancs,  M.  le  professeur  Forel  m'a  fait 
parvenir  une  intéressante  communication,  dont  j'extrais  le  pas- 
sage le  plus  important.  «  Le  vent  blanc  est  un  vent  du  sud,  un 
sudois,  comme  je  l'appelle,  avec  ciel  serein.  C'est  en  général 

^'  po  hou  f ré  Jin^n. 

2''  hou  pâna-man  de  tala  fàtd  chè-minio. 

2"'  ti  hou  tsiron  dé  tsdmijè  plichàyè  ou  konpà. 

^"  chin  kontâ  lé  rùlyé  dé  tridzo,  dé  vérâ,  dé  grijéh,  de  m3dzdlan-na,  h 
chon  achabin  chalyà  dou  mima  hirgd  è  k3  mè  chitiblyè  adi  vàra  a  la  tsanbra 
dèchit-dèrà ,  in  rintsd  koiitr  la  para,  ra  é  bjrgolâ  kstnin  di  chudâ  dou  land:(- 
fourg'  (sic  !). 

2"  ara  lé  bon  pu  chta  né,  alin  drdmi,  la  dza  fyii  dyi-j-aré. 

2**  lé  bàro  è  lé  tsduévulyé. 

^^  ou  kduàlyon. 


14  L.    GAUCHAT 

l'avant-garde  d'un  sudois  pluvieux,  car  le  vent  blanc  du  matin 
se  change  ordinairement  en  vent  de  pluie  dans  la  soirée  ou  le 
lendemain.  Ce  vent  blanc,  très  chaud,  est  appelé  par  nos 
paysans  maora-blyâ,  c'est-à-dire  :  mûris-blé.  »  Je  remercie  vive- 
ment M,  Forel  de  bien  vouloir  mettre  sa  science  à  notre  dispo- 
sition et  de  venir  préciser  les  définitions  nécessairement  incom- 
plètes d'un  philologue. 

IL  Djoran. 

Le  vent  appelé  djoran  ou  dzoran,  selon  la  phonétique  locale 
(en  français  populaire  yt'/'flw),  est  l'opposé  de  Vuberre.  Suivant 
la  contrée,  c'est  un  vent  d'ouest  ou  du  nord-ouest.  Il  peut  être 
très  violent,  et  se  lève  souvent  brusquement,  le  soir.  Il  cause 
parfois  de  vraies  tempêtes  sur  les  lacs  de  Bienne  et  de  Neu- 
châtel  et  a  déjà  fait  beaucoup  de  victimes.  Comme  il  descend 
des  pentes  du  Jura  et  qu'il  n'est  connu  que  dans  les  cantons 
de  Neuchâtel,  Vaud  et  Fribourg  i,  c'est-à-dire  dans  le  voisinage 
plus  ou  moins  immédiat  de  cette  chaîne  de  montagne,  il  est 
évident  que  la  base  étymologique  doit  être  {ventus)  juranus 
=  vent  du  Jura.  Le  nom  de  ce  vent  se  rattache  donc  à  celui 
de  toute  une  partie  de  notre  territoire.  On  me  permettra 
d'exposer  ici,  très  brièvement,  ce  que  les  sources  que  j'ai  sous 
la  main  me  suggèrent  au  sujet  du  mot  Jura,  ou  Jorat,  ce  qui 
est  la  même  chose. 

Les  auteurs  anciens  ont  souvent  eu  l'occasion  de  mentionner 
le  Jura.  Les  Latins  l'appellent  au  singulier  Jura,  au  pluriel 
Jures  (ainsi  César,  Bell,  gall.,  i,  2,  3  :  altéra  ex  parte  nionte 
Jura  aliîssimo ;  8,  1  :  ad  viontem  Juram/Fïme,  Nat.  hist.  3,  31 
montibus  Juribus ;  etc.).  Il  n'est  donc  guère  possible  de  consi- 
dérer la  forme  Jura  comm.e  un  pluriel  neutre  ;  nous  disons  du 
reste  le  Jura,  désignation  qui  peut  être  fort  ancienne.  Les  plu- 
riels neutres  donnent  ordinairement  des  féminins  dans  les 
langues  romanes.   La   lettre  u  de  Jura  était-elle  longue  ou 


^  On  rencontre  le  terme  isolément  dans  le  canton  de  Berne,  par 
exemple  à  Péry. 


LES    NOMS    DES    VENTS    DANS    LA    SUISSE    ROMANDE  1  5 

brève?  Les  formes  latines  Jorensia  (Sid.  Apoll.,  Epist.  4,  25,  5, 
Jorenses  heremi  [y\xtg.  Tur.,  Vit.  patrum,  cap.  i,  i),  ultraiorani 
(Fred.,  Chron.  4,  13),  qui  alternent  avec  les  formes  en  ?/,  prou- 
vent qu'il  s'agit  d'un  H,  c'est-à-dire  d'un  son  qui  s'est  confondu 
avec  ô  dans  l'histoire  des  langues  romanes.  Cette  manière  de 
voir  est  confirmée  par  les  formes  qu'emploient  les  auteurs  grecs, 
où  nous  voyons  également  alternera  et  ou  Çloupiaio;,  Strabon  4, 
3,  4  ;  lôpx  0/30UÇ,  6,  II,  etc.). 

L'«  bref  que  nous  venons  de  constater  rend  impossible 
toute  parenté  de  notre  mot  avec  le  latin  jûs,  jûris.  D'autre 
part,  la  racine  y'V,  que  reflète  encore  notre  prononciation 
Jorat  *^  nous  fait  penser  à  un  mot  très  répandu  dans  nos  patois 
romands  et  qui  doit  avoir  la  même  origine.  C'est  le  mot  qui 
signifie /(?r<^/  de  montagne  ou  simplement /i^rt'/ 2^  par  extension, 
et  qui  apparaît  sous  les  formes  suivantes  (je  place  à  côté  des 
formes  de  ce  mot  celles  du  mot  JUGUM,  le  joug,  pour  bien 
montrer  l'identité  du  développement  phonétique)  3  : 

Berne:  djou  [djou);  Neuchâtel,  Montagne:  dju  {dju),YaX-à.Q- 
Ruz:  djœv  {djà  et  dju);  Fribourg:  dzà''  {dzâ'^,  où  le  mot  est 
conservé);  Vaud,  Alpes:  dzœr,  dzàr,  dzao,  dzœu  {dzao,  dzœu^ 
etc.);  Valais:  dzœu,  zo°'^,  zour,  etc.  ijoug  n'est  guère  usité). 

Dans  les  patois  qui  ont  laissé  tomber  Vr  finale,  les  dérivés  : 
dzorèta,  etc.,  font  connaître  le  radical  à  un  état  plus  archaïque. 
Les  bois  de  la  plaine  sont  désignés  par  les  mots  bon,  fore,  avec 
lesquels  rivalise  két  =  côte  dans  les  cantons  de  Neuchâtel  et 
de  Berne.  Dans  ces  deux  derniers  cantons,  le  terme  djou,  dju, 
djœr  n'est  plus  employé  que  comme  nom  propre.  L^ne  foule 
innombrable  de  lieux-dits  de  toute  la  Suisse  romande,  corres- 
pondant au  mot  simple  ou  à  un  de  ses  dérivés,  remontent  à  la 
même  source.  Nous  rencontrons  des  quantités  de  Joux,  Jeur, 


^  La  forme  Jura,  avec  u,  est  influencée  par  les  formes  patoises  de  la 
Montagne  neuchâteloise.  voir  plus  loin. 

2  Kuenlin,  Helv.  Ahnanach.  1810.  écrit  «  \aiL  •=.  hergigte  waldweide.  » 
^  Je  ne  cite  que  quelques  variantes  caractéristiques. 


l6  L.    GAUCHAT 

Jor,  Jorat,  Joratel,  Joratiaz,  Jora/ys,  forasse^  Jorassaz,  etc. 

Il  est  donc  permis  de  dire  que  le  mot  Jura  signifie /(?r<V,  ce 
qui  cadre  très  bien  avec  les  noms  de  Forêt  Noire,  Forêt  des 
Ar demies,  Bregenzer  IVatd,  Thiiringer  JJ'ald,  etc.,  que  portent 
les  chaînes  de  montagnes  de  même  configuration  situées  plus 
au  Nord.  Cette  interprétation  précise  celle  de  montagne,  à  la- 
quelle se  sont  arrêtés  les  celtistes.  Le  mot  lui-même,  n'étant  ni 
latin  ni  germanique,  doit  être  celtique,  ou  peut-être  ligurien, 
comme  le  voudrait  M.  d'Arbois  de  Jubainville  (voir  Holder, 
Altceltischer  Sprachschatz  sous  Jura).  La  voyelle  a  de  Jura 
provient  probablement  d'un  suffixe  ^  Notre  mot  a  laissé  des 
traces  comme  appellatif  dans  les  documents  du  moyen  âge  : 
je  trouve  dans  Du  Cange,  sous  Jarria,  la  citation  suivante, 
empruntée  à  une  charte  de  1157  provenant  de  la  région  des 
Alpes:  pratis,  pascuis,  si/ vis,  joriis,  viontibus ^  vallibus,  où 
joriis  désigne  probablement  les  forêts  de  montagnes  par  oppo- 
sition à  silvis^ho\'~,  de  la  plaine 2;  nos  vieux  parchemins  con- 
tiennent fréquemment  l'expression  Jures  nigrœ  =  les  joux 
noires  dans  le  sens  de  «  grande  forêt  de  montagne.  » 

La  chaîne  du  Jura  n'aurait  donc  pas  été  baptisée  d'après  sa 
nature  de  montagne  ni  d'après  ses  formes  extérieures,  mais 
d'après  son  utilité,  comme  c'est  aussi  le  cas  des  Alpes. 

L.  Gauchat. 


1  Cf.  les  formes  grecques  IôjO«;,  loujoaTtog,  'lou^xaaoç  et  nos  lieux- 
dits  Jorasse,  Jorassai. 

-  Le  même  mot  joria  se  retrouve  dans  des  documents  valaisans  bien 
postérieurs  (jusqu'au  XVIJe  siècle),  comme  équivalent  du  patois  d\œr, 
dzor. 


— aoO-OO^ïo— 


Bulletin  du  6.'-  ././c  des  patois  de  la  Suisse  romande,  3°  annt 


N»  2. 


CCRNEUX- 
PEOUIGNOT 


Ligne  rouge ....  frontière  du  pays  et  des  cantons. 

Forte  ligne  noire  .     .  limite  des  langues  allemande  et  française. 

Faibles  lignes  noires  limites  des  nuances  de  prononci.ition. 

O  évolution  isolée. 


LES    LIMITES    DIALECTALES 

DANS  LA  SUISSE  ROMANDE 


Avec  une  carte  '. 


La  carte  que  nous  présentons  aujourd'hui  aux  lecteurs  du 
Bulletin  est  destinée  à  illustrer,  en  ce  qui  concerne  la  Suisse 
romande,  la  question  importante  et  très  controversée  des  limites 
des  dialectes  et  de  leur  groupement  naturel.  Elle  a  été  dressée  au 
moyen  des  matériaux  recueillis  pour  l'élaboration  d'un  Atlas 
linguistique  de  notre  pays,  et  résume  en  un  seul  tableau  synop- 
tique les  résultats  partiels  que  fournissent  les  vingt  premières 
cartes  déjà  établies  de  cet  ouvrage.  Voici  en  quelques  mots 
comment  il  a  été  procédé  : 

I.  Elaboration  des  cartes  de  r Atlas.  —  Les  rédacteurs  ont 
relevé  sur  place,  en  notant  exactement  la  forme  de  mots  types 
choisis  à  cet  effet,  la  prononciation  patoise  d'environ  300  loca- 
lités réparties  sur  tout  le  territoire  des  cantons  romands. 
Chacun  des  mots  types  permet  de  dresser  la  carte  des  trans- 
formations subies  dans  les  divers  patois  par  un  même  son 
primitif  du  latin.  Ainsi,  pour  prendre  un  exemple,  on  sait 
que  les  groupes  latins  r/,  rd  aboutissent  dans  une  partie  des 
parlers  du  Jura  bernois  à  tch  et  dj  (porta  =  p6Hch\  corda 
=  kô'df,  à  Bourrignon,  etc.)  ;  pour  connaître  l'extension  de 
cette  prononciation,  on  a  demandé  dans  toutes  les  localités 
visitées  les  mots  porte,  courtil,  verte,  garder,  corde,  sourde, 
perdu.  Ces  mots,  d'un  usage  courant,  et  appartenant  au  fonds 
primitif  de  la  langue,  nous  montrent  l'évolution  spontanée  du 
patois.  Tous  les  autres  exemples  de  mots  populaires  présentant 
les  mêmes  groupes  de  consonnes  subiront  le  même  traitement, 
ainsi  cher-temps  =z  tchitchan,  ?nardi  =  medji,  etc.   C'est  dans 


*   Reproduite   d'après   VArchiv  fur  dus  Stiuiium  der  tieueren  Sprachen, 
CXI,  fasc.  3,  4. 

3 


l8  L.    GAUCHAT 

ce  sens  que  nous  appelons  les  mots  porte,  courtil,  etc.  de  nos 
listes  des  mots  types.  La  carte  XII  de  notre  Atlas,  sur  laquelle 
figurent  les  résultats  actuels  de  rt,  rd,  montre  que  la  prononcia- 
tion tch,  dj  est  surtout  celle  de  l'extrême  ouest  du  Jura  bernois. 
Tous  les  villages  étudiés  de  l'Ajoie  et  des  Franches  Montagnes, 
et,  selon  toute  prévision,  également  ceux  que  nous  n'avons  pas 
pu  visiter,  ont  tch,  df  i.  Le  district  de  Delémont  est  divisé  ;  la 
ligne  de  démarcation  passe  à  Test  de  Bourrignon,  Asuel,  Saint- 
Ursanne,  Glovelier,  Saint-Brais,  Montfaucon,  Les  Breuleux, 
Les  Bois.  Tous  ces  villages  ont  encore  la  prononciation  pala- 
tale, tandis  que  ceux  de  Soyhière,  Courfaivre,  Undervelier,  etc., 
situés  au  delà  de  cette  ligne,  ont  conservé  l'r.  La  montagne 
neuchâteloise,  ainsi  que  La  Ferrière  et  une  partie  du  vallon 
de  Saint-Imier,  présentent  au  lieu  de  r/,  rd  une  espèce  de  /  ou 
d  retirés,  alvéolaires,  résultant  d'une  fusion  de  Vr  avec  l'explo- 
sive suivante.  Le  Cerneux-Péquignot  marche  avec  le  patois 
ajoulot.  Dans  tout  le  reste  de  la  Suisse  romande  rt,  rd  ont  été 
conservés  intacts.  La  ligne  de  démarcation  inscrite  sur  la  carte 
n'a  pas  un  caractère  rigoureusement  exact,  parce  que  nous  avons 
été  obligés  d'attribuer  les  localités  non  visitées,  un  peu  arbi- 
trairement, à  l'un  ou  à  l'autre  des  domaines  phonétiques,  et  parce 
que  le  long  de  toute  frontière  pareille  on  constate  un  certain 
nombre  de  transfuges  ou  de  prononciations  hésitantes.  Ce  reste 
d'incertitude  est  inévitable  ;  il  n'infirme  pas  la  valeur  de  nos 
conclusions  scientifiques. 

Toutes  les  autres  cartes  de  \ Atlas  reposent  sur  une  base  pa- 
reille. 

IL  Elaboration  de  la  carte  synoptique.  —  Les  limites  très 
nombreuses  et  très  variées  qui  coupent  la  Suisse  romande  en 
tous  sens,  si  on  applique  le  système  indiqué  ci-dessus,  ont  été 
reportées  avec  le  plus  grand  soin  sur  une  seule  carte,  qui  est 
celle  que  nous  reproduisons.  Bien  que  l'état  d'avancement  de 
V Atlas  eût  permis  d'augmenter  ce  nombre,  on  s'est  borné  à 


*  Sauf  Daravant  et  La  Ferrière. 


LES  LIMITES   DLALECTALES   DANS   LA  SUISSE  ROMANDE        I9 

faire  la  synthèse  des  vingt  premières  cartes,  qui  embrassent 
des  caractères  suffisamment  divers  pour  donner  une  idée  d'en- 
semble. Elles  représentent  le  développement  phonétique  de 
plusieurs  voyelles  accentuées  et  atones  {a,  e,  etc.),  de  diffé- 
rentes consonnes  isolées  ou  groupées  {cl,  si,  c  devant  a,  etc.), 
la  répartition  de  die  lunae  et  lunae  die,  c'est-à-dire  des  mots 
pour  lundi,  qui  apparaissent  tantôt  sous  la  forme  de  composi- 
tion française  :  lun-di,  tantôt  sous  la  forme  provençale  :  di-lun, 
etc.  '.  Il  importe  toutefois  d'insister  sur  le  caractère  provisoire 
de  notre  carte  synoptique.  En  ajoutant  aux  lignes  inscrites 
celles  qui  restent  à  établir,  on  obtiendra  un  tableau  plus  com- 
pliqué que  celui  que  nous  soumettons  aujourd'hui  à  nos  lec- 
teurs. Une  grande  partie  des  lignes  nouvelles  s'associeraient 
sans  doute  aux  anciennes  et  amplifieraient  encore  les  faisceaux 
de  limites  très  curieux  qu'on  trouve  sur  la  carte  d'essai  ;  d'au- 
tres lignes  viendraient  croiser  celles  qui  existent  déjà,  elles 
diviseraient  des  contrées,  comme  la  Montagne  neuchâteloise, 
le  Gros-de-Yaud,  qui  ont,  d'après  notre  carte,  un  caractère 
linguistique  très  uniforme,  en  deux  ou  plusieurs  fragments. 
Mais  nous  sommes  persuadés  que  l'ensemble  ne  sera  pas  sensi- 
blement modifié.  Les  résultats  provisoires  représentent  environ 
un  tiers  de  toutes  les  limites.  En  y  joignant  les  deux  autres 
tiers,  on  noircirait  fortement  le  réseau  actuel,  sans  l'effacer  par 
un  dessin  très  nouveau. 

III.  Comment  aire  de  la  carte  synoptique.  —  i°  Ce  qui  frappe 
tout  d'abord,  en  examinant  notre  petite  carte,  c'est  qu'à  côté 
de  lignes  capricieuses,  comme  on  en  trouve  surtout  dans  le 
Bas-Valais,  on  aperçoit  une  tendance  des  limites  à  se  grouper. 
Le  réseau  ne  fait  pas  l'impression  d'une  irrégularité  com- 
plète, mais  d'un  certain  plan  qui  aurait  présidé  à  la  distri- 
bution des  limites.  Beaucoup  de  limites  suivent  les  frontières 
cantonales,  voir  par  exemple  la  séparation  assez  nette  entre 


*  Voir  rénumération  des  cartes  dans  les  Rapports  de  la  rédaction 
pour  les  années  1900  et  1902. 


20  L.     GAUCHAT 

Berne  et  Neuchâtel,  Fribourg  et  Vaud,  Vaud  et  Genève  '.  Ce 
fait  prouve  qu'il  doit  y  avoir  un  rapport  entre  l'évolution  his- 
torique de  nos  cantons  et  celle  de  leurs  patois.  Les  change- 
ments de  prononciation  survenus  au  cours  des  siècles  ont 
commencé  par  saisir  certaines  contrées,  et  se  sont  insensi- 
blement étendus,  sans  toujours  franchir  les  barrières  politi- 
ques. On  imite  et  adopte  la  prononciation  de  ceux  auxquels 
des  liens  multiples  nous  rattachent,  tandis  qu'on  ne  se  plie  pas 
volontiers  aux  habitudes  de  ceux  qui  diffèrent  de  nous  par  les 
us  et  coutumes,  les  relations  commerciales,  etc.  C'est  une  ques- 
tion d'affinités.  Deux  contrées  voisines,  comme  celles  représen- 
tées par  les  villages  de  Rossens  et  d'Avry-devant-Pont  (Fri- 
bourg), qui  ont  dû  parler  une  fois  le  même  latin,  se  sont  insen- 
siblement différenciées,  grâce  au  manque  de  relations.  C'est  là 
que  passait  en  effet  l'ancienne  limite  politique  du  pays  d'Ogoz, 
qu'on  peut  suivre  jusqu'au  dixième  siècle.  Les  limites  dialec- 
tales les  plus  saillantes  de  notre  carte  sont  probablement  les 
plus  anciennes.  Entre  Les  Bois  et  La  Ferrière  Qura  bernois)  il 
n'y  a  guère  eu  de  rapports  avant  le  dix-huitième  siècle.  Les 
différences  de  prononciation  ont  pu  s'accumuler,  entre  ces 
deux  contrées,  depuis  un  temps  immémorial.  Les  premiers  co- 
lons arrivés  dans  ces  lieux  venaient  de  régions  opposées,  ils 
n'avaient  pas  le  besoin  ni  l'occasion  de  se  parler  et  de  s'assi- 
miler. Cette  limite  remonte  selon  toute  probabilité  à  l'ancienne 
division  entre  les  Francs  et  les  Burgondes. 

On  entend  raconter  que  la  Montagne  neuchâteloise  a  été 
peuplée  par  des  habitants  du  Val-de-Travers.  D'après  notre 
carte,  cette  hypothèse  manque  absolument  de  fondement.  Les 
deux  parlers  sont  bien  tranchés.  Les  deux  vallées  neuchâte- 
loises  ont  donc  été  colonisées,  très  probablement,  par  des  gens 


'  Aucune  limite  n'a  été  inscrhe  le  long  de  la  frontière  suisse  parce 
que,  dans  cette  carte  provisoire,  nous  n'avons  pas  tenu  compte  des  pa- 
tois des  régions  limitrophes.  Mais  nous  savons  qu'une  foule  de  limites 
linguistiques  coïncident  avec  la  frontière  politique. 


LES  LIMITES  DIALECTALES  DANS- LA  SUISSE  ROMANDE        2  1 

venus  de  France,  à  des  époques  diverses  et  indépendamment 
l'une  de  l'autre. 

2"  Les  résultats  ainsi  acquis  sont  d'un  intérêt  particulier 
pour  les  recherches  historiques.  Le  dialectologue  et  l'historien 
devraient  unir  leurs  efforts  pour  expliquer  les  principaux  de 
nos  faisceaux  de  lignes.  Ils  sont  instructifs  pour  la  plus  ancienne 
histoire  du  pays  romand.  Dans  une  étude  générale  sur  les  limites 
dialectales,  leur  caractère  et  leur  origine,  nous  avons  insisté  sur 
cette  nécessité  d'une  collaboration  de  la  part  des  philologues  et 
des  historiens,  pour  arriver  à  mieux  connaître  la  période  de 
formation  de  notre  peuple  (Voy.  Archiv  fiir  das  Studium  der 
neiceren  Sprachen,  1904,  CXI,  p.  365  ss.). 

30  Ce  qui  frappe  ensuite,  dans  notre  carte,  c'est  l'irrégularité 
de  certains  domaines.  Elle  se  remarque  surtout  dans  les  contrées 
montagneuses,  favorables  à  l'isolement,  où  les  communications 
sont  difficiles.  Mais  l'unité  des  parlers  des  vallées  d'Hérémence 
et  d'Anniviers,  qui  sont  pourtant  séparées  par  une  très  haute 
chaîne  de  montagnes,  démontre  que  les  obstacles  naturels  ne 
jouent  pas,  dans  la  différenciation  linguistique,  le  rôle  qu'on 
leur  attribue  communément.  La  même  irrégularité  se  produit 
par  exemple  à  l'ouest  du  canton  de  Vaud,  dans  l'étroit  passage 
qui  le  relie  au  canton  de  Genève.  On  y  rencontre  successive- 
ment plusieurs  barricades  de  limites.  En  deçà  et  au  delà,  le  ca- 
ractère dialectal  apparaît  pur  de  tout  alliage.  L'irrégularité  doit 
s'expliquer  par  le  fait  que  quelques  phénomènes  linguistiques 
ont  trouvé  moyen  de  sauter  les  barrières  politiques,  en  raison  de 
la  plus  ou  moins  forte  intensité  des  rapports  mutuels.  L'irrégu- 
larité se  fonde  sur  la  non-conformité  des  relations.  Les  habi- 
tants de  la  rive  du  lac  pouvaient  par  exemple  avoir  des  relations 
plus  suivies  avec  Genève  que  ceux  de  la  côte.  Les  viticulteurs 
sont  plus  en  rapports  avec  les  Savoyards,  qui  viennent  travailler 
leurs  vignes,  que  les  paysans,  etc.  Le  Bas- Valais  était  exposé 
aux  influences  de  multiples  patois  savoyards  et  vaudois  ^  Le 

*  Ainsi  Saint-Gingolph  a  nécessairement  subi  l'influence  de  La  Meil- 
lerie,  centre  de  la  pêche. 


22  L.    GAUCHAT 

dialecte  y  a  perdu  toute  orientation.  Il  y  a  probablement  eu 
d'innombrables  mélanges  de  populations  et  superposition  de 
dialectes  dans  ce  fertile  coin  de  terre  suisse. 

4°  L'uniformité  n'est  pas  moins  significative  que  la  variété. 
La  pénurie  de  lignes  dans  le  Gros-de-Vaud,  le  canton  de  Fri- 
bourg,  le  Haut- Valais  romand,  le  canton  de  Genève,  témoigne 
d'une  forte  unité  de  descendance  et  d'histoire. 

5"  Les  îlots  qui  diffèrent  de  leur  entourage  par  un  ou  deux 
traits  phonétiques  mettent  en  lumière  la  naissance  des  transfor- 
mations phonétiques.  Leur  isolement  est  relativement  récent. 
Ainsi,  les  deux  îlots  qu'on  aperçoit  dans  le  Gros-de-Vaud  ont 
à  au  lieu  de  à  (pratu  =  prâ^  etc.).  C'est  une  tendance  qui  s'est 
généralisée  ailleurs,  par  exemple  dans  l'ouest  du  canton  de 
Fribourg,  dans  le  Bas- Valais,  etc.  Dans  les  contrées  que  nous 
venons  de  nommer,  la  chose  a  commencé  comme  pour  le 
Gros-de-Vaud  actuellement,  par  un  ou  deux  villages  ;  puis  la 
nouvelle  prononciation  s'est  introduite  partout.  Les  quelques 
villages  ont  fait  tache  d'huile,  pour  des  raisons  qui  nous  échap- 
pent encore. 

6°  Les  îlots  entourés  de  lignes  nombreuses  sont  des  contrées 
qui  ont  résisté  à  l'assimilation,  pour  des  motifs  historiques. 
Leur  indépendance  d'aujourd'hui  est  une  preuve  d'affinités  an- 
ciennes avec  d'autres  pays.  Il  n'y  a  pas  un  siècle  que  le  village 
du  Cerneux-Péquignot  est  suisse.  Tramelan  et  la  contrée  de 
Moutier,  Court,  etc.,  ont  eu  des  rapports  avec  Neuveville.  Il 
est  facile  de  reconnaître  sur  notre  carte  l'ancienne  vallée  de 
NugeroUes,  et  mainte  autre  division  territoriale  aujourd'hui 
disparue. 

Ces  quelques  considérations  sont  bien  loin  d'avoir  épuisé 
cette  matière,  qui  nous  paraît  être  d'une  grande  importance 
scientifique  ;  mais  nous  nous  contentons  de  publier  ce  petit 
commentaire  de  notre  carte  afin  de  mettre  en  évidence  le  se- 
cours que  la  dialectologie  peut  rendre  à  l'histoire,  et  non  moins 
celui  qu'elle  en  attend.  L_  Gauchat. 


PROVERBES   PATOIS 

Recueillis  a  Lens  (Valais) 

{Siii'/e.  —   Fo/V  ci-dessus,  p.  j.) 

-♦- 


2.  Proverbes  divers. 


41 


Marya  tèra,  jnarya  luèrda. 

42 
Marya  :^ètr'ta,  marya  daoug. 


43 
Ubmo  chaâo  rein  la  jhia  ^0- 
troua. 

44 

L9  fortouna  d'ouua  fena  y  e 

dppoui  là  kbdo  ïn  dpvan. 

45 
To-t-aprèin,  yèlyèta. 


41 


Marie  terre,  marie  merde. 

42 
Celui  qui  épouse  une  jolie 
femme  en  épouse  deux. 

43 

L'homme  débonnaire  rend 

la  femme  grasse. 

44 
La  richesse  d'une  femme 
se  trouve  depuis  le  coude  en 
avant. 

45 
Tout  apprend,  même  une 

vieille  femme. 


''*  Si  on  épouse  une  femme  qui  a  de  grandes  possessions,  on  a  beau- 
coup de  soucis. 

^'^  C'est-à-dire  elle  coûtera  autant  que  deux.  Cf.  Dûringsfeld,  II, 
p.  324  :  Fermosura  de  mulher  nào  faz  rico  ser  (port.). 

^^  C'est-à-dire  consiste  dans  son  aptitude  au  travail.  Cf.  Finamore  : 
La  fémmene  che  sse  marét'  â  da  purtâ  la  dôt'  a  le  déte. 

^'^  Cf.  Dûringsfeld,  II,  p.  32  :  La  vecchia  di  cent'anni  avia  a'mparari 
(sicil.). 


24 


GUSTAVE    PFEIFFER 


46  46 

Fins'  kyp  :(al9,  bitjp  kyp  dè:{ab         Vent   (du   sud)   qui   gèle, 
è  jèna  kyp  prè::;d  poiik,  U'è     bise    qui    dégèle,   et    femme 


tchyouJ9  bïii  rarp. 

47 
Oun  trouvp  myb  hVo  dô^"r  kyp 
hlb  7ioiip. 

48 
Oun  atrapp  mi  vpito  oun  nihi- 
tour  k'oun  klybpo. 

49 

Oun  tsapé  dp  palyp, 
Y  a  rin  dpjbt'  kyp  valyp. 

Tb  isan::^p  è  rein  mèlyirp. 

Plyan  oua,  luèin  tspnûnp. 
L'bino  kouryou  y  è  tb:^b  gou. 

53 

Pa  dp  pourtp  chin  Ihidàr. 


qui    parle   peu,   trois   choses 
bien  rares. 

47 
On   trouve   mieux   sur  le 

dur  que  sur  le  nu. 
48 
On    attrape    plus   vite   un 
menteur  qu'un  boiteux. 

49 
Un  chapeau   de    paille,   il 
n'y  a  rien  dessous  qui  vaille^ 

50 

Tout  change,   et  rien  ne 
s'améliore. 

Qui  va  lentement,  va  loin. 

52 
L'homme  curieux  est  tou- 
jours gueux. 

53 
Pas  de  porte  sans  seuil. 


''•>  Bridel,  p.  539;  Chenaux-Cornu,  No  274. 

''''  C'est-à-dire  on  a  plus  de  chance  de  recevoir  quelque  chose  d'un 
avare  que  d'un  pauvre,  qui  ne  possède  rien  du  tout. 

^8  Gilliéron,  p.  126  ;  Dûringsfeld,  II,  p.  62  :  As  clappa  pu  chôntsch 
un  manzneder  cu'n  zopp  (romanche).  —  Ainz  est  ateint  mensongier  que 
clop  (anc.  fr.).  —  Si  giunge  più  presto  un  bugiardo  che  un  zoppo  (ital.). 

''^  Les  citadins,  les  élégants,  ne  valent  rien  pour  le  travail. 

^'  Bridel,  p.  530  ;  Cornu,  No  227  :  Plyan  va,  lyen  tsamane.  Le  Roux, 
II,  p.  209  :  Qui  va  le  plein,  va  sain. 


PROVERBES    PATOIS 


25 


54 

L'eoua  kyp  ionifp  bnii  pa. 

55 

Di  gô  è  di  hbloiir  diskoiitèui 
jyami. 

56 

Oun    ivronyp   dd  plyou,    oiiii 
bmo  de  moiièin. 

57 
Hlé  (Che)  ky  a  byoïip,  hère. 

58 

Pa  dp  foiin  chïn  foiia. 

59 

Pa  dp  perdp  chïn  prbfyèt'. 

60 
Rptso  kyp  pôût',  bravo  kyp  ait'. 

61 

âoiiè  y  a  rein,  h  roue  pèr  sou 

drouè. 

62 
Lp  plyou  bêla  filyp  dou  môn- 

do  balyp  kyp  cbèin  k  éy  a. 


54 
L'eau  qui  tournoie  ne  fliit 

pas  de  bruit. 

55 

Des  goûts  et  des  couleurs, 
il  n'en  faut  jamais  discuter. 

Un   ivrogne   de   plus,    un 
homme  de  moins. 

57 
Celui  qui  a  bu,  boira. 

58 

Pas  de  fumée  sans  feu. 

59 

Pas  de  pertes  sans  profit. 

60 

Riche  qui  peut,  brave  qui 

veut. 

61 

Là  où  il  n'y  a  rien,  le  roi 
perd  ses  droits. 
62 

La  plus  belle  fille  du  monde 
ne  donne  que  ce  qu'elle  a. 


■"•^  Dûringsfeld,  I,  p.  581. 

■'•''  Le  Roux,  I,  p.  380  :  Qui  a  bu,  boira. 

^'^  Cf.  Cornu,  N"  149  :  Yô  lî  y  a  ren  de  fù  lî  ya  ren  de  fumeyr?.  De 
même  Le  Roux,  I,  p.  70,  71  :  N'est  fu  saunz  fumé,  ne  amour  saunz 
semblant. 

^^  Proverbes  ruraux  :  Il  n'est  dommaiges  qui  ne  port  aucun  profit. 

"^  Cf.  Dûringsfeld,  II,  p.  699  :  Mas  hace  el  que  quiere,  que  no  el  que 
puede. 

•^^  Cf.  Gilliéron,  N"  242  ;  Le  Roux,  II,  p.  94. 

•^2  Cf.  Dûringsfeld,  W,  p.  302  :  Nessuno  dà  quel  che  non  ha. 


26 


GUSTAVE    PFEIFFER 


63 

Rijôn  fi  mijôn. 
64 
Bhia  ouàrda,  jyanii  tra. 

Dp-van  ky9partik,fàfér  ourtk. 

66 

Botsp  chïn  dèin, 
Tsha  cJmi  ècbyèin. 

67 
Dpvan  kyp  férp  là  pMik, 
L'otijé  fé  Ib  ntk. 

68 
Tsikyd  gâta  krè  la  mbta, 
Tsîkyp  grau  krè  là  pan. 

69 

Lp  farpiia  don  dyablyo  fé  pa 
dp  bon  pan. 

70 
L^  mèdpsïn  ppdou 
Rèin  Vànio  bouihon. 


63 
Raison  fait  maison. 

Bonne  garde,  jamais  trop. 

Avant    de    partir,    il    faut 
vider  (le  verre). 

66 
Bouche    sans    dents,    tête 
sans  escient. 

67 

Avant   de    faire    le    petit, 

l'oiseau  fait  le  nid. 

68 
Chaque  goutte    augmente 
le    fromage,     chaque    grain 
augmente  le  pain. 

La  farine  du  diable  ne  fait 
pas  de  bon  pain. 

70 
Le    médecin    qui    a   pitié 
rend  l'homme  boiteux. 


63  Cf.  Le  Roux,  II,  p.  411. 

^6  Cf.  Cornu,  X»  148  :  Tan  plya  vîlyo,  tan  plys  fû. 

•"^  Cf.  Bridel,  p.  533  ;  Cornu,  N»  155  :  Gôta  xù  gôta  fâ  la  môta. 

6^  Le  type  suisse-allemand  de  ce  proverbe  :  'S  Tùfels  Melil  wird  ze 
Chrûsch,  s'approche  de  la  forme  rétoromane  :  La  farina  del  diavel  va 
in  brenn,  et  de  l'ital.  :  La  farina  del  diavolo  va  tutta  in  crusca. 

'"  Cf  Le  Roux,  I,  p.  266  :  Main  de  médecin  trop  piteux  Rend  le 
mal  souvent  trop  chancreux.  —  Dûringsfeld,  p.  117  :  Saepe  solet  me- 
dici  pietate  putrescere  vulnus. 


PROVERBES    PATOIS  27 

71  71 

Omo  d'arièin,  bmo  dp  rein.  Homme  d'argent,  homme 

de  rien. 

72  72 

Ld  fin  fan  h  fbltp,  Jd  fou  èin  Les  malins  font  les  folies, 

rljôn.  les  fous  en  rient. 

73  73 

Oun  yûT^o  airapa,  chein  yâ^p  Une  fois  attrapé,  cent  fois 

akouja.  accusé. 

74  74 

Jbt9  h  behy9  chôn  pa  èhat-  Toutes  les  bêtes  ne  sont 

chyh  ou  hou.  pas  attachées  à  l'étable, 

75  75 

Tbt9  I9  héhy?  mïnjôn  (^pikôn)  Toutes  les  bêtes  ne  man- 

pa  d'avèin-na.  gent  pas  de  l'avoine. 

76  76 

Kan  îiôn'îp,  fût'.  Quand  il  faut,  il  faut. 

77  77 

La  mbhnk  van  kyp  dou  na  Les    moqueries    ne    vont 

in  la  botsp.  que  du  nez  dans  la  bouche. 

78  78 

Kan  oun  pou  pa  mi,  rnounk  Quand  on  n'en  peut  plus, 

oun  ch9  lâcha.  on  se  laisse  mourir. 

79  79 

A  bon  tsat',  bon  rat'.  A  bon  chat,  bon  rat. 


'^  Cf.  Le  Roux,  II,  p.  432  :  Une  fois  en  mauvais  renom,  Jamais 
puis  n'est  estimé  bon. 

"^  Cf.  Bride],  p.  535  ;  Cornu,  N"  84. 

"•^  Cf.  Le  Roux,  II,  p.  378  :  Quand  Oportet  vient  en  place  II  est 
besoin  qu'on  le  face. 

"  C'est-à-dire  elles  retombent  sur  celui  qui  les  adresse. 


28 


GUSTAVE    PFEIFFER 


Kan  b  ponliko  tsanip,  h  :idbna 
dans  9. 

8i 

àouè  h  tsarèl'  pou  ïntra,  i  pou 
choiirûk. 

82 

Kan  y  a  pa  mi,  y  a  ounkor. 


83 
Fa  pa  ïnsènyè  a  kaka  a  hlou 
kp  y  an  la  kjsa. 

84 

Balyp  par  la  pourta  ou  pairo, 
Td  tourna  ba  p9  la  bourna. 

85 

Kan  b  chah  y  è  plyèin,  i  boutp. 

86 

Chèin    hy9   yèiii    p9    flyouta 
chouriè  p9  taii"'bour. 


80 
Quand   le   coq   chante,  la 
poule  danse. 

81 

Où  le  char  peut  entrer,  il 
peut  sortir. 

82 
Quand  il  n'y  en  a  plus,  il 
y  en  a  encore. 

83 

Il  ne  faut  pas  enseigner  à 

aller  à  selle  à  ceux  qui  ont 
la  diarrhée. 

84 
Donne    par    la    porte    au 
pauvre,  et  cela  te  reviendra 
par  la  cheminée. 

85 
Quand  le  sac  est  plein,  il 
déborde. 

86 

Ce  qui  vient  par  la  flûte, 
s'en  va  par  le  tambour. 


®  '  C'est-à-dire  il  n'y  a  pas  besoin  d'enseigner  quelque  chose  à  celui 
qui  sait  le  métier  lui-même.  Cf.  Dûringsfeld,  II,  p.  25  :  Il  ne  faut  pas 
enseigner  les  poissons  à  nager.  Non  bisogna  insegnare  ai  gatti  a  ram- 
picare. 

**"*  Cf.  Cornu,  N»  68  :  Xen  c'on  balye  a  la  poàrta  redexen  pè  la 
boarna. 

^"  Cornu,  No  162  :  Xen  es  ven  pa  la  hlyôta  x'en  va  pè  b  tabâ.  —  Dû- 
ringsfeld, II,  p.  651  :  Ben  que  ven  eme  la  fluito,  s'en  tourno  au  tam- 
bour (prov.  raod.).  Lô  ch'a  ven  per  fluta,  a  va  via  per  tambor  (piém.). 


PROVERBES    PATOIS  29 

87  87 

Hlé  kyp  agouh  tra  d'ontôn,  bit'         Celui  qui  goûte  trop   (le 
a  la  fôii'tmi-na  dp  tsâlèin.      vin)   en  automne,  boit  à   la 

fontaine  en  été. 

88  88 

Lp  plyoïi   chadù  moulèl'  y  a         Le  mulet  le   plus   sage  a 
toua  choun  mètrp.  tué  son  maître. 

89  89 

Lp-j-èhoup    valôn    mi   kyp    h         Les  écus  valent  mieux  que 
prbmèchp.  les  promesses. 

90  90 

KanIpvîroyèplyèin,Vo  oupido,         Quand  le  verre  est  plein» 

Kan   lp  vîro  y  è   oiipïdo,   là  je    le  vide  ;    quand   le   verre 

plyèinjo.  est  vide,  je  le  plains. 

91  91 

Tbta  tsansôn  kyp  prèin  cha  fin         Toute  chanson  qui  prend 
Mèrèt  a  bîr  oun  vïro  dp  vin.     sa    fin    mérite    ci    boire    un 

verre  de  vin. 


*^  Le  Roux,  II,  p.  350:  Mieux  vaut  un  présent  Que  deux  attends. 

Gustave  Pfeiffer. 


— OO'^'^^O'OO— 


TEXTE 
I.  Fâblyâ  du  Lœu  è  du  Rnâ. 

Patois  de  Bernex  (Genève) 

On  lœu  è  on  rnâ  s  ràkontrivon  ^  hâk  vyâô  à  ûard^à  lœu  via 
iitàr  dé  pblalyi.  L9  lœu  avà  dp  lond'  dà,  dé-:<^-onglyon  hé 
pouàtii,  on  vàtr'  plyâ  è  dé  pa  tb  dra  su  Vérà^.  Al  avà  tbdb 
fan.  Sbvà,  à-n-ivér,  é  sœutiv'  la  Vota,  mé  é  s  ratrapiv'  dyà 
la  bèlâ  sà:yOn.  Là  mœuton,  lô  pblè,  lô  lapàn  pasivon  vif  dyà 
son  p'trp^.  E  n  pbvà  pâ  resta  lontà  u  mem  àdra,  al  étà  hétou 
kbnyu  è  bblyèdiâ'^  dp  kbri  on  pou  partb.  Lp  rnâ,  lyiii,  avà  dé 
danb'  fàn-n,  on  pa  dœu,  dé-:(^-br'lyp  draf,  na  bèlâ  kaouâ 
kbm  on  plypniè,  poué  on  Ion  mu:(ô  pouàtu.  La  fan  n  V  àpaûiv 
pâ  dp  dr'mi.  Al  étrangliv'  dp  tà-:{-à  ta  na  pud'nâ  hé  tàdrâ, 
s  kontàliv'  d'on  pou  d'édy'  jréd-  é  pasiv  son  ta  a  kbly'hàdâ 
aoué  lé  fhnal  dp  sô-::^-ami.  E  n  étà  pâ  kontà  dp  se  vîy'  sèlèrâ 

TRADUCTION 
Conte  du  loup  et  du  renard. 

Un  loup  et  un  renard  se  rencontraient  quelquefois  en  cher- 
chant leur  subsistance  autour  des  poulaillers.  Le  loup  avait  de 
longues  dents,  des  griffes  bien  pointues,  un  ventre  plat  et  des 
poils  tout  droits  sur  le  dos.  Il  avait  toujours  faim.  Souvent,  en 
hiver,  il  n'avait  rien  à  manger  (lift,  il  sautait  la  hotte),  mais  il 
se  rattrapait  pendant  la  belle  saison.  Les  moutons,  les  poulets, 
les  lapins  passaient  vite  dans  son  estomac.  Il  ne  pouvait  pas 
rester  longtemps  au  même  endroit,  il  était  bientôt  connu  et 
obligé  de  courir  un  peu  partout.  Le  renard,  lui,  avait  de  fines 
jambes,  un  poil  lisse,  des  oreilles  droites,  une  belle  queue 
comme  un  plumet,  puis  un  long  museau  pointu.  La  faim  ne 
l'empêchait  pas  de  dormir.  Il  étranglait  de  temps  en  temps  une 
poulette  bien  tendre,  se  contentait  d'un  peu  d'eau  fraîche  et 


FABLYA    DU    LŒU    E    DU    RNA  3I 

d9  lœu  k'étà  vnu  épblalyi  tb  l  moud'',  ctb  al  avà  désidâ  d  h 
far  fbtr  h  kan  è  porta  sa  pé  d'ékouàru  alyœr. 

Y  étà  river,  l  1à-::^-étà  klyâr,  la  l'nâ  è  lé-^-étal  brilyivon 
par  U  n  ô.  Ld  lœu,  k  n'avà  rà  a  s  mètr  ^ô  la  dà,  gr'bbliv'  dp 
fra  è  d  fan.  E  va  irbvâ  s'n  ami  h  rnâ.  SÙTJty^,  kp  n'étà 
jamé  à  pana  pè  far  dé  ter,  di  n  lœu  :  «  Di  don,  konpâr,  i  fâ 
on  vré  ta  pè  alâ  a  la  péi),  t  d  k  t  d  -  n  -  é  ^  ?  D?  kbnyas'  on-n- 
àdra  yô  lé  truit'  n  mankon  pâ.  I\  à  di  t'  ?  —  Pasâ  t  vi  '',  dé 
fruit'  /  On  n  s'  à  r'gâl  pâ  sbvà,  mbdé  vit'.  » 

Kan-t-i  son  u  bôr  d  la  r'vîr,  h  rnâ  di  u  lœu  : 

—  ((  Mè  td  u  bôr,  las  trdpâ  ta  kaouâ  dyà  l'édy^  sa  bœudi, 
poué  kan  lô  péson  t  la  mourdron  bc  fôr,  tp  pouré  la  r'tri,  y 
d-n  ara  y  on  u  bè.  »  I  fasà  na  fra''  a  fàdr  lé  pîr,  e  l'édyp 
k'màsiv'  a  dalâ;  mé  h  lœu  7i'ô^iv'  pâ  s  plyàdr.  Pbrtan  sa 

passait  son  temps  à  flirter  avec  les  femelles  de  ses  amis.  Il 
n'était  pas  content  de  ce  vieux  scélérat  de  loup  qui  était  venu 
épouvanter  tout  le  monde,  aussi  avait-il  décidé  de  le  faire  dé- 
guerpir et  porter  sa  peau  de  malingre  ailleurs. 

C'était  rhiver,  le  temps  était  clair,  la  lune  et  les  étoiles  bril- 
laient par  là-haut.  Le  loup,  qui  n'avait  rien  à  se  mettre  sous  la 
dent,  grelottait  de  froid  et  de  faim.  Il  va  trouver  son  ami  le  re- 
nard. Celui-ci,  qui  n'était  jamais  embarrassé  pour  jouer  des 
tours,  dit  au  loup  :  «  Dis  donc,  compère,  il  fait  un  vrai  temps 
pour  aller  à  la  pêche,  est-ce  que  tu  en  es  ?  Je  connais  un  en- 
droit où  les  truites  ne  manquent  pas.  Qu'en  dis-tu?  —  Pense 
donc,  des  truites!  On  ne  s'en  régale  pas  souvent,  mettons-nous 
vite  en  route.  » 

Quand  ils  sont  au  bord  de  la  rivière,  le  renard  dit  au  loup  : 

—  «  Mets-toi  au  bord,  laisse  tremper  ta  queue  dans  l'eau 
sans  remuer,  puis,  quand  les  poissons  te  la  mordront  bien 
fort,  tu  pourras  la  retirer,  il  y  en  aura  un  au  bout.  »  Il  faisait  un 
froid  à  fendre  les  pierres,  et  l'eau  commençait  à  geler;  mais  le 


32  C.    FLEURET 

kaouâ  étà  pra:iâ  dyà  la  glyaf^.  Su  l  niatàii,  h  lœii  nà  pbvà 
plyp  dp  fra  è  di  u  ma  : 

—  Dp  kray  bé  kp  lô  pèsoii  on  rèiioiâ  ma  kaouâ. 

—  Sa  s  pu,  di  h  rnâ,  y  è  l  mbmà  d  la  r'iri.  Lp  lœu  tir, 
me  e  rést'  pra  dyà  la  glyaf.  E  tir  p'  jor  :  rà  n  van.  Lp  rnâ 
sp  sôv  à  kriyà  k  lô  âèjyèu  vnon.  Lp  lœu-:(_-â  pœr,  tir  p'  fôr 
€  arad-  sa  kaouâ  tôt  a  savây^  ;  la  pé  étà  rèstây^  dyà  la  glyaf. 

Lp  lœu  étà  tb  kapb  aoué  sa  kaouâ  pèlâyp.  Lp  rnâ  h  màn-n 
dyà  sa  ton-nâ  è  H  à  fâ  on-n  âirâ  aoué  dp  la  ritâ  dp  ûçnpv'. 
Lp  rnâ,  kp  savà  y  à  là  bardi  fasion  du  fatâ,  di  u  lœu  :  «  Vé 
aoué  nip,  on-n-irâ^  sp  ûarfâ.  »  Kan-t-i  son  pré  du  fouâ  è  kp 
h  lœu  kbniàs'  a  s  rédœudâ,  h  rnâ  sœut  h  fouâ  è  di  u  lœu 
d'à  fâr  atan.  Lp  lœu  sœut  ètb,  tonb'  u  màtà,  i  brul  sa  pa  e 
tbta  sa  kaouâ  dp  ritâ.  E  pœusiv'  dé  bouiléyp  kbm  on  danâ. 

loup  n'osait  pas  se  plaindre.  Pourtant,  sa  queue  était  prise 
dans  la  glace.  Vers  le  matin,  le  loup  n'en  pouvait  plus  de  froid 
et  dit  au  renard  : 

—  Je  crois  bien  que  les  poissons  ont  rongé  ma  queue. 

—  Cela  se  peut,  dit  le  renard,  c'est  le  moment  de  la  retirer. 
Le  loup  tire,  mais  il  reste  pris  dans  la  glace.  Il  tire  plus  fort: 

rien  ne  vient.  Le  renard  se  sauve  en  criant  que  les  chasseurs 
arrivent.  Le  loup  a  peur,  tire  plus  fort  et  arrache  sa  queue 
tout  écorchée  :  la  peau  était  restée  dans  la  glace. 

Le  loup  était  tout  penaud  avec  sa  queue  pelée.  Le  renard  le 
conduit  dans  sa  tanière  et  lui  en  fait  une  autre  avec  de  la 
filasse  de  chanvre.  Le  renard,  qui  savait  oîi  les  bergers  faisaient 
du  feu,  dit  au  loup  :  «  Viens  avec  moi,  nous  irons  nous  chauffer.  » 
Quand  ils  sont  près  du  feu  et  que  le  loup  commence  à  se  ré- 
chauffer, le  renard  saute  par-dessus  le  feu  et  dit  au  loup  d'en 
faire  autant.  Le  loup  saute  aussi,  tombe  au  milieu  [du  feu],  y 
brûle  son  poil  et  toute  sa  queue  de  filasse.  Il  poussait  des  hur- 
lements comme  un  damné.  Alors  le  renard  dit  au  loup  :  «  Tais- 


FABLYA    DU    LŒU    È    DU    RN'A  33 

AIô  h  ma  di  u  lœu:  «  Kd:(^  tp  è  ékœiitâ  s  ha  d  t9  dyp.  D3 
kbuyas'  na  farmâ  yô  on-n-a  tyouâ  h  pouàr  stœu  dari  dèr. 
La  sala  è  tb  fre  dyà  la  kâvâ;  aie  y  a  avan  h  b  far  mi  s 
leva.  » 

Al  arivon  pré  d  la  mà:(on,  h  ma  sèut  b  pr'nii  dyà  la 
kâvâ  pè  b  lyui:(é  è  b  lœu  sèut  aprè,  mé  l  golè  étà  just  prœu 
gran  par  lyui.  Al  i  iruvon  dp  kp  s  rgâlâ.  Lp  ma  fasà  sàblyan 
dp  tndi,  tàdi  kp  l  lœu  glyafiv'  lô  mélyœu  morse.  Son  vàlr  étà 
grou  kom  on  bbi^b.  Lp  ma  sp  sàv  pè  b  lyui::^é  à  kriyà  u 
vblèr,  b  lœu  vu  à  fâr  atan,  mé  son  vàtr  è  trè  grou,  è  n  pu 
pâ  pasâ.  Lp  farmi,  sa  fènâ,  sô-2^-àfan,  b  vâlè,  la  sarvàlâ, 
k  aoujyon  du  brui,  arivon  aoué  dé-:(^airà^^,  dé  dâlyp^^,  dé 
souaton  è  asbmon  b  lœu.  Lp  ma,  konià,  sp  sàv  à  riyà  kbm  on 
dyablyp  k  àpœrt  on  danâ. 

loi  et  écoute  ce  que  je  te  dis.  Je  connais  une  ferme  où  on  a  tué 
le  porc  ces  derniers  jours.  Le  salé  est  tout  frais  à  la  cave; 
allons-y  avant  que  le  fermier  se  lève.  » 

Ils  arrivent  près  de  la  maison,  le  renard  saute  le  premier 
dans  la  cave  par  le  soupirail  et  le  loup  saute  après,  mais  le 
trou  était  juste  assez  grand  pour  lui.  Ils  y  trouvent  de  quoi  se 
régaler.  Le  renard  faisait  semblant  de  manger,  tandis  que  le 
loup  avalait  gloutonnement  les  meilleurs  morceaux.  Son  ventre 
était  gros  comme  un  tonneau.  Le  renard  se  sauve  par  le  soupi- 
rail en  criant  au  voleur,  le  loup  veut  en  faire  autant,  mais  son 
ventre  est  trop  gros,  il  ne  peut  pas  passer.  Le  fermier,  sa 
femme,  ses  enfants,  le  valet,  la  servante,  qui  entendent  du 
bruit,  arrivent  avec  des  tridents,  des  faux,  des  triques,  et  as- 
somment le  loup.  Le  renard,  content,  s'enfuit  en  riant  comme 
un  diable  qui  emporte  un  damné. 

Camille  Fleuret. 


34  J-    JEANJAQUET 


NOTES 


Le  titre  de  fàblyâ  donné  au  morceau  ci-dessus  ne  doit  pas 
faire  croire  à  un  apologue  d'origine  littéraire  mis  en  patois. 
Fâblyâ  a  aussi  le  sens  de  conte  populaire,  facétie,  et  c'est  bien 
à  une  composition  de  ce  genre,  recueillie  dans  la  tradition 
orale  de  Bernex  par  M.  Fleuret,  que  nous  avons  affaire  ici.  Les 
aventures  du  loup  et  du  renard,  et  les  bons  tours  joués  par  ce 
dernier  à  son  compagnon,  sont  un  des  sujets  favoris  de  la  litté- 
rature populaire.  En  comparant  notre  récit  à  d'autres  versions 
patoises  qui  en  ont  été  publiées,  on  pourra  s'assurer  que,  si  les 
détails  varient  quelque  peu,  le  fond  traditionnel  reste  identique. 
Voir,  par  exemple,  pour  les  régions  qui  nous  avoisinent,  les 
ouvrages  de  Richenet,  Patois  de  Petit-Noir  i^/ura),  Dôle, 
1896,  p.  250-259,  où  se  trouve  aussi  une  version  lorraine,  et 
Ch.  Roussey,  Contes  populaires  de  Bournois  {Doubs),  Paris, 
1894,  p.  23  et  suiv. 

Pour  la  transcription,  il  est  à  noter  que  d  en  finale  atone  dif- 
fère de  Va  tonique  non  seulement  en  intensité,  mais  aussi  par 
le  timbre,  plus  voisin  de  a. 

1  rdkontrivon.  La  finale  -on,  qui  correspond  au  français  -ent, 
est  atone.  —  A  Bernex,  tous  les  imparfaits  de  la  première  con- 
jugaison sont  en  -iv-;  on  lit  plus  loin  ratrapiv\  pasivon,  dpa- 
^iv\  étrangliv\  etc.  Cette  désinence  ne  devait  appartenir  à 
l'origine  qu'aux  verbes  dont  l'infinitif  est  en  -/  (anc.  fr.  -;Vr), 
comme  moi,  manger,  bœudi,  bouger,  kmdsi,  commencer.  Elle 
a  été  étendue  par  analogie  à  tous  les  autres  verbes  de  la  pre- 
mière conjugaison  et  a  supplanté  leur  terminaison  régulière  en 
-av-,  qui  subsiste  cependant  dans  certains  patois  de  la  région. 
Duret,  Grammaire  savoyarde,  p.  42,  ne  donne  d'amivo  que 
comme  forme  secondaire  à  côté  de  la  forme  normale  d^amavo. 
D'après  Fenouillet,  Monogr.  du  pat.  sav.,  p.  64,  les  patois  du 
Chablais  et  du  Faucigny  ont  -iv-  à  la  seconde  personne  du  sin- 
gulier et  du  pluriel  et  -av-  à  toutes  les  autres  personnes. 


FABLYA    DU   LŒU    E    DU    RNA  35 

2  érà.  Dans  le  canton  de  Genève  et  dans  les  patois  savoyards 
environnants,  on  a  tiré  du  pluriel  les  reins  un  substantif  l'érein, 
qui  s'emploie  comme  e'quivalent  du  français  dos.  C'est  un  cas 
d'agglutination  (type  écornes)  à  ajouter  à  ceux  énumére's  dans 
le  Bulletin,  II,  p.  24. 

^  p'tn,  du  latin  *péctore.  L'assourdissement  de  la  tonique, 
suivi  du  déplacement  de  l'accent  au  profit  des  voyelles  plus 
sonores,  se  présente  fréquemment  dans  les  patois  genevois. 
Notre  texte  nous  offre  encore  les  exemples  ^r'/>v  <aurîcula, 
l'nd  <  Xxxna.,  pud'nd  <  *  pullicina,  v'non  <  véniunt. 

*  bblyèèid.  A  Bernex,  comme  en  général  dans  la  partie  occi- 
dentale du  canton  de  Genève,  les  terminaisons  -/a,  -oua  por- 
tent l'accent  sur  /,  ou;  mdid,  mangé,  boud-id,  bouchée,  pid, 
Y>'\Qà,  foud,  feu,  etc.,  tandis  qu'à  l'est,  au  delà  de  l'Arve,  on  a 
mdyoi,  boui^ya,  pya,  foua,  etc.  Cependant,  dans  le  domaine  de 
-ia,  oua,  l'accentuation  est  souvent  flottante  et  subordonnée  à 
la  structure  de  la  phrase  ;  -ta,  -oua  passent  à  -ya,  -oua  si  le  mot 
qui  présente  ces  finales  est  étroitement  lié  syntaxiquement  à  un 
autre  qui  le  suit:  d'é  mô  u  pia,  j'ai  mal  au  pied,  mais:  u  pya 
dra,  au  pied  droit  ;  na  bowd^ia,  mais  :  na  botid^ya  d  pan,  etc. 

5  t  à  k  t  à-n-é?  litt. :  est-il  que  tu  en  es?  La  périphrase  avec 
est-il,  abrégé  en  ta,  est  très  usitée  comme  formule  interroga- 
tive  :  t  d  k  t3  vu  ?  veux-tu  1  t  d  k  é  van  ?  vient-il  ?  etc. 

6  pasdtvi,  dans  le  français  populaire  régional  -.pense-toi  voir. 
'^  na  fra,  une  froid.  L'emploi  du  féminin,  qui  se  retrouve 

aussi  avec  d^ô,  est  peut-être  dû  à  l'influence  de  l'idée  abstraite 
de  froidure,  chaleur. 

8  glyaf.  Le  passage  des  groupes  latins  cy,  ty  à/,  par  l'inter- 
médiaire de  d-,  est  une  particularité  phonétique  commune  à 
tous  les  patois  genevois:  calceone  >  x}œufon,  *dulcia  > 
dàufè,  cantione  >  x}anfon,  captiare  >  §èfi,  etc.  Elle 
s'étend  à  travers  la  Savoie  jusque  dans  le  Bas-Valais. 

9  on-n-ird.  La  construction  avec  nous  pour  la  première  per- 
sonne du  pluriel  a  à  peu  près  complètement  disparu  de  l'usage 


36  J.    JEANJAQUET 

dans  les  patois  genevois  et  savoyards  ;  nous  chantons  est  rendu 
dans  la  règle  par  on  chante. 

10  atrdy  trident,  est  un  cas  particulier  aux  patois  genevois 
d'agglutination  avec  Va  de  l'article  féminin  (type  aglan,  voy. 
Bulletin,  II,  p.  23).  Les  autres  patois  de  la  Suisse  romande  ne 
connaissent  le  mot  que  sous  la  forme  :  la  trin  ou  la  trati. 

'*  ddly?,  mot  usité  dans  toute  la  France  méridionale  pour 
désigner  la  faux  (voir  Atlas  linguistique  de  la  France,  carte 
546).  En  Suisse,  il  n'est  connu  que  dans  le  territoire  genevois. 

J.  JEANJAQ.UET. 


ETYMOLOGIES 

-^- 

I.  Bas-valaisan   gar:<^in,    eau-de-vie. 

Pour  désigner  l'eau-de-vie  en  général,  le  Bas- Valais  à 
partir  de  Sion  et  les  vallées  latérales  (Bagnes,  Entremont, 
Val  d'IUiez)  se  servent  d'un  mot  inconnu  au  reste  de  la 
Suisse  romande,  gar^ifi,  dont  il  existe  aussi  un  dérivé  gar- 
^inta^  distiller,  faire  de  l'eau-de-vie.  Dans  beaucoup  de  loca- 
lités, cet  ancien  terme  patois  tend  à  être  supplanté  par  le 
français  goutte,  adopté  tel  quel  ou  patoisé  en  gbla. 

Quelle  peut  être  l'origine  de  cette  appellation  d'apparence 
énigmatique?  La  variante  égar:{in,  relevée  à  Champéry  et 
dont  l'équivalent  a  existé  dans  les  Alpes  vaudoises  (égar:(un, 
dans  le  Glossaire  manuscrit  du  doyen  Henchoz,  de  Rossi- 
nières),  nous  mettra  sur  la  voie.  Elle  doit  évidemment  être 
identifiée  avec  les  formes  éguêr:(én  (Saint-Paul,  arr.  Thonon), 
égarjhê  (Sevrier,  arr.  Annecy)  enregistrées  par  le  Diction- 
naire savoyard,  et  celles-ci  ne  sauraient  à  leur  tour  être 
séparées  de  égardîn  (Montricher,  Maurienne)  et  de  toutes 


ETVMOLOGIES 


37 


les  variantes  analogues  qui,  de  la  Savoie  jusqu'aux  Pyré- 
nées, servent  à  désigner  l'eau-de-vie  et  remontent  au  latin 
aqua  ardens,  «  l'eau  qui  brûle.  »  (Voir  pour  le  détail  Mis- 
tral, Trésor,  \"  aigo  ardent  et  Atlas  linguistique  de  la  France, 
carte  433.)  Le  domaine  de  aqua  ardens,  dont  le  terme  va- 
laisan  apparaît  comme  le  poste  le  plus  avancé  vers  le  Nord, 
s'étend  au  Sud  bien  au  delà  des  limites  du  territoire  gallo- 
roman  avec  l'espagnol  aguardiente,  le  portugais  aguardente 
et  l'italien  acquar:(ente.  Eau  ardente  a  aussi  été  usité  en  an- 
cien français  pour  désigner  l'eau-de-vie.  Godefroy,  v°  ar- 
dent, en  cite  deux  exemples  du  seizième  siècle  et  Du  Gange, 
v°  aqua,  en  a  un  de  1447.  On  peut  y  joindre  le  suivant 
pour  notre  région  :  pour  Veau  ardent  pour  affeyter  les  bos- 
set^  neufs.  (Gomptes  des  baillis  de  Lausanne,  1537,  dans 
la  collection  manuscrite  Millioud.) 

Il  reste  à  expliquer  le  passage  de  aqua  ar défis  au  valaisan 
égar^in,  gar:{in.  La  présence  de  ég'  dans  la  première  partie 
du  mot,  au  lieu  de  la  forme  indigène  ivouè,  eau,  indique 
qu'il  s'agit  d'un  mot  d'emprunt,  importé  probablement  de 
la  Savoie.  Quant  à  la  chute  de  Vé,  c'est  un  cas  spécial  de 
ce  que  M.  Tappolet  a  appelé  la  «  déglutination  »  (v.  Bul- 
letin, II,  p.  41).  De  même  que  les  patois  valaisans  disent 
sans  article  de  vin,  du  vin,  de  palyè,  de  la  paille,  d'jvouè,  de 
l'eau,  on  a  dit  à  l'origine  d'égar^^in,  de  l'eau-de-vie,  et  c'est 
cette  combinaison,  faussement  interprétée  en  de  gar^in,  qui 
a  donné  naissance  au  substantif  gar:(in. 

Il  est  plus  difficile  de  rendre  compte  du  rapport  de  ardens 
à  rt;-^/V;.  Il  ne  saurait  s'expliquer  par  un  développement  pho- 
nétique, et  nous  pensons  qu'il  faut  voir  dans  ar:{in  une  for- 
mation analogique  verbale.  A  l'ancien  infinitif  ardre,  brûler, 
on  a  donné  jadis  un  participe  présent  rtr^/;/,  de  même  qu'au- 
jourd'hui à  Ghampéry  prindra  hit  priniin;  tb{r)dr9,  tû(r):iin; 


38  L.    GAUCHAT 

mo(r)drp,  mb{r)iin,  etc.  Ajoutons  que  ariin,  ariinta,  existe 
encore  comme  mot  isolé  dans  le  patois  actuel  de  Bagnes, 
avec  le  sens  de  tnordant,  bien  affilé,  en  parlant  d'un  tran- 
chant. D'après  le  Glossaire  valaisan  du  chanoine  Barman 
(manuscrit),  le  mot  s'applique  aussi  dans  l'Entremont  à 
un  liquide  trop  alcoolisé.  j_  Jeanjaquet. 


II.  lôvr  (s.  m.). 

Ce  mot,  qui  signifie  /a  veillée,  n'appartient  qu'aux  patois 
neuchâtelois  et  bernois.  Pour  l'idée  de  la  veillée,  les  patois  vau- 
dois,  par  exemple,  ne  connaissent  que  l'expression  la  vèlya  (à 
accentuer  sur  Va  final),  qui  vient,  comme  le  mot  français,  du  latin 
vigilata.  A  côté  de  cette  expression,  le  canton  de  PVibourg 
(districts  de  la  Gruyère  et  de  la  Veveyse)  possède  un  mot 
vieilli  :  ald  in  via  =  aller  en  ville,  où  villa  signifie  encore 
village.  Cette  locution  a  donc  probablement  été  employée 
d'abord  par  des  gens  qui  demeuraient  dans  des  fermes  dis- 
tantes du  village.  Le  Jura  bernois  emploie  une  locution  tout 
analogue  :  aie  an  veV ,  qui  signifie  :  faire  une  visite  de  jour, 
tandis  que  aie  a  lâvr-  désigne  la  visite  nocturne  (voir  Dau- 
court,  No'éls  jurassiens  dans  les  Archives  des  traditions  popu- 
laires, III,  p.  51).  Nous  assistons  là  à  une  différenciation  basée 
sur  l'existence  de  deux  termes  à  peu  près  synonymes. 

Dans  les  patois  neuchâtelois,  nous  trouvons  les  formes  sui- 
vantes :  h  lœvr,  ala  u  lévr^  la  lœvrèy  ■=  la  soirée,  veillée  (au 
Val-de-Ruz)  ;  à  Cressier  :  h  lœvr  =  fréquentation  nocturne 
entre  amants  ;  à  la  Sauge  :  la  louvrèy  =  soirée  (Urtel,  Beitràge 
zur  Kenntnis  des  Neuchateller  Patois,  p.  62)  ;  à  la  Montagne  : 
ala  a  louvr  =  aller  à  la  veillée,  la  low)réy,  louvra  =  veiller, 
Ve  louvrtè  (proprement  «  les  louvrettes  »)  =:  nom  d'une  petite 
société  qui  se  réunissait  vers  1857,  à  la  Chaux-de-Fonds,  pour 
discuter  des  travaux  d'utilité  publique.  On  appelle  aussi  '  lou- 


ETYMOLOGIES  39 

vrettes  '  le  colchique,  probablement  parce  qu'il  annonce  la 
saison  des  veillées.  Les  patois  bernois  présentent  presque  par- 
tout les  formes  :  l?  làvr,  aie  a  làvr,  lôvrè  =  veiller,  et  h 
lévrou,  la  làvrouz'  ^  le  veilleur,  la  veilleuse,  et  aussi  ramant(e). 

Quant  au  sens,  il  est  évident  que  làvr,  etc.,  a  signifié  en  pre- 
mière ligne  veillée,  c'est-à-dire  réunion  qui  avait  lieu  le  soir 
pour  travailler  en  commun,  tantôt  chez  l'un,  tantôt  chez  l'autre 
des  paysans  (allemand  Spinnstube),  et  que  le  sens  de  fréquen- 
tation entre  amants  n'est  qu'une  signification  dérivée.  La  veillée 
était  le  rendez-vous  naturel  des  amants. 

L'étymologie  de  ce  mot  intéressant  a  été  beaucoup  discutée. 
M.  Behrens  {Beitràge  zur  romanischen  Philologie,  Festgabe 
fur  G.  Grôber,  p.  159)  a  proposé  l'étymologie  opéra,  ouvrage, 
avec  agglutination  de  l'article,  qui  s'expliquerait  facilement 
dans  l'expression  :  aller  ad  illam  operam  =  aller  à  làvr. 
M.  Horning,  au  contraire,  accepte  l'étymologie  proposée  jadis 
par  L.  Adam,  dans  ses  Patois  lorrains,  du  latin  lu  eu  bruni, 
qu'un  ancien  glossaire  latin-français  traduit  :  lumière  ou  chan- 
delle pour  veiller  (voy.  Du  Cange).  Lucubrare  a  en  latin  le 
sens  de  «  travailler  la  nuit  ou  avec  lumière  »  (voir  Zeitschrift 
fUr  romanische  Philologie,  XVIII,  p.  221,  et  surtout  XXV, 
p.  612,  où  M.  Horning  fait  valoir  différentes  raisons  qui  ap- 
puient plutôt  l'étymologie  lucubrum).  Dans  la  Zeitschrift 
XXVI,  p.  113,  M.  Behrens  déclare  qu'il  ne  se  tient  pas  pour 
battu,  mais  qu'il  reconnaît  que  les  lois  phonétiques  sont  peu 
favorables  à  une  dérivation  de  opéra. 

Je  me  range  décidément  du  côté  de  M.  Horning,  en  me  ba- 
sant sur  les  considérations  suivantes  : 

1°  Notre  mot  est  masculin,  ce  qui  ressort  surtout  de  la  forme 
louvron  du  Cerneux-Péquignot  (Neuchâtel). 

2°  Les  patois  romands  confondent  généralement  Vo  et  Va 
latins  [lucubrum  devait  devenir  selon  les  lois  phonétiques  de 
nos  patois  lu{c)àbru'>  /àvr{u)]y  mais  nous  avons  des  patois  qui 
distinguent  les  deux  sons  jusqu'à  nos  jours,  comme  le  patois 


40  L.    GAUCHAT 

de  la  Montagne  neuchâteloise,  où  à  latin  donne  îi  (lupum  =: 
lu),  tandis  que  à  latin  se  transforme  en  ce  (ovum  =  œ);  dans 
le  Jura  bernois  6  latin  aboutit  généralement  à  ou,  à  latin  à  à 
oviîi^.  On  remarque  que  ni  opéra  ni  lucubru  n'expliquent 
facilement  nos  formes  louvr  (Montagne  neuchâteloise)  et  lôvr 
(Jura  bernois),  il  faudrait  donc  admettre  pour  ces  régions  une 
action  perturbatrice  du  v.  En  effet,  cupru,  cuivre,  donne 
également  koiivr  dans  la  Montagne  neuchâteloise  (j'ignore  la 
forme  bernoise)  et  lucubru  aurait  par  conséquent  une  évolu- 
tion analogue  à  celle  de  paupere,  qui  devient /tf//(z')r  à  Neu- 
châtel,  et  po'r  dans  le  Jura  bernois.  Le  maintien  du  v  dans 
louvr,  lôvr,  tandis  qu'il  tombe  dans  paupere  n'a  rien  d'éton- 
nant. On  entend  encore  dire  si'àifi  è  pouvr  =  cet  homme  est 
pauvre,  mais  on  pour  ont,  ce  qui  montre  que  la  syntaxe  a  joué 
un  rôle  dans  le  développement  de  paupere. 

30  La  présence  constante  de  1'/  dans  tous  les  mots  signi- 
fiant «  veillée,  »  tandis  que  d'autres  dérivés  de  opéra,  comme 
operare,   operaticu,  operariu  ne  présentent  jamais    d'/. 

4°  Le  mot  opéra  s'est  conservé  dans  nos  patois  dans  d'au- 
tres significations  :  œvré,  s.  f.  pL,  ^=  grands  travaux  de  la  cam- 
pagne (Mont,  neuch.),  œvr,  non  *  lœvr  =  rite,  filasse  de  chanvre 
(Val-de-Ruz). 

50  M.  Horning  cite  des  formes  de  l'Ouest  de  la  France  où  le 
c  de  lucubrum  s'est  conservé.  (Je  relève  dans  un  vieux  voca- 
bulaire neuchâtelois  la  mention  suivante  :  leugrâ  =  veiller, 
montagnes  :  louvrâ.  D'où  la  forme  leugrâ  a-t-elle  pu  être 
tirée  *  ?  j 

6°  Enfin,  il  faut  avouer  que  le  sens  de  lucubrum  convient 
mieux  que  celui  de  opéra,  et  la  première  étymologie  est  for- 


*  A  noter  également  le  passage  suivant  d'un  mandement  du  Gou- 
vernement de  Neuchâtel,  du  28  août  1647  •  "  Les  dances,  masquarades, 
mommons,  assemblées  nocturnes  appelées  h'éugres  ou  costers  sont  aussi 
défendues.  (z\rchives  de  l'Etat,  Registre  des  Mandements,  I,  fo  140.) 


LES    SALUTATIONS    DANS    LES    PATOIS    ROMANDS  4I 

tement  corroborée  par  l'expression  de  la  Suisse  allemande 
z'Liecht  ga  ^  ^  veiller  »  et  «  se  fréquenter,  >  voir  Idiotikon, 
III,  p.  105 1'.  Cette  rencontre  est  si  curieuse  et  si  frappante 
qu'on  ne  peut  pas  s'empêcher  de  penser  que  l'une  des  deux 
expressions  ala  a  louvr  et  z'Liecht  ga  doit  être  traduite  de 
l'autre,  mais  il  m'est  impossible  de  dire  laquelle  est  primitive 
et  si  la  coutume  de  la  veillée  est  d'origine  romane  ou  germa- 
nique. L.  Gauchat. 
^ 


LES  SALUTATIONS 

DANS  LES    PATOIS    ROMANDS 
— î— 

Bien  que  notre  population  romande  ne  connaisse  pas  d'usages 
spéciaux  pour  se  saluer,  les  formules  employées  à  cet  effet  ne 
manquent  pas  d'être  intéressantes  à  plusieurs  points  de  vue; 
c'est  ce  que  nous  voudrions  prouver  dans  les  pages  qui  suivent, 
sans  avoir  la  prétention  d'exposer  la  matière  d'une  façon  sys- 
tématique ni  d'être  complets. 

D'abord  nos  paysans,  lorsqu'ils  parlent  encore  patois,  sont 
plus  cérémonieux  que  nous  autres  citadins,  tout  en  gardant 
généralement  leur  chapeau  sur  la  tête.  Tandis  que  nous  ne  pos- 
sédons plus  qu'un  très  maigre  formulaire,  qui  se  réduit  aux 
expressions  bonjour,  bonsoir,  bonne  nuit,  adieu  et  au  revoir, 
expressions  sèches  et  presque  insignifiantes,  accompagnées  de 
gestes  automatiques,  le  patoisant  a  à  sa  disposition  des  tour- 
nures un  peu  plus  variées,  et,  en  somme,  plus  expressives  aussi. 
Les  patois  n'ont  pas  le  mérite  de  les  avoir  créées,  et  aucune 
des  formules  que  nous  nommerons  n'est  probablement  née  sur 


'  La  Suisse  allemande  offre  aussi  le  terme  :  :(DorJ  ga 
Besuch  machen,  »  voir  plus  haut  aJè  an  vèV. 


42  LA    REDACTION 

notre  sol.  Les  formes  de  politesse  sont  une  affaire  d'éducation, 
de  mode  ;  ce  n'est  pas  au  milieu  d'un  peuple  de  pâtres  qu'il 
faut  en  chercher  l'origine.  Rien  ne  voyage,  du  reste,  comme 
les  salutations.  Combien  de  bons  Bernois  se  disent  bbjour  ou 
adiy,  sans  songer  qu'ils  remplacent  désavantageusement  leurs 
vieux  mots  indigènes  par  un  mauvais  cliché.  On  entend  des 
Hollandais  qui  ne  savent  pas  le  français  se  dire  hj'our,  etc.  II 
n'en  était  pas  autrement  au  moyen  âge.  Les  Allemands  ne 
disaient  pas  seulement  salûieren  pour  begrïissen,  mais  on  ren- 
contre, au  milieu  des  textes  allemands,  des  phrases  entières 
empruntées  au  formulaire  de  politesse  français,  comme  Jâ 
hêrre,  dêu  s  al  (■=  deus  vous  sait,  Dieu  vous  sauve),  etc.,  dans 
le  Tristan  de  Gottfried  de  Strasbourg.  En  revanche,  des  poèmes 
français  offrent  quelquefois  des  modes  de  salutations  allemands, 
comme  le  godehelpe  dans  Aimeri  de  Narbonne,  ou  le  willecome 
du  Roman  de  Renard. 

Les  salutations  françaises  ont  pénétré  partout  grâce  à  la 
suprématie  de  la  civilisation  du  monde  chevaleresque  du 
douzième  siècle.  Nos  patois  ne  sont,  sous  ce  rapport,  que  les 
dépositaires  d'un  ancien  fonds  de  politesse  venu  des  bords  de 
la  Seine.  En  étudiant  les  salutations  en  usage  dans  l'ancienne 
France  (voir  entre  autres  la  dissertation  de  Friedrich  Schiller, 
Das  Grussen  im  Altfranzôsischen,  Halle  1890),  on  retrouve  à 
peu  près  toutes  les  formules  en  usage  chez  nos  paysans. 

En  les  écoutant,  on  est  souvent  surpris  par  des  mots  qui 
peuvent  paraître  étranges  de  prime  abord.  En  entendant  pour 
la  première  fois  en  Valais  à\re  Jeidèk  (Evolène),  quelque  Fran- 
çais pourrait  être  tenté  d'y  reconnaître  des  traces  du  passage 
des  Sarrasins.  Mais  le  connaisseur  de  la  phonétique  si  curieuse 
du  Valais  découvrira  bien  vite  dans  cette  forme  l'équivalent  de 
(Dieu  \o\x)-s-aide^.  Qu'on  s'imagine  l'impression  mystérieuse 


^  La  formule  est  souvent  complète  :  dyb  t'édèk  =z  Dieu  t'aide  (Grône, 
etc.). 


LES    SALUTATIONS    DANS    LES    PATOIS    ROMANDS  43 

que  doit  produire  d'abord  la  formule  gruyérienne  boiprati,  qui 
n'est  autre  chose  que  boti  vipro  a  ti  =  bon  vépre  à  tous,  forte- 
ment raccourci  ensuite  de  l'emploi  très  fréquent.  Tout  cela 
n'est  étonnant  qu'au  premier  moment;  en  examinant  les  choses 
de  plus  près,  l'on  se  retrouve  en  pays  de  connaissance. 

Si  nos  patois  n'ont  pas  l'avantage  de  nous  faire  connaître 
des  salutations  nouvelles,  ils  ont  souvent  mieux  conservé  la 
signification  primitive.  Toute  salutation  était  au  début  un  vœu 
et  ce  vœu  était  approprié  aux  circonstances.  On  n'y  répondait 
pas,  à  l'origine,  par  la  répétition  du  même  vœu,  mais  par  un 
remerciement,  par  exemple,  ou  par  un  autre  souhait.  Les  for- 
mules n'étaient  pas  toujours  les  mêmes,  elles  variaient  selon 
qu'on  s'adressait  à  un  égal,  à  un  inférieur  ou  à  un  supérieur.  Dès 
le  moyen  âge,  la  langue  tend  à  confondre  toutes  ces  nuances, 
à  mettre  à  la  place  d'expressions  plus  ou  moins  personnelles  et 
particulières  un  choix  de  simples  formules.  Les  patois  ont  suivi 
ce  mouvement,  tout  en  gardant  quelques  souvenirs  du  vieux 
temps. 

En  vieux  français  on  ne  disait  pas  bonjour  tout  court,  mais, 
par  exemple  :  bon  jor  vos  doinst  dais  li  granz  rois  '  bon  jour 
vous  donne  Dieu  le  grand  roi  '  {Rof?ian  de  Durmart),  ou  :  bon 
jour  ayez  et  vostre  compaignie  aussi  {Cléomadh),  ou  :  bons  jor  s 
vos  soit  hui  aj ornés  'qu'un  bon  jour  vous  éclaire  aujourd'hui', 
etc.  En  patois,  on  emploie  aussi  quelquefois  une  formule  plus 
complète  que  dans  le  français  actuel  :  bondzériyo  (Rossinières, 
etc.),  ou  boiindjbrèyvb,  bondjrèyvb  (Jura  bernois)  =  '  bon  jour 
ayez  vous  ',  ou  du  moins  bin  lou  bon  dzor  (Vaud),  bondjeravb 
=  '  bonjour  à  vous  '  (Val-de-Travers).  Le  mot  bonjour  est  quel- 
quefois accompagné  de  restes  d'une  phrase  plus  complète  dont 
la  signification  n'est  pas  toujours  claire,  comme  dans  dô  bon 
djœ,  do  bon  vépr,  db  bouna  né  (Montagne  neuchâteloise),  dao 
béprè  (Ormonts),  bon  dzbr  db  ou  de  bbnan  (Valais).  Les  monta- 
gnards neuchâtelois  expliquent  la  locution  db  bon  djœ  par  deux 
bonjours,  mais  cette  idée  est  bien  saugrenue,  et  l'explication  ne 


44  LA    REDACTION 

va  pas  aux  Ormonts  où  deux  se  dit  dou,  non  dao.  Nous  croyons 
qu'il  faut  voir  dans  le  mot  db,  dao  une  fusion  d'une  forme  du 
verbe  donner  et  du  pronom  vous  :  (^Deus)  det  vobis,  ou  quelque 
chose  d'approchant.  Dans  toutes  ces  formules,  on  supprime 
plutôt  le  sujet  que  le  verbe,  comparez  inlévin  ',  tè  raodzay  pi, 
te  bourlay,  etc.,  imprécations  dont  le  sujet  e'tait  une  fois  «  le 
diable.  »  Nous  ne  pensons  pas  que  do,  dao  puissent  repré- 
senter la  première  personne  du  verbe  donner.  L'expression  Je 
vous  donne  le  bonjour  est  relativement  moderne  et  date  d'une 
époque  oii  l'on  a  déjà  oublié  qu'une  salutation  doit  être  un 
vœu.  Toutes  les  anciennes  formules  contiennent  des  subjonctifs 
du  désir.  La  conservation  d'une  forme  du  verbe  dare  serait  un 
cas  unique  dans  nos  patois,  qui  ont  remplacé  dare  et  donare 
par  le  verbe  bailler. 

Certains  de  nos  dialectes  emploient  encore  la  formule  Dieu 
vous  aide  dans  des  conditions  spéciales  :  c'est  le  salut  qu'on 
adresse  à  ceux  qui  travaillent,  en  passant  auprès  d'un  semeur, 
d'un  laboureur,  etc.  Tel  est  le  cas  en  Valais,  et  il  reste  des 
traces  de  cet  usage  dans  le  canton  de  Fribourg,  mais  dans  les 
autres  cantons  la  salutation  est  devenue  générale  ^  La  per- 
sonne saluée  répond  en  Valais  non  par  le  même  vœu,  qui  n'au- 
rait pas  de  sens  adressé  à  un  passant,  mais  ordinairement  par 
mantinyè,  c'est-à-dire  '  que  Dieu  vous  maintienne  '.  A  Cham- 
péry  (Valais),  on  répond  au  salut  :  dyu  fidzas'  '  que  Dieu 
t'aide'  :  dyu  h  sais  '  que  Dieu  le  sache',  c'est-à-dire  'que  Dieu 
t'entende  '.  Une  autre  formule  employée  pendant  le  travail  est  : 
dyou  vb  dbni  fbouchi  '  Dieu  vous  donne  de  la  force  '  ;  réponse  : 
dyou  vb  mantinyè  (Grimentz).  A  des  gens  qui  gardent  ou  con- 
duisent du  bétail,  on  dit  :  dyou  le  vb  tsboujèche  '  Dieu  vous  les 
conserve  (les  bêtes)  '  ;  réponse  :  dyou  Ib  vèly  '  Dieu  le  veuille  ' 


'  Une  chanson  satirique  neuchâteloise  commence  ainsi  :  Dieu  vos 
aide,  Monsieu  le  Djusti\ie,  ce  qui  veut  dire  simplement  :  '  Bonjour,  M.  le 
justicier  '. 


LES    SALUTATIONS    DANS    LES    PATOIS    ROMANDS  45 

(ibidem).  Dans  le  canton  de  Genève,  on  répond  à  parti  vb 
bain  '  portez-vous  bien'  :  vb  ètb  '  vous  aussi  ',  à  pœrtd  te  bain  : 
poue  t'ètb  'puis  toi  aussi',  ou  i3  asbain  'toi  aussi  ',  Ces  ré- 
ponses démontrent  que  la  formule  est  encore  comprise  comme 
vœu,  qu'elle  ne  s'est  pas  affaiblie  jusqu'à  devenir  une  vaine 
forme  de  politesse.  Au  Val-de-Travers,  le  souhait  bc  d  la  santé 
'  bien  de  la  santé  '  était  suivi  de  :  tramarsi  '  très  (?)  merci  '  ou 
de  /'  t3  rmartck^  bè.  A  Montbovon  on  répond  à  dyu  z'èdyè  par 
rmar^in  '  (nous)  remercions  ',  etc. 

On  a  déjà  vu  plus  haut  la  salutation  valaisanne  bon  dzbr  de 
bbnan  {bbnan  z=.  nouvel  an),  qui  s'emploie  exclusivement  le 
jour  de  l'an.  Elle  se  retrouve  dans  plusieurs  de  nos  cantons. 
En  congédiant  un  mendiant,  on  lui  dit  :  du9  t3  kondm  '  Dieu 
te  conduise  ',  ou  du9  vb  bnâs'  (Jura  bernois),  dyé  vb  bœny' 
(Neuchâtel)  =  '  bénisse  ',  etc.  Cette  même  formule  est  employée 
lorsqu'on  entend  quelqu'un  éternuer  ;  on  dit  aussi  dans  ce  cas  : 
dyb  td  kras""  '  Dieu  te  croisse  '  (Valais),  di43  t  krâch'  (Jura  ber- 
nois), ou  même,  par  plaisanterie:  du?  i3  kràs^  tb  le  djouè  d'en 
ân\  h  diamoiin'  dd  dou?  '  Dieu  te  croisse  tous  les  jours  d'une 
aune,  le  dimanche  de  deux  '  (Bourrignon). 

Mais  nous  tombons  dans  le  chapitre  des  vœux  proprement 
dits  et  nous  nous  hâtons  de  rentrer  dans  celui  des  salutations. 

Il  arrive  aussi  que  le  français  distingue  mieux  que  le  patois 
entre  des  salutations  propres  à  certaines  circonstances.  Ainsi 
l'usage  veut  qu'on  se  dise  bonjour,  etc.,  en  s'abordant  et  adieu 
en  se  séparant.  On  ne  devrait  même  employer  ce  dernier  terme 
que  lorsqu'il  s'agit  d'une  longue  séparation.  La  vieille  formule 
complète:  A  Dieu  vous  co/nmant,  c'est-à-dire  «  je  vous  recom- 
mande à  la  garde  de  Dieu,  »  nous  l'explique.  Blavignac,  dans 
quelques  pages  spirituelles  qu'il  consacre  au  salut  dans  son 
Efnpro  genevois,  p.  283-288,  constate  déjà  que  les  Genevois 
emploient  les  formules  adieu  et  bonjour  à  rebours.  C'est  le  cas 
dans  toute  la  Suisse  romande  et  même  au  delà.  A  cette  obser- 
vation il  importe  toutefois  d'apporter  une  restriction.  On  ne 


40  LA    RÉDACTION 

dit  adieu  en  rencontrant  une  personne  que  lorsqu'on  entretient 
avec  elle  des  relations  amicales,  ou  lorsqu'elle  occupe  dans  la 
société  un  degré  inférieur.  On  ne  dira  pas  adieu  en  abordant 
le  pasteur  ou  le  curé,  mais,  par  exemple,  un  enfant.  La  distinc- 
tion de  classes,  qui  jouait  jadis  un  grand  rôle  dans  les  façons 
de  s'aborder  et  de  se  quitter,  n'a  laissé  que  très  peu  de  traces 
dans  nos  patois.  Le  salut  neuchâtelois  a  Vanu  '  à  l'honneur  '  ('il 
est  aussi  fribourgeois,  mais  la  formule  y  est  francisée)  implique 
une  marque  d'estime.  On  peut  en  dire  autant  du  mode  :  servi- 
teur, votre  servante,  etc.,  qu'on  rencontre  par-ci  par-là.  A 
Evolène,  la  formule  adi  est  plus  familière  que  ajyou;  elles 
viennent  pourtant  toutes  les  deux  de  ad  D  eu  m. 

La  salutation  de  départ  la  plus  répandue  dans  la  Suisse 
romande  est  adichivb  (Châtel-Saint-Denis),  adyœsivou  (Côte- 
aux-Fées),  adyusaveu  (Champéry),  {a)  duisivb  (Jura  bernois), 
atsivb  (Vaud,  Fribourg,  etc)  ;  cette  petite  phrase  varie  énor- 
mément selon  la  phonétique  locale.  La  forme  la  plus  rapide 
atsivb  en  a  obscurci  l'origine,  qui  est  cependant  claire,  lors- 
qu'on compare  les  formes  romandes  plus  pleines  et  surtout 
celles  du  midi  de  la  France  :  adeussias,  adissiats,  etc.  (voir 
Mistral,  Trésor,  I,  p.  31),  d'où  il  ressort  que  la  locution  signifie 
«  à  Dieu  soyez.  »  L'addition  du  mot  vous  au  subjonctif-impé- 
ratif, dans  nos  patois,  est  assez  singulière  ;  elle  doit  s'expliquer 
par  l'influence  d'autres  salutations  comme  bonjour  à  vous,  etc. 
On  a  donc  eu  tort  de  traduire  notre  adichdvo,  etc.,  par  Dieu 
chez  vous,  et,  les  salutations  vaudoises  rapportées  par  nos  cor- 
respondants, adyœ  tsi  vb,  la  bouena  né  tsi  vb  '  la  bonne  nuit 
chez  vous  ',  sont  dues  à  de  fausses  étymologies  populaires.  La 
salutation  atsivb,  à  l'origine  une  parole  de  congé,  est  devenue 
synonyme  de  bonjour.  On  entend  dire  en  Gruyère,  par  exemple, 
adichsvb  gray^âja  '  bonjour,  jeune  fille  ',  litt.  '  bonjour  gra- 
cieuse '.  La  formule  vieillit  du  reste  beaucoup. 

La  salutation  a  vb,  quelquefois  répétée,  n'est  plus  bien  com- 
prise non  plus.  On  l'emploie  dans  les  cantons  de  Fribourg  et 


LES    SALUTATIONS    DANS    LES    PATOIS    ROMANDS  47 

de  Vaud,  par  exemple,  en  accostant  une  personne  à  laquelle 
on  désire  parler.  Quelques-uns  pensent  que  c'était  à  l'origine 
une  formule  de  réponse.  Mais  a  vb  s'explique  plus  facilement 
comme  abréviation  de  {bonjour)  ou  (salut)  à  vous.  Nous  voyons 
ainsi  nos  patois  en  train  de  détériorer  leurs  modes  de  saluer  ; 
on  confond  l'arrivée  et  le  départ,  le  respect  et  la  familiarité, 
les  occasions  des  différents  souhaits  qui  deviennent  à  peu  près 
synonymes.  C'est  le  déclin,  c'est  la  marche  irrésistible  vers  la 
fin! 

Toutefois,  nos  patois  révèlent,  à  un  observateur  exact,  toutes 
sortes  de  débris  de  son  ancienne  abondance  de  termes.  Un 
premier  examen  nous  fera  constater  surtout  les  salutations  sui- 
vantes : 

1°  bonjour  {bondzoua,  etc.,  Fribourg;  bondzo{r),  etc.,  Vaud; 
bonzd{r),  etc.,  Valais;  bondàr,  etc.,  Genève;  bondjœ,  etc.,  Neu- 
châtel;  boUndjd,  etc.,  Berne),  employée  toute  la  journée,  ou 
seulement  lé  matin. 

2°  bon  vépre  {bon  vipro,  etc.),  salutation  de  l'après-midi,  qui 
s'éteint. 

3°  bonne  nuit  {bouna  né,  etc.),  salutation  du  soir,  vivante 
partout. 

L'expression  bonsoir  n'est  connue  que  des  patois  qui  ont 
conservé  le  mot  soir,  c'est-à-dire  û'un  patois  neuchâtelois 
(celui  du  Cerneux-Péquignot)  et  des  patois  jurassiens.  Là, 
bouèn'  né,  etc.,  ne  se  dira  qu'en  allant  se  coucher. 

Outre  ces  saluts  fondamentaux,  nos  enquêtes  nous  ont  fait 
connaître  des  formules  très  diverses;  j'en  extrais  quelques-unes 
de  la  liste  :  bsvnyin  {si  vp)  =  '  soyez  le  bienvenant  '  ;  on  prononce 
aussi  à.9venyin,  sans  doute  sous  l'influence  du  mot  Dieu  (Berne 
et  Neuchâtel)  ;  du?  vbf  bon  vépr  '  Dieu  votre  (1)  bon  vêpre  • 
(Berne)  ;  a  vb  rvè,  etc.  (partout)  ;  tini  vb  bin  dzoyâ  '  tenez-vous 
bien"  joyeux  '  (Fribourg  et  Vaud)  ;   a  la  rouayans''  '  à  la  re- 


'  Probablement  abrégé  de  Dieu  vous  donne  votre  bon  vêpre. 


48  LA    RÉDACTION 

voyance  '  (Neuchâtel  et  Vaud)  ;  a  la  garda  de  dyœ  (Vaud  et 
Valais  :  dyœ  tè  voimrdè,  à  Praz-de-Fortj  ;  d^aouayi-vb  =  litt. 
*  choyez-vous,  ménagez-vous  '  [latin  cavicare]  (Genève),  salu 
(Genève,  salutation  d'un  usage  général  en  Savoie  même  à 
l'adresse  d'un  étranger)  ;  konsarvi-và,  konsarvasyon  (Genève 
et  Valais,  en  partie)  ;  vb  gbvsrnèk  '  (quQ  Dieu)  vous  gouverne  ' 
(Valais),  etc. 

On  pourrait  encore  insister  sur  l'intérêt  linguistique  que  pré- 
sentent nos  formules.  Les  salutations,  grâce  à  leur  fréquence, 
offrent  des  cas  souvent  très  intéressants  de  contractions  vio- 
lentes ou  d'évolution  sporadique.  Par  leur  influence  réciproque, 
les  formules  peuvent  s'altérer  phonétiquement.  Nous  avons 
déjà  vu  bdvnyin  devenir  divnyin!  \.ç.  mot  latin  diurnu  'jour' 
est  souvent  traité  à  part  dans  la  formule,  ainsi  à  Montbovon, 
où  un  jour  se  dit  :  on  dzè,  le  salut  est  bo?idza'^.  Dans  la  vallée 
d'Entremont  bb?iani  (bonne  nuit)  devient  souvent  bbrani,  bel 
exemple  d'évolution  sporadique,  car  aucun  autre  mot  n'offre 
ce  passage  de  «  à  r.  Comme  l'influence  de  la  fréquence  d'em- 
ploi d'un  mot  sur  son  développement  phonétique  n'est  pas 
encore  admise  par  tout  le  monde,  il  y  aurait  là  un  excellent 
champ  d'étude.  Mais  nous  craignons  d'impatienter  nos  lec- 
teurs, et,  pour  ne  pas  ressembler  à  ceux  auxquels  le  mot  adieu 
sert  d'introduction  à  une  nouvelle  et  très  longue  digression, 
nous  nous  bornons  aujourd'hui  à  dire  :  a  vb  revers! 


'  Comparez  à  Charmey  :  h  diouè,  mais  midia  =  '  midi  '. 

La  Rédaction. 


LES   QUATRE   SAISONS 

DANS  LES  PATOIS  ROMANDS 
-♦- 

On  vante  souvent  l'originalité  de  nos  patois,  mais  il  ne  suffit 
pas  de  l'affirmer,  il  faut  la  prouver.  C'est  ce  que  nous  allons 
essayer  de  faire  en  considérant  un  domaine  très  restreint  du 
lexique.  Nous  n'aurons  pas  besoin  de  rechercher  des  locutions 
particulières,  il  nous  suffira  de  voir  comment  nos  patois  ont 
rendu  certaines  idées  très  simples,  élémentaires  même,  com- 
munes à  presque  toutes  les  langues,  nous  voulons  parler  du 
groupe  naturel  des  mots  désignant  les  quatre  saisons  de 
l'année. 

Dans  ce  domaine,  le  français  littéraire  est  resté  assez  fidèle 
au  vocabulaire  traditionnel  du  latin  vulgaire  :  il  dit  été,  qui  est 
le  latin  œstas^  automne  ,  qui  est  emprunté  à  au{c)tumnus,  hiver, 
qui  est  un  dérivé  de  hieins  ;  printemps  seul  est  une  création 
gallo-romane,  primum  temptis,  mais  encore  ce  mot  se  rattache- 
t-il  dans  sa  première  T^^xûez primavera,  qui  est  le  mot  général 
des  langues  romanes  et  qui  a  aussi  occupé  le  nord  de  la 
France  dans  la  forme  de  l'ancien  français  primevoir. 

Si  la  langue  de  Paris,  comme  celle  de  l'Italie,  est  presque 
entièrement  conservatrice,  les  patois  de  la  Suisse  romande  sont 
hardiment  novateurs.  Ils  abandonnent  dans  une  grande  partie 
de  leur  territoire  la  tradition  latine,  ainsi  ils  appellent  le  prin- 
temps le  bon  temps  ou  le  dehors-temps,  l'été  est  pour  eux  partout 
le  chaud  temps,  dans  l'automne  ils  voient  surtout  l'arrière- 
saison  :  donc  le  dernier  temps,  et  l'hiver  enfin  se  dit  par  ci  par 
là  \q  pœ  tin,  le  vilain  temps. 

Le  coin  heureux  où  toutes  ces  créations  nouvelles  se  donnent 
rendez-vous,  c'est  la  rude  Montagne  neuchàteloise,  où  les  quatre 
termes  gallo-romans  ont    été  chassés   et  remplacés  par   des 


50  E.    TAPPOLET 

mots  du  cru  ;  c'est  là  que,  dans  le  petit  domaine  des  saisons, 
l'esprit  inventeur  a  été  le  plus  actif  et  a  eu  le  plus  de  succès  ; 
car  ce  n'est  pas  tout  de  créer,  il  faut  encore  répandre  le  mot 
créé,  il  faut  braver  la  concurrence  des  termes  déjà  existants  et 
savoir  assurer  ainsi  la  vie  à  cet  acte  d'originalité. 

C'est  en  effet  un  acte  important  dans  l'histoire  du  langage 
que  de  passer  par  exemple  de  «  été  »  à  «  chaud  temps.  »  Tout 
mot  traditionnel  dont  la  signification  primitive  s'est  effacée, 
comme  c'est  le  cas  pour  ///,  a  un  grand  défaut:  il  désigne 
abstraitement  la  chose  sans  en  rappeler  en  aucune  manière  les 
particularités  saillantes  :  ce  n'est  pas  un  défaut  de  logique, 
c'est  un  manque  de  pittoresque. 

Ainsi  «  été  »  est  le  mot  qu'on  donne  à  l'espace  de  temps  qui 
embrasse  à  peu  près  les  mois  de  juin,  juillet  et  août;  en  dehors 
de  cela,  le  mot  ne  dit  rien,  il  est  dépourvu  de  toute  idée  ac- 
cessoire, de  tout  ornement,  de  tout  sentiment,  c'est  un  terme 
objectif,  presque  mathématique. 

Il  en  est  tout  autrement  du  mot  «  chaud  temps  »,  le  tsôtiii  ne 
désigne  pas  seulement  l'été  tout  court,  il  en  rappelle  en  même 
temps  la  qualité  la  plus  caractéristique,  et  reconnue  telle  par 
tout  le  monde,  la  chaleur  :  tsôtin  met  en  relation  un  espace 
de  temps  avec  nos  sensations  humaines;  c'est  donc  un  terme 
subjectif,  si  on  le  compare  à  été.  Ajoutons  cependant  que  été 
lui-même  éveillait,  il  y  a  bien  longtemps,  deux  mille  ans  au 
moins,  l'idée  de  chaleur.  Souvent  l'esprit  créateur  se  répète 
sans  le  savoir. 

Rien  de  plus  tentant  que  de  poursuivre  les  noms  des  quatre 
saisons  à  travers  tout  le  domaine  des  langues  et  dialectes  romans. 
C'est  ce  qu'a  entrepris  un  jeune  savant  italien,  M.  le  D""  Clément 
Merlo,  dans  son  bel  et  grand  ouvrage  intitulé  :  Les  7ioms  des 
saisons  et  des  mois  dans  les  idiomes  romans'^.  M.  Merlo  a  pris 
connai.ssance  des  matériaux  patois  réunis  en  si  grande  abon- 


1  /  nomi  vomanTJ  délie  stagioni  e  dci  mesi.  Saggio  di  onomasiologia,  To- 
rino  1904. 


LES    QUATRE    SAISONS    DANS    LES    PATOIS    ROMANDS  5I 

dance  au  bureau  du  Glossaire,  grâce  au  zèle  et  à  la  patience 
de  nos  correspondants,  et  il  a  su  en  tirer  tout  le  profit  dési- 
rable. L'indication  Svizzera  frajicese  se  rencontre  très  souvent 
au  cours  de  son  ouvrage,  et  nous  y  apprenons  que  pour  les 
noms  des  saisons  la  Suisse  française  occupe  une  place  im- 
portante dans  le  domaine  des  langues  romanes.  Elle  est  parti- 
culièrement féconde  en  termes  nouveaux  et  originaux.  Il  est 
juste  d'ajouter  que  peut-être  pour  peu  d'autres  régions  M.  Merlo 
a  été  si  copieusement  renseigné.  Nous  allons  passer  rapide- 
ment ces  termes  en  revue. 

LE  PRINTEMPS 

Fait  à  noter  :  la  plus  belle  des  saisons,  celle  qu'attend  si  im- 
patiemment le  paysan,  celle  que  chante  et  que  glorifie  le  poète, 
est  en  même  temps  de  beaucoup  la  plus  intéressante  au  point 
de  vue  de  la  langue.  Dans  notre  pays,  le  mot  français  est  usité 
à  Genève,  notre  canton  le  plus  français  ;  il  nous  est  en  outre 
attesté  —  un  peu  par  hasard  —  pour  Bière  (Vaud)  et  pour 
Isérables  (Valais),  en  plein  domaine  à.t  fortin.  Comment  a-t-il 
pu  se  percher  là-haut?  Dans  tout  le  restant  du  territoire  suisse, 
printemps  est  inconnu.  Les  mots  qui  le  remplacent  sont  nom- 
breux, on  peut  en  compter  une  bonne  douzaine.  Ils  doivent  leur 
origine  aux  idées  de  «  sortie  et  départ  du  bétail  »,  à  la 
«  bonté  »  et  à  la  «  beauté  »  du  temps,  par  opposition  au  vilain 
et  triste  hiver,  et  au  «  carême  »,  époque  qui  coïncide  souvent 
en  partie  avec  le  printemps.  Aucun  de  nos  correspondants 
ne  confirme  les  mots  preini,  apremi,  au  sens  de  printemps, 
que  leur  donne  Bridel. 

Voici  les  termes  attestés  : 

I.  Fori  et  fortin,  qui  signifient  «  dehors  »  et  «  dehors-temps  »; 
fori  est  un  dérivé  du  latin  fori  s  «  dehors  »  ;  fortin  =  foris 
tempus.  Ces  deux  mots  occupent  tout  le  Valais,  avec  la 
vallée  d'Aoste,  les  Alpes  vaudoises  et  Fribourg.  Fori  ou 
fortin  est  donc  le  terme  alpestre  pour  printemps  ;  forti?i  est 
la  forme   valaisanne  par  excellence,  elle  s'emploie  de  Saint- 


52  E.    TAPPOLET 

Maurice  jusqu'à  la  frontière  allemande;  fori"^  se  dit  dans  le 
Bas-Valais  {forjé)  et  dans  le  reste  du  domaine  indiqué  (aussi 
furi).  On  trouve  aussi  défori  (Bas-Valais)  et  défour  tin  (à  Grône), 
comme  on  a  défàr,  dehors,  à  côté  àQ  fàr. 

1.  Salyi,  salyi-frou,  salyayts  sont  les  mots  vaudois  pour 
printemps.  Salyi  est  l'infinitif  latin  salire  «  sauter  >,  conservé 
dans  le  français  «  tressaillir  »  et  «  assaillir  ».  Ce  mot  a  pris  dans 
nos  patois  le  sens  de  sortir^  comme  en  espagnol  ;  lo  salyi  est 
donc  le  «  sortir  »  et  salyi-frou  le  «  sortir  dehors  >,  mot  plus 
énergique  que  le  simple  infinitif.  Salyayta,  chalyayta  est  le  par- 
ticipe féminin  du  même  verbe,  c'est  donc  la  «  saillie  »,  la 
«  sortie  ».  Dans  le  Pays-d'Enhaut,  le  mot  se  dit  encore  pour  la 
sortie  du  bétail  pour  la  montagne,  sans  idée  de  printemps. 
Mais  comme  c'est  l'événement  principal,  une  fois  l'hiver 
passé,  dans  la  vie  du  paysan,  le  terme  finit  par  désigner 
l'époque  où  l'on  sort  le  bétail,  donc  le  printemps.  Salyi  et 
salyi-frou  s'emploient  indifféremment  dans  tout  le  Gros-de- 
Vaud  (surtout  dans  le  Jorat  et  dans  la  Broyé).  Salyaytd  est 
usité  dans  le  Jura  vaudois  (Vallée  de  Joux,  Vallorbe,  etc.)  et 
par  ci  par  là  dans  la  plaine  (Vuillerens,  Penthalaz). 

Rattachons  à  ces  trois  mots  vaudois  : 

Pètchifœ,  «  partir  dehors  »,  qu'on  trouve  en  Ajoie  et  à  Bour- 
nois  (Franche-Comté)  [voir  Merlo,  p.  53,  qui  le  dérive  sans 
nécessité  de  partita  foris]. 

L'idée  de  sortie  et  de  départ  a  souvent  donné  lieu  à  des  mots 
nouveaux  pour  printemps,  c'est  presque  toujours  l'infinitif  ou 
le  participe  d'un  verbe  tel  que  salire,  sortire,  exire,  par- 
tire,  mais  nulle  part,  semble-t-il,  cette  création  n'a  réussi  à 
conquérir  un  aussi  grand  territoire  que  dans  la  Suisse  romande. 


*  Le  /  de  jori  étonne.  Les  formes  de  la  vallée  d'Aoste  (type  forye)  ne 
permettent  pas  de  dériver  le  mot  de  joris  ire  ni  de  forilem.  C'est  pour 
cela  que  M.  Merlo  suppose  un  foriartutn  (même  un  foricarium) ,  qui  en 
effet  lèverait  toutes  les  difficultés  ;  mais,  vu  que  le  i  de  foris  est  tombé 
de  très  bonne  heure,  on  ne  voit  pas  ce  qui  aurait  pu  introduire  ici  une 
palatale. 


LES    QUATRE    SAISONS    DANS    LES    PATOIS    ROMANDS  53 

Mentionnons  deux  mots  analogues  dans  les  patois  allemands: 
rOberland  bernois  dit:  Ustig^,  littéralement  <x  dehors  jour  » 
jour  où  l'on  sort  ;  et  certains  patois  montagnards  de  la  Bavière 
appellent  le  printemps  Auswàrtsziit,  «  temps  où  l'on  sort  >. 

3.  Bontin.  C'est  le  mot  courant  pour  printemps  dans  les 
cantons  du  nord:  Neuchâtel  et  Berne.  L'origine  du  mot  n'a  pas 
besoin  d'explication.  Après  l'hiver  si  rigoureux  dans  le  Jura,  le 
printemps  est  le  bienvenu,  c'est  le  bon  temps  par  excellence. 
Bontin  est  aussi  très  répandu  dans  le  canton  de  Vaud,  un  peu 
moins  dans  celui  de  Fribourg,  mais  sans  y  avoir  pris  la  signifi- 
cation précise  de  printemps.  Le  plus  souvent  il  a  gardé  son 
acception  étymologique  de  «  temps  agréable  »  ;  tantôt  il  désigne 
seulement  les  beaux  jours  du  printemps,  tantôt  tout  le  temps  de 
la  bonne  saison,  printemps  et  éié  ensemble;  il  est  alors  syno- 
nyme de  bouna  sèzon,  qu'on  emploie  dans  ce  sens,  par  exemple 
à  Montherond. 

Rattachons  à  ce  qui  précède: 

bétin,  <  beau  temps  »  qu'on  entend  dans  la  Montagne  neu- 
châteloise  à  côté  de  bon  tin. 

rèlin,  en  Gruyère  et  à  Châtel-Saint-Denis,  et  rèdou,  à  Sour- 
nois (Franche-Comté),  désignent  le  temps  doux  qui,  après  le 
froid,  annonce  le  printemps,  donc  quelque  chose  comme 
«  l'avant-printemps  >  ;  cp.  l'allemand  Vorfriihling. 

Nous  n'avons  plus  qu'à  mentionner  : 

4.  Kârin-n,  «  Carême  »,  mot  employé  dans  la  vallée  de 
Moutier  (Malleray,  Champoz,  Crémine)  et  à  Vauffelin-Plagne. 

Le  printemps  est  donc  la  saison  privilégiée  de  l'imagination 
romande,  on  dirait  que  chaque  région  a  mis  son  orgueil  à 
donner  au  printemps  une  empreinte  particulière:  le  Valais  aime 
le  yi3r//>?,  Fribourg  préfère  \t  furi,  Vaud  l'appelle  le  salyi,  et  le 
Jura,  qui  souffre  peut-être  le  plus  des  rigueurs  de  l'hiver,  le 
salue  comme  le  bon  temps. 


*  Et  usiog  à  Alagna,  une  des  intéressantes  colonies  de  langue  alle- 
mande au  sud  du  Mont-Rose  ;  c'est  donc  un  mot  antérieur  à  cette 
colonisation. 


54  E.    TAPPOLET 

L'ÉTÉ 

Autant  de  variété  pour  le  printemps,  autant  d'uniformité 
pour  l'été.  C'est  partout  le  tsâtin  {tchàtin,  tchâtin,  etc.),  le 
temps  des  grandes  chaleurs.  Souvent  le  mot  signifie  en  parti- 
culier l'époque  où  l'on  récolte  le  foin  et  le  blé,  ou  se  précise 
en  désignant  le  temps  entre  le  15  juin  et  le  20  ou  le  22  sep- 
tembre, ou  entre  le  i^''  juin  et  le  i*'^  septembre.  Par  contre  la 
Montagne  neuchâteloise  donne  plus  d'étendue  d,\x  tchâtin:  c'Q?,t 
simplement  la  bonne  saison,  opposée  en  bloc  à  l'hiver  et  com- 
prenant le  printemps,  l'été  et  l'automne.  Ainsi  la  langue  nous 
confirme  dans  une  certaine  mesure  le  fait  climatérique  connu 
que  dans  les  plateaux  jurassiens  l'hiver  et  l'été  se  succèdent 
presque  sans  époque  intermédiaire. 

L'AUTOMNE 

Les  mots  pour  automne  divisent  notre  territoire  en  deux  : 
tout  l'est,  c'est-à-dire  les  cantons  alpestres  Valais,  Vaud,  Fri- 
bourg,  a  conservé  le  latin  autumnus  {oouto?i,Yx\ho\xrg,  Vaud  ; 
œuton,  oukton,  oupton,  Valais)  tandis  que  tout  le  long  du  Jura 
il  y  a  eu  remplacement. 

Les  nouvelles  créations  se  font  à  l'aide  de  «  saison  dernière  », 
«  saison  tardive.  » 

I.  daritin,  dari,  indari,  le  «  dernier  temps  »,  «  le  der- 
nier »,  cp.  le  fortin  et  le  fori^  «  l'endernier  »  (cp.  l'ende- 
main),  occupent  le  canton  de  Neuchâtel,  y  compris  Péry 
et  Plagne  (Berne),  le  Jura  vaudois  et  le  canton  de  Genève  ; 
ils  sont  très  répandus  dans  la  Franche-Comté,  d'où  ils  sont 
probablement  entrés  en  Suisse.  Daritin  (déritin)  est  la  forme 
neuchâteloise  et  vaudoise,  dari,  àdari  et  andari  se  partagent 
Genève. 

Rattachons  à  ce  groupe  réuni  par  l'idée  de  «  dernière  saison  » 
un  mot  isolé  : 

Ta,  le  «  tard  »  usité  à  Sales  (Fribourg)  à  côté  de  bouton; 
c'est  le  commencement  d'une  nouvelle  formation  arrêtée  dès 
son  éclosion  par   le  terme   traditionnel.    L'idée    de    «  temps 


LES    QUATRE    SAISONS    DANS    LES    PATOIS    ROMANDS         55 

tardif  »  a  par  ci  par  là  donné  lieu  à  des  termes  nouveaux,  par 
ex.  dans  les  Vosges,  dans  les  Pyrénées,  et  dans  le  \\'urteni- 
berg,  qui  dit  Spàtling. 

2.  èrba,  s.  m.,  est  le  mot  particulier  au  Jura  bernois;  il  est  en 
outre  attesté  pour  le  Landeron  (Neuchâtel)  et  pour  la  région 
de  Montbéliard  et  Belfort.  Le  reste  de  la  France  ne  le  con- 
naît pas.  La  forme  de  ce  mot  singulier  varie  entre  :  àrba,  Ajoie 
et  Delémont,  arbé,  Plagne,  arbo,  vallée  de  Moutier,  arbé  et 
arbo  à  Malleray,  avec  les  intéressants  dérivés  èrbato?i,  petite 
prune  jaune  qui  mûrit  vers  l'automne,  crbatat\  s.  f.,  fruit  du 
prunier  d'automne,  et  crbatij,  s.  m.,  prunier  d'automne  (Ajoie). 
En  outre  on  trouve  dans  des  documents  du  seizième  siècle 
arbaulx,  et  aussi  herbaulx  «  champs  d'automne  »  (Franches- 
Montagnes). 

D'où  vient  ce  mot?  »  On  a  proposé:  i°  l'allemand  Herbst^ 
2°  un  diminutif  de  herba  :  herbittum  et  3°  un  dérivé  adjectif 
de  herba  :  herbale.  Aucune  de  ces  trois  hypothèses  ne  satisfait 
entièrement,  comme  nous  allons  voir. 

I.  L'étymologie  Herbst  ne  laisse  rien  à  désirer  au  point  de 
vue  du  sens,  et  l'on  sait  combien  les  mots  allemands  sont  fré- 
quents dans  le  Jura  bernois.  Ajoutons  que  les  patois  vosgiens 
se  servent  également  d'un  mot  d'origine  germanique  pour  dé- 
signer l'automne,  qu'ils  appellent  «  gain»,  du  radical  de  l'alle- 
mand weiden;  il  y  a  cependant  cette  différence  que  le  mot  em- 
prunté ne  signifie  pas  «  automne  »  dans  la  langue  d'origine, 
comme  ce  serait  le  cas  pour  notre  drba.  Que  dit  la  phoné- 
tique ?  Au  premier  coup  d'oeil  tout  semble  s'accorder  à  mer- 
veille. L'ancienne  forme  de  herbst  est  herbesf  {herbist).  Or 
on  sait  que  dans  presque  tout  le  Jura  bernois  e  -\-  s  -\-  consonne 
donne  a:  ainsi  â  de  est,  frcl,  frais,  de  frisai,  épâ,  épais,  de 
spissu,  krâtr,  croître,  de  crescere  ;  de  même  donc  èrbâ  de 
herbest,  l'aspiration  germanique  ayant  été  supprimée. 

On  objectera  arbé  à  Plagne,  et  arbo  dans  la  vallée  de  Mou- 
tier. Pour  la  forme  de  Plagne,  on  a  tort,  car  i?  +  j  +  consonne  y 
devient  régulièrement  é  et  non  pas  â:  ainsi  /=  Q?,t,fré=^  frais, 


56  E.    TAPPOLET 

épe  =r  épais  [è  par  influence  française  ou  par  dissimilation 
vocalique),  dékré  =  décroît.  Quant  à  Va  de  arâé,  comparez 
arbèdj  =  herbage,  barbijat\  s.  f.  pi.,  nuages  moutonneux, 
dérivé  de  brebis.  Pour  ce  qui  concerne  la  forme  avec  <?,  arbo, 
dans  la  vallée  de  Moutier,  les  mots  qu'on  pourrait  citer  à 
l'appui  sont  peu  concordants  entre  eux  (crescere  =  krétr 
ou  krètr  à  Tavannes,  Perrefitte,  Grandval,  krétr  ou  krHr  à 
Court,  Malleray,  spissu  =  épa  à  Tavannes,  Perrefitte,  épe  à 
Court,  Malleray);  cependant  Tramelan-dessus  offre  quelque 
analogie  avec  krdtr,  épd.  Les  dérivés  èrbaton,  etc.  auraient  con- 
servé le  t  final  de  herbest.  Pour  herbaul  du  seizième  siècle,  il 
faudrait  dans  ce  cas  admettre  une  graphie  inverse  d'après  c?ie- 
vaux,  prononcé  tchvâ. 

Mais  la  grande  difficulté  est  l'accent.  Herbest  est  accentué 
sur  la  première  syllabe,  tandis  que  èrba  l'est  partout  sur  la  ter- 
minaison. Comment  admettre  ce  déplacement  d'accent  si  con- 
traire à  ce  qui  se  passe  habituellement? 

Voyons  si  les  dérivés  de  herba  sont  moins  récalcitrants.  Le 
sens  ne  fait  guère  de  difficultés.  Pourquoi  l'automne  ne  serait- 
il  pas  la  saison  des  herbes  ou  des  petites  herbes,  le  temps  où 
l'on  mène  le  bétail  brouter  sur  les  prés  le  dernier  regain  qu'il 
ne  vaut  plus  la  peine  de  couper  ?  Le  mot  herbittum  se  trouve 
dans  l'ancien  français  herbet,  mais  au  sens  de  «  herbette  »  ; 
l'équivalent  en  serait  érba  dans  tout  le  Jura  bernois,  y  com- 
pris Plagne  et  la  vallée  de  Moutier  qui  disent  tchvala,  che- 
valet, bida  bidet,  bia,  biat\  blet  blette.  Ainsi  les  trois  formes 
arbé,  arbo  et  herbaulx  resteraient  inexpliquées  ;  il  faudra  donc 
renoncer  complètement  à  tirer  notre  èrba  de  herbittum. 

3.  herbale  satisfait  mieux  pour  la  formation  aussi  bien  que 
pour  la  phonétique.  On  comprend  très  bien  un  herbale  (tempus), 
temps  herbal  =  époque  où  l'on  broute  l'herbe,  cp.  pour  la 
formation  printemps,  fortin,  daritin,  fenal  mois,  «  juillet  », 
dans  les  patois  wallons  (Merlo,  p.  146  etc.).  Le  dictionnaire 
vieux-français  de  Godefroy  donne:  herbal,  s.  m.  1°  mois  de 


LES    QUATRE    SAISONS    DAXS    LES    PATOIS    ROMANDS         57 

juini,  2"  prairie,  dans  ce  dernier  sens  aussi  herbd :  de  là  en  tous 
cas  le  herbaulx  des  Franches-Montagnes,  mot  qui  n'est  pas  nc- 
cessairement  le  même  que  èrba.  L'italien  connaît  aussi  herbale 
comme  adjectif.  Or  comme  -aie  aboutit  à  â  dans  la  plus  grande 
partie  du  Jura  bernois,  et  à  o  dans  la  vallée  de  Moutier,  herbal 
semble  nous  débarrasser  de  toutes  les  difficultés,  puisque  nous 
avons  en  général  èrba  et  en  particulier  èrbo  dans  cette  même 
vallée  de  Moutier  qui  fait  de  «  cheval  »  tchvb  et  de  «  mal  > 
7nb.  Mais  il  y  a  deux  obstacles  :  c'est  d'abord  et  surtout  Plagne 
dont  la  forme  arbé  ne  peut  provenir  normalement  de  herbale., 
cp.  aval  ^  avb,  cheval  =  tchvb.  Pour  soutenir  herbal  il  faudrait 
voir  dans  arbé  une  forme  correspondant  à  l'ancien  français 
herbel.  En  second  lieu  les  dérivés  comme  crbaton,  crbatat\  etc., 
dont  le  /  s'explique  si  bien  par  herbest  ne  se  comprennent  plus 
avec  herbal,  à  moins  d'admettre  quelque  analogie,  comme  de 
clou  on  fait  cloutier  et  de  fer-blanc  ferblantier,  d'après  potier 
ou  charpentier. 

En  somme,  des  trois  hypothèses  examinées,  celle  de  herbal 
a  le  plus  de  chance  de  passer,  parce  qu'elle  laisse  le  moins  de 
formes  inexpliquées  et  qu'elle  est  appuyée  par  l'ancienne 
graphie  herbaul;  mais  le  dernier  mot  n'est  pas  dit. 

L'HIVER 
Uhiver  est  la  seule  des  quatre  saisons  qui  n'ait  pas  changé 
d'appellation,  ni  en  grand,  dans  le  domaine  des  langues  roma- 
nes, ni  en  petit,  dans  les  patois  de  la  Suisse  romande;  avec 
une  légère  exception  cependant:  la  Montagne  neuchâteloise 
dit  h  pce  tin,  le  «  vilain  temps  »,  à  côté  de  d'vouè,  «  hiver  »  ; 
mais  sans  cela,  l'ancien  terme  roman  a  résisté  partout  aux 
tentatives  de  remplacement. 

^  L'indication  de  ce  sens  est  erronée.  Godefroy  a  trouvé  le  mot  dans 
un  document  jurassien  du  XIV=  siècle  :  en  février,  en  mai  et  en  herbaulx 
où  il  doit  avoir  le  même  sens  qu'aujourd'hui  ;  comparez  le  deuxième 
exemple  tiré  de  la  même  contrée:  au  mois  de  septembre  ou  d'erbaulx. 
(vers  1436.) 


58  E.    TAPPOLET 

Mentionnons  la  forme  avec  nasale  inver,  qui  ne  se  rencontre 
que  dans  les  Alpes  vaudoises.  C'est  probablement  l'influence 
du  verbe  inver?iâ,  qui  se  trouve  partout,  aussi  dans  le  domaine 
de  iver\  inveruâ  au  lieu  de  iver?iâ  paraît  formé  d'après  intsàtanâ, 
«  estiver  »  et  d'autres  verbes  avec  in. 

Récapitulons  : 

Les  saisons,  si  mathématiquement  égales  par  rapport  au 
temps  qu'elles  embrassent,  sont  singulièrement  inégales  par 
rapport  aux  termes  qui  les  désignent. 

Les  deux  antipodes,  hiver  et  été,  nous  ont  montré  une  stabi- 
lité d'expression  étonnante.  Partout  le  tsâtin  et  partout  Vivèr  ; 
à  peine  un  timide  pà  tin  qui  ose  concourir,  sans  aucun  succès, 
malgré  la  profonde  vérité  qu'il  proclame  dans  le  pays  hivernal 
de  la  Chaux-de-Fonds. 

Le  printemps  et  l'automne,  par  contre,  ont  étalé  devant  nous 
toute  la  richesse  et  toute  la  variété  d'expression  dont  sont 
capables  des  parlers  populaires  qui  n'ont  pas  subi  l'influence 
d'un  centre  littéraire.  Le  sol  si  varié  de  la  Suisse  romande  a 
fait  naître  une  douzaine  de  formes  différentes  pour  le  printemps 
et  une  demi-douzaine  pour  la  saison  correspondante  de  l'au- 
tomne. Cette  même  proportion  nous  est  en  général  confirmée 
par  la  vaste  étude  de  M.  Merlo.  Nous  y  trouvons  très  peu  de 
mots  pour  les  deux  grands  contrastes  dans  la  nature  :  hiver  et 
été,  mais  beaucoup  de  termes  nouveaux  pour  les  saisons  inter- 
médiaires. Cette  constatation  est,  à  mon  avis,  le  résultat  le 
plus  important  des  longues  et  minutieuses  recherches  de 
M.  Merlo.  Aussi  l'auteur  ne  manque-t-il  pas  de  l'apprécier  à 
sa  juste  valeur  (p.  16.). 

Voici  son  explication,  qui  me  paraît  très  juste:  hiver  et  été 
sont  des  idées  générales,  comparées  avec  printemps  et  automne, 
qui  ont  quelque  chose  de  secondaire,  de  particulier.  Or  les  mots 
exprimant  des  idées  générales  persistent  longtemps,  tandis  que 
l'on  observe  une  plus  grande  variabilité  dans  l'expression  des 
idées  particulières  et  dont  la  langue,  à  la  rigueur,  peut  se  passer. 


LES    QUATRE    SAISONS    DANS    LES    PATOIS    RCniANDS  59 

Cela  nous  fait  comprendre  un  peu  la  grande  variété  de 
termes,  mais  cela  ne  nous  explique  pas  pourquoi  c'est  préci- 
sèment  la  Suisse  romande  qui  abandonne  la  tradition  latine 
dans  une  si  large  mesure. 

A  cet  égard,  M.  Merlo  fait  remarquer  avec  raison  que  dans 
un  pays  de  montagnes,  où  l'hiver  dure  de  six  à  neuf  mois,  les 
contrastes  entre  la  bonne  et  la  mauvaise  saison  sont  plus  vifs 
et  les  passages  d'une  saison  à  l'autre  bien  plus  rapides.  Ainsi 
le  printemps  ou  le  retour  du  bon  temps  devient  pour  les  habi- 
tants un  événement  d'autant  plus  marquant  que  le  montagnard 
est  paysan  et,  inséparable  de  son  bétail,  doit  partager  avec  lui 
toutes  les  vicissitudes  des  saisons.  De  là  ces  nombreuses  ex- 
pressions ayant  le  sens  de  «  dehors  »,  sortir,  partir,  ouvrir 
(dialectes  ladins  et  italiens),  qu'on  trouve  presque  exclusive- 
ment dans  les  patois  montagnards,  ainsi  dans  la  Suisse  romande 
et  allemande,  en  Bavière,  dans  le  Tyrol  et  dans  le  Frioul. 

Sans  doute  on  sort  partout  au  printemps,  à  la  campagne, 
comme  à  la  ville,  mais  dans  la  vie  monotone  des  paysans 
montagnards,  cette  première  sortie  au  pâturage  est  un  moment 
solennel,  une  fête,  qui  a  été  capable  de  transformer  le  vocabu- 
laire hérité  des  Romains. 

E.  Tappolet. 


TEXTES 

-*- 

I.  La  dsmi-ôna. 

Patois  de  Rougemont  (Vaud). 

You  chu  pa  tan  por  lé  novalè  niéjurè,  dajay  oun  anxçn  dé 
chachanf  an  :  on  yadT^o  on  béyay  ouna  botoôp  por  dou  é  ouna 
chopin  han  on-n-ér^ay  choie  ;  or  a,  lo  litrp  l  è  tru  grô  por  dou 
é  lo  dpnii-litrp  on  pou  ppiyou  ■'  oti  cha  jamé  kan  on-n-a  chin 
h  fô.  Achpbin,  din  lé  niaynad:(o,  kan  lé-j-infan  fajan  lé 
vôrin  ou  kp  lé  fénè  avan  tru  krouyp  linvoua,  on  prinjay  la 
dpmi-ôna,  k'avay  justo  la  grantyaou  h  faàay  por  la  férè  ht 
manéyi  ;  chin  fajay  io  rintra  din  Voua^drp.  Avouay  lo  métrp^ 
tyè  volay-vo  férè  ?  On-n-a  rin  mé  d'ôtorita  ! 

TRADUCTION 
La  demi-aune. 

Je  [ne]  suis  pas  tant  pour  les  nouvelles  mesures,  disait  un 
vieux  de  soixante  ans  :  autrefois,  on  buvait  une  bouteille  à  deux 
et  une  chopine  quand  on  était  seul  ;  à  présent,  le  litre  est  trop 
gros  pour  deux  et  le  demi-litre  un  peu  petit:  on  [ne]  sait  jamais 
quand  on  a  ce  qu'il  faut.  De  même,  dans  les  ménages,  quand 
les  enfants  faisaient  les  vauriens  ou  que  les  femmes  avaient 
trop  mauvaise  langue,  on  prenait  la  demi-aune,  qui  avait  juste 
la  grandeur  qu'il  fallait  pour  pouvoir  bien  la  manier;  cela  fai- 
sait tout  rentrer  dans  l'ordre.  Avec  le  mètre,  que  voulez-vous 

faire  ?  On  n'a  plus  aucune  autorité. 

J.  Henchoz. 


LE    TENÈRÔ  6l 

II.  La  tanero. 

Patois  de  Blonay  (Vaud) 

La  Su::;èn  a  Djan  Pyéro  l  îr  on-na  fémala  viva  é  gréhân^a  ; 
lé-2i-infan  l'âniâvan  grô,  l  avéi  tbdb°"lon  ôkû  dé  bon  a  ld°** 
balyi,  ma  l  trd  pouéirâu:(a  ko  to.  K'îr3  pâ  on-na  savinta, 
kpmin  vb-:(^-alâ  oUrd  pè  h  konto  hs  m'a  fé  li  mtma  ko  sin  : 

—  ((  On  yâd:(o  kp  ncûûré-:{-bmb  l  é^an  lé  damon  pb  lé  fin, 
mé  trbvâvb  tbta  sbléta  din  sta  gràsa  mèi^on.  Dé  d:^ua,  sin 
m'é&éi  bin  tbton,  ma  siîb  kp  la  né  vpnyài,  l  avé  gran  pouâirè. 
On  d:{_ua  ka  l  avéi  fé  tan  isô,  mé  dp^é  :  «  Pbrvu  kp  np  vin- 
nyp  pâ  db°**  pou  tin  sta  né!  N'a  pâ  mankâ.  Dévè  h  né,  mé 
métb  a  //yô^rp  tbtp  lépoudrt'é  léfpnéiârpkp  l  éâan  d^a  xly^sè, 
ma  anfin,  l  é  tbparéi  fé  la  réyuva  dé  tbta  la  méi^on,  du  h 
lénô  a  la  kâva,  kpmin  dé  kb'&pma.  Lp  tin  l  trp  kpve,  ma  tran- 
tyilb  ;  mé  su  pâ  dévpha  a  tsavon,  b°^*  ka  kp  falyp  mé  rélévâ. 

TRADUCTION 
Le  tonnerre. 

La  Susanne  à  Jean-Pierre  était  une  femme  vive  et  gracieuse. 
Les  enfants  l'aimaient  beaucoup  ;  elle  avait  toujours  quelque 
chose  de  bon  à  leur  donner,  mais  elle  était  très  peureuse.  Elle 
n'était  pas  une  savante,  comme  vous  allez  l'entendre  par  le 
conte  qu'elle  m'a  fait  elle-même  comme  ceci  : 

—  «  Une  fois  que  nos  hommes  étaient  sur  les  monts  pour  les 
foins,  je  me  trouvais  toute  seule  dans  cette  grande  maison.  De 
jour,  cela  m'était  bien  égal,  mais  aussitôt  que  la  nuit  était  ve- 
nue, j'avais  grand'peur.  Un  jour  qu'il  avait  fait  très  chaud,  je 
me  dis  :  «  Pourvu  qu'il  ne  vienne  pas  du  mauvais  temps  cette 
nuit  !  »  Cela  n'a  pas  manqué.  Vers  le  soir,  je  me  mets  à  fermer 
toutes  le6  portes  et  les  fenêtres  qui  étaient  déjà  fermées,  mais 
enfin,  j'ai  fait  quand  même  la  revue  de  toute  la  maison,  du  ga- 
letas à  la  cave,  comme  d'habitude.  Le  temps  était  couvert, 
mais  calme  ;  je  ne  me  suis  pas  complètement  dévêtue,  au  cas 


02  L.    ODIN 

Mé  kutsb,  fé  ma  préyfrè,  é,  tink  on-n-inlypd:io  /  Té  manéréi 
pî  !  h  mé  mélo  a  dprè  é  so°Hb  frb  db°"  lyi  hmin  sp  bourlâva 
d^a,  mé  vî'&b  a  la  kouâité,  métb  mé  mélyb°"  sblâ,  kdtnin 
nouera  niéirp  nb-i-avéi  tbdb°"lon  :(o°^  dp  dé  férè,  l  âyb  h 
krbjb  é  mé  ijn-uyb  on-na  ouârba  b°"  méitin  db°"  pâlyb,  mon 
hrbjb  a  la  man.  Lé-^-mlypd^^b  vin-nyon  lé-:(^on  apréi  lé- 
:(^ôtrb  :  la  tsanbra  n  in-n-îrp  plyâina  ;  mé  sôvb  a  Vbûô,...  h 
mtm  aféré....  Dyurlâvb  hmin  la  fblyè.  Typ  férè  ?  Alâ  tsi  lé 
vp:yin  ?  famé  n'aré  âl^à  salyi  sbléta  dp  la  rnéi^on  né  traversa 
h  tspmin  pbr  alâ  tsi  lé  M.  Mé  vin  on-n-idéyè  :  m'in  vé  b°^ 
kblidâ  kp  l  a,  hpniin  tp  sa,  dw^p  pouàrtp  dé  salyâitè,  pindb 
mon  krbjb  a-7i-on  xfyou,  épu  m'infatb  din  la  rintrâyp  kp  la 
mouralyp  fâ  b°"  tpnyémin  dé  dplé  :  m'apmyb  kontrp  la  pouârta 
é  réistb  inkp  tbta  trancha  in-n-atindin  sin  kp  pouréi  arpvâ. 
Mé  dp:^é  intrémè  :  Sp  Ip  tpnerb  l  intrp  pèr  on-na  pouârta,  tp 

qu'il  me  faille  me  relever.  Je  me  couche,  fais  ma  prière,  et 
voilà  un  éclair  !  Comme  tu  y  vas  i,  que  je  me  mets  à  dire,  et  je 
saute  hors  du  lit^  comme  s'il  brûlait  déjà.  Je  me  vêts  à  la  hâte, 
je  mets  mes  meilleurs  souliers,  comme  notre  mère  nous  avait 
toujours  dit  de  faire,  j'allume  la  lampe  et  me  tiens  un  moment 
au  milieu  de  la  chambre,  ma  lampe  à  la  main.  Les  éclairs  ve- 
naient les  uns  après  les  autres  :  la  chambre  en  était  pleine  ;  je 
me  sauve  à  la  cuisine...  la  même  chose....  Je  tremblais  comme 
la  feuille.  Que  faire  ?  Aller  chez  les  voisins  ?  Jamais  je  n'aurais 
osé  sortir  seule  de  la  maison,  ni  traverser  le  chemin  pour  aller 
chez  les  M.  Il  me  vient  une  idée  :  je  m'en  vais  au  corridor  qui 
a,  comme  tu  sais,  deux  portes  de  sortie,  je  pends  ma  lampe  à 
un  clou  et  puis  je  m'engage  dans  la  rentrée  que  fait  la  mu- 
raille à  l'appartement  de  l'autre  côté  ;  je  m'appuie  contre  la  porte 
et  reste  là,  toute  transie  de  peur,  en  attendant  ce  qui  pourrait 


*  Littéralement  :  te  manière  seulement  I  Les  exclamations  de  ce 
genre  sont  très  fréquentes  en  patois.  Elles  expriment  le  mécontente- 
ment d'une  personne  à  la  vue  ou  à  l'ouïe  de  choses  désagréables.  Elles 
ne  se  traduisent  que  difficilement. 


LE    TENÈRÔ  63 

té  sôvéréi  pè  Fotra.  L  ové  bin  raniasâ  mé  kbtilyon  Jconirp  mé, 
pb  hj  sd  h  t  prier  0  dévéi  to  dé  niïnià  pasâ  pè  h  hblidâ  s  in  k? 
h  vâyb,  h  rw  poiiésp  pâ  mé  tbtsi.  Léi-y-é  pasâ  la  né  sin  m-{â 
mé  sélâ.  » 

—  ff  Vài,  ma,  kp  léi  dyb  apréi  sin,  1?  ipnerb  koua  plyp  rîdb 
tyé  vb.  » 

—  «  Kéi:;^  té,  kp  nié  répon,  din  si  tin  l  îro  dégadja  é  n'aréi 
janié  pu  mé  ratrapâ.  » 

La  bouna  vîlyp  vi  adéi,  h  vb  dpvp  aspbin  tyé  a  mé,  sp  vb- 
:(^-alâ  h  léi  démanda.  Fô  pâ  léi-y-alâ  dprp  kp  la  ter  a  l  é 
ryonda  né  kp  vîrè  :  sin  né  pâ  pbsiblyb  ;  kpniin  k'on  se  ratin- 
drâi  kan  on  spréi  dé:^b  ?  Pbr  li,  kpniin  pb  lé  vïlyb  dé  son  tin, 
la  gràila  vin  kan  Vmra  rblyp  lé  gbtp  dé  plybd::ip  l'pna  kontrp 
Vôtra  é  lé  fâ  dinsp  vpni  dure. 

arriver.  Je  me  disais  en  moi-même  ;  «  Si  le  tonnerre  entre  par 
une  porte,  tu  t'enfuiras  par  l'autre.  »  J'avais  bien  ramassé  mes 
jupons  contre  moi,  afin  que,  si  le  tonnerre  devait  quand  même 
passer  par  le  corridor  sans  que  je  le  visse,  il  ne  pût  pas  me 
toucher.  J'y  ai  passé  la  nuit  sans  oser  m'asseoir.  » 

—  «  Oui,  mais,  lui  dis-je  après  ce  récit,  le  tonnerre  court 
plus  vite  que  vous.  » 

—  «  Tais-toi,  me  répond-elle,  dans  ce  temps,  j'étais  agile  et 
il  n'aurait  jamais  pu  me  rattraper.  » 

La  bonne  vieille  vit  encore  ;  elle  vous  le  dira  aussi  bien 
qu'à  moi  si  vous  allez  le  lui  demander.  Il  ne  faut  pas  lui  aller 
dire  que  la  terre  est  ronde,  ni  qu'elle  tourne  :  cela  n'est  pas 
possible;  comment  se  retiendrait-on,  quand  on  serait  dessous? 
Pour  elle,  comme  pour  les  vieillards  de  son  temps,  la  grêle 
vient  quand  le  vent  bat  fortement  les  gouttes  de  pluie  l'une 
contre  l'autre  et  les  fait  ainsi  devenir  dures. 

<-^h-*- 


TABLE  DES  MATIERES 


-*- 


Pages. 

Gustave   Pfeiffer.     Proverbes    patois    recueillis    à    Lens 

(Valais) 3,     23 

P.  BovET.  Le  rouet  de  ma  grand'mère lo 

L.  Gauchat.  Les  noms  des  vents  dans  la  Suisse  romande  : 

IL  djoran 13 

L.  Gauchat.  Les  limites  dialectales  dans  la  Suisse  romande 

(avec  carte) 17 

C.  Fleuret.  Fâblyâ  du  làu   è  du  rnâ,   patois    de   Bernex 

(Genève),  avec  notes  par  J.  Jeanjaquet 30 

J.  Jeanjaquet.  Etymologie.  Bas-valaisan  garzin,  eau-de-vie     36 


L.  Gauchat.  Etymologie.  Lôvr,  veillée 

La  Rédaction.  Les  salutations  dans  les  patois  romands. 
E.  Tappolet.  Les  quatre  saisons  dans  les  patois  romands 
J.  Henchoz.  La  ddmi-ôna,  patois  de  Rougemont  (Vaud) . 
M™e  L.  Odin.  Ld  tdytero,  patois  de  Blonay  (Vaud)     .     .     . 


38 
41 
49 
60 
61 


L»usanne.  —  imprimerie  Georges  Bridel  &  C'* 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du  Glossaire. 


QUATRIÈME  ANNÉE 
1905 


BERNE 

BUREAU  DU   GLOSSAIRE 

Hallerstrasse  39 


L'ORIGINE  DU  NOxM 

DE  LA  CHAUX-DE-FONDS 

— î— 

Parmi  les  Chaux  innombrables  qu'on  rencontre  dans  la 
Suisse  romande  et,  bien  au  delà,  dans  une  grande  partie 
de  la  France,  celle  qui  se  distingue  par  l'addition  de-Fonds 
a  acquis  la  plus  grande  renommée.  Un  vrai  miracle  a,  en 
effet,  transformé  une  simple  chaux,  qui  ne  paraissait  offrir 
aucun  avantage  sur  d'autres  endroits  du  même  nom,  en  une 
localité  populeuse,  retentissante,  qui  s'est  très  longtemps  glo- 
rifiée d'être  le  plus  grand  village  du  monde.  Aujourd'hui, 
devenu  ville  par  la  force  des  circonstances,  ce  centre  indus- 
triel et  politique  de  plus  de  35  000  habitants,  à  mille  mètres 
d'altitude,  avec  un  «  gymnase  »,  un  théâtre,  une  gare  qui  a 
coûté  on  sait  combien  de  millions,  ne  cesse  pas  d'être  une 
curiosité.  C'est  donc  indirectement  l'industrie  horlogère  qui 
a  rendu  le  mot  Chaux  intéressant. 

Le  problème  de  l'origine  du  mot  a  gagné  en  actualité  par 
une  petite  discussion  récente  entre  MM.  Niedermann  et  Jac- 
card,  professeurs  l'un  à  la  Chaux-de-Fonds,  l'autre  à  Aigle, 
qui  ne  sont  pas  arrivés  à  se  mettre  d'accord  dans  leurs  arti- 
cles publiés  dans  le  National  suisse  du  31  mai  et  la  Gazette  de 
Lausanne  des  i^*",  17,  21  et  22  juin  1901.  Tandis  que  M.  Nie- 
dermann soutient  l'étymologie  callis,  M.  Jaccard  se  base  sur 
le  bas  latin  calma,  qu'il  défendra  encore  dans  ses  Etudes 
toponymiques  en  cours  d'impression,  dont  il  a  bien  voulu  me 
communiquer  les  épreuves  concernant  le  nom  en  question. 

Si  je  prends  la  plume  pour  apporter  ma  contribution  à 
l'étude  du  mot,  c'est,  comme  le  devine  le  lecteur,  parce  que  je 
ne  suis  d'accord  ni  avec  l'un  ni  avec  l'autre.  Comme  mes  pré- 
décesseurs, je  ne  m'attacherai  pas  uniquement  au  nom  Chaux- 


4  L.    GAUCHAT 

de-Fonds,  mais  j'embrasserai  d'un  coup  d'œil  toutes  les  Chatix 
que  je  connais,  afin  d'établir  l'investigation  sur  une  base  aussi 
large  que  possible.  Discuter  le  mot  Chaux,  c'est  se  reporter  de 
2000  ans  en  arrière  et  examiner  un  petit  fragment  de  la  vie 
d'autrefois. 

Les  étymologies  proposées  jadis  par  Lutz  (calvus,  chauve), 
Matile  (cavus,  creux),  MM.  Châtelain  et  Alf.  Godet  (casa, 
maison),  M.  Michelin-Bert  (clausus,  clos)  et  M.  Cohn  (*cassi- 
ma  terra,  terre  très  vide,  Zeitschrift  fur  romanische  Philolo- 
gie XIX,  p.  60)  peuvent  être  considérées  comme  définitivement 
écartées;  elles  n'ont  pas  l'appui  de  la  phonétique  locale,  sans 
laquelle  aucune  étymologie  ne  saurait  tenir  debout.  C'est  aussi 
principalement  l'étude  des  sons  qui  me  fait  donner  tort  à 
MM.  Niedermann  et  Jaccard. 

Mais  commençons  par  constater  l'état  des  choses.  D'abord 
en  Suisse.  Il  ressort  des  renseignements  fournis  par  les  corres- 
pondants du  Glossaire  que  le  mot  Chaux  n'appartient  plus 
guère  à  la  langue  parlée,  c'est  un  fossile  linguistique.  Les 
cartes  Siegfried  sont  pleines  de  noms  qui  ont  tous  eu  une  fois 
leur  signification  nette  et  précise,  mais  dont  le  sens  a  pâli  au 
cours  des  siècles,  pour  devenir  finalement  un  simple  cliché 
géographique,  témoins  les  nombreux  Nant,  Frasses,  Broillet, 
Condémine,  etc.  Pour  les  paysans,  ces  mots  sont  devenus  insen- 
siblement des  noms  propres,  riches  en  souvenirs  personnels 
peut-être,  mais  vides  de  sens  générique.  Un  nant  est  devenu 
le  Jiant.  La  principale  cause  de  cette  lente  transformation  du 
vocabulaire  doit  être  l'isolement  de  la  chose  appelée  de  ce 
nom  par  les  habitants  d'une  contrée  déterminée,  ainsi  que  le 
remplacement  continuel  des  termes  génériques  par  d'autres 
d'une  valeur  plus  universelle.  La  vieille  expression  romande 
otô  (hospitale)  est  remplacée  par  méjon  {maison);  les  «  ra- 
cards  »  du  Valais  finiront  par  devenir  des  granges,  etc.  Notre 
mot  Chaux  est  un  de  ceux  qui  viennent  de  perdre  leur  signifi- 
cation précise.  Il  y  a   200  ans,  nous  aurions   été  facilement 


L'ORIGINE    DU    NOM    DE    LA    CHAUX-DE-FONDS  5 

renseignés  sur  sa  valeur  ;  aujourd'hui  le  philologue  est  obligé 
d'intervenir  pour  interpréter  et  mettre  d'accord  les  opinions 
discordantes. 

Dans  une  seule  région  chaux  est  encore  employé  comme 
appellatif,  à  savoir  dans  la  Gruyère,  où  tsô^  s.  f.,  signifie /rf/w- 
rage  abrupt^  près  des  sommets^  où  le  bétail  arrive  difficile- 
ment'^. Un  proverbe  gruyérien  dit:  fin  de  tsô,  fin  de  ma,  litt. 
foin  de  chaux,  foin  de  mal,  c'est-à-dire  que  le  foin  des  chaux  est 
difficile  à  récolter.  Un  des  correspondants  donne  un  exemple 
caractéristique  du  mot  comme  appellatif:  lyè  pè  le  isà  k  kor- 
chon  le  lèvantsè  =  c'est  par  les  chaux  que  descendent  (cou- 
rent) les  avalanches.  La  définition  comme  pâturage  abrupt 
présente  déjà  une  spécialisation  de  l'idée  de  chaux,  due  à  la 
configuration  des  approches  des  sommets  en  Gruyère.  En 
effet,  l'excellent  glossaire  de  Louis  Bornet  donne  une  explica- 
tion plus  ample:  «  c'est,  dans  les  hauts  pâturages,  la  partie 
qui  forme  une  pente  généralement  assez  uniforme  et  régulière, 
s'élevant  plus  ou  moins  au-dessus  du  chalet,  et  où  les  vaches 
ne  vont  pâturer  que  pour  autant  qu'on  les  y  mène.  »  Bornet 
n'insiste  pas  sur  le  fait  «  qu'il  y  a  aussi  des  tzôs  trop  roides 
pour  qu'on  puisse  y  mener  les  troupeaux.  » 

L'appellatif  est  encore  usité  dans  les  Alpes  vaudoises,  avec 
les  définitions  suivantes:  «  partie  élevée  et  généralement  ar- 
rondie d'un  pâturage  haut  »  (Etivaz),  «  montagne  large,  ar- 
rondie, toute  gazonnée  et  ayant  parfois  une  petite  dépression 
au  sommet,  rampe  douce  »  (Ormonts),  «  pente  de  gazon  ex- 
posée au  soleil  »   (Gryon)  -. 

En  Valais,  le  mot  ne  fonctionne  plus  guère  que  comme  nom 


'  Thorin,  Notice  sur  GrandviUard,  p.  62  n.  :  «prés  de  montagne 
autres  que  les  pâturages.  » 

^  Comparez  ce  que  disent  les  vieux  dictionnaires  inédits  de  Henchoz 
(Rossinières)  :  «  plaine  un  peu  concave  sur  une  montagne  »  et  de  Du- 
mur:  «  plaine  un  peu  concave  de  montagne,  »  puis  «  sommet  de 
montagne,  vallon  très  élevé.  » 


6  L.    GAUCHAT 

propre,  sous  les  formes  tsô  ou  tsâ,  selon  la  phonétique  locale, 
écrit  très  souvent  za  et  prononcé  à  tort  zâ  par  les  étrangers 
et  les  indigènes  qui  les  imitent.  L'expression  désigne  les  pâtu- 
rages les  plus  hauts  «  où  on  laisse  paître  les  vaches  en  toute 
liberté,  c'est-à-dire  sans  partager  jour  par  jour  »  (Trient) ,  une 
«  petite  plaine  surplombant  un  précipice  »  (Leytron),  une 
«  grande  étendue  d'alpages  où  les  génisses,  les  moutons  pais- 
sent en  liberté  »  (VoUèges).  «  300  pièces  de  bétail  passent  l'été 
à  la  chaux  du  Grand  Saint-Bernard.  » 

Dans  les  autres  cantons,  y  compris  la  plaine  du  canton  de 
Vaud  et  la  Vallée  de  Joux,  Chaux  n'est  que  nom  propre.  Le 
canton  de  Genève  ne  paraît  pas  même  posséder  le  mot  comme 
tel.  Un  seul  correspondant  bernois  indique  le  sens  de  «  colline 
de  pâturage  s'élevant  brusquement  »  (Charmoille).  La  forme 
bernoise  est  tchâ.  Dans  les  hautes  vallées  neuchâteloises,  j'ai 
essayé  vainement  de  faire  définir  le  mot.  Plusieurs  personnes 
de  la  Montagne  neuchâteloise  et  du  Val-de-Travers  préten- 
dent cependant  que  Chaux  a  un  peu  le  sens  de  vallée,  de 
plateau  long  et  élevé.  Une  très  vieille  femme  a  même  formé 
l'exemple  :  èl  è  bè  lérdj  la  tchâ  d  Vabrsvna  ^  «  elle  est  bien 
large  la  chaux  de  la  Brévine^.  »  Cela  paraît  donner  raison 
au  doyen  Bridel,  qui  traduit  le  mot  chaux  par  «  sommet  de 
montagne,  pâturages  élevés  dans  les  Alpes....  »  puis:  «  ce 
même  mot  signifie  au  contraire,  dans  le  Jura,  un  vallon.  »  Le 
même  mot  aurait-il  donc  désigné  dans  les  Alpes  les  pâtu- 
rages près  des  sommets  et  dans  le  Jura  le  fond  de  la  vallée? 
La  contradiction  n'est  qu'apparente  et  s'explique  facilement 
par  les  conditions  topographiques.  Dans  les  Alpes,  les  som- 
mets et  leurs  environs  sont  dénudés,  dans  le  haut  Jura  ils  sont 
boisés,  et  ce  sont  les  dépressions,  les  combes,  en  partie  maré- 
cageuses, qui  prennent  le  nom  de  chaux. 

Il  ressort  de  ce  qui  a  été  dit  que  le  mot  a  été  appliqué  à 

1  C'est  donc  plutôt  VAbrevine  qu'il  faudrait   écrire;   de*  adbibe- 
rina,  fontaine  pour  abreuver? 


l'origine  du  nom  de  la  chaux-de-fonds  7 

une  étendue  de  terrain  inculte,  ensuite  de  l'absence  d'eau  et 
d'humus.  La  chaux  peut  se  couvrir  d'herbe,  servir  de  pacage, 
elle  ne  peut  être  labourée,  étant  trop  pierreuse  (ou  maréca- 
geuse). L'inclinaison  du  terrain,  la  situation  par  rapport  au 
soleil,  l'aptitude  à  servir  de  pâturage  sont  des  éléments  se- 
condaires dans  la  définition  du  mot.  Ce  n'est  que  par  exten- 
sion qu'on  nomme  chaux  un  sommet,  un  mamelon  gazonné. 
Ainsi  à  côté  de  la  Chaux  des  Tallières  (de  la  Brévine),  du 
MiHeu^,  de  Fonds,  d'Abel  (près  Les  Bois),  Damin  (au  pied  du 
Mont  Damin,  au-dessus  des  Convers),  etc.  qui  représentent  de 
vastes  étendues  de  terrain,  on  trouve  dans  les  mêmes  contrées 
de  petites  Chaux  sous  la  forme  de  replats,  de  mamelons, 
comme  la  rond'  tchô  dans  la  commune  de  la  Brévine,  ou  le 
mamelon  appelé  tchô  près  de  Dombresson  (Val-de-Ruz).  Les 
lieux-dits  Plana-Chaux  (Chaux-plane^),  Bellechaux^  {(^xvc\Q\v\.i) 
prouvent  que  toutes  les  chaux  ne  sont  pas  nécessairement 
abruptes  ni  dénudées.  Sonchaud  (sommet  de  la  Chaux)  sur 
Villeneuve  montre  que  chaux  ne  peut  à  l'origine  désigner  le 
sommet  lui-même.  On  ne  dirait  pas  non  plus  si  souvent  à  la 
Chaux,  en  la  Chaux^  sur  la  Chaux,  s'il  s'agissait  du  point  cul- 
minant de  la  contrée. 

L'étude  de  nos  meilleures  cartes  conduit  au  même  résultat. 
Jamais  les  chaux  ne  sont  boisées  par  exemple.  Le  bois  de  la 
Chaux,  sur  Tramelan,  n'est  pas  un  bois  sur,  mais  au-dessus  d'une 
Chaux,  de  là  son  nom.  La  feuille  n»  276  de  l'atlas  Siegfried, 
intitulée  La  Chaux,  reproduit  une  étendue  à  peu  près  plate 
entre  le  Bois  du   Veau^  (sic!)  qui  monte  jusqu'à  une  hauteur 


1  Cette  appellation  se  retrouve  dans  un  document  fribourgeois  de 
1693  :  La  Chaux  du  Mevten,  rière  Villars-sous-Mont. 

'  Comp.  entre  autres  le  Plan  la  Chaux  du  Grand  Saint-Bernard,  à 
2056  mètres. 

3  Comparez  la  Bella-Cha  au-dessus  de  Chamonix. 

*  Le  cartographe  responsable  aurait  facilement  appris  que  ce  bois 
appartenait  autrefois  au  Vuax  Travers,  à  la  commune  de  Couvet. 


8  L.    GAUCHAT 

d'une  cinquantaine  de  mètres,  et  le  Broillet,  qui  s'élève  un  peu 
plus.  En  somme  les  chaux  sont  situées  dans  le  Jura  à  une  alti- 
tude d'environ  looo  mètres,  tandis  que  dans  les  Alpes  elles  se 
trouvent  au-dessus  de  la  zone  des  arbres  à  environ  2000  mètres. 

Mais  il  serait  faux  de  croire  que  le  mot  appartient  unique- 
ment aux  régions  montagneuses.  Les  Chaux  sont  moins  fré- 
quentes, mais  non  pas  rares  dans  la  plaine.  Les  matériaux 
toponymiques  du  Glossaire  que  j'ai  pu  consulter  m'ont  dé- 
montré qu'il  n'y  avait  pas  beaucoup  de  communes  vaudoises 
qui  n'aient  eu  leur  Chaux.  Le  nom  devait  être  beaucoup  plus 
répandu  autrefois  ;  il  s'est  insensiblement  retiré  de  la  plaine  et 
s'est  mieux  conservé  sur  les  hauteurs.  Cela  s'explique  assez 
bien.  Dans  le  bas  les  landes  et  bruyères  ont  été  en  grande 
partie  changées  en  prés  et  en  champs  ;  une  transformation  de 
nomenclature  a  suivi  ce  travail  de  fertilisation.  A  la  montagne, 
la  lutte  de  l'homme  contre  la  nature  était  inutile,  et  les  chaux 
y  ont  triomphé  de  tout  effort.  Fin  de  isà,  fin  de  ma  ! 

Sortons  maintenant  de  notre  territoire  romand  et  tâchons  de 
délimiter  l'aire  géographique  de  notre  mot.  Nous  aurons  en 
même  temps  la  chance  de  rencontrer  des  formes  moins  rac- 
courcies du  vocable,  surtout  dans  les  patois  allemands  et  du 
Midi  de  la  France.  Elles  nous  permettront  de  reconstituer  la 
base  étymologique. 

Le  mot  est  très  peu  répandu  en  allemand,  preuve  que  la  racine 
n'est  pas  germanique.  Nous  rencontrons  quelquefois  Galm  ou 
Galen  dans  le  Valais  allemand  et  les  régions  du  canton  de 
Berne  qui  touchent  au  domaine  romand.  «  L'alpe  sur  Loèche 
que  les  Romands  appellent  Chermignon  (probablement  un  dé- 
rivé du  mot  Chaux)  s'appelle  en  allemand  Galm-Alp  »  (  Jaccard, 
Etudes  toponymiques).  Le  Haut- Valais  connaît  surtout  la  forme 
Galen ^  comp.  le  nom  Galenstock.  La  carie  de  Zweisimmen 
(feuille  n°  462  de  l'atlas  Siegfried)  nous  fait  voir  au-dessus  du 
village  de  Matten  un  monticule  (gazonné?)  du  nom  de  Galm, 
2188  mètres,  près  de   Zweisimmen   le    Kumigalm,  élévation 


l'origine    du    nom    de    la    CHAL'X-DE-FONDS  (J 

rocheuse,  2127  mètres,  et  le  Muntigalm^,  mamelon.  La  proxi- 
mité des  Chaux  romandes,  qui  apparaissent  dans  les  mêmes 
conditions,  et  la  ressemblance  des  formes  méridionales  que 
nous  allons  citer,  nous  fait  penser  qu'il  s'agit  toujours  du  même 
mot.  L'échange  de  g  contre  ch  romand  ou  plutôt  c  de  l'époque 
latine  n'a  rien  de  surprenant  ;  comparez  Gampelen  —  Cham- 
pion, Gestelen  —  Châtillon,  Geschenen  ou  Gœschenen  —  italien 
cascina,  Galmis  —  Charmey,  etc.  \J Idiotikon  III  233  explique 
Galtn  par  «  Gipfel,  Riicken  eines  Berges  (Wallis),  besonders 
sanft  zulaufender  (Bern,  Simmenthal)  »,  et  renvoie  à  Galen,  III 
203:  «  beraster  Bergrtlcken  zwischen  zwei  Taleinschnitten 
oberhalb  der  Waldregion;  darauf  liegende  Alpen  (Wallis),.. 
wohl  keltischen  Ursprungs.  » 

En  France  nous  trouvons  le  mot  dans  Contejean,  Patois  de 
Montbéliard:  «  tcha,  s.  f.,  nom  propre  donné  à  certaines  loca- 
lités où  abondent  les  cailloux  roulés,  »  Chambure,  Glossaire 
du  Morvan:  «  chaumâ,  s.  m.  (dérivé),  terre  inculte  et  enga- 
zonnée,  chaume,  s.  f.,  terrain  engazonné,  ordinairement  de  peu 
de  valeur,  lande,  espace  vague  et  livré  au  pacage  des  ani- 
maux ;  »  Chambure  cite  encore  les  dérivés  (diminutifs)  chaumeâ 
(Vendée),  terre  inculte,  chaumasse  (Forez),  prairie  humide, 
chaumea,chaumia  (Poitou),  petite  chaume;  Berthoud  et  Matru- 
chot.  Etude  historique  et  étymologique  des  noms  de  lieux 
habités  du  département  de  la  Cote  d'or,  I.  Période  anté-romaine, 
Semur,  1901,  citent  les  formes  chaume  et  chaux,  avec  la 
même  signification  :  «  terrain  inculte,  généralement  situé  sur 
les  plateaux  de  notre  région  et  ne  fournissant  qu'un  maigre 
pâturage  »  ;  Boucoiran,  Dictionnaire  des  idiomes  méridionaux. 


^  Ne  serait-ce  pas  une  forme  allemande  de  Chaumont?  M.  Jaccard 
voudrait  identifier  les  différents  Chaumont,  Chaumcmtet,  Channoutd  de 
la  Suisse  romande  avec  calidus  mons,  ou  même  avec  calvus  mons 
pour  le  Chaumont  de  Saignelégier.  Je  crois  qu'il  fait  erreur  et  qu'il  y 
aurait  avantage  à  rattacher  toutes  ces  appellations,  plus  les  Caumoun 
du  Midi  de  la  France,  au  mot  que  nous  discutons. 


lO  L.    GAUCHAT 

nous  fait  connaître  les  mots  caume,  s.  m.  (!),  plateau  sur  la  mon- 
tagne, etcaumû^,  s.  f.,  plateau  exposé  au  soleil;  Mistral  enfin, 
dans  son  Dictionnaire provençal-frayiçais,  mentionne  les  formes 
caumo,  champ-  (Auvergne),  cam,  cham  (Languedoc),  chaup'^ 
(Alpes),  =  plateau  désert,  plateau  rocheux  qui  domine  une 
montagne;  il  énumère  une  quantité  de  noms  propres:  Lacalm, 
Lacam  (Aveyron,  Tarn),  Lachamp  (Lozère,  Ardèche,  Drôme), 
La  Chalp,  La  Chatip,  La  Chau  (Alpes  et  Auvergne)  3.  Le  dic- 
tionnaire du  vieux  français,  de  Godefroy,  contient  les  mots 
chaumart,  s.  m.,  terre  inculte,  jachère,  i.  chaume,  s.  f.,  montagne, 
et  2.  chaume,  s.  f.,  le  chaume,  où  je  propose  de  traduire  par 
lande,  en  réunissant  les  deux  articles,  sauf  pour  un  exemple  : 
«  je  brusle  la  chaume  et  la  paille,  »  qui  est  de  tout  autre  na- 
ture, et  enfin  le  mot  chaumoi,  très  fréquent  dans  l'ancienne 
littérature  épique,  que  Godefroy  traduit  par  lieu  couvert  de 
chaume,  champ  moissonné,  et  auquel,  d'après  tous  les  exemples 
cités,  il  faut  évidemment  donner  le  sens  de  bruyère  *.  » 

Si  ce  dernier  rapprochement  est  exact,  chaumoi  étant  répandu 
dans  tout  le  Nord  de  la  France,  le  mot  simple  chaux  aurait  une 
fois  appartenu  à  tout  le  domaine  gallo-roman.  En  dehors  de 
ce  domaine,  je  ne  le  trouve  pas  dans  les  dictionnaires  courants, 
mais  Du  Gange  mentionne  (d'après  le  dictionnaire  de  l'Aca- 
démie), le  mot  espagnol  calma  =  ager  exilis  (c'est-à-dire  sec^ 


^  Un  0  final  équivaut  à  un  ancien  a  au  Midi. 

^  Le  ^  est  probablement  dû  à  une  influence  de  campus,  comme 
pense  M.  Thomas,  Romania  XXI,  9  n. 

3  Voir  encore  Littré,  Supplément,  sous  chaiimat  et  chaume,  i  et  2,  qu'il 
aurait  fallu  réunir  ;  Sachs-Villatte,  sous  chaumes  =  Steppen-Heide- 
lândereien  ;  Cotgrave,  A  Freuch-EngUsch  Dictionary,  16 lï,  chaumes  ::= 
desart  or  untilled  grounds  ;  lay  lands,  etc. 

*  M.  Thomas  {l.  c.)  avait  déjà  proposé  de  rattacher  chaumoi  à  notre 
mot  chaux.  En  effet,  comment  peut-on  identifier  avec  champ  moissonné 
le  passage  où  il  est  question  de  30000  Turcs  sur  un  caumoi{s),  ou 
celui-ci:  Romain  les  suient  a  desroi,  qui  par  chemin,  qui  par  chaumoi.  Le 
chaumoi  est  le  lieu  où  l'on  se  livre  bataille,  où  l'on  fait  un  camp,  etc. 
En  allemand,  on  traduirait  par  Brachfeld  ou  Heide. 


l'origine  du  kom  de  la  chaux-de-fonds  I  I 

ft  ab  omni  cultu  destitutus,  donc  bruyère,  ainsi  que  le  mot  ita- 
lien calma  (d'après  Ferrari,  et  sans  indication  précise  de  sens). 

Quelques  dérivés,  comme  Chaumaz  (Moudon,  Oron,  Cosso- 
nay, accentué  sur  l'a?),  Chaumet  (Morges,Echallens,Nyon,  etc.), 
Chaumette,  Chaumetta,  Chaumettes  (Payerne,  Nyon,  Auboime), 
viennent  corroborer  l'opinion  que  les  mots  Chaux,  Chautne,  s.  f., 
Cau?no,  Galm,  etc.  ne  forment  qu'une  famille.  Il  est  moins  cer- 
tain que  les  noms  contenant  uner.-  Charmet,  Charmilles,  Char- 
7noille,  Charmey,  etc.  en  fassent  partie.  Avant  de  se  prononcer 
il  faudrait  étudier  la  situation  topographique  des  endroits  por- 
tant ces  noms  et  se  rendre  compte  des  rapports  phonétiques 
entre  r  et  /  vocalisée  en  u.  Le  fait  est  que  le  mot  celtique 
balma,  grotte,  se  rencontre  sous  les  deux  formes  de  baume  et 
bar  ma,  le  latin  *  silvaticus  a  donné  au  Val-de-Ruz  suvadj^ 
et  en  Gruyère  chèrvddzo  ;  d'autres  mots  comme  alpe  n'appa- 
raissent jamais  avec  u,  etc.  Contentons-nous  pour  le  moment 
d'une  probabilité  de  parenté  entre  Chartnet  et  Chaux,  du 
moment  que  Chaumet  certifie  que  la  racine  devait  contenir 
une  m. 

Toutes  les  formes  rapportées  nous  reconduisent  à  un  hypothé- 
tique calm  ou  calma.  En  présence  de  cette  base,  l'étymologie 
callis  proposée  par  M.  Niedermann  doit  tomber.  Elle  ne  ren- 
ferme pas  Vm  que  postulent  rigoureusement  toutes  les  formes 
pleines,  ainsi  que  les  formes  latines  dont  il  sera  question  tout 
à  l'heure.  Par  rapport  au  sens,  callis  n'est  pas  non  plus  soute- 
nable.  M.  Niedermann  lui  donne  la  signification  de  pâturage 
dans  les  bois-,  qui  ne  convient  pas  du  tout  au  mot  chaux.  En 
latin,  callis  a  ordinairement  l'acception  de  sentier  dans  les 
montagnes,  dans  une  forêt,  chemin  de  pâturage  et  ne  signifie 
pâturage  que  grâce  à  une  métonymie  poétique.  C'est  aussi  dans 
le  sens  de  voie  ou  rue  qu'il  s'est  conservé  dans  les  langues 


*  Après  le  passage  de  il  à  al  (cf.  le  français  sauvage),  on  a  aZ  >  au 
>■  u,  cf.  saltare  =  sutn  et  la  forme  patoise  de  Chaumout:  Jchumon. 
-  Où  l'a-t-il  trouvée? 


12  L.    GAUCHAT 

romanes,  comme  l'on  sait.  Nos  patois  n'ont  plus  le  mot  simple, 
que  je  sache,  mais  le  dérivé  *  callare  >  tsalâ  =  faire  une  piste, 
ouvrir  un  chemin  dans  la  neige  (Valais),  et  le  substantif  /<? 
U/iâ/è,  f.,  voie  ouverte  dans  la  neige  (Jura  bernois).  Ce  mot  se 
retrouve  ailleurs,  cf.  ca/a,  même  sens,  Tessin,  chalô,  Lyon  (voir 
Puitspelu  Dict.  étym.),  châlée,  traînée  d'une  chose  qui  s'est  ré- 
pandue goutte  à  goutte,  ou  grain  à  grain,  ou  brin  à  brin,  Genève 
(Humbert),  etc.  i  ;  il  prouve  que  callis  a,  en  franco-provençal, 
le  même  sens  que  partout  ailleurs. 

M.  Jaccard  a  serré  le  problème  de  plus  près,  il  a  reconnu 
l'identité  de  Chaux  et  de  Galtn  2,  la  nécessité  de  supposer  une 
base  avec  m,  et  il  dispose  de  matériaux  toponymiques  très  riches. 
Mais  il  n'a  pas  été  assez  critique  vis-à-vis  de  ses  sources.  Il 
tire  Chaux,  avec  Gatschet,  Ortsetym.  Forschtmgen,  1867,  du 
«  bas  latin  calma,  qui  paraît  contracté  de  calamus,  chaume, 
signifiant  au  moyen  âge  tantôt  maison  couverte  de  chaume, 
tantôt:  1°  le  champ  de  céréales;  2°  la  prairie  nue,  les  champs 
étant  généralement  découverts  d'arbres;  3°  le  pâturage  élevé, 
au-dessus  de  la  région  des  arbres.  »  La  première  objection  qui 
se  présente  est  que  calma  ne  pourrait  aboutir  à  autre  chose 
qu'à  *  tsôma  dans  nos  patois,  Va  final  ne  tombant  jamais.  Notre 
j?^^' suppose  calme  (m)  comme  accusatif,  donc  une  forme  latine 
ou  latinisée  *calmis.  Le  groupe  Im  demande  dans  les  patois 
du  Nord  de  la  France  un  e  d'appui,  qui  est  absent  dans  les 
dialectes  du  Midi  3,  comparez  les  formes  suivantes  :  ulmu, 
psalmu,  scalmu,  alnu  (arbre),  helm  =:  fr.  orm^,  psaume 
échaume,  autie,  heaume,  vis-à-vis  du  provençal  psalm,  elm  *  (les 


*  Comparez  aussi  l'allemand  pjaden  =  ouvrir  un  chemin  dans  la 
neige. 

^  Le  nom  Scia\,  Cha\,  etc.  qu'il  fait  rentrer  dans  la  famille  de  Chaux 
dans  son  article  de  la  Ga\ette  de  Lausanne  du  17  juin  1901  n'a  rien  à 
voir  ici.  M.  Jaccard  l'a  reconnu  et  n'en  parle  plus  dans  ses  Etudes 
toponymiques. 

^  Voir  Thomas,  /.  c. 

*  On  trouve  cependant  aussi  psahnc,  elme. 


l'origine  du  nom  de  la  chaux-de-fonds  13 

autres  mots  paraissent  manquer).  La  Côte-d'Or,  comme  région 
intermédiaire  entre  le  Nord  et  le  Sud,  connaît  les  formes  avec 
ou  sans  e;  on  y  trouve  par  exemple  du  nom  Anshelmus  les 
doublets  Ansaume  et  Anseaus,  de  même  de  calmis  :  chaume  et 
chaux  ^ .  Pour  le  mot  chaux,  la  Suisse  romande  se  range  du  côté 
des  dialectes  méridionaux.  La  base  calma  n'en  existe  pas 
moins,  elle  est  attestée  par  la  variante  provençale  caumo,  et 
par  l'espagnol  et  l'italien  calma.  Elle  est  due  à  l'analogie  qui 
cherchait  à  donner  aux  féminins  en  e  de  la  troisième  décli- 
naison latine  la  terminaison  féminine  caractéristique  de  la 
première,  comparez  pulicem  >  pulica?n  >  esp.  pulga,  vau- 
àovà  piidzd ,  etc.  Mais  la  forme  primitive  est  bien  calmis,  s.  f., 
dont  calma  n'est  qu'une  déformation  tardive.  En  effet,  les 
exemples  allégués  par  M.  Jaccard  lui-même  2,  ainsi  in  calme 
Arlie  (1096,  Chaux  d'Allié  près  Pontarlier,  Cart.  de  Romain- 
môtier),  donnent  tous  in  calmQ,  ou  calmes,  pluriel.  La  seule 
fois  que  ce  mot  apparaît  dans  la  «  littérature  latine,  »  nous 
lisons  également  calmes,  pluriel  (dans  Grégoire  de  Tours,  6'"^ 
siècle).  C'est  l'exemple  le  plus  ancien  du  mot.  La  plus  ancienne 
traduction  se  trouve  dans  la  grammaire  provençale  Donatz 
proensals  d'Uc  Faidit  (environ  1240),  où  calms  est  expliqué 
par  planicies  siue  (lire  sine')  herba  =  plaine  aride  3.  Dans  Du 
Gange,  notre  mot  figure  sous  calmen,  chalms  et  calmis. 
L'article  calma  est  un  mélange  de  mots,  où  Du  Gange  lui- 
même  et  ses  commentateurs  se  contredisent.  Les  exemples  sont 
loin  d'être  clairs,  cependant  calma  y  signifie  tantôt  une  espèce 
àt  fortication,  tantôt  un  champ  de  blé.  Ce  sont  évidemment 
des  expressions  qu'aucun  lien  ne  rattache  à  chaux.  Dans  un 
seul  exemple  (forme  calmibus!)  on  peut  traduire  par  chaux. 
Dans  le  sens  de  champ,  calma  a  évidemment  un  rapport  avec 
calamus.  Mais  il  faut  renoncer  définitivement  à  l'identification 


'  Voir  Berthoud  et  Matruchot,  /.  c. 
*  Ils  sont  tirés  de  Gatschet. 
^  Edition  de  Stengel,  p.  41,  45. 


14  L.    GAUCHAT 

de  chaux  avec  ce  mot.  Le  genre  n'est  pas  le  même  ^  et,  quant 
au  sens,  il  est  très  difficile  de  partir  de  chaume  pour  arriver  à 
bruyère  2.  Les  exemples  de  Du  Cange  devront  être  augmentés 
et  étudiés  dans  les  textes  mêmes,  avant  qu'il  soit  permis  de  se 
prononcer  sur  les  différents  calma.  On  ne  gagne  rien  à  dériver 
un  mot  moderne  d'un  mot  bas  latin,  car  cela  ne  dispense  pas 
de  répondre  à  la  question:  d'où  vient  le  mot  bas  latin?  Pour 
la  plupart,  les  mots  des  chartes  médiévales  ne  représentent 
que  des  tentatives  plus  ou  moins  heureuses  de  latiniser  des 
expressions  romanes  inconnues  au  latin.  On  entend  prononcer 
chaume,  %.  f.,  et,  pour  affubler  tout  le  document  d'un  habit  latin, 
on  traduit  ch  par  c,  u  par  /,  e  par  a,  en  se  basant  sur  une  con- 
naissance des  plus  élémentaires  et  souvent  trompeuse  des  rela- 
tions entre  les  sons  romans  et  latins,  et  ainsi  naît  une  forme 
calma,  tout  arbitraire,  qui  n'a  peut-être  jamais  eu  d'existence 
réelle  dans  la  contrée.  Ces  mots  ne  sont  pas  plus  latins  que  les 
mots  feld-maréchal,  bourgmestre,  valkyrie,  etc.  ne  sont  fran- 
çais. 

Il  me  reste  à  émettre  une  hypothèse  sur  l'origine  de  calmis, 
s.  f.,  étendue  de  terre  inculte.  C'est  en  tout  cas  une  expression 
de  l'époque  anté-romaine.  Berthoud  et  Matruchot  lui  attribuent 
une  origine  ibère  ^  ;  je  n'en  comprends  pas  la  nécessité  et  j'y 


*  Le  Caume,  (Mistral)  est  peut-être  dû  à  une  confusion  populaire  avec 
calamus. 

2  II  faut  avoir  soin  également  d'écarter  le  mot  chômer  et  toute  sa  fa- 
mille. Dans  le  patois  de  la  Montagne  neuchâteloise,  il  a  existé  un  mot 
tchô,  s.  f.  équivalent  à  hutte,  maison  délabrée.  J'en  possède  plusieurs- 
exemples  ;  quelques-unes  des  Chaux  de  nos  cartes  pourraient  repré- 
senter ce  terme,  dont  j'ignore  l'origine.  On  peut  se  demander  si  le  mot 
chalet  n'en  est  pas  un  dérivé,  ou  s'il  remonte  à  callis.  De  toute  façon 
l'étymologie  casalittu  ne  me  satisfait  pas  :  chalet  ne  désigne  pas  tou- 
jours un  bâtiment,  et  je  ne  me  rappelle  pas  avoir  rencontré  de  vieilles- 
formes  chaslet,  etc.  Les  chartes  ont  généralement  chalettus. 

^  C'est  par  inadvertance  qu'ils  disent  ligure  à  la  page  23.  Cette  langue 
est  exclue  par  le  fait  que  le  mot  existe  en  Espagne.  Je  ne  l'ai  pas  non 
plus  retrouvé,  jusqu'ici,  dans  la  Haute-Italie. 


l'origine  du  nom  de  la  chaux-de-fonds  15 

verrais  plutôt  un  des  nombreux  mots  toponymiques  de  langue 
celtique,  témoins  de  notre  plus  ancienne  civilisation,  mais 
qu'il  est  si  malaisé  de  faire  parler,  dans  l'état  actuel  de  nos 
connaissances  fragmentaires. 

Pour  finir,  je  reviens  au  nom  de  la  Chaux-de-Fonds.  Ce  qu'il 
y  a  de  plus  mystérieux,  à  mon  avis,  c'est  le  o^zXxîiCdXxi  de-Fonds. 
Il  y  a  en  France,  je  ne  me  souviens  où,  une  localité  qui  s'écrit 
Chaux-de-font  et  dont  le  nom  est  tiré  de  chaude-font  ^  ;  cette 
explication  n'est  pas  valable  pour  l'endroit  neuchâtelois,  parce 
qu'il  n'y  a  pas  de  source  chaude,  et  que  les  patois  le  désignent 
généralement  tout  court  par  la  tchô.  Il  y  a  bien  une  source  à 
la  Chaux-de-Fonds,  et  la  Bonne  Fontaine  n'est  pas  éloignée, 
mais  pourquoi  ne  dit-on  pas  Chaux  de  la  Font,  comme  on 
devrait  s'y  attendre?  On  lit  déjà  Chault  de  Font  dans  un  docu- 
ment de  1378  (Matile,  Monuments,  p.  1064,  No  760),  La  forme 
bernoise  latchoudnfoung'^  ne  prouve  rien  par  son  r,  qui  est 
sûrement  adventice.  L'exemple  patois  de  la  Saboulée  de  Borgo- 
gfions,  Locle  1861,  p.  2  ;  /><?  robâ  et  spiâ  le  trè  f  Chaux,  de  si  a 
du  Fofid  à  s' la  d'è  Talirè  ^=  pour  piller  et  brûler  les  tro  i 
Chaux,  de  celle  du  fond  à  celle  des  Tallières,  paraît  indiquer 
qu'on  avait  l'habitude  de  mettre  en  relations  les  trois  Chaux  '^ 
des  Tallières,  du  Milieu  et  celle  qui  m'a  inspiré  cet  article, 
mais  alors  pourquoi  pas  du  Fond,  et  de  fait  la  Chaux-de-Fonds 
n'est  pas  située  au  fond  de  la  vallée  qui  conduit  de  la  Brévine 
au  Locle. 

Quand  je  visite  une  nouvelle  contrée  qui  me  plaît,  j'ai  tou- 
jours soin  d'en  laisser  un  coin  inexploré,  c'est  pour  avoir  un 
prétexte  de  retour.  L.  GauCHAT. 


'  Pour  le  genre,  comparez  les  noms  de  lieu  Lafont,  Bonnefont,  Belle- 
fotit,  Fonfrede  ;  fons  latin  est  du  masculin. 

^  Prononcez  ng  comme  dans  le  mot  allemand  Engel. 

^  Les  trois  chaux  les  plus  grandes  des  hauts  plateaux  neuchâtelois. 


■>»<:■ 


PRONOSTICS   ET    DICTONS    AGRICOLES 

Patois  du  Clos  du  Doubs  (Jura  bernois) 

-♦- 
I  I 

Tyin  djinvrP  anir  hnan  ïn  Quand  janvier  entre  com- 
ènyé,  èl  an  rpè^  hnan  ïn  me  un  agneau,  il  s'en  re- 
lou.  tourne  comme  un  loup. 

2  2 

Le  pyœdj'  dp  djinvrP  ranpyà         La  pluie  de  janvier  rem- 
•  h  spnitér.  plit  le  cimetière. 

3  3 

Le  Sin  Julyin  ro)i  le  yès.  La  Saint- Julien  (9  janvier) 

-  rompt  la  glace. 

4  4 

Sin  Antouin-n  sa  é  bé  ranpyâ  Saint- Antoine  (17  janvier) 
tyèv  é  véché.  sec  et  beau  remplit  caves  et 

tonneaux. 

5  5 

An  le  Sin  Finsan,  ib  djal  on  A  la  Saint -Vincent  (22 
tb  fan  ;  l'uvP  sp  rpran  ou  janvier),  tout  gèle  ou  tout 
bïn  s  ron  le  dan.  fend  ;    l'hiver    reprend     ou 

bien  se  brise  la  dent. 

6  6 

An  le  Sin  Finsan  syèr  djoiiin-         A  la  Saint -Vincent  claire 

ne   nb  prédi   in-n  bouin-n  journée     nous     prédit     une 

an-nè.  bonne  année. 

7  7 

Syè  mètïn  an  le  Sin  Finsan,  Clair  matin  à  la  Saint-Vin- 
brâman  dp  frut'  pb  tb  lé  cent,  beaucoup  de  fruits  pour 
djan.  tout  le  monde. 


PRONOSTICS    ET    DICTONS    AGRICOLES  I7 

8  8 

Sp  fpvrt^  à  tchâ,  krèf  bïn  tb  Si  février  est  chaud,  croyez 

tchâ  h  pb  b  pu  chur  Pety'  bien  sans  hésiter  que  très  sû- 

hrt  frouèdur.  rement  Pâques  aura  froidure. 

9  9 

Le  notiè  d  jdvrï^  èmouin-n  in  La  neige  de  février  amène 

bê  tchâtan.  un  bel  été. 

10  10 

5^  fpvrî'  fi'â  p'  ïn  pô  froiiè,  Si    février    n'est    pas    un 

triârs  hey  trb  d  Prb  é  tchin.  peu  froid,  mars  donne  trop 

d'herbe  aux  champs. 

11  II 

Syou  dp  fpvrP   ?i    vè   p'    â  Fleur   de  février  ne  con- 

pbmF.  vient  pas  au  pommier. 

12  12 

Tyin  fpvrP  n'a  p'  èyâl,  mâr  Quand    février   n'est   pas 

je  bécht'  lé-i-àl.  exigeant,    mars    fait    baisser 

les  ailes. 

FpvrF   de  ranpyàtr'  lé  fbse,  Février    doit    remplir    les 

mars  souètchî'  le  drPr  goii-  fossés,  mars    sécher  la  der- 

gnè.  nière  gorgée. 

14  14 

Djniè  né  pèse  fpvrP  sin  grp-  Jamais    février    n'a    passé 

jèlP  fœyP.  sans  groseiller  feuille. 

L'evou'm-n  dp  jpvrP  je  Iran-  L'avoine    de    février    fait 

bye  h  sblV.  trembler  le  «  solier  ». 

16  16 

E  va  mœ  vôû'r  ïn  1er  â  dy^-  Il  vaut  mieux  voir  un  vo- 

nï^  k'ïn  an-n  an  tchmij  an  leur  au  grenier  qu'un  homme 

jpvrV.  en  [manches  de]  chemise  en 

février. 


i8 


J.   SURDEZ 


17 

An  le  Tchindlou  lé  grô  ma. 


17 
A    la    Chandeleur    (2    fé- 
vrier), les  grands  maux. 


S  h  mars  kov,    an  l  se  edé,         Ce   que   mars   couve,   on 
èpré    son    irant    è    unFm     le   sait  toujours,    après    son 


djoué. 

Mars  sa,  evri  mo. 

20 

Mars  gri,  evri  pyœdjou  fin 
bouin-n  an-ne. 

21 
An  mars   tyin  è  touin-n,    le 
nbvèl   n'a  p'   bouin-n  ;   h 
jèrmî^  di  :   là  moue  !  nb- 
T^-èrin  dé  pè  moue. 

22 
An  mars  tyin  è  touin-n,  tché- 
tyiin  s'an-n-érney;  an-n-èvri 
tyin  è  touin-n,  ïn-n-érâ  sbli 
bèy. 

23 

Brusâl  dp  mars,  pyœdj  d'èvri, 
rô:(e  dp  mé,  fin  h  moue  dp 
sèptanbr  é  d'à  dye. 


24 
Brusâl  an  mûrs,  djalè  an  mé, 
lé  syou  an   mars  np  s'an 
mésouin-nyan  p'. 


trente  et  unième  jour. 

19 
Mars  SQC,  avril  mouillé. 

20 

Mars  gris,   avril  pluvieux 
donnent   une    bonne  année. 

21 
En  mars    quand  il  tonne^ 
la  nouvelle  n'est  pas  bonne  ; 
le  fermier  dit  :  Hélas  !  nous 
aurons  de  vilains  mois. 

22 
En  mars  "quand   il  tonne, 
chacun  s'en  effraye  ;  en  avril 
quand  il  tonne,  grande   ré- 
colte cela  donne. 

23 
Brouillards  de  mars,  pluie 
d'avril,  rosée  de  mai,  font  le 
mois  de  septembre  et  d'août 
gai. 

24 
Brouillards  en  mars,  gelée 
en   mai,  les  fleurs   de  mars 
ne  s'en  soucient  pas. 


PRONOSTICS    ET    DICTONS   AGRICOLES  I9 

Mars'  ou'rouèyou,  èvri  é  nié  Mars  venteux,  avril  et  mai 

pyœdjou,  djuïn  din  U  icha-  pluvieux,  juin  dans  les  cha- 

loUy  h  pèi^iii  â  ècharF  in-n  leurs,  le  paysan  est  assuré  de 

bouin-n  sbp'  dp  mindji'.  manger  une  bonne  soupe. 

26  26 

An   le  Sin-î-Obin,  lé   mbton  A     la     Saint -Aubin     (i" 

son  tonju.  mars),    les     moutons    sont 

tondus. 

27  27 

Lé  mbton  h  n  son  p'  tonju  Les  moutons  qui  ne  sont 

ayi  le  Sin-t-Obin  din  l'étr  pas  tondus  à  la  Saint- Aubin 

an  le  Sin  Grégonèr'.  doivent  l'être  à  la  Saint-Gré- 
goire. 

28  28 

An   pœ   vouin-nyF    din    lé-  On  peut  semer  dans   les 

l'Evan,    min    nd  fâ    dîr  Avents,  mais  il  ne  faut  rien 

é-^-aJin  ran.  dire  aux  enfants. 

29  29 

Le  syou  d'èvri,  fin  pe  ïn  fié.  La  fleur  d'avril  tient  par 

un  fil. 

30  30 

Moue  d'èvri,  moue  d'èbini.  Mois  d'avril,  mois  d'abîme. 

31  31 

In  bon  èvri,  ïn  tchétyiin  ri.  Bon  avril,  chacun  rit. 

32  32 

Bouèrb'  an-n-èvri,  à  tchâtan  Boue  en  avril,  en  été  des 

dé-^-épi.  épis. 

33  33 
An-n-èvri  bruè,  an  nié  roT^e.  En    avril   averses,  en  mai 

rosées. 

34  34 

Le  nouèdj'  â  moue  d'èvri,  s'a  La  neige  au  mois  d'avril, 

di  pmJ'.  c'est  du  fumier. 


20  J.    SURDEZ 

35  35 

S'è  touin-n  à  moue  d'èvri,  S'il  tonne  au  mois  d'avril, 
/  pèiiin  s  de  rédjouéi.  le  paysan  doit  se  réjouir. 

36  36 

Djàtchon    d'èvri    bot  p6   à  Pousses     d'avril    mettent 

tchèri.  peu  de  chose    à   la   remise 

(au  grenier). 

^37  37 

Le  pyœdj   d'èvrt   ranpyâ    lé         La  pluie  d'avril  remplit  les 

koué  (ou  lé  dy^nP).  compartiments  de  la  grange 

{ou  les  greniers). 

38  38 

Ld  prpntî'  d'èvri,  è  fâ  k  lé  Le  premier  avril,  il  faut 
kouinson  boueyœchïn  chu  lé  que  les  pinsons  boivent  sur 
bou'tchè.  les  buissons. 

39  ^  39 

È  7i'y  é  p'  dp  moue  d'èvri  chp         II  n'y  a  pas  de  mois  d'a- 

bé,  k  n'èyéch'  dp  gralnat'  vril  si  beau  qui  n'ait  de  gré- 

son  tchèpê.  sil  son  chapeau. 

40  40 

Np  rot'  pp  ïn  ptp  flè  tin  k'èvri  N'enlève  pas  un  petit  fil 
n'a  p'  pésè.  tant  qu'avril  n'est  pas  passé. 

,41  41 

È  n'y  é  p'  d'èvri  sin  épi.  Il  n'y  a  pas   d'avril   sans 

épi. 

42  42 

Èvri  don  kp  vir  à  Ip  pé  dp  tu.         Avril  doux  qui  change  est 

le  pire  de  tous. 

43  ^  43 

Ar«'  an-n-èvri,  rô^è  an  mé.  Nuages  en  avril,  rosée  en 

mai. 

44  44 

S'è  pyœ  an  le  Sin  Mark,  ?ii  S'il  pleut  à  la  Saint-Marc 
pm',  ni  se.  (25     avril),    ni    paniers,    ni 

sacs. 


PRONOSTICS    ET    DICTONS   AGRICOLES  21 

45  45 

S'è  pyœ  h  prpmP  mé,  lé  kouin  S'il  pleut  le  premier  mai, 

son  tyœyè.  les  coings  sont  cueillis. 

46  46 

Tyin  è  pyœ   h   ira   mé,  dp  Quand  il  pleut  le   3   mai, 

nouch'  pP  p'  in  dysné.  de  noix  pas  seulement  une 

amande. 

47  47  ^ 
Djaîè  dp  mé  ou  d'èvri,  le  mi-  Gelée  de   mai   ou  d'avril, 

^(?r  â  djœt  prédi.  la  misère  au  juste  prédit. 

48  48 

A  mouétan  d  mé,  le  fin  dp  Au  milieu  de  mai,  la  fin 

l'uvî^.  de  l'hiver, 

49  49 

A  inouè  d  mé  po  bin  rtyédr'.  Au    mois    de    mai    pour 

è  n  dèrè  djpme  pyœvr\  bien  récolter,   il   ne  devrait 

jamais  pleuvoir. 

50  ^  50 

Tchad  é  dons'  pyœdj'  dp  mé  Chaude  et  douce  pluie  de 

fè  lé  syou  bel  é  l'épi  bé.  mai  fait  la  fleur  belle  et  l'épi 

beau. 

51  51 

Mé  djouèyœ,  tpnyin   dé  dou.  Mai    joyeux,    tenant    des 

préièdj  in-n-an    bïn-nèvu-  deux,  présage    un   an  bien- 

rou.  heureux. 

52  .  ^^ 

Frà   mé,    tchâ   djuin,    bèyan  Mai  frais,  juin  chaud,  don- 

pin  é  vin,  min  froiiè  nan-  nent  pain  et  vin,  mais  froid, 

rétchâ  nyiin.  il  n'enrichit  personne. 

51          ^  5?> 

An   le  syou  dp  mé,  k'an  s'i  A  la  fleur  de  mai,  qu'on 

fyœch'  èdé.  s'y  fie  toujours. 

54  54 

Mé  dyèdjnP  anpya  lé  dfnP.  Mai    jardinier    emplit    les 

greniers. 


2  3  J.    SURDEZ 

55  55 

An  mé,  byè  é  vïn  krachan.  En  mai,  blé  et  vin  croissent, 

56  '  .     .      56 

Mé  je  ou  hin  défè.  Mai  fait  ou  bien  défait. 

57  ^  .     ^7 

An  mé  stu  Va  anft'vre,  tb  En  mai  celui  qui  est  en- 
Van  à  bïn  désidè.  fiévré,  est  de  bonne  humeur 

toute  l'année. 

58  _  58 

Pyint'  mp  tô,  pyint'  nip  te,  Plante-moi  tôt,  plante-moi 
dvin  l  moue  d  mé  i  n  trî'-  tard,  avant  le  mois  de  mai,  je 
drè  p' .  ne  pousserai  pas.  (Se  dit  en 

parlant  des  pommes  de  terre.) 

59  59 

Du'  no  vouèdjœch'  di  pousa  Dieu  nous  garde  de  la 
dp  tnéè  p9  d  le  houèrb'  d'ô.      poussière  de    mai  et   de    la 

boue  d'août. 

60  60 

Mé  je  h  byè  é  djuïn  b  fouin.         Mai  fait  le  blé  et  juin  le 

foin. 

61  61 

Pant'kot,  frè^  an  le  kot.  Pentecôte,  fraises  dans  la 

forêt. 

62  62 

Bé  tan  an  djuïn,  èvâlé  d  Beau  temps  en  juin,  ava- 
grin-n.  lanche  de  grain. 

63  63 

S'è  pyœ  tb  pré  dp  le  Sin  Méde,  S'il  pleut  tout  près  de  la 
h  tP  dé  bïn  à  an  l'éie.  Saint-Médard    (8    juin) ,    le 

tiers  des  biens  est  en  danger. 

64  64 

S'è  pyœ  h  djoué  dp  le  Sin  S'il  pleut  le  jour  de  la 
Méde,  è  pyœ  karant'  djoué  Saint-Médard,  il  pleut  qua- 
èpré...  kèk  pè.  rante  jours  après...  quelque 

part. 


OJUA    DE  TSALANDÈ                                             23 

65  65 

S'è  pyœïn  djoué  ds  Sin  Djèrvè,  S'il  pleut  un  jour  de  Saint- 

s'â  hrm^y  sin-ny'  pb  lé  byè.  Gervais  (19  juin),  c'est  mau- 
vais signe  pour  les  blés. 

66  66 

Le  pyœdj  dp  le  Sin  Djin  tïn  La  pluie  de  la  Saint- Jean 

Io7iîan.  (24  juin)  dure  longtemps. 

67  67 

An    le    Sïn    Djin    le   pyœdj  A   la  Saint -Jean,   la  pluie 

pœrd  le  nœjèy.  pourrit  la  noisette. 

{A  suivre.)  J.  Surdez. 


TEXTES 
I.  Djua  de  Tsalandè. 

Patois  ue  Leysin  (Vaud). 

La  vèdp  de  Tsaland'a  itô  de  to  ta  la  nièdœu  né  de  tb  l'an 
pbr  se  Jér9  drè,  u  bin  po''  vàrp  son  sor.  El  9  pbr  sa  ks  h 
fémalè  sèr:(âivon  tbd^b  ^a  né  intyè  pbr  savâi  sd  09  se  marye-  ^ 
ran,  aoiié  ko,  è  k9mà  luàr  onib  s  are.  Don,  âa  vèd9  de  Tsa- 
land',  è  faèâi  falà  bna  kon9tàirya  de  fi  du  ta  kp  h  rètré  chd- 
nâvè,  è  poui  alà  oètà  âa  kou9tâi?ya  a  katson  è  a  nbvèyo)i 

TRADUCTION 
Jeux  de  Noël. 

La  veille  de  Noël  a  été  de  tout  temps  la  meilleure  nuit  de 
toute  l'année  pour  se  faire  dire,  ou  bien  pour  voir  son  sort 
(avenir).  C'est  pour  cela  que  les  femmes  choisissaient  toujours 
cette  nuit-là  pour  savoir  si  elles  se  marieraient,  avec  qui,  et 
comment  leur  mari  serait.  Donc,  cette  veille  de  Noël,  il  fallait 
filer  une  aiguillée  de  fil  pendant  que  la  «  retraite  »  (les  cloches) 
sonnait,  puis  aller  attacher  cette  aiguillée,  en  cachette  et  sans 


24  A.    NEVEU 

à-n-ma  krouàija  de  tspmin.  Lp  prarni  kp  pasavè  è  h  rontài 
Id  fi  irè  se  h  dg  maryèran.  Aspbin,  pb*'  savâi  sp  l'bmb  sarè  bè 
Il  poup,  bon  u  krouyb,  è  fadâi  alà,  u  kou  de  la  miné,  ipri  bn'p- 
tala  a  la  iitsè.  Sp  l'ptala  îrè  bala  drâitè,  l'bmb  dèvâi  étf^  bin 
fé  è  binvpnyà.  Sp  l'ptala  îrè  mphkbrba  u  bin  rbnyœu:(a, 
l'bmb  dèvâi  étr  poup-t-è  krâiyb.  Kan  l'pîala  îrè  tprya,  on-n- 
alâvè  boupsi  a  la  porta  du  bouatson.  Sp  Ip  hayon  np  dp^âi  rà, 
l'bmb  dèvâi  étr^  de  bon  kpman  è  pâ  pyornb.  Sp  Ip  kayon 
ronnavè,  l'bmb  np  sarè  tyè  on  ronnèré  tbd:(b  de  poupta  trafyon, 
E  fô  bin  drè  kp  la  boupn  âpartya  du  ta,  Ip  fèmalè  se 
vèdjvon  de  np  pâ  boupsi  troua  fèrmb  è  h  pourb  kayon  np  se 
rèvèdivè  pa  pi.  U  d:(b*'  de  ouâi,  tui  âœu  djua  de  Tsaland? 
son  aboupli,  ubin  yà-n-a  épai  di  mârka  à  djua  kp  fondon  lou 
pêon  pbr  pasâ  Ip  ta  é-:{-àfan. 

A.  Neveu. 


lumière,  à  une  croisée  de  chemins.  Le  premier  qui  passait  et 
qui  cassait  le  fil  était  celui  qu'elles  épouseraient.  Aussi  pour 
savoir  si  le  mari  serait  beau  ou  vilain,  bon  ou  mauvais,  il  fallait 
aller,  au  coup  de  minuit,  tirer  une  bûche  au  tas  de  bois.  Si  la 
bûche  était  belle  droite,  le  mari  devait  être  bien  fait  et  avenant. 
Si  la  bûche  était  tordue  ou  rugueuse,  le  mari  devait  être  laid 
et  mauvais.  Quand  la  bûche  était  tirée,  on  allait  frapper  à  la 
porte  de  l'étable  à  porcs.  Si  le  cochon  ne  disait  rien,  le  mari 
devait  être  facile  à  mener  et  pas  grincheux.  Si  le  cochon  gro- 
gnait, le  mari  ne  serait  qu'un  grondeur,  toujours  de  mauvaise 
humeur.  Il  faut  bien  dire  que  la  plupart  du  temps  les  femmes 
prenaient  garde  [litt.  se  veillaient)  de  ne  pas  frapper  trop  fort 
et  le  pauvre  cochon  ne  se  réveillait  pas  même.  Aujourd'hui, 
tous  ces  jeux  de  Noël  sont  abolis,  ou  bien  il  y  en  a  peut-être 
encore  de  temps  en  temps  {lilt.  de  marque  en  jeu)  qui  <■<  fon- 
dent les  plombs  »  pour  passer  le  temps  aux  enfants. 


KATILYON    LA    CHORCHYERE  25 

II.  Katilyon  la  chorchyérg. 

Patois  de  Villargiroud  (Fribourg)*. 

Cb'in  parle  adi  kôtyè  hou,  de  Katilyon  de  Vpïâvblâ,  la 
chbrchyérp.  Pare  kp  yirè  galyâ  ouna  krouyp  d:^an.  Lè-j-an^yan 
kontâvon  k'jrè  ouna  pitita  vilyd,  ratatinâyp,  bouatœjp  din 
duvè  pâ,  è,  krin-you  bin,  on  bbkon  bà'iyÇ-  Ma  lavin  din  jyè 
kp  pèrxyivan,  è  pu....  ouna  lanvotia,  kpman  tblè  bon  de  cha 
choârta. 

On  d:;;^oa,  lin-y-a  fèrmou  grantin,  chan  U  jon  in  dyijp-cha- 
âan  è  kôtyè,  chta  jèmala,  k'irè  îbtèvi  jon  tyè  ouna  rôdœjp, 
—  /  alâvè  in  demandait  l'èrmon-na  dpché  dplé,  —  chè  tràve 
tbta  dèjèchpèrâyp.  I  pachâvè  dyuchtaman  pè  on  bon,  tb  pri 
de  Vplad^^prou  ;  ché  pâ  ch'irè  Ion  bon  de  Chond:(i  ôbin  chi  dP 
Fâtp  ;  anfin,  n'inpoârtè  !   Tb  d'on  kou,  lou  dyâblyou  lin-y-è 


TRADUCTION 
Catillon  la  sorcière. 

Il  s'en  parle  encore  quelquefois  de  Catillon  de  Villarvolard, 
la  sorcière.  Il  paraît  que  c'était  une  très  mauvaise  personne. 
Les  «  anciens  »  (vieillards)  racontaient  que  c'était  une  petite 
vieille,  ratatinée,  boiteuse  des  deux  côtés,  et,  je  crois  bien, 
passablement  bossue.  Mais  elle  avait  des  yeux  qui  perçaient, 
et  puis....  une  langue,  comme  toutes  celles  de  sa  sorte. 

Un  jour,  il  y  a  très  longtemps,  ça  a  été  (////.  est  eu)  en  1700 
et  quelques,  cette  femme,  qui  n'avait  toujours  été  qu'une  rô- 
deuse, —  elle  allait  en  demandant  l'aumône  de  ci  de  là,  —  se 
trouve  toute  désespérée.  Elle  passait  justement  par  un  bois, 
tout  près  de  Villargiroud;  je  ne  sais  si  c'était  le  bois  du  Saulgy 
ou  bien  celui  de  Faitaz;  enfin,  n'importe.  Tout  d'un  coup,  le 
diable  lui  apparut.  C'était  comme  ça  un  gros  homme  noir,  vêtu 


20  R.    CHASSOT 

aparti.  Irè  dinchp  on  grô-l-omou  nâ,  vuûu  là  blé,  avoiiin 
don  trb  de  koarnè  chu  la  liâa,  din  pi  de  vatsp,  dm  nian 
chetsè,  din  grôchè  tâpyè  kp  lavan  din-j-onlyè  d'ouna  grantyâ 
èpôvantâblya. 

Lou  dyâblyou  la  dp  a  no'&a  Katilyon  h  chp  vblin  chè  balyi  a 
li,  lin  pâyèi'in,  ib-i-a  l'ara,  trè-j-èku  blyan.  Katilyon,  kp  yirè 
din  la  pp  granta  din  mijérè,  e  kp  veyin  xi^^'i  ^^  mon-nâya 
intrè  le  dâ  de  Griboulyp,  la  honchanti.  Adon,  lou  dyâblyou  la 
fin  on-n-èkri  kp  Katilyon  la  chinyi  de  chon  chan.  Inkp  du  kan 
nb-j-an  joji  la  chbrchyérp  ! 

Le  du  adon  kp  la  fin  tan  de  ntijérp  in  7}ibd:(ounâ'^  kp  paâou- 
râvan  pè  lou  D^iblyà,  nyibin  in  païjan  don  bâ.  I  fachin  a 
brètsi  lou  laêi  dan  la  tsondârp,  i  mônétin-yivè  Vivoue  don 
tsalè,  intsèrin-yivè  ti  bon  kp  rakontrâvè.  Din  kou,  i  balyivè  lou 
mô  in  biêè,  è  le  fachin  a  chètsi.  I  fachin  chan  avouin  ounèch- 
péchp  de  gréchp  kp  pbrtâvè  dan  chon  kratou  ^.  Din  kou,  achp- 

tout  bleu,  avec  deux  bouts  de  cornes  sur  la  tête,  des  pieds  de 
vache,  des  mains  sèches,  de  grosses  pattes  qui  avaient  des 
ongles  d'une  longueur  épouvantable. 

Le  diable  a  dit  à  notre  Catillon  que  si  elle  voulait  se  donner  à 
lui,  il  lui  payerait  immédiatement  trois  écus  blancs.  Catillon, 
qui  était  dans  la  plus  grande  des  misères  et  qui  voyait  briller 
la  monnaie  entre  les  doigts  de  «  Gribouille  »,  a  consenti.  Alors, 
le  diable  a  fait  un  écrit  que  Catillon  a  signé  de  son  sang.  Voilà 
depuis  quand  nous  avons  eu  la  sorcière!  C'est  depuis  lors 
qu'elle  a  fait  tant  de  misères  aux  pâtres  qui  pâturaient  par  le 
Gibloux,  même  aux  paysans  du  bas.  Elle  faisait  tourner  le  lait 
dans  la  chaudière,  elle  salissait  l'eau  du  chalet,  ensorcelait  tous 
ceux  qu'elle  rencontrait.  Parfois  elle  donnait  le  mal  aux  bêtes 
et  les  faisait  sécher.  Elle  faisait  cela  avec  une  espèce  de  graisse 
qu'elle  portait  dans  son  panier.  Parfois  aussi,  quand  elle  était 


KATILYON    LA    CHORCHYERE  27 

bin,  kan  yirè  achitayè  chu  cha  pyèra  *,  on  déchu  de  Fplachou- 
rya,  i  fachin  a  pydvâ,  a  grinld,  a  tounâ  chu  le  Kuètsou  ^. 
Ha  pouta  bi'âp  de  d:(an  chè  puin  achpbin  isand:(i  in  lâvra.  Le 
nyibin  jon,  on  yâd^ou,  blyochya  pèr  on  tsaxyâ,  on  kptsè  de 
V9lad:{3rou.  On  choa  de  la  né,  alavè  a  la  chyèta,  on  pou  ché 
on  pou  lé,  dan  din  bon  échkârtâ,  yô  lou  dyâblyou  chè  trbvâvè 
îbtèvi  in-n-omou  nâ.  —  Pb  fourni,  Katilyon  le  jon  lyètâyp. 
L'an  djudja  è  le  jon  kondanâyp  a  i^rp  bourlâyp. 

R.  Chassot. 

assise  sur  sa  pierre,  au-dessus  de  Villarsiviriaux,  elle  faisait 
pleuvoir,  grêler,  tonner  sur  les  «  Kuetzôu.  »  Cette  «  vilaine  bête 
de  gens  »  pouvait  aussi  se  changer  en  lièvre.  Elle  a  même  une 
fois  été  blessée  par  un  chasseur  au  sommet  de  Villargiroud. 
Au  milieu  de  la  nuit,  elle  allait  au  sabbat  un  peu  ci,  un  peu  là, 
dans  les  bois  écartés,  où  le  diable  se  trouvait  toujours  en 
homme  noir.  Pour  finir,  Catillon  a  été  prise.  On  l'a  jugée  et  elle 
a  été  condamnée  à  être  brûlée. 


^  Ce  dialecte  est  caractérisé  par  la  transformation  des  anciennes 
diphtongues  ey  et  oou  en  in  et  on,  comp.  les  formes  krin-you,  avin,  dût, 
etc.,  et  hon,  U  jon,  tsondcira,  etc. 

2  Màd-otmâ,  pâtre  qui  garde  surtout  les  génisses,  on  dit  aussi  vajilyâ. 

^  Krntou,  panier  à  cerises  de  forme  ovale. 

*  Il  existe  au  Gibloux  une  pierre  qui  porte  le  nom  de  Pierre  à  Ca- 
tillon. Les  gens  disent  qu'elle  servait  de  siège  à  la  sorcière. 

5  Kuètsou,  surnom  donné  aux  Giblousains,  Glânois  et  Sarinois. 


ADDITIONS  AUX    PROVERBES  DE   LENS 

(Cf.  Bulletin,  III,  pp.  3  et  23). 
— î<- 

Durant  un  séjour  à  Lens  (Valais),  au  mois  de  juillet 
1903,  j'ai  pu,  grâce  à  l'obligeance  de  mon  aimable  hôte, 
le  peintre  Albert  Muret,  et  du  châtelain  '  J.-B.  Studer, 
député  au  Grand  Conseil  du  Valais,  obtenir  quelques  éclair- 
cissements concernant  certains  des  proverbes  et  dictons 
recueillis  par  le  regretté  PfeifFer,  et  en  recueillir  moi-même 
trois  nouveaux.  Je  publie  les  résultats  de  ma  petite  enquête 
sous  les  numéros  assignés  dans  notre  Bulletin  aux  pro- 
verbes déjà  imprimés.  Les  nouveaux  venus  prendront 
place  à  la  suite,  sous  les  numéros  92,  ^t,  et  94.  En  les 
transcrivant  pour  le  Bulletin,  je  me  suis  conformé  autant 
que  possible  à  la  notation  adoptée  par  M.  Jeanjaquet,  bien 
que  mon  oreille,  moins  exercée,  n'ait  pas  toujours  perçu 
les  mêmes  nuances  de  son  que  la  sienne.  J'ai  cru  bien  faire 
en  y  marquant  toujours  l'accent. 

24.  Vtny9  di  ryônJ9,  pra  di  tèndôn,  tsan  di  tsardôn,  — 
Oiiârda  h  ïn  ta  mîjôn. 

Le  mot  tendon,  tombé  en  désuétude  à  Lens,  est  employé 
dans  les  villages  voisins,  notamment  à  Grône,  pour  dési- 
gner l'esparcette. 

25.  Pouâ  mè  ou  ryon,  fbchbrà  mè  prèori,  —  Vô  fari  rir  è 
tsan  ta  d'outon. 

Taillez-moi  en  rond,  fossûjez-m  01  profond,  je  vous  ferai  rire 
et  chanter  en  automne  [dit  la  vigne  aux  vignerons]. 


^  Tsahdlan,  nom  donné  dans  une  partie  des  communes  valaisannes 
au  juge  de  paix,  élu  par  le  suffrage  universel. 


ADDITIONS    AUX    PROVERBES    DE    LENS  29 

Ici  ma  transcription,  aussi  bien  que  ma  traduction,  s'écar- 
tent de  propos  délibéré  de  celles  qui  ont  été  données  pré- 
cédemment. L'a  final  de  pouâ,  fochorâ,  a  le  même  son  d'^ 
que  celui  de  ^a/^  au  n°  20:  M.  Studer  m'en  est  garant'. 
Ces  verbes  sont  à  la  deuxième  personne  du  pluriel,  comme 
en  témoigne  l'accent  mis  à  poua  par  le  précédent  éditeur,  et 
ont  été  traduits  à  tort  au  singulier. 

Pouâ  ou  ryon  est  une  expression  technique  par  laquelle 
les  vignerons  de  la  région  désignent  la  taille  ronde  que 
l'on  fait  avec  le  sécateur,  «  par  opposition  à  la  taille  très 
allongée,  en  biseau,  que  l'on  faisait  habituellement  avec 
la  serpette.  »  Avec  le  premier  mode  de  faire,  «  la  sur- 
face vive  exposée  à  l'air  est  moins  grande  »  qu'avec  le 
second,  et  «  le  sarment  court  moins  de  risque  d'être 
carié  -.  » 

M™'  Odin,  se  fondant  sur  l'usage  du  patois  de  Blonay 
(Vaud),  dont  elle  va  publier  un  Glossaire  dans  les  Mémoires 
et  Documents  de  la  Société  d'histoire  de  la  Suisse  romande, 
supposait  que  les  mots  ou  ryon  pouvaient  désigner  la  pleine 
lune,  «  le  rond  de  la  lune.  »  Mais  cette  ingénieuse  explica- 
tion est  inadmissible,  parce  que  jadis  les  vignerons  lensards 
croyaient,  au  contraire,  que  la  taille  de  la  vigne  ne  devait 
pas  avoir  lieu  à  la  pleine  lune. 

Au  surplus,  la  version  anniviarde  de  notre  proverbe  ^  con- 
corde parfaitement  avec  les  explications  qu'on  m'a  fournies 
à  Lens  : 

'  J'entends  ce  même  â  à  l'infinitif,  et  M.  Studer  le  transcrit  également 
par  â. 

'  Lettre  de  M.  Studer,  en  date  du  30  novembre  1904. 

^  Gilliéron,  Proverbes  de  Vissoie,  en  manuscrit  au  bureau  du  Glossaire. 
Cf.  Jegerlehner,  Das  Val  d'Anniviers  (Bern,  1904),  p.  75.  A  la  même 
page  on  trouvera  une  variante  anniviarde  du  numéro  11  de  la  collec- 
tion Pfeiffer. 


30  ERNEST    MURET 

Pûuâ  mè  rybn',  fbcho°'^ra  me  prèvon,  èlouanyi  niè  de 
moun'  par,  èyo  d'ouktbn,  yb  tè  fari  rigré  è  tsanîâ. 

Taille-moi  rond  (avec  incision  nette),  fossoie-moi  profond, 
éloigne-moi  de  mon  pair,  et  moi  en  automne  je  te  ferai  rire  et 
chanter. 

A  Lens,  après  les  mots  fbchbrâ  mè  prèçn  on  ajoute  sou- 
vent: màsdrâ  me  ou  fon  (noircissez-moi  au  fond),  c'est-à- 
dire  :  «  mettez  beaucoup  d'engrais  au  fond  du  sillon  ouvert 
par  le  fossoyage.  »  Màsdrâ  signifie  «  mâchurer,  noircir;  » 
et  l'on  «  dit  communément  »  à  Lens  «  qu'une  vigne  est 
noire  de  fumier  pour  dire  que  l'engrais  y  abonde  ^  » 

27.  R9tso  ïn  rb:^o,  rdtso  ïn  Kran,  rplso  pèr  an. 

Il  n'est  pas  tout  à  fait  exact  de  dire  que  «  celui  qui  pos- 
sède des  vignes  plantées  en  rouge  et  qui  a  des  terres  »  sur 
le  plateau  de  Crans  «  aura  de  bonnes  récoltes,  mais  incer- 
taines. »  Car  ces  récoltes  passent  pour  être  plus  souvent 
misérables  que  satisfaisantes. 

29  et  30.  Au  n"'  29,  le  pronom  possessif  de  la  deuxième 
personne  a,  au  féminin  pluriel,  la  forme  ton;  au  n°  30,  la 
forme  tp:  tou  vïnya,  t9  pomètp.  «  Les  deux  formes,  m'écrit 
M.  Studer,  sont  en  usage  au  féminin  pluriel,  et  on  les 
emploie  indifféremment.  Il  semble  toutefois  que  la  forme 
te  devrait  être  préférée.  » 

92.  A  chis  apbndoup  —  h  dyablyb  i  è  kbnyoup. 
A  sourcils  joints  le  diable  y  est  connu. 

Le  substantif  chis,  employé  seulement  au  pluriel,  signifie 
«  cils  »  et  «  sourcils.  »  On  sait  que  les  sourcils  joints  sont 
assez  généralement  considérés  comme  un  indice  de  méchan- 
ceté. 

1  Lettre  de  M.  Studer,  en  date  du  16  décembre  1904. 


COMPTE    RENDU  3I 

93.  Z(?  isïn  chïn  ka°"oua y  an  pâ  pouird  dp  mbhrâ  là  koiip. 
Les  chiens  sans  queue  n'ont  pas  peur  de  montrer  le  cul  *. 

94.  Oiin  karoufp  le  fhi9,  è  oun  krp  kontrd,  pb  kp  léj  àirb 
ch'apèrchçychan  pâ  ky  oun  h  lanmp. 

On  caresse  les  femmes,  —  et  on  en  dit  du  mal,  pour  que 
les  autres  ne  s'aperçoivent  pas  qu'on  les  aime. 

Lanmp  est  la  y  personne  du  singulier  de  l'indicatif  présent 

du  verbe  lanmâ.  A  Hérémence,  «  aimer  »  se  dit  également 

lanma.  Y  a-t-il  eu  agglutination  du  pronom  régime  de  la 

troisième  personne^    ou   influence   d'un    autre    mot?  Un 

mieux  informé  saura  peut-être  le  dire. 

Ernest  Muret. 

— ►>4'<- — 

COMPTE  RENDU 

Historiettes    patoises    amusantes.    Delémont,    Grobéty    et 
Membrez,  1904.  79  pages  in- 12.  —  Prix:  50  centimes. 

Si  le  patois  s'en  va,  il  n'est  cependant  pas  mort  et  conserve 
encore  par-ci  par-là  de  fidèles  et  joyeux  adeptes.  Preuve  en 
soit  l'élégante  petite  brochure  dont  nous  reproduisons  le  titre. 
Les  deux  bonshommes  en  habit  d'arlequin  qui  ornent  la  cou- 
verture, et  se  tordent  les  côtes  en  se  regardant,  sont  évidem- 
ment les  amis  de  la  gaîté  auxquels  le  recueil  est  dédié  par  le 
mystérieux  auteur  qui  signe  «  l'Ermite  de  la  Côte  de  mai.  » 

Ce  qui  nous  prévient  en  sa  faveur,  c'est  l'absence  de  toute 
prétention  qui  caractérise  la  préface.  Il  y  exprime  le  vœu  que 
voici:  «  Puissent  ces  historiettes....  dilater  la  rate  de  ceux  qui 
les  liront  et  leur  faire  oublier,  pendant  quelques  instants,  les 
fatigues  de  la  journée.  »  Nous  ne  doutons  pas   que  la  plus 


'  Cf.  Gilliéron,  Patois  de  Vionnai,  p.  126,  11°  270. 

^  L.  de  Lavallaz,  Essai  sur  le  patois  d" Hérémence  (Paris,  1899),  §  141. 


32  COMPTE    RENDU 

grande  partie  de  ces  histoires  ne  produisent  l'effet  physiologique 
que  M.  l'Ermite  leur  souhaite.  Ce  sera  surtout  le  cas  pour  le 
No  4:  Un  pari  bien  gagné,  et  pour  le  N°  34:  Un  témoin  qui  ne 
V est  pas.  D'autres,  comme  par  exemple  les  nombreux  récits  de 
chasse,  feront  peut-être  un  peu  hausser  les  épaules  au  lecteur, 
à  moins  qu'il  ne  soit  chasseur  enragé  lui-même  et,  par  consé- 
quent, avide  d'entendre  les  bêtises  faites  par  ses  concurrents. 

L'auteur  a  aussi  ses  méchancetés.  D'abord  il  n'est  pas  tendre 
à  l'endroit  des  femmes  ;  mais  aucun  conteur  d'histoires  villa- 
geoises ne  l'a  jamais  été  ;  c'est  la  bonne  tradition  gauloise  qui 
veut  qu'ont  tape  sur  le  sexe  faible,  qui  n'est  pas  du  tout  le 
beau  sexe  chez  le  paysan  ;  c'est  affaire  aux  poètes  de  la  ville 
de  prêcher  l'adoration  de  la  femme. 

Celle  qui  a  le  plus  à  souffrir  dans  les  Historiettes,  c'est  la 
cuisinière  du  curé.  Tantôt  elle  n'a  pas  signé  la  tempérance, 
comme  au  No  7  :  Une  cuisinière  assoiffée,  tantôt  elle  est  d'une 
crédulité  d'enfant,  comme  au  N»  13  :  Un  ffiot  latin  mal  compris. 
Après  la  femme,  c'est  le  tour  du  paysan  qui  croit  au  remède 
«  pour  se  rendre  invisible  »  (N"  21),  puis  du  professeur  dis- 
trait, du  commis  voyageur  qui  n'aime  pas  «  les  corbeaux,  »  etc. 
Tout  le  monde  y  passe,  jusqu'au  ministre  protestant,  que  sa 
cuisinière  compromet  en  plein  sermon  (N"  5,  Un  malentendu). 

Ces  histoires,  en  grande  partie  amusantes  par  elles-mêmes, 
gagnent  beaucoup  par  le  coloris  que  leur  donne  la  forme  pa- 
toise.  Quant  à  la  transcription,  c'est  l'orthographe  ordinaire  et 
capricieuse  de  tous  les  amateurs  de  patois,  qui  souvent  rend 
le  même  mot  de  plusieurs  façons  différentes.  Ainsi  on  trouve 
CBxmèrade  p.  29,  mais  csimerade  p.  75,  fonnat  p.  23,  mais 
fonat  p.  24,  ou  bin  tchure  p.  5,  mais/<?  chure  p.  60,  etc.  Mal- 
gré ces  inconséquences,  les  Historiettes  sont  écrites  en  bon 
patois  ajoulot  et  ne  manqueront  pas  de  réjouir  le  cœur  de 
tous  les  amis  de  la  vieille  langue.  E.  T. 

<■  )^  ■> 


LE  FLEAU  ET  SES  PARTIES 

DANS  LA  SUISSE  ROMANDE 
— î— 

Le  battage  à  bras  sur  l'aire  de  la  grange  a  sans  doute  été 
chez  nous,  comme  dans  tous  les  pays  septentrionaux,  le  mode 
de  battage  par  excellence  des  céréales,  usité  de  toute  antiquité. 
Les  conditions  climatériques  et  l'absence  de  grandes  exploita- 
tions n'étaient  pas  favorables  à  l'introduction  du  battage  en 
plein  air,  à  l'aide  de  bêtes  de  somme  et  de  gros  appareils,  tel 
que  le  pratiquaient  les  agriculteurs  romains  et  qu'il  est  encore 
en  usage  dans  les  pays  méridionaux.  Les  Romains  n'ignoraient 
cependant  pas  le  battage  au  moyen  de  bâtons,  qui  nous  est 
formellement  attesté  déjà  par  Pline  et  Columelle,  à  côté  des 
autres  procédés'.  Le  plus  ancien  exemple  de  flagellum,  ori- 
gine du  français  y7/â!«  et  de  l'allemand  i^^^"^^/,  au  sens  d'instru- 
ment à  battre  le  blé,  au  lieu  de  la  signification  classique  de 
fouet,  se  trouve  dans  un  passage  de  saint  Jérôme,  qui  qualifie 
cet  emploi  de  vulgaire  -.  Il  ne  ressort  cependant  pas  avec  cer- 
titude des  termes  employés  par  ces  auteurs  qu'ils  aient  eu  en 
vue  le  fléau  articulé  que  nous  connaissons  de  nos  jours.  Heyne 
est  d'avis,  dans  l'ouvrage  auquel  nous  empruntons  ces  données 
historiques,  qu'il  ne  s'agissait  que  de  bâtons  d'une  seule  pièce, 
et  que  l'articulation  fut  un  perfectionnement  introduit  plus 
tard,  d'abord  en  Italie  3. 


*  Messis  ipsa  alibi  tribuJis  in  area,  alibi  equanim  ^ressibtis  exierittir, 
alibi  perticis  flagellatur,  Pline,  Hist.  nat.,  i8.  30.  —  Spicae  tanliiinmodo 
recisae  sutit,  possxint  in  honeum  couferri,  et  deiude  per  bietnein,  vel  baculis 
excuti,  vel  exteri  pecudibus,  Colum.,  2,  21,  4. 

^  Sed  vir^a  excutiiintur  et  baculo,  quae  vulgo  flagella  dicuntur  (explica- 
tion du  passage  d'Esaïe  28,  v.  27),  cité  par  Du  Cange,  \°  flagellum. 

^  M.  Heyne,  Das  detitsche  Nahrungswesen,  Leipzig,  1901,  p.  57.  Heyne 
reproduit  (p.  56)  une  peinture  décorative  du  treizième  siècle  qui  se 
trouve  dans  une  chapelle  près  de  Laval  (Mavenne),  et  qui  représente, 
comme  figure  symbolique  du  mois  d'août,  un  individu  nu  jusqu'à  la 


34  J-  JEANJAQUET 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  intéressant  de  constater  que  l'emploi 
pour  battre  en  grange  de  perches  d'une  seule  pièce  existe 
encore,  concurremment  avec  l'usage  du  fléau,  dans  quelques 
régions  de  la  Suisse  romande.  C'est  spécialement  dans  le  Jura 
bernois  et  neuchâtelois  que  ce  mode  de  battage  est  pratiqué. 
Il  semble  être  réservé  de  préférence  à  l'orge  et  à  l'avoine.  On 
se  sert  généralement  pour  battre  au  bâton  d'une  forte  branche 
de  hêtre,  suffisamment  flexible  et  légèrement  recourbée,  dont 
le  nom  habituel  est  «  chuaton  »,  ou  d'autres  formes  analogues*. 
Le  même  mot  se  retrouve  dans  toute  la  Suisse  romande  avec  le 
sens  de  garrot,  bâton  recourbé  que  l'on  passe  dans  une  corde 
ou  une  chaîne  pour  serrer  une  charge,  et  aussi  de  gourdin, 
trique  en  général.  Cf.  dans  une  procédure  neuchâteloise  de 
1639  :  le  long  Daniel  lui  donna  le  premier  coup  avec  un  suatton 
(Arch.  judiciaires  de  Neuchâtel,  Reg.  crim.  n"  60,  p.  357). 

En  Valais,  on  n'a  pas  non  plus  toujours  recours  au  fléau 
pour  faire  sortir  le  grain  des  épis,  mais  on  use  aussi  d'un  pro- 
cédé qui  consiste  à  frapper  les  gerbes  contre  les  parois  de  la 
grange  ou  sur  un  billot,  et  à  achever  ensuite  l'égrenage  en 
battant  d'une  main,  à  l'aide  d'un  bâton  court,  le  blé  pris  succes- 
sivement par  poignées. 

En  Gruyère,  on  se  sert  parfois  de  la  pcrmala,  planche  à  rai- 
nures d'environ  un  mètre  de  hauteur,  que  l'on  tient  inclinée 
devant  soi  et  sur  laquelle  on  froisse  les  poignées  d'épis.  La 
graine  est  recueillie  dans  un  grand  drap  posé  à  terre.  Il  est  bon 


ceinture,  en  train  de  battre  du  blé  avec  un  fléau  articulé,  dont  les  deux 
parties  sont  presque  d'égale  longueur.  Il  existe  dans  le  chœur  de  la 
cathédrale  d'Aoste  une  très  ancienne  mosaïque  où  se  trouve  une 
représentation  tout  à  fait  analogue. 

''  choiialon,  Noiraigue  (Neuchâtel),  Savagnier  (id.),  i-?<a/ou,  Chaux-du- 
Milieu  (id.),  chèton,  Côte-aux-Fées  (id.),  chaton.  Gorgier  (id.),  Sagne 
(id.),  Vallorbe  (Vaud),  Vaulion  (id.),  soiiton,  Malleray  (Berne),  sou^ta, 
Charmoille  (id.),  su^ta,  Les  Bois  (id.),  etc.  Une  appellation  peu  répan- 
due en  Suisse  est  varatchon,  Brévine  (Neuchâtel),  vouarètchon,  Cerneux- 
Péquignot  (id.),mot  qui  se  retrouve  en  Franche-Comté.  Court  (Berne), 
Izfas',  que  nous  n'avons  pas  rencontré  ailleurs. 


LE  FLliAU  ET  SES   PARTIES  DANS  LA   SUISSE  Rt)MA\DE        35 

d'ajouter  qu'on  ne  cultive  presque  pas  de  céréales  en  Gruyère, 
et  que  la.  pènmila  est  plutôt  usitée  pour  l'égrenage  du  chanvre 
et  du  lin. 

Abstraction  faite  de  ces  quelques  particularités,  le  battage  se 
fait  ou  se  faisait  naguère  dans  toute  la  Suisse  romande  au 
moyen  du  fléau  articulé,  et  nos  patois  se  servent  uniformément, 
pour  désigner  cette  opération,  du  verbe  «écourre^»,  dérivé 
du  latin  excutere,  qui  se  trouve  aussi  à  la  base  des  substantifs 
signifiant  «  batteur  ''  »  et  «  battage  '  » . 

C'est  le  radical  du  même  verbe  qui,  joint  au  suffixe  -atorium 
(fr.  -oir),  fournit  à  une  petite  partie  de  notre  pays  le  nom  du 
fléau.  Dans  tout  le  canton  de  Genève  8,  et  plus  loin  le  long  du 
Jura  jusqu'à  Bière,  cet  instrument  est  en  effet  appelé  «  écos- 
soir^».  L'examen  de  la  carte  n»  580  de  V Atlas  linguistique 


5  battre  en  grange  =  ékoiir,  Jura  bernois,  ckœr,  Savagnier  (Neu- 
châtel),  èlcor,  Côte-aux-Fées  (id.),  èkir,  Landeron  (id.),  èty^rè^  Vau- 
gondry  (Vaud),  Martigny  (Valais),  èkâr,  Fribourg,  ékér^,  Vernier 
(Genève),  ékorè^  Hermance  (id.),  èhorè.  Evolène  (Valais),  èhôoi'rc,  Gri- 
mentz  (id.),  etc. 

"  batteur  =  ékùsou,  Jura  bernois,  ékosu.  Montagnes  neuchàteloises, 
èbkhâo,  Savigny  (Vaud),  Villeneuve  (id.),  èkochaou,  Montherond  (id.), 
ékàchâ,  Corsier  (id.),  èkochà',  Vaugondry  (id.),  èkdchœti,  Leysin  (id.), 
èRàchcè,  Savagnier  (Neuchâtel),  èkdchyœ,  Leytron  (Valais),  ekèchyo^,  Vex 
(id.),  ékdjd,  Sassel  (Vaud),  èkdjâ°,  Ormonts  (id.),  etc.,  formes  qui 
sont  toutes  dérivées  régulièrement  à  l'aide  du  suffixe  -atorem. 
Esscossors,  batteurs,  se  trouve  déjà  au  treizième  siècle  dans  le  Caiiii- 
laire  du  Chapitre  de  Lausanne,  p.  124;  plus  tard  se  rencontrent  les 
formes  escoussioux  (Ouchy,  Vaud,  1553),  escoussieux  (Brenets,  Neu- 
châtel, 1601),  etc.  Rougemont  (Vaud),  a  batâré,  =  batt  -\-  ator. 

"  battage  =  êkoujudj\  Vicques  (Berne),  ékouadf,  Les  Bois  (id.), 
èkoyâdj,  Lignières  (Neuchâtel),  ékoyâd^o,  Vaulion  (Vaud),  èkûiâdiou, 
Oron  (id.),  Sassel  (id.),  Villarimboud  (Fribourg),  ékoue\on,  plur., 
Brévine  (Neuchâtel),  Delémont  (Berne),  ékovczon,  Gorgier  (Neuchâtel), 
èkoi'ion ,  Vaugondry  (Vaud),  ékouis',  Plagne  (Berne),  etc.  On  a  aussi 
hatfidf,  Malleray  (Berne),  batédjo,  Noiraigue  (Neuchâtel) ,  baiâd\o, 
Penthalaz  (Vaud),  Vallorbe  (id.),  VauUon  (id.),  etc. 

*  A  Hermance,  on  emploie  cependant  aussi  flyè. 

^  êkochyé^  Choulex  (Genève),  êkàsycè,  Veyrier  (id.),  ckochyà'",  Com- 
mugny  (Vaud),  èkochûo,  Longirod  (id.).  Bière  (id.),  etc. 


36  J.    JEANJAQUET 

4e  la  France  nous  fait  voir  que  l'extrémité  sud-ouest  de  la 
Suisse  se  rattache,  par  l'emploi  de  ce  terme,  à  un  vaste  terri- 
ritoire  qui  s'étend  sur  les  deux  rives  du  Rhône,  presque  jusqu'à 
son  embouchure. 

Partout  ailleurs  dans  nos  cantons  romands,  c'est  le  latin 
flagellum  qui  s'est  continué  dans  les  patois,  mais  sous  des 
formes  extrêmement  variées.  Peu  de  mots  sont  plus  aptes  à 
montrer  la  diversité  des  types  auxquels  peut  aboutir  dans  nos 
contrées  un  même  mot  latin.  Voici,  en  les  classant  par  can- 
tons, les  variétés  principales  : 

Berne  :  2^'^i  Charmoille,  syifi^  Epauvillers,  sye^  Saignelégier, 
chouayè,  Vermes,  chaye',  Sombeval,  kyayé,  Plagne,  fyèyé, 
Lamboing. 

Neuchâtel:  fyèyé,  Corcelles,  Chaux-du-Milieu,  fyèyï^, 
Savagnier,  fyèyi,  Noiraigue,  flèyâ,  Côte-aux-Fées,  fyàvé, 
Cerneux-Péquignot. 

Fribourg  :  €%èyï^  Courtepin,  èd^in-yi,  Torny-le-Grand, 
èfyèyi,  Broie,  ^/>vV,  ^r^/,  Gruyère, 

Vaud  :  èjlyèî,  Vaugondry,  è^àyi,  Arnex,  ^;|^/)'a^r/,Villars-le- 
Terroir,  èylyeyé.  Sentier,  ehèyi,  Montreux,  X^y^^i  Mont- 
preveyres,  d^èï,  Château-d'Œx,  Xh^^i  Roche. 

Valais:  flayé,  Bouveret,  i}ayé^  Champéry,  èyjèyi,  Vérossaz, 
//(fy^,  Lourtier,  é-^èyi,  Bourg-Saint- Pi  erre, /fZ'/,  Orsières, 
Xèvi,  Sembrancher,  t'Xlcyœ",  Leytron,  é'&aé,  eûavé,  Conthey, 
Xi<^é,  Nendaz,  flae^,  Savièse,  Jlâyct\  Evolène,  Jlac\  Nax, 
èhlaè,  Ayent,  hlèyé  (/  vélaire),  Gx'imQniz,  Jïèyé  (/  vélaire), 
Chippis,  y?<?^/%  Miège. 

Dans  son  ensemble,  la  construction  du  fléau  ne  varie  pas 
sensiblement.  Il  se  compose  partout  de  deux  parties  essen- 
tielles :  le  manche,  en  bois  léger,  ayant  généralement  i'"35  à 
i^^So  de  longueur,  et  le  battoir,  en  bois  dur,  de  forme  cylin- 
drique (rarement  rectangulaire  ou  octogonal),  d'une  longueur 
de  50  à  60  cm.  (dans  le  canton  de  Genève  jusqu'à  75  cm.)  et 
d'un  diamètre  de  5  à  6  cm. 


LE  FLEAU  ET   SES  PARTIES  DANS  LA  SUISSE   ROMANDE        37 

Dans  beaucoup  de  patois,  le  manche  ne  porte  pas  de  nom 
particulier  ;  mais,  à  côté  de  l'appellation  commune  à  tous  les 
manches  d'outil  ^^,  on  rencontre  trois  termes  spéciaux,  occu- 
pant chacun  un  territoire  plus  ou  moins  étendu.  Ce  sont  : 
1°  dans  le  Jura  bernois:  mi'nsa^^,  2^  dans  une  partie  des  can- 
tons de  Neuchâtel, Vaud,  Fribourg  et  Valais:  asou^-,  3°  dans 
le  canton  de  Genève:  ijuaspmp^^.  Ce  dernier  mot  se  retrouve 
sous  des  formes  variées  dans  toute  la  Savoie.  Quant  au  bat- 
toir, il  est  presque  partout  appelé  «  verge  »  ou  «  vergée ^*  ». 

Les  deux  parties  du  fléau  doivent  être  solidement  assem- 
blées, mais  de  manière  que  le  battoir  conserve  toute  sa  mobi- 
lité et  puisse  tourner  facilement  lorsque  le  batteur  le  relève 
après  avoir  frappé  son  coup.  Pour  obtenir  ce  résultat,  l'ingé- 
niosité des  constructeurs  s'est  donné  libre  carrière,  et  le  mode 
d'articulation  varie  notablement  suivant  les  régions.  On  peut 
distinguer  dans  notre  pays  trois  types  principaux. 

'"  manche  z=z  mindj,  Bourrignon  (Berne),  Mettemberg  (id.),  Brévine 
(Neuchâtel),  mandzo,  Gorgier  (Neuchâtel).  Bière  (Vaud),  Vuillerens 
(id.),  Leysin  (id.),  Rossinières  (id.),  Vérossaz  (Valais),  Savièse  (id.), 
manchon,  Oron  (Vaud),  Vallorbe  (id.),  Dompierre  (Fribourg),  Semsales 
(id.),  Lessoc  (id.),  «wh:{o  Vex  (Valais),  Mage  {id. ),  tnaii^',  Aire-la-\'ille 
(Genève),  etc. 

"  minsa,  Epauvillers,  Vicques,  Bourrignon,  Delémont,  iiiansa,  Maile- 
ray.  Court,  mèsâo,  Plagne. 

'■■^  asOU,  Dombresson  (Neuchâtel),  Torny-le-Grand  (Fribourg),  Vau- 
lion  (Vaud),  Montherond  (id.),  Oron  (id.),  Savigny  (id.),  Corsier  (id.), 
Sassel  (id.),  Blonay  (id.),  ansoii,  Vaugondry  (id.),  Isérables  (Valais), 
insoH,  Lignières  (Neuchâtel),  lâs^ou.  Sentier  (Vaud),  dsii,  Leysin  (id.), 
asso,  Savièse  (Valais),  achyou,  Lens  (id.). 

^^  l\u(j:^3m9,  Bernex,  lisdmo,  Dardagny,  lins3mo,  Hermance;/à'^,  qu'on 
nous  indique  à  Choulex,  résulte  vraisemblablement  d'une  confusion 
avec  le  manche  de  la  faux. 

^^  vardj,  Charmoille  (Berne),  Vicques  (id.),  Delémont  (id.),  Malle - 
ray  (id.),  Court  (id.),  Plagne  (id.),  vrrdi^,  vèrd:^%  vèrdié,  Vaud  et  Fri- 
bourg en  général,  Gorgier  (Neuchâtel),  Savièse  (Valais),  vèr:(,  Mage 
(id.),  vnrdzd,  Vérossaz  (id.),  vèrdièta,  Bière  (Vaud),  Sassel  (id.),  La  Joux 
(Fribourg),  Torny-le-Grand  (id.),  vcrdjya,  Salvan  (Valais),  vardj'a, 
Leytron  (id.),  vardia,  Sembrancher  (id.),  évard\ri,  Vollèges  (id.),  varZya, 
Choulex  (Genève),  Herniance  (id.),  vai^ià,  Bernex  (id.),  Dardagny 
(id.),  varlTr,  Aire-la-Ville  (id.).  —  D'autres  mots  isolés  sont:  Utin, 


^S  J.   JEAXJAQUET 

Le  système  le  plus  commun  est  celui  qui  a  recours  à  l'em- 
ploi de  «  chapes ^5  ».  L'extrémité  du  manche  et  celle  du  battoir 
sont  revêtues  chacune  d'une  large  et  forte  courroie,  qui  déborde 
de  quelques  centimètres  et  forme  ainsi  une  bride.  Les  deux 
brides  sont  reliées  l'une  à  l'autre  par  une  lanière  de  cuir  nouée, 
Vinfrè/jou^^,  qui  permet  aux  deux  parties  de  se  mouvoir 
librement.  Il  importe  naturellement  que  les  «  chapes  »  soient 
fixées  aussi  sûrement  que  possible  sur  le  bois.  A  cet  effet, 
celui-ci  est  pourvu  d'une  série  d'entailles  i',  qui  servent  à  retenir 
une  longue  lanière,  Vétringa"^^,  solidement  entrelacée  avec  le 
cuir  de  la  «  chape.  »  (Voir  fig.  i.) 

Souvent,  comme  dans  l'exemplaire  que  reproduit  notre 
figure,  la  chape  de  cuir  du  manche  est  remplacée  par  un  mor- 
ceau de  bois  dur  recourbé,  qui  remplit  le  même  office,  et  est 


Mettemberg  (Berne),  brants',  Lavaux  (Vaud),  èdfda,  Dompierre  (Fri- 
bourg),  étala,  Sugiez  {\à.),fiija,  Lessoc  (id.). 

1-^  tsapa,Yâud,  Fribourg  en  général,  /c/w/)',  Dombresson  (Neuchâtel), 
Plagne  (Berne),  tchép,  Epauvillers  (id.),  tchépy\  Charmoille  (id.),  Vic- 
ques  (id.),  ichapi,  Court  (id.),  kap",  Bourrignon  (id.).  kap'  ou  kapat', 
Mettemberg  (id.),  iif'po,  Aire-la-Ville  (Genève),  ^çpa,  Hermance  (id.), 
Dardagny  (id.),  ênpâ,  Bernex  (id.),  étsèrpa,  Blonay  (Vaud),  dtsçrpa, 
Leysin  (id.). 

i*'  intrèlyou,  Vaugondry  (Vaud).  La  Joux  (Frib.),  Gorgier  (Neuch.), 
intrélyou,  Blonay  (Vaud),  Savigny  (id.),  ètrdlyou,  Sassel  (id.),  Monthe- 
rond  (id.),  ètrdlyu,  Corsier  (id.),  Oron  (id.),  intrèlyu,  Torny-le-Grand 
(Frib.),  intrdly^ou,  Sentier  (Vaud),  citr^la',  Leysin  (id.),  antnîâ,  Darda- 
gny (Genève),  intrèlycék,  Isérables  (Valais),  antrinœ,  Epauvillers  (Berne) 
antryou,  Bourrignon  (id.),  Vicques  (id.). 

On  se  sert  aussi  des  mots  kordjon,  Charmoille  (Berne),  Plagne  (id.), 
kord:(on,  Vully  (Vaud),  Vérossaz  (Valais),  kourdzon,  Vallorbe  (Vaud), 
atnts^,  Penthalaz  (Vaud),  êûats»,   Rossinières  (id.),  Dompierre  (Frib.). 

i'  U-j-inkrénè,  Torny-le-Grand  (Fribourg),  àhotsè,  Leysin  (Vaud), 
àko^\  Bernex  (Genève). 

**  étringa,  Oron  (Vaud),  étring' ,  Sassel  (id.),  éhiniga,  Blonay  (id.), 
seringa,  Autigny  (Fribourg),  Torny-le-Grand  (id.),  Viliarimboud  (id.), 
Semsales  (id.),  Villars-sous-Mont  (id.). 

Dans  certains  endroits,  on  emploie  aussi  les  mots  cités  à  la  fin  de 
la  note  i6,  ainsi  kordjon  est  au  Sentier  (Vaud)  l'équivalent  à' étringa. 


LE  FLÉAU  ET   SES   PARTIES  DA\S   LA    SUISSE  ROMANDE       39 

rivé  sur  le  manche  ou  fixé  par  une  virole  métallique.  Dans  le 
Jura  bernois,  c'est  très  fréquemment  une  boucle  de  métal  i^ 
qui  remplace  la  chape  ;  en  Valais,  parfois  un  capuchon  de  corne 
percé  d'un  trou  -•*. 

Ce  qui  est  en  général  caractéristique  pour  le  fléau  du  Valais, 
et  permet  d'en  constituer  un  type  à  part,  c'est  l'absence  de 
«  chape  »  et  un  agencement  plus  primitif  que  celui  que  nous 


1... 


FiG.  1.  Fléau  fribourn^eois  (Torny-le-Grand)  :   1.  asoii. 

2.  rèrdzèta. —  3.  Isapa  de  l'asou.  —  4.  intrèlyn.  —  0.  tsapa  de  la 

uèrdzèta.  —  6.  èiiringè. 

venons  de  décrire.  D'ordinaire,  le  battoir,  perforé  transversa- 
lement dans  le  haut,  est  simplement  suspendu  par  une  lanière 
ou  une  ficelle-',  et  celle-ci  est  fixée  d'autre  part  à  l'extrémité 
du  manche,  autour  duquel  elle  peut  se  mouvoir  dans  une  rai- 
nure ménagée  à  cet  effet.  Une  variante  consiste  à  introduire  la 
lanière  repliée  dans  un  trou  percé  au  centre  du  battoir  et  à 
passer  dans  la  boucle  qu'elle  forme  à  son  extrémité  une  che- 
ville transversale.  Le  lien  est  ainsi  exposé  à  une  usure  moins 
rapide.  Dans  les  fléaux  de  construction  plus  récente,  comme 
celui  que  représente  la  figure  2,  le  battoir  est  muni  d'une  forte 
tige  de  fer  terminée  par  une  boucle. 


'^  tyàvin-nyd,  Vicques.  Cf.  dans  un  Rôle  de  montes  de  la  Chaux-de- 
Fonds,  1676:  une  verge  de  fléau  avec  sa  chape  de  fer  (Arch.  Neuchâtel). 
-"  la  korna.  Vérossaz. 
-*  états',  Lourtier,  kOrâe\  Savièse,  kdrnya,  Lens,  Vex,  etc. 


40 


J.  JEANJAQUET 


Le  troisième  type  est  celui  du  canton  de  Genève,  où  on 
semble  avoir  visé  surtout  à  faciliter  le  mouvement  de  rotation 
du  battoir,  même  au  prix  d'une  diminution  de  la  solidité  de 
l'assemblage.  On  y  est  arrivé  par  le  dispositif  spécial  que  montre 


7... 


Fie.  2.  Fléau  valaisan  (Evolène)  :  Fie.  :).  Fléau  genevois  (Bernex)  : 
1.  manzo.  —  2.  kôrâyé,  —  \,  lyuitzsnw.  —  2.  nyiiè.  — 
3.  vèrzé.  3.  tornè.  —  4.  antralii  (Darda- 

goy).  —  o.  -dopa.  —  6.  varôïâ. 

—  7.  àkà^. 

la  figure  3.  La  «  vergée  »  est  revêtue  d'une  chape  de  cuir  tout 
à  fait  comme  dans  le  type  habituel,  mais  ici  le  manche  se  ter- 
mine par  une  cheville  de  bois  à  grosse  tête,  la  «  noix"  »^  qui 
traverse  et  retient,  tout  en  lui  permettant  de  tourner  librement, 
une  forte  pièce  de  cuir  recourbée,  le  tornè  '-3,  percée  à  chacune 
de  ses  extrémités  d'un  trou  par  oîi  passe  le  cordon  d'attache. 


--  nytiè,  Bernex,  Aire-la-Ville,  nyoïiâ,  Dardagny. 
23  tornè,  Bernex,  Dardagny. 


LES  DIMINUTIFS  DANS  LE  PATOIS  DES  ALPES  VAUDOISES      4I 

Ajoutons,  en  terminant,  que  le  fléau,  quelle  que  soit  sa  con- 
struction, est  un  instrument  destiné  à  disparaître  dans  un 
avenir  peu  éloigné  de  l'outillage  de  campagne.  Le  battage 
mécanique,  plus  expéditif  et  moins  pénible,  lui  fait  partout  une 
concurrence  meurtrière.  Déjà  dans  bien  des  régions,  surtout  en 
plaine,  le  bruit  cadencé  du  battage  en  grange  a  cessé  dès  long- 
temps de  retentir,  et  les  musées  devraient  songer  à  sauver  de 
la  destruction  qui  les  guette  les  derniers  spécimens  de  fléaux, 
aujourd'hui  relégués  dans  quelque  coin  du  grenier,  parmi  les 
choses  sans  valeur.  Mais  plus  rapidement  encore  que  les  objets 
eux-mêmes,  les  vieux  mots  et  les  termes  techniques  qui  s'y 
rapportent  disparaissent  et  s'oublient  ;  aussi  la  rédaction  du 
Glossaire  acceptera-t-elle  avec  reconnaissance  tous  les  rensei- 
gnements qu'on  voudra  bien  lui  faire  parvenir  pour  rectifier  et 
compléter  l'esquisse  sommaire  qui  précède. 

J.  JEANJAQ.UET. 


— aoC>0<Ooo— 


LES  DIMINUTIFS  DANS  LE  PATOIS 

DES  ALPES  VAUDOISES 
— î— 

En  répondant  de  mon  mieux  aux  nombreux  questionnaires 
du  Glossaire,  j'ai  été  souvent  frappé  de  la  richesse  qu'offrent 
nos  patois  en  fait  de  diminutifs;  l'idée  de  les  réunir  tous,  de  les 
étudier  attentivement,  serait  séduisante,  mais  nécessiterait  de 
longues  recherches.  Les  matériaux  donnés  ci-après  montreront, 
en  attendant,  que  notre  idiome  romand  rendrait,  à  cet  égard, 
des  points  au  français,  dont  quelques  grammaires  offrent  par- 
fois une  brève  étude  du  sujet.  Que  de  grâce,  de  naïveté  enfan- 
tine dans  certains  de  ces  diminutifs,  qui  nous  semblent  con- 
tenir une  idée  d'attachement  ou  de  joliesse  !  Comme  ces  mots 
vous  mettent  vite  à  l'aise,  en  rapetissant  tout  ce  qui  pourrait 
offusquer  par  des  dimensions  géantes  ou  même  ordinaires!  En 


42  F.    ISABEL 

patois,  le  sens  des  suffixes  diminutifs  s'est  peut-être  moins  effacé 
que  dans  la  langue  littéraire.  Qui  pense  à  une  petite  viole,  en 
entendant  prononcer  le  mot  français  violon?  Les  nombreux 
mots  patois  en  -on,  en  -ette^  ont  contribué  à  conserver  plus 
intact  le  sentiment  de  la  diminution;  on  continue  à  se  servir 
de  ce  moyen  de  dérivation  devenu  stérile  en  français  et  resté 
vivace  dans  les  dialectes.  Beaucoup  de  ces  expressions  ne 
correspondent  pas  tout  à  fait  à  leur  corrélatif  français.  Vous 
remarquerez  que  presque  aucune  ne  renferme  quoi  que  ce 
soit  de  dépréciatif,  de  méprisant  ou  de  dédaigneux. 

A  quoi  sont-elles  dues  ?  Est-ce  à  une  disposition  naturelle 
de  l'esprit,  qui  cherche  à  se  rapprocher  des  choses  en  les  ren- 
dant plus  petites,  plus  maniables?  Est-ce  à  l'absence  de  grands 
•édifices,  de  grands  animaux,  de  grands  objets,  de  tout  ce 
qu'on  a  coutume  de  dénommer  par  des  adjectifs  en  -issifne  : 
grandissime,  richissime,  illustrissime  ?  Il  n'est  pas  rare,  dans 
nos  campagnes,  de  posséder  seulement  une  ?nayz?nèta,  maison- 
nette, grandzeta,  grangette,  on  grandzon,  une  remise,  ou  on 
bàotsè,  bœutsofi,  bouatson,  petites  étables  pour  le  bétail.  On  n'a 
qu'un/(?/-///-  ou  fornalon  pour  se  chauffer,  la  maison  est  si  petite 
qu'elle  n'a  qu'un  taytsè ,  petit  toit,  le  lit  est  remplacé  par 
na  tyutsèta,  une  couchette,  la  porte  se  ferme  simplement  par 
une  ts3V3lyHa,  chevillette  ;  une  loyèta,  petit  balcon,  sert  de 
séchoir.  Tous  ces  mots  ne  rappellent-ils  pas  l'intimité  qui  règne 
entre  l'habitant  et  son  milieu?  C'est  comme  s'il  disait  :  «  De  ce 
réduit  je  me  trouve  content...  il  est  à  moi.  »  Le  diminutif  indique 
parfois  une  affection,  une  amitié  intime,  comme  dans  les  mots 
français  petit  père,  petite  mère,  frérot,  sœurette.  En  patois,  il  y  a 
de  même  l'expression  suèyrèta  pour  indiquer  une  sœur  cadette 
que  ses  aînées  doivent  prendre  en  vraie  et  bonne  affection. 
Uandzèta,  s.  f.,  est  l'ange  qui  vient  à  Noël,  cher  aux  enfants. 
Le  bovayron  est  le  petit  bouvier  dans  tout  le  charme  de  sa  vie 
indépendante  et  insouciante. 

Les  diminutifs  masculins  se  terminent  généralement  par  un 
-<f  bref  ou  -on,  les  féminins  par  -èta.  Ces  suffixes  se  combinent 


LES  DIMIN'UTIFS  DANS  LE   PATOIS   DES  ALPES  VAUDOISES      43 

très  souvent  avec  d'autres  et  forment  des  mots  en  -erè,  -atsè, 
-atso/i,  -èron,  -aie,  -aVcta,  -èrcta,  etc.,  comme  dans  sindèrè,  petit 
sentier,  kartèrc  ou  kartatson,  petit  quartier  (de  fromage),  on 
p?palè,  biberon  de  veau,  etc.  Rarement  on  rencontre  d'autres 
dérivations,  comme  dans  fia  tnantsy,  petit  marais,  on  kohtiè, 
petite  colonne,  montant  de  porte,  on  ppssô,  petite  ppsse  ou 
cascade,  na  favyoïila,  sorte  de  petite  fève  et  de  haricot  de 
vigne,  etc. 

En  parlant  des  animaux,  les  diminutifs  s'appliquent  aux 
jeunes  qui  n'ont  pas  encore  atteint  toute  leur  croissance,  ou  à 
ceux  qui  restent  toujours  de  petite  taille  :  on  vélon,  petit  veau, 
na  vatseta^  veau  femelle,  et  aussi  la  fleur  du  colchique,  on 
modon  ou  viodzon,  jeune  pièce  de  bétail  bovin  un  peu  plus 
âgée  qu'un  veau,  on  bolon,  jeune  bœuf  d'attelage,  on  niut^nè. 
jeune  mouton,  fia  fèyèta,  jeune  brebis,  na  ts?vrHa,  chevreau 
femelle,  on  kabnlon,  jeune  cabri,  on  kaysnc  ou  kbysnè.  jeune 
porc  jusqu'à  trois  ou  quatre  mois,  na  iroyèta,  ou  gotodèta. 
jeune  porc  femelle,  on-n-a?i-ndlyon,  génisson  de  Tannée,  na 
ratèta,  petite  souris,  terme  d'amitié  donné  à  un  veau  ou  à  un 
porcelet,  oti  bétyon,  tête  de  menu  bétail,  oti  ts3nc,  petit  chien, 
^n  insnè  ou  tsaton,  petit  chat,  on  pdlaton,  jeune  coq,  na  bstscia, 
petite  bête,  na  nibtèlcta,  belette,  na  mayintsèta,  mésange,  na 
dzdndlycta,  gelinotte,  na  krdblyèta,  crécerelle,  on  salyè,  saute- 
relle, etc. 

Les  diminutifs  ne  sont  pas  moins  fréquents  dans  le  domaine 
des  végétaux  :  on  y  parlera  de  plyanton,  jeunes  plants,  de 
bbkaton,  petite  fleur  ou  petit  bouquet,  de  rèbyblon,  dernière 
repousse  de  gazon  dans  les  meilleurs  endroits  du  pâturage, 
fortsèta,  vrille  fourchue  de  la  vigne,  gra>iètif,  petites  graines 
qu'on  sème  dans  un  jardin,  p?pouinè,  petits  pompons  écarlates 
qui  entourent  les  fruits  de  l'alkekenge, /«!^s<^,  petits  pois,  ravon, 
petite  rave,  tubercule  de  pommes  de  terre,  pomèta,  petite 
pomme,  dzorèta,  petite  «  joux  »,  larzcta,  jeune  mélèze,  etc. 
Les  noms  de  plantes  ont  très  souvent  la  forme  diminutive  : 
ialycta,  dent-de-lion,  saodzcta,  petite  sauge  officinale,  blyan- 


44  F.    ISABEL 

isèta,  chèvrefeuille  à  balai,  trotsèia,  herbe  qui  talle,  sorte  de 
raiponse,  mâche  ou  doucette,  takou9fiè,  tussilage,  nnbîyetay 
renoncule  scélérate,  éteilèta  de  bon,  aspérule  odorante,  brinlètè^ 
sorte  de  ciboulette  des  Alpes  ;  07i  chambtson  (Leysin),  petit 
sapin  rabougri,  etc. 

Entrons  dans  un  de  ces  vieux  ménages  rustiques  et  regar- 
dons autour  de  nous.  Nous  nous  trouvons  dans  onpaylè,  petite 
chambre  à  coucher  adjacente  à  la  grande  pièce,  ou  dans  \3itsati- 
brèta,  h  tsanbron,  chambrette.  Le  jour  entre  par  la  fdnetrèta, 
\a.  portèta  est  munie  d'un /^;jj^,  genre  de  petit/)/;^^  ou  panneton 
de  serrure,  d'une  peseta,  d'un  loquet  (de  fer).  Dans  les  tiroirs 
il  y  a  des  borsofi,  goussets,  des  bbrsètè,  anciennes  bourses  en 
cuir,  des  pmyètè,  peignes  fins  ou  décrassoirs,  et  quantité  d'autres 
menus  objets.  Mais  c'est  la  cuisine  qui  est  le  vrai  domaine  des 
diminutifs,  voici  la  mayrèta,  petite  maie  à  pétrir  ou  à  casser  les 
noix,  avec  du  rapdsson^  pâte  qui  a  été  raclée  de  la  «  pétrissoire  », 
tout  à  la  fin  (se  dit  aussi  par  plaisanterie  du  dernier  né  de  la 
famille),  la  radèta,  rouleau  à  étendre  la  pâte  ;  toutes  sortes 
d'ustensiles  s'alignent  sur  des  toularè,  tablettes,  rayons:  le 
bcssalc,  ustensile  de  bois  pour  le  pain  et  le  fromage  (de  bèssé, 
très  ancienne  mesure  à  blé),  le  bouanyon,  seille  à  oreilles  pour 
le  beurre  fondu,  la  méfrèia,  petit  baquet  ou  «  meltre  »  en  bois, 
dont  une  douve  s'allonge  verticalement  en  poignée,  les  pèlon, 
petites  poêles,  >^j;|^^^z,  petite  «  casse  »  en  métal,  à  court  manche, 
le  ts3dèron,  chaudron,  ou  tsddèrèta,  petite  chaudière  à  lait  ; 
le  panèron,  petit  panier,  les  krsbdlyetc,  petites  corbeilles  plus 
larges  que  les  crabdlyon,  corbillons  sans  anse;  les  râklètèy 
ratissoires,  palètè,  petites  pelles  ipalèta  a  aussi  le  sens  de 
premier  livre  d'épellation),  pâlon,  petite  pelle  (aussi  omo- 
plate), le  kotsè,  cuiller  à  lever  la  crème,  le  poison,  louche 
ou  cuiller  à  potage,  les  tsanon,  chanes  d'étain,  les  biunctè, 
petites  écuelles.  Voici  encore  la  kavanyèta,  petite  hotte,  le 
bou9lyè,  l'auget,  la  bantsèta,  petit  banc,  le  palantson^  petit 
bâton  ou  levier  de  bois,  Ya%èta,  la  hache,  ainsi  que  Xa.  ptolèia, 
même  sens,  ou  X^pyolon,  petite  hache  (de  là  piolet),  on  krosson, 


LES  DIMINUTIFS  DANS  LE  PATOIS   DES  ALPES  VAUDOISES     45 

petit  bâton  à  crochet  pour  cueillir  les  cerises  ou  les  noisettes, 
la  krossèta,  petite  crosse,  canne  à  poignée  recourbée  en  demi- 
cercle,  la  bblyèta,  petit  vase  à  liquide  qu'on  porte  sur  le  dos,  le 
bidsnè,  petit  bidon,  fia  guètsèta,  petite  jatte  à  mettre  crémer  le 
iait,  on  dyètson,  baquet  à  lait  ou  à  crème  ;  Xz.  plybtscta,  bille  ser- 
vant de  tranchoir  ou  de  tronchet  à  fendre  le  bois,  la  râssèta^  scie 
à  main,  la  bornèta^  petite  cheminée  supérieure  d'un  vieux  four- 
neau maçonné,  aboutissant  à  la  grande  cheminée  de  la  cuisine. 

A  la  remise,  à  la  cave,  vous  trouvez  les  tsèrè,  chars  plutôt 
petits,  des  lybdzctK  petites  luges ^  petits  traîneaux  légers  et 
ajourés,  des  lybdzK  petits  traîneaux  de  forme  plus  ramassée, 
et  plus  lourds  que  les  précédents,  des  bèrdètè,  brouettes  d'écu- 
rie, des  lantsè,  petites  planches,  des  bbssaton,  petits  tonneaux, 
des  bossètè^  tonneaux  à  transporter  le  raisin  foulé  de  la  vigne 
au  pressoir,  la  y^avèta,  petite  clé  de  fer  plate  tombant  au  tra- 
vers de  la  vis  d'un  pressoir  de  vendange,  Vèkœuvèta ^  petit 
balai  de  rameaux  pelés  proprement,  pour  le  pressoir;  des 
outils  :  la  kimanlèta^  petit  coin  de  fer,  à  maille,  pour  traîner 
le  bois,  des  martèle,  petits  marteaux,  des  fbrsètc,  ciseaux  à 
tondre  les  brebis,  la  sizcta,  ciseau  de  géologue  ou  de  mineur 
(mines  de  sel  de  Bex),  Aqs p9tson,  petites  pioches,  sarclorets  ou 
binettes,  etc.  ;  une  foule  d'autres  petites  choses  :  des  hnuè, 
petits  nouets  ou  liens  de  ficelle  pour  un  sac,  des  tssnablyon, 
petits  licols  de  bois  pelés  en  sève,  etc. 

Tout  se  correspond:  \z.bbtblyt'ta,  petite  bouteille,  on  fyblèta, 
petite  fiole,  la  X^ndzèta,  petit  pain  plat  (de  X'^tidz?,  pain  de 
paysan  des  Ormonts),  le  gàtèlè,  sorte  de  galette  vaudoise 
pétrie  au  lait,  au  sucre  et  dorée  avec  des  œufs,  la  krattiaXfia, 
petite  crémaillère  secondaire  ou  accessoire,  na  sbyèta,  petit 
repas  vite  apprêté.  On  se  dirait  en  vrai  pays  de  Liliputiens. 
Le  tdp3ne,  petit  pot,  n'a  qu'une  gblèta,  petit  goulot. 

Un  proverbe  dit  :  tb  pbtè  trœuvè  son  krsmayh  (ou  kivrrtè), 
toute  petite  marmite  trouve  sa  petite  crémaillère  (ou  son  petit 
couvercle),  c'est-à-dire  :  le  plus  humble  trouve  à  se  marier. 

De   même  :  tbta  danyèta  a  sa  tsdniszcta,  toute  tigette  a  sa 


46  F.  ISABEL 

chemisette,  disaient  autrefois  les  femmes  qui  triaient  avec  soin 
chaque  tige  {datty?)  de  chanvre  ou  de  Hn, 

Les  petites  choses  comptent  dans  les  petits  ménages  :  gbtèta 
fé  mbtèta,  chaque  petite  goutte  de  lait  contribue  à  former  un 
fromageon.  Èrpalyeta^  la  mbtèta,  dicton  énigmatique  par  sa 
brièveté,  qui  veut  dire  que  la  petite  combe  d'Arpilles,  à  l'ouest 
d'Isenod,  a  des  herbages  si  bons  qu'ils  influent  sur  l'excellence 
du  fromage,  si  petit  soit-il. 

On  trouve  des  diminutifs  concernant  les  vêtements,  la  toi- 
lette :  071  tsèufon  ou  tsao^on,  bas,  chausson  allant  jusqu'au 
genou,  où  commençaient  les  chausses  ;  un  enfant  quittera  de 
bonne  heure  les  bou?tmtson,  s.  m.  pi.,  très  petits  bonnets  de 
coton  blanc  tricoté,  et  les  mandzon,  s.  m.  pL,  ou  mandzèts, 
s.  f.  pi.,  brassières;  le  boîibalyon,  garçonnet,  mettra  bientôt  de 
pantahnè,  petits  pantalons,  on  t  sape  Ion  ou  tsapèlè,  t  saper  on  ou 
isapèrè,  petits  chapeaux,  et  n'aura  plus  besoin  de  palyssson. 
Y.di  f?lyèta,  fillette,  ne  portera  plus  longtemps  ses  grsdsnè, 
petits  jupons,  et  sa  robèta,  robette  (nom  que  les  magasins  de 
mode  commencent  à  employer  en  français),  qui  s'agraferont 
soit  avec  des  bbtsnè,  petits  boutons,  soit  au  moyen  de  krbtsè, 
crochets,  et  de  bb^èts,  s.  f.  pi.,  bouclettes  en  fil.  Sa  fatèta, 
pochette  d'habit,  ne  devra  pas  avoir  le  moindre  pèrtdzè,  petit 
trou  ;  grâce  à  son  fœudaron,  petit  tablier,  elle  paraîtra  encore 
bien  dzouw^dnèta^  jeunette,  et  peut-être  blyatitsèta,  blanchette, 
si  elle  n'a  pas  sa  plyassèta,  petite  place,  au  soleil  du  bon 
Dieu.  Mais  elle  deviendra  bien  balcta  (belle,  mignonne,  ave- 
nante), et  alors,  gare  aux  vendanges! 

Lou  valè  lè-z-inbrasson, 

S?  le  lâsson  "  on  rapslyon  !  „ 

(Les  jeunes  gens  les  embrassent  si  elles  laissent  un  grappillon). 
Autant  de  grappes  oubliées  involontairement,  autant  de  becs. 
C'est  la  coutume  du  vignoble. 

Quand  saura-t-elle  (a.he  onpâton,  masse  de  pâte  pétrie,  prête 
à  être  mise  au  four,  ou  filer  sa  kouhialycta,  sa  petite  que- 
nouille^ 


LES  DIMINUTIFS  DANS  LE  PATOIS   DES  ALPES  VAUDOISES      47 

Ces  enfants  nudzbton  (mangeottent)  déjà  bien,  il  ne  faut  pas 
leur  épargner  les  bok?nc,  petits  morceaux,  car  mieux  vaut  payer 
les  boulangers  que  les  médecins  ! 

Dans  les  diminutifs  appliqués  aux  choses  de  la  nature,  je 
trouve  au  courant  de  la  plume  :  une  ilyèta,  petite  île,  on  bcdè, 
petit  bied,  ou  bètè^  ruisselet,  on  golyè,  petite  flaque,  mare,  on 
lagb^  un  étang  rappelant  une  lagune  dormante,  nafontan-nèta, 
petite  fontaine  naturelle,  on  partsc,  petit  parc,  on  yynè,  petit 
sentier,  «  vionnet  -■>,  on  isPiMnc,  petit  chemin,  nn^konbèta,  petite 
combe,  dépression  du  sol,  na  r9V9ncta,  petit  éboulement  de 
terre,  na  montanyèta,  petit  alpage,  on  pakouayrè,  petit  pâturage, 
on  mslèr,  molard,  mamelon  rocheux,  na  bèkèta,  petite  pointe 
de  roc,  on  kou3tsè,  sommet,  on  poyè,  petite  montée,  raidillon, 
le  sondzon,  le  sommet  du  village  ;  le  fàulaton,  petit  cyclone 
ou  tourbillon  qui  enlève  le  foin  sec  sur  les  htètc,  bande  rectan- 
gulaire de  fauchage,  très  longue  en  amont  et  très  étroite  ;  na 
karèta,  ondée  ou  averse  qui  ne  dure  qu'un  niojnsnc,  un  petit 
moment,  des  nyo/èû,  très  petites  nuées,  qui  fondent  parfois  aux 
chaudes  matinées  d'été.  Le  dzalon  est  une  légère  couche  de 
gel  sur  l'herbe  ou  les  planches. 

De  la  réunion  de  plusieurs  suffixes  naissent  quelquefois  des 
sous-diminutifs  :  le  patois  j^ji'^,  petite  paroi  de  rocher,  a  donné 
encore  sassolè  ;  un  bilyon,  billon,  plus  mince  est  un  bslyinè  :  on 
sclydne  est  un  petit  seillon  ;  na  pudz3ncta  est  une  très  jeune  pous- 
sine  ou  poulette  ;  des  isœuX^nè  sont  de  très  petits  bas  d'enfants; 
un  t3p3nè,  un  petit  t3pin  (Topf)  ;  na  7'ir3lt-ta,  une  «  vire  »  encore 
plus  petite  ou  plus  courte  que  ?ia  virèta  ;  on  bbhnc,  un  bœuf 
plus  petit  encore  qu'un  bblon;  on  mbdz3nè,  nne  génisse  moindre 
qu'un  mbdzon; pi'lbty3nè,  un  très  petit  peloton,  qui  est  lui-même 
un  diminutif  de  pelote  ;  une  petite  cuve  ou  t3na  est  un  tinb 
(ou  t3non),  dont  le  numéro  le  plus  petit  sera  un  t3nalon  ;  l'e  sa- 
/<2j'/-/7r,  d'après  leur  suffixe,  devraient  être  plus  âprement  acides 
encore  que  //'  salètc,  la  petite  oseille  des  prés  ou  surelle. 

Enfin,  on  trouve  des  diminutifs  dont  le  mot  simple  n'existe 
pas  dans  les  patois  de  la  contrée,  d'autres  appliqués  d'une 


48  F.   ISABEL 

manière  bien  inattendue  :  passon,  petit  pieu  fourchu,  na  via- 
zèta,  mauvais  genre  d'individu,  sans  parole  et  sans  conscience, 
fia  frassèta,  rupture  de  terrain,  cassure,  crevasse,  na  v9rèta, 
dé  à  coudre,  veste  d'homme,  on  yadzèy  fardeau  peu  lourd, 
vassale,  petit  vaisseau,  sorte  de  ruche  d'abeilles,  de  la  ravss- 
sèta,  tiges  acres  de  l'anthrisque  sauvage,  sèpon,  grossière  ser- 
rure de  bois,  na  pudrcta,  sautelle  de  vigne,  motscta  ou  suprèta, 
allumette,  navèta  petit  pain,  genre  gâtelet,  tsa?ibèta,  ne  signi- 
fiant ^\\x%  petite  jambe,  mais  la  partie  supérieure  d'une  jambe 
de  porc  ou  d'ours,  un  jambon,  on  sardzon,  plein  une  «  sarge,  » 
ou  carré  de  toile,  na  sar dzêta,  petite  «  sargée»,  le  botèiè,  les 
onglons  des  chèvres  et  des  brebis,  lou  grifyon,  les  extrémités 
des  griffes,  la  damèta  petite  dame,  sorte  d'orchis,  planche 
ajourée  d'un  balcon  de  chalet,  nom  de  vache.  Takouanc  (de 
tacon,  motceau  d'étoffe  pour  rapiéçage),  nom  de  vache  tache- 
tée, et  pomèta,  autre  nom  de  vache. 

Fomèta,  layva-tè,        Pommette,  lève-toi. 

Passa  ko...  me!  Passe  où  je  passe  ! 

Td  nJ  tè  dcrbtserépâ!  Tu  ne  tomberas  point  dans  le  précipice! 

criaieiit,  d'après  la  légende,  les  fées  des  Ormonts  qui  condui- 
saient les  vaches  dans  les  rochers,  pour,  en  récompense, 
trouver  sur  le  toit  de  la  rase  du  berger  un  baquet  de  lait  bien 
propre. 

Souvent  les  diminutifs  sont  tirés  de  verbes  :  ainsi  le  trblyon, 
dernier  moût  que  le  pressoir  peut  faire  sortir,  de  la  bèvèta, 
mauvaise  boisson,  de  piètre  qualité,  Vafuasson,  petit  reste  final 
de  tout  le  foin  sec  d'une  prairie,  na  likèta,  petit  bateau 
glissant  bien  {hkâ  =  glisser),  h  rpbatè,  l'ensuble  d'un  tisse- 
rand, le  brinlètè,  ail  a  tête  ronde  (ses  tiges  branlent  sans  cesse 
à  la  brise),  sorte  de  ciboulette  des  hautes  Alpes. 

Il  y  a  même  des  verbes  diminutifs  :  y3  nèoudtsè,  il  neigeotte, 
un  flocon  par  ci,  un  flocon  par  là,  rizbtâ,  sourire  avec  grâce 
ou  avec  une  pointe  de  malice,  et  même  d'hypocrisie,  etc. 

Pour  être  complet,  il  y  aurait  également  de  nombreuses 
remarques  à  faire  sur  les  noms  de  lieux,  où  les  diminutifs  ne 


LES  DIMINUTIFS  DAN'S  LE  PATOIS  DES  ALPES  VAUDOISKS     49 

sont  pas  rares  non  plus.  En  voici  quelques-uns  pris  au  hasard  : 
Conchette^,  Croix  de  la  Vouardetia-,  Croix  de  VAroleite^y 
Ordzevalettaz^,  la  FrHtrettaz'->,  la  Gissettaz^\  la  Gittettaz, 
la  Poiisettaz"^,  XAtigettaz^,  la  Tretnetaz^,\a.  Loélettaz^^,  Arpi- 
tetta^^y  la  Condeminettaz^-,  VOchettaz^"^ ,  la  Repettaz'^'^ ,  la 
Corbettaz^^,  la  Cotettaz^^,  la  Combalettaz  »",  la  C/ie?talettaz^^, 
la  Porreyrettaz,  et  même  la  Petite  Porreyrettaz^^,  la  Léche- 
rette'^^,  le  Pascheu  de  la  Déleretta-^,\di  Chavonettaz,  la  Fras- 
settaz-^,  la  Lavanchette-^,  les  Franquettes-^,  les  Colombettes'^^, 
les  Dentelettes^^,  les  Mossettes,  la  Pointette,  les  Forclettes,  la 
Sergnette-',  les  Ressettes-^,  les  Barmettes-^,  les  Molliettes,  la 
Rionzettaz,  les  Tornettes"^^,  les  Gobalettes"^^,  les  Pierrettes^-, 
\ç%Echerchettes'^'^,  les  Gleyrettes"^^,  lesPreisettes^^,  V/vouettaz^^, 
les  Ptanc/iettes-^'',  Crète/ ^^,  Créte/et^^,  le  Châtelef^,  les  CVr- 
belets^^,  les  Closalets^',  Luissélet^"^,  le  Tsevayret,  les  Cîzr- 
tillets^^,  le  Portalet^^,  le  Duzillet^^,  Fenalet^"^,  le  Pralet^, 
les  Vanalets'^^,  les  Collatelets^^,  les  Fentllets,  Chevrillet,  les 
Greneyrets'-^^,  les  yErnets^^,  les  Arsets^^,  les  Diab/eys^^,  les 
Diablons'^^,  les  Diablerets^'^,  le  Lavanchet'^'^,  les  Fssertons^^, 


'  Ormont  -  dessus ,  Corbeyrier,  Avenches.  —  -Près  Vernayaz.  — 
■"^  A  2271  m.  dans  le  Val  Savaranche  (Aoste).  —  "'A  Grimisuat.  — 
■''  Saint-Cergues.  —  ^  A  Montbovon.  —  "  A  Leysin.  —  ^  Château-d'Œx. 

—  "  Gruyère.  —  i"  Près  du  mont  Pleureur  (Bagnes).  —  *'  Sur  Zinal. 

—  *2  Ollon.  —  *'^  Panex  sur  Oilon.  —  ^^  Plans  de  Frenières.  —  *■''  Cor- 
beyrier. —  *^  Aux  deux  Ormonts.  —  *''  Sur  le  Sépey.  —  '*  A  Ollon, 
Bex,  Entremont.  —  *^  Alpes  de  Bex.  —  -°  Gryon,  Chesières,  Château- 
d'Œx.  —  ^'  Antagne   près  Ollon.  —  ^-  Près  Vers-l'Eglise  (Ormonts). 

—  ■■''A  Mordes.  —  ^4  ^  Lavey.  —  ^^  Gruyère.  —  '-"^  Près  du  Petit- 
Muveran.  —  -''  Vallée  de  l'Hongrin.  —  '^*  Yvorne.  —  -^  Ollon  et  Bex. 

—  3"  Ormonts.  —  •**  Ollon  et  vallée  de  l'Hongrin.  —  ^'^  Littoral  du 
Léman.  —  ^^  Bretaye  sur  Ollon,  et  Finshaut.  —  3'  Etivaz.  —  ^^  Orm.- 
dessus.  —  36  Alpes  de  Bex,  Rossinières  et  sous  Chesières.  —  ■''''  Bex, 
Ollon,  Neuchàtel,  etc.  —  ^^  Ollon,  Bex.  —  ^^  Gryon,  Ormont-dessus. 

—  *"  Bex,  Gsteig.  Salvan,  etc.  —  •"  Corbeyrier.  —  ^-  Ollon  et  Oron. — 
"  Gryon.  —  **  Alpes  de  Bex.  —  ^^  Val  Ferret.  —  ^"^  Ollon-Plaine.  — 
*'  Bex.  —  ''^ Ormont-Dessus.  —  '"'  Etivaz.  —  ^^  Mordes.  —  ^^  Orm.- 

—  ^2  Gryon.  —  -'^  Plambuit  sur  Ollon.  —  ^*  Fully.  —  ^'^  Anniviers.  — 
^  Ormonts,  Bex,  Conthey.  —  '""^  Bagnes.  —  '"*  Ormonts,  Aigle.  — 


50 


F.    ISABEL 


Zermillon^^ ,  et  bien  d'autres  exemples  qu'il  serait  facile  de 
multiplier. 

Qu'on  me  pardonne  la  longueur  de  cette  causerie,  qui  a 
dépassé  mes  prévisions,  en  songeant  que  ce  n'est  point  pour 
y  faire  mes  fèrrètè  (bénéfices  très  appréciables),  ni  pour  en 
tirer  gloriette  que  je  l'ai  commencée. 

F,  ISABEL. 


Alpes  lénianiennes. 


*'  JX  ■> 


PRONOSTICS   ET    DICTONS    AGRICOLES 


Patois  du  Clos  du 
(Suite.  —  Voir  ci 

68 


Sin  PPr  é  Sin  Pbl  pyœdjou, 
pb  tranf  djoué  son  don- 
djurou. 

5p  djuyè  à  hé,  èpouint'  té  vé- 
ché. 

70 

S'è  pyœ  h  prpinî'  djoué  dp  la 
kanikul,  è  pyœvré  ché  snin-n 
dp  tan  ;  s'è  fë  be,  Ip  hé  tan 
durré. 

71 

An  le  Madlin-n  ,  le  nouch'  à 

pyin-n,    an    le   Sin-Loran, 
an  kréy  dpdin. 


DouBS  (Jura  bernois) 
-dessus,  pp.  16-2 j.) 

68 
Saint-Pierre  et  Saint-Paul 
(29     juin)     pluvieux,     pour 
trente  jours  sont  dangereux. 

69 

Si  juillet  est  beau,  prépare 
tes  tonneaux. 

70 
S'il  pleut  le  premier  jour 
de  la  canicule  (16  juillet),  il 
pleuvra  six  semaines  de 
temps;  s'il  fait  beau,  le  beau 
temps  durera. 

71 
A  la  Madeleine  (22  juillet),. 

la  noix  est  pleine,  à  la  Saint- 
Laurent  (10  août),  on  fouille 
dedans. 


PRONOSTICS    ET    DICTONS    AGRICOLES  5  I 

72  72 

S'e  pyœ  an  le  Sin   Viktor,  on         S'il  pleut  à  laSaint-Victor> 
tiû  rtyé  p'  grin  îchoi.  ^^    ^^    récolte    pas    grand' 

chose. 

73  73 

Lp  moue  d'à  mèvur  tb.  Le  mois  d'août  mûrit  tout. 

74  74 

A   moue   d'à    lé  djrin-n   son         Au  mois  d'août,  les  poules 

souédj.  sont  sourdes. 

75  75 

Tan  sa  an-n-b,  gros'  nU^  Temps  sec  en  août,  gros 
hyœv',  nouèdj  pb  l'uvF.  nuages    bleus,    neige    pour 

l'hiver. 

76  76 

S'è  pyœ  an  le  Sin  Loran,  std  S'il  pleut  à  la  Saint-Lau- 
pyédj  èriv  è  tan.  rent  (lo  août),   cette  pluie 

arrive  à  temps. 

77  77 

An  le  Sin  Loran  h  vonlin.  A  la  Saint-Laurent  la  fau- 

cille. 

78  78 

Sp  h'b  nd  tyœrt,  sepianhr'  h  Ce  qu'août  ne  cuira,  sep- 
rœtiré.  tembre  le  rôtira, 

79  79 

0  mèvurâ,  sèptanbr'  drtyœ,  Août  mûrit,  septembre 
an  si  dou  moue  tb  vè  pb  V  récolte,  dans  cts  deux  mois 
mœ.  tout  va  pour  le  mieux. 

80  80 

A  niouètan  d'b,  VuvF  s'è-  A  la  mi-août,  l'hiver  se 
hmans'.  met  en  train. 


52 


J.    SURDEZ 


81  8l 

An  le  fin  d'à,  lé  fan-nè  cho-  A  la  fin  d'août,  les  femmes 

kan.  claquent  des  dents. 

82  82 
Sèptanhr'  â  h  nié  d'èrbà.  Septembre  est  le  mai  d'au- 
tomne. 

83  83 


An  sèptanbr',  le  bij'  èhnans' 
dp  tandr'. 

84 
An  le  Sin  Lœ,  le  linp  à  syo. 

85 

Ravouét'  bîn,  S9  td  m  krè,  h 

landmin  dp  Sint'  Krou:  sd 
h  tan  â  btn  bê,  an-n-eron 
dp  to  prou;  an-n-èron  ïn 
kroû'y'  an,  sp  h  tan  à  pyœ- 
djou. 

86 

Bé  tan  an  le  Sint'  Krou, 
bouin-n  an-ne. 

87 
Tyin  è  pyœ  an  le  Sin  Matyœ, 
vètch  é  bù^  n  fe  pu  kou- 
tchi'  fœ. 

88 

An  le  Sin  Matyœ,  lé  djoué  k 
lé  né  n  son  pu  Ion  ni  pu 
koué. 


En  septembre,  la  bise  com- 
mence à  souffler  avec  force. 

84 
A  la  Saint-Loup,  la  lampe 
au  clou. 

85 

Regarde  bien,  si  tu  m'en 
crois,  le  lendemain  de  Sainte- 
Croix  (14  septembre)  :  si  le 
temps  est  bien  beau,  on  aura 
de  tout  assez;  on  aura  une 
mauvaise  année,  si  le  temps 
est  pluvieux. 

86 

Beau  temps  à  la  Sainte- 
Croix,  bonne  année. 

87 
Quand  il  pleut  à  la  Saint- 
Mathieu  (21  septembre),  ne 
fais  plus  coucher  vaches  et 
bœufs  dehors. 
88 
A    la    Saint-Mathieu,    les 
jours  ne  sont  ni  plus  longs 
ni  plus  courts  que  les  nuits. 


PRONOSTICS    ET    DICTONS   AGRICOLES 


53 


89 

An  le  Sin  Michel,  to  le  fru 
son  tyœyè. 

90 
Vouin-ny'    h    djoué    dp   Sin 
Fransouè,  tè  grin-n  ère  di 

poiiè. 

91 

S9  l  tan  à  syè  an  le  Sin  Dni, 
l'uvî'  nd  sré  p'  ïn-n-ènye. 

92 

Lp  djoué  dp  le  Sin  Dni,  l'âi^r 
sp  mèrî'  an  niFnœ. 

93 
Tyin  è  pyœ  din  l  bé  Ip  djoué 
dp    le    Sin    Luk,    Vâv    kp 
tchouè  à  noue  din  Ip  à. 

94 

An  le  Sin  VolP,  le  tchirû^  do 
l  pouèrF. 

95 

Sin  Krépïn,  le  moû^  émâi^tch'. 

96 

An  le  Sin  Simon,  in-n  mâi^lch 
va  ïn  hblon. 


89 

A  la  Saint-Michel  (29  sep- 
tembre), tous  les  fruits  sont 
cueillis. 

90 

Sème  le  jour  de  Saint-Fran- 
çois (4  octobre),  ta  graine 
aura  du  poids. 

91 

Si  le  temps  est  clair  à  la 
Saint-Denis  (9  octobre),  l'hi- 
ver ne  sera  pas  un  agneau. 

92 

Le  jour  de  la  Saint-Denis, 
le  vent  se  marie  à  minuit. 

93 
Quand  il  pleut  dans  le  bas 
le  jour  de  la  Saint- Luc  (18 
octobre),  l'eau  qui  tombe  est 
neige  dans  le  haut, 

94 
A   la   Saint-Vendelin   (20 
octobre),  la  charrue  sous  le 
poirier, 

95 

Saint-Crispin  (25  octobre), 
la  mort  aux  mouches, 

96 

A  la  Saint-Simon  (28  oc- 
tobre), une  mouche  vaut  un 
pigeon. 


54 


J.    SURDEZ 


97 

An  le  Tbsin,  lé  byè  vouin-nyP, 
é  tb  lé  fruf  son  bïn  kouè- 
tchF. 

98 

Tym  le  Tbsin  à  li,  Uch  le 
tchèrii'  li. 

99 

Sp  l'tivP  vè  son  tchmïn,  vb 
l'ère  an  le  Sin  Mètchïn;  s'è 
s'ètèrdj  ka:(i  ran,  vb  Vèrè 
an  le  Sin  Klèman  ;  s'è  S9 
mâsy'  dd  trin-ne,  vb  Vèrè 
an  le  Sin- 1- André;  sd  vb 
n  l'è  ni  si,  ni  li,  vb  Vèrè 
an  mé  ou  avri. 


91 

A  la  Toussaint  (i"^'  no- 
vembre), les  blés  semés,  et 
tous  les  fruits  sont  bien  ca- 
chés. 

98 

Quand  la  Toussaint  est 
là,  laisse  là  la  charrue. 

99 
Si  l'hiver  va  son  chemin, 
vous  l'aurez  à  la  Saint-Martin 
(11  novembre)  ;  s'il  s'attarde 
quelque  peu,  vous  l'aurez  à 
la  Saint-Clément  (23  novem- 
bre) ;  s'il  se  mêle  de  traîner, 
vous  l'aurez  à  la  Saint-André 
(30  novembre);  si  vous  ne 
l'avez  ni  çà  ni  là,  vous  l'au- 
rez en  mai  ou  avril. 

100  100 

Epré  le  Nôtr'  Dèm',  h  vïn  à  Après  la  Notre-Dame  (2 1 
bon  pb  bonèr.  novembre),  le  vin  est  bon  à 

boire. 

101  ICI 

An  le  SinV  Katrin-n,  mon-nP  A  la  Sainte-Catherine  (25 
fè  tè  fèrin-n  ;  Sin-t- André  novembre),  meunier  fais  ta 
vré,  kp  tb  djalré  é  Vèrâtré.     farine  ;  Saint- André  viendra, 

qui  tout  gèlera  et  t'arrêtera. 

102 

L'hiver  est  bien  souvent 
fatigué  à  la  Saint-Nicolas  (6 
décembre). 


102 

UuvP  à  bïn  svan  sol  an  le 
Sin  Nikblâ. 


PRONOSTICS    ET    DICTONS    AGRICOLES  55 

103  103 

An  le  Sin  Tdtfia,  lé  djoué  A  la  Saint-Thomas  (21 
son  à  pu  bé.  décembre),  les  jours  sont  au 

plus  bas. 

104  104 

È  Nà  le  yès',  è  Pety'  le  bè-  A  Noël  la  glace,  à  Pâques 
bcû'rat'.  les  moucherons. 

105  105 

Siu  k  s'étchâd  à  saroiièy'  è  Nà  Celui  qui  se  chauffe  au 
h  sin  djoué,  dèré  brélè  di  soleil  à  Noël  le  saint  jour, 
bo  tyin  Pety'  ère  son  toué.       devra  brûler  du  bois  quand 

Pâques  aura  son  tour. 

106  106 

Djme  satch  an-nè  n9  f^^é  pdi^r  Jamais  année  sèche  n'a 
son  mètr.  appauvri  son  maître. 

107  107 

Satch  an-nè  nà  p'  èjèmè.  Année  sèche  n'est  pas  af- 

famée. 

108  108 

An-nè  d  djalè,  an-nè  d  byè.  Année  de  gelée,  année  de 

blé. 

109  109 

An-nè  âi^rouèyâi:^' ,  an-nè  pb-  Année  venteuse,  année  de 
niôûi'.  pommes. 

iio  iio 

An-nè  d  k'mkouèdj,  bouin-n  Année  de  hannetons, 
an-nè.  bonne  année. 

III  III 

L'an-nè  Vé  di  fouin  bràman  L'année  qui  donne  beau- 
/  pu  svan  n  va  ran.  coup  de  foin  le  plus  souvent 

ne  vaut  rien. 


56  J.    SURDEZ 

112  112 

Sêjon    èièrdjï^    ran    bon    lé         Saison   tardive   rend   bon 
mœrdjF.  jusqu'aux  «  murgiers  »   (tas 

de  pierres  dans  les  champs). 

113  113 

Tin  h  le  lin-n  ros,  dur,  lé         Tant  que  la  lune  rousse 
frut'  nd  son  p'  chUr\  dure,  les  fruits  ne  sont  pas 

sûrs. 

114  114 

Lin-n    byèv  :    pyœdj  ;  lin-n         Lune    pâle  :    pluie  ;    lune 

hyintch'  :    tan    syè  ;  lin-n     blanche  :   temps   clair  ;   lune 

rbs'  :  cu'r.  rousse  :  vent. 

115  115 

5p  le  lin-n  sp  rfe  tyin  è  pyœ,         Si   la  lune  commence  de 
è  fré  hé  don  djoué  pu  le.        croître  par  la  pluie,  il  fera 

beau  deux  jours  plus  tard. 

116  116 

Lp  sbroiièy'  h  banity'  h  mètïn         Le    soleil    qui    louche    le 
np  vré  djpmè  è  bouin-n  fin.     matin    n'arrivera     jamais     à 

bonne  fin. 

117  117 

Djalè       byintch'       èmouin-n         Gelée     ^blanche       amène 
pyœdj'.  pluie. 

118  118 

Sât  krèpâ,  nb-:(^èrin  d  Vàv.  Saute  crapaud,  nous  aurons 

de  l'eau. 

119  119 

Tyin  l  pou  boue  l  ichà  tan,  le         Quand  le  coq  boit  en  été^ 
pyœdj  n'a  p'  louin  d'èrivè.     la  pluie  n'est  pas  loin  d'ar- 
river. 


PRONOSTICS    ET    DICTONS    AGRICOLES  57 

120  120 

U  pyœdj  di  du'moiiin-n  dur  La  pluie  du  dimanche  dure 

spvan  là  le  smin-n.  souvent  toute  la  semaine. 

121  121 

Sbrouèy'  d'uvï'  à  vit  koiiètchî^.  Soleil  d'hiver  est  vite  ca- 
ché. 

122  122 

Roudj  lôvrè,  grij  mètnè,   bel  Rouge   soirée,   grise   ma- 

vâprè.  tinée,  bel  après-midi. 

123  123 

Le  vouin-nyéjon,  le  mouèchon,  Les  semailles,  la  moisson, 

in  ybt'  tan  è  yot  sejon.  ont  leur  temps  et  leur  saison. 

124  124 

Tyin  è  notièdj  din  l'anson,  è  Quand    il    neige    sur    les 

fè  frouè  din  h  fon.  hauteurs,  il  fait  froid  dans  le 

bas. 

125  125 

E  nà  gri  moue  h  np  rv9-  Il  n'est  gris  mois  qui  ne 

nyœch\  revienne. 

126  126 

Pb  m  bé  djoué  d'tivF,  l'ojé  np  Pour  un  beau  jour  d'hiver, 

syotr'  pp.  l'oiseau  ne  siffle  pas. 

127  127 

In-n  èlonbrat'  np  fè  p'  h  bon-  Une  hirondelle  ne  fait  pas 

tan.  le  printemps. 

J.    SURDEZ. 


TEXTE 

-♦- 

La  moisson  d'autrefois. 

Dialogue  en  patois  d'Aire-la- Ville  (Genève) 

—  On  n  0  po  nié  h  dpman  a  mèspno. 

—  '^o  bé  no,  on  mè  b  boké  ^  ou  a. 

—  N  y  è  po  tré  lôû,  p^o  vré,  Driân°,  aoué  dé  chalœr  parîr, 
on-n-è  hounéi  k  i  sày^  vil  fé. 

—  "0,  y  è  bé  su,  Karblin'^,  mé  han-t-on  p'^ès'  é  tnèson  dé- 
:(-otr  vlyod',  y  éi^e  bé  onko  pi  ! 

—  Bé  oua,  kan-t-i  fale  tb  mèspno  aoué  h  vblan  -  ! 

—  Y  è  vré  k  y  éiae  rudamè  pènibly,  mé  y  éf^è  plyp  gé  h 
yœr. 

—  d^i  nb,  on-n-avH  tbrdb  na  bèd'  dp  mèsyè,  na  di^^^en", 
a  peu  prè,  è  poué  atan  dp  mèsnir^. 


TRADUCTION 

—  Nous  n'avons  (liit.  on  n'a)  plus  que  demain  à  moissonner. 

—  Oh  !  bien  nous,  nous  mettons  le  bouquet  aujourd'hui. 

—  Ce  n'est  pas  trop  tôt,  n'est-ce  pas,  Adrienne,  avec  de 
pareilles  chaleurs,  on  est  bien  aise  que  ce  soit  vite  fait. 

—  Oh  !  c'est  bien  sûr,  Caroline,  mais,  quand  on  pense  aux 
moissons  d'autrefois,  c'était  bien  encore  pire. 

—  Bien  oui,  quand  il  fallait  tout  moissonner  avec  la  faucille. 

—  C'est  vrai  que  c'était  rudement  pénible,  mais  c'était  plus 
gai  qu'à  présent. 

—  Chez  nous,  on  avait  toujours  une  bande  de  moissonneurs, 
une  dizaine  à  peu  près,  et  puis  autant  de  moissonneuses. 


LA    MOISSON'    d'autrefois  59 

—  T^i  lô  Pirolè  y  è-n-av"è  onkb  nié,  i  lô  nièlfV^"  tô  drpmi 
su  h  sbli,  tb  melon  mélè  ;  i  s  i  pasiv'  dé  br'^ov'  cbû~'  ! 

—  «0  bé,  p"o  tbrdb  ;  splè  kp  vpnyïv°>*  tb  drâ  dp  t^i  le,  dp 
la  Saoué,  al  étyon  onkb  bé  bnét  è  poué  mèlyœ  bvrî  kp  lô  mb- 
lardî'-^  ;  mé  y  e-n-avâ  k  ét"è  dp  la  rud"  kasibrây'. 

—  Dp  nip  rapèl  k  yon  m  avê  kbryb  aprè  kan  d  alîv  mèsnô 
ûi  mons'  Anri.  Kan-t-al  b  vyu  h  métr'  k  arpvîv',  y  è  se  k  è 
rptèrno  "è-n-arî;  é  vblè  mp  faro  *. 

—  A  mp  ètb,  y  b  on  vlyod'  k  i  vblyon  mp  faro.  Kan  dp 
mp  s'^è  vycû°  prâ^,  dp  mp  s^e  asetoy'  pè  tèr°,  è  poué  dp  lô-^-é 
bfèr  mon  pîy°  ;  i  n  on  po  ô^o  mp  faro.  "è  mp  r'^ètbrn^e,  dp 
lô-:(^é  kriyo  :  ((  Kapon  !  »  I  m  on  kbryb  aprè  ;  alôr  y  è  mp  kp 
d  é  déouèdo  mé  gibol  ;  anfin,  i  «  on  po  pu  m  avâ. 

—  E  poué  lé  mèsnîr' ,  kan  h  farfv^"  Ip  mblyœ  ^  !  Y  b  on 
vlyod'  al  avyon  faro  h  mblyœ  k  étà  h  garson  dp  la  maè- 
:(^on;  y  è  lyiii  k  él^e  "è  kbler  ! 

—  Chez  les  Pirolet,  il  y  en  avait  encore  plus,  ils  les  mettaient 
tous  dormir  sur  le  fenil,  tous  pêle-mêle  ;  il  s'y  passait  de  jolies 
choses  ! 

—  Oh  !  bien,  pas  toujours  ;  ceux  qui  venaient  tout  droit  de 
chez  eux,  de  la  Savoie,  étaient  encore  bien  honnêtes,  et  puis 
meilleurs  ouvriers  que  les  «  molardiers,  »  mais  il  y  en  avait  qui 
étaient  de  la  rude  racaille. 

—  Je  me  rappelle  qu'un  m'avait  couru  après  quand  j'allais 
moissonner  chez  M.  Henri  ;  quand  il  a  vu  le  maître  qui  arrivait, 
c'est  lui  qui  est  retourné  en  arrière  !  Il  voulait  me  «  ferrer.  » 

—  Moi  aussi,  il  y  a  une  fois  qu'ils  voulaient  me  ferrer.  Quand 
je  me  suis  vue  prise,  je  me  suis  assise  par  terre;  je  leur  ai  offert 
mon  pied  ;  ils  n'ont  pas  osé  me  ferrer.  En  m'en  retournant,  je 
leur  ai  crié  :  «  Capons  !  »  Ils  m'ont  couru  après  ;  alors,  c'est 
moi  qui  ai  dévidé  mes  gigues  ;  enfin,  ils  n'ont  pas  pu  m'avoir. 

—  Et  puis  les  moissonneuses,  quand  elles  ferraient  Taigui- 


6o  GEORGES    CHRISTIN 

—  Y  è  k  i  HP  h  fasîv'  po  du  bd,  p^es"  vi,  b  frbîo  la 
plyant"  dé  pfy°  aoité  na  poudnîy°  dp  blyo  è  poué  l  "èfaio  dé 
bud-  f^ètr  lô-:{-artyè. 

—  Dp  mp  tpnîv'  amif  du  mblyœ,  pè  k  é  mblis'  loniH  mon 
volan;  dp  nip  rppôiiv  p<^èdè  se  t^è. 

—  T'alîvb  bé  èib  dari  lé  sf:^  pè  tp  rppb:(0  l  ér^'e  ? 

—  KpvUt  ?  on-n-él^è  dp  vlyoo  rudamè  fatigô,  on  langpsîv 
k  i  fus'  on^  yœr  pè  nidî  h  pape  ^. 

—  Dp  l  é  prœ-:(^u  pbrto  pè  lô  âan. 

—  E  poué  on  d^ènîv  a  katr  œr. 

—  Alôr,  de  katr  œr  a  la  né,  b  t^e  pasîv  prœ  vit'. 

—  Bé  oua,  on  sp  rpmètîv  a  ûanto  è  a  travalyî ;  lé  mèspnir 
kbm'^èstv'^",  è  lô  mèsyè  répondfv^". 

—  T  a  k  îp  tp  rapèV  la  âanfon  dp  la  bèl°  Loui:(on  : 

Louison,  belle  Louison, 
Disent  qu'elle  est  tant  belle  ! 

seur.  Il  y  a  une  fois,  elles  avaient  ferré  l'aiguiseur,  qui  était  le 
garçon  de  la  maison  ;  c'est  lui  qui  était  en  colère  ! 

—  C'est  que  cela  ne  lui  faisait  pas  du  bien,  pense  donc,  lui 
frotter  la  plante  des  pieds  avec  une  poignée  de  blé  et  puis  lui 
enfiler  des  brins  de  paille  entre  les  orteils  ! 

—  Je  me  tenais  amie  de  l'aiguiseur,  pour  qu'il  aiguise  long- 
temps ma  faucille  ;  je  me  reposais  pendant  ce  temps. 

—  Tu  allais  bien  aussi  derrière  les  haies  pour  te  reposer  les 
reins  ! 

—  Que  veux-tu,  on  était  parfois  rudement  fatigué  ;  on  lan- 
guissait bien  qu'il  fût  onze  heures  pour  manger  la  bouillie. 

—  Je  l'ai  assez  eu  portée  par  les  champs. 

—  Et  puis  on  dînait  à  quatre  heures. 

—  Alors,  de  quatre  heures  à  la  nuit,  le  temps  passait  assez  vite- 

—  Bien  oui,  on  se  remettait  à  chanter  et  à  travailler;  les 
moissonneuses  commençaient  et  les  moissonneurs  répondaient. 

—  Est-ce  que  tu  te  rappelles  la  chanson  de  la  belle  Louison? 

Louison,  etc. 


LA    MOISSON    d'autrefois  6i 

—  È  poiiC  tp  s  pi  otr'  : 

Petite  Madeleine, 

Veux-tu  t'y  marier, 

Oh  !  oh  !  oh  !  veux-tu  t'y  marier  ? 

Comment  m'y  marierais-je, 
Autant  d'amants  que  j'ai? 
Oh  !  oh  !  oh  !  etc. 

J'en  ai  bien  vingt  à  trente. 
Tous  des  beaux  compagnons, 
Oh  !  oh  !  oh  !  etc. 

Dp  np  nip  rapèV  po  la  rést'. 

—  Y  è  vrè  k  y  è-n-ava  tèlamè  dp  sôurf  k  on  np  pu  po  tôt 
sp  lé  rapèlo. 

—  Sp  k  èt^è  br^ov',  y  ét"è  kan-t-i  r"ètrîv°»  la  ne  ta  a  hrc, 
lé  mèspnîr  dpvan  è  lô  mèsyœ  dan. 

—  '^è-n-arpvè  a  la  maè:(on,  i  sp  mètîv^"  "è  ryon  pe  kon- 
tinouo  dp  ûanto  è  poué  i  finpslv^"  '^è  poiièse  na  kouènoy'  '^. 

—  Y  avè  onko  rp  d  as'  gé  kp  h  dari  dœr,  han-t-on  mèlîv 
h  bokè. 

—  Et  puis  toi  cette  autre  : 

Petite  Madeleine,  etc. 

Je  ne  me  rappelle  pas  le  reste. 

—  C'est  vrai  qu'il  y  en  avait  tellement  de  sortes  qu'on  ne 
peut  pas  se  les  rappeler  toutek. 

—  Ce  qui  était  joli,  c'était  quand  ils  rentraient  le  soir  en  se 
donnant  tous  le  bras,  les  moissonneuses  devant  et  les  moisson- 
neurs derrière. 

—  En  arrivant  à  la  maison,  ils  se  mettaient  en  rond  pour 
continuer  à  chanter  et  puis  ils  finissaient  en  poussant  une 
«  coinnée.  » 

—  Il  n'y  avait  encore  rien  d'aussi  gai  que  le  dernier  jour» 
quand  on  mettait  le  bouquet. 


62  GEORGES    CHRISTIN 

—  ûi  no,  on  kbpiv  on  sapin  k9  lô  mesyœ  garnpsîv^**  dp  ruban 
dp  papî,  i-:(^i  mètîv^"  na  hbtply^  pè  for  vî  k  al  avyçn  bé  uto 
abèro. 

—  On  montîv  tô  su  h  darî  ■&arè,  y  è-n-ave  yon  lip  tpnîv 
Ip  bbkè  su  Ip  dpvan,  è  poué  on  r)-antïv'  kbm'  dp  lâr  : 

Je  le  branlerai 
Mon  joli  bouquet. 

Sp  k  on  pbviv'  rîr'  ! 

—  Y  è  vrè  k  y  ét^è  on  pou  plyp  gé  kp  yœr. 

—  Oua,  e  poué  se  nb  fo  vîly^  dp  nb  rapèlo  tb  se. 

—  Bé  su,  nié  tb  vin  vyœ  aoué  nb  j  on-ti-è  onko  ity'  pè  sp 
rapèlo  se  bô  t^e,  nié  kan-t-on  sarb  m6rt\  n  y  arb  po  mé  nyon 
pè  '^è  rpparlo. 

—  Chez  nous,  on  coupait  un  sapin,  que  les  moissonneurs 
garnissaient  de  rubans  de  papier  ;  ils  y  mettaient  une  bouteille 
pour  faire  voir  qu'ils  avaient  été  bien  abreuvés. 

—  On  montait  tous  sur  le  char,  il  y  en  avait  un  qui  tenait  le 
bouquet  sur  le  devant,  et  puis  on  chantait  à  tue-tête  {litt.  comme 
des  voleurs)  : 

Je  le  branlerai 
Mon  joli  bouquet  ! 

Ce  qu'on  pouvait  rire  ! 

—  Il  est  vrai  que  c'était  un  peu  plus  gai  que  maintenant. 

—  Oui,  et  puis  cela  nous  fait  «ieilles  de  nous  rappeler  tout 
cela  !  ■ 

—  Bien  sûr,  mais  tout  vieillit  avec  nous  ;  on  est  encore  ici 
pour  se  rappeler  ce  beau  temps  ;  mais  quand  nous  serons 
mortes,  il  n'y  aura  plus  personne  pour  en  reparler. 

Georges  Christin. 


LA    MOISSON    d'autrefois  63 


NOTES 

*  L'habitude  d'orner  d'un  bouquet  le  dernier  char  de  récohe  s'est 
perdue,  mais  l'expression  est  restée.  Ce  bouquet  était  conservé  sous 
l'avant-toit. 

'  Chaque  coup  de  faucille  donnait  une  poignée  de  blé,  chaque  poi- 
gnée était  posée  à  terre  pour  former  ensuite  une  javelle  :  'na  ^ôvalo. 

'  Ouvrier  de  profession  engagé  à  Genève^  sur  la  place  du  Molard, 
par  opposition  aux  ouvriers  d'occasion,  fils  ou  filles  de  maison,  qui 
venaient  travailler  temporairement  dans  notre  contrée  avant  leurs 
moissons  plus  tardives. 

*  Plaisanterie  qui  consistait  à  déchausser  la  personne  qu'on  voulait 
«  ferrer  »  et  à  lui  frotter  la  plante  des  pieds  avec  des  épis. 

^  Moissonneur  occupé  uniquement  à  aiguiser  les  faucilles. 
^  Bouillie  au  riz  et  à  la  farine,  délayés  dans  du  lait,  qui  se  mangeait 
à  onze  heures. 

"^  Cri  de  tête  qui  terminait  le  chant. 


[Remarque  sur  la  transcription.  —  Le  son  noté  0  conserve,  lors- 
qu'il provient  de  a  tonique  latin,  une  nuance  de  a  et  peut  se  diphton- 
guer  en  ('o.  "è  indique  une  diphtongue  dont  le  premier  élément  est 
peu  sensible.  «  final  atone,  qui  équivaut  dans  la  régie  à  l'a  final  latin, 
se  rapproche  plus  ou  moins  de  9  ou  de  a,  suivant  la  nature  des  sons 
environnants.  La  mouillure  de  1'/  des  groupes  pî,  bl,  gl,  etc.  (plynnto, 
hlyo,  etc.)  est  affaiblie  et  sur  le  point  de  disparaître,  ce  qui  explique 
son  introduction  dans  des  cas  comme  vlyod,  •<  viaticum,  oi^i  elle 
n'est  pas  justifiée  étymologiquement.  —  J.  J.] 


TABLE  DES  MATIERES 


-*- 


Pages. 

L.  GauCHAT.  L'origine  du  nom  de  la  Chaux-de-Fonds     .     .  3 

J.  SURDEZ.  Pronostics  et  dictons  agricoles.  Patois  du  Clos- 

du-Doubs  (Jura  bernois) .       16,  50 

A.  'Neveu.  Djua  de  Tsalandè,  patois  de  Leysin  (Vaud)     .     .  23 

R.  Chassot.  Katilyon  la  chorchyérd,  patois  de  Villargiroud 

(Fribourg) 25 

E.  Muret.  Additions  aux  proverbes  de  Lens 28 

E.  T.  Historiettes  patoises  amusantes.  (Compte  rendu)     .     .  31 
J.  Jeanjaquet.  Le  fléau  et  ses  parties  dans  la  Suisse  romande  33 

F.  Isabel.  Les  diminutifs  dans  le  patois  des  Alpes  vaudoises  41 

G.  Christin.  La  moisson   d'autrefois,   dialogue    en    patois 

d'Aire-la- Ville  (Genève) 58 


Lausanne.  —  Imprimerie  Georges  Bridel  &  C* 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du   Glossaire. 


CINQUIÈME  ANNÉE 
1906 


BERNE 

BUREAU  DU   GLOSSAIRE 

Hallerstrasse  39 


LES  EXPRESSIONS 
POUR  UNE  «  VOLÉE  DE  COUPS  « 

DANS    LES    PATOIS    FRIBOURGEOIS    ET    VAUDOIS 
-• î— 

De  quelle  façon  voulez-vous  être  battu  V  Voulez-vous  rece- 
voir des  coups  avec  la  vouista,  la  verge,  ce  sera  oima  vouistây?, 
ou  bien  avec  l'ékourdja,  le  fouet  de  cuir,  ce  sera  onn'  ékour- 
djatây3  ?  Dans  l'un  et  l'autre  cas,  vous  aurez  ofina  fecha, 
«  fessée,  »  qui  vous  fera  faire  des  chaoinyc  et  des  pà?nâyè,  «  des 
sautées,  »  et  «  des  paumées.  » 

Non  seulement  on  peut  donner  et  recevoir  des  coups  de  bien 
des  manières,  mais  encore  on  peut  envisager  l'action  de  battre 
quelqu'un  à  des  points  de  vue  très  divers.  Battre  quelqu'un  est 
une  opération  assez  compliquée  :  pour  la  bien  décrire,  il  faut 
faire  un  récit,  où  l'on  donnera  toutes  les  circonstances  de  l'ac- 
tion, où  l'on  dira  avec  quel  instrument  on  a  battu,  quel  bruit 
cela  a  produit,  quel  effet  cela  a  eu  sur  la  personne  battue,  etc. 
De  cette  multiplicité  de  circonstances  résulte  la  variété  des 
expressions  pour  «  battre.  »  Elle  est  grande  en  français,  elle  est 
immense  dans  les  patois.  Deux  excellents  patoisants,  M.  Louis 
Bornet  et  M.  Louis  Epars,  ont  eu,  indépendamment  l'un  de 
l'autre,  l'idée  originale  de  dresser  une  liste  des  mots  patois  qui 
signifient  une  «  volée  de  coups.  »  Ces  deux  listes  sont  déposées 
au  bureau  du  Glossaire  ;  elles  contiennent  un  total  inattendu 
d'environ  170  substantifs.  Les  termes  vaudois,  au  nombre  de 
lie,  ont  été  recueillis  par  M.  Epars  dans  le  patois  de  Pen- 
thalaz  ;  ceux  de  M.  Bornet  proviennent  de  la  Gruyère.  Quelque 
attrayante  que  soit  la  tâche,  nous  ne  pouvons  songer  à  étudier 
ici  une  à  une  ces  170  expressions.  Elles  trouveront  toutes  leur 
petite  place  dans  le  Glossaire.  Pour  le  moment,  nous  nous 
bornerons  à  traiter  la  question  de  savoir  quel  est,  dans  ces 
expressions,  le  rapport  logique  entre  la  chose  et  le  mot.  J'écarte 


4  E.    TAPPOLET 

d'emblée  un  certain  nombre  de  ces  i/o  expressions,  soit  que 
le  rapport  me  paraisse  impossible  à  déterminer,  soit  que  l'em- 
ploi du  mot  ne  me  soit  pas  suffisamment  connu.  Pour  le  reste, 
nous  pouvons  faire  les  constatations  suivantes. 

En  remontant  au  sens  primitif  de  ces  mots,  nous  trouvons 
que  très  peu  signifient  «  battre  »  tout  court,  comme  batrè,  fyèrè, 
«  férir,  »  frapâ,  tapa.  Les  autres  cachent  tous  quelque  idée 
secondaire  sentie  ou  non  sentie. 

Essayons  de  les  grouper  d'après  leur  origine  probable.  Très 
souvent  on  se  sert  d'un  instrument  pour  battre  quelqu'un.  De 
là  en  français  les  mots  :  fouetier,  sangler  (frapper  à  coups  de 
sangle),  cravacher,  bétonner,  canner,  crosser,  étriller,  et  d'au- 
tres encore.  Nos  patois  ne  sont  pas  moins  riches  ni  surtout 
moins  énergiques.  Nous  avons  déjà  mentionné  la  vouistâyp  et 
Vékourdjatâyd.  Un  enfant  récalcitrant  reçoit  une  byolâys  {pyola, 
branche  de  bouleau  et,  en  général,  petite  branche,  verge),  ou 
une  rutàyd  (de  l'allemand  Ruthe,  verge),  on  dit  2Mi%\fouatây3, 
batounâyd,  kanây?  comme  en  français.  Si  les  coups  se  donnent 
au  moyen  d'un  dordon,  «  gros  bâton,  »  ou  d'un  tbrnè,  «  ron- 
din, »  c'est  une  dbrddnây}  ou  une  tbrnatâyd  ;  faute  de  mieux, 
on  prend  des  liens  de  fagot,  une  ryôûta  ou  une  vèta,  et  l'on 
donnera  des  ryoutâye  ou  des  vètâyè. 

Ajoutons  ici  trois  mots,  tirés  de  la  liste  vaudoise  de  M.  Epars, 
qui,  à  l'origine,  désignent  autre  chose  qu'une  volée  de  coups, 
ce  sont  :  koutdlây?,  pons3nây3,  «  coups  donnés  avec  un  poin- 
çon, »  et  grifâys,  «  griffée.  » 

Après  l'instrument  qui  frappe,  parlons  de  la  partie  du  corps 
qui  est  atteinte.  Si  c'est  l'échiné,  on  a  dit  étsanâyd,  si  c'est  l'en- 
droit du  corps  destiné  par  excellence  à  recevoir  des  coups,  on 
a  àxtfècha,  «  fessée.  »  D'après  le  même  procédé,  on  a  formé 
en  français  nasarder  «  donner  une  chiquenaude  sur  le  nez.  » 

Un  nombre  considérable  de  nos  mots  sont  dus  au  bruit  que 
produit  une  «  rossée.  »  Voici  tout  d'abord  plusieurs  mots  qui 
évoquent  l'image  de  la  sonnerie  de  cloches:  sounâys,  S9nalya, 
trékodounâyi,  substantif  verbal  de  trékodounâ,  «  carillonner,  > 


LES  EXPRESSIONS  POUR  UNE  «  VOLEE  DE  COUPS  »     5 

dt?idarâ,  mot  vaudois  qui  a  l'air  d'être  une  variante  de  din- 
danâ,  «  branler,  en  parlant  d'une  cloche,  »  cp.  le  français  dindaii- 
dindan,  onomatopée  imitant  le  balancement  régulier  d'une 
cloche.  On  croit  entendre  siffler  les  coups  qui  tombent  dru  sur 
la  malheureuse  victime  dans  zon-nây?,  '/(lya/âys,  é^lyatây^  ; 
tinpétây?,  produit  une  sensation  analogue.  Quand  le  bruit  de  la 
querelle  s'accroît,  on  aura  recours  à  un  terme  plus  vulgaire  : 
pt-tclyy,  «  pétée.  » 

Parfois  on  trouve  des  analogies  entre  l'action  de  battre  et 
des  phénomènes  de  la  nature.  Une  volée  de  coups  est  com- 
parée à  la  tempête  déchaînée,  à  une  giboulée  qui  fouette  le 
visage  des  passants,  ou  au  dégel  qui  amène  la  débâcle,  de  là 
des  phrases  comme:  l'a  résu  onna  tinpétây?,  oima  dzsbolây?, 
onna  dédzalâyi  (dégelée)  k3  sHn  sovindrè,  il  a  reçu  une  volée 
de  coups  dont  il  se  souviendra.  Ajoutons  avesa,  «  averse.  » 

Plus  souvent  que  la  nature,  certaines  occupations  des 
hommes  offrent  des  comparaisons  heureuses.  En  première 
ligne,  il  faut  citer  des  travaux  de  ménage;  les  diverses  opéra- 
tions de  nettoyage,  la  lessive  et  la  toilette  ont  fourni  toute  une 
collection  de  mots  :  rincha,  «  rincée,  »  tortsJuâys  «  torchonnée,  » 
kouriiy?,  «  récurée,  »  raXlyâys,  «  raclée,  »  pélclyy,  «  pelée,  » 
plyoumày?,  «  plumée  i,  »  vcsâya,  «  versée,  »  savounâyy,  «  savon- 
née, »  buyây9,  «  lessivée,  »  répasâys,  «  repassée,  »  pinya,  pei- 
gnée, »  dckutya,  «  démêlée,  »  brocha,  «  brossée,  »  dépu{)^ya, 
«  époussetée,  »  épudj'a,  «  épucée,  »  plydlya,  «  pouillée  -.  »  Dans 
toutes  ces  opérations  si  différentes,  il  s'agit  le  plus  souvent  de 
mouvements  rapides  et  répétés,  semblables  à  des  coups  qui  se 
succèdent  sans  intervalle.  De  plus,  presque  tous  les  mots  cités 


'  drilya,  "  drillée,  »  je  pense  que  ce  mot  est  dérivé  de  driy^,  «  sasser 
les  fèves,  graines  »  (Blonay);  inkr3mây?,  de  inkrmiâ,  qui  signifie  peut-être 
«  fouetter  la  crème.  » 

-  On  retrouve  la  même  métapliore  dans  les  patois  de  la  Suisse  alle- 
mande :  aim  flôd  (de  Floh),  «  châtier  quelqu'un,  »  Ions?  (de  Laiis), 
((  donner  des  coups  sur  la  tête  »  (Bâlc),  de  même  yrflôa,  .vlons^,  v,  a., 
rosser  quelqu'un. 


6  E.    TAPPOLET 

sont  reliés  par  l'idée  de  nettoyage  :  or,  on  bat  les  enfants  pour  les 
corriger,  pour  les  «  nettoyer  »  de  leur  méchanceté,  il  me  paraît 
donc  probable  que  ces  mots  qui  rappellent  le  ménage  ont  été 
d'abord  appliqués  à  des  enfants  à  punir. 

D'autres  mots  moins  nombreux  sont  tirés  de  la  vie  et  des 
occupations  du  paysan  :  crtcha,  «  hersée,  »  dézandanya,  «  action 
de  défaire  les  andains,  »  ckosa,  subst.  tiré  de  ékâorè,  «  battre  en 
grange,  »  van-nâyd,  «  vannée,  »  tsèrkbtâys,  «  charcuterie,  » 
débouèlây?,  de  déboucla,  «  ôter  les  boyaux,  démêler,  »  sanya, 
«  saignée,  »  sans  doute  dans  le  sens  du  remède  médical. 

Certains  métiers  fournissent  également  des  termes  pour  une 
volée  de  coups  :  ainsi  chsrdja,  «  sérancée,  »  kartây?,  «  cardée,  » 
é§èrja,  de  éd^èrji,  «  lisser  le  fil,  »  terme  de  tisserand,  du 
latin  extergere,  essuyer,  cf.  anc.  fr.  estergier,  «  nettoyer,  » 
mblâyd,  «  action  de  moudre,  »  voir  plus  loin  «  écraser,  »  hmâyy, 
«  limée.  »  L'idée  qui  domine  ici  est  celle  de  «  frottement,  » 
aussi  dit-on  onna  rnda  frbtâys  pour  «  une  bonne  rossée,  »  dz3- 
moiâyy,  probablement  confusion  avec  s?motây?,  de  sdmota, 
fouler,  presser  (le  raisin).  Dumur  donne  le  mot  avec  le  sens  de 
secousse,  mouvement  brusque  et  violent. 

En  se  battant  on  s'échauffe.  De  là  balyi  onna  châys,  omia 
boîirlây?,  onna  frdkachq,  «  donner  une  suée,  une  brûlée,  une 
fricassée.  »  L'allemand  dit  en  style  plaisant  :  tuir  haben  ihm 
warm  gemacht,  wir  haben  ihm  tiUhtig  eingeheizt.  De  même 
tsôda,  terme  de  battage  en  grange,  battage  d'une  airée. 

Après  s'être  roué  de  coups  pendant  quelque  temps,  on  com- 
mence à  s'écorcher  la  peau,  à  s'arracher  les  cheveux,  à  se  dé- 
chirer les  habits.  La  batterie  dégénère  en  ékbrtcha,  «  écor- 
chée,  »  dépondya,  dépsnalya,  ébrikâyj,  cfrszây?,  épèXlyôy?,  dé- 
frsgalya  (de  frsgilye,  lambeaux),  défrdpynâyd,  tscrpilya  '  ; 
enfin  voMnya,  de  vounyi,  «  tirer  les  cheveux.  » 


'  Même  origine  que  l'aiic.  franc,  cbarpir,  carder,  mettre  en  morceaux 
(lat.  carpere,  cueillir);  pour  le  suffixe,  comp.  grappiller,  mordiller. 
On  trouve  aussi  tsèrpinyn,  anc.  fr.  charpigiiier,  qui  résulte  peut-être 
d'une  fusion  de  charpir  et  de  peigner. 


LES  EXPRESSIONS  POUR  UNE  «  VOLEE  DE  COUPS  »     7 

On  continue  à  se  maltraiter  en  se  poussant,  en  se  secouant, 
en  se  tiraillant  ;  de  là,  busâys,  de  btisi,  «  pousser,  »  tsatipâys, 
«  repoussée,  »  sakàsa,  «  secousse,  »  tsèrvounya,  sabblâyd,  <'  se- 
couée;» on  peut  rattacher  ici:  trinblyây?,  grulâys,  brin/iâyy, 
«  tremblée.  » 

Dans  une  bonne  bagarre  de  cabaret,  quand  on  s'est  assez 
maltraité  à  force  de  coups  et  de  bourrades,  on  essaie  de  ren- 
verser son  adversaire  ;  de  là  des  mots  tels  que  :  ranvèsâyi, 
ahkây?,  «  glissée,  »  dégslya,  ctindya,  de  étindrè,  «  étendre  par 
terre,  »  éd-esa,  de  é-d^edrc,  «  jeter  quelqu'un  par  terre  tout  de 
son  long,  »  du  latin  sternere,  étendre,  inplyatrây?,  «  emplâ- 
trée,  »  roulây?  et  roubaiây?,  «  roulée,  »  ébourdBfalyq,  «  mise 
par  terre.  »  Ce  mot  vaudois  me  paraît  être  le  résultat  d'une 
confusion  entre  le  verbe  ébourddlyi,  «  se  faire  une  hernie,  s'éven- 
trer,  »  et  l'adjectif  participe  éboutifalyq,  «  qui  a  les  intestins 
sortant  de  l'abdomen.  » 

On  ne  se  contente  pas  d'avoir  «  déguillé  »  son  adversaire,  il 
faut  l'écraser  pendant  qu'on  y  est  :  de  là  ckrazâya,  éim'hiâyp, 
de  éméluâ,  «  aplatir,  anéantir  en  écrasant  ;  »  cjlyafâys  éveille 
la  même  idée. 

L'acharnement  de  la  lutte  ne  connaît  pas  de  limites,  il  va 
jusqu'au  bout.  Quand  l'adversaire  est  rendu  insensible,  on 
parle  d'une  étèrijq,  de  étèriji,  éthériser,  c'est-à-dire  faire  res- 
pirer de  l'éther  pour  rendre  insensible  ;  quand  il  est  mort,  c'est 
une  asomôy9,  «  assommée,  »  ou  une  krrcâya,  «  crevée.  » 

Nous  étions  partis  des  innocents  et  salutaires  coups  de  verge, 
nous  voilà  arrivés  aux  coups  graves  et  mortels.  Toutes  les 
phases  d'une  bataille  corps  à  corps  y  ont  passé. 

Les  listes  dressées  par  MM.  Bornet  et  Epars,  qui  m'ont  servi 
de  base,  ne  permettent  pas  de  dire  j  usqu'à  quel  point  les  mots 
cités  ont  pris  le  sens  de  «  volée  de  coups.  »  Peut-on  dire,  par 
exemple  :  «  il  a  reçu  une  crevée,  »  aussi  bien  qu'on  dit  :  «  il  a 
eu  sa  rincée  ?  »  C'est  fort  possible,  dans  ce  cas,  nous  avons  à 
faire  à  une  forte  hyperbole.  L'hyperbole  s'emploie  dans  le  lan- 
gage emphatique,  soit  qu'on  se  plaigne  d'avoir  reçu  des  coups. 


8  MAURICE    GABBUD 

soit  qu'on  se  vante  d'en  avoir  appliqué  de  fort  énergiques. 
Je  le  répète,  cette  étude  n'a  rien  de  complet,  et  j'ajoute 
qu'elle  ne  sera  jamais  complète,  c'est  dans  la  nature  du  sujet. 
Dans  la  foule  d'expressions  employées  pour  «  volée  de  coups,  » 
il  y  a  une  bonne  part  de  mots  individuels,  dus  à  l'imagination 
plus  ou  moins  heureuse,  mais  toujours  féconde,  des  bons  pa- 
toisants. La  rancune  et  la  victoire  sont  des  états  d'âme  qui 
remuent  l'esprit,  qui  le  poussent  à  créer,  à  chercher  une  ex- 
pression nouvelle  et  originale  qui  rende  bien  l'affront  qu'on  a 
subi  ou  la  joie  exubérante  de  l'avoir  emporté  sur  son  ennemi. 

E.  Tappolet. 

■<•  '^  •> 

ÉNIGMES,  JEUX  DE  MOTS 
ET  FORMULETTES  BAGNARDES 

Patois  de  Lourtier  (Valais). 
-♦- 

1 .  Ona  mé^on  blantsd  pléna  tank  an  frîta  ?  —  on  kàkon. 
Une  maison  blanche  pleine  jusqu'au  faîte  ?  —  Un  œuf. 

2.  PI  in  0  bœ"  de  vatsè  rodi^è,  d  mose  dddin  on  a  naivd  k  i 
fi  totè  sorti  ?  —  9  fo. 

Plein  l'écurie  de  vaches  rouges  (charbons  ardents),  il  entre 
dedans  une  noire  (T ccouvillon)  qui  les  fait  toutes  sortir }  — 
Le  four. 

3.  Pîr9  korbo,  mîr9  bona,  trâ'-^-infan  étatsya  s  0  tyit  ?  — 

9  pb. 

Père  courbe  {l'anse),  mère  creuse  (Je  corps),  trois  enfants 
(les  pieds)  attachés  sur  le  derrière  ?  —  La  marmite. 

4.  Tyu  i  pà  kp  fi,  âsè  sbbrà  on  boiié  ?  —  âvoh. 

Tous  les  pas  {chaque  point)  qu'elle  fait,  elle  perd  (////. 
laisse  rester)  un  boyau  {bout  de  fil)  ?  —  L'aiguille. 

5.  On  grpnâ'  fè^ra  di  rate  ?  —  p  gàiro. 


ÉKIGMES,    JEUX    DE    MOTS    ET    FORMULETTES    BAGN'ARDES      Ç 

Un  grenier  à  l'abri  (////.  hors)  des  souris  ?  —  Le  goitre. 

6.  Tîrè  p  a  kavoiia,  roiiè  p  a  pçii'/Jp  ?  —  p  borfrp. 

Tire  par  la  queue,  gronde  par  la  panse  ?  —  La  baratte. 

7.  Oiia  grosa  d:{9n9l9  blantsp,  a  nïn  lyu  nïn  çiilsè,  è  d  va 
fo  hbni  ona  niplsçnxh  ?  —  âvhilsp. 

Une  grosse  poule  blanche,  n'a  ni  cul  ni  hanches,  et  va 
fort  comme  le  diable  ?  —  L'avalanche. 

8.  Sètô  II  pâyo,  inpd~  cvi  iné::^on  ?  —  p  fànié. 

Assis  dans  la  chambre,  mange  à  la  cuisine  ?  —  Le  poêle 
(qui  est  adossé  à  la  muraille,  et  dont  l'ouverture  pour  intro- 
duire le  combustible  se  trouve  à  la  cuisine). 

9.  Ona  kberta  iota  rbmindâyp,  a  p  on  poiiin  ?  —  0)i  ta'. 
Une  couverture  toute  raccommodée,  n'a  pas  un  point  } 

—  Un  toit  (réparé). 

10.  Ona  d:^pnpl9  nâirp,  in-n-a  ona  nias'  d  âtrè  étatsyè  u 
lyu,  fi  rin  kè  sbrxlâ,  p  parton  tbtè.  —  p  tspmïn  de  je. 

Une  poule  noire  (la  locomotive),  en  a  une  quantité  d'au- 
tres attachées  au  derrière  Qes  wagons),  ne  fait  rien  que 
souffler,  elles  partent  toutes  ?  —  Le  chemin  de  ter. 

11.  Kalro  dame  parton  in-n-ona,  p  von  fo  parâirp  è  p  pon 
jamè  s  akonsyœ"rp  ?  —  /  rœ'*vè  du  tsarç. 

Quatre  dames  partent  ensemble,  elles  marchent  avec  la 
même  vitesse  (////.  elles  vont  fort  pareilles)  et  ne  peuvent 
jamais  se  rejoindre  ?  —  Les  roues  du  char. 

12.  p  mœ"hlo  p  pyé  rokan  d  a  nieion  ?  —  étyœ"va. 

Le  meuble  le  plus  fureteur  de  la  maison  ?  —  Le  balai. 

13.  p  niœ"blo  p  pyé  krètïn  d  a  mé:y0n  1 —  p  kblœ"  :  voiiârdè 
b  kroiiè,  as'  alâ  b  bon. 

Le  meuble  le  plus  stupide  de  la  maison  ?  —  La  passoire 
à  lait  :  elle  garde  le  mauvais  (les  impuretés)  et  laisse  passer 
le  bon. 

t 


lO  MAURICE    GABBUD 

14.  p  mè"blo  p  pyé  fin  d  a  mé:;^on  ?  —  p  van  du  blô. 

Le  meuble  le  plus  avisé  de  la  maison  ?  —  Le  van  (qui 
rejette  la  poussière  et  garde  le  bon  grain). 

15.  Kin  d  v'in  d  vïn  pâ,  kin  9  vïn  pâ  9  vïn  ?  —  d  blô  è  9 
p9ha  blô. 

Quand  il  vient  {le  moineau)  il  ne  vient  pas  {le  blé),  quand 
il  ne  vient  pas  [le  moineau)  il  vient  Qe  blé).  —  Le  blé  et 
le  moineau. 

16.  Kin  9  mosè,  rèbotè,  kin  9  so,  dègàtè  ?  —  9  pçtS9  par 
inxlbrâ. 

Quand  elle  entre,  elle  refoule,  quand  elle  sort,  elle  dé- 
goutte ?  —  La  cuiller  à  écrémer. 

17.  On  k9  m9d:~è,  don  1:9  fortseyon,  hatro  h  piton,  on  ha 
porte  d9nd  e  on  h9  tsçxV  i  moisè.  —  9  vats9. 

Un  qui  mange  {le  tnuseau),  deux  qui  manient  la  fourche 
{les  cornes),  quatre  qui  foulent  le  sol  {les  pieds),  un  qui 
porte  à  diner  {la  tétine)  et  un  qui  chasse  les  mouches  {la 
queue)  ?  —  La  vache. 

18.  On  h 9  seye,  dou  k9  râdon,  don  k'épantson,  katro  k9  kb- 
rèson,  katro  k9  porton  d9nâ,  on  k9  tsaxl'  i  motsè  è  on  k9  sonè 
înyéd:(0  ?  —  9  vatS9. 

Un  qui  fauche  {le  museau),  deux  qui  regardent  {les  yeux), 
deux  qui  étendent  {les  contes),  quatre  qui  courent  {les  pieds), 
quatre  qui  portent  à  diner  {les  trayons),  un  qui  chasse  les 
mouches  {la  queue)  et  un  qui  sonne  midi  {la  clochette)  ?  — 
La  vache. 

(Variante  du  numéro  précédent  recueillie  à  Champsec.) 

19.  9  vïn  inxlé  du  Tsablo  sin  fîr9  d  onbrè  ?  —  9  ton  d  a 
Xlots9. 

Il  vient  du  côté  {litt.  en  çà)  du  Chable  sans  faire 
d'ombre?  —  Le  son  de  la  cloche  (de  l'église  paroissiale, 
qui  se  trouve  au  Chable). 


KN'IGMES,  JEUX  DE  MOTS  ET  FORMULETTES  BAGNARDES   I  I 

20.  Mosyè  à  tindu  ulrp  pè  dpdin  à  findu  ?  —  nwsyè  a  x^à 
dùi  b  hogan. 

Engaîner  le  tendu  dans  (////.  outre  par  dedans)  le  fendu? 

—  Mettre  la  clef  dans  le  trou  de  la  serrure. 

21.  ôtè  i  boité  par  alâ  bâirp  ?  —  9  padayj9. 

Ote  ses  boyaux  pour  aller  boire  ?  —  La  paillasse  (quand 
on  va  la  laver). 

22.  Roiid'P  i  boiiè,  ésoyè  b  san,  a  b  joua  inyjoii  a  linvoua  ? 

—  9  lûiipyp. 

Ronge  ses  boyaux,  fait  sécher  son  sang,  a  le  feu  au  bout 
de  la  langue  ?  —  La  lampe. 

23.  Oii(i  dama  h  porte  tbrpyon  a  mé:(on  avoiii  lyé  ?  — 
émçsp. 

Une  dame  qui  porte  toujours  sa  coquille  avec  elle  ?  — 
L'escargot  (////.  la  limace). 

24.  Tyu  bâ,  tyu  inô,  tila  kontrp  iyii,  dyè  su  dou  ?  —  hiu 
on-n-àryè  i  isyorè. 

Cul  en  bas,  cul  en  haut,  tête  contre  cul,  dix  {les  dix 
doigts  de  celui  qui  trait)  sur  deux  {les  trayons  de  la 
chèvre)  ?  —  Quand  on  trait  les  chèvres. 

25.  Ona  iiiûsp  d'anyé  blaii,  se  d:(btrou  pb  inpdjyè  on  moue 
de  pan  ?  —  /  diu. 

Une  masse  d'agneaux  blancs,  se  battent  pour  manger  un 
morceau  de  pain?    ~  Les  dents. 

26.  Nairâ  dp  a  Rbdiâ  :  Se  mon  tyu  krapè,  to  hrapèri  tb 
para'  to  ?  —  p  pb  è  p  fou  a. 

Noiraud  (la  marmite)  dit  à  Rougeaud  (le  feu)  :  Si  mon 
cul  crève,  tu  crèveras  aussi  ?  —  La  marmite  et  le  feu. 

27.  Vintro  konlrp  vintro,  man  u  tyu,  tsîlp  u  bbgan  ?  —  on 
mïn-nô  kp  sape. 

Ventre  contre  ventre,  main  (de  la  mère)  au  derrière  (de 


MAURICE    GABBUD 


l'enfant),  cheville  (bout  du  sein)  au  trou  (bouche  du  nour- 
risson) ?  —  Un  enfant  qui  tette. 

28.  Ko  kp  va  avoui  a  tita  déiç  ?  —  /  tatsè  di  bçtè. 

Qui  est-ce  qui  marche  la  tète  en  bas  ?  —  Les  clous  de 
souliers. 

29.  Difèrinxh  intr  on  hapbtsïn  e  ona  sœ"sdS9  ?  —  9  ka- 
pbtsïn  è  étatsya  p  à  ni  et  in  e  d  sœ"s9S9  p  i  don  byé. 

Différence  entre  un  capucin  et  une  saucisse  ?  —  Le  capu- 
cin est  attaché  par  le  milieu  et  la  saucisse  par  les  deux  bouts. 

30.  Difèrinxh  intr  ona  pçnia  kouaitp  è  on  mintè"  ?  —  Y 
in-n-a  pâ  :  ona  pbina  kouaitp  è  pâ  krua  e  on  mintà"  è  pà  kru 
non  plu. 

Différence  entre  une  pomme  cuite  et  un  menteur  ?  —  Il 
n'y  en  a  pas  :  une  pomme  cuite  n'est  pas  crue  et  un  men- 
teur n'est  pas  cru  non  plus. 

31.  Jeux  de  mots  basés  sur  l'homophonie  de  certains 
vocables  : 

sin,  'sans',  —  sin,  'saint'.  Sin  pan  è  on  pouro  siu,  'saint 
(sans)  pain  est  un  pauvre  saint  '. 

sin,  '  cela  ',  —  sin,  '  saint  '.  A  l'indiscret  qui  demande  : 
ko  sin,  '  qui  cela  ?  '  on  répond  :  on  sin  k  a  rin  de  din,  '  un 
saint  qui  n'a  pas  de  dents  '. 

tyè,  '  quoi  ?  '  -=  tyè,  '  présure  '.  A  celui  qui  a  toujours  à 
la  bouche  :  tyè  ?  '  quoi  ?  '  on  réplique  :  de  tyè  de  vé,  par 
inhalyè  d  axlè  d  anyé,  '  de  la  présure  de  veau  pour  faire 
cailler  du  lait  d'agneau  '. 

Je,  '  fer  ',  =  fe,  '  tranquille  '.  èta  je,  '  reste  tranquille  '. 
Réponse  :  yo  sa^  pà  de  fë,  '  je  ne  suis  pas  de  fer  '. 

ye,  '  hier  ',  =  yè,  '  donc  '  (franc,  pop.  voir,  dans  :  '  écoute 
voir  ').  A  l'interpellation  :  vïn  ye,  '  viens  donc  ',  on  répond 
qu'il  ne  faut  pas  dire  :  vïn  ye,  '  viens  hier  ',  mais  :  vïn  vouâ'^, 
'  viens  aujourd'hui  '. 

rèmè,   '  saindoux  ',    =    rè}}iè,   forme   du   verbe    rèmètrp. 


ENIGMES,  JEUX  DE  MOTS  ET  EORMULETTES  BAGXARDES       I3 

*  remettre  '.  Si  quelqu'un  engage  à  différer  un  projet  en 
disant  :  rèniè,  'renvoie',  on  répond:  9  vô  r'm  de  rèmètr9 ;  9 
rèmè  è  rin  k9  bo)i  se  di  kayon,  è  fô  onhb  k'use  de  se  di-:^- 
vivariiô,  '  cela  ne  vaut  rien  de  renvoyer,  il  n'y  a  que  le 
saindoux  (remets)  des  porcs  qui  soit  bon,  et  encore  fliut-il 
que  ce  soit  de  celui  des  hivernes  '. 

Formulette  enfantine  pour  chasser  le  brouillard  (recueillie 
à  Champsec)  : 

^2.  Tsènyïn  (ou  tshiyi),  tsènyïn,  foui,  foui,  k  atramin  siu 
Martin  vïn  av'  ona  d::^erha  de  pal9,  pb  tè  hbrlâ  a  kbral9,  on 
sèpoii,  pb  tè  krâ  b  fron,  oiia  tseiia  de  fè,  pb  tè  trénà  in-n-iufè. 

Brouillard,  brouillard,  fuis,  fuis,  sinon  saint  Martin  vient 
avec  une  gerbe  de  paille  pour  te  brûler  les  entrailles,  un 
gros  morceau  de  bois  équarri  pour  te  crever  le  front,  une 
chaîne  de  fer  pour  te  traîner  en  enfer. 

Empros,  formulettes  de  jeu  : 

^T).   On  :^â,  dou  ^à,  tré  zà,  katrïn  hatrâ,  xlïndïn  yj^'^dà, 

émon  dyétson,  duprïn  s9inon,  kbkab  bbrdon,  tir 9  pala,  yjïn- 
kantyon. 

34.  Pinka  panka,  d~érs9  vir9  vèura,  Djan  k9  ti  fœ"ra.  A 
Sarreyer  :  Pïnka,  ponka,  resta  ferma,  vir9  vœ"ra,  Djan  fi  fœ. 

l'^.  Uni  unô,  de  pik  de  pô,  de  karabin,  de  sin  serin,  mby9, 
Jby9,  klcu. 

Formulette  adressée  à  celui  qui  a  l'habitude  de  fouiller 
ilans  les  poches  d'autrui  : 

36.  Fbrd:(^pfûta,  nïn  de  rata,  va  bair  a  kalya,  u  fon  d  afata. 
Fouille  poche,  nid  de  souris,  va  boire  le  lait  caillé  au 

tond  de  la  poche. 

Formulette  enfantine  accompagnant  le  jeu  de  la  balan- 
çoire (recueillie  à  Champsec)  : 

37.  Gouga,  patin  gà,  davouè-:;^-œ"rè  apri  d9nâ,  bà  pè  dè^o 
râkâ  di  Ç[à. 


14  L.   GAUCHAT 

Balancer,  patin  c^â  (?),  deux  heures  après  dîner,  en  bas  par 
dessous  le  grenier  des  Gard  (nom  de  famille). 

Formulette  prononcée  en  frappant  avec  le  manche  du 
couteau  une  branche  de  saule,  dont  on  veut  enlever  l'écorce 
pour  faire  un  sifflet  (recueillie  à  Sarreyer,  cf.  Arch.  suisses 
des  trad.  pop.,  1905,  p.  59-64,  où  ont  été  publiées  de  nom- 
breuses formulettes  analogues)  : 

38.  Sâèrïn,  sâèrïn,  s  ta  va  bïn,  te  balo  de  bon  vin,  s  to  va 
pà  bïn,  tè  balo  de  ppsp  de  tsin. 

Sâèrïn  (?),  si  tu  vas  bien,  je  te  donne  du  bon  vin,  si  tu 

ne  vas  pas  bien,  je  te  donne  de  la  pisse  de  chien. 

Maurice  Gabbud. 


ETYMOLOGIES 

-♦- 

I.  Semoraul  =1  juin. 

On  rencontre  quelquefois  dans  de  vieux  actes  de  la  Suisse 
romande  le  mot  semoraul  comme  ancienne  appellation  du  mois 
de  juin.  Un  passage  comme  celui-ci  :  «  ou  premier  jour  de 
semoraul  »  {Recueil  dipl.  Fribourg,  V,  p.  95,  en  1393)  montre 
clairement  qu'il  s'agit  d'un  mois;  le  suivant  prouve  qu'il  s'agit 
de  juin  :  Les  membres  du  Conseil  et  des  60  sont  répartis  en 
trois  séries,  qui  prennent  tour  à  tour  la  charge  d'assister  aux 
«  jornees  deis  marches  »  et  à  la  justice,  pendant  4  mois  «  per 
ceste  manere.  Jueneir,  avril,  sesson  ^  et  octouvre  pour  une 
partie,  fevreir,  may,  ogst  et  november  pour  lautre  partie,  mars,. 
semoraul,  septembre  et  décembre  pour  la  tierce  partie  »  {ib.,  V,. 
p.  8S,  en  1392).  Le  terme  était  général  autrefois;  nous  le  re* 
trouvons  dans  les  annales  de  l'Abbaye  de  Joux  :  «  semel  in 


'  =  juillet,  nom  qui  rappelle  l'allemand  Heiivionat  et  qui  dérive 
probablement  de  sèyi,  faucher,  bien  que  la  présence  de  ss  ne  soit  pas 
très  claire. 


ETYMOLOGIES  I5 

vere  semel  in  semorali  et  semel  in  autumno  »  {Mém.  et  doc.  soc. 
(Thist.  Suisse  rom.,  I,  p.  182,  en  1273),  ^^  ^'  ^^^  encore  à  Héré- 
mence  en  Valais  sous  la  forme  de  chambra,  avec  le  sens  précis 
de  juin  (Lavallaz,  Essai  sur  le  patois  d'Héréfnence,  p.  70).  Pour 
la  phonétique,  comparez  calidu  =  tsâ.,  à  Hérémence  ;  tso-,  dans 
les  cantons  de  Fribourg  et  de  Vaud  (=-  *aul). 

Le  mot  a  été  formé  à  l'aide  du  verbe  ssmbrâ  ou  somàrâ,  qui 
nous  est  attesté  dans  les  patois  de  toute  la  Suisse  romande,  et 
qui  signifiait  à  l'origine  :  labourer  les  terres  qui  sont  en  jachères. 
On  retourne  la  terre  provisoirement,  pour  la  déchaumer,  et 
faire  disparaître  les  herbes  qui  ont  poussé  entre  les  éteules.  Ce 
travail  se  faisait  anciennement  en  juin.  En  automne,  avant 
d'ensemencer,  on  labourait  une  seconde  fois,  plus  profondé- 
ment. Le  verbe  a  été  plus  tard  appliqué  également  aux  labours 
préparatoires,  après  la  moisson,  des  champs  qu'on  se  propo- 
sait d'ensemencer  au  printemps.  Toute  une  petite  famille  de 
mots  se  rattache  à  ce  terme,  dont  nous  possédons  les  traces 
les  plus  nombreuses  dans  les  patois  vaudois. 

L'étymologie  de  sombra  soulève  un  problème  qui  ne  saurait 
être  résolu  qu'en  étudiant  simultanément  les  formes  somarer^, 
labourer  (pour  la  première  fois),  somart'^,  jachère,  du  vieux 
français,  qui  possède  également  le  dérivé  somartras,  avec  le 
sens  de  Juin  (voir  Godefroy,  Dict.  Vil,  p.  465  ;  Merlo,  /  nomi 
romanzi  délie  stagioni  e  dei  mesi,  p.  136  ;  A.  Thomas,  Nouveaux 
essais  de  philologie  française,  p.  360). 

Mentionnons  encore  l'identité  parfaite  de  semoraul  avec 
l'appellation  allemande  Brachmonat  {brachen  ou  brechen  = 
sombra).  En  réto-roman,  on  rencontre  pour  le  même  mois  le 
nom  de  zarcladur,  mois  où  l'on  sarcle,  qui  indique  une  fort 
ancienne  communauté  de  culture  de  tous  les  pays  romans 
situés  entre  le  46^  et  le  49^  degrés  de  latitude.  Le  Midi  ne  pa- 
raît pas  connaître  le  mot  sbmbrâ  ni  aucun  terme  équivalent. 

L.    G  AU  CHAT. 

2.  Ancien  neuchâtelois  :  entrèves. 

A  Neuchâtel,  comme  dans  d'autres  pays  de  droit  coutumier, 
il  était  jadis  d'usage  que,  dans  les  cas  embarrassants,  les  jurés 
du  plaid  d'une  localité  envoient  une  délégation  pour  consulter 

■  Avec  les  variantes  importantes  sombrer,  sombre. 


l6  J.    JEANJAQUET 

la  cour  de  justice  de  l'endroit  dont  ils  relevaient  au  point  de 
vue  des  coutumes.  (Voir  Matile,  Hist.  des  instit.judic.  de  Nen- 
châtel  et  Valangin,  p.  61-8 r.)  Cette  consultation  juridique  est 
généralement  désignée  dans  les  actes  par  le  terme  d'entreves, 
entretwesy  entrives,  dont  on  a  de  fréquents  exemples  jusqu'au 
seizième  siècle.  Le  plus  ancien  que  nous  connaissions  se  trouve 
dans  un  document  de  Valangin  de  1446:  lesdit  juriez  volloient 
avoir  les  entreiiues...  laquelle  cognoissance  et  entreiives 
furent  rapourtees  par  lesdit  deux  commis  {Arch.  de  VEtat  de 
Neuchâtel,  A  9,  n"  10).  Le  verbe  entrever,  =  demander  les 
entreves,  apparaît  déjà  en  1352  dans  un  autre  acte  de  Valangin 
(Matile,  Monum.  de  l'hist.  de  Neuchâtel^  II,  p.  674,  où  il  faut 
lire  entrevelz  au  lieu  de  e/itreveler).  Matile  a  voulu  expliquer  ce 
terme  juridique,  qui,  croyons-nous,  n'a  pas  été  signalé  ailleurs, 
en  disant  que  le  juge  consulté,  formulant  sa  sentence,  «  la  tre- 
vait,  treuvait,  ou  trouvait,  selon  la  vieille  expression  du  droit 
allemand  et  de  la  poésie  française.  »  {Instit.  j'ud.,  p.  61.)  En 
réalité,  entrever  n'a  rien  à  voir  avec  trouver^  mais  doit  être 
identifié  avec  le  verbe  intrevâ,  intèrvâ,  «  s'enquérir,  s'infor- 
mer, »  que  connaissent  encore  la  plupart  des  patois  vaudois, 
fribourgeois  et  valaisans,  et  qui  est  issu  du  latin  interro- 
gare.  Aller  aux  entrèves,  c'était  donc  proprement:  aller  aux 
informations.  Ce  substantif  verbal  de  entrever  existe  encore 
aujourd'hui  dans  quelques  patois,  mais  comme  terme  tout  à  fait 
vieilli  et  restreint  à  de  rares  locutions  traditionnelles.  Ainsi,  à 
Blonay  (Vaud),  on  répond  aux  questions  importunes  des 
enfants:  Qu'y  a-t-il  là-dedans?  Qu'en  fera-t-on?  etc.,  par: 
déi-z-intrâivè,  déi  kouarnd  dé  lâivrè,  «  des  demandes,  des 
cornes  de  lièvres.  »  De  même  à  Liddes  (Valais)  :  dé-z-intèrvè 
dd  kouryà"^^  «  des  questions  de  curieux.  ->  A  Champéry  (Valais), 
on  a  aussi  le  dicton  :  pèr  intèrvé,  on  va  a  Roma,  «  en  deman- 
dant, on  va  a  Rome.  »  Cf.  Mistral,  entrèvo,  dauphinois  enterras 
=  questions,  informations.  Raynouard,  Lexique,  V,  p.  104,  et 
Levy,  Prov.  SuppL-  Worterbuch,  citent  un  exemple  du  substantif 
enterva  en  ancien  provençal  avec  le  même  sens.  Godefroy  ne 
donne  pour  le  vieux  français  que  le  verbe  enterver. 

J.    jEANjAaUET. 


LE  CONTE  DU  CRAIZU 

EN  PATOIS    DE    LUTRY,   PUBLIÉ    d'aPRÈS    UN    AN'CIEN  MANUSCRIT    INÉDIT 

-♦- 

«  Le  Conte  de  la  Lampe,  ce  petit  tableau  de  genre  de  notre 
vie  campagnarde,  avec  ses  peintures  d'inte'rieur  si  parlantes  et 
d'une  rusticité  où  le  fou-rire  fait  tout  excuser,  avec  sa  figure 
principale  enfin  d'un  comique  si  impassible  et  si  candide,  est 
un  petit  chef-d'œuvre  de  simplicité,  de  gaîté,  de  récit,  de  na- 
turel et  de  nationalité.  »  C'est  en  ces  termes  que  Juste  Olivier 
parle,  dans  son  beau  livre  sur  le  canton  de  Vaud^,  d'une  com- 
position patoise  de  218  vers  qui  a  été  publiée  à  la  fin  du  XVIIF 
siècle,  probablement  à  Lausanne,  et  que  Gaullieur^  appelle  le 
«  fondement  de  la  littérature  patoise  du  Pays  de  Vaud.  »  Cet 
opuscule  est,  en  effet,  le  premier  livre  patois  imprimé  dans  le 
canton  de  Vaud  dont  nous  ayons  connaissance  3.  Il  mérite  déjà 
notre  attention  à  ce  titre-là.  Et,  sans  partager  tout  à  fait  l'en- 
thousiasme de  Juste  Olivier,  il  faut  avouer  que  le  poème,  impro- 


*  T.  Il,  Eclaircissements,  p.  XLVin. 

^  Etudes  sur  l'histoire  littéraire  de  la  Suisse  fratiçaise,  particulièrement 
dans  la  seconde  moitié  du  JCVIIF  siècle,  p.  290.  Genève  1855.  {Bull.  Institut 
liât,  genevois,  t.  III.) 

^  Un  de  mes  amis  m'avait  cité  comme  premier  livre  patois  un  petit 
traité  de  morale,  qu'il  n'avait  jamais  vu,  inlitulé  La  hoiiiia  via.  Je  n'ai 
pas  réussi  à  en  retrouver  la  moindre  trace. 


Ib  L.    GAUCHAT 

prement  appelé  conte  ou  r^^^-àVa-'/^^  possède  une  grâce  pleine 
de  malice,  une  saveur,  qui  n'ont  pas  encore  perdu  leur  charme. 
Le  patois,  langue  dans  laquelle  on  peut  tout  dire,  atténue  la 
crudité  de  certains  passages.  La  situation  est  originale  :  un 
père  raconte  à  un  notaire,  pour  les  faire  juger  par  un  tribunal 
de  mœurs  imaginaire,  les  mauvais  tours  qu'un  polisson  a  joués 
à  sa  fille.  Ce  sont  des  plaisanteries  de  mauvais  goût  que 
l'amant  malhonnête  fait  à  sa  belle,  et  que  le  père  rend  encore 
plus  comiques  par  le  grand  cas  qu'il  en  fait.  Sous  l'indignation 
feinte  du  plaignant  transparaît  le  sourire  de  l'auteur,  qui  se 
plaît  à  énumérer  les  méfaits  de  son  héros  -. 

Le  poème  se  compose  d'alexandrins  à  rimes  plates,  groupés- 
en  sorte  de  strophes  d'inégale  longueur,  terminées  ironique- 
ment par  le  refrain  :  «  Si  le  souverain  dit  que  c'est  une  action 
(permise),  patience!  » 

L'imprimé  du  win^  siècle  ne  porte  pas  de  date  et  est  ano- 
nyme. C'est  une  petite  brochure  in-8°  de  douze  pages,  qui  a 
pour  titre  :  Lo  conto  d'au  craizu.  Coq  à  V Ane  datis  le  Patoi  du 
Canton  de  Vaud^.  Il  en  existe  un  exemplaire  à  la  Bibliothèque 
cantonale  vaudoise  (coté  M  2059*)  et  un  autre  à  celle  de 
Fribourg.  Dans  l'ouvrage  cité,  p.  290,  Gaullieur  lui  assigne  la 
date  de  1785.  Pierquin  de  Gembloux,  Histoire  littéraire  des 
patois,  Paris  1858,  p.  249,  celle  de  1780.  Mais  ces  dates 
sont  peu  certaines.  Le  doyen  Bridel^,  et  d'après  lui  Pierquin 

•  Cette  appellation  était  autrefois  un  peu  synonyme  de  poésie  humo- 
ristique ou  satire  (voir  Boissière,  Poétique,  p.  254).  Dans  le  Recueil 
Corbaz  on  dénomme  ainsi  une  énumération  des  instruments  qui  ont 
servi  à  faire  un  charivari,  p.  80,  et  une  gaie  anecdote  de  chasse,  en  vers,. 
p.  121. 

2  II  n'est  pas  impossible  que  le  morceau  repose  sur  des  faits  réels, 
D'après  Ch.  Berthoud  (Miisce  neuchâtehis,  VII,  p.  64),  l'auteur  aurait 
été  avocat. 

3  Comment  concilier  le  terme  de  canton  avec  la  date  attribuée  à  la 
publication?  Pouvait-on,  avant  l'émancipation,  parler  d'un  ca;; /on  de  Vaud? 

*  Actuellement  égaré. 

^^  Etreiuies  behétiennes  et  patriotiques,  1811,  Avis  liltêi  aire  (Tp.  119-123)^ 
reproduit  dans  le  Conservateur  suisse,  i^e  édition,  t.  VII,  404-407. 


LE    CONTE    DU    CRAIZU  IÇ 

de  Gembloux'  et  Juste  Olivier-  considèrent  comme  auteur 
un  monsieur  De  la  Rue,  de  Lutry.  Le  volumineux  répertoire, 
de  noms  de  famille  de  Piccard  (exemplaire  des  archives  can- 
tonales^ à  Lausanne),  mentionne  un  De  Rue,  seigneur  de  Mon- 
tagny  s/Lutry,  dès  1627,  et  un  De  la  Rue,  de  ou  à  Lutry,  1820 
dont  l'existence  n'est  pas  certaine.  Malgré  les  recherches  que 
M.  Millioud  a  bien  voulu  faire  pour  moi,  il  n'a  pas  été  possible 
d'identifier  le  personnage.  La  mention  de  Montagny,  vers  36 
et  41,  confirme  cependant  ces  indications  de  provenance.  A 
son  tour,  la  langue  montre  que  le  poème  a  été  écrit  dans 
les  environs  de  Lausanne  3.  On  y  remarque  par  exemple 
une  hésitation  entre  e  et  /  pour  la  voyelle  latine  e  devant  s 
+  consonne  :  veté,  vers  38,  r évité,  vers  169,  =  vëstit;  être, 
vers  70;  téta,  fêta,  en  rime,  vers  123-124;  téta,  vers  144.  Le 
groupe  es  cons.  devient  /  dans  le  patois  de  Lavaux,  /  dans 
celui  de  La  Côte  ;  Lausanne  forme  la  limite,  et  offre  une 
inconstance  bien  naturelle  dans  le  traitement  de  ce  phonème. 
J'ignore  sur  quoi  s'appuient  Corbaz  et  Favrat,  dans  leurs  édi- 
tions citées  ci-dessous,  pour  donner  notre  récit  comme  spéci- 
men du  patois  de  Pully,  qui  sera  du  reste  identique  avec  celui 
de  Lutry. 

Le  Conto  d' au  craizu  a  été  réimprimé  plusieurs  fois.  Corbaz 
l'a  placé  en  tête  de  son  Recueil  de  morceaux  choisis  en  vers  et 
en  prose  en  patois,  paru  à  Lausanne  en  1842*.  Son  édition  ne 
diffère  de  l'imprimé  du  XVIIF  siècle  que  par  quelques  détails 
insignifiants.  L'orthographe  est  la  même.  Le  texte  de  Corbaz  a 
été  ensuite  reproduit,  avec  de  simples  divergences  orthogra- 


*  Ouv.  cité,  p.  284-285. 

'  Canton  de  Vaiid,  t.  II,  Eclaircissements,  p.  xlvi.  Comp.  aussi  la  table 
du  Recueil  de  Corbaz,  Lausanne  1842,  où  on  lit  :  <<  Le  Conto  d'au 
Craizu,  par  De  la  Rue,  de  Lutry.  » 

^  Le  document  gagne  par  là  en  valeur  :  il  représente  le  patois  dès 
longtemps  disparu  de  la  capitale  vaudoise. 

*  L'ouvrage  a  été  publié  par  fascicules,  dont  le  premier  était  en  vente 
dès  1841. 


20  L.    GAUCHAT 

phiques,  par  le  Conteur  vaudois,  7,"  année  (1864-65),  n^^  5  et  6; 
par  Favrat,  dans  son  Appendice  au  Glossaire  de  Bridel  (1866), 
p,  512-518,  et  de  nouveau  par  le  Conteur  vaudois,  en  1905, 
no^  45  et  46. 

M.  E.  Muret,  professeur  à  Genève,  a  bien  voulu  me  commu- 
niquer une  copie  manuscrite,  appartenant  à  M.  de  la  Harpe,  à 
Vevey,  dont  le  texte  diffère  sensiblement  du  premier  im- 
primé. Ce  manuscrit  remonte  probablement  à  la  fin  du  xvill° 
siècle  et  offre  généralement  des  leçons  préférables  à  la  rédaction 
imprimée.  Mais  l'orthographe  est  hésitante  et  fortement  franci- 
sée, surtout  au  début.  Il  n'existait  pas,  à  ce  moment,  de  tradition 
orthographique  patoise.  Je  trancris  ici  ce  manuscrit  sans  rien 
changer  au  texte  ni  à  l'orthographe  ;  je  rectifie  seulement  les 
nombreuses  erreurs  commises  dans  la  séparation  des  mots. 
J'y  joins  une  traduction  aussi  littérale  que  possible.  En  note, 
je  citerai  les  variantes  de  la  rédaction  traditionnelle,  d'après 
le  vieil  imprimé,  sans  m'occuper  des  divergences  purement 
orthographiques.  En  appendice,  je  donnerai  la  prononciation 
actuelle  dans  les  environs  de  Lutryi  des  mots  dont  la  transcrip- 
tion laisse  subsister  des  doutes,  et  j'expliquerai  certains  termes 
intéressants  de  ce  document.  Ils  sont,  dans  le  texte,  accompa- 
gnés d'un  astérisque. 


'  A  Lutry  même,  le  patois  est  complètement  éteint. 


LE    CONTE    DU    CRAIZU 


[Lo  conto  day  craizu.] 

Le  père  :   —  Dieu  lo  vo  haillay  bon,  nionsii  lo  secretéro, 
Acebin  qu'a  ti  vo,  messieu  se  penchounéro  *, 
Tant  Ecrivin  que  Cler,  gens  de  banche  *  et  de  plume, 
Qui  forgeai  ti  l'argent  sans  martau  ni  enclume. 
5.  Mais  pardon,  se  vo  plé,  ne  s'agit  pas  de  cin. 
Dait-on  pas  condana  a  ti  frai  et  depin, 
Dite  lo  vay,  messieu,  ti  per  vouira  conchense, 
Ce  qu'ètien  lé  craisu*  par  malice  et  vengence  ? 

TRADUCTION 
Le  récit  des  lampes. 

Le  père  : 

Dieu  VOUS  le  donne  bon  [le  jour],  monsieur  le  secrétaire, 
Aussi  bien  qu'à  vous  tous,  messieurs  ses  pensionnaires, 
Tant  écrivains  que  clercs,  gens  de  bureau  et  de  plume. 
Qui  forgez  tous  l'argent  sans  marteau  ni  enclume. 
Mais  pardon,  s'il  vous  plaît,  il  ne  s'agit  pas  de  cela. 
[Ne]  doit-on  pas  condamner  à  tous  frais  et  dépens. 
Dites-le  un  peu,  messieurs,  tous  sur  votre  conscience. 
Celui  qui  éteint  les  lampes  par  malice  et  vengeance  ? 


Le  manuscrit  n'a  pas  de  titre,  la  ponctuation  manque  à  peu  près  tota- 
lement. —  2.  messieux  lés  Commissêro  [n'a  pas  de  sens].  —  d^^eus  dé 
hani:(e  et  dé  pUomma  [bien  préférable  comme  transcription  ;  du  reste,  le 
texte  est  beaucoup  moins  francisé  dans  la  suite  du  manuscrit  de  la 
Harpe].  —  4.  Que  ford:(i  ti  l'ard\en  sen  marié  né  encUomma  [item].  — 
5.  Ma  per  don,  se  vo  plié  [item];  çen  [le  scribe  de  notre  manuscrit  a  été 
embarrassé  en  transcrivant  le  e  nasal,  qu'il  écrit  en,  en,  in;  quelquefois 
on  trouve,  comme  ici  et  dans  la  ligne  suivante,  en  corrigé  en  m].  — 
8.  lo  craisu  [notre  texte  vaut  mieux,  puisque  le  héros  éteint  deux  lampes  ; 
cf.  aussi  vers  155];  vend\ence  [orthographe  préférable]. 


2  2  L.    GAUCHAT 

Le  notaire:  —  Pouro  frare,  epay*  bin  que  vo-7^ay  prau  reson, 
10.  Mas  no  ne  vayen  pas,  io  va  voutra  question. 

Le  père  :  —  Que  !  vo  ne  cède  pas,  messieu,  que  i'é  oiina  felie, 
Dont  on  laron  t^i  no  voliay  fére  a  la  pelie*  ? 
Mais,  par  gué  !  n'en  est  pas  inque  io  voudray  bin. 
N'a  pas  troua  son  fou,  c'est  ma  fay  on  biau  t^^in  *. 
15.  Dinché,  bravo  tnessieu,  moyenan  bon  saléro, 
Féde  mé  on  mandai  a  noutron  concistero  *  : 
«  A  vous.  Messieurs  les  Juges,  ministre  et  Lieutenant, 
Secrétaire,  assesseu  et  to  Io  bataclian....  » 
Que  lau  say  deffendu,  et  en  bonne  écretoura, 

Le  notaire  : 
Pauvre  ami  (frère),  peut-être  que  vous  avez  bien  raison, 
Mais  nous  ne  voyons  pas  où  va  votre  question. 

Le  père  : 

Quoi  !  vous  ne  savez  pas,  messieurs,  que  j'ai  une  fille, 
Qu'un  mauvais  sujet  (voleur)  chez  nous  voulait  enjôler? 
Mais,  par  Dieu  !  il  n'en  est  pas  là  où  il  voudrait  bien. 
Il  n'a  pas  trouvé  sa  dupe;  il  est,  ma  foi,  bien  attrapé  (un 

beau  chien). 
Ainsi,  braves  messieurs,  moyennant  bon  salaire. 
Faites-moi  un  mandat  à  notre  Consistoire  : 
«  A  vous,  messieurs  les  juges,  pasteur  et  lieutenant. 
Secrétaire,  assesseurs,  et  tout  le  bataclan....  » 
Qu'il  leur  soit  défendu,  et  en  bonne  écriture. 


9.  hin  rêson  [notre  texte  évite  la  répétition  du  mot  bùi].  —  10.  ne  ne 
vyen  pas  [manque  une  syllabe  et  la  forme  actuelle  est  bien  vâyéin].  — 
12.  Idre.  —  14.  l'est  ntafai.  —  15.  Dite,  hravo  Messieux  [notre  texte  vaut 
mieux].  —  16.  per  noiitro.  —  17.  L'imprimé  donne  tout  en  patois  : 
A  vo,  Messieux  les  Diud^o,  Menistré,  Lutenien  [le  manuscrit,  qui  repro- 
duit d'abord  le  texte  officiel  français  et  passe  ensuite  au  patois,  nous 
semble  être  plus  près  de  l'original]. 


LE    CONTE    DU    CRAIZU  23 

20.  Dé  rén  distribua  dé  noiUra  procedoura. 
Pesa  fer  *,  se  vo  plié,  vos  verray  se  ;  éson, 
Qiiand  vo-^-ari  conta  dau  i^alan  lés  akchon. 

Vo  saray  don,  Messieii,  ce  vo  plié  d'aciita. 

Que  ma  félie  et  ce  cor  ce  son  zfiii  -^i  ama* 
25.  Et  que  ne  craya  ti  que  saray  on  mariajo, 

Vo  ne  manqueray  pas  haro,  pan  ne  froumajo. 

Mé  vayqué  que  Uni  ;  car  por  lli,  orendray, 

Ma  fellie  n'en  vau  plieu,  ne  en  blian  né  en  nay. 

Et  se  li'a  :(ii  balli  quoqué  tracasseri* , 
30.  Por  cén  ni  a  né  papay  né  parchemi  ecri. 

Baste  !  enfin  ce  akchon  son  envers  lli  se  naire, 

De  rien  divulguer  de  notre  procédure. 

Pesez  bien  (ferme),  s'il  vous  plaît,  vous  verrez  si  j'ai  raison, 

Quand  je  vous  aurai  conté  du  «  galant  »  les  exploits. 

Vous  saurez  donc,  messieurs,  s'il  vous  plaît  d'écouter, 
Que  ma  fille  et  cet  individu  (corps)  s'étaient  autrefois  aimés 

(se  sont  eu  eu  aimés) 
Et  que  nous  croyions  tous  que  ce  serait  un  mariage. 
Où  ne  manqueraient  pas  beurre,  pain  et  fromage. 
Mais  voilà  qui  est  fini  ;  car  pour  elle,  désormais, 
Ma  fille  n'en  veut  plus,  ni  en  blanc  ni  en  noir. 
Et  s'il  lui  a  une  fois  donné  quelques  petits  cadeaux, 
Pour  cela,  il  n'y  a  ni  papier  ni  parchemin  écrit. 
Baste!  enfin,  ses  actions  envers  elle  sont  si  noires. 


22.  Quand yari  d'au  gaîaiid  raconta  les  acchons.  —  24.  se  sont  d^a  ^u 
cmâ  [notre  version  est  plus  patoise].  —  26.  pan,  buro  né.  —  28.  n'en  vaut 
rin.  —  29.  se  l'ai  a  \u  hailly  [le  manuscrit  présente  encore  l'ancienne 
forme  de  pronom  datif  ly,  remplacée  aujourd'hui  par  lay  =  illac, 
comp.  en  français  :  ;"y  dis].  —  30.  n'a  ni  papai;  part^emin.  —  31.  envers 
h  sont. 


24  L.    GAUCHAT 

Que  nara  pas  Vhonneu  de  in  appela  biau-paire  *. 

Vo-:^-én  vé  raconta  giiogtié-^-echantillon, 

Per  io  vo  verray  bien  cén  qu'est  ce  compagnon. 

ly   On  djor  lay  di'-  no  fan  divei'ti  stau  venenje  ; 

Alén  no  promena  a  Montagni  Demenje  ! 

Uotra  lau  lay  promé,  et,  lo  djor  ariva. 

Se  laive  lo  matin,  se  veté  et  s'en  va 

Appala  la  Lu^on,  qu'élay  noutra  ve:{éna, 
40.  Brava  fellie,  ma  fay,  et  que  noutra  cou^éna. 

Stau  galandé*  s'in  von  dray  a  stu  Moniagni, 

Yo  stu  cor  ne  fu  pas  !  né-t-e  pas  on  mépri  ? 

Dite-lo  ti,  messieu,  et  per  vautra  conchense, 

Ce  cén  est  oun'akchon  ? 

Qu'il  n'aura  pas  l'honneur  de  m'appeler  beau-père. 
Je  vais  vous  en  raconter  quelques  échantillons, 
Par  où  vous  verrez  bien  le  caractère  (ce  qu'est)  de  ce 
compagnon. 

Un  jour,  il  lui  dit  :  il  nous  faut  [nous]  divertir  [pendant] 

ces  vendanges; 
Allons  nous  promener  à  Montagny  dimanche! 
L'autre  le  lui  promet,  et.  Te  jour  arrivé, 
Elle  se  lève  le  matin,  s'habille  et  s'en  va 
Appeler  Louison,  qui  était  notre  voisine, 
Une  brave  fille,  ma  foi,  et  qui  est  notre  cousine. 
Ces  jeunes  filles  s'en  vont  «  droit  »  à  ce  Montagny, 
Où  cet  individu  ne  fut  pas  !  n'est-ce  pas  un  mépris  ? 
Dites-le  tous,  messieurs,  et  sur  votre  conscience, 
Si  c'est  une  action  [permise]  ? 


32.  appaU  [meilleure  forme].  —  34.  stu  compagnon. —  35.  l'ai  de  [passé 
déf.,  ici  présent].  —  38.  Le  se  laivé  matin,  se  vîté,  et  s'en  va.  —  39.  Le 
cria.  —  40.  Viré  noutra  cou:(ena  [=  elle  était,  est  vaut  mieux].  — 
41.  contré  stu  Montagni.  —  42.  Stu  cor  ne  l'ai  fn  pas.  ■ — -43.  Dite  lo  vai, 
messietix,  ty. 


LE    CONTE    DU    CRAIZU  25 

45.   Ce  lo  souverin  di  que  cén  say*  oun'akchoii, 
Fachense  ! 

On  aiitro  ■viad:;;o  encor,  que  cassavon  lés  coquie*, 
Noutra  fellie  lay  va  ;  stu  cor,  sén  deré  porquié, 
Quitta  son  martelet,  sor  e  s'epouffé*  fau, 

50.   Comén  se  llire  entra  on  or  aubin  on  lau. 
T^acon  crai/^ay  d'abor,  en  vian  sa  grimace, 
Qu'a  on  verro  de  vin  Vallavé  fére  pliace. 
Mé  sén  ce  qu'on  rêve  *  /  Se  bin  qu'a  la  miné 
Le  pare  fu  contrin,  son  viaud^o  *  su  lo  bré, 

55.  Dé  la  raccompagni  t^i  no  tôt  a  pejiau~a, 
Vo  l'aray  bin  voliu  avay  resta  merdau:{a. 

Si  le  souverain  dit  que  c'est  une  action, 
Patience  ! 

Une  autre  fois  encore,  qu'on  cassait  (ils  cassaient)  les  noix, 

Notre  fille  y  va  ;  cet  individu,  sans  dire  pourquoi, 

Dépose  son  martelet,  sort  et  s'esquive  dehors, 

Comme  s'il  était  entré  un  ours  ou  un  loup. 

Chacun  croyait  d'abord,  en  voyant  sa  grimace, 

Qu'à  un  verre  de  vin  il  allait  faire  place. 

Mais  on  ne  le  revit  pas  !  De  sorte  qu'à  minuit 

Le  père  fut  contraint,  sa  serpe  sur  le  bras. 

De  la  raccompagner  toute  penaude  chez  nous, 

Où  elle  aurait  bien  voulu  rester  toute  honteuse. 


49.  Léssa  son  tiiaitélet,  s'en  va  lo  vaiquié  fro.  —  50.  Coumin  se  Vire, 
entra  on  laù,  ohin  on  or.  [L'amant  prend  la  fuite  devant  la  jeune  fille, 
au  moment  où  elle  entre,  comme  à  l'apparition  d'un  ours  ou  d'un  loup. 
On  ne  connaît  aujourd'hui  que  la  forme  proclitique /ro  ou /roî^  du  latin 
foris.  Notr-€  texte  offre  ici  la  forme  tonique.  Comparez  en  patois 
valaisan  les  formes  toniques /«'«ra  ou  four  a.  L'ancien  éditeur  a  établi 
une  mauvaise  rime  (pour  les  yeux)  en  intervertissant  les  mots  du 
vers  50J.  —  51.  crayai  [préférable?],  vyen  [dito].  —  52.  qu'à  n-on  vèro 
[suppression  d'hiatus  très  courante]. —  54.  Jo  viaud::^o.  —  '^6.  voliu  resta  tota. 


L.    GAUCHAT 

Pliétou  quié  d'alla  U  por  avay  ce  affron, 
Et  u  verre  moqua  per  on  tau  compagnon. 
Dité-mé  don,  messieu,  îi  per  voutra  conchense, 
éo.   Ce  cèn  est  oiinakchon  ! 

Ce  lo  souverain  dit  que  cén  say  oun'ahchon, 
Pachense  ! 

Ouna  veilla,  i^i  no,  eten  pré  dau  moriay  * , 
Yo  fa-^ay  qidé  sémblian  dé  s'ed:(aiida  lé  day. 

65.   Cin  qu'on  s'en  apperçu,  ye  sor  de  sa  cad^étta 
De  la  pudra,  avoué  quié  vo  fa  ouna  gueliétta*. 
Et  volien  la  sed:(i,  la  laissé  dchay  au  fii  ; 
Se  bin  qui' en  folien  *  et  fasén  sliau  biau  dju, 
To  d'on  cou  sén  vo  fa,  messieu,  ouna  voilaye  *, 

70.  Que  ma  maison  risqua  d'eiré  tot'émbrasaye. 

Plutôt  que  d'aller  là  pour  avoir  cet  affront, 

Et  de  se  voir  ridiculiser  par  un  tel  compagnon. 

Dites-moi  donc,  etc. 

Un  soir  (veillée),  chez  nous,  ils  étaient  près  du  brasier, 

Où  il  ne  faisait  que  semblant  de  se  chauffer  les  doigts. 

Sans  qu'on  s'en  aperçût,  il^sort  de  sa  poche 

De  la  poudre,  avec  quoi  il  vous  fait  une  «  guillette  »  ; 

Et  voulant  la  sécher,  il  la  laisse  tomber  au  feu  ; 

De  sorte  qu'en  badinant  et  en  faisant  ces  beaux  jeux. 

Tout  d'un  coup  cela  vous  fait,  messieurs,  une  [telle]  flambée, 

Que  ma  maison  risqua  d'être  tout  embrasée. 


57.  stu  affron.  —  Dite  h  vai.  —  63.  Fêtai  pré.  —  64.  Yofasai  ensemhlian 
dé  se  t^aiidâ.  —  67.  tjai.  Recueil  Corbaz  :  tjaire  [le  manuscrit  et  l'imprimé 
représentent  la  même  forme  :  tchyây,  venant  directement  de  cadére, 
tandis  que  les  patois  modernes  possèdent  des  formes  analogiques 
tchâyrd  ou  tsiii].  —  68.  stu  biau  dju.  —  69.  çen  vo  fe  [passé  déf]  onua 
tôla  voilaye. 


LE    COXTE    UU    CRAIZU  27 

Pliu  ma  fellie  etay  quié,  lo  vo  deri  io  net, 
Sa  conollie  a  la  man,  fasin  lo  cafornet, 
Et  lo  fil  que  sauta  é  s'émpré  ay-:(-etopé, 
Fe  quié  sa  mère  et  lli  ne  furont  pas  niau  sotte. 
75.  Ditte-mé  donc,  messieu,  ti  per  vautra  conchense. 
Ce  sin  est  ouna  akchon  ! 
Ce  lo  souverin  di  que  cén  say  oun'akchon, 
Pachense  ! 

Nos  avia-i-ouna  bouna  et  halla  galéry, 
80.  Que  y'é  éta  contrin  de  fére  démoly. 

Ne  pocvo  *  pas  di  min  por  l'honneur  de  ma  fellie, 
One  volié  conserva  entier  dén  sa  couquéllie. 
Car  veniay  taquena  tiautre*  tolé  lé  né; 
Day  viad2;o  lo  matin,  d'otro  viad^o  a  miné. 

Puis  ma  fille  était  là,  je  vous  le  dirai  franchement, 

Sa  quenouille  à  la  main,  faisant  le  «  cafornet  »  (en  posant 

les  pieds  de  part  et  d'autre  du  «  mortier  »). 
Et  le  feu  qui  sauta  et  prit  à  la  filasse 
Fit  que  sa  mère  et  elle  ne  furent  pas  mal  sottes. 
Dites-moi  donc,  etc. 

Nous  avions  une  belle  et  bonne  galerie, 

Que  j'ai  été  obligé  de  faire  démolir- 

Je  n'en  pouvais  pas  à  moins  pour  l'honneur  de  ma  fille, 

Que  je  voulais  conserver  entier  dans  sa  coquille. 

Car  il  venait  taquiner  chez  nous  toutes  les  nuits  ; 

Quelquefois  le  matin,  d'autres  fois  à  minuit. 


71 .  nouira  fellie  était  tie  [pliu  au  lieu  de  pu  =zpms  est  le  résultat  d'une 
confusion  avec  le  mot  plus'I.  —  73.  sauta  alla  prendre  [notre  texte  est 
plus  patois].  —  74.  De  quié  sa  mère.  —  75.  Dite  lo  vai.  —  80.  fére-à 
déguelly  [plus  pittoresque,  mais  signifie  plutôt  abattre,  jeter  à  bas,  et 
convient  peu  ici].  —  81.  N'en  poivo  pas  dé  vien.  —  82.  eittire-en.  — 
83.  per  chaut re  -  autre  la  né  [voir  appendice]. 


28  L.    GAUCHAT 

85.  Por  t:{ert:{i  l'occasion  de  poiiay  feré  ripaille, 
En  forcin  d'an  certin  cabinet  la  s er raille. 
Slia  galeri  m'avay  cotta  cinquante  Ecu  : 
C'est  sa  fauta  portant,  ce  y'é  ta  cén  perdu. 
Dite*-mé  don,  messieur,  ti  per  voiitra  conchensCy 

90.  Ce  cén  est  oun'akchon  ! 

Ce  lo  souverin  di  que  cén  say  oun'akchon, 
Pachetjse  ! 

Noutré  ve^^in  avion  aberd^i  ouna  né 
—  Por  vo  deré  bin  quand  cén  ne  fa  rin  au  fé  — 
95.   On  certin  novien*  qu'étay  bon  violare. 

To  ce  ressemblia  quié,  tant  lé  féllie  quié  mare. 
Stu  galand  lay  etay,  yo  fa:(ay  lo  finden, 
Sin  fére  pi  simblian  de  pi  vouaiti  lé  d:{en. 
Lay  sauta*  et  densa*  sliau  qu'etion  a  sa  potta, 

Pour  chercher  l'occasion  de  pouvoir  faire  «  ripaille,  » 
En  forçant  la  serrure  d'un  certain  cabinet. 
Cette  galerie  m'avait  coûté  cinquante  écus  : 
C'est  sa  faute  pourtant,  si  j'ai  perdu  tout  cela. 
Dites-moi  donc,  etc. 

Nos  voisins  avaient  hébergé  une  nuit 

—  Pour  vous  dire  [la  chose]  exactement,  quoique  cela  ne 

fasse  rien  au  fait  — 
Un  certain  aveugle  qui  était  bon  joueur  de  violon. 
Tout  se  rassembla  là,  tant  les  filles  que  les  mères. 
Ce  «  galant  »  s'y  trouvait,  faisant  le  petit  maître, 
Sans  faire  seulement  semblant  de  regarder  les  gens. 
Il  y  fit  danser  et  sauter  celles  qui  étaient  à  son  gré  (////.  à 
[sa  lèvre). 


87.  Ma  gaUry.  —  88.  L'é  sa  Jota,  orendrai.  —  89.  Diié  lo  vai.  — 
93.  Noiilro  ve^in  avai  [moins  bon].  —  96.  Vai  se  rassemhlian  iy,  lé 
fellie  avoué  U  mârè.  —  97.  que  fasai.  —  98.  sen  férè  ensemhlian.  —  99.  Uai 
dansa,  Vai  sauta  stau. 


LE    CONTE    DU    CRAIZU  29 

100.  Et  lé  mollavé*  bin  a  la  fin  de  la  7totta*. 
Adon,  coumen  t:;^acon  sond:^ivé  a  s'en  alla, 
Et  dén  lo  tén  qu'allé  noutra  fellie  appalla, 
La  pré  et  li'en  mena  enfin  ouna  petita, 
Mé  cen  slia  que  besa  ne  niola  ouna  miilaf 

105.  Dite,  brave  messieurs,  ti  per  voutra  conchensa, 
Ce  cén  est  oun'akchon  ! 
Ce  lo  Souverin  di  que  cén  say  oun'akchon, 
Pacbense  ! 

Vo  saray  don  encor,  et  sta  et  la  pliou  forla, 
iio.   On  d~or  quié  la  Zabet  iré  su  noutra  porta, 

—  Cettay  Vhyver  passa  que  fa:(ay  ce  gran  fray 
Et  qu'on  ne  savay  pliii  yo  ce  cat:(i  lé  day,  — 
Stn  cor  s'approut:(e  et  pui,  sen  dere  quié  so  quotte, 

Et  les  embrassait  bien  à  la  fin  de  la  danse. 

Alors,  quand  chacun  songeait  à  s'en  aller, 

Et  au  moment  où  j'allais  appeler  notre  fille, 

Il  la  prit,  et  lui  en  fit  danser  enfin  une  petite. 

Mais  il  s'en  fallut  bien  qu'il  la  baisât  ni  embrassât  un  peu 

(une  miette)  ! 
Dites,  braves  messieurs,  etc. 

Vous  saurez  donc  encore,  et  celle-ci  est  la  plus  forte  : 
Un  jour  que  Elisabeth  était  sur  notre  porte, 
—  C'était  l'hiver  passé,  qu'il  faisait  ce  grand  froid 
Et  qu'on  ne  savait  plus  où  se  cacher  les  doigts  — 
Cet  individu  s'approcha  et  puis,  sans  hésiter  (sans  dire  : 
que  coûte  cela  ?) 


102.  Ye  fù  tii  mon  veiin  [=  je  Jus,  etc.,  le  manuscrit  offre  un  texte 
plus  clair].  —  103.  la  menaonna  iota  petita.  —  105.  Dite  lo  vai  [le  refrain 
est  uniformisé  dans  l'imprimé].  —  m.  L'étay  Vlnver  ;  stu  grand  frai.  — 
112.  Yôon  ne.  —  113.  s'approut:^a  [passé  défi,  impossible  à  cause  de  la 
mesure],  et  poiii,  sen  derè  porquiè  [potquic,  accentué  sur  0,  cfr.  les  vers  46 


30  L.    GAUCHAT 

Apre  qiioquie  ré^on  quiquiè  lay  vo  marmotte, 
115.  Et  avay  fé  lé  ior  que  f on  les  tcharlatan, 

Folie  lé  lay  fora  âedén  son  cat^eman*. 

Dite-mé  don,  messieu,  ti  per  voiitra  conchense, 

Ce  sen  son  des  akchon! 

Ce  lo  Souverain  di  que  cén  say  oiin  akchon, 
1 20.  Pachense  ! 

Vaicé  on  autro  ior  que  lay  fe  l'an  passa, 
A  que  ne  pu  djamé  de  sang  fray  repensa. 
Les  fellie  et  valet  s'etion  bouta  en  teta, 
De  s'alla  promena  on  certin  d:(or  de  fêta. 
125.   Cou  m  en  l'eîion  ii  qtiie  au  dessu  d'on  recor*. 

Après  quelques  paroles  qu'il  lui  marmotte  là, 

Et  après  avoir  fait  les  tours  que  font  les  charlatans, 

Il  voulut  les  lui  fourrer  [les  doigts]  dans  son  «  cache-mains 

Dites-moi  donc,  etc. 

Voici  un  autre  tour  qu'il  lui  fit  l'année  passée, 
Auquel  je  ne  puis  jamais  «  repenser  »  de  sang  froid. 
Les  filles  et  les  garçons  s'étaient  mis  en  tête 
D'aller  se  promener  un  certain  jour  de  fête. 
Comme  ils  étaient  tous  là  au  haut  d'un  tertre  (?), 


et  47,  rime  mal  avec  j/zarwo/ie,  la  locution  offre  peu  de  sens  ici,  et  rem- 
place évidemment  l'expression  sen  dere  quié  so  quotte  tombée  en  désué- 
tude, et  que  l'éditeur  de  l'imprimé  a  cependant  dû  laisser  subsister  au 
vers  185,  ne  trouvant  rien  à  mettre  à  sa  place.  L'expression  doit  signi- 
fier :  sans  hésiter  ou  quelque  chose  d'approchant,  et  est  peut-être  née 
dans  des  phrases  comme  :  il  partit  avec  son  larcin,  sans  demander:  que 
cela  coûte-t-il,  c'est-à-dire  au  plus  vite.  ;  la  forme  quié  me  fait  présumer 
qu'il  s'agit  plutôt  d'une  proposition  interrogative  que  relative].  — 
114.  résons,  adon  que  l'ai  m.  [peu  satisfaisant].  —  116.  l'o/Z/ai  [imparfait] 
fourra  se  dai.  —  117.  Dite  la  don.  —  122.  Au  que  n'éjamêpû.  —  123.  Le 
fellie  et  U  valets.  —  125.  Vèlian  setiet  [aujourd'hui  on  dirait  sstâ  pour 
assis,  la  forme  setiet  m'est  inconnue  et  repose  peut-être  sur  une  faute 
de  lecture],  an  coutzet  d'on. 


LE    COXTE    DU    CRAIZU  3I 

Slu  grivoi  l'embrassa  per  lo  viaiten  dau  cor; 

Noittra  fellie  quetay  aupré  de  lin  siaye, 

Et  dcii  lo  mémo  len  la  vaiqui  renversaye  ; 

Et  puis,  hredin  breda,  vo  fou  lo  batacu  *. 
130.    Tantou  Von  est  de^o,  et  tantou  l'est  dessu; 

Cebin  que  le  montra,  coumen  vo  patidé  craire, 

D:(arotire,  d:^enau....  et  cen  qu'on  volie  vaire. 

Apres  avay  risqua  dé  la  fére  assoma, 

Le  se  relaivé  enfin,  avoué  don  pi  de  na. 
135.  Dité-mé  don,  messieu,  ti  per  voutra  conchense, 

Ce  cen  est  oun'akchon  ? 

Se  lo  Souverain  di  que  cen  say  oun'ahchon, 
Pachense  ! 

Accula  vay,  messieu,  en  vaicé  ouna  terriblia  : 
140.  Lo  Diablo  n'en  pan  pas  fére  ouna  pliu-^-orriblia. 

Ce  grivois  l'enlaça  par  le  milieu  du  corps  ; 

Notre  fille  (qui)  était  assise  auprès  de  lui 

Et  au  même  moment  la  voilà  renversée  ; 

El  puis,  bredi  breda,  ils  vous  font  la  culbute. 

Tantôt  l'un  est  dessous,  et  tantôt  il  est  dessus  ; 

De  sorte  qu'elle  montra,  comme  vous  pouvez  croire. 

Jarretières,  genoux...  et  tout  ce  qu'on  voulut  voir. 

Après  avoir  risqué  de  la  faire  assommer. 

Elle  se  relève  enfin,  avec  deux  pieds  de  nez. 

Dites-moi  donc,  etc. 

Ecoutez  un  peu,  messieurs,  en  voici  une  terrible  : 
Le  diable  ne  peut  pas  en  faire  une  plus  horrible. 


126.  l'embrassé  [présent,  le  rythme  demande  le  passé  déf.].  —  127.  dé 
conta  îy  selaïe  [l'original  portait  certainement  setaye].  —  128.  Est,  d.  l. 
m.  t.,  to  d'on  cou  r.  —  130.  tantou  l'otro  est  déssu  [contresens  comique 
devenu  populaire,  mais  qui  n'appartenait  pas  à  l'original].  —  152.  to 
çen  qu'on  voliai.  —  1 3  3  •  <^«'  se  fére  assomd  [  préférable  ?] .  —  135.  Dite  lo  vai . 
—  140.  fére  oniia  s'horriblia  [avec  hiatus  avant  ontta  et  élision  devant 
horrihlia,  est  peut-être  la  bonne  leçon]. 


32  L.    GAUCHAT 

Fo  pré  de  la  verraire  et  la  pilé  au  morlay, 
—  Que  mafy  lay  pusse  dinché  pela  lé  day  !  — 
Et  piii  ye  porté  so  den  h  lly  de  tîia  féllie, 
Que  la  vo  dépoira  day  la  teta  a  la  grellie. 

145.  Rin  nest  pliu  vré,  inessieu;  lai  ce  vos-:(^-avia  vu 
L'etai  yo  ce  trova  adon  son  pouro  eu! 
Vo-:(^aray  fé  pedi,  lo  pouro  miser ab Ho / 
Car  rinnocén  ne  day  pati  por  lo  coupahlio. 
Portant  lé  d:(^a  garia,  mé  de  ne  cén  lo  mén 

150.  Que  no-'^-en  a  cota  d'on  bon  pot  d'eguar^en  *. 
Dite-mé  donc,  inessieu,  ti  per  voutra  conchense, 
Ce  cen  est  ounakchoii  ? 
Se  lo  Souverain  di  que  cen  say  onnahchon, 
Pachense  ! 

II  vous  prit  des  débris  de  verre  et  les  pila  au  mortier, 
—  Que  le  diable  puisse  ainsi  lui  piler  les  doigts  !  — 
Et  puis  il  porte  cela  dans  le  lit  de  ma  fille, 
De  sorte  qu'il  vous  l'écorcha  de  la  tête  à  la  cheville. 
Rien  n'est  plus  vrai,  messieurs  ;  hélas  !  si  vous  aviez  vu 
L'état  où  se  trouvait  alors  son  pauvre  c.  ! 
Il  vous  aurait  fait  pitié,  le  pauvre  misérable  ! 
Car  l'innocent  ne  doit  pas  pâtir  pour  le  coupable. 
Cependant  elle  est  déjà  guérie,  mais  toujours  est-il 
Que  cela  nous  coûta  un  bon  pot  d'eau-de-vie. 
Dites-moi  donc,  etc. 


141.  vo  prend  [présent].  —  142.  que  lo  diablio  l'ai  pouisse  [mafy,  in- 
compris, est  un  des  nombreux  noms  du  diable].  —  143.  Et  poui,  t'ap- 
porte çen.  —  144.  Yâvo  la  [la  vo  est  plus  patois]  ;  dû  la  téta.  —  145.  Quand 
l'ai  penso,  Messieux.  —  148.  L'ènocen  ne  dai  pâ.  —  149.  Vê portant  d^a 
garri,  ma  de  çen  lo  men  [ —  une  syllabe].  —  150.  bio  pot.  —  151,  Dite 
lo  vai. 


LE    CONTE    DU    CRAIZU  33 

155.  Lo  conio  day  crai:^u  per  yo  yé  coumeucy, 
Ne  vo-:(^-a  pas  enco  eta  fé  a  demi. 
Ye  m'en  vé  lo  fini.  Messieu,  vo  paiidé  craire, 
Quouna  ?ié  —  yo  defio  qu'on  t:(at  eusse  pu  vaire  — 
Slu  compagnon  venie  avoué  de  se  ami, 

160.  Environ  la  miné,  que  n'etia  d:(a  drumi, 
Excepta  la  Zabei,  que  s'epud:(ivé  encora, 
A  qui  cria  :  veni  on  poù  ver  mé  iotora  ! 
Vo-y^-én  prio,  Zabet,  y'é  oquie  de  pressén 
A  vo  cou  m  unie  a,  mode  çay  que  vos  m  en  ! 

165.  Noutra  fellie,  qu'a  ^u,  day  sa  plin  tendr'énfénce, 
Por  ti  lés  grand  valet  beaucoup  de  complié:(ence,  ' 
—  Car  i;in  de  bouna  race,  a  cén  que  t^acon  dit, 
Tsassé  sovén  solet,  sén  qu'on  l'ausse  dressi  — 

Le  récit  des  lampes  par  lequel  j'ai  commencé, 

Ne  vous  a  pas  encore  été  fait  à  demi. 

Je  m'en  vais  le  finir.  Messieurs,  vous  pouvez  croire 

Qu'une  nuit,  où  je  défie  qu'un  chat  eût  pu  voir. 

Ce  compagnon  vint  avec  [quelques-uns]  de  ses  amis, 

Vers  minuit,  alors  que  nous  étions  déjà  couchés, 

Excepté  Elisabeth,  qui  cherchait  encore  ses  puces, 

A  laquelle  il  cria  :  venez  un  peu  vers  moi  tout  de  suite  ! 

Je  vous  en  prie,  Elisabeth,  j'ai  quelque  chose  de  pressant 

A  vous  communiquer,  maudit  soit  qui  vous  ment  ! 

Notre  fille,  qui  a  eu,  dès  sa  plus  tendre  enfance, 

Pour  tous  les  grands  garçons  beaucoup  de  complaisance, 

—  Car  chien  de  bonne  race,  à  ce  que  chacun  dit, 

Chasse  souvent  tout  seul  sans  qu'on  l'ait  dressé  — 


155.  d'au  crat'iu.  —  156.  Ne  vos  a  pas  ctd  oncojc.  —  157.  tué  vé  vo  lo. 
—  158.  né  que  défio.  —  159.  slu  grivois  [ —  une  syllabe].  —  160.  //  dni- 
mis.  —  161.  Hoimi  nonlra;  se  pud^ive.  —  162.  L'ai  crié,  veni  vai,  vers 
mè  on  pou  tot-ora.  —  ï6s.  piemire  enfance.  —  166.  valets  que  trau  dé 

[=  trop]. 


3 


34  L-    GAUCHAT 

Sén  ce  fére  pressa  le  r évité  son  cheurtT^o  *, 
170.  Et  dechen  ver  stu  cor,  qui'eiay  den  neutron  pouert:^o. 
To  lo  dray  soupçonni  que  lli'avay  de  l'ougnion  *. 
A^^  me  trompavo  pas,  car  stu  fin  compagniou, 
Apre  lay  avay  fé  coque  faussé  carresse, 
Lay  di  que  l'etay  tén  de  faire  day  promesse  ; 
175.  Que  le  devay  alla  t:(i  son  cousin  Dubret, 

Yo  troverion  day  pliouimé  et  l'ecrétéro  prêt  ; 
Que  ni'aray  qu'a  segni  et  que  le  devay  craire, 
Quié  quand  cén  saray  fé,  lay  ballieray  hin  d'aire. 
Et  cén  lay  dére  g  a,  Vempougne  per  lo  bré, 
180.  Fa~^en  ti  sé-^-efor  por  la  fhe  alla  lé. 

Meday,  quand  le  ve  cen,  le  su  bin  se  deffendre: 
En  lo  grafounen  fer,  li'en  de:(^én  pi  quié  pendre, 


Sans  se  faire  presser,  [elle]  met  sa  robe 

Et  descend  auprès  de  cet  individu,  qui  était  dans  notre 

corridor. 
Tout  de  suite  je  soupçonnai  qu'il  y  avait  du  louche  (de 

l'oignon). 
Je  ne  me  trompais  pas,  car  ce  rusé  compagnon, 
Après  lui  avoir  fait  quelques  fausses  caresses, 
Lui  dit  qu'il  était  temps  de  faire  des  promesses  [de  mariage]. 
Qu'elle  devait  aller  chez  son  cousin  Dubret, 
Où  l'on  trouverait  des  plumes  et  l'écritoire  préparés  ; 
Qu'il  n'y  aurait  qu'à  signer  et  qu'elle  devait  croire, 
Que  quand  ce  serait  fait,  il  lui  donnerait  bien  des  arrhes. 
Et  sans  lui  dire  gare,  il  l'empoigne  par  le  bras, 
Faisant  tous  ses  efforts  pour  la  faire  aller  là. 
Ma  foi,  quand  elle  vit  cela,  elle  sut  bien  se  défendre  : 
En  l'égratignant  fort,  lui  en  disant  pis  que  pendre, 


170.  à  noutron.  —  174.  de  [passé  déf.].  —  175.  Dehret.  —  176.  Yâ 
troverai.  —  177.  Que  n'arrai.  —  179.ro/  en  l'ai  de^en  çen.  —  182.  lai 


LE    COXTE    DU    CRAIZU  35 

Le  cria  :  Paire,  paire,  apparia  lo  crai::^ii, 
Et  dé  voutr' outra  man  ne  vegni  pas  voi^u  *  ! 

185.  Prendé  on  bon  tricot  /  Ne  dio  pas  quié  so  cotté, 
Saiito  frou  de  mon  lly,  sén  bouta  nié  ciillotté. 
Y'enprennio  mon  crai::^u,  frinno  avo:^^  lés-:(^egra, 
Couten  bin  qnie  cocon  ne  m'en  saray  pas  gra. 
Comen  y  été  an  pocn  d' entra  deden  l'alaye, 

190.   Slu  grivoy,  que  chèntay  quoqnie  nialapanaye*. 
En  arreven  que  fi,  devant  que  Vusso  vu, 
D'on  cou  de  son  t:^appé  mé  détien  *  mon  crai~ji. 
Sbin  que  me  vaiquié  sen  verre  ouna  gotta, 
Et  puis  ma  lanipa  bas,  que  se  toumavé  tota. 

195.  Dité-mé  donc,  messieurs,  ti  per  voulra  conchense. 
Ce  cen  est  oiin'akchon  ? 
Ce  lo  Souverain  dit  que  cen  say  ounakchon, 
Pachense  ! 

Elle  cria  :  «  Père,  père,  apportez  la  lampe, 

Et  ne  venez  pas  sans  rien  dans  votre  autre  main  ! 

Prenez  un  bon  bâton  !  »  Je  ne  fais  ni  un  ni  deux,  (je  ne  dis 

pas:  que  cela  coûte-t-il?) 
Je  saute  hors  de  mon  lit,  sans  mettre  mes  culottes. 
J'allume  ma  lampe,  m'élance  en  bas  l'escalier, 
Pensant  bien  que  quelqu'un  ne  m'en  saurait  pas  gré. 
Comme  j'étais  sur  le  point  d'entrer  dans  le  corridor, 
Ce  grivois,  qui  pressentait  quelque  mauvaise  aventure. 
Au  moment  où  j'arrivai,  avant  que  je  l'eusse  vu, 
M'éteint  ma  lampe  d'un  coup  de  son  chapeau. 
De  sorte  que  me  voilà  sans  voir  goutte, 
Et  puis  ma  lampe  à  terre,  qui  se  vidait  toute. 
Dites-moi  donc,  etc. 


185-186.  Saiito  fro  dé  mon  liy  sen  bould  mé  culotté,  Prenuio  on  bon 
bâton,  ne  dio  pas  que  çen  cotté.  —  187.  Empougno  mon  craiiu.  —  188.  Savé 
ben  que  stu  cor  ne  m'en  savai.  —  189.  Quand  ye  fil  su  lopoent.  —  190.  Mon 
grivois.  —  193.  Se  bin  que  mé  vailé.  —  195.  Dite  lo  don. 


36  L.    GAUCHAT 

N'est  pas  lo  toi  !  Quand  vi  ma  lampa  renversaye, 
200.   Yô  cru  que  ma  Zabeth  etay  desonoraye. 

Me  bouti  a  cria  :  fena,  depat:(e-lé, 

Enprein  Vautro  crai;^n,  sauta  frou  en  parité  ! 

Le  me  cray  ;  dein  don  sau,  sla  fena  se  présenté. 

Stu  compagnon,  qui' etay  cai:(y  derrey  day  breintê, 
205.  S'avance  tôt  d'on  coup,  et,  sen  la  respecta, 

Paf  !  d'on  cou  de  tt^appé,  vaiquié  son  crai:(_u  ba. 

Cebin  que  no  vaiquié  encora  sén  lumière, 

Sén  savay  yo  alla,  craignen  les  etriviere. 

A  la  fin  lo  galan,  apré  to  ce  fraca, 
210.  Se  recoué*  et  t:(i  lli  s'ein  alla  sonica*, 

Contein  comein  on  ray  d'avay  vu  noutra  pouére. 

Et  de  no-:(-avay  fé  a  ti  veni  la  jouer e. 

Lay  y'é  encor  gagni  on  rommo  violein. 

Ce  n'est  pas  tout:  Quand  je  vis  ma  lampe  renversée, 

Je  crus  que  mon  Elisabeth  était  déshonorée. 

Je  me  mis  à  crier  :  «  Femme,  dépêche-toi, 

Allume  l'autre  lampe,  «  saute  dehors  »  en  chemise  !  » 

Elle  m'obéit  ;  en  deux  sauts,  cette  femme  se  présente. 

Ce  compagnon,  qui  était  caché  derrière  des  «  brantes  », 

S'avance  tout  d'un  coup,  et,  sans  la  respecter, 

Paf!  par  un  coup  de  chapeau,  voilà  sa  lampe  à  terre. 

De  sorte  que  nous  voilà  encore  sans  lumière, 

Sans  savoir  où  aller,  craignant  [les  coups  d']  étrivière. 

A  la  fin,  le  galant,  après  tout  ce  fracas. 

Rentre  et  chez  lui  s'en  va  dormir  [à  poings  fermés]. 

Content  comme  un  roi  d'avoir  vu  notre  peur, 

Et  de  nous  avoir  fait  à  tous  venir  la  diarrhée. 

J'y  ai  encore  attrapé  un  rhume  violent. 


202.  Et  pren  [l'éditeur  ne  connaît  apparemment  pas  le  verbe  eim- 
prendre  =  allumer],  —  203.  ma  féna.  —  206.  lo  crai\u.  —  207.  no  vailè. 
—  210.  Se  reçoit illy  t:{i  ly,  et  s'en  va  sonica. 


LE    CONTE    DU    CRAIZU  37 

Que  m^a  bin  tormenta  et  vie  revin  sovetn. 
215.  Hem  !  hem  !  hem  !  Adon  dites  vay  en  conchense, 
Ce  sein  son  dai  akchon  ? 
Ce  lo  Souverein  dit  que  cein  say  dai-^^- akchon, 
Pachense  ! 

Qui  m'a  bien  tourmenté  et  me  revient  souvent. 
Hem  !  hem  !  hem  !  Maintenant  dites  un  peu  en  conscience, 
Si  ce  sont  des  actions? 
Si  le  souverain  dit  que  ce  sont  des  actions, 
Patience  ! 


214.  et  que  niè  prend  sovent.  —  215.  Hom.  Hom.  [et  rien  de  plus] 
216.  Dite  h  vai,  etc.,  comme  les  autres  fois. 


APPENDICE 
I.  Prononciation 

Comme  il  est  impossible  de  reconstituer  exactement  la  pro- 
nonciation patoise  du  xviii«  siècle,  nous  avons  renoncé  à 
transcrire  le  poème  phonétiquement.  Nous  croyons  cependant 
rendre  un  service  aux  amateurs  de  nos  dialectes,  en  indiquant 
la  façon  dont  se  prononcent  aujourd'hui  les  mots  les  plus  inté- 
ressants à  ce  point  de  vue.  C'est  un  vieux  «  régent  »  d'Escherin 
sur  Corsy  (près  Lutry)  qui  m'a  renseigné  là-dessus.  Les  numéros 
correspondent  aux  vers  du  texte. 

Titre:  kreyzu  ou  krayzu.  —  i.  balyây.  —  3.  klye,  plyon-ma. 

—  4.  ardzè,  niarti,  èklyàna.  —  6.  dèy-t-on,  dcpc.  —  7.  ditè-lo 
vây  konchesd.  —  10.  vâycin  (diphtongue  nasale).  —  11.  fply>.  — 
1 2.pplyy.  —  14.  ma  fax .  —  19.  laou  say.  —  20.  rè.  —  22.  akchon. 

—  24.  ko. —  25.  nb  krayâ.  —  27.  vay  ty?,  par  lyï,  brcindrâ.  — 
28.  nâ.  —  29.  kotyè.  —  t,o. papa.  -    31.  nâr?. —  32.  byÔ-pârd. 

—  35.  dzb.  —  38.  layve.  —  39.  vàzœna.  —  40.  kouzmia.  — 
^'j.yâdzo,  ankouora,  kokè.  —  48.  portyc.  —  49.  martalè.  — 
50.  /«.  —  51.  vayè.  —  53.  rdvp.  —  54-  vyddzo.  —  $ç,.  pinâ^za. 

—  58.  ver?.  —  63.  vèlya,  mcrtâ.  —  64.  etsboudâ,  dâ.  —  65.  sô.  — 


38  L.    GAUCHAT 

66.  gslyèta.  —  67.  tomber  ^t  dit  aujourd'hui  tsdzi.  —  69.  voualây?. 
71.  étay  ty3.  —  81.  pouâvo.  —  2>t,.  On  dirait  maintenant  Z^^^^- 
trè  au  lieu  de  tiautre.  —  95.  fioviyë.  —  ^"j.  fèinde.  —  98.  vouèti, 
dzè.  —  99.  Xh^^ou.  —  104.  Xh-^-  —  ^09-  forta.  —  1 1 1.  ivè,frâ. 

—  115.  le  tb.  —  121.  vaytsé.  —  123.  b9tâ,  tïta.  —  \2/\.  fîta.  — 
125.  rdko.  —  126.  maytè.  —  128.  tnlmo.  —  129.  batakii.  ■ — 
12,1. pâdè. —  i^i.vèrâr?. —  144.  dèponèra,  grplya. —  \6-^.prèsè. 
164.  mode,  m'e.  —  169.  cheurizo,  n'est  plus  connu.  —  1 70.  portso. 

—  178.  (?rp  ou  ilr9. —  181.  viddâ. —  \%2.  pëdrd.  —  184.  vouayzu. 

—  187.  frin-no.  —  192.  dètyè.  —  202.  chata  frb.  —  204.  brëts. 
208.  krënyè.  —  210.  rakoiiè.  —  211.  pouâra.  —  212.  fotiârJ.  — 
213.  ron-mo,  vyolè.  —  2x4.  tbrmctâ,  7-3vèin,  sbvè. 

II.  Explication  de  mots. 

2.  Les  «pensionnaires»  sont  probablement  les  commis  du 
notaire  devant  lequel  le  père  dépose  sa  plainte. 

3.  bantsd,  étude  de  notaire,  greffe  du  tribunal. 

8.  krayzii,  identique  avec  le  mot  français  creuset,  vieux  fran- 
çais croisuel,  esp.  crisuelo,  it.  crogiuolo,  qui  ont  signifié  à  l'ori- 
gine «lampe»  et  qu'on  tire  généralement  de  cru- 
ceolus,  petite  croix,  sans  qu'il  soit  bien  démontré 
quel  rôle  la  croix  a  joué  dans  cette  dérivation. 
M.  Schuchardt  {Zeiischrift  fiir  romanische  Philo- 
logie, XXVI,  314  ss.),  suppose  qu'il  faut  partir  de 
cochlea,  parce  que  la  mèche  émergeant  de  la  lampe 
faisait  penser  à  une  tête  d'escargot  sortant  de  la 
coquille.  Ce  serait  en  ce  cas  *cloceolus,  changé 
en  *croceolus.  Notre  forme  patoise  rend  vraisem- 
blable une  intervention  sinon  une  dérivation  de 
crucem.  Inutile  de  dire  que  cette  espèce  de  lampe 
n'est  plus  en  usage. 

9.  ^^ji/ =  peut-être,  du  latin  spero,  vieux  français  espoir, 
voir  Romania,  XXV,  437. 

12.  p3ly3,  àt  pdlyi,  ix.  piller  =  voler  adroitement. 

14.  J'ignore  comment  l'expression  beau  chien  arrive  à  signi- 
fier bien  attrape. 

16.  consister 0,  tribunal  paroissial  qui,  sous  la  domination 
bernoise,  se  composait  d'un  juge,  président,  de  son  lieutenant 
ou  vice-président,  du  pasteur  (ministre),  de  plusieurs  assesseurs 


LE    COXTE    DU    CRAIZU  39 

et  d'un  secrétaire.  Ce  tribunal  semi-ecclésiastique,  semi-laïque, 
jugeait  les  causes  matrimoniales,  les  infractions  aux  bonnes 
mœurs,  les  contraventions  aux  règlements  de  police.  Les  ordon- 
nances du  gouvernement  envoyées  au  consistoire  commen- 
çaient ordinairement  par  les  mots  :  Aux  sieurs,  Juge,  Ministre, 
etc.,  salut!  imités  ici  par  à  vous,  etc. 

21.  fè,  adverbe,  du  latin  firmus,  subsiste  encore  dans 
d'autres  patois. 

24.  Ce  son  zau  zu  ama,  littéralement:  se  sont  eu  eu  aimis,  le 
z  de  liaison  (provenant  de  nous  avons  eu,  etc.)  est  soudé  indis- 
solublement au  mot.  La  langue  populaire  remplace  le  passé 
défini  //  aima  par  //  a  aime,  et,  par  conséquent,  //  eut  aimé 
par  il  a  eu  aime.  On  dit  communément:  quand  f  ai  eu  su, 
quand  il  a  eu  dit,  etc.,  où  le  mot  eu  marque  une  idée  d'an- 
tériorité. Au  passif,  on  dit  il  a  eu  été  aimé ,  et,  comme  en 
patois  la  formule  il  a  été  est  généralement  rendue  par  il  est  eu, 
il  en  naît  la  construction  barbare,  mais  logique,  il  est  eu  eu 
aimé.  Le  cas  n'est  pas  seulement  intéressant  au  point  de  vue 
syntaxique,  mais  aussi  par  la  diversité  phonétique  du  mot  eu 
placé  sous  deux  accents  différents,  le  premier  plus  fort  que  le 
second,  ce  qui  produit  la  forte  contraction  de  la  deuxième 
forme. 

29.  Le  mot  tracasserie  a  conservé  en  patois  le  sens  de  baga- 
telle, petit  présejit. 

32.  La  rime  mira:  byo-pàrs  s'explique  par  la  phonétique 
locale,  qui  supprime  dans  certaines  positions  la  deuxième  com- 
posante de  l'ancienne  diphtongue  ay. 

41.  galandé,  seul  exemple  de  notre  littérature  patoise  où  ce 
mot  se  trouve  au  féminin. 

45.  que  cé7i  say,  subjonctif,  après  les  verbes  de  la  parole, 
comme  en  allemand,  en  italien,  en  vieux  français. 

47.  La  récolte  des  noix  donne  lieu  à  des  réunions  de  jeunes 
gens  tantôt  chez  l'un,  tantôt  chez  l'autre,  appelées  kasàya.  On 
casse  des  noix,  on  n'oublie  pas  de  les  arroser  de  vin,  et  l'on 
trouve  l'occasion  de  forger  des  projets  de  mariage. 

49.  s'épou/â,  cfr.  pour  le  sens  l'exemple  suivant:  «  Item  a 
dit  qu'ayant  été  laissé  à  la  montagne  des  Prayses  pour  la  garde 
des  fromages  qui  restoient  dans  le  challet  de  la  dite  montagne 
après  la  descente  du  bétail,  il  s'en  époufat  avec  la  casaque  de 


40  L.    GAUCHAT 

l'Armallier  et  un  Serex  [sérac]  qu'il  dérobât  »  (Cour  de  Vevey, 
1682).  Vient  peut-être  de  pulvis;  cfr.  l'allemand  sich  ans  dem 
Staub  machen. 

53.  sén  ce  qu'on  rêve,  comparez  le  vers  104  :  cen  slia  que  besa, 
où  sen  a  le  sens  de:  le  diable  emporte  celui  qu'on  revit,  etc.,  ce 
qui  équivaut  aune  forte  négation.  Je  suppose  que  c'est  un  juron 
abrégé.  On  rencontre  parfois  une  forme  plus  complète:  dei/te) 
sin  que;  cfr.  149  :  de  ne  cén  lo  mén  d'on  bofi  pot  d'eguarzen 
=  pas  moins  de,  etc.  , 

54.  viaudzo,  espèce  de   serpe  très    forte   à   lame    d'abord 
droite,  puis  recourbée  à  son  extrémité  ;  sert  à  tailler  les  haies 
et  à  couper  des  bran- 
ches pour  en  faire  des 
fagots.  Du  mot  celtique 
viduvium,    fr.    vouge. 
On  ne  voit  pas  très  bien  pourquoi  le  père  s'arme  de  cet  outil. 
Voulait-il  se  prémunir  contre  un  mauvais  coup  du  «  galant  »  ? 

63.  mortay,  grande  pierre  de  grès 
creusée,  dans  laquelle  on  met  les 
braises  de  la  cuisine,  après  les  repas, 
et  servant  de  brasier.  On  l'emploie 
encore  dans  des  lieux  écartés.  Même 
^&-  origine  que  le  fr.  mortier. 

66.  gueliétta,  petit  cône  de  poudre 
humectée  et  broyée  que  les  enfants  s'amusent  à  fabriquer. 

68.  foVeyi,  rad.  àt/oti  -\-  idiare. 

69.  voilaye,  de  l'allemand  w ail  en? 

81.  poëvo,  a  pris  la  terminaison  de  la  première  conjugaison. 
On  trouve  aussi  volavo,  de  vouloir,  mais  pas  ici  ;  cfr.  volié  au 
vers  suivant. 

83.  tiauire,  probablement  pour  kiautre,  lat.  eccum  hic 
ultra,  doublet  éteint  de  chautre ^tcce  hic  ultra,  qui  existe 
encore  dans  la  composition  pèchautre,  dans  nos  parages. 

95.  novien,  aveugle,  de  non  vedentem. 

99.  danser  et  sauter  sont  ici  employés  comme  transitifs. 

100.  molâ,  embrasser,  proprement  émoudre,  probablement  à 
cause  de  la  ressemblance  du  bruit,  notta,  note  —  air  —  air  de 
danse  —  danse. 

116.  On  appelle  catzeman  non  seulement  un  wâ!w//i?«,  mais 


LE    CONTE    DU    CRAIZU  4I 

aussi  l'ouverture,  de  chaque  côté  d'une  jupe,  qui  correspond 
aux  poches  que  portaient  les  femmes. 

125.  recor  signifie  ordinairement  le  regain^  ce  qui  ne  va  pas 
ici,  à  moins  de  comprendre  tas  de  regain.  Mon  sujet  d'Escherin 
m'a  indiqué  le  sens  de  tertre,  mais  cette  assertion  mériterait 
d'être  contrôlée. 

1 29.  batacu,  de  betacu,  par  assimilation  de  voyelles,  formé  des 
mêmes  éléments  que  le  français  culbute,  mais  dans  l'ordre  inverse. 

150.  eguarzen,  du  latin  aquam  ardentem;  cfr.  Jeanjaquet, 
Bulletin  du  Glossaire,  III,  p.  36. 

169.  cheurtzo  =  robe,  de  l'allemand  Schiirze  ;  comparez 
cette  indication  du  Vocabulaire  du  Recueil  Corbaz  :  cheurtzo, 
espèce  de  vêtement  de  femme,  comme  qui  dirait  une  robe  de 
chambre,  un  surtout.  Le  mot  existe  encore  en  Valais,  par 
exemple  à  Evolène  :  choutso  =  robe  en  drap  du  pays,  corsage 
et  jupe  d'une  pièce,  ainsi  que  dans  les  patois  de  l'Est  de  la 
France.  Voir  aussi  Salvioni,  Rojnania  XXVIII,  106. 

171.  Vey  a  de  l'unyon  =  il  y  a  anguille  sous  roche. 

184.  voizu,  lat.  vacivus,  vide,  stérile.  Comp.  le  proverbe 
an  tardtt  ne  fu  djai7ié  vouazu. 

190.  malapauaye  est  composé  de  mal  a  =  mauvais,  et  de 
panaye,  du  verbe  pana  =  essuyer,  frotter. 

192,  détiendre  =  éteindre,  de  deextinguere. 

210.  recouilli,  signifie  ramasser  le  blé  à  mesure  que  le  mois- 
sonneur le  fauche  ;  l'ouvrière  qui  fait  cette  opération  s'appelle 
la  recouillauza.  C'est  une  spécialisation  du  sens  de  recueillir. 
Se  recouilli  a  le  sens  de  rentrer.  Comparez  se  ramasser  de 
quelque  part,  se  réduire  chez  soi,  etc. 

sonica  ne  signifie  pas,  comme  l'indique  le  Vocabulaire  du 
Recueil  de  Corbaz,  suivi  par  Favrat,  ^a/,  content,  mais  dortnir; 
comparez  les  passages  suivants  :  on  pdo  sonicâ  et  mijnameint 
ronclliâ  à  se  n'ése,  on  peut  dormir  et  même  ronfler  à  son  aise 
{Conteur  vaudois,  1899,  No  18);  ne  vollieint  être  leva  devant 
que  l'aussè  botsi  de  sonicâ  =  nous  voulons  être  levés  avant 
qu'il  ait  cessé  de  dormir  {Conteur  vaudois,  1884,  N°  15).  Ce 
verbe,  qui  se  retrouve  encore  plusieurs  fois  dans  le  Conteur, 
est  formé  plaisamment,  au  moyen  du  suffixe  -ikâ,  du  radical 
de  sonno,  sommeil. 

L.  Gauchat. 
<•  m  ■*■ 


FRAGMENT 

D'UN  GLOSSAIRE  DE  L'AJOIE 

(Jura  bernois) 


[La  rédaction  du  Glossaire  des  Patois  romaiuls  a  eu  la  bonne  fortune 
de  trouver  en  M.  Fridelance,  professeur  à  Porrentruy,  un  collaborateur 
des  plus  compétents,  qui  s'occupe  depuis  plusieurs  années  à  recueillir  le 
vocabulaire  complet  du  patois  de  l'Ajoie.  Ce  travail  de  premier  ordre 
sera  bientôt  achevé,  et  nous  en  reproduisons  ci-dessous  le  début,  à  titre 
de  spécimen  et  de  modèle  à  suivre  par  nos  correspondants.  Le  patois 
plus  spécialement  représenté  est  celui  de  Charmoille.] 

â,  S.  m.  Voyelle  et  première  lettre  de  l'alphabet.  n9  sèvoè 
ni  a  ni  h  :  ne  savoir  ni  a,  ni  b^  être  complètement  ignorant, 
illettré. 

â,  forme  de  l'article  combiné  avec  à  ou  en.  â  iyœtchi  :  au 
jardin,  â  bouian  :  au  printemps,  â  fùd!  au  feu.  â  Ion  :  à  côté 
(de),  ci.  an,  e. 

â,  s.  m.  Ail.  ïn-n  â,  dé^  à-  un  ail,  des  aulx,  in-n  ¥of  d'à: 
une  gousse  d'ail.  ïn-n  yan-n  d'à  :  une  glane,  une  chai  ne 
d'aulx.  i9  pu  lé^  à  '■  tu  pues  l'ail. 

à,  ât',  ou  avec  aspiration  hà,  bât',  adj.  Haut,  élevé,  stp 
pou'tch  n\i  p'  prou  âl'  :  cette  porte  n'est  pas  assez  haute. 
s'a  tro  à,  i  n  sdrô  èpondr'  :  c'est  trop  haut ,  je  ne  saurais 
atteindre,  mon  pin  na  dyèr  veni  à  :  mon  pain  n'a  guère  levé 
(////.  n'est  guère  venu  haut),  an-n  n  on  dj'  vu  de  chi  hâ  k  lu  : 
on  en  a  déjà  vu  d'aussi  haut  placés  que  lui.  Adv.  è  n'  fâ 
p'  iyudP  paie  pu  hâ  k  là  tyn  :  il  ne  faut  pas  vouloir  péter 
plus  haut  que  le  c,  c'est-à-dire  vivre  au  delà  de  ses  mo3'ens. 
I    S.  m.  Partie  supérieure,  haut,  sommet,  èl  é  nadji^  ch'  lé  hâ: 


FRAGMEKT    d'uX    GLOSSAIRE    DE    L'aJOIE  43 

il  a  neigé  sur  les  hauteurs,  là  hâ  d  Mont'brœ  :  le  haut,  le 
point  culminant  de  Montbreux.  è  fâ  brègè  là  hâ  è  p9  dinorè 
din  l  bé  :  il  faut  vanter  le  haut  (la  montagne,  et  demeurer 
dans  le  bas  (la  vallée,  la  plaine),  si  tchinbon  san  lo  hâ  d  le 
tyèch'  :  ce  jambon  sent  le  «  haut  de  la  cuisse  »  (le  faisandé). 

âbèdj,  s.  m.  Chanson  d'amour  qui  se  chantait  le  soir.  Les 
abèdj  ont  disparu  du  Jura,  mais  se  chantent  encore  dans  les 
villages  du  Doubs.  tyin  lé  boti^b  in  tiri^  â  sor,  è  vin  tchintè 
lé:^  abèdj  è  p9  dinsi^  pè  lé  mâjon  ■'  quand  les  conscrits  ont  tiré 
au  sort,  ils  vont  chanter  les  abèdj  et  danser  de  maison  en 
maison. 

âbén,  s.  f.  Aubaine. 

âbésé,  s.  m.  Alphabet,  abécédaire,  hél  en!  è  n  se  pi' p'anho 
Vâbésé  '•  quel  âne  !  il  ne  sait  pas  même  encore  l'alphabet. 
èpar  Vâbésé  :  apprendre  l'abc.  C'était  autrefois  un  petit  livret 
dont  la  première  page  présentait  l'image  de  saint  Nicolas 
bénissant  les  petits  enfants  dans  le  saloir  de  la  légende,  èl  é 
to  dévouer  è  son-n  âbésé:  il  a  tout  déchiré  son  abécédaire. 
On  collait  aussi  le  tableau  des  lettres  sur  une  (■'  palette.  » 
Cf  palat'. 

âbi,  s.  m.  Ne  s'emploie  qu'avec  l'adjectif  «  libre,  »  dans 
la  locution  èvoè  son  libr  iîbi  :  avoir  son  libre  arbitre,  sa  liberté 
d'action,  de  décision. 

âbil,  adj.  Habile,  expéditif  è  n'a  dyèr  abil  :  il  est  peu  ha- 
bile, il  a  peu  de  savoir-faire,  vo^  él'  âbil  :  vous  êtes  expé- 
ditif, vous  avez  vite  eu  fait.  1|  Prompt,  agile,  è  n  fœ  p'  prou 
âbil  :  il  ne  firt  pas  assez  leste,  assez  agile. 

âblâtr',  s.  m.  Arbalète,  tiri^  an  l'âblâtr  :  tirer  à  l'arbalète. 
1 1  Fig.  Malotru,  escogriffe,  tyu  â  si  pp-l-âblâtr  f  quel  est  ce 
vilain  merle,  ce  malotru  ? 

ablélrF,s.m.  Arbalétrier.  i|  Sagittaire,  signe  du  zodiaque. 

âbnèt',  s.  f  Mot  vieilli  pour  âbni^,  eau  bénite,  par  d  Vâbnèt  : 


44  F-    FRIDELANCE 

prendre  de  l'eau  bénite  avec  les  doigts  dans  le  petit  bénitier 
suspendu  dans  la  chambre  et  se  signer,  âbnèf,  i  t  pran, 
I  d  trâ  Ichô:^  nip  defan  :  \  d  Viii-n'mi,  d  le  scrpan,  \  d  métchin- 
n  djan  \  d  mœri  de  moti^  sdbifman  ■'  Eau  bénite,  je  te  prends. 
De  trois  choses  me  défends  :  De  l'ennemi  (du  démon),  du 
serpent.  De  méchantes  gens,  De  mourir  de  mort  subite- 
(ment).  Prière  en  prenant  de  l'eau  bénite  le  matin  en  se 
levant.  Cf.  âbni'. 

âbnéti^,js.  m.  Grand  bénitier  fixe  d'église.  ||  Nom  du  car- 
dère  (Dipsacus  sylvestris)^  dont  les  feuilles  forment  bénitier 
autour  de  la  tige  et  recueillent  l'eau  de  pluie.  Cette  eau 
passe  pour  rendre  beau  qui  s'en  lave  la  figure  et  rajeunir 
les  vieux. 

abnèti^r,  s.  f.  Bénitier,  petit  bénitier  domestique,  è  y  è  bïn 
in-n  abnèti^r  an  yôl  poèy' ,  min  èll  à  tôt'  satch,  è  n'y  é  ran  d'din: 
il  y  a  bien  un  petit  bénitier  dans  leur  chambre,  mais  il  est 
complètement  à  sec,  il  n'y  a  rien  dedans.  Quand  il  com- 
mence à  grêler,  on  met  quelques  grêlons  dans  le  bénitier 
pour  arrêter  la  grêle.  Cf.  tchâdraf. 

âbnl^,  s.  f.  Eau  bénite,  par  d  Vâbni^  :  prendre  de  l'eau  bé- 
nite (pour  se  signer).  /;/  ou  tchinpè  Vâbnl^  :  asperger  d'eau 
bénite  avec  le  goupillon  ou  un  rameau  de  buis.  A  l'office 
du  samedi  saint,  le  prêtre  prépare  une  cuve  d'eau  bénite  et 
chacun  en  emporte  une  provision.  On  en  asperge  les  ver- 
gers, car  on  lui  attribue  la  vertu  de  détruire  la  vermine. 
Certaines  paysannes  ne  laissent  pas  sortir  de  leur  maison 
une  goutte  de  lait  sans  y  avoir  jeté  un  peu  d'eau  bénite, 
afin  de  prévenir  les  maléfices.  ||  Par  plaisanterie,  eau-de-vie. 
vin  par  Vâbni^  :  viens  boire  la  «  goutte  ».  aie  an  Fâbni^  : 
aller  chercher  de  l'eau-de-vie  (avec  une  bouteille  cachée 
sous  la  blouse).  Cf.  la  variante  âbnèt'. 


FRAGMENT    d'uN    GLOSSAIRE    DE    L'AJ'ME  45 

abrpmêl  (yAr'nnitabpruiei),  s.  m.  Gruau  d'avoine;  gruau 
gris  dont  on  fait  de  la  soupe. 

abr^sak,  s.  m.  Havresac.  ||  S'emploie  aussi  comme  terme 
injurieux,  bogr  dp  véy'  abr^sah  :  b de  vieux  havresac.  Cf.  se. 

absïnt\s.ï.  Absinthe, plante  et  Uqueur,  d  Fabsïnt'  ddtyœtchi: 
de  l'absinthe  de  jardin,  absinthe  cultivée,  par  in-n  absint'  : 
prendre  une  absinthe,  boèyou  d'absïnf  :  buveur  d'absinthe. 

âdj,  s.  m.  Auge.  ïn-ii  âdj  é  pou^  :  une  auge  à  porcs.  Loc. 
chi  bel'  k'ïn  pou'  k  piclf  din  son-n  âdj  :  aussi  bête  qu'un  porc 
qui  pisse  dans  son  auge.  ||  Bassin  de  fontaine.  Vâdj  dibpné  : 
l'auge,  le  bassin  de  la  fontaine,  èbrœve  an  /'^t// /  abreuver  (le 
bétail)  au  bassin  de  la  fontaine.  Cf.  nô.  \\  Sorte  de  coffre  à 
graine,  à  fruits  séchés,  à  outils,  etc.  Cf.  èrtch' . 

âdja,  s.  m.  Dimin.  d'^^y,  .petite  auge,  auget.  st  ojé  n  é  pu 
ran  din  son-n  âdja  :  cet  oiseau  (en  cage)  n'a  plus  rien  dans 
son  auget.  ||  Auget  tenant  autrefois  lieu  d'assiette;  encore 
employé  par  plaisanterie  dans  quelques  expressions,  p.  ex. 
tan  ton-n  âdja  :  tends  ton  auget  (assiette),  dira  celui  qui  sert 
la  soupe.  Il  Aube  à  auget.  Cf.  kopa. 

adjdœ,  adv.  Aujourd'hui,  â  djb  d  adjdœ  :  au  jour  d'aujour- 
d'hui, adjdœ  dïncV,  dpmin  atrpman  :  aujourd'hui  d'une  ma- 
nière, demain  d'une  autre.  Loc.  an  n'âp'  dâ^  adjdœ  :  on  n'est 
pas  d'aujourd'hui,  c.-à-d.  on  sait  ce  qu'est  la  vie. 

âdji  (y  pers.  èl  âdjâ),  v.  Agir,  en  é  p'  bïn  âdji  :  il  n'a  pas 
bien  agi.  s  n  â  p'  dincV  k'an-n  âdjâ  :  ce  n'est  pas  ainsi  qu'on 
agit,  s  n  â  p'  âdji:  ce  n'est  pas  agir  (c'est  mal  agir).  Réfl. 
S'agir,  tyin  è  s'adjiré  :  quand  il  s'agira,  s'c  s'adjeche  :  s'il  s'a- 
gissait, iyin  cl  é  s' âdji:  quand  il  s'est  agi  (////.  quand  il  a 
s'agi).  Cf.  l'autre  forme  •'  èdji. 

âdyans',  s.  f.  Audience,  bèyi^  âdyans'  :  donner  audience. 
aie  é:(  âdyans'  :  aller  à  l'audience,  devant  le  tribunal. 

ajin,  s.  m.  Enfant,  s'a  ïn  sb-l-afin  :  c'est  un  enfant  pénible, 


46  F.    FRIDELANCE 

indocile,  turbulent.  Cï.Ud\  pœ-l-afin:  laideron,  sacripant. 
vè  t  an,  pœ-l-afin  :  va-t'en  drôle,  garnement  !  Prov.  pté-1-afîii^ 
ptéf  krou,  grô-l-afin^  gros'  krou  :  petit  enfant,  petit  tourment 
(croix),  grand  enfant,  grand  tourment,  rvpui  an-n  afin  : 
tomber  en  enfance,  radoter,  si  poii^r  afin  !  ce  malheureux  ! 
Se  dit  aussi  des  grandes  personnes,  èlèrm,  afin  !  alarme,  en- 
fants! Exclamation  exprimant  l'étonnement,  la  surprise,  è  bïn! 
t'é  ïn  bél-afin  !  eh  bien  !  te  voilà  beau  !  te  voilà  propre,  bien 
arrangé  !  voz  êî'  bïn  afin  :  vous  êtes  bien  simple,  bien  naïf. 
â  non  di  pér,  è  d  le  mër,  t  dé:(  afin,  s'a  moc  l  pu  véy  è  l  pu 
métchin  :  au  nom  du  père,  et  de  la  mère,  et  des  enfants,  c'est 
moi  le  plus  âgé  et  le  plus  méchant.  Parodie  du  signe  de  la 
croix.  Il  S.  m.  pi.  /^~  afin  :  les  Gémeaux,  signe  du  zodiaque. 
è  n  fà  ni  vannyi^  ni  pyiniè  lé  iyèboii  é\  afin  :  è  bèy'rïn  ïn  grô 
monsé  dp  ptét  tel  :  il  ne  faut  ni  semer  ni  planter  les  choux 
aux  Gémeaux  :  ils  donneraient  une  quantité  (////.  un  gros 
monceau)  de  petites  têtes  (au  lieu  d'une  seule  grande). 

afna,  s.  m.  Dimin.  de  afin,  petit  enfant,  si  pou^r  afnaf  ce 
pauvre  petit  enfant  !  èl  à  chi  afna:  il  est  si  enfantin,  si  jeunet,, 
si  naïf. 

afinsie,s.  f.  Enfance.  ||  Candeur,  naïveté.  ||  Enfantillage. 

âJdn,  âkin-n,  adj.  et  pron.  Aucun,  aucune.  On  emploie 
plus  souvent  pi^  p'  ïn,  pi^  p'  in-n  .  è  n'y  é  fe  alun  inâ  (mieux 
è  n'y  é  pi^  p'  fè  ïn  ma)  :  il  ne  lui  a  fait  aucun  mal. 

âl,  s.  f.  Aile,  œvi^  lé:(  âl  :  ouvrir,  éployer  les  ailes.  béchi\ 
pandr  lé^  âl  :  baisser,  laisser  pendre  les  ailes  ;  fig.  être  abattu, 
déconfit.  Il  lé^  àl  d'ïn  tchèpé:  les  bords  d'un  chapeau.  ||  /^'^  âl 
d'ïn  djipon  :  les  basques  ou  pans  de  l'ancien  habit. 

F.  Fridelance. 

-'s^^i^fî- 


ETYMOLOGIE 

-♦- 

Vaudois  satcnno,  chatamo,  repas  de  funérailles. 

Bridel  enregistre  dans  son  Glossaire  un  mot  vaudois  chata- 
viof,  tschatanio,  qu'il  explique  par  :  repas  de  funérailles  défendu 
inutilement  par  les  lois  de  police.  Aujourd'hui,  ces  plantureux 
repas  d'enterrement  de  jadis  sont  à  peu  près  complètement 
tombés  en  désuétude,  et  avec  eux  le  vocable  qui  les  désignait. 
On  nous  signale  cependant  encore  satâmo,  à  Vaugondry  sur 
Grandson,  et  r9pa  dà  satamo,  à  Pailly  (Jorat).  Bridel,  infidèle 
pour  une  fois  au  celtique,  voit  l'étymologie  de  ce  terme  dans 
l'hébreu  c/iata,  il  boit,  fnout,  mourir  ;  c'est  le  vin  de  la  mort. 
Plus  récemment,  M.  Ceresole  l'a  rapproché  de  c/ièla,  chata, 
sabbat  des  sorciers,  et  s'est  demandé  s'il  ne  signifiait  pas  à  l'ori- 
gine la  danse,  la  fête  païenne  en  l'honneur  du  mort'.  L'étude 
scientifique  du  mot  ne  vient  pas  à  l'appui  de  ces  hypothèses 
aventureuses  :  elle  nous  amène  à  reconnaître  dans  sattimo  un 
simple  continuateur  du  latin  septimus,  le  septième.  Dans  le 
latin  du  moyen  âge,  septimus  ou  septimum  est  employé 
comme  terme  ecclésiastique  avec  le  sens  spécial  de  septième 
et  dernier  jour  d'une  série  d'offices  funèbres  célébrés  pendant 
une  semaine  consécutive  après  l'ensevelissement  d'un  défunt. 
Le  mot  s'appliquait  aussi  à  l'offrande  spéciale  reçue  par  le 
prêtre  à  cette  occasion,  et  les  textes  réunis  par  DuCange  nous 
font  voir  qu'un  repas  de  circonstance  ou  des  distributions  de 
vivres  accompagnaient  fréquemment  la  clôture  de  ces  exer- 
cices pieux  2.  Il  n'est  pas  douteux  que  c'est  à  ce  terme  d'église 
qu'il  faut  rattacher  notre  mot  patois  satamo.  De  même  qu'en 
vieux  français  on  trouve  set?fie,  sepme,  semé  comme  équivalent 
de  septimum,  on  rencontre  dans  d'anciens  documents  de  notre 


1  Ceresole,  Légendes  des  Alpes  vatidoises,  p.  i8o. 

2  Voir  DuCange,  sous  scptiitius,  septimum,  semé,  seplimale,  septaiarium^ 
tricenarium,  et  Godefroy,  setme. 


4»  J.    JEANJAQUET 

région  la  forme  septame:  Vuil  que  ma  (lire  )nes)  conroi  (repas) 
et  mengiers  soient  fait  a  la  clergic  ou  premier  jour  de  mon 
sevilement  (ensevelissement),  ou  septame  et  ou  trentième  (Neu- 
châtel,  1373)*-  (Le  raarguillier)  doit perceivre  lo  dit  dieme  tant 
soulemant  eis  Jors  de  sépulture  deis  cors,...  eis  jors  de  septame., 
trentanier  et  eis  anniversaires  (Fribourg,  1414)2.  VIII  pos  de 
vin  singa  (offerts)  a  M''^  de  Friborg  ou  sataniez  (lire  satamez) 
de  la  femme  a  sieur  Jacob  (Fribourg,  1476)3.  Ces  passages 
permettent  de  comprendre  comment  le  mot  qui  désignait  à 
l'origine  une  cérémonie  religieuse  catholique  a  pu  subsister 
dans  le  canton  de  Vaud  réformé  avec  le  sens  restreint  de  repas 
de  funérailles.  L'expression  r^pa  dâ  satamo,  à  Pailly,  montre 
bien  comment  s'est  opérée  la  transition.  L'acception  religieuse 
s'est  du  reste  conservée  dans  une  partie  du  Valais.  A  Nendaz 
et  dans  la  vallée  d'Hérens  on  appelle  encore  chatamo  l'office 
célébré  en  l'honneur  d'un  défunt  le  septième  jour  ou  le  diman- 
che après  l'inhumation.  Au  point  de  vue  phonétique,  le  pas- 
sage de  septimum  à  satamo  ne  présente  rien  d'anormal.  Le 
mot,  proparoxyton  à  l'origine,  a  subi  un  déplacement  d'accent 
qui,  dans  les  patois  de  la  région,  paraît  être  de  règle  en  cas 
pareil;  cf.  par  ex.  jûvenem  >  dzouvpno,  *  \éndina.'>  lifidpna, 
términum  >  tarniJno.  Septem  >  sa(t)  est  la  forme  de  toute 
la  Suisse  romande;  on  attendrait  satpno ,  mais  la  voyelle 
sourde  a  pu  facilement  s'assimiler  à  celle  de  la  syllabe  initiale, 
primitivement  accentuée.  Le  ch  pour  s  à  l'initiale  est,  dans  le 
canton  de  Vaud,  une  particularité  du  Pays  d'Enhaut.  Quant  à 
la  variante  tschatamo,  donnée  par  Bridel,  nous  la  tenons  pour 
une  reconstruction  erronée  de  l'auteur  du  Glossaire,  d'après  le 
modèle  des  doublets  purement  graphiques  champa  et  tschampâ, 
■channa  et  tschanna,  etc. 

J.  JEANJAQ.UET. 

-  *  Testant,  du  comte  Louis  de  Neuchdtel,  dans  Matile,  Monuments,  p.  965. 
Dans  une  rédaction  précédente,  datée  de  1354  (ibid.,  p.  696),  le  même 
passage  se  retrouve  avec  la  forme  française  septième.  Au  lieu  de  conroy, 
Matile  imprime  covroy,  qui  ne  signifie  rien.  Voir  Godefroy,  conroi,  et 
Bridel,  com-ei. 

^  Jeanjaquet,  Un  document  inédit  du  français  dialectal  de  Fribourg  au 
XVc  siècle,  p.  9. 

^  Ochsenbein,  Urfcuiidcn  der  Belagerung  und  Schlachl  bei  Miirten.  p.  542. 

ooC>0<Oo«'; : 


LA  CHANSON  DE  LA  PERNETTE 

DANS  LA  SUISSE  ROMANDE 

_^- 

M.  George  Doncieux,  qui  fut  un  charmant  poète  et  un 
romaniste  distingué,  a  consacré  à  la  jolie  chanson  qu'on 
appelle  la  Pemetle  un  article  élégant  et  sagace  dans  la 
Romania  ^  d'abord,  puis  dans  le  Romancero  populaire  de  la 
Fratice"^.  L'étude  méthodique  de  plus  de  soixante-dix  ver- 
sions de  la  Pernette  ^,  orales,  manuscrites,  imprimées,  fran- 
çaises du  Midi  ou  du  Nord-Ouest,  italiennes  et  catalanes 
lui  a  permis  de  l'attribuer  au  début  du  xV  siècle*;  de  lui 


1  Romania,  tome  XX  (1891),  p.  86  ss. 

2  Le  Romancero  populaire  de  la  France...  Textes  critiques,  par  Georges 
Doncieux,  Paris,  1904. 

3  M.  Doncieux  répartit  les  versions  de  la  Pernette  en  quatre  familles  : 
France  du  Midi,  France  du  Nord-Ouest,  Italie  septentrionale,  Cata- 
logne ;  il  accorde  la  priorité  aux  versions  de  la  France  du  Midi,  mais 
prétend  que  la  chanson  ne  saurait  être  originaire  d'une  région  proven- 
çale (témoin  les  formes  marierons,  pendolerons,  placées  à  l'assonance, 
les  premières  personnes  du  pluriel  en  -ons  étant  totalement  inconnues 
aux  dialectes  d'oc),  pas  plus  d'ailleurs  qu'elle  ne  saurait  appartenir  à  la 
France  du  Nord  (car  toutes  les  assonances  remontent  à  un  0  tonique 
primitif,  diversifié  en  on,  eu,  on  en  français  de  l'époque  où  fut  compo- 
sée la  Pernette,  mais  demeuré  intact  en  provençal  ;  ajoutez  à  cet  argu- 
ment que  le  verbe  pendokr,  fréquent  en  provençal  et  en  franco- 
provençal,  n'a  pas  été  constaté  dans  la  France  du  Nord).  Il  est  donc 
probable  que  la  Pernette  fut  composée  dans  une  contrée  où  se  confon- 
daient les  caractères  d'oc  et  d'oïl,  le  Bourbonnais  ou  le  Forez,  terres 
fécondes  en  poésie  populaire. 

*  En  effet,  la  Pernette  ne  doit  être  ni  antérieure  ni  postérieure  à  cette 
date  puisque  l'invention  du  rouet  à  filer  date  du  xiv^  siècle  avancé  et 
que  la  chanson  déjà  transformée  existe  copiée  dans  un  manuscrit  de 
Namur  du  milieu  du  xve  siècle  {Romancero,  p.  31). 


50  W.    HIRSCHY 

assigner  comme  lieu  d'origine  le  Forez  septentrional  et 
même  de  la  rétablir  ainsi  qu'il  suit,  sous  une  forme  qu'il 
croit  très  voisine  de  la  leçon  première  : 

La  Pernete  se  lieve 

la  tra  la  la, la  tra  la, 

1 .  La  Pernete  se  lieve  Ireis  ores  davant  jor, 

Treis  ores  davant  jor.  (bis) 

2.  El  prent  sa  colognete  avoi  son  petit  tor, 

3 .  A  chascun  tor  qu'el  vire,  fait  un  sospir  d'amor. 

4.  Sa  mare  H  vient  dire  :  «  Pernete,  quavés-vos  ? 

5.  Av'-os  lo  niau  de  teste,  0  bien  la  mau  d'amor  ?» 

6.  —  «  N'aipaslo  mau  de  teste, mais  bien  lo  mau  d'amor.-» 

7.  —  «  No  ploras  pas,  Pernete,  nos  vos  maridaron, 

8.  Vos  donaron  un  prince  0  lo  fi  d'un  baron.  » 

9.  —  «  /o  no  vuolh  pas  un  prince  ne  lo  fi  d'un  baron, 

10.  Jo  vuolh  mon  ami  Piere,  qu'est  dedens  la  prison.  » 

11.  —  ((  Tu  n'auras  mie  Piere,  nos  lo  pendolaron  !  » 

12.  —  «  Se  vos  pendolas  Piere,  pendolas-mei  itot. 

13.  Au  chemin  de  Saint- Jaque  enteras-nos  tos  dos, 

14.  Cuvrés  Piere  de  roses  e  mei  de  milefiors  ; 

15.  Los  pèlerins  que  passent  en  prendront  quauque  brot, 

16.  Diront  :  Dio  aye  l'ame  dous  povres  anioros  ! 

17.  L'un  per  l'amor  de  l'autre  ils  sont  morts  tos  los  dosK  » 

Du  Forez  septentrional,  de  caroles  en  caroles,  la  Pernette 
atteint  Lyon;  on  la  traduit  en  français,  elle  suit  les  mari- 
niers des  rives  du  Rhône,  et  insensiblement,  au  gré  des 
patois  qui  l'adoptent,  se  transforme  sans  trop  trahir  son 
rythme  initial  et  la  grâce  de  son  dessin.  Or,  partie  égale- 


*  Le  texte  adopté  est  celui  du  Romancero  populaire,  p.  17,  quelque 
peu  différent  de  celui  paru  dans  la  Remania,  mais  postérieur  à  ce  der- 
nier. 


LA  CHANSON  DE  LA  PERNETTE  5I 

ment  de  sa  terre  natale,  et  s'en  éloignant  par  d'autres  voies, 
intacte  peut-être  ou  déjà  mutilée,  une  seconde  version  tra- 
verse l'Auvergne,  mais  ne  s'y  conserve  pas,  atteint  l'ancien 
Bazadais,  stationne  à  Lectoure,  où  de  nos  jours  on  l'a  re- 
cueillie, tronquée  d'une  part,  le  nom  de  la  fidèle  amante 
changé,  un  «  monsieur  »  substitué  à  la  mère  ;  allongée, 
d'autre  part,  d'un  vers,  comme  le  fera  voir  la  version  sui- 
vante : 

1.  Petito  Margarido,  —  que  marit  bolets-bous /(voulez-vous) 

2.  Boulet::^  Ion  bill (fils)  d'un  coimte  —  ou  lou  hill  d'un  haroun  ? 

3.  Nou  lou  boi  (yeux)  pas  d'un  counie, —  ni  tapouc  (non  plus) 

d\m  baroun. 

4.  Boi  lou  men  ami  Pierre,  —  lou  ques  dens  la  presoun. 

5.  Petito  Margarido,  —  Pierre  n'es  pas  per  bous, 

6.  Pierre  es  jutgat  à  pende  —  douman  (demain)  au  pung 

dau  jour  ^ 

7.  Moussu,  si  penjats  Pierre,  —  penjats-nous  à  tous  dous, 

8.  Nous  harats  (ferez)  vo  tounibo  —  per  nous  bouta  tous  dous. 

9.  Caperats  (couvrez)  -??ie  de  roses  —  et  nioun  auii  de  flous. 
10.  Lous  qui  ang07t  (vont)  a  San-Jacque  —  prieront  Dieu 

pour  nous.  (Lectoure.) 

Ainsi  défigurée,  la  Pernette  n'en  demeure  pas  moins  va- 
gabonde ;  compagne  des  matelots,  elle  enchante  la  mer, 
se  traîne  dans  le  sillage  des  nefs  qui  quittent  Bordeaux,  fait 
escale  dans  les  ports,  se  répand  en  Italie,  en  Catalogne,  en 
Poitou,  en  Bretagne,  en  Normandie,  et,  phénomène  singu- 
lier, mais  caractéristique  de  la  chanson  populaire,  cette  mal- 
heureuse et  chétive  version,  que   ses  blessures  semblaient 


'  Les  vers  5  et  6  équivalent  au  vers  1 1  dédoublé  du  texte  reconstitué 
par  Doncieux, 


52  W.    HIRSCHY 

condamner  à  l'oubli,  reprend  vie  au  contact  de  chansons 
saines,  greffe  un  couplet  à  son  corps  sans  tête;  ici*,  elle 
emprunte  les  vers  anciens  et  connus  par  lesquels  débute 
la  Belle  à  la  tour  : 

La  belle  se  siei  au  piet  de  la  tour 
Qui  pleure  et  sospire  et  maine  grant  dolour. 
Son  père  li  demande  '■  Fille  que  voleis-vous  ? 
Voleis-vous  niarit  ou  voleis-vous  seingnour  ? 

Là  ^,  elle  subit  la  contamination  moins  noble  de  la  Fille 
à  marier  et  demande  à  grands  cris  l'amant  qu'on  lui  refuse  : 

Marie7^-moi,  inon  père,  car  voici  la  saison. 
Si  la  saison  se  passe,  les  amants  s'en  iront. 

ou  :   0  mon  père,  ô  mon  père,  vous  m'ave:^^  bien  promis 
dondaine 
l'amour  de  mon  berger 
don  dé 
Et  quand  je  serais  grande  de  m'donner  un  mari. 

Enfin,  en  Catalogne,  une  certaine  variante  amalgame 
la  Pernelte  et  les  Prisonniers  sauvés  par  une  chanson. 

Ce  sont  Là  les  grandes  lignes  de  l'histoire  des  migrations 
de  la  Pernette,  et  la  théorie  que  M.  Doncieux  a  émise  à  leur 
sujet  paraîtrait  simple  dans  son  ingéniosité  et  fort  plausible, 
en  somme,  si  ne  venait  la  compliquer,  sans  toutefois  la 
saper,  une  version  qu'il  ignorait.  En  Suisse,  dans  le  canton 
de  Fribourg,  la  Pernette  a  été  recueillie  sous  la  forme  mi- 
française,  mi-patoise  que  voici  ^  : 

*  Famille  poitevine-bretonne.  —  ^  Famille  normande. 

^  Il  en  a  été  publié  trois  rédactions,  fort  peu  différentes  :  Hsefelin, 
Patois  romans  du  canton  de  Fribourg,  p.  132;  Nouvelles  ètrennes  fribotir- 
geoises,  1873,  p.  106;  Chants  du  Rond  d'Estavayer  (1894),  N"  VI.  Nous 
citons  le  texte  de  Hœfelin,  en  le  transcrivant  d'après  le  système  du 
Bulletin. 


LA  CHANSON'  DE  LA  PERNETTE  53 

1.  Kan  ly  été  d::^ouvenéta  —  L'on  voulait  me  marier 

Sur  la  violette, 
L'on  voulait  me  marier, 
Sur  le  violet. 

2.  Ora  kp  yp  su  granta  —  L'on  ne  m'en  parle  plus. 

3.  Vboii-tou  h  fp  dbou  prinsoii  —  Ou  bien  celui  du  roi? 

4.  Np  vu  pa  Ip  fp  dbou  prinsou  —  Non  plus  celui  du  roi. 

5.  Yp  vu  mon-n-ami  Pyèrou  —  C'est  lui  que  j'aime  tant. 

6.  0,  dé  ton-n-ami  Pyèrou  —  Il  n'en  faut  plus  parler. 

7.  Kar  ly  è  d:(tid:(i  a  pandrp  —  Demain  la  matinée. 

8.  Pér^,  sp  vb  h  pandé,  —  Intèra  mè  dè:{b. 

9.  E  mè  krpvri  de  rou:^é  —  Et  mon  amant  de  fleurs. 

10.  Les  pèlerins  kp  pâson  —  Prendront  tous  une  fleur. 

11.  Prèyèron  Dyu  pb  Vanna  —  De  sibou  dou-^^-amuèyra. 

(Estavayer.)  ^ 

Est-il  besoin  d'insister  sur  la  valeur  de  la  Pernette  fribour- 
geoise  et  de  montrer  qu'elle  est  en  tous  points  dépendante 
de  la  version  de  Lectoure  et  non  moins  parente  des  chan- 
sons bretonne  et  poitevine  ?  Comme  celles-ci,  elle  a  em- 
prunté sa  strophe  liminaire  à  la  Fille  à  marier,  elle  a  dé- 
doublé le  IP  vers  du  texte  original,  elle  a  laissé  tomber  le 
nom  de  l'héroïne  et  fait  de  l'interlocuteur  non  plus  la  mère 
mais  le  père  de  la  jeune  fille.  Ainsi  donc,  voici  le  domaine 
assigné  à  la  famille  du  Nord-Ouest  fi"ançais  considérable- 
ment étendu  ;  ne  pourrait-on  pas,  pour  lui  conserver  ses 
anciennes  limites,  prétendre  que  des  mercenaires  suisses  au 


1  Variantes  :  2.  Manque  dans  les  Nouvelles  Etrennes  fribourgeoises. 

4.  Manque    dans   les  Nouvelles  Etrennes  fribourgeoises   et  dans   les 
Chants    du  Rond  d'Estavayer. 

5.  Lui  que  j'ai  tant  aimé  (.V.  Etr.frib.).  Celui  que....  {R.  d'Est.). 

6.  Por  dé  te  n'ami  Pierre  (N.  Etr.  frib.  et  R.  d'Est.). 

7.  Il  est  dzuzi  {N.  Etr.frib.). 


54  W.    HIRSCHY 

service  du  roi  de  France,  mis  par  le  hasard  des  guerres  en 
présence  de  Bretons  ou  de  Poitevins,  ont  rapporté  dans 
leur  patrie  quelque  peu  d'or  et  une  gracieuse  chanson 
apprise  dans  les  camps?  Le  fait  n'est  pas  probable,  parce 
que  la  variante  staviacoise  ne  mentionne  ni  le  beau  livre 
d'amour,  ni  le  beau  drap  de  velours,  ni  le  beau  chapelet 
d'amour,  ni  les  quatre  beaux  pommiers  d'amour  placés  sur 
des  fosses  distinctes,  où  doivent  reposer  les  amants  des  ver- 
sions du  Poitou  et  de  la  Bretagne  ;  elle  se  souvient  au  con- 
traire des  roses  odorantes  du  midi,  qui  doivent  parfumer  leur 
tombe.  Il  serait  également  téméraire  d'affirmer  que  la  Per- 
nette,  lentement  et  de  village  en  village,  a  pénétré  jusqu'au 
cœur  de  la  Suisse  romande,  car  alors  elle  eût  rencontré  en 
Franche-Comté^  une  Pernette  bien  vivante  et  très  semblable 
à  celle  qu'on  chante  dans  le  bassin  du  Rhône.  Pour  les 
mêmes  raisons,  les  versions  du  Nord-Ouest  ne  dérivent  pas 
de  celle  d'Estavayer  ;  il  en  faut  donc  conclure  que  les 
voyages  de  la  Pernette  sont  plus  nombreux  et  moins  sim- 
ples que  ne  le  supposait  M.  Doncieux  ;  la  version  tronquée 
de  Lectoure  doit  s'être  égarée  dans  le  Lyonnais  ;  puis,  non 
loin  de  là,  elle  fut  probablement  influencée  par  une  autre 
variante,  qui  contient  cette  «  phrase  informe-  »  et  précieuse: 

Marie:;^-moi,  ma  mère!  Ma  mer',  7narie:^-moi^. 

et  il  se  pourrait  que  ce  soit  grâce  à  ce  vers  que  la  Fille  à 
marier  se    soit  si    généralement  juxtaposée   à   la   Pernette. 


'  Voir  Beauquier,  Ctiansons populaires  recueillies  en  Franche-Comté,  p.  38. 

2  C'est  ainsi  que  la  qualifie  Doncieux,  Romania  XX,  p.  loi. 

^  Il  est  d'autres  versions  qui  possèdent  des  vers  semblables  et  qui 
font  allusion  à  la  chanson  de  la  Fille  à  marier  ;  ainsi  en  Piémont,  une 
version  recueillie  par  M.  Nigra  débute  : 

Di  là  da  ctii  boscage  na  hela  fia  a  fè. 
So  pare  e  sua  mare  la  vôlo  inaridè. 


LA  CHANSON  DE  LA  PERNETTE  55 

Une  analyse  de  la  Pernette  fribourgeoise  la  déclare  en  une 
certaine  mesure  conforme  à  celles  que  connaissent  le  Jura 
et  la  Savoie,  et  le  chemin  qui  l'aurait  conduite  chez  nous 
serait  celui  par  lequel  semblent  nous  être  venues  un  grand 
nombre  de  chansons  populaires  :  nous  les  devons  aux  pro- 
vinces limitrophes  de  la  France.  Elles  étaient  autrefois  très 
répandues  dans  toute  la  Suisse  romande;  grâce  à  des  condi- 
tions spéciales,  elles  ne  se  sont  conservées  que  dans  les 
deux  cantons  restés  un  peu  fidèles  à  leurs  traditions  popu- 
laires :  Berne  et  Fribourg. 

La  Pernette,  on  l'a  vu,  se  compose  de  quatre  parties  vi- 
tales et  peut-être  à  l'origine  indépendantes  les  unes  des 
autres. 

1°  d'un  début  narratif  traditionnel,  ancien,  français  ou 
roman  ;  celui  de  la  famille  méridionale  n'est  que  le  com- 
mencement d'une  chanson  de  toile,  celui  du  Poitou  est 
emprunté  à  la  Fille  à  marier,  et  celui  de  la  famille  nor- 
mande se  retrouve  dans  des  chansonniers  du  xV  siècle,  et, 
altéré,  dans  la  Belle  enfermée  dans  la  tour,  souvent  confon- 
due avec  la  Pernette. 

2°  d'un  dialogue,  que  la  muse  populaire  a  rajeuni  dans 
cet  exemple  : 

Ne  pleure:(_  pas,  belle  Fancbon, 
Fous  sere^  7îiariée, 
Fous  sere:(^  mariée 
Dondaine,  dondon.... 

O  (avec)  le  plus  beau  de  nos  soldats.... 
Oui  soit  dedans  l'armée.... 

—  De  nos  soldats  je  ne  veux  pas.... 

Je  veux  un  capitaine.... 

—  Un  capitaine  tu  n  auras  pas'^ .... 


*  Cf.  le  Recueil  de  Rolland,  I,  p.  239. 


56  W.    HIRSCHY 

3°  d'une  conclusion  traditionnelle,  non  plus  romane  cette 
fois,  car  elle  termine  des  chansons  slaves  et  magyares,  que 
M.  Doncieux  croit,  bien  que  différentes,  influencées  par 
la  Pernettef?). 

4°  d'un  refrain,  sans  caractère  spécial  dans  les  versions 
du  Midi,  mais  qui,  en  Normandie,  est  certainement  beau- 
coup plus  vieux  que  la  chanson  elle-même  : 

Lasf  il  n'a  nul  mal  qui  n'a  le  mal  d'amour. 

et  dont  la  lyrique  du  moyen  âge  possède  plus  d'un  équi- 
valent : 

Nul  ne  set  les  maus  s'il  n'aime  ou  s'il  n'a  aimé. 

Le  dondaine,  dondé  poitevin,  la  violette  d'Estavayer  appar- 
tiennent à  des  pastourelles,  et  à  un  groupe  de  pastourelles 
assez  curieuses,  les  unes  contaminées  avec  l'éternelle  Fille 
à  marier^,  les  autres  influencées  par  la  Pernette;  la  plupart 
ou  provençales  ou  franco-provençales  : 

Quand  io  ^era  petiia, 
Mignouna  la  boureya  violeta, 
Io  gardava  las  oueilla 
Las  oueilla,  les  moutous.... 
Par  le  chemin  vint  a  passer 
Monsieur  de  Cha^^erou.     (Auvergne.) 
ou  encore  : 

Quand  iou  ère  petito  —  Petito  Margoutou 
Gardave  les  fedetos  —  Aussi  les  agnelouns 
Aro  que  siou  grandeto  —  Sont  devenguts  moutouns 
Aperaquit  n'en  passo  —  Lou  flou  d'un  rei  baroun 

(Provence.) 


1  Cf.  la  chanson  citée  à  la  page  précédente  :  Ne  pleurez  pas. . . 


LA  CHANSON  DE  LA  PERNETTE  57 

qu'il  est  intéressant  de  rapprocher  de  la  chanson  si  connue  : 
Mon  père  avait  cinq  cents  montons,  j'en  étais  la  berç^ère,  le 
loup  m'en  a  pris  quin:{e;  le  fils  du  roi  vint  à  passer,  m'a 
rendu  ma  quin:(aine.  —  Belle  que  îne  donneras-tu  ? —  Quand 
nous  tondrons  nos  blancs  moutons,  vous  en  aure:^  la  laine. 
Ce  n'est  pas  la  laine,  c'est  ton  petit  cœur,  bergère,  que  je  veux. 
—  Mon  petit  cœur  n'est  pas  pour  vous,  il  est  pour  Pierre  que 
j'aime.  (Savoie.) 

Ces  comparaisons,  qu'on  pourrait  et  qu'on  devrait  multi- 
plier dans  un  travail  plus  approfondi,  aboutiraient  aux  con- 
clusions suivantes  :  D'assez  bonne  heure  et  non  loin  de  son 
pays  d'origine  (si  celui-ci  est  en  effet  le  Forez)  la  Per- 
nette  a  glissé  quelques-uns  de  ses  vers  dans  des  chansons, 
pastourelles  ou  chansons  de  filles  à  marier;  celles-ci  ont 
réagi  sur  une  Pernette  tronquée  et,  en  échange  d'une 
strophe,  lui  ont  rendu  un  couplet  adventice.  Si  cette  suppo- 
sition est  hasardée,  un  exemple  final  fera  voir  qu'elle  est 
au  moins  plausible.  Il  existe  de  La  claire  fontaine  une  ver- 
sion que  j'abrège  : 

En  revenant  de  noces,  j'étais  si  fatiguée 
Qu'auprès  d'une  fontaine  je  me  suis  reposée. 

Au  bord  de  la  fontaine  croissait  un  peuplier. 
Sur  la  plus  haute  branche  un  rossignol  chantait. 

C'est  pour  mon  ami  Pierre  qui  ne  veut  plus  m' aimer. 

L'ami  Pierre  est  emprunté  à  la  Pernette,  cela  ne  fait  pas 
de  doute,  et  peut-être  à  la  Pernette  que  caractérise  ce  vers  : 

Et  sur  la  même  branche  nos  deux  corps  s'uniront. 


58  W.    HIRSCHY 

:  La  claire  fontaine,  à  son  tour,  s'est  trouvée  en  rapport 
avec  la  ritournelle  militaire  la  Jeannette^  et  lui  a  donné  l'équi- 
valent de  ce  que  la  Pernette  lui  avait  prêté  : 

Ne  pleure  pas,  Jeannette,  —  Nous  te  marierons 
Avec  le  fils  d'un  prince  —  Ou  celui  d'un  baron. 
Je  ne  veux  pas  d'un  prince  —  Ni  même  d'un  baron. 
Je  veux  mon  ami  Pierre  —  Oui  est  dans  la  prison. 
Tu  n  auras  pas  ton  Pierre  —  Nous  le  pendouillerons. 
Si  vous  pendouille^  Pierre,  —  Pendouille:(^moi-:^-avec. 
Et  l'on  pendouilla  Pierre,  —  Et  la  Jeannette  aussi. 
Sur  la  plus  haute  branche  —  Le  rossignol  chanta  : 
«  Ne  pleure  pas,  Jea?inette,  —  Nous  te  marierons....  » 

Ainsi,  en  étudiant  les  chansonniers  populaires,  nous 
voyons  les  chansons  se  transformer,  se  décomposer,  se 
contaminer^  se  reconstituer  sans  cesse.  Même  les  plus  beaux 
morceaux  ne  sont  pas  épargnés.  La  Pernette  fribourgeoise 
n'a  conservé,  assez  bien  du  reste,  qu'un  fragment  de  l'ori- 
ginal; l'entrée  en  matière  est  empruntée  à  un  autre  groupe 
de  chansons,  le  refrain  est  encore  d'origine  différente.  Comme 
c'est  généralement  le  cas,  la  petite  poésie  a  beaucoup  perdu 
en  voyage  ;  seule  la  reconstruction  de  M.  Doncieux,  citée 
plus  haut,  en  fait  goûter  tout  le  charme  primitif. 

W.   HiRSCHY. 

1  Chanson  recueillie  au  service  militaire  et  que  tous  les  soldats  neu- 
châtelois  connaissent.  Elle  dérive  de  versions  franco-provençales  et  n'a 
pas  suivi  le  même  chemin  que  La  Pernette  fribourgeoise. 


.JÏ5.I 


TEXTE 

-♦- 

La  pir  d^  mlain. 

Conte  en  patois  de  Plagne  (Jura  bernois.). 

Sâ^  dp  Kbr  an  ain  niâ^r 
Kp  ttp  pœ  pu  rb  hà^r  ; 
0  sali  a  n  y  a  pè  gro  nio  : 
Pbr  ain  mâ^r,  su  é  pè  ain  défo. 
O  la  hbvrè  a-l-a  parju  la  têt, 
San  pbr  sbli  b-n-étrp  niant  pu  het. 
Tôt  u  ho  d  la  montaiu, 
Pbr  ain  Ib  ne  niplain, 


LA  MEULE 

Ceux  de  Court  ont  un  maire  qui  ne  peut  plus  rien  boire  ; 
à  cela,  il  n'y  a  pas  grand  mal  :  pour  un  maire,  ce  n'est  pas  un 
défaut.  A  la  corvée,  il  a  perdu  la  tête,  sans  pour  cela  en  être 
beaucoup  plus  bête.  Tout  au  haut  de  la  montagne,  pour  un 


Note  de  la  Rédaction.  —  On  raconte  dans  le  Jura  bernois  les  fa- 
meuses histoires  de  Gribouille,  de  la  vache  qu'on  étrangle  en  la  hissant 
au  haut  d'un  clocher  où  croît  une  belle  touffe  d'herbe,  de  la  graine  de 
poulains,  etc.,  en  les  mettant  sur  le  dos  des  voisins,  ici  les  habitants 
de  Court.  Parmi  celles  de  ces  facéties  que  notre  excellent  correspon- 
dant, M.  Grosjean,  a  mises  en  vers,  nous  choisissons  l'histoire,  très 
répandue,  du  maire  qui  passe  sa  tête  dans  le  trou  d'une  meule  qu'on 
fait  rouler  du  haut  de  la  montagne  pour  pouvoir  signaler  l'endroit  où 
elle  s'arrêtera.  Le  patois  de  Plagne  est  intéressant  à  plusieurs  égards  : 
il  forme  la  transition  entre  le  tvpe  jurassien  et  ceux  du  canton  de  Neu- 
châtel  ;  il  renferme  un  grand  nombre  d'archaïsmes  et  de  germanismes 
très  curieux.  Nous  rendons  par  ain  une  diphtongue  nasale  unissant  an 
et  ///  avec  leurs  intermédiaires  en  une  émission  de  voix. 


6o  A.    GROSJEAN 

D  ain  véy  grijon  sâ^  d  Kbr  prurain  la  pîr, 
Par  fèr  en  niœl.  A  n  savain  d  hét  mamr 

O  pyâ^  la  prbr  avo  : 

0-l-arâ^  trb  dd  mo 
Avâ^  ain  tchèr ;  la  tcharêr,  bain  trb  rot, 

N  alâ^  pè  u  hô  dp  la  Ht  ; 
Pbr  a  do  la  pbrlè, 
A  n  i  fayâ^  pè  nm^e, 

Y  étâ^  bain  trb  pà^:(an-n  ; 
0  la  ypdjan,  a  fbdrâ^  bain  la  snan-n, 

Pbr  b  vmi  a  bou, 
A  pè  sbli  étâ^  bain  trb  dondjrou. 
A  désidirain,  tb  drâ^,  dp  la  bœkyi^ 
Avô  la  kot.  Pbr  la  bain  diridji', 
A  pbr  savâ^  cuvé  la  rptrbve, 
Kan  i  sarà^  arive  tôt  u  be, 

Kêkain  davâ^  prbr  pyas 

Dan  Ip  partu  d  sœl  mas. 
Lp  mâ^r  sp  dévoua. 
La  mœl  drasi^,  dpdan  a  sp  fora, 

tout  nouveau  moulin,  d'un  vieux  granit  ceux  de  Court  prirent 
la  pierre  pour  faire  une  meule.  Ils  ne  savaient  de  quelle  ma- 
nière ou  pouvait  la  descendre  (prendre  en  bas)  :  on  aurait  trop 
de  mal  avec  un  chariot  ;  la  route,  beaucoup  trop  rapide,  n'allait 
pas  au  haut  de  la  forêt  ;  pour  la  porter  à  dos,  il  n'y  fallait  pas 
penser,  elle  était  beaucoup  trop  lourde  ;  en  la  glissant,  il  fau- 
drait bien  la  semaine  pour  en  venir  à  bout,  et  puis  cela  était 
beaucoup  trop  dangereux.  Ils  décidèrent  aussitôt  (tout  droit) 
de  la  rouler  en  bas  la  côte.  Pour  la  bien  diriger,  et  pour  savoir 
où  la  retrouver,  quand  elle  serait  arrivée  tout  au  bas,  quelqu'un 
devait  prendre  place  dans  le  trou  de  cette  masse.  Le  maire  se 
dévoua.  La  meule  dressée,  il  se  fourra  dedans,  et  puis  en  bas, 


LA    PIR    Da    MLAIX 

A  pœ  avo,  honirp  yoii^r  be  vsledj, 

A  lansirain,  b  kèryati  «  bon  vouayedj,  » 

Mèl  avâ^  prè:(idan. 

Ran  tan  plan,  ran  tan  plan, 

Sbli  fo  dainch  avo  la  kot  — 

I  vo-:(-è  dâ«  k  yer  rot  !  — 

A-l-akoiilirain  londjsmb. 

Tb  bru  pyaka,  b  n  byâ^  rb. 
Ld  mà^r  davà\  arive  chu  l  tchanpay, 
Kœrye  bain  for,  pbr  kp  tb  h  moud  ay 

Ld  ratrbvè  la  ddo, 

Tbt  u  fain  fou  du  bo. 
O  déchbdan  avo  la  nœv  tcharêr 

K9  vè  kontrs  la  prér, 
Lé-:(^bm  dp  Kbr,  chu  lé  pi^,  chu  lé  m  an, 
Fuain,  sôtain,  ravi:(an,  akoutan, 
Trbvan  k  b  rnâ^r  davâ^  bayi^  siny  d  vi\ 
K  a-l-alâ^  Ion  dpvan  d'byu  hètchi^. 

Kan  a  furain  u  fon, 

A  s  murain  pbr  dp  bon 

dans  la  direction  de  leur  beau  village,  ils  lancèrent,  en  criant  : 
«  Bon  voyage  !  »  meule  avec  président.  Ran  tan  plan,  ran  tan 
plan,  cela  fit  un  tel  bruit  en  descendant  la  côte,  —  je  vous  ai 
dit  qu'elle  était  rapide  !  Ils  écoutèrent  longtemps.  Tout  bruit 
cessa,  on  n'entendait  rien.  Le  maire  devait,  arrivé  sur  le  pâtu- 
rage, crier  bien  fort  pour  que  tout  le  monde  aille  le  retrouver 
là-bas,  tout  au  fin  fond  du  bois.  En  descendant  le  long  de  la 
nouvelle  route,  qui  conduit  à  la  carrière,  les  hommes  de  Court, 
sur  les  pieds,  sur  les  mains,  couraient,  sautaient,  regardant, 
écoutant,  trouvant  que  le  maire  devrait  donner  signe  de  vie, 
que  cela  (il)  allait  long[temps]  avant  qu'on  entende  hucher. 
Quand  ils  furent  au  fond,  ils  se  mirent  pour  de  bon  à  chercher 


02  A.    GROSJEAN 

A  hru  partb,  dan  lé  pîr,  la  brousay 
A  lé  hotcha  k  a  y  avà^  chu  l  tchanpay, 

S  a  np  vyain  rb  trbvè. 
Par  var  lé  katr,  l  adjoiiain  fbra  son  ne 
Dan  ain  mœrdji^,  tb  d  kot  en  îcharbbner, 
Bain  pu  avo  k  h  fon  dp  la  tcharer, 
A  pœ  a  vo  la  pîrp  dp  mplain 
K'étâ^  houtchi^  do  ain  ppti  pœtyain. 
A  vya  tb  tchô  kœryè,  ko  m  en  gros  fét, 
Sb  k  y  arivâ^,  mè  a  vo  kp  la  tét 

Du  mâ^r  n  êtâ^  pè  li. 

«  Sbli  n  vè  pè  •»  k  a  di. 
A-l-apala.  Lé-:(-étr  s  murain  tu  a  fur, 
Pbr  aie  vâ^  sœl  tariby  avantur. 
—  «  Kan  nb  son  vni,  b  la  paintp  du  djbr, 
La  tét  du  mâ'r  étà^-t-i'  li  ankbr  ?  » 
Dpnianda-t-é  ;  «  a  vb  fo  tu  tèchi^ 
D  i  bain  mu:(e,  ou  bain  l  a-t-é  lachi^ 
Dan  son  tchape,  kan  a-l-a  vyu  vpni  ? 
Pbr  Ip  savà^,  atbtp  nip  par  si, 

Tanto  tché  you,  u  vlèdj, 

partout,  dans  les  pierres,  la  broussaille  et  les  buissons  qu'il  y 
avait  sur  le  pâturage,  [pour  voir]  s'ils  ne  trouveraient  rien 
(voulaient  rien  trouver).  (Par)  vers  les  quatre  [heures],  l'adjoint 
fourra  son  nez  dans  un  tas  de  pierres,  tout  près  d'une  charbon- 
nière, bien  plus  bas  que  le  fond  de  la  route,  et  puis  il  vit  la 
pierre  de  moulin  qui  était  couchée  sous  un  petit  sorbier.  Il 
voulut  de  suite  crier,  comme  à  un  événement  dont  il  fallait  se 
réjouir,  ce  qui  lui  arrivait,  mais  il  vit  que  la  tête  du  maire 
n'était  pas  là.  «  Cela  ne  va  pas,  »  qu'il  dit.  Il  appela.  Les  autres 
se  mirent  tous  à  courir,  pour  aller  voir  cette  terrible  aventure. 
—  «  Quand  nous  sommes  venus,  à  la  pointe  du  jour,  la  tête  du 
maire  était-elle  là  encore?»  demanda-t-il  ;  «il  vous  faut  tous 
tâcher  de  bien  y  penser,  ou  bien  l'a-t-il  laissée  dans  son  cha- 
peau quand  il  a  voulu  venir?  Pour  le  savoir,  attendez-moi  par 


LA    PFR    D3    MLAIN  63 

J  V  aie  avà^  kbrèdj 

Ddmandè  so  k  o-ii-é.  » 
A  s  0  vè  don  ib  drâ^  u  kabaré 
Kp  ipnyà^  l  mà^r ;  b  sa  fbn   a  dpmand: 
—  «  Di  don,  madrés,  tb  k  é fbn  dp  bbn  hnand, 

Kan  b  mâ^r,  slu  fnalaiii, 

Ala  b  la  moiita'm, 

Avâ^-t-é  prâ^  sa  têt, 

Ou  bain  fo-t-é  prou  bét 

Pbr  la  lachi^  tché  vb  ?  » 

—  «  Ma  fâ^,  i  n  b  sa  rb  ; 
Dan  tu  lé  ka,  y  étà^  ankbr  du^main-n 
Chu  sé-:(^-épol  ;  y  è  la  mbn   adé  ch  pyain-n 

K  i  n  pyé  rb  dir  dp  pu. 
Mè  sp  n  é  pè  la  pprmi^r  và^,  tb  chu, 

Kp  sœl  têt  sarâ^  parju. 
Dp  la  rpkru,  i  ti  b  vo  pè  la  pain-n  : 

A  vo  atan  k  a  n  b-n-à^  rb, 

Pbr  la  kbmun'  a  pœ  pbr  mb.  » 

A.  Grosjean. 

ici;  tantôt  chez  eux,  au  village,  je  veux  aller  avec  courage 
demander  ce  qui  en  est.  »  11  s'en  va  donc  tout  droit  au  cabaret 
que  tenait  le  maire  ;  à  sa  femme  il  demande  :  «  Dis  donc, 
7?iairesse,  toi  qui  es  femme  de  bonne  commande,  quand  le 
maire,  ce  matin,  alla  à  la  montagne,  avait-il  pris  sa  tête,  ou 
bien  fut-il  assez  bête  pour  la  laisser  chez  vous  ?»  —  «  Ma  foi, 
je  n'en  sais  rien  ;  dans  tous  les  cas,  elle  était  encore  dimanche 
sur  ses  épaules  ;  j'ai  la  mienne  si  pleine  que  je  ne  peux  rien 
dire  de  plus.  Mais  ce  n'est  pas  la  première  fois,  c'est  connu 
(tout  su),  que  cette  tête  serait  perdue.  De  la  rechercher,  cela 
(elle)  n'en  vaut  pas  la  peine  :  il  vaut  autant  qu'il  n'en  ait  point, 
pour  la  commune  et  puis  pour  moi.  » 

»♦-$ 


TABLE  DES  MATIERES 


— î— 


Pages. 

E.  Tappolet.  Les  expressions  pour  une  «  volée  de  coups  » 

dans  les  patois  fribourgeois  et  vaudois 3 

M.  Gabbud.  Enigmes,  jeux  de  mots  et  formulettes  bagnardes, 

patois  de  Lourtier  (Valais) 8 

L.  Gauchat.  Etymologie,  semoraul  =z  juin 14 

J.  Jeanjaquet.  Etymologie,  ancien  neuchâtelois  :  entrèves    .     15 

L.  Gauchat.  Le  conte  du  craizu 17 

F.  Fridelance.   Fragment  d'un   glossaire   de  l'Ajoie   (Jura 

bernois) 42 

J.  Jeanjaquet.  Etymologie,  vaudois  satanio,  chaUtmo,  repas 

de  funérailles 47 

W.  HiRSCHY.  La  chanson  de  la  Pernette  dans  la  Suisse  ro- 
mande       49 

A.  Grosjean.   La  pir  dd  mlain,  conte  en  patois  de  Plagne 

(Jura  bernois) 59 


Lausanne.  —  Imprimerie  Georges  Bridel  &  C* 


BULLETIN 


Df 


GLOSSAIRE  DBS  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction    du   Glossaire, 


SIXIEME  ANNEE 
1907 


ZURICH 

BUREAU  DU   GLOSSAIRE 

Hofackerstrasse  44 


LES    BRANDONS 

-♦-  , 

Les  pages  suivantes  ont  été  rédigées  comme  ébauche  d'un  article  du 
futur  Glossaire  des  patois  de  la  Suisse  romande.  Nous  les  soumettons  à 
nos  lecteurs,  et  spécialement  à  MM.  les  correspondants  du  Glossaire, 
en  les  priant  de  bien  vouloir  nous  signaler  les  erreurs  ou  omissions 
qu'ils  }•  pourraient  constater.  Les  cantons  romands  sont  désignés  par 
les  siglcs  suivants  :  Vd  :  Vaud,  G  :  Genève,  V  :  Valais,  F  :  Fribourg, 
N  :  Neuchàtel,  B  :  Berne.  La  Rédaction. 

Brandon  (Vd,  G,  V,  N),  britidon  (Vd  :  Vallorbe,  Jorat;  V: 
VoUèges.  Liddes,  Trient,  Gloss.  lîarman  :  breindons).  (iuélat, 
(iloss.  fr.-pat.  donne  le  fr.  Brondons  comme  traduction  fran- 
çaise du  patois  faiyes.,  ensuite  il  écrit  bratido/iner  =  Ttrie  les 
faix  es. 

I.  Torche,  flambeau;  spécialement:  a)  ceux  qu'on  em- 
ployait pour  marquer  une  saisie  de  récolte,  etc.,  b)  ceux  qu'on 
allumait  lors  de  la  fête  des  Brandons:  2.  petite  branche  de 
bois  sec.  Dumur,  Voc.  ;  3.  grand  feu  de  joie  allumé  à 
la  dite  fête,  gros  feu  en  général:  débris  enflammé  qui 
s'élance  d'un  incendie  (Vd,  Vaulion)  ;  4.  pi.,  fête  célé- 
brée le  premier  dimanche  de  carême,  p.  ext.  d'autres 
fêtes. 

I  a.  Btvctc  lo  brandon,  mettre  à  ban  (N,  Noiraigue)  :  nb  n 
pbvin  pr  pasé,  vivctlink  on  brandon.,  nous  ne  pouvons  pas 
passer,  voilà  un  «  brandon  »  (ib.)  ;  3.  Va  fc  on  brandon  d  la 
niHsansè,  l'a  brslâ  sa  slpa,  elle  a  fait  un  feu  du  diable,  elle  a 
brûlé  sa  soupe  (son  dîner  :  Vd,  Vaugondry)  ;  4.  ddmindz  di 
brindon,  dimanche  des  Br.  (V:  Liddes,  Vollèges)  ;  //  brindon 
(V,  Trient).  Appellation  générale  du  dimanche  Invocavit  ou 
Qi/iidragesùno'  iprem'iQv  dimanche  après  le  mercredi  des  cen- 


4  LA  REDACTION 

dres,  six  semaines  avant  Pâques)  dans  les  vieux  almanachs. 
«  Jour  que  les  calendriers  ecclésiastiques  du  seizième  siècle 
désignaient  par  le  nom  de  Brandones  »  (Mém.  de  Frib.,  III, 
p.  78).  Apparaît  souvent  comme  date  dans  les  documents  d'ar- 
chives. A  Savagnier  (Neuchâtel),  l'époque  des  Br.  était  jadis  le 
moment  de  la  reddition  des  comptes  de  la  commune  (Perrin, 
Mus.  neuch.,  1901,  p.  40).  Dumur,  Voc.  :  lou  dzoi  dei  brandons, 
désignant  le  24  juin. 

HiST.  :  Le  mot  dérive  du  germ.  brandy  tison,  voir  bran  (2)^, 
auquel  on  a  ajouté  le  suffixe  dim.  -one.  I>es  patois  du  midi  de 
la  France  ont  encore  le  mot  simple  brand,  tison  qu'on  agite, 
à  côté  de  brandonn,  torche.  Originaire  de  la  Gaule,  ce  mot  a 
passé  en  it.  brandone,  tison,  dont  le  suffixe  n'a  pas  la  valeur 
augmentative  habituelle,  en  esp.  blandon,  grand  cierge  (comp. 
l'ancien  prov.  brandos  0  candela  ordens,  Rayn.),  et  en  port. 
brandâo,  torche.  Du  Gange:  brand 0 :  fax,  tœda,  funale,  aussi 
=  cierge. 

I.  Brandons,  coutume  de  droit.  Dans  le  canton  de 
Neuchâtel,  on  appelle  brandons  des  bâtons  au  bout  desquels 
se  trouve  un  torchon  de  paille,  dans  un  pré,  etc.,  pour  mon- 
trer qu'il  est  à  ban.  «  Get  usage  désignait  dans  le  vieux 
droit  français  la  saisie  féodale.  Le  seigneur  se  transportait 
sur  le  fief,  y  posait  la  main  et  y  plantait  un  bâton  garni  de 
paille  ou  d'un  morceau  de  drap.  Quelquefois  les  bouchons  de 
paille  étaient  flambés  au  feu.  Ils  prenaient  alors  le  nom  de 
brandons  »  (Michelet,  Orig.  du  droit,  livr.  II,  chap.  III  fin).  Le 
Dict.  général  rattache  dubitativement  ce  mot  à  brandon,  torche. 
Le  doute  ne  nous  paraît  pas  justifié  ;  voir  plus  loin  la  descrip- 
tion des  brandons  allumés  à  l'occasion  de  la  fête.  Du  Gange,. 
brandeum  et  brando  2. 

II.  La  fête  des  Brandons,  i.  Cette  fête  porte  chez  nous 
plusieurs  noms;  outre  brandons,  elle  s'appelle  bordes  {Jmiârdè, 
Vd,  Pays-d'Enhaut,  F  ;   borde,  N  :  bord,  B,  Plagne),  vouignes 


'  Renvoi  à  un  autre  article  du  Glossaire. 


LES   BRANDONS  5 

{v703nyè,  V-d,  Ormonts),  tsafayrou  (Vd;  aussi  cafarou  dans 
Dumur,  Voc,  F,  Broyé;  choyfèron^  (î),  lou-z  eskdrndvê  (G). 
Notre  correspondant  de  Longirod  nous  indique  le  terme  de 
brosu  désignant  une  fête  de  printemps  (à  vérifier j.  L'appella- 
tion bordes  provient  des  joutes  usitées  à  cette  occasion,  voir 
])lus  loin  (comp.  le  dimanche  Behourdiz  des  chartes,  Du  Cange 
sous  Bohordiciim  et  Bordœ)  ;  tsafayrou  désigne  proprement 
de  grands  feux  de  joie,  comme  brandon  signifie  à  l'origine  une 
torche.  La  fête  en  a  pris  le  nom,  parce  que  ces  feux  ou  tor- 
ches en  formaient  le  principal  attrait.  L'origine  de  ces  mots 
sera  discutée  sous  bivârdè,  etc. 

2.  Le  dimanche  des  Brandons  a  attiré  à  lui  toutes  les  ré- 
jouissances du  carnaval  :  danses  et  chansons,  repas  somp- 
tueux, beignets,  mascarades.  Aussi  le  carnaval  porte-t-il  chez 
nous  le  nom  de  Kramintran,  c'est-à-dire  de  Quadragesima 
intrante,  commencement  de  carême.  Après  avoir  duré  à 
l'origine  de  l'Epiphanie  jusqu'au  mercredi  des  cendres,  les  ha- 
bitudes de  carnaval  ont  été  finalement  restreintes  au  dimanche 
des  Brandons  ou  des  Bordes.  Ce  jour  est  aussi  désigné  comme 
le  dimanche  des  failles  {dmào  dd  lé faly^  ou  dé-z  aloûyè.  G, 
du''imuen'  de  fày,  B),  a  cause  du  nom  de  faille  donné  aux 
flambeaux  dans  les  cantons  de  Genève  et  de  Berne  ;  puis, 
comme  dimanche  des  bonyè,  ou  beignets,  en  Valais  (comp. 
l'expression  française  dimanche  des  bugnes),  dimanche  de  kar- 
lavé  ou  karnavé,  d'après  le  nom  de  Carnavalet  donné  aux  mas- 
ques (V:  Salvan,  Fins-Hauts,  Saint-Maurice),  enfin  dimanche 
vieille  (V,  Bagnes).  Cette  dernière  expression  doit  provenir 
des  essais  infructueux  faits  par  le  clergé  de  placer  la  fête  avant 
le  mercredi  des  cendres.  On  a  dû  fêter  les  Brandons  pendant 
quelque  temps  le  dimanche  Esto  mihi.  Mais  le  peuple  est 
revenu  à  ses  anciennes  habitudes.  Dans  la  Suisse  alleminde, 
on  appelle  également  alte  Fas{t)nacht  ou  Bauernfastnacht  le 
premier  dimanche  de  carême,  et  Herreti-  ou  Pfaffen-Fas{t)- 
nacht  la  fête  célébrée  huit  jours  plus  tôt.  Cette  tentative  de 
séparer  les  rigueurs  du  carême  et  les  joies  carnavalesques  s'est 


6  LA    REDACTION 

renouvelée  en  1907  par  l'exhortation  de  l'évêque  de  Bàle 
à  allumer  les  feux  des  Brandons  le  dimanche  Esta  mihi.  Mais 
les  habitants  du  Jura  n"en  ont  pas  tenu  compte.  On  a  essayé, 
en  1891,  avec  plus  de  succès,  de  renvoyer  les  anciens  feux 
saluant  le  solstice  d'été  (Saint-Jean)  au  i^""  août,  date  de  la  fon- 
dation de  la  Confédération  suisse.  Du  reste,  les  feux  des  Bran- 
dons s'allument  quelquefois  la  veille  du  dimanche  Invocavit 
(voir  C.  V.^,  1894,  n"  47)  ou  le  premier  dimanche  de  mars  (G; 
Ormonts);  le  cortège  des  Brandons  se  faisait  aussi  le  premier 
lundi  de  carême.  Du  Cange  cite  des  textes  qui  font  supposer 
que  la  jeunesse  s'amusait  avec  des  brandons  pendant  toute  la 
première  semaine  du  carême  («  le  Dimenche  ([ue  l'on  dist  des 
premiers  Brandons  »,  etc.),  ce  qui  fait  mieux  comprendre  l'op- 
position du  clergé.  Le  nom  de  Bordes  fut  même  donné  à  la 
fête  commémorative  de  la  bataille  de  Grandson  (3  mars  1476, 
jour  des  Bordes)  célébrée  chaque  année  à  la  date  historique 
pendant  plus  d'un  siècle  après  l'événement  (S.  de  Chambrier, 
^lairie  de  Neuch.,  p.  378-380 ). 

Les  noms  donnés  au  dimanche  des  Brandons  dans  la  Suisse 
allemande  rappellent  singulièrement  les  termes  romands  :  Fo- 
fensonntag  (F),  Funkensonntag  (dim.  des  étincelles),  Chiiechli- 
sonntag  (dim.  des  beignets,  dans  le  Toggenburg),  et  autres,  voir 
Schweiz.  Idiot.,  IV,  p.  646.  Dans  l'Allemagne  du  sud,  on  dit 
Scheibetisonniag,  à  cause  des  disques  enflammés  qu'on  avait 
l'habitude  de  lancer.  Les  Etrennes  frib.,  1899,  P-  49»  traduisent 
Brandons  par  Hirssonntag  (dim.  du  millet,  d'après  un  plat 
servi  ce  jour-là). 

3.  Les  bûchers  des  Brandons  étaient  souvent  de  simples 
entassements  de  bois  ou  de  roseaux  que  la  jeunesse  du  village 
préparait  longtemps  à  l'avance,  ou  ils  étaient  construits  avec 
art,  en  forme  de  pyramide,  autour  de  jeunes  sapins  coupés 
dans  la  forêt.  Les  gamins  faisaient  la  quête  pour  se  procurer 
du  bois  et  de  la  paille.  M,  Volmar,  dans  ses  Us  et  coutumes 


*  C'est-à-dire  Conteur  vaudois. 


•  LES    BRANDONS  7 

d'Estavayer,  Arcli.  s.  d.  trad.  pop.,  VI,  p.  93,  94,  décrit  ainsi  la 
construction  du  bûcher  :  «  Tout  d'abord  on  traçait  sur  le  sol, 
avec  un  pieu  ou  une  pioche,  un  beau  carré,  dont  la  grandeur 
variait  en  raison  de  la  quantité  de  fagots  et  de  bois  récoltée. 
A  chacun  des  angles  de  ce  carré  on  plantait  une  «  cotte  », 
c'est-à-dire  un  jeune  tronc  de  bois  vert,  d'environ  un  mètre  et 
demi  de  haut,  coupé  à  la  hauteur  des  branches  de  façon  à 
former  fourche.  Quatre  perches,  venant  s'emboîter  dans  ces 
fourches,  reliaient  ces  quatres  supports  et  formaient  un  cadre 
horizontal  sur  lequel  on  alignait  des  rondins  de  vingt  centi- 
mètres en  vingt  centimètres  à  peu  près,  de  façon  à  former  une 
espèce  de  claie.  C'est  sur  cet  entablement,  qui  devait  être  de 
bois  vert,  et  qui,  partant,  ne  prenait  feu  qu'après  tout  le  reste, 
qu'on  entassait  en  pyramide  les  fascines  et  les  fagots.  Le  bû- 
cher proprement  dit  se  trouvait  ainsi  à  un  peu  plus  d'un  mètre 
au-dessus  du  sol.  On  plaçait  au-dessous  la  paille,  qu'on  arrosait 
de  pétrole,  et,  la  nuit  venue,  on  y  mettait  le  feu.  »  A  Delé- 
mont,  les  enfants  parcourent  les  rues  de  la  ville,  la  veille  des 
Brandons,  en  traînant  une  charrette,  et  en  criant  : 


véy    tyu  d'  pd  -  ni^  !  dé       véy      é  -   kouv'  ! 

«  (Des)  vieux  fonds  de  paniers,  des  vieux  balais  ».  On  réserve 
dans  les  ménages,  pour  celte  occasion,  tout  ce  qui  n'est  plus 
bon  qu'à  brûler  :  paniers,  caisses,  etc.  Quelques  paysans  géné- 
reux y  ajoutent  une  gerbe  de  paille  ou  une  grosse  bûche  (voir 
Rossât,  Chants  pat.  jur.,  Arch.  s.  d.  trad.  pop.,  IV,  p.  134, 
135).  Le  tas  de  bois  porte,  dans  le  Jura  bernois,  le  nom  de 
hœt'  (hutte)  ou  de  tchavan  1  lat.  capanna,  cabane),  ce  qui 
montre  que  le  bûcher  avait  à  l'origine  une  forme  plus  ou  moins 
régulière.  Pour  allumer  le  tas,  on  désignait  «  la  dernière  ma- 
riée de  la  commune,  ou,  à  son  défaut,  une  jeune  personne  de 
la  classe  aisée  >  (Mém.  de  Frib.,  III,  p.  78);  ce  soin  est  confié 
aussi  au  «  président  de  la  jeunesse  »  (C.  V.,  1905,  n°  10),  ou 


8  LA    REDACTION  • 

au  curé  de  la  paroisse  (Berne,  Arch.  s.  d.  trad.  pop.,  VII, 
p.  180).  Dans  la  Suisse  allemande,  cette  action  est  quelquefois 
accompagnée  de  prières  (Schweiz.  Idiot.,  IV,  p.  652).  «  En 
151 2,  des  prêtres,  des  conseillers  se  réjouissaient  avec  le 
peuple  près  d'un  feu  des  Brandons  allumé  à  la  Fayaz  (près 
d'Estavayer-le-Lac)  et  y  soupaient  ensemble  »  (Dict.  par.  cath., 
p.  179).  D'autre  part,  M.  Daucourt  raconte  une  légende  d'un 
jeune  moine  cruellement  puni  pour  avoir  dansé  autour  d'un  de 
ces  feux  (Arch.  s.  d.  trad.  pop.,  I,  p.  loi).  Quand  la  flamme 
jaillit,  la  jeunesse  se  met  à  pousser  des  cris  de  joie. et  à  danser 
en  rond  autour  du  bûcher.  Selon  l'abbé  Daucourt,  les  ména- 
gères du  Jura  bernois  tournaient  autour  du  feu  en  criant  «  au 
long  chanvre  »  (Arch.  s.  d.  trad.  pop.,  I,  p.  100).  Comme  on 
choisissait  pour  faire  ces  feux  une  éminence  près  du  village  ou 
les  sommités  voisines,  ces  bûchers  flambant  à  des  distances 
assez  rapprochées  les  unes  des  autres,  illuminant  pour  ainsi 
dire  tout  le  pays,  présentaient  un  aspect  merveilleux,  particu- 
lièrement le  long  des  rives  du  lac  de  Neuchâtel.  C'est  aussi 
dans  cette  contrée  que  la  fête  s'est  le  plus  longtemps  con- 
servée, et  les  Brandons  d'Yverdon  ont  acquis  une  certaine 
réputation  (Arch.  s.  d.  trad.  pop.,  II,  p.  14).  Quand  le  feu  s'étei- 
gnait, les  plus  hardis  et  même  les  filles  les  plus  courageuses 
sautaient  par-dessus  la  braise.  Cela  leur  donnait,  disait-on,  la 
chance  d'un  mariage  prospère.  Selon  d'autres,  plus  on  sautait 
haut,  plus  l'année  serait  fertile. 

4.  A  ces  grands  feux,  les  jeunes  gens  allumaient  les  tor- 
ches, appelées  aussi  failles  ifdly',  G;  fey,  B),  du  lat.  facula 
(en  France  :  feulines,  escouvillons,  oupille,  brandelons),  qu'ils 
agitaient  en  courant  dans  les  alentours.  Le  doyen  Bridel  (Cons. 
suisse,  X,  p.  169,  171)  les  appelle /<tz//aj-,  d'après  l'article  12 
des  Statuts  de  la  Grande  Cour  séculière  de  Lausanne  (1455). 
qui  porte  :  «  Item  etiam  videtur  Lausanam  abuti  facere  Die 
Dominica  Bordarum  faciendo  et  portando  per  Villam  Lau- 
?,diX\z.e  foras  {fatias)  et  faciendo  Pisabenata  »  (Mém.  doc.  S.  r., 
VII,  p.  586).  Ce  mot  a  été  reproduit  par  Ceresole  (Voix  et 


LES    BRANDONS  9 

soiiv.,  |).  124)  et  le  C.  V.,  1892,  n"  7;  mais  il  doit  reposer  sur 
une  fausse  lecture,  comp.  l'ordonnance  du  Conseil  de  Lau- 
sanne de  1454  :  «  utile  esse  (\\iod/alie  que  portantur  per  villam 
cassentur  »  (Méni.  doc.  S.  r.,  XXXV,  p.  176).  Failles  est  aussi 
la  forme  employée  par  Bonivard.  Il  dit,  parlant  des  premières 
assemblées  de  Huguenots,  en  1518:  «  Soubz  couleur  de  faire 
guet,  l'on  s'assembloit  à  belles  torches  et  fallotz  et  faisoit-on 
des  banquetz  tour  à  tour  et  chescun  le  sien  et  faisoit-on  ardre 
ung  brandon,  comme  l'on  a  de  coustume  la  première  dimenche 
de  caresme,  lesquelz  brandons  s'appelloient  failles,  jouxte  la 
langue  savoysienne  .  (cité  d'après  Blavignac,  Emprô,  p.  164J. 
Bride!  décrit  ces  torches  de  la  manière  suivante  :  «  C'était  des 
torches,  fagots  ou  faisceaux  de  bois  odoriférans,  tressés  avec 
de  la  paille,  dans  lesquels  on  mettait  de  la  canelle  et  d'autres 
aromates  »  (Cons.  suisse,  X,  p.  171).  Dans  le  Jura  bernois,  ce 
sont  des  flambeaux  de  bois  gras,  fendu  menu,  et  qu'on  prépare 
bien  à  l'avance  afin  qu'il  soit  très  sec  (Arch.  s.  d.  trad.  pop., 
VII,  p.  179,  180),  ou  une  espèce  de  massue  en  bois  de  tilleul 
bien  sec,  dans  le  gros  bout  de  laquelle  sont  plantées  des  bû- 
chettes de  [)in  ou  bois  gras,  ou  encore  c'est  un  fagot  composé 
de  biàchettes  de  bois  de  sapin  ou  de  pin  bien  sèches  (B,  Met- 
temberg).  On  emploie  aussi  des  racines  de  pins.  Ailleurs  l'on 
se  contente  d'un  bouchon  de  paille  au  bout  d'un  bâton  (Vd, 
Vaulion),  ou  même  de  branches  de  bruyère  sèches  et  facile- 
ment inflammables,  liées  au  bout  d'une  perche  assez  longue 
(Arch.  s.  d.  trad.  pop.,  VII,  p.  161,  G).  Le  Gloss.  de  Duret  dé- 
finit les  failles  comme  des  rameaux  et  branches  entortillés, 
mêlés  quelquefois  à  des  bouchons  de  paille  à  l'extrémité  de 
perches. 

L'usage  de  ces  brandons,  comme  des  feux  de  joie,  nous  est 
attesté  pour  tous  les  cantons  romands.  Mais  c'est  dans  la  cam- 
pagne genevoise  que  ces  flambeaux  semblent  avoir  le  mieux 
conservé  un  ancien  usage  symbolique  se  rapportant  à  la  pros- 
périté des  jeunes  ménages.  Le  dimanche  des  pjrandons,  les 
enfants  vont  demander  les  alouyè  devant  les  portes  des  jeunes 


lO  LA    REDACTION 

mariés  qui  n'ont  pas  encore  d'enfant  et  qui  s'empressent  de  les 
leur  jeter,  c'est-à-dire  de  leur  lancer  des  bonbons,  dragées, 
caramels,  etc.  Le  couple  qui  voudrait  se  soustraire  à  ce  tribut 
est  menacé  d'avoir  un  garçon  chétif,  contrefait,  mal  venu,  un 
«  garçon  d'hiver  »  et  il  risque  qu'on  lui  fasse  un  charivari.  Les 
nouveaux  mariés  qui  ont  eu  leur  premier  enfant  avant  le 
dimanche  des  Brandons  «  gagnent  les  alouye  »,  c'est-à-dire 
qu'ils  sont  dispensés  de  les  donner.  Le  soir,  on  allume  les 
failles  en  l'honneur  des  jeunes  époux,  et  l'on  cv\e:  fdlyè,  fdlyè- 
zon!  la  fèrC  a  N.  far  a  on  bô  garson!  Faille,  faillaison,  la  femme 
à  N.  fera  un  beau  garçon  (voir  Arch.  s.  d.  trad.  pop.,  VIL 
p.  i6i,  où  est  reproduit  un  article  de  L.  Reichstetter  paru  dans 
la  Tribune  de  Genève  du  4  mars  1903,  et  où  ces  paroles  ne 
sont  pas  données  correctement  ;  voir  aussi  Const.  et  Dés.,  Dict. 
sav.,  sous  Aloiûâ).  Duret  (Gr.  publiée  par  Koschwitz,  p.  13,  14, 
n.  2)  donne  une  autre  forme  de  cette  rimaille:  É-z  aloûlîe^  La 
fenna  c  graissa  Dœte  de  kàn  ?  De  Karmàntràn,  aux  alouilles, 
la  femme  est  grosse,  dites  depuis  quand?  depuis  le  carnaval. 
Ces  paroles  correspondent  presque  exactement  à  celles  indi- 
quées par  le  Dict.  sav.  Duret  nous  enseigne  que  les  campa- 
gnards promenaient  le  dimanche  des  Brandons  les  failles  ou 
chauffairons  dans  les  jardins  et  vergers  et  sur  les  coteaux,  les 
présentant  aux  arbres  fruitiers  et  les  brandissant  comme  pour 
les  menacer  d'être  brûlés  s'ils  ne  portaient  pas  de  fruits,  et  il 
nous  donne  encore  la  variante  que  voici  du  couplet  ci-dessus  : 
Fâlle,  f aller  on,  Que  le  bon  Diii  nos  balleysse  'na  bouna  sayson  ! 
Se  ma  mare  me  fat  pas  mejir  de  bougnon,  De  meto  le  fua  à  son 
cotlyon  (Aviernoz,  Savoie),  Faille,  failleron,  que  le  bon  Dieu 
nous  donne  une  bonne  saison  !  Si  ma  mère  ne  me  fait  pas 
manger  des  beignets.  Je  mets  le  feu  à  son  cotillon  (Duret,  GL. 
Cet  usage  aurait  aussi  été  pratiqué  dans  les  cantons  de  Vaud 
et  de  Fribourg.  Blavignac  (Emprô,  p.  162  ss.)  rapporte  encore 
un  peu  autrement  la  formule  des  alouilles:  Es  alouilles,  La 
fenna  est  groussa,  Dé  quan?  Dé  la  San-Dian  [Saint- Jean)!  Lia 
fera  dei  biaii  einfan.  Alouilles  !  Alouilles!  Il  ajoute  que  dans 


LES   BRANDONS  II 

certaines  localités  le  jour  des  alouilles  s'appelle  le  dimanche 
des  Escarnavex.  Les  mariés  sans  enfants  sont  raillés  par  les 
quolibets  suivants:  Escarnavex!  Escarnavatte !  Une  telle  est 
mcsalle  i  ladre,  c'est-à-dire  improductive),  ou  bien:  Un  tel  est 
mouUt  (mulet,  improductif),  Elscarnai'ex  !  Escarnavex  !  ou  en- 
core :  Escarlavai!  Escarlavata  '.  D'ai  de  l'amadou  dian  via 
fat  ta  (dans  ma  poche),  Si  vo  nie  bailli  (donnez)  pa  des  bou- 
nions  (beignets),  De  brulo  vutra  nièzon  (Je  brûle  votre  maison). 
Il  est  facile  de  reconnaître  dans  l'expression  «  dimanche  des 
Escarnavex  »  (tirée  de  dimanche  des  carnarc,  par  redoublement 
de  es,  comme  dans  les  tenailles,  les  estenailles,  etc.)  le  mot 
Carnavalet  cité  plus  haut  comme  signifiant  masque  de  carnaval, 
en  Valais,  et  dont  {Es)carlavata  serait  le  féminin.  La  coutume 
existe  encore  à  Hermance  (G),  où  l'on  se  déguise,  parcourt  le 
village  en  cortège,  en  s'amusant  et  en  criant  :  Eskarnavé, 
cskarnavala,  na  tâla  {une  telle,  remplacé  par  un  nom)  /•  bin 
mézàla.  Cela  se  dit  aujourd'hui  d'une  femme  peu  estimée,  dont 
on  se  mof^ue,  souvenir  atténué  des  coutumes  d'autrefois.  Mézcila 
a  le  sens  de  maigre,  maladive.  Le  mot  eskarnavé  désigne 
aussi  les  torches  des  Brandons. 

Selon  Duret  (GL,  les  failles,  près  de  s'éteindre,  sont  jetées 
en  tas,  et  c'est  ce  brasier-là  que  les  jeunes  gens  les  plus  agiles 
s'amusent  à  franchir  d'un  saut. 

5.  On  peut  conclure  de  toutes  les  indications  mentionnées  : 
jeune  mariée  allumant  le  bûcher,  femmes  dansant  autour  du 
feu  en  criant  :  au  long  chanvre,  flambeaux  présentés  aux  arbres, 
satires  adressées  aux  mariés  sans  rejeton,  que  ces  feux  symbo- 
lisaient la  fertilité.  Leur  sens  était  de  saluer  solennellement  le 
retour  prochain  du  printemps.  Dans  la  Suisse  allemande,  la 
coutume  s'est  perpétuée  de  brûler  dans  le  feu  des  Brandons 
un  mannequin  représentant  probablement  l'hiver.  On  voit  en- 
core immoler  cette  poupée,  appelée  Bogg,  toutes  les  années  à 
Zurich  lors  du  Sechselduten.  Des  traces  de  cet  usage  se  sont 
conservées  en  Valais.  Barman  ne  se  trompe  point  en  di.sant. 
dans  son  Gl.,  que  les  Brandons  étaient  les  restes  d'une  fête 


12  LA    REDACTION 

célébrée  anciennement  en  l'honneur  de  l'agriculture.  Il  est  pro- 
bable que  des  coutumes  romaines  et  germaniques  ont  été  com- 
binées à  l'occasion  des  Brandons.  Les  failles  correspondent 
aux  îtwccoli  du  carnaval  romain. 

6.  Les  Brandons  désignaient  aussi  l'époque  où  reprenaient  les 
danses  en  plein  air  accompagnées  de  chansons  nommées  co- 
raules  {korâ^la,  Vd,  F)  ou  vwèysri  (B),  voir  ces  mots  (Arch.  s. 
trad.  pop.,  IV,  p.  134;  VI,  p.  94).  Quel  bonheur  quand  jeunes  et 
vieux  pouvaient  entonner  de  nouveau  leurs  gais  refrains  inter- 
rompus pendant  le  long  hiver  ! 

7.  C'est  encore  l'époque  des  bons  repas  (hérités  du  mardi 
gras  '?)  et  de  toutes  sortes  de  beignets  nommés  bouny'  (G), 
bounyè  (V,  Vd),  merveilles,  pisa  benaia,  crépi  ou  crapé  (  Vd, 
B),  derbonnards  (F),  oriettes,  têtes  (B),  kutyètè,  talyc  (F),  etc., 
qui  se  mangent  aussi  en  d'autres  occasions,  et  pour  lesquels 
nous  renvoyons  à  l'article  bougnè.  On  cite  aussi  du  riz  au 
lait  comme  mets  traditionnel  des  Brandons  i  C.  V.,  1880, 
d'après  une  conférence  lue  en  1824  à  la  Soc.  d'émulation  de 
Vevey).  Barman  dit  que  dans  le  district  de  l'Entremont  (V), 
les  jeunes  gens  des  deux  sexes  célèbrent  la  fête  des  Brandons 
par  un  repas  commun.  De  toutes  les  coutumes  des  Brandons, 
la  fabrication  de  merveilles  est  celle  qui  est  encore  le  plus 
scrupuleusement  observée  (v.  Lien  vaud.,  1902,  10  févr.  ).  Bridel 
raconte,  en  parlant  des  pisa  benata,  qu'on  en  remplissait  des 
corbeilles  le  soir  des  Brandons  et  qu'on  en  offrait  à  tout  ve- 
nant. «  Souvent,  dans  nos  Alpes  vaudoises,  on  met  des  étoupes 
dans  les  beignets  des  brandons  pour  attraper  les  gourmands  ; 
plus  d'une  jeune  fille  sut  y  cacher  un  billet,  un  ruban,  un 
anneau,  et  faire  tomber  le  beignet  receleur  entre  les  mains  de 
celui  auquel  il  étoit  destiné  »  (Cons.  suisse,  X,  p.  172).  Détails  à 
noter:  Ce  sont  les  jeunes  filles  qui  font  les  frais  des  Brandons, 
en  offrant  des  pâtisseries  à  leurs  galants.  Un  garçon  qui  con- 
duit une  fille  au  feu  des  Br.  en  reçoit  des  œufs  à  Pâques  (B, 
Epauvillers). 

8.  l^es  mascarades  des  Brandons  revêtaient  facilement  un 


LES   BRANDONS  I3 

caractère  saliriciue.  Ainsi,  en  1872,  on  rei)résenta  à  Payerne  le 
fameux  «  Sclnilvogt  »  1  inspecteur  féde'ral  des  écolesj.  C'est  à 
cette  occasion  qu'avaient  lieu  les  cortèges  des  métiers.  Genève 
a  conservé  celui  des  bouchers.  On  y  joignait  autrefois  certaines 
cérémonies  superstitieuses.  Kuenlin,  Dict.,  I,  p.  282,  mentionne 
qu'en  1580  il  fut  défendu  de  baiser  le  fourneau,  de  parcourir 
la  ville  (de  Fribourg)  avec  une  charrue,  etc.,  le  mercredi  des 
cendres.  Les  masques  de  carnaval  portent  chez  nous  les  noms 
de  fou,  bouffon,  kamintran  (=  carnaval),  karnn'alc  {Carna- 
valet), farata  iV,  Savièse),  kokyc  |V,  Isérablesi.  Nous  ne 
voyons  guère  se  développer  certains  types  de  masques  comme 
dans  la  Suisse  allemande,  où  toutes  ces  coutumes  sont  restées 
beaucoup  plus  vivaces.  Les  déguisements  de  fous  de  carnaval 
prennent  souvent  un  caractère  licencieux,  et,  en  parcourant  les 
vieux  papiers,  nous  rencontrons  des  plaintes  à  leur  sujet  et  des 
demandes  d'abolition.  La  Suisse  romande  a  aussi  eu,  à  l'occa- 
sion du  carnaval,  ses  sotties  ou  pièces  satiriques  représentées 
])ubliquement  par  des  sociétés  de  sots,  témoin  la  Sottie  des 
Béguins,  jouée  à  (Genève  le  22  février  1523,  et  la  Sottie  du 
Monde,  jouée  dans  la  même  ville  le  14  février  1524  (repro- 
duites par  E.  Picot  dans  son  Recueil  général  des  Sotties,  t.  II). 

9.  Enfin  les  Brandons  donnaient  lieu  à  des  joutes,  c'est- 
à-dire  des  combats  de  garçons  qui  se  servaient  de  jeunes 
arbres  ébranchés  comme  lances.  De  là  le  nom  de  Bordes  (voir 
Du  Cange,  sous  Bordae,  Bohordicuiii).  Une  curieuse  variante 
de  ces  jontes  existait  à  Estavayer  jusqu'en  1731,  année  où  la 
coutume  fut  abolie.  Les  jeunes  mariés  étaient  obligés  de  jouter 
ensemble  sur  le  lac.  Postés  sur  la  proue  de  petits  bateaux  con- 
duits par  des  rameurs  à  leurs  ordres,  et  armés  d'un  bouclier  au 
bras  gauche  et  d'un  poussoir  en  guise  de  lance,  ils  se  culbu- 
taient dans  l'eau  jusqu'à  ce  qu'il  n'en  restât  plus  qu'un,  pro- 
clamé vainqueur  et  porté  en  triomphe  par  la  ville  (voir  Vol- 
mar,  Us  et  coutumes,  dans  Arch.  s.  trad.  pop.,  VI,  p.  98,  99, 
d'après  les  Annales  de  Dom  Grangier  ). 

10.  Tout  ce  qui  reste  de  ces  vieilles  réjouissances  des  Bran- 


14  L.   GAUCHAT 

dons  (et  du  Carnaval  i  sont  quelques  feux  de  joie  allumés  en- 
core çà  et  là,  le  plus  régulièrement  dans  le  Jura  bernois,  l'ha- 
bitude de  se  régaler  de  merveilles  en  ce  temps  et  la  coutume 
des  alouilles  dans  le  canton  de  Genève.  Au  XV^  siècle  on 
abolit  d'abord  les  feux  et  les  flambeaux  dans  les  villes,  puis 
on  les  interdit  formellement  dans  tout  le  canton  de  Vaud 
(1538).  On  craignait  les  incendies,  mais  le  zèle  religieux  des 
protestants  n'était  pas  pour  peu  de  chose  dans  cette  suppres- 
sion. D'après  le  Mémorial  de  Frib.,  un  ministre  bernois  dé- 
clara en  1536  hérétiques  ceux  qui  prenaient  part  à  ces  réjouis- 
sances. Dans  le  canton  de  Fribourg,  les  feux  ne  furent  sup- 
primés que  vers  le  commencement  du  dix-neuvième  siècle. 

Bibliographie.  Travail  d'ensemble  de  M.E.Hoffmann-Krayer: 
Die  Fastnachtsgebriiuche  in  der  Schweiz,  dans  Arch.  s.  trad. 
pop.,  I,  et  dans  le  Dict.  géogr.  de  la  Suisse,  V,  p.  41  ss.  Suisse 
rom.  :  Bridel.  Cons.  suisse,  X,  p.  169,  171,  172:  Mém.  de  Frib,, 

III,  p.  78-80;  C.  V.,  1880,  n°  23  ;  1892,  n"  7  ;  1894,  n°  47  :  1903, 
n°  1 1  ;  1905,  n°  10;  Arch.  s.  trad.  pop.,  I,  p.  100;  II,  p.  14: 

IV,  p.  134;  VI,  p.  92  ss.  ;  VII,  p.  161,  179;  Jura  du  Uim.,  I, 
p.  12;  L'Eveil,  6  et  10  mars  1897. 


COMMENT   ON   NOMME   LE   FROMACiE 

DANS    NOS   PATOIS 

-♦- 

I^n  consultant  la  carte  N"  613  de  V Atlas  linguistique  de  la 
France,  on  s'aperçoit  que  l'appellation  fromage  a  plusieurs 
concurrents  dans  la  Suisse  romande.  Laissons  tout  à  fait  de 
côté  le  second  fromage  ou  sérac.  Pour  le  fromage  propre- 
ment dit,  la  carte  indique  encore  les  expressions  tomme  et 
7ndtaK  Mais,  outre   le   terme  général  que  V Atlas  cherche  à 


'   L'ô  est  bref,   non   long,   comme   on   pourrait  le  croire  d'.iprès  la 
notation  de  M.  Edmont. 


COMMENT    ON    NOMME    LE   FROMAC.E    DANS    NOS    PATOIS     15 

reproduire  ^,  il  existe  chez  nous  un  grand  nombre  de  noms 
donnés  à  certaines  espèces  de  fromages,  et  dont  quelques-uns 
sont  aussi  usités,  occasionnellement,  dans  un  sens  plus  large. 
L'abondance  de  nos  vocables  est  même  étonnante.  L'industrie 
laitière  est  une  des  principales  ressources  d'une  partie  de  notre 
population,  le  fromage  l'un  de  ses  meilleurs  aliments,  mais  on 
ne  soupçonnerait  pourtant  pas  qu'on  ait  jusqu'à  24  termes  pour 
le  désigner. 

Remarquons  d'abord  que  le  mot  latin  CASEUS,  son  représen- 
tant le  plus  répandu  dans  les  pays  romans,  et  bien  au  delà  -,  a 
laissé  très  peu  de  traces.  On  trouve  dans  la  partie  orientale  du 
Valais  romand  le  mot  tscj'yôrd  pour  l'endroit  où  on  fait  le 
fromage,  mais  le  produit  lui-même  n'est  plus  appelé  de  ce  nom, 
au  moins  sous  une  forme  indigène.  Nous  n'avons  que  des  néo- 
logismes  plus  ou  moins  récents.  On  pouvait  se  placer  à  diffé- 
rents points  de  vue  pour  le  dénommer.  C'est  ce  que  je  me  pro- 
pose d'étudier  sommairement. 

L  Le  fromage  envisagé  comme  produit:  1°  fruit '-^^  mot  usité 
comme  terme  général  dans  les  cantons  de  Fribourg,Vaud  (Alpes  1 
et  dans  le  Bas- Valais.  Les  formes  patoises  de  cette  expression 
poétique  varient  :  fr?^  froid,  etc.  ;  2°  arpyézo,  s.  m.  (Valais  : 
Mage,  Vernamiège),  tiré  du  verbe  '^alpidiare  au  moyen  du 
suffixe  -ATICUM.  Le  mot  a  signifié  autrefois  la  redevance  en 
beurre  et  en  fromage  qu'une  montagne  devait  à  son  seigneur. 
"IL  Comme  nourriture:  ^° yinda  (Lavaux,  Voc.  de  Dumur, 
Champéry,  Valais),  yéda  (Vionnaz,  Bas- Valais),  yèna  (Rossi- 
nière,  Alpes  vaudoises).  Le  mot  signifiait  une  fois  :  nourriture 


'  Les  sujets  interrogés  ont  souvent  fourni  des  termes  spéciaux  à  côté 
ou  à  la  place  du  terme  général. 

-  Casetts  a  envahi  de  bonne  heure  les  pays  de  langues  germaniques. 

^  C'est  de  là  que  vient  ['e-api-cssion  fruitier,  fruitière,  pour  fromager, 
fromagerie  ou  laiterie  communale.  Ces  dérivés  sont  très  répandus  dans 
nos  cantons,  tandis  que  le  mot  simple  fruit  =  fromage  est  resté  local. 
Le  fruitier  représente  du  reste  le  fromager  de  profession,  dont  l'appa- 
rition n'est  pas  ancienne.  La  Gruyère  paraît  avoir  fourni  le  modèle  de 
l'institution  de  là  fruitière,  et  le  mot  en  même  temps. 


î6  L.    GAUCHAT 

en  général  ;  Damur  le  définit  comme  «  viande,  fromage,  toute 
substance  animalisée  (?)  qu'on  mange  avec  le  pain.  »  Bridel, 
sous  ienna,  ieinda,  dit:  «  petit  fromage  maigre,  pitance  ». 
Dans  un  exemplaire  du  même  ouvrage,  annoté  par  L.  Croisier, 
nous  trouvons:  «  ienda,  pain  et  fromage  »,  Ollon.  A  Cham- 
péry,  on  a  encore  la  locution:  alâ  a  la  yinda  ■==.  mendier  *. 
C'est  du  reste  le  même  mot  que  le  français  tnande  qui  signi- 
fiait en  vieux  français  «  tout  aliment  qui  entretient  la  vie  ». 
Au  seizième  siècle  encore,  Rabelais  parle  des  champignons 
comme  de  «  viande  des  dieux  »,  et  Olivier  de  Serres  règle  la 
manière  de  distribuer  la  viande  (c'est-à-dire  des  grains)  aux 
pigeons.  Le  mot  a  passé  tôt  au  Midi,  où  viando^  selon  Mistral, 
signifie:  vivres,  fruits  de  la  terre,  récoltes,  viande;  puis  biens, 
aisance,  et  enfin  hardes,  nippes.  En  italien,  l'ivanda,  tiré  du 
français  (avant  la  disparition  du  î!  intervocalique  ?),  est  syno- 
nyme Aq  pietanza;  en  espagnol,  vivienda  (remontant  directe- 
ment au  latin  populaire)  a  le  sens  de  manière  de  vivre,  habita- 
tion, hôtel.  Dans  nos  patois,  le  mot  ne  signifie  jamais  viajide^ 
idée  rendue  par  l'ancienne  expression  latine  Caro,  chair;  le 
sens  (S.Ç.  fromage  représente  un  rétrécissement  de  signification  : 
nourriture  -^  fromage,  bien  explicable  dans  un  pays  o\\  l'on 
mange  peu  de  viande.  C'est  à  Paris,  paraît-il,  que  s'opéra 
l'évolution  sémantique  :  nourriture  ->-  chair,  grâce  à  la  prédo- 
minance de  cet  aliment.  On  ne  serait  pas  étonné  de  rencontrer 
des  patois  où  viande  signifierait  pain  on  poisson',  selon  les  res- 
sources du  pays. 

Aucun  doute  que  notre  yinda  ne  remonte  directement  au 
latin  vi(v)enda,  s.  neutre  pluriel.  Le  deuxième  7'  est  tombé 
par  dissimilation,  comme  en  français,  et  77  devient  régulière- 
ment ji;,  COmp.  VIATICUM  -^  yâdzo,  VKDIUTUM ->-J^'^/,  VIOLITTA 


^  M.  Gilliéron,  Patoh  de  Vionnai,  p.  182,  ajoute  à  la  traduction  par 
fromage  :  a  c'est  aussi  le  repas  qu'on  prend  à  4  heures  de  raprcs-midi 
consistant  en  pain  et  fromage  ». 

^  Dans  un  dialecte  sarde,  le  mot  signifie  «  minestra  di  farina  »,  voir 
Jtrh.  ghiss.  il.,  XV,  p.  486. 


COMMENT   ON   NOMME   LE   FROMAGE  DANS   NOS    PATOIS      17 

-^  yolèta,  etc.  ;  les  exemples  ne  manquent  pas.  La  fonction  de 
la  terminaison  gérondive  est  inusitée,  comme  l'avait  déjà  ob- 
servé Diez.  Je  m'explique  l'origine  du  substantif  neutre  de  la 
façon  suivante  :  on  aura  parlé  d'abord  de  ce  qui  est  nécessaire, 
AD  VIVENDUM,  puis  de  viVENDUM  tout  court'.  L'étymologie 
VITANDA,  «  ce  qu'il  faut  éviter-  »,  donc  la  chair,  en  temps  de 
carême,  par  exemple,  est  inacceptable-',  car:  1"  elle  ne  rend 
compte  que  du  sens  auquel  est  venu  aboutir  le  français  mo- 
derne, 2"  nos  formes  patoises  démontrent  que  la  base  conte- 
nait la  nasale  en,  non  AN  *.  La  forme  italienne  vidanda,  qui 
apparaît  rarement  à  côté  de  vivanda^  s'explique  comme  padi- 
gliojie—paviglione.  Le  développement  VITA  ->-  7wurriture, 
assez  fréquent  dans  les  patois,  est  un  fort  appui  sémantique. 

L'évolution  vi(V)ENDA  ->-  viande  est  généralement  citée 
comme  parallèle  de  celle  de  Habe(b)am  -v  *avea,  que  postu- 
lent les  langues  romanes.  Comme  on  le  voit,  l'exemple  est  irré- 
prochable. 

La  variante  patoise  ycna^  de  Rossinière,  offre  la  réduction 
très  curieuse  dans  nos  contrées  de  nd  k  n  :  mais  c'est  sans 
aucun  doute  le  même  mot  que  yinda;  Bridel  l'avait  reconnu 
instinctivement  en  réunissant  les  formes  ienna  et  ieinda,  et  le 
vieux  vocabulaire  du  doyen  Henchoz  (inédit)  définit  yhia 
comme  «  petit  fromage  maigre  considéré  sous  le  rapport  de 
V alimentation.  » 

III.  Le  nom  est  tiré  de  l'un  des  stades  de  la  fabrication  du 
fromage  :  4°  pré,  petit  fromage  (Champéry),  fromage  tendre,  à 

'  Une  des  gloses  de  Reichenau  traduit  ciharia  par  cibtis  viveiidi.  Fi- 
vaiida,  «  nourriture  »,  se  rencontre  déjà  dans  les  capitulaires  des  rois 
francs,  en  803. 

■^  Proposée  par  M.  Kôrting,  Lat.  rotn.  Worlerhiich,  N"  10266.  L'au- 
teur a  l'air  de  vouloir  la  retirer  dans  la  y  édition. 

■■'  On  est  surpris  de  voir  M.  Pieri  l'adopter  dans  son  intéressante 
étude  des  fonctions  gérondives  :  //  tipo  morfologico  di  volandoJa,  Zeilschr. 
f.  rotn.  Phil,  XXVII. 

'  Il  est  vrai  que  cantando  se  transforme  dans  nos  patois  en  *caii- 
fetido,  de  sorte  que  le  verbe  vitare,  s'il  avait  existé  chez  nous,  aurait 
pu  avoir  un  gérondif  *vitendiis. 


l8  L.    GAUCHAT 

pâte  molle,  fabriqué  à  la  maison,  ou  avec  une  petite  quantité 
de  lait  (Leysin,  Vérossaz  en  Valais).  Du  latin  PRESSUM,  ce  qui 
désigne  l'état  du  caillé  au  moment  où  il  devient  compact,  prêt 
à  être  retiré  de  la  chaudière.  L'opération  suivante  consiste, 
dans  les  chalets,  à  mettre  la  masse  caséeuse  dans  la  presse  où 
elle  reçoit  ^d^  forme.  Dans  la  fabrication  domestique,  la  forme 
peut  être  donnée  au  moyen  de  vases  de  différentes  dimen- 
sions *.  De  là  le  nom  diO.  fromage,  FORMATICUM,  qui  est  devenu 
le  terme  courant  dans  la  plus  grande  partie  de  la  Gaule 
romane  et  qui  a  même  pénétré  en  Italie  :  foriiiaggio  -.  Il  s'est 
surtout  répandu  dans  les  cantons  romands  où  la  fabrication  du 
fromage  est  restreinte  :  Berne,  Neuchâtel,  Gros-de-Vaud,  Ge- 
nève. L'extension  du  terme  correspond  probablement  à  un 
perfectionnement  du  façonnage  de  la  matière  caséeuse  (à  l'in- 
vention de  la  presse  à  fromage,  très  primitive  encore  dans  la 
plupart  des  chalets  ?)  Froin<l^i^  a  dû  désigner  à  l'origine  l'opé- 
ration elle-même,  le^/romage  était  le  formé.  Et,  en  effet,  nous 
rencontrons  encore  l'expression:  6°  h  frotmiâ  dans  la  Vallée 
de  Joux  (Le  Cheniti.  En  Valais,  fromage  s'emploie  plutôt 
pour  la  grosse  pièce  de  fromage  que  pour  la  nourriture.  Le 
verbe  frotnadji  a  conservé,  dans  le  même  canton,  des  accep- 
tions très  diverses,  sans  rapport  avec  le  sujet  de  cette  étude  •'. 
A  Genève,  on  appelle  :  7°  r9blyoi}on  *  un  petit  fromage  gras 
de  forme  ronde.  Le  terme  et  la  chose  sont  d'importation 
savoyarde 5.  Le  verbe  rsblyod^i  doit  avoir  en  Savoie  (il  n'est 
pas  enregistré  par  le  Dictionnaire  de  Constantin  et  Désor- 
maux),  comme  en  Valais,  le  sens  de  faire  sortir  par  une  nou- 


1  Voir  l'étude  instructive  de  M.  Luchsniger  :  Das  Molhereigerât  in 
dei!  romanischen  Alpendialekieii  der  Schii<ei\,  Arch.  s.  d.  Irad.  pop.,  IX. 
avec  de  nombreuses  illustrations. 

2  Autrefois  aussi  en  Allemagne,  voir  Kluge,  Etym.  Wôrterh.,  sous  Kdse. 
^  Le  dàvam\iXi(  frovmget  désigne  un  petit  fromage,  usité  surtout  dans 

le  Jura  bernois. 

•*  En  français  populaire,  rebloclmi,  rehlosson,  reblaichon.  Les  ouvriers 
genevois,  qui  l'estiment  beaucoup,  l'appellent  aussi  «  poulet  d'iior- 
loger  ».  —  ■'  Spécialité  des  vallées  de  Thônes  et  du  Grand-Bornand. 


COMiMEKT    ON    XOMME   LE   FKOMAGE   DANS    NOS    PATOIS     19 

vefle  «  pincée  »  le  lait  qui  se  trouve  encore  dans  le  pis  de  la 
vache  après  la  traite.  Cette  espèce  de  fromage  serait  donc  faite 
avec  un  reste  de  lait. 

IV.  Le^Jromage  considéré  comme  masse  :  8°  mbta,  propre- 
ment la  motte,  appellation  propre  aux  cantons  de  Fribourg, 
Vaud  et  Valais.  «  Faire  la  mbta  »  veut  dire  :  fabriquer  une 
grosse  pièce,  par  exemple  de  25  à  35  kilogrammes,  de  fro- 
mage gras,  dans  les  chalets*.  En  Valais,  par  exemple  à  Ley- 
tron,  on  appelle  encore  de  ce  nom  les  fromages  faits  à  la 
maison.  Les  diminutifs  mbtHa,  màtyon,  etc.,  désignent  des 
grandeurs  inférieures.  Le  mot  a  pris  un  sens  général,  et  l'on 
dit  couramment  «  manger  de  la  rnoia  »,  on  commande  de  la 
jHÔta  au  cabaret,  etc.,  à  peu  près  comme  on  dit  «  boire  un 
litre,  un  verre  ».  L'origine  de  motte  est  obscure.  Un  autre 
terme  du  même  genre  est  :  9°  toma,  mot  répandu  un  peu  par- 
tout chez  nous,  quoique  non  indigène.  Son  centre  de  propaga- 
tion est  le  Midi  de  la  France  -.  Comme  tourna  signifie  dans 
son  pays  d'origine  aussi  morceau,  rappelant  par  là  l'espagnol 
tomar,  le  grec  TÔao;,  etc.,  l'expression  a  probablement  eu  le 
sQr\s~Së~portion  de  lait  réservée  à  la  fabrication  du  fromage. 
Aussi  toma  s'applique-t-il  chez  nous  de  préférence  au  fromage 
maigre,  fait  3  la  maison,  appelé  aussi  fromage  de  femmes  ^. 
Comme  terme  commercial,  tomme  équivaut  à  petit  fromage  de 
lait  de  chèvre. 

V.  L'animal  qui  fournit  le  lait  a  aussi  occasionné  les  noms 
de:  xo°  vacherin'^  et  de:  11°  chevrotin.  Le  premier  désigne  soit 
une  espèce  déterminée  :  petit  fromage  à  pâte  molle  enfermé 
dans  des  caisses  de  bois  mince,  spécialité  du  Jura,  soit  une 
petite  pièce  de  fabrication  domestique,  faite  avec  des  restes  de 


^  Dans  les  cantons  de  Berne  et  de  Neuchàtel  la  grosse  pièce  s'ap- 
pelle la  iiienli'. 

"^  Voir  la  carte  citée  de  VA  tins  linguistique,  de  la  France. 

^  7V>/»a  est  souvent  pris  dans  le  sens  général. 

'  Les  formes  patoises  correspondent  exactement  à  cette  forme  fran- 
cisée, sauf  iv'7(7j/(';/  à  Cliarmnille  (Berne,  autre  suffixe). 


2Ô  L.    GAUCHAT 

lait  (Valais).  Le  mot  se  compose  de  vacher  (vacca  +  arius) 
et  du  suffixe  diminutif  -in,  donc  «  petit  fromage  que  le  vacher 
fait  pour  son  usage  ».  Tssvrbtin'^  dérive  de  CAPRA  au  moyen 
de  -OTTUS  et  -inus,  et  indique  à  l'origine  qu'on  fabrique  cette 
espèce  avec  du  lait  de  chèvre,  mais  en  de'pit  du  nom  on  y 
mélange  quelquefois  du  lait  de  vache,  de  même  qu'on  peut 
rencontrer  l'expression  vacherin  de  chèvre,  moins  illogique 
qu'elle  ne  semble  de  prime  abord,  puisque  le  terme  ne  remonte 
pas  directement  à  vache. 

VI.  La  forme  extérieure  du  fromage  a  provoqué  les  noms 
suivants,  tous  pris  dans  une  acception  spéciale:  12°  chiba-^ 
petit  fromage  rond  (comme  les  anciennes  petites  vitres  entou- 
rées de  plomb)  à  pâte  tendre  (Rossinière,  Vaud);  13°  bondon, 
petite  tomme  de  lait  de  mouton  ressemblant  à  une  bonde  de 
tonneau  (Genève):  14°  tête  de  moine,  nommée  ainsi  parce  qu'elle 
se  fabriquait  jadis  dans  l'abbaye  de  Bellelay  (Jura  bernois),  sup- 
primée en  1797  par  les  révolutionnaires  français.  Les  environs 
continuent  la  tradition.  Nous  ignorons  si  ces  fromages  (espèce 
de  vacherin)  s'appelaient  déjà  de  ce  nom  du  temps  des  moines, 
ou  seulement  après  leur  expulsion,  par  ironie. 

VIL  Selon  ses  qualités,  le  fromage  porte  les  noms  de:  15" 
kolin,  fromage  très  doux  (Salvan,  Valais  =  coulant?);  de:  16° 
maigre,  gras,  mi-gras,  adjectifs  substantifiés  à  l'occasion  (par 
exemple  ?  mingrs  à  Bagnes,  Valais). 

VIII.  Le  goût  a  donné  le  nom  :  17"  à'égron  à  des  tommes 
maigres,  un  peu  aigres,  fabriquées  en  Savoie  et  mangées  à 
Genève. 

IX.  Le  fromage  aux  herbes  s'appelle  souvent:  18°  persillé 
{pèrs?lyé,  s.  m.,  Le  Chenit,  Vallée  de  Joux,  pcrsayi  à  Bière, 
Vaud  3). 

X.  L'époque  a  fourni  le  terme  de:   19°  mayintsê,  s.  f.,  fro- 


'  Variante  genevoise  tyèvri,  s.  m.  =  caprile  (Dardagny). 
-  De  l'allemand  suisse  chibs,  Scheibe. 

^  D'après   l'endroit  La  Sarraz,  il  s'appelle  en    commerce  sarrasin, 
terme  qui  n'est  guère  patois. 


COMMENT    ON    NOMME    LE    l-ROMAGE    DANS    NOS    PATOIS     2  1 

mage  fait  au  moment  oîi  l'on  remet  les  vaches  à  l'herbe,  dans 
les  niayens  ou  bas  pâturages  de  printemps  (Trient).  Donc,  de 
MAJL'S  -\-  le  suffixe  -INCUS,  attribué  présentement  aux  Ligures. 

XI.  Voici  un  nom  curieux  dû  évidemment  à  une  méta- 
phore '.  Lorsqu'on  fait,  dans  le  Pays  d'Enhaut,  un  petit  fro- 
mage avec  un  supplément  de  lait  ou  d'un  reste  de  la  pâte  dont 
on  a  fait  le  grand,  on  l'appelle,  selon  les  patois  :  20°  fidon, 
fdlyon,  f^oon,  c'est-à-dire  FILIUS  -(-  -ONE.  Comparez  l'expres- 
sion analogue  filyâla  ^  filleule  \  désignant  la  même  chose  en 
Gruyère.  Faut-il  voir  une  erreur  de  copie  dans  le  nom  de 
fstyon  donné  par  Testuz  (  Voc.  de  Villeneuve)  au  même  objet 
et  \\xt.  fdlyon?  C'est  vraisemblable. 

XIL  Les  voisins  allemands  ont  communiqué  aux  Jurassiens 
le  nom  :  21°  kczlé-,  petit  fromage  fait  avec  un  reste  de  lait 
(Vermes,  etc.). 

Xin.  Un  correspondant  du  Valais  fSembrancher)  nous  fait 
connaître  le  terme  enfantin:  22°  jnâmâ,  donné  au  fromage''. 

XIV.  Enfin,  nous  citerons  deux  mots  d'origine  inconnue  : 
23°  tabaora^  s.  f.,  indiqué  par  notre  correspondant  de  Bière 
comme  appellation  d'un  mauvais  fromage,  mot  que  nous  avons 
retrouvé  dans  le  Conteur  vaudois  de  1866,  n°  12  :  «  tabaourraz, 
fromage  dur*,  maigre  et  mauvais  »,  et:  24°  prâko,  commu- 
niqué par  un  correspondant  de  Vérossaz,  Valais,  dans  le  sens 
de  «  petite  pièce  de  fromage  ». 

Sans  compter  les  deux  dernières  expressions,  dont  nous 
ignorons  la  provenance,  nous  avons  constaté  non  moins  de 
iT,  sources  différentes  capables  de  fournir  un  nom  au  fromage 
en  général  et  à  ses  espèces.  Cet  exemple  fait  yoir  quel  riche 
répertoire  de  détails  de  civilisation  le  Glossaire  romand  de- 
viendra. L.  Gauchat. 

'  L'expression  fruit,  citée  en  premier  lieu,  n'est  pas  une  métaphore, 
puisque  le  latin  fructus  a  déjà  le  sens  de  produit,  qui  en  est  même  le 
sens  premier. 

^  J'écarte  les  mots  tsigr'  et  chapisigr',  qui  concernent  la  séracée. 

^  Ailleurs  au  lait  (Fribourg),  ce  qui  en  explique  l'origine. 

*  Comme  la  peau  d'un  tambour  ? 


TEXTES 

-♦- 

I.  La  foun'  a  Fârdinan  G9nyè. 

RÉCIT    EN    PATOIS    DU    ChENIT,    VaLLÉE    DE  JOUX    (VaUD)'. 

Fârdinan  Gmye  ér  on  gran  vyéloii  là  se,  boua'ta°,  k'alâvè 
adé  avoué^  on  hâlon.  E  vehdsa''  avoui'^  sa  nicr^,  k'on  li  dp^a*" 
la  Gmyèrda  è  kp  tpnya''  oiina  piljla  boutika  dàré'"  tché  Ion 
rpsèvya".  Ld  va'"da''  da"  fi,  dè-:^  a""lyè,  dp  la  fisela,  da"  laba, 
de  pipe  avoué'"  de  konvéxhou  a"'  blon,  de  bj^è,  da^'  ju,  da" 
bô"^"  de  rpgàli,  dè-^  ârbolan.nè,  lotè  suèrtè  d'afé^r""  è  aspbé'" 
la  gota,  sa  kp  n'erè  pâ  lou  mèlya".  S' ère  d:(a  adon  otina 
krô°"f  kouipma  de  dé'" se  ba'rè  da"  krals^  fyé"  da*"  lou  nia- 

TRADUCTION 
La  fouine-  à  Ferdinand  Guignard. 

Ferdinand  Guignard  était  un  grand  vieux  tout  sec,  boiteux, 
qui  allait  toujours  avec  un  bâton.  Il  vivait  avec  sa  mère,  «  qu'on 
lui  disait  »  la  Guignarde,  et  qui  tenait  une  petite  boutique  der- 
rière chez  le  receveur.  Elle  vendait  du  fil,  des  aiguilles,  de  la 
ficelle,  du  tabac,  des  pipes  avec  des  couvercles  en  laiton,  des 
pastilles  à  la  menthe,  du  jus,  du  bois  de  réglisse,  des  plantes 
médicinales,  toute  sorte  d'affaires  et  aussi  «  la  goutte  »,  ce  qui 
n'était  pas  le  meilleur.  C'était  déjà  alors  la  mauvaise  coutume 
de  comme  ca  boire  du  crache-feu  dès  le  matin. 


*  Nous  devons  la  transcription  phonétique  de  ce  morceau  à  l'obli- 
geance de  notre  excellent  correspondant^  M.  Aug.  Piguet,  professeur 
au  Collège  du  Sentier.  La  traduction  est  de  M.  E.  Tappolet.    (Réd.) 

2  Trident  barbelé  pour  harponner  les  gros  poissons.  En  français,  on 
trouve  en  outre  les  formes  :  fouane,  foène,  foiiie  ;  en  français  populaire 
de  la  Vallée  on  dhfoune.  C'est  le  latin  fuscina,  petite  fourche. 


LA   I-OUN'    a    I-ÀRDINAN    GENYE  23 

té'".  Np  se'"  pâ  sd  F'àrdinan  a  ::a!'  Iravalyé  kaii  l'érè  d::iô°"v9- 
noii,  iné'"  de  mon  ta  iid  l'é'^  jainé"'  vu  rà  fé"rè  k''yè  d'alâ  a 
la  pèts^.  Lou  maté'",  la  vèpra,  l'ère  adé  Ion  Ion  de  rŒrba. 
É  trppbtqv^  su  lou  prâ  pb  fé'^r'^  salyi  de  ve  h  l'a"'plai"'  a 
son  moxlye  pb  sàrvi  d'amoues'.  E  lanchév^  son  fi  a  l'égp,  dè- 
cha'"da'^,  rpmontâv\  s'arètâv^  ve  le  gblyè  è  pasav'^  dé'"sè  se 
d:(èrnâyè  pâ  la  plybd:(  è  pâ  lou  byô  ta  dà  la  salya'ta  kank  a 
l'adàré'".  A"'-n  ivè,  s'ér  oun  ôtra  pèts^.  Kan  lou  /é""  ère  bé'" 
d^alâ  è  la  lyas^  viva,  Fàrdinan  alavè  kbratâ  su  lou  lé'^  avoué^ 
son  fdrè  pb  pbsè'^grè  Ve  bètsè.  Le  bètsè  son  de  pèson  k'on  tré^v^ 
on  pô""  pàrtb.  E  son  alondjé,  avoué''  ouna  gran  tè'ta  plyata 
è  ouna  gouèrd:^^  bé'"  gyàrnya  de  dà  a  krbtsç.  Kan  é  tsason,  é 
ré'ston  sa'"  rédjé  de  gran  mbmà  è  apré  se  lanson  tb  dra''  dèvan 
la"  pb  avôlâ  la°  pèts^.  A'"-n  ivè,  on  le  va*"  bé'"  dp^b  la  lyas^ 

Je  ne  sais  si  Ferdinand  a  eu  travaillé  quand  il  était  jeune, 
mais,  de  mon  temps,  je  ne  l'ai  jamais  vu  rien  faire  (d'autre) 
que  d'aller  à  la  pêche.  Le  matin,  l'après-midi,  il  était  toujours 
le  long  de  l'Orbe.  Il  piétinait  dans  le  pré  pour  faire  sortir  des 
vers  qu'il  enfilait  à  son  hameçon  pour  servir  d'amorce.  Il  lan- 
çait son  fil  à  l'eau,  descendait,  remontait,  s'arrêtait  vers  les 
«  gouilles*  »,  et  passait  ainsi  ses  journées  par  la  pluie  et  par  le 
beau  temps  depuis  le  printemps  jusqu'à  l'automne.  En  hiver, 
c'était  une  autre  pêche.  Quand  le  lac  était  bien  gelé  et  la  glace 
vive,  Ferdinand  allait  «  courater  »  sur  le  lac  avec  son  «  ferret  » 
pour  poursuivre  les  brochets.  Les  brochets  sont  des  poissons 
qu'on  trouve  un  peu  partout.  Ils  sont  allongés,  avec  une  grande 
tête  plate  et  une  bouche  bien  garnie  de  dents  à  crochet.  Quand 
ils  chassent,  ils  restent  sans  bouger  de  grands  moments  et 
après  ils  se  lancent  tout  droit  devant  eux  pour  avaler  leur 
«  pêche  ».  En  hiver,  on  les  voit  bien  dessous  la  glace  claire. 


'  Endroits  plus  profonds  de  l;i  rivière,  où  l'eau  paraît  n'avoir  pas  de 
courant. 


24  L.    MHYLAN 

Xhf''"-  ^^"  f^'Ç  ^  ^^'^  ô'"''''  bâloii  avoué"'  oiiiui  poua"'l(t  de  Je 
a"  hè.  On  se  ba°"fè  avoué"^  se  bâton  pb  hkâ  su  la  lyas^.  Ouna 
founa  è  ouna  suerta  de  grôsa  fbrtsçta  pb  arpounâ  le  pèson;  h 
s\i'"niand:^è  a°  bè  da°  fàrè.  On  yâdi°"  kp  Fàrdinan  s'a'"-n 
alâvè  su  lou  lé"'  avoué"'  sa  founa  bé'"  rpduita  dà  sa  hatseta  è 
so)i  fàrè  a  la  nian,  le  jandârni^  kp  lou  vèlyévon  y  ava''  d:(a 
grau  ta  sd  balyàron  lou  mb  pb  lou  pra'"drè,  kye  la  tsas^  è 
bètse  avoué"  la  facna  è  dèfa'"gya.  E  lou  gpnyévon  h  s'a"*-n 
alâvè  da"  xh^^i  au"  Rbtspra''  a'"  brasà  la  na''.  Yon  de  jan- 
dârnf  resta  a  la  té' ta  da"  lé",  l'olrou  fi  lou  tœ  pà  vè  Iché 
Simon.  Fàrdinan  s'a'"*  balya  tb  son  sô'*"  à  se  loudjé  de  tui  le 
Xlyan.  Kan  Vu  pra"  vdryé  è  rropryé  su  lou  /^*  sa*"  ava''  pu 
apyâ  lou  ma"*drè  pèson,  é  se  dèsida  a  rpvini  pà  lou  Grata 
La"  è  la  Sauf.  Lou  jandârnf,  ky  erè  resta  a  l'ata'"drè  lou 
fi  irasâ  da°  ;f/)'fl«  da''  Solya  tché  lou  prèfè.  Fàrdinan,  ky  ère 
pbrtan  pra"  nialé'",  np  rpnaska  pâ  è  se  bouta  brâvamà  a"* 

Un  «  ferret  »  est  un  grand  bâton  avec  pointe  de  fer  au  bout. 
On  se  pousse  avec  ce  bâton  pour  glisser  sur  la  glace.  Une 
«  foune  »  est  une  sorte  de  grosse  fourchette  pour  harponner 
les  poissons;  elle  s'emmanche  au  bout  du  «  ferret  ». 

Une  fois  que  Ferdinand  s'en  allait  sur  le  lac  avec  sa  «  foune  » 
bien  serrée  dans  sa  poche  et  son  «  ferret  »  à  la  main,  les  gen- 
darmes, qui  le  guettaient  déjà  depuis  longtemps,  se  donnèrent 
le  mot  pour  le  prendre,  car  la  chasse  aux  brochets  avec  la 
«  foune  »  est  défendue.  Ils  le  guignèrent  au  moment  où  il  s'en 
allait  du  côté  du  Rocheray  en  «  brassant  »  la  neige.  Un  des  gen- 
darmes resta  à  la  tête  du  lac,  l'autre  fit  le  tour  par  vers  chez 
Simon.  Ferdinand  s'en  donna  tout  son  soûl  à  se  luger  de  tous 
les  côtés.  Quand  il  eut  assez  «  viré  »  et  «  reviré  »  sur  le  lac 
sans  avoir  pu  attraper  le  moindre  poisson,  il  se  décida  à  s'en 
retourner  par  le  Gratte-Loup  et  la  Sagne.  Le  gendarme  qui 
était  resté  à  l'attendre  le  fit  «  tracer  »  du  côté  du  Solliat  chez 
le  préfet.  Ferdinand,  qui  était  pourtant  assez  malin,  ne  regimba 


LA    rOUN'    A    l'ARDINAN    GENYE  25 

rçtd  uvoiic"  son  konpanyon.  Kaii  é  Juron  am'â  Ichc  Ion  prèjè, 
Ion  jandânn^  a"'lra  Ion  proutnyé  pb  j'^'re  son  raponè,  tandi 
kp  Fàrdinan  ata'"da''  vè  Ion  fyœ'*  a  la  tô  k'on  Ion  fas'  a"'lrâ. 
Ê  p  sa"'blyan  d'ava!'  be'"  sa*";  s'érè  epa*"  varf,  e  l'ala  ha'r 
a  la  kasa.  Mé^  sp  l'ava-  sa*",  l'ava''  aspbé'"  ouna  bonna  jars' 
d'à  la  té' la.  É  profita  dp  la  chans'  è  hka  sa  founa  dà  la  sèlyp 
a  ma'kyé  plyé'"na  d'ég'.  Amanà  dèvan  Ion  prèfè,  Ion  jan- 
dârm'  rafp  son  raponè.  Dp^a''  kp  l'ava''  vn  Fàrdman,  —  è 
sp  nérè  pâ  lou  pronniyé  yâdion,  —  pdsé'"grè  le  bètsè  avoné" 
son  fàrè  è  kp  l'ava''  onna  founa  pb  lè-:^  arponnâ.  Fàrdinan 
It^sa  dèrè  sa"*  tàtché  de  se  dèfa'"drè.  Kan  l'ôtron  n  atsèvâ,  é 
se  folya  li  mé'm"",  ra'"vèsa  totè  se  katsètè  pb  bé'"  mbtrâ  ky'é 
n'ava''  d~é'"  de  founa.  Lon  jandârm'  ère  tb  èbai  è  pâ  tré" 
kontà.  Lon  prèfè  np  sava''  kyè  dèrè.  Pb  a"'  fini,  é  fbt^  on  bon 
galb  a  Fàrdinan,  ky  ère  bc'"  kbnn  pb  brakounâ  sn  lon  lé"'  è 
lou  lâtsa.  Se  ik'  ava''  ankouè  be"'  sa''  a'"  salyà;  l'ala  ba'r 

pas  et  se  mit  bravement  en  route  avec  son  compagnon.  Quand 
ils  furent  arrivés  chez  le  préfet,  le  gendarme  entra  le  premier 
pour  faire  son  rapport,  tandis  que  Ferdinand  attendait  près  du 
feu  à  la  cuisine  qu'on  le  fît  entrer.  Il  fit  semblant  d'avoir  bien 
soif,  —  c'était  peut-être  vrai,  —  et  il  alla  boire  à  la  «  casse  ». 
Mais,  s'il  avait  soif,  il  avait  aussi  une  bonne  farce  dans  la  tête. 
II  profita  de  la  chance  et  fit  glisser  sa  «  foune  »  dans  la  seille 
à  moitié  pleine  d'eau.  Amené  devant  le  préfet,  le  gendarme 
refit  son  rapport  ;  il  disait  qu'il  avait  vu  Ferdinand,  —  et  ce 
n'était  pas  la  première  fois,  —  poursuivre  les  brochets  avec 
son  ferret  et  qu'il  avait  une  «  foune  »  pour  les  harponner.  Ferdi- 
nand laissa  dire  sans  tâcher  de  se  défendre.  Quand  l'autre  eut 
achevé,  il  se  fouilla  lui-même,  retourna  toutes  ses  poches  pour 
bien  montrer  qu'il  n'avait  point  de  «  foune  ».  Le  gendarme  était 
tout  ébahi  et  pas  trop  content.  Le  préfet  ne  savait  que  dire. 
Pour  en  finir,  il  ficha  une  bonne  remontrance  à, Ferdinand,  qui 
était  bien  connu  pour  braconner  sur  le  lac,  et  le  lâcha.  Celui- 


26  J.    JEANJAQ.UET 

ankoiiè  on  yâd:^"  a  la  kasa,  rpprp  sa  fouiia  è  s\i"*-ii  ala  là 

hontà  e  prè   a   i-pkouma'"cbé.   E°^  bi  dèrè  y  a  kôhyè  d::;œ  kp 

Fàrdinan  s'en  boula,  kan  l  è  :{a°  trœ^*  vyèl°"  pb  alâ  su  Ion 

lé"",  a  V9ryé  la  hourkan.na  a  la  frpté"*rp  pb  le  d:(a  kp  viilya'- 

yon  li  fé^rè  gânyé  ôkye. 

L.  Meylan. 

ci  avait  encore  bien  soif  en  sortant:  il  alla  boire  encore  une 
fois  à  la  casse,  reprit  sa  «  foune  »  et  s'en  alla  tout  content  et 
prêt  à  recommencer. 

T'ai  entendu  dire  il  y  a  quelques  jours  que  Ferdinand  s'était 
mis,  quand  il  a  été  trop  vieux  pour  aller  sur  le  lac,  à  tourner 
la  baratte  à  la  laiterie,  pour  les  gens  qui  voulaient  lui  faire  ga- 
gner quelque  chose. 

^♦^^ 

II.  I  poaro  kôrdanyè. 

Conte  popul.\ire  en  patois  de  H.\ute-Nendaz  (Valais)  ^ 

Oun  kou,  y  aei  oun  pouro  kbrdanyè  ky  ën^d  aei  tsmja  kyp 
chin  kyp  gânyf  à  dzprnia.  Dpkâit  à  baraka  dû  kbrdanyè  y 
aei  na  vyeli-  gran^d^p.  Ouna  né  ky  è-t  aroua  tanmin*^  ta  du 
traô,  en  plach'  d'aâ  dpsbnà  a  fena  è  è  mèinâ,  è-i  aâ  chp 
rptrin'^drp  dprën  yja  vyèli  gran^d^p.  Ch'  è  niilû  dp  pla 
ch  oun'"  pèi  dp  palp  cn-n  oun  kâro.  Kan  ch'  è-t  inu  œ'"'trp 
p  à  né,  è-t  arouà'  i  chpnîgmda^  dprën '^  p  â  gran*^d:(^p.  Tinyan 

Le  pauvre  cordonnier. 

Une  fois,  il  y  avait  un  pauvre  cordonnier  qui  n'avait  rien 
que  ce  qu'il  gagnait  en  journée.  A  côté  de  la  maison  du  cor- 
donnier, il  y  avait  une  vieille  grange.  Un  soir  qu'il  est  arrivé 
un  peu  tard  du  travail,  au  lieu  d'aller  réveiller  sa  femme  et  ses 
enfants,  il  est  allé  se  coucher  dans  cette  vieille  grange.  Il  s'est 
étendu  sur  un  peu  {litt.  un  poil,  un  brin)  de  paille  dans  un 
coin.  Au  milieu  de  (////.  quand  c'est  venu  outre  par)  la  nuit,  le 


I    POLRO    KORDANYE  27 

OHii  Iriii  ctfrœ'',  Isàrnidoii  Ishiii  apiî  oiiiia  vyèli  chbrchiri  kyp 
vinyei  pâ  a  bï  d'aroua.  P  à  fén,  è  kan  iiiiiit  aroiiâ'  è  è-j  alra 
tshîii  din"tû  pb  chaei  pçrkyp  aei  ian  fè  on.  //<?  vyèli  chbrchîn 
a  di  liyd  yc'i  'aei  d^hya  traaya  ché  né,  k  aei  baya  niâ  â  mata 
du  rei.  È-j  âlr  an  ën"lèroua  kyën  kon*ftrppei  aei  mitù.  I  chbr- 
chiri a  di  k  aran  pâ  trba  koiinip  kyp  chei  ché  kon'Urppei,  kyp 
fayf  mètr^  baiiye  a  niûht  du  rci  en'"  p  ô  chan  d'oun  tsaa  ^ 
blan.  Apri  chou  partei  è  b  niaiën  ché  kbrdanyè  ïnkyp  è-l  ad 
Irba  b  rei.  I  rei  aei  d^hya  fé  ini  tshni  è  grau  mèdpsen,  ma 
ën"d  aei  pu  youn  k' ou  chei  chùpii^'  dèky  aei  i  chaoua  mata.  Kan 
è-t  aroua  i  kbrdanyè,  shishi  a  di  kyp  yui  kbnyèchei  b  rpmyèd^o 
pb  ouari  a  prënshyècha.  Aprï,  i  rei  a  brdbna  k  aichan  ashye 
ën**tra.  Kan  a  ju  yii  yja  ïnkyp,  i  kbrdanyè  a  di  k'aei  rin 
k'oun  rpniyèd'O  k'ouchci  pùchii  a  ouari,  ma  k  îrp  tshyè  è  chaei 
pâ  ch'  a  rei  pùchii  trbà.  I  rei  ouei  k'  ouchei  di  b  rpmyèd^o.  I 

sabbat  des  sorciers  est  arrive  dans  la  grange.  Ils  faisaient  un 
vacarme  (////.  ils  tenaient  un  train)  affreux,  ils  juraient  tous  à 
cause  d'  {litt.  après)  une  vieille  sorcière  qui  ne  venait  pas  à 
bout  d'arriver.  A  la  fin,  elle  est  quand  même  arrivée,  et  les 
autres  tous  autour  pour  savoir  pourquoi  elle  avait  fait  si  long- 
temps. Cette  vieille  sorcière  a  dit  qu'elle,  elle  avait  déjà  tra- 
vaillé cette  nuit,  qu'elle  avait  donné  le  mal  à  la  fille  du  roi. 
Les  autres  ont  demande  quel  moyen  de  guérison  (////".  quel 
contrepoids)  elle  avait  mis.  La  sorcière  a  dit  qu'ils  ne  trouve- 
raient pas  (/ïV/.  qu'ils  n'auraient  pas  trouvé)  comment  était  ce 
remède,  qu'il  fallait  mettre  baigner  la  fille  du  roi  dans  le  sang 
d'un  cheval  blanc.  Après  ils  sont  partis  et  le  matin  ce  cordon- 
nier est  allé  trouver  le  roi.  Le  roi  avait  déjà  fait  venir  tous  les 
grands  médecins,  mais  il  n'y  en  avait  pas  un  qui  eût  su  ce 
qu'avait  sa  fille.  Quand  est  arrivé  le  cordonnier,  il  (//VA  celui- 
ci)  a  dit  que  lui  connaissait  le  remède  pour  guérir  la  princesse. 
Après,  le  roi  a  ordonné  ([u'on  le  laisse  (///A  qu'ils  l'aient  laissé  1 
entrer.  Quand  il  a  eu  vu  la  fille,  le  cordonnier  dit  qu'il  n'y 


28  J.    JEANJAQ.UET 

kbrdanyè  a  ponèlp  di  h  i  fayf  plon"d::Jjye  a  prciishyècha  eu'" 
p  6  chan,  è  a  pâ  manha,  han  au  ju  fé  clnu,  i  prnishyecba  è 
jù  ouareiti'',  è  i  kbrdanyè  a  rpshyii  ouua  grocha  chôma  d'ard:^ùi 
è  pouè  a  lia  mpiia  ëulshye  yui  en  ouètura.  Dpkô&l  ô  kbrdanyè 
ilaè  oun  vyb  ava,  è  ché  vyb  ava  a  u  chaei  du  kbrdanyè  homn 
ad  fé  pb  atrapi  x^^  chôma.  I  kbrdanyè  a  di  kyd  yui  aei  riu 
fé  k'aà  drumi'^  na  né  èn"'p9  ;f/rt  vyèli  gran^d:^.  Ché  vyb  ava 
a  û  fera  pari,  è  mi  aâ  chd  mètrd  da  pla  cn-n  oun  kâro  d'à 
gran**d^9.  Ché  né  ri  a  mi  pâ  mankâ,  è-t  arouâ'  i  chpmgâida. 
Kan-t  è  iuyuai  i  vyèli,  chab'én  ky  è  ju  ënfoumâ' ;  a  di  k'aan 
d;;;hya  dpkouè  b  chpkrèi,  ky  i  mata  dû  rei  îr^  d:(hya  ouarèili, 
kyp  fayë  aouèitshye,  kyp  dèei  cn"d  aei  kâkouu  pp  //^  gran"d:(P. 
Apri,  è-j  àtr  au  aoiièitshya  ;  an**  trbâ  ché  vyb  ava,  è  pouè  b-t 
an**  tsaplâ  pli  pr'én  kyp  erha  ^  di  prâ. 

avait  rien  qu'un  remède  qui  pût  la  guérir,  mais  qu'il  était  cher 
et  qu'il  ne  savait  pas  s'il  pourrait  le  trouver.  Le  roi  voulait 
qu'il  dise  le  remède.  Le  cordonnier  a  alors  dit  qu'il  fallait 
plonger  la  princesse  dans  le  sang,  et  ça  n'a  pas  manqué,  quand 
ils  ont  eu  fait  cela,  la  princesse  a  été  guérie  et  le  cordonnier  a 
reçu  une  grosse  somme  d'argent  et  puis  a  été  mené  chez  lui  en 
voiture.  A  côté  du  cordonnier  demeurait  un  vieil  avare,  et  ce 
vieil  avare  a  voulu  savoir  du  cordonnier  comment  il  avait  fait 
pour  attraper  cette  somme.  Le  cordonnier  a  dit  qu'il  n'avait 
rien  fait  qu'aller  dormir  une  nuit  dans  cette  vieille  grange.  Ce 
vieil  avare  a  voulu  faire  de  même,  il  est  aussi  allé  s'étendre 
dans  un  coin  de  la  grange.  Cette  nuit-là,  cela  n'a  de  nouveau 
pas  manqué,  le  sabbat  des  sorciers  est  arrivé.  Quand  la  vieille 
est  venue,  elle  a  naturellement  été  fort  en  colère  ;  elle  a  dit 
qu'on  avait  déjà  découvert  le  secret,  que  la  fille  du  roi  était 
déjà  guérie,  qu'il  fallait  regarder,  qu'il  devait  y  avoir  quelqu'un 
dans  cette  grange.  Là-dessus,  les  autres  ont  regardé,  ils  ont 
trouvé  ce  vieil  avare  et  l'ont  haché  plus  mince  que  l'herbe  des 
prés. 


I   POURO    KÙRDANYE  iÇ 


NOTES 

^  Raconte  en  1906  par  Joseph  Michelet,  à  Nendaz.  Nous  avons  dans 
ce  texte  noté  par  ii  un  son  intermédiaire  entre  ou  et  11  français  ;  ce  der- 
nier n'existe  pas  à  Nendaz  ;  /  indique  un  e  très  fermé,  c'  un  son  parti- 
culier, sorte  d'3  vélaire.  Le  premier  élément  de  la  diphtongue  œii  a 
une  nuance  plus  ou  moins  marquée  de  ô;  sh,  ^}  sont  des  modifications 
de  ch,  j,  qui  sont  constantes  devant  y  ;  tshy,  d\hy  sont  intermédiaires 
entre  ty,  dy  et  tchy,  djy  ;  xl  est  une  combinaison  spéciale  dans  laquelle 
,V  n'a  pas  sa  valeur  habituelle,  mais  se  rapproche  de  »l^;  ;■  est  toujours 
linguale,  mais  à  l'initiale,  ou  redoublée,  elle  est  fortement  roulée, 
tandis  qu'intervocale  elle  est  faiblement  articulée  et  tend  à  se  confondre 
avec  /  ou  d. 

2  vyèVi  <  *vecla;  17  initiale  ou  intervocale  disparaît  régulièrement  à 
Nendaz:  (in.na,  laine,  ni.oiia,  langue, /^a,  filer,  vaè,  valet,  etc.  Là  où 
le  son  se  rencontre  aujourd'hui,  comme  dans  vyèH,  ii  est  l'équivalent 
d'une  ancienne  /  mouillée. 

^  chyiùgdùdd,  déformation  du  mot  «  synagogue  »,  avec  changement 
de  sens  analogue  à  celui  de  sabbat. 

'*  ddicit,  dedans,  présente  le  passage  de  d  à  1'/-  intervocalique  men- 
tionnée dans  la  note  i. 

'■  tsan,  cheval,  pour  un  plus  ancien  tsya.  La  tendance  des  voyelles  à 
s'assimiler  aux  sons  avoisinants  est  très  développée  dans  le  patois  de 
Nendaz.  Il  en  résulte  beaucoup  d'instabilité  pour  certaines  voyelles. 
Taèloii,  ('  tavillon  »  (petit  ais  mince),  devient  telon  ;  taon,  talon,  peut 
passer  à  Idoit,  presque  ton,  etc.  Les  formes  de  notre  texte,  ddkonl'  û 
baraka,  p  â  fat,  />  ô  clmn,  etc.,  proviennent  de  même  de  dokoutd  a  b., 
p3  af.,  p3  à  chan.  On  dit  aussi  at  û  man,  avec  la  main,  al  ^  pya,  avec 
les  pieds,  pour  alù  a  m.,  ald  i'  p.,  i  porta  d  ëljj,  la  porte  de  l'église, 
pour  di>  èlîj,  etc.  En  s'allongeant  par  la  fusion,  Ve  et  Vo  deviennent 
plus  fermés. 

^  chiipi'i,  su,  est  pour  cboiipii,  par  influence  assimilatrice  de  la  tonique; 
on  a  aussi  piichii,  pu.  ii  (>  *ouU,  llù),  voulu,  et  même,  dans  le  parler 
rapide, //■(//(,  fallu.  L'assimilation  peut  se  propager  à  plusieurs  syllabes: 
tsdnèo,  chanvre,  mais  Isinijri,  chenevière,  ou  d'un  mot  à  l'autre  :  tsè, 
chair,  mais  tsi  vTva,  chair  vive. 

"  ouariHti,  guérie  ;  les  verbes  en  /  ont  presque  tous  leur  participe  en 
-èi,-f}ili  <C  -ectu,  -ecta. 

*  driïmi;  Vu  n'apparaît  que  lorsque  la  syllabe  tonique  est  en  /,  ail- 
leurs on  a  oit:  inf.  dri'imi,  imparf.  dri'nuTyo,  mais  partie,  drotniii'i,  ind. 
pr.  drcu'iio,  etc. 

"  èrba  ;  une  curieuse  conséquence  de  la  chute  de  1'/  à  Nendaz  est  la 
disparition  complète  de  l'article  singulier  devant  les  mots  commençant 


30  J.    JEANJAQ.UHT 

par  voyelle  :  âno  =  âne  et  l'âne,  èiba  ^  herbe  et  l'herbe,  etc.  Le  pro- 
nom le,  la  disparaît  de  même  ;  ainsi  s'expliquent  plus  haut  (p.  27)  : 
k  oilchan  ashyc,  qu'ils  /'aient  laissé  ;  ch'  arei  pïichù  tràa,  s'il  /'aurait  pu 
trouver. 

J.  Jeanjaquet. 
-i^^i^fî-' 

COMPTE  RENDU 

Neufranzôsische  Dialekttexte,  mit  grammatischer  Ein- 
leitung  und  Wôrterverzeichnis,  von  Eugen  Herzog.  — 
Leipzig,  Reisland,  1906.  XII,  76,  130  p.  gr.  in-8°.  (Sammlung 
roraanischer  Lesebilcher  I.) 

Pendant  que  nos  patois  s'éteignent  au  milieu  de  l'indiffé- 
rence à  peu  près  générale  de  la  population,  voici  que  paraît  à 
I^eipzig,  par  les  soins  d'un  professeur  de  Vienne,  un  recueil  de 
morceaux  patois  destiné  à  servir  de  manuel  pour  les  cours  imi- 
versitaires.  Il  répond,  nous  assure-t-on,  à  un  besoin  urgent. 
Encore  quelques  années,  et  les  étudiants  allemands  connaîtront 
sans  doute  mieux  que  nos  cami>agnards  ce  patois  qui  fut  jadis 
la  langue  authentique  de  nos  pères.  La  chrestomathie  patoise 
de  M.  Herzog  est  dans  tous  les  cas  fort  bien  comprise  et  nous 
paraît  répondre  parfaitement  au  but  qu'elle  se  propose.  Elle 
réunit,  en  soixante  numéros,  des  spécimens,  classés  géographi- 
quement,  des  principaux  types  patois  gallo-romans,  à  l'excep- 
tion des  dialectes  méridionaux,  qui  sont  réservés  pour  une 
seconde  publication.  La  littérature  populaire  tient,  comme  il 
est  naturel,  une  large  place  dans  le  volume,  intéressant  aussi  k 
ce  point  de  vue.  La  Suisse  roinande  occupe  les  n°^  45  à  54, 
qui  sont  groupés  sous  les  rubriques  Romand  (cantons  de  Neu- 
châtel,  Vaud,  Fribourg,  Bas-Valais),  Haut-Valaisan  et  Sa- 
voyard (Genève).  On  remarquera  l'absence  complète  de  textes 
du  Jura  bernois.  Cette  lacune  nous  paraît  fâcheuse  et  aurait 
facilement  pu  être  comblée  à  l'aide  de  la  riche  collection  de 
chansons  populaires  patoises  publiées  en  transcription  phoné- 
ticjue  par  M.  A.  Rossât  dans  les  Archives  suisses  des  traditions 
populaires.   On   pourra  aussi   trouver  que  Fribourg  tient  ime 


COMPTE    RENDU  31 

bien  grande  place,  au  détriment  de  Vaud  et  de  Neiichâtel. 
Mais  le  fait  que  M.  Herzog  n'a  admis  pour  la  Suisse  que  des 
textes  publiés  phonétiquement  restreignait  forcément  son  choix. 
Il  a  puisé  essentiellement  dans  les  publications  de  Hiifelin  et 
de  Cornu.  Le  Bulletin  du  Glossaire  a  l'honneur  de  voir  repro- 
duits trois  morceaux  publiés  par  lui,  ceux  de  Champéry  {Bul- 
letin, I,  p.  36),  Evolène  (II,  p.  26)  et  Bernex  (III,  p.  30). 

M.  Herzog  ne  s'est  pas  borné  à  réunir  des  textes  patois  de 
toutes  les  régions  et  à  réduire  leurs  graphies  variées  à  une 
transcription  uniforme  partout  où  la  chose  était  possible  :  il  a 
accompagné  son  recueil  d'un  glossaire  étymologique  sommaire 
et  d'une  copieuse  introduction  grammaticale.  Ce  dernier  tra- 
vail, qui  n'occupe  pas  moins  de  76  pages,  coordonne  métho- 
diquement, sur  les  bases  de  la  grammaire  historique,  les  mil- 
liers de  faits  dialectaux  renfermés  dans  les  textes.  En  l'absence 
de  travaux  d'ensemble  dans  ce  domaine,  on  conçoit  coml)ien 
pareille  étude  a  dû  être  difficile  et  délicate,  et  on  ne  peut  que 
rendre  hommage  aux  connaissances  approfondies  et  à  la  péné- 
tration dont  l'auteur  fait  preuve  dans  cette  partie  de  son  ou- 
vrage. II  nous  permettra  néanmoins  de  signaler  ici  quelques 
inexactitudes  de  détail  relevées  dans  ce  qui  concerne  la  Suisse 
romande. 

ijji  18  et  546.  pusnè,  45,  34,  n'est  pas  un  diminutif  {poussin 
-\-  et),  mais  le  pluriel  de  pusna,  «  poussine  -,  mot  qui  se  re- 
trouve 54,  7.  —  S  19.  se,  51,  12,  n'est  pas  l'adverbe  ci,  mais  le 
démonstratif  correspondant  à  l'anc.  fr.  cel.  —  §  139.  oroly?, 
47,  12,  suppose  une  base  aurucula  et  ne  représente  donc  pas 
le  traitement  de  é  +  /  mouillée.  —  >^  144V  La  palatalisalion  du 
k  ^■ajtv'à  kyœudra,  Q.Qvy\\i,  51.  41,  n'a  rien  de  surprenant.  Elle 
est  habituelle  dans  la  région  devant  œ.  Cf.  Gilliéron,  Patois 
de  Vioîinaz,  p.  71.  —  J;  284.  Dans  les  patois  savoyards,  /  est 
le  produit  régulier  de  c  -\-  e,  i,  cons.  -\-  cy,  ty  et  n'appa- 
raît pas  seulement  par  dissimilation.  —  ?;  413.  Je  ne  vois  pas 
de  quelle  façon  le  plusque-parfait  aurait  pu  influencer  les 
formes  du  conditionnel  do  Vionnaz  :  ar}  (aurait),  pbrj  (pour- 


,<52  J.   JRANJAaUET 

xzSx),f6dr3  (faudrait),  etc.  Ces  formes  sont  accentuées  sur  la 
terminaison  et  n'offrent  rien  d'anormal.  —  §  45i-  Les  formes 
dœz3  (dit),  47,  82,  înos),  moz?  (mordit),  47,  11,  45,  sont  inter- 
prétées à  tort  comme  des  parfaits  forts.  Elles  ont  l'accent  sur 
la  terminaison  et  équivalent  à  disit,  etc.  Cf.  trèzi  (de  traire), 
47,  57,  riji  (de  rire),  50,  140.  D?j(pi  (et  non  dpjan),  50,  141, 
est  un  imparfait.  —  §  460.  vudran,  49,  43,  est  le  conditionnel, 
non  le  futur  de  voidoir.  —  §  478.  Le  nom  de  lieu  Vuissens, 
49,  10,  n'est  sûrement  pas  senti  comme  un  pluriel;  les  du  vers 
suivant  ne  s'y  rapporte  pas.  —  §  532.  L'étymologie  quem  > 
kyiîi  est  insuffisante.  L'emploi  du  mot  montre  qu'il  s'agit,  non 
pas  d'un  relatif  simple,  mais  d'une  forme  adjective  analogue 
au  français  quel.  —  §  c^^ç^.  folaton  ne  se  rattache  pas  di  folâtre, 
mais  est  dérivé  de  follet.  Cf.  les  verbes  en  -eter,  qui  ont  en 
patois  la  terminaison  -ata.  —  §  616.  Vaoulave  io  la  foudra 
dans  le  Recueil  de  Corbaz,  p.  206,  est  sans  doute  une  simple 
faute  d'impression  pour  co  la  f.  —  Vocabulaire  :  d'abb  est 
naturellement  le  fr.  d'abord  et  non  d'about.  —  bbiTg  ne  se  rat- 
tache pas  à  bouteille,  mais  à  bosse  =  tonneau.  —  dsbouarz  est 
la  3'  pers.  de  i'ind.  pr.  du  verbe  débriser.  —  doua  n'est  pas  fémi- 
nin; c'est  l'anc.  fr.  duel.  —  djanlya,  lire  dzanlya.  —  ékoiiaru, 
«  malingre  »,  est  peut-être  simplement  le  mot  «  écureuil  ».  On 
ne  voit  en  tout  cas  guère  le  rapport  avec  corium.  —  kourc, 
dans  lâchye  kourè,  53,  24,  n'a  rien  à  voir  avec  cadere.  11  vient 
de  currere  et  serait  mieux  traduit  par  «  laisser  échapper  »  que 
par  «  laisser  tomber  ».  —  rita  n'est  pas  seulement  «  Hanf- 
strahne  »,  mais  «  filasse  »  en  général.  Il  ne  peut  être  rattaché 
à  restis.  Toutes  les  formes  supposent  un  /  dans  le  radical  et 
Diez  avait  déjà  indiqué  comme  origine  l'anc.  haut  allemand 
rîsta.  —  seileta  =  situla  (non  sitella)  -|-  itta.  —  tchutch,  45,  i, 
est  la  3''  pers.  de  I'ind.  pr.  du  verbe  tchatchi,  calcare  déjà 
indiqué  plus  haut.  j    Jeanjaquet. 


LE  CHATEAU  D'AMOUR 

-♦- 

«  Il  existe,  écrivait  il  y  a  cent  ans  le  doyen  Bridel  dans 
un  article  des  Etrennes  Helvétiennes  pour  l'an  de  Grâce 
MDCCCVll,  reproduit  en  1814  au  tome  V  du  Conservateur 
Suisse,  une  ronde  villageoise,  qu'on  entend  encore  chanter 
dans  les  vignes  de  la  Vaud,  et  qui  en  temps  de  vendange 
se  répète  quelquefois  de  bande  en  bande,  des  fauxbourgs  de 
Lausanne  au  pont  de  Vevey  :  elle  commence  par  ces  mots  : 

Château  d'amour,  te  veux-tu  pas  rendre  '  ? 
Veux-tu  te  rendre  ou  tenir  bon  ?  » 

Ces  jolis  vers,  sauvés  de  l'oubli  par  celui  qui  fit,  à  lui 
seul,  en  son  temps,  toute  la  besogne  d'une  Société  suisse 
des  traditions  populaires,  étaient  un  dernier  écho  d'une 
fête  galante,  dont  il  se  plaisait  à  supposer  que  «  l'institution 
remonte  peut-être  à  un  temps  fort  reculé.  » 

«  Dans  divers  villages  soit  Fribourgeois  soit  Vaudois,  le 
premier  dimanche  de  mai,  on  élevoit  (à  ce  qu'il  nous  ra- 
conte) une  espèce  de  château  en  planches  de  sapin,  et  quel- 
quefois on  l'entouroit  d'un  petit  fossé  :  après  l'avoir  cons- 
truit, les  jeunes  gens  non  mariés  se  partageoient  en  deux 
troupes  ;  l'une  devoit  attaquer  le  château,  et  l'autre  le  dé- 
fendre du  haut  de  la  galerie  qui  en  faisoit  le  tour.  A  un 
signal  donné,  les  assiégeans  ayant  tous  une  rose  à  leur 
chapeau,  entonnoient  la  chanson  du  château  d'amour,  et  le 
siège  commençoit  :  de  part  et  d'autre,  on   se   servoit  des 

3 


34  ERNEST   MURET 

armes  du  siècle;  avant  l'invention  de  la  poudre,  c'étoient 
des  lances,  des  hallebardes,  des  piques  sans  fer;  ensuite  on 
employa  les  armes  à  feu.  Les  assaillans  prenoient  ordinai- 
rement le  château  par  escalade,  après  quelques  heures  de 
siège;  ils  y  mettoient  le  feu,  et  la  journée  finissoit  par  des 
danses  et  des  libations  bachiques,  dont  la  garnison  prison- 
nière faisoit  les  frais.  Quoiqu'on  veillât  à  ce  que  ce  simu- 
lacre de  guerre  et  ce  siège  fictif  n'entraînassent  aucune  suite 
fâcheuse,  l'acharnement  des  deux  partis  causoit  par  fois  des 
accidens  funestes  :  à  Corcelles  du  Jura,  un  jeune  garçon 
risqua  de  périr  dans  les  flammes  du  château,  incendié-  avant 
que  la  garnison  l'eût  évacué  :  dans  un  village  du  canton  de 
Fribourg,  un  des  assiégeans  se  cassa  la  jambe,  et  un  autre 
fut  grièvement  blessé.  Ces  malheurs  furent  cause  que  la 
police  proscrivit  cet  amusement  comme  dangereux,  et  que 
le  gouvernement  de  Berne,  par  un  édit  de  1543,  défendit 
sous  l'amende  de  cinq  florins  de  fa'we  des  charivaris  et  des 
laonneries.  Cet  édit  apprend  que  l'ancien  nom  de  cette  fête 
villageoise  étoit  laoïinerie.  Ce  mot  vient  du  patois  Lavon, 
Laon,  Lan,  qui  signifie  un  ais  ou  une  planche,  parce  que  le 
château  en  étoit  construit... 

«  Malgré  ces  défenses,  la  fête  proscrite  fut  encore  célé- 
brée de  temps  en  temps  dans  quelques  villages  écartés  ;  et 
tout  récemment  elle  a  eu  lieu  aux  environs  d'Echallens^ 
sans  aucun  accident,  parce  qu'on  avoit  pris  pour  les  prévenir 
toutes  les  précautions  possibles,  dont  la  meilleure  fut  d'em- 
pêcher les  acteurs  de  s'enivrer  avant  de  monter  à  l'assaut. 

«  Le  siège  du  château  d'amour  se  faisoit  aussi  autrefois 
dans  la  ville  de  Fribourg,  mais  d'une  manière  moins  dan- 
gereuse et  plus  galante  :  sur  la  grande  place  paroissoit  une 
forteresse  en  bois,  ornée  de  chiffres,  d'emblèmes  et  de  de- 
vises analogues  à  l'esprit  de  la  fête  :  chargées  de  la  défense 


LE    CHATKAU   D'AMOUR  35 

du  château,  les  plus  jolies  filles  de  la  ville  et  des  environs 
montoient  sur  le  donjeon.  Les  jeunes  garçons,  en  costume 
élégant,  venoient  en  foule  les  assiéger.  La  musique  sonnoit 
la  charge,  en  jouant  les  airs  les  plus  tendres.  De  part  et 
d'autre,  il  n'y  avoit  pour  armes,  que  des  fleurs  :  on  se  jetoit 
des  bouquets,  des  guirlandes,  des  festons  de  roses  ;  et  quand 
cette  innocente  artillerie  étoit  épuisée,  quand  le  donjeon  et 
les  glacis  étoient  jonchés  des  trésors  de  Flore,  on  battoit  la 
chamade.  Le  château  arboroit  le  drapeau  blanc  :  la  capitula- 
tion se  régloit;  et  l'un  des  articles  étoit  toujours,  que  cha- 
cune des  amazones  qui  formoient  la  garnison  prisonnière 
choisissoit  un  des  vainqueurs,  et  payoit  sa  rançon  en  lui 
donnant  un  baiser  et  une  rose  :  ensuite  les  trompettes  son- 
noient  des  fanfares.  Les  assiégeans  montoient  à  cheval  et 
se  promenoient  dans  les  rues  ;  les  dames,  dans  leur  plus 
belle  parure,  du  haut  des  fenêtres,  les  couvroient  de  feuilles 
de  roses  et  les  inondoient  d'eaux  parfumées  :  la  nuit  ame- 
noit  des  illuminations,  des  festins  et  des  bals.  C'étoit  vrai- 
ment une  scène  de  l'ancienne  chevalerie...  La  fête  étoit 
d'autant  plus  agréable,  que  l'ordre  le  plus  sévère  y  étoit 
scrupuleusement  observé;  et  qu'elle  se  passoit  sous  les  yeux 
des  pères  et  mères,  attentifs  à  maintenir  la  décence  au 
milieu  du  bruit,  et  la  courtoisie  à  côté  de  la  joie.  » 

Dans  les  Etrennes  Helvétiennes  pour  1805,  le  doyen  Bridel 
avait  déjà  «fait  mention  du  château  d'amour,  en  parlant  du 
fameux  Chalamala  (ou  Chalama,  comme  il  l'appelle),  le  fou 
du  comte  Pierre  V  de  Gruyères,  et  de  ce  conseil  qu'il 
«  s'étoit  choisi  parmi  les  hommes  les  plus  gais  et  les  plus 
spirituels  »  et  «  avec  lequel  il  délibéroit  gravement  sur  des 
bagatelles.  »  Ce  conseil,  dit-il,  «  qui  ne  s'assembloit  que  les 
jours  des  grandes  fêtes...  connoissoit  du  carnaval,  des  mas- 
carades, des  charivaris,  des  jeux  militaires,  et  principalement 


36  ERNEST   MURET 

de  celui  qui  se  nommoit  le  siège  du  château  d'amour^.  » 
Vérité  ou  fiction,  c'est  de  ces  aimables  récits  qu'est  sortie 
l'une  des  œuvres  les  plus  charmantes  qu'on  ait  applaudies 
sur  une  scène  suisse,  le  délicieux  Château  d' Amour,  dont  les 
auteurs  sont  deux  Genevois,  le  poète  Daniel  Baud-Bovy  et 
le  si  regretté  sculpteur  et  musicien  Hugues  Bovy  *.  Par 
cette  heureuse  collaboration  de  deux  beaux  talents,  issus 
d'une  même  souche  féconde  en  excellents  artistes,  l'antique 
fête  de  la  jeunesse  et  de  l'amour  et  la  Gruyère  légendaire, 
à  demi  féodale,  à  demi  pastorale,  éprise  de  tournois,  de 
danses  et  de  chansons,  ont  été  évoquées,  sous  nos  yeux 
ravis,  dans  un  vivant  et  inoubliable  poème.  Le  Château 
d'Amour  devait  être  représenté  en  1896,  à  l'exposition  de 
Genève,  sur  la  place  du  Village  Suisse,  qui  lui  eût  offert  un 
décor  à  souhait,  non  loin  de  la  maison  de  Chalamala  et  du 
joli  chalet  qui  abritait  les  tresseuses  de  paille  fribourgeoises. 
Hélas  !  la  pluie  persistante  de  ce  maussade  été  de  l'exposi- 
tion nous  a  privés  de  la  représentation  en  plein  air,  et  c'est 
dans  une  salle  close  que,  l'hiver  suivant,  ce  beau  spectacle 
s'est  déroulé  aux  lumières,  sur  une  scène  trop  petite  et  avec 
un  recul  insuffisant.  Espérons  que  nous  aurons  un  jour  le 
plaisir  de  le  revoir,  soit  dans  le  jardin  de  quelque  intelli- 
gent amateur  de  l'art  national,  soit,  de  préférence,  sur  la 
place  même  de  Gruyères,  au  pied  du  vieux  château,  parmi 
les  verdoyants  paysages  de  notre  «  Arcadie  suisse  ». 

Vérité  ou  fiction  ?  En  consultant  quelques-unes  des  per- 
sonnes les  plus  versées  dans  la  connaissance  de  l'histoire 
locale  ^,  j'ai  pu  m'assurer  qu'aucune  allusion  au  Château 
d'Amour  n'a  été  jusqu'à  présent  relevée  dans  les  documents 
vaudois  ou  fribourgeois  antérieurs  au  dix-neuvième  siècle. 
Parmi  les  nombreuses  ordonnances  au  moyen  desquelles  le 


LE    CHATEAU    D'AMOUR  37 

gouvernement  paternel  de  Leurs  Excellences  de  Berne  s'ef- 
forçait de  réprimer  la  licence  des  mœurs  vaudoises,  ni  l'ar- 
chiviste bernois,  M.  Tûrler,  ni  M.  Alfred  Millioud,  aux 
archives  de  l'Etat  de  Vaud,  n'ont  pu  découvrir  aucune  trace 
d'un  édit  de  1543,  interdisant  «  de  faire...  des  laouneries.  » 
Cependant,  la  fréquente  prohibition,  aussi  bien  que  la  longue 
persistance  de  ces  divertissements  campagnards,  nous  est 
confirmée  par  un  témoignage  contemporain  et  indépendant 
de  celui  du  doyen  Bridel.  D'un  manuscrit  «  datant  de 
181 5  »  et  «  dû  à  la  plume  d'un  de  nos  anciens  professeurs,  » 
le  Conteur  Vaiidois  a  tiré  naguère  des  Notes  sur  quelques 
anciens  usages  vaudois,  recueillies,  au  dire  de  l'auteur,  «  de 
diverses  conversations  avec  des  vieillards,  surtout  à  Dom- 
martin  »  (district  d'Echallens)  «  et  à  Lavaux.  » 

«  Les  Lanneries,  selon  notre  anonyme  '\  sont  des  fêtes 
dans  lesquelles  on  bâtit  un  château  en  planches.  On  l'en- 
toure de  palissades  et  de  fossés  et  les  jeunes  gens  s'exer- 
cent tant  à  l'attaque  qu'à  la  défense  de  cette  place  forte. 
Divisés  en  deux  bandes  conduites  par  leurs  officiers,  ils 
imaginent  toutes  sortes  de  ruses  de  guerre  et  entrent  en 
pourparlers  comiques  pour  la  reddition  de  la  place,  entre- 
prennent des  sorties  ou  des  assauts,  sont  tantôt  vainqueurs 
tantôt  vaincus,  et  en  sont  quittes  souvent  pour  quelques 
blessures  très  réelles  ;  il  est  même  arrivé  de  très  grands 
malheurs  dans  ces  jeux.  Voilà  pourquoi  on  a  si  souvent 
défendu  les  Lanueries,  qui  sont  encore  tellement  du  goût 
des  communes  du  Jorat  qu'il  ne  se  passe  guère  d'années 
sans  qu'il  s'en  fasse  quelqu'une  qui  attire  toujours  un  très 
grand  concours  de  monde.  C'est  là  aussi  une  des  réjouis- 
sances du  mois  de  mai.  » 

Ainsi,  cet  amusement  guerrier  était  associé,  dans  les  cam- 
pagnes vaudoises,  aux  fêtes  joyeuses  par  lesquelles,  de  temps 


3»  ERNEST    MURET 

immémorial,  on  célébrait,  le  premier  mai  ou  le  premier 
dimanche  de  mai,  le  renouveau  de  la  belle  saison.  La  même 
coutume  existait,  sous  un  autre  nom,  dans  le  pays  de  Neu- 
châtel,au  dix-septième  siècle.  J'ai  sous  les  yeux  les  comptes'' 
d'une  promenade  dit  mois  de  mai  qu'on  fit  à  Cortaillod  en 
1686.  Nous  apprenons  par  le  détail  des  dépenses  que  le 
29  avril  la  fête  avait  été  annoncée  au  son  du  tambour,  que 
les  28  et  29  on  avait  travaillé  à  la  construction  d'un  «  châ- 
teau »,  que  le  i"  mai  on  y  avait  mis  une  porte  à  claire- 
voie  ou  drayse,  et  qu'on  avait  «  dellivré  la  poudre  pour  la 
promenade  »  ;  que  le  grand  jour,  enfin,  qui  fijt  le  dimanche 
5  mai,  on  envoya  «  par  ordre  deux  potz  de  vin  et  deux 
batz  de  pain  au  Chasteau  »,  sans  doute  pour  ravitailler  la 
garnison,  et  qu'en  outre  cent  vingt-six  personnes  reçurent 
chacune,  en  tout  honneur,  un  pot  de  vin. 

Juste  Olivier,  en  parlant  du  Château  d'amour  et  des  laon- 
neries,  dans  son  Canton  de  Vaud^,  rappelle  que  «  c'est  une 
fête  absolument  semblable  qui  devint  l'occasion  de  la  révo- 
lution des  lazzaronis  dont  Mazaniello  fut  le  héros.  »  Ouvrons 
l'histoire  de  l'Insurrection  de  Naples  en  164'j  d'Angel  Saa- 
vedra,  duc  de  Rivas '^.  «  Suivant  un  ancien  usage,  à  la  fête 
de  la  Vierge  du  Carmel,  »  le  16  juillet,  «  on  élevait  sur  la 
place  devant  l'église  un  château  en  planches  qui,  défendu 
par  une  troupe  de  jeunes  garçons  habillés  à  la  turque,  était 
assailli  par  une  autre  troupe  différemment  costumée...  »  Si 
j'ai  bonne  mémoire,  un  jeu  analogue  est  décrit  dans  un 
roman  espagnol  du  commencement  du  dix-septième  siècle, 
je  ne  sais  malheureusement  plus  lequel.  Ces  divertissements 
populaires  tirent  sans  doute  leur  origine  d'un  jeu  militaire 
du  moyen  âge,  que  Viollet-le-Duc,  dans  son  Dictionnaire  du 
mobilier  français  '°,  a  défini  comme  «  simulacre  d'attaque 
d'un  fort  ou  tout  au  moins  d'un  ouvrage  palissade  »,  en  y 


LE    CHATEAU    D'AMOUR  39 

appliquant  mal  à  propos  le  terme  de  behourl  ou  bohourt, 
par  lequel  on  désignait  une  grosse  lance  courte  et  un  tour- 
noi à  la  lance.  De  même  que  le  beboiirt  chevaleresque  s'est 
perpétué  dans  le  peuple  par  les  joutes  au  bâton  naguère 
encore  en  usage  le  dimanche  des  Bordes  ou  des  Brandons  ^  ' , 
peut-être  y  a-t-il  quelque  allusion  au  siège  simulé  dans  la 
jolie  ronde  enfantine^-: 

—  J'ai  un  beau  château... 

—  L'uôtre  est  bien  plus  beau... 

—  Nous  le  détruirons... 

—  Comment  fere:(^vous  ? 

De  l'ensemble  parfaitement  concordant  des  témoignages 
qui  viennent  d'être  mis  sous  les  yeux  du  lecteur,  il  résulte 
que  le  doyen  Bridel  a  eu  tort  de  confondre  la  laonnerie  ou 
lannerie  avec  le  Château  d'Amour  nommé  dans  la  chanson 
populaire.  Mais  il  est  tout  naturel  que  les  jeunes  paysans 
qui  prenaient  part  à  cette  fête  printanière  se  soient  plu  à 
fleurir  leur  chapeau  d'une  rose,  au  besoin  d'une  rose  artifi- 
cielle. Il  est  fort  possible  qu'ils  nient  parfois  marché  à  l'as- 
saut en  chantant  la  chanson  du  Château  d' Atnour .U anonyme 
de  1815  peut  avoir  ignoré  ou  négligé  ces  détails,  où  Bridel 
reconnaissait  des  traits  de  cette  galanterie  romanesque  dont 
est  tout  empreinte  sa  description  du  brillant  tournoi  de  Fri- 
bourg.  Au  spectacle  de  cette  élégante  bataille  de  fleurs,  que 
nous  sommes  loin  de  la  grossière  simplicité  des  jeux  mili- 
taires campagnards  !  A  quelle  source,  demeurée  jusqu'à  pré- 
sent cachée,  l'habile  conteur  a-t-il  pris  son  récit  ?  Dans  la 
scène  qu'il  a  retracée,  il  n'est  aucune  des  données  essen- 
tielles qui  soit  de  son  invention.  Il  n'en  est  aucune  qui  n'ait, 
dans  la  vie,  l'art  et  la  littérature  des  siècles  passés,  de  mul- 
tiples et  parfois  lointaines  correspondances.  Ainsi,  dans  les 


40  ERNEST   MURET 

poèmes  allemands  du  Rosengaricn,  qui  remontent  à  la  fin 
du  treizième  siècle  et  qui  ont  donné  lieu,  au  quatorzième, 
à  des  représentations  publiques  ^•',  un  baiser  et  une  rose 
sont,  comme  dans  le  Château  d'Amour  fribourgeois,  la  ré- 
compense des  heureux  vainqueurs.  L'authenticité  de  maint 
autre  trait  se  prouve  semblablement  par  la  comparaison 
avec  d'autres  documents  qui  n'ont  pu  être  connus  du  doyen 
Bridel  qu'en  partie.  Mais  ce  diable  d'homme  s'entendait  à 
merveille  à  combiner,  pour  les  adapter  à  ses  fins,  des  élé- 
ments de  toute  sorte  et  de  toute  provenance  ;  il  savait,  si 
j'ose  me  servir  d'une  métaphore  un  peu  triviale,  accom- 
moder au  goût  du  jour  et  à  la  sauce  helvétique  des  mets 
étrangers  ou  surannés.  Bien  habile  donc  qui  pourrait  discer- 
ner, dans  son  article  de  1807,  ce  qu'il  doit  à  une  tradition 
aujourd'hui  perdue  et  ce  qu'il  a  tiré  de  son  propre  fonds, 
de  ses  vastes  lectures  et  de  sa  riante  imagination  ! 

Le  jeudi  7  mai  1857,  lisons-nous  dans  les  Souvenirs  du 
baron  de  Hûbner,  ambassadeur  d'Autriche  à  Paris  sous  le 
second  empire'*,  «  par  un  temps  délicieux  »,  la  cour,  à 
Villeneuve-l'Etang,  fiiisait  fête  au  grand-duc  Constantin  de 
Russie.  On  était  au  lendemain  de  la  guerre  de  Crimée  ; 
mais  les  belligérants  étaient  si  bien  réconciliés  que,  trois 
jours  auparavant,  dans  un  diner  à  l'ambassade  russe,  le  grand- 
duc  avait  porté  un  toast  «  aux  vainqueurs  de  l'Aima  et  de 
Sébastopol.  »  A  la  partie  de  campagne  impériale,  il  y  eut  un 
déjeuner  sous  la  tente,  des  courses  sur  l'eau  et  des  jeux 
sur  l'herbe.  On  simula  la  prise  du  Mamelon  vert,  la  princi- 
pale position  d'approche  du  siège  de  Sébastopol.  «  Le  ma- 
melon, notait  Hûbner,  défendu  par  l'Impératrice  et  les 
dames...  Les  hommes,  l'Empereur  à  la  tête,  montaient  à 
l'assaut.  C'était  un  peu  trop  gai  et  trop  intime  pour  l'occa- 


LE    CHATEAU   D'aMOUR  41 

sion.  »  Simple  caprice  de  gens  qui  s'amusent,  ou  vague 
réminiscence  du  siège  du  Château  d'Amour  ?  Qui  sait  si 
quelque  écho  n'en  était  pas  parvenu  dans  cette  cour  où 
brillait  l'érudit  et  spirituel  Mérimée  ?  N'en  eût-on  pas  su 
davantage,  l'on  ne  pouvait  ignorer  en  France  ni  l'un  ni 
l'autre  des  deux  articles  du  doyen  Bridel,  reproduits  en  1817 
au  tome  I"  des  Mémoires  de  la  Société  royale  des  anti- 
quaires^''. 

Le  terme  de  carrousel  a  désigné,  comme  l'on  sait,  d'élé- 
gants tournois  de  parade,  des  sortes  de  ballets  militaires, 
qui  furent,  au  seizième  et  au  dix-septième  siècles,  un  des 
divertissements  préférés  des  cours  européennes.  Dans  l'un 
de  ces  carrousels,  exécuté  au  printemps  de  1581  par  quel- 
ques gentilshommes  de  la  cour  d'Angleterre  en  l'honneur 
des  ambassadeurs  français  venus  à  Londres  pour  négocier 
le  mariage  du  duc  d'Anjou  avec  la  reine  Elisabeth,  il  me 
semble  que  l'on  ne  saurait  méconnaître  une  ingénieuse  va- 
riation sur  le  thème,  probablement  traditionnel,  du  siège  du 
Château  d'i.\mour.  Les  Chroniques  contemporaines  de  Holin- 
shed  en  offrent  un  récit  très  circonstancié'^,  et  Schiller  l'a 
brillamment  décrit,  par  la  bouche  du  comte  de  Kent,  au 
commencement  du  deuxième  acte  de  Marie  Slitart. 

A  ce  que  nous  apprend  le  chroniqueur  anglais,  la  galerie 
située  à  l'extrémité  de  la  lice  adjacente  au  palais  de  White- 
hall  fut  désignée, —  «  et  non  sans  raison,  »  puisque  la  reine 
y  devait  prendre  place,  —  comme  «  le  château  ou  la  forte- 
resse de  Parfaite  Beauté.  »  Quatre  poursuivants,  intitulés  les 
nourrissons  de  Désir,  revendiquaient  le  château  comme 
leur  possession  par  droit  héréditaire  et  jurèrent,  si  l'on  con- 
testait ce  droit  et  que  l'on  prétendît  les  exclure  de  leur 
patrimoine,  de  vaincre  et  de  soumettre  par  la  force  qui- 
conque ferait  mine  de  leur  résister.  Le  16  avril,  comme  la 


42  ERNEST   MURET 

reine  sortait  de  sa  chapelle,  un  cartel  lui  fut  porté  par  un 
page,  vêtu  de  rouge  et  de  blanc,  qui  proclama  que,  le  vingt 
du  mois,  les  quatre  poursuivants  viendraient  assiéger  «  la 
fatale  forteresse  ».  Pour  des  motifs  d'urgence,  la  fête  fut 
successivement  remise  au  i"  et  au  8  mai,  et,  en  fin  de 
compte,  elle  n'eut  lieu  que  le  lundi  de  la  Pentecôte.  Les 
assiégeants  avaient  fait  construire  une  machine  roulante  en 
bois,  «  couverte  de  toile  et  si  excellemment  peinte  à  l'exté- 
rieur qu'il  semblait  que  ce  fût  de  la  terre  véritable.  »  Au 
sommet  de  cette  espèce  de  «  tranchée  mobile  »  étaient  pla- 
cés «  deux  canons  de  bois,  si  bien  coloriés  qu'on  aurait  cru 
voir  deux  jolies  pièces  de  campagne  à  l'ordonnance.  »  Tout 
auprès  se  tenaient  deux  servants  vêtus  de  taffetas  cramoisi, 
chacun  muni  de  son  gabion.  Un  porte-enseigne,  vêtu  de  la 
même  façon  que  les  canonniers,  déployait  un  drapeau.  A  l'in- 
térieur de  la  tranchée  étaient  habilement  disposés  divers 
instruments  de  musique.  On  fit  avancer  cette  machine  aussi 
près  que  possible  de  la  reine.  Lorsqu'elle  fut  arrêtée,  la 
musique  joua  ses  plus  beaux  airs,  et  un  jeune  garçon  lança 
le  défi,  en  chantant  au  son  des  instruments  : 

Céde:^,  céde^,  oh!  céde^,  vous  qui  défende:^  ce  château 
assis  dans  les  champs  de  l'honneur  sans  tache. 
A  la  force  de  Désir  aucune  force  ne  peut  résister. 
Donc,  céde^,  céde^  au  désir  de  Désir. 

Céde:^,  céde:^,  oh  /  céde^.  Il  est  temps  de  vous  rendre, 
avant  que  l'assaut  commence.  Oh  !  céde^,  céde/^. 

Un  autre  jeune  garçon,  se  tournant  vers  les  assiégeants, 
■chanta  l'appel  aux  armes.  On  fit  feu  des  deux  canons,  char- 
gés l'un  de  poudre  odoriférante  et  l'autre  d'eau  parfumée  : 
le  bruit  de  la  décharge  était  rendu  par  «  un  excellent  concert 
■de  musique  à  l'intérieur  de  la  tranchée.  »   On   amena  de 


LE    CHATEAU    D'AMOLR  43 

jolies  échelles  pour  l'escalade,  et  les  gens  de  pied  jetèrent 
contre  les  murailles  des  fleurs  et  des  bouquets,  avec  des 
devises  appropriées  à  la  circonstance.  L'attaque  dura  jusqu'à 
ce  que  parurent  dans  la  lice,  en  grande  pompe,  les  tenants 
du  château  de  Parfaite  Beauté.  Alors  s'engagèrent  les  joutes, 
qui  se  prolongèrent  pendant  deux  jours  et  que  le  chroni- 
queur compare  aux  batailles  des  Grecs  et  des  Troyens.  Cet 
élégant  tournoi  se  termina,  comme  il  convenait  en  l'occur- 
rence, non  par  la  prise  du  château,  mais  par  la  défaite  et 
l'humble  soumission  des  nourrissons  de  Désir. 

Un  auteur  français  du  dix-septième  siècle,  Vulson  de  la 
Colombière,  qui  a  décrit  un  grand  nombre  de  beaux  carrou- 
sels dans  Le  vray  théâtre  d'honneur  et  de  chevalerie,  publié  à 
Paris  en  1648,  ne  paraît  pas  connaître  le  Château  d'Amour. 
Mais  il  mentionne,  dans  un  passage  qui  vaut  la  peine  d'être 
cité,  l'usage  qu'on  faisait  des  parfums  dans  ces  tournois  à 
plaisance'^''  : 

«  Nous  avons^  dit-il,  plusieurs  autres  Autheurs  Allemans, 
Espagnols  et  Anglois  qui  ont  décrit  divers  Tournois,  Jeux 
de  cannes,  combats  de  Taureaux,  et  autres  jeux  et  scara- 
mouches  qui  se  faisoient  avec  des  balles  ou  pots  de  terre 
tort  légers,  remplis  d'eau  de  senteur  ou  de  poudres  odori- 
férantes, lesquels  l'on  jettoit  les  uns  contre  les  autres  par 
galanterie,  l'attaque  et  la  charge  qui  se  faisoit  de  la  sorte 
estant  très  plaisante.  Le  Dictionaire  Toscan  nomme  ces 
balles  de  terre,  Caroselle,  d'où  quelques-uns  croyent  qu'est 
venu  le  nom  de  Carrosel...  »  Rappelant  une  fête  célébrée  à 
Turin  en  1608  :  «  nous  avons  parlé,  continue-t-il,  d'un 
semblable  combat  qui  se  fit  avec  des  œufs  pleins  d'eau  de 
senteur;  l'on  en  jettoit  aussi  par  galanterie  sur  les  Eschaf- 
fauts  ou  autres  Heux  où  estoient  rangées  les  principales 
Dames...  Ces  pots  de  terre  ou  œufs  qui  estoient  destinez  à 


44  ERNEST   MURET 

estre  jettez  aux  Dames,  estans  attachez  avec  les  plus  beaux 
rubans  ou  galands  qu'on  pouvoit  trouver,  sur  lesquels  le 
nom  et  la  devise  des  Chevaliers  qui  les  jettoient  estoient 
escrits  en  lettres  d'or.  Et  pour  donner  un  contentement 
entier,  et  faire  la  galanterie  parfaite,  les  Dames  ne  trouve- 
ront pas  mauvais  que  je  conseille  aux  Cavaliers  qui  vou- 
dront imiter  toutes  ces  agréables  magnificences,  de  leur  en- 
voyer encore  plusieurs  confitures  par  leurs  Escuyers,  et  par 
leurs  Pages,  afin  que  tous  leurs  sens  jouissent  à  souhait  de 
ce  qui  est  le  plus  capable  de  les  charmer.  » 

Au  quinzième  siècle,  au  quatorzième  principalement,  et 
même  dès  la  fin  du  treizième,  le  siège  du  Château  d'Amour 
est  un  des  sujets  que  les  maîtres  ivoiriers  ont  traité  avec 
prédilection  sur  des  coffrets  ou  au  revers  de  ces  miroirs 
métalliques  dont  se  contentait  la  coquetterie  du  bon  vieux 
temps.  On  connaît  dans  les  collections  publiques  ou  privées 
de  presque  tous  les  pays  d'Europe  une  vingtaine  d'ivoires, 
la  plupart  de  provenance  française,  qui  représentent  quelque 
épisode  de  ce  siège  galant'^.  «Des  chevaliers  armés  de 
pied  en  cap  et  montés  sur  des  chevaux  caparaçonnés  atta- 
quent'^» la  forteresse,  que  défendent  les  dames;  «des 
branches  de  roses  à  la  main,  elles  tentent  des  sorties...  et 
des  roses  sur  leurs  écus,  des  roses  plein  les  machines  de 
guerre  qui  en  bombardent  le  château,  les  chevaliers  tentent 
l'assaut  par  des  échelles  de  corde -*^  »  ou  «  en  se  faisant  la 
courte  échelle^''.»  Au  pied  des  remparts,  on  distingue  par- 
fois «  un  homme  d'armes  qui  remplit  la  cuiller  d'un  man- 
gonneau  de  paquets  de  fleurs^'.  »  Ou  bien,  «  sur  la  plus 
haute  tour,  l'Amour  ailé,  »  couronne  en  tête,  «  plante  des 
flèches  dans  le  cœur  de  deux  des  jeunes  femmes  qui  l'en- 
tourent'^. »  L'issue  ne  saurait  être  douteuse.  «La  résistance 
est  vive,  sans  doute,  mais  point  désespérée  ;  les  chevaliers 


LE    CHATEAU    D'AMOUR  45 

entrent  dans  la  place  et  on  les  voit  sur  les  terrasses  rece- 
voir des  dames  la  juste  récompense  de  leurs  exploits,  tandis 
que  )),  du  haut  du  donjon,  «  le  dieu  d'amour  les  crible  de 
ses  flèches  pour  animer  leur  ardeur-^'.  »  Un  artiste  original 
a  représenté  au  dos  d'un  miroir  la  reddition  du  château  :  les 
dames  introduisent  les  vainqueurs  dans  leur  conquête;  l'une 
d'elles,  qui  tient  une  grosse  clef,  s'apprête  à  leur  ouvrir  la 
porte;  une  autre,  trop  vivement  pressée  par  un  chevalier,  le 
menace  de  la  paume  de  la  main--.  Ailleurs,  comme  dans 
le  carrousel  de  Londres,  les  dames  sont  simples  spectatrices 
d'un  combat  à  la  lance,  livré  à  l'entrée  du  château  par  deux 
chevaliers  bardés  de  fer.  De  chaque  côté,  un  homme  sans 
armes  est  en  train  d'escalader  la  muraille  ;  un  troisième,  déjà 
parvenu  au  terme  de  ses  désirs,  haise  une  dame  sous  les 
yeux  d'Amour-'^.  Dans  ces  petites  compositions  les  ivoiriers 
ont  souvent  déployé  une  verve  merveilleuse  et  fait  preuve 
d'un  art  consommé.  Sur  la  surface  restreinte  qu'ils  avaient 
à  décorer  se  déroulent  des  scènes  variées  ;  une  foule  de 
personnages  se  meuvent  avec  aisance  et  se  mêlent  sans 
confusion.  Une  vie  intense  anime  le  mol  ivoire  aux  tons 
jaunis  par  le  temps. 

A  en  croire  certains  auteurs,  le  même  thème  aurait  été 
quelquefois  répété,  au  treizième  et  au  quatorzième  siècles, 
sur  des  fresques  ou  dans  des  miniatures  de  manuscrits -V 
Mais  le  titre  de  Château  d'Amour  a  été  abusivement  étendu 
à  des  œuvres  d'art  qui  n'ont  qu'un  rapport  très  lointain,  ou 
même  purement  imaginaire,  avec  les  ivoires  décrits  tout  à 
l'heure -5.  Dans  les  scènes  figurées  sur  ces  ivoires,  l'on  a 
prétendu  à  tort  reconnaître  tel  ou  tel  épisode  de  roman,  et 
particulièrement  l'imitation  du  Roman  de  la  Rose.  Les  com- 
bats ou  les  sièges  allégoriques  racontés  dans  le  Roman  de  la 
Rose  et  d'autres  poèmes  du  même  genre,  comme  la  Minne- 


46  ERNEST    MURET 

burg  allemande  ^^,  ont  un  caractère  tout  différent.  A  ma  con- 
naissance, aucun  poète  du  moyen  âge  n'a  raconté  ou  décrit 
un  siège  du  Château  d'Amour.  Ce  n'est  pas  (ou,  du  moins, 
ce  n'est  que  dans  une  faible  mesure)  de  la  poésie  allégorique 
ou  romanesque,  —  mais  de  la  vie  réelle,  des  fêtes  magni- 
fiques et  galantes  de  la  société  féodale  qu'ont  dû  s'inspirer 
les  premiers  artistes  qui  aient  traité  ce  motif  aussi  gracieux 
qu'original.  Nous  en  retrouvons  les  données  essentielles,  le 
siège  soutenu  par  les  dames  et  la  bataille  de  fleurs,  dans  la 
description  d'une  fête  qui  eut  lieu  en  12 14,  à  Trévise,  et 
qu'a  racontée,  avec  un  grand  luxe  de  détails,  dans  sa  chro- 
nique latine  achevée  en  1262,  un  contemporain  de  bonne 
foi,  Orlandino  de  Padoue,  né  en  l'an  de  grâce  1200  et  mort 
en  1276. 

En  ce  temps,  dit-il  -^,  «  fut  ordonnée  dans  la  cité  de  Tré- 
vise une  fête  de  liesse  et  de  soûlas,  à  laquelle  furent  invités 
un  grand  nombre  de  chevaliers  et  de  gens  de  pied  de 
Padoue.  On  convoqua  aussi  pour  l'ornement  de  cette  fête 
une  douzaine  de  dames,  d'entre  les  plus  nobles,  les  plus 
belles  et  les  plus  gaies  qu'il  y  eût  alors  à  Padoue.  L'ordon- 
nance de  cette  fête,  ou,  pour  mieux  dire,  de  ce  jeu,  fut  la 
suivante.  On  fit  un  simulacre  de  château,  dans  lequel  furent 
mises  des  dames,  avec  des  jeunes  filles  ou  damoiselles  qui 
les  servaient  ;  et  toutes  ensemble,  sans  l'aide  d'aucun 
homme,  défendirent  très  bien  le  château.  Ce  château  était 
garni,  en  guise  de  défenses,  de  fourrures  de  vair  et  de  gris,, 
de  satin,  de  pourpre,  de  velours,  d'écarlate,  d'étoftes  de 
Bagdad  et  d'Almeria.  Que  dire  des  couronnes  d'or  enri- 
chies de  chrysolithes  et  d'hyacinthes,  de  topazes  et  d'éme- 
raudes,  de  rubis  et  de  perles  et  de  toute  sorte  d'ornements, 
au  moyen  desquelles  les  têtes  des  dames  furent  prémunies 
contre  l'ardeur  des  assaillants?  Les  projectiles  et  machines 


LE    CHATEAU    D'AMOUR  47- 

de  guerre  qui  servirent  à  la  prise  de  ce  château  étaient  des 
pommes,  des  dattes  et  des  noix  muscades,  des  gâteaux -^,  des 
poires,  des  coings,  des  roses,  des  lys  et  des  violettes,  ainsi 
que  des  fioles  de  baume...  et  d'eau  de  rose,  de  l'ambre,  du 
camphre^  du  cardamome,  du  ciname,  des  clous  de  girofle... 
en  un  mot  tous  les  genres  de  fleurs  et  d'épices  qui  ont  du 
parfum  ou  de  l'éclat.  »  Le  chroniqueur  ne  nous  dit  pas 
expressément  que  les  attaquants  fussent  des  hommes  ;  mais 
cela  ressort  clairement  de  la  fin  du  récit.  «  A  ce  jeu  prirent 
part  beaucoup  de  Vénitiens  et  encore  plus  de  dames  véni- 
tiennes, venues  pour  faire  honneur  à  la  fête.  Portant  avec 
eux  le  magnifique  étendard  de  Saint-Marc,  ils  combattirent 
avec  habileté  et  avec  élégance...  Tandis,  cependant,  que  les 
Vénitiens  rivalisaient  au  jeu  avec  les  Padouans  à  qui  péné- 
trerait le  premier  par  la  porte  du  château,  une  querelle  s'en- 
suivit. » 

Comme  en  des  temps  plus  rapprochés  de  nous,  la  litté- 
rature et  la  société  françaises  étaient,  aux  alentours  de  l'an 
12 14,  le  modèle  qu'on  imitait  dans  les  pays  voisins.  Les 
troubadours  étaient  accueillis  à  bras  ouverts  dans  les  cours 
seigneuriales  du  nord  de  l'Italie,  et  jusqu'à  Dante  des  poètes 
italiens  ont  chanté  leurs  haines  et  leurs  amours  dans  la 
langue  poétique  du  midi  de  la  France,  la  langue  d'oc  ou  le 
provençal.  La  galanterie  et  les  armes  étaient  les  occupations 
favorites  de  cette  brillante  société  chevaleresque  et  les  thè- 
mes préférés  de  la  poésie  à  la  mode.  Quelles  suggestions 
les  Trévisans  ont-ils  pu  recevoir,  pour  leur  tournoi  galant, 
de  la  poésie  contemporaine  ou  antérieure  ?  Ami  du  marquis 
gibelin  de  Montferrat,  adorateur  attitré  de  sa  fille  Béatrice, 
le  troubadour  Raimbaut  de  Vaqueiras  la  représentait,  dans 
un  brillant  poème  -",  attaquée  par  une  foule  de  dames,  ja- 
louses de  sa  beauté  et  de  son  «  prix  »,  et  repoussant  victo- 


48  ERNEST   MURET 

rieusement  les  furieux  assauts  de  «  la  commune  des  vieilles  », 
qu'accompagne  au  combat  le  symbolique  carroccio,  devenu 
fameux  dans  les  luttes  de  la  Ligue  lombarde  contre  l'empe- 
reur Frédéric  Barberousse.  «  Batailles  de  dames  »,  égale- 
ment, ces  quatre  poèmes  français,  du  genre  énumératif, 
trop  goûté  au  moyen  âge,  qui  sont  intitulés  Toiirnoienient 
des  dames'^^.  Ces  héroïnes  de  joutes  imaginaires  sont  sœurs 
des  antiques  Amazones  que  plus  d'un  roman,  et  non  des 
moins  en  vogue,  mettait  aux  prises  avec  des  guerriers  du 
sexe  fort^^  Siège  de  dames,  enfin,  par  d'illustres  chevaliers, 
—  mais  non  siège  pour  rire,  —  dans  ce  bizarre  épisode  de 
la  Chanson  des  Saxons,  où  l'on  voit  les  femmes  infidèles  des 
barons  de  Charlemagne  tenir  tête  à  l'armée  des  maris  dans 
le  château  de  Saint-Herbert  ! 

Ainsi  rattaché  à  la  poésie  lyrique  et  narrative  florissante 
au  même  temps,  le  brillant  spectacle  auquel  Vénitiens  et 
Padouans  furent  conviés  par  la  ville  de  Trévise  nous  offre 
une  ingénieuse  et  élégante  variété  de  ce  jeu  militaire  qui 
consistait  dans  le  simulacre  d'un  siège  et  qui  s'est  perpétué 
jusqu'au  dix-neuvième  siècle  dans  les  hiuneries  vaudoises. 
Le  château  construit  pour  cette  fête  aurait  pu  s'appeler  le 
Château  des  Dames,  ou  bien,  d'un  nom  emprunté  aux  ro- 
mans de  la  Table  Ronde,  le  Château  des  Pucelles,  ou  bien 
encore,  d'un  nom  qui  est  mentionné  en  Angleterre,  le  Châ- 
teau des  Roses.  Mais  ce  n'est  pas  encore  le  Château  d'Amour 
des  ivoires  postérieurs  et  de  la  chanson  recueillie  par  le 
doyen  Bridel.  Il  y  manque  un  élément  essentiel  des  repré- 
sentations artistiques  du  siège  galant.  Sur  la  plupart  des 
ivoires  à  moi  connus  trône  au  sommet  des  créneaux  un 
personnage  ailé  et  couronné,  qu'un  naïf  Anglais  a  bonnement 
pris  pour  un  ange^^  et  qui  n'est  autre  qu'Amour  lui-même, 
encore  armé  des  flèches  du  Cupidon  antique.  Rien  ne  donne 


LE    CHATEAU   D'AMOUR  49 

à  penser  que  le  château  décrit  avec  tant  de  complaisance 
par  Orlandino  fût  déjà  conçu  comme  la  demeure  du  dieu 
d'amour.  Cette  conception  du  Château  des  Roses  est  sans 
doute  un  peu  plus  récente.  On  s'explique  très  bien  comment 
elle  a  dû  se  former,  au  cours  du  treizième  siècle,  sous  l'in- 
fluence de  cette  poésie  allégorique,  alors  à  son  apogée,  où 
le  moyen  âge  prenait  un  si  vif  plaisir  et  dont  le  Roman  de 
la  Rose  est  l'œuvre  capitale. 

La  poésie  des  Romains  s'était  déjà  complue  à  la  descrip- 
tion de  palais  mythologiques  et  allégoriques  :  Claudien  et 
Sidoine  Apollinaire  avaient  décrit  celui  de  Vénus.  Dans  une 
célèbre  chanson  allégorique,  composée  au  plus  tard  en 
1204  par  le  troubadour  catalan  Guiraut  de  Calanson^^  et 
subtilement  glosée  à  la  fin  du  même  siècle  par  Guiraut 
Riquier,  une  strophe  est  consacrée  au  palais  d'Amour,  qui 
est  ici  du  genre  féminin,  comme  la  Vénus  antique  et  la 
Fraii  Minne  des  poètes  allemands,  et  qui  est  dépeinte 
volant  par  les  airs  et  couronnée  d'or  ; 

«  En  son  palais,  où  elle  va  reposer,  il  y  a  cinq  portes, 
et  celui  qui  a  pu  en  ouvrir  deux  franchit  aisément  les  trois 
autres;  mais  il  n'en  sort  qu'avec  difficulté.  Qui  peut  y 
demeurer  vit  dans  la  joie.  On  y  monte  par  quatre  degrés 
très  accessibles.  Mais  il  n'y  entre  ni  vilain  ni  malappris. 
Ceux-là  sont  hébergés  avec  les  trompeurs  dans  le  faubourg, 
qui  tient  plus  de  la  moitié  du  monde.  » 

L'idée  même  du  palais  d'Amour,  que  Guiraut  Riquier 
identifie  avec  la  personne  aimée,  est  sans  doute  empruntée 
à  la  poésie  latine.  Mais,  pour  le  poète  du  moyen  âge,  le 
palais  se  confond  avec  la  demeure  seigneuriale,  qui  est  la 
partie  principale  du  château  féodal.  Le  «  château  »  qu'ha- 
bite Amour  est  décrit  pour  la  première  fois,  très  briève- 


50  ERNEST   MURET 

ment,  dans  un  poème  composé  au  midi  de  la  France,  pro- 
bablement dans  les  premières  années  du  treizième  siècle,  et 
intitulé  par  son  éditeur  La  Cour  d'Amour  :  «  Au  sommet 
du  mont  du  Parnassus,  »  au  milieu  d'un  magnifique  jardin, 
s'élève  un  «  château,  le  plus  beau  qu'on  ait  jamais  vu,  car 
il  n'y  a  pa§  une  pierre  des  murailles  qui  ne  resplendisse 
comme  de  l'or  et  de  l'azur.  De  là  on  mène  la  guerre  contre 
vilenie.  Les  clefs  sont  mérite  et  privante...  »  Vers  le  milieu 
du  siècle,  un  troubadour  italien  s'est  amusé  à  bâtir  avec  des 
allégories  un  élégant  Château  d'Amour,  que  le  temps  n'a 
malheureusement  pas  assez  épargné  3*.  Sur  le  même  thème 
il  y  a  un  joli  poème  français  par  demandes  et  réponses  ^^  : 

Du  castel  d'Amours  vous  demanch 
Le  premier  fondement. 

Amer  loialment. 
Après  nommés  h  maistre  mur 
Oui  plus  le  fait  fort  et  seiïr  ". 

Cheler^  sagement.  . 
Dites  moi  qui  sont  H  crestel  '^, 
Les  sajetes  '^  e  li  quarrel  \ 

Rewarder  eii  atemprant  f. 
Je  vous  demanc  qui  est  li  clés 
Oui  le  porte  puet  deffremer^. 

Priier  sagement. 
Nommés  la  sale  e  le  manoir 
U^'  on  puet  premiers  joie  avoir. 

Accueillir  douchement  '. 

a)  Sûr.  —  h)  Celer,  dissimuler.  —  c)  Créneaux.  —  d)  Flèches.  — 
e)  Carreaux  d'arbalète.  —  /)  Regarder  avec  discrétion.  —  g)  Peut 
ouvrir.  —  /;)  Ou.  —  i)  Doucement. 

Qu'en  des  cerveaux  nourris  d'une  semblable  poésie 
l'idée,  un  beau  jour,  ait  surgi  d'identifier  avec  le  château 


LE    CHATEAU    D'AMOUR  51 

d'Amour  allégorique  la  forteresse  défendue  par  des  dames 
et  assaillie  par  des  chevaliers  dans  une  bataille  de  fleurs, 
l'on  ne  saurait  en  être  surpris.  Cette  identification,  réa- 
lisée sur  l'ivoire  dès  la  fin  du  treizième  siècle,  s'est-elle 
d'abord  produite  dans  quelque  fête  chevaleresque  dont 
aucune  chronique  n'a  gardé  le  souvenir,  ou  bien  sous  la 
main  habile  de  quelque  ingénieux  artiste  en  train  de 
décorer  un  coffret  ou  un  miroir?  L'une  et  l'autre  supposi- 
tion sont  permises.  Mais,  si  une  telle  innovation  fût  restée 
confinée  dans  le  domaine  des  arts  plastiques,  si  elle  n'eût 
trouvé  un  favorable  accueil  dans  le  langage  et  les  plaisirs 
de  la  société  élégante,  jamais,  sans  doute,  on  n'aurait  vu 
les  chevaliers  de  la  reine  Elisabeth  défendre  contre  les 
assauts  de  Désir  la  citadelle  de  Parfaite  Beauté.  Jamais,  à 
coup  sûr,  —  tant  la  survivance  des  idées  et  des  usages  des 
classes  supérieures  forme  un  élément  essentiel  de  la  tradi- 
tion populaire,  de  «  l'âme  populaire  »  !  —  jamais,  à  travers 
les  riants  coteaux  vaudois,  au  temps  heureux  où  les  travaux 
de  la  campagne  s'accompagnaient  de  perpétuelles  chansons, 
n'eût  volé  de  bouche  en  bouche  et  de  bande  en  bande  le 
joli  refrain  noté  par  le  doyen  Bridel  et  repris  par  M.  Baud- 

Bovy  : 

Château  d'amour,  te  veux-tu  rendre. 

Veux-tu  te  rendre  ou  tenir  bon  1 

Ernest  Muret. 


NOTES      • 

1.  Pour  que  !j  mesure  du  vers  soit  juste,  il  faut  élider  le  te  ou  sup- 
primer le  pas. 

2.  J'ai  déplacé  la  virgule,  qui.  dans  le  texte  de  Bridol,  se  trouve  non 
avant,  mais  après  le  mot  incendié. 

3.  Conservateur  Suisse,  t.  V,  pp.  429  ss.,  à  la  suite  de  l'article  sur  Le 
Siège  du  Clidtedu  d'amour  (pp.  425-428),  qui  seul  est  signé  des  initiales 


52  ERNEST   MURET 

P.  B.  Dans  mes  citations,  je  me  suis  conformé  à  l'orthographe  et  à  la 
ponctuation  du  Conservateur^  les  Etrennes  étant  très  mal  imprimées. 

4.  Daniel  Baud-Bovy,  Le  Château  d'Amour.  Fête  suisse.  Musique  de 
H.  Bovy.  Genève,  1897. 

5.  MM.  J.  Reichlen,  à  Fribourg,  et  A.  Bovet,  à  Gruyères,  et,  par 
leur  entremise  obligeante,  MM.  F.  Reichlen,  Léon  Remy,  l'abbé 
Ducrest,  et  les  deux  archivistes  fribourgeois,  MM.  Schneuwly  et  Rsemy. 

6.  Conteur  Vaudois,  1880,  n"  23,  p.  3.  Dans  un  article  publié  en  1885 
par  le  même  journal  (n»  18)  sur  le  Château  d'Amour,  on  n'a  fait  que 
démarquer  celui  du  doyen  Bridel. 

7.  Copie  communiquée  à  M.  Jeanjaquet  par  M.  Albert  Henry,  à 
Cortaillod. 

8.  lomel,  p.  387. 

9.  Trad.  L.  d'Hervey  de  Saint-Denis  (Paris,  1849),  !>  P-  37- 

10.  Tome  II,  p.  407,  art.  Behourt. 

11.  Bulletin  du  Glossaire  des  patois,  1907,  p.  13,  §  9. 

12.  Variantes  françaises  et  neuchâteloises  dans  les  deux  recueils  du 
regretté  Alfred  Godet,  Chansons  de  nos  grand'mères  (ire  éd.),  p.  28,  et 
Echos  du  bon  vieux  temps,  p.  49.  Une  version  bagnarde  a  été  publiée 
par  M.  L.  Courthion  dans  les  Archives  Suisses  des  traditions  populaires, 
t.  I,  p.  226  C'est  M.  S.  Singer  qui  a  attiré  mon  attention  sur  cette 
chanson,  aussi  bien  que  sur  les  poèmes  allemands  du  Rosengarlen  et  de 
la  Minneburg,  dont  il  sera  question  plus  loin.  Je  suis  redevable  d'autres 
précieuses  indications  à  MM.  E.-A.  Stùckelberg,  F.  De  Crue  et 
L.  Gauchat. 

13.  «  Item  dum  erat  proxima  feria  secunda  post  diem  penthecostes  fuerat 
hic  ludus  ante  consistorimn  von  dem  Rosengarden...  »  Mention  tirée  des 
comptes  du  conseil  de  Langensalza,  en  1381,  par  Jacobs,  Rosengarten 
im  deulschen  Lied,  Land  und  Branche  (Halle,  1897). 

14.  Tome  II,  pp.  23-221,  et  compte  rendu  du  colonel  Ed.  Secretan, 
dans  la  Galette  de  Lausanne  du  10  octobre  1904. 

15.  Pages  184-187,  sans  indication  de  provenance. 

16.  Holinshed,  Chronicles  of  England,  Scotland  and  Ireland  (1587), 
t.  III,  pp.  1315-1332.  Je  dois  la  connaissance  de  ce  texte  à  l'obligeance 
de  M.  Alfred  Nutt,  qui  a  bien  voulu  le  faire  copier  pour  moi  au  British 
Muséum.  Dans  l'édition  de  1808,  il  occupe  les  pages  435-44S  du  t.  IV. 

17.  Tome  I,  p.  528. 

18.  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  Comptes  rendus  des 
séances  de  l'année  189^,  p.  1 5  :  «  M.  Mùntz  lit  un  mémoire  intitulé  V Icono- 
graphie du  Roman  de  la  Rose.  »  Il  «  ne  signale  pas  moins  d'une  vingtaine 
d'ivoires  du  xive  et  du  xve  siècle  représentant  le  Siège  du  Château 
d' Amour.  »  La  plupart  sont  énumérés  dans  les  deux  articles  signalés 
ci-après  (notes  19  et  20),  dont  les  curieux  pourront  compléter,  contrôler 
ou  corriger  les  indications,  en  consultant  :  Pulzky,   Fejervary  Ivories 


LE    CHATEAU   D'AMOUR  53 

(Liverpool,  1856),  n°  47,  le  Catalogue  de  l'Exposition  rétrospective  de 
l'art  français  des  origines  à  1800  (Paris,  1900),  no*  155,  1 59-161  et  165, 
et  mes  notes  21,  22,  23,  24,  25  et  27. 

19.  Ivoire  de  la  collection  Arconati-Visconti,  décrit  et  reproduit  par 
M.  Marquet  de  Vasselot,  dans  la  revue  Les  Arts,  1903,  no  20,  pp.  10 
et  12. 

20.  R.  Kœchlin,  Les  ivoires  gothiques,  t.  II,  fe  partie,  p.  494,  de  la 
grande  Histoire  de  l'art  publiée  sous  la  direction  de  M.  André  Michel. 

21.  Coffret  en  os  du  musée  de  Boulogne-sur-Mer,  décrit  et  reproduit 
par  Viollet-le-Duc,  dans  son  article  Behourt  déjà  cité  à  la  note  10. 

22.  Hefner-Alteneck ,  Costumes,  œuvres  d'art  et  ustensiles,  trad.  de 
l'allemand  (Francfort  s.  M.,  1880-97),  t.  III,  pi.  153.  Sous  le  même 
numéro  et  sous  les  numéros  156  et  161  (celui-ci  décrit  par  M.  Kœchlin), 
on  trouvera  d'autres  représentations  du  Siège.  La  sculpture  reproduite 
au  n"  156  est  peinte  et  dorée. 

23.  P.  Lacroix,  Vie  militaire  et  religieuse  au  moyeu  âge  et  à  l'éfoque  de 
la  Renaissance  (Paris,  1873),  p  176,  fig.  134:  «Le  prix  du  tournoi, 
d'après  un  couvercle  de  miroir  sculpté  en  ivoire.  Fin  du  treizième 
siècle.  ))  La  présence  d'Amour  ne  permet  pas  d'accepter  cette  interpré- 
tation. On  regrette  que  la  provenance  de  cette  pièce  ne  soit  pas  indiquée. 

24.  Hefner-Alteneck,  pi.  161.  Fr.  Michel,  au  t.  II  de  son  édition  de 
la  Chanson  des  Saxons  de  Jean  Bodel,  pp.  192-193,  mentionne,  à  propos 
des  laisses  77-79  du  poème,  dont  il  sera  question  plus  loin  (p.  22), 
non  seulement  «  les  sculptures  d'un  coffret  d'ivoire  appartenant  à 
Sir  Samuel  Rush  Meyrick  et...  décrit  par  son  possesseur  »,  mais  éga- 
lement «  une  miniature  du  célèbre  ms.  Louterell,  qui  représente  un 
château  défendu  par  des  dames  armées  de  roses,  et  assiégé  par  des 
chevaliers  couverts  de  leur  armure...  »  Je  n'ai,  malheureusement,  pas 
réussi  à  apprendre  ce  que  c'est  que  «  le  célèbre  manuscrit  Louterell  ». 

25.  Par  exemple,  les  ivoires  nos  ^j  et  94  du  Catalogue  de  la  collection 
Spitzer  (dont  la  fausse  attribution  me  rend  également  suspect  le  no  1 14), 
et  la  fresque  de  la  maison  Zur  Zinne,  à  Diessenhofen  (canton  de  Thur- 
govie),  décrite  par  MM.  R.  Durrer  et  R.  Wegeli,  dans  les  Mitlheilungen 
der  Antiquarischen  Gesellschaft  in  Zurich,  t.  XXIV,  fasc.  6,  p.  277  (cf. 
pi.  vin  F). 

26.  Ehrismann,  Untersiichungen  t'iber  das  mhd.  Gedicht  von  der  Miune- 
bur^,  dans  les  Beitrâge  ^ur  Geschiclte  der  deutschen  Sprache  und  Literatur, 
t.  XXII. 

27.  Rolandi  Patavini  Chronica(^Monumeuta  Germanicv,  Scriptores.XIX), 
lib.  I,  pp.  45-46.  Ce  texte  difficile,  déjà  auparavant  signalé  par  Diez,  a 
été  traduit  en  allemand  par  M.  A.  Schultz,  au  tome  I,  p.  578,  de  son  ou- 
vrage classique,  Das  hofische  Lehen  ■:iur  Zeit  der  Minuesinger  {2^  éd.; 
Leipzig,  1889).  A  la  page  précédente,  M.  Schultz  a  reproduit  un  ivoire 
du  couvent  de  Reun,  en  Carinthie,  qui  représente  le  siège  du  Château 


54  ERNEST   MURET 

d'Amour,    et   il   en    mentionne   encore,  d'autres   dans    les   notes   des 
pages  232  et  233. 

28.  Littéralement,  «  de  petites  tourtes  »  {tortellis),  suivant  la  défini- 
tion de  ce  mot  donnée  par  Papias  (Ducange,  i.  Torta)  :  a  Artocrea 
punis  carnem  continens,  vulgo  Tortella.  »  Mais  je  crois  plutôt  qu'il  s'agit 
de  pâtisseries  légères,  de  forme  ronde  ou  annulaire,  comme  les  gim- 
blettes  ou  ces  pains  qu'on  appelle  en  Savoie  et  en  Suisse  «  couronnes  » 
ou  «torches».  Sur  quelques  ivoires,  notamment  ceux  qu'ont  publiés 
M.  Schultz  et  Lacroix  (n.  23),  on  voit  aux  mains  des  dames  assiégées 
des  sortes  d'anneaux  ou  de  bourrelets  circulaires,  dans  lesquels  je  ne 
puis  reconnaître  des  couronnes  de  fleurs  et  qui  pourraient  bien  être  les 
tortella  de  notre  texte. 

29.  Publié,  en  dernier  lieu,  dans  la  Chrestomathie  provençale  de  Bartsch, 
6e  édition,  refondue  par  Ed.  Koschwitz  (Marburg,  1903-1904),  col.  140, 
et  dans  le  Maimaletto  provenzale  de  M.  V.  Crescini,  2^  édition  (Vérone 
et  Padoue,  1905),  p.  281.  Si  l'on  avait  accordé  plus  d'attention  aux 
allusions  politiques  contenues  dans  cette  pièce,  personne  ne  se  serait 
avisé  d'y  reconnaître  un  exemplaire  unique  d'un  genre  poétique  dé- 
nommé carros  ou  carrousel. 

30.  Jeanroy,  Notes  sur  le  Tournoienmit  des  dames,  dans  la  Romatiia, 
t.  XXVIII,  p.  232. 

31.  Romans  de  Troie  et  d'Alexandre,  du  xii^  siècle. 

32.  S.  Rush  Meyrick,  dans  sa  description  du  coffret  mentionné  plus 
haut  (n.  24),  d'après  Fr.  Michel.  C'est  le  même  qui  nous  apprend  que 
le  Château  d'Amour  «  was  also  termed  the  Castle  of  Roses.  »  Ce  texte 
a  été  traduit  par  Fr.  Michel  dans  l'introduction  de  son  édition  du 
Roman  de  la  Rose,  t.  I,  p.  lvi,  n.  i. 

3  3 .  Dammann,  Die  allegorische  Can:(one  des  Giiiraiit  de  Calanso  A  leis 
oui  am  de  cor  e  de  saber  und  ihre  Deutung.  Breslau,  1891. 

34.  A.  Thomas,  Chaste!  d'Amors,  fragment  d'un  poème  provençal, 
dans  les  Annales  du  Midi,  1. 1,  pp.  183  ss.  A  la  page  187,  il  est  parlé  de 
la  Cour  d'Amour,  publiée  en  1882  par  M.  L.  Constans. 

35.  Fragments  d'une  anthologie  picarde  (xiiie  siècle),  publiés  par 
A.  Boucherie,  dans  la  Revue  des  langues  romanes,  t.  III  (1872),  p.  322. 
Ce  poème  «  est  plus  connu  sous  le  nom  de  Demandes  d'amour,  »  à  ce 
que  m'écrit  M.  A.'  Piaget,  qui  m'en  signale  des  variantes  dans  trois 
manuscrits  d'Angleterre,  l'une  publiée  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des 
Anciens  textes  français,  1875,  pp.  25-26. 


TEXFES 

— î— 

I.  On-na  dzôrnâ  dé  péts  a  Sudzi. 

Description  en  patois   de  Sugiez   (Vully  fribourgeois'). 

L9  pétchb  inpouè::^é  sa  Ityèta  aoiii  Vépouèjo.  Vp  prè  sa 
pâla,  sa  trubya,  sa  pèrts.  Préparé  sé-::^  étôlé,  se  karfèré,  sé-^ 
étalé  a  palâyé,  sé-:(^  éiôlé  dé  treté,  lé  porté  a  sa  Ityéta  tsiï  l  grè. 
Lé-:^  ôtré,  lé  mé  ddè  son  banyblé.  Inpè  sa  Ityéta  par  parti; 
prè  sa  pâla  pbr  palèyi.  Prè  sa  kapa,  la  tsanpé  par  ouéti  dé 
tyin  kôté  Savante  s'é  :(o  vdri.  «  Aha,  s'a  V9ri  dô  kôté  dô  lé 
dé.  Mbra  ;  bon  !  fô  alâ  dé  si  kôté  !  »  Yp  va  ô  koula  d  la 
Kabiits.  Kan  lé  arvà  lé,  tô  bud:(jvé  dé  karf°  k  armavan,  tan 
kp  se  je  lé  pouan  môtrâ.  Vp  prè  sé-i^  étôlé,  lé-^   étatsé  tb-t 

TRADUCTION 

Une  journée  de  pêche  à  Sugiez. 

Le  pêcheur  vide  l'eau  de  son  hateau  de  pêche  ^  avec  l'épui- 
sette.  Il  prend  sa  rame,  sa  truble  -,  sa  perche  (pour  battre  et 
remuer  l'eau).  Il  prépare  ses  filets,  ses  filets  à  carpes,  ses  filets 
à  palées  et  ses  filets  à  truites,  les  porte  à  son  bateau  sur  le 
réservoir  à  poissons.  Les  autres,  il  les  met  dans  son  baquet.  Il 
pousse  son  bateau  pour  partir,  prend  sa  rame  pour  ramer.  Il 
prend  sa  casquette,  la  jette  en  l'air  pour  voir  de  quel  côté  la 
visière  s'est  tournée  (<^  s'est  eu  tournée  »).  Aha,  elle  s'est 
tournée  du  côté  du  lac  de  Morat  ;  bon  !  Il  faut  aller  de  ce 
côté-là  3  !  Il  va  à  la  partie  de  l'entrée  du  lac  nommée  de  la 
«  Kabuts.  » 


^  Je  me  suis  borné  à  transcrire  les  phrases  telles  que  me  les  dictait 
un  vieux  pêcheur,  sans  exercer  aucune  influence  sur  son  style.  Le 
patois  est  déjà  très  contaminé,  et  je  ne  puis  garantir  toutes  les  formes. 


56  E.    FROMAIGEAT 

insinbyo  par  ¥minsi  dé  chèdr  ti  sô  harf^.  Yp  prè  sa  trubya, 
l  a  brasâ,  pbr  U  trubya,  é  lé  oiiidé  ô  fon  dé  sa  Uyèîa,  kantyé 
k  l  a  yu  k  in-d  avè  par  inpyi  son  gré.  L  a  rètrà  de  sa  Ityèta, 
l  a  ôvri  son  grè,  l  a  inpyi  kantyé  ô  k^viky^. 

L  a  rpprè  sa  fouèny\  in-d  a  fouényi,  k  in-d  a  inpyi  di  l 
grè  kanty  ô  nâ.  Lé  ^alà  h  Ion  dé  sé-:^  étalé,  in-d  avè  on-na 
dyurlây,  k  in-d  a  inpyi  sa  liyèta  kantyé  ô  niintin  (presque 
mète)  dé  kôrbé,  di  l  fron  dô  grè  kanty  ô  tyu.  Vp  vè  d  l  ouvra, 
l  a  fayu  se  dépaisi  dé  leva  sé-:^  étôlé,  par  poué  fotr  l  kan, 
dévan  tyé  l  vè  vinyé  tni  fb*',  pbr  kp  pouçyé  alà  se  gara  a-n- 
on kâro,  pbr  pa  vni  ra:(à,  é  k  se  péchon  n  eyon  pâ  ti  fôtii 
l  kan.  L  a  atèdu  on  mbniè,  l'ouvra  l  a  kalà,  l  a  tb  balaniè 
pu  se  dégarà  pbr  poué  vni  kontr  Vôtô. 

Quand  il  est  arrivé  là,  tout  bougeait  de  carpes  qui  frayaient, 
aussi  loin  que  ses  yeux  lui  pouvaient  montrer.  II  prend  ses 
filets,  les  attache  tous  ensemble  pour  commencer  à  entourer 
toutes  ses  carpes.  Il  prend  son  filet  à  manche, Jl  est  allé  dans 
l'eau  jusqu'aux  genoux,  pour  les  chasser  (avec  le  fileta  manche) 
dans  les  grands  filets,  et  les  vide  au  fond  de  son  bateau  jusqu'à 
ce  qu'il  a  vu  qu'il  y  en  avait  (assez)  pour  remplir  le  vivier  de 
son  bateau.  Il  est  rentré  dans  son  bateau,  il  a  ouvert  le  vivier, 
l'a  rempli  jusqu'au  couvercle. 

Il  a  pris  ensuite  son  harpon  *  et  en  a  accroché  (tant)  qu'il  en 
a  rempli  du  vivier  jusqu'au  bout  du  bateau.  Il  est  allé  le  long 
de  ses  filets,  il  y  en  avait  une  quantité  (telle)  qu'il  en  a  rempli 
son  bateau  jusqu'à  mi-hauteur  des  courbes,  du  devant  du  ré- 
servoir jusqu'à  l'arrière  du  bateau.  Il  vient  du  vent,  il  a  fallu 
se  dépêcher  de  lever  les  filets  pour  pouvoir  partir  avant  que  le 
vent  ne  vienne  trop  fort,  pour  qu'il  (le  pêcheur)  puisse  aller  se 
mettre  à  l'abri,  dans  un  coin,  afin  que  l'eau  ne  vienne  pas  à 
fleur  du  bateau,  et  que  tous  ses  poissons  ne  se  sauvent  pas.  Il  a 
attendu  un  moment,  le  vent  est  tombé,  il  a  pu  tranquillement 
quitter  son  abri  pour  s'en  retourner  à  la  maison. 


ON-NA    DZÔRKÂ    DÉ   PÈTS   A    SUDZI  57" 

Vp  vin  ô  par,  y'étatsé  sa  Ityéta,  vè  demanda  sa  féna  : 
((  Porta  lé-^  étôlé  a  l'épantcho  par  lé-:(  inpantsi.  Dabbr  kan 
l  vè  kabré,  vu  aJâ  à  Montlyi  vèdr  lé  péchon.  »  La  féna  le  di  : 
«  T  in-d  a  7^0,  dé  karf°,  sîi  yàd^o  !  » 

Dévan  l  désétsmè,  la  péls  rapôrtâvé  topyin  d'ard^è.  On 
poiiè  pétsi  août  lé  nqsé,  lé  bèrfou  é  la  fonény.  La  nqsa  été  fèt 
in  vtir^i  aoui  dé  lyiré.  L  péchon  alâvé  ddè  pè  l  gôhron,  in- 
tràvé  dé  la  nasa,  nd  poiiè  pà  rfrb.  Par  leva  la  nasa,  on  la 
prènyè  pè  l  kbrdon  aoui  la  nply^  d  la  pâla.  On-n  ôvrivé  la 
porta,  la  vrivé  pbr  kp  lé  péchon  pouçyon  sorti.  L  bèrfou  été 
fabrikâ  kmè  la  nasa,  aoui  dô  fi.  L  avè  don  gôléron  :  b  pprmi 
été  l  gôbron  d  l  intrdy,  b  ségon  été  l  gôbron  dé  surtâ,  ô  mintin 
(mèlè).  On  lévâvé  l  bèrfou  é  on  détatsivè  la  iyua  pbr  sbrti  lé 
péchon.  La  fonény  l  a  ché  fôrts^lyon  aoui  dé  rakrô  pbr  tpni  l 
péchon,  b  mand:^,  la  dôly  aoui  on  perte  pbr  inkyoulâ  l  mand:!^. 

Il  vient  au  port,  il  attache  son  bateau,  il  va  chercher  sa 
femme:  «Porte  les  filets  à  l'étendage  pour  les  suspendre.  Aus- 
sitôt que  le  vent  tombera,  j'irai  à  Montilier^  vendre  le  poisson.  » 
La  femme  lui  dit  :  «  Tu  en  as  eu,  des  carpes,  cette  fois  !  » 

A-vant  le  dessèchement''*,  la  pêche  rapportait  beaucoup  d'ar- 
gent. On  pouvait  pêcher  avec  les  nasses  (d'osier),  avec  les 
nasses  de  fil  et  le  harpon.  La  nasse  était  faite  d'osiers  avec  des 
cercles  pour  les  tenir  ensemble.  Le  poisson  pe'nétrait  par  l'em- 
bouchure, entrait  dans  la  nasse,  ne  pouvait  pas  ressortir  (////. 
re-dehors).  Pour  lever  la  nasse,  on  la  prenait  par  le  cordon, 
avec  la  poignée  de  la  rame.  On  ouvrait  la  porte,  la  retournait 
(la  nasse)  afin  que  les  poissons  puissent  sortir.  Le  «  bèrfou  » 
était  fabriqué  comme  la  nasse  (mais)  avec  du  fil.  Il  avait  deux 
embouchures.  La  première  pour  l'entrée,  la  seconde  de  sûreté,, 
au  milieu.  On  levait  le  «  bèrfou  »  et  on  détachait  la  partie  pos- 
térieure pour  retirer  les  poissons.  Le  harpon  a  six  dents  avec 
des  crochets  pour  retenir  le  poisson,  le  manche,  la  douille  avec 
un  trou  pour  clouer  le  manche. 


58  E.    FROMAIGEAT 

Orci  on  pô  pâ  nié  pétsi  tyè  aoui  lé-:(  éîôlé  honjormé  a  la 
loua.  L  an  prbihâ  iôpyin  dé-:{  éiôlé  :  la  rond:(inr,  la  bondalîr, 
la  férèyîr.  On  pô  ankôra  servi  la  rtorsa,  la  karfer,  la  pa- 
lèyç/^a,  la  mày  dé  sin  kâr,  la  niây  d  na  livra,  Vétôla  dé  dnii 
livra. 

Lé  navé  pbr  pétsi  sou  :  l  grô  navé  par  katr  dé  là,  h  navyô 
par  don  dé  là  é  la  Ityéia  a  grè  par  yon  sole.  La  Ityèta  dé  tsès 
l  a  rè  dé  grè.  La  l  nâ  fèdu  pbr  mètr  la  kanardyér,  h  bantsé 
dé  dévan  pbr  poué  épôlâ,  l  bantsé  dô  mintin  (mité)  pbr  poué 
s'astà,  lé  palété  pbr  aprbtsi,  la  halamita  pôr  se  débarboiilyi 
kan  on-n  é  ddè  lé  nyçlé  borné. 

Maintenant  on  ne  peut  plus  pêcher  qu'avec  les  filets  con- 
formes à  la  loi.  On  a  défendu  beaucoup  de  filets  :  le  filet  à  van- 
nerons, à  bondelles,à  feras.  On  peut  encore  se  servir:  du  grand 
filet,  du  filet  à  carpes,  de  celui  à  pale'es,  de  5/^,  de  i  livre,  de 
1/2  livre. 

Les  bateaux  de  pêche  sont:  le  grand  bateau  pour  quatre 
personnes  (////.  de  leur)"^,  celui  pour  deux  personnes  et  le  petit 
bateau  à  réservoir  pour  une  seule  personne.  Le  bateau  de 
chasse  n'a  pas  de  vivier.  Il  a  la  pointe  fendue  pour  mettre  la 
canardière,  le  banc  de  devant  pour  pouvoir  épauler,  le  banc  du 
milieu  pour  s'asseoir,  les  petites  rames  pour  s'approcher  (du 
gibier  3),  la  boussole  pour  se  tirer  d'affaire  quand  on  est  dans 
les  brouillards  épais  ^. 


E.  FROMAIGEAT. 


NOTES 


'  La  Ityéta  est  le  bateau  de  pêche  à  une  place  ;  les  parties  sont  ; 
b  nâ  (ou  U)  =  la  pointe,  h  grè  =  le  vivier  qui  se  trouve  au  bout  du 
bateau,  \e  bantsé  =  le  banc,  lê-i  épondé  =  les  parties  latérales,  1  fon 
=  le  fond,  Je  kçrbé  =  les  courbes  qui  relient  les  planches  latérales  et 
■celles  du  fond.  Entre  les  deux  courbes  du  milieu  s'emboîte  h  poyalé, 
pièce  de  bois  munie  d'un  anneau  où  se  fixe  la  pcda,  la  rame,  dont  les 
parties  sont  h  pabron,  c'est-à-dire  la  partie  large  du  bout,  h  mandio 
=:  le  manche  et  la  mlys  =  la  poignée.  L'arrière  du  bateau  se  nomme 


ON-NA   DZÔRXa    DÈ   PÉTS    A    SUDZI  59 

.b  tyii  (cul).  Les  planches  qui  couvrent  le  vivier  sont  h  kn.'Tky°,  celles 
qui  le  limitent  du  côté  du  bateau  où  se  trouve  le  pécheur  forment 
Ja  fron. 

'  La  truhya  est  un  petit  filet  à  manche  {niand:(o),  qui  sert  à  prendre 
les  poissons  qu'on  met  dans  le  grè. 

^  C'est  ainsi  que  les  pêcheurs  et  les  chasseurs  laissent  le  sort  dé- 
cider s'ils  iront  du  côté  du  lac  de  Morat  ou  de  celui  de  Neuchàtel. 
Kdbtits  =  petite  cabane  de  roseaux  et  de  joncs  que  font  les  chasseurs 
pour  se  mettre  à  l'abri. 

■*  Lafouény  est  un  engin  de  pêche  aujourd'hui  défendu  ;  elle  avait 
ordinairement  six  dents  disposées  en  râteau,  rattachées  au  manche  par 
Ja  douille.  (Cf.  Bulletin  du  Glossaire,  VI,  p.  22.) 

^  C'est  à  Montilier  qu'a  lieu  le  marché  aux  poissons. 

"  C'est-à-dire  les  travaux  de  dessèchement  du  Grand  marais  et 
l'abaissement  du  niveau  des  lacs  de  Morat,  Neuchàtel  et  Bienne. 

"^  Les  parties  sont  les  mêmes  que  pour  la  Ityéta.  Le  iiavé  n'a  pas  de 
pôyalé  ;  les  rames  sont  fixées  à  un  cordon,  la  lantin  ;  il  est  pourvu  de 
voile  (/a  vnla),  d'un  màt  (h  valè^  litt.  voilier). 

8  On  pourrait  mentionner  en  outre  les  bateaux  de  transport  rem- 
placés aujourd'hui  par  le  bateau  à  vapeur  :  h  hôk,  grande  barque  avec 
cabine  pour  le  marinier  (la  tsabra),  avec  la  vala  (la  voile)  et  h  trètyé 
(petite  voile  qui  se  mettait  sous  la  grande  tout  en  haut  du  màt)  —  et 
h  ra\i  (radeau),  qu'on  faisait  avancer  au  moyen  d'une  sorte  de  gaffe 
{la  chôta). 

II.  Le  pyintè  d'ana  tchamney  du  vîly'  tin. 

Patois  des  environs  de  la  Chaux-de-Fonds  (Neuchàtel'). 

Y'é  dins'  oyi  Voir  dJ9  ok^  Von  d:(è  on  pou  a  katchon,  — 
ma,  tb  parî,  yé  hin  konprè  h  s'ètè  d  mè  k'i  prèdjïva.  I  d^aft 
dins'  :   «  /  fô  la  tirî  avô  ?  »    Tb  parî,  kin  viô  lé  é-yo  fâ  ? 


TRADUCTION 
Les  plaintes  d'une  cheminée  du  vieux  temps. 

T'ai  comme  cela  entendu  l'autre  jour  quelque  chose  qu'on 
■disait  un  peu  en  cachette,  —  mais  tout  de  même  j'ai  bien  com- 
pris que  c'était  de  moi  qu'ils  parlaient.  Ils  disaient  ainsi  :  «  Il 


'  Ecrit  sous  la  dictée  de  M"e  L.  B. 


6o  W.    PIERREHUMBERT 

Atatè  vè  :  i  soû  èbaya  loué  i  vœya  sètchî  lœ  bœr:{i  è  lé  bakon^ 
kan  i  saroU  lavya  !  —  /  fa:(oU  d  la  fmîr  tan  k'i  pbvoU  :  krè- 
hin  h'ya-n  é  trb  fâ  ;  ma  s'i  fô  k'i  m'a-n  aloù,  i  voiidrou  vb 
rakontâ  on  pou  ib  sa  Vy'é  vou.  I  soû  vïly,  ma  y'è  djer  ètéy  ^ 
djoUvna  ;  da  sta  gran  koU/^na  y'é  vou  bin  dè-:(-afan  Van  pasâ, 
de  vïlybtè  k  s'a  son  analâ  de  la  îouè  on  np  rvin  pâ.  Y'é  oyi 
tchantâ,  djêr  pybrà,  y'é  vou  de  uiaryâdj,  dè-:;;^  alarma,  de  ger, 
y'é  oyi  de  koû  d  fou-{i;  y'é  vou  de  sudjé....  Y' ave  de  bouœb 
kd  patchsan  pb  l'ètrindjî,  k'on  np  rvèyè  djamâ.  Y'avè  de  djp 
k'yavoU  l'agrî,  adon  i  pybràvo  de  làgœrni  iotè  nerè,  djuk 
avb.  È  kan  i  fa:(è  d  l'ouvra,  i  lè-:(  apètchoû  d  dœrmi.  I  d^an: 
«  S'è  sta  vîly  k  fâ  son  triu,  i  fô  alâ  tirî  la  kouôdja  pb  la  bin 
ètaichî.  »  I  vèyoû  bin  k'on  mp  fa^è  la  mina;  i  soû  pela,  i  n 
soû  pyp  a  la  moûda  !  —    Y'é  vou  fér  du  pan,  de  knyœ,  du 

faut  la  tirer  en  bas  !  »  Tout  de  même,  quel  mal  leur  ai-je  fait? 
Attendez  donc:  je  m'étonne  où  ils  veulent  sécher  leur  viande 
salée  et  leur  lard,  quand  je  serai  loin  !  —  Je  faisais  de  la  fumée 
tant  que  je  pouvais  :  peut-être  que  j'en  ai  trop  fait  ;  mais  s'il 
faut  que  je  m'en  aille,  je  voudrais  vous  raconter  un  peu  tout  ce 
que  j'ai  vu.  Je  suis  vieille,  mais  j'ai  aussi  été  jeune;  dans  cette 
grande  cuisine  j'ai  vu  bien  des  enfants  qui  ont  passé,  des  petits 
vieux  qui  s'en  sont  allés  (////.  s'en  sont  enallés)  d'où  on  ne 
revient  pas.  J'ai  entendu  chanter,  aussi  pleurer,  j'ai  vu  des  ma- 
riages, des  enterrements,  des  guerres,  j'ai  entendu  des  coups 
de  fusil;  j'ai  vu  des  soldats....  Il  y  avait  des  garçons  qui  par- 
taient pour  l'étranger,  qu'on  ne  revoyait  jamais.  Il  y  avait  des 
jours  que  j'avais  l'ennui,  alors  je  pleurais  des  larmes  toutes 
noires  jusqu'en  bas.  Et  quand  il  faisait  du  vent,  je  les  empê- 
chais de  dormir.  Ils  disaient:  «  C'est  cette  vieille  qui  fait  son 
train,  il  faut  aller  tirer  la  corde  pour  la  bien  attacher.  »  |e 
voyais  bien  qu'on  me  faisait  la  mine  ;  je  suis  laide,  je  ne  suis 
plus  à  la  mode  !  —  J'ai  vu  faire    du   pain,  des  gâteaux,  du 

*  Forme  douteuse,  la  vraie  tournure  patoise  serait /ê  suis  eu. 


LE   PYINTÈ   D'ANA    TCHHMNEY   DU   VÎLY'    TIN  6l 

bœr,  de  gofrè....  krèbin  k  l'ôtra  n  ver  a  ra  d  ib  sink.  V'avoû 
on  bon  gran  œly^,  k  boûtâv  h  syèl,  è  lè-:^  afér  kp  s'fa:(cin 
avô,  è  /(?-^  0^^  kp  vnyan  tchantâ  tsu  ma  téta  è  h  sole  kp  m 
rètcbôdâv. 

Tu  lè-i  an  h  vîly'  Rbboué,  k'avè  de  rniasè  a  Ion  mindj, 
vnyè  révâ  la  rvoûs'  ;  s'ètè  on  djp  dp  rbos',  on  sp  rlédjîv  bin 
kan  il  èiè  pasâ ;  adon  Ve-:^  dm  fa^^an  on  gran  fyœ  tsu  Vâtr, 
s  mettra  a  tchantâ,  a  rakontâ  totè  chotchè  d'afér.  —  /  np  voui 
pâ  dir  a  vb  rvè,  i  vo  ml  dir  a  slè  k  son  ankouo  tchï  lœ  : 
«  Balyï-vb  a  vouedj,  vb  vadrï  astoù  mp  rtrbvà.  »  Da  mon 
djoUvan  tin  i  fa:iè  bé  vivr,  on  n  vèyè  pâ  vni  la  fin  hna 
anondrè  ;  tb  pas' ,  ib  pas',  djuk  è  tchpmnëy  du  vîly'  tin. 

W.    PlERREHUMBERT. 

beurre,  des  gaufres,...  peut-être  que  l'autre  ne  verra  rien  de  tout 
cela.  J'avais  un  bon  grand  œil  qui  regardait  le  ciel,  et  les 
choses  qui  se  faisaient  en  bas,  et  les  oiseaux  qui  venaient 
chanter  sur  ma  tête  et  le  soleil  qui  me  réchauffait. 

Tous  les  ans  le  vieux  Robert,  qui  avait  des  balais  à  long 
manche,  venait  ôter  la  suie  ;  c'était  un  jour  de  remue-ménage, 
on  se  réjouissait  bien  quand  il  était  passé  ;  alors  les  hommes 
faisaient  un  grand  feu  [pour  chasser  la  mauvaise  odeur]  sur 
l'âtre,  se  mettaient  (h't/.  se  mirent)  à  chanter,  à  raconter  toutes 
sortes  d'affaires.  —  Je  ne  veux  pas  dire  au  revoir,  il  vaut  mieux 
dire  à  ceux  qui  sont  encore  chez  eux  :  «  Prenez  garde,  vous 
viendrez  bientôt  me  retrouver.  »  Dans  mon  jeune  temps,  il  fai- 
sait beau  vivre,  on  ne  voyait  pas  venir  la  fin  comme  à  présent; 
tout  passe,  tout  passe,  jusqu'aux  cheminées  du  vieux  temps. 


'  Le  texte  porte  leuye,  qui  doit  être  une  erreur. 


ETYMOLOGIE 

-♦- 

Laonnerie,  lavon,  lan,  Ion. 

Le  doyen  Bridel,  dont  les  étymologies  sont  suspectes  à  plu- 
sieurs égards,  ne  se  trompait  cependant  pas  en  tirant  le  nom 
vaudois  du  «  château  d'amour  »,  laonnerie,  du  substantif  qui 
signifie  planche  dans  tous  nos  patois  (voir  plus  haut,  p.  34). 
Ce  mot  varie  selon  les  contrées  et  on  prononce  làvon  dans  le 
Jura  bernois,  Ibvon  au  Cerneux-Péquignot  (Neuchâtel)  ;  la7i  est 
la  forme  ordinaire  des  cantons  de  Neuchâtel,  Fribourg  et 
Vaud  ;  en  Valais  lan  alterne  avec  van  dans  les  parlers  qui 
perdent  17  initiale,  souvent  remplacée  par  un  v  ;  à  Genève^ 
enfin,  on  entend  dire  Ion,  comme  en  Savoie.  Dans  de  vieux 
documents,  le  mot  s'écrit  laon  ou  la7i.  Voir  p.  ex.  Mém.  et  doc. 
de  la  Soc.  d'hist.  de  la  S.  R.,  V,  p.  335,  402.  Le  sens  est  tou- 
jours celui  de  planche  de  moyenne  épaisseur,  ais.  On  emploie 
des  lan  pour  lambrisser,  boiser  une  chambre,  un  bâtiment.  La 
planche  dont  se  sert  la  lessiveuse  porte  le  même  nom.  «  Etre 
sur  le  lan  »  signifie  «  être  mort  ».  Les  tout  vieux  Neuchâtelois 
se  rappellent  avoir  entendu  dire  kyou  h  lan  pour  «  ferme 
la  porte  »,  ce  qui  indique  un  vieux  système  de  porte  formée 
d'une  simple  planche.  Les  contrevents  de  l'ancienne  mode, 
faits  d'une  seule  pièce  de  bois,  s'appelaient  lanè.  On  rencontre 
assez  fréquemment  un  autre  dérivé  :  lanâ,  verbe,  dans  le  sens 
de  planchéier,  fermer  ou  couvrir  de  planches  i. 

Gaston  Paris  {Romania,  XXXI,  p.  154.)  a  voulu  rattacher 
notre  mot  lan  au  latin  latus,  mais  l'emploi  du  mot  ne  fait  pas 
supposer  que  la  largeur  de  l'objet  ait  jamais  joué  un  rôle.  Elle 
est  donnée  par  l'épaisseur  de  l'arbre.  La  rencontre  de  a  et  de 
on  dans  l'ancienne  forme  laon  pouvait  être  écartée  soit  par 
l'insertion  d'un  v,  soit  par  la  réduction  à  une  seule  voyelle 
nasale,  qui  est  de  préférence  an,  quelquefois  on,  comme  nous 
l'attestent  les  formes  romandes  énumérées  ci-dessus,  et  comme 


^  II  y  a  un  second  verbe  lanâ,  réfléchi,  qui  s'emploie  en  parlant  de 
pierres  ou  de  bois  qui  se  fendillent,  se  partagent  en  lames.  Il  dérive 
du  latin  lamina,  lame. 


ÉTYMOLOGIE  ÔJ 

nous  le  montre  la  prononciation  du  mot  français  taon,  où 
l'on  a  hésité  entre  ta?i  et  to7i  '-.  Parmi  nos  patois,  ceux  du  Jura 
bernois  ont  préféré  la  première  solution  (insertion  de  z'),  les 
autres  présentent  la  contraction  ;  nous  rencontrons  le  même 
phénomène  dans  les  représentants  actuels  du  latin  maturus 
=  mdvu  dans  le  Jura  bernois,  77iœr  etc.  dans  les  autres  cantons. 
Comparez  pour  le  v  encore  là  où  =  Idvou  en  patois  jurassien. 
La  bonne  étymologie  du  mot  lan  a  été  proposée  par  M.  Meyer- 
Liibke  {Zeitschrift  fiir  rom.  Phil.  XXV,  p.  6ii),  qui  reconnaît 
dans  notre  mot  l'allemand  Laden^  emprunté  par  les  dialectes 
de  l'Est  sous  une  forme  hypothétique  ancien  haut  allemande 
lado{ti).  A  noter  que  -on  n'a  pas  sa  valeur  ordinaire  de  suffixe 
diminutif  dans  le  mot  romand,  et  qu'il  ne  peut  donc  s'expli- 
quer que  par  l'ancienne  désinence  germanique.  Le  français 
possède  l'expression  scieur  de  long,  qu'il  faudrait  écrire  scieur 
de  laon,  car  il  s'agit  du  même  mot,  comme  l'a  judicieusement 
remarqué  M.  Meyer-Liibke.  M.  Thomas  croit  que  de  long  a 
dans  ce  terme  la  valeur  de  en  long,  ce  qui  paraît  peu  probable 
au  point  de  vue  syntaxique.  Les  exemples  de  l'ortographe  long 
qu'il  cite  en  faveur  de  cette  opinion  {Romania  XXXVI,  p.  102) 
ne  remontent  pas  au-delà  du  XV'^  siècle.  Ils  prouvent  que  la 
réduction  de  laon  à  Ion  avait  déjà  donné  naissance  à  l'étymo- 
logie  populaire  qui  nous  fait  écrire  long. 

Le  mot  allemand  Laden  a  été  une  seconde  fois  emprunté 
par  nos  patois  sous  la  forme  de  làd^  Ibd,  lôda  dans  le  sens  de 
contrevent  (Berne,  Neuchâtel,  Vaud).  A  propos  de  ce  mot,  je 
ne  puis  m'abstenir  de  mentionner  le  curieux  contresens  auquel 
il  a  donné  lieu  dans  un  ouvrage  autrefois  très  consulté.  Il  se 
trouve  cité  dans  la  liste  de  mots  patois  dont  Ebel  croyait 
encore  devoir  accompagner  son  Manuel  du  voyageur  en  Suisse^ 
en  18 10.  Dans  l'édition  française,  le  mot  est  traduit  correcte- 
ment par  contrevent,  mais  dans  l'édition  allemande  il  est  rendu 
par  6^^^^«a7W,  vent  contraire  !  L.  Gauchat. 


'^  Comp.  Jjion,  prononcé  Lan.  mais  Saint-L  yti  =  Lon,  Thurot,  De 
la  prononciation  française  depuis  le  commencement  du  XVIe  siècle.  II,  541. 
Pour  les  mots  paon,  flaon,  faon,  Thurot  ne  trouve  mentionné  que  la 
forme  avec  an.  Mais  en  Valais,  par  exemple,  jlan  est  rendu  par  don 
ou  xon. 


TABLE  DES  MATIERES 


-*- 


Pages. 

Xa  Rédaction.  Les  Brandons 3 

L.  Gauchat.  Comment  on  nomme  le   fromage  dans  nos 

patois 14 

L.  Meylan,  a.  Piguet  et  E.  Tappolet.  La  foun  a  Far- 
dinan  G^nyè,  récit  en  patois  du  Chenit,  Vallée  de  Joux 
(Vaud) 22 

J.  Jeanjaquet.  I  pouro  kàrdanyè,  conte  populg.ire  en  pa- 
tois de  Haute-Nendaz  (Valais) 26 

J.  Jeanjaquet.  E.  Herzog,   Neiifranzôsische  Dialekttexte, 

compte  rendu 30 

E.  Muret.  Le  Château  d'amour 33 

E.  Fromaigeat.  On-na  dzôrnû  dé  péts  a  Sudzi,  description 

en  patois  de  Sugiez  (Vully  fribourgeois) 55 

W.  Pierrehumbert.  Le  pyintè  d'ana  tchdmnéy  du  vïly  tin, 

patois  des  environs  de  la  Chaux-de-Fonds      ....       59 

L.  Gauchat.  Etymologie:  laonnerie,  lavon,  lan,  Ion   ...      62 


L»us»nne.  —  Imprimerie  Georges  Bridel  &  C" 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du   Glossaire, 


SEPTIEME  ANNEE 
1908 


ZURICH 

BUREAU  DU   GLOSSAIRE 

Hofackerstrasse  44 


SYSTEME   DE  TRANSCRIPTION 

A.  VOYELLES 

a,  è,  é,  i,  u,  ou  ont  la  même  valeur  qu'en  français. 

0^=0  ouvert  (comme  dans  bord  [bdr]). 

6  ■=:  o  fermé  {^eau  [po]). 

œ  =^  œ  ouvert  {beurre  [bœr']). 

é  =:  ce  fermé  (feu  [fé]). 

e,  o,  œ  sans  accent  sont  des  voyelles  moyennes. 

9  (e  renversé)  =  e  sourd  (brebis  [br^bt]). 

an,  in,  on,  un,  sont  les  voyelles  nasales  des  mots  français  temps 

[tmt\,  main  [min],  rond  [ron],  hmdï  [lundi], 
in,  tin,  oun  désignent  les  nasales  de  i,  u,  ou,  qui  ne  se  trouvent 

que  dans  certains  patois  du  Jura  bernois  et  du  Valais. 

a,  voyelle  intermédiaire  entre  a  et  b. 
fl  =:  è  très  ouvert. 

Les  diphtongues  sont  notées  ay,  èy,  oy,  aou,  œu,  etc.,  ou  ya,yè, 
yb,  oua,  uœ,  etc.,  suivant  la  nature  et  le  mode  de  combinaison 
des  éléments  qui  les  composent. 

B.  CONSONNES 

b,  p,  d,  t,  j,  ch,  V,  f,  s,  z,  l,  ni,  n,  r  ont  le  même  son  qu'en  français, 
g  représente  partout  le  son  dur  de  ^oût  [gou\. 

^  »  »  »  coup  [kou]. 

ly  ^  l  mouillée  dans  l'ancienne  prononciation  taîV/e  [taly]. 

ny  =  n  mouillée  comme  dans  \\gne  [viny]. 

y  s'emploie  comme  dans  le  français  jyeux  [yœ],  fusîbn  {^fuzyorï]^ 

p/ed  [pyé]. 
h  =  aspiration  semblable  à  celle  de  l'allemand  /;och. 
â  =  son  du  t/i  dur  anglais. 
à  =  son  du  th  doux  anglais. 
X  =  son  de  l'allemand  \ch. 

C.  GÉNÉRALITÉS 

Les  voyelles  particulièrement  longues  sont  surmontées  d'un 
trait  horizontal  :  fi,  etc. 

Les  sons  faiblement  articulés  sont  notés  en  caractères  plus 
petits,  par  exemple  a',  a",  ow,  etc. 

Un  petit  trait  sous  une  voyelle  ((/)  indique  qu'elle  porte  l'accent 
tonique. 


MELANGES   BAGNARDS' 

~*~ 

I.  Le  genre  des  noms. 

A.  Rapports  entre  la  terminaison  et  le  genre. 

La  terminaison  d'un  substantif  trahit  plus  souvent  son  genre 
en  patois  bagnard  qu'en  français.  Certains  sons  finaux  appar- 
tiennent en  propre  à  un  seul  genre.  A  IV  muet  peu  caractéris- 
tique du  français  correspondent  -o  atone,  si  le  mot  est  mas- 
culin, et  -a  atone  s'il  est  fe'minin.  Voici  quelques  exemples 
choisis  au  hasard  :  bvw'^  (l'homme),  3  payo  («  le  poêle  »,  la 
chambre  d'habitation),  e  tsânyo  (le  chêne),  bzèràblo  (l'érable), 
?  sbkro  (le  sucre),  p  borgo  (le  rouet),  grdzo  (l'orge,  toujours 
masculin);  Pyaro  (Pierre).  Mots  en  -a  :  d  bota  (soulier,  botte), 
3  farana  (la  ïzr'xné),  3  fouÏJi.na  (la  fouine), p  m'etra  (la  maîtresse, 
celle  qui  commande),  3  tnctrèsa  (mot  d'emprunt  =  amante), 
3  rà"va  (la  roue),  3  iséiia  (la  chaîne),  etc. 

Tous  les  substantifs  terminés  par  -o  sont  du  genre  masculin. 
Nous  ne  connaissons  point  d'exception  à  cette  règle  dans  tout 
le  vocabulaire  bagnard 3,  Ceux  terminés  en  -a  sont  ordinaire- 
ment féminins,  sauf  une  seule  exception  à  nous  connue*.  Le 
mot  borsa  (bourse,  testicules)  s'emploie  au  masculin,  sans 
changer  de  désinence,  dans  le  sens  de  «simple  d'esprit»  ou 
comme  terme  d'injure. 

a  bref  et  tonique,  non  précédé  d'une  mouillure,  ne  termine 


*  La  prononciation  indiquée  est  celle  de  Lourtier  (Valais). 

^  La  chute  phonétique  de  1'/  fait  disparaître  l'article  défini  devant 
les  mots  commençant  par  une  voyelle. 

^  Voir  toutefois  ce  qui  est  dit  de  sono  à  la  fin  de  l'article. 

■*  Les  adjectifs  présentent  les  mêmes  désinences:  masc.  -o,  fém.  -a. 

Il  faut  mettre  à  part  les  substantifs  ou  adjectifs  féminins  en  -■',  dont 
il  sera  question  plus  loin. 


4  M.    GABBUD   ET   L,    GAUCHAT 

guère  que  des  noms  masculins.  Il  faut  excepter  brasa  ou 
abrpsa  (havresac),  qui  est  du  féminin  malgré  son  a  tonique,  et 
bien  que  ce  soit  un  composé  de  sac.  Cela  s'explique  par  la 
«  déglutination  »  de  Va  initial  qui,  soudé  à  IV,  a  produit  ancien- 
nement l'article  féminin  la  et  le  changement  de  genre. 

Les  mots  papa  et  marna,  dans  leur  sens  habituel,  s'accen- 
tuent sur  le  premier  a.  Ils  sont  ordinairement  employés  au 
vocatif.  On  dira  ainsi:  kd  fi  to,  marna?  (que  fais-tu,  maman?), 
et  également:  Y  an.mo  papa  è  mcpna  (j'aime  papa  et  maman). 
Avec  cette  accentuation,  les  deux  mots  ont  leur  genre  naturel. 
On  les  rencontre  cependant  aussi  comme  mots  d'emprunt, 
accentués  sur  la  finale,  et  dans  ce  cas,  ils  sont  tous  deux  du 
masculin:  on  bo?i  papa  du  vyœ^  tin  (un  bon  papa  du  vieux 
temps),  nb  fàdray  an  komona  de  bon  papa  d  a  bàrba  blantss 
(il  nous  faudrait  à  la  commune,  c'est-à-dire  pour  diriger  la 
commune,  de  bons  papas  à  barbe  blanche)  ;  072  dzouino  marna 
(une  jeune  mère,  épouse). 

Les  mots  en  -ya  [a  bref)  proviennent  de  formes  latines  en 
-a ta,  placé  après  une  mouillure,  et  sont  par  conséquent  du 
féminin*.  Ils  expriment  ordinairement  une  idée  de  contenu,  et 
sont  en  partie  tirés  de  verbes  dont  l'infinitif  est  en  -yè.  Tels 
soni:  paner  y  a  (contenu  d'un  panier),  tsœ^ddrya  (contenu  d'une 
chaudière),  pbya  (montée),  rblya  (averse,  du  verbe  rblyc,  pleu- 
voir fortement). 

â  long  termine  généralement  des  noms  masculins.  Mais  on 
rencontre  souvent,  dans  le  langage  des  plus  vieux  patoisants, 
un  certain  nombre  de  substantifs  féminins  avec  cette  termi- 
naison, comme /«  (fève),  r<7 (rave), /«(pelle),  /'jû'/« (chapelle), 
sa  (salle),  fèsâ,  (latin  fiscella,  moule  à  sérac),  gâ  (ailleurs 
gala  (enflure,  glande).  La  voyelle  â,  dans  tous  ces  mots,  est  le 
résultat  d'une  contraction  de  deux  a,  après  la  chute  des 
consonnes  intervocaliques  v  ou  /,  que  le  patois  moderne  tend 
à  rétablir.  Ainsi  l'on  dit  aujourd'hui  plutôt  râva,  sala,  sous 


^  Voir  -ata  sans  mouillure  plus  bas,  sous  6. 


MELANGES    BAGNARDS  5 

l'influence  d'autres  dialectes  et  de  la  langue  littéraire.  Cepen- 
dant les  mots  plus  rares  fèsà,  gà,  n'ayant  pas  de  correspon- 
dance directe  en  français,  se  sont  conservés  tels  quels.  Le  nom 
de  plante  nèyâ  (litt.  ni  gel  la,  proprement  Jioirâtre,  la  nielle)  a 
passé  au  masculin.  Quant  à  myâ,  moelle,  il  est  des  deux  genres. 
Serait-ce  l'analogie  des  infinitifs  substantifiés  en  â  qui  en  serait 
cause?  Le  moi  p/ya,  fém.,  poêle  à  frire  (lat.  patella),  est 
développé  irrégulièrement.  A  noter  que  cervelle  ne  s'emploie 
qu'au  pluriel:  /  sarvà'^ ^  fém.,  et  que  les  adjectifs  beau,  nouveau 
ne  connaissent  pas  de  féminin  en  â  ;  on  dit  bêla,  novHa. 

La  terminaison  par  -è  tonique  est  réservée  exclusivement  aux 
substantifs  masculins  :  kaye  (cahier),  bonye  { beignet i,  etc. 

Sur  une  liste  d'environ  cinquante  substantifs  en  -/,  nous 
n'avons  trouvé  qu'un  seul  nom  féminin  vraiment  patois.  C'est 
pé  i^peau,  lat.  pellis,  fém.).  Les  autres  dérivent  de  mots  en 
-ellum  qui  sont  restés  masculins.  D'autres  mots  tels  que  valé 
(vallée),  épé,  kalité,  etc.,  féminins,  ont  été  empruntés  au  fran- 
çais à  une  date  relativement  récente. 

La  terminaison  3  (atone)  n'indique  point  le  genre,  mais  elle 
est  rare  au  masculin.  Nous  possédons  comme  mots  patois  : 
métr?  (maître),  yr^Trp'  (frère),  ârs  (voleur);  puis //>.?  (père, 
emprunté  anciennement  au  français),  sans  compter  une  foule 
de  mots  d'emprunt,  comme  titrs,  etc.  A  part  ceux-là,  •?  est  une 
désinence  féminine  qui  a  sa  raison  d'être  dans  tous  les  sub- 
stantifs qui  contenaient  une  mouillure  devant  Va  final  latin  : 
grandz?  (grange),  tsaRouy?  (charrue,  latin  carruca),  pah 
(paille),  motsd  (mouche),  etc. 

Trois  noms  masculins  sont  terminés  par  un  d  tonique  ;  bou3 
(bassin,  auge),  frouj  (fromage,  proprement  =  ix\\\i),  pdnrvou^ 
(papillon). 

Les  terminaisons  ou,  ù."*,  b  s'appliquent  exclusivement,  nous 
semble-t-il,  à  des  noms  masculins.  Ainsi  :  tsou  (chou),  bou  (bois), 
varkou  (perchette  disposée  horizontalement  au-dessus   de  la 


*   On  entend  aussi  dire/m/r. 


6  M.    GABBUD    ET   L.    GAUCHAT 

crèche  des  moutons  et  des  chèvres  pour  les  empêcher  de  se 
jeter  dans  celle-ci,  tout  en  leur  laissant  l'espace  nécessaire  pour 
introduire  la  tête);  bœ'*  (établej,  «jvi'"  (nœud),  fnéryœ"  (miroir), 
asyœ"  (étage  supérieur  des  granges  et  «racards»);  pà  (pot  et 
aussi  lèvre),  sàko  (secours),  tsaso  (eau.  salie,  liquide  mélangé 
d'impuretés),  pako  (boue).  Dans  tous  ces  mots,  le  genre  est 
ou  peut  être  supposé  étymologique. 

Les  autres  terminaisons  se  rencontrent  parmi  les  substantifs 
des  deux  genres.  Cependant,  les  noms  féminins  sont  partout 
très  inférieurs  en  nombre  à  leurs  congénères  masculins.  Ce 
n'est  que  dans  les  listes  de  mots  en  -ô,  -i.  -ou,  -œ  que  les  fémi- 
nins se  présentent  en  groupes  un  peu  compacts,  mais  com- 
posés très  fréquemment  d'éléments  étrangers  au  patois  et  dont 
l'adoption  doit  être  toute  récente.  En  -o,  nous  mentionnons 
byœ^tô  (beauté),  vànetô  (vanité),  môsànètâ  {éX^X.  d'une  personne 
malsaine)  ;  hidbnb  (contenu  d'un  «  bidon  »),  inXlô  (contenu 
d'un  carré  de  toile),  etc.  En  /,  nous  avons  les  nombreux  mots 
en  -/',  'èri,  correspondant  aux  désinences  françaises  -ie,  -erie  i  .• 
martsyandi  (marchandise),  kayonèri  (saleté,  cochonnerie),  mb- 
tyh'i  (moquerie);  en  -on:  rayzon  (raison),  prayzon  (prisonj, 
etc.  ;  en  é  :  flé  (emprunté  au  français,  ainsi  que  de  nombreux 
abstraits  en  -eu7-). 

B.  Mots  bagnards  n'ayant  pas  le  même  genre 
(Iu'en  français. 

Il  va  sans  dire  que  nous  n'admettons  pas  dans  la  liste  sui- 
vante des  noms  patois  qui  n'ont  qu'un  rapport  de  signification 
avec  des  noms  français  de  genre  différent.  Que  le  hanneton 
s'appelle  en  patois  vâra,{ém.,  que  darbon-,  mot  masculin,  soit 
le  nom  patois  de  la  taupe,  que  nous  appelions  ona  vardzqs? 
l'écureuil  du  dictionnaire  français,  cela  n'a  rien  à  voir  ici.  Ces 
mots  n'ont  entre  eux  aucun  lien  étymologique.  II  sera  question. 


^   Isolément:^/  (poix),  fém.,  et  ri  (racine),  fém. 
^  On  a  bien  voulu  tirer  darbon,  âèrhon,  etc.,  de  *talponem,  mais 
c'est  une  étymologie  douteuse. 


MELAKGES   BAGNARDS  7 

dans  ce  qui  suit,  de  vocables  patois  et  français  ayant  la  même 
origine,  et  à  peu  près  le  même  sens. 

Voici  d'abord  des  mots  appartenant  au  vieux  fond  patois 
qui  ont  conservé  le  genre  féminin  qu'ils  avaient  en  latin  : 
pouizoTi  (poison),  sochon  (soupçon),  mcsondzj  (mensonge), 
d3mindz3  (die  do  mi  ni  ca,  dies  considéré  comme  fém.), 
kobla  (couple),  karayma  (carême),  krayma  (chrême,  confirma- 
tion), onla  (ongle),  niyèrla  (femelle  de  diverses  espèces  d'oi- 
seaux; l'espèce  merle  est  appelée  merlo,  masc),  lârzd  ou  ârz3 
(mélèze,  vis-à-vis  de  Fit.  //  laricey.  Comparez  èpana  (empan, 
de  l'ail.  span?ie,  fém.),  QlfritJ,  plus  rarement  frita  (faîte,  ail. 
firste,  comp.  le  vieux  ùdiXxc.aÂ'à  /reste,  fém.). 

Sont  masculins  pour  la  même  raison  (étymologique)  :  rôdzo 
(horloge),  o/do  (huile),  dçto  (lat.  debitum,  le  mot  français 
remonte  au  pluriel),  intso  (encre), /ri  (fraise,  représente  direc- 
tement le  latin  fragum),  af/ro  (affaire,  inf.  substantifié),  grdzo 
(orge). 

La  base  étymologique  explique  encore  les  cas  de  :  /rou^t?,  f. 
(fruit  dansle  sens  collectif, latin  vulgaire  *fructa,  pluriel  neutre, 
comp.  l'italien),  sabla,  f.  (du  pluriel  neutre  sabula),  ron.ma 
(rhume,  mot  grec  neutre  en  -a).  Le  mot  latin  avait  une  autre 
désinence  que  pour  le  français  dans  :  épya,  f.  (épi,  latin  spica, 
à  côté  de  spicum  =  fr.  épi,  m.),  âzyçrda,  f.  (lézard,  lat.  lacerta 
et  lacer  tu  s),  insu,  m.  (lessive,  de  li  xi  vu,  non  Wx'wdi),  pâ,  m. 
(paire,  de  pare,  non  paria), /ri? //n'a,  f.  (lat.  formica),  narè, 
m.  (narine,  autre  suffixe),  et  probablement  aussi  dans  inri(lo,xù.. 
(rouille,  litt.  eiirouille,  donc  probablement  subst.  verbal),  sèya-,  f. 
(seigle,  comp.  l'it.  segola),  vcrna,  f.  (verne,  aulne),  mata,  f. 
(spécialement  cidre-moût), /<;'/>;'^,  f.  (pépin).  Le  marbre  se  dit 
mâbro,  mais  pour  les  billes  avec  lesquelles  les  enfants  s'amusent. 


*  Lavallaz,  Essai  sur  le  patois  d'Hérémence,  cite  aussi  hira,  fém., 
=:  lierre.  Au  val  de  Bagnes,  la  plante  s'appelle /o/^  de  layvra,  par  con- 
fusion avec  lièvre. 

^  N'est  employé  que  dans  les  expressions  :  pan  de  sèya  ou  far?na  dé 
sèya,  mais  on  ne  peut  avoir  de  doute  sur  le  genre. 


8  M.    GABBUD    ET   L.    GAUCHAT 

on  dit  7nâbra,  fém.,  ce  qui  peut  remonter  à  un  pluriel  neutre. 

D'un  verbe,  on  peut  tirer  des  substantifs  masculins  ou  fémi- 
nins. Le  mot  patois  a  reçu  un  genre  différent  de  celui  du  mot 
français  dans  les  cas  suivants  :  kpnta,  f.  (conte),  vouârda,  f. 
(garde,  féminin  dans  tous  ses  emplois),  resta,  f.  (reste,  à  Sar- 
reyer,  val  de  Bagnes,  on  dit  rèsto  et  le  mot  est  masculin),  dota,  f, 
(doute),  inpoyza,  f.  (empois),  grjfyo,  m.  (griffe,  subst.  verb.  ?), 
tâtso  (tâche,  par  ex.  dans  trâlyè  a  tâtso^  travailler  aux  pièces). 

Voici  quelques  cas  plus  curieux  :  layvra,  f.  (lièvre),  sarpin,  f. 
(serpent),  may,  f.  (miel),  sa,  f.  (sel),r/^  f.  (riz)2.  Cette  anomalie 
se  retrouve  sur  un  très  grand  territoire  ;  rappelons  les  subst. 
espagnols  la  liebre,  la  sierpe  ou  serpiente,  la  iiiiel,  la  sal.  La 
liste  serait  beaucoup  plus  longue,  si  nous  comparions  le  genre 
des  mots  bagnards  à  celui  des  mots  latins.  Les  vocables  deve- 
nus féminins  en  français  (comme  en  patois)  :  mer,  dent,  fin, 
/leur,  moi?,  en  -eur,  etc.,  devraient  également  y  figurer.  Le  phé- 
nomène s'explique  par  l'ancienne  morphologie  romane.  Les 
mots  de  la  3^  déclinaison  offrant  le  schéma  : 

SING.  PLUR. 

nom.     ars,  f.  nom.     artes 

ace.       artem  ace.       artes 

comme  pons,pontem,pontes,  pontes,  etc.,  pouvaient  faci- 
lement être  pris  pour  des  féminins  à  l'époque  où  l'article  défini 
n'était  pas  encore  de  rigueur.  Il  est  plus  rare  que  des  féminins 
passent  au  masculin  {le  val,  vieux  fr.  aussi  la  val,  comp.  notre 
Lavaux).  On  rencontre  même  le  nom  la  Mont  7naiidite  (dans 
le  massif  du  Mont  Blanc). 

Nous  avons  cité  plus  haut  *  la  brasa  (havresac),  pris  pour  un 
féminin  ensuite  de  la  soudure  de  l'a  initial  à  1'/  de  l'article. 

En  empruntant  des  mots  français,  il  est  souvent  arrivé  qu'on 
a  donné  au  mot  un  genre  nouveau.  C'est  le  cas  de  andzd,  f. 


1  Attiré  par  ri  =  radicem  ? 

^  L'expression  sarvayrj,  f.,  pour  loup-cervier  s'explique  probablement 
par  l'existence  antérieure  du  mot  lynx,  féminin. 


MELANGES   BAGNARDS  9 

(ange)',  santïn.ina,  f.  (centime),  sigâra,  f.  (cigare),  ispfra,  f. 
(chiffre  et  très  souvent  problème),  éstoma,  f.  (poitrine,  ensuite 
de  l'accentuation  de  IV,  ce  qui  donne  au  mot  un  aspect  fémi- 
nin); les  vocables  nommés  paraissent  être  de  souche  ancienne; 
en  voici  de  plus  récents  :  rbmatris?  ou  rômatis?,  f.  ^  (rhuma- 
tisme), insandi}\  f.  (incendie),  pèirol,  f.  (pétrole);  tfwsiatso, 
m.  (moustache),  idé,  m.  (idée),  datiré,  m.  (denrée;,  rèkru,  m. 
(recrue,  genre  naturel),  imâ\  m.  {\-\\ime\\x),  poutre,  m.  (poutre, 
les  jeunes  le  font  féminin).  Les  raisons  du  changement  sont 
diverses  ;  tantôt  le  genre  est  déterminé  par  la  terminaison 
{andz9,  idé,  imœ,  etc.),  tantôt  le  vieux  mot  patois  donne  son 
genre  au  nouvel  arrivant  (*irâ,  m.  :=  lat.  trabs,  influence 
poutre)  :  mbstatso  est  plutôt  emprunté  à  l'italien  qu'au  français, 
etc.  Que  penser  de  tsdnidnô,  m.  (litt.  cheminée  =  le  foyer  et 
ses  alentours)?  Et  surtout  ùt platafôrma,  m.?  Deux  mots  fémi- 
nins à  terminaison  bien  caractéristique  qui  composent  un  mas- 
culin, c'est  une  vraie  excentricité  linguistique. 

Il  y  a  enfin  un  certain  nombre  de  mots  à  deux  genres.  Nous 
allons  les  passer  en  revue.  L'expression  tmtora  («  nature  »  dans 
le  sens  de  vulve  1,  est  féminin,  son  doublet  français-patois  na- 
tur3  est  du  masculin.  On  dira  /'  pâ  d'on  kroiië  natun  =  il  n'est 
pas  d'un  mauvais  caractère.  Ce  cas  rentre  donc  plutôt  dans  le 
paragraphe  précédent.  Dyetsd  (baquet  à  lait  avec  une  douve 
prolongée  servant  d'anse)  est  féminin  pour  la  plupart  des 
patoisants  de  Lourtier,  tandis  qu'une  minorité  prononce  ce  mot 
dyetso  et  le  fait  masculin.  Il  dérive  de  l'allemand  suisse  gèbsa, 
féminin.  Pour  guide  nous  trouvons  plutôt  dyido,  m.,  dans  le  sens 
de  guide  de  montagnes,  et  dyida,  f.,  dans  celui  de  «  animal 
domestique  qui  conduit  le  troupeau  »,  parce  qu'ordinairement 
ce  guide  est  une  femelle  ;  dyida,  f.  également  pour  rênes.  Le 
mot  français  mode,  qui  est  des  deux  genres,  a  été  reproduit  en 
patois  par  viondo"^,  m.,  avec  l'acception  de  modération,  et  par 

'  Quelques  jeunes,  influencés  par  l'école,  font  ce  mot  masculin. 
-  S'emploie  quelquefois  avec  l'article  masculin. 
^  Nasalisation  par  Vm  précédent. 


10  M.    GABBUD   ET    L.    GAUCHAT 

monda,  f.,  avec  celle  de  mode,  f.,  manière  de  vivre.  On  dira 
donc  :  fâpâ  de  mondo,\.\x  ne  sais  pas  te  confiner  dans  de  justes 
mesures,  et  d  inonda  de  ha,  la  mode  d'aujourd'hui.  Le  traite- 
ment de  dzin,  gent,  est  presque  identique  à  celui  que  pres- 
crivent les  grammaires  françaises:  i poiirè  dziti,  f.,  /  dziti  ray- 
zonâblo,  m.  Les  cas  cités  (sauf  dyètsd)  s'expliquent  probable- 
ment par  les  rapports  qui  existent  entre  le  patois  et  la  langue 
littéraire.  Les  suivants  ont  leur  origine  dans  le  patois  même  et 
en  sont  d'autant  plus  caractéristiques. 

Au  mot  ^//z^/(?  correspondent  les  formes  bagnardes:  invay,  m. 
(envie  de  faire  quelque  chose),  tnvpde,L  (tache  naturelle)^  Ces 
formes  soulèvent  un  problème  phonétique,  dont  la  solution 
expliquerait  peut-être  aussi  l'anomalie  du  genre.  En  tout  cas, 
dans  le  premier  sens,  envie  s'emploie  la  plupart  du  temps  sans 
article  et  sans  qualificatif,  toujours  au  singulier,  ce  qui  peut 
offusquer  le  genre;  dans  le  second,  le  pluriel  est  fréquent. 

Dans  cinq  autres  vocables,  le  patois  indique  au  moyen  du 
genre  des  nuances  de  sens  assez  subtiles.  Nous  assistons  là 
à  un  procédé  de  différenciation  inconnu  en  français,  à  notre 
connaissance,  mais  qui  se  retrouve  dans  d'autres  patois  ro- 
mands. Ce  sont  les  mots  ma  (mal),  fun  (nuit), yr^j/  (froid),  tsâ 
(chaud)  et  sono  (sommeil).  Mo  est  masculin  avec  la  valeur  de 
mal,  maladie,  et  féminin  dans  le  sens  de  douleur.  On  ma  de  tita 
(un  mal  de  tête),  ona  inô  dè?n?isanXl£  (une  douleur  du  diable, 
litt.  *méchance).  iVz«  masculin  a  le  sens  de  j-(?/r  (influencé  dans 
son  genre  par  jour,  matin),  comme  féminin  il  a  la  signification 
ordinaire  de  nuit.  Fray  et  tsô  sont  du  masculin  quand  ils 
désignent  l'état  de  la  température,  et  du  féminin,  si  l'on  veut 
exprimer  l'incommodité,  la  souffrance  causée  par  des  excès  de 
chaud  et  de  froid.  On  grô  fray  =  une  température  rigoureuse, 
so/ri  d  a  tsà  e  d  a  fray,  souffrir  de  la  chaleur  et  de  la  froidure. 
Sono,  m.,  c'est  l'action  de  dormir:  j  é  fi  on  sono  ^  j'ai  fait  un 
somme:  au  féminin,  c'est  l'envie  de  dormir:  me  vïn  ona  sono 


^  Sans  compter  inviy?,  f.  pris  au  français  =  jalousie. 


MÉLANGES   BAGNARDS  II 

■de  7n?tsanjle  =  j'ai  un  besoin  pressant  de  dormir.  Il  est  évi- 
dent que  ce  sont  les  mots/c?//;/  et  soif  (\\x\  ont  causé  la  forma- 
tion des  variantes  féminines  àç.  froid,  chaud  et  sommeil'^. 

Les  conditions  que  nous  venons  de  décrire  sont  celles  d'un 
patois  conscient  et  vivace.  Dans  le  langage  de  jeunes  ado- 
lescents peu  doués,  de  vieillards  à  facultés  intellectuelles  affai- 
blies, il  est  aisé  de  reconnaître  un  certain  degré  d'inconstance 
et  d'hésitation  au  sujet  des  genres.  C'est  un  symptôme  de 
déchéance.  Si  nous  ne  nous  trompons,  il  y  aurait  chez  ces  indi- 
vidus une  tendance  à  masculiniser  le  vocabulaire  patois.  Cela 
s'observerait-il  ailleurs  que  chez  nous  ? 

M.  (jABBUD  et  L.  Gauchat. 


^  La,  chOno  se  retrouve  dans  la  Gruycre,  la  chaud,  la  froid  en  Savoie 
•et  à  Genève,  cf.  Bulletin,  III,  35. 


ANDAIN 

-♦- 

Que  fait  le  faucheur  ?  On  répondra  qu'il  fait  des  andains. 
Mais  qu'est-ce  qu'un  andain?  Ce  n'est  pas  du  tout  facile  à  dire^ 
Autant  de  dictionnaires,  autant  de  définitions  K 

Pour  ce  qui  est  de  l'aire  du  mot,  on  peut  dire  que  andain 
règne  en  maître  dans  toute  la  France.  Il  a  peu  de  concurrents 
et  aucun  n'est  sérieux,  c'est-à-dire  aucun  ne  l'a  remplacé  sur 
une  grande  étendue.  La  Suisse  romande,  comme  tout  le  do- 
maine franco-provençal,  ne  connaît  que  andain. 

Terminaison.  —  Nous  nous  occupons  d'abord  de  la  termi- 
naison, pour  laquelle  les  formes  phonétiques  de  la  Suisse  ro- 
mande occupent  une  place  à  part.  Quelle  que  soit  l'étymologie 
qu'on  adopte  pour  le  radical  du  mot,  l'accord  de  la  plupart 
des  formes  romanes  nous  fait  supposer  pour  la  deuxième  partie 
du  mot  la  terminaison  -anum  ou  -ana;  ainsi  la  Provence  dit 
ift.ndan,  l'Italie  du  nord  dit  andana  (voir  l'article  cité  de 
M.  Horning,  p.  515),  tout  le  nord  de  la  France  dit  andain\ 
cf.  granum>  grain.  La  Suisse  romande  se  divise  nettement 
en  deux  groupes  :  le  Jura  bernois  dit  indè,  dont  nous  parlerons 
plus  tard,  le  reste  des  patois  dit  généralement  andin.  Pour  le 
gros  des  patois  romands  on  s'attendrait  à  andan,  puisque 
granum  y  devient  gran.  Mais  cette  forme  ne  se  rencontre  que 
très  sporadiquement  :  à  Savigny  (Vaud),  à  Villeneuve 2,  à 
Gingins  (Vaud)  d'après  V Atlas,  et  dans  une  partie  des  patois 


'  Pour  s'en  convaincre,  on  n'a  qu'à  lire  les  articles  aussi  intéressants 
qu'étendus  consacrés  à  ce  mot  par  MM.  G.  Paris  {Romania,  XIX, 
p.  449)  et  Horning  {Zeitschr.  fiir  rom.  Philologie,  XXIX,  p.  514). 

2  Villeneuve  dit  itidan  qu'on  peut  expliquer  par  la  métathèse  des 
voyelles  nasales  de  andin,  forme  vaudoise  courante. 


ANDAIN  13 

</enevois,  où  -an  peut  provenir  d'un  plus  ancien  -///,  fenum, 
«  foin»  et  famem,  «  faim»,  aboutissant  tous  les  deux  à/a//. 
Ces  formes  en  -an  ne  semblent  pas  remonter  à  -anum.pas 
plus  que  celles  de  la  Savoie.  Dans  quatre  villages  de  la  Haute- 
Savoie,  V Atlas  linguistique  de  la  France  note  andan,  entouré 
à'andin.  Or  dans  trois  de  ces  quatre  villages  (n°=  946,  956,  957  ), 
je  trouve  également //a/z/ail  pour  .plantain',  de  plantagi- 
nem,  et  paran  pour  ,  parrain ',  de  patrinum  (cf.  payrin, 
payri  dans  les  patois  du  Midi).  Dans  ces  deux  mots,  où  -anutn 
n'est  guère  probable,  nous  constatons  le  changement  de  -///  en 
-an.  Il  en  sera  de  même  de  andan,  qui  se  trouve  dans  des  con- 
ditions phonétiques  semblables. 

Reste  à  étudier  andin  {atidc,  etc.),  qui  est  la  forme  courante 
des  cantons  de  Vaud,  Valais,  Fribourg  et  Neuchâtel.  Faut-il 
l'expliquer  par  un  changement  de  suffixe?  Dans  la  Suisse  ro- 
mande seule  -Inuni  se  serait-il  substitué  à  -anujn?  C'est  possible, 
€t  V Atlas  note  même  une  fois  i/idïn  (Drôme  844),  qui  semble 
bien  représenter  un  mot  en  -inum.  Ou  bien  X andin  romand 
serait-il  d'importation  française?  La  chose  peut  étonner  pour 
un  terme  aussi  profondément  agricole  que  le  nôtre,  mais  on 
sait  qu'à  l'époque  des  foins  on  engage  souvent  des  ouvriers 
venant  du  dehors  et  parlant  un  patois  différent.  Dans  ce  cas, 
on  aurait  préféré  la  forme  française,  connue  de  tout  le  monde. 
Il  y  a  une  troisième  possibilité  à  laquelle  me  rend  attentif 
M.  Gauchat,  c'est  -aneum,  dont  la  palatale  rendrait  compte 
du  passage  de  a  -\-n  à  in;  la  mouillure  aurait  disparu.  Ce  qui 
appuie  fortement  cette  opinion,  ce  sont  d'un  côté  les  verbes 
dérivés  de  andin  :  andanyi  (Vaud,  Lyonnais),  dézandanyi 
(Vaud,  Fribourg),  où  la  mouillure  se  serait  conservée,  cï.  pro- 
vanyi,  provanyur?,  dérivés  de  provin.  D'autre  part,  nous  trou- 
vons des  formes  à  terminaison  mouillée  dans  les  patois  français 
du  Piémont  (vallée  d'Aoste.  deux  fois  ;  vallées  vaudoises,  trois 
fois)  et  sporadiquement  dans  le  Midi  de  la  France,  toujours 
d'après  V Atlas,  en  outre  au  Frioul,  antagn,  etc.  (Horning,  /.  c. 
p.  518). 


14 


E.    TAPPOLET 


Pour  ce  qui  est  enfin  de  iiidè,  forme  commune  à  presque 
tous  les  patois  du  Jura  bernois  et  assez  fréquente  aussi  dans 
les  patois  français  avoisinants,  à  Bournois  et  ailleurs,  elle  ne 
laisse  pas  de  nous  embarrasser  beaucoup.  Point  de  doute  sur 
le  radical,  qui  est  le  même  que  celui  de  c/î^rt'/«,  puisque  chanter 
y  donne  tchintè,  mais  la  terminaison  -è  ne  correspond  ni  à 
-anum,  ni  à  -aneum,  ni  à  -ïttum,  qui  donne  -a.  Qu'est-ce? 
M.  Horning  est  porté  à  y  voir  le  suffixe  -aceum;  on  aurait 
fait  du  radical  and  \in*a?id as,  comme  plâtras  dérivé  ÙQ  plâtre. 
N'ayant  point  trouvé  d'autres  exemples  dans  les  patois  en 
question,  je  n'ose  me  prononcer  sur  ce  point  ^. 

Signification.  —  Passons  à  la  sémantique  du  mot,  qui  nous 
arrêtera  davantage.  Les  significations  données  par  nos  corres- 
pondants ne  permettent  pas  de  déterminer  la  valeur  du  mot 
d'une  façon  définitive.  La  plupart  cependant  s'accordent  à  dire 
que  l'andain  est  «  ce  tas  allongé,  en  forme  de  chenille,  d'herbe 
fauchée  et  amoncelée  à  gauche  du  faucheur  »,  tas  allongé  que 
la  Suisse  allemande  appelle  jmid?,  s.f,,  substantif  tiré  du  verbe 
màhen,  «faucher»  ou  chora ,  s.  f.,  tiré  du  verbe  scheereti, 
<:  tondre  »,  employé  par  ex.  à  Biel-Benken  (Bâle-Campagne)  et 
à  Wyhlen  (Grand  duché  de  Bade).  C'est  en  tout  cas  le  sens 
prédominant  du  mot  andain.  Voici  quelques  exemples  :  fô  se 
chdtâ  su  Vandœ  po  mddzi  la  soupa,  «  il  faut  s'asseoir  sur  l'an- 
dain pour  manger  la  soupe  »  (Penthalaz,  Vaud)  ;  rèrba  râra  nt 
bqlye  pa  de  Vandin.o-  l'herbe  rare  ne  donne  pas  d'andain  » 
(Vaugondry,  Vaud).  Le  mot  s'emploie  aussi  métaphoriquement: 
ouék  me  cJié  leva  kan  li  sole  fajck  Vandin,  «  aujourd'hui  je  me 
suis  levé  quand  le  soleil  faisait  l'andain  »,  c'est-à-dire  com- 
mençait à  dorer  le  sommet  des  montagnes  »  (Evolène,  Valais). 

On  voit  par  ces  exemples  que  l'andain  ne  désigne  pas  l'es- 

'  Quand  on  parcourt  à  ce  sujet  le  Glcssaire  de  Bournois,  par  Roussey, 
on  est  étonné  du  grand  nombre  de  mots  en  -è,  correspondant  au  fran- 
çais -et,  p.  ex.  bidè,  brikè,  houle,  byê  =  billet,  aussi  des  mots  non  fran- 
çais, comme  hanvè,  bâton,  bourbe,  bourbier,  tout  cela  à  côté  de  la 
terminaison  régulière  -ô,  -dt.  Le  mot  iiidè  appartiendrait-il  à  cette 
deuxième  couche  de  diminutifs  en  -et  ? 


AKDAIX  15 

pace  fauché,  mais  bien  l'herbe  couchée  en  forme  de  rouleau. 
Ce  sens  est  confirmé  par  le  terme  «  andain  double  »,  dont  nous 
parlerons  plus  loin,  et  est  aussi  attesté  pour  plusieurs  régions 
de  la  France. 

Toutefois  la  signification  de  «  rouleau  d'herbe  fauchée  »  n'est 
pas  la  seule  ciue  nos  correspondants  aient  donnée  à  notre  mot. 
Il  y  en  a  deux  autres.  Tout  d'abord  andain  arrive  par  extension 
de  sens  à  désigner  tout  rouleau  d'herbe  ou  de  foin  fait  non 
seulement  avec  la  faux,  mais  aussi  avec  le  râteau'.  Cet  emploi 
plus  étendu  est  surtout  attesté  pour  le  Jura  bernois,  malgré  le 
terme  spécial  boudin,  dont  on  se  sert  exclusivement  pour  le 
rouleau  de  foin  par  opposition  au  rouleau  d'herbe.  Ajoutons 
que  les  deux  mots  de  la  Suisse  allemande  tnad?  et  chbrd  s'ap- 
pliquent également  à  un  rouleau  de  foin  quelconque,  de  préfé- 
rence dans  leurs  formes  diminutives  madli  et  chœrli.  Jusqu'ici 
le  développement  de  sens  de  andain,  mad3,  chbrd  est  tout  à  fait 
parallèle.  Enfin  le  moi afidain  signifie  encore:  «l'espace  fauché 
ayant  la  largeur  d'un  coup  de  faux  et  occupant  toute  la  lon- 
gueur du  pré  ».  Ce  sens  est  attesté  par  notre  correspondant  du 
Vullyvaudois  et  par  celui  d'Evolène  (Valais),  malheureusement 
sans  exemples  qui  permettent  de  préciser.  Par  contre,  notre 
excellent  correspondant,  ^I.  Reymond,  bibliothécaire  à  Lau- 
sanne, que  j'ai  consulté  à  ce  sujet,  a  bien  voulu  me  faire 
observer  qu'on  dit  couramment  :  il  a  pris  un  large  andain,  en 
parlant  de  l'espace  que  parcourt  la  faux.  De  plus,  il  est  certain 
que  le  sens  en  question  existe  dans  les  patois  de  la  Suisse  alle- 
mande. On  peut  dire,  par  ex.,  en  se  promenant  dans  un  pré 
dont  le  foin  est  rentré  depuis  longtemps  :  do  gsct  ms  no  d'madi, 
«là  on  voit  encore  les  andains  »  ;  ici,  maJ?  désigne  évidem- 
ment la  série  des  traces  que  laissent  sur  le  sol  les  coups  de 
faux  donnés  (surtout  par  un  faucheur  maladroit).  Ou  encore  on 
dit  :  ich  das  3  braiti  mads .',  «  quel  andain  large  !  »,  par  quoi 

^  Cf.  Jaccottet,  Scènes  de  la  vie  vaudoise,  1854,  p.  45  :  «  Les  râteaux 
ramassent  le  foin  en  larges  endains,  que  les  fourches  poussent  et  rappro- 
chent en  endains  {toulns)  plus  larges  encore.  » 


l6  E.    TAPPOLET 

on  entend,  non  le  rouleau,  mais  l'espace  vide  d'herbe  entre  les 
rouleaux  1. 

Enfin,  il  existe  un  synonyme  de  ;«a^^  auquel  me  rend  attentif 
M.  le  1)''  Hubschmied,  c'est  le  molyân'-,  répandu  dans  une 
grande  partie  de  la  Suisse  allemande.  Il  désigne  entre  autres 
le  «  chemin  qu'un  faucheur  laisse  derrière  lui  ou  le  chemin  qui 
lui  reste  à  parcourir.  »  On  dit  par  ex.  m^r  ivei  d  breits  yân'  ne, 
«  nous  allons  prendre  «  le  chemin  »  large.  »  [Schw.  Idiotikon, 
III,  43,  etc.) 

Nous  sommes  donc  amenés  à  conclure  que  dans  la  Suisse 
romande  andaiti  signifie  à  la  fois  un  rouleau  d'herbe  fauchée  et 
l'espace  compris  entre  deux  de  ces  rouleaux  d'un  bout  du  pré 
à  l'autre. 

Or  si  nous  consultons  quelques  dictionnaires  français,  nous 
pourrons  les  répartir  d'après  la  définition  qu'ils  donnent  du 
mot  andain  en  deux  groupes  : 

I.  Littré  dit  un  peu  vaguement:  «  andain,  l'étendue  que  le 
faucheur  peut  faucher  de  pas  en  pas.  »  Faut-il  entendre  l'es- 
pace tout  entier  ou  seulement  l'espace  atteint  par  UN  coup  de 
faux  ? 

Le  Dictionnaire  de  l'Académie  nous  fixe  là-dessus  en  disant: 
«  andain,  l'étendue  du  pré  qu'un  faucheur  peut  faucher  à 
chaque  pas  qu'il  avance.  » 

De  même  Gazier,  qui  dit:  «andain,  surface  qu'un  homme 
peut  faucher  toutes  les  fois  qu'il  avance  d'un  pas.  » 

Le  2=  groupe  ne  parle  plus  de  l'espace  fauché,  mais  de 
l'herbe  coupée. 

Ainsi  le  Dictionnaire  général  :  «  andain,  ce  que  le  faucheur 
coupe  à  chaque  enjambée.  » 

1  Je  dois  ces  informations  à  l'obligeance  de  M.  le  Dr  E.  Dick,  ori- 
ginaire de  Ersigen,  près  Berthoud  (Berne). 

2  On  rattache  ce  mot  à  la  racine  contenue  dans  le  sanscrit  jâ, 
«  aller»,  ce  qui  appuierait  l'hypothèse  de  ceux  qui  voient  dans  notre 
anàain  un  dérivé  de  aiidare.  L'allemand  ydn'  serait-il  identique  avec 
gin,  qu'on  trouve  dans  les  patois  français  du  nord  et  du  nord-est  ? 
Voir  Behrens,  dans  les  Mélanges  Chabanean,  p.  548-549. 


AXDAIX  17 

De  même  Larousse  :  «  a?idain,  herbe  qu'un  faucheur  peut 
abattre  à  chaque  pas  qu'il  fait.  » 

Ce  qui  nous  frappe,  c'est  le  désaccord  complet  entre  l'em- 
ploi du  mot  en  français  et  l'emploi  du  mot  en  patois.  En  fran- 
çais, ridée  d'un  andain  est  inséparable  de  celle  d'un  coup  de 
faux  ;  c'est  ou  bien  le  petit  espace  que  parcourt  la  faux  ou  la 
petite  portion  d'herbe  qu'elle  abat  en  une  fois  ;  V andain  fran- 
çais est  peu  de  chose  en  comparaison  de  X andain  romand,  car 
l'andain  romand,  soit  comme  espace,  soit  comme  herbe,  em- 
brasse toute  la  longueur  du  pré. 

Le  sens  romand  est-il  inconnu  à  la  langue  française?  Non, 
voici  P.  Monet,  lexicographe  du  xvii^  siècle  (1635),  qui  dit: 
«  andain,  trace  tondue  et  vide  d'herbe  d'un  bout  du  pré  à 
l'autre.  » 

Enfin  et  surtout  il  faut  tenir  compte  de  l'ancien  français.  Ici 
andain  nous  est  attesté  entre  autres  dans  le  sens  d"«  enjambée, 
pas,  mesure  ». 

Le  Dictionnaire  général  cite  la  phrase  :  «  à  grands  audains 
va  à  perdition.  »  Ce  sens  a  persisté  dans  la  langue  littéraire 
jusqu'au  xvii«  siècle.  Un  lexicographe  anglais  de  cette  époque, 
Cotgrave,  note  :  «  andain  =  a  stride  or  as  ??iuch  ground  or 
space  as  a  man  can  comprehend  by  striding»  ;  en  français  :  «  une 
enjambée  ou  autant  de  terre  ou  d'espace  qu'un  homme  peut 
couvrir  en  écartant  les  jambes.  »  Si  nous  résumons  ce  que 
nous  avons  dit.  nous  aurons  les  cinq  significations  que  voici  : 

1.  andain  =  rouleau  d'herbe  fauchée  (par  extension:  rou- 

leau de  foin). 

2.  andain  =  portion  d'herbe  fauchée  d'un  coup. 

3.  andain  =  long  espace  fauché,  correspondant  au  sens  i. 

4.  andain  =  petit  espace  fauché,  correspondant  au  sens  2. 

5.  andain  =  enjambée,  spécialement  la  longueur  d'une  en- 

jambée de  faucheur. 

Etymologie  de  andain.  —  Plusieurs  étymologies  ont  été 
proposées.  Nous  ne  pouvons  les  discuter  ici  comme  elles  le 
mériteraient.  La  question  est  d'autant  plus  épineuse  qu'elle  se 


l8  E.    TAPPOLET 

complique  avec  le  terrible  problème  de  aller-andarc.  En  effet, 
la  première  idée  des  étymologistes,  —  Diez  en  tête,  —  était  de 
rattacher  notre  mot  au  radical  roman  de  andare,  l'andain 
aurait  été  une  «  allée,  »  puis  l'espace  parcouru  par  la  faux. 
Mais  le  suffixe  -aniim  ne  s'ajoutant  jamais  à  des  verbes,  on  a 
proposé  deux  substantifs  latins  :  indaginem  (G.  Paris)  et 
*ambitanum  (MM.  Grober  et  Horning).  De  fortes  raisons 
d'ordre  phonétique,  exposées  par  M.  Horning  /.  c,  nous  font 
écarter  indaginem  en  faveur  de  *ambitanum,  que  nous 
croyons  l'origine  la  plus  probable.  Au  point  de  vue  de  la  forme, 
il  n'y  a  point  de  difficulté  sérieuse.  Quelle  aurait  été  l'évolution 
sémantique  ? 

Ambitus,  s.  m.,  dérivé  de  ambire,  aller  autour,  expri- 
mait en  latin  le  mouvement  circulaire,  on  disait  par  ex.  :  per 
ambitum  capitis,  tout  autour  de  la  tête,  ou  l'espace  occupé  par 
une  chose  :  explorare  anibitiwi  Asiœ,  explorer  l'Asie  dans  toute 
son  étendue  (Georges).  Mais  ce  qui  nous  rapproche  bien  mieux 
de  notre  andain,  c'est  ce  passage  si  précieux,  tiré  de  Festus', 
qui  démontre  qu'on  appelait  ambitus  cet  espace  de  deux 
pieds  et  demi,  prescrit  par  la  loi,  que  l'architecte  romain  devait 
laisser  entre  deux  maisons  -. 

Par  cet  emploi  technique,  le  mot  change  d'aspect  :  de 
«  circuit  »,  qu'il  signifiait,  il  arrive  au  sens  nouveau  de  «  inter- 
valle ».  Or  cet  intervalle  inter  vicinorum  ccdijîcia  est  de  deux 
pieds  et  demi,  c'est-à-dire  précisément  la  longueur  d'un  pas 
normal,  une  enjambée.  Ambitus  serait  devenu  dans  le  langage 
des  architectes  romains  un  synonyme  de  gradus,  pas. 

Il  faut  supposer,  —  aucun  texte  ne  nous  le  dit,  —  que  dans 
la    suite  ambitus,  terme    technique    des    architectes,   a  été 


'   Grammairien  latin,  probablement  du  ne  siècle  après  J.-C. 

■^  Amhitus  proprie  dicitiir...  inter  vicinorum  adificia  locus  diiorum  peduni 
et  semipedis  ad  circumeiuidi  facuUalem  relictus.  [Zeitschr.  Jiir  rom.  Phil., 
XXIX,  p.  515.) 

^  La  largeur  de  ce  pas  est  en  moyenne  de  0,65  m.  d'après  les  infor- 
mations de  M.  Horning. 


AXDAIN 


19 


appliqué,  directement  ou  indirectement,  au  pas  du  paysan  qui 
fauche,  les  jambes  écartées.  Telle  est  l'opinion  de  M.  Hornin"-. 

Reste  à  examiner  un  autre  point  de  vue.  Ambitus  étant  le 
mouvement  circulaire,  il  est  possible  que  le  mot  ait  désigné 
l'arc  de  cercle  que  décrit  la  faux  en  passant  de  droite  à  gauche. 
Ambitus  aurait  été  d'abord  la  ligne  que  trace,  dans  l'herbe  à 
faucher,  la  pointe  du  tranchant  de  la  faux,  puis  l'espace  par- 
couru par  la  faux  (sens  4  de  notre  tableau),  enfin  l'herbe  fau- 
chée sur  cet  espace. 

Ce  qui  appuie  cette  façon  de  voir,  c'est  une  expression 
curieuse  de  l'allemand  bernois  que  m'indique  M.  Dick.  On  dit 
à  quelqu'un  qui  n'abat  pas  une  assez  grande  quantité  d'herbe 
en  fauchant  :  dou  mou^sch  viacTroum  mày?,  «  tu  dois  faucher  tout 
autour  de  toi  »  (proprement  tout  autour  de  l'homme).  On  voit 
au  moins  par  là  que  l'idée  de  mouvement  circulaire  est  pré- 
sente à  celui  qui  fauche.  Le  développement  que  je  suppose  ici 
aurait  l'avantage  de  conserver  au  mot  ambilus  son  sens  étymo- 
logique «  ligne  circulaire». 

J'avoue  que  les  très  judicieuses  remarques  de  M.  Horning 
sur  le  passage  de  Festus  ne  m'ont  pas  entièrement  convaincu 
que  atnbitus  soit  devenu  synonyme  de  «  pas  ».  J'incline  plutôt 
à  croire  que  dans  l'idée  d'un  architecte  romain  ambitus  est 
un  espace  libre  tout  autour  de  la  maison, un  pourtour^.  Il  a  un 
minimum  de  largeur  de  deux  pieds  et  demi,  mais  l'idée  d'une 
largeur  déterminée  n'est  peut-être  pas  aussi  importante  que 
M.  Horning  semble  le  croire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  que  ambitanum  appliqué  au  fauchage 
ait  désigné  l'enjambée  ou  l'espace  circulaire  que  parcourt  la 
faux,  le  mot  aura  bientôt  pris  le  sens  de  <  travail  accompli  à 
chaque  pas  que  fait  le  faucheur  ».  Ce  travail  consiste,  —  selon 
le  point  de  vue  auquel  on  se  place,  —  soit  à  balayer  avec  la 
faux  l'espace  qu'on  a  devant  soi  (de  là  le  sens  4,  «  petit  espace 


*  Tel  est  aussi  le  sens  qu'indique  le  Dictionnaire  latin  de  Benoist, 
se  basant  sur  un  passage  de  Cicéron. 


20  E.    TAPPOLET 

fauché  »  ),  soit  à  coucher  à  sa  gauche  l'herbe  abattue  (sens  2, 
«  portion  d'herbe  fauchée  d'un  coup  »).  Rappelons  que  la  plu- 
part du  temps  on  emploie  le  mot  a/idai» a.vec\Q  verbe  «  faire  ». 
«Tu  fais  de  gros  andains  »  peut  signifier:  1°  «  tu  rases  une 
grande  étendue  d'herbe  d'un  seul  coup  de  faux  »  :  2°  «  tu 
coupes  une  grosse  portion  en  une  fois  ». 

Ces  deux  idées  sont  étroitement  liées  l'une  à  l'autre,  car  il 
va  de  soi  que  plus  est  grande  l'étendue  que  le  faucheur  peut 
raser,  plus  est  grosse  la  portion  d'herbe  qu'il  peut  abattre.  Je 
dirais  même:  ces  deux  idées,  produit  théorique  de  notre  ana- 
lyse, sont  liées  au  point  de  n'en  former  qu'une  seule,  et  le  vrai 
sens  que  cache  le  mot  ambitanum  >  andain  semble  être 
celui  de  «  travail  de  pieds,  de  mains,  de  tête  qu'accomplit  le 
faucheur,  toutes  les  fois  qu'il  avance  d'un  pas  ». 

Ceci  établi,  les  sens  1  et  3  (rouleau  de  foin  et  long  espace 
fauché)  se  conçoivent  facilement,  si  nous  songeons  que  les 
petits  andains,  soit  comme  espaces,  soit  comme  portions 
d'herbe,  une  fois  ajoutés  les  uns  aux  autres,  ne  sont  plus  guère 
visibles.  Ils  se  présentent  à  l'esprit  comme  une  série  continue, 
le  petit  «  andain  »  s'absorbant  dans  le  grand. 

Reste  à  mentionner  Vandain  double.  Celui  qui  «  ouvre  le 
pré  »  a  l'habitude  de  faire  le  premier  andain  au  milieu  de  la 
largeur  du  pré,  le  second  se  fait  généralement  en  revenant  du 
côté  de  l'herbe  couchée,  de  sorte  que  les  deux  premiers  andains 
se  trouvent  côte  à  côte.  C'est  ce  qu'on  appelle  un  andin 
droby""  (Fribourg,  Vaud,  Valais).  Le  Jura  bernois  dit  donhy' 
indè.  La  Suisse  allemande  dit  également  dopdl-chbr'  (vallée  du 
Birsig,   Bâle-Campagne).  Aussi  chlagmad?  (Bas-Emmenthal). 

E.  Tappolet. 


->'«^<- 


TEXTES 

-♦- 

I.  La  droga. 

Patois  de  la  région  de  Troinex  (Genève). 

Fô-;^  /  prœ  k^"iiyii  h  vîy'  kiiré  dd  Vela-la-Gran,  se  bon 
vivau  1:9  np  hradiv'  pâ  dyan  l  ver  e  Iz'avè  tbiob  na  gandoué::^ 
a  dir  pè  far  rïr  h  niO)id'  ? 

On  dœr,  b  gran  Félisk  s'an  vin  h  trbvâ.  —  ((  Mous'  h 
kuré,  vb  savi  kp  mon  pôUrp  par  :{_  e  môr,  pïskd  vb  l'i  antarâ.  » 
—  «  Oiiè  !  oiiè  !  Damâo,  y  été  on  brâv  bin!  »  —  «  0/  ouè, 
k  y  été  on  brâv  bni  !  Y  è  bin  s  kp  ni'anbel  dp  l  chouanti  dyan 
l  purgatouèr,  è  d  i  ^u  dink  Vidéy  dp  fâr  dir^  kâk  mes'  pè  h 
rpô  dp  su  âni'.  Y  è  pè  san  k  dp  vpny'.  »  —  ((  E  bin  !  fâ  bin 
fé!  T'é  ètb  on  brâv  garson.  On  i'arandra  san  pè  I  myœ  ;  va 
pi.  »  —  <(  Gêr  prpnyî  vb,  nions'  ïp  kiiré,  pè  dir  na  mèsa  }  » 

La  drogue. 

Vous  avez  bien  connu  l'ancien  curé  de  Ville-la-Grand,  ce 
bon  vivant  qui  ne  crachait  pas  dans  le  verre  et  qui  avait  tou- 
jours une  gaudriole  à  dire  pour  faire  rire  le  monde  ? 

Un  jour,  le  grand  Félix  s'en  vint  le  trouver.  —  «  Monsieur 
le  curé,  vous  savez  que  mon  pauvre  père  est  mort,  puisque 
vous  l'avez  enterré.  »  —  «  Oui,  oui.  C'est  dommage,  c'était  un 
brave  homme  !  »  —  «  Oh  !  oui,  que  c'était  un  brave  homme  ! 
C'est  bien  ce  qui  m'ennuie  de  le  sentir  dans  le  purgatoire,  et 
j'ai  eu  comme  cela  l'idée  de  faire  dire  quelques  messes  pour  le 
repos  de  son  âme.  C'est  pour  cela  que  je  viens.  »  —  «  Eh  bien  ! 
tu  as  bien  fait  !  Tu  es  aussi  un  brave  garçon.  On  t'arrangera 
cela  pour  le  mieux;  va  seulement.  »  —  «  Combien  prenez-vous, 
monsieur  le  curé,  pour  dire  une  messe?  »  —  «  Ce  sera  trente 
sous.  »  —  «  Trente  sous!  C'est  bien  cher,  monsieur  le  curé, 


2  2  J.    JEANJAaUET 

—  ((  E  sara  tranta  sou.  »  —  «  Tranta  son  !  Y  è  hin  d-êr, 
vions'  h  hiri,  y  e  hin  i^er.  »  —  k  K°'*}nan  !  bin  ûér,  y  e  h 
pri.  »  —  ((A  otiè,  nions'  h  kuré,  y  è  Oér.  h?  hiré.  dd  San 
Fargo  np  pran  h  van  sou.  »  Alôr  h  kuré  dp  Vela-la-Gran, 
h  nâm'  pâ  d'étr^  kontrèria,  S9  fc  an  kblér  :  «  Lp  kuré  dp 
San  Fargo  !  Ip  kuré  dp  San  Fargo  !  Bin  ouè,  mon  vâlè,  va 
fan  fâr  dir  té  mes'  a  San  Fargo.  A  !  t'aré  d  la  bêla  drbga  !  » 

E.  Patru. 

c'est  bien  cher  !»  —  «  Comment!  bien  cher,  c'est  le  prix.  »  — 
«  Oh  !  oui,  monsieur  le  curé,  c'est  cher.  Le  curé  de  Saint-Cer- 
gues  ne  prend  que  vingt  sous.  »  Alors  le  curé  de  Ville-la- 
Grand,  qui  n'aime  pas  à  être  contrarié,  se  met  en  colère  :  — 
«  Le  curé  de  Saint-Cergues  !  le  curé  de  Saint-Cergues  !  Bien 
oui,  mon  garçon,  va  t'en  faire  dire  tes  messes  à  Saint-Cergues. 
Ah  !  tu  auras  de  la  belle  drogue.  » 

^*^> 

II.  È  fâoua  de  Prinpfo. 

Conte  populaire  en  patois  de  Conthey  (Valais)  '. 

On-na  fâoua  a  maryô  on  maton  di  Prinpfo.  Chtach'da  y 
aè  de  dèvan  :  Te  fô  pa  mè  der^  «  fâoua  tabnâ^  »  è  pouè'  tè 
mâryo  pré.  Cheli  è  pouè'  partà  an  montany'.  E  fâoua  a  kbpô 
b  hvô  kan  èir^  rin  mœ.  Apri  b  i  a  intèlya  in  mètin  on  ran  de 

La  fée  de  Premploz. 

Une  fée  a  épousé  un  garçon  de  Premploz.  Celle-ci  lui  avait 
dit  auparavant  :  Il  ne  te  faut  pas  me  dire  «  fée  talonnée  »  et 
alors  je  t'épouserai  bien.  Lui  est  ensuite  parti  pour  l'alpage. 
La  fée  a  coupé  le  blé  [de  leurs  champs]  alors  qu'il  n'était  pas 
du  tout  mûr.  Ensuite  elle  l'a  entassé  en  mettant  une  couche  de 


1  Raconté  en  1894  par  Joseph  Torrent,  d'Erdes.  Sur  le  sujet  de  ce 
conte,  voir  S.  Singer,  Schwei\er  Mârcben,  i.  Fortsetzung.  Bern,  1906, 
p.  31  ss.,  surtout  p.  45-46,  où  se  trouvent  d'autres  indications  biblio- 
graphiques. 


E  faoua  de  prikpfo  23 

bvô  è  on  ran  de  fodè  de  verna.  Cbinli  è  poiiè'  èim  a  chaè  a 
dm°,  k  èir  an  montany'.  Atr^  è poiiè'  ènu  btl  è  i  t  a  de:  fâoua 
iaànâK  Yé  è  partèii'  è  àin°  a  t  a  pà  mi  toruô  verK  Yé  vènyé 
kûii  lui  èir  lai  p'o  pènye  è  chbnye  è-j  infan.  Papa  a  de  œ-j  in  fan 
k'è  fadf^  der^  a  marna  de  lornâ.  1 1  a  répondu  :  Nô  tôrno 
prœ,  mi  0  fô  der'^  a  papa  k'inbrachyèch^  chin  ky  è  déjà  à  tron 
bâ  œ  ûèa.  Déjà  ché  iron  y  aè  on-na  chèrpifi  inmèrbyâK  Om° 
è  pouè'  itô.  Kan  a  lèô  0  tron,  è  chèrpin  ch'è  lèa^  drèit^  konlrè 
lui.  Atr«  a  ju  pouèir'^  è  a  i  a  bèlyâ^  lai.  Yé  a  fi  on-na  kèryô 
è  om°  a  t  a  pa  mi  yûa  è  è-j  infan  non  plu.  Apri  chin  è  ènu 
on-na  griya  è  è  bvô  è  tb  ju  perdu,  iand:^bikè  chin  ky  è  itô  kbpô 
pè  a  fâoua  a  byiii  morô. 

blé  et  une  couche  de  feuilles  de  verne.  Cela  est  ensuite  par- 
venu à  la  connaissance  du  mari,  qui  était  à  l'alpage.  Il  {liti. 
l'autre)  est  alors  dt^scendu  et  lui  a  dit:  «  fée  talonnée  ».  Elle 
est  partie  et  son  mari  ne  l'a  plus  revue.  Elle  venait  quand  il 
était  absent  pour  peigner  et  soigner  les  enfants.  [Leur]  papa  a 
dit  aux  enfants  qu'il  fallait  dire  à  [leur]  maman  de  revenir. 
Elle  leur  a  répondu  :  Je  reviendrai  bien,  mais  il  vous  faut  dire 
à  papa  qu'il  embrasse  ce  qui  est  dessous  le  tronc  en  bas,  au 
cellier.  Dessous  ce  tronc,  il  y  avait  un  serpent  entortillé. 
L'homme  est  ensuite  allé.  Quand  il  a  levé  le  tronc,  le  serpent 
s'est  dressé  contre  lui.  Il  {litt.  l'autre)  a  eu  peur  et  l'a  repoussé. 
Elle  [la  fée]  a  poussé  un  cri  et  l'homme  ne  l'a  plus  revue  et  les 
enfants  non  plus.  Après  cela,  il  est  survenu  une  tempête  de 
grêle  et  le  blé  [des  autres  gens]  a  tout  été  perdu,  tandis  que 
ce  qui  a  été  coupé  par  la  fée  a  bien  mûri. 

J.    JEANJAQUET. 


— »ciO>0»*Coei— 


ETYMOLOGIES 


Avalanche,  mayen  et  rdmwentsd. 

On  a  reconnu  en  ces  dernières  années,  dans  le  vocabulaire 
usuel  et  les  noms  de  lieu  de  la  France  méridionale,  de  l'Italie 
septentrionale  et  de  la  Suisse  italienne,  l'existence  d'un  suffixe 
■hicus  et  d'un  suffixe  plus  rare  -ancus,  qui  semblent  être  les 
débris  d'une  langue  morte,  celle  des  Ligures,  peut-être  un  temps 
parlée  dans  tout  le  bassin  du  Rhône  et  les  Alpes  occidentales^. 
Dans  un  article  qui  paraîtra  dans  \3LRomajna,]ç  montrerai  que 
ces  suffixes  se  retrouvent  dans  maint  nom  de  lieu  de  la  Suisse 
romande  et  de  la  Savoie  et  que  le  plus  commun  des  deux  a 
servi  chez  nous,  comme  dans  le  midi  de  la  France  et  en  Sar- 
daigne,  à  créer  des  appellations  ethniques  du  type  Ormonnan, 
Ormonnanche.  Ici,  je  voudrais  signaler  la  présence  du  suffixe 
-incus  et  de  sa  variante  -anciis  dans  quelques  termes,  patois  ou 
francisés,  par  lesquels  on  exprime  certains  aspects  caractéris- 
tiques de  la  nature  alpestre  et  de  la  vie  des  populations  cam- 
pagnardes et  montagnardes.  L'un  de  ces  termes  a  déjà  été 
relevé  par  M.  Gauchat,  dans  son  article  Comment  on  nomme  le 
fromage  dans  nos  patois  {Bulletin,  VI,  p.  20,  x),  et  les  pages 
qui  vont  suivre  y  perdront  quelque  chose  de  la  nouveauté 
qu'elles  auraient  pu  avoir  auparavant  pour  maint  lecteur. 


1  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Les  premiers  habitants  de  VEiirope  (2e  éd.; 
Paris,  1889-94),  t.  II,  pp.  3-215.  —  Salvioni,  Ancora  i  noini  leventinesi 
in  -engo  {BoUettino  storico  délia  Singera  italiana,  XXV,  1905,  pp.  93  ss.). 
—  E.  Philipon,  Provençal  -enc,  italien  -ingo,  -engo  {Romania,  XXXV, 
1906,  pp.  1-18).  —  Cf.  Archives  suisses  des  traditions  populaires,  XI, 
p.  155,  n.  I,  et  p.  162. 


HTVMOLOGIES  25 

Avalanche,  autrefois  avallanche  (Cotgrave,  161 1),  avalange 
(1697,  177O;  lavanche  (Pelletier  du  Mans,  La  Savoye,  1572), 
lavange  (forme  la  plus  usitée  au  xviir  siècle)*. 

Midi  de  la  France  :  lavanca,  vers  1 200,  dans  une  poésie  du 
troubadour  Pierre  Vidal  (Raynouard,  Lexique  Roman ^  IV, 
col.  33);  lavanciiiartim  (gén.  plur.),  en  1323,  dans  une  charte 
latine  du  Dauphiné  (Ducange,  art.  lavanchia).  —  Mistral,  dans 
Lou  Trésor  don  Félibrige^  enregistre  les  formes  patoises  :  ava- 
lanco,  valanco ,  avalancho  (Limousin),  eivalancho ,  eilavanchi 
(Dauphiné),  valancho,  lavancho  (Alpes). 

Suisse  romande  et  Savoie  :  «  Helvetii  Gal[lica]  Ling[ua] 
Levanze,  Vallantze,  à  valle...  vocant  •»  (Scheuchzer,  Itinera, 
1723)2;  avalantzche  et  avalantze  (Bridel);  avalantsè  et  /z-a- 
lantsè  (M^^e  Odin,  Glossaire  du  patois  de  Blonay,  sous  presse)  : 
évalanche  et  évalaticher,  v.  intr.,  «s'ébouler»,  dans  le  parler 
vulgaire  de  Genève  (Humbert,  Nouveau  Glossaire  genevois, 
1852);  Iavents9,laçnts9^  (Valais);  lavend^3  (Constantin  elDésor- 
maux,  Dictionnaire  savoyard^  art.  lavênçhe).  —  Un  dérivé  par 
le  suffixe  -arium  [Lavancher,  Lavanchy)  est  fréquent  dans  la  topo- 
nymie alpine  pour  désigner  des  lieux  exposés  aux  avalanches. 

Italie:  lauanche  (f.  pi.),  dans  un  ancien  texte  lombard*: 
lavanka,  lavenka,  dérivé  lavankal  (Val  Brozzo)  ;  laventchi  (Val 


*  Je  complète  les  données  de  Littré  et  du  Dictionnaire  général  par 
des  renseignements  que  je  dois  à  la  complaisante  érudition  de  mon 
collègue  M.  Alexis  François.  —  MM.  Gauchat  et  Jeanjaquet  m'ont 
fourni  aussi  quelques  utiles  indications  concernant  les  mots  avalanche 
et  mayen. 

^  Cité  par  F.  F.  Tuckett,  Note  on  the  ternis  Lauine,  Lawine  and 
Avalanche  {Alpine  Journal,  V,  pp.  346-349). 

^  Cette  prononciation,  propre  au  Valais  central,  ne  justifie  pas 
l'identification  établie  par  M.Jaccard.dans  son  Essai  de  toponymie {jç>.  221), 
entre  laventss  ou  lavanche  et  le  mot  lanche,  usité  dans  les  Alpes  fribour- 
geoises  et  vaudoises,  dans  le  Bas-Valais  et  en  Savoie,  sous  les  formes 
hintsj  ou  Idnts,  lanàs,  lansle,  et  diff"érent  aussi  par  sa  signification.  Je 
compte  revenir  quelque  jour  sur  ce  mot,  qui  nous  offre  peut-être  un 
exemple  de  plus  de  l'emploi  du  suffixe  -anca  dans  les  parlers  alpins. 

•*  Archivio  glottologico  ilaliano,  VII,  p.  26,  1.  21,  et  XII,  p.  410. 


26  E.    MURET 

Soana)'.  —  La  forme  littéraire  (peu  ancienne)  valanga,  qui 
passe  généralement  pour  empruntée  au  français,  provient  plus 
probablement  de  l'un  des  dialectes  parlés  sur  le  versant  méri- 
dional des  Alpes-. 

Contrairement  à  l'opinion  de  M.  KôrtingS,  qui  attribue  la 
priorité  à  la  forme  avalanclie,  ce  mot  francisé  et  ses  corres- 
pondants patois  doivent  être  issus  du  type  lavanca  ou  lavenka, 
par  métathèse  et  moyennant  l'agglutination  de  Xa  de  l'article*, 
sous  l'influence  du  verbe  avaler^  pris  au  sens  primitif  de  «  des- 
cendre, tomber».  Les  formes  originaires  *lav-iuca,  lav-aiica 
sont  dérivées  du  verbe  latin  labi^  «  glisser,  tomber»,  comme 
les  synonymes:  allemand  laioine,  réto-roman  lainna,  livina 
(avec  le  dérivé  laviiial,  livinaï),  tessinois  levina'^,  provençal 
lavifw,  «  roche  calcaire  en  décomposition,  lieu  raviné  »  (Mistral), 
—  dont  le  prototype  lab-Jna{cî.  ru-Ina,ée.  ruere)  était  déjà  usité 
dans  la  latinité  chrétienne  au  sens  d'«  éboulement  »  6.  Dans  les 
formes  co.mme  eilavaîjchi,  évalanche,  celle-ci  déjà  mentionnée 
en  1768,  —  on  retrouve  le  verbe  composé  elabi  (ou  plutôt  un 
verbe  recomposé,  ex-labi),  qui  a  la  même  signification  que  le 
simple.  Ces  formes,  aussi  bien  que  la  différence  sémantique, 
interdisent  de  rattacher,  avec  Nigra,  ^lavinca"'  et  lavanca  à 
l'italien  lava  (lave). 

*  Nigra,  Arch.glott.,  XIV,  p.  284. 

-  S.  Pieri,  dans  les  Stiidj  ronian\i,  I,  pp.  54-55. 

^  Lateinisch-romamsches  Wôrterlmch  (5e  éd.),  n°*  5355  et  284. 

"^  Cf.  E.  Tappolet,  dans  notre  Bulletin,  II,  pp.  22  ss.,  et  dans  la 
Festschrijt  lur  4^.  Versammhing  deiitscher  Pbilologen  und  Schuhiiànner 
(Basel,  1907),  pp.  324  ss. 

^  Dictionnaire  géographique  de  la  Suisse,  art.  Lauenen.  L.euenen,  etc. 

^  Josias  Sin".ler,  dans  sa  Vallesia  et  Alpinm  Descripiio  (1574),  dont 
M.  Coolidge  a  publié  récemment  une  nouvelle  édition,  copieusement 
annotée  (Grenoble,  1904),  parle  du  danger  qui  résulte  pour  les  voya- 
geurs (p.  222)  :  ((  à  decidentibus  conglomeratis  nivibus  quas  nostri 
Lôitwineii.  Rheti  Labinas  vocant,  haud  dubie  à  labendo...  »  J.  Wagner 
(1680)  et  Scheuchzer,  cités  par  Tuckett,  appellent  les  avalanches  labinie 
ou  labeiia. 

"^  Ou  *labinca  (c'est  tout  un)  ;  mais  non  *labTn-ica,  comme  le  sup- 
pose M.  Pieri.  Dans  tous  les  patois  alpins,  le  c  latin  prononcé  après 


ETVMOLOGIES  27 

Les  formes  française  lavange  et  avalange  résultent  probable- 
ment de  la  substitution  du  suffixe  -ange  de  vidange^  mélange 
(quelquefois  féminin),  bara>igeJouange,di  la  de'sinence  très  rare 
-anche.  En  Italie,  les  adjectifs  termine's  au  masculin  en  -eng 
(prononcez  -enk).,  au  fe'minin  en  -etiga,  -e/ika,  -inkja,  et  les 
noms  de  lieu  de  même  désinence  du  Piémont  et  de  la  Lom- 
bardie  ont  pour  correspondants,  dans  la  langue  littéraire  et 
l'usage  officie],  des  formes  en  -ingo,  -engo,  -inga  ou  -enga. 
Plusieurs  noms  propres,  comme  Mare?igo  (nom  de  lieu)  et 
Maretico  (nom  de  famille),  Landarenca ,  parfois  Landarenga 
(Grisons),  s'écrivent  ou  se  prononcent  tantôt  d'une  façon, 
tantôt  de  l'autre*.  Valanga  nous  offre,  à  ce  qu'il  me  semble, 
un  spécimen  de  ces  procédés  maladroits  d'adaptation  par  les- 
quels maint  nom  de  lieu  a  été  déformé,  en  passant  de  l'usage 
oral  dans  l'usage  écrit  et  officiel. 

Mayen-,  may^n.,  maen,  incen^  s.  m.  Terme  par  lequel  on 
désigne,  dans  la  plus  grande  partie  du  Valais  romand,  les  pâtu- 
rages, appelés  au  Tessin  inaggenghi  ou  inonii^,  où  les  vaches 
séjournent  au  printemps  et  en  automne,  avant  d'aller  paître 
l'herbe  des  montagnes  ou  de  redescendre  au  village.  On  en  a 
des  formes  médiévales  dans  les  noms*  de  Petrus  dol  Mayench, 
mentionné  vers  1250,  de  Johannes  don  Maeyng,  habitant  de 
Sion  en  1306.  Il  se  traduit  en  allemand  par  jnaiensass  ou  l'or- 


une  voyelle  pénultième  atone  est  devenu  sonore  (cf.  dominica,  pro- 
noncé ddmpnd-{d  en  Suisse,  ddmenôe  en  Savoie).  Le  changement  d'r 
en  ^  ou  e  fermé  sous  l'influence  d'une  labiale  est  fort  hvpothétique 
et  ne  rendrait  pas  compte  des  formes  du  type  lavanca. 

*  Salvioni,  dans  l'article  précité,  pp.  98-99. 

2  Pour  ne  pas  m'écarter  de  l'orthographe  usuelle  de  ce  mot,  on 
me  permettra  de  noter  ici  par  en  le  son  nasal  habituellement  transcrit 
par  in  dans  le  Bulletin.  Pour  distinguer  des  voyelles  nasales  les  voyelles 
orales  suivies  de  la  consonne  n,  je  mets  une  barre  entre  Vu  et  la 
voyelle  précédente. 

^  Annales  de  géographie,  XV,  p.  358,  n.   i. 

*  Documents  relatifs  à  l'histoire  du  Vallais,  publiés  par  J.  Gremaud, 
I,  p.  4)6  ;  Zimmerli,  Die  deiitsch-franiôsische  Sprachgren~e,  III,  p.  19. 


2  8  E.    MURET 

sàss,  et  il  a  pour  synonyme,  dans  l'ancien  Valais  savoyard,  en 
aval  de  Saint-Maurice, /(Cr/Vr,  en  patois /c/zr/,  qui  signifie  pro- 
prement «  printemps  »  ^.  Dans  le  canton  de  Vaud,  c'est  un  mot 
rare,  sans  être  tout  a  fait  inconnu.  A  ce  que  m'apprend  notre 
correspondant  M.  A.  Neveu,  il  n'est  employé  à  Leysin  que  pour 
dénommer  le  pâturage  et  la  Tour  de  Mayen,  /a  tbr  de  Maya. 
A  Blonay,  d'après  M'"^  Odin,  mayen  est  un  synonyme  «  très, 
peu  usité  »  de  tsale  et  de  grandzè,  qui  désignent  les  «  nombreux 
petits  chalets  disséminés  sur  les  hauteurs,  au-dessus  des  villages 
et  à  mi-chemin  des  grands  pâturages  »  de  la  montagne.  Dans 
le  Jura  vaudois,  on  connaît  un  mot  f/iayon,  qui  figure  ou  figu- 
rait au  cadastre,  dans  les  lieux  dits  es  Méon  oX.  Plat-des-Mayorn 
(commune  du  Chenit).  Ce  mot  mayofi,  lisons-nous  dans  la 
notice  de  L.  Reymond  sur  La  Vallée  de  Joux  (p.  ^2)  ^^  ^^ 
seconde  édition),  «est  le  même  que  fnaye?i  employé  encore 
aujourd'hui  dans  les  montagnes  du  Valais  et  ailleurs  pour 
désigner  ces  petits  bâtiments  où  l'on  serre  provisoirement  des 
fourrages  au  moment  de  la  récolte  (on  dit  aussi  quelquefois 
mazots).  » 

Le  diminutif  maye\ntset,  mae\ntset.,  mayentse  se  rencontre 
assez  souvent  parmi  les  noms  de  lieu  valaisans.  Dans  la  vallée 
de  I.ouèche,  où  l'on  a  parlé  des  patois  romands  jusqu'au  XVF 
siècle,  il  est  prononcé  ma\ntchèt  à  Varonne,  ma\nchet  à  Inden 
et  Louèche-les-Bains,  dans  le  nom  de  famille  Mayenzet  et  le 
nom  de  lieu  Manschetgraben  {con-imnnt  de  Louèche-les-Bains). 
Je  relève  des  mentions,  en  1366  de  Perrodus  de  MaynchetOy 
en  1380  de  Petrus  de  Maetu/ielo,  à  Louèche^. 

Dans  le  lieu  dit  /  niayenfson,  au-dessus  de  Lourtier  (Bagnes),, 
orthographié  Mayentzon  au  registre  foncier,  es  Mayenzons  en 
1800,  apparaît  un  autre  diminutif,  —  plus  rare,  si  j'en  puis 
juger  par  les  noms  de  lieu,  —  que  nous  retrouverons  tout  à 
l'heure  dans  un  autre  emploi. 


'  Cf.  Bulletin,  III,  p.  51. 

'2  Gremaud,  VI,  pp.  538  et  198. 


ETYMOLOGIES  29 

Le  féminin  ))iayents3  est  usité  dans  plusieurs  sens  différents 
et  sur  un  territoire  plus  étendu  que  les  formes  masculines.  Dans 
la  vallée  de  Bagnes,  on  appelle  en  quelques  endroits  3  (la) 
mayents?  une  zone  étroite  de  pâturages  communaux,  entre  les 
mayens,  qui  sont  divisés  entre  un  grand  nombre  de  petits  pro- 
priétaires, et  les  montagnes^  qui  appartiennent  à  des  consorts'^. 
Dans  les  cantons  de  Vaud  et  de  Fribourg,  on  appelait  jadis 
maientzes  (Bridel)  les  jeunes  filles  qui,  le  premier  dimanche  de 
mai,  allaient  de  porte  en  porte  quêter  de  petits  présents  en 
chantant,  tandis  que  les  garçons  qui  «  chantaient  le  mai  » 
étaient  qualifiés,  à  Blonay,  de  mayentson.  Mayçnts?  ou  son 
diminutif  mayenta'eta  (Blonay)  :  «  Se  dit  de  toutes  les  espèces 
de  mésanges»  (Bridel).  La  carte  Mésange  de  V Atlas  linguis- 
tique de  la  France  montre  qu'il  en  est  de  même  dans  mainte 
localité  d'outre-Jura. 

Les  dialectes  lombards  ont  un  adjectif  mageng-,  les  patois 
du  midi  de  la  France  un  adjectif  fnaien,  majen,  majenc  (Limou- 
sin), au  féminin  majenco,  signifiant  :  «  de  mai,  du  mois  de  mai, 
printanier  ».  Les  foins  de  mai  s'appellent,  d'après  le  Trésor  de 
Mistral,  fen  inaien,  Ion  inaien,  en  Lombardie  fen  tiiageng. 
Olivier  de  Serres,  qui  écrivait  en  Vivarais,  sous  Henri  IV,  a  usé 
de  ce  terme  dialectal,  dans  son  Théâtre  d'agriculture  (1600), 
en  parlant  des  «  premiers  foins,  dits  maiens  par  estre  cuellis  au 
mois  de  mai  3.  »  De  même  qu'à  Trient  mayents?  est  le  nom 
d'un  «  fromage  fait  au  moment  où  l'on  remet  les  vaches  à 
l'herbe,  dans  les  mayens  ou  bas  pâturages  de  printemps  » 
(Gauchatj,  l'on  appelle  masgiukja  au  Tessin,  dans  la  Val- 
maggia  «  certo  cascio  fatto  in  maggio  »  (Salvioni).  Le  mot  ge- 
nevois meinche,  s.  f.,  défini  par  Bridel:  «Sorte  de  spectacle 
public,  représentation  théâtrale,  jeux  de  bateleurs  »,  est  sans 


*  La  forme  mayense  a  été  employée  par  quelques  écrivains  comme 
synonyme  de  mayen  (voyez  le  Suppîémetit  de  Littré);  mais  je  n'ai  jamais 
rencontré  le  mot  patois  dans  cette  acception. 

^  Sur  cette  désinence,  voir  plus  haut,  p.  27. 

•^  Godefroy,  Dictionnaire  de  l'ancieiiiie  langue  française,  V,  p.  70. 


30 


E.    MURET 


doute  identique  à  maienco  ou  majenco,  usité  dans  la  France 
méridionale  pour  désigner  la  fête  de  mai,  le  feuillu,  comme 
on  dit  aujourd'hui  dans  la  campagne  genevoise^. 

Selon  toute  vraisemblance,  c'est  parce  que  les  petits  de  la 
mésange  éclosent  au  mois  de  mai  que  les  différentes  espèces 
du  g&nxQ  parrus  ont  été  qualifiées  par  une  épithète  dérivée  de 
maius.  Le  même  adjectif,  tombé  chez  nous  en  désuétude,  mais 
ailleurs  persistant,  se  reconnaît  dans  toutes  les  formes  de  mots 
et  dans  toutes  les  acceptions  énumérées  ci-dessus,  et  d'autres 
encore  qui  sont  enregistrées  par  Mistral.  Le  sens  général  de 
«  printanier  »  qu'a  cet  adjectif  au  midi  de  la  France  fait  com- 
prendre comment  il  a  pu  être  appliqué  par  nos  montagnards  à 
leurs  maycfîs,  où  la  rudesse  du  climat  ne  permet  pas  qu'on  se 
rende  avant  le  mois  de  juin. 

Haitmiçntss ,  rsmwçjîts,  rèmwents?-,  s.  f.  Terme  par  lequel 
on  désigne  en  Valais,  dans  un  pâturage  à  vaches  (ou  montagne) 
de  quelque  étendue,  ou  dans  un  groupe  de  pâturages  exploités 
en  commun,  les  sections  pourvues  d'une  cabane  où  l'on  fait  le 
fromage,  mais  non  d'une  cave  pour  le  conserver,  l'unique 
cave  étant  toujours  jointe  à  l'installation  principale  ou,  du 
moins,  située  dans  son  voisinage  immédiat.  Tandis  que  le  bâti- 
ment principal  et  ses  dépendances  sont  désignés  par  des  termes 
spéciaux,  qui  varient  d'un  lieu  à  l'autre,  celui  de  r^nnccnts^ 
s'applique  presque  partout  à  chacune  des  fromageries  secon- 
daires aussi  bien  qu'aux  pâturages  qui  en  dépendent.  Le  verbe 

'  Suivant  Littré  ({Supplément),  mayen  «  s'est  dit  pour  fête  de  tir 
tédéral,  sans  doute  à  cause  que  ces  solennités  se  célébraient  au  mois 
de  mai  »,  et  il  en  cite  deux  exemples  tirés  d'un  article  du  Journal  offi- 
ciel de  la  République  française  sur  nos  tirs  fédéraux.  En  se  reportant  à 
cet  article,  on  voit  que  l'auteur  anonyme  n'a  fait  que  franciser  le  mot 
aUemand  meye,  meyen,  par  lequel  nos  confédérés  désignent  toute  espèce 
de  solennité  joyeuse,  fête  de  tir  ou  fête  de  corporation.  Cf.  Sclnueiie- 
risches  Idiotikoti,  IV,  col.  7. 

^  Je  note  ici  par  le  ic  anglais  la  consonne  qui  est  représentée  en 
français  par  ou  dans  oui,  oiiale,  fouetter,  par  0  dans  vioelle.  moellon,  poêle, 
foin,  loin,  moins. 


ETYMOLOGIES  3 1 

«  remuer  »  signifiant  dans  nos  patois,  comme  en  ancien  fran- 
çais, «  changer  de  demeure  »,  et  plus  spécialement,  dans  l'éco- 
nomie alpestre,  «  changer  de  pâturage  »,  on  dit  que  les  pâtres 
remuetii,  lorsque,  à  des  dates  presque  immuables  et  suivant  un 
ordre  prescrit  par  la  coutume,  ils  se  transportent  d'une  partie 
de  la  montagne  à  l'autre,  pour  y  séjourner  un  temps  plus  ou 
moins  long  avec  leur  bétail. 

M.  de  Lavallaz,  dans  son  Essai  sur  le  patois  d'Hérénience 
{Valais),  a  bien  reconnu  dans  notre  mot  (p.  143)  un  dérivé  de 
*re-mutare  ;  mais  il  s'est  mépris  sur  le  suffixe.  Supposant  un 
prototype  *remiit-entia,  il  n'a  pu  que  constater  la  divergence 
entre  le  ts  de  r3muents<^ ,  —  qui  répond  à  un  c  latin,  initial  du 
mot  ou  de  la  syllabe  (après  une  consonne)  et  suivi  d'«,  —  et 
Vs  qui  est  le  correspondant  ordinaire  de  ^'/ précédé  d'une  con- 
sonne et  suivi  d'une  voyelle.  Si  je  ne  me  trompe,  nous  avons 
affaire  ici  à  un  ancien  adjectif,  dérivé  de  *re-mutare  par  le 
suffixe  -incus  et  accordé  en  pensée  avec  un  substantif  féminin 
{casa?  capanna?),  ou  avec  un  pluriel  neutre  [pasciia?*mon- 
tajiea  ?),  pour  désigner  ces  pâturages,  ces  fromageries,  que  tour 
à  tour  on  occupe  et  l'on  abandonne  au  cours  de  la  saison 
d'estivage.  Tandis  que,  dans  avalanche,  l'activité  exprimée  par 
le  radical  verbal  est  envisagée  par  rapport  à  son  sujet,  dans 
rdmwç7its3  elle  est  située,  par  l'emploi  du  suffixe  -inca,  dans  un 
lieu  d'où  elle  procède  et  où  elle  aboutit.  C'est  une  différence 
analogue  à  celle  qu'on  observe,  dans  la  syntaxe  du  participe 
présent,  entre  son  usage  ordinaire  et  le  sens  passif  que  nous 
lui  prêtons  dans  des  locutions  comme  une  rue  passante,  une 
toilette  voyante,  à  beaux  deniers  comptants. 

Comparez  Chabrand  et  Rochas  d'Aiglun,  Patois  des  Alpes 
cottiennes...  et  en  particulier  du  Queyras  (Grenoble,  1877), 
p.  93  :  «  Muando,  s.  f.  Chalet,  |  Mutare,  lat.  »,  et  p.  207  : 
«  Muande,  s.  f.  Chalet.  Maison  de  pasteur  avec  un  bercail.  » 
Une  note  de  la  page  93  montre  l'identité  foncière  de  ce  terme 
et  du  valaisan  rannuçntsd  :  «  Pendant  l'alpage,  c'est-à-dire  pen- 
dant la  saison  où  les  troupeaux  se  nourrissent  dehors,  ceux-ci 


32  L.    GAUCHAT 

montent  de  chalet  en  clialet,  épuisant  les  pâturages,  au  fur  et 

à  mesure  qu'ils  arrivent  à  maturité:  les  troupeaux  redescendent 

ensuite,  habitant  successivement  les  mêmes  chalets  en  ordre 

inverse.  »  Dans  les  hauts  pâturages  du  Valais,  il  y  a  aussi  telle 

nmwentsd  qu'on  visite  deux  fois  par  saison,  à  la  montée  et  à  la 

descente. 

Ernest  Muret. 


lavra  ==  lucubrare. 

Un  de  nos  lecteurs  les  plus  assidus,  M.  E.  Vuarnet,  à  Mes- 
sery,  Haute-Savoie,  nous  informe  qu'il  existe  encore,  dans  sa 
contrée,  des  traces  d'un  verbe  /prrâ  ayant  le  sens  de  «  soigner 
les  bêtes  la  nuit  ».  Autrefois,  a/â  hvrâ  équivalait  à  :  mener 
paître  les  bœufs  pendant  la  nuit.  Ce  verbe  prouve  d'une  façon 
indubitable  l'existence,  en  franco-provençal,  du  motlatin  lucu- 
brare =  travailler  de  nuit,  et  rend  encore  plus  probable  l'éty- 
mologie  du  mot  làvr^  veillée  =  lu  eu  bruni,  défendue  dans  le 

Bulletin,  t.  III,  p.  38. 

L.  Gauchat. 


— y^î-^l- 


LA    PREPOSITION    A' 

— î— 

Variantes  phonétiques  :  a  pour  Vd  V  G  F  N,  <?  pour 
Berne.  —  Combinaisons  avec  l'article  suivies  d'un  mot  à  ini- 
tiale consonnantique-.  Au  français  an  correspondent:  o°", 
û,  œ,  on,  u,  ou  (Vd),  w,  ô,  ou,  œ,  œ",  i  (V),  u  (G),  ^°",  ou, 
à,  on  (^F),  u,  i,  ou  (N),  a,  u,  i  (^B).  Au  français  aux  corres- 
pondent :  èy,  e,  i  ( Vd),  i,  e,  u,  H  (V),  e  (G),  èy,  e,  i  (F), 
è,  e  (N),  ^  (Bi.  —  Pour  la  liaison  au  pluriel,  v.  l'article.  — 
Cas  particulier:  la  maison  à-n-on  notéro  (C.  V.  1896,  42); 
à-n-on pra  (C.  V.  1892,  45).  La  présence  de  cette  n  insérée 
devant  l'article  indéfini  s'explique  sans  doute  par  la  combinai- 
son, très  fréquente  en  patois,  de:  en-n-un  pré,  en-n-un  coin, 
etc.  (par  ex.  ën-n-oun  kâro,  Bulletin,  VI,  p.  26),  vu  que  souvent 
à  et  en  sont  complètement  synonymes  (cf.  la  fin  de  cet  article). 

Emplois  de  la  préposition.  Dans  la  classification  des 
exemples,  nous  suivrons  le  système  du  Dictionnaire  général. 
La  préposition  à  exprime  un  rapport  de  destination.  Il  y  a  lieu 
de  distinguer  : 

I.  Destination  de  lieu. 

Ss  trovè  â  kabarè  di  tchvâ  byin,  se  trouver  dans  le  cabaret 
du  Cheval  Blanc  (B);  âlè  è  Porintru,  aller  à  Porrentruy  (B); 
en  Valais  on  dit  même  :  je  viens  d'<z  Sion,  d'«  Louèche  (Pott, 


*  Ces  quelques  pages  sont  un  premier  essai  de  mise  en  œuvre  des 
matériaux  dont  dispose  actuellement  le  Glossaire  romand  sur  ce  sujet. 
Dans  la  rédaction  définitive,  on  réduirait  certaines  parties  que  le  carac- 
tère du  Bulletin  indiquait  de  développer.  Les  abréviations  Vd  V  G  F 
N  B  désignent  respectivement  les  cantons  de  Vaud,  Valais,  Genève, 
Fribourg,  Neuchâtel  et  Berne.  C.  V.  =  Conteur  vaiidois. 

^  Nous  ne  donnons  ici  que  les  formes  principales  en  plaçant  à  la 
tête  de  la  série  cantonale  celles  qui  sont  le  plus  répandues. 


34  E.    TAPPOLET 

Personennamen,  p.  348)  ;  partir  à  la  campagne,  aller  (ou  être) 
à  quelque  part,  à  autre  part,  à  nulle  part  (français  populaire 
Vd  F  V)  ;  mettre  quelque  chose  à  sa  poche  (pour  dans  sa 
poche,  français  pop.  G  N  B),  bâirè  onna  golâie  a  la  casse 
(C.  V.  1888,  2i^)\  le  vuiichtre  envié  a  botchie  David,\e  ministre 
envoya  chez  le  boucher  David  (B,  Hist.  pat.,  p.  13);  aller  à 
l'apothicaire  (français  pop.  Vd  F  N).  Souvent  on  emploie  à 
sans  article  quand  il  s'agit  d'un  apprentissage  à  faire  :  apanr 
a  èkofi,  a  kouHiryièr,  apprendre  le  métier  de  cordonnier,  de 
couturière  (Chaux-du-Milieu,  N)  ;  aller  (être)  à  maître,  aller  en 
service  :  Françoise  qu'étal  a  maître  per  tsi  onna  dame,  Fran- 
çoise qui  était  en  service  chez  une  dame  (C.  V.  1892,  33). 
Cf.  le  wallon,  qui  dans  ce  cas  emploie  à  avec  l'article.  Il  dit  : 
«  être  au  peintre»,  pour  être  en  apprentissage  chez  un  peintre. 
On  dit  dans  un  sens  analogue  :  mettre  un  enfant  à  nourrice 
(au  lieu  de  en,  B,  Péter).  —  Le  Jura  bernois  dit  aie  è  dj'ïndr, 
aller  à  gendre,  c.-à-d.  aller  habiter  chez  ses  beaux-parents. 

Locutions  prépositives:  a  flyan  dé  va.,  à  côté  de  vous  (Vd); 
a  Vétèr  d  la  mézo?i,  autour  de  la  maison  (Vd)  ;  ma  chambre  est 
à  niveau  du  Jardin  (F,  Grangier)  ;  cf.  le  fr.  à  fleur,  à  ras. 

IL  Destination  de  temps, 

Hiair  à  né,  hier  soir  (C.  V,  1899,  10);  cf.  hier  au  soir, 
anc.  fr.  anuit;  dmindje  à  vépre,  dimanche  soir  i^Pat.  Neuch., 
255)  ;  à  bonne  heure,  pour  «  de  bonne  heure  »  (fr.  pop.  Vd  F); 
lo  père  Tiétse  halllivè  on  franc  à  ti  le  bomiaji  ao  poustiyon,  le 
père  T.  donnait  un  franc  au  facteur  à  l'occasion  de  chaque 
Nouvel- An  (C.  V.  1891,  46);  cf.  à  Noël,  à  Pâques,  etc. 

III.  Destination  de  but. 

Plusieurs  verbes  qui  expriment  une  tendance,  un  effort  vers 
un  but,  sont  suivis  de  à,  non  seulement:  se  mettre  à,  donner  à, 
comme  en  français,  mais  aussi  :  suivre  à,  vouloir  à,  falloir  à, 
aller  à,  être  à,  faire  à,  laisser  à.  Exemples  :  s  bote  â  rir,  se 
mettre  à  rire  ;  s  bote  â  fur,  se  mettre  à  fuir,  aussi  dmoré  II  â 


LA   PREPOSITION   A  35 

bœyiy,  être  planté  là  bouche  béante  (B).  La  présence  de  l'ar- 
ticle dans  ces  exemples  («  =  au)  rappelle  la  construction  de 
l'ancien  français:  c'est  folie  del  promettre, tens  est  del  herber- 
gier,  «  il  est  temps  de  prendre  logement  »  ;  met  soi  ou  retourner, 
«  il  se  met  à  retourner  »  (Etienne,  p.  243).  —  Suivre  à  l'affaire 
{Parlons  français.,  19),  probablement  sous  l'influence  de 
«  donner  suite  à  l'affaire  »  ;  balyi  à  Ictchc,  donner  à  lécher 
(N,  Brévine),  cela  veut  à  dire  =  cela  veut  dire  :  mè  faut  alla 
trovâ  lo  tnâidzo  (médecin),  po  savai  cein  que  cein  vâo  à  derè 
(C.  V.  1889,  44);  ye  va  vairè  cein  que  cein  vollidvè  à  derè 
(C.  V.  1894,  20)  ;  vu  prâo  fére  tôt  cein  que  faut  à  fére,  je  veux 
assez  faire  ce  qu'il  faut  faire  (C.  V.  1903,  42)  ;  V Anglais...  lai 
démindè  cein  que  cliaô  manaires  alavan  à  dere,...  ce  que  ces 
manières  signifiaient.  (C.  V.  1900,  52).  Cf.  en  français:  quand 
il  vint  â  mourir.  Cet  ai  à  dire  (=  cela  voulait  dire)  qu'Lieus 
Madjestâ  mettant  les  pies  sus  la  Comtà(N,  Quinche,  Couplets, 
32).  Après  «faire»  suivi  d'un  infinitif:  qu'on  fasse  don  assavai 
à  ma  fenna...  qu'on  fasse  savoir  à  ma  femme  {Chanson  de  Rocati, 
28);  po  lo  férè  a  caisi,  pour  le  faire  taire  (C.  V.  1903,  43); 
no-z-a  adé  fé  à  paï  ratnoudiachon,  il  nous  a  toujours  fait  payer 
l'amodiation  (Corbaz,  p.  19);  fn'a  fé  à  plhora  (Moratel,  Bibl. 
rom.,Tp.  Il)  ;  me  su  fé  à  fére  on  par  dé  bote,  je  me  suis  fait  faire 
une  paire  de  bottes  (Vd,  Dumur)  ;  Va  fei  a  tia  lou  vi  gra,  il  a 
fait  tuer  le  veau  gras  (F,  Stalder,  Landesspr.,  p.  383,  27)  ;  chi 
konto  fâ  a  vini  la  pi  d'ouïe,  ce  conte  fait  venir  la  chair  de 
poule  (F,  Gruyère  )  ;  se  vo  faire  à  préyie,  sans  vous  faire  prier 
{Pat.  Neuch.,  107)  ;  aussi  léchi  a  epurd,  laisser  égoutter  le  linge 
(F,  Charmey).  Cf.  l'historique  de  cet  article. 

Un  autre  emploi  très  ancien  de  à  qu'on  peut  classer  ici,  c'est 
avoir  à  nom  =  s'appeler  :  il  y  avait  dans  notre  commune  une 
veuve  qu'avai ànom  Pernetta  (Corbaz,  p.  53);  aussi  sans  verbe: 
ouna  filya  a  noti  Berta  (N,  Valangin)  ;  cf.  l'historique.  Notons 
aussi:  être  à  l'avis  que...  {Parlons  français,  19,  24).  Ici,  il  y  a 
sans  doute  contamination  entre  ,être  d'avis'  et  ,à  son  avis  '. 


36  E.    TAPPOLET 

IV.  Destination  de  personnes,  de  choses. 

Il  y  a  lieu  de  distinguer  ici  trois  rapports  plus  ou  moins 
différents. 

1.  attribution,  par  ex.  s'adresser  â  quelqu'un.  En  français 
populaire  on  dit  :  causer  à  quelqu'un  (Pautex,  103)  sous  l'in- 
fluence de  parler  à  quelqu'un.  Cein  mé  /a  rassoveni  onco  à  ion 
de  clliâo  bons  vilho  dittons,  cela  me  fait  ressouvenir  d'un  de 
ces  bons  vieux  dictons  (C.  V.  1901,  33),  sous  l'influence  de 
faire  penser  à  ;  de  même  dans  ,  il  rêve  toutes  les  nuits  à  elle  ' 
{Parlons  français).  Citons  ici  un  emploi  particulier,  attesté  par 
de  nombreux  exemples,  où  à  sert  à  exprimer  une  idée  de  distri- 
bution :  quand  V euront  bu  à  tsacon  on  verro  (C.  V.  1891,  12); 
dou  gailld  furieux  que  tignont  à  tsacon  on  grand  coûté,  ...qui 
tiennent  chacun  un  couteau  (C.  V.  1890,  21).  L'idée  sous- 
entendue  semble  être  celle  de  plusieurs  couteaux  ,  distribués, 
donnés  à  chacun  '.  Vont  z-u  à  tsacon  onna  bouna  ratélaie,  ils 
ont  eu  chacun  sa  part  (de  coups)  (C.  V.  1894,  46);  le  tsachao 
ont  et  a  d-obedzi  de  demanda  à  tsacon  on  cognaque  po  se  reveni 
lo  tieu,  ...obligés  de  demander  chacun  un  cognac  pour  se 
remettre  le  cœur  (C.  V.  1888,  25);  fein  est  dza  venu  onna  demi- 
dozanne^  ti  à  tsacofi  avoué  on  violon,  ...tous  avec  un  violon  1. 

2.  adjonction,  par  ex.  joindre  un  mot  à  un  autre. 

à  équivaut  à  ,  en  comparaison  de  '  dans  la  locution  :  ,  il  n'y 
en  a  point  à  lui  pour  faire  '...  (Vd  G  N),  c'est-à-dire  à  le  com- 
parer, lui,  avec  les  autres,  à  le  placer  à  côté  des  autres,  il  faut 
convenir  qu'il  n'y  a  que  lui  pour  faire....  ;  lai  in  a  min  à  tioutron 
cordagni  por  fére  dei  bi  et  bon  solâ,  il  n'y  en  a  point  comme 
notre  cordonnier  pour  faire  de  beaux  et  bons  souliers  (Vd, 
Dumur)  ;  se  totes  le  bites  ne  savont  pas  déveza  (parler)  coumeint 
no-z-autro,  y'eina  tôt  parai  min  à  clliao  papegai  po  dessuyi  lé 

^  Voici  un  exemple  en  français  littéraire  que  je  trouve  dans  Restif 
de  la  Bretonne  (i 734-1 806)  :  «Je  ne  rapporterai  qu'une-  de  leurs  lettres, 
à  chacun,  avec  une  de  leurs  conversations.  »  Les  Contemporaines,  éd. 
Assezat^  p.  84. 


LA   PREPOSITION    A  ■  37 

dzetns,  ...point  comme  ces  perroquets  pour  contrefaire  les  gens 
(C.  V.  1901,  52):  savont  tôt.  Vont  tôt  vu,  n'y  a  min  à  leu  po 
férè  quiè  que  sai  ...point  comme  eux  pour  faire  quoi  que  ce  soit 
(C.V.  1899,  43).  Tour  fréquent  en  français  local. 

3.  appartenance,  par  ex.  :  ce  chien  est  à  moi.  Nous  ne 
donnons  point  d'exemple  pour  l'emploi  datif,  qui  est  le  même 
qu'en  français.  Mais  il  importe  de  signaler  le  cas  où,  pour 
marquer  la  possession,  le  patois  met  à  au  lieu  de  de  :  le  cheval 
à  David,  la  fête  à  ma  mère,  la  bouéba  à  Samiotet,  la  fille  de 
Samuel  ;  le  ?nonsu  reimpliè  ce  ao  tserroton,  le  monsieur  remplit 
celui  (le  verre)  du  charretier  (C.  V.  1894,  6):  lo  grand  Napo- 
léion.  pas  ce  à  rUgénie,  ma  ce  à  la  Joséphine  (C.  V.  1893,  7). 
Ce  à  possessif  ne  s'emploie  qu'en  parlant  de  personnes,  on  ne 
dira  pas  par  ex.  le  toit  â  cette  maison.  —  Rangeons  ici  :  l'è  à 
son  tor  (C.V.  1903,  37),  construction  contaminée  de  ,  c'est  à 
lui  '  et  ,  c'est  son  tour  '.  Retrancher  cent  pages  à  un  livre 
[Parlons  français),  dû  à  l'influence  de  ,  enlever,  ôter  à  '. 

V.  Destination  de  moyen. 

Tirer  à  l'arc,  à  l'arquebuse  (fr.  pop.  B,  Péter)  ;  lo  pot  io  on 
met  cein  à  quiet  on  vao  férè  lo  quegnu,  le  pot  où  l'on  met  ce 
dont  (avec  quoi)  on  couvrira  le  gâteau  (gâteau  aux  pommes, 
aux  cerises,  aux  œufs),  (C.  V.  1889,  27);  krwd  on  tay  a  tav3- 
lyon,  couvrir  un  toit  en  (de)  bardeaux  (Odin,  Blonay).  La  prép. 
à  marque  le  prix  :  acheter  à  quatre  sous  de  cerises  (G,  Hum- 
bert);  à  diéro  voliai-vo  fréma  que  na?  combien  voulez-vous 
parier  que  non?  (C.  V.  1889,  15).  Ajoutons  ici  :  i  w'  trovai 
rentire  à  pieu  de  12  jo  du  b' y  net  s  ,  je  me  trouvai  rentière  à 
raison  de  plus  de  1250  doublons  (pièces  d'or)  (N,  Lamp., 
116,  8).  Le  patois  vaudois  dit  , avoir  assez  à\  au  lieu  de  de: 
fin  a  prâo  à  iena,  il  y  en  a  assez  d'une  (C.  V.  1894,  43)  ;  y''in 
a,  quand  l'ont  sâi,  que  se  conteintont  de  bâirè  onna  golâie  à  la 
casse,  et  qu'ein  ont  prâo  à-n-on  simplio  gongon,  il  y  en  a  qui, 
quand  ils  ont  soif,  se  contentent  de  boire  un  bon  coup  à  la 
«  casse»,  et  qui  en  ont  assez  d'une  simple  gorgée  (C.V.  1888, 


38  E.    TAPPOLET 

38).  —  Aller  â  âne,  à  mulet  (N,  Bonhôte),  sans  doute  par  ana- 
logie de  ,  aller  à  cheval  ',  ,  aller  à  pied  '.  Est-ce  l'idée  de  moyen 
ou  ridée  de  direction  vers  un  lieu  qui  prédomine  dans  'aller 
à  cheval  '  ?  En  tout  cas,  l'origine  de  cette  locution  me  semble 
être  d'ordre  local.  Cf.  monter  à  cheval,  comme  conduire  â 
l'échafaud  pour  sur  l'échafaud.  —  Souvent  l'idée  de  moyen 
s'efface  pour  faire  place  à  celle  d'un  simple  circonstanciel  de 
manière,  c'est  le  cas  pour:  on  ns  léy  va  tyé  a  puairè,  on  n'y  va 
qu'à  peur  (Odin,  Blonay)  ;  s'ingrindzi  tôt  à  dé  bon,  se  fâcher 
pour  tout  de  bon  (F,  Schiveizerbund,  74);  d'à  prdmi,  adv. 
d'abord  (C.  V.  1892,  20)  ;  févrai,  dsmi  àvrai,  sp  n'é  a  prsnii  Vé 
a  dèrai,  février,  demi-ouvrier,  s'il  n'est  le  premier,  il  sera  le 
dernier  (Odin,  Blonay). 

Cas  isolés,  a  vod^on  pà=-  vos  pareils  (F)  ;  cf.  en  ancien  fran- 
çais à  mon  semblant  =  mon  pareil,  san  jn'inmouyè,  a  inè,  cela 
m'ennuie,  moi  (F,  Dompierre)  ;  il  t'a  vu  aussi,  à  toi  (F,  fr.  pop.). 
Mé  et  té  servant  à  la  fois  de  datif  et  d'accusatif,  il  est  probable 
que  cette  construction  est  due  à  l'analogie  de  verbes  à  régime 
indirect  tels  que  ,  cela  me  répugne,  à  moi  ',  ,  il  m'a  obéi,  à  moi  '. 
Comparez  aussi  l'espagnol,  qui  habituellement  fait  précéder  le 
régime  direct  de  a  (p.  ex.  ha  visto  a  la  reina,  il  a  vu  la  reine), 
mais  qui,  tout  en  mettant  le  pronom  conjoint  à  l'accusatif,  le 
répète,  pour  le  relever,  sous  la  forme  du  datif;  par  ex.  hizo 
juramento  de  i?iorir...  en  el  reino  defendiendolo  a  el  y  a  sus 
vasallos,  il  jura  de  mourir  dans  le  pays  en  le  défendant,  lui  et 
ses  vassaux.  C'est  presque  exactement  le  cas  de  notre  ,  il  m'a 
vu,  à  moi  '.  —  ,  Etre  â  court  d'argent'  (Parlons  franc. ),  conta- 
mination de  ,  être  court  d'argent,  et  ,  être  à  court  '.  —  ,à  pure 
perte  '  pour  en  pure  perte  (F,  Grangier  ;  G,  Annales  J.-J.  Rous- 
seau, III,  p.  60,  où  sont  cités  quelques  rares  exemples  du  fran- 
çais littéraire).  Dans  plusieurs  cantons  romands,  on  entend 
dire  :  ,  êtes-vous  d'à  parent  avec  un  tel  '  ?  —  Can  stou  dzounou 
y  sont  entra.,  toté  stou  fille  à  le  voueithi ,  quand  ces  jeunes 
gens  y  sont  entrés,  toutes  ces  filles  à  les  regarder  (en  français  de 
les  regarder,  infinitif  dit  historique)  [Etrennes  frib.,  1874,  m). 


LA   PRÉPOSITION    A  39 

Reste  à  signaler  l'absence  de  à  dans  le  français  populaire  : 
jusque  midi,  jusque  hier,  acheter  bon  marché  (Vd,  Callet). 

Histoire,  a,  è  viennent  de  la  préposition  latine  ad,  dont 
l'emploi  s'est  considérablement  étendu  dans  toutes  les  langues 
romanes.  Nous  allons  voir  que  pour  la  plupart  des  emplois 
romands  de  à  on  trouve  des  analogies  plus  ou  moins  complètes 
dans  le  français  littéraire.  Nous  avons  déjà  rapproché  le  ,  se 
bouter  au  rire  '  du  Jura  bernois  de  l'usage  de  l'ancien  français. 
Quant  à  l'emploi  de  ,  faire  â  rire',  il  semble  peu  répandu  dans 
l'ancienne  langue;  toutefois,  à  côté  d&  faire  entendre,  on  pou- 
vait dire  faire  à  entendre  (Tobler,  V.  B.  I^,  ^2),  faire  assavoir, 
f  attenir  (Godefroy),  faire  à  croire  (jusqu'au  xvn«  siècle), 
faire  à  entendre, faire  à  conoistre  {Rotnanische  Stiidien,!,  399). 
Des  exemples  plus  nombreux  de  cette  construction  se  ren- 
contrent dans  d'anciens  textes  de  la  région  franco-provençale, 
ainsi  dans  VYsopet  de  Lyon  (voir  la  note  de  Foerster  dans  son 
édit.,  p.  139  et  146)  et  dans  la  Chronique  savoyarde  de  Jean 
Servion(xv=  siècle).  Le  wallon  moderne  dit  également  : ,  donnez- 
moi  ou  laissez-moi  à  voir'  {Projet  de  dictionnaire,  p.  12),  cf. 
Herzog,  Dialekttexte,  p.  E  70.  —  Quant  à  la  construction  ,  avoir 
à  nom  ',  l'usage  en  est  courant  en  ancien  français,  où  l'on  dit 
également  :  tenir  à  époux,  à  fou,  à  sot,  donner  à  femme.  Cet 
emploi  est  conservé  dans  le  français  moderne  :  ,  tenir  à  hon- 
neur ',  ,  prendre  à  témoin  ',  ,  à  tâche  ',  enfin  dans  l'italien  : 
avère  a  rappresentante,  avère  a  schifo,  avoir  en  dégoût.  — 
Le  sens  possessif  de  à  suivi  d'un  nom  de  personne  était  d'un 
usage  fréquent  en  ancien  français  (la  fille  au  roi).  Il  s'est  con- 
servé par  ex.  dans  une  bête  au  bon  Dieu,  et  surtout  avec  le 
pronom  personnel  :  une  tante  à  moi,  avoir  maison  à  soi.  — 
Pour  l'emploi  comparatif,  //  n^y  en  a  point  à  lui,  on  trouve 
également  des  analogies  en  anc.  français  et  en  italien  :  de 
toutes  ces  riens  e?isemble  noiens  a  ceste  me  resanble....  en  com- 
paraison de  cette  (chose-là)  (Tobler,  V.  B.  I^,  6)  ;  picciolo 
podere  era  il  loro  alla  potenza  délia  città  (Vockeradt,  §155,7). 

A  titre  provisoire,  on  peut  revendiquer  comme  romandes  les 


40  L.    GAUCHAT 

constructions  que  voici  :  aller  â  maître,  à  ékofi,  etc.,  cela  veut 
à  dire,  cela  va  à  dire,  il  faut  â  faire,  et  la  grande  extension 
donnée  à  la  construction  :  faire  à  rire  ;  tenir  â  chaam  un  cou- 
teau et  plusieurs  expressions  plus  ou  moins  isolées. 

Synonymes.  La  préposition  à  a  un  concurrent  puissant, 
c'est  en,  il  suffit  de  rappeler  l'usage  français:  e7i  mon  nom  et 
au  vôtre;  en  France,  au  Japon,  croire  e7i  Dieu,  au  bon  Dieu. 
Ainsi  le  Jura  bernois  emploie  couramment  en  pour  à:  aie  an 
le  7?iâs,  aller  à  la  messe  ;  étr  an  se  pxès,  être  à  sa  place  ;  dir  an 
son  pér,  dire  à  son  père.  Pour  la  délimitation  exacte  des  deux 

prépositions,  voir  l'article  in  du  Glossaire. 

E.  Tappolet. 


LE  SUFFIXE  ROMAND  -ERl 

FÉM.  -ÈRlDA 
— î— 

En  étudiant  l'histoire  d'un  mot  patois,  nous  sommes  souvent 
arrêtés  par  l'insuffisance  de  nos  connaissances  en  matière  de 
suffixes.  Avant  de  se  mettre  à  rédiger  les  trésors  lexicologiques 
accumulés  dans  le  Bureau  du  Glossaire,  il  faudrait  pouvoir  vouer 
une  attention  particulière  à  ces  éléments  constitutifs  de  la 
parole,  qui  reviennent  toujours  et  qu'il  est  malaisé  d'apprécier 
au  point  de  vue  de  l'idée  qu'ils  représentent  et  de  leur  prove- 
nance, en  prenant  pour  base  uniquement  le  mot  qu'on  ana- 
lyse. L'un  des  suffixes  qui  m'ont  le  plus  intrigué,  parce  que  je 
le  rencontrais  à  chaque  pas,  sans  en  connaître  la  vraie  nature, 
est  celui  qui  possède  en  patois  fribourgeois  la  forme  de  -èrî., 
fém.  -èrîda,  et  qui  s'attache  actuellement,  à  ce  que  je  crois, 
exclusivement  à  des  thèmes  verbaux.  La  difficulté  du  petit 
problème  me  paraissait  résider  dans  la  forme  féminine,  pour 
laquelle  je  ne  trouvais  de  point  de  départ  ni  en  latin  ni  dans 
les  langues  germaniques.  Après  avoir  réuni  quelques  matériaux 


LE    SUFFIXE    ROMAND    -ERl  4^ 

provenant  de  diverses  parties  de  la  Suisse  romande,  je  crois 
pouvoir  présenter  l'explication  suivante. 

Citons  d'abord  quelques  exemples.  Le  poète  Louis  Bornet 
en  a  dressé  une  petite  liste  dans  des  papiers  qui  constituent 
une  esquisse  de  grammaire  gruyérienne:  brûtcrt,  -îda^,  brainérf, 
pllorérî ,  tzantérî ,  sublérî.  Ces  mots  signifient  :  grondeur, 
crieur,  pleureur,  chanteur,  siffleur,  ou  plus  exactement  :  qui  a 
l'habitude  de  gronder,  crier,  etc.  Il  ressort  déjà  de  ces  exem- 
ples que  le  suffixe  désigne  en  première  ligne  une  personne  qui 
fait  fréquemment  ou  habituellement  l'action  énoncée  par  le 
verbe  2.  Comme  les  termes  correspondants  français,  les  vo- 
cables munis  de  ce  suffixe  ont  la  valeur  de  substantifs  et  d'ad- 
jectifs. On  peut  dire  :  «  il  est  grondeur  »  et  «  c'est  un  grondeur  ». 
L'expression  prend  facilement  un  sens  dépréciatif.  Ainsi  dans 
les  mots  suivants:  siikrbtèrî,  qui  aime  à  trop  sucrer  ses  ali- 
ments; krbtsatèrl,  crocheteur,  filou;  7n?rybtèrîda,  fille  qui  se 
regarde  beaucoup  dans  le  miroir  ;  liigcrl,  qui  reste  à  regarder 
travailler  les  autres;  bringèrl,  qui  redit  toujours  la  même  chose, 
qui  «  fait  la  bringue  »  ;  bbnycri,  boudeur  :  rbterï,  qui  rote  sou- 
vent, etc.  Mais  ce  sens  défavorable  est  donné  surtout  par  le 
verbe  sur  lequel  le  suffixe  est  venu  se  greffer.  Il  est  absent 
dans  tsantèrî,  cité  plus  haut,  dans  paydnerï  (Broyé),  qui  cligne 
tout  le  temps  des  yeux,  et  beaucoup  d'autres.  On  peut  donc, 
à  l'origine,  considérer  le  suffixe  comme  synonyme  du  français 
-eur  et  du  patois  -are,  qui  en  est  l'équivalent,  avec  la  diffé- 
rence que  le  français  -eur  repose  sur  l'ancien  accusatif  latin 
-atore,  tandis  que  le  patois  -are  dérive  de  l'ancien  nominatif 
-âtor.  En  effet,  les  sujets  interrogés  pendant  mes  courses  dia- 
lectologiques  m'ont  souvent  répondu  par  des  dérivés  en  -èrï^ 
ou  en  -are  des  mêmes  verbes,  un  peu  au  hasard.  Ils  ne  font 
guère  de  distinction.  Il  arrive  même  qu'on  mélange  les  deux 
formations,  comme  dans  isibrbtor?,  fém.  tssbrbièrîda,  qui  bal- 
butie (Broyé). 

^  Orthographe  de  Bornet. 

-  Nous  avons  aussi  le  verbe  hrtila,  gronder. 


42  L.    GAUCHAT 

Les  deux  suffixes  concurrents  sont  encore  vivaces,  et  il  est 
loisible  d'en  former  des  dérivés  avec  n'importe  quel  verbe  ^. 
Ils  rappellent,  par  le  sens,  l'ancien  suffixe  -arius,  qui  doit 
avoir  cessé  de  produire  des  mots  nouveaux.  Nous  verrons  plus 
loin  que  -èrï  n'en  est  qu'un  composé. 

Quelques  cas  isolés  trahissent  que  la  signification  du  suffixe 
était  autrefois  plus  étendue.  L'expression  rotèrî  signifie  aussi 
«le  rot»,  non  seulement  la  personne  qui  éructe;  kratsèrï 
répond  au  français  «  crachat  ». 

Malgré  l'abondance  des  exemples  que  nous  avons  sous  les 
yeux'2,  nous  n'arriverions  pas  à  découvrir  le  sens  primitif  de  la 
forme  latine  de  notre  suffixe,  si  nous  ne  pouvions  pas  recourir 
au  moyen  le  plus  commode  de  toute  investigation  étymolo- 
gique :  la  comparaison.  En  feuilletant  le  dictionnaire  du  patois 
de  Blonay  (Vaud),  par  M'"^  L.  Odin^^  on  rencontre  très  sou- 
vent le  suffixe  sous  la  forme  -éréi,  qui  ne  laisse  aucun  doute 
sur  la  provenance:  -éi  ne  peut  être  que  le  latin  -ellus;  com- 
parez les  mots  ozci  <  avicellus,  oiseau,  koutci  <  cul  tell  us, 
couteau,  etc.  Je  cite  deux  ou  trois  représentants  relevés  dans  ce 
dictionnaire  :  kotérèi,  ver  blanc,  larve  du  hanneton  (en  gruyérien 
kotérï)',  pyoj'Hcréi,  fr,  pop.  «;piorneur»,  celui  qui  geint  sans 
cesse;  sotdér'ei,  sauterelle;  chbrdér'ei^  fém.  -eila,  sourdaud,  -e. 
Cette  dernière  forme  confirme  notre  opinion  qu'il  s'agit  de 
-ellus  par  la  présence  d'une /au  féminin.  C'est  une  forme  ana- 
logique, refaite  sur  le  masculin,  car  -ella  latin  en  tradition 
directe  donnerait  à  Blonay,  comme  presque  partout  ailleurs 


*  Ils  sont  particulièrement  fréquents  dans  les  verbes  qui  désignent 
les  bruits.  A  remarquer  que  sur  les  cinq  exemples  cités  par  L.  Bornet, 
quatre  (ou  même  tous?)  appartiennent  à  cette  catégorie. 

2  En  voici  d'autres,  choisis  dans  diverses  régions  :  barbdtèrî,  mar- 
motteur  ;  ron.nèrT,  grognon  (Praz  de  Siviriez ,  Fribourg)  ;  épointèré, 
pointilleux;  âmâyèré,  hésitant;  trafdgèré,  trafiquant  (Praz-de-Fort, 
Valais,  féminins  en  -ira);  d\akat3ré,  -driya^  jaseur  (Lourtier,  Valais)  ; 
ka-&éré,  -éral°,  cachottier  ( Aire-la- Ville ,  Genève);  adjectifs:  grasêré, 
gras  ;  setséré,  sec  (Isérables,  Valais). 

^  Sous  presse,  paraîtra  prochainement. 


LE   SUFFIXE   ROMAND    -ERÏ  43 

dans  la  Suisse  romande,  -ala,  témoin  bel  la,  rendu  en  patois 
par  bala.  Mais  le  féminin  légitime  apparaît  dans  d'autres  patois, 
comme  à  Hermance  (Genève),  où  l'on  dit  bramèrè,  fém.  bra- 
mcrala,  criard,  pleurnicheur,  etc. 

La  comparaison  nous  apprend  aussi  quelle  est  l'origine  de 
la  première  partie  du  suffixe  -èrï.  En  Valais,  à  côté  du  féminin 
bramèrèda,  on  cite  bramera,  c'est-à-dire  le  même  radical  muni 
d'un  des  développements  modernes  de  -arius'. 

Voilà  donc  la  question  résolue  :  notre  suffixe  est  un  conti- 
nuateur diminutif  de  -arius.  Il  se  range  avec  -aricius, 
-arilis,  etc.,  dont  on  a  recherché  la  genèse  et  la  diffusion 
dans  des  travaux  récents.  Ce  suffixe  n'est  pas  inconnu  au  fran- 
çais, qui  le  possède  dans  volereau,  lapereau,  poètereau,  tom- 
bereau; passerelle,  sauterelle,  etc.  Le  terme  de  Blonay  soutér'ei 
est  au  français  sauterelle  ce  que  laivra,  fém.,  est  à  lièvre, 
masc.  D'abord  applicable  à  toute  espèce  de  radicaux-,  le 
grand  nombre  de  thèmes  verbaux  figurant  parmi  les  dérivés  en 
-arellus  en  a  de  plus  en  plus  limité  le  domaine  de  producti- 
vité. Le  sens  diminutif  s'est  effacé.  La  différence  qui  existait 
une  fois  entre  on  bramai  3,  un  «  grondeur  (insupportable)  »  et 
on  bramèrï ,  «  personne  malheureusement  trop  encline  à  la 
gronderie  »,  est  oubliée  de  nos  jours.  Un  chbrdéréi  était 
d'abord  un  homme  qui  faisait  un  peu  la  sourde  oreille  ou  qui 
n'entendait  réellement  pas  très  bien.  Aujourd'hui  cela  signifie 
tout  bonnement  un  sourdaud,  et  il  ne  me  semble  pas  impos- 
sible qu'on  dise  en  patois  :  07i  grà  chbrdéréi. 

Reste  à  expliquer  la  forme  féminine  en  -èrlda  (Fribourg  et 
Vaud)  ou  -èréda  (Valais).  On  fait  souvent  l'expérience  que  la 
forme  masculine  des  adjectifs  est  plus  résistante  que  le  fémi- 


*  La  formation  féminine  -iya  de  Lourtier,  citée  dans  la  note  2  de  la 
page  précédente,  correspond  probablement  à  un  ancien  -i\a,  de  -ella; 
-ira  de  Praz-de-Fort  est  peut-être  le  résultat  d'un  croisement  de  -ila 
et  de  -aria. 

-  Cfr.  chbrdéréi,  de  sourd,  et  grasêrè,  setséré  (note  2  de  la  p.  42). 

3  Du  radical  bram  +  arius,  synonvme  de  hraiiiàré. 


44  -  L.    GAUCHAT 

nin''.  C'est  un  fait  qui  donne  à  réfléchir,  mais  que  je  ne  puis 
étudier  ici.  Quelles  étaient  les  possibilités  de  formations  ana- 
logiques pour  le  féminin  d'un  mot  en  -ï?  Ecartons  les  cas  où 
la  voyelle  finale  était  brève,  comme  •'\N\x'à{vi-viva^  etc.),  -itus 
{puri-purya,  pourri,  etc.),  qui  a  entraîné  par  ex.  -ilis  dans 
suti-sutya,  fin,  adroit,  (lat.  subtilis);  faisons  aussi  abstraction 
de  cas  extraordinaires  et  ne  pouvant  pas  agir  comme  mafî, 
7nafït3,  fatigué  ;  il  ne  reste  en  -i  qu'un  seul  modèle  :  prinu-Jn^ 
dreitl-Ir?,  droitier,  leràzl-ïra,  léger,  etc.,  classe  très  nombreuse 
et  qui  cependant  ne  semble  avoir  exercé  aucune  influence. 
Peut-être  prononçait- on  encore  d'une  part  -i?  et  de  l'autre  -éi 
à  l'époque  où  l'on  fit  appel  à  l'analogie,  ce  qui  rendait  les  cas 
plus  dissemblables  qu'ils  ne  le  sont  maintenant.  Le  point  de 
départ  de  la  formation  -èrJda  ne  peut  donc  être  un  type  en  -/'. 
Un  d  existe  dans  le  féminin  de  mots  comme  braillard,  gui- 
gnard,  etc.,  qui  ont  à  côté  d'eux  des  doublets  en  -èrï.  Mais  la 
présence  de  Vr  dans  l'ancien  patois-  me  semble  empêcher  une 
création  analogique  sur  ce  modèle.  Les  mots  du  type  mokèran, 
■da,  moqueur,  drdfnyan,  -da,  dormeur,  sont  également  hors  de 
cause,  avec  leur  voyelle  nasale  constituant  une  classe  bien 
caractérisée  3.  Je  ne  vois  que  des  mots  peu  nombreux  en  -ô, 
-ôda,  comme  tsâ,  -da,  chaud,  patilyô,  -da,  déguenillé  (dérivé 
de  «patte  »,  au  moyen  de  -aldus?),  ou  en  -ou^  -ouda,  comme 


*  Ainsi  nudus  s'est  continué  directement,  tandis  que  nuda  a  été 
souvent  refait  sur  divers  modèles.  On  trouve  d'excellents  matériaux 
sur  la  question  dans  l'intéressant  article  de  M.  Nyrop,  Remarques  sur 
quelques  dérivés  français  [Bausteine  :(ur  romanischen  Philologie,  p.  503  ss.  ; 
reproduit,  avec  quelques  changements,  dans  le  tome  III  de  la  Gram- 
maire historique  de  la  langue  française,  1908);  je  mentionne  les  féminins 
che'tite,  gentite,  coite  (pour  coie)  ;  avarde,  bi^arde,  igtiarde,  etc.  Comparez 
aussi  ce  que  dit  M.  Jaberg  à  propos  du  féminin  des  participes  passés 
dans  sa  remarquable  étude  Uber  die  assoziativen  Erscheijiungen  in  der 
Verhalflexion  einer  sïidostfran:(osischen  Dialektgruppe,  p.  85. 

^  La  consonne  finale  est  aujourd'hui  tombée  dans  nombre  de  dia- 
ectes. 

•^  Peu  importe  que  la  formation  -aiida  soit  elle-même  analogique  ; 
elle  peut  avoir  précédé  et  influencé  l'autre. 


LE    SUFFIXE   ROMAND    -ER[  45 

piiyou,  -da  (-oldus?),  qui  puissent  nous  tirer  d'embarras  *.  On 
a  lieu  de  s'étonner  que  des  mots  offrant  si  peu  de  rapports 
avec  le  suffixe  en  question  aient  pu  provoquer  la  constitution 
d'un  type  nouveau  {-èr)  I,  -Ida,  et  que  des  mots  aussi  fréquents 
que  bî,  bàla,  beau,  et  novl,  novàla,  nouveau,  ne  l'aient  pas 
empêchée.  L'embarras  que  nous  éprouvons  en  face  de  ce  fémi- 
nin en  -da  montre  bien,  je  le  répète,  l'intérêt  et  la  nécessité 
d'études  d'ensemble  sur  les  suffixes  des  langues  littéraires  et 

populaires. 

L.  Gauchat. 


'  Comparez  les  exemples  français  que  je  choisis  dans  l'article  pré- 
cité de  M.  Nyrop  :  bedeaude,  boyatidier,  échattder  (de  chaux),  marivaudage. 


•î^-t"^- 


46  J.   JEANJAQ.UET 


TEXTE 

— f- 

I  pesta  a  Nin"da^ 

Traditions  locales  en  patois  de  Haute-Nendaz  (Valais). 

Dèan  hyd  chei  aroiiâ'  i  pesta  dp  an  më'^  sën  sin  è  Nin*^da, 
y  aei  oun  shyon.ni  liyd  dpjan-  Fransei  D:(îlo  du  Tsablo.  Oun 
dpcban^do  kyp  vinyei  dî  Shyoun^  dp  né  at  ô  tsaâ,  a  atrapei^ 
oun'^  pairo  vyb  kyp  poei  pa  ml  chp  trangyèa,  è  ché  vyb  èy  a 
dpman"da  chp  ouei  ashya  •'  aa  moiin'Ha  cl]  b  shyo  tsaâ.  Fransei 
D:(îlo  a  di  hy9  ouè,  k'ouchei  pyè  jii  ènà^.  Chon  rin  jû  k  oun"^ 
bbkon  kyp  i  tsaa  è  jû  fèin  a  èprua.  I  shyon.ni  a  ën^tèroua  a 
ché  vyb  dèky  aei  k  îr^  ta?i  ppjan,  kyp  i  shyb  tsaa  pbrta^  trei  a 
katrp  kyën^fâ  dp  châ  chin  chp  anye,  è  ara  îrp  trabatu  cn.n 
ordo  rin  kyp  pbr  oun"^  pouro  vyblè.  Atr^  èy  a  di  kye  ch  mchei 

Lia  peste  à  Nendaz. 

Avant  que  la  peste  de  l'an  mil  cinq  cents  soit  arrivée  à 
Nendaz,  il  y  avait  un  marchand  de  sel  qui  s'appelait  {lUL 
qu'ils  disaient)  François  Gilloz  du  Chable.  Un  samedi  qu'il 
venait  de  nuit  de  Sion  avec  son  cheval,  il  a  rejoint  un  pauvre 
vieux  qui  ne  pouvait  plus  se  traîner,  et  ce  vieux  lui  a  demandé 
s'il  voulait  le  laisser  monter  sur  son  cheval.  François  Gilloz  a 
dit  que  oui,  qu'il  n'avait  qu'à  monter.  Ils  n'ont  rien  fait  qu'un 
petit  bout  de  chemin,  que  le  cheval  a  ruisselé  [de  sueur].  Le 
marchand  de  sel  a  demandé  à  ce  vieux  ce  qu'il  y  avait  qu'il 
était  si  lourd,  que  son  cheval  portait  trois  à  quatre  quintaux 
de  sel  sans  se  fatiguer  et  qu'il  était  maintenant  tout  mouillé 
rien  que  pour  un  pauvre  petit  vieux.  L'autre  lui  a  dit  de  ne  pas 
s'effrayer  (////.  se  faire  peur),  qu'il  était  la  mort  et  qu'il  montait 


I   PESTA   A    NIN^'DA  47 

pa  fé  pûHff,  kp  yiii  îr  i  mo  è  kp  ouajei'  amù  Charijyè^  rppara 
è  taon  di  bot'  i  mat^  dp  Odo'-^  Prâ.  xl^  mat'  îron  trei  d:(oti'én' 
ky  îron  tim'm  choiipèrb'  kyp  trayon"'  pâ  dp  prœ"^  bon  kbrda- 
nyè.  A  di  kyp  à  in"dpinan,  kan  charan  chôurtei  di^^  a  mecha, 
ch  cûcJf  plashya  dpkoût  à  porta  d  élïj',  è  k  ouchei  aoneitshya; 
kyp  tshiii  x^'i'"  kyp  yiii  arei  trutshya  at  6  bâton  charan  tshui 
mo,  ma  k  ouchei  pâ  di  oitn  mb,  atramin  èy  arei  pa  cnmprei 
bën.  0  in"dpman^\  Fransei  D~îIo  e-t  aa  chp plashye  dpkôùt  à 
porta  d  élîj  è  i  mo  a  kouniinshya  a  triitshyè  tsâ  ché^^  kyp 
chourtf.  Ashyé^  a  pou  pri  ctsapâ  nyoïm,  è  Fransei  D^zlo,  kan 
a  yù  kyp  trulshye'  tshui  è  shyo  parin  è  e-j  ami,  è  tshui  x^^^" 
kyp  kbnyèchei,  a  pâ  puchû  ch  ën"tèrtini  d  ën^tèroua  ch  îr'  pa 
d  abb  prœ'*.  I  mo  a  rppon^dii  kyp,  d  abpsky^^  îr'  pa  kon**tin, 
arei  trutshya  yui  aoui.  yjœ'^  d:(0  apri,  è-t  arouâ'  i  pesta  : 
mourfon  tshui  kouni'  dp  mots  è  i  shyon.ni  è  mo  koum  e-j  âtr'. 

à  Cerisier  pour  raccommoder  les  talons  des  souliers  des  filles 
de  Odo  Pra.  Ces  filles  étaient  trois  jeunes  personnes  si  orgueil- 
leuses qu'elles  ne  trouvaient  pas  de  cordonnier  suffisamment 
bon.  Il  lui  a  dit  de  se  placer  le  lendemain,  quand  on  sortirait 
de  la  messe,  à  côté  de  la  porte  de  l'église  et  de  regarder;  que 
tous  ceux  qu'il  toucherait  de  son  bâton  mourraient  tous,  mais 
qu'il  ne  devait  pas  dire  un  mot,  autrement  mal  lui  en  prendrait. 
Le  lendemain,  François  Gilloz  est  allé  se  placer  à  côté  de  la 
porte  de  l'église  et  la  mort  a  commencé  à  toucher  les  uns 
après  les  autres  ceux  qui  sortaient.  Elle  ne  laissait  échapper  à 
peu  près  personne,  et  François  Gilloz,  quand  il  a  vu  qu'elle 
touchait  tous  ses  parents  et  ses  amis,  et  tous  ceux  qu'il  con- 
naissait, n'a  pas  pu  se  retenir  de  demander  si  ce  n'était  pas 
bientôt  assez.  La  mort  a  répondu  que,  puisqu'il  n'était  pas 
content,  elle  le  toucherait  lui  aussi.  Quelques  jours  après,  la 
peste  est  arrivée  :  ils  mouraient  tous  comme  des  mouches  et  le 
marchand  de  sel  est  mort  comme  les  autres. 


48  J.   JEANJAQ.UET 

È-t  adon  kyp  dpjçn  ¥îr^  rin  chbbrâ  kyp  kalrb  maryâd:(b 
è  Nin*^dàta  è  k  an  ita  dèslrui  è  don  vèadib  dou  Vëjënan  è 
don  Chavyèjan.  U  Chavyèjan  chon  ishui  mo  è  il  V'éjënan 
è  rin  chbbrâ  k  oiin  mèinâ  û  brP.  Ir^  i  avan  grâlcha  dp 
D:(Jjyan  Bourban  d  à  Krèta^^. 

D:(hyoii  toupari  ky  aei  yoiin  k  itâè  œ"tr  à  nibrin"ts^^^  dîtsan. 
Chéré  a  ita  trei  d:^o  k  a  pâ  yi'i  aprbshyè  œ"tr^  dp  main"db. 
È  partei  ënsé  pb  ver  deky  aei.  Kan  è  jiï  ënsé  p  ë  Râclf^^,  a 
yiï  ini  hà  p  ë  tsan  d  à  Oii^  '®  plèina  a  vèi  dp  kyîclf.  Kan  a  yi'i 
chin,  a  pincbâ  tbnm  ën^dèri,  ma  è  troua  jû  ta  :  è  mo  koum 
e-j  âtr^. 

Kan  è  jii  paehâ'  i  pesta,  an  porta  ishui  è  dra  di  mo  élin"- 
dii  è-j  oun  ch  è-j  âtrb  il  xlb  d  abka^^.  A  jiï  na  tèija  dp  va. 

C'est  alors  que,  à  ce  qu'on  dit,  il  n'était  rien  resté  que  quatre 
ménages  à  Haute-Nendaz,  et  qu'ont  été  détruits  les  deux  vil- 
lages du  Visinan  et  du  Saviésan.  Au  Saviésan  ils  sont  tous 
morts,  et  au  Visinan  il  n'est  rien  resté  qu'un  enfant  au 
berceau.  C'était  l'aïeule  (////.  l'arrière  grand'mère)  de  Jean 
Bourban  de  la  Crête. 

On  dit  {litt.  ils  disent)  aussi  qu'il  y  avait  un  individu  qui 
demeurait  au  delà  de  la  Morenche  des  champs.  Il  {Hit.  celui-là) 
est  resté  trois  jours  sans  voir  venir  de  monde  de  son  côté.  Il 
est  parti  du  côté  du  village  pour  voir  ce  qu'il  y  avait.  Quand 
il  a  été  en  deçà,  aux  Rasses,  il  a  vu  descendre  par  les  champs 
de  la  Loye  plein  le  chemin  de  cercueils.  Quand  il  a  vu  cela,  il 
a  pensé  retourner  en  arrière  ;  mais  c'était  trop  tard  :  il  est  mort 
comme  les  autres. 

Quand  la  peste  a  été  passée,  on  a  porté  tous  les  linceuls  des 
morts  étendus  les  uns  sur  les  autres  au  Creux  de  l'Avocat.  Il  y 
en  a  eu  une  toise  de  haut.  On  distingue  encore  maintenant  en 
haut   dans  la   chambre  de  Jacques  Lathion  les  petits   creux 


I   PESTA   A    NIN'^DA  49 

Otui  hçny'^'  adï  ôra  ami'i  u  pilb  dp  D::^ahy9  Atshyon  è  krûji 
k  an  fépô  plan"tshyè  è  mat^  dp  Odb  Pra  kan  parfoumâon 
0  pilb  pb  dèfin"dr'  a  pesta. 

qu'ont  fait  dans  le  plancher  les  filles  de  Odo  Pra  lorsqu'elles 
brûlaient  des  parfums  dans  la  chambre  pour  se  préserver  de 
la  peste. 

NOTES 

1.  Raconté  en  1906  par  Joseph  Michelet,  à  Nendaz.  Pour  certaines 
particularités  phonétiques  du  patois  de  Nendaz  et  la  façon  dont  nous 
les  avons  rendues  dans  la  transcription,  voir  Bulletin,  1907,  p.  29,  note  i. 

2.  ddjnn,  3e  pers.  plur.  dans  le  sens  indéfini  :  on  disait.  De  même 
plus  loin,  p.  48,  dzhyoji,  on  dit. 

3.  Shyoïin,  Sion,  de  Se  dû  nu  m.  Dans  la  plus  grande  partie  du  terri- 
toire franco-provençal,  -un uni  et  -onem  se  sont  confondus  en  -on.  Le 
patois  de  Nendaz,  comme  d'autres  patois  valaisans,  conserve  la  distinc- 
tion primitive  -ûnum  >•  -oun  et  -onem  >•  -on.  Cette  particularité 
fournit  un  indice  précieux  pour  l'étymologie  des  noms  de  lieux  en  -on. 
Ainsi  on  pourra  inférer  de  la  forme  patoise  Ardoun,  pour  Ardon,  que 
le  nom  de  cette  localité  renferme  aussi  le  -dunum  celtique. 

4.  atrapei  ;  l'infinitif  de  ce  verbe  est  atrapi,  d'où  le  participe  en 
-«' <-ectu.  Cf.  Bulletin,  1907,  p.  29,  note  5. 

5.  ch  ouei  asJrya,  s'il  voulait  le  laisser.  Sur  cette  disparition  du  pro- 
nom régime  par  voie  purement  phonétique,  voir  Bulletin,  1907,  l.  c, 
notes  2  et  9.  Elle  est  ici  remarquable  en  ce  sens  que  le  mot  suivant 
n'avait  pas  primitivement  l'initiale  vocalique.  Ouei  est  l'imparfait  régu- 
lièrement développé  du  verbe  «  vouloir  »,  qui  se  conjugue  :  ouo,  ouei, 
ouei,  ouschën,  oudch],  ouan. 

6.  k  ouchei  pyè  jii  ènâ,  litt.  qu'il  soit  seulement  eu  en  haut.  Oiichei  re- 
présente une  curieuse  fusion  du  subjonctif  de  »  avoir  »,  dûcl}^,  avec  celui 
de  «être»,  chei.  Cette  forme  contaminée  est  la  forme  courante  du 
subjonctif  pour  les  deux  verbes.  Oucl}^  peut  aussi  à  lui  seul  remplir  la 
double  fonction,  tandis  que  chei  est  à  peu  près  hors  d'usage. 

On  remarquera  l'emploi  des  temps  du  passé  dans  le  discours  indi- 
rect. C'est  un  caractère  constant  de  la  narration  dans  le  patois  de 
Nendaz.  Cf.  plus  loin  :  a  di  kys...  ch  ouch»  plashya,...Jc  ouchei  aoueitshya,... 
k  ouchei  pa  di  oun  mo,  etc.  Voir  aussi  le  conte  déjà  publié  dans  le 
Bulletin,  l.  c. 


50  L.    GAUCHAT 

7.  ouajei,  imparfait  de  «  aller  »  formé  sur  vadere,  qui,  à  Nendaz,  a 
envahi  presque  toute  la  conjugaison.  Ind.  présent:  ijo  ou  ouajà  ; 
imparf.  ouajo,  rarement  aâà  ;  fut.  ouàri  ;  condit.  ouaro  ;  subj.  onajècho 
ou  aècho  ;  inf.  a(i . 

8.  Chdrijyè,  groupe  de  maisons  au  sommet  du  village  de  Haute- 
Nendaz. 

9.  Odo,  forme  probablement  altérée  d'un  prénom.  Le  narrateur  avait 
aussi  entendu  la  variante  Oiito. 

10.  chourtei  di  a  mecha,  litt.  sorti  dès  la  messe,  comme  plus  haut  : 
vinyei  di  Shyoïin,  il  venait  dès  Sion.  Cet  emploi  nous  paraît  confirmer 
l'explication  de  dès  par  une  fusion  de  de  avec  ex. 

11.  ô  in»ddman;  les  circonstanciels  de  temps  prennent  toujours  la 
forme  du  cas  régime  là  où  la  déclinaison  de  l'article  est  conservée. 
Cf  Bulletin,  1903,  p.  31,  note  5. 

12.  tsâ  ché...  combinaison  de  la  particule  distributive  tsâ  <  Kara 
avec  le  démonstratif,  comme  on  dit  :  tsâ  yoiin,  un  à  un,  tsâ  pou,  peu  à 
peu,  etc. 

13.  d'abisky',  contamination  de  d'abord  que  avec  puisque,  qui  s'em- 
ploient tous  deux  en  patois  dans  le  sens  causal. 

14.  Krèta,  hameau  de  la  commune  de  Nendaz. 

15.  nidrin'^ts^ ;  on  donne  ce  nom  à  des  restes  d'anciennes  construc- 
tions en  pierre  qui  se  trouvent  près  du  village.  Pour  d'autres  exemples 
de  ce  mot  dans  la  toponymie  romande,  voir  E.  Muret  :  De  quelques  dési- 
nences de  noms  de  lieu  particulièrement  fréquentes  dam  la  Suisse  romande 
et  en  Savoie.  Paris,  1908,  p.  123. 

16.  Lieux-dits  de  Nendaz. 

17.  kdny^;  le  présent  de  l'indicatif  de  kànyètr'  se  conjugue  kànyècho 
ou  kOnyo,  kOny^,  kàny^,  kànyèchin,  konyètr^,  kônyèchon  ou  kOnyon.  Il  y  a 
sans  doute  eu  influence  des  verbes  en  -ir,  qui  ignorent  complètement 
la  flexion  inchoative  au  présent  de  l'indicatif:  ouaro,  je  guéris,  ouar»,, 
ourir^,  ouarin,  ouari,  ouciron. 

J.  JEANJAQUET. 

<»cOO<^«o 

ÉTYMOLOGIES 

-♦- 

I.  Xeuch.  détchpouènâ,  «  dévêtu  >^. 
M.  Ph.  Godet,  à  Neuchâlel,  a  bien  voulu  nous  communiquer 
l'extrait  suivant  d'une  lettre  écrite  vers  1861  par  G.  Quinche, 
auteur  bien  connu  de  récits  patois  et  d'un  excellent  vocabu- 
laire inédit  du  parler  de  Valangin  :  «Que  dites-vous  de  ce 


ETYMOLOGIES  5  r 

retour  d'hiver?  Il  fallait  du  reste  s'y  attendre  :  les  mois  de  jan- 
vier et  février  avaient  été  beaucoup  trop  beaux,  tellement 
beaux  qu'un  imbécile  (on  peut  l'appeler  ainsi  1  s'est  avisé  à 
Engollon  (Val-de-Ruz)  de  planter  toutes  ses  pommes  de  terre.... 
Les  gens  ici  travaillaient  en  manches  de  chemise,  et  ce  fait 
m'a  rappelé  ce  dicton  patois  de  nos  ancêtres  :  Atan  vai  on  lu 
dsii  on  fétni  quenn   homme  detchepoiiennà  11  mai  d  févrî....  * 

Le  sens  de  ce  proverbe,  qui  a  déjà  été  publié  dans  le  Glos- 
saire de  Bridel,  p.  532,  et,  d'après  les  papiers  de  G.  Quinche, 
dans  le  volume  Le  Patois  nciichâtelois,  p.  32,  est:  Autant  voir  un 
loup  sur  u)i  fuDiier  qu'un  honuue  en  manches  de  chemise  au  mois  de 
février'^.  Dans  son  vocabulaire,  Quinche  définit  detchepouénâ 
par  «être  à  demi  déshabillé».  On  retrouve  le  mot  dans  une 
traduction  de  la  parabole  des  vignerons  par  M.  A.  Dardel- 
Thorens  en  patois  de  Saint-Biaise  :  c'étaî  on  piaisi  de  le  vair 
travaillî :  Vétan  adf  to  detchepouénâ  {Pat.  neuch.,  p.  369).  Il 
équivaut  à  une  forme  française  «  déjuponné  »  et  s'explique  par 
le  fait  que  djipon  ou  djupon  avait  conservé,  en  patois  neuchâ- 
telois,  le  sens  d'habit  d'homme  descendant  très  bas,  qu'il  a 
aussi  possédé  en  français,  témoin  les  vers  de  Molière  :  «  Vous 
pourriez  bien  ici,  sur  votre  noir  jupon,  Monsieur  l'huissier  à 
verge,  attirer  le  bâton.  »  (  Tart.,  v,  4).  Plusieurs  passages  de 
notre  littérature  patoise  attestent  le  sens  de  <'  long  vêtement 
d'homme  ».  Le  jupon  de  femmes  se  disait  godillon.  Djipon 
perd  facilement  son  /  et  se  prononce  alors  tchpon.,  comme  dans 
son  dérivé. 

2.  Neuch.  djJr,  djïrè^  «  aussi  ». 

Ce  vocable  est  fréquent  en  vieux  français  sous  les  formes 
g(t)ers,  gierre,  gier{r)es,  avec  le  sens  de  «  par  conséquent, 
alors»,  et  son  étymologie  a  été  plusieurs  fois  discutée,  en  der- 
nier lieu  par  M.  A.  Thomas  {Remania,  XXXIII,  91-92  1,  auquel 
je  renvoie  pour  plus  ample  information.  Il  signifie  chez  nous 

'  Cf.  des  variantes  de  ce  proverbe  dans  Chenaux  et  Cornu,  Revi 
fribordiey,  n«  4;  BuUetiti  du  Glossaire,  1905,  p.  17,  n"  16;  Archives 
suisses  des  trad.  pop.,  t.  XII  (1908),  p.  166,  n"  46. 


52  L.    GAUCHAT 

aussi,  par  ex.  dans  ces  vers  de  la  Bourgeoisie  de  Valangin,  par 
Quinche  :  Lly  èd-avai  deu  la  Tchatlani  qu'chi  vnian  dgtrè  grô 
binfti,  «  il  y  en  avait  de  la  Châtellenie  (de  Thielle)  qui  «  ci  » 
venaient  aussi  très  bien  vêtus».  Pour  le  développement  du 
sens,  cfr.  aussi  =  par  conséquent,  en  tête  d'une  proposition 
française,  qui  représente  l'évolution  sémantique  inverse.  A  la 
Côte-aux-Fées,  l'on  m'a  indiqué  la  phrase:  i />ié  dzàr,  avec  le 
sens  «  il  pleut  de  nouveau  »,  et  â,  dzàr  comme  exclamation  de 
surprise  avec  la  valeur  :  «  Qui  l'eût  cru  !  »  Mais  ces  assertions 
sont  sujettes  à  caution.  Tissot  donne  dans  son  dictionnaire  du 
patois  des  Fourgs^  écrit  au  bon  temps  du  patois,  les  sens  :  «  en 
ce  cas,  s'il  en  est  ainsi,  alors  ».  On  prononce  djîr{e)  au  Val-de- 
Ruz  et  au  Val-de-Travers,  et  djerè  à  la  Montagne  neuchâte- 
loise.  Cela  nous  permet  de  reconstruire  un  ancien *^y/Vr^i' dont 
1'/  aurait  conservé  l'accent  dans  les  deux  premières  vallées,  et 
aurait  été,  à  la  Montagne,  absorbé  par  la  consonne  palatale 
tout  en  rejetant  son  accent  sur  le  deuxième  élément  de  la 
diphtongue.  Le  même  phénomène  s'est  produit  dans  djïrl 
(«gerle»,  latin  gerula)  du  Val-de-Ruz,  vis-à-vis  de  djérl  de 
la  Montagne,  ou  dans  etchi^rl  (Val-de-Ruz,  latin  s  cala)  à  côté 
de  ètchél  (Montagnes). 

Parmi  les  étymologies  mises  en  avant,  je  préfère  le  latin  ea 
re^,  devenu  avec  déplacement  d'accent  *  iâre;  de  ea  re  me 
paraît  contenir  un  élément  superflu,  et  ea  de  re  une  construc- 
tion peu  populaire.  L'adverbe  a  été  fortement  influencé  par 
hac  hora,  qui  apparaît  envieux  français  sous  les  formes <?r, ^rj, 
ore,  ores,  en  patois  neuchâtelois  moderne  comme  ora  et  orè 
(ce  dernier  seulement  dans  la  composition  ankore).  A  remar- 
quer que  le  français  or  a  pris  la  place  de  l'ancien  giers  au 
commencement  de  la  phrase,  où  il  tend  à  être  remplacé  à  son 
tour  par  aussi^. 

'  Les  Fourgs  sont  très  peu  distants  de  la  Côte-aux-Fées. 

^  Proposé  par  MM.  Meyer-Lùbke  et  A.  Thomas. 

3  Ce  qui  relève  l'importance  de  cette  étymologie,  c'est  qu'elle 
prouve  la  survivance  du  pronom  latin  is,  dont  les  traces  sont  bien 
rares  en  roman. 


ETYMOLOGIES  53 

3.  Neuch,  lianià,  «  vite.  » 
Voici  d'abord  quelques  exemples,  tous  tirés  du  patois  de  la 
Montagne  :  vo  compratè  qu'avoué  la  mon  djamâ  nion  ti'porret 
virî  la  snieula  pru  lia?na,  «  vous  comprenez  qu'avec  la  main 
personne  ne  pourrait  tourner  la  manivelle  (de  la  baratte)  assez 
rapidement»  [Pat.  neuch.,  319,  la  Sagne);  la  dcgucuiUc  le  pra, 
i  m  (lire  5'^)  va  adè  pieu  ïiaiiia,  «  la  frayeur  le  prend,  il  s'en  va 
toujours  plus  vite  >  ;  l'acccptron  hin  ciicoiiot  liaiiia  on  d'joui  d'et-a- 
tchet  po  met  ha,  «  j'accepterais  bien  encore  volontiers  [?]  une 
paire  d'attaches  pour  mes  bas  »  {Let  metchan  guignofi,  p.  12). 
Je  crois  reconnaître  dans  ce  mot  le  latin  L'etamente,  qui 
pouvait,  dans  une  phrase  comme  «vas-y  gaîment»,  prendre 
facilement  le  sens  de  z'ite.  Dans  le  parler  neuchâtelois,  aller 
gaîment  se  dit  aussi  d'un  objet  qui  a  du  jeu,  qui  n'est  pas 
serré  :  Cette  vis  entre  trop  gaiement  (Bonhôte,  Gloss.  neuch.), 

4.  Neuch.  sy  rlêdjl,  «  se  réjouir  ». 

Le  même  radical  se  retrouve  dans  le  verbe  sj  rléd jî.  qui 
correspondrait  à  une  formation  *se  relœticare,  et  dont  on 
a  tiré  un  substantif  verbal  rlédj\  s.  m.,  «joie».  Les  exemples 
sont  nombreux.  Citons  celui-ci  :  /  /"/'  a  n'avè  k avant  d'jà  reu- 
bia  fané  et  a/an  du  rlèdj'e  qui  Vavan  de  rolie  enkouô  on  viedje 
le  Borgognions,  «  il  y  en  avait  qui  avaient  déjà  oublié  femmes 
et  enfants  à  cause  de  la  joie  qu'ils  avaient  de  bien  battre 
encore  une  fois  les  Bourguignons.  »  iSaboulée,  p.  4). 

5.  Neuch.  kvi,  «  accorder  ». 
On  det  ly  qvi  çà  qu'ly  vint  d'drait,  «  on  doit  lui  accorder 
ce  qui  lui  revient  de  droit»  {Djaque-Ignace-Lampadut,  p.  10, 
37).  Du  latin  cupere  (alicui),  qui  s'est  conservé  dans  les 
langues  romanes  sous  la  forme  *cupire,  cfr.  en  vieux  français 
covir  (un  exemple  dans  Godefroy,  plusieurs  sous  encovir). 

6.  Neuch. /rt'c/'r^^,  «  du  coup  ». 
Glossaire  de  Quinche  :   El  ai-z-eu  tiouâ  frczcrct  c  fi'a  pas 
rebudgie,  «  il  a  été  [litt.  est  eu]  tué  du  coup  et  n"a  pas  rebougé». 


54  L.    GAUCHAÏ 

Equivaut  au  (i:a.nça.is  froid  et raide, a.\&c  un  z  de  liaison,  plutôt 
qu'à  frais  et  raide.  Le  latin  rigidus  s'est  continué  sous  la 
forme  ré  =  ferme,  raide,  revéche,  indocile. 

7.  Bern.  pro^,  s.  f.,  «  troupeau  ». 

Variantes  phonétiques:  prô,  prou',  et  même  pran,  à  Malle- 
ray,  dans  lequel  il  serait  difficile  de  reconnaître  le  mot  latin 
prfeda,  n'étaient  les  formes  moneta>  man.na?/,  seta  >  san, 
corrigia>  kbran,  enregistrées  par  M.  Degen,  Das  Patois 
von  Crémine,  p.  21.  M.  B.  Dumur  a  signalé  {Rev.  hist.  vaud., 
1903,  p.  114J  l'emploi  courant  dans  les  documents  lausannois 
du  xvi"=  et  du  xvii=  siècle  de  prie  au  sens  de  «  troupeau  »  :  la 
prie  de  la  ville,  la.  prie  du  gros  bestail,  etc.  Le  développement 
phonétique  est,  ici  aussi,  parallèle  à  celui  de  seta  >  siya, 
m  o  ne  ta  >  mouniya,  dans  la  même  région.  Le  dictionnaire 
vieux  français  de  Godefroy  cite  plusieurs  passages  où  proie 
signifie  «troupeau»,  provenant  surtout  de  l'Est  et  du  Nord, 
entre  autres  celui-ci,  extrait  des  Chroniques  de  froissart  :  «Jou 
ay  veu,  dist  li  espies  (espion),  \e  proie  de  la  ville  yssir  hors,  et 
y  a  bien  sis  ou  sept  cens  grosses  bestes.  »  Cette  phrase  nous 
fait  comprendre  l'identification,  en  temps  de  guerre,  de  «  trou- 
peau »  avec  «  profit  d'une  victoire  ».  Comparez  pour  le  sens 
l'histoire  des  mots  robe  (allemand  Rattb)  et  butin  (allemand 
Beute).  La  carte  troupeau  {de  moutons)  de  V Atlas  linguistique 
de  la  France  assigne  à.  notre  mot  un  tout  petit  domaine  mo- 
derne dans  le  canton  de  Berne  et  ses  confins.  Au  Nord,  le 
terme  français  alterne  avec  6  (latin  hostem),  het  \Heerde)  et 
bande.  Cf.  aussi  Du  Cange,  sous  prœda  (2)  et  Littrésous  proie 
(7°),  où  se  trouve  encore  un  exemple  de  1787  pour  proie 
=  troupeau. 

8.  Anniv.  V9t)u/gr?,  s.  f.,  «  troupeau  ». 

Les  variantes  de  ce  mot,  qui  nous  est  attesté  surtout  par  les 
patois  parlés  à  l'Est  de  Sion,  et  dans  la  vallée  de  Bagnes,  sont 
trop  nombreuses  pour  les  citer  toutes  ici.  Bornons-nous  à  men- 


ETYMOLOGIES  55 

tionner  la  forme  bagnarde,  plus  transparente  que  les  autres  : 
vèiyuîr?,  qui  trahit  qu'il  s'agit  de  vesti  tura.  Vèti  (yè\.\x)  signifie, 
en  effet,  conduire  le  troupeau  sur  l'alpe,  et  dèvèti,  abandonner 
l'alpage.  Les  prés  délaisse's  semblent  «  dénudés  »  aux  yeux  d'un 
peuple  habitué  à  les  contempler  non  au  point  de  vue  pitto- 
resque, mais  de  l'économie  rurale.  Cependant,  certaines 
expressions,  relevées  par  Du  Cange,  telles  que  ager  vestitus 
^  «terrain  exploité»,  feraient  croire  que  notre  expression  se 
rattache  à  une  ancienne  coutume  de  droit.  On  dit  aussi  en 
Valais  invèti  pour  mettre  en  culture  un  champ,  Tensemencer 
ou  y  planter  quelque  chose.  Investir  est  fréquent  dans  les  docu- 
ments pour  «  mettre  en  possession  »  '. 

9.   Frib.  vichpyon,  s.  m..  «  crayon  ». 

Demi-adaptation  du  terme  suisse-allemand  wyssblî  (  JVet'ss- 
Blei\  pour  l'ordinaire  blhvyss-,  dont  la  deuxième  partie  a  été 
traduite  en  romand  :  Blei  =  pyon.  Le  Glossaire  manuscrit  de 
Louis  Bornet  contient  la  forme  vichpli,  plus  rapprochée  de  son 
origine  germanique. 

10.  Français  pop.  raveur,  s.  f.,  «  chaleur  ardente  ». 

Dans  tous  les  cantons  romands,  le  mot  raveitr  est  très  usité 
en  langage  populaire.  On  entend  dire  :  «  Quelle  raveur  il  fai- 
sait dans  celte  chambre  »  ;  «  avec  ces  bonnes  raveurs^  le  blé  a 
bien,  pu  mûrir»  (Ceresole,  Scènes  vaudoises);  «les  raveur  s  de 
la  canicule  »,  etc.  En  patois  vaudois,  on  s'attendrait  à  la  forme 
ravâo.  Bridel  indique,  en  effet,  un  mot  pareil  :  ravaii,  éclat 
d'une  flamme  éloignée,  reflet  d'un  incendie,  grande  rougeur  au 
ciel,  ardeur  du  soleil.  Mais  on  emploie  plus  souvent,  assez 
curieusement,  la  forme  mi-française  ravœ{r).  Ainsi  Conf.  vaud. 
18S3,  n°  2T,:  fasât  onna  raveu,  qu'on  châvc  (suait)  sein  remouâ 


'  Cf.  aussi  l'expression  chemin  de  dêvestitiire,  chemin  pour  sortir  le 
bois  des  forêts. 

2  D'après  le  minerai  qui  en  est  l'élément  essentiel. 


56  L.    GAUCHAT 

(sans  bouger).  Les  formes  phonétiquement  exactes  réappa- 
raissent dans  les  Alpes  vaudoises:  ravœu,  en  Gruyère:  ravâ, 
en  Valais  :  ravœu,  ravou,  etc.  Dans  ce  dernier  canton,  l'ex- 
pression désigne  habituellement  une  lueur  dans  le  ciel  ou  à 
l'horizon,  produite  par  le  soleil  levant  ou  couchant,  un  grand 
feu,  etc.  En  patois  fribourgeois,  le  mot  s'applique  en  outre  à 
une  exhalaison  chaude,  qui  sort  par  ex.  d'un  four.  Le  dialecte 
vaudois  connaît  également  l'extension  de  sens  :  reflet  de  lumière 
ou  de  flamme  —>■  réverbération  de  chaleur.  Moratel,  Bibl. 
romane^  ajoute  :  «  Se  dit  de  cette  espèce  de  tremblement  que 
l'œil  croit  voir  dans  la  couche  inférieure  de  l'atmosphère,  au 
moment  des  grandes  chaleurs.  »  Le  point  de  départ  doit  être 
le  latin  ruborem,  qui  a  produit  le  vieux  français  rouveur, 
rouille  des  blés,  l'espagnol  arrebol,  rougeur  de  l'aube  et  du 
crépuscule  ^.  Pour  expliquer  Va  de  la  syllabe  initiale  patoise, 
il  faut  recourir  à  l'influence  d'un  autre  mot.  Je  suppose  que 
*ro7'or,  dissimilé  en  ''revor,  a  été  changé  en  '*ravor  par  la 
concurrence  des  termes  chaleur  ou  ardeur  -. 

Le  radical  ru b- joue  un  rôle  dans  la  toponymie  romande; 
peut-être  m'en  occuperai-je  prochainement.  Disons  en  atten- 
dant que  les  nombreux  lieux  nommés  ravières  n'ont  pas  néces- 
sairement tous  été  plantés  de  raves,  mais  peuvent  représenter 
des  endroits  situés  en  plein  soleil. 

Dans  le  val  d'Anniviers,  le  fameux  «  Alpengliihen  »  s'appelle 
ravorèy,  s.  m.,  ce  qui  n'est  qu'une  dérivation  de  notre  mot  au 
moyen  du  suffixe  -ellus.  Ailleurs,  le  même  mot  signifie  un 
grand  feu. 

II.  Vaud.  délâo,  s.  f.,  «gros  chagrin,  dépit». 

Ce  mot  vient  évidemment  du  latin  dolorem.  Il  rappelle 
raveur  par  le  changement  caractéristique  de  la  voyelle  de  la 


^  Comparez  le  sens  indiqué  pour  le  mot  valaisan. 

2  Guillebert,  Gloss.  neiich.,  p.  118,  rattache  raveur  au  latin  ravus, 
qu'il  traduit  à  tort  par  roux,  et  qui  ne  paraît  pas  s'être  perpétué  dans 
les  langues  romanes. 


ETVMOLOGIES  57 

première  syllabe,  due  évidemment  à  la  dissimilation  de  0-0  en 
e-o,  comme  dans  le  fribourgeois  cher  a  pour  sororem.  Délâo 
ne  s'emploie  jamais  pour  désigner  une  douleur  physique;  dans 
ce  cas,  on  se  sert  du  terme  hybride  doulœ,  ou  de  mô  \mal). 

12.  Frib.  ch?jin,  -ta,  adj.,  «  gracieux  ». 
Les  acceptions  données  par  nos  sources  sont:  élégant,  con- 
venable, qui  a  de  la  bonne  grâce  dans  sa  personne,  dans  ses 
manières  :  il  existe  aussi  un  substantif  chijintsri,  bienséance, 
politesse,  convenance  dans  les  manières.  C'est  le  participe  pré- 
sent du  verbe  seoir,  tombé  en  désuétude.  Le  son  J  est  venu 
allonger  toute  une  série  de  radicaux  de  verbes  en  -ère  et  -ëre, 
sur  le  modèle  à,ç.  faisant ,  patois /(^/ï;/,  et  d'autres  verbes.  On 
dit  rire  —  *  risant,  traire  —  *  traisant,  choir  —  *  chesa7it,  etc. 

13.  Frib.  cdèrbala,  «assommer,  étourdir». 

De  *  excer(  e)bellare,   cfr.   en  vieux    français  escerveler 
«  faire  jaillir  la  cervelle  hors  du  crâne  ». 

14.  Suisse  rom.  ètâva,  s.  f.,  «  latte  ou  échalas  de  palissade  ». 
M.  Oaston  Bigot  termine  sa  petite  étude  de  l'article  estave^ 
de  Godefroy,  insérée  dans  la  Romania,  XXXVII,  p.  29g  ss,  par 
les  mots:  «  si  lelatin  statua  est  resté  dans  le  vocabulaire  du 
peuple  jusqu'à  l'époque  où  le  français  a  arboré  ses  couleurs,  il 
est  incontestable  qu'il  a  dû  revêtir  la  forme  *  estave\  mais 
* estave  n'a  pas  encore  été  trouvé  dans  les  textes  ».  Il  sera  per- 
mis d'identifier  avec  ce  mot  latin  le  terme  ctàva  (Vaud),^î?^?'rtr 
(Fribourg),  èi}àva  (Valais),  qui  désigne  certaines  parties  des 
clôtures  de  prés  dans  nos  montagnes.  Comme  les  systèmes  de 
haies  varient  beaucoup  d'un  lieu  à  l'autre  et  doivent  avoir 
varié  dans  le  temps,  il  n'est  pas  facile  de  déterminer  le  sens 
primitif  du  mot.  Dans  les  cantons  de  Fribourg  et  de  Vaud,  ce 
sont  des  lattes  refendues,  placées  horizontalement  ou  en  biais 
sur  des  pieux  croisés  en  X  ;  en  Valais,  où  l'on  a  plus  de  chances 
de  rencontrer  la  signification  primitive,  on  appelle  de  ce  nom 

'  Il  faut  peut-être  lire  estans,  cfr.  Zeitschr.f.  roui.  Phil.,  XXXII,  753. 


S8  L.    GAUCHAT 

les  planchettes  verticales  clouées  contre  les  traverses  qui 
relient  les  pieux.  Ce  dernier  sens  s'accorderait  assez  bien  avec 
celui  de  statua.  Le  sens  Ôl' éclat  de  bois  que  étava  prend  dans 
le  Bas-Valais  pourrait  s'expliquer  par  un  ancien  usage  de  se 
servir  d'éclats  de  bois  pour  clôturer.  Aucune  difficulté  phoné- 
tique, le  l'  naît  de  Vu,  comme  dans  vidua  >  véz'a. 

15.  Frib.  iyiti,  s.  m.,  «culot». 

Le  mot  tyiii  s'applique  en  Gruyère  au  dernier  d'une  nichée 
d'oiseaux,  d'une  ventrée  de  cochons,  au  cadet  d'une  famille, 
au  dernier  reçu  dans  une  compagnie.  On  le  retrouve  dans  les 
Alpes  vaudoises,  avec  les  mêmes  sens,  auxquels  il  faut  ajouter 
celui  de  «  petit  doigt  »  {kun,  Rossinières).  Cette  dernière 
acception,  qui  figure  déjà  dans  le  Glossaire  de  Bridel,  sous 
kin,  rend  certaine  l'étymologie  de  quintus  qu'on  lit  à  la  fin 
de  cet  article.  Le  petit  doigt  étant  le  plus  faible  a  donné  son 
nom  d'ordre  au  dernier-né  d'une  nichée.  Les  autres  significa- 
tions s'en  sont  déduites  aisément.  La  phonétique  n'a  rien  à 
opposer  à  ce  raisonnement. 

16.  Val.  ayjsnâ,  «  soigner  le  bétail  le  soir  ». 

De  *adcœnare;  le  sens  primitif  était  celui  de  «donner  le 
repas  du  soir».  Le  c  latin  devant  <?,  /  aboutit  à  yj  dans  la 
vallée  de  Bagnes', par  exemple,  cfr.  yjin  =  cinq,  yjîr?  ^=.  cire, 
etc.  Cœna  se  prononce  donc  ylin-na  et  signifie  i"  repas  du  soir, 
surtout  en  parlant  des  bêtes,  —  pour  l'homme,  le  terme  est  de 
moins  en  moins  usité,  —  2°  le  lieu  où  ce  repas  est  donné,  l'en- 
droit où  l'on  mène  pâturer  le  bétail  le  soir,  3''  le  temps  em- 
ployé à  ce  repas.  Comparez  addnâ  (*addisjejunare)  = 
«  nourrir  le  bétail  le  matin  ». 

17.  Français  pop.  déquepiller,  «débarrasser». 

Expression  propre  au  parler  provincial  de  Neuchâtel  et  de 
Berne.  On  entend  dire  :  «  On  l'a  fait  déquepiller  de  la  place  ; 


1  Dans  d'autres  parties  du  Valais,  le  mot  existe  sous  d'autres  formes. 


ETYMOLOGIES  59 

il  faut  dêquepiller  les  mulots,  les  taupes;  déquepille-\.o\  d'ici, 
vilain  merle  ;  il  a  bientôt  eu  déqiiepillc  son  héritage  =:  dila- 
pidé, dépensé  follement  ».  Nous  avons  aussi  le  substantif  ^/^z/^- 
pille,  par  ex.  dans  l'exclamation  :  «  quel  rude  déquepille  » 
=  quel  bon  débarras  !  Le  patois  du  Val-de-Ruz  possède  le 
verbe  dèkplyî,  ancêtre  du  terme  français,  dans  le  sens  indi- 
qué, ainsi  que  le  substantif  </<^^///)'',  m.  Le  mot  n'est  pas  rare 
dans  les  anciens  documents  neuchâtelois,  où  il  a  généralement 
la  forme  décupiller.  Ex.  :  la  femme  dud.  mons^  Claude  luy 
■dict  :  Je  veulx  estre  decupillée  de  mon  mary  (Procédure  de 
1568).  Uescupillera  tous  les  vieux  bâtiments  qu'il  faut  oster 
pour  remettre  celuy  cy  en  sa  place  (Chaux-de-Fonds,  16601. 
Le  mot  réapparaît  dans  le  canton  de  Fribourg,  mais  avec  un 
tout  autre  sens:  dekupilyî,  «  enlever  les  cupules  des  noisettes  », 
etc.,  qui  est  dérivé  de  kupilya,  involucre  et  cupule  des  glands, 
noisettes,  etc.  En  Valais  (Charrati  dekbpeyi  signifie  débarrasser 
un  vase,  un  panier  de  son  contenu.  Voir  aussi,  pour  le  vaudois. 
Bulletin,  IL  p.  20.  n»  47.  Je  n'hésite  pas  à  identifier  ces  mots: 
débarrasser  un  t"ruit  de  ses  cupules  a  pris  le  sens  plus  large  de 
«  débarrasser  de  n'importe  quelle  chose  gênante  ».  L'étymo- 
logie  serait  dans  ce  cas  dis-}-  cuppicula,  ce  dernier  diminutif 
de  cùppa,  les  cupules  formant  une  espèce  de  petite  coupe 
soudée  à  la  base  du  fruit  et  l'entourant *. 

Les  fortes  variations  de  signification  qui  peuvent  se  pro- 
duire d'un  de  nos  cantons  à  l'autre,  prouvent  combien  nos 
connaissances  sont  fragmentaires  et  combien  toutes  nos  inves- 
tigations étymologiques  sont  livrées  aux  hasards  d'une  tradi- 
tion mal  connue  et  souvent  interrompue. 

L.  Gauchat. 


'  D'après  dêquepiller,  on  a  créé  euqiiepiller,  prononcé  aussi  aquepiller 
ou  èquepiller,  embarrasser,  gêner.  On  dit  au  Val-de-Ruz  :  é  :(é  èkplyïe 
dé-i  èfan  d  son  frâr,  il  a  eu  à  sa  charge  les  enfants  de  son  frère.  De 
ce  verbe  est  tiré  aqiiepilk,  embarras. 


-^î^-^- 


GENEVOIS  ou  GENEVOIS  ? 

-*- 

On  sait  que  ces  deux  variantes  du  nom  des  habitants  de 
Genève  existent  concurremment,  la  première  étant  seule  usitée 
à  Genève  et  dans  les  régions  avoisinantcs,  tandis  que  les  écri- 
vains français  se  servent  de  préférence  de  la  seconde.  Un  de 
nos  compatriotes  qui  professe  le  français  aux  Etats-Unis, 
M.  Albert  Schinz,  vient  de  consacrer  à  la  question  de  savoir 
laquelle  de  ces  deux  formes  doit  être  adoptée  une  étude  qui 
ne  saurait  nous  laisser  indifférents  *.  L'auteur  conclut  (p.  300) 
que  :  «  L'ignorance  des  principes  phonétiques  de  la  langue 
française  seule  peut  laisser  subsister  le  moderne  Genevois.  » 
Voilà  une  condamnation  catégorique  et  qui  surprendra  proba- 
blement bien  des  Suisses  romands.  Est-elle  sans  appel  et  ne 
nous  reste-t  il  qu'à  abjurer  au  plus  vite  nos  erreurs  passées? 
Nous  ne  le  pensons  pas.  M.  Clédat,  professeur  à  l'Université 
de  Lyon  et  directeur  de  la  Revue  de  philologie  française,  a 


*  Autour  d'un  accent,  dans  la  Revue  de  philologie  française  et  de  littéra- 
ture, t.  XXII  (1908),  p.  291-301.  Aux  renseignements  de  fait  qu'il 
donne  sur  l'emploi  des  deux  formes,  M.  Schinz  aurait  pu  ajouter  que 
Littré,  dans  le  Supplément  du  Dictionnaire,  écrit  genevois  et  s'appuie 
pour  cette  orthographe  sur  le  Complément  du  Dictionnaire  de  V Académie 
de  1842.  Mais  il  fait  observer  que  l'usage  est  différent  à  Genève.  Le 
Dictionnaire  phonétique  de  la  langue  française,  par  Michaelis  et  Passy 
(Hanovre,  1897),  ne  donne  pas  genevois  ;  en  revanche,  à  côté  de  gene- 
vois, il  enregistre  une  prononciation  genevois,  qui  est  aussi  attestée,  et 
même  placée  avant  les  deux  autres,  dans  le  grand  dictionnaire  français- 
allemand  de  Sachs- Villatte.  C'est  évidemment  une  dérivation  analo- 
gique récente,  créée  par  des  personnes  qui  ignorent  les  formes  tradi- 
tionnelles. Le  Dictionnaire  de  Trévoux  (Nancy,  1734)  écùx  genevois  et 
ne  mentionne  que  pour  les  condamner  les  variantes  genevois  et  génois, 
qui  ne  se  disent  plus,  «à  moins  que  ce  ne  soit  en  quelque  province  ». 


GENEVOIS    OU   GENEVOIS  6l 

•déjà  fait  suivre  de  réserves  l'article  de  son  collaborateur,  et 
admet  que  genevois  «  semble  bien  être  la  forme  régulière  de 
l'adjectif.  » 

Nous  ne  suivrons  pas  M.  Schinz  dans  l'établissement  labo- 
rieux des  ^<  principes  phonétiques  »  sur  lesquels  il  prétend 
appuyer  sa  thèse.  Ses  déductions  manquent  trop  de  base  histo- 
rique pour  être  concluantes.  A  notre  avis,  le  problème  se  réduit 
à  ceci:  Etant  donné  le  mot  Genavensis,  attesté  dès  l'époque 
latine  (civitas  Genavensium,  pagus  Genavensis),  qu'a- 
t-il  dû  devenir  en  français  par  l'application  des  lois  phoné- 
tiques qui  régissent  le  développement  de  notre  langue?  Or 
n'importe  quel  manuel  de  grammaire  historique  nous  dira 
qu'un  e  protonique  initial  devient  dans  la  règle  e  sourd  (que 
nous  notons  par  p;  M.  Schinz  l'appelle  semi-muet)  et  que  Va 
de  la  seconde  syllabe,  en  vertu  de  la  loi  dite  de  Darmesteter, 
aboutit  également  à  p.  Genevois  est  donc  le  produit  tout  à  fait 
régulier  de  Genavensis,  et  cette  forme  a  dû  être  jadis  la 
seule  employée  partout.  Genevois  n'est  cependant  pas  une 
déformation  isolée  et  purement  accidentelle,  et  nous  ne  sau- 
rions l'attribuer  avec  M.  Clédat  à  une  simple  «  fausse  lecture». 
Il  est  incontestable  qu'il  y  a  dans  la  langue  moderne  une  ten- 
dance marquée  à  remplacer  l'ancien  e  sourd  par  e  accentué  en 
syllabe  initiale,  et  surtout  lorsque  la  syllabe  suivante  renferme 
aussi  3.  C'est  ainsi  que  des  mots  commQ  prévôt,  pépin,  quérir, 
férir,  chéneau,  génisse,  désirer,  chhievière,  chcnevis,  et  quantité 
d'autres,  étaient  anciennement  prévôt,  pépin,  quérir,  etc.,  avec 
£  sourd.  Mais  c'est  là  une  simple  tendance,  qui,  dans  nombre 
de  cas,  n'a  pas  triomphé  ou  n'a  triomphé  Qu'à  une  é])oque 
toute  récente'.  On  trouvera  dans  l'ouvrage  de  Thurot,  De  la 

'  M.  Schinz  s'est  appliqué  à  représenter  comme  absolu  le  principe 
suivant  lequel  deux  syllabes  consécutives  ne  peuvent  contenir  un  e 
sourd  en  français.  Ne  pouvant  cependant  pas  éliminer  des  exceptions 
aussi  gênantes  que  devenir,  recevoir,  relever,  et  autres  composés  avec  rc-, 
il  s'efforce  d'en  affaiblir  la  portée  par  des  considérations  où  se  fait 
cruellement  sentir  le  manque  de  connaissance  du  développement  histo- 
rique. S'il  récuse  Genei'iève  comme   exception,  parce  que  c'est  un  nom 


02  J.  JEANJAQ.UET 

prononciation  française  depuis  le  xvi'  siècle,  t.  I,  p.  121-142^ 
d'abondants  détails  sur  ces  modifications,  ainsi  que  sur  les 
hésitations  qui  en  sont  résultées  et  qui,  pour  quelques  mots,^ 
durent  encore  aujourd'hui. 

Le  parler  de  la  Suisse  romande  s'est  montré  en  général  plus 
conservateur  à  cet  égard  que  la  langue  de  Paris.  11  n'a  pas  seu- 
lement maintenu  genevois,  mais  il  connaît  encore  génisse,  pépin 
{pépin  n'est  devenu  officiel  qu'en  1878),  chenevière,  chenevis 
(abandonné  par  l'Académie  seulement  en  1835),  cheneau, 
etc.  Pour  les  mots  qui  font  partie  de  la  langue  commune  et 
sur  lesquels  l'Académie  s'est  prononcée,  nous  ne  songeons 
naturellement  pas  à  défendre  la  forme  sans  accent,  qui  n'est 
plus  qu'un  archaïsme  provincial.  Mais  le  cas  de  genevois  est 
différent.  Il  s'agit  d'un  dérivé  de  nom  de  lieu,  et  l'usage  local 
indigène  est  ici  bien  autrement  important  que  l'emploi  occa- 
sionnel et  restreint  qui  a  pu  se  développer  ailleurs,  fût-ce  même 
à  Paris.  Comme,  au  surplus,  nous  avons  montré  que  genevois 
est  parfaitement  normal  et  correct  au  point  de  vue  de  la  pho- 
nétique française,  nous  ne  voyons  vraiment  pas  pourquoi  les 
milliers  d'individus  qui  emploient  journellement  cette  forme 
devraient  l'abandonner  pour  y  substituer  une  altération  posté- 
rieure plus  ou  moins  récente,  qu'aucune  autorité  décisive  n'a 
consacrée.  Bien  loin  donc  d'accepter  les  conclusions  de 
M.  Schinz,  nous  sommes  au  contraire  d'avis  qu'il  est  du  devoir 
de  tous  les  Genevois  et  de  tous  les  Suisses  romands  de  main- 
tenir énergiquement,  dans  l'écriture  comme  dans  la  pronon- 
ciation, la  bonne  forme  traditionnelle  genevois^  et  d'aider 
ainsi  à  son  adoption  générale  en  France,  où  elle  compte  déjà 
des  partisans  tels  que  MM.  Lemaître  et  Lanson  et  de  puissants 
auxiliaires  comme  les  dictionnaires  Larousse. 

Quant  au  développement  du  nom  même  de  Genève,  dont 


propre,  il  sera  permis  de  lui  signaler  encore  chevelure^  ècheveU,  ensevelir. 
Est-il  besoin  d'ajouter  que  «l'euphonie  de  la  langue  française»,  cette 
grande  ressource  des  grammairiens  à  court  d'explications  précises,  n'a 
rien  à  voir  dans  la  question  ? 


GENEVOIS    OU    GENEVOIS  65 

M.  Schinz  s'occupe  à  la  page  29S  d'une  façon  qui  nous  paraît 
bien  insuffisante,  voici,  à  notre  avis,  comment  il  s'explique. 
Genava,  la  forme  la  plus  ancienne  à  laquelle  nous  puissions 
remonter,  était  un  proparoxyton,  dont  l'accentuation  primitive 
s'est  conservée  dans  l'allemand  Genf  ei  dans  le  patois  d^tfva. 
Lorsque  le  français  devint  réfractaire  à  la  prononciation  pro- 
paroxytonique,  la  réduction  en  paroxyton  s'effectua  de  façon 
différente  suivant  les  régions.  On  peut  distinguer  trois  procédés  : 

1°  Syncope  de  la  voyelle  médiane:  Gén(a)va  >  Genve(s) 
ou,  avec  une  r  adventice,  Genvre(s]  (cf.  chanvre). 

2°  Syncope  de  la  syllabe  finale  :  Géna(va)  >  Genne{s) 
(d'où  l'adjectif  mentionné  plus  haut  Génois). 

3°  Maintien  des  trois  syllabes  avec  avancement  de  l'accent 
sur  la  seconde  :  Génava  >  Gène  va  >  Genève. 

Toutes  ces  variantes  existent  concurremment  et  sont  attes- 
tées dans  notre  ancienne  littérature ^.  Le  premier  procédé 
représente  le  traitement  normal  du  français,  le  second  appar- 
tient plus  spécialement  à  la  région  de  l'Est,  et  le  troisième  à 
celle  du  Sud-Est.  Le  triple  développement  de  Génava  se 
retrouve  d'une  façon  tout  à  fait  parallèle  dans  cannabu 
>  1°  fr.  chanve,  chanvre;  2°  dans  l'Est  chenue  ;  3°  dans  le  Sud- 
Est  chenève.  (Voir  pour  les  formes  exactes  des  patois  et  leur 
répartition  \ Atlas  linguistique  de  la  France,  carte  234.)  Cf.  aussi 
*  J  à  c  o  m  u  s  (ital.  Giacomo)  >  i  °  J aimes  ;  2°  Jacques  :  3°  Jaquhne 
(nom  de  famille  lyonnais).  Isara  >  2°  Oise  ;  3°  Isère. 

Genève  est  donc  un  développement  dialectal  particulier  à  la 
région  franco-provençale-,  qui  a  supplanté  dans  l'usage  les 
formes  proprement  françaises.  j.  jeanîaq.UET. 

*  Voir  E.  Langlois,  Table  des  noms  propres  de  toute  nature  compris 
dans  les  chansons  de  geste  (Paris,  1904),  p.  272-273. 

'^  Un  déplacement  d'accent  dans  des  conditions  tout  à  fait  analogues 
s'est  produit  beaucoup  plus  tard  en  français  dans  sêmble-je  >■  semhU-je, 
chante  je  >•  chanté-je,  etc.  Pour  des  exemples  du  phénomène  franco- 
provençal  dans  les  patois  romands,  voir  Bulletin,  1906,  p.  48. 


TABLE  DES  MATIERES 


Pages. 

M.   Gabbud   et  L.   Gauchat.  Mélanges    Bagnards  :    I.  Le 

genre  des  noms 3 

E.  Tappolet.  Andain 12 

E.  Patru.    La   dràga,    patois    de    la    région   de    Troinex 

(Genève) 21 

J.  Jeanjaquet.   È  fâoua  de  Prfttpfo,  conte   populaire  en 

patois  de  Conthey  (Valais) 22 

E.  Muret.  Etymologies:  avalanche,  niayen  et  r9mwenfs9    .       24 

L.  Gauchat.  Lavrn  =:lucubrare 32 

E.  Tappolet.  La  préposition  à 33 

L.  Gauchat.  Le  suffixe  romand  -èrî,  fém.  -èrjda.  ...  40 
J.  Jeanjaquet.  I pesta  a  Nin'^da,  traditions  locales  en  patois 

de  Haute-Nendaz,  avec  notes 46 

L.  Gauchat.  Etymologies:  i.  Neuch.  détchpouènâ,  dévêtu. 

2.    Neuch.    cljîr,   djjrè,   aussi.   3.   Neuch.   liama,  vite. 

4.  Neuch.  s9  rlédjT,  se  réjouir.  5.  Neuch.  kvi,  accorder. 

6.  Neuch.  frèzèrè,  du   coup.  7.  Bern.  prôd,  troupeau. 

8.  Anniv.  vad^uigrd,  troupeau.  9.  Frib.  vichpyon,  crayon. 

10.  Français  pop.  raveur,  chaleur  ardente.  11.  Vaud. 

délào,  gros  chagrin,  dépit.  12.  Frib.  chdjin,  -ta,  gracieux. 

13.  Frib.  èûèrbalâ,  assommer,  étourdir.  14.  Suisse  rom. 

ètâva,  latte  ou  échalas  de  palissade.  15.  Frib.  tyin,  culot. 

16.  Val.  ayldnâ,  soigner  le  bétail  le  soir.  17.  Français 

pop.  déquepiller ,  débarrasser 50 

J.  Jeanjaquet.  Genevois  ou  Genevois  ? 60 


Lausanne.  —  Imprimerie  Georges  Bridel  &  C" 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du  Glossaire, 


HUITIEME  ANNEE 
1909 


ZURICH 

BUREAU    DU    GLOSSAIRE 

Hofackerstrasse  44 


SYSTEME   DE  TRANSCRIPTION 

A.  VOYELLES 

a,  è,  é,  i,  II,  ou  ont  la  même  valeur  qu'en  français. 

à  =■  0  ouvert  (comme  dans  bord  [bàr\). 

0  •=.  0  fermé  {^eau  [^o]). 

^  =:  œ  ouvert  (bewrre  \bœr\i. 

û?  =  a?  fermé  {ieu  [fcé]). 

e,  o,  ce  sans  accent  sont  des  voyelles  moyennes. 

9  {e  renversé)  =  e  sourd  (brebis  [br^bi]). 

an,  in,  on,  un,  sont  les  voyelles  nasales  des  mots  français  t^wps 

{tan\  main  [min],  rond  [ron],  ]unài  [lundi], 
in,  Un,  oun  désignent  les  nasales  de  i,  u,  ou,  qui  ne  se  trouvent 

que  dans  certains  patois  du  Jura  bernois  et  du  Valais. 

a,  voyelle  intermédiaire  entre  a  et  o. 
à  =  è  très  ouvert. 

Les  diphtongues  sont  notées  ay,  èy,  èy,  aou,  au,  etc.,  o\xya,yèt 
yo,  oua,  uœ,  etc.,  suivant  la  nature  et  le  mode  de  combinaison 
des  éléments  qui  les  composent. 

B.  CONSONNES 

b,  p,  d,  t,  j,  ch,  V,  f,  s,  z,  l,  m,  n,  r  ont  le  même  son  qu'en  français, 
g  représente  partout  le  son  dur  de  ^oût  \gou\ 

^  »  »  »  coup  \Jîou]. 

ly  =  /mouillée  dans  l'ancienne  prononciation  tait/e  [ta/y']. 

ny  =  n  mouillée  comme  dans  vi^we  [viny], 

y  s'emploie  comme  dans  le  français  j'eux  [yé],  fuszon  [fuzyon], 

pted  [pyé]. 
h  ■=■  aspiration  semblable  à  celle  de  l'allemand  Aoch. 
^  =  son  du  t/i  dur  anglais. 
é  =  son  du  th  doux  anglais. 
X  =  son  de  l'allemand  \c/i. 

C.  GÉNÉRALITÉS 

Les  voyelles  particulièrement  longues  sont  surmontées  d'un 
trait  horizontal:  â,  etc. 

Les  sons  faiblement  articulés  sont  notés  en  caractères  plus 
petits,  par  exemple  a',  a",  ow,  etc. 

Un  petit  trait  sous  une  voyelle  {a)  indique  qu'elle  porte  l'accent 
tonique. 


MELANGES  BAGNARDS 

-♦- 

IL  Les  expressions  servant  à  rendre  l'idée 
de  «  pleuvoir  »  et  de  «  neiger  ». 

Dans  l'ensemble  du  vocabulaire,  un  patois  local  ne  saurait 
aucunement  soutenir  la  comparaison  avec  la  langue  française. 
Le  dialecte  est  particulièrement  pauvre  en  termes  généraux  et 
abstraits,  ce  qui  fait  qu'une  partie  des  questionnaires  du 
Glossaire  roviand  ont  produit  un  résultat  plutôt  faible.  En 
revanche,  sans  même  se  confiner  dans  le  domaine  technique 
de  l'agriculture  et  des  occupations  campagnardes,  il  est  facile 
de  trouver  des  cas  ou  un  seul  patois,  tout  imparfait  qu'il  soit, 
peut  rendre  des  points  à  la  langue  littéraire.  Nous  aimerions  le 
prouver  en  énumérant  les  nombreux  termes  qui  correspondent 
dans  la  vallée  de  Bagnes  au  mot  français  «  pleuvoir  ». 

Cette  multiplicité  n'a  pas  lieu  de  nous  étonner.  Tout  au  plus 
gênante  pour  les  promeneurs  et  les  badauds,  la  pluie  ne  change 
guère  les  habitudes  citadines,  tandis  qu'elle  fait  l'espoir  et  la 
fortune,  cause  le  désarroi  et  le  malheur  du  paysan. 

Il  est  d'abord  curieux  de  constater  que  le  terme  propre,  le 
correspondant  direct  du  latin  pluere,  ou  plutôt  de  son  équiva- 
lent vulgaire  *  p  1  o  v  é  r  e ,  c'est-à-dire  le  verbe  plouay  ^ ,  n'est  plus 
usité  aujourd'hui  que  par  quelques  vieillards  qui  s'en  servent 
rarement.  Il  en  est  de  même  du  verbe  nay,  «neiger»,  lat. 
*nivëre,  qui  avait  remplacé  l'ancien  n ingère,  et  qu'on  peut 
désormais  considérer  comme  archaïsme  en  bagnard.  Beaucoup 


^  Signe  de  décadence  :  plusieurs  patois  romands  ont  formé  un  infi- 
nitif ^/)'ôrf;(z,  qui  équivaut  à  un  français  upleiiger»,  sur  le  modèle  de 
neiger.  L'analogie  est  facilitée  par  le  fait  que  plu  via  donne  plyàd:^ 
dans  nos  patois. 


4  M.    GABBUD   ET   L.    GAUCHAT 

d'habitants  de  la  vallée  ne  connaissent  ni  ne  comprennent  plus 
cette  expression.  Ces  termes,  qui  avaient  paru  commodes  et 
significatifs  pendant  deux  mille  ans,  sont  vieillis,  rouilles,  relé- 
gués au  vieux  fer^.  Cela  est  d'autant  plus  surprenant  que  l'ex- 
pression qui  en  triomphe  doit  nous  paraître  bien  incolore  et 
insignifiante:  on  dit  balyè  {de  plbdz9,  de  nay)-.  Comme  le 
complément  de  plbdzs  est  généralement  supprimé,  on  se  con- 
tente de  dire  :  (//)  donne'^  pour  il  pleut.  Dans  la  vie  et  dans  le 
développement  linguistique,  les  successeurs  ne  se  distinguent 
pas  toujours  de  leurs  prédécesseurs  par  l'abondance  de  leurs 
qualités.  Qui  donne  la  pluie?  On  ne  s'en  rend  pas  compte*. 

Le  langage  est  plus  énergique  lorsqu'il  s'agit  de  caractériser 
une  pluie  forte  ou  fine.  Pour  une  averse,  on  se  sert  volontiers 
de  mots  qui  signifient  battre  (cfr.  en  français  :  pluie  battante). 
On  emprunte  les  verbes  rolyè^,  évouapâ,  dzsrbâ  {de  plodzi)  et 
même  étnlyè  {«.  étriller  >>  =  battre  à  coups  redoublés).  Le 
second  de  ces  termes  a  le  sens  de  frapper  à  grands  coups  et 
s'emploie  par  exemple  en  parlant  des  batteurs  de  blé.  Le  troi- 

^  Le  substantif /)/za'é;  et  les  dérivés  pluvieux  et  k  pleiivig7ier  »  (voir 
plus  loin)  ont  cependant  conservé  toute  leur  force  vitale.  Les  cartes 
1034  (pleuvoir),  1035  (il  pleut),  1039  (pluie)  àe'V  Atlas  liiii^niistique  de  la 
France  prouvent  que  le  substantif  est  le  mot  le  plus  résistant  des  trois. 
//  pleut  est  souvent  remplacé  par  il  tombe  de  l'eau  ou  il  mouille.  L'infi- 
nitif manque  dans  de  vastes  contrées.  Pluie  a  fait  naître  le  dérivé 
bagnard  plàd^iro,  grande  chute  d'eau. 

2  Comparez  halyè  xlouè,  «  donner  (du)  soleil  »,  faire  un  beau  temps. 

3  Les  patois  des  vallées  valaisannes  supérieures  (p.  ex.  Anniviers) 
possèdent  encore  le  verbe  ddtiâ,  qui  prend  le  même  sens. 

^  L'expression  allemande  es  eriebt  Regeii  n'a  certainement  exercé 
aucune  influence  sur  la  création  de  «  il  donne  de  la  pluie  ».  Du  reste, 
elle  n'a  pas  la  même  signification  et  désigne  une  pluie  à  venir,  recon- 
naissable  à  des  symptômes  atmosphériques. 

^  Signifie  battre  dans  d'autres  patois;  comp.  la  tournure  populaire  : 
il  pleut  à  la  roille.  Une  rapide  revue  des  matériaux  du  Glossaire  nous 
fait  trouver  les  autres  verbes  suivants  au  sens  de  battre  pris  métapho- 
riquement Tpour  pleuvoir  :  drdyn ,  averse  «  drillée  »  (Le  Chenit)  ;  ràcha, 
u  rossée»  (Vaud,  Fribourg,  Berne);  tape  (Berne);  chake,  <i  claquée», 
(Berne).  Cfr.  le  suisse  allemand  bràtch  =  fesser  et  pleuvoir  fortement. 
N'oublions  pas  de  mentionner  oiia  batyoua  de  plàd^^  (Bagnes). 


MELANGES   BAGNARDS  5 

sième  dérive  peut-être  de  gerbe  et  rentre  dans  la  même 
sphère  d'idées.  Un  cinquième  verbe  dàrdzyè,  dans  d'autres 
patois  valaisans  dradjye  (de  dragée^  grenaille  ?),  appliqué  à  une 
forte  averse  chassée  par  le  vent,  paraît  représenter  l'idée 
d'une  chose  lancée  avec  force.  Les  cinq  verbes  cités  ont  à 
peu  de  chose  près  une  acception  identique.  Individuellement, 
l'un  peut  paraître  plus  expressif  que  les  autres.  A  côté  des  infi- 
nitifs, nous  avons  les  substantifs  rdlya,  évouapàyd,  dzjrbây), 
étr?lya,  dbrdzya.  Il  est  difficile  de  dire  si  les  substantifs  ou  les 
verbes  ont  reçu  d'abord  le  sens  figuré  indiqué.  On  rencontre 
parfois  aussi  3  rgb,  s.  f.,  pour  la  pluie.  Pour  la  formation  et 
l'absence  de  la  mouillure  devant  3  final,  on  peut  rapprocher 
le  couple  molyè  et  3  mgh  =  mouiller  —  mouille,  avec  le  sens 
général  de  pleuvoir  et  pluie.  On  dit  ainsi  s?  yan  n  in  pne"  de 
mol3,  cette  année  est  pluvieuse.  Le  terme  est  rare.  De  même 
bab,  tiré  de  balyè  susmentionné  :  on  tin  vryya  su  a  bah,  un 
temps  enclin  à  la  pluie. 

Lorsqu'au  lieu  d'une  forte  ondée  on  n'a  affaire  qu'à  une 
bruine  légère  et  bénigne,  le  patois  ne  manque  pas  de  ressources. 
Voici  d'abord  plusieurs  diminutifs  qui  rendent  cette  idée  : 
plbvsnyè  ,ou  plbnyè,  selon  la  tendance  individuelle  ou  locale 
de  conserver  ou  de  supprimer  le  z'  intervocalique.  En  français 
suisse  on  dit  également  <<•  pleuvigner^  ».  Plbnyè  a  engendré  un 
sous-diminutif//<7«>'a/j>'<^,  qui  désigne  une  pluie  encore  moins 
abondante.  Avec  le  même  élément  formai  ont  été  constitués 
les  verbes  à  peu  près  synonymes  gbtsnyè  et  rszpnyè'-.  Ils  sont 
plutôt  inférieurs  en  force  à  plbnyè,  grâce  à  leur  origine  :  gota, 
goutte  et  le  radical  du  mot  rose'e.  L'appellation  moderne  balyè 
a  occasionné  la  formation  du  diminutif  balyatsyè  3,  qui  se  rap- 
porte à  une  pluie  peu  importante  et  passagère. 

Non   content    des   treize   verbes    cités   jusqu'ici,   le   patois 

'  Comp.  l'italien  pioi'igginare.  Tous  nos  patois  connaissent  le  mot  ; 
dans  le  canton  de  Berne,  l'n  n'est  pas  mouillée. 
^  Substantils  çdt^nya,  rdj^nya. 
^  Cfr.  dànoutsé  du  val  d'Anniviers. 


6  M.    GABBUD   ET   L.    GAUCHAT 

bagnard  possède  encore  les  expressions  konpleyè  ou  tsarmasyè 
pour  une  pluie  intermittente  pendant  une  certaine  période  de 
temps,  avec  de  rares  éclaircies  de  soleil  (juin  1909!),  d'origine 
obscure.  Substantifs  konpli,  m.,  et  tsarmasèri ,  f.  Enfin  une 
bruine  froide  plus  ou  moins  abondante,  tombant  de  travers  et 
souvent  accompagnée  de  neige,  est  désignée  par  le  vocable 
dz9frasyè,  qui  est  susceptible  de  s'appliquer  à  la  neige  seule. 
Son  compagnon  obligé  est  le  substantif  dz?frasya.  Le  suffixe 
verbal  est  -aceare,le  radical  probablement  apparenté  à  celui 
du  français  givre. 

Pour  neiger,  le  Bagnard  s'est  montré  moins  inventif.  Aussi  la 
saison  morte  est-elle  moins  importante  pour  le  paysan.  Cepen- 
dant, l'intérêt  dont  il  accompagne  la  chute  de  la  neige  est  suf- 
fisamment attesté  par  les  verbes  nèoutsyè,  à  peine  connu  au 
Val  de  Bagnes  ^  ;  sandreye,  neiger  en  flocons  ténus  et  peu 
pressés  ;  grizayè  et  blantsi,  qui  désignent  différents  degrés  de 
couverture  de  la  terre  par  la  neige:  bar  doua,  tacheter,  qui 
s'applique  à  une  étendue  enneigée,  mouchetée  de  taches  noires 
où  la  neige  a  disparu.  Taranâ  se  dit  enfin  du  sol  en  voie  de  se 
débarrasser  de  sa  couche  blanche  ;  quand  il  è  tarin  {^=.  ter- 
rain^, le  moment  est  venu  où  .recommencent  les  joies  et  les 

labeurs  de  la  vie  agricole. 

M.  Gabbud  et  L.  Gauchat. 

*  Existant  dans  la  vallée  du  Rhône. 


TEXTE 

-^- 

Fragment  du  poème   des   Paniers,   de    F.    Raspieler. 

Transcriptions  en  patois  de  Courroux  et  de  Charmoille  (Berne). 

Nous  donnons  ci-aprcs  un  fragment  des  Paniers,  transcrit  phonéti- 
quement d'après  la  prononciation  des  patois  de  Charmoille  et  de 
Courroux.  Ces  deux  versions  permettront  au  lecteur  de  se  faire  une 
idée  des  différences  assez  notables  qui  existent  entre  les  parlers  de  ces 
deux  villages.  Nous  devons  celle  de  Charmoille  à  la  grande  obligeance 
de  M.  Fridelance,  tandis  que  celle  de  Courroux  est  empruntée,  ainsi 
que  la  traduction,  à  l'édition  de  M.  A.  Rossât,  parue  dans  les  Archives 
suisses  des  traditions  populaires,  t.  VIII,  p.  213-219,  et  qu'il  a  bien  voulu 
nous  autoriser  à  reproduire  ici.  Charmoille  se  trouve  à  l'extrémité  Est 
de  l'Ajoie,  à  10  km.  de  Porrentruy;  Courroux  est  situé  dans  la  plaine 
de  Delémont,  à  2  km.  de  cette  ville.  Les  deux  villages,  situés  à  une 
distance  de  14  km.  l'un  de  l'autre,  sont  séparés  par  une  chaîne  de 
hauteurs  formant  le  plateau  de  Pleigne. 

Les  «  Paniers  »  sont  le  poème  à  la  fois  le  plus  populaire  et  le  plus 
ancien  que  possède  la  littérature  patoise  du  Jura  bernois.  On  l'a  consi- 
déré longtemps  comme  une  œuvre  originale  de  Raspieler,  curé  de 
Courroux,  mort  en  1762.  Mais,  grâce  aux  infatigables  recherches  de 
M.  A.  Rossât,  publiées  dans  les  Archives  suisses  des  traditions  populaires, 
t.  VIII  (1904)  à  X  (1906),  il  est  aujourd'hui  bien  établi  que  Raspieler 
n'a  fait  que  traduire  et  amplifier  dans  le  patois  de  son  village  un  poème 
anonyme  en  patois  bisontin,  imprimé  en  1735,  que  l'on  attribue  à 
Jean-Louis  Bizot,  conseiller-doyen  au  bailliage  de  Besançon (i 702-1 781). 
Les  «  Paniers  »  sont  une  violente  satire  dirigée  contre  la  coutume 
qu'avaient  alors  les  femmes  de  porter  des  vertugadins  ou  a  paniers  », 
et  qui  flagelle  en  même  temps  les  prétentions  de  certaines  petites  gens, 
qui  s'efforcent  d'imiter  le  luxe  de  la  noblesse  sans  en  avoir  les  moyens. 
L'ouvrage  est  écrit  avec  autant  de  verve  gauloise  que  de  rusticité  gros- 
sière. Après  un  petit  prologue  où  l'auteur  donne  libre  cours  à  son  indi- 
gnation, le  fragment  que  nous  reproduisons  introduit  l'héroïne  du 
poème  (vers  29-83).  E.  T. 


5  A.   ROSSAT   ET   F.    FRIDELANCE 

Patois  de  Courroux  (Delémont). 

Y'e  Vâtrd  yïs  rankontre  doup  dènu  dp  Dlémon 
30.  K9  s'an-n-alïn  brîd::^in  kontrp  Kortètnlon. 
E  porîn  pbrtin  bïn  étr9  dd  Porintru  ; 
E  santïn  le  lèvûrp  ;  dyeh  an  pan.nè  son  ixu! 
Tbt9  dcûp  anpahtè  dm  le  san  ; 
Fât-è  h  dp  tàlp  trûp  sïn  dïnchp  kouâfaii  ! 
-  35.  /  yi  diji:  médènip,  vo  dèrïn  vargan.nyip  ! 

S'a  antxœ  h  dupmoiianp,  rpix^tp-vo  à  motip. 

—  Tb  se  grintp  prouayiprp  son  trb  lédp  è  solënp  ; 
Nà  n  son  pp  chp  nïinbïn  dp  poiiâr  tin  dp  poiienp. 

—  Min,  médèmp,  vo  sètp  t^P  le  devosyon 
40.  A  vbtrp  èritèdjp  è  vbtrp  bkupàsybn. 

—  Lp  dupmouanp  dé  tchèyë  l'bfisp  èrp  chp  Ion 
T^P  no  np  sœnp  soudé  d'étrp  è  djpnon.yon. 

I  lé  pyaki  lé  dôûp  pb  aie  voua  masp 
Ou  ét'P  èup  don:(èlp  ty^eve  le  patprasp. 
45.  /  èrp  ch'èsutpnan  ¥i  pyindje,  sbpilè 

Dp  sb  iX3  lé  grin  masp  ïn  pÔ  lonian  duré. 

—  Yé:(9s  !  dijét-i,  tb  mon  povrp  kop  grûlp. 
S^i  nèvo  pép  pri  stu  mètïn  dé  pilulp  ! 

J'ai  avant-hier  rencontré  deux  dames  de  Delémont 
30.  Qui  s'en  allaient  vagabondant  contre  Courtemlon. 

Elles  pourraient  pourtant  bien  être  de  Porrentruy  ; 

Elles  sentaient  la  lavure  :  le  diable  en  torche  son  c.  ! 

Toutes  deux  empaquetées  dans  la  soie  ; 

Faut-il  que  de  telles  truies  soient  ainsi  coiffées  ! 
35.  Je  leur  dis:  Mesdames,  vous  devriez  avoir  honte! 

C'est  aujourd'hui  dimanche,  rendez-vous  à  l'église,  [gantes. 

—  Toutes  ces  grandes  prières  sont  trop  ennuyeuses  et  fati- 

Nous  ne  sommes  pas  si  niaises  de  prendre  tant  de  peine. 


LES    PANIERS  9 

Patois  de  Charmoille  (A joie). 

Y'è  d'vïn  y  19  {l'âtr9  djo)  rankonlrè  doiid  dètnJ  ds  Dle- 
30.  Kp  s'an-n-alîn  troimyîn  kontrp  Kotch'iuplon.        [mon 

E  porïn  pûtchîn  bïn  étr?  dp  Forint  ru; 

E  santtn  le  r'ièviir^  '•  dyèl'  an  pan.nè  son  tyu  ! 

Tôt'  don'  anpèhtè  din  le  sop  (sonp)  ; 

Fât-é  k'  dé  ta  ir'up  (trup)  sïn  dîncljp  koèfê  !  (kouèfe) 
^y  I  yô  dyé  :  niédèm',  vô  dèrïn  vargan.nyip  ! 

S'a  odj'dœ  dnpmoinjf ,  rptyœt'-vo  à  môtïp. 

—  To  se  grânt'  prayipr'  soii  tro  Icd'  è  sôlîn.n'  ; 
Nô  n  son  p'  chi  nûubui  dp  par  tîn  d'  poîn.n' 

—  Mîn,  médènf,  vô  sèl^  kp  le  d'vôsyon 
40.  A  vôl'  érHèdj'  è  vôt'  okupàsyon. 

—  Lo  du'moin.n'  de  boucha  l'ôfis'  été  chi  grân 
Kp  nô  n'  sin.n'  duri'  d'étr'  è  dj'nônyôn. 

1  lé  léché  lé  doup  po  aie  vou'  mâs'  fan  le  niâs^) 
Von  été  in.n'  don:;^èl'  k'èvè  le  «  pat'ràs'  ».  (détras'J 
45.  EU'  été  chi  èsinti  (mâdœt')  k'èl  pyînjè,  sôpirè 
Dp  so  k'  le  grân  niàs'  m  pô  lôntan  dure. 

—  Djœ^ces  !  dyè-t-éy',  to  mon  poPr'  kop  grulp. 
S'i  n'èvô  pi'  (p^i')  pp  pri  si  mètïn  dé  pilul'  ! 

—  Mais,  Mesdames,  vous  savez  que  la  dévotion 
40.  Est  votre  héritage  et  votre  occupation. 

—  Le  dimanche  des  Rameaux,  l'office  était  si  long  [lées, 
Que  nous  ne  pûmes  {liii.  sûmes)  endurer  d'être  agenouil- 
Je  les  plantai  là  les  deux  pour  aller  à  la  messe  {litt.  voir 
Où  était  une  donzelle  qui  avait  la  détresse.  [messe 

45.  Elle  était  si  douillette,  qu'elle  plaignait,  soupirait, 
De  ce  que  la  grand'messe  un  peu  longtemps  durait. 

—  Jésus  !  disait-elle,  tout  mon  pauvre  corps  tremble. 
Si  seulement  je  n'avais  pas  pris  ce  matin  des  pilules  ! 


lO  A.  ROSSAT   ET   F.    FRIDELANCE 

Me  povrd  pptè  pî9  son  djè  èvartèyip; 
50.  De  !  i  se  tota  votiik^  d'etrd  èdjpnon.yip. 

Y'e  djè  pri  h  baron,  b  rpdé,  h  klbka. 

Y'èro  san  Joua  mœ  fè  dp  vardè  b  fbrna  ! 

Y'èvo  suchpinsyon  k'i  sobre  dp  le  dinsp; 

Pbrspmém9  i  soudé  djintx  an-n-ii  réchip  pinsp. 
55.  Stp  dèmp  don  i  prâdjè  èr9  bèb  è  pïnpe ; 

I  èvè  pri  là  son  lan  pb  sp  hïn  epïndyë. 

I  èrp  tchèrdjîp  dp  nuka,  dp  rbbp  è  dp  pènip, 

Tx'cintrin  dpdin  lé  bin  i  motre  son  dprip. 

I  èrp  poudran,  fri^blan,  ix'i  îx^ido  ib  dp  bon 
60.    TxP  sèr9  in  tch'in  bèrbè,  voit  b  txu  d'ïn-n-opyon. 

I  nip  pansé  :  mon  dup  !  hbnian  dé  brevp  djan 

O^ant-è,  père  bïn,  sp  vétrp  chp  pœtpman  ? 

Min  dûp,  t/j  èyènp  se  modp  è  nbvâte, 

Tb  di  Ion  étandii  le  fè  è  kanbi:^è. 
65.  I  aie  bpyon.nin,  krie  lin  tx'i  pbye  : 

Oyp  b  txép  !  l'èchtbrnè  !  éle,  Seigneur,  éle  ! 

I  n'an  pœ  pu  !  Yé^ps  !  Mon  Dieu  !  viprdjp  Mèrip  ! 

—  Aie  pi  ïn  po  d'âvp  an  le  rénp  ^^''Hongrie. 

Mes  pauvres  petits  pieds  sont  déjà  déboîtés  ; 
50.  Dieu!  Je  suis  tout  éreintée  d'être  agenouillée. 

J'ai  déjà  pris  la  toux,  la  colique,  le  hoquet  ; 

J'aurais  cent  fois  mieux  fait  de  garder  le  fourneau  ! 

J'avais  suspicion  qu'elle  [se]  fatiguerait  de  la  danse  : 

Pourtant  elle  tint  ferme  jusqu'à  ce  qu'on  eut  frappé  la  poi- 
trine (//■//.  la  panse,  c'est-à-dire  jusqu'à  l'élévation). 
55.  Cette  dame  dont  je  parle  était  belle  et  pimpée; 

Elle  avait  pris  tout  son  temps  pour  se  bien  épingler. 

Elle  était  [si]  chargée  de  nœuds,  de  robes  et  de  paniers, 


'  Inconnu  aujourd'hui  à  Courroux. 


LES    PANIERS  II 

Mê  podr^  pdté  ph  (p^i^)  son  dj^  évaicbayip  ; 
50.  Dé  !  i  sœ  tot^  voiiiJc^  d'étr'  èdj'iion.yb. 

Y'è  dj'  pri  V  boron,  V  «  r^dœ  »,  lo  sya. 

Y'èrô  sau  foè  niœ  fè  d'  vadje  Vfona  ! 

Y'èvô  siichpânsyon  h'èl  sôl^rè  d^  le  dîns^  ; 

(Pochan  niîn.tn^  ?)  tb  dmîn.m^  èl  tpnyé  ko  djîiik  mi-n-œ 
55.  St9  dèm^  don  i  pràdj^  été  bel"  è  phipè ;  [ropchi<^  pins' 

ÈU'èvè  pri  to  son  tan  po  f  btn  épïndye. 

Èll'étè  tchèrdji'  dp  nonka,  dp  rob^  è  d^  ppni9, 

K'antrïn  dpdin  lé  bîn  èl  niôlré  son  d'rip. 

Ell'étè  poudre,  fri~olè,  k'i  tyndo  to  d'  bon 
60.  Kp  s' été  ïn  tchî'n  bèrbè,  von  1°  tyu  d'ï'n.n  opyôn.    . 

I  m'  pansé  :  mon  Dn^  !  konian  dé  hrâv^  djan 

Ojant-é(y),  poèdé  bï'n,  sp  vétr'  (ou  véli^  chi  pètpnian  ? 

Min  Diip,  kp  èypn'  se  viôd'  è  nôvâtè, 

To  di  lôn  étandu  le  fè  è  ^(  kànbi^e  »  (bortyulè). 
65.  EIV  aie  béypnè,  kriyè  tin  k'èl  paye  '• 

—  Oy^  lo  tyu'  !  l'échtomè  !  elè,  sin.nyœr,  élè  ! 

I  II' an  pœ  pu  !  Djœ:{œs  !  Mon  Dieu  !  (mon  Du')  vÏPrdjp 

[Mèrip  ! 

—  AU  «  pi  »  (tfri)  ïn  pô  d'âv'  an  le  rîn.n'  ^'Hongrie. 

Qu'entrant  dans  les  bancs  elle  montrait  son  derrière. 
Elle  était  poudrée,  frisottée,  que  je  croyais  tout  de  bon 

60.  Que  c'était  un  chien  barbet  ou  le  c.  d'un  oison. 

Je  (me)  pensai  :  Mon  Dieu  !  Comment  des  braves  gens 
Osent-ils,  parbleu  bien,  se  vêtir  si  vilainement.^ 
Mais  Dieu,  qui  déteste  ces  modes  et  nouveautés, 
Tout  du  long  étendue  la  fait  (à)  culbuter. 

65.  Elle  allait  roulant  par  terre,  criant  tant  qu'elle  pouvait  : 

—  Aïe  le  cœur  !  l'estomac  !  hélas  !  Seigneur,  hélas  ! 
Je  n'en  peux  plus  !  Jésus  1  mon  Dieu  !  vierge  Marie  ! 

—  Allez  chercher  un  peu  d'eau  à  la  Reine  de  Hongrie. 


12  A.   ROSSAT   ET   F.  FRIDELA\XE 

Vo-^-élP  an-n-èprdfia  !  kcûptp  don  vitaman  ! 
70.  Le  vouala  t^'  à  châsè,  U-À^œyd  yi  viran. 

A  vinègrp,  à  vinègrp  /  vitp  di  hrint9vïn. 

Von  bïn  èporie  yi  le  tchan.naid  di  vïn  ! 

Sigan.nyis-lè  gèye  :  b  maléJ9  le  tûp. 

Toua,  koHP  vit9  à  liin  pb  i  èportè  di  brup. 
75.    Tyj  txêtxùn  âb  pi  b  dbktor  chbchp-m'i! 

Porte  le  chu  son  ye  !  mèdènip  an  ve  niéri. 

I  grpinp  djè  le  dan,  son  vé::^èdjp  à  ichindjîp. 

Loulœ  !  d'ïn  virp-min  i  vè  etrp  virip  ! 

Elè  !  mon  dud,  êle  !  i  tîrp  lé  dprip. 
80.  /  é  djè  b  rinkouaya  ;  i  pe  pb  l'àlrp  vlp. 

Vin  kouâlin  èprè  le  djintx'  an  l'étèrnitè, 

Efïn  dp  rpmerkè  dp  ixé  kotè  i  âdré. 

I  tîrp  dpvoua  b  sîp  ;  vouayan  sp  i  antrpré. 

A.   ROSSAT. 

Vous  êtes  comme  une  souche  !  courez  donc  vite  ! 
70.  La  voilà  qui  est  pâmée  !  les  yeux  lui  tournent. 

Au  vinaigre,  au  vinaigre  !  vite  de  l'eau-de-vie, 

Ou  bien  apportez-lui  la  burette  du  vin  ! 

Secouez-la  vigoureusement  :  le  malaise  la  tue. 

Toi,  cours  vite  à  la  cuisine  pour  lui  apporter  du  bouillon. 
75.  Que  quelqu'un  aille  chercher  le  docteur  Souffle-m'y  ! 

Portez-la  sur  son  lit  !  Madame  en  va  mourir. 

Elle  grince  déjà  des  dents,  son  visage  est  changé. 

Parbleu  !  en  un  tour  de  main  elle  aura  défunte  {liti.  elle 
va  être  tournée). 

Hélas  !  mon  Dieu,  hélas  !  elle  est  à  l'agonie  (////.  elle  tire 
les  derniers). 
80.  Elle  a  déjà  le  râle,  elle  part  pour  l'autre  vie. 

Allons  doucement  après  elle  jusqu'à  l'éternité, 

Afin  de  remarquer  de  quel  côté  elle  ira. 

Elle  se  dirige  vers  le  ciel  ;  voyons  si  elle  y  entrera. 


LES   PANIERS  I3 

Vôi-ét'  aii.ii  ((  éprpga  »  (è  ou  â  bœyi^)  !  fiil^  don  vitp- 
70.  Le  voèla  k'à  syâsè  !  lé:<^-œy^  yi  viran.  [jnan  ! 

A  vïn.nègr^,  â  vïn.negr^  !  vit'  di  hrantdvïn, 

Fou  hïn  èpotchè-yi  le  tchan.naf  di  vïn  ! 

«  Sigan.nyi^  »-lè  (ch^kouf-lè)  gèye  :  lo  malèj^  le  tup. 

Toè,fii  (ou  rit^)  vit^  an  le  tyœjin.n'  po  yèpotche  di  brt0. 
75.  K9  kékiin  al^  ty'ri  lo  doktœr  xo^X^-'ni  (xo9X'-'>i^3-yi)  ! 

Potchè-lè  chu  son  yé  !  MèdèîJi'  an  vœ  mari. 

El'  grpni'  dJ9  lé  dan,  son  vi:(èdj'  â  tchîndji3. 

«  Loulœ  »  (poèdê  !)  d'ïn  vir'-tè-mîn  èl'  vœ  étr^  virip  ! 

Elè  !  mon  Diip,  elè  !  H'  tir'  le  d'rip. 
80.  ÈWé  djd  lo  rînkaya;  èl'  pe  po  Fâtr'  vi9. 

Vîn  kouâlîn  èpré  lé  djink'  an  Vétèrnite, 

Êfïn  dp  r'mèrtyè  dp  ké  san  èlVâdré. 

El'  tir'  d'va  l'si'  ;  voèyan  s'èlVantrpré. 

F.  Fridelanxe. 


ETYMOLOGIES 

-♦- 

I.  Val.  bisse,  s.  m.,  «  canal  d'irrigation  ». 

Le  nom  des  fameuses  conduites  d'eau  du  Valais  n'est  pas 
si  énigmatique  qu'il  semble  l'être  au  premier  abord.  Ce  n'est 
pas  autre  chose  qu'une  variante  phonétique  du  mot  français 
aie/,  qui  provient  du  germanique  ded  dit  de  ruisseau)  ^.  Le  mot 
est  répandu  dans  toute  la  Suisse  romande,  et  prend  entre 
autres  les  formes  suivantes  :  bis'  (Evolène,  indéclinable),  ùay 
(Bas-Valais,  Vaud),  de  (Fribourg),  dï  (Montagnes  neuchâte- 
loises),  àip  (Berne).  Il  signifie  canal,  petit  ruisseau,  torrent,  et 
se  rencontre,  comme  de  juste,  fréquemment  parmi  les  noms  de 
lieu.  Ceux   qui   prétendent   que    les  Arabes  ont  introduit  les 


^  Pour  le  sens,  cfr.  les  dérivés  défasse,  val,  avec  le  sens  de  ruisseau 
sur  la  carte  1175  de  V Atlas  linguistique  de  la  France. 


14  L.    GAUCHAT 

bisses  en  Valais,  ne  seront  pas  satisfaits  de  cette  étymologie  ; 
car  une  chose  arabe  ne  saurait  porter  un  nom  germanique. 

Reste  à  expliquer  la  forme  bis\  qui  a  passé  dans  la  langue 
des  touristes  et  qui  a  par  là  acquis  droit  de  cité  en  français. 
Généralement  les  patois  romands  confondent  les  voyelles 
latines  ^  et  ë  accentuées  en  syllabe  libre;  ainsi  les  mots  tel  a 
et  lëpore  offrent  aujourd'hui  dans  le  Gros-de-Vaud  les  formes 
iayla  et  layvra.  Les  patois  des  cantons  de  Neuchâtel,  Berne  et 
de  la  partie  du  Valais  romand  située  à  l'Est  de  Sion  distin- 
guent les  deux  résultats.  Nous  avons  donc  le  schéma: 

têla  lëpore  *bëdu 

Bas-Valais,  Gros-de-Vaud  :  tayla  layvra  bay 


Gruyère  : 

tèla 

lèvra 

bè 

Evolène  : 

teyla    \\ 

livra 

bis' 

Montagne  neurbàteloise  : 

tèla      II 

lyëvra^     \ 

1       bï 

Jura  bernois  : 

toual    11 

yidvr 

bi? 

Quant  à  \s  finale,  elle  nous  rappelle  qu'en  vieux  français,  à 
côté  de  bief^  l'on  rencontre  souvent  la  forme  biez^  dont  l'équi- 
valent existe  aussi  dans  nos  anciens  documents.  Ainsi  à  Neu- 
châtel :  ou  beyz  de  la  Roche;  juxta  le  beyz  {Extentes  du  Val-de. 
Travers,  vtvs,  1340).  Parmi  les  différentes  latinisations,  la  forme 
becium  témoigne  également  de  la  prononciation  *  biets  :  Jtixta 
beciu?n  labentem  de  Ruvinis  nigris  ex  oriente  (Ormont-dessus, 
1427). 

M.  Meyer-Liibke  a  certainement  raison  de  voir  dans  biez  et 
bie/ des  essais  imparfaits  de  rendre  la  prononciation  germa- 
nique bed  [Gramm.  rom.  I,  §  557  et  II,  §  20).  Puitspelu  cite  éga- 
lement deux  formes,  bi  et  bis\  pour  le  dialecte  lyonnais.  Un 
radical  avec  -s  est  postulé  par  les  dérivés  valaisans  tels  que 
bizèt\  petit  bisse,  etc.  Tandis  que  presque  tous  nos  patois 
laissent  s'amuïr  les  consonnes  finales ,  certains  de  ceux  du 
Valais  en  conservent  quelques  traces.  C'est  ainsi  que  -s  subsiste 
à  Evolène  comme  reste  d'un  ancien  *-ts ,  témoins  digitos  — 

*  deits  —  deys,  directus  —  *  dreits  —   drèys,  *muttos  — 

*  mots  —  mos,  filius  —  *Ji{l)ts  — fis,  pilos  —  *pei(l)ts  — 
pèys,  etc. 

*  L'ancien  *lievra  a  été  traité  comme  *gieres  (voy.  Bulletin,  VII,  p.  52). 
U  ont  fusionné  et  l'accent  s'est  fixé  sur  l'e.  Lévolution  normale  est 
représentée  par  mël  =  viT,    medicu  =  )nTdj,  etc. 


ÉTYMOLOGIES  1$ 

2.  Français  pop.  dégreviillé,  «  dégourdi  ». 

A  propos  de  déquepiller,  «  débarrasser  »,  expliqué  par 
«  enlever  les  cupules  des  noisettes  »,  etc.  (voir  Bulletin,  VU, 
p.  58),  plusieurs  de  nos  lecteurs  m'ont  rendu  attentif  à  l'ex- 
pression dégremillc,  part.  p.  de  (se\  dcgremiller,  «  (se)  dégour- 
dir, se  déniaiser,  se  défaire  de  sa  rusticité,  de  sa  gaucherie  », 
aussi  «  remuer,  se  donner  du  mouvement  »  ;  comme  verbe  actif, 
«  développer,  éveiller,  éduquer  ».  Ce  mot  doit  évidemment  son 
origine  à  une  idée  analogue  :  dégremillet\  en  patois  degrsmdlyi 
ou  dègroumdlyî,  paraît  avoir  signifié  d'abord  «  sortir  les  gru- 
meaux, c'est-à-dire  noyaux  de  leur  enveloppe  ».  La  base  latine 
serait  donc  *grrimiculum  =  noyau,  qui  n'existe  plus  comme 
tel,  mais  qui  persiste  sous  la  forme  diminutive  gnnulyon  = 
peloton,  grumeau  de  farine  dans  la  soupe  (voir  Bridel,  sous 
grejnelhoii).  Le  mot  actuel  pour  noyau  mangeable  ou  amande 
d'une  noix,  noisette,  etc.,  est  grsmo,  qui  remonte  à  *gruma- 
culum,  et  qui  a  donné  naissance  au  verbe  grsinalyl,  «  casser 
les  noix,  séparer  l'amande  de  la  coque  ». 

3.  Cherinoutatie,  nom  de  lieu. 

Chennontane  est  le  nom  officiel,  figurant  sur  les  cartes  géo- 
graphiques, d'un  grand  alpage  qui  forme  l'extrémité  du  val  de 
Bagnes.  On  le  traverse  avant  d'arriver  à  l'admirable  col  de 
Fenêtre  de  Balme,  qui  rehe  le  Valais  au  val  d'OUomont. 

M.  Jaccard  explique  le  nom,  dans  son  Essai  de  toponymie, 
p.  85,  ainsi  que  dans  le  Dictionnaire  géographique  de  la  Suisse, 
par  le  mot  vieux  français  sermontan,  nom  du  Laser  Siler, 
ombellifère  très  abondante  à  la  Petite  Chermontane.  C'est  une 
des  nombreuses  étymologies  de  M.  Jaccard,  dont  l'œuvre  est 
du  reste  très  méritoire,  qui  ne  sauraient  être  approuvées  par 
la  linguistique.  D'abord  le  vieux  français,  qu'il  fait  souvent 
intervenir  à  l'appui  de  ses  hypothèses,  n'a  rien  à  voir  ici,  car 
on  n'a  jamais  parlé  cette  langue  dans  nos  montagnes.  Nos 
patois  et  le  vieux  français  ont  un  fonds  commun  de  mots  tirés 
du  latin  ou  d'autres  sources  et  que  la  langue  française  actuelle 
ne  possède  plus.  Dans  ce  cas,  les  documents  de  l'ancienne 
France  fournissent  des  variantes  de  même  origine,  et  rien  de 
plus.  La  plante  en  question  porte,  du  reste,  toujours  en  français 
le  nom  de  ser7nontai7i,  autre  raison  pour  ne  pas  invoquer  la 


l6  L.    GAUCHAT 

vieille  langue*.  Je  préfère,  sous  ce  rapport,  le  texte  du  DicL 
géogr.,  où  il  est  dit  que  Chermontane  vient  de  sermotttati,  nom 
patois  du  Laser  Siler.  Mais  est-il  vrai  que  la  plante  s'appelle 
ainsi  chez  nous?  Durheim,  Schweiz.  Pflanzen-Idiotikofi,\n(X\c[\XQ 
les  prononciations  semontain  et  sermontin,  Bridel  donne  en 
outre  sermet  et  semontan.,  Savoy  n'enregistre  que  sermontain  ; 
pour  le  Valais,  les  matériaux  du  Glossaire  offrent  invariable- 
ment samontan,  sans  r.  Si  l'on  met  en  regard  de  cette  dernière 
forme,  seule  valable  en  Valais,  l'appellation  patoise  de  Cher- 
montane, c'est-à-dire  tsarmàtâna,  que  j'ai  eu  l'occasion,  cet  été, 
d'entendre  dans  tout  le  val  de  Bagnes,  on  s'aperçoit  bien  vite 
que  les  deux  noms  n'ont  aucune  espèce  de  rapport.  La  lettre  « 
du  nom  français  est  due  à  une  simple  fantaisie  de  géographe. 
Il  est  aussi  peu  probable  qu'on  ait  donné  sans  autre  le  nom 
d'une  plante  à  toute  une  alpe. 

Notre  vaillant  correspondant  bagnard,  M.  Gabbud,  me  sug- 
gère une  origine  bien  plus  satisfaisante  de  tsarffwtâna.  Ce 
serait,  d'après  lui,  Calmis  Augustana,  c'est-à-dire  la  chaux- 
des  Valdôtains.  En  effet,  la  Chermontane  a  été  longtemps  un 
sujet  de  litige  entre  les  deux  populations.  Elle  est  célèbre  par 
un  procès  qui  remplit  presque  tout  le  xvT  siècle,  à  la  fin  duquel 
l'alpe  fut  adjugée  au  territoire  actuellement  suisse.  Le  nom  de 
Mauvoisin  désignant  la  contrée  la  plus  rapprochée  serait-il 
également  un  souvenir  d'anciennes  luttes  ? 

L'histoire  du  nom  de  Chermontane  met  en  relief  deux  choses  : 
le  secours  précieux  qui  peut  nous  être  donné  encore  par  les 
■indigènes  intelligents,  et  le  fait  que  seule  la  forme  patoise  de 
nos  noms  de  lieu  doit  servir  de  base  dans  nos  recherches  éty- 
mologiques. Elle  montre  donc  l'urgence  et  l'utilité  des  études 
poursuivies  avec  tant  de  zèle  et  de  compétence  par  M.  le  prof. 
E-  Muret.  L.  Gauchat. 

^  Voir  les  noms  gallo-romans  de  la  plante  dans  Rolland,  Flore  popii- 
laire,\lf  116-I17.  Sermontain  dérive  apparemment  de  sil  montanus 
ou  montana  :  on  trouve  aussi  cermontaygne,  f.,  dès  le  xnie  siècle. 

-  Sur  ce  mot,  voir  Bulletin,  IV,  p.  3  ss. 


— ^^^i^fî- 


LES  NOMS  ROMANDS 
DES  CLOCHETTES  DE  VACHES 

— î»- 

Lè  chgnaliyrè  van  le  pramirè. 
Ram  des  vaches. 

La  gaie  sonnerie  de  nos  troupeaux  pourrait  faire  le  sujet 
d'une  belle  page  poétique.  Je  me  borne  à  en  évoquer  le  sou- 
venir et  je  passe  sans  autre  préambule  à  mon  modeste  travail 
de  philologue,  qui  consiste  à  énumérer  les  termes  dont  nos 
campagnards  se  servent  pour  désigner  les  différentes  espèces 
de  clochettes.  D'abord  un  mot  de  l'objet  lui-même.  Toutes  les 
clochettes  se  laissent  ramènera  deux  types  (voir  fig.  1-3)  faciles 
à  distinguer.  L'un  reproduit  en  petit  la  forme  des  grandes 
cloches  d'église.  Il  est  fabriqué  en  métal  fondu  (cuivre  ou 
alliage  de  cuivre)  et  donne  un  son  clair  et  joyeux.  Je  le  nom- 
merai clarine^.  Le  second  varie  de  forme.  Plus  ou  moins  aplati, 
il  est  généralement  bombé  au  milieu  et  se  rétrécit  vers  son 
ouverture.  Il  est  en  fer  battu  et  rivé^  et  produit  un  son  sourd. 
Je  l'appellerai  bourdon.  La  principale  variante  de  ce  deuxième 
type  est  carrée  et  large  par  le  bas  ;  elle  se  rencontre  surtout 
dans  les  cantons  de  Berne  et  du  Valais,  mais  aussi  ailleurs.  La 
clarine  est  plus  coûteuse  et  plus  luxueuse;  les  fonderies  de  Bex, 
de  La  Sarraz,  du  Gessenay,  etc.,  se  surpassent  à  l'orner  de 
beaux  dessins  (glands,  feuilles,  scènes  alpestres)  (fig.  4).  En  re- 
vanche, les  bourdons  peuvent  être  fabriqués  partout  et  sont 
plus  résistants. 

Si  je  ne  fais  erreur,  le  bourdon  est  déjà  moins  répandu  que 
son  concurrent,  que  je  crois  d'introduction  relativement  récente. 


*  Le  mot  est  français  et  manque  à  nos  patois. 

^  Depuis  quelque  temps  on  en  voit  aussi  en  métal  fondu. 


l8  L.    GAUCHAT 

Cependant  la  clarine  existait  déjà  à  l'époque  des  Latins.  On 
trouve  plusieurs  exemplaires  de  l'ancien  tintinnabulum  au 
musée  pompéien  de  Naples,  en  bronze,  de  forme  cylindrique. 
Les  plus  grandes  espèces  de  bourdons,  qui  atteignent  jusqu'à 
40  cm.  de  diamètre  et  pèsent  jusqu'à  6  kilos,  sont  encore  très 
en  honneur.  Elles  servent  d'objet  de  parade,  lorsque  le  troupeau 
monte  à  l'alpage  ou  en  redescend,  traverse  un  village,  etc. 
C'est  alors  la  «reine»,  la  maîtresse-vache  qui  porte  le  plus 
gros  bourdon.  Elle  n'en  est  pas  peu  fière,  et  le  vacher  ne  le  lui 
cède  en  rien.  On  raconte  des  scènes  de  jalousie  entre  animaux 
à  propos  du  privilège  de  porter  la  grosse  clochette.  Au  pâturage, 
les  gros  bourdons  ou  les  grandes  clarines,  qui  empêcheraient 
le  bétail  de  brouter  commodément,  sont  remplacés  par  des 
sonneries  de  dimensions  moyennes.  De  plus  en  plus,  la  clarine 
l'emporte  par  son  élégance  et  sa  sonorité''. 

A  l'origine, les  clochettes  avaient  un  but  pratique:  elles  per- 
mettaient de  retrouver  les  bêtes  égarées,  perdues  dans  le 
brouillard;  elles  préservaient  le  bétail,  au  dire  des  gens,  d'in- 
fluences néfastes,  de  la  morsure  des  vipères,  par  exemple. 

On  pourrait  s'attendre  à  ce  que  les  deux  types  de  clochettes 
soient  nettement  distincts  dans  la  terminologie  patoise.  C'est 
ordinairement  le  cas,  mais  on  trouve  fréquemment  le  même 
nom  donné  aux  deux  types,  et  même  des  contradictions  entre 
dialectes.  J'en  citerai  des  exemples  dans  la  suite.  La  nomen- 
clature facilite,  jusqu'à  un  certain  point,  la  reconstruction  de 
l'histoire  des  clochettes  dans  nos  vallées.  Les  termes  propres 
désignant  la  clarine  sont  manifestement  récents^  :  kanpan.na 
trahit  par  l'absence  de  palatalisation  de  son  initiale  {ka  au  lieu 
de  tsa,tcha)  sa  provenance  italienne;  le  mot  clochette  n'a  guère 

*  Le  culte  chrétien  paraît  aussi  s'être  servi  primitivement  de  clo- 
chettes à  main,  en  fer  forgé,  avant  d'avoir  adopté  les  cloches  d'églises. 
Voir  L.  Morillot,  Etude  sur  l'emploi  des  clochettes  che^  les  anciens  et  depuis 
le  triomphe  du  christianisme.  Dijon,  1888,  cité  par  H.  Schuchardt,  Rom. 
Etymologien,  II,  p.  10. 

2  Le  mot  français  clarine  ne  marque-t-il  pas  aussi  le  progrès  d'un 
bruit  sourd  à  un  son  clair  ? 


LES    NOMS   ROMANDS    DES    CLOCHETTES    DE    VACHES         19 

pénétré  dans  les  Alpes  vaudoises  ni  en  Valais.  D'autre  part,  le 
bourdon  a  reçu  des  noms  peut-être  ironiques  {toupin,  pote) 
datant  probablement  du  temps  où  la  clarine  fut  introduite 
(xvn"=  siècle  ou  auparavant).  Le  bourdon  a  plus  souvent  donné 
lieu  à  des  emplois  métaphoriques  que  la  forme  cloche  (voir 
plus  loin). 

Une  étude  d'ensemble  des  noms  de  clochettes  dans  les 
langues  romanes  manque  encore,  mais  C.  Nigra  a  touché  à  la 
question  en  étudiant  ceux  des  colliers  des  ruminants^. 

Après  ce  préambule,  que  j'ai  cru  nécessaire  pour  élucider  le 
côté  matériel  du  problème,  passons  à  l'étude  des  divers  termes. 
Je  les  francise  pour  éviter  la  bigarrure  phonétique  des  patois 
romands. 

1.  sonnail,  s.  m.  (en  patois  spnà,  c/i^nà-,  etc.),  est  le  plus  an- 
cien mot,  à  mon  avis,  qu'on  puisse  atteindre.  Il  désigne  encore 
le  bourdon  à  Villeneuve  et  dans  le  Gros-de-Vaud;  ailleurs 
(Vaud  et  Fribourg)  un  grelot,  genre  bourdon,  porté  par  les 
chevaux  ou  par  les  veaux.  Dans  les  Alpes  vaudoises,  on  entend 
par  là  la  clarine,  la  nouvelle  clochette  ayant  gardé  le  vieux 
nom.  Il  remonte  au  latin  sonaculum,  du  verbe  sonare,  donc 
proprement  «instrument  pour  sonner».  Cf.  dans  nos  patois 
battaculum  >  bato,  «battant  de  cloche,  appareil  servant  à 
battre  la  cloche  :». Sonnai/ aura,  dénommé  à  l'origine  toute  espèce 
de  sonnette.  En  dehors  des  deux  cantons  cités,  il  est  inconnu. 

2.  sonnaille ,  ancien-  neutre  pluriel  collectif,  devenu  un 
féminin  singulier  3,  s'est  conservé  un  peu  partout  comme  terme 
général  pour  toutes  les  sortes  de  clochettes  (pat.  spna/jp,  cha- 
nadd,  Alpes  vaudoises,  etc.).  En  particulier,  il  a  la  valeur  de 
(gros)  bourdon,  dans  tous  les  cantons  sauf  Berne.  Métaphori- 
quement, il  signifie  «goitre».  Les  Vaudois  disent  par  plaisan- 
terie qu'en  Valais  on  porte  la  sonnaille  toute  l'année,  par  allu- 

1  'Nomi  romanzi  del  coUare  degli  animali  da  pascolo,  dans  Zeihchrift  f. 
rom.  Phil.,  XXVII,  1903,  p.  129-156,  avec  illustrations. 

^  Francisé  sous  la  forme  incorrecte  de  sonneau  dans  le  Pays  d'Enhaut. 
3  Comme  en  ira.nça\s  ferraille,  fetiille,  etc. 


20  L.    GAUCHAT 

sion  aux  crétins.  En  Valais,  on  a  les  locutions  :  «  tu  as  une  voix 
de  sonnaille  »,  c'est-à-dire  rauque,  ou  «  tu  as  une  bonne  son- 
naille »,  pour  une  bonne  place,  une  haute  fonction. 

3-7.  Avec  le  même  radical,  on  a  formé  les  diminutifs 
sonnaillet,  sonnaillette  et  sonnaillon,  et  les  mots  son- 
nai/Ier,  «  sonner  »,  sonnaillée  ou  sonnaillère,  «  porteuse  de  clo- 
chette ».  Les  expressions  sonnet  et  sonnette,  qui  rappellent 
davantage  le  français,  sont  propres  au  canton  de  Berne,  où 
elles  signifient  de  petites  clochettes,  ordinairement  longues  et 
étroites,  non  arrondies. 

8.  toupin  est  exclusivement  une  appellation  du  bourdon 
(Vaud  et  Genève),  sens  dépréciatif  ;  en  Valais,  où  le  mot  est 
importé,  il  ne  s'emploie  guère  que  pour  une  clochette  fêlée 
ou  trop  petite,  etc.  Toupin  et,  plus  fréquemment,  toupine,  si- 
gnifient habituellement:  pot  de  terre,  où  l'on  conserve,  par 
exemple,  du  beurre.  Au  figuré,  toupin  veut  dire:  niais,  lour- 
daud. On  dit  aussi  :  sourd  comme  un  toupin.  L'ensemble  des 
langues  romanes  fait  voir  que  le  sens  primitif  est  celui  de  pot 
et  nous  renvoie  à  l'allemand  Topf,  malgré  les  objections  for- 
mulées par  MM.  Mackel  et  Nigra  (voir  Romania,  XXVI,  560). 
Dans  nos  patois,  le  mot  pot  signifiait  aussi  marmite.  Le  bour- 
don lui  ressemble  par  sa  forme  ventrue. 

9.  toupsnè,  dim.  du  précédent. 

10.  potè  (Vaud,  Fribourgi,  plus  petit  que  le  toupin^,  même 
genre;  signifie  bourdon  en  général  dans  les  cantons  de  Neu- 
châtel  et  de  Berne.  On  parle  dans  les  Montagnes  neuchâteloises 
des  «  potets  du  Valais  »,  mais,  dans  ce  dernier  canton,  le  mot 
n'est  pas  connu,  seulement  la  chose.  L'origine  est  claire  et 
confirme  l'étymologie  qui  précède. 

11.  La  tape  (pat.  tapa,  Vaud  et  Genève),  est  une  variété 
aplatie  ou  carrée  (Vallée  de  Joux)  du  bourdon.  Comparez 
l'expression  Chlopfe  de  la  Suisse  allemande  et  le  provençal 
moderne  clapo.  Est-ce  un  mot  enfantin  ou  est-ce  un  écho  d'un 


'  C'est-à-dire  que  la  sonnaille  à  Fribourg. 


LES   NOMS   ROMANDS    DES    CLOCHETTES   DE   VACHES         21 

appareil  très  primitif,  en  bois,  disparu  depuis  longtemps? 
L'étude  des  clochettes  ou  de  leurs  remplaçants  chez  des  peuples 
moins  civilisés,  slaves  par  exemple,  nous  apprendrait  peut-être 
quelque  chose  là-dessus  (fig.  5). 

12.  carrée,  autre  nom  pour  le  même  objet  (Vallée  de  Joux, 
Vallorbe)!. 

13.  cloche  ne  se  dit  que  dans  le  canton  de  Berne,  pour  la 
clarine  ;  clochette  s'y  emploie  pour  des  sonnettes  de  petit  calibre 
ou  grelots.  La  répartition  des  termes  allemands  Glocke  et 
Glocklein  est  la  même.  On  néglige  la  différence  de  i  à  plu- 
sieurs milliers  de  kilos,  mais  on  note  la  petite  distance  de  i  kg. 
à  quelques  cents  grammes.  Les  autres  cantons,  excepté  Genève, 
le  Valais  et  les  Alpes  vaudoises,  disent  : 

14.  clochette  (pat.  Xh^^^^^'^-'  tyœtchta,  etc.).  Pour  l'étymo- 
logie  de  ce  mot,  qui  nous  vient  de  France,  je  renvoie  à  l'ad- 
mirable travail  de  M.  H.  Schuchardt,  Rom.  Ety/n.,  IL  Vienne, 
1899. 

15.  campane  appartient  surtout  au  Valais,  où  il  caractérise 
le  type  clarine.  Il  existe  aussi  dans  les  Alpes  vaudoises  et  à 
Genève.  Fribourg,  Neuchâtel  et  Berne  désignent  par  là  le  gros 
bourdon  (Val-de-Travers  kanperi ,  Berne  tyinpin.n').  En  com- 
parant le  mot  aux  résultats  phonétiques  du  latin  c  a  m  p  us  >  tsan, 
tchan,  tchm  on  remarque  que  cainpane  est  un  mot  importé  chez 
nous.  Son  ancienne  patrie  est  la  Campanie-.  L'Italie  nous  l'a 
donné  il  y  a  très  longtemps.  Le  fait  est  démontré  par  sa  grande 
diffusion 3,  et  certains  emplois  figurés:  sotte  fille  (Valais),  per- 
sonne bavarde  (Berne),  etc. 

16.  campai2e£ie,  dim.  du  précédent. 

17.  campanin,  de  même;  campanarde^  campanière,  «por- 
teuse de  clochette». 


'  Prov.  mod.  queirado,  voir  le  travail  cité  de  Nigra,  p.  135,  no  8. 

2  Voir  Schuchardt,  op.  cit.,  p.  10. 

3  II  n'est  pas  exclu  que  Berne,  par  exemple,  ait  reçu  le  mot  de 
France,  où  il's'est  rapidement  acclimaté  et  où  il  a  pris  des  significations 
diverses. 


22  L.    GAUCHAT 

On  voit  que,  par  sa  force  vitale,  campane  est  devenu  le 
concurrent  le  plus  redoutable  du  terme  indigène  sotinail. 

i8.  campagnard  (Vallée  de  Joux)  tient,  par  sa  forme  légè- 
rement arrondie  (fig.  6),  le  milieu  entre  le  toupin  et  la  tapa.  Au 
point  de  vue  étymologique,  ce  mot  offre  une  curieuse  conta- 
mination des  thèmes  campane  et  campagne. 

Les  mots  suivants,  d'usage  local,  me  sont  en  grande  partie 
obscurs,  quant  à  leur  provenance.  19-22.  tarkyé  ou  tèrtyé, 
«  bourdon,  mauvaise  sonnaille  »,  au  fig.  «  femme  bavarde  » 
(Villeneuve);  tarkach'  (Vernamiège,  Valais),  tèrkasè  (Leysin), 
«mauvaise  clochette»;  tarkachon^,  «clochette  fêlée»,  for- 
ment probablement  une  famille  avec  kyèrkan,  «  clochette 
fêlée  »  (Vallée  de  Joux)^,  «bourdon  de  moyenne  grosseur» 
(Fribourg).  J'y  vois  le  mot  carcan,  du  moins  dans  le  dernier 
nommé.  Le  mot  devait  désigner  à  l'origine  non  la  cloche, 
mais  le  collier.  23.  targalèt'  (Lens,  Valais),  «  clochette», 
doit  en  être  séparé.  24.  botdouk,  s.  m.,  vieille  clochette  (Ver- 
namiège). 25.  bûk  ds  so^  et  26.  kdto^  ( Granges-de-Vesin, 
Fribourg),  type  bourdon.  27.  kèbœ  (Cerneux-Péquignot),  clo- 
chette, litt.  réduit  obscur'"*.  28.  barlatay,  clochette  ovale, 
longue  et  évasée  (Leysin 6,  fig.  7). 

Plusieurs  expressions  déterminent  le  lieu  de  fabrication  : 
29.  bagnarde  (Leysin);  30.  tsamouni  (Charmey,  Frib.). 
31.  tiréla,  grosse  sonnette  sphérique  des  harnais  de  chevaux 
(Fribourg). 

C'est  sur  le  gros  bourdon,  remarquable  par  son  extrava- 
gance, que  s'exercent  surtout  les  facultés  créatrices  du  langage. 
On  l'appelle  d'après  sa  forme:  32.  pela,  c'est-à-dire  marmite, 
à  Leysin,  33.  tsœudèron,  «  chaudron  »  (Sembrancher,  Valais); 

'  Vuillerens,  Vaud  :  carcasson,  très  petit  bourdon. 
-  Désigne  un  objet  quelconque  en  métal  rendant  un  son  sourd,  et, 
par  extension,  diverses  choses  vieilles. 
3  loue  de  ? 

■*  Probablement  onomatopée. 

-"'  De  la  même  famille  que  ca{in)buse,  ca(r)hoh,  cahorgne,  etc. 
^  Proprement  marchand  ambulant. 


LES   NOMS   ROMANDS    DES    CLOCHETTES    DE    VACHES        23 

d'après  son  gros  bruit  sourd:  34.  bourdon^  (Vaud  et  Valais), 
T,^.  tromblon  (Valais),  36.  bondon  (Fribourg),  37.  Jban- 
ban.na  (ib.),  38.  klanka-  (ib.)-  Ce  dernier  a-t-il  été  créé  par 
onomatopée,  ou  l'allemand  klang  en  est-il  responsable  ? 

Pour  les  grelots  qu'on  attache  au  cou  des  jeunes  bêtes  et  du 
menu  bétail  :  génisses,  veaux,  chèvres,  brebis,  nos  patois  pos- 
sèdent également  une  abondante  nomenclature.  Mais  il  est 
temps  de  terminer  ce  carillon  de  cloches  et  de  mots.  Je  noterai 
seulement  que  les  noms  du  grelot  se  confondent  souvent  avec 
ceux  du  grillon,  ce  qui  confirme  l'opinion  de  ceux  qui  vou- 
draient les  faire  remonter  à  une  même  origine. 

Pour  finir,  je  transcris  le  joli  morceau,  dû  probablement  à 
C  Dénéréaz,  inséré  dans  le  Conteur  vaudois,  1881,  n°  6. 

Lo  nmnisipô  KrMson,  Izavay  on  hyô  troupe  de  vatsè,  ètay 
fo  pb  la  smalyèri ;  asdbin  kan  niontavè,  fa~ay  rude  byô  vayrè 
è  ourè  pasà  son  troupe  kp  sédyay  là  frptay  avoué  sa  dâtsp,  e 
de  byô  savay  kd  Krptson  alàvè  adé  on  bè  pb  ourè  pp  gran  tin 
sa  bala  spnèri,  kâ  n'y  avay  pâ  na  bétp  kp  nôsè  sa  spnalyp  : 
toHpin,  ylybtselè,  karâyè,  tape,  toiippnè,  y'in-n-avay  de  tbtè  le 

TRADUCTION 

Le  [conseiller]  municipal  Cretson,  qui  avait  un  beau  trou- 
peau de  vaches,  aimait  beaucoup  (était  fort  pour)  la  sonnerie; 
aussi  quand  il  montait  [à  l'alpe],  il  faisait  très  beau  voir  et 
entendre  passer  son  troupeau  qui  suivait  le  vacher  avec  sa 
gibecière  de  cuir,  et  il  est  clair  (de  beau  savoir)  que  Cretson 
allait  toujours  un  bout  [de  chemin]  pour  entendre  plus  long- 
temps sa  belle  sonnerie,  car  il  n'y  avait  pas  une  bête  qui  n'élit 
sa  clochette:  bourdons,  clarines,  carrées,  tapes,  petits  bour- 


'  L'origine  de  ce  mot  et  de  sa  nombreuse  famille  a  été  discutée  par 
Mlle  Richter,  Sit^uni^sher.  cl.  Wien.  Akad.  1908. 

'^  Désigne  aussi  des  bourdons  plus  petits.  Comp.  les  mots  réto- 
r omans  plotimbe,  plotimpe,  Nigra,  p.  155,  nos  9-10. 


24  L.    GAUCHAT 

sorte  è  de  totè  le  grantyào.  Le  gplin  è  le  smô  ètyon  pb  le 
fayè  è  pb  le  mutoii.  As9bin  tb  Ib  plyé^i  de  Krptson,  kan  le 
vatsè  ètyon  rddèchindyè  de  la  montanyp,  èiay  de  le  mpnâ  è 
de  le  rampnâ  d'in  isan,  y  à  lo  hbvayron  le  gardâvè.  Ma  fay 
rivé,  kan  le  vatsè  ètyon  a  la  rptsp,  adyœ  le  smalyè.  Np 
lésivè  k'on  totipmè  a-n-on  ppti  vé  è  rèdui:(ay  totè  lè-^-ôtrè 
ao  grpnay,  yô  l'ètyon  pindyè  a  due  pertsè. 

On  d:(b,  hontrè  lo  bounan,  n9  se  pâ  sp  Krptsou  s'in.nbyivè 
è  SP  Vavay  lo  niô  dao  payi  day  xlyotsètè,  ma  tan-t-y  a  k'on.na 
vèprà  on-n-ou  on  brplan  dao  tbnerp  pè  Ib  grpnay.  Le  valè 
von  vèrp  kp  y  avay  :  l'ètay  tb  bounamin  Ib  munisipô  k'avay 
a  tsatyè  man  ypna  day  pertsè,  kp  tpnyay  konniin  on  bè  de 
suvirp,  è  kp  le  spnibtàvè  pb  férè  spnalyi  ta  Ib  kbinèrsp. 

—  Ma,  kp  fédè-vb  don,  pérp,  sp  lay  fà  y  on  day  valè, 
kin.na  brplayrp  vb  prin-î-p  ? 

dons,  il  y  en  avait  de  toutes  les  sortes  et  de  toutes  les  gran- 
deurs. Les  «  guelins  »  et  les  «  sonneâux  »  étaient  pour  les  brebis 
et  pour  les  moutons.  Aussi,  tout  le  plaisir  de  Cretson,  quand  les 
vaches  étaient  redescendues  de  la  montagne,  était-il  de  les 
mener  et  de  les  ramener  du  pâturage,  où  le  berger  les  gardait. 
Ma  foi,  l'hiver,  quand  les  vaches  étaient  à  la  crèche,  adieu 
les  clochettes.  Il  ne  laissait  qu'un  grelot  à  un  petit  veau  et 
réduisait  toutes  les  autres  [clochettes]  au  grenier,  où  elles 
étaient  suspendues  à  deux  perches.  Un  jour,  aux  approches  du 
nouvel-an,  [je]  ne  sais  pas  si  Cretson  s'ennuyait  et  s'il  avait 
le  «  mal  du  pays  »  des  clochettes,  mais  tant  y  a  qu'un  soir 
on  entend  un  bruit  du  tonnerre  au  (par  le)  grenier.  Les  gar- 
çons vont  voir  [ce]  qu'il  y  avait  :  c'était  tout  bonnement  le 
[conseiller]  municipal  qui  avait  à  chaque  main  une  des  perches 
qu'il  tenait  comme  un  manche  de  civière,  et  qu'il  secouait  pour 
faire  sonner  tout  le  «  commerce  ». 

—  Mais,  que  faites-vous  donc,  père,  (ainsi)  lui  fait  un  des 
garçons,  quelle  lubie  vous  prend-il  ? 


Fig.  I. 


Fig.  2. 


Fig.  4. 


Fig.  7. 


LES   NOMS   ROMANDS    DES    CLOCHETTES   DE   VACHES         25 

—  E  hin  !  t9  vay,  sp  rppon,  fé  on  konser  ! 

—  A-t-on  jamé  vu  !  ma  vo  radota,  perd,  l'è  pptou  on 
tsèrivari  k'on  konser.  On  fà  le  konser  avoué  Ib  vyblon  è 
na  pâ.... 

—  Ld  vyblon  !  Ib  vyblon  !  sp  rppon  lo  perp  in  lay  kbpin  Ib 
sublyè  :  l'è  on  bi  instrumin  kè  Ib  vyblon,  np  dyo  pâ  ;  ma  Ib 
toupin  è  adé  Ib  toupin. 

—  Eh  bien,  tu  vois,  je  fais  un  concert  ! 

—  A-t-on  jamais  vu!  mais,  vous  radotez,  père,  c'est  plutôt 
un  <i  charivari  »  qu'un  concert.  On  fait  les  concerts  avec  le 
violon  et  non  pas.... 

—  Le  violon  !  le  violon  !  (^ainsi)  répond  le  père  en  lui  cou- 
pant la  parole  (le  sifflet)  :  c'est  un  bel  instrument  que  le  violon, 
je  ne  dis  pas  [non]  ;  mais  le  bourdon  est  toujours  le  bourdon. 

L.  Gauchat. 


LES  TERMES  DE  FENAISON 

DANS  LES  PATOIS  ROMANDS 

-♦- 

Le  2  2  juillet  de  l'année  1671,  M""'  la  marquise  de  Sévigné 
écrivit  une  lettre  à  son  cousin,  M.  de  Coulanges.  Dans  cette 
lettre  elle  dit  :  «  Voilà  un  bon  temps  pour  faner.  Savez-vous  ce 
que  c'est  que  faner?  Il  faut  que  je  vous  l'explique  :  faner  est  la 
plus  belle  chose  du  monde,  c'est  retourner  du  foin  en  batifolant 
dans  une  prairie;  dès  qu'on  en  sait  tant,  on  sait  faner.  »  Bati- 
foler dans  une  prairie  !  voilà  ce  que  la  littérature  classique  de 
la  France  nous  apprend  sur  le  sujet  qui  va  nous  occuper, 
^jme  (jg  Sévigné,  et  avec  elle  toute  cette  élégante  société  de 
Paris  et  de  Versailles,  ne  se  doute  pas  du  travail  et  des  peines 
que  coûte  au  paysan  la  récolte  du  fourrage.  Pour  lui,  il  ne 
s'agit  certes  pas  de  «batifoler  dans  une  prairie»,  il  s'agit  au 
contraire  d'une  occupation  des  plus  sérieuses  et  des  plus  fati- 
gantes. 

Nous  commencerons  par  rappeler  d'une  façon  sommaire  les 
principales  opérations  dont  nous  nous  proposons  dans  cet 
article  d'étudier  les  dénominations  patoises.  Nous  parlerons 
essentiellement  de  la  récolte  du  foin  dans  la  plaine  1.  En  lisant 
ce  que  disent  sur  ce  sujet  les  ouvrages  d'agriculture,  on  voit 
combien  l'intérêt  de  leurs  auteurs  est  différent  de  celui  du 
linguiste,  car  tantôt  ils  passent  sous  silence  ce  qu'il  nous  impor- 
terait de  savoir,  par  ex.  la  grandeur,  la  forme  et  la  destination 
des  tas  de  foin,  tantôt  ils  s'étendent  longuement  sur  des  ques- 

'  Seront  exclus  de  ce  travail  comme  demandant  une  étude  à  part  : 
la  récolte  du  foin  de  montagne  (charge  à  dos  d'homme,  filet,  transport, 
etc.),  la  meule  de  foin,  le  fenil,  les  débris  de  foin,  les  outils,  le  regain. 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS     27 

tions  de  peu  d'intérêt  pour  la  langue,  telles  que  le  meilleur 
moment  à  choisir  pour  les  foins  ou  le  meilleur  moyen  d'éviter 
la  combustion  spontanée. 

Dans  des  circonstances  normales,  voici  en  quelques  mots 
en  quoi  consiste  la  fenaison  :  De  grand  matin,  le  faucheur  abat 
l'herbe  mouillée  au  moyen  de  la  faux  (sèyi),  en  même  temps  il 
la  couche  en  andains.  Dans  la  matinée,  les  faneuses,  plus  rare- 
ment les  faneurs,  la  fourche  à  la  main,  se  mettent  à  étendre 
{épancher)  sur  la  place  libre  entre  les  andains  l'herbe  fraîche- 
ment coupée.  Vers  midi,  on  retourne  le  foin  étendu  {virer). 
C'est  le  moment  de  faire  une  méridienne  bien  méritée.  Vers  le 
soir,  mais  avant  que  la  rosée  soit  tombée,  on  ratnasse  le  foin 
avec  le  râteau  en  petits  rouleaux  {rintsëta,  boudin),  dont  on  fait 
ensuite  de  petits  tas  pour  la  nuit  [tsiron.matson^tchéyon).  Il  s'y 
produit  une  première  fermentation  qui  prépare  la  dessication 
par  le  fanage  du  lendemain.  Pendant  la  nuit,  le  foin  à  demi 
séché  reste  entassé.  Le  second  jour,  dans  la  matinée,  on  défait 
les  tas  {déisironâ,  etc.),  pour  étendre  le  foin  une  seconde  fois; 
vers  midi,  on  le  retourne,  vers  le  soir,  on  le  ramasse  d'abord 
en  grands  rouleaux  {toula,  tire,  rouvon),  puis  en  grands  tas 
{valamon,  moue,  mouL  monsc),  d'où  on  le  charge  sur  le  char  à 
foin.  Suivent  la  rentrée  du  char  et  le  déchargement  à  la  grange. 

Cette  orientation  matérielle  terminée,  nous  passons  à  la 
partie  linguistique  de  notre  travail. 


I.  Termes  généraux. 

L'herbe  se  transforme  en  foin,  et  le  foin  sert  de  fourrage. 
L'usage  de  ces  trois  mots  est  forcément  quelque  peu  flottant; 
il  en  est  de  même  en  allemand  des  mots  Gras,  Heu  et  Futter. 
Le  foin  n'est  pas  seulement  l'herbe  séchée,  mais  aussi  l'herbe 
destinée  à  être  séchée.  Ainsi  on  entend  dire  «  couper  le  foin  », 
en  ail.  Heu  màhen,  quand  même  ce  «  foin  »  encore  debout  est 
tout  ruisselant  de  rosée.  Tous  nos  patois  se  servent  du  mot 


28  E.    TAPPOLET 

foin^  du  latin  fenum,  employé  dans  toutes  les  langues  romanes 
sans  altération  de  sens^.  —  A  côté  de  «  faire  les  foins»,  on  dit 
communément /(2«^r 2  (en  ^^3X01?,  fonè,fèna,f3na,  etc.).  Le  mot 
semble  désigner  tout  particulièrement  le  travail  fait  avec  le 
râteau  (non  avec  la  fourche),  qu'il  s'agisse  d'étendre  l'herbe 
couchée  en  andain  ou  de  ramasser  le  foin  en  tas. 

Quant  aux  dérivés  «fenaison»  et  «fanage»,  ils  semblent 
être  d'importation  récente.  Le  vrai  patois  dit  «  les  foins  »  ou 
«  le  temps  des  foins  ».  Le  Val  d'Anniviers  préfère  «  séchage  », 
«  séchaison  ».  Mage  (Valais)  emploie  tramontazo,  s.  m. 

Nous  passerons  en  revue  les  différentes  opérations  du  fanage 
dans  l'ordre  indiqué  plus  haut. 

IL  Le  fauchage. 

On  fauche  l'herbe  et  le  blé.  Toute  la  Suisse  romande  em- 
ploie pour  désigner  cette  opération  un  verbe  sèyi"^,  qui  est 
l'équivalent  du  français  «scier  ».  Scier,  dont  le  c  est  purement 
orthographique,  continue,  phonétiquement  le  latin  secare,  qui 
avait  le  sens  général  de  «  couper  ».  On  employait  secare  en 
parlant  d'un  doigt  qu'on  se  coupe,  d'une  pierre  qu'on  taille, 
etc.,  aussi  de  l'herbe  qu'on  abat  [fenum,  pabulum  secare, 
à  côté  de  metere,  demetere)  ou  du  bois  qu'on  scie.  C'est  ce 
dernier  sens  qui  resta  attaché  au  mot  en  français  et  en  pro- 
vençal moderne  (Guyenne),  en  espagnol  segar  et  en  italien 
segare  qui,  il  est  vrai,  signifie  à  la  fois  faucher  et  scier*.  Quant 
au  sens  exclusif  de  «  faucher  »  (herbe  et  blé),  nous  le  trouvons, 
sans  parler  du  portugais  segar,  dans  une  grande  partie  du 
domaine  gallo-roman.  Son  aire  comprend,  d'après  la  carte  541 
de  V Atlas  linguistique  de  la  I^rance,  la  Wallonie  (dans  quatre 

^  Les  principales  variantes  phonétiques  sont  •.foidn,foiian,fin,fè,Jan. 

2  Faner  au  lieu  de  Jener  est  dû  à  l'influence  de  la  consonne  nasale. 
Cf.  glaner,  anc.  fr.  glener,  ramer,  anc.  fr.  retner. 

3  Variantes  phonétiques  :  sayia,  sèyi,  siyi  ;  cf.  l'ancien  français  soyer, 
employé  jusqu'au  xvne  siècle,  qui  est  à  scier  ce  que  ployer  est  à  plier, 
de  plicare. 

^  Cf.  Gilliéron  et  Mongin,  a  Scier»  dans  la  Gaule  romane,  Paris  1905. 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS   ROMANDS      29 

villages  situés  à  la  frontière  flamande),  les  départements  des 
Vosges  et  du  Doubs.  toute  la  Franche-Comté,  toute  la  Suisse 
romande,  toute  la  Savoie  et  la  vallée  d'Aoste;  elle  s'étend  jus- 
qu'en Provence  qui,  dans  son  sega,  a  mieux  conservé  la  forme 
latine.  On  voit  que  scier  dans  le  sens  de  «  faucher  »  occupe 
presque  toute  la  partie  Est  de  la  France.  Il  est  fort  probable 
que  les  formes  wallonnes  se  rattachaient  autrefois  au  grand 
domaine  oriental.  'L'Atlas  linguistique  nous  montre  que  pour 
«  faucher  »  la  France  se  divise  en  trois  grandes  parties  :  le 
Nord  àxX.  faucher,  dérivé  à.Qfaux,  le  Sud  dit  dalya,  dérivé  de 
daille  ^  faux  '  (d'origine  incertaine),  l'Est  seul  a  conservé  le 
latin  se  car  e,  dont  il  a  si  singulièrement  rétréci  le  sens. 

Le  faucheur  est  désigné  par  un  dérivé  de  sèyi,  souayou,  sur- 
tout usité  dans*le  Jura  bernois,  dérivation  moderne  qui  corres- 
pondrait à  , scieur'  ou  aussi  par  le  mot  sayta°  (sayto),  etc., 
forme  qui  remonte  à  sectorem,  comme  le  prouve  la  conserva- 
tion du  /  appuyé.  De  nombreux  dérivés,  que  nous  supprimons 
ici,  témoignent  de  la  vitalité  de  ce  radical. 

Le  résultat  visible  du  travail  accompli  par  le  faucheur,  ce 
sont  les  andains,  mot  important,  français  aussi  bien  que  ro- 
mand, auquel  nous  avons  consacré  un  article  à  part  {Bulletin, 
VII,  p.  12-20). 

Il  existe  un  certain  nombre  de  mots  dont  le  sens  est  très 
voisin  de  celui  à'andain.  Le  mieux  attesté,  c'est  : 

1.  père,  s.  f.  (Jura  bernois),  ha.  père  désigne  l'espace  fauché 
entre  deux  andains.  On  dit  par  ex.  en  Ajoie  :  i yè  mole  dou  ko 
anfyin  sti  père,  J'ai  aiguisé  deux  fois  en  faisant  cette  allée'; 
ou  l'on  demande  :  combien  as-tu  fait  de  père  ?  —  /  yè  souayi? 
si  prè  an  trâ  père,  j'ai  fauché  ce  pré  en  trois  père  '.  Le  mot 
fait  songer  surtout  à  la  largeur  de  cet  espace  :  al  à  pri  an 
bousn'  père,  «  il  a  pris  Jarge  '  en  fauchant».  La  Suisse  alle- 
mande dit  zug  OMJàn,  mot  d'origine  controversée,  qui  signifie 
.  allée,  raie,  chemin  que  le  faucheur  laisse  derrière  lui  ou  qu'il 
a  devant  lui  '  {Schweiz.  Idiotikon,  III,  43")  ;  père  provient  sans 
doute  du  verbe  père,  para,  qui  signifie  «  égaliser  en  rasant  »  et 


30 


E.    TAPPOLET 


qui  semble  être  un  dérivé  direct  du  latin  parare  au  sens  de 
j  rendre  pair,  égaliser  ',  mot  dérivé  de  Va.d]ect[(  par  K 

2.  Une  partie  moins 'longue  que  Xz.  parée,  c'est  la  mole 
,  aiguisée  ',  c'est-à-dire  autant  de  terrain  qu'on  peut  faucher 
sans  raiguiser  la  faux  (Jura  bernois). 

3.  Neuchâtel,  ainsi  que  Plagne-Vauffelin,  disent  la  svèy 
{sève),  d'origine  douteuse  2.  Le  sens  en  semble  être  celui  de 
^ fauchée,  herbe  abattue  d'un  seul  coup  de  faux'.  Ici  encore 
on  parle  fréquemment  de  la  largeur  de  la  svèy.  ^  Plus  la  svèy 
est  large,  plus  gros  devient  l'andain  '  (Plagne). 

Voici  quelques  autres  termes  employés  pour  cet  espace  du 
pré  que  laisse  derrière  lui  le  faucheur  à  mesure  qu'il  avance  : 

traîne,  traînasse,  s.  f.  (Valais,  Fribourg)  ;  passée^  s.  f.  (Fri- 
bourg,  Berne)  ;  raie,  raiette,  s.  f.  (Valais)  ;  chemîn,  charrier  e, 
foulée  (Jura  bernois). 

Ces  mots  désignent  aussi  les  traces  que  laissent  les  pas  du 
faucheur  dans  l'herbe  mouillée  ;  plusieurs  d'entre  eux  ont  des 

'  On  sait  que  le  latin  possède  un  autre  verbe  parare  d'origine  diffé- 
rente, qui  signifie  «  préparer,  disposer  à  un  effet  voulu  )>.  Dans  ce  sens, 
on  dit  en  français  parer  la  viande  =  en  ôter  les  peaux,  parer  des  racines 
=:  les  rogner  légèrement  avant  de  les  planter  (comparez  l'anglais  qui 
dit  en  employant  le  même  verbe  to  pare  one's  nails,  rogner,  couper  les 
ongles),  parer  les  poires  =  peler,  et  de  même  parer  le  pied  du  cheval 
=  en  niveler  la  surface  plantaire  en  ôtant  la  corne  (pour  le  ferrer  plus 
facilement).  Ce  dernier  sens  est  attesté  par  Bridel.  On  voit  qu'il  *est 
très  voisin  de  celui  qui  nous  occupe  ici. 

^  S'il  ne  faut  pas  voir  dans  ce  mot  une  notation  approximative  pour 
swayid,  ,  sciée  ',  —  ce  qui  conviendrait  parfaitement  au  sens,  —  il  se 
rattache  peut-être  à  schwàh  ^  schwingen  '  (mouvoir  circulairement  avec 
la  main,  agiter,  brandiller,  en  parlant  d'un  drapeau,  d'un  fouet,  par  ex.), 
mot  assez  répandu  dans  les  patois  de  la  Suisse  allemande.  (L'est-il 
dans  les  cantons  limitrophes?)  Le  mot  se  serait  appliqué  au  mouve- 
ment semi-circulaire  des  bras  qui  conduisent  la  faux.  Cf.  Scbwaden, 
andain,  rouleau  de  foin,  qui,  d'après  l'opinion  de  M.  A.  Bachmann, 
rédacteur  en  chef  de  Vldiotikon,  dérive  de  schwàid  par  le  même  procédé 
que  Mabden,  dérivant  de  màhen.  Au  même  verbe  se  rattache  sans  doute 
le  mot  bas-allemand  Swade  ^  faux  ',  que  donne  H.  Paul  dans  son 
Deutsches  IVôrterbuch.  Cf.  l'anglais  to  sway  ^agiter,  brandiller'. 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS      31 

emplois  très  variés  *.  Le  seul  qui   me  paraisse  être  arrivé  à 
l'état  de  terme  technique  précis,  c'est  père. 

Celui  qui  fauche  mal  laisse  des  touffes  d'herbe  au  bord  de 
l'andain.  On  ne  manque  jamais  de  le  chicaner  à  ce  sujet.  Le 
patois  de  Grindelwald  possède  plusieurs  verbes  désapprobatifs: 
stra7npaarte,mitz're,mirte,  «  mal  faucher  >  (Friedli,  Bdrndiltsch, 
II,  286).  Les  patois  romands  connaissent  une  vingtaine  d'ex- 
pressions pour  désigner  l'herbe  non  coupée  au  bord  de  l'an- 
dain. Plusieurs  sont  d'origine  obscure. 

1.  Le  terme  le  plus  répandu,  c'est  la  koma,  du  latin  coma 
(it.  chto?na,  anc.  fr.  corne  ^  chevelure  ',  plus  tard  ^  crinière  ').  On 
trouve  ce  mot  dans  les  cantons  de  Vaud,  Valais,  Neuchâtel, 
sous  les  formes  kotn^  koum,  goma,  ekojna-.  On  dit  aussi  komâ, 
komè,  faire  des  ^  comes  '. 

Il  est  curieux  de  voir  l'imagination  en  travail  :  environ  la 
moitié  des  termes  repose  sur  la  ressemblance  de  cette  herbe 
non  coupée  par  négligence  avec  des  cheveux  isolés.  Outre 
koma,  nous  trouvons  : 

2.  bèrb,  s.  f.,  proprement  ^  barbe',  fort  répandu  dans  le  Jura 
bernois.  On  dit  également  Bart  dans  le  même  sens  dans  la 
vallée  de  la  Kander  (Grand-Duché  de  Bade). 

3.  mouchtats,  s.  f.  (Fribourg),  cf.  l'allemand  suisse  Schnuz 
,  Schnauz  ',  moustache,  qui  s'applique  également  à  la  touffe 
d'herbe  non  coupée  (le  terme  plus  général  est  schtuffle). 

4.  kota,  kyéta,  s.  f.  (Pays  d'Enhaut,  Fribourg,  Bas-Valais), 
mot  qui  signifie  ^  mèche  de  cheveux,  favoris,  tresse'. 

5.  tchoup,  s.  f.  (diminutif:  tchoiipa^  verbe  tchouple),  usité  en 
Ajoie  au  sens  général  de  ^  chevelure'.  Malgré  la  consonne  ini- 
tiale explosive  qui  indiquerait  une  origine  romane,  le  mot 
semble  emprunté  à  l'allemand  suisse  Tschupp  ,  toupet,  touffe 


*  Les  matériaux  dont  nous  disposons  pour  le  moment  ne  permettent 
pas  de  les  étudier  au  point  de  vue  sémantique. 

2  Pour  la  prosthèse  de  Xe,  voir  mon  article  dans  la  Festschrift  des 
Netipbilologencongresses  in  Zurich,  ipio  (sous  presse). 


32  E.    TAPPOLET 

de  cheveux',  altération  dialectale  de  l'allemand  Schopf,(\\x\  a 
exactement  le  même  sens. 

6.  krsnyèr,  s.  f.  (VoUège,  Valais). 

7.  houètcha,  s.  m.  (dérivés  :  bouètchotè,  v.  ,  corner',  bouetchoton, 
s.  m.,  qui  laisse  des  ,  comes  '),  Franches-Montagnes.  Le  mot  si- 
gnifie Jeune  bouc  '  et  —  totum  pro  parte  —  ,  barbe  de  bouc  ' 
(cf.  l'ail.  Bocksbart,  qui  désigne  plusieurs  plantes  de  montagne). 

8.  suda,  s.  m.,  proprement  .  soldat  de  garde'  (Matran,  Fri- 
bourg). 

Souvent  l'ouvrier  laisse  derrière  lui  une  série  de  touffes 
d'herbe.  On  dit  alors  :  adz3,  s.  f.,  ^haie  '  (Fribourg,  Vaud,  moins 
les  Alpes);  ruban.,  s.  m.  (Neuchâtel);  bave,  s.  f.,  par  ex.  ^  faire 
la  bave  '  (Chamoson,  Valais). 

III.  L'étendage. 

On  j  étend  '  ou  ,  éparpille  '  l'herbe  verte  de  l'andain,  ainsi 
que  le  foin  à  demi  séché.  La  plupart  des  termes  servent  à  dési- 
gner les  deux  actions  d'étendre.  Il  est  malaisé  de  les  séparer. 
Trois  mots  ne  se  disent,  semble-t-il,  que  de  l'herbe  fraîche- 
ment coupée. 

1.  désandener,  désandeler,  v.  (Vaud,  Fribourg,  Genève). 

2.  ma°rè,  v.  (3=  sg.  ind.  prés.  ma°)  forme  attestée  par  tous 
nos  correspondants  du  Pays  d'Enhaut.  Le  mot  paraît  venir  du 
latin  movëre  ^  mouvoir,  remuer'  et  par  rétrécissement  de  sens 
^  remuer  le  foin,  étendre  '  ^. 

3.  èmésè,  v.  (vallée  de  Delémont,  probablement  importé  à 
Charmoille  et  à  Plagne).  On  est  étonné  de  trouver  ici  le  mot 
de  amasser  au  sens  de  ^  défaire  ce  qui  est  mis  en  tas  (andain)  '. 
«  C'est  que,  observe  fort  bien  notre  correspondant  de  Plagne, 
M.  Grosjean,  il  s'agit  ici  non  seulement  d'étendre  l'herbe,  mais 
aussi  de  la  rassembler  auparavant  au  moyen  d'un  râteau,  de  la 


^  Cf.  Jaberg,  Uber  die  asso:(iativen  Erscheinungeti  in  der  Verhàlflexion 
einer  siidostfraiij^osischefi  Dialektgruppe,  p.  70.  Quant  à  mo  v  e  r  e  au  lieu 
de  movëre,  la  forme  se  trouve,  en  italien  et  en  provençal  ancien  et 
moderne  :  moure,  matire  (Levy,  Mistral). 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS      ^^ 

tirer  hors  des  buissons»,  et,  d'après  M.  Fridelance,  èmésè  a.  le 
sens  de  «  râteler  les  brins  d'herbe  éparpillés  autour  des  rup  » 
(V.  plus  loin),  ce  qui  correspondrait  à  l'allemand  zusammen- 
rechen.  Avec  le  temps,  l'idée  primitive  de  _  ramasser  l'herbe 
afin  de  l'étendre  '  a  cédé  la  place  à  l'idée  secondaire  de 
^  étendre  ', 

Les  autres  termes  s'appliquent  aussi  bien  à  l'herbe  qu'au 
foin.  Nous  citons  en  première  ligne  : 

épancher^  v.  [épantsi,  épintchi,  éfa?itsyé^  etc.  ;  aussi  répantsi, 
Vd),  qui  occupe  de  tous  les  mots  en  question  le  territoire  le 
plus  étendu:  Vaud,  Valais  et  sporadiquement  Neuchâtel  et 
Berne  (Plagne).  Ce  mot,  qui  en  français  moderne  n'est  guère 
employé  que  dans  le  style  élevé,  vient  de  *expandicare,  fré- 
quentatif de  expandëre,  étendre  (p.  ex.  expandere  alas, 
étendre  les  ailes).  Godefroy  donne  un  exemple  de  1312: 
espainchier  les  andains,  qui  atteste  l'ancienneté  de  l'usage  du 
mot  dans  le  sens  que  lui  attribuent  nos  patois.  Les  cantons  de 
Neuchâtel  et  Berne  emploient  surtout  le  terme  français  étendre 
(aussi  rétendre),  qui  est  moins  usité  à  Genève.  En  dehors 
de  ces  deux  termes  solidement  établis  l'un  au  Sud-Est,  l'autre 
au  Nord-Ouest  de  la  Suisse  romande,  il  en  existe  un  certain 
nombre  d'autres  qui  sont  d'un  emploi  plus  local  et  plus  restreint. 
I.  invouâ,  V.  (aussi  évouâ,  revouâ,  Vaud,  Valais),  de  in  + 
aequare,  d'après  MM.  Gilliéron  (Fwnnaz,  p.  73)  et  Gauchat. 
Le  sens  en  serait  .égaliser,  aplatir',  ce  qui  conviendrait  assez 
bien  ici;  2.  voiiareyé,  aussi  évouareyé,  v.  (Valais);  3./"(f«â,  v. 
(Vaud),  mot  que  nous  retrouvons  au  sens  de  ,  ramasser  '  ; 
4.  éparpdlyé,  v.  (Valais)  ;  5.  étanfchi,  v.  (Neuchâtel),  curieuse 
contamination  entre  étendre  et  épancher  ;  6.  élargir,  v.  (Jura 
bernois)  ;  7.  épafidre,  v.  (Jura  bernois). 

Quant  aux  patois  de  la  Suisse  allemande,  on  est  frappé  de 
voir  les  analogies  qu'ils  présentent.  Ils  disent  :  zett^  [zettl^,  ver- 
zettl^),  propr.  ^  éparpiller  '  ;  streii\  ce  qui  correspond  à  ^  épan- 
cher, épandre  '  ;  vertu^,  et  zerschriiss^  (Grindelwald),   ce  qui 

3 


34 


E.   TAPPOLET 


équivaut  à  ^  défaire  les  andains  '.  Ajoutons  breitmache,  vallée 
de  la  Kander  (Grand-Duché  de  Bade),  qui  est  le  pendant  alle- 
mand de  élargir'^,  verwerfe  (Ersingen,  près  Berthoud),  qui 
désigne  spécialement  l'action  de  jeter  le  foin  du  birlig  au  large, 
à  l'aide  d'une  grande  fourche  de  fer.  Et  surtout:  worbe  (même 
radical  que  iverfen,  jeter),  terme  technique  très  répandu,  qui, 
de  même  que  épancher^  ne  s'emploie  qu'en  parlant  des  foins. 
Normalement,  le  foin  étendu  recouvre  toute  la  surface  du 
pré  fauché.  Quand  le  foin  est  ,rare  ',  p.  ex.  en  faisant  le  regain, 
quand  le  pré  ne  ^  foisonne  '  pas,  comme  dit  le  paysan  des 
Franches  Montagnes,  on  préfère,  —  pour  ne  pas  éparpiller 
inutilement  le  peu  de  foin  qu'on  a,  —  ne  l'étendre  que  sur  une 
partie  du  pré.  Dans  ce  cas,  on  fait  ce  qu'on  appelle  dans  le 
Jura  bernois  des  rud,  ou  riiqt,  c'est-à-dire  qu'on  divise  le  pré 
fauché  en  parcelles  plus  ou  moins  régulières  (le  plus  souvent 
des  carrés  longs),  qu'on  couvre  de  foin  tout  en  laissant  libre  la 
place  entre  ces  carrés.  Les  deux  croquis  que  voici  représentent 
deux  des  nombreuses  formes  de  ces  carrés  : 


(Les  Bois.) 


Pour  faire  une  ruât,  on  réunit  le  foin  de  plusieurs  andains 
(2  à  4  selon  la  densité  du  foin).  Le  patron  décide  s'il  faut  dis- 


^  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  noter  que  le  patois  de  la  vallée  de  la 
Kander  distingue  nettement  entre  luaibe  =  étendre  le  foin,  et  breit- 
mâche  =  étendre  le  regain.  Il  paraît  qu'au  mot  de  warbe  il  se  rattache 
l'idée  d'un  plus  grand  effort  à  faire. 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS 


35 


poser  le  foin  de  cette  façon.  Il  dira  p.  ex.  aux  faneurs  (faneuses)  : 
«en  étendant,  vous  ferez  des  rtiat,  il  n'y  a  guère  de  foin». 
bote  afi  ru?,  rue,  ruate,  sont  les  verbes  en  usage. 

Le  passage  entre  les  rus,  non  couvert  de  foin  et  soigneuse- 
ment râtelé,  s'appelle  aux  Bois  an  antr-ruat,  à  Charmoille  an 
gas,  s.  f.,  de  l'allemand  Gasse.  Notons  que  la  ruât  n'est  pas 


ruât  ->- 


(Charmoille.) 

plus  petite  que  la  rus.  Certains  villages  semblent  préférer  ru3, 
certains  autres  ruat^. 

Il  va  sans  dire  que  le  système  des  ru3  ne  s'applique  pas  seu- 
lement à  l'herbe  des  andains,  mais  aussi  au  foin  demi-sec  des 
tas  et  des  rouleaux;  eux  aussi,  on  les  met  en  rî{9,s\  bien  (\\ieru? 
arrive  à  désigner  la  jonchée  de  foin  prête  à  être  chargée  (quel- 
quefois par  l'intermédiaire  d'un  ou  de  plusieurs  tas  à  charger, 
provenant  de  cette  ru?). 

D'où  vient  le  mot  ru9?  On  ne  peut  guère  hésiter  qu'entre 
rue  et  roue,  qui  tous  les  deux  aboutissent  à  rti  ou  ru?  dans  le 
Jura  bernois  -.  L'état  actuel  de  nos  recherches  ne  permet  pas 


1  Le  mot  n'ayant  pas  été  demandé  dans  les  questionnaires,  nous  ne 
pouvons  en  indiquer  le  domaine  exact.  Sa  présence  dans  la  Vallée  de 
Joux  {ruyy,  s.  f.  pi.  :  U  rayé  ^ tas  de  foin  allongé',  se  dit  aussi  d'un  tas 
de  bûches  ou  de  branches,  rdyèta,  s.  f.  ,  ruelle  entre  deux  maisons', 
, sentier  encaissé',  inmyi  ,  mettre  en  tas  en  laissant  une  rm  pour  le 
char)  fait  supposer  pour  ce  terme  une  extension  assez  considérable. 

-  Il  n'en  est  pas  de  même,  il  est  vrai,  de  la  vallée  de  Joux,  qui  dit 
ruva  pour  ^ roue'.. 


36 


E.    TAPPOLET 


de  trancher  la  question.  Ce  qui  complique  les  choses,  c'est  que 
certains  patoisants  désignent  par  le  même  mot  ruât  la  couche 
de  foin  et  le  passage  non  couvert,  de  sorte  que  rus  arrive  à 
être  un  synonyme  de  gas.  Cependant,  je  crois  que  c'est  là  une 
déviation  de  sens,  l'idée  dominante  de  ru3  semble  bien  être 
celle  d'une  jonchée  de  foin  étendue  pour  sécher'. 

Je  n'ai  pas  connaissance  qu'en  pays  romand  on  donne  à  la 
ru3  la  forme  d'une  roue,  mais  un  de  mes  étudiants.  M.  Wuthe- 
rich,  m'assure  qu'à  Benken  (Bâle-Campagne,  à  env.  i8  km.  du 


i^        Q 


schihe 
formée  de  tas  (schôchli)         formée  de  foin  étendu 

Jura  bernois  français),  on  groupe  les  tas  de  foin  en  forme  cir- 
culaire (v.  croquis  p.  36)  et  qu'on  appelle  un  de  ces  groupes 
une  schibe  ^  disque  '.  On  peut  supposer  que  le  système  des 
disques  ou  roues  a  occupé  un  domaine  plus  étendu  autrefois,  et 
que,  tout  en  donnant  à  l'ancienne  roue  une  forme  carrée,  on 
en  ait  conservé  le  nom.  (Cf.  l'allemand  Fensterscheibe  ^  carreau 
de  fenêtre  '.  qui  présente  une  analogie  frappante.)  Je  serais  par- 
ticulièrement reconnaissant  au  lecteur  qui  voudrait  bien  me 
fournir  des  informations  supplémentaires  ou  rectificatives  à  ce 
sujet. 

IV.  Retourner  le  foin. 

L'idée  de  retourner  n'a  pas  donné  naissance  à  des  appella- 
tions très  variées.  Toute  la  Suisse  romande  sans  exception  dit 


LES  TERALES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS       37 

virer  {j'3ri,  varyé,  viria,  etc.),  ou  quelquefois  revirer,  forme 
dont  le  préfixe  exprime  la  répétition  du  même  mouvement 
(cf.  répancher  au  lieu  de  épancher,  rétendre,  ramasser,  etc.). 
Vaud  et  Genève  disent  sporadiquement  tourner  et  retourner. 
La  Suisse  allemande  ne  présente  pas  tout  à  fait  la  même  uni- 
formité d'expressions.  L'/^/V//>è^«  donne  cher^ {■=kehren),'went^ 
(Grindelwald),  wnalitze^  (Simmenthal). 

V.  Ramasser  le  loin. 

Nous  étudions  d'abord  les  mots  employés  dans  le  sens  gé- 
néral de  ramasser  le  foin,  soit  en  rouleaux,  soit  en  tas,  soit 
pour  la  nuit,  soit  pour  charger.  On  ne  trouvera  pas  ici  les 
termes  dérivés  des  mots  patois  pour  tas  ou  rouleaux  (intsi- 
rounâ,  etc.). 

1.  ramasâ  est  le  terme  le  plus  répandu.  (Variantes:  rèmèsè, 
ramosala,  aussi  sans  le  préfixe  itératif:  aniasâ  et  surtout  aino- 
chalâ,  Fribourg). 

2.  rètrindrè,  du  latin  restringere  j  serrer',  aujourd'hui 
employé  sous  la  forme  savante  restreindre.  Le  mot  se  trouve 
en  Valais  (Val  d'Illiez  et  Val  de  Bagne)  et  dans  le  Jura  bernois 
(Franches  Montagnes),  qui  prononce  retroundr  (cf.  koun- 
troiindr  ,  contraindre  ',  étroundr  ,  étreindre  '  ;  foun  ,  foin  '  ; 
avoun.n  ,  avoine  ',  etc.).  Pour  le  substantif  r^/'r^z^«x,  v.  plus  loin 
p.  41.  On  est  frappé  de  voir  ce  mot  apparaître  seulement  aux 
deux  extrémités  du  domaine  romand.  Aurait-il  autrefois  occupé 
tout  le  territoire?  (Voir  aussi  retrinsi,  p.  38.) 

3.  \re'\cueillir.  Ici  le  même  problème  se  pose  :  on  trouve 
koulyœ  (Champéry,  Valais),  et  rtchœdr-  (Les  Bois,  Berne). 
Toutefois,  il  faut  remarquer  que  rtchœdr  a  un  sens  plus  général 
que  les  autres  mots  traités  ici  :  il  embrasse  toutes  les  opérations 
qui  se  font  sur  le  pré  en  vue  du  chargement  du  foin.  Quand  le 
patron  juge  le  foin  assez  sec,  —  par  un  temps  douteux,  il  y  a 

*  Ne  serait-ce  pas  plutôt  une  désignation  plaisante  de  caractère  indi- 
viduel ? 

-  Pour  la  forme,  cf.  tchœ,  cœur;  tchu?,  cuir,  etc. 


38  E.    TAPPOLET 

souvent  des  discussions  assez  vives  à  ce  sujet,  —  il  dit  à  ceux 
qui  l'aident  :  h  foun  â  boun,  no  vyân  rtchœdr,  le  foin  est  bon, 
nous  voulons  ^  recueillir '.  Ce  moment  divise  la  fenaison  en 
deux  parties  :  avant,  on  travaille  en  vue  du  séchage  ;  après,  en 
vue  du  chargement.  Généralement  on  ne  ^  recueille  '  que  le 
second  jour. 

Les  autres  expressions  pour  ^  ramasser  '  ne  sont  attestées  que 
sporadiquement:  4.  amonceler  (Vaud)  ;  5.  tirer  près  (Vaud); 
6.  retri?isi,  (La  Ferrière,  Berne),  peut-être  une  forme  conta- 
minée de  retrindrè  +  rétrécir  \  7.  retropè,  v.  (vallée  de  Ta- 
vannes,  Plagne,  Berne),  dérivé  sans  doute  de  troupe,  troupeau, 
cf.  attrouper.  La  Suisse  allemande  a  des  termes  très  variés 
aussi ,  elle  dit  :  zdmemach^,  zdm'tu^,  zdfn^troole ;  uf mâche,  ufreche  *  ,* 
itu\  qui  a  le  sens  général  de  ,  recueillir,  rentrer  '. 

VL  Le  rouleau  de  foin. 

Les  rouleaux  de  foin  sont  de  forme  et  de  destination  très 
différentes.  On  peut  en  distinguer  deux  espèces  :  des  petits  et 
des  grands. 

A.  Les  petits  rouleaux  sont  un  travail  préparatoire  pour 
faire  les  tas.  On  les  fait  le  premier  jour  et  avec  le  râteau.  Le 
foin  est  à  demi  sec. 

Quels  en  sont  les  noms  patois  ?  Il  n'y  en  a  point  de  commun 
à  tout  le  domaine  romand;  chaque  région  aura  son  terme.  Nous 
en  connaissons  trois  qui  occupent  un  territoire  plus  ou  moins 
déterminé. 

1.  rintsèta,  s.  f.  (Fribourg  et  Vaud:  Moudon,  Oron).  Ce  mot, 
dérivé  de  rin  =  Ta.ng,  de  l'allemand  ring,  signifie  ,  petite 
rangée  '.  Cf.  rin  ,  long  tas  de  foin  '  (Neuch.). 

2.  boudin,  s.  m.  (Jura  bernois),  v.  croquis  p.  40,  proprement 
,  boudin  ',  dont  il  existe  plusieurs  emplois  métaphoriques. 
Cf.  du  reste  boui,  p.  39.  Le  terme  semble  être  assez  répandu 


*  A  Ersingen  (près  Berthoud),  ufreche  ne  s'emploie  que  dans  le  sens 
spécial  «  ramasser  le  foin  demi-sec  du  premier  jour  pour  faire  les  petits 
rouleaux  (rmisèta). 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS       39 

en  France  ^  Les  boudin  commencent  à  tomber  en  désuétude. 
Certains  paysans  pressés  les  suppriment  volontiers. 

3.  kirs,  s.  f.  (Pays  d'Enhaut)-. 

Isolément  on  trouve  encore  :  4.  boni,  s.  m.  (Vaud),  propre- 
ment ^  boyau  ' ;  5.  sènyd,  s. m.  (Berne),  proprement  ^ simple',  par 
opposition  à  rouleau  ,  double  ',  se  composant  de  la  quantité 
de  foin  contenue  dans  deux  andains  parallèles  ;  6.  andin,  s.  m. 

Les  termes  correspondants  de  la  Suisse  allemande,  tous  des 
diminutifs,  sont:  tnàdli,  propr.  ^ petit  andain',  dérivé  de  màhen 
^  faucher  '  ;  sch'orli,  propr.  ,  petit  andain  ',  dérivé  de  scheeren 
^  couper  '  ;  wàlmli,  dont  nous  aurons  à  parler  à  propos  de 
valamo7i  (p.  45). 

B.  Les  gros  rouleaux,  aussi  appelés  rouleaux  ^doubles*, 
se  font  en  vue  du  chargement.  On  les  fait  généralement  le 
second  jour  et  avec  la  fourche.  Souvent  c'est  la  dernière  for- 
mation qu'on  donne  au  foin  avant  de  le  charger  sur  le  char. 

Ici  il  n'y  a  que  deux  termes  qui  occupent  une  aire  un  peu 
étendue. 

1.  ioula,  s.  f.  (Vaud,  moitié  Est  ;  Gruyère:  Vionnaz,  Valais), 
dérivé  direct  du  latin  tabula,  qu'on  retrouve  dans  les  dérivés 
patois  foulon,  vase  en  fer  blanc  (Vd,  Neuch.)  ;  toular  ^tablar' 
rayon  d'étagère  (Vd).  Quant  au  sens  de  toula  qui  nous  occupe 
ici,  il  est  difficile  de  dire  d'où  la  métaphore  est  prise 3. 

2.  tira,  s.  f.  (Gros  de  Vaud,  Jorat,  Fribourg  en  partie),  subs- 
tantif verbal  de  tirer,  employé  en  français  par  ex.   comme 


'  On  le  trouve  par  ex.  dans  P.  Diffloth,  Les  semailles  et  les  récoltes, 

P-505- 

*  Mot  d'origine  inconnue,  à  moins  qu'il  ne  soit  une  variante  phoné- 
tique fort  étonnante  de  tir^  ^  rouleau  de  foin  ',  ci-dessus. 

^  Est-ce  de  tôle  =  tuyau,  canal  en  fer  blanc  (v.  Littré  pour  les  signi- 
fications techniques)  ou  est-ce  de  toida  =  planche  de  jardin  (Vd,  Bridel), 
ces  planches  ayant  souvent  la  forme  d'un  carré  très  allongé  et  étant 
séparées  les  unes  des  autres  par  des  sillons  plus  ou  moins  profonds? 
L'aspect  d'un  jardin  potager  régulièrement  divisé  en  planches  pourrait, 
à  la  rigueur,  avoir  rappelé  le  pré  dont  le  foin  est  mis  en  rouleaux. 


40 


E.   TAPPOLET 


terme  de  blason  (=raie)  et  dans  des  expressions  adverbiales 
telles  que  ,  voler  à  tire  d'aile,  travailler  tout  d'une  tire  '.  Le 
mot  s'applique  aussi  au  blé.  Pour  Vaud,  on  trouve  tire  au  sens 
de  ,  gisement  de  neige  long  et  étroit  ', 

Les  autres  termes  semblent  être  d'un  emploi  strictement  local  : 

3.  roiwon,  ravon,  s.  m.  (Alpes  vaudoises,  Gruyère,  Franches 

Montagnes,  la  Perrière).  Le  mot,  qui  est  un  dérivé   de  rive^ 


boudin 

signifie  ,  bord,  rebord'.  L'idée  primitive  s'effaçant,  il  ne  reste 
plus  que  celle  de  ,  chose  très  allongée,  tire,  traînée  '  ; 

4.  ria,  s.f.  {riè,  pi.),  (Vaud,  Est),  prop.  ,  raie'  du  latin  riga 
(de  rigare,  irriguer).  Bridel  donne  le  mot  avec  le  sens  de 
, fossé'.  5.  rièrè,  s.  f.  (Yverdon)  probablement  =  rivière  au 
sens  de  ^  bord  '  ; 

6.  akron,  s.  m.  {akrpnâ,  v.  mettre  en  rouleaux),  (Valais  : 
Vérossaz,  Vionnaz).  Le  mot  semble  se  rattacher  à  la  famille 
méridionale  représentée  par  agrmn,  s.  m.,  agglomération, 
groun,grum,s.xa..,  grumeau,  agroumâ,  v.,  se  blottir,  agroimiela, 
V.,  mettre  en  grumeaux,  etc.  (Mistral),  tous  dérivés  du  lat. 
grumus,  s.  m.  tas  de  terre ^. 


1  Grumum  aurait  donné  *gron  (et.  unum  >•  on)\  de  là  un  verbe 
avec  préfixe  servant  de  renfort  *agrmâ  (cf.  masse,  amasser  ;  troupe, 
Attrouper;  monceau,  amonceler),  qui  à  son  tour  change  l'ancien  subst. 
gron  en  agron,  comme  pince  se  transforme  en  espince  sous  l'influence  de 
espincer.  Le  passage  de  g  à.  k  reste  cependant  inexpliqué. 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS       4I 

7.  nd-y,  S.  f.  (Valais,  passim),  propr.  ^  crèche'; 

8.  rssarâ^  s.  f.,  (Neuchâtel),  propr.  .resserrée'; 

9.  rin,  s.  m.  (Neuchâtel),  cf.  rintseta  ; 

10.  reiroutis,  s.  f.,  aussi  retrou?j.nyur,  s.  f.  (Franches  Mon- 
tagnes), substantif  tiré  de  retroimdr  . resserrer'.  On  fait  les 
retrouns  en  resserrant  le  foin  étendu  des  deux  côtés  d'un  rou- 
leau à  faire.  La  retrouns  est  un  boudin  doublé  (v.  les  croquis). 


reirouns 

Il  nous  reste  à  donner  la  liste  des  termes  que  nos  matériaux 
ne  permettent  pas  encore  de  définir,  nos  correspondants  ne 
donnant  pour  toute  description  que  .  rouleau  de  foin  '. 

réba,  s.  m.  (Vaulion,  Vd);  roubatè,  s.  m.  (Valais),  tiré  de 
rebatâ,  rouler  (cf.  reba,  s.  f.,  raie,  Bridel)  ;  roi,  s.  m.  (Valais); 
rolè  (Vd),  propr.  ,  rouleau  '  ;  rotiela,  s.  f.  (Evolène,  Anniviers, 
Genève),  a  probablement  le  même  radical  que  le  mot  précé- 
dent. Cf.  cependant  le  français  rouelle .  tranche  coupée  en  rond', 
diminutif  de  roue  ;  kornè,  s.  m.  (Leytron,  Valais)  ;  fayeta,  s.  f. 
(Lens,  Valais),  propr.  ,  petite  brebis  '. 

M.  Horning  a  démontré  dans  une  très  intéressante  étude*  que 
souvent  un  nom  d'animal  a  servi  à  désigner  un  tas  (de  foin, 
de  blé  ou  d'autre  chose\  Aux  exemples  cités  par  M.  Horning 
(bouc,  chèvre,  cochon,  poulain,  veau  (?),  mule),  on  peut  ajouter 
le  nôtre  et  peut-être  petite  oie  {w  piron,  p.  43,  n.  6)  et  cochon 
(v.  p.  44). 

^  Zeitschrift  Jûr  rom.  Phil.,  t,  XXVII,  p.  149  et  suiv. 


42  E.    TAPPOLET 

?}iètché,  S.  m.  ?  {mètchlâ.  v.)  (Neuchâtel,  Cerneux-Péquignot). 
Cf.  Atlas  linguistique  de  la  France,  carte  1285:  mëcho,  140, 
162;  mechd,  150,  en  Lorraine,  signifiant  «tas  de  fumier»; 
rorta,  s.  f.  (Neuchâtel,  Val  de  Travers),  sans  doute  le  même 
mot  que  ryorta,  s.  f.  ,Iien  de  fagot',  du  latin  retorta  ,  chose 
recourbée',  puis  ,  lien  en  osier  'i, 

VIL  Le  tas  de  foin. 

C'est  ici  que  nous  trouvons  la  plus  grande  variété  de  termes, 
conformément  à  la  diversité  des  habitudes  locales.  Abstraction 
faite  d'un  petit  nombre  de  mots  insuffisamment  définis,  nous 
pouvons  établir  deux  catégories  de  tas  de  foin  : 

A.  Le  petit  tas  qu'on  fait  le  soir  du  premier  jour  et  qu'on 
modifie  selon  le  temps  qu'il  fait:  tout  petit  par  le  beau  fixe 
{?natson,  tsoton,  tchéynà,  etc.),  plus  grand  et  plus  soigné  en  cas 
de  pluie  menaçante  (tchéyon,  piron,  etc.).  Notons  qu'on  dé- 
signe quelquefois  ces  tas  plus  gros  que  d'ordinaire  par  le  mot 
qui  signifie  ,  tas  à  charger  ',  en  ajoutant  le  déterminant  ,  à  la 
pluie  ',  par  ex.  valmon  à  la  pluie,  moule  à  la  pluie,  etc.  En 
français,  on  dit  veillotte  ou  meulon. 

B.  Le  grand  tas  prêt  à  être  chargé.  On  ne  le  fait  ordinaire- 
ment que  le  second  jour  ;  il  est  généralement  très  gros  et  fait 
sans  aucun  soin,  puisqu'il  sera  défait  par  le  ,  bailleur  '  aussitôt 
achevé.  Nous  ne  connaissons  pas  de  terme  français  correspon- 
dant. 

A.  —  Le  petit  tas  pour  la  nuit.  Il  n'existe  aucun  mot 
pour  toute  la  Suisse  romande.  Voici  trois  termes  de  caractère 
cantonal  : 

I.  tsiron,  s.  m.,  s'emploie  essentiellement  dans  tout  le  canton 
de  Vaud  et  dans  une  partie  de  ceux  de  Neuchâtel  et  de  Fri- 
bourg.  Il  s'applique  aussi  au  tas  de  blé  et  à  n'importe  quel 

'  On  est  surpris  de  voir  que  trois  de  ces  mots  (rorta,  kornè,  et  roiieîa, 
si  le  mot  correspond  à  rouelle)  remontent  à  l'idée  de  ^  chose  recourbée  '. 
Reste  à  examiner  la  question  de  savoir  si  primitivement  ces  rouleaux 
n'eurent  pas  réellement  une  forme  qui  justifierait  ces  appellations. 
Cf.  schibe,  p.  56. 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  RO.\L\NDS       43 

autre  tas*.  II  a  donné  naissance  à  plusieurs  verbes  :  intsiroima, 
ètsirouna,  détsirouna. 

2.  matso7i  {piouatson,  motson),  s.  m.  richement  attesté  pour 
tout  le  Valais,  sauf  pour  le  Val  d'Entremont  et  le  Val  de  Bagne. 
Le  maison,  forme  diminutive  de  tnouaiss-,  s.  f.  (Conthey),  est  un 
tout  petit  tas  de  foin.  On  trouve  les  verbes  matsonâ,  inmatsonâ, 
amotsonâ.  L'origine  du  mot  est  inconnue '^. 

3.  tchéyon  (tchion,  tchyoîin),  s.  m.,  répandu  dans  tout  le  Jura 
bernois.  On  en  a  fait  un  ô.\m\n\xi\ï  tchéyna,  s.  m.,  qui  s'applique 
au  regain  et  un  verbe  (chéynè  ^  mettre  le  foin  en  tchéyon  '.  Le 
tchéyon  est  un  tas  conique  fait  avec  beaucoup  de  soin  en  pré- 
vision de  la  pluie.  L'usage  des  tchéyon  tend  à  disparaître  aux 
Bois.  Le  Landeron  connaît  tchiya.n  pour  ^  tas  de  fumier  '  [Atlas 
Img.,  carte  1285).  Le  Vully  vaudois  dit  tsdlyon'^  (est-ce  ts^yont)^ 
qui  paraît  être  le  même  mot. 

En  dehors  de  ces  trois  mots  importants,  les  patois  valaisans, 
particulièrement  riches  en  termes  de  fenaison,  en  connaissent 
d'autres  d'un  emploi  très  local  : 

4.  t  sot  on  (tsyoton),  s.  m.  (Val  d'Entremont,  Val  de  Bagne); 
tchotron  (Yvorne,  Vd).  Le  mot  s'emploie  aussi  pour  un  petit 
tas  de  terre  au  sommet  des  montagnes^. 

5.  piron,  s.  m.  (Plaine  du  Rhône,  Valais),  désigne  une  veillotte 
de  50-60  cm.  de  haut.  Le  mot,  probablement  dérivé  de 
^ pierre',  serait  donc  à  l'origine  .petit  tas  de  pierres  '6; 


'  Le  mot  se  rattacherait-il,  ainsi  que  tchéyon,  n'^  3,  comme  le  croit 
M.  Gauchat,  au  radical  de  cacare? 

2  On  trouve  aussi  mats',  s.  f.  ^  pièces  de  bois  qu'on  place  sur  le  fruit 
à  presser  '  (Evolène). 

^  Le  mot  semble  se  rattacher  à  l'adjectif  ntatchyo  ,  légèrement 
mouillé'  (Evolène).  C'est  le  cas  du  maison  dont  le  foin  n'est  pas 
encore  sec. 

^  La  Vallée  de  Jeux  connaît  tsslyou,  s.  m.  ^morceau  de  pain'. 

"'  On  ne  trouve  nulle  part  tsaton  ^  petit  chat  '  qui  conviendrait  pour 
le  sens. 

*"'  Il  faut  toutefois  remarquer  que  petronem  donnerait  *peron, 
comme  en  français,  cf.  nevé  ;  piron  serait  donc  refait  sur  pira,  forme 
très  répandue,  surtout  dans  le  Haut-Valais,  et  qui  pouvait  l'être  autrefois 


44  E.    TAPPOLET 

6.  katson,  s.  m.  (Val  d'IUiez,  Trient).  C'est  peut-être  le  mot 
,  cochon  '  qu'on  trouve  à  Evolène  sous  la  forme  katson.  Pour 
les  métaphores  tirées  des  noms  d'animaux,  v.  p.  41. 

La  Suisse  allemande  a  deux  termes  principaux  pour  le  petit 
tas  qu'on  fait  le  soir  :  schôcJili  et  birlig,  que  V Idiotikon  fait 
venir  de  b'érn  ^  porter  '.  Le  birlig  serait  à  l'origine  ce  que  peut 
porter  un  homme.  Cf.  note.  —  Les  Grisons  disent  en  outre 
h'ôckerli. 


dans  la  plaine  du  Rhône  (voir  cependant  Gauchat,  Dompierre,  p.  23, 
qui  considère  pyèra  comme  indigène).  Le  fait  est  que,  aujourd'hui, 
Evionnaz  (V)  et  Le  Chàtel  (Vd)  disent  pyera  et  pyero  ,  Pierre  '  (Zim- 
merli).  Aussi  ne  connaissons-nous  pas  piion,  au  sens  de  ,tas  de  pierre'. 
Pour  ces  raisons,  on  ne  peut  considérer  cette  étymologie  comme  tout 
à  fait  assurée.  —  Il  y  a  peut-être  autre  chose.  Le  bas-latin  connaît  un 
pyra=:  tas  (v.  Idiotikon,  IV,  col.  1503,  où  il  doit  rendre  avec  acervus 
et  congeries  l'idée  de  ^tas  de  foin'(doc.  de  1662)  ;  Du  Gange  le  donne 
deux  fois:  i.  pirra,  f.,  «cumulus»,  terme  général,  2.pirra,  f.,  «pila, 
structura  erecta  in  modum  columnae  >>,  etc.  Ge  mot,  sans  aucun  doute 
emprunté  au  grec  •Trvçâ,  rogus  ^  bûcher  ',  revit  en  anc.  français  pire, 
encore  chez  Scarron,  et  en  itahen  pira,  toujours  au  sens  de  bûcher 
servant  de  torture.  A  côté  de  cette  signification  technique  et  historique, 
le  mot  peut  fort  bien  avoir  été  employé  dans  la  langue  vulgaire  au 
sens  général  qu'indiquent  Du  Gange  et  le  document  de  VIdiotikon  ;  de 
là  à piron  .petit  tas  de  foin'  en  Valais,  il  n'y  a  pas  loin.  Le  birling  de 
la  Suisse  allemande,  que  VIdiotikon  rattache  à  hërn  .  porter  ',  mais  qu'en 
réalité  on  ne  porte  guère,  n'aurait-il  vraiment  rien  à  voir  là  dedans  ?  — 
Pour  les  autres  mots  romans  qui  présentent  le  radical  pir-,  je  crois 
qu'il  faut  les  écarter  ici.  On  trouve  piron,  s.  m.,  jeune  oie  (Saintonge, 
Littré) ; /)îVo/e,  s.  f.,  oie  femelle  (Sachs-Villatte,  Suppl.)  ;  piron,  s.  m., 
batteur  en  grange  maladroit  (S.-V.),  tous  probablement  dérivés  de 
Pierre,  cf.  cependant  it.  piro,  poussin,  et  pira,  poule.  Un  autre  groupe 
étymologique  est  formé  par  le  îr. piron,  s.  m.,  «  Spur-Zapfen  »,  terme  de 
mécanique  (S.-V^.),  sans  doute  identique  à  l'italien  pirone,  levier,  che- 
ville ;  ,ferro  de  clavicembali ',  ^  dente  cilindrico'  (Petrocchi),  et  proba- 
blement apparenté  hvqc  pirouette,  s.  f.  (aussi  piroiiet  s.  m.)  ,  disque  que 
traverse  un  pivot',  jouet  d'enfant,  toton,  et  pirtiolo  ,  cheville ',  famille 
dont  l'origine  est  fort  controversée,  (v.  Kôrting,  etc.).  Il  y  a  enfin  un 
troisième /(iVon  =:  fourchette,  au  Nord-Est  de  l'Italie  (lomb. -vénitien, 
ladin),  que  M.  Flechia  démontre  être  emprunté  au  grec  moderne 
Trnçovviov, 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS       45 

B.  —  Le  tas  à  chargera  II  n'y  a  pas  non  plus  de  terme 
général  suisse-romand.  Celui  qui  est  le  plus  répandu  et  qui 
peut-être  a  occupé  autrefois  tout  le  territoire  de  la  Suisse 
romande,  c'est: 

I.  valamon  [vouai  amon,  volamofi,  voamofi,  valmon,  vol  mon), 
s.  m.,  usité  aujourd'hui  dans  tout  le  Valais  et  dans  tout  le  Jura 
bernois,  en  outre  dans  une  partie  du  canton  de  Vaud,  surtout 
dans  les  Alpes,  et  sporadiquement  dans  la  région  de  Lavaux. 
Le  mot  désigne  tantôt  le  tas  pour  la  pluie,  tantôt  le  tas  à 
charger,  tantôt  la  meule  de  foin  qu'on  laisse  dehors  plusieurs 
mois  (Evolène).  C'est  toujours  un  très  gros  tas  (de  1  m.  de 
hauteur  et  de  80  cm.  de  diamètre  à  Trient,  par  ex.). 

Quant  à  l'origine  de  ce  mot  important,  certaines  formes 
phonétiques  font  songer  à  un  radical  germanique  commençant 
par  w.  Le  mot  existe,  c'est  le  walm,  wàlmli  de  la  Suisse  alle- 
mande. D'après  les  matériaux  de  V Idiotikon,  que  AL  Bachmann, 
rédacteur  en  chef,  a  mis  obligeamment  à  ma  disposition,  le 
mot,  fort  répandu,  a  entre  autres  les  significations  suivantes  : 

1.  rouleau  de  foin,  Berne  (Gampelen,  Anet,  Biiren),  Soleure 
(Lâberberg)  ; 

2.  meule  de  foin,  Berne  (Lutzelfliih)  ; 

3.  petit  tas  (allongé?)  de  terre,  qu'on  fait  en  plantant  les 
pommes  de  terre  (Morat)  ; 

4.  emplacement  dans  la  grange  destiné  au  foin  et  au  blé 
(Thurgovie). 

Bien  que  wal/n  ne  se  trouve  nulle  part  dans  le  sens  précis 
de  jtas  à  charger',  il  résulte  de  ces  données  que  le  mot  s'ap- 
plique à  diverses  formations  de  foin  parmi  lesquelles  celle  d'un 
tas  est  doublement  attestée.  Il  n'y  a  pas  de  doute  sur  la  nature 
germanique  de  walm,  qu'on  rattache  au  radical  de  wolben 
, voûter'.  L'intercalation  d'un  a  entre  deux  consonnes  se  re- 
trouve dans  les  mots  français  d'origine  germanique,  canif, 
emprunté  du  nordique  knifr;  chaloupe,  du  néerl.  sloep,  canapsa, 

^  En  suisse-allemand  lad-schoche  ou  hufe. 


46  E.    TAPPOLET 

de  l'ail,  knappsack.  Au  point  de  vue  géographique,  l'explication 
satisfait  entièrement  pour  le  Jura,  le  mot  allemand  étant  bien 
attesté  pour  l'allemand  soleurois  et  bernois^. 
•   Le  second  mot  intercantonal  est  : 

2.  moui\  s.  m.,  apparaît  en  Suisse  dans  des  régions  peu  cohé- 
rentes: Plaine  du  Rhône,  Montana,  Gros-de-Vaud,  Genève. 
Mais  la  carte  1 285  de  V Atlas  ling.  nous  apprend  que  le  mot, 
au  sens  général  de  ^  tas  ',  est  couramment  employé  dans  les 
deux  dép.  de  la  Savoie,  dans  la  vallée  d'Aoste  et  dans  le  dép. 
de  l'Ain.  C'est  un  terme  franco-provençal  dont  l'origine  n'est 
guère  douteuse.  Deux  formes  de  la  Haute-Savoie,  mwèl,  ainsi 
que  de  nombreux  dérivés  verbaux  en  Suisse  comme  mouilâ, 
inmoîièlâ^  demouclâ,  etc.,  montrent  clairement  que  -/remonte 
à  -ellus.  Quant  au  radical,  ce  ne  peut  être  que  le  latin  modus, 
s.  m. ,  mesure,  manière  ',  d'où  proviennent  par  des  voies  diverses 
les  mots  français  moule  (dérivé  populaire  de  modulus),  fno- 
dule  (dérivé  savant)  et  modèle  (emprunté  à  l'italien  modello). 
Quant  au  développement  du  sens,  il  faudra  supposer  que  mo- 
dellus  a  servi  à  désigner  un  tas  (de  foin,  de  blé,  etc.),  soi- 
gneusement construit  d'après  un  ^  modèle  ',  une  ,  forme  '  déter- 
minée dans  le  genre  des  meules  de  foin  et  servant  peut-être  en 
même  temps  de  mesure.  (Cf.  aussi  le  heinzi  du  canton  d'Uri, 
qui  consiste  en  une  espèce  de  chevalet  formé  de  plusieurs 
bâtons  croisés,  auquel  on  fixe  le  foin  pour  le  préserver  de  l'hu- 
midité du  sol.)  La  preuve  que  les  mots  pour  ^ modèle,  forme' 
peuvent  prendre  le  sens  général  de  tas,  nous  la  trouvons  dans 
l'inappréciable  Atlas  de  Gilliéron,  dont  la  carte  1285  traduit 
,tas  de  fumier',  entre  autres,  par  w<?//^^/(?  (m.,  Haute-Vienne  et 
Corrèze)  eiform  (Maine)  ^. 

Les  termes  cantonaux  proprement  dits  sont  peu  nombreux  : 


1  Quant  au  Valais,  il  fait  difficulté,  le  mot  étant  inconnu,  par  ex.,  à 
Munster  et  à  Mœrel  (Haut-Valais  allemand).  Il  n'est  pas  probable  que 
le  mot  ait  été  introduit  en  Valais  par  l'intermédiaire  du  canton  de  Vaud. 

^  Ajoutons  que  la  même  carte  donne  moulotin  pour  la  Provence,  mot 
qui  représente  un  *  modulomm. 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS       47 

3.  moul,  S.  m.  (Neuchâtel)  correspond  sans  doute  au  français 
moule,  cité  plus  haut,  et  illustre  une  fois  de  plus  le  passage 
sémantique  de  ^  modèle'  à  ,  tas  '  ^. 

4.  monsé,  s.  m.  (Jura  bernois)  et  isolément  mouché  (sic),  s.  m. 
(Saint-Luc,  Valais),  correspond  à  monceau,  répandu  au  sens 
général  de  tas  dans  les  dép.  de  la  Haute-Saône  et  du  Doubs. 

Enfin  quelques  termes  isolés  : 

5.  avoulys,  s.  f.  (Vallée  du  Rhône,  de  Chamoson  à  Yvornei. 
Le  nom  provient  de  la  perche  appelée  ^  aiguille  '  au  moyen  de 
laquelle  on  transporte  ces  tas  de  foin  ; 

6.  vayi9,  s.  f.  (Mage,  Valais); 

7.  rez,  s.  f.  ?  (Clos  du  Doubs). 

A  ces  deux  listes,  il  faut  en  ajouter  une  troisième,  celle  des 
termes  insuffisamment  déterminés. 

koutsè,  s.  m.  (La  Côte,  Vd.),  kud^è  (Genève),  français  popu- 
laire cuchet,  se  retrouve  en  ancien  français  cuchet,  cuchon,  tas 
de  foin  (Godefroy)^.  Le  mot  signifie  aussi  ^  sommet,  extrémité' 
(Bridel).  (Se  rattacherait-il  à  gutsch,  giitsch  de  la  Suisse  alle- 
mande, qui  signifie  ,  petit  monticule,  mamelon  ^  1);  fortcha,  s.  f. 
(Vaud,  Fribourg,  Genève),  propr.  ,fourchée';  7nount07i,  s.  m. 
(Haut- Valais  romand),  terme  général  pour  tas,  dérivé  de  mont"^ 
(Godefroy  connaît  le  mot  au  sens  de  ,  troupe ')  ;  doblè,  s.  m. 


*  moule  désigne  aussi  une  ancienne  mesure  pour  le  bois  (25  pieds 
cubes,  Bridel)  dans  les  cantons  de  Neuchâtel  et  de  Vaud,  et  en  Savoie. 
Cf.  Littré,  Supplément .  De  là  peut-être  le  sens  de  grand  tas  en  général, 
puis  gros  tas  de  foin. 

-  Le  mot  est  sans  doute  de  la  même  famille  que  le  provençal  mo- 
derne encucha,  entasser,  mettre  en  meulon  (Mistral);  ^«^^«,'956; 
kutchoun,  980  ;  kuson,  818,  912;  koêon,  924;  koutchoun,  889;  peut-être 
aussi  kichon,  920;  kitchoun,  971  ;  toutes  ces  formes  d'après  la  carte  ,tas 
de  fumier'  de  V Atlas  de  Gilliéron. 

>*  Mofit  seul  signifie  ,  tas  '  dans  beaucoup  de  patois  gallo-romans 
(Pas-de-Calais,  Tarn,  Aude,  etc.).  Les  dérivés  en  sont  nombreux  : 
monceau,  montet,  montel,  mountchou  (Provence),  toujours  au  sens  de  tas 
{Atlas  linguist.,  carte  1285). 


48 


E.    TAPPOLET 


(Orsières,  Praz-de-Fort,  Valais)  ;  kouè,  s.  m.  (Le  Brazel,  Neuch.), 
propr. ,  cours  ',  mot  qui  dans  le  Jura  bernois  désigne  le  tas  à  la 
grange,  v.  p.  50;  mabr,  s.  m.  (Le  Brazel,  Neuch.),  propr. 
^  membre  ',  probablement  au  sens  de  partie  d'un  tout,  d'une 
série  (cf.  le  mot  suivant);  morsey,  s.  m.  (Noiraigue,  Neuch.), 
propr.  ^  morceau  '. 

VIIL  Le  chargement. 

Le  soir  du  second  jour  approche,  le  soleil  a  donné  très 
fort.  Le  foin  est  bien  sec,  il  exhale  des  parfums  délicieux,  les 


faneurs  sont  contents,  ils  attendent  le  char  à  ridelles  pour  y 
charger  le  fruit  de  leurs  efforts. 

Le  char  arrive  ;  on  ne  peut  charger  partout,  il  faut  choisir 
son  emplacement.  Si  le  terrain  est  fort  en  pente  ou  s'il  est  ma- 
récageux, on  ne  peut  y  conduire  le  char,  il  faut  transporter  le 
foin  à  la  place  favorable,  appelée  tserdjâ  ^chargeoir'  (Frib.)i. 

Bien  charger  est  un  art.  Voyons  en  quoi  il  consiste.  Pour 


Cf.  passoir  =  endroit  (d'une  clôture,  par  ex.)  où  l'on  peut  passer. 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS       49 

charger,  nous  écrit  un  correspondant  genevois,  il  faut  au  moins 
trois  hommes  :  un  pour  donner,  le  bailleur,  un  pour  arranger 
sur  le  char,  le  chargeur,  et  un  troisième  pour  râteler  les  débris 
de  foin  éparpillés  autour  du  char.  Le  terme  le  plus  commun 
pour  donner,  c'est  balyi,  mais  on  dit  aussi  :  leva  (Vaud  et  spo- 
radiquement Fribourg),  tindrè  (Vionnaz,  Valais),  tcKinpè  Jeter' 
(Franches-Montagnes).  La  Suisse  allemande  se  sert  de  u^gd^ 
litt.  donner  dessus,  et  u^gder,  litt.  donneur  dessus. 

Pour  arranger  le  foin  sur  le  char.  —  travail  fort  délicat,  — 
on  dit  partout  charger,  ail.  lad^.  Celui  qui  le  fait  est  le  char- 


Première  levée  du  lit  commencée 

I.  kouèna  —  2.  serre  —  3.  échellée 

geur  ou  lader.  On  trouve  aussi  charge-foin  (Fribourg).  Spora- 
diquement on  emploie  invouâ  à  Vionnaz,  intsana  à  Saint-Luc, 
intretsavutiyi  (?)  en  Gruyère. 

Passons  en  revue  les  opérations  du  chargement  i. 

Le  char  vide  est  placé  le  long  des  ^  tas  à  charger  '.  Le 
^  bailleur  '  pique  dans  le  tas  avec  sa  fourche,  et,  faisant  un 
effort,  présente  la  fourchée  au  ,  chargeur  '.  On  remplit  d'abord 
le  char  à  ridelles  jusqu'aux  bords.  La  quantité  de  foin  ainsi 
^ réduite'  et  bien  serrée  s'appelle  échellée  (Vaud  et  Berne)  ou 
échelage  (Berne).  Tout  ce  qu'on  place  au-dessus  de  ^  l'échellée  ' 
c'est  le  ,  lit  '  {yé,  Berne).  Il  n'est  pas  facile  de  bien  construire  le 


'  Je  prends  pour  base  le  système  pratiqué  aux  Bois  (Berne),  où  j'ai 
étudié  le  sujet. 


50  E.    TAPPOLET 

jlit'.  La  première  chose  qu'on  fait,  ce  sont  les  quatre  ^  coins', 
à  gauche,  à  droite,  en  avant,  en  arrière.  La  fourchée  placée  au 
coin,  qu'il  faut  plier  adroitement,  s'a-ppeUe  kouèna,  s.  m.  ,  petit 
coin  '  ou  kar  dans  le  Jura  bernois,  épôl,  à  Genève  (?).  Entre  les 
deux  kouèna,  on  fait  entrer  de  force  une  troisième  grande  four- 
chée, qu'on  appelle  la  serre  {sàr,  les  Bois).  Voir  le  croquis  p.  4g. 

Ceci  fait  en  avant  et  en  arrière,  on  introduit  les  fourchées 
du  milieu  en  les  faisant  entrer  les  unes  dans  les  autres.  Une 
couche  ainsi  construite  s'appelle  la  levée  (Vd,  Berne).  On  en 
compte  quatre  à  cinq  pour  un  char.  Chacune  des  ,  levées  '  se 
commence  au  même  bout  où  l'on  a  terminé  la  précédente. 
Le  j  lit  '  présente  ainsi  une  série  continue  de  contours.  Poser 
les  fourchées  sans  les  rouler  se  dit  à  Genève  charger  à  plat; 
les  poser  en  les  roulant  pour  faire  le  coin,  se  dit  charger  à 
brçîd  à  Genève,  plyatâ  en  Gruyère,  tranplyâ  dans  la  Broie. 

Le  char  chargé,  on  pose  Xz.  presse  ou  perche,  on  la  fixe  au 
moyen  d'une  corde,  qu'on  serre  avec  le  tour  à  l'arrière  du  char. 

Heureux  de  la  bonne  récolte,  on  rentre  et  l'on  engrange 
{ingrandzi),  comme  disent  tous  les  patois  romands.  Isolément 
on  trouve  cacher  (Valais,  Neuchâtel). 

IX.  Le  déchargement. 

Le  char  bien  placé  sur  l'aire  de  la  grange,  on  commence  à 
4  décharger  ',  Pour  cela,  il  faut  deux  hommes  au  minimum  : 
I.  celui  qui  donne,  le  ,  déchargeur ',  et  2.  celui  qui  reçoit  et 
dispose  les  fourchées  sur  l'emplacement  destiné  au  foin.  On 
l'appelle  rtirou,  s.  m.  ^ retireur'  dans  les  Franches-Montagnes. 

Pour  le  tas  de  foin  à  la  grange,  en  allemand  Heustock,  la 
Suisse  romande  se  divise  en  deux  groupes.  Le  gros  des  patois 
dit: 

tèts9  {tètch,  tes,  fr.  pop.  ^  tèche '),  s.  f.,  employé  partout,  sauf 
dans  le  Jura  bernois.  Le  mot  se  retrouve  en  Savoie  et  en 
Franche-Comté.  Il  se  rattache  à  ^  tas,  entasser,  anc.  fr.  tasse  ' 
d'origine  germanique.  Le  Jura  bernois  seul  dit  ko  {kor,  koue^ 
fr.  pop.  j  cours  '),  s.  m.  ^  compartiment  de  la  grange  destiné  au 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS       5  I 

foin,  au  blé',  mot  qui  semble  identique  au  français  cours  < 
cursum^.  Ce  même  compartiment  s'appelle  kartay  ^  quartier  ' 
dans  les  Alpes  vaudoises. 

X.  Conclusion. 

Dans  l'ensemble  des  travaux  agricoles,  la  fenaison,  telle  que 
nous  l'avons  étudiée,  est  un  domaine  relativement  conserva- 
teur. Depuis  que  l'homme  récolte  le  foin  pour  en  nourrir  son 
bétail  pendant  l'hiver,  on  aura  coupé  l'herbe,  on  aura  étendu 
les  andains,  on  aura  entassé  le  foin,  en  rouleau  ou  en  tas,  pour 
le  transporter  plus  facilement  à  une  place  abritée  (meule,  fenil 
ou  grange).  Dans  ces  opérations  fondamentales,  le  progrès  de 
la  civilisation  n'aura  guère  apporté  de  changement 2. 

On  pouvait  donc  s'attendre  à  une  grande  uniformité  d'ex- 
pression. En  réalité,  il  n'en  est  rien.  Le  total  des  mots  que 
nous  avons  étudiés  dépasse  la  centaine^.  Tous  ne  sont  pas, 
bien  entendu,  des  termes  de  fenaison  proprement  dits,  c'est-à- 
dire  des  mots  qu'on  n'emploie  qu'en  parlant  des  foins  (ou  de  la 
moisson)  ;  de  ceux-là,  il  y  en  a  relativement  peu,  une  bonne 
vingtaine  tout  au  plus  (v.  le  tableau  p.  53). 

Quant  à  l'origine  de  ces  mots,  la  grande  majorité  peut  s'ex- 
pliquer soit  directement  par  le  latin  {foin,  sèyi,  rétreindre), 
soit  par  un  dérivé  du  latin  {andain,  moue,  épancher,  etc.).  Un 
petit  nombre  sont  d'anciens  mots  germaniques  (rin,  rintsèta^ 
tcche,  vouayïn)  *.  Comme  ils  font  tous  partie  de  l'ancien  fonds 


'  Le  développement  du  sens  n'est  pas  évident.  ^  Cours  '  signifie 
entre  autres  ,  rang  continu  de  pierres  dans  une  bâtisse  '  (Littré)  ce  qui 
s'accorde  assez  bien  avec  Izo,  qui  désigne  chacune  des  divisions  de  la 
grange  marquées  par  des  colonnes. 

-  Il  est  évident  que  cela  ne  s'applique  pas  aux  outils  (faux,  faucheuse, 
râteau,  fourche,  char,  etc.).  Les  anciens  outils  non  mécaniques  du  fau- 
cheur ne  sont  pas  de  la  même  importance  au  point  de  vue  du  dévelop- 
pement que  le  sont,  par  ex.,  les  ustensiles  du  fromager  pour  la  fabri- 
cation du  fromage. 

^  Ne  sont  pas  comptés  les  innombrables  dérivés  dont  nous  n'avons 
cité  qu'un  petit  nombre. 

''  ^  Regain',  du  radical  zceideu.  Le  regain  fera  le  sujet  d'un  article  à  part. 


52  E.   TAPPOLET 

du  vocabulaire  français,  ils  ne  prouvent  rien  pour  l'influence 
que  pourraient  avoir  eue  les  Allemands  dans  la  façon  de 
récolter  le  foin.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  mots  empruntés 
aux  patois  de  la  Suisse  allemande  :  valamon,  gas,  tchoup,  svèy  (?), 
ouûzon  ,  regain  ',  de  l'allemand  waseji  ^  gazon  '.  La  diffusion 
double  de  valamon  —  dans  le  Jura  et  dans  le  Valais  —  peut 
indiquer,  dans  les  régions  où  il  s'est  répandu,  un  changement, 
si  léger  soit-il,  dans  les  habitudes  du  faneur i. 

Essayons  de  présenter  au  lecteur  un  tableau  d'ensemble 
(v.  p.  53)  qui  montrera  la  répartition  des  termes  techniques 
proprement  dits  dans  le  domaine  de  nos  patois.  Il  fallait  faire 
un  choix:  on  ne  trouvera  dans  ce  tableau  que  les  termes  les  plus 
importants,  c'est-à-dire  ceux  qui  sont  matériellement  indispen- 
sables au  faneur  et  partant  bien  ancrés  dans  la  mémoire  linguis- 
tique d'une  région  un  peu  étendue.  Pour  ne  pas  grossir  la  liste, 
nous  avons  dû,  non  sans  regret,  en  écarter  les  mots  peu  ou  mal 
attestés  dont  l'emploi  semble  occasionnel  ou  strictement  local. 
Ces  mots  sont  très  nombreux,  j'en  compte  jusqu'à  80.  Ils  sont 
d'une  importance  capitale  pour  la  vie  du  langage,  ils  en  repré- 
sentent la  partie  mobile,  ils  témoignent  de  la  faculté  imagina- 
tive  des  patoisants,  c'est  par  eux  que  le  vocabulaire  se  renou- 
velle et  s'enrichit.  Où  ils  ne  sont  plus,  le  patois  est  mort. 

Il  va  de  soi  que  les  dérivés  ne  figurent  pas  non  plus  dans 
notre  tableau. 

Que  nous  apprend  ce  tableau  sur  le  caractère  linguistique 
de  la  Suisse  romande?  Les  mots  français,  communs  à  tous  les 
cantons,  soit  littéraires  (comme  foiti,  etc.),  soit  provinciaux 
(comme  scier,  virer,  bailler)  offrent  peu  d'intérêt  2.  Quant  aux 
termes  ,  romands',  ce  qui  frappe  le  plus,  c'est  l'absence  d'unité. 
Il  faut  insister  sur  le  fait  que  pour  seize  idées  essentielles  de  la 


^  Seule  une  étude  détaillée  et  comparative  de  la  fenaison  romande 
et  allemande  en  Suisse  pourrait  trancher  la  question. 

-  Notons  toutefois  que  de  tous  les  termes  exclusivement  employés 
pour  la  fenaison,  ^oin  est  le  seul  qui  ait  eu  déjà  ce  sens  en  latin  clas- 
sique. 


.2   a  "5 


-5    c 

■Ci,   <u 


s  I  Ji  t^  èJ)  se 


S    c    ^   Ji 


M 

> 
■M 

M 
CD 


■^  -T. 


tn         ,:s    s:  '.^ 


—     w    yi 


5.  '>    S 


I     II 


■«  _i>    JS  '-Si 


V.     Jj     Va 


-D 


>     G    >- 

2  -Îj 


"^    2    t» 


■     -  ^    -     >    c 


rt 


rt 


0) 

m 

•« 

j; 

s< 

•■■ 

3 
O 
y 

C 

£ 

EC 

te 

0 

ï> 

C 

"" 

9 

es 

e 

A 

U 

■o 

'% 

00 

S 

:  c 

t. 
a 

2 

■2  «■ 

a 

« 
1 

fl   2. 


«^    «A     CQ     CQ    *^    ^    ^^ 


0) 

es 
é5 

.C3 


3  « 


54  E.    TAPPOLET 

fenaison,  domaine  agricole  primitif  et  indigène  s'il  en  fut,  il 
n'y  a  pas  un  seul  terme  exclusivement  romand  qui  soit  répandu 
dans  tous  les  cantons:  et  de  ceux  qui  en  approchent  le  plus: 
recor,  come^,  tèche  et  vala?non,  les  trois  premiers  se  retrouvent 
en  dehors  de  la  Suisse  et  le  quatrième,  valamoii,  est  un  em- 
prunt visible  fait  aux  patois  allemands  limitrophes. 

La  région  qui  se  détache  le  plus  nettement  du  gros  des  can- 
tons romands,  c'est,  comme  chacun  sait,  le  Jura  bernois.  Cela 
saute  aux  yeux  pour  ^tas  à  la  grange  '  et  pour  ^  regain  '.  En 
outre,  il  faut  relever  un  certain  nombre  de  termes  qui  ne  sont 
que  jurassiens  et  en  partie  franc-comtois  :  perè,  botidïn,  tchéyon, 
retrouns,  monsé,  tcMnpè.  Ainsi,  pour  la  fenaison,  le  Jura  bernois 
présente  avec  le  Valais  le  plus  grand  nombre  de  termes  parti- 
culiers. 

Parmi  les  autres  cantons,  Genève  manque  presque  totale- 
ment d'originalité.  Des  termes  qui  figurent  dans  notre  tableau, 
le  patois  fribourgeois  ne  possède  à  lui  que  la  rintsèia,  Neu- 
châtel  ne  peut  revendiquer  que  le  moul  et  la  savèy.  Ce  sont 
Vaud  et  Valais  qui  cachent  les  grands  trésors,  tantôt  à  eux 
seuls  {épancher),  tantôt  en  commun  avec  d'autres  {fnoué,  vala- 
mon),  tantôt  c'est  Vaud,  —  jamais  Valais,  —  qui  s'accorde  avec 
Fribourg  {isiron,  toula,  tira,  lever'),  tantôt,  —  mais  c'est  très 
rare,  —  Vaud  est  seul  à  posséder  un  terme  ikird),  le  plus  sou- 
vent c'est  le  Valais,  vrai  paradis  pour  le  lexicographe,  qui  fait 
bande  à  pari;  c'est  lui  la  patrie  des  maison  et  des  katson,  des 
tsoton  et  des  piron,  et  sans  doute  de  mainte  autre  formation 
caractéristique  qui  aura  échappé  à  nos  recherches. 


'  Quant  à  corne,  je  ne  lui  trouve  en  France  (Savoie,  Midi)  que  le 
sens  de  , crinière'. 


LES  TERMES  DE  FENAISON  DANS  LES  PATOIS  ROMANDS       55 

Je  ne  puis  terminer  ce  travail  sans  m'acquitter  de  la  dette  de 
reconnaissance  particulière  que  j'ai  envers  MM.  les  correspon- 
dants qui  m'en  ont  fourni  les  matériaux.  Ce  qu'ils  ont  noté 
dans  les  formulaires  du  Glossaire,  j'ai  essayé  de  le  résumer, 
de  le  grouper,  de  le  commenter.  La  présente  étude  est  loin 
d'être  définitive,  elle  a  des  lacunes,  dont  je  sens  l'importance 
mieux  que  personne.  Il  faut  les  combler  avant  de  rédiger  le 
Glossaire.  Qui  nous  a  aidé  nous  aidera.  De  nombreux  termes, 
qu'on  trouvera  dans  cet  article,  ont  besoin  d'être  précisés  pour 
la  forme  et  surtout  pour  le  sens.  Le  lecteur  patoisant  versé 
dans  les  travaux  rustiques,  à  la  compétence  duquel  je  fais  appel 
en  terminant,  ne  manquera  pas,  j'espère,  de  compléter  et  de 

rectifier  notre  information'.  ^   ^ 

E.  Tappolet. 


'  Le  mode  le  plus  pratique  pour  nous,  c'est  de  présenter  ces  rectifi- 
cations sous  forme  de  fiches  envoyées  au  Bureau  du  Glossaire.  Nous 
recommandons  tout  particulièrement  l'usage  du  croquis,  quelque  som- 
maire ou  grossier  qu'il  soit,  surtout  lorsqu'il  s'agit  d'indiquer  la  forme 
du  rouleau  ou  du  tas  et  la  répartition  du  foin  sur  le  pré. 


TEXTE 

— î— 

On  drolo  de  chin. 

ANECDOTE   EN   PATOIS    GRUYÉRIEN. 

Vo-j  i  hin  chur  jou  yu  kpmin  niè  de  hou  grô  chin  de  bon 
kd  ly  avi  din  h  tin  pè  le  vilyo  nioxi,  è  mimamin  apèdji  pèr 
dèvan  kotyè  vilyè  kabutsè.  I  kaminûon  a  lou  férp  râ  ;  h  pou 
kp  n-in^  richtè  chon  galyâ  rèdui  pè  chu  le  tàréchè-. 

On  de  chtou-j  dvà  pachâ,  in  nbnanta^  kp  krayo,  la  pèrotsp 
de  V.  ch'èâi  a'&inhlyâyp  pb  dèchidâ  tote  chouârtè  d'aférp. 
To  ly  èâi  galyâ  rilyâ^  kan  Djan  Ppkabou  chè  bptè  a  drp  : 
Ly  a  chi  vilyo  chin  de  bon  kp  tranè  pè  chu  Ip  chin.mityiro^ 
du  ly  a  kôtyè-j  an  ;  mè  chinblyè  h  ne  pâ  bin  dniâo.  N& 
dèvran  Ip  bplâ  in  mija  pb  h  rapèrtchi  du  pèr  inkp. 

La  chakrichtin  na  pâ  tarda  a  Ip  rebrakâ^  in  li  dpjin  : 
Ché  pâ  chp  chpri  prou  plyp  bni&o  de  h  mijâ  ?  Tyè  d^ran  le 

Un  drôle  de  saint. 

Vous  avez  bien  sur  vu  (////.  eu  vu)  comme  moi  de  ces  gros 
saints  de  bois  qu'il  y  avait  dans  le  temps  dans  (////.  par)  les 
vieilles  églises,  et  même  applique's  à  la  façade  de  quelques 
vieilles  masures.  Ils  commencent  à  se  (/zV/.  leur)  faire  rares; 
le  peu  qui  en  reste  sont  bien  réduits  dans  les  galetas. 

Un  de  ces  hivers  passés,  en  nonante,  que  je  crois,  l'assem- 
blée paroissiale  de  V.  s'était  réunie  pour  décider  toutes  sortes 
d'affaires.  Tout  était  bien  réglé  quand  Jean  Piquebois  se  met  à 
dire  :  Il  y  a  ce  vieux  saint  de  bois  qui  traîne  sur  le  cimetière 
depuis  il  y  a  déjà  quelques  ans  ;  [il]  me  semble  que  ce  n'est 
pas  bien  honnête.  Nous  devrions  le  mettre  aux  enchères  pour 
l'enlever  d'ici. 

Le  sacristain  n'a  pas  tardé  à  le  réprimander  en  lui  disant  : 
[Je  ne]  sais  pas  si  [ce]  serait  beaucoup  plus  honnête  de  le 


ON    DRoLO    DE    CHIN  57 

diin  ?  No-j  in-d  an  d^a  prouniatara^  jou  fà  pèchyâtrD"'  chin 
fèr9  onkb  cbtçch^.  Ld  ramâcheri  è  h  bstèri  chu  le  tàrécbè 
intch3  mè^  ;  ly  é  d^a  lé  diitrè'-^  vilyè  mârè  k9  vjnyon  du  h 
mbxi  ;  i  grave  rin  avoua. 

Chin  ly  è  jou  fournà  pèr  inh  ;  n'iti-d  an  pâ  re  parla. 

Ld  minio  dpvà-h-né^^,  Pshabou,  k'irè  on  malin  chatsè^\ 
chè  di  intrè  li  :  Ché  pâ  chp  h  tindrè  tan  grantin  chu  le 
tàréchè.  K  in  mimo  tin,  i  va  ou  boufè ,  prin  on  patyoiè^'^  de 
pura  è  on  grô  tdrâro  de  rç'd^^,  ch'in  va  ou  choua  d  la  né  f'erd 
en  puchin  pèrtp  ou  chin,  ly  infatè^^  cha  pura  è  apri  Vavi 
bin  tsoupdnâ,  chè  rè  intouârnè  inich^  li. 

Vb  chèdè  ks  l'^và  de  nbnania  ly  è  jou  déchira  du,  ly  a  fà . 
na  kram9na  a  martalâ^'^  de  frà  a  la  katsèta^''.  Ach3  h  bou 
ly  è  J9lâ  ! 

On  matin  k^  U  chakrichtiii  ch'indalâvè  arandji  pè  b  mbxi, 
la  Fanchètd,  cha  fèna,  li  fâ  '.  Di  va,  D:{âtye,  te  fà  me  tsè- 

mettre  aux  enchères.  Que  diraient  les  gens?  Nous  en  avons 
déjà  assez  fait  par  ici  (outre)  sans  faire  encore  celle-ci.  [Je]  le 
ramasserai  et  le  mettrai  au  galetas  chez  moi  ;  j'y  ai  déjà  plu- 
sieurs vieux  débris  qui  viennent  de  l'église  :  il  ne  gêne  pas  avec. 

Cela  a  été  {litt.  est  eu)  fini  par  là  ;  on  n'en  a  1  Ittt.  ils  n'en 
ont)  pas  reparlé. 

Le  même  soir,  Piquebois,  qui  était  un  malin  (sachet),  se  dit 
«  entre  lui  »  :  [Je  ne]  sais  pas  s'il  le  gardera  bien  longtemps  au 
galetas.  Et  en  même  temps,  il  va  au  buffet,  prend  un  petit 
paquet  ,de  poudre  et  un  gros  perçoir  de  râtelier,  s'en  va  au 
«  sourd  »  de  la  nuit  faire  un  gros  (////.  puissant)  trou  au  saint, 
y  verse  la  poudre,  et  après  l'avoir  bien  bouché,  s'en  retourne 
chez  lui. 

Vous  savez  que  l'hiver  de  nouante  a  été  très  dur,  il  a  fait  un 
froid  de  loup  à  grelotter  de  froid  sur  les  marches  du  poêle. 
Aussi  le  bois  [y]  est  allé  ! 

Un  matin  que  le  sacristain  s'en  allait  «  arranger  »  (préparer 
la  messe)  à  l'église,  la  Fanchette,  sa  femme,  lui  dit  :  Dis  un  peu, 
Jacques,  [il]  te  faut  me  couper  quelques  grosses  bûches  pour 


58  C.    RUFFIEUX 

plyâ  dutrè  tron  pb  hdtà  ou  forni  ;  né  rin  mé  a  li  fatchi,  — 
N'é  pâ  liji  ôra,  ka  li  rèpon  chdn  çmo,  prin  chi  chin  de  bon 
ka  ly  è  pè  chu  le  tàréchè;  ifô  hmin  ka  chà  n-in  tari  on  t savon. 

La  Fanchçt9  râxlyè  anion  lè-j  ègrâ,  vin  avô  avi  h  chin  è 
l'infatè  din  h  forni.  Ld  fu  irè  fmamintè^^  bin  inprà'^'^, 
k'on-n  ou  tb  d'on  kou  ouna  dèbbrdpnâyp  dou  dyâblyo  ;  on-n 
ari  dp  le  kanon  d'Avry^^  h  choutâvon  pè  h  Bry.  Fanchètp 
Vire  java  ^^  a  la  kâva,  monté  a  la  prèchpitayp,  châlè  ou  palyo 
è  n'è  pâ  jou  mô  èâpnâyp  de  trbvâ  h  jbrni  in.mèluâ,  di  nibchi 
de  pare  è  di  mbchi  dou  chin  èpard:(9nialâ  ché  ou  lé. 

Ld  bon  Dyu  nb-j  a  puni,  kd  chè  di  intrè  li.  Du  mh  adon 
i  ch'in  va  a  chô  amon  ou  mbyj  po  h  drp  a  D:(àlyè.  Chtichp, 
kan  ly  a  jou  aprà  l'aféra,  chè  bptè  to  balaniin  a  dra  a  cha 
fèna  :  O!  bin,  akuta,  ma  pour  a  tè,  i  chu  bin  rin  tan  èd^dnâ: 
ntdjèmé  jou  bin  boun   idé  de  chi  chin'^^ !       ç^  Ruffieux. 

[les]  mettre  au  poêle,  [je]  n'ai  plus  rien  à  y  jeter.  —  [Je]  n'ai 
pas  le  temps  (//'//.  loisir)  à  présent,  (que)  lui  répond  son  mari 
(////.  homme),  prends  ce  saint  de  bois  qui  est  au  galetas,  il 
faut  comme  qu'il  en  aille  en  tirer  parti  {litt.  comme  que  soit 
en  tirer  un  bout). 

La  Fanchette  monte  rapidement  {litt.  racle  en  haut)  les 
escaliers,  descend  (////.  vient  en  bas)  avec  le  saint  et  l'intro- 
duit dans  le  poêle.  Le  feu  était  à  peine  bien  allumé  qu'on 
entend  tout  d'un  coup  un  bruit  du  diable  ;  on  aurait  dit  les 
canons  d'Avry  qui  sautaient....  Fanchette,  qui  était  allée  {litt. 
était  eue)  à  la  cave,  monte  précipitamment,  court  (saute)  à  la 
chambre  et  n'est  pas  mal  étonnée  de  trouver  le  poêle  réduit  en 
pièces,  des  morceaux  de  pierres  et  des  morceaux  du  saint  épar- 
pillés çà  et  là. 

Le  bon  Dieu  nous  a  punis,  qu'elle  se  dit  «  entre  elle  ».  Puis 
elle  va  vite  (////.  à  sauts)  à  l'église  pour  le  dire  à  Jacques. 
Celui-ci,  quand  il  a  su  {litt.  a  eu  appris)  l'affaire,  se  met  tout 
doucement  (bellement)  à  dire  à  sa  femme  :  Oh  !  bien,  écoute, 
«ma  pauvre  toi  »,  je  [ne]  suis  pas  du  tout  si  étonné;  je  n'ai 
jamais  eu  [une]  bien  bonne  idée  de  ce  saint. 


ON    DRoLO    DE    CHIX  59 


NOTES 


Ce  morceau  est  emprunté  à  un  recueil  d'anecdotes  et  liistorieltes 
publié  sous  le  titre  de  Oiina  Joiirdhd  ^('-/-(''/yî^tfi^o,  c'est-à-dire  «  un  tablier 
plein  de  bons  mots»  (proprement  éclairs),  par  Tohi  di-j-èlynidzo^. 
Comme  l'auteur  v  a  joint  son  portrait,  nous  ne  pensons  pas  l'offenser 
en  trahissant  que  derrière  ce  pseudonyme  se  cache  le  spirituel 
C.  Ruffieux,  ci-devant  professeur  à  l'école  normale  de  Hauterive.  Son 
volume,  qui  doit  faire  les  délices  de  tout  amateur  de  bon  et  franc 
patois  gruyérien,  réunit,  en  plus  de  300  pages,  une  foule  d'aventures 
comiques,  relatées  avec  une  verve  inépuisable,  qui  avaient  paru  précé- 
demment dans  VAmi  du  peuple'^.  On  y  trouve  des  contes  qui  ont  déjà 
tait  la  joie  des  quatre  coins  du  monde,  mais  pour  la  plupart  c'est  la 
réalité,  grande  inventrice  de  situations  drolatiques,  qui  les  lui  a  fournis. 
Il  y  est  beaucoup  question  de  paysans  malins  et  retors,  de  capucins,  de 
curés  et  de  leurs  servantes.  Les  personnes  auxquelles  le  tour  a  été  joué 
se  sont  bien  gardées  d'en  souffler  mot  à  M.  Ruffieux,  de  peur  qu'il  ne 
«les  mette  sur  son  journal»,  mais  il  l'a  tout  de  même  appris,  dans 
cette  aimable  Gruyère  où  tout  se  sait.  Ajoutons  que  l'esprit  de  l'auteur 
n'est  jamais  méchant,  que  sa  satire  n'a  rien  de  personnel,  que  sa  morale 
est  celle  du  peuple  un  peu  cancanier  et  peu  délicat  à  l'adresse  des 
femmes. 

Mais  ce  qui  fait  le  principal  mérite  de  ces  histoires,  c'est  qu'elles 
sont  racontées  en  patois.  Ne  les  redites  pas  en  français,  elles  y  per- 
draient leur  sel.  L'auteur  se  plaît  à  accumuler  les  synonymes,  par  ex. 
p.  155,  où  il  énumère  les  mots  d'injure  servant  à  décrier  les  femmes  : 
isebrô,  chdtwlya,  gouma,  etc.  Il  n'y  en  a  pas  moins  de  vingt-quatre.  On 
voit  qu'il  a  tait  là-dessus  des  recherches  systématiques.  Il  termine  la 
liste  en  disant  qu'il  supprime  les  expressions  qui  ne  se  laissent  pas 
écrire,  mais  ailleurs  il  ne  craint  pas  de  prononcer  tel  mot  grossier,  où 
le  rapporteur  fidèle  de  scènes  intimes  le  juge  nécessaire. 

La  transcription  des  sons  est  simple  et  claire.  Elle  ressemble  à  celle 
du  Bulletin.  Parfois  on  eût  désiré  plus  d'exactitude,  surtout  dans  la  sépa- 
ration des  mots.  Nous  avons  transcrit  le  morceau  que  nous  reproduisons 
dans  l'orthographe  du  Bulletin,  à  laquelle  nos  lecteurs  sont  maintenant 
habitués.  Nous  employons  à  pour  un  e  long  et  très  ouvert,  qui  cepen- 
dant n'est  pas  encore  très  voisin  de  a.  Le  son  â  se  prononce  souvent 
comme  un  à  long,  et  dans  beaucoup  de  cas  on  entend  ao,  surtout  dans 
la  bouche  des  jeunes.  Nous  n'avons  pas  noté  la  quantité  des  voyelles, 
afin  de  ne  pas  trop  charger  le  texte  de  signes. 

1.  Bulle,  Imprimerie  commerciale,  1906.  Prjx  :  a  fr.  50. 

2.  L'auteur  continue  à  publier  des  morceaux  humoristiques  en  patois  dans  la 
Feuille  d'ai'is  de  Bulle. 


6o  L.    GAUCHAT 

1.  Remarquez  Vn  de  liaison  qui  s'introduit  après  une  voyelle  devant 
in  =  en.  De  même  dans  adoti,  po  n'in  rèvini  a  mm  ichtoirs,  p.  121  et 
passim.  Ce  sont  des  formules  comme  on  en  dit,  etc.,  qui  ont  servi  de 
modèles. 

2.  Terme  spécialement  fribourgeois,  employé  surtout  au  pluriel,  du 
latin  terraceas.  A  dû  désignera  l'origine  un  galetas  dont  le  plancher 
était  recouvert  de  terre  glaise.  (Voir  Hunziker,  Das  Schweiierhaus,  t.  IV, 
p.  128.)  —  3.  Du  latin  regulare,  en  développement  populaire. 

4.  Aussi  chin.mttyiro  ;  la  nasale  de  la  syllabe  initiale  a  probablement 
subi  l'influence  du  mot  chin,  «  saint  ».  —  5.  Mot  où  se  sont  confondus 
les  termes  français  «  rubrique  »  et  a  réplique  ».  —  6.  De  prou  :=  lat. 
prode  4-  materia.  —  7.  Per-ecce-hic-ultra. 

8.  Litt.  in  *caso  me.  A  propos  de  *  cas  us  pour  casa,  voir 
El.  Richter,  Zeitschr.  f.  rom.  Phil.,  XXXI,  569  ss.  in  *caso  devenu 
préposition  est  accompagné  du  pronom  personnel  ;  cf.  l'italien  mal- 
grado  mio  >■  malgrado  me.  Comp.  intchs  H  du  texte,  ligne  1 1 ,  même  page. 

9.  =  deux-trois;  du  de  *dui? 

10.  Litt.  devers-le-nuit ;  le  nuit  d'après  le  jour,  inversement  en  vieux 
français  tote  jor  d'après  tote  nuit.  —  11.  De  sachet  (à  malice). 

12.  Muni  des  suffixes  combinés  -ottus  -}-  -ittus. 

13.  Infatâ  signifie  proprement  «mettre  dans  sa  poche»,  de  fata, 
poche  ;  ce  dernier  d'une  forme  burgonde  correspondant  à  l'allemand 
Fet^en.  —  14.  A  l'origine  «  marteler  ;>,  claquer  des  dents. 

15.  On  appelle  katsèta  les  marches  derrière  les  vieux  poêles  de  grès, 
place  favorite  des  vieux,  litt.  «  cachette  ». 

16.  «  Finement»  =::  «  à  peine»  n'a  pas  besoin  d'explication;  ce  qui 
est  plus  curieux,  c'est  la  terminaison  en  è  qui  doit  procéder  d'adverbes 
à  double  forme  comme  onkà  —  onkorè,  cfr.  en  français  encor[e)  —  encores. 
Par  analogie,  on  a  formé  de  o{ou)  min,  «  au  moins  »,  le  mot  omintè. 

17.  Part,  passé  de  inprindre,  «s'enflammer  ». 

18.  Allusion  à  un  canon  en  chêne,  cerclé  en  fer,  fabriqué  à  Avry- 
devant-Pont  et  utilisé  dans  les  fêtes  populaires,  mariages,  etc.  Un  beau 
jour,  il  sauta;  on  taquine  encore  les  bourgeois  d'Avry  sur  cet  incident. 

19.  C'est  le  latin  habuta,  auquel  s'est  agglutiné  Vs  de  liaison  de 
je  suis  eu,  tu  es  eu,  etc. 

ao.^Une  version  soi-disant  historique  de  cette  anecdote,  rattachée  à 
l'introduction  de  la  Réforme  à  Neuchàtel  en  1530,  a  été  recueillie  dans 
la  première  moitié  du  XVIIIe  siècle  par  Jonas  Boyve  dans  ses  Annales 
historiques  du  comté  de  Neuchàtel  et  Valangin,  t.  II,  p.  311-312.  Elle  a  été 
agréablement  contée  en  vers  par  M.  Philippe  Godet  dans  le  Musée  neu- 
ckâtelois,  1881,  p.  284-288  :  La  colère  de  saint  Jean. 

L.  Gauchat. 

>^,^ 


LA  HARANGUE  PATOISE  DE  DAVID  BOYVE 

AU  PRINCE  DE  NEUCHATEL  EN  1018 

— î— 

Vers  la  fin  de  i6 17,  le  prince  de  Neuchâtel,  Henri  II  d'Or- 
léans Longueville,  qui  venait  d'atteindre  sa  majorité,  se  rendit 
dans  sa  principauté.  Il  devait,  suivant  la  coutume,  y  prêter  le 
serment  d'observer  les  franchises  du  pays  et  espérait  pouvoir 
en  même  temps  mettre  fin  aux  différends  qui  s'étaient  élevés 
entre  le  souverain  et  ses  sujets.  Mal  conseillé  et  (Connaissant 
insuffisamment  le  caractère  ombrageux  et  opiniâtre  des  Neu- 
châtelois,  il  ne  réussit  pas  dans  sa  mission,  et  sa  présence  ne  fit 
qu'accentuer  le  conflit  avec  les  bourgeois  de  la  ville.  Ceux-ci 
demandaient  qu'il  jurât,  comme  ses  prédécesseurs,  de  maintenir 
toutes  leurs  franchises  et  usances,  écrites  ou  non  écrites,  tandis 
que  le  prince  déclarait  qu'il  ne  s'engagerait  à  rien  avant  de 
savoir  ce  qu'étaient  ces  coutumes  non  écrites,  qui  devaient  être 
rédigées  en  un  coutumier.  Henri  II  irrita  en  outre  les  bour- 
geois en  faisant  ostensiblement  célébrer  la  messe  au  château. 
On  prétendit  le  lui  interdire.  C'est  au  milieu  de  ces  contesta- 
tions, au  commencement  de  16 18,  que  le  maître  bourgeois  en 
chef  David  Boyve,  à  bout  de  patience,  aurait  adressé  au  sou- 
verain un  discours  patois  débutant  ainsi  : 

Mousigneur,  se  vo  ne  volev  pas  cessa  de  faire  chanta  messa  11 
chatey,  ne  deuianderev  dev  trouppé  à  Messieurs  de  Berna  por  vos  en 
empeschie.  Et  por  say  que  du  coutumier,  cl  é  impossible  d'ay  faire  on 
et  de  métré  totc  noutré  coutemê  par  écrit.  Quan  le  lay  sairey  on  poté 
d'eiche,  et  qu'on  prisse  to  le  papie  que  la  papeleri  de  Serrieré  porrey 
faire  de  cent  ans,  é  giiairey  pas  pru  papie  ne  prit  eicloe  por  le  totc 
écrire,  etc.  (Monseigneur,  si  vous  ne  voulez  pas  cesser  de  faire 
chanter  messe  au  château,  nous  demanderons  des  troupes  à 
Messieurs  de  Berne  pour  vous  en  empêcher.  Et  pour  ce  qui  est 
du  coutumier,  il  est  impossible  d'en  faire  un  et  de  mettre  toutes 
nos  coutumes  par  écrit.  Quand  le  lac  serait  un  encrier  et  qu'on 
prendrait  tout  le  papier  que  la  papeterie  de  Serrières  pourrait 
faire  de  cent  ans,  il  n'y  aurait  pas  assez  de  papier  ni  assez 
d'encre  pour  les  écrire  toutes). 

Si  l'anecdote  était  authentique,  nous  aurions  dans  ces  quel- 
ques lignes  le  plus  ancien  texte  connu  en  patois  neuchâtelois, 
en  même  temps  qu'un  spécimen  de  la  verve  hardie  avec  la- 
quelle nos  ancêtres  savaient  défendre  leurs  droits,  même  vis-à- 
vis  du  souverain.  Mais  il  n'est  pas  nécessaire  de  pousser  bien 


62  j.  JEANJAaUET 

loin  le  scepticisme  pour  concevoir  des  doutes  sur  la  réalité  des 
faits  rapportés.  D'abord,  si  échauffés  qu'on  suppose  les  esprits, 
il  est  bien  invraisemblable  qu'un  maître  bourgeois  de  l'époque 
ait  oublié  les  convenances  et  l'étiquette  au  point  de  se  per- 
mettre avec  le  prince  un  ton  pareil  de  bravade  gouailleuse.  Il 
suffit  de  lire  les  pièces  officielles  du  temps  pour  se  convaincre 
que  les  remontrances  les  plus  pressantes  des  bourgeois  étaient 
toujours  présentées  sous  les  formes  de  la  plus  humble  et  de  la 
plus  respectueuse  soumission.  De  plus,  l'emploi  même  du  patois 
est  aussi  insolite  que  peu  justifié.  Le  patois  était  sans  doute  en 
1618  la  langue  courante  des  Neuchâtelois  de  toutes  les  classes 
et  on  aura  voulu,  en  s'en  servant,  accentuer  le  caractère  d'irres- 
pectueuse, familiarité  de  la  harangue  du  maître  bourgeois.  Mais 
le  prince  ignorait  sûrement  ce  jargon,  et  alors  de  quelle  utilité 
pouvaient  bien  être  des  représentations  dont  il  ne  comprenait 
pas  le  premier  mot?  A  supposer  qu'il  eût  toléré  pareille  inso- 
lence, c'était  en  tout  cas  choisir  un  bien  mauvais  moyen  pour 
le  persuader. 

Sur  quelle  autorité  s'appuie  ce  récit,  si  peu  vraisemblable  en 
lui-même  ?  Il  n'a,  croyons-nous,  pas  d'autre  garant  que  le  chro- 
niqueur Jonas  Boyve,  qui  écrivait  environ  cent  ans  après  les 
événements  de  1618.  A  notre  connaissance,  aucun  des  docu- 
ments contemporains  relatifs  aux  démêlés  du  prince  avec  les 
bourgeois  ne  renferme  la  moindre  allusion  à  la  harangue  de 
Boyve,  et  le  chancelier  de  Montmollin,  qui  a  recueilli  les  confi- 
dences de  Henri  II  et  a  consacré  à  la  relation  de  ses  séjours 
dans  la  principauté  quelques-unes  des  pages  les  plus  vivantes 
de  ses  Mémoires,  ignore  absolument  cet  incident.  Tout  nous 
paraît  donc  indiquer  que  la  prétendue  harangue  patoise  de 
1618  est  apocryphe  et  date  seulement  du  xviii*  siècle. 

Ce  qui,  à  nos  yeux,  vient  confirmer  ces  conclusions,  c'est  que 
la  partie  la  plus  originale  du  fragment  patois,  cette  hyperbole 
pittoresque  :  «  quand  le  lac  serait  un  encrier  »,  etc.,  n'est  autre 
chose  qu'une  variante  appropriée  aux  circonstances  locales 
d'un  thème  bien  connu  de  la  littérature  populaire  de  toutes  les 
nations.  En  Orient  comme  en  Occident,  de  l'antiquité  jusqu'aux 
temps  modernes,  on  rencontre  en  de  multiples  variations  la 
même  image,  destinée  à  traduire  l'idée  d'une  quantité  infinie. 
Quiconque  veut  s'en  convaincre  n'a  qu'à  consulter  la  très  riche 
collection  d'exemples  de  toute  provenance  réunie  par  M.  R. 
Kôhler*.  On  pourrait  encore  y  en  ajouter  d'autres.  Ainsi  la 
citation  suivante,  empruntée  à  une  vieille  traduction  espagnole 


LA    HARANGUE   PATOISE   DE   DAVID    BOYVE  63 

d'un  livre  originaire  de  l'Orient  :  «  Le  sage  dit  que  quand  même 
la  terre  se  changerait  en  papier,  la  mer  en  encre  et  les  poissons 
en  plumes,  on  ne  pourrait  pas  écrire  toutes  les  méchancetés  des 
femmes.  »  {Libro  de  los  engannos,  éd.  Comparetti,  p.  54.)  Je 
me  hâte  d'y  joindre,  comme  contre-partie,  cette  déclaration 
d'un  amoureux  catalan  du  Xiv^  siècle  :  «  Je  vous  jure  par  le 
monde  entier  que  si  tous  les  arbres  de  l'univers...  devenaient 
des  plumes  et  la  mer  de  l'encre,  que  si  les  étoiles  étaient  des 
mains...  et  le  ciel  du  parchemin  ou  du  papier,  ils  ne  suffiraient 
pas,  belle  dame, à  écrire  vos  louanges.  >  {Ro?iiania,\..l^Y ,]).  213.) 
Il  faut  donc  transporter  la  harangue  de  David  Boyve  du 
domaine  de  l'histoire  dans  celui  des  légendes  traditionnelles, 
où  elle  possède  de  lointains  ancêtres.  Jonas  Boyve  n'aura  fait 
que  l'arranger  pour  les  besoins  de  sa  cause  ou  aura  consigné 
une  «  tradition  de  famille  »  déjà  formée  *.  Mais,  même  rajeuni 
de  cent  ans,  ce  texte  demeure  un  des  plus  anciens  spécimens 
du  patois  neuchâtelois  et  méritait  à  ce  titre  d'être  signalé  aux 
lecteurs  du  Bulletin.  y   Jeantaouet 

1.  R.  Kôhler.  Und-  wenn  der  Himmel  wàr  Papier....  dans  la  revue 
Orient  und  Occident,  t.  II,  p.  546-$  59. 

2.  Il  est  à  remarquer  que  dans  le  manuscrit  original  de  Bovve,  con- 
servé à  la  Bibliothèque  de  Neuchâtel,  la  harangue  patoise  ne  figure  pas 
dans  le  texte  même  du  récit,  mais  a  été  ajoutée  en  note  à  la  phrase  : 
«  De  sorte  que  la  mémoire  du  maistre  bourgeois  David  Boyve  a  tou- 
jours esté  dès  lors  en  bénédiction  parmy  les  bourgeois».  Elle  est  intro- 
duite par  les  mots  suivants  :  «  Et  ce  qu'il  y  avait  de  singulier  est  qu'il 
ne  parla  au  prince  qu'en  patois  ou  jargon  du  pays.  Il  luy  dit,  entre 
autres:  Monsigneur,  etc.  »  (t.  II,  p.  325.) 

La  rédaction  des  Annales  de  Boyve,  «  revue,  corrigée  et  augmentée 
par  J.-F.  Boyve,  son  neveu,  «  que  possède  également  en  manuscrit  la 
IBibliothèque  de  Neuchâtel,  a  amplifié  le  récit  en  s'efforçant  d'en  corriger 
l'invraisemblance  :  «  Ce  maître  bourgeois  parla  d'un  ton  de  voix  qui 
ébranla  le  prince.  Il  fit  son  discours  en  patois  et  lui  dit  :  «  Monsigneur, 
etc....  Le  prince  voulut  savoir  tout  ce  qu'il  avoit  dit  et  qu'on  le  lui 
rendit  bien  spécialement,  et  il  changea  d'avis.  »  (t.  II,  p.  349.) 

L'édition  imprimée  des  Annales,  t.  III.  p.  458-439,  combine  arbitrai- 
rement les  deux  rédactions.  Le  texte  patois  renferme  quelques  inexac- 
titudes, que  nous  avons  corrigées  d'après  le  manuscrit  original  dans 
notre  reproduction. 

Le  doyen  Bridel  a  publié  la  harangue  patoise  de  1618  dans  le  Conser- 
vateur suisse,  t.  m  (18 13),  p.  123,  au  cours  d'un  article  intitulé  :  Les  trois 
voyages  de  Henri  II,  duc  de  Longuevillc,  dans  ses  Etats  de  Neuchâtel  et 
Vallangin.  Il  a  sûrement  eu  à  sa  disposition  une  copie  manuscrite  de 
l'ouvrage  de  Boyve,  qui  n'était  pas  encore  imprimé  et  qu'il  cite  ailleurs. 

-•î^î'^-:-^ 


TABLE  DES  MATIERES 


Pages. 

M.  Gabbud  et  L.  Gauchat.  Mélanges  bagnards  :  IL  Les 
expressions  servant  à  rendre  l'idée  de  «  pleuvoir  » 
et  de  «  neiger  » 3 

A.  ROSSAT  et  F.  Fridelance.  Fragment  du  poème  des 
Paniers,  de  F.  Raspieler.  Transcriptions  en  patois 
de  Courroux  et  de  Charmoille  (Berne) 7 

L.  Gauchat.  Etymologies  :  i    bisse.  2.  dégremillé.  3.  Cher- 

montane 13 

L.  Gauchat.  Les  noms  patois  des  clochettes  de  vaches 

(avec  une  planche) 17 

E.  Tappolet.  Les  termes  de  fenaison  dans  les  patois  ro- 
mands    26 

C.  RUFFiEUX.  On  drolo  de  chin,  anecdote  en  patois  gruyé- 

rien,  avec  notes  par  L.  Gauchat 56 

J.  Jeanjaquet.  La  harangue  patoise   de   David   Boyve   au 

prince  de  Neuchâtel,  en  1618 61 


Lausanne.  —  Imprimerie  Georges  Bridel  &  C* 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction    du   Glossaire. 


NEUVIEME  ANNEE 
1910 


ZURICH 

BUREAU    DU    GLOSSAIRE 

Hofackerstrasse  44 


SYSTEME  DE  TRANSCRIPTION 

A.  VOYELLES 

a,  è,  é,  i,  u,  ou  ont  la  même  valeur  qu'en  français. 
0  =  0  ouvert  (comme  dans  bord  [bôr']). 

6  =1  o  fermé  (peau  [po]). 

à  =^  œ  ouvert  (b^wrre  [bœr]). 

ûé  =  œ  fermé  (ïeu  [fé]). 

e,  0,  ce  sans  accent  sont  des  voyelles  moyennes. 

0  {e  renversé)  =  e  sourd  (brebis  [br^bt]). 

an,  m,  on,  un,  sont  les  voyelles  nasales  des  mots  français  temps 

[fan],  main  [mm],  rond  [ron],  lundi  [lundi], 
în,  tin,  oim  désignent  les  nasales  de  /,  u,  ou,  qui  ne  se  trouvent 

que  dans  certains  patois  du  Jura  bernois  et  du  Valais. 
Cl,  voyelle  intermédiaire  entre  a  et  à. 
à  ■=■  è  très  ouvert. 

Les  diphtongues  sont  notées  ay,  èy,  ûy,  aou,  œu,  etc.,  on  ya,yè, 
yo,  oua,  uœ,  etc.,  suivant  la  nature  et  le  mode  de  combinaison 
des  éléments  qui  les  composent. 

B.  CONSONNES 

b,  p,  d,  t,  j,  ch,  V,  f,  s,  z,  l,  m,  n,  r  ont  le  même  son  qu'en  français, 
g  représente  partout  le  son  dur  de  ^oût  [gou]. 

^  »  »  »  coup  [koïi]. 

ly  z=  /mouillée  dans  l'ancienne  prononciation  ta»V/e  [ta/y']. 

ny  =  n  mouillée  comme  dans  vi^«e  [viny']. 

y  s'emploie  comme  dans  le  français  j^'eux  [ycé],  fus/on  [fusyon], 

pied  [pye]. 
h  =  aspiration  semblable  à  celle  de  l'allemand  //och. 
1?  =  son  du  ///  dur  anglais. 
à  =  son  du  ///  doux  anglais. 
X  =  son  de  l'allemand  ich. 

C.  GÉNÉRALITÉS 

Les  voyelles  particulièrement  longues  sont  surmontées  d'un 
trait  horizontal  :  â,  etc. 

Les  sons  faiblement  articulés  sont  notés  en  caractères  plus 
petits,  par  exemple  a',  a",  ou^,  etc. 

Un  petit  trait  sous  une  voyelle  [a)  indique  qu'elle  porte  l'accent 
tonique. 


.  LA    TRILOGIE    DE    LA   VÎË 

Série  d'articles-spécimens  du  Glossaire  romand 

sur  la  naissance  et  le  baptême, 

le    mariage,   la    mort  et    l'enterrement. 


Il  n'y  a  pour  l'homme  que  trois  évé- 
nements :  naître,  vivre  et  mourir:  il  ne 
se  sent  pas  naître,  il  souflVe  à  mourir 
et  il  oublie  de  vivre. 

La  Bruyère. 


N«'sansa,  s.  f.  naissance. 

Très  peu  usité,  emprunté  à  la  langue  française.  Le  i  est 
quelquefois  allongé:  nësans?  ou  nesansJ  (V,  N,  B)^  ;  épaississe- 
ment  habituel  de  Xs:  nèchanchè  (V  Salvan,  etc.),  nèsanch? 
(B  Malleray)  ;  finale  en  {9)  ou  è,  selon  les  patois. 

Noutra  vty?  s'^èkàolè  onkbr  ruidd  intrè  x}lyao  dou-z  instan 
di  la  nésans9  è  d?  la  iiior,  notre  vie  s'écoule  encore  rapide- 
ment entre  ces  deux  instants  de  la  naissance  et  de  la  mort 
(Vd  Ormont-dessus).  Avœ^glo  de  nesqnsd  (V  Lourtier).  Li 
pour?  sp/ron  di  la  nésans?  tinkè  a  la  inô,  les  pauvres  souffrent 
depuis...  (V  Leytron).  De  touppa  sur  on  lit  eill  avant  prêts 
nessanhe,  sur  un  lit  de  mousse  ils  (deux  agneaux)  avaient  pris 
naissance  (Python,  Egl.  I,  p.  23  de  l'éd.  Moratel).  Son  djb 
d'nàsans,  anniversaire  (Rossât,  Develier,  B). 

I.  La  rareté  du  mot  s'explique  par  son  inutilité.  Pour 
annoncer  une  naissance,  on  se  sert  plutôt  des  mots  pour  fiaître 
ou  accoucher  (voir  sous  nétr3^  akutst),  ou  de  périphrases  :  il  y  a 


*  Les  cantons  romands  sont  désignés  par  les  sigles  suivants  :  Vd  : 
Vaud,  G  :  Genève,  V  :  Valais,  F  :  Fribourg,  N  :  Neuchâtel,  B  :  Berne. 


4  L.    GAUCHAf 

du  nouveau,  à\x  frais  ;  fé  zu  du  béton  ané  ^  «j'ai  eu  du  béton 
(colostrum)  cette  nuit  »  (Vd  Leysin).  Rare  :  la  V3nya  (au  monde) 
=  naissance  (Vd  Penthalaz,  Rougemont). 

2.  Autrefois  on  attachait  une  grande  importance  aux 
«  signes  »  (du  zodiaque)  sous  lesquels  l'enfant  naissait.  Il 
fallait  venir  au  monde  sur  une  bonne  «  planète  »  ;  voir  les 
restes  de  ces  superstitions  sous  plyanèta. 

3.  Aux  enfants  indiscrets  qui  s'informent  de  l'origine  de 
notre  espèce,  on  répond  qu'on  les  a  trouvés  dans  un  chou, 
sous  une  feuille  de  chou,  dans  une  courge,  qu'on  les  a  achetés 
à  la  foire,  à  Genève  (se  dit  dans  les  villages  genevois),  que  la 
sage-femme  les  a  apportés  (elle  en  possède  une  chambre  noire 
toute  pleine,  V  Praz-de-Fort),  rôle  attribué  parfois  aussi  à  la 
cigogne  (Vd  isolément,  par  ex.  Penthalaz,  Ormont-dessus,  cette 
explication  paraît  être  d'origine  allemande).  A  Leysin  (Vd)  la 
cigogne,  qui  n'existe  pas  dans  la  contrée,  a  été  remplacée  par 
une  pie.  A  Lourtier  (V),  on  raconte  que  l'enfant  a  été  décou- 
vert dans  un  coin  de  la  maison  d'habitation  ou  du  grenier, 
finement  emmaillotté  et  coiffé  d'un  bonnet  blanc.  On  y  dit 
aussi  qu'il  est  descendu  du  ciel  ou  par  la  cheminée.  Dans 
plusieurs  endroits,  on  a  recours  à  des  traditions  locales  :  les 
enfants  naissent  sous  un  gros  bloc  de  granit,  la  «  Pierre  à 
bourdons  »  à  Praz-de-Fort  (V),  la  «  Pierre-à-Bot  »  à  Neuchâtel; 
ils  sont  trouvés  dans  des  cavités  d'accès  très  difficile  nommées 
V Aiguë  roche  {T Agui  rotch),  au  N-E  des  villages  de  Plagne  et 
de  Vauffelin.  La  sage-femme  seule  en  connaît  exactement  l'en- 
trée. Elle  va  les  prendre  dans  la  Bâ.n-Bdkyat  (Baume  Bequil- 
lette),  grotte  qui  se  trouve  dans  une  forêt  à  l'Est  du  village  de 
Charmoille.  A  Champéry  (V),  ils  sont  apportés  par  La  Besse, 
femme  qui  vient  de  la  Savoie  ;  à  Grimentz  (V),  par  l'ermite,  etc. 

4.  Au  val  d'Anniviers  (comme  dans  le  Haut-Valais),  on  avait 
coutume  de  mettre  un  fromage  de  côté,  quand  un  enfant  nais- 
sait. Des  traces  de  cet  usage  existent  ailleurs.  Au  canton  de 
Neuchâtel,  c'était  du  vin  qu'on  conservait  jusqu'au  mariage  de 
l'enfant;  voir  l'anecdote  rapportée  sous  le  titre  Le  vin  de  hap- 


LA   TRILOGIE    DE   LA   VIE  5 

thue  par  le  Conteur  vaud.  1897,  n°  22.  Ailleurs  encore,  il  arrive 
qu'on  plante  un  arbre  au  verger  en  mémoire  de  la  naissance 
de  l'enfant. 

5.  L'accueil  souvent  très  différent  fait  à  l'arrivée  d'un  gar- 
çon ou  d'une  fille  se  manifeste  diversement  dans  notre  voca- 
bulaire. Lorsqu'un  garçon  paraît,  c'est  un  «héritier»,  «  on  dzo- 
rai  »  (bûcheron,  V  Vollèges),  «  on  brantàr?  »  (porteur  de 
«brante»,Vd  Penthalaz),  «  <?«  chudd»  (soldat,  F),  <t  on  koyu  •» 

(porteur  de  c ,  Vd).  Phrase  notée  à  Bernex  (G):  fnon  koii- 

zain  Jozon  pays  a  hâr  a  tb  h  mond\  al  c  kofttii,  sa  fend  a  fé 
on  galyon,  mon  cousin  Jozon  paye  à  boire...,  il  est  content,  sa 
femme  a  fait  un  .<  guillon  »  (verge).  L'expression  la  plus  répan- 
due est  on  bais  pour  un  garçon  et  07i  ou  on.na  dsmi-bats  pour 
une  fille.  (Nombre  de  patois  ne  connaissent  plus  que  le  dernier 
terme).  En  voici  l'origine:  Lors  du  baptême,  les  parrains  et 
marraines  remettaient  autrefois  aux  parents  d'un  garçon  une 
étrenne  d'un  batz  (env.  10  centimes),  à  ceux  d'une  fille  seule- 
ment un  demi-batz.  De  là  l'usage  de  dire  :  â-iou  zu  on  bats  obin 
on.na  ddtni-bats  pour  :  as-tu  eu  un  garçon  ou  une  fille  ?  Dans  le 
Bas-Valais,  la  naissance  d'un  descendant  mâle  est  appelée  une 
journée  entière,  d'une  fille  une  demi-journée.  «  Il  a  perdu  sa 
journée  »,  dit-on  également  d'un  père,  en  ce  dernier  cas,  à 
Noiraigue  (N).  A  Plagne  (B),  un  garçon  non  encore  baptisé  est 
désigné  comme  gran  d?  byà  (grain  de  blé),  une  fille  :  gran 
d'avain.fi  (gr.  d'avoine).  A  cet  usage  se  rattache  le  terme  de 
grain  de  café  pour  une  fille  à  Savigny  (Vd).  Le  mot  le  plus 
courant  pour  déprécier  une  fille  est  spflya-fû  (souffle-feu,  Vd, 
V,  F)  ;  isolément  on  rencontre  :  kazinqirs  (cuisinière,  V  Vol- 
lèges), késeta  (caissette  ?  V  Mage),  «  encore  une  du  tablier  » 
(V  Vernamiège).  L'expression  «ce  n'est  qu'un  subyè-»  (sifflet, 
Vd,  V),  semble  rappeler  la  coutume  d'accompagner  le  baptême 
d'une  fille  de  coups  de  sifflets.  Les  jeunes  gens,  écrit  M.  Isabel, 
se  cachaient  près  du  temple  et  faisaient  de  grosses  sifflées  avec 
les  doigts,  pour  mortifier  le  père.  La  même  habitude  nous  est 
rapportée  de  Leysin.  Les  tournures  obscènes  ne  manquent  pas  : 


6  L.    GAUCHAT 

une  fille  est  un  (garçon) /<?«d?«,  la  sage-femme  l'a  mis  éclater 
sur  le  poêle  (Alpes  vaudoises);  katsèta  d?  jilè  (poche  de  gilet) 
pour  «  fille»,  (Vd  Savigny)  doit  probablement  être  rangé  ici. 
Bou'ehou  (Tsve  (garçon  d'hiver,  F  et  B)  est  plus  poli.  Mais  la 
phrase  rapportée  par  un  correspondant  de  Vermes  (B)  s'a  in 
pÔ  pu  k  ran,  «c'est  un  peu  plus  que  rien  »,  marque  le  comble 
du  mépris.  Voir  les  variantes  phonétiques  de  ces  mots  sous 
bats,  soflya-fW^,  etc. 

6.  Les  désignations  d'une  femme  qui  a  beaucoup  ou  qui  n'a 
pas  d'enfants  sont  réunies  %o\x^fena. 

Netra,  v.  n.  naître. 

nêtr{e)  (Vd,  G,  Bas- Valais,  B)  ;  nïtrè  (Vd  Pailly,  V  Liddes, 
rare);  nàtrèi^à  Chenit);  nàtr  (B  Develier)  ;  néhrè  (V  Lens); 
nêûrè  (V  Grimentz)  ;  néxi  {x  =  fricative  vélaire,  Lavallaz, 
PaL  d' Hérctnence,  p.  229,  V,  forme  suspecte;  nître  de  Pailly 
est  également  surprenant).  Lourtier  (V)  et  M.  Courthion  (Foc.) 
indiquent  que  ce  verbe  n'a  pas  d'infinitif.  Autres  formes  :  3^  p. 
ind.  prés,  è  nà  (B),  /  nè^è  (V  Grimentz);  part.  p.  ?ié,  forme 
française,  presque  partout,  fém.  idem  ou  tiéys  (Vd);  formes 
anciennes  seulement  en  Valais  :  nékou  (Savièse),  néku,  f.  nékua 
(Chamoson),«p /y// (Bagnes),  fiètyu  (Liddes),  «/ar<?//(Hérémence), 
remontant  à  un  type  latin  *nascutus.  La  forme  natus  s'est 
conservée  dans  les  composés  f/iarnâ,bœrm;  voir  sous  ces  mots. 

Itrè  né  su  on  bon  {krouyou)  sinyou,  être  né  «  sur  »  un  bon 
(mauvais)  «  signe  »  (Vd  Montherond).  Marna  Vbot^jéi  k'èn 
poouro  là  è  né,  tbzbr  i  chè  rdtré,  (tout)  malheureux  (qu'est) 
l'oiseau  qui  en  pauvre  lieu  est  né,  toujours  il  revient  (Gilliéron, 
Prov.  de  Vissoiè).  E  vouèrïn  k'an  vnyin  d'nétr  —  di  bon  dûs 
fœXin  Vmétr,  ils  voudraient  qu'en  venant  de  naître  —  du  bon 
Dieu  (ils)  fussent  le  maître  (chanson  pop.  contre  les  garçons. 
Rossât,  Arch.  s.  d.  trad.  pop.  VII,  p.  84,  n°  155,  4). 

1  Articles  qui  figureront  dans  le  Glossaire,  comme  d'autres  auxquels 
-nous  renvoyons  ici. 


LA   TRILOGIE   DE   LA   VIE  y 

I.  Ce  verbe,  très  peu  usité',  est  presque  complètement  rem- 
placé par  l'expression  «  venir  au  monde  >,  surtout  dans  les 
cantons  de  Fribourg,  de  Neuchâtel  et  de  Berne.  Principales 
formes  :  v?ni  ao  mondo  (Vd)  ;  viriin,  fni  u  niondo  (V)  ;  vini  ou 
mondo  (F)  ;  mni  à  mônd  (B).  Immédiatement  après  la  nais- 
sance, on  dit  aussi  l'enfant  «  est  là  »  ou  «  est  arrivé».  Dfa  se 
bni,  cl  â  li,  Dieu  soit  béni,  il  est  là  (B  Epauvillers).  A  noter 
que  le  latin  parère  n'a  plus  de  correspondant  direct  dans  nos 
patois,  comme  c'est  aussi  le  cas  en  français.  Voir  les  locutions 
usitées  sous  akutsî  (accoucher). 

Batçmo,  s.  m.     baptême. 

batèm?  (Vd  Alpes,  aussi  bâfèmp),  batè?no  (Vd  Vaugondry.  V  Sa- 
vièse, F  Sugiez),  bat'emou  (Vd  Montherond),  batém?  (Vd  Sassel), 
bathno (Vd  Penthalaz,  V  Salvan),  bat'àmou  (Vd  Chenit),  bâtemo 
(Vd  Frenières),  bâtemou  (V  Praz-de-Fort),  bâté?no  {Y  Cham- 
péry  ;  Jeanjaquet  :  baihtw),  bâtaimo  (V  Bagnes),  bâteimo  (V 
Liddes,  Isérables),  bâtimo  (V  Vionnaz),  batiqmo  (V  Evolène), 
batîmo  (V  Anniviers),  batïn.fno  (V  Vernamiège,  Mage),  baotcm^ 
(G  Aire-la- Ville),  bâtam^  (F),  bèthn''  (N  Cerneux-Péq.),  bathti' 
(B),  bâtèm'  (B  Develier).  Pour  N,  voir  plus  loin  Hist. 

Alâ  in  pérè  u  batèm?,  aller  «  en  père  »  au  b.  =  entrer  le  pre- 
mier à  l'église  en  qualité  de  père  (Vd  Ormont-dessus).  La 
gras'  du  bâté/non  (V  Praz-de-Fort).  Oiin  batîmo  de  ploubz? 
...de  pluie  (V  Grimentz).  Parin  di  bâtaimo,  parrain  de  b 
(V  Chable).  Ld  bàtemd  le  h  pr?mi  de  sakrdman  (B  Granges-de 
Vesin).  Rèzervd  h  bdtèm?,  expression  employée  quand  on  com 
pare  un  animal  à  une  personne  au  point  de  vue  physique  (F) 
Nbt  fa.n  â-t  èyu  rtiâlèt  dou  moua  d'tan,  èpœ  nbt  vètch\  rèzervd 
l  bâtèniy  â  echb'in  7nâlèt\  notre  femme  a  été  malade  deux  mois 
de  temps,  et  notre  vache,  réservé  le  baptême,  est  aussi  malade 
(B  Develier).  Soùn.nd  ïn  bathn\  sonner  un  b.  ;  tiris  ïn  b.,i\XQX 

'  Les  participes  passés  valaisans  tirés  de  *nascutus  et  le  dérivé 
naxon,  vulve  (Vd  et  F),  de  *nascione,  prouvent  que  le  verbe  vivait 
autrefois  d'une  vie  plus  intense. 


8  L.    GAUCHAT 

des  coups  de  feu  sur  le  passage  du  cortège  de  baptême  (B 
Charmoille). 

Hist.  C'est  évidemment  le  mot  français  plus  ou  moins  bien 
adapté  au  fonds  héréditaire  patois.  Dans  l'Ajoie,  p.  ex.,  on 
s'attendrait  à  une  forme  bètâm,  cf.  baitâme,  Chambure,  Gloss. 
du  Morvan.  En  Valais,  le  mot  paraît  avoir  subi  l'influence  du 
verbe.  Concurremment  avec  baptême,  les  patois  vaudois  et  fri- 
bourgeois  emploient  le  verbe  baptiser,  substantifié,  voir  bâtsl. 
Autres  formes  :  i.  batay^mè,  s.  m.  (Vd  Chenit)  ;  2.  batsîmo,  s.  m. 
(Vd  Noville,  fait  l'effet  d'une  contamination  de  l'inf.  batsl 
avec  baptême;  indiqué  comme  vieilli  par  M'"^  Odin  {Gloss.  de 
Blonay)  ;  3.  batchmè,  s.  m.  (N  Val-de-Ruz,  Val-de-Travers)  ou 
batchmq  (N  Montagnes),  comparez  baptisement  en  ancien  fran- 
çais, batéjamen  en  provençal  moderne  ;  4.  batazi  (Vd  Leysin, 
aussi  verbe).  5.  A  Bagnes  (V)  enfin,  le  mot  français  bâtizé  si- 
gnifie comme  subst.  «  cortège  baptismal  »,  «'/«^j'w /a j'â  on  bâtizé, 
nous  avons  vu  passer  des  gens  qui  portaient  baptiser  un  enfant. 

Encycl.  i.  Le  choix  du  prénom  à  donner  au  nouveau-né 
n'est  soumis  à  aucune  pratique  constante.  Mais  on  donne  très 
souvent  le  nom  du  parrain,  si  c'est  un  garçon;  de  la  marraine, 
si  c'est  une  fille.  Il  arrive  qu'on  combine  les  noms  du  parrain 
et  de  la  marraine.  Ex.  :  si  le  parrain  s'appelle  Léon  et  la  mar- 
raine Joséphine,  l'enfant  portera  les  noms  de  Léon- Joseph  ou 
de  Léonie-Joséphine  (F  Broyé).  On  donne  aussi  les  noms  des 
père  et  mère,  surtout  aux  aînés,  ou  des  grands-parents.  Dans 
certaines  familles,  il  y  a  des  noms  traditionnels,  qui  compli- 
quent énormément  l'établissement  d'une  généalogie.  On  choi- 
sissait autrefois  assez  souvent  le  nom  du  saint  du  jour  ou  du 
patron  de  la  paroisse.  Chez  les  protestants,  les  noms  bibliques 
étaient  très  en  honneur.  Dans  les  temps  modernes,  le  choix 
devient  de  plus  en  plus  arbitraire.  On  consulte  beaucoup  le 
calendri'er  ou  le  dictionnaire  (cf.  la  jolie  nouvelle  d'O.  Hugue- 
nin,  L'enfant  trouvé,  dans  Gefis  de  cœur)  et  on  va  jusqu'à 
pêcher  des  noms  dans  les  lectures  les  plus  diverses.  On  se 
contente  rarement  d'un  seul  prénom,  mais  on  ne  dépasse  guère 


LA   TRILOGIE    DE   LA    VIE  9 

le  nombre  de  trois.  Si  le  nom  du  parrain  ou  de  la  marraine  ne 
figure  pas  en  premier  lieu,  on  le  met  en  second.  Sur  les  pré- 
noms les  plus  en  vogue  selon  les  contrées  du  pays  romand, 
consulter  l'article  non  (nom). 

2.  Les  parrains  et  marraines  sont  choisis  parmi  les  pro- 
ches parents  ;  pour  les  premiers  nés,  les  grands-parents  ont 
souvent  la  préférence.  Pour  les  derniers,  on  s'adresse  volon- 
tiers aux  frères  et  sœurs  aînés.  Quand  la  famille  est  nombreuse 
et  que  les  circonstances  l'indiquent,  on  fait  appel  aux  patrons, 
à  des  personnes  riches,  dont  on  espère  le  secours.  Dans  l'an- 
cienne principauté  de  Neuchâtel,  on  s'adressait  quelquefois  au 
souverain  et  les  prénoms  de  ce  dernier  étaient  toujours  abon- 
damment répandus.  Bien  des  fois  on  choisit  des  jeunes  gens 
qu'on  cherche  à  rapprocher  en  vue  d'un  futur  mariage.  Il  arrive 
aussi  qu'on  prenne  des  fiancés  ou  des  mariés.  En  général  on 
s'arrange  de  façon  à  ce  que  chaque  famille  des  deux  conjoints 
soit  représentée.  Il  y  a  des  marraines  qui  s'offrent  d'elles- 
mêmes,  avec  une  affection  qui  ne  se  démentira  point.  De  leur 
côté,  les  filleuls  montrent  un  attachement  et  un  respect  parti- 
culiers pour  leur  parrain  ou  leur  marraine,  surtout  s'ils  sont  en 
même  temps  leurs  oncle  et  tante.  Si  un  parrain  n'est  pas  marié 
et  qu'il  se  trouve  plus  tard  que  sa  femme  ne  soit  pas  marraine, 
le  filleul  du  parrain  appelle  celle-ci  plaisamment  sa  marraine 
de  bois  (Ormont-dessus).  Le  remplaçant  ou  la  remplaçante 
d'un  parrain  ou  d'une  marraine  empêchés  d'assister  au  baptême 
s'appelle  à  Plagne  (B)  yûjtsnafi  çX  yûitman.n  («  lieutenant  »). 
Le  parrain  et  la  marraine  se  désignent  mutuellement  par  «  mon 
compère»,  «ma  commère  ».  Ensemble  ils  se  nomment  kopa- 
ràdzo  («  compérage  »)  ou  nôbyas''  («  noblesse  »,  B  Plagne). 

Dans  la  plupart  des  cantons  romands,  on  se  limite  à  un 
parrain  et  à  une  marraine.  Il  arrive  même  qu'un  enfant  n'ait 
qu'une  marraine.  Dans  le  canton  de  Vaud,  il  est  de  règle 
d'avoir  deux  parrains  et  deux  marraines,  ce  qui  est  aussi 
souvent  le  cas  dans  le  canton  de  Berne.  Actuellement,  en  pays 
vaudois,  on  se  met  à  multiplier  à  l'excès  les  représentants  de 


lo  L.   GAUCHAT 

cette  fonction,  ce  qui  a  l'apparence  d'une  spéculation.  Car 
chacun  est  tenu  moralement  d'apporter  son  cadeau  en  nature 
ou  en  argent.  Dans  les  Alpes  d'Ollon,  plusieurs  marraines  s'as- 
socient quelquefois  pour  donner  leur  présent  en  commun.  A  la 
confirmation,  on  adjoint  un  second  parrain  au  premier,  s'il 
s'agit  d'un  garçon,  et  une  deuxième  marraine  pour  une  fille,  la 
même  personne  ne  pouvant  fonctionner  au  baptême  et  à  la 
confirmation  pour  le  même  enfant  (V  Bagnes). 

3.  A  l'occasion  du  baptême,  les  parrains  étrennent  la  mère 
de  l'enfant  en  lui  donnant  généralement  un  écu  de  cinq  francs, 
ou  davantage,  selon  leur  situation.  Dans  le  vieux  temps,  la 
somme  était  beaucoup  plus  modeste,  voir  sous  nesansd,  5,  bats. 
Souvent  l'argent  est  remplacé  par  des  objets  utiles  :  lampes, 
poêles  de  cuivre  ou  autres  ustensiles,  vêtements,  coffrets,  une 
Bible,  du  sucre  ou  du  café,  etc.  Le  bébé  reçoit  de  sa  marraine 
des  pièces  d'habillement  :  robe,  brassière,  bonnet,  voile,  etc., 
ou  tout  un  petit  trousseau.  Selon  des  coutumes  plus  modernes, 
l'enfant  est  étrenné  de  pièces  d'argenterie  (anciennement 
d'étain).  A  Plagne  (B),  le  parrain  joint  à  la  pièce  de  monnaie 
dont  il  dote  l'enfant,  une  feuille  de  papier  nommée  bya  d'  ba- 
tcm''  (billet  de  b.),  contenant  les  souhaits  qu'il  forme  pour  son 
avenir  et  son  salut.  Ces  vœux,  souvent  naïfs,  sont  quelquefois 
enluminés  et  il  n'est  pas  rare  d'en  voir  encadrés  dans  les  cham- 
bres de  ménage  des  paysans.  Dans  l'Ajoie,  un  ou  deux  jours 
après  le  baptême,  la  marraine  préparait  et  portait  à  l'accouchée 
un  «  présent  »  dont  la  pièce  principale  était  un  voète  (gâteau). 
C'était  un  gros  gâteau,  épais,  fourré,  garni  d'amandes  et  de 
miel.  Seules  les  marraines  «  riches  »  se  payaient  ce  luxe.  En 
Valais,  les  voisines  et  amies  de  l'accouchée  ne  manquent  pas 
de  lui  apporter  du  pain  blanc,  des  œufs,  etc.,  tout  ce  qui  con- 
vient au  régime  spécial  d'alimentation  auquel  est  soumise  la 
mère.  Dans  les  Alpes  d'Ollon,  la  coutume  exigeait  autrefois  que 
celle-ci  donnât  en  retour  aux  parrains,  au  moment  du  départ, 
à  chacun  un  inouchoir  de  poche  neuf.  En  Gruyère,  il  est  assez 
d'usage  que  le  parrain  achète  une  paire  de  gants  à  la  marraine, 


LA    TRILOGIE   DE   LA   VIE  II 

et  celle-ci  un  foulard,  une  cravate  ou  quelques  mouchoirs  de 
poche  à  son  compère.  Les  dons  faits  à  l'enfant  doivent  lui 
porter  bonheur.  Quelques  vieilles  personnes  croient  encore 
qu'un  enfant  mal  étrenné  n'ira  pas  bien.  A  propos  des  dons 
que  les  parrains  font  plus  tard  à  leurs  filleuls,  consulter  l'article 
koupârd  (parrain). 

4.  Dans  les  campagnes  catholiques,  la  coutume  s'est  assez 
bien  conservée  de  baptiser  dans  les  trois  premiers  jours  qui 
suivent  la  naissance,  à  moins  de  circonstances  particulières. 
Notre  correspondant  de  Praz-de-Fort  écrit  :  «  Autrefois  on  bap- 
tisait le  lendemain  de  la  naissance,  quelque  temps  qu'il  fît  et 
bien  que  le  bébé  fût  malade,  même  si  l'on  était  éloigné  d'une 
lieue  de  l'église.  »  Dans  les  villes  catholiques,  on  attend  géné- 
ralement le  dimanche.  Au  XVIIF  siècle,  les  protestants  faisaient 
baptiser  dans  les  premiers  huit  ou  quinze  jours.  Cela  dépendait 
de  l'état  de  la  mère,  qu'on  tenait  à  voir  assister  au  baptême,  et 
qui  faisait  souvent  sa  première  sortie  à  cette  occasion.  Cette 
habitude  gagne  insensiblement  du  terrain  en  pays  catholique, 
surtout  en  Valais,  les  difficultés  des  communications  aidant. 
Actuellement,  dans  le  canton  de  Vaud,  on  s'accorde  plus  de 
marge  et  on  renvoie  au  2^  ou  3'  mois,  quelquefois  plus  loin, 
si  on  se  trouve  dans  la  période  des  gros  travaux  de  la  cam- 
pagne ou  si  l'importance  qu'on  désire  donner  à  la  fête  exige 
de  longs  préparatifs.  Pour  éviter  des  frais,  on  combine  volon- 
tiers le  baptême  avec  le  culte.  Au  Val -de -Travers,  ancienne- 
ment, quand  un  enfant  naissait  vers  la  fin  de  l'année,  on  le 
baptisait  immédiatement,  parce  qu'on  prétendait  qu'un  enfant 
né  dans  le  courant  d'une  année  et  baptisé  dans  l'autre  n'avait 
pas  de  bonheur. 

5.  Toilette  de  baptême.  Le  poupon  est  ordinairement 
simplement  emmaillotté.  Mais  on  lui  met  un  bonnet-capot  orné 
de  dentelles  appelé  totyè  de  bât  si  (bonnet  de  b.,  F),  bonnet  à 
oreillettes  (Vallée  de  Joux),  kraimclè  (V  Praz-de-Fort),  kâlat' 
(B  Charmoille).  Dans  les  temps  modernes,  on  a  pris  l'habi- 
tude de  mettre  à  l'enfant  une  robe  de  circonstance,  blanche. 


12  L.    GAUCHAT 

avec  une  large  ceinture  flottante  (Vd).  Cette  robe  est  souvent 
empruntée  à  des  connaissances  ou  prêtée  par  la  sage-femme. 
L'enfant  est  ou  était  porté  à  l'église  dans  un  mignon  berceau 
(Alpes  vaud.,  vieilli;  V,  le  berceau  s'appelle  batizia.  Cham- 
péry),  ou  dans  une  corbeille  (V,  F),  dans  une  espèce  de  porte- 
feuille en  lingerie  (B),  bien  recouvert  du  tapis  de  baptême,  qui 
porte  les  noms  de  voile  (Vd),  robe  de  baptême  (V  Champéry), 
toiiâld  (V  Bagnes,  aussi  vouèlo),  tyàly?  a  fnan  ou  simplement 
tyâlyi  (F),  toualct  (N  Val-de-Travers),  batché  ou  batchu  (autres 
parties  de  N),  drapilè  (V  Chamoson),  krev-bfan  («  couvre- 
enfant»,  B  Plagne),  batizou  (B  Ajoie).  Le  voile  n'est  pas  usité 
à  Praz-de-Fort  (V)  ni  à  Bernex  (G),  où  l'on  enveloppe  l'enfant 
d'un  châle  de  laine. 

Voici  quelques  détails  pour  certaines  contrées  ayant  mieux 
conservé  que  d'autres  les  anciennes  mœurs.  Les  vieux  de 
Lourtier  (Bagnes)  se  rappellent  que  le  sexe  du  nouveau-né 
était  indiqué  sur  le  berceau  par  une  fleur  artificielle  ou  un  bou- 
quet pour  un  garçon,  une  couronne  de  fleurs  {chapelet)  pour 
une  fille.  Mais  la  mode  existe  encore  de  recouvrir  l'enfant  du 
foulard  d'épousée,  que  la  mère  a  porté  le  jour  de  son  mariage, 
sur  lequel  vient  se  placer  le  taj)is  de  baptême.  Le  très  beau 
tableau  de  M.  Biéler,  que  nous  reproduisons,  montre  deux 
tapis  de  baptême,  de  facture  diverse.  La  couronne  et  le  bou- 
quet désignent  encore  le  sexe  de  l'enfant.  Le  petit  cortège  est 
formé  des  deux  marraines,  suivies  des  parrains  et  de  la  sage- 
femme,  qui  porte  le  cierge.  En  Gruyère,  l'enfant  est  porté 
sur  un  coussin,  couvert  d'un  fin  lange  circulaire  à  dentelles 
(nommé  toiletté),  et  le  tout  recouvert  de  la  tydly?,  qui  est  en 
beau  velours  rouge  carmin,  orné  de  franges  d'or.  Dans  la 
Broyé,  l'enfant,  placé  dans  sa  corbeille,  est  couvert  de  deux 
nappes,  l'inférieure  blanche  et  la  supérieure  en  soie  de  couleur, 
avec  franges.  A  Granges-de-Vesin,  ces  deux  nappes  s'ap- 
pellent sèryçte  de  batsi  (serviettes  de  b.).  A  Noiraigue  (N) 
la  toilette  était  une  couverture  de  soie,  rose  ou  bleue,  recou- 
verte de  tulle  et  bordée  de  dentelles,   à  l'usage  de  tout  le 


LA  TRILOGIE  DE  LA   VIÈ  t^ 

village.  Un  inventaire  d'Oron  (Vd),  de  1740,  mentionne:  «une 
couverture  de  satin  en  laine,  damassé  rouge  et  blanc,  de  deux 
largeurs,  d'une  aune  de  long  et  garni  de  dentelles  de  dorure 
fausse  ».  Un  autre,  de  1768  :  «  un  baptisé  avec  sa  toile  en  pas- 
sement ».  Dans  les  Alpes  d'Ollon,  on  achetait  autrefois  de 
beaux  carrés  d'étoffes  quadrillées  bleues  et  blanches  ou  rouges 
et  blanches,  devant  servir  par  la  suite  à  des  robes  pour  l'enfant. 
On  les  utilisait  tels  quels  pour  le  baptême,  et  on  les  appelait 
robe  de  ^.,  habitude  disparue,  d'une  belle  simplicité.  Ainsi  s'ex- 
plique le  nom,  cité  plus  haut  (Champéry),  de  robe  pour  tapis 
de  baptême. 

Le  parrain  et  la  marraine  sont  simplement  endimanchés.  Ils 
mettent  «  leurs  plus  belles  plumes  »  (B  Charmoille).  Le  «  tube  > 
est  de  rigueur  dans  le  canton  de  Vaud.  Dans  la  Broyé,  on 
demande  souvent  un  parrain  en  disant  :  Vudrè-vb  vsni  metr» 
vbQoîi  bon  tsapé  par  mè  =  voudriez-vous  venir  mettre  votre 
bon  chapeau  pour  moi.  Le  parrain  reçoit  de  la  marraine,  dans 
certains  endroits,  une  fleur  qu'il  fixe  à  son  chapeau  ou  au 
revers  gauche  de  son  habit.  Les  marraines  fribourgeoises  por- 
taient autrefois  le  vieux  costume  local  :  la  coiffe  à  larges  den- 
telles et  le  bdvèri,  tablier  à  bavette.  Jusqu'en  1830,  les  parrains 
de  Plagne  (B)  portaient  encore  l'épée  et  le  manteau  de  céré- 
monie (mante). 

6.  C'est  en  général  la  sage-femme  qui  porte  le  bébé  à 
l'église  et  qui  le  présente  au  baptême.  Anciennement,  c'était 
le  parrain,  coutume  qui  existe  encore  dans  plusieurs  endroits 
protestants,  par  ex.  à  Gryon  (Vd).  La  présentation  se  fait  aussi 
par  la  marraine,  la  plus  jeune,  s'il  y  en  a  plusieurs  (Vd).  Pen- 
dant la  cérémonie,  au  moment  où  le  prêtre  verse  l'eau,  les 
parrains  touchent  l'enfant  de  la  main  droite.  En  se  rendant  à 
l'église,  la  sage-femme  marche  en  tête  avec  l'enfant,  quelque- 
fois précédée  d'un  garçon  avec  un  cierge  (V)  ;  suivent  le  par- 
rain et  la  marraine,  /<?  be  («  les  beaux  >,  comme  ils  s'appellent 
à  Charmoille,  B),  de  même  iè  bî  (F  Broyé),  se  donnant  le  bras, 
le  parrain  allant  à  gauche  ;  enfin,  s'ils  assistent  à  la  cérémonie 


14  L.    GAÛCHAt 

(en  pays  protestant),  les  parents  et  les  invités.  Dans  les  endroits 
où  a  encore  lieu  la  remise  de  l'enfant  par  la  sage-femme  à  la 
marraine,  cela  se  pratique  sous  le  porche  de  l'église.  C'est  là 
aussi  que  les  catholiques  attendent  le  prêtre,  lui  communiquent 
les  noms  de  l'enfant,  et  que  celui-ci  administre  la  première 
partie  du  sacrement.  Le  rite  du  baptême  n'offre  rien  de  parti- 
culier. Citons  cependant  un  détail  :  dans  la  Vallée  de  Joux,  une 
fillette  vêtue  de  blanc,  portant  une  serviette  sur  le  bras  gauche 
et  un  petit  pot  à  la  main  droite,  la  verseuse^  était  chargée  de 
répandre  l'eau  sur  la  tête  de  l'enfant.  La  verseuse  prenait  natu- 
rellement part  au  repas  et  recevait  une  petite  rétribution  en 
argent.  A  la  sortie  de  l'église,  les  parrains  jettent  actuellement 
des  7iây  (dragées)  aux  enfants,  et  la  sage-femme  en  reçoit  un 
cornet  (B  Ajoie). 

7.  Dans  les  endroits  protestants,  on  ne  sonne  les  cloches 
que  lorsqu'on  baptise  un  jour  ouvrier.  Chez  les  catholiques,  on 
fait  un  petit  carillon  ou  l'on  sonne  après  le  baptême.  Cet  usage 
n'est  cependant  pas  général.  Où  l'on  ne  sonne  qu'une  cloche, 
c'est  la  grande  pour  un  garçon,  la  seconde  pour  une  fille.  Pour 
un  enfant  illégitime,  on  sonne  la  petite,  appelée  la  cloche 
d'amour  (B  Ajoie).  Généralement,  les  bâtards  sont  baptisés  à 
la  tombée  de  la  nuit,  sans  sonnerie.  En  Anniviers,  on  donne 
trois  coups  de  cloche  pour  un  garçon,  deux  pour  une  fille. 
Dans  la  Broyé,  la  sonnerie  est  exécutée  par  des  enfants,  qui  en 
sont  rétribués  en  menue  monnaie  par  les  parrains. 

L'usage  de  tirer  des  coups  de  feu  (mortiers)  est  devenu 
fort  rare;  il  ne  s'est  guère  conservé  que  dans  les  cantons  de 
Fribourg  et  de  Berne  et  y  est  déjà  très  limité.  En  général,  c'est 
le  parrain  qui  fait  les  frais  de  la  poudre. 

Le  reste  de  la  journée  se  passe  en  promenades,  repas  et 
chansons.  Là  où  l'on  baptise  tôt  après  la  naissance,  les  choses 
se  font  assez  simplement.  En  pays  protestant,  les  repas  sont 
souvent  aussi  plantureux  que  les  moyens  le  permettent,  même 
au  delà.  Les  pâtisseries  de  fête  et  les  mets  du  pays  (la  raclette 
en  Valais)  y  jouent  un  grand  rôle.  Et  le  vin  surtout.  A  Plagne 


LA   TRILOGIE   DE   LA  VIE  !$ 

(B),  le  repas  de  baptême  porte  le  nom  de  r'ke  ou  kcèke,  voir 
sous  ces  mots, 

8,  Nous  n'avons  pu  recueillir  que  très  peu  de  superstitions 
au  sujet  du  baptême.  Pendant  le  trajet  de  la  maison  à  l'église, 
on  recommandait  aux  parrains  de  ne  pas  se  retourner,  cela  fait 
loucher  les  enfants  (Vd  Blonay,  Odift),  et  de  suivre  la  route 
ordinaire,  sans  prendre  de  raccourcis,  sinon  l'enfant  aurait 
des  tendances  à  devenir  voleur.  Il  fallait  porter  le  berceau  de 
façon  que  les  pieds  soient  en  avant  et  la  tête  en  arrière.  Les 
enfants  mort-nés  étaient  portés  à  la  chapelle  de  Saint-Etienne, 
près  Montagnier  (Bagnes),  dans  l'espérance  vaine  que  le  cadavre 
donnerait  un  signe  de  vie,  afin  qu'on  pût  le  baptiser.  Une 
légende  concernant  des  jumeaux  illégitimes  a  été  publiée  par 
M.  Gabbud  dans  les  Sagen  ans  dem  Unterwallis,  de  M.  Jeger- 
lehner  (Bâle,  1909,  p.  159).  Si  un  enfant  pleure  pendant  la 
cérémonie  du  baptême,  il  deviendra  un  bon  chanteur.  Avant 
le  baptême,  on  ne  séchera  pas  les  langes  en  plein  air,  mais 
dans  l'intérieur  de  la  maison  ;  la  mère  ne  sortira  pas  non  plus 
avant  le  baptême.  Si  elle  doit  absolument  le  faire,  elle  aura 
soin  de  se  couvrir  la  tête  d'un  bout  de  planche  ou  d'un  bar- 
deau (B  Plagne). 

Les  mots  patois  pour  /o/i/ s  baptismaux  et  acte  de  baptême 
sont  indiqués  sous  fon  et  batistçro. 

Batèyi,  v.  a.  baptiser. 

batèyî  (Vd  Plaine  du  Rhône),  batcyê  (Vd  Le  Chenit),  batayi 
(V  Val-d'Illiez,  -jv/,  Vionnaz),  batèyt  (V  Salvan,  Bagne,  Isé- 
rables,  Mage,  aussi  batsyè),  batèè  (V  Savièse,  Evolène),  badié 
(V  Grimentz),  batayi  —  batyi  (G),  bètèyi  (N  Cerneux-Péq.), 
batayid  ou  batèyi?  (B,  isolément  batoèyi?). 

3<=  p.  ind.  prés,  batîè  (V  Savièse,  Isérables),  batèè  (V  Evo- 
lène), badié  (V  Grimentz).  Part.  p.  identique  à  l'inf.,  sauf  en 
Valais  et  à  Genève  :  batèya,  batèa,  badya. 

Batèè  b  vin,  ajouter  de  l'eau  au  vin  (V  Savièse).  E  iïou 
bad^ya,  es-tu  baptisé,  c'est-à-dire  un  homme  raisonnable  (V 


i6  L.  G  AU  CHAT 

Grimentz)?  ouna  bed^  batèyay^,  une  bête  baptisée,  un  sot  (V). 
L'è-i^  avouk  bu'&ya,  il  a  été  b.  =  il  a  reçu  une  forte  réprimande 
(V  Grimentz).  Sofi  tyué  bat'eya  dou  yâdzo.,  ils  sont  tous  b.  deux 
fois,  c'est-à-dire  ils  ont  tous  des  sobriquets  (Courthion,  Voc. 
bagnard).  1 1  an  batèya  aouc  dd  Vedy'  trçblya,  ils  l'ont  baptisé 
avec  de  l'eau  trouble,  de  quelqu'un  qui  est  borné,  simple  (G 
Hermance).  Tiain  â  ce  que  vos  pensay  le  faire  batayïe  {Ermits 
Cote  de  Mai,  p.  62),  quand  est-ce  que.... 
Hist.  et  syn.  voir  sous  bâtsï. 

Bâtsi,  V.  a.  et  s.  m.  baptiser,  baptême. 

batsî,  aussi  bâl si  {ioni  Vd,  F  Broyé),  baichi  {F  Gruyère,  N). 
betsî  (Henchoz,  Rossinière,  forme  douteuse),  3^  p.  prés.  ind. 
batsè  (Vd),  bÔtsè  (F  Estavayer),  batch^  (N);  p.  p.  =  inf. 

I.  Verbe.  1.  Administrer  le  sacrement  du  baptême. 

2.  présenter  au  baptême.  3.   donner  un  nom  ou  sur-. 
nom  à;    \.    mélanger    de    l'eau   à    du    vin,    à    du    lait; 
5.  mettre    un    prix   à   qch.  dans    une   vente    aux    en- 
chères. 

II.  Substantif.     1.    baptême;    2.    repas   de    baptême; 

3.  ensemble  de  personnes  qui  y  assistent.  Moratel 
{Fiches)  indique  encore  le  sens  :  espèce  de  tavaïolle,  que  nous 
n'avons  pas  retrouvé  dans  les  patois  actuels.  Voir  les  termes 
pour  tavaïolle  sous  batema,  6. 

I.  1.  Lo  menistrè  batsà  lo  gosse,  le  pasteur  baptisa  le  gar- 
çon {Cont.  vaud.  1883,  n°  43).  Pr.  Kan  V infant  l'est  batzi,  le 
parin  fnankont  pâ  {Lien  vaud.  1905,  18).  2.  fr.  pop.  «  qui  est- 
ce  qui  baptise.^»,  en  parlant  du  père  qui  présente  son  enfant 
pour  le  faire  baptiser  (Péter,  CacoL).  3.  Bat  si  on  véi,  donner 
un  petit  nom  à  un  veau  (Vd  Blonay,  Odin).  Ly-a  mé  de  dzin 
fou  tiè  dè-j-âno  batchi,  il  y  a  plus  de  fous  que  d'ânes  baptisés 
{Tobi  di-J-clyudzo,  p.  210).  4.  Batsî  dao  lasi  (Vd  Monthe- 
rond).  5.  Vuèrou  h  bâtsè-dou,  combien  en  offres-tu?  (F 
Broyé). 


Keioiir   de   haptêitie   à   Saviése   (\';ilMis). 

|.,,.,,,„  ,.    .).■    U   '   .,„l.:,l.........i. 


LA    TRILOGIE   DE   LA   VIE  17 

11.  Alci  a  batsi,  aWtr  «  à  baptême  »,  en  qualité  de  parrain  ou 
de  marraine  (Vd  Odin).  Pr.  Kan  on  va  à  noce  \  LHn  cote\\ 
A  batzi  \  Onco  pi^  quand  on  va  a  noces,  il  en  coûte  ;  à  un  bap- 
tême, encore  plus  {Lien  vaud.  1904,  13),  donné  par  M™^  Odin 
sous  cette  forme  :  a  nb{}è  \  On  va  a  se  kgxVe  \  A  batsi  \  Onkb  mi, 
à  noces,  on  va  à  ses  frais  ;  à  un  baptême  d'autant  plus,  c'est-à- 
dire  que  la  responsabilité  est  encore  plus  grande  dans  le  der- 
nier cas.  Pr.  Apri  h  batsi  pra  parin,  après  le  baptême,  assez 
[de]  parrains  (F  Broyé,  cf.  la  forme  donnée  sous  I,  I). 
2.  JSTan  min  fé  de  batzi  (Dumur,  Voc),  ils  n'ont  pas  fait  de 
repas  de  baptême,  se  dit  si  les  parents  se  sont  bornés  à  l'ac- 
complissement de  la  cérémonie  religieuse.  L'han  fé  on  batzi\ 
On  batzi  dé  tzein,  ils  ont  fait  un  repas  de  baptême  de  chien 
•(dégoûtant),  Rec.  Corbaz,  p.  171.  3.  On  bî  batzi,  un  beau  cor- 
tège de  b.  (Vd). 

Ilisl.  L'emploi  comme  subst.  est  secondaire.  C'est  l'inf.  ou 
le  part.  p.  substantifié,  cf.  intèrâ  pour  enterrement.  Le  verbe  est 
tiré  du  grec  ^xktîI^hv,  baptiser,  répandu  par  le  culte.  Le  suffixe 
-t'Çsw,  lat.  pop.  -idiare  est  rendu  phonétiquement  dans  les 
formes  baptoier  du  vieux  français,  batéja  du  provençal  mo- 
derne et  notre  bateyî.  Ce  type  représente  par  conséquent  la 
<:ouche  la  plus  ancienne.  Il  est  exclusivement  employé  dans 
les  cantons  du  Valais,  de  Genève  et  de  Berne  ;  traces  isolées 
dans  ceux  de  Vaud  et  Neuchâtel.  Il  appartenait  autrefois  à 
tout  le  Midi  de  la  France,  voir  la  carte  1454  B  de  V Atlas  ling. 
La  forme  de  Grimentz  fait  seule  difficulté  ;  elle  s'explique 
sans  doute  par  quelque  contamination.  Quant  au  type  batsî., 
on  pourrait  le  tirer  de  *bapticare,  mais  cette  formation  n'est 
pas  suffisamment  attestée,  de  sorte  qu'il  vaut  mieux  y  voir  une 
ancienne  adaptation  du  mot  vieux-français  baptisier  (formation 
plus  savante  que  baptoier).  Il  appartient  exclusivement  aux 
cantons  de  Vaud,  Fribourg  et  Neuchâtel.  La  dérivation  pro- 
posée est  confirmée  par  l'emploi  du  mot  fr.  baptisé  pour  bap- 
tême en  fr.  pop.  et  par  l'introduction  récente  de  la  forme  mo- 
derne baptiser  dans  nos  patois.  «  Inviter  à  un  baptisé,  il  y  a 


l8  L.    GAUCHAT 

un  baptisé  à  trois  heures  »  (Grangier)  ;  «  j'assistai  hier  au  bap- 
tisé de  cet  enfant  »  (Péter,  CacoL),  cf.  Bonhôte,  sous  baptiser. 
«  Ne  laissant  guère  de  festins  sans  y  aller,  surtout  es  baptisés 
d'enfants  »  (J.  Olivier,  Ca?tton  de  Vaud,t.ll,  XC,  cf.  LXXXIX). 
Bâtizï,  V.  (Vd  Ormont-dessus),  bat^zi,  v.  et  s.  (Vd  Leysin), 
batizâ,  V.  (V  Leytron).  batijé,  v.  (V  Liddes),  bdtizi,  v.  (G 
Bernex),  batizi?,  v.  (B  Boncourt).  Cf.  les  emplois  de  ce  mot 
cités  sous  batçm^,  5.  Le  sens  I,  5  existe  aussi  en  provençal 
mod.,  cf.  Mistral,  Trésor  :  batéja,  mettre  le  prix  à  une  chose 
qui  doit  être  vendue  à  l'encan. 


La  batchi  de  la  Grandza  dou  dyimo. 


I 

A  la  Grand^9  dou  dyïmo, 
Vb  b  chedè  bin, 
Refr. 
Vb  vb  vb  vb  h  chedè  bin, 
Vb  vb  vb  h  chedè  bin. 

II 
Ly  an  trbvâ  ouna  filyd 
Ka  h  bè  tan  prin. 

III 
Ly  an  prèy  pb  koiipârp 
Lp  kurya°^  Dandin  ; 

IV 
Ly  an  prèy  pb  koumârp 
La  tanta  Katin. 

V 
Ly  an  porta  batchi 
Dpmind:(9  matin. 


VI 

Ly  an  fi  boima  tsîra 
D'on  vintro  de  tsiii, 

VII 
D'ouna  tid-a  d'ano 
Kuèytd  in-n  on  tonpin, 

VIII 
D'ouna  rpnalyp  vèrda 
Frpkacha  tan  bin. 

IX 
Ma  ly  a  Vonxb'o  D^âtyè- 
Kp  ch'è  trbvâ  plyin  ; 

X 
Dpdin  cha  fatyèta 
Ily  a  ft  le  tsin  ; 

XI 
Bâ  pa  la  karèta, 
Pa  chu  le  vèjin. 


Chanson  pop.  parodiste  souvent  reproduite  1,  voir  Bibliogr.^ 
Index.  Donnée  ici  sous  la  forme  notée  par  M.  Cornu,  à  Epagny 

1  En  dernière  ligne  dans  le  volume  Po  recajâ  (Lausanne,  Payot,, 
1910),  p.  214. 


LA    TRILOGIE    DE   LA   VIE 


19 


(Gruyère).  Air  dans  la  Gruyère  ill.  IV-V,  p.  59.  Trad.  :  Le 
baptême  de  la  grange  du  dîraeur.  I.  A  la  grange  du  dîmeur, 
vous  le  savez  bien,  refr.  II.  Ils  ont  trouvé  une  fille  qui  a  «  le 
bec  »  si  petit.  III.  Ils  ont  pris  pour  compère  le  notaire  Dandin. 
IV.  Ils  ont  pris  pour  commère  la  tante  Catin.  V.  Ils  ont  porté 
baptiser  dimanche  matin.  VI.  Ils  ont  fait  bonne  chère  d'un 
ventre  de  chien,  VII.  D'une  tête  d'âne  cuite  dans  un  pot  de 
terre,  VIII.  D'une  grenouille  verte  fricassée  si  bien.  IX.  Mais  il 
y  a  l'oncle  Jacques  qui  s'est  trouvé  plein;  X.  Dans  sa  poche 
de  gilet  il  a  fait  les  chiens  (vomi);  XI.  Sur  les  marches  du 
poêle,  par  dessus  les  voisins. 


Coin  inférieur  d'un  lapis  de  baptême  employé  à  Lexsin  (Vaud) 
depuis  une  centaine  d'années. 


TEXTES 

-♦- 

I.  La  tabœo". 

Conte  populaire  en  patois  d'Orsières  (Valais)'. 

On  d:(è  dp  fair'^,  na  niîr^  Vavé  de  a  son  boubo  hè  yé 
Valav^  a  la  fair'^  pbr  adapté  on  tsdvô,  e  l'ave  de  u  bcubo  dp 
nidné  la  bonpya  e  dd  metr^  din  V  et  chef o  tb  sin  ky  ër^  dp  nyè 
din  la  barak.  Kan  la  mîr^  Vè  jua  via,  h  boubo  l'a  atplô 
l'âno  è  l'a  fbtn  din  l'ètchéfo   tb  sin  kd  l'a  irbvô  dp  nyè  :  U 

Le  benêt. 

Un  jour  de  foire,  une  mère  avait  dit  à  son  garçon  qu'elle 
allait  à  la  foire  pour  acheter  un  cheval,  et  elle  avait  dit  au 
garçon  de  «  mener  »  la  lessive  et  de  mettre  dans  le  cuvier  tout 
ce  qu'il  y  avait  de  sale  {litt.  de  noir)  dans  la  maison.  Quand 
la  mère  a  été  partie,  le  garçon  a  attelé  l'âne  et  a  mis  dans  le 


^  Recueilli  à  Orsières  en  1896.  Les  aventures  burlesques  du  garçon 
simple  d'esprit,  qui  interprète  toujours  d'une  façon  stupide  les  ordres 
et  les  recommandations  de  sa  mère,  sont  un  des  thèmes  populaires 
traditionnels  les  plus  répandus  et  se  retrouvent  presque  identiques  d'un 
bout  à  l'autre  de  la  France.  La  Suisse  romande  ne  les  ignore  pas  non 
plus.  En  dehors  de  notre  version,  qui,  malgré  le  peu  de  talent  du 
conteur,  reproduit  assez  fidèlement  les  épisodes  liabituels  du  récit,  on 
trouvera  deux  autres  rédactions  valaisannes  dans  la  collection  de 
M.  Jegerlehner,  Sagen  ans  dem  Unterwallis  (Bâle,  1909),  l'une  de  Salvan : 
Les  tribulations  de  Tampagnon  (p.  30-34),  l'autre,  très  sommaire,  de 
Bourg-Saint-Pierre:  Der  dumme  Sohn  (p.  83-84).  Nous  avons  entendu 
le  même  conte,  avec  des  variantes,  à  Evolène.  Sous  la  signature  de 
Pierre  d'Antan,  le  Papillon  du  50  septembre  1903,  p.  154-155,  a  aussi 
publié  une  version  en  français  populaire  vaudois  :  Le  dadou  des  Ornionts. 
A  comparer  également  un  texte  engadinois  recueilli  par  G.  Barblan,  et 
intitulé /a^«a«  Sclmmbocker,  dans  les  Annalas  délia  Socicta  reto-romantscha, 
XXIV  (1909),  p.  287-292. 


LH    TABŒO"  21 

tsè°'*dair^,  li  inarmit'^,  U  koupmâfouo,  è  Va  prbm9nô  son-n 
âno  tb  h  d^œ  pè  h  vplâdio  par  kè  krèyé  kè  l'êr'^  déns^  k'on 
niMâv^  la  bonpya.  Kaii  l'è  vpiiu  a  myèd:^œ,  l'avé  fan,  è  l'a 
valu  fîr  on.na  bona  scûy^  ;  Va  mèUi  Vân  ii  bè°"  è  y  a  baya 
on  pa'  dp  fin  è  Vè  tbrnô  ina  pb  ftr^  son  dpné.  L'a  mètii  su 
h  foiia  on.na  pila  è  dp  balro  dpdin,  è  poua*  Vè  parla*  bâ  a 
la  kâva  poiip  tchèrlché  on  tchnr  dp  vén.  Kan  Va  jii  la  meiya 
du  dpmi  litr  dy  vén,  s'è  tbrnô  msœvèni  kè  Vavé  lâcha  Ip  bâlro 
su  Ip  foua.  L'a  plakô  dp  trfr'^  Ip  vé)i  è  Vè  venu  vif  ver«  Ip 
bcUro,  SB  se  bourlàv^  pa,  è  Va  lâcha  la  dyidèta  uverta.  Kan 
Va  ju  yu  hp  Ip  bâlro  Ver^  fo  bourlô,  Vè  tbrnô  ponblé  ba  a  la 
kâva,  è  Ip  vén  Vè  ju  tb  fœ°"ra  du  bbsé.  A  don  savé  pa  kbmin 
ffr^  poup  fîr^  sètché  Ip  vén  è  h  fîr^  parti  dp  la  kâva.  L'avé 
0)1. na  kbvfr'^  è  dè:^'^  poud~én,  è  Va  pinsô  k'in  mètin  on  sa  d^ 
kourts  è  dp  farpna  prpmyé,  la  kbvô  Varé  prœ<"*  tb  nièdjya. 

cuvier  tout  ce  qu'il  a  trouvé  de  noir  :  les  chaudières,  les  mar- 
mites, la  crémaillère,  et  il  a  promené  son  âne  tout  le  jour  par 
le  village,  parce  qu'il  croyait  que  c'était  ainsi  qu'on  «  menait  »- 
la  lessive.  Quand  midi  est  arrivé,  il  avait  faim  et  il  a  voulu 
faire  un  bon  repas;  il  a  mis  l'âne  à  l'étable  et  il  lui  a  donné  un 
peu  {litt.  un  poil)  de  foin  et  il  est  retourné  en  haut  pour  faire 
son  dîner.  Il  a  mis  sur  le  feu  une  poêle  et  du  beurre  dedans, 
et  puis  il  est  descendu  à  la  cave  pour  chercher  une  goutte  de 
vin.  Quand  il  a  eu  la  moitié  du  demi-litre  de  vin,  il  s'est  sou- 
venu qu'il  avait  laissé  le  beurre  sur  le  feu.  Il  a  arrêté  de  tirer 
le  vin  et  est  vite  venu  voir  le  beurre,  s'il  ne  brûlait  pas,  et  il  a 
laissé  ouvert  le  robinet  du  tonneau.  Quand  il  a  eu  vu  que  le 
beurre  était  tout  brûlé,  il  est  redescendu  au  galop  à  la  cave,  et 
le  vin  était  tout  sorti  du  tonneau.  Alors  il  ne  savait  pas  com- 
ment faire  pour  faire  sécher  le  vin  et  le  faire  disparaître  de  la 
cave.  Il  avait  une  poule  couveuse  et  douze  poussins,  et  il  a 
pensé  qu'en  répandant  dans  le  vin  (////.  en  mettant  parmi)  un 
sac   de  son  et  de  farine,  la  couvée  mangerait  bien  tout.  Il  est 


2  2  J.  JEANJAQUET 

L'e  poiia'  alô  lyéri  la  kbvô,  nii  l'an  pa  vblii  iiièiijyê.  Adoii  y 
è  vpnii.  tan  rad;^»  kp  l'a  de  :  «  D'aboiio  h  vb  vola^  pa  luèdjyé, 
kà°'*vèrai  prè^"  yo  »,  è  s'è  chèiô  su  la  kbvô  è  l'a  inmètyèlô 
li  poud/^èn.  Kan  la  uiîr'^  l'è  jua  dp  rètô  è  kè  l'a  ju  yii  la 
kbvô  ininètyèlay^,  y  a  de  ■'  «  Bâ°^*gro  dp  fou,  tp  sa  vin  ffrK 
Etèra'  prœ°'^  yb  a  iné:^on,  è  tœ,  t'îri  a  la  faire.  » 

Lp  prpmyé  dplon,  Va  poua*  in.oupya  h  boubo  a  la  fair^  pbr 
ad:(Pté  dé-:^  aotipd^.  Kan  rintrâv^  h  niïmo  ni,  koiimin  y  ër^  on 
grô  trœ,  l'a  volii  se  rppb:{è  din  on.na  grand^,  è  kouinin  //-^ 
aoupd^  l'inbarasav^",  //-;{;  a  fblyiiè  din  lp  fin.  Kan  l'a  volu 
tbrné  parti,  lp  niatcn,  l'a  pa  pbclm  trœvé  li-:^  aonpd'^  è  l'è 
iiô  iiblidja  dp  parti  déns^.  Kan  l'è  arpvô  a  la  barak,  la  inîr^ 
l'a  tsénkanya  lœ^  è  y  a  de  :  «  Savé  tœ  pa  pèdé  li-^  aoiwd^  din 

donc  allé  quérir  la  couvée,  mais  ils  [les  poussins]  n'ont  pas 
voulu  manger.  Alors  il  s'est  tellement  fâché  qu'il  a  dit  : 
«  Puisque  vous  ne  voulez  pas  manger,  je  couverai  bien  moi- 
même  »,  et  il  s'est  assis  sur  la  couvée  et  a  écrasé  les  poussins. 
Quand  la  mère  a  été  de  retour,  et  qu'elle  a  vu  la  couvée 
écrasée,  elle  a  dit  au  garçon  :  «  Bougre  de  fou,  tu  ne  sais  rien 
faire.  C'est  moi  qui  resterai  à  la  maison,  et  toi,  tu  iras  à  la 
foire.  » 

Le  lundi  suivant  {litt.  le  premier  1.),  elle  a  donc  envoyé  le 
garçon  à  la  foire  pour  acheter  des  aiguilles.  Quand  il  rentrait 
le  même  soir,  comme  il  y  avait  un  grand  bout  [de  chemin], 
il  a  voulu  se  reposer  dans  une  grange,  et  comme  les  aiguilles 
l'embarrassaient,  il  les  a  jetées  dans  le  foin.  Quand  il  a  voulu 
se  remettre  en  route,  le  matin,  il  n'a  pas  pu  trouver  les  aiguilles 
et  il  a  été  obligé  de  partir  ainsi.  Quand  il  est  arrivé  à  la  mai- 


*  Litt.  «  l'a  grondé  h  ».  Cette  répétition  du  pronom  régime  après  le 
participe,  qui  revient  encore  une  fois  plus  loin  dans  notre  texte,  est 
exceptionnelle  en  Valais.  C'est  une  particularité  par  laquelle  le  patois 
de  l'Entremoiit  trahit  le  voisinage  des  dialectes  piémontais,  où  on  sait 
qu'elle  est  de  règle. 


La   TABŒOU  23 

//'  mand:(^  ?  L9  matén,  tœ  li-i  are  trœvi.  Inféii,  t'aré  dyu 
myœ°^  fir^  kè  sin,  din  tytiè  li  ka.  Dplon  kè  vcii,  tp  làrnpri 
on.n  âtra  yâd^  a  la  fair^  è  t'ad^ètpri  on.na  trin.  »  Lp  boubo 
l'a  fi  sin  kè  y  ér^  kàmatidô  è  a  ad:;^plô  oti.iia  bêla  Iriii.  L'a 
vblu  se  tbrné  rppo:{é  din  la  mîma  grand:;^ ,  mi  sén  hou  l'a  valu 
fîf^  sin  kè  la  mîr'^  y  avé  koinandô  l'âtrp  kou.  L'a  poiia'  sar- 
ta*  la  trin  din  li  inand;;^,  è,  prœ°"  chnîr^,  son  jiiè  totè  parque. 
L'è  arpvô  kan  ninno  a  nié:(on  h  Vunipinan,  è  la  i/ifr'^  l'a  ko 
Iscnkaiiya  niî  k.y  h  prpnii  di  kou  yi  dp~in  :  v  Arc  tœ  pa  pbcbu 
kbpé  on  mand:^  è  perte  la  trin  su  l'épâla  ?  L'i  poua'  èlèvô 
on  grô  tabœ°'*  !  Tçrna  èprœvé  kb  on  yâd:^^  d'alé  a  la  fair^  e 
tp  m'ad::etpri  on  kayon.  »  Lp  boubo  l'a  ad^Ptô  on  jbli  pptyoïi 
kaypni  poup  on~p  fran,  l'a  poua'  kbpô  on  )}iand:^,  kouiiiin  y 
avé  de  la  mîr'^,  è,pb  pbva'  porté  lp  kayon,  y  a  sarta'  lp  mand^ 
u  kou  è  l'a  porto  déns'^  tink'a  mé^on.  L'a  pa  mankô,  lp  kayon 

son,  la  mère  l'a  grondé  et  lui  a  dit  :  «  Ne  pouvais-tu  pas  piquer 
les  aiguilles  dans  ton  habit?  Le  matin,  tu  les  aurais  trouvées. 
Enfin,  tu  aurais  dû  mieux  faire  que  ça,  dans  tous  les  cas.  Lundi 
prochain,  tu  retourneras  à  la  foire  et  tu  achèteras  un  trident.  » 
Le  garçon  a  fait  ce  qui  lui  était  commandé  et  a  acheté  un  beau 
trident.  Il  a  voulu  retourner  se  reposer  dans  la  même  grange, 
mais  cette  fois  il  a  voulu  faire  ce  que  la  mère  lui  avait  recom- 
mandé la  dernière  fois.  Il  a  donc  planté  le  trident  dans  l'habit, 
et,  naturellement  {litt.  bien  sûr),  celui-ci  a  été  tout  percé. 
Il  est  arrivé  quand  même  à  la  maison  le  lendemain,  et  la  mère 
l'a  encore  grondé  davantage  que  la  première  fois,  lui  disant  : 
«  N'aurais-tu  pas  pu  couper  un  manche  et  porter  le  trident  sur 
l'épaule?  J'ai  donc  élevé  un  gros  benêt  !  Essaie  encore  une  fois 
d'aller  à  la  foire  et  tu  m'achèteras  un  cochon  »  Le  garçon  a 
acheté  un  joli  petit  porcelet  pour  onze  francs,  il  a  donc  coupé 
un  manche  comme  sa  mère  le  lui  avait  dit,  et,  pour  pouvoir 
porter  le  cochon,  il  lui  a  enfoncé  le  manche  dans  le  derrière  et 
l'a  porté  ainsi   jusqu'à  la  maison.   Cela   n'a   pas   manqué,   le 


24  J-  JEANJAQ.UET 

Ver'^  oiierba  krapô  han  l'è  ar9vô.  La  fnj/^  l'a  tsénkanya  lœ 
on-n  âtrd  yàd:^  e  y  a  de  kg  p°"b  h  darai  yâd:^  Valâv^  èprœvé 
dp  b  fîr^  torné  a  la  fair'^  par  ad^^plé  on.na  tsè°"dairK  Lp 
houbo  Vè  prà^**  alô  è  l'a  prœ^'*  ad^plô  na  bêla  tsœ°'*dair^,  ouà 
mi  u  yiia  dp  la  pbrlè,  a  ad:{Ptô  on  kordi  è  l'a  trênây^  tjnkè 
a  mé\Oii.  La  tsœ°^dair^  l'è  jua  tota  pai'Xç  è  la  mîr\  sén  kou, 
y  a  fbtu  on.na  tinbarlô  è  l'a  pa  mi  in.oupya  a  la  fair^. 

cochon  était  crevé  depuis  longtemps  quand  il  est  arrivé.  La 
mère  l'a  grondé  de  nouveau  et  lui  a  dit  que  pour  la  dernière 
fois  elle  essayerait  de  le  faire  retourner  à  la  foire  pour  acheter 
une  chaudière.  Le  garçon  est  bien  allé  et  a  bien  acheté  une 
belle  chaudière,  oui  mais  au  lieu  de  la  porter,  il  a  acheté  une 
cordelette  et  l'a  traînée  jusqu'à  la  maison.  La  chaudière  a  été 
toute  percée  et  la  mère,  cette  fois,  a  flanqué  une  rossée  à  son 
garçon  et  ne  l'a  plus  envoyé  à  la  foire. 

J.    JEANJAQ.UET. 


II.    Le    duvè   lâvrè   e    la   pèdzè. 

Anecdote    ex   patois   de   Vaugondry   (Vaud). 

Me  fyo  bin  kp  va  n'a  pâ  ^œ  :(u  ^  konyu  Abran  Dagon  dà 
Tsan-Rptsâ  (Abran  V abondansè  k'on  l'avà  bâtsî).  L  alàvè 
kokè  yâd^o  a  l'akrppya'^,  e  l'in  koniâvè  dà  totè  rade,  témouin 
chta-^-isè  :  On  devèloné^  de  chtu  deràlin^  pasâ,  kp  n'avi  ta 

Les  deux  lièvres  et  la  poix. 

Je  pense  [je  me  fie  bien]  que  vous  n'avez  pas  connu  Abram 
Dagon  des  Champs-Richard  (Abram  l'Abondance  comme  on 
l'avait  surnommé).  Il  allait  quelquefois  à  l'affût  [du  lièvre],  et 
il  en  contait  de  très  (toutes)  raides,  témoin  celle-ci  :  Un  soir  de 


LE  DUVE  LAVRE  E  LA  PÇDZE  2$ 

rpdii^  (s' et  à  aprî  la  Sin- Martin),  ne  volyi  iyâ  lo  hayon  h 
lindeman  ;  no  falyà  dao  salpitro,  kokè-^  espiso  et  de  la  pèd:(è. 
M'in  vé  a  On.nin  po  sin  tsertsî  tsî  rElçnè.  Rechtari''^'  pptitrè 
en  œra  a  barè  demi  po  avoué  Loni  ao  jardinyé,  tsî  Ronyon, 
epoiii  m'in  rpvmyo  amon.  Kan  fouir i^  din  lo  boû,  in-desu  de 
la  Kodrèta,  véyo  to  por  on  koù  na  làvra  h  dechindà  avo  lo 
tsemin.  «  Te  raod:{à  pfrè  »,  kp  me  sond^^o  "^ ,  «  te  nâ  pà  ton 
fu:(i,  pâ  pîr  on  bâton,  ke  fo-t  e  j'ere  ?  »  La  làvra  venyà  adï. 
Kan  le  foup  to  prî  de  me.  plyaf  !  lyà  foto  nia  pèd^è  pe  lo 
mouèti.  E  ne  Vé  pâ  mankâyp.  Y'alâvo  l'apouènyî  tindu  h  le 
tsertsîvè  de  se  deped:{asî^  avoué  le  pî  devan^.  Mé  in  vouàtsé 
en  otra  hp  venyà  amon  lo  tsemin,  vantratarp  ;  le  rinkontrè 
Voira  nâ  a  nâ,  e  ma  fa!  le  se  son  apedjè^^  t  le-^  é  ^ve  le 
duvè. 

l'automne  passé,  que  nous  avions  tout  réduit  [terminé  les  tra- 
vaux de  la  campagne],  (c'était  après  la  Saint-Martin),  nous 
voulions  tuer  le  porc  le  lendemain;  il  nous  fallait  du  salpêtre^ 
quelques  épices  et  de  la  poix.  [Je]  m'en  vais  à  Onnens  pour 
«  cela  chercher  »  chez  l'Hélène.  [Je]  restai  peut-être  une  heure 
à  boire  [un]  demi-pot  avec  Louis  au  jardinier,  chez  Rognon, 
et  puis  [je]  m'en  reviens  «en-haut».  Quand  [je]  fus  dans  le 
bois,  en-dessus  de  la  Coudrette,  [je]  vois  «  tout  pour  un  coup  » 
un  lièvre  qui  descendait  «  en  bas  »  le  chemin.  «  Te  ronge  seu- 
lement [le  diable  t'emporte]  »,  que  je  pense,  «  tu  n'as  pas  ton 
fusil,  pas  même  un  bâton,  que  faut-il  faire  ?  »  Le  lièvre  venait 
toujours.  Quand  il  fut  tout  près  de  moi,  paf  !  [je]  lui  lance  la 
poix  «  par  »  le  museau.  Et  [je]  ne  l'ai  pas  manqué.  J'allais 
l'empoigner  pendant  qu'il  cherchait  à  se  dépêtrer  avec  les 
pieds  [de]  devant,  ^lais  en  voici  un  autre  qui  «  venait  en  haut  » 
le  chemin,  ventre  à  terre  ;  il  rencontra  l'autre  nez-à-nez,  et  ma 
foi  !  ils  se  sont  collés  l'un  à  l'autre  et  je  les  ai  eus  tous  les  deux. 


26  s.    GANDEK 


NOTES 


1.  Passé  surcomposé,  cf.  a-vo  i{é  Z"  '^"  "  aférè  dise  =  avez-vous 
«  eu  eu  vu  »  une  affaire  «  ainsi  »  r=  jamais  vu....  ;  à-vo  \é  ^u  medj^ï 
de  la  tsè  de  tsevô  =  avez-vous  jamais  mangé  de  la  viande  de  cheval? 
Dans  d'autres  parties  du  canton  on  prononce  zao  :(u. 

2.  Litt.  à  l'accroupie. 

3.  Litt.  de  vers  le  miit.  Le  patois  distingue  entre  h  né  =:  le  soir  et 
la  né  =z  la  nuit.  Le  «  devers  le  nuit  »  indique  la  tombée  de  la  nuit. 

4.  Litt.  dernier-temps  ou  derrière-temps,  les  expressions  dernier  et  der- 
rière se  confondant  en  patois. 

5.  Réduire  prend  chez  nous  le  sens  de  mettre  à  couvert,  engranger, 
etc. 

6.  Curieux  restes  du  passé  défini  :  ce  devaient  être  à  l'origine  des 
premières  personnes  du  pluriel.  Avant  la  perte  totale  d'un  temps,  cer- 
taines personnes,  mieux  gravées  dans  la  mémoire  que  d'autres,  en 
prennent  les  fonctions  pendant  un  temps  restreint. 

7.  Litt.  songe. 

8.  Tiré  àe pèd\è,  poix,  au  moyen  du  suffixe  -asT  =  -aceare. 

9.  «  Les  pieds  devant  »,  comme  derrière  s'est  confondu  avec  dernier, 
voir  plus  haut  note  4,  dei'ant  fonctionne  également  comme  adjectif. 

10.  L'infinitif  est  apéd^T .  «  adpidicaré  »,  de  *pidicus  pour 
picidus,  poisseux;  le  part,  passé  masc.  est  apèdjj,  le  fém.  apèdja 
pour  un  ancien  *apèd^ya,  au  pluriel  apèdjè  pour  *apédj^é. 

S.  Gander. 


ETYMOLOGIE 

— î— 

Suisse  rom.  cetoiir,   «cellier». 

II  existe  dans  le  Bas-Valais,  les  Alpes  vaudoises,  la  Gruyère 
et  la  région  de  la  Haute-Broye  un  terme  patois  qu'on  peut 
franciser  en  cetoiir  et  dont  la  signification  générale  correspond 
à  celle  du  français  «  cellier  ».  La  forme  du  mot  varie  beaucoup 
suivant  les  patois.  Hunziker,  Das  Schweîzerhaus,i.\,\).  191,  et 
t.  IV,  p.  127,  indique  pour  le  Valais,  Vaud  et  Fribourg  les 
variantes  fartô    (Saint-Maurice),   i}artô  (Daviaz,   Bas-Serre), 


ETYMOLOGIE  27 

•^ertp  (Vérossaz),  ê^eto  (Salvan),  feto  (Finhaut,  C'ollonges), 
??«'/(«' (Champéry),  ?^é'/'ç(Gryon),  j^//r  (Diablerets),/*?/"^  (Lavey), 
fetô  {Posses),/re fou  (Palézieux),  fetoua  (Ecublens.  Vauderens). 
Plusieurs  de  ces  formes  demanderaient  à  être  contrôlées.  Nos 
correspondants  ont  noté  pour  le  Valais_/"/V<)(Martigny-Combes), 
X<^^iO  (Vérossaz),  ;|^/ft'/a'  (Champéry),  et  {htoua  en  Gruyère. 
V Atlas  linguistique  de  Gilliéron,  carte  203  (cave),  enregistre 
seulement  sçrtd  au  point  969  (  L'Rtivaz,  Vaud).  La  signification 
diffère  aussi  quelque  peu  suivant  les  régions.  En  Valais,  le 
retour  est  un  local  non  éclairé,  occupant  la  partie  inférieure 
de  l'habitation,  au  niveau  du  sol,  dans  lequel  on  conserve  la 
provision  de  vin  et  de  fromage,  et  qui  sert  aussi  de  réduit  pour 
•différents  outils  et  ustensiles.  Dans  le  canton  de  Fribourg,  c'est 
l'idée  de  garde-manger  qui  prévaut.  Bornet,  dans  son  vocabu- 
laire gruyérien  (^manuscrit),  explique  ■ijetoua  py  «  cellier  qui 
•sert  de  dépense,  de  garde-manger  où  l'on  dépose  lait,  beurre, 
fromage,  pommes  de  terre,  etc.  :  le  thetoa  remplace  la  cave.  » 
Dans  le  patois  des  Alpes  vaudoises,  le  mot  s'applique  aussi  à 
ces  petites  constructions  répandues  dans  le  vignoble  de  la 
Plaine  du  Rhône,  qui  servent  de  gîte  aux  habitants  des  villages 
de  la  montagne  pendant  les  quelques  jours  qu'ils  consacrent  à 
la  culture  de  leurs  vignes,  et  qui  renferment  aussi  un  petit 
pressoir  et  des  ustensiles  de  cave.  C'est  l'équivalent  des 
«  mazots  »  valaisans  de  la  région  de  FuUy.  En  dehors  du  terri- 
toire restreint  indiqué  ci-dessus,  cetour  semble  inconnu  aujour- 
d'hui aux  patois  vaudois.  Mais  il  a  dû  y  occuper  un  domaine 
plus  étendu  jusqu'à  une  époque  assez  récente.  Dumur  enregis- 
trait/(?r/<^  dans  son  glossaire  de  Lavaux,  vers  1840,  en  le  qua- 
lifiant de  vieilli  (voir  Gignoux,  Terminologie  du  vigfieron,  p.  33). 
On  rencontre  saire  to^  dans  la  brochure  intitulée  La  Jointe  où 
l'on  va,  imprimée  en  1801,  et  qui  doit  représenter  le  patois  de 
la  région  d'Vverdon  (voir  Recueil  Corbaz,  p.  27).  Mais  l'aire 


'  Modifié  en  serretot  dans  la  réimpression  du  recueil  Po  recajâ  (Lau- 
sanne, 1910),  p.  56. 


28  J.    JEANJAQ.UET 

du  mot  s'agrandit  notablement  si  on  consulte  les  anciens  docu- 
ments. 11  apparaît  fréquemment  jusqu'au  xvii^  siècle  dans  tout 
le  Pays  de  Vaud  sous  les  formes  cetor^  sertor,  certor,  certour^ 
etc.  En  voici  quelques  exemples  empruntés  à  des  pièces  des 
Archives  cantonales  vaudoises  :  la  garnison  (=  ferrure)  mise 
en  la  porte  du  cetour  au  dit  truyt  (pressoir)  (Comptes,  Lau- 
sanne, 1537);  A  ceste  houre,  le  dit  estrable  reduict  en  sertor 
(Dommartin,  1548);  Souventeffoys,  il  est  entrer  au  settour  de 
la  mayson  d'habitation...  pour  boyre  du  vin  (Morges,  1556); 
Un  petit  trapon  pour  dessendre  au  certour  (Vevey,  1 609)  ;  Ititra 
secrètement  dans  le  sertour,  où  il  prit  pleynes  ses  poches  de 
pommes  (Glérolles,  1624).  Cetour  a  aussi  été  en  usage  à  Neu- 
châtel.  Dans  les  extentes  de  1353,  f°  4,  on  lit:  Lour  mayson^ 
exceptel  le  citour'^  desoubt  (Arch.  de  l'Etat).  Des  rôles  de  bour- 
geois de  1396  et  1436  indiquent  un  Jehamioni  du  cetour  et  les 
hoirs  Guillanie  du  cetor  (Arch.  de  la  Ville).  Mais  le  mot  dispa- 
raît de  bonne  heure  de  cette  contrée.  Nous  n'y  en  connaissons 
pas  d'exemple  postérieur  au  xv^  siècle.  A  Fribourg,  un  Uldryet 
dou  cetor  figure  parmi  les  habitants  de  la  ville  en  1379  (Zim- 
merli,  Sprachgrenze,  II,  p.  96).  Une  traduction  française  de  la 
Handfeste,  dont  le  manuscrit  est  de  1406,  traduit:  cuicumque 
foderit  cellarium  par  :  se  aucun  crouse  son  cetour  (Rec.  dipl.  de 
Fribourg,  I,  p.  39,  et  Handfeste,  édit.  Lehr,  p.  70).  Dans  les 
comptes  de  la  ville  de  l'année  1418  se  trouve  un  poste:  por 
treire  les  VI  bosses  de  vin  fur  s  dou  cetor '^  {Rec.  dipl.,  VII,^ 
p.  65).  Le  mot  n'est  pas  rare  non  plus  dans  les  anciens  docu- 
ments de  Genève.  Notons  p.  ex.  dans  la  collection  d'inventaires 
des  Archives  cantonales  :   Ung  grant  exchieffoz  a  fere   buye 


^  M.  le  D""  Guillaume  a  pris  à  tort  ce  citour  pour  un  puits  ou  citerne^ 
dans  sa  notice  historique  sur  l'Alimentation  d'eau  de  Neuchdtel,  Musêe^ 
neuchâtelois,  1887,  p.  62.  Cf.  Roulet,  Statistique  de  la  ville  et  banlieue  de 
Neuchdtel  en  13SS'  P-  8. 

2  Exemple  cité  par  Godefroy,  qui  n'a  pas  su  comment  l'interpréter. 
L'explication  en  a  déjà  été  donnée  dans  le  Dictionnaire  savoyard,  sous 
cet or. 


ÉTYMOLOGIE  29 

{=  cuveau  à  lessive)  estant  au  citor  (Inv.  Deluc,  1542);  Au 
iitour  du  dict  Jehan  Coquet,  dix  bosset  ou  fustes  plaines  de  vin 
(Inv.  Coquet,  1546).  Le  nom  de  famille  Dustour,  qui  existe 
actuellement  à  Genève,  doit  avoir  la  même  origine  et  repré- 
senter un  plus  ancien  du  cetour. 

Dans  les  documents  latins  de  la  Suisse  romande,  notre  mot 
est  toujours  rendu  par  citurnus,  citurnum.  Le  plus  ancien 
exemple  que  nous  en  connaissions  se  trouve  dans  un  acte  no- 
tarial relatif  à  Pomy  (Vaud),  daté  de  13 10:  Sextam  partem 
unius  citurni  siti  ante  doinum  suani,  qui  citurnus  partitur  cum 
Perroto  Rolier,  etc.  (Min.  Collondel,  f»  208  v").  Un  autre  de 
Gorgier  (Neuchâtel  )  est  de  1340:  dotnus  dicta  Gravan}\  citur- 
nus^ et  marescarcia  (Matile,  Monuments,  L  p-  478)-  Pour 
Genève,  citons  :  Ne  aliquis  vendat  vinum  infra  civitatefn,  vide- 
licet  infra  citurnos  vel  sub  tectis  (1461,  Reg.  du  Conseil,  I, 
p.  60).  En  Valais:  Ad  eundum  in  citurnum;...  parietes  sépa- 
rantes hypocausta  (les  chambres  d'habitation,  poêles)  et  citurna 
(Bagnes,  1635.  Min.  H.  Mariete.  Arch.  cant.  Sion). 

En  dehors  de  la  Suisse  romande,  cetour  ne  paraît  attesté 
qu'en  Savoie,  où  il  est  encore  usité  dans  toute  la  région  com- 
prise entre  le  Léman  et  le  lac  du  Bourget.  Le  sens  est  le  même 
qu'en  Suisse,  les  formes  également  assez  variées  :  setor,  fetor, 
sartb ,  fartb.  fertb  (voir  Dict.  sayoyard ,  cëtor  et  fartb\ 
Fenouillet,  Patois  savoyard.,  sartot  et  fartot).  Le  type  latin 
habituel  est  ici  suturnus,  sutturnus,  soturnus.  On  en  trouvera 
de  nombreux  exemples  à  partir  du  xiv=  siècle  dans  les  comptes 
publiés  par  ^L  Bruchet  en  appendice  à  son  Etude  archéolo- 
gique sur  le  château  d' Annecy  (ainsi  p.  d^.,  64,  66,  67,  etc.),  et 
dans  le  précieux  glossaire  qui  accompagne  le  Château  de 
Ripaille  (Paris,  1907)  du  même  auteur,  au  mot  suturnus. 


'  Matile  imprime  ci  te  mus  ;  mais  le  document,  qui  est  une  copie 
vidimée  de  1419,  porte  très  distinctement  après  le  /  l'abréviation  habi- 
tuelle de  iir  et  non  celle  de  «'.  Cette  mauvaise  lecture  a  entraîné  la 
traduction  erronée  «la  citerne  »  dans  Chabloz,  La  Béroche,  p.  33. 


30  J.    JEAX]AQ.UET 

Quant  à  l'origine  du  mot.  le  Dictioniiaire  savoyard  signale 
sans  l'admettre  l'explication  de  Constantin,  d'après  laquelle  il 
correspondrait  à  une  forme  française  serre-tout,  ce  local  ser- 
vant à  serrer,  à  remiser  toute  sorte  d'objets.  Cette  étymologie 
nous  a  aussi  été  indiquée  spontanément  par  certains  correspon- 
dants^, et  il  n'y  a  pas  de  doute  que  c'est  ainsi  qu'interprètent 
beaucoup  de  ceux  qui  emploient  le  mot  aujourd'hui.  Mais  il  est 
facile  de  voir  que  c'est  là  une  simple  étymologie  populaire, 
incompatible  avec  les  formes  anciennes  et  bon  nombre  des 
variantes  actuelles.  Le  type  primitif  n'avait  sûrement  pas  d'r 
intérieure.  Celle-ci  s'est  introduite  probablement  par  réaction, 
à  l'époque  oii  V r  finale  devenait  caduque  ;  au  lieu  de  setor  on 
a  dit  serto(r).  Le  fait  que  le  groupe  -rt-  est  fréquent  à  l'inté- 
rieur des  mots  a  dû  favoriser  cette  modification.  Cf.  les  cas 
analogues y(9//r^^  (tablier)  à  côté  dt/oî/da  <faldare,  ourtâ 
(autel)  <  altare.  sourdâ  ''soldati  <  soudard. 

M.  A.  Thomas  a  indiqué  récemment  une  étymologie  beau- 
coup plus  plausible.  Partant  du  mot  mediurnus,  «moyen», 
rencontré  dans  une  ancienne  traduction  latine  des  œuvres 
d'Oribase,  il  montre  que  le  suffixe  -urnus  a  eu  une  certaine 
vitalité  en  roman  et  reconstitue  un  type  subturnus,  dérivé 
de  subtus,  comme  base  du  setor  savoyard^. 

Cette  base  rend-elle  suffisamment  compte  de  toutes  les 
variantes  que  nous  avons  constatées  ?  L'^  qu'offrent  partout 
les  formes  patoises  en  regard  de  1'//  de  subturnus  ne  fait  pas 
de  difficulté.  La  dissimilation  de  o-o  en  e-o  dans  deux  syllabes 
consécutives  est  un  phénomène  très  répandu  et  attesté  pour  la 
région  franco-provençale  par  plusieurs  exemples.  Ainsi  sav. 
sorore  >  serœu,  vaud.  dolore>  delâo,  soluculu  >  selâo, 


'  Elle  est  déjà  exprimée  dans  la  graphie  saire  ta  du  texte  de  1801 
cité  plus  haut. 

-  Notes  lexicografiques  sur  la  plus  ancienne  traduccioii  latine  des  euvres 
d'Oribase,  dans  les  Mélanges  Louis  Havet,  Paris  1909.  Dans  sa  Mono- 
graphie du  patois  savoyard  (Annecy,  1903),  M.  Fenouillet  avait  déjà 
indiqué  subturnus  comme  étymologie  àe  setor. 


ETYMOLOGIK  3I 

rùbore>  *revor>  ravèu ( voir  Bu//e/tn,  Yll  (igoS),  p.  55-57). 
Il  est  donc  parfaitement  admissible  que  subturnus  ait  passé 
à  setor.  La  terminaison  patoise  correspond  aussi  fort  bien  à 
-urnus,  et  rime  exactement  avec  les  dérivés  de  diurnu,  furnu; 
de  là  frib.  {}etoua,  comme  furnu  >  foua.  Le  traitement  de  la 
consonne  initiale  seul  ne  paraît  pas  concorder.  \Jf  de  nom- 
breux patois  savoyards  et  bas-valaisans,  et  ses  équivalents  û 
(Frib.,  Val.),  "j^l  (Val.),  apparaissent  dans  la  règle  comme 
développement  d'un  c  initial  suivi  de  e  ou  /':  centu>yf«, 
ûin,  Xlin,  cineres  >  Jindrè,  c\r c\.\\u,  faryjo,  etc.  Le  type 
latin  ci t urnus,  seul  usité  en  Suisse,  semble  donc  à  première  vue 
devoir  être  préféré  au  savoyard  suturnus.  Toutefois  ce  der- 
nier n'est  pas  absolument  incompatible  avec  ^f  {d^^yj)  initiale. 
Il  est  certain  qu'il  y  a  des  exemples  d'.$  aboutissant  au  même 
résultat  que  c  ^'  '.  A  l'intérieur  du  mot,  le  phénomène  paraît 
être  lié  à  la  présence  avant  s  d'une  n  ou  d'une  /  :  insimul  > 
infinblo ,^Vi\v'\%-\- à.  >  pœufa,  salsitia  >  sa'ufyri}?  (  Vionnaz), 
sœufps3  (Savoie),  etc.  A  l'initiale,  nous  ne  voyons  pas  de  cause 
phonétique  déterminante,  et  il  s'agit  probablement  d'influences 
analogiques  dans  les  rares  cas  que  nous  connaissons,  et  dont 
l'aire  est  restreinte  :  singulu  >  fanglio  (Sav.),  soluculu  > 
/èid'u (Gen.,  Sav.2),summu>  /?6?// (\^al.),  *summione>  yjo//- 
dzon  (Val.).  Ils  suffisent  cependant,  croyons-nous,  à  justifier  la 
possibilité  de  subturnu  >y"(?/^r,  ferto,  Reloua,  etc.  Les  plus 
anciens  exemples  de  citurnus  n'étant  pas  antérieurs  au 
xiv«  siècle,  ce  type  peut  être  interprété  comme  une  latinisation 
erronée  de  la  forme  patoise  d'après  la  correspondance  habi- 
tuelle/,/^  =  c^-'.  On  peut  aussi  supposer  que  cellariu,  qui 
subsiste  dans  une  partie  du  territoire  romand  et  représente  pro- 
bablement le  type  indigène  primitif,  a  provoqué  la  substitution 


*  Ti-,  ci-  ne  donnent/(ii,  xh  que  lorsqu'ils  sont  précédés  de  con- 
sonne: cantionem.  tsanfon,  etc.  Nous  n'avons  donc  pas  à  nous  en 
occuper  ici. 

-  A  Evolène  (Valais),  où,  à  l'initiale,  s  >  cl),  tandis  que  c^i^'^  s, 
on  a  aussi  sole  +  ittu  "^  sôlèt  (soleil),  mais  solu  +  ittu  >  chàlct. 


32  J.    JEANJAQ.UET 

de  ce-  à  se-i.  Tout  cela  semblerait  indiquer  que  cetour 
n'appartient  pas  en  Suisse  à  une  couche  bien  ancienne  et  que 
le  centre  de  propagation  du  mot  doit  être  cherché  vers  le  Sud, 
-dans  cette  région  de  la  Savoie  où  il  est  toujours  latinisé  en 
suturnus.  Ainsi  s'expliquerait  aussi  pourquoi  l'/initiale  appa- 
raît dans  des  patois  où  elle  est  sans  cela  inconnue,  comme 
c'est  le  cas  pour  le  patois  de  Lavaux,  oxxferto  est  isolé. 

La  provenance  méridionale  de  cetour  est  confirmée  par  la 
présence  dans  les  dialectes  du  Midi  de  la  France  et  en  catalan 
d'un  mot  évidemment  apparenté  sotol,  sotoiil,  soutoul,  etc., 
dont  la  signification  est  aussi  «  local  au  rez-de-chaussée  pou- 
vant servir  de  cave  ou  d'étable  ».  (Voir  Raynouard,  sotol ; 
Mistral,  soutou ;  Godefroy,  sotoul ;  Du  Gange,  sotolunî). 
M.  Thomas  admet  pour  ce  mot  une  base  subtulus,  qui  se 
trouve  parfois  dans  les  actes  latins,  et  que  M.  Meyer-Lubke 
rattache  aussi  à  subtus  [Gramm.  rom.,  II,  §430).  Ges  dérivés 
-subturnus,  subtulus,  n'en  restent  pas  moins,  à  nos  yeux,  un 
peu  étranges  et,  en  regard  du  français  souie,  de  l'espagnol 
sotafto,  cave,  etc.,  l'hypothèse  d'un  radical  sii  tt-,  d'origine  incer- 
taine, nous  semble  aussi  pouvoir  être  prise  en  considération. 

J.  JEANJAQ.UET. 

*  La  iorme  fétâi.  «  cave  »,  notée  par  M.  Gilliéron  à  Vionnaz,  semble 
hien  résulter  d'un  croisement  entre  suturnu  et  cellariu,  qui 
aurait  maintenu  ici  non  seulement  so  1  initiale,  mais  aussi  sa  termi- 
jiaison. 


•s^-r-^^- 


LA    TRILOGIE    DE    LA    VIE 

-^  - 

II 

fèrnialyô,  s.  f.  pi.  fiançailles. 

fcrmalyè  (Vd,  V,  F),  frèmadè  (Vd  Château-d'Œx),  fèrmadè 
(V  Conthey),  farniàh  (V  Châble,  Atl.  ling.  d.  l.  Fr.  563, 
Va  doit  être  bref). 

I.  fiançailles;  2.  contrat  de  mariage;  3.  repas  de 
fiançailles. 

1 .  Aie  sovigno  d'o?i  poitro  coiier,  qti'a  veindu  la  senanna  de 
se  fermaillé  un  boccon  de  courti,  por  conteinta  lé  valet,  je  me 
souviens  d'un  pauvre  individu  qui  a  vendu,  la  semaine  de  ses 
fiançailles,  un  morceau  de  jardin  pour  contenter  les  jeunes 
gens  (pour  payer  la  rançon  due  à  la  société  de  garçons,  v.  7Jia- 
ryàdzo,  ^wj'^/.),Bridel,  Valets,  Recueil  Corbaz,  p.  57.  Oiiand 
nos  iratis  bas  per  stau  fins,  Avuei  neutres  Ermaillès,  Te  fnè 
parlavè,  m' in  sovins,  Totevi  de  fermaillé  s.  Quand  nous  étions 
là-bas  dans  ces  prés,  Avec  nos  bestiaux,  Tu  me  parlais,  je  m'en 
souviens,  Toujours  de  fiançailles  {Bergère  abandonnée,  Helv. 
Alm.  18 10,  p.  121).  Fera  le  fèrmqlye,  célébrer  les  f.  F.  Nous 
n'avons  pas  d'exemples  pour  les  sens  2  et  3,  indiqués  par 
Dumur,  Voc,  mais  notre  correspondant  de  Château-d'Œx  défi- 
nit le  mot  :  «  reconnaissance  ou  contrat  de  mariage  entre  les 
époux»,  et  Barman  donne  dans  son  Voc,  outre  le  sens  de  fian- 
çailles (Martigny),  celui  de  «  fête  du  jour  du  mariage».  Comp. 
Jermalyé  (V  Lens)  =  repas  de  fiançailles. 

Ilist.  Le  mot  est  tombé  en  désuétude  dans  les  cantons  de 
A^aud  et  du  Valais,  mais  il  est  encore  bien  vivant  et  attesté  par 

3 


34  L.    GAUCHAT 

tous  les  dictionnaires  dans  celui  de  Pribourg.  II  a  dû  être  très 
répandu  :  on  trouve/erma//ias,  fiançailles,  en  ancien  provençal  i 
fermaille^  avec  le  sens  plus  général  de  traité,  accord,  en  vieux 
français.  Plusieurs  patois  français  modernes  ont  conservé  le 
mot  avec  notre  sens,  tandis  qu'en  provençal  d'aujourd'hui  il  a 
pris  la  signification  plus  spéciale  de  repas  de  fiançailles.  Dans 
la  Suisse  romande,  il  a  eu  pour  concurrents  :  les  mots  français 
fiançailles,  protnesse{s)  de  mariage,  accord,  accordailles,  outre 
les  mots  patois  akbrdairon  (Vd)  et  grintÔ  (Vd),  voir  sous  ces 
mots.  Le  verbe  {se^  fiancer  est  peu  populaire  dans  nos  contrées  : 
il  est  emprunté  à  la  langue  littéraire  ou  remplacé  par  pro- 
mettre, être  promis,  s'accorder,  s'arranger,  s'engager,  s'épouser, 
faire  le  nœud.  Il  existe  cependant  des  termes  autochtones  : 
krintâ,  èkrintâ  (V,  comp.  grintÔ,  cité  plus  haut)  et  s'alyansi 
(«  s'alliancer»  N),  voir  ces  mots.  La  carte  563  de  \ Atlas  ling. 
de  la  France  (ils  sont  fiancés^  présente  la  même  bigarrure  de 
termes,  mais  plus  en  grand.  Le  fiancé,  la  fiancée  se  disent,  en 
laissant  de  côté  certaines  tournures  ironiques,  très  occasion- 
nelles, avec  le  mot  français,  plus  ou  moins  adapté  au  patois 
(voir  sous  fiyansé).,  ou  en  employant  des  mots  tels  que  le  pré- 
tendu,  le  futur,  V époux,  le  sien  (V),  son  grivois,  sa  grivoise 
(N  Val-de-Travers);  mots  du  crû:  tsèrmalai  (Vd  Vallorbe),  qui 
a  signifié  d'abord  autre  chose,  voir  maryàdzo,  Encycl.,  méHin 
(Vd  Chenit),  «  le  pain  bnîlé  »  :=  fiancé,  «  la  miche  brûlée  >' 
=  fiancée  (Vd  Salvan),  Ip  bé,  là  bal  («  beau  »  B),  etc.  Plusieurs 
de  ces  derniers  répondent  aussi  à  l'idée  de  bon  a?ni,  voir  sous 
an.?nâ.  Mais  l'expression  la  plus  usitée  pour  fiancé,  -ée  est  le 
promis,  la  promise,  voir  sous  promè  (promètu).  Vieilli:  akbrdâyd, 
fiancée  (Vd).  Périphrase  humoristique  :  ne  fidi,  ne  fcna,  ne 
putan,  ne  vèva,  «ni  fille,  ni  femme,  ni  putain,  ni  veuve», 
=^  fiancée  (Vd  Leysin). 

L'expression  y?rw^/y^  est  tirée  du  latin  firmus,  firmare,. 
rendre  valide,  garantir,  pris  dans  un  sens  juridique  (comp.  le 
développement  de  sens  firmare— >  «'^«^r  en  italien),  à  l'aide 
du  suffixe  -a lia,  emprunté  dans  ce  cas  peut-être  à  sponsalia^ 


LA    TRILOGIE    DE   LA   VIE  35 

fête  de  fiançailles.  Ce  dernier  s'est  perpétué,  chez  nous,  très 
faiblement,  sous  la  forme  épbzalyè  (voir  ce  mot). 

Encyel.  1.  Les  fiançailles,  qui  étaient,  pendant  le  haut 
moyen  âge,  une  espèce  de  marché  conclu  entre  le  fiancé  et  le 
père  ou  tuteur  de  la  fiancée,  ont  beaucoup  perdu  de  leur 
ancienne  importance.  Le  terme  de  fèrmalyè,  ainsi  que  ses 
synonymes  (p.  ex.  accbrdairon ;  grintÔ,  de  *credentale, 
comp.  en  vieux  français  creanter,  graa7iter^  garantir)  renfer- 
ment en  eux-mêmes  le  souvenir  du  respect  avec  lequel  on  trai- 
tait la  chose  et  de  sa  valeur  juridique.  Le  déclin  actuel  des 
mots  symbolise  celui  des  usages.  M.  E.  Ritter  a  publié  dans  les 
Etrennes  chrétiennes  de  1887,  p.  167-193,  de  curieux  extraits 
des  registres  du  Consistoire  et  du  Conseil  de  Genève,  datant 
du  xvi^  au  XVIIF  siècle  et  démontrant  quelle  importance  on 
accordait  jadis  aux  promesses  et  aux  gages  échangés  entre 
fiancés.  Les  Conseils  avaient  le  pouvoir  de  les  déclarer  nuls  ou 
de  forcer  les  rétractants  à  les  maintenir.  «  Que  nulle  promesse 
de  mariage  ne  se  fasse  clandesunement....,mais  qu'il  y  ait  pour 
le  moins  deux  témoins,  gens  de  bien  et  de  bonne  réputation.  » 
(Ordonnances  ecclésiastiques  passées  en  Conseil  gén.  en  1576  : 
Ritter,  p.  170).  Nous  lisons  dans  les  Mémoyres  d'Abraham 
Chaillet  (Neuchâtel):  1664.  «Le  8  janvier  sont  estées  faictes 
les  fyançailles  de  Marguerite  ma  fille,  en  ma  maysson,  avec 
Louy  fils  de  feu  noble  Abraham  Chambrier....  Dieu  les  veuille 
begnir.  Amen.  Le  traicté  de  mariage  (qui  pouvait  donc  se 
faire  à  la  même  occasion)  a  esté  receu  par  le  S''  Jonas  Purry  et 
le  grephier  Benoict  Cortaillod»  {Musée  neuch.  1898,  p.  73). 
Toutefois,  M.  Ritter  produit  déjà  des  pièces  d'où  il  ressort  que 
les  Conseils  étaient  quelquefois  impuissants  à  se  faire  respecter 
par  des  époux  récalcitrants.  Aujourd'hui,  le  clergé  et  le  gou- 
vernement n'interviennent  pas  avant  la  publication  des  bans 
de  mariage,  à  moins  qu'il  n'y  ait  une  plainte  pour  dommages 
et  intérêts  ou  tort  moral.  Les  fiançailles  sont  devenues  aftaire 
privée.  Le  jeune  couple  se  dispense  même  assez  souvent  de  la 
formalité  de  fiançailles  officielles  et  passe  immédiatement  de  la 


^6  L.    GAUCHAT 

«  fréquentation  »  (voir  sous  an.mâ)  aux  «  annonces  ».  M.  Gabbud 
(Bagnes)  écrit  dans  les  Archives  s.  des  trad.  pop.  V,  p.  48  : 
«  Les  projets  de  mariage  ne  sont  révélés  aux  parents  eux- 
mêmes  qu'au  cours  des  derniers  jours  précédant  la  publication 
des  bans.  Afin  de  tout  dissimuler  jusqu'à  la  dernière  minute, 
on  attend  pour  aller  ftiarquer  (inscription  des  bans)  que  la  nuit 
soit  complète  :  c'est  alors  seulement  que  l'on  gagne  le  presby- 
tère par  quelque  sentier  détourné  ».  Heureuse  la  jeune  fille  qui 
n'a  pas  besoin  de  se  répéter  le  proverbe  vaudois  :  la  pronièsa 
d'on  galan  dure  atan  tyè  o?i  botyè  blyan  (autant  qu'un  bouquet 
blanc). 

2.  Les  vieux  papiers  publiés  par  M.  Ritter  relatent  une  cou- 
tume symbolique  dont  toute  trace  a  disparu  :  «  la  dite  Emery 
requérant  que  le  dit  Groby  soit  condamné  à  accomplir  les 
promesses  de  mariage  par  lui  faites  a  la  dite  Emery,  accompa- 
gnées et  confirmées  par  toutes  les  circonstances  pratiquées  en 
semblable  cas,  jusqu'à  avoir  bu  onsemblo  au  nom  de  ma- 
riage, en  mêlant  le  vin  du  verre  de  l'un  dans  celui  de  l'autre, 
à  la  manière  accoutumée,  en  présence  de  parents,  et  reçu  de 
part  et  d'autres  les  félicitations  ordinaires  »  (année  lyoïjp.  187, 
passage  reproduit  dans  les  Archives  s.  des  trad.  pop.  L  74)  ; 
«  burent  en  nom  de  mariage  »  (année  1655,  ib.  p.  176). 

3.  Nous  apprenons  de  quelle  nature  étaient  les  gages  réci- 
proques :  la  fiancée  reçoit  des  gants  (p.  172,  186;  coutume 
conservée  dans  le  Bas-Poitou  et  dans  l'Aunis,  voir  Scheffler, 
Die  franz.  Volksdichtung  und  Sage,  I,  164),  un  quart  de  louis 
d'argent,  des  épingles  et  une  bague  ;  le  fiancé  reçoit  en  retour 
un  mouchoir  à  pointe  (dentelle,  p.  176);  elle  reçoit  une  bague 
■de  diamant,  lui  des  bracelets  (p.  179).  Aujourd'hui  on  se  donne 
avant  tout  le  traditionnel  anneau  d'alliance,  qui  remonte  au 
temps  des  Latins,  appelé  anà,  baga  [d'aliyansa,  de  maryâdzo, 
bàg  ds  nas  =  noces,  B),  vcrdzd  ou  verdzèta  (V),  ironiquement 
frepa  {frette)  ou  fèrao^  {ferraille,  V  Isérables).  Superstition 
notée  à  Hermance  (G)  :  pour  rester  maîtresse  dans  le  ménage, 
il  faut  vite  courber  le  doigt  quand  on  reçoit  la  bague  d'alliance, 


LA    TRILOGIE    DE    LA   VIE  37 

pour  qu'elle  ne  dépasse  pas  la  jointure.  —  Le  fiancé  fait  aussi 
cadeau  d'autres  bijoux  :  broches,  colliers,  pendants  d'oreilles, 
montre  en  or,  ou  de  pièces  d'or  de  40  ou  de  100  francs.  Les 
présents  dans  leur  ensemble  portent  le  nom  de  gadzo  (voir  ce 
mot),  ingazhnin  (proprement  engagement,  V),  cy  (=  ?,  F  Mont- 
bovon),  erè  (litt.  arrhes,  F),  rnondrc  (du  latin  munera,  F).  On 
voit  par-ci  par-là  le  mot  promesè  se  matérialiser  et  prendre  le 
sens  de  gages  (Vd  et  F).  On  se  sert  aussi  des  désignations 
générales  de  kadô,  ètrin.na,  don.na,  etc. 

\.  Le  repas  do  (ian<;ailles  est  peu  usité  de  nos  jours.  II 
portait  le  nom  de  sbpat{ï\\X.  petite  soupe,  «  souper  offert  autre- 
fois par  les  fiancés  à  leurs  parents  et  amis  quelques  jours  avant 
la  noce  »,  B),  s3pâ,  choupâ,  etc.  di  fyansqlyc  (Alpes  vaudoises)^ 
bqla  dsmèindzs  («  beau  dimanche  »,  parce  que  le  repas  se  fai- 
sait surtout  le  premier  dimanche  de  la  publication  des  bans  à 
l'église,  chez  les  parents  de  l'époux,  Vd),  grmtou  (  Vd  Vallée 
de  Joux),  rabota  don  krintâ  («  ribote  des  fiançailles  »,  V  Grône), 
fèrmqlyè  (V  Lens),  marinda  di  fèrmalyè  (F) ,  moucrand  dé 
fyinsèy  (B). 

5.  C'est  après  les  fiançailles  qu'il  fallait  autrefois  payer  à 
boire  aux  sociétés  de  garçons  (voir  sous  maryàdzo,  Encycl.), 
Bridel  raconte  dans  ses  Valets  {Recueil  Corbaz,  p.  57)  :  «  Après 
les  fiançailles,  il  fallait  que  tous  ceux  qui  se  mariaient  fissent 
boire  et  danser  les  garçons  et  les  filles  du  bourg,  ou  leur  donner 
une  quantité  d'écus  pour  se  divertir  au  cabaret.  Personne  n'osait 
se  rebiffer,  si  bien  que  cela  gênait  fort  les  fiancés,  qui  bien  des 
fois  ne  possèdent  pas  plus  qu'il  ne  leur  faut  pour  s'ôter  la  faim 
et  payer  le  berceau.  Je  me  souviens,  etc.  (suit  la  phrase  que 
nous  citons  parmi  les  exemples  dt  ffrmalyè). 

<>.  M.  A.  Thomas  vient  de  ramener  avec  bonheur  à  un  type 
latin  *juxtulare  le  mot  djouklla,  qu'il  a  trouvé  dans  le  Glos- 
saire de  Bridel,  avec  la  traduction  «  promettre  en  mariage  son 
fils  ou  sa  fille  tout  jeunes  »  et  la  mention  «  Jura  »  (Romania, 
1910,  p.  238).  L'original  manuscrit  de  Bridel,  que  nous  avons 
sous  les  yeux,  ne  contient  pas  les  mots    <- tout  jeunes»,  qui 


38  L.    GAUCHAT 

doivent  être  une  addition,  fondée  ou  non,  de  L.  Favrat.  Les 
patois  modernes  ne  paraissent  plus  connaître  djouklyâ,  que  la 
phonétique  défend  du  reste  d'attribuer  au  Jura  bernois,  comme 
le  fait  M.  Thomas.  Vds  Jura,  Bridel  entend  plus  généralement 
la  Suisse  occidentale  (Vallée  de  Joux,  Neuchâtel,  Berne). 

7.  La  riij)ture  des  (ianoailles  n'a  pas  donné  lieu  à  la 
création  d'expressions  bien  intéressantes.  On  emploie  rompre 
et  ses  synonymes  ou  d'autres  périphrases  de  circonstance. 
Citons  cependant  dèfyansi  (N),  dèfyinsi?  (B);  dèzakbrdé [^  Val- 
de-Tra\^ers),  dègalyi  h  maryadzo  {Vitt.  faire  tomber  le  m.,  Vd 
Vaulion),  krapâ la kotyuirc  ([faire]  sauter  la  couture  (V  Salvan). 

Mârya.  s.  f.  la  rage  de  se  marier. 

N'apparaît  qu'en  Valais,  dans  le  district  d'Entremont,  terme 
grossier. 

è  dèrindja  da  mârya,  il  devient  fou  de  ne  point  trouver  à  se 
marier  (Lourtier).  è  rin  k?  é  mârya  ki  me  0  inonda  an  mizèr?, 
ce  n'est  que  la  rage  du  mariage  qui  met  le  monde  dans  la 
misère  (Chable).  tè  fà  i  prèdjé  de  la  tnàrya  po  i  firè  plézi 
il  te  faut  lui  parler  de  mariage  pour  lui  faire  plaisir  (Praz- de- 
Fort). 

Etyiii.  Subst.  verbal  de  maryâ. 

Maryâ,  v.  a.     marier,  épouser. 

maryâ  (Vd,  V,  N,  B  Malleray),  maryâ  (F,  G),  mâryâ  (Vd 
Savigny,  influence  des  formes  accentuées  sur  le  radical),  mèryâ 
(Vd  Vallorbe),  meryà  (N  Cerneux-Péq.),  marye  (B  Plagne), 
mdryà  (B),  mariyê  (V  Lens,  forme  douteuse),  maryi  (G  Aire-la- 
Ville).  Est-ce  dans  la  chanson  populaire  citée  par  Spazier, 
Wanderiingen  durch  die  Schioeiz,  p.  209,  que  Bridel  a  péché 
la  forme  marida  qu'il  indique  en  deuxième  ligne  dans  son 
Glossaire  et  qui  a  l'air  d'un  îlot  provençal  en  pays  romand  ? 

3^  p.  ind.  prés,  mârye  (Vd,  V,  G,  N),  mdrye  —  moryè  (F), 
mari?  —  mary?  {G), mari?  (B).  6^  p.  ind.  prés,  mâryon  (Vd,  V,  G). 
Part,  passé  =  inf.,  sauf  Bas- Valais  :  7?iaryÔ,  fém.  maryây?. 


LA   TRILOGIE   DE   LA   VIE  39 

I.  V.  a.  t.  unir  par  le  mariage.  2.  épouser.  II.  v.  réfl. 
I.  se  marier.  2.  se  fiancer  (F  Gruyère).  III.  part.  pass. 
I.  qui  est  marié,  e.  2.  époux,  épouse,  le  jour  de  la 
noce,  allemand  Brdutigam,  Braitt ,  employé  souvent  au  pluriel 
(yow  èpâo).  Un  sens  figuré  n'est  pas  attesté  dans  nos  matériaux. 
Les  emplois  I,  2  et  II,  i  sont  dominants  dans  le  langage  courant. 

I.  I.  Ma  mère  ne  me  voiiliu  maridar,  ...ne  veut  pas  me  ma- 
rier (Spazier,  IVafiderungen,  p.  209,  dans  une  chanson  de  Saint- 
Gingolph,  sans  doute  d'origine  étrangère).  L?  pètabbson  m'a 
7tiaryâ,  l'officier  d'état-civil  m'a  m.  (Vd).  L  a  maryd  totè  se 
fdlyè^W  a  marié  toutes  ses  filles,  se  dit  d'un  homme  qui  marche 
les  mains  croisées  derrière  le  dos  ;  de  même  avec  la  négation  : 
n'a  pa  maryd,  etc.  (Vd  Blonay).  E  m  vin  pb  a  bè  dd  maryi  tôt 
se  fdlyd,  il  ne  vient  pas  à  bout,  etc.  (G  Aire-la-A"ille).  resta  a 
maryd,  rester  célibataire  (Vd  Blonay).  Marna,  maryCi  mè,  lé 
tctè  mè  krechon,  maman,  mariez-moi,  mes  seins  se  gonflent 
(chanson  pop.  défendue  en  1579,  voir  Bridel,  Gloss.  sous  ////). 
Mon p'er3  mè  von  (veut)  marié  (chanson  pop.  Estavayer).  Quan 
i'ètâi  fellie  à  maryd,  Lo  bon  tein  que  metidî^o,  quand  j'étais...  le 
bon  temps  que  je  menais  {Fo  recafd,  p.  195).  Mon  pér?  ka  mè 
marie  (mot  français),  D'oiina  drÔla  de  fason  (chans.  pop.  ; 
noce  comique,  où  la  ceinture  de  noces  est  remplacée  par  une 
chaîne  d'oignons,  la  couronne  de  mariée  par  un  fond  de 
panier,  etc.)  Tyiri  on  maris  le'  fèy?,  quand  on  marie  les  filles 
(chanson  pop.  du  Jura  bernois,  Arch.  s.  trad.  pop.lY,'^.  146). 
I.  2.  La  maryâ  la  fsly?  ao  noter  0 ,  il  a  épousé  la  fille  du 
notaire  (Vd).  Lé  la  fan  ks  maryè  la  soi ,  c'est  la  faim  qui 
épouse  la  soif  ;  se  dit  de  personnes  pauvres  qui  se  marient 
(Vd  Blonay).  T9  mdrycréi  on  soûlon,  tu  épouseras  un  ivrogne, 
dit-on  à  une  jeune  fille  qui  se  mouille  beaucoup  en  lavant  du 
linge  (ib.).  L'avâi  prau  fan  de  la  maria,  il  avait  bien  envie 
de  l'épouser  (Favrat,  Mél.,  p.  191).  La  maryâ  Vardzun,  il  a 
épousé  l'argent  ;  il  a  pris  sa  femme  à  cause  de  sa  fortune  (Vd 
Penthalaz).  Maryâ  tsôja,  marier  «  rien  »,  une  personne  pauvre 
(V  Evolène).  Maryâ  r an,  marier  rien,  se  mésallier  (F  Broyé). 


40  L.    GAUCHAT 

Ko  è-t  3  ki  tb  ?nâryè,  qui  est-ce  que  tu  épouses  ?  (V  Bagnes). 
Mârya  lo,  lo  loouk  farèièrè  proouk,  épouse-le,  le  loup  t'arrê- 
tera assez  (la  légèreté  te  passera,  V  Grône).  On  a  beintou  prau 
d'ardzein,  You  !  Por  maryâ  sa  ??iie,  O  gué!  Par  maryâ  sa  mie 
(chanson  de  fête  de  vignerons,  1819,  Po  recafd,  p.  142). 
Fr.  pop.  Il  a  marié  sa  domestique  (Callet);  sais-tu  que  Jacques, 
le  célibataire,  va  marier  la  fille  à  Truchet  (Humbert)  ;  marier 
sa  femme  (Dupertuis)  ;  il  a  marié  une  institutrice  {^Parlons 
français);  cf.  Guillebert,  p.  238,  Grangier,  Péter.  Manière 
de  s'exprimer  encore  très  répandue  dans  toute  la  Suisse  fran- 
çaise et  au  delà  (Savoie,  Franche -Comté).  II.  1.  Se  son 
maryâ  in  Verdon,  il  se  sont  mariés  à  Yverdon  (Vd  Vaugondry). 
So?idzon  a  Ibou  maryâ  dèvan  d'éihr  échœ  dèréi  lé-z  orblyè, 
ils  songent  à  se  (leur)  marier  avant  d'être  secs  derrière  les 
oreilles,  avant  l'âge  (Vd  Blonay).  Se  maryâ  intr?  katro  lan, 
se  m.  entre  quatre  planches,  mourir,  se  dit  de  fiancés  qui  meu- 
rent avant  la  noce  (ib.).  Kan  mè  su  maryâ,  ]\fè  su  tnaryâ  de  néy 
Vé  prâi  on.na  fèna  As9  nâird  Kon  korbé,  quand  je  me  suis 
marié....  de  nuit,  J'ai  pris  une  femme  Aussi  noire  qu'un  corbeau 
(Chanson  pop.  Vd).  Ché  niaryâ  avoué  lo  pan  è  la  mot  a,  se  m. 
avec  le  pain  et  le  fromage,  contracter  un  mariage  pauvre 
(V  Evolène).  Mârya  tè,  fou  choudré  vouéro  kbtè  la  châ,  marie- 
toi,  tu  sauras  combien  coûte  le  sel  (V  Grône).  S?  maryâ  à  ku 
d?  lotd,  se  marier  en  cul  de  hotte,  se  dit  quand  l'époux  va 
demeurer  chez  l'épouse  (G  Bernex).  Se  maryâ  avèi  lou  nian- 
dzou  de  la  r3?nas3,  se  m.  avec  le  manche  du  balai,  ne  pas  trou- 
ver un  mari  (F  Praz-sur-Siviriez).  Tyin  is  va  t3  màry'à,  quand 
veux-tu  te  marier  ?  (commencement  d'une  chanson  très  répan- 
due dans  le  Jura  bernois  ;  elle  peint  l'insouciance  de  la  jeu- 
nesse: Jeannot,  à  qui  s'adresse  cette  question,  prétend  nourrir 
son  épouse  de  pain  blanc,  la  vêtir  de  soie,  etc.,  voir  Arch.  s. 
trad.  pop.  V,  216  ss.).  Ly'è  la  filye  de  nouthron  vejin  ke  ch'c 
mariâye,  Din  na  niéjon  de  pouretâ  yô  le  jelâye.  O  !  le  bon  fin 
ke  rare  Vèpaojakan  revindrè  !  Cf-X  la  fille  de  notre  voisin  qui 
s'est  mariée,  Dans  une  maison  «  de  pauvreté  »  où  elle  est  allée. 


LA   TRILOGIE   DE   LA    VIE  41 

Oh  !  le  beau  temps  qu'elle  aura  l'épouse,  quand  elle  reviendra! 
(Chanson  pop.  fribourgeoise  qui  peint  d'une  façon  poignante 
la  misère  d'un  ménage  pauvre  ;  Gruy.  ill.  IV-V,  p.  70  ;  aussi 
connue  dans  le  canton  de  Vaud  et  en  Savoie  ;  voir  Po  recafâ^ 
p.  200,  et  Servettaz,  Chans.  de  la  Savoie,  p.  233).  La  résse 
dera:  mâria-tc.  Et  lo  inoiilin :  n'tè  maria  pas .' ha.  scie  dira: 
marie-toi,  et  le  moulin  :  ne  te  marie  pas  (à  un  indécis  qui  ne  se 
résout  pas  à  se  marier,  Favrat,  Afe'/.,  p.  226). 

Pour  se  marier  à  l'état-civil  et  à  l'église,  nous  avons  les 
expressions  suivantes  :  I  (mariage  civil)  :  se  maryâ  tsî  lo  pHa- 
bosoti,  chez  l'officier  d'état-civil  (Vd)  :  «  an  civil  »  p.  ex.  u  sivih 
(V  Lourtier):  an  l'ekol,  à  l'école  (B  et  ailleurs,  parce  qu'une 
salle  d'école  sert  souvent  de  local,  d'autant  plus  que  l'officier 
d'état-civil  est  très  souvent  choisi  parmi  le  personnel  ensei- 
gnant); u  mouylin,  au  moulin  (Vd  Leysin,  tournure  ironique). 
II  (mariage  religieux):  à  l'église  (wi???/, F,  Vully  vaudois),  7noti? 
B,  sarmon  N  Noiraigue,  in  layzd  V  Lourtier,  pridzo  Vd),  ou 
«  devant  l'église»,  dèvan  lo  prir?,  le  prêtre,  V  Evolène,  «  au 
prêtre  »  :  â  prêt  B  Pommerats,  â  tyurid  B  Séprais. 

Tours  plaisants  pour  se  marier  (nous  traduisons  en  français;  : 
«  faire  babiller  le  ministre  »  (Vd);  «  faire  le  grand  saut  »,  c'est- 
à-dire  du  haut  de  la  chaire,  par  la  publication  des  bans,  ou  faire 
la  «  déguillée  »,  chute  (  Vd)  ;  «  se  tordre  le  cou  »  (V,  F,  B)  «  se 
mettre  la  corde  au  cou»  (partout);  «se  f...  loin»,  «  se  tirer 
loin  »,  «  se  jeter  loin  »  (V  Champery)  ;  «  se  mettre  en  une  », 
c'est-à-dire  ensemble  (V  Lourtier)  ;  far  pasd  la  fan  du  ku  pe 
atrapa  la  fan  de  dà  (  dents,  G  Bernex).  Quelques-unes  de  ces 
locutions  ont  évidemment  le  sens  de  se  mésallier,  cf.  encore 
se  m? maryâ. 

III.  1.  Ndï  jnaryâ,  nouveau  marié  (Vd  Rossinières),  to  frâ 
màryà,  tout  frais  m.  (B  Vermes).  Chon  maryâ!  ils  sont  mariés, 
se  dit  ironiquement  d'un  mariage  malheureux  (V  Evolène). 
Maryd  sein  idrs  èpouzd  ou  tnarvd  kiman  lè-zozi,  mariés  sans 
être  épousés  ou  mariés  comme  les  oiseaux,  d'un  concubinage 
(F  Granges-de-Vesim.   On yâdzo  maryâ,  tsakon  a  d?  l'aréta-tc. 


42  L.    GAUCHAT 

une  fois  marié,  chacun  a  de  «  l'arréte-toi  »  (Vd  Ormont-dessus). 
m.  2.  È  m' in  mi  h  pu  â  hou,  Po  s  k  etÔ  l3  pu  nityou,  You  ! 
Vi-z  à  vi  d  là  màryà.  You!  Br'indyin  nÔ-z  amour  pesa!  Ils 
m'ont  mis  le  plus  au  bout,  Parce  que  j'étais  le  plus  jeune,  You  ! 
Vis-à-vis  de  la  mariée.  You  1  Portons  la  santé  à  nos  amours 
passés  !  (B,  Arch.  s.  trad.  pop.  IV,  163). 

Proverbes  :  Que  ta  se  mâryc^  mau  se  mârye,  qui  tard  se  m., 
mal  se  m.  A  la  couâita  que  se  mâryè,  à  lezi  s'ein  repein,  qui  se 
marie  à  la  hâte,  s'en  repent  à  loisir.  On  è  pllie  vito  (plus  vite) 
maria  que  bin  lodzî.  Variante  valaisanne  :  On-n  è  pyé  vito  hyin 
maryà  kè  hyin  deno,  que  bien  dîné,  rassasié.  Fo  se  peindre  et 
po  se  maria,  ne  lài fau  pas  gran  tein  pensa  (F:  mouja).,  pour 
se  ])endre  et  pour  se  m.,  il  n'y  faut  pas  longtemps  penser. 
le  fau  se  maria  po  se  fer e  à  hllamâ,  ie  fau  mûri  po  se  fer e  à 
gabâ,  il  faut  se  m.  pour  se  faire  (à)  blâmer,  il  faut  mourir  pour 
se  faire  (à)  louer.  Ci  que  mâryc  onna  galéza  fènna,  ein  mâryè 
duvè,  celui  qui  épouse  une  femme  jolie,  en  épouse  deux  (non 
seulement  la  jolie,  mais  la  laide  qu'elle  deviendra  plus  tard) 
(V  Lens,  avec  plus  de  force  concise  :  Marya  zènta  (jolie), 
marya  daoïa).  Terra  mâryè  jnerda  et  Vardzein  ponte  dzein, 
la  terre  s'attache  à  m.  et  l'argent  allie  les  vilaines  gens.  Va- 
riante du  Valais  ;  {ki)  mâryc  tèra,  mâryè  mèrda,  qui  épouse  de 
la  fortune,  épouse  des  occasions  de  soucis.  Le  louï  d'or  marian 
le  iiu  tor,  les  louis  d'or  accouplent  (même)  les  c...  tordus.  Mau 
se  maria,  mau  se  pa  maria.  Mariâdc-vo,  mariâdc-vo  pa.  Mo 
le  motzè^  mô  le  tavan;  mô  le  piau,  mô  le  mol  an,  Diahllo  Von, 
diabllo  Pautro,  que  vous  vous  mariiez  ou  pas,  mauvaises  les 
mouches,  mauvais  les  taons,  mauvais  les  poux,  mauvaises  les 
teignes,  au  diable  l'un,  au  diable  l'autre.  Maria-tè,  ne  tè  maria 
pa.  Assura  que  te  fein  repeintra,  marie-toi,  ne  te  marie  pas,  il 
est  sûr  que  tu  t'en  repentiras  {Po  recafâ,  p.  400-402),  I  fd  bon 
maria  dés  %nllic,  on  se  marié  prau  sovein,  il  fait  bon  épouser 
des  vieilles,  on  se  marie  (au  moins)  assez  souvent  {Rec.  Corhaz, 
p.  52).  Ci  ki  se  mâryc  sin  cchin,  n'in-n  arc  jainc  rin,  celui  qui 
se  marie  sans  escient,  n'en  aura  jamais  rien  (Vd  Pailly).  Le 


LA    TRILOGIE    DE   LA   VIE  43 

Jilye  a  maryâ  san  pènâhlyd  a  garda,  les  filles  à  marier  sont 
pénibles  à  garder.  Ko  a  dai  fdly?  a  tnaryâ,  lai  fô  dd  Vèrdzè  a 
plyantâ,  qui  a  des  filles  à  marier,  il  lui  faut  de  l'argent  à 
planter  (à  l'origine:  à  pi  enté  ■=z  en  masse;  Vd  Ormont-dessus). 
Fà  marya  h  lâit  po  l'arcdu,  il  faut  m.  le  loup  pour  l'arrêter. 
Fà  cihrs  don  po  se  marya,  yen  c  ysna,  il  faut  être  deux  pour 
se  m.,  un  et  une,  disent  les  parents  à  leurs  enfants  impatients 
de  se  m.  Ka7i  chè  maryon,  chou  prbouk  rètso,  quand  on  se 
marie,  on  est  (toujours)  assez  riche  (V  Grône).  Tôt  chè  mâryè 
c  tôt  chè  kouèty  Chbf  yb  è  H  moulèt  (ou:  ^  //'  tsivri jouet),  tout 
se  marie  et  tout  se  ramasse,  sauf  moi  et  le  mulet  (le  hibou), 
lamentation  des  filles  à  marier  (V  Anniviers).  Marya  ta  fslyè 
a  boiin  san,  Plyanta  ta  V3nyè  a  boun  plyan,  marie  ta  fille  à  bon 
sang,  plante  ta  vigne  de  bon  plant  (G  Hermance).  J/arjï/  vuto 
ou  ta,  Chovin  le  ch'achoupd,  marier  vite  ou  tard,  souvent  c'est 
se  tromper  (FLessoc).  El  è  as  vit  arivâ  d  S9  maryâ  kd  d? pètâ, 
il  est  aussi  vite  arrivé,  etc.  (N  Savagnier).  Su  k?  s  maris  fè  bin, 
èpœ  su  k?  s  mari?  p  fè  inkb  mœ,  celui  qui  se  marie  fait  bien,  et 
(puis)  celui  qui  (ne)  se  marie  pas  fait  encore  mieux  (B  Séprais). 
Lf  djoué  d?  là  Sin  Dni,  Vousr  s?  maris  an  midnœ,  le  jour  de  la 
Saint-Denis,  le  vent  se  marie  (^  ?)  à  minuit  (B  Epauvillers). 
Mdry'à  â  bon,  min  d  S9  rmàryà  n  va  dyàr,  (se)  m.  est  bon,  mais 
de  se  remarier  ne  vaut  guère  (B  Develier).  Stu  k  maris  in  fÔ 
pb  son  bïn,  vœ  pésdrd  h  bin,  min  l  fÔ  dmÔr?,  celui  qui  épouse 
un  fou  pour  son  bien,  perdra  le  bien,  mais  le  fou  reste  (B  Bou- 
rignon).  5  à  tyin  là  bâchais  à  màryà  k  an  trbvs  l  pu  ds 
djindrs,  c'est  quand  la  fille  est  mariée  qu'on  trouve  le  plus  de 
gendres  (ib.). 

Voir  d'autres  proverbes  sous  maryâdzo,fena,  cpâo. 

Ilisl.  maritave,  proprement  «  pourvoir  d'un  mari  »,  prend 
dès  la  haute  latinité  le  sens  de  conjoindre.  C'est  probablement 
grâce  à  la  confusion  de  mariage  et  noces,  qui  est  générale,  que 
s'établit  sur  un  terrain  plus  restreint  celle  de  marier  avec 
épouser.  Ce  dernier,  ainsi  que  le  mot  mari  (remplacé  par 
homme)  est  très  peu  usité  chez  nous. 


44  L.    GAUCHAT 

Encycl.  Se  marier,  c'est  le  rêve  de  toute  jeune  fille.  Aussi 
employait-on  jadis  toute  sorte  de  moyens  pour  savoir  si  ce 
vœu  se  réaliserait,  et  nous  ne  saurions  affirmer  que  toutes  ces 
pratiques  soient  complètement  abandonnées.  I.  Oracles:  Les 
filles  effeuillent  une  grande  marguerite  des  champs  en  disant  : 
maryd,  pd  maryd,  restd  fdlyy,  v?/ii  7nouin.na  (devenir  nonne)  i 
le  mot  qu'on  prononce  en  arrachant  le  dernier  pétale  est 
décisif  (F  ;  B  Plagne,  où  l'on  dit  plus  simplement:  maryè ,  pè 
maryè).  Si  le  résultat  est  négatif,  on  est  renvoyé  d'une  année 
(B).  S'il  est  positif,  on  lance  en  l'air  les  étamines  de  la  margue- 
rite, préalablement  bien  séparées  les  unes  des  autres  :  le  nombre 
d'étamines  retombant  sur  le  dos  de  la  main  est  celui  des 
enfants  qu'on  aura.  Dans  le  canton  de  Fribourg,  on  fait  le 
même  jeu  avec  les  pétales  et  les  pistils  qu'on  dispose  sur  la 
main:  les  pistils  jaunes  qui  retombent  sur  le  dos  de  la  main 
indiquent  le  nombre  des  garçons  qu'on  aura,  les  pétales  celui 
des  fillettes.  —  Il  faut  mettre  un  trèfle  à  quatre  feuilles  sous  le 
gros  orteil  avant  de  se  chausser  :  la  première  personne  qu'on 
rencontrera  sera  le  futur  conjoint  ou  la  future  conjointe 
(V  Bagnes).  —  La  jeune  fille  qui  désire  se  marier  va  déposer 
au  mois  de  mai,  à  la  tombée  de  la  nuit,  une  branche  de  gui 
au  pied  de  la  roche  qui  forme  la  caverne  de  Faira  (Jura  ber- 
nois). Les  garçons  qui  la  surprennent  ne  manquent  pas  de  lui 
crier  :  t?  i  rvà  (tu  y  rêvas,  Arch.  s.  trad.pop.  VII,  174-175).  — 
Qui  réussit  à  compter  neuf  étoiles  pendant  neuf  soirées  consé- 
cutives se  mariera  dans  l'année  (neuvaine  des  étoiles,  V 
Bagnes).  —  La  veille  de  Noël  (à  minuit)  est  particulièrement 
apte  à  éclairer  les  amoureux.  C'est  le  moment  qu'on  choisit 
pour  verser  du  plomb  fondu  dans  un  vase  plein  d'eau.  Si  le 
plomb  reste  massif,  cela  indique  la  richesse  ;  s'il  se  désagrège 
en  fragments,  la  pauvreté  ;  dans  la  forme  qu'il  prend  on  recon- 
naît, en  y  mettant  un  peu  de  bonne  volonté,  un  instrument  ara- 
toire, une  arme,  un  ustensile  de  ménage,  ce  qui  indique  la 
condition  du  futur.  Autrefois,  au  temps  des  petites  fenêtres 
encadrées    de   plomb,  ce   métal   ne   manquait  pas    dans   les 


LA   TRILOGIE   DE   LA   VIE  45 

familles.  On  avait  aussi  l'habitude  de  fondre  à  domicile  les 
balles  de  fusils.  A  défaut  de  plomb,  on  fondait  de  la  cire  (qui 
se  trouvait  dans  chaque  panier  à  ouvrage  tant  qu'on  cirait 
encore  le  fil  à  coudre).  Si  les  gouttelettes  de  cire  s'accostaient 
dans  l'eau,  c'était  un  signe  de  mariage  ;  si  elles  semblaient  se 
fuir,  un  présage  du  contraire.  —  A  la  même  heure,  les  filles 
s'approchaient  «  à  reculons  »  du  tas  de  bois  bien  amoncelé  sous 
Tauvent  et  en  retiraient  une  bûche,  la  première  que  la  main 
touchait.  Si  la  bûche  était  belle,  droite,  le  futur  serait  de  belle 
stature;  si  elle  était  recourbée,  noueuse,  il  serait  d'humeur  diffi- 
cile. Il  fallait  ensuite  aller  frapper  de  cette  bûche  à  l'étable  à 
porcs.  Si  le  cochon  ne  répondait  pas,  le  mari  serait  facile  à 
mener  ;  s'il  grognait,  il  serait  grincheux.  Inutile  de  dire  que  les 
filles  prenaient  garde  de  ne  pas  frapper  trop  fort  (Vd,  B,  voir 
Bull,  du  Gloss.  IV,  24).  —  On  pouvait  aussi  consulter  une 
aiguillée  de  fil  qu'on  avait  filée  pendant  que  la  «  retraite  »  (le 
couvre-feu)  sonnait,  et  qu'on  attachait,  en  cachette  et  sans 
lumière,  à  une  croisée  de  chemins.  Le  premier  qui  passait  et 
qui  cassait  le  fil  était  le  futur  (Vd.).  —  On  rêvait  de  son  futur 
en  disant  le  soir  de  Noël  trois  fois  l'oraison  dominicale  et 
en  montant  dans  son  lit  en  lui  tournant  le  dos  (Vd  Vallée 
de  Joux).  —  La  coutume  existe  encore  de  se  faire  viri?  lé 
kiitck',  tourner  les  cartes,  par  quelque  commère  passant  pour 
s'y  connaître  (B  et  ailleurs).  —  La  veille  de  l'an,  en  entendant 
frapper  les  douze  coups  de  minuit,  il  fallait  écrire  son  nom. 
On  voyait  alors  en  songe  l'image  du  futur  (Vd  Le  Chenit).  — 
IL  Prédîclions  :  Pour  être  sûres  de  trouver  un  mari,  les  jeunes 
•couturières  mettaient  de  leurs  cheveux  dans  l'ourlet  d'une 
robe  de  mariée  (ib.).  —  La  personne  à  qui  l'on  verse  à  boire 
la  dernière  goutte  d'une  bouteille  se  mariera  dans  l'année 
(G  Bernex).  —  Si,  le  jour  des  Brandons,  un  garçon  et  une 
jeune  fille  sautent  le  feu  sans  le  toucher,  ils  se  marieront  (ib.). 
—  Le  garçon  dont  une  fille  rêve  le  soir  de  la  messe  de  minuit, 
deviendra  son  mari  (ib.).  —  La  fille  d'honneur  qui  reçoit  de  la 
mariée  un  bout  de  son  voile  et  un  bouton  de  sa  couronne,  se 


46  W.    PIERREHUMBERT 

mariera  dans  les  douze  mois  suivants  (ib.).  —  On  recommande 
partout  aux  jeunes  filles  de  ne  pas  entamer  une  miche  de  pain 
ni  un  morceau  de  beurre  moulé,  si  elles  ne  veulent  pas  risquer 
de  coiffer  sainte  Catherine.  —  Trop  aimer  les  chats  empêche 
de  se  marier  (Vd  Ormonts). 

Dans  plusieurs  parties  de  la  France,  on  a  découvert  des 
traces  d'un  rite  curieux  :  les  filles  désireuses  de  se  marier  dans 
l'année  montaient  sur  une  roche  doucement  inclinée  et  se 
laissaient  glisser  du  haut  en  bas.  Si  elles  ne  s'écorchaient  pas, 
elles  se  croyaient  assurées  de  trouver  bientôt  un  mari.  M.  Sé- 
billot  croit  que  la  Pirra  Lozenza,  en  Valais,  sur  laquelle  les 
bergers  s'amusent  encore  à  glisser  (selon  B.  Reber,  Bull.  Soc. 
d'Anthropologie,  1903,  33),  a  pu  servir  autrefois  au  même  but 
{Le  Folk-Lore  de  France,  I,  338). 

Voir  d'autres  traits  de  superstition  concernant  le  mariage 

sous  niaryàdzo,  Eficycl. 

L.  Gauchat. 

— ->^<- — 
LES  ÉQUIVALENTS  D  «  LM FORTUNE R  » 

DANS  LE  PARLER  SUISSE  ROMAND* 
-♦- 

Le  parler  de  la  Suisse  romande  —  l'auteur  de  ces  lignes 
connaît  surtout  celui  de  Neuchâtel  —  renferme  une  jolie  col- 
lection de  termes,  plus  ou  moins  pittoresques,  pour  rendre 
l'idée  d'«  importuner  »  quelqu'un.  Nous  avons  une  trentaine 
de  façons  de  dire  :  «  Vous  m'ennuyez  !  »  qui  toutes,  sous  leur 
apparente  synonymie,  comportent  des  nuances  souvent  expres- 
sives. Au  reste,  le  français  d'outre-Jura,  même  abstraction 
faite  de  l'argot,  n'est  guère  moins  riche  en  termes,  en  nuances 
et  en  images  exprimant  des  idées  analogues.  A  côté  d'impor- 


*  La  substance   de  cet  article  est  tirée  d'un    glossaire  du   français^ 
suisse  romand  en  préparation. 


LES    ÉQ.UIVALEXTS   D'«  IMPORTUNER  »  47 

tuner  et  di  ennuyer,  dont  la  compréhension  est  étendue,  voici 
d'une  part  houspiller,  tarabuster,  (piereller.  taquiner,  chicaner , 
puis,  marquant  spécialement  une  action  sur  le  système  nerveux, 
agacer,  énerver,  horripiler,  exaspérer,  impatienter,  enfin,  expri- 
mant l'ennui  proprement  dit,  assommer,  endormir,  rompre  la 
tête,  scier  le  dos,  raser,  sans  parler  du  très  trivial  embêter,  qui 
broche  sur  le  tout. 

La  variété  et  le  pittoresque  des  mots  que  nous  allons  passer 
en  revue  doit  tenir  à  ce  fait  d'ordre  psychologique  :  ennuyé 
ou  agacé  par  un  «  embêtement  »  ou  un  «  embêteur  »  quel- 
conque, vous  cédez  à  un  mouvement  d'impatience  et  d'humeur 
qui  se  traduit  immédiatement  par  une  expression  vive  et  forte, 
une  métaphore  hardie  :  et  le  fâcheux  aura  eu  tout  au  moins  le 
mérite  de  faire  revivre  dans  votre  bouche  tel  ou  tel  vieux  mot 
dont  le  sens  propre  allait  se  perdre  tout  à  fait, 

I.  Métaphores  tirées  de  divers  instruments. 

Certains  instruments,  par  les  sons  monotones  et  agaçants 
qu'ils  produisent,  ont  donné  leurs  noms  aux  personnes  ou  aux 
choses  ennuyeuses.  Citons  en  particulier  : 

I.  La  meule.  —  Quelle  meule  !  se  dit  d'un  discours  assom- 
mant, d'une  rengaine  fastidieuse.  Si  f  avais  su  qu'on  m'en  ferait 
de  telles  meules,  je  n' aurais  pas  dit  un  mot  du  concours. 
T.  Combe,  Biblioth.  univ.,  1896,  t.  III,  p.  145.  —  Faire  la 
meule  à  quelqu'un,  ou  le  meuler,  c'est  l'ennuyer,  lui  rabâcher 
des  sornettes.  Ejifin,  nous  ne  sommes  pas  ici  pour  nous  faire  la 
meule.  W.  BiOLLEY,  L'Apaisement,  VIII.  Viens  voir  pas  me 
meuler:  quand  f  ai  dit  non,  c'est  bon.  Absolument:  Elle  meule, 
cette  pluie,  ça  ne  veut  pas  quitter.  —  Ce  verbe,  inconnu  au 
français,  correspond  au  patois  molâ,  émoudre.  On  le  trouve 
au  sens  de  «  tourner  la  meule,  moudre  »  dans  la  Bible  d'Oster- 
vald,  Ecclésiaste,  XII,  5  :  «  Lorsque  celles  qui  meulent  cesse- 
ront, parce  qu'elles  auront  été  diminuées....  »  —  Un  personnage 
importun  est  un  meulard ,  mot  sans  doute  influencé  par  le 
terme  dialectal  molare,  rémouleur. 


48  W.   PIERREHUMBERT 

2.  La  segneule  (prononcez  snyœl),  cant.  de  Vaud  signôle'. 
—  C'est  proprement  une  manivelle  ;  sens  qui  n'est  plus  guère 
connu.  Segneule  se  dit  de  toute  ritournelle  ennuyeuse.  Faire 
des  segneules,  faire  la  segneule  à  quelqu'un^  le  se  gueuler^  lui 
res'gneuler  une  chose,  c'est  l'importuner  de  diverses  façons. 
Ses  parents  se  sont  mis  après  elle  et  lui  ont  fait  une  de  ces 
signales... .  B.  Vallotton,  Sergent  Bataillard,  p.  250.  Tu 
ni  fais  la  s'gneule  avec  tes  taches  !  viens  donc  pas  s'gneuler  par 
ici.  —  Le  fâcheux  est  7m  segneulard,  un  segneuleur  ou  une 
segneule.  Le  vieux  Ahram- Louis  est  la  plus  grande  segnieule 
que  je  connaisse.   Bonhôte,  Gloss.  neuch. 

3.  La  vouingue  ou  ouingue"-.  —  Ce  mot  signifie  au  sens 
propre  un  cric  ou  un  treuil  à  manivelle.  On  souhaite  d'acheter 
un  gros,  fort  et  bon  cric,  soit  levier  ou  vuingue.  Feuille  d'avis 
de  Neuchâtel,  19  juillet  1770.  On  conçoit  dès  lors  qu'une 
vouingue  ou  vouinguée  se  dise  de  tout  bruit  monotone  et  grin- 
çant, comme  celui  d'une  batteuse,  des  contrevents  mal  croches, 
etc.,  et  aussi  d'une  serinette  importune.  Quelle  ouingue  elle 
fait  avec  ses  solfèges;  a-t-elle  hientôt  tout  ouingue? —  Les 
joueurs  de  char  connaissent  une  autre  acception  spéciale  de 
ce  mot. 

4.  La  scie.  —  Métaphore  bien  connue  en  France.  Faire  la 
scie  à  quelqu'un.  Tais-toi,  vieille  scie!  —  «  Scier»  est  donné 
par  les  dictionnaires  dans  l'expression  «  scier  le  dos  ».  Nous 
disons  plutôt  scier  les  cotes.  File  tne  scie  les  côtes  avec  toutes 
ses  racontes. 

5.  Le  rasoir.  —  Ici  encore  nous  sommes  dans  le  français 
populaire.  Raser  quelqu'un,  lui  faire  des  rases.,  des  discours 
rasants,  —  être  un  raseur,  un  rasoir,  une  vieille  rase,  sont  trop 
connus  pour  que  nous  nous  y  arrêtions. 


'  Littré  a  les  formes  signale,  soiiaînole,  Godefroy  ceoignole  et  sigognole, 
Du  Gange  songnole,  désignant  divers  mécanismes  articulés.  L'étymo- 
logie  du  mot,  suivant  A.  Thomas,  Mélanges  d'étymoh,  p.  144,  est 
•ciconiola,  la  manivelle  rappelant  un  bec  de  cigogne. 

-  Mot  de  même  racine  que  le  français  «  guinder  ». 


LES  ÉQ.UI\ALENTS   D'«  IMPORTUNER  »  49 

6.  Le  char.  —  Charrier  quelqu'un,  c'est  le  berner,  le  faire 
endêver,  le  houspiller;  équivalent  exact  de  \t  faire  aller  (en 
•char!)  que  nous  retrouverons  plus  tard.  Pauvre  diable!  ce 
qu'on  l'a  charrié  avec  sa  fréquetitation  en  ville!  Est-ce  de 
l'argot  ? 

7.  La  vioûle  ou  viole.  —  Cet  instrument  de  musique  ne 
de'signe  pas,  ou  ne  désigne  plus  chez  nous  la  viole  ou  la  vielle. 
Au  canton  de  Vaud,  la  vioûle  est  l'instrument  de  bois  ou  de 
•cuivre  des  musiciens  ambulants,  et,  à  Neuchâtel,  l'orgue  de 
Barbarie.  La  ritournelle  de  cet  humble  instrument  a  le  don 
d'agacer  les  nerfs  ;  aussi  toute  musique  ennuyeuse,  et  par  exten- 
sion tout  discours  ou  toute  chose  fastidieuse,  devient  une 
vioiile.  Au  diable  la  maudite  vioule  et  les  plaisirs  de  la  foire  ! 
Le  Neuchâtelois,  20  avril  1909.  La  porte  fait  des  vioûlées.  Et 
la  santé,  comment  va?  —  Oh!  c'est  toujours  la  même  viole. 
Quelle  vioûle  est-ce  que  tu  me  fais?  on  la  sait,  va,  ne  reviens 
pas  la  vioûler  ! 

8.  La  quinquerne.  —  Du  sens  primitif  de  guitare <  ou 
vielle,  ce  mot  est  également  déchu  au  sens  d'orgue  de  Bar- 
barie. Supplice  des  oreilles  sensibles,  la  quinquerne  devait  fata- 
lement désigner  aussi  une  serinette  quelconque,  un  sot  babil, 
des  redites  importunes,  ou  encore  un  fâcheux  rabâcheur.  Les 
deux  daines  Voucbe  et  Racolin,  c'est  ça  des  quinquernes  ! 
U.  Olivier,  La  servante  du  docteur,  XIX.  Ton  père  aurait 
bien  envoyé profuener  le  ministre  avec  ses  quinquerneries.  lD.,La 
maison  du  ravin,  XIII.  La  mère  n'a  jamais  tout  lamenté  et 
quinquerne .  ID.,  L'oncle  Matthias,  I,  ch.  8.  Elle  quinquerne  son 
mari  toute  la  sainte  journée.  HuMBERT,  Gloss.  genev.  Finis 
donc  tes  quinquernages.  BoNHÔTE,  Gloss.  neuch.  —  Ce  mot  a 
beaucoup  vieilli  à  Neuchâtel,  comme  d'ailleurs  presque  tous 
les  termes  locaux  cités  dans  ces  pages. 


1  Quinquerne  est  probablement  apparenté  à  l'ancien  franc,  guiterne. 
—  Guitare  se  dit  aussi  en  français  pour  «  scie»,  «  redite  ».  Autre  gui- 
tare .'... 


50  W.    PIERREHUMBERT 

II.  Termes  locaux  divers. 

1 .  Bringue,  bringuer.  —  Ce  mot  est  en  revanche  en  pleine 
faveur  aujourd'hui  dans  le  langage  trivial.  Mais  deux  sens  prin- 
cipaux sont  à  distinguer  ici:  i»  Mauvaise  chicane,  querelle- 
d'auberge  ou  autre,  provocation.  Allons,  gar(o?is,  pas  de 
bêtises,  ce  tiest  pas  une  bringue  à  nous  monter,  celle-là.. 
T.  Combe,  Pauvre  Marcel,  p.  157.  Fichons-le  dehors  si  i  com- 
mence des  bringues.  En  ce  sens,  bringuer  =  provoquer  des 
querelles,  chercher  chicane  "•.  Çui  qtii  veut  bringuer,  hardi  !  on 
le  sort.  De  même  un  bringueur  est  un  querelleur.  —  a»  Impor- 
tunité,  ennui  :  C'en  est  une  de  bringue,  ce  procès  !  Ritournelle,, 
serinette  :  Ils  font  entefidre,a7<ec  accompagnement  de  Jliltes,  des 
chafits  monotones,  de  vraies  bringues.  E.  H.ekny,  Trois  ans 
chez  les  Canaques,  XIX.  Faire  la  bringue  à  quelqu'un,  le  brin- 
guer, l'ennuyer,  lui  rebattre  les  oreilles.  Lui  bringuer  quelque 
chose,  le  lui  ressasser.  Nous  Va-t-on  pourtant  bringuée,  cette 
règle  des  participes  !  Tais-toi,  tu  m' fais  la  bringue  à  la  fin  ! 
Un  bringueur ,  une  bringasse  =  rabâcheur.  Une  chose  bringante 
=  assommante.  —  Pour  retrouver  le  sens  originel  du  mot, 
allem.  bringen,  apporter,  porter,  il  faut  remonter  aux  siècles 
passés,  où  une  bringue  signifiait  une  santé  «  portée  »,  un  toast-, 
et  bringuer,  porter  des  santés,  provoquer  à  boire  ;  voyez  dans 
BOYVE,  Annales  de  Neuchâtel,  années  1553  et  1564,  des  dé- 
fenses de  bringuer  ou  bringer.  Ces  provocations  à  boire  avaient 
pour  suites  ordinaires  l'ivresse  et  les  querelles.  —  Le  français 
a  retenu  le  mot  sous  la  forme  brinde ;  italien  brindisi. 

2.  Aringue.  —  Discours  ennuyeux  (littér.  «  harangue  »,ital. 
ari?iga).  File  m'a  fait  des  longues  aringue  s.  Au  figuré,  chose 


1  Embringuer  se  dit  aussi  parfois.  Viens  pas  nous  embringuer  !  S'em— 
bringuer  avec  quelqu'un,  s'acoquiner  avec  lui. 

"^  «  S.  Exe.  fit  l'honneur  en  après  de  boire  et  de  faire  raison  à  tous 
ceux  du  magistrat  l'un  après  l'autre.  Les  bringues  et  la  nuit  obligèrent 
à  la  fin  un  chacun  de  la  compagnie  à  songer  à  la  retraite.  »  Journal 
(1646-1675)  de  J.-N.  Vergier,  dans  Vautrey,  Histoire  des  Evêqnes  de, 
Bâle,  II,  p.  233. 


LES   ÉQ.UIVALENTS    D'«  IMPORTUNER  »  51 

longue  et  pe'nible.   Cest  une  aringue,  pour  faire  rentrer  ces 
cotisations  ! 

3.  Ritoûle.  —  Ritournelle,  rengaine.  David,  tu  m' énerves 
à  la  fin  avec  ta  ritoule.  Ceresole,  En  cassant  les  noix,  p.  42. 
Mot  principalement  vaudois  et  bérochaud. 

4.  Triôle,  trioûle,  du  verbe  triôler,  trioûler,  à  Neuchâtel 
plutôt  tériôler,  térioûler.  —  Ce  verbe  signifie  «  répéter  plain- 
tivement la  même  chose,  importuner  par  des  demandes  réité- 
rées, (BONHÔTE,  GIoss.  neuch.,p.  247)  et  une  triôle  ou  térioûlée 
est  une  scie,  un  rabâchage,  f  espère  qu'en  me  répondant  vous 
ne  ferez  pas  comme  ??ioi  qui  ne  vous  parle  ici  que  de  ma  triôle. 
Rousseau,  Lettre  Boy  de  la  Tour  {Annales  Soc.  f.-f.  R.,  III^ 
p.  45).  Auguste  triaulait  sa  mère  pour  lui  donner  à  boire. 
U.  Olivier,  Un  fils  unique,  VII. 

5.  Aquepiller,  enquepiller  ou  équepiller^.  —  Mot  qui  se 
rencontre  assez  fréquemment  au  xvi=  siècle  au  sens  propre 
d'encombrer,  embarrasser.  Que  ?iul  n'aye  à  empescher  ny  enque- 
piller la  raye  du  moulin.  1556,  Etrennes  neuchâteloises,  I, 
p.  145.  Qu'il  n''enquepellat  les  chemins,  qu'on  ny  aye  asses 
large.  Acte  de  1557,  aux  arch.  de  Nods.  Aujourd'hui,  on  le 
dit  d'un  individu  qui  vous  embarrasse,  vous  importune,  vous 
est  à  charge.  Qu'i  ne  r'viêne  pas  nous  aquepiller  dans  notre 
cuisine,  ce  long  faitiéant.  Une  aquepille  {équepille,  etc.)  est  un 
importun  toujours  planté  là.  On  ne  peut  donc  plus  passer  par 
ici  avec  cette  acpille  toujours  au  cheniiti!  H.  Magnin,  Biblioth. 
Univ.,  1908,  t.  LII,  p.  491. 

6.  Encoubler.  —  Presque  exactement  synonyme  du  précé- 
dent, ce  verbe  très  usité  désigne  proprement  l'action  d'en- 
traver (de  couble  =:  entrave,  lat.  copula,  lien),  d'embarrasser. 


^  A  Neuchâtel,  euquepiller,  forme  originale,  s'entend  surtout  à  la 
Béroche,  équepiller  dans  le  reste  du  Vignoble  et  au  Val-de-Travers. 
aquepiller  aux  Montagnes  ;  cette  dernière  forme  tend  à  prédominer. 
M.  Gauchat  cite  le  mot  dans  son  étude  étymologique  sur  le  contraire 
dèquepilhr ;  voir  Bulletin,  1908,  p.  59. 


52  W.    PIERREHUMBERT 

Encoubler  un  bœuf.  S encouhler  dans  sa  robe,  sur  une  racine,  etc. 
De  là  au  sens  d'être  à  charge,  ennuyer,  importuner,  il  n'y  a 
qu'un  pas.  Au  lieu  de  nous  donner  un  coup  de  main,  qui  est-ce 
qui  nous  encouhle,  si  ce  n'est  pas  les  hommes?  O.  Huguenin, 
Récits  de  chez  nous  ;  Rivaux.  —  Une  personne  encombrante 
et  importune,  toujours  en  travers  de  votre  chemin  est  une 
encouble  (ou  aussi  une  encombre),  c'est-à-dire  une  entrave,  un 
embarras.  Ces  domestiques  allemands,  ça  n'est  souvent  que  des 
encoubles. 

7.  Empédger.  —  Ce  mot  est  plus  usité  au  sens  propre 
d'engluer,  poisser,  enduire  de  pèdge^,  qu'au  sens  figuré  d'en- 
nuyer, importuner.  Cet  estafier  a  filé...  mais  qui  dit  qu'on  fi'en 
va  pas  r'ctre  empedgé?  HuGUENiN,  Régent  de  Lignières,  IV. 
La  forme  vaudoise  et  bérochaude  est  empédzer,  et  pèdze.  L'im- 
portun lui-même,  dont  on  ne  sait  comment  se  dépêtrer 
[dépédger],  ou  aussi  le  lambin,  est  qualifié  de  pèdze,  de  grande 
pcdge. 

8.  Bousarder.  —  Absol.,  il  signifie  faire  du  vacarme  (du 
bousifi,  probablement),  quereller  ou  polissonner.  Ne  commencez 
pas  à  houzarder,  garçons!  cria  le  justicier.  Bachelin,  Jean- 
Louis,  II,  p.  293.  Bousarder  quelqu'un,  c'est  le  houspiller,  le 
tarabuster.  I^ais  pas  la  hcte,  j'suis  pas  d'humeur  à  m' laisser 
bousarder. 

9.  Ennioler.  —  Sens  général  d'ennuyer,  chicaner.  Une 
autre  fois  y  fera  ?nieux-  de  rester  à  Neuchâtel  plutos  que  de 
venir  nous  engnoller  ici.  Neuchâtel  s'amuse,  1909.  —  Mot  ge- 
nevois et  vaudois  et  sans  doute  aussi  français  populaire.  Gniolle, 
en  argot,  signifie  nigaud,  bête.  D'autre  part,  en  Suisse  romande, 
niolle[\dX.  nebula)  veut  dire  brouillard,  nuage,  bruine;  enfiioler 
pourrait  donc  revenir  à  embrumer  —  phénomène  éminemment 
ennuyeux. 


•■  Poix;  matière  collante.  Sur  ce  mot,  voir  L.  Gauchat,  Patois 
Dompîerre,  p.  34. 


LES   ÉQ.UIVALENTS    D'«  IMPORTUNER  »  53 

10.  Emphysiquer.  —  Ici  le  sens  ordinaire  est  duper,  trom- 
per, «  mettre  dedans  »,  mais  il  passe  facilement  à  celui  de 
conter  des  sornettes,  rompre  la  tête.  Viens  voir  pas  m' emphy- 
siquer avec  ton  schpiritisme. 

11.  Piorner.  —  Encore  dans  ce  mot,  dont  le  sens  propre 
est  pleurnicher,  larmoyer,  on  passe  souvent  au  sens  d"ennuyer 
(par  des  je'rémiades),  importuner  (par  des  plaintes).  Qii'est-ce 
qu'elle  est  venue  te  r' piorner,  la  Julie  ?  —  Elle  me  piorne  des 
heures  durant  pasque  son  hovcbe  fait  ses  rioûles.  La  piorne  est 
un  rabâcheur  d'humeur  essentiellement  grognon.  La  mère  est 
une  piorne,  une  quiuquerne  finie.  U.  Olivier,  L'oncle  Matthias, 
I,  ch.  3.  La  justicier e  devient  bien  piorne.  Bachelix,  Jean- 
Louis,  II,  p.  261.  Piorneur,  euse  on  piornu,  ue,  même  sens. 

12.  Attédier.  —  Dérivé  direct  du  latin  ttedium,  ennui, 
ce  verbe,  connu  du  vieux  français,  est  le  plus  classique  de  nos 
équivalents  d'ennuyer;  mais  il  n'est  à  notre  connaissance  plus 
du  tout  usité.  Peut-être,  d'ailleurs,  le  peuple  l'ignora-t-il  ; 
Ch.  Berthoud  (dans  LittrÉ,  Supplém.)  nous  apprend  qu'il  fut 
du  «  bon  usage  »  à  Neuchâtel  jusque  dans  le  XIX^  siècle.  Pour 
ne  pas  attédier  inutilement  la  cour,  il  pensait  qu'il  était  conve- 
nable de  s'assurer  préalablement  le  concours  du  magistrat. 
Lettre  de  Béville,  gouverneur  de  Neuchâtel,  1801,  ibid.  — 
Attédiation  =  importunité.  Ils  étaient  marris  de  l'attédiation 
que  les  dits  Ministraux  donnent  à  S.  A.  Factum  de  161 8,  dans 
J.  Boyve,  Annales,  III,  p.  454. 

13.  Chiner.  —  Mot  français  populaire  en  faveur  dans  la 
jeune  génération  surtout;  on  le  dit  pour  «  chicaner»,  taquiner, 
houspiller.  Les  étudiants  nous  chinent  un  peu  pendant  la  nuit... 
ils  nous  traitent  de  gâpions.  Vallotton,  Portes  entr'ouvertes, 
p.  198.  Je  doute  que  ce  soit  le  sens  original;  cf.  LlTTRÉ,  Suppl., 
sous  chineur.  Chez  nous,  un  chineur  est  un  taquin. 

L'idée  d'ennui  provoqué  par  des  demandes  répétées,  est 
encore  contenue  dans  nos  deux  verbes  roquer  ti  pétler  (ail. 
betteln),  qui  signifient  quémander,  mendier  avec  insistance, 
mais  sont  un  peu  en  dehors  du  cadre  de  notre  sujet. 


54  W.    PIERREHUMBERT 

III.  Mots  français  pris  dans  un  sens  figuré. 

Rappelons  meule,  scie,  raser  et  charrier,  cités  ci-dessus,  et 
ajoutons-y  : 

1.  Etouffer,  qui  s'emploie  concurremment  avec  le  terme 
vieilli  étoûtcher.  —  Tu  m' étouffes  !  ûgrix^t  chez  nous  ;  «  tu  m'a- 
gaces, tu  m'importunes  au  delà  de  toute  expression.  »  Rien  ne 
m'étouffe  comme  ces  montres  qu'on  vous  retourne,  deux, trois  fois 
de  suite.  L.  Favre,  Huit  jours  dans  la  neige,  VII.  Charrettes 
de  mouches,  ce  qu'elles  sont  étouffantes  !  Y" avait  assez  de  temps 
qu'on  était  étoiUché  de  sfheimatlâse  par  la  commune.  —  Une 
étouffe  (souvent  prononcé  étoûfe),une  étoufette,OM  une  étoûtche, 
est  un  personnage  ennuyeux,  désagréable,  qu'on  souhaiterait 
au  diable.  Quelle  pouètte  étoûfe,  s f  homme,  quand  il  a  bu  !  Leur 
gosse  est  une  étoufette,  un  fichu  gâtion.  Mots  tout  à  fait  locaux. 
—  Chez  nous,  le  sens  primordial  d'étouffer  est  moins  «  suffo- 
quer, asphyxier»,  qu'«  empester  »,  empuantir,  patois  étoûtchî. 
Aussi  son  emploi  au  figuré,  pour  expressif  qu'il  soit,  est  fort 
peu  choisi  et  même  franchement  offensant. 

2.  Endiabler,  avec  l'euphémisme  endianstrer  (pour  en- 
diantrer).  —  «  Il  me  fait  endiabler  »,  est  français;  nous  disons 
endiabler  quelqu'un,  pour  le  tracasser,  le  quereller,  l'ennuyer 
(le  faire  donner  au  diable),  et  endiabler,  absol.,  provoquer  des 
querelles,  faire  du  train,  manigancer.  T'as  voulu  nous  endians- 
trer ?  attends,  tu  veux  voir,  espèce  d'oiseau!  La  justicier e  a 
endiablé  pour  que  la  fjière  Tissot  ait  à  rembourser  ce  qu'elle 
devait.  Bachelin,  Jean-Louis,  p.  150.  —  Un  simple  diantrtn 
dianstrer  s'entend  quelquefois  ;  diabler  s'est  aussi  dit.  «  Quatre 
autres  tireurs,  pour  avoir  diable  dans  le  stand,  doivent  payer 
chacun  i  batz.  »  Quartier-la-Tente,  Le  canton  de  Neuchâtel, 
I,  p.  552.  —  Endiableur  ou  endianstreur,  querelleur. 

3.  Agoniser.  —  Maltraiter  en  paroles  ou  autrement,  que- 
reller, tarabuster.  PP allez  pas  le  dire  à  ma  femme,  elle  tn' ago- 
niserait jusqu'au  lendemain  du  Nouvel- An.  ValLOTTON,  Portes 
entr'ouvertes,  p.  65.  Cette  expression,  ainsi  que  agoniser  d'in- 


LES   ÉQUIVALENTS   D'«  LMPORTUNER  »  55 

jures,  de  reproches,  etc.,  appartient  au  français  populaire,  et 
Ch.  Berthoud  [Etudes  et  biogr.,  p.  54)  a  tort  de  la  qualifier 
de  «pas  française»,  c'est-à-dire  de  suisse  romande.  Ce  n'est 
qu'un  «:  barbarisme  »,  selon  l'expression  de  Stapfer,  Récréa- 
tions grainmat.  et  littér.,  p.  180  ;  agoniser,  au  sens  ci-dessus, 
et  aussi  agonir,  se  disent  tous  deux  en  France. 

4.  Emmieller.  —  Sens  général  d'importuner.  Ce  commis- 
voyageur  devrait  bien  se  passer  de  ci  venir  nous  emmieller.  — 
Remarquez  la  similitude  de  sens  avec  etnpédger  cité  ci-dessus. 
D'autre  part,  ce  mot  est  sans  doute  souvent  un  euphémisme 
pour  un  autre  emm....  très  grossier,  fort  usité  dans  le  bas  peuple. 

5.  Bassiner. —  On  bassine  un  lit  pour  procurer  un  sommeil 
agréable,  aussi  le  figuré  revient-il  à  «  endormir  »  =  assommer, 
■ennuyer.  Tu  m' bassines  avec  ta  tempérance.  I  devient  bassi- 
nant, il  est  bassin.  Français  populaire. 

6.  Monture.  —  Faire  la  monture  à  quelqu^un,  lui  faire  une 
monture.,  le  berner,  l'ennuyer  en  lui  contant  des  sornettes  ou 
de  toute  autre  façon.  Quelle  monture,  cette  pluie!  I  nous  a  fait 
la  monture  avec  sa  conférence  ;  ça  vaut  l'coup  pour  une  tnonture  ! 
Connu  en  France  '  ;  monture  revient  ici  à  «  coup  monté  ». 

7.  Boire  le  sang.  —  Cette  jolie  expression,  qui  fait  allusion 
aux  maudits  taons  de  la  saison  des  foins,  est-elle  connue  en 
dehors  de  nos  frontières  ?  Tu  me  bois  le  satig,  signifie  :  Tu 
m'excèdes,  tu  m'impatientes  !  va  au  diable  !  Un  buveur  de  sang 
est  chez  nous  un  tourmenteur,  un  agaceur,  point  du  tout  un 
homme  sanguinaire. 

8.  Faire  aller.  —  Expression  classique  pour  dire  se  mo- 
quer de  quelqu'un,  le  berner,  s'en  amuser.  T'as  envie  d'me 
faire  aller,  que?  —  Donné  par  l'Académie  comme  locution 
familière. 


'  Monture  a  en  outre,  chez  nous,  deux  sens  différents:  1°  Saynète 
■d'cntr'acte  dans  les  soirées  théâtrales  d'étudiants.  2°  Accès  de  colère. 
Piquer  une  monture. 


56  W.    PIERREHUMBERT 

9.  La  faire.  —  Avec  la  manie  actuelle  d'abréger  le  lan- 
gage, _/a/W  la  scie,  faire  la  meide^la  bringue,  la  monture,  etc.,. 
etc.,  devaient  naturellement  se  réduire  à  la  faire,  qui  exprime 
les  mêmes  idées  sous  une  forme  laconique.  Oti  ne  me  la  fait 
pas,  à  ;/w/ /  BiOLLEY,  L'araignée,  II,  se.  3. 

Mais  il  est  temps,  à  mon  tour,  de  ne  point  la  faire  au  lec- 
teur bienveillant  qui  n'aura  pas  été  trop  attédié  pour  suivre 
jusqu'au  bout  ces  quelques  notes  toutes  fragmentaires.  Nous 
n'entreprendrons  pas,  en  terminant,  de  nous  excuser  sur  ce 
qu'elles  ont  de  décousu,  ni  d'en  tirer  des  conclusions  en  forme. 
Il  nous  suffira  de  remarquer  —  ce  qui  d'ailleurs  saute  facile- 
ment aux  yeux  —  que  : 

1°  Les  termes  dialectaux  et  expressions  locales  ayant  un 
sens  péjoratif  et,  comme  c'est  le  cas  ici,  de  dénigrement  contre 
quelqu'un  ou  quelque  chose,  sont  de  ceux  qui  se  conservent  le 
mieux. 

2»  Un  mot  dialectal  peut  subsister  longtemps  dans  un  sens; 
figuré  suffisamment  expressif  alors  que  le  sens  propre  n'est 
plus  du  tout  ou  presque  plus  connu  ^.  C'est  surtout  le  cas  si  à 
un  sens  dépréciatif,  comme  ici,  s'adapte  une  forme  ou  une 
désinence  elle-même  péjorative  ;  remarquez  ci-dessus  la  termi- 
naison -oie  dans  viole (vioûlè), signale {segneule),  triole,  ritoûUy 
ennioler,  et  -ingue  dans  bringue,  vouingue,  aringue. 

3°  La  langue  populaire  de  France  pénètre  de  plus  en  plus 
l'idiome  romand.  Comme  celui-ci  ne  peut  plus  vivre  de  sa 
propre  substance,  dont  la  source  est  tarie,  et  que  cependant  le 
langage  vit  plus  que  jamais  aujourd'hui,  il  est  naturel  et  forcé 
qu'il  s'alimente,  avec  plus  ou  moins  de  bonheur,  au  dehors  ;. 
mais  il  est  à  souhaiter  que  notre  langage  conserve  le  plus  long- 
temps possible  des  traits  et  une  physionomie  propres. 

W.  PIERREHUMBERT. 


Cf  WissLER,  Das  scJnL'eixerische  Volksfran:(osisch,  p.  6; 


TEXTE 

-♦- 

La  vilyè. 

Chanson  populaire  en  patois  d'Hermance  (Genève). 

La  chanson  de  la  vieille  amoureuse,  qu'un  galant  épouse  à  cause  Je 
sa  fortune  et  qui  meurt  tôt  après  la  noce,  semble  avoir  été  populaire, 
en  Suisse,  surtout  dans  le  canton  de  Vaud.  Elle  s'y  est  répandue  sous 
forme  de  ronde  patoise,  signalée  déjà  en  1837  par  Juste  Olivier,  qui 
en  a  reproduit  trois  couplets  {Canton  de  Vaud,  p.  507,  note  2,  et  Eclair- 
cissements, p.  Lv).  Le  texte  complet  a  été  donné  en  1842  dans  le 
Recueil  de  Corbaz,  p.  51,  et  réimprimé  plusieurs  fois  depuis  lors,  en 
dernier  lieu  dans  Po  recafâ  (Lausanne,  1910),  p.  210-212,  avec 
quelques  couplets  en  plus,  La  version  que  nous  transcrivons  ci-dessous 
nous  a  été  dictée  en  1910  par  M^e  F.  Richard,  à  Hermance  (Genève), 
où  cette  chanson  était  autrefois  très  usitée  comme  chanson  de  ronde. 
Elle  diffère  assez  sensiblement  du  texte  vaudois  et  se  rapproche  beau- 
coup plus  des  versions  savoyardes  récemment  publiées  par  M.  Cl.  Ser- 
vettaz.  Chants  et  chansons  de  la  Savoie  (Paris  et  Annecy,  1910),  nos  i  j6- 
139,  notamment  de  la  ronde  française  no  139. 

I 

2 

Dyan  Pari  y  avè  na  vîly^,  (bis) 

Tyr>     ,  j    .  7-     '  L  è-t  antrâ]"^  dyan  la  danp 

K  ave  katrp  van  di-^  an.  -^     -'  '  ^ 

-r-  T  1       u  ^    1     11        '1  >  \     Pè>'  i  trbvâ  on  palan.       [(bis) 
Iirlt  branbranlonlalavyely  /  ^  lv    / 

i^'^   '1^4        ^     j-  Tirli  branbran,  etc. 

A  ave  katrp  van  di-:^  an,  >    ^  ■ 

Tirli  branbran. 


La  vieille. 

1.  Dans  Paris  il  y  avait  une  vieille,  qui  avait  quatre-vingt-dix 

Tirli  branbran  lonla  la  vieille,  etc.  [ans. 

2.  Elle  est  entre'e  dans  la  danse  pour  y  trouver  un  galant. 


'  Cette  forme  française  est  constante  dans  le  refrain. 


58  J.    JEANJAaUET 

3  6 

L  avè  choué:(ya  h pd  dyuan.no,  L  avè  dyan  sa  granta  kâva  (bis) 
K  an-n  èlè  b  p9  galan.     [(bis)  Kat  san  séti  d  bon  vin  hlyan. 
Tirli  branhran,  etc.  Tirli  hranbran^  etc. 

4  7 

—  Va  fan,  va  fan,  ma  ^  bcuna  Lavé  dyan  sa  grania  kûva  (bis) 
Kâ  tô}i  laii  è  binfîni-.[vîly^,{\>b)  Kat  san  kbp  dp  bon  f roman. 

Tirli  branbran,  etc.  Tirli  branbrau,  etc. 

5  8 

—  S  tp  savyâ  s  kp  l  a  la  vfly^,  —  Rpvin,  rpvin,  ma^  bouna  vîly^, 
Tp  parhryâ  pâ  hnan  san  [(bis)  Kà  ton  tan  ne  pâ  fini,    [(bis) 

Tirli  branhran,  etc.  Tirli  branbran,  etc. 

3.  Elle  avait  choisi  le  plus  jeune,  qui  (en)  était  le  plus  galant. 

4.  — Va  t'en, va  t'en, ma  bonne  vieille,  carton  temps  est  bien 

fini. 

5.  —  Si  tu  savais  ce  qu'elle  a  la  vieille,  tu  ne  parlerais  pas 

comme  ça. 

6.  Elle  avait  dans  sa  grande  cave  quatre  cents  setiers  de  bon 

vin  blanc. 

7.  Elle  avait  dans   sa  grande  cuve  quatre   cents  coupes  de 

froment. 

8.  —  Reviens,  reviens,  ma  bonne  vieille,  car  ton  temps  n'est 

pas  fini. 


1  Ce  mot  devrait  être  supprimé  pour  rétablir  la  mesure  du  vers. 

2  Ce  vers  et  le  vers  correspondant  du  huitième  couplet,  qui  ne  pré- 
sentent pas  l'assonance  en  -an,  constante  partout  ailleurs,  sont  évi- 
demment altérés.  Mais  telle  était  la  leçon  d'Hermance.  Il  serait  facile 
de  corriger,  par  ex.  :  Ka  fâ  Inn  (resp.  t'a  pâ)  fini  ton  tan. 


LA   VILVE 


59 


I  van  trbvâ  h  nbtéro  :  (bis) 
■<f  I  fô  maryâ  slœ-:(^  an/an  ». 
Tir  H  branbraii,  etc. 

10 

-Slé-:(  an/an,  di  b  nbtéro,  (bis) 

Y  an-n  a  yôn  k  a  katrp  van. 

Tirli  branbran,  etc. 
II 

Y  è  dpman  h  mariado,  (bis) 
Apre  dman  Vanter  aman. 

Tirli  branbran,  etc. 

12 

On  jl  tan  chœlâ  la  vîly'^,  (bis) 
Kp  l  è  mort  an  chœtplyan.  * 
Tirli  branbran,  etc. 


13 

L  avè  dyan  sa  granta  gela 

Katrp  marié  è  tré  dan.    [(bisj 

Tirli  branbran,  etc. 

14 

Ypna  branl  è  Voira  klyçk'^,  (bis) 

L'otra  s' an-  va  tb  krpvalan. 

Tirli  branbran,  etc. 

On-n  éget^  dyan  sa  gouêf',  (bis) 
L  avè  ta  Ion  chvé  blyan. 

Tirli  branbran,  etc. 
i6 
On-n  égét^  dyan  sa  fata,  (bis) 
On  n'i  trûv'^  oin  d'ardaji. 

Tirli  branbran,  etc. 


9.  Ils  vont  trouver  le  notaire  :  «  Il  faut  marier  ces  enfants.  » 

10.  Ces  enfants,  dit  le  notaire,  il  y  en  a  un  qui  a  quatre-vingts. 

11.  C'est  demain  le  mariage,  après-demain  l'enterrement. 

12.  On  fit  tant  sauter  la  vieille,  qu'elle  est  morte  en  sautillant. 

13.  Elle  avait  dans  sa  grande  gueule  quatre  maiteaux  (molaires) 

et  trois  dents. 

14.  Une  branle  et  l'autre  loche,  l'autre  s'en  va  toute  tremblo- 

tante. 

15.  On  regarde  dans  sa  coiffe,  elle  avait  tous  les   cheveux 

blancs. 

16.  On  regarde  dans  sa  poche,  on  n'y  trouve  point  d'argent. 

J.  JEANJAQ.UET. 

'  Ce  couplet  et  le  précédent  ont  été  restitués  à  l'aide  du  texte  fran- 
çais de  Servettaz,  ouv.  cité,  n"  139,  M™e  R.  n'ayant  pu  retrouver  exac- 
tement la  leçon  d'Hermance,  qui  était  un  peu  différente. 

-  Supprimer  s'an  pour  rétablir  la  mesure  du  vers. 


ETYMOLOGIES 

-♦- 

I.  Bagnard  barnai,  «hérétique». 

M.  E.  Muret  a  démontré  dans  les  Archives  suisses  des  trad.. 
pop.  II  (1898),  p.  180-181,  que  le  mot  romand  vaudai,  sorcier, 
diable,  n'avait  aucun  rapport  avec  le  dieu  germanique  wotaity. 
comme  on  le  croyait  autrefois,  mais  n'était  pas  autre  chose 
«  que  le  nom  jadis  détesté  des  hérétiques  vaudois  ».  Voici  un 
pendant  de  cette  étymologie  :  d'après  le  voc.  bagnard  de 
M.  Courthion,  barnai  signifie  «  hérétique  »  ;  le  petit  voc.  ms. 
de  M.  Cornu  lui  donne  les  acceptions  de  «  mauvais  sujet, 
homme  sans  foi  ni  loi  »  et  de  «  Bernois  ».  Ce  dernier  sens 
indique  la  provenance  du  mot.  On  n'était  pas  tendre  autrefois 
à  l'adresse  de  Berne,  ce  qui  transparaît  encore  dans  certaines 
locutions  romandes  telles  que  :  «  raide  comme  la  justice  de 
Berne  »,  «  être  de  Berne  »  =  n'avoir  plus  rien  à  désirer,  être 
hors  d'inquiétude,  comme  pouvaient  l'être  les  maîtres  du  beau 
Pays  de  Vaud.  Le  changement  de  ^r  en  ar.- Bernensis  > 
barnai  est  régulier  en  bagnard,  voir  l'étymologie  suivante. 

Je  m'aperçois  après  coup  que  l'identification  en  question  a 
déjà  été  faite  par  M.  Meyer-Liibke,  qui  donne  (d'après  J.  Cornu, 
Rom.  VI)  dans  sa  Grammaire  romane.,  II,  p.  390  :  «  berfiey, 
Spitzbube,  eigentlich  Berner»,  parmi  les  cas  analogues  bougre 
(prop.  Bulgare),  anc.  fr.  lombart,  usurier,  esp.  turco,  homme 
féroce,  et  autres.  On  peut  citer  dans  ce  contexte  le  mot.  neuch. 
kasroû,  sorcier,  diable,  qui  pourrait  bien  remonter,  comme 
me  le  suggère  M.  Kleinhans,  au  grec  xadapoc  [4-oldus], 
nom  d'une  secte  du  xii'  siècle,  d'où  provient  également  le 
terme  allemand  ketzer,  l'italien  gazari.'Lt  ??,  en  prononciation 
assibilée,  aurait  produit  les  s,  tz,  z  des  langues  modernes. 


HTYMOLOGIES  6l 

2.  Bagnard  aràdzo,  adj.,  «  sauvage  ». 

Je  ne  connais  momentanément  de  ce  mot  que  la  mention  du 
voc.  de  M.  Courthion  :  «Sauvage,  difficile  à  aborder;  noyé 
aràdzo,  noyer  (ou  arbre  quelconque)  dont  les  branches  s'iso- 
lent les  unes  des  autres  ;  se  sœudâ  è  aràdzo,  ce  soldat  a  l'air 
redoutable  1  ».  Le  mot  se  retrouve  dans  une  poésie  célèbre  du 
troubadour  Bertran  de  Born  :  Et  arrage  veirem  anar  destriers 
=  et  nous  verrons  des  chevaux  errant  [par  le  champ  de  ba- 
taille, leurs  cavaliers  étant  tués].  Dans  son  Supplément-  JVorter- 
buch,  I,  p.  78,  M.  Levy  y  ajoute  deux  exemples  où  l'expression 
provençale  anar  aratge  prend  le  sens  dérivé  de  «  désespérer  ». 
Le  mot  provient  du  latin  erraticus.  Les  sens  de  «  errant»  et 
de  «  sauvage  »  se  touchent,  surtout  en  parlant  de  bêtes.  Et 
«  sauvage  »  passe,  comme  l'allemand  wild,  facilement  à  «  féroce, 
peu  abordable  ».  M.  Kôrting  a  tort  de  dire  que  ce  mot  latin 
n'a  donné  dans  les  langues  romanes  que  des  formes  savantes 
{Lat.-rom.  JVP,  n"  3278).  Ne  pas  confondre  arâdzo  avec  le 
valaisan  éredzo  (glossaire  nis.  Barman),  qui  signifie  méchant, 
vicieux,  violent,  impétueux,  sorcier,  et  qui  dérive  de  haere- 
t  i  c  u  s . 

3.  Espagnol  cordera,  «  agneau  ». 

On  tire  l'esp.  cordero,  cat.  corder,  port,  cordeiro,  it.  cordesco, 
«  agneau  »,  du  latin  chordus,  «né  tardivement  ».  Cette  ori- 
gine est  indubitable,  puisque  les  auteurs  anciens  Varron  et 
Pline  donnent  déjà  l'expression  agnus  chordus,  et  que  le 
terme  italien  a  conservé  la  valeur  de  agnelle  di  seconda 
Jigliatura.  Mais  voici  que  AL  Gabbud,  notre  correspondant 
valaisan,  donne  un  nouvel  aspect  à  la  chose  en  faisant,  à  propos 
du  mot  bagnard  kbrdyaird,  «brebis»,  la  remarque  suivante: 
«  On  appelle  cordière,  une  brebis  dont  le  dernier  agneau  n'est 
pas  encore  sevré.  Je  pense  que  ce  mot  est  dérivé  de  corde. 


^    M.  Tappolet  me  signale  le  mot  à  Lens  (Valais)  :  mijoiin  arâia, 
maison  solitaire  (et  lugubre). 


62  L.    GAUCHAT 

parce  qu'ordinairement  une  brebis  qui  a  mis  bas  est  enlevée 
du  troupeau,  les  paysans  la  gardent  au  village  avec  sa  progé- 
niture et  l'amènent  aux  champs,  attachée  à  un  bout  de  corde  » 
(Arch.  s.  des  trad.  pop.  XIII  (1909),  p.  49,  n.  5).  Je  me  de- 
mande en  effet  si  cet  usage,  quelque  peu  varié,  n'est  pas  plus 
général,  et  si  le  mot  chorda  n'a  pas  réellement  remplacé, 
dans  ridée  du  peuple,  l'ancien  adjectif  chordus.  Cela  me 
paraît  ressortir  du  fait  qu'on  ne  trouve  plus  cordo  dans  les 
langues  romanes,  mais  des  dérivations  à  l'aide  des  suffixes 
-arius  et  -iscus.  Quant  au  mot  bagnard,  son  v  nous  oblige 
à  le  faire  remonter  à  un  ^cordellaria'^  corde-aria  (avec  la 
suppression  habituelle  de  /  intervocalique),  où  l'ingérence  de 
corde  est  manifeste.  Cette  manière  de  voir  est  corroborée  par 
la  présence  du  mot  réto-roman  ^/;az;(f22/«,  agnelet  qu'on  conduit 
en  laisse  (Filisur,  dans  le  dictionnaire  de  Pallioppi),  dérivé  de 
chavezza,  chevêtre,  auquel  me  rend  attentif  mon  collègue 
M.  Jud. 

4.  Neuch.  agri,  «  ennui  ». 

Dans  le  morceau  On  voyaidge,  O.  Huguenin  emploie  la 
phrase:  iai  la  gri  d'ia  Seigne,  traduit  par:  j'ai  l'ennui  de  la 
Sagne  {Le  Patois  neuch.,  p.  320).  Les  matériaux  du  Glossaire 
nous  offrent  plusieurs  exemples  de  ce  mot.  Michelin-Bert  donne 
entre  autres  celui-ci  :  Ai  vo  adé  Vagrî  d'voiiteur  vlédge  9 
=  Avez-vous  toujours  la  nostalgie  de  votre  village  ?  Au  Val- 
de-Ruz,  on  prononçait  agre.,  comp.  le  Glossaire  de  Quinche  : 
agré  =-  ennui,  heimweh  ;  et  le  passage  de  la  Bordgèsie  d'Vau- 
laidgin  du  même  auteur  {Pat.  neuch.,  p.  150):  rc  qu'  d'ily 
pinsâ  ce  bâille  Vagré^z  rien  que  d'y  penser,  cela  donne  l'ennui. 
Les  autres  exemples  dont  je  dispose  ne  font  que  confirmer  la 
forme  et  le  sens.  Ce  mot  m'intriguait  depuis  longtemps,  quand 
je  suis  tombé  sur  le  verbe  valaisan  agrèye' ^  aggrsLver  (Liddes), 
ennuyer,  mettre  en  colère  (Bagnes)  ;  l'étymologie  cherchée  était 
donc  le   latin  g  revis*  pour  gravis.  Le  verbe  agrèyi  existe 


1  La  transformation  s'explique  par  l'influence  de  l'opposé  lavis. 


ÉTYMOLOGIES  65 

aussi  en  fribourgeois,  avec  le  sens  de  mettre  en  colère,  exciter. 
En  étendant  nos  recherches  au  canton  de  Berne  et  aux  régions 
limitrophes  de  la  France,  l'origine  indiquée  apparaît  toujours 
plus  sûre.  A  Delémont,  on  dit  grîj,  s.  f.,  ennui  ;  à  Belfort,  grle, 
mal  du  pays  (Vautherin,  Glossaire  du  patois  du  Châtenois^)  \ 
à  Montbéliard  on  trouve  grie,  s.  f.,  chagrin  iContejean);  dans 
les  patois  lorrains,  il  y  a  gri\  adj..  ennuyé,  à  côté  du  substantif 
gritè,  nostalgie,  du  latin  gravitatem;  le  Morvan  offre  le 
verbe  greuver,  faire  de  la  peine,  chagriner,  et  la  Wallonie 
grîver,  même  sens.  M.  Grammont  {Le  pat.  de  la  Franche- 
Montagne)  cite  dans  son  vocabulaire  la  phrase  è  m  ô  grî,  «  je 
m'ennuie,  je  regrette  »,  pour  laquelle  il  renvoie  au  vha.  girida^ 
«  appétit,  désir».  C'était  chercher  bien  loin  l'origine  d'un  tour 
de  phrase  identique  au  vieux  français  //  m^est  grief.  Le  mot 
neuchâtelois  qui  m'a  servi  de  point  de  départ  est  donc  une 
variante  de  son  et  de  sens  du  français  grief.  Pour  le  change- 
ment de  genre,  je  renvoie  à  ce  que  j'ai  dit  dans  le  Bulletin 
VII,  p.  8  ;  */^  gfieif)  a  été  compris  à  Neuchâtel  ragrie{f), 
par  agglutination  ;  enfin  la  voyelle  /  de  la  forme  du  Val-de-Ruz 
ne  fait  pas  difficulté  pour  quiconque  en  connaît  à  fond  la 
phonétique  (cfr.  ffiedj,  de  me  dieu  s;  levr,  de  leporem,   en 

regard  de  i/itdj\  etc.,  à  la  Montagne). 

L.  Gauchat. 


*  L'auteur  de  cet  intéressant  dictionnaire    rappelle   l'anglais  grief,. 
chagrin,  et  l'adjectif  vieux  français  grief. 


•5^i^f%- 


TABLE  DES  MATIERES 


-*- 


Pages. 

L.  Gauchat.  La  trilogie  de  la  vie.  Articles-spécimens  du 
Glossaire  romand.  I.  Naissance  et  baptême  (avec  une 
planche).  II.  Fiançailles  et  mariage 3,  33 

J.  Jeanjaquet.  La  tabœ^",  conte  populaire  en  patois  d'Or- 

sières  (Valais) 20 

S.  Gander.  Le  diivè  lUvrè  e  la  p^dzè.  Anecdote  en  patois  de 

Vaugondry  (Vaud) 24 

J.  Jeanjaquet.  Etymologie.  Suisse  rom.  cetour,  «  cellier  »    .     26 

\V.  Pierrehumbert.  Les  équivalents  d'<  importuner  »  dans 

le  parler  suisse  romand 46 

J.  Jeanjaquet.  La  vîly'^,  chanson  populaire  en  patois  d'Her- 

mance  (Genève) 57 

L.  Gauchat.  Etymologies  :  i.  Bagnard  barnai,  hérétique. 
2.  Bagnard  arâdzo,  sauvage.  3.  Esp.  cordero,  agneau. 
4.  Neuch.  agrï,  ennui 60 


IMPRIMERIES   REUNIES  S.    A.    LAUSANNE. 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du   Glossaire. 


DIXIEME  ANNEE 
1911 


ZURICH 

BUREAU    DU    GLOSSAIRE 

Hofackerstrasse  44 


LA    TRILOGIE    DE    LA   VIE 

(Suite) 

-♦- 

inaryâdzo,  s.  m.     mariage. 

maryàdzo  (Vd,  V,  F),  maryâdzo  (F  Gruyère,  et  ailleurs),  ma- 
ryâzo  (V,  à  l'Est  de  Sion),  tncryàdzou  (Vd  Vallorbe),  tna- 
ryâdo{G),  maryâdj  (N  Val-de-Ruz),  maryedj  (N  Montagnes 
et  Val-de-Travers),  nièryédzou{^  Côte-a.u\-¥ées),  mâryàdj'^'* 
(N  Cerneux-Péquignot),  màryàdj  (B).  On  entend  aussi  pro- 
noncer mariyàdzo,  etc. 

I.  dot;  2.  union  légitime  d'un  homme  et  d'une  femme; 
3.  jeu  de  cartes  connu  sous  le  nom  de  mariage. 

1.  mariagùim  =  biens  apportés  en  dot,  1227  (Mém.  Doc. 
S.  rom.  VI,  172;  fausse  latinisation  habituelle  au  moyen  âge, 
voir  Du  Cange,  Gloss.,  sous  cette  forme).  Mariage  =  dot, 
XV^  siècle  {Mém.  Doc.  S.  rom.  2^  série,  V,  231).  «  et  luy  donna 
des  paires  en  mariage»,  16 19  [Arc/i.  ca/it.  vaud.  Procès  déta- 
chés, Glérolles).  1  m' an  rakrè  ?non  mariâdzo  D'ou?ia  tsêna 
dè-j-inyon.  Ils  m'ont  augmenté  ma  dot  D'une  chaîne  d'oignons 
{Mè  nothc,  chans.  pop.  comique,  Gruy.  ill.  IV- V,  p.  76).  T^s 
mcrièdj  i  hèysrî-vo,  Ditd-lo,  An  le  bèh  Margsrii?,  quelle  dot 
lui  donnerez-vous.  Dites-le,  A  la  belle  Marguerite  ?  (Rossât, 
Chants  pat.  jur.,  Arch.  s.  trad.  pop.  IV,  p.  161,  n°  68  ;  là-dessus 
sont  énumérées  les  parties  de  la  dot).  C'est  de  ce  sens  que 
dérive  probablement  l'emploi  de  notre  mot  comme  lieu-dit, 
dont  voici  quelques  exemples:  Ouz  Mariajoz,  1461,  vigne  à 
Corsier  S/Lutry  (Fiches  Millioud),  es  Mariages,  Epesses  (ib.); 
aux  Mariages,  Vionnaz  (ib.)  ;  au  Mariage,  Jongny,  Aclens, 
Chatillens,  Eclépens  (Fiches  Burnet)  ;  au  Mariagoz,  Corseaux 
(ib.). 


4  !..    r.AlCllAT 

'2.  Pi'r  /('  bin  ritii,  S'ti  bi  fuiriaiizi'.  Tour  le  bien  tctcr.  Ce 
beau  mariage  (^dcbut  d'une  cluinson  composée  pour  la  tête  des 
vignerons  de  iSiq").  i\V  crayd  ty  que  serrai  on  maridiizo.  )'<'  ne 
manijui-rai  pas  pan,  buro  né  fromdJzo,  Nous  croyions  tous  que 
[ce  serait  un  m.  oii  ne  manquerait  pas  pain,  beurre  ni  fro- 
mage {Conte  du  Crat'zu,  AVi.  Corba:,  \^.  2).  F  ère  on  hvo  [krou- 
you]  ///.,  faire  un  beau  [mauvais]  m.  i^N'd.").  Lou  nian'âi/z'"*  r 
on.n"  loiiri,  tsakon  rutni.n  aprï  son  numcrô,  le  m.  est  une  loterie, 
chacun  soupire  après  son  tiuméro  (^\'d  Sassel).  Mor  è-  inariadzo 
brièon  tb  koniJnan,  mort  et  mariage  annulent  toute  convention 
(Vd  Leysin).  Li  maryâdzJ  c  on  dinâ  k)  kiminXè  plr  h  dtsér, 
...qui  commence  par  le  dessert  (Vd  Ormont).  Atiuta,  Dorothée, 
fas  zu  medzi  du  pan  blian  avoue  di  z'au/a^nes,  te  sa  se  cein 
est  bon?  Ouai,  le  rudamein  bon.  Eh  hin!  le  mariadzo,  le  eneô 
bin  meillau,  écoute.  D.,  tu  as  mangé  du  pain  blanc  avec  des 
noisettes,  tu  sais  si  cela  est  bon?  Oui,  c'est  rudement  bon. 
Eh  bien,  etc.  {Lien  raud .  1901,  2).  Fabnka  on  ///.,  faire  un  m. 
(Vd  Blonay).  On  m.  a  boutsilyon,  ...qui  va  mal  (litt.  à  copeaux; 
ib.).  Lyè  maryàdzo  de  nublio,  la  mdr  vô  nié  tyè  l  par,  c'est  un 
m.  d'épervier,  la  femelle  vaut  mieux  que  le  mâle  (F  Gruyère; 
chez  les  oiseaux  de  proie,  le  mâle  est  généralement  plus  petit 
que  la  femelle").  Lj  m.  ne  pa  fe  onkora  (F).  Chè  fa  me  de  ma- 
ryâdzou  ehu  lou  ts^min  tyè  0  m'^"o^i,  i\  se  fait  jikis  de  m.  sur 
le  chemin  qu'à  l'église  (F  Châtel-St-Denis).  Bon  m.  pâyj  tby 
...paye  (arrange)  tout  (V  Champéry).  Apri  0  maryâdo  on  sa 
sèn  kyé  kbt  i  sa,  après  le  m.  on  sait  ce  que  coûte  le  sel  (V  Isé- 
rables).  )'  a-t?  zu  de  m.,  y  a-t-il  eu  des  m.,  c'est-à-dire:  le  curé 
a-t-il  publié  des  m.  (V  Bagnes)  ?  El  â  vni  â  mond  fà-  di  ma- 
riàydj,  il  est  venu  au  monde  hors  du  m.  (B).  3.  Dzà'i  u  m.  ; 
jouer  au  -^  mariage  »  (V  Champéry).  Ce  jeu  aura  contribué  à 
faire  appeler  un  bon  ou  mauvais  mariage,  une  bonne  (mauvaise) 
levée,  «  plie  »  :  lèrây^,plyâya  (Vd  Vallée  de  Joux). 

Autres  termes  ironiques:  h /â  on.na  bala  patsj,  elle  fait  un 
bon  marché  (occasionné  par  les  contrats  de  m.  ;  pactus  pour 
contrat  de  m.  se  rencontre  dès  la  Lex  Alem.).  La  fan  è  la  ehâ, 
la  faim  et  la  soif  =  mariage  (G  Bernex). 


LA    TRILOGIE    DE   LA   VIE  5 

l*r(»v<M*l)C.s  :  Au  mariadzo  et  à  la  niouâ,  Ion  diabllo  fà  tt  se- 
z-effoua,  au  m.  et  à  la  mort,  le  diable  fait  tous  ses  efforts 
(Dumur,  Frov.  Forme  bernoise  dans  Rossât,  Arch.  s.  trad.  pop. 
XII,  p.  267,  n°  214).  Ce  proverbe,  qui  se  dit  partout,  apparaît 
aussi  sous  d'autres  formes  :  â  mariazo  e  a  la  mb  to  h  zyèblo 
chi  datatson,  ...tous  les  diables  se  détachent  (V  Mage);  a 
la  mor  è  u  ynaricdf  lo  dyab"  s'é  metyè,  ...  le  diable  s'en  mêle 
(N  Noiraigue).  Le  maryâdz",  le  partâdz°  gâton  le  bainh  mezon 
les  m.,  les  partages  gâtent  les  bonnes  maisons  (par  la  division 
des  biens,  Vdj.  /  tnàryddj  à  kman  in  djœrjiis  :  t'/Jn  lé  djr'en 
sonfé^  H  bakan  pb  y  antrà;  èchtà  k'èl  son  dsdin,  H  bakan  pb 
rpètchi,  le  mariage  est  comme  un  poulailler  :  quand  les  poules 
sont  dehors,  elles  frappent  du  bec  pour  y  entrer;  aussitôt 
qu'elles  sont  dedans,  elles  frappent  du  bec  pour  en  ressortir 
(Rossât,  Arch.  s.  trad.  pop.  XIII,  p.  43,  n°  398.  Dicton  très 
répandu  et  quelque  peu  varié). 

Khrta  pats?,  londz  atats9,  court  marché,  longue  attache 
(Vd).  Jamé  on  m  fâ  dd  mouindr?  pats?  k'ao  moti,  jamais  on  ne 
fait  de  moindre  marché  qu'à  l'église  (Vd).  le  va  gro  mi  se 
bourlâ  à  Voté  kie  au  moti,  il  vaut  beaucoup  mieux  se  brûler  à 
la  cuisine  qu'à  l'église  {Lien  vaud.  1904,  11).  De  bon  pllan 
pllanta  ta  vegne.,  De  houna  mare  prein  la  fellie,  de  bon  plant 
etc.  (Po  recafà,  p.  400).  Lhomino  l'è  d'étopa,  la  fénna  de  rita, 
le  mari  est  d'étoupe,  la  femme  de  «rite»  (=  première  qualité 
de  filasse;  ib.).  Le  fénnèjè  fan  preindre pouetè.  Quan  san  balè, 
vignan pouete ;  quan  san  pouetè.,  restan  pouetè.,  les  femmes,' il J 
faut  les  prendre  laides,  etc.  (ib.,  p.  401).  On  gale  vesadzo  ne 
ballie pa  à  medzi,  un  joli  visage  ne  donne  pas  à  manger  (ib,). 
Avoué  le  z'anchan,  on  niedze  lo  pan  bilan.,  avec  les  vieux  ^maris], 
etc.  (ib.).  Avoué  la  pi  d''on  villio,  on  a  la  pt  d'on  dzouveno, 
avec  la  peau  d'un  vieux,  on  a  la  peau  d'un  jeune  (ib.).  Lài  a  pa 
de  chouma  que  ne  trovè  son  bourrisco,  il  n'y  a  pas  d'ânesse  qui 
ne  trouve  son  âne  (ib.).  Totè  le  mer  mite  Van  lau  cvuvicllio, 
toutes  les  marmites  ont  leur  couvercle,  toute  fille  trouve  à  se 
marier  (ib.).  La  prsmiir  an.nà,  s'a  béjid-béja;  là  s  gond  an.nà, 
s\'i  bnsii-brssa  ;  là  trâji?m  an.nd,  sVi  bàti-bàta,  la  i''*  année, 


6  L.    GAUCHAT 

c'est  baisi-baisa:  la  2=,  c'est  berci-berça;  la  3^,  c'est  batti-batta 
(B,  passim). 

Voir  d'autres  proverbes  sous  maryâ,  fèfia,  èpâo. 

Hist.  Tiré  demaritare,  à  l'aide  du  suffixe -a  ti  eu  m,  qui  a 
servi,  au  haut  moyen  âge,  à  désigner  une  quantité  d'impôts  ou 
taxes,  voir  Meyer-Liibke,  Gr.  rom.  II,  §  482.  Le  dict.  vieux- 
français  de  Godefroy  enregistre  deux  exemples  du  sens  de 
«donation  matrimoniale,  bien  de  l'époux».  Cfr.  Du  Gange: 
viariagiuin  et  maritagium.  Les  matériaux  nous  manquent  pour 
élucider  le  rapport  qui  existe  entre  les  sens  \  et  2.  Sous  2,  on 
pourrait  distinguer  les  acceptions  suivantes  :  action  de  se  marier, 
noce,  état  qui  en  résulte,  que  l'allemand  rend  par  trois  mots  : 
Heirat,  Hochzeit,  Ehe.  Nos  patois  possèdent  aussi  noce[s),  qui 
cependant  nous  paraît  être  d'un  emploi  plus  rare  qu'en  français. 

Encycl.  1.  Avant  1874,  les  bans  se  publiaient  du  haut  de 
la  chaire,  avant  le  culte,  pendant  trois  dimanches  consécutifs, 
comme  cela  se  pratique  encore  en  pays  catholique.  La  formule 
était  :  il  y  a  promesse  de  mariage  entre....  Généralement,  ni 
les  contractants  ni  leurs  parents  n'assistent  à  la  publication. 
Moyennant  la  dispinsa'^,  qui  consiste  en  une  certaine  somme 
d'argent,  on  peut  obtenir  qu'elle  n'ait  lieu  que  deux  ou  qu'une 
fois.  L'obtention  d'une  dispinsa,  procurée  par  l'évêque  ou  par 
le  curé,  est  également  nécessaire,  lorsque  les  époux  sont  trop 
proches  parents.  En  patois,  les  bans  s'appellent  les  annonces,  ou 
les  cries  (Valais);  pour  publier,  on  se  sert  des  expressions  (nous 
francisons)  publier,  crier,  lire  les  annonces,  annoncer. 

2.  La  nouvelle  constitution  fédérale  (1874)  a  institué  l'obli- 
gation de  se  présenter  devant  un  fonctionnaire  civil,  qui  prend 
l'inscription,  devant  deux  témoins,  et  qui  l'affiche  dans  un  lieu 
public  :  pilier,  tableau  exposé  à  la  mairie  ou  maison  d'école,  etc. 
La  bénédiction  du  mariage  par  le  pasteur  ou  curé  n'est  plus 
obligatoire,  mais  elle  est  très  rarement  supprimée.  On  nomme 
en  Valais  les  sourds  ceux  qui  ne  se  marient  pas  à  l'église.  Bien 
qu'il  soit  d'introduction  récente,  les  patois  se  sont  approprié  le 


*  Les  variantes  dialectales  sont  données  sous  dispinsa. 


LA    TRILOGIE   DE    LA    VIE  7 

nom  de  l'oftlcier  d'élat-civil.  Ils  le  déforment  souvent  en 
disant:  officier  civil,  du  civil  J'ctai-civil,  ou  le  civil  tout  court; 
officier  de  ?nariage  (B  Malleray).  L'hostilité  que  toute  nouvelle 
loi  rencontre  souvent  parmi  le  peuple  s'est  traduite  en  toute 
sorte  de  sobriquets  donnés  au  nouveau  fonctionnaire  :  maqui- 
gnon des  demoiselles,  soudeur  d'enfant,  colleur  d'amour  {cipè- 
zdârc  d'amour,  Alpes  vaud.);  maryé,  marieur  (Vd  Longirod); 
maryatsc,  dim.  de  mari  (F  Lessoc);  tsdvdly,  cheville  (V  Verna- 
miège);  curé  civil,  curé  de  Berne  (V)  ;  pontife  (F  Montbovon), 
rabbin  (  pron.  ràbi,  N  Cerneux-Péq.).  Mais  le  nom  ironique  qui 
a  fait  le  plus  fortune  est  celui  de  pètahoson,  que  Dénéréaz  a 
inventé  pour  l'un  des  premiers  officiers  d'état-civil  du  canton 
de  Vaud  dans  l'anecdote  publiée  dans  le  n"  9  du  Conteur  vau- 
dois  de  1876.  Il  y  est  question  de  fiancés  qui  se  chamaillent 
pour  savoir  s'ils  donneront  la  préférence  au  pasteur  de  l'en- 
droit, surnommé  pH' en-Vair,  ou  à  l'officier  d'état-civil,  affligé 
du  sobriquet  de  pèta-boson  (boson  =:  buisson,  l'explication  de 
crève-buisson,  donnée  par  M'"'=  Odin,  est  erronée).  Ce  nom  s'est 
très  répandu  dans  le  Gros-de-Vaud  et  jusqu'aux  frontières  du 
canton,  pas  au  delà.  Il  a  été  employé  par  des  personnes  qui 
n'en  connaissaient  pas  l'origine,  et  est  devenu  un  vrai  appel- 
latif,  voir  sons  pètahoson.  M'"^  Odin  le  cite  comme  tel,  sans  en 
noter  le  sens  humoristique.  Il  se  peut,  en  effet,  qu'il  ait  été 
employé  sans  malice.  Ce  cas,  assez  rare,  où  l'on  assiste  à  la 
création  et  à  la  propagation  d'un  terme  patois,  mérite  qu'on 
s'y  arrête. 

Pour  «  être  affiché  »  au  pilier  public,  les  patois  se  servent 
aussi  de  tournures  comiques,  comme  être  pendus  (à  Leysin: 
piidolÔ),  être  dans  la  boîte,  dans  la  cage,  le  treillis  (à  cause  du 
treillis  de  fil  de  fer  dont  l'affiche  est  protégée  dans  certains 
endroits). 

3.  Autrefois,  du  temps  des  trois  bans,  le  second  l)an  était 
souvent  célébré,  chez  les  gens  aisés,  par  une  petite  fête  orga- 
nisée par  la  jeunesse  du  village.  Le  fiancé  versait  quelque 
finance,  et  la  fiancée  préparait  un  café  avec  force  gâteaux  et 
friandises  (Vaud). 


8  L.    GAUCHAT 

i.  Adieux  du  père.  Selon  le  Conteur  vaudois  1902,  n"  14, 
au  moment  où  la  jeune  fille  quittait  le  toit  paternel,  son  père, 
ou  quelque  autre  parent,  aurait  eu  coutume  de  lui  adresser 
le  couplet: 

Plliora! plliora! pourra  bair  Pleure!    pleure!    pauvre    belle 

épâosa!  épouse  ! 

Tas  bin  de  qtiie  tant  plliora.  Tu  as  bien  de  quoi  tant  pleurer. 

La  maison  de  ton  pire  La  maison  de  ton  père, 
Te  faut  la  quitta  !  Il    te  faut  la  quitter  ! 

Bézè  lo  coumacllio.  Baise  la  crémaillère, 

Po  lo  premi  [!]  iadzo,  Pour  la  première  fois  ; 

JBézè  lo  tiu  dâo  pot  Baise  le  fond  du  pot, 

Po  lo  derrai  dzo  !  Pour  le  dernier  jour  ! 

Le  Recueil  Corbaz,  p.  204,  donne  une  version  plus  authen- 
tique : 

Pliaura  pour  a  épausa,  Po  lo  dèrai  pas^ 

Pour  a  malhirausa,  Jamc  dé  ta  via 

Bese  lo  coumachlio  Te  ne  chai  revindri  (Tu  ne  re- 

Po  lo  dèrai  iadzo.  Tant  a  ton  prêtai,    viendras  ici 

Passa  lo  lindai  (seuil)  jusqu'à  ton       ?) 

Dans  son  bel  article  De  quelques  rites  de  passage  {Rev.  de 
Vhist.  'des  religions,  19 10),  auquel  nous  aurons  encore  l'occa- 
sion de  renvoyer,  M.  van  Gennep  mentionne  une  vieille  chan- 
son que  jouait  en  Savoie  le  ménétrier,  en  tête  du  cortège  nup- 
tial, et  qui  commençait  d'une  façon  analogue  :  Pleura,  pleura, 
ma  pour  a  épeusa,  etc.  (la  suite  différente).  Notre  chanson 
pourrait  avoir  quelque  rapport  éloigné  avec  ce  couplet.  Voir 
la  litt.  indiquée  en  note,  p.  37,  n.  4.  Le  souvenir  de  cette  litanie 
du  ménétrier  ne  s'est  pas  perdu  dans  les  campagnes  gene- 
voises, et  l'on  nous  cite  ce  début  de  sa  chanson  :  vain  (viens), 
vain,  màlirœ^sd,  vain. 

5.  Le  costume  des  époux  ne  présentait  autrefois  rien  de 
particulier.  Voile  blanc  (de  tulle  ou  de  mousseline)  et  couronne 
de  fleurs  d'oranger  sont  d'introduction  récente.  Comme  on  les 
considère  comme  un  symbole  de  virginité,  ils  ne  sont  pas 
portés  par  une  veuve  qui  se  remarie  ni  par  une  fille  qui  ne  s'en 


LA   TRILOGIE   DE    LA   VIE  9 

juge  plus  digne.  La  virginité  est  aussi  annonce'e  par  une  cein- 
ture (B).  On  se  faisait  faire  des  habits  neufs  pour  la  circons- 
tance, à  la  mode  du  pays.  La  couleur  préférée  était  le  noir. 
Actuellement,  l'épouse  s'habille  souvent  tout  en  blanc.  Voici 
quelques  détails,  par  cantons.  Vaiid  :  au  xviir  siècle,  et  même 
jusque  vers  1840,  l'époux  s'habillait  volontiers  en  militaire, 
pour  se  marier  —  c'était  autorisé  et  de  bon  ton.  Aujourd'hui: 
chapeau  haut  de  forme,  cravate  en  soie,  habit  de  fin  drap  noir, 
parfois  gilet  de  satin  brodé  de  fleurs.  L'épouse  portait  ancien- 
nement le  bonnet  vaudois,  de  velours,  soie,  à.  dentelles  larges, 
ajourées  et  retombantes,  «  mites  »  à  l'avant-bras,  robe  noire  de 
la  meilleure  étoffe,  bas  noirs,  tablier  et  fichu  de  soie,  ou  large 
châle-tapis.  Fribouin/  :  i'èpàja,  avi  (avait)  ouna  bala  roha  de 
nanjou  (nansouk),  on  fourdâ  a  bâveri  (tablier  à  bavette) 
d''épine  (?)  è  on  motchà  de  chèya  (mouchoir  de  soie)....,  ouna 
kouêthe  a  lârdzè pointe  (une  coiffe  à  larges  dentelles  ;  Ruffieux, 
Four  dira,  p.  280,  où  une  noce  est  décrite  avec  beaucoup  de 
détail).  Quelquefois  la  fiancée  avait  sa  robe  de  la  même  étoffe 
que  l'habit  du  fiancé.  Aujourd'hui  couronne  de  fleurs  artifi- 
cielles sur  la  tête  de  l'épouse  et  bouquet  de  fleurs,  également 
artificielles,  avec  ruban,  sur  le  chapeau  ou  au  revers  de  l'habil 
de  l'époux.  Cette  mode,  qui  vient  des  villes,  se  répand  partout. 
Valais  :  Couronnes,  nommées  tsapélè{i),  et  bouquets  sont  aussi 
portés  par  les  amis  et  amies  de  noce,  souvent  même  le  di- 
manche suivant.  >'eucliàtol  :  La  mariée  portait  une  robe  de  soie 
ou  de  laine  noire,  cadeau  de  l'époux.  L'épouse  lui  donnait  la 
chemise  de  noce,  ordinairement  cousue  par  elle.  lîcrne  :  Jusque 
vers  1830,  le  marié  portait  l'épée  et  le  wa//// (manteau  de  céré- 
monie, Plagne).  L'épouse  avait  une  couronne  de  buis  ornée 
de  fleurs  naturelles  (ib.). 

0,  Le  rôle  des  (jar<;ons  et  demoiselles  (l'honneur,  jadis 
important,  a  bien  diminué.  Ils  s'appellent/;'  ou  féy  d'an.nœr 
(fils  ou  fille  d'honneur)  ou  encore  tchrou  d  fan,  «  chercheur  de 
femme  »  dans  le  Jura  bernois.  Seul,  le  canton  de  Vaud  (en  partie) 
a  conservé  un  terme  original  :  ts'ermalâi,  tsèrmalâirs,  voir  ce 
mot.  L^n  ami  de  noce  non  accompagné  d'une  demoiselle  s'ap- 


lO  L.    GAUCHAT 

pelle  à  Leysin/i5  mousts",  d'après  le  jeu  de  cartes  mouts'^,  voir 
ce  mot.  Bridel  définit  encore  les  tscrmalâi  comme  ceux  qui 
devaient  détourner  des  jeunes  époux  les  mauvaises  influences. 
Peut-être  par  des  incantations  ;  car  il  est  probable  que  le  mot 
dérive  de  carmen,  cfr.  tsèrmalèri,  s.  f.  =  sorcellerie.  Jadis, 
le  tsèrmalâi  et  la  tsermalàird  offraient  aux  mariés  la  soupe 
nommée  bfà,  voir  le  §  13.  Le  tsèrmalâi  avait  aussi  le  droit  de 
couper  la  jarretière  de  l'épouse.  Cet  usage  ne  se  pratique  plus 
que  dans  certains  villages  du  canton  de  Berne.  La  mariée 
attache  son  bas  avec  un  ruban  de  couleur  rose.  Pendant  le 
dîner  de  noces,  le  garçon  d'honneur  se  glisse  sous  la  table  et 
lui  enlève  ce  ruban,  le  coupe  en  morceaux  et  en  décore  toute 
l'assemblée  en  commençant  par  le  couple.  M'"^  Odin  décrit  la 
scène  autrement  :  Autrefois  les  gens  qui  se  mariaient  allaient  à 
cheval.  La  jarretière  de  ruban  rouge  de  l'épouse  dépassait  la 
robe.  Le  tscrmalâi  la  coupait  et  la  mettait  à  son  chapeau.  Le 
matin  de  la  noce,  le  garçon  et  la  demoiselle  d'honneur  appor- 
taient à  l'épouse  l'offrande  de  bénédiction,  voir  bousalc  (Blo- 
nay).  De  nos  jours,  l'ami  et  l'amie  de  noces,  s'il  y  en  a,  orga- 
nisent la  fête,  habillent  l'épouse,  et  lui  font  ou  donnent  cou- 
ronne et  voile. 

7.  Pour  le  cortôye  qui  accompagne  les  époux  à  l'église,  il 
n'y  a  pas  d'ordre  bien  déterminé.  L'épouse  est  souvent  con- 
duite par  le  garçon  d'honneur  (en  ce  cas,  l'époux  suit  avec  la 
demoiselle  d'honneur),  ou  par  son  père,  son  tuteur,  sa  mar- 
raine. Quelquefois  ce  n'est  qu'avant  la  cérémonie  même  que 
le  père  remet  sa  fille  à  l'époux,  et  que  les  anneaux  sont  échan- 
gés. Au  retour  de  l'église,  les  mariés  se  donnent  le  bras.  Pen- 
dant le  trajet,  il  est  beaucoup  d'usage  de  tirer  des  salves  en 
l'honneur  du  couple.  On  se  sert  de  pistolets,  de  fusils  ou  de 
mortiers,  «  pour  annoncer  l'ouverture  des  hostilités»,  dit  mali- 
cieusement l'un  de  nos  correspondants.  A  l'origine,  tout  ce 
bruit  devait  servir  à  épouvanter  les  mauvais  esprits,  voir 
E.  Samter,  Geburt,  Hochzeit  und  Tod,  191 1,  p.  39  ss. 

8.  Rien  de  spécial  à  dire  sur  la  cérémonie  elle-même. 
Avant  de  recevoir  la  bénédiction  officielle,  les  époux  sont  sou- 


LA    TRILOGIE    DE   LA    VIE  II 

vent  bénis  par  leurs  père  et  mère  (B).  Quelques-uns  font  bénir 
le  lit  nuptial.  La  superstition  ne  manquait  pas  autrefois  de 
troubler  la  solennité  du  moment.  Pendant  le  mariage,  les  époux 
se  tiennent  par  la  main  devant  la  table  de  la  cène.  On  croyait 
qu'il  fallait  en  cet  instant  emprisonner  la  main  de  son  conjoint 
pour  être  maître  dans  le  ménage.  Cette  croyance  populaire 
donnait  lieu  jadis  à  des  luttes  très  comiques  (Vd). 

9.  Dans  la  Plaine  du  Rhône,  partie  vaudoise,  et  les  Or- 
monts,  s'est  conservée  une  très  vieille  coutume,  celle  de  jeter 
des  grains  de  céréales,  ou  à  défaut  de  riz,  sur  la  tête  de 
l'épouse  et  sur  tout  le  cortège  de  noce.  Traces  de  ce  rite 
dans  d'autres  parties  du  canton  :  Savigny,  Penthalaz,  et  dans 
les  cantons  de  Fribourg  (Gruyère),  et  Genève  (Dardagny). 
Cela  se  fait  à  présent  durant  le  parcours  de  l'église  à  la  maison 
nuptiale  (de  l'époux)  par  toutes  les  femmes  qui  s'y  prêtent. 
Dans  le  temps,  cette  coutume  ne  concernait  que  l'épouse  et 
se  pratiquait  au  moment  où  elle  arrivait  devant  sa  nouvelle 
demeure.  La  (vieille)  femme  désignée  pour  accomplir  cette 
fonction  était  une  parente  ou  une  amie  intime  de  la  famille  et 
portait  le  nom  de  bèrnâda.  L'opération  même  s'appelait  berna- 
klyo  (non  bèrnâdzo,  comme  le  dit  M'"=  Odin,  vofr  ces  mots). 
Ce  rite  existait  déjà  chez  les  vieux  Grecs  {yM7ayjJ0ti.u~vA,  où 
l'on  couvrait  l'épouse,  au  moment  même  du  mariage,  d'une 
pluie  de  dattes,  figues,  noix,  menues  monnaies.  M.  E.  Samter, 
Familienfeste  der  Griechen  und  Romer,  1901,  y  voit  un  sacri- 
fice pour  concilier  les  démons,  J\L  van  Gennep  (^.  c.  au  §  4) 
un  rite  de  fécondation.  C'est  bien  en  ce  dernier  sens  que  le 
bernâklyo  est  interprété  par  nos  populations.  Bridel  ajoute  (sous 
bernada)  qu'après  cette  cérémonie  une  autre  femme  (à  l'origine 
sans  doute  la  belle-mère)  présente  à  l'épouse  les  clefs,  emblème 
de  son  nouveau  pouvoir;  ailleurs  il  est  parlé  d'une  louche  (cfr. 
van  Gennep,  0.  c.  p.  49  ss.  rite  d'entrée). 

A  présent,  ce  sont  au  contraire  les  enfants  et  les  pauvres 
assistant  au  défilé  du  cortège  qui  sont  aspergés  de  dragées,  de 
pièces  de  monnaies,  etc.,  nommés  tsèrpply?  (Vallorbe),  nôy 
(Berne),  souris  (Genève).  La  dépendance  de  cette  coutume  de 


12  L.    GAUCHAT 

celle  que  nous  venons  de  nommer  est  démontre'e  surtout  par 
le  nom  qu'on  lui  donne  dans  le  canton  de  Genève,  où  les 
enfants  crient  :  lé pîr  a  barfid,  comp.  à  Messery  (Savoie):  tri 
la  pirra  à  Barnada  =  tirer  la  pierre  à  Bernarde  (van  Gennep, 
0.  c.  p.  39). 

A  Longirod  (Vd)  les  enfants  du  village  se  rendent  après  le 
mariage   religieux    chez    l'e'poux  et  chez  l'épouse  ensuite  en 

chantant  : 

La  7>i?lsct,  la  )ii9tsèt,  h  krotson, 
Po  lo  bon  bovairon! 

La  michette,  le  morceau  de  pain,  pour  le  bon  petit  bouvier  \ 
Là-dessus  la  cuisinière  sort  avec  un  paillasson  plein  de  «  bri- 
celets  »  qu'elle  distribue  aux  enfants.  Quelquefois  elle  ajoute  un 
morceau  de  pain  et  de  jambon  et  un  verre  de  vin. 

10.  Lorsqu'un  jeune  homme  sort  de  la  compagnie  des  gar- 
çons de  son  village  pour  se  marier,  il  est  rançonné  par  la 
société,  à  laquelle  il  doit  payer  une  somme  très  variable,  qui 
dépend  de  sa  position  sociale  et  de  celle  de  sa  future,  du 
nombre  des  sociétaires  et  des  traditions  locales.  La  hauteur  de 
la  somme  est  souvent  longuement  débattue,  comme  dans  une 
foire.  Les  abus  n'ont  pas  manqué.  «A  Dombresson  (N)  la  so- 
ciété des  garçons  exigea  d'une  fille  Fallet,  riche  de  22000  écus, 
un  louis  d'or  par  1000  écus  (509  fr.)  »  {Musée  neuch.  XXVII, 
214).  Plusieurs  de  nos  correspondants  indiquent  la  somme 
qu'ils  ont  dû  verser:  50,  100  fr.  ^  Si  le  fiancé  refuse  de  payer, 
il  était  de  coutume  autrefois  de  lui  faire  un  charivari,  appelé 
tsèrivari  {tsarvari,  tsavalèri,  tchèribèri,  etc.,  voir  sous  tsèri- 
vari)  pendant  la  nuit  de  noce  et  les  quinze  jours  suivants, 
même  au  delà.  Il  est  arrivé  que  la  jeunesse,  frustrée  par  un 
époux  trop  avare  ou  trop  fortement  taxé,  se  soit  laissé  entraîner 
à  dévaster  ses  biens.  Malgré  les  ordonnances  de  police  très 
sévères  à  l'égard  des  charivaris,  ceux-ci  se  produisent  encore 
de  temps  à  autre.  La  rançon  se  nomme  sortie,  seines'^  (F  et  Vd' 


On  trouve  plusieurs  mentions  de  ces  sommes  dans  le  Cont.  vaud. 
no  40  de  1900,  article  Les  Jeunesses. 


LA    TRILOGIE    DE   LA   VIE  I3 

proprement  «  vin  d'honneur  »  1,  bou.n  indalàye  (F,  litt.  «  bonne 
en-allée  ■»), pi?  de  bu?  (B,  litt.  «pieds  de  bœuf»).  Nous  n'avons 
pas  réussi  à  éclaircir  le  mystère  de  cette  dernière  appellation. 
Elle  se  rattache  probablement  à  un  rite  disparu,  comp.  celui 
du  ferrement  mentionné  par  Scheffler  (Franz.  Volksdichtung 
u.  Sage,  I,  194)  d'après  Cbampfleury  pour  le  Poitou,  et  qui 
consiste  à  ferrer  le  pied  d'un  léger  coup  de  marteau,  aux  époux 
et  aux  conviés,  le  lendemain  de  la  noce. 

C'est  en  Valais  que  les  choses  se  passent  le  plus  simplement: 
l'époux  paye  à  boire  à  la  jeunesse  jusqu'à  un  litre  par  tète. 
Dans  le  canton  de  Vaud,  on  y  met  plus  de  formes.  Voici 
comme  notre  correspondant  du  Vully  décrit  la  coutume  : 
«  Quelque  temps  avant  le  mariage,  la  compagnie  des  garçons 
fait  annoncer  à  l'époux  qu'une  délégation  de  la  Société  ira  le 
trouver.  Au  soir  convenu,  celui-ci  la  reçoit  ordinairement  chez 
sa  fiancée  ;  deux  ou  trois  garçons  arrivent,  apportant  deux  ou 
trois  bouteilles,  qu'ils  offriront  à  la  société.  L'un  des  délégués 
débite  un  petit  compliment  à  l'adresse  des  époux  et  indique  en 
même  temps  le  motif  de  sa  visite,  etc.  » 

L'époux  est  surtout  taxé  s'il  choisit  sa  femme  dans  un  autre 
endroit  que  celui  qu'il  habite.  Au  temps  où  chaque  village  for- 
mait un  microcosme,  hostile  à  son  entourage,  emmener  une 
jeune  fille  hors  de  la  commune  était  considéré  comme  une 
espèce  de  rapt. 

Le  paiement  de  la  rançon  donne  ou  donnait  lieu  au  rite  du 
barra(je,en  patois  barâdzo  (Vd  et  F),  ^r^/(B,litt.  une  arrête); 
verbes  :  barà,  {e)râtd.  Si  l'épouse  est  d'un  autre  village,  c'est 
lorsqu'elle  est  emmenée  qu'elle  trouve  sa  route  barrée  ;  si  les 
conjoints  habitent  le  même  endroit,  c'est  ordinairement  à  la 
sortie  de  l'église  qu'on  les  arrête.  On  emploie  à  cet  effet  des 
perches,  des  chaînes,  des  cordes,  plus  récemment  des  rubans 
ou  même  une  guirlande  en  papier  (F  Broyé).  Anciennement,  on 
allait  jusqu'à  former  de  véritables  barricades,  en  plusieurs  en- 
droits où  le  cortège  devait  passer,  ce  qui  provoqua  des  inter- 
dictions de  la  part  des  gouvernements;  voir  Jeanjaquet,  Man- 
dement neuchâtelois  de  I5Ç6  interdisant  de  «  barrer  »  les  époux. 


14  L.    GAUCHAT 

dans  les  Arch.  s.  trad.  pop.  VIII,  p.  225.  Dans  ses  détails, 
l'usage,  abandonné  dans  beaucoup  de  contrées,  varie  de  lieu 
en  lieu.  A  Leysin  (Vd),  l'époux  saute  la  chaîne  tendue  devant 
la  porte  de  l'église,  paye  la  rançon  ou  offre  du  vin  aux  garçons 
pour  leur  faire  enlever  la  chaîne  et  laisser  passer  l'épouse. 
Dans  cet  endroit,  chœ"tâ  la  tséna  est  devenu  synonyme  de  se 
7narier.  Souvent  les  garçons  offrent  une  petite  collation  et 
adressent  quelques  paroles  de  félicitation  aux  époux  en 
échange  du  cadeau  d'argent  qu'ils  vont  recevoir.  (Ce  sont  eux 
aussi  qui  se  chargent  des  coups  de  feu  mentionnés  au  §  7).  La 
rançon  payée,  le  ruban  est  coupé  ou  enlevé,  l'obstacle  ôté,  et 
le  cortège  continue  son  chemin. 

Le  rite  du  barrage  a  dans  beaucoup  de  contrées  dégénéré 
en  jeu  d'enfants,  qui  tendent  un  ruban  pour  avoir  leurs  bon- 
bons, cfr.  §  9. 

Par  confusion,  les  termes  désignant  la  rançon  et  le  barrage 
sont  souvent  pris  les  uns  pour  les  autres.  Pieds  de  bœuf  est 
aussi  le  nom  d'une  chanson  que  les  garçons  de  l'Ajoie  (B)  vont 
encore  chanter  devant  le  domicile  de  l'époux,  la  veille  de  la 
noce  ou  le  soir  du  mariage.  C'est  un  petit  dialogue  d'amour 
dont  on  trouve  le  texte  dans  les  Chants  patois  jurassiens  de 
M.  Rossât,  Arch.  s.  trad.  pop.  V,  p.  222  ss.  Dans  les  Alpes 
vaudoises,  la  jeunesse  donne  souvent  une  sérénade  à  l'époux, 
ce  qu'on  appelle  dzui  lé-j  ôbàrd^  («  aubade  »).  Sur  le  barrage 
comp.  Daucourt,  Arch.  s.  trad.  pop.  1,  p.  97;  E.  Hoffmann- 
Krayer,  Knahenschaften  und  Volksjustiz  in  der  Schweiz,  ib.  VIII, 
p.  97  ss.  ;  van  Gennep,  0.  c.  p.  43  ss.,  où  sont  rapportées  les 
réponses  de  différents  correspondants  savoyards  à  un  ques- 
tionnaire ad  hoc;  Blavignac,  Empro  gen.,  p.  168;  E.  Samter, 
Geburt.,  Hochzeit  u.  Tod,\).  162  ss.,  où  il  est  question  de  cou- 
tumes analogues  dans  les  divers  pays  d'Europe,  l'Inde,  etc. 

\\ .  Il  ne  reste  pas  grand'chose  chez  nous  du  rite  de  rapt 
anciennement  très  répandu  chez  tous  les  peuples.  Le  doyen 
Bridel  raconte  que  quelques  jeunes  gens  cachés  dans  une 
grange  située  sur  le  parcours  du  cortège  nuptial  s'efforçaient 
d'enlever  Tépouse,  défendue   par  les  tscrmalâi.  M.   Gabbud 


LA    TRILOGIE   DE   LA    VIE  15 

cite  de  sa  contrée  (V  Bagnes)  la  co.utume  de  cacher  la  mariée, 
qui  se  prête  de  bonne  grâce  à  ce  jeu,  mais  qui  est  toute  con- 
tente d'être  retrouvée  par  son  conjoint  {Arch.  s.  trad.  pop.  V, 
49).  Pour  le  Jura  bernois,  M.  Daucourt  relate  le  remplacement 
de  l'épouse  par  une  vieille  femme  postée  dans  la  demeure  de 
l'époux  et  qu'il  faut  enlever  de  force  (ib.  I,  97).  Comp.  là- 
dessus  Samter,  0.  c.  p.  98  ss.  (la  fausse  épouse  doit  tromper  les 
mauvais  esprits  qui  se  rabattent  sur  elle). 

12.  Au  ban«nicl  de  iiore,  on  sert  les  mets  les  plus  friands 
du  pays  :  jambon  fleureté  et  enrubanné,  merveilles,  crotelles, 
etc.  Le  beurre  était  souvent  façonné  en  forme  d'église.  La  rstya 
(«  rôtie  »)  était  un  potage  légèrement  capiteux  où  l'eau  était 
remplacée  par  du  vin  blanc,  mets  spécial  du  matin  d'un  jour 
de  noces  (Vd  Ormonts).  On  a  conservé  le  souvenir  de  repas 
extraordinairement  plantureux,  entre  autres  d'un  qui  dura  trois 
jours,  en  (bruyère  (1695,  cfr.  Valais  romand,  15  févr.  1897);  le 
premier  jour  fut  pour  les  vieux,  qui  banquetèrent  pendant  huit 
heures,  le  second  pour  les  jeunes,  le  troisième  pour  les  pau- 
vres, au  nombre  de  75  !  Dans  le  canton  de  Neuchâtel,  l'épouse 
offrait  une  collation,  appelée  t3rya-fœr  (litt.  «tirée-dehors») 
à  ses  parents  et  amis  avant  de  se  rendre  à  l'église. 

13.  Pendant  le  repas  et  après  qu'ils  se  sont  retirés,  les  ma- 
riés étaient  souvent  en  butte  à  toutes  sortes  de  taquineries  : 
allusions  à  leur  premier  enfant,  on  démonte  leur  lit,  coud  les 
draps,  et  autres  grossièretés  du  «  bon  vieux  temps  »,  mais  ce 
qui  pouvait  leur  arriver  de  pis,  c'était  qu'on  les  forçât  à  manger 
rô/a  ou  la  saipa  forâys.  Les  tsèrmalâi  pénétraient  de  force 
dans  la  chambre  nuptiale  et  leur  offraient  un  potage  au  vin, 
très  épicé.  Malheur  à  ceux  qui  essayaient  de  se  soustraire  à 
cette  épreuve.  La  coutume  ne  nous  est  attestée  que  pour  le 
canton  de  Vaud,  où  elle  doit  encore  se  pratiquer  secrètement, 
malgré  les  interdictions  réitérées,  sur  lesquelles  cfr.  J.  Olivier, 
Cant.  de  Vaud,  p.  356-357  ;  Cérésole,  JVos  fctes  de  jadis  {Au 

foyer  rom.  1899,  p.  147  ;  il  y  est  aussi  question  des  charivaris^ 
p.  153  ss.).  M.  van  Gennep,  o.c,  y  voit  un  rite  fécondateur.  La 
coutume  existe  aussi  dans  les  pays  allemands  {Brautsuppe). 


l6  L.    GAUCHAT 

14.  Croyances  et  usages  divers.  Cadeaux:  En  Valais, 
l'épouse  paye  quelquefois  la  rançon  à  ses  compagnes  de  jeu- 
nesse en  leur  donnant  un  mouchoir.  Parmi  les  dons  que  faisait 
l'époux  à  sa  conjointe  à  Neuchâtel  mentionnons  l'ancienne 
boîte  de  senteurs  appelée  civette.  Après  la  cérémonie,  la  ma- 
riée mettait  mystérieusement  dans  la  main  de  ses  amies  un  ou 
deux  quarterons  ^'épingles,  en  retour  de  quoi  elles  lui  don- 
naient une  pièce  d'argent  (J.  Olivier,  Canton  de  Vattd,  I,  357). 
Les  époux  donnent  deux  épingles  à  tous  leurs  amis,  en  outre 
un  mouchoir  à  leurs  parrains  et  marraines  (V  Champéry). 
Le  tour  de  noce,  avant  la  construction  des  chemins  de  fer, 
était  unp  rareté.  Depuis,  il  devient  de  plus  en  plus  commun. 
Les  couples  catholiques  se  rendent  de  préférence  à  Einsiedeln. 
Au  dîner  de  noces,  on  présentait  le  gouz37iyon  fentamure  du 
pain)  à  celui  qu'on  présumait  être  l'époux  suivant,  et  \ç.  pape  è 
y^indr'^  (bouillie  mêlée  de  cendres)  à  ceux  qu'on  estimait  trop 
jeunes  pour  faire  l'amour  (F).  Il  ne  faut  pas  se  marier  au  mois 
des  chats  (février,  Vd  Blonay).  Revenir  sur  ses  pas,  c'est-à-dire 
revenir  de  l'Eglise  par  le  même  chemin,  porte  malheur  (ib.), 
de  même  de  rencontrer  un  enterrement  en  route  ou  un  cercueil 
à  l'église  (passim).  Pour  s'assurer  le  bonheur,  il  faut  casser 
quelque  chose  dans  la  maison,  le  jour  du  mariage  (Blonay).  Si 
l'épouse  chante,  si  on  entend  des  pleurs  d'enfants,  il  n'y  aura 
pas  de  progéniture.  La  bise  annonce  que  le  mari  mourra 
d'abord,  le  vent  que  ce  sera  la  femme,  ou  vice-versa.  La  bise 
assure  en  outre  le  pouvoir  à  monsieur,  le  vent  à  madame.  La 
pluie  indique  la  prospérité  du  nouveau  ménage  :  il  aura  des 
enfants,  de  bonnes  vaches  laitières,  etc.  Si  l'un  des  cierges 
brûle  plus  vite  que  l'autre  à  la  messe  nuptiale,  la  vie  du  conjoint 
le  plus  rapproché  de  ce  cierge  est  menacée.  Il  est  néfaste  d'es- 
sayer le  voile  et  la  couronne  avant  la  noce,  l'époux  doit  se 
garder  de  cracher  dans  le  cendrier  avant  de  se  marier.  Mar- 
cher sur  la  traîne  d'une  dame  signifie  qu'on  sera  invité  à  sa 
noce  (G,  N). 

Pour  ce  qui  concerne  le  trousseau,  voir  trosi;  pour  les  ex- 
pressions par  lesquelles  inari  et  femtne  se  désignent  mutuelle- 
ment, voir  mari;  pour  ffîégcre,  \o\x  fena;  ■çomxV épouse  de  mai, 
voir  mé.  L.  GauCHAT. 


LE  REGAIN  ET  LA  PATURE  DAU TOMNE 

DANS  LES  PATOIS  ROMANDS 

-*- 

Articles -spécimens   du   Glossaire. 

Ne  parlez  pas  à  un  grand  nombre 
de  bourgeois,  ni  de  guérets,  ni  de 
baliveaux,  ni  de  provins,  ni  de  regain, 
si  vous  voulez  être  entendu;  ces  termes 
pour  eux  ne  sont  pas  français  :....  ils 
ignorent  la  nature,  ses  commence- 
ments, ses  progrès,  ses  dons  et  ses 
largesses.  La  Bruyère. 

Nous  essayons  de  combiner,  dans  cet  article,  le  point  de  vue 
lexicologique  et  le  point  de  vue  onomasiologique,  soit  la  ques- 
tion de  savoir  par  quels  mots  les  patois  expriment  les  difte- 
rentes  espèces  de  récolte  tardive.  Il  y  en  a  deux  espèces  prin- 
cipales qui  seront  traitées  l'une  après  l'autre  : 

I.  le  regain  proprement  dit  (deuxième  coupe  d'herbe). 
II.  troisième  herbe   qui  pousse  (deuxième  regain),  qui 
se  subdivise  en  : 

A.  troisième  coupe; 

B.  pâture  d'automne. 

Remarques,  i.  Dans  chacune  de  ces  divisions  sémantiques  l'ordre 
des  mots  se  détermine  par  leur  vitalité.  2.  Le  sigle  du  canton  imprimé 
en  caractères  gras  (Vd)  indique  que  le  mot,  la  forme  ou  le  sens  en 
question  est  particulièrement  bien  attesté  pour  ce  canton. 


I.  LE  REGAIN  PROPREMENT  DIT. 

rakor  s.  m.  regain  (Vd,  F,  V,  G,  Ni. 

r{e)kor  (Vd  Alp.  moins  Pays-d'Enhaut,  F  Sugiez,  N  Lunde- 
ron  Atlas.,  B  Péry  Atlas,  Plagne),  rekôr  (Vd  Auberson), 
rskà  (V,  Vd,  N),  nko  iVd,   V  Vionnaz  Gill.,  Liddes), 


l8  E.    TAPPOLET 

rékouà  (Vd  Blonay),  rekoua  (F,  Vd),  rekouar  (Vd  Pays- 
d'Enhaut),  rskoua  (Vd  Joux,  Vallorbe),  r?kou  (G,  V  Lens, 
Anniviers),  rego  (V  Grône,  forme  suspecte),  rkoiià  'N 
Montagne),  rèkb  (V  Lourtier).  Pour  le  timbre  de  la  voyelle 
accentuée,  cfr.  mort,  corps,  fort,  sourd,  etc. 

1.  seconde  coupe  d'herbe.  2.  pré  clôturé  où  Ton 
récolte  le  regain  (emjJoi  vieilli). 

I .  Le  plus  souvent  le  mot  désigne  d'une  façon  concrète  la 
masse  d'herbe  verte  ou  séchée,  on  dit  faucher,  faner,  rentrer, 
être  après  le  rekor,  on  parle  d'un  char,  d'un  tas  de  rekor. 
Quand  il  pleut  à  la  mi-oîi,ya  prou  raves  et  prou  recou  (G  Hum- 
berl).  fun  e  rékoucir  désigne  toute  la  récolte  d'un  pré  (Vd  Eti- 
vaz).  on  prà  a  fin  e  rakor  est  un  bon  pré  (Vd  Corbeyrier). 
A  côté  de  faire  le  rekor,  on  trouve  fréquemment  faire  les 
recors,  déjà  attesté  en  Valais  pour  1454  'collection  Iselin). 
Pour  l'emploi  du  pluriel,  c\x.  faire  les  foins,  les  moissons,  les 
vendanges,  les  semailles,  aussi  en  patois  //'  vouanyè;  a  t?  dja 
tui  fé  iou  réko?  as-tu  déjà  fait  tous  tes  rekor  s'}  (V  Véros^oz) 
me  semble  indiquer  qu'occasionnellement  le  mot  peut  se 
prendre  au  sens  de  «  parcelle  de  pré  qui  donne  du  regain  ■», 
sens  qui  justifie  mieux  l'emploi  du  pluriel.  —  Dans  certaines 
tournures,  le  mot  a  un  caractère  verbal,  il  fait  songer  aux  opé- 
rations de  la  récolte  :  au  temps  des  rekor  s.,  aux  rekors  =  jien- 
dant  la  récolte  du  regain,  de  même  dans  la  phrase  :  le  rekcr 
se  fait  après  le  foin. 

Extensions  de  sens:  herbe  pâturée  pour  la  seconde  fois 
(V  Lens),  reko  du  fortin  =  herbe  coupée  dans  des  prés  pâtu- 
rés au  printemps  (V  Bagnes,  Evolène).  Cette  herbe  s'appelle 
ouazon  dans  les  Alpes  vaudoises  et  rekoua  pad'^r a  en  Gruyère. 
Atzheu  en  allemand  ^  Stebler,  Alp-  und  Weidewirtschaft,  232  l 
De  même  qu'on  entend  dire  ,  couper  le  foin  ',  on  parle  de 
«  faucher  le  r^/è^^- >,  où  le  mot  signifie  proprement  ^seconde 
herbe  destinée  à  être  séchée'.  —  2.  A  l'époque  où  les  terres^ 
non  encloses  étaient  ouvertes  à  tous  [droit  de  parcours,  on  disait 


LE  REGAIN   ET   LA    "ATURE  .  D'AUTOMNE  I9 

korè  li  rekoua,  courir  les  terrains  à  regain  (Vd  Vaulion),  moyen- 
nant rétribution  à  la  commune  et  au  seigneur  (Blonay)].  chaque 
communier  n'avait  à  clos,  c'est-à-dire  exempt  du  droit  de  par- 
cours, qu'un  terrain  de  médiocre  grandeur,  voisin  de  sa  maison 
et  planté  d'arbres  fruitiers,  qui  permettait  d'y  faire  une  seconde 
coupe.  C'était  le  pré  à  rekor,  ou  le  rekor  tout  court.  (Pour  le 
procédé,  cfr.  ,  un  vapeur  '  pour  ^  un  bateau  à  vapeur  '  ).  Cet 
emploi  du  mot,  qui  tend  à  disparaître,  n'est  attesté  que  pour 
Vd  (Gros  de  Vd,  Blonay,  C.  V.  93,  15);  ié fé  on  cta?i par  égaii 
iné  recor  d'anion  et  d'avo,  ...pour  arroser  mes  prés  d'enhaut  et 
d'enbas  (Corbaz,  130).  Probablement  le  même  sens  dans  les 
phrases  :  du  k?  n'in  lo  hyô,...  mè  vé  férè  siyi  lo  grau  rekor, 
puisque  nous  avons  le  beau  temps,  je  vais  faire  faucher  le 
grand  pré  à  regain  (C.  V.  73,  29)  et  l'an  scd?  (18 16)  //  rékoiid 
Vavan  potirâi  dézo  la  mit,  avaient  pourri  sous  la  neige  (Blonay; 
cfr.  sous  I  le  sens  de  parcelle  de  préj.  Dans  un  document  de 
1447,  ori  trouve  déjà  un  lieu-dit  Pré  dou  R£cor,  et  plus  tard, 
plus  souvent /rt'j  à  record.  A  partir  du  milieu  du  18^  s.,  nous 
raconte  M"^  (Jdin  {sons par kou),  les  propriétaires  demandèrent, 
l'un  après  l'autre,  à  pouvoir  entourer  leurs  prés  d'une  clôture. 
C'est  ainsi  qu'on  vit  le  pays  se  couvrir  de  haies,  aujourd'luii 
arrachées.  L'expression  consacrée  par  les  actes  était  :  passer 
(ou  réduire)  tel  pré  à  clos,  record  et  recordon,  attestée  par  ex. 
pour  1758,  1778  (coll.  Millioud),  v.  autre  exemple  sous  rekor- 
don.  On  trouve  en  outre  :  tout  le  mas  de  Six-Fontaines  fut  réduit 
à  clos,  record  et  recordon,  moyennant  la  somme  de  750  florins, 
1723  (Baulmes,  Méin.  Doc.  Suisse  rom.  XIII,  135).  Les  lieux-dits 
sans  le  mot  .pré'  sont  fréquents,  par  ex.  Recors  Signy  1418, 
ouz  Recor  Al  eus  1491,  ou  simplement  au  Record,  en  Record., 
prés  et  champs  de  la  commune  de  Montricher  (Vd  :  cadastre 
30,  35,  année  1843).  C'est  ici  qu'il  faut  ranger  sans  doute  le 
vers  125  du  Conte  du  Craizu  (18^  siècle)  ...Vétion  ti  quie  au 
dessu  d'on  recor,  ils  étaient  tous  là  au  haut  d'un  tertre  (?)  (éd. 
Gauchat).  Comme  il  s'agit  de  toute  la  jeunesse  d'un  village,  le 
sens  de  ,  tas  de  regain  ".  attesté  nulle  part  du  reste,  me  semble 


20  E.    TAPPOLET 

exclu  et  par  l'étroitesse  de  la  place  et  par  la  culbute  prolongée 
que  fait  le  vilain  corps  avec  l'objet  de  sa  tendresse.  Quant  au 
sens  de  tertre,  M.  Gauchat  ne  l'a  pas  trouvé  avec  certitude  dans 
les  patois  vivants  en  question,  il  se  rattacherait  du  reste  difficile- 
ment à  l'idée  de  rekor.  Ces  difficultés  disparaissent  si  nous 
supposons  qu'il  s'agit  d'un  pré  à  rekor  qui  était  en  pente.  Cfr. 
l'exemple  tiré  de  Corbaz.  —  Composé  mddz-rékouâ  m.  espèce 
de  sauterelle  (Blonay),  v.  ce  mot. 

Homonymes:  rekor  t.  ^  recours  (v.  cependant  Blonay), 
2.  =  recors,  agent  (de  recorder). 

Hist.  Le  mot  vient  du  radical  latin  représenté  par  l'ad- 
jectit  CORDUS  (CHORDUS  )  S  qui  exprime  d'une  façon  générale 
l'idée  de  «  maturité  ou  de  naissance  tardive  ».  Cfr.  ail.  Nach- 
70J/chs,  Spdtgebtirt.  Il  s'applique  en  latin  aux  végétaux  aussi 
bien  (ju'aux  animaux.  Le  Thésaurus  cite  des  exemples  pour 
frumentum  cordum,  du  blé  tardif;  uvae  cordae  du  raisin  tardif; 
olus  cordum,  plante  potagère  de  l'arrière-saison  et  d'un  autre 
côté  agnus  cor  dus,  agneau  né  après  le  terme  normal.  Que 
signifie  y^^w/w  corduf/i?I\  a  le  sens  plus  général  de  foin  récolté 
après  l'époque,  de  la  fenaison,  foin  tardif,  foin  d'automne, 
appelé  aussi  fivnuni  autumuale  :  il  comprend  le  rekor  et  le 
rekordo7i  et  se  traduirait  le  plus  exactement  par  l'allemand 
Spàtheu.  Columelle,  auteur  latin  agricole,  vante  à  plusieurs 
reprises  la  finesse  et  la  délicatesse  de  ce  foin  ;  on  le  donnait  à 
manger  aux  brebis  grecques,  race  particulièrement  délicate 
qui  demandait  beaucoup  de  soins;  mêlé  avec  de  la  paille  très 
propre,  il  servait  de  litière  aux  poules.  On  employait  la  faucille, 
non  la  faux,  pour  le  couper  (v.  Thésaurus).  —  Le  radical  de 
cor  dus  s'est  conservé  dans  les  langues  romanes  1.  comme  dési- 
gnation de  pièce  de  bétail  (agneau,  veau),  souvent  en  per- 


'  M.  J.  Jud  a  choisi  ce  mot  comme  sujet  d'un  article-spécimen  qu'il 
publiera  dans  le  prochain  fascicule  de  V Archiv  f.  d.  St.  der  neiieren 
Sprachen,  à  propos  d'un  compte-rendu  qu'il  donnera  du  Rom.  Worterhuch 
de  M.  Mever-Lùbke. 


LE   REGAIN    ET   LA    PATURE    D'AUTOMNE  2  1 

dant  ridée  de  naissance  tardive  (vache,  brebis),  v.  Meyer- 
Liibke,  Rom.  IVorterbuch,  qui  indique  un  domaine  qui  va  de 
l'Italie  jusqu'en  Portugal  (cfr.  Bulletin  du  Glossaire,  IX,  6i); 
2.  comme  désignation  de  regain,  c'est-à-dire  en  gardant 
toujours  l'idée  première  de  maturité  tardive.  Le  territoire 
occupé  par  cordiwi  ou  recordum  =  regain,  embrasse  l'Italie 
du  Nord  avec  une  partie  des  (irisons,  puis  la  vallée  d'Aoste, 
toute  la  Savoie  et  tous  les  cantons  sud  de  la  Suisse  ro- 
mande'. Au  point  de  vue  gallo-roman,  c'est  un  vrai  mot 
franco-provençal,  sauf  qu'il  ne  paraît  pas  avoir  franchi  la 
chaîne  du  Jura.  En  revanche,  il  a  conquis  au  Nord  le  plateau 
de  Vauffelin,  qui,  en  général,  se  rattache  par  son  vocabulaire 
au  Jura  bernois  (v.  voucy'i?i).  I.a  conservation  presque  intacte 
de  cordum  =  regain  dans  une  zone  située  autour  des  Alpes 
suisses  et  italiennes  est  une  nouvelle  preuve  pour  l'ancienneté 
du  vocabulaire  de  ces  régions.  Ce  conservatisme  est  d'autant 
plus  remarquable  que  le  regain  n'a  rien  du  tout  de  particu- 
lièrement alpestre,  puisque  au  contraire  les  pâturages  de  mon- 
tagne, si  jamais  on  les  fauche,  ne  permettent  qu'une  seule 
coupe  (V.  Encycl.).  —  Quant  aux  modifications  survenues  lors 
du  passage  du  mot  latin  en  roman,  notons  d'abord  les  rétré- 
cissements de  sens  :  parmi  les  végétaux,  l'adjectif  cordus  ne 
s'applique  plus  qu'au  foin,  ce  qui  se  comprend  aisément  quand 
on  considère  que  pour  les  autres  produits  (blé,  raisin,  légume) 
la  récolte  tardive  n'est  jamais  aussi  constante  ni  aussi  impor- 
tante que  pour  le  foin.  La  même  considération  fait  comprendre 
qu'on  a  fini  par  supprimer  le  substantif  y*?///////,  l'idée  de  foin 
étant  devenu  inséparable  de  cordum,  qui  désormais  fut  employé 
comme  substantif.  Le  premier  exemple  que  nous  ayons  -  de 
cet  emploi  exclusivement  roman  nous  est  donné  par  un  docu- 
ment fribourgeois  de  1394  où  il  est  question  d'un  pré  qu'on 


'  recordo,  recouerdo  f.  que  cite  Mistral  sous  recolla  ne  sont  sans  doute 
que  des  variantes  locales  de  recolle,  cfr.  recorto,  etc. 

-  Tiraboschi  ne  dit  pas  de  quelle  époque  sont  les  Antichi  slaluti 
riirali  que  cite  pour  cordum  M.  Salvioni  {Postille,  p.  6). 


2  2  E.   TAPPOLET 

vend  au  curé  de  Bulle  «  avec  tous  ses  droits  ?  :  recorto  '  scu 
repasu  [Arch.  soc.  hist.  frib.  1882,  p.  108).  Un  autre  rétrécis- 
sement moins  général,  c'est  que  dans  les  parlers  romands 
actuels  au  moins,  le  mot  perdant  son  sens  de  ^  toute  espèce  de 
foin  tardif,  ne  s'applique  plus  guère  qu'à  la  deuxième  coupe 
de  foin,  à  l'exclusion  de  la  troisième  qui  est  le  rekordon.  — 
Reste  à  noter  une  troisième  modification  du  mot  latin:  on  aug- 
menta le  corps  du  mot  par  le  préfixe  re,  c'était  un  renfort 
, imminent'  partout,  puisque  la  récolte  du  regain  est  une  répé- 
tition de  la  fenaison;  aussi  la  plupart  des  termes  gallo-romans 
pour  regain  présentent-ils  cette  formation:  regain.,  ricayin,  etc. 
Franche -Comté,  revivre  s.  m.  Midi  de  la  France,  reprin 
Hérault,  recoupe  Isère,  refretson  V,  rebyolon  Vd,  reprise  V, 
refoin.,  redaly  Béarn,  cfr.  ail.  Nachiouchs,  anglais  af fer-gras, 
after-inath,  anc.  fr.  reaoust,  double  récolte.  Observons  toute- 
fois que  pour  aucune  de  ces  transformations  le  préfixe  n'est 
moins  indispensable  au  point  de  vue  logique  que  pour  notre 
cordum  qui  par  lui-même  contient  déjà  l'idée  de  seconde 
récolte.  Aussi  le  mot  simple  s'est-il  conservé,  à  Bergamo,  à 
Brescia,  dans  le  Frioul  (Salvioni,  l^ostille  6)  et  sans  doute 
ailleurs.  Si  le  suffixe  itératif  s'ajouta  à  cordum  dans  les  autres 
patois,  c'est  que,  je  suppose,  l'idée  primitive  de  ^  seconde 
récolte  '  s'était  affaiblie  en  faveur  de  la  nouvelle  idée  de  ^  foin  ' 
qu'avait  adoptée  le  mot  depuis  la  suppression  de  fœnum.  Il 
avait  besoin  d'une  régénération,. elle  s'opéra  par  le  moyen  de 
re  qui  —  qu'on  me  passe  cette  métaphore  —  rendit  au  mot 
son  équilibre  sémantique  ".  Ainsi  comprise,  la  formation  de 
recordum  serait  parfaitement  analogue  à  celle  de  refoin  (v.  ce 
mot).  Inutile  d'ajouter,  après  les  exemples  cités  plus  haut,  que 
re  s'unit  souvent  avec  un  substantif  sans  qu'il  existe  à  côté  un 


'  Preuve  douteuse  pour  la  prononciation  du  /  final  comme  dentale 
sourde,  plutôt  mauvaise  latinisation,  de  même  que  repassa  pour  repasio 
v.  repô. 

-  On  peut  supposer  un  développement  semblable  pour  record,  agneau 
né  après  terme,  que  cite  Mistral. 


LE   REGAIN   ET    LA    PATIKH    D  AUTOMNE  23 

verbe  correspondant  (rappelons  ref/i/x,  revif  (retour  de  la 
marée),  rebord,  recoin,  revin  :  repomata  f.  petite  pomme  de 
terre  qui  sort  d'une  nouvelle  (V  T.ens),  etc.  Le  verbe  rekordâ 
sera  un  dérivé  de  rekor.  —  Dans  notre  territoire,  le  mot  est 
muni  du  préfixe  dès  sa  première  apparition  (1394 1. 

Kiicyol.  '  Le  regain,  c'est  une  de  ces  belles  largesses  de  la 
Nature  dont  parle  La  Bruyère  {Caractcres,  chap.  7).  Pour  en 
comprendre  l'importance,  il  faut  se  rappeler  qu'il  y  a  trois 
façons  d'utiliser  l'herbe  d'une  prairie  :  i.  en  la  faisant  brouter: 
pâture,  ali.  W'cidfiitter:  2.  en  la  donnant  au  bétail  comme  four- 
rage vert,  ail.  Grii/ifi/tter  ;  3.  en  la  donnant  au  bétail  comme 
foin,  ail.  Heufuttcr.  L'application  de  ces  procédés  varie  à  l'infini 
selon  le  climat,  le  temps  qu'il  fait,  la  nature  du  sol,  l'altitude  du 
terrain,  les  degrés  d'engraissement,  la  quantité  de  bétail  qu'on 
veut  nourrir.  Sans  pouvoir  ici  tenir  compte  de  toutes  ces 
variétés  souvent  très  locales  et  même  individuelles,  on  peut 
distinguer  au  point  de  vue  du  rapport  en  herbages  quatre  caté- 
gories de  terrain  gazonné  : 

L  le  pré  gras  de  la  plaine  (p.  ex.  Gros  de  Vaud,  Ajoie, 
etc.  I,  ail.  Talwiese.  Il  fournit  trois  coupes,  dont  deux  de  four- 
rages secs  (foin  et  regain)  et  une  de  fourrages  verts  (le  rekor- 
don,  vouaina),  qu'on  peut  aussi  traiter  de  foin  dans  de  bonnes 
années.  Il  est  plus  rare  que  l'herbe  pousse  une  quatrième  fois. 
Dans  ce  cas,  on  la  fait  pâturer  par  le  bétail  {repas,  ail.  suisse 
Herbstweid  i. 

II.  le  pré  de  situation  plus  élevée,  environ  700-1 100  m., 
vers  la  limite  des  arbres  fruitiers  (par  ex.  le  Jorat).  On  l'appelle 
Bcrgiviese  en  allemand,  i^i?//^;// en  patois  bernois.  Il  ne  permet 
plus  que  deux  coupes  de  foin  (foin  et  regain);  ce  qui  pousse 
après  ces  deux  récoltes  est  utilisé  comme  pâture,  qu'on  appelle 
repé.  repâ,  paki,  pat  aura. 

III.  Le  pâturage  printanier  ou  mayen  (ail.  Voralp,  Vor- 


'  Une  partie  de  ce  que  nous  exposons  ici  scni  donné  sous  foin  dans 
\\  rédaction  définitive  du  Glossaire. 


24  E.    TAPPOLET 

sass,  Uiitersass,  Unterstaffel,  Maiensàss,  etc.),  qui  se  trouve  à 
une  altitude  de  1000-1900  m.  On  y  mène  brouter  le  bétail  au 
printemps  (mai  ou  juin),  il  fournit  une  seule  coupe  de  foin,  en 
août,  qui  se  conserve  dans  le  fenil.  Est-ce  du  foin  ou  du 
regain?  Du  foin,  parce  que  c'est  la  première  (et  seule)  coupe, 
du  regain,  parce  que  c'est  la  deuxième  poussée  d'herbe.  De 
fait,  certains  patois  valaisans  l'appellent  r<?y^(7  doti  fortin  {xQgaXn 
du  pâturage  printanier),  d'autres  ouazon  ou  rekor  pâturé^ 
V.  rekoi\  cfr.  Stebler,  0.  c,  p.  232. 

IV.  le  pâturage  de  la  montagne  ou  montagne  (bW.  Alp, 
Alpwiesé),  il  est  entièrement  brouté,  l'herbe  n'y  pousse  qu'une 
fois  l'année,  ou  si  elle  repousse,  on  la  laisse  se  pourrir,  c'est  le 
seul  engrais  qu'on  donne  à  ces  pâturages.  —  La  récolte  du 
foin  saiwage  (ail.   Wildheu)  sera  traitée  à  part. 

A  la  plaine,  dans  les  prés  proprement  dits  (catégories  I  et  II), 
la  récolte  du  regain  s'effectue  pendant  les  mois  d'août  ou  de 
septembre,  ordinairement  elle  est  terminée  dans  la  première 
quinzaine  de  septembre,  il  arrive  qu'elle  se  prolonge  jusqu'en 
octobre;  en  cas  de  neige  exceptionnellement  précoce,  on  est 
obligé  de  ^  recorder  '  en  novembre  (Grindehvald).  De  là  la 
dénomination  pour  le  regain  de  foin  d'automne  qu'on  trouve 
déjà  en  latin  :/«?////;«  autumnale.  —  Le  plus  souvent  on  compare 
le  regain  avec  le  foin  dont  il  diffère  principalement  par  la  moins 
grande  abondance  de  la  récolte  :yV  n'  ai  pas  fait  deux  chars  de 
rekor  cet  an,  se  plaint  un  correspondant  genevois.  Le  regain 
ne  donne  jamais  beaucoup,  souvent  très  peu.  Ce  fait  se  traduit 
dans  la  langue  par  la  fréquence  des  diminutifs  :  rekordc  m.  Vd, 
voucna  m.  B,  regin.nc  m.  N,  ail.  suisse  àmdli  s.  n.  et  àmdele"  v., 
toujours  en  parlant  d'une  petite  récolte  de  regain.  La  fenaison, 
au  contraire,  s'appelle  ^  les  grands  foins  ',  ^  les  bons  foins  '  (Vd). 
—  D'autre  part  on  oppose  le  regain,  comme  étant  de  meilleure 
qualité,  au  foin  appelé  ^rare'  ou  ^  maigre  '  qu'on  fauche  une 
seule  fois  aux  côtes  rapides,  sans  engrais  et  qui  est  encore  plus 
court  et  moins  fleuri  que  le  regain  (Vd  Blonay).  —  Les  qua- 
lités qu'on  attribue  au  regain  diffèrent  beaucoup  :  à  Evolène  il 


LE   REGAIN    ET   LA    PATURE    D 'AUTOMNE  25 

est  plus  indigeste,  à  Genève  il  est  plus  recherché  par  les  vaches 
que  le  foin.  —  L'usage  de  fêter  la  fin  du  regain  par  un  repas 
en  commun,  connu  sous  les  noms  de  dmterledi,  àmterioin  dans 
le  canton  d'Appenzell  (v.  Idiotikon),  paraît  faire  défaut  à  la 
Suisse  romande. 

rekonlè  s.  m.  I.  petit  regain  (VdBlonay),  2.  troisième 
coupe  d'herbe  (Vd  Penthalaz). 

Etym.  ■^recordittum,  de  formation  ancienne  ou  tiré  du 
verbe. 

l'dkordin  adj.,  v.  rekordâ  v. 

rekordi  s.  m.,  pré  à  regain  (V  Conthey). 

Etym.  Dérivé  ancien  de  recordum  -{-  acetim,  cfr.  s'erJ {%é\€) 
<  seraceum. 

rekorda  v.,  paraît  peu  usité.  1.  récolter  le  regain 
(F  Gruyère,  Matran)  ;  2.  pousser,  en  parlant  du  regain 
(V  Vernamiège).  De  là:  rskordin,  -in."ta  adj.  donnant  du 
regain,  firà  rokordin  (V  Bagne,  Entremont). 

Etym.  *recordare  de  formation  ancienne.  Pour  la  terminai- 
son du  participe,  cf.  tsa/itin,  vindin  (Fankhauser,  Val  d' Illiez 
153,  etc.).  Pour  le  féminin  analogique  cf.  mooula  lirinta  (Blo- 
nay). 

Homonymes:  i.  apprendre  par  cœur,  2.  corder  de  nou- 
veau. 

Autres  dérivés  de  rekor  :  rekordon,  rekordxon,  rdkordnâ^ 
V.  sous  II  A. 


2.  vouayïii  s.  m.  IJ,  retrain. 

{v)ouayin  (B  Atlas),  voèy'ln  (Charmoille),  vouàyïn  (les  Bois), 
cfr.  oiiayin,  dép.  Doubs,  Vosges,  etc. 

I.  seconde  coupe  d'herbe,  B.  2.  deuxième  ou  troi- 
sième herbe  qu'on  fait  pâturer  (Charm.,  Courfaivre). 

I .  lèz  amour  son  hnan  l  7>ouayin,  tyain  an  krè  k'èl  a  pèsèy 
h  vouait  k)  rvïn,  ...quand  on  croit  qu'il  est  passé,  le  voilà 
qui  revient  (B  Epauvillers).  2.  bote  lé  bét  e  voèyïn,  mettre   le 


:26  E,    TAPPOLET 

bétail  pâturer  le  regain  (Charnioille)  ;  lé  vetch  son  e  vouayïn 
(Courfaivre). 

Hist.  Ce  mot,  exclusivement  jurassien,  est  inconnu  au  reste 
de  la  Suisse  romande.  La  limite  entre  le  territoire  de  vouayïn 
et  celui  de  rekor  est  formée,  comme  d'habitude,  par  le  vallon 
de  Saint-Imier.  Ici  encore,  le  Jura  bernois  se  rattache  entière- 
ment au  vocabulaire  des  patois  du  Nord  de  la  France;  vouayïn, 
rvouayin  et  le  franc,  regain,  qui  n'en  est  qu'une  variante, 
occupent,  au  sens  de  regain,  toute  la  moitié  nord  de  la  France, 
tandis  que  le  midi,  —  à  part  quelques  termes  isolés,  —  emploie 
vivre  et  revivre  comme  substantifs.  Ce  n'est  guère  qu'en  Suisse 
que  se  sont  rencontrés,  —  et  quelque  peu  heurtés  l'un  contre 
l'autre,  —  l'ancien  terme  latin  cordii77i  et  l'ancien  mot  germa- 
nique weida  «  fourrage  »,  auquel  remontent  sans  aucune  espèce 
de  doute  toutes  les  formes  citées.  Notre  vouayïn  dérive  de 
7c>eida-\-  -m^«,  latinisé  en  vuadivien,  représenté  par  l'anc.  fr.  et 
l'anc.  prov.  ^«/"w.  C'est  ce  qu'a  démontré  d'une  façon  convain- 
cante pour  ,(re)gain'  M.  Thomas,  Romania  XXV,  86-89, 
en  s'appuyant  d'un  côté  sur  les  rimes  qui  séparent  l'ancien  fran- 
çais gahi  {gaïm)  ^  regain  '  de  gaaing  ^  gain  '  ^  et  de  l'autre  sur 
des  dérivés  comme  regaïiner  ^  faire  le  regain  '  t'iprcz  gitimaulx 
jprés  à  regain'  (Rabelais,  éd.  Marty-Laveaux  I,  19),  etc.  Cette 
formation  est  confirmée  par  l'ital.  gnaime  ^  regain',  qu'il  soit 
emprunté  au  français  ou  d'origine  dialectale".  La  phonétique 
locale  n'offre  guère  de  difficulté.  Pour  l'initiale,  cfr.  ouèr 
-<  weigar  fr.  guère,  ouardc  v.  fr.  garder,  Y  a  (ou  d]  patois 
semble  correspondre  à  Va  de  gaïm  ;  quant  à  Vy.  c'est  un  reste 


'  Qui  n'en  diffère  que  par  le  mode  de  formation. 

-  En  italien,  la  terminaison -/(«s  a  un  caractère  directement  agricole: 
3  mots  pour  fourrage  ou  pâture:  governime,  mangime,  paslime,  5  mots 
pour  fumier:  concivie, grassiuie,  marcime,  on  peut  ajouter /e/Z/wc  Jitière' 
(Pistoia),  c'est  toujours  une  masse  plus  ou  moins  compacte  se  rappor- 
tant aux  soins  du  bétail.  Faut-il  s'étonner  que  le  moiiveida  ,  fourrage', 
•quelle  que  soit  la  route  qu'il  ait  prise,  ait  été  assimilé  à  cette  ftmilie 
•morphologique  ? 


LE   REGAIN   ET   LA    PATURE    D'AUTOMNE  27 

de  la  diphtongue  allemande,  ou  bien  il  s'est  produit  pour  ré- 
soudre l'hiatus  comme  dans  mèyu  <  anc.  fr.  vieur,  mûr  (Cour- 
rendlin^i  ou  oyu  <  eu  (Péry),  cfr.  boyau  <  hoeL  joyau  <ijoel. 
hoyau  <  hoel.  La  terminaison  -imen  s'est  confondue  avec  le 
produit  patois  de  -liuim.  ce  qui  peut  expliquer  la  présence  de 
71 —  non  de  ;//  qu'on  attendrait  —  dans  les  dérivés  vouaimt  m. 
z'ouaiiû  V.  Ces  mots  auront  été  formés  d'après  le  modèle  le 
.moulin  moulinet,  lapin  lapiïlet.  patin  patiner;  cfr.  aussi  tchiti. 
tchna  ^  petit  chien  "  P3  ^ 

Reste  à  examiner  le  côté  sémantique.  Dans  l'ancien  haut- 
allemand,  tveida  exprimait  l'idée  très  générale  de  .recherche 
de  la  nourriture',  _  nourriture ',  il  s'appliquait  aux  animaux 
aussi  bien  qu'aux  hommes;  il  désignait  le  fourrage,  la  pâture, 
la  pèche,  la  chasse  en  général  (cfr.  IVeidgeselle,  etc.)  et  la 
chasse  aux.  oiseaux  en  particulier,  de  même  le  verbe  weidinôn 
signifiait  ^  paître',  .chasser',  _ gagner  au  moyen  de  la  chasse", 
er  l'eut  en.  1  De  là  au  sens  très  vivant  en  anc.  français  de  ^  gagner 


'  Toutefois  il  n'est  pas  impossible ,  malgré  les  recherches  de 
M.  Thomas,  qui  gardent  toute  leur  valeur  pour  l'anc.  fr.  gaïiii,  qu'à 
coté  de  ce  gahn  il  ait  existé  un  oaain  {ouaing  etc.),  au  sens  de  ^  regain  " 
(ou  pâture  d'automne  ?),  qui  non  seulement  expliquerait  mieux  la  pré- 
sence de  n  dans  les  dérivés  cités  plus  haut,  mais  rendrait  compte  de 
plusieurs  formes  anciennes  et  modernes  que  cite  Godefroy  sous  (pré) 
gaaigiieau,  ,  pré  à  deux  coupes  de  foin'  (doc.  de  1366),  c'est  sans  doute 
le  pré  giiiinau  de  Rabelais,  mais  dérivé  de  gaaigner  ou  de  * gaaing. 
(cfr.  pré  à  rekor).  Ajoutons  regaaigner  v.  ^  récolter  en  regain  '  (Godefroy), 
de  même  dérivation.  Un  examen  des  significations  semble  confirmer 
cette  hypothèse  :  tous  les  mots  qui  se  rattachent  à  la  famille  de  gagner 
s'emploient  dans  l'ancienne  langue,  à  côté  de  leur  sens  moderne,  en 
parlant  de  la  terre  et  de  ses  produits,  gnaing  lui-même  signifie 
^  terre  labourable';  ,  fruit  de  la  terre',  ,  récolte  '  (Godefroy),  donc  ni 
exclusivement  .gain,  profit',  ni  exclusivement  ^  regain ',  comme  le  fait 
croire  l'article  de  M.  Thomas.  II  y  a  eu  attraction  et  influence  réci- 
proques entre  gaaiiig  et  gahn.  Ajoutons  que  regain  s'emploie  aussi  pour 
^seconde  fructification  du  figuier',  sens  dans  lequel  on  peut  voir  un 
reflet  de  la  signification  plus  générale  de  ,  récolte':  cfr.  toutefois 
recordon  i.  ■■=.  second  essaim  d'abeilles  (Savoie),  2.  ^=  fruit  avorté 
(Yonne),  simples  extensions  de  sens  (v.  Godefroyi. 


28  E.    TAPPOLET 

au  moyen  de  la  guerre,  butiner  ",  il  n'y  avait  qu'un  pas).  Ce 
radical  germanique  a  passé  dans  toutes  les  langues  romanes 
de  l'Ouest,  de  l'italien  jusqu'au  portugais.  Partout  —  dans  les 
textes  du  moyen  âge  plus  que  dans  les  parlers  modernes  —  le 
mot  a  gardé  une  signification  agricole;  rappelons  anc.  fr. 
gaaigner  ^  cultiver  la  terre  ', ,  labourer  ',  avec  ses  dérivés,  par  ex. 
gagnage  m.  «  culture  de  la  terre,  grain  »,  fr.  mod.  ^  pâturage  ' 
(Dict.  gén.),  anc.  t^xo\.  guazag?iar  ^ciûûwqx  la  terre';  espagnol 
anc.  et  mod.  guadaùar  ,  faucher  ',  esp.  mod.  guadaûa  f.  et  port, 
mod.  guadanha  f.,  ^  faux,  faucille'  ^,  etc.,  mots  auxquels  il  faudra 
joindre  sans  doute  le  franco-prov.  vouin.tivi ^  semer'  ou  Jabou- 
rer  et  semer'  ^^v.  ce  mot).  Nous  n'avons  pas  à  étudier  ici  toutes 
ces  modifications  de  sens,  en  partie  très  curieuses,  du  radical 
germanique  ;  ce  qui  nous  importe,  c'est  de  constater  que  le 
sens  2  de  notre  mot  se  rapproche  le  plus  de  la  signification 
ancienne  (^et  moderne)  de  l'ail.  Weide  (cfr.  repé,  repâ,  paki, 
patoura,  tous  de  pascere).  C'est  peut-être  le  sens  primitif  de 
gai  m,  rega'ùn;  avec  le  progrès  de  l'agriculture,  —  dans  ce  cas 
avec  l'augmentation  du  nombre  des  pièces  de  bétail  à  nourrir 
en  hiver,  —  le  besoin  d'avoir  plus  de  foin  en  grange  aurait 
amené  un  changement  dans  l'exploitation  du  pré  :  au  lieu  de 
laisser  pâturer  le  bétail  après  la  première  coupe  on  aurait  fait 
d'une  façon  plus  régulière  qu'autrefois  une  seconde  récolte  de 


'  A  propos  de  ces  formes  hibérico-romanes,  qui  trouvent  leurs  cor- 
respondants en  anc.  fr.  gaaigm  f.,  en  anc.  prov.  guazanha,  terre  labou- 
rable, et  en  patois  romand  vouanyè  f.  pi.  semailles  ;  cfr.  aussi  en  anc. 
italien  i^iiadao^na  f.  ^guadagno'  (Petr.)  et  franc  pop.  gagne  f  ^  gain  ' 
(Sachs-Villatte,  Suppl.  ;  Anjou,  Verrier  et  On.),  on  peut  se  demander  si 
c'est  partout  un  simple  substantif  verbal  de  la  forme  romane  de  *  wai- 
danjan  purement  hypothétique  ou  si  nous  n'avons  pas  plutôt  à  faire  à 
iveida  -\-  suffixe  latin  et  roman  -anea;  il  se  serait  ajouté  sous  l'influence 
de  mots  très  usités  comme  montanea,  campanea  qui  exprimaient  égale- 
ment l'idée  d'^  une  étendue  de  terrain  '.  Rappelons  aussi  la  presque 
identité  d'emploi  qui  existe  entre  le  terme  romand  de  montagne  =  pâ- 
turage de  montagne,  et  l'ail.  Alpiveide  [cfr.  espagnol  hrafia  ^  Sommer- 
weide  '  que  Meyer-Lùbke  {Rom.  Gr.  II,  501)  tire  de  veranea\. 


LE   REGAIN    ET    LA    PATURE    D"AUT0MXE  29 

foin,  et  le  mot  pour  l'ancien  système  aurait  été  gardé  pour  le 
nouveau.  Dans  ce  cas,  le  sens  i  qui  domine  actuellement  serait 
dérivé  du  sens  2  qui,  aujourd'hui,  a  l'air  d'être  occasionnel 
(cfr.  toutefois  les  emplois  sûrement  dérivés  de  rekor).  Pour 
Encycl.  v.  rekor. 

voiièinè  V.  B,  faire  le  regain. 

3^  p.  prés.  ind.  è  vouèyœn.  Pour  l'hist.  v.  -roiiayin. 

loc.  prov.  vouèinè  dvin  fonè  {z.vzx\\.  de  faner)  se  dit  en  parlant 
d'une  fille  qui  a  laissé  «  entamer  son  capital  »  avant  le  mariage 
(B  Bourrignon). 

vouèinoii  (-oiiz)  s.  m.  (f)  B,  celui  qui  fait  le  regain. 

vouè'néjon  f.  saison  du  regain  (B  Vicques).  Dér.  de  Touè'nè, 
d'après  fonéjon. 

rouan  s.  m.  regain  (N  Cerneux-Péq. ). 

Ilist.  Le  mot  n'est  attesté  que  pour  cet  îlot  linguistique;  le 
patois  très  voisin  de  Grand'Combe  (dép.  Doubs)dit  également 
rouan  (Boillot),  sans  doute  une  variante  phonétique  de  rouJ7i 
que  note  V Atlas  aux  points  assez  rapprochés  41  et  31.  La 
forme  semble  être  une  réduction  vocalique  de  rveyin  qu'on 
trouve  dans  la  même  région  (Atlas).  La  terminaison  fait  diffi- 
culté, car  Grand'Combe  dit  m?lïn  .  moulin  ',  Ifpï/i  ^  lapin  ',  même 
Jvïf/  , levain'.  Serait-ce  le  correspondant  de  l'anc.  fr.  regaaing 
et  non  de  regàim  ?  v.  vouayïn,  Hist. 

3.  ragin  s.  m.  V  G  N,  regain. 
rsdyin  (Vd  Pailly). 

Mot  très  peu  usité,  importé  par  le  français  à  côté  des  formes 
indigènes  rvouayin  et  r<?/^fl';/.  Dérivés:  rgin.nè  va.rgingin.nè  m. 

4.  rafouin  s.  m.  regain  (V,  fr.  pop.  ),  peu  attesté,  inconnu  aux 
patois,  formation  remarquable  par  sa  clarté.  Pour  re,  v.  ce  qui 
est  dit  dans  l'article  hist.  sous  rekor. 


30  E.    TAPPOLET 

IL  TROISIÈME  HERBE  QUI  POUSSE. 

Pour  cette  idée,  la  terminologie  patoise  est  beaucoup  plus 
variée  et  plus  flottante  que  pour  le  regain,  que  la  Suisse  ro- 
mande, conformément  à  sa  bipartition  linguistique,  rend  par  les 
deux  termes  consacrés,  le  rekor  au  Sud  et  le  vouayïn  au  Nord. 
Très  souvent  les  termes  que  nous  étudions  sous  le  titre  de  ,  troi- 
sième herbe'  s'entendent  tantôt  comme  fourrage  sec  (rarement 
vert),  tantôt  comme  pâture  que  broute  le  bétail.  Cette  indéci- 
sion d'emploi  s'explique  en  grande  partie  par  l'incertitude  ma- 
térielle où  est  le  paysan  des  régions  inférieures  pour  savoir  s'il 
devra  couper  ou  faire  pâturer  la  troisième  pousse.  Néanmoins 
il  y  a  lieu,  dans  la  plupart  des  cas,  d'observer  un  emploi  pré- 
dominant. C'est  pourquoi  nous  essayerons  de  distinguer  entre  i 

A.  troisième  coupe  {rekor don,  vouama]. 

B.  pâture  d' a.utomnQ  {repas,  pàçuier,  ail.  suisse  Herbst- 
weid). 

A.  TROISIÈME  COUPE. 

I.  rekorclon  s.  m.  second  regain  (Vd,  F,  V,  N). 

r?kordzon  (Vd,  Y),r(9)kordjon  (N,  B  Prêles,  Plagne),  même 
étendue  que  rekor,  mais  beaucoup  plus  rare.  Première  mention 
1668...  manger  les  rekor  dons  (en  parlant  du  bétail  qui  entre 
dans  un  pré)  (Oleyres,  X.  notar.  Avenches). 

Herbe  qui  repousse  sur  un  pré  fauché  deux  lois, 
le  plus  souvent  en  parlant  de  la  troisième  coupe  de  foin  (plus 
rarement  d'herbe),  quelquefois  par  opposition  consciente  à  repé 
(Gruyère)  qui  ne  désigne  que  l'herbe  pâturée.  Par  contre  cer- 
tains patois  du  Gros  de  Vaud  et  de  N  emploient  le  mot  au 
sens  de  repé:  ce  pré  n'a  que  du  rekordon  (Blonay).  Par  extension 
herbe  tendre'  (F  Granges  de  Vesin).  —  On  s'attend  à  une 
récolte  peu  abondante  :  farâ  Jami  kru  kd  ley  usé  zu  de  l'as'  byo' 
rekordon,  tu  n'aurais  jamais  cru  qu'il  y  eût  eu  d'aussi  beau  r. 
(V  Vérossaz).  — passer  un  pré  à  recordon  signifie  ^acquérir  le 
droit  de  récolter  la  dernière  herbe  d'un  pré':  ...  //  lui  fut  per- 


LE    KEGAIX    ET    LA   PATURE   D'AUTOMNE  ^l 

mis  de  passer  à  r.  un  pré  appelé  Bornicon  déjà  à  record 
(v.  re/ior)  mais  dont  la  dernière  herbe  appartient  à  la  commune 
(Colloque  d'Orbe,  3  mai  1787).  —  Nom  jiropre  vaudois  pro- 
venant sans  doute  de  queUjue  lieu-dit. 

Etym.  Dérivé  ancien  de  recordum  à  l'aide  du  suffixe  dimi- 
nutif -on,  cfr.  grandzon,  brinton,  etc.  ;  la  forme  r?kordzon, 
attestée  5  fois  dans  des  régions  très  différentes  embarrasse.  Si 
l'on  ne  veut  pas,  avec  M.  Gauchat,  la  tirer  de  ^recordio,  -ionis, 
^<  action  de  récolter  le  regain  »,  mot  qui  serait  devenu  masculin 
à  cause  de  son  synonyme  rekordon,  on  peut  songer  à  une  in- 
fluence dt  kordzon  [kordjon  X,  B)  ^  bretelle  de  hotte'  (Bridel) 
qu'on  emploie  à  côté  de  kordon  ,  bretelle  de  hotte'  (Blonay), 
quoique  la  distance  sémantique  soit  assez  considérable.  On 
trouve  aussi  plantson,  bien  attesté  pour  le  Valais,  à  côté  de 
plyanton. 

rokoi'dyou  s.  m.  troisième  coupe  d'herbe  (V  Martigny). 

Ktym.  Dérivé  de  rr/l'<?r -f- suffixe  français  -ion  (d'origine 
douteuse)  qui  alterne  (jueliiuefois  en  français  avec  -on,  cfr, 
fanion  et  fanon,  croupion  et  anc.  fr.  cropon,  peut-être  aussi 
anc.  fr.  corion  .  cuir'  et  coron  -bout  (de  cuir?)'.  La  Suisse  ro- 
mande emploie  ce  suffixe  plutôt  pour  des  êtres  vivants  :  bétion, 
gàtiou,  gdpion,  etc. 

l'okoi'din  s.  m.  troisième  coupe  d'herbe  (G,  Savoie  Const. 
et  Dés.  ;  seulement  dans  les  prairies  artificielles,  G  Laconnex). 

Etym.  Semble  être  * recordinum,  à  moins  que  ce  ne  soit 
l'adjectif  rekordin  substantifié.  Les  parlers  genevois  et  sa- 
voyards, qui  ont  aman  à  côté  de  amin,  ne  permettent  pas  de 
trancher  la  question. 

iM'koi'dô  s.  m.  troisième  coupe  d'herbe  (Vd  Penthalaz, 
Blonay). 

i*,)kordonâ  v.  repousser  en  parlant  de  l'herbe  du  regain, 
le  prà  rkôrdnan  (F  Sugiez). 

2.   voiiainH  s.  m.  B(.-\joie.  Delémont). 

loond  (Charm.)  rouainc  (Saint-Brais,  Atlas). 


32  E.    TAPPOLET 

I.  troisième  herbe  coupée  (plus  rarement  pâturée) 
2.  petite  récolte  de  regain. 

pocr  ds  voc'tui  m.,  sorte  de  poire  mûre  à  l'époque  des  re- 
gains. 

Etym.  Tiré  de  vouaym  à  l'aide  du  suffixe  •ittuin. 

pvouèyïn  s.  m.    troisième  coupe    d'herbe   (B  Charmoille). 

Dérivé  de  vouayl'n,  pour  re  v.  rekor. 

rouainè  v.  faire  le  second  regain  (B  Epauvillers). 

Dérivé  de  r\j'\oiiayïn. 

3.  rogiu.iir  s.  m.  troisième  herbe  d'un  pré  1  >'  ;  Vd  fr.  pop. 
écrit  re  gui  net). 

Dérivé  du  français  importé  regain. 

rogingin.nè  s.  m.  quatrième  coupe  d'herbe  (N  Brazel). 

Dérivé  de  regain  par  un  curieux  redoublement  de  la  syllabe 
radicale,  emprunté  peut-être  au  langage  enfantin,  cf.  fanfan, 
bonbon^  g  lin  g  lin,  etc. 

En  dehors  de  ces  diminutifs  de  rekor,  vouayïn  et  rsgin,  les 
patois  emploient  pour  la  3^  coupe,  très  isolément  il  est  vrai, 
plusieurs  expressions  composées  : 

dari  rkoi/à  s.  m.  N,  propr.  ^  dernier  regain';  rèr  vouayïn 
s.  m.  B,  propr.  ,  arrière  regain  '  ;  trèjyema  prija  s.  f.  (V  Verna- 
miège)  et  trczyèma  kopâ  s.  f.  G. 

B.  PATURE  D'AUTOMNE. 

I.  repé  s.  m.  (F,  Vd,  N,  B). 

rèpé  (F),  répc  (Vd  Blonay),  rspé  (Vd  passim,  F  Sugiez, 
N  Béroche,  B,  alternant  avec  rspc),  fr.  pop.  de  F  repais  (seule- 
ment au  sens  2).  cfr.  repâ. 

1.  repas,  2.  troisième  (ou  dernière)  herbe  quand  on 
la  fait  pâturer  (surtout  F,  moins  usité  Vd  Jorat),  3.  pâtu- 
rage d'automne  (F). 

V.  a  la  Sint-Antin.nou,  h  rèpé  d^on  tnouin.nou,  a  la  Tsan- 


LE   REGAIN    ET   LA    PATURE    D"AUT0MXE  33 

dclâza,  h  rèpé  de  Vépâza,  à  la  Saint-Antoine  (17  janvier)  le 
repas  d'un  moine  (petit  repas),  à  la  Chandeleur  le  repas  de 
l'épouse,  se  dit  en  parlant  des  jours  courts  et  longs,  in  kanpany? 
i  gran  dzb  on  fa  chi  repé,  à  la  campagne,  pendant  les  jours  des 
grands  travaux,  on  fait  six  repas  (F  Broyé).  ïn  syel  9rpé,  un 
faible  (frugal)  repas  (B  Epauvillers).  S'emploie  souvent,  comme 
en  français,  pour  ^  repas  de  cérémonie  '  (baptême,  noce,  enter- 
rement, etc.).  Le  vrai  mot  patois  pour  ^ repas'  est  souy?,  v.  ce 
mot.  1.  ly  a  on  bon  repé  sti  an,  il  y  a  une  belle  quantité  de 
,  repas  '  cette  année  F,  souvent  employé  au  pluriel  au  sens  de 
j  place  à  repais  '.  lèy  a  dzo  de  hi  rèpé,  il  y  a  déjà  de  beaux 
^  repais  "  (F).  h9td  le  vatse  i  repé  (Gruyère),  ce  dernier  emploi 
marque  le  passage  au  sens  3.  —  071  tsan  a  rèpé  (F),  est  un 
pâturage  d'automne.  —  Occasionnellement,  le  mot  s'emploie 
pour  la  deuxième  herbe  d'un  pré  qu'on  ne  fauche  pas,  par 
opposition  au  rekor  qu'on  fauche  (F,  Gér.  Dup.,  cfr.  repâ  et 
paturon).  Pour  les  droits  de  la  communauté  sur  le  repais, 
\.  parkou,  Encycl.  — 8.  cir.  repâ.  —  Homonyme  r^//(Durheim 
et  Savoy  écrivent  repè)  m.  saule  (Bridel). 

Hist.  Dérivé  du  latin  repascere  qu'on  retrouve  dans  plu- 
sieurs parlers  méridionaux  au  sens  de  ^  repas  '  :  prov.  anc.  et 
mod.  repais  ;  gascon  repaich,  etc.  (v.  Mistral  sous  repas).  Il  y  a 
deux  explications  également  possibles  :  i .  On  peut  faire  re- 
monter ces  formes  à  un  *repascum,  comme  le  fait  M.  Gau- 
chat  {Dompierre,  18),  pour  la  voyelle  dix.  fé ^  faix'  de  fascem 
(^Dompierrei;  pasc(u)um  ^  pâturage  '  existe  en  latin  classique, 
il  a  ùonné pasco, pascolo  ^ pâturage'  en  italien  Qt pasch  en  rou- 
manche  (Pall.).  Pour  le  re  v.  rekor.  2.  on  peut  les  considérer 
comme  formations  postverbales  de  repaître,  la  3''  pers.  de  l'ind. 
prés,  est  repais  en  prov.  mod.,  repèich  en  gasc.  (Mistral),  rdpé 
en  romand;  de  croître,  l'anc.  fr.  faisait  un  substantif  crois 
^  accroissement  ',  aujourd'hui  croît,  décroît,  etc.  cfr.  débat,  sou- 
tien, gain.  Pour  être  difficile  à  expliquer,  cette  formation  est 
très  fréquente  en  français  (v.  Nyrop,  Gram.  hist.  III,  ^  540, 
€tc.).  Si  elle  n'est  pas  attestée  pour  le  masculin,   elle  paraît 

3 


34  E.    TAPPOLET 

l'être  pour  le  féminin  parl'anc.  ïr. paisse  f.  , pâture'  (Godefroy) 
de  {re)paisser  ^  (re)paître '.  —  Nul  doute  que  le  premier  sens 
de  ce  mot,  comme  aussi  de  repâ^  ne  soit  celui  de  ,  pâture  ';  il 
aura  été  appliqué  aux  repas  de  l'homme  —  sens  très  répandu 
aujourd'hui  —  sous  l'influence  du  mot  français  repas.  —  Les 
domaines  géographiques  de  repé  et  de  repâ  (Alp.  Vd  et  Bas-V, 
G)  sont  nettement  séparés. 

Encycl.  au  sens  I,  v.  sous  dédzoïuiâ.  dinâ,  s3pâ,  etc.;  au 
sens  2,  v.  rekor. 

repji  s.  m.  (Vd  Alpes,  V,  G). 

rcpâ  (Alp.Vd),  rspâ  (Bas-V,  Val  d'Illiez,  Entremont,  Bagnes), 
rdpâ  (G),  rpà  (N,  mot  français  non  patoisé),  repâr  (Pays- 
d'Enhaut,  à  côté  de  repâ),  repair  (forme  écrite  et  isolée  à 
Château-d'Œx,  influence  de  ^  repais'?),  repasu  forme  mal  lati- 
nisée d'un  doc.  frib.  de  1394,  v.  rekor,  Hist. 

1.  troisième  (ou  dernière)  herbe  d'un  pré  quand  on 
la  fait  pâturer;  2.  repas. 

I.  kin  byo  r?pâ!  quelle  belle  herbe  d'automne!  (V)  ;  tnddzt 
lo  r?pâ,  brouter  le  ,  repât'  (Vd  Rossinière). 

Emplois  occasionnels  :  deuxième  herbe  lorsqu'on  ne  la 
fauche  pas  (opp.  rekor  V  Entremont)  ;  pré  qui  donne  cette 
herbe  (ib.);  pâturage  d'automne  (ib.);  par  exception:  3*=  herbe 
lorsqu'on  peut  la  faucher  (Vd  Ormonts,  où  en  1822  on  a  fauché 
six  charges  de  ^  repât  '  au  Rosex).  2.  V amè  le  boug  rcpâ,  il  aime 
les  bons  repas  (V  Anniviers). 

Hist.  Dérivé  du  \dX.pastiis  ^  fourrage,  pâture ',  dont  \\..  pasto, 
prov.  anc.  et  mod.  past,  anc.  fr.  past,  fr.  mod.  pât  ^  certaine 
nourriture  pour  chiens  ou  oiseaux  ',  etc.  Pour  le  préfixe,  v.  rekor. 
On  trouve  déjà  repast  en  anc.  fr.,  d'où  le  fr.  mod.  repas:  pour 
la  variante  orthogr.,  v.  appât  à  côté  de  appas.  —  La  forme  des 
Alp.  Vd  présente  un  ranorganique  qui  n'est  pas  rare  en  franco- 
prov.  :  cfr.  klar  ^  clef ',  tablard  pour  trablyâ,  clcdard  pour 
clcdas  (v.  Gauchat,  Mél.  Chahaneau,  871).  Ajoutons  coiitelar 
et  cade/iar  que  donne  Humbert,  Gloss.  genevois.  —  repé  et  repâ 


LE   REGAIN   ET   LA   PATURE   D'AUTOMNE  35 

sont  des  cas  intéressants  de  rétrécissement  technique  du  sens 
d'un  mot  général  pour  ,  fourrage ',  cfr.  pât  ^  nourriture  pour 
chiens',  astur.  cebu  ^foin'  de  cibus  ^  nourriture ',  ail.  bernois 
spîs  ,  fromage  ',  de  Speise,  etc. 

2.  pâki  s.  m.    pâquier  (fr.  pop.). 

Vd  Est,  Leysin,  F,  Bas-V,  O;  pàtyi  (Vd  Jorat,  Blonay,  F); 
patyè  (Bas-V,  Vd  seulement  Dum.);  pâki  iG);  pasquier  ou 
pascuis  1441  doc.  vd. 

1.  pâturage;  2.  troisième  (ou  dernière)  herbe  d'un  pré 
lorsqu'on  la  fait  pâturer;  3.  surface  d'herbe  néces- 
saire à  la  nourriture   d'une  bête  pendant  l'été  (Vd). 

1 .  Terme  général  au  même  titre  que  patiiradzo  et  montany? 
(il  faut  mener  les  bêtes  2M.patyi,  Vd  Blonay),  avec  tendance 
toutefois  à  désigner  un  pâturage  destiné  à  telle  espèce  de 
bétail:  //  fayè  son  vènyué  in  tsan  su  lo  patyè  di  vatsè ,  les 
brebis  sont  venues  paître  sur  le  ,  pâquier  '  des  vaches  (V  Praz- 
de-Fort);  patyc  di  inodzon  (ib.);  pâquier  traduit  par  ,  Rinder- 
weide'  (F  Kuenlin,  Dict.  II,  224):  patyi  e  vi  =  aux  veaux  (F 
La  Toux).  —  Le  Coutumier  du  Pays  de  Vaud  de  161 6  men- 
tionne pâquier  commun,  qu'il  traduit  par  Allmend.  —  Leysin 
appelle  patyi  un  pâturage  clôturé  de  peu  d'étendue.  —  A 
Liddes  (V),  le  mot  tend  à  disparaître. 

2.  Après  le  sens  général,  celui  de  pâturage  d'automne  est  le 
plus  abondamment  attesté  pour  tout  le  territoire  occupé  par  le 
mot,  c'est  un  vrai  synonyme  de  repé  à  F  et  de  repâ  en  Bas-V, 
mot  dont  il  diffère  surtout  par  la  nuance  ^  géographique  '  (sens 
1)  et  par  l'emploi  juridique  (sens  3)  du  mot.  —  C'est  ici  qu'on 
peut  ranger  les  anciens  noms  de  lieu  :  \\\\ pratmn  dou  Pasquier 
(près  Villeneuve,  Arch.  cant.  vaud.,  Cartulaire  Bouvier),  etc. 
1669  prcz  à  Pasquier  (F,  papiers  Mynsiez)  =:  pré  qui  donne 
du  _  pâquier  '. 

3.  léi-y-a  bin  déi  patyi  su  d-a  ni07itanyè,  il  y  a  place  pour 
beaucoup  de  têtes  de  bétail  sur  ce  pâturage  (  Vd  Blonay).  Le 
système  de  ces  évaluations  du  terrain  est  ancien  (attesté  pour 


36  E.    TAPPOLET 

1666,  Etat  du  gouv.  d'Aigle,  p.  14).  Chaque  communier  avait 
droit  à  tant  de  pàquiers,  dont  le  nombre  pouvait  se  modifier 
par  les  successions.  En  cas  de  partage,  le  ^pâquier'  pouvait  se 
diviser  en  fractions.  Aujourd'hui,  les  ^  pâquiers  '  de  montagne, 
devenus  indivisibles,  sont  vendables,  comme  des  actions.  (Pour 
d'autres  détails,  v.  Blonay  sous  patyi).  Le  mot  est  fre'quent 
comme  nom  de  lieu  sous  la  forme  Le  Pdquier  (Paquier)  dans 
Vd,  F,  N,  sous  la  forme  de  Pâqiiis  dans  Vd  et  G,  où  c'est  le 
nom  d'un  quartier  de  la  ville,  ainsi  qu'à  Annecy  (Const.  et  Dés. 
sous  pâqui),  et  sous  les  formes  Paqueys  (Vd  Yvorne),  Paccais 
(Vd  Chessel),/'^^//a/j-(V  Colombey);  v.  Jaccard.  De  là  le  nom 
de  famille  Dupasquier  en  Suisse  et  en  France. 

Ilisl.  Le  mot  correspond  sans  doute  au  français  paqider 
(v.  l^ittré,  Supplément),  qui  était  d'un  usage  beaucoup  plus  fré- 
quent dans  l'ancienne  langue  (anc.  fr.  et  anc.  prov.  pasquter, 
prov.  moà.  pasquic,  Mistral),  presque  toujours  au  sens  de  ,  pâ- 
turage', ^ fourrage',  et  qui  remonte  au  lat.  pop.  pascuarium 
(formé  du  radical /ai'^(//!),  que  fournissaient  les  adjectifs^ai-cz/z/j, 
pasqualis,  -\-  ariiis).  Quant  au  suffixe  -arius  qui  ne  donne  ye 
en  Bas-V  qu'après  une  ancienne  palatale  [herjye  =  berger,  mais 
ovra,0('rï=  ouvrier),  il  paraît  que  dans  notre  mot  la  palatale 
secondaire  a  produit  le  même  résultat  que  l'ancienne.  Tou- 
jours est-il  que  les  formes  romandes,  y  compris  celles  de  la 
Savoie  —  à  part  peut-être  celles  du  Valais  —  peuvent  aussi 
bien  représenter  pasquis  (de  pascii  -f-  ïciimi)  ou  pasquil  (de 
pascii  -j-  ileni).  Si  le  dernier,  attesté  en  anc.  fr.,  semble  assez 
raxe,  pasquis,  fr.  moû..  pdquis  était  très  fréquent;  c'est  un  de 
ces  dérivés  en  -is  comme  pàtis  ,  pâturage ',/(??///// j",  taillis, 
éboulis,  glacis,  etc.,  qui  s'emploient  de  préférence  pour  une 
,  étendue  de  terrain'.  Ce  qui  témoigne  de  la  fréquence  du  mot 
en  français  romand,  c'est  que  souvent  —  déjà  en  1441  —  le 
mot  patois  paki  a  été  francisé  en  pdquis,  cfr.  Les  Pdquis  à 
Genève  ^  et  à  Annecy.  Aussi  le  sens  spécial  de  Herbstiveid  ne 


'  On  a  cependant  hésité  entre  Paquis,  attesté  pour  1712,  et  Pâquiers 
de  l'année  1777,  formes  que  je  dois  à  l'obligeance  de  M.  Muret. 


LE   REGAIN    ET   LA   PATURE    D'AUTOMNE  37 

peut-il  être  invoqué  en  faveur  de  pâquier  (qui  a  sûrement  ce 
sens  en  Valais),  puisque  déjà  un  écrivain  français  du  XVF 
siècle,  Olivier  de  Serres,  semble  employer  le  mot  pasqiiis 
dans  le  sens  en  question  ^  —  Notons  la  francisation  curieuse 
du  mot  par  paquet,  que  donne  le  correspondant  de  Praz-de- 
Fort  (V).  Elle  repose  sur  la  prononciation  identique  en  Valais 
à.Q  patjè  .  pâquier  '  et  paquet.  —  Onomasiologie.A  l'excep- 
tion de  la  périphrase  dera^r  èrba  ^  dernière  herbe  '  (  Vd),  tous 
les  termes  romands  pour  ,  pâture  d'automne  '  remontent  d'une 
façon  ou  d'une  autre  au  radical  latin  de  pascere  ,  paître', 
v.  repé^  repâ,  patoura. 

3.   patoura  s.  f.    pâture  (partout). 

patoîira  (Vd),  pq&oura  (F,  V),  pai}3ra  (F  Gruyère,  Vd 
Blonay),  paiœra  (Vd  Ouest,  F  Estavayer),  paiera  (Vd  Vau- 
gondry,  Ormonts,  accent  \SiX\a.h\&],pa))ura  (Vd  Pays  d'Enhaut), 
patoUra{Yû.  ]o\i\)^ paiUra  {G),pâiiira  (/>=  intermédiaire  entre 
ou  et  //,  V  Entremont,  Evolène),  pasdra  (F  Lac),  pàtur  (N), 
pétur,  rarement  petur  (B). 

1.  pâture  (Vd-B)  ;  2.  troisième  lierbe  d'un  pré  lors- 
qu'on la  fait  pâturer  (dans  tout  le  Haut- Valais). 

I.  Fér3  la  patoura,  préparer  la  nourriture  du  bétail  (Vd). 
A  la  montagne,  le  libre  parcours  du  bétail,  la  «  vaine  pâture», 
s'ouvre  le  jour  de  la  Madeleine  (22  juillet),  dans  le  bas  il 
est  permis  deux  mois  plus  tard  (29  septembre)  (Pierrehumbert, 
Aliis.  neuch.  1909,  p.  52).  Y  allai  hroiyain  le  quïu  comme  in  buë 
de péture,  elle  allait  tordant  le  c.  comme  un  bœuf  de  pâture 
(Raspieler,  Paniers,  647). 

Ilist.  Du  latin  pastura,  pâture.  —  Dans  les  cantons  de  N 
et  de  B,  le  mot,  peu  vivace.  est  remplacé,  au  sens  général,  par 


'  Voici  ce  passage  curieux  :...  il  (le  père  de  famille)  la  (la  prairie) 
fauchera  deux  fois,  voire  trois....  Et  finalement  sut  (=  sur)  l'entrée  de 
l'Automne  reproduira  elle  du  pasquis  de  telle  abondance,  qu'elle  suffira 
pour  bien  entretenir  son  bestail  durant  grande  partie  de  l'Hyver  selon 
la  propriété  du  climat  (Théâtre  de  V  Agriculture,  éd.  1639,  p.  238). 


38  J.    REICHLEN 

satiœ,  serni  (N)  et  par  tchinpouè  (B).  On  emploie  en  outre 
montany?  et  intsâtanadzo.  v.  ces  mots. 

paturon  s.  m.  V 

paturon{C\\di.n\o%ox\,  hey  tr  on),  J>  a  far  on  (Martigny). 

deuxième  herbe  d'un  pré  qui  a  été  pâturé,  par  ext. 
pâturage  d'automne  ;  //  vafsè  son  bouènc  i  paturon,  les  vaches 
sont  bonnes  à  lait  quand  elles  sont  aux  pâturages  d'automne 
(V  Leytronj. 

Hist.  Dérivé  de  pastura  -j-  suffixe  roman  -on.  —  Le  sens 

français  de  ce  mot  (partie  de  la  jambe  du  cheval,  etc.)  paraît 

inconnu  aux  patois  romands.    Onomasiologie  :   les  termes 

valaisans  pour  ^  deuxième  pâture  d'un  pré  '  varient  d'une  vallée 

à  une  autre,  il  n'y  a  pas  de  terme  général  et  consacré,  on  dit  : 

rebyolon,  rebvolin,  refretsofi,  redzeton, reprise;  comme  on  voit, 

c'est  toujours  l'idée  d'une  nouvelle  poussée  d'herbe  qui  a  servi 

de  point  de  départ.  E.  Tappolet. 

— ->^<-. — 

TEXTES 

-♦- 

Deux  chansons  populaires  fribourgeoises. 

Patois  de  Praroman. 

Bien  qu'on  ait  déjà  publié  d'importants  recueils  de  chansons  popu- 
laires patoises  du  canton  de  Fribourg  \  nous  en  tenons  encore  un 
assez  grand  nombre  d'inédites  en  réserve.  En  voici  deux,  transcrites 
d'après  le  système  orthographique  du  Bulletin.  La  première  contient, 
sous  une  forme  allégorique,  un  sens  caché  qu'il  serait  intéressant  de 
rechercher.  L'air  en  a  été  utilisé  par  M.  Emile  Lauber  pour  la  musique 
du  drame  populaire  Chalaniala,  de  M.  le  D^  Thurler,  représenté  à 
Bulle  en  19 10.  La  seconde  rentre  dans  la  nombreuse  catégorie  de 
chants  se  rattachant  aux  visites  nocturnes  que  font  les  garçons  aux 
filles,  selon  une  vieille  coutume,  et  qui  ont,  sinon  d'autres  mérites, 
celui  d'être  autochtones. 


^  Voir  surtout  Nouvelles  Elrennes  fribourgeoises,  années  1863 -1898  ; 
Romania,  t.  IV  (187^),  publication  de  J.  Cornu;  F.  Ha^felin,  Les  patois 
romans  du  canton  de  Fribourg,  1879  '  notre  collection  de  la  Gruyère 
illustrée,  livr.  IV-V,  1894,  les  Chants  du  Roud  d'Estavayer,  1894,  et  Nos 
chansons,  par  J.  Bovet,  19M. 


DEUX    CHANSONS   POPULAIRES    FRIBOURGEOISES 


Lent. 


I.  Bon  Triolè. 

Ace.  de  Casimir  Meister. 


mf 


^i 


fc-î-ElE^iS 


ï= 


feeS 


^-jrzpi 


z^=:^i 


Ly-a  joii      lé       l(/r     a      mon  goiir  -  mi,    Kd    li  tn'an  to 


mf 


gL=iÊ^=p 


:?=: 


,^=d: 


^ 


/^,    i» 


^^q=^ 


EÉS 


:i)=:^: 


iS^d 


^'■fl,  Ly-a  jou     le      hir      a     mon  gonr  -  nà,  Kd      li    ni'an    to 


3 


:Si=5= 


^ — \ — p^;  ,  I     ^^ 

• « mw- • é 1*^^     I 

; — ; — y tr-é      •■ 


o   p 


r 


^&=t=i^ 


mf 


3!^;i^È^^-EagEEi^^-p3=J=j 


prà.       Bon    tri  -  o  -  Je!  Krc-chi    Vin -ha      de  -  van    mè!     Bon 
^  Refrain  _ 


1  f       -^  -*•     '7-w     3-*-  •  *^ 


mf 


^ 


r 


=ô= 


:^==^=fc 


rail. 

=1= 


il 


fr;  -  0    -  li\  Krè  -  chi      l'iir  -  hfl      de  -  ri       viè  ! 


40  J.    REICHLEN 

I.  Ly-a  jou  le  lâr  a  mon  gournà,     1 
Kd  lî  m  an  to  pra.  J 

Refrain  :  Bon  Iriolè  ! 

Krèchi  l'àrha  dèvan  niè  ! 

Bon  iriolè  ! 
Krèchi  Vàrba  dèri  mè! 

II.  Li  ni'an  to  prà  ly'on  gran  de  hlyà, 
lù  li  ui'è  chohrà.  —  Refr. 

III.  Ly-é  bdtâ  chi  gran  chu  mon  isà, 
Ly-é  mmâ  ou  moulin.  —  Refr. 

IV.  L9  nioiinà  hd  h  m'a  mulyà, 
Mè  Va  a  dpmi  prà.  —  Refr. 

V.  N'ind-é  pu  fér  cha  piti  pan 
È  to  b  lèvan.  —  Refr, 


Le  bon  triolet. 

I.  Il  ^y  I  a  eu  les  voleurs  dans  mon  grenier, 
Qui  m'y  ont  tout  pris. 

Refrain  :  Bon  triolet  ! 

Que  l'herbe  croisse  devant  moi  ! 
Bon  triolet  ! 
Que  l'herbe  croisse  derrière  moi  ! 

II.  Ils  m'y  ont  tout  pris  excepté  un  grain  de  blé, 
Qui  m'y  est  resté. 

m.    J'ai  mis  ce  grain  sur  mon  char, 
Je  l'ai  mené  au  moulin. 

IV.  Le  meunier  qui  me  l'a  moulu 
M'en  a  pris  la  moitié. 

V.  J'en  ai  pu  faire  sept  petits  pains 
Et  tout  le  levain. 


DEUX    CHANSONS    POPULAIRES    FRIBOURGEOISES 


41 


II.  La  vèlya. 

Ace.  de  Casimir  Meister. 


Allegretto. 


Kan  ch'in  vin     h     dj     -     cban-do    ne.  Les   garçons  s'en  vont 


^fc=Ô 


-^ — * 


H->>N- 


=i=ÉZ=f=^ 


i^ 


^i^-Î^Ël 


t—i±.i-t 


T=trf3: 


^ÏE^_E=^ 


iznt3!i 


pro-nie-ncr.  Kan  ly-a-ron-von  de  -  jo  lé  ta,         Chè  h-uiiii-àon  a 


-ézuÉz 


-i— 5— î 


^^= 


i^^ 


-9—*- 


:é=^ 


-^ — •- 


:±3t*: 


:4^=:l5: 


=f5=iî=l=* 


::^=Ô: 


-0 # L — g » 


t)==L^—^—M- 


dza  -  va  -  ko  :    Ma      ka  -  rf,'    -    né  -  ta       va  -  à?      bin  ?  Mé 


â^ 


ê3^ 


it: 


• — •- 


• — ^ 


:t 


/ 


^-^ 


fc=f5: 


—H — s — 4 


i5=: 


/;■/  -  jon     chè     dé    -    fan  -  i9<?     rin  ? 


f 


—m # S ^ (-— •— ^«s ^- 

■*-  -#•-#--#•     -#^    -0- 


^^ 


42  J.    REICHLEN 

I.  Kan  cl/in  vùi  h  dadjando  né, 
Les  garçons  s'en  vont  promener. 

Kan  Jy-arouvon  dèjo  U  in, 
Cbè  kdniindon  a  d~arakâ  : 
«  Ma  kadgneta  va-dp  bin  ? 
Mè  frijon  chè  dtfan-êp  rin  ?  » 

II.  Kan  chtoii  filyè  lè-j  mi^on  vini, 
Nind-aii  h  ha°  to  rèd~oyi  : 

«  Or  a,  or  a,  vptp-lè  cbé  ! 
D;;;(Mnè  filyè  à  marier, 
Dèpatsin-no,  viif  0}i  bokoii, 
Kd  no  chalsiii  tçtè  dan/J  !  » 

III.  Kan  ly-oud~on  kp  up  vinyon  pâ, 
Nind-an  h  ka°  dèjèchpèrâ  : 

«  Or  a,  or  a  np  vinyon  pâ  ! 
No  no-j  in  chin  pachây'  ané, 
No  no-j  in  pàchèrin  chta  né.  » 

La  veillée. 

I.  Quand  s'en  vient  le  samedi  soir,  Les  garçons  s'en  vont  pro- 
mener. Quand  ils  arrivent  dessous  les  toits,  [Ils]  (se)  com- 
mencent par  attacher  leurs  jarretières  :  «  Ma  cadenette 
va-t-elle  bien?  Mes  frisons  ne  se  défont-ils  point?  » 

IL  Quand  ces  filles  les  entendent  venir,  [Elles]  en  ont  le  cœur 
tout  réjoui:  «Maintenant,  maintenant,  les  voilà  (ici)! 
Jeunes  filles  à  marier,  Dépêchons-nous,  un  peu  vite,  Que 
nous  sachions  toutes  danser  !  » 

III.  Quand  elles  entendent  qu'[ils]  ne  viennent  pas,  [Elles]  en 
ont  le  cœur  désespéré  :  «  Maintenant,  maintenant  [ils]  ne 
viennent  pas  !  Nous  nous  en  sommes  passées  hier  au  soir. 
Nous  nous  en  passerons  bien  ce  soir  !  » 


DEUX    CHAXSOXS    POPULAIRES   FRIBOURGEOISES  43 

IV.  Kcin  nind-an  jao  la  dpniind:^^  né, 
Ch'in  van  in  dpjin  la  h  dplon  : 

«  O  ouè  !  no-j  ind-an  joii  anê, 
lù  chi  vinyan  pi  totc  le  ne. 
La  ponârla  no  lon-j  onrcrin; 
Kâ  chon  achurâ  di  to  gale.  » 

V.  ((  Kan  cl/iii  vin  von,  ci/ in  vin  bin  don  ; 
I  cijinblyè  1:?  ciji  vinyon  fon. 

Chp  cljavan  ini  Ion  inètpgâ, 
No  fudrè  pâ  fan  no-j  in  pacJjà  ; 
No-j  ind-aran  tod^oua  JcoJwn  ; 
Ld  lin  110  chinblyèrè  pâ  Ion.  » 

IV.  Quand  [elles]  en  ont  eu  le  dimanche  soir,  [Elles]  s'en  vont 

(en)  disant  tout  le  lundi  :  «  Oh  oui  !  nous  en  avons  eu 
hier  au  soir,  Qu'[ilsj  viennent  seulement  ici  toutes  les 
nuits.  Nous  leur  ouvrirons  la  porte:  Car  [ils  sont  assu- 
rément des  tout  jolis.  » 

V.  «Quand   il  (s')en  vient   un,  il  (s')en   vient  bien  deux;  11 

semble  qu'ils  [en    raffolent  de  venir]  ici.  S'[ils]  savaient 

mieux  se   (litt.   leur)  répartir,   [II]    ne  faudrait  pas  tant 

nous  en  passer;  Nous  en  aurions  toujours  quelqu'un;  Le 

temps  ne  nous  semblerait  pas  long.  » 

T.  Reichlex. 


^*<- 


4  4  L.    GAUCHAT 


LES    NOiMS    DES   VENTS 

DANS  LA  SUISSE  ROMANDE 

{Stiife.)  —  Voir  Bulletin  II  (1903),  p.  63. 

-♦- 

III.  ru/lyo. 

Dans  la  Gruyère,  on  désigne  de  ce  nom  un  vent  froid  qui 
prend  naissance  dans  les  montagnes,  à  la  Tine,  au-dessus  de 
Montbovon.  Il  souffle  surtout  en  été  pendant  la  nuit  et  le  matin 
avant  le  lever  du  soleil,  quelquefois  jusqu'à  8-9  heures.  Ce  doit 
être  une  espèce  àç.  fœhn.  En  dehors  de  son  domaine  habituel, 
que  nous  venons  d'indiquer,  il  est  peu  connu.  Réunissons  tou- 
tefois soigneusement  toutes  les  traces,  pour  être  plus  ample- 
ment documenté.  Il  faut,  en  étymologie,  toujours  compter  avec 
la  possibilité  qu'un  mot  ne  se  soit  conservé  que  dans  un  sens 
détourné,  souvent  bien  éloigné  de  son  origine.  A  Rossinières, 
ce  vent  s'appelle  rondo,  s.  m.  ;  il  n'y  est  plus,  comme  en 
Gruyère,  un  vent  du  sud,  mais  il  va  de  l'est  à  l'ouest.  Il  se  fait 
sentir  le  matin,  avant  et  après  le  lever  du  soleil,  et  annonce  le 
beau  temps.  Dans  le  cours  de  la  matinée,  il  tombe  et  est  rem- 
placé par  la  bise.  A  FEtivaz,  c'est  un  souffle  froid  dans  les 
jours  clairs  de  l'hiver.  Aux  Ormonts  {rujd),  c'est  également  un 
courant  très  froid,  auquel  certains  lieux  se  trouvent  exposés. 
Ces  indications  de  nos  correspondants  confirment  ce  qu'on 
peut  lire  dans  les  articles  riklau  et  roulho  (p.  338  et  Suppl. 
p.  423)  du  Glossaire  de  BrideP.  Le  dictionnaire  de  M'"<=  Odin 
enregistre  riXlyd  (fr.  pop.  riflard)  s.  m.  vent  froid  du  soir.... 
il  amène  parfois  des  giboulées.  En  Valais,  la  chose   change 


^  L'éditeur  du  Glossaire,  L.  Favrai,  rectifie  dans  le  supplément  l'a 
peu  prés  phonétique  des  formes  de  Bridcl  et  écrit  iiMIo  et  rottiho. 


LES    NOMS   DES    VENTS    DANS    LA    SUISSE   ROMANDE  45 

d'aspect  :  roieklo  est  identifié  avec  la  hise  noire  fSalvan)  ;  dans 
la  vallée  de  Bagnes,  rolleya  ou  ruyjeya,  s.  f.,  désigne  une  bour- 
rasque ou  rafale,  un  vent  violent  mêlé  de  pluie,  un  tourbillon. 
Ces  dernières  formes  sont  dérivées  d'un  verbe  ràyjèyè,  où  l'on 
reconnaît  le  radical  de  notre  ruXlyo,  auquel  est  venu  se  souder 
le  suffixe -i?y6'  =  lat.  -idiare,  qui  se  retrouve  dans  bizèyè,  faire 
de  la  bise,  et  d'autres  verbes  employés  en  parlant  des  vents. 

Voilà  tous  les  renseignements,  contradictoires  et  épars, 
qu'oftrent  les  matériaux  du  Glossaire.  Quelques  recherches 
rapides  faites  dans  un  certain  nombre  de  dictionnaires  de  diffé- 
rents pays  m'ont  fait  découvrir  les  vocables  :  ruscle  \  s.  m.,  pluie 
qui  fouette,  pluie  battante,  averse  passagère  (Mistral,  Trésor) 
et  rose'-,  aquazzone,  pioèuv  a  rose,  piovere  a  rotta,  a  secchi, 
diluviare  (Monti,  Voc.  di  Coma). 

Les  formes  de  la  Suisse  romande  reconduisent  toutes  à  un  ra- 
dical hypothétique  *r  us  cl;  cf.  pour  le  traitement  du  groupe  cl 
après  consonne  les  formes  de  circ(ujlu>  ehçryjyo  (Gruyère), 
cher  do  (L'Etivaz).  Les  dialectes  lombards  nous  font  saisir  le 
radical,  non  diminutif,  *rusc,  signifiant  toutes  sortes  de  choses 
qu'on  peut  ramener  à  l'idée  de  a77ias.  Comparez  Cherubini, 
Voe.  mtlanese,  sous  rose:  i.  tutte  le  interiora  dell'animale, 
2.  stormo,  3.  gregge,  4.  penzolo,  5.  il  pêne  con  l'altre  appar- 
tenenze.  M.  Salvioni  (Arch.  glott.  it.  XVI,  p.  234)  me  parait 
avoir  tort  de  dériver  ce  mot  de  *roteu  qui  ne  convient  guère 
aux  patois  français.  Ce  sera  plutôt  ruse  eu,  attesté  deux  fois, 
avec  le  sens  de  sordidtis,  dans  le  Corpus  gloss.  lat.,  voir  t.  VII,- 
p.  218,  et  qui  doit  être  un  autre  ruse  eu  que  celui  dont  parle 
M.  Schuchardt,  Rom.  Etym.  I,  p.  62  ss.  Ce  dernier  est  tiré  du 
nom  de  plante  ruscum,  qui  ne  doit  avoir  aucun. rapport  avec 
notre  mot.  Rusceu,  tas,  se  retrouve  dans  toute  la  Haute-Italie 
et  dans  les  parlers  rétoromans.  Voir  des  listes  de  formes  dans 
Lorck,  Altherg.  Sprachd.,  p.  203,  et  Schneller,  Die  rom.  Volks- 
viund.  tjt  Siidtirol,  p.  171. 


'  Se  dit  aussi  rasch. 

-  Prononcer  rÔch  ;  se  comme  dans  l'italien  scewo,  etc. 


46  L.    GAUCHAT 

Les  patois  romands  offrent  certaines  analogies  :  rôyja,  s.  f. 
amas  (Val  de  Bagnes)  ;  ruklyoti,  tas  de  boue,  balayures  et 
autres  immondices,  gadoue,  débris  divers  (Vaud  et  Genève)^. 
L'énorme  répertoire  de  Du  Gange  donne  ruscum,  quodvis 
immundum,  ut  videtur,  et  ruscus,  sordidus,  d'après  le  Vocahu- 
larium  latinutn  du  lexicographe  Papias  (xi""'  siècle). 

Sommes-nous  allé  trop  loin  dans  nos  identifications?  Le 
lien  qui  unit  les  divers  mots  de  cette  famille,  si  c'en  est  une, 
nous  échappe.  Le  type  ruse,  différent  de  r  fisc  a  -=^  écorce, 
s'est  croisé  avec  d'autres,  par  exemple  avec  rifl  dans  la  forme 
de  Blonay  r/^^^^^i  nientionnée  ci-dessus.  La  voyelle  u  du  gruyé- 
rien  nij^lyo  pourrait  bien  aussi  représenter  un  ancien  /  devant 
*y?.  En  tout  cas,  cette  petite  promenade  étymologique  montre 
combien  difficiles  et  souvent  illusoires  sont  nos  tentatives  de 
reconstituer  l'histoire  des  appellations  d'un  groupe  déterminé 
(vents)  à  l'aide  des  matériaux  si  fragmentaires  des  vocabu- 
laires dialectaux. 

IV.  Vaudaire. 

Le  principal  domaine  de  ce  vent  est  constitué  par  les  rives 
orientales  du  lac  Léman,  qui  le  reçoivent  des  Alpes  et  du 
Valais.  G'est  un  vent  très  fort  et  chaud,  qui  souffle  souvent  par 
rafales.  Les  navigateurs  le  craignent.  Il  arrive  du  sud  dans  le 
Pays-d'Enhaut  et  dans  la  vallée  fribourgeoise  de  la  Veveyse. 
Il  entre  par  l'ouest  dans  la  plaine  du  Rhône,  à  laquelle  il 
amène  de  la  pluie.  On  le  connaît  jusqu'à  Saint-Maurice  d'un 
côté,  jusqu'à  Genève  de  l'autre.  C'est  le  fœlm  de  la  contrée, 
qui  fait  rapidement  fondre  les  neiges.  Un  proverbe  vaudois  dit: 
Vaiidaira  (lire  -aire)  dau  né  fâ  chétzi  lé  gollé:  Vaiidaira  dau 
matin  fâ  veri  lé  moulin  =  «  Vaudaire  »  du  soir  fait  sécher  les 
flaques,  «  vaudaire  »  du  matin  fait  tourner  les  moulins. 

Les  plus  anciennes  mentions  à  nous  connues  datent  du  xvir 
siècle.  On  sait  que  dans  les  vieux  actes  on  indiquait  souvent  la 


^  Fenouillet,  Pat.  savoyard,  cite  un  verbe  niella,  racler,  curer,  enlever 
la  saleté. 


LES    NOMS   DES   VENTS    DANS    LA    SUISSE   ROMANDE  47 

situation  des  lieux  par  le  nom  des  vents  {devers  bise,  etc.). 
Vaudeire  désigne  l'orient  dans  un  acte  de  Chillon  d'environ 
1650,  la  même  direction  dans  un  document  de  Villeneuve  de 
1619. 

Un  de  nos  correspondants,  qui  faisait  à  l'occasion  de  l'éty- 
mologie,  M.  L.  Ruffieux,  voulait  tirer  le  nom  de  ce  vent  de 
*validaria,  parce  que  c'est  un  vent  fort.  Mais  le  suffixe  -aria 
ne  se  joint  guère,  chez  nous,  à  des  adjectifs,  et  l'on  ne  voit 
pas  quelle  en  serait  ici  la  signification.  On  a  pense'  que  le 
terme  se  rattache  à  l'un  des  noms  du  diable  (proprement  «  sor- 
cier »  I,  à  validai,  que  M.  Muret  a  dérivé,  comme  le  faisait  déjà 
le  doyen  Bridel,des  hérétiques  vaudois  \Arch.  suisses  des  trad. 
pop.,  II,  180-181).  La  chaleur  du  vent  et  son  impétuosité  peu- 
vent, en  effet,  le  faire  considérer  comme  une  œuvre  diabolique. 
L'imagination  des  peuples  n'a  pas  manqué  d'établir  des  rap- 
ports entre  les  vents  et  des  entités  surnaturelles,  voir  Sébillot, 
Folk-Lore  de  France,  I,  p.  66  ss.  «  A  Guernesey,  par  exemple, 
le  tourbillon  d'été  est  conduit  par  Héroguias,  la  reine  des  sor^ 
cières  ;  en  Haute-Bretagne,  il  contient  un  sorcier»  {ib.  p.  82). 
L'un  ou  l'autre  de  nos  correspondants  confirme  cette  manière 
de  voir  en  qualifiant  la  vaiidaire  de  «vent  du  diable»,  et 
M™^  Odin,  sous  voudàirè,  remarque  :  «  il  va  sans  dire  que  nos 
bons  ancêtres  faisaient  souffler  le  vent  par  le  voiidài,  quand  il 
avait  besoin  de  déblayer  les  neiges  pour  pouvoir  passer  ».  Un 
Hexenwind  est  aussi  mentionné  par  M.  Wehrle  dans  son  étude 
Volkstumliche  Windiiamen,  p.  16^  (Zeifsc/ir.  f.  deutsche  Wort- 
forschung,  t.  IX). 

Et  cependant,  cette  étymologie  se  heurte  à  une  grosse  diffi- 
culté: comme  vaodâi  vient  de  Waldensis.  on  s'attendrait  à 
une  forme  vaudaiza^,  scil.  oi/ra  (aura).  Voyons  donc  s'il  y 
a  moyen  de  proposer  autre  chose. 

M.  Singer  avait  cru  reconnaître  dans  notre  vaudaire  une 
survivance  du  vent  latin  volturnus,  avec  échange  du  suffixe 


C'est  ainsi  qu'on  appelle  dans  nos  patois  les  sorcières. 


48  L.    GAUCHAT 

inusité^  contre  -aria  {Arc/i.  suisses  des  trad.  pop.,  I,  207,  n.  3). 
Mais  outre  que  cette  opinion  n'est  pas  appuye'e  par  la  phoné- 
tique —  le  radical  vult-  ne  saurait  donner  que  zwiit-  et  non 
vaud,  —  cette  appellation  est  trop  locale  et  trop  isolée  pour 
perpétuer  un  souvenir  antique.  Les  noms  latins  des  vents  pa- 
raissent avoir  été  oubliés.  Pas  de  traces  chez  nous  de  Eurus, 
Auster,  Nottis,  Aquilo,  etc.,  pas  même  de  Favonius,  qui  s'est 
pourtant  conservé  chez  les  Rétoromans  et  qui  est  parvenu  à 
l'allemand  (F'ôhn)  à  travers  les  dialectes  suisses-allemands  (cfr. 
Wehrle,  Zeitschr.  f.  d.   Wortf.). 

Je  pense  donc,  en  fin  de  compte,  que  le  radical  de  vau- 
daire  contient  le  nom  géographique  Vaiid.  Le  suffixe  -aria 
servirait,  comme  si  souvent,  à  désigner  le  lieu.  Le  nom  entier 
se  rangerait  avec  les  très  nombreuses  appellations  de  vents 
d'après  leur  provenance:  Vent  de  Savoie;  Bise  de  Berne,  de 
Scieur e,  de  Laiisantie  :  la  Lo?rin.n  (lorraine),  la  Biermoise,  la 
Tramelote  (soufflant  de  Tramelani,  etc.  Cette  idée  a  déjà  été 
exprimée  par  Fenouillet,  dans  sa  Monographie  dit  patois  sa- 
voyard, où  on  lit  :  vaudeire,  vent  d'Est  sur  le  lac  Léman  (de 
Vaud).  Terme  de  bateliers  savoyards  à  l'origine,  ce  nom  se 
serait  répandu  et  fixé  au  delà  de  son  domaine  primitif,  sans  tou- 
tefois devenir  très  populaire  dans  le  canton  de  Vaud,  comme 
le  prouve  le  petit  nombre  d'attestations  que  nous  possédons 
pour  ce  canton. 

(A  suivre.)  L.  Gauchat. 


1  -urnus  paraît  cependant  bien  s'être  conservé  dans  subturnus, 
voir  Bulletin  IX,  p.  30. 


NOTES   SUR    \/S   FINAL    LIBRE* 

DANS  LES  PATOIS  FRANCO-PROVENÇAUX 

ET  PROVENÇAUX  DU  PIÉMONT. 


On  peut  dire,  d'une  façon  générale,  que  de  la  vallée 
d'Aoste  jusqu'au  Col  de  Tende,  les  habitants  des  Alpes 
piémontaises  parlent  des  patois  franco-provençaux  et  pro- 
vençaux ou  en  ont  parlé  naguère  -. 

Mais  on  peut  dire  avec  autant  de  certitude  qu'au  bout 
d'un  ou  de  deux  siècles  on  n'y  parlera  plus  que  le  pur  pié- 
montais  ou  un  piémontais  altéré  plus  ou  moins  par  l'ancien 
fonds  dialectal  auquel  il  se  superpose.  Aujourd'hui,  l'enva- 
hissement des  hautes  vallées  latérales  du  Pô  bat  son  plein  ; 
avec  l'administration  italienne,  avec  les  douaniers,  les  sol- 
dats, les  commerçants  et  les  maîtres  d'école,  avec  les  indus- 
triels et  les  touristes,  le  piémontais  s'avance  en  vainqueur. 
Il  y  a  des  vallées,  —  la  Val  Chiusella  par  exemple,  —  qui 
sont  déjà  entièrement  conquises;  il  y  en  a  d'autres,  —  je 
pense  aux  vallées  vaudoises,  —  qui,  grâce  à  des  conditions 
sociales  ou  religieuses  particulières,  opposent  une  résistance 
acharnée.  Partout  les  clefs  des  vallées,  les  bourgs  et  les 
villes  importantes  qui  en  gardent  l'entrée,  Ivrea,  Cuorgnè, 
Lanzo,  Pinerolo,  Torre  Pellice,  Paesana,  Venasca,  Dronero, 
et  d'autres  encore,  sont  entre  les  mains  de  l'ennemi  et 
étendent  leur  influence  destructrice  jusqu'aux  hameaux  les 
plus  éloignés  qui,  perdus  au  fond  de  quelque  ravin,  au 
milieu  de   champs  minuscules  appuyés  par  de  petits  murs 

'  J'entends  par  s  final  libre  l'jf  après  voyelle. 

-  On  s'étonne  de  voir  répéter  par  le  Griindriss,  I-,  550  que  la  fron- 
tière politique  entre  la  France  et  l'Italie  coïncide  avec  la  limite  entre 
le  provençal  et  l'italien.  On  n'a  qu'à  consulter  Biondelli  (sans  parler 
du  travail  de  Morosi,  Arch.  gl.  XI,  309-416  et  de  Salvioni,  Lettura, 
1901,  p.  714-724)  pour  se  persuader  combien  cette  assertion  est  fausse. 
—  La  limite  entre  le  franco-provençal  et  le  provençal  passe  au  nord 
de  la  vallée  de  Suse. 


50  K.    JABERG 

péniblement  construits,  semblaient  à  jamais  devoir  se  sous- 
traire à  la  domination  linguistique  des  centres  civilisateurs 
de  la  plaine.  Ce  qui  donne  un  intérêt  particulier  à  la  région 
dont  nous  nous  occupons,  c'est  qu'elle  nous  présente  la 
lutte  linguistique  dans  les  phases  les  plus  diverses  et  sous 
les  aspects  les  plus  variés.  Un  grand  nombre  de  villages 
sont  bilingues  ;  tous  les  habitants  parlent  le  patois  et  le  pié- 
montais^;  le  patois  quand  ils  sont  entre  eux,  le  piémontais 
quand  ils  s'adressent  au  prêtre,  au  médecin,  à  l'apothicaire, 
aux  employés  de  l'Etat,  aux  boutiquiers  et  aux  commer- 
çants, qui,  bien  souvent,  ne  sont  pas  de  l'endroit  même  ou 
ont  perdu  l'habitude  du  langage  local. 

Assez  souvent,  —  c'est  le  cas,  par  exemple,  à  Sampevre, 
—  la  bourgade  centrale  d'une  commune  parle  de  préférence 
le  piémontais,  tandis  que  les  fractions  (frazioni)  rurales  ont 
encore  conservé  l'ancien  parler.  Dans  certaines  vallées,  le 
piémontais  supplante  le  patois  sans  s'altérer  foncièrement 
pendant  la  période  de  transition,  —  c'est  ce  qui  arrive  en 
général  dans  le  Nord  ^;  —  dans  d'autres,  —  on  en  jugera 
par  les  formes  que  je  citerai  d'Entraque  (vallée  du  Gesso) 
et  de  Vernante  (situé  sur  la  route  du  col  de  Tende),  — 
les  deux  langues  se  pénètrent  et  aboutissent  à  un  dialecte 
intermédiaire  tel  que  nous  le  connaissons  par  l'esquisse  que 
M.  Salvioni  a  donnée  du  dialecte  de  Roaschia^.  Le  piémon- 
tais importé  est  dans  certaines  vallées,  par  ex.  dans  la  vallée 
de  rOrco,  la  variété  locale  du  centre  de  commerce  le  plus 
voisin,  dans  d'autres  plutôt  le  ,  piemontese  illustre  '  ^.  On 


*  Je  me  sers  du  mot  patois  pour  désigner  l'ancien  parler  local  par 
opposition  au  piémontais  envahisseur.  L'usage  de  ces  mots  avec  les 
acceptions  que  je  leur  donne  est  du  reste  assez  répandu  dans  les  Alpes 
piémontaises.  Le  piémontais,  évidemment,  est  considéré  comme  une 
langue  supérieure,  le  patois  est  ^campagnard',  ,  rustique',  ^  grossier '. 
—  -  Ettmayer,  Die  prov.  Minidart  von  Vinadio,  Bausteiiie  \ur  roiii.  Phil., 
p.  219,  se  trompe  quand  il  croit  qu'il  y  a  une  transition  insensible 
entre  le  franco-provençal  et  le  piémontais.  Les  patoisants  eux-mêmes 
se  rendent  fort  bien  compte  de  la  différence  qu'il  y  a  entre  les  deux  lan- 
gages. —  ^11  dialefto  proveniah'ggiaiite  di  Roaschia  (Cuneo),  dans  Mclam^es 
Chabaiieau,  Erlangen,  1907,  p.  525-559.  Roaschia  est  situé  entre  \'er- 
nante  et  Entraque.  —  ■*  Ainsi  on  m'a  assuré  à  Sampeyre,  dans  la  haute 
vallée  de  la  Varaita  (je  n'ai  pas  pu  contrôler  l'assertion),  que  le  piémon- 
tais qu'on  y  parlait  était  bien  plus  élégant,  c'est-à-dire  plus  voisin  du  pié- 
montais de  Turin  que  celui  de  Venasca,  situé  à  l'entrée  de  la  vallée. 


L'S    riXAL    LIBRE   DANS    PKS    PATOIS    DU    PIÉMONT  51 

aurait  tort  de  généraliser  les  observations  faites  dans  tel  ou 
tel  endroit;  l'enquête  minutieuse  sur  place  peut  seule  faire 
connaître  la  vérité.  Je  ne  parle  pas  de  l'influence  exercée  par 
l'italien  littéraire  et  par  le  français.  En  général,  la  connais- 
sance de  l'italien  est  peu  répandue  chez  les  personnes  sans 
instruction,  et  si  des  mots  italiens  s'infiltrent  dans  les  patois 
franco-provençaux  et  provençaux,  c'est  souvent  par  l'inter- 
médiaire du  piémontais.  A  des  questions  posées  en  italien, 
on  répond  souvent  en  piémontais,  même  dans  les  magasins 
où  on  est  habitué  à  voir  des  étrangers.  Quant  au  français, 
on  le  comprend  généralement  dans  les  vallées  vaudoises  ^  et 
souvent  on  l'y  parle  assez  bien,  mieux  (  la  vieille  génération 
surtout!  que  l'italien.  Dans  certaines  familles,  on  a  même 
gardé  le  français  comme  langue  de  tous  les  jours  ;  et  les 
personnes  cultivées  le  parlent  quelquefois  avec  une  facilité 
et  une  élégance  remarquables.  Il  n'est  pas  sans  importance 
de  rapporter  le  fait  que  dans  les  vallées  placées  au  sud 
du  mont  Cenis,  on  a  en  général  conscience  de  parler  des 
patois  semblables  aux  patois  provençaux  de  France;  dans 
les  vallées  de  l'Orco  et  de  Lanzo,  par  contre,  on  ne  se  rend 
pas  compte,  à  ce  que  j'ai  pu  observer,  de  la  communauté 
linguistique  avec  la  France. 

L'aperçu  rapide  que  je  viens  de  donner  peut  paraître  trop 
sommaire  ;  mais  il  suffira  peut-être  pour  empêcher  le  lec- 
teur de  considérer  les  détails  de  phonétique  que  je  me  suis 
proposé  d'étudier  dans  ces  notes  à  un  point  de  vue  trop 
étroit.  Les  mots  que  je  citerai  ont  tous,  à  peu  d'exceptions 
près,  été  notés  sur  place.  Ils  sont  extraits  de  matériaux  qui 
n'étaient  pas  destinés  à  servir  de  base  à  une  étude  phoné- 
tique. Le  questionnaire  dont  je  me  suis  servi  reposait  à 
l'origine  sur  le  questionnaire  de  M.  GiUiéron  ;  je  l'ai  modifié 
peu  à  peu  au  cours  d'excursions  dialectologiques  dans  la 
Suisse  française,  les  Grisons  et  la  Haute-Italie.  J'ai  posé 
mes  questions  en  français  à  Bobi,  Pra  du  Tour  et  Crissolo; 
en  italien  dans  tous  les  autres  endroits.  Inutile  de  relever 
ici  les  défauts  inhérents  au  système  de  l'interrogation.  J'in- 


'  le   n'ai  pas  visité  la  partie  supérieure  de  la  vallée  d'Aoste  ni  la 
vallée  de  Suse,  où  la  connaissance  du  français  doit  être  assez  répandue. 


52  K.   JABERG 

siste  plutôt  sur  un  point,  dont  se  rendent  compte  tous  ceux 
qui  étudient  un  domaine  linguistique  d'une  certaine  éten- 
due :  l'insuffisance  de  notre  oreille  et  par  suite  de  la  nota- 
tion phonétique  appliquée  à  des  patois  fort  différents,  dont 
on  ne  s'est  pas  assimilé  les  sons  par  une  longue  habitude. 
Je  n'ai  donc  aucune  honte  à  avouer  qu'il  doit  y  avoir  des 
erreurs  et  des  inexactitudes  dans  mes  notes.  J'ai  mis  le  plus 
grand  soin  à  saisir  les  sons  que  j'ai  entendus  et  à  ne  pas  me 
laisser  influencer  par  des  considérations  linguistiques  pré- 
conçues. Si  ma  notation  reste  tout  de  même  une  esquisse 
grossière  de  la  réalité,  c'est  que,  vu  les  conditions  de  l'en- 
quête, il  ne  peut  pas  en  être  autrement. 

J'ai  modifié  aussi  peu  que  possible  la  transcription  du 
BnUeiin,  quoique  j'aie  eu  quelque  peine  à  habiller  les  patois 
du  Piémont  d'un  vêtement  qui  n'a  pas  été  taillé  pour  eux. 
Yo\c\  les  signes  nouveaux  que  je  me  suis  vu  obligé  d'in- 
troduire : 

Tj  =  n  guttural  (n  de  VArch.  glott.). 

. n  =  n  devant  consonne  (ne  servant  pas  comme  signe  de 
la  nasalisation  de  la  voyelle  précédente). 

I  =z  son  intermédiaire  entre  /  et  r.  On  produit  ce  son 
en  retirant  le  bout  de  la  langue  et  en  l'appuyant  en  arrière 
du  point  d'articulation  ordinaire  d'/  et  d'r.  J'en  ai  observé 
différentes  nuances  à  Brosso,  Pral  et  Bobbio. 

a  ^=  voyelle  réduite  non  arrondie  qu'on  trouve  dans 
l'allemand  Vogel  et  qui  est  parfaitement  distincte  de  l'e 
muet  français  (9),  quoiqu'il  y  ait  des  nuances  intermédiaires 
(et  par  suite  des  hésitations  dans  ma  transcription).  Cf. 
Arch.  gl.  XVII,  XXVII  et  214  :  é.  J'ai  désigné  par  le  même 
signe  le  son  qui  se  rapproche  davantage  de  à  (par  ex.  brikafj 
et  qui  est  caractéristique  pour  la  région  canavaise. 

où  =  ou  ouvert  (cf.  l'allemand  ktir-). 

à  réunit  plusieurs  nuances  intermédiaires  entre  è  et  à. 

II  y  a  dans  mes  matériaux  des  hésitations  dans  la  nota- 
tion d'/  et  de  y  qui  ne  correspondent  pas  à  la  réalité. 

^  et  ~  sont  partout  plus  ou  moins  palatalisés  ;  les  diffé- 
rences individuelles  étant  très  grandes,  j'ai  négligé  cette 
palatalisation  à  moins  qu'elle  n'ait  conduit  à  ch  et  /. 

s  lenis  (que  ma  notation  ne  distingue  pas)  est  fréquent 


L'S    FIXAL    LIBRE   DANS    LES    PATOIS    DU    PIEMONT  53 

devant  ///,  //,  v  et  alterne  dans  ce  cas  avec  ~.  Dans  le  sud 
de  notre  région,  je  l'ai  assez  souvent  observé  à  la  finale, 
en  pause. 

tch  et  di  se  rapprochent  presque  partout  de  Is  et  d:^^^. 

Quand  l'accent  n'est  pas  indiqué,  il  occupe,  en  général, 
la  même  place  qu'en  latin. 

Une  croix  (+)  indique  qu'une  forme  me  manque  pour 
un  certain  endroit. 

Je  me  borne  à  examiner  le  sort  de  Vs  final  libre  dans  les 
six  cas  que  voici  : 

I.      Pluriel  des  substantifs  (adjectifs)  féminins  en  a. 

IL     Article  féminin  pluriel. 

III.  Secondes  personnes  du  singulier  non  accentuées  sur 
la  syllabe  finale. 

IV.  Secondes  personnes  du  singulier  accentuées  sur  la 
syllabe  finale  (forme  affirmative). 

V.  Seconde  personne  du  singulier  de  l'indicatif  présent 
des  verbes  à  syllabe  finale  accentuée  à  la  forme  interrogative. 

VI.  s  final  libre  secondaire. 

Je  commencerai  par  un  exposé  purement  descriptif,  et 
terminerai  par  quelques  considérations  générales  qui  n'ont 
nullement  la  prétention  d'épuiser  le  sujet. 

Pianiprato  -. 

L's  final  s'est  amuï  partout  : 

I  et  II.  h  pià.ntè  ,  les  arbres  '  —  h  béxtiè  ,  les  bétes  '  — 
h  home ,  les  cornes  '  —  h  doue  roù''^è  doù  karptoùiiY]  i  sou.nt 
roù.ntne  ,  les  deux  roues  du  char  sont  cassées  '  —  doue  fpiiè 
,  deux  femmes  '  —  h  djamè  ^  les  poules  '  —  où  a(t)  le  tchanihè 


*  Mon  sujet  A  de  Limone  (dont  le  patois  tient  du  ligurien)  mélange 
tch  et  dj  avec  Is  et  i-  d'une  façon  fort  frappante. 

-  Piamprato  est  le  dernier  hameau  de  la  Val  Soana,  situé  au  pied 
du  M.  Rosa  dei  Banchi,  à  une  dizaine  de  kilomètres  au  delà  de  Ronco, 
dont  le  patois  forme  la  base  de  l'étude  de  Nigra,  Arch.  i;htt.  III,  1-60. 
On  y  arrive  de  Champorcher  par  le  Col  Santanel,  de  la  \'al  Chiusella 
par  le  Col  de  la  Bocchetta.  Une  route  partant  de  Ronco  est  en  con- 
struction: elle  remplacera  l'ancienne  ,  mulattière '.  Piamprato  fait  partie 
de  la  commune  de  Valprato,  dont  le  langage  a  été  étudié  par  M.  Sal- 
vioni  dans  les  Reitdiconli  del  R.  Istituto  Lombardo,  série  II,  vol.  XXXVII, 
p.  1043-1056.  Je  dois  la  plus  grande  partie  de  mes  matériaux  à  l'ama- 
bilité de  M.  Garavetti,  instituteur  à  .\lice  Superiore;  je  n'ai  recueilli 
que  très  peu  sur  place. 


54  K.    JABHRG 

Xloùrlchiè  ^  il  a  les  jambes  tordues  '  —  uouxiè  btiriiyè  ^  nos 
prunes  '  —  /  itvè  i  sok.n  doufè  ,  les  raisins  sont  doux  ',  etc. 

III.  iiièiiè  ,  mènes  '  (Ind.  pr.  2)  —  luanàvè  ,  menais  '  — 
(Ind.  imparf.  2)  —  nianîrè  ,  mènerais'  (Condit.  2)  —  ina- 
nisc  ,  menasses  '  (Subj.  imparf.  2)  —  van  —  va.ndîrè ;  va.n- 
dissè iiormQs  correspondantes  du  verbe  t'^./Zf/ri?,  vendre'), etc. 

IV.  a  ^  as  '  —  di  ,  dis  '  —  è  ,  es  '  —  fây  ^  fais  '  —  pé 
j  peux  '  —  sa  ^  sais  '  —  tchê  ,  tombes  '  —  va  ^  vas  '  —  vei 
^vois'  —  vé  ,  veux ',  etc. 

ijutiiéy  , mènes'  (Subj.  prés.  2)  —  iiiaiiarç  ^  mèneras  '  — 
va.ndey  (Subj.  prés.  2,  Ind.  imparf.  2). 

V.  ax  tu  —  dix  ^"  (ou  di  tu)  —  fax  tu  —  péx  tu  —  sax 
t^u  —  Vax  ^"  comme  koùxJcit  ,  coûte  '  —  kréxta  ,  crête  '  — 
té/Ja  ^  tête  '  —  Ip  inoiixtchè  ,  les  mouches',  etc.^ 

VI.  hurièus  ,  curieux  '  —  grafièus  ,  gentil  '  —  djalèus 
,  jaloux  '  —  nâs  ,nez'  —  rîs  ,  riz'  —  axpçus  ,  jeune  marié'. 

Noasca,  Ceresole  Reale,  (iroscavallo, 
Mondrone  -. 

.s  se  conserve  devant  une  pause  et  devant  un  mot  com- 
mençant par  une  voyelle  ;  il  disparaît  devant  un  mot  com- 
mençant par  une  consonne.  Cependant,  il  suffit  de  la  plus 
légère  hésitation  ou  de  l'arrêt  le  plus  insignifiant  pour  le 
faire  réapparaître  même  dans  ce  dernier  cas.  J'ai  fait  remar- 
quer autre  part  ■'  que  c'est  exactement  l'état  ou  se  trouvent 
les  consonnes  finales  à  Paris,  au  seizième  siècle,  selon  le 
témoignage  de  Henri  Estienne. 

Exemples.  Devant  une  pause  ^  : 


'  vois-tu  r=  vCy  tu. 

-  Noasca  (à  1050  m.)  est  l'avant-Jernière,  Ceresole  Reale  (à  1600  m.  1 
la  dernière  commune  de  la  vallée  de  l'Orco.  L'influence  piémontaise 
est  moins  sensible  à  Noasca  qu'à  Ceresole  Reale,  ce  dernier  village 
étant  un  centre  de  touristes.  Groscavallo  (à  11 00  m)  est  situé  dans 
la  Valle  Grande  di  Stura,  Mondrone  (1250  m.)  dans  la  Valle  di  Stura 
d'Ala.  Les  vallées  de  Lanzo  sont  à  un  degré  de  civilisation  plus  avancé 
que  la  partie  supérieure  de  la  vallée  de  l'Orco  et  la  Val  Soana.  Le 
voisinage  de  Turin,  où  une  grande  partie  de  la  population  de  Gros- 
cavallo passe  l'hiver,  y  est  pour  quelque  chose.  Aussi  le  piémontais 
a-t-il  fortement  entamé  l'ancien  patois. 

••  Zeitsctmft  f.  frani.  Sprache  u.  Litt.  XXXVIII,  238-259.  On  \- 
trouve  le  texte  de  H.  Estienne. 

■*  On  trouvera  d'autres  exemples  dans  les  phrases  citées  plus  loin. 


L"S   FINAL    LIBRE    DANS    LES   PATOIS    DU    PIEMONT  55 

I  et  II.  Noasca  ;   )iâr  da  lui.ndjiar  al  bèsius 
Ceresole:  iiar  da  mi.ndjiar  al  héchUf-s 

Groscavallo:     nâ  da  ini.ndjia  al  hèslias 

;  donner  à  manger  aux  bêtes  '. 

Noasca:  —      /  rifoit  lus 

Ceres.:         plâr  «/  trîfoiilas 
G  rose  av.:     raskiâ  al  tri  foulas 
Alondrone  : />/«  /  tri  foi  lias 

< peler  les  pommes  de  terre'  (,  mondare  le  patate'). 

Noasca:        dji  largérj  "^l  val  chas  ^ 
Ceres.  :         dj'Uâr  al  vàtclnts 
Groscav.  :    lardjia  al  vatchas 

,  paître  les  vaches  '. 

III.  Ceres.  :    parkè  ta  levas 
Grosc:          parka  ta  d  levas 

,  pourquoi  te  Icves-tu?' 

Ceres.:  ...troùvâsas...- 

Grosc.  :         ...trokvusas... 
Mondr.  :        ...tronvasès..- 

(,si  tu  le)  trouvais,  (il  ne  serait  pas  content')''. 

IV.  Noasca:   ...s  t  lou  vos 
Ceres.  :  ...se  lok  vos 
Grosc.  :  ...sa  t  lou  vos 
Mondr.  :       sa  t  lou  vbous... 

(,  je  te  le  donnerai),  si  tu  le  veux'. 

Ceres.  :         i  semblât  ka  ti  '^d  dur  mes 
Grosc.  :         e  :^mît  ké  té  d  dur  m  es 
Mondr.:        «  smiyat  ka  d  durmevus 

,  il  semble  que  tu  dormes  '. 

VI.  Noasca:        +      —  uâs  — paourous 

Ceres.:  kurioRch —  nâs  — ■  poourous 

Groscav.  :    kurioùs    —  nâs  —  poourous 

Mondr.:        kurioùs    —  nâs  —       4- 

'   ire  pers.  du  plur. 

-  J'indique  par  les  points  que  j'extrais  quelques  mots  d'une  phrase. 
'  Je  mets  entre  parenthèses  la  partie  de  la  phrase  que  je  ne  reproduis 
pas. 


56  K.   JABERG 

Devant  une  voyelle  : 

I  etil.  Noasca:  al  bèsias^  i  krèpoùrj  koualkeçta... 
C  ère  s.  :     /  bésicis  a  hrapok.n  d  viâdjo... 
Grosc.  :    al  vatchas  ou  iiwiroù.nt  kéikï  bol... 

^  les  bêtes  crèvent  quelquefois,  (quand 
elles  ont  mangé  trop  de  trèfle  '  ). 

Gères.:  «/  moûchias  a  roû.ntoù.nt... 
Grosc.  :  al  mousias  ou  roû.ntoù.nt... 
Mondr.:   al  moûsus  ou  va.nt  a.nt... 

,les  mouches  déchirent  (les  toiles  d'araignées'). 

Gères.  :     '^Iz  Uvas  a  sb.n  doUsas. 
Grosc.  :     laz  Uvas  sok.n  doUsas 
Mondr.  :    ^Iz  Uvas  on  sok.n  bêlas  doûsas. 
,  les  raisins  sont  doux  '. 

Chute  syntaxique  de  Vs  devant  une   consonne: 

On  aura  remarqué  dans  les  exemples  qui  précèdent  la 
forme  de  l'article  au  féminin  pluriel  devant  des  mots  qui 
commencent  par  une  consonne.  G'est  /,  «/,  al,  al,  formes 
variant  selon  la  rapidité  du  discours  et  selon  l'entourage 
phonétique-.  Il  ne  peut  pas  y  avoir  de  doute  sur  la  genèse 
de  ces  formes  :  il  las,  en  passant  par  las  >  las,  a  abouti  à  la 
(ou  h)  que  nous  trouvons  à  Piamprato.  Ensuite  /  a  absorbé 
l'élément  vocalique  dont  il  était  suivi,  quitte  à  le  détacher  de 
nouveau  comme  voyelle  prosthétique.  Us  s'est  conservé 
devant  voyelle  (la^  >  l~>  al^  ),  voir  l'exemple  ,  les  raisins 
sont  doux  '. 

L'étroite  Haison  entre  l'article  et  le  substantif  nous  tait 
comprendre  pourquoi  Vs,  dans  ce  cas,  ne  réapparaît  jamais, 
comme  cela  arrive  assez  souvent  dans  les  exemples  à's 
devant  une  consonne  qui  suivent-'. 

Noasca:    al  doû  rouas  dal  karlourj  l  soirrj  routas 
Gères.:     «/  doua  rouos  dal  kartoùr^  a  sorj^  roulas 


^  11  se  pourrait  que  par  inattention  j'eusse  noté  s  au  lieu  de  .;  dans 
cet  exemple  et  dans  ceux  qui  suivent.  —  -  Je  ne  parle  pas  des  mots 
commençant  par  s  impur,  qui  doivent  être  considérés  à  part.  — •'  Je  mets 
entre  parenthèses  Vs  des  formes  que  j'ai  entendu  prononcer  diftcrem- 
ment  selon  que  le  discours  a  été  lent  ou  rapide.  —  ^  Pron.  lente  :  soJ't. 


L'S    FINAL    LIBRE   DANS   LES    PATOIS    DU   PIÉMONT  57 

G  r  G  S  c ,  :     al  doua  roas  dou  kàr  ou  sokq  routas 
Mondr.  :   al  doUas  roûas^  dou  kartowq  sourj  routas 

,  les  deux  roues  du  char  sont  cassées  '. 

Noasca  :    doû  fpiias 
Gères.  :     doua  f nos- 
Gros  c:     doûa(s)  fumàlas 
Mondr.:    dou(s)  fumelas'-^ 

^  deux  femmes  '. 

Noasca:    al'  tchambè  1  or  sas 

Gères.  :      al  a  ^1  tchamba(s)  tbrsas 

Grosc.  :     a  /  tchainbas  astortas  (plus  vieux  :  vartchas) 

Mondr.  :  Gf.  tchambai  astortas) 

,  il  a  les  jambes  tordues  '. 

Gères.  :      mi.ndjî  parkè  t  a  fam 
Grosc:     nti.ndji  ha  t  a  fam 
Mondr.  :   ini.ndjî  parkè  t  a  dja  fam 

,  mange,  puisque  tu  as  faim  '. 

Gères.  :     parkè  1  loù  fây(s)  piourar 
Grosc.  :    parka  t  loù  fais  pioùra 
Mondr.  :  parkè  t  loti  fay  pioura 

,  pourquoi  le  fais-tu  pleurer  '  ? 

Quoiqu'elles  ne  rentrent  pas  dans  le  cadre  étroit  de  ce 
travail,  je  ne  puis  m'empêcher  de  citer  ici  les  formes  syn- 
taxiques de  la  troisième  personne  du  singulier  du  verbe  être. 
La  forme  pleine  est  as  à  Noasca  et  à  Geresole,  est  à  Gros- 
cavallo  et  à  Mondrone  (cf.  at  à  Piamprato)  : 

Gères.:     la  fia  al  as  isiâ  mourduè 

,1a  femme  a  été  mordue'. 

Grosc:     est  u'q  masle  difitchil 
Mondr.:    est  irq  masté  difitchil 

,  c'est  un  métier  difficile  '. 

J'ai  noté  assez  souvent  un  premier  affaiblissement  en  ast 


'  A  Balme,  dernière  commune  de  la  vallé  d'Ala,  dont  le  patois  est 
à  peu  près  identique  à  celui  de  Mondrone,  j'ai  obtenu  :  doua  roûas. 
-  Cp.  stafncLS  ,ces  femmes-ci',  sla  fuas    ^  ces  femmes-là'. 
^  Balme  :  doiia(s)  fiiiiirlas. 


58  K.    jABERG 

à  Groscavallo,  par  ex.  al  i  ast  ala  dtirinî  ,  elle  est  allée  se 
coucher  '. 

Un  second  degré  d'affaiblissement  est  représenté  à  Gros- 
cavallo par  us,  à  Mondrone  par  st  et  at  : 

Grosc.  :     /  àiva  i  as  proufou.nda  .  le  fleuve  est  profond'. 
Mondr.  :    /  st  alâ  dur  mi 

sali  ki  ou  s  at  astartnâ...  ^ 

,  il  s'est  caché  (derrière  l'armoire  '). 

L'étape  finale  de  Groscavallo  et  de  Mondrone  coïncide 
avec  celle  de  Ceresole  ;  on  en  jugera  par  les  exemples  sui- 
vants : 

Gères.  :      lou  sîr  ai  (as)  kiar 
Grosc.  :     lou  tchel  al  t chair 
Mondr.  :    arjkoiié  est  asrerj 

,  le  ciel  est  clair  '. 

Ceres.  :     lou  fè  al  as  mort 
Grosc.  :     lou  fia  al  d astis 
Mondr.:    lou  fia  l  mort 

,  le  feu  est  éteint  '. 

Gères.:     /  ûrdjoîi  al  mèyar 
Grosc.  :     ruurdjoîi  al  mîiy 
Mondr.  :    Fûardjoù  al  mèyroù. 
,  l'orge  est  mûre  '. 

On  voit  que  la  forme  verbale  a  fini  par  disparaître  com- 
plètement. 

Il  y  aurait  lieu  de  préciser  par  des  recherches  dirigées 
dans  ce  sens  la  règle  générale  énoncée  plus  haut  -.  Il  fau- 
drait pour  cela  d'une  part  varier  systématiquement  les 
phrases  à  demander  et  d'autre  part  écouter  des  conversa- 
tions entre  indigènes.  Assez  souvent,  ma  notation  ne  repré- 
sente pas  le  premier  jet,  et  si  la  méthode  que  j'ai  suivie  pour 
mon  enquête  crée  nécessairement  des  conditions  linguis- 
tiques artificielles,  le  danger  d'obtenir  des  formes  phoné- 

*  Cf.  une  fois  à  Grosc.  :  lou  tchûout  al  at  tstfi-.-  ,1a  chaleur  a  été 
tardive  cette  année  '. 

-  Ainsi  les  consonnes  continues  semblent  favoriser  tout  particuliè- 
rement la  chute  de  Vs  qui  les  précède. 


L'S   FIXAL   LIBRE   DANS    LES    PATOIS    DU   PIHMONT  59 

tiques  anormales  est  encore  plus  imminent  quand  on  se  fait 
répéter  les  réponses.  M.  Terracini,  dont  l'étude  sur  le  parler 
d'Usseglio^  a  été  entreprise  avec  tant  de  circonspection, 
nous  renseignera  peut-être  plus  exactement  que  je  ne  puis  le 
faire  après  un  séjour  trop  court  dans  les  vallées  en  question. 
J'ai  noté  de  nombreux  cas  où  1'^  s'est  conservé  malgré 
des  conditions  en  apparence  fiivorables  à  sa  chute.  On  aura 
remarqué  que  dans  la  phrase  ,  les  deux  roues  du  char  sont 
cassées  '  Vs  de  rouas  reste  partout.  \''oici  d'autres  exemples  : 

Ceres.  :  tcbasâiiyas  krûvus 
Gros c.  :  «/  lastànyas  krUas 
Mondr.  :    '-'■/  kohas  hruvas 

,  des  (les)  châtaignes  crues  '. 

Xoasca:    al  konias  d  la  valchi 
Ceres.  :     al  ko  mas  dal  vâtchas 

,  les  cornes  de  la  vache  (des  vaches  '). 

Ceres.  :     sâs  kè... 
Grosc.  :     ton  sas  ke... 
Mondr.  :   Cf.  sâs  ton  ke... 

,  sais-tu  que  iton  oncle  a  fait  construire  une  maison' i? 

V.  Les  secondes  personnes  de  l'indicatif  présent  à  S3'llabe 
finale  accentuée  présentent,  comme  à  Piamprato  et  ailleurs, 
le  traitement  de  st  à  l'intérieur  d'un  mot  : 


Ceres.  : 

krèsoù 

Cf.  :   ...ko usât 

Grosc.  : 

krès  ton  iè 

...koustat 

Mondr. 

:  tè  krès  tou 

...konstat  (',  combien  cela 

,  crois-tu  ?  ' 

coûte-t-il  '  (^  quanto  costa  ?  ') 

Pral  et  Pra  du  Tour-. 

Parmi  les  trois  communes  vaudoises  que  j'ai  visitées, 
Pral  et  Pra  présentent  une  affinité  remarquable,  qui  ne  se 
restreint  pas  au  phénomène  que  nous  étudions.  Je  sépare 
par  un  point  et  virgule  les  formes  de  Pral  de  celles  de  Pra. 


'  Arch.glott.  XVII.  198  suiv.  Usseglio  est  situe  dans  la  plus  méri- 
dionale des  trois  vallées  de  Liuizo,  séparée  de  la  vallée  de  Mondrone 
(appelée  ordinairement  vallée  d'Ala)  par  une  chaîne  de  montagnes. 

-  Pour  le  langage  actuel  des  Vaudois  du  Piémont,  voir  le  travail 
riche  et  consciencieux  de  G.  Morosi,  ArcJ).  gîott.  XI.  309-416  ;  Morosi 


6o  K.    JABERG 

S  libre,  primaire  et  secondaire^  tombe  en  allongeant  la 
voyelle  précédente.  Cependant  cet  allongement  est  loin  de 
présenter  la  régularité  que  lui  attribue  Morosi,  p.  347. 
Je  Tai  observé  surtout  dans  l'article.  Exemples  ^  : 

I  et  II.  la  doua  roua  dal  karous  sowq  routa;  là  roûa  dar 
hàr  sourrq-  roula.  —  doûâ  dônna'^;  doua  doua. —  la  djaima"^...: 
là  djalîna...  —  al  a  là  ichamba  toitr~Ua;  al  a  la  tchamba 
garsa.  —  là  uwUtcha...  ;  la  moustcba...  —  plâ  là  trffa;  plà 
là  trifoula  —  u.n  troupel  d  féa;  u.n  troupàl  d  fea  ,  un  trou- 
peau de  moutons'.  —  garda  là  vatcha;  id.,  etc. 

III.  Ich.anié;  id.  —  tcha.nté  ;  id.  —  tcha.uiàvé  ;  id.  — 
tcba.nlprfye  ;  tcha.ntari  (Ind.  prés.,  Subj.  prés.,  Ind.  imp., 
Condit.  du  verbe  tcha.utâ  ,  chanter  '  i.  — -  vp.ndé  ;  vd.nde  — 
vp.ndé ;  id.  —  vp.tidJyé;  V9.ndîyé  —  vd.udrîyé ;  +  (formes 
correspondantes  du  verbe  V3.7idré  ,  vendre  '). 

IV.  tcba.ntprè  ;  tcha.ntara  —  vp.ndrè  ;  +  —  (Fut.)  etc. 
à  ;  a  —  siyé  ;  se  —  fà  ;  fa  —  po  ;  pœ  —  sa  ;  sa  —  va  ;  va 
—  vée;  vé  —  volé  ;  vœ,  etc. 

V.  S'il  y  a  accord  pour  les  formes  affirmatives,  Pral  et 
Pra  se  distinguent  nettement  pour  les  formes  interrogatives; 
voici  les  exemples  : 

a  choisi  le  patois  de  Pral  comme  base  de  soi:  étude.  A  page  318  suiv., 
on  trouve  un  aperçu  géographique  et  linguistique  sur  les  ^Vallées  ' 
auquel  je  n'ai  rien  à  ajouter.  Voici  comment  s'échelonnent,  quant  à 
leur  vitalité,  les  patois  que  j'ai  étudiés:  Pral,  Pra  du  Tour,  Bobi.  Je 
dois  mes  renseignements  sur  Pral  à  M.  Stefano  Menusan,  berger  en 
été  et  maître  d'école  en  hiver,  dont  l'intelligence  vive  et  rapide  m'a 
permis  de  recueillir  en  peu  de  jours  des  matériaux  considérables. 
M.  Menusan  habite  Ribba  (1500  m.),  hameau  perdu  au  fond  de  la 
haute  vallée  de  Pral,  dernière  commune  de  la  vallée  de  Saint-Martin 
(vallée  de  la  Germanasca).  Ribba  est  le  premier  hameau  italien  qu'on 
trouve  en  venant  de  France  par  le  col  d'Abriès.  —  Pra  du  Tour,  le 
célèbre  refuge  et  dernier  retranchement  des  Vaudois  persécutés,  qu'Ed- 
mondo  de  Amicis  a  décrit  dans  les  Porte  d'Italia  sous  des  couleurs 
quelque  peu  outrées,  forme  la  partie  supérieure  de  la  vallée  d'Angrogne, 
séparée  de  la  partie  inférieure  par  les  contreforts  du  Yandalin  et  du 
Cervin.  On  traverse,  pour  v  arriver,  le  défilé  étroit  que  De  Amicis  a 
baptisé  les  Thermopyles  vaudoises. 

'  Les  exemples  sont  en  général  ceux  cités  pour  Piamprato.  Je  ne 
donne  la  traduction  que  pour  les  exemples  nouveaux. 

-  Voyelle  nasale  suivie  d'«  guttural. 

''  Morosi,  p.  347,  ^  103,  donne  là  feennâ. 

"*  A  Pral,  Vn  intervocalique  est  tombé  en  nasalisant  la  voyelle  précé- 
dente. 


L'S    FINAL    LIBRE    DANS    LES   PATOIS    DU    PIÉMONT  6l 

â  tu  ;  as  lu  —  fd  tu  ;  fâs  tu  —  sa  tu  ;  sas  tu  —  va  lu  ; 

vas  tu,  etc. 
Cf.  hreto  ;  krésla  —  lelô;  tàsta,  etc. 
A  noter  les  déplacements  d'accent  à  Pral  : 
pprké  itâ  tu  tchut;  prké  isl9s  tu  kiat  ,  pourquoi  te  tais-tu?' 

—  doum  va  lu  ou  doit.nt  anâ  tu  ;  don.nt  vas  tu  ,  où  vas-tu?' 

—  S9.nté  tu  pà;  S9.nt9s  lu  pà  ^  ne  sens-tu  pas  ?  '  —  hiye  tu  ; 
krés  tu  ,  crois-tu...  ?  '  —  ...f9ria  lu;  ...farïs  tu  ,  ferais  tu?' 
(  Cf  plus  haut  tcha.nt9rïye;  tchan.tari^). 

VI.  hurioU;  id.  — /w;/^  —  djalou  ;  djalou  —  ///#;  mé 
j  mois  '  —  nâ;  id.  —  pàouroU ;  pbouroù  —  //;  ris  —  susp9- 
toû;  malisiou  ,  soupçonneux  '  —  eypoû;  h  (Ion)  spoû. 

A  Pral  Vs  réapparaît  dans  l'article  féminin  devant  une 
voyelle  :  /a^  bonralya;  la  bourélya  ,  les  oreilles  '  —  /«;{  ey- 
palla  ;  là  spalhi  ,  les  épaules  '  —  /«^  eyte^-la  -  ;  la  stela  ,  les 
étoiles  '  —  la:(^  ua  sou.n  doûsa,  etc. 

Même  observation  pour  les  pronoms  démonstratifs  et 
personnels  f.  pi.  :  èykta~  erha  ,  ces  herbes  '  —  a  la~  àou  ,  il 
les  entend  '  —  a  la::;^  9Slîuioît  ,  il  les  aime  ',  etc.  ^. 

Bobi  (Bobbio  )  ^ 

Pour  le  traitement  à's  final  libre  primaire,  Bobi  marche 
tivec  Pra.  Il  fait  chemin  à  part  pour  1'^  final  libre  secondaire, 
qu'il  conserve  en  général  : 

I  et  II.  la  doui  roue  dur  kâr  soun  routé  —  doui  doue  — 
la  poule  (ou  djalpie)  —  al  a  la  tchambé  gàrse  —  la  luoûysé 


'  Ichantari  représente  un  tchantariye  antérieur  avec  absorption  de  IV 
par  1'/. 

-  Mais  doua  èytê^la,  ^  deux  étoiles'. 

•'  Cf.  la  ire  et  la  2^  personne  du  pluriel  du  pronom  personnel:  vouz 
anti  ,  vous  allez  '  —  noui  anrj  ^  nous  avons  '  —  vou:^  avè  —  nou-{  fioiivdn 
,  nous  entendons  '  —  voji-{  douve  ^  vous  entendez  '  —  a  noti^  fiou  ^  il 
nous  entend  '  —  a  voii:^  âou  ^  il  vous  entend  '  —  a  noui  dstjmoù  ^  il  nous 
aime  '  ■  a  voui  dstlmoù  ^  il  vous  aime  '  —  loti  tchaout  voui  èytouffo  ^  la 
chaleur  vous  étouffe  '. 

"*  Joli  bourg  à  une  dizaine  de  kilomètres  de  la  Tour  (Torre  Pellice), 
en  train  d'être  envahi  par  le  piémontais.  Mon  sujet,  tiraillé  par  des 
influences  françaises  et  piémontaises,  quoiqu'il  ait  presque  toujours 
habité  le  pays,  représente  le  patois  à  un  état  de  délabrement  qui,  au 
moins  à  la  campagne,  ne  doit  pas  encore  être  général.  Bobi  est  le  point 
992  de  l'Atlas  linguistique. 


62  K.    JABERG 

—  plà  la  trifoiilé  —  //.//  iroiipâl  d  fê — pasliirà  la  vatche  — 
hastanye  krUé,  etc.  \ 

III.  icha.nte  —  icha.nté  —  tcha.ntàve  —  tcha.niprîyc  — 
Icha.ntpsé  —  vp.nde  —  vs.nde  —  d.  durmïyé  —  dœrnisriyè. 

IV.  tcha.ntpra  —  a  —  fa  —  kré  —  va  —  vê. 

V.  as  tu  —  fas  tu  —  sas  lu  —  vas  tu. 

VI.  hirioûs  —  fus  ,  fuseau  \  ,  rais  '  —  djalous  —  })iês  — 
}iâs  —  ponvroUs  —  ri  —  /  pspoûs. 

Crissolo  -. 

s  final  primaire  a  disparu  dans  l'article  et  dans  le  sub- 
stantif; il  est  resté  dans  le  verbe,  excepté  au  futur. 

I  et  IL  le  bal''  ,  testicules  de  bélier  ',  lé  bélyé  ,  abeilles  ', 
lé  héonlé  ,  bouleaux  ',  lé  béslié  ,  bêtes  ',  lé  blué  ,  étincelles  ', 
le  hrêlé  ,  excréments  d'animaux  ',  lé  briale  ,  bretelles  ',  lé 
fiamé  ,  flammes',  lé  fisfiie  ,  fagots ',  lé  fûlyé  .feuilles'^  lé 
fumé  ,  pipes  ',  lé  djerbé  ,  gerbes  '  (cf.  plus  bas),  lé  gfspé 
,  guêpes  ',  lé  gfci^é  ,  églises  ',  lé  giilété  ^  feuilles  du  mélèze  ', 
lé  karéé,  ,  chaises',  lé  horde  .cordes',  lé  Icàlé  ,  robes ', 
lé  hoîirouné  ,  couronnes  ',  lé  lâbré  ^  lèvres  ',  le  lëouré 
.  lièvres  ',  lé  m^soyré  ,  foux ',  le  iiiisfle  ,  joues',  lé  violé  .pin- 
cettes ',  le  moUchtché  ,  mouches  ',  lé  iiioûré  .  mûres  sauvages  "", 
le  muda.nde  .caleçons',  lé  nf^ré  .puces',  lé  pâle  .pelles', 
le  pèle  .  poêles  ',  lé  pèyré  .  pierres  ',  lé  piaulé  .  plantes  ',  lé 
porté  .  portes  ',  lé  rasié  .  scies  ',  lé  >lôké  .  zoccoli  ',  le  tâoulé 
.tables',  lé  tmâlyé  .tenailles',  lé  testé  .têtes',  lé  t9:{0uyré 
.  ciseaux  ',  lé  trifoule  .  pommes  de  terre  ',  lé  tchbhé  .  cloches  ', 
lé  vjiune  .osiers',  lé  vîyé  .routes',  lé  virole  .véroles'. 

Devant  s  impur  (je  donne  aussi  le  singulier)  ^:  /  pskiièla, 
l  pskuèlé  (suj.  A)  *  .  écuelles  ',  la  spâla,  1  pspâlé  .  épaules  '  '', 

^  Cp.  ly  ourdlyé,  ly  sspâlé,  !y  jspTne,  etc. 

-  Crissolo  (1300  m.)  est  la  dernière  commune  de  la  vallée  du  Pô, 
située  au  pied  du  Monte  Viso  et  point  de  départ  pour  l'ascension  de 
cette  montagne.  En  été,  Crissolo  est  habité  par  des  étrangers.  J'ai  pu 
constater  en  passant  que  le  patois  d'Oncino,  commune  située  un  peu 
plus  bas,  mais  éloignée  de  la  grande  route,  a  gardé   plus  d'originalité. 

^  Les  formes  du  pluriel  des  mots  commençant  par  s  impur  que  je 
donne  dans  le  texte  sont,  sauf  indication  contraire,  celles  du  sujet  B. 
Voir  plus  bas. 

■•  C  et  B  :  /fl  skouëla,  lé  skotiêle. 

■'  C  :pl.  lé  spûlé. 


L  S    FINAL    LIBRi;    DANS   LES    PATOIS    DU    PIHMONT  63 

pi.  lé  spô.ndé  ,  les  parties  latérales  du  lit  '  (suj.  A),  la  spoU- 
nya,  lé  spoUnyé  ,  éponges',  la  starii'Ha,  le  siar/Hé  ,  les  cham- 
bres',  la  sléla,  l  pstélé^  ,  étoiles ',  pi.  lé  slçlé  ,  bûches ',  la 
stûa,  l  pstué'-  ,  poêles'  m.,  /  psichâla,  l  pstchâlé'^,  pi.  /  pstchîué^ 
,dos'.     ' 

Devant  une  voyelle  :  /  oulànyé  ,  noisettes  ',  le  oûré 
,  heures  ',  lé  oiirélyé  ,  oreilles  ',  lé  ûé  ,  raisins  '. 

Je  viens  de  donner  mes  matériaux  plus  complètement 
qu'à  l'ordinaire.  Voici  pourquoi  :  dans  un  certain  nombre 
de  cas,  l'article  fém.  plur.  se  présente  sous  la  forme  de  hs 
ou  h:^.  je  cite  tous  les  exemples  que  j'ai  notés  : 

hs  fie  ,  brebis  \  hs  fémiié  ^  femmes  \  hs  fîlyé  ,  filles  ', 
hs  djalïné  ,  poules  \  lé^  djerhé  ,  gerbes  \  hs  tchabré  ,  chè- 
vres ',  hs  tchamhe  jambes',  hs  IchqowJé  <  bas ',  hs  vâtché 
,  vaches  '. 

III.  trobps  —  tchà.ntps  —  tcba.fitavps  —  tcha.ntarips  — 
lcha.iites9s  —  vejuias  —  vê.udus  —  vp.ndfyps. 

IV.  tronbara,  —  ci.  diinnara,  etc.,  mais  as  —  fâs  —  pôs 

—  sàs,  etc. 

V.  as  tu  —  fâs  tu  —  sàs  tu,  etc. 

VI.  Pour  s  secondaire,  les  résultats  sont  contradictoires: 
irou  ,  heureux  '  —  fus  —  djplou  — '■  mè  (me)  ''  —  nâs  — 

pourou  (pbonroU)  —  près  ,  pris  '  —  rïs  ,  riz  '  —  pspou. 

Sampeyre,  Elva,  Entraque". 

Je  me  borne  à  donner  les  matériaux,  en  laissant  au  lecteur 
le  soin  de  formuler  les  règles,  qui  sont  bien  simples. 

I  et  II.  /  doue  roue  dal  kartouv^  soio]  route;  +  ;  rt;^  doms 

'  C  :  pi.  lé  stêlé.  —  -  C  :  la  stilva,  lé  stilvé.  —  ^  C:  la  stcbâla,  lé  stchâlé. 

—  *  la  stchjna,  le  stchjné. 

•'  Je  mets  entre  parenthèses  les  formes  du  sujet  B  toutes  les  lois 
qu'elles  ne  sont  pas  identiques  à  celles  du  sujet  A. 

'■  Sampeyre  (1000  m.),  gros  bourg  et  chef-lieu  de  district  (manda- 
mento)  est  situé  dans  la  vallée  de  la  Varaita.  La  campagne  semble 
avoir  assez  bien  conservé  le  patois,  tandis  que  le  bourg  est  envahi  par 
le  piémontais.  Je  dois  mes  renseignements  à  M.  Agnesotti,  photographe 
âgé  de  34  ans,  intelligent  et  observateur.  M.  Agnesotti,  qui  n'a  quitté 
le  pays  que  quelques  mois,  représente  le  langage  de  la  population  agri- 
cole qui  n'a  pas  encore  honte  de  parler  patois. 

Elva  (1600  m.)  est  une  commune  dont  les  hameaux  s'échelonnent 


64  K.   JABERG 

roûi^  àal  hariou-q  a  soivq  routtà  ^  —  doue,  frèmè  ;  doué  frhnés 
et  doués  f renié  s  ;  douas  fœmuà  —  î  djalfnè  ;  lé  djalînés;  «^ 
djalînà  —  ai  tchambe  gèrsé;  a  lé  tchainbés  gersés  ;  a  las 
tchamba  gèsa  —  i  mouslché  roiimpérj...;  lé  mouslché'-  roum- 
poirq  léz  aranya ;  as  nwuslchu  as  ronmpoir/]...  — pla  i  trifouVe; 
plar  lé  irifoulés  ;  plâr  as  tarliflà  —  kdstânyè  krûè;  tchastânyés 
krûes  ;  tistanya  krùa,  etc. 

/  ourèyè  ;  léz  ouréyés  ;  a:(  onrœlya  —  lé  spâle  ;  l  pspalés  ; 
a:(^  aspalla  —  /  stelè  ;  l  ésiélés  ;  a^  asféla  —  iy  ûè  sou.n 
dboiisè  ;  léz  nés  sou'q  doousés ;  (/  ô^(c  /  «^  dopMa),  etc. 

III.  t robes  ;  id.  ;  trovas  —  trobés  ;  id.  ;  trovas  —  troubâvés  ; 
id.;  trouvavas  —  ma.ndjarîyes  ;  mi.ndjarîyés ;  Irotivarîyas  — 
troubésés  ;  id.  ;  troiivœsas  —  vé.ndés  ;  vè.ndés  ;  vè.ndas  — 
vé.ndés ;  vè.ndés;  vè.ndas  —  vé.ndîyés ;  id.  ;  van.dfyas  — 
vé.ndarîyés;  id.  ;  va.ndarîyas.  —  ve.ndésés  ;  id.  ;  va.ndœsas. 

IV.  Iroiibares  ;  id.  ;  tronvarès  —  vé.ndarès;  id.;  va.ndarés. 
as  ;  id.  ;  as  — fas;  id.  ;  fâs  —  pos  ;  id.  ;  pos  —  sas  ;  id.  ;  sâs. 

V.  as  vé.ndu;  a'i  vé.ndu  ;  a:^  va.ndu  (interrog.)  — fas  tu 
koulasiourj  ;  fas  koulasiour^;  fâ^  da:(dju^rj  —  etc. 

VI.  hurious:  id.  ;  id.  ;  —  fus;  -h  \fUs  ,  fuseau  '  —  djelous; 
djèlous;  dlous  —  niés  ;  id.;  niés  —  nas  ;  id.  ;  iiâs  — pbonroUs; 
paourous  ou  pourou^; ;  (pi.n  'pour)  —  rîs  ;  ris;  id.  —  /  espous; 
l  éspoûs  ;  l  aspoûs. 

sur  le  versant  méridional  de  la  chaîne  de  montagnes  qui  sépare  la 
vallée  de  la  Varaita  de  la  vallée  de  la  Maira.  Les  ,  mulattières  '  qui 
conduisent  aux  communes  voisines  passent  toutes  à  une  hauteur  d'à 
peu  près  2000  mètres.  Le  sentier  qui  conduit  plus  directement  dans  la 
vallée  principale  est  taillé  dans  les  rochers  à  pic  bordant  le  fleuve  qui 
conduit  les  eaux  d'Elva  à  la  Maira.  Les  habitants  d'Elva  font  presque 
tous  le  singulier  métier  de  commerçants  de  cheveux  et,  à  l'exception 
des  vieillards  et  des  enfants,  ne  passent  dans  leur  village  natal  que  les 
quelques  mois  d'été. 

Entraque  (900  m.),  dans  la  vallée  du  Gesso,  au  sud  de  Valdieri,  n'est 
pas  très  loin  de  Roaschia  (voir  plus  haut,  p.  50,  n.  3). 

Je  sépare  par  des  points  et  virgules  les  formes  des  trois  communes; 
une  croix  indique  qu'une  forme  me  manque. 

'  Je  rends  par  à  le  son  intermédiaire  entre  a  et  ii  qui.  en  pause,  est 
caractéristique  pour  les  substantifs  en  a  et  qui  demanderait  une  notation 
particulière. 

-  Assimilation  exceptionnelle  d'5  final  à  r  initial.  Cp.  sktièJe  routes. 
Même  phénomène  à  Roaschia.  v.  Salvioni,  p.  532.  —  Le  fait  se  pro- 
duit aussi  en  portugais. 


L'S    final    LIBIΠ   DANS    LES   PATOIS    DU    PIHMOXT  65 

Vernante  et  Linione  K 

I  et  II.  /  doûu  roè  ciel  kartouTj  souTj  roultr  ;  +  —  +  ; 

Joué  J ranimé  —  /  djalinnè  ;  li  dialinne  —  al  a  i  tchambè 

Ionique  ;  al  a  li  tsamht  garsè  —  /  mouché  ;  li  moûslsè  — 

/  tarlifoulè;  li  tartujjoiilè  —  kastauyè  kruè ;  (moundatchi  km). 

Le  sujet  B  de  Limone,  par  contre,  dit  lé  tsaousay  ,  les  bas  ' 

—  //  brœlsay  ,  les  aiguilles  à  tricoter  '  —  //  nœsay  ,  les 
noces''  — far  hatiâdjay  .baptiser',  etc.)  —  /  oiirtyè ;  li  oura- 
djdjé  —  /  èspûlè;  l  pspâlè  —  /  stèllè  ;  li  stàllt  —  /  ûve  sou.n 
doûse  ;  li  ûyè  sou.n  doûsè,  etc. 

ITT  trœvas  ;  irœbt-  —  irèvas  ;  Irœbï  —  truvàvas ;  trou- 
bâvi  —  irouvarîyas ;  troubarîs'^  —  trouvasas ;  troubest  — 
vp.ndas  ;  va.ndi  —  V9.ndu:^...;  va.ndï  —  durmîyas  ;  và.ndî\i 

—  farîyas  ,  ferais  '  ;  và.ndarîyt  —  va.uddsus  ;  fnisèsi,  etc. 

IV.  +  ;  troubarès  —  +  ;  va.ndares  —  as  ;  as  —  ses  ; 
ses  —  fâs  ;  fâs  —  pœs  ;  pas  —  sâs  ;  sas,  etc. 

V.  as  va.ndu  ;  as  va.ndu  —  fâs  koulasiourj  ;  fâs  konla- 
siourj.  — '■  sâs  ka...  ;  sâs  ka...,  etc. 

VI.  kirious  ;  knrioûs  —  fus;  fus  ,  fuseau  '  —  djaloûs  ; 
djèlous  (dièlous)  —  mas;  mas  — nâs ;  nâs  —  (spouratchi) ; 
paonrous  —  ris;  id.  —  /  uspoûs ;  loii  spous. 

Traversella,  Perosa,  Lagnasco^. 

Je  considère  ces  trois  patois  comme  types  représentatifs 
du  piémontais  tel  qu'il  pénètre  dans  les  Alpes  occidentales. 


'  Les  deux  villages  dans  la  vallée  de  la  \'crmenagna,  sur  la  route  du 
col  de  Tende;  Vernante  (800  m.),  fortement  envahi  par  le  piémontais, 
est  plus  grand  que  Limone,  dont  le  patois  est  mieux  conservé,  quoique 
le  village  soit  chef-lieu  de  district.  Le  sujet  A  de  Limone,  cordonnier 
âgé  de  28  ans,  n'a  quitté  le  pays  que  pour  faire  le  service  militaire.  Sa 
mère  est  originaire  d'un  hameau  situé  plus  bas,  ce  qui  explique  peut- 
être  le  fait  qu'il  n'y  a  pas  trace  chez  lui  de  la  réduction  d'i  final  à  v 
qui  paraît  appartenir  à  l'ancien  fonds  dialectal  de  Limone  et  qui  est 
régulière  chez  le  sujet  B,  femme  de  l'aubergiste  (à  peu  près  50  ans). 
Voir  Salvioni,  Roaschia,  532,  n.  i,  avec  renvoi  à  Biondelli,  p.  51  j 
(corrigez  513). 

-  «è  se  rapproche  ici  de  o.  Je  ne  suis  pas  sur  d'avoir  toujours  bien 
noté  ce  son  intermédiaire. 

^  Cf.  finicharis,  avns,  faiis. 

*  Traversella.  dans  la  vallée  de  la  Chiusella,  type  du  canavais  sem- 
blable à  celui  qui  pénètre  dans  la  vallée  de  l'Orco.  Traversella  a  été  le 
premier  village  piémontais  que  j'ai  visité.  Il  peut  y  avoir  des  fautes  de 


66  K.    JABERG 

I  et  II.  /('  doue  roue  ibl  /car  a  soiiTj  roiittè  ;  le  doue  roue 
dal  kartourj  a  sourj  roiittè;  +  ;  —  doue  fouuiiiè  :  doue  foumnè  ; 

douy  foumnè  —  /  galinne  ;  lé  galirjg  ;  -| al  a  le  garnbè 

ouàrîiè ;  a  la  le  gambè  chlorlè  (ou  gèrlchè);  hyèl  li  la  l gambè 
sirounya  —  /  mouskè  a  rou.ntd-ii...  ;  lé  iiiouské  a  roumpou...; 

-\ ruskâr  l  trifoulè  ;  plé  lé  patate  ;  -\ kastènyè  hriivc; 

kaslanye  krue  ;  H etc. 

/)'  ourdlyè ;  le  oiiriyè;  l  ourtyè  — spallè  (l'article  manque); 

spalt  (même  observation)  ;  /  pspâlè V;  le  stàyle;  -\~  — 

ly  ûvvè  a  se.u  doudè  ;  lé  uve  sokq  douse  ;  l  u'^'è  sou.n  dope. 

III.  trovè ;  ka.nle;  H porte  ;  ka.nte  ;  +;  —  pourtàvc  : 

ka.ntâve;  ^ pourtrissè;  ka.ntrîyè ;  -\ pourtaisè:  tcha.n- 

tésé;  H vai.ndè ;  vé.nde;  vè.ndis ; 1-  vé.iuie;  -\ h; 

vé.ndiyè  ;  -\ farissè;  ve.ndrîye  ;  -\ \-  ;  vd.ndésé,  etc. 

IV.  trouvrà ;  ka.ntras ;  -\ \-;  vé.ndras ;  +. 

à;  las  ;  -\ fà  ;  fas  ;  -\ pœs;  pœlè  ;  H sa  ;  sas  ; 

-\ va  ;  vas  ;  vas,  etc. 

V.  /  à  vu.ndu;  t  las  tu  ve.udu ;  las  tu  va.ndu  —  /  fà  koii- 

lai'Hou'f]  ;  it  fas  koulai'Houy]  ;  -\ /  sa  kè...  ;  t  sas  tou  ké: 

cf.  vas  tu,  etc. 

VI.  karrioûs  ;  kurioûs  ;  -I fus  ,  fuseau  '  ;  +;  +;  — 

djaloUs  ;  djeloUs;  -\ +  ;  ludys  ;  màys  —  nas  ;  nas  ;  nas 

—  pbouroûs  ;  paourous  ;  +  —  rîs  ;   ris  ;  +  —  /  ^spoùs  : 
l  9spou  ;  + 

s  final  primaire  a  disparu  partout  dans  les  substantifs,  dans 
l'article  et  dans  les  secondes  personnes  non  accentuées  sur 
la  syllabe  finale  ^  Dans  les  secondes  personnes  accentuées 
sur  la  terminaison,  il  s'est  conservé  à  Perosa  et  à  Lagnasco 
(type  identique  au  piémontais  de  Turin);  il  est  tombé  à 
Traversella.  s  final  secondaire  s'est  maintenu  partout. 


notation  plus  grosses  qu'autre  part.  Perosa,  village  industriel,  situé  ;l 
l'entrée  de  la  vallée  de  Saint-M.irtin,  type  du  piémontais  tel  qu'il  es: 
importé  dans  les  vallées  vaudoises,  assez  voisin  du  piémontais  de  Turin. 
—  Pour  Lagnasco,  village  agricole  de  la  plaine,  situé  entre  Saluzzo  et 
Savigliano,  mes  matériaux  sont  malheureusement  fort  incomplets. 

'  Pour  Lagnasco,  il  faut  excepter  les  types  vendis  (et  cantasi. 
D'après  Schàdel,  Die  Mundart  von  Ormea,  Halle  1903,  p.  71,  Saluzzo  et 
Cuneo  conservent  Vs  dans:  portes,  perdes,  poiirtâves,  v^.iidJes  (Saluzzo). 
portes,  Içzes,  pourfâves,  va.ndTes,  etc.  (Cuneo).  Cf.  Vernante. 


L'S    final    libre   dans    les    patois    du    PIÉMONT  67 

Considérations  générales. 

L'espace  ne  me  permet  pas  de  traiter  ici  un  certain 
nombre  de  cas  particulièrement  intéressants  d'^  final  ;  de 
même  je  dois  renvoyer  à  un  travail  de  plus  grande  enver- 
gure le  soin  de  placer  les  faits  phonétiques  isolés  que  je 
viens  de  décrire  dans  l'ensemble  de  faits  linguistiques  qui 
peut  seul  les  montrer  dans  leur  juste  lumière.  Cependant,  je 
ne  puis  pas  m'abstenir  d'ajouter  dès  aujourd'hui  quelques 
considérations  générales  à  mon  exposé  descriptif. 

Je  commence  par  donner  quelques  tableaux  synoptiques, 
dans  lesquels  je  tiens  compte,  outre  de  mes  propres  relevés, 
de  celui  que  M.  Salvioni  a  fait  à  Roaschia  ^  (v.  plus  haut) 
et  des  données  de  V Allas  linguisliqne  sur  la  vallée  d'Aoste, 
la  vallée  de  Suse  et  la  zone  limitrophe  de  la  France.  J'in- 
dique par  s  la  conservation,  par  un  trait  la  chute  de  l'.s-. 
-v  entre  parenthèses  veut  dire  que  les  résultats  sont  diver- 
gents^. Par  la  disposition  des  s  et  des  traits  en  cinq  colonnes, 
je  cherche  à  rendre  aussi  bien  que  possible  la  situation  géo- 
graphique des  points  observés.  J'ai  eu  soin  de  ne  placer 
dans  la  première  colonne  que  des  points  situés  en  France, 
dans  la  cinquième  des  points  piémontais,  y  compris  les 
patois  intermédiaires  de  Vernante  et  de  Limone.  La  limite 
entre  le  franco-provençal  et  le  provençal  passe  entre  973 
et  971,  3  et  972.  Pour  les  données  de  Y  Atlas,  j'ai  gardé  les 
numéros  de  cet  ouvrage.  Voici  la  clef  des  autres  numéros  : 

1.  Ceresole  Reale.       7.  Sampeyre.  13.  Piamprato. 

2.  Groscavallo.  8.  Elva.  14.  Traversella. 
5.  iMondrone.               9.  Entraque.  15.  Brosso^. 

4.  Pral.  10.  Noasca.  16.  Perosa. 

5.  Bobi.  II.  Pra  du  Tour.  17.  Lagnasco. 

6.  Crissolo.  12.  Roaschia.  18.  Vernante. 

19.  Limone. 


'  D'après  M.  Ettmavcr,  op.  cit.,  Vs  s'est  conserve  partout  à  Vinadio 
(situé  à  l'ouest  d'Entraque).  Malheureusement,  l'auteur  donne  très  peu 
d'exemples.  Il  n'y  en  a  aucun  pour  II,  V  et  VI. 

-  Je  ne  tiens  pas  compte  de  l'atiaiblissement  de  1'^  en  l  (ce  qui,  pro- 
bablement, indique  s  lenis)  et  ■{.  (Voir  AU.  liiiq.). 

■'  A  une  heure  de  Traversella.  Un  de  mes  élèves,  M.  Moser,  prépare 
une  thèse  sur  ce  patois  fort  original. 


68 


K.    jABERG 


I.    S    final    primaire    dans   le   pluriel    des    substantifs 
féminins    en    a. 


967 

— 

— 

987    - 

955 

— 

966 

— 

975   — 

986     — 

965 

— 

985    - 

964 

~ 

I 

2 

(s) 

(s) 

10    (s) 

13      — 

14 
15 

973 

— 

3 

(s) 

971 

— 

972 

4 

z 

982 

11    — 

16 

981 

s^ 

5 
6 

— 

980 

s  - 

7 

— 

17 

889 

s 

8 

s* 

9 

— 

12    s 

18 

991 
898 

s* 

19 

99 

'  Exceptionnellement  :  a  grose  goûtes.  —  -  Exceptionnellement  :  a 
groso  joutes  [AtJ.  carte  659)  avec  s  tombé  dans  l'adjectif.  —  ^  Excep- 
tionnellement :  a  groso  goiitos.  —  *  Exceptionnellement  :  douei  rodo 
routas  {Atl.  carte  1702),  besti.  [Atl.  carte  129),  a  grosa  goûtas.  —  ^  s  peut 
s'amuïr  devant  r. 


IL   s   final    dans   l'article   fém.    plur. 


967 

— 

987   — 

955 

— 

966 

— 

975   — 

986   — 

965 

— 

985   - 

964 

I 

2 

10    — 

'  0 

14 
15 

973 

— 

3 

— 

971 

" 

972 
4 

Z 

982   — 
II    — 

16 

981 

s* 

5 
6 

(S) 

980 

s 

7 

— 

17 

889 

s 

8 

— 

9 

S' 

12    s* 

1% 

99^' 

— 

19 

898 

(s)^ 

99< 

^  Exceptionnellement:  le  djalines  {Atl.  carte  1071).  —  -.f  peut  s'amuïr 
devant  r.  —  ^  Exceptionnellement  :  la^  nostras  prunas  {Atl.  carte 
1097).  —  *  Mélange  de  las  et  de  sei,  qui  paraît  être  un  reste  d'ipse  en 
fonction  d'article. 


L  S    FINAL    LIBRE    DANS   LES   PATOIS    DU    PIEMONT 


69 


III.  S  final  dans  les  secondes  {)ersonnes  du  singulier 
non   accentuées   sur  la   syllabe   finale^ 


14  — 

15  — 


907 

— 

987 

^)55 

— 

966 

— 

975 

— 

986 

965 

— 

985 

964 

— 

I 

2 

(s) 
(s) 

10 

(s) 

'3 

973 

— 

3 

(S) 

97' 

■ — 

r 



982 
1 1 

— • 

981 

(«j 

5 

6 

s 

980 

s 

7 

s 

889 

s 

8 

s 

9 

s 

12 

s 

991 

s 

898 

s 

16      — 


18 

•9 
990 


*  Pour  Y  Atlas  ling.,  j'ai  consulté  la  carte  lu  me  trouves  (n°  1540). 
-  Cf.  p.  66,  n.  I. 


IV. 
à 

967 

955 
965 
9Ô4 

973 

97' 


.y   final   dans   les   secondes   personnes   du   sing. 
syllabe  finale  accentuée  (Forme  affirmative)  ^ 


991 


966       — 


981       — 

980         s 
889         s 


I 

2 

3 
972 

4 

5 
6 

7 
8 

9 


(S) 

(s) 

(S) 


975 


982 
1 1 


12 


(s) 


987 
986 

985 


'  Cf.  Atl.  ling.  carte  11°  24,  tu  vas  (tomber). 

-  Cf.  Schàdel,  p.  71,  vd's,  vas,  slas,  sus,  etc.  à  Salurzo. 


14  — 

'5         — 

16  s 


'7 

18 

19 
990 


70 


ABERG 


980 


991 


final 
final 


dans  les  secondes  pers.  du  sing.  à  syllabe 
e  accentuée    (Forme  interrogative)^ 


967 

955 
965 
964 

973 
971 


981       (s) 


966 

1 
2 

3 
972 

4 

5 
6 

7 


975 
10 


982 
II 


987 
986 

9«5 
13 


14 
'5 

16 


'7 


18  s« 

19  -   s-' 
990     —* 


^  Cp.Atl.  lino.  carte  no  25,  où  l'as-tii  ?,  14 16  qui  veux-lu...  ?,  558  crois- 
tu...}  —  -  Résultat  dV  -\-  l  du  pronom,  identique  au  résultat  de  st  à 
l'intérieur  des  mots.  —  ■'  Le  pronom  précède  presque  toujours  le 
verbe.  —  ''  Le  pronom  précède  le  verbe.  —  ''  Le  pronom  n'est  pas 
exprimé.  —  "^  Souvent  le  pronom  n'est  pas  exprimé. 


VL    s   final   libre   secondaire^ 


967 

— 

987 

(S) 

955 

— 

966 

— 

975   — 

986 

s 

965 

— 

985 

s 

964 

~ 

I 

2 

s 
s 

10    s 

13 

s 

14 
15 

973 

— 

3 

s 

971 

972 
4 



982  — 

1 1    — 

16 

981 

s 

5 
6 

s 

(s) 

980 

s 

7 

s 

'7 

889 

s 

8 

s 

9 

s 

£2    y 

18 

99' 
898 

s 
s 

19 
99c 

*  Pour  les  indications  concernant  V Atlas,  j'ai  tenu  compte  des  cartes 
fuseau  (B  1575),  mois  (868),  nei  {<)oS),  peureux  (1009),  pris  (1090).  Je 
considère  comme  normal  (non  pas  comme  ancien)  l'état  représenté 
par  quatre  mots  sur  cinq.  Cela  établi,  il  n'v  a  d'intermédiaire  que  le 
point  987. 


LS    riXAL    LIBRE    DANS    LES    PATOIS    DU    PIEMONT  71 

L'examen  de  ces  tableaux  fait  entrevoir  la  tendance  géné- 
rale de  révolution  :  c'est  de  ramener  les  patois  de  la  mon- 
tagne au  tvpe  piémontais  de  la  plaine,  de  laisser  tomber 
partout  1'^  final  primaire  et  de  ne  le  maintenir  que  dans  les 
secondes  personnes  du  verbe  accentuées  sur  la  syllabe 
finale^,  de  garder  ou  de  réintroduire  1'^  final  secondaire 
(tvpe  fusum).  Mais  que  de  variété  dans  le  détail!  Combien 
de  chemins  et  combien  d'étapes  intermédiaires  pour  arriver 
à  ce  point  terminus  !  Celui-ci  une  fois  atteint,  qui  oserait 
reconstruire  les  phases  parcourues  par  les  différents  patois  ? 
Quand  on  est  habitué  à  observer  la  réalité,  on  s'étonne 
des  hypothèses  de  la  phonétique  historique  spéculative.  La 
règle  phonétique,  souvent  si  simple  en  apparence,  est  la 
résultante  de  causes  si  diverses  qu'il  faut  bien  du  courage 
pour  la  comparer  à  une  loi  naturelle. 

Examinons  quelques  épisodes  de  l'évolution  générale. 

Je  commence  par  l'y  final  du  substantif  et  de  l'article 
dans  la  partie  de  notre  territoire  qui  est  située  au  sud  des 
vallées  vaudoises.  La  séparation  entre  la  France  et  l'Italie 
est  nette:  au  delà  des  Alpes,  s  a  été  conservé  partout"-; 
en  deçà,  il  est  fortement  ébranlé '^  Cette  séparation  est- 
elle  ancienne  ?  Ce  n'est  guère  probable  ;  si  Sampeyre  a 
perdu  r.v  de  l'article  et  du  substantif,  Roaschia  a  gardé  les 
deux,  et  à  Crissolo  nous  en  observons  aujourd'hui  la  dispa- 
rition dans  l'article"^.  L'impulsion  à  la  chute  de  Vs  est  venue 
de  la  plaine  piémontaise  ;  elle  s'est  arrêtée  là  où  cesse  T  in- 
fluence piémontaise  —  à  la  frontière  française  ;  c'est  une 


'  Excepté  dans  le  Nord,  où  le  caïuivais  a  perdu  Vs  de  fas,  sas,  etc. 

-  Les  points  991,  898  et  990  appartenant  à  l'ancien  comté  de  Nice. 
doivent  être  considérés  à  part. 

■■  Roaschia  seul  conserve  l'^-  dans  le  substantif  et  dans  l'article;  situé 
dans  une  petite  vallée  latérale  de  la  vallée  du  Gesso,  il  doit  avoir  été 
mieux  que  d'autres  villages  à  l'abri  des  innovations  linguistiques. 
Crissolo  perd  Vs  du  subst.  et  ne  garde  qu'exceptionnellement  Vs  de  l'ar- 
ticle, Sampeyre  a  perdu  les  s,  Elva  maintient  1'^  du  substantif,  Entraque 
celui  de  l'article. 

*  Biondelli  nous  apprend,  en  outre,  qu'il  y  a  60  ans  Acceglio  (vallée 
de  la  Maira)  conservait  encore  Vs  du  substantif  et  du  pronom  possessif, 
Castelmagno  (vallée  de  la  Grana,  entre  les  points  8  et  9)  Vs  du  subst. 
et  de  l'article,  Vinadio  de  même  (cf.  Ettmayer),  \'aldieri  (non  loin  d'En- 
traquei  1':.  du  substantif;  Sampeyre,  qui,  aujourd'hui,  l'a  perdu  com- 
plètement, en  présentait  encore  des  traces  {le  sonos  sostaiisos). 


72  K.    JABFRG 

de  ces  innovations  qui  arriveront  à  doubler  d'une  limite 
linguistique  la  limite  politique  entre  la  France  et  l'Italie. 

Comment  l'influence  piémontaise  s'est-elle  exercée?  Les 
formes  sans  s  ont-elles  été  importées  peu  à  peu  ?  Crissolo, 
dont  nous  allons  parler  tout  à  l'heure,  pourrait  le  faire 
croire  ;  mais  ce  qui  est  vrai  pour  une  vallée  peut  être  faux 
pour  la  vallée  voisine.  Peut-être  n'avons-nous  affaire  autre- 
part  qu'à  l'importation  d'un  nouveau  mode  d'articulation, 
qui  conduit  à  des  changements  phonétiques  semblables,  mais 
non  pas  identiques  à  ceux  qui  caractérisent  le  piémontais. 

Je  ne  me  hasarde  pas  à  présenter  des  hypothèses  sur  la 
chute  de  1'^  primaire  dans  les  vallées  situées  au  nord  du  Pô, 
où  il  semble  y  avoir  eu  plus  de  spontanéité  d'évolution. 

Arrêtons-nous  plutôt  un  moment  à  Crissolo.  Nous  avons 
vu,  p.  62  et  suiv.  que  l'article  féminin  plur.  y  est  tantôt  le, 
tantôt  les  (hs).  Les  mots  qui  prennent  les  appartiennent  tous 
à  l'ancien  fonds  du  patois,  tandis  que  parmi  les  mots  pré- 
cédés de  l'article  le,  il  y  en  a  bon  nombre  qui  sont  plus  ou 
moins  modernes.  La  conservation  de  Ys  ne  dépend  pas, 
comme  je  l'ai  cru  d'abord,  de  la  consonne  initiale  du  sub- 
stantif. Il  n'y  a  pas  non  plus,  ou  dans  une  mesure  très  res- 
treinte, des  nuances  individuelles.  Entre  les  sujets  A  et  B, 
qui  sont  à  peu  près  du  même  âge  (ils  ont  une  quarantaine 
d'années),  je  n'ai  constaté  des  différences  que  pour  ci/çrbé 
qu'A  fait  précéder  de  /,^^,  B  de  lé.  Le  sujet  C  cependant,  h.ls 
de  B,  petit  garçon  intelligent  de  neuf  ans  à  peu  près,  qui  est 
plus  fortement  influencé  par  le  piémontais  qu'A,  et  B  et  qui 
représente  la  génération  à  venir,  m'a  donné  invariablement 
des  pluriels  avec  lé  (lé  féé,  lé  femné,  lé  ffyé  ^  le  djaliné,  lé 
djèrhé,  etc.),  à  l'exception  d'un  seul  :  lés  tchaouifé,  le  seul 
aussi  dans  lequel  il  n'ait  pas  remplacé  l'ancien  i>-  par  1'^ 
moderne.  Il  semble  du  reste  que  Vs,  dans  la  conscience  de 
celui  qui  parle,  n'appartienne  plus  à  l'article,  mais  bien  au 
substantif,  puisqu'on   dit   doiids  fenine,   n  Ironp   dp~  vatch^ 

'  y  à  la  place  de  Jy  sous  l'influence  du  piémontais.  Même  fait  à  Sam- 
peyre  ;  Becetto,  hameau  de  Sampeyre.  dit  encore  ly.  —  -à,  paria 
phonétique  dont  on  a  honte,  disparaît  partout  dans  nos  vallées.  — 
•'  A  a  la  particularité  individuelle  de  chuchoter  quelquefois  ou  de  ne 
pas  prononcer  du  tout  les  voyelles  finales  a  et  f.  —  B:  nu  partîxa  ihi 
vatché. 


L'S    FINAL   LIBRE    DANS    LES    PATOIS    DU    PIEMONT  73 

,un  troupeau  de  vaches',  ;/  troiipàl  d9:^^  fée  ,  un  troupeau 
de  moutons  '  (mais  dotié  bàré  ,  deux  barres  ■",  lé  doue  roue 
^  les  deux  roues  ').  Il  faudrait  donc  écrire  plutôt  /  9sfh, 
l  psféinné,  etc.  Les  substantifs  en  question  rentrent  par  suite, 
pour  le  pluriel,  dans  la  nombreuse  série  des  substantits 
commençant  par  s  impur  :  /  dskotiéle,  l  dspâlé  etc.,  et  je  ne 
m'étonnerais  pas  de  rencontrer  un  jour  un  singulier  /  9sfêa 
(la  sfea),  l  psfémna  (la  sfèmna),  etc.  -. 

Ce  que  nous  observons  à  Crissolo  n'est  qu'un  état  pas- 
sager que  nous  avons  la  chance  de  surprendre  au  moment 
intéressant  ;  les  réponses  du  petit  garçon  C  montrent  bien 
dans  quelle  direction  l'évolution  va  se  faire.  Mais  il  se 
pourrait  que  l'un  ou  l'autre  parmi  les  pluriels  cités  se 
figeât  dans  la  langue,  grâce  à  des  associations  qu'il  faudrait 
établir  dans  chaque  cas,  comme  M.  Tappolet  a  essayé  de  le 
taire  dans  son  travail.  En  dehors  de  Crissolo,  je  n'ai  observé 
qu'un  seul  exemple  rentrant  dans  le  même  ordre  de  faits  '^  : 
A  Elva,  on  appelle  lés  trâpés  (l  éstrâpés)  une  espèce  de 
filet  fixé  sur  deux  bâtons  recourbés  et  qui  sert  à  porter  le 
foin.  C'est  sans  doute  le  mot  ,  trappes  '.  Je  l'ai  noté  à 
Bobbio  avec  la  même  signification  :  la  trâpe. 

Les  séries  homophones  fortes  (constituées  par  des  mots 
nombreux  ou  par  des  mots  souvent  employés)  résistent  en 
général  plus  vigoureusement  à  l'invasion  phonétique  que  les 
séries  homophones  faibles.  Mais  une  fois  entamées,  elles 
succombent  plus  vite,  les  groupements  associatifs  jouant  un 


'  :-;  au  lieu  de  s  est  probablement  une  erreur  de  transcription. 

-  Il  y  a  des  patois  qui,  ayant  perdu  Vs  de  l'article  devant  les  sub- 
vtantits  commençant  par  une  consonnne,  l'ont  conservée  devant  une 
voyelle  et  5  impur,  par  ex.  le  patois  de  Pral  {!f/  d/al'fa,  mais  /a-  dourplya, 
]a:{  eypalla).  D'autres,  par  ex.  le  patois  d'Elva,  sont  en  train  de  remplacer 
les  formes  avec  s  devant  s  impur  par  les  formes  antéconsonantiques 
normales  (le),  de  sorte  qu'on  trouve  côte  à  côte  lé:^  èspTyés  et  Je  spTyés 
^  les  épis  '  (sing.  /  dspjyo  et  h  spjyo),  U\  cstoiihiés  et  le  stoi/biés  ^  les 
éteules  '  (sing.  /  pstoitbid),  etc.  Ce  serait  une  autre  base  pour  arriver 
à  ?sft~a  (sfëa),  à  savoir  par  un  pluriel  refait  Je-{  dsjee.  11  n'est  donc  pas 
nécessaire  de  supposer  le  singulier  intermédiaire  Vesteuaille  construit 
par  M.  Tappolet,  Festschrift  -iiiii  14.  NeiiphUoJogenta^e  in  Zurich  içio, 
p.  161,  n.  2,  pour  arriver  à  les  esteiiailles. 

^  Il  est  fort  probable  que  des  recherches  dirigées  dans  ce  sens  feraient 
trouver  d'autres  exemples.  Cf.  plus  haut  p.  64,  à  Elva  :  doue  firmes 
et  doit  es  frthuês. 


74  K.    JABERG 

rôle    plus    considérable.  Dans  les  séries    faibles,  l'invasion 
se  fait  plutôt  individuellement. 

Le  tableau  VI  mérite  sous  ce  rapport  un  examen  particu- 
lièrement attentif.  Pour  la  France,  la  situation  est  claire  et 
simple:  les  patois  franco-provençaux  plus  le  point  971 
(Monêtier-les-Bains,  dans  la  vallée  de  la  Guisane,  débou- 
chant à  Briançon  dans  la  vallée  de  la  Durance)  perdent  ïs; 
les  patois  provençaux  (à  l'exception  de  971)  le  gardent. 
Pas  de  complications  non  plus  pour  les  patois  piémontais  : 
ils  gardent  tous  l'.s-.  Il  n'y  a  d'hésitation  que  dans  la  zone 
intermédiaire  :  La  partie  supérieure  de  la  vallée  d'Aoste 
marche  avec  la  France,  la  partie  inférieure  avec  le  piémon- 
tais; le  point  987  (Ayas)  hésite.  La  vallée  de  l'Orco,  la 
Val  Soana  et  les  vallées  de  Lanzo  s'accordent,  au  moins 
devant  une  pause,  avec  le  piémontais.  La  vallée  de  Suse 
et  les  vallées  vaudoises  (excepté  Bobi)  laissent  tomber  1'.^, 
d'accord  avec  le  point  971.  Crissolo  (vallée  du  Pô)  hésite. 
Les  vallées  situées  au  sud  du  Pô  conservent  Vs  comme  les 
patois  piémontais  et  les  patois  de  France  dont  elles  sont 
flanquées.  Pour  la  vallée  d'Aoste  et  pour  la  vallée  du  Pô, 
il  ne  peut  pas  y  avoir  de  doute:  le  piémontais  impose  sa 
phonétique  aux  parlers  qu'il  est  en  train  de  décomposer. 
Est-il  arrivé  quelque  chose  de  pareil  dans  les  vallées  de 
l'Orco  i,y  compris  la  Val  Soana)  et  de  Lanzo?  Les  an- 
ciennes séries  y  ont-elles  été  complètement  remplacées 
comme  aux  points  985  et  986  ?  Je  ne  saurais  l'affirmer. 
Que  l'on  considère  cependant  les  formes  de  sambucum 
(dans  presque  toutes  les  vallées  situées  au  sud  de  la  vallée 
de  Suse  le  mot  a  pénétré  sous  la  forme  de  samhuk)  :  Tra- 
versella:  /  situibu  ;  Piamprato  :  loù  sainbu  ;  'Hoasca: 
sambôis^  ;  Ceresole  :  sambur  ;  Groscavallo  :  sambUs ; 
Mondrone:  saiiibiis  :  Balme'-:  sambiis^.  Serait-ce  saiiibii 


^  ii  libre  diphtongue  en  <>!  est  normal  pour  Noasca.  Cf.  T  libre  >■  ai  : 
fail  ^  fil ',  radais  ^racine',  varay  ^  guéri ',  etc.,  exemples  à  ajouter 
Meycr-Liibke,  Ro.  Gr.  I,  p.  58-59.  Cf.  Fankhauser,  Dus  Patois  von  Val 
d'Illiei,  p.  28  et  suiv.  —  -  Dernière  commune  de  la  vallée  d'Ala.  — 
■'  Cf.  Atl.  ling  ,  carte  1270  (sureau):  985  sannibucb  :  986  saii.nhu  ; 
987  saiimhuchl;. 


L'S    final    libre    dans    LKS    patois    du    PIÉMONT 


75 


(c'est  la  forme  canavaise)  muni  abusivement  d'un  s  lors  de 
la  réintroduction  dans  les  exemples /«i,  tnes,  etc.? 

Bobi,  selon  mes  notes,  possède  la  série  complète  avec  s. 
Mais  Morosi,  qui,  p.  376  et  suiv.,  traite  ensemble  les  patois 
de  Bobi  et  de  \'illar  Pellice  (situé  entre  Bobi  et  La  Tourj, 
donne  au  iV  105  fu  à  côté  de  mes  ,mois  ',  pés  ,  poids',  et 
sur  la  carte  pris  (1090)  de  l'Atlas  je  trouve  pré, qui  manque 
dans  mes  matériaux  \ 

Il  est  de  toute  évidence  qu'à  Bobi  1'^-  a  été  réintroduit 
grâce  à  l'influence  piémontaise  -,  qui  a  agi  un  peu  moins  for- 
tement sur  Crissolo.  Nous  pouvons  donc  reconstruire  pour 
la  chute  de  r.s-  un  ancien  territoire  qui  s'étendait  de  la  vallée 
de  Suse,  peut-être  même  de  la  vallée  d'Aoste,  jusqu'à  la 
vallée  du  Pô. 

L'invasion  de  Vs  piémontais  devient  plus  apparente  quand 
nous  considérons  les  mots  l'un  après  l'autre  : 


4  — 


0 

h 

6 

7 

s 

8 

s 

9 

s 

jaloux' 
+    i    i^ 


14 
15 

16 


17 

18 
19 


+ 


*  Cf.  Morosi,  p.  573,  no  loj,  pour  Pramol  et  Saint  Germain  (dans 
la  vallée  du  Cluson,  au-dessous  de  La  Pérouse)  :  ^s  riescito  finale,  non 
sempre  cade  '.  Donc  ici  aussi  les  résultats  sont  divergents. 

-  Cette  conclusion  est  confirmée  par  le  fait  que  Guardia  piemontcse, 
colonie  vaudoise  fondée  en  Calabre  avant  1400  et  provenant  probable- 
ment de  la  vallée  du  Pellice,  laisse  tomber  IV  avec  une  régularité  par- 
faite. Cf.  Morosi,  p.  386. 

•'  Une  croix  (-(-)  indique  que  le  mot  me  manque,  o  représente  un 
type  lexicologiquc  autre  que  celui  indiqué  par  les  titres  des  tableaux. 


76 

K.  JABERG 

peureux^ 

967 
955 
965 
964 

1 

966 

I 
2 

s 
s 

975  .  — 
10    s 

987 
986 

985 
13 

s 
s 
s 
0 

14 
15 

s 
0 

973 
971 

— 

3 
972 

4 

0 

982   — 
II    — 

16 

s 

981 

— 

5 
6 

s 

980 
889 

<s) 

7 
8 

9 

s 
s 
0 

17 
18 

+ 

0 

991 
898 

— 

19 
990 

s 

s 

Cf.  Atî.  Ung.  carte  1009. 


curieux 

I 

s 

10 

+ 

13 

14 

s 

2 

s 

15 

s 

3 

s 

16 

s 

4 

— 

1 1 

— 

5 
6 

7 
8 

s 

+ 

s 
s 

'7 

+ 

9 

s 

18 
19 

s 
s 

amoureux 

I 
2 

10 

+ 

13    s 

14 
15 

s 

+ 

3 

s 

16 

0 

4 

0 

1 1 

s 

5 
6 

s 
0 

7 
8 

s 
s 

17 

+ 

9 

s 

1 

18 
19 

.s 
0 

L"S    FINAL    LIBRE    DANS    LES    PATOIS    DU    PIEMON  T 


77 


soupçonneux   isospettosoi 


I 

s 

lO     + 

'3    o 

2 

s 

3 

s 

4 



Il      o 

5 

-F 

6 

o 

7 

s 

8 

o 

9 

+ 

'4 
16 


18 
19 


967  — 

955  — 

965  — 

964  — 

973  — 

971  - 

9S1  — 

9S0  — 

889  o 


966 

1 

2 

3 
972 

4 

5 
6 

7 
8 

9 


nouveau  marié  (sposo)^ 
I    987 


975 
10 


982 
II 


991 
S98 


o 

+ 


986 
985 
13 


+ 

+ 
s 


14 
15 

16 


17 


'  Atl 

ling- 

carte  B  1625. 

nez  '■ 

967 

955 
965 
964 

— 

966   — 

1  s 

2  s 

975   — 
10    s 

987 
986 

985 
•3 

(«) 
s 
s 
s 

973 
971 

— 

3  « 
972   — 

4  — 

982   — 
II    — 

981 

S 

5  s 

6  s 

980 
S89 

s 

7  s 

8  s 

9  s 

991 
898 

s 

14 

^5 
16 


ï7 


+ 


18 

s 

19 
990 

s 

+ 

18 

s 

19 

s 

990 

s 

'  Atl.  liiig.  carte  908. 


K.  JABERG 

fuseau  ^ 


967 

955 
965 
964 

973 
971 

981 


889 
991 


966   — 


I  , 

2 

3 
972 

4 

5 
6 

7 


s' 

+ 

s 

s 
s 
s 

+ 


975 
1 1 


982 
12 


987 
986 


+ 


'4 
'5 

16 


18 

19 
990 


+ 


»  Cf.  Ail.  linz.  carte  B  1575.  —  - 

Mot  français  fuseau 

importé. 



v«^ 

forme  faussement  refaite.  —  ^ 

rais'.  —  ■' filj^el. 

m  0  i  s  ^ 

967 

— 

987         .s 

955 

2 

966         s 

975 

s 

986        s 

965 



985         s 

964 



t            -- 

10 

+ 

13     + 

H 
15 

+ 

+ 

973 



3            + 

971 



972       — 
4            — 

982 

z 

16 

s 

981 

.S 

5  « 

6  — 

980 

S 

7            •** 

17 

s 

889 

s 

8  .s 

9  "^ 

18 

.s 

99] 

s 

19 

s 

898 

s 

990 

s 

'   Cf  Atl.  ling.  carte  868.  —  -  Forme  française  :  iiiouâ. 


riz 


10 


+ 


13 


14 


16 


I» 
19 


+ 
S 


I.  s    1  IX.M.    LIRRK    DANS    LHS    PATOIS    1)L    PIHMOXT  79 

Parmi  les  adjectifs  en  -osuni,  jaloux  et  peuieux' 
correspondent  exactement  aux  conditions  que  nous  avons 
établies  p.  70.  Curieux,  pour  lequel  la  forme  de  Crissolo 
me  manque,  n'y  contredit  pas.  Amoureux  itvpe  (û)inoroso) 
se  présente  avec  un  .<  irrégulier  à  Pra  ;  c'est  dans  les  patois 
tranco-provençaux  et  provençaux  un  mot  tout  récent.  A 
Piamprato  et  même  à  La  Pérouse,  on  me  le  signale  comme 
tel.  Pral,  Crissolo  et  Limone  ne  connaissent  que  kaliuyairc: 
La  Pérouse,  Pra,  Bobi,  Sampevre,  Hlva  ont  kitliiiynirc  et 
iiiiionroiis  :  mais  dans  plusieurs  endroits  knliiiynire  vieillit  ou 
devient  ironique.  Sospettoso  est,  lui  aussi,  un  mot  im- 
porté d'hier;  si  nous  le  trouvons  sans  .v  à  Pral  (suspc^loijjy 
c'est  que  ce  patois  a  une  force  d'assimilation  considérable. 
Du  reste,  les  adjectifs  en  -osum  forment  une  famille  qui 
résiste  mieux  qu'un  mot  isolé.  Peut  être  époux  doit-il  à 
cette  tamille  l'intégrité  de  sa  forme  phonétique,  iitis  avec  .■> 
a  pénétré  à  Crissolo,  fus  au  point  072  (Oulx)  et  à  Cris- 
solo, nu's  a  envahi  toute  la  vallée  d'Aoste.  ris  ne  se  trahit 
comme  intrus  qu'à  Pra  et  à  Crissolo'-. 

Qu'on  se  rende  bien  compte  de  ce  qui  se  passe  dans  les 
Willées  vaudoises  et  dans  la  vallée  du  Pô  :  la  série  des  mots 
qui  ont  perdu  Vs  final  secondaire  est  en  train  d'être  détruite 
par  les  mots  à  finale  piémontaise,  qui  s'infiltrent  un  à  un. 
Klle  est  intacte  à  Pral,  à  peine  effleurée  à  Pra,  fortement 
entamée  à  Crissolo,  complètement  renversée  à  Bobi.  Nous 
nous  trouvons  en  présence  d'une  expansion  lexicologique 
qui  finira  par  être  une  expansion  phonétique.  Ai-je  besoin 
de  dire  combien  est  fausse  la  ^  loi  phonétique  "  qui  dit  qu'.v 
final  libre  secondaire  s'est  conservé  à  Bobi  ? 

On  est  convenu  de  considérer  la  régression  linguistique  ' 
comme  un  tait  anormal;  rien  n'est  plus  normal, au  contraire; 
ce  n'est  qu'un  cas  particulier  de  l'expansion  linguistique,  et 
on  ne  peut  se  lasser  de  répéter  que  celle-ci  est  une  condi- 
tion essentielle  de  l'évolution  du  langage.        K.  Iahi  lu;. 


'  [.'.-///as  ne  donne  qiio  coliii-ci.  —  -  .-^  Bobi,  mon  sujet,  que  j".\i 
questionné  en  iVanç.iis,  m'a  probablement  donné  le  mot  tVanç.iis.  — 
•'  Voir  les  exemples  particulièrement  Irappants  étudiés  par  M.  Gilliéron 
dans  les  MiiOi^fs  phoricliijiws  (Rev.  de  pliil.  (r.  XXI.  118-149)  et  par 
M.  Gauchat  dans  la  Fts/sibrift  -;/»;;  i^.  Nt'iiphilo]og<'»t(iS'i'  i»  Zurich  19 10. 
p.  î5)-36o. 


TABLE  DES  MATIERES 

— i— 

Pages. 

L.  Gauchat.  La  trilogie   de  la  vie.  Articles-spécimens  du 

Glossaire  romand.  II.  Fiançailles  et  mariage  (suite)     .       3 

E.  Tappolet.  Le  regain  et  la  pâture  d  automne  dans  les 
patois  romands.  Articles-spécimens  du  Glossaire  ro- 
mand   17 

J.  Reichlen.  Deux  chansons  populaires  fribourgeoises     .     .     38 

L.  Gauchat.  Les  noms  des  vents  dans  la  Suisse   romande 

(suite)   III.  ruylyo  ;  IV.  vaudaire 44 

K.  Jaberg.   Notes  sur  \'s  final  libre  dans  les  patois  franco- 
provençaux  et  provençaux  du  Piémont 49 


IMPRIMERIES    RÉUNIES   S.    A.    LAUSANNE. 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du   Glossaire, 


ONZIÈME  AXXEE 
1912 


ZURICH 

BUREAU    DU    GLOSSAIRE 

Hofackerstrasse  44 


LES  NOMS  DES   POISSONS 

DU  LAC  LÉMAN 
-*- 

En  1814,  le  Conservateur  Suisse  contenait  sous  le  titre  de 
Mélanges  ichthyologiques  un  petit  article  qui  faisait  connaître 
non  seulement  les  espèces,  mais  aussi  les  noms  patois  des 
poissons  vivant  dans  le  lac  Le'man.  L'auteur  en  e'tait  le 
doyen  Bridel.  Avec  une  conception  scientifique  qu'on  peut 
appeler  moderne,  il  considérait  l'étude  des  légendes,  des  tradi- 
tions et  même  des  patois  comme  indispensable  à  un  histo- 
rien ;  c'étaient  pour  lui  des  symboles  de  vie  passée  qui  ne 
pouvaient  manquer  d'inspirer  un  vif  intérêt  à  un  homme  qui, 
comme  Bridel,  aimait  à  prêter  l'oreille  aux  échos  lointains  de 
la  pensée  et  de  la  parole  de  ses  ancêtres.  Cette  large  concep- 
tion des  recherches  linguistiques  mises  au  service  de  l'histoire 
de  la  pensée  et  de  la  civilisation  humaines,  telle  que  cherchait 
à  la  réaliser  l'auteur  du  Glossaire  du  patois  de  la  Suisse  ro- 
mande, a  été  proclamée  et  mise  à  la  base  de  son  enseignement 
durant  plus  de  quarante  ans  par  son  arrière-neveu,  ^L  Schu- 
chardt. 

Depuis  la  publication  de  son  œuvre  fondamentale  sur  le 
Vocalisme  du  latin  vulgaire,  où,  à  l'aide  de  formes  patiem- 
ment recueillies  dans  les  gloses,  les  textes  et  les  inscriptions 
du  bas-latin,  il  était  remonté  aux  origines  des  langues  romanes, 
une  série  de  recherches  des  plus  ingénieuses  et  des  plus  solides 
ont  ouvert  à  l'enquête  linguistique  un  champ  immense,  où  il  a 
tracé  lui-même  des  sillons  ineffaçables.  Nous  ne  saurions  passer 
en  revue  les  nombreux  et  brillants  travaux  qui  ont  suscité  l'ad- 
miration profonde  de  tous  ceux  qui  croient  avec  lui  que  la 
recherche  scientifique  ne  consiste  pas  à  appliquer  de  vieilles 
méthodes  avec  une  routine  même  parfaite,  mais  à  renouveler 


4  J-  JUD 

et  à  perfectionner  constamment  les  outils  dont  nous  disposons 
pour  nous  rapprocher  lentement  de  la  vérité  relative. 

Il  y  a  cinq  ans,  à  l'occasion  de  la  publication  d'une  étude 
riche  en  idées  heureuses  et  en  résultats  nouveaux  de  M.  An- 
toine Thomas,  publiée  dans  le  tome  XXXV  de  la  Remania, 
M.  Schuchardt  a  consacré  un  mémoire  étendu  aux  noms  de 
poissons  qu'un  lexicographe  obscur  du  \^  siècle,  Polemius 
Silvius,  a  enregistrés  dans  ses  Nomina  cunctorum  spirantiiiin 
atqiic  quadrupeduni.  Reprenant  pour  ainsi  dire  le  brouillon 
ichthyologique  qu'avait  laissé  son  ancêtre  Bridel,  il  a  discuté 
l'origine  d'un  certain  nombre  de  noms  des  poissons  de  la 
Suisse  {Z-f-  rom.  Phil.  XXX,  7  1 2).  Quand  le  rédacteur  en  chef 
du  Glossaire  des  patois  de  la  Suisse  roma?ide  nous  fit  con- 
naître son  projet  d'offrir  à  M.  Schuchardt,  à  l'occasion  du 
soixante-dixième  anniversaire  de  sa  naissance,  un  petit  hom- 
mage de  la  part  des  romanistes  suisses,  je  m'avisai  de  reprendre 
l'examen  de  quelques  problèmes  dont  il  avait  déjà  trouvé  ou 
pressenti  la  solution  dans  le  travail  que  je  viens  de  rappeler. 
Si  je  réussis  à  éclairer  quelque  peu  un  coin  obscur  du  vocabu- 
laire de  nos  patois  romands,  j'en  serai  en  quelque  sorte  rede- 
vable à  mes  maîtres.  Car,  en  guidant  mes  premiers  pas  vers  les 
études  romanes,  ils  n'ont  cessé  d'insister  sur  l'importance  capi- 
tale qu'il  y  a  à  rechercher,  comme  M.  Schuchardt  nous  a  appris 
à  le  faire,  la  philosophie  profonde  cachée  dans  tous  les  faits 
du  langage. 

*  * 

La  Suisse,  située  au  centre  de  l'Europe,  offre  par  la  richesse 
de  ses  eaux  une  variété  d'espèces  de  poissons  qui  mérite 
bien  l'attention  particulière  du  naturaliste  et  du  linguiste. 
M.  Fatio  ^  a  consacré  une  étude  magistrale  aux  poissons  vivant 
dans  les  eaux  suisses:  ce  serait  maintenant  au  linguiste  à  en 
fournir  le  complément,  en  discutant  l'histoire  et  l'origine  des 
noms    de    ces    animaux.    Ils   soulèvent   bien    des    problèmes 


'  V.  Fatio,  Faune  des  vertébrés  de  la  Suisse,  vol.  I\',  V:  Histoire  natu- 
relle des  poissons.  Genève  et  Bàle,  1882,  1890. 


LES    XOMS   DES   POISSONS   DU   LAC   LEMAN  5 

compliqués  et  en  partie  insolubles.  Le  but  que  nous  nous  pro- 
posons est  bien  plus  modeste  :  nous  nous  bornons  à  présenter 
les  résultats  de  recherches  confinées  à  l'onomasiologie  des 
poissons  du  Léman,  tout  en  insistant  sur  les  rapports  étroits  qui 
existent  entre  les  termes  alavians  et  romands,  qui  remontent 
souvent  à  la  même  base  préromane. 

'L.z.  faune  ichthyologique  du  lac  Léman  n'est  pas  très  variée. 
En  la  comparant  à  celle  des  bassins  et  des  rivières  avoisinants, 
j\L  Forel,  dans  sa  belle  monographie  du  lac  Léman  \  constate 
l'absence  de  toute  une  série  de  poissons  existant  dans  les 
affluents  ou  les  lacs  du  bassin  du  Rhin  en  amont  de  Bâle,  et 
dans  le  Rhône  en  aval  de  la  Perte  de  Bellegarde.  Des  vingt- 
cinq  espèces  que  le  Léman  nourrit  à  présent,  six  sont  d'impor- 
tation artificielle  ou  accidentelle,  dont  nous  pouvons  facilement 
refaire  l'histoire  ;  ce  sont  :  la  perche-soleil,  le  poisson  doré  de  la 
Chine,  la  grande  marcfie,  le  7k.'hite-Jîsh,  le  saumon  et  \ anguille. 
Restent  dix-neuf  espèces,  que  nous  divisons  en  trois  groupes: 

1.  espèces  d'immigration  par  voie  fluviale  dans  les 
temps  historiques  :  la  lotte  (probablement  dès  la  fin  du  17^ siècle) 
et  peut-être  la  carpe. 

2.  espèces  fluviatiles  indigènes  à  l'état  erratique  dans 
le  lac:  le  chabot,  le  gouJon,\Q  spirlin,\t  vairon, \ii  loche, Vombre 
(6  espèces). 

3.  espèces  lacustres  indigènes,  dont  l'existence  dans  le 
lac  doit  être  en  tout  cas  très  ancienne  .•  la  perche,  la  tanche. 
Vablette,  le  rotengle,  le  gardon,  la  chevaine,  la  fera,  la  gra- 
venche,  Y  omble-chevalier .  la  truite,  le  brochet-  (11  espèces). 


'  F. -A.  Forel,  Le  Léman.  Monographie  liiimoîojique,  t.  III.  Lausanne, 
1904. 

-  Forel  III,  79,   345  ss.   Voici   une    bibliographie    sommaire   pour 
guider  le  lecteur  peu  iamilier  avec  le  sujet  : 

Asper  =  G.  Aspur,  Les  poissons  de  la  Suisse  et  la  piscicidture.  Lausanne, 
1891. 

Bruchet  =  M.  Bruchet,  Le  Château  de  Ripaille.  Annecy,  1907. 

Fatio  =  V.  Fatio,  op.  cit. 

Forel  =:  F.-A.  Forel,  op.  cit. 

Klunzinger  =  Die  Bodenseefische.  Stuttgart,  1892. 
/(/.         =r  SchiceiT^crdeutsches  Idiot ikon. 


6  J.  JUD 

Nous  commençons  donc  par  l'examen  des  noms  de  la  lotte 
et  de  la  carpe. 

La  lotte,  Iota  vulgaris,  dont  l'existence  dans  notre  lac  est 
due  à  une  immigration  ^  spontanée  vers  la  fin  du  17^  siècle,  par 
le  canal  d'Entreroches  ou  par  le  Nozon,  affluents  du  lac  de 
Neuchâtel,  possède  deux  noms  dans  nos  patois  : 

I.  Iota  (Vaud,  Frib.,  Genève,  Neuch.),  Sav.  /i?/«  (Const.  et 
Dés.),  qui  existe  concurremment  avec  d'autres  noms  dans  une 
grande   partie  de  la   France'.  Le  mot,   d'origine   incertaine, 


Liebenau  =  Th.  v.  Liebenau,  Geschichle  der  Fischerei  in  der  Schu'et:^, 
Berne,  1897. 

Rolland  =  E.  Rolland,  Faune  populaire,  t.  III,  XI.  Paris  1881,  1910. 

Schw.  F.  Zig.  =  Schwei'{eiische  Fischerei^eitmig.  Zurich. 

Qu'il  nous  soit  permis  de  remercier  ici  tous  ceux  qui  nous  ont  aidé 
à  accompHr  ce  modeste  travail  :  M.  Gauchat,  qui  a  bien  voulu  mettre  à 
ma  disposition  les  riches  matériaux  du  Glossaire  romand,  M.  Melcher, 
directeur  du  vocabulaire  rétoroman  des  Grisons,  qui  m'a  fourni  la 
nomenclature  des  poissons  du  domaine  qu'il  explore  avec  tant  d'amour 
et  de  succès  ;  M.  Heuscher,  professeur  à  l'Ecole  polytechnique,  qui  m'a 
signalé  des  travaux  concernant  l'histoire  de  la  pêche  en  Suisse  ; 
M.  Friedli,  qui,  séjournant  à  Anet  (Berne),  s'est  rendu  expressément  à 
Sugiez  (Fribourg)  pour  y  relever  les  noms  des  poissons  ;  MM.  Luchs- 
inger  (Saint-Gall),  Kaufmann  (Zurich)  et  Nàgeli  (Ermatingen)  qui  ont 
bien  voulu  s'informer  auprès  des  pêcheurs  sur  la  prononciation  des 
noms  de  poissons  de  quelques  lacs  de  la  Suisse  allemande.  Nous  devons 
une  mention  spéciale  de  reconnaissance  à  M.  Fankhauser,  qui,  au 
moment  où  l'auteur  de  cette  étude  était  empêché  de  s'absenter,  s'offrit 
à  interroger  les  pêcheurs  des  bords  des  lacs  de  Neuchâtel,  de  Morat  et 
de  Bienne.  Cette  enquête  personnelle,  exécutée  avec  tout  le  soin  dont 
M.  F.  est  coutumier,  eut  pour  résultat  d'éclaircir  divers  points  obscurs 
de  la  terminologie  des  corégones  de  la  Suisse  romande. 

'  Forel  326,  347. 

-  Rolland,  III,  108  ;  XI,  211.  Bridel  ofire  encore  un  autre  nom  de 
la  lotte  :  barhotla,  o  gobius  lotta.  viotaila  est  plus  usité  »,  que  les  patois 
actuels  ne  semblent  plus  connaître  ;  v.  aussi  Schw.  F.  Ztg.  II,  Beilage, 
nos  I  j_  22,  p.  104.  Dans  le  registre  des  dépenses  pour  la  table  des  sei- 
gneurs de  Ripaille,  on  lit  à  la  date  du  8  déc.  1391  (p.  316)  :  Item,  20 
gross.  lutus,  80  bechetis,  una  truytia  emptis...  a  Petro  Coster,  adicto  Fichi- 
porci,  de  Burgeto, piscatoribus ,  où  hitns  (ace.  plur.)  est  identifié  par  l'édi- 
teur avec  la  /o//^  vivant  aussi  dans  le  lac  du  Bourget.  —  Pour  l'origine  du 
mot,  V.  encore  Schuchardt,  Beiheft  VI  de  la  Z.  f.  roni.  Phil.,  p.  26. 


LES   NOMS    DES    POISSONS   DU   LAC    LtMAX  7 

semble  être  attesté  dans  la  glose  latine  :  squilla  genus  piscis  est 
optiini  et  delicati,  quevi  lulgo  vocamus  iotam.quQ  M.  Wessner. 
Arch.f.  lat.  Lex.  XIII.  379,  propose  de  reconstituer  en  lotam. 
II.  Vaud.  motaila  Brideli,  motaila  iChenit),  motàla  (Val- 
lorbe),  frib.  modcila  (Portalban),  mote'la  >  Sugiez,  Fankh.).  C'est 
le  lat.  raustela  e  belette  »,  qui  continue  à  vivre  dans  les  patois 
de  TEst  et  du  Midi  de  la  France  ^  Les  pécheurs  sont  unanimes 
à  déplorer  l'appétit  féroce  -  de  ce  poisson  carnassier,  qui. 
guettant  sa  proie  comme  une  belette,  est  toujours  prêt  à  fondre 
sur  Tobjet  de  sa  convoitise  et  cause  des  ravages  considérables 
parmi  les  chabots,  les  jeunes  truites  et  les  jeunes  feras  et  bon- 
delles  de  nos  eaux  suisses*.  Il  est  cependant  curieux  de  cons- 
tater que,  selon  Rolland  III,  137;  XI,  155.  212.  220,  mustela 
ne  désigne  pas  dans  les  patois  français  la  lotte,  mais  surtout  des 
variétés  de  l'espèce  cobitis  (la  loche  frmiché)  :  en  effet,  Conrad 
Gessner  *,  qui  a  été  professeur  à  l'Académie  de  Lausanne,  de 


*  Voir  Atlas  linguist.,  carte  belette,  anc.  fr.  moustoile  (God.),  anc.  prov. 
mostela  (Levy),  sans  relever  les  nombreuses  formes  dialectales  recueil- 
lies dans  les  dictionnaires.  —  Le  lexique  latin  nous  offre  déjà  mustela 
pour  désigner  un  certain  poisson,  sans  que  les  gloses  nous  renseignent 
esaaement  sur  l'espèce  dont  il  s'agit  (v.  Corp.  gloss.  lat.  III,  89,  16  : 
mustela  :  jj-aroç)  ;  déjà  Pline,  Hist.  tiaturalis,  livre  IX,  c.  29,  vante  la 
délicatesse  du  foie  de  la  mustela  du  lac  de  Constance  :  proxuma  est  viev.sa 
jecori  dumtaxat  mustelarum ,  quas  {mirum  dictu)  inter  Alpis  quoque  lacus 
Rljaetia  Brigantinus  œmulas  marinis  geiierat.  Et  l'auteur  du  beau  poème 
qu'est  la  Mosella  nous  dépeint  notre  poisson  (mustela)  de  la  manière 
suivante  : 

quis  te  nalurae  pinxit  color  !  atra  supei  ne 
puncta  notant  tergum.  qua  lutea  circuit,  iris 
luhrica  caeruleus  perducit  tergora  fucus  : 
corporis  ad  médium  fartim  pinguescit,  at  illinc 
usque  sub  extremam  squalet  cutis  arida  caudam. 

Ausone,  Mosella,  v.  110  ss.  Mon.  Germ.  hist.  Auct.  antiqu.  V,  89. 
-  C'est  pour  cette  raison,  sans  doute,  qu'on  donne  à  la  lotte  au 
Lauraguais  (Gascogne)  les  noms  de  loup,  gendarmo  (Rolland  III,  109). 

*  Mais  c'est  peut-être  aussi  la  coloration  du  poisson,  en  dessus  grise, 
fauve  avec  des  taches  irrégulières,  qui  lui  a  valu  son  nom  ;  cf.  viotellâ 
«tacheté»,  W'issler,  Volksfran:;osisch,  82. 

*  Burgundi  et  alii  minimum  etiam  pisciculum  jitiviatilevi  (quem  supra 


8  J.  JUD 

1537  à  1540,  cite  comme  nom  de  la  loche  le  nom  niotdla,  qui, 
dans  ce  sens,  est  resté  vivace  sur  les  bords  du  Léman. 

Rien  n'empêche  donc  de  supposer  qu'avec  l'immigration 
relativement  récente  de  la  lotte  dans  le  bassin  du  Léman,  le 
nom  de  mustela,  qui  désignait  la  loche  chez  nous,  comme  dans 
tout  le  reste  de  la  France,  a  passé  à  la  lotte'^  à  une  époque  qui 
reste  encore  à  déterminer  ". 

La  carpe,  cyprinus  carpio,  offre  en  français,  comme  dans 
les  patois  romands,  des  formes  où  manque  la  palatalisation  de 


descripsimns  inter  gohios,  Cobitidis  harhatuh  nomine,fundu}!im  aliqui  viilgo 
vocilant,  Germanicl  noviinis  imitatione,  inuslelam  appellant,  nec  imme- 
rilo  aliquis  mustelam  minimam  nominarit.  De  hac,  vir  quidam  literatus 
Lematti  laciis  accola,  his  verhis  nitper  ad  me  scripsit  :  motella  {sic  vulgus 
projert  pro  mustelà)  dictiis  pisciculus,  magnitudine  fere  piscis  chassot  {id 
est  gobii  capitati)  cinerei  est  coloris  et  stellis  insiguis,  in  deliciis  maxime,  et 
propter  caritateni  a  divitihus  tantum  delicatulis  emitiir.  (Historia  anima- 
lium,  IV,  p.  714.  Tiguri  (1568).  v.  Forel  333. 

*  Le  passage  des  noms  de  poisson  d'une  espèce  à  l'autre  représente 
un  phénomène  fréquent  dans  l'onomastique  ichthyologique  :  la  lotte 
«  Iota  vulgaris  n  désigne  la  loche  «  cobitis  barbatula  »  dans  la  Vienne  et  à 
l'embouchure  delà  Mayenne  (Rolland  III,  137),  tandis  que  la  loche 
((  cobitis  barbatula  »  serait  le  nom  de  la  lotte  dans  les  lacs  jurassiens 
(Rolland  III,  109).  Pour  d'autres  exemples,  v.  Schuchardt,  Z.  f.  roin. 
Phil.  XXXI.  641. 

-  La  jeune  lotte  porte  dans  les  patois  alamans  les  noms  de  Schlàngli, 
Id.  IV,  472,  Moserli,  Id.  IV,  472,  Wellfisch,  Id.  I,  1105;  le  poisson 
adulte  a  reçu  le  non:  de  Oiiappe,  Fatio  469,  sur  les  bords  du  lac  de 
Constance,  tandis  que  les  autres  dialectes  de  la  Suisse  l'appellent 
Trische,  Treusch,  Triische,  Trischeln,  Treische,  Schwar:(trische  (Fatio  V, 
469,  et  V.  la  monographie  sur  la  lotte  («  Trùsche  »)  dans  Schw.  F.  Ztg. 
I.Beilage  2  zu  no  10,  no  1 3  zu  n»  22).  A  Gléresse  (lac  de  Bienne)  :  trish 
(Fankh.).  Ce  dernier  mot  doit  évidemment  remonter  à  la  même  base 
que  trinscia  (Fatio  V,  469)  du  lac  Majeur,  et  slrini,  strinzàl,  «  pesce 
del  génère  dei  ghiozzi,  ma  più  piccolo  ;  ghiozzo  ancora  giovane  n  du 
lac  de  Côme  (Monti,  Cherubini)  :  la  forme  Triïsche  s'expliquera  par  la 
vocalisation  de  Vn  devant  s,  qui  est  un  phénomène  particulier  à  un 
grand  nombre  de  nos  patois  alamans.  Mais  il  est  curieux  de  constater 
l'existence  d'une  forme  trisca  dès  le  onzième  siècle,  dans  une  liste  de 
poissons  qu'Ekkehard  IV  établit  pour  le  monastère  de  Saint-Gall 
(Liebenau,  39-40).  —  Il  m'est  impossible  d'aborder  ici  l'examen  des 
autres  noms  tessinois  de  la  lotte. 


LES   NOMS    DES    POISSONS   DU    LAC    LEMAN  9 

r"  {carpe,  carpa  '  au  lieu  de  charpe,  tsarpa)  :  le  mot  n'appar- 
tient guère  au  vieux  fonds  du  vocabulaire  gallo-roman.  Le 
résultat  de  l'examen  phonétique  est  donc  en  parfait  accord 
avec  l'hypothèse  des  naturalistes,  qui  admettent  la  migration 
du  poisson  {et  de  son  nom)  partant  d'un  centre  d'irradiation 
oriental  inconnu:  nous  ignorons  à  quelle  langue  il  faut  attribuer 
le  mot  carpa,  qui  se  retrouve  aussi  bien  dans  les  langues  ger- 
maniques que  dans  celles  du  groupe  slave  ''. 

Restent  û/ize  espèces  lacustres  indigènes,  ou  dont  l'introduc- 
tion par  immigration  ou  par  importation  doit  être  en  tout  cas 
très  ancienne  :  la.  perc/ie,  la  tanche,  V ablette,  le  rotengle,  le 
gardon,  la  chevaine,  Xdi/éra,  la  gravenche,  V omble-chevalier,  la 
triiite,\Q  brochet,  et  six  espèces Jluviaiiles\nà\gtne%,ç[\.n  arrivent 
plus  ou  moins  souvent  jusque  dans  les  eaux  du  lac  :  le  chabot, 
le  goujon,  le  spirlin,  le  vairon,  la  loche,  \ ombre. 

Passons  d'abord  à  l'examen  des  noms  du  dernier  groupe, 
que  les  naturalistes  rangent  parmi  les  espèces  erratiques. 

Le  chabot,  cottus  gobio,  vaud.  tsaso  (VuUiens,  Penthalaz, 
Bière,  Oron,  Montherond),  -cho  (Château-d'Œx),  genev.  sélh 
(Aire-la-Ville),  frib.  tsacho  (Gruyères),  chatso  (Lessoc),  tsaso 
(Romont,  ^Montbovon,  Sales).  Nous  lisons  dans  la  carte  du 
syndic  Jean  du  Villard,  de  Genève,  en  1581:  Le  chassot  est 
en  sa  saison  au  mois  de  Febvrier  (Forel  331);  Bridel  offre: 


'  A  Sugiez  (lac  de  Morat),  M.  Fankh.  a  noté  la  forme  kârfo  masc, 
qui  a  subi  l'influence  de  l'allemand  àdr  kàrpf,  masc.  (Douanne). 

-  Cf.  Thésaurus  L.  lat.,  s.  cai-pa,  Thomas,  Rom.  XXXVI,  95,  Meyer- 
Lùbke,  Et.  Wtb.  s.  carpa;  Schrader,  ReaIlexikoii,s.  Karpfeii,  qui  suppose 
à  tort  l'existence  de  débris  de  la  carpe  dans  les  palafittes  de  Moossee- 
dorf  (près  de  Berne)  et  de  Robenhausen  (Zurich),  cf.  Forel  61.  Le 
premier  témoignage  de  carpa  dans  les  patois  romands  nous  est  con- 
servé dans  la  liste  de  vente,  rédigée  en  latin,  des  poissons  de  Ville- 
neuve, de  1376:  carpe  [génitif]  (Forel  3_?4).  Peu  après,  les  comptes 
de  dépenses  du  château  de  Ripaille  mentionnent  :  ^o  corpes,  que  l'édi- 
teur, M.  Bruchet,  propose  de  lire:  carpes  (p.  315,  a.  1381  et  Gloss.). 
Le  Glossaire  offre  corpa  «  carpe  »  aussi  pour  le  patois  du  Vully  (Frib.). 
—  Les  patois  allemands  onx  hirpfen  (<;  karpo  -on  masc, /i.  111,  477), 
et  càrpan  (Monti),  mil.  carpen  (Clierubini)  sont  usités  sur  les  bords 
des  lacs  italiens  au  pied  des  Alpes  centrales,  v.  aussi  Rolland  III,  1.48. 


lO  J.  JUD 

/sûssOi,  tschasso,  sctzot,  séchot,  séchau  «chabot»'  (353,388), 
avec  le  dérivé  tsassota  «  aller  à  la  pêche  des  chabots  avec  un 
filet  appelé  chassoticre  »  (Genève).  La  tête  massive,  large  et 
déprimée  qui  caractérise  le  poisson  explique  aisément  les  noms 
de  grosse  tête  à  Metz,  tête  d'âne,  tltard  dans  diverses  provinces 
françaises  (v.  Rolland  III,  174)  et  de  même  le  chabot  de  la  langue 
littéraire,  lequel,  d'origine  méridionale,  semble  avoir  remplacé 
un  plus  ancien  c/ievot,  dérivé  de  caput".  Pour  refaire  l'histoire 
du  mot  romand,  il  ne  faudra  peut-être  pas  oublier  le  fait  que  le 
même  poisson  porte  le  nom  de  scazzun  dans  levai  de  Poschiavo 
et  que  le  même  vocable  se  retrouve  sur  les  bords  du  lac  de 
Côme  sous  la  forme  de  scazon  «  sorta  di  pesce  del  génère  dei 
ghiozzi,  cottus  gobio  »  (Monti).  Je  ne  saurais  reconnaître 
d'autre  étymologie  possible  pour  les  formes  lohibardes  que 
celle  qui  prendrait  comme  point  de  départ  le  substantif  corn, 
scazon  «  cazzuola  »,  caza  «creuset»  (Monti),  tosc.  cazzuola 
(<  cyathiu).  En  effet,  le  toscan  cazzuola  sert  à  désigner  aussi 
«la  larve  de  la  grenouille»,  caractérisée  par  sa  grosse  tête'  et 


'  Ces  formes  de  la  rive  droite  du  Léman  semblent  être  en  désaccord 
avec  celles  de  la  Savoie  :  sassà  s.  m.  ((  chabot  »  et  sassolâ  «  fouiller  les 
pierres  ou  la  vase  pour  en  faire  sortir  les  sassà  »  :  Les  premières  remon- 
tent à  un  c^  initial,  les  dernières  à  s».  Les  formes  genevoises  séchot, 
sel:^ot  et  le  verbe  séchoter  «  prendre  des  s.  »,  relevées  par  Bridel  et 
Humbert,  et  saçl^o  (Const.  et  Dés.),  représentent  peut-être  une  étape 
intermédiaire  entre  le  vaud.  tsaso  et  sav.  sassà  :  est-il  permis  de  pos- 
tuler une  métathèse  consonantique  entre  ts-s  '^  s  -ts  (conservée  dans 
le  fr.  popul.  de  Genève  sous  la  forme  :  séchot,  cf.  la  forme  de  Lessoc, 
citée  ci-dessus)  et  l'assimilation  postérieure  de  Vs  intérieure  à  1'^  ini- 
tiale ?  Ce  qui  me  frappe,  c'est  que  la  forme  sassol  se  retrouve,  d'après 
FatioIV,  107,  dans  le  français  local  de  Neuchâtel;  faudra-t-il  admettre 
encore  ici  la  même  évolution  phonétique  que  pour  la  forme  savoyarde, 
tandis  que  Razoumowski  dans  son  Histolie  naturelle  du  Jorat  I,  126, 
1789,  prétend  que  chassot  est  le  nom  du  poisson  le  long  du  lac  de 
Neuchâtel  ?  Comment  interpréter  d'autre  part  cliassu  (Bourget)  «  chas- 
seur, poisson  de  la  Leysse,  servant  d'amorce-)  (Const.  et  Dés.)?  Est-ce 
le  inême  poisson  que  le  sassà  ? 

-  Dict.  gên.  s.  v.,  P.  Barbier  fils,  Rev.  de  pbil.  Jrç.  XX.  m. 

^  Le  mot  tëlard  désigne  aussi  le  chabot,  v.  Rolland  III,  174.  et  l'un 


LES    NOMS   DES    POISSONS    DU    LAC    LEMAN  II 

son  menu  corps.  Or,  la  larve  de  la  grenouille  est  connue  en 
français  sous  le  nom  de  têtard,  qui,  comme  nous  venons  de 
voir,  est  précise'ment  l'un  des  noms  provinciaux  du  chabot  ; 
scazzon  aurait  servi  à  désigner  le  chabot  pour  les  mêmes  rai- 
sons que  rit.  cazziiola  a  été  appliqué  à  la  larve  de  la  grenouille 
en  Toscane  ^  Mais  il  subsiste  de  sérieuses  difficultés  que  jj 
m'empresse  de  signaler. 

Si,  dans  l'Italie  septentrionale,  la  base  cyathiu-  jouit  d'une 
grande  vitalité  jusque  dans  les  dialectes  modernes,  il  faut  dire 
que,  pour  la  Suisse  romande  et  la  Savoie,  Bridel  et  Constantin- 
Désormaux  se  bornent  à  enregistrer  le  seul  cassa  (sav.  cassa, 
café)  «  poêlon,  vase  de  cuivre  étamé,  grande  cuiller  de  métal 
pour  puiser  l'eau  dans  les  seilles  de  cuisine,  poêle  à  frire  »,  qui, 
par  l'absence  de  la  palatalisation  c"  (>  ts),  se  révèle  plutôt 
comme  un  emprunt  fait  au  vocabulaire  piémontais  ou  pro- 
vençal (cf.  aussi  frç.  casse,  Dict.  gén.  s.  v.).  Pour  maintenir 


des  noms  savoyards  du  chabot  est  têtu  ou  tctari  (Fatio  IV  107.  Const. 
et  Dés.  s.  v.).  A  Yverdon,  on  appellerait  le  chabot  :  tHi  à  maillot 
(Humbert,  s.  séchot),a  Neuchâtel  :  tète  à  maillocJje  (Jeanjaquet),  dont 
l'explication  est  donnée  par  l'ex'istence  de  malyé  «  têtard  »  dans  les 
patois  vaudois. 

*  Le  têtard  est  souvent  comparé  à  la  truelle  ou  à  la  cuiller  :  gallic. 
ciilleres  «têtard»  (Pifiol),  valais,  culyerèta  «têtard»  (=  «  cuillerette  »), 
v.  Atlas,  littguist.  c.  têtard,  Vallée  de  Non  (Tyrol)  kjâèole  «  têtard  », 
v.  Ettmayer,  Zeitschr.  f.  roin.  Phil.  XXXIII,  602,  qui  doit  être  rapproché 
de  ca^a.  Au  milieu  des  noms  des  reptiles  du  Laterculus,  cités  plus 
haut,  nous  rencontrons  aussi  le  nom  de  popia  {Rom.  XXXV,  167), 
qui  s'est  conservé,  à  mon  avis,  dans  le  s^lv. poche  «  têtard  de  grenouille  » 
(Const.  et  Dés.),  Jura  bernois  potchat,  identique  sans  doute  avec  poche 
«  cuiller  à  potage  »  (v.  Cornu,  Rom.  XXXII,  126).  Pour  d'autres 
exemples,  v.  maintenant  Rolland  XI,  122. 

^  Pour  la  famille  de  cyathiu,  dans  l'Italie  supérieure:  v.  anc.  lomh. 
caça  «  tazza,  ramajuolo  »,  caço  «  catinello  »,  Salvioni,  Arch.glotl.  it.  XII, 
593  ;  XIV,  206;  anc.  gén.  cassola,  Parodi,  Arch.  glott.  it.  XV,  55  ;  anc. 
tess.  ca^olo  «  mestolo  »,  Sa.\v\oni,  BoUett.stortco  délia  Bviz^.  ital.  XIX,  149, 
sans  parler  des  formes  modernes  ;  v.  aussi  Lorck,  Altbergam.  Sprach- 
denhn.  191  ;  dans  les  patois  méridionaux,  v.  anc.  prov.  cassa  «  poêlon, 
grande  cuiller  »  -ola  (Levy)  ;  en  outre  :  cassa  dans  Mistral  et  Atlas  lin- 
guist.,  c.  cuiller. 


12  J.  JUD 

l'étymologie  que  nous  venons  de  proposer,  il  serait  donc 
nécessaire  de  supposer  l'existence  d'un  plus  ancien  isase^ 
(<  cyathia),  qui  aurait  cédé  sa  place  à  un  intrus  postérieur 
casse;  mais  les  matériaux  dont  je  dispose  ne  me  permettent  pas 
de  donner  un  appui  solide  à  cette  hypothèse  -. 

Je  n'ai  que  peu  de  chose  à  dire  sur  le  goujon,  gobio  fluvia- 
tilis.  Le  latin  (gobius)  gobione,  d'origine  grecque  (zwpioç), 
a  triomphé  dans  la  Suisse  romande  ^  comme  dans  tout  le 
reste   de  la  France*  sous   la   forme  godzon.   Déjà  le  syndic 


'  Cerlogne  connaît  pour  le  Val  d'Aoste  la  forme  ti,as  «  cuve  pour 
cuire  la  vendange  ». 

"  Les  patois  de  la  Suisse  allemande  offrent  Groppe,  qui  réunit  aussi 
les  deux  sens  de  «  cottus  gobio  »  et  de  «  têtard  »,  v.  Id.  II,  788  ;  les 
parlers  ladins  des  Grisons,  selon  Fatio  IV,  107,  désignent  le  même 
poisson  par  rambo^,  ramhottel  (le  dernier  est  aussi  enregistré  par 
Pallioppi  sous  la  forme  du  bas  engad.  rambot,  v.  encore  Carigiet  s.  v. 
M.  Melcher  m'informe  que  lambàt  est  vivant  dans  le  surselv.  et  le 
bas  engad.,  tandis  que  les  dialectes  sousselv.  (Andeer,  Obervaz,  Lenz, 
Filisur),  offrent  rambàllel,  ruinbôttel;  le  second  élément  du  mot  —  le 
premier  est  rana,  cf.  posch.  ranabôttol  «  girino  »  (Monti)  —  ne  doit 
pas  être  séparé  du  com.  bmtt,  bôttrisit  (Fatio  IV,  107  et  Cherubini, 
s.  bottrisa)  «goujon».  Le  même  radical  sert  aussi  à  désigner  le  têtard 
de  la  grenouille,  d.  mil.  bottaranna  agirino,  cazzuola  »,  Sainéan,  Z.  f. 
rom.  Phil.,  Beiheft.  X,  118,  125,  126,  132,  Lorck,  op.  cit.  216,  vaud. 
bô,  bot  «grenouille  de  la  plus  petite  espèce  »  (v.  Bridel,  Rolland  III,  46, 
67,  XI,  88,  122,  Const.  et  Dés.  s.  bà,  Atl.  ling.,  c.  crapaud,  têtard)  et 
surtout  Schuchardt,  Zeitschr.  f.  rom.  Phil.  XV,  104. 

•'  Bridel  connaît  encore  un  autre  nom  du  goujon  sur  les  bords  du 
lac  Léman  :  veiron,  vouairon,  mais  il  est  probable  qu'il  s'agit  ici  d'une 
confusion  entre  le  goujon  et  le  vairon  (phoxinus  Isevis).  Enfin  Const.  et 
Dés.  relèvent  :  bhtjbon  «goujon  »  (Annecy),  dont  j'ignore  l'étymologie 
(mais  cf.  blaviê  •>  sparus  alcedo  »,  Rolland  III,  171,  M.  P.  Barbier  fils. 
Rei'.  des  l.  rom.  LI,  388,  et  Fatio  IV,  606,  qui  offre  pour  le  squalius 
agassizii  le  nom  de  blavin  à  côté  de  celui  de  blageon  pour  la  Savoie). 

^  Cf  Rolland  III,  146;  Horning,  Z.  f.  rom.  Phil.  XXI,  45  5; 
A.  Thomas,  Mélanges,  51,  et  Rom.  XXXV,  189;  Pieri,  Arch.  glotl.  it. 
XV,  213,  et  Studi  romanzi  IV,  168  n.  —  Parmi  les  noms  de  la  Suisse 
allemande  [Kressling,  Id.  III,  852,  Grundeli  II,  776,  Ammel,  I,  217),  il 
y  en  a  un  seul  qui  soit  d'origine  romane:  gûtsche,  dont  Vld.  II,  566 
n'indique  pas  la  répartition  géographique  (à  Douanne,  lac  de  Bienne  : 
gi'is,  à  Gléresse  :  giïtsch).  —  Le  poisson  fait  défaut  dans  les  eaux  du 
canton  du  Tessin. 


LES    KOMS    DES    POISSONS    DU   LAC    LEMAX  13 

du  Villard  nous  donne  à  la  fin  du  16"^  siècle  le  plus  ancien 
exemple  du  mot  légèrement  francisé  :  gogeon  (Forel  332). 

Comme  le  goujon,  le  spii'lin,  spirlinus  bipunctatus,  ne  fait 
nulle  part  l'objet  d'une  pêche  spéciale:  il  sert  surtout  d'amorce 
aux  pêcheurs  à  la  ligne. 

Selon  Fatio  IV,  393  et  Forel  62,  le  poisson  porte  sur  la 
côte  vaudoise  le  nom  de  baroc/ie,  sur  les  bords  du  lac  de  Neu- 
châtel  celui  de  barre;  Bridel  enregistre:  borotha,  borotsa^ 
«  cyprinus  bipunctatus»,  dont  je  n'ai  réussi  ni  à  retracer  l'his- 
toire ni  à  retrouver  l'étymologie.  Un  autre  nom  aussi  attesté 
par  les  patois  actuels,  est  plyatc,  plate  (Vaud),  pyaton,  pyètoji 
(Frib.).  Il  est  vrai  qu'il  désigne  fréquemment  aussi  le  l'otengle, 
scardinus  erythrophthalmus,  qui,  sur  la  côte  savoisienne  du 
Léman,  s'appelle  :  plate,  platelle  et  à  Vevey  plateron.  Pour 
les  mêmes  raisons,  il  m'est  impossible  de  dire  si  pllatta  s.  f., 
pllattet,pllatton,pllatziron  «  cyprin,  soit  palée,  sorte  de  poisson 
du  Léman»  (Bridel)  s'applique  plutôt  au  spirlin  qu'au  rotengle. 
M.  Schuchardt,  Z.  f.  rom.  Phil.  XXX,  725,  a  consacré  à  ce 
groupe  de  mots  une  page  nourrie  d'idées  et  de  faits,  à  laquelle 
je  ne  saurais  ajouter  rien  d'essentiel  "-. 

Tout  enfant  habitant  les  bords  de  nos  rivières  connaît  les 
compagnies  de  petits  vérons  aventureux  et  entreprenants, 
qu'on  est  bien  étonné  de  retrouver  jusque  dans  les  petits  lacs 
de  nos  Alpes  neigeuses.  L'imagination  populaire  s'est  beaucoup 


'  L'idée  de  chercher  dans  horotsa  un  dérivé  de  honi  «  canard  »  se 
heurte  à  la  difficulté  de  la  forme  neuchâteloise  {barre)  qui  postule  plutôt 
l'existenee  d'un  a  protonique  dans  la  base  du  mot. 

-  Cf.  aussi  une  note  de  M.  P.  Barbier  fi!s,  Rev.  des.  l.  rom.  LXVI, 
179,  et  Rolland  XI,  208,  210.  —  Les  noms  du  spirlin  des  patois  ala- 
mans  semblent  être  d'origine  germanique  :  Bainbeli,  Bâmmell  (Id.  IV, 
12)7,  v.  p.  15),  Schneider  (Fatio  IV,  395),  Bringîi  (Fatio  IV,  393,  que  je 
ne  retrouve  pas  dans  VId.),  Alantblecke  (Id.  I,  171),  Latigeh,  qui  désigne 
aussi  l'ablette  {Id.  III,  1172),  Bachbnmbeli  {YV ,  1260),  Àrtieli  (I,  498), 
BUugge  (V,  121),  IVeissfiscb  (Fatio  IV,  393).  Il  est  difficile  de  se  pro- 
noncer sur  hcberUphtte,  attesté  pour  les  lacs  de  Thoune  et  de  Lucerne 
(Jd.  I,  547,  Fatio  IV,  393)  ;  on  serait  tenté  de  reconnaître  dans  le 
second  élément  la  même  base  que  dans  pyaloii,  pyatè  de  la  Suisse  ro- 
mande. 


14  J.  JUD 

occupée  de  ce  petit  être  curieux  qui  réjouit  l'œil  de  l'observa- 
teur par  sa  coloration  variable  selon  la  saison  et  l'âge. 
Le  phoxinus  laevis  est  appelé  dans  nos  patois  romands  : 

1.  vairon  (Vaud.,  Neuch.),  viron,  véron  (Jura  bernois).  Ce 
sont  les  couleurs  changeantes,  variables  qui  ont  frappé  l'imagi- 
nation. C'est  le  latin  *varione  (dérivé  de  varius)^^oxi\.  l'exis- 
tence semble  être  assurée  par  la  grande  diffusion  géographique 
à  travers  l'Italie  et  la  France  ^ 

2.  valais,  grisetta  (Bridel),  grisette  (Fatio  IV,  640). 

3.  neuch.  blavin,  dérivé  de  *  blau  «  bleu  »  \^bllu,  bliau,  blavet 
«bluet»  (Bridel)]  ^ 

4.  petit  saumon,  terme  qui  ne  doit  pas  être  très  populaire, 
puisque  le  mot  saumon  est  d'origine  toute  récente  dans  la  Suisse 
française. 

5.  vouardon  (Bridel).  C'est  le  frç.  gardon,  qui  est  toutefois  le 
nom  d'une  autre  espèce  de  poisson  :  le  leuciscus  erythro- 
phthalmus,  très  petit,  comme  le  vairon  *. 

6.  lehette  (Rolland  III,  140  et  Fatio  IV,  639),  sur  la  côte  sa- 
voisienne,  d'origine  obscure  ■•. 

7.  gremoillon,  gremohllon  (Bridel).  Le  même  radical,  muni 
d'un  autre  suffixe:  gremelhetta  (Bridel),  sert  à  désigner  la  loche 
franche  (cobitis  barbatula)  et  le  lézard  gris  (lacerta  agilis). 
'La.  gremelhetta  «  lézard  gris  »  est  vivante  dans  les  patois  franco- 
provençaux  aussi  bien  que  dans  les  dialectes  méridionaux  de 
la  Provence  :  lagr amusa,  lagratnuso,  lagratnué,  lagromué,  qui 
remontent  à  lacrimusa,  attestée  déjà  dans  le  Laterctthis  de 
Polemius  Silvius.  D'autre  part  le  frç.  gremille''  est  le  nom  de 


'  Cf.  P.  Barbier  fils,  Rev.  des  l.  rom.  LXIV,  188.  —  '  V.  p.  12  n.  3. 

•'  La  confusion  entre  les  deux  variétés  se  répète  dans  la  Charente  où 
le  vairon  porte  le  nom  àe  gardon,  gardon  malin  (Rolland  III,  139).  Pour 
l'étymologie,  v.  Schuchardt,  Z.f.  rom.  Phil.  XXX,  730,  et  Behrens,  Bci- 
trâge  inr  fr^.  IVorlgeschichte,  360. 

*  Il  faudrait  évidemment  connaître  la  vitalité  du  mot  avant  de  se 
prononcer  sur  son  étvmologie.  Peut-être  le  mot  ne  sera-t-il  pas  autre 
chose  que  «  Je  hcte  »  (=  le  sot),  parce  que  le  vairon,  confiant  et  aven- 
tureux, est  souvent  la  victime  de  sa  trop  grande  curiosité. 

'""  Fatio  IV,  639,  Forel  64,  ofl^rent  grenwiUon  pour  le  vairon,  et  selon 


LES   NOMS    DES    POISSONS    DU    LAC    LEMAX  15 

l'acerina  vulgaris,  qui  s'appelle  à  Metz  grcmei/ille,  et  grcinaou 
au  dép.  du  Gard  (Rolland  III,  180).  Le  mot  est  peut-être  d'ori- 
gine pre'romane^  cf.  le  verbe  vaudois  grenielli,  frétiller). 

8.  hambella  (Bridel),  qui  trouve  son  pendant  parfait  dans  le 
suisse  ail.  bainbeli,  Bachbambeli  {Id.  IV,  1257),  sans  qu'on 
puisse  dire  de  quel  côté  il  faudra  chercher  l'emprunt-. 

9.  vaud.  anéron  (Bridel),  sav.  ainaroti  (Fatio  V,  639,  Forel 
349  n.,  anc.  gen&w.  amaron  (Jean  du  Villard  1581,  Forel  332). 
Comme  la  chair  passe  pour  être  a/ncre,  on  pourrait  penser  à 
un  dérivé  d'amaru  «  amer  »  ^  :  la  forme  vaudoise  a?icron* 
aurait  alors  subi  Tinfluence  d'une  étymologie  populaire  ^. 

Le  corps  allongé  de  la  loc/ie,  nemachus  barbatulus,  rappelle 


Faiio  V,  20  et  Forel  65,  la  gremeliette,  gremilielle,  groumellietle  serait  le 
nom  de  la  loche  franche  ;  v.  aussi  Littré,  s.  gremillon. 

'  Sur  lacrimusa,  v.  Thomas,  Rom.  XXXV,  180,  et  Schuchardt, 
Z.  /.  roin.  Phil.  XXX,  715,  Rolland  XI,  19-20.  Il  n'est  guère  probable 
que  gremiUe  soit  le  même  mot  que  le  v.  fr.  greiiiille  «  petit  grumeau  », 
V.  Godefroy,  s.  v. 

-  Le  radical  bamb  «s'agiter»  semble  jouir  d'une  forte  vitalité  aussi 
bien  dans  les  patois  alamans  (cf.  /(/.  IV,  1257)  que  dans  les  patois 
romands:  vaud.  hambeUhi  «  brandiller  »,  hamhellhon  «chiffon  qui  bran- 
dille  »,  sav.  hanheliuche  «  lambeau  pendant»,  banhJyon  «fanon  d'une 
vache»),  etc.  Sur  le  radical  hanib,  v.  Schuchardt,  Z.f.  rom.  Phil.  XXXI, 
649,  Strekelj,  Denkschriften  der  Wiener  Ahademie  L,  21,  80,  et  Meyer- 
Lûbke,  El.  IVth.  s.  bamb. 

■^  Cf.  sav.  amaron  «zeste  de  noix,  fruit  du  marronnier». 

*  Les  patois  de  l'Oberland  bernois  ont  conservé  comme  nom  du 
goujon  ameli,  emeli  {Id.  I,  217),  qui  continue  peut-être  un  plus  ancien 
ameri,  correspondant  à  Vamaron  de  la  Savoie. 

^  En  dehors  du  barubeli  et  de  Vameli,  les  parlers  alamans  de  la  Suisse 
nous  donnent  les  noms  suivants  :  Butt,  Binshut,  Bachbutt,  etc.  (Fatio 
IV,  640, /(i.  IV,  1907,  et  pour  le  radical,  v.  p.  12  n.  2),  Welling,  Wcttling 
(Bâle).  Les  formes  tessinoises  ont  été  expliquées  en  partie  dans  un 
article  de  M.  Barbier  fils,  Rev.  des  l.  rom.  LU,  128  :  starnicol  (Fatio  IV, 
640)  aurait  emprunté  son  nom  à  celui  de  la  pie-grièche  (it.  stonio'),  et 
la  stonia^ia  représenterait  un  dérivé  du  mil.  storna,  storn-è.  Les  autres 
noms  vairon,  rossigneti,  sangttigneit  {<C  ross-,  sang-  igneu  [•<  ineolu],  cf 
Meyer-Lùbke,  //.  Gramm.  §  550)  sont  clairs  ;  cent-ln-bocca  est  peut-être 
un  sobriquet  que  les  pêcheurs  donnent  à  ce  petit  poisson  de  peu  de 
valeur. 


l6  J.  JUD 

un  peu  celui  de  l'anguille,  et,  comme  le  vairon,  elle  est  peu 
estimée  de  nos  pécheurs.  Voici  ses  noms  dans  les  patois  ro- 
mands et  le  français  provincial  parlés  sur  les  bords  des  lacs  : 

1.  motaile,  vioiitaile  (Lutry).  Rolland  III,  137,  v,  p.  7. 

2.  gremelhetta  (Rolle),  v.  p.  14. 

3.  '[\t.\XQ\\.  petite  lotte,  v.  p.  6. 

4.  genev.  motistache,  frib.  motistatso  (Sales)  à  cause  des  six 
barbillons  qui  se  dressent  sur  sa  lèvre  supérieure.  Cette  parti- 
cularité lui  a  valu  encore  le  nom  de  : 

5.  petit  harhot  (Forel  65). 

6.  vaud.  dre/nillha ,  droumillha ,  dremilletta  (Brideli,  sav. 
dromly'c .  genev.  drdmilh  (Hermance)  [v.  aussi  anc.  gç.Vit\. 
dormille^  (du  Villard,  Forel  331)].  Le  poisson  a  l'habitude  de 
se  tenir  blotti  de  jour  sous  quelque  pierre  ou  de  rester  long- 
temps immobile  sur  un  caillou.  C'est  donc  un  substantif  tiré 
du  verbe  droiulyi  «sommeiller»  (Const.  et  Dés.),  anc.  franc. 
dormillier  (anc.  prov.  dormilJios  «  somnolent  »j,  franc,  mérid. 
doiirmiha  -ilhà  (Aveyron)  «  sommeiller  »  (Mistral),  qui  con- 
tiennent tous  un  latin  *dormiculare-'. 

7.  nench. percepierre  (Rolland  III,  138).  En  fuyant,  le  poisson 
passe  entre  les  pierres,  filant  comme  un  éclair  ^. 

8.  dartre  (Fatio  V,  20)  est  le  nom  populaire,  répandu  sur 
les  bords  des  lacs  de  Morat,  de  Bienne  et  de  Neuchâtel  (Au- 
vernier:  dert,  frç.  local).  Il  s'explique  peut-être  par  les  écailles 
teigneuses  du  poisson  ou  par  les  taches  irrégulières  éparses 
souvent  sur  toute  la  longueur  du  corps,  à  la  manière  des  plaques 
de  peau  qui  caractérisent  la  maladie  appelée  dartre.  Le  point 


'  Le  même  nom  s'applique  aussi  au  cyprinus  amarus,  qui  partage 
avec  la  loche  l'habitude  de  rester  longtemps  immobile  sur  le  gravier: 
dormille,  dronnUe  commune  est  attesté  pour  le  dép.  de  l'Isère,  cf.  Rolland 
III,  152;  Mistral  relève  dourmihouso,  etc.  a  loche,  petit  poisson  qui  paraît 
quelquefois  immobile  dans  l'eau»,  v.  aussi  Rolland  III,  89,  XI,  165. 

-  La  grande  extension  géographique  de  ce  mot  à  travers  l'Italie 
[dormicchiare)  et  la  France  jusque  dans  l'Espagne  (gallic.  dônnilhso)  fait 
supposer  déjà  en  latin  l'existence  de  la  base  dormiculare. 

•^  Ailleurs  perce-pierre  désigne  la  lamproie  fluviatile  (petrisuga  fluvia- 
lilis),  cf.  Vit.  foracqua  (=z  perce-eau),  Rolland  III,  138. 


LES   NOMS   DES    POISSONS    DU   LAC   LEMAN  17 

de  départ  est  darvitaS  qui  semble  être  le  produit  d'un  croise- 
ment entre  herpès  et  un  mot  gaulois. 

9  genev.  baromètre ,  qui  doit  faire  allusion  -  à  quelque 
croyance  populaire,  répandue  parmi  les  pêcheurs  genevois^. 

Pour  le  thymallus  vexillifer,  nos  patois  sont  d'accord  pour 
lui  donner  le  nom  d'onbiv»,  qui  correspond  au  frç.  ombre  et  au 
latin  ambra;  à  l'époque  des  amours,  la  coloration  devient  de 
plus  en  plus  sombre  et  très  souvent  les  mâles  apparaissent  alors 
presque  complètement  noirs.  Voici  les  formes  patoises  :  genev. 
vaud.  frib.  bern.  ofibr(a),  vaud.  onbrou,  masc.  (  Vallorbe)  onhreta 
(frib.)*,  V.  aussi  Rolland  III,  129,  umbre  [génitif]  (taxe  de  Ville- 
neuve 1376,  Forel  334),  anc.  genev.  umbra  (du  Villard,  Forel 
330'- 


*  Sur  la  répartition  géographique  de  ce  mot,  v.  Horning,  Z.  f.  rom. 
Phil.  XX,  86,  XXI,  454;  Salvioni,  Postille  s.  berpete;  Meyer-Lûbke. 
IVietier  Studien  XXV,  98  ;  Bulletin  de  dialect.  rom.  III,  67,  et  Walde, 
s.  derbiosus.  M.  P.  Barbier  fils  a  relevé  quelques  noms  de  poissons  qui 
semblent  refléter  la  même  base,  v.  Rev.  des  l.  rom.  LI,  393. 

-  Pour  une  variété  de  la  loche,  misgurnus  fossilis,  Fatio  (V,  9)  cite  le 
nom  allemand  Wetterfisch,  parce  que  l'on  aurait  remarqué  qu'à  l'ap- 
proche d'un  orage,  il  a  l'habitude  de  s'agiter  jusqu'à  troubler  complé- 
ment l'eau  boueuse  autour  de  lui.  Quelques  personnes  auraient  même 
profité  de  cette  attitude  du  poisson  en  l'employant  comme  baromètre, 
après  l'avoir  mis  dans  un  récipient  rempli  de  limon. 

■''  L'ail,  grundele  {Id.  II,  776)  repose  sur  la  même  idée  que  dormillc  : 
c'est  le  poisson  qui  aime  à  dormir  au  fond  des  eaux.  La  répartition 
géographique  de  l'autre  nom  suisse  ail.  Scbmerle  m'est  inconnue.  Pour 
l'étymologie,  v.  Kluge,  s.  Scbmerle.  —  Pour  la  loche  de  rivière,  cobitis 
tainia,  particulière  aux  eaux  tessinoises,  les  patois  lombards  oftrent 
toute  une  série  de  mots  :  iugrisella,  grisella,  o-bisella  (Monti),  gar^ella 
(Lugano).  cflf^//o/fl  (lac  Majeur),  dont  la  discussion  m'entraînerait  trop 
loin.  A  Ems  (Grisons),  le  poisson  s'appellerait  :  àvol  ;  faudra-t-il  y  voir 
l'ail,  siual  (Fatio  IV,  544),  qui  est  le  nom  du  blageon  dans  la  Landquart 
et  le  Rhin  ? 

*  A  Genève,  on  donne  au  poisson  le  nom  d'ombre  d'Alondon  ou 
ombre  de  rivière  et  à  Neuchâtel  celui  de  ombre  d'Anvenjne  (Fatio  V,  287). 
Comp.  aussi  sur  l'ombre  des  eaux  suisses  un  article  de  M.  Hofer,  Schw. 
F.  Ztg.  III,  Beilage  19  au  no  13.  Dans  le  français  local  d'Auvernier 
(Neuch.),  M.  Fankh.  a  relevé:  dé gnglè  «de  petites  ombres^). 

*  Dans  la  Suisse  allemande,  le  même  poisson  est  appelé  :  Aesche  {LI. 


l8  J.  JUD 

Des  onze  espèces  lacustres  indigènes,  ce  sont  sans  doute  les 
<M>régones  ^  (la  fera,  la  gravenche,  la  pale'e,  la  bondelle  )  qui 
soulèvent  les  problèmes  les  plus  intéressants  pour  le  naturaliste 
aussi  bien  que  pour  le  linguiste.  Il  est  en  effet  inte'ressant  de 
voir  que  les  corégones  sont  soumis  à  des  variations  particu- 
lières dans  chaque  lac  du  plateau  suisse,  tandis  que  la  plupart 
des  autres  espèces  de  poissons  d'eau  douce  se  retrouvent  avec 
les  mêmes  caractères  spécifiques  dans  toutes  les  eaux  de  notre 


I,  564  et  Schuchardt,  Z. /.  rom.  Phil.  XXX,  720),  (jeune):  Kresling {Id. 
m,  852),  Knab  (III,  711),  Ischer  (I,  547),  Aeschling  (I,  564),  Minier 
(IV,  564).  Sur  les  bords  des  lacs  subalpins  de  la  Lombardie,  on  désigne 
le  poisson  par  tétnôl,  tcnioîa  (Monti,  Rolland  III,  129),  v.  P.  Barbier  fils, 
Rev.  des  1.  rom.  Ll ,  403,  berg.  temel,  Lorck ,  Altberg.  Sprachd.  148, 
no  1665  ;  strisôl  «  ombre  dans  son  premier  âge  »,  maronscei  u  ombre  dans 
son  deuxième  âge  »,  Rolland  III,  129.  —  Dans  le  bas-eugad.  (Schleins), 
le  poisson  est  appelé  user  qui  représente  évidemment  l'ail.  Ascber. 

*  Voici  d'après  Fatio  V,  67  ss.  et  Forel  65,  les  noms  des  corégones 
vivant  dans  les  lacs  suisses  (v.  la  carie  à  la  fin  de  cet  article)  : 

Lac  de  Constance  :      Blaufelcben,  Gangfisch,  Balcben,  Kilchen. 

»  •  de  Zurich  :  Albeli,  Blauling,  Haegliug,  Bratfisch. 

V      de  Wallenstadt  :  Albeli,  FeJchen. 

»      de  Greifensse,  Pf^effikon  :  Albeli. 

»      de  Baldegg-HalKvyl-Sempach  :     BaUen. 

»      des  Quatre-Cantons  :  Edelfisch,lVeissfisch,Felchen{?). 

j>      de  Thoune  et  Brienz  :  Albock,  Brienilig,  Bakhen,  Kropflein. 

))      de  Neuchâtel  :     bondelle,  palée. 

»      de  Bienne  :  Bakhen,  Pfarrig,  P/àrit  (v.  la  note  en  bas). 

»      de  Morat  :  palây?  {Bakhe),Jèra  [Fàrig),  Kropfer  (v.  la  note 

Il      Léman  :  ft'i'a,  gravenche.  [en  bas). 

»  du  Bourget  :  lavaret,  be\oule. 
Le  nom  de  fèrit,  relevé  par  Fatio  V,  133,  185  pour  le  lac  de  Morat 
doit  reposer  sur  une  erreur:  ce  n'est  pas  un  nom  patois,  mais  l'ali. 
fiïrig  que  M.  Fatio  a  considéré  à  tort  comme  un  mot  français  (commu- 
nication de  M.  Fankhauser).  Enfin  une  grosse  palée  avec  une  espèce  de 
goitre  s'appelle  à  Sugiez,  gôirÇo^'ia  («  goitreuse  »  ■<  gâtro  «  goitre  »), 
qui  se  retrouve  à  Montilier  (près  Morat)  sous  la  forme  de  ChrÇppr, 
de  même  à  Douanne  (lac  de  Bienne),. dérivé  de  Chropf,  que  VId.  n'a 
pas  enregistré.  Selon  les  informations  que  M.  Friedli  m'a  fournies, 
le  Chropfer  désignerait  à  Anet  aussi  le  brochet  du  mois  de  mai. 


LES   NOMS    DES   POISSONS    DV   LAC    LEMAN  19 

pays.  M.  Fatio,  qui  a  soumis  toutes  ces  variéte's  à  un  examen 
approfondi,  ne  constate  pas  moins  de  vingt-quatre  types  dans 
les  lacs  de  la  Suisse  et  de  la  Savoie  ;  des  quatre  qu'on  pêche 
aujourd'hui  dans  le  lac  Léman,  deux,  la  grande  marhie,  core- 
gonus  maraena,  et  le  Whitefish,  coregonus  albus,  y  ont  été 
récemment  importés  ;  la  fera  et  la  gravenche,  par  contre,  sont 
considérés  comme  autochtones.  Mais  qu'on  me  permette 
d'abord  de  discuter  brièvement  l'origine  du  nom  de  la  bon- 
«lelle  du  lac  de  Neuchâtel. 

Les  ichthyologues  distinguent  aujourd'hui  dans  ce  lac  deux 
groupes  de  notre  espèce  en  choisissant  comme  critère  V atti- 
tude du  poisson  z.\x  moment  dit  frayer  :  Xfà  uns  fraient  sur  la 
terrasse  littorale  plongée  dans  l'eau  («la  beine  »),  les  autres 
dans  les  régions  profondes.  C'est  à  cette  dernière  catégorie 
qu'appartient  la  bondelle  qui  dépose  ses  œufs  dans  les  grands 
fonds,  à  90,  ICO  ou  130  mètres,  tandis  que  l'autre  corégone 
du  même  lac,  la  palée,  fraie  sur  les  graviers  (palée  de  bord)  ou 
à  une  profondeur  de  25  à  50  mètres  (palée  de  fond).  Il  me 
paraît  donc  très  probable  que  la  bondelle  doit  son  nom  à  ses 
habitudes  de  frai  et  à  sa  vie  sédentaire  dans  les  profondeurs 
des  eaux  (Fatio  V,  193).  Dans  l'étude  de  la  nomenclature  ich- 
thyologique,  le  linguiste,  avant  de  proposer  une  étymologie 
satisfaisante,  ne  pourra  pas  se  passer  de  la  connaissance  exacte 
de  l'objet. 

Or,  le  moyen  irlandais  désigne  le  fond  d'un  vase,  le  creux 
d'une  rivière  par  une  parole  qui  s'accorde  à  merveille  avec 
ridée  en  question:  moyen  irl.  bond,  bonn,  cymrique  bond 
«fond  »  (cf.  Stokes,  Urkelt.  Sprachsch.  180  et  Loth,  Revue  cel- 
tique XX,  345)  qui  remontent  à  une  base  bundos,  bien  con- 
servé dans  la  toponomastique  de  l'Italie  supérieure  et  de  la 
Suisse  française  :  bresc.  boudai  «  gorgo,  profondità  »  (Biondelli, 
Saggio  60,  qui  propose  déjà  —  cette  fois  avec  raison  —  une 
origine  celtique  pour  le  mot  italien  1,  valses,  bonda  «  luogo 
nascosto,  recesso  »  (  noms  de  lieu  :  Bonda,  Bondaccia,  Bondal 


20  J.  JUD 

!  cf.  aussi  Bondasca,  Val  di  Bregaglia  ,  attestés  dès  le  13=  siècle)  S 
qui  se  retrouve  dans  le  patois  allemand  d'Alagna  Bimde  «  inse- 
natura  di  montagna  »  {/d.  IV,  1369).  Le  même  mot  paraît  jouer 
un  rôle  considérable  dans  les  noms  de  lieu  de  la  Suisse  ro- 
mande: Bonde,  Bondelle  (Vaud),  v.  Jaccard,  Essai  de  topo- 
9iymie,  41  ".  La  bondelle  serait  donc  le  poisson  qui  vit  au  fond 
(à  la  bonde)  du  lac;  la  forme  patoise  bondala  (sur  les  bords  du 
lac  de  Neuchâtel)  représente  hond{a)  -\-  ella'^. 

Passons  maintenant  aux  noms  des  deux  espèces  indigènes 
de  corégones  du  lac  Léman:  la  gravenche^coxfgowM^  hiemalis, 
et  la  fera,  coregonus  fera. 

I.  coregonus  hiemalis. 

I.  (jravoïK'lie  (Fatio  V,  262), gravanche,  garvanche  (Bridel); 
anc.  genev.  gravenche  (du  Villard,  Forel  332),  gravanche  (Hum- 
bert),  grdvamjs  (Hermance). 

Tandis  que  la/éra  dépose  ses  œufs  dans  le  sable  ou  le  limon 
du  fond,  souvent  à  cent  ou  deux  cents  mètres  d'eau,  la  gra- 
venche fait  sa  ponte  sur  la  grève  du  Léman  :  «  les  individus  des 
deux  sexes  arrivent  alors  en  bandes  nombreuses,  en  faisant  de 
la  bouche  un  bruit  de  claquements  qui  s'entend  d'assez  loin, 
de  manière  que  la  pêche,  qui  se  fait  surtout  de  nuit,  est  alors 
aisée  au  moyen  de  filets,  dans  lesquels  on  attire  au  besoin  le 
poisson  au  moyen  de  feux  allumés  sur  la  rive  »  (Fatio  V,  267). 
Il  n'est  guère  douteux  que  notre  mot  ne  remonte  au  gaulois 


'  Meyer-Lûbke,  Et.  Wth.  s.  bunda  cite  déjà  la  forme  de  la  Valsesia. 
V.  aussi  mon  article  sur  le  frç.  bonde  (vaud.  bonda)  «  ouverture  du 
tonneau,  par  laquelle  on  le  remplit  »,  peut-être  identique  avec  notre 
mot,  Archiv.  fur  das  Stud.  der  neuern  Sprachen  CXXVII,  p.  435. 

^  Cf.  Gruber,  Vordeiitsche  Ortsnamen,  Festband  VollmôUer,  320. 

^  Les  documents  bernois  offrent  dès  le  16e  siècle  le  nom  de  bûndeli 
(Id.  IV,  1368).  V.  Liebenau,  p.  139-140,  qui  relève  le  fait,  important 
quant  à  l'ancienne  extension  du  mot,  que  le  nom  de  Bûndeli  était  le 
nom  d'un  corégone  des  lacs  de  Sempach,  de  Lticerne  et  de  Hallwyl, 
avant  le  17e  siècle.  —  Le  filet  pour  prendre  les  bondelles  du  lac  de 
Neuchâtel  s'appelle  à  Sugiez  (lac  de  Morat)  hondallr,  cf.  Fromaigeat, 
Bulletin  du  Glossaire  VI,  58.  Dans  leur  français  populaire,  les  pêcheurs 
de  Marin  et  d'Auvernier  désignent  le  filet  par  bondéyér. 


LES    NOMS    DES    POISSONS    DU    LAC   LEMAN  2  1 

grava  '  (cf.  frç.  grève),  muni  du  suffixe  également  préroman 
-inca,  que  M.  Muret  a  étudié  avec  tant  de  compétence  dans 
le  Bulletin  du  Glossaire  VII,  24,  et  Rom.  XXXVII,  543  ss. 

2.  bezeiila,  v.  p.  28. 

3.  Il  est  curieux  de  voir  que  le  texte  qui  nous  offre  le  plus 
ancien  témoignage  du  moi  fera  (v.  p.  22)  nous  a  conservé  en 
même  temps  le  nom  palatao  (a.  iito).  En  outre  M.  Forel 
(III.  335)  a  relevé  dans  les  comptes  de  Chillon,  rédigés  à  la  fin 
du  13*^  siècle,  la  mention  de  l'envoi  de  140  palées  [palatae)  ^, 
de  7  ombles  {ambulae)  et  de  1 1  grandes  truites  par  le  châtelain 
de  l'Ile  de  Genève  au  comte  de  Savoie,  résidant  alors  dans  son 
manoir  sur  le  lac  du  Bourget.  Comme  aujourd'hui  le  nom  de 
palée  est  inconnu  sur  les  bords  du  Léman,  l'idée  d'y  recon- 
naître un  autre  nom  synonyme  de  gravenche  est  peu  acceptable  : 
ce  sera  plutôt  le  poisson  du  lac  de  Neuchâtel,  la  palée,  qui  a 
formé  de  tout  temps  l'objet  d'une  pêche  très  active  et  d'un 
commerce  lucratif  entre  Yverdon  et  Genève.  A  Neuchâtel,  tout 
le  monde  connaît  bien  \?Lpalée^  (palée  de  bord,  blanche;  palée 
de  fond, noire)  ;  {]t\.\nQ:petite  palée,  fera, petite  fera);  gibbion^; 
dans  les  villages  allemands  situés  sur  les  bords  du  lac  de  Bienne, 
on  désigne  le  poisson  par  Balche  (fém.)  à  Gléresse,  Balyj  (fém.) 
à  Douanne,  Bauyj  (fém.  1  à  Luscherz  *.  A  Sugiez  (lac  de  Morat) 


'  Il  n'est  pas  rare  de  retrouver  grava  dans  la  formation  d'autres 
noms  de  poissons  :  gravelet  «  vandoise  »  (Metz),  Rolland  III,  142,  gra- 
vier «  cyprinus  amarus  d  (Aube)  ibid.  152. 

-  On  est  assez  surpris  de  rencontrer  le  même  mot  dans  un  acte  éma- 
nant des  archives  de  Zurich  {i}o6)  :  ^oo  palatas  maiores  dictas  tu'ibalche 
{M.  IV,  1193). 

•''  Dans  le  français  local  d'Auvernier  et  de  Marin  (lac  de  Neuch.),  la 
baUy  (Fankh.). 

■*  Seljon  Fatio  V,  243  n.,  le  nom  de  gibbion  s'appliquerait  sans  dis- 
tinction aux  petits  corégones  momentanément  réunis  en  grand  nombre 
et  serait  le  dérivé  de  gibbionner  qui,  en  argot  de  pêcheurs  neuchàtelois, 
signifie  «  pulluler,  frétiller  ». 

■■*  La  Balche  du  lac  de  Bienne  est  mise  en  vente  sur  le  marché  de 
Neuchâtel  sous  le  nom  de  fera  et  ionâelle  !  Le  nom  Balaie,  relevé  par 
Fatio  pour  les  patois  allemands  du  lac  de  Bienne,  doit  être  une  erreur, 
et  le  mot  Balchpfârit  semble  très  peu  usité  dans  la  langue  des  pêcheurs. 


22  J.  JUD 

on  l'appelle  palây^^,  tandis  qu'à  Montilier  (de  langue  alle- 
mande) il  est  nommé  Bal^e  (ni.(?).  Pour  le  lac  de  Neuchâtel, 
les  correspondants  du  Glossaire  ont  en  outre  indiqué  palâyè 
(Vaugondry),  paldy^  (Portalban),  cf.  aussi  /«'/m  (Bridel).  C'est 
à  M.  Schuchardt,  Z.  f.  rom.  Phil.  XXX,  725,  que  revient  le 
mérite  d'avoir  rattaché  pal  aie  au  nom  de  poisson  pelai  ca 
que  Polemius  Silvius  nous  a  transmis  dans  sa  liste  de  poissons. 
Selon  M.  Thomas,  Rom.  XXXV,  186,  pelai  ca  ne  serait 
pas  autre  chose  que  pelagica,  dérivé  de  pelagus  «mer», 
mot  latin  d'origine  grecque.  J'avoue  franchement  que,  vu  le 
caractère  savant  et  la  faible  vitalité  de  pelagus  en  vieux  fran- 
çais, j'hésite  à  admettre  l'existence  d'un  dérivé  dans  une  région 
où  TTs^ayo;  fait  complètement  défaut  -.  Il  conviendra  peut-être  de 
reconnaître  dans  la  palaïe,  comme  dans  la  botidelle  et  la  gra- 
venche  une  base  d'origine  préromane.  M.  Schuchardt  a  rappelé 
l'irl.  pollan,  l'écoss.  powan,  sans  toutefois  se  prononcer  sur  le 
rapport  phonétique  et  morphologique  de  notre  mot  romand 
avec  ses  parents  d'Outre-Manche.  Si  l'on  accepte  l'étymologie 
proposée  pour  hondelle,  comme  «  le  poisson  vivant  et  frayant 
ZMfond  des  eaux  >■>,  on  serait  tout  disposé  à  rechercher  dans  la 
palaïe  le  poisson  qui,  au  contraire,  fait  sa  ponte  sur  la  grève 
ou  sur  le  «  mont  »  du  lac,  où  les  pêcheurs  l'attendent  pour 
l'attirer  dans  un  filet  ancré  au  bord.  Mais  il  serait  sans  doute 
téméraire  de  vouloir  rattacher  \)elaica,OM  ^plutôt  pal aica  (v.  ci- 
dessous),  au  mot  préroman  pala^  qui,  au  sens  de  «  prairie  tra- 
versée de  bandes  de  rocher»,  est  assez  fréquent  dans  la  topo- 
nomastique  alpine  des  Grisons  et  de  la  Provence  ;  cela  ferait 


1  Fromaigeat,  ■Bidktin  VI,  55.  A  Sugiez,  le  filet  à  palées  s'appelle 
paUyÇia,  ibid.  58,  v.  aussi  Liebenau  :  la  paiUaiiia,  p.  120  ;  à  Marin  et  à 
Auvernier,  palèyèr  (frç.  loc.) 

^  Comment  faudrait-il  expliquer  l'évolution  du  sens  de  pelagica  «  ce 
qui  est  particulier  à  la  mer  »,  au  nom  d'un  poisson  vivant  dans  le  lac 
de  Neuchâtel  ?  Pour  les  représentants  romans  d'une  base  pelaica  en 
dehors  de  la  Suisse  romande,  cf.  les  articles  de  MM.  Thomas  et  Schu- 
chardt ;  v.  aussi  Rolland  XI,  202,  208,  231. 

3  V.  V.  Ettmaver,  Gcrm.-Rom.  Monatsschrift  II,  364. 


LES   NOMS   DES    POISSONS    DU   LAC   LEMAN  23 

de  \z.  pal  aie  le  «  poisson  frayant  sur  la  batide  de  rochers  le  long 
de  la  côte  »  ou,  pour  me  servir  de  l'expression  technique  des 
pêcheurs,  sur  la  «  beine  du  lac  ».  Mais  en  attendant  que  les 
recherches  toponomastiques  de  MM.  Muret  et  Fankhauser 
viennent  confirmer  ou  démentir  l'existence  de  pala  dans  les 
noms  de  lieu  de  la  Suisse  romande,  je  me  permets  d'attirer 
l'attention  sur  le  mot  Balc]ien{<,pelàica  avec  recul  de  l'accent 
sur  la  première  syllabe)  de  nos  patois  allemands,  qui,  de  même 
que  la  forme  palatae,  relevée  dans  les  textes,  atteste  la  pré- 
sence de  Va  protofiique  au  moment  où  le  nom  du  poisson  est 
entré  dans  le  vocabulaire  des  pêcheurs  allemands.  Mais,  si 
l'existence  de  palaica  ne  peut  guère  être  mise  en  doute, 
comment  faudra-t-il  interpréter  la  latinisation  d'un  pa/ai'e  dia- 
lectal en  palatae  ?  Avons-nous  affaire  à  une  tendance  des 
notaires  ou  des  scribes  à  forger  machinalement  des  formes 
latines  arbitraires  en  -atae  à  tous  les  mots  patois  en  -aye? 
Q.oxvcaxt'k dzornây)  correspond  diurnatas,il  se  pourrait  qu'ils 
eussent  latinisé /a/ôj'^  en  palatas^ 

II.  coregonus  fera. 
I .  fera  fém.  :  (vaud./<frâ  (Savigny)  ;  genev. /<irà  (Dardagny  )  ; 
frib.  fara,  ferra  (Bridel).  Le  témoignage  le   plus  ancien  du 


'  Voici  du  reste  les  noms  de  la  fera  dans  la  Suisse  allemande  (v.  la 
carte  à  la  fin  de  l'article].  :  Seelen  (Id.  VII,  709),  Heuerling  {Id.  II  1585), 
Midd  {Id.  I,  1102  ;  IV,  84),  Stiiben  (Fatio  V,  116),  Gangfisch  (Id.  I, 
iioo)  (aussi:  Sandgangfisch ,  cf.  la  gravenche),  Kilchen  {Id.  III,  237), 
Bhuling  [Id.  V,  245),  HdgUng  {Id.'u,  1080),  Brienzling  (Id.Y,  646, 
768),  Kropflein  (Fatio  V,  182),  Bratfisch  {Id.  II,  1 105).  —  Parmi  les  mois^ 
d'origine  préromane,  je  rangerais  kamp  «  saumon  mâle  »  (<  cambd's')" 
v.  Jud,  Bulletin  de  dial.  rom.  III,  4  n.  et  Schuchardt,  Z.  f.  roui.  Phil. 
XXX,  719,  renke  «  mâle  de  la  fera  »  {Id.  VI,  1142,  d'origine  gauloise, 
V.  Schuchardt,  Z.  /.  rom.  Phil.  XXX,  719)  et  enfin  alhick,  alpke  {ex 
par  étymologie  populaire  ?)  albock  «  fera  »  (sur  les  bords  des  lacs  de 
Wallenstadt.  de  Thoune  et  de  Brienz,  Id.  I,  185,  et  albiicos,  Liebenau 
47  ss),  qu'on  serait  tenté  de  rapprocher  du  poisson  nommé  ambicus 
dans  le  Laterctihis  ds  Polemius  Silvius  {Rom.  XXXV,  167).  La  liquide  à 
la  place  de  la  nasale  pourrait  être  expliquée  par  l'influence  d'autres  noms 
de  poissons  comme  alhele.  etc.  —  Les  corégones  ont  été  introduits,  il  y 
a  seulement  une  vingtaine  d'années,  dans  les  lacs  subalpins  au  sud  des 
Alpes. 


24  J-  JUD 

mot  se  trouve  dans  un  traité  de  1 150,  selon  lequel  les  chanoines 
de  Sainte-Marie  d'Aoste  donnèrent  au  prieuré  de  Saint- Jean  de 
Genève  l'église  de  Saint-Eusèbe  d'Aoste  moyennant  une  rede- 
vance annuelle  de  deux  setiers  de  vin,  deux  setiers  de  froment 
et  les  gros  poissons  nécessaires  à  leur  réfectoire  :  si  vero  pisces 
grossi  reperiri  non  potiierunt,  pro  ipsis  quinqiiaginta  p  al  at  e 
recipiende  vel  ducente  f  err  at  e  recipiende  persolvende  sunt^. 
Le  même  nom  revient  ensuite  dans  la  liste  de  vente  de  Ville- 
neuve   (1350)  :    ferratarwn  (Forel    334).   Les    chartes  et  les 
comptes  de  dépenses,  publiés  par  M.  Bruchet  dans  son  beau 
volume  Le  château  de  Ripaille,  font  assez  souvent  mention  des 
ferras.  En  T471,  l'administration  qui  pourvoit  au  menu  de  la 
table  ducale   paye   les  pêcheurs    savoyards  :  pro    quihusdam 
grossis  bisolis  et  j  ferrati s...;  ufia /errata,  2  truttelle, 
I  parva  f  errata,  de  bisolis ...:  pro  ^o  ferratis,  einptis  pro 
salsando...:  pro  i  ferrachone  (=  «  fératson  »  ?) ,  j  bisolis 
et  de  serulis...  (p.  318).  A  la  fin  du  16=  siècle,  Jean  du  Villard 
relève  parmi  les  poissons  vendus  au   marché  de  Genève  :  la 
bezole  se  treiive  Jusquâ  dix  livres  et  se  prend  au  profond...; 
les  bezoles,  soit  ferra,  qui  se  prennent  à  la  Bennaz...  (Forel 
331).  Enfin,  fait  important,  le  mot  est  entré  dans  le  dialecte 
des  colons  alamans  établis  depuis  le  9^  ou  10^  siècle  sur  les 
bords  des  lacs  de  Alorat  et  de  Bienne  sous  une  forme  qui  con- 
corde avec  les  témoignages  conservés  par  les  chartes  latines 
du  moyen  âge  :  en  face  du  roman  :  fera  masc.  (Sugiez,  lac  de 
Morat),  les  patois  voisins  de  l'alaman  offrent  :/^rz^  (Montilier, 
ail.)  ;    lac    de    Bienne  pf'àrig   (Gléresse ,    Douanne),    masc.  ; 
pfarit'-  (Liischerz)  masc.  (Ffdrig  au  lieu  de  Pfdrit  par  échange 
du  suffixe  -ig  contre  -it,  rare  ou  inconnu  dans  les  patois  ala- 
mans, v./^.  I,  903,  Liebenau  95, 126).  Ces  formes  font  supposer 


»  Historié  patria  momimenta  II,  271,  Forel  35S  ss.  (Texte  tiré  de 
l'original  des  Archives  de  la  cathédrale  dAoste). 

-  Les  Pfàritnet^e  «  filets  à  feras  »  sont  mentionnés  dans  les  statuts 
des  pécheurs  du  lac  de  Bienne -dès  le  16^  siècle  (cf.  Liebenau  p.  127  et 
Pferit  p.  95,  128. 


LES    XOMS    DES    POISSONS    DU   LAC    LE.\[AN  25 

un  romand  *ferrada^  qui   est  resté  féminin  même  dans  les 
patois  alamans  voisins. 

S'il  n'y  a  aucune  difficulté  à  ramener /t'Va,  Pfàrit  à  la  base 
f errata,  attestée  dès  le  12=  siècle,  on  est  plus  embarrassé  d'in- 
diquer le  rapport  qui  doit  exister  entre  la  f errata  romande  et 
son  pendant /"f/r//^«  de  la  Suisse  allemande'-.  Cette  dernière 
forme  remonte  à  un  type  fer(r)icu  ou  fer(r)acu  ou,  si  l'on 
admet  que  Felchen  a  suivi  aussi  en  v.  h.  ail.  la  flexion  faible  en 
-a  -on,  à  un  type  ferricone  ou  ferracone  (accus.),  dont  l'évo- 
lution phonétique  serait  conforme  au  grec  ■/.•jpia.Y.o-j,  qui  a  abouti 
chez  nous  à  Chilche  en  regard  de  l'ail.  Kirche^.  Mais  quel  est 
le  rapport  morphologique  entre  la  base  romande  fer(  r)ata  et 
le  type  alaman  fer(r)acu?  Deux  hypothèses  sont  possibles: 
I.  La  forme  romande  ferrata  représente  un  type  plus  primitif 
ayant  aussi  vécu  à  l'origine  sur  les  rives  du  lac  de  Constance, 
où  son  suffixe  -ata  aurait  été  remplacé  (sous  l'influence  de 
Balchen  <  palaica?)  par  -acu  ou  -icu^,  fréquent  surtout  dans 
les  noms  d'animaux  (cf.  Elch  <  ahd.  ëlaho,  Bilch  <  ahd. 
bilih:  Lerche  <lêrahha,  Kranich  <  ahd.  chranih,  etc).  II.  La 
forme  allemande  Felchen  serait  plus  voisine  du  type  primitif. 
De  même  que  pelaica  ou  palaica  a  abouti  à  Balchen  et  à  la 
pal  aie  romande,  un  iy^t  ferraica  aurait  évolué  \Qr?,felche  alle- 


'  Pour  l'évolution  phonétique  de  ferrada  >  PJàrrit,  v.  Solodurum 
>•  Solothurn,  Sedunum  >•  Sitten,  Rhodanu  '^Rotten,  fruda  "^  fiirt 
et  pour  la  chute  de  l'-a,  v.  en  dehors  de  fruda  ^  fritt,  aestiva 
>■  L'Etivai  (FfàHa)  (Vaud),  qui  réapparaît  dans  les  villages  voisins  du 
canton  de  Berne  sous  la  forme  de  Lessi  (Ablcntschen)  et  Lessi  (Gsteig)  ; 
Gêna  va  dont  la  forme  dialectale  à  Berne  était  jw//;  Hauterive  (Fri- 
bourg)  Alta  ripa,  pat.  utarUva,  dans  le  dialecte  ail.  du  village  voisin 
de  Saint- Sylvestre  aîbnf,  etc.  (Je  dois  une  partie  des  matériaux  topo- 
nomastiques  à  l'obligeance  de  mon  collègue  M.  Fankhauser.) 

-  Felchen  est  surtout  employé  sur  les  bords  du  lac  de  Constance. 

■*  Uld.  I,  800  cite  la  forme  bavaroise  Ferch  qui,  d'après  une  com- 
munication de  M.  Bachmann,  rédacteur  en  chef  de  VIdiotikon,  repose 
sur  une  erreur  :  Ferch  doit  être  une  formule  dialectale  pour  forelle 
[ferchna,  cf.  Kluge,  s.  v.). 

*  La  substitution  du  suffixe  s'est  répétée,  comme  nous  l'avons  cons- 
taté, à  une  époque  relativement  récente  dans  Pfarrit  >  Pfârig  (v.  p.  24). 


26  J.  JUD- 

mand  et  *  ferait  des  patois  vaudois  et  genevois.  En  effet,  un 
texte  de  la  fin  du  i2«  siècle  nous  offre  le  passage  suivant: 
pisces  qui  diciintur  romana  lingiia  feraies^  {Mém.  et  Doc. 
XVIII,  388),  qui,  à  première  vue,  correspondrait  phonétique- 
ment à  la  palaie  du  lac  de  Neuchâtel.  Mais  il  reste  à  écarter 
une  grave  difficulté  :  c'est  le  passage  phonétique  d'un  type 
*feraie  à  la  forme  actuelle  fera.  Dans  son  article  :  Encore 
vianducatum^manducaiam(Roin.  XXVII,  270  ss.),  M.  Gauchat 
a  démontré  que,  dans  nos  patois,  le  résultat  régulier  d'-ata  est 
-à,  tandis  que  -aie  est  d'importation  française  relativement  ré- 
cente ;  cette  manière  de  voir  est  fortement  appuyée  par  les 
noms  de  lieu  tels  que  strata,  prata  qui  aboutissent  régulière- 
ment à  Estraiz),  La  Pra{z).  Les  formes  actuelles y>W7  exigent, 
d'après  la  phonétique  régionale,  un  type  f errata  et  semblent 
exclure  *ferraica,  à  moins  qu'on  ne  veuille  admettre  qu'à 
l'époque  où,  dans  certains  patois  vaudois  (p.  ex.  de  Lausanne) 
on  hésitait  entre  dzornaye  et  dzorna  (  <  diurnata),  les  patoisants 
auraient  refait  de  *feraies-,  par  fausse  analogie  ^  une  forme 
fera.  Je  n'ai  aucune  hypothèse  plausible  à  présenter  sur  l'ori- 


'  MM.  Gauchat  et  Fankhauser,  avec  qui,  à  plusieurs  reprises,  j'ai 
discuté  la  question  de  -ata  dans  nos  patois  romands,  préféreraient  voir 
àâns  feraies  le  résultat  régulier  d'un  pluriel /«Ta/a5  >-/t'?Ta?V^  en  regard 
de  ferrata  >•  fera.  M.  F.  s'est  chargé  d'examiner  sommairement  en  vue 
de  l'histoire  d'-ata  dans  les  patois  romands,  les  formes  des  noms  de 
lieu  conservées  dans  les  chartes  qu'a  publiées  Gremaud  dans  ses  Docu- 
ments relatifs  à  l'histoire  du  Vallais  1895  ss.  Voici  le  résultat  de  ses 
recherches.  Le  nom  de  lieu  Planta,  près  de  Sion,  revient  en  1244  sous 
les  graphies:  Planlaes  {■<C.  Plantatas ,  Grem.  I.  377)  ;  Plantayes  (1318, 
Grem.  II,  290),  P/rt»/a/w  (1339,  Grem.  IV,  237),  Plantayes  {i^-^f),  Grem. 
IV,  240).  Un  certain  Andréas  de  Pratis  des  environs  de  Loèche  apparaît 
tantôt  comme  Andréas  Prayes  (Grem.  VI,  204)  tantôt  comme  Andréas 
Praes  (Grem.  VI,  332). 

^  A  Sugiez  (lac  de  Morat),  le  filet  pour  prendre  les  feras  s'appelle 
férèyïr,  cf.  Fromaigeat,  Btilletin  du  Gloss.  VI,  58. 

^  Comme  prattim  a  donné  prû,  *pratas  par  contre  praies,  on  pour- 
rait supposer  que  d'après  ferraies  plur.  on  aurait  reconstruit  un  singulier 
analogique  ferra. 


LES    NOMS   DES    POISSONS    DU    LAC   LEMAN  27 

gine  du  radical /^rr-.  On  serait  tenté  de  penser  à  un  dérivé  de 
ferrum,  mais  un  type  *ferraica  ou  *ferrata  «  poisson  gris 
de  1er»,  admissible  au  point  de  vue  du  sens  (v.  hezola)  n'est 
guère  probable  au  point  de  vue  de  la  morphologie;  fario\ 
attesté  dans  le  poème  Mosella  d'Ausone,  n'est  pas  non  plus 
satisfaisant,  parce  que  le  mot  désigne  une  espèce  de  saumon  et 
que  les  patois  romands  et  alamans  s'accordent  pour  postuler 
une  base  fer(r).  —  L'idée  de  mettre  à  la  base  à.Q  fera  le  mot 
préroman  qui  continue  à  vivre  dans  le  valais,  fàro,  fèro  (Val 
de  Bagnes)  «  dalle,  pierre  plate  »,  se  heurte  à  la  difficulté  réelle 
que  notre  poisson  ne  fraie  pas  sur  le  sable  ou  les  dalles  le  long 
de  la  côte,  mais  bien,  contrairement  à  ce  que  fait  la  gravenche, 
sur  le  sable  ou  le  limon  du  fond,  assez  souvent  à  cent,  voire 
même  deux  cents  mètres  de  la  surface  (Fatio  V,  249). 

2.  Le  nom  de  Xd.  fera  est  en  train  de  remplacer  son  concur- 
rent autrefois  redoutable  des  bords  du  lac  Léman-  besole  qui, 
comme  M.  Bruchet  l'a  démontré,  s'applique  non  seulement  à 
deux  types  du  genre  des  corégones,  mais  aussi  à  l'ablette. 

a)  Les  pêcheurs  savoyards  appelaient  autrefois  besole  le 
poisson  connu  aujourd'hui  sous  le  nom  àt  féra^ : pro  pedagio, 
pro  quolibet  cento  ferr at aru7n  seu  bi solartun.  (Bruchet  596). 

b)  Aujourd'hui  encore,  les  pêcheurs  savoyards  désignent 
par  la  bezole,  bezeule,  bezule^,  le  «  coregonus  hiemalis  »,  connu 
sur  la  côte  vaudoise  sous  le  nom  de  gravetiche.  Comme  ce  der- 
nier nom  n'apparaît  jamais  dans  les  documents  de  Ripaille, 
nous  avons  peut-être  le  droit  d'identifier  la  bisola  avec  la  gra- 


'  L'éditeur  de  la  Mosella  dans  les  Mon.  Geint,  hist.  Aiicl.  Antiquisa. 
V,  p.  86,  v.  130,  n'a  pas  admis  la  leçon /c/n'o  qu'il  a  remplacée  parcelle, 
des  autres  mss.  sario.  Mais  cf.  l'article  de  Much,  Z.  fur  deittsches  AUer- 
tiim  XLII,  166. 

-  ferrât  a  seu  bis  al  ce  (Bruchet  596).  Le  syndic  Jean  du  Villard  connaît 
be:{ole  et  fera  comme  appellations  du  même  poisson  (cf.  Bridel  :  besaiila, 
hessola,  bessuïa  '(ferra»);  besolon  «  petite  fera»  (Gloss.  ms.  de  Dumur). 

•'  V.  ci-dessus  p.  24,  et  à  la  p.  318  nous  lisons:  pro  dimidio  quartero- 
nortini  honaritm  bisolaruin...  ;  pro  6  bisolts...,  2  bisolis  récent ibu s..., 
ùro  I  anibone,  12  bisolis 


28  J.  JUD 

venche  toutes  les  fois  qu'elle  figure  seule  dans  les  comptes  de 
dépenses.  Jean  du  A-^illard  distingue  nettement  entre  la  gra- 
venche  et  la  besole  ou  ferra  dans  sa  liste  de  poissons  vendus  au 
marché  de  sa  ville  natale  ^ 

c)  Enfin  bezeula  est  aussi  le  nom  de  l'alburnus  lucidus,  c'est- 
à-dire  de  l'ablette  commune. 

Ensuite,  il  est  curieux  de  constater  que  la  mouette  porte  sur 
les  bords  du  lac  Léman  les  noms  de  bezolet,  bejii,  bezu,  bedzu, 
besutchet  (Bridel),  besolet  «  hirondelle  de  mer  »  (Const.  et  Dés.), 
que  je  ne  saurais  séparer  du  nom  savoyard  de  la  gravenche, 
que  nous  venons  de  rappeler.  Si  la  même  base  peut  s'ap- 
pliquer à  un  poisson  et  à  un  oiseau,  il  faudra  admettre  un  trait 
caractéristique  commun  à  tous  les  deux  :  la  coloration  de  la 
fera  ou  de  la  gravenche  est  d'un  gris  olivâtre  ou  vert,  et  de 
même  la  mouette  adulte  possède  un  plumage  d'hiver  dont  le 
manteau  et  les  tectrices  alaires  sont  d'un  cendré  clair  ".  De  plus, 
le  français  possède  l'adjectif  bis  «  gris  sombre,  gris  brun  »,  dont 


'  Les  variétés  de  corégones  du  lac  du  Bourget  sont  :  i"  la  besoule^ 
beioule,  he^euJe  (Fatio  V,  268,  et  Brochet  596),  noms  qui  nous  sont 
attestés  dès  le  16^  siècle  sous  la  forme  de  bisde,  be\oh,  hi-{ola  dans  des 
textes  savoyards  relevés  dans  le  volume  de  M.  Bruchet.  2° Le  lavaret 
(cf.  aussi  lavaron,  Rolland  IH ,  128)  qui  doit  être  identifié,  selon 
M.  Schuchardt,Z./.  rom.  Phil.  XXX,  722,  avec  le  le  va  r  ici  nu  s  relevé 
dans  le  Latercuhts  de  Polemius  Silvius,  forme  sans  doute  altérée  à  la 
finale  par  le  copiste.  Comme  le  îavarel  fraie  sur  la  beine  et  sur  le  gravier 
du  lac,  à  peu  de  profondeur  sous  l'eau,  on  pourrait  supposer  que  le 
radical  de  Icvaricinits,  ou  peut-être  mieux  *lavaricinus,  renferme  la  base 
lava  «couches  de  pierres  très  polies»,  si  répandue  dans  les  patois 
alpins,  cf.  Nigra,  Arch.  ijlott.  it.  XIV,  284  ;  XV,  488  ;  Meyer-Lùbke, 
Z.  /.  rom.  Phil.  XXIH,  473  ;  jura  :  laves  «  couches  superficielles  des 
bancs  calcaires  qui  forment  le  premier  plateau  du  Jura  »  [Annuaire  du 
Dép.  du  Jura  1840,  308). 

-  Des  noms  d'oiseau  reviennent  souvent  dans  la  terminologie  des 
poissons  :  palumba,  palumbo  désigne  à  Gênes  le  »  chien  de  mer  » 
(Rolland  in,  84);  cf.  arendoula  «hirondelle»  à  Nice  pour  le  poisson 
volant  (Rolland  III,  153  n.  2)  ;  acce/a  «  bécasse  »  >  bordel,  assêe,  prov. 
mod.  assêi^e,  scjo  «  vandoise  »,  cf.  Thomas,  Mélanges  2,  Rom.  XXXM, 
255  et  Schuchardt,  Z.  f.  rom.  Phil.  XXVI,  405. 


LES    NOMS    DES   POISSONS    DU   LAC   LÉMAN  29 

les  dérivés  désignent  divers  oiseaux:  hizet  «pigeon  sauvage  de 
couleur  grise  »,  biset  te  «  nom  vulgaire  de  la  macreuse,  à  cause 
de  son  plumage  gris  foncé  ».  (v.  Dict.  gén.  s.  v.  et  Mistral,  s.  v.). 

La  bisola  des  textes  du  moyen  âge  correspondrait  par  con- 
séquent à  un  type  *bombyciola,  dérivé  de  (bom)byciu 
(>  bis{e)^,  qui  aurait  servi  à  dénommer  aussi  bien  le  poisson 
que  l'oiseau. 

En  résumé,  il  me  paraît  presque  certain  que  les  noms  de  la 
/c'ra  {Felcheii)  et  de  la  palce  {Balc/ien)  remontent  à  l'époque 
où  tout  le  plateau  suisse  parlait  la  même  langue  latine  ou  même 
encore  le  gaulois  :  il  me  paraît  probable,  sinon  sûr,  que  la  gra- 
venche  du  Léman,  la  bondelle  du  lac  de  Neuchâtel  et  le  lavaret 
du  Bourget  sont  également  d'origine  prérotnane^  et,  si  notre 
essai  d'explication  est  admis,  seul  le  terme  hesole  serait  dérivé 
d'un  mot  latin  de  provenance  grecque  {bombyciii). 

Les  noms  de  la  tanche,  de  la  chevaine,  de  la  truite  et  du  bro- 
chet ne  donnent  lieu  qu'à  très  peu  de  remarques. 

Le  latin  tinca,  d'origine  incertaine  (v.  Walde,  s.  v.),  est 
représenté  dans  nos  patois  sous  la  forme  tintsd  (vaud.  frib. 
genev.  val.),  //«/r^^  (Brévine,  Neuch.),  tantch'  (Charmoille,  Jura 
bernois),  sav.  tençhe  (Const.  et  Dés.)^  anc.  genev.  tenche 
(du  Villard,  Forel  332),  liste  de  Villeneuve  :  tenchie  [génitif] 
(Forel,  334). 

La  chevaine,  «  squalius  cephalus»,  se  retrouve  dans  nos 
patois  sous  les  appellations  tsèvenou-no  (vaud.  frib.)  tchavoin.ne 

'  Pour  l'étymologie,  en  dernier  lieu,  Horning,  Z.  /.  rom.  Fini. 
XXVII,  347,  et  pour  d'autres  noms  de  poissons  dérivés  de  his,  v.  une 
note  de  M.  P.  Barbier  fils,  Rev.  des  l.  rom.  LI,  588.  Enfin  Mistral  relève 
biset  «  mâle  de  la  grenouille  reconnaissable  à  sa  couleur  brune  ». 

-  V.  aussi  renke,  kavip  et  albick,  p.  23  n. 

^  Sur  la  diflfusion  de  tinca,  v.  Rolland,  III  145,  néerl.  tinke,  Kluge, 
Pauls  Grundrissl  -336,  sic.  tenga,  tenchia,  Salvioni,  Memorie  deU'Istitiito 
lombarde  XXI,  270  n,  et  Thomas,  Rom.  XXXV,  191.  —  Le  nom  qui 
correspond  à  la  tanche  dans  la  Suisse  allemande  est  ScbkilJe,  v.  Grimm, 
H'^tb.  der  deutscben  Spi-ache,  s.  v. 


30  J.  JUD 

fém.  (Charmoille,  Jura  bernois),  d-avann^  (genev.),  chavenne, 
i-^«é?//(Neuchâtel[Bridel]),  senef{\z.c  Noir,  Fribourg)  selon  Fatio 
IV,  559Sanc.  genev.  chaz'entjoz  (Forel  331),  taxe  de  Villeneuve 
chevenorum  [génitif]  (Forel,  334),  qui  reflètent  la  base  latine 
capitine  qu'a  reconstituée  M.  Thomas',  Essais,  261-264. 

Le  latin  tructa,  d'origine  incertaine,  est  représenté  par  tous 
nos  patois.  Le  type  régional  vaudois  est  traits  ^  (d'où  résultent 
trdt?,  tràtd),  puis  troaitd,  trouaits  ;  trouaita  nous  est  attestée 
pour  Dardagny;  frib.  trata,  trcta;  frib.  trèt^  (Sugiez,  Fankh.); 
truts  (neuch.j,  trèt  (Jura  bernois);  trouitJ,  truit9 ,  troaits 
(valais.);  Bridel  donne  trotta,  traita;  la  Savoie  offre  trw'etd 
(Const.  et  Dés.)  ;  du  Villard  recommande  la  «  petite  truite 
jusqu'à  une  ou  deux  livres»  (Forel  331)'  '^^.xe  de  Villeneuve: 


'  Selon  Fatio  IV,  559,  le  même  poisson  porterait  dans  le  fribourgeois 
le  nom  de  vantonse,  qui  est  aussi  enregistré  par  Bridel  s.  veintousa 
«  meunier,  vulgairement  chevesne.  C'est  aussi  le  nom  d'un  des  cyprins 
du  lac  Noir  ».  Comme  le  poisson,  de  l'avis  de  M.  Fatio  IV,  573, 
n'est  pas  indigène  dans  ce  lac,  il  n'est  guère  douteux  que  son  nom  n'ait 
été  importé  en  même  temps  que  l'objet  :  ce  sera  l'anc.  frç.  :  ventoise 
(cf.  Rolland  III,  142),  le  frç.  mod.  vandoise  (cf.  Rom.  XXXVI,  92-93 
vendesia  v.  Ducange  s.  v.),  dont  l'étymologie  reste  obscure. 

-  Cf  aussi  Lorck,  Althergam.  Spracbdenhnaler,  217;  Salvioni,  Rovi. 
XXXVI,  238;  Schuchardt,  Z.  /.  rom.  Phil.  XXXIII,  83  ;  Rolland  III, 
145  ;  Fatio  IV,  559.  Const.  et  Dés.  relèvent  un  frç.  provinc.  chavassoti, 
dont  la  formation  a  été  examinée  par  M.  A.  Thomas,  Mélanges,  50. 
—  D'après  les  matériaux  donnés  par  les  correspondants  du  Glossaire, 
le  nom  de  la  chevaine  semble  s'appliquer  aussi  au  chabot  ou  au  barbeau 
dans  le  Jura  bernois.  —  Dans  la  Suisse  allemande,  le  même  poisson 
est  appelé  Alet,  Alat  {Id.  I,  171)  et  Dobeî  selon  Fatio  IV,  559. 

•'  Pour  les  noms  spéciaux  des  variétés  nombreuses  de  la  truite, 
v.  Fatio  V,  525  ;  v.  aussi  un  passage  de  Grégoire  de  Tours,  qui  vante 
l'abondance  des  truites  du  lac  Léman,  Liebenau.  15. 

^  Ce  même  turtu  r  —  qui  déjà  en  latin  désigne  un  poisson,  v.  Corp. 
gloss.  lat.  :  turttir  :  Tçvyùv  «  sorte  de  raie  »  —  revient  dans  les  docu- 
ments de  Ripaille  (p-.  503,  a.  1435-37):  Libravit  die  eadem  pro  expensis 
ibidem  factis,  tam  pro  panateria,  botellieria  quam  coquinn  ultra  600  parus, 
unum  tiirtiir  de  provisione  Morgie  et  unum  bar  raie  vin  i...  (v.  aussi  p.  316, 
a.  1391)  :  après  avoir  énuméré  divers  poissons  :  et  8  gross.  turturibiis 
onptis  a  piscatoribus...  (p.  599  s.  bisola):  petiant   tiirturis  seii  triiycte 


LES   NOMS    DES   POISSOXS   DU   LAC   LEMAN  3I 

turteris*'  seu  truyt  (Forel  334) ^  Il  paraît  qu'il  faut  distinguer 
deux  bases:  truc  ta,  qui  aurait  donné  traite,  trètt  (cf.  anc. 
prov.  irocha,  galic.  troita,  it.  trota,  alban.  trofte)  et  trûcta, 
qui  a  abouti  au  franc,  truite,  importé  à  une  date  relativement 
récente  dans  nos  régions  ;  truito,  trouite  ne  seraient  pas  autre 
chose  que  des  formes  empruntées  au  français*. 

Le  nom  latin  du  brochet  était  lucius,  représenté  dans  le 
vieux  provençal  par  lutz  et  par  l'ancien  français  /«s*,  ce  qui 


recenlis...  où  l'éditeur,  M.  Brochet,  propose  de  reconnaître  le  nom  de 
la  truite. 

'  Dans  les  actes  du  château  de  Ripaille,  on  rencontre  triiiiella, 
truttelk  (p.  318,  a.  1471),  triiytes,  truytia  (p.  316,  a.  1391J. 

-  V.  pour  les  autres  formes,  Rolland  III,  129;  Schrader,  Reallexikon, 
252  s.  Forelle  ;  alsac.  troit  Urtel,  Rev.  de  dial.  rom.  I,  9  ;  forez,  troeyte 
Philipon,  Rom.  XL,  11  ;  Val  Soana  :  trujla,  Nigra,  Arch.  ghtt.  it.  III, 
14,  anc.  berg.  Iroyta,  Lorck,  AUherg.  Sprachdenkm.  148,  etc.  Sur  trûcta 
et  tnicta,  v.  Meyer-Lùbke,  Z.  Ji'ir  jrati:^.  Sprachc  n.  Litt.  XX,  66,  et 
Horning,  Litbl.  f.  ^cnn.  u.  rom.  Pbil.  1900,  291.  —  Les  patois  de 
la  Suisse  allemande  offrent  :  Forelle  {Id.  I,  935)  et  Ammele  (I,  217), 
V.  encore  Fatio  V,  326.  Les  dialectes  tessinois  offrent  :  truta,  trutèla 
(Monti)  ;  le  Val  de  Poschiavo  et  le  Val  Mustair  (Grisons)  ont  aussi 
frilla,  dont  la  forme  est  bien  curieuse  si  on  lui  attribue  l'origine  alle- 
mande (v.  Kluge  s.  Forelle)  ;  frilla,  qui  dans  le  Val  Mustair  semble 
désigner  non  la  truite,  mais  de  tout  petits  poissons  vivant  dans  les  eaux 
marécageuses  (rotengle?),  trouve  son  pendant  dans  le  mot  tyrolien 
pfrillen  (Schneller,  Rom.  Folksmd.  273  et  Kluge  Pauls  Grundrissl  ■542), 
qui  est  d'origine  incertaine.  Fatio  V,  325,  connaît  en  outre  pour  les 
Grisons /ort'//a  colschna  (v.  aussi  Pallioppi,  Deutsch-Romanisch  s.  Forelle); 
silt  «  variété  de  truite  argentée  »,  qui  doit  être  emprunté  aux  patois 
alamans,  quoique  ce  sens  du  mot  me  soit  inconnu  dans  la  Suisse  alle- 
mande; litgiva  (Carisch.  Carigiet),  surselv.  lik'iva,  laFiva  (de  Sedrun 
jusqu'à  Ems),  d'origine  incertaine  ;  haut-engad.  marok\  .sDiarÇk' 
(Melcher)  «truite  vulgaire  à  grosse  tête»  que  Pallioppi  rapproche  de 
marocc  <(  rebut  »  (?).  Par  contre,  le  surselv.  scariin  «  trotta  grossa  ^■> 
(Ascoli,  Arch.  ghtt.  it.  VII,  4 10)  ne  désigne  pas  la  truite,  mais  le  sau- 
mon  (Melcher;  à  Ems:  rilanka,  et.  Id.  III,  1343)  ;  c'est,  comme  Ascoli 
l'a  bien  vu,  un  dérivé  de  scarus  (it.  ven.  scaro,  sic.  scaru,  scauru, 
Salvioni,  Pastille  274  et  Schuchardt,  Z.f.  rom.  Phil.  XXX,  728). 

•'  L'anc.  frç.  lui  "'^^^^  ?^^^  populaire  aujourd'hui  dans  les  dialectes 
de  la  France,  s'il  est  permis  de  se  baser  sur  les  informations  de  Rolland 
III,  154;  Godefroy  relève  la  dans  l'île  de  Guernesev.  Cf.  pour  le  mot 
A.  Thomas,  Rom.  XXXIV,  194. 


32  J.  JUD 

ne  permet  pas  de  conclure  l'existence  du  mot  latin  dans  la 
Suisse  romande.  Il  paraît  beaucoup  plus  probable  que,  dans 
certaines  parties  de  la  Gaule  romane,  le  nom  latin  n'a  jamais 
réussi  à  supplanter  le  vieux  nom  indigène  —  peut-être  pré- 
roman —  de  notre  poisson:  hrocJiet,  brotsè  {yâ.nà.AxS^.'),  brotche 
(neuch.),  hrotzef,  brotchet,  «  esox  lucius  »  (Bridel),  val.  brosë, 
qui  se  rattachent  tous  à  une  base  brocc(a)  -)-  ittu  «pointu  » 
—  le  brochet  a  la  tête  écrasée  en  avant  en  guise  de  bec  de 
canard  '  —  qui  a  laissé  une  postérité  nombreuse  dans  les  par- 
1ers  gallo-romans  :  frç.  broc  (vaud.  brotzei)  «  vase  à  bec  », 
broche  «  tige  de  fer  pointue  à  l'une  des  extrémités  qu'on  passe 
à  travers  une  pièce  de  viande  »  (cf.  vaud.  brotze  «  grande  che- 
ville en  bois  traversant  le  centre  de  la  cible  et  la  fixant  au 
poteau  »),  anc.  prov.  broc  «  épine  »  (cf.  vaud.  brotze  «  aiguille 
à  tricoter)  »  etc.  D'après  les  matériaux  que  nous  fournissent  les 
réponses  des  correspondants  du  Glossaire  romand  et  les  témoi- 
gnages des  documents,  il  paraît  que  /^rV^^/"  jouissait  autrefois 
d'une  plus  grande  popularité  sur  les  bords  du  Léman  :  vaud. 
frib.  bètsc,  bétsc  (Sugiez  :  bétsé^  (diminutif)  bétsàla^gtnQv.  hetset 
(Bridel),  dérivé  de  beccu  (frç.  bec),  d'origine  gauloise.  Dans 
les  comptes  pour  la  table  ducale  de  Ripaille,  on  lit  sous  la  date 
du  8  déc.  1391  :  So  bechetis...,86  bechetis;  le  syndic  du  Villard 
cite  pour  Genève  en  1581  :  le  béchet  (Forel,  331)  et  dans  l'ex- 
trait d'un  acte  de  1622,  figurant  parmi  les  matériaux  du  Glos- 
saire des  patois  de  la  Suisse  romafide,  trois  pêcheurs  de  Rolle 
promettent  au  Conseil  Ide  Lausanne?]  de  livrer  aux  bourgeois 
et  habitants  la  livre  de  truite  pour  14  s.  et  celle  de  béchet 
pour  7  s..,.  ^ 


*  Selon  le  dict.  manuscrit  de  Moratei,  le  brochet  serait  aussi  nommé 
vioiiar  de  horra  «museau  de  canard  ». 

-  Cf.  Rolland  III,  13J,  anc.  frç.  hcchet,  et  Schuchardt,  Z.  /.  rom. 
Phil.  XXX,  718. 

•''  La  taxe  de  Villeneuve  présente  le  nom  liicU  [génitif],  qui  est  sans 
doute  la  forme  savante  du  notaire  qui  savait  mettre  en  valeur  ses  con- 
naissances latines.  Les  textes  du  château  de  Ripaille  offrent  aussi  un 


LES   NOMS    DES   POISSONS    DU    LAC   LÉMAN  33 

Il  nous  reste  à  examiner  les  noms  de  la  perche,  du  rotengle, 
du  gardon  et  de  X ombre-chevalier . 

Pour  la  perche,  perça  fluviatilis,  on  rencontre  dans  la  Suisse 
romande  deux  noms  : 

1.  pèrts3  (vaud.  frib/  genev.)  S  piertch  (Charmoille),  anc. 
gQntw.  perche  (du  Villard)-;  -et,  pertsèta  (jeunes)  [frib.  vaud. 
genev.],  pèr/sÇ/a  (Sugiez)  «  petite  perche  ». 

2.  doya,  bolya  (vaud.),  boita,  bohlla  (Bridel),  bolyq  (genev., 
Hermance). 

L'étymologie  du  premier  est  claire,  c'est  le  latin  perça, 
tandis  que  l'origine  de  bolya  reste  incertaine  *. 

Les  jeunes  perches  s'appellent  :  1°  milcanton  (vaud.  frib. 
neuch.),  qu'on  serait  tenté  d'interpréter  comme  alevins  four- 


ambone  (p.  318)  que  M.  Bruchet  identifie  dubitativement  avec  le  brochet. 
—  Les  patois  de  la  Suisse  allemande  offrent  :  Hecht  (Id.  11,981),  Schnà- 
Ivli  (jeune)  Fatio  V,  420,  et  les  parlers  tessinois  nous  ont  conservé  lu^, 
lusc  (Monti). 

■  Les  habitants  d'Estavayer  ont  pour  sobriquet  :  les  Pertsets  et  ceux 
de  Riez  le  surnom  :  les  holhai,  v.  note  4. 

-  La  taxe  de  Villeneuve  (1380)  latinise  le  mot  patois  sous  la  forme 
curieuse  de  perticarum  (Forel  334):  d'où  il  faut  conclure  que  dés  le 
14e  siècle  pertica  et  perça  ont  donné  le  même  résultat  phonétique  dans 
le  dialecte  de  Villeneuve. 

■'  V.  une  belle  monographie  de  M.  Hofer,  Der Barsch,  Beilage  n"  22 
du  no  I  du  t.  IV  de  la  Schw.  F.  Zfg. 

*  On  serait  tenté  de  postuler  un  type  bocula,  dérivé  de  boca  (/Jùif), 
mais  hoca  désigne  le  spams  boops  qui.  à  ce  que  je  sais,  n'offre  pas  de 
grande  ressemblance  avec  notre  poisson  (cf.  Rolland  III,  171,  et  Pieri, 
Z.  /.  rom.  Pbil.  XXVII,  586).  Le  texte  de  la  carte  du  syndic  Villard 
nous  apprend  que  «  la  perche  se  treuve  jusqu'à  cinq  livres  et  est  en 
sa  saison  au  mois  de  Janvier.  En  Sebtembre  la  ferche  s'apelle  boitât,  est 
bonne  au  dit  mois.  »  (Forel  331.)  La  holia  ne  serait  donc  qu'un  nom 
spécifique  de  la.  perche  à  un  moment  donné  où  elle  est  sans  doute  bonne 
à  manger  ;  dès  lors,  on  pourrait  se  demander  s'il  n'est  pas  permis  de 
reconnaître  dans  notre  bolya  le  même  mot  qu'ont  enregistré  Const.  et 
Dés.  :  bolyà  »  jeune  mouton  ou  cochon  gras  et  rond  »,  bolyo  «  homme 
trapu  »  que  M.  Jeanjaquet  est  incliné  à  rattacher  à  bolyy  «  ventre,  panse  »  ; 
ce  serait  la  perche  bien  grasse  à  l'époque  où  elle  se  retire  de  la  région 
littorale  sur  les  bords  des  «  monts». 


34  J-  JUD 

millant  dans  tous  les  coins  (cantons),  le  long  de  la  place  du  frai 
de  leurs  parents  *  ;  2°  viva  (vaud.,  Fatio  IV,  14,  Bridel  [Vevey', 
Dumur),  genev,  (Cris  de  Genève,  cf.  Blavignac,  Eviprô  p.  201).. 
qui  s'applique  aussi  bien  à  la  loche  qu'à  la  perchette  ;  il  serait 
le  féminin  de  vivus  (frç.  vive),  parce  que  les  petites  perches  sont 
d'une  grande  vivacité;  3^' jolerie  (Fatio  IV,  \^),jhola  «jeune 
fera»  (Hermance),  cf.  Bruchet,  606;  Joulleri,  djoulleri  «blan- 
chaille, menu  poisson,  fretin»  (Bridel)',  pour  lequel  je  ne 
connais   pas    d'étymologie    satisfaisante  ^  ;    4°    bi'andenailles 


'  niilkeinton  (Bridel),  vaud.  milkanlon  (Vallorbe),  anc.  genev.  tiiille- 
canton  (du  Villard,  Forel  332).  M.  F. -A.  Forel,  dans  la  Galette  de  Lau- 
sanne, no  du  28  juillet  1902,  constate  que  dans  un  acte  bernois  de  1723 
le  mille-cantons  est  désigné  par  Taiisend  Mccodeli,  nom  qui  revient  même 
dans  une  ordonnance  sur  la  pêche  du  lac  de  Morat  en  141 1  sous  la 
forme  de  Tausend  magetli  «  mille  jeunes  Hlles  ».  De  plus,  les  prières  d^ 
table  de  l'évêque  Ekkehard  IV  de  Saint-Gall,  à  la  fin  du  106  siècle, 
offrent  l'invocation  suivante  :  millia  coctorum  henedic  dee  piscimloriim 
«  ô  Dieu,  bénis  les  mille  petits  poissons  cuits!  »  («  Gott,  segne  uns  die 
tausend  Backfische  !  »).  Le  mot  latin  mille-coctoruni  aurait  abouti  par 
évolution  phonétique  —  qui  offre  de  sérieuses  difficultés  —  à  mille- 
couetor  -coneintor  -coiieinton  -keinton  -canton,  tandis  que  millia-coctorum 
ou  son  produit  patois  aurait  été  traduit  en  allemand  par  Backfische  ;  ce 
dernier  mot  offrant  un  double  sens,  aurait  été  remplacé  par  Mai^dehin. 
Je  me  borne  à  mentionner  cette  ingénieuse  étymologie,  bien  que,  pour 
des  raisons  d'ordre  phonétique  et  chronologique,  elle  me  semble  peu 
probable. 

-  Le  syndic  du  Villard  relève  dans  sa  liste  de  poissons  :  «  la  jolerie 
sont  petites  perches  de  la  longiteur  du  doigt,  est  sa  saison  m  Juin  »  (Forel 
351).  Dans  les  registres  des  dépenses  de  Ripaille,  on  retrouve  par  deux 
fois  :  janlai  (Bruchet  318,  a.  147 1).  Enfin,  Fatio  V,  245  indique  comme 
nom  de  la  jeune  fera  :  loiiland,  mot  dont  la  formation  ne  m'est  pas 
tout  à  fait  claire. 

••  M.  P.  Barbier  fils,  dans  un  article  de  la  Rev.  des  l.  r.  LXIV,  168 
{d.  aussi  Rev.  de  dial.  rom.  I,  438),  examine  une  série  de  vocables  qui, 
au  point  de  vue  phonétique  se  rapprochent  bien  de  notre  mot,  c'est /o/ 
(Gard,  Hérault),  «goujon  »  (Rolland  III,  147),  joell  «  atherina  »  (Pyré- 
nées-orientales). Mais  l'étymologie  oculus ,  qu'il  propose,  ne  saurait 
convenir  ni  aux  formes  méridionales:  hngueà.  jol,  Juol,  juel,  jiiiel,Jiivel 
(Mistral),  —  v.  aussi  la  carte  œil  de  l'Atlas  lingtiislique,  —  ni  î\.  jaula^, 
johrie  de  la  Suisse   française.  Dans  le  Laterciilus  de  Polemius  Silvius 


LES    NOMS    DES   POISSONS   DU    LAC   LÉMAN  35 

«  petites  perches,  fretin,  blanchaille  »  (Bridel,  Const.  et  Dés.  ; 
Fatio  V,  14,  offre  une  variante  (ou  faute  d'impression?'):  sav. 
br  and  email  le),  qui  est  le  de'rivé  d'un  verbe  brandinai  «  mar- 
cher et  circuler  sans  cesse  »  (Montbéliard),  franc,  mérid. 
brandinà  «  flâner  »  (v.  Projet  d' arrangement  du  Glossaire  des 
patois  de  la  Suisse  romande,  19071  s.  brandenailleY. 

Le  rotengle,  scardinius  erythrophthalmus,  est  confondu  sou- 
vent avec  le  gardon,  d'où  il  résulte  quelque  incertitude  dans 
la  terminologie  des  deux  poissons.  Voici  les  noms  qui  nous 
sont  attestés  pour  la  Suisse  romande  : 

I.  genev.  vaud.  raufe  ;  roufa  (vaud.  Roche),  anc.  genev. 
roffa  (Forel  332),  vaud.  raufa,  roffa  (Bridel),  qui  doit  peut-être 
son  nom  à  ses  écailles  d'un  jaunâtre  cuivré.  Pour  des  raisons 
d'ordre  phonétique,  il  n'est  guère  probable  que  le  mot  remonte 
au  latin  rûfu  «rouge»  attesté  comme  nom  de  poisson  dans 
un  texte  cité  par  Ducange^. 


on  rencontre  dans  la  série  des  noms  des  reptiles  le  mot  iulus 
(<^  toi'?;,of)  V.  Thomas, /^o?M.  XXXV,  167,  qui,  phonétiquement,  pourrait 
bien  être  la  base  de  notre  mot  romand. 

'  Selon  Fatio  V,  14,  voici  les  noms  de  la  Suisse  allemande  :  (jeunes) 
Euerlich.  Hi'irlig  {Id.  I,  144),  Trdnli  (I,  144)  ;  (plus  tard)  :  EgJiii  (I,  144), 
Fenderling  («  l'antenois  »  Id.  I,  1020),  Kret\er  (III,  951),  Ba>schliiio, 
Stichling,  Schanhfisch  {Id.  I,  1103)  Rauhegel  ;  (adulte):  Barsch  (v.  Kluge 
s.  V.),  RechUng  (Id.  VI,  137),  Bersich  (Bâle,  Id.  I,  1599  ^'-  Kluge 
s.  barsch),  Raubfisch,  Lntz,  Btit^lld.  IV,  2000,  v.  p.  12  n.);  v.  aussi  une 
étude  sur  la  perche  des  eaux  suisses  par  M.  Hofer,  Schiv.  F.  Z/;'.  I\', 
285.  Sur  les  bords  des  lacs  du  Tessin  et  de  la  Lombardie,  on  dit 
(Jeunes)  :  centin,  cent-in-hocca  (v.  p.  15  n.),  handirâlo,  hertoiisceUo,  gbeubh 
(^  «  gobbo  »,  c'est-à-dire  «  p.  à  dos  recourbé  «)  ;  (adulte)  :  pesce  per- 
sico,  péss-persigh,  persighin  (cf.  Meyer-Lùbke,  Et.  IVtb.  no  966),  ruttcll 
(de  la  couleur  du  rat?)^  berlon  (Monti)  dérivé  de  berla  «  taccola  »,  qui 
partage  avec  le  poisson  les  taches  ou  bandes  noires  du  corps). 

-  Vita  B.  Berthol.  :  Appropinquantibus  illis  Jliivio  ciini  sagena  ;  ecce 
ininmi  dictn,  piscis,  qui  vocalur  tymalhis,  riifo  perseqiieiite,  actus  in  Jugani, 
nn'rantibits  ciiiiclis,  de  aqiia  in  terrain  exilivit.  Il  est  en  effet  bien  curieux 
qu'un  petit  poisson  tel  que  le  rotengle  puisse  menacer  le  thyniaUns  qui 
est  notablement  plus  grand.  Du   Cange  cite  un  autre  témoignage  de 


36  J.  JUD 

2.  neuch.  rotte,  roitelet  (rota  à  Sugiez,  selon  M.  Fankh.), 
vaud.  rotta  (Bridel,  s.  rofà),  qu'on  serait  tenté  de  considérer 
comme  un  emprunt  fait  au  suisse  allemand  rotte,  rotel  ;  cepen- 
dant il  faut  tenir  compte  de  l'existence  de  la  forme  rottas  dans 
le  Latercidus  de  Polemius  Silvius  (cf.  Schuchardt,  Z.  f.  rotn. 
Phil.  XXX,  727).  D'autre  part,  les  rédacteurs  de  V Idiotikon, 
VI,  1785,  de  la  Suisse  allemande  sont  eux-mêmes  bien  embar- 
rassés pour  expliquer  le  suisse  ail.  rotte  [içt/i  à  Montilier 
(Morat),  à  Douanne,  à  Gléresse  iBienne)],  qui  ne  peut  être 
un  dérivé  de  l'adjectif  marquant  la  couleur  «rot».  S'agit-il 
encore  ici  d'un  mot  appartenant  au  fonds  commun  des  patois 
allemands  et  romands  du  plateau  suisse^? 

3.  sav.  plate,  plateron,  platelle  (v.  p.  13),  qu'il  aura  peut- 
être  reçu  à  cause  de  son  corps  fortement  comprimé  ". 


Ruodlieb  (ne  siècle);  lucius  et  rufus.  Dans  le  Coutiimier  de  Talloires 
(Savoie)  de  1568,  M.  Bruchet  (Ripaille,  p.  596)  relève  le  texte  suivant  : 
tinam  hi^olam  seu  veyronum  cum  parvis  piscihus  omnia  in  oleo  frixa,  et 
cum  Mis  débet  intinctum  ruffum  seu  salsam  riijfam.  Mais  pour  appuyer 
l'étymologie,  il  faudrait  démontrer  l'existence  de  l'adj.  riiftis  dans  le 
franco-prov.  ;  pour  l'anc.  frç.,  v.  Ott,  Etude  sur  les  couleurs,  1 16.  —  Au 
point  de  vue  phonétique,  il  serait  préférable  de  rapprocher  le  nom  du 
poisson  de  la  famille  bien  répandue  ruf,  représentée  dans  le  franco- 
provençal  par  roja  «  morve»,  rfiais  je  ne  vois  pas  de  moyen  pour  expli- 
quer l'évolution  sémantique  du  mot.  —  Enfin  existe-t-il  un  rapport 
quelconque  entre  rujolk  [Id.  VI,  678)  et  la  roja  ? 

'  La  taxe  de  Villeneuve  (Forel  III,  334)  offre  brame  [génitit],  dont  il 
n'existe  aucune  trace  dans  nos  patois  ;  c'est  évidemment  le  frç.  brème 
{v.  Dict.  gèn.,  Rolland  III,  144,  hranma,  Const.  et  Dés.  et  Antoine 
Thomas,  Rotn.  XXXV,  1 90-191).  V.  aussi  l'article  du  Projet  d'arran- 
i^ement  du  Glossaire  n"  5461. 

-  Voici  les  noms  que  Fatio  IX ,  459  a  puisés  dans  la  langue  des 
pêcheurs  de  la  Suisse  allemande  :  Rotten  (v.  Id.  VI,  1785),  Rothasel,  Schwal 
{Id.  I,  1104),  Schneider  fi  sch  (I,  1104),  Forvi  (I,  1017),  Furn,  Furnickel 
(I,  1022),  (jeune)  Gnitt  (Id.  II,  676).  L'allemand  désigne  le  même 
poisson  par  le  nom  Plot\e,  qui  s'accorde  d'une  manière  frappante  avec 
le  haut  engad.  plot'a  (Pall.  et  Melcher),  com.  piôta  (Monti),  que  nous 
devons  mettre  en  rapport  avec  le  posch.  plota,  lomb.  pioda,pioda,piola 
«  lastra  di  pietra  »  (v.  pour  le  sens  sav.  plate,  plaleron  ■<  plat).  Sur 
cette  famille  de  mots,  v.  Salvioni,  Bo//.  storico  délia  Si'ii:^.  ital.  XVII, 


LES    NOMS    DES   POISSOXS    DU    LAC   LEMAX  37 

L'ablette,  alburnus  lucidus,  porte  les  noms  suivants:  i"  sar- 
dine, mirandelW^  (v.  aussi  Const.  et  Dés.).  —  2°  tiaze,  qui  est 
ailleurs  le  nom  du  chondrostema  nasus,  suisse  dW.Nase,  Nasen- 
Jisch,  neuch.  nase,  naze,  frib.  nâz^,  (Sugiez,  Fankh.)  masc.  ;  c'est 
sans  doute  un  mot  d'emprunt  tiré  des  patois  allemands  voi- 
sins, puisque  d'une  part  nasus  a  donné  nâ  dans  les  dialectes 
neuchâtelois  et  fribourgeois  et  que  d'autre  part  ce  poisson 
voyageur  ne  vit  que  dans  les  affluents  du  R/iiii.  —  30  beseula, 
(v.  p.  28).  —  4°  vaud.  ahletta^ablo  (Bridel),  frib.  àhya  {?>\ig\ez), 
neuch.  atible  (^Rolland  III,  140),  ahle,  laube'-,  Morat  abbelé (¥3.\.\o) 
—  qui  est  le  latin  albula^  (à  cause  de  ses  écailles  d'un  beau 
blanc  argenté).  —  5°  blanchet,  blanchaille  (Fatio),  blyantsè 
(vaud.  frib.),  bllantzet  (Bridel),  dérivé  roman  de  blyan,  blyantsè 
(cf.  albula).  —  6°  neuch.  rondion  (Bridel),  rondzon  (vaud. 
frib.),  qui  se  rattachera  peut-être  à  rond  à  cause  du  museau 
plus  ou  moins  tronqué  obliquement  (v.  naze)  ou  bien  à  rondzon 
«trognon  d'un  fruit»,  quoique  le  développement  du  sens  ne 
soit  pas  clair*.  —  6°  anc.  genev.  horreta  (du  Villard),  dérivé 


141;  XVIII,  40;  XIX,  162;  XXIII,  90.  Kendic.  delPIstituio  lomh. 
XXXIX,  514-515,  Rom.  XXXVI,  244,  Memorie  dell'lstituto  lomb.  XXI, 
528,  v.  Ettmayer,  Z.  /.  rom.  Phil.  XXX,  528,  et  sur  le  nom  piota 
comme  nom  de  poisson  v.  Ant.  Thomas,  Rom.  XXXV,  187  ;  Schu- 
chardt,  Z.  f.  rom.  Phil.  Meyer-Lûhke,  Ibid,  XXXI,  503.  Sur  le  tessi- 
nois  scardola  v.  aussi  Thomas,  Rom.  XXXV,  191  et  Schuchardt,  Z.f. 
rom.  Phil.  XXX^  729  ;  v.  enfin  un  article  instructif  de  M.  C.  Wanger, 
Beilage  25  de  la  Schiv.  F.  Ztg.  IV. 

'  Tous  les  deux  noms  doivent  être  sans  doute  peu  anciens,  le  second 
est  dérivé  d'un  substantif  meranda  [cf.  vb.  nieri  «  mirer»,  meriola,  nii- 
riola  «  marqué  de  taches  blanches  »  (Bridel)],  formation  attestée  dans 
nos  régions  aussi  par  le  vaud.  cosandai,  -aira  (<  consuenda  -\-  ariu 
«  tailleur  »).  Sur  ces  formations,  v.  Pieri,  Z.f.  rom.  Phil.  XXVII,  459 
et  notamment  p.  462. 

-  Cf.  aussi  le  suisse  ail.  Lauheli,  Fatio  IV,  416. 

•''  Cf.  Rolland  III,  140,  frç.  ablette  {Dict.  ^èn.),  Thomas,  Mélanges,  22, 
Nouv.  essais,  82;  Grammont,  La  dissimilation  consonan tique ,  p.  62, 
P.  Barbier  fils,  Rev.  de  phil.  frç.  XXI,  385,  et  Rev.  des  langues  rom.  LI, 
241,  et  surtout  Désormaux,  Revue  savoisieniie  XLV,  68. 

*  Du  Cange  cite  le  nom  de  poisson  rundula,  que  je  ne  puis  contrôler 


38  j.  JUD 

de  horri ,  borron,  borré ,  hourri  «  canard,  oie  »  (Bridel).  — 
7°  tnedzd  (vaud.),  medzd-mèrda'^  (Villeneuve,  Noville),  genev. 
t/iatige-merde  (Rolland  III,  141),  noms  qui  s'expliquent  par 
Tappétit  extraordinaire  de  ces  petits  poissons,  qui  se  jettent  sur 
tout  ce  qui  tombe  dans  l'eau  ^ 

Le  (jardon,  leuciscus  rutilus,  est  souvent  confondu  avec  le 
rotengle  :  tous  les  deux  sont  d'un  vert  olivâtre  ou  bleuâtre  en 
dessus,  se  fondant  sur  les  côtés  dans  un  jaunâtre  plus  ou  moins 
cuivré  ou  argenté  ;  de  là  une  assez  grande  incertitude  dans  la 
nomenclature  des  deux  poissons.  Voici  les  noms  recueillis  dans 
nos  patois  romands  (Fatio  IV,  481)  :  1°  blanchct  (Evian)  (v.  p. 
37);  2"^  vaud.  ratife  (Saint-Saphorin),  (v.  p.  35);  2>°  f^S^'  *  ^^^' 
geron  »  (Bridel,  usité  à  Lutry  selon  Jurine),  que  l'on  voudrait 
rattacher  à  fagot,  quoiqu'il  soit  difficile  de  reconnaître  le  ter- 
tium  comparationis\  4°  rosse,  qui  sera  «la  rousse  »  (Rolland 


dans  le  texte  latin  auquel  il  renvoie.  Il  n'est  guère  permis  de  supposer 
que  notre  mot  soit  un  dérivé  de  (hi)runda,  point  de  départ  d'autres 
noms  de  poissons  (v.  P.  Barbier  fils,  Rev.  de  dial.  rom.,  I,  447). 

'  Les  substantifs  composés  d'un  impératif  et  d'un  substantif  sont  très 
nombreux  dans  nos  patois  romands;  en  voici  quelques  exemples  for- 
més avec  le  verbe  vicdii  «  manger  d  :  madia-brssé  «  mange-gautre  » 
(surnom  donné  aux  gens  de  Çiez  près  Villeneuve,  mdd:(3-fêdio  «  mange- 
foie  »  (surnom  donné  aux  gens  de  Nyon),  med%e-gratta  «  mange-gale 
ou  gagne-peu  »  ou  plutôt  «  qui  mange  ce  qu'il  a  réussi  à  gratter,  à 
gagner  péniblement  »,  med7;e-campouta  «mange-choucroute»,  l'un  des 
surnoms  des  habitants  de  Venezy),  medie-cudra  «  mange-courge  ».  sca- 
rabée doré,  beau  coléoptère  vert,  carnassier  vorace  qui  vit  d'insectes  n, 
ined\e-profi  =.  «  mange-profit  »,  «  petit  travailleur  qui  gagne  à  peine  son 
entretien  »,  etc. 

^  Les  patois  de  la  Suisse  allemande  désignent  le  même  poisson  par 
Ischer  (v.  p.  11  n.),  Winger  (Fatio  IV,  416),  Blâuîing  (Id.  V,  245),  Luenili 
{Id.  III,  1548),  Ingerli  (I,  336),  Seeleti  (v.  p.  14  n.),  GrâssJing  {Id.  IH, 
8521,  Zienfisch  (Fatio;  Id.  I,  129),  Wissfisch  {Id.  I,  1105),  Lagune  {Id. 
III,  1172),  qui  rappelle  d'une  manière  bien  singulière  l'agon  du  lac  de 
Côme,  lequel  désignerait  toutefois,  selon  Monti  et  Fatio,  un  tout  autre 
poisson,  l'alosa  finta  cf.  aussi  Lorck,  Altherg.  Sprachdenkm.,  217.  Une 
variété  de  l'ablette,  alhitrnus  alhorella,  vivant  dans  les  eaux  tessinoises, 
serait  appelée  selon  Fatio  IV,  441  vairon  (Monti),  v.  p.  14. 


LES   NOMS   DES    POISSONS    DU    LAC   LEMAX  39 

III,  142);  ^°  français  (Evian),  mais  le  mot  le  mieux  attesté  dès 
la  fin  du  moyen  âge  est  6°  veindzeron,  vendzero7i  (frib.  '),  î'an- 
geron  (Hurabert),  neuch.  vingeron  (Wnmbtxt,  s.  vangerofi),  dont 
la  taxe  de.  Villeneuve  (1380)  nous  apporte  déjà  le  témoignage 
précieux:  vengerotiorum  [génitif];  nous  retrouvons  ce  nom  aussi 
dans  la  liste  des  poissons  établie  par  le  syndic  du  Villard  de 
Genève  en  isSi  :  <■<  Le  vetigeron  se pesche  jusqu'à  demi-livre, sa 
saison  est  en  Juin.  Des  moindres.  »  (Forel  332).  L'explication, 
donnée  par.  M.  P.  Barbier  fils,  Rev.  des  l.  rom.  LI,  404,  qui 
croit  reconnaître  dans  vengeron  le  représentant  patois  du  franc. 
vigneron,  est  inadmissible,  puisqu'une  forme  vindzeron  =  vi- 
gneron est  incompatible  avec  toute  la  phonétique  régionale 
(v.  At/as  lingîiist.,  c.  vigneron).  Il  paraît  plus  probable  que 
nous  avons  affaire  à  la  base  qui  se  continue  dans  l'allemand 
Winger,  qui  désigne  le  gardon  dans  la  Suisse  allemande-: 
ce  mot  remonte  à  un  type  vingari,  qui  aurait  abouti  tout 
régulièrement  dans  nos  patois  romands  à  *vindzer,  forme 
élargie  "par  le  suffixe  fréquent  -on  en  veindzeron.  L'origine  de 
vingari  est  obscure^. 

Il  nous  reste  à  parler  de  l'onibre-chevalier,  salvelinus 
umbla,  qui  est  appelée  sur  les  bords  du  Léman  omble-chevalier 
et  (par  étymologie  populaire  ou  par  confusion  avec  Vonibre) 
aussi  ombre-chevalier,   tandis   qu'à   Neuchâtel    on    connaît  le 


'  A  Sugiez  (lac  de  Morat)  vindi^ron,  à  Auvernier,  Marin  (frç.  local) 
vingeron  (lac  de  Neuch.),  à  Montilier  près  Morat  (allemand)  :  vinid:;drùr] 
(autrefois  :  vlmsr?),  à  Douanne,  Gléresse,  Lùscherz  (lac  de  Bienne)  : 
vlTivdVd  fém.  (Fankhauser). 

-  Le  mot,  vivant  dans  la  région  située  entre  les  lacs  de  Morat,  Neu- 
châtel et  Bienne,  désigne  le  gardon,  tandis  qu'à  Lucerne  IFiiiger  est  le 
nom  de  l'ablette  (v.  Asper,  93,  96). 

^  Le  nom  le  plus  connu  de  la  Suisse  allemande,  Rdteh{Id.  VI,  1775) 
fait  allusion  aux  nageoires  souvent  rougeâtres  du  poisson.  Les  lacs  au 
sud  des  Alpes  offrent  plusieurs  variétés  caractéristiques  de  notre  espèce: 
1°  leticiscus  pigits,  com.  pigh  (v.  les  explications  données  par  Fatio  IV, 
511  n.  et  Monti,  s.  pigh),  dont  Veiicôbia  serait  la  femelle  (Monti,  Cheru- 
bini)  ;  2°  leuciscus  aida  :  truîl,  tro'i  (Fatio  IV,  536;  trtii,  triât,  Monti). 


40  J.  JUD 

poisson  sous  le  nom  à'amble.  Les  matériaux  recueillis  au 
bureau  du  Glossaire  de  la  Suisse  romande  présentent  les 
formes  suivantes  :  ovibrechevalyé  (Sugiez,  frib.)  —  sans  doute 
forme  francisée  —  anbiou  (Portalban,  frib.);  Const.  et  Dés.  ont 
enregistré  le  sav.  anbrd  «  ombre-chevalier  »,  du  Villard  connaît 
en  158 1  omble,  qui  s'accorde  parfaitement  avec  amblii  [génitif] 
de  la  taxe  de  Villeneuve  (1380)  et  ambulœ  des  comptes  du 
châtelain  de  Chillon  (Forel  334,  335^).  Sur  la  côte  savoisienne, 
ce  sont  les  registres  de  dépenses  du  château  de  «Ripaille  qui 
nous  fournissent  la  preuve  de  la  grande  faveur  dont  l'ombre- 
chevalier  jouissait  sur  la  table  des  seigneurs  et  des  moines  de 
Ripaille  :  pro  4  ambulis  (p.  318,  a.  1471),  pro  12  omblaz  (ibid.), 
ambloz  (p-  317,  a.  1 415,  318,  a.  1471).  Il  est  évident  que  toute 
recherche  étymologique  doit  partir  de  la  forme  la  plus  an- 
cienne qui  est  ambula,  transcription  latine  d'une  forme  patoise 
ambla  ou  amblo,  que  je  crois  identique  avec  l'amulus^ 
(>  amblo)  attesté  dans  le  Laterculus  de  Polemius  Silvius  ^ 


'  Le  dérivé  anibkria  et  amblaria  se  rencontre  dans  deux  actes  de 
1363-1364  et  de  1403,  rédigés  sur  la  côte  vaudoise  près  de  Montreux  . 
Ce  seront  sans  doute  des  viviers  où  l'on  enfermait  un  certain  nombre 
de  poissons  prêts  à  être  servis  quand  des  hôtes  imprévus  venaient 
demander  l'hospitalité  du  châtelain  de  Chillon.  Aujourd'hui,  on  désigne 
le  lieu  de  frai  de  l'ombre-chevalier  par  le  dérivé  :  omhlièie  (Forel  III, 
Introd.  p.  i). 

"  L'étymologie  umhra  proposée  par  M.  Barbier  fils,  Rez^.  de  dial.  rom. 
I,  452,  est  donc  insoutenable. 

Dans  les  villages  allemands  des  lacs  de  Bienne  et  de  Morat,  la 
forme  primitive,  mais  aujourd'hui  disparue,  des  patois  romands  avoisi- 
nants  s'est  conservée  :  amhdlï  (Lùscherz)  et  ampAi  (Montilier  près 
Morat),  cf.  aussi  Id.  I,  239.  Fatio  V,  397,  relève  comme  nom  de 
V ombre-chevalier  sur  les  bords  des  lacs  de  Thoune  et  de  Brienz  le  mot 
hamel,  qui,  dans  ce  pays  anciennement  roman,  atteste  peut-être  la  sur- 
vivance de  amulus,  rapproché  de  hammel  {})  par  l'étymologie  populaire. 
On  trouve  en  outre  Rotel,  v.  p.  39  et  Ritter  {Id.  VI,  1719),  qui  traduit 
le  second  élément  du  mot  français  (ombre-chevalier) . 

^  Polemius  Silvius  est,  pour  ainsi  dire,  le  premier  lexicographe 
franco-provençal.  Quoiqu'on  n'ait  pas  de  raisons  suffisamment  solides 
pour  identifier  l'auteur  du  Laterculus  avec  Silvius,  évêque  d'Octodurum 


LES   NOMS   DES    POISSSONS   DU    LAC   LEMAN  41 


* 


La  recherche  étymologique  est  souvent  appelée  à  nous 
éclairer  sur  l'histoire  de  la  civilisation,  là  où  il  ne  subsiste  pas 
de  documents  écrits  :  on  pourra  donc  considérer  ces  recher- 
ches sur  l'origine  des  noms  de  poissons  comme  une  contri- 
bution à  l'histoire  ancienne  de  la  navigation  et  de  la  pêche 
de  nos  lacs  suisses.  Cependant,  il  faudrait  bien  se  garder  de 
vouloir  dès  maintenant  dresser  des  statistiques  pour  établir,  par 
exemple,  le  pour  cent  des  mots  appartenant  par  leur  origine 
soit  au  lexique  latin,  soit  aux  vocabulaires  celtique  et  germa- 
nique :  ce  serait  négliger  certaines  distinctions  qu'il  est  indis- 
pensable de  faire,  si  l'on  ne  veut  pas  s'exposer  à  tirer  d'une 


(Martigny),  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  sa  liste  de  noms  d'animaux 
contient  un  nombre  relativement  considérable  de  mots  appartenant 
exclusivement  au  territoire  franco-provençal  ou  à  la  Provence  propre- 
ment dite.  II  faut  y  distinguer,  sans  doute,  deux  parties  d'une  valeur 
bien  différente  pour  nos  études  :  \°  fonds  traditionnel  de  noms  remon- 
tant à  diverses  sources  anciennes,  que  nous  ont  révélées  les  recherches 
de  AIM.  Thomas,  Rom.  XXXV,  161,  et  Schuchardt,  Z.  f.  rom.  Phil. 
XXX,  712  ;  2°  additions  faites  par  l'auteur  du  Laterciilus ,  qui  les  a 
recueillies  dans  les  parlers  de  sa  région  natale.  Voici  la  liste  des  mots 
confinés  au  franco-provençal  ou  à  la  Provence  :  aries  «  bélier  »  (v.  Atlas 
iing.,  c.  bélier),  _camox  «  chamois  »  (qui  n'est  populaire  en  Gaule  que 
dans  le  territoire  alpin),  darpns  «  taupe  »  (cf  darhoun,  Atl.  ling.,c.  taupe, 
taupinière),  lacrimusa  (cf.  p.  14  et  Thomas,  Rom.  XXXV,  180),  mus 
montanus  «marmotte»  (qui  est  peut-être  une  fausse  latinisation  du 
nom  de  l'animal,  qui  s'appelait  déjà  à  cette  époque  marmotta,  répandu 
jusque  dans  les  Alpes  s,nsonnQs) ,  amhicus  (p.  23  n.),pelaica  (p.  21),  rottas 
(p.  36),  popia,  que  je  crois  identique  avec  le  sav.  poche  «têtard»,  le 
même  mol  (\viq poche  «cuiller,  poche  »  (v.  Cornu, i?om.  XXXII,  126),  itilus 
(v.  p.  34).  L'étude  systématique  du  vocabulaire  franco-provençal  mettra 
au  jour  plus  d'un  continuateur  roman  de  ces  mots  énigmatiques  du 
texte  latin.  L'examen  attentif  de  cette  liste  d'animaux  nous  enseigne 
d'ailleurs  un  fait  d'une  importance  capitale,  c'est  qu'il  existait  dès  le 
4^  siècle  une  notable  différenciation  lexicologique  dans  la  Gaule  romane  : 
c'est  ainsi  que  darpiis  «taupe  »  existait  sans  doute  déjà  dans  le  domaine 
franco-provençal,  où  le  latin  talpa  n'a  jamais  réussi  à  déraciner  le  mot 
indigène  sans  doute  préroman. 


42  J.  JUD 

enquête  pareille  des  conclusions  mal  assurées.  —  En  premier 
lieu,  il  convient  de  séparer  nettement  les  poissons  qui  ont  été 
l'objet  <l'iine  pèche  active  d'avec  ceux  dont  la  chair  est 
peu  appréciée  ou  qu'on  capture  pour  servir  d'amorce.  C'est 
à  la  première  catégorie,  la  plus  importante  pour  l'homme, 
qu'appartiennent  le  brochet  [bétset,  brotsè;,  la  truite  [traite], 
la  perdu  pertse,  bolia  ,  Vomhre-chevalier  [omble,  amble],  la 
fera  [fera,  besole],  gravenche  '^graventse],  la  carpe  Tcarpa). 

En  examinant,  au  point  de  vue  étymologique,  les  noms  de 
ces  gros  i)oissons  de  pèche,  on  est  forcé  de  constater  que  la 
majorité  en  est  d'origine  préromane  [bétset,  brotsè,  omble,  fera, 
gravenche  ']  ou  de  provenance  douteuse  |  traite,  bolia, besole  (?)! , 
tandis  que  seul  le  nom  de  la  perche  (lat.  perça)  est  d'origine 
latine^. 

Même  parmi  les  noms  des  poissons  de  (fi-andeur  moyenne 
et  de  valeur  médiocre  [la  lotte,  le  chabot,  le  goujon,  le  spirlin, 
le  vairon,  la  loche,  l'ombre  (espèces  fluviatiles)  ;  la  tanche, 
l'ablette,  le  rotengle,  le  gardon,  la  chevaine  (espèces  lacustres)], 
l'élément  d'origine  préromane  ou  incertaine  ^  est  fortement 
représenté,  bien  que,  il  est  vrai,  les  mots  latins  ou  de  dérivation 
romane  semblent  prédominer  \ 


'  Le  lecteur  n'oubliera  pas  que  les  noms  de  la  boiidelle,  la  palée  du 
lac  de  Neuchâtel.  ainsi  que  du  lavaret  du  lac  de  Bourget,  sont  également 
d'origine  inconnue. 

^  Sur  le  mot  cai-pa,  v.  {).  8. 

■''  Voici  les  noms  des  poissons  du  lac  Léman  qu'il  faudra  ranger  dans 
cette  catégorie:  la  lotte:  lot  la,  miistela  (?)  [aussi  la  «loche»];  le 
spirlin:  neuch.  harrè  (vaud.  borotha),  plate  [aussi  le  «rotengle»]; 
le  vairon  :  leheite  (?),  gremoilloti  \gremelbetta,  aussi  la  «  loche  »]  ; 
petite  j)erche  :  jola;  rotengle:  rotta  (qui  ne  paraît  plus  être  em- 
ployé sur  les  bords  du  Léman)  ;  gardon  :  vingari  {veiid:(eron). 

*  Voici  les  noms  latins  ou  romans  :  chabot  :  tsassot  «  cyatiti  ?), 
têtu  ;  goujon  :  goujon  (<  gobius)  ;  vairon  :  vairon  «  varione) 
[désigne  aussi  le  spirlin],  petit  saumon,  vouardon  (?),  bavibella,  aniaron 
(•<  amar  «  amer  ») ,  loche  :  moustache,  barbet  [barbotta  a  lotte  »],  dre- 
millha  {<^dormicn]are),  baromètre  ;  ombre:  ombra  (<  uynbra) ;  che- 
vaine: tseveno  (<C  capitine);  tanche:  tintsd  (<  tinca)  (?)  ;  jeunes 


LES    NOMS    DES    POISSONS    DU    LAC    LEMAN  43 

L'observation  que  nous  venons  de  faire  permet  de  supposer 
que  des  noms  d'un  certain  nombre  de  poissons  se  sont  transmis 
fidèlement  de  la  langue  parlée  par  les  Helvètes  à  celle  qui 
triompha  sur  les  bords  du  lac  Léman,  c'est-à-dire  aux  patois 
romands  actuels.  La  langue  latine,  parlée  dans  la  Suisse  fran- 
çaise après  la  conquête  de  notre  pays  par  les  Romains,  a  donc 
accordé  l'hospitalité  à  un  petit  nombre  de  mots  préromans 
désignant  des  espèces  de  poissons  particulières  à  nos  lacs 
suisses  ^,  tnais  incomiues  aux  eaux  de  V Italie  centrale. 

En  étudiant  la  terminologie  des  poissons  communs  aux  quatre 
systèmes  des  fleuves  suisses  (Rhin.  Rhône,  Tessin,  Inn),  on  est 
amené  à  constater  la  parenté  remarquable  qui  existe  entre  les 
noms  des  bassins  du  Rhône  et  du  Rhin:  hondelle,  hiindeli  |lac 
de  Sempach,  etc.,  v.  p.  20  n.  3I  \palaie:  Balche;  fera:  felche 
(Pfarig,  Pfarit)  -  ;  vengeron:  ivinger  ;  rotta  :  Rotte  «  rotengle  »  ' 
ablo  :  Laubeli  «  ablette  »  ;  amblo :  [h)amel  «  ombre-chevalier  »^. 
Ce  fait  s'explique  le  mieux  par  l'existence  de  la  même  popula- 
tion préromane  ou  romaine  sur  tout  le  plateau  suisse  et  par  les 
rapports  intimes  qui  n'ont  cessé  d'exister  depuis  plus  de  mille 
ans  entre  les  Romands  et  les  Alamans.  Par  contre,  les  concor- 
dances entre  la  terminologie  des  poissons  vivant  dans  les  lacs 
de  r Italie  supérieure  (Lombardie  et  canton  du  Tessin)  et  ceux 
des  bassins  du  Rhône  et  du  Rhin  ne  semblent  pas  être  nom- 


perches  :   miUecanton,   viva,  brandenaiUc  ;  rotengle   et    gardon: 

ranfa  [<  rufa  (?)],  sardine,  miraiidelle  [aussi  «  Table  »]  ;  ablette  :  ablo< 
Manchet  [aussi  le  «  gardon  »],  horretta  (<  borri  «  canard  »),  med::t-vieyda 
(«  mange-merde  »)  ;  gardon  :  fagot,  rosse,  français. 

'  Il  importe  d'insister  sur  les  noms  des  coréi:^ones  et  celui  de  Vouibre- 
chevalier. 

-  Parmi  les  noms  des  corégones  répandus  exclusivement  dans  la 
Suisse  allemande,  il  faut  relever  Albock,  d'origine  latine  ou  préromane 
(■<  albii  ou  ■<  aiiibicu),  Aibeli  (<  albnla  ?),  renke  «  mâle  de  la  fera  » 
(p.  23  n.). 

^  Je  laisse  de  côté  :  goujon:  Gïitsche  (lac  de  Bienne),  phatè  ;  Ischerli- 
platte  «  spirlin  »,  banibela,  bambeîi  :  «  vairon  »,  amblo  :  anipjli  (lacs  de 
Bienne  et  de  Morat)  «ombre-chevalier»,  qui  sont  peut-être  des  em- 
prunts faits  à  une  date  relativement  récente. 


44  J-  J^'D 

breuses:  trinscia:  Trusche  ;  scazzun  :  tsaso  «  chabot»  (?);  bot  : 
Butt  :  bot  «  chabot,  têtard  »  ^  ;  enfin ,  les  noms  de  poissons 
appartenant  aux  eaux  des  6^r;i'^«j-,  dont  la  faune  ichthyologique 
est  très  pauvre,  semblent  tantôt  s'appuyer  sur  celle  des  patois 
alamans  [/^rf/Zr?,  schilt,  ahr,  frilla{?)\  tantôt  sur  celle  des 
patois  lombards  {scarun  «  saumon  ■»,rambot  «  têtard,  chabot  (?)  »  ; 
plotra  «rotengle  »  (?),  tandis  que  le  nom  surselvan  de  la  truite  : 
lik'iva,  haut-engad.  smarok\  paraissent  attribuables  exclusive- 
ment au  domaine  rétoroman. 

En  présence  de  la  persistance  des  mots  préromans  dans  la 
terminologie  des  poissons,  on  serait  porté  à  croire  que  les 
noms  des  instruments  et  des  outils  servant  à  la  pêche  remonte- 
raient également  en  partie  à  l'époque  préromane.  Cependant, 
bien  que  rien  n'empêche  d'admettre  que  les  palafitteurs  ou  les 
Helvètes  aient  déjà  fait  usage  du  hameçon  et  du  filet  pour 
prendre  les  poissons,  le  vocabulaire  technique  des  pêcheurs 
romands  ou  alamans  n'offre  guère  de  termes  communs  qui  nous 
reportent  à  l'époque  précédant  l'établissement  des  Romains, 
en  Suisse.  A  en  juger  d'après  une  enquête  sommaire,  ce  seraient 
même  les  Romains  qui  auraient  introduit  les  engins  perfec- 
tionnés destinés  à  augmenter  le  produit  de  la  pêche  :  en  effet, 
nos  pêcheurs  alamans  continuent  à  se  servir  i°  de  la  sage  <  sa- 
gena-  (lac  de  Constance),/^.  VII,  477.  Liebenau  38, attesté  déjà 
dans  le  v.  h.  ail.  v.  b.  ail.  segina,  frison,  seine,  angl.  segne,  Kluge 
Pauls  Grundriss  I  -  344,  et  Archivf.  das  Stud.  d.  neuern  Sprachen 
CVIII,  194 -;  2° du  tracht  (garn)  <  tractu,  Id.  II,  425,  Sckiv. 
F.  Ztg.  I,  n*^  8  :  Irachtgarn  (témoignage  du  mot  qui  remonte 
au  moyen  âge),  Liebenau  38^;  3'^  de  la  Tragele  {Jroglen,  lac 


'  La  carpe  a  son  histoire  particulière,  v.  p.  8. 

-  Le  mot  s'est  conservé  aussi  dans  les  langues  romanes  :  a.  frç.  seiyie. 
«  filet  qu'on  traîne  sur  les  grèves  »  (v.  Atlas  ling.,  c.  filet),  anc.  prov. 
sagena  «  sorte  de  vaisseau  »  (?),  —  il  semble  absent  de  la  Suisse  ro- 
mande, —  bergam.  saina,  com.  saina  «  sorta  di  rete  simile  al  tramaglio  » 
(Monti),  tosc.  sagèna,  etc. 

■'  Le  latin  tractu  sert  à  désigner  tantôt  un  engin  de  chasse  (et.  mil. 


LES   NOMS    DES    POISSONS    DU    LAC    LEMAN  45 

de  Bienne  dans  Liebenau  126,  Trogele,  lac  de  Constance, 
Klunzinger  168)  <  tragula^  qui  est  aussi  entré  dans  le  v.  angl. 
troeglian  (drognet  <  tragum  ),  Kluge,  Pauls  Grundriss  I  "'346; 
4°  Klusgarn  (lac  de  Constance),  Id.  II,  421,  Klunzinger  191, 
Liebenau  38),  pour  lequel  il  faudra  peut-être  rappeler  l'exis- 
tence des  reti  da  chiusa,  Schuchardt,  Ro?n.  Etyniol.  II,  107  ; 
5°  ]Varlef  [Suisse  centrale,  Id.  III,  11 49;  IV,  1454  (lac  de 
Thoune),  Liebenau  90,  127  (lac  de  Bienne)  ,  qui  n'est  pas  autre 
chose  que  vertibulum,  transformé  par  Tétymologie  popu- 
laire -  ;  6°  Arrach  «  palissade  installée  le  long  du  bord  pour 
retenir  les  poissons  »  (lac  de  Constance)  <C  arca  (?),  v.  Id.  I, 
T^Z'è.,  Klunzinger  191  [v.  aussi  frib.  artsd  a  péssons  «  réservoir  à 
poissons»  (Montbovon,  Lessoc) '.  Enfin,  les  \QxhQS pulsen,  qui, 


trace  «  arnese  da  caccia  »,  portug.  trauta  «  rasto  da  caca  »  (Cornu, 
Grundrissl^  925),  tantôt  un  filet  dont  je  ne  puis  malheureusement  indi- 
quer ni  la  forme  ni  l'usage  :  vén.  trata  (Boerio),  et  Gustav  Mever. 
Neugriech.  Stiid.  IV,  90,  mais  cf  aussi  com.  trace  de  red  «  una  tirata  di 
rete  »  (Menti).  — Déjà  en  latin  tractits  désignait  la  laine  entourée  autour 
de  la  quenouille  et  Ausone  nous  parle  des  stataria  retia  suheriuis  corti- 
cibiis  extetidere,  signis  per  certa  iiifervalhi  dispositis  tractus  funiuin  li- 
hratitur  haniati. 

'  Le  mot  est  largement  représenté  dans  les  dialectes  romans  de 
l'Italie,  de  la  France  et  de  l'Espagne;  je  me  home  à  citer  ici  les  formes 
des  patois  avoisinants  de  la  Suisse  romande  :  vaud.  trahUa  «  tramail, 
sorte  de  filet  »  (Bridel),  tandis  que  la  iragualla  (Bridel)  du  Lac  de  Morat 
(Liebenau  119)  doit  être  expliquée  comme  un  emprunt  fait  aux  patois 
alamans  voisins  :  Trogdh.  Le  mot,  au  sens  de  Kjilet  »,  semble  faire 
défaut  sur  les  bords  des  lacs  subalpins  de  la  Lombardie  et  du  canton 
du  Tessin. 

-  V.  les  nombreuses  formes  que  M.  Schuchardt  a  recueillies  dans  la 
Z.  /.  nvii.  Pbil.  XXX,  208,  frç.  verveux  n  filet  circulaire  soutenu 
par  des  cercles  qui  vont  en  diminuant  jusqu'au  fond  où  tombe  le 
poisson  »,  poitev.  mervau,  Meyer-Lùbke,  Rom.  Gramni.  II,  §  500,  Thomas, 
Rom.  XXXVII,  128,  Atlas,  linguist.  c.  filet  (P.  510);  à  Sugiez  :  hèrfOU, 
Bull,  du  Ghss.W,  57  (cf.  aussi  Bridel  25),  vèrvo,  voirveati  (Jura  bern.). 

•'  Les  patois  romans  (italiens  et  franco-provençaux)  ne  semblent 
connaître  ni  la  rûsehe  d'origine  incertaine,  Id.  VI,  1476-79,  ni  la  Bere 
(<  lat.-grec.  pera,  Id.  IV,  1455),  qui,  il  est  vrai,  est  entrée,  à  une 
époque  récente,  dans  les  patois  du  Jura  bernois  hid,  beù,bé^  (Glossaire). 


46  J.  JUD 

il  est  vrai,  n'est  pas  attesté  au  sens  de  «  troubler  l'eau  pour 
chasser  les  poissons  »  ^  dans  nos  patois  allemands  {Id.  IV,  1 2 1 9) 
et  irible"^  (Liebenau  491,  qui  entre  dans  la  famille  de  tribu- 
lare,  Schuchardt,  iÇ^w.  Et.  II,  137,  complètent  la  terminologie 
technique  du  pêcheur  ^. 


^  Le  hlun^e7-  «  bouille  o  (v.  Ici.  V,  126)  se  rattache  peut-être  à  la 
iamille  nombreuse  que  M.  Schuchardt  a  étudiée  dans  ses  Rom.  Et.  II, 
128-129;  le  Jager  [Id.  V,  126  s.  blunzer)  est  peut-être  une  traduction 
allemande  de  la  tschassaiissc  (?)  Liebenau  120  (v.  aussi  Ityéta  dé  tsèss 
«  bateau  de  chasse»  (Sugiez)  Bulletin  VI,  58,  qui  est  appelé  à  Bienne 
Jager,  Id.  III,  19).  Le  vivier  du  bateau  est  appelé  à  Sugiez  :  gré  {Bulletin 
du  Gloss.  VI,  56),  qui  n'est  peut-être  pas  autre  chose  que  le  gra{u)s 
«  vivier  »  du  lac  de  Bienne.  Id.  II,  782,  Liebenau  129. 

-  Vaud.  trohlya  «  filet  à  manche  »,  valais,  truhlya  «  grand  filet  »,  vaud. 
trohyâ  «  agiter  l'eau  »,  Sugiez  truhya  «  filet  à  manche  qui  sert  à  prendre 
les  p.  »  Bulletin  du  Gloss.  VI,  55,  S9  et  trohla,  Liebenau  18  (document 
de  Romainmôtier).  —  La  cincta  «  circuitus,  ambitus,  modus  piscandi, 
quo  circumeundo  pisces  cinguntur  et  capiuntur  »,  Liebenau  38,  n'a  pas 
laissé  de  traces  dans  les  dialectes  de  la  Suisse  allemande  ;  je  n'ai  pas 
réussi  non  plus  à  retrouver  pour  le  mot  pala  dans  les  patois  actuels  un 
sens  analogue  à  celui  qui  est  attesté  dans  un  document  genevois  du 
14e  siècle:  secundum  boiios  usus  Roddani  fructus  omnes  et  exitus  seu  pro- 
vcntus  duarum  palarum...  in  piscaria  Roddani,  quarum  una  vocatur  ma- 
gistra  pala,  et  alla  pala  Vissery  (Liebenau  61  traduit  le  mot  par  «  Fach  »  ; 
v.  /(/.  I,  658).  Mais  peut-être  sera-ce  le  mot  pala  «petit  échafaudage 
composé  de  quelques  morceaux  de  bois,  perches,  liteaux  »  (pour  quel 
usage  ?),  relevé  par  Bridel  ? 

•^  Il  ne  faudrait  pas  oublier  non  plus  le  type  du  vieux  bateau  plat  à 
flancs  parallèles,  sans  quille,  de  forme  rectangulaire  ou  à  proue  effilée 
(Forel  558),  qui  porte  dans  nos  patois  alamans  le  nom  de  naue  {Id.  IV, 
880),  correspondant  exactement  à  la  nau,  na,  nauha  (Bridel),  Jura  ber- 
nois nava  (Gloss.)  et  à  ses  dérivés  tiavattai  «  batelier»,  naviot  a  petit 
bateau»  [Sugiez:  grô  navé  «grand  bateau  pour  quatre  personnes», 
navyô  «  b.  pour  deux  personnes  »  {Bulletin  du  Gloss.  VI,  58)],  vaud.  nâ, 
nô,  Odin,  Phonologie  des  patois  du  canton  de  Vaud  21,  navata,  navaterio 
déjà  dans  Bruchet,  p.  339,  608.  Sur  les  rapports  qui  existent  entre  les 
formes  alamanes  et  romandes,  v.  YAugQ,  Pauls  Grundriss  ^I,  341,  Schu- 
chardt, Z.f.  roin.  Phil.  XXIII,  186  ;  XXIX,  5  5  S")  56-  Enfin,  M.  Schu- 
chardt a  attiré  tout  récemment  l'attention  des  romanistes  sur  l'allem. 
sâss,  SÔSS3,  qui  se  rattache  au  bergam.  sassola,  mil.  sasser,  sassera,  etc., 
prov.  mod.  sasso,  sanso   «  pelle  creuse  à  anse  ou  à  poignée  qui  sert  à 


Lrs  noms  de  la  ,  fera  "  en    Suisse. 

V.,,_  /  Reloues  sur  place-,  transcription  phonétique  du  glossaire.) 


/('^l'^ 


,/   7 


hauD 
/l 

hala 
10 


altui 


'Ihjli 


5hau_\,i  f  jifiirit  ?n. 
pahii/.i    fera  in,   ,5 

liiUJ  i   bondiila  f 


^^j^âhifblcuhr  /^Ixj[all>.j/,   "S^'l 


hâ-ld 


g   ''■■'    landt^âla     j 


pal  il  i 


auùèic,. 


^ 


'"'•sllZfera  qui  fraije 


(/ih.prci'yc  <iu  ■ 
bord  du  /lie! 


]}> 


ifi''?   f 


.-G 


^é  'fb/\ 


/  11  crin  a  II  cè\ 
2  Ihrt  ALbnn 

U  AIonliUer[utlcriiand]  S  ^l<-'9yc'i- 


O  Briinnen 


5  Luschcrz  _    .,  I      ■       ,         c 

6  Doua  une  ^allemand]  W  SriupaduT  .Sec       1U  (nvi/m  J.-e 
V  y/iun        ""  //  lliillioilcr  .Si-c         l5\\,ilcii   -hr 


12  nii/Juvd 


13  Xiti  ich 

1U   (ilVl/c/l 

15  Wnlcii 

16  lior.uhiuh 


1/  liriuatiiuicn 


LES    NOMS   DKS   POISSONS    DU   LAC    LEMAN 


47 


Mais  il  est  temps  de  terminer  cette  excursion  scientifique 
qui  a  risqué  plusieurs  fois  de  m'entraîner  trop  loin,  car  il  est 
toujours  bon  de  se  rappeler  la  belle  maxnne  d'Euripide 

0-JTCk)    TÔ    ).tKV    viTTOV     tTTM'JM 

TOÛ  ptyîSév   ay«v 

X«i    E-J^fii(70\)(Tl    (TOfOÎ    plOt. 

(Hippolyte  263-265.) 

J.  JUD. 


jeter  l'eau  hors  des  bateaux  >»,  v.  Z.  /.  ro>«.  Pè//.  XXXIII,  655.  — 
Je  laisse  de  côté  le  IVeier  <^  vi varia,  vaud.  vivjé  «  réservoir  ou  étang 
à  poissons  »,  qui  a  été  introduit  chez  nous  par  les  moines  de  nos  grands 
monastères  suisses. 


INDEX 

OFFR.^NT   TOUS    LES    MOTS   Q.UI   OXT   ÉTÉ    l'oBJET   d'uN'E   DISCUSSION'   OU 
QUI   SEMBL.MENT   ASSEZ   IMPORTANTS   POUR    ÊTRE    RELEVÉS 


/.  Mots  romands  et  bases  latines  ou  préromanes. 


ableita  .  . 
a  1  b  u  1  a  . 
amaron 
a  m  b  i  c  u  s 
a  m  b  G  n  e  . 
a  m  u  1  u  s  . 
anbra  sav. 
arca.  .  . 
bamb  .  . 
bambeila  . 
barbot  (petit 
baroche  . 
baromètre 
beccu  .  . 
bèrlbu  .  . 
besole  .  . 
bétset  .  . 
bia  ... 
bisoia.  . 
blajhon  sav. 
blanchet  . 
blavin  .  . 
bolya  .  . 
(  b  o  m  )  b  y  c  i 
bondaHr    . 


•  ?/ 

•  37 

•  15 

•  25 
35n. 
.  40 
.  40 

•  45 

•  15 

•  n 
.  16 

•  15 

•  17 

•  32 
4)11. 

27'  37 

•  32 
4)11. 


-/ 


12  n. 

37,  38 

■    14 


28,  29 
20  n. 


bonde  Irç 
bondelle 
borotha 
borreta . 
brame   . 
brandena 
broccu 
brotset  . 
b  u  n  d  o  s 
c  a  m  b  o  s 
c  a  p  i  t  i  n  e 
carpa  . 
c  i  n  c  t  a 
culyerèta  ^ 
c  }•  a  t  h  i  u 
darpus 
dartre    . 
d  a  r  V  i  t  a 
d  o  r  m  i  c  u 
dremilJha 
iago  .    . 
t  a  r  i  o    . 
faro  . 
fera  . 
(férit) 


lies 


20  n. 

•  19 

•  13 
■  37 
36n. 

•  34 

•  52 

•  52 

•  ^9 
23  n. 

29,30 
.  8 
46  n. 
un. 
.  10 
41  n. 
16 
16 


[6       1 


58 


25-27 
18  n. 


f  e  r  r  a  t  a    . 
français     . 
gibbion 
g  o  b  i  o  n  e 
gôtrô°"za  . 
grava  .    . 
gravenche 
grè    .    .    . 
gremelhetta 
gremoillon 
grisetta .    . 
guglè    .    . 
jolerie   .    . 
j  ulus   .    . 
1  a  c  r  i  m  u  s  a 
lava      .    . 
lavaret  .    . 
lebette  .    . 
e  V  a  r  i  c  i  n  u 
Iota.    .    . 
lotte  (petite) 
lucius.    . 
medze-merd 
milcanton 
niirandelle 


.31 


•  24 

•  38 
21  n. 
.  12 
i8n. 

20-21 
.  20 
46  n. 
.  16 
.  14 
.  14 
17  n. 

•  34 

•  34 
.  14 
28  n. 
28  n. 

.  14 
28  n. 
.  6 
.  16 
32  n. 

•  38 

■  33 

■  37 


48 


J.    JUD 


niotaila.  .  .  .  7,  i6 
mouar  de  borra  .  32 
moustache  ...  16 
raus  montaïuis  .  40  n. 
mustela.    ...     7 

nau 4611. 

navis   ....  460. 

naze 37 

ombra 17 

ombre-chevalier  39-40 

pala 4611. 

palatae  ....    21 

palée 21-23 

palèyôza  ,  .  .  22  n. 
pelaica  .  .  21-23 
pera     .    .    .    .  45  n. 

perça 33 

perce-pierre  ...16 

pertsa 33 

plate 36 

platt 13 


plyatè  .  . 
poche  sav. 
popia  .  . 
roffa .  .  . 
rondion    . 


.    •    13 

.  un. 
.  un. 
.35,38 

37 


rosse 38-39 

rotta  ...  33, 36 
rufa(?)  ....  35 
rundula.  .  .  37n. 
sagena    .    .    .    .44 

sardine 37 

sasso  prov.  mod.  .  46n. 
saumon  (petit)     .    14 

têtu un. 

tinca 29 

tintse 29 

trac  tu 44 

tragualla  .  .  .  45  n. 
tragula  .  .  44-45 
trahlla  .  .  .  .  45  n. 
traita  vaud.  ...    30 


t  r  i  b  u  1  a  r  e 
troblya  .  . 
tructa.  . 
iruita.  .  . 
tsaso.  .  . 
tschassaussé 
tseveno .  . 
t  u  r  b  u  1  a  r  e 
turtur.  . 
u  m  b  r  a     . 

V  a  r  i  o  n  e  . 
veintousa . 
veiron    .    12 

V  e  n  d  e  s  i  a 
vengeron 

V  e  r  t  i  b  u  1  u  m 
vèrvô    . 

V  i  n  g  a  r  i 
viva  .    . 

V  i  V  a  r  i  u 
vouardon 


.  46 
46  n. 
30-33 
30-51 

■  9 
46  n. 
29-30 

46  n. 
30  n. 

•  17 

•  13 
30  n. 
13-14 
30  n. 

•  39 

•  45 
4511. 

•  39 

•  54 

47  n. 

.    14 


//,  Mots  rétoromans  ou  italiens 


aser  b.  engad. .  18  n. 
berton  com. .  .  35  n. 
beutt  com.  .  .  12  n. 
Bonda  (nom  (le  liett) .  19 
bondai  bresc.  .  .  19 
cent-in-boccacora.  1 5  n. 
chiusa  (reti  da)  .  45 
cuUeres  gallic. .  un. 
frilla  posch. .  .  31  n. 
gheubb  com.   .   35  n. 

III. 


kjazole .  .  .  .  un. 
lik'iva  surselvan.  3 1  n. 
marok'  b.  engad.  31  n. 
pigh.  com.  .  .  39  n. 
piôta  com.  .  .  36  n. 
plotra  h.  engad.  36  n. 
rambot  b.  engad.  1 2  n. 
rattell  com.  .  .  35  n. 
rilanka  (Ems)  .  3 1  n. 
saina  com.    ...   44 


scarun  surselv.  31  n. 
scarus  .  .  .  31  n. 
scazôn  com.  .  .  10 
silt  h.  engad.  .  31  n. 
starnicol  com.  .  15  n. 
strinz  com.  .    .     8  n. 

trata  vén 45 

trinscia  com.  .  8n. 
vairon  com..  .  15  n. 
zvol  (Ems)    .    .   17  n. 


albick    .    . 

.    .  23  n. 

ameli     . 

.    .15". 

ampeli  . 

.    .  40  n. 

arrach  . 

...   45 

àsche     . 

.  17-18  n. 

balche   . 

.    .   21  n. 

bambeli 

i3n.,  15 

bere  .    . 

.    .    .  45  n- 

blunzer. 

.    .    .  4b  n. 

bùndeli . 

.    .    .  20 n. 

butt 

15 

chropfer 

.     ,    18  n. 

felchen . 

.    .  24  ss. 

Mots  alamans  et  allemands 

graus  .  .  .  .  46  n. 
gûtsche.  .  .  .  12  n. 
haniel  .  .  .  .  40  n. 
ischerliplatte    .   13  n. 

jager 46  n. 

kamp  .  .  .  .  23  n. 
mœgetli  (lauscnd)  34  n. 

nase 37 

naue.    .    .    .    .  46  n. 

pfàrig 24 

pfrille  .  .  .  .  51  n. 
plôtze  .  .  .  .  56  n. 
pulsen  ....  45-46 


renke 

rilanke 

rotli  . 

ru folk 

sàss  . 

schwal 

trachtgarn 

tragele 

trible 

trische 

warlef 

^^etterfisch 

vvinger 


•  23 
3in. 

.  36 
36  n. 
46  n. 

17  n. 
.  44 
.  45 
.  46 
8n. 

•  45 
170. 

•  39 


'  Je  regrette  infiniment  de  ne  pas  avoir  pu  consulter  l'étude  intéressante  de 
M.  Pavesi,  La  distiibuzione  dei  pesciin  Lombardia,  1896,  que  je  n'avais  réussi  à  me 
procurer  qu'après  avoir  donné  le  bon  à  tirer  aux  dernières  feuilles  d'impression 


EFFETS  DE  LA  LIAISON  DE  CONSONNES 

INITIALES  AVEC  S  FINALE,  OBSERVÉS   DANS 

QUELQUES  NOMS  DE  LIEU  VALAISANS 

-♦- 

Au  lieu  dit  î/râs,  petit  hameau  de  la  commune  valaisanne 
de  Saint-Jean,  dans  le  val  d'i\nniviers,  on  voyait  naguère  un 
charmant  oratoire,  qui  a  été  malheureusement  désaffecté  et 
converti  en  celUer.  Encore  en  1881,  les  actes  de  visite  épisco- 
pale  mentionnent  cette  localité  sous  la  forme  archaïque  js  Pras. 
La  désaffectation  du  p  et  sa  conversion  en  /,  qui  est  l'un  des 
traits  caractéristiques  des  langues  germaniques,  comparées  aux 
autres  langues  indo-européennes,  n'a  jamais  eu  lieu  dans  les 
langues  romanes,  i^  initiale  est  ici,  comme  dans  le  mot  anni- 
viard  le  friviisè,  «  les  prémices  »  ^,  la  continuatrice  régulière  du 
groupe  de  consonnes  sp,  ïonné  par  la  liaison  du  substantif  avec 
l'article  pluriel.  Pareillement,  \'h  des  noms  de  lieu  Harroz, 
Hoinhes.  Homhettes,  Hondemhies,  Horbes,  à  Chalais,  Arbaz, 
Lens  et  Ayent,  n'est  pas,  comme  le  suppose  M.  Jaccard,  dans 
son  Essai  de  toponymie  (j^.  209),  une  «  permutation  curieuse  »  de 
Vh  initiale  des  formes  normales  Carroz,Coiidemines,  Cojiibes,  Qic, 
mais  le  représentant  ordinaire  du  groupe  de  consonnes  sk  dans 
les  patois  de  cette  région  Au  cours  de  mes  enquêtes  sur  les  noms 
de  lieu  du  Valais  romand,  j'ai  aussi  observé  à  mainte  reprise, 
après  l'article  pluriel  ou  un  autre  mot  jadis  terminé  par  s,  le 
remplacement  des  consonnes  initiales  /  et  ts  par  {)  ou  h  et  s, 


'  GWliéron,  Romania,  XXV,  p.  436. 


50  ERNEST   MURET 

des  groupes  initiaux  pi  et  kl  \)Z.x  fljil  ou  yj.  En  assemblant  ici 
mon  petit  butin,  il  me  plaît,  à  l'occasion  du  soixante-dixième 
anniversaire  de  M.  Hugo  Schuchardt,  d'en  faire  hommage 
à  ce  maître  illustre,  dont  un  mémorable  article  nous  a  ouvert 
les  yeux  sur  Les  modifications  syntactiques  de  la  consonne  ini- 
tiale dans  les  dialectes  de  la  Sardaigne,  du  centre  et  du  sud  de 
l'Italie. 

Dans  le  corps  des  mots,  sp  est  changé  en/,  sc{h)  ^  en  s,  sk 
en  //  ou  h',  dans  seize  paroisses  ou  vingt-deux  communes  du 
Valais  romand,  toutes  situées  en  amont  de  Sion  :  au  midi  du 
Rhône,  à  Hérémence,  Saint-Martin  et  Evolène  ^  dans  tout  le 
val  d'Anniviers  (Grimentz,  Saint-Jean  et  Painsec*,  Vissoie, 
Ayer,  Luc^,  Chandolin  "),  à  Chippis^,  Chalais  et  Vercorin*; 
au  nord  du  fleuve,  dans  la  Contrée  de  Sierre  (Miège,  Veyras®, 
Venthône,  MoUens  et  Randogne  "j,  dans  la  paroisse  de  Mon- 
tana et  celle  de  Lens,  comprenant  Chermignon  et  Icogne  ^S 


^  Par  c{h)  je  désigne  le  c  ou  k  palatalisé  avant  a  latin  ou  germa- 
nique ou  e,  i  germaniques,  prononcé  cl)  en  français,  ts  dans  les  patois 
de  la  Suisse  romande,  et  toujours  représenté  par  cl)  dans  nos  documents 
du  moyen  âge.  Cf.  p.  52. 

^  Pour  la  transcription  du  patois,  voir  plus  loin,  p.  59. 

3  Paroisse  séparée  en  1703  de  celle  de  Saint-Martin  d'Hérens. 

■*  Village  de  la  commune  de  Saint-Jean,  situé  à  une  petite  heure  de 
marche  du  chef-lieu. 

^  Dans  l'usage  officiel  moderne,  Saint-Luc,  paroisse  séparée  au 
commencement  du  xixe  siècle  de  celle  d'Anniviers,  dont  l'église  est  à 
Vssoie. 

'^  Paroisse  séparée  il  v  a  une  trentaine  d'années  de  celle  de  Luc. 

'•  Village  situé  en  plaine,  à  l'entrée  du  val  d'Anniviers,  et  jusqu'à 
ces  dernières  années  presque  exclusivement  peuplé  d'Anniviards. 

**  Haut  village  peuplé  pendant  deux  mois  de  l'année  par  les  habi- 
tants de  Chalais,  mais  formant  une  paroisse  distincte. 

®  Paroisse  de  Miège. 

''  Ces  deux  villages  forment  la  paroisse  de  Saint-Maurice  de 
Laques,  dont  l'église  est  située  sur  le  territoire  de  Mollens. 

'"  Les  deux  paroisses  et  les  quatre  communes  formaient  naguère 
encore  les  quatre  «  sections  »  de  la  grande  commune  de  Lens. 


EFFETS   DE   LA   LIAISON    AVEC    S    FINALE  51 

enfin  à  Ayent  et  Arbaz  '.  Le  changement  de  st  en  t)  est  cons- 
taté dans  toutes  ces  localite's,  hormis  les  cinq  communes  de  la 
Noble  Contrée,  où  a  prévalu  le  t  commun  à  tout  le  reste  du 
Valais.  On  trouvera  plus  loin  le  détail  de  ces  faits,  avec  l'indi- 
cation de  mes  sources  et  la  preuve  de  mes  allégations.  Or,  à 
l'exception  d'un  seul,  tous  les  noms  de  lieu  dans  lesquels  un  p, 
un  t,  un  c  initial  nous  apparaissent  semblablement  modifiés  par 
la  liaison  avec  une  s  finale,  ont  été  recueillis  au-dedans  des 
limites  qui  circonscrivent  l'aire  de  chacune  des  modifications 
observées  dans  le  corps  du  mot'.  L'unique  exception  tout  à 
l'heure  mentionnée  est  du  petit  nombre  de  celles  qui  confir- 
ment la  règle.  Dans  la  commune  de  Granges,  située  entre 
Sierre,  Lens  et  Chalais,  il  y  a  un  lieu  dit  î  horbè,  où  l'on  re- 
connaît sans  peine  notre  substantif  féminin  «  courbe  ».  Le  lieu 
dit  a  rèkàla,  prononcé  Vèhâla  par  les  habitants  de  Chalais  et 
les  vignerons  anniviards  de  Sierre,  les  prononciations  èkortchyè, 
«écorcher»  (d'où  le  lieu  dit  a  l'èkortyâ),  et  èkaouva,  «balai», 
notées  à  Granges  par  M.  Jeanjaquet,  témoignent  que  le  groupe 
sk  n'y  est  pas  changé  en  //.  Mais  les  vignes  des  Horbes,  situées 
aux  confins  des  communes  de  Granges  et  de  Chermignon, 
appartiennent  à  des  montagnards,  dont  la  façon  de  prononcer 
ce  nom  s'est  imposée  à  leurs  voisins  de  la  plaine. 

A  l'occident,  la  limite  entre  l'/d'amont  et  le  p  d'aval,  attestés 
d'une  part  par  le  mot  èfina  (spina)  d'Ayent,  de  l'autre  par  le 
lieu  dit  ij  èpin/\  à  Grimisuat,  coupe  une  vaste  étendue  de  prés 
situés  aux  confins  de  ces  deux  communes  et  dénommés  parles 
Ayentots  î  frïs,  par  les  habitants  de  Grimisuat  I pris.  A  l'orient, 
Yh  et  1'/  issues  des  groupes  sk  et  sp  débordent  la  frontière 


'  Commune  et  paroisse  séparée  au  xix^  siècle  de  celle  d'Ayent. 

-  M.  Jaccard  (p.  209)  croit  reconnaître  une  permutation  de  k  en  /; 
dans  le  lieu  dit  aux  Homes,  à  Gryon  (Vaud).  Mais  1'/;  n'est  ici  que 
graphique.  Si  je  suis  bien  informé,  elle  ne  fait  pas  obstacle  à  la  liaison 
de  l'article  avec  le  substantif,  qui  n'est  sans  doute  pas  autre  chose  que 
l'afr.  orne. 


52  ERNEST    MURET 

actuelle  des  langues  romanes  et  germaniques  et  se  continuent 
en  bouche  allemande,  dans  quelques  noms  de  lieu  romands 
des  communes  de  Sierre  ^,  Sarquène -,  Varonne.  Louèche-la- 
Ville,  Louèche-les-Bains  et  Albinen.  Dans  ces  noms  de  lieu, 
germanisés  au  xv=  et  au  XVI^  siècles,  dans  les  noms  de  famille 
et  dans  quelques  mots  usuels  se  retrouvent,  sous  des  formes 
archaïques,  les  traits  caractéristiques  des  patois  actuellement 
parlés  dans  la  Contrée  de  Si  erre.  Au  ts  romand,  continuateur 
d'un  c  latin  palatalisé  avant  a,  y  correspond  habituellement 
l'une  des  consonnes  tch  ou  ch^,  tandis  que  le  ts  germanique 


*  L'ancienne  population  de  Sierre  est  de  langue  allemande.  Mais 
la  plupart  des  Anniviards  y  ont  des  habitations  et  s'y  transportent  en 
masse  au  printemps  et  à  l'automne  pour  le  soin  de  leurs  vignes.  Le 
français  est  de  plus  en  plus  la  langue  prédominante  :  les  plans  du 
cadastre,  établis  en  1903,  sont  en  français. 

-  Officiellement  SaJqiienen,  en  français,  et  Sah^esch,  en  allemand; 
dans  les  patois  romands  d'alentour,  chârkeno.  La  forme  française  Sar- 
quène, employée  quelquefois  dans  la  première  moitié  du  xix^  siècle, 
est  bien  préférable  à  l'hybride  Salqucnen  et  mériterait  d'être  remise  en 
usage. 

^  Sierre:  Champêtre,  1905,  ail.  tchampètrà,  a  tsampédrô  (Anniviards); 
Tschètroi.  1905,  ail.  tchyèlrô,  a  tséhio  (Gilliéron,  Glossaire  de  Vissoie) 
ou  tsêidrô  (patois  d'Ayer).  —  Sarquène  :  Tschallong,  1904,  Champs-longs, 
jetzt  Schaloncr,  1851  (cf.  le  1.  d.  châïon-n  à  Bramois,  francisé  en  Jalon); 
Tschendcren,  1904,  Tschentern,  185 1  ;  Schachtalar,  1904,  Chachtelar,  185 1  ; 
Schampedii,  1904,  Chanip-pctâ,  185 1  ;  Schampitro,  1904  ;  Schandertiuo, 
1904,  Champs  de  Rhône  oder  Schanderunen,  1851  ;  Scharsu,  1904;  etc.  — 
Varonne  :  Flanlschang  (cf.  p.  64),  Glotscheten,  Grandschang,  Gulantschi, 
planitchât ,  Plantschelen,  Praderolschi,  Tschabîen,  Tschabonetta,  Tschampitren, 
Tschanen,  Leischier,  etc.  —  Louèche-la-Ville  :  Meretschen,  Trulschnrd, 
Tschabh,  Tschenifieri ,  Tschûdenet,  Roschelten,  etc.  —  Louèche-les-Bains, 
1881  :  Tschabkn,  Tschahneten,  Schachtalar,  lêichîr  (cf.  lêch^,  «  marais  »), 
etc.  ■ —  Inden,  1895  :  Tschabkn,  Tscharboniry ,  Tschareien.  —  Albinen, 
1881  :  Rotschy,  Tscherniinong,  Schamonieren,  etc.  —  Noms  de  famille: 
Witschard  (Louèche-la-Ville)  ;  ma-ntchèt,  à  Varonne,  ma-nchèt,  à  Inden 
(écrit  Mayen^et).  —  Il  faut  signaler  encore  le  curieux  verbe  tchânè,  qui 
signifie  «  ramasser  la  feuille  du  chêne  pour  en  faire  de  la  litière  ». 

Sur  les  conditions  linguistiques  de  la  commune  de  Bramois  (près  de 
Sion),  mentionnée  ci-dessus  et  plus  loin,  voyez  Zimmerli,  Die  Spvach- 
gren\e  in  IVallis,  pp.  26  ss 


EFFETS    DE   LA   LIAISON    AVEC    S    FINALE  53 

est  demeuré  intact  dans  tous  les  patois  allemands  du  Valais  ^ 
Preuve  évidente,  preuve  décisive  que  le  ts  franco-provençal 
n'est  qu'une  modification  récente  du  tch  prononcé  en  français 
jusqu'au  xiii=  siècle  et  continué  par  notre  ch  moderne  !  J'ai  dit 
tout  à  l'heure  que,  dans  les  patois  romands  voisins  de  la  fron- 
tière des  langues,  une  s  est  issue  de  la  liaison  du  c  palatalisé 
avec  une  s  finale.  Le  remplacement  du  tch  normal  par  ch,  qu'on 
remarque  dans  maint  nom  de  lieu  germanisé  du  district  de 
Louèche,  ne  serait-il  pas  un  effet  de  la  même  cause?  Suppo- 
serons-nous que  IV  romane  résulte  de  la  liaison  avec  ts  ou  avec 
tch?  Cq  sont  là  des  problèmes  difficiles,  dont  la  solution  n'im- 
porte pas  à  mon  propos  et  que  je  n'entreprendrai  pas  de 
discuter  ici.  Us  romane  apparaît,  d'ailleurs,  dans  les  lieux  dits 
Maressen,  à  Louèche-les-Bains,  et  en  Maressi,  mentionné  à 
Sierre  en  181 2  ;  mais  je  n'en  connais  aucun  exemple  à  l'initiale 
du  mot. 

L'j"  dont  la  liaison  avec  l'une  des  consonnes  initiales/,  /,  c 
a  donné  lieu  aux  modifications  étudiées  dans  le  présent  mé- 
moire, peut  être  la  désinence  d'un  adjectif  qualificatif  accordé 
avec  le  substantif  suivant  au  pluriel,  ou  d'un  substantif  au  plu- 
riel accompagné  d'un  déterminatif  quelconque.  Ordinairement 
c'est  Vs  de  l'article  joint  à  un  substantif  au  pluriel.  Dans  la 
prononciation  du  lieu  dit  a  jîanùbrçns^'k  Evolène,  se  font  sentir 
les  doubles  effets  de  la  présence  de  l'article  et  d'un  qualificatif 
précédant  le  substantif  «  torrents  ».  Je  ne  connais  que  deux  cas 
où  l'initiale  modifiée  apparaisse  dans  un  nom  de  lieu  du  singu- 
lier :  les  lieux  dits  a  la  scvalir  (ou  savalîr),  à  Evolène,  et  a  la 
ho?td:>mlna,di  Chermignon".  Cette  anomalie  se  justifie  aisément. 


'  Voir  les  formes  patoises  du  mot  :^eit,  énumérées  par  Î\I.  Zimmerli, 
op.  cit.,  p.  127.  Le  c  latin  palatalisé  avant  e  et  i  est  également  repré- 
senté par  ts  dans  les  lieux-dits  ZenoJen,  à  Louèche-les-Bains,  et  tsèngU, 
à  Varonne  (cingula). 

-  Cf.  pp.  75  et  78.  Je  ne  connais  pas  la  Hoiima\,  que  M.  Jaccard 
(p.  209)  mentionne  comme  lieu  dit  d'Ayent  et  qu'il  identifie  avec 
l'appellatit  «  combe  »,  £n  supposant,  contre  toute  vraisemblance,  une 
influence  de  la  forme  arermanisée  kiimme. 


54  ERNEST   MURET 

en  supposant  que  le  singulier  actuel  est  issu  d'un  pluriel  anté- 
rieur. L'agglomération  et  le  morcellement  alternatifs  de  la  pro- 
priété foncière  font  souvent  passer  d'un  nombre  à  l'autre  les 
noms  de  lieu,  dont  beaucoup  varient,  dans  l'usage  actuel  des 
campagnes,  selon  qu'on  désigne  le  lopin  d'un  seul  propriétaire 
ou  l'ensemble  des  propriétés  du  même  nom.  Cette  considération 
rend  également  compte,  sans  qu'il  faille  recourir  à  l'hypothèse 
d'une  dissimilation  préventive,  du  sort  différent  des  deux  ini- 
tiales dans  les  noms  composés  ï  flampràs,  à  Chalais,  et  a  flan- 
torens,  à  Evolène.  Ce  devaient  être,  à  l'origine,  des  singuliers, 
qui,  en  passant  au  pluriel,  ont  été  traités  comme  des  mots 
simples,  à  la  façon  du  français  «  plafond  »,  oh  ce  n'est  qu'à  la 
réflexion  que  nous  reconnaissons  un  composé.  La  différence 
entre  les  lieux  à\is  Jla?itdrens  &t  flanbbrens  fait  pendant  à  celle 
de  nos  pluriels  «  plafonds  »  ou  «  aubépines  »  et  «  bonshommes  » 
ou  «  petits-enfants  ». 

Le  polymorphisme  des  consonnes  initiales,  tel  qu'on  l'ob- 
serve dans  les  parlers  sardes  et  italiens,  répugne  au  français  et 
à  nos  patois,  qui  n'admettent  de  variation  syntaxique  qu'à  la 
fin  du  mot,  selon  qu'il  est  indépendant  ou  lié  à  un  autre  et  que 
le  mot  suivant  commence  par  une  voyelle  ou  par  une  consonne. 
Pour  que,  dans  les  groupes  syntaxiques  illas  primitias,illos 
pratos,  illos  pianos  torrentes,  illos  campos,  illas 
cumbas,  les  consonnes  liées  j/,  st^  se  aient  éprouvé  les  modi- 
fications en  train  de  s'accomplir  dans  les  mots  spina,  cris  ta, 
musca,  scopa  et  autres  semblables,  pour  que,  dans  les  patois 
d'Hérens,  d'Anniviers,  de  Lens,  de  Chalais,  d'Ayent,  à  Blonay 
(Vaud)  et  dans  tout  le  canton  de  Fribourg,  le  pronom  «  tu  »  ait 
reçu  dans  la  phrase  interrogative  une  forme  nouvelle,  différen- 
ciée de  la  normale  par  l'effet  de  sa  liaison  constante  avec  Y  s 
finale  du  verbe,  il  a  fallu  que  le  terme  ainsi  modifié  ou  diffé- 
rencié fût,  comme  «prémices  »,  isolé  dans  la  langue,  ou  bien 
que,  par  sa  fonction,  son  emploi  spécial,  il  eût  cessé  d'évoquer 
à  la  mémoire  les  notions  ou  les  images  qui  demeuraient  asso- 
ciées à  la  forme  ordinaire,  à  la  forme   «  normale  »  du  mot.  Le 


EFFETS   DE   LA   LIAISON    AVEC    S    FINALE  ^5 

nom  propre  ou  l'appellatif,  le  substantif  ou  l'adjectif  employés 
à  former  des  noms  de  lieu  abdiquent  en  partie  ou  complète- 
ment leur  nature  et  leur  valeur  propre,  si  bien  qu'il  nous  faut 
un  effort  d'attention  pour  y  percevoir  autre  chose  que  de  purs 
noms  et  en  évoquer  la  signification  originelle,  fût-elle  la  plus 
claire  du  monde.  Ajoutez  que,  s'il  y  a  un  article,  il  fait  partie 
intégrante  du  nom  de  lieu  et  qu'il  n'est  pas  loisible  de  le  suppri- 
mer, ce  mariage  sans  prêtre  n'admettant  aucun  cas  de  divorce. 

Ces  variations  d'un  seul  et  même  mot  que  nous  rangeons 
sous  la  rubrique  de  la  «  phonétique  syntactique  »  ou  «  syn- 
taxique »  dépendent  de  conditions  si  complexes  et  de  causes 
si  ténues  que  l'on  n'y  saurait  découvrir  de  règle  fixe  et  que  les 
exceptions  y  foisonnent.  Aussi  les  effets  de  la  liaison  des  con- 
sonne initiales/,  /,  c  avec  s  finale  ne  s'offrent-ils  à  nous  que 
d'une  façon  irrégulière  et  sporadique.  Dans  certaines  localités, 
il  y  en  a  proportionnellement  beaucoup  plus  d'exemples  qu'ail- 
leurs. Dans  la  grande  commune  de  Chandolin,  je  n'en  ai 
recueilli  qu'un  ou  deux,  dans  les  petites  communes  de  Chippis, 
Veyras  et  Venthône  aucun.  Côte  à  côte  apparaissent,  dans  des 
noms  de  lieu  formés  des  mêmes  éléments,  des  initiales  intactes 
et  des  initiales  modifiées.  La  plupart  des  noms  de  la  première 
catégorie  peuvent  avoir  été  formés  postérieurement  aux  modi- 
fications que  l'on  observe  dans  la  seconde  ;  mais  il  serait  hasar- 
deux de  supposer  qu'ils  l'aient  été  tous.  Pour  qu'une  partie 
d'entre  eux  y  fût  soustraite,  il  suffisait  que  la  signification  ori- 
ginelle y  fût  moins  oblitérée  que  dans  les  autres.  On  remar- 
quera que,  dans  certains  noms,  la  prononciation  hésite  entre  la 
consonne  intacte  et  la  consonne  modifiée. 

Dans  la  région  des  Alpes  qui  s'étend  du  Mont  Rose  jusqu'au 
Mont  Genèvre,  l'abbé  Rousselot^  a  signalé  des  modifications 
des  groupes  sp^  st,  se,  identiques  ou  fort  analogues  à  celles 
dont  j'ai  constaté  l'effet  au  nord  des  Alpes  pennines.  Pareille- 


'  VS  devant  T,  P,  C  dans  les  Alpes  {Etudes  romanes  dédiées  à  Gaston 
Paris,  pp.  47s  ss.). 


S6  ERNEST    MURET 

ment,  st  est  changé  en  d  ou  h,  dans  le  canton  de  Fribourg,  à 
Montreux,  à  Blonay.  Il  serait  intéressant  de  vérifier  si  les  con- 
sonnes initiales  de  quelques  noms  de  lieu  y  ont  été  affectées 
par  ces  modifications  de  la  même  façon  qu'en  Valais.  Ni  à 
Blonay,  ni  à  Montreux,  ni  dans  les  communes  fribourgeoises 
que  j'ai  visitées,  mes  enquêtes  ne  m'ont  révélé  rien  de  pareil. 
Nulle  part,  dans  les  noms  de  lieu  valaisans,  je  n'ai  observé  de 
variations  syntaxiques  résultant  du  traitement  différent  de  cer- 
taines consonnes,  notamment  /  et  v,  entre  voyelles  ou  après 
d'autres  consonnes,  sinon  dans  une  aire  très  restreinte  ou  coïn- 
cident, au  centre  du  Valais,  l'amuïssement  du  v  intervocalique 
et  ces  modifications  des  groupes  sp,  st,  se  désormais  connues 
de  mes  lecteurs.  Aux  confins  des  communes  d'Ayent  et  d'Arbaz, 
il  y  a  un  lieu  dit  i  vsletd  (Veleiles  ou  Villettes,  1880,  1858), 
tandis  qu'un  des  villages  ayentots  s'appelle  la  ela  {Vellaz,  1906; 
Laëlaz,  1880,  185 8).  A  Hérémence,  on  dit  en  ve'jf.a  ^  {in  Villa, 
1878,  1851;  Vella,  1851),  en  parlant  du  chef-lieu  de  la  com- 
mune, et  dsri  èÀa  pour  désigner  des  champs  situés  «  derrière  le 
village»  d'Euseigne.  Dans  ces  très  rares  exemples,  dans  ces 
cas  exceptionnels,  nous  retrouvons  en  germe  cette  variabilité 
de  l'initiale  caractéristique  des  parlers  sardes  et  italiens  et  des 
langues  celtiques. 

Les  noms  de  Heu  qui  vont  suivre  sont  répartis,  selon  les 
effets  différents  produits  par  la  liaison  de  Vs  finale  avec  les 
consonnes  initiales,  en  cinq  groupes,  sous  les  rubriques  sp,  spl, 
st,  sc{/i),  sk,  ski.  Quelques  noms  dont  je  n'ai  pas  réussi  à 
déchiffrer  l'énigme  sont  rangés  tout  à  la  fin,  sous  la  rubrique 
Cas  douteux.  A  chaque  nom  j'ai  joint  la  plupart  des  mentions 
parvenues  à  ma  connaissance.  Ces  mentions  datées  sont  tirées 
d'anciens  documents,  imprimés  ou  manuscrits,  notamment  de 
la  collection  des  Mémoires  et  Doaiments  publiés  par  la  Société 
d'histoire  de  la  Suisse  romande  [M.  R.';  des  cartes  n"=  481, 


'  Pour  la  transcription  du  patois,  voir  ci-dessous,  p.  59. 


EFFETS    DE   LA    LIAISON    AVEC    S    FINALE  tJ 

482,  486,  487  et  527  (au  50  000 «^j  de  V Atlas  topographique  de 
la  Suisse,  connu  sous  le  nom  d'atlas  Siegfried  S.]  ;  des  plans 
cadastraux  récemment  établis  dans  la  plupart  des  communes 
valaisannes  ;  des  registres  de  la  propriété  foncière,  qui  sont 
tenus  à  jour  dans  chaque  commune  par  un  «  teneur  des  rôles  » 
et  renouvelés  quand  le  besoin  s'en  fait  sentir;  enfin  (pour  quel- 
ques communes  de  langue  allemande),  des  rôles  de  classifica- 
tion des  immeubles  dressés  chaque  année  pour  la  fixation 
de  l'impôt  ^  Je  n'ai  spécifié  la  nature  et  la  culture  des  lieux 
dits  que  lorsque  j'ai  pu  le  faire  très  brièvement  ou  que  cela 
importait  pour  l'explication  du  nom.  On  verra  par  ces  indica- 
tions que  la  région  des  hauts  pâturages,  des  montagnes,  offre 
(généralement  parlant)  moins  d'exemples  de  consonnes  ini- 
tiales modifiées  par  l'effet  de  la  liaison  que  la  région  des  cul- 
tures et  des  habitations  permanentes. 

Pour  l'éclaircissement  des  noms,  j'ai  eu  parfois  recours  au 
Glossaire  du  doyen  Bridel  ou  au  Dictionnaire  de  Vancientie 
latigue  française  de  Godefroy,  et  j'ai  souvent  renvoyé  le  lec- 
teur à  VEssai  de  toponymie  de  M.  Henri  Jaccard,  qui  fournit 
des  matériaux  de  comparaison  très  abondants.  L'amicale  com- 
plaisance de  M.  Gauchat  m'a  largement  ouvert  l'accès  des 
trésors  du  Glossaire  des  patois,  et  sa  sagacité  m'a  aidé  à  ré- 
soudre plus  d'une  difficulté".  Grâce  aux  relevés  phonétiques 
faits  par  M.  Jeanjaquet  J.],  en  T899,  dans  un  grand  nombre 
de  localités  du  Valais,  j'ai  pu  contrôler  et  compléter  les  infor- 
mations que  me  fournissaient  mes  propres  enquêtes  et  celles 
d'autrui  concernant  les  modifications  subies  par  les  groupes  sp, 
st,  se,  soit  dans  le  corps  des  mots,  soit  par  l'effet  de  la  liaison 
d'une  consonne  initiale  avec  s  finale.  Sous  chacune  des  rubri- 
ques sp,  spl,  st,  sc{h),  sk,  ski,  sont  résumées  les  données  géné- 


^  Il  me  manque  les  dates  de  Varonne  et  de  Louèche-la-Ville. 
-  MM.  Séraphin  Bétrisey,  à  Ayent,  et    Pierre  Gaudin,  à  Evolène, 
m'ont  fourni  par  lettres  quelques  renseignements,  dont  je  les  remercie. 


58  ERNEST   MURET 

raies  ou  particulières  sur  lesquelles  se  fonde  l'interprétation  des 
noms  de  lieu.  Mes  principales  sources  d'information  sont  énu- 
mérées  ci-après  : 

Gilliéron,  Petit  Atlas  phonétique  du  Valais  romand  (sud  du 
Rhône),  planche  30:  exemples  recueillis  à  Hére'mence,  Saint- 
Martin,  Evolènaz,  Ayer,  Saint-Luc,  Chippis  et  au  village  de 
Reschy,  de  la  commune  de  Chalais. 

Le  même,  Glossaire  du  patois  de  Vissoie,  manuscrit  au 
Bureau  du  Glossaire  des  patois.  —  A  ceux  de  Vissoie,  l'auteur 
a  joint  d'autres  mots  recueillis  à  Luc  et  à  Chandolin,ou  encore 
de  la  bouche  de  passants  originaires  d'autres  villages  du 
Avalais  :  «  simples  matériaux  de  comparaison,  dit-il,  que  je  n'au- 
rais pas  publiés.  »  La  mention  «  Vissoie  »  ou,  suivant  l'occur- 
rence, un  G.  entre  parenthèses  renvoient  à  ce  précieux  glossaire. 

Le  même.  Notes  dialectologiques ,  au  tome  XXV  de  la 
Ro}nania  (1896),  pp.  425  ss. 

Zimmerli,  Die  deutsch-franzosische  Sprachgrenze  in  der 
Schweiz,  III  (1899),  Lauttabellen:  exemples  recueillis  à  Evo- 
lène,  Pinsec,  Saint-Luc,  Chalais,  Montana  et  Ayent  [Z.]. 

L.  de  Lavallaz,  Essai  sur  le  patois  d' Hérémence  (VdiXi?,,  1899). 

Gilliéron  et  Edmont,  Atlas  linguistique  de  la  France,  points 
979  (Lens),  988  (Evolène)  et  989  (Vissoie).  —  Les  exemples 
cités  ayant  été  recueillis  par  M.  Edmont,  je  renvoie  à  ce  mo- 
numental répertoire,  tantôt  par  l'abréviation  A.  L.,  tantôt  par 
la  seule  lettre  E.,  entre  parenthèses. 

Comme  la  plupart  de  mes  prédécesseurs  n'ont  pas  marqué 
ou  n'ont  marqué  que  très  irrégulièrement  l'accent  des  mots,  je 
ne  l'ai  noté  que  dans  les  formes  que  j'ai  recueillies  moi-même. 
Dans  les  noms  de  lieu  du  pays  allemand,  il  n'est  indiqué  que 
lorsqu'il  a  surpris  mon  oreille  par  sa  coïncidence  avec  l'accent 
des  langues  romanes.  Je  me  suis  un  peu  écarté  du  système  de 
transcription  en  usage  dans  le  Bulletin  du  Glossaire  des  patois 
de  la  Suisse  romande,  en  notant  par  en  Ve  nasalisé  qu'on  pro- 
nonce dans  les  mots  ïra.nçdà%  £enja7nin  ou  maintien;  par  œn  Vœ 
nasalisé  des  mots  bru?i,   chacun,  Jeun  ou  Meung  ;   par   le  lu 


EFFETS    DE   LA    LIAISON    AVEC    S    FINALE  59 

anglais  Vou  consonne  articulé  dans  oi/i,  ouais  ç.\.  fouet  ;  par  â, 
non  seulement  un  a  particulièrement  long,  mais  tout  a  vélaire, 
ou  «  fermé  >^,  comme  on  dit  improprement  en  français.  Trois 
consonnes  rares  dans  nos  dialectes  ont  exigé  l'emploi  de  signes 
nouveaux.  Par  ii  je  représente  Vn  vélaire,  notée  en  allemand 
par  7ig  dans  Nibelungen  et  les  noms  de  lieu  en  -ingen:  par  le  / 
grec  17  vélaire  russe  et  polonaise  ;  par  une  h  barrée  la  pronon- 
ciation du  cJi  allemand  après  a,  0,  u,  dans  bach,  hoch,  suchen 
ou  kuchen. 

S  +  P>/ 

Gilliéron,  Petit  Atlas:  vespam,  spinam. 

Le  même,  Remania,  XXV,  pp.  429,  436  et  437. 

Zimmerli  :  sponsum  (VII),  spinam,  vespam  (XV). 

Lavallaz,  §  235. 

Atlas  linguistique,  cartes  471,  474B,  476,  477,  483,  493, 
672,  1238,  1553,  1711. 

Ly,  presque  constante  dans  tous  ces  exemples,  est  encore 
attestée,  grâce  aux  enquêtes  de  M.  Jeanjaquet,  à  Miège  et 
Venthône,  dans  les  mots  s  pin  a  et  vespa;  à  Hérémence, 
Saint-Martin,  Evolène,  Grimentz,  Painsec,  Ayer,  Saint-Luc, 
Chandolin  et  Chalais,  dans  la  formule  de  salutation  bonum 
vesperum,  «bonsoir».  L'enquête  sur  les  noms  de  lieu  me 
fournit  deux  autres  exemples  du  changement  de  sp  en /"dans 
le  corps  d'un  mot  : 

B.  lat.  raspa,  «râpe»:  râfa,  «mauvais  terrain»,  à  Ran- 
dogne:  1.  d.  /  ràfl\  à  Saint-Jean  et  Ayer. 

Raspille  (la),  torrent  formant  limite  entre  les  communes  de 
Sierre  et  de  Sarquène,  les  districts  de  Sierre  et  de  Louèche 
(S.  482):  aqua  que  dicitur  Raspilly,  1299  (M.  R.,  XXX, 
p.  535);  //  rafîly?  (Veyras).  —  Lieux  dits  en  la  raflh  (Anni- 
viards),  ail.  râf\ll^  à  Sierre  ;  en  ra/îlyi,  à  Miège,  en  rafilyl, 
à  Mollens,  a  la  rafilye,  à  Lens  ;  râfilyc,  à  Sarquène,  râfilyi, 
à  Louèche. 


6o  ERNEST   MURET 

ï  fachûn,  prés  à  Ayer. 

De  pachon  ou  passon  (Bridel ) ,  «  petit  échalas,  piquet,  jalon  »  ? 
La  comparaison  avec  le  1.  d.  i  plan  pachon,  à  Saint-Jean,  rend 
cette  étymologie  douteuse. 

i  falèt?,  prés  à  Ayent:  Palettes,  1906,  25. 
De  palèta,  «  palette  »  (A^issoie).  Cf.  les  lieux  dits  i  palçtè,  à 
Montana,  et  Palettes,  ail.  pâlctè,  à  Bramois. 

ï falouk,  1.  d.  à  Ayer:  Falouc,  1902,  1873,  1859;  Faluc,  1873, 
1859. 

ifalais,  prés  à  Chermignon:  Phaliix,  1856. 

De  paludem  «marais».  Cf.  le  1.  d.  a  la  paloup,  à  Montana, 
et  la  place  de  la  Palud,  à  Lausanne. 

I  far,  prés  àLuc:j'  Fards,  i'à2)0;  P fards,  1863,  1851. 

De  par,  «  parc  à  bestiaux  ». 

Dans  le  1.  d.  farchonk,  pâturage  de  la  montagne  de  Varonne 
(Varneralp),  je  crois  pouvoir  reconnaître  le  diminutif  fréquent 
partsçn^.  La  forme  romane  en  farchon,  que  j'ai  recueillie  de  la 
bouche  dim  pâtre  de  Venthône,  peut  être  influencée  par  l'alle- 
mand. 

1/  fâyèr,  1.  d.  à  Arbaz:  Fahier,  1908,  31,  32. 
De  pascuarium,  «  pâquier  »  (^Bull.,  X,  p.  21).  Cf.  les  lieux 
dits  ou  paxçr,  à  Montana,  at  pay/r  dai  bis,  à  Icogne. 

J fèjèlis,  prés  à  Ayer:  Pégeris,  1902,  1873,  1859. 

ifèjcri,  champs  à  Vercorin  :  Pegeri,  1904;  Pegery,  1880. 

Cf.  le  1.  d.  ai  pèj^riX ,  à  Ayer,  identique  à  l'afr.  peseril, 
«  champ  où  l'on  a  récolté  des  pois  »  {Romania,  XXXVII, 
pp.  439  ss.).  La  prononciation //yV//,$-  résulte  sans  doute  d'une 
métathèse. 

i  fairt?,  1.  d.  à  Ayent. 

De  porta,  «porte»,  prononcé  pairta  à  Lens,  Montana  et 
Ayent. 


'  Lieux-dits    à    Grimentz,  MoUens,    Randogne,   Ayent,    Finhaut, 
Dorénaz  et  Lavey  {au  Parchoii,  18 16). 


EFFETS    DE    LA    LIAISON    AVEC    S    FINALE  6i 

Ci  frâ  d?  la  zû,  1.  d.  à  Evolëne  :  J'y  a  et  fra  de  la  Zau, 
1878;  Pra  de  la  saur,  1850. 

ei  mayen  dei  frâ  dd  lâc/i,  1.  d.  de  la  même  commune.  — 
Cf.  le  1.  d.  prâdl'lachè,  à  Albinen  :  Pradalaschi  et  PradalascJu., 
1881. 

dcjb  le  frâ,  1.  d.  à  Grimentz  :  Dèjolefras,  1878;  Dèjolefra, 
1878,  1863,  1851;  Sous  les  fras,  1863. 

i  frâ  k3m^\jiâ,  forêt  à  Grimentz. 

Ifrâs,  hameau  de  Saint-Jean  :  Frasse,  1889-91  (S.  487); 
y  Frasse  et  Fras,  1878,  1863,  1858,  Pras,  1863,  1858,  dans  les 
registres  du  cadastre  ;  Sacellum  d^ys  Pras,  1 88 1 ,  d?'  Ky  Fras,  1 86 1 , 
i}i  Pras  vulgo  Fras,  1820,  in  Pras  seu  Fras,  1809,  jj-  Pras 
(var.  in  prass),  1764.  de  Sacello  deys  pras,  1687,  dans  les 
actes  de  visite  épiscopale  conservés  aux  archives  de  la  paroisse 
d'Anniviers. 

en  chb  le  frâs,  champs  à  Chermignon  :  Salop/irasses,  1856. 

u  frà,  1.  d.  de  la  Combe  d'Arbaz. 

frânové,  1.  d.  à  Albinen:  Franowe,  1881.  —  Cf.  les  lieux 
dits  cm  prânovê,  à  Nax,  en  prâ  nbve  {Pré  Nouveau),  à  Arzier- 
le-Muids  (Yaud). 

De  prâ  ou  prô,  «  pré  ». 

à  plan  dé  fréilàch,  pâturage  de  la  montagne  d'Arzinol,  à 
Evolène. 

Dérivé  de  *pratellum  icï.frïs^,  par  le  suffixe  -aceus.  Cf. 
le  1.  d.  ô  préilèt,  autre  montagne  d'Evolène. 

frèvîri,  1.  d.  à  i\lbinen  :  Freioire,  1881. 

Cf.  les  lieux  dits  <?«  la  prèveiri,  à  Evolène,  ï  prâ  prcvîrb,  à 
Saint-Jean,  /'rac  Preveyroz,  Praz  Prévire,  etc.  (Jaccard,  p.  365), 
de  presbyterum,  2Sx. prouvoire. 

i  fris,  prés  et  champs  d'Ayent  limitrophes  des  pris  de  Gri- 
misuat  (p.  51):  Prisse,  1906,  4,  7. 

De  *prat-ellum,  diminutif  de  pratum,  it.  pratello,  afr. 
prael ,  d'où  «  préau  ». 


02  ERXEST   MURET 

ifujès,  mayens  à  Ayent:  Fugesses^  1906,  47. 
Dérivé  de  puteus,  «  puits  »,  par  le  suffixe  -olus  ou  le  suffixe 
-ittus  (Gauchat)? 

Dans  quelques  cas  il  y  a  doute  si  l'on  est  en  présence  d'une 
/  primitive  ou  d'un/  modifié  par  sa  liaison  avec  j  finale.  Je 
suis  enclin  à  reconnaître  le  mot  «  pont  »  plutôt  que  le  mot 
«fond»,  au  pluriel,  dans  les  lieux  dits  T  fous  et  prâ  dï fo-n, 
situés  dans  la  commune  de  Chandolin,  au  bord  d'un  torrent, 
le  second  tout  près  d'un  pont.  Il  y  a  dans  la  même  commune 
un  1.  d.  I  po72s. 

S  +  Pl 

Aucun  exemple  à  moi  connu  dans  le  corps  d'un  mot.  En 
liaison,  sp  se  continue  par/",  aussi  bien  avant  /  qu'avant  r  ou 
les  voyelles,  à  Hérémence,  Saint-Martin,  Evolène,  Chalais, 
Randogne,  Chermignon,  Sarquène,  Varonne  et  Albinen.  Mais, 
/ayant  été  changée  avant  /  en  h,  h  ou  x,  à  Grimentz,  Saint- 
Jean,  Painsec,  Vissoie,  Ayer,  Ayent  et  Arbaz,  l'ancien  groupe 
sp  a  subi  les  mêmes  vicissitudes.  A  Lens,  la  prononciation  du 
nom  de  lieu  /  %iya7i-nte  est  en  désaccord  flagrant  avec  les 
données  fournies  par  MM,  Edmont  et  Jeanjaquet  concernant 
le  groupe/',-  mais  /  remplace  également /avant  /  dans  le  lieu 
dit  cm  prâ  yjyôurçn,  011  l'on  ne  saurait  hésiter  à  reconnaître  le 
participe  florentem  ou  le  nom  de  baptême  Plorent.  Entre  les 
différentes  enquêtes  il  y  a,  d'ailleurs,  quelque  divergence  dans 
la  perception  de  la  consonne  qui  a  succcédé  avant  /  à  Vf 
latine. 

Zimmerli  :  flamma,  flancum,  conflare  (XII). 

Atlas  lifiguistique:  enfle  (462),  flamme  (579),  fleurs  (582), 
fleurir  (583),  gonfler  (654B),  ronfler  (1164),  souffler  (1249). 

'EvoXhne:  flanma,  flan,  gonfla  (Z.)  ;  enfl3,  floouch  (E,). 

Grimentz.  —  M.  Jeanjaquet,  en  1899,  avait  noté  j^/v^zz/w^, 
choyj3  (il  «souffle»),  %loou  («fleur»);  mais,  dans  une  enquête 
postérieure  faite  en  commun  par  lui  et  M.  Gauchat,  le  pre- 
mier a  noté  'pa?ima  et  le  second  hlanma. 


EFFETS   DE   LA   LIAISON    AVEC    S    FINALE  63 

Painsec:  yjanma,  yjan,  gonyjâ  (Z.);  mais  dlyou  (].).  —  I^a 
prononciation  ///,  que  j'ai  notée  dans  les  noms  de  lieu,  m'a  été 
récemment  confirmée  par  le  correspondant  du  Glossaire  des 
patois,  qui  a  également  renseigné  par  écrit  M.  Zimmerli  et  ver- 
balement M.  Jeanjaquet.  Elle  est  sans  doute  en  corrélation 
avec  la  prononciation  vélaire  qu'on  donne  à  l'ancienne  / 
mouillée  dans  les  patois  d'Anniviers. 

Vissoie  :   enhh,  hlanma,  /ilai,  hlairik,  ronhla,  chohla   (E.). 

Lens:  enfis,  flyanma^  flœrik,  ronflya,  cJwflya  (E.);  flyour 
(E.  et  J.). 

Ayent:  %lanma,  ylen,  gonyjâ  (Z.). 

Ajoutez  le  nom  de  famille  Florey,  prononcé  f^orçi,  à  Ran- 
dogne  ;  hlbré,  à  Saint-Jean  et  Ayer. 


ei  flach»,  lieux  dits  à  Saint-Martin. 

h  bis  dei jflach,  canal  d'irrigation  traversant  une  partie  du 
territoire  de  cette  commune:  aqueductum  deys  plusses,  1t5S 
(Heusler,  Rechtsqitellen  des  Kantons   Wallis,  viP  360,  art.  10, 

P-  345)- 

i  flachè,  1.  d.  à  Chalais. 

i  flyqchs,  prés  et  habitations  à  Chermignon  :  Flaches,  1867  : 
y  s  Fhlaches,  1859. 

/'  hlqchè  ou  dlqchc,  1.  d.  à  Grimentz  ;  y  Flaches,  1908,  19  ; 
Blac/ie,  1878,  1863;  Fiasse,  1863,  1851. 

i  hlqchè,  hameau  de  Zinal,  commune  d'Ayer:  Flache,  1902; 
y  flaches,  1873. 

u  hlach,  prés  à  Arbaz  :  y  ou  u  U lâche,  1879  ;  Flache  187s; 
y  Place,  185 1. 

i  ylqch),  1.  d.  à  Ayent  :  Flaches,  1906,  40. 

flache,  1.  d.  à  Albinen  :  Flaschen,  188 1. 

De. plach?  ou  plyachi  (Z.),  «  place  ». 

Ci  et  i  flachetc,  lieux  dits  à  Saint-Martin,  Evolène  et  Chalais. 
u  ylyachet?,  forêt  à  Arbaz  :  Flachette  et  Hlachette,  1883. 


64  ERNEST   MURET 

Jf achète,  1.  d.  à  Albinen:  Flascheten,  1881, 
Diminutif  du  précédent. 

i  flaji  d'oujçnys,  1.  d.  de  la  montagne  de  Mandelon,  située 
au-dessus  d'Euseigne,  dans  la  commune  d'Hérémence. 

e?i  la  krèt)a  i  flan  (Hérémence),  ou  a  la  krèda  da  flan,  rare- 
ment dei  plan  (Saint-Martin),  hameau  situé  aux  confins  de  ces 
deux  communes:  Crcta  es  Flancs,  1878  (S.  486).  —  Le  déter- 
minatif  /  flan,  m'a-t-on  dit  à  Hérémence,  désigne  le  versant 
méridional  de  la  crête  occupée  par  les  maisons  et  sert  à  distin- 
guer ce  hameau  d'autres  localités  du  même  nom,  comme  la 
(Jrête  de  Suen,  à  Saint-Martin. 

ci  flanmayçmh,  mayens  situés  sur  un  petit  plateau,  aux  envi- 
rons d'Evolène  :  Flanmayen,  1898  (S.  487);  Flantnayens,  Flam- 
mayens,  1878,  1850;  Flanniayens,  Flafis-mayens,  1850. 

ei flandbrens,  prés  à  Evolène.  —  Cf.  p.  53. 

(i  flantbrçns,  1.  d.  de  la  montagne  du  Cotter,  à  Evolène. 

Ci  fllatich,  lieux  dits  de  la  montagne  de  Ferpècle  et  de  celle 

de  Bréonne,  à  Evolène. 

eiflan,  \ 

,     ,        ,        ,     ^  /     lieux  dits  de  la  montagne  de 

0  plan  d3jo  d  Ci  flan,  [ 

\  Pragras,  a  Evolène. 

o  plan  danwtin  dei  flan,     ) 

é  flan  vèch,  pentes  gazonnées  de  la  montagne  de  la  Vouasson, 
à  Evolène.  —  L'élément  vèch  est  l'adjectif  pluriel  «  verts  » 
(Gauchat).  Cf.  en  plan  vèr,  1.  d.  de  la  montagne  de  Torrent,  à 
Grimentz. 

i  flan  y  forêt  à  Luc  :  Flanch,  1905. 

i  flamprq,  1.  d.  à  Vercorin  :  Flanipra,  1904,  1850. 

/  hlan,  1.  d.  à  Saint-Jean:  Flang,  Flanc,  Flan,  1873,  ^^^2)i 
1858. 

i  '/Jan,  1.  d.  à  Ayent  :  Flan,  1906,  50. 

flantchank  :  Flantschang,    \  lieux  dits  à  Varonne.  —  Aux 

ilânbvïnyè-n:  F lanowinien,  \  deux  premiers,  cf.  les  lieux  dits 

in  flank  :  in  (die)  Flang,  ]  Planchamp  (Jaccard,  p.  349),  et 
En  la  vigne  plannaz,  à  Dorénaz,  au  XVlii^  siècle,  d'après  un 
plan  conservé  aux  archives  de  l'abbaye  de  Saint-Maurice. 


EFFETS    DE   LA    L[AISON    AVEC    S    FINALE  65 

flan-nd-11.,  1.  d.  à  Sarquène  :  Flagnen,  1904,  FlaTien,  1851;  au 
xv-'  siècle,  eys  plannes  (Zimmerli,  III,  p.  57). 

Vit  plan,  plan-na  (Z.),  adjectif  et  substantif  masculin  et  fémi- 
nin, dont  suivent  quelques  dérivés. 

i  flanâ,  prés  à  Euseigne,  commune  d'Hérémence. 
Cf.  les  lieux  dits  Planard  (  Jaccard,  p.  349). 

c  flancs,  1.  d.  à  Saint-Martin. 

ei  flânes,  1.  d.  à  Evolène  :   Flanness,  1878;  Flavneys,  1850. 
/  hlanès  ou  hlanes,  1.  d.  à  Painsec  :  y  Flanesse,  Flagnesse, 
1878,  1863,  1858. 

Dtplattct,  «petit  endroit  plat»  (Vissoie). 

/  flanyès,  mayens  à  Hérémence  :  i  Flaniesses,  Flagniesse, 
1878. 

Cf.  les  lieux  dits  en  la  pyattyôûla  et  a/  pyanyblet,  à  Héré- 
mence, et  Plagnuit,  Planuit,  Plagnitz,  Planiu  (Jaccard,  art. 
Plagne,  p.  347),  probablement  dérivés  de  planum  par  le 
suffixe  -iolus. 

/  yiyan-nte  ou  xa-fite,  hameau  de  Lens  :  le  Plantey,  1878 
<S.  481);  Flanthey,  1899,  1892,  1880,  Phlantéy,  1856. 

fla-ntéi.  1.  d.  à  Sarquène:  in  Flantey. 

Cf.  la  mention  à.\\n  pratiim  de  les  Plantaes,  en  1244  (M.  R., 
XXIX,  p.  377,  n°  478),  et  les  lieux  dits  la  Planta,  à  Sion,  la 
Plantaz,  la  Plantau  (Jaccard,  p.  350),  enm  plan-ntéi,  à  Ven- 
thône  (  plantata  et  plantatas). 

£i  flantsè,  1.  d.  à  Evolène:  Flaiitzes,  1878;  Flanches^  1850. 
Y)& plants?,  «planche». 

ei  fla-ntsetc,  1.  d.  à  Evolène. 

/  hla-ntsetc  ou  pla-ntsètc  (de  deux  sujets  différents),  1.  d.  de 
la  montagne  de  Naveta,  à  Ayer. 

/;;/  fla-ntsètè,  1.  d.  à  Sierre,  appelé  par  les  Anniviards 
i pla-ntsçte  :  Planchettes,  Planzettes,  1903,  1878. 

fla-ntchcte-n,  1.  d.  à  ^"aronne  :  Plantscheten. 

De  plant seta,  diminutif  du  précédent. 

5 


66  ERKEST   MURET 

S  +  T  >  î9  OU  // 

Gilliéron,  Petit  Atlas  :  stellam,  castaneam,  fenestram, 
essere  (afr.  estre);  Glossaire  de  Vissoie,  passim. 

Zimmerli  :  extranearium  (IV);  crescere  (VII),  afr.  creis- 
tre  ;  essere,  castellum  (VI);  testam,  festam,  costam 
(XV). 

Lavallaz,  §  234. 

Teanjaquet  :  fenêtre,  tu  interrogatif. 

Gauchat,  carte  XX  du  futur  Atlas  linguistique  de  la  Suisse 
romatide. 

Atlas  linguistique  de  la  France,  cartes  25,  55,  65,  85,  86, 
252,  3i7>  35  •'  362,  489,  4901  492,  494,  495'  496,  49^,  499o23. 
524,  549>  556,  557,  956,  1030,  1132,  1300,  1456,  1497,  1556, 
1557,  1637,  1653,  1656,  1680,  1681. 

Afr.  estanc,  étang:  cdan,  Evolène,  Vissoie  (G.),  Ayer,  Mon- 
tana; èhan,  Lens,  Ayent,  Arbaz. 

strictum  -a.*  éûrèt ,  «étau»,  à  Evolène \  éhrîta,  à  Vissoie, 
éhrJt3,  à  Lens  (E.)  ;  lieux  dits  ij  edri,  à  Painsec,  ij  èdrît,  à  Luc, 
ij  èhri,  à  Chalais,  a  Véhris,  à  Arbaz. 

Des  observations  d'autrui  et  des  miennes  propres,  il  résulte 
à  l'évidence  qu'on  prononce  b  à  Hérémence,  Saint-Martin, 
lîvolène,  Montana,  et  généralement  dans  tout  l'Anniviers,  h 
avant  r  à  Vissoie,/^  (et  parfois /î^) à  Chalais,  Chermignon,  Lens, 
Icogne,  Ayent  et  Arbaz.  Les  vieillards  de  Lens  prononçaient 
naguère  ou  prononcent  encore  d,  les  jeunes  gens  de  Montana 
commencent  à  prononcer  h,  et  \'h  se  fait  déjà  entendre  sur  les 
lèvres  des  Anniviards.  De  l'hésitation  entre  les  deux  consonnes 
résultent  peut-être  les  divergences  qu'on  observe,  à  Grimentz 
et  à  Saint-Jean,  dans  la  représentation  des  groupes  spl  et  ski 
(pp.  62  et  81). 


^  L'adj.  fém.  <(  étroite  »  est  prononcé  clnktyd  (E.). 

-  Le  sujet  interrogé  à  Lens  par  M.  Edmont  prononce  toujours  ainsi. 


EFFETS    DE   LA   LIAISON   AVEC    S   FINALE  67 

/  dachyôrè  ou  dâchyâirè,  1.  d.  à  Hérémence  :  i  Tachiores,  1S78. 

Cf.  tàsora  (Bagnes),  «  planchette  ou  liteau  sur  lequel  on  mar- 
quait autrefois  dans  les  alpages  la  quantité  de  lait  obtenue 
des  vaches  de  chaque  consort  »  (Gauchat). 

ï dardik,  prés  et  champs  à  Saint-Jean:  y  Hardie,  Ehardic, 
Essardic,  Essardig,  y  Sardi  ou  Sardit,  1878,  1863,  1858. 
De  l'adjectif /"«rd?/,^,  «tardif,  mûrissant  tard». 

ï hèrd'e  ou  dèrdé  et  î h'erd^let,  lieux  dits  à  Grimentz :  Herdc, 
1908,  14,  \i)\  Herdés,  1878,  1863,  Herdey,  1863,  1851;  Her- 
delet,  1908,  14,  etc. 

Peut-être  diminutifs  de  Tierdoz  ou  Terdoz,  nom  de  lieu  assez 
fréquent  (Jaccard,  p.  461),  ou  bien,  avec  dissimilation  de  /  en 
</,  du  substantif  tèrlo  (sterilem),  usité  au  val  d'Anniviers 
pour  désigner  un  terrain  inculte,  un  vaque,  suivant  la  termi- 
nologie courante  en  Valais. 

éi  dojîrè,  prés  à  Evolène  :  Thozires,  T/iosires,  1878;  Stozires, 
1850. 

Cf.  les  appellatifs  tbjirè,  f.  pi.,  «  ciseaux  »  (MoUens),  et  toouja, 
«  une  certaine  quantité  donnée  ou  reçue  à  la  hâte  »  (Evolène), 
et  les  lieux  dits  en-n  tàouja  {Tauza,  1878),  en  Iwé  d?  tçouj'a,  à 
Evolène,  éi  tôoxijè  {Tauges,  1904,  185  i),  à  Nax.  Je  ne  connais 
pas  le  1.  d.  Toîize,  Touzo,  à  Conthey,  que  M.  Jaccard  (p.  468) 
rapproche  de  l'afr.  touser,  «  tailler  ». 

en  la  lei  di  dbr,  1.  d.  à  Ayer. 

7'è  la  pira  et  ai  pou  di  hbr  (ou  di  sàr?),  lieux  dits  à  Grimentz. 
—  Le  sujet  de  qui  je  tiens  la  prononciation  sor  me  l'a  confir- 
mée lors  d'une  seconde  enquête.  Il  doit  y  avoir  là  quelque 
erreur  de  transmission. 

De  tôr,  «  tour  (en  tous  sens)  »,à  Vissoie,  ou  de  taurum?  Cf. 
les  lieux  dits  en  la  Ici  dai  tàr,  à  Grimentz  (montagne  de  Ma- 
rais), ai  dsnâ  dai  tbr  et  dai  tore.,  dans  les  montagnes  d'Héré- 
mence. 


68  ERNEST   MURET 

é  7nayen  dé  ddrçns.,  1.  d.  à  Evolène. 

eiflandorens,  prés  à  Evolène,  sur  une  côte  parcourue  par 
plusieurs  petits  torrents.  —  Cf.  ib.  le  1.  d.  a  flantbrens  (plus 
haut,  pp.  54  et  64). 

ei  dbrè-ntès,  1.  d.  de  la  montagne  de  la  Crète,  à  Evolène. 

/  ûàrç-?i  et  /  dorc-ntet,  lieux  dits  à  Painsec,  au  confluent  de 
plusieurs  torrents  :  j'  Torren,  1878,  je  Torrent,  1878,  1863, 
1858  ;_)'  To?-rentet,  Torretiiets,  1878,  1878. 

De  tore-n  ou  tbrçn,  «torrent  »,  et  d'un  diminutif  en  -ittum. 

c  moyen  déi  dôùlè,  1.  d.  à  Evolène. 

/  hôûh,  prés  et  forêts  à  Ayent:  Houle,  1906,  58. 

Houle,  1879,  P^^s  ^t  bois  à  Arbaz. 

De  iôûla  S  «  surface  rectangulaire  unie  ;  pré  rectangulaire, 
généralement  transversal  à  la  pente,  carreau  de  jardin,  bande 
de  gazon»,  etc.  (Glossaire). 

i  ùairniduh,  1.  d.  à  Tiérémence. 
Cf.  afr.  torniole,  «  tour,  détour»  ? 

ô  plan  déi  t)ré,  communaux  d'Evolène. 

De  trc,  «  trois  »  (Gauchat),  ou  de  tractum? 

/  hrehnè,  1.  d.  à  Saint- Jean:  y  Hrenne,  Etrenne,  Etrienne, 
1878,  1863,  1858. 

De  treha  (Painsec),  tren-na,  «  piste  marquée  pour  les  bois», 
à  Evolène  {Glossaire),  traina  (Bridel),  fr.  «  traîne  ». 

ô  plan  déi  ('yrt»;/^//,  partie  de  la  forêt  du  Ban  de  Saint-Martin". 

éi  dronc/i,  forêt  à  Evolène. 

De  tron,  «  tronc  d'arbre  coupé  ». 

(i  ùro-ntses,  1.  d.  de  la  montagne  d'Arbey,  à  Evolène. 
Diminutif  du  précédent. 


'  Hec  siuil  iiinee  heati  maiiini  de  uiueis  [V^evey]...  iumi)i  tolam  (Cartii- 
laire  de  N.  D.  de  Lausanne,  M.  R.,  VI,  p.  348). 

-  D'après  M.  Pierre  Bovier,  garde-forestier  d'Evolène,  autrefois 
chargé  aussi  de  la  garde  des  forêts  de  Saint-Martin. 


EFFETS   DE    LA   LIAISON    AVEC    S    FINALE  69 

S-{-C(h)>s 

Zimmerli  :  muscam,  scalam  (XV). 

Lavallaz,  !^  236,  |3,  y. 

Atlas  linguistique  :  échelle  (436  )  ;  m/s^  (  afr.  rusche),  «  écorce  » 
(442);  éséli,  <•<  escalier»  (480);  fraîche  (607);  mouche  (876); 
krâlsd  (it.  crusca),  «  son  de  farine  »  (12421. 

scala:  èsyèla,  à  He'rémence,  Painsec,  Vissoie,  Luc,  Mon- 
tana et  Ayent,  d'après  les  auteurs  cités  ;  à  Chippis,  Miège  et 
Venthône,  d'après  M.  Jeanjaquet  ;  à  Lens,  d'après  le  même  et 
le  Glossaire  de  Vissoie  ;  à  Randogne,  d'après  le  1.  d.  ij  esyele ; 
— •  hhyèla,  à  Evolène  et  Chalais  (Z.  et  E.),  à  Lens  (E.)  ;  — 
lej  èdîlè^  à  Grimentz  et  Chandolin  (J.). 

musca:  w^)jp,  dans  toutes  les  localités  visitées  par  MM.  Zim- 
merli et  Edmont,  à  Hérémence  et,  d'après  M.  Jeanjaquet,  à 
Chippis,  Miège  et  Venthône.  —  Dérivé  :  maichilyo7i,  à  Evo- 
lène et  Lens,  ina/chslon,  à  Vissoie  (A.  L.,  877),  afr.  mouchillon. 
Cf.  7H(us9lvon  et  inotsd  à  Blonay. 

Afr.  inar esche  ou  maresse:  lieux  dits  a  la  mares,  à  Evolène, 
/  mares?,  à  Chandolin,  îi  marcs3  pairye^  à  Arbaz,  en  Maressi, 
à  Sierre,  en  181  2,  Maresseti,  à  Louèche-les-îîains  ;  /  marès^'îJ 
(au  XYJIP  siècle  Maressuel),  à  Venthône. 

Fichelin,  ancienne  mesure  de  15  \\\.x<t?,\  Jiscilini,  XIF  siècle, 
fischilinos,  1228  (M.  R.,  XVIII,  pp.  386  et  ^i^),  fissili/ws,  1448 
(ib.  XXXIX,  n°  3009,  p.  397),  fèsèlin  (Vissoie  et  Lens). 

Chandolin,  village  d'Anniviers,  Escandulyns,  v.  1250  (M  R., 
XXIX,  p.  455):  en  sa-ndaili-ii;  Essandu/in,  1685  (archives  de 
Sierre).  —  On  prononce  de  même  le  nom  des  mayens  de  Chan- 
dolin (S.  487)  ou  Sandulin,  à  Saint-Martin.  Comparez  Chan- 
dolin, village  de  la  commune  de  Savièse,  a  tsandbœn,  et  la 
Chandoline,  1.  d.  des  commune  de  Sion  et  de  Salins,  en  tsan- 
dolina  (Salins),  /'  tsandàènè  (Savièse)  ^ 


'  L'aphérèse  de  Ve  initial,  que  l'on  constate  dans  toutes  ces  formes, 
en  les  comparant  avec  les  anciennes  mentions  {Romaiiia,  XXXVII,  p.  32). 
est  sans  doute  la  conséquence  de  l'emploi  fréquent  de  la  préposition 
«de  »  avec  les  noms  de  lieu. 


70  ERNEST   MURET 

Avant  Va  diphtongue  en  te  du  mot  s  cal  a,  afr.  esc/n'e/e,  le 
groupe  sci/i)  a  été  différemment  modifié  suivant  les  localités, 
tout  comme,  dans  les  patois  de  la  Suisse  romande,  le  c  de 
capra,  afr.  chievre,  est  représenté  tantôt  par  ts,  tantôt  par  tch, 
tantôt  par  ty.  Dans  mouchillon^  ce  n'est  pas  seulement  la  con- 
sonne issue  de  se,  mais  également  Vou  protonique,  dont  il  fau- 
drait rendre  compte.  Les  autres  mots  nous  offrent  partout  \s, 
qui  répond  également,  dans  les  patois  étudiés  ici,  au  c  latin 
prononcé  avant  e  ou  /  et  que  nous  allons  retrouver  dans  un 
grand  nombre  de  lieux  dits.  La  graphie  y^xJ-zV/^^j-  de  1448  est 
à  retenir  comme  point  de  repère  chronologique. 


ei  sàblo,  prés  à  Saint-Martin. 

/  sâblo,  prés,  champs,  incultes,  situés  au-dessous  du  châble 
àtVorben,  à  Chalais  :  Sabloz,  1904,  1880;  Tzabloz,  1851. 

De  tsàblo,  «châble»,  couloir  servant  à  dévaler  les  bois 
abattus. 

/  salmet'c  ou  sarmetc,  1.  d.  situé  aux  confins  des  montagnes 
de  Colombire  et  de  Merdechon,  à  Mollens  :  Salmettes,  1878- 
1904. 

îi  sèrmet3,  mayens  à  Arbaz  :  Sermettes,  Scermettes,  1879. 

Diminutif  de  cal  mis,  chaux  {Bull.,  IV,  pp.  i  ss.).  Cf.  les 
lieux  dits  Charmettes  (Jaccard,  art.  Charmet,  p.  74),  Tschal- 
mettn,  à  Louëche-les-Bains. 

/  sainarœn,  1.  d.  d'Ayent:  Samarain,  1906,  54. 
Peut-être  dérivé  par  le  suffixe  -anus  du  gentilice  Camarius, 
ou  identique  au  cognomen  Camarinus^?  Ou  bien  formé  du 


'  W.  Schulze,  Ziir  Geschichtc  lateihischer  Eigeiinanten,  p.  139.  Sur  la 
foi  d'un  sujet  qui  prononçait  samareti,  j'ai  naguère  dérivé  ce  nom  du 
gentilice  Camarenus  {Romaiiia,  XXXVII,  p.  541,  n.  3).  Mais  de  nou- 
velles informations  m'ont  persuadé  que  la  désinence  en  est  identique  à 
celle  des  mots  «sapin»,  «  moulin  »  ou  «chien»,  et  différente  de  celle 
de  «  torrent  »  ou  de  «  plein  ».  Il  n'y  a  aucune  raison  plausible  de  situer 
à  Ayent  le  lieu  mentionné  vers  1250  dans  les  termes  in  valle  Chamarey 
(Jaccard,  p.  67,  art.  Cbamarin). 


EFFETS   DE   LA    LIAISON   AVEC    S   FINALE  71 

mot  campus  (cf.  l'art,  suivant)  et  du  nom  de  baptême  Mari- 
nus,  encore  en  usage  dans  nos  contrées  au  X^  siècle  {Regeste 
genevois,  n°  138)? 

i  sàmilyen^  1.  d.  à  Randogne. 

Peut-être  formé  du  mot  campus  (cf.  l'art,  précédent)  et 
d'un  nom  de  personne  comme  déterminatif  ?  Celui  d'Emilien 
est  aujourd'hui  prononcé  7/ièlien  à  Randogne,  mais  peut  avoir 
eu  jadis  une  prononciation  différente.  Cf.  le  nom  de  famille 
français  Millien. 

dèjb  le  san,  1.  d.  à  Hérémence. 

é  tsan  dei  san,  champs  à  Evolène. 

/  san^  1.  d.  à  Ayer  :  Sa7i,  1902;  Sang,  Sangt,  1873,  1859;  — 
à  ^lollens  :  Isand,  1875. 

/  San  dâlâ,  1.  d.  à  Ayer:  Sandaillard,  1908,  1873,  1859.  — 
Daillard,  en  patois  dâ/.â,  est  le  nom  d'une  famille  éteinte. 

De  tsan,  «  champ  ». 

/  sampi/^,  prés  et  champs  à  Ayer:  Samptll,  1902;  Sanipily 
1902,  1873,  ^^59;  Sampyl,  1859. 

Peut-être  dérivé  de  campus  par  le  suffixe  collectif  -ilia"? 
Dans  le  1.  d.  ij  èsanpilyè,  à  Lens,  Echampilles,  1889  (S.  481), 
es  Essempilles,  1863,  on  reconnaît  le  même  nom,  probable- 
ment avec  agglutination  de  l'article. 

1  sanpdlet,  mayens  à  Saint- Jean  :  _>/  Sampelet,  Sempelet,  187S, 
1863,  1858. 

/  sampelet,  mayens  situés  aux  confins  des  communes  de 
Vissoie  et  de  Chandolin:  Sempellet,  1880,  à  Chandolin. 

Diminutif  de  «  champ»,  afr.  champelet. 

éi  sanyérè,  1.  d.  à  Evolène  :  Sagneres,  1878,  1850. 
Dérivé,  par  le  suffixe  -aria,  de  tsanyô ,   «chêne»,  usité  à 
Evolène,  Lens  (A.  L.,  265),  Arbaz. 

/  sape,  1.  d.  à  Ayent. 

De  tsapéy,  «  chapeau  »  (Vissoie)  ?  Cf.  le  1.  d.  6  tsapé,  à  la 
montagne  de  Chandolin,  et  le  Chapeau,  à  Chamonix. 


72  ERNEST   MURET 

t  savane,  1.  d.  à  Luc  :  Savanes,  1880;  Sarannes,  Savanne, 
1880,  1863,  1851;  —  à  Vercorin:  Savanne,  1904,  1880,  1851. 

De  tsavana,  usité  dans  d'autres  patois  pour  désigner  la  hutte 
où  les  pâtres  font  le  fromage,  ou  l'une  des  pièces  de  l'habita- 
tion. Cf.  les  nombreuses  localités  du  nom  de  Chavannes 
(Jaccard,  p.  82). 

ï  savanetè ,  1.  d.  à  Ayer:  Savanettes,  1902;  Savatiette,  1873. 
Diminutif  du  précédent.  Cf.  les  chalets  de  Chavanette,  au- 
dessus  de  Morzine  (Haute-Savoie). 

éi  séb'eks,  1.  d.  de  la  montagne  de  Veisivi,  à  Evolène. 

Cf.  les  lieux  dits  ai  tsébek,  forêt  et  pâturage,  et  en  la  ts'ebs, 
mayens  et  bois,  à  Hérémence  :  ou  Tzébec,  in  la  Tzébe,  1878.  A 
Evolène,  le  mot  tsébd  désigne  un  grand  arbre  mort,  gisant  dans 
la  forêt  (P.  Gaudin). 

éi  sen-ntrè,\.  d.  à  Evolène:  Ceintres ,  Zeintres,  Seintres, 
Tzintre,  1878,  1850. 

/  sen-i-ntrè,  1.  d.  à  Grimentz  -.y  Cintre,  1 908,  2  ;  Sintre,  Zintre, 
1853,  1851. 

i  se-ntrc,  prés  à  Saint-Jean  :  ;'  Sintre,  Sinctre,  1878,  1863, 
1858. 

/  sentra,  «  prés,  jardins  et  tzintres  »,  à  Ayent:  Zti entre,  1906, 
48;  Tzintre,  1906,  41,  î88o,  1858;  Tzeintre,  1880,  1858. 

u  sçntrd,  «prés  et  sérandes>->,  à  Arbaz  :  Seintre,  1879,  1S65, 
185 1;  Zeintre,  1879;  Ceintre,  1865. 

D'un  mot  dialectal  «  chaintre  »  ',  qui  désigne  le  talus  d'un 
pré,  ou  un  pré  de  qualité  inférieure;  spécialement,  à  Ayent  et 
Arbaz,  comme  son  synonyme  local  sêrande.  un  pré  «  que  l'on 
ne  fauche  pas  et  où  l'on  fait  paître  le  bétail.  »  Pour  l'étymo- 
logie,  voyez  Romania  XXXII,  pp.  626-627. 

ï  sèjâ,  1.  d.  à  Saint-Jean  :  y  Segea,  Segeaz,  1878,  1863,  1858. 
/  sèJa,  1.  d.  à  Ayer:  Segea,  1902  ;  SeJa,  1873,  ÏS59. 


*  Cartulaire  de  N.  D.  de  Lausanne  (M.  R.,  VI,  p.  449)  :  apiid  sauctuni 
Siniforiamim...  unam  chantn  prafi  (mj)  ;  Cartulaire  de  Romaiuniotier 
(M.  R.,  III,  p.  523)  :  très  chentrias  pratorum  (1281). 


EFFETS   DE    LA    LIAISON    AVEC    S   FINALE  75 

Cf.  les  lieux  dits  éi  tsèjàs,  à  Evolène,  /  iséjâs,  à  Montana,  et 
les  nombreux  Chesal  et  Chesaux  (Jaccard,  p.  86).  De  c  a  sale, 
afr.  chesal^  usité  dans  nos  patois  pour  de'signer  un  emplace- 
ment à  bâtir  ou  les  ruines  d'un  bâtiment  (Gilliéron,  Patois  de 
Vionnaz^  art.  tsèzo  du  glossaire). 

ï  sèjalf^  1.  d.  à  Saint-Jean  :  y  Segea/i,  Se/a/t\  1 878, 1863,  1858, 
Dérivé  du  précédent  par  le  suffixe  -arius. 

ei  sinâs^  1.  d.  à  Evolène. 

De  ts^nâ,  «  conduite  d'eau  en  bois,  canal  d'étable  pour  fu- 
mier »  (Vissoie).  Cf.  les  lieux  dits  Zenal,  Zinal,  etc.  (Jaccard, 
P-  354)- 

/  smèirs  ou  sinîrc^  1.  d.  à  Hérémence  :  /  Seneires,  1878.  — 
Cf.  ib.  le  1.  d.  /  tsinîrl\  chenevières  à  Euseigne. 
//  sènèvîrt\  1.  d.  à  Evolène. 
D'une  forme  dialectale  de  «  chenevière  ». 

le  ây  di  sinlret^  chemin  à  Hérémence. 

i  sdn'erèti^  1.  d.  à  Ayent  :  Senerettes,  1906,  21. 

Diminutif  du  précédent. 

ô  plmi  dé  sevàs^  1.  d.  de  la  montagne  de  Pragras,  à  Evolène. 
De  tssvâ^  «  cheval  »  (A.  L.,  269,  et  Zimmerli). 

Ci  sèvalîch^  prés  à  Evolène  :  Sevaliss,  Scevaliss,  Sc/ievah'ss, 
1878,  1850. 

en  Ivè  sèvali^  1.  d.  de  la  montagne  de  la  Meina,  à  Evolène. 

a  la  sh'alîr,  1.  d.  de  la  montagne  de  Châté,  \  à  Evolène 

a  la  s?7'alîr,  1.  d.  de  la  montagne  de  Cotter,  ^  (cf.  p.  53). 

Probablement  d'un  ancien  nom  de  famille,  correspondant  à 
ceux  de  Chevalley  (Vaud  et  Saint-Maurice),  Chevallay  (Port- 
Valais)  ou  Chevalier.  Un  Perrodus  Clieualer  ou  Cheualeir  est 
mentionné  en  1352,  1367-68,  1398,  à  Bramois  (M.  R.,  XXXIII, 
pp.  64  et  318;  Zimmerli,  III,  p.  28). 

i  sir ij allé  (ou  c/ii/ircûlè,  d'^iprhs  M.  François-Joseph  Huber, 
né  en  181 2),  haut  pâturage  situé  au-dessus  de  Vercorin:  A[lpe 
de]  Zigeroulaz,  1889-gi  (S.  487);  Sigeroi/la,  1904,  1880;  Siri- 
geoule,  1850-58. 


74  ERNEST   MURET 

Diminutif  de  tsijyèrl^  chalet  de  montagne»  (Vissoie),  ca- 
searia.  Cf.  Jaccard,  art.  Cheresaulaz  (p.  85). 

/  saigdïrè,   1.  d.   de  la  montagne    d'Orzival,   propriété  de 
consorts  de  Chalais  dans  la  commune  de  Saint-Jean. 
De  tsaigdîrd,  «  chaudière  »,  à  Chalais  (Z.). 

i  sainiyœ,  pâturages  communaux,  à  Ayent  :  Souviieux^  1880, 
185S. 

Dérivé,  par  le  suffixe  composé  -atorium,  du  verbe  «  chô- 
mer »,  qui  se  dit  en  Valais  du  repos  que  le  bétail  des  mon- 
tagnes prend  durant  les  heures  chaudes  de  la  journée.  Cf  le 
s.  f.  tsôma,  «  endroit  où  le  bétail  se  repose  »  (Vissoie),  et  le 
1.  d.  u  plan  du  tsôumyœ  (ou  tsômyœ)^  à  Isérable. 

ei  sa/pil\as,  1.  d.  à  Evolène. 
Cf  tsoupa,  «  monticule  ». 


S  +  K  >  /;  ou  h. 

Gilliéron,  Petit   Atlas,    et   Zimmerli   (XV)  :   ausculta re, 
excorticare. 
Lavallaz,  §  236,  «. 
Atlas  linguistique,  cartes  107,  290 B,  349,  440,  441,  443,  444, 

446,  447»  448,  970,  1542. 

Afr.  escouler :  1.  d.  ij  ehôlàye^  à  la  montagne  de  la  Barme, 
au-dessous  du  glacier  des  Ecoulaies  (S.  527),  à  Hérémence. 

«  Rakard,  s.  m.  Fenil,  petite  grange.  Valais  »  (Bridel)  ;  ras- 
cardutn  (Sierre,  1623):  pi.  râhàch  (Saint-Martin);  rahâ  iGri- 
mentz),  râha  (Saint- Jean  et  Ayer),  rahàr  (Arbaz)  ;  1.  d.  Rachar^ 
à  Albinen  (i88i)\ 

Seul,  M.  Zimmerli  a  noté  %  à  Evolène,  Pairisec  "  et  Saint-Luc. 
D'après  M.  Jeanjaquet,  le  mot  scopa,  afr.  escouve,  «  balai  »,  est 


'  Cf.  râkà,  à  Vernamiège  (district  d'Hérens)  et  ailleurs. 
-  L'erreur  doit  provenir  de  ce  que  M.  Zimmerli  a  été  renseigné  par 
correspondance.  Cf.  p.  63. 


EFFETS   DE   LA   LIAISOX   AVEC    S    FINALE  7, 

prononcé  avec  h  à  Hérémence,  Saint-Martin,  Evolène,  Painsec, 
Chippis  et  Ayent  ;  le  verbe  «  écorcher  />  avec  h  o\x  h  dans  les 
mêmes  villages,  à  Grimentz,  Ayer,  Luc,  Chandolin,  Chalais, 
Venthône  et  Montana.  Les  deux  prononciations  ne  me  sem- 
blent pas  pouvoir  être  exactement  localisées  :  il  y  a  variation 
d'un  observateur  à  l'autre,  d'un  sujet  à  l'autre  et  parfois  chez 
le  même  sujet. 

Avant  0,  atjKi,  apparaît,  çà  et  là,  très  irrégulièrement,  une/, 
que  nous  retrouverons  avant  /  dans  un  ou  deux  exemples  : 

Afr.  escofier:  èfbfîr^  «  cordonnier»,  à  Saint-Luc  (G.);  1.  d, 
tsan  dd  Vèfbflry ,  à  Chermignon,  probablement  du  nom  de 
famille  Ecoffir  (prononcé  hbfîr)^  à  Veyras. 

Afr.  escondre^  p.  p.  fém.  escondi/e  :  eho-ndr?  ^  «disparaître 
au  regard  »  (Hérémence)  ;  lieux  dits  en  lèfèhb-ndwà,  a  Héré- 
mence, en  lèt'èhb-ndwà,  à  Saint-Martin  et  à  Evolène  S  en 
lufdfondywa^  pâturage  sur  territoire  bernois,  autrefois  pro- 
priété de  la  montagne  de  Ravouin  (Rawyl),  à  Ayent  -. 

Pascha,  «  Pâques  »  (cf.  it.  Pasqua^  esp.  Pascua)  :  pâhè  (E.), 
à  Evolène  ;  pâfwa  (G.),  pàfw»  (E.),  à  Vissoie  ;  pâky3  (E.), 
pâftvè  (G.),  à  Lens. 

scopa  (cf.  ci-dessus),  scopare:  èhâva  et  èfôva^  à  Chippis 
(J.),  èhôouva  (J.)  et  èfaià^  à  Ayent. 

Lieux  dits  ij  èkwènb,  à  Grimisuat,  ij  èfwhib^  à  Randogne. 

Dans  plusieurs  noms  de  lieu,  la  modification  du  k  initial 
résulte  de  sa  liaison  avec  Vs  qui  jadis  suivait  Ve  dit  «  prosthé- 
tique  »  : 

ij  (•hblgnc ^  nom  donné  à  Hérémence  aux  fameuses  Pyra- 
mides d'Euseigne.  —  Cf.  kblbtia,  «  poteau  »,  à  Vissoie  et  Lens 
(A.  L.,  io66). 


*  Lottecondoi,  1877  (S.  527),  Loiiélcondoiia,  dans  le  tarif  des  guides 
d'Evolène,  en  date  du  8  juin  1893. 

-  Une  lèta  est  une  bande  de  gazon  dans  des  rochers.  M.  Gauchat 
me  signale  le  1.  d.  la  loita  délia  canioscia,  dans  la  Val  Maggia,  au  Tessin. 


7 6  ERNEST    MURET 

ij  ehbmçn  (Hérémence)  ou  èkomûun  (Vex),  nom  de  deux  pâ- 
turages situés  dans  la  commune  d'Hérémence,  l'un  confinant  à 
celle  de  Saint-Martin  S  l'autre  divisé  entre  des  consorts  de  Vex 
et  d'Hérémence.  L'appellatif  pluriel  ekbmcun  désigne  à  Vex 
des  biens  indivis  entre  deux  communautés.  Cf.  le  1.  d.  éz 
ékmainqly,  à  Dardagny  (Genève). 

ij  èhoîibab,  1.  d.  à  Ayant. 

ij  èhbrnite^X.  d.  de  la  montagne  de  Ravouin,  à  Ayent  ;  Ehor- 
nettes,  1878  (S.  481).  —  Cf.  la  forme  jurassienne  écornes. 

ij  èhadet,  1.  d.  de  la  montagne  de  Marais,  à  Grimentz. 

ij  ehrbjas,  forêt  à  Arbaz. 

Cf.  plus  loin  les  articles  haimounch,  hbmbelè,  hades  et 
hrbjet.  Sur  le  caractère  et  les  causes  de  la  prosthèse,  voir 
Ta])polet,  L'agglutination  de  l'article  dans  les  mots  patois 
i^Bull.,  Il,  pp.  24  ss.)  et  Die  E-Prothese  in  den  franzbsischen 
Mntidarten  (pp.  158-183  de  la  Festschrift  zum  XIV.  allgemei- 
nen  deutschen  Neuphilologentage  ifi  Zurich  1910). 


/  hqrb,  1.  d.  à  Chalais  :  Harroz,   1904  ;  Barros,  1865  ;  —  à 
Chermignon  :  j'.r  Barroz,  1856  ;  —  à  Lens. 

u  hârô,  prés  à  Arbaz:/  Barroz,  1879,  1865  -.y  Baro,  185 1. 
De  kàro,  «  coin  »,  ou  du  nom  de  famille  Carroz,  d'Arbaz. 

I  hartè,  1.  d.  à  Miège:  Marthe,  1904,  1878,  iS6^;  Martes,  1910. 
Cf.  les  lieux  dits  Cartes  ou  Quartes  (Jaccard,  p.  371),  d'où 
le  nom  de  famille  Descartes. 

hatsô-haibdl,  1.  d.  à  Sierre. 

Cf.  le  1.  d.  ai  katsb,  à  Venthône. 

i  hâwè,  champs  à  Mollens  :  Mavues,  1875.  —  Quelques-uns 
disent  kàivc. 


'  Un  plan  des  Echiunun  est  mentionné  eu  1832  dans  un  acte  de 
délimitation  entre  la  bourgeoisie  de  Saint-Martin,  la  montagne  de 
Vendes  et  la  commune  d'Evolène,  que  j'ai  vu,  à  Saint-Martin,  entre 
les  mains  de  M.  Martin  Beytrison,  député. 


EFFETS    DE   LA    LIAISON    AVEC    S    FINALE  77 

De  kâtca,  «  queue  »  (Z.).  Cf.  les  lieux  dits  Cavoues,  Cuaz  ou 
Queues  (Jaccard,  pp.  62  et  124). 

/  hôayé  o\x  h^oàyé,  1.  d.  à  Hérémence:  /  Ilouayes,  1878. 

De  koàyd,  «  couvée  »,  usité  à  Bagnes  {Glossaire).  Hérémence 
forme  également  en -^_y^  le  participe  féminin  de  la  i"'^  conjugai- 
son, et  cubare  y  est  prononcé  koa  (Lavallaz,  pp.  209  et  116). 

eihàlys,  mayens  à  Saint-Martin:  Caully,  1878;  Plan  des 
Cholies  ou  C/iaulies,  autre  1.  d.  mentionné  dans  un  acte  de 
délimitation  de  1832  (ci-dessus,  p.  76,  n.  i). 

De  kôly?,  «  porte  d'enclos,  dans  les  hauts  pâturages  et  les 
mayens.  »  Cf.  le  1.  d.  è  (vers)  la  kôlys,  à  l'entrée  de  la  montagne 
■de  Lovegnoz,  à  Saint-Martin. 

é  holybrè,  1.  d.  de  la  montagne  de  Bréonne,  à  Evolène. 

/  hblyuerd  {u  consonne),  1.  d.  à  Ayent  :  Holiere,  1906,  12  ; 
Holuere,  1880,  1858. 

Cf.  les  lieux  dits  Colluaire,  etc.  (Jaccard,  p.  99),  identiques 
au  fr.  «  couloire  ». 

/  hgmbè,  1.  d.  à  Euseigne,  commune  d'Hérémence  :  /  Humbes, 
1878;  —  à  Saint-Jean  :  y  Ilombe,  1878,  1863,  1858;  —  à  la 
montagne  de  Pipinet,  à  Randogne. 

/  hbnibd  de  mâch,  1.  d.  près  du  hameau  de  Mars,  à  Hérémence. 

ei  ou  c  honmhè  (deux  pâturages),  c  hombè,  é  hpnbè,  é  honbc  de 
Varvel,  lieux  dits  à  Evolène. 

/  hbmbè  (ou  honbè)  nîrè,  1.  d.  à  Grimentz  -.y  Hombenire,  1908, 
2.  —  Cf.  le  1.  d.  Combenoire,  au  Lieu  1  Vaud). 

I  honbè,  1.  d.  à  Ayer:  Hombe,  1902,  1873,  1859. 

/'  honmbè,  forêts  à  Ver  cor  in  :  Hombe,  1904,  1850. 

i  hginhè  ou  i  prà  di  hbmbè,  1.  d.  à  Miège  :  Hombes,  1910. 

/  hombè  de  varôouna  (ail.  kumè),  partie  de  la  montagne  de 
Varonne  ( Varneralp)  située  sur  le  territoire  de  jNIollens. 

/  humbè  de  ban,  vignes  voisines  de  celles  de  Banc,  à  Cher- 
mignon  :  les  Hinnbes  de  Banc,  1856;  les  Hombes,  1868. 

/  honib3,  1.  d.  à  Icogne  :  M[ou]''"  des  Combes,  1878  (S.  481). 


78  ERNEST   MURET 

i  horibd  OU  honbè,  ravins  au-dessous  d'Ayent  :  Hombes,  1880^ 
1858. 
De  cumba,  «  combe  »,  dont  suivent  quelques  dérive's. 

/  hàmbèlè,  1.  d.  à  Ayer  :  Hombelle,  1902,  1873,  1859. 

u  honbqh,  1.  d.  à  Arbaz  :  Homballe ,  Hombale,  1879,  1865, 
185 1.  • —  Cf.  ib.  le  1.  d.  e?i  konbala. 

De  konbala^  «petit  vallon»  (Bagnes,  Glossaire)^  afr.  combele. 
Cf.  La  Comhallaz^  aux  Ormonts  (Vaud),  et  le  1.  d.  en  la  kbm- 
bela,  à  Grimentz. 

/  hômbalete,  1.  d.  à  Montana:  es  Humbalettes ,  1878. 

Diminutif  de  «combe»:  formé  des  mêmes  éléments  que  le 
fr.  comblette^  afr.  combelette,  qui  n'est  usité  que  dans  un  emploi 
métaphorique,  comme  terme  de  vénerie.  Cf.  le  1.  d.  Kumelti. 
à  Louèche-les-Bains. 

/  hbmbetl\  1.  d.  à  Chalais  :  Hovibette,  1904,  1850. 
De  konbeia^  diminutif  de  «  combe». 

/  honmbilè,  champs  contigus  aux  prés  de  la  Combelle,  à 
Grimentz. 

Dérivé  de  cumba  par  le  suffixe  -Icula. 

/■  hb-nd3mln3^  hameau  de  Lens  :  Hondemines^  1863;  es  Conde- 
mines  ^  1856. 

/  hondsmpnè  ou  horidsmjns^  prés  et  champs  à  Ayent:  Honde- 
niene,  1906,  38,  1880,  1858. 

a  la  ho-nd3ni\iia,  1.  d.  à  Chermignon.  —  Voyez  ci-dessus,. 

P-  53- 

Du  bas  latin  condomina,  condamina.  Cf.  les  lieux  dits 
Condamine  ou  Condemine  (Jaccard,  p.  102). 

/  horbè^  vignes  à  Ollon,  aux  confins  des  communes  de  Cher- 
mignon  et  Granges  (ci-dessus,  p.  51)  :_)'j  Horbes,  1856  (Lens); 
Horbes,  1604  (d'après  M.  Modeste  Germanier,  notaire  à 
Granges). 

/  hûrb?^  vignes  à  Ayent:  Horbes,  1906,  9. 

C.  les  lieux  dits  Corbaz^  Corbes,  Corbettes  (Jaccard,  p.  105V 


EFFETS    DE   LA    LIAISON    AVEC    S   FINALE  79 

/■  hgr\^  1.  d.  à  Ayent. 

Cf.  le  1.  d.  en  vyc  kor^,  à  la  montagne  de  Corbire,  au-dessus 
de  Montana. 

éi  houlâyè,  lieux  dits  à  Evolène. 

Cf.  les  lieux  dits  Culayes  ou  Cullayes  (Jaccard,  art.  Culand^ 
p.  126),  identiques  au  fr.  «  culée  ». 

/■  houles,  1.  d.  de  la  montagne  de  Pipinet,  à  Randogne. 
Cf.  les  lieux  dits  Culet  et  Culat  (Jaccard,  1.  cit.)  et  l'art,  culet 
du  Dictionnaire  de  Godefroy. 

/  haimounch,  )     . 

:    lieux  dits  a  Evolene. 
0  plan  déi  ha/moun,    ) 

en  la  zô  dé  hatmounch  ou  é  haiwonch^  forêt  à  Evolène. 

i  hannouii^  1.  d.  à  Ayer:  Huniun,  i9°2,  1873,  1859. 

Du  pluriel  «  communs  »  pris  aux  sens  de  «  communaux  ». 

u  hrés^  1.  d.  à  Arbaz  :  Urées ^  1879,  1865,  185  i  ;  Hréésse,  1879  : 
Hréess,  1851. 

De  kré,  «  crêt  »,  forme  masculine  de  «  crête  ». 

/  hrc7'ay\s,  pre's  à  Mollens  :  Crevais,  '875. 

i  hrévais,  vignes  à  Randogne:  Crevais,  Crevays,  1878. 

Cf.  le  1.  d.  /  krcvais  ou  krèvayis  (de  deux  sujets  différents»^ 
prés  sur  un  terrain  un  peu  mouvant,  à  Miège,  et  voyez  Jaccard, 
art.  Crevey  (p.  121).  Noms  probablement  dérivés  par  le  suffixe 
-ici us  du  participe  passé  de  crepare,  «crever». 

Dans  le  1.  d.  /  hrèv'eks,  à  Evolène,  on  retrouve  non  seule- 
ment le  même  radical,  mais  aussi  le  même  suffixe  composé 
-aticius,  non  le  suffixe  -etum,  qui  ne  saurait  être  joint  au 
radical  d'un  verbe.  Cf.  les  lieux  dits  éi  chaipleks,  à  Evolène, 
et  /  chaiplhs ,  à  Hérémence,  dérivés  de  chaiplà,  «brûler», 
comme  les  mots  français  «brûlis,  coulis,  levis,  taillis  »  de 
«  brûler,  couler,  lever,  tailler  ».  La  différence  de  timbre  qu'on 
observe  entre  le  second  e  de  hrèveks  et  celui  de  c/ia/plèks 
se  répète  entre  le  1.  d.  sébeks  (p.  72)  et  la  plupart  des  autres 
noms  en  -etum,  qui  ont  dans  le  patois  d'Evolène  un  e  ouvert.. 


-So  ERNEST   MURET 

/  hro/'ây?,  1.  d.  de  la  montagne  du  Lucel,  à  Evolène. 
ci  gran,  ci  pititc  hrojâyc,  lieu  dit  de  la  montagne  du  Cotter, 
à  Evolène. 

Du  participe  passé  féminin  de  kroja,  «  creuser  »  (Vissoie). 

/  hfojèt,  1.  d.  à  Grimentz. 

/  hrbjet^  1.  d.  de  la  montagne  de  Lirec,  à  Ayer. 
Diminutif  de   «creux».   Cf.  les  lieux  dits  Croset  et  Crosat 
(Jaccard,  art.  Crau,  p.  120),  ai  h'bjH,  à  Montana. 

/  hràjwat  ou  krôjwai,  1.  d.  de  la  montagne  de  Merdechon, 
à  Mollens. 

Cf.  le  1.  d.  (1/  kràpoat,  à  Grimentz. 

i  hrôu,  1.  d.  à  Painsec  :  _y  Hrou^  Hrotix,   1878,  1863,  1858. 
/  hrôû  ou  kroû,  lieux  dits  à  Mollens  et  à  Randogne. 
De  krou,  «  creux  »  (Vissoie). 

c  gran  hrâijs,  1.  d.  de  la  montagne  d'Arzinol,  à  Evolène. 
Cf.  les  lieux  dits  è-n  krâija,  à  Vercorin,  Craiisaz,   Creiisaz, 
formes  féminines  de  l'adjectif  «  creux  ». 

/  hrousc,  vignes  à  Chermignon. 

Ni  le  mot  trousd^  «jupon  »,  qui  m'est  signalé  par  M.  Gauchat, 
ni  le  mot  krais\  (Vissoie,  Luc,  Lens),  krais  (Painsec)  ou 
kroisd^  «  son  de  farine  »,  ne  conviennent  pour  le  sens.  Mais  le 
pluriel  //  Â'rafs,  dé  krais,  dont  on  se  sert  quelquefois  à  Painsec, 
en  parlant  dim  mets  de  mauvaise  qualité,  semble  pouvoir  être 
appliqué  à  la  dénomination  d'un  lieu,  si  la  nature  du  terroir 
n'y  répugne  pas,  ce  que  j'ignore. 

é  hricny?,  mayens  à  Evolène:  Hernies,  1878;  Croules,  1878, 
1850. 

Cf.  afr.  cruie^  crue,  crie^  «  cruche  »  ? 

/  /noarp,  champs  à  Euseigne,  commune  d'Hérémence  : 
Houarros,   1878. 

Cf.  les  lieux  dits  é  mayen  dd  kivdrb,  à  Saint-Martin,  et  ai- 
kîuàrà,  à  Veysonnaz,  et  le  nom  de  famille  Quaroz  [hcârà),  à 


EFFETS    DE   LA    LIAISON    AVEC    S    FINALE  8l 

Hérémence,  ou  Quarroz  {kwàrro),  à  Saint-Martin.  On  sait  que 
beaucoup  de  noms  de  localités  ont  été  formés  en  mettant  au 
féminin  celui  d'un  propriétaire. 

S  +  Kl 

Il  n'y  a  (jue  très  peu  d  exemples  dans  le  corps  des  mots: 
b.  1.  cremasclum  et  le  dérivé  «crémaillère»,  exclusa, 
<^  écluse  »,  et  m  a  s  c  u  1  u  m  ,  «  mâle  »,  dans  le  Glossaire  de  Vissoie 
et  V Atlas  linguistique  (cartes  349,  440  et  804),  misculare, 
«mêler»,  et  afr.  esclater,  dans  le  Glossaire  de  Vissoie  seul.  Les 
formes  de  «  mêler  »  recueillies  par  M.  Edmont  à  Evolène, 
Vissoie  et  Lens  (1625)  paraissent  influencées  par  le  français. 

Evolène  :  krh/tayjré,  l'xlyôûja  (E.)  ;  1.  d.  à  plan  de  me^lyà. 

Grimentz  :  cdlàja. 

Vissoie:  kbmàflb  (G.),  kaimâhlô  (E)  ;  èhlaouj^  (G.),  chloja 
(E.)  ;  jnâhlo,  mchla,  èhlata,  (G.). 

Lens:  kômâhlô  (E.),  èflo„ja  (G.);  kbmaxlîfd  (appellatif  et 
nom  d'un  des  chalets  de  la  montagne  d'Hert  de  Chermignon). 

Ayent  :  1.  d.  ij  èyjatjoura. 


i  '/.Çivc ,  champs  en  amont  d'Euseigne  (Hérémence),  au- 
dessous  du  hameau  de  la  Crète,  en  face  de  Saint-Martin.  — 
D'après  un  autre  sujet,  on  appelle  i  klèvc  (i  Cleives,  1878)  les 
communaux  qui  s'étendent  au-dessous  du  village  principal, 
d'Euseigne  et  de  Saint-Martin,  sur  les  deux  rives  de  la  Borgne. 

ei  J^lçivc,  forêt  à  Evolène:  les  Cleives,  1893.  —  Cf.  ib.  les 
lieux  dits  a  la  kly'çiva,  ei  klyèivè. 

i  xlyçyy,  1-  d.  d'Ayent  :  Fleives,  1906,  46;  Cleyes,  Cleives, 
1880,  1858. 

Pluriel  d'un  appellatif /è/j'tfiZ^rt  ou  klçya,  très  fréquent  dans  la 
toponymie  valaisanne  et  peut-être  identique  au  suivant. 

i  hlîvc,  hlîvè  ou  dlîvc,  1.  d.  à  Grimentz:  y  Hlives,  1878; 
Flives,  1878,  1863,  1851. 

/  hlivè  ou  klîvc,  1.  d.  à  Miège. 

6 


82  ERNEST    MURET 

i  fXivc,  1.  d.  à  Luc:_>'  F/ ires,  1880,  1863,  1851. 

Iflîvè,  1.  d.  à  Vercorin  :  Flrce,  1904;  Flives,  1880.  —  Cf.  ib. 
le  1.  d.  /  klîvc. 

De  klfva  ou  klyîva  (cliva,  pi.  de  clivus),  qui  de'signe  à 
Lens  une  «  pente»,  à  Saint-Jean  et  Ayerun  «  mauvais  terrain  », 
un  «  mauvais  pré  ». 

i  Xlvèvetc,  1.  d.  à  Randogne. 

//  yjyietd,  I.  d.  à  Arbaz.:  y  Illêcttes  ou  llléttes,  1879;  FI  cette, 
1865  \y  Hleétte  ou  Clectes,  185  i. 

Diminutif  du  ou  des  noms  précédents.  Cf.  les  lieux  dits  en  la 
khçta,  à  Arbaz,  a  la  klyéivèta  ou  ei  klyéwètè,  à  Evolène. 

é  xh'^^  ou  xy^^,  Ci  xh'^'^  ^^'  P^}  plusieurs  lieux  dits  dans  les 
montagnes  d'Evolène. 

Formes  liées  du  pluriel  klybs  de  klybt,  «  trou,  enfoncement, 
dépression  de  terrain  ». 

é  xlybtçs,     \ 

é  yjbtcis,  lieux  dits  dans  les  montagnes  d'Evolène. 

ei  xbtaiès, 

Diminutifs  de  klybt.  Cf.  afr.  dot  et  et  eh  tel. 

i  xb'^^  mayens  à  Euseigne,  commune  d'Hérémence  :  Clhioud, 
1878;  Clhioux,  1878,  185 1.  —  Cf.  ib.  le  1.  d.  en  tsan  klyât. 

I  hibou  bbvî  ou  dlôoH  bbvî,  1.  d.  à  Saint- Jean  :  ;'  Flohovi, 
Fleubovi,  1873,  1863,  1858.  —  Le  déterminatif  bbi'î  est  sans 
doute  le  nom  de  famille  Bovier,  prononcé  boTÎ  à  Nax  et  bbvi 
à  Evolène. 

z  hibou,  1.  d.  à  Ayer  :  Fleur,  1902,  1873,  1859. 

/  Xb'àou,  1.  d.  à  Randogne.  —  Cf.  ib.  le  1.  d.  ai  klyàou. 

i  yjyôinerlô  ou  a  klyànièrlo,  1.  d.  à  MoUens.  —  «  Merle  »  se 
dit  mèria  à  Mollens  ;  mais  ce  mot  varie  de  genre  dans  nos 
patois,  comme  en  ancien  français.  Ce  peut  être  ici  un  nom  de 
famille  ou  un  sobriquet. 

De  kim,  kl  à,  klàon  ou  klyàou,  «  clos  ». 


EFFETS    DE    LA    LIAISON    AVEC    S    FINALE  83 

i  hli'hnije  OU  dlôjè,  1.  d.  à  Saint-Jean:  y  Flei/gé  1878,  1863, 
1858. 

Floujet,  1880,  Floujeih,  1880,  1863,  ].  d.  à  Luc. 

i  Xlyâljety,  1.  d.  à  Lens:  les  Floiigettes  1856,  igoo. 

/  xly^""f^'Ç^  (^'  consonne),  mayens  à  Mollens  :  Clauches,  '875. 

Diminutifs  de  cl  au  su  m,  «  clos  »,  par  les  suffixes  -ellum  ou 
-ittum,  -itta  et  -iolum.  Cf.  afr.  closel,  closet. 

é  xlyôjourc  ou  xlyôoujcurc,  1.  d.  à  Evolène. 
Cf.  le  1.  d.  ij  èyjaijour?,  à  Ayent,  et  l'afr.  closure,  «  clôture, 
cloison,  barrière  >•. 

CAS  DOUTEUX 

Les  groupes  de  consonnes  hr  et  ;f/>',  parfois  réduit  à  yy  ou  I. 
étant  très  rares  au  commencement  des  mots  dans  les  patois 
d'Evolène  et  d'Ayent,  on  peut  soupçonner  dans  les  cas  sui- 
vants les  effets  de  la  liaison  d'un  /  ou  d'un  k  initial  avec  une  s 
finale.  Mais  je  ne  connais  pas  de  mots  auxquels  puissent  être 
rattachés  avec  vraisemblance  ces  noms  de  lieu. 

/  hras,  1.  d.  de  la  montagne  de  Serein,  à  Ayent. 

ci  tiiayen  dé  //j'Ây//',  \ 

è-n  la  konha  dé  xlyjsiè,       lieux  dits  à  Evolène. 

/  xl^siinè,  ' 

é  xonfrè,  1.  d.  de  la  montagne  de  Bréonne,  à  Evolène. 

Ernest  Muret. 


ETYMOLOGIES 

-♦- 

I.  Xeuch.  bœrnâ,  «heureux». 

Ce  mot,  très  fréquent  dans  la  littérature  patoise  de  mon 
canton,  me  rappelle  l'expression  du  vieux  français  Inier  est  nez 
=  il  est  né  sous  une  bonne  étoile.  L'origine  doit  être  la  même: 
bona  hora  natus.  Le  pendant  mala  hora  natus,  afr.  mar 
nez,  n'existe  plus  dans  le  dialecte  neuchâtelois,  mais  les  patois 
du  Valais  offrent  encore  manià,  fém.  marnâye,   «misérable». 

2.  Rom.  dcsuvi,  «contrefaire». 

Vaud.  et  frib.  dhuvi  (s  dure),  dcsuyi,  dechoui ;  val.  dèsoyc; 
neuch.  dèchouà  =  imiter  une  personne,  son  ton,  son  langage, 
ses  gestes,  de  manière  à  la  rendre  ridicule.  D'une  base  latine 
deexjocare,  dont  le  y'  aura  été  absorbé  par  l'.r  précédent. 
Comp.  le  développement  de  jocare=  dzuvi,  dzuyi,  dzoyé. 
Pour  la  terminaison  à  de  dechouâ  cf.  l'afr.  joër,  où  la  palatali- 
sation  manque  également.  Le  français  déjouer^  qui  n'a  pas  le 
même  sens  que  notre  mot,  est  composé  autrement  :  dis- 
jocare. 

3.  Neuch.  iioupèr,  «  jacinthe  ». 

Le  glossaire  inédit  de  G.  Quinche  enregistre  ce  mot,  écrit 

tioûpair.  J'y  vois  un  dérivé  de  clavus  pers[ic]us  et  j'en 

conclus  qu'une  variété  à  fleur  bleue  de  cette  plante  a  dû  être 

favorisée.    En   patois  vaud.,   elle  s'appelle  aussi    simplement 

klyou  =  clou,  à  cause  de  la  forme  du  bouton  non  développé. 

Comp.  l'expression  c/oi/  de  girofle,  ail.  Nelke  =  Ndgelke,  ail. 

suisse  Ndgeli. 

L.  Gauchat. 


•I^^î 


LKS  CRIS  DE  GENEVE 
-*- 

Les  cris  traditionnels  par  lesquels,  dans  les  grandes  villes 
surtout,  les  vendeurs  ambulants  signalent  leur  présence  aux 
clients  et  annoncent  leur  marchandise,  ont  excité  depuis  long- 
temps la  curiosité  des  observateurs  des  mœurs  populaires.  Ces 
cris,  plus  nombreux  et  plus  variés  autrefois  qu'aujourd'hui, 
jouaient  un  rôle  moins  effacé  et  constituaient  un  facteur  impor- 
tant de  la  physionomie  populaire  de  certaines  cités.  Dans  la 
brève  introduction  qu'il  a  mise  à  sa  collection  des  cris  des 
vendeurs  de  Naples  S  K.  Sachs  a  énuméré  les  principaux 
ouvrages  où  ont  été  réunies  ou  étudiées  des  collections  ana- 
logues. Presque  tous  se  rapportent  aux  cris  de  Paris"',  Dans  la 
capitale  de  la  France,  ce  sujet  est  devenu  dès  le  moyen  âge  un 
thème  littéraire.  Au  XIII^  siècle  déjà,  Guillaume  de  la  Ville- 
neuve compose  en  194  vers  son  «  dit  >  des  Crier ies  de  Paris. 
Mais  c'est  le  XYI^  siècle  surtout  qui  mit  à  la  mode  les  produc- 
tions littéraires  sur  les  cris  des  marchands.  La  plus  connue  et 
la  plus  étendue  est  celle  du  peintre  Antoine  Truquet:  Les  cent 
et  sept  cris  que  Von  crie  jotirnellement  à  Paris.  De  nouveau 
composé  en  rhimme  française  pour  resjouir  les  esperits,  où 
chacun  des  vendeurs  signale  sa  marchandise  en  un  quatrain 
approprié,  plus  ou  moins  plaisant.  Le  succès  de  la  pièce  est 
attesté  par  les  multiples  éditions  qui  se  succédèrent  de  1545 
jusqu'à  la  fin  du  XVII^  siècle   et  par  les  additions  qu'on  fit 


'  Die  Schreie  der  Verhàufer,  dans  la  Zeitschrijt  f.  roui.  Philologie,  XX 
{1896),  p.  492-499- 

^  Un  a  pour  objet  les  cris  de  Dijon  et  deux  les  cris  de  Londres. 
M.  Lambert  s'est  occupé  récemment  des  cris  des  rues  dans  le  Midi  de 
la  France  [Revue  des  langues  rotii.,  1910,  p.  5-2S)- 


86  J.  JEANJAQUET 

bientôt  au  texte  primitif.  Des  recueils  d'images,  avec  ou  sans 
texte,  représentent  dès  la  même  époque  les  types  caractéris- 
tiques de  vendeurs  et  témoignent  aussi  de  la  vogue  du  sujet. 
Celui-ci  fut  même  transporté  au  théâtre  \  Les  appels  des  mar- 
chands ambulants  ayant  chacun  leur  mélopée  propre  et  tradi- 
tionnelle, les  musiciens  y  pouvaient  aussi  trouver  matière  à 
composition,  et  ce  côté  musical  n'a  pas  non  plus  été  négligé. 
En  1550,  un  des  plus  célèbres  compositeurs  de  l'époque, 
Clément  Jannequin,  entreprit  de  rendre  dans  un  quatuor  les 
principaux  cris  de  Paris.  Au  XIX=  siècle,  le  musicien  Georges 
Kastner  en  a  tiré  une  symphonie^.  Mais  ces  grandes  composi- 
tions ne  purent  naturellement  jamais  prétendre  à  la  popularité. 
En  revanche,  la  forme  de  la  chanson  à  couplets  sur  un  air 
connu  parvint  à  renouveler  la  vogue  du  thème  usé  des  cris  de 
Paris.  Dès  1572  apparaît  une  Chanson  nouvelle  de  tous  les  Cris 
de  Paris,  se  chantant  sur  l'air  de  la  Volte  de  Provence,  qui  fut 
réimprimée  jusque  dans  le  courant  du  XVIII^  siècle  ^ 

Il  n'était  pas  inutile  de  rappeler  ces  vicissitudes  littéraires  et 
cette  diffusion  des  cris  de  Paris  pour  expliquer  l'apparition 
et  apprécier  l'originalité  de  la  chanson  patoise  des  Cris  de 

'  Voir  la  Farce  nouvelle,  très  bonne  et  fort  récréative  pour  rire  des  cris 
de  Paris,  impiimée  à  Lyon  en  1548  et  reproduite  par  Viollet-le-Duc, 
Ancien  théâtre  fiançais,  II,  p.  303-325. 

-  Les  Voix  de  Paris.  Essai  d'une  histoire  littéraire  et  musicale  des  cris 
populaires  de  la  capitale....  suivi  de  Les  Cris  de  Paris,  orande  symphonie 
humoristique,  vocale  et  instrumentale.  Paris  1857. 

^  Toutes  les  pièces  anciennes  mentionnées  ci-dessus  ont  été  réunies 
par  A.  Franklin  dans  le  volume  de  la  collection  «  La  vie  privée  d'au- 
trefois »  auquel  nous  avons  emprunté  nos  renseignements  et  qui  est 
intitulé  L'annonce  et  la  réclame.  Les  cris  de  Paris  (Paris  1887).  C'est  à 
cette  édition  que  se  rapportent  nos  références  dans  la  suite  de  ce  tra- 
vail. Une  réimpression  facsimilc  des  Cris  de  Paris  de  Truquet  a  paru  en 
1872  dans  la  «  Bibliothèque  gothique  »  du  libraire  Bailleu.  La  chanson 
de  1572  et  le  texte  de  Truquet  sont  aussi  reproduits  dans  Paris  bur- 
lesque et  ridicule  au  XVIl^  siècle,  par  P.  L.  Jacob  (Paris  1859),  mais  d'après 
des  éditions  de  beaucoup  postérieures  aux  originaux  et  qui  présentent 
de  nombreuses  altérations. 


LES    CRIS    DE    GENEVE  87 

Genève,  que  nous  publions  ci-dessous.  Ce  texte  curieux  n'a 
guère  attire  jusqu'ici  l'attention  de  ceux  qui  se  sont  occupés 
de  la  littérature  ou  de  l'histoire  de  Genève.  Gaullieur  est  le 
seul,  à  notre  connaissance,  qui  l'ait  au  moins  mentionné.  II  lui 
consacre  trois  lignes  et  en  indique  la  date  probable,  mais  ne 
s'arrête  pas  au  contenu  de  la  pièce,  dont  il  ne  cite  que  le  titre'. 
II  est  vrai  que  la  valeur  littéraire  en  est  nulle  et  que  le  fait 
qu'elle  a  été  imprimée  seulement  comme  feuille  volante,  au- 
jourd'hui très  rare,  l'a  empêchée  d'être  connue  en  dehors  d'un 
cercle  très  restreint  de  collectionneurs.  Elle  n'a  pas  échappé 
aux  recherches  de  John  Jullien  et  de  Jean  Humbert,  qui  en 
ont  laissé  des  copies"; mais  en  1875,  le  savant  bibliographe  du 
patois  de  Genève,  M.  Eugène  Ritter,  n'en  avait  pas  vu  d'exem- 
plaire imprimé  et  n'en  connaissait  qu'une  copie  manuscrite  due 
à  M.  DuBois-Melly,  d'après  laquelle  il  cita  le  premier  couplet  ^ 
C'est  d'après  la  même  copie  que  M.  Gauchat  publia  en  i8g6 
les  couplets  i  et  3,  avec  traduction  ^  Dix  ans  plus  tard  seule- 
ment, M.  Ritter  signale  à  la  rédaction  du  Glossaire  le  don  fait 
à  la  Société  de  Lecture  de  Genève  d'un  original  imprimé  et 
lui  en  communique  le  texte  exact,  avec  traduction.  En  191 1 
enfin ,  les  vingt  couplets  des  Cris  de  Genève  ont  été  publiés 
dans  la  Revue  savoisienne  par  M.  J.  Désormaux*,  non  pas  tou- 
tefois d'après  l'imprimé  original,  mais  d'après  un  recueil  ma- 


'  «  Les  Cris  de  Genève  mis  en  chanson  patoise  sont  aussi  un  monu- 
ment de  cette  littérature  populaire,  qui  fut  imprimé,  sinon  compose,  à 
la  même  époque  que  les  pièces  de  l'Escalade,  c'est-à-dire  dans  la  se- 
conde moitié  du  dernier  siècle.  »  Gaullieur,  Etudes  sur  l'hisloire  littéraire 
de  la  Suisse  française,  Genève  1856,  p.  290. 

-  Voir  la  Bibliographie  linguistique  de  la  Suisse  romande,  t.  I,  n»  740. 

•''  Recherches  sur  le  patois  de  Genève,  Genève  1875 j  p.  13. 

■*  Dans  le  recueil  Aus  allen  Gauen.  Dichtungen  in  den  sclnuei\eriscben 
Mundarten,  Zurich  1896,  p.  1 50-151.  Reproduit,  avec  des  interpréta- 
tions de  son  crû,  par  F.  C[habloz]  dans  la  Feuille  d'Avis  de  Neuchdtel 
du  30  mars  1896,  sous  le  titre  Les  Cris  de  la  Rue. 

'  Formulettes  en  patois  savoyard,  dans  la  Revue  savoisienne,  191 1, 
p.  188-190. 


88  J.  JEANJAQ.UET    ' 

nuscrit  de  la  fin  du  XVIII<=  siècle,  appartenant  à  M.  A.  Bétant, 
de  Genève.  Le  texte  présente  plusieurs  interversions  et  des 
altérations  qui  rendent  certains  passages  incompréhensibles. 
L'éditeur  ne  s'est  d'ailleurs  pas  rendu  compte  de  la  véritable 
nature  de  la  pièce,  qu'il  donne  comme  une  série  de  formulettes 
ou  de  rimailles  présentant  de  bizarres  associations  d'idées.  Le 
principal  intérêt  du  manuscrit  genevois  nous  paraît  être  qu'il 
donne  la  mélodie  de  la  chanson,  que  M.  Désormaux  n'a  pas 
reproduite,  mais  que  nous  sommes  en  mesure  d'offrir  à  nos 
lecteurs,  grâce  à  l'amabilité  de  M.  Bétant  et  à  l'obligeante 
entremise  de  M.  A.  van  Gennep. 

Les  recherches  que  nous  avons  faites  dans  diverses  collec- 
tions publiques  et  particulières  de  Genève  nous  ont  fait 
connaître  six  exemplaires  du  placard  imprimé  de  notre  texte. 
Ils  ne  sont  pas  identiques,  mais  représentent  trois  éditions 
distmctes,  que  nous  avons  décrites  comme  suit  dans  la  Biblio- 
graphie linguistique  de  la  Suisse  romande,  t.  I,  n°  740  : 

Edition  A  (exemplaires  à  la  Bibl.  de  la  Société  de  Lecture 
et  dans  la  collection  RiHiet).  —  Feuille  in-fol.  (20  X  35  cm.) 
à  trois  colonnes,  séparées  par  un  trait  simple  ;  encadrement.  Au 
recto,  chanson  française  :  Les  Légats  de  la  Vache  à  Colas 
de  Sedege.  Verso,  titre:  Les  Cris  de  Genève,  mis  en 
Chanson  ;  |  Sur  l'Air,  de  V Aimable  Vainqueur.  Premier  vers 
de  chaque  colonne:  i.  RAclia  Seinena;  2.  A  mon  bo  hlian 
Chablon;  3.  U  bon  Triolet;  dernier  vers  :  Zai  le  fua  û  cû.  FiN. 

Edition  B  (exemplaires  à  la  Bibl.  de  Genève,  Gf.  555  bis, 
pièce  n»  6,  et  dans  les  collections  Maillart  et  Lullin).  — 
Variante  de  l'édition  précédente.  Feuille  in-fol.,  également  à 
trois  colonnes  et  encadrement,  mais  la  séparation  des  colonnes 
est  constituée  ici  par  de  petits  ornements  ronds  alignés.  Les 
Cris  de  Genève  occupent  le  recto,  au  sommet  duquel  se  trouve 
une  tête  de  lion  flanquée  de  deux  amours  couchés.  Titre  et 
disposition  du  texte  comme  dans  A.  Texte  lui-même  identique, 


LES    CRIS    DE    GENÈVE  89 

sauf  quelques  légères  divergences.  Le  mot  Fix  manque.  Au 
verso  :  Les  Légats  de  la  Vache  à  Colas  |  de  Sedege. 

Edition  C  (exemplaire  dans  la  collection  Rilliet).  —  Feuille 
in-fol.  (22  X  37  cm.)  à  trois  colonnes,  sans  séparation  ni  enca- 
drement au  recto  ;  avec  en-tête,  large  bordure  et  séparation  au 
verso.  Texte  en  caractères  italiques.  Au  recto,  deux  chansons 
françaises  d'Escalade  :  Qu'elle  fatale  Journée  et  Contentez-i'ous 
Savoyards.  Verso,  titre:  Les  Cris  de  Genève.  |  Mis  en 
Chanson,  |  Sur  l'Air  de  r Aimable  J^ainqueur.  Répartition  du 
texte  en  trois  colonnes  comme  dans  A  et  B. 

Malgré  leur  sujet  complètement  étranger  aux  démêlés  de 
Genève  avec  les  Savoyards  et  à  l'événement  historique  de 
1602,  les  Cris  de  Genève  rentrent  dans  la  catégorie  des  «  Chan- 
sons d'Escalade  »,  qui  s'imprimaient  dès  le  XVIP  siècle  sur 
feuilles  volantes  et  se  vendaient  chaque  année  à  l'occasion  de 
la  fête  commémorative  du  1 2  décembre  ^  Ils  en  ont  tout  à  fait 
l'aspect  extérieur  (format,  papier,  impression)  et  le  fait  qu'une 
des  éditions  est  jointe  à  deux  vraies  chansons  d'Escalade 
montre  bien  que  ces  productions  avaient  pour  rôle  commun 
•d'égayer  le  traditionnel  repas  d'Escalade.  On  remarque  au 
XVIII'^  siècle  une  tendance  à  renouveler  et  à  varier  le  réper- 
toire usité  en  cette  occasion.  On  pourrait  supposer  que  le 
libraire  ou  l'imprimeur  qui  utilisa  dans  ce  but  les  Cris  de 
Genève  ne  fit  qu'adapter  à  un  but  nouveau  une  composition 
déjà  existante.  Le  fait  est  certain  pour  la  seconde  pièce  des 
■édition  A  et  B,  Les  Légats  de  la  vache  à  Colas,  qui  est  une 
vieille  chanson  huguenote  du  temps  de  Henri  IV-.  Mais  pour 
les  Cris  de  Genève,  nous  en  sommes  réduits  aux  conjectures. 
L'auteur  en  est  inconnu  et  nous  ne  voyons  dans  le  texte  aucun 
indice  qui  permette  de  lui  assigner  une  date  un  peu  précise. 


'  Voir  sur  cette  littérature  Bibliographie  liiu^uistique  etc.,  t.  I,  p.  [64 
et  suivantes. 

-  Elle  figure  déjà  dans  le  recueil  de  chansons  d'Escalade  imprimé  à 
Amsterdam  en  1702. 


90  .  J.  JEANJAQ.UET 

Celle  de  V Aimable  Vainqueur,  sur  l'air  duquel  se  chantaient  les 
Cris  de  Genève,  serait  probablement  plus  aisée  à  retrouver, 
mais  ne  fournirait  qu'un  terminus  a  quo.  En  admettant  comme 
probable  que  l'époque  de  l'impression  soit  assez  voisine  de 
celle  de  la  composition,  ce  n'est  que  d'une  façon  dubitative 
que  nous  placerons  celle-ci  vers  le  milieu  du  XVIIP  siècle. 
Par  l'examen  des  originaux,  les  spécialistes  en  typographie 
genevoise  arriveraient  peut-être  à  des  résultats  plus  assurés. 
Mais  ce  qui  nous  paraît  certain,  c'est  que  l'auteur  des  Cris  de 
Genève  s'est  inspiré  de  l'ancienne  Chanson  des  Cris  de  Paris  ^ 
et  l'a  prise  pour  modèle.  Le  procédé  de  composition  des  deux 
pièces  est  tout  à  fait  le  même.  Il  suffira  pour  s'en  convaincre 
de  citer  un  des  couplets  de  la  chanson  française  : 

Prunes  de  damats,  cerises, 
Quomquombre,  beaux  abricau.x. 
De  bon  ancre  pour  escrire. 
Beaux  melons,  gros  artichaux. 
Harenc  frais,  maquereau  de  chasse. 
A  refaire  les  seaux  et  soufflets. 
CytrouUes.  Filace,  filace. 
Qiii  a  vieux  chapeaux,  vieux  bonnets-? 

On  voit  que,  dans  l'un  comme  dans  l'autre  cas,  l'auteur  s'est 
borné  à  diviser  en  séries  d'égale  longueur  et  à  mettre  bout  à 
bout,  dans  le  pêle-mêle  le  plus  complet,  les  cris  variés  des 
vendeurs  ambulants.  Les  textes  eux-mêmes  sont  différents  dans 
leur  ensemble,  mais  présentent  toutefois  des  coïncidences  qui 
ne  nous  paraissent  pas  s'expliquer  toutes  par  l'identité  du  sujet. 
Nous  les  avons  relevées  dans  les  notes  de  notre  édition  Si  la 
forme  métrique  diffère  complètement,  c'est  qu'elle  était  déter- 
minée  par    celle   de   la   chanson  qui   fournissait  la  mélodie. 


'  Brunet,  Manuel,  II,  425,  en  cite  des  réimpressions  populaires  de 
Troyes,  avec  privilèges  de  1714  et  1724.  M.  A.  Bovet,  élève  de  l'Ecole 
des  Chartes,  qui  a  bien  voulu  rechercher  pour  nous  ces  éditions  dans 
les  bibliothèques  de  Paris,  n'a  pas  réussi  à  les  y  découvrir. 

-  Franklin,  ouv.  cité.  p.  219. 


LES    CRIS    DE    GENEVE  91 

laquelle  n'était  pas  la  même.  La  pièce  parisienne  comprend 
dix  couplets  de  huit  vers,  les  quatre  premiers  de  sept  syllabes 
et  les  quatre  derniers  de  huit  (avec  plusieurs  irrégularite's), 
tandis  que  la  chanson  patoise  est  divisée  en  huit  couplets  de 
vingt  petits  vers  (le  sixième  en  a  vingt-et-un),  généralement  de 
cinq  syllabes,  mais  qui  en  ont  aussi  parfois  quatre  ou  six.  On 
comprend  que  la  nécessité  de  conserver  autant  que  possible  au 
cri  sa  forme  traditionnelle  ait  grandement  gêné  la  versification. 
Aussi  le  poète  de  Genève,  encore  plus  dénué  de  talent  que  son 
confrère  parisien,  a-t-il  renoncé  à  rimer  entièrement  sa  pièce. 
Dans  chaque  couplet,  un  nombre  plus  ou  moins  considérable 
de  vers  sont  dépourvus  de  rimes. 

En  donnant  à  ses  Cris  de  Genève  la  forme  du  patois  local, 
l'auteur  n"a  pas  seulement  voulu  donner  à  son  œuvre  un  carac- 
tère plus  original  et  plus  plaisant,  mais  il  n'a  sans  doute  fait 
que  se  conformer  à  la  réalité.  Il  s'en  faut  d'ailleurs  de  beau- 
coup que  le  patois  dont  il  se  sert  soit  parfaitement  pur.  On  y 
retrouve  les  traits  essentiels  du  dialecte  de  la  région,  mais  les 
formes  plus  ou  moins  francisées  sont  fréquentes,  et  des  vers 
entiers  sont  complètement  en  français.  Ce  mélange  d'éléments 
dialectaux  et  de  français  correspondait  vraisemblablement  à 
l'état  réel  des  choses  et  a  été  voulu  par  l'auteur.  C'est  donc  bien 
à  tort,  à  notre  avis,  que  M.  DuBois-Melly  s'est  efforcé  dans  sa 
copie  de  restituer  partout  un  patois  correct.  Les  marchands 
ambulants  n'étaient  certainement  pas  tous  de  Genève  ou  des 
environs  immédiats  S  et  si  le  patois  était  encore  d'un  usage 
général  dans  les  classes  populaires  au  milieu  du  XYIIIn^^  siècle, 
le  français  était  cependant  connu  de  tous.  Il  devait  déjà  tendre 
à  s'infiltrer  dans  l'idiome  local  et  à  le  supplanter,  surtout  dans 


'  Dans  les  deux  couplets  qu'il  a  reproduits,  F.  Chabloz  a  cru  pou- 
voir distinguer  les  cris  de  maraîchers  français,  de  revendeurs  italiens, 
de  «  crampets  du  Jura  »,  de  marcliandes  de  poissons  vaudoises,  etc.  Il 

a  bien  de  l'arbitraire  dans  ces  attributions^  mais  l'idée  fondamentale 
;:st  juste. 


92  J.  JEANJAQ.UET 

les  manifestations  de  la  vie  publique.  On  sait  que  dès  1703  il 
avait  été  ordonné  aux  huissiers  de  l'Audience  de  faire  leurs 
publications  en  français  et  non  plus  en  patois  ^ 

On  sera  peut-être  surjjris  de  l'abondance  des  cris  de  tous 
genres  recueillis  par  le  chansonnier.  Sont-ils  tous  bien  authen- 
tiques et  l'auteur  n'a-t-il  pas  amplifié  un  thème  facile  en  puisant 
dans  son  imagination?  Nous  n'avons,  malheureusement,  aucun 
moyen  de  contrôler  l'exactitude  de  ses  kyrielles.  En  tout  cas^ 
si  elles  ont  réellement  existé,  il  n'en  subsistait  déjà  que  bien 
peu  de  chose  une  centaine  d'années  plus  tard.  Blavignac  a 
consacré  une  partie  du  trosième  chapitre  de  son  précieux 
recueil  de  folklore  genevois  aux  cris  des  marchands  tels  qu'il 
les  avait  encore  entendus  vers  le  milieu  du  XîX'"'=  siècle".  On 
n'y  trouve  que  de  bien  rares  échos  de  la  chanson  des  Cris  de 
Geficve.  Il  ne  faudrait  cependant  pas  se  hâter  d'en  conclure 
que  cette  dernière  ne  fut  en  grande  partie  qu'une  fiction.  Pen- 
dant cent  ans,  les  usages  avaient  bien  changé.  Si  l'on  veut  se 
faire  une  idée  du  rôle  que  jouaient  encore  au  XYIII'"*^  siècle 
les  cris  de  la  rue,  il  suffira  d'évoquer  la  page  si  vivante  cpie 
Sébastien  Mercier  a  consacrée  aux  cris  de  Paris  dans  son  tableau 
de  la  capitale  :  «  Non,  il  n'y  a  point  de  ville  au  monde  où  les 
crieurs  et  les  crieuses  des  rues  aient  une  voix  plus  aigre  et 
plus  perçante.  Il  faut  les  entendre  élancer  leurs  voix  par  dessus 
les  toits  ;  leur  gosier  surmonte  le  bruit  et  le  tapage  des  carre- 
fours. Il  est  impossible  à  l'étranger  de  comprendre  la  chose;  le 
Parisien  lui-même  ne  la  distingue  jamais  'que  par  routine.  Le 
porteur  d'eau,  la  crieuse  de  vieux  chapeaux,  le  marchand  de 
ferraille,  de  peaux  de  lapin,  la  vendeuse  de  marée,  c'est  à  qui 
chantera  sa  marchandise  sur  un  mode  haut  et  déchirant.  Tous 
ces  cris  discordants  forment  un  ensemble  dont  on  n'a  point 
d'idée  lorsqu'on  ne  l'a  point  entendu...  On  entend  de  tous 
côtés  des  cris  rauques,  aigus,  sourds  :   «  Voilà  le  maquereau, 


'  E.  Ritter,  Recherches  sur  le  patois  de  Genève,  p.  22. 
^  Eniprô  genevois,  2<^  édition,  Genève  1875,  p.  181-213. 


LliS    CRIS    DE    GENEVE  93 

qui  n'est  pas  mort,  il  arrive,  il  arrive  !  »  «  Des  harengs  qui  gla- 
cent, des  harengs  nouveaux!  »  «  Pommes  cuites  au  four!  »  «  Il 
brûle,  il  brûle!  »  ce  sont  des  gâteaux  froids.  «  Voilà  le  plaisir 
des  dames,  voilà  le  plaisir  !  »  c'est  du  croquet.  «  A  la  barque, 
à  la  barque,  à  l'écailler!  »  ce  sont  des  huîtres.  «  Portugal, 
Portugal  !  »  ce  sont  des  oranges.  Joignez  à  ces  cris  les  clameurs 
confuses  des  fripiers  ambulants,  des  vendeurs  de  parasols.  Les 
hommes  ont  des  cris  de  femmes,  et  les  femmes  des  cris  d'hom- 
mes. C'est  un  glapissement  perpe'tuel;  et  Ton  ne  saurait  peindre 
le  ton  et  Taccent  de  cette  pitoyable  criaillerie.  lorsque  toutes 
ces  voix  réunies  viennent  à  se  croiser  dans  un  carrefour  ^  » 
Genève  n'est  sans  doute  pas  Paris,  mais,  toutes  proportions 
gardées,  on  peut,  d'après  cette  description,  se  représenter  ce 
que  devait  être  dans  la  cité  de  Jean- Jacques  Rousseau  l'anima- 
tion des  rues  aux  jours  de  marchés  et  s'imaginer  combien 
l'impression  produite  par  ces  multiples  appels  des  vendeurs, 
dans  leur  patois  original,  devait  différer  de  celle  de  la  Cxenève 
cosmopolite  d'aujourd'hui. 

Nous  donnons  ci-dessous  une  reproduction  exacte  de  l'édi- 
tion B  de  l'imprimé  du  XVIII'"^  siècle.  Nous  avons  laissé  sub- 
sister la  division  des  mots  parfois  défectueuse,  l'accentuation 
et  la  ponctuation  insuffisantes  de  l'original.  La  traduction  mise 
en  regard  servira  de  correctif.  L'orthographe  est  semblable  à 
celle  des  vieilles  chansons  d'Escalade  en  patois.  La  prononcia- 
tion y  est  représentée  d'une  façon  approximative,  sans  viser  le 
moins  du  monde  à  une  grande  précision  ni  à  une  uniformité 
rigoureuse.  Une  des  particularités  caractéristiques,  qu'on 
retrouve  dans  la  plupart  des  anciens  textes  genevois,  est  l'em- 
ploi de  s,  z  pour  noter  les  spirantes  interdentales  d,  ô,  qui  cor- 
respondent, dans  les  patois  de  la  région,  aux  sons  c/i,  J,  du 
français;  ainsi:  se/nena  «cheminée»,  so  «chaud»,  assefa, 
«  acheter  »,  perse  «  perches  »,  arzan  «  argent  >-,  rozo  «  rouge  », 


'  Mercier,  Tableau  de  Paris,  chap.  579. 


94  J-    JEANJAQUET 

pinzon  «  pigeon  »,  zerba  «  gerbe  »,  etc.  La  comparaison  de 
notre  texte  avec  celui  des  deux  autres  éditions  décrites  plus 
haut  ne  nous  a  fait  constater  que  des  variantes  insignifiantes. 
On  a  affaire  à  de  simples  réimpressions,  qui  sont  entre  elles 
dans  la  plus  étroite  dépendance.  Nous  avons  signalé  dans  les 
notes  les  quelques  divergences  des  éditions  A  et  C,  sans  enre- 
gistrer toutefois  de  simples  différences  dans  l'emploi  arbitraire 
des  majuscules  ou  des  accents.  Nous  avons  aussi  utilisé  les 
manuscrits  Bétant,  J.  Humbert  et  DuBois-Melly,  mais  nous  n'en 
avons  mentionné  qu'exceptionnellement  les  variantes,  ces 
copies  remontant  sûrement  à  des  imprimés  tels  que  ceux  que 
nous  avons  eus  sous  les  yeux  et  offrant,  par  conséquent,  peu 
d'intérêt  pour  la  critique  du  texte. 

La  musique  est  empruntée  au  manuscrit  Bétant  S  p.  40-42, 
que  nous  avons  reproduit  sans  modification.  Il  faut  probable- 
ment suppléer  en  tête  un  si  bémol  comme  indication  de  la  tona- 
lité. La  faute  de  mesure  de  la  cinquième  ligne  (4^  mesure)  est 
dans  l'original. 

Outre  le  volume  déjà  cité  de  Franklin  sur  les  Cris  de  Paris, 
les  ouvrages  auxquels  nous  renvoyons  sans  cesse  dans  les  notes 
sont  les  suivants  : 

J.  Humbert,  Noiiveati  glossaire  genevois.  Genève  1852,  2  vol. 

Alexis  François,  Les  provincialismcs  suisses-romands  et 
savoyards  de  Jean- Jacques  Rousseau,  dans  les  Annales  de  la 
Société  Jean- Jacques  Rousseau,  t.  III  (1907),  p.  1-67. 

J.  Blavignac,  L'empro  genevois.  2^  édition.  Genève  1875. 

A.  Constantin  et  J.  Désorma.ux,  Dictionnaire  savoyard.  Paris 
et  Annecy  1902. 

F.  Fenouillet,  Monographie  du  patois  savoyard.  Annecy  1903. 


*  Ce  manuscrit,  de  44  p.  111-4»  oblong,  avec  lacune  de  22  à  27,  ne 
porte  ni  nom  ni  date.  L'écriture  et  le  papier  semblent  indiquer  la  fin  du 
XVIIIe  siècle  plutôt  que  le  commencement  du  XIXe,  auquel  l'attribue 
M.  Désormaux.  Outre  les  Cris  de  Genève,  on  y  trouve  le  Ce  qu'é  laino, 
couplets  1-6 1,  avdc  musique  notée,  et  diverses  autres  chansons  d'Esca- 
lade en  français,  la  plupart  également  avec  mélodie. 


LES    CRIS    DE    GEXHVE 


95 


A.  Constantin  et  P.  Gave,  Flore  populaire  de  la  Savoie. 
ii"^  partie.  Annecy  190S. 

Les  formes  patoises  d'Hermance  ont  été  relevées  par  nous 
dans  cette  localité  genevoise. 


Les  Cris  de  GENEVE,  mis  en  CHANSON  ; 

Sur  l'Air  de  Y  Aimable  l'ainqueitr. 


Ra  -  clia    se  -  me  -  iia ;  La  -  fc      sau     c  -  cra  -  ma;   Vo- 


-é •- 


:^=i==^ 


H  -   vo    rail    fai  -  ua,  Ou    qitar  -  //        de     tiè  -  vra  Fa  -  ra    hou 


J 


1= 


=1=F 


d:=± 


^=t: 


t=t:=^ 


:^=^=: 


it 


tZIIÉl 


bouil-Jon,        Vo  -  li  -   vo      ran  pian-drè,    Yè    bon      et        tan-dro, 


m- 


-^ 


—^-. 


^=^ 


=1=i 


--^ 


m  —  ^- 


Pn-gni    ka  -  qu{e)raii  ;    E     rav{e)  el      é        fin;  L'on  pi  -  a      de 


:i—\—^- 


=ftzitr 


:p=:t=i: 


îï=t==P= 


::lzzzi=: 


bii,   Pa  -  né      pa  -  te  -  liait  -  lé      E     sa  -  pé     de    pail  -   le;     A 


tii: 


::l=1: 


:^ 


^ 


mou     bons      0  -  gnons,    E        pia      de      meii  -  ton;     A        ta     fi 


:,=J=^ 


-é — ^ 


^3^ 


cas  -si  -   a;     Bon  -  lé  -  te    far  -  ci  -   a,      A     mon    bo      car  -  don  : 


:=1: 


=1: 


=^ 


•^^•- 


V- 


mi — 0 — aM— •  — • — 0-^-^T — '-* 


No  -  ga,      110  -  ga,  La    vi  -  va,    à       la  viv{a),E   bel{lè)fa  -  ra. 


96 


J,    JEAXJÀQ.UHT 


Radia  Seuiena; 
Lafè  fan  écrama; 
Voli-vo  ran  Faina, 
On  qiiarti  de  Tiévra, 
)  Fara  bon  bouillon, 
Voli-vo  ran  prandrè. 
Yè  bon  &  tandro 
Pregni  kaqueran  ; 
E  Rave  &■  é  Tiii  ; 

lo  L'on  Pia  de  Bu, 
Pané  Patenaillè, 
E  Sapé  de  paillé  ; 
A  mou  bon  ognons 
E  Pia  de  Menton; 

1  )  A  la  Frecafjia  ; 
Botiléte  farcia, 
A  mon  ho  Cardon  ; 
Noga,  Aoga, 
La  viva  à  la  viva, 

20  E  belle  Fara. 


Racle  cheminée  (ramoneur)  î 

Lait  non  écrémé  ! 

Ne  voulez-vous  rien,  femme  ? 

Un  quartier  de  chèvre 
)   Fera  de  bon  bouillon  ; 

Ne  voulez-vous  rien  prendre  : 

Il  est  bon  et  tendre, 

Prenez  quelque  chose  ! 

Aux  raves  et  aux  choux  ! 
10  Les  pieds  de  bœuf! 

Panais,  carottes, 

Aux  chapeaux  de  paille  ! 

A  mes  bons  oignons  ! 

Aux  pieds  de  mouton  ! 
15   A  la  fricassée  ! 

Boulettes  farcies  ! 

A  mon  beau  cardon  ! 

Nougat  !  nougat  ! 

Fretin  !  au  fretin  ! 
20  Aux  belles  feras  ! 


I.  Le  cri  du  ramoneur  ne  manque  dans  aucun  des  anciens  Cris  de 
Paris;  voir  Franklin,  pp.  156-157  (avec  reproduction  d'une  image  du 
XVIe  siècle),  172,  213,  216.  Pour  Genève,  cf.  Blavignac,  p.  194. 

6.  Les  trois  éditions  impriment  Voli-von,  simple  erreur  typographique. 

II.  Le  patois  des  environs  de  Genève  emploie /ia«(J  pour  désigner  le 
millet  (Hermance  ;  cf.  H umbert, />««<;/;  Flore  pop.,  n"  745).  Certaines 
régions  de  la  Savoie  appliquent  aussi  ce  mot  au  mouron  [Dict.  sav., 
pane;  Flore  pop.,  no  1172),  mais  le  fait  que  pané  est  joint  ici  à  patenaillè 
indique  qu'il  s'agit  du  panais,  plante  potagère  (Pastinaca  sativa,  L. 
d.  Flore  pop.,  no  740).  Cf.  «  Panets,  beaux  panets,  Beau  cresson,  ca- 
rotte, carotte  »,  Chanson  des  Cris  de  Paris,  p.  219. 

13.  bas  Ognon  C. 

1 5 .  Frecasia  C. 

17.  Ici  et  dans  quelques  autres  passages,  où  le  pluriel  paraîtrait  plus 
naturel  (p.  ex.  vers  45,  49,  loi,  146),  il  serait  facile  de  lire  mou  au 
lieu  de  mon,  malgré  l'accord  des  trois  éditions. 

17-20.  Par  suite  d'une  erreur  d'interprétation  de  la  disposition  du 
texte  dans  le  manuscrit  Bétant,  M.  Désormaux  a  imprimé  ces  quatre 
vers  en  tête  du  ler  couplet.  La  même  interversion  des  quatre  derniers 
vers  se  reproduit  pour  les  couplets  2  et  3. 

19-20.  C'est  à  toft  que  DuBois,  suivi  par  Ans  alleu  Gaiien,  p.  XX, 


LES    CRIS    DE    GENEVE  97 

[2.J  2. 

A  mon  Ventre  de  Vé  A  mon  ventre  de  veau  ! 

E  bon  pia  de  vé  ;  Aux  bons  pieds  de  veau  ! 

A  ma  bella  braza  A  ma  belle  braise  ! 

Aj'eta  ma  paille  Achetez  ma  paille  ! 

25  Arsan  dé  bonnet;  25  Argent  des  bonnets  ! 

LiaJ'fe  d'Espargè  Bottes  d'asperges  ! 

E  belle  RemafJ'è  Aux  beaux  balais  ! 

Veji^ni  éi  mé  frai;  Venez  à  mes  fraises  ! 

E /lia /rai,  Aux  œufs  frais  ! 

50  La  Marmota  envia  ;  30  La  marmotte  en  vie  ! 

Vegni  è  Sèra//iè;  \'enez  aux  séracées  ! 


traduit  «  à  la  vive  et  belle  fera».  E  ne  représente  pas  ici  la  conjonction 
«et»,  mais  l'article  es  «aux»,  comme  l'indique  la  forme  plurielle 
hUé.  Les  vers  19  et  20  sont  donc  indépendants  l'un  de  l'autre.  Blavi- 
gnac,  p.  202,  cite  le  cri  :  «  A  la  vive  I  Aux  belles  feras  !  »  comme 
encore  en  usage  de  son  temps  parmi  les  poissonnières,  mais  il  n'était 
plus  compris  et  était  souvent  altéré  en  Lavivvobell  férds  ou  Labibobell 
fèrds,  à  quoi  les  gamins  ne  manquaient  pas  d'ajouter  :  La  pie  hell'é 
ctcvd!  Viva  désigne  la  blanchaille,  le  menu  fretin  qu'on  mange  en  tri- 
ture ;  voir  sur  ce  mot  J.  Jud.  Les  noms  des  poissons  du  lac  Léman,  dans  le 
Bulletin  du  Glossaire,  1912,  p.  34.  Sur  la  /é;'a,ibid.,  p.  23-27,  et  François, 
p.  38,  où  se  trouve  une  abondante  bibliographie.  Rousseau  a  écrit  : 
«  Je  mangerois  bien  de  cette  ferra  »  (Nouvelle  Héloïse,  VI,  11).  D'autres 
ont  tait  le  mot  masculin. 

25.  La  formule  flr;{a;z  de...  signifiant  «achetez-moi...  »  revient  en- 
core aux  vers  36,  83,  90  et  109.  Elle  se  retrouve  dans  la  Chanson  des 
Cris  de  Paris  de  1572  :  «  Argent  de  mes  gros  ballets  «  ;  «  argent  du  fin 
trébuchet  »,  éd.  Franklin,  p.  219. 

28.  Fai  A. 

29.  Esiia  C.  Il  faut  naturellement  entendre  :  é-^  lia.  Cf.  dans  la 
Chanson:  «Beaux  œufs  frais»,  p.  216,  et  dans  Truquet  :  «  J'ay  des 
œufz  frais  »,  etc..  p.  194. 

51.  Notre  texte  distingue  entre  sérassia  a  séracée  »  et  sairay  «  sérac  » 
(vers  52),  qui  désignent  deux  choses  différentes.  «  Sérac»  (ou  ses  équi- 
valents dialectaux)  est  répandu  dans  toute  la  Suisse  romande  comme 
nom  du  fromage. blanc,  de  nature  particulière,  qu'on  tire  du  petit  lait 
restant  après  qu'on  a  extrait  le  premier  fromage.  «  Séracée  »  paraît,  en 
revanche,  particulier  aux  parlers  de  la  région  savoyarde  et  jurassienne. 
Le  mot  figure  dans  quelques  dictionnaires  français,  grâce  au  fait  qu'il 
a  été  employé  par  J.  J.  Rousseau  dans  la  Nouvelle  Héloïse,  IV,  10  : 
<(  La  Fanchon  me  servit  des  grus,  de  la  céracée,  des  gaufres,  des  écre- 
lets».  et.  François,   p.  40.   Rousseau  explique  en  note  :    «  Laitages 


98  J.    jEAX)AQ.UET 

E  bo  Ravounets ;  Aux  beaux  radis  ! 

Haran  Soret  Hareng  saur  ! 

A  mon  f ai  de  Bot  :  A  ma  charge  de  bois  ! 

35  ^  fnon  bon  Zenaivro  35  A  mon  bon  genièvre  ! 

Arzan  de  mé  Coêfè  Argent  de  mes  coiffes  1 

Vegni  II  Mourguet  ;  Venez  au  muguet  ! 

Dé  Bas,  dé  Bas  ;  Des  bas,  des  bas  ! 

E  Seudelet  fo  fo,  Aux  chaudeaux  tout  chauds  ! 

40   Vegni  è  bon  Cara.  40  Venez  aux  bons  «  carrés  »  ! 


excellens  qui  se  font  sur  la  montagne  de  Salève.  Je  doute  qu'ils  soient 
connus  sous  ce  nom  au  Jura.  »  Les  définitions  des  lexicographes  mo- 
dernes ne  sont  pas  très  précises,  ni  concordantes  :  Humbert  traduit  par 
((  Caillebotte,  lait  caillé  dont  on  a  séparé  le  petit  lait  et  qui  fait  masse  >', 
et  Littré  reproduit  cette  définition  sous  «  séracée  »,  après  avoir  traduit 
simplement  par  «sorte  de  laitage»  sous  «  céracée  ».  Le  Dict.  sav. 
explique  sérachà  par  «  petit  lait  avec  lequel  on  fait  un  fromage  mou  et 
maigre,  appelé  seré  en  patois  et  sérac  en  français  local  »,  et  Fenouillet 
par  «  lait  caillé  et  préparé  d'une  certaine  façon  ».  Nous  croyons  plus 
exacte  dans  sa  btièveté  la  définition  de  M.  J.  Hubschmied,  qui  a  relevé 
sèrasya  au  Val-de-Travers  et  l'explique  par  «  seré  non  pressé  ».  Ce  qui 
nous  paraît  en  effet  assuré,  c'est  que  la  «séracée»  est  une  masse 
caséeuse  fraîche,  pouvant  être  assaisonnée  de  différentes  manières  et 
destinée  à  être  mangée  immédiatement ,  tandis  que  le  «  sérac  »  est 
pressé  et  salé  pour  être  conservé.  Cela  ressort  aussi  de  l'exemple  relevé 
par  M.  François  (p.  43 ,  sous  grn)  dans  un  acte  de  1708  :  «  L'amo- 
diateur  [du  pâturage]  doit  livrer  tous  les  vendredis  une  séracée  à  raison 
de  3  sols.  Blavignac,  p.  198,  mentionne  comme  toujours  existant  le  cri 
«  Aux  séraces  !  »  Mais  les  «  séraces»  semblent  être  encore  autre  chose 
que  les  «  séracées  ».  D'après  le  Glossaire  de  Duret,  on  appelle  sérftça 
des  grumeaux  de  «  caillé  très  doux  »  provenant  d'un  second  barattage 
du  babeurre.  Cf.  V Atlas  livg.de  la  France,  carte  1605,  points  81 5  et  869, 
où  seras  signifie  «lait  de  beurre».  Enfin  Bridel  donne  scrassct,  s.  ni. 
«  grumeaux  de  lait  caillé  très  délicats  (La  Côte).  » 
37.  Moiirget  C. 

39.  «  Chaudeht,  chaudeau,  boisson  chaude  composée  de  lait,  d'œufs 
et  d'eau  de  fleur  d'oranger  qu'on  donne  aux  femmes  lorsqu'elles 
viennent  d'accoucher  ».  Humbert.  Il  faut  croire  que  l'usage  de  cette 
boisson  réconfortante  était  plus  général  au  XVIII=  siècle. 

40.  Nous  n'avons  pas  retrouvé  dans  le  patois  actuel  l'explication  du 
mot  cara.  DuBois  pense  qu'il  s'agit  d'une  sorte  de  balance,,  dite  à 
Genève  «  levreau  »  ou  «  quarré  »,  ce  qui  est  bien  peu  probable.  On 
pourrait  plutôt  penser  à  une  pâtisserie  de  forme  carrée.  A  Arzier  (Jura 
vaudois).  karrfi  désigne  aussi  une  motte  de  beurre. 


LES    CRIS    DE   GENKVE 


99 


[î-1 

E  bo  Polatou  ; 

Ouranse  et  Citron 

Vegni  é  akméte, 

E  fainnes  lunétes  ; 
4)  A  mon  bo  Sapon, 

E  Tome  de  Tievra 

Chalada  rornanna 

Moulo  de  Boton 

A  mon  Bénaiton 
50  Et  Fazioule  blianfe 

Egarzan  de  France, 

Vegni  II  Sairay 

U  bon  Beuro  frai 

A  tiwii  bo  Cordon 
5  )  A  mon  bo  blian  Chablon  [col. 2] 

Mé  Pointes  fainnès 

Me  bonnes  Epinguè 

Verro  zotdis 


3- 

Aux  bons  poulets  ! 

Oranges  et  citrons  ! 

Venez  aux  allumettes  ! 

Aux  fines  lunettes  ! 
45   A  mon  beau  chapon  ! 

Aux  «  tommes  »  de  chèvre  ! 

Salade  romaine  ! 

Moules  de  boutons  ! 

A  mon  hanneton  ! 
50  Aux  haricots  blancs  ! 

Eau-de-vie  de  France  ! 

Venez  au  «  sérac  »  1 

Au  bon  beurre  frais  ! 

A  mes  beaux  cordons  ! 
5  5   A  mon  beau  sable  blanc  ! 

Mes  fines  dentelles  ! 

Mes  bonnes  épingles  ! 

Verres  jolis  ! 


42.   Cf.  «  Auranges,  citrons»,  Chanson,  p.  216. 
46.  La  «  tomme  de  chèvre  »  est  un  petit  fromage  à  pâte  molle.  Ct. 
Humbert,  toniine  ;  Dict.  sav.,  tdmâ  ;  Fenouillet,  toma  ;  Blavignac,  p.  200. 

48.  On  appelle  encore  hàton  a  moulo,  ou  simplement  moido  les  bou- 
tons plats  en  os,  percés  de  cinq  trous  (Hermance). 

49.  Bènéton,  petit  panier  rond  de  paille  tressée,  sans  anse,  dan^ 
lequel  on  laisse  lever  le  pain  avant  de  le  porter  au  four  (Hermance). 
Cf.  Humbert,  bénaiton. 

31.  Egarzan,  sur  l'origine  et  l'extension  de  cette  appellation  de  l'eau- 
de-vie,  voir  Bulletin  du  Glossaire,  1904,  p.  36-58. 

32.  Sairay,  voir  ci-dessus,  vers  31. 

54.  Au  sujet  de  cordon ,  DuBois  fait  la  remarque  suivante  :  «  La 
mode  des  cordons  de  chapeaux  pour  hommes  (dits  Bourdaloue)  datant 
de  la  seconde  moitié  du  XVII'=  siècle,  peut-être  y  a-t-il  ici  un  indice 
touchant  l'époque  où  cette  chanson  fut  composée.  «  Mais  rien  n'in- 
dique dans  le  texte  qu'il  s'agisse  spécialement  de  cordons  pour  chapeaux 
d'hommes. 

36.  On  peut  hésiter  ^our pointes  entre  le  sens  de  «  dentelles»,  attesté 
pour  la  Savoie  par  Fenouillet,  et  celui  de  «  sorte  de  clou  »,  aussi  connu 
du  patois  (Hermance). 

38.   Zouli  n'appartient  pas  au  vocabulaire  patois,  qui  rend  «joli»  par 


lOO  J.   JEANJAQUET 

La  malice  dé  Faines  «  La  Malice  des  Femmes  > 

60  Et  Grifelidis.  60  Et  «  Griselidis  »  ! 

[4.]  4. 

E  Rave  û  barbo  Aux  raves  bouillies  ! 

Conté  &  Ciziati  Couteaux  et  ciseaux  ! 

Ratires  &  Cages  Ratières  et  cages  ! 

E  C/iales  de  paille  Aux  escabeaux  de  paille  ! 

6)   Farmolo  Cizio  63  Faire  aiguiser  ciseaux! 

Grefion  (5"  Griot  e  Bigarreaux  et  griottes  ! 

E  belle  Carotè ;  Aux  belles  betteraves  rougest 

Armana  nouveau  ;  Almanach  nouveau  ! 


bravo.  Cette  épithète  est  empruntée  au  français  «  Verres  jolis  >^  qui  se 
trouve  dans  la  chanson  des  Cris  de  Paris  (p.  216),  et  déjà  antérieure- 
ment dans  les  compositions  de  Jannequin  (p.  213),  de  Truquet  (p.  179) 
et  d'une  autre  du  commencement  du  XVIe  siècle  (p.  146). 

59-60.  Titres  de  livrets  appartenant  à  la  littérature  de  colportage. 
La  chanson  des  Cris  de  Paris  n'a  rien  d'équivalent,  mais  bien  la  pièce 
de  Truquet,  qui  consacre  six  vers  aux  «  babiolles  »  littéraires  (p.  200). 
L'histoire  de  Griselidis,  traduite  de  Pétrarque,  et  La  malice  des  femmes, 
pièce  en  vers  empruntés  au  Ma/Zw/^a-,  ont  été  souvent  imprimées  dès  le 
XVIe  siècle.  Voir  le  Manuel  de  Brunet,  qui  cite  entre  autres  des  édi- 
tions populaires  de  Troyes. 

61.  Barboter  signifie  «cuire  à  gros  bouillons»  et  les  «  raves  au 
barbot  »  sont  des  raves  bouillies  entières.  Voir  barbol  dans  Humbert  et 
dans  le  Dicl.  sav.  C'était  une  sorte  de  mets  national  savoyard,  qui  est 
aussi  mentionné  dans  le  Ce  qu'è  laine,  strophe  63.  DuBois  assure 
qu'on  en  préparait  en  hiver  sur  les  places  de  marché. 

64.  Chahs,  aujourd'hui  srtlè  (Hermance).  La  même  prononciation 
archaïque  de  Vs  comme  ch  se  retrouve  dans  clialade,  v.  47,  choflets, 
y.  109,  et  cholars,  v.  122.  Pour  la  signification,  cf.  «A  mes  belles  selles 
de  boys....  D'aucuns  n'en  ont  pas  pour  les  {c.-à-d.  se)  seoir»,  Truquet, 
p.  181.  Chala  revient  plus  loin  (v.  m)  avec  le  sens  de  «  selle  ». 

65.  DuBois  écrit  Arinolo  !  et  traduit  par  «Rémouleur!»  Il  faut 
plutôt  voir  dans  Farmolo  l'équivalent  de  far  rniolà.  L'auteur  a  sans 
doute  noté  le  cri  comme  il  l'entendait,  sans  se  rendre  compte  des  élé- 
ments de  la  composition.  L'a  des  infinitifs  a,  dans  les  patois  genevois, 
un  timbre  très  voisin  de  à. 

67.  Caràta  désigne  la  «  betterave  potagère  »,  dont  on  fait  de  la 
salade,  tandis  que  la  carotte  jaune  est  la  patenaille  mentionnée  au  vers  1 1 . 
Voir  Flore  pop.,  nos  140  et  192. 

68.  Cf.  «  Almanachs  nouveaux»,  dans  la  Chanson,  p.  216,  et  dans 
Truquet,  p.  296. 


LES    CRIS    DE    GEXEVE 


lOl 


TortoUion  to  J'o 
70  E  belle  Bougncie ; 
AfJ'eta  nié  Crebélie  ; 
Dé  bo  Articho, 
Livre  nouveau 
Vegni  è  Esc  a  r go 
73   E  bo  Abrico 

Cliapo  vieux  â  vendre 
Belle  toile  blanche 
E  bo  Taillerins 
E  Percé  &  è  .Ponie 
^o   Vegni  é  Rezain. 

[>■] 
Vin  roso  &'  blian 
Il  est  bon  e  fran 
Arzan  de  mous  Abro 
Ma  Polaille  gracha 

S  5  Mon  Fai  de  Serman 
Ho  laine  Halaine; 
Vegni  à  la  Betoine 
A  mou  bas  ribans  ; 
A  mou  bos  Haran 

-90  Arzan  de  mou  Peno; 
A  mon  fai  de  Perse 
Boun  Ancro  luisan; 


«  TortoUions  »  tout  chaiuls  ! 
70  Aux  beaux  beignets  ! 

Achetez  mes  corbeilles  ! 

Des  beaux  artichauts  ! 

Livres  nouveaux  ! 

Venez  aux  escargots  ! 
75  Aux  beaux  abricots! 

Vieux  chapeaux  à  vendre  ! 

Belle  toile  blanche  ! 

Aux  beaux  vermicelles  ! 

Aux  pêches  et  aux  pommes  ! 
80  Venez  aux  raisins  ! 

5- 

Vin  rouge  et  blanc  ! 

Il  est  bon  et  franc. 

Argent  de  mes  arbres  ! 

Ma  poule  grasse  ! 
85  Mon  fagot  de  sarments  ! 

Alênes,  alênes  ! 

Venez  à  la  bétoine  ! 

A  mes  beaux  rubans  ! 

A  mes  beaux  harengs  ! 
90  Argent  de  mes  peignes  ! 

A  mon  fagot  de  perclies  ! 

Bonne  encre  luisante  ! 


69.  «  Tortûlion,  craquelin,  sorte  de  pâtisserie  en  forme  de  collier.  » 
Humbert. 

70.  A  Herrrlance,  on  distingue  entre  les  hoiinyè,  «  beignets  «  et  les 
l'onnyétè,  faites  avec  de  la  pâte  de  pain,  frite  dans  l'huile  ou  dans  la 
graisse. 

76.  Cf.  «  Qui  a  vieux  chapeaux,  vieux  bonnets  ?  "  Chanson,  p.  220. 
78.  «  Taillerin,  petit  morceau  de  pâte  pour  la  soupe,  vermicelle  plat.  » 
Humbert.  — ^81.  roie  A.  —  85.  Sarman  C. 

86.  Les  alênes  ne  sont  pas  seulement  employées  par  les  cordonniers, 
mais  se  trouvent  à  la  campagne  dans  tous  les  ménages. 

87.  La  bétoine  est  probablement  ici  l'c  arnica  »,  très  employé  comme 
vulnéraire  et  qui  est  appelé  «  bétoine  de  montagne  »  dans  quelques 
régions  de  la  Savoie  et  dans  les  Alpes  vaudoises.  Y o'ir  Flore  pop.,  n^S,. 

92.  Cf.  «De  bon  ancre  pour  escrire»,  Chanson,  p.  220. 


102 


J.  JEANJAaUET 


Mous  bon  Ciiradan 
Gatio  de  milan 
95  La  taila  de  Rit  a 
Dé  Saiagnè  coite 
E  fleur  de  Pavo, 
La  morto  rats; 
Vo/ii'o-ran  prandre  ; 
loo  Pé  r'écoura. 


Mes  bons  cure-dents! 

Gâteaux  de  Milan  ! 
9)  La  toile  de  «  rite  »  ! 

Des  châtaignes  cuites  ! 

Aux  fleurs  de  pavot  ! 

La  mort  aux  rats  ! 

Ne  voulez  vous  rien  prendre 
ioo  Pour  récurer  ? 


[6.] 

A  mon  bo  Biscoin 
En  volivo  zain 
E  Mefé  à  la  RofJ'è 
E  belle  Epenoffe 
105  ISiy  vo  zain  de  Reprin 


6. 

A  ma  belle  brioche  ! 
N'en  voulez-vous  point  ? 
Aux  petits  pains,  à  Tarroche  ! 
Aux  beaux  épinards  !    [de  recoupe? 
105  Ne  prenez-(/;7/.  ii"avez)  vous  point 


94.   Gatiati  C. 

9j.  La  rita  est  la  filasse  peignée.  Cette  toile  indigène,  offerte  en 
patois,  s'oppose  sans  doute  à  la  «  belle  toile  blanche  »  annoncée  en 
français  au  vers  77. 

96.  Coite,  prononcer  koiiètè. 

98.  Cf.  "J'ay  la  mort  aux  rats,  aux  souris»,  Chanson,  p.  216,  et 
"  La  mort  aux  rats  et  aux  souriz  »,  Truquet,  p.  173. 

lOi.  mou  C.  —  Biscoin  «  pain  à  deux  pointes,  dont  le  nom  désigne 
la  forme  et  que  dore  une  forte  teinture  de  safran»,  Blavignac,  p.  195. 
Cf.  Humbert  et  Fenouillet.  On  en  vendait  encore  de  son  temps  dans 
les  foires  et  dans  les  «  vogues  ». 

105.  DuBois  écrit  «  à  la  rose  »  et  explique  par  u  manger  à  la  rose  ». 
c.-à-d.  exquis,  ce  qui  n'est  pas  soutenable.  Blavignac  parle,  p.  195,  de 
«  beignets  de  rose  »,  ainsi  appelés  d'après  leur  forme.  Nous  avons  aussi 
entendu  dire  «  beignets  à  la  rose  »,  mais  la  forme  rossè,  confirmée  par 
la  rime,  ne  saurait  être  identifiée  avec  «  rose  ».  Cf.  rouies  au  vers  118. 
Le  manuscrit  Bétant  a  roche.  Nous  croyons  qu'il  faut  comprendre  : 
E  mesè,  à  l'arossè.  M?ûè,  «  miche  »,  s'emploie  pour  «  petit  pain  »  (Her- 
mance),  et  l'arroche  des  jardins,  dont  les  feuilLs  sont  comestibles, 
s'accorde  bien  avec  les  «épinards»  du  vers  suivant.  La  Flore  pop., 
n°  87,  mentionne  arrousse  parmi  les  formes  du  français  régional. 

105.  Reprin,  farine  grossière  obtenue  par  une  seconde  mouture  du 
son. 


LES    CRIS    DE    GENEVE 


103 


A  la  Zernmitdria 

A  la  Secoria 

U  bon  Triolet  [co\.  3J 

Arsan  dé  Choflets 
]  I  o  La  bella  Cavala 

La  breda  &  la  chala, 

Aj'feta  la  may, 

Vegni  il  Sarbon 

Il  est  bo  e-  bon 
1 1 5   Point  de  chou  de  Ray 

.LL  belles  Alagnes  ; 

La  cire  d' Ef pagne 

Roiizes  ô   Ouliets, 

Conilli  de  bai  ; 
120   Terivo  à  caro, 

Pregni  garde  ii  boi. 

[7-] 
A  mon  bo  Cholars 
Fade  Ion  dècrota  ; 


A  la  germandréc! 

A  la  chicorée  ! 

Au  bon  trèfle  ! 

Argent  des  soufflets  ! 
110  La  belle  jument  ! 

La  bride  et  la  selle  ! 

Achetez  le  pétrin  ! 

Venez  au  charbon  ! 

Il  est  beau  et  bon. 
1 1 5   Point  de  choux  de  roi  ? 

Aux  belles  noisettes  ! 

La  cire  d'Espagne  ! 

Roses  et  oeillets  ! 

Cuillers  de  bois  ! 
120  Tirez-vous  de  côté! 

Prenez  garde  au  bois  ! 


A  mes  beaux  souliers  ! 
Faites-les  décrotter, 


106.  Zarmandria  AC.  A  Hermance,  <)arwaud)a,  plante  dont  on  fait 
des  tisanes. 

112.  Le  mot  habituel  dans  la  campagne  genevoise  pour  «pétrin, 
huche  à  pétrir  »  est  aripatir^.  Mè  est  cependant  aussi  connu.  Rousseau 
s'en  est  servi  ;  voir  François,  p.  45.  Cf.  Dicl.  sav.,  mè  et  Fenouillet, 
maie,  met.  La  traduction  de  DuBois  :  «  achetez-la-moi  »  est  inadmis- 
sible. Le  patois  dirait  adtâ  m  la. 

II).  Vers  d'interprétation  très  douteuse.  DuBois  écrit  Pointes  et 
traduit  par  «  pointes  (bourgeons)  de  choux-fleurs  (comme  on  apprête 
en  salade  les  brocolis)  >i  ;  mais  nous  ne  connaissons  l'appellation  «  chou 
de  roi  ))  ni  pour  le  chou-fleur  m  pour  une  autre  espèce  de  chou.  Notre 
texte  se  sert  d'ailleurs  plus  haut  (v.  9)  de  la  forme  patoise  tin.  Serait-il 
question  ici  d'une  pâtisserie?  Cf.  dans  Jannequin  (p.  215):  «choux, 
petits  choux  chauds  !  »  Point  représenterait  dans  ce  cas  «  voulez-vous 
point  »  et  serait  l'équivalent  du  voli-vo  ~ain  qui  revient  plusieurs  fois 
en  patois.  —   118.   OiiUers  C. 

120-121.  Cris  d'avertissement  invitant  les  passants  à  se  garer. 

122-126.  Réclame  poutiin  cirage  appelé  «la  Royale».  Ci.  «  noir  à 
noircir  »,   Chanson,  p.  219,  et  Truquet,  p.  167. 

123.  La    deuxième    personne  du    pluriel    de    l'impératif  du  verbe 


104  J.  JEANJAQ.UET 

MonJ'ieur  ils  font  /aies  Monsieur,  ils  sont  suies. 

125    Vegni  à  la  Royale,  125  Venez  à  la  Royale, 

No  Ion  cirerain,  Nous  les  cirerons. 

A  mou  bo  Pinzons ;  A  mes  beaux  pigeons  ! 

A  nié  bonnes  lardoires  ;  A  mes  bonnes  mésanges  ! 

Mon  bo  Champignon,  Mes  beaux  champignons  ! 

130  U petit  cabaret  130  Au  petit  cabaret! 

Parficot  Fenouillet  Persicot,  fenouilleite  ! 

Ma  hoiin  eau  clairette  Ma  bonne  eau  clairette  ! 

Mou  bons  écrelets  ;  Mes  bons  pains  d'épice  ! 

Vegni  es  Obelons,  Venez  aux  houblons  ! 


«  taire  »  est  aujourd'hui /a^'^/.  yiaxs  fade  a  existé.  Voy.  le  placard  patois 
de  J.  Gruet.  Fenouillet  (p.  78)  indique  les  deux  formes  pour  le  Chablais. 
128.  On  pourrait  songer  aux  «  lardoires  v,  qui  sont  mentionnées 
dans  Truquet,  p.  197.  Mais  le  voisinage  àni,  pinsons  rend  plus  probable 
qu'il  s'agit  des  mésanges,  en  patois  lârdêrè  (Hermance).  DuBois 
rapporte  qu'on  dit  encore  aujourd'hui  en  Savoie  qu'on  vend  tout  sur 
le  marché  de  Genève,  jusqu'à  des  lardaires. 

130.  Humbert  donne  a  cabaret,  sorte  de  petite  table»,  sens  que 
connaissent  aussi  les  dictionnaires  français.  A  Hermance,  on  nous  a 
indiqué  «  ustensile  pour  porter  des  verres  ou  des  bouteilles  ».  Ce  vers 
doit  être  joint  aux  trois  suivants  comme  cri  du  marchand  de  liqueurs  et 
de  pains  d'épice. 

131.  Blavignac,  p.  189,  définit  \e.  persicot  «  liqueur  dont  l'alcool  avec 
des  noyaux  de  pêches  formaient  la  base  )>.  Le  mot  a  été  admis  en  1760 
par  l'Académie.  Ménage  le  cite  déjà  dans  son  Dictionnaire  étymologique 
(1692)  en  disant  qu'il  vient  de  la  Savoie.  —  La  fenouillette  est  aussi 
une  liqueur,  à  base  de  grains  de  fenouil. 

132.  Ueait  clairette,  d'après  DuBois,  serait  composée  d'eau-de-vie, 
d'infusion  de  cannelle  et  d'un  peu  d'eau  de  rose. 

135.  Ecrelets,  mot  employé  par  J.  J.  Rousseau  dans  le  passage  déjà 
cité  plus -haut  (v.  31)  de  la  Noiivdle  Hêloïse,  IV,  10  (voir  François, 
p.  56)  et  enregistré  par  Littré.  La  forme  primitive  Ucrelet,  où  1'/  a  été 
prise  pour  l'article,  existe  concurremment.  Le  mot  est  tiré,  non  pas  de 
Leckerei,  comme  le  disent  Humbert  et  François,  mais  d'un  diminutif 
Leckerli,  usité  dans  la  Suisse  allemande,  d'où  proviennent  le  mot  et  la 
chose. 

134.  Obeloii  ;  les  jeunes  pousses  du  houblon  sont  comestibles.  Hum- 
bert cite  les  phrases  :  0  Cueillir  des  obelons  ».  «  Manger  des  obelons  en 
salade  >>. 


LES    CRIS    DE    GENEVE 


105 


1 5  5  AfJ'eta  de  Melon 

A  lue  pminnies  herbe 
AfJ'eta  ma  Zerba  ; 
A  mon  bo  Rampon  ; 
Dé  fleurs  de  Lits; 

140  Chanfon  d'Escalade 
A  mou  bo  oublis. 

[8.] 

Pondre  à  poudrer, 

Cire  à  cirer 

Belle  laine  blanche 
145   De  rite  de  France  ; 

A  mon  bo  rate  ; 

E  belle  rioiité 

Bonnes  échalottes 

E  peti  Yzé  ; 
150  U  bo  Piracè 

Tabac  à  fumer  ; 

Paffera  Merlo 

Vegni  c  Sambero; 

Liaffe  de  Poret, 
i))  A  mon  bo  Fliorety 

A  ma  bouna  Sia 

Affeta  ma  Fia; 


155  Aciietcz  lies  melons! 

A  mes  menues  herbes  ! 

Achetez  ma  gerbe! 

A  ma  belle  doucelte  ! 

Des  fleurs  de  lis  ! 
140  Chanson  d'l-"se,ilade  ! 

A  meb  beaux  pains  à  cacheter  ! 

8. 

Poudre  à  poudrer  ! 

Cire  à  cirer  ! 

Belle  laine  blanche 
145   De  «  rite  >>  de  France  ! 

A  mon  beau  râteau  ! 

Aux  beaux  liens! 

Bonnes  échalottes  ! 

Aux  petits  oiseaux  ! 
1 50  Au  beau  persil  1 

Tabac  à  fumer  ! 

Moineau,  merle  ! 

Venez  aux  ccrevisses  I 

Botte  de  poireaux  ! 
155  A  mon  beau  fleuret. 

A  ma  bonne  soie  ! 

Achetez  ma  brebis  ! 


1 36.  Praimmes  C. 

139.  Les  feuilles  de  lis,  conservées  dans  l'eau-de-vie,  étaient  un  vul- 
néraire qui  ne  manquait  dans  aucun  ménage. 

140.  et.  «  A  deux  liards  les  chansons  tant  belles  »,  Chanson,  p.  219. 
Sur  les  chansons  d'Escalade,  cf.  ci-dessus,  p.  89. 

147.  Rioulc,  liens  de  branches  flexibles,  pour  attacher  les  gerbes  ou 
les  fagots.  Cf.  Humbert,  rioùte  ;  Dict.  sav.,  rioiita. 

151.  Les  diff"érents  Ciis  de  Paris  ne  mentionnent  pas  encore  le  tabac. 
Il  était  répandu  chez  nous  dès  le  XVIIe  siècle. 

156.  Sous  l'influence  du  français,  la  plupart  des  patois  genevois 
disent  actuellement  soiié,  choiiè,  pour  «soie».  Mais  l'ancienne  forme 
indigène  sia  subsiste  dans  quelques  endroits.  Le  développement  se  ta 
>  sîa  est  parallèle  à  celui  de  fêta  >//a  «  brebis  »,  que  nous  avons 
au  vers  suivant  et  qui  est  conservé  presque  partout. 


lo6  J.  JEANJAQUET 

E  bon  Trebnchet ;  Aux  bons  ttébuchets! 

Egru,  Egrit  Aux  <(  grus  »,  aux  «  grus  »  ! 

160  Ma  SentiJ'e  bride  '  160  Ma  chemise  brûle, 
Zai  le  fua  ù  cû.  J'ai  le  feu  au  c... 


158.  Cf.  «  Argent  du  fin  trébuschet  »,  Chanson,  p.*2i9. 

159.  Gril  pourrait  être  «  gruau  »,  niais  il  est  plus  probable  qu'il  s'agit 
de  ce  laitage  analogue  à  la  uséracée»,  dontj.  J.  Rousseau  parle  dans 
le  même  passage  de  la  Nouvelle  Héloïse,  IV,  10  (ci-dessus,  vers  31). 
Voir  François,  p.  43.  Humbert  définit  «du  caillé,  du  sèret  mè\é  de 
crème  ». 

160- 161.  On  peut  rapprocher  le  passage  suivant  d'une  chanson 
populaire  jurassienne  en  patois  :  «  Au  secours  !  mon  cul  brûle  !  Ma 
chemise  s'en  sent.  »  Arch.  suisses  des  trad.  pop.  IV  (1900),  p.  151.  Aller 
crier  derrière  la  porte  :  «  Ma  chemise  brûle  !  Qui  est-ce  qui  l'éteindra?  » 
est  une  des  pénitences  de  «  jeux  de  gages  »  que  l'on  connaît  aussi  dans 
le  canton  de  Genève.  C'est  peut-être  ce  qui  a  suggéré  à  notre  auteur 
sa  conclusion  burlesque. 

L'édition  A  se  termine  par  le  mot  FIN. 

J.  JEANJAQ.UET. 


►>*^— 


TABLE  DES  MATIERES 
-*- 

Pages. 

J.  JUD.  Les  noms  des  poissons  du  lac  Léman 3 

Ernest  Muret.  Effets  de  la  liaison  de  consonnes  avec 
5  finale,  observés  dans  quelques  noms  de  lieu 
valaisans 4g 

L.  Gauchat.  Etymologies  :  i.  Neuch.  bicrnâ,  heureux. 
2.  Rom.  dèsuvi,  contrefaire.  3.  Neuch.  tioupèr, 
jacinthe 84 

J.  Jeanjaquet.  Les  cris  de  Genève 85 


— oc=C>C>0*^ 


IMPRIMERIES   RÉUNIES  S.    A.    LAUSANNE. 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du   Glossaire, 


DOUZIEME  ANNEE 
1913 


ZURICH 

BUREAU    DU    GLOSSAIRE 

Hofackerstrasse  44 


AUTOUR  DU  RHUIVIE 

-♦- 

Quand  'SI.  L.  Gauchat  m'invita  à  me  joindre  aux  rédacteurs 
de  ce  Bulletin  pour  fêter  l'anniversaire  de  M.  Schuchardt,  je 
me  demandais  sérieusement  si  j'avais  à  présenter  un  sujet  qui, 
vu  la  solennité  des  circonstances  et  la  nature  de  la  collabo- 
ration qu'on  attendait  de  moi,  pût  ne  pas  paraître  par  trop 
insignifiant.  J'avais,  il  est  vrai,  sous  la  main  des  études  sur  les 
noms  des  maladies  dans  les  langues  romanes.  Mais,  me  disais- 
je,  est-il  séant  de  parler  des  misères  de  l'humanité,  des  souf- 
frances corporelles  quand  on  présente  ses  vœux  à  un  maître 
vénéré?  Est-il  digne  d'étaler  devant  lui  des  expressions  patho- 
logiques, —  7tiala  ingrata  j'é'«/<?rz  .^  Cependant,  ce  qui  me  ras- 
surait un  peu  dans  mon  embarras,  c'est  que  j'avais  eu  l'honneur 
de  développer  quelques  problèmes  de  ce  genre  devant  lui  à 
Graz,  lors  du  congrès  des  philologues  en  1909;  et  c'est  en 
me  rappelant  la  bonté  dont  il  honora  mon  petit  essai  que 
je  me  décidai  à  présenter  ces  quelques  modestes  remarques. 
Puisse-t-il  dans  ces  pages  reconnaître  le  dévouement  et  la 
gratitude  de  l'auteur,  qui  ne  cessera  de  se  rappeler  ces  inou- 
bliables journées  d'automne  de  Graz  ! 

L'évolution  des  désignations  du  ^  rhume  '  est  peut-être  un 
des  plus  intéressants  chapitres  de  l'onomasiologie.  Nous  y 
trouvons  deux  groupes  différents  :  les  termes  savants  à  côté  des 
noms  populaires. 

A  regarder  de  près  les  diverses  expressions,  deux  notions 
prédominent  :  comme  l'essentiel  du  rhume,  on  regarde  ou  l'hu- 
meur qui  découle  des  fosses  nasales,  ou  l'accumulation  de 
matériaux  s'établissant  soit  dans  le  nez,  soit  même  encore  plus 
haut,  dans  le  cerveau.  Le  nez,  d'après  une  idée  très  ancienne. 


4  H,  URTEL 

ouvre  sur  le  cerveau  et  tout  ce  qui  descend  par  le  nez  vient 
directement  du  centre  de  la  pensée  humaine.  C'est  pour  cela 
qu'on  s'imagine  qu'un  rhume  purge,  pour  ainsi  dire,  le  cerveau, 
qu'il  de'gage  l'intérieur  du  crâne  de  toute  matière  encombrante  : 
ptirgari  coryza  et  hrancho  cereh-um,  dit  Hippocrate.  PJus  il 
sort  de  matière,  plus  il  se  fait  de  clarté  dans  l'esprit  (cf.  le 
proverbe  allemand  :  Viel  Rotz,  viel  Ver  stand). 

Partons  d'abord  de  l'idée  d'après  laquelle  le  rhume  consiste 
en  un  écoulement  et  passons  en  revue  les  expressions  savantes 
et  populaires  qui  s'y  rapportent  : 

I.  ùe~ju.u,  le  rhume,  s'est  maintenu  vivant  partout  en  France; 
il  signifie  plus  spécialement  «  rhinitis  »  et  dans  un  sens  plus 
étendu  «  refroidissement  »  ;  cependant  il  y  a  des  régions  qui 
l'emploient  pour  ^  tussis  '.  Dans  deux  aires  différentes,  V Atlas 
linguistique  de  la  France  nous  fait  connaître  un  verbe  rhumer 
[carte  1321  ^  tousser']  ^.  Nous  y  trouvons  :  rumc  (P.  143,  Meuse 
méridionale),  rœma  (P.  132,  Haute-Marne),  et  d'autre  part: 
rumà  (P.  958,  Haute-Savoie  ).  Or  la  région  de  rhume  :=  ^  tussis  " 
est  plus  grande  que  V Atlas  ne  le  laisserait  supposer  d'après  la 
carte  «  tousser  »  ;  j'ai  entendu  :  lo  rhn  ,  toux  '  à  Schirmeck- 
La  Broque,  lèrum  ,toux'  dans  les  vallées  de  Rombach  (Alsace). 
M.  Horning  (Ostfranzos.  Grenzdialekte)  l'a  recueilli  de  même 
à  Gérardmeretà  La  Bresse  (Vosges):  on  le  connaît  au  Thillot  : 
le  rïn-m  (communication  de  M.  Bloch) -.  Il  semble  que  cette 
expression  soit  répandue  sur  une  grande  partie  de  la  région 
vosgienne.  La  répartition  des  points  indiqués  permet  de  sup- 
poser qu'il  y  a  eu  à  une  certaine  époque  une  région  homo- 
gène de  rhume  =  ^  tussis'    dans  tout  l'Est.  Dans  l'ancienne 


^  Nous  constatons  un  développement  analogue  en  Rouergue  : 
raiimas  ucat  =:  coqueluche  (Mistral).  Une  carte  ^  toux  '  manque  à  l'Atlas. 

-  Il  est  étonnant  que  dans  quelques  localités  P.  493  ([Côtes-du-N.], 
P.  397  [Ile  de  Jersey],  et,  au  Nord,  P.  198,  190  [Wallonie],  177  [Ar- 
dennes])  on  ait  répondu  à  M.  Edmont ,  tds  '  etc.  pour  ^  rhume  '  (C.  1 1 55). 
Ces  gens  n'auraient-ils  pas  de  termes  spéciaux  pour  ces  deux  phéno- 
mènes ? 


AUTOUR    DU    RHUME  5 

langue,  ces  différentes  acceptions  ne  sont  pas  encore  précisées 
autant  qu'aujourd'hui.  ^  La  reutne  ',  en  ancien  français,  a  encore 
une  signification  plus  générale.  C'est  le  flux  qu'on  ^  tranche  '  en 
saignant  la  veine  temporale  (voir  dans  Godefroy  l'ex.  de  la 
Chron.  de  Brabant)ti  qui  apparaît  autant  par  les  yeux  *  ipor  le 
trop  larmier,  et  por  reutne,  et  por  autres  maladies  assés  qui  as 
ieux  avienent,  Régime  du  corps,  éd.  Landouzy-Pépin  36,  23) 
que  parles  gencives,  etc.  Le  premier  exemple,  tiré  de  Joinville, 
que  cite  Godefroy  t.  Vil.  160  montre  un  double  emploi  de 
^reume';  il  fait  voir  qu'on  sentait  encore  la  signification  d'un 
^fluens  '  .•  un  réunie  si  gratis  en  la  teste  que  la  reume  me  fil  oit 
de  la  teste  parmi  les  nariles. 

C'est  sur  la  base  du  flux  découlant  par  le  nez  —  effet  visible 
d'une  cause  intérieure  —  que  l'expression  ^ rhume'  =  rhinitis 
s'est  constituée.  De  ^pvjuu',  c'est-à-dire  de  l'altération  des  hu- 
meurs, sort  directement  aussi  l'acception  ,tussis'  ;  car  ^ rhinitis' 
et  .  tussis  '  sont  deux  phénomènes  absolument  différents,  qui  ne 
sont  même  pas  toujours  liés  pathologiquement. 

Nous  voyons  que  ^  rhume  '  a  gardé  le  genre  féminin  qu'il 
avait  en  anc.  franc,  en  Lorraine,  dans  tout  le  Nord,  dans 
la  Normandie  et  à  l'Est.  Ce  n'est  qu'au  centre  de  la  France, 
que,  d'après  la  carte  1155  de  V Atlas,  le  genre  a  changé.  En 
Suisse,  nous  constatons  la  même  lutte.  L'ancien  féminin  se 
trouve  (d'après  les  communications  que  je  dois  à  la  bonté  du 
Bureau  du  Gloss.)  à  Leysin(Vaud),  en  Valais  (sauf  à  Lourtier)  et 
en  quelques  points  du  canton  de  Genève  (Aire-la- Ville,  Bernex, 
Choulex).  Le  masculin  s'est  introduit  dans  le  Gros  de  Vaud, 
dans  le  canton  de  Fribourg  et  dans  quelques  endroits  des 
autres  cantons:  Dardagny  (Gen.i,  Cerneux  (Neuch.),  Vermes, 
Courrendlin  (Bernej.  C'est  sans  doute  sous  l'influence  savante 


'  On  comprend  facilement  qu'on  ait  regardé  les  larmes  de  l'enrhumé 
comme  sortant  de  la  même  ^  source  '  que  les  humidités  des  fosses 
nasales.  Du  Gange  cite  ^  oculi  rlienmaiii^autes  '  ;  on  trouve  encore  en 
prov.  ^réiimo'  chassie  des  yeux  (Mistral).  La  carte  1783  de  V Atlas 
(chassie)  ne  nous  révèle  aucune  forme  analogue. 


6  H.  URTEL 

et  par  analogie  de  termes  comme  ^ catarrhe,  flux',  etc.,  que  le 
genre  masculin  s'est  introduit  dans  la  langue  littéraire. 

Notons  par  parenthèse  que  l'évolution  de  jhewna'  a  suivi 
d'autres  voies  hors  de  la  France.  Tandis  que  le  prov.  ramnas 
(avec  un  suffixe  péjoratif  ou  augmentatif,  cf.  Rom.  Gram.  II, 
p.  459,  567)  garde  encore  la  signification  de  ^  catarrhe ',  nous 
apercevons  que  le  mot  ne  s'applique  pas  généralement  à  la 
j  rhinitis  "  dans  l'Italie  du  Nord,  en  Catalogne  et  en  Espagne  ; 
ses  dérivés  ne  désignent  que  le  ^  rhumatisme  '  et  on  emploie  à 
la  place  de  ,  josûpa  '  des  dérivés  de  infrigidare  et  refrigidare, 
dont  les  équivalents  apparaissent  déjà  aux  confins  de  la  France 
(voir  V Atlas,  P.  898,  990,  982,  992  [Est,,  797,  795,  796,  798 
[Sud]).  Cf.  plus  loin. 

2.  xavdpjjous  : 

Les  exemples  latins  du  Thés.  ling.  lat.  (596,  77,  etc.)  nous 
font  voir  que  le  mot  catarrhus  ne  sert  pas  seulement  à  expri- 
mer l'idée  d'écoulement  d'humeur  sortant  du  nez  (Isid.  Orig. 
4,  7,  1 1  :  catarrhus  est  reuma  lu  gis  e  naribus,  Marcell.  med.  5,8: 
ad  catarrhum  sive  destillationon  lofioris  ex  capite),  xr\di\?,  encore 
le  j rhume  de  poitrine'  {Gloss.  III,  598,  41  :  reumaticus  humor 
in  pectore).  Oribase  regarde  le  catarrhe  comme  étant  l'effet 
d'un  flux  descendant  de  la  tête  :  ...de  capite  reuma  currens 
catarrhum  excitât  (Orib.  Sy7i.  4.  32). 

Le  mot  catarrhe  est  resté  dans  la  langue  littéraire  de  France; 
il  ne  parait  pas  être  très  populaire  dans  les  dialectes,  la  carte 
1 155  de  VAt/asne  nous  le  montre  qu'au  Nord  sur  un  territoire 
restreint  et  en  un  point  des  Alpes  Maritimes  (P.  899;  C.  1815 
«  enrhumé  »,  P.  899,  evkàtàrà).  Cependant  il  est  cité  par  Mistral  : 
caiarri,  désignant,  outre  le  catarrhe,  une  maladie  des  agneaux 
qui  se  manifeste  par  des  convulsions  épileptiques.  Il  paraît  que 
le  terme  est  plus  populaire  au  Nord  de  l'Italie  :  ^a/ar  (Piémont)^ 
katarro  (Abruzzes),  cai/ar^  (Parenzo)  ;  de  même  qu'en  Espagne 
et  en  Portugal:  esp.  catarro,  estar  acatarrado  ;  teni  kdtaro 
(Manacor,  Baléares);  port,  catarrheira  (gros  rhume'. 


AUTOUR   DU   RHUME  7 

En  ancien  français,  nous  trouvons  à  côté  de  la  forme  savante 
catarrhe  une  forme  mi-savante  catherre  (Godefroy,  t.  IX,  8; 

X,575). 

Il  semble  qu'en  France  ces  deux  formes  aient  donné  lieu  à 

une  différenciation  de  sens.  En  anc.  fr.,  le  mot  catherre  a  pris 
la  valeur  d'apoplexie,  cf.  l'exemple  de  Commines  cité  par 
Godefroy  :  le  mal  du  roi  Charles  VII  fut  un  catherre  ou  apo- 
plexie. Nous  avons  encore  en  lorrain  lo  kàtèr  (La  Poutroiej 
= ,  apoplexie  '  ^  Dans  quelques  dialectes  de  l'Ouest,  le  sens  du 
mot  s'est  encore  élargi  ;  nous  avons  à  côté  de  katàr  (Gloss.  de 
Pléchâtel),  un  ^katér'  (Dottin,  Gloss.  des  pari,  du  Bas-Maine) 
non  seulement  dans  le  sens  de  ^  rhume',  mais  aussi  dans  celui 
de  ,  maladie  quelconque,  convulsions  des  enfants  '  ;  c'est  aussi 
le  cas  pour  caterre  dans  l'Orne. 

En  outre,  il  existe  au  Nord,  avec  changement  de  la  finale  : 
katerne  (Saint-Pol),  caterne  (Meuse,  Cordier)  ",  caterneux  ^  en 
mauvais  état,  ruineux,  peu  solide  '  (même  sens  en  piém.  catar 
^malaticcio  cagionevole,  maladif,  invalide'  (Zalli)  ;  angev.  ; 
fille  catarrheuse,  ,  fille  disposée  à  la  débauche  ',  Verrier- 
Onillon).  Il  est  remarquable  qu'en  catalan  on  trouve  une  dési- 
nence analogue:  cadarn,  subst.   et  encadarnat,  adj.  (Manresa). 

3-  0"tta: 

gutta  ^catarrhus,  fluxio'  de  Du  Gange  est  encore  un 
terme  très  vague.  En  ancien  français  l'emploi  de  goutte  s'est 
fort  étendu  ;  on  a  donné  ce  nom  à  plusieurs  phénomènes  de 
nature  tout  à  fait  différente  (voir  sous  ce  rapport  les  remar- 
ques instructives  de  M.  Ebeling  dans  son  édition  de  VAuberée). 
Paré  connaît  encore  le  sens  plus  général,  quand  il  parle  du 
^  vocable  de  goûte':  aucuns  rappellent  descente.^  rhume  ou 
catarre,  parce  que  le  nom  de  goûte  est  odieux  principalement 


^  Cf.  katerlo  ^  apoplexie'  en  frib.  [-erlo  <^*-erno  ?).   • 
^  Je  ne  saurais  décider  si  le  mot  cierne  ,  catarrhe  '  (dans  V Antidotaire 
Nicolas  (éd.  P.  Dorvaux),  que  M.  Thomas  dérive  de  cier  =  catarrlius  [?] 
(Rom.  XXV,  351)  a  le  même  suffixe  ;  voir  plus  loin  chifèrn. 


8  H.  URTEL 

aux  jeunes  gens  (Littré  2.  goutte  [Hist.]).  Il  est  probable  que 
cette  aversion  de  la  jeune  génération  s'explique  par  l'emploi 
de  goutte  comme  désignation  de  maladie  vénérienne  (cf.  au- 
jourd'hui :  goutte  militaire  =  blénorrhagie  chronique)  et  c'est 
sans  doute  la  raison  pourquoi  nous  ne  trouvons  plus  «goutte» 
sur  la  carte  , rhume'  de  V Atlas;  de  là  s'explique  que  goutte 
dans  la  langue  littéraire  est  resté  =  arthritis  (cf.  Godefroy, 
t.  IX,  712a). 

4.  fhixus,  fluxionem,  etc.  : 

Le  mot  fluxus  s'est  conservé  dans  le  français  littéraire  (flux 
catarrhal,  flux  de  ventre,  tic);  fluns  =  fluxion,  cité  par  Bou- 
quet (vol.  XXIII  51,9)  dérive  de  *flumine  {-çixoy.  flums,  anc. 
fr.  Jlum  de  ventre);  fluxus  n'apparaît  pas  dans  le  sens  de 
j  rhume  '  dans  les  patois  de  France  ;  mais  on  en  trouve  de  nom- 
breuses déformations  désignant  la  dysenterie,  tic:  f ru  de 
sang ^  fruit  à  Mon\.hé\\a.x d,  Jlus  de  ventre  (Mistral),  même  j^iite 
(voir  plus  loin)  aura  existé  ;  nous  avons  encore  flûter  =  foirer 
dans  l'Est.  Fluxionem  est  resté  populaire  sur  un  vaste  terri- 
toire :  fiukchon  {'è>\x\%%t)^fuksyon  Cèdàni-VoX),  flussioun,  flissioun 
(Provence),  flussion  (Piémont). 

U'influenza  a  passé  également  dans  la  terminologie  popu- 
laire ;  nous  rencontrons  :  fluenza  ^  grippe  '  (Arette)  avec  aphé- 
rèse. Il  semble  que  l'étymologie  populaire  (en  imitant  le  son 
àe  fluenza?)  ait  créé:  fliite  membre  viril]  en  bas  =  influenza 
(Verrier-Onillon),  qui,  à  son  tour,  a  produit:  fliite  en  l'air 
(ibid.). 

La  fllanza,  nom  répandu  en  Anjou  (à  Brion  et  à  Luigné, 
d'après  Verrier-Onillon),  nous  semble  être  en  rapport  avec  les 
fllandaines,  ces  fils  d'araignées  qu'on  voit  tendus  sur  l'herbe 
en  automne.  Elles  passent  pour  donner  la  toux  aux  bestiaux. 

5.  ipXérpLU  : 

Parle  changement  du  sens  (flegma  ^  ce  qui  brûle',  inflam- 
mation, humidité  muqueuse),  ce  mot  touche  à  un  problème  très 
intéressant  de  la  sémasiologie  grecque  ;  il  nous  arrive  sous  la 


AUTOUR   DU   RHUME  9 

{ox\\\%  flume^  fleume  en  anc.  fr.  ;  Mistral  nous  donne  fleumièro, 
flumiero  pour  , rhume  de  cerveau'  ;  à  Castres  on  a:  enflaoufnà 
^  enchifrené  '  (Couzinie'). 

6.  xôpu^a  : 

Ce  mot,  désignant  originairement  le  mucus  sécrété  par  la 
membrane  muqueuse  du  nez,  apparaît  dans  les  écrits  des  mé- 
decins latins  {Thés.  ling.  /at.lV,  1082,  28).  Les  deux  exemples 
qu'en  donne  Du  Cange  (II,  566)^  tirés  de  Papias  et  d'Isidore, 
confirment  que  le  ^  coryza  '  est  regardé  comme  une  humeur  des- 
cendant de  la  tête  et  causant  une  inflammation  dans  les  fosses 
nasales.  Le  terme  s'est  maintenu  sur  un  grand  territoire  en 
Italie,  en  Espagne  {korisà,  ^Nlanresa,  esp.  coriza,  it.  corizza),  il 
est  resté  mot  savant  en  France. 

Nous  voyons  par  ces  expressions  savantes  combien  prédo- 
mine l'idée  qu'il  s'agit  de  courants  d'humeurs  montant  et  des- 
cendant dans  les  voies  intérieures  du  corps.  Nous  constaterons 
quelle  valeur  ces  idées  possèdent  aussi  dans  la  formation  des 
expressions  populaires. 

A  côté  de  la  conception  que  le  rhume  est  un  écoulement  de 
viscosité  muqueuse  se  trouve  cette  autre  que  le  mal  provient 
d'une  accumulation  de  matière  dans  les  voies  nasales.  Epiphora, 
à  ce  qu'il  semble,  n'a  pas  laissé  de  traces  ;  l'it.  gravedine  con- 
tinue le  terme  savant  latin.  Le  mot  le  plus  répandu  paraît  être  : 

7.  eonstipationem  : 

Tandis  qu'en  France  ce  terme  est  plutôt  employé  pour 
Tobstruction  des  voies  intestinales,  le  sens  de  ^ rhume'  s'est 
maintenu  dans  le  piém.  costipassion,  Tesp.  constipacion,  le  port. 
constipaçao. 

*  * 

Si  nous  passons  maintenant  aux  expressions  populaires,  nous 
sommes  tout  d'abord  frappés  de  l'extrême  richesse  et  de  la 
variété  des  termes  ^ 


*  Nous  passons  sous  silence  les  termes  qui  sont  de  purs  emprunts 
comme  chiioiipe  ,  rhume  '  dans  les  villages  autour  de  Metz. 


lO  H.  URTEL 

Le  terme  le  plus  vague  paraît  naître  de  l'idée  que  le  malade 
est  inopinément  ^  atteint  '  par  le  mal,  sans  localisation  bien 
déterminée  de  ses  effets  : 

j  ee  qui  vous  prend,  saisit  '  : 

germ.  grîpan  : 

fr.  grippe,  lorr.  grip^  S^^P^  (Suisse  rom.),  grJp  (Saint-Pol), 
h  grïpd  (Landes),  roum.  gripà. 

V.  être  grippé^  général  dans  la  Suisse  romande. 

abruzz.  rappijje  ^  infreddatura  '  ;  arpresàte  ^  infreddato  ' 
(Finamore). 

prinzure  ^  rhume  '  (Alençon,  Dubois),  satsissure  ■=  rh.  du 
cerveau  (sans  indication  de  provenance). 

^  ee  qui  nuit  '  : 

nouzemefit  =^  ^  refroidissement  '  (Castres,  Couzinié),  nousemen 
(Mistral). 

embarras  qui  empêtre  : 

intoxicare,  intoxicatu:  être  întoutscha  (Ormont-dessus), 
^  enchifrené  ',  s'étoufchi  (Noiraigue,  Neuch.). 

*increpinare,  Hnkrèvsnà  ^s'enrhumer',  au  Chenit  (Vaud), 
dérivé  de  /èr^e/^/za \ épidémie,  dépérissement,  grippe'  (com- 
parez :  korselà  (Savoie),  ^  tousser  '  et  korsa  ,  épidémie  '  propr. 
j  course  '). 

Une  idée  plus  précise  déjà  attribue  le  rhume  à  un  ^  refroi- 
dissement'. Il  y  a  d'abord  l'intensité,  le  degré  qui  attire  notre 
attention.  Du  léger  froid  qui  nous  menace,  nous  arrivons  jus- 
qu'à la  terrible  situation  du  malade  dont  le  sang  paraît  être 
glacé. 

le  froid  : 

L'expression  ,  le  froid  '  ifré,  etc.)  est  employée  dans  les  îles 
normandes  [Atlas,  C.  1155,?.  39g,  398),  à  l'extrême  limite  du 
Nord-Est  de  la  Wallonie  (P.  196,  193,  191),  dans  les  Ardennes 
(P.  177).  A  l'Est,  elle  apparaît  sous  la  forme  agglutinée  loufrè, 
fém,  dans  le  Doubs  (P.  41),  frè  (P.  42),  frwa  (P.  74  [Suisse]): 


AUTOUR   DU   RHUMK  II 

refroidissement,  refroidi^  etc. 

Pour  nous  en  tenir  à  la  France,  la  répartition  ge'ographique 
des  mots  froid,  refroidissettient,  etc.,  n'est  pas  sans  intérêt. 
Les  deux  caries  de  X Atlas  qui  nous  renseignent  là-dessus 
(carte  1155  et  la  carte  fragmentaire  1815)  nous  montrent 
d'abord  l'adjectif  gardant  la  forme  originale  sur  une  plus  vaste 
étendue  que  le  substantif,  ce  qui  prouve  (observation  confirmée 
par  l'examen  d'autres  noms  de  maladie)  que  l'idée  se  maintient 
avec  une  plus  grande  force  dans  l'adjectif.  Nous  voyons  envahi 
par  le  ,  rhume  '  tout  le  territoire  français,  tandis  que  ,  refroidis- 
sement '  et  ,  refroidi  "  traînent  encore  une  vie  misérable  dans 
quelques  enclaves  aux  confins  de  la  France  ;  notons  cependant 
que  ,  refroidissement'  est  encore  plus  vivant  que  ne  le  font  voir 
les  cartes  de  la  grandiose  œuvre  de  MM.  Gilliéron  et  Edmont. 
Voici  quelques  faits  cités  d'après  V  Atlas  :  Les  vallées  des 
Alpes  présentent  des  formes  intermédiaires  entre  la  France  et 
la  plaine  du  Pô  :  frédjyan{¥.  990  ^Alpes  Mar.  ),  dià.].onfrèdj'yà, 
freydœyrà ,  adj.  œnfreyda  (P.  982),  frèydîi,  adj.  œnfreida 
(P.  992),  et  l'adjectif  seul  :  réfrédi  (P.  975  [Val  d'Aoste  ), 
enfréda  (P.  950  Isère  ,  P.  963,  973  TSavoie  );  nous  ajoutons 
subst.  infrèdoiiir?  ,  rhume  '  (Salvan,  Valais).  Ce  sont  des  débris 
qui  témoignent  qu'une  aire  cohérente,  bien  caractérisée,  reliait 
autrefois  l'Italie  du  Nord  et  la  France,  car  nous  trouvons  de 
l'autre  côté  des  Alpes  :  anfrijda  (Usseglio),  rafredor  (Turin), 
^nfreidor,  adj.  anfreydd  (Piém.),  resfriài  ,raffredore'  (Sarde 
xnénd.),  refreadiira  (logud.),  refifreddesciùna  {a.hrnzz.),  fard  or 
(Lugo,  Romagna ),  ra/r^^^V  de  testa  (Parenzo,Istrie).  Donc  un 
énorme  déploiement  du  type  , rhume',  partant  du  centre,  a  eu 
lieu  en  France;  le  type  frigidu-  et  ses  dérivés  ne  se  conser- 
vent qu'à  la  périphérie.  Comme  les  points  des  Alpes  Maritimes 
semblent  relier  la  France  à  l'Italie,  il  y  a  des  endroits  au  Sud  de 
la  France  qui  sont  en  concordance  avec  les  termes  espagnols; 
nous  avons:  rafradaméfi^  (P.  796,  798    Pyrén.  Orient.]),  rd- 


'  Mistral  donne  :  refrcjameit,  eufredameii,  esjre^imen,  frejotis. 


12  H.    URTEL 

frddàt  (P.  796,  798  et  795,  797  Pyrén.  Orient.'),  qu'on  ne 
pourra  pas  séparer  du  catal.  refredament,  de  l'esp.  resfriado 
resfriadura,  du  port,  resfriamento. 

«•haud-froid  (v.  Rom.  Gramm.  II,  §  548,  aigre-doux,  etc.  ): 

chaud-freid  (Moisy),  gros  rhume,  fluxion  de  poitrine,  pleu- 
résie. 

sav.  chô-fré  (Const.  Dés.),  cha  rfdrdi  ,  refroidissement  subit 
du  corps  '  (Dottin). 

angev.  chaiifroidie  ,  pleurésie  '  (Verr.  On.). 

prov.  caud-e-fre,  fred-e-catid  (Mistral). 

Nous  rencontrons  le  même  terme  sur  la  carte  1878  de  V Atlas, 
consacrée  aux  formes  patoises  de  ,  pleurésie'. 

chofsrdl,  P.  316  ;  kaïlt  fréy,  P.  888  :  frit  é  tchâù,  P.  825. 

N'y  a-t-il  pas  une  étymologie  populaire  cachée  là-dessous? 

y  lacé  : 

glacià  j  enrhumé  '  à  Grenoble  (Ravanat). 

Le  phénomène  caractérisant  le  mieux  le  rhume  était,  à  con- 
sidérer les  termes  savants,  une  sécrétion  d'humeurs  sortant  du 
nez,  de  la  gorge,  des  yeux.  S'étonnera-t-on  de  voir  revenir  ce 
genre  d'expressions  dans  la  terminologie  populaire  ? 

s'èpyorna  (Vérossaz,  Valais),  s'enpiorna  (Champéry,  Valais) 
ttpyorfia,  pioèrna  , rhume  de  cerveau'  (ibidem). 

C'est  d'abord  la  sécrétion  muqueuse  elle-même  sous  ses  diffé- 
rentes dénominations  qui  a  donné  naissance  à  bien  des  termes: 

inucca : 

s''émdtch3rnf  (Plagne,  Berne),  forme  qui  supposerait  un 
*  mot c hem  avec  un  suffixe  qu'on  a  vu  apparaître  plus  haut 
(cf.  caterne,  p.  89). 

roupie  : 

Nous  constatons  cette  base  dans  les  expressions  usitées  en 
Savoie  et  dans  le  Valais:  roupià  (Savoie),  subst.,  s'inroupyâ 


AUTOUR    DU   RHUME  13 

(Lourtier),    cJi enrboupia   (Grimentz),  itrc  inroupiô  (Leytron), 
inroupiô  (Praz  de  Fort),  inroupiô  (Chamoson). 

Notons  que  einroupio  est  ^  enroué  '  à  ^''ollèges  ;  itiroupie- 
min  s.  m.  =r  ,  enrouement  '  à  Leytron,  Praz  de  Fort  ;  enroiipieri 
s.  f.    enrouement  '  à  Chamoson. 

morve  : 

anmorvur,  Luppy  (Lorraine  ail.). 

crachat  ? 

crabant^  crabas,  crachat  épais  et  fréquent  ;  gros  rhume 
(Vienne,  Lalanne);  krâch(AtlasC  1555,  P.  510,  Deux  Sèvres). 

cf.  sard.  capune  s.  pL  =  sornacchi,  grossi  spurgi,  farfalloni 
(Spano)  ;  capunara,  cappofiaia  =  ,  catarro  grosso  \ 

A  côté  de  termes  insistant  sur  la  nature  muqueuse  du  rhume, 
nous  découvrons  en  parallélisme  aux  expressions  savantes  une 
autre  série  de  termes,  où  se  présente  l'idée  que  le  rhume  est 
causé  par  une  obstruction  dans  les  fosses  nasales  ou  dans  la 
gorge.  Ces  expressions  se  trouvent  sur  une  vaste  étendue  : 

fr.  bouché  (de  bucca): 

cl  ô  boutché  (Le  Thillot,  Vosges)  ;  avay  h  nà  boutscha  (Or- 
mont-dessus),  même  :  atrapâ  lou  nâ  boutzi  (Dompierre),  etc. 

cf.  l'esp.  tapado  (de  germ.  tap-  cf.  Zapfen). 

Ce  type  se  rencontre  surtout  dans  les  pays  de  langue  espa- 
gnole et  portugaise  :  esp.  port,  estar  tapado^  cat.  tsnir  9I  nas 
tipat  ;  tapado  de  las  narices  (San  Salvador). 

chtbpf  (ail.  stopfen)  =  ^  enchifrené  '  à  Charmoille  (Berne). 

Mais  la  terminologie  populaire  est  plus  variée.  Le  peuple 
éprouve  le  besoin  de  préciser  les  termes  généraux,  de  localiser 
les  phénomènes.  C'est  le  nez,  qui  est  bouché  ;  il  s'obstine,  il 
se  défend  contre  le  mal  ;  c'est  pourquoi  celui-ci  devient,  pour 
ainsi  dire,  un  objet  compacte,  un  corps  consistant. 

se  prendre  : 

7non  né  s'pra?i^  à  Mettemberg  (Berne). 


14  H.  URTEL 

D'un  autre  côté,  le  nez  ne  remporte  pas  la  victoire,  il  devient 
faible,  insensible,  et  voilà  qu'un  jour  on  a  l'idée  que  le  nez  est 
mis  en  franges,  coupé  ou  ramolli  : 

le  Doz  est  effrangé  : 

éfrindya  =  ^  enrhumé  '  Trient  (Valais). 

avoir  le  nez  crevassé  : 

avet  h  nâo  tsapliâo,  Villars  s.  M.  (Fribourg). 

le  ^  museau  '  se  fond  : 

Est-ce  le  mot  mor  =^  museau  (cf.  lorr.  tfiour  =  visage)  qu'il 
faut  reconnaître  dans  la  première  syllabe  de  morfondre  au 
lieu  de  morve  que  proposait  Diez? 

morfonture  {Oxnç.^  Du  Bois),  aussi  enfontume  (Orne,  Du  Bois, 
p.  238). 

morfondu^  Atlas  C.  18 15  et  1155,  P.  146  (Marne);  marfon- 
dama^  marfondyu,  P.  805  (Puy-de-D.  )  ;  marfondyu,  P.  809  (Puy- 
de-D.)  ;  mbrfundii,  P.  807  (Puy-de-D.);  marfondjyu ^  P.  816 
(Loire)  ;  Mistral  :  morfoundamen,  marfoimdamén,  malfomidemcn. 

Mais  il  y  a  d'autres  facteurs  dans  la  terminologie  populaire 
qui  font  ressortir  l'idée  d'un  empêchement  soit  dans  le  nez,  soit 
dans  la  gorge.  Une  croûte  s'est  interposée  quelque  part  : 

encroûté  : 

r'àfa  , rhume'  (Savoie),  Atlas  C.  1155,  P.  964;  s'anrofnê 
(Vermes-Courrendlin);  s'anrôfné  (Mettemberg)  =  ^  enroué"; 
anrôfne  (Vicques);  atirôfné. 

En  tenant  compte  de  l'expression  qui  suit,  je  dérive  ce  mot 
de  la  racine  allemande  (v.  h.  ail.  hruf^  Suisse  ail.  ru/y  =  croûte^ 
tartre)  qui,  d'après  ce  qu'enseignait  Diez  {£t.  Wtb.,  p.  277),  a 
passé  dans  les  différents  dialectes  d'Italie  et  de  France  ^ 


^  Citons  encore:  abruzz.  rdjfa  ^crosta  lattea,  lattime  '  (Finamore), 
rom.  riifa  (Zanazzo),  napol.  rcrva.  En  France  se  montre  un  changement 
de  la  voyelle  qui  suppose  un  *rafa,  *rafuJa  ;  rajo  (Mistral)  ,  croûte  de 
lait',  rafl  (Dottin)  ,  gale  des  enfants',  même  *rifula  :  rifl  (Dottin),  rifle 
,  gourme  des  enfants'  (Du  Bois),  rinfle  (La.  Villette,  Calvados),  cf.  l'an- 
glais riff,  ruff. 


AUTOUR   DU   RHU.\Π 15 

s'eingreiibâ  (Villeneuve)  ;  étr'  dgrœubi  ^  être  enrhumé  ',  Leysin 
(Vaud),  cf.  suiss.  graoba  ^  tartre,  croûte',  grobi  (Frib.  Vaud) 
croûte  '  ;  %d>N.greubâ ,  croûte  sur  la  peau  '  (  Samoens  ).  Cf.  ëgroubd 
V.  ,  en  parlant  du  tartre,  recouvrir  les  parois  intérieures  d'un 
vase  de  cave,  incruster  un  ustensile  en  métal  servant  à  cuire  ; 
obstruer  un  canal'  (L.  Odin,  Gloss.  de  Blonay). 

L'it.  intasatnento,  intasatura  nous  montre  l'idée  analogue 
d'une  outre  à  vin,  bouchée  par  le  tartre  (it.  taso);  (cf.  aussi  l'esp. 
sarro  =  ^  pituite  '  et  ^  tartre  '). 

Nous  rencontrons  aussi  une  idée  assez  curieuse,  — je  ne  l'ob- 
serve qu'en  Suisse,  —  que  c'est  une  sorte  de  givre  qui  recouvre 
les  organes  de  la  respiration  : 

yivré,  couvert  de  givre  : 

on  dzayvro  ^  une  bronchite  '  ;  sHndzevra  ,  s'enrhumer  ',  Lour- 
tier  (Valais). 

Puisque  le  givre  n'est  formé  que  par  la  vapeur  vésiculaire 
des  brouillards  qui  sont  congelés  (roum.  brumci  ,  givre  '),  nous 
ne  nous  étonnerons  pas  de  voir  que  la  bruine  joue  aussi  un 
rôle  dans  notre  nomenclature  (cf.  plus  \vdM\.:  fil  and  aines).  Ces 
, brumes'  entrent  par  le  nez  comme  elles  pénètrent  dans  l'œil 
et  le  troublent  {bro7na^=  ^  catarata  dels  uUs',  Sopeira,  Aragon). 

bruma:  3sta  dmhromat,  ,  être  enrhumé'  Manacor  (Mallorcaj. 

aer  : 

^r  (Montpellier)  ^  enchifrènement  '  ;  kb  d'èr,  Atlas  C.  1155, 
P.  861  (Gard). 

Passons  du  plus  léger  au  plus  pesant.  On  s'est  imaginé  que 
la  matière  qui  encombre  le  nez  pèse  comme  du  fumier,  de 
l'engrais  (cf.  un  rhume  gras). 

fumier  =  drudz?  : 

eylv'  édroudji^  Noiraigue  (Neuchâtel). 

Nous  rencontrons  ensuite  l'idée  que  le  nez  est  couvert  comme 
d'un  emplâtre  : 

pegflumas  (Mistral)  ,  emplâtre  de  poix,  enchifrènement'. 


l6  H.  URTEL 

Avec  ce  terme,  nous  touchons  déjà  aux  expressions  qui  nous 
présentent  l'idée  d'empêchements  qui  ne  se  trouvent  phis  à 
l'intérieur  du  nez  ou  de  la  gorge.  C'est  un  fait  général  bien 
établi  que  le  peuple  cherche  à  expliquer  par  des  obstacles 
externes  les  phénomènes  pathologiques  dus  à  des  causes 
internes;  je  ne  cite  que  l'allemand  ,  Ohrevklammer'  =  paro- 
tide ;  îetenâiye  (tenailles)  =  ,  grand  mal  de  tête  '  (Pays  de  Bel- 
fort),  etc.  Or  les  noms  du  rhume  nous  présentent  toute  une 
série  de  termes  de  ce  genre;  il  y  a  d'abord  le  sentiment  d'un 
empêchement  général,  on  se  sent  : 

étranglé  : 

gutta  estratiguria  ^  morbi  genus,  catarrhus,  fluxio  '  (12631, 
Du  Cange  s.  v.  gutta ^  2. 

étrinjaura  ^  enrouement,  rhume  '  à  Vernamiège. 

Mais  comme  il  s'agit  du  visage,  du  , museau',  qui  est  affecté 
du  mal,  le  genre  de  V empêchement  se  spécialise  : 

inlerricai'e  (afr.  enfo-gier)  : 

it.  anfergiu  d'nas  (Castell  Tinello). 

subst.  anfergiu  (Castiglione  Tinella,  Alba),  verb.  anfargese 
(Pieve  di  Teco). 
infpenatu-  sard.  esseri  infreiiau  ad  su  ?iasu  (Spano). 

bernac : 

Nous  lisons  dans  une  glose  anglo-normande  (éd.  p.  M.  Priebsch 
dans  la  Festschrift  fur  Mussafia^  p.  540)  : 

hic  ca?>tus  bernac. 

chamum  {vel  capistrum)  barnac,  cf.  angl.  bernicles  Oxf.  Dict. 
,^  Marterinstrument  ",  barnacle  ^  Nasenknebel  fiir  unruhige 
Pferde'.  C'est  là  la  racine  que  nous  rencontrons  dans  ^ember- 
niclé  ,  enchifrené  '  (Verrier-Onillon)  ;  embourniclé  semble  avoir 
subi  une  influence  des  expressions  marquant  l'ensorcellement 
par  le  mauvais  oeil. 

boui'on  (de  bourrer)  : 

A  l'Est  de  la  France,  on  appelle  ,  bouron  '  un  ,  filet  à  très 
grandes  mailles,  monté    sur  deux    demi-cercles   en  bois,  se 


AUTOUR    DU   RHUME  17 

pliant  en  charnière,  destiné  à  contenir  du  fourrage  vert  qui  y 
est  bourré  et  le  contenu  est  une  bourenaie.  —  bourê  ^  collier  de 
cheval  '  (Châtenois,  d'après  le  Gloss.  de  Vautherin). 

A  Châtenois,  nous  rencontrons  :  enboirnai  _  enchifrené',  à 
Charmoille  (Jura  \içxnd\%)  anbornc  ^  enrhumer'.  Nous  avons  en 
outre:  boron  {Atlas  C.  1155,  P.  72  Jura  bern.  ),  le  borron  (Les 
Paniers,  v.  51);  baron,  Mettemberg,  Séprais  ;  hordn,  Plagne, 
Pleigne  ;  bôrôn,  Charmoille;  bôroun,  Vicques  ;  bouron,  bourofi 
di  sarvè,  Malleray  ;  bôrô?i  d'ia  têt,  Plagne;  v.  s'ânbortiè,  Char- 
moille; s'ébbrnè^  Plagne;  s'anbornê,  Mettemberg;  s'obourtià, 
Mailleray  ;  atibôrtië,  Séprais  ;  77//  anborfiè,  Vicques. 

(•anius  : 

Est-ce  de  ce  mot  qu'il  faut  tirer  la  camoudje  ^  rhume  de  cer- 
veau '  (Vautherin)  et  oncamoûëtchie  ,  embarrassé  du  cerveau  ' 
(Vautherin)  ? 

canicula  : 

ang.  encanillé,  enquenillc,  ^  avoir  le  nez  enquenillé,  embar- 
rassé, bouché  '  (Verrier-Onillon). 

Je  ne  sais  si  le  mot  eniinèflgnie  (Montbéliard,  Contejean), 
onmiejîgnie  (Châtenois,  Vautherin),  qui  signifie  ^enrhumé  du 
cerveau  '  doit  être  cité  ici  ;  j'ignore  sa  valeur  propre  ;  cepen- 
dant il  pourrait  signifier  ,  enfermé ',  car  je  le  trouve  dans  le 
journal  montbéliardais  ^  Le  Diairi  '  de  1903,  dans  un  conte  inti- 
tulé :  Lai  nofjuné  Potatchâ  en  pairaidis  avec  le  sens  de  «  en- 
fermé au  purgatoire  ». 

C'est  encore  ici  qu'il  faut  ranger  une  expression  qui  paraît 
difficile  à  expliquer. 

Le  terme  français  le  plus  usité,  quand  on  veut  exprimer  que 
le  nez  est  obstrué  par  les  sécrétions  muqueuses  est  : 

adj.  enchifrené,  subst.  enchifrcnement. 

L"étymologie  de  ce  mot  est  généralement  tirée  de  chanfrein 
désignant  «  la  pièce  d'armure  qui  couvrait  le  devant  de  la  tête 
du  cheval  »  (Littré  ad.  1°).  Mais  il  ne  peut  y  avoir  eu  lieu 
qu'un  rapprochement  postérieur;  car  on  ne  comprendrait  pas 


l8  H.  URTEL 

comment  la  première  syllabe  de  chafifrein  —  dont  l'origine 
n'est  pas  du  tout  claire,  comme  l'a  montré  dernièrement 
M.  Meyer-Lubke  dans  son  Roin.  FA.  Wtb.  s.  v.  ^  camus'  — 
aurait  passé  à  chif-  en  position  atone.  Au  surplus,  les  significa- 
tions que  les  dérivés  du  radical  chif-  ont  adoptées  dans  les 
dialectes  s'accordent  mal  avec  ^  chanfrein  '.  Sur  la  carte  1155 
de  V  Atlas,  nous  trouvons  chifèrn,  P.  263  Somme]  ;  chifamèy, 
P.  284  Picardiel  ;  auxquels  il  faut  joindre  :  àchifèrné,  Hargnies 
Ardennes]  ;  enchinfrené ,  Havre  (Maze)  ;  enchifarné ^  Anjou 
(  Verrier-Onillon);  déchifarner  ^{3.\re  disparaître  l'enchifrènement' 
(Ver. -On.).  En  Suisse:  s'ètsdfrdnâ.  Bière  (Vaud)  ;  s' etichifrenâ, 
Dardagny  (Genève)  ;  s'intzefrdnà.,  Romont  et  environs  (Frib.); 
s'intchifrena,  La  Brévine  (Neuch.);  s'ètchifre/ia ,  Landeron 
(Neuch.);  s'otchifranâ^CQxn&nx  (Neuch.);  enisifrau  ^moxxenx' 
(Val  d'Illiez).  Nous  pourrions  allonger  cette  liste.  L'examen 
le  plus  superficiel  nous  fait  voir  que  la  plupart  des  exemples  ne 
montrent  pas  de  nasale  dans  la  première  syllabe.  Le  type 
chifèrn  présenterait  donc  la  forme  d'où  il  faudrait  partir.  Il  se 
compose  d'un  radical  chif-  et  d'un  suffixe  -r;/,  dont  nous  avons 
déjà  parlé  à  l'occasion  de  caterne.  Nous  croyons  donc  pouvoir 
admettre  une  forme  antérieure  enchiferné.  L'ancien  français, 
d'après  ce  que  nous  apprend  Godefroy  par  deux  exemples 
du  Roman  de  la  Rose,  ne  connaissait  que  la  tournure  :  d''amors 
enchifrenés.  Dans  ces  exemples,  le  sens  d'^  enrhumé  '  n'est  pas 
encore  visible.  Il  semble  qu'il  ne  puisse  y  avoir  de  rapport 
entre  les  deux  notions  enrhumé  et  possédé  {d''amour)  qu'à  tra- 
vers l'intermédiaire:  ^lié,  empêché'.  L'idée  qu'un  homme 
affligé  du  ^  mal  d'amour  '  est  comme  mis  à  la  bride  par  sa  pas- 
sion, a  été  très  répandue  de  tout  temps.  Nous  en  avons  la 
preuve  par  une  miniature  italienne  du  treizième  siècle  (repro- 
duite dans  la  ^  Geschichte  d.  ital.  Litteratur  par  \\'iese-Percopo, 
p.  18-19),  o^  nous  voyons  l'amour  représenté  à  la  manière  d'un 
incube  sur  le  dos  de  l'amoureux  qui  rampe  à  terre  et  qui  est 
tenu  par  la  bride. 

Ce  qui  provoqua  d'abord  nos  doutes  au  sujet  de  l'ancienne 


AUTOUR   DU    RHUME  IÇ 

manière  d'expliquer  le  terme,  ce  fut  le  mot  provençal  :  chifar- 
nhi^gifarnèu  ^  coup  d'épée  ou  de  bâton  donné  sur  la  tête',  cité 
par  Mistral.  Il  ne  serait  pas  permis  de  le  laisser  de  côté  dans 
l'étude  de  cette  tamille  sémantique.  Mistral  le  dérive  du  breton  : 
chifern,  sifern  ^  rhume  de  cerveau  '  ;  on  ne  comprend  pas 
pourquoi;  car  il  est  évident  que  ^  rhume'  est  une  signification 
postérieure  et  que  le  sens  de  coup  doit  être  plus  ancien  ;  il 
existe  bien  des  exemples  (v.  plus  bas)  pour  le  changement  de 
la  signification  ^ battu'  en  ,  enrhumé'  et  non  pas  du  contraire. 
Qu'il  me  soit  permis  de  risquer  ici  un  rapprochement  qui  ser- 
vira peut-être  à  éclaircir  les  origines  de  notre  terme. 

Il  ne  me  paraît  pas  impossible  que  dans  chifarrièu  il  s'agisse 
d'un  coup  attribué  à  un  être  diabolique  et  que  le  coup  ait 
gardé  le  nom  de  cet  être  mystérieux  ^  (l'ail.  Alp  est  le  démon 
même  et  le  mal  qu'il  inflige  ;  der  Ddmonen-Name  ivird 
hier  wie  ôfters  zum  Krankheits-  [Symptovi-]  Namen,  Hofler, 
Deidsch.  Krankh.  Namenbiich^  p.  13*:  pour  ^  le  coup',  com- 
parez encore:  Elfensclilag,  Zwergschlag^  Schelmenschlag).  Ce 
chifarnèu  =  ^  coup  ',  nous  ne  pouvons  pas,  à  ce  qu'il  semble, 
le  séparer  du  terme  français  qui  exprime  la  même  idée  :  cÂin- 
/reneau^:^ ^  coup  à  la  tête,  au  visage'  (Littré);  le  Dict.  Gén.  qui 
donne  encore  les  formes  :  chanfreneau  et  chinforgnau  les 
explique  par  ,  horion  '.  Les  deux  exemples  cités  par  Littré(tirés 
d'Ambroise  Paré)  et  le  Dict.  Gén.  (tiré  de  Saint-Amant)  ren- 
dent probable  que  la  signification  était  déjà  devenue  celle  de  : 
^  taillade,  coupure,  cicatrice  '.  On  trouve  dans  Zalli,  Dizionario 
piemontese  s.  v.  ferl'éca  =  ferita,  squarcio^  franc,  balafre, 
à  chinfreneau^  taillade.  Les  démons  ne  donnent,  d'après  l'ima- 
gination populaire,  pas  seulement  des  coups  qui  tuent,  ils  se 
contentent  d'égratigner  secrètement.  C'est  pourquoi  les  expres- 
sions désignant  toutes  sortes  à'égratignures  sont  souvent  en 
rapport  avec  des  noms  de  démons.  Nous  avons  des  termes 


'  Cf.  chifèr  =  cerf-volant ,  insecte  à   longues  cornes  (bigorne)  en 
Rouergue  ;  chifeno,  cerf-volant  femelle  (Mistral). 


20  H.  URTEL 

comme:  ^grifa''  (Vaud),  ^grtfur''  (Saint-Pol),  unglade  (Pyr. 
Orient.),  ounglado  (Castres),  etc.,  qui  prouvent  qu'on  se  figurait 
de  légères  blessures  comme  l'œuvre  de  démons,  (cf.  en  ail. 
Teufelsbiss ,  Hexenmal ,  Geisterkneifen,  Alpfleck^=  stigma  dia- 
boli).  En  wallon,  ^  le  cauchemar'  même  est  appelé  ^ marque' 
d'après  la  petite  blessure  qu'il  laisse  sur  la  peau  (war^/zf  =  cau- 
chemar, terreurs  nocturnes  des  enfants,  Bull,  de  la  Soc.  liég. 
de  lang.  et  Jitt.  ttall.  40).  Nous  sommes  donc  autorisés  à  faire 
rentrer  dans  notre  série  le  port,  chifrar  ^  racler,  gratter  '  et 
avec  changement  de  la  voyelle  radicale  ,chafTarâo,  cicatriz 
grande  ',  l'esp.  chafarrîjiar,  chafarrinon  ^  tache  ',  chafrignié 
j  griffonner,  écrire  comme  un  chat  '  à  Grenoble  (Ravanat);  dé- 
chaffrer  ,  se  gratter  vigoureusement'  (Verrier-Onillon,  p.  267); 
tchafra  ,  écraser'  (Bagnères  de  Luchon),  Rev.d.  l.  rom.  47,  102. 
Pour  en  revenir  à  chifèrn,  chifarnht.,  il  sera  permis  de  rap- 
peler qu'il  existe  quelques  termes  qui,  sous  le  sens  d',  enfant 
turbulent'  cachent  peut-être  le  nom  d'un  diable,  de  sorte 
qu'ils  pourraient  être  de  même  origine.  Nous  trouvons  déjà 
dans  Du  Gange:  cifo  Italis  ciffone  garcio,  gardufîa/h/s ;  dans 
les  dialectes  italiens,  on  rencontre  d'autres  termes  qui  parais- 
sent être  apparentés:  cifell,  cifilett^  .frugolo,  demonietto,  ra- 
gazzo'  (à  Bedano,  Tessin,  Schw.  Arch.  f.  Volksk.  VIII,  259); 
velletr.  cifero,  ^discolo',  arcev.  cifero,  can.  cifaro,  sor.  cifro, 
Studj.  rom.  V,  70;  en  France  chiffe,  chiffon  {Dict.  gén.)  en 
parlant  d'une  étoffe  de  tissu  lâche,  mais  aussi  en  parlant  d'une 
personne  de  caractère  mou;  angev.  chiffon:  petite  fille  mal- 
propre, mal  tenue;  chiffon  d'enfant  dans  la  langue  littéraire 
(Littré).  Mais,  nous  dira-t-on,  n'est-ce  pas  plutôt  la  signifi- 
cation ,  petite  fille'  qui  vient  de  chiffon  flambeau  d'étoffe' 
que  vice-versa?  J'ose  croire  cependant  que  chiffon  dans  la 
signification  ordinaire  de  ^  lambeau  '  se  rattache  de  même 
à  une  racine  chif-.  On  sait  que,  selon  une  croyance  popu- 
laire, les  démons,  en  fouillant  dans  les  chambres,  laissent 
comme  marque  de  leur  passage,  soit  un  désordre  général,  soit 
des  lambeaux  de  toile,  etc.,  qu'ils  ont  déchirés  à  belles  dents. 
On  pourrait,  sauf  erreur,  admettre  une  explication  qui  verrait 


AUTOUR    DU   RHUME  21 

dans  chiffon  ces  tas  de  rognures  d'étoffe  ;  cette  supposition 
serait  remarquablement  appuye'e  par  le  mot  bigornais  =  amas, 
fouillis  d'objets  divers  ei  principalement  de  rognures  d'étoffe^ 
de  chiffons  (Chambure,  Gloss.  du  Morvan^  s.  v.)  qui  vient  de 
,  bigorne '.  Mais  nous  avons,  me  semble-t-il,  encore  d'autres 
témoins,  qui  plaident  en  faveur  de  l'origine  diabolique  de  chif-. 
Nous  trouvons  dans  Littré:  chiffonner  sub.  4°  le  sens:  ^  cha- 
griner, intriguer  ',  chiffonnerie  .  petit  souci  qui  chiffonne  l'es- 
prit '  et  surtout  :  tout  le  chiffonnage  dUin  gros  rhume  '  {Suppl.)  ; 
dans  les  dialectes,  nous  rencontrons  :  xifouna  ,  inquiéter,  tour- 
menter' (à  Castres  d'après  Couzinié),  chifouner  ^  importuner, 
tourmenter,  tracasser'  {Gloss.  du  Morvan),  chifo,  chifour  ,  dépit, 
chagrin,  inquiétude'  (Mistral).  Ces  expressions  nous  en  rap- 
pellent d'autres  d'un  sens  analogue,  qui  contiennent  sans  doute 
des  noms  de  démons  :  décarcasser  en  Lorraine  (Labourasse) 
=:  j  se  démener,  se  débattre,  discuter  vivement';  faire  le  bous- 
trou  ^  faire  le  tapage,  disputer'  en  Anjou  (Verrier-Onillon, 
Suppl.);  embrigonâ  ^  chiffonner'  à  Grenoble  (Ravanat)  vient 
peut-être  d'un  ,  embigornâ  '  ;  et  le  vaudois  :  tsèrfegni  ^  con- 
trarier',  tsèrfegnâil  ^  contrarieur  '  (L.  Odin,  Gloss.  de  Blonay) 
ne  s'explique-t-il  pas  par  un  *tscfregni.^  *tscfregnâu'^ 

Mais  nous  nous  sommes  déjà  trop  arrêté  à  l'étymologie  de 
ce  seul  mot.  Ce  que  nous  voulions  rendre  probable,  c'est  que 
toute  la  série  appartenant  à  la  racine  chif-,  chaf-  contient  ori- 
ginairement le  nom  d'un  démon  ;  cette  racine  se  serait  élargie 
d'abord  par  une  nasale^,  s'installant  de  préférence  devant  une 
labiale  et  puis  par  une  r  épenthétique  ;  le  peuple,  ne  connais- 
sant plus  l'être  mystérieux  qui  avait  donné  lieu  au  terme,  et 
séduit  par  des  termes  analogues  comme  enfergier,  etc.,  y  aurait 
mêlé  l'idée  de  ^  chanfrein  '. 

En  admettant  l'influence  d'esprits  ennemis,  nous  sommes 
arrivés  à  l'ensorcelleiiient.  Les  cas  où  nous  en  voyons  les 
effets  sont  assez  nombreux  : 


'  V.  le  travail  de  M.  Schuchardt,  Ziim  Nasdeinschuh,  Zt.  f.  rom.  Phil. 
33,  71- 


2  2  H.  URTEL 

charme  : 

Nous  avons  en  France  toute  une  série  de  termes  où  l'on 
peut  reconnaître  un  rapport  avec  charme,  bien  que  l'origine  ne 
soit  pas  toujours  très  claire. 

Citons  les  substantifs  charmoise  (Doubs,  Beauquier),  char- 
moise  (Jura,  Chaussinj,  antsarmoise  (Mesnay),  charmonge 
(Haute-Saône),  charmoture  (Meuse,  Cordierj,  tchomwédj  (à 
Miélin,  Haute-Saône),  intzarmoudia  (Grône,  Valais);  les  adj. 
ocharvwiî'té,  acharmouté  (Meuse,  Labourasse)  ;  mtsarmijà  ^  quj 
a  le  rhume  de  cerveau'  (Aoste,  Cerlogne)  ;  cKintsarmonziè, 
Mage,  intsarmosia^  Savièse  (Valais),  antsarmozyà,  Atlas  C.  i8 1 5, 
P.  989  (Suisse). 

M.  A.  Thomas,  dans  un  intéressant  article  de  la  Romania 
(XXXVIII.  369)^  nous  a  montré  de  quelle  complexité  sont  les 
questions  que  nous  posent  ces  expressions.  Il  me  suffira  d'attirer 
ici  l'attention  sur  des  formes  qui  présentent  une  apparence  un 
peu  différente.  Dans  des  régions  très  vastes  du  Doubs  et  même 
des  Vosges,  nous  rencontrons  des  formes  qui,  par  étymologie 
populaire,  paraissent  avoir  été  rattachées  à  col  et  moucher.  Nous 
avons  colmoutche  (Sancey,  Doubs),  kblmdtch  (Bournois);  d'ail- 
leurs, j'ai  entendu:  chblmoiichd  à  la  Forêt  (Ct.  Bains,  Vosges)  et 
fblmouchd  (à  côté  de  chbrvwuzi)  recueillis  de  la  bouche  de  vieil- 
lards du  même  endroit.  J'ignore  l'étymologie  de  ces  termes. 
Quant  à  la  forme  que  j'ai  notée  aux  Voivres  (Ct.  Bains,  Vosges), 
le  chbrnouzs,  je  crois  pouvoir  la  rattacher  au  radical  que  cite 
Diez  dans  son  Etym.  Wôrterb.  p.  299,  746  s.  v.  sorn-.,  sournois, 
sornione,  qu'il  fait  remonter  à  Saturmis.  Saturne  est,  d'après 
ce  que  nous  apprend  l'astrologie  du  moyen  âge,  qui  dépendait 
des  Grecs,  une  planète  sous  laquelle  naissent  les  caractères 
froids  ;  les  Saturniens  sont  des  personnes  d'humeur  triste,  mo- 
rose. Chez  les  Grecs    <  l'opinion  cotnmune  voulait  que  Saturne 


'  M.  Meyer-Lûbke  dit  à  propos  de  cet  article  [Zeitscbr.  f.  roni.  Phil. 
1910,  125)  que  camoria  dans  la  terminaison  rappelle  le  grec:  yevô^çoca 
assertion  qui  serait  appuyée  par  le  sicil.  camtirria'^zr.  malattia  venerea, 
gonorrea  (Traîna). 


AUTOUR    DU   RHUME  23 

fût  froid  et  hutnide  ;. ..  il  excite  dans  le  corps  huviain  des  mou- 
vements d'humeurs  froides ^  flux  intestinaux^  pituites ,  etc.  » 
(V.  Bouché-Leclercq,  L'astrologie  grecque,  p.  96  s.).  Donc 
Saturne  était  regardé  depuis  le  temps  des  Grecs  comme  le 
Dieu  des  enrhumés. 

Parmi  les  charmes  dont  nous  retrouvons  les  traces  chez  tous 
les  peuples,  nous  citons  l'ensorcellement  par  le  mauvais  oeil,  le 
'malûcchio  Ml  existe  des  cas  où  le  rhume  est  considéré  comme 
effet  du  mauvais  regard  d'une  bête  ensorceleuse  (v.  plus  haut 
embourniclé). 

mauvais  œil  : 

prov.  enlugra  (Mistral)  ^  pocher  les  yeux,  aveugler',  dont 
l'origine  ne  m'est  pas  claire. 

s' enlugra,  prendre  un  violent  rhume  de  cerveau. 

lorr.  èbûh'nè  (Uriménil,  d'après  Raillant)  ^  éperdu,  ébloui'; 
Saint-Amé:  èbohnè,  , atteint  d'un  rhume  de  cerveau'  (Thiriat)  ; 
èbeuhené  ^  qui  a  le  rhume  de  cerveau  '  (Saint-Amé)  ;  ce  serait 
donc  la  buse  qui  par  son  mauvais  œil  fascine  l'homme  et  lui 
donne  le  rhume. 

En  continuant  notre  examen  des  termes  pour  ^  rhume  ',  voici 
encore  un  autre  charme,  A  l'occasion  de  chifarnèu,  nous  par- 
lions des  coups  que  les  démons  enchanteurs  donnent  à  la 
pauvre  créature  qui  en  meurt  ou  en  reste  au  moins  gravement 
atteinte.  Or  nous  avons  une  série  de  termes  qui  nous  montrent 
que  l'idée  d'un  rhume,  produit  par  un  tel  coup,  est  assez  répan- 
due (v.  coup  de  froid,  gros  coup  de  froid,  dans  les  cantons  de 
Fribourg  et  de  Vaud). 

coup  : 

fr.  horion  ^  =1  ^  coup  '  aussi  bien  que  .  rhume  '  ;  en  Normandie 
nous  avons,  outre    le   sens    de   ^  coup  '   la  signification  :  gros 


'  Notons  que  M.  Hôfler  dans  son  Deiitsches  Krankheitsnamenhuch , 
p.  48-1  a  voulu  rattacher  le  mot  horion  à  l'astre  Orion  (cf.  Siriasis 
,  Sonnenstich  ')  ;  s'il  fallait  tirer  l'origine  de  ce  mot  des  astres,  il  serait 
étranee  de  le  voir  borné  au  Nord  de  la  France. 


24  H.  URTEL 

rhume,  épidémie  (Du  Méril),  fièvre  causée  par  les  marécages 
(Du  Bois);  àBayeux:  horique  ^  maladie  régnante  '  ;  en  Picardie: 
horgm,  horniole  ^coup';  à  Saint-Pol:  brnybk  ,  coup  que  l'on 
se  donne'  ^ 

lorr.  èzubà  ,  enchifrené,  à  Saint-Maurice  s.  Moselle  ;  cf.  zaubè 
j  battre,  frapper'  (Haillant,  Adam). 

lorr.  amâchené  h.  Florent,  Meuse  (d'après  Janin),subst.  viache- 
nure.  Faut-il  rapprocher  ce  mot  de  masse,  massue  (voir  tna- 
chouque,  comp.  ^contusion',  à  Saint-Pol,  machoque  di^oVi\ogné)'i 

sav.  enmorniflà  {Atlas  C.  1815,  P.  964),  émornifla  (Brachet) 
,  enrhumé  du  cerveau  '  qu'il  faut  dériver  de  mornifle  ^  coup  au 
visage  '. 

prov.  s''enJounca  (Mistral)  ^  se  couvrir  de  jonc,  s'enrhumer  du 
cerveau'.  Il  s'agit  apparemment  d'un  coup  donné  au  moyen 
d^unjounc,  espèce  de  baguette,  canne  de  rotin. 

prov,  embourdi  (Mistral)  ,  enchifrené  ',  de  bourdo  ,  gourdin, 
bâton  '. 

land.  enbaoumat  ^  enchifrènement  '  (Lacanan,  Médoc).  Ce 
mot,  dont  l'origine  est  douteuse,  se  trouve  ailleurs  au -sens  de 
,  se  heurter  contre  ',  voir  :  s'einbaumer  dans  le  français  popu- 
laire de  la  Suisse  (G.  Wissler,  Das  sc/na.  Volksfranzbsisch, 
p.  129);  s'einbou7nd  ^se  cogner,  se  heurter,  recevoir  un  choc' 
(L.  Odin,  Gloss.  de  Blonay)";  qu'il  y  ait  là-dessous  quelque 
force  magique,  cela  semble  prouvé  par  :  embauma  ^  charmer, 
enchanter,  séduire'  (Mistral). 


'  Quant  au  lorr.  hôrié  ^rosser'  que  cite  Diez  {Et.  Wlb.  11^,  p.  616) 
il  doit  être  rejeté,  puisque  la  consonne  initiale  est  un  x  {Xi^rie  ,  fouetter 
fortement  '  à  Uriménil,  xorie  à  Ventron)  ;  l'origine  est  excoriare. 

^  En  regard  de  cette  série,  on  pourrait  se  demander  si  le  terme  alle- 
mand Stockschniipfen  ne  pourrait  pas  être  en  rapport  avec  Stock  (et 
non  avec  ^siocken^);  mais  il  n'en  est  rien:  nous  lisons  chez  H.  Paul, 
Dentsches  Wôrterb.  p.  529:  «/«  Vergleichen  deutet  ^ Stock'  die  Steifheit  an, 
daher  ^stocksteif  ;  von  da  ans  ist  Stock  \u  einer  Verstârkung  geiuorden.  » 
—  ^Stockschniipfen''  serait  donc  un  , rhume  caillé'  (v.  Al. gestockte  Milch, 
gestûcktes  BJiit)  et  cette  signification  irait  avec  l'expression  mon  nez  se 
prend  mentionnée  plus  haut. 


AUTOUR   DU    RHUME  25 

De  l'idée  qu'on  a  été  ,  battu  '  quand  on  est  enrhumé,  jusqu'au 
sentiment  qu'on  est  interdit,  stupéfié,  ahuri,  il  n'y  a  qu'un  pas. 
Déjà  le  grec  xô^ouÇa  renfermait  les  significations  rhume  et  abru- 
tissement (j  Stumpfsinn  ',  voir  Léo  Meyer,  Hdb.  d.  griech.  Etym. 
11,37  0. 

sliipéfîé  : 

prov.  empepia  (Mistral) ,  rendre  niais,  stupéfier  ',  de  pcpi  .  im- 
bécile, niais  ',  s' empepia  (Alpes),  ^  être  enchifrené  '. 

prov.  enmouqueta  (Mistral)  ^  enchifrené  ',  de  monquet  ^  penaud, 
capot,  confus,  interdit  '. 

Nous  avons  vu  que  le  nombre  des  cas  est  considérable,  où 
le  peuple  voit  dans  les  empêchements  de  ses  organes  la  main 
invisible  de  démons.  Examinons  encore  les  cas,  où  le  nom  du 
démon  (nous  y  comptons  aussi ,  enchifrener  ')  s'est  conservé. 

Pour  procéder  en  bonne  forme,  il  faudrait,  avant  de  déctire 
la  part  qu'ont  prise  les  démons  dans  la  création  des  noms  des 
maladies,  recueillir  d'abord  les  noms  de  ces  démons  mêmes, 
des  lutins,  des  fantômes,  du  cauchemar  dans  tous  les  dialectes 
néolatins.  Je  ne  puis  présenter  ici  qu'une  maigre  récolte,  qui 
ne  donne  qu'une  modeste  idée  de  l'importance  qu'ont  les 
dénominations  de  ce  genre  pour  la  nomenclature  pathologique. 

le  babou  (v.  Meyer-Lubke,  Et.  Wtb.  s.  v.  bau). 

Mistral  :' être  imaginaire  dont  on  fait  peur  aux  petits  enfants'. 
embabouchi,  embaboutit  ^  étourdi,  brouillé,  interdit,  enchifrené \ 

la  carcasse. 

cf.  Mistral  :  s'encarcassela  ^  se  mettre  à  califourchon  sur  les 
épaules  '  (comme  un  démon). 

carcassou  ,  cigale  de  petite  espèce'  (originairement  désignant 
un  petit  être  diabolique^). 

s'encarcassa  ,  s'enrhumer  '  (Mistral),  cf.  carcassié  ,  tousser 
sans  trêve  ni  repos'  à  Grenoble  (Ravanat). 


'  V.  mcigala  (Mistral). 


20  H.  URTEL 

>Vui*m  : 

envornement^  envournement  (  Jaubert)  ,  enchifrènement  '. 

le  blaireau. 

Le  lorr.  etohuné  (Saint-Nabord  s.  Remiremont)  vient  de 
tohhon  {tas  s  on). 

On  emploie  en  allemand  quelquefois  le  mot  :  verdachst  pour 
exprimer  qu'on  est  somnolent  ou  engourdi.  Toutefois  il  paraît 
singulier  que  le  blaireau  se  soit  égaré  parmi  les  animaux  infer- 
naux ;  d'après  le  rôle  qu'il  joue  dans  la  fable  animale,  le  blai- 
reau est  une  bête  très  innocente  ^ 

le  chat  : 

avoir  un  chat  dans  la  gorge  (Verrier-Onillon)  ;  une  chatonnée 
de  rhume  (ibid.). 

la  chèvre  : 

du  un  sdgai  ^  conduire  une  chèvre  '  (Artâ,  Mallorka)  ^  être 
enrhumé  ;  cf.  port,  acabrunhado,  fâché  ^  verschnupft  '. 

Pourquoi  a-t-on  choisi  des  bêtes  comme  le  blaireau,  le  chat, 
la  chèvre  pour  caractériser  un  ^  rhume  '  V  Est-ce  leur  extérieur 
poilu  qui  a  créé  une  analogie  entre  la  peau  animale  et  la  gorge 
enflammée?  En  disant  ^  la  chèvre'  on  aura  pensé  à  la  voix 
rauque  de  cette  bête. 

Ces  remarques  nous  reconduisent  à  la  question  de  la  locali- 
sation qu'on  donne  au  mal  dans  la  terminologie  populaire.  Sur 
le  siège  du  rhume,  les  idées  des  peuples  ne  sont  pas  bien 
nettes  ;  tantôt  on  cherche  le  mal  dans  la  tête,  tantôt  dans  la 
gorge  ou  dans  la  poitrine. 

la  lète: 

Outre  l'expression  ^  rhume  de  cerveau  ',  qui  apparaît  dans  les 
patois  autant  que  dans  la  langue  littéraire,  nous  rencontrons 


^  Voir  à  ce  sujet  H.  Class,  Aiiffassung  iind  Darstellung  der  Tierweh 
im  Roman  de  Renaît,  Tùbinger  Diss.  1910,  p.  38,  77.  Cependant  le 
blaireau  (lucifuga)  paraît  avoir  des  forces  magiques  ;  on  sait  que  la 
graisse  du  blaireau  a  été  très  estimée  dans  la  thérapie  des  anciens. 


AUTOUR   DU    RHUME  27 

ronmo  de  tita  (Corsier,  Yaud),  riim  dTe  têt  (Pommerais,  Berne)  ; 
fre\  d'aou  cervau  (Vaulion)  ;  anfreidbr  anf  la  testa  (Piémont). 
Chose  singulière,  même  la  partie  du  corps  où,  d'après  la 
croyance  populaire,  se  forme  le  rhume,  le  cerveau  est  pris 
comme  nom  du  mal  :  srevcy  à  Luppy  (Lorraine) ,  De  là,  nous 
parvenons  peut-être  à  expliquer  le  mot  chbber,  attesté  par 
M.  Edmont  dans  V Atlas  (C.  11 55,  P.  460  [lUe  et  Vilaine]).  Il 
y  a  un  terme  chauhard  ^=  ,  nuque,  derrière  de  la  tête  '  dans 
l'Yonne  cité  par  M.  Zauner,  Die  roman.  Namen  d.  Kôrperteile^ 
p.  90  (v.  les  remarques  de  M.  A.  Thomas  à  l'occasion  du  mot 
champenois  :  chaubert,  Rom.  39,  208)  ;  or,  nuque  et  cerveau  sont 
tout  près  Tun  de  l'autre  ;'  il  y  a  eu  même  confusion  des  deux  : 
cervix  {=icerebrum)  illius  per  aiires  descendebat,  Vita  S.  PVanc. 
de  Paula  (Du  Cange,  s.  v.  cervix)  ;  le  sens  de  chbbèr,  que  nous 
trouvons  encore  dans  l'Orne  {chaubert ,  rhume  '  chez  Du  Méril) 
et  à  Alençon  (Du  Bois)  pourrait  donc  avoir  passé  de  ,  nuque ' 
à  _  cerveau  '  et  de  là  à  ^  rhume  de  cerveau  '. 

le  nez  : 

Le  germ.  nif-  a  donné  naissance  à  : 

nv/lya,sHnni'/Jyâ,'id,%%€i:,  nijly a, s' inmJ?ja^Ya.ugonàTy{ Y a.ud}, 
ave  la  nijia,  La  Brévine,  avè  la  ni/fia,  Noiraigue  (Neuch.)  ; 
fiiya,  Prez  v.  Siviriez  (Frib.);  nef  a,  Mage;  nef  a,  Lens  (Valais  i: 
einniyjemein,  s'einnixla,  Pailly;  s'einnicllia,  Oron  (Vaud)  ; 
s'en^nifié,  Noiraigue  (Neuch.). 

nioiiffle  =:  ^  museau  '  (v.  Verrier-Onillon)  : 

enmouflé  ^  enrhumé  '  à  Moulins  (d'après  P.  Duchon). 

nni'em  -|-  nif-  : 

subst.  «d;r^(?a,  verb.  s'ànarJda,  Leysin  (Vaud);  einnariflyâ, 
Savigny;  ènarixà,  Montherond;  s'ennartclia,Ydi\\\\ox\;  s'unnari- 
chliâ,  Penthalaz  ;  sHnnsrsflya,  Corsier  (  Vaud)  ;  nariyjya,  Lessoc 
(Frib.) 

nif-  +  mouffle? 

einoflyà,  Haute-Savoie  {Atlas  C.  1815,  P.  945);  einoufîà  ibid. 
P.  967  :  einôfîà,  Savoie,  P.  955,  933,  954- 


28  H.  URTEL 

bee  : 

sic.  aviri  lu  mali  bicchignu  ,  per  ischerno  ad  uomo  che  pa- 
tisce  corizza'  (Traina). 

«}oi*ge  : 

\o\xci\.  guturaîû;  mold.  gutunâr,  de  ^  gutturalium  '  (Tiktin); 
fr.  engorgé,  prov.  engargassa  (à  Castres). 

poitrine  : 

*impectoratura  ? 

inpetrouire  , rhume  en  général'  Salvan  (Valais). 

*pectoraria? 

port,  peitoreira. 

aval  V  est  orna  plyein  dé  glyeirb  ^  avoir  un  rhume  profond,  non 
encore  bien  déclaré  '  Pailly  (Vaud),  où  estoma  signifie  poitrine. 

S'il  y  a  erreur  sur  le  siège  du  mal,  nous  ne  serons  pas  sur- 
pris de  voir  qu'on  se  trompe  absolument  sur  le  caractère  de  la 
maladie  elle-même.  De  là  de  nombreuses  méprises  qui  font  que 
des  noms  de  maladies,  au  fond  tout  à  fait  différentes,  se  mettent 
à  la  place  du  ,  rhume  '. 

enrouement  : 

raucu-. 

s'enreuUàenay  (Pleigne);  s' inroutscAi  {Ormont-dessus  et  envi- 
rons) ;  sHnroutsi,  Vallorbe  (Vaud). 

astlime  : 

hœutséyè  ^  avoir  la  respiration  gênée  '  cf.  bœutso  ,  poussif, 
asthmatique  '  {butso  ,  asthmatique  '  L.  Odin,  Gloss.  de  Blonay), 
de  là: 

subst.  eimhœutsuire,  VoUèges  (Valais),  ^  rhume  de  cerveau  '. 

enflure,  apostènie  : 

Il  paraît  que  l'on  a  eu  l'idée  que  l'enflure  du  nez,  etc., 
accompagnant  le  rhume,  provient  d'une  sorte  de  tumeur  à 
l'intérieur  du  crâne.  Comme  la  phtisie  a  été  regardée  comme 
étant  causée  par  un  abcès  dans  les  poumons  (Gloses  :  fitisis, 


AUTOUR   DU   RHUME  29 

ulcérât io  pulmoniim  vel  toracis  ;  la  potttme  du  poutnon,  Ms.  de 
VEc.  sup.  de  Pharm.  de  Paris ^  N°  1.32''),  la  matière  découlant 
des  fosses  nasales  est  produite  par  un  abcès  du  cerveau.  Pour 
ne  pas  entrer  dans  trop  de  détails,  je  ne  citerai  qu'un  exemple 
qui  nous  mo'ntre  la  popularité  de  cette  idée.  Nous  lisons  dans 
un  des  nombreux  manuscrits  de  Barthélémy  l'Anglais  (Bibl. 
Nat.  Ms.  Fr.  914 1,  Fol.  116"^°:  «  Le  III^  chapitre  parle  des  pro- 
priétés de  la  Runie  du  chief,  les  physiciens  appellent  ceste 
maladie  cachaste  [autre  ms  :  catharre']  (ii6^'°).  Il  est  contenu 
au  VHP  chapitre  du  livre  de  astronomie  que  dieu  fiert  et  bat 
aucune  fois  les  personnes  de  forcenerie  et  de  folie  ...forcenerie 
a  ce  propos  est  appellee  frenaisie  de  la  quelle  dit  Constantin 
que  frenaisie  est  U7ie  apostume  qui  est  entre  les  peaulx  du 
ceruel.  »  Quoique  nous  n'ayons  pas  encore  une  idée  très  claire 
sur  les  rapports  qui  peuvent  exister  entre  les  maladies  du  cer- 
veau et  le  rhume,  nous  sommes  frappés  de  voir  traiter  les 
ulcères  du  cerveau  au  chapitre  du  rhume.  Et  si  nous  trouvons 
des  expressions  comme  le  ^  félon  de  chief  de  home,  qui  fait 
enfler'  {Recettes,  éd.  Rob.  Reinsch,  Herrigs  Arch.  64  [1880] 
p.  171),  il  ne  nous  paraît  pas  impossible  d'y  voir  le  rhume  de 
cerveau.  Mais  passons  aux  termes  patois  qui  rappellent  l'idée 
d'une  tumeur. 

,  apostème  '  : 

subst.  potaytna  Lourtier,  potayma  Vollèges  (Valais)  ;  subst. 
eimpotœumuire  Vollèges  (Valais)  ;  s' einpotœumà  à  côté  de  : 
s'eimpotauma  ^  s'enchifrener  '  Vollèges,  impàtbmô  ^  enchifrené  ' 
Lourtier. 

^petœfe'  (cf.  pêdiiblya,  etc.,  L.  Odin,  Gloss.  d.  Blonay, pes- 
subla,pétublla  Bridel)=  ,  vessie'  ;  subst.  petœfe  =  ,  rhume  de 
cerveau  '  La  Posse  (Bex)  ;  p3teu%la  Gryon  (Vaud)  ;  sHnpsteuyla 
, s'enchifrener  '  Gryon  (Vaud):  s'inpctoclia  ^prendre  un  rhume 
de  cerveau'  Trient  (Valais). 

//  est  enfle  ^  il  a  la  fluxion  '  (Neuchâtel). 


3° 


H.  URTEL 


toux  =  ,  rhume  '  (  v,  plus  haut)  : 

Atlas  C.  II 55,  P.  482,  493  [Côtes  du  Nord],  P.  397  [Norm. 
Inf.j,  P.  198,  194  [Wallonie  ,  P.  70,  71,  60,  989    Suisse^. 

Ajoutons  encore  deux  termes  des  extrêmes  périphéries  de  la 
Romania,  où  nous  constatons  également  une  confusion  de 
maux  divers. 

,  inkjraine  '  : 

arab.  schaqî-qah.  (Diez  498). 

enxaquêta{=enxagueca)  en  Algarve  ,  enrhumé '  R.  Lus. IV, 335 , 

angine  : 

macéd.  sina%e  ^  rhume  '  du  néogrec  :  <ro-!)y.yj.,  ce  qui  est  dans  le 
grec  classique:  o-jvây;;^-/?  {'/.wù.--jyvi)  ^  Entzundung  der  inneren 
Muskeln  des  -Schlundes  '  (cf.  'âq^tù  ^  zusammenschniiren  ').  Nous 
trouvons  déjà  dans  les  Gloses  du  lo'^  s.:  sinancis  i.  inflatio 
faucium  cum  tumore,  quinance  sinance  cause  {C.  Gl.  L.  III.  596). 

En  considérant  dans  leur  ensemble  les  expressions  que  le 
peuple  a  adoptées  pour  le  rhume,  nous  sommes  frappés  par 
l'analogie  qu'elles  présentent  avec  le  développement  d'une 
série  parallèle. 

Nous  avons  trouvé  pour  enchifrènement  au  Centre  le  mot 
env ornement,  envournement  (Jaubert).  Le  ^  wurm',  qui  a  fait  son 
entrée  dans  le  groupe  des  noms  du  rhume,  s'est  introduit  de 
même  dans  l'onomastique  d'une  autre  maladie  présentant  éga- 
lement des  symptômes  d'empêchement  :  la  gourme. 

La  j  gourme  '  est  une  inflammation  de  la  membrane  pituitaire, 
qui  se  manifeste  soit  par  l'écoulement  d'un  mucus  blanc  par 
les  narines,  soit  par  un  abcès  volumineux  sous  la  ganache 
(voir  Littré,  Dlct.  de  méd.  s.  v.  gourme).  Cette  maladie  est 
caractérisée  par  des  gonflements  des  glandes  du  cou,  des  abcès 
au  cou  et  autour  de  la  bouche  et  par  l'écoulement  d'une  ma- 
tière suppurante  sortant  des  abcès.  Le  gonflement  des  gan- 
glions lymphatiques  accompagnant  la  maladie  a  fait  naître  des 
rapprochements  curieux  dans  la  terminologie  populaire:  les 


AUTOUR   DU   RHUME  31 

glandes  enflées  sont  par  le  peuple  regardées  comme  l'essentiel 
du  mal.  Nous  trouvons  donc  le  gourmat  en  Lorraine,  glandes 
que  les  moutons  ont  sous  le  cou  ;  gormes  ^  parotide  '  existe 
dans  la  Marne.  (Heuillard,  Pat.  de  la  comtnufie  de  Gaze, 
cant.  Sézanne).  L'encombrement  des  voies  intérieures  se  mani- 
feste dans  d'autres  expressions,  où  la  ^ gourme''  n'est  qu'un 
obstacle:  une  vache  engoiirmée  est  une  bête  «  dont  le  pis  ou  le 
sein  est  gonflé,  soit  par  un  excès  de  lait,  soit  par  l'inflammation  » 
(  Verrier-Onillon)  ;  dégourmer  ^à.éhd>xxz.%%Qx  de  l'inflammation' 
(ibid.),  angàrumè  ^ se  dit  du  gosier  qui  s'embarrasse  de  muco- 
sités ou  d'autres  corps  étrangers',  angànimé  ^  dont  le  gosier  est 
obstrué  '  (d'après  Dagnei,  Parler  du  Cûglais).  Kien  n'empêche- 
rait de  penser  que  le  mot  gour/zte,  avec  cette  acception,  serait 
en  rapport  avec  gourttiette,  mot  dont  on  connaît  l'origine  cel- 
tique. Tandis  que  le  chanfrein  serre  la  partie  supérieure  de  la 
tête,  la  gourmette  entoure  l'inférieure.  Ce  rapprochement  serait 
rendu  encore  plus  vraisemblable  par  d'autres  considérations. 
Le  mot  de  gourme  n'aura  pas  été  restreint  à  désigner  un  ,  gon- 
flement', il  aura  passé  à  la  conception  à' abcès  en  général  et 
dès  lors  le  mot  est  employé  surtout,  quand  il  s'agit  d'une  série 
d'enflures  qui  s'enchaînent  ^  Nous  avons  d'autres  termes  qui 
éveillent  une  idée  analogue  :  j'ai  trouvé  dans  un  dialecte  (l'in- 
dication de  provenance  s'est  perdue)  muselière  ^  désignant  une 
rangée  de  pustules  autour  de  la  bouche';  je  cite  en  outre 
bangon  =  ,  mouchoir  passé  sous  le  menton  et  noué  au  sommet 
de  la  tête;  maladie  des  brebis  :  un  mouton  baugoufiné (La.pdL\re, 
Pavots  berrichoti).  En  supposant  que  gourmette  (chaîne!  et 
gourme  soient  le  même  mot,  nous  rendrons  compréhensible 
l'expression  :  jeter  la  gourme.,  qui,  elle,  a  donné  naissance  à 
d'autres  expressions  analogues  :  jeter  son  jafjier  (Verrier- 
Onillon),  pousé  sn  ékrankiyon  (Saint-Pol),  etc. 


'  On  se  rappellera  le  latin  :  freniisciui  [ulcéra  circa  lictuDi  cris  similia, 
quaefiunt  jnmenlis  asperitate  frenorum,  Isid.  4,  c.  8)  Du  Cange  ;  v.  gourmes, 
impétigo  du  visage  chez  les  enfants,  à  Vaudioux  (Jura). 


32  H.  URTEL 

Nous  avons  parcouru  en  hâte  les  différents  aspects  de  la 
terminologie  savante  et  populaire  créée  pour  dénommer  le 
rhume.  Le  dépouillement  des  glossaires  et  l'enrichissement  de 
leurs  données  par  la  bonté  de  correspondants  bénévoles,  pro- 
cèdent normalement,  et  nous  espérons  que,  dans  le  cadre  d'une 
étude  plus  ample  sur  tous  les  noms  romans  des  maladies,  bien 
des  problèmes  qu'on  ne  peut  qu'effleurer  dans  une  étude  déta- 
chée se  présenteront  sous  un  jour  plus  clair. 

La  plupart  des  questions  qui  viennent  de  se  dresser  devant 
nous  seront  résolues  plus  facilement  en  tenant  compte  de  l'en- 
semble des  matériaux.  On  a  déjà  vu  que  les  simples  recherches 
phonétiques  ne  suffisent  pas  dans  ce  domaine  ;  il  faut  en  outre 
tirer  profit  de  la  mythologie,  des  croyances  populaires,  de  la 
botanique.  Et  après  avoir  présenté  des  matériaux  bien  classés 
et  examiné  le  détail  des  diverses  questions,  il  faut  essayer  de 
tracer  la  marche  générale  de  l'évolution  des  noms  des  mala- 
dies. Cette  recherche  finale  formera  une  page  intéressante  de 
l'histoire  de  la  civilisation  et  elle  permettra  de  saisir  des  traits 

caractéristiques  de  l'âme  des  peuples  ^ 

H.  Urtel. 


'  Je  me  fais  un  devoir  de  remercier  cordialement  à  la  fin  de  mon 
travail  MM.  Gauchat  et  Lavoipière,  à  Hambourg,  d'avoir  enrichi  cet 
essai  de  mainte  précieuse  remarque. 


•s^i'^î- 


SERVADZO 

-*- 

D'après  une  opinion  admise  par  les  savants,  !'«  Homme 
sauvage»,  —  le  Sauvage  qui,  dans  les  contes  des  grand'mères 
et  des  vieilles  servantes,  continue  à  jeter  dans  l'âme  des  petits 
enfants  une  terreur  sans  égale,  —  serait  le  dernier  et  bien 
faible  reste  d'un  personnage  légendaire  dont  les  origines  les 
plus  lointaines  vont  se  perdre  dans  la  nuit  des  mythes  des 
forêts.  Dernièrement,  M.  F.  Neri,  s'appuyant  sur  des  traditions 
anciennes  et  récentes,  a  fait  revivre^,  avec. force  détails  et  une 
riche  documentation,  la  figure  protéiforme  de  cet  être  mysté- 
rieux dont  parlent  les  légendes  germaniques,  que  nous 
montre  la  religion  romaine  et  que  les  rites  d'une  foule  d'autres 
peuples,  sous  des  formes  diverses,  indépendantes  même 
pourrait-on  dire^,  nous  représentent  comme  une  divinité,  un 
esprit,  un  symbole  des  forêts,  des  champs  et  de  la  nature. 

De  peuple  à  peuple,  le  Sauvage  perd  quelques  traits  carac- 
téristiques, mais  c'est  pour  en  prendre  d'autres.  Il  en  résulte 
une  physionomie  complexe,  où  se  conserve  cependant  un 
caractère  uniforme  :  partout,  en  effet,  il  est  un  symbole,  une 
image  vivante  des  arbres,  des  feuilles,  des  forêts.  Au  cours  des 
âges,  nous  le  voyons  émigrer  avec  les  peuples  qui  emportent 
leur  bagage  inépuisable  de  traditions  et  de  légendes.  Si,  chez 
les  Germains,  il  semble  prendre  une  forme  bien  différente 
de  celle  du  «  Silvanus  »  des  Romains ,  ailleurs  il  devient  le 
centre  du  culte  de  la  nature  ;  en  d'autres  endroits,  sa  person- 


'  Giornale  storico  délia  letteralura  iialiana,  LIX,  47  sqq.  Voir  aussi 
Decurtins,  Ràtoromanische  Cbestomathie,  I,  Ergànzungsband,  Erlangen, 
1912,  p.  173. 

'  Goblet  d'Alviella.  Les  fîtes  de  la  moisson,  dans  Croyances,  rites, 
institutions,  I,  Paris,  191 1,  p.  293. 


34  GIULIO   BERTONI 

nalité  s'affaiblit  et  disparaît  presque  entièrement;  ce  n'est  plus 
qu'un  petit  esprit  lutin,  un  croquemitaine  ou  un  diablotin  ^. 
Ces  diverses  attitudes  du  Sauvage,  les  savants  les  ont  étudie'es, 
examine'es  et  discute'es  à  fond,  et  nous  ne  saurions  résumer  ici 
leurs  opinions  très  divergentes  sur  l'origine,  le  sens  et  les 
transformations  de  l'éirange  personnage.  Le  lecteur  nous  per. 
mettra  seulement  d'attirer  son  attention  sur  quelques  aspects 
du  problème,  aspects  qui,  à  mon  avis,  n'ont  pas  été  suffi- 
samment étudiés. 

Tout  le  monde  sait  que  dans  l'ancienne  poésie  lyrique  pro- 
vençale et  italienne,  le  Sauvage  apparaît  comme  un  être  qui 
apporte  joie,  courage  et  réconfort.  Ce  réconfort  (en  prov.  lo 
cofiort  del  Salvatge)  est  de  nature  à  égayer  l'homme  par 
suggestion,  étant  donné  que  le  Sauvage  est  joyeux  même  quand 
il  aurait  des  raisons  de  s'attrister.  Ainsi  chantait  Guido  Orlandi  ; 

?oi  cVaggio  udito  dir  dell'om.  selvaggio 
Oie  ride  e  mena  i/ioia  de!  turbato 


Si  corne  fosse  bel  tempo  di  Ma^gio 
Si  truova  d'aUegrei:!^a  sormontato. 

Et  Cecco  Angiolieri,  au  milieu  de  ses  tristesses,  se  disait 
soulagé  comme  Vom  selvaggio,  quand  arrive  le  beau  temps. 
Le  troubadour  Rambaut  de  Beljoc  affirmait  qu'il  se  sentait 
ragaillardi  ainsi  que  k  Sauvage,  parce  qu'il  chantait  alors 
qu'il  aurait  eu  plus  d'un  motif  d'être  triste^.  Mais,  au  lieu  de 
rapporter  d'autres  allusions  déjà  signalées  par  les  érudits,  je 
me  bornerai  à  citer  une  poésie  provençale  échappée  aux 
recherches  des  savants.  Elle  a  pour  titre:  Li  sons  desTes  del 


'  Quant  à  la  métamorphose  du  Sauvage  en  l'un  de  ces  petits  esprits 
bienveillants  ou  méchants  à  l'aspect  familier,  qui,  même  de  nos  jours, 
alimentent  la  superstition  dans  les  campagnes,  on  ne  peut  la  conjec- 
turer que  d'après  le  nom  de  servan  ou  selvan  qui  sert  encore  à  désigner 
ces  diablotins.  Dans  les  contes  des  campagnes  de  l'Italie  du  Nord,  le 
Sauvage  est  devenu  une  sorte  d'ogre,  appelé  om  salvâdegh  ou  om  di  bosk^ 

^  Ces  textes  ont  été  cités  déjà  par  M.  Neri,  îoc.  cit.,  50. 


SERVADZO  35 

homen  sauvage.  Le  texte  ne  se  trouve  que  dans  le  manuscrit  de 
Paris  fonds  fr.  844  (fol.  190J  et  a  été  publié  par  M.K.  Appela 
«  Ces  mots  insensés  »  (cf.  anc.  fr.  dtrvé  «  fou,  furieux,  forcené  » 
Godefroy,  II,  677)  expriment  seulement  l'état  d'âme  agité  d'un 
poète  anonyme,  qui,  malgré  un  temps  affreux,  se  déclare  prêt 
à  chanter  l'amour.  Ainsi,  ce  ne  sont  plue  les  cris  du  Sauvage 
que  nous  fait  connaître  cette  poésie,  mais  bien  ceux  d'un  poète 
qui  se  compare  au  Sauvage  : 

Poi  ve\em  que  l'ivers  s'irais 
Et  part  se  del  tan\  amoro^y 
Que  non  au  ges  notes  ni  lais 
Des  autels  per  vergers  foillo^, 
Per  h  freit  del  brun  temporau 
Non  hisserai  un  vers  a  far 
Et  dirai  alques  mon  lalant^. 

Tous   ces   passages   et   d'autres    semblables   de   la   poésie 

lyrique  courtoise  ont  besoin  d'une  explication.  Pourquoi  donc 

le  Sauvage  se  moque-t-il  de  la  tempête  et  en  profite-t-il  ,pour 

se  réjouir  comme  si  «  c'étaient  les  beaux  jours  de  mai  »  ?  Il  me 

semble  que  ces  vers  font  allusion  à  une  coutume  dont  les  traces 

survivent  encore  en  Suisse,  coutume  aimable  qui,  dans  quelques 

pays,  a  fait  prendre  le  Sauvage  comme  une  sorte  de  symbole 

du  printemps  aux  fêtes  des  premiers  jours  de  mai.  Je  rappellerai 

que  dans  la  Gruyère,  le  premier  dimanche  de  mai,  les  jeunes 

garçons  chantaient  naguère  de  savoureuses  poésies  du  genre 

de  celle-ci  : 

Chervâd^o,  chervâdi^o, 

Ne  fou  ne  chdd:^o  ! 

On  mochi  dé  bacon 

Por  mè  froid  le  gargachon, 

Ouna  poma  bllantie,  etc.  ^ 

'  Appel,  Prov.  Ined.  aus  Paris.  Handschriften,  Leipzig,  1892,  p.  329. 

^  Le  lecteur  a  déjà  pu  remarquer  que  le  texte  est  bien  francisé.  Rien 
d'étonnant  à  cela  ;  il  se  trouve,  en  effet,  dans  un  manuscrit  renfermant 
surtout  des  poésies  françaises.  Cf.  L.  Gauchat,  Romania  XXU,  p.  364  ss. 

*  Schweiierisches  Archiv  fur  Volkskunde,  I  (1897),  p.  231.  Ce  person- 


^6  GIULIO   BERTONI 

Et  dans  le  canton  de  Vaud,  on  chantait  :  Patifou  sauvâdzo, 
que  nest  ni  fou  ni  sâdzo,  etc.  Une  ancienne  coutume  de 
Blonay,  dont  il  ne  reste  aujourd'hui  qu'un  souvenir  \  nous 
apprend  qu'autrefois  «  les  jeunes  filles  se  couronnaient.  Les 
jeunes  gens  mettaient  dans  un  drap  porté  par  quatre  d'entre 
eux  une  fantoûma  ou  p3poûna....  Selon  une  autre  version, 
c'était  une  fnayintséta  ^  qui  portait  la  fantoûma  dans  un  ber- 
ceau sur  son  dos.  Un  des  mayintson  parlait  pour  \z.  fantoûma, 
qui  semble  avoir  été  désignée  par  le  terme  de  servddzo  ;  un 
autre  donnait  la  réplique.  Voici  quelques  bribes  de  ces  chan- 
sons, recueillies  de  la  bouche  de  deux  personnes  âgées  : 

Mayintson  !  Mayintséta  ! 

On  poû,  53  vo  plyé,  po  sti  p9li  ServàdT^o 

Ks  n'é  né  foû  né  sâd:^o,  etc.  » 

Il  est  évident  que  le  Sauvage,  si  l'on  ne  veut  pas  qu'il 
représente,  ainsi  que  je  le  crois,  le  Printemps,  symbolisait  du 
moins  le  retour  du  beau  temps  et  conjurait  la  pluie,  «  il  turbato  », 
selon  l'expression  de  Guido  Orlandi.  Les  poètes  lyriques  du 
treizième  siècle  prouvent  que  des  coutumes  semblables  ont  dû 
être  très  répandues*  et  que  notre  légendaire  Sauvage  en  était 
arrivé  à  prendre  une  place  prépondérante  dans  les  fêtes 
joyeuses  de  mai.  Par  suite,  le  conort  del  salvatge  n'est  plus  un 
problème  :  c'est  une  allusion  au  temps  rasséréné,  au  renouveau 
qui  fait  reverdir  les  prairies  *. 


nage  apparaît  aussi  dans  d'autres  parties  du  canton  de  Fribourg,  cf.  le 
même  périodique,  VI,  p.  loo,  Us  et  coûtâmes  d'Esiavayer,  par  Joseph 
Volmar.  Voir  aussi  l'article  plein  de  détails  intéressants  inséré  par 
M.  Octave  Chambaz  dans  le  no  i8  du  Conteur  vaudois  de  1905.  On  y 
trouve  la  description  exacte  du  costume  du  sauvage  et  une  des 
«  ringues  »  chantées  en  son  honneur. 

'  Odin,  Glossaire  du  patois  de  Blonay,  Lausanne,  1910,  p.  521. 

*  Mayintsy  ou  mayintséta,  jeune  fille  qui  chantait  le  mai. 

'  Peut-être  les  auteurs  lyriques  italiens  ont-ils  puisé  dans  les  poésies 
provençales  ;  il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que  les  fêtes  du  printemps, 
avec  ou  sans  le  Sauvage,  furent  également  connues  et  célébrées  en 
talie. 

*  Au  sujet  de  ces  fêtes  de  mai,  je  renvoie,  pour  ne  pas  m'étendre 


SERVADZO  37 

On  voudra  bien  me  permettre  d'ouvrir  ici  une  parenthèse. 
A  ces  fêtes  du  Printemps,  dont  les  savants  admettent  presque 
4:ous  l'origine  païenne,  le  christianisme  imprima,  si  l'on  y 
regarde  de  près,  un  sens  nouveau.  Elles  signifiaient  primitive- 
ment un  souhait,  une  espérance.  Le  christianisme  y  ajouta 
l'idée  de  remerciement  et  d'hommage  à  Dieu.  Ces  fêtes  de 
printemps,  ainsi  transformées,  en  abandonnant  leur  caractère 
originel,  perdirent  leur  éclat  et  finirent  par  disparaître. 
A  Blonay,  après  la  chansonnette,  on  entonnait  le  Psaume  loi, 
preuve  que  l'esprit  chrétien  s'était  emparé,  pour  ainsi  dire,  de 
ces  rites  jusque-là  païens.  On  y  substitua  d'autres  passe-temps. 
G.  Villani  i^VIII,  70)  parle  d'une  représentation,  d'un  jeu  ou 
«  sollazzo  »  à  Florence  pour  le  «  Calendimaggio  »  de  l'année 
1304.  Sur  la  scène  on  voyait  l'Enfer,  les  démons,  du  feu  et 
plusieurs  genres  de  supplices  et  de  tourments.  Ce  ne  sont  plus 
les  joyeuses  compagnies  de  jeunes  gens  enguirlandés,  mais  des 
hommes  contrefaits,  semblables  à  des  démons  et  horribles  à 
voir.  Et  comme  les  fêtes  de  mai  avaient  mis  leur  empreinte 
dans  l'ancienne  poésie  et  jusque  dans  quelques  strophes  que 
nous  possédons  encore  (p.  ex.  dans  celle  qu'on  chantait 
naguère  à  Blonay),  ainsi,  les  nouvelles  solennités  religieuses 
laissèrent  un  écho  dans  les  chansonnettes  qui,  aujourd'hui 
encore,  font  les  délices  des  enfants.  En  Italie,  j'ai  assisté  sou- 
vent à  ce  «  jeu  »  enfantin.  De  tout  jeunes  gens  tiennent  le  rôle  : 
l'un  représente  un  démon,  l'autre  Dieu,  un  troisième  l'âme 
d'un  défunt.  Ils  chantent  : 

—  Angelo,  heW  angelo,  volaie  qui  da  me  ! 

—  Non  posso  volare,  perché  il  Diavolo  è  U  ! 

—  Aprite  h  vosire  ali  e  volaie  qui  da  me  ! 

Alors,  «  l'âme  »  ouvre  les  bras,  prend  son  élan  et  s'cflbrce  de 
se  soustraire  aux  poursuites  du  diable,  qui  lui  lan^e  un  objet 
(ordinairement  un   mouchoir  noué).  Si  l'en  far.  t  (l'âme)  peut 


trop  longuement,  à  un  article  que  j'ai  publié  dans  la  \noia  Antologia, 
ler  mai  19 10  (Le  origiiti  délia  lirica  italiana). 


38  GlULIO    BERTONI 

éviter  l'objet,  il  vient  se  jeter  tout  heureux  dans  les  bras  de 
Dieu,  et  l'ennemi  du  genre  humain  en  rougit  de  honte!  Ces 
jeux  nous  font  songer  aux  anciennes  représentations  de  l'éter- 
nelle lutte  entre  l'esprit  du  «  Bien  »  et  l'esprit  du  «  Mal  »,  lutte 
qui  a  pris  des  formes  diverses  aux  différents  âges  de  l'huma- 
nité et  qui  constitue,  en  quelque  sorte,  le  noyau  d'où  est  sortie 
la  merveilleuse  légende  de  Faust  et  aussi  l'épisode  fameux  de 
la  Divine  Comédie  où  Dante  nous  montre  l'âme  de  Guido 
Montefeltro  que  se  disputent  François  d'Assise  et  un  démon 
(/«/.  XVIl): 

Francesco  vernie  poi  com'  i'  fui  morto, 
Per  me  ;  ma  un  de'  neri  chertibini 
Gli  disse  :  nol  portar  ;  non  mi  far  torto. 

Il  me  semble  d'ailleurs  que  ces  représentations  de  l'Enfer, 
du  Purgatoire  et  du  Paradis  ont  donné  naissance  à  d'autres 
jeux,  témoin  celui  que  j'ai  vu  à  Romont.  Quelques  fillettes  sont 
invitées  par  leurs  compagnes  à  choisir  une  couleur  (rouge, 
noir,  etc.).  Puis,  d'après  la  couleur  choisie,  elles  se  divisent 
en  plusieurs  groupes.  Elles  ignorent  qu'à  chaque  couleur 
correspond  l'idée  du  bonheur  ou  de  la  souffrance,  mais  à  un 
moment  donné  le  mystère  s'explique  au  milieu  d'une  ronde 
générale  :  les  unes  avaient  choisi  le  Paradis,  les  autres  l'Enfer 
ou  le  Purgatoire  : 

d\ine,  d\ine,  dzand/^u,  dans  le  Paradis  ! 
d^ine,  dzine,  d^and\n,  dans  le  Purgatoire  ! 

chantent-elles.  Le  mot  dzandzu,  aujourd'hui  incompréhensible, 
désignait  sûrement  les  anges  (prononcez  le-zanges)^,  puisque 
ce  jeu-là  encore  est  d'origine  chrétienne. 

Mais  fermons  la  parenthèse  et  revenons  au  Sauvage.  Ce 
personnage  ne  s'est  pas  contenté  de  devenir  la  fantoûma  du 
Printemps,  dans  les  fêtes  de  mai,  mais  il  a  osé,  d'après  les  tra- 


^  C'est    un    cas    d'agglutination,    phénomène    si    bien    étudié    par 
M.  E.  Tappolet. 


SERVADZO  39 

ditions  populaires,  faire  partager  ses  amours  aux  Anguane  ou 
Guane,  c'est-à-dire  aux  Aquane,  divinités  des  fontaines  et  des 
rochers.  De  l'union  de  ces  dernières  avec  le  Sauvage  sont 
sorties  les  Saguarte  (les  «  sorcières  »)  dans  le  Frioul^  En  outre, 
notre  légendaire  homme  sauvage  a  perdu,  par-ci  par-là,  dans 
sa  course  à  travers  les  âges,  son  caractère  primitif,  et  peut-être 
en  s'identifiant  avec  d'autres  symboles  inférieurs  des  mythes 
champêtres,  est-il  devenu  en  certains  endroits  un  lutin,  dans 
d'autres  un  ogre.  A  mesure  que  la  vie  devenait  plus  intense, 
que  surgissaient  les  bourgades  et  les  villes,  que  les  forêts  se 
défrichaient,  le  Sauvage,  le  fantôme  des  forêts,  dont  le  nom 
laissait  transpirer  l'acre  parfum  des  bois,  s'éloignait  des 
humains.  Les  plantes  commençaient  à  perdre  leur  langage 
muet  et  cependant  si  expressif  pour  les  peuples,  et  l'habitant, 
le  dieu  des  forêts,  devenait  un  être  éloigné  du  monde  civilisé. 
Le  Sauvage  se  rapetissa,  comme  se  rapetissait  son  royaume. 
Et  lorsqu'il  sortit  des  forêts,  il  s'amincit  et  devint  un  diablotin 
aux  formes  changeantes  (appelé  encore  dans  certains  pays 
servait,  silvan),  capable  de  prendre  divers  aspects,  celui  d'un 
renard,  d'un  lièvre,  d'un  insecte,  etc.  Oh  !  pauvre  Sauvage  des 
mythes  champêtres,  pauvre  servâdzo  des  fêtes  de  mai  ! 

GlULIO  Bertoni. 


*  Meyer-Lûbke,  Kom.  Et.  îf'tb.,  n'-'  573,  cite,  en  véronais,  sigar  corne 
n'anguana,  «  schreien  wie  ein  Adler». 


•î^î'^S- 


40  J.    CORNU 


UNE  LANGUE  QUI  S'EN  VA 

QUELQUES   OBSERVATIONS  SUR  UN  RECUEIL  DE  MORCEAUX 

EN  PATOIS  VAUDOIS 

— î— 

Lors  de  mon  dernier  séjour  dans  le  Jorat  je  t'ai  dit,  cher 
docteur,  que  le  patois  de  nos  villages,  tel  qu'il  se  parle  aujour- 
d'hui, est  un  baragouin  qui  ressemble  de  moins  en  moins  à  la 
langue  de  nos  pères,  car,  à  vrai  dire,  ce  n'est  ni  du  français  ni 
du  patois,  à  moins  qu'on  ne  prenne  ce  mot  dans  son  plus  mau- 
vais sens  ;  qu'il  suffisait  d'un  peu  d'attention  pour  remarquer 
l'invasion  d'une  foule  de  mots  soit  purement  français,  soit 
français  d'origine,  mais  afïuble's  d'une  terminaison  patoise  qui 
voile  tant  bien  que  mal  leur  provenance  étrangère,  et  l'emploi 
de  mots  patois  déformés  sous  l'empire  du  français  et  rappro- 
chés en  quelque  sorte  de  cette  langue. 

En  m'envoyant  Po  Recafâ{K  Lozena  tsi  Payot  &  C'^,  1910), 
dont  je  te  remercie,  tu  m'as  parlé  des  éloges  qu'on  a  faits  de 
ce  riche  recueil  et  tu  m'en  as  dit  toi-même  mille  belles  choses 
qui  me  font  conclure  que  tu  crois  ces  éloges  en  tous  points 
mérités.  Le  contenu  du  volume  Po  Recafâ,  souvent  très  amu- 
sant, t'a  empêché  sans  doute  d'estimer  à  sa  juste  valeur  le 
contenant  qui  est  la  langue.  Au  point  de  vue  de  la  langue,  si 
tu  veux  bien  me  permettre  de  dire  ouvertement  ce  que  je  pense 
des  morceaux  que  renferme  Po  Recafâ^  il  y  en  a  un  grand 
nombre  de  mauvais,  beaucoup  de  médiocres  et  peu  d'excel- 
lents. La  plupart  de  ceux  qui  se  sont  mêlés  d'écrire  dans 
la  langue  de  nos  paysans  paraissent  ne  pas  savoir  qu'elle 
exige  comme  toute  autre  langue,  pour  la  posséder,  une  étude 
sérieuse,  embrassant  toutes  les  parties  de  la  grammaire,  et  que 
cette  étude  est  bien  plus  malaisée  que  celle  d'une  langue  litté. 


UNE   LANGUE   QUI    S  EN    VA  41 

raire,  éclaircie  à  Tenvi  par  de  nombreux  ouvrages  gramma- 
ticaux et  lexicographiques. 

Tu  tiens,  m'écris-tu,  à  mon  jugement  sur  Po  Recafâ.  Sans 
doute  que  tu  te  rappelles  le  temps  où  je  te  menais  par  la  main 
et  que  tu  me  récitais:  «  Quelle  heure  est-il? —  Midi.  —  Qui 
l'a  dit  ?  —  La  Judith.  —  Que  fait-elle?  —  Des  dentelles.  —  Pour 
qui?  —  Pour  son  petit. —  Comment  est-il  gros?  —  Comme  un 
sabot»,  et  où  je  me  donnais  la  peine  de  te  faire  parler  patois. 
La  compétence,  quant  à  notre  vieux  langage,  je  l'avais  peut- 
être  il  y  a  une  quarantaine  d'années.  Je  ne  puis  guère  l'avoir 
accrue  durant  celles  que  j'ai  passées  à  l'étranger.  Ce  que  je  te 
communique,  ce  sont  des  débris  de  mes  souvenirs.  Mais  je  crois 
que  les  listes  suivantes  d'incorrections  notées  au  cours  de  mes 
lectures  serviront  à  te  prouver  ce  que  j'avance. 

Est-ce  par  ignorance  que  les  auteurs  des  pièces  contenues 
dans  Po  Recafâ  terminent  par  a  les  mots  féminins  suivants^: 

agasa,  bîtdi,  poîtra  btta,  bolondzira  , boulangère',  boUnïra. 
,  boutonnière',  dyleza,  la  dèraira,  sa  draita,  dzalya  ^  mou- 
chetée',  dzêba  jCage',  dzsmlylra^  faira  ,  foire ',  pétâys  de 
fruita  (on  à\i  /rouit?),  kyésa  fyésa,  kouaita  ,  hâte ',  krouya 
estd?na,  krouya  féna,  krouya  lè"ga,  krouya  vya,  inanaira, 
mat  air  a,  pr au  itiataira  ^  assez',  Vépina  naira,  nosa  ,noce', 
neïra  =  noylrp,  orolya,  pansa  ,  panse  ',  pataira,  pouaira,  la 
prattnra  ne,  la  pramîra  ralondzs,  prsmiramc",  tsasa,  tsèraira, 
ver  go  ny  a,  la  vîlya,  la  pour  a  vllya,  vllya  kot?ma,  vîlya  kura 
j sotte',  vllya  féna,  vîlya  feralya,  vllya  ylybtsd,  %lya  bouna 
vîlya  preyln,  vîlya  rstiy?,  vîlya  véva? 

Tu  sais  aussi  bien  que  moi  que  ces  substantifs  et  adjectifs 
qui  répondent  à  la  première  déclinaison  latine  ont  e  {3)  comme 
terminaison  en  patois. 

Est-ce  par  ignorance  qu'ils  donnent  en  revanche  la  termi- 
naison e  (p)  aux  mots  que  voici,  mots  qui  jadis  avaient  a: 


^  Les  citations  aussi  bien  que  les  formes  patoises  qui  devraient  les 
remplacer  sont  transcrites  d'après  le  système  du  Bulletin.  On  a  main- 
tenu cependant  la  graphie  au  =  ao. 


42  J.    CORNU 

la  gaula  auvertB,  m?tiâ  la  barks,  trovâve  la  tèra  trau  bâs9 
■per  tsï  //',  Bernd,  bétorsQ  pour  betÔsa,  le  siki  k'a  dau  bouts 
dor  =  boutafro,  on-na  brâvd  dzè"  ,une  brave  personne', 
chéts3-mok9,  o?i-na  damhauzg^  etsïl9,  fays  ^  brebis',  //  stati 
galBbontin,  on-na  tbta  galézQ,  prè**dre  gardd  ai  bolo?i,  garde 
t07i  fin  ,foin',  lo  gards-rohB,  in  gis9  de,  la  goî'erne,  kodarQ 
pour  kodara^  kodoura,  a  plyata  kodsrQ ,  ylya  kraminB  pour 
kraiMna,  ma  kouziji9  Zali?id,  la  laivrQ  ^  le  lièvre  ',  la  lè^g9, 
onn  Ôtra  lè"g9,  Vetai  tbta  jnaladQ.,  la  ?nai9  tsansd,  la  màrk9 
afu,  prendre  mezoûr9,  l'avai  tb  rupâ  a  mézoïird  per  le,  laféna 
s'etai  ?nesd  chu  lo  pï  d'à  là  lai  foradzï  de'*  sè-z  âlyon ,  on-na 
mbs9  pour  mosâ,  la  not9,  ylyau  d'Orhd,  balyl  la  parold,  pein9 
pour  pin-na,  on-na  petite  bouatd  pour  on-na  p?tita  bouait?,  le 
boil  dau  Dzorâ  n3  lai  nionteran  pâ  pipètQ  ^rien  du  tout', 
pomârdd,  la  porte  auverta,  sd  Ma  ti3  marmbte,  Avri  fà  la 
pbtd,dai-z  ozl  de  pouid  rasd,  s'ïre  remese  a  plyorâ,  %lya  ringe^ 
min  de  réponse,  plyasB  de  la  Riponne  pour  Ripouna,  on-na 
tota  rude,  la  mindre  ruva,  la  pnmïn  sorte,  la  tatite  Nanète, 
la  tchîvre,  la  t^nâblye  ,1a  séance',  '/lya  tsaravoûte,  k?  fâ, yà 
é'tJ  ?,  %lya  tsaravoûte  de  mjhbaugro,  vermine  pour  vermana, 
vuse  pour  vusa  (Jorat  :  yusd)  ? 

Jadis  les  mots  suivants  et  autres  pareils  avaient  la  termi- 
naison -0  (c'est  un  o  plus  ou  moins  fermé;  dans  beaucoup 
d'endroits  c'est  ou)  :  Vàdze  pour  Vâdzo^  Avintse  pour  Avintso, 
châve  k'on  bor?iye,  lo  dyablye  le  prainye  ti  !,  lo  dyâblye  de 
Non/ou,  dyabe  la  ini  ,  pas  une  seule  miette  ',  dyabe  lo  pâ  ,  nulle- 
ment', dyahe  la pê  ki  fazan  ^  ils  ne  faisaient  nullement  la  paix', 
dyabe  lo  pï,  intse  pour  intso  ,  encre',  lo  fédze,  %lyau  krouye-z 
è^fan,  dai  krouye-z  bmo,  krouye-z  ozl,  dai  krouye  vtzin,  le-z 
è*'/an  san  krouye,  on  mafidze  de  roumas?,  lo  mindre,  monde 
pour  mondo,  on  mofih  de  boû  pour  on  moillo  ou  plutôt  on  moûno 
de  boû,  car  moûno  est  la  forme  patoise,  brdze,  lo  paivre,  on  to 
bï  prïdze,  proûtse  de  Loz3na,  proûtse  de  sti  vilâdzo,  proûtse 
dau  tnotï  —  lyin  dau  bon  Dyu,  lyin  de  son  bin  —  proûtse  de 
sa  pèrda,  lo  rodze  a  la  Nanèti,  se  pai  et  an  ply?  rodze  kf  lo 


UXE   LANGUE   Q.UI   S'EN  VA  43 

fu,  servis9,  tonerB,  lo  tsankrQ  la  ?nè"ta  k)  dyo,  tsankra  de 
ouivra^  on  se  fâ  vil  y  9. 

La  terminaison  -3  a-t-elle  réellement  remplacé  dans  le  parler 
patois  l'ancien  -0'} 

Y  a-t-il  un  avantage  quelconque  à  emprunter  des  pronoms 
et  des  adjectifs  possessifs  au  français  et  à  dire  : 

//  posiblyo!  au  lieu  de  é-ti  posiblyo!  qu'on  pourrait  bien 
exprimer  par  sè*^  se  pati-ts  ? 

7nin  inin-7ia ,  tin  tin-na,  sin  sin-?ia  :  si  ardzè^  é  bin  lo  miti, 
le  min  ,  les  miens  ',  «V  pâ  minma;  lo  tin,  to  sare  tin,  a  la  tin-?ia, 
hosaton;  fnozai  lo  sin  ^il  mordait  le  sien  ',  la  koumoima  a  lo  fb 
k'é sin,  kontan  kd  Vetai  la  sinna,  au  lieu  de  myon  myon-na,  tyon 
tyon^na,  chon  chon-na; 

no  dou  ko  au  lieu  de  noûtre  doû  ko,  to  parai  san  no-z  ami 
au  lieu  de  to  parai  san  noûtre-z  ami  ; 

à  se  servir  de  leu  : 

le  fêne  bramavan;  leu  (eux,  ils)  trezan  lau  sâbro  ;  ne  fÔ  pâ 
fére  komè"  leu  ;  in-n  avan  me  fÔta  tye  leu  ;  in  far  é  bin  atan  tye 
leu;  y  on  de  leu,  derai  leu,  devan  leu  ^  avant  eux,  devant  eux', 
in  leu-jmmo,  intre  leu:intre  ti  leu  ^  entre  eux  io\x?>' ,  por  leu, 
po  leu,  respè  par  leu,  su  leu,  tsï  leu,  devan  tsï  leu,  de  ver  leu, 
^  de  leur  côté  ',  yp  san  portan  dzoyau  — fÔ  Vitre  me  tye  leu  (p.  102, 
en  faussant  la  rime)  ; 
au  lieu  de  lau,  qui  apparaît  ailleurs  : 

on  lau  prome  adï  mé  de  buro  tye  de  pan;  lau  fnanke  rè"  por 
ître  bsnirau;  Ve  hin  lau  dan  ,  ils  ont  ce  qu'ils  méritent  '  ;  lau-z 
âlyon,  noutra  pouina  n'a  rè**  por  lau  tye  remaufây?  ;  Vin-n  é  de 
%lyau  parezau  k?  fis  gânyan  rè"  tsï  lau , 

d'employer  s'è,  s'etai,  fr.  c'est,  c'était: 

se"  ks  fâ  martsï  lo  komerss{\a.  machine),  r'^tf«  kanon  defuzi, 
s'è  doû  martsÔ  kd  fan  se"  modâ,  ç'è  on-n  ovrâdzo  rido  patè, 
5^  et  ai  tnidzb,  c'etai  on-na  vergbnyj,  s' et  ai  epouairè"^  de  vaire  lo 
mondo  ki  lai  avai. 


44  J.    CORNU 

au  lieu  de  l'é?  Il  suffit  de  rappeler  le  proverbe:  kan  Vé  bon 
Vé  prau. 

De  la  conjugaison,  on  ferait  mieux  de  n'en  rien  dire.  Ce  serait 
charité.  Elle  foisonne  de  formes  erronées,  si  extraordinaires 
qu'elles  te  sont  sans  doute  aussi  peu  connues  qu'à  moi.  Mais  il 
pourrait  arriver  que  quelque  naïf  prît  au  sérieux  les  erreurs 
commises  et  nous  écrivît  là-dessus  une  dissertation.  Ce  n'est 
pas  pour  pour  toi  que  je  relève  les  bévues  que  voici: 

Conjugaisons. 

Conjugaison  en  -â  et  conjugaison   en   ï. 

INDICATIF   PRÉSENT 
fremâ:  frêtno  ^o\xx  fraimo;  elevà:  élève  pour  elaive  (3)  ;  pezà: 
vie  pèze  ^o\xxvie  paize;  trovâ:  trovo   e  -e  -in  -an  pour  trauvo 
■e  -e  -in  -an;  plyorà  :  plyoro  -e  -e  -i?i  -an  \io\xx  plyauro  -e-e 
-in  -an. 

SUBJONCTIF   PRÉSENT 

grava:  grave  pour  graveye  ou  gravai;  balyï :  balye  pour 
balyêye  ou  balyai  ;  Dieu  balye  dau  pan  ai  poure  dzè**  e  ai 
ntso  lau  ronte  le  de**;  reste  pour  resteye  ou  restai:  fô  ki 
reste  tsï  sa  vîlya ;  k?  lo  tsertse,  mais  le  proverbe  dit  correc- 
tement :  si  k?  l-afôta  dau  fu,  ki  lo  tsertsai. 

IMPARFAIT 

vo  devjzâvi  pour  vo  devisâva;  balyssai  pour  balyive  (3)  ;  kou- 

d)sé-ay  pour  kudyïvo-e  (1,3);  djiivisan  "pour  djùviv an  {2,). 

GÉRONDIF 
in  port  an  pour  in  porte**. 

PARFAIT 

alaran  pour  aliran. 

Je  ne  relève  pas  non  plus  pour  toi  celles  qu'on  rencontre 
dans  les  autres  conjugaisons.  Les  malheureux  ne  savent  pas 
conjuguer,  ils  écrivent  : 


UNE   LANGUE   Q.UI   S'EN   VA  45 

INDICATIF    PRÉSENT   ET   IMPERATIF 

por  kouime pr3ni-vb?  {te?ii-vo,  p.  487)  pour  por  koui  me  prè^^de- 
vo;  komprsnyi-vb  or  a  ^^oxar  ko  nprè"  de -vo  ora?;  prsni  pachè**s3 
t^ovlx  prè**de pachè^s?  ;  cheintide  pour  chè**ie  (infinitif  chè**tre). 

SUBJONCTIF    PRÉSENT 

oîiyai  pour  ouye  (3),  viai  pour  vaiye  (3),  rofitéye  pour  ronte  (3) 
comme  s'il  y  avait  un  verbe  ro7itâ  {tin  adrai  te  tsôse  k? 
Vatatsend  se  rontéye  pâ,  p.  57).  L'infinitif  comme  tu  sais  est 
rentre. 

IMPARFAIT 

prsnai  \)Omx  pr 3 ny ai  (3),  no  rizai  pour  no  rizân,  oïssé  pour  oye 
ou  oyfsê,  atindavan  pour  atè"dan,  ekozavan  pour  ekozàn, 
fazavon  pour  fazàn,  oyivan  pour  oyàn,  seintivan  pour  chè**tân, 
tinyïve  -ai  -an  pour  tinyé  -ai  -un,  ts3zïvo  -on  pour  ts3zé  -an. 

GÉRONDIF 

in  vaiy3sin  pour  in  viyè"  ou  in  rayé". 

PARFAIT   ET   IMPARFAIT   DU    SUBJONCTIF 

moza  pour  mos3  (mordre),  diran  pour  d3ziran ,  tinre  pour 
t3niran.,  vinse  pour  vsnise. 

PARTICIPE   PASSÉ 

apri  pour  aprai,  ts3zi  pour  ts3zu  ou  ts3zai. 

Ces  erreurs  ne  sont  point  les  seules.  J'en  relève  d'autres  plus 
loin  qui  ne  sont  pas  moins  graves. 

Les  adverbes  empruntés  au  français  ou  défigurés  sous  l'in- 
fluence de  cette  langue  valent-ils  mieux  que  les  adverbes 
patois  ?  Y  a-t-il  quelque  avantage  à  dire  : 

d'halo  pour  dapr3mï,  d'abo  aprJ  pour  tb  lo  drai  aprl,  alo 
pour  adnn,  du  /i?r  pour  du  adàn,  ankora  —  anko —  inkora  pour 
onkora  —  otikb,  bintoû  —  binsto  pour  binstoû  ,  bientôt ',  /aj^ 
a  côté  pour  pasâ  de  koUte,  pi  ,  puis  '  —  e  pi  ^  et  puis  '  pour  pu 
—  e  pu,  poui  —  e  poui  pour  pou3  —  e pou3  —  epoiotadan  —  ep3- 
tadan,  pautlfre  — pstltre  pour  epai,  pautître  bin — pstitre  bin 


46  J.    CORNU 

pour  epai  bin,  ply3  ^  davantage  '  pour  me  (cf.  vo-z  in-n  are  d? 
on  bè  ply?  :  tye  volyai-vo  de  ply3?  D'autres  passages  donnent  le 
mot  juste  :  tne  on  bai,  me  on-n  a  sai,  e  me  û?i-n  a  sai,  me  on  bai; 
kraiyon  ïtre  fnê  tye  li,  la  gaula  fâ  me  tye  lo  bre  ;  me  de  biiro  tye 
de  pan;  fâ  de  Vovrâdzo  me  tye  katro  ;  me  de  braga  tye  de  fê)y 
plyyto  T^OMx  plystoû  {plysto  tsatrâ,  plysto  ouari,  p.  454),  (/<?)  de 
suit9  pour  to  lo  drai,  trankilamè*^  pour  balame'K 

S'exprime-t-on  d'une  façon  plus  correcte  en  écrivant:  auto 
de  pour  alintb  de,  môgré  leur  pour  mÔgrâ  lau^  parmi  le  pdte 
pour  pertni  le  pâte,  suiran  pour  d^aprï  (fô  fere  suivan  son-n 
ardzè";  suivan  ta  borsi  gouverna  ta  bots?),  sur  se'^  pour  chu 
se",  sur  tb  pour  chu  tb  ? 

Y  a-t-il  quelque  raison  pour  mettre  hors  de  cours  damachè" 
^  à  cause  de  ',  damachè**  ki  ,  parce  que  '  ? 

damachè"-mé,  -te,  -li,  -no,  -vo,  -lau  ^  à  cause  de  moi,  de  toi', 
etc.  ;  le  mot  est  pourtant  bien  employé  dans  les  exemples 
suivants  : 

damache"  lo  dordon  ^  à  cause  du  gourdin  '  ;  in-n  a  plyd  rè** 
volyu  damachè"  le  misère  kj  lai  an  fë  ;  l-avai  prai  lo  serjan 
damachè"  kd  l'etai  on  valè  to  sole;  l-a  fe  tnarkâ  sa  dzornâ  kan 
l-e  ju  a  Vabayi  dai  vsnyolan,  damachè"  k?  s' Ire  arétâ  a  Lozdna, 
damachè"  ks  l-e  on-n  éga. 

A  quoi  bon  le  remplacer  par  pè  rapo  a,  rapô  a,  rapo  ka? 
Quoi  qu'il  en  soit,  les  exemples  de  ces  nouvelles  expressions 
sont  de  plus  en  plus  nombreux  :  NHn  inddzî  on  bokon  de  pan 
e  de  saus3S3  ka  n'in  du  pana  pe  rapo  ai-z  au  ;  L'avùn  on-na 
nyéz9  rapo  a  Vardzè"  ;  L-e  po  se"  k?  vinyo  oui  vo  dire  se"  kd  se 
rapo  ai  konselyé  de  per  tsî  no  ;  Rapo  a  si  trezo  lai  aval  bin 
dai-z  afamâ  k'avàn  prau  volyu  garni  lau  boson  aoué%lyau-z  ecu; 
On  min-na-mb  de  pè  Lozina  avai  fe  on  krouyo  bokon  de  prose 
à  on  pouro  dyâblyo  de  Dzoratai,  rapo  a  dai  dzimlye  k'etàn 
z-ilâye  pdkotâ  a  la  meson  chu  lo  vizin;  S'etàn  bin  rolyï  rapÔ  k? 
(parce  que)  volyaivan  ti  dans!  aoué  Je  plyi  baie  e  le  ply?  ntse; 
Sa  féna  Vavai  on  bokon  krouya  lè"ga  rapÔ  ki  (parce  que) 
Vavai  adï  Ôtye  a  brama  chu  se  vizin  ;   Lai  plyovisai  koumè** 


UNE   LANGLE   QUI    S  EK   VA  47 

de  frou  rapo  h  (parce  que)  mankâve  on  moui  de  tyoJe  au  tai^ 
N'avai pouairs  de  ri"  rapo  k?  (parce  que)  retai  artilleii. 

Pourquoi  dire  ni -ni  pour  né -né  qui  est  la  seule  forme 
qu'employait  jadis  le  patois?  Né- né  se  maintient  encore  dans 
les  expressions  traditionnelles  telles  que  né  fan  né  fÔta,  né  sai 
né  fan,  né  vin  né  pan,  n'a  né  f rare  né  chère,  sin  kontâ  né  yon 
né  do  fi,  mais  ailleurs  on  trouve  ni-ni  :  ni  A  ni  B,  ni  li  ni  sa 
féna,  la  bala  cher  a  n?  pau  ni  la  vaire  ni  la  chè"tre,  m  fo  jainê 
nyon  méprszï  ni  lo  poiiro  ni  lo  p?ii. 

Qui  voudra  prétendre  que  pish  ,  puisque  '  :  pisk?  vo  fâ 
plyézi^vu  bin  kraire  se"  kd  vo  nie  dite;  piski  fâ  remouilla  tsana, 
va  me  ksri  on  vèro  ;  pisk?  l-é  dinch?,  ne  vu  rè"  d'on  koratyau 
de  fslye;  stisd  n3  pan  pâ  lire  lo  voûtro,  pisks  nin  kontin  tye 
nau  se",  vaille  mieux  que  duks  qui  a  exactement  le  même  sens 
ainsi  qu'il  ressort  des  exemples  suivants  :  duh  l-é  dza  au 
V3lâdzo,koteré  pâ  tan;  duk?  no  sin  sole  kraiyo  h  no  pouin  no-z 
in-n  alâ  ;  vo  daite  fére  la  preyJr3,  duk?  lai  y  a  kôkon  po  vo-z 
oûre  ? 

Je  remarque  que,  après  tout  ce  que  j'ai  dit  jusqu'à  présent, 
je  n'ai  fait  qu'ébaucher  le  sujet  et  que  les  innovations  que  j'ai 
relevées  n'épuisent  nullement  la  matière.  Les  deux  listes  sui- 
vantes, qui  concernent  surtout  le  vocabulaire,  en  sont  en 
quelque  sorte  le  complément.  Elles  fourmillent  de  termes  em- 
pruntés au  français  et  d'expressions  patoises  modifiées  sous 
l'empire  de  cette  langue.  Si  l'on  peut  ajouter  foi  aux  pièces 
contenues  dans  Fo  Recafà^  tu  as  vu  et  tu  verras  que  le  rôle  du 
français  à  l'égard  du  patois  et  celui  du  patois  à  l'égard  du 
français  n'est  à  l'avantage  ni  de  l'un  ni  de  l'autre.  Il  en  résulte 
un  langage  bigarré  que  je  n'ai  pas  sans  raison  qualifié  de 
baragouin  et  qui  est  bien  en  arrière  de  la  pureté  qu'avait 
encore  le  patois  au  dix-huitième  siècle  et  dans  la  première 
moitié  du  dix-neuvième.  Tout  n'est  pas  progrès  dans  ce  bas 
monde.  Mieux  vaudrait  bien  parler  le  patois  et  bien  parler  le 
français,  quoi  qu'en  disent  ceux  qui  ne  peuvent  pas  attendre  le 
jour  où  personne  ne  saura  plus  parler  la  langue  de  nos  pères. 


J.    CORNU 


Parmi  les  infinitifs  cités  dans  cette  liste,  il  y  en  a  une  dizaine 
que  je  marque  pour  bonne  raison  d'un  astérisque.  Tu  sauras  bien 
pourquoi. 


aida* 

poui 

■  aidyT, 

erintâ            poui 

■  ardnâ, 

aidî* 

aidyT, 

eseyî 

aseyî, 

s'amuzâ 

se  gala , 

esparnyï 

reparmâ, 

anpoutâ 

inpoutâ. 

estropyâ-ys 

ekoiiesï —  ekouechà, 

apartdrii  a  kôkon 

ïtre  a  kôkon, 

fabrskâ 

fére, 

apelâ  apah'i 

hiâ, 

jëre  atè"chon 

se  velyT, 

m'apelo  Nanèta 

me  dyan  Nanéla  ou 

fëde  bin  aiè^chon 

velyî-vo  bin, 

y'ë  a  non  Nanèta, 

fëre  reflechon 

chondzï. 

apouyï 

apoyt, 

fëre  lep  dou  (doux)    gmyï  ou  relukâ, 

apriyandâ 

Ttre  in  kou^on, 

fit  si  avô 

mètre  avO,  fàtre  avO, 

ûsomâ 

e  ter  II, 

foatâ 

dziblyâ, 

atatsï 

etatsT, 

fotre 

métré,  bdtâ. 

aliiâ*  ' 

ataiT 

foire  via 

tsanpâ  via, 

s'iitroupâ 

s'atropû, 

gadii 

fremâ. 

ats3tû 

ad\dtû. 

grimpa 

grapdyï, 

bastâ 

dioûre, 

gyêri 

gari 

brddoulyï 

hr?dolyT, 

indikâ 

motrâ , 

demanda 

intrevâ. 

ingad^ï 

akovè"tâ. 

deperdre 

depèdre. 

s'ingad^ï 

s'akovè"tâ , 

dezandanâ* 
deiandmû* 

1 
J 

dezandanyî. 

ingycézâ 
indyé:i^â 

] 
\ 

ingoicgsnâ, 

de^irâ 

avaifan  de,  volyai, 

innouyî 

in  ■  noyT, 

dimâ 

dyïmâ , 

inplyetâ  - 

ad\3tâ, 

dja\â 

batolyî,  barjakâ, 

insdVdli 

in  ter â. 

djuvT  on  to 

in-fêre  yma, 

intama 

intanâ. 

dtesâ* 

dresT, 

se  jénâ 

avai  vergonyg, 

dura 

doiirâ, 

se  vergonyT, 

ekta\à 

^X^y^Jf',  ^peyjyâ, 

konparâ 

akonparadv, 

ekremâ 

ekramâ, 

se  konplyotâ 

se  deva^ft. 

s'eniaj'inâ 

se  chond^î, 

kontrarii 

kontreyT, 

l  la  mére-gran  ati^ave  son  fu  e  tsantave. 
^  tiré  du  fr.  emplette,  patois  inplyaitd. 


UNE   LANGUE    Q.UI    S'EN    VA 


49 


ktidi*]  pour  hidyï, 

labora  arâ, 

au  selau  levan    au  selau  levé", au  lefè", 

lima  btnâ, 

livra  levrâ, 

louchT  ^  regarder     gduy  T, 
en  cachette' 

lyetâ  on  botyé  nyû  on  botyé, 

manh'i  fôtn, 

se  métré  in  route  modâ, 

viinldui  manlmi, 

montra  motrâ, 

moriu  vio\u  —  moju, 

oublyâ  aubl)â, 

parla  devd\n, 

parti  modâ, 

parvniyo  pervTnyo, 

toerdre  pèdre, 

pesa*  persT, 

pétri  inpatâ, 

pila  p'^lâ, 

pé"'sâ  chond\î, 

se  pé"sâ  se  chond^^ï, 

pinsâ*  ^  pincer'    pinsT  —  blyosT, 
presî*  (on  se  pré-     presâ 

sivé  mouin  keoraj, 
ragrandi  rovranti, 

rakouvioudâ       repetasT  ou  retakounâ, 
rapelâ  fère  rechondzT, 

se  rapelâ  se  rasovmi, 

ratatsT  retatsT, 


réfléchi       pour  chondy  —  rechond:^, 

refouimhe*  redjè^dre, 

rehih'i  rekoulâ, 

remarkâ  apèchaidre, 

remisa  réduire  —  bdtâ, 

repè"sâ  rechoudiT, 

se  repè'Hi*  se  repè"tre, 

resta  trankilo  dioûre, 

tetakonâ  retakounâ^ 

relrouso  me  mandée     rekouso  me 

mandée, 
ruina  rinâ, 

rumina  chondiT, 

sekaure  chakaure, 

sépara  deseparâ, 

siyî  seyT, 

souanyî  trouver  nâ, 

sublyâ  ^so\iii\er     so/Jyô, 


à  l'oreille' 


chaidre, 


tâtsT  .  s'efforcer  '       kudyT, 

t^vT  lofemé  trère  lofemê, 

tsrî  trère, 

iormé"tâ  ,  ennuyer  '       resî, 

tortilyï  tortolyî, 

tousâ  *  tousi, 

triJ  chèdre, 

trousâ  se  mandée  rekousT  se  mandie, 

tsertst  hri, 

tsertsT  aseyï, 

versa  vèsâ , 

vu,  revu  yu,  reyu. 


le-z  abi  pour  le-:^^  âlyon, 

ufâblyo  avmyè", 

Asinchon  ^ Ascension'     Ansechon, 
asyeta  ekouala, 

per  aiâ  s?  se  devsne. 


bn  ^chaussettes'  pour  Isausou, 
le  balanse  le-i  ebalanse, 

batèms  batsT, 

pâ  bétd  pâ  bïtd  —  dâdoii, 

bd^puin  jota , 

4 


50 


J.    CORNU 


bière  va, 

bordai  ^sellier'  pour  horalai, 

borna  ,  borne  '        boiiéna, 

horson  ,  poche  de     boson ,     diminutif 

pantalon  '  de  bosa, 

bougro  baugro, 

boutddor  boiiiafro, 

brissekt  (fr.  vnlg.)      brasT, 
butsd  boiits.\ 

charpantyé,  cherp.   tsapoti,', 
chasseu  tsachau, 

chère,  chaire  d^ayTra, 

deficilo,  dijicilo,  -a  môléiï,  tnôlèjà, 
aboutè"-la,ouaitè»-ta, 
nd  jâ  pâ  la  defocila  n'êpâ  ouaitè>^ta, 
la  derai  fortchà  la  dhairs  fortcho, 
deta,  -3  , dette'  dévala,  -e, 
dî  dyî, 

di:(e  voui  dyîzp  oii3, 

dïi  ehi  dyT-i  ekii, 

dï'^an-na  dyij^an-na, 

la  dlma  la  dyîma, 

lo  dîmo  lo  dyîmo, 

dou  man  duve  nian, 

doiiian-na  doian-na, 

efrouayablio,  -a      epouairè"-ta, 
emâblio,  -a  av3nyè"-ta, 

le-i  estomà  le-\  estome,  cf.  erma- 

na,  -e  ^almanach', 
1-etai  tôt' etourlây3  l-etai  tot'etourla, 
évèqiie  évéko, 

se'*  n\  pâ  facilo     se"  c  môleif, 
far  sa  fâsa, 

fassna  d\evala, 

fêre  faillite  fére  apèdre,fêre  lo 

betsku, 

fête  Jïta, 

la  flyau  dai  p^rd     la  xlyaii  dai  pm 
burâ  burâ. 


laflieu  dai  byÔ  valè  pour  laXlyau  dai 

byôvalè  on  dai  bî  v. 

Jlyô  exlyeyî, 

fÔs?  tsdnévo  ,  force     on-na  petâya  de, 

chanvre  '  ott-na  mas3  de, 

graninersi  granmasi, 

habitude  kotoiima,  kotmia, 

hotiit  houi,  oui,      ou3t3  ou3, 

hoiiit  atire  ou3l-aure, 

sat-ati  houi  dâdoû  sut  au  ou3  dûdoû, 

houitanta  oustanta, 

intïr3  intyîrs, 

jambon  tsanbéta, 

la  jeunesse  le  dioiiV3no,  le  valè, 

cadeau  prerj:", 

hàna  bâton, 

kanâ  , canard'       bdra, 

karelè  karalè 

kartyé  kartai 

kasonârda  kasounârda 

clian  ^  client  '         pratika, 

kompère  koupâre, 

cor  de  chasse        kô  de  tsas3, 

Korsale  ^  Corcelles  '      Kosale, 

côté  ruva, 

a  côté  de  dekoûte, 

dau  côté  de  kontre, 

de  ti  le  côté  de  ti  le  kâro,  de  per 

ti  le  kâro, 

kotumyé  kotoumï — kotsmî, 

Xlya  kramina  Xly^  krani3na, 

de  crainte  de  pouairs, 

on  koïi  on  yâdio, 

dou  au  Irai  koû  dou  au  trai  yâd^o, 

dau  trai  koû  dau  trai  yâdzo, 

koumandan  koumandè**, 
koumoûdo,kdmoûdo,-a       èTj,  cjà, 

kouplyè  koblyè, 


UNE   LANGUE   QUI   S'EN   VA 


51 


koutelays        pour  kotitalây^,koutalâ, 
kutalây^,  kutalâ, 

kotiti  kuti, 

lâro  l(ire, 

ligne  (d'ehrstoura)       rintsi, 

lyutmi'*  hitdnyè**, 

inaidesin  maid:^o, 

marmita  mermita, 

martelé  martalè, 

masd  petây?, 

tif  lai  apâ  mèche   lai  a  pâ  nioyati, 

mechè^,  -ta  kroûyo,  -9, 

sin  minteri  sin  d?re  dai  dianlye, 

menteu  dianlyau, 

moineau  paseran, 

mÔkoumoûdo,  a,      môléxj,  niôUjdy 

tnolyT,  molyà         moû,  moûva, 

monsieu  nionchu, 

le  inessieu  le  monchii, 

momè**  otiarba, 

mominè  ouarbèla, 

au  momin  mïnio  to  h  drai,  cf.  M'in 
vê  alâ  io  lo  drai 
a  la  dxpnalyirs, 
—  Yâmo  atan 
hotsî  to  lo  drai. 

morsa  mOsa , 

morsa  ,  mousse  '     mocha, 

lo  moiiin  lo  min, 

mouindro,  -a  tnindro,  -a, 

mdvè  koû  krouyo  koû, 

napa  manti, 

natura  natoura, 

d'ordméro  de  kotouma, 

orlod\o  rilàd^o, 


eureu-:(a        pour  bmirau-ia, 

on-na  pareille  tsoû\a     on-na  parlyt 
tsoû:(a, 

parola  ddre,  rëzon, 

padT  psdyï, 

perta  pêrda, 

pinson  tyinson 

plyi  ,  pli  '  plyai, 

poison  pouéi^on, 

preuve  praiiva, 

printin  salyi  ou  salyifro, 

prixpn  pre^on, 

pudra  pusa, 

pyoû  ,poux'    -     pyau, 
ralélT  ratalï, 

refrain  refradon  *, 

réguelisse  , réglisse'     régalisg, 
rôti  ruti  ou  routi, 

sapelè  sapalé, 

lo  sékon,  la  sekonda        VÔtro,  l'Otra, 
sobrikyè,  non  sobrikyè    sorenon, 
sordâ  chudâ, 

tâtsd  ahson, 

ti^on  td\on,  iouT^on, 

travailleu  travalyau, 

traversa  travèsa, 

troupa  tropa, 

troupe  tropé, 

tsapelè  tsapalè, 

tsatelan  tsatalan, 

tsaiidron  tsauderon, 

Xlyau  vermine        Xly^^  vermme, 
vie  de  tsin  vya  de  tsin, 

voleii  lâre. 


*  L'o:{^ï  chu  on-na  niota, 
Vaih  lo  lefndon. 


La  vaitfki  tàta ,  —  L'ozî  chu  on  boson,  — 


52  J.   CORNU 

J'aurais  pu,  cher  docteur,  répondre  en  quelques  lignes  à  ton 
aimable  lettre  qui  m'est  parvenue  peu  après  Po  Recnfâ,  mais 
sachant  l'intérêt  que  tu  as  dès  ton  enfance  porté  à  notre  vieux 
langage,  j'ai  pensé  que  plus  elle  serait  longue,  plus  elle  te 
serait  agréable.  Afin  que  tu  ne  croies  pas  mon  jugement  trop 
sévère,  j'ai  mis  sous  tes  yeux  une  partie  des  faits  sur  lesquels 
je  le  fonde.  Quand  tu  auras  lu  les  deux  listes  ci-dessus,  me 
suis-je  dit,  tu  mettras  de  l'eau  dans  ton  vin.  C'est  au  mauvais 
patois  à  qui  j'en  veux  et  à  ceux  qui  vendent  des  vessies  pour 
des  lanternes.  Ce  sont  tes  éloges  de  Fo  Recafâ  qui  m'ont  dicté 
cette  interminable  lettre. 

Le  patois  est  une  langue  qui  s'en  va  ;  il  est,  disons-le  ouver- 
tement, en  pleine  décadence.  Une  bonne  partie  des  Vaudois, 
surtout  de  ceux  qui  habitent  les  villes,  comprend  peut-être  le 
patois,  mais  ne  sait  plus  le  parler.  Les  campagnards  qui  le 
parlent  savent  tous  bien  ou  mal  le  français.  Quand  ils  parlent 
français,  ils  francisent  le  patois,  et  quand  ils  parlent  patois,  ils 
patoisent  le  français,  rapprochant  ainsi  sans  s'en  apercevoir 
les  deux  langues.  Ceux  qui  savent  le  mieux  le  patois  ne 
l'écrivent  pas.  Demander  de  ceux  qui  l'écrivent  qu'ils  l'écrivent 
purement   et   correctement,  c'est  aujourd'hui   trop   exiger,  je 

l'avoue. 

J.  Cornu. 

Postscriptum  de  la  Rédaction. 

Bien  que  nous  soyons  en  tout  point  d'accord  avec  l'auteur 
de  l'étude  qu'on  vient  de  lire,  nous  tenons  à  prévenir  un 
malentendu  qui  pourrait  naître  dans  l'esprit  de" certains  lecteurs. 
Le  recueil  Po  Recafâ  peut  être  jugé  d'après  son  contenu  ou 
d'après  la  langue  qui  lui  sert  d'expression.  Dans  le  premier 
cas,  tout  amateur  du  patois  ne  pourra  s'empêcher  d'éprouver 
un  vif  plaisir  à  relire  ces  bonnes  vieilles  histoires  d'autrefois, 
ces  chansons  de  vignerons,  ces  trésors  de  pratique  sagesse 
vaudoise  mise  en  proverbes.  Le  patois,  cependant,  qui  pourrait 
faire  le    principal   mérite    du   livre,  est  devenu,  il  faut  bien 


UNE   LANGUE   QUI    S'EN   VA  53 

l'avouer,  une  langue  très  incorrecte,  et  l'on  ne  saurait  donner 
tort  à  M.  Cornu  qui,  vivant  depuis  trente-six  ans  à  l'étranger, 
en  a  conservé  une  image  pure  et  vivante,  et  qui  constate 
aujourd'hui  avec  douleur  les  ravages  ope'rés  dans  cette  langue 
par  l'influence  du  français.  Et  pourtant,  tout  contamine  que 
soit  ce  patois,  il  est  encore  fort  supérieur  à  celui  représenté 
par  le  volume  Le  patois  neuchâtelois ,  où  les  erreurs  et  les 
déformations  sont  infiniment  plus  nombreuses.  Si  c'est  la  déca- 
dence dans  le  canton  de  Vaud,  c'est  la  pleine  déroute  à  Neu- 
châtel.  Néanmoins,  les  rédacteurs  du  futur  Glossaire  romand 
seraient  ingrats  s'ils  allaient  oublier  l'accueil  bienveillant  et 
l'appui  très  efficace  qu'ont  trouvés  leurs  recherches  au  milieu 
de  la  population  vaudoise  et  les  réels  services  que  leur  ont 
rendus  les  patoisants  de  bonne  volonté.  On  peut  même  se 
demander  si  l'empressement  à  nous  informer  eût  été  tel  au  bon 
temps  du  patois.  On  ne  s'aperçoit  de  la  valeur  de  bien  des 
choses,  hélas  !  qu'au  moment  où  elles  s'en  vont.  En  Valais,  le 
patois  est  encore  florissant:  il  en  est  d'autant  moins  estimé. 
Du  reste,  il  y  a  longtemps  que  le  dialecte  vaudois  est  miné 
par  le  flot  montant  de  la  langue  littéraire.  Plusieurs  des  erreurs 
incriminées  par  M.  Cornu  se  rencontrent  déjà  dans  le  Glos- 
saire du  doyen  Bridel,  et  remontent  donc  à  près  d'un  siècle. 
Enfin,  il  est  aussi  instructif  d'étudier  comment  une  langue 
s'abâtardit,  et  nous  sommes  très  reconnaissants  à  M.  Cornu 
d'avoir,  le  premier,  dressé  un  inventaire  des  tares  du  patois 
vaudois  actuel  et  de  nous  avoir  montré  par  quels  canaux  se 
produit  l'infiltration  française. 


54  J-  JEANJAQ.UET 


LE  PLACARD  PATOIS  DE  JACQUES  GRUET  ' 


L'année  1547  fut  à  Genève  une  période  de  troubles  et  de 
luttes,  qui  mirent  plusieurs  fois  en  péril  le  régime  instauré  par 
Calvin.  Dès  son  rappel,  en  1 541,  le  réformateur  avait  travaillé 
énergiquement,  de  concert  avec  les  autorités  civiles,  à  réaliser 
son  idéal  de  communauté  chrétienne.  Une  institution  nouvelle, 
le  Consistoire,  composée  du  corps  des  pasteurs  et  de  douze 
assesseurs,  avait  spécialement  été  chargée  de  veiller  à  l'ob- 
servation de  la  discipline  ecclésiastique  et  à  la  pureté  des 
mœurs.  Un  véritable  système  d'inquisition  et  de  délation  si- 
gnalait à  l'autorité  toutes  les  fautes  commises  dans  ce  domaine. 
A  partir  de  1545  surtout,  le  Consistoire  sévit  impitoyablement 
contre  tous  ceux  qui,  en  matière  de  mœurs,  continuaient  les 
traditions  largement  tolérantes  de  l'ancienne  Genève.  On  con- 
çoit que  l'établissement  du  nouvel  état  de  choses  n'ait  pas  été 
sans  provoquer  des  résistances  et  qu'il  se  soit   formé  un  parti 


'  Sur  Gruet  et  les  événements  contemporains,  voir  spécialement 
J.  A.  Galiffe,  Notices  généalogiques  sur  les  fantiUes  genevoises,  t.  III  (Ge- 
nève, 1836),  p.  258-263  ;  P.  Henry,  Dus  Leben  Johann  Calvins,  t.  II 
(Hamburg,  1838),  p.  440  et  suiv.  ;  A.  Roget,  Hist.  du  peuple  de  Ge- 
nève, x..  Il  (Genève^  1873),  p.  289-312  ;  F.  W.  Kampschulte,  Johann 
Calvin,  X.  Il  (Leipzig,  1899),  p.  56-66;  G.  A.  Cornélius,  Histortsche 
Arheiien  (Leipzig,  1899),  p.  501-505  ;  E.  Ritter,  Bulletin  de  l'Institut 
national  genevois,  t.  XXXIV  (1897),  p.  1-26  ;  W.  Walker,  Jean  Calvin, 
trad.  Weiss  (Genève,  1909),  p.  327-330.  Le  procès  est  résumé  dans 
Gautier,  Hist.  de  Genève,  t.  III  (Genève,  1898),  p.  300-304,  et  dans 
Calvîni  Opéra,  t.  XII  (Brunsvigse,  1874),  no  932.  Mais  la  source  essen- 
tielle est  H.  Fazy,  Procès  de  Jacques  Gruet,  dans  les  Mémoires  de  l'Insti- 
tut nat.  genevois,  t.  XVI  (1886),  où  toutes  les  pièces  du  procès  sont  pu- 
bliées in  extenso.  Cette  publication  est  suivie  des  Procès  et  démêlés  à 
propos  de  la  compétence  disciplinaire  du  Consistoire  (1546- 1547),  où  l'on 
trouvera  tous  les  actes  concernant  les  Favre. 


LE    PLACARD    DE  J.  GRUET  55 

hostile,  qui  s'accrut  à  mesure  que  les  pasteurs  devinrent  plus 
intransigeants.  Après  avoir  écarté  ceux  qu'il  jugeait  trop  tièdes, 
Calvin  s'était  entouré  de  collaborateurs  partageant  ses  vues, 
tous  Français  récemment  débarqués,  qui,  à  l'occasion,  se  mon- 
trèrent plus  fanatiques  que  lui-même.  «  11  fault  procurer  leur 
bien  maulgré  qu'ils  en  ayent,  »  avait  écrit  un  jour  le  maître  en 
parlant  des  récalcitrants,  et  tel  paraît  bien  avoir  été  le  mot 
d'ordre  que  le  corps  pastoral  s'efforçait  de  suivre.  Quand  le 
réformateur  entreprit  d'imposer  sa  discipline  de  fer  non  seule- 
ment aux  petites  gens,  mais  aussi  à  des  familles  riches  et  in- 
fluentes, l'opposition  s'accentua  et  les  conflits  prirent  un  carac- 
tère aigu.  Sans  être  le  moins  du  monde  hostiles  à  la  Réforme, 
bien  des  Genevois  ne  pouvaient  se  plier  aux  exigences  du  purita- 
nisme rigide  qui  était  devenu  de  règle.  On  comprend  aisément 
les  sentiments  d'amertume  que  devaient  éprouver  de  vieux  pa- 
triotes qui  avaient  lutté  pour  l'émancipation  de  leur  ville,  lors- 
qu'ils la  voyaient  sous  la  dépendance  presque  absolue  d'une 
poignée  d'étrangers,  dont  il  fallait  subir  le  joug  tyrannique.  «  Ces 
Français,  ces  mâtins  sont  cause  que  nous  sommes  esclaves,  s'é- 
criait François  Favre  ;  si  les  évêques  du  passé  eussent  fait  ce 
qu'ils  font,  on  ne  l'eût  pas  enduré.  »  Le  manque  de  tact  de  cer- 
tains pasteurs,  les  personnalités  blessantes  qu'ils  lançaient  du  haut 
de  la  chaire  ne  faisaient  qu'accroître  l'antipathie  qu'ils  inspi- 
raient. Mais  c'est  surtout  le  Consistoire  et  ses  censures  qui 
avaient  le  don  d'exaspérer  les  esprits.  Si  les  pécheurs  tombés 
en  faute  se  résignaient  sans  trop  murmurer  à  subir  les  peines 
infligées  après  enquête  par  l'autorité  civile,  conformément 
aux  édits  en  vigueur,  ils  éprouvaient  en  revanche  une  grande 
répugnance  à  reparaître  ensuite  devant  le  Consistoire.  Cette 
juridiction  mal  définie  leur  paraissait  une  superfétation,  un  em. 
piétement  sur  les  attributions  de  la  justice  régulière,  et  il  leur 
était  particulièrement  pénible  d'avoir  à  s'humilier  devant  les 
prédicants  étrangers,  d'autant  plus  que  les  remontrances  frater- 
nelles que  ceux-ci  devaient  leur  adresser  dégénéraient  parfois 
en  grossières  invectives. 


0  .  JEANJAQUET 

Les  démêlés  orageux  de  la  famille  Favre  avec  l'autorité  ec- 
clésiastique, pendant  les  années  1546  et  1547,  sont  l'illustration 
la  plus  frappante  de  l'état  d'esprit  qui  régnait  alors  dans  cer- 
tains milieux.  François  Favre  était  un  homme  âgé  et  riche,  qui 
avait  autrefois  rendu  des  services  à  la  République  et  était  en- 
core influent,  quoique  ayant  cessé  de  prendre  part  à  la  poli- 
tique active.  Deux  de  ses  gendres  étaient  membres  du  Petit 
Conseil,  et  sa  fille  Françoise  était  mariée  au  capitaine  général 
Perrin,  jadis  partisan  zélé  de  Calvin,  mais  qui  s'en  éloignait 
de  plus  en  plus  pour  devenir  le  chef  de  l'opposition.  Cette 
Françoise,  communément  appelée  la  Franchequine,  était  une 
femme  à  poigne,  orgueilleuse  et  colérique,  à  la  langue  redou- 
table, qui  n'était  guère  disposée  à  se  laisser  régenter  et  ne 
cachait  pas  son  aversion  et  son  mépris  pour  les  prédicants. 
Son  frère  Gaspard  n'était  pas  plus  respectueux. 

François  Favre,  prévenu  de  scandale  domestique  et  de  rela- 
tions illicites  avec  une  servante,  fut  cité  à  comparaître  en  Con- 
sistoire, de  même  que  son  fils  Gaspard,  coupable  aussi  de  di- 
vers méfaits.  L'un  et  l'autre  ne  tinrent  aucun  compte  de  cita- 
tions réitérées,  et  lorsqu'enfin  ils  se  décidèrent  à  se  présenter, 
leur  attitude  fut  tout  autre  que  soumise  et  repentante.  Ils  se  re- 
fusèrent à  répondre  aux  pasteurs,  qu'ils  déclaraient  ne  pas  con- 
naître. Il  s'ensuivit  des  altercations  violentes,  dans  l'une  des- 
quelles Abel  Poupin  traita  François  Favre  de  «  chien  excom- 
munié de  l'Eglise.  »  Cette  injure  redoubla  les  colères.  La 
Franchequine,  qui  avait  aussi  eu  maille  à  partir  avec  le  Con- 
sistoire pour  avoir  enfreint  l'édit  sur  les  danses,  vint  protester 
au  nom  de  la  famille  contre  l'insulte  faite  à  son  père,  puis,  ap- 
puyée par  son  mari,  demanda  au  Conseil  qu'il  fût  fait  justice. 
Le  Conseil,  pressé  d'autre  part  de  sévir  contre  les  rebelles,  n'o" 
sait  user  de  rigueur,  demeurait  hésitant  et  cherchait  à  concilier 
les  parties.  Les  cas  d'insubordination  se  multipliaient  et  les 
droits  du  Consistoire  furent  bientôt  ouvertement  contestés.  Ce- 
pendant Calvin  ne  se  laissait  pas  intimider  et  défendait  ses  po- 
sitions   avec    énergie,   lorsque  ses  adversaires  suscitèrent  un 


LE    PLACARD    DE   J.   GRUET  57 

nouvel  incident  qui  porta  l'agitation  à  son  comble.  Ce  fut  l'af- 
faire dite  des  chausses  «  chaplées  ».  On  appelait  de  ce  nom  les 
chausses  découpées  aux  genoux,  à  la  mode  suisse.  Cette  mode, 
qui  symbolisait  des  tendances  indépendantes,  avait  trouvé  dans 
la  jeunesse  des  partisans  convaincus.  Mais  les  ministres, 
jugeant  ce  costume  trop  peu  austère,  en  firent  décréter  l'inter- 
diction. La  défense  fut  mal  observée,  et  lorsqu'elle  fut  renou- 
velée en  mai  1547,  à  l'occasion  de  la  fête  prochaine  du  tir  des 
Arquebusiers,  beaucoup  n'en  tinrent  pas  compte,  Perrin  à  leur 
tête.  Les  Arquebusiers  demandèrent  même  que  le  vêtement 
prohibé  pût  au  moins  être  porté  le  jour  de  la  fête.  Au  fond, 
Perrin  et  ses  amis  cherchaient  sous  ce  prétexte  à  organiser  un 
mouvement  populaire  contre  la  tyrannie  ecclésiastique.  Les 
Conseils  étaient  sur  le  point  de  céder,  mais  Calvin,  qui  sentait 
bien  que  c'était  sa  situation  même  qui  était  en  jeu,  intervint 
avec  tant  d'habileté  et  de  force  persuasive  qu'il  réussit  à  faire 
maintenir  l'interdiction.  La  fête  elle-même  fut  ajournée  indéfi- 
niment. L'opposition,  vaincue,  dut  ronger  son  frein  en  silence, 
mais  l'irritation  sourde  ne  fit  que  grandir. 

Sur  ces  entrefaites,  la  Franchequine  ayant  de  nouveau  dansé 
fut  appelée  devant  le  Consistoire.  Elle  y  parut  le  23  juin  1547, 
mais,  suivant  la  tactique  habituelle  des  siens,  elle  refusa  de  re- 
connaître la  compétence  consistoriale,  et,  plus  orgueilleuse  que 
jamais,  se  répandit  en  récriminations.  Le  ministre  Abel  Poupin 
l'ayant  prise  à  partie,  elle  ne  se  contint  plus,  l'accabla  de  re- 
proches et  d'invectives  et  termina  par  cette  apostrophe  :  «  Va, 
gros  groin  de  porc,  tu  as  menti  méchamment.  »  Il  fallut  l'ex- 
pulser de  force.  Naturellement,  il  y  eut  plainte  portée  au  Con- 
seil, et,  dès  le  lendemain,  celui-ci  ordonna  l'arrestation  de  la 
trop  bouillante  commère.  Françoise  Perrin  réussit  toutefois  à 
se  réfugier  à  temps  dans  la  propriété  que  la  famille  Favre  pos- 
sédait à  la  campagne,  hors  de  la  juridiction  de  Genève.  Le 
hasard  voulut  qu'au  moment  de  quitter  la  ville  elle  rencontrât 
Poupin.  Elle  en  profita  pour  lui  renouveler  publiquement  ses 
injures  et  ses  menaces  :  «  Gros  chartreux  !  gros  porc  !  s"écria-t- 


58  J.   JEANJAaUET 

elle,  lu  es  cause  que  les  femmes  sortent  de  Genève,  mais  tu 
t'en  repentiras!  » 

C'est  trois  jours  après  cette  scène,  soit  le  lundi  27  juin  1547, 
que  fut  affiché  le  placard  qui  doit  nous  occuper  plus  spéciale- 
ment ici.  On  trouva  fixé  à  la  chaire  de  la  cathédrale  de  Saint- 
Pierre  un  papier  qui  portait  quelques  lignes  écrites  en  patois, 
dont  voici  la  traduction  littérale  :  Gros  pansu,  toi  et  tes  compa- 
gnons feriez  mieux  de  vous  taire  !  Si  vous  nous  poussez  à  bout, 
il  ny  a  personne  qui  vous  garde  qu'on  ne  vous  mette  en  tel  lieu 
que  peut-être  vous  maudirez  V heure  que  vous  sortîtes  jamais  de 
votre  moinerie.  Cest  désormais  assez  hldmé  !  Que  diable  !  il  est 
bien  sûr  que  ces  /..tus  prêtres  renégats  viennent  ici  nous  mettre 
en  ruine.  Après  qu'on  a  assez  enduré,  on  prend  sa  revafiche. 
Gardez-vous  qu'il  ne  vous  en  prenne  comme  il  fit  à  monsieur 
Werli  de  Fribourg,  Nous  ne  voulons  pas  tant  avoir  demaitres. 
Notez  bien  mon  dire. 

Ces  paroles  n'ont  guère  besoin  de  commentaire  si  l'on  se 
reporte  à  la  situation  et  aux  événements  que  nous  venons 
de  rappeler.  Elles  trahissent  bien  l'état  d'exaspération  de  ce 
groupe  de  Genevois  qui  étaient  las  d'être  tenus  en  laisse,  et 
rudement  tancés  au  moindre  écart,  par  des  gens  qu'ils  envisa- 
geaient comme  des  intrus  dans  leur  ville.  L'emploi  de  l'idiome 
local  devait  sans  doute  souligner  ce  caractère  de  protestation 
des  éléments  indigènes  contre  les  étrangers  francisants.  Le 
«  gros  pansu  »  interpellé  en  première  ligne  ne  peut  naturelle- 
ment pas  être  Calvin,  dont  la  maigreur  ascétique  est  connue, 
mais  n'est  autre  qu'Abel  Poupin,  ancien  cordelier,  de  qui  la 
mine  florissante,  autant  que  les  intempérances  de  langage, 
semblait  un  défi  à  ceux  qu'il  exhortait  à  l'humihté  et  à 
une  vie  de  renoncement.  Originaire  de  l'Anjou,  il  était  établi 
à  Genève  comme  pasteur  depuis  1543.  Le  pamphlet  dirigé 
contre  lui  et  ses  collègues  était  grossièrement  injurieux, 
mais,  ce  qui  était  plus  grave,  il  renfermait  des  menaces,  et 
même  des  menaces  de  mort.  En  effet,  le  chanoine  fribourgeois 
Werli,  dont  on  rappelait  l'exemple,  avait  été  tué  d'un  coup 


LE    PLACARD    DE   J.   GRUET  59 

d'épée  en  1532,  dans  une  des  rixes  qui  avaient   accompagné 
l'établissement  de  la  Réforme  à  Genève. 

Le  Conseil  de  la  ville,  effrayé  de  l'audace  grandissante  des 
rebelles,  ordonna  dès  le  28  juin  une  enquête  sévère  sur  l'affaire 
du  placard.  Les  soupçons  se  portèrent  immédiatement  sur  Jac- 
ques Gruet,  qui  fut  incarcéré.  Ce  personnage,  âgé  d'une  cin- 
quantaine d'années,  fils  du  notaire  Humbert  Gruet,  était  un 
homme  de  plume  de  condition  aisée,  puisqu'il  possédait  une 
maison  au  Bourg-de-Four,  mais  qui  semble  avoir  été  simple 
employé  de  bureau  dans  la  maison  des  Philippe.  II  avait  vécu 
à  Lyon,  où  il  avait  connu  Etienne  Dolet,  et  s'y  était  imbu  de 
doctrines  antireligieuses  d'un  radicalisme  monstrueux  pour 
l'époque.  Il  se  gardait  d'ailleurs  de  les  afficher  et  ne  demandait 
qu'à  vivre  paisiblement  à  sa  guise  ;  il  estimait  que  dans  une 
société  bien  organisée  chacun  doit  pouvoir  prendre  son  plaisir 
où  il  le  trouve  et  avait  notamment  -sur  la  paillardise  des  idées 
fort  peu  orthodoxes.  On  conçoit  que  le  régime  calviniste  lui 
fût  en  horreur  et  qu'il  fréquentât  les  cercles  hostiles  aux  prédi- 
cants.  Il  était  de  ceux  qui,  en  1546,  avaient  dansé  à  une  noce 
chez  Antoine  Lect  et  il  s'était  distingué  à  cette  occasion  par 
son  attitude  inconvenante  devant  le  Consistoire.  Il  gardait 
une  rancune  particulière  à  Calvin,  qui  l'avait  taxé  en  chaire  de 
«  méchant  et  balafre  ».  Gruet  ne  jouait  du  reste  aucun  rôle 
dans  les  affaires  publiques.  Ses  goûts  et  son  éducation  le  por- 
taient bien  plutôt  vers  les  lettres.  Sa  procédure  nous  révèle 
qu'il  était  «  homme  sçavant  en  escrire  et  qui  escrivoit  beau- 
coup de  choses  tant  licites  que  illicites  »  et  aussi  qu'il  avait  été 
«  solliciteux  et  cupideux  de  escripre,  dicter  et  composer  balla- 
des, dixain,  escripteau  et  brivet,  tant  en  langue  françoyse  que 
en  patoix,  et  à  ce  s'est  excercé  tant  icy  que  ailleurs.  »  On  con- 
naissait en  particulier  de  lui  une  «  rime  »  en  patois  contre  le 
duc  de  Savoie.  Le  nombre  de  ceux  qui,  à  Genève,  maniaient 
la  plume  en  patois  devait  être  bien  restreint  et  la  justice  n'eut 
pas  à  faire  preuve  de  beaucoup  de  pénétration  lorsqu'elle  in- 
culpa Gruet  d'être  l'auteur  du  libelle  séditieux  affiché  à  Saint- 


60  J.    JEANJAQUET 

Pierre.  Néanmoins,  dans  les  premiers  interrogatoires  qu'on  fit 
subir  à  l'accusé,  il  nia  catégoriquement,  et  le  fait  que  l'écriture 
ne  correspondait  pas  à  sa  manière  habituelle  embarrassa  d'a- 
bord les  juges.  On  fit  chez  lui  une  perquisition  qui  amena  la 
saisie  de  papiers  divers  si  compromettants  qu'ils  devinrent  la 
base  principale  de  l'accusation.  Gruet  perdit  bientôt  de  son 
assurance.  Le  8  juillet,  il  affirme  toujours  qu'il  ne  sait  rien  da 
placard,  mais  il  ajoute  que  «  quand  il  l'aurait  fait,  il  a  fait  et 
dit  d'autres  choses  plus  d'importance  que  le  dit  billet.  »  Le 
lendemain,  il  objecte  encore  que  sa  main  a  pu  être  contrefaite 
et  que  d'ailleurs  cela  ne  ressemble  pas  à  son  écriture;  puis,  me- 
nacé de  la  torture,  il  se  décide  à  avouer  «  spontanément  ». 
M.  H.  Fazy  a  prétendu,  après  M.  Galiffe,  que,  malgré  cet  aveu, 
qu'il  juge  arraché  par  la  contrainte,  Gruet  était  probablement 
innocent  du  méfait  dont  on  l'accusait.  Il  s'appuie  sur  ce  qu'au- 
cune preuve  directe  de  sa  culpabilité  ne  put  être  apportée. 
Une  femme,  arrêtée  le  même  jour  que  Gruet  pour  avoir 
dit  à  des  commères  qu'elle  savait  depuis  quatre  ou  huit  jours^ 
que  le  placard  serait  affiché  à  Saint-Pierre,  nia  formellement 
avoir  tenu  ces  propos.  Comme  l'a  déjà  fait  observer  M.  Ritter, 
cette  thèse  de  l'innocence  de  Gruet  ne  résiste  guère  à  l'examen 
attentif  des  faits.  Dans  la  suite  du  procès,  l'accusé  ne  revint 
jamais  sur  ses  premiers  aveux  ;  il  les  confirma  au  contraire  à 
plusieurs  reprises,  et,  dans  de  nombreux  interrogatoires,  sans 
l'intervention  de  la  torture,  il  donna  avec  de  très  légères  varia- 
tions des  détails  circonstanciés  sur  la  façon  dont  il  avait  écrit 
et  mis  en  place  son  pamphlet;  il  en  reproduisit  la  substance,  il 
en  discuta  avec  ses  juges  les  termes  et  la  signification,  de  sorte 
qu'il  est  d'une  complète  invraisemblance  que  tout  cela  ne  re- 
pose sur  rien  de  réel. 

En  combinant  les  données  éparses  fournies  par  l'accusé,  voici 
comment  on  peut  reconstituer  la  genèse  du  placard.  Le  diman- 
che 26  juin,  Gruet  avait  soupe  en  compagnie  de  diverses  per- 
sonnes appartenant  au  groupe  des  mécontents  chez  la  «  donne 
Batezarde  ».  Les  incidents  des  jours  précédents,  la  scène  du 


LE    PLACARD    DE   J.   GRUET  6l 

Consistoire  et  la  fuite  de  la  Franchequine  y  avaient  été  ample 
ment  commentés  et  on  était  fort  monté  contre  les  pasteurs, 
surtout  contre  Poupin.  Le  lendemain,  Cîruet  déjeuna  en  ville 
chez  François  Favre,  qui  lui  parla  naturellement  aussi  de  sa 
fille  et  des  persécutions  auxquelles  sa  famille  était  en  butte. 
C'est  en  rentrant  chez  lui,  la  tête  échauffée  par  ces  discours, 
qu'il  conçut  et  mit  immédiatement  à  exécution  son  projet.  Il 
avait  justement  sous  la  main  une  écritoire  empruntée  une  se- 
maine auparavant  à  un  garçon  chez  les  Philippe  et  il  se  servit 
d'un  bout  de  papier  coupé  à  une  lettre.  Aussitôt  le  libelle  écrit, 
il  se  rend  à  la  cathédrale,  où  il  arrive  vers  2  heures.  Il  entre 
par  la  grande  porte,  s'assure  qu'il  n'y  a  personne  à  l'intérieur, 
et,  au  moyen  de  cire,  fixe  en  grande  hâte  son  papier  contre  la 
chaire,  «  au  lieu  où  M.  Calvin  s'appuie.  »  Après  quoi  il  s'enfuit 
par  la  porte  de  derrière,  tremblant  d'être  surpris.  Dans  la  soi- 
rée il  va  se  promener  vers  le  Molard  et  soupe  chez  son  ami 
Claude  Franc  avec  un  quincaillier  du  voisinage. 

Interrogé  sur  les  motifs  qui  l'avaient  poussé  à  agir,  Gruet 
déclara  que  c'était  parce  que  «  les  prédicants  ne  voulaient 
condescendre  à  laisser  passer  le  temps  aux  jeunes  gens  et  aussi 
que  la  femme  du  capitaine  Perrin  avait  serré  sa  boutique  et 
était  contrainte  sortir  hors  Genève  ;  »  il  reconnaît  que  le  pla- 
card visait  en  premier  lieu  Abel  Poupin  «  à  cause  qu'il  fut  le 
principal  des  prédicants  au  Consistoire  qui  remontra  à  la  Fran- 
çoise, fille  de  François  Favre,  laquelle  eut  courroux  avec  le 
dit  maître  Abel.  »  Il  était  donc  évident  que  les  menaces  du 
billet  avaient  été  provoquées  par  les  mesures  prises  contre  les 
Favre,  mais  ceux-ci  en  étaient-ils  responsables?  Etaient-ils  com- 
plices, ou  au  moins  instigateurs  de  l'acte  de  Gruet  ?  L'accusa- 
tion aurait  visiblement  désiré  pouvoir  établir  une  connivence 
de  l'inculpé  avec  d'autres  personnes  et  mit  une  obstination 
acharnée  à  vouloir  lui  arracher  des  aveux  sur  ce  point.  Mais 
en  dépit  de  la  torture  et  de  son  accablement,  Gruet,  qui  n'a- 
vait pas  l'étoffe  d'un  héros,  demeura  absolument  constant  dans 
ses  réponses.  Il  ne  se  lassa  pas  de  répéter  qu'il  avait  agi  de 


62  J.    JEANJAaUET 

son  propre  mouvement  et  absolument  seul,  sans  préméditation 
aucune.  Il  n'avait  parlé  à  personne  du  placard  ;  il  le  fit  «  à  la 
volée  »  et  «  si  secrètement  qu'il  ne  voulait  pas  quasi  que  sa 
main  senestre  le  sût.  »  Il  n'en  avait  pas  gardé  ni  donné  de  co- 
pie. S'il  s'était  servi  en  plusieurs  endroits  du  pluriel  nous^  c'é- 
tait seulement  afin  de  donner  plus  grande  crainte  aux  prê- 
cheurs. «  Quand  il  accuserait  quelqu'un  il  ferait  mal,  car  c'est 
lui  seul  qui  a  fait  tout  l'affaire.  » 

Nous  ne  pensons  pas  qu'il  faille  mettre  en  doute  la  vérité  de 
ces  affirmations  si  souvent  réitérées.  Le  placard  de  Gruet  ne 
fut  pas  le  résultat  ni  l'expression  d'un  complot  ;  bien  que  reflé- 
tant les  sentiments  de  tout  un  groupe,  il  ne  dut  son  existence 
qu'au  coup  de  tête  d'un  individu  isolé,  qui  convint  lui-même 
d'avoir  agi  «  par  folie  ».  11  fallait  en  effet  bien  peu  connaître 
Calvin  pour  s'imaginer  qu'il  se  laisserait  effrayer  par  une  sem- 
blable manifestation.  Il  dut  se  féliciter,  au  contraire,  de  la  ma- 
ladresse de  l'adversaire  qui  venait  se  livrer  entre  ses  mains  et 
lui  fournir  l'occasion  de  faire  un  exemple.  Le  réformateur  sui- 
vit de  très  près  le  procès  du  libre  penseur  genevois  et,  autant 
qu'on  en  peut  juger,  usa  de  tout  son  pouvoir  pour  amener  la 
sentence  capitale  qui  le  termina.  Gruet  fut  exécuté  à  Champel 
le  26  juillet  1547.  Nous  n'avons  pas  à  examiner  ici  les  chefs 
d'accusation  qui,  en  dehors  du  placard  patois,  permirent  aux 
juges  de  se  montrer  si  sévères.  Notons  seulement  qu'il  serait 
exagéré  de  prétendre  que  ce  libelle  de  quelques  lignes  coûta 
la  tête  à  son  auteur.  Si  l'on  n'avait  pas  eu  d'autres  griefs  à  faire 
valoir  contre  ce  dernier,  il  est  à  peu  près  certain  que  sa  vie 
n'aurait  pas  été  en  danger.  Mais  les  incriminations  de  menées 
séditieuses,  de  trahison,  de  blasphème,  d'impiété,  qu'on  réussit 
à  échafauder  sur  les  papiers  saisis  au  domicile  de  l'accusé, 
donnèrent  à  son  procès  une  tout  autre  tournure  et  jouèrent 
un  rôle  prépondérant  dans  la  décision  du  tribunal. 

Le  placard  original  qui  fut  apposé  contre  la  chaire  de  Cal- 
vin existe  encore  aux  Archives  de  l'Etat  de  Genève,   où  il 


LE    PLACARD    DE  J.  GRUET  63 

est  conservé  parmi  les  pièces  de  la  procédure  Gruet.  C'est 
une  feuille  de  papier  de  125  X  205  mm.,  où  le  malheureux 
patoisant  a  tracé  en  caractères  de  grandeur  ordinaire,  bien 
lisibles,  les  neuf  lignes  de  sa  protestation  menaçante  contre  les 
ministres.  Nous  en  reproduisons  ci -contre  le  facsimilé.  Le 
chiffre  7  placé  en  tête  du  document  est  celui  de  la  cote  qu'il 
avait  reçue  dans  le  dossier.  En  y  introduisant  la  ponctuation 
moderne,  l'apostrophe  et  la  distinction  des  u  et  des  27,  et  en 
résolvant  les  quelques  abréviations,  le  texte  du  placard,  dont 
nous  avons  donné  plus  haut  la  traduction,  est  le  suivant  : 

Gro  panfar,  te  et  to  compagnon  gagneria  niiot  de  vot  queysi  ! 
Se  vot  not  fade  enfuma,  i  ri  y  a  persona  que  vot  gardey  qu'on 
ne  vot  mette  en  ta  lua  qu'epey  vot  mouderi  Voura  que  James  vot 
salie  te  de  votra  moennery.  Et  mezuit  prou  blâma  !  Quin  dyablo  ! 
Et  to  sut  que  cetou  fottu  prêtre  renia  not  vegnon  ice  tnettre  en 
ruyna.  Apret  qu'on  a  prou  endt^ra,  on  se  revenge.  Garda  vot 
qu'inevot  nen  pregne  comme  i  fit  a  mosiur  Ver  le  de  Fribor. 
Not  ne  vollin  pa  tan  avey  de  mètre.  Notta  bin  mon  dire. 

Il  est  assez  instructif  de  mettre  en  regard  du  texte  original  la 
rédaction  que  Calvin  en  communiqua  à  Viret  dans  une  lettre 
du  2  juillet  1547,  quelques  jours  après  la  découverte  du  pla- 
card. Elle  est  conservée  à  la  Bibliothèque  de  Genève  et  a  été 
publiée  dans  l'édition  des  Calvifii  Opéra,  t.  XII  (1874),  lettre 
n°  921,  p.  546,  note  8.  Le  texte  altéré  et  fortement  francisé 
montre  que  le  patois  de  Genève  n'était  guère  familier  au  ré- 
formateur. Voici  en  effet  comme  il  transcrit  : 

Gros  panfar,  te  et  tes  compaigfions  gaigneriaz  mioulx  de  vos 
quiesyr.  Si  voz  noz  fadez  enfuma, y  n'y  a  persona  qui  voz  garda 
qu'on  fie  voz  mec  te  en  lioua  que  pouy  vos  tnouldirez  Vhoure  que 
jamais  voz  salliete:^  de  la'  tnoynery.  Est  meshouy  prou  blasma  ! 
Quin  diablo  est  ou  cin  que  cestou  fottu  prestres  reniaz  noz  vien- 
nent icy  mettre  en  ruina  :  après  qu'on  a  prou  endura,  on  se  re- 
venge. Gardez  voz  qu'il  ne  voz  en  prenna  com7ne  a  Monsieur 
Ver  le  de  Fribourg.  Noz  ne  volins  pas  tant  de  mestres.  Nota 
bin  mon  dire. 


2 

o 

o 


S     23 

^  O 


Ll 


5-  ^  5^ 


^ 


T 

"    j    <•    ■ 


LE    PLACARD    DE  J.    GRUET  65 

La  teneur  du  pamphlet,  en  original  ou  en  traduction,  a  été 
maintes  fois  publiée  par  les  historiens  de  (Genève  et  de  la  Ré- 
forme. Le  contenu,  mis  au  discours  indirect,  se  trouve  déjà 
dans  une  note  de  Y  Histoire  de  Genève,  de  Spon,  t.  I  (1730), 
p.  288;  il  a  passé  de  là  dans  X Histoire  de  la  Réformation  de  la 
Suisse,  d'Abr.  Rachat,  édit.  Vulliemin,  t.  V  (1836),  p.  318.  Le 
texte  patois  a  été  publié  pour  la  première  fois  par  J.  A.  Galiffe, 
Notices  généalogiques  sî(r  les  familles  genevoises,  t.  III  (Genève, 
1836),  p.  259,  et  reproduit  sans  contrôle  dans  les  ouvrages 
déjà  cités  de  P.  Henry,  p.  441,  avec  traduction  allemande; 
A.  Roget,  p.  323,  avec  traduction  française  p.  290  ;  H.  Fazy, 
p.  5,  avec  quelques  modifications  et  traduction  française  : 
F.W.  Kampschulte,  t. II,  p.  59,  note;  aussi  dans  Blavignac,  Ein- 
pro  genevois,  2=  édit.  (1875),  p.  227  ;  traduction  française  seule 
dans  J.  Gaberel,  Histoire  de  l'Eglise  de  Genève,  t.  I  (2^  édit., 
1858),  p.  391. 

Le  texte  de  Galiffe  est  fort  peu  correct  et  a  contribué  à  induire 
en  erreur  les  traducteurs,  déjà  suffisamment  embarrassés.  A  la 
troisième  ligne,  notamment,  Galiffe  avait  cru  voir  après 
le  mot  ta  un  point,  qui  n'est  en  réalité  que  l'extrémité  du 
délié  de  Va.  Il  imprima  :  en  tas.  Lua  que  pey,  etc.  De  là  cette 
menace  assez  bizarre  :  «  Si  vous  nous  irritez  trop,  personne  ne 
pourra  empêcher  qu'on  ne  vous  mette  en  tas  »  (Fazy),  qui  de- 
vient :  «  Si  vous  nous  irritez  trop,  nous  vous  pulvériserons  » 
(Gaberel),  «  nous  vous  mettrons  en  poudre  »  (Roget).  La  tra- 
duction la  plus  fantaisiste  est  celle  de  Henry  :  «  Du  und  die 
Deinigen,  ihr  werdet  wenig  gewinnen  durch  euer  Treiben. 
Wenn  ihr  euch  nicht  entfernt,  so  soU  es  Niemand  hindern,  dass 
ihr  nicht  zu  Boden  geworfen  werdet,  »  etc. 

En  1875,  dans  ses  Recherches  sur  le  patois  de  Genève,  p.  8, 
M.  Eugène  Ritter  a  donné  enfin  une  transcription  exacte  de 
l'original  conservé  aux  Archives  ^  Récemment  M.  J.  Pellaton 


^  Il  faut  seulement  corriger  dyable,  tant  en  dyahlo,  tan.  M.  Ritter 
a  conservé  la  notation  ta.  Lua,  tout  en  donnant  la  traduction  correcte 
du  passage.  Sur  que  pey  pour  qucpey,  voir  ci-dessous,  Lexique 


66  J.    JEANJAQUET 

a  réimprimé  avec  quelques  fautes  d'impression  le  texte  de 
M.  Ritter  dans  le  Centralblatt  des  sc/nveizerischen  Zofinger 
Vereins,  mai  1913,  p.  671.  Il  n'a  visiblement  pas  utilisé  le  fac- 
similé  publié  en  191 2  dans  la  Bibliographie  linguistique  de  la 
Suisse  ?-omande,  t.  I,  p.  163,  pour  accompagner  la  notice  con- 
sacrée au  placard  Gruet  (n°  732). 

Ce  placard  n'est  pas  intéressant  seulement  comme  témoin 
des  luttes  religieuses  de  1547,  mais  aussi  comme  document  lin- 
guistique. C'est  le  second  en  date  de  nos  textes  en  patois  ro- 
mand et  le  plus  ancien  qui  soit  conservé  en  original.  Il  ne  le 
cède  comme  ancienneté  qu'à  un  autre  texte  de  Genève,  la 
Clumfon  de  la  complatita  et  desolafion  dé  paitré,  qui  doit  être 
d'une  quinzaine  d'années  antérieur,  mais  dont  on  ne  possède 
(]ue  des  copies  du  dix-septième  siècle  ^ 

Le  peu  d'étendue  du  texte  de  1547  restreint  dans  des  limites 
étroites  les  renseignements  qu'on  en  peut  tirer  sur  l'état  du 
dialecte  de  Genève  au  seizième  siècle.  Les  quelques  notes  lin- 
guistiques qui  suivent  nous  permettront  cependant  de  consta- 
ter pour  les  faits  essentiels  la  concordance  des  patois  genevois 
actuels  avec  celui  de  Gruet. 

l*honéti(|ue.  —  a  tonique  libre  conservé:  e?ifuma,  blama^ 
garda,  ta  talem,  etc.  —  Palat.   |-  a  =  i:  queysi  quie  tiare. 

a  final  maintenu  :  persona,  oura,  ruyna,  7'otra.  —  Après  pa- 
lat. =  e:  reve/ige,  pregne. 

e  fermé  libre  tonique  =  é")'.'  ai'ey^  gardt}\  epey  spero.  Dans 
les  patois  modernes,  la  diphtongue  s'est  généralement  réduite 
à  è  ou  à;  elle  subsiste  cependant  sporadiquement. 

m  e  1  i  u  s  =  miot^  forme  encore  courante. 

Enfermé  libre  tonique  =  oîi:  oura, prou,  cetou.  Cette  notation 
est  assez  surprenante  en  regard  de  «'«,  «'',  seuls  connus  des  pa- 
tois actuels.  Les  autres  anciens  textes  genevois  écrivent  eu.  La 
Chanfon  a  déjà  preu.  En  revanche,  plusieurs  anciens  textes 
savoyards,  tels  que  la  Far  sa  de  Toannou  àou  Treu,  le  Discours 


'  Voir  BihVio^raphie  ]inguhlique  de  la  Suisse  roiuaude,  t.  I,  n"  731. 


!.E    PLACARD    DR   J.  GRUET  67 

sur  Ventreprinse  de  Genève,  la  Plaisante  pronostiquation,  ont 
également  ou.  Il  y  a  peut-être  là  une  influence  lyonnaise. 

0  entravé  reste:  gro,  Frihor. 

locu  =  Itia,  encore  usité  dans  la  région. 

A  noter  la  graphie  de  IV  bref  et  ouvert  par  ot:  viiot,  not^ 
vot  ;  c'est  sans  doute  aussi  la  brièveté  qui  est  indiquée  par  le  / 
dans  sut  s  e  c  u  r  u ,  nie^uit,  m  a  g  i  s  h  o  d  i  e  . 

Dans  le  domaine  du  consonantisme,  Vf  provenant  d'un  c 
primitif,  caractéristique  de  la  région  savoyarde,  est  attestée 
dans  pan  far. 

En  revanche,  la  mouillure  du  groupe  bl  n'est  pas  indiquée  : 
hlaina.  dyablo,  pas  plus  que  la  prononciation  interdentale  (S) 
qui  a  dû  exister  dans  la  terminaison  de  revenge. 

nen  pour  en,  dans  ?ien  pregne,  est  très  répandu.  Il  n'y  a  pas 
lieu  d'écrire  n'en. 

Moi'plioloçjie.  —  La  plupart  des  formes  verbales  n'ont  pas 
varié;  ainsi  les  infin.  enfuma,  queysi;  part,  blâma,  endura;  impér. 
garda,  notta  (2^  pi.)  :  fut.  mouderi  (2^  pi.)  ;  condit.  gagneria 
(2^  pi.)  ;  ind.  prés,  vollin  (i"^^  pi.),  vegnon  (3^  pi.)  ;  vot  fade  (2^ 
pi.)  est  généralement  remplacé  aujourd'hui  par  vo  fassi,  mais 
la  grammaire  de  Duret  (p.  59)  cite  encore  les  deux  formes. 
Les  subj.  y^x.  pregne  et  gardey  (36  s.)  sont  archaïcjues.  Le  der- 
nier est  un  reste  de  l'ancien  subjonctif  à  terminaison  accen- 
tuée, si  répandu  dans  la  Suisse  romande.  Il  est  encore  fréquent 
dans  les  anciens  textes  genevois,  par  exemple  dans  la  Conspi- 
ration de  Compesières,  où  il  a  la  terminaison  -ay,  -ai:  lassay, 
eer sai,  str.  log,  garday,  114,  interrozay,  143,  etc.  Les  passés 
définis  saliete  (2^  pl.),y?/  (3^  s.)  sont  des  formes  patoises  peu 
sûres.  Duret  indique  vo  sallita  (p.  49)  et  è  fasse  on  fè  (p.  59). 

Quin  dyablo  signifie  littéralement  «  quel  diable  »  ;  ce  pro- 
nom quin  est  généralement  remplacé  aujourd'hui  par  qualis. 

La  différence  de  terminaison  entre  le  possessif  to  «  tes  »  et 
le  démonstratif  cetou  «  ces  »  trouve  son  équivalent  dans  les 
formes  modernes  ta  et  stœ"  ou  stà'. 


68  J.    JEANjAaUET 

Lexique.  —  Enfuma  «  mettre  en  colère  ».  Le  mot  a  été  re- 
levé de  nos  jours  dans  le  Bas-Valais  et  les  Alpes  vaudoises  ; 
Bridel  donne  aussi  einfouma  «  irrité,  de  mauvaise  humeur.  » 

Epey  «  peut-être  ».  M.  Ritter,  suivant  l'exemple  de  Galiffe, 
divise  quepey  du  manuscrit  en  que  pey  et  traduit  par  «  que 
puis  ».  M.  Fazy  donne  ta  tua  (sic),  Quepey  et  escamote  la  tra- 
duction. Il  n'existe  pas,  à  notre  connaissance,  de  forme  patoise 
pey  signifiant  «  puis  ».  Il  faut  lire  qu'cpey  et  reconnaître  le  mot 
dérivé  de  spero,  encore  fort  répandu  dans  les  patois  vau- 
dois,  fribourgeois  et  valaisans.  Voir  Bridel,  ^'^^Z;  Odm,  épài, 
et,  pour  le  valaisan  èji,  Romania,  XXV,  p.  437. 

Mezuit  «  désormais  »  est  l'ancien  français  maishui  ;  le 
mot  n'est  plus  usité  et  ne  paraît  pas  indigène  en  patois. 

J.  jEANJAaUET. 


-<•  yk  •>■ 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages 

H.  Urtel.  Autour  du  rhume 3 

G.  Bertoni.  Servâdzo 33 

J.  Cornu.  Une  langue  qui  s'en  va 40 

J.  Jeanjaquet.  Le  placard  patois  de  Jacques  Gruet  ...  54 


IMPRIMERIES   REUNIES  S.    A.    LAUSANNE. 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du   Glossaire. 


TREIZIEME  ANNEE 
1914 


-«■ 


ZURICH 

BUREAU    DU    GLOSSAIRE 

Hofackerstrasse  44 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 

DE  LA  SUISSE  ROMANDE 


NOTICE   HISTORIQUE 


I.   LES  PRELIMINAIRES 

Le  noyau  de  la  vaste  entreprise  du  Glossaire  est  un  petit 
travail  que  M.  Gauchat  présenta,  en  1888,  à  son  maître  à 
l'Université  de  Berne,  M.  le  professeur  Morf.  Celui-ci,  per- 
suadé que  la  vie  du  langage  doit  être  étudiée  dans  les  patois 
vivants  plutôt  que  dans  de  vieux  textes,  avait  envoyé  les 
membres  de  son  «  séminaire  des  langues  romanes  »  en 
exploration  dans  différentes  localités  fribourgeoises  du  voisi- 
nage. Le  village  de  Dompierre  échut  à  M.  Gauchat,  qui  y 
recueillit  les  éléments  d'une  phonétique  du  patois  local. 
Cette  esquisse  sommaire  fut  développée  ensuite  et  aboutit 
à  une  thèse  de  doctorat,  présentée  en  1890  à  l'Université 
de  Zurich,  où  M.  Morf  avait  été  appelé.  M.  Gauchat  n'en 
publia  que  la  première  partie,  l'étude  des  voyelles  (Zeit- 
schrift  fïir  romanische  Philologii:,  tome  XIV).  Les  autres 
chapitres,  le  consonantisme  et  la  morphologie,  restèrent 
dans  ses  tiroirs.  C'est  que  le  jeune  philologue,  ayant  pris 
infiniment  de  goût  à  ce  genre  de  travail,  avait  poursuivi  et 


'  Cette  notice  et  celle  de  M.  Muret,  qui  suit,  ont  été  rédigées  en 
vue  de  l'Exposition  nationale  suisse  à  Berne.  Nous  les  reproduisons  ici 
dans  la  pensée  qu'elles  pourront  aussi  intéresser  les  lecteurs  du  Bulktin. 


4  L.    GAUCHAT 

étendu  ses  recherches  ;  les  matériaux  s'étaient  rapidement 
accumulés,  et  la  publication  des  observations  faites  à  Dom- 
pierre  eût  exigé  une  refonte  complète.  Elles  furent  donc 
mises  en  réserve  pour  une  autre  occasion. 

Le  bel  exemple  donné  par  VIdiotikon  des  patois  de  la  Suisse 
allemande  fit  naître  le  désir  de  créer  une  œuvre  analogue 
pour  les  cantons  romands.  Leurs  dialectes,  en  effet,  ne  le 
cèdent  en  rien  à  ceux  de  la  Suisse  alémanique.  Au  contraire, 
ils  contiennent  davantage  de  ces  mystérieuses  survivances 
des  langues  de  peuples  qui  ont  habité  nos  Alpes  dans  les 
temps  préhistoriques.  A  l'aide  de  ces  débris,  dont  les  uns  ont 
été  identifiés  avec  des  mots  celtiques  et  dont  les  autres  ne 
sont  pas  encore  attribuables  à  un  groupe  linguistique  déter- 
miné, il  sera  plus  tard  possible  d'élucider  maint  point  de 
notre  préhistoire. 

Même  sans  ces  témoins  du  parler  de  nos  ancêtres  les 
plus  éloignés,  nos  patois  offrent  un  intérêt  scientifique  de 
premier  ordre.  Ceux  de  la  Suisse  allemande  peuvent  être 
fiicilement  ramenés  à  une  seule  et  même  souche,  tandis 
que  la  Suisse  romande  présente,  sous  ce  rapport,  des  varia- 
tions de  type  tout  à  fait  remarquables.  L'ancienne  langue 
d'un  Jurassien  et  celle  d'un  Valaisan  sont  des  parlers  abso- 
lument différents.  Dans  le  même  canton,  d'une  vallée  à 
l'autre,  par  exemple  du  Val  d'Illiez  au  Val  d'Anniviers,  le 
contraste  peut  être  si  grand  que  les  habitants  ont  de  la 
peine  à  se  comprendre.  Il  serait  bien  difficile  de  retrouver 
ailleurs,  sur  un  territoire  si  restreint,  pareille  floraison  de 
sons,  de  formes,  de  mots. 

A  l'intérêt  non  seulement  philologique,  mais  historique 
dans  le  meilleur  sens  du  mot,  vient  se  joindre  l'intérêt  pa- 
triotique. On  peut  dire  qu'à  l'exclusion  du  Jura  bernois,  qui 
se  rattache  au  groupe  des  patois  franc-comtois,  la  Suisse 


GLOSSAIRE    DES    PATOIS 


romande  a  eu  une  fois  une  langue  à  elle,  telle  qu'elle  n'existe 
nulle  part  ailleurs.  Cette  langue,  qui  était  vraiment  de  chez 
nous,  la  Suisse  est  en  train  de  la  perdre.  Le  français  de 
Paris  a  envahi  nos  vallons  et  la  supplante  partout.  Nous 
n'aurons  garde  de  nous  répandre  à  ce  sujet  en  plaintes  vaines, 
car  c'est  là  une  nécessité  économique  imposée  par  les  cir- 
constances, et  il  serait  puéril  de  nier  les  avantages  de  cette 
transformation.  Mais  la  Suisse,  qui  tait  tant  de  sacrifices 
pour  la  conservation  d'espèces  végétales  ou  animales  me- 
nacées de  disparition,  ne  ferait-elle  rien  pour  sauver  d'un 
oubli  total  l'instrument  si  original  de  la  pensée  de  nos 
pères,  la  langue  qui  pendant  des  siècles  a  servi  à  exprimer 
leurs  joies  et  leurs  soutîrances  ? 

Telles  sont  les  considérations  qui  ont  fait  agir  M.  Gauchat. 
Encouragé  par  M.  Morf,  il  résolut  de  travailler  à  mettre  en 
sûreté  des  matériaux  si  précieux.  Mais  il  ne  se  dissimulait  pas 
les  difficultés  d'une  pareille  entreprise,  qui  exigeait  surtout  de 
fortes  ressources  financières.  Avant  d'assumer  une  tâche 
peut-être  trop  lourde,  il  voulut  connaître  l'avis  et  les  impres- 
sions des  initiateurs  de  ïldiolikoii  et  se  rendit  chez  MM.  F. 
Staub  et  L.  Tobler.  Il  en  reçut  les  plus  sérieux  encourage- 
ments. M.  Staub  lui  dit  :  «  Si  je  pouvais  venir  encore  une 
fois  au  monde,  je  referais  un  Idiotihoii.  »  En  vue  d'obtenir 
un  appui  financier,  M.  Gauchat  s'adressa  aux  conseillers 
fédéraux  Schenk  et  Welti.  Ce  dernier  surtout  s'intéressa 
vivement  au  projet  et  répéta  à  plusieurs  reprises  :  «  Il 
faut  que  cela  se  fasse.  »  Numa  Droz,  également  consulté, 
donna  même  des  conseils  pratiques  sur  le  mode  d'enquête. 
Comme  YIdiotikon  est  patronné  par  la  Société  des  antiquaires 
de  Zurich,  M.  Gauchat  crut  devoir  d'abord  se  mettre  en 
quête  d'une  société  savante  qui  présiderait  aux  destmées 
du  futur  Glossaire.  Mais  ses  démarches  n'aboutirent  pas  et 


6  L.    GAUCHAT 

en  lui  faisant  perdre  un  temps  utile,  risquèrent  de  le  dé- 
courager. Enfin,  M.  John  Clerc,  chef  du  Département  de 
l'Instruction  publique  du  canton  de  Neuchâtel,  à  qui 
M.  Gauchat,  comme  Neuchâtelois,  avait  exposé  ses  in- 
succès, prononça  le  mot  qui  ne  sera  pas  oublié  :  «  Je 
veux  bien  vous  épauler.  »  Il  convoqua  ses  collègues  des 
cantons  romands  à  Genève,  en  1897,  ^^  l'année  suivante, 
dans  une  séance  qui  eut  lieu  à  Neuchâtel,  il  fut  décidé  de 
demander  une  subvention  à  la  Confédération  et  d'accorder 
des  subsides  cantonaux  pour  l'œuvre  à  créer.  Le  Conseil 
fédéral  ayant  répondu  favorablement,  l'entreprise  devint 
officielle  en  1899.  M.  Gauchat  fut  chargé  de  la  direction. 

Avant  de  se  mettre  à  l'œuvre,  il  s'était  assuré  le  concours 
de  deux  jeunes  philologues,  sortis  de  la  même  école  que 
lui,  qui  venaient  de  débuter  par  des  travaux  montrant  leur 
compétence  en  matière  dialectologique,  MM.  J.  Jeanjaquet 
et  E.  Tappolet.  Dès  le  commencement,  ces  trois  Suisses 
ont  partagé  toutes  les  peines  et  toutes  les  joies  de  l'œuvre, 
à  laquelle  ils  consacrent  avec  amour  leur  temps  et  leurs 
efforts. 

Un  plan-programme  du  Glossaire  et  un  spécimen  de 
l'article  vache  avaient  été  soumis  à  l'appréciation  de  roma- 
nistes distingués,  entre  autres  du  regretté  Gaston  Paris  et 
de  M.  J.  Gilliéron,  qui  enseignait  déjà  brillamment  la  dia- 
lectologie à  l'Ecole  des  Hautes  Etudes  de  Paris.  Par  leurs 
excellentes  directions,  ces  savants  devinrent  les  parrains 
intellectuels  du  Glossaire. 


GLOSSAIRE   DES    PATOIS 


II.  L'ORGANISATION 


Trois  groupes  de  personnes  assumèrent  la  responsabilité 
<ie  la  bonne  marche  de  l'entreprise  :  le  Comité  de  rédaction, 
•composé  des  philologues  susmentionnés,  qui  forment,  avec 
un  copiste  ou  secrétaire,  occupé  exclusivement  à  notre 
oeuvre,  le  Bureau  du  Glossaire  ;  une  Commission  philologique 
de  six  membres,  qui  discute  surtout  les  questions  techniques, 
et  une  Coininission  administrative,  de  six  membres  également, 
dont  la  tâche  principale  est  de  régler  les  questions  finan- 
cières. 

Les  rédacteurs  sont  malheureusement  domiciliés  dans  des 
lieux  différents,  —  ils  enseignent  actuellement  la  philologie 
romane  aux  Universités  de  Zurich,  de  Neuchâtel  et  de  Bâle, 
—  mais  ils  se  voient  souvent,  afin  de  rester  en  contact 
continuel.  Le  Bureau,  où  sont  déposés  les  matériaux  du 
Glossaire,  est  installé  dans  la  ville  où  demeure  le  rédacteur 
€n  chef,  M.  Gauchat.  Il  a  été  jusqu'en  1902  à  Zurich,  de 
1902  à  1907  à  Berne,  puis  de  nouveau  à  Zurich.  Comme 
secrétaires,  nous  avons  eu  successivement  M.  L.  Gignoux, 
M"^^  H.  Boucherie,  MM.  O.  Chambaz  et  P.  Bovet,  M""  E. 
Décrevel  et  L.  Rivenc.  Tous,  ils  nous  ont  rendu,  dans  la 
mesure  de  leurs  forces,  d'éminents  services,  que  nous  nous 
plaisons  à  rappeler  ici. 

Les  deux  Commissions  se  réunissent  une  fois  par  an.  La 
Commission  administrative  est  formée  des  Chefs  des 
Départements  de  l'Instruction  publique  des  six  cantons 
romands.  Neuchâtel  a3'ant  été  désigné  comme  canton-direc- 
teur, son  représentant,  M.  le  conseiller  d'Etat  Ed.  Quartier- 
la-Tente,  la  préside  depuis  1899  avec  une  sympathie  pour 
notre  œuvre  qui  ne  s''est  jamais  démentie.   Le  premier  se- 


L.    GAUCHAT 


crétaire  du  Département  de  Neuchâtel  fonctionne  comme 
caissier  de  l'entreprise.  M.  Gaucliat  est  délégué  aux  réunions 
et  y  rapporte  sur  la  marche  des  travaux  et  sur  les  décisions 
de  la  Commission  philologique. 

Celle-ci,  qui  est  nommée  par  la  Commission  administra- 
tive, doit  se  composer  de  personnes  compétentes  en  ma- 
tière de  dialectologie  et  se  recrute  surtout  parmi  les  profes- 
seurs de  philologie  romane  des  Universités  de  la  Suisse 
romande.  Quatre  cantons  ont  encore  aujourd'hui  les  repré- 
sentants désignés  dès  le  début  :  MM.  Bonnard  (Vaud),  en 
même  temps  président  de  la  Commission,  E.  Muret  (Ge- 
nève), vice-président,  A.  Piaget  (Neuchâtel),  H.  Morf  (Va- 
lais). Le  représentant  de  Fribourg  a  changé  plusieurs  fois  : 
à  M.  P.  Marchot  ont  succédé  MM.  A.  Huonder  (décédé), 
K.  von  Ettmayer  et  l'abbé  H.  Savoy.  M.  Ch.  Gigandet, 
ancien  vice-chancelier  de  la  Confédération,  a  représenté  le 
Jura  bernois  de  1899  ^  sa  mort,  survenue  récemment;  il 
a  été  remplacé  par  M.  Virgile  Rossel.  Les  réunions  de  la 
Commission  philologique  ont  lieu  alternativement  dans  l'un 
ou  l'autre  des  cantons  romands. 

Chaque  année,  la  Rédaction  rend  compte  de  son  activité 
dans  un  rapport,  qui  est  imprimé.  Le  caissier  fournit  égale- 
ment au  Département  fédéral  de  l'Intérieur  un  relevé 
complet  des  comptes  annuels  et  en  soumet  un  résumé  aux 
Commissions. 

Qu'il  nous  soit  permis  de  dire  que  cette  organisation  a 
fonctionné  jusqu'ici  à  la  complète  satisfaction  des  intéressés. 
Les  séances  périodiques  impriment  une  allure  régulière  à 
la  marche  de  l'entreprise.  La  Rédaction  est  heureuse  de 
n'être  pas  seule  à  supporter  la  responsabilité  d'une  œuvre 
aussi  considérable.  Elle  a  largement  profité  des  délibérations 
des  deux  Commissions  de   surveillance   et  leur  sait  gré  de 


GLOSSAIRE   DES    PATOIS  9 

leur  collaboration  efficace.  Quant  aux  autorités  fédérales  et 
cantonales,  nous  leur  sommes  reconnaissants  de  leur  concours 
financier,  qui  n'est  pas  seulement  nécessaire  pour  mener  à 
bien  une  entreprise  si  ardue  et  si  longue,  mais  qui  constitue 
pour  la  Rédaction  un  encouragement  toujours  renouvelé  et 
une  preuve  d'estime  de  ses  travaux. 


m.  LES     TRAVAUX 

J.  L'ENQUÊTE 

Les  sources  sur  lesquelles  doit  porter  l'enquête  destinée 
à  fournir  les  matériaux  du  Glossaire  sont  au  nombre  de  six. 

I.   Littérature   patoise 

Tout  le  monde  sait  que  notre  littérature  patoise  est 
pauvre.  Le  Valais,  qui  possède  le  dialecte  le  plus  original, 
n'en  a  pour  ainsi  dire  point.  Quelques  pamphlets  politiques 
à  Genève,  des  chansons  populaires  à  Fribourg  et  à  Berne, 
partout  des  anecdotes  d'almanachs  et  des  historiettes  pour 
rire,  enfin,  deux  ou  trois  poètes,  voilà  à  peu  près  tout  notre 
bagage  littéraire.  Et  cependant  il  ne  faut  pas  dédaigner  cette 
source  des  textes  écrits.  Si  on  voulait  réunir  en  un  volume 
toutes  les  histoires  amusantes  que  l'aimable  Conteur  vandois 
publie  tous  les  samedis  depuis  un  demi- siècle,  cela  ferait 
bien  2000  pages.  Dès  le  début  de  l'entreprise,  nous  nous 
sommes  mis  à  dépouiller  soigneusement  cts  textes,  et  ce 
travail  n'est  pas  encore  achevé.  La  rédaction  a  dressé  dans 
le  tome  \"  de  la  Bibliographie  (voir  Publications)  un  inven- 
taire complet  de  tous  les  écrits  en  patois  parvenus  à  sa 
connaissance,  de   sorte   qu'il  est  facile  de  savoir  ce  qui  est 


10  L.    GAUCHAT 

fait  et  ce  qui  reste  à  taire  dans  ce  domaine.  Le  principal 
avantage  des  textes  suivis  est  de  nous  fournir  en  quantité 
des  locutions,  des  tournures  caractéristiques,  des  nuances 
d'expression,  qu'il  est  bien  difficile  d'obtenir  dans  un  inter- 
rogatoire direct,  mais  que  le  contexte  fait  surgir  naturelle- 
ment. Or,  une  langue  n'est  pas  seulement  intéressante  par 
ses  mots  et  ses  formes,  mais  aussi  par  ses  tours  de  phrases 
et  ses  idiotismes.  C'est  par  eux  que  le  discours  s'anime  et 
se  colore.  Nous  faisons  notre  possible  pour  ne  pas  négliger 
ce  côté  original  et  parfois  poétique  des  dialectes. 

2.  Documents  d'archives 

Une  autre  source  écrite  qu'il  est  nécessaire  de  mettre  à 
contribution,  ce  sont  nos  documents  d'archives.  Quoique 
le  latin  et  le  français  aient  toujours  été  les  seules  langues 
employées  dans  les  actes,  nombre  d'entre  eux,  comme  les 
comptes,  testaments,  inventaires,  dépositions  de  témoins, 
etc.,  sont  souvent  émaillés  de  mots  patois,  plus  ou  moins 
francisés  ou  latinisés.  Comme  notre  littérature  patoise  ne 
remonte  guère  au  delà  du  XVIIP  siècle,  ces  mots  épars  peu- 
vent être  regardés  comme  la  prolongation  de  notre  tradition 
écrite  jusqu'au  XIIP  siècle  à  peu  près.  Nous  découvrons 
dans  ces  vieux  papiers  ou  parchemins,  non  seulement  les 
anciennes  formes,  utiles  à  connaître  pour  l'étymologie  et 
l'histoire  de  la  langue,  de  vocables  encore  existants  dans  le 
parler  vivant,  mais  une  foule  de  termes  tombés  en  désué- 
tude pour  une  raison  ou  pour  une  autre.  Malheureusement 
les  rédacteurs  ne  peuvent  pas,  à  côté  de  leurs  autres  beso- 
gnes, trouver  le  temps  nécessaire  à  l'exploration  systéma- 
tique des  archives  et  il  a  été  très  difficile  de  rencontrer  des 
collaborateurs   s'intéressant   à  ces    recherches,  qui  relèvent 


GLOSSAIRE    DES    PATOIS  II 

de  l'histoire  aussi  bien  que  de  la  linguistique.  Une  circu- 
laire adressée  aux  historiens  est  restée  sans  résultat.  Cepen- 
dant nous  ne  manquons  pas  de  matériaux  de  cette  espèce. 
Grâce  au  concours  de  MM.  A.  Millioud,  à  Lausanne, 
J.  Reymondeulaz,  à  Chamoson,  W.  Wavre  et  M"^  L.  Mo- 
rel,  à  Neuchâtel,  A.  Gros,  à  Neuveville,  F.  Fridelance,  à 
Porrentruy,  R.  Hoppeler  à  Zurich,  nous  possédons  environ 
40  000  fiches  extraites  de  documents  d'archives.  Lorsqu'il 
était  encore  sous-archiviste  à  Neuchâtel,  M.  Jeanjaquet  a 
dépouillé  lui-même  pas  mal  d'anciens  textes,  et  le  travail  a 
été  poursuivi  plus  tard  par  M"^  Morel,  de  sorte  que  le  gros 
de  la  besogne  peut  être  considéré  comme  achevé  pour  ce 
canton.  Pour  Vaud,  nous  disposons  de  la  très  riche  collec- 
tion que  M.  Millioud  a  réunie  pendant  de  longues  années. 
D'après  nos  directions,  M"''  Morel  a  fait  à  Genève  des  recher- 
ches méthodiques  qui  ont  notablement  enrichi  nos  collec- 
tions. Pour  Fribourg,  il  existe  un  vaste  recueil  fait  par  feu 
l'archiviste  J.  Schneuwly,  que  nous  pourrons  un  jour  mettre 
sur  fiches.  Evidemment  le  Glossaire  sera  avant  tout  le 
monument  de  la  langue  du  XYK.''  siècle,  mais  il  serait  regret- 
table qu'on  n'y  incorporât  pas  en  même  temps,  dans  la 
mesure  du  possible,  celle  des  siècles  antérieurs,  qui  fournit 
tant  d'enseignements  précieux  et  donnera  â  l'œuvre  une 
assise  plus  solide. 

3.  Recueils  lexicographiques 

La  Rédaction  a  recherché  partout  et  collectionné  avec 
soin  les  vocabulaires  manuscrits  déjà  existants.  Elle  en  a 
découvert  un  bon  nombre,  et  ce  ne  sera  pas  un  des  moin- 
dres mérites  du  Glossaire  que  d'avoir  sauvé  de  l'oubli  et 
mis    en    valeur    les    compilations    patientes    des    moines, 


12  L.    GAUCHAT 

pasteurs,  poètes  ou  autres  amateurs  de  patois  de  jadis,  aux- 
quels la  méthode  fait  généralement  défaut,  mais  qui  ont 
eu  l'avantage  de  vivre  à  une  époque  où  nos  dialectes 
étaient  encore  très  vivaces  et  moins  contaminés  de  français 
qu'aujourd'hui.  Quelques-unes  de  ces  anciennes  collections, 
dont  la  trace  a  été  relevée,  n'ont  pas  pu  être  retrouvées. 
Mais  le  nombre  de  celles  qui  restent  et  qui  ont  été  mises  à 
notre  disposition  est  déjà  respectable.  Il  y  en  a  pour  tous 
les  cantons.  Voici  les  plus  importantes  : 

\/aucl.  Vocabulaire  de  Louis  Dumur,  qui  a  été  pasteur 
à  Savigny,  deux  volumes  d'un  contenu  très  riche,  avec 
d'excellentes  définitions  ;  Vocabulaire  de  Rossinière,  par  le 
doyen  Henchoz,  soucieux  de  la  phonétique  locale. 

Valais.  Manuscrit  du  Grand-Saint-Bernard,  par  le  cha- 
noine Barman:  patois  de  Martigny,  mais  augmenté  de  nom- 
breux termes  d'autres  parties  du  canton. 

Genèue.  Glossaire  de  Victor  Duret,  auteur  d'une  Grain- 
maire  savoyarde. 

Fribourg.  Glossaire  gruyérien  du  poète  Louis  Borket, 
admirable  de  précision. 

NeuchâteL  Glossaire  du  Val-de-Ruz,  par  Georges 
QuiNCFiE,  qui  maniait  si  bien  le  patois  de  Valangin. 

Berne.  Vocabulaire  patois-français  et  français-patois  du 
dialecte  ajoulot,  par  F.  Guélat,  du  commencement  du 
XIX=  siècle. 

Deux  manuscrits  ont  été  publiés  :  celui  du  doyen  Bridel, 
par  les  soins  de  L.  Favrat,  en  1866;  et,  en  19 10,  le  Glossaire 
de  Blonay  de  M""^  L.  Odin,  revu  et  muni  d'une  préface  par 
M.  E.  Muret.  Le  Glossaire  a  encouragé  par  une  subvention 
cette  dernière  publication.  A  côté  de  ces  grands  recueils,  il 
y  en  a  une  quantité  d'autres,  de  moindre  importance, 
d'étendue    et  de  valeur   très  diverses.    On    en   trouvera  la 


GLOSSAIRE    DKS    PATOIS  13 

liste  dans  nos  Rapports  et  dans  le  tome  II  de  la  Bibliogra- 
phie. Plusieurs  philologues  qui  s'étaient  occupés  avant  nous 
des  patois  romands  se  sont  fait  un  devoir  de  nous  aban- 
donner leurs  trésors  ;  citons  entre  autres  MM.  J.  Cornu, 
J.  Gilliéron,  G.  Pfeift'er,  A.  Horning,  qui  ont  mis  à  notre 
disposition  leurs  riches  collections  provenant  de  la  Gruyère, 
de  Vissoye,  Lens  et  Panex.  A  l'heure  qu'il  est,  nous  pouvons 
nous  flatter  de  posséder  à  peu  près  tout  ce  qui  peut  exister 
dans  ce  domaine. 

4.    Enquête  par  questionnaires 

Ce  qui  distingue  notre  entreprise  d'autres  poursuivant  un 
but  analogue,  c'est  l'organisation,  sur  une  grande  échelle, 
d'une  enquête  svstématique  sur  le  patois  encore  parlé  au- 
jourd'hui. En  1899,  les  trois  rédacteurs  ont  parcouru  tout 
le  pays  à  la  recherche  de  correspondants.  Nous  avions  re- 
cueilli les  adhésions  d'environ  200  patoisants,  choisis  sur- 
tout parmi  les  instituteurs,  pasteurs,  curés  et  autres  notables, 
mais  aussi  parmi  de  simples  agriculteurs.  Quelques  dames 
étaient  du  nombre.  Malheureusement,  ce  beau  zèle  n'avait 
pas  de  racines  bien  profondes,  et  à  l'arrivée  des  premiers 
questionnaires,  les  défections  furent  nombreuses.  Pendant 
toute  la  durée  de  l'enquête,  nous  avons  eu  à  nous  préoccu- 
per de  combler  les  vides  laissés  par  des  démissionnaires  et 
de  remplacer  des  défunts.  Mais  une  bonne  trentaine  de  col- 
laborateurs de  la  première  heure  nous  sont  restés  fidèles 
jusqu'au  bout,  et  plusieurs  de  ceux  qui  ont  été  enrôlés  tar- 
divement ont  tenu  à  reprendre  toute  la  série  des  question- 
naires, de  sorte  que  nous  avons  toujours  travaillé  avec  envi- 
ron 80  correspondants.  Cette  besogne  régulière  était  de- 
venue pour  quelques-uns  un  vrai  besoin,  un  délassement,  et 


14  L.    GAUCHAT 

nous  avons  reçu  des  témoignages  touchants  d'attachement 
à  notre  œuvre.  Nous  ne  mentionnerons  que  le  cas  de  ce 
brave  vieillard  de  Vaulion,  qui,  «  couché  sur  son  dos,  <> 
passait  ses  dernières  heures  à  remplir,  d'une  main  trem- 
blante, les  fiches  du  Glossaire.  Plusieurs  correspondants  ont 
été  vivement  intéressés  par  leur  besogne  et  de  vrais  talents 
philologiques  se  sont  révélés.  Certains  d'entre  eux  se  sont 
mis  à  travailler  en  dehors  de  l'enquête  et  nous  ont  fourni 
des  matériaux  de  très  grande  valeur.  Citons  particulièrement 
MM.  F.  Fridelance  (Porrentruy),  L.  Ruffieux  (Gruyères), 
Fr.  Isabel  (Ormont-dessus),  A.  Piguet  (Le  Chenit),  A.  Ne- 
veu (Leysin),  M.  Gabbud  (Lourtier),  Pour  le  grand  nombre, 
les  résultats  sont  naturellement  très  inégaux  ;  la  plupart  ont 
fait  de  leur  mieux  ;  beaucoup  ont  des  mérites  spéciaux  : 
l'un  favorise  les  dérivés,  l'autre  les  locutions,  un  autre  en- 
core a  le  flair  des  mots  rares,  etc. 

Voici  comment  nous  avons  procédé  pour  l'application  de 
notre  système.  Au  début  de  chaque  mois  les  correspon- 
dants recevaient  par  la  poste  une  enveloppe  renfermant 
deux  questionnaires  imprimés,  un  carnet  à  souche  avec 
cent  fiches  détachables,  pour  inscrire  les  réponses,  et  une 
enveloppe  pour  le  renvoi.  Le  carnet  rempH  devait  nous  être 
réexpédié  jusqu'à  la  fin  du  mois.  Les  retardataires  étaient 
avertis  par  l'arrivée  des  questionnaires  suivants,  qui  se  sui- 
vaient avec  une  ponctualité  qui  faisait  dire  à  quelques-uns  : 
«  régulier  comme  le  Glossaire.  »  Néanmoins,  un  certain 
nombre  de  correspondants  ont  laissé  les  carnets  s'entasser 
et  ont  fini  par  se  décourager.  D'autres,  au  contraire,  nous 
demandaient  des  fiches  supplémentaires  ou  un  second  car- 
net pour  satisfaire  leur  désir  d'être  complets.  Pendant  les 
mois  de  juin  à  août,  saison  des  grands  travaux  de  la  cam- 
pagne, afin  de  décharger  nos  collaborateurs,  nous  ne  leur 


GLOSSAIRE   DKS    PATOIS  15 

envoyions  qu'un  seul  questionnaire.  Nos  fiches  ont  une 
grandeur  de  ii  cm.  sur  8  ^2.  Un  papier  de  couleur  diffé- 
rente est  employé  pour  chaque  canton,  de  sorte  qu'au 
moment  de  la  rédaction  la  nuance  indiquera  clairement  la 
provenance.  Le  Bureau  a  en  outre  muni  chaque  fiche  d'une 
estampille  indiquant  le  lieu  d'origine.  Ce  système  nous  a 
été  suggéré  par  les  rédacteurs  de  Vliiiotikon,  qui  se  plai- 
gnaient d'avoir  cà  recopier  leurs  sources  et  de  s'user  la  vue  à 
lire  des  écritures  trop  fines.  Comme  nos  correspondants  ne 
devaient  écrire  qu'un  mot  par  fiche,  leur  écriture  est  ordinai- 
rement grande  et  bien  lisible. 

L'enquête  ainsi  organisée  a  duré  onze  ans,  un  an  de  plus 
qu'il  n'était  prévu.  Elle  a  été  menée  parallèlement  dans  les 
six  cantons  romands.  Nous  avons  expédié  227  question- 
naires, dont  le  dernier,  d'un  autre  format,  se  rapporte  aux 
flexions  verbales.  Afin  d'être  sûrs  de  ne  rien  oublier,  nous 
avions  préalablement  divisé  toutes  les  notions  qui  consti- 
tuent le  monde  matériel  et  moral  en  groupes  homogènes  : 
le  corps  humain,  les  maladies,  le  caractère,  l'agriculture, 
etc.,  qui  se  subdivisent  suivant  les  besoins  en  sous-groupes. 
Ce  sont  ces  derniers  qui  faisaient  généralement  l'objet 
d'un  questionnaire.  Nous  avons  donc  demandé  successive- 
ment ce  qui  a  trait  aux  différents  animaux  domestiques,  à 
la  fabrication  du  beurre,  du  fromage,  etc.  L'élaboration  de 
ces  questionnaires  nous  a  coûté  beaucoup  de  peine,  et,  si  la 
chose  était  à  refaire,  nous  aurions  plusieurs  points  à  réfor- 
mer. Il  existe  bien  comme  guides  des  dictionnaires  idéolo- 
giques, mais  ils  sont  souvent  mal  conçus  et  ne  s'adaptent  pas 
aux  conditions  très  spéciales  de  la  Suisse  romande,  avec  ses 
mœurs  et  ses  industries  locales,  son  genre  de  vie  infiniment 
différencié.  Nous  avons  donc  dû  tirer  de  notre  expérience  et 
de  nos  connaissances  la  matière   de  nos    questionnaires.  La 


l6  L.    GAUCHAT 

tâche  en  a  été  facilitée  pour  ceux  qui  sont  venus  'es  nous, 
et  nous  avons  déjà  dû  envoyer  pour  des  entrepiise'^  Analogues 
à  la  nôtre  la  série  de  nos  questionnaires  en  Itali  en  Espa- 
gne, en  Autriche,  en  Allemagne  et  jusqu'au  Cann  .  M.  Gau- 
chat  a  eu  une  douce  émotion  en  retrouvant  à  B  elone  les 
débuts  d'une  entreprise  sur  les  dialectes  catalar  reprodui- 
sant la  nôtre  dans  ses  traits  fondamentaux.  Nos  collègues 
du  Vocabolario  délia  Syl^era  italiana  et  du  Glossaire  réio- 
roman  des  Grisons  ont  également  adopté  le  système  d'en- 
quête par  matières  et  par  correspondants  ;  mai?  ils  diffèrent 
de  nous  dans  certains  détails  d'application. 

Les  questionnai!  es  offrent  sûrement  des  av  '""tages  indé- 
niables sur  d'autres  procédés  :  ils  permettent  (  faire,  en  un 
laps  de  temps  calculable,  le  tour  du  vocahnl  e  ;  par  leur 
concentration,  ils  forcent  à  explorer  à  fond  chaque  domaine  ; 
ils  communiquent  la  vision  des  choses,  et  les  mots  s'appel- 
lent les  uns  les  autres.  Nous  avons  pu  constater  qu'à  l'aide 
de  questionnaires  un  patoisant  intelligent,  bien  guidé  et 
bien  stylé,  auquel  on  laisse  le  temps  ce  réfléchir,  est  à 
même  de  fournir  quelque  chose  de  très  remarquable,  sou- 
vent de  bien  supérieur  à  ce  que  peut  produire  l'interroga- 
tion directe  par  un  philologue,  si  expérimenté  soit-il.  Le 
meilleur  sujet  ne  saurait  trouver  à  brû'e-pourpoint  ses  lo- 
cutions rares  et  ses  proverbes  ;  il  y  a  des  domaines  entiers, 
comme  celui  des  facultés  intellectuelles,  de  la  santé,  etr  , 
qui  ne  donnent  que  de  mauvais  résultats  par  l'enquête  or  e. 
Celle-ci  exige  un  effort  considérable  pour  atteindre  un;' 
d'information  souvent  médiocre. 

Notre  enquête  par  questionnaires  adressés  à  plusieurs 
personnes  de  la  même  région,  a  aussi  mis  en  lumière  le 
fait  que  le  vocabulaire  des  patois  vivrnts  est  -nfiniment 
plus  riche  qu'on  ne  le  croyait  jusqu'à  ],iésent.  Toutes  nos 


GLOSSAIRE    DES    PATOIS  17 

prévisiû  à  cet  égard  ont  été  dépassées.  Ainsi  on  savait 
sans  do  e  qu'il  existe  une  grande  variété  d'expressions 
pour  dé  ^ner  les  états  de  la  folie  ou  de  l'ivresse.  Mais 
n'est-on  is  étonné  d'en  trouver  jusqu'à  120  pour  la  folie 
et  150  }.  dv  l'ivresse?  Et  qui  aurait  cru  que  dans  le  petit 
domaine  t  la  Suisse  romande  on  trouverait  de  25  à  30 
équivalents  patois  pour  chacune  des  idées  verbales  de 
<(  ruisseler  »,  «  mouiller  «,  «  barboter  »,  «  gicler  »,  «  accou- 
cher »,  «  .'orloter  »,  etc.  Bien  entendu,  il  s'agit  dans  ces 
chiffres  de  adicaux  différents,  il  n'est  pas  même  tenu  compte 
des  dérivés 

Un  poil  Taible  de  l'enquête  par  questionnaires,  c'est  as- 
surément i.e  la  transcription  des  correspondants  laisse 
souvent  fc  iésirer.  Au  début,  nous    avions  donné   des 

instructions  précises  pour  obtenir  une  graphie  uniforme, 
mais  nous  n'avons  pas  trop  insisté  dans  la  suite  auprès  de 
ceux  qui  ne  s'y  sont  pas  conformés  exactement.  Il  est  bon 
d'ajouter  que  les  relevés  phonétiques  que  nous  avons  faits 
nous-mêmes  dans  plus  de  300  localités  romandes  nous 
mettent  en  mesure  d'interpréter  sans  grandes  chances  d'er- 
reur les  graphies  les  moins  rationnelles. 

Les  réponses  de  nos  correspondants  constituent  environ 
les  deux  tiers  de  no;.  matériaux.  Ce  sera  donc  la  base  essen- 
tielle du  Glossaire,  et  nous  aurons  réalisé  notre  idéal  de 
l'aire  écrire  ce  livre  par  le  peuple  romand  lui-même.  Ce  que 

is  avons  pu  offrir  à  nos  vaillants  et  infatigables  coUabo- 

.  jrs,  en  compensation  de  leur  grande  peine,  est  bien  peu 
de  ^..ose  :  de  petites  gratifications  annuelles,  un  diplôme 
d'hc-.eur,  la  série  de  nos  Rapports  et  Bulletins,  —  et  l'assu- 
rance de  notre  profonde  gratitude.  Cela  a  suffi.  Mais  il  est 
juste  de  ^.roclame?  encore  une  fois  tout  ce  qu'ils  ont  fait,  par 
leurs  patientes  recherches,  pour  le  succès  de  notre  entreprise. 

^^•^  :    DES    PATOIS  2 


l8  L.    GAUCHAT 

A  côté  de  l'enquête  générale,  nous  avons  trouvé  bon  de 
faire  explorer  certains  domaines  difficiles  par  des  spécia- 
listes. C'est  le  cas  pour  la  médecine  populaire,  pour  laquelle 
nous  avons  mis  à  contribution  des  médecins,  des  pharma- 
ciens et  des  sages-femmes,  et  notamment  pour  la  botanique 
patoise,  où  des  connaisseurs,  MM.  H.  Savoy  (  Fribourg), 
M.  Besse  (Valais),  F.  Fridelance  (Berne)  nous  ont  prêté 
l'appui  de  leur  compétence  et  de  leur  zèle.  Enfin,  après 
avoir  exploré  en  groupes  tout  le  vocabulaire,  nous  avons 
comparé  notre  répertoire  des  mots  demandés  par  question- 
naires à  un  dictionnaire  français  pour  constater  s'il  y  avait 
des  lacunes.  Il  s'en  est  trouvé  quelques-unes,  mais  en  géné- 
ral les  questions  supplémentaires  sur  des  mots  divers  que 
nous  avons  adressées  à  nos  correspondants  concernaient 
plutôt  des  termes  savants  et  rares. 

5.  Enquêtes  sur  place 

Dans  les  contrées  où  toute  tentative  de  trouver  un  cor- 
respondant a  échoué,  —  et  elles  sont  assez  nombreuses,  — 
les  rédacteurs  ont,  autant  que  possible,  fait  eux-mêmes  des 
séjours  prolongés.  Attablés  avec  de  vieilles  personnes,  der- 
niers dépositaires  d'une  langue  oubliée,  ils  ont  enquêté  en 
prenant  pour  base  le  glossaire  d'une  région  voisine,  ou  les 
questionnaires,  ou  en  s'abandonnant  parfois  aux  hasards  de 
la  conversation,  en  se  faisant  montrer  des  objets  dès  long- 
temps remisés  au  grenier,  en  demandant  les  termes  des  mé- 
tiers, en  étudiant  sur  place  les  différentes  opérations  de  la 
vie  agricole.  Quels  délicieux  entretiens  leur  ont  souvent 
procurés  ces  investigations  dans  le  passé  et  quel  charme  ils 
ont  éprouvé  dans  ces  évocations  du  bon  vieux  temps  !  Du 
même  coup,  en  vivant  au  milieu  de  la  population   romande. 


GLOSSAIRE   DES    PATOIS  I9 

ils  se  sont  préparés  à  leur  grande  tâche  de  décrire  la  vie  lo- 
cale d'autrefois. 

Plusieurs  collaborateurs  occasionnels  nous  ont  courageu- 
sement aidés  dans  cette  besogne  :  MM.  A.  Rossât,  à  Deve- 
lier  (Berne),  J.-U.  Hubschmied,  au  Val-de-Travers,  E.  Fro- 
maigeat,  à  Sugiez  (Fribourg),  R.  Chassot,  à  Villarsiviriaux 
(Fribourg),  L.  Courthion,  à  Bagnes  (Valais  ),  M.  Gabbud,  à 
Vouvry  (Valais). 

6.  Provincialismes  romands 

La  dernière  source  à  utiliser  pour  l'élaboration  du  Glos- 
saire est  constituée  par  les  provincialismes  de  la  Suisse  ro- 
mande. Elle  fait  pendant  aux  mots  d'archives.  Ceux-ci  re- 
présentent les  premières  apparitions  écrites  du  patois,  en- 
core isolées,  timides,  souvent  déguisées  sous  une  forme  de- 
mi-latine ou  demi-française.  Ceux-là  en  sont  les  derniers 
vestiges,  honteux,  mis  à  l'index,  mais  aussi  recherchés  par 
des  hommes  de  lettres,  les  Mulhauser,  Ceresole,  Vallotton, 
Morax,  en  vue  de  donner  à  leurs  écrits  plus  de  saveur,  un 
bon  accent  du  terroir.  Ce  sont  ces  expressions  pittoresques 
telles  que  rebedoiiler,  greboler,  épécler,  et  mille  autres  que  les 
Romands  laissent  échapper  à  leur  insu,  parce  qu'ils  n'en  con- 
naissent pas  les  équivalents  français,  ou  qu'ils  emploient  à 
dessein,  parce  que  cet  équivalent  manque  ou  est  moins 
énergique.  Ces  mots  ont  suscité  de  vives  discussions  entre 
puristes  et  nationalistes.  Notre  tâche  n'est  pas  de  les  com- 
battre, mais  de  les  recueillir  soigneusement  de  la  bouche 
du  peuple,  dans  les  dictionnaires  de  provincialismes  et  de 
«  locutions  vicieuses  »  et  dans  notre  littérature.  Ils  sont  un 
signe  de  l'ancienne  vitalité  de  certains  mots  patois,  de  leur 
force  expressive;  ils  sont  quelquefois  les  seuls  témoins 
d'anciens  termes  tombés  en  désuétude. 


20  L.    GAUCHAT 

Dans  ce  domaine  aussi,  nous  avons  rencontré  de  pré- 
cieux auxiliaires.  MM.  W.  Pierrehumbert,  qui  recueille  de- 
puis longtemps  avec  patience  les  termes  du  cru,  A.  François, 
auteur  d'une  excellente  étude  sur  les  provincialismes  de 
J.-J,  Rousseau,  et  G.  Wissler,  qui  a  écrit  une  intéres- 
sante thèse  de  doctorat  sur  le  français  populaire  en  Suisse 
ont  bien  voulu  nous  permettre  de  prendre  copie  de  leurs 
collections. 

B.  LE  CLASSEMENT 

Bien  qu'il  nous  reste  encore  un  grand  nombre  d'im- 
primés et  de  manuscrits  à  dépouiller  et  que  nous  ayons 
quelques  glossaires  régionaux  à  terminer,  on  peut  cepen- 
dant considérer  la  période  de  l'enquête  comme  terminée. 
Qu'a-t-elle  produit?  Rien  ne  nous  a-t-il  échappé?  Il  est 
impossible  de  compter  nos  fiches  autrement  qu'en  gros. 
Nous  savons  ce  que  nos  boîtes  peuvent  renfermer  et  nous 
en  connaissons  le  nombre.  En  calculant  ainsi,  on  arrive  à 
un  total  approximatif  d'un  million  et  demi  de  fiches.  11  peut 
V  en  avoir  moins,  mais  aussi  davantage.  Malgré  ce  chitfre 
presque  effrayant,  nous  ne  nous  flattons  pas  d'avoir  tout 
recueilli.  Il  reste  forcément  des  coins  inexplorés.  Ainsi, 
dans  le  canton  de  Fribourg,  où  nous  avons  eu  la  plus 
grande  peine  à  découvrir  des  correspondants,  nous  sommes 
fort  bien  renseignés  sur  la  Gruyère,  mais  nous  le  sommes 
moins  sur  les  autres  parties  du  canton.  M.  Gauchat,  qui 
s'en  occupe  spécialement,  a  fait  lui-même  à  Estavayer  tout 
un  glossaire  local,  afin  de  combler  un  peu  cette  lacune.  Il 
en  aurait  fait  d'autres  encore,  s'il  était  possible  de  se  dé- 
doubler. Pour  ne  pas  retarder  indéfiniment  la  publication,  il 
était  nécessaire  de  fixer  un  terme  à   la  période   d'enquête. 


GLOSSAIRE    DES   PATOIS  2  1 

Du  reste,  grâce  au  système  employé,  nous  avons  tout  lieu 
de  croire  que  rien  de  bien  important  ne  nous  a  échappé. 
Quand  M.  Muret  s'enquiert  auprès  de  nous  du  sens  pro- 
bable des  noms  de  lieu  qu'il  explique,  le  Glossaire  peut 
presque  toujours  lui  fournir  d'abondants  renseignements. 
M.  le  Conseiller  aux  Etats  Python  demanda  un  jour  en  plai- 
santant si  nous  avions  déniché  le  mot  tapagolye,  qui  désigne 
un  individu  à  la  démarche  très  lourde  :  il  était  attesté  trois 
fois  dans  nos  fiches.  Dernièrement,  lorsque  le  Couleur  Van- 
dois  a  soulevé  le  petit  problème  de  la  signification  exacte  du 
terme  culinaire  tsergotsè,  le  Glossaire  ne  s'est  pas  trouvé 
pris  au  dépourvu. 

Il  s'agit  maintenant  de  coordonner  ces  innombrables 
fiches.  Il  n'est  pas  possible  de  publier  la  moindre  partie  du 
Glossaire  sous  une  forme  définitive  avant  d'avoir  classé  le 
tout.  Les  spécimens  d'articles  que  nous  avons  donnés  à  titre 
provisoire  sont  tous  à  remanier.  A  vouloir  trop  se  presser^ 
on  s'exposerait  à  retrouver  après  coup  quantité  de  fiches 
utiles,  pour  lesquelles  il  fiiudrait  foire  des  additions.  Nous 
voulons  éviter  autant  que  possible  ces  suppléments  fasti- 
dieux pour  les  chercheurs.  Une  fois  que  chaque  mot  sera 
bien  à  sa  place,  que  tous  les  renvois  seront  faits,  que  nous 
aurons  toutes  les  listes  de  synonymes,  alors  nous  pourrons 
aller  carrément  de  l'avant. 

La  période  que  nous  traversons  est  la  plus  ingrate.  Les 
matériaux  sont  recueillis  et  les  non  initiés  s'étonnent  de  ne 
rien  voir  paraître.  Le  travail  qui  s'accomplit  est  énorme, 
mais  il  se  fait  dans  le  silence  du  Bureau,  sans  que  rien 
trahisse  au  dehors  les  longues  et  délicates  manipulations  du 
classement.  Nous  avouons  franchement  que  nous  n'avions 
pas  évalué  à  sa  juste  mesure  cette  opération  difficile.  Mais 
aussi  n'avions-nous  pas  prévu  une  masse  pareille  de  maté- 


L.    GAUCHAT 


riaux.  Nous  ne  nous  attarderons  pas  à  décrire  en  détail  les 
multiples  opérations  du  classement,  qui  n'ont  cependant  pas 
été  pour  nous  un  moindre  casse-tête  que  l'organisation  de 
l'enquête.  Nos  Rapports  en  font  foi.  Nous  ne  dirons  ici  que 
l'essentiel. 

Les  mots  d'archives  (source  n°  2)  sont  réunis  par  ordre 
alphabétique  et  forment  un  groupe  à  part.  Ils  constituent 
pour  ainsi  dire  un  langage  spécial,  trop  différent  du  patois 
actuel  pour  y  être  incorporé  pendant  le  classement. 

Les  extraits  de  textes  et  les  glossaires  régionaux  (sour- 
ces I,  3,  5)  ont  été  d'abord  combinés  en  blocs  alphabétiques 
cantonaux.  Ce  travail  terminé,  on  a  ensuite  fusionné  les 
trois  cantons  dont  les  patois  sont  le  plus  rapprochés  :  Vaud, 
Fribourg  et  Neuchâtel,  qui  forment  actuellement  une  seule 
série.  Depuis  quelque  temps,  M.  Gauchat  est  occupé  à  y 
faire  entrer  les  trois  autres  cantons  et  le  français  populaire 
(source  6).  Comme  il  profite  de  cette  occasion  pour  pren- 
dre une  foule  de  notes  philologiques  de  toute  espèce,  notes 
qui  faciliteront  beaucoup  la  rédaction,  ce  travail  avance  très 
lentement,  d'autant  plus  que  M.  Gauchat  en  est  souvent  dé- 
tourné par  les  publications  en  cours. 

La  source  n°  4,  c'est-à-dire  les  réponses  des  correspon- 
dants, a  déjà  subi  une  première  transformation.  On  a  déta- 
ché les  fiches  des  carnets  à  souche  et  réuni  les  mots  iden- 
tiques dans  des  enveloppes  de  classement.  Le  classement 
primitif  par  cantons  n'existe  donc  plus,  mais  les  groupe- 
ments d'idées  subsistent. 

De  cette  façon,  nos  matériaux  ne  représenteront  bientôt 
plus  que  deux  grandes  séries  :  d'une  part,  les  sources  i,  3, 
5  et  6  ;  de  l'autre,  la  source  4.  La  réunion  finale  du  tout  en 
une  seule  série  alphabétique  n'est  pas  encore  commencée, 
mais  elle  ne  tardera  pas  à  l'être. 


GLOSSAIRE    DKS    PATOIS  23 

Il  serait  non  seulement  regrettable,  mais  impardonnable 
de  laisser  perdre  sans  en  tirer  parti  l'avantage  du  groupe- 
ment des  fiches  de  nos  correspondants  par  ordre  d'idées. 
Veut-on  savoir  comment  on  dit  chez  nous  pour  «  arc-en- 
ciel  «,  «  voie  lactée  »,  «  éclair  »,  «  tonnerre  »,  «  borgne  », 
«  aveugle  »,  «  loucher  »,  etc.,  on  n'a  qu'à  prendre  les 
boîtes  qui  correspondent  à  nos  questionnaires  asironomie 
populaire,  h  levips,  la  vue,  et  l'on  est  vite  renseigné  sur  les 
moindres  détails.  Nos  étudiants  qui  ont  fait  des  thèses  sur 
ces  matières  n'ont  pas  eu  besoin  de  parcourir  tous  nos  ma- 
tériaux. La  partie  la  plus  longue  de  leur  travail,  la  recherche 
des  termes,  était  déjà  faite.  Nous-mêmes,  nous  avons  large- 
ment mis  à  profit  cet  arrangement,  qui  constitue  l'origi- 
nalité de  notre  entreprise,  et  nous  avons  été  en  mesure  de 
répondre  sans  trop  de  perte  de  temps  aux  multiples 
demandes  de  renseignements  qui  nous  arrivent  de  tous  les 
pays.  A  supposer  qu'un  savant  veuille  connaître  les  appel- 
lations romandes  de  la  bardane,  nous  cherchons  sous  ce 
mot  et  nous  trouvons,  bien  réunis,  tous  les  noms  de  cette 
plante  qui  ont  été  relevés  par  nos  collaborateurs. 

Ce  n'est  pas  sans  regret  que  nous  verrons  se  disperser 
par  le  classement  alphabétique  ces  belles  collections  de  mots, 
où  tout  se  tient,  où  un  terme  explique  souvent  l'autre. 
Aussi  avons-nous  imaginé  un  moyen  de  conserver  la  subs- 
tance de  cet  arrangement,  destiné  à  disparaître.  Avant  de 
répartir  les  fiches  à  leur  place  alphabétique,  nous  notons 
dans  de  grands  cahiers,  que  nous  appelons  «  résumés  », 
tous  les  mots  et  périphrases  que  nos  correspondants  nous 
ont  fournis  comme  équivalents  patois  de  telle  ou  telle  idée 
indiquée  dans  nos  questionnaires.  Ces  «  résumés  »  consti- 
tueront donc  un  vaste  répertoire  de  la  synonymie  patoise, 
tel   qu'il  n'a  jamais   été  dressé,  que  nous    sachions,  pour 


24  L.    GAUCHAT 

aucun  groupe  de  dialectes.  L'élaboration  de  ces  résumés  est 
la  tâche  principale  de  M.  Tappolet,  qui  les  exécute  avec  le 
concours  de  plusieurs  étudiants  de  Bâle  et  de  Zurich.  A 
l'aide  de  ces  cahiers,  çà  et  là  illustrés  de  croquis,  il  sera 
facile  de  reconstruire  les  cadres  naturels  de  l''enquête  par 
questionnaires,  que  nous  fait  briser  la  dure  nécessité  du 
classement  alphabétique  des  fiches.  Inutile  de  dire  ici  toute 
l'importance  scientifique  d'un  pareil  répertoire  pour  étudier 
les  inombrables  problèmes  soulevés  par  l'action  phoné- 
tique, morphologique  ou  sémantique  que  peut  exercer  un 
mot  sur  un  autre. 

C.  PUBLICATIONS 

Nos  Questionnaires  et  nos  Rapports,  déjà  mentionnés, 
s'adressent  en  première  ligne  à  nos  correspondants  et  à 
nos  autorités  de  surveillance.  Nous  avons  cherché  à  attein- 
dre un  public  plus  étendu  par  le  Bulletin  du  Glossaire,  qui 
s'imprime  depuis  1902,  à  raison  d'au  moins  quatre  feuilles 
par  an,  et  qui  en  est  donc  aujourd'hui  à  sa  treizième  année. 
Malgré  son  nombre  de  pages  restreint,  ce  modeste  pério- 
dique a  rendu  des  services.  D'abord  à  nous-mêmes  :  il  nous 
a  fourni  l'occasion  de  faire  des  essais  de  transcription,  d'édi- 
tion de  textes,  de  recherches  étymologiques,  d'illustration 
et  de  rédaction  d'articles  du  Glossaire.  Il  a  ensuite  contribué 
à  entretenir  l'intérêt  pour  le  patois  chez  nos  abonnés  et  à 
initier  les  meilleurs  de  nos  correspondants  aux  méthodes 
philologiques;  il  a  permis  aux  autorités  qui  veulent  bien 
subventionner  notre  entreprise  de  se  tenir  au  courant  de 
nos  travaux.  Les  romanistes  eux-mêmes  n'ont  pas  jugé  né- 
gligeable notre  Bulletin  et  certains  d'entre  eux,  comme 
MM.  Paul  Meyer  et  Eugène  Herzog,  en    ont    parlé   avec 


GLOSSAIRE   DES    PATOIS  25 

éloges.  Le  dernier  lui  a  emprunté  quelques  textes  pour  sa 
chrestomathie  des  dialectes  français.  A  la  suite  de  demandes 
répétées,  les  premières  années  sont  aujourd'hui  épuisées. 
Soutenus  par  la  collaboration  de  plusieurs  romanistes  dis- 
tingués, nous  avons  osé  offrir  les  trois  dernières,  sous  le 
titre  à'Etreniies  helvéliennes,  en  hommage  à  iM.  le  profes- 
seur Hugo  Schuchardt,  à  Graz,  à  l'occasion  de  son  soixante- 
dixième  anniversaire. 

En  191 2,  nous  avons  ouvert  la  série  proprement  dite  des 
publications  du  Glossaire  par  le  premier  volume  de  notre 
Bibliographie  linguistique  de  la  Suisse  romande  (Neuchâtel, 
Attinger  frères,  éditeurs;  in-8°  de  x-291  pages).  Le  se- 
cond volume,  qui  doit  compléter  l'ouvrage,  est  sous  presse. 
Pour  nos  propres  besoins,  nous  avions  dû  dresser  un  inven- 
taire complet  des  nombreux  ouvrages  qui  ont  été  publiés 
sur  nos  patois  avant  et  pendant  notre  enquête,  de  toutes 
les  sources  à  utiliser  pour  le  Glossaire,  des  études  sur  nos 
provincialismes,  sur  les  noms  de  lieux  et  de  familles.  Nous 
avons  pensé  faire  œuvre  utile  en  publiant  ce  catalogue  d'ou- 
vrages qui  n'intéressent  pas  seulement  la  philologie,  mais 
aussi  l'ethnologie,  l'histoire  et  d'autres  disciplines  encore. 
Quand  le  Glossaire  paraîtra,  notre  Bibliographie  en  devien- 
dra un  complément  nécessaire  pour  connaître  la  valeur  dia- 
lectologique,  l'étendue,  le  lieu  d'origine  et  la  date  des  textes 
qui  y  seront  cités.  Tout  l'ouvrage  n'est,  au  fond,  pas  autre 
chose  que  l'énumération  raisonnée  des  sources  du  Glossaire. 
Nous  y  avons  joint  un  chapitre  de  portée  plus  générale  sur 
la  statistique  linguistique  de  notre  pays,  la  limite  du  français 
et  de  l'allemand  et  la  question  des  langues,  qui  échauffe 
par  moments  les  esprits.  Ce  chapitre  et  celui  de  la  littéra- 
ture patoise  remplissent  le  tome  premier,  déjà  paru,  qui  est 
accompagné  d'une  carte  linguistique  et  de  sept  fac-similés 


20  L.    GAUCHAT 

d'ouvrages  patois.  C'est  M.  Jeanjaquet  qui  est  surtout 
chargé  de  la  rédaction  de  la  Bibliographie. 

Nous  allons  livrer  à  l'impression  un  nouveau  volume,  qui 
renfermera  les  Relevés  phonétiques  hits  par  nous  dans  soixante- 
deux  localités  de  la  Suisse  romande,  choisies  de  façon  à 
donner  un  aperçu  assez  complet  de  la  prononciation  des 
principales  variétés  de  nos  patois.  Cette  phonétique  romande 
se  présentera  sous  la  forme  de  tableaux  comparatifs  des 
équivalents  d'environ  600  mots  types.  Nos  relevés  offriront 
cette  particularité  d'avoir  toujours  été  faits  simultanément 
par  deux  des  rédacteurs  du  Glossaire.  Le  texte  reproduira 
la  transcription  de  M.  Jeanjaquet,  qui  a  été  présent  partout, 
mais  toutes  les  divergences  du  second  rédacteur  seront 
signalées.  Ces  variantes  d'audition,  parfois  surprenantes, 
présentent  pour  le  linguiste  un  intérêt  que  relèvera  l'intro- 
duction. L'ouvrage  rendra  naturellement  aussi  de  grands 
services  comme  complément  du  Glossaire. 

U Atlas  linguistique  de  la  Suisse  romande,  en  préparation, 
doit  représenter  graphiquement,  par  des  teintes,  sur  80  cartes 
de  grand  format  (i  :  400  000),  les  traits  essentiels  de  la  pho- 
nétique de  nos  patois.  Ainsi,  la  carte-spécimen  clave,  «  clef», 
indique  ce  que  devient  en  pays  romand  le  groupe  initial  cl. 
Les  formes  de  ce  mot  sont  typiques,  c'est-à-dire  que  la 
généralité  des  autres  vocables  indigènes  commençant  par 
CL,  cloche,  clocher,  clair.,  clore,  clos,  etc.,  ont  la  même 
prononciation.  On  a  choisi  cette  carte  comme  exemple, 
parce  qu'elle  fait  mieux  voir  que  d'autres  l'extrême  diversité 
de  nos  dialectes.  La  base  de  l'ouvrage,  constituée  par  plus 
de  400  relevés  faits  en  Suisse  et  dans  les  pays  limitrophes, 
existe  depuis  plusieurs  années ,  et  nombre  de  cartes  ont 
déjà  été  établies.  Mais  les  frais  très  élevés  ont  empêché 
jusqu'ici  la  pubhcation.  Nous  espérons  néanmoins  que  cet 


GLOSSAIRE   DES    PATOIS  27 

obstacle  ne  sera  pas  insurmontable  et  que  nous  arriverons 
à  mettre  à  la  disposition  des  travailleurs  cet  Atlas,  dont 
l'intérêt  scientifique  est  incontestable.  Il  ne  ferait  pas  double 
emploi  avec  les  Relevés  dont  nous  venons  de  parler,  car 
nous  ne  pourrons  pas  représenter  tous  les  phénomènes 
phonétiques  par  des  cartes,  et  celles-ci  ne  donneront  pas 
la  prononciation  du  mot  entier,  mais  seulement  celle  du 
phonème  étudié.  Le  Glossaire  lui-même  tirerait  profit  de 
V Atlas,  aussi  bien  que  des  Relevés,  par  le  fait  que  des  renvois 
à  ces  ouvrages  permettraient  d'abréger  notablement  la  partie 
phonétique. 

Ce  que  ni  les  Relevés  ni  Y  Atlas  ne  peuvent  rendre,  l'in- 
tonation avec  toutes  ses  nuances,  pourra  être  conservé  aux 
générations  futures  par  la  collection  de  phonogrammes 
que  nous  avons  entreprise,  de  concert  avec  les  Archives 
phonographiqiies  suisses,  à  Zurich.  Dans  une  première  expé- 
rience, une  demi-douzaine  de  ces  phonogrammes  ont  enre- 
gistré les  différentes  variétés  de  patois  neuchâtelois. 

Quant  à  notre  œuvre  principale,  le  Glossaire  des  patois  de 
la  Suisse  romande,,  elle  demande  une  longue  série  d'essais 
et  de  tâtonnements.  Il  n'y  a  pas  pour  les  dictionnaires  de 
ce  genre  de  règles  toutes  faites,  qu'on  puisse  appliquer 
partout.  Chacun  a  sa  physionomie  propre  et  soulève  des 
difficultés  spéciales.  Elles  sont  particulièrement  nombreuses 
lorsqu'il  s'agit  d'une  langue  qui  varie  à  l'infini,  dont  la 
vitalité  diffère  énormément  suivant  les  lieux  et  que  personne 
n'avait  encore  étudiée  d'une  façon  approfondie.  Il  nous 
faut  chercher  notre  chemin.  Ce  n'est  que  par  l'expérimen- 
tation de  divers  systèmes  que  nous  pourrons  nous  rappro- 
cher du  but  à  atteindre.  Le  Glossaire  ne  se  fera  qu'une  fois. 
Il  est  donc  important  qu'il  réponde  aux  exigences  les  plus 
diverses,  de  la  simple  curiosité  du  passé  aux  hautes  aspira- 


L.    GAUCHAT 


tions  de  la  science  linguistique.  L'orientation  doit  en  être 
aussi  moderne  que  possible,  la  technique  simple  et  pratique. 
Aussi  le  Comité  de  Rédaction  et  la  Commission  philologique 
s'occupent-ils  depuis  plusieurs  années  des  principaux  pro- 
blèmes d'arrangement.  Pour  servir  de  base  aux  discussions 
qui  s'y  rapportent,  un  double  projet  a  été  élaboré  en  1907 
par  MM.  Gauchat  et  Jeanjaquet.  M.  Tappolet  a  soumis 
également  aux  Commissions  d'intéressantes  propositions 
sur  le  choix  des  formes  d'entêté  des  articles  et  sur  le  sys- 
tème à  adopter  pour  indiquer  l'aire  géographique  des  mots 
patois.  Pour  le  détail  de  ces  questions,  nous  renvoyons  à 
nos  Rapports.  Qu'il  nous  suffise  ici  de  résumer  les  principes 
généraux  qui  nous  ont  servi  de  direction  et  qui  se  dessi- 
nent de  plus  en  plus  nettement  à  mesure  que  nous 
avançons  : 

I"  Le  Glossaire  ne  sera  pas  une  œuvre  de  philologie 
pure  ;  il  devra  être  accessible  au  plus  grand  nombre  pos  ■ 
sible  de  lecteurs.  La  transcription  des  matériaux,  les  citations, 
les  définitions  auront  à  en  tenir  compte. 

2"  Les  articles  purement  lexicologiques  alterneront  avec 
d'autres,  de  nature  encyclopédique,  où  seront  retracées 
dans  leurs  traits  essentiels  les  conditions  particulières  de  la 
civilisation  romande  :  habitation,  nourriture,  vêtements,  jeux 
et  divertissements,  industries  spéciales,  etc.  Les  spécimens 
publiés  dans  le  Bulletin  montrent  la  voie  à  suivre. 

3"  Le  Glossaire  sera  illustré  par  des  dessins  et  des  repro- 
ductions de  photographies,  que  nous  rassemblons  depuis 
les  débuts  de  l'entreprise.  Ce  ne  sera  pas  un  simple  orne- 
ment, mais  une  partie  intégrante  de  l'œuvre.  Ces  illustra- 
tions préciseront  ce  qu'il  est  difficile  d'expliquer  clairement 
en  paroles  et  réuniront  en  tableaux  synoptiques  les  élé- 
ments que  dispersent  les  hasards  du  classement  alphabétique. 


GLOSSAIRE   DES   PATOIS  29 

Outre  les  publications  officielles  dont  il  a  été  question 
dans  les  pages  précédentes^  nous  pourrions  mentionner  un 
grand  nombre  d'études  spéciales  faites  en  marge  du  Glos- 
saire '•  éditions  de  textes  romands,  de  documents  d'archives  ; 
travaux  d'ensemble  sur  la  vitalité  de  nos  patois,  les  rapports 
entre  les  Romands  et  les  Allemands  qui  se  sont  rencontrés 
dans  nos  cantons  de  langue  française  ;  sur  différents  points 
de  la  grammaire  qui  offrent  un  intérêt  général  ;  mémoires 
sur  la  provenance  du  lexique  romand,  etc.  La  liste  de  tous 
ces  travaux,  dus  aux  membres  de  la  Commission  philologique 
et  aux  trois  rédacteurs,  occuperait  trop  de  place  ici.  Ceux 
qui  s'}'  intéressent  en  trouveront  l'énumération  dans  les 
deux  volumes  de  notre  Bibliographie.  Nous  les  avons  réunis 
en  vue  de  l'Exposition  nationale  de  cette  année,  où  l'on 
pourra  se  rendre  compte  qu'ils  forment  déjà  une  petite 
bibliothèque.  Nous  y  avons  fait  figurer  aussi  les  thèses  de 
doctorat  de  nos  étudiants  dans  lesquelles  les  matériaux  du 
Glossaire  ont  été  utilisés. 

Ceux  qui  auront  pris  la  peine  de  nous  lire  auront  pu  se 
convaincre  que  l'entreprise  du  Glossaire  est  extrêmement 
longue  et  compliquée  et  qu'elle  exige  un  effort  soutenu  et 
persévérant.  Nous  espérons  que  ces  pages  contribueront  à 
développer  la  sympathie  et  les  encouragements  que  notre 
oeuvre  a  rencontrés  jusqu'ici  et  dont  elle  a  plus  besoin  que 
jamais.  Nous  pouvons  envisager  avec  satisfaction  le  chemin 
parcouru.  Le  travail  ardu  de  la  récolte  a  été  couronné  de 
succès  et  un  point  capital  est  désormais  acquis  :  les  maté- 
riaux sont  réunis  et  sont  plus  riches  qu'on  n'eût  jamais  osé 
le  souhaiter.  Qu'on  veuille  bien  nous  faire  crédit  de  quelques 
années  encore  pour  la  mise  en  œuvre  et  l'utilisation  ration- 
nelle de  cts  richesses.  Ces  années  ne  seront  point  perdues, 


30  L.    GAUCHAT 

et  ce  serait  compromettre  les  résultats  que  de  vouloir  brû- 
ler les  étapes.  Les  rédacteurs  eux-mêmes  sont  les  premiers 
à  s'impatienter,  à  sentir  la  rapidité  des  années  qui  s'envo- 
lent et  à  souhaiter  l'achèvement  de  leur  instructive  et  atta- 
chante, mais  dure  et  lourde  besogne. 

Louis  Gauchat. 


->;<»<- 


ENQUETE  SUR  LES  NOMS  DE  LIEU 
ET  LES  NOMS  DE  FAMILLE 


Les  noms  propres,  noms  de  lieu  et  noms  de  peisonnes, 
ont  été  trop  longtemps  négligés  des  linguistes.  Formés  des 
mêmes  voyelles  et  des  mêmes  consonnes,  soumis  aux 
mêmes  règles  d'usage  que  les  autres  mots,  ils  participent 
avec  eux  au  perpétuel  et  insensible  changement  du  langage. 
Une  foule  de  noms  de  lieu  et  maint  nom  de  personne  ne 
sont  pas  autre  chose  que  des  noms  communs  ou  des  ad- 
jectifs, les  uns  encore  en  usage  en  français  ou  en  patois, 
les  autres  tombés  en  désuétude.  L'onomastique  s'éclaire 
par  la  connaissance  du  lexique  ancien  ou  dialectal  et  con- 
tribue à  l'enrichir  de  significations  et  de  mots  perdus.  Pour 
la  chronologie  de  nos  dialectes  sans  histoire  les  noms  pro- 
pres ont  une  importance  capitale.  Longtemps  avant  l'appa- 
rition de  nos  premiers  textes  patois,  lieux  et  gens  sont 
mentionnés,  tantôt  sous  une  forme  latinisée  ou  francisée 
qui  laisse  néanmoins  deviner  la  prononciation  vulgaire,  tan- 
tôt et  de  très  bonne  heure  sous  la  forme  vulgaire  elle- 
même,  diversement  et  plus  ou  moins  fidèlement  transcrite 
selon  les  habitudes  propres  à  chaque  siècle,  à  chaque  con- 
trée, à  chaque  individu.  Joints  aux  quelques  phrases  et  aux 
trop  rares  mots  patois  que  nous  otîrent  les  documents 
écrits  en  latin  ou  en  français,  ces  noms  de  lieu  et  ces  noms 


32  E.    MURET 

f 

de  personnes  sont  nos  plus  anciens  «  textes  de  langue  w.Jls 
jalonnent  les  étapes  successives  par  lesquelles  a  passé^le 
latin  parlé  dans  l'Helvétie  romaine  pour  aboutir  à  cette  va- 
riété bigarrée  de  patois  dont  s'émerveille  l'observateur  at- 
tentif des  dialectes  modernes  de  la  Suisse  romande. 

Les  mots  les  plus  usités,  les  plus  familiers  s'empruntent, 
s'échangent,  sont  sujets  à  se  modifier  sous  les  influences 
du  dehors.  Attachés  à  la  glèbe,  les  noms  de  lieu  nous  ap- 
paraissent comme  l'élément  le  plus  stable,  le  plus  résistant  et, 
pour  ainsi  dire,  comme  le  noyau  solide  de  chaque  parler 
local,  dont  parfois  ils  peuvent  seuls  nous  déceler  quelque 
trait  caractéristique.  Les  noms  de  personnes,  en  revanche, 
sont  aussi  peu  fixés  au  sol  que  les  hommes  eux-mêmec.  qui 
les  portent.  Il  n'y  en  a  point  qu'on  puisse  qualifier  d'au- 
tochtones, comme  les  plus  anciens  noms  de  lieu.  Non  seu- 
lement dans  nos  villes  cosmopolites,  mais  jusque  dans  les 
villages  les  plus  écartés,  des  familles  qui  passent  pour  indi- 
gènes et  anciennes  trahissent  par  leur  nom  leur  origine 
française,  savoyarde,  italienne  ou  allemande.  Néanmoins,  ces 
noms,  même  quand  ils  sont  de  date  assez  moderne,  ne  man- 
quent pas  d'intérêt  pour  le  linguiste.  Il  est  curieux  d'obser- 
ver dans  quelle  mesure  ils  ont  subi  les  modifications  ré- 
centes du  dialecte  ou  comment  ils  ont  été  accommodés  aux 
habitudes  de  la  prononciation  locale.  L'étude  des  noms  de 
personnes  est  d'ailleurs  inséparable  de  celle  des  noms  de 
lieu,  beaucoup  de  lieux  étant  dénommés  d'après  des  p^y 
sonnes  et  beaucoup  de  familles  tirant  leur  nom  de  leur  ré- 
sidence ou  de  leur  propriété. 

A  l'exemple  du  ScJm>ei~ericbes  Idioiikoii,  le  Glossaire  des 
patois  de  la  Suisse  romande  accueillera  les  noms,, de  lieu  et 
les  noms  de  personnes  dans  lesquels  on  peut  reconnaître 
des  emprunts  à  la  langue  commune.  Mais  le  plan  d'un  sem- 


EXQ.UETE    SUR    LES   XOMS    DE   LIEU  33 

blab  e  ouvrage  exclut  nécessairement  la  plupart  des  noms 
de  personnes,  tous  les  noms  de  lieu  dérivés  de  noms  de 
personnes,  tous  ceux  qui  proviennent  des  langues  parlées  en 
Htlvétie  'antérieurement  au  latin  continué  par  les  patois, 
tous  ceux  enfin  dont  l'origine  et  la  signification  nous  de- 
meurent inconnues.  Fallait-il  laisser  périr  sans  mémoire 
ces  précieux  vestiges  de  notre  passé,  tandis  que  l'on  con- 
sacre tant  de  peine  à  sauver  de  l'oubli  nos  patois  mourants  ? 
Recueillir  ces  noms,  sous  leur  forme  authentique,  de  la 
bouche  des  derniers  patoisants,  les  identifier  avec  les  men- 
tions fournies  par  les  anciens  documents,  en  retracer  l'his- 
toire, en  découvrir  la  signification  et  l'emploi  originel,  y  re- 
connaître l'empreinte  des  langues,  des  peuples,  des  civilisa- 
tions qui  se  sont  succédé  avant  nous  sur  le  sol  helvéti- 
que, n'est  pas  une  tdche  moins  belle,  moins  patriotique, 
moins  urgente  que  celle  qu'ont  assumée  M.  Gauchat  et  ses 
vaillants  collaborateurs  du  Glossaire  des  patois. 

Dès  la  première  séance  de  la  Commission  philologique 
du  Glossaire,  tenue  en  1899,  surgit  le  projet  d'un  diction- 
naire des  noms  de  lieu  de  la  Suisse  romande,  n'embrassant 
pas  seulement,  comme  les  Dictionnaires  topographiques  des 
départements  français,  tous  les  noms  de  lieux  habités,  avec 
leurs  anciennes  mentions,  mais  tous  les  lieux  dits,  en  pa- 
tois. En  i9oi,à  la  suite  d'un  intéressant  rapport  de  M.  Jules 
Vodoz,  qui  s'était  mis  à  l'œuvre,  encouragé  par  M.  Gauchat, 
dans  le  district  de  Neuchâtel,  M.  Ernest  Muret  fut  chargé 
u  Tganiser  une  vaste  enquête  sur  les  noms  de  lieu  et  les 
noms  de  famille  de  la  Suisse  romande,  et  l'année  suivante 
il  en  prit  la  direction.  La  bienveillance  que  le  public  et  les 
autorités  n'ont  cessé  de  témoigner  à  l'œuvre  du  Glossaire 
n'a  pas  manqué  à  l'entreprise  sœur.  Pour  y  fournir  les  res- 
sources nécessaires,  la  subvention   allouée  par  la  Confédé- 

GLOSSAIRE    DES    PATOIS  3 


34 


E.   MURET 


ration  au  Glossaire  a  été  augmentée.  Le  Service  topogra- 
phique nous  a  donné  la  plupart  des  cartes  indispensables.  A 
notre  demande,  les  gouvernements  de  Neuchâtel  et  de  Vaud 
ont  fait  dresser  dans  chaque  commune  la  liste  des  noms 
patronymiques  de  leurs  bourgeois;  et  l'archiviste  de  Berne 
a  mis  à  notre  disposition  un  répertoire  des  noms  de  fa- 
mille du  Jura.  Partout,  au  cadastre,  dans  les  dépôts  d'ar- 
chives, auprès  des  fonctionnaires  cantonaux  et  communaux, 
chez  les  particuliers,  nous  avons  trouvé  l'accueil  le  plus  em- 
pressé et  le  concours  le  plus  obligeant. 

Pour  donner  un  fondement  solide  à  l'enquête  sur  les 
noms  de  lieu,  on  a  tout  d'abord  fait  mettre  sur  fiches, 
dans  le  Jura  bernois  et  les  cantons  de  Fribourg,  de  Genève, 
de  Vaud  et  du  Valais,  tous  les  noms  usités  au  cadastre, 
avec  l'indication  de  la  date  et  des  folios  des  plans  et,  si  pos- 
sible, la  mention  de  la  nature  et  de  la  culture  du  sol  ou  des 
bâtiments  sis  sur  le  fonds.  Pour  le  canton  de  Neuchâtel, 
comme  il  existe  un  répertoire  imprimé  des  lieux  dits,  les 
fiches  se  font  au  fur  et  à  mesure  des  besoins.  En  Valais,  le 
dépouillement  des  plans  cadastraux  n'est  pas  encore' achevé, 
parce  que  la  plupart  n'ont  été  levés  qu'en  ces  dernières  an- 
nées. Mais,  dans  toutes  les  communes  où  ils  faisaient  dé- 
faut en  1902,  des  personnes  complaisantes  ont  recueilli 
pour  nous  les  noms  contenus  dans  les  registres  de  l'impôt 
foncier,  avec  toutes  les  variantes  où  se  perpétue  jusqu'à  nos 
jours  l'anarchie  orthographique  du  bon  vieux  temps. 

On  a  également  dépouillé  les  plans  d'aménagement  des 
forêts  du  \'^alais  et  d'une  partie  des  forêts  vaudoises  et,  re- 
montant dans  le  passé,  un  grand  nombre  de  plans  du  XVIP 
et  du  XVIIP  siècle  et  du  commencement  du  XIX%  con- 
servés aux  Archives  d'Etat  de  Fribourg  et  de  Genève,  au 
château  de  Porrentruy,  à  l'abbaye  de  Saint-Maurice  et  dans 


ENQUETE    SUR   LES    NOMS    DE   LIEU  35 

les  archives  des  communes.  Le  plus  gros  de  cette  besogne  a 
été  accompli,  de  1902  à  1906,  par  iM.  Walther  Meylan,  dont 
la  retraite  a  été  une  grande  perte  pour  nous;  car  il  reste  à 
dépouiller  la  plupart  des  anciens  plans  conservés  à  Fribourg 
et  tous  ceux  des  Archives  cantonales  vaudoises.  Les  docu- 
ments antérieurs,  reconnaissances  de  fiefs  et  de  dîmes,  gros- 
ses et  registres  de  notaires,  ne  pourront  être  étudiés  que 
plus  tard.  Cependant,  M.  Vodoz  en  a  fait  des  extraits  aux 
.archives  de  Neuchàtel,  et  M.  Albert  Burmeister  a  diligem- 
ment exploré  toutes  les  archives  communales  des  districts 
d'Avenches  et  de  Payerne.  A  plusieurs  reprises  des  amis 
de  notre  œuvre  ont  bien  voulu  nous  communiquer  leurs 
extraits  de  documents  manuscrits  ;  et  les  quelque  vingt 
mille  fiches  cédées  par  M.  Alfred  Millioud  au  Glossaire  des 
patois  contiennent  une  foule  d'anciennes  mentions  de  lieux 
et  de  personnes.  Le  directeur  de  l'enquête  dépouille  les 
documents  imprimés,  les  grandes  collections  historiques. 
Beaucoup  de  lieux  dits  non  identifiés  par  les  historiens  trou- 
vent immédiatement  leur  place  sur  les  fiches  centralisées 
entre  ses  mains  au  retour  du  cadastre,  des  archives  et  des 
enquêtes  locales. 

L'enquête  sur  le  terrain,  la  chasse  aux  formes  locales,  pa- 
toises,  qui  est  notre  tâche  principale  et  la  plus  urgente,  se 
poursuit  durant  la  belle  saison,  chaque  année,  depuis  1900, 
mais  ne  progresse  que  très  lentement,  faute  de  collabora- 
teurs. M.  Vodoz  a  dû  malheureusement,  à  cause  de  l'état 
de  sa  santé,  renoncer  en  1903  à  ses  recherches  dans  le  can- 
ton de  Neuchàtel.  Réclamés  par  d'autres  devoirs,  MM.  Gau- 
chat,  Jeanjaquet,  Tappolet,  Adrien  Taverney  n'ont  pu  nous 
prêter  qu'un  concours  momentané,  dont  nous  leur  savons 
beaucoup  de  gré.  M.  Burmeister,  en  visitant  les  archives 
du  district  de  Payerne,  n'a  pas  négligé  de  s'enquérir  du  pa- 


;^6  E.    MURET 

tois  local.  Plusieurs  correspondants  du  Glossaire  ont  fourni 
d'utiles,  voire  même  d'importantes  contributions  :  M.  Fran- 
çois Isabel  a  recueilli  les  noms  du  district  d'Aigle  et  du 
Pays  d'Enhaut,  M.  Maurice  Gabbud  ceux  de  la  vallée  de 
Bagnes.  Mais,  seuls,  le  directeur  de  l'enquête  et,  depuis 
1906,  M.  Franz  Fankhauser  ont  pu  fournir  une  collabora- 
tion ininterrompue.  L'un  a  parcouru  tout  le  Valais  de  lan- 
gue romane,  presque  tout  le  Jura  vaudois,  plusieurs  com- 
munes vaudoises  et  fribourgeoises  aux  alentours  de  Vevey  ; 
enfin,  accompagné  de  quelques-uns  de  ses  élèves  de  l'Univer- 
sité de  Genève,  plusieurs  communes  de  la  campagne  gene- 
voise. L'autre  a  exploré  toute  la  Gruyère  et  la  rive  droite 
de  la  Sarine  jusqu'aux  environs  de  Fribourg.  Dialectologue 
expérimenté,  il  a  bien  voulu  se  charger  à  plusieurs  repri- 
ses de  contrôler  les  enquêtes  d'autrui  dans  le  canton  de 
Vaud  et  en  Valais. 

Ces  études  vagabondes ,  cette  école  buissonnière,  qui 
nous  montrent  tour  à  tour  les  aspects  riants  et  les  aspects 
sévères  de  la  terre  natale,  sont  pleines  de  charme  et  d'inté- 
rêt. Mais  il  ne  faut  pas  être  pressé.  Les  distances,  les  com- 
munications malaisées,  la  difficulté  de  trouver  de  bons 
«  sujets  »  font  perdre  beaucoup  de  temps.  L'on  s'adresse  de 
préférence  aux  vieillards,  aux  hommes  qui  ont  été  mêlés 
aux  affaires  publiques.  Pour  les  noms  de  famille,  sans  ou- 
blier les  dérivés  féminins  que  les  patois  ont  tirés  de  plu- 
sieurs d'entre  eux,  point  n'est  besoin  de  longs  interroga- 
toires; mais  des  heures,  des  journées  entières  se  passent 
avant  qu'on  ait  épuisé  la  kyrielle  des  noms  de  lieu,  qui  se 
comptent  par  dizaines  et  par  centaines.  Il  ne  s'agit  pas  seu- 
lement d'en  noter  aussi  exactement  que  possible  la  pronon- 
ciation locale,  qui  est  la  clef  des  anciennes  graphies  et  la 
pierre  de  touche  de  l'étymologie,  mais   d'obtenir  tous    les 


ENQ.UETE    SUR   LES    NOMS    DE    LIEU  37 

renseignements  qui  peuvent  nous  éclairer  sur  leur  significa- 
tion et  leur  usage,  parfois  assez  différent  de  celui  qu'y  at- 
tribuent les  cartes,  les  géographes  et  les  touristes.  La  vue 
des  lieux  importe  moins  que  le  commerce  familier  avec  les 
gens  qui  les  fréquentent.  En  parcourant  le  pays,  en  ques- 
tionnant les  gardes  champêtres  et  les  gardes  forestiers,  les 
pâtres,  les  chasseurs,  nous  avons  recueilli  en  Valais  des 
milliers  de  noms  rarement  ou  jamais  écrits  et  perpétués 
seulement  par  la  tradition  orale. 

Dans  mainte  commune  il  n'y  a  plus  personne  ou  presque 
personne  qui  sache  encore  le  patois.  Mais  le  français  local 
conserve,  en  général,  assez  fidèlement  la  prononciation  tra- 
ditionnelle des  noms  propres  pour  qu'on  puisse  et  qu'on 
doive  y  recourir,  à  défaut  du  patois  dégénéré  ou  éteint.  Les 
communes  voisines  fournissent  quelquefois  les  formes  pa- 
toises  qui  manquent  sur  place.  On  a  demandé  à  Blonay  et 
à  Saint-Légier  les  noms  veveysans,  à  Savièse  ceux  de  Sion. 
Tout  comme  les  autres  mots,  les  noms  de  lieu  sont  pro- 
noncés différemment,  quand  les  localités  qu'ils  désignent 
sont  connues  de  personnes  parlant  des  patois  différents. 
Nous  enregistrons  avec  soin  ces  variantes,  très  intéres- 
santes pour  la  comparaison  des  dialectes  et  précieuses  pour 
la  recherche  et  le  contrôle  des  étymologies.  Nous  en  avons 
recueilli  à  la  frontière  française  et  à  la  frontière  d'Italie. 
Nous  avons  même  franchi  à  plusieurs  reprises  la  limite  des 
langues  pour  nous  enquérir  de  la  prononciation  allemande 
de  noms  de  lieu  fribourgeois,  vaudois  et  valaisans,  en 
même  temps  que  pour  retrouver  d'anciens  noms  romans, 
parfois  à  peine  altérés  en  bouche  germanique. 

A  ce  jour,  plus  de  deux  cent  cinquante  communes  ont 
été  visitées.  On  atteint  presque  le  chiffre  de  trois  cents,  si 
Ton   fait  entrer   en  ligne  de  compte  les  enquêtes  incom- 


38  E.    MURET 

plètes  OU  seulement  amorcées  et  les  matériaux  fournis  par 
correspondance.  Mais,  comme  il  y  a  en  Suisse  de  neut 
cents  à  mille  communes  de  langue  française,  on  voit  qu'il 
reste  énormément  à  faire,  avec  de  faibles  ressources  en 
argent  et  en  hommes.  Les  noms  recueillis  ne  sont  pas  en- 
core tous  mis  sur  fiches,  et  le  loisir  nous  a  manqué  jusqu'à 
présent  pour  en  entreprendre  le  classement  systématique, 
qui  sera  un  travail  de  longue  haleine.  En  attendant,  nous 
pouvons  recourir  à  un  répertoire  alphabétique  de  tous  les 
lieux  dits  du  canton  de  Vaud  qu'avait  dressé  pour  son  usage 
personnel  M.  Edouard  Burnet  et  qu'il  a  généreusement  mis 
à  notre  disposition.  Très  versé  dans  les  questions  de  chro- 
nologie, M.  Burnet  nous  rend  de  grands  services,  en  vou- 
lant bien  vérifier  les  dates  des  mentions  de  lieux  et  de  per- 
sonnes recueillies  par  nous  dans  les  documents  du  moyen 
âge.  Qu'il  veuille  bien  recevoir  ici,  avec  tous  nos  collabo- 
rateurs et  correspondants,  l'assurance  de  notre  très  cordiale 
reconnaissance  ! 

Il  ne  suffit  pas  de  rassembler  des  matériaux  pour  une 
oeuvre  future  que  nous  risquons  de  ne  pas  voir  achevée.  Il 
faut  tâcher  d'en  tirer  parti  dès  à  présent  pour  l'avancement 
de  la  science.  M.  Fankhauser,  dans  sa  thèse  de  docteur  sur 
le  patois  de  Val  d'Illiez,  a  très  largement  et  très  intelligem- 
ment mis  à  profit  les  noms  de  lieu  recueillis  dans  cette  ré- 
gion du  Valais.  Le  directeur  de  l'enquête  a  contribué  à  la 
nomenclature  de  la  carte  Lavey-Morcles  au  25  ooo*^  (1908) 
et  fournit  au  Dictionnaire  historique,  géographique  et  statis- 
tique du  Canton  de  Vaud,  en  cours  de  publication  depuis 
191 1,  des  notices  historiques  et  étymologiques  sur  les  prin- 
cipaux noms  de  lieu.  Quelques-uns  des  résultats  où  l'ont 
conduit  ses  études  onomastiques  sont  consignés  dans  divers 
mémoires  publiés  en  ces  dernières  années. 


ENQ.UETE    SUR   LES    NOMS    DE  LIEU  39 

Dans  une  carte  destinée  à  figurer  à  l'Exposition  de  Berne, 
on  a  tenté  de  mettre  sous  les  yeux  du  public,  en  une  syn- 
thèse provisoire,  les  principales  données  historiques  fournies 
par  notre  enquête  sur  les  noms  de  lieu.  Des  traits  de  cou- 
leur différente  marquent  l'origine  probable  de  la  plupart  des 
noms  de  communes  et  de  paroisses  des  cantons  du  Valais, 
de  Genève,  de  Fribourg  et  de  Vaud  et  des  districts  neuchà- 
telois  de  Boudry  et  du  Val-de-Travers,  la  part  que  l'on 
peut  attribuer  aux  habitants  préhistoriques  de  nos  contrées, 
aux  Celtes,  à  Rome,  au  christianisme,  aux  établissements 
germaniques  et  au  moyen  âge  dans  la  formation  de  notre 
nomenclature  géographique.  L'auteur  ne  se  dissimule  pas  les 
imperfections  de  ce  travail,  qu'il  n'aurait  pu  entreprendre 
sans  les  travaux  antérieurs  de  Gatschet,  de  M.  Jean  Stadel- 
mann  et  de  M.  Jaccard,  ni  sans  les  matériaux  de  compa- 
raison mis  à  sa  disposition  par  le  Glossaire  des  patois. 

Ernest  Muret. 


^rr:^^^ 


SYNONYMIE  PATOISE 

(sommeil,  jour  et  nuit,  lait  et  fromage) 

-♦- 

INTRODUCTION 

Pendant  onze  ans,  nos  correspondants  ont  répondu  infatiga- 
blement à  nos  questionnaires.  Plusieurs  articles  du  Bulletin 
leur  ont  déjà  présenté  le  résultat  de  leurs  vaillants  efforts.  Ici 
nous  désirons  attirer  plus  particulièrement  l'attention  du  lec- 
teur sur  l'étonnante  richesse  du  vocabulaire  patois  en  publiant 
quelques  spécimens  de  la  synonymie  patoise  telle  qu'elle  ré- 
sulte directement  de  notre  enquête  par  questionnaires.  Le  lec- 
teur de  nos  Rapports  se  souviendra  que  les  réponses  de  nos 
correspondants  aussitôt  rentrées  ont  été  classées  par  ordre 
d'idée  et  inscrites  dans  des  cahiers  grand  format,  appelés 
résumés,  qui  permettent  de  trouver  en  un  tour  de  main  les 
équivalents  patois  pour  telle  ou  telle  idéedonnée.  Ce  sont  ces 
cahiers  qui  ont  servi  de  base  aux  tableaux  qu'on  trouvera  ci- 
après. 

Par  synonymie  patoise  nous  entendons  deux  catégories  de 
synonymes  : 

1.  Les  synonymes  proprement  dits,  au  sens  usuel  du 
terme,  c.-à-d.  des  mots,  locutions  ou  périphrases  qui  se  pré- 
sentent à  l'esprit  des  patoisants  d'une  même  région  plus  ou 
moins  déterminée,  dès  (ju'il  s'agit  d'exprimer  telle  ou  telle  idée; 
par  exemple  :  porc  et  kayon,  cailler  et  trancher  (le  lait)  ;  mettre 
et  ,  bouter  '  sont  synonymes  dans  la  plus  grande  partie  de  la 
Suisse  romande. 

2.  Les  équivalents  patois,  c.-à-d.  des  termes  plus  ou 
moins  synonymes,  mais  occupant  une  aire  géographique  difTé- 

4 


42  E.    TAPPOLET 

rente.  Ainsi  l'idée  de  ,  regain  '  se  rend  dans  les  cantons  sud 
par  r^kor,  dans  le  Jura  bernois  par  vottayin.  Il  en  est  de  même 
pour  les  idées  de  ^  brebis ',  Jument',  taureau'  et  beaucoup 
d'autres.  Les  trois  termes  signifiant  ,  traire  ',  arya,  trioèdre  et 
traire,  ont  chacun  leur  domaine  géographique  assez  bien  déter- 
miné. 

La  différence  essentielle  entre  ces  deux  catégories  est  celle 
que  les  ,  synonymes  '  sont  concurremment  à  la  disposition  des 
patoisants  de  telle  ou  telle  région,  tandis  que  les  ,  équivalents  ' 
ne  font  pas  partie  du  vocabulaire  usuel  du  même  individu, 
(exception  faite  de  certains  villages  situés  à  la  limite  des  aires 
lexicologiques). 

Dans  nos  tableaux,  nous  n'avons  pu  tenir  compte  de  cette 
différence  que  d'une  façon  très  sommaire,  en  indiquant  la 
répartition  du  mot  par  canton.  Le  futur  Glossaire,  qui  con- 
tiendra pour  chaque  mot  des  indications  précises,  permettra 
mieux  de  se  renseigner  sur  la  synonymie  réelle  ou  fictive  de 
telle  ou  telle  région. 

Outre  les  ^  synonymes  '  et  les  ,  équivalents  ',  nos  tableaux 
présentent  par  ci  par  là  des  nomenclatures,  par  exemple 
pour  les  vases  à  transporter  le  lait  ou  à  conserver  la  présure. 
Ici  il  ne  s'agit  pas,  à  proprement  parler,  d'un  seul  et  même 
objet  dénommé  différemment,  mais  bien  d'un  objet  qui  varie 
souvent  de  forme  et  de  matière,  selon  les  habitudes  locales. 
,  Tonneau  '  et  ^  bouteille  '  ne  sont  guère, des  synonymes.  S'ils 
figurent  dans  nos  tableaux  sur  la  même  ligne,  c'est  qu'ils  ser- 
vent tous  les  deux  de  récipient  à  la  présure.  On  peut  les  con- 
sidérer comme  synonymes  par  leur  destination.  C'est  dans  ce 
sens  que  nous  avons  accordé  une  place  à  ces  ,  nomenclatures  ', 
qu'il  aurait  été  fâcheux  d'en  exclure  par  esprit  de  principe, 
puisqu'elles  complètent  très  heureusement  la  terminologie  de 
tel  ou  tel  groupe  d'idées. 

Il  est  facile  de  montrer  que  ces  tableaux  sont  de  la  plus 
haute  importance  scientifique.  Pouvoir  embrasser  d'un   coup 


SYNONYMIE    PATOISE 


43 


d'œil  pour  n'importe  quelle  idée  tous  les  e'quivalents,  tant  les 
radicaux  que  les  dérivés,  c'est  un  avantage  inappréciable  pour 
le  linguistemoderne,  qui  sait  combien  sont  multiples  les  aspects 
sous  lesquels  se  présentent  les  choses,  combien  sont  variées 
les  influences  qu'exercent  l'un  sur  l'autre  les  synonymes  d'un 
mot  donné.  Examinons  le  premier  groupe  de  problèmes  : 

I.  Le  point  de  vue  onomasiologique,  soit  l'ensemble 
des  problèmes  qui  essaient  d'expliquer  psychologiquement  les 
moyens  d'expression  (mots,  tournures,  périphrases)  dont  dis- 
pose la  langue  pour  tel  ou  tel  objet,  action  ou  idée.  C'est  à 
ce  point  de  vue  que  sont  conçus  plusieurs  articles  de  notre 
Bulletin^.  Les  tableaux  que  nous  possédons  donneront  lieu  à 
une  foule  de  recherches  semblables.  Rien  de  plus  suggestif 
que  ces  groupes  de  synonymes. 

Ce  qui  frappe  en  première  ligne,  c'est  l'inégalité  du 
nombre  des  termes  pour  des  idées  qui,  à  première  vue, 
semblent  être  sur  le  même  plan.  Pourquoi,  pour  citer  quelques 
exemples,  trouvons-nous  dans  les  patois  romands  si  peu  de 
mots  pour  ^  étalon  '  et  pour  ^  verrat  ',  à  côté  de  près  d'une 
vingtaine  pour  ,  taureau'  et  pour  ,  bélier"?  Pourtant  ces  quatre 
animaux  exercent  la  même  fonction,  ils  sont  les  reproducteurs 
de  leur  espèce.  L'inégalité  constatée  s'explique  par  le  fait  que 
l'étalon  et  le  verrat,  rarement  visibles,  passent  plus  ou  moins 
inaperçus,  tandis  que  le  taureau  et  le  bélier  frappent  bien  autre- 
ment l'imagination,  tantôt  par  le  rôle  économique  qu'ils  jouent^ 
tantôt  par  l'aspect  physique  qu'ils  présentent  -.  —  L'année  se 
divise  en  quatre  saisons  de  durée  plus  ou  moins  égale.  Pour- 


•  Les  quatre  saisons  (année  III),  une  volée  de  coups  (V),  le  fromage 
et  ses  espèces  (VI),  la  fenaison,  les  clochettes  de  vache  (VIII),  l'idée 
d',  importuner  '  (IX),  le  regain  et  la  pâture  d'automne  (X),  les  poissons 
(XI).  —  Il  serait  trop  long  d'énumérer  tous  les  autres  travaux  de  ce 
genre. 

-  Pour  de  plus  amples  développements,  voir  l'article  de  l'auteur  à  ce 
s\i']et  dans  Arcbiv  fur  das  Studium  der  ueueren  Sprachev  CXXX  (191?), 
p.  81-124. 


44  E.   TAPPOLET 

quoi  constatons-nous  dans  la  Suisse  romande  une  parfaite  stabi- 
lité de  termes  pour  ^  été  '  et  ^  hiver  ',  à  côté  d'une  variété  surpre- 
nante de  mots  pour  ,  printemps  '  et  ,  automne  '  ?  C'est  que  l'été 
et  l'hiver  sont  les  grands  contrastes  nettement  déterminés  de 
l'année,  tandis  que  les  saisons  intermédiaires,  printemps  et 
automne,  ont  un  caractère  plus  flottant,  plus  irrégulier,  mal 
défini.  Ajoutez  à  cela  que  dans  une  population  agricole  et 
montagnarde  le  printemps,  dont  l'arrivée  dégage  des  senti- 
ments intenses  de  joie  et  de  bien-être,  est  forcément  une 
source  féconde  d'inspiration  linguistique.  —  Nous  observons 
d'ailleurs  une  situation  analogue  dans  notre  tableau  Jour  et 
nuit'.  Pour  le  grand  contraste,  la  langue  est  conservatrice, 
nos  patois  ont  tous  gardé  les  termes  latins  diurnus  (lat.  popu- 
laire) et  nox,  qu'ils  emploient  exclusivement.  Grande  est  par 
contre  la  variété  pour  les  périodes  intermédiaires  entre  jour  et 
nuit,  tant  le  matin  (aube,  pointe  du  jour,  etc.)  que  le  soir  (cré- 
puscule, tombée  de  la  nuit,  etc.),  moins  cependant  le  matin 
que  le  soir,  car,  quelque  matinal  que  puisse  être  le  paysan,  la 
tombée  de  la  nuit  jouera  toujours  dans  sa  vie  sociale  et  profes- 
sionnelle un  rôle  plus  important  que  l'arrivée  du  jour.  Par  des 
raisons  analogues  s'expliquera  sans  doute  la  richesse  de  mots 
et  de  dérivés  pour  ,soir',  par  opposition  au  seul  ,  matin',  et 
pour  ^  après-midi'  par  opposition  à  ^  matinée  '. 

Parmi  les  idées  qui  par  leur  nature  ne  se  laissent  guère  coor- 
donner à  d'autres,  il  y  en  a  beaucoup  qui  offrent  une  richesse 
inattendue.  A  quoi  bon  tant  de  mots  pour  ^  le  résidu  du  lait 
bouilli  qui  s'attache  aux  parois  du  récipient  ',  pour  ^  les  gru- 
meaux du  lait  caillé  ',  pour  ^  les  rognures  du  fromage  mis  en 
forme  ',  pour  ^  l'écume  du  lait  qu'on  vient  de  traire  ',  etc.  ?  Dans 
tous  ces  cas,  il  s'agit  de  choses  accessoires,  irrégulières,  mal 
définies  et  variables  de  forme,  qui,  réunies  en  masse,  présentent 
un  aspect  hétérogène.  Ce  caractère  indéterminé  de  la  chose 
semble  se  trahir  dans  l'expression  linguistique  :  chacun  la 
nomme  comme  il  lui  plaît,  le  choix  du  terme  est  sans  consé- 
quence; la  chose  étant  du  reste  d'un  intérêt  assez  médiocre  et 


SYNONYMIE   PATOISE  45 

passager,  on  n'éprouve  pas  le  besoin  de  la  désigner  par  un 
terme  uniforme  ;  aussi  la  langue  littéraire  manque-t-elle  de 
terme  consacré.  Ces  petits  produits  accessoires  sont  pour  ainsi 
dire  à  la  merci  de  la  création  individuelle. 

Une  autre  cause  de  la  richesse  dans  l'expression,  c'est 
l'intensité  du  sentiment.  Si  quelqu'un  vous  ennuie,  vous 
l'envoyez  promener  tout  court,  mais  s'il  revient  à  la  charge, 
vous  vous  impatientez,  et,  inspiré  par  ce  mouvement,  vous 
l'appelez  :  îneule  ou  segneule,  vieille  scie  ou  maudite  vioule.  Les 
termes  mobilisés  par  l'impatience  se  pressent  à  votre  esprit  et 
à  leur  défaut  vous  en  créez  de  nouveaux.  De  là  cette  longue 
série  d'équivalents  pour  ^  importuner'  que  M.  Pierrehumbert  a 
pu  collectionner  pour  le  Bulletin.  Et  si  d'autres  correspondants 
nous  ont  fourni  une  liste  encore  plus  variée  de  termes  pour  ,  une 
volée  de  coups  ',  c'est  qu'ici  à  l'humeur  batailleuse  qui  fait  dire  : 
.attends,  je  te  donnerai  une  bonne  rincée!  ',  s'ajoute  la  vantar- 
dise qui  aime  à  raconter  :  ,  ah,  vous  ne  vous  imaginez  pas  quelle 
savonnée  je  lui  ai  appliquée  !  '.  —  C'est  aussi  à  ce  mouvement 
d'impatience  et  de  mauvaise  humeur  que  nous  devons  sans 
doute  la  quantité  de  termes  plus  ou  moins  comiques  pour 
ronfler",  termes  créés  au  moment  où  vous  avez  été  dérangé 
dans  votre  sommeil  bien  mérité  par  ce  bruit  de  scie  de  votre 
voisin.  Quiconque  a  jamais  passé  la  nuit  dans  une  chambrée 
de  soldats,  aura  éprouvé  sur  soi  ces  moments  d'inspiration  cha- 
ritable. —  D'autres  périphrases,  par  ex.  celle  pour  ^  aller  se 
coucher  ',  ^  faire  la  grasse  matinée  ',  ^  s'endormir  en  faisant  des 
révérences  ',  sont  dues  simplement  au  plaisir  de  faire  rire  par 
des  tournures  comiques. 

Ces  quelques  développements  suffiront  pour  affirmer  que  la 
synonymie  patoise  que  révélera  le  futur  Glossaire  d'après 
notre  enquête  par  questionnaires  soulève  quantité  de  problè- 
mes onomasiologiques  dont  on  ne  soupçonnait  pas  l'existence, 
faute  de  matériaux  recueillis  systématiquement. 

Nos  tableaux  ne  seront  pas  moins  utiles  à  consulter,  quand  il 
s'agit  de  rechercher  l'origine  et  la  formation  des  mots. 


46  E.   TAPPOLET 

2.  Le  point  de  vue  étymologique.  Pour  trouver  l'ori- 
gine  d'un  mot,  il  suffit  quelquefois  de  jeter  un  coup  d'œil  sur 
les  synonymes.  Neuchâtel  dit  étantchi  pour  ^  étendre  le  foin'. 
D'où  vient  ce  mot?  On  a  beau  se  creuser  la  tête  pour  chercher 
un  rapport  d'idée  avec  le  mot  français  ,  étancher  '  dans  ses 
acceptions  diverses  ,  étancher  le  sang,  le  tonneau,  la  soif,  etc.  ', 
on  n'en  trouve  point.  La  liste  des  synonymes  fournit  d'un  coup 
la  solution  du  problème  :  le  même  canton  de  Neuchâtel  em- 
ploie en  outre  pour  la  même  action  le  terme  français  .  étendre  ' 
et  le  terme  romand  ^  épancher  '.  Quoi  de  plus  naturel  que  de 
supposer  un  croisement,  dont  le  résultat  sera  forcément  étantchi 
ou  bien  épandr  '  ?  Il  y  a  longtemps  qu'on  connaît  ce  procédé  de 
la  langue  sous  le  nom  scientifique  de  ,  contamination  '.  Ce 
qu'on  connaît  moins,  c'est  l'extraordinaire  fréquence  de  ce 
phénomène".  La  synonymie  patoise  est  appelée  à  la  démontrer. 
Voici  quelques  exemples,  choisis  au  hasard,  qu'il  serait  facile 
de  multiplier. 

Une  des  contaminations  les  plus  curieuses,  c'est  le  mot 
étrangle  qu'a  donné  un  correspondant  valaisan  pour  ,  touriste  ', 
sans  doute  un  produit  comique  de  ^  étranger'  et  de  ,  anglais', 
qu'on  emploie  fréquemment  comme  synonyme  de  ,  touriste  '  '. 
Rattachons  à  ce  mot  l'expression  ndingléz  (Vd),  .  redingote  ', 
où  le  mot  français  s'est  combiné  avec  le  terme  ,  anglaise  ',  éga- 
lement en  usage  pour  la  même  pièce  d'habillement.  —  ,  Gron- 
der ',  (en  parlant  du  tonnerre)  se  dit  brondina  (Vd),  qui  s'ex- 
plique aisément  par  une  influence  réciproque  de  gronda  et  de 
bordena  (=  bourdonner),  —  De  même  balafra  .  manger  gou- 
lûment '  (F)  par  un  croisement  de  la  première  moitié  de  bâfra 


^  Mot  qui  existe  réellement  dans  le  Jura  bernois,  mais  qui  continue 
sans  doute  le  latin  expandere,  anc.  fr.  espandre. 

-  Cfr.  une  remarque  intéressante  à  ce  sujet  que  fait  M.  Puscariu 
dans  la  Zeitschrift  fur  romanische  Philologie  (191 3).  XXXVII,  p.  101. 

^  Peut-être  y  a-t-il  dans  ce  mot  quelque  rancune  cachée  qui  aurait 
fait  dire  à  un  paysan  ennuyé  par  des  touristes  :  ^il  faudrait  les  étrangler, 
ces  sacrés  Anglais  '. 


SYNONYMIE   PATOISE  47 

(=  bâfrer)  et  de  la  seconde  partie  de  galufra,  également  em- 
ployés dans  les  patois  fribourgeois.  —  Par  un  procédé  ana- 
logue, on  peut  voir  dans  sagrula  ^  secouer,  rosser  qn.  '  (Vd 
Chenit)  une  forme  composée  de  la  première  syllabe  de  sakaore 
, secouer'  et  du  verbe  romand  grula  ,  secouer  un  arbre  '. 

Nous  faisons  suivre  ces  verbes  de  quelques  substantifs. ,  Pré- 
cipice' se  croise  avec  son  équivalent  patois  dérupjto  m.  (Vd) 
pour  donner  dérupis  f.  (  Vd).  Parmi  les  termes  usités  pour  dési- 
gner la  guêtre,  on  trouve  au  Cerneux-Péquignot  (N)  la  forme 
gerotcha  f ,  qui  paraît  être  le  produit  de  garôda  (N)  et  de 
gamotch  (B)  avec  le  changement  de  a  en  <r  fréquent  devant  r. 
—  Plusieurs  villages  du  Jura  bernois  disent  ankrJto?r  f  pour 
^  encrier  ',  c'est  le  mot  écritoire  (souvent  employé  au  sens 
d'j encrier')  avec  l'initiale  de  encrier.  —  Pourquoi  Sassel  (Vd) 
appelle-t-il  la  verge  vyotila  ?  C'est  parce  que  la  verge  se  fa- 
brique avec  les  ramilles  de  bouleau,  en  patois  byottla,  mot  dont 
rinitiale  se  modifia  sous  l'influence  de  verdzd. 

Souvent  la  contamination  ne  frappe  que  la  partie  suffixale 
du  mot.  Pour  .  se  mouiller  les  robes  jusqu'aux  genoux  '  Fri- 
bourg  dit  entre  autres  :  margotà  et  gargalâ^  de  là  par  change- 
ment de  suffixe  la  nouvelle  forme  margalâ.  Au  lieu  de  ^  ami- 
donner '  le  Jura  bernois  dit  an-midnè,  sans  doute  à  cause  de 
anpajè  ^  empeser';  de  même  dans  les  Alpes  vaudoises  in-mi- 
dinâ  sous  l'influence  de  inpeza  ,  empeser  '. 

Quelquefois,  l'influence  du  synonyme  se  réduit  à  un  son  ou 
à  un  groupé  de  sons.  Notre  correspondant  de  Pailly  (Vd)  a 
noté  la  forme  nyoblyou  m.  ,  nuage',  sans  doute  le  résultat  d'un 
croisement  entre  nublyo  m.,  forme  très  répandue,  et  nyola  f., 
terme  courant  pour  ,  nuage  '. 

Jusqu'ici  il  était  toujours  question  de  véritables  synonymes. 
Il  arrive  aussi  que  tel  mot  subit  une  altération  phonétique  sous 
l'influence  d'associations  d'idées  plus  lointaines.  Si  par  exemple 
certains  villages  vaudois  disent  brinialè  au  lieu  de  brutale 
^ bretelles',  il  me  paraît  évident  qu'il  en  faut  chercher  la  cause 
dans  hrinta,  vase  bien  connu  à  transporter  le  raisin,  le  lait, 


^8  E.    TAPPOLET 

etc.,  que  le  vigneron  ou  le  laitier  porte  au  dos  à  l'aide  de 
larges  courroies  de  cuir  appelées  ^  bretelles  '  ;  ^  brente  '  et  bre- 
telles formant  de  fait  un  tout  organique,  les  termes  désignant 
l'une  ou  l'autre  partie  sont  sujets  à  se  confondre.  —  A  côté  de 
la  forme  courante  lapin  on  trouve  assez  souvent  la  forme  avec 
/  mouillée,  lyapin,  dont  l'initiale  remonte  probablement  à 
lyapà  j  crier  comme  un  lapin  ',  mot  répandu  jusqu'au  Jura 
bernois  (yèpe). 

On  voit  par  ces  deux  derniers  exemples  l'avantage  que  pré- 
sente sur  l'ordre  alphabétique  des  dictionnaires  de  synonymes 
notre  groupement  par  ordre  d'idée. 

Le  point  de  vue  morphologique.  Sans  comprendre 
tous  les  dérivés  d'un  mot,  nos  tableaux,  groupant  les  syno- 
nymes par  famille  étymologique,  démontrent  à  l'évidence,  à 
quiconque  aurait  besoin  de  s'en  convaincre,  la  supériorité  des 
patois  sur  la  langue  littéraire  en  matière  de  dérivation.  Sous  ce 
rapport,  les  suppositions  qui  paraissaient  hardies  au  linguiste 
expérimenté  se  trouvent  réalisées. 

S'il  est  superflu  d'insister  sur  ce  point,  il  sera  utile  d'appeler 
l'attention  sur  un  autre  problème  de  la  morphologie,  celui  du 
genre.  J'ai  essayé  de  montrer  dans  un  récent  travail^  que 
dans  une  large  mesure  les  mots  d'emprunt  doivent  leur  genre 
à  leur  équivalent  dans  les  patois  du  pays  emprunteur.  Ainsi 
pourquoi  le  mot  allemand  die  Grube,  passant  dans  les  patois 
valaisans  et  vaudois,  sous  la  forme  grœbo,  prend-il  la  forme  et 
le  genre  masculin?  Rien  n'aurait  empêché  une  forme  * grœbai. 
de  se  produire.  C'est  que  le  mot  allemand  désignait  sur  terri- 
toire français  exclusivement  la  place  du  feu  dans  un  chalet  et 
que  cette  place  s'appelait/iy/m.  ow  foyidzo m. ûaxisXts  mêmes 
patois.  —  Le  même  radical  allemand  présente  le  cas  inverse, 
dans  le  mot  der  Schorgraben,  qui  désigne  la  rigole  à  purin 
dans  une  écurie.  Ici  le  mot  devient  féminin:  la  cholgrab  (B), 


'  Die  alemannischen   Lehnwdrter   in  den   Mundarien   der  franxpsischen 
Schwei'i.  Strassburg,  Trùbner,  1914,  p.  80  ss. 


SYNONYMIE   PATOISH  49 

évidemment  parce  que  les  mots  patois  correspondants  rigole 
et  raie  sont  du  genre  fe'minin.  —  L'allemand  suisse  gatter ,  mot 
masculin  ou  neutre,  passe  au  genre  féminin  là  gatr  (B)  à  cause 
des  nombreux  synonymes,  tous  féminins  :  porte,  delèz,  bdliij ; 
claie,  grille.  —  L'idée  de  boue  se  rend  dans  le  Jura  bernois 
par  bourbe  f.  et  par  truiz  f.,  auxquels  s'ajoute  quelquefois  le 
mot  trek,  employé  toujours  comme  substantif  féminin,  contrai- 
rement au  genre  allemand. 

Et  qui  ne  reconnaîtrait  pas  l'analogie  frappante  qui  existe 
entre  battre  la  firobe  (en  allemand  der  Feierabend)  et  battre 
la  retraite?  Mais  quelle  que  soit  la  valeur  de  cette  théorie, 
acceptée  par  les  uns,  mise  en  doute  par  les  autres,  il  n'en  est 
pas  moins  certain  qu'il  n'aurait  été  possible  ni  de  la  soutenir 
ni  de  la  combattre  sans  le  secours  de  notre  répertoire  de  syno- 
nymes. 

Il  va  sans  dire  que  nos  tableaux  rendront  de  précieux  ser- 
vices à  bien  d'autres  points  de  vue  que  ceux  que  nous  avons 
développés  ici  ;  notamment  les  études  de  géographie  linguis- 
tique, les  recherches  sur  la  vitalité  du  patois,  sur  l'invasion  des 
mots  français,  etc.,  en  tireront  grand  profit. 


Dans  quel  ordre  fallait-il  présenter  au  lecteur  les  termes  sy- 
nonymes souvent  bien  nombreux  V  II  nous  a  paru  naturel  de 
réunir  d'abord  les  dérivés  du  même  radical  (aryœu,  aryare), 
les  mots  du  même  groupement  étymologique  étant  toujours 
séparés  par  une  virgule.  Dans  la  suite,  nous  avons  pris  soin  de 
classer  les  termes  (mots  ou  groupes  étymologiques  de  mots) 
d'après  leur  fréquence  géographique.  D'abord  : 

1°  les  termes  intercantonaux,  répandus  dans  tous  les 
cantons  ou  plusieurs  d'entre  eux,  énumérés  dans  l'ordre  adopté 
par  le  Glossaire  :  Vd,  V,  G,  F,  N,  B.,  le  terme  le  plus  fréquent 
en  tête.  —  Cet  ordre  ne  sera  modifié  que  lorsqu'un  mot  est 
sensiblement  mieux  attesté  pour  un  canton  que  pour  un  autre, 
ainsi  bogati  ,  trou  '  (V,  Vd)  signifie  que  ce  mot  est  bien  plus 


50  E:    TAPPOLET 

valaisan  que  vaudois.  L'indication  cantonale  est  supprimée 
dans  les  cas  où  elle  aurait  un  caractère  de  fortuite  ;  ainsi  sur- 
tout pour  des  expressions  qui  peuvent  se  dire  un  peu  partout, 
V.  par  exemple  les  synonymes  pour  ^ aller  se  coucher'  ou  pour 
,  ronfler  '.  —  Dans  la  série  intercantonale,  le  sigle  cantonal  ne 
s'applique  toujours  qu'au  mot  qui  le  précède  immédiatement. 
—  Ensuite: 

2°  les  termes  cantonaux,  répandus  dans  un  seul  canton. 

Le  premier  tiret  annonce  le  commencement  des  termes  can- 
tonaux. Tous  les  termes  d'un  canton  sont  également  séparés 
par  un  tiret.  Le  nom  du  canton  précède  ici  l'énumération  des 
termes.  Quant  à  la  forme  du  mot,  nous  avons  choisi  celle  qui 
dans  le  Glossaire  servira  d'en-tête.  On  trouvera  donc  la  forme 
française  du  terme  patois  toutes  les  fois  qu'elle  existe,  d'après 
le  système  adopté  par  la  Rédaction,  (v.  Rapport  191 2,  p.  455). 
Ainsi  nous  écrivons:  jour,  nuit,  pour  résumer  en  uiie  forme 
toutes  les  variantes  patoises  :  dzo,  dzoua,  dzor^  dzœ,  dj'ouè,  etc., 
et  né,  net,  nek,  niiè,  nà,  etc.  Les  mots  exclusivement  patois  sont 
toujours  imprimés  en  italiques. 

Pour  conclure  notre  avertissement,  nous  prions  le  lecteur, 
qui  parcourant  ces  longues  listes  de  mots  désirerait  être  ren- 
seigné sur  telle  ou  telle  expression,  de  prendre  patience  :  cha- 
cun de  ces  mots  sera  dûment  précisé,  commenté  et  expliqué 
dans  les  articles  du  Glossaire;  pour  le  moment,  nous  ne  tenions 
qu'à  faire  connaître  son  existence  en  nous  plaçant  au  point  de 
vue  des  moyens  d'expression  dont  disposent  nos  patois. 


SYNONYMIE   PATOISE 


51 


TABLEAUX 


Idée 


I .  Le  sommeil. 

Equivalents  patois 


sommeil.  .  .  .      sono  m.  et  f.  (partout).  —  Cfr.  dzjj  f.  (V, 
1       prop.  j  couche  ',  de  gésir)  ;  indrsmya  f.  (F, 
donner  ^  l'endormie  '  à  qn.). 

petit  sommeil   !  klyopc  m.  (Vd,  V,  G,  F,  N)  ;  chone  (m.  Vd,  V) , 
(pendant  somclyarda  f.  (Vd),  soum^lyon  (F),  ssmoya 

la  journée)  \  m.  (B)  ;  aplyon  m.  (Vd,  V,  F)  ;  méridienne  ; 
repos,  reposée;  sieste;  midi;  donday?: 
tokay?,  etc.  (v.  s'endormir  et  sommeiller). 
—  Vd  bhion  (dér.  de  bin-na  v.)  ;  ètha  f. 
(étendue)  ;w/r^«a  (forme  patoise  de  méri- 
dienne) ;  bain  de  lézard.  —  V  i)pé  m.  (de 
tapa  V.)  ;  plate  f.  —  N  hronicha  f.,  bron- 
1       tchon  m.  —  B  bouetch  f.  {bountchi?  v.). 

dormir dormir  (partout)  —  périphrases  :  clore  les 

j       yeux,  taper  de  l'œil. 

se  coucher  .  .  ;  se  coucher  (partout)  —  V  se  cacher  (em- 
ployé dans  les  deux  sens)  ;  gésir —  F  s'at- 
terrer. 


aller    se    cou- 
cher 


aller  se  foutre  bas,  —  se  mettre  bas,  —  se 
hita  ba,  —  se  trén  ba  ;  aller  s'étendre  ; 
aller  chercher  demain,  aller  voir  lundi  (se 
dit  le  dimanche  soir)  ;  aller  voir  la  paille, 
aller  à  la  paille,  aller  au  lit,  —  au  porte- 
feuille, —  au  nid,  —  a°  bredo^  aller  firôb 
(N);  aller  contre  Dornach  (B,  village  so- 
leurois  situé  dans  la  vallée  de  la  Birse,  jeu 
de  mots  avec  ,  dormir'). 


52 

E.    TAPPOLET 

Idée 

EaUIVALENTS    PATOIS 

sommeiller, 

sommeiller  (partout),  inchonHyi  (F,  Vd,  V), 

s'endormir 

asoufn?lyi  (Vd),  sonika  (Vd),  U/iomèsip(B)y 

san-nè  (B);  sHntoup3naJoup3na,s^at3piJepa 

(Vd,  F)  ;  pioncer  ;  lyopi  (V,  F)  ;  s'endormir, 

sHntrindrdmi,  dromatsè  (V),  dnmnè  (B)  — 

V  sornatchi  ;  klounyè  —  G  lodi  —  F  in- 

chupilyi  —  B  anfobeyi. 

s'endormir 

tôka  (Vd,  V,  G,  N,  B):  donda   (Vd,  V,  F); 

en  faisant  des 

dwka  (F,  V)  ;   binna  (V,  F)  ;  ,  clocher' 

révérences 

(G,  B,  imiter  le  mouvement  de  la  cloche). 

—  Vd  malyetsi  :  plonger;  tour  ta  ;  compter 

ses  tome  (pièces  de  fromage)  —  V  baké'', 

bonzyè  ;  borneyè  ;  bœurona  ;  lyoka  ;  pimtchyè 

—  G  faire  des  saluts  —  F  drouka  —  B  bœke  : 

bouatchi?,  piocher. 

ronfler 

ronfler  i  partout)  ;  rësi  (Vd,  G  :=  scier)  — 

périphrases  :  tirer  au  lien  ;  tirer  les  cordes  ; 

bouillir  les  ^  pommettes  "  (  pommes  de  terre); 

tirer  à  Vakola  (chaîne  de  reculement,  Fî. 

ronfleur  .... 

rondare  m.  (Vd),  ronyjètso  (V),  ronflera  (V), 

ronfâ  (V),  ron%eri  (F),  ronfleur  (B). 

ronflement  .  . 

ronflée,  ronflement,  ^  ronfle  '   m.,  ronflage, 

ronflerie,  rontchœ  (B).  —  B  rœtchon. 

rêver  (pendant 

songer  (partout)  ;  rêver,  rêvasser  —  V  tabèyè  ; 

le  sommeil) 

trabasa  ;  ko3dzyè. 

rêve 

songe  (partout)  ,  rêve  —  V  tabek  ;  N  signe. 

cauchemar  .  . 

cauchemar  (Vd,  G,  N,  B)  :  tsàdivilyj  (F,  Vd) 

—  V  trakachèjon  f.  ;  F  ranpa  f.  (crampe?)  ; 

N  niton  m.  (idée  d'un  lutin);  ^  foui  ta  m. 

(idée  d'un  esprit  follet). 

Idée 


SYNONYMIE   PATOISE 

EaUIVALENTS    PATOIS 


53 


faire  la  grasse 
matinée 


faire  (la)  grasse  matinée  (partout)  —  Vd  faire 
sa  couenne,  sa  tsaropa  ;  se  pourrir  les 
yeux  —  V  faire  le  matin  tard;  faire  sa  fa- 
tigue ;  droufuîk  choou  che  ^  dormir  son  soûl  ' 
—  G  se  lever  sans  chandelle  —  F  faire 
le  tour  de  l'horloge  —  B  dormir  comme 
un  sire,  comme  un  pourri  (=  paresseux)  ; 
pœrichnè  a  yé  (paresser  au  lit)  ;  ressécher 
sa  pisse  ;  il  demeure  au  lit  jusqu'à  ce  que 
les  os  lui  craauent. 


(se)  réveiller 


se  lever 


être  debout  . 


(se)  réveiller,  (s')éveiller  (partout)  ;  (se) ,  des- 
songer '  (V,  Vd)  —  V  [se)  desona,  {s')in- 
sona,  (se)  dinsona. 

se  lever  (partout)  ;  se  dresser  ;  s'abada  (Vd,  F) 
—  Vd  ^  se  dématiner  '  (se  lever  de  bon 
matin)  —  B  debuskè. 

être  droit,  être  d'adrè;  être  debout;  être 
frou  (dehors)  ;  être  sur  pied,  en  jambes, 
de  pointe  ;  être  haut,  delà  ;  être  levé,  planté, 
abada. 


jour 

journée    .... 

il  commence  à 

faire  jour 


2.  Le  jour  et  la  nuit. 

jour. 

journée,  dzornjva  f.  (V),  djoneyat  f.  (B). 

il  commence  à  (de)venir  jour  ;  le  jour  com- 
mence à  poindre,  à  salyi  (sortir)  ;  on  com- 
mence de  voir  beau;  le  jour  pique  (F), 
est  a'' pdkolon  (Vd)  —  Xà  pouctayi  v.  (dér. 
de  pointe)  ;  orayi  v.  ;  le  jour  sort  —  V  ar- 
beyè  v.  (de  arba  ^aube');  cKaxar  (dér.  de 
clair)  ;  (il)  vient  gris  ;  vyin  zortèt  (petit 
jour)  ;  (il)  blanchit  —  F  trahnâ  v. 


54 


Idée 


E.    TAPPOLET 

Equivalents  patois 


(à  la)  pointe 
du  jour 

pointe  du  jour  (partout),  point  du  jour  (Vd» 
V,  B);  , pique'  du  jour  f.  (N),  ,  piquet  ' 
du  jour  (Vd),  .piquette'  du  jour  f.  (B)  — 
F  levée  du  jour  ;  kotsi  de  dzo  f. 

aube 

aube  (un  peu  partout,  forme  pat.  arba  V,  G). 

aurore  

aurore  (rare). 

matin  (=  ail. 

Morgen) 

matinée  (=  ail. 

Vormittag) 

matin  (partout). 

matinée,  matin  (partout)  ;  devan-midzor  (Vd^ 

F). 

midi  .  .  .  . 
après-midi 


soir. 


il  commence  à 

faire  nuit 

à  la  tombée  de 

la  nuit 


crépuscule.  .  . 


midzor  m.  (partout),  raidi  (B,  N)  —  V  dîner. 

apri-midzor  m.  (partout),  dutnidzo  m.  (F,  Vd); 
vêprée  f.  (Vd,  F,  N,  B),  veprsnay)  f.  (G)  ; 
tantôt  m.  (V,  G,  F)  ;  après-dîner  m.  (V,B), 
—  V  cholèzo  m.  —  B  r  ce  sus  f. 

nuit  f.  (m.)  (Vd-F)  ;  vêprée  (F,  N),  vêpre  m. 
(  Vd,  W^.vepnnd  f.  (V,  G)  ;  soir  (B)  ;  dèfrina 
f.  (V)  ;  develaném.  (  Vd,  G,  F,  prop.  devers 
la  nuit),  duvehne  m.  (F);  tantôt  m.,  tan- 
tale m.  (Vd-F)  —  V  develota{r)  m.  (prop. 
devers  le  tard),  délota  m.,  volotar  m. 

bornayi  v.  (Vd,  F)  —  F  sonbrèyi. 

à  la  tombée  de  la  nuit  (un  peu  partout);  a  la 
tsaiti  de  la  7ié  (V,  F,  N,  B),  —  tsdzaitd  de 
la  né  f.  (F),  tchezœ  m.  (?)  (N)  ;  entre  jour 
et  nuit,  entre  chien  et  loup  (un  peu  par- 
tout), entre  chat  et  chien  (F)  —  N  poaytd 
adv.  —  N  tœrnidga  (sic)  adv.  (?)  (N)  — 
B  e  ro3  nœ  adv. 

aube  de  la  nuit  (G,  V)  ;  brune  (très  rare)^ 
bruneya  f.  (V)  —  G  àbournyâ  f. 


Idée 


SYNONYMIE   PATOISE 

Equivalents  patois 


5$ 


nuit 

nuit  f.  aussi  m.  (partout),  nœyaf  f.  (B). 

(il  fait)  nuit 

nuit  noire  (partout)  ;  sar{a)né  (Vd,  V,  F,  N)  ; 

noire 

borna  n/(Vd,  F)  —  Vd  eklyata  de  la  né  — 

V  yè    topo ,  ye    né   topa  ;   c'est  sombre  \ 

ferme  nuit. 

au  milieu  de 

a°  maitin  de  la  né  (Vd,  V,  G)  ;  a"  soir)  de  la 

la  nuit 

né  (Vd,  V)  —  V  au  fort  de  la  nuit  ;  o"^ 

bouk  de  la  net  —  B  an-mé  la  nœ. 

minuit 

minuit  f.  (partout). 

lait 

espèces  de  lait: 

lait  encore 

chaud 

(ail.  kuhwarm) 

béton   (premier 

lait  d'une  vache 

qui   a  mis  bas) 

lait  coagulé 

sortant    du   pis 

comme  un  fil 

lait  que  donne 
une  vache  en 
tarissant  (ail, 
gâltigc  Milch) 

petit-lait .... 

autres  espèces 
de  lait 


3.  Le  lait, 

lasé  (partout). 

lait-chaud,  chaud-lait,  tchada  m.  (B,  N)  ;  lasé 

frè  arya,  lasé  tsô  arya  (V,  F)  ;  fra-lèsé{B); 
lait  tiède  (V). 
béton  m.  (Vd,  V,  G,  F,  N),  bè  m.  (V,  N),  bati- 

ron  (B)  —  N  resb  m.  —  B  bak  (=  bè  de 

V,  N). 
dzéme  f.  pi.  (Vd,  F)  ;  bedzon  (V,  Vd),  abedzon 

m.  (F)  —  V  lasi  intruma  ;  l.  bresonok  — 

F  fia  m.  pi.  —  B  maton  m.  ;  lésé  randy?ni; 

l.  rondl'e. 
agoton  m.  (Vd,  V),  égotyon  m.  (V)  ;  {in)tré- 

choyi  adj.  (Vd,  V,  F)  ;  lait  salé  (Vd,  V,  N) 

—  V  édzotttire  f .  ;  répachô  adj.  —  F  tardit' 

—  B  epasiir  f.,  épais  adj.  ;  amer  adj. 
laitya  f.  (partout)  ;  clair  m.  (B,  N). 

lait  rouge  (partout)  —  Vd  lait  vert  ;  brèvofi  m.  ;. 
r  et  sert  son  m.  —  V  lèvi  m.  ;  veta  f.  ;  inko- 
ralyon  m.  ;  grason  m.  ;  laséplan  m.  ;  po- 
tage m.  —  F  reblyantsi  m.  ;  ladi-batsi 
(baptisé). 


56 


Idée 


e.  tappolet 

Equivalents  patois 


traire. 


diverses   façons 
de  traire 


traite 


celui  qui  trait 


lieu  où  l'on 
trait 
pis 


trayon 


manier  le  pis 


écume  du  lait 

qu'on  vient  de 

traire 


laitier 

vache  laitière 


arya  v.  (Vd,  V,  F);  traire  (Vd,  G,  N,  B)  — 

V  moèdrè. 

tsitsota  v.  (Vd,  V)  ;  ititrhhoyi  v.  (Vd,  F)  — 

V  blotchye  ;  pceudzeyè  v.  ;  ponyata  v.  ;  ts3- 
fonye  v. 

souyj  f.  (Vd,  V,  F);  traite  (Vd,  G,  N),  très  f. 

(B,  N),  tré  m.  (Vd,  G),  trèyèdj  m.  (B)  ; 

aryayd  (Vd,  V,  F)  —  V  tirée. 
aryœu  m.(Vd,  V),  aryarm.  (Vd,  F);  tréja"" 

m.  (Vd),  trèyou  m.  (B,  N)  —  V  moèjœ  m. 

—  G  berger. 

arya^  m.  —  V  mouijyœu  m.  —  B  tréyour  f. 

ivro  m.  (partout  sauf  G)  ;  tétine  (Vd,  G,  N) 

—  V  7nandroîy3  f.  ;  pdna  f.  —  (G)  pis. 
tète  m.,  téton,  tétin,  tdti,  tityon  m.,  tata  (B); 

trayon  (Vd,N);/^^>^<?/2  rc\.,pèchonè  xï\., p9S3t 
f.  (V,  G)  —  V  touche  f.  —  F  nènè  m. 
amolyi,  in-molyi  v.  (Vd,  G,  F,  N)  ;  maneyi, 
amaneyi  v.  (F,  Vd)  ;   étnœdr  v,  (B,   N)  ; 
adoucir  (Vd,  V)  —  Vd  apareiller  ;  chérachi 

—  V  abaisser  ;    aprécha    (,  appresser  '  ?)  ; 
attraire  —  F  amasser. 

dzé  (=  jet?,  Vd,  V,  G,  N)  ;  écume  (un  peu 
partout)  ;  djèf  (B),  djèfè  m.  (B,  N)  ;  — 
V  borai.^  borets  f .  ;  zort  m.  —  G  bave  — 
N  mousse  —  B  fleurette;  choum  f.  (ail. 
Schaum). 

fruitier  (partout)  ;  laseli  m.,  laitier  m.  (un 
peu  partout). 

vache  laitière,  z'.  lasliir,  ladelœza;  vache 
(bonne)  à  lait  ;  fonta7vna  a  lasi  (un  peu 
partout  )  —  V  aryinta  adj.  f.  \fonday3  adj.  f. 
F  dè%lya  f. 


Idée 


SYNONYMIE   PATOISE 

Equivalents  fatois 


57 


ustensiles  : 
chaise  à  traire 


seau  à  traire  . 


vases  à  porter 

au  dos 

vases  à  porter 

à  la  main 

vases  à^déposer 
le  lait 


couloir 


sala,  soleta  f.  (partout)  ;  boutaku  m.  (le  mets- 
[à  -cul,  Vd,  G)  —  V  banka,  bantsèta;  bréla 
f.  ;  chata  f.  —  N  tabouret  —  B  treyat. 

seillon,  sélè  m.,  soiiaya  m.,  etc.  (partoutj  ; 
souaya-trèra  (B)  ;  brotsè  m.  (F,  Vd),  bro- 
tsarya  m.  (F)  —  Vd  dzalaita  f.  —  B  trara 
m.  (dér.  de  traire). 

bolya  f.  (partout  )  ;  brinta  f.  (Vd,  V  ),  brin-n 
f.  (B). 

mitra  f.  (partout);  bidon;  seille  (un  peu  par- 
tout) ;  toulon  (F,  Vd)  —  Vd  boutfzala  f.  — 
V  carrée. 

banyolè  m.  (partout  sauf  Bj  ;  dyètso  m.  (Vd, 
V,  F)  ;  rondla  m.,  ronde  m.  (B,  N)  —  V  han- 
seya  f.  ;  hémine,  minon  m. 

couloir  (partout),  passoir  m.  (F,  N,  B),  pas- 
soire f.  (V,  G). 


couler couler  (partout)  —  G  passer. 

écrémer  ....  écrémer  (partout);  effleurer  (F,  Vd,  V,  N)  — 
V  cueillir. 

crème crème(partout);fleur(F,Vd,  V,N),  aussi  fleu- 
rette, _/?t?r^«  m.  ;  krqpa  f.  (F,  V). 

crème  fouettée  crème  fouettée;  c.  gonflée;  c.  battue,  dé- 
battue (un  peu  partout)  —  V  fleur;  kou- 
lya  f.  ;  trintson  m. 

lait  écrémé  .  .      bleu  adj.  (V),  byœvur  f.  (B)  —  V  pèr  adj. 
(=  pers  ,  bleu-violet  '),   rjprin  m.  —   B 
maigre. 
lait  gras  (partout),  pur  adj.  (Vd,  V,  G),fyan  adj. 

non  écrémé  (Vd,  V)  —  V  entier  —  B  bon. 


Idée 


ë.  tappolet 

Equivalents  patois 


faire  bouillir 

le  lait 


résidu  qui  s'at- 
tache aux  pa- 
rois des  usten- 
siles en  bouil- 
lant le  lait 

pellicule   (à  la 
surface  du  lait) 


cuire,  recuire   (partout);  gonfler  (Vd,   F); 

bouillir  (Vd,  G)  ;  échauder  (V,  F)   -  Vd 

faire  bruire  (brouir  ?)  —  V   faire  moda, 

faire  émoda. 
rapyon  m.,  rapon  m.,  rapin  f.,  rapô  f.  (F, 

Vd,V);  raklyoti  m.  (Vd,  N),  rc^ur  f.  (B)'; 

croûte  (Vd,  G)  —  Vd  bourlon  m.,  rou- 

pyon  m.,  inroupi  m.  —  V  archouti  m.  ;  katsè 

m.  ;  kratsd  f.  ;  krépi  m.  ;  pega  f.  —  F  rixtse 

f.  —  B  rœjnr  f. 
peau    (partout)  ;  kreya  f.    (craie?,  Vd,  V), 

culottes  (chausses)  du  fruitier  (Vd,  G,  N)  ; 

pelisse  (V),  pelure  (B)  —  V  crasse,  crème. 


4.  Le  fromage. 

(cfr.  Gauchat,  Bulletin  VI,  p.  14-21  ;  Luchsinger,  Gabbud, 
Arch.  suiises  des  traditiom  pop.  IX,  XI  et  XIII). 

fromage         j   fromage  (partout) ;  fruit  (Vd,  V,  F)  ;  foma  f. 

(terme  général)  (partout  sauf  B)  ;  motte  (Vd,  V,  F);  j^/Wd! 

)       (Vd,  V  ;  =  viande  au  sens  de  nourriture). 

parties  d'un  fromage  : 


pâte 


couenne 


trous 


pâte  (partout):  dedans  m.  (V,  F)  —  V  motte  ; 

myolèt  m.,  myota  f.  ;  pré  m. 
couenne;   croûte   (un  peu   partout!;  talon 

(Vd,  G)  —  Vd  ntsj  f.  —  V  krosyon  m. — 

G  para  f.  ;  râklyura  f.  —  B  kof  f. 
pertuis  ;  yeux  (un  peu  partout)  ;  bogan  m. 

(V,Vd)  —  Vd  invèr  m.  ;  hsté m.  —  G  gole  m 


faire  le  fromage,  fromadzi.,  a-,  in-fromadzi 
(^partout  sax\{  ¥)]  frûiiitchyè,  v.  {Y),fr3- 
talâ  V.  (G)  ;  trancher  (F,  N)  ;  cailler,  inka- 
/r^(Vd,  V)  —  Vd  motayi  v.  ;  faire  le  train 
—  V  kajina  v. 


faire  le  fro- 
mage 


Idée 


SYNONYMIE-  PATOISE 

EaUIVALENTS    PATOIS 


-59 


celui  qui  le 

fruitier  {\)Zs\o\\\)  \  fromadjao ,  fromadzi  m. 

fait 

(Vd,  V,  B);  maître  (Vd,  V),  laitier  (Vd, 
V,  F);  dzinyo  m.  (Vd,  F);  —  Vd  armailli 
—  V pato  —  B  gruyérien  ;  vètchron  ;  kuyir 
(ail.  Kiiher). 

lieu 

où  l'on  le 

fruitière,  fruiterie  (partout);  fromagerie  (par- 

fait 

tout);  laiterie  (V,  Vd,F);  trintsad'zo,  trin- 

tsàblyou  m.  (F,  Vd)  ;  mèx3  m.,  tnèxlyeri  f. 
(Vd,  Y);pachhièri  f.  (Vd,  N)  —  Vd  kakj- 
reta  f.  ;  chalet,  tsalo  m.  —  V  tséjyori  f. 

foyer 

foyer,  foyir  ï.^  foyidzo  m.  (partout);  creux 

• 

(du  feu)  (Vd,  G,  F);  grœbo  m.  (V,  Vd); 

âtre  (B,N)  —  Vd  soyi  m.  —  B  fouin-nta  m. 

ustensiles  : 

ensemble    des 

ustensiles 

chaudière  .  .  . 

vases  à  conser- 
ver la  présure 


bâton  à  briser 
le  caillé  (ail. 
Kiisebrecher) 


carré  de  toile  à 

retirer  le  caillé 
(ail.  Kâsetuch) 


train  (\'d,  F,  V);  éze  f.  pi.,  ejman  m.  pi.  (par- 
tout); ameublement,  meubles  (Vd,  V)  — 
Vd  outils  —  V  bagages  ;  hastrin  m. 

chaudière,  chaudron,  etc.  (partout). 

az?lyire  f.  (  Vd,  F),  izi  m.  (V),  botizi  m.  (F); 
kalyèrè  m.,  kalyorè  f.  (V,  Vd),  aussi  bosè 
m.  ;  tonneau  ;  baro  m.  ;  bolyj  f.  ;  brinta  f.  ; 
fiole  ;  pot  ;  bouteille. 

débatyao  m.  (Vd,  F,  N)  ;  frindjœ  m.  (V,  Vd); 
{é)modyèta  f.,  modyœu  m.  (Vd,  V),  modon 
m.  (V)  ;  brassoir  (G),  bras-kalya  m.  (N), 
brès  f.  (B)  —  Vd  dekalyao  m.  ;  sabre  de 
bois  —  F  defajya  m. 

pyé  m.  ;  toile  (un  peu  partout)  —  Vd  pyason 
m.  —  V  drape  la  f.  \  fôda  f .  ;  sardzon  m.  ; 
serpillière. 


t)0 


Idée 


E.    TAPPOLET 

EOPIVALENTS    PATOIS 


opérations  : 
cailler    .  .  .  , 


présure 

(pour  le  lait) 

masse  caillée 

grumeaux 

de  lait  caillé 
(ail.  Klumpen) 


briser  le  caillé 

réunir  en 

masse 
enlever  les 
grumeaux 


cailler,  inkalyi  ;  trancher  (partout)  ;  breisi. 

bretselyi^  bretsola  (partout  sauf  G)  —  Vd 

biffer  —  V  torba  —  F  virer,  tourner  — 

B  tailler. 
azi  m.  ;  présure  (partout)  ;  kalye  m.,  kalyi  f.  ; 

ko  m.,  tyé  (Vd,  V,  F)  ;  agir  m.  (N,  B). 
caillée  f.  (Vd,  V,  G,  F)  ;  pri  m.  (B,  Vd,  V,  F) 

—  B  épais  m. 

brètse  f.  pi.,  bretson  m.  (Vd,  V,  F);  maton 
(Vd,  N,  B)  ;  grumeaux  ;  grain  (un  peu  par- 
tout) ;  kalyon,  caillot  (V,  G,  F,  N)  ;  garbo 
m.  (Vd,  V)  —  Vd  bifè  f.  pi.  ;  bok  va.,  f  ré  va. 

—  V  fleurettes  ;  filandres  ;  flotson  m.  ; 
melyon  m.  ;  petson  m.  —  F  prvnotu  va.  — 
B  galets  ;  mot  a  va. 

frindre{Y,\à)\  débattre  (Vd,  F)  ;  décailler; 

brasser  (un  peu  partout). 
(r)amasser  (Vd,  V,  F)  —  Vd  rapertsi  —  V  re- 

trindre. 
rechercher  (Vd,  F)  —  Vd  ebntsi  —  effleurer, 

inflora  —  B  écrémer. 


presse 

à  fromage. 

mettre  en 

presse 

égouttoir.  .  . 


petit-lait 

qui  en  sort 


presse  (partout)  —  V  tour  ;  indzirhouire  f. 

presser  (partout)  —  Vd  serrer  —  V  charger; 

tyèzye. 
inntchâPva.  (partout  sauf  G);  égouttoir  (Vd, 

F)  —   Vd  établi  —  V  printan  va.  ;  tôle; 

tri/as  va.  ;  trintsun  va.  ;  isizyèr?  f.,  tsizyœ 

va.  —  B  épurou  va.  ;  troté  va. 
printps  {.,  printa  f.  (Vd,  V);  laitya  krua  f. 

(Vd,  V,  F)  —  Vd  egoton  va.  :  r^vèsa  f.  — 

V  rjzerbon  va.  tsijon  m.,  frais  m. 


SYNONYMIE   PATOISE 


6i 


Idée 

EaUIVALENTS    PATOIS 

forme 

r^^sp  f.  (Vd,  F,V);  cercle  (partout)  —  V  zrr 

(ail.  Kasereif) 

m.:  rond  m. 

moule 

fètouir?  f.  (V,  Vd)  ;  forme  (Vd),  fouérmat  f. 

(pour  les  petits 

(B);  moule  (Vd,  G)  —  Vd  moiino  m.  — 

fromages) 

B  bœt3tyin  m.  (ail.  Bottig). 

rogner 

rogner  (partout);  (re)parer  (A'd,\');  —  Vd 

barba  ;  byordzi  —  V  rnotia ,  pstsyœ  — 

B  ourler. 

rognures.  .  .  . 

rognures  (Vd,  V,  N);  para  f.  (Vd,  G),  repa- 

ron  (V);  rive,  rdvon  m.  (Vd,  V,  G,  F)  ;  œl  f. 

(N,  B);  baves,  bavure  (F,  B)  —  Vd  bord; 

hyordzèi.  pi.  ;  fils  ;  cordons  ;  maton  m  pi.; 

r3bihe  f.   pi.  :   —  V  queues  ;   courroies  ; 

pitsj  f.  —  F  limbes. 

cave  à  fro- 

cave (partout);  grenier  (Vd,  V,  F);  sHor  m. 

mages 

(Vd,  V);  chambre,  tsanbron  m.  (Vd,  V,  N)  : 

fromagère  (Vd,  G)  —  V  fruitière;  salle; 

cellier. 

saler 

saler  (partout)  —  Vd  mettre  le  sel  —  F  metr 

a  la  mouèr). 

celui  qui  sale . 

saleur,  salare  (partout)  —   V  tsijdrin  —   F 

chala-fr?  ;  gouverna-fra. 

crasse 

mordzd  f.  (Vd,  V,  F)  ;  mouers  f.  (Vd,  V)  —  V 

(sur  le  fromage) 

goutna  f.,  mousse  ;  crasse  ;  chemise  ;  râpa  f.. 

kra  m.  —  F  rama  f. 

E.  Tappolet. 


•î^î 


62  L.    GAUCHAT 


LES    NOMS    DES   VENTS 

DANS  LA  SUISSE  ROMANDE 
{Suite.)  —  Voir  Bulletin  X  (191 1),  p.  46. 

Encore  la  vaudaire. 

On  se  rappelle  que  j'avais  rattaché  l'origine  du  mot  vau~ 
daire  au  nom  géographique  Vaud,  supposant  que  c'avait  été 
d'abord  un  terme  de  bateliers  savoyards,  lequel  se  serait  dans 
la  suite  propagé  au-delà  de  son  premier  domaine.  A  l'occasion 
d'un  petit  séjour  fait  en  automne  1913  à  Saint-Gingolph,  dans 
le  but  d'y  recueillir  le  vocabulaire  spécial  des  pêcheurs,  je  n'ai 
pas  manqué  de  m'informer  aussi  des  noms  des  vents  usités 
dans  la  contrée.  La  vaudaire  y  est  très  connue.  A  ma  question 
si  elle  venait  du  canton  de  Vaud,  on  me  répondit:  Pardon, 
monsieur,  elle  vient  du  Valais.  Cette  réponse  ruinait  absolu- 
ment mon  étymologie,  la  réalité  s'y  opposant.  Si  un  nom  géo- 
graphique formait  la  base  du  mot,  Vaud  devait  être  remplacé 
pdiT  Valais,  et  je  pensai  immédiatement  à  la  forme  médiévale 
de  ce  nom,  qui  est  Vallesia  et  dont  on  avait  pu  tirer  (aura) 
vallesaria,  «vent  du  Valais».  Mais  cette  base  semble  ne 
pouvoir  donner  que  vauzaire.  Avais-je  donc  fait  entièrement 
fausse  route  et  fallait-il  en  revenir  à  vaudai,  nom  du  diable? 

Ce  qui  finit  par  me  dérouter,  fut  la  forme  phonétique  que 
vaudaire  prend  à  Saint-Gingolph,  ainsi  qu'au  grand  village  de 
Meillerie,  situé  plus  à  l'ouest,  et  bien  plus  important  pour  la 
pêche.  On  y  dit  :  la  vovaire.  Impossible  désormais  de  partir 
d'un  radical  vald,  où  al  ne  faitpas  obstacle,  puisque  caldaria 
aboutit  à  tsodaire,  mais  dont  le  d  ne  saurait  en  aucune  façon 
se  transformer  en  un  v. 

Pourtant  je  ne  me  décourageai  pas.  Croyant  bien  tenir  cette 
fois  mon  étymologie,  je  ne  renonçai  pas  à  vallesaria,  quitte 
à  mettre  la  phonétique  locale  d'accord  avec  le  fait  que  la  vau- 


LES    NOMS    DES   VENTS    DANS    LA    SUISSE   ROMANDE  63 

daire  a  pour  patrie  le  Valais,  ce  qui  est  vrai  pour  le  canton  de 
Vaud  aussi  bien  que  pour  la  Savoie. 

Ici,  je  suis  obligé  d'entrer  en  quelques  détails  de  phonétique 
et  de  faire  même  un  détour  avant  d'arriver  à  une  conclusion. 
En  expliquant  l'origine  probable  du  mot  suisse  romand  cetour, 
cellier,  M.  Jeanjaquet  cite  la  règle  que  nos  patois  font  passer  s 
k  û  (spirante  sourde  interdentale)  toutes  les  fois  qu'elle  était 
précédée  d'une  n  ou  d'une  /  :  insimul  >  inHinblyo  (pat.  frib. 
par  exemple),  pulvis  -\-  a  >  puda,  etc.  Cet  ancien  d  a  été 
remplacé  par  /  dans  les  patois  bas-valaisans,  qui  prononcent 
infinblo.pceufa,  etc.  (Voir  Bulletin  IX,  p.  31).  Les  exemples  de 
ce  cas  ne  manquent  pas^  :  falsa  devient  en  gruyérien /oi^û!, 
l'ancien  haut  allemand  milzi  >  nuda,  in  summo  >  in-don, 
etc.  Dans  son  excellente  étude  sur  le  patois  du  Val  d'Illiez, 
p.  Il 6,  n.  2,  M.  Fankhauser  augmente  la  liste  de  quelques 
noms  de  lieux:  mondèrvin  =  Montsalvens,  in  dinavsla  =  En 
Sonlaville,  chin-ddlè  =  Semsales,  chboicdivoiù  =  Saussivue  (de 
salsa  aqua),  tous  en  Gruyère. 

On  peut  se  demander  ce  qui  devait  arriver,  si  n  et  /  précé- 
daient non  un  j-,  mais  un  s,  quelle  que  fût  son  origine.  Le  paral- 
lélisme du  développement  phonétique,  qu'on  observe  générale- 
ment dans  un  parler  normal,  livré  à  lui-même,  exigerait  que  ce 
z  évoluât  vers  à  (spirante  sonore  inlerdentale),  qui,  à  son  tour, 
deviendrait  <■'  en  Bas-Valais.  Ce  serait  précisément  le  cas  de 
vall(e)saria,  où  le  s  aurait  eu  le  temps  de  se  sonoriser  avant 
la  syncope.  Donc  vauhaire  >  vovaire  à  Saint-Gingolph.  Cepen- 
dant cette  hypothèse  restera  hypothèse  tant  qu'elle  ne  sera  pas 
appuyée  d'exemples  probants.  Ici  la  série  des  noms  de  nombre 
II  à  16  nous  vient  en  aide.  Undecim  et  quindecim  notam- 
ment, qui  ont  dû  sonner  une  fois  ond9zè,  kindazc,  puis  ondzr,, 
kind{c^  et  qui  ont  pu  facilement  influencer  leurs  congénères, 
offrent  encore  dans  plusieurs  contrées  la  prononciation  onbè, 
tyinbè,diix\s\  au  Val  d'Illiez,  à  Charnex  près  Montreux,  à  Blonay, 


'  J'écarte  à  dessein  tous  ceux  où  n  et  /  étaient  suivies  d'un  c<^',  ou 
de  //  +  voyelle,  tels  que  les  correspondants  patois  de  faucille,  enfoncer, 
<t  fûncet  ■)■),  chausses,  chanson,  etc..  bien  que  je  sois  convaincu  qu'ils  re- 
présentent au  fond  la  même  «  loi  phonétique  ». 


64  L.  GAtJCHAT 

dans  la  Broie  fribourgeoise,  où  ce  sont  les  seuls  mots  qui  pré- 
sentent le  son  ô  (voir  l'intéressant  paragraphe  177  que  M.  Fank- 
hauser  consacre  à  ces  formes  ^).  Suivant  la  règle  posée  plus 
haut,  Vouvry  dit  tyinvè,  sévè  (16),  dovan-na,  tyinvéna  =  dou- 
zaine, quinzaine"^.  Saint-Gingolph  a  conservé  anvè,  doué.  Sous 
cette  lumière,  vovaire,  de  vallesaria,  apparaît  régulier. 

Reste  à  vaincre  la  difficulté  de  la  forme  vaudoise.  Elle  dis- 
paraît en  présence  des  traces  assez  nombreuses  d'une  pronon- 
ciation onde,  dàdè,  etc.,  que  Bridel  mentionne  déjà,  et  qui  vit 
encore  au  Pays  d'Enhaut  et  aux  Ormonts.  Cette  façon  de 
parler,  où  M.  Fankhauser  a  certainement  raison  de  voir  une 
ancienne  évolution  ô  >  <3?,  était  autrefois  beaucoup  plus  ré- 
pandue. Ainsi  vaudaire,  normal  dans  une  partie  du  canton  de 
Vaud,  a  pu  prendre  racine  ailleurs,  le  diable  (?'a«^/^î)  peut-être 
s'y  mêlant.  La  série  des  nombres  11-16  n'est  pas  seule  à  pré- 
senter le  phénomène  en  question  :  pollicem,  pulicem  et 
autres  se  rencontrent  aussi  avec  d.  Ces  mots  ont  tous  une  /  ou 
71  avant  l'ancien  ô  pour  c.  Mais  le  type  pulicem  ayant,  dans 
notre  territoire,  alterné  avec  *pulicam  (cf.  espagnol /w/^a), 
il  n'y  a  pas  grand  parti  à  en  tirer.  Je  chercherai  à  remédier  à 
cette  pénurie  d'exemples  à  l'aide  des  beaux  matériaux  accu- 
mulés au  Bureau  du  Glossaire  et  dont  j'ai  à  peine  commencé 
à  tirer  profit  pour  l'histoire  de  nos  parlers.  Les  riches  collec- 
tions de  noms  de  lieux  de  M.  Muret  nous  permettront  égale- 
ment d'élucider  maint  problème.  Voici  un  exemple,  en  atten- 
dant :  le  nom  patois  d' Anzeindaz,  grand  alpage  de  la  commune 
de  Bex,  est  anvénda.  M.  Muret  propose  comme  étymologie 
douteuse  un  nom  de  femme  Adosinda.  La  filiation  très  pro- 
bable, après  ce  que  nous  venons  de  voir  :  a{n)d?zinda  "]>  an- 
binda  —  anvénda,  qui  explique  du  même  coup  la  forme  offi- 
cielle avec  z,  paraît  bien  lui  donner  raison.        L.  Gauchat. 


'  Cf.  à  ce  propos  la  Contribution  à  la  morphologie  des  parlers  savoyards 
de  J.  Désormaux  dans  les  Mélanges  Bnuwt  et  sa  critique  par  H.  Urtel 
dans  le  Rom.  Jahreshericht  XI,  I,  237. 

-  Mais  on:^è,  do:{è,  etc.,  sous  l'empire  de  la  langue  littéraire. 


LA  TRILOGIE  DE  LA  VIE 

(Suite.) 
-♦- 

III 
inoiiâ  ^  s.  f.  mort. 

mouâr  (Vd  Pays-d'Enhaut),  mouâ  ou  moud  (Vd  Lavaux,  Blo- 
nay,  Vaulion  ;  F  Gruyère,  Glane  ;  N  Côte-aux-Fées),  moue  (Vd 
Vallorbe,  Vallée  de  Joux),  m""Ôr  (V  Liddes),  mouÔ  (N  Monta- 
gnes), mou"  (B  Malleray ),  mor  (voyelle  ordinairement  longue, 
Vd  Ouest,  Est,  Leysin  ;  V  Salvan,  Lens,  x\nniviers  ;  G  Bernex  ; 
N  Val-de-Travers  :  B  Plagne),  tuÔ  (  Vd  Centre  ;  Bas-Valais, 
Hérens),  tnôr  {G  x\ire-la-Ville,  Hermance  ;  N  Val-de-Ruz,  Vi- 
gnoble; B  Montagne  de  Diesse),  ??iÔ  (G  Vernier  ;  F  Broyé),  ?>iÔ3 
(V  Saillon  ?  ;  B  Delémont,  Franches-Montagnes),  ?>ioû?  (N  Cer- 
neux-Péq.  :  B  Ajoie).  Plusieurs  de  ces  formes  trahisssent  l'in- 
fluence du  français,  moer,  mouer,  mor,  Bridel.  Gloss.,  la  pre- 
mière et  la  troisième  forme  sont  des  additions  de  P'avrat.  Mouâ, 
Dumur.  Moârt,  Bornet.  Môe,  Guélat.  Homonymes  patois: 
niort,  adj.  et  s.,  mors,  mord[s).  Synonymes.-  â^/^(?i',yf«,  trépas, 
voir  ces  mots. 

1.  mort  subie  ou  donnée  ;  2.  cas  de  décès;  •*$.  person- 
nification de  la  mort;  \.  autrefois:  épidémie  mortifère;, 
5.  dans  des  composés:  substance  ou  plante  pernicieuse. 


^  Depuis  la  publication  de  l'anicle-spécimen  précédent,  en  191 1,  la 
Rédaction  du  Glossaire  a  décidé  de  donner  en  français  les  inots  d'entêté 
pour  lesquels  la  langue  littéraire  possède  un  correspondant  exact  de 
formation  et  de  sens.  Ce  serait  le  cas  ici,  ainsi  que  pour  les  mots  sui- 
vants. Si  nous  conservons  l'ancien  système,  c'est  pour  ne  pas  changer 
de  méthode  au  milieu  de  la  série.  Pour  la  même  raison,  nous  n'intro- 
duisons pas  encore  les  sigles  destinés  à  abréger  sensiblement  la  nomen- 
clature géographique  qui  ont  été  dernièretnent  soumis  à  l'approbation 
de  la  Commission  philologique. 


66  L.    GAUCHAT 

1.  Za  pouaira  de  la  ?nouer,  il  a  peur  de...  (Bridel,  Gloss. 
ms.).  A-n  OH  lyi  dé  moiui,  sur  un  lit  de...  (Vd   Blonay).   La 
mbr  c  h  rai  dé-z  èpotivintèmin,  ...  est  le  roi   des  épouvante- 
ments  (Vd  Ormi.  Za  mû  nivâilè  tb,  ...  nivelle  tout  (Vd  Pen- 
thalaz).  Ks  Dyu   nb  prèjèrvai...    Dr   la  niouâr   dou   traitao, 
que  Dieu  nous  préserve...  de  1.   m.  du  traître,  c'est-à-dire  de 
Judas  Iscariot,  ancienne  prière  (Lambelet,  Croy.  pop.,  Arch. 
s.  d.  trad.  pop.  XII,  117).  Mo  S9b9tan-na,vci.  subite  (Vd)  ;  ;;/^//r/ 
d^  tnô  choubyta,  mourir    de  m.  s.  (V   Nendaz).  Mo  7>yolinta, 
m.  violente  (Vd),  7iwuÔ  frapinta,    «  frappante  »  (N  Bre'vine). 
Nb  fô  fui  pasâ  pe  la  moue,  [il]  nous  faut  tous...  (Vd  Chenit). 
Mouri  de  sa  bala  mbr.^  de  sa  mort  naturelle,  ou  :  sans  trop 
souffrir,  ou:  innocent,  jeune  (on  dit  aussi  «  de  sa  bonne  m.  », 
ou  :  de  sa  pdan-na  môr,  Leysin  ;  plyan-na  moud,  Gruyère).  /  det 
meri  d^sa  bala  mouô  (N  Michelin-Bert,  Diinanche  aux  Plan- 
chettes, éd.  Jeanjaquet,  p.  49,  d'un  vieux  cheval  qu'on  ne  veut 
pas  tuer).  Fér  on-fia  bala  mouô,  mourir  sans  souffrances  (F);  ?ia 
brava  môr  (G).  Intrd  la  vya  c  la  moue,  entre  la  vie  et...  (Vd 
Vallorbe).  Ave  la  moue  de  rdma,  avoir  la  m.  dans  l'âme  (ib.). 
Konba  a  fn.,  combat  à  m.  (ib.).  S'tn-nouyi  a  la  m.,  s'ennuyer... 
(ib.).  Orin  è  tb  parai  devan  la  m.,  on  est  tous  égaux...  (Vd 
Bière).  Se  halyi  la  mo,  se  donner...  (Vd).  Za  mbr  n'a  pà  fan, 
la  m.  n'a  pas  faim  (Vd  et  ailleurs,  se  dit  en  voyant  une  personne 
misérable  qui  est  à  la  charge  d'autrui).  —  Zaché  i  fir?,  yjœu-z 
inpï.,  é  varan  prœu  an  mo  %li7i  k'è  d'di  pâ  fi  adrai,  laissez- les 
faire,  ces  impies,  ils  verront  bien  à  la  mort  ce  que  c'est  de  ne 
s'être  pas  bien  conduits  (V  Bagnes,  Courthion).  Mèmamèn  h 
vèrmé  lan  pouir?  de  la  mbr,  même  les  vers  ont  peur  de  la  m. 
(V  Anniviers).  Mouri  de  la  mbr  dura,  mourir  vieux  garçon 
(V  Salvan).  On  vi  toui  ta?ik  a  la  mb,  on  vit  tous  jusqu'à  la  m. 
(V  Vérossaz).  A  la  mb  noun  prin  tsôja  apré  chè,  à  la  m.  on  [ne] 
prend  rien  avec  soi  (V  Evolène).  Ona  mb  dœu%b,...  douce  (V 
Bagnes).  —  A  fin  de  moud,  in  extremis  (F  Gruyère,  aussi  Vd). 
Avi  la  moud  chu  le  botsè,  avoir...  sur  les  lèvres,  même  sens  (ib.); 
din  le  jyè.1  dans  les  yeux  (ib.).  Chè  balyi  la  m.  ou  kouà,  «  se 


LA    TRILOGIE    DE    LA    VIE  67 

donner  la  m.  au  corps  »,  gâter  sa  santé  (ib.).  /dr'  a  dou  de  de 
la  m.,  être  à  deux  doigts...,  bien  malade  (ib.).  Ses  grahès,  ses 
vertus  triomphant  de  la  /nouart,  ses  grâces,  ses  vertus,  triom- 
phent... (Python,  Egl.  5,  p.  130  de  l'éd.  Moratel).  Adeisivo, petit 
volâdzou,  Ne  vo  revéri  djiainé  ;  Schondzidé  adi  koqué  yadzoti 
Que  vo  ni'ey  caouja  la  uiod,  adieu,  petit  volage,  je  ne  vous 
reverrai  jamais;  songez  bien  quelquefois  que  vous  m'avez 
causé  la  m.  {Etrennes  frib.  XXVI,  p.  122).  Aid  tsèrtchi  la  moua. 
«  aller  chercher  la  m.  »  =  marcher  très  lentement  (F  Romont)  ; 
cf.  êtr  bon  par  km  (chercher)  la  fnor,  être  lent,  mettre  beau- 
coup de  temps  pour  faire  une  course  (B  Plagnej.  É  vœl  s  kéyi 
djuk  a  la  mor,  ils  se  haïront  à...  (N  Noiraigue).  É  pyœ  a  mor, 
«  il  pleut  à  mort  »  ^  à  torrents  (ib.).  Resta  unis,  fidèles,  djanqua 
la  niuau,  restez  unis,  f.,  jusqu'à  la  m.  (,Huguenin,  Chansonnier, 
n°  1).  —  Èvoue  le  mous  antr  lé  dan,  avoir  la  m.  entre  les  dents 
(B  Ajoie).  I  in-virô  mœ  sœfri  mil  wo^,  j'aimerais  mieux  souffrir 
mille  morts  (B  Mettemberg).  Malet  an  le  m.,  malade  à  m.  (ib  ). 
Byèsi  e  m.,  blessé...  (ib.).  Kondane  è  m.,  condamné...  (ib.).  La 
pin-n  d3  tn.,  la  peine...  (ib.).  Le  m.  d'  Vâm,  la  m.  de  l'âme  (ib.). 
El  éfè  en  bel  ('  bouin-n  mÔJ,  il  a  fait  une  belle  et  bonne  m.,  il 
est  mort  dans  de  beaux  sentiments  de  religion  (ib.).  Enne  bin 
belle  moue,  titre  d'une  historiette  (Pays  du  dimanche,  iSçSin^is). 
Tbti  fèy3  k3  pati  n'é  pd  le  mÔ3  â  txu,  toute  fille  qui  pète  n'a  pas 
la  m.  au  c.  (Rossât,  Chants  pat.,  n"  61).  Le  fnou?  d'in  Ôjeld,  la 
mort  d'un  oiselet  (ib.,  n°  104,  chanson  de  A.  Biétrix,  devenue 
très  populaire  en  Ajoie).  —  2.  Ai  7'b  la  mo  tsi  vb,  avez-vous 
la  m.  chez  vous,  une  personne  décédée  dans  votre  parenté  ? 
(Vd).  «Quand  on  abordait  autrefois  quelqu'un  en  entrant  dans 
une  maison  mortuaire,  on  lui  disait  :  vo-z  éi  (avez)  la  moud  » 
(Vd  Blonay).  E  y  é  èyu  mÔ3  d'a-n^  il  y  a  eu  mort  d'homme  (B). 
—  3.  On  se  représente  la  mort  comme  un  squelette,  voilé  ou 
non  d'un  suaire,  et  armé  d'une  faux,  aussi  tenant  un  sablier. 
La  ma?  porté  la  fà  su  Vépôla pb  ssyè  H  vy'e  di  dzin,  ...pour  fau- 
cher les  vies  des  gens  (V  Saillon).  La  phrase  po  sauva  lo  tnondo 
dâi  grappiè  de  la  moo,  ...des  griffes  de...  {Po  recafâ,  p.  382) 


68.  L.    GAUCHAT 

semble  montrer  sous  un  autre  aspect  cette  personnification. 
Dans  nos  légendes,  elle  apparaît  sous  des  formes  diverses. 
Maison  à  V enseigne  de  la  tnort,  Bulle,  plan  de  173 1,  3  ;  ancien 
nom,  jusqu'en  1838,  de  l'Hôtel  de  l'Union.  Dans  une  pétition 
de  1838,  il  est  fait  mention  de  la  Porte  de  la  mort,  ancienne 
porte  Sud,  détruite  à  cette  époque  (Ruffieux).  —  -i.  «  La  fa- 
meuse peste  dite  la  mort  noire»,  en  1349  (Courthion,  Veillées 
des  Mayens,  p.  172).  «  Dans  la  première  moitié  du  dix-septième 
siècle,  une  peste  appelée  jnort  noire''  ravagea  non  seulement 
les  populations  de  la  plaine,  mais  même  celle  de  nos  Alpes  » 
(Ceresole,  Légetides  des  Alpes  vaiid.,  p.  321)  ;  cf.  la  désignation 
allemande  de  la  peste  «  Der  schwarze  Tod  ».  La  mort  de  Me- 
nières,  nom  fribourgeois  de  la  même  épidémie,  d'après  un  vil- 
lage où  elle  fit  de  grands  ravages  (Kuenlin,  Dict.  II,  121).  — 
5.  môr  è  ra,  arsenic (Vd  Leysin);  cf.  mort-aii-rat  (Duret,  Gloss., 
p.  151),  nior  de  ra  (V),  môd  é  rh  (B);  môr  dei  rate,  Euphorbia 
Peplus,  mélangé  avec  des  aliments,  sert  à  détruire  les  souris 
(V  Evolène).  L'est  de  clliâo  que  sont  coumeint  dâi  tireboutchons, 
qu'on  lâi  dit pe  Paris  ddi  z'«.  accroche-tieu  »,  que  V est  la  moo  ai 
rate  dâi  valets,  il  y  e.n  a  (des  mèches  de  cheveux  dont  se 
parent  les  jeunes  filles)  qui  sont  comme  des  tire-bouchons, 
auxquelles  on  dit  à  Paris  des  «  accroche-cœurs»,  qui  sont  le 
poison  des  jeunes  gens  {Cont.  vaud.  1880,  n^  3).  MÔ3  é  motch, 
mort  aux  mouches  (B).  Mouér  é  vis,  mort  aux  vers,  vermifuge 
qu'on  donne  aux  enfants  (B  Boncourt).  Mor  i  tsin,  m.  aux 
chiens,  colchique  (Vd  Villeneuve).  Mor  u  dyablyo,  petite  sca- 
bieuse,  etc.,  ne  contient  pas  notre  mot,  voir  sous  mouâ,  mors. 
Cf.  d'autres  composés  sous  trompe-la-mort,  morbleu. 

Comparaisons:  frai  k?min  la  moua,  froid  comme...  (Vd 
Blonay)  ;  pâle,  blanc  c.  la  m.  ;  byèv  c.  la  m.,  pâle  (B). 

Proverbes  ou  dictons  ^  :  Apri  !a  mouâ^  lou  maidzo,  après 
la  mort,  le  médecin  (Dumur,  Voc.)\  cf.  âpre  la  mor,  h  ?nédj 
(B  Plagne).  A  la  moud,  rin  dé  ré?fuiido,  à  la  m.  pas  de  remède 
(Vd  Blonay)  ;  cf.  y  a  partb  de  rhnyèdzo  Han  mo  (V  Bagnes)  ; 


'  Il  y  en  a  qui  ont  déjà  été  cités  sous  )iiariage,  voir  partie  II. 


LA    TRILOGIE    DE   LA   VIE  69 

a  la  mÔ  min  dd  rdmâido  (V  Vouvry);  è  y  c  ïn  rmedi  an  tb  si 
s'  71  â  an  le  moû3^  il  y  a  un  remède  à  tout  si  ce  n'est  à...  (B 
Rossât,  Prov.s  Arch.  s.  d.  trad.  pop.  XII,  p.  263).  Oou  ma- 
rra dzo  c  a  la  moini,  h  dyâblyo  fa  sé-z  éfoua,  au  mariage  et  à 
la  mort, le  diable  fait  ses  efforts  (Vd  Blonay);  ailleurs  :  //(tous) 
sé-z  éfoua:  forme  bernoise:  â  mcryèdjs  e  an  le  mÔ?,  /'  dyel  fè 
sé-z  éfo9  (Rossât,  Arch.  s.  d.  trad.  pop.  XIII,  40,  cf.  XII,  267). 
Moud  é  vindisyon  ronpon  tôt  amddiyasyon,  mort  et  vente  rom- 
pent toute  amodiation  (Vd  Blonay)  ;  varié  à  Villeneuve  :  mor, 
partâdze  è  veindisyon  kâson  tôt  amodiachon.  Loti  dzouvino  ki 
vclys  e  lou  vilyo  k?  doua,  san  ti  dou  bmprî  de  la  mouâ,  le  jeune 
homme  qui  veille  et  le  vieillard  qui  dort,  sont  tous  deux  bien 
près  de  la  m.  (Dumur.  Revi).  Moueir  de  ferma  et  via  de  tsévo, 
Le  la  tsevauce  de  Votto,  mort  de  femme  et  vie  de  cheval,  c'est 
la  prospérité  de  la  maison  (  Corbaz,  p.  142;  Chenaux  et  Cornu, 
Pan.,  n*^^'  125),  cf.  la  corruption  de  ce  proverbe,  qui  en  fait 
encore  mieux  ressortir  le  cruel  matérialisme,  notée  par  M.  Gillié- 
ron  à  Vissoie  (V):  Mbr  de  fèna,  ritchds?  d'bmo.  Crouia  via  et 
bouna  mor,  djamé  ne  fur  an  d'accord,  mauvaise  vie...  (Corbaz, 
p.  193),  cf.  Quinche,  Frov.,  p.  4;  Le  Patois  neuch.,  p.  129.  La 
Vallée  de  Joux  dit:  bouna  via  fa{Ï3i\\.)houna  moue.  l^a.  Gruyère, 
plus  brièvement  :  tola  ya,  tola  moud,  telle  vie...  ;  forme  plus 
archaïque  notée  à  Lessoc  :  ta  va  tÔ  mouâ.  ToV  é  la  mor  d'oun 
omo,  toV  c  la  mor  d^oun  ano,  telle...  d'un  âne  (Corbaz,  p.  136) 
variante  du  prov.  plus  polie  :  Târ  è  la  moo  d'an  sadzo  (sage  ),  tôV 
(•  la  moo  d' on  fou  (Po  recafà,  p.  456).  Si  ks  dèzirc  la  mÔ  de 
son  V3zin.^  la  sin-na  n'e  pâ  lyin,  celui  qui  désire...,  la  sienne 
n'est  pas  loin  (Vd  Pailly).  La  mb  on  sa  pâ  kan  vin,...  on  "ne 
sait  pas  quand  [elle  vient  iV  Val  Ferret).  La  mb  râd'e  rin yà 
priu,...  ne  regarde  pas  où  elle  prend  (ib.  ).  A  la  mouâ  nb  chsrin 
ti  para,...  non?,  serons  tous  égaux  (F  Châtel-St-Denis).  La  mouâ 
nèpârnyè  nyon,...  personne  (F  Gruyère).  A  la  mÔ  fô  tb  pèrdtna 
(F  Broyé).  An  tôt  omr  (heure)  la  mousr  â  prât  (prête,  B  Clos 
du  Doubs).  La  vi  n'a  k' en  part,  la  mbr  bn  a  san,  la  vie  n'a 
qu'une  porte,  la  m.  en  a  cent  (B  Plagne). 

On  entend  dire  à  l'occasion  d'un  décès  :  Le  bon  s'in  von,  le 


70  L.    GAUCHAT 

krouyo  rèston,  les  bons  s'en  vont,  les  mauvais  restent  (Vd  Ville- 
neuve). Adjdœ  â  dénè,  dmiti  dln  l  v'^e,  aujourd'hui  au  dîner, 
demain  dans  le  cercueil  (B),  ce  qui  correspond  à  l'allemand  : 
heute  rot,  morgen  tôt. 

.Noms  «le  lieux  :  à  la  Mort  du  Day  (Vd  Renens,  fiches 
Millioud)  ;  Fraz_  la  Mort  (Vd  Lucens,  ib.)  ;  En  Longe  Mort 
(Vd  Ollon,  1834,  65,  prés,  pron.  pat.  in  londzs  mor);  ce  lieu-dit 
se  rencontre  ailleurs:  F  Hauteville,  F  Villarvolard,  où  il  se 
prononce  en  patois  londzdnuî,  cnû  mort  =  moud,  cf.  mâr-né  = 
mort-né,  à  Lessoc,  Gruyère;  La  Mort  (B  Les  Bois,  1857,  23), 
nom  d'une  partie  des  gorges  du  Doubs  ;  autrefois  moulins, 
dans  un  site  très  sauvage.  Moulins  de  la  Mort,  ib.,  1875,  8; 
pron.  pat.  {c  le  >nÔ3):  Clos  la  Mort  {J^  Montsevelier,  1846,  8, 
prés,  Meylan)  ;  Pré  de  la  Mort  (B  Souboz,  1850,  5,  prés,  Mey- 
lan). 

Etym.   du  latin  morte  m. 

Encyel,  ^  1 .  En  Suisse  romande,  la  peine  de  mort  n'existe 
que  dans  les  cantons  du  Valais  et  de  Fribourg.  Ce  dernier 
canton  l'avait  déjà  abolie  en  184S,  Neuchâtel  en  1854,  Genève 
en  187 1.  I-a  Constitution  de  1874  proclama  l'abolition  pour 
tout  le  domaine  de  la  Confédération,  ce  qui  engagea  Berne  et 
le  Valais  à  supprimer  l'exécution  capitale  —  car  il  ne  s'agit 
que  de  cette  peine  depuis  les  temps  de  la  République  Helvé- 
tique —  dans  leurs  codes  pénaux  cantonaux.  Vaud  suivit 
en  1875.  Cependant,  par  un  arrêté  fédéral  de  1879,  l'^-bo- 
lition  fut  limitée  aux  crimes  politiques,  ce  qui  permit  de  réin- 
troduire la  peine  de  mort  au  Valais  (1883),  à  Fribourg  (1894), 
ici  sous  l'impression  d'un  crime  monstrueux.  Le  nouveau  pro- 
jet d'unification  du  droit  pénal  en  Suisse  ne  la  contient  plus; 
les  cantons  seront  néanmoins  libres  de  la  conserver  par  des 
lois  d'introduction.  Ch.  Soldan  et  C.  Decoppet,  L,a  peine  de 
mort  dans  le  canton  de  Vaud,  Berne  1892,  et  M.  Scheward- 
nadse.  Die  Todesstrafe  in  Europa,  Munich  1914. 


'  Tout  ce  qui  concerne  le  deuil  et  les  funéi ailles  figure  sous  entrr- 
renient,  voir  plus  loin. 


LA   TRILOGIE    DE   LA   VIE  71 

2.  Présayes  de  la  mort.  La  crainte  de  la  mort,  qui  accom- 
pagne l'homme  presque  du  berceau  au  tombeau,  a  fait  naître 
une  foule  de  croyances  superstitieuses,  en  partie  encore  forte- 
ment enracinées  dans  le  peuple.  Les  progrès  de  la  civilisation 
tendent  à  les  faire  disparaître,  mais  elles  renaissent  grâce  aux 
forces  mystérieuses  qui  enveloppent  notre  vie.  Nos  correspon- 
dants ne  manquent  pas  d'affirmer  qu'on  ne  croit  plus  à  ceci 
ou  à  cela,  mais  il  y  aura  toujours  des  êtres  faibles,  des  âmes 
timorées  ou  éprouvées  par  le  malheur,  qui  s'inquiéteront  à 
l'apparition  d'une  comète  ou  éclipse,  qui  éviteront  d'être 
treize  à  table,  qui  écouteront  avec  angoisse  le  vent  qui  s'en- 
gouffre dans  une  cheminée,  ou  la  tempête  qui  rugit  à  l'angle 
de  la  maison,  qui  seront  impressionnés  par  les  étoiles  filantes, 
les  feux-follets  ou  les  figures  formées  par  les  nuages.  Nous  ne 
nous  arrêterons  pas  à  ces  sentiments  généraux  et  ne  citerons 
que  les  signes  ou  marques  ou  avertissements  {chdnè  Vd  Leysin, 
aloudzo  V)  qu'on  considérait  ou  que  l'on  considère  encore  — 
impossible  de  faire  le  départ  —  comme  étant  de  mauvais 
augure.  Nous  commençons  par  les  traits  les  plus  tenaces, 
par  l'interprétation  occultiste  de  la  nature. 

Animaux.  On  interprète  de  façon  fâcheuse  la  présence, 
surtout  de  nuit,  des  animaux  de  couleur  noire  :  corbeaux,  pies, 
strygiens,  araignées  noires,  taupes.  La  chouette  qui,  dit-on, 
flaire  le  cadavre  avant  la  mort,  annonce  le  malheur  en  venant 
pleurer  sous  votre  toit.  Le  hibou  et  la  chouette  portent  le  nom 
d'oiseaux  de  la  mort.  Les  pies  qui  jacassent  à  proximité  d'une 
maison  où  il  y  a  un  malade,  ou  qui  viennent  frapper  du  bec 
contre  la  fenêtre,  les  corbeaux  qui  se  placent  avec  persistance 
sur  certains  arbres  du  verger  ou  qui  croassent  sur  le  toit  ont 
une  mauvaise  réputation.  De  même  les  poules  qui  frappent  aux 
vitres  (Vd  Sassel),  celles  qui  imitent  le  chant  du  coq,  celui-ci 
s'il  chante  avant  minuit  ou  le  soir.  Les  grosses  araignées  noires 
sont  parfois  messagères  d'une  nouvelle  fatale  (V(1,G).  Lorsque 
les  taupes  font  leurs  taupinières  dans  l'enceinte  le  la  maison, 
dans  les  caves  ou  cuisines,  ou  qu'elles  sortent  d(  terre  près  des 
habitations,  c'est  un  mauvais  signe.    La  mort  de  souris,  sur- 


7  2  L.    G AU CHAT 

venue  sans  qu'on  pût  en  découvrir  la  cause  naturelle,  avait 
averti  les  ouvriers  d'une  carrière  d'un  éboulement  qui  arriva 
peu  après  (V  Bagnes).  Il  ne  faut  pas  que  les  souris  rongent  les 
habits  (B  Plagne).  Si  une  brebis  fait  un  agneau  tacheté,  c'est 
signe  de  désaccord  ou  de  mort  dans  la  famille  (V  Isérables). 
Les  papillons  de  nuit  appelés  drmètè  («petites  âmes»)  sont  né- 
fastes (F).  Il  est  mauvais  de  trouver  une  colonie  d'abeilles 
morte  au  printemps  (Fj  ;  on  est  anxieux  lorsque  les  bêtes  se 
détachent  d'elles-mêmes,  la  nuit  (V  Grône).  Les  petits  coups 
de  marteau  produits  dans  les  parois  vermoulues  par  l'insecte 
nommé  «  horloge  de  la  mort  »  (voir  sous  ce  mot  les  nombreux 
termes  patois:  c'est  VAnobium  pertinax,  le  Totenhàmmerli  de  la 
Suisse  allemande)  continuent  à  effrayer  les  malades  qui  cher- 
chent vainement  le  sommeil.  On  attribue  le  pressentiment  d'un 
décès  au  chien  de  la  maison,  qui  le  manifeste  en  poussant  des 
hurlements  plaintifs  dans  la  nuit.  Si  en  hurlant  {lulâ  V'^d)  il 
baisse  la  tête,  le  fossoyeur  aura  bientôt  de  l'ouvrage  ;  s'il  la 
lève,  c'est  pour  un  incendie  (Vd,  G).  Le  cri  nocturne  du  renard 
a  une  signification  analogue  (  V  Evolène). 

Plantes.  Si  les  choux  fleurissent  («montent»),  c'est  un  indice 
de  mort  (Vd  F  B).  Il  n'est  pas  bon  que  les  choux  ou  les  hari- 
cots aient  des  feuilles  blanches  (B  Plagne).  Lorsqu'un  arbre 
fleurit  pour  la  deuxième  fois  la  même  année,  un  membre  de  la 
famille  doit  se  préparer  à  mourir  (\'d  Longirod).  Beaucoup  de 
fleurs  d'arrière-automne  indiquent  une  grande  mortalité  parmi 
la  jeunesse  (V  Bagnes).  Des  fleurs  blanches  à  un  arbre,  en  au- 
tomne, annoncent  un  décès  dans  la  famille  durant  l'année,  des 
fleurs  rouges  un  mariage  (V  Isérables). 

Bruits.  Tous  les  bruits  insolites,  craquements  de  planchers 
ou  de  meubles,  frôlements  inexplicables,  chute  d'un  corps  qui 
tombe  lourdement,  etc.  qui  interrompent  le  silence  de  la  nuit, 
sont  des  «  avertissements  »  pour  les  gens  peureux.  Ils  ne  sont 
pas  toujours  interprétés  comme  présages  de  mort  pour  ceux 
qui  les  entendent  ou  les  leurs.  A  Genève  (Bernex),  des  coups 
frappés  annonceraient  qu'un  mort  demande  des  messes  pour 


LA    TRILOGIE    DE   LA    VIE  73 

le  repos  de  son  âme.  Dans  le  Jura  bernois,  on  y  voit  un  effet 
de  télépathie,  par  laquelle  un  parent  ou  ami  fait  connaître 
qu'il  a  cessé  de  vivre.  Même  en  plein  jour,  lorsqu'on  entend  à 
côté  de  soi  comme  un  bruit  de  gouttière,  c'est  un  présage  de 
mort  pour  un  membre  de  la  famille  (V  Evolène).  D'autres  veu- 
lent avoir  eu  des  visions  de  défunts  ou  avoir  entendu  des  sou- 
pirs ou  même  des  voix  qui  les  appelaient  par  leurs  noms.  Si 
cela  se  répète,  c'est  encore  bien  plus  grave. 

Kèves.  Rêver  de  fruits  en  une  saison  où  ils  ne  mûrissent  pas 
(B  Plagne),  surtout  de  fruits  noirs  :  cerises,  prunes,  cassis,  de 
fleurs  ou  de  bouquets  blancs,  est  un  signe  de  deuil  prochain. 
De  même  si  l'on  rêve  qu'on  étend  du  linge,  qu'on  assiste  à  un 
convoi  funèbre  interminable,  à  une  noce  (B),  qu'on  parle  à  des 
défunts.  Au  contraire,  lorsqu'on  rêve  qu'une  personne  vivante 
est  morte,  cela  lui  prolonge  l'existence  (de  10  ans,  B).  Rêver 
d'un  décès  signifie  noces  prochaines  d'un  parent  (B  Char- 
moille).  Les  oiseaux,  les  œufs,  les  moissons  qu'on  voit  en 
songe,  sont  funestes.  Si  le  blé  est  sur  pied,  cela  désigne  la 
mort  d'une  jeune  personne,  s'il  est  en  gerbes,  d'une  personne 
âgée  (G  Bernex).  Rêver  qu'on  arrose  oit  il  y  a  trop  d'eau,  ou 
de  moutons  qu'on  voit  dans  l'eau,  mort  certaine  d'un  proche 
parent  (V  Anniviers). 

Présages  divers.  Sont  de  mauvais  augure  le  bris  de  verres, 
de  vitres,  d'un  miroir  qui  se  casse  ou  qui  tombe  sans  cause 
apparente,  d'un  encrier  qui  se  fend  tout  seul  iB  Boncourti. 
l'arrêt  subit  ou  <  râle  »  d'une  horloge,  deux  horloges  de 
villages  rapprochés  qui  frappent  l'heure  ensemble  (Vd  Chex- 
bres),  des  couteaux  et  fourchettes  mis  en  croix  sur  la  table  ou 
autre  chose  se  présentant  sous  cette  forme  (G,  B),  une  porte 
qu'on  ne  peut  tenir  fermée,  des  chandelles  vues  par  une  per- 
sonne alitée  (cf.  Ceresole,  Légendes  des  A.  v.,  p.  331).  On  peut 
en  dire  autant  des  taches  noires  sur  le  linge  qu'on  lessive,  d'un 
drap  qui  gardera  des  places  sèches  et  qui  deviendra  votre  lin- 
ceul, d'une  lessive  «fleurie».  Faire  la  lessive  pendant  les 
Rogations  amène  la  mort  du  chef  de  la  maison  (V  Bagnes)  : 


74  L-    GAUCHAT 

quand  on  la  fait  en  la  semaine  sainte,  on  blanchit  un  linceul 
pour  la  parenté  {Arc/i.  s.  des  trad.  pop.  XII,  p.  169);..,  la  se- 
maine de  la  Toussaint,  il  meurt  un  parent  dans  l'année  (ib. 
p.  172);  la  faire  pendant  qu'on  a  un  malade,  en  détermine  la 
fin  (G  Hermance).  Des  cendres  qui  restent  en  paquets  ou  gros 
grumeaux  sont  un  mauvais  signe.  On  s'inquiète  d'une  salière 
renversée  ou  de  taches  bleues  sur  la  peau  (Vd);  elles  s'appel- 
lent blyb  de  moue  à  la  Vallée  de  Joux,  cf.  les  Tote/ibliimchen  de 
la  Suisse  allemande.  Qui  constate  deux  samedis  dans  l'année 
où  le  soleil  ne  brille  pas,  aura  un  décès  dans  la  famille  (Vd 
Vallée  de  Joux).  Si  un  enfant  au  berceau  se  frottait  le  nez  avec 
persistance,  c'était  le  présage  d'un  décès  prochain  dans  le  voi- 
sinage ou  la  parenté  (V  Bagnes).  Nous  n'avons  pas  retrouvé  en 
Suisse  les  rites,  connus  ailleurs,  qu'on  emploie  en  construisant 
une  maison  pour  empêcher  que  la  mort  n'y  entre.  Mais  autre- 
fois, dans  le  Jura  bernois,  la  tête  de  la  bête  tuée  pour  fêter 
la  levée  d'une  maison  était  clouée  au  faîte  et  y  restait,  ce 
qui  indique  peut-être  un  ancien  usage  de  ce  genre.  A  Her- 
mance (G),  pour  exprimer  que  celui  qui  fait  constiuire  meurt 
souvent  quand  la  maison  est  prête,  on  emploie  le  dicton  :  Kan 
la  kaj  è  fêt,  Vizé  s'an  va.,  quand  la  cage  est  faite,  l'oiseau  s'en 
va.  Il  ne  faut  jamais  compter  les  étoiles,  car  si  l'on  venait  à 
compter  la  sienne,  on  serait  frappé  de  mort  (V). 

On  observe  avec  une  attention  particulière  ce  c^ui  se  passe 
pendant  les  cérémonies  ou  J'étes,  pour  en  tirer  des  conclu- 
sions sur  la  vie  des  participants.  Lorsqu'un  mariage  est  célébré 
par  le  vent,  le  mari  mourra  le  premier;  par  la  bise,  ce  sera  la 
femme  (voir  sous  mariage.,  Encycl.  14).  Un  cierge  qui  brûle 
plus  vite  que  les  autres,  pendant  la  bénédiction  nuptiale, 
annonce  la  mort  de  celui  des  conjoints  qui  est  le  plus  rap- 
proché (V  Bagnes).  S'il  y  a  un  cercueil  déposé  à  l'église  où 
entre  la  noce,  l'un  des  époux  mourra  dans  les  six  mois  (ib.).  Si 
un  cadavre  était  «  sur  la  planche  »  le  dimanche,  on  croyait 
qu'il  y  aurait  sous  peu  un  autre  décès  dans  la  maison.  Même 
croyance,  si  les  membres  d'un  mort  ne  se  raidissaient  pas.  si 


LA   TRILOGIE    DE    LA    VIE  75 

les  bras  qu'on  lui  avait  croisés  se  déplaçaient,  ou  si  on  ne  réus- 
sissait pas  à  lui  fermer  les  yeux.  Quand  un  convoi  funèbre  se 
désagrège  pendant  l'enterrement,  un  deuxième  ne  tardera  pas 
à  suivre  (B).  Si  on  voyait  les  gens  revenir  du  sermon  en  se 
tenant  ensemble  au  lieu  de  se  disperser  par  groupes  ou  isolé- 
ment, cela  faisait  dire  :  il  va  y  avoir  un  enterrement  dans  peu 
de  jours. 

A  certains  signes  on  croyait  reconnaître  si  un  nouveau-né 
viv'rait.  S'il  ne  pleurait  pas  à  la  naissance,  s'il  venait  au  monde 
un  Vendredi  Saint  (Vd),  s'il  avait  un  front  fortement  proémi- 
nant(F)  ou  des  veines  saillantes  aux  tempes,  au  front  (B),  sa  vie 
était  censée  être  de  courte  durée.  Enfants  et  animaux  nés  en 
février  n'ont  pas  longue  vie,  reste  d'astrologie  (V  St-Maurice). 
Une  femme  enceinte  qui  assistait  à  un  enterrement,  nuisait  à 
la  vie  de  son  enfant  (V  Bagnes)  ;  de  même  si  elle  présentait  un 
entant  au  baptême  [Arc/i.  s.  d.  trad.  pop.  XII,  119).  Si  elle 
allait  visiter  un  moribond,  l'enfant  naissait  avec  la  couleur 
cadavérique  de  l'agonisant  (ib.). 

Une  grande  partie  des  «  signes  »  mentionnés  se  retrouvent 
en  Savoie  (voir  A.  van  Gennep,  Du  berceau  à  la  to/nbe,\i.  226  ss.). 
Voir  d'autres  présages  sous  nombre,  7'eridredi,  gaucAe,  éternuer\ 
les  moyens  dé  se  préserver  contre  la  mort  sous  amulette. 

.'î.  On  a  malheureusement  trop  laissé  se  perdre  la  plupart 
des  belles  Ié(|endes  que  se  racontaient  nos  aïeux.  Celles  qui 
ont  été  recueillies  montrent  le  rôle  important  que  la  mort 
y  jouait.  Nous  ne  pouvons  en  entreprendre  ici  une  étude 
collective  faute  de  matériaux  un  peu  complets,  et  nous  nous 
contentons  de  rappeler  l'influence  sur  la  fin  de  notre  destinée 
attribuée  au  chasseur  nocturne  ou  cavalier  (V),  à  la  procession 
des  morts  (ib.),  aux  revenants,  au  mauvais  œil,  aux  sorcières, 
aux  lutins,  aux  esprits  inventés  pour  personnifier  de  grandes 
épidémies.  Nous  donnerons  quelques  détails  sous  les  mots 
chasseur,  procession,  etc.  Notons  en  attendant  la  légende  de 
Jean  de  la  Bolliéta,  mise  en  poésie  par  Bussard  (?  voir  Bi- 
bliogr.  ling.  I,  n"  558),  où  un  lutin  fâché  cause  la   perte  d'un 


76  L.    GAUCHAT 

troupeau  de  vaches,  le  récit  Un  servant  cause  de  mort  donné 
par  Ceresole,  Lég.  des  Alpes  vaud.,  p.  35,  et  la  croyance  que 
la  rencontre  des  fenettes  des  îles  du  Rhône,  espèce  de  nym- 
phes, était  funeste  (ib.  p.  79).  Quant  aux  personnifications  de 
maladies  contagieuses,  nous  renvoyons  à  l'histoire  de  la  Dépo- 
pulation de  Champ  s- Jumeaux  dans  les  Veillées  des  Mayens,  de 
M.  Courthion,  p.  176,  et  au  conte  sur  la  Peste  à  Nenda{, 
publié  par  M.  Jeanjaquet  dans  le  Bull,  du  Glossaire,  VII,  p.  46. 

\.  Passant  aux  coutumes  observées  pendant  et  immédiate- 
ment après  un  décès,  il  y  a  lieu  de  mentionner  les  rites  pra- 
tiqués par  les  cathoUques  pendant  l'agonie.  Le  malade  reçoit 
les  sacrements  de  pénitence  et  d'Eucharistie;  le  danger  devenu 
plus  imminent,  le  prêtre  lui  donne  encore  le  sacrement 
d'extrême-onction.  Il  l'assiste  de  ses  prières,  auxquelles  le 
mourant  prend  part  dans  la  mesure  de  ses  forces.  Le  prêtre 
peut  être  remplacé  par  des  laïques.  On  appelle  cela  «récrier» 
le  mourant  (B).  A  Bagnes,  le  curé  est  appelé  par  un  parent  ou 
ami,  muni  du  voile  de  pénitent  (voir  plus  loin).  Le  départ  du 
presbytère  est  accompagné  d'une  petite  sonnerie  de  cloches. 
Le  nombre  des  coups  est  différent  selon  les  villages  où  l'on 
porte  le  viatique.  On  allume  aussi  une  bougie  (jaune)  à  l'église 
devant  un  autel,  persuadé  que  la  vie  s'éteindra  avec  le  cierge. 
Pour  les  agonisants  qui  ont  occupé  une  fonction  à  l'église,  on 
y  joint  un  cierge  blanc  (Bagnes).  Lorsqu'un  enfant  est  agoni- 
sant, on  appelle  les  parrains,  qui  viennent  1'  «étrenner»,  c'est- 
à-dire  placer  sur  sa  poitrine  une  pièce  d'argent  qui  sera 
ensuite  remise  au  curé  pour  dire  un  office.  Cet  usage  est  consi- 
déré comme  devant  hâter  la  «  délivrance»  de  l'enfant  (F  Broyé;. 
Chez  les  protestants  on  a  recours,  pour  adoucir  les  derniers 
moments,  à  des  prières  ou  lectures  de  textes  bibliques.  On 
enlevait  le  lit  de  plumes  («couatre»)  sous  le  mourant  (Vd). 
On  croyait  qu'un  coussin  de  plumes  prolongeait  l'agonie 
(V  Bagnes). 

Pour  exprimer  que  le  malade  est  in  extremis,  les  patois 
emploient   quelques    périphrases,   dont   voici   les    principales 


LA    TRILOGIE   DE    LA    VIE  77 

mous  francisons  où  l'expression  n'y  perd  rien):  être  à  {toute) 
extrémité,  au  bout  {de  la  perche)  (Vd  V  F  B)  ;  ùiu  tsai-on  de 
l'orna,  au  bout  de  la  rangée  (V)  ;  a  kâro,  au  coin  (=  tour- 
nant, V);  être  bien  in-nan,  avancé  (Vd);  inxlon,  au  bout  (\'i  ; 
u  sondzon,  item  (V);  a  totè  reste,  aux  derniers  restes  (N  );  à  la 
dèrairs,  dernière  (  Vd  V  G),  sur  ses  derniers  moments  (Vd),  à 
{sur)  la  fin,  à  fin  de  mort  (voir  ci-dessus  p.  66  [tirage  à  part  49], 
Vd  F  B)  ;  ardvâ  fini,  «arriver  fini  »  (Vd),  «.il  a  fait»  (Y):  filer 
dît  mauvais  coton  (en  parlant  du  râle);  être  près  du  pertuis 
(tombe,  F).  Quelques-unes  de  ces  tournures,  cela  va  sans  dire, 
sont  humoristiques.  Les  mots  pour  râle,  râler  seront  donnés 
sous  rankb,  rankâ. 

A  propos  des  skjnes  extérieurs  de  la  mort,  nos  corres- 
pondants citent  toutes  sortes  de  détails  physiques,  parmi  les- 
quels nous  ne  relevons  que  ce  qui  présente  un  intérêt  philo- 
logique :  avoir  les  yeux  kalyé,  «caillants»  (Vd,  Chenit),  iukrotâ, 
enfoncés  (Vd  F),  ingdrâ,  égarés  (F),  ékondu,  «  éconduits  »  (V), 
et  art  sa,  grands-ouverts  (V  Vollèges),  moch,  morts  (V  Evolène), 
fondu  {y),  anvarèyid ,  vitreux?  (B  Vicques),  tréviri?,  tournés 
(B),  la  toile  devant  les  yeux  (F),  la  mousse  {la  toile)  au  nez 
(V),  des  fèrni3r  (toiles  d'araignée)  dans  le  fiez  (B).  L'agitation 
fébrile  des  mains,  occupées  à  froisser  le  drap  de  lit,  s'appelle 
ramasser  iB),  faire  des  pon-n?,  poupées  (G). 

5.  Usages  pratiqués  après  le  trépas.  Aussitôt  que  le  ma- 
lade a  fini  de  souffrir,  on  a  l'habitude  de  lui  fermer  les  yeux  et 
de  donner  h  ses  mains  l'attitude  de  la  prière.  En  pays  catho- 
lique, on  les  entoure  d'un  chapelet,  de  préférence  à  grains  de 
bois.  Quelquefois  on  donne  au  mort  un  scapulaire,  s'il  ne  le 
porte  pas  déjà  autour  du  cou  (V  Bagnes  ).  Un  crucifix  est  placé 
près  de  la  tête.  Une  tasse  ou  assiette  remplie  d'eau  bénite, 
avec  une  branche  de  buis,  permet  aux  visiteurs  de  se  signer  et 
d'asperger  le  défunt  en  signe  de  croix.  On  allume  une  petite 
lampe  ou  un  lumignon.  Certaines  personnes,  par  dévotion,  ou 
en  vertu  d'un  vœu,  venaient  offrir  du  pétrole  ou  de  l'huile  pour 
l'alimenter  (  V  Bagnes).  La  lampe  se  met  sur  un  meuble  ou  sur 


78  L.    GAUCHAT 

la  tablette  de  la  fenêtre,  près  du  chevet  ou  au  pied  du  lit.  Au 
lieu  d'une  lampe,  on  allume  aussi  un  cierge  qui  brûle  jusqu'à 
l'enterrement.  Mais  cela  est  assez  rare,  à  cause  des  frais.  Dans 
plusieurs  villages  du  Jura  bernois,  on  se  sert  d'une  pivatte 
(mince  bougie  de  cire  enroulée  en  peloton  creux).  Le  soir, 
quatre  ou  six  bougies,  disposées  autour  du  lit,  brûlent  pendant 
que  les  parents  et  les  voisins  récitent  le  chapelet  (F).  A  Evo- 
lène,  il  est  d'usage  de  faire  sur  le  front  du  défunt  une  croix  au 
moyen  de  neuf  gouttes  de  cire.  La  «sonnerie  de  r agonie >•>,  ou 
«du  trépas»  (B)  avertit  le  village  de  l'événement.  Cela  se  fai- 
sait autrefois  même  au  milieu  de  la  nuit.  Depuis  quelque 
temps,  cet  usage  est  renvoyé  à  l'aube,  si  le  décès  a  lieu  pen- 
dant le  sommeil  des  habitants.  Dans  le  canton  de  Genève,  le 
glas  est  sonné  à  midi  et  le  soir.  La  manière  de  sonner  fait 
reconnaître  s'il  s'agit  d'un  homme,  d'une  femme  ou  d'un 
enfant.  Ainsi  on  sonne  pendant  environ  dix  minutes  toutes  les 
cloches  pour  les  adultes,  une  seule  pour  un  enfant  (B  Roggen- 
bourg).  On  peut  aussi  distinguer  la  sonnerie  pour  les  hommes 
et  pour  les  femmes  en  prenant  une  cloche  grande  ou  moyenne. 
On  commence  par  tinter,  puis  on  sonne  à  toute  volée  et  on 
finit  par  un  second  tintement.  Naturellement,  toutes  ces  pra- 
tiques religieuses  varient  légèrement  de  lieu  en  lieu.  A  Cham- 
péry  (V),  par  exemple,  on  sonne  d'abord  trois  coups,  puis  la 
deuxième  cloche  à  grande  volée  ;  trois  coups  qui  suivent  signi- 
fient que  c'est  un  homme  qui  est  mort. 

La  coutume  d'ouvrir  la  fenêtre,  immédiatement  après  le 
décès,  est  un  reste  inavoué  de  paganisme;  cela  avait  à  l'origine 
pour  but  de  laisser  sortir  l'âme  (voir  van  Gennep,  op.  cit.,  Le 
sort  de  rame,  p.  199;  le  même,  Revue  de  l'histoire  des  reli- 
gions, 1910,  p.  65  j.  On  considère  aujourd'hui  la  chose  comme 
une  mesure  d'hygiène,  et  l'on  n'a  pas  tort.  Quelques-uns  arrêtent 
la  pendule  dans  la  chambre  mortuaire,  symbole  de  l'arrêt  de  la 
vie.  Assez  généralement  on  couvre  d'un  linge  ou  d'un  voile  le 
miroir,  ou  on  le  retourne.  Il  y  en  a  qui  masquent  aussi  les 
tableaux.  On  explique  cette  pratique  en  disant  que  c'est  pour 


LA   TRILOGIE    DE   LA    VIE  79 

écarter  tout  objet  de  vanité.  Mais  c'est  plutôt  un  reste  de 
croyance  aux  mauvais  esprits.  Il  y  a  des  pays  où  l'on  masque 
le  miroir  également  lors  des  naissances  et  des  mariages;  on 
prétend  que  dans  ces  moments  on  y  .voit  le  diable  (voir 
Samter,  Gebiirt,  Hochzeit,  Tod,  p.  134,  et  Frazer,  The  golden 
bough,  I,  p.  294).  Selon  une  très  belle  croyance  —  la  super- 
stition est  pleine  de  poésie  —  on  jugeait  les  bêtes  capables  de 
prendre  leur  part  du  deuil  de  la  maison.  C'est  pourquoi  on 
ôtait  les  clochettes  du  bétail,  usage  dont  la  trace  s'est  à  peu 
près  perdue.  Mais  il  y  a  encore  des  personnes  qui  croient  fer- 
mement que  les  abeilles  dépérissent  et  s'envolent  après  la  mort 
de  leur  propriétaire  ou  d'un  membre  de  la  famille.  Ce  sen- 
timent touchant  de  solidarité  se  manifeste  de  différentes 
manières,  soit  en  mettant  un  crêpe  au  rucher  (  Yd  Alpes,  G), 
soit  en  soulevant  ou  retournant  les  ruches  (Vd  Centre,  B),  soit 
en  envoyant  quelqu'un  pour  annoncer  formellement  aux 
abeilles,  en  frappant  sur  le  rucher  :  Votre  maître  (ou  tel 
autre  de  la  maison)  est  mort  (B)  (voir  van  Gennep,  op.  cit., 
\).  225  I.  A  Bernex  (G),  on  met  même  un  crêpe  aux  chaises  de 
la  chambre  mortuaire.  Une  survivance  curieuse  de  coutumes 
païennes  nous  est  relatée  pour  un  village  du  canton  de  Berne  : 
(  )n  vide  l'eau  de  la  seille,  car  «l'âme  du  mort  s'y  est  lavée  en 
jjartant»  ;  on  frappe  contre  la  tonne  à  choucroute,  afin  que  le 
contenu  ne  se  gâte  pas,  et  contre  le  tonneau  à  vin,  sans  quoi  ce 
dernier  tournerait.  Autrefois  on  brûlait,  sur  un  grand  chemin. 
la  paillasse  du  mort,  coutume  en  train  de  disparaître  depuis 
l'introduction  de  sommiers  et  de  matelas  coûteux  (voir  Dau- 
court,  Arch.  s.  d.  trad.  pop.,  XVII,  p.  226).  Dans  la  région  de 
('haumont  (N),  habitée  par  des  fermiers  d'origine  allemande,  on 
découpait  jadis  dans  le  drap  sur  lequel  avait  été  couché  ie  défunt 
un  morceau  de  toile  qu'on  enroulait  à  hauteur  d'homme  autour 
du  tronc  d'un  arbre  fruitier  de  son  verger.  Quand  ce  morceau 
était  pourri  et  tombé  de  l'arbre,  on  disait  que  le  propriétaire 
avait  fini  son  temps  de  purgatoire  et  était  entré  en  paradis 
(et".  A.  van  Gennep  dans  le  Folk-Lore  suisse  T915.  p.  6).  Cette 


So  L.    GAUCHAT 

observance  vient  de  la  Suisse  allemande,  où  elle  est  encore 
très  usitée  ;  on  emploie  à  cet  effet  surtout  les  linges  avec  les- 
quels on  a  essuyé  la  sueur  du  malade  ou  lavé  le  cadavre 
(cf.  Totentucher,  Arch.  s.  d.  trad.  pop.,  I,  p.  218,  et  surtout 
E.  Hoffmann-Krayer,  Feste  utid  Branche  des  Schweizervolkes-> 
1913,  p.  44,  auquel  nous  renvoyons  une  fois  pour  toutes  au 
sujet  des  traditions  populaires  dont  nous  parlons  ici  et  sous 
enterremefit). 

0.  Les  pleureuses  (ou  pleureurs)  ont  fait  leur  temps. 
C'étaient  des  personnes  qu'on  engageait  pour  manifester, 
publiquement,  surtout  en  suivant  le  cercueil,  le  deuil  en  se 
répandant  en  lamentations  bruyantes.  On  les  employait  aussi 
pour  inviter  à  l'enterrement.  Cet  usage  ancien  et  païen  n'existe 
plus  nulle  part  chez  nous,  mais  s'est  faiblement  conservé  en 
Savoie  (voir  van  Gennep,  op.  cit.,  p.  201).  D'après  un  article 
non  signé  du  Conteur  Vaiidois  1898,  n°  13,  sur  les  Ancietvies 
coutumes,  des  vieillards  se  souviendraient  encore,  dans  le  can- 
ton de  Vaud,  d'avoir  vu  les  pleureurs  ou  pleureuses.  A  Neu- 
châtel,  cette  tradition  aurait  cessé  vers  1870.  Il  n'est  pas 
impossible  que  le  rôle  àes  prieuses  du  Val  de  Bagnes  soit  en 
rapport  avec  les  anciennes  pleureuses.  Ce  sont  des  femmes  du 
village  qui  ont  pour  office  de  se  rendre  aussitôt  après  le  trépas 
dans  la  maison  mortuaire,  si  elles  n'y  sont  pas  allées  dès 
l'agonie.  Elles  récitent  de  longues  prières  des  morts.  D'autres 
personnes,  mues  par  des  motifs  de  piété,  leur  viennent  tenir 
compagnie. 

7.  Toilelle  du  mort.  A  Bagnes,  c'est  aux  prieuses  qu'in- 
combe le  soin  de  faire  la  toilette  du  mort.  Il  y  a  environ  une 
cinquantaine  d'années,  on  cousait  encore  le  défunt  dans  son 
suaire  ou  drap  de  lit.  La  pratique  en  a  survécu  dans  certains 
hôpitaux,  ainsi  que  dans  quelques  villages,  comme  aux 
Ormonts.  Quelques  points  ou  épingles  avec  nœuds  de  crêpe  de 
tulle  suffisent  à  joindre  le  linceul  sur  la  poitrine.  Maintes  familles 
le  remplacent  par  un  peu  de  toile  blanche,  achetée  ad  hoc. 
De  plus  en  plus  la  coutume  prévaut  d'habiller  complètement 


LA    TRILOGIE    DE    LA    VIE  8l 

les  morts,  après  les  avoir  dûment  lavés,  peignés,  même  rasés. 
On  leur  donne  un  vêtement  convenable  ou  celui  qu'ils  pré- 
féraient ou  leurs  habits  de  cérémonie  (deuil  ou  noce).  Aux 
jeunes  mariées,  on  aime  à  mettre  leur  robe  de  noce.  Les  fil- 
lettes sont  souvent  habillées  de  blanc.  On  ne  met  généralement 
pas  de  souliers  aux  défunts,  mais  la  coutume  naïve  s'est  con- 
servée dans  quelques  villages  du  Jura  bernois,  situés  près  de  la 
frontière  allemande,  de  mettre  des  souliers  à  une  femme  morte 
en  couches,  afin  qu'elle  puisse  revenir  allaiter  son  enfant.  Si  le 
bébé  est  mort,  il  est  enseveli  avec  la  maman.  Aux  vieilles 
femmes  on  met  l'ancien  bonnet  (B).  En  Avalais,  où  les  adultes 
font  ordinairement  partie  de  la  confrérie  du  Saint-Sacrement, 
les  morts  sont  revêtus  de  leur  habit  de  pénitent,  nommé  abè 
(=  habit),  espèce  de  domino  blanc,  recouvrant  tout  le  corps. 

Dans  les  soins  donnés  ainsi  au  cadavre,  la  famille  se  fait 
volontiers  remplacer  par  des  amis  ou  voisins,  par  des  gens 
pauvres  ou  par  des  «spécialistes».  On  les  rétribue  d'une  che- 
mise ou  d'un  vêtement  du  défunt,  quelquefois  d'une  gratifica- 
tion en  argent. 

Ainsi  vêtu  ou  enveloppé  de  son  linceul,  le  mort  était  autre- 
fois ou  est  encore  étendu  sur  une  planche  placée  sur  des 
tabourets,  ou  sur  un  banc,  en  attendant  que  le  cercueil  soit 
fait.  Cette  planche,  le  Leichenbrett  de  la  Suisse  allemande,  est 
surtout  usitée  dans  les  cantons  de  Fribourg  et  de  Berne.  Mais 
elle  l'était  partout,  témoin  la  locution  être  sur  la  planche,  ou 
sur  h  lan  ou  sur  le  banc,  connue  dans  toute  la  Suisse  romande 
dans  le  sens  de  être  mort.  On  laissait  aussi  le  corps  dans  son 
lit.  tout  en  ayant  soin  de  mettre  une  planche  dessous.  Comme 
raison,  on  indique  que  la  tiédeur  du  lit  développe  la  décompo- 
sition. Sous  la  tête  d'un  mort  couché  sur  la  planche  on  mettait 
un  coussin  ou  simplement  des  copeaux.  Les  mains  étaient 
croisées  sur  la  poitrine,  enveloppées  d'un  chapelet  ou  munies 
d'un  petit  crucifix,  dans  les  contrées  catholiques.  Un  bouquet, 
de  romarin  par  exemple,  mis  dans  la  main  du  défunt,  embel- 
lissait l'aspect  triste,  surtout  quand  c'était  une  jeune  personne. 


82  L.    GAUCHAT 

Dans  les  Alpes  vaudoises,  et  sans  doute  aussi  ailleurs,  une  per- 
sonne âgée  tenait  un  petit  psautier.  On  mettait  aussi  une  Bible 
sous  le  menton,  pour  empêcher  la  bouche  de  s'ouvrir.  A 
Plagne  (B)  on  attache  les  mains  d'un  ruban  de  deuil,  A  Cham- 
péry  (V)  on  signale  l'habitude  de  mettre  une  image  de  saints 
ou  une  prière  écrite  entre  les  mains  du  mort.  On  dit  à  Bagnes 
qu'il  ne  faut  pas  lier  les  jambes  avec  le  suaire.  Le  corps  étendu 
sur  un  banc  est  souvent  recouvert  d'un  linceul.  Un  prêtre 
décédé  est  revêtu  des  ornements  sacerdotaux  qu'il  employait 
à  la  messe.  La  planche,  mentionnée  ci-dessus,  servait  aussi  à 
y  placer  le  cercueil  pour  la  descente  dans  la  tombe. 

Plusieurs  termes  techniques  se  sont  développés  à  cette  occa- 
sion dans  nos  patois.  Re7'êtir  prend  en  Valais  et  dans  les 
Alpes  vaudoises  le  sens  spécial  d'habiller  un  mort.  Ailleurs  on 
dit  {f)habiller,  èfti  (N  Landeron),  sans  signification  spéciale. 
Tous  les  soins  qui  précèdent  la  mise  en  bière  s'appellent 
mettre  {bouta)  adrai  (convenablement,  Vd),  ins9v?li,  «  ense- 
velir» (F,  B),  inf acheta  (F  Châtel-Saint-Denis),  ?nantr  an  bisr 
^=  «mettre  en  bière»  (B).  On  remarque  la  déviation  curieuse 
du  sens  propre  de  quelques-uns  de  ces  termes.  Pour  «  être  sur 
la  planche»,  on  disait  concurremment:  être  exposé,  être  en 
corps  (F  Gruyère).  Au  lieu  de  lan,  planche,  on  rencontre 
t  savant  on  (F  environs  de  Romont). 

8.  L'ancien  ?nessager  (aussi  invitàrè,  exprès  Vd),  chargé 
<r."innoncei'  la  mort  aux  parents  et  amis,  et  de  les  convoquer 
à  l'enterrement  (verbes  employés:  mander,  demander,  com- 
mander, inviter, prévenir,  prier,  <.<  faire  à  savoir  »),  est  de  plus 
en  plus  remplacé  par  les  lettres  de  faire  part  et  les  avis  dans 
les  journaux.  Les  premières  s'appellent  aussi  lettres  de  deuil 
(F),  de  mort  (N),  d'enterrement.  Pour  le  Chenit,  Vallée  de 
Joux,  on  nous  indique  l'année  1870  comme  époque  où  l'on 
cessa  de  communiquer  verbalement  la  triste  nouvelle  au 
moyen  d'un  jeune  homme  muni  d'une  liste.  A  cet  effet,  on 
choisissait  généralement  un  voisin,  ami  ou  parent  du  trépassé. 
Il  portait  des  habits  de  deuil.  Comme  on  lui  offrait  beaucoup  à 


LA    TRILOGIE   DE   LA   VIE  Ô3 

boire,  il  se  trouvait  quelquefois,  à  la  fin  de  sa  tournée,  dans  un 
état  contrastant  singulièrement  avec  sa  mission.  La  coutume 
de  faire  inscrire  chaque  décès,  ce  qui  se  faisait  anciennement 
par  les  curés  et  pasteurs,  a  eu  quelque  peine  à  entrer  dans  nos 
mœurs.  Nos  archives  contiennent  des  plaintes  à  ce  sujet.  On  lit 
par  exemple  dans  le  Registre  des  décès  de  Gingins  :  «  Depuis 
ce  jour  22  juillet  1777,  ensuite  des  plaintes  que  j'ai  portées 
contre  l'abus  d'enterrer  les  morts  ou  trop  tôt  ou  s'en  [sic] 
m'en  aviser  comme  pasteur  pour  les  inscrire  ;  ou  enfin  dans 
des  fosses  qui  n'étaient  pas  à  la  profondeur  exigée  par  la  loi, 
on  a  établi  des  enterreurs,  auxquels  on  a  alloué  20  batz  pour 
chaque  mort  au-dessus  de  l'âge  de  dix  ans,  et  12  pour  les 
morts  d'un  âge  au-dessous,  payables  par  les  parents  du  défunt 
ou  la  commune  s'ils  n'ont  pas  de  quoi  payer,  etc.  »  (Millioud, 
Anciennetés  du  Pays  de  Vaud,  1901,  p.  105).  L'institution  de 
rétat  civil  (1874),  avec  l'obligation  de  se  procurer  un  cer- 
tificat du  médecin,  un  acte  de  décès,  appelé  mortitéro  en 
patois,  et  un  permis  d'enterrer,  a  mis  fin  à  ces  désordres. 

9.  De  grands  changements  se  sont  accomplis  dans  la  façon 
de  veiller  les  morts.  Jadis,  tous  les  parents,  voisins  et  amis  y 
prenaient  part.  Cette  collectivité  a  fait  place  à  un  petit  nombre 
et,  dans  beaucoup  de  localités  protestantes,  on  ne  veille  plus 
du  tout,  tandis  que  chez  les  catholiques,  il  y  a,  jour  et  nuit, 
quelqu'un  qui  prie  à  côté  du  défunt.  La  raison  de  la  diminution 
des  participants  est  que  ces  réunions  nocturnes  où  l'on  buvait, 
se  gobergeait  même  de  friandises,  011  l'on  caquetait  et  se  dis- 
putait, causaient  souvent  du  scandale  et  des  rixes,  sans  compter 
les  frais  inutiles.  Actuellement,  en  Valais,  on  laisse  le  soin  de 
veiller  ordinairement  à  des  pauvres,  qui  reçoivent,  de  droit,  un 
habillement  du  défunt.  Certaines  personnes  s'en  font  une  spé- 
cialité, on  les  appelle  vHys-mbr  au  Val  d'Anniviers.  Dans  le 
canton  de  Genève,  plusieurs  personnes,  parents  et  amis,  veil- 
laient dans  la  cuisine,  près  de  la  chambre  mortuaire.  A  minuit, 
les  veilleurs  faisaient  une  petite  collation  et  déjeunaient  le 
matin  avant  de  partir.  Vaud  a  à  peu  près  aboli   la  coutume. 


84  L.    GAUCHAT 

Alais  on  fait  souvent  veiller  la  première  nuit  par  une  seule  per- 
sonne, à  laquelle  une  autre  peut  offrir  de  tenir  compagnie  ou 
d'alterner  avec  elle.  Si  la  mort  survient  après  minuit,  les  assis- 
tants finissent  la  nuit  sans  aller  se  coucher.  Dans  le  canton  de 
Fribourg,  ce  sont,  la  plupart  du  temps,  des  personnes  de  bonne 
volonté,  deux  à  quatre,  qui  passent  auprès  du  cadavre  les  deux 
ou  trois  nuits  qui  précèdent  l'enterrement,  en  priant  à  voix 
basse.  Par  intermittences,  on  récite  à  haute  voix  le  chapelet. 
On  leur  offre  pendant  la  nuit  du  thé  et  du  café,  avec  du  pain 
et  quelquefois  du  fromage.  A  la  montagne  neuchâteloise, 
c'étaient  les  voisins  qui  veillaient  la  première  nuit,  les  parents 
la  seconde.  Voici  quelques  détails  pour  le  canton  de  Berne  :  à 
la  nuit,  des  voisins  et  amis  viennent,  plus  ou  moins  nombreux, 
veiller  jusqu'au  jour.  D'heure  en  heure  on  récite  le  chapelet  à 
haute  voix.  Une  personne  «  dit  devant  »  et  les  autres  répondent 
en  choeur,  en  ajoutant  à  chaque  salutation  angélique  :  «  Déli- 
vrez les  âmes  du  Purgatoire  »,  et  aux  litanies:  «  Priez  pour  lui 
ou  pour  elle.  »  A  lo  heures  et  à  2  et  4  heures,  on  va  à  la  cui- 
sine boire  un  «  petit  verre  »  et  manger  du  pain  ;  à  minuit,  on 
sert  du  café  au  lait  avec  pain.  Dans  d'autres  villages,  les  gens 
de  la  localité  venus  le  soir  pour  prier  se  retirent  vers  10  heures, 
à  l'exception  des  «  veilleurs  »  qui  passeront  la  nuit  en  prière. 

Les  termes  patois  pour  veiller  sont  :  vèlyi,  {se)  vouardâ, 
tsboujik  (=  «  choisir  »  au  sens  ancien  de  «  regarder  »,  Hérens). 

Voir  la  suite  de  ces  indications  encyclopédiques  (cercueil, 
porteurs,  fossoyeur,  etc.)  sous  enterrement. 


HTVMOLOGIES  85 

ÉTYMOLOGIES 

-*- 

I.  Bridel  :  menan,  mcuanlho,  «  vieillard  ». 

Le  Glossaire  de  Bridel  contient  un  certain  nombre  de  mots 
qui  restent  isolés  au  milieu  des  mate'riaux  du  Glossaire  romand, 
en  dépit  des  recherches  systématiques  poursuivies  dans  toutes 
les  régions  de  la  Suisse  française.  Ainsi  une  seule  fiche  est 
venue  accompagner  celle  qui  reproduit  ce  texte  du  doyen 
(imprimé  de  1866)  :  «  MENAU,  MENANTHO,  s.  m.  vieillard.  C'est 
un  nom  honorifique  qu'on  donne  aux  anciens  du  peuple.  Voy. 
ANTHOU  (Pays-d'Enhaut).  »  Cette  fiche  provient  du  vocabulaire 
manuscrit  du  doyen  Henchoz  de  Rossinière,  qui  a  servi  de 
source  à  Bridel,  et  oîi  on  lit  :  «  Menau  (vieilli)  répond  assez  à 
sieur  en  y  joignant  l'idée  d'un  certain  âge.  Au  moins  il  paraît 
que  cette  qualification  supposait  chez  celui  auquel  elle  s'appli- 
quait quelque  titre  au  respect.  »  Sous  ANTHOU  nous  trouvons 
dans  Bridel  :  «  Un  vieillard,  un  quidam,  la  personne  que  vous 
savez.  Dans  le  Pays-d'Enhaut  on  le  joint  par  honneur  au  pré- 
nom :  Authou  Pierro.  L.  antiquus.  -  Aiiilo^  dans  les  îles  Philip- 
pines, signifie  ancêtre,  vieillard.  »  Cette  fois  encore,  le  doyen 
ne  donne  qu'une  rédaction  abrégée  de  l'ouvrage  de  son  ancien 
voisin  et  collègue  Henchoz,  qui  dit  :  «  Subst.  sans  genre,  mais 
qui  pourtant  s'applique  plus  souvent  aux  femmes.  C'est  le  nom 
burlesque  par  lequel  on  désigne  une  personne  que  l'on  ne 
daigne  pas  honorer  de  son  nom,  mais  qui  est  assez  connue  de 
celle  à  qui  l'on  parle  pour  qu'elle  ne  puisse  pas  s'y  méprendre. 
C'est  l'a.  veut  dire  c'est  vous  savei  bien  qui.  Un  mari  donne  sou- 
vent ce  nom  à  sa  femme,  cependant  cette  expression  tend  à 
disparaître,  on  la  faisait  suivre  du  nom  de  baptême  l'a.  Pièro ; 
l'a.  Jeanne  comme  le  quidam  Pierre,  etc.  Il  s'y  joint  en  même 
temps  quelque  idée  de  vieillesse,  mais  plutôt  sous  le  rapport  de 
la  caducité  que  des  droits  au  respect.  » 

Il  s'agit  donc  d'un  terme  désigné  comme  vieilli  dès  le  com- 
mencement du  xixi^e  siècle  ;  il  n'est  pas  étonnant  que  nous  ne 
l'ayons  plus  retrouvé  dans  le  parler  vivant.  Les  mots  de  ce 


86  r..    GAUCHAT 

genre  ne  manqueront  pas  de  causer  de  l'embarras  au  moment 
de  la  rédaction  de  nos  multiples  matériaux;  mais  heureusement 
nous  ne  sommes  pas  les  seuls  qui  s'en  soient  occupés,  et  deux 
moyens  de  contrôle  nous  prêteront  leur  appui  :  notre  connais- 
sance exacte  de  la  phonétique  locale  et  la  présence  d'expres- 
sions analogues  dans  d'autres  contrées.  Voyons  s'il  est  possible 
d'en  tirer  parti  pour  l'explication  de  menau,  menantho. 

Comme  Favrat  n'a  pas  rendu  textuellement  le  manuscrit  de 
Bridel  qu'il  avait  sous  les  yeux,  et  qu'il  en  existe  un  autre,  plus 
ancien  et  souvent  aussi  plus  sûr,  il  est  bon  d'y  avoir  recours 
en  pareil  cas.  Or,  le  premier  en  date  des  manuscrits  donne  sous 
menau,  menantho  la  définition  :  «  vieillard  respecté  :  c'est  un 
titre  donné  à  l'âge  avancé.  »  Cela  change  la  question:  ces  mots 
ne  désignent  pas  le  vieillard  comme  tel,  mais  sont  un  titre 
d'honneur  qu'on  lui  donne.  C'est  par  erreur  que  Bridel,  et  par 
conséquent  son  éditeur,  suppriment  ensuite  le  mot  respecté  dans 
la  première  définition. 

L'attribution  au  Pays-d'Enhaut  nous  met  en  présence  d'une 
phonétique  spéciale  qui  nous  fait  vite  reconnaître  dans  antho 
une  ancienne  forme  du  mot  oncle  ^  En  effet  le  groupe  on  y  don- 
nait autrefois  régulièrement  an  :  sponda  —  epanda,  exponere 

—  epandre, (rontem — /rfl»,pontem  — pan,  tondere  —  tandre, 

—  submonere  —  chemandre^,  etc.  Le  groupe  cl  après  con- 
sonne aboutit  à  j?,  que  Henchoz  transcrivait  par  un  signe  spécial 
et  que  Bridel  rendait  par  /^:  m  as  cul  us  —  mâdo,  mi  s  cul  are 

—  meda,  sarculare  —cherda^,  etc.  Le  vocabulaire  manuscrit 
de  Dumur  confirme  cette  étymologie  en  donnant  sous  onklyo, 
oncle  :  «  titre  honorifique  que  l'on  donne  à  la  campagne  aux 
personnes  âgées,  à  qui  celui  de  monsieur  ne  conviendrait  pas 
tout-à-fait.  »  Voir  encore  Bridel,  sous  onkllo.  Dans  le  Glossaire 
de  Moratel,  également  inédit,  se  trouve  sous  anthou  une  copie 
de  Bridel,  avec  la  mention  :  «  Je  crois  que  c'est  simplement  le 
mot  onhllou,  qui  s'emploie  dans  les  mêmes  sens.  »  Nous  possé- 
dons enfin  un  exemplaire  du  Glossaire  de  Bridel,  annoté  par 
M.  Cornu  à  Cuves   (Pays-d'Enhaut),  vers  1870;  notre  savant 


'  Et  Bridel  allait  chercher  un  terme  de  comparaison  aux  iles  Philip- 
pines ! 

-  J'emprunte  ces  exemples  à  la  dissertation  de  doctorat  inédite  sur  la 
phonétique  du  Pays-d'Enhaut  de  M.  Cornu,  qui  a  bien  voulu  la  meure 
à  notre  disposition. 


KTYMOLOGIES  87 

collègue  indique,  en  regard  de  aiithou,  la  forme  otWo  comme 
étant  celle  de  ce  village.  Il  a  aussi  retrouvé  nwmwn'do  à  Cuves, 
et  nmwndo  à  Château-d'Œx.  Le  premier  élément  n'est  pas  autre 
chose  que  l'adj.  poss.  mou. 

Quant  à  menau,  à  l'aide  de  la  forme  valaisanne  actuelle  aou, 
oncle,  qui  s'emploie  dans  les  vallées  d'Hérens  et  d'Anniviers, 
on  y  reconnaît  également  un  dérivé  du  latin  a  vus,  c'est-à-dire 
avolus,  ancien  concurrent  de  a  v  un  cul  us.  Cette  forme  doit 
avoir  eu  autrefois  un  domaine  plus  étendu. 

La  seule  chose  qui  fasse  encore  difficulté  est  qu'on  ait  ajouté 
anthoH  (lire  antho)  à  des  noms  de  femmes,  et  même  de  préfé- 
rence, au  dire  du  doyen  Henchoz.  A-t-il  confondu  antho  et  anla 
(amita),  qui  devait  être  la  vieille  forme  pour  tante  ^?  Ou  aurait- 
on  réellement  généralisé  la  forme  masculine?  C'est  ce  qu'il  est 
malaisé  d'élucider  aujourd'hui. 

2.  Bridel  :  fethaula,  «  petite  saucisse  attachée  à  une  plus 
grande.  » 

Bien  que  cet  article  soit  suivi  immédiatement  de  celui-ci  : 
fethaula,  fetheula,  s.f.  filleule,  le  lecteur  de  Bridel  ne  re- 
marque peut-être  pas  qu'il  s'agit  les  deux  fois  d'un  seul  et 
même  mot,  pris  dans  des  acceptions  diverses,  le  rapport  entre 
la  grande  et  la  petite  saucisse  ayant  été  considéré,  par  méta- 
phore, comme  celui  d'une  marraine  à  sa  filleule.  On  donne  ce 
nom  aussi,  dans  nos  patois,  à  de  jeunes  pousses  de  vigne,  à  des 
rejetons  d'œillet,  d'artichaut,  etc.  En  Gruyère,  filyâla  désigne 
en  outre  un  petit  fromage  qu'on  fait  avec  un  reste  de  lait.  Ail- 
\eursfilyon  (filius  +  suffixe  dim.  -one), paon,  fddon,  etc.,  signi- 
fie tantôt  l'un,  tantôt  l'autre,  ou  les  deux  (petit  fromage  ou  tige 
adventice).  Bridel  a  eu  le  tort  de  ne  pas  réunir  les  articles,  de 
laisser  à  peine  deviner  la  vraie  prononciation,  qui  est  jdbaola 
(ainsi  à  Rossinière)  et  de  donner  la  correspondance  patoise  du 
français ///cm/^  sous  un  accoutrement  phonétique  trop  local  et 
trop  bizarre,  sans  en  indiquer  la  provenance.  La  forme  com- 
mune vaudoise  serait  fshaoïila.  On  voit  que  le  Glossaire  romand 
aura  beaucoup  de  choses  à  mettre  au  point.       L.  Gauchat. 


*  Elle  est  encore  usitée  en  Valais. 


TABLE  DES  MATIERES 

-♦- 

Pages 

L.   Gauchat.  Glossaire   des   patois  de  la  Suisse  romande. 

Notice  historique 3 

E.  Muret.   Enquête  sur  les   noms   de  lieu  et  les  noms   de 

famille 31 

E.  Tappolet.  Synonymie  patoise 41 

L.  Gauchat.  Les  noms  des  vents  dans  la  Suisse  romande  (suite). 
Encore  la  vaudaire 62 

L.  Gauchat.   La  trilogie  de  la  vie  (suite).  Articles-spécimens 

du  Glossaire  romand.  IIL  La  mort 65 

L.  Gauchat.  Etymologies  :  i.  Bridel  :  menait,  menanfho, 
vieillard.  —  2.  Bridel  :  fethanla,  petite  saucisse  atta- 
chée à  une  plus  grande 85 


<oCX><0<»o- 


BULLETIN 


DU 


GLOSSAIRE  DES  PATOIS 


DE  LA 


SUISSE  ROMANDE 


PUBLIE    PAR    LA 


Rédaction   du  Glossaire. 


QUATORZIÈME  ANNÉE 
1915 


ZURICH 

BUREAU   DU   GLOSSAIRE 

Hofackerstrasse  44 


LA    TRILOGIE    DE    LA   VIE 

(Fin.) 

— i— 

>louâ,  mouârta,  adj.-part.  et  s.  mort. 

Les  formes  masculines  sont  identiques  avec  celles  indiquées 
en  tête  de  l'article  précédent  ;  seulement,  comme  nous  sommes 
mieux  documentés  pour  l'adjectif,  nous  pouvons  mieux  en  déli- 
miter les  aires.  La  forme  mouâr  se  rencontre  dès  Corsier  près 
Vevey,  qui  se  rattache  ainsi  au  Pays  d'Enhaut  ;  mouâ  se  dit 
aussi  à  Oron  et  à  Vaugondry  (Vdi;  comme  variante  de  moud, 
le  Voc.  de  M.  Cornu  indique  inud,  fém.  mubrta  pour  Albeuve 
et  Pont-la- Ville  (F)  ;  Sassel  a  mo,  comme  le  Gros-de-Vaud  ;  mbr 
existe  aussi  à  Isérables  (V)  ;  la  vallée  d'Hérens  a  mÔ,  comme 
tout  le  Bas- Valais;  Lavallaz,  Hér.,  p.  93,  écrit  mb"  pour  le 
subst.  ;  \ Atlas  ling.  de  la  France,  n°  883  (ils  sont  morts) 
note  mbr  pour  Evolène,  ce  qui  est  une  erreur  :  on  y  dit 
nibch;  Nendaz  n'a  pas  non  plus  mon,  comme  le  prétend 
M.  Edmont,  mais  mo.  Il  donne  môr  pour  Bourg-Saint-Pierre, 
forme  que  nous  n'avons  pas  contrôlée.  Pour  Bernex,  X Atlas  a 
mour,  tandis  que  notre  correspondant,  qui  a  servi  de  sujet  pour 
V Atlas,  écrit  lui-même  màr;  cependant  cet  à  peut  être  très 
fermé  ;  on  trouve  aussi  moi/r  dans  une  traduction  en  «  patois 
du  canton  de  Genève  »  de  la  Parabole  de  l'enfant  prodigue 
(Corbaz,  p.  170).  iVf' appartiendrait,  d'après  V Atlas,  a.  plusieurs 
localités  de  l'ouest  du  canton  de  Vaud.  Les  environs  de 
Romont  (F)  ont  déjà  la  forme  gruyérienne  moud.  Moû^tck 
donné  par  Y  Atlas  pour  Les  Bois  n'est  valable  que  pour  le 
féminin.  Le  Jura  bernois  distingue  en  partie  l'adjectif  (ail.  toi) 
du  participe  (ail.  gestorben)  ;  ainsi  s'expliquent  les  formes  de 


4  L.    GAUCHAT 

V Atlas  mru  (Péry)  et  niœri  (Courrendlin),  identiques  avec  l'in- 
finitif mourir.  Cf.  sous  fnourt,  principales  formes. 

Formes  féminines:  à  moiiâ{r),  7noiid^  correspond  mouârta, 
niouârta;  mouerta  (Vd  Vallée  de  Joux,  Vallorbe)  ;  mouôta  > 
mouôtcha  (N  Montagnes)  ;  à  7nb[7-)  correspond  môrta  (voyelle 
gén.  longue);  7nÔ3  ou  mou?  du  Jura  bernois,  Ouest,  ajoutent 
tch;  le  district  de  Delémont  a  môirt,  sauf  les  villages  ayant 
une  forme  spéciale  pour  le  participe  (voir  ci-dessus),  qui  est 
commune  aux  deux  genres.  Même  mÔ3,  mou?  se  rencontre 
comme  féminin,  par  exemple  à  Charmoille.  Ainsi  s'explique 
qu'une  ânesse  puisse  dire  dans  une  chanson  populaire  d'Aile 
i  n  sa  p  7noud,  je  ne  suis  pas  morte  (à  corriger  la  note  de 
M.  Rossât,  Arch.  s.  d.  trad.  pop.  Vil,  p.  255).  C'est  l'identité 
de  la  forme  des  participes  des  verbes  en  -er,  -ir  et  -re  qui 
en  est  cause.  L'identité  habituelle  des  inf.  et  part,  a  occa- 
sionné les  formes  77iru,  f7iœrt  mentionnées  plus  haut.  Voir  sous 
7nourir. 

Moua,  mouai,  adj.  voy.  mouert  ;  mouert,  7?iouerta,  adj.  mort, 
décédé  (Bridel,  le  choix  de  cette  forme  comme  type  vaudois 
est  curieux).  Mouar,  ta,  adj.  et  part.,  avec  la  remarque  :  les 
deux  dernières  lettres  du  mot  ne  se  prononcent  pas  (Dumur, 
Voc).  Mouert,  ta,  adj.  indiqué  pour  Conthey  par  Barman 
(influence  de  Bridel?).  Mouo  (Michelin-BertV  Moe,  trépéssai 
(Guélat). 

I.  adj.  1.  privé  de  vie.    2.   par    extens.    éteint,    tran- 
quille,   etc.    II.  comme  participe  passé    du   verbe   7nourir  : 
mort.  III.  s.   1.  qui  est  mort.  2.  cadavre.  3.  revenant.. 
4.  Dans  certains  jeux  de  cartes  :  joueur  fictif,  voir  l'article 
cartes. 

I.  1.  Kouë  moue,  corps  mort,  cadavre  (Vd  Chenit),  kouar- 
7710U?,  idem,  comme  composé  (B  Charmoille).  Z'««  tràva  77ioud, 
on  l'a...  (F  Lessoc).  Bestes  mortes,  insulte  prodiguée  par  les  lu- 
thériens aux  religieuses  pendant  la  réforme  (Millioud,  AncieTi- 
nete's,  1901,  p.  35).  Fi?  77iÔr  k?  z//,  plus  mort  que  vif  (N  Noi- 
raigue)  ;  ploti  mort  a  k?  vigva,  très  effrayée  ou  abattue  (V  Evo- 


LA    TRILOGIE   DE   LA   VIE  5 

lènei.  Lé  nu  k?  me  rédzouyo  dé  verd,  kan  s?ri  moua,  ko  feréra  lé 
bail,  c'est  moi  qui  me  réjouis  de  voir,  quand  je  serai  m.,  qui 
ferrera  les  bœufs,  disait  un  vieux  maréchal  qui  se  croyait  indis- 
pensable aux  autres  (Vd  Blonayi.  Téi  moud,  tu  es  m.,  dit-on 
par  moquerie  à  un  enfant  qui  pleure,  parce  qu'il  s'est  fait  mal 
(ib.).  Chu  le  fÔs  dd  se  doûs  èmia  —  Ib  galan  mou?  yi  tchouayé, 
sur  la  fosse  de  sa  douce  amie,  le  galant  mort  y  tomba  (Rossât, 
Chants  patois,  Arch.  s.  d.  trad.pop.  V,  p.  206).  I.  2.  Y  a  mb 
lé  joue,  il  a  les  yeux  éteints  (V  Vernamiègei.  Saizon  mbrta, 
saison  m.  (Vd");  in  moudrta  chéjon,  en  hiver  (F  Gruyèrej.  Tôt 
è  mb,  tout  est  silencieux  (Vd  Penthalaz).  On  kou  la  mouizika 
mbrta,  T?  va  drsmi  su  h  fin,  une  fois  que  la  musique  a  cessé, 
tu  vas  dormir  sur  le  foin  (chanson  de  société,  Vd  OUon).  Eioue 
morta,  eau  stagnante  (V  Nendaz)  ;  /  ??'  fa  pc  s'  fyé  éz  avoua 
mbrtd,  il  ne  faut  pas  se  fier  aux  eaux  tranquilles  (N  Noiraigue); 
ov  mort  (B  Cortébert)  ;  cf.  noms  de  lieux.  Morta  yd,  «  vie 
morte  »,  indigence,  pénurie,  misère  (V  Orsières,  Barma.n).  Jyèrè 
a  man  morta,  frapper  en  tenant  la  main  flasque  (Vd)  ;  fir?  a 
man  morta,  se  laisser  mouvoir  la  main  par  un  autre.  Main  morte 
était  un  terme  de  l'ancien  droit  =  possession  non  transmise. 
Icelle  a  librement  confessé  d' avoir  promis  en  main  morte.... 
(1619,  Arch.  cant.,  Procès  à  Corsier).  La  Mainmorte,  nom  de 
lieu,  à  l'Est  du  lac  des  Rousses.  On  kou  mÔ,  «  un  coup  mort  », 
simple  entaille  faite  au  moyen  de  la  hache  sur  l'écorce  d'une 
pièce  de  bois  ;  é  noutra  mârka  du  bou  è  dou  kou  mo,  notre  mar- 
que de  famille  pour  le  bois  est  deux  coups  morts  (V  Bagnes, 
Courthion).  Tser  mbrta,  chair  paralysée,  atrophiée  (Vd).  Fyèra 
mbrta,  sorte  de  molasse  en  très  petits  gisements  dans  les 
Préalpes  (Vd  Ormonts).  Dd  bou  mbr,  du  bois  sec,  pourri;  a 
esté  gagé  en  sian  (sciant)  un  vargne  (sapin  blanc)  que  le  boisi 
tnort  aurait  fait  8  feulles  (17 12,  Montpreveyres).  L7  pérâi  le 
moud,  le  poirier  est  sec  (Vd  Blonay).  dlaizon  mbrta,  haie 
(«  cloison  »)  morte,  par  opposition  à  h.  vive  (Vd  Ormonts). 
Comme  adverbe  :  /  fà  t?ri  ôt  é  ma,  «  il  faut  tirer  haut  et 
mort»,  au  jeu  de  boules  =  il  faut  lancer  haut,  de  sorte  que  la 


6  L.    GAUCHAT- 

boule  s'écarte  peu  de  l'endroit  où  elle  tombe  (G  Vernier).  Cf. 
mort-né.  II.  Kan  on-n  è  mÔ,  on-n  è  mÔ,  quand  on  est  m....,  encou- 
ragement à  jouir  de  la  vie  (Vd).  Le  passage  de  la  Parabole  de 
l'Enfant  prodigue  si  souvent  traduite  dans  nos  patois  (voir 
Bibliogr.  Ihig.  I):  «ton  frère,  que  voilà,  était  mort,  et  il  est 
revenu  à  la  vie  »  permet  de  comparer  les  formes  de  ce  parti- 
cipe dans  les  diff.  dialectes.  On-7i  a  bin  rhon  d'onorâ  xlyè  (ceux) 
k3  son  moue  po  la  patri  (Vd  Chenit).  N'e  pâ  mb  de  la  promira, 
il  n'est  pas  mort  du  premier  mensonge,  se  dit  souvent,  cf.  Cont. 
vaud  1882,  no  1 2  ;  ib.  1887,  n=>  41.  El  é  nior  d'éytr  afâti...  d'ina- 
nition (N  Noiraigue).  /  seut  celé  qu'à  moerte,  je  suis  celle  qui 
est  m.  (Raspieler,  Pan..,  vers  126,  éd.  Rossât).  I  «'  sue  p'  mo/1? 
piskd  i  djâz  ankbr?.,  je  ne  suis  pas  morte  (dit  une  ânesse,  voir 
ci-dessus,  formes  phonétiques)  puisque  je  parle  encore  (Rossât, 
Chants  pat.  Arch.  s.  d.  trad.  pop.  VII,  p.  255).  L'adjectif-part. 
mort  sert  à  former  un  passé  surcomposé  qu'on  rencontre  assez 
fréquemment  :  L'è  z'u  mo  ci  pouro  Djan-Daniè  {Mél.  Favrat, 
p.  239,  cf.  Cont.  vaud,  1893,  no  7),  avec  le  sens:  il  y  a  long- 
temps qu'il  est  mort.  Voir,  sous  mourir,  les  nombreuses  péri- 
phrases pour  exprimer:  /"/  est  mort.  III.  l.férè  lou  mÔ,  feindre 
■d'être  mort  (Vd).  Lé  mÔ  n?  rdvïnyan  pâ,  les  m.  ne  reviennent 
pas  (Vd  Montherond).  On  mÔ  le  onkora  vito  msJzi,  un  m.  est 
encore  vite  mangé,  dit  un  fossoyeur  qui  a  bu  l'argent  de  sa 
fonction  (Vd  Savigny).  Lo  mÔ  è  su  lo  lan,...  sur  la  planche, 
voir  art.  préc.  encycl.  7.  On  mor,  homme  sans  énergie  (V  Salvan). 
Prèyè  pb  H  mo,  prier...  (V  Praz-de-Fort).  Lé  klbs3  dé  mbr,  les 
cloches  (sonnerie)  des  m.  (V  Grône).  Dra  di  tnô,  linceul  (V 
Nendaz).  //  è  pru  vïly  pb  fér  on  mono,  il  est  assez  vieux  pour... 
(N  La  Brévine);  al  è  bon  pè  far  on  môr  (G  Bernex).  On  ne  vè 
pieu  gfionça  lé  fanne  seudre  lé  îhouo,  on  ne  voit  plus  nulle  part 
les  femmes  suivre  les  morts,  prendre  part  à  un  convoi  funèbre 
(Droz,  Loc).  Vouéyi?  ïn  mous,  veiller  un  m.  (B  Ajoie).  Le  jour 
des  morts  (2  nov.)  s'appelle  comme  en  français,  mais  plutôt  le 
jour  de  toutes  âmes.^  la  fête  des  aines,  les  trépassés,  voir  âme, 
trépassé.  III.  2.  Iré  na  zinta  morta,  c'était  une  belle  m,  (V 


LA   TRILOGIE   DE   LA   VIE  7 

Vernamiège).  Iron  katrou  pb  porta  h  ma,  ils  étaient  quatre 
pour  porter  le  cadavre  (F  Broyé).  La  niôrta  ire  pèzanta,  la  m. 
était  pesante  (ib.).  III.  3.  La  yu  on  ma,  il  a  vu  un  revenant 
(V  Praz-de-Fort).  Oiin  mor  lèû  aparouk,...  est  apparu  (V  Gri- 
mentz).  Avé poiiir»  dé  ?ndch°",  avoir  peur  des  revenants  (V  Evo- 
lène)  ;  loua  dé  m.,  lieu  hanté  (ib.)  ;  h  prbsèchyon  dé  m.,  la  pro- 
cession des  m.  (ib.),voir  sous  procession.  III.  4.  Prindr  h  mor 
pb  dzbyi  avoue,  prendre  le  «  mort  »  pour  jouer  avec  (Vd  Fre- 
nières).  Le  «  mort  »,  joueur  fictif",  dont  on  peut  prendre  les 
cartes  pour  remplacer  les  siennes,  s'appelle  aussi  borgne  (G), 
aveugle  (Vd),  blïnd  (B,  de  l'allemand  suisse  blind,  aveugle,  voir 
Tappolet,  Die  alem.  Lehmvôrter,  II)  ou  bbk.,  fuouton  (B),  voir 
sous  ces  mots. 

Composés  :  cf.  r aide-mort,  ivre-mort,  tête  de  mort  (sous  tête), 
morte-saison. 

Comparaisons  :  Celles  citées  sous  ?nort,  s.  s'emploient  aussi 
avec  l'adj.  substantifié:  pdle,  etc.  comme  un  mort.  Il  faut  y 
ajouter:  raide,  froid  c.  un  m. 

Proverbes  :  Mouerta  la  betd,  ?nouê  lou  vmitt,  m.  la  bête,  m. 
le  venin  (Vd  Vallorbe  ;  se  dit  aussi  ailleurs,  figure  dans  la  chan- 
son de  l'Escalade  Ce  qu^è  lainb,  str.  54,  p.  25  de  l'éd.  Ritter  : 
Moicrta  la  béque,  et  tnourta  i^sic  !  le  venin).  Kan  on-n  c  mÔ,  on-n 
a  prœu  pan,  quand  on  est  m.,  on  a  assez  de  pain,  c'est-à-dire  : 
c'est  peine  perdue  de  tant  se  tracasser  pour  l'avenir  (V  Bagnes). 
A  la  Chint  Alero  le  mo  nkbminson  Ibou  pinns,  à  la  Saint- 
Hilaire,  les  m.  recommencent  leurs  peines  (V  Vernamiège). 
1  fô  avi  puer  di  vi.,  le  moud  n  vblon  rin  fér  de  ma,  il  faut  avoir 
peur  des  vivants,  les  morts  ne  feront  pas  de  mal  (F  Gruyère). 
Le  moud  ly  an  adi  touâ,  pbrtan  n  mouâjon  nyon  mé,  les  m.  ont 
toujours  tort,  pourtant  ils  ne  mordent  plus  personne  (ib.).  Berné 
k'è  mor,  heureux  qui  est  mort  (N  Val-de-Travers).  Quand  on 
est  mort  cest  por  lontai  (longtemps,  Reima  du  corti,  Matile, 
Mus.  hist.  III,  169),  dicton  encore  en  usage  d'après  le  Pat. 
much.  p.  135,  n.  6  ;  Duret,  Gloss.,  p.  202,  quand  on  est  mor,  y 
est  per  lontimp.  Le  dyisr  â  le  fét  dé  mous,  la  guerre  est  la  fête 


8  L.    G  AU  CHAT 

des  m.  (B  Clos  du  Doubs),  A?i  kontin  chu  lé  soulë  dH'n  moud,  an 
vc  lontan  détchà,  en  comptant  sur  les  souliers  d'un  m.,  on  va 
longtemps  nu-pieds  {\h.).  È  n  fâ  dékrie  ni  lé  tnou?  ni  se  k  n  son 
p  li^  il  ne  faut  dire  du  mal  ni  des  m.  ni  des  absents  (ceux  qui 
ne  sont  pas  là,  ib.).  In  en  an  vid  â  pu  k'in  chir  mou3^  un  âne  en 
vie  est  plus  qu'un  riche  m.  (ib.).  Afô  lochia  lé  mdr  an  pè,  il  faut 
laisser  les  m.  en  paix  (B  Plagne).  Ls  mdr  a  ade  t'or^  le  m.  a  tou- 
jours tort  (ib.).  Cf.  les  proverbes  cités  sous  mort^  s.- 

Noms  de  lieux  :  La  Mortigue,  nom  de  deux  torrents  dans 
le  distr.  d'Echallens  et  le  distr.  de  Lavaux  (==  morta  aqua, 
eau  à  cours  tranquille),  La  Mortaigue,  Yverdon  ;  dito  Aigle, 
1718  (Isabel),  voir  Jaccard,  Essai  de  top.^  p.  297  ;  Moriègue, 
Daillens  ;  La  Mortivue,  Semsales,  1890,  pron.  pat.  inortîvouè  ; 
affluent  de  la  Broyé,  de  même  nom,  torrent  très  intermittent, 
parfois  à  sec;  Eaux-Mortes,  Cartigny,  1852,  10;  Les  Eaux 
Mortes,  Avully,  1849,  5  !  Eaumorte,  hameau  ainsi  dénommé 
d'après  un  ruisseau,  autrefois  le  Nant  d^aigue  morte  ou  d'Eau 
morte  (i 762-1763),  aujourd'hui  le  Nant  des  Crues  (pat.  a  édyy 
môrta)\  Champ  de  la  Morte-eau,  Malleray,  1852,  3  ;  Morteauve, 
Bévilard,  1891,  13;  1841,  6.  La  Mortaz,  Granges  (Payerne), 
1891,  25,  prés,  champs,  mare,  signifie  «  flaque  d'eau  tranquille  » 
(Burmeister).  E71  fontannaz  mortaz,  Avenches,  1652;  en  morta 
fontanaz,  Bière,  1845  (^=  source  desséchée).  Mortruz  peut  être 
rangé  ici,  nom  d'un  ruisseau  à  Cressier,  pour  lequel  M.  Godet, 
il  est  vrai,  a  proposé  l'étym.  Martis  rivellus  {Musée  neuch. 
XX,  283,  voir  Jaccard,  op.  cit.  p.  297)  ;  mais,  outre  que  ruz 
représente  rivus,  non  rivellus,  il  nous  paraît  peu  probable 
que  ce  ruisseau  porte  le  nom  d'un  dieu  de  l'antiquité.  Si  son 
cours  est  rapide  aujourd'hui,  il  peut  avoir  été  une  fois  à  sec. 
En  Morta  Terraz,  GoUion,  1891,  33,  champs  (peu  productifs  ?)  ; 
en  Mortaterraz,  Cossonay,  1493,  pré;  Mortaterraz,  Thierrens, 
1815  ;  A  Morterre  (pour  mor{te)terre),  Diesse,  en  partie  sur 
Prêles,  328  ;  Jardins  de  Morterre,  Prêles,  1856,  8,  champs,  prés, 
pâturages.  Mortaveau,  Nyon,  pour  Mortavaux  (vallée  aride  ?), 
voir  Jaccard,  op.  cit.;   Morvaux,  rochers  lugubres,  dit  Lutz, 


LA    TRILOGIE   DE   LA   VIE  9 

entre  la  Val-Sainte  et  Bellegarde(F).  Jaccard,  qui  défend  l'étym. 
tjiort  val,  cite  les  anciennes  graphies  Morval  1134,  1146,  Mor- 
vas  1146,  Morvaux  1198,  où  on  remarque  l'absence  d'un  t,  ce 
qui  ne  laisse  pas  de  la  rendre  suspecte.  Mor  =  m  au  rus,  noir? 
Le  mot  V  a  11  i  s  apparaît  aussi  comme  masculin.  Pron.  pat.  z'wrz'a 
(Fankhauser).  Sous  le  bois  de  McrtevilU,  Bonfol,  1849,  champs. 
Mont-Mort,  petit  sommet  au  S.  E.  de  l'hospice  du  Grand-Saint- 
Bernard,  1783,  1762.  Pron.  pat.  u  mon  mÔ.  L'étym.  mons 
mortuus  ou  morti(s)  est  douteuse,  cf.  le  Mormont  qui  se  ren- 
contre à  plusieurs  endroits,  et  que  M.  Jaccard  rattache  plutôt  à 
d'autres  racines.  A  ses  exemples  il  faut  ajouter  celui  du  Mor- 
mont à  Coùrtemaîche  (B).  Plaine  Morte  ou  Planmortis,  MoUens, 
grand  glacier  descendant  du  Wildstrubel.  Pron.  pat.  lachyèr 
de  plan-moiirti  ÇSloWon?,)  ;  en  plan-na  nwrta  (Lens).  Ce  nom 
paraît  être  d'introduction  récente;  auparavant  on  disait  à  Lens 
et  on  y  dit  encore  en  ouitoiin,  lachyèr  d'ouitoiin.  Dans  Plan- 
fnortis  û  faut  probablement  voir  un  planum  mortivum.  La 
légende  veut  que  ce  vaste  plateau  ait  été  jadis  un  des  plus 
beaux  pâturages  du  Valais,  transformé  en  glacier  à  cause  de 
la  méchanceté  des  pâtres  qui  l'habitaient,  voir  Mario,  Le  génie 
des  Alpes  val.,  p.  109:  Les  mauvais  pâtres  de  l'ém'bré.  Plan- 
Morts,  Chalais,  1904;  Plamort  1880,  Plaît  d'y  7norts  1850; 
pat.  i  plan  di  mor,  forêt,  broussailles,  dans  le  Ban  de  Vercorin, 
qui,  selon  la  tradition,  aurait  eu  là  son  ancien  emplacement 
(réminiscence  de  la  peste  de  1349  ?).  Plan  des  Morts,  forêt  de 
la  commune  d'Hérémence  ;  pat.  u  plan  di  mb,  endroit  hanté, 
dit-on,  par  la  procession  des  morts.  Morteroche,  Grandval,  185 1, 
forêt,  pâturage;  dito,  Eschert  B,  1852,  bâtiment,  pré. 

Le  sentier  aux  morts,  pat.  h  sitidâi  éi  moua,  «  mauvais  sen- 
tier par  lequel  on  descendait  autrefois  les  morts  des  Cheval- 
leyres  »  (Odin,  Gloss.  de  Blonay)  ;  Chemin  es  Morts,  1735,  sur 
le  plan  de  Mollondin  (Millioud)  ;  Charrière  des  Morts,  Oron. 
«  Afin  d'éviter  le  passage  des  convois  funèbres  par  Oron- 
la-Ville,  surtout  en  temps  de  peste,  on  le  faisait  passer  par  le 
Carroz  et  les  Chênes;  ce  chemin  a  conservé  jusqu'à  nos  jours 


lO  L.    GAUCHAT 

le  nom  de....  »  (Pasche,  Oron,  p.  458).  Le  même  nom  se  ren- 
contre à  Gruyères,  La  Roche,  Treyvaux  (Fankhauser).  La  Vy 
■des  Morts,  Jussy,  1742,  chemin  au  nord  du  village  paroissial. 
Même  nom,  Petit  Saconnex,  17 12,  chemin  conduisant  au  ci- 
metière, aujourd'hui  Chetîiin  TrembUy.  Vie  es  Morts,  Lajoux 
(Saicourt),  1853,  champs.  Crct  des  Morts,  Carouge,  1810, 
hangar,  au  Crest  des  Morts,  ib.  1756,  champs.  Au  Mollard 
des  Morts,  Gingins  (Burnet).  A  la  Mortaz,  Denezy  (Vd),  dito 
Forel  Vd  (Burnet),  peut  s'expliquer  comme  ci-dessus  La  Mortaz 
de  Granges,  près  Payerne,  mais  ce  peut  être  aussi  le  souvenir 
d'un  cadavre  trouvé  en  ces  endroits.  En  Mortavillie,  Mur,  1580. 
La  Féna  mortat,  Arzier,  181 2,  36,  pré.  Sur  la  Tête  de  V Liomme 
Mort,  Mordes,  1848,  g,  rochers  et  gazons,  voir  sur  l'origine  de 
ce  nom  Ceresole,  Légendes,  p.  299.  A  V Homme  Mort,  lieu-dit 
de  Corcelles  (N)  '  ;  le  Chemin  des  Vieilles  Mortes,  nom  de  la 
route  du  Locle  à  La  Saignotte  (N  Brenets)  «  parce  qu'à  la  fin 
d'un  hiver  où  la  neige  rendait  les  communications  impossibles, 
on  trouva  mortes  dans  leur  demeure  deux  vieilles  femmes  » 
{F.  A.  Perret,  Le  Doubs,  p.  177).  «A  Petit-Noir  [France],  l'an- 
cien lit  du  Doubs  [corrigé]  est  appelé  la  Morte  »  (ib.  p.  340). 
La  pïra  du  mbr,  Arbaz  (V),  bloc  de  rocher  et  chemin  dans  la 
forêt  du  Ban  de  Moëre  ;  Pirraz  di  Morts,  Bourg-Saint-Pierre, 
1863,  prés  et  champs.  La  tradition  veut  que  deux  personnes  de 
Liddes  soient  mortes  de  la  peste  en  cet  endroit.  Pierre  des 
Morts,  Saint-Maurice,  1882.  La  Morte  Pierre,  Corcelles  (B), 
1851,  prés,  champs;  Pierre  Morte,  Soulce,  1850,  champs; 
pourrait  signifier  «pierre  effritée»,  cf.  ci-dessus  Morteroche. 
Combe  des  Morts  ^  partie  de  la  route  du  Saint-Bernard  très 
exposée  aux  avalanches  au  pied  du  Mont-Mort. 

mouri,  v.  mourir. 

mouri  (Vd  Centre,  Pays  d'Enhaut,  Vallée  de  Joux,  Vevey- 
Villeneuve,  Bas- Valais),  7nuri  (tout  F  et  contrées  vaudoises 
attenantes  ;  Atl.  ling.  viœri,  Billens,  forme  douteuse  ;  Vd  Au- 

'  Déformation  de  Aiil]e)iiatire{s),  voir  J.  Vodoz,  Echo  des  Alpes,  1910, 
p.  410. 


LA    TRILOGIE    DE    LA   VIE  II 

terson),  moujri  (Vd  Ormonts,  Plaine  du  Rhône,  Pailly,  Val- 
lorbe,  Arzier  ;  V  Vionnaz,  Praz-de-Fort,  Saillon  ;  G  Hermance, 
Dardagny,  Aire-la-Ville  ;  B  Prêles),  mouèri  (Yà  Vaugondry; 
N  Vignoble,  Val-de-Ruz,  Val-de-Travers),  moûri  (V  Nendaz, 
voyelle  entre  ou  et  u),  mari  {Y  Bagnes,  Trient,  Finhaut;  G  Ber- 
nex,  textes),  7n""ourèi  (V  Champéry  ),  nwréi  (V  Isérables),  mou- 
ri{k)  (V  Hérens),  moiirik  (V  Lens,  Anniviers),  mœri  —  in9ri 
{V  Savièse;  N  Montagnes,  forme  habituelle  de  B),  inri  (N  Côte- 
aux-Fées),  mru  (B  Plagne,  Péry,  Malleray,  Crémines),  Les  for- 
mes de  \ Atlas  ling.  s'accordent  assez  bien  avec  les  nôtres.  Le 
recul  de  l'accent  sur  le  radical,  tel  qu'il  a  été  noté  presque 
partout  par  M.  Edmont,  est  conforme  à  nos  habitudes  de  pro- 
nonciation. Mais  les  longueurs  de  la  voyelle  radicale  nous 
laissent  perplexes.  Nos  matériaux  ne  les  donnent  qu'exception- 
nellement. 

Fi'ineipales  formes.  Mourant  :  voir  l'article  mourin  ;  on  y 
voit  alterner  les  types  *  mor ente  et  *moriscente,  ainsi  à 
Vd  Vaugondry  ?noiièrin  et  Vd  Penthalaz  tnotirdsin.  —  Il  meurt, 
ils  meurent:  *morit  ou  *moriscit,  le  dernier  retire  ordi- 
nairement l'accent  sur  le  radical  ;  L  i?iou3r,  motiairon  (Vd  Or- 
monts)  ;  moue  (Y à  Champéry);  moû  moûrzon  {y  Liddes)  ;  mâ\ 
mouairon  (V  Bagnes)  ;  inout  (V  Evolène  )  ;  mœ{f)  (G)  ;  muâ, 
muàron  (F  Romont)  ;  mouir  (N  Dombresson)  ;  mœ,  mcèra  (N 
Montagnes)  ;  mia,  niœran  (B  Delémont)  ;  musr  fnro  (B  Plagne)  ; 
IL  mourè  (Vd  Penthalaz)  ;  môrét,  môrésott  (V  Isérables,  à  côté 
de  mœrt)  ;  mourt\  mourèchon'  (V  Anniviers)  ;  inoudre  (G  Darda- 
gny) ;  mouarè,  murchon  (F  Gruyère)  ;  N  et  B  n'ont  pas  de  for- 
mes inchoatives. —  il  mourait  :  Vd  V  G  F  offrent  fréquemment 
*mourissait,  ainsi  mourdsâi  (Vd  Savigny).  —  Il  mourut:  n'est 
sûrement  attesté  que  pour  ^,miré  (Delémont),  wra  (Plagne). — 
Il  mourra  :  alterne  avec  des  formes  inchoatives,  telles  que 
mourstra  (Vd  Savigny);  mouridrè  (V  Anniviers);  mouirètra 
(G  Dardagny);  mœrtra  (N  Chaux-de-Fonds).  B  ne  les  connaît 
pas:  muyré,  mœré.  Ces  anciennes  formes  sont  très  rares  dans 
les  cantons  Sud,  mais  I^eysin  a  encore  nioudrè  ;  M.  Cornu  a 
relevé  à  Montbovon  chti  a?i  mûri  =^  cet  an  je  mourrai,  forme 


12  L.    G  AU  CHAT 

tombée  en  désuétude  depuis.  B  Plagne  miarsr,  correspond  à 
un  français  *  mourira,  cf.  de  inourdrè,]^  '^  mourir  ai,  dans  Duret, 
Gramm.  sav.,  p.  ç^\\  y'  an  inœrirÔ  (Rossât,  Chants  pat.,  Arch.  s. 
d.  trad.pop.Y ,  p.  102)  est  une  forme  analogue  du  conditionnel, 
qui  est  habituellement  mœrô,  comp.  les  barbarismes /<?  viotirirai^ 
je  mourirais  mentionnés  par  nos  dictionnaires  de  provincia- 
lismes  (Grangier,  Péter,  Pierrehumbert).  Le  dernier  cite  «  un 
fameux  début  de  harangue  militaire  :  «  S'il  faut  mourir,  mou- 
rissons!  s'il  faut  périr,  pérons!»  qui,  s'il  n'est  pas  authentique, 
illustre  du  moins  assez  bien  l'hésitation  entre  les  formes  inchoa- 
tives  et  non  inchoatives.  —  Comme  participe  passé  fonctionne 
l'adjectif  mort,  dont  nous  avons  trouvé  bon  de  faire  un  article 
à  part  du  Glossaire,  voir  article  précédent.  Cependant  nos 
patois  n'ont  pas  manqué,  isolément,  de  former  un  participe  sur 
le  modèle  d'autres  verbes  en  -ire,  ainsi  war/, employé  de  pré- 
férence dans  le  district  de  Delémont  :  el  â  mœri;  ou  mrn,  qui 
correspond  au  français  fautif  *  mourti,  et  qui  a  envahi  l'infinitif, 
dans  une  partie  du  Jura  bernois,  grâce  à  l'identité  ordinaire 
des  infinitifs  et  des  part,  passés  (voir  Degen,  Die  Konj.  im  Pat. 
von  Crémines,  p.  107).  A  Montbovon,  M.  Cornu  a  noté  }?iou- 
réi-td,  forme  qui  manque  à  Haefelin,  Les  pat.  du  cant.  de  Frih.y 
p.  128. 

Syn.  Voir  plus  loin. 

1.  mourir;  2.  cesser  de  fonctionner;  3.  comme  verbe 
actif:  éteindre  (V). 

I .  Mouri  din  se  sold,  m.  dans  ses  souliers,  sans  passer  par  la 
maladie  (Vd  Blonay).  M.  a  son  pan  gdnyin,  m.  à  son  pain  ga- 
gnant, sans  être  à  charge  à  autrui  (ib.).  Lan  dévan  ki  moiirs- 
sise,  l'année  avant  qu'il  mourût  (ib.).  Alà  in  mounsin.^  aller  en 
m.,  en  douceur  (ib.).  Nd  vouai  p a  moudri  siy  an,  d^abo  ki  me 
kop3  dou  bokon  de  pan,  je  ne  vais  pas  m.  cette  année,  puisque 
je  me  coupe  deux  morceaux  de  pain  (par  inadvertance,  loc.  Vd 
Ormont-dessus).  I farai  pâ  ma  de  mori,  il  ne  regretterait  pas... 
(V  Bagnes).  M.  so  kou,  m.  sur  le  coup,  instantanément  (ib.). 
Mouri  de  ma  choubst?,  m.  de  mort  subite  ;  m.  de  la  ma  dé  môsèy 


I 


LA    TRILOGIE    DE    LA   VIE  13 

m....  des  mouches,  de  mort  imprévue  (V  Evolène).  Mà-ri  d  mou? 
sôbit  (B  Charmoille).  Mouri  dm  cha  tyœutsè,  m.  dans  son  lit 
=  m.  de  sa  belle  mort  (V  Salvan)  ;  mœri  din  son  yé,  idem  (B 
Séprais).  Nd  kontètï  toui  viourik,  nous  devons  tous  m.  (V  Gri- 
mentz).  Mourik  koum  oun  a  vakouk^  m.  comme  on  a  vécu  (V 
Mage).  ...que  vo  volia...  nos  ctranglia  et  far e  to  tnori,  que  vous 
vouliez...  nous  étrangler  et  nous  faire  m.  tous  {Ce  qiiè  lainô, 
str.  44,  éd.  Ritter).  Vou  pà  avei  liji  de  mûri,  il  ne  veut  pas 
avoir  loisir  de  m.,  d'un  qui  est  toujours  pressé  (F  Prez-vers- 
Siviriez).  Côdrus  que  7tiueirt  por  sovar  sa  patrie,  Codrus  qui 
meurt...  (Python,  Egl.,  éd.  Moratel,  p.  122;.  Flaccus  Maro, 
frârè  de  Virgile,  que  moure  din  s  Vâgeo  d''adolescenhe,  ...  qui 
mourut...  (ib.,  p.  118).  Moûre  gaillard,  qu'est-ce  qu'  ce  m' fâ, 
meurs  seulement...  (Quinche,  Gloss.).  I  jnouére'trai  s'i  mdgîve 
atant  que  liu,  je  mourrais  si  je  mangeais  autant  que  lui  (ib.\ 
El  etai  force,  ass'  force  que  de  tnouèri,  il  était  nécessaire,  aussi 
n...  (Quinche,  Passage  du  Roi,  Le  Pat.  neuch.,  p.  177).  Même 
formule  dans  la  lettre  de  Quinche  placée  en  tête  de  son  Gloss. 
{Le  Fat.  neuch.,  p.  22J.  Vollin  meri  gai  et  boneuna,  nous  vou- 
lons m.  gais  et  heureux  (Huguenin,  Chans.,  xsf  21).  Maidaime 
en  vai  meuri,  m.  en  va  m.  (Raspieler,  Pan.,  vers  107).  /  vœ 
mœri  si  s  n  a  p  vré,  je  veux  m.  si  ce  n'est  pas  vrai  (  B  Boncourt). 
O  niud  tu  lé  djbr,  on  meurt  tous  les  jours,  insensiblement  (B 
Plagne).  Mru  chu  sotifine,  m.  sur  son  fumier,  sans  être  sorti  (ib.). 
El  â prou  maUtpo  tnœri,  il  est  assez  malade  pour  m.  (B  Vermes). 
Mœri  d'  véyds,  d'  tchègrïn,  d'  pàvou.^  m.  de  vieillesse,  de  cha- 
grin, de  peur  (ib.).  —  2.  Le  linp  mœr^  la  lampe  s'éteint  (B  Ver- 
mes). —  3.  mousri  h  fouà,  éteindre  le  feu  (V  Charrat).  Mour 
lo  foud,  éteins...  (V  Liddes). 

Proverbes.  Va  mï  sauf  ri  tyé  mouri  ^  il  vaut  mieux  souffrir 
que  m.  (Vd  Blonay).  Kan  on-n  a  yu  tré  béi  méi  d'avri,  le  as9toû 
tin  dé  mouri,  quand  on  a  vu  trois  beaux  mois  d'avril,  il  est 
bientôt  temps  de  m.  (ib.),  se  dit  aussi  ailleurs.  On  n9  sa  ne 
kâ  vi  ne  kâ  mou3r,  on  ne  sait  qui  vit  ni  qui  meurt,  exhortation  à 
bien  vivre  (Vd  Ormont-dessus)  ;  en  Valais  :  on  sa  pâ  nïn  h  vi 


14  L.  GAUCHAT 

hin  ks  mœ  (Bagnes);  forme  bernoise  (Plagne)  :  o  ti  se  n  ko  vi  n 
ko  mû?r.  N3  fà  pâ  grantin  por  motisri,  on  est  vite  mort  (Vd 
Ormont-dessus).  Pb  payl  è  pb  mouri,  le  adî  prâo  vito,  pour 
payer  et  pour  m.,  c'est  toujours  assez  tôt  (Vd  Savigny  )  ;  variante 
frib.  :  pb  payi  è  mûri  le  totèvi  praou  vutou  {Etr.  frib.  1875, 
mai).  Kan  on  vi  sin  s'amâ,  on  mou9r  sin  se  règrètâ,  quand  on 
vit  sans  s'aimer...  (Vd  Ormont-dessus).  On  n'  asuirô  de  rd  tye 
de  mouiri^  on  n'[est]  sûr  de  rien  que...  (Vd  Leysin).  Apre  tan 
ds  inà,  inru  a  fà,  après  tant  de  maux,  m.  il  faut  (B  Plagne). 
Aléi  n'èm  pou,  moiirik  che  lâché,  [quij  plus  n'en  peut,  m.  se  laisse 
(Gilliéron,  Prov.  de  Vissoye).  Les  vîllio  deyvont,  les  dzouno puont 
mûri,  les  vieux  doivent,  les  jeunes  peuvent  m.  {Etr.  frib.  1875, 
juillet).  En  regard  de  ces  témoignages  de  l'inéluctabilité  de  la 
mort,  la  sagesse  populaire  offre  cette  consolation  :  On  ne  muert 
qu''onna  vez,  ...  fois  (Duret,  Gloss.)  ;  an  n  mu?  k  dUn-n  mou?,  on 
ne  meurt  que  d'une  mort  (B  Epauvillers).  Ne  fà  todzb  y?na  pb 
mousri,  il  en  faut  toujours  une  (une  cause)  p.  m.  (V  Vérossaz). 
Ey  faut  se  maria  po  se  f ère  à  bliamâ;  ey  faut  mûri  po  se  fer  e 
à  gabâ,  ...pour  se  faire  blâmer  ...louer  [Etr.  frib.  1872,  déc.  ; 
même  prov.  dans  le  Lien  vaud.  1904,  n**  10).  Pb  bin  mûri  è  fà 
bin  vivn  (F  Broyé).  Stu  k  vi  an  me,  mu?  an  me,  celui  qui  vit 
en  renard,...  (B  Boncourt).  L'un  pœ  mèri  d?  s  k?  fè  è  vivr  ïnn 
âtr,  l'un  peut  m.  de  ce  qui...  un  autre  (B  Epauvillers).  N?  t? 
dépouy  pè  dvan  k  d?  mru,  ne  te  dépouille  pas  avant...  (B  Plagne). 

Etym.  Du  latin  m  or  ire  pour  mori.  Pour  l'inf.  mru  voir 
ci-dessus  sous  principales  formes.  Le  sens  A' éteindre  s'explique 
probablement  ainsi  :  mourir  a  été  autrefois  employé  comme 
verbe  actif  dans  le  sens  de  tuer,  comme  en  vieux  français.  A 
ce  moment,  il  s'est  rencontré  avec  le  verbe  tuer,  qui  réunit 
également  les  deux  significations  de  mettre  à  mort  et  à!' éteindre  ; 
voir  ce  mot. 

Synonymie.  Non  seulement  les  poètes  se  sont  ingéniés 
à  trouver  de  nouvelles  expressions  pour  l'idée  de  la  mort,  soit 
en  imitant  des  tournures  des  langues  anciennes,  soit  en  recou- 
rant au  trésor  inépuisable  de  l'imagination  poétique  ;  la  langue 


LA   TRILOGIE   DE   LA    VIE  15 

du  peuple  aussi  ne  cesse  d'inventer  des  périphrases,  dans  le 
besoin,  qui  renaît  constamment,  d'éviter  le  mot  brutal, 
effrayant,  indélicat,  ou  d'ajouter  au  sens  général  une  nuance 
dictée  par  les  circonstances.  I^a  mort  fait  résonner  toute  la 
gamme  des  sentiments  humains,  du  désespoir  le  plus  profond 
jusqu'à  l'ironie  méchante.  Il  y  a  peu  de  domaines  linguistiques 
où  l'on  puisse,  comme  dans  celui-ci,  étudier  l'action  de  la 
psychologie  sur  le  renouvellement  incessant  du  vocabulaire. 
Aussi  avons-nous  cité  un  choix  de  locutions  romandes  pour 
înourir  dans  une  étude  des  rapports  qui  existent  entre  le 
monde  des  idées  et  celui  de  l'expression  {An  den  Sprachqueîlen, 
Universitàt  Zurich,  Festgabe  zur  Eiiiweihtmg  der  Neubauten, 
1914,  p.  m). 

La  mort  rompant  tous  les  liens  et  mettant  un  terme  à  toutes 
les  occupations,  les  points  de  départ  pour  arriver  à  une  nou- 
velle périphrase  sont  multiples.  De  là  l'étonnante  richesse  de 
la  liste  que  nous  allons  soumettre  au  lecteur.  Elle  comprend 
bien  au  delà  de  deux  cents  termes.  Encore  notre  catalogue 
est-il  loin  d'être  complet.  Il  nous  arrive  souvent,  en  classant 
les  fiches  du  Glossaire,  de  mettre  la  main  sur  un  mot  oublié. 
Comment  introduire  de  l'ordre  dans  cette  longue  énumération? 
Nous  aurions  pu  suivre  le  modèle  qu'offre  M.  L.  Morandi  dans 
sa  fine  étude  stylistique  I  sinonitni  del  verbo  inorire  (dernière 
rédaction  dans  Prose  e  poésie  italiane,  1 900),  c'est-à-dire  dis- 
tinguer entre  les  styles  noble,  familier  et  comique  {scherzevole). 
Mais  il  nous  paraît  bien  difficile  de  séparer  ce  qui  appartient 
aux  deux  dernières  catégories  et  nous  ne  pensons  pas  que 
M.  Morandi  y  ait  pleinement  réussi.  Nous  tâcherons  donc  de 
diviser  nos  périphrases  en  termes  honnêtes  et  en  termes  plus 
ou  moins  facétieux,  tout  en  les  groupant,  à  l'intérieur  de  cha- 
que subdivision,  un  peu  d'après  l'idée  dominante  qui  y  réside: 
départ,  voyage,  métiers,  vie  de  famille^,  etc.  En  outre,  comme 


*  M.  Morandi  a  adopté  l'ordre  alphabétique,  que  nous  jugeons  trop 
superficiel. 


l6  LA   TRILOGIE   DE   LA   VIR 

les  périphrases  se  rapportent  à  différents  moments  du  trépas, 
nous  essayons  de  distinguer  entre  celles  qui  signifient  mourir 
et  celles  qui  représentent  plutôt  l'idée  à' être  mort,  bien  qu'ici 
encore  la  classification  ne  puisse  pas  être  nette.  Un  change- 
ment de  temps  {il  fait  ou  a  fait  le  grand  voyage),  le  rempla- 
cement d'un  élément  de  la  phrase  [il  va,  il  est  dans  le  pays  des 
iaupes)  peut  faire  passer  la  locution  d'une  catégorie  à  l'autre. 
Quelques-unes  des  expressions,  comme  graisser  ses  bottes, 
auraient  mieux  trouvé  leur  place  dans  la  liste  synonymique 
donnée  à  l'article  7?iort,  s.,  eticycl.  4,  sous  agonie. 

Evidemment,  la  grande  majorité  de  nos  périphrases  nous 
sont  venues  d'ailleurs  ;  un  très  petit  nombre  portent  une  em- 
preinte locale,  plusieurs  ont  pu  naître  spontanément  en  diffé- 
rents endroits.  Notre  liste  est  donc  un  ramassis  de  locutions 
représentant  d'anciens  tabous  qui  défendaient  de  prononcer  le 
mot  de  mort,  de  réminiscences  littéraires  ou  de  sermons,  de 
croyances  bibliques,  d'euphémismes  prudents  dont  on  use  vis- 
à-vis  d'un  malade,  d'atténuations  sages  employées  devant  les 
enfants  d'un  défunt,  de  mots  cruels  inventés  par  le  gamin  de 
Paris,  qui  fournit  tant  de  phrases  aux  pays  de  langue  fran- 
çaise, etc.  La  population  romande  n'est  pas  responsable  de  la 
création  de  certains  de  ces  tours,  qui  peuvent  paraître  bar- 
bares en  présence  de  la  mort.  Du  reste,  posséder  un  terme 
n'équivaut  pas  à  l'employer  souvent,  et  une  expression  forte, 
lâchée  dans  un  moment  d'abattement  moral,  traduit  bien  des 
fois  plus  de  faiblesse  que  d'équilibre.  C'est  un  moyen  de 
tromper  les  autres  et  soi-même  sur  le  degré  de  résistance  qu'on 
possède. 

Comme  chacune  de  ces  périphrases  reparaîtra  sous  sa  forme 
patoise,  avec  ses  exemples,  dans  les  articles  respectifs  du  Glos- 
saire, nous  les  francisons  ici,  sauf  exception,  tout  en  sachant 
bien  qu'elles  y  perdent  beaucoup  en  expressivité. 

A.  Mourir.  I.  Termes  polis  :  Rendre  le  dernier  soupir, 
le  dernier  souffle,  le  dernier  peccavi  (F);  tirer  le  dernier  souffle, 
tirer  les  derniers,  tirer  (V)  ;  faire  le  dernier  bâillement,  le 


'-^'^      Il  ••iim-iiwMaMiiwwmnniiii  wiiHiiMÉ  iwik i  uni* 


-t'î*".».'^.»»  ff  '»j^  «^  -^-  '■■^ 


<9^1êriM*Jif*è1ifJ(J33BirâfJnit»^i^, 


Enterrement  en  Valais. 

Lithographie  de   H.  B.  Wieland. 


LA   TRILOGIE   DE    LA   VIE  I7 

dernier  soupir,  bailler  {donner)  le  dernier  soupir;  expirer. 
S'éteindre,  se  dèy^indrè  (même  sens),  fermer  {clore)  les  yeux, 
kotà  le  J3  (même  sens,  F),  clore  le  pilyon  (les  cils,  Vd).  Dormir 
le  grand  som?neil,  s'endormir  tout  de  bon.  Décéder  ;  succomber; 
se  laisser  aller  (V).  Rendre  rame  ;  pat  tir  pour  la  gloire  (peut 
prendre  une  teinte  ironique)  ;  partir  pour  réternité,  entrer 
dans  la  joie  de  son  Seigneur,  dans  la  grande  retraite  ;  aller 
voir  le  Père  éternel.  Fenâ  (finir,  V),  afanâ  (V);  achever  sa 
carrière,  sa  course,  son  temps  ;  tsavounâ  (achever)  sa  carrière, 
finir  ov\  fournir  sa  carrière,  finir  on  fournir  son  temps,  sa  vie, 
ses  Jours,  de  souffrir,  tsavounâ  sou  dzœ  (achever  ses  jours,  V); 
ctre  au  tehavon  de  sa  carrière  (N)  ;  faire  son  temps  ;  défunter. 
En  partir  {y  ^);  trépasser,  s'en  aller,  partir  pour  T  autre  monde, 
passer  dans  l'autre  tnonde,  quitter  ce  m.,  faire  ses  adieux  ;  faire 
une  grosse  place  (V);  laisser  de  la  pitié  (V).  Resta  k?  (rester 
là,  Vdi,  sobrâ  (rester,  Yd). 

II.  Termes  plus  ou  moins  facétieux  :  Oublier,  rou- 
blier  de  souffler,  plyèkâ  de  cho%lyâ  (cesser  de  souffler,  F),  finir 
de  siffler,  de  ronfler  (Vd).  Virer  le  blanc  (des  yeux),  le  Jaune 
(Vd),  virer  l'œil,  virer  gâga  ou  gâgat  (B),  tourner  les  yeux  ; 
moTitrer  les  dents  blanches  (Vd).  Faire  le  grand  voyage,  le 
gros  V.,  le  voyage  de  saint  facques  (V),  partir  pour  le  gros 
voyage,  pour  les  Indes  (V),  pour  le  pays  d'Aoste  (V),  pour  le 
pays  des  taupes  {des  dèrbon),  pour  le  royaume  des  taupes,  pour 
le  pays  des  bousrcé  (taupes,  B),  aller  trouver  les  taupes,  aller 
dans  le  pays  des  taupes  ;  faire  le  grand  saut,  la  culbute;  piquer 
les  sauts  (Vd)  ;  passer  outre  ou  delà  (V,  F),  de  Vautre  côté  (V), 
la  Gemmi  (V),  les  glaciers  (V),  passer  derrière  (V),  pasâ  Tsi- 
vilye  è  Dorbon  (Vd  Ormont-dessus)  ;  aller  sur  Mussel  (G,  où 
il  y  a  un  cixn&ûhrQ);  passer  dans  la  barque  à  Car  on  (Vd);  aller 
voir  ce  qu'ils  font  de  l'autre  coté  ;  déguerpir,  tourner  les  se- 
melles. Frotter  (graisser)  ses  hottes  (F),  cirer  ses  bottes  (N,  B), 
aussi  «  le  curé  lui  a  ciré  ses  bottes  »  =  donné  les  derniers  sa- 
crements »  (Daucourt,  Folk-Lore  Suisse,  III,  p.  75).  Périr  (tiré 
de  la  vie  des  animaux),  crever,  krapâ  ou  krapi  {Yd,  V).  Claquer 


l8  L.    G  AU  CHAT 

(comme  pour  crever,  à  l'origine  idée  d'une  chose  qui  éclate, 
cf.  l'italien  scoppiare,  schiattare,  schiantare,  Morandi,  p.  684), 
klyanpâ  (voir  ce  mot),  pctâ,  pètâ  la  grofila  (voir  ce  mot,  Vd), 
craquer  (Vd)  ;  craquer  le  marmot  (F,  terme  d'argot  mal  com- 
pris, croquer  le  m.  signifie  attendre  une  éternité).  Casser  sa 
pipe,  briser  sa  p.,  briser  le  fétu  de  sa  p.  (F),  rompre  sa  p.  (B), 
avoir  fumé  sa  dernière  pipée  (Vd),  renoncer  à  la  tabatière; 
casser  ses  noix  [kpkyè,  Vd)  ;  dévisser  {son  billard)  (Vd,  F)  ; 
renverser  son  huile  (Vd)  ;  trosâ  la  kotairyâ  (rompre  l'aiguillée 
de  fil,  souvenir  d'Atropos?  Vd  Alpes)  ;  laisser  courir  sa  cuiller  S 
laisser  tomber  sa  c,  laisser  bas  sa  c.  (V),  perdre  sa  c.  (B),  jeter 
loin  sa  c.  {tsanpâ  lavi,  fotrs  via,  fyèri),  essuyer  so?i  couteau; 
lâcher  [renverser)  son  écuelle  ;  perdre  le  goiU  du  pain,  tourner 
le  dos  au  p.,  avoir  jnangé  tout  son  p.;  son  oie  est  bientôt  cuite 
(Vd),"  il  a  d'abord  cuit  ses  aulx  (V),  être  cuit  (B).  Donner  son 
bien  (aux  pauvres,  V,  F),  tester  (V,  F).  Passer  l'arme  à  gauche 
(argot  militaire),  descendre  la  garde,  mordre  la  poussière.  Délo- 
ger et  autres  verbes  signifiant  déménager.  Lever  l'ancre.  Chtorbd 
(de  l'ail,  gestorben,  F).  Aller  dormir  dessous  l'herbe  (Vd).  V9ri 
h  brœsè  (r='?  V  Chamoson)  ;  tifyâ  (sens  primitif?  V  Bagnes); 
Rendre  les  «  guilles  »  {quilles?^).  Etre  au  bas  des  Chaux  (N). 
Aller  faire  des  «.froyida-»  (espèce  de  jouet,  voir  ce  mot,  B). 
Sentir  le  sapin  (signifie  plutôt  «  être  en  danger  de  mourir  », 
allusion  au  cercueil);  achounâ  h  pskcltso  (sentir  la  boue,  V); 
aller  faire  des  toupities  (Vd). 

B.  Etre  mort  (aussi  en  cercueil  ou  enterré).  I.  Ter- 
mes polis  :  Etre  sur  la  planche,  sur  lo  lan  (voir  ci-dessus  mort, 
s.,  cncycl.  7).  Avoir  été  fauché  isèyà,  on  ajoute  quelquefois: 
comme  de  l'herbe  tendre,  pour  une  mort  subite,  de  même  les 


1  Voir  l'explication  de  cette  locution  donnée  par  E.  L.  Rochholz 
(cuiller  comme  symbole  de  droit)  sous  V olksîhûmliche  Redensarieti  fiir 
Sterben,  dans  son  ouvrage  Deutscher  daube  iind  Brauch  im  Spiegel  der 
heidnischen  Vor\eit,  t.  I,  p.  142.  On  y  trouvera  aussi,  sous  Oberdciitsche 
Leichenbràuche ,  p.  1 31-21 5,  une  quantité  d'analogies  avec  nos  rites 
funèbres. 


LA   TRILOGIE   DE   LA   VIE  ,         I9 

suivants),  moissotiné  (comme  un  champ  d'avoine),  coupé,  em- 
porté. Il  a  tout  dit,  tout  bataillé  (fini  de  b.).  Jl  est  loiti,  là, 
étendu.  Le  bon  Dieu  l'a  voulu  !  c'a  été  son  heure. 

II.  Termes  familiers  ou  facétieux  :  avoir  mis  le 
«  garde-habit»,  la  «  garde-robe  »,  la  veste,  le  paletot  en  sapin, 
le  gilet  de  bois,  son  anglaise  de  sapin,  sa  «  l'cture  »  de  s.  (Vd,  F)  ; 
avoir  mis  le  dernier  habit,  le  complet  qui  ne  se  change  pas  (V), 
uti  Jupon  de  sapin  (B),  un  inanteau  de  bois  (B)  ;  être  dans  la 
boîte  en  sapin  (N).  Etre  entre  quatre  {six)  planches.  S'en  aller 
les  pieds  devant .^  les  premiers.  Faire  son  dernier  chemin.  Garder 
les  poules  du  curé  (les  cimetières  sont  près  de  la  cure),  garder 
les  p.  à  Millier  (habite  près  du  cimetière,  Vd  Savigny),  chez 
Plus  (dito,  B  Plagne).  Sucer  {manger)  les  dents  de  lion  par  les 
racines,  ronger  les  dents  de  lion  par  le  bout.  Etre  {à)  six  pieds 
sous  terre,  en  tipa  (gazon,  Vd),  être  caché  six  p.  s.  t.  (V),  avoir 
six  pieds  de  terre  sur  Je  nez,  le  corps,  le  mbr  (museau),  avoir 
les  pieds  en  terre  (Vd).  Donner  à  manger  aux  vers.  N'' avoir 
plus  mal  aux  dents,  être  guéri  du  m.,  n'avoir  plus  mal  à  la 
gorge  ;  avoir  le  nez  sec,  les  os  secs,  les  pieds  froids.  Avoir  été 
réduit  (mort  subite),  raclé,  plié,  raplèya  (replié),  nettoyé,  ra- 
massé.^ foutu.  N'avoir  plus  soif,  ne  pouvoir  plus  souffler  sa 
soupe,  être  à  bas  du  pain.  Il  a  roté  (G,  =:  fini  de  r.).  Etre  barba 
(rasé  pour  tout  de  bon,  V).  //  a  viré  les  fers.  Etre  embarqué. 
Etre  chtbrb  tall.  gestorben,  voir  ci-dessus  A.  II).  Tèpâ  (som- 
meiller, F).  Avoir  fini  d'entendre  le  coucou  (V,  B)  ^. 

intëreniin,  s.  m.  enterrement. 

intèremin  (\'d  Centre,  Grandson,  Plaine  du  Rhône,  Bas- 
Valais,  F  Gruyère — Veveyse  ;  la  nasale  in  est  souvent  diphton- 
guée,  voir  Atlas;  des  deux  e  des  syllabes  médianes  le  deuxième 


'  Les  expressions  allemandes  pour  «mourir»,  surtout  celles  d'ori- 
gine bibliques,  sont  réunies  dans  l'article  de  Fr.  Wilhelm  Die  Euphe- 
niisinen  tind  biliUichen  Ausdri'icke  unserer  Spracbe  iiber  Sterben  tincl  Totsein 
jind  die  ibnen  zii  Grtinde  liegenden  Vorslellutiiyen  {Aleiiianma  XXVII, 
p.  75-83).  Elles  correspondent  souvent  aux  nôtres. 


20  L.  GAUCHAT 

est  moins  ouvert,  le  premier  ordinairement  allongé),  unteremin 
(Vd  Pays  d'Enhaut),  unteremun  (Vd  Penthalaz)  ;  intereman  (Vd 
Enclaves,  F  Glane  et  Broyé)  ;  àterèmd  (Vd  Leysin  ;  cette  déna- 
salisation s'observe  en  beaucoup  d'endroits,  à  divers  degrés, 
voir  Atlas),  è^'^tèr^tnè  (Vd  Savigny),  Hnûrdm~e  (Vd  Vallée  de 
Joux),  eter{e)jnè  (Vd  Ouest),  intèrmè(Y  Sugiez)  ;  intèramin  (Bas- 
Valais,  passim,  ainsi  à  Bagnes,  Liddes);  èntèrèmèn  ou  entèranihi 
(sans  nasales,  V  Est)  ;  antèraman  (G  Hermance)  ;  àtàràmd  (G 
Bernex),  aètaramè  (G  Aire-la-Ville);  ètcrmè  (N  Vignoble,  Val- 
de-Ruz),  étarmc  (N  Noiraigue),  ata?-ma  (N  Montagnes),  aterma 
(N  Chaux-de-Fonds),  btèrmb  (N  Cerneux-Péq.,  B  Malleray); 
intèrmin  (B  Prêles)  ;  étarmb  (B  Plagne),  antcrmai2  (B,  pron. 
française,  sauf  que  è  est  plus  ouvert). 

1.  action  de  couvrir  de  terre,  par  ex.  une  plante; 
2.  ensevelissement  d'un  mort  (ensemble  des  cérémonies 
accompagnant  la  mise  en  terre  du  corps);  par  restriction: 
8.  convoi  funèbre;  4.  repas  d'enterrement. 

\  .  voir  sous  intèrâ,  enterrer.  2.  Le  vîlyè  dzin  se  soûlon  d'alâ 
todzor  é-z  interemin,  les  vieilles  gens  se  lassent  d'aller....  (Vd 
Ormont-dessus).  Tandi  hin  dè-z  anâyè,  n?  su  alâ  a  la  Valâ  kè 
po  dè-z  Hntermè,  pendant...,  je  ne  suis  allé  à  la  Vallée...  (Vd 
Le  Chenit).  Lé-z  ôtro  yddzo  on  faséi  grô  dé  tïrsbâ  éi-z  intère- 
min,  autrefois  l'on  faisait  un  grand  branle-bas  aux  e.  (Vd  Blo- 
nay).  Asistâ  in-n  on-?i  intèrhnin,  assister  à  un  e.  (V  Lourtier). 
Firè  sinblan  de  kbrné  h  dzb  de  ri.,  faire  semblant  de  pleurer 
le  jour...  (V  Praz-de-Fort).  On  son-na  lo  glyé  pddd  Vdlârdma, 
on  sonne  le  glas  pendant...  (G  Bernex).  Chouno  V intèrèman^ 
sonner  l'e.  (F  Villargiroud).  Y  è  deman  le  mariâzo,  apré-d''man 
r antèraman,  c'est  demain...,  chanson  de  la  vieille,  G  Hermance, 
Schwyzerlàndli,  p.  233).  An  V antèrman  de'-z  èvar,  lé-z  értis  ryan, 
à  l'e.  des  avares,  les  héritiers  rient  (B  Charmoille).  Bayid  h 
pin  ds  r intèrmin,  distribuer  du  pain  à  l'occasion  de....  (B  Prêles). 
La  pan,  la  mbta,  h  vun  d'untèreniin,  le  pain,  le  fromage,  le  vin 
consommé  dans  un  [repas  d'  ent.  (Vd  Rougemont);  manti  d'int., 
«  manteau  »,  voir  encycl.  n°  1 1  ;  niècha,  rèpé  dHnt.,  messe,  repas 


LA   TRILOGIE   DE   LA    VIE  21 

d'e.  (F);  ///  dênè  d'antèr>nan,  un  dîner  d"e.  (B  Charmoille)  ; 
in-fi  mi-n  d'ant.  ;  une  figure  funèbre  (ib.).  —  Proverbes  :  Kan 
le  fhnalè  aréton  de  dcvezà,  Vinthremm  fà  prépara^  quand  les 
femmes  cessent  de  jaser,  il  faut  préparer  Te.  (Vd  Ormont-dessus). 
Forme  gruyérienne:  Kan  fèna  plyèkè  de  parla  {dèv?jd),  Vintè- 
reniiti  fÔ  aprèdd  (prépara)  (Chenaux-Cornu,  Remania  VI, 
n^  124).  E  Ji  fâ  p  txuè  le pus,pdsk?,  ixin  an  lé  txuan,  è y  an  vin 
â  nwîiin  dou  san  à  Vantèrman^  il  ne  faut  pas  tuer  les  puces, 
parce  que,  quand  on  les  tue,  il  y  en  vient  au  moins  deux  cents 
à  l'e.  (B  Develier,  Rossât,  Prov.,  Arch.  s.  d.  trad.  pop.  XIII, 
p.  45).  —  3.  L'"interine  è  p'erti  justou  a  l'aoura,  le  convoi 
funèbre  est  parti  juste  à  l'heure  (Vd  Le  Chenit).  A//V'r  Vàièrèmà, 
suivre  le  convoi  (  Vd  Leysin)  ;  on  vyédj  s'cté  la  inouda  k?  le  fane 
scéyan  lè-z  atèrma,  autrefois  c'était  la  mode  que  les  femmes  sui- 
vaient les  c.  (Droz,  Loc).  Fà  pâ  k'on-na  nosp  rinkontréi  on-n 
intèremin,  il  ne  faut  pas  qu'une  noce  rencontre  un  cortège  fu- 
nèbre, cela  porte  malheur  (Vd  Blonay).  Onn  a  vyu  pasd  Van- 
tèratnan,  on  a  vu  passer  le  c.  (G  Hermance).  Outà  nd,  vàtyd 
l'citaramà  k  va  pasd,  ôtons-nous,  voilà  l'e.  qui  va  passer  (G 
Bernex).  On  bî-l  (grà-l)  int.,  un  «  bel  >  (gros)  e.  =  un  long 
convoi  (Vd  et  ailleurs).  —  4.  Le  J  intèremifi  vsnyon  tchyè^  les 
repas  d'ent.  re]viennent  cher(V  Vernamiège).  ^/r^  l'intèremin 
ou  kabarè,  faire  le  repas  d'e.  à  l'auberge  (F  Montbovon).  I  se 
ainvitè  0  Vétarmb,  je  suis  invité  au  repas  d'e.  (B  Plagne). 

Etyni.  :  De  *interrare  -|-  suffixe  -amentum. 

Syn.  :  intèrâ,  s.  m.  (Vd,  voir  ce  mot,  c'est  l'inf.  pris  substan- 
tivement, cf.  ci-dessus  bât  si)  \  intèryaou  (Vd,  *interratorium, 
voir  ce  mot)  ;  chérsmin  (V  Lens,  litt.  «  serrement  »,  de  serrer  = 
réduire)  ;  ensevelissement  ;  défunt  (cf.  Grangier,  Gloss  frib. 
Suppl.  p.  16). 

Encyel.  I.  Anciennement,  à  Lausanne,  on  avait  la  coutume 
denterrep  l'année.  «  Un  mannequin,  représentant  un  homme 
mort  à  force  de  boire,  était  porté  en  procession  par  la  ville,  à 
la  lueur  des  flambeaux,  par  des  hommes  costumés  et  masqués, 
l'un  en  confesseur,  sous  un  baldaquin,  d'autres  en   médecin, 


2  2  L.    GAUCHAT 

apothicaire,  marguiller,  etc.  Cette  procession  faisait  des  sta- 
tions dans  chaque  rue.  Le  mannequin  était  placé  sur  un  drap 
tendu,  soutenu  par  huit  hommes  qui  le  paumaient  (bernaient) 
en  l'invitant  à  boire  (par  une  chanson)».  Cette  ancienne  masca- 
rade a  pris  fin  vers  1820  {Cont.  Vaud.  1884,  no  52).  De  la 
même  façon,  dans  le  Jura  bernois,  on  enterre  le  carnaval, 
voir  sous  brandons,  Encycl.  5. 

2.  Rêver  d'enterrement  est  signe  de  noce  prochaine  (B). 

3.  Suite  des  remarques  encyclopédiques  faites  sous  7nort. 
voir  ci-dessus.  Les  noms  qu'on  donne  au  cercueil  dans 
nos  patois  sont  vâ{r),  qui  est  le  mot  le  plus  répandu,  puis  ce 
sont  les  correspondants  de  bière,  cercueil^  caisse.  Termes  iro- 
niques :  kats9-fnouâr,  «  cache-mort  »  (Vd),  dèrin  méjon,  «  der- 
nière maison  »  (Vd),  vi%ir3  de  sapin,  «  vêtement  d.  s.  »  (F). 
Va,  du  latin  vas,  est  un  souvenir  des  anciens  sarcophages  de 
pierre  ;  «  caisse  »,  usité  en  Valais,  correspond  bien  aux  cercueils 
de  bois  les  plus  simples  qu'on  puisse  imaginer.  Mettre  en  bière 
se  dit  aussi  encaisser  (V).  On  a  également  tiré  un  verbe  spécial 
de  bière:  è?itbi9ryè  (V  Lens). 

On  se  rappelle  encore  le  temps  où  un  cercueil  servait  pour 
tout  le  monde  :  arrivé  au  cimetière,  on  le  vidait  en  laissant 
glisser  le  cadavre  dans  la  fosse.  Cela  nous  est  attesté  pour 
Lessoc  (F)  et  pour  la  vallée  de  Salvan  (voir  Mario,  Génie  des 
Alpes  val.,  p.  199).  A  la  campagne,  on  voit  encore  beaucoup 
de  cercueils  de  bois  de  sapin  auquel  on  laisse  sa  couleur  natu- 
relle; on  se  borne  souvent  à  peindre  une  croix  sur  le  couvercle 
ou  sur  les  planchettes  de  devant  et  de  derrière.  Sans  cela,  la 
couleur  noire  prédomine;  ce  n'est  que  depuis  peu  qu'on  la 
remplace  par  des  teintes  brunes.  Dans  le  Jura  bernois,  le  noir 
est  souvent  réservé  aux  personnes  mariées,  tandis  que  les  céli- 
bataires ou  enfants  sont  ensevelis  dans  des  cercueils  bleus  ou 
blancs.  L'usage  de  pratiquer  une  ouverture  dans  le  couvercle, 
afin  de  pouvoir  contempler  jusqu'au  dernier  moment  le  visage 
du  défunt,  n'est  guère  connu  en  Suisse  romande,  mais  on  a  vu 
de  ces  petites  fenêtres  dans  les  cantons  de  Berne  et  de  Fri- 


LA   TRILOGIE    DE   LA   VIE  23 

bourg.  Le  corps  avait  la  lête  couchée  sur  de  simples  copeaux. 
On  les  remi)lace  peu  à  peu  par  des  coussins  d'étoffe.  Autre- 
fois c'étaient  les  voisins  ou  amis  qui  confectionnaient  le  cer- 
cueil ;  traces  de  cet  usage  dans  la  haute  vallée  de  Bagnes,  à 
Plagne  (B)  et  ailleurs.  Maintenant  c'est  plutôt  à  un  menuisier 
qu'on  le  commande  et,  dans  les  villes  surtout,  le  luxe  a  été 
introduit  dans  ce  domaine  comme  dans  tous  les  autres  :  cer- 
cueils façonnés,  capitonnés,  à  pieds  et  ornements  de  métal 
blanc,  en  bois  de  chêne  ou  de  noyer.  Dans  le  canton  de 
Genève,  il  arrive  qu'on  indique,  au  moyen  de  clous  à  tête 
jaune,  les  initiales  du  défunt. 

Dans  le  livre  cité,  Mario  raconte  avec  quel  stoïcisme  nos 
rudes  campagnards  voient  la  mort  s'approcher.  Il  y  en  a  qui  se 
font  faire  eux-mêmes  leur  cercueil.  Ce  meuble  les  attend, 
remisé  dans  un  raccord.  Un  couple  de  Bagnes  s'en  servait 
tranquillement  comme  d'une  table  à  manger.  Nous  avons  nous- 
même  consulté  sur  son  patois  une  nonagénaire,  à  Charmey, 
assise  dans  sa  chambrette  à  côté  de  son  cercueil. 

Les  montagnards  tiennent  à  être  enterrés  dans  leur  village 
natal.  Avant  qu'il  y  eût  des  routes,  on  pouvait  voir  des  Anni- 
viards,  morts  dans  la  plaine,  montés  à  califourchon  et  solide- 
ment attachés  sur  un  mulet,  faisant  de  nuit  le  long  trajet  qui 
les  séparait  de  leur  église  (voir  Mario,  op.  cit.,  p.  198).  Lors- 
qu'un décès  survient  dans  les  hauts  pâturages,  on  peut  ren- 
contrer le  cercueil  vide,  porté  par  un  mulet,  tandis  que  plu- 
sieurs hommes  transportent  dans  la  vallée  le  cadavre,  enve- 
loppé dans  un  drap  (V). 

\.  Dépôt  d'objets  dans  le  cepcueil.  On  couche  les  morts 
dans  leur  dernière  demeure  tels  qu'ils  étaient  dans  leur  lit  ou 
sur  la  planche  (voir  ci-dessus  mort,  Encyd.  7),  avec  un  cha- 
pelet aux  mains,  un  crucifix,  un  calice  (si  c'était  un  prêtre),  une 
Bible  ou  un  autre  livre  pieux  sur  la  poitrine,  quelques  fleurs 
(surtout  pour  une  jeune  fille).  Les  traces  de  coutumes  païennes 
se  sont  perdues,  mais  on  raconte  en  Valais  que,  dans  certains 
villages,  il  arrive  ou  arrivait  qu'on  mît  une  pièce  d'argent  dans 


24  L-    GAUCHAT 

la  bouche  du  mort  pour  la  traversée,  ou  qu'on  déposât  dans  la 
bière  du  vin,  du'pain,  du  fromage,  et  même  une  paire  de  sou- 
liers, afin  qu'il  pût  sans  encombre  effectuer  le  voyage  de  Saint- 
Jacques. 

5.  La  tombe  est  creusée  généralement  par  un  fossoyeur 
attitré,  qui  est  la  plupart  du  temps  le  marguiller  ;  accidentelle- 
ment, ce  peutfêtre  un  autre  fonctionnaire  public,  ainsi  le  can- 
tonnier (G  Hermance).  Mais  à  la  campagne,  surtout  dans  les 
cantons  de  Fribourg  et  du  Valais,  s'est  conservée  la  belle  tra- 
dition de  faire  creuser  la  fosse  par  les  amis  ou  les  proches 
voisins  du  défunt.  En  récompense,  ils  sont  invités  au  repas 
d'enterrement,  s'il  a  lieu,  ou  reçoivent  une  petite  collation 
pendant  le  travail  ou  quelque  vêtement  laissé  par  le  mort.  A 
Bagnes,  chaque  village  est  divisé  en  cercles  mortuaires,  les 
voisinages,  en  patois  V9z9nan,  dont  les  familles  sont  mises  à 
contribution  lors  de  l'ensevelissement  d'une  personne  mariée. 
A  tour  de  rôle,  elles  sont  astreintes  au  creusage  de  la  fosse  au 
cimetière  paroissial.  La  nomination  d'un  croque-mort,  survenue 
il  y  a  quelques  années,  ne  fut  pas  jugée  favorablement  et  on  en 
revint  au  vieux  système. 

(>.  L'usage  de  porter  le  cercueil  entre  amis,  voisins  ou 
parents  du  trépassé  est  encore  très  commun  à  la  campagne. 
Certains  cimetières  alpestres  ne  permettraient  pas  d'autre 
moyen  de  transport  '.  Le  corbillard  des  villes  s'introduit  avec 
les  routes,  mais  est  encore  peu  usité.  Comme  porteurs,  on 
nomme  spécialement  les  ressortissants  des  voisinages,  pour 
Bagnes  ;  les  filleuls,  neveux  ou  cousins  pour  Evolène  et  Cham- 
péry;  souvent  la  famille  désigne  ceux  qui  doivent  remplir  ce 
devoir.  Dans  beaucoup  d'endroits,  une  touchante  solidarité 
unit  les  morts  et  les  vivants,  de  sorte  que  les  adolescents  ou 
enfants  sont  portés  par  ceux  de  leur  âge  ou  de  leur  sexe.  Dans 
H.  Herzog,  Schweiz,  Volksfeste,  Sitten  und  Gebràuche,  p.  311, 


'  Voir  la  lithographie  de   H.  B.  Wieland,  que  nous  reproduisons 
d'après  le  périodique  «  Die  Schweiz  »,  1915. 


LA    TRILOGIE   DE   LA    VIE  ?5 

on  trouve  la  description  poétique  de  l'ensevelissement  d'une 
petite  fille  dans  les  vallées  d'Hérens  ou  d'Anniviers.  Elle  est 
habillée  de  blanc,  ornée  d'une  petite  couronne  de  mariée, 
portée  dans  un  cercueil  ouvert,  et  accompagnée  de  six 
couples  de  fillettes  vêtues  comme  elle.  La  plus  pauvre  enfant 
de  la  commune  porte  le  vêtement  de  la  morte,  qu'elle  hérite. 
—  Un  petit  enfant  est  porté  par  le  parrain,  la  marraine  ou  la 
sage-femme.  —  Quand  le  trajet  est  long,  les  porteurs  se 
relayent.  On  porte  sur  les  épaules  ou  sur  un  brancard  {potch- 
tnou3,  «porte-morts»,  B  Ajoie).  De  là  les  expressions /t7r/<7r^ 
ou  hrankardâre.  Comme  ce  sont  à  l'origine  les  mêmes  qui  font 
la  tombe  et  qui  portent  le  cercueil,  on  les  appelle  aussi  dans 
les  deux  fonctions  fousâr  (N). 

7.  Pendant  le  convoi,  le  cercueil  est  recouvert  d'un  drap 
mortuaire  appartenant  à  l'église  ou  à  la  commune.  Il  s'appelle 
<ikourèrta  des  morts»  où  koiivertyâ  (F),  «couvre-morts», 
«  couvre-cercueil.  »  Ce  drap  est  ordinairement  de  couleur  noire, 
avec  une  grande  croix  blanche,  cousue  dessus.  Mais  il  arrive  que 
la  couleur  soit  variée  selon  le  cas  :  noir,  larme  de  blanc  pour 
les  mariés  ;  blanc  et  bleu  ou  violet  pour  les  célibataires  (B  ;  noir 
ou  blanc  F,  G).  Le  grand  poêle,  dont  quatre  parents  ou  amis 
tiennent  les  cordons,  est  d'introduction  récente.  L'usage  de 
mettre  d'abord  sur  la  bière  un  linceul,  sous  le  drap  mortuaire, 
ne  s'est  conservé  que  dans  la  campagne  genevoise.  Ce  linceul 
appartient  de  droit  au  curé  (droit  de  spolie,  voir  vari  Gennep, 
Du  berceau  à  la  tombe,  p.  211  ss).  Autrefois  on  n'ornait  de 
«•oui'onnos  que  les  cercueils  des  enfants  et  des  célibataires. 
C'est  encore  le  cas  dans  nombre  d'endroits.  Ces  couronnes 
étaient  données  par  les  compagnons  ou  amis,  les  sociétés  de 
jeunesse,  qui  se  cotisaient,  ou  les  parrains.  Elles  étaient  de 
fleurs  ou  de  perles  artificielles,  généralement  blanches.  On  y 
joignait  quelquefois  des  versets  bibliques  ou  des  poésies  de 
circonstance,  calligraphiés  sur  des  feuillets  blancs  découpés  en 
cœurs  et  lus  à  la  fin  de  la  cérémonie  funèbre  (Vd  Ormonts, 
Savigny).  Les  couronnes  étaient  aussi  portées  séparément  par 


26  L.    GAUCHAT 

des  «porte-couronnes».  Après  l'enterrement  on  en  laissait  au 
cimetière,  ou  en  faisait  cadeau  à  l'église  pour  servir  d'orne- 
ment des  autels  ;  d'autres  en  conservaient  sous  verre,  à  la 
maison  ;  il  n'est  pas  rare,  aujourd'hui,  d'en  rencontrer  dans 
nos  chalets,  sous  des  glaces  convexes,  avec  indication  de  la 
date,  déjà  lointaine,  du  décès.  L'usage  coûteux  d'embellir  la 
mort  de  tout  âge  d'une  profusion  de  fleurs  naturelles  est  rela- 
tivement récent.  Un  de  nos  correspondants  valaisans  dit  très 
bien:  Li  kbrbnè  prèyon  pâ  pb  se  ky3  le  mÔ3,  les  couronnes  ne 
prient  pas  pour  celui  qui  est  mort. 

8,  Cortôtje  funèbre.  Les  usages  étant  très  différents  chez  les 
catholiques  ou  les  protestants,  nous  les  traitons  séparément. 
Chez  les  premiers,  avant  de  se  mettre  en  marche,  le  curé  vient 
faire  la  «levée  du  corps  »,  c'est-à-dire  qu'il  asperge  le  corps, 
récite  le  psaume  De profundis  et  une  oraison  (ainsi  à  Met- 
temberg  B).  Ailleurs  on  récite  en  commim  im  chapelet.  Puis  le 
convoi  part  dans  l'ordre  suivant  :  l'officiant  avec  ses  serviteurs, 
le  cercueil,  les  parents  mâles  d'après  le  degré  de  parenté,  les 
amis  ou  connaissances,  les  femmes  dans  le  même  ordre.  A 
Bagnes,  les  prieuses  ouvrent  le  cortège  (voir  ci-dessus  mort, 
Encycl.  6.  Elles  portent  un  crucifix  encadré  d'une  couronne. 
Il  faut  joindre  en  tête  le*  porteur  de  la  croix  qui  marquera  la 
tombe,  peinte  en  rouge  pour  les  célibataires,  en  noir  pour  les 
mariés  (Broyé).  En  Valais,  c'est  le  filleul  qui  porte  cette  croix 
pour  son  parrain,  la  filleule  pour  sa  marraine.  Dans  le  Jura 
bernois,  la  croix  est  ornée  de  fleurs  pour  les  enfants,  munie 
d'un  crêpe  pour  les  adultes.  Les  quatre  ou  six  premiers  parents 
portent  de  gros  cierges  allumés;  le  nombre  et  la  grosseur  sont 
en  rapport  avec  la  position  sociale  du  trépassé.  Aux  cierges  est 
fixé  un  crêpe  pour  les  grandes  personnes,  un  ruban  blanc  pour 
les  enfants  (F).  Dans  les  villages  bernois,  on  voit  encore  une 
femme  précéder  le  convoi  avec  un  long  cierge  jaune,  en  forme 
de  peloton,  la  pivat\  Fribourg  a  aussi  connu  cet  usage  du 
chtokel.  Voici  quelques  détails  pour  un  cortège  du  district  de 
Delémont  :  croix  de  l'église  (noire  pour  les  personnes  âgées  de 


LA    TRILOGIE   DE   LA   VIE  27 

plus  de  sept  ans  ;  blanche,  bleue  ou  rouge  pour  les  petits 
enfants),  portée  par  un  servant  ;  croix  qui  sera  plantée  sur  la 
fosse,  portée  par  un  petit  garçon  pour  les  mariés,  par  une 
petite  fille  pour  les  célibataires  ;  les  enfants  de  l'école  (s'ils 
prennent  part);  les  chantres  ;  le  curé  (vêtu  du  surplis,  de  l'étole 
et  de  la  chape  noire  pour  une  personne  âgée  de  plus  de  sept 
ans,  sans  la  chape  pour  un  enfant)  ;  à  droite  et  à  gauche  du 
curé  marchent  deux  servants,  dont  l'un  porte  le  bénitier  et 
l'autre  l'encensoir  ;  le  cercueil  ;  les  parents  précédant  les  amis 
et  connaisssances  ;  les  parentes  suivies  d'autres  femmes. 

Chez  les  protestants,  un  culte  et  une  prière  ont  lieu  dans  la 
maison  mortuaire,  quelquefois  en  plein  air,  à  l'église  si  la  par- 
ticipation est  très  grande.  Le  pasteur  rappelle  les  principaux 
événements  de  la  vie  du  défunt.  Pendant  ce  temps,  la  bière  a 
■été  préparée  devant  la  maison.  Le  cortège  se  range.  Sa  com- 
position est  celle-ci  :  cercueil  en  tête,  parents,  amis,  d'abord 
les  hommes,  puis  les  femmes.  Aux  Ormonts,  les  filleuls  con- 
duisent à  tour  de  rôle  le  cheval  du  corbillard,  puis,  arrivés  au 
cimetière,  portent  le  cercueil.  Les  femmes  s'abstiennent  de 
plus  en  plus  de  «  suivre  ».  Dans  la  ville  de  Genève,  cela  leur 
fut  défendu  en  1664  {Recueil  des  Arrêts  du  Magnifique 
Conseil,  t.  V).  Neuchâtel  suivit  en  1699:  mais  à  la  campagne 
la  coutume  survécut. 

L'enterrement  a  ordinairement  lieu  le  surlendemain  du 
décès,  dans  les  trois  fois  24  heures.  En  été  ou  dans  un  cas  de 
maladie  contagieuse,  il  peut  être  hâté.  A  la  campagne,  on 
enterre  de  préférence  le  matin  ;  si  c'est  un  dimanche,  l'après- 
midi. 

Il  n'est  pas  de  bon  ton  de  se  montrer  sur  le  passage  d'un 
convoi  funèbre  :  dans  beaucoup  d'endroits  on  a  encore  l'habi- 
tude de  fermer  les  volets  et  les  maisons.  Il  faut  y  voir  proba- 
blement un  reste  inconscient  de  paganisme  (voir  van  Gennep. 
op.  cit.  p.  207,  Samter,  Geburt,  Hochzeit,  Tod,"^.  28).  Dans  les 
villes,  au  contraire,  les  curieux  font  la  haie. 

9.  Sonnerie  de  cloches.    Nous   avons   décrit   sous   mort, 


28  L.    GAUCHAT 

Eficycl.  5  la  sonnerie  de  l'agonie.  On  sonne  encore  plusieurs 
fois  jusqu'à  ce  que  le  corps  soit  rendu  à  la  terre.  En  pays  pro- 
testant, il  n'y  a  pas  ou  peu  de  sonnerie.  Certaines  contrées  ont 
tenu  à  conserver  aux  cloches  une  partie  de  leur  langage  sym- 
bolique d'autrefois.  Dans  plusieurs  endroits,  on  sonne  pendant 
que  le  cortège  funèbre  se  rend  au  cimetière  ;  à  Plagne  (B) 
en  outre,  quand  la  fosse  est  creusée.  En  pays  catholique, 
les  cloches  sont  plus  éloquentes.  La  sonnerie  varie  assez 
selon  les  lieux  et  selon  les  cloches  que  la  paroisse  possède. 
On  sonne  ou  peut  sonner  le  lendemain  du  décès,  le  matin 
(sonnerie  de  la  mort,  trois  «  couplets  »  avec  les  trois  cloches, 
précédés  ou  suivis  de  tintements  avec  l'une  d'elles,  selon  que 
c'est  un  homme,  une  femme  ou  un  enfant),  en  commençant  ou 
en  achevant  de  creuser  la  tombe,  la  veille  de  l'enterrement, 
pendant  celui-ci,  au  moment  où  le  prêtre  quitte  l'église,  oii  il 
fait  la  «  levée  du  corps  »,  avant  et  pendant  le  cortège,  au 
moment  oii  l'on  chante  à  l'église  le  Libéra  me,  lorsqu'on  quitte 
l'église  pour  s'approcher  de  la  fosse. 

10.  Au  cimetière  et  à  l'éqlise.  Les  protestants  se  rendent 
généralement  directement  au  cimetière,  où  a  lieu  un  deuxième 
culte  plus  bref  qu'à  la  maison,  une  prière  et,  selon  les  lieux  et 
circonstances,  une  allocution.  Après  que  le  fossoyeur  (ou  un 
parent)  a  jeté  les  trois  premières  pelletées  de  terre  dans  la 
tombe,  le  pasteur  prononce  la  bénédiction.  Anciennement,  il  y 
avait  encore  le  «  remerciement  »  aux  assistants,  dit  par  un 
membre  de  la  famille  (Vd).  «  Dans  les  enterrements,  écrit  le 
doyen  Bridel  à  propos  des  Ormonnens,  il  y  a  toujours  quelque 
parent  ou  ami  qui  fait  devant  la  fosse  une  petite  oraison 
funèbre...  et  qui  les  (les  assistants)  remercie  de  l'amitié  qu'ils 
ont  portée  au  défunt  »  {Coup  d^œil  sur  les  Alpes  du  canton  de 
Faud,  Cons.  VI,  p.  288).  Dans  quelques  villages,  on  va  d'abord 
au  cimetière,  puis  à  l'église,  où  se  font  l'oraison  et  la  prière. 
Les  catholiques  entrent  à  l'église,  à  moins  qu'on  ne  s'arrête 
d'abord  devant  elle  pour  procéder  à  la  cérémonie  de  la  «levée 
du  corps  ».    A  l'église,  la  messe  est  accompagnée   de   l'office 


LA    TRILOGIE    DE    LA    VIE  29 

des  morts.  La  liturgie  varie  quelque  peu  de  canton  à  canton. 
Nous  faisons  suivre  deux  descriptions,  pour  en  donner  une 
idée.  Environs  de  Romont  (F)  :  le  cercueil  est  placé  au  chœur, 
sur  un  soubassement,  et  les  cierges  portés  par  les  parents  sont 
disposés,  allumés,  sur  six  guéridons  autour  de  la  bière  (ils 
deviennent  la  propriété  du  curé  ou  de  l'église).  On  chante  le 
requiem  {Obii)  et  le  Libéra  me.  Ensuite  le  cercueil  est  porté 
au  cimetière  où  se  font  les  dernières  prières  liturgiques.  Le 
curé  jette  la  première  (ou  les  trois  premières)  pelletées.  La 
tombe  est  aspergée  d'eau  bénite.  Pas  de  discours.  —  District 
de  Delémont  :  le  cercueil  est  déposé  à  l'entrée  du  chœur  et  les 
assistants  prennent  place  dans  les  bancs,  les  proches  parents  en 
avant;  le  curé  chante  l'office  des  morts  et  la  messe  pour  le 
défunt.  La  messe  finie,  on  chante  auprès  du  cadavre  le  Libéra 
vie  ;  puis  le  cortège  se  forme  de  nouveau  pour  se  rendre  au 
cimetière,  où  l'inhumation  se  fait  avec  les  prières  prescrites 
par  le  Rituel.  Si  l'enterrement  a  lieu  l'après-midi,  la  messe  est 
remplacée  par  le  chant  des  vêpres  des  morts. 

Aussitôt  que  les  participants  se  retirent,  la  tombe  est  remplie 
par  le  fossoyeur  et  ses  aides,  ailleurs  par  les  porteurs.  A  la 
sortie  du  cimetière  (ou  en  revenant  à  la  maison  mortuaire)  a 
lieu  dans  les  cantons  protestants,  aussi  chez  les  catholiques 
genevois,  la  cérémonie  de  l'honneur,  qui  consiste  à  défiler 
devant  les  membres  de  la  famille  du  défunt,  avec  ou  sans  poi- 
gnées de  main.  La  coutume  est  en  train  de  se  perdre.  Les 
femmes  n'y  prennent  pas  part.  A  Neuchâtel,  c'est  au  domicile 
du  défunt  que  les  parents,  réunis  dans  une  chambre,  reçoivent 
la  poignée  de  main  des  assistants,  avant  le  départ  du  convoi,  à 
moins  que  la  lettre  de  faire  part  n'avise  qu'«  on  ne  touchera 
pas.  >•■ 

il.  (-ostume  de  deuii.  Le  brassard  d'étoffe  noire  que  les 
hommes  portent  au  bras  gauche,  le  ruban  noir  autour  du  cha- 
peau, le  voile  long  dont  se  couvrent  les  femmes  ont  été  intro- 
duits il  n'y  a  pas  longtemps.  Autrefois  les  femmes  portaient 
une    espèce    de  mantille  noire,  restée  traditionnelle  dans  cer- 


30 


L.    GAUCHAT 


taines  parties  de  Fribourg  et  du  Valais.  Les  hommes  avaient  à 
leurs  chapeaux  (le  haut  de  forme  était  de  rigueur)  un  long 
crêpe  dont  les  deux  bouts  pendaient  sur  le  dos.  Cela  s'appelait 
le  manti  {manteau),  nom  qui  rappelle  une  coutume  encore  plus 


/^^^ 


ancienne  :  c'était  un  véritable  manteau  de  toile  noire  et  légère 
qu'on  mettait  sur  ses  habits.  Nous  supposons  que  c'était  une 
réminiscence  de  l'habit  de  pénitent  (blanc  ou  d'autre  couleur) 
que  portaient  lors  des  funérailles  les  membres  des  confréries  à 
l'époque  catholique.  Dans  plusieurs  vallées  valaisannes,  les 
porteurs  du  cercueil  ou  même  les  membres  de  la  famille  revê- 
tent encore  cette  «  robe  de  fraternité  »  ou  abè.  Dans  le  canton 
de  Vaud  (première  moitié  du  XIX"'^  siècle),  on  mettait  le  long 


LA   TRILOGIE    DE    LA   VIE  31 

crêpe  aussi  pour  aller  annoncer  le  décès  chez  le  pasteur  et 
pour  commander  la  fosse  (Valle'e  de  Joux).  D'anciens  règle- 
ments du  XVIIP"<^  siècle  prescrivaient  combien  de  temps  ce  crêpe 
devait  être  porté  selon  le  degré  de  parenté  du  défunt  (J/us/e 
neuch.  1896,  p.  47).  A  Evolène,  les  hommes  ne  se  rasent  pas 
pendant  quelque  temps,  en  signe  de  deuil.  Dans  cette  vallée, 
comme  dans  celle  d'Anniviers,  les  femmes  portent,  pour  un 
grand  deuil,  la  barbette  (coutume  autrefois  plus  répandue), 
c'est-à-dire  une  longue  bande  de  toile  blanche,  attachée 
autour  du  cou  et  flottant  jusqu'aux  pieds  ou  fixée  à  la  robe. 
Le  temps  pendant  lequel  cela  devait  se  faire  était  prescrit  (trois 
semaines  pour  père  et  mère)  ;  maintenant  cela  a  lieu  à  l'en- 
terrement et  en  allant  à  l'offrande.  Fischer,  Die  Hunnen,  p.  371 
ss.,  qui  décrit  tout  au  long  un  ensevelissement  auquel  il  a 
assisté  dans  l'Anniviers,  parle  encore  d'un  linge  blanc  que  les 
hommes  et  les  femmes  mettent  sur  la  tête.  Le  noir  et  le  blanc 
sont  ainsi  les  couleurs  du  deuil.  Bridel  a  encore  vu  un  «  cou- 
vre-chef blanc  »  chez  les  femmes  qui  assistaient  à  l'enterrement 
{op.  cit.).  Dans  plusieurs  localités  de  la  Gruyère,  les  hommes 
portaient  naguère  un  pantalon  blanc  (gilet  et  redingote  noirs) 
à  l'enterrement  d'un  célibataire.  Comp.  le  tablier  blanc  que 
mettent  les  filles  en  accompagnant  le  cercueil  d'une  célibataire 
dans  le  Prattigau  {Arch.  s.  d.  trad.  pop.  i,  p.  46)  ^  Dans  le 
Vully,  on  rencontre  encore  des  enfants  auxquels  on  attache  un 
tablier  noir  aux  épaules,  souvenir  de  l'ancien  inanti.  Dans  le 
Jura  bernois,  les  femmes  mettaient  autrefois  un  mouchoir  de 
tête  blanc  (ou  bleu),  nommé  boucyat\  douhya,  voir  ces  mots, 
comme  le  portent  encore  les  femmes  anabaptistes.  Plus  tard, 
elles  endossaient  les  hagnolets,  sorte  d'énorme  capuce  ronde 
avec  mantille. 

On    observait   le  grand  deuil  (pour  mari  ou  femme,  père  ou 
mère,  enfants)  pendant  un  an   et   six  semaines,   le    demi-deuil 


'  Voir  aussi  Rochholz,  Die  Leiifarhc  IFeiss,  dans  le  volume  men- 
tionné plus  haut,  p.  133  ss. 


32  L.    GAUCHAT 

(étoftes  grises  ou  autres  couleurs  sombres)  une  seconde  année. 
Le  petit  deuil  (pour  d'autres  parents)  durait  trois  à  six  mois. 
Actuellement  toutes  ces  usances  tendent  à  devenir  moins 
rigoureuses. 

12,  Il  y  a  une  cinquantaine  d'années  régnait  encore,  pres- 
que indiscutée,  la  coutume  de  grands  repas  d'enterrement, 
auxquels  prenaient  part  tous  ceux  qui  assistaient  aux  céré- 
monies funèbres.  On  improvisait  de  longues  tables  dans  la 
grange  ou  ailleurs,  afin  de  pouvoir  placer  tout  ce  monde. 
Rien  n'était  épargné,  on  mangeait  force  bouillis  et  rôtis  et  le 
bon  vin  vieux  pétillait  dans  les  verres,  comme  le  décrit 
Schiner  dans  sa  Description  du  Dép.  du  Simplon  (1812  ;  voir 
aussi  Mario,  Génie  des  Alpes  val.,  p.  149).  Les  paysans  met- 
taient de  côté  une  bonne  pièce  de  fromage  et  surtout  un  ton- 
neau de  vin,  afin  que  rien  ne  manquât  à  leur  fête,  car  c'est 
ainsi  que  ces  repas,  y  compris  les  funérailles,  se  nommaient 
dans  les  Alpes  vaudoises  et  dans  le  Bas-Valais.  On  les  appelait 
aussi  dîner  ou  goûter  d'enterrement,  dèdzon-non,  non-n,  trantô 
(B  Malleray)  et  satâmo  (nom  qui  signifie  proprement  septième 
et  a  désigné  à  l'origine  la  fin  d'une  série  d'offices  liturgiques, 
voir  J.  Jeanjaquet,  Bull,  du  Gloss.  Y,  p.  47,  et  ci-dessous 
n°  14).  On  disait  même  baire  lo  co ,  «  boire  le  cadavre» 
(Bridel).  Ces  véritables  banquets  avaient  lieu  avant  le  convoi 
funèbre,  ce  qui  était  particulièrement  choquant,  ou  au  retour 
du  cimetière.  Après  avoir  commencé  avec  dignité,  ils  dégéné- 
raient facilement  en  beuveries  et  en  festins  pantagruéliques. 
Nous  lisons  dans  X Agace  la  phrase:  lous  autre  iadzo  on  molavè 
sous  queuté  por  alâ  is  enterrèmen,  autrefois  on  aiguisait  ses 
couteaux  pour  aller  aux  enterrements  (n°  20,  p.  3).  En  1678, 
un  communier  de  Travers  convia  jusqu'à  112  personnes  à  un 
repas  funéraire  (J.  de  Sandoz  Travers,  Notice  hist.,  p.  75). 
Mais  ces  repas  étaient  surtout  onéreux,  et  un  de  nos  corres- 
pondants affirme  connaître  des  familles  qui  ont  été  plusieurs 
années  avant  de  pouvoir  se  libérer  de  la  dette  contractée  à 
une   telle   occasion.    Aussi   les   autorités  ont-elles  trouvé  bon 


LA   TRILOGIE   DE   LA   VIE  33 

d'intervenir.  M.  Isabel  cite  pour  Vaud  des  mandats  du  Conseil 
de  Berne  de  1706,  1747,  1767.  {Vieux  usages,  Arch.  s.  d.  trad. 
pop.  XM,  p.  86,  où  l'on  peut  lire  une  description  détaillée  de 
ces  repas).  Dans  les  Registres  du  Conseil  de  Genève,  nous 
trouvons  sous  le  25  nov.  1699:  «A  été  dit  qu'il  seroit  à  pro- 
pos... de  faire  un  Règlement  qui  défende  les  repas  que  l'on  a 
accoutumé  de  faire  parmi  les  dits  sujets  dans  les  maisons  des 
défunts  au  retour  de  leurs  ensevelissemens  ce  qui  constitue  leurs 
enfans  ou  parens  dans  une  dépense  considérable...  ».  Bridel 
mentionne  (sous  baire)  un  arrêt  du  Conseil  de  Neuchâtel  de 
161 6.  En  Valais,  les  abus  furent  interdits  par  un  règlement  de 
police,  de  1889  (Jegerlehner,  Das  Val  d'Anniviers,  p.  144)  ; 
mais  on  nous  cite  une  dame  de  Champéry,  qui  avait  été  mise  à 
l'amende  déjà  vers  i86o.  Dans  le  canton  de  Fribourg.  le  clergé 
a  fait  une  campagne  ardente  afin  d'obtenir  qu'on  n'invitât 
plus  que  les  proches  parents  venus  d'autres  villages.  Grâce  à 
ces  efforts,  ces  repas  sont  aujourd'hui  abolis  presque    partout. 

M.  Isabel  {op.  cit.,  p.  86)  en  ramène  l'origine  à  la  cœna 
feralis  des  Romains.  C'est  possible  ;  mais  les  grandes  distances 
que  les  parents  ont  souvent  à  parcourir  pour  se  rendre  au  lieu 
d'enterrement,  mettent  la  famille  du  défunt  dans  l'obligation  de 
restaurer  leurs  forces;  un  petit  repas  est  inévitable;  on  tient 
aussi  à  récompenser  les  porteurs,  fossoyeurs,  chantres,  etc.  de 
leur  peine.  Ainsi  la  coutume  d'un  repas  à  grandes  proportions 
peut  naître  spontanément  en  tout  temps  et  en  tout  lieu.  Inutile 
de  dire  que  de  petites  collations  se  pratiquent  encore.  Surtout 
en  revenant  du  cimetière,  on  sert  du  pain  et  du  fromage, 
arrosés  de  vin,  des  petits  pains  (Ormonts),  de  la  pâtisserie 
(Genève).  Le  soir,  les  dames  sont  invitées  à  un  café  (Vd).  On 
se  réunit  soit  dans  la  maison  mortuaire,  soit  à  l'auberge. 

Dans  certains  endroits,  l'abolition  des  grands  repas  s'est 
opérée  graduellement.  A  Bagnes,  ils  ont  été  restreints  aux  cas 
de  décès  d'un  célibataire  fortuné.  On  a,  pendant  quelque 
temps,  versé  dans  la  caisse  des  pauvres  une  part  de  la  somme 
qui  aurait  servi  à  festoyer.  Puis  on  a  renoncé  à  tout.    Dans    le 

3 


34 


L.    GAUCHAT 


canton  de  Fribourg,  un  repas  réunissait  les  membres  de  la 
famille  le  premier  dimanche  après  Tenterrement.  Dans  TAnni- 
viers,  tout  le  cortège  se  rassemble  encore  dans  la  maison  de 
Commune,  après  l'enterrement;  on  sert  pain,  fromage  et  vin, 
«  le  tout  à  satiété».  C'est  à  cette  occasion  que  sont  tranchées, 
en  plein  conseil  des  «hommes  de  serment»,  toutes  les  diffi- 
cultés d'héritage  (voir  Fischer,  op.  cit.,  p.  377  ;  cet  auteur  men- 
tionne des  détails  concernant  ces  repas  que  nous  ne  pouvons 
pas  tous  relever  ;  fidèle  à  sa  thèse,  que  la  critique  s'est 
empressée  de  réfuter,  il  met  toutes  ces  coutumes  d'enterrement 
en  rapport  avec  l'apparition  des  Huns  en  Valais). 

13.  Si  c'est  un  progrès  réel  d'avoir  renoncé  aux  festins 
d'enterrement,  on  ne  peut  pas  en  dire  autant  de  l'abolition  des 
distributions  ofHcielles  de  vivres  et  de  vêtements  aux 
pauvres  {la  don-na;  binfc,  «bienfait»  est  le  nom  de  l'exécu- 
tion d'un  pareil  vœu  exprimé  par  le  défunt)  (V  et  F).  Les 
anciens  cortèges  funèbres  étaient  souvent,  dans  le  Jura  ber- 
nois, précédés  d'une  femme  qui  portait,  avec  une  chandelle 
allumée,  une  ou  deux  miches  de  pain,  symbole  de  la  distribu- 
tion qui  se  pratiquait  ensuite  et  qui  atteignait  le  total  d'une 
fournée  ou  davantage.  A  Bagnes  s'est  conservé  le  souvenir 
d'une  distribution  de  neuf  chaudières  de  soupe  de  fèves  et 
d'orge  à  l'occasion  de  l'inhumation  d'un  curé.  Sur  l'usage  de 
donner  des  fèves,  cf.  Courthion  dans  Arch.  s.  d.  trad.  pop.  V, 
p.  48.  On  invitait  autrefois  les  indigents  à  manger  les  reliefs 
des  repas  d'enterrement.  On  leur  donnait  aussi  de  l'argent. 
Actuellement,  on  rémunère  en  espèces  ou  en  vêtements  surtout 
les  veilleurs,  où  il  y  en  a  encore,  les  porteurs  ou  fossoyeurs, 
ceux  qui  ont  fait  la  toilette  du  mort.  Les  enfants  qui  ont  porté 
la  croix  dans  le  cortège  sont  invités  plusieurs  dimanches  à 
dîner  dans  la  famille  du  défunt  (F),  privilège  que  reçoit  aussi 
occasionnellement  un  pauvre  de  la  commune.  Pour  le  reste, 
tout  est  laissé  maintenant  à  la  charité  personnelle.  Il  est  juste 
d'observer  aussi  que  la  mendicité  a  énormément  diminué. 

14.  Les  catholiques  ont  coutume    de    répéter    l'office    des 


LA   TRILOGIE   DE   LA    VIE  35 

morts  le  y"^,  le  30"^^  et  le  365"'=  jour  après  le  décès.  La  der- 
nière cérémonie  s'appelle  généralement  la  «  messe  du  bout  de 
l'an»  {/ornait?,  àt  forni,  finir,  V),  celle  du  y'"*^  satâmo  ou 
«  les  7  jours».  Celle  du  30'""=  est  un  peu  tombée  en  désuétude. 
1-e  satâmo  est  souvent  célébré  dès  le  lendemain  de  l'enterre- 
ment ou  un  des  jours  suivants.  Dans  certaines  paroisses  du 
Jura  bernois,  on  ajoute  un  office  le  3"»' jour  après  l'inhumation; 
dans  d'autres  on  dit  simplement  trois  messes  pendant  les  pre- 
miers jours,  ou  on  fait  dire  une  messe  par  trois  prêtres,  mais 
sans  supprimer  l'anniversaire.  A  Bagnes,  le  curé  dit  tous  les 
matins,  pendant  une  semaine  après  l'enterrenient,  les  répons, 
auxquels  assiste  un  parent  avec  un  cierge  allumé.  Cela  se  con- 
tinue tous  les  dimanches  de  l'année  et  s'appelle  «  porter  la 
chandelle  ».  En  d'autres  endroits  valaisans,  le  port  de  la  chan- 
delle n'est  que  mensuel,  ou  inconnu.  Dans  le  canton  de 
Genève,  une  messe  des  morts  est  célébrée  le  lendemain  des 
funérailles  ;  une  femme  parente  ou  payée  à  cet  effet  y  assiste 
en  tenant  un  grand  cierge  allumé,  appelé  luminaire.  Cela  peut 
se  répéter  pendant  un  an.  La  messe  d'anniversaire  est  nommée 
anivarsela. 

15.  Divers.  En  Valais  s'est  un  peu  conservée  l'habitude 
de  payer  le  curé  en  nature  (pain,  bougies)  ;  il  recevait  autre- 
fois une  mesure  de  froment.  A  Bagnes,  à  la  première  offrande, 
une  parente  apporte  une  nappe.  L'abbé  Daucourt  a  publié 
dans  le  Folk-Lore  Suisse,  III,  p.  41,  une  charge  contre  le 
casuel  des  prêtres.  Voir  une  parodie  des  Vêpres  des  morts 
dans  L.  Courthion,  Veillées  des  Mayens,  p.  205,  des  cancans 
d'enterrement  (^ femme  qui  s'extasie  sur  les  meubles,  etc.,  dans 
ja  maison  mortuaire)  dans  V Agace,  n°  38.  En  pays  catholique, 
les  morts-nés  et  suicidés  sont  généralement  enterrés  sans  céré- 
monies, quelquefois  dans  une  partie  spéciale  du  cimetière* 
Mario,  op.  cit.,  p.  198,  rapporte  la  coutume  anniviarde  de 
creuser  quelques  tombes  à  l'avance,  à  l'approche  de  grandes 
gelées  qui  durcissent  la  terre,  ce  qui  rend  possible  qu'un  fos- 
soyeur prépare  sa  propre  fosse.  A  Bagnes,  on  servait  autrefois 


36  L.    GAUCHAT 

de  la  soupe  aux  pois  et  du  lard  aux  veilleurs  ;  dans  les  Fran- 
ches-Montagnes on  cuit  du  riz  pour  les  repas  d'enterrements. 
De  Chambrier,  Mairie  de  Neuchâtd,  p.  450-452,  rappelle  les 
contestations  qui  avaient  lieu  anciennement  sur  le  rang  à 
occuper  dans  le  convoi  funèbre;  sur  Taffluence  de  visites  de 
condoléances  telle  que  le  magistrat  dut  y  mettre  un  frein  en 
17 10.  Le  pasteur  faisait  son  oraison  au  retour  du  cimetière, 
devant  la  maison  mortuaire.  On  trouve  une  vieille  ordonnance 
(de  1776)  sur  les  deuils,  dans  le  Musée  neuch.  1896,  p.  45  ;  un 
règlement  de  1810  pour  les  enterrements  à  Neuchâtel, 
ib.  1897,  p.  48,  Ce  qui  concerne  le  soin  des  tombes  sera 
indiqué  sous  cimetière. 

L.  Gauchat. 


AU  SOUPTLK  DE  LA  VAUDAIRE 
Lettre  à  M.  Louis  Gauchat' 

— i— 

Mon  cher  ami, 

Veveysan  de  naissance,  grandi  au  souffle  de  la  vaudaire,  je 
me  suis,  avant  les  bateliers  de  Saint-Gingolph  et  de  Meillerie 
insurgé  contre  votre  opinion  d'antan,  qui  dérivait  ce  mot  du 
nom  de  ma  patrie  vaudoise.  Cependant,  votre  objection  contre 
rétymologie  vaudai,  «sorcier,  diable»,  me  touchait  d'autant 
plus  qu'aux  exemples  du  xvil^  siècle  invoqués  par  vous  j'en 
puis  ajouter  un  du  XVF  :  «  devers  la  Voudeyre  »,  dans  un  do- 
cument vaudois  de  1553".  J'en  étais  venu  à  supposer,  entre  le 
synonyme  uberre^  et  vaudai,  un  de  ces  croisements,  une  de  ces 
contaminations  dont  notre  collègue  Tappolet  constatait  na- 
guère la  fréquence  dans  nos  patois  *.  Mais  voici  qu'en  même 
temps  vous  nous  apportez  le  «  fait  nouveau  »  qu'exige  tout 
jugement  en  cassation  et  une  sentence  nouvelle,  contre  laquelle 
je  n'ai  plus  garde  d'interjeter  appel. 

Pour  établir  que  le  v  de  la  forme  chablaisienne  vovaire  est 
le  continuateur  légitime  de  Y  s  sonore  jadis  prononcée  dans 
Valle{ti]seni  et  l'hypothétique  *  valles-aria,  vous  ne  pouvez,  à 
la  vérité,  vous  fonder  que  sur  des  exemples  du  type  undecim, 
quindeci>n,Q\.?,wv  l'analogie  des  mots  où  une  s  sourde,  précédée 
de  /  ou  de  «,  a  été  changée  en  d  ou  en  f.  Les  mêmes  considé- 


'  Voyez  Bulletin,  X,  p.  46,  et  XIII,  p.  62. 

^  Mémoires  et  Documents  publiés  par  ki  Société  d'histoire  de  la  Suisse 
romande,  XXIII,  p.  318. 
"  Bulletin,  II,  p.  63. 
'  Ib.,  XIII,  p.  46. 


38  ERXEST    MURET 

rations  m'avaient  déjà  conduit,  en  mon  particulier,  à  expli- 
quer par  le  même  processus  phonétique  un  nom  de  lieu 
vaudois  qui  nous  montre,  comme  celui  d' Anzcinde,  rajjpelé  à 
la  fin  de  votre  article,  et  quelques  autres  en  Savoie  \  un  z'  patois 
correspondant  à  une  s  entre  voyelles  ou  un  s  de  l'usage  officiel. 
Deux  probabilités  concordantes  n'équivalent  pas  à  une  certi- 
tude; mais,  dans  les  sciences  historiques  et  philologiques,  ne 
devons-nous  pas  souvent  nous  contenter  à  moins  ?  En  s'entr'ai- 
dant  comme  l'aveugle  et  le  paralytique,  votre  étymologie  et  la 
mienne,  dont  je  vous  prie  d'être  le  parrain,  remédieront  autant 
qu'il  est  possible  à  leur  commune  faiblesse. 

Le  23  décembre  1043,  Aymon,  évêque  de  Sion,  inféodait  au 
chanoine  marié  Warnerius,  à  sa  femme  Helisana  et  à  leurs  héri- 
tiers la  terre  de  Mordes,  avec  l'alpe  de  Martenod".  Or,  un 
pâturage  de  la  commune  de  Bex,  qui  n'est  séparé  du  territoire 
de  Mordes  que  par  le  massif  de  Javerne,  s'appelle  Eusannaz, 
Ausannaz  ou  Eiizanne,  en  patois  œvanna,  et  ce  nom  s'identifie 
avec  celui  d'Helisana  aux  mêmes  conditions  (ou  sous  les  mêmes 
réserves)  que  vovaire  avec  ^vallesaria.  Si  nous  avons  ren- 
contré juste,  ce  serait  un  nouveau  spécimen  à  ajouter  au  petit 
nombre  des  lieux  dits  tirés  de  noms  de  femmes,  tandis  qu'^w- 
zeittde,  plutôt  que  d'un  féminin  Adosmda,  me  paraît  être  issu 
du  masculin  Adosifidus,  conformément  à  un  mode  de  dériva- 
tion des  noms  de  lieu  qui  est  représenté  dans  le  voisinage  par 
Bovomiaz  (ou  Bovonnc)^  de  Bovon,  et  dans  toute  la  Suisse 
romande  par  beaucoup  d'exemples  analogues. 

La  présence  d'une  /  ou  d'une  n  précédente  est  indispensable 
pour  que  l'une  des  sifflantes  j  ou  s  soit  changée  en  ts  ou  d{  ; 
mais  je  ne  crois  pas  que  l'évolution  postérieure  de  ts  q\.  dzdi  d 
ou/,  ô  ou  V  ou  d,  dépende  encore  de  cette  condition,  ni  qu'il 
y  ait  besoin  de  recourir  à  anve  (ou  onde)  et  tienve  pour  expli- 


*  Mésinge,  Jonzier,  Minzier,  Scionzier.   Voyez   Rontania,   XXXVII, 

P-  7S- 

*  Mém.  et  Doc,  XVIII,  p.  338. 


AU    SOUFFLE   DE    LA    \AUDAIRE 


39 


quer  dove  (  ou  dôdè),  treive,  quatorve  et  sève  \  L'«  qui  termine 
aujourd'hui  la  première  syllabe  d.'Anzeinde  n'est  constatée  qu'à 
partir  du  XVIF  siècle,  et  la  prononciation  contheysanne 
ainnda,  supposant  un  avinnda  antérieur,  corrobore  les  graphies 
Adzenda  et  Azenda  des  années  1300-1302.  Mésinge  (près  de 
Thonon),  en  1248  Meizinium,  en  1294  Mezingio,  Mesitigio,  en 
1298  Mecifigio,  dans  le  patois  actuel  inrv/fibd,  et  quelques-uns 
des  noms  vaudois  et  valaisans  que  je  citerai  tout  à  l'heure  pour 
illustrer  le  changement  en  d,  font  tomber  toute  restriction. 

Ainsi  que  l'a  très  bien  reconnu  M.  Jaccard  dans  son  Essai 
de  toponymie,  un  ancien  dj  gallo-roman,  noté  au  moyen  âge 
par  /  ou  g  et  habituellement  représenté  dans  nos  patois  par  dz, 
l'est  exceptionnellement  par  d  dans  les  noms  de  quelques  pâtu- 
rages des  Alpes  vaudoises:  Audon,  à  Ormont-dessus"-,  en  [332 
Oijgion  et  Oiizon  ;  la  Badausaz,  à  Ormont-dessous,  au  XIV"= 
siècle  Baiousa  ;  Chaudes  dans  le  bassin  supérieur  de  l'Hongrin, 
au  XIF  siècle  Calgi,  Chaugi,  Chages.  En  contraste  avec  la 
prononciation  rodzbmon  du  nom  de  Rougemont,  ce  d  spora- 
dique  reparaît  au  Pays  d'Enhaut  dans  les  lieux  dits  Rodomonts, 
Rodocher  et  Rodoscaix,  Rodovanel.  Dans  la  grande  commune 
valaisanne  de  Conthey,  il  sert  à  caractériser  le  patois  des  vil- 
lages montagnards  par  opposition  au  dz  régnant  dans  le  bas. 
On  dit  lodzo  et  làdb,  fdnàdzb  et  fdtiâdb,  en  parlant  de  deux 
hauts  pâturages  dont  les  noms  sont  identiques  au  français 
«  auge  »^  et  au  dialectal  «  fenage  ».  Les  vèrdzèle  du  Bourg,  les 
rl-rdale  de  Premploz  et  les  vèrdcle  de  la  commune  voisine 
d'Ardon  sont  autant  de  répliques  d'un  même  nom,  diminutif 
fréquent  de  «  verger  ». 

Ces  faits  nous  éclairent  sur  les  vicissitudes  antérieures   et 
l'extension  géographique  de  ce  d  alpin  que  vous  avez  signalé 


'  Les  formes  en  v,  d'après  Fenouillct,  Moiio^n-aphie  du  patois  savoyard 
(Annecy,  1903),  pp.  51  et  58. 

-  Ne  pas  confondre  avec  VAiuhu  bernois,  qui  a  donne  son  nom  à 
rOldenhorn  et  dont  le  d  peut  avoir  une  autre  origine. 

^  Masculin  dans  nos  patois,  comme  il  l'est  parfois  en  ancien  français. 


40  ERNEST   MURET 

dans  les  noms  de  nombre.  Mais  ils  ne  jettent  qu'une  lumière 
indirecte  sur  celui  du  mot  vaudaire,  puisque  c'est  principale- 
ment dans  le  bassin  du  Léman  qu'on  ressent  les  effets  de  ce 
vent  diabolique.  Comme  vous  le  donnez  à  entendre,  il  se 
pourrait  que  notre  d  eût  jadis  occupé  une  aire  plus  vaste  que 
celle  où  le  cantonne  aujourd'hui  notre  ignorance.  Je  relève 
dans  des  documents  du  xv*^  siècle^  les  graphies  Vizi  (1435, 
1453),  Viiy  (1471,  1488)  et  lldi  (1452)  du  nom  bien  connu  de 
Vidy,  ancienne  paroisse  et  lieu  dit  de  la  commune  de  Lau- 
sanne. Il  resterait  à  en  élucider  Télymologie  "  et  à  rendre  compte 
de  la  graphie  du  Carhdaire  de  Lausanne:  vifi,  en  1228^.  La 
valeur  attribuée  aux  lettres  latines  par  les  scribes  du  moyen 
âge  est  parfois  incertaine,  et  cette  incertitude  autorise  mainte 
hypothèse.  Ce  d  de  Vidy,  ce  d  de  vaudaire  (le  vaudai  «  peut- 
être  s'y  mêlant  »  )  ne  serait-il  pas,  dans  les  plus  anciennes  men- 
tions, une  notation  imparfaite,  dans  le  français  local  et  les 
patois  influencés  par  lui,  un  substitut  du  ô  persistant,  à  Mon- 
treux  et  à  Blonay,  dans  la  série  des  noms  de  nombre  de  «  onze  » 
à  «  seize  »  ?  L'histoire  encore  si  mal  connue  de  nos  dialectes,  à 
laquelle  doivent  contribuer  les  patois  modernes,  les  noms  de 
lieu  et  tous  les  documents  écrits  dans  nos  contrées,  offre  aux 
linguistes  un  magnifique  champ  d'investigation,  où  se  plaît  à 
vous  rencontrer  souvent 

Votre  fidèle  collaborateur  et  ami, 

Ernest  Muret. 


'  Mém.  et  Doc,  XXXV,  pp.  162,  176,  197  et  220  ;  Mémorial  de  Fri- 
hotiro,  IV,  p.  316. 

'  Peut-être  *vitic-ehiiu,  de  vilicem,  au  sens  d'à  osier»  qu'il  a  dans 
quelques  patois  du  midi  de  la  France? 

"■  Mém.  et  Doc,  VI,  p.  12.  A  ce  que  veut  bien  me  faire  savoir  le 
savant  bibliothécaire  de  Berne,  M.  de  Mulinen,  la  lecture  n'est  pas 
douteuse  et  le  /  ne  peut  être  confondu  avec  un  c  Le  même  Cartulaire 
(pp.  132  et  133)  nous  offre  les  formes  successives  Clingerio  (885  en- 
viron et  888)  et  Clendie  du  nom  de  Chndy,  à  Yverdon  ;  mais  ce  très 
ancien  d,  apparu  dans  de  tout  autres  conditions  que  celui  d'Jtidon  et 
de  Vidy,  ne  nous  concerne  pas  ici. 


AU    SOUFFLE   DE   LA   VAUDAIRE  4I 

P.  S.  —  L'hypothèse  de  la  substitution  de  ^  à  ô,  dans  la 
transcription  officielle  et  dans  le  passage  du  patois  au  français, 
est  confirmée  par  le  nom  d'Evordes,  lieu  dit  des  communes  de 
Bardonnex  etTroinex,  annexées  en  181 5  au  canton  de  Genève, 
Les  derniers  patoisants  du  voisinage  prononcent:  a  évœrn?. 
Les  plan?  du  xviiF  siècle  nous  offrent  les  graphies  Esvordes, 
Es  Vaurses,  En  Vurse,  En  Vuorse,  an  champ  de  vorge,  champ 
aux  vorges,  dans  lesquelles  on  reconnaît  le  nom  patois  de  plu- 
sieurs espèces  de  saule  ou  d'osier. 


ETYMOLOGIES  JURASSIENNES 

-*- 

I.  sii*a  «  beau-père  »  et  (lônïn  «  belle-mère  » 

Dans  la  précieuse  collection  d'anciens  termes  de  parenté 
que  nous  offre  pour  le  Jura  bernois  le  poème  des  Paniers  aux 
vers  207-209  du  manuscrit  A,  publié  par  M.  Rossât,  il  y  a  un 
couple  particulièrement  intéressant,  celui  des  beaux-parents: 
sira  pour  le  masculin,  dènïn  pour  le  féminin.  Ces  deux  mots 
s'expliquent  l'un  par  l'autre  :  ce  sont  sans  aucun  doute  des 
dérivés  de  sire^  et  de  dè-n,  bonne  forme  jurassienne  de  dame. 
Ils  attestent  une  fois  de  plus  l'habitude  qu'on  avait  autrefois  de 
désigner  les  beaux-parents  par  un  titre  honorifique.  Ainsi  toute 
l'Italie  du  Nord  les  appelle  misser  (monseigneur)  et  madonna 
(madame).  En  France,  l'épithète  de  beau  devient  terme  dis- 
tinctif:  beau-père,  belle-mère  {[iovxr  d'autres  analogies,  voir  mon 
étude  Die  romanischen  Verwandtschaftsnatnen^  p.  123). 


'  Ce  mot  ne  peut  pas  être  le  latin  suer  us,  qui  a  donné  sire  en  Nor- 
mandie (v.  GoJefroy),  suite  en  ancien  français,  et  qui,  dans  le  Jura 
bernois,  aurait  abouti  soit  à  *suy  (chur),  d'après  t;(U3  (cuir),  t^nd  (cuide), 
/n/p(truie\  soit  à  *sœr  {chœr)  d'après  tx^èr  (cuire),  txcéch  (cuisse),  ^ (huis). 


42  E.    TAPPOLET 

Le  terme  féminin  offre  plus  d'intérêt  que  sira,  simple  dimi- 
nutif en  -ïttu,  comme  oncha  de  oncle.  La  forme  simple  dè'n 
(aussi  din-n,  dan-n  B,  dan  N  et  Vd  Auberson)  désigne  la  maî- 
tresse de  maison  dans  le  Jura  bernois,  la  mère  chez  les  ani- 
maux (moins  chez  les  personnes\  dans  les  cantons  de  Neu- 
châtel  et  de  Vaud.  Dans  cette  forme  dhn  se  reflètent  deux 
particularités  phonétiques,  dont  l'une  est  française  :  le  passage 
de  *  dôme  (domina)  à  darne,  et  dont  l'autre  est  patoise,  propre, 
paraît-il,  à  toute  la  Suisse  romande  :  la  réduction  de  mn  à  n  (au 
lieu  de  m  en  français)  ainsi  fian-nè  (nommer), /a-w  (femme). 

Reste  à  expliquer  la  terminaison-/;/.  Le  plus  ancien  exemple 
que  nous  ayons  de  notre  mot  (1613,  Procès  de  sorcellerie,  aux 
Archives  de  Berne)  l'écrit  daynin,  graphie  qu'on  peut  inter- 
préter comme  dènin  ou  comme  dènïn.  Le  texte  des  Paniers 
nous  tire  d'embarras,  puisque  daimiin  rime  avec  aischebin,  qui 
est  toujours  prononcé  cchlnn  (aussi  bien).  Au  surplus,  M.  Fri- 
delance  l'a  entendu  prononcer  dinnïn.  C'est  fâcheux,  car  nous 
ne  serions  pas  en  peine  d'expliquer  un  *dènin,  auquel  corres- 
pondrait assez  exactement  la  forme  vaudoise  dsnan  {dénan)  f., 
nom  donné  par  un  enfant  à  sa  grand'mère  ;  c'est  évidemment 
domina  —  ane,  suffixe  féminin  d'origine  controversée,  qu'on 
retrouve  dans  le  franc,  putain,  nonnain  ;  quant  à  ddnan  au  lieu 
de  *donan,  c'est  un  affaiblissement  fréquent  en  syllabe  préto- 
nique: gdverna  f.  (gouverne),  d3na  v.  (donner),  ahna  (éclairer, 
de  adluminare). 

Qu'est-ce  donc  que  ce  -in  ?  Phonétiquement  -ïn  final  ne 
peut  dériver  que  du  suffixe  -ïnum,  toujours  masculin,  ou 
du  phonème  ien  de  Tancien  français,  quelle  que  soit  son 
origine  latine:  ainsi  le  Jura  bernois  dit  aussi  bien  bïn  (bien) 
vïn  (vient),  vûn  (mien)  que  tchïn  (chien),  tchintïn  anc.  franc. 
cha?itiens,  ïoxmQ  de  l'imparfait  et  du  présent  du  subjonctif,  pro- 
venant de  la  terminaison  latine  de  -eamus  (-ebamus).  On 
peut  en  déduire  la  règle  phonétique  que  an  [ani)  précédé  d'une 
palatale  se  réduit  à  ïn.  Or  l'ancienne  langue  possédait  deux 
termes  de  parenté  du  genre  féminin  qui  se  trouvent  être  dans 


ÉTYMOLOGIES    JURASSIENNES  43 

les  conditions  voulues  :  ce  sont  taien  «  grand'mère  »  (lat.  atavia 
-i  anem,  voir  Verwandschaftsnamen,\i.6^)  ti  necien  «nièce» 
(neptia  -|  anem),  (jui  sont  à  taie  «grand'mère»  et  à  nièce 
exactement  ce  que  sont  antain  ou  nonnain  à  atite  ou  à  nonne, 
taien  et  necien  (fiiecien)  ont  dû  aboutir  dans  le  Jura  bernois  à 
*tèïn  (*tèyïn)  et  à  *mmi  i*nisïn),  formes  (jui,  grâce  à  l'analogie 
sémantique,  ont  facilement  pu  amener  soit  un  changement  de 
suffixe  (ancien  *dcnin  transformé  en  *dènïn).,  soit  la  création 
d'un  dérivé  dènïn  d'après  la  forme  simple  dèn.  —  Ajoutons 
niJînin  «  grand'mère  »  et  tintïn  «  tante  »,  qui  présentent  proba- 
blement le  même  mode  de  formation,  à  moins  ciu'ils  n'aient 
adopté  la  terminaison  dirainutive  masculine,  exprimant  la  ten- 
dresse, qu'on  retrouve  dans /(?//■«  «  grand-père»  (B  rare):/a/?«, 
qui  existe  dans  les  patois  français  de  l'Est,  n'est  pas  attesté 
pour  le  Jura  bernois. 

2.  dj<«tudjia  «  châtier  » 

Dans  le  poème  des  Paniers  (éd.  Rossât,  ms.  A,  vers  435), 
après  qu'un  petit  diable  encore  novice  s'est  fort  mal  acquitté 
de  son  métier  de  bourreau  en  enfer,  le  chef  des  diables  le 
prend  à  partie  et,  lui  reprochant  sa  maladresse,  lui  dit  :  técole. 
fon  dinsche  taie  ^ens  geutusie?  (variante  geutugie)  «  t'enseigne- 
t-on  ainsi  à  châtier  de  telles  gens?»  L'édition  de  1849  du 
même  poème  donne  :  a-ce  dinsche  qu'ai  fâ  taies  gens  djeu- 
tugie?  «  est-ce  ainsi  qu'il  faut  de  telles  gens  châtier?  » 

Tandis  que  M.  Fridelance,  dans  sa  traduction  manuscrite  en 
patois  ajoulot  moderne,  rend  le  mot  djeutvgie  par  tchétayii 
«chatoyer»,  M.  Rossât  le  transcrit  par  djœtudjii  et  affirme 
qu'il  s'emploie  encore  aujourd'hui.  Il  n'y  a  donc  pas  de  doute 
sur  la  forme  phonétique  ni  sur  la  signification  du  mot.  D'où 
peut-il  venir  ?  Je  crois  y  reconnaître  une  transformation  du 
x&xht  justicier,  dont  le  sens  primitif  était  «  rendre  la  justice» 
mais  qui,  ne  s'employant  plus  que  par  rapport  au  coupable, 
avait  pris  le  sens  de  «  punir  en  exécution  d'une  sentence  ».  A 
cet  égard,  il  y  aurait  donc  accord  parfait  avec  le  passage  cité 


44 


E.  TAPPOLET 


des  Paniers.  Reste  à  expliquer  la  déformation  phonétique. 
Justicier  aurait  donné  *djutsie  dans  le  Jura  bernois.  En  effet, 
j'ai  trouvé  jutsi  pour  le  substantif  «  justicier  »  à  l'Auberson 
I  Vd)  et  le  patois  berrichon  û\t  Jul.jute  «  juste  »  d'après  Littré  ; 
c'est  aussi  la  l'orme  sans  s  qu'_pn  attendrait  en  français.  Si  Juste 
est  de  formation  savante,  le  Jura  bernois  offre  une  bonne  forme 
populaire  dans  son  dj'œt,  forme  courante  pour  «juste»,  la 
forme  féminine  jus  ta  paraît  avoir  supplanté  la  forme  masculine 
"^djœ  (cf.  Degen,  Das  Patois  von  Crémine,  p.  8).  Quelle  que 
soit  la  raison  d'être  de  la  voyelle  œ  au  lieu  de  u,  seul  résultat 
normal  de  Viï  latin,  il  est  de  toute  évidence  que  justicier  a 
subi  l'influence  de  l'adjectif  djœt  ^  Quant  à  la  seconde  partie 
du  mot,  elle  paraît  avoir  été  modifiée  sous  l'influence  de  Juger, 
en  patois  djudjia.  S'il  en  est  ainsi,  cette  double  contamination 
aurait  eu  lieu  à  une  époque  ancienne  où  justicier  avait  peut-être 
encore  le  sens  neutre  de  «  rendre  la  justice  »,  «  juger  ». 

Ajoutons  que  la  forme  geutusier  que  donne  un  des  manus- 
crits n'est  pas  nécessairement  une  «  faute  de  copie  »,  comme  le 
croit  M.  Rossât  (note  202  de  son  édition),  puisqu'elle  trouve 
sa  correspondance  diSiXMVdjnc.  ïx.  J ou ti si er  [àQ  Jus tise),  qui  peut 
fort  bien  s'être  maintenue  en  patois.  Quant  au  changement  de 
/  en  u,  on  le  trouve  quelquefois  avant  ou  après  z,  ch,  etc.  :  atuzi 
«  attiser  »,  kondzu  pour  kondzi  «  congé  »  (F)  ;  frutch  «  friche  ■» 

(B). 

3.  niinbïn  s.  m.  «  imbécile  » 

I.e  mot  se  trouve  au  vers  38  des  Paniers  :  Nos  ne  sons  pe  sche 
nuTtbin  de  poire  tain  de  poine  «Nous  ne  sommes  pas  si  niaises 
de  prendre  tant  de  peine  ».  Il  nous  est  en  outre  attesté  pour 


'  On  est  tenté  de  voir  cette  même  influence  adjective  dans  les  for- 
mes sans  s  de  l'ancien  français  jouticier,  jotisser,  etc.,  aussi  joiitiffier 
«  justifier  »  (v.  Godefroy),  en  supposant  un  adjectif  */o!/,  ajoute  «juste  » 
qui  nous  rapprocherait  de  djœt  ;  mais  ce  sera  plutôt  l'anc.  fr.  joster,  soit 
au  sens  de  «  se  rassembler  »  (pour  rendre  justice),  soit  au  sens  de 
«  jouter  »,  «  combattre»  (l'une  des  parties  contre  l'autre),  qu'il  faut 
rendre  responsable  du  passage  de  Jusl-  à  jost-  (jot-,  joui-). 


KTYMOLOGIES   JURASSIENNES  45 

l'Ajoie  et  pour  le  Vadais  (Develier),  avec  de  nombreuses  va- 
riantes :  tiiinbïn,  nii9bïn^  aussi  mniobïn  ;  puis  sin-niinbïn,  sïn-nu3- 
bi'n,  sin-nutibïn  (sic).  Dans  le  Pays  du  Dimanche  1  1902,  251), 
on  lit  son  hanne,  in  gros  nuebin  «  son  homme  (mari),  un 
gros  nigaud  ». 

La  seule  explication  qu'on  ait  tentée  de  ce  mot  est  celle  de 
A.  Biétrix,  qui  traduit  «  qui  ne  sait  nul  bien  »,  hypothèse  gra- 
tuite, qui  ne  satisfait  à  aucun  point  de  vue.  Nous  arriverons 
mieux  à  notre  but,  je  crois,  en  invoquant  la  faveur  d'un  saint. 
C'est  saint  Lubin  qui  nous  aidera  à  faire  façon  de  presque 
toutes  les  difficultés.  Quant  au  sens,  il  n'y  a  rien  d'étonnant  à 
ce  qu'une  piété  fervente  soit  interprétée  par  des  esprits  pro- 
fanes et  moqueurs  comme  un  certain  manque  d'intelligence. 
Nous  n'avons  qu'à  nous  rappeler  les  béates  figures  de  saints 
qu'on  trouve  dans  mainte  église.  Du  reste,  les  faits  de  langue 
ne  manquent  pas  :  benedictus  est  devenu  «  benêt»  ;  «  simple 
d'esprit  »,  «  innocent  »,  «  candide  »,  «  naïf  »,  bénin  »,  etc. 
prennent  tous  à  l'occasion  une  nuance  plus  ou  moins  déprécia- 
tive  (cf.  Jaberg,  Péjorative  BedentiingsentKncklung,  Zeitschr. 
f.  rom.  F/iil.  XXVII,  p.  65).  Ajoutons  que  les  noms  de  Michel 
et  à' Agnès  s'emploient  comme  appellatifs,  le  premier  au  sens 
de  «  niais  »  (argot  parisien),  le  second  au  sens  de  «  jeune  ingé- 
nue »,  usage  qui  remonte  peut-être  à  saint  Michel  et  à  sainte 
Agnès.  Ce  qui  me  paraît  certain,  c'est  que  de  Lubin,  soit 
comme  nom  de  saint,  soit  comme  nom  de  personne  très  ancien 
et  très  fréquent  (il  désigne  par  ex.  un  valet  lourdaud  chez  Mo- 
lière), on  a  tiré  le  verbe  lubiner  «  niaiser»,  attesté  par  le  dic- 
tionnaire d'Oudin  (1660).  —  Par  cette  hypothèse  s'expliquerait 
très  naturellement  l'hésitation  en  patois  entre  les  formes  avec 
et  sans  sin-.  La  forme  avec  si'n  aurait  été  amenée  par  -bi'n. 

Au  point  de  vue  phonétique,  il  n'y  a  pas  de  difficultés  sé- 
rieuses. Pour  le  passage  de  /  initiale  à  n  nous  rappelons  lefi- 
tille,  lézard,  luzerne,  Livel  à  côté  de  nentille,  nézard,  nuzerne, 
niveau  (v.  mon  article  Zur  Agglutination  in  denfranz.  Mund- 
arten,  Festschrift,  Basel  1907,  p.  334).  Le  un  au  lieu   de  1'// 


46  E.  TAPPOLET 

simple  provient  de  IV/  précédente,  cf.  min  (mais),  maiitr  pour 
tnatr  (mettre),  »anfajt  pour  tiatayi  (nettoyer).  —  Je  ne  m'expli- 
que pas  les  variantes  nudbin,  mnusbïn  et  sin-nunhïn. 

I  initiale  étant  devenue;)'  devant  les  voyelles  palatales  dans 
le  Jura  bernois,  le  passage  de  /  en  ;;  doit  être  antérieur  à  ce 
changement  phonétique. 

4.  éti'iô  s.  m.  «  sorcier  » 

Ce  mot  ne  nous  est  attesté  que  par  les  Paniers,  au  vers  13 
de  l'édition  Rossât  (ms.  A)  : 

Que  langairdin  de  moi,  me  nannin  Etrio  (en  rime  a.vec  pro- 
ximo  siio).  «  Qu'elles  (les  dames  en  panier)  médisent  de  moi, 
[qu'elles!  m'appellent  sorcier.  » 

Le  sens  ne  fait  pas  de  doute,  puisque  les  deux  manuscrits 
(A  et  B)  du  poème  de  Raspieler  traduisent  le  mot  dans  leurs 
glossaires  par  «  sorcier  »  ;  au  surplus,  le  sens  injurieux  du  mot 
apparaît  plus  clairement  par  le  contexte  du  ms.  B,  où  il  est  en 
compagnie  de  «  bélitre  »  et  de  «  coquin  »  (vers  37).  Quant  au 
radical,  il  est  facile  d'y  reconnaître  le  latin  striga  «femme 
qui  fait  du  mal  aux  enfants  »,  «  sorcière  »,  qui  est  une  variante, 
supposée  par  l'accord  de  plusieurs  formes  romanes,  du  latin 
classique  strïga,  d'où  l'italien  strega  «  sorcière  ».  Ce  strîga 
a  donné  régulièrement  estrie,  f.  en  ancien  français,  mot  bien 
attesté  par  Godefroy  au  sens  de  «  monstre  malfaisant  »,  vieille 
sorcière  (femme  hideuse  comme  estrie). 

II  est  plus  difficile  de  se  rendre  compte  de  la  terminaison  du 
mot  patois.  Au  point  de  vue  phonétique,  rien  n'empêche  de 
dériver  étrià  soit  d'une  forme  latine  strigellum  soit  d'une 
forme  de  l'ancien  français  *estriel  dont  le  cas  sujet  *estrieaus, 
passant  par  étriyau,  a  dû  aboutir  à  étriô.  Notre  mot  ayant  été 
employé  comme  terme  d'injure,  comme  le  démontre  le  passage 
cité  des  Paniers,  il  était  naturel  que  le  nominatif  étriô  eût  fait 
disparaître  l'accusatif  *étrié,  qui  serait  la  forme  patoise  corres- 
pondante de  l'ancien  français  *estriel.  Même  sans  tenir  compte 
de  cette  explication,  on  sait  par  l'étude  de  Gilliéron  {Revue  des 


ETYMOLOGIES   JURASSIENNES  47 

patois  gallo-romans  I,  p.  33),  ainsi  que  par  les  cartes  de  Y  Atlas 
linguistique  de  la  France,  combien  sont  fréquentes  dans  les 
patois  de  l'Est  les  formes  twyô  (0)  à  côté  des  formes  en  é  (i), 
etc. 

Si  en  français  le  suffixe  diminutif -ellum  s'ajoute  plus  fré- 
quemment aux  noms  de  choses  (tableau,  morceau)  et  d'ani- 
maux (taureau,  chevreau),  les  noms  de  personnes  ne  manquent 
pas,  ainsi  :  damoiseau,  jouvenceau,  tyranneau,  larronueau,  etc. 
Il  arrive  même  qu'un  nom  de  personne  est  tiré  d'un  verbe, 
c'est  le  cas  de  chemineau  propr.  «  homme  qui  chemine  »,  qui 
désigne  tantôt  le  terrassier  changeant  fréquemment  de  chantier, 
tantôt,  avec  la  variante  orthographique  cheminot,  l'employé  de 
chemin  de  fer  si  souvent  en  route.  De  ce  côté-là,  il  n'y  a  donc 
rien  d'étonnant  dans  la  formation  supposée  à.''*estriel. 

C'est  le  genre  qui  fait  difficulté  :  estrie  étant  du  genre  fémi- 
nin, on  s'attendrait  à  *estriele  (cf.  demoiselle,  it.  sorella),  d'au- 
tant plus  que  dans  l'imagination  populaire  la  sorcière  est  bel 
et  bien  un  être  féminin. 

Un  moyen  d'expliquer  le  dérivé  masculin  serait  de  supposer 
pour  la  vieille  langue  un  verbe  *estrier  (cf.  lat.  s  tri  gare, 
it.  stregare  «  ensorceler  »)  d'où  l'on  aurait  tiré  un  *estriel 
«  celui  qui  ensorcelle  »,  comme  de  cheminer  on  paraît  avoir 
formé  chemineau.  Mais  comme  cette  formation  est  peu  attestée, 
il  est  préférable  de  supposer  un  ancien  masculin  *estri,  qui 
correspondrait  au  point  de  vue  morphologique  exactement  à 
l'italien  strego  &  sorcier»  (à  côté  de  stregone)  et  dont  le  dimi- 
nutif normal  estriel  nous  tirerait  de  toutes  les  difficultés. 

Il  existe  près  de  Moutier  un  nom  de  X\tv\  Fenatte  de  V Etriou, 
que,  dans  son  étude  (p.  41),  M.  Roche  traduit  par  «  petite  fin 
de  l'étrilleur  »  ;  il  serait  peut-être  préférable  de  le  rattacher  à 
notre  radical  en  l'interprétant  comme  «  petite  fin  d'un  nommé 
Etriou,  sobriquet  naturel  au  sens  de  «  enchanteur  »,  anc.  franc. 
*estrieur,  tiré  du  verbe  *estrier,  supposé  plus  haut. 

E.  Tappolet. 


48  L.    GAUCHAT 

UN  CAS  D«  UMLAUT» 

DANS   LE   DIALECTE   GRUYÉRIEN 

— 5— 

Dans  le  domaine  des  langues  germaniques,  on  observe  dès 
l'époque  de  l'ancien  haut  allemand  l'action  assimilatrice  d'un  i 
suivant  sur  un  a  du  radical  :  gesti,  pluriel  de  Gast,  d'oîi  la 
forme  moderne  Gdste.  Ainsi  s'expliquent  les  transformations 
mass,  /ndssig  ;  Tanz,  Tànzlein  (anciennement  -//«),  etc.  C'est 
ce  qu'on  appelle  «Umlaut»,  en  français  «  apophonie  ».  Ce 
phénomène  finit  par  s'étendre  à  presque  toute  l'échelle  voca- 
lique  :  Sohn  — Sohne,  Bube —  Biiblein,  etc. 

Dans  son  ouvrage  Les  Patois  romans  du  canton  de  Fribourg 
(1879),  Haefelin  a  cru  reconnaître  une  évolution  phonétique 
analogue  en  Gruyère:  «Il  est  possible  que  le  changement  de 
\'a  atone  en  e  soit  aussi  dû  à  l'influence  d'un  /  suivant  dans 
les  mots  ci-dessous^:  ènyld,  côté  de  la  forme  ^/«^^'/(agnellus); 
Erbivuè^  Albeuve  (  a  1  b  a  a  q  u  a)  ;  cmi  (a  m  i  c  u  s)  ;  erdzin  (a  r  g  e  n- 
t  u  m)  ;  %lyè  vï  (  f  1  a  g  e  1 1  u  m)  ;  terdi  à  côté  de  tardu  (t  a  r  d  i  v  u  m)  » . 
De  cette  liste,  il  est  prudent  d'écarter  les  mots  où  ar  se  change 
en  cr,  ce  qui  arrive  indépendamment  d'un  i  suivant,  comme 
le  montre  erdzin,  où  il  n'y  a  pas  d'/.  De  même  yjyèyi,  où  il 
s'agit  du  groupe  ay,  qui  passe  à  èy  dans  un  vaste  territoire. 
Restent  les  cas  sûrs  ènyî  et  cmi,  auxquels  viendront  se  joindre 
les  nombreux  exemples  que  je  citerai  plus  bas. 

Un  autre  cas  d'apophonie  concerne  Vou  atone  qui  devient  u 
devant  un  /  tonique  :  kiitsi,  drumi,  mûri,  etc.  (ailleurs  koutsT^ 
droumi,  mouri),  dont  j'ai  touché  un  mot  dans  ma  dissertation 
Le  patois  de  Donipierre,  p.  57-59.  M.  Jeanjaquet  a  constaté 
des  phénomènes  analogues  en  Valais,  voir  Bulletin  VI,  p.  29, 


'  P.  32.  Nous  remplaçons  la  transcription  de  Haefelin  par  celle  du 
Bulhlin. 


UN  CAS  D'«  UMLAUT  »  DANS  LE  DIALECTE  GKUVÉRIEN        49 

notes  5-6.  Enfin,  M.  Fankhauser  en  a  relevé  plusieurs  dans  sa 
pénétrante  étude  sur  le  patois  de  Val  d'IUiez,  p.  108  et  112  ss. 
Dans  la  note  3  du  §  134,  il  est  aussi  question  des  conditions 
fribourgeoises  et  du  cas  spécial  qui  m'occupe  ici  :  tavi  >  tcvi. 

J'aimerais  aujourd'hui  me  borner  à  ce  dernier,  en  cher- 
chant à  préciser  l'influence  que  1'/  accentué  exerce  sur  un  a 
de  la  syllabe  précédente.  Voici  d'abord  quelques  matériaux  : 
alyl  ou  èlyi  «  alisier  »  :  ajl  ou  èj'I  «  présure  »  ;  achi,  cchï  ou  èyj 
«  acier  »  ;  avri  ou  èvri  «  abri  »  et  aussi  «  avril  »  ;  ènich  «  anis  »  ; 
avi  ou  èvi  «  avis  »  ;  ehi  «  habit  »  ;  lavi  ou  levi  «  loin  »  ;  nari  ou 
neri  «  narine  »  ;  kratchî  ou  krctchi  «  cracher  »  ;  tavï  ou  tevî 
«  couvercle  »  ;  tsa'/[J  ou  tsèyl  «  chasser  »  ;  yjyapi  ou  ylyèpi 
«  flétri  »  ;  grapi  ou  gr'epi  «  grimper  ».  Il  y  en  a  d'autres,  mais 
les  formes  citées  suffisent  amplement  pour  prouver  qu'on  est 
bien  en  présence  d'une  règle  phonétique  ^. 

Mais  avant  de  parler  d'une  règle,  il  faut  faire  la  contre- 
épreuve  et  voir  s'il  n'y  a  pas  de  mots  qui  s'y  dérobent.  L'apo- 
phonie  n'a  pas  lieu  lorsque  l'a  est  séparé  par  une  syllabe  de 
r/  tonique:  abalyî,  abètsi,  afÔti,  amolyl,  aplycyî,  armalyï,  etc., 
pas  même  dans  avijî  «  accoutumé  ».  L'/  n'agit  qu'à  courte 
distance.  Les  verbes  sont  un  peu  réfractaires  :  balyî,  katchJ,  etc., 
évidemment  parce  que  les  formes  accentuées  sur  le  radical  et 
qui  sont  à  l'abri  de  cette  influence:  balyo,  kqtso,  etc.,  agissent 
dans  le  sens  de  la  conservation  de  la  voyelle  primitive.  Un  a 
long  n'est  pas  atteint  :  bânyî,  gànyJ,  etc.  Ce  qu'il  y  a  de  plus 
curieux,  c'est  que  certains  mots  ne  présentent  nulle  part  des 
formes  avec  è,  tels  que  pachï  «  échalas  »  ;  arlda  «  arête  »  ;  rajl 
«  radeau  »  ;  ladî  «  lait  »  ;  adi  «  toujours  »  ;  chapï  «  sapin  »  ;  aprJ 
«  après  »  ;  vanJ  «  rocher  ».  Le  dernier  exemple  pourrait  s'expli- 
quer par  une  ancienne  forme  hypothétique  van-n7.  Mais  les 
autres  ?  Pourquoi  jamais  lèdî  pour  «  lait  »  ?  Toutes  ces  excep- 


*  Ce  sont  les  travaux  de  classement  des  matériaux  du  Glossaire  qui 
m'ont  fait  voir  clairement  qu'il  y  avait  là  une  certaine  régularité  (voir 
Rapport  de  19 13.  p.  6). 


50  L.    GAUCHAT 

tions  ont  en  commun  que  1'/  n'y  est  pas  ancien.  A  Blonay,  par 
exemple,  on  dit  encore  paséi,  aréiûa,  ladéi,  adéi,  apréi  (les 
autres  mots  manquent),  prononciation  plus  archaïque  et  qui 
doit  être  à  la  base  des  formes  fribourgeoises.  Il  s'agit  de  -  e  1 1  u  m 
ou  de  ^  -j-  J  et  consonne.  Le  lecteur  attentif  objectera  que  tèvi 
<C  tabellum  est  bien  du  nombre  des  cas  infectés  d'/.  A  cela 
on  peut  répondre  que  l'hésitation  entre  avi  et  èvi  a  pu  entraîner 
tcvi.  Les  mots  ylyèml  «  espèce  de  gâteau»,  de  flamellum,  et 
plyètï  «plateau  »,  ne  me  déroutent  pas:  ici  le  son  è  est  dû  à 
l'action  de  la  mouillure  précédente;  ci.  plyèdl  «  placer  »,  et  le 
mot  %\\Vl^\q. plyèdd  «  place  »,  ainsi  que  d'autres  ^.  anyl  (agnel- 
lum)  représente  un  cas  à  part;  derrière  gn  le  suffixe  -ellum 
paraît  avoir  subi  un  traitement  spécial  ;  cf.  anyî  et  non  anyéi 
à  Blonay. 

La  Gruyère  n'a  donc  conservé  qu'en  partie  les  anciennes 
conditions  d'extension  du  phénomène,  mais  elle  en  laisse 
encore  reconnaître  les  limites.  Comme  les  textes  fribourgeois 
du  xv^  siècle  étudiés  par  M.  Girardin  n'ont  pas  de  traces  d'une 
prononciation  aprï  ou  la^ï^  avec  i  (§  30  et  33),  et  que  ces  cas 
font  généralement  bande  à  part,  l'apophonie  ami  >■  hni  doit 
remonter  plus  haut. 

Aujourd'hui  le  phénomène  tend  à  disparaître  sous  l'influence 
du  français  :  ami,  anyî  sont  plus  fréquents  que  leurs  doublets 
en  e.  Quelques  mots,  qui  n'ont  pas  de  correspondants  directs 
en  français  et  sur  lesquels  l'influence  de  la  langue  littéraire  n'a 
pas  de  prise,  ne  connaissent  pas  de  formes  en  a:  rèvi  «pro- 
verbe »,  qui  se  rattache  à  raviser,  adèvi  ka  «  aussitôt  que  »,  de 
ad  istam  vecem  quod.  Ils  montrent  que  aw/,  «-«jv' sont  rela- 
tivement nouveaux. 

Au  Pays-d'Enhaut,  notre  phénomène  off"re  des  conditions 
modifiées.  De  la  dissertation  inédite  de  M.  Cornu  :  Lautlehre 
der  Mundart  des  Pays-d' Enhaut  (1874),  j'extrais  les  exemples 
suivants  :  agèchï  «  agacer  »  ;  batebl  «  batailler  »  ;  bètsl  «  bap- 


'  Le  patois  de  Dompierre,  p.  21. 


UN  CAS  D'«  UMLAUT  »  DANS  LE  DIALHCTE  GRUVERIEN      5  I 

tiser*  »  ;  bèbî  «  bailler,  donner  »  ;  konpènyi  «  compagnie  »  ;  fèri 
«  [je^  ferai  »  ;  malèdi  «  maladie  »  ;  mèfi  «  fatigué  »  ;  unphts 
«  empêché  »  ;  rèmir?  «  ramure  »  ;  travèàï  «  travailler  »  ;  tsèbi 
«  chaloir  »  ;  chcbi  «  saillir,  sortir  ».  On  voit  que  la  règle  y  est 
maintenue  plus  pure,  mais  M.  Cornu  nous  avertit  que  «  nur 
alte  Weiber,  welche  auch  desswegen  von  den  jungen  Leuten 
verspottet  werden,  lassen  dièse  Anniiherung  der  Laute  hâufig 
hôren».  Il  s'agit  du  patois  de  Cuves.  M.  Cornu  a  même  re- 
cueilli des  cas  d'apophonie  où  l'action  d'^  s'étend  à  deux  syl- 
labes précédentes  :  mèlèdi,  trèvèbï. 

Quelques  rares  formes  apophoniques  se  sont  répandues  au 
delà  de  leur  domaine  premier  :  on  voit  apparaître  krctsî  «  cra- 
cher »,  à  Blonay  ;  rèvi  ou  rdvi  «  proverbe  »,  se  dit  dans  tout  le 
canton  de  Vaud,  mais  Juste  Olivier  atteste  que  c'est  un  mot 
qui  provient  des  Alpes  vaudoises. 

Notre  petite  loi  phonétique  rend  compte  des  anomalies  appa- 
rentes de  certains  vocables,  qui,  dans  Bridel,  ne  figurent  que 
sous  des  formes  altérées  ;  ainsi  le  rapport  à^ennesi  «  jeune  porc 
d'un  an»,  avec  annus  devient  clair,  et  béthi  «  diguer»,  appa- 
raît comme  simple  variante  du  verbe  bâtir. 

L.  Gauchat. 

'  C'est  à  tort  que  j'ai  considéré  comme  suspecte  cette  forme  dans  ma 
Trilogie  da  la  vie  (Bulletin  IX,  p.  16). 


52 


J.    JEAXJAQ.UET 


RITOURNELLE  PATOISE 

SUR  LES  NOMS  DES  JOURS  DE  LA  SEMAINE 

— i— 

Le  refrain  populaire  patois  ci-dessous  nous  a  été  communiqué  en 
1904  par  un  correspondant  du  Glossaire,  M.  R.  Chassot,  qui  l'avait 
noté  à  Villargiroud,  dans  le  district  fribourgeois  de  la  Glane  : 


L  é  rakontra  Marianna  dp  Ion, 
Kd  pbrtàvè  a  vandr?  Vbnyon. 

Dalon,  Vbnyon; 

Trinka  Madslon! 


J'ai  rencontré  Marianne  lundi, 
Qui  portait  à  vendre  l'ognon. 

Lundi,  l'ognon  ; 

Trinque  Madelon  ! 


L  é  rakontra  Alarian-na  dama, 
K3  pbrtâvc  a  vandn  don  hyâ. 
Dama, don  hyd;  dalon, Vbnyon; 
Trinka  Madilon! 


J'ai  rencontré  Marianne  mardi, 
Qui  portait  à  vendre  du  blé. 
Mardi,  du  blé'  lundi,  Tognon  ; 
Trinque  Madelon  ! 


L  é  rakontra  Marianiia  d3mîkrou,ya.\  rencontré  Marianne  mercredi, 

Ks  pbrtàvè  a  vafidr  on  kmnxou.     Qui  portait  à  vendre  un  couvercle. 

Dimïkrou,  on  krdin%ou,,  etc.  Mercredi,  un  couvercle,  etc. 

4.  4. 

L  é  rakontra  Marian-na  dsdzâ,       J'ai  rencontré  Marianne  jeudi, 
K3  pbrtàvè  a  vandr?  din-J-â.  Qui  portait  à  vendre  des  œufs. 

Dsdzâ,  din-J-â,  etc.  Jeudi,  des  œufs,  etc. 

5-  5- 

L  é  rakontra  Marian-na  dn'indrou,  y  dX  rencontré  Marianne  vendredi, 
K?  pbrtàvè  a  vandr  on  chindzou.    Qui  portait  à  vendre  un  singe. 
Divjndrou,  on  chindzou,  etc.  Vendredi,  un  singe,  etc. 


RITOURNELLE   PATOISE 


53 


6.  [^0",  6. 

Z  /  rakontrd  Marian-na  dichan-  J'ai  rencontré  Marianne  samedi, 

Ki  pbrtâvè  a  vandr  on  rqnchou.  Qui  portait  à  vendre  du  lard. 
Dichandou,  on  ranchou,  etc.  Samedi,  du  lard,  etc. 


7- 
L  é  rakontrd  Marian-na  d^mindzs, 
Ky  pbrtâvi  a  vandr?  din  frindzc 

Dimindz? ,  din  frindzè  ; 

Djchandou,  on  ranchou  ; 

Dn'indrou,  on  chindzou  ; 

DddzCi,  din-j-â: 

DimîkroH,  on  krnnxou  ; 

D?nid,  don  byâ  ; 

Dilon,  Vonyon. 

Trinka  Maddlon! 


7- 
J'ai  rencontré  Marianne  dimanche, 
Qui  portait  à  vendre  des  franges. 

Dimanche,  des  franges  ; 

Samedi,  du  lard  ; 

Vendredi,  un  singe; 

Jeudi,  des  œufs  ; 

Mercredi,  un  couvercle  ; 

Mardi,  du  blé  ; 

Lundi,  l'ognon. 

Trinque  Madelon  ! 


Cette  petite  composition  appartient  à  un  genre  bien  connu  dans  la 
littérature  populaire  orale,  celui  des  énumérations  en  série  progres- 
sive, à  laquelle  une  formule  constante  quelconque  sert  chaque  fois 
d'introduction.  Ici  ce  sont  les  noms  des  jours  de  la  semaine,  accou- 
plés chacun  à  un  autre  mot  formant  assonance,  qui  constituent  la 
kyrielle  croissante.  Nous  ne  saurions  dire,  faute  de  moyens  d'infor- 
mation suffisants,  si  cette  ritournelle  a  été  signalée  ailleurs  qu'en 
Suisse.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'elle  n'a  pas  pu  être  empruntée 
au  français  ni  se  répandre  par  son  intermédiaire,  puisque  la  termi- 
naison uniforme  du  français  lundi,  mardi,  etc.,  détriiil-ait  la  base 
même  de  l'agencement  de  notre  texte  patois.  Son  origine  doit  être 
cHerchée  dans  la  partie  du  domaine  gallo-roman  qui  a  adopté  le  type 
de  formation  dies  lunae  au  lieu  de  lunae  die  s  pour  les  jours  de 
la  semaine.  On  sait  qu'en  Suisse  romande  les  patois  du  Jura  bernois 
sont  seuls  d'accord  à  cet  égard  avec  le  français.  Partout  ailleurs  on 
a  dslon,  d^mar,  etc. 

La  chanson  sur  les  jours  de  la  semaine  paraît  particulièrement 
répandue  dans  le  canton  de  Fribourg.  M.  J.  Reichlen  l'a  publiée 


54  J-  JEAK^JAaUET 

avec  la  mélodie  dans  ses  Chants  et  coraules  de  la  Gruyère,  p.  72-73, 
et  un  ancien  correspondant  du  Glossaire,  M.  le  D"^  Nicolet,  l'a  aussi 
recueillie  à  Farvagny.  Abstraction  faite  des  particularités  de  dialecte, 
ces  deux  textes  diffèrent  fort  peu  de  celui  de  Villargiroud.  Ils  s'accor- 
dent à  donner  pour  assonance  à  dfmîkrou,  don  trîdzou  «  du  triège», 
au  lieu  de  on  krdvî%oii,  et  la  variante  gruyérienne  a  pour  refrain 
Tink3  Maddlon  «Voilà  M.»,  qui  sert  aussi  de  titre.  Mais  à  côté  de 
la  version  fribourgeoise,  le  hasard  des  recherches  nous  a  fait  con- 
naître deux  autres  rédactions  patoises,  qui  attestent  que  cette  chanson 
n'a  pas  seulement  un  caractère  local  et  qu'elle  est  ancienne  dans  le 
pays. 

Nous  tenons  de  M.  le  D""  H.  Stauffer,  à  Neuchâtel,  une  variante 
neuchâteloise  que  sa  mère  aimait  encore  à  répéter,  et  qui,  paraît-il, 
faisait  la  joie  des  veillées  de  fileuses  aux  Verrières  vers  1840.  Le  texte 
est  très  voisin  de  celui  de  Villargiroud  ;  quant  au  patois  tel  qu'il  nous 
a  été  prononcé,  il  est  passablement  francisé. 

1.  1. 

Dion  i  ratikontrâv  via  ml.  Lundi  je  rencontrais  ma  mie 

Ki  portJv  ^  vindr  d  Vbnyon,  Qui  portait  vendre  de  l'ognon. 

Dion  d  rbnyon.  Lundi  de  l'ognon. 

Atsl  vb  ",  ma  mJjiikank  ^  a  ddnian  !  Adieu,  ma  mie,  jusqu'à  demain  ! 

2.  2. 
Dmouéi  rankontrâv  ma  fnl.  Mardi  je  rencontrais  ma  mie, 
Ki  poriïv  vindr  du  byé.  Qui  portait  vendre  du  blé. 
Dmoué  du  byé,  dlon  d  Vbnyon.  Mardi  du  blé,  lundi  de  l'ognon. 

Atsï  vb,  etc.  Adieu,  etc. 


7-  7.         .  . 

Dmindz  i  rankontrâv  ma  ml,  Dimanche  je  rencontrais  ma  mie, 

Ki  pbrtJv  vindr  dé  mindz.  Qui  portait  vendre  des  manches. 


1  Forme  inexacte  '^om  portâv,  par  confusion  avec  les  imparfaits  des  verbes 

2  Formule  de  salutation,  contractée  de  A  Dieu  soyei-voiis  ! 

^  Contamination  de  jusqu'à  et  tant  qu'à,  qui  avait  le  même  sens. 


RITOURNELLE   PATOISE  55 

Dmindz  dé  ffiindz^  Dimanche  des  manches, 

Dsand'  dé  sandr  \  Samedi  des  cendres, 

Dvindr  dé  dind,  Vendredi  des  dindes, 

Djœ  dé-j-cé,  Jeudi  des  œufs, 

Dmëkr  kouvëky,  Mercredi  couvercle, 

Dmoué  du  byé,  Mardi  du  blé, 

Dion  d  Vbnyon.  Lundi  de  l'ognon. 
Atsï vo,  ma  mJ,  jukank'  a  diman!  Adieu,  ma  mie,  jusqu'à  demain! 

La  version  valaisanne  que  nous  a  transmise  M.  Maurice  Gabbud, 
à  Lourtier,  a  été  recueillie  par  lui  à  Verbier  (Bagnes),  où  elle  est  cou- 
rante. Le  texte  est  altéré,  des  formes  étrangères  au  patois  local  tra- 
hissent l'importation  et  la  plupart  des  mots  en  rime  n'ont  plus  aucune 
signification.  Mais  le  sens  joue  un  rôle  si  secondaire  dans  les  produc- 
tions de  ce  genre  que  sa  disparition  ne  nuit  pas  au  succès.  On  se 
contente  du  cliquetis  des  assonances.  On  y  prend  même  tant  de 
plaisir  que  le  jeu  a  paru  trop  court  et  qu'on  l'a  prolongé  par  l'addi- 
tion de  nouveaux  couplets  sur  les  mots  «  semaine  »,  «  mois  »,  «  an  »  et 
«siècle  ».  A  remarquer  aussi  que  la  première  syllabe  de  dilon,  ddtnâ, 
etc.,  disparaît  dans  le  refrain. 

1.  I. 
Rèkontrà  Dziràna  ddîon,                 Rencontré  Gironne  lundi 

K?  s'in-nalâvè  vindrs  de  gron.  Qui  s'en  allait  vendre  des  ....  (?) 

Lan,  gron^  son.  Lundi,  (?) 

Retourna  tè,  Dziràna,  Retourne-toi,  Gironne, 

Retourna  tt\  gripyou'.  Retourne-toi,  accrocheur. 

2.  2. 
Rckontrci  Dziràna  ddniâ.                  Rencontré  Gironne  mardi 

Kd  s'in-n-alàvè  vindrd  de  là.  Qui  s'en  allait  vendre  du  lard. 

Ma,  là;  Ion,  gron,  son.  Mardi,  lard  ;  lundi,  (?) 

Retourna  tè,  etc.  Retourne-toi,  etc. 


^  Forme  française  amenée  par  la  rime. 

"  Surnom  donné  aux  libéraux  dans  les  luttes  politiques  du  Valais  et  qui 
signifie  proprement  accrocheur. 


56  J.  JEANJAQ.UET 

II.  II. 

Rckontrà  Dziràna  b  syekh,  Rencontré  Gironne  le  siècle, 

Kd  s'in-n-alàvè  vindr?  dd  pyéxh.  Qui  s'en  allait  vendre  du (?) 

Syèkh^pyèxh  ;  Siècle,  ('?), 

L'an,  pan;  L'an,  pain  ; 

Mai, pat;  Mois,  pois  ; 

Sinàna,  lâna  ;  Semaine,  laine  ; 

Mindzd,  pindzj  ;  Dimanche,  (?)  ; 

Sando,  pando  ;  Samedi,  (^V)  ; 

Vindro,  ppido  ;  Vendredi,  (?)  ; 

Dzàu^  bœu;  Jeudi,  bœuf; 

M'ekro,  l'ebro;  Mercredi,  (?)  ; 

Ma,  là;  Mardi,  lard; 

Lon,  gron,  son.  Lundi,  .....  (?). 

Retourna  ti\  Dzirôna,  Retourne-toi,  Gironne, 

Retourna  tè,  gripyou.  Retourne-toi,  accrocheur. 

J.  JEANJAQ.UÊT. 


A   NOS    LECTEURS  57 

A  NOS  LECTEURS 

-♦- 

Les  subventions  accordées  au  Glossaire  romand  ayant  subi 
une  forte  réduction  par  suite  de  la  guerre,  nous  nous  voyons 
obligés,  à  notre  grand  regret,  de  renoncer  à  la  publication 
coûteuse  de  notre  Bulletin.  Celui-ci  n'était  du  reste  destiné 
qu'à  préparer  la  voie  aux  ouvrages  où  seront  consignés  les  ré- 
sultats définitifs  de  notre  vaste  enquête  sur  les  patois  romands  : 
la  Bibliographie  linguistique  de  la  Suisse  romande,  dont  le 
premier  tome  a  paru  en  1912,  et  dont  le  deuxième  est  sous 
presse,  les  Tableaux  phonétiques  et  V Atlas  linguistique,  enfin 
le  Glossaire  lui-même,  dont  la  publication  commencera  dès 
que  les  travaux  de  classement  qui  nous  occupent  encore  seront 
achevés.  Devant  ces  œuvres  de  plus  grande  envergure,  le 
modeste  Bullett?i  s'efface  aujourd'hui,  après  avoir  accompli 
l'essentiel  de  sa  tâche.  Mais  si  nous  prenons  maintenant  congé 
de  nos  lecteurs,  c'est  avec  le  ferme  espoir  de  les  retrouver 
bientôt  plus  nombreux,  lorsque  le  Glossaire  retracera  dans 
toute  son  ampleur  le  tableau  original  de  notre  civilisation  ro- 
mande, telle  que  la  révèlent  nos  vieux  patois. 

La  Rédaction  : 

L.  GAUCHAT,    J.  JEANJAQ.UET,     E.  TaPPOLET. 


•^^î-^-:- 


TABLE  DES  MATIERES 

— i— 

Pages 

L.  Gauchat.  La  trilogie  de  la  vie.  (Fin.) 3 

E.  Muret.  Au  souffle  de  la  vaudaire 37 

E.  Tappolet.  Etymologies  jurassiennes  :  i.  sira  «  beau- 
père  »  et  dènïn  «  belle-mère  »  ;  2.  djétujid  «  châtier  >; 
3.  niinbin  «  imbécile  »  ;  4.  étriô  «  sorcier  > 41 

L.  Gauchat.  Un  cas  d'«Umlaut»  dans  le  dialecte  gruyérien     48 

J.  Jeanjaquet.  Ritournelle  patoise  sur  les  noms  des  jours 

de  la  semaine 52 

La  Rédaction.  A  nos  lecteurs '57 

E.  Tappolet.  Table  générale  des  années  I-XIV  du  Bulletin     55 

Système  de  transcription 68 


TABLE   GÉNÉRALE 

des  années  1-14  (1902-191  s)  du  Bitllcfni. 


Les  chiflVes  indiquent  d'abord  l'année,  en  caractères  gras,  puis  la  page. 
Un  petit  chiftre  après  celui  de  la  page  désigne  l'alinéa  ou  renvoie  à  une  note. 


I.  Table  par  noms  d'auteurs. 

Berton'i,  g.  Le  Sauvage  [Servadzo] 12,   33 

BovET,  p.  Le  rouet  de  ma  grand'mère  (Gruyère  F)    .     .     .  3,    10 

Q.YLA.MBXL,0.  Lendemain  de  fête  i^ovray  Va) 1,  70 

—  A  la  charrue  (Rovray  Vd) 2,   54 

ChassoT,  R.  Catillon  la  sorcière  (Villargiroud  F)     .     .     .  4,   25 

Christix,  g.  La  moisson  d'autrefois  (Aire-la- Ville  G)    .  4,   58 

Cornu,  J.  Une  langue  qui  s'en  va  (Vd) 12,  40 

Fr.EURET,  C.  A  la  foire  (Bernex  G) 1,   25 

—  Conte  du  Loup  et  du  Renard  (Bernex  G) 3,   30 

Fridelaxce,  F.  Fragment  d'un  glossaire  de  l'Ajoie  (B).     .  .'ï,  42 

—  Fragment  des  Paniers  (Charmoille  B) 8,  7 

V'R.OMXlG'EX'î,  12,.  Une  journée  de  pêche  [Sngi^zV) .     ...  fi,   55 
Gabbud,  ]\I.  Enigmes,  jeux  de  mots  et  formulettes  ba- 

gnardes  (Lourtier  V) .5,   8 

—  Mélanges  bagnards 7,   3  ;  8,   3 

Gander,  s.  Les  deux  lièvres  et  la  poix  (Vaugondry  Vd)  .      .  9,   24 

G AUCHAT,  L.  Nos  patois  romands I.306 

—  Le  loup  et  la  grue  {^lonta.gnQs'^) 1,    38 

—  La  dernière  page  de  l'histoire  du  patois  de  la  Chaux- 

de-Fonds 1,  46,   57 

—  Les  parties  du  visage  dans  les  locutions  populaires 

de  la  Gruyère .  2,  9 


6o  E.    TAPPOLET 

GauchaT,  I,.   La  lessive  (La  Chaux-de-P'onds  X)   .      .      .  2,  4C) 

—  Les  noms  des  vents  :  ubèr  2,  63  ;  jormi  3,  14  ;  ni/Jyo 

10,  44  ;  vaiidaire  10,  46  ;  13,  62  ;  cf.  14,  2)7- 

—  Les  limites  dialectales  (avec  carte) 3,    17 

—  L'origine  du  nom  de  la  Chaux-de-Fonds  ....  4,   3 

—  Le  conte  du  rraz>»  (Lutry  Vd) 5.    17 

—  Conmient  on  nomme  le  fromage 6,    14 

—  Mélanges  bagnards 7,  3  ;  U,  3 

—  Le  suffixe  romand  -èri,  -èrida  . 7,  40 

—  Les  noms  des  clochettes  de  vaches 8,    17 

—  Notes  gruyériennes 8,  59 

—  La  trilogie  de  la  vie  : 

I.  Naissance  et  baptême 9,   3 

11.  Fiançailles  et  mariage ^,   H  '•  10.   3 

III.  Mort  et  enterrement 13,  65  ;   14,   3 

—  Notice  historique  sur  le  Glossaire 13,   3 

—  Un  cas  d'«  Umlaut  »  en  gruyérien 14,  48 

—  Articles  étymologiques  (cf.  V Index  des  mots  étudiés, 

p.  64)  1,  28  ;  2,  34,  63  ;  3,  38  ;  4,  3  ;  5,  14  ;  fî,  62  ; 

7,  32,  50  ;  8,  13  ;  9,  60  ;  11,  84  ;  13,  85. 

Grosjeak,  a.  La  meule  (Plagne  B) 5,   59 

Henchoz,  J.  La  £^emz-aMwe  (L'Etivaz,  Vd) 3,  60 

HiRSCHY,  W.  La  chanson  de  la  Perj^e/Ze •"».  49 

ISABEly,  F.  Un  fenil  aux  Ormonts 1,   30 

—  Les  diminutifs  dans  le  patois  des  Alpes  vaudoises  .  4,  4 1 
Jaberg,  K.  Notes  sur  Vs  final  libre  dans  les  patois  franco- 
provençaux  et  provençaux  du  Piémont  .     .     .     .  10,  49 

JEANJAQUET,  J.  Le  conte   de  Pequin,  randonnée  (Chani- 

péry   V) 1,   33 

—  Les  fées  de  Grand' Combe  (Evolène  V) 2,   26 

—  Argot  de  malfaiteurs  au  xvi<^  siècle 2,  68 

—  Notes  genevoises 3,   34 

—  Le  fléau  et  ses  parties '^*,   2>i 

—  Le  pauvre  cordonnier  (Nendaz  V) 6,   26 

—  Compte  rendu  de  E.  Herzog,  Neuframôsische  Dia- 

lekttexte        6.   30 

—  La  fée  de  Premploz  (Conthe\'  V) 7,   22 

—  La  peste  à  Nendaz  (V),  traditions  locales     ....  7,  46 


TABLE    GÉNÉRALE   DES    ANNEES    I-14  61 

JEANJAQUET,  J.  C^enevois  OU  Genevois  ? 7,  60 

—  La  harangue  patoise  de  David  Boyve  au  prince  de 

Xeuchâtel  en  161 8 U,  61 

—  Le  benêt  (Orsières  V) î),  20 

—  La  vieille,  chanson  populaire  (Hermance  (i)  .  9,  57 

—  Les  Cris  de    Genève 11,  85 

—  Le  placard  patois  de  Jacques  Gruet  (G)  .     .  12,  54 

—  Ritournelle    patoise  sur    les   jours  de  la  semaine 

(FNV) 14.   52 

—  Articles  étymologiques  (cf.  l'Index,  p.  64)     I,  40  ; 

2,  15  ;  3,  36  ;  5,  15  ;  47  ;  9,  26. 

JUD,  J.  Les  noms  des  poissons  du  lac  Léman  (avec  carte)  11,  3 
Meyi,ax,  L.  La  fouine  à  Ferdinand  Guignard  (Vallée  de 

Joux  Vd) 6,  22 

Muret,  E.  Additions  aux  proverbes  de  Lens  (V)  ....  4,  28 

—  Le  Château  d'amour 6,  33 

—  Etymologies  (cf.  l'Index,  p.  64) 7,  24 

—  Effets  de  la  liaison  de  consonnes   initiales  avec  s 

finale,  observés  dans  quelques  noms  de  lieu  va- 

laisans 11.  49 

—  Enquête  sur  les  noms  de  lieu  et  les  noms  de  famille  13,  3 1 

—  Au  souffle  de  la  vaudaire l'S.  37 

Neveu,  A.  Jeux  de  Xoël  (Leysin  Vd) -i,  2^ 

Odin,  L.  Le  tonnerre  (Blonay  Yd) 3,  61 

Patru,  E.  La  drogue  (Troinex  G) 7,  21 

Pfeiffer,  G.  Proverbes  recueillis  à  Lens  (V)  3,  3,  23  (cf.  4,  28) 
PiERREHUMBERT,  W.  Les  plaintes  d'une  cheminée  du  vieux 

temps  (Chaux-de-Fonds  N) 6,  S9 

—  Les   équivalents   d'«  importuner  » 9,  46 

PiGUET,  A.  La  fouine  à  Ferdinand  Guignard  (Vallée  de 

Joux  Vd) 6,  22 

RÉDACTION.  Au  lecteur 1,  i  ;  14,  57 

—  Les    salutations 3,  41 

—  Les  Brandons fi,  3 

—  Système  de  transcription    .     .      7,  2  ;  8,  2  ;  9,  2  ;  14,  68 
Reichi^en,  J.  Deux  chansons  populaires  fribourgeoises  .  10,  38 

ROSSAT.  A.  Fragment  des  Paniers 8,  7 

RUFFIEUX,  C.  Un  drôle  de  saint  (Gruyère  F) 8,  56 


62  E.    TAPPOLET 

Savoy,  H.  Le  hachis  de  la  Bénichon  (Veveys^F)     ...  2,  59 

SuRDEZ,  J.  Sonwe/ (Clos  du  Doubs  B) 2,  13 

—  Pronostics  et  dictons  agricoles  (Qos  du  Doubs  B)  .4,  16,  50 
Tappoi^ET,  E.  Mots  d'origine  allemande  pour  «  taureau  ».  1,  27 

—  L'agglutination  de  l'article 2,  3,  22,  37,  70 

—  Notes  jturassiennes  (B) 2,  14 

—  Les  quatre  saisons 3,  49 

—  Q.om.'çtQr&ndw.dç.  Historiettes  patoises  amusantes  {B).  4,  31 

—  Les  expressions  pour  «  volée  de  coups  » 5,  3 

—  La  fouine  à  Ferdinand  Gui gnard  {y à\\éeàç]ow^\ di)  6,  22 

—  «  Andain  » 7,  12 

—  La  préposition  à 7,  33 

—  Note  introductive  stxr  le  poème  des  Paniers  ...  8,  7 

—  Les  termes  de  fenaison 8,  26 

—  Le  regain  et  la  pâture  d'automne 10,  17 

—  Synonymie   patoise 13,  41 

—  Etymologies  jurassiennes 14,  41 

—  Table  générale l'i.  59 

Urtel,  h.  Autour  du  rhume 12,  3 

VoRUZ,  H.  Une  tuilerie  à  Lavaux  (Vd)  au  xvi"?  siècle  .     .  2,  17 


II.  Index  par  matières. 


Agglutination  2,  3,  22,  37,  70. 

Argot  2,  68. 

ArTICI^ES- SPÉCIMENS  du  Glos- 
saire :  brandons  6,  3  ;  —pré- 
position à  1.  33  ;  —  trilogie 
de  la  vie  9,  3,  33  ;  10,  3  ; 
13,  65  ;  14,  3  ;  —  regain  et 
pâture  d'autome  10,  17. 

Boyve,  David,  sa  harangue  8,  61 . 

Comptes  rendus  :  Historiettes  pa- 
toises  4,  31  ;  Herzog,  Dialekt- 
texte  6,  30  ;  Tobi  di-j-èlyudzo, 
Fourdèrâ  8,  59. 

Contamination  13,  46  (impor- 
tance) ;  7,  49*  ;  7,  50  ''  ; 
8,  38*  ;  14,  54 ^ 


Déglutination  2,  4 1 . 
Dérivation,  v.  Morphologie. 
Description  technique,  v.  Ency- 
clopédie. 
Encyci^opédie  :  baptême  9,  78  ; 

—  brandons  6,  3  ;  —  clo- 
chettes de  vaches  8,  17  ;  — 
enterrement  14,  21  ;  —  fe- 
naison 8,  26  ;   —  fenil  1,  30  ; 

—  fiançailles  9,  35  ;  —  fléau 
^'  Zi  '<  ~  fromage,  6,  14  ;  — 
lessive  2, 46  ;  —  mariage  9,  44  ; 
10,  6  ;  -  mort  13,  70  ;  - 
naissance  9,  4  ;  —  pâture 
d'autonme  10,  17,  ^z  ;  — 
pêche  6,  22,  55  ;   —  poissons 


TABLE    GENERALE   DES    ANNEES    I-14 


63 


11,  3  ;  —  regain  10,  17  ;  — 
rhume  12,  3  ;  —  rouet  3,  10  ; 
—  salutations  3,  41  ;  «trueille» 

1,  40  ;  —  tuilerie  2,  17  ;  — 
vents  2  ;  63  ;  3,  13  ;  10,  44  ; 
13,  62  ;  14,  },7. 

Folklore,  v.  Littérature  popu- 
laire. 

Glossaire  des  patois  de  la  Suisse 
romande,  histoire  et  organisa- 
tion 13,  3. 

Glossaire  de  l'Ajoie  .">,  42. 

Gram]maire  patoise,  voir  Pho- 
nétique, Morphologie,  Syn- 
taxe, cf.  Agglutination,  Dé- 
glutination,  Contamination. 

Omet,  J.,  placard  12,  54. 

Histoire  du  patois   1,   46,    57  ; 

2,  17,  46  ;  a,  61  (N)  ,  12,  40 
(Vd). 

Langue  littéraire  1,  9  ;  10,  71 
(Piémont) . 

Lexicographie,     voir     Encyclo- 
pédie,   Articles-spécimens, 
Glossaire. 

Limites   dialectales   3,    17  ;    cf. 

I,  23. 

Littérature  popui,aire  et 
FOl<Kl.ORE  :  Chansons  5,  49 
(Pernette);  9,  18  (baptême)  57 
(G);10,38(F);11,95(G);14.52 
(FNV).  —  Château  d'amour 
6,  33.  -  Contes  1,  33,  38;  2, 
26  ;  3,  30;  5,  17  ;  6,  22,  26  ; 
7,  22.  —  Cris  des  marchands 

II,  85.  —  Enigmes,  5,  8.  — 
Formulettes  5,  8.  —  Jeux  .de 
mots  3,  8.  —  Locutions  2,  9. 


—  Personnages  :  Pequin  1,33 
fées  2,  26  ;  7,  22  ;  Polyphème 

2,  30  ;  Catillon  i,  25  ;  (îui- 
gnard  B,  22;  cordonnier  6,  26; 
sorciers  et  sorcières  4,  25  ; 
(»,  2/  ;  benêt  9,  20  ^  ;  le  Sau- 
vage 12,  33.  —  Proverbes, 
pronostics,  etc.  3,  3,  23  ; 
4.  16,  28,  50  ;  8,  62  ;  9,  42  ; 
10,  5  ;  13,  68  ;  14,  7.  21.  - 
Randonnée  1,  33.  —  Cf.  aussi 
Encyclopédie,  Textes. 

Morphologie  :  Déclinaison  de 
l'article  et  du  pron.  démonstr. 
-.  3"' 3 3  '•  article  di.sparu  G, 
29  ®  ;  7,  3  -  ;  pronoms  12,  67  ; 
pronom  disparu  6,  29  »  ;  7, 
49*  ;  genre  7,  3  ;  8,  60  "  ;  13, 
48.  —  Conjugaison  12,  44,  67  ; 
imparfait  3,  34  ;  subjonctif  7, 
49*  ;  passé  défini  9,  26'.  — 
Suffixes  -ar  1,5';  diminutifs 
4,  41;  -inciis,  -anciis  7,  24  ; 
-èri,  -èrida  7,  40  ;  -ottus,  -ittus, 
8,  60  '*;  -asi^,  26*;  dérivation 

1.4. 

Nomenclature,  v.  Enc^xlopédie. 

Noms  de  lieux,  enquête  13,  31; 
4.  3;  8,  15;  11,49;  14.8. 

Onomasiologie  13,  43  (impor- 
tance) ;  10,  17  ;  pour  les  dé- 
tails. V.  Sj'nonymie. 

Paniers  8,  7  ;  14,  41. 

Phonétique  :  effets  de  ]';-  ap- 
puyée 1,  64  ;  accent  tonique 

3,  35*;  notes  valais.  6,  29; 
assimilation  de  voyelles  6,  29  *  ; 
Umlaut6,  29^-6'»;  14,  48  ; 


64 


E.    TAPPOLET 


-unum  et  -onem  >  on  7,  49^  ; 
e  atone  7,  60  ;  c  e,  i  et  s  après 
w, /,  9,  31  ;  13.  63;  14,  37; 
s  finale  2,  3 1  ;  s  finale  en  Pié- 
mont 10,  40  ;  liaison  n  8,  60  ^  ; 
s  8,  60''-'  ;  II,  49  ;  sp  11.  59  ; 
spl  11,  62  ;  si  11.  66  ;  se  II, 
69  ;  s  11,  74  ;  ski  11,  81  . 
a  final  12,  41  ;  notes  genev. 
12,  66. 

Placard  Gruet  12,  54  (G). 

Préposition  à  7,  32. 

Provincialismes  1,  10  ;  13,  19; 

Suffixes,  V.  Morphologie. 

Synonymie  :  importance  13,  41; 
abri  1 ,  5  ,  56  ;  andain  8,  29  ; 
clochettes  de  vache  8,  17  ; 
étendre  le  foin  8,  32;  fléau  4, 
T,^  ;  fenaison  (tableau)  8,  53  ; 
fromage  6,  14;  13,  58  ;  herbe 
non  coupée  8,  3 1  ;  importuner 
9,  46;  jour  et  nuit,  etc.  13,  53  ; 
lait,  etc.  13,  55  ;  mourir  14, 
14  ;  neiger  8,  3  ;  pâture  d'au- 


tomne 10,  17,  32  ;  pleuvoir  8, 
3  ;  poissons  11,  3  ;  ramasser 
8,  ^y  ;  regain  10,  17,  22,  25,  29; 
rhume  12,  3  ;  rouleau  de  foin 
8,  38  ;  saisons  3,  49  ;  sommeil, 
etc.  13,  51  ;  tas  de  foin  8,  42; 
volée  de  coups  5,  3. 
vSyntaxe:  verbe  réfléchi  1,  63  ; 
correspondance    des    temps 

7,  49*;  il  a  eu  vu  5,  39^*;  9,  26  ^ 
Textes  :  bernois  2,  13;  5,  59  ; 

8,  7  ;  —  fribourgeois  2,  59  ; 
4,  25  ;  «,  53  ;  8,  56  ;  9,  18  ; 
10,  38  ;  14,  52;  —  genevois 
1,    25  ;  3,   30  ;  4,  58  ;  7,  21  ; 

9,  37  ;  11,  85;  12,  54;  -  neu- 
châtelois  1,  38  ;  2,  46  ;  0,  59  ; 

8,  61  ;   14,    54;    —    valaisans 

1,  33  ;  2.  26  ;  6,  26  ;  7,  22,  46  ; 

9,  20;  14,  55  ;  —  vaudois  1,70; 

2,  54  ;  3,  60,  61  ;  4,  23  ;  5,  17  ; 
(î,  22  ;  8,  23;  9,  24;  10,  8. 

Transcription,  système  du  Bul- 
letin 7,  2;  8,  2  ;  9;  2  ;  14.  68. 


III.  Index  des  principaux  mots  étudiés. 

Pour  les  noms  de  poissons,  voir  l'index  spécial  11,  47. 

«  aringue  »,  discours  9,  50. 
arpyézo,  fromage  6,   15. 
fltsivo,  adieu  3,  46. 
attédier,  9,  53. 
avalanche,  7,  25. 
avoulya,  tas  de  foin  8,  47. 
axlsna,  soigner  le  bétail  7,  58. 
barnai,  hérétique  9,  60. 
batèyi,  baptiser  9,  15. 
batsi,  baptiser  9,  16. 


à,  7,  33. 

adana,  nourrir  le  bétail  7,  58 

aglan,  gland  2,  23. 

agri,  ennui  9,  62. 

akvon,  rouleau  de  foin  8,  40. 

andain,  7,   12. 

anrofnè,  enrhumé  12,  14. 

apèdzi,  coller  9,  26  '**. 

«  aquepiller  »,  ennuyer  9,  5 1 

aradzo,  sauvage  9,  61. 


TABLE    GENERALE   DES    ANNEES    I-I4 


65 


«  bisse  »,  canal  d'irrigation  8,  13. 
bœniâ,  heureux  11,  84. 
boron.  rhume  12,  17. 
bouètcha,  herbe  non  coupée  8,  32, 
«bousarder»,  quereller  9,  52. 
«  bringue  »,  9,  50. 
«  campane  »,  clochette  8,  21. 
catarrhe,  12,  6. 
cetoiir.  cellier  9,  26. 
charme,  12,  22. 
chataino,  v.  satamo 
Chaux-de- Fonds,  4,  3. 
chsjin,  gracieux  7,  57. 
Chermontane,  8,  15. 
«chiner»,  chicaner  9,  53. 
chdbèr,  rhume  12,  27. 
chvits,  taureau  1,  28. 
«  cordière  »,  brebis  9,  61. 
dan{tin),  automne  3,  54. 
«  dégremillé  »,  dégourdi  8,15. 
délâo,  chagrin  7,  56. 
dènîn,  belle-mère  14,  41. 
«  déquepiller  »,  débarrasser  7,58. 
dèsiivi,  contrefaire  11,  84. 
détchpouèna,  dévêtu  7,   50. 
di,  dés  7,  50  '". 
djir(è),  aussi  7,   51. 
dj(ÉtndfÏ3,  châtier  14,  43. 
djoran,  vent  local  3,  14. 
è-dèrbalâ,  assommer  7,  57. 
«  écorne  »,  corne  2,  24. 
édroudji,  enrhumé  12,  15. 
égarzin,  eau-de-vie  3,   36. 
eitchyèva,  heure  de  la  traite  1,43. 
émotcharnè,  enrhumé  12,  12. 
«empédger»,  poisser  9,  52. 
enchifrené,  12,  17. 
«  encoubler  »,  9,  5  i, 


«ennioler»,  ennuyer  9,  52. 

enterrement,  14,  19. 

«  entrèves  »,   information  5,  15. 

épancher,  8,  ^^. 

épey,  peut-être  12,  68. 

èrba,  automne  3,  55. 

ètantchi,  épandre  13,  46. 

ètâva,  latte  7,  57. 

étrio,  sorcier  14,  46. 

fèrmalyè,  fiançailles  9,  T)2)- 

fethaiila,  saucisse  13,  87. 

fluxion,  12,  8. 

fochèla,  poitrme  2,   16. 

fori,  fortin,  printemps  3,  51. 

frèzèrè,  du  coup  7,  53. 

«froid»,  refroidissement  12,  10. 

garzin,  eau-de-vie  3,   36. 

genevois,  7,  60. 

gourme,  12,  30. 

goutte,  12,  7. 

graoba,  tartre  12,   15. 

grippe,  12,  10. 

inbomâ.  se  heurter  12,  24. 

indari,  automne  3,  54. 

ingrœba,  enrhumé  12,  15. 

inkrèvsna,  enrhvuné  12,  10. 

inpyorna,  enrhumé  12,  12. 

inroupya,  enrhumé,  12,  12. 

intèrâ,  enterrement  14,  21. 

intoutcha,  enrhumé  12,  10. 

invouâ,  étendre  8,  -^^^i- 

ivro,  pis  2,  5 . 

«  joran  »,  vent  local  3,  14. 

jupon,  7,  51. 

konia,  herbe  non  coupée  8,  31. 

koto,  (faire)  semblant  2,  34. 

kouini,  dosse  2,  34. 

koutsè,  sommet  8,  47. 


66 


E,    TAPPOLET 


koveiy),  coffin  2,  34. 

kraizu,  ancienne  lampe  5,  38, 

kiinyu,  gâteau  2,  35. 

kiiti  paryâ   couteau   à  égaliser 

2,  35- 

kvi,  accorder  7,  53. 

lan,  planche  6,  62. 

lannerie,  fête  6,  2>7>  62. 

lavon,  planche  6,  62. 

hvva,  soigner  les  bêtes  7,  32. 

liama,  vite  7,  53. 

livro,  pis  2,  5 . 

Ion,  planche  6,  62. 

lôvr,  veillée  3,  2)^. 

mani,  bœuf  1,  28. 

ma°rè,  étendre  le  foin  8,  32. 

mariage,  10,  3. 

marier,  9,  38. 

«  mayen  »,    pâturage    de    prin- 
temps 7,  27. 

menau,  menaniho ,\iei\la.Td IS,  85. 

mort,  13,  65  ;  14,  3. 

■moue,  tas  8,  46. 

rnouni,  taureau  1,  28. 

mourir,  14,  10. 

naître,  9.  6. 

nichts,  rien  2,  10,  -^6,  70. 

nixlya,  rhume  12,  27. 

norts9,  sorcière  2,  39. 

nûnbîn,  imbécile  14,  44. 

nût,  V.  nichts. 

œiidèna,  espèce  d'herbe  1,  45. 

ourno,  bœuf  1,  27. 

«  pâquier  »,  pâturage  10,   2>S- 

pâture  10,  37. 

psfâ,  diable  1,  28. 

père,  espace  fauché  8,  29. 

petœfe,  rhume  12,  29. 


pila,  omelette  1,  29. 

piron,  tas  8,  43. 

potatchnotè,  petit  pot  1,   ;. 

potayma,  rhume  12,  29. 

pr<')3,  troupeau  7,  54. 

«  quinquerne  ».    instrument    de 

musique  9,  49. 
«  raveur  »,  chaleur  7,  55. 
rdkor,  regain  10,  17,  20. 
yakordon,  regain  10,  30. 
r9mouints9,  partie  d'alpage  7,  30. 
repas,  10,  34. 

repé,  pâturage  d'automne  10,  32. 
rètrindrè,  serrer  8,  ^y. 
rhume,  12,  4. 
rien,  v.  nichts. 
rlédji,   (se)  réjouir  7,   ^2,. 
mat,  rud,  carré  de  foin  8,  34. 
vu'/lyo,  vent  10,  44. 
salyi  {frou),  printemps  3,  52. 
satamo,  repas  de  funérailles  5, 47 . 
«  segneule»,  ritournelle  9,  48. 
semoraiil,  juin  3,  14. 
sérassia,  laitage  11,  97  •^'. 
servadzo,  sauvage  12,  ^^i- 
sèta,  sabbat  1,  67. 
sdtoiir,  cellier  9,  26. 
sève,  andain  8,  30. 
sira,   beau-père  14,   41. 
sonnaille,  8,  19. 
svèy,  andain  8,  30. 
tchard'tr,  érysipèle  1,  67. 
tchéyon,  tas  8,  43. 
tchoup,  herbe  non  coupée  8,  3 1 . 
tetss,  tas  8,  50. 
tioupèr,  jacinthe  11,   84. 
tir&,  rouleau  de  foin  8,  39. 
touaba,  serviette  2,  15. 


TABLE    GÉNÉRALE    DES   ANNEES    I-I4 


67 


ioitla,  rouleau  de  foiu  }{,  39. 
toiipin,  clochette  8,  20. 
«  triole  »,  rabâchage  9,  5 1 . 
«  trueille  »  serre-charge  I,  40. 
tsa,    particule    distributive 

7,  50  ''. 
tsiron,  tas  8,  42. 
tyin,  culot  7,  58. 
tyueidè,  serviette  2,  15. 
ubèr,  vent  2,  63. 


val{a)moH,  tas  de  foin  8,  45. 
«  vaudaire»,  vent  10,  46;  13,  6: 

14, 37. 
vs'duigrs,  troupeau  7,  54. 
vichpyon,  crayon  7,  55. 
viole,  9,  49. 
vouaytn,  regain  10,  25. 
«  vouingue  »,  cric  9,  48 . 
yinda,  fromage  (>,  15. 


IV.  Table  des  illustrations. 

Baptême  à  vSavièse 9,    16 

Baptême,  tapis  de 9,    19 

Carte  des  liinites  dialectales  de  la  Suisse  romande  .     .  3,    16 

Carte  des  noms  de  la  fera  en  Suisse 11,  46 

Clochettes  de  vaches 8,   24 

«  Craizu  »,  ancienne  lampe 'y,  ^^ 

Crêpe  de  deuil  (manti) 1-^.   30 

Knterrement  en  Valais li,   24 

Fenil  aux  Ormonts 1,   30 

Fléau  et  ses  parties i,   39,  40 

Foin,  divers  modes  de  séchage 8,  34-36 

Foin,  chargement  du  char 8,  48,  49 

Lutry,  croquis 5,    16 

Mortier 5,  40 

Placard  (^ruet,   fac-similé 12,  64 

Rouet 3,    10 

«  Trueille  »  pour  serrer  la  corde  des  fardeaux  .     .     .     .  1,41 

Serpe  {vyaudzo) 5,  40 

E.  Tappolet. 


SYSTEME   DE  TRANSCRIPTION 

A.  VOYELLES 

a,  è,  é,  i,  n,  ou  ont  la  même  valeur  qu'en  français. 

/)  =  o  ouvert  (comme  dans  bord    [bàr']). 

ô  z=:  o  fermé  {[)eaii  [pà]). 

ce  ^=-  œ  ouvert  (b^?/rre  \bàr^. 

œ  ^=  ce  fermé  (Jeu  [fœ]). 

e,  o,  ce  sans  accent  sont  des  voyelles  moyennes. 

9  (e  renversé)  =  e  sourd  (brebis  [br^bi]). 

an,  in,  on,  tm,  sont  les  voyelles  nasales  des  mots  français  temps 

[tan],  main  [min],  rond.  [ron\  \unà\  [lundi], 
in,  tin,  oun  désignent  les  nasales  de  /,  tt,  ou,  qui  ne  se  trouvent 

que  dans  certains  patois  du  Jura  bernois  et  du  Valais. 
à,  voyelle  intermédiaire  entre  a  et  à. 
a  ^  è  très  ouvert. 

Les  diphtongues  sont  notées  ay,  èy,  oy,  aou,  œu,  etc.,  o\iya,yè, 
yo,  oua,  uœ,  etc.,  suivant  la  nature  et  le  mode  de  combinaison 
des  éléments  qui  les  composent. 

B.  CONSONNES 

à,  p,  d,  t,  j,  ch,  V,  /,  s,  z,  l,  m,  n,  r  ont  le  même  son  qu'en  français 

g  représente  partout  le  son  dur  de  ^oût  [gou]. 

k  f  ■»  ■>  coup  [kou]. 

ly  ■=.  l  mouillée  dans  l'ancienne  prononciation  ta/V/e  [taly]. 

ny  ■:=.  n  mouillée  comme  dans  vi^we  \oiny]. 

y  s'emploie  comme  dans  le  français  j'eux  [yé],  fus/on  {^fxisyon], 

p/ed  \^pyé]. 
h  =  aspiration  semblable  à  celle  de  l'allemand  hoch. 
i9  =z  son  du  t/i  dur  anglais. 
p  =  son  du  th  doux  anglais. 
X  =  son  de  l'allemand  \c/i  ;  h  =  son  de  l'allemand  ac/i. 

C.  GÉNÉRALITÉS 

Les  voyelles  particulièrement  longues  sont  surmontées  d'un 
tiait  horizontal  :  â,  etc. 

Les  sons  faiblement  articulés  sont  notés  en  caractères  plus 
petits,  par  exemple  a*,  a^,  ow,  etc. 

Un  petit  trait  sous  une  voyelle  (a)  indique  qu'elle  porte  lacent 
tonique. 


r.*' 


PC       Bulletin  du  glossaire  des 
314-1        patois  de  la  Suisse 
B8  romande 


•w 


mm 


m 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


:■•  \  Vt»