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AU LECTEUR
En entreprenant la publication d'une petite feuille
périodique, la rédaction du Glossaire des Patois de la y-^/jt
Suisse romande a pensé qu'elle pourrait être agréable *^ y^
à plusieurs catégories de lecteurs. ^K^ "/■ *3
Elle a songé tout d'abord à cette vaillante cohorte >^iv '
de collaborateurs, qui, depuis deux ans à la tâche, ( ^
ne se lassent pas de répondre mois après mois à nos
multiples questionnaires. Bien du temps s'écoulera
encore avant qu'ils puissent voir le fruit de leur tra-
vail et de leur dévouement. En attendant, ils seront
certainement heureux de trouver dans le Bulletin un
guide qui s'efforcera de leur montrer l'intérêt (ju'offre
l'étude des parlers populaires, qui mettra sous leurs
veux des spécimens variés de nos différents patois,
des recherches sur leur histoire et leur littérature, et
qui fera ressortir par un examen comparatif la richesse
et la diversité de leur vocabulaire.
Mais ce n'est pas seulement à ceux dont le con-
cours est déjà acquis au Glossaire que s'adresse notre
Bulletin. Son but principal est bien plutôt d'intéresser
à cette entreprise nationale les nombreuses personnes
qui n'ont pu lui témoigner jusqu'ici qu'une sympathie
toute passive. Le Bulletin^ destiné à frayer la voie à
Iceuvre future, établira un lien entre la rédaction et
tous ces collaborateurs ignorés, patoisants pratiquants
ou simples amateurs, qui n'attendent qu'une occasion
pour se révéler. Mis au courant de nos travaux, ils
pourront désormais y prendre part: ils compléteront
nos matériaux, ils préciseront et développeront nos
renseignements, ils nous signaleront les mots rares et
curieux. A leur instigation, l'artisan, le chasseur, le
pécheur nous communiqueront ces termes originaux
qu'ils sont presque seuls à connaître : en un mot cha-
cun contribuera dans la mesure de ses forces à l'avan-
cement de l'œuvre commune. C'est à ce prix seulement,
par le concours de toutes les bonnes volontés, que
nous pourrons espérer créer un ouvrage qui soit vé-
ritablement ce qu'il doit être : l'image fidèle et vivante
de notre vieille civilisation romande, telle qu'elle se
reflète, sous ses aspects si divers, dans une langue
bientôt disparue.
Enfin nous n'oublierons pas que les patois de la
Suisse française occupent une place d'honneur dans
les recherches scientifiques consacrées aux dialectes
gallo-romans. Par leur variété et leur originalité, ils
offrent au philologue une mine inépuisable de rensei-
gnements précieux. Ce qui a été mis au jour jusqu'à
présent est bien peu de chose en comparaison de tout
ce qui reste encore à trouver. L'élaboration du Glos-
saire nous amènera tout naturellement à nous occuper
de bien des problèmes, étymologiques ou autres. En
les soumettant aux romanistes, en les invitant à en
rechercher avec nous la solution, nous sommes cer-
tains de faire œuvre utile à la science et de rencon-
trer auprès de ses représentants un accueil favorable.
La Rédaction:
L. Gauchat, J. Jeanjaqiiet, E. Tappolet.
NOS PATOIS ROMANDS
Des civilisations diverses n'ont cessé, depuis les
temps les plus reculés, de rouler leurs flots envahis-
sants vers notre patrie: la civilisation latine, aujourd'hui
italienne, a conquis et conquiert tous les jours par la
domination de la pensée notre canton du Tessin, la
civilisation gauloise, maintenant française, cherche à
imposer aux cantons romands les goûts et, jusque dans
ses moindres inflexions, le parler de Paris, la ville des
villes, enfin la civilisation germanique ou allemande
établit des rapports entre le cœur de la Suisse et
les pays d'outre Rhin jusqu'aux pays Scandinaves,
les derniers au Nord où l'homme sent et pense. Les
flots venant du Xord et du Sud se sont brisés contre
les Alpes, barrière qu'ils n'ont jamais réussi à franchir
définitivement. La chaîne du Jura a servi de contre-
fort à la population romande. L'invasion germanique
a fait halte non loin du pied de ces montagnes et des
lacs de Bienne, Morat et Xeuchàtel, formés par les
eaux du Jura. Ce sont ainsi nos montagnes qui ont
divisé nos ancêtres en leur donnant des langues si
diverses. Mais les Alpes nous ont aussi unis. Grâce
à une nature grandiose, mais stérile, il s'est formé sur
les flancs des Alpes un peuple fort et guerrier d'agri-
culteurs et de patres. Bien qu'ils eussent de la peine
à se comprendre, nos rudes ancêtres ont voulu avoir
la même histoire, une histoire qui nous parle de nom-
breuses luttes pour l'indépendance dans le domaine
L. GAUCHAT
de la politique comme dans celui de l'esprit. Le fils
des Alpes n'était pas fait pour être esclave!
La montagne explique ce contraste étrange du
caractère à la fois national et cosmopolite des Suisses:
les civilisations les plus différentes ont trouvé un écho
dans nos vallées ; la lutte incessante contre un sol
ingrat a resserré les liens entre ces races différentes.
Famille fière et paisible, dont les membres ne se res-
semblent pas !
Aujourd'hui les temps ont bien changé ! Les villes,
qui étaient autrefois sous le joug de la campagne,
exercent une tyrannie croissante. L'agriculture se retire
devant l'industrie, le respect des Alpes diminue, on
creuse des tunnels dans le roc le plus dur, on conduit
un chemin de fer au sommet de la lungfrau ! Les bar-
rières tombent, les diverses influences se confondent,
le caractère national s'efface.
L'histoire de nos patois romands a subi le contre-
coup de Ihistoire nationale. Une langue qui a servi pen-
dant deux mille ans à exprimer les pensées d'un peuple
montagnard s'éteint en soixante ans ! On ne peut pas
s'empêcher de frémir à l'idée qu'un travail de vingt siècles
puisse se perdre en si peu de temps. Car une langue
représente un travail de pensée énorme. Tandis que
la langue littéraire craint plutôt le néologisme, le
patois le favorise, en est une source abondante et
intarissable. Au moyen d'un nombre relativement res-
treint de suffixes, le patois s'est constamment enrichi
de nouveaux dérivés. L'interjection yoiip' donne nais-
sance au verbe yotipè (Jura bern.) = lancer en l'air;
le mot po (pot) engendre le diminutif potè^ puis, le
NOS PATOIS ROMANDS
sens diminutif de ce dernier mot s'étant affaibli avec
le temps, on a formé le mot pbtatchè^ au moyen des
suffixes acais et ïttiis (pat. neuch.). De là on est arrivé
à créer le mot pbtatchttbtè désignant un tout petit
pot de rien du tout, mot formé à l'aide de quatre
suffixes diminutifs, et qui donnerait, si on le traduisait
en latin, la forme barbare: potaccottottittus.^ Le sens
d'un mot peut insensiblement se rétrécir ou s'élargir,
le mot fan^ de /ajues, cesse de signifier seulement /a
faim et prend dans les patois vaudois le sens plus gé-
néral dH envie : l'avcT prao fan de la inarya = il avait
beaucoup envie de l'épouser (Favrat).^ On trouve des
noms pour toutes sortes de choses, qui manquaient de
désignation spéciale. Ainsi le gruyérien a trois mots
différents pour désigner l'idée d'abri: èvri = abri
contre le vent, chod-a = abri contre la pluie (de
* Le suffixe -dr (du latin -ator, curieux reste du nominatif)
sert, par exemple en gru3-érien, à désigner la personne qui exerce
un certain métier. Grâce à ce moyen de dérivation celui qui
fait les corbeilles s'appelle on kr^bilyâr, le coutelier: ou koii-
talâr, rémouleur Li niàlOr; ainsi on a formé les mots h kitalO.r
= fabricant de pots en terre cuite, U prèyâr =^ le prieur, /<'
plyàrâr = le pleurnicheur, li ron/lyâr = le ronfleur, etc. etc. Je
connais une bonne soixantaine de ces mots en -âr.
- On bàkon, qui n'a que la signification de morceau dans le
canton de Neuchâtel, signifie un peu dans les cantons de Fribourg
et de Vaud : oyi bàkon de pa/yins3, on bàkon plyd fou = un peu
plus tôt ; mnnèyl, qui a dû avoir le sens plus général de manier,
prend chez nos agriculteurs le sens spécial de «préparer la
vache à donner son lait». Ost, le mot pour oiseau, sert aussi
à désigner spécialement une planche ronde montée sur quatre
pieds qui reposent sur deux traverses et que nos vachers em-
ploient au transport d'une pièce de fromage ou d'autres fardeaux.
L. GAUCHAT
Sîibstaye^ se mettre dessous) et la tson.ma = abri
contre le soleil et les mouches. Dans le canton de Neu-
chàtel on rencontre un terme spécial, Id inyéd\ pour
l'abri contre le soleil du midi.' Notons en passant que
cette évolution a son côté poétique- (onomatopée,
métaphores). Tout ce grand travail de dérivation,
d'extension et de spécialisation a commencé à l'époque
primitive de nos patois et dure toujours, par exemple dans
les vallées latérales du Valais où le dialecte est encore
très vivace.
Un autre travail, lent mais inconscient, est l'ac-
tion des lois phonétiques ou morphologiques qui ont
insensiblement changé la physionomie du latin vul-
gaire qui est à la base de nos dialectes. Et comme
les tendances phonétiques ou habitudes de parler, les
occupations et les mœurs, la façon de voir les choses,
diffèrent d'un village à l'autre, plus fortement encore
' Notre vocabulaire étant celui d'un pays froid, qui ne
connaît guère le printemps, contient beaucoup de termes rela-
tifs à l'hiver et à ses rigueurs, comme un nèva, tombée de neige
passagère au printemps, la pous' = fine poussière de neige, la
kramina = froid intense, la rdbuza, retour du froid au printemps,
etc., etc. Tous ces termes n'ont pas d'équivalents directs en français.
^ Ainsi la lune est appelée la bal, la belle, dans une partie
du canton de Neuchâtel. Les jeunes gens sont nommés en Gruyère
des gracieux ou des gracieuses. Ils se disent: bonjour, gracieux,
gracieuse. L'eau-de-vie est appelée fil d'archal, fyèrtsô, parce
qu'elle descend comme un fil de fer. On pourrait citer aussi
toutes les jolies locutions qui dénotent l'esprit satirique de nos
paysans: «fier comme la justice de Berne», «il fait sa Sophie»,
c'est-à-dire la demoiselle sage, ou, d'un ajustement porté d'une
manière ridicule: «cela lui va comme un tablier à une vache»; les
Genevois disent : « cela lui va comme des manchettes à un cochon ».
NOS PATOIS ROMANDS
d'une vallée ou d'un canton à l'autre, ce grand travail
s'est accompli différemment dans les diverses parties
de la Suisse romande, et le latin vulgaire plus ou
moins uniforme s'est transformé en une foule de patois
dissemblables, à tel point que deux Vaudois, un habi-
tant de la vallée de Joux et un Ormonnin ont de la
peine à se comprendre. Rien de plus intéressant c[ue
d'étudier la façon dont nos patois rendent un groupe
d'idées, par exemple la teruiùiologie du vigneroii^ de voir
le petit fonds de termes latins que nos viticulteurs ont
hérité des Romains s'accroître, se doubler, se tripler,
s'augmenter de termes tirés de l'allemand, etc., de
sorte qu'aujourd'hui chaque patois possède environ 200
termes de vigneron, qui cependant sont si variés d'un
canton à l'autre quon arrive à un total d'environ 550
termes pour la Suisse romande.^
Toute cette étonnante variété de sons, de mots,
de formes est destinée à périr. La langue française
étend ses bras de pieuvre jusque dans nos plus hauts
chalets. Comme le feu détruit en une nuit une maison
qui a résisté pendant des siècles aux tempêtes les
plus fortes, les patois sont supplantés en peu de temps
par leur sœur plus fortunée, la langue littéraire.
Aujourd'hui le canton de Neuchàtel a complètement
abandonné le patois. Il en a été l'ennemi le plus radi-
cal et en a été récompensé par la réputation qu'il
sest faite de parler le bon français. Le district de la
montagne, où l'industrie horlogère s'est le mieux accli-
matée, s'est plus radicalement débarrassé du dialecte,
^ Voir à ce sujet l'intéressante étude de M. L. Gignoux dans
la Zeitsclirift fi'ir romanische Philologie, XXVI (1902).
L. GAUCHAT
que par exemple la contrée plutôt agricole du\"al-de-Ruz.
A la montagne on a vu le patois s'en aller en 40 ou 50 ans.
Une génération s'est mise à parler français aux enfants.
Ceux-ci, qui entendaient les vieux jacasser entre eux,
comprenaient encore le patois sans le parler; pour la
troisième génération le dialecte était déjà devenu in-
intelligible, une espèce de langue secrète, dont les
vieux se servaient lorsqu'ils ne voulaient pas être
compris. Un jour, je m'adressais à une vieille du Val-
de-Ruz en lui demandant : Savez-vous le patois ? Elle
me répondit: Pourquoi? Est-ce qu'il y a des oreilles
de trop par ici? Voilà où en est arrivé le patois dans
ce canton. Il végète dans le canton de Vaud, il est déjà
fort entamé dans le canton de Genève, il perd tous les
jours du terrain dans les cantons catholiques : Fribourg,
Berne et le Valais. A la fin de ce nouveau siècle il
n'y en aura plus trace!
Cette disparition, qui paraît subite, est préparée de
longue date. Dès le XIIP siècle, à l'époque où Ion cesse
d'écrire les documents uniquement en latin, le français
apparaît dans nos vallées. A part quelques rares ex-
ceptions, ce n'est qu'au XIX*" siècle qu'on a songé à
écrire en patois. On a attendu que cette langue fût
méprisée et ridicule, pour l'employer à raconter des
bourdes, toutes sortes de mésaventures, où Jean-Louis
joue un rôle comique. J'excepte la chanson populaire,
qui partout revêt le costume du pays et qui chante
en patois, surtout dans les cantons de Fribourg et de
Berne, tout ce qui émeut le cœur d'un villageois ou
d'une villageoise.
Nous n'avons ainsi presque pas d'anciens textes
NOS PATOIS ROMANDS
patois et il est extrêmement difficile de reconstituer
l'histoire de nos dialectes. Depuis le XIIP siècle, la
langue littéraire s'y est insensiblement infiltrée, d'abord
dans les villes, ensuite à la campagne. Pendant sept
siècles les patois ont réussi à absorber l'élément
étranger, à se l'assimiler, si bien qu'il est souvent
difficile aujourd'hui de reconnaître ces intrus d'autre-
fois. Ainsi la forme valaisanne pir9 pour père a l'air
bien patoise, mais la vieille forme pard, qui existe
encore pour désigner le mâle des animaux, et l'ana-
logie de formes comme férd^ prononcé aujourd'hui
/?r?, nous montrent qu'il s'agit du mot français pro-
noncé d'abord perd (forme qu'on retrouve dans les
autres cantons), cjui a dans la suite subi la loi pho-
nétique moderne d'après laquelle e devient / dans
certaines contrées du Valais. Au XIX" siècle, le poids
du français est devenu plus lourd, et le patois a cédé.
Les raisons de ce phénomène sont multiples et varient
selon les contrées. Les plus énergiques agents du fran-
çais ont été l'instruction (les écoles), l'industrie, le
service militaire, la religion protestante, en un mot la
culture supérieure du XIX® siècle, fruit du rationa-
lisme du siècle précédent. Si \"oltaire avait été un
Italien, le remplacement du patois par la langue litté-
raire aurait peut-être commencé dans le Tessin.
Faut-il blâmer nos paysans d'avoir d'un cœur si
léger oublié leur langue maternelle, la langue dans
laquelle leurs parents s'étaient juré un amour éternel,
l'idiome que leur mère chantait en les berçant, ces
doux sons qui avaient d'abord frappé leur oreille?
N'ont-ils pas échangé la langue du cœur contre la
L. GAUCHAT
langue de la raison? Je ne le crois pas. La langue
n'est qu'un instrument. Ce n'est pas une partie orga-
nique de notre être, et celui qui échange son vieux
patois contre la langue polie et châtiée de tout le
monde n'est pas plus coupable que celui qui troque
sa vieille charrue de bois contre un instrument de fer,
perfectionné, importé d'Amérique. Le nouvel outil est
plus commode, cela en justifie assez l'emploi. Et du
reste, l'ancienne charrue était dans un triste état, ron-
gée par l'âge comme elle l'était. De même le patois
ne se rend qu'après avoir épuisé ses forces dans ce
combat inégal. Le patois qui s'éteint ne ressemble
pas à l'arbre fruitier que le vent arrache au sol natal,
mais à un vieil arbre dont le tronc est pourri et au-
quel la sève vitale manque. Et pourtant le dialecte ne
succombe pas sans avoir grièvement blessé son ad-
versaire. Les blessures que le français reçoit en cher-
chant à terrasser le patois s'appellent provincialismes.
La langue nouvelle est prononcée d'abord d'une façon
horrible, les sons patois se confondant avec les sons
français. De là les parfèt9niàïn ; t vœ byintô vni\ etc.
des Vaudois. Une foule de mots qui ne sont que du
patois francisé, comme 7i7ie Irahie = épidémie, gicler
= faire Jailiir, etc., émaillent le discours des transfuges.^
Il y aurait là d'intéressantes études à faire sur le choix
' Voici une phrase tirée de l'introduction des Scènes vait-
doiseSy de M. Cérésole : « ma bonne mère vaudoise qui se piquait
de savoir parler, disait à sa fille quittant le pays pour entrer en
place à Paris : Eh bien, adieu ! . . . ma Fanny ... et puis ... tu sais !
tu ne feras pas la batoille; tu n'iras pas te cougner contre les mer-
mites et surtout, tu tâcheras voir de parler bientôt français ! »
NOS PATOIS ROMANDS
de ces derniers rejetons du dialecte, sur les mots fran-
çais employés à contresens. On s'est contenté jusqu'ici
de collectionner soigneusement ces expressions, dans un
but pratique, afin de mettre les Suisses romands et les
étrano-ers en g-arde contre l'emploi abusif de ces mots. On
s'en sert aussi pour se moquer de la maladresse des nou-
veaux adeptes du français. En d'autres termes: on les
a mis à l'index, on les couvre de honte ! Honneur à
M. A. Cérésole et à nos romanciers neuchàtelois (jui
les emploient dans un but purement poétique.
La charrue de fer ne produit guère d'abord de ré-
sultats supérieurs à ceux de la charrue de bois. Il faut
apprendre à la manier. Et plus d un ne peut s'em-
pêcher de contempler avec un léger soupir l'instru-
ment qu'il a jeté avec tant d'empressement. Cet outil
qui a passé de père en fils depuis tant d'années mé-
rite-t-il le mépris avec lequel on le traite? N'a-t-il pas
été le témoin de tant de scènes de famille gaies ou
pénibles. N'est-il pas devenu un peu le symbole du
labeur des pères, sans lequel nous ne serions pas ce
que nous sommes? Mais il faut se décider, on ne peut
pas employer tantôt l'une, tantôt l'autre des charrues.
L'emploi de deux langues, gênante même pour
des lettrés, comme cela se voit dans la Suisse alle-
mande, est un fardeau trop lourd pour un paysan.
Après une époque de tâtonnements, il réussira à mieux
manier son nouvel ouiil et ne regrettera plus l'ancien.
Et d'ailleurs, il serait insensé de vouloir s'opposer
à la marche du temps. Comme une vieille tour pitto-
resque mais barrant le passage, qui doit faire place
à un tramway électrique, le patois devra reculer de-
L. GAUCHAT
vant la langue française, plus souple, plus riche, unique,
compréhensible à tout le monde, plus élégante, plus
noble, glorieuse d'un grand passé littéraire et destinée
à un grand avenir.
Mais que les brillantes qualités de la langue litté-
raire ne nous fassent pas méconnaître celles du patois.
On a répandu sur son compte bien des idées fausses,
que je tiens à signaler brièvement. On a prétendu que
le patois était incapable d'exprimer des idées s'élevant
tant soit peu au-dessus des choses les plus ordinaires.
Comme si nos pères n'avaient eu que des idées ba-
nales, tandis que nous, grâce au français, formerions tout
à coup un peuple de sages! On peut être philosophe
en patois et très vulgaire en français! Le poète pro
vençal Mistral n'a-t-il pas traité les sujets les plus su
blimes dans la langue sonore et gracieuse des Félibres
N'avons-nous pas les livres si profonds de Gotthelf,
écrits en mauvais allemand et pensés tout en patois
On a dit que le patois était pauvre. Evidemment
chaque patois, pris isolément, ne peut pas être com
paré à la langue littéraire. Mais l'ensemble des patois
français est infiniment plus riche que le vocabulaire
de l'Académie française. Si l'on dressait l'inventaire de
tous les dialectes parlés des Pyrénées à la Meuse, on
serait émerveillé de l'incomparable variété de termes
pour les mêmes objets. Comparez le glossaire du doyen
Bridel à des vocabulaires de régions limitrophes, comme
le dictionnaire lyonnais de Puitspelu ou le glossaire
de Bournois, par Roussey, vous serez obligé d'avouer
que vous vous trouvez en présence de langues totale-
ment diverses et à vous inconnues. Quels trésors de
NOS PATOIS ROMANDS 13
termes expressifs, d'images pittoresques, de locutions
bien trouvées auxijuels la langue littéraire a tourné
le dos avec un profond dédain ! Et la plus grande
partie des néologismes français ne proviennent-ils pas
au fond de l'argot parisien, qui n'est pas autre chose
qu'un patois toujours naissant! La plupart des modi-
fications phonétiques de la langue française nont-elles
pas toujours été dictées par les gamins de Paris !
Le patois est laid, a-t-on dit. Mais n'a-t-on pas
toujours trouvé laid ce qu'on ne comprenait pas. Pour-
quoi le son 0^ serait-il laid en patois fribourgeois,
valaisan ou genevois et beau en anglais ! La phrase
ïû t' anio prononcée par une Italienne sonne-t-elle vrai-
ment moins bien que le i fajuo d'une fraîche et jolie
fille de la Gruyère ? La beauté du langage est une
affaire de goût et de giistibus non est disputandiun !
Il me serait facile de citer une foule de mots
abstraits tirés du patois, pour prouver que nos paysans
font souvent des distinctions logiques très fines dont
ceux qui ne connaissent pas le patois ne les juge-
raient pas capables.
Après avoir essayé de dire ce que le patois a
été pour nos ancêtres, on me permettra de dire ce
quil est à la science. L'homme veut savoir! Comme
on retourne toujours, dans le domaine de l'art, à la
maxime : rart pour l'art^ la science n'a pas toujours
un but utile et pratique ; elle se suffit à elle-même.
Et cette curiosité du passé, ce besoin de comprendre
est bien la principale faculté qui élève l'homme au-
dessus de l'animal. Le langage humain, le véhicule
de notre pensée est une des choses les plus intéres-
14
L. GAUCHAT
santés que nous puissions étudier. Une foule de ques-
tions très graves, comme celle des changements pho-
nétiques ou des motifs du développement continuel
des sons, la sémantique ou le développement des si-
gnifications, la filiation des langues et enfin, comme
dernier but auquel tendent tous nos efforts, l'origine
du langage, occupent et passionnent la philologie de-
puis les temps des anciens. Les méthodes d'investiga-
tion se sont beaucoup perfectionnées, surtout au
XIX" siècle, depuis que les naturalistes ont appris
aux philologues à observer et à s'entourer de maté-
riaux sûrs et complets avant de juger, mais malgré
notre connaissance assez exacte de certains faits isolés,
les grands problèmes attendent toujours leur solution.
La science a établi un grand nombre de lois phoné-
tiques, par exemple, mais les savants sont encore bien
loin de s'accorder sur la nature et l'origine de ces lois.
L'étude des patois ou la dialectologie est parti-
culièrement apte à nous ouvrir les yeux et à nous
dévoiler les secrets du développement linguistique.
Au fond, la seule vraie différence entre une langue
littéraire et un patois est celle que la première est
parlée et écrite, tandis qu'un dialecte n'est que parlé.
Toutes les langues littéraires tirent leur origine dîin
patois, généralement situé au centre du pays. En France,
le dialecte de l'Ile de France, qui était le parler de
Paris, devenu de bonne heure la capitale du pays,
a acquis dès le XIP siècle une prépondérance notable
sur les autres dialectes. Grâce à une centralisation
toujours croissante, toutes les tendances d'émancipa-
tion des autres dialectes ont été repoussées avec suc-
NOS PATOIS ROMANDS 15
ces, et aujourd'hui nous n'avons qu'une norme pour
le bon français: le parler de la bonne société de Paris.
La langue littéraire est continuellement en transforma-
tion, comme toutes choses ici-bas ; on n'a (ju'à com-
parer la langue d'Alphonse Daudet à celle de Molière,
celle de Molière à celle d'un écrivain parisien du
XUP siècle, comme Rustebeuf, pour s'en persuader.
Mais le développement d'une langue littéraire est né-
cessairement enrayé par des idées de correction qui
résultent de lemploi écrit de cette langue. La gram-
maire arrête pour une certaine époque, plus ou moins
longue, le mouvement linguistique, le dictionnaire énu-
mère les locutions reçues et nous interdit de nous
abandonner aux impulsions individuelles, aux tendances
non consacrées. Par là, le mouvement est paralysé ou
ralenti, de sorte que le besoin de réformer la gram-
maire qui se fait pourtant sentir à de longs inter-
valles, ne rencontre aucun écho d'abord et ne s'impose
que lentement. L'écriture donne un caractère émi-
nemment conservateur aux langues littéraires.
Il en est tout autrement du patois qui chemine
à son gré, tantôt agile, tantôt hésitant, selon son
tempérament ou son humeur. La langue littéraire res-
semble à un canal aux eaux endormies dans leur lit
d'écluses, le patois à un torrent dont les eaux suivent
tous les accidents d'un terrain tantôt rapide, tantôt
plat. Le patois et le français sont tous deux des pro-
duits du latin populaire, introduit en France et, peu
de temps après, en Suisse, par les armes des soldats
romains. Mais tandis que le français a subi toutes les
influences d'une littérature puissante, les patois peuvent
i6 L. GAUCHAT
être considérés comme des produits spotitanés, comme
un développement lingidstique livré a liii-ntêine. [II y
aura lieu de faire une restriction, comme nous verrons
tout à l'heure.] On pourra donc mieux étudier les mo-
biles du développement linguistique en observant les
dialectes vivants où nous voyons tant de lois phoné-
tiques s'accomplir momentanément, qu'en s'arrètant
aux formes choisies et pour ainsi dire cristallisées des
anciennes phases de la langue littéraire.
Celle-ci se distingue des patois en outre par le
fait qu'elle est ouverte à toutes les influences étrangères.
La littérature, notamment, a introduit dans la langue
française une quantité de mots provençaux, latins ou
grecs, allemands, anglais, etc., tandis que le patois ne
s'enrichit que d'un certain nombre de termes empruntés
à ses voisins ou à la langue littéraire. Nos patois ro-
mands contiennent un assez grand nombre d'expres-
sions qui viennent des patois de la Suisse allemande,
quelques rares termes italiens, et, sans être purs de
tout alliage, ils représentent donc une masse plus ho-
mogène que le français. Sous ce rapport aussi, ils sont
plus naturels, ils ont plus de race et leur geste est
moins étudié ! La dialectologie ressemble donc en
ciuelque sorte à la vivisection. Le dialectologue taille
dans la chair vive, il observe des fojictions sous sa
loupe, tandis que la plupart des philologues se con-
tentent encore d'étudier la langue des livres, dont les
éléments ont la rio-idité des fossiles.
o
Est-il nécessaire d'assurer encore que ceux qui
ont cru reconnaître dans nos patois des mots hébreux,
anglais, arabes, russes, allemands, etc., ont démontré
NOS PATOIS ROMANDS 17
par là qu'ils n'avaient pas la moindre idée de l'origine
de ces patois. Il n'y a jamais eu de colonie anglaise
dans la Suisse romande, et il est impossible (ju'une
nation avec laquelle nous n'avons pas eu de rapports
pendant dix-huit siècles, ait influencé notre vocabulaire.
Je doute fort que nos Valaisans modernes lui aient de-
mandé autre chose que des écus. Pour faire passer
une étymologie, il ne suffit plus aujourd'hui de dé-
couvrir dans une langue quelconque un mot ayant
une ressemblance lointaine avec un mot patois, mais
il faut motiver la présence de ce mot dans nos vallées.
Le mot neuchàtelois la (irez pour un « clédar » ne vient
pas de l'allemand drchen^ comme on l'a cru, car si vrai-
ment ce verbe avait un rapport avec le mot romand, c'est
sur sa forme suisse dràyo qu'il faudrait se baser et non sur
la forme berlinoise qui n'a rien à voir chez nous. Il n'est
pas si facile de trouver une étymologie et il faut laisser
ce soin à ceux qui connaissent les lois de dérivation
de nos patois. La forme fribourgeoise est dléj\ ce
qui prouve que l'ancien mot pouvait contenir une /
au lieu d'une r'. Il vaudra toujours mieux dire qu'on
ne connaît pas l'origine d'un mot que de proposer
des étymologies absolument fantaisistes. 11 n'y a ja-
mais eu de Grecs chez nous, les courtes apparitions
d'Arabes n'ont guère pu transformer notre langue. La
base de nos patois est donc essentiellement le latin.
Il est vrai que nous sommes très peu renseignés sur
la proportion qui existait entre les anciens Helvètes,
' La forme vaudoise est dléz' ; comparez l'étude de M. Mil-
loud: Un vieux mot : dclaise dans les Anciennetés du Pays de l'aitd,
1902, p. 187 — 191.
2
i8 L. GAUCHAT
de race celtique (clairsemés probablement), et les co-
lons romains qui s'établirent dans le pays, et nous n'avons
aucune idée du nombre des Burgondes ou Francs qui
l'envahirent plus tard. Cependant il est certain pour
moi que la langue celtique et celle des envahisseurs
germaniques ont laissé des traces clans la prononcia-
tion et dans le vocabulaire de nos patois. Mais comment
trouver ces traces, puisque nous ne savons absoliiDieiit
rien de la langue de ces anciens habitants de la Suisse
romande. Les trois quarts ou davantage des étymo-
logies de nos mots patois sont décidément latines, le
quatrième quart représente une masse en partie irré-
ductible, pour laquelle nous pourrons trouver des ana-
logies dans le bas-breton ou l'irlandais ou dans de
vieux dialectes germaniques, sans pouvoir prétendre
avec assurance avoir trouvé l'origine des mots en
question. En tout cas, il ne faut se résoudre à chercher
une éty mologie dans les langues celtiques ou germaniques
que lorsqu'il est bien démontré que le latin, que nous
ne connaissons que bien incomplètement, ne fournit rien.
J'ai dit que l'opinion d'après laquelle les patois
seraient des produits spontanés du latin vulgaire, de-
mandait une restriction. En effet, le patois du village
de N^ dans le canton de C, ne vient pas en ligne
directe dune colonie romaine établie à iV, car très
peu de villages sont aussi anciens. Beaucoup d'endroits
n'ont été habités que depuis le XIV* siècle, par
exemple, et leur patois doit être un rejeton d'un patois
que nous ne connaissons pas, peut-être de plusieurs
patois, si les premiers habitants venaient de différentes
contrées. Par l'immigration, d'autres éléments linguis-
NOS PATOIS ROMANDS 19
tiques sont venus dans la suite se joindre aux élé-
ments constitutifs. Puis il ne faut pas oublier l'influence
des petites villes, comme Avenches, Payerne, etc., qui
se trouvaient elles-mêmes sous l'influence de villes
plus grandes: Fribourg et Lausanne. On voit que
l'histoire de nos patois est bien compliquée, surtout
par suite de notre ignorance de la manière dont nos
vallées ont été colonisées.
Malgré les influences diverses qui ont agi sur le
développement de nos patois, ils représentent, pris
isolément, une masse linguistique assez homogène, avec
des caractères très saillants, où se reconnaît l'action
de lois phonétiques ou morphologiques bien déter-
minées. Le philologue qui veut se faire une idée d'une
loi phonétique, par exemple, ne peut pas désirer un
champ d'activité, un objet d'observation plus intéres-
sant que les patois. Non seulement les phénomènes
naissent pour ainsi dire devant lui, mais à l'aide d'autres
patois, moins avancés ou plus développés que celui
qu'il observe, il lui est permis de reconstruire l'his-
toire de ces phénomènes et même jusqu'à un certain
point d'en deviner l'issue.
Ainsi le groupe latin - st - a donné ^, un son
(ju'on croit être particulier à l'anglais ou au grec
moderne, espagnol, etc., et qui se retrouve, dans des con-
ditions différentes, dans nos cantons de Fribourg, Genève,
Vaud et Valais, tandis que Berne et Neuchàtel ne
le connaissent pas. Les mots latins iesta.festa^fenestra
se prononcent aujourd'hui dans la plupart des patois
fribourgeois tid^a^ JîO-a, f9nï%ra, mais il y a des pa-
tois, où le son d- est en pleine transformation et en
L. GAUCHAT
voie d'aboutir à /z. Donc: tiha^ filia^ fdiiihra^ d'autres
ont encore tid^a^ fid-a^ mais Aé-]2ifd7nhra^ ce qui nous
apprend que tous les d- ne sont pas devenus du coup
h^ mais que les mots qui présentaient une certaine
combinaison de sons, comme i9-r, sont en avance sur
les autres. Il ne serait même pas impossible qu'un
patois donnât la forme fiha à côté de ti\fa^ malgré
la presque identité des deux mots. Un bon observa-
teur trouvera une quantité de mots qui, grâce à leur
usage très fréquent ou à d'autres raisons qui nous
échappent encore, semblent seuls avoir subi une loi
phonétique. Ces mots sont les avant-postes, que les
balles ennemies atteignent d'abord. On peut aussi com-
parer les lois phonétiques à des épidémies qui com-
mencent par la maladie d'un seul individu. 11 est bien
démontré aujourd'hui qu'un changement phonétique,
par exemple d- == /z, n'est ni subit ni général, mais
qu'il y a entre les deux étapes une période de fluc-
tuations et d'incertitude. On ne saurait assez recom-
mander l'étude des patois à ceux qui croient encore
à l'infaillibilité de ces lois. Si nous sommes encore
divisés dans une question si grave, c'est qu"on s'est
trop occupé jusqu'à présent des faits accomplis et
trop peu des faits naissants.
Il ne faut pas croire que l'étude d'un mot patois
soit moins intéressante que celle d'un mot français ou
italien. Les battements du cœur d'un nègre sont-ils
moins intéressants pour un physiologue que ceux du
cœur d'un hoinme célèbre! La plus modeste fleur des
champs ne peut-elle pas avoir un parfum plus exquis
que les éclatants produits d'une serre !
NOS PATOIS ROMANDS
La constatation que dans un patois le participe
passé du verbe puni (punir) est prononcé ptini ou
p2i7iè^ avec les féminins ^/^7/y<7 ox punètd^ pourrait faire
penser que les patois sont des langues arbitraires, où
chacun peut s'exprimer comme il veut. Mais n'avons-
nous pas en français pour le futur du verbe asseoir les
trois formes sanctionnées par l'Académie je m'assiérai,
je masseyerai et je irî assoirai) Et une foule de points
de la grammaire française qui nous apparaissent au-
jourd'hui bien arrêtés et définis, se trouvaient autre-
fois dans le cas du futur du verbe asseoir et ont coûté
un grand travail de choix et de préférences, où la
mode entrait pour beaucoup et la logique pour peu !
On peut avec profit étudier l'histoire de ces indéci-
sions, des influences réciproques d'un verbe sur l'autre,
etc., en ancien français, ou, tout aussi bien, dans la
masse bigarrée des patois.
Une question qui ne passionne pas seulement les
philologues, mais aussi tous ceux qui ont l'habitude
de rechercher le pourquoi des choses, c'est l'étymo-
logie ou origine des mots. Or, comme les mots fran-
çais et les mots patois sont en grande partie des
frères issus d'une mère commune, on fera bien de ne
pas s'adresser seulement à celui des frères qui occupe
la place la plus brillante, pour savoir quelle fut leur
mère. Les autres frères, moins fortunés, peuvent avoir
mieux conservé les traits et le souvenir de celle qui
leur donna naissance. Ainsi maint mot patois est des-
tiné à mettre en lumière l'origine d'un mot français
dont l'étymologie est encore inconnue. Et nous n'avons
(ju'à feuilleter le Dictionnaire général de la langue
L. GAUCHAT
française pour nous persuader qu'il reste encore bien
des problèmes à résoudre dans le domaine de l'éty-
mologie de notre langue littéraire.
Il va sans dire que tous les patois, ceux de la
Suisse française aussi bien que ceux du Midi de la
France, par exemple, offrent à peu près les mêmes
avantages pour l'étude des principes linguistiques. Les
phénomènes sont très différents, mais le gain à en
retirer pour la connaissance des causes de ces phéno-
mènes est le même. Cependant la Suisse romande,
avec ses races, ses confessions et ses occupations si
diverses, présente, sur un espace restreint, plus de
variété peut-être que n'importe quel autre territoire
de même étendue des pays latins. Elle est particu-
lièrement apte à nous éclairer sur la question si ardue
et complexe des limites dialectales. Faut-il admettre
avec M. Gaston Paris que tous les patois se fondent
les uns dans les autres par des nuances insensibles,
qu'en marchant dans la même direction, par exemple
de Neuchâtel à Paris, on rencontrerait successivement
des parlers différant très peu entre eux, de sorte que
la couleur française du patois s'accentuerait de plus
en plus, en proportion directe de la distance des loca-
lités du point de départ? Retrouve-t-on dans le do-
maine des patois le fameux 7iatura non faci't sa/tuni ?
Est-il vrai que les limites de a --= .. et de a/""'"^ ^=
^ a a
ou d'autres phénomènes n'occupent pas la même aire?
Et les limites des traits linguistiques ne coïncident-
elles pas avec les limites politiques anciennes ou mo-
dernes? Les travaux que la Rédaction du Glossaire
NOS PATOIS ROMANDS
des patois roina^ids a entrepris en vue de l'élaboration
d'un Atlas lingitistiqite de la Suisse romande^ où les
nuances de prononciation seront représentées par des
teintes, permettent de conclure à une nouvelle théorie.
Le patois de La Perrière (canton de Berne), par
exemple, diffère foncièrement de celui du prochain vil-
lage bernois Les Bois, tandis qu'il est presque identique
avec celui de La Brévine, située à une bonne journée
de marche de La Perrière. La limite dialectale bien
tranchée qui sépare La Perrière des Bois est bien
une ancienne limite politique, aujourd'hui confession-
nelle. Grâce aux rapports continuels des habitants,
les patois d'une contrée comme la montagne neuchà-
teloise, y compris La Perrière, ont conservé un carac-
tère uniforme, malgré certaines différences de détail;
le village des Bois appartient à une autre contrée,
catholique, placée sous l'influence de Porrentruy, ayant
très peu de rapports avec les hérétiques de La Chaux-
de-Fonds et environs et présente pour cette raison
un caractère linguistique qui est décidément différent
de l'autre. Beaucoup de traits sont communs aux deux
groupes, comme le tcJi pour c latin devant a {campii
= tchan, t/iifi) entre autres, mais cela n'empêche pas
qu'un grand nombre de traits divergent de part et
d'autre. En reportant toutes les limites des traits lin-
guistiques sur la même carte, on obtiendra certes un
tableau d'une bigarrure étonnante, mais il sera facile
de découvrir dans le réseau irrégulier de ces lignes des
faisceatix où plusieurs lignes sont superposées ou très
voisines. Ils se trouveront là où les rapports des
habitants ont été moins étroits tju'ailleurs et ce manque
24 L. GAUCHAT
de rapports devra s'expliquer par l'histoire de la
population, et par la configuration du terrain.
Je ne puis me permettre ici d'insister davantage
sur cette question intéressante des limites dialectales et
je me hâte d'arriver à la conclusion de ce petit exposé.
Quand la disparition d'un monument historique
est devenue une nécessité, nous faisons tout pour en
conserver au moins le souvenir aux générations fu-
tures. Nous ne laissons pas disparaître nos vieux châ-
teaux sans les photographier pour en retenir l'image!
C'est aussi pourquoi on a songé à créer le Glossaire
des patois romands^ qui n'a nullement la prétention
de devenir un code, comme l'est le Dictionnaire de
l'Académie française, ni même un répertoire de mots
curieux et de locutions originales dont la lecture pour-
rait amuser les jeunes et les vieux dans les longues soi-
rées d'hiver. Le Glossaire sera tout simplement l'image
aussi fidèle que possible, en même temps que la pierre
funéraire de nos patois romands. On y inscrira l'épi-
taphe: Ci-gît la langue au moyen de laquelle nos an-
cêtres ont exprimé leurs pensées pendant vingt siècles.
Cette langue était rude et imparfaite, mais elle suffisait
à leurs besoins. Aussi l'aimaient-ils et ont-ils voulu
que sa tombe fût ornée d'une pierre commémorative.
Des herbes de toute sorte pousseront autour de cette
pierre. Les herboristes viendront en cueillir quelques
échantillons, ils les examineront soigneusement, et feront
peut-être quelques-unes de ces petites découvertes
grâce auxquelles s'enrichit de jour en jour la science
humaine.
TEXTE GENEVOIS 25
TEXTES
I. A LA FOIRE
Dialogue en patois de Bernex (Genève)
Konbé s ta vad-\- — T à k h vb plyé : — Vàtyàl
Id n'a pâ l'er d9 bé niarkà pi L lafé. — L? mark pâ
pe l lafél Vb ni kbnydsi pâ gran chiizà. La baly sô
oui litr pe tré on via avan d vêla. Y è na bœttâ vad-'
pè la rata. D la vad' d3 konfyans . Déniandi a koiii
ki say a Konfnyon si Babel h garson a la Jan n'a
pâ tbôb d3 bœn vad-' è si é tronprd sœlamii on-n-àfan. Y
. è la nièlyœ" da mon bœ^\ e si da ouà la vàdr^ y e pask
ds ouà viadtâ on d-vo pe pbvà alâ u mard^iâ. — Konbé
à vbli vo r — Konbé d'à oiiàr na vad'' dàntyal h nâ
TRADUCTION
Combien cette vache? — Est-ce qu'elle vous plaît?
— \'oilà ! elle n'a pas l'air de bien marquer pour le
lait. — Elle ne marque pas pour le lait! \"ous n'y con-
naissez pas grand'chose. Elle donne ses huit litres par
traite un mois avant de vêler. C'est une bonne vache
pour le rendement. Je la vends de confiance. Demandez
à qui que ce soit à Confignon, si Babel le garçon à
la Jeanne n'a pas toujours de bonnes vaches et s'il
tromperait seulement un enfant. C'est la meilleure de
mon étable, et si je veux la vendre, c'est parce cjue
je veux m'acheter un cheval pour pouvoir aller au
marché. — Combien en voulez-vous? — Combien j'en
veux? une vache comme ça! elle n'a pas sa pareille
26 C. FLEURET
pà sa parir su tbtà la farâ. Tœd^i là yo vb vdri, h n
branlrà pà mè k'n anyé. — Alô, l w<? baly pà pi trér ?
— Le sàô' kbin n anyé, Xv d vb dû. — Ta k'oji pu
la lyetàr — A dratà, a gôd-\ kbm vb vdri. — Konhé à
t ply' dp vè : — L à-n-e-t-a son katryan. Y arà non
via l vàtyon k l à prà lô bu. — L à bé l'er dp kbmàsi
a ai)iblyi, mé son te te e bé gron. Vb n l'i pà tré sti
matàn. — T à k vb m prenyi pé on briga^i r iV y é
pà a vu k'i fo dir sa. — Vèyàn, vtron prir — Vàt'
dou napblyon é dmi, pà on sou d niouà. — Vb n la
v'ddri pà a se pri. — Vb kréyi sa vb ! ali sœlàmà pé
la farà; si vb-z-d trbvi dôup dàntyp, dd ouà m làsi kbpà
la tétà. — Tni., vàtyà katr va éku, poué va sou pé la
sur toute la foire. Touchez-la où vous voudrez, elle
ne bougera pas plus quun agneau. — Alors, elle ne
donne pas des coups quand on la trait? — Elle est
sage comme un agneau, que je vous dis. — Est-ce
qu'on peut l'atteler? — A droite, à gauche, comme vous
voudrez. — Combien a-t-elle de veaux? — Elle en
est à son quatrième. Il y aura neuf mois le 21 qu'elle
a été saillie. — Elle a bien l'air de commencer à se
préparer au vêlage, mais sa tétine est bien grosse,
vous ne l'avez pas traite ce matin. — Est-ce que vous
me prenez pour un brigand? Ce n'est pas à moi qu'il
faut dire cela. — Voyons, votre prix? — Vingt-deux
napoléons et demi, pas un sou de moins. — Vous ne
la vendrez pas à ce prix. — \'ous croyez ça vous!
allez seulement par la foire ; si vous en trouvez deux
comme ça, je veux me laisser couper la tète. — Tenez,
voilà quatre-vingts écus, puis vingt sous pour la fille.
TEXTE GENEVOIS 27
fBly'. — Nan^ gardi vtro-z-éku, ma vad-^ ne pà tyerà
u pri ka d v'o /V fé. — Va povi garanti son terni ? —
As9 vré kp d sa ztj'P. L ara ptétr on rtâr d kàk ôièr,
mé vb povi étr sur dû s k? d vo di3. — Voli vb don
éku d plyû : — Nan^ d'à ouà nbnantâ. — Katr va ira!
— Nbnantâ — È bànl tni, partaôàn b difrà: ouitanîsàn
éku poué karantâ sou pc la fûly . Sa y e-t-œ: — 1)3
pcry3 di fran, tan pt, alan bar on var.
C. Fleuret,
instituteur à Bernex.
— Non, gardez vos écus, ma vache n'est pas chère
au prix que je vous l'ai faite. — A'ous pouvez garantir
son terme? — Aussi vrai que je suis ici. Elle aura
peut-être un retard de quelques jours, mais vous pouvez
être sur de ce que je vous dis. — Voulez-vous deux
écus de plus? — Non, j'en veux nonante. — Quatre-
vingt-trois. — Nonante. — Eh bien! tenez, partageons
la différence : huitante-cinq écus puis quarante sous
pour la fille. Ça y est-il? — Je perds dix francs, tant
pis, allons boire un verre.
ETYiMOLOGlES
/. Mots d'origine allemande pour désigner le tanrean
Les patois de la Suisse allemande ont donné à
leurs voisins romands pas moins de quatre mots signi-
fiant bœiif ou taîireaît.
I. ourno s. m. taureau châtré, mot particulier aux
Alpes vaudoises; aux Ormonts c'est un bœuf élevé
pour servir de bête de trait, à l'Etivaz c'est un bœuf
28 E. TAPPOLET ET L. GAUCHAT
âg-é par opposition à tsad-ron = jeune bœuf; pour
taureau on y dit baoït.
Le mot vient sans aucun doute de l'allemand
suisse Urner s. m. taureau coupé étant veau, mot
attesté par le Schweïz. Idiotikon I 464 pour les
cantons de Berne (Oberland), de Fribourg et de Claris.
Un Urner est, toujours d'après X Idiotikon^ un taureau
traité ou coupé à la façon des Uranais.
2. chvitss.va. taureau, mot employé dans le Gros-de-
Vaud, probablement pour une bète de race schwytzoise;
mot rare.
3. inotmi s. m. taureau d'un troupeau (Vully vau-
dois et Glossaire de Bridel). Le mot allemand est
Mii7i7it\ mot particulièrement suisse, d'un usage général
dans la Suisse centrale et orientale, à l'exclusion de
rOberland bernois, v. Idiotikon IV 316.
4. inani s. m. i. nom donné au bœuf d'attelage
(Vully vaudois) ; 2. taureau, avec le diminutif:
maniyon s. m. jeune taureau (F'ranches-Montagnes).
Ce mot semble venir de Mànm\ qui signifie
I. attelage, 2. bète de trait, mot très répandu depuis
les Crisons jusqu'à l'Oberland, ou de Manni, diminutif
de Mann (comparez (Bàrd-)inam., nom donné à Berne
au plus vieil habitant mâle de la fosse aux ours).
E. T.
IL pdfâ
p9fâ s. m. Les exemples de ce mot que j'ai notés
proviennent tous de la Montagne neuchàteloise. Dans
ce passage: travallî kema de pefâ = travailler comme
des... i^Le tin don viedge, p. 2, 13), une dame de la
Brévine qui m'a fourni un grand nombre de mots
ETYMOLOGIES 29
patois, n'a pas su me définir exactement le sens du
mot; elle n'a pu m'en indiquer que l'emploi suivant:
i va vit' kma on ppjâ. Les exemples suivants, tirés
du chansonnier manuscrit d'Ami Huguenin, le fonda-
teur du Cercle du Sapin, à La Chaux-de-F'onds, ne
laissent plus de doute sur la signification: NoÉs ïn à
faire à dets pefâ que fouiya et nots voiiéta = nous
avons à faire à des diables qui fuient et nous guettent ;
et surtout: po /' r co77ipeiiisie du service d'tus les peiifâ
qu'i m'vantâve = pour le récompenser du service de
tous les diables qu'il me vantait. Je retrouve le mot
avec un sens un peu différent dans la nouvelle patoise
de M. Michelin-Bert : Ou duiindge et Piaintschtets (Un
dimanche aux Planchettes): ma c'et k'i iann ai fâ de
stet peufâ = mais c'est que j'en ai fait de ces méfaits.
Il est donc clair que pdja est un des nombreux noms
du diable, et qu'il remonte 2i putidîi factit = « le vilain
fait » ou putide factit = « celui qui est laidement fait ».
Pour le développement de -actu comparez les mots
fà et inà (magis) de la phrase de M. Michelin-Bert.
Le Glossaire de Bridel indique ntaffi. = un des noms
du diable, que je serais disposé à tirer de malefectus
malgré les difficultés phonétiques (comparez en alle-
mand ein Malejîzkerl = Teiifelskerl)^ et qui présen-
terait une analogie frappante.
///. pila
pila s. f. Mot fribourgeois signifiant : omelette »,
dérivé de la pila, la poêle (latin patella) au moyen
du suffixe - ata, comparez l'expression allemande
jyannknchen. L. G.
3°
F. ISABEL
Vn feiiil aux Onnoiits (Alpes vaudoises)
Ce petit bâtiment si rustique et si fruste, construit à bois
rond^ et à coches, représente un des plus primitifs spécimens
du genre chalet'^; c'est seulement \a\feniP, un tout petit mazot
pour abriter, lors de la fenaison^, le foin d'une très petite pro-
priété isolée ou des places humides^ d'une montagne, en atten-
dant qu'on le fenate^, c'est-à-dire qu'on le lie'' pour l'amener
sous forme de faix^, en hiver, au bas de la vallée où loge le bétail.
Ce bâtiment est construit sur la terre nue. S'il était plus
élevé et qu'il eût à son plain-pied^ une étable à vaches"*, on
l'appellerait une grange ou plutôt une grangette'', construction
fréquente dans toute la vallée des Ormonts et environs, no-
tamment au Plan des Isles.
Forme carrée ou peu s'en faut. Une courte échelle'-,
appuyée contre le seuil'^ de l'aire'*, placé sur les premières
' a èoti ryon. ^ f^naia^ v
2 ou tsalè. - ^^fâ, V.
^ on /s 7H ,■ àimmnûî on g
* îi tin dé fin. ' apSan-pya. loc. adv.
^ dd màrè (du marais). "* 07i bao.
onfé owfé de fin.
" grand23 ; grandsèta.
^^on.n' ètschlla;ètsèlèta.
^^ h lindâr" ; le pâ de
porta., le batin.
" l' étra^ s. f.
UN FENIL AUX ORMONTS
pièces ou soubassements'^, et entre deux porte-soliveaux*^ à peine
saillants, permet d'arriver à la porte du fenil. Celle-ci est à
deux battants, ou deux portes avec pentures'" jadis de bois,
portes parfois «à chardonne/)'*. Cette ouverture est suffisam-
ment grande pour pouvoir y faire entrer d^un coup une charge
de foin portée sur la tête. Les deux portes viennent parfois
aboutir à un piédroit mobile'^ ou montant central, assujetti par
des mortaises et une cheville^". On les tire à soi par une boucle-*
ou une poignée'-- de bois, et on en a vu qui fermaient avec
une simple clef à languettes-^ qui faisait avancer ou reculer un
pêne-* ou loquet de bois dur, à bord en dents de scie-^.
La pièce-" de faite est soutenue par une poutre'-" très
caractéristique, bifurquée et équarrie, mais tout d'une pièce
vers le haut, serrant, comme une pince, la paroi en dedans et
en dehors, contribuant ainsi à en maintenir l'aplomb vertical,
de même que les dagties qui l'escortent parfois parallèlement
sous deux frètes secondaires. A la paroi opposée à la porte,
ce bouatsoir^ ou batsô-'^ descend au moins à mi-hauteur du fenil.
Il fallait probablement courir, un bon moment, la forêt^" jusqu'à
ce que l'on trouvât une pièce qui se prêtât à cet assemblage.
Uètèrpyao, qui remplace parfois la porte, n'est fermé que
par des étèrpanon, planches placées verticalement les unes
après les autres.
Des deux côtés de la porte, les deux portions de paroi
adjacente s'appellent les cantons^', comme en héraldique. Aux
quatre angles, on voit les coches saillantes'^. Les chevrons'^
** lou-2-assè^ s. m. pi. -- on.na pouattya. -® en patois d'Ormont-
*^ /ozfJ>ôrtasà/ay,s.m.p\.-^/â a linvozialcta. Dessus.
1- le-z-épârè, s. f. pi. ^* mi pé^a. '' î!.'k?,''*°'' "^""^ ^^^^^
Q ■ • j 7 j ■ - " Ollon.
^^ -porta. a tserddna. -^ din de rassd. m / _? / j -j
^ _ _ , ■*" /a dzao ; la dzorcta.
'* le kohtiè. ^® la fréta; la çrôssa ,. , , ,
■; j A ji loii kantoti.
^° on frodson ; na fréta. ,., , , - , j j - . •
* ' -^ ^' lou kara da le kotse.
ts3vdS3. " ig bouatsozi, s. m. ; 33 /^ Uevron; lozi tsè-
-* on.na baya. dagna.^ s. f. vron.
32 F. ISABEL
dépassent de tous côtés le toit, en avant-toit^*. Malgré cela la
neige chassée par le vent^* peut pénétrer encore par les
interstices"^ des parois. Le toit, latte, fait de gros bardeaux
ou échandoles^^, refendus au moyen d'un départoir^^, est sur-
monté, en sens horizontal, de quelques lattes^^ solidement
retenues par des crochets de toit*", puis chargé de gros cail-
loux*' équidistants, afin que les ouragans*- et gros temps ne
soulèvent et n'emportent pas la toiture comme un fétu. Il faut
avoir eu soin de bien assembler, crocher^^, les chevrons, sans
quoi on verrait, malgré leurs cailloux, des toits emportés quand
même par une saute de vent".
Enfin les soliveaux*^ ou les planches*''" forment le plancher
du petit mazot.
F, Isabel, d'Ormont-Dessus,
inst. à Villard-sur-Ollon.
^* avan-tCiy.
^^ la k0U3SS9.
^^ lé djotiiniè^ s. f. pi.
d3 le parây.
'' on.n'assdSa.
^* on fer inyinlyâo
(Ormonts).
*^ loii sàlCiy.
■'^ loti lan. le sèlan.iiè
=^ planches sous les
chevrons.
L'aoâa = la pointe
du pignon.
39 lalè.
*" krà/sè de iây.
*^ dp le rotsè.
*■ la grôss oîira.
■" kràtschi.
** on byan d'ozira.
Remarque : Le J" d"Ormont-Dessus n'a pas tout à fait la
valeur ordinaire de la spirante interdentale sonore, on y perçoit un reste
de \'l mouilllée dont il est issu. La Rédaction du Glossaire se propose
d'étudier ce son particulier au moyen du palais artificiel, afin d'en
donner une définition plus exacte que celle d'Alfred Odin (Phonologie
des patois dti canton de Vaud. p. 600).
TEXTES
La Konta d Pakâin.
Randonnée en patois de Chanipéry (Valais).
La petite composition dont nous donnons ci-
dessous une version en patois de Champéry est bien
connue des amateurs de littérature populaire. On en
a signalé de nombreuses variantes dans la plupart
des pays d'Europe, tantôt sous la forme de randonnée,
tantôt sous celle de chanson, et on en a même pour-
suivi les origines lointaines jusque dans la vieille litté-
rature judaïque et dans les récits bouddhiques de
l'Inde. Il nous suffira de renvoyer les lecteurs que
ce sujet intéresse aux savantes études comparatives
de MM. Gaston Paris et E. Cosquin,^ et nous ne
mentionnerons spécialement ici qu'une variante en
patois gruyérien, recueillie à Albeuve et publiée par
M. J. Cornu -. C'est une randonnée comme la nôtre,
mais l'entrée en matière, ainsi que le nombre et l'ordre
de succession des acteurs du récit diffèrent quelque
peu. Le motif du début, qui se retrouve dans une
version lorraine donnée par Cosquin, est le suivant:
Pilon é Pilonna chon Joit i-j-aiipc;
Ly' an onityi tyin ly' are là plyJ viito plyin.
La Pilonna ly' a jon plyin dévan Pilon :
Pilon n'a pà pn alà a cha nicjon.
' Dans la Rotnania, I, p. 218 225 et VII, p. 548 — 552.
- Roniania, IV, p. 232.
34 J- JEANJAQUET
Clion joii tsèrtchi on tsè pô insnâ Psion,
Ld tsc n'a pà valu mdnà Psion:
Psion n'é pà jou a cha inéjon.
c'est-à-dire:
Pelon et Pelouna sont allés aux framboises;
Ils ont regardé lequel aurait le plus vite plein.
La Pelouna a eu plein avant Pelon:
Pelon n'a pas pu aller à sa maison.
On a été chercher un char pour conduire Pelon,
Le char n'a pas voulu conduire Pelon:
Pelon n'est pas allé à sa maison.
La kyrielle s'allonge ensuite, en usant toujours
du même procédé. On a recours successivement à
un cheval pour mener le char, à un bâton pour battre
le cheval, au feu pour bniler le bâton, à leau pour
éteindre le feu, à une souris pour boire l'eau, à un
chat pour manger la souris, à un chien pour manger
le chat, jusqu'à ce que finalement le loup consent à
manger le chien, lequel mange le chat, celui-ci la
souris, etc.
Cet arrangement des personnages s'écarte passa-
blement de celui qui paraît primitif et n'offre que la
série: chien — bâton — feu — ■ eau — bœuf — bou-
cher. Certaines variantes ajoutent comme dernier
terme: la mort.
Ce type primitif est représenté assez exactement
en vSuisse par une version chantée, recueillie à Neu-
châtel par M. Alfred Godet ^ Le personnage initial
paraît être ici un bouc, appelé Bocant, auquel succèdent:
^ A. Godet. Les c/iansons de nos grand'mères, Neuchâtel
et Genève 1879, p. 15.
TEXTE VALAIS AN 35
loup — chien — bâton — feu — eau — bœuf —
boucher. Le début de la pièce suffira à en donner
une idée:
Par la vertu de Boquine, Bocant,
Tu sortiras hors de mon camp.
Bocant n'veut pas sortir du camp,
J'm'en vais dire au loup de v'nir manger Bocant.
Le loup n'veut pas manger Bocant,
Bocant n'veut pas sortir du camp —
La forme camp pour cha))ip montre que cette
version neuchàteloise tire son origine du nord de la
France.
Nous avons recueilli à Liddes (Valais) une ronde
tout à fait semblable:
Va t'en chercher Britou | . .
Qu'il vienne planter ses choux I
Britou n'veut pas planter ses choux.
Ses choux n'veulent pas s'tenir debout.
Ah! coquin Britou,
Oui, tu planteras tes choux.
Interviennent ensuite : bâton — feu — eau — veau
— boucher — gendarme.
Dans notre version de Champéry, les éléments
traditionnels ont été augmentés et leur ordre en partie
modifié. Ils s'enchaînent ainsi : Pequin — hommes —
chiens — loups — bâtons — feu — eau — âne —
verges — souris — chats. Il est clair qu'un genre
de composition comme celui que nous étudions était
particulièrement exposé aux transpositions ou aux
omissions et devait de ce fait subir des remaniements
multiples. Quant au nom de Pequin, il est en relation
36 J. JEANJAQUET
évidente avec ceux de Broquin, Boquine, Boc]uant des
versions françaises et n'en est sans doute qu'une
altération.
Voici le texte tel que nous l'avons transcrit sous
la dictée de M. Adolphe Michaud, auquel sa mère
répétait cette amusette il y a quelque cinquante ans ^ :
V ava n'onda k P^kâin ava ita invoya tscrtchi du
hou. E poui se fi doua è l a pa vœdu tbrna in mizon.
L an ità tscrtchi dé-z-bmô pb boussi Pakàin. Lou-z-omô
nan rin vàbu boussi Pakàin é Pakâin n'a rin vcèôu
tbrna in mizon.
L ait ità tscrtchi Ion tsàin pb dzapa lou-z-bmô.
Lou tsàin nan rin vceôu dzapa lou-z-bmô, lou-z-bmô
n'an rin vœôu boussi Pakàin é P^kâin n'a rin vœôu
tbrna in mizon.
TRADUCTION
Il y avait une fois que Pequin avait été envoyé chercher
du bois. Et puis il s'est fâché et n'a pas voulu rentrer à la
maison. On a {litt. Ils ont) été chercher des hommes pour
battre Pequin. Les hommes n'ont pas voulu battre Pequin et
Pequin n'a pas voulu rentrer à la maison.
On a été chercher les chiens pour aboyer les hommes.
Les chiens n'ont pas voulu aboyer les hommes, les hommes
n'ont pas voulu battre Pequin et Pequin n'a pas voulu rentrer
à la maison.
' Nous notons par àin une diphtongue dont le premier
élément est long et participe plus ou moins à la nasalisation ;
à indique un a grave, tendant vers rt. Le patois de Champéry
distingue nettement la terminaison de l'infinitif a<iarc de celle
du participe à < atum.
TEXTE VAL Aïs AN 37
L an ita tsertchi lou là pb viindji Ion tsàin. Lan
lœ nan ri?i vcèôu, etc.
L an ità tsertchi lé palantsé pb boussi lou lœ. Lé
palantsé^ etc. »
L an ità tsertchi l foua pb bourla lé palantsé. L
foua, etc.
L an ita tsertchi l'ïvoué pb tua l foua. L'ivoué., etc.
L an ita tsertchi lou-z-âno pb bar l'Jvoué. Loii-
z-atiô, etc.
L an ità tsertchi lé byolé pb f ouata loii-z-anô. Lé
byolé, etc.
L an ità tsertchi lé raté pb tnindji lé byolé. Lé
raté^ etc.
L an ità tsertchi lou tsa pb mindji lé raté. Adon
lou tsa on bain inindjya lé raté, lé raté on bain niin-
djya lé byolé, lé byolé on bain foîiatà lou-z-qnô, lou-z-
anb on bain byu l'ïvoué, l'ivoué a bain tuà l foua.
On a été chercher les loups pour manger les chiens.
Les loups n'ont pas voulu, etc.
On a été chercher les bâtons pour battre les loups. Les
bâtons, etc.
On a été chercher le feu pour brûler les bâtons. Le
feu, etc.
On a été chercher l'eau pour éteindre le feu. L'eau, etc.
On a été chercher les ânes pour boire l'eau. Les ânes, etc.
On a été chercher les branches de bouleau pour fouetter
les ânes> Les branches, etc.
On a été chercher les souris pour manger les branches
de bouleau. Les souris, etc.
On a été chercher les chats pour manger les souris. Alors
les chats ont bien mangé les souris, les souris ont bien mangé
les branches de bouleau, les branches de bouleau ont bien
fouetté les ânes, les ânes ont bien bu l'eau, l'eau a bien éteint
L. GAUCHAT
/ foua a bain hourlà le pahpitsé, lé palantsé on bain
bouchya lou là, Ion là on bain mindjya Ion. tsâin, lou
tsàin on bain dzapà lou-z-omô, lou-z-hnd on bain bouchya
Ppkâi?i é Ppkâin è bain torna in mizon.
le feu, le feu a bien brûlé les bâtons, les bâtons ont bien battu
les loups, les loups ont bien mangé les chiens, les chiens ont
bien aboyé les hommes, les hommes ont bien battu Pequin et
Pequin est bien rentré à la maison.
J. Jeanjaquet.
Le Lu è la Gru.
Patois de la Montagne neuchateloise ^
Slu k'ata' d(p) niétchan l('p) pri d'on servis pécK
du vyédf"^ , pv^viirania, poubcha k'il èd dé dja indiny', an-
TRADUCTION
LE LOUP ET LA GRUE.
Celui qui attend de méchants le prix d'un service pèche
deux fois, premièrement parce qu'il (pour cela qu'il) aide des
' Je revêts de l'orthographe du Bulletin cette rédaction
anonyme de la fable connue, que j'ai trouvée dans les Papiers
Nicole t à la Chaux-de-Fonds (Bibliothèque du Collège).
- L'ancienne nasale an provenant de en ou in latins s'est
dénasalisée [comparez dans ce morceau les mots prsmirama,
dja (gentes), sèrma fsacramenfn)] , tandis que an de a latin + n
ou m persiste [comparez dmandè (demandas), man (manu),
snan.na (septimana) , etc.]. La terminaison des participes pré-
sents : promètan, konfyan, remonte pour toutes les conjugaisons à
•ante. La forme mètchan est également basée sur -ante. Les
mots ansuif, inpunéman, sèna (au lieu de san.na) sont em-
pruntés au français. Les groupes en et /;/ latins donnent du reste
TEXTE DE LA MONTAGNE NEUCHATELOISE 39
suit' poiibcha k'i pœ a pena (ou pin.nar) sf?) degadji d(3)
lœ^ inpuncnian.
On ht ave èvôla-' a-n-o ky s'aréta u dari du kou
e ks H kozav' aiia fouô^ doulœr ; i solista tu lé-z-btr
aniiiiô d(B) 1(3) H tiri fouœ a pronictan d(p) lé rkonpinsi.
La gru s(p) lassa persuada pa 1(3) sernia; a konfyan
son Ion kou u nioutè du lu, H' H fœ' a-n-opérasyon
gens indignes, ensuite parce qu'il peut à peine se dégager
d'eux impunément.
Un loup avait avalé un os qui s'arrêta au fond (derrière)
du cou et qui lui causait une forte douleur ; il sollicita tous les
autres animaux de le lui tirer dehors en promettant de les
récompenser. La grue se laissa persuader par le serment; en
confiant son long cou à la bouche du loup, elle lui fit une
dans les patois bernois, neuchàtelois et une partie des patois
tribourgeois deux résultats, témoin les formes rkonpinsi, rkoii-
pinsa, comparez asinbv' (ensemble), sin (sans), fin (foin) etc.,
sans qu'il soit possible d'établir nettement les causes de ce
double développement. La carte IX du Gnindriss de Grôber
est à corriger sous ce rapport.
^ Tiré du latin viafiatiii, voyage.
•* Littéralement « de leur >, comparez l'italien di loro.
'" èvô/a, du latin ""advaUavc ; ail -\- a çX. al ^ a donnent ici
ôl, comparez pala = pôla (pelle), ala = ôla (aile).
" Les adjectifs latins du type fortis ou grandis ont con-
servé ici leur forme unique pour le masculin et le féminin,
tandis que les patois des cantons de Fribourg et de Vaud, par
exemple, ont créé des féminins analogiques. On dit ainsi :
katr' gran bnctcy' (quatre grandes corbeilles), etc. Comparez
aussi : mèlyit, masculin et féminin ; ana inètchan laga (une
mauvaise langue), etc.
' fà' (latin fecit), à est le résultat d'un ancien i entravé
(JistJ, comparez vàny' (vigne), rcètch' (riche). Fà est un précieux
40 J. JEANJAQUET
dondj(9)rnza ^ po H viénia. Kvia et' r(d)chamav~ 1(9)
pri konvni: fé a-n-ingrata, li d(3)za^-t-u, fé ro)tiri^
ta téta sena d(p) ma gôrdf c t(p) dviandè ana rkonpinsa.
opération dangereuse pour elle-même. Comme elle réclamait le
prix convenu: tu es une ingrate, lui dit -il, tu as retiré ta tête
saine de ma gorge et tu demandes une récompense.
11. Gaueliat.
ETYMOLOGIES
/. La « trneille ».
Dans les régions montagneuses où tous les trans-
ports, y compris celui des récoltes, doivent se faire
à dos de mulet, il importe d'avoir un moyen rapide
reste des parfaits forts (aj^ant l'accent sur le radical), ordinaire-
ment remplacés par des formes analogiques, comme d(e)za =
« il disa ».
' Comme an ne devient jamais on dans ce patois, la forme
dondj(e)rH appuie l'étymologie dominiarinin = autorité du
seigneur; « se mettre, être en danger de ...» a signifié se mettre,
être sous l'autorité, à la merci de ... En français, le mot a subi
l'influence du mot dam (darnnum), le patois est resté plus
fidèle à l'origine latine.
^ Le son ch pour cl latin montre que le morceau a été
composé dans le Nord de la vallée; à la Brévine, à la Chaux-
du-Milieu et aux Ponts on dirait rfyama. Notre morceau repré-
sente très probablement le patois, aujourd'hui absolument éteint,
de la Chaux-de-Fonds.
^ Le manuscrit porte retira, que je me suis cru autorisé à
corriger r{j)tiri d'après les notes que j'ai prises sur les patois
de la région.
ETYMOLOGIES
41
et commode de lier les charges de toute espèce pour
lesquelles on emploie des cordes. Ce résultat est
obtenu dans toutes nos contrées alpines à l'aide d'un
objet que nous nommerons la «trueille», d'après son
appellation patoise la plus répandue, La forme et
les dimensions en varient plus ou moins, mais il est
toujours constitué essentiellement par un morceau de
bois dur allongé, évidé au centre et terminé en pointe
à une de ses extrémités, tandis que l'autre est percée
d'un trou par où passe la corde dont la « trueille » n'est
que l'accessoire. Le fonctionnement du système est
aussi simple que pratitjue. Pour opérer le serrage,
le bout libre de la corde (}ui entoure la charge est
passé dans l'évidement de la «trueille ■ , et l'arrètage
s'obtient en faisant seulement une boucle autour de
l'extrémité amincie, comme le montre notre crofiuis.
J. JEANJAQUET
On a ainsi un attachage solide qui ne nécessite aucun
nœud et peut par conséquent être délié avec la plus
grande facilité.
Les patois valaisans à l'est de Sion connaissent
la « trueille » sous le nom de katéla^ (|ui s'applique
aussi à une poulie quelconque, et se retrouve avec
ce sens général dans le Bas -Valais et dans le canton
de Genève. Dans la Haute-vSavoie, nous avons relevé
le mot iiavtin, qui s'explique par l'analogie de forme
de la « trueille » avec la navette du tisserand. Mais,
comme nous l'avons dit, le terme le plus répandu est
celui auquel correspondrait une forme française « trueil-
le ■ . On le rencontre dans le Bas -Valais (Champéry
trœÔJ, avec le diminutif trœbon; Trient tnièlju^; Or-
sières troiieide^ diminutif troueidon; Liddes grouçidc,
diminutif _^r(?//^7V/i;?;; et \eYh& grou'elyè\ etc.), dans les
Alpes vaudoises (Rossinières triiôy, diminutif tniôon)
et dans la Gruyère (Charmey trslyi). Bridel a en-
registré dans son Glossaire les mots vaudois, qu'il
orthographie trutke, truthon, en donnant à tort au
premier le genre masculin. Toutes ces formes nous
renvoient à une base étymologique ayant comme
voyelle tonique un o ouvert suivi d'une / mouillée
(cf. pour le traitement de VI mouillée palea > palyp,
pûôj^ padc% dans les mêmes patois). Ces conditions
sont remplies par le mot trochlea^ poulie, que le latin
avait emprunté, comme beaucoup dautres termes
techniques, à la langue grecque, et qui convient par-
' grouèlyè signifie «lier avec \a groiièidè»; le contraire est
dégroiièlyè. La raison du changement de la consonne initiale
dans ce patois nous échappe.
ETYMOLOGIE5 43
faitement pour le sens, puisque certains patois em-
ploient un seul et même mot pour poulie et «trueille».
Du Cange mentionne, d'après un ancien glossaire, une
forme trocla, traduite par rota textoris.
Nous n'hésitons pas à rapporter à la même ori-
gine latine le mot qui, dans une grande partie de la
Suisse allemande, sert à désigner la «trueille». D'après
les renseignements très complets que nous devons à
l'obligeance de M. le professeur A. Bachmann, rédac-
teur en chef de Y Idiotikon de la Suisse allemande, la
forme généralement usitée est TrïiDgh^ à côté de
laquelle on rencontre les variantes Trudgs, Trïugp,
Triijgpl, Triidgdh^ Trïogli. Le mot a été relevé dans
les cantons d'Appenzell (Heiden), St-Gall (Toggenburg,
Gaster, vallée du Rhin), Grisons (général), Zurich
(région du lac), Schvvyz, Zug, Lucerne, Uri, Unter-
wald, Berne (Oberland) et Valais, ainsi que dans les
dialectes allemands du Piémont, soit essentiellement
dans toute la région des Alpes. (Voir aussi Stalder,
Schw. Id.^ I, p. 311, V" Truegle).
La présence simultanée du même terme dans les
dialectes allemands et romands laisse à supposer (ju'il
appartient au plus ancien vocabulaire alpin. En re-
vanche, le Jura et la plaine semblent l'ignorer com-
plètement, comme l'objet lui-même.
//. eitchyèzm.
Dans les alpages de la région d'Evolène, on donne
le nom dieitchycva à la seconde traite de la journée,
qui a lieu vers deux heures de l'après-midi; y è rôoiira
d'eitchyeva signifie « c'est le moment de traire » (après-
44 J. JEANJAQUET
midi). Les bergers du versant droit de la vallée ap-
pellent pira d'eitchyeva un rocher du versant opposé
que les rayons du soleil atteignent vers deux heures
et qui leur tient lieu de régulateur. Un terme cor-
respondant est connu dans TEntremont, où on ren-
contre les expressions fire VéUiva^ aryé a Cètava
(Liddes), pour dire « faire la seconde traite à deux
heures de l'après-midi», par opposition à l'habitude
pratiquée dans certains alpages ou vers la fin de la
saison de ne traire les vaches pour la seconde fois
c|ue le soir. Le mot est usité également dans les
patois de la vallée d'Aoste, ainsi qu'on le voit par
ce vers dune des poésies de l'abbé Cerlogne:
Uaoïira d'eitava arrcuvc, alleu don vito nrric,
OÙ l'auteur annote que Xeitava est entre deux et trois
heures de l'après-midi ^ A Champéry, on nous a
signalé l'expression dz3ta u tchiva^ « traire de bonne
heure et reconduire ensuite les vaches au pâturage»,
qui renferme certainement notre mot, altéré par
suite d'une confusion de la syllabe initiale avec l'ar-
ticle u «au».
Il n'est pas douteux que toutes ces formes doivent
être ramenées au latin octava (liora)^ la huitième heure.
C'était en effet un usage très ancien, adopté par
l'Eglise et pratiqué encore dans les campagnes ita-
liennes, de compter les heures à partir de six heures
du matin, de sorte (|ue la huitième heure correspond
exactement à deux heures de l'après-midi, comme le
' J.-B. Cerlogne, Poésies en dialecte valdotain, Aoste 1889,
page 52.
ETYMOLOGIES 45
réclame le sens des expressions rapportées ci-dessus.
Le développement phonétique de ociava à citchycva
est parfaitement rég^ulier dans le patois d'Evolène:
la triphtongue initiale uei < oc s'est réduite ici à ei^ et
1^; tonitjue est devenu ie sous l'influence de la con-
sonne palatalisée précédente. Le même traitement de
Va est à la base de la forme tcJiiva de Champéry :
cf. le verbe aniittclu\ tiré de noctevi + are. Il devrait
se retrouver aussi dans les dialectes de l'Entremont
et de la vallée d'Aoste si octava était un mot pure-
ment populaire. Mais il appartenait surtout au latin
ecclésiastique, et c'est ce qui explicjue les formes mi-
savantes étava, citava. Un mot correspondant existe
en ancien français, également sous la double forme
uitieve et iiitave^ mais, d'après les exemples (|u'en cite
Du Cange (v" octava^., il désigne toujours le huitième
jour à partir d'une fête, l'octave, et non la huitième
heure du jour.
Les patois neuchàtelois (Montagnes, Val-de-Ruz)
et jurassiens possèdent dans le substantif iion-na un
mot dont le développement est tout à fait analogue à
celui de octava. Ce mot signifie généralement «goûter,
repas de l'après-midi», quelquefois «dîner» (Dombresson,
Malleray). Ce n'est autre chose qu'un dérivé de
nona (hora)^ la neuvième heure, et le sens primitif
était donc repas pris vers trois heures de l'après-
midi . Cf. l'anglais iioon., (jui a la même origine.
///. œudèna.
Sous le nom d'ièudc/ia, on désigne à Liddes
(Avalais) une herbe dure, aux brins arrondis et ter-
46 L. GAUCHAT
minés en pointes piquantes, qui pousse par touffes
sur les pentes élevées des montagnes. En automne,
ou même au printemps quand le fourrage vient à
manquer, cette herbe maigre est recueillie et utilisée
pour la nourriture du bétail.
Pour signifier «aiguille», le patois de Liddes pos-
sède à côté du terme courant aivou/yè^ un mot aujour-
d'hui vieilli œudi\ qui est la véritable forme indigène
(cf. aoude à Conthey). Le suffixe latin -ina abou-
tissant régulièrement à -ina ^ dans le parler de Liddes,
le mot œiidena s'explique d'une façon tout à fait satis-
faisante par acidea (ou aciiculd) + -ina et signifie donc
«herbe en aiguille». _ ._ . ,
* J. Jeanjaquet.
LA DERNIÈRE PAGE
DE L'HISTOIRE DU PATOIS
A LA ChAUX-DE-FONDS.
L
M'étant rendu à la Chaux-de-Fonds, dans l'inten-
tion 'd'y rechercher les derniers vestiges du patois,
aujourd'hui bien éteint, de la Montagne neuchàteloise,
je m'adressai tout d'abord au Cercle du Sapin, fondé
en 1857 par le vaillant patriote Ami Huguenin dans
le but de conserver le dialecte local. On me remit
plusieurs textes, notamment la ^ prière » et «la santé
du sapin», dont il sera question plus bas^, et on me
^ Nous notons ici par iv la bilabiale spirante (ci' anglais)
que nous nous contentons en général d'indiquer par nii.
* -èna n'est qu'une graphie approximative. En réalité, le
son provenant de 1'/ est intermédiaire entre è, i et 9.
"^ Voir la deuxième partie de cet article.
DERNIERE PAGE DE L'HISTOIRE DU PATOIS 47
confirma dans ma supposition que les archives de la
Société renfermaient des documents intéressants au
point de vue dialectologique. Je m'aperçus toutefois
bientôt que l'idiome lui-même était depuis bien long-
temps sorti des usages du Cercle, et que les membres
actuels ne le considèrent plus qu'avec les intérêts d'un
antic^uaire. Il est vrai que les ; vSapins , c'est-à-dire les
membres du Cercle, n'oublient jamais de faire réciter
leur ancienne «Prière», au solennel banquet du i^'mars',
par leur président ou quelque autre membre chargé
de remplir cette traditionnelle fonction, et qu'on chante
encore en commun, quelquefois, la «Santé du Sapin»;
mais le seul des fondateurs survivant en 1901 me
déclara qu'il avait du patois des souvenirs beaucoup
trop vagues pour me donner des renseignements posi-
tifs sur la langue qui avait uni les sociétaires en 1857.
Quoique le patois ait donc laissé des traces
presque ineffaçables dans les us et coutumes du Cercle
du Sapin, on a le droit dètre surpris du profond
changement survenu depuis sa fondation. Quelle triste
épave représentent ces quelques mots patois, peu
compris, altérés, prononcés à la française, en regard
des discours patois dont Ami Huguenin régalait ses
compagnons, puisant encore à pleines mains dans les
traditions locales". Ce brave patriote adorait son
patois, et c'est dans l'intention de remettre en honneur
le vieux parler déjà mourant de la Chaux-de-Fonds
^ Fête commémoratlve de la république neuchâteloise.
^ Un de ces discours a été reproduit, assez maladroite-
ment retouché, dans le «Patois )iciichàtelois ». p. 207 ss. L'ori-
ginal se trouve, sous le titre Invocation, dans le Chansonnier
(manuscrit) de Huguenin.
48 L. GAUCHAT
qu'il avait créé le Cercle. C'était peu de temps après
les événements de 1848 et de 1856. Neuchàtel venait
d'être rendu à lui-même. Un grand courant de pa-
triotisme traversait le pays et fit surgir entre autres
ce cercle de républicains progressistes, qui, groupés
autour d'un sapin, comme symbole du sol natal,
convinrent de n'employer dans leurs entretiens que la
vieille langue du pays. Le patois de la montagne
neuchàteloise devait être le lien et constituer l'origi-
nalité de la nouvelle société. Les autres caractères,
la politi(iue radicale et la bienfaisance, qui finirent
dans la suite par l'emporter sur le but primitif, n'étaient
d'abord qu'accessoires. Il nen est pas c[uestion dans
l'acte de fondation.
Mais Ami Huguenin s'était fait des illusions sur
la possibilité de maintenir l'emploi du patois, même
dans un milieu très restreint. Il eut beau choisir ses
compagnons parmi les plus dignes représentants de
l'esprit du pays, il eut beau diriger lui-même les
destinées de la société, comme son président, jusqu'en
1865, il eut beau égayer les séances par ses discours
et ses chants patois, il ne put pas empêcher le fran-
çais de se rendre maître des derniers défenseurs de
la langue du pays.
11 n'est pas sans intérêt d'assister aux dernières
phases de cette lutte entre deux langues, qui n'est
que le reflet de la lutte bien autrement sérieuse entre
deux civilisations ^
^ J'emprunte mes renseignements à la brochure de
M. E. Clerc: Notice sur les premières années du Cercle du Sapin,
La Chaux-de -Fonds 1890, et surtout aux registres 2 — 4 des
procès-verbaux de la Société.
DERNIERE PAGE DE L'HISTOIRE DU PATOIS 49
Déjà en 1857, l^rticle du règlement ({ui prescri-
vait aux membres de se servir du patois dans les
délibérations, reçut un premier assaut. Il n'avait proba-
blement jamais été entièrement et rigoureusement ob-
servé, et, pour mettre la règle d'accord avec la pra-
tique, on ajouta aux termes enjoignant de parler patois
la mention autant que possible. Un fanatique du patois
demande qu'on rédige au moins en patois les procès-
verbaux des séances, mais ce n'est que quatre ans plus
tard qu'un sociétaire, Justin Billon, se déclare disposé
à entreprendre cette besogne ardue. Passe encore de
parler cet idiome mourant, mais l'écrire! Pourtant
Justin Billon se mit à l'œuvre et tint bon pendant une
demi-année. Voici en quels termes, dans la séance
du 12 janvier 1861, ce secrétaire commença son dis-
cours sur l'usage du patois :
Citoyens (déjà un mot français !) . . . On a det qnia
motion n'avet quon défaut: ç' lu d'ctre fàta a français.
Fardié, quan tchacon sara d'oub'dgie d'prei'dgie patois,
i voui teit'chie d'ma tirie., to qnia a natitre. A nat-
tadan i vo d' mando la permission dfreid'gie français '.
On a remarqué la tournure toute française de
ces paroles, qui ne contiennent qu'une seule locution
patoise: preidgie patois. C'est en français qu'avait
été faite la proposition de rédiger les procès-verbaux
en patois, c'est en cette même langue qu'on la défend.
Le secrétaire, qui y met autant d'enthousiasme que
' On a dit que ma motion n'avait qu'un défaut: celui d'être
faite en français. Pardieu, quand chacun sera obligé de parler
patois, je veux tâcher de m'en tirer tout comme un autre. En
attendant, je vous demande la permission de parler français.
50 L. GAUCHAT
s'il s'agissait d'un enterrement, tàcJie de s'en tirer. Il
rappelle ensuite aux membres de la Société dans
quel but celle-ci s'est constituée (il parait qu'on l'avait
un peu oublié après quatre années de pratique) et
continue : « Mais pour conserv^er une chose de cette
nature (le patois), il faut la cultiver. Si on la néglige,
si on l'abandonne, évidemment elle périra. Sans doute
nous ne pouvons pas empêcher que le patois ne dispa-
raisse dans un avenir peu éloigne. Cet idiome, n'étant
plus le langage familier, ni dans nos villages^ ni dans
les endroits écartés (en 1861 !), il est condamné à une
fin prochaine. Mais notre devoir est de reculer le
moment autant que possible, car nous sommes le seul
et probablement le dernier refuge du patois à la
Chaux-de-Fonds. );^ Suivent quelques considérations sur
l'ancienneté des patois, « qui ne sont pas du français
corrompu > et quelques regrets à propos de certains
termes du crû qu'on a tort de blâmer, comme le
verbe cniayer que Clément Marot a « pourtant em-
ployé dans le même sens x ^ Cette harangue en faveur
du dialecte n'a rien d'éloquent. On plaide le cas d'un
condamné à mort. On lui cherche des circonstances
atténuantes. Mais écoutons notre secrétaire : « Il me
semble nécessaire, si nous voulons poursuivre notre
' Ce verbe est encore très usité dans tout le canton, dans
le sens: inquiéter vivement, effrayer, mettre en émoi, qu'il
avait déjà en vieux français. Cette expression paraît surtout
appartenir aux cantons de Neuchâtel et de Berne. A Liddes
(Valais) on trouve éniàyé, « hésiter, ne savoir que faire » qui
est le même mot. Le français actuel n'a plus que le substantif
verbal émoi.
DERNIERE PAGE DE L'HISTOIRE DU PATOIS 51
but, de faire quelque chose pour nous replacer à
notre origine. Deux moyens s'offrent à nous. Ou
bien de décider que Ion ne devra parler que patois en
jouant la partie, ou bien d'en revenir aux délibéra-
tions en patois. J'avoue que le premier moyen me
semble présenter bien des difficultés. Il faudrait éta-
blir des amendes qui seraient très difficiles à perce-
voir, et ensuite ne courrions-nous pas le risque d'éloi-
gner des sociétaires qui, ne pouvant parler patois,
quitteraient la réunion, aussitôt la séance levée, pour
aller finir la soirée là où ils seraient libres de parler
à leur gré . . . Le second moyen serait bien préfé-
rable. Il ne présenterait pas de difficultés sérieuses,
car il est peu de membres parmi nous qui ne pîcissent
dire cinq ou six mots en patois et il n'en faut souvent
pas davantage pour exprimer son avis sur les sujets que
nous discutons. » En effet, d'après les procès-verbaux,
il s'agissait presque toujours de nécessiteux pour
lesquels on sollicitait le secours de la caisse du Cercle
et les discussions devaient être bien monotones et vite
terminées. La proposition de Justin Billon tendant
à ramener le Cercle à ses origines est ainsi conçue:
« A l'avenir les délibérations auront lieu en patois.
On ne pourra parler français durant les séances sans
y être autorisé par le président, qui ne devra accor-
der cette permission qu'aux membres évidemment dans
l'impossibilité de s'exprimer dans cet idiome. En cas
de refus du président, il pourra être appelé au vote
de l'assemblée, qui prononcera à la majorité absolue
des membres présents. » Après avoir écouté l'opinion
de quelques membres qui trouvaient d'abord ces me-
52 L. GAUCHAT.
sures trop sévères, surtout pour ceux qui avaient
«désiré faire partie de la société plutôt pour apprendre
cet idiome que pour le parler (!) », on adopta à
Tunanimité la proposition, que son auteur avait menacé
de retirer, « plutôt que de causer de la peine à un
Sapin ». Et le reste du procès- verbal est écrit en
patois, reproduisant probablement textuellement les
paroles des sociétaires qui prirent ensuite la parole
dans cette séance mémorable.
Je transcris ici un fragment du protocole, pour
donner une idée du patois employé : « Le citoyen
Cèlestin Droue (Droz) a la paroule. No zattaran
(enterrons) deman do (deux) bons vïirzamis^ noîttre
collègue Auguste Pic te t et Huinbert Bar le. J propouzo
qu'on réunisse lets do convois et quon na (en) fasse
qu'on. Le citoyen Président questfoiissart'^ po Auguste
Pictet, promet de faire lets dénier t'ches po ça. La
séance est levéye. » On voit cjue le Glossaire des patois
n'a pas grand'chose à prendre dans ces documents,
pourtant bien intéressants au point de vue de l'his-
toire de nos mœurs.
A partir de ce moment, et jusqu'au renouvelle-
ment du bureau, Justin Billon, qui ne voulut pas
accepter une réélection , rédige ses procès - verbaux
en patois (du 19 janvier au 20 juillet 1861), mais il
cherche souvent des prétextes pour se soustraire à
la stricte application de sa motion, tout comme
les sociétaires, témoin ce passage du procès-verbal
* On appelait ainsi non seulement le fossoyeur, mais aussi
la personne qui invitait les parents et amis à assister à l'en-
errement.
DERNIÈRE PAGE DE L'HISTOIRE DU PATOIS 53
de l'assemblée du 16 février 1861: i^ Le citoyen Ulysse
Sandoue (Sandoz) a la paroùle po ana communication
su on locau (le mot local patoisé) ifiio zet offoué (qui
nous est offert). Ma y reqiiiè d'povet (il demande
de pouvoir) preidgie français. Non seàlama le Prési-
dent Vy accouôde sa demande, ma y propoûze lu (lui)
même, qiCattadn V importance d' l'affaire tchacon set
(soit) libre d" preidgie français^ çà qrassimbice ratifiet
pa son vote. » Tout le reste du procès-verbal est en
français; la discussion de cette «affaire importante» a
donc été entièrement française. Le patois était déjà
réduit à quelques formules élémentaires et ne suffi-
sait plus à soutenir le moindre effort de conversation
sérieuse. La poudre commençait à manquer tout à
fait dans la forteresse de la langue nationale. En
rendant compte du souper général » qui a suivi la
séance du i" mars 1861, le secrétaire se sert de la
langue française, tout heureux de pouvoir échapper
à l'obligation du patois dans tout ce qui n'est pas
un procès-verbal proprement dit. Il connaissait trop
peu la vieille langue pour s'y sentir à l'aise. Dans
le procès -verbal de la séance du 16 février 1861,
nous rencontrons la remarque: „Z.f secrétaire ayant
racontrà quéques difficultàs da la rédaction de ç'iii
procès verbal preye (prie) lets sociétaires d'bin volet
Vy V ni a 11 aide, à Vy f assaut (en lui faisant)
dets observatiojis quand il apiéra (emploiera) dets
mots que n'sarans pà a bon et pur patois. Y lets
recivra avoué grand piaizi. » C'est probablement
sur l'avis d'un sociétaire qu'il a d'abord corrigé au
crayon apiéra en apyéra et ensuite remplacé par
54 L. GAUCHAT
s'djora \ qui est en effet plus patois. D'autre part, il
est juste de dire qu'il possède encore bien ses formes
verbales, comme le démontrent les mots f assaut, re-
civra et les nombreux parfaits de ses procès-verbaux.
Le 13 avril 1861, nouveau symptôme de la fin
prochaine du patois neuchàtelois. On discute grave-
ment, en plein Cercle du Sapin, s'il faut dire Sociétà
du Sapé ou du Sapin. Après avoir établi à l'aide
« de personnes très âgées ayant toujours habité soit
le village, soit nos environs, de la manière la plus
positive que sapé est bien le mot patois de sapin-j>, la
forme sapin obtint néanmoins une forte majorité. On
trouvait déjà la vraie forme du mot trop bizarre et
incongrue pour l'introduire dans le nom du Cercle.
Au texte patois du Règlement de la Société du
Sapin, adopté dans l'assemblée du 13 avril 1861, on
trouva bon de joindre une traduction française. On
a l'impression que c'est la rédaction française qui fait
loi. L'autre n'est qu'une parade. La langue de Paris
avait déjà conquis toute la partie officielle du Cercle
du Sapin.
La même année il y eut encore un échange de
lettres patoises entre le Cercle et un membre domi-
cilié à Neuchàtel.
Le 20 juillet, lorsqu'il sagit de remplacer le se-
crétaire démissionnaire, un des proposés, Jules L'Eplat-
' Si djoyi = se servir, p. ex. de man (des mains), d'on
konté (d'un couteau), etc. Le verbe djoyi s'emploie aussi acti-
vement : on Vy djoie djeirè toié sôchè d'iiti (toutes sortes d'ou-
tils. Patois neuchàtelois 319, 34). Nos d'jorains d'gèret Ffy
d'artcha II ^=no\xs emploierons aussi le télégraphe (V.Hirschy),etc.
DERNIÈRE PAGE DE L'HISTOIRE DU PATOIS 55
tenier, s'excuse sur son peu de connaissance du patois.
Il n'est pas nommé, cependant le nouveau «sékertère»,
Eugène Veuve, n'a pas le courage non plus d'écrire
ses procès-verbaux en patois. Lorsqu'un de ses suc-
cesseurs, Gustave Jaquet, revient à l'emploi du dialecte
(procès-verbaux du 23 août 1862 au 30 mai 1863),
c'est le dernier éclair de vitalité du patois agonisant.
Lui aussi d'ailleurs profitait de chaque opinion émise
en français pour éviter l'usage du patois. A l'occasion
de la revision des statuts du 6 décembre 1862, un
membre ose proposer de retrancher l'obligation de
parler patois. Ses paroles, qui auraient jeté le plus
grand trouble en 1857, "^ paraissent pas avoir produit
la moindre irritation. On laisse subsister le patois,
comme on n'éloigne pas le portrait de laïeul après sa
mort. La proposition est encore repoussée, mais dans
les statuts du 4 février 1865, par lesquels l'organisation
du Cercle fut définitivement réglée, il n'est plus ques-
tion de patois. Le fameux article 2 y est supprimé. Le
patois est relégué dans les archives et désormais les
sociétaires vouent leur attention entière aux buts qui,
au fond, les avaient toujours plus intéressés que le
patois, sans avoir été spécifiés par les statuts : la
charité publique et le progrès social. Le vieil idiome
n'a été ainsi qu'un décor dans la vie du Cercle du
Sapin. Mais quand, au banquet du i^"" mars, l'ombre
de leur brave et gai ancêtre passe devant leurs yeux,
les vieux souvenirs remontent à la surface, et les
convives, faisant effort, entonnent de leur voix mo-
derne l'ancienne «Prière du Sapin».
(A suivre). L. Gauchat.
56 L. GALXHAT
Addition aux N°^ 1-2 du Bulletin.
Un des correspondants du Glossaire, M. C. Ruffieux, pro-
fesseur à l'école normale de Hauterive, a eu l'amabilité de me
signaler une omission dans mon article Nos patois romands.
En parlant des expressions que le patois gruyérien emploie
pour désigner un abri, j'ai oublié de mentionner la locution
a chokrè, qui vient donc se joindre comme quatrième terme à
ceux que j'ai nommés. Ce mot ne m'était pas inconnu, car je
l'avais déjà rencontré dans les glossaires manuscrits de Louis
Bornet et de Louis Ruffieux, mais il ne m'était pas présent au
moment où je rédigeais mon article. D'après M. C Ruffieux,
le sens du nouveau terme serait plus vague que celui des
expressions citées [Bulletin 1—2, p. 6), bità a chokrè signifierait
«mettre à l'abri des intempéries, quelles qu'elles soient: vents,
orages, inondations». Notre correspondant a soin d'en préciser
l'emploi actuel par quelques exemples. On dit: ouna méjon
(maison), on tsalè (chalet), etc. a chokrè = bien abrités. On
l'emploie aussi au figuré : fô bdtà chi niè a chokrè po kd lè-j-infan
Id priri^nyan pâ = «il faut mettre ce miel en sécurité pour que
les enfants ne le prennent pas». Le sens de la locution a dû
être autrefois plus précis. M. L. Ruffieux la définit «à l'abri
du vent » et L. Bornet écrit : « socrci (à) adv. se dit d'un lieu
bien exposé, tourné au midi et abrité contre la bise». J'ai
retrouvé le mot dans d'autres parties du canton, avec d'autres
significations encore.
Nous serons reconnaissants à toute personne gui nous
fera connaître des erreurs ou omissions contenues dans le
«Bulletin» et nous prions nos lecteurs de bien zwuloir
compléter nos renseignements par leurs observations locales.
Ces matériaux complémentaires seront reçus avec la plus
vive gratitude. L. G.
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du GlOvSsaire.
PREMIÈRE AXXÉE
1902.
-*■ "■-'
bp:rxe
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hallerstrasse 39.
LA DERNIERE PAGE
DE L'HISTOIRE DU PATOIS
A LA ChAUX-DE-FONDS.
II.
Voici le texte de cette prière peu connue \ que
je publie d'après le manuscrit de l'auteur, Ami Hugue-
nin, dont le chansonnier autographe est en ce moment
entre mes mains, grâce à l'arnabilitë du président
actuel du Cercle du Sapin, M. Ch. Colomb, avocat.
Je transcris la prière d'abord dans l'orthographe ori-
ginale, puis dans celle du Bulletin, afin de mieux faire
saisir la prononciation, et j'y joins quelques remarciues
linguistiques que me suggère ce curieux petit docu-
ment des mœurs d'autrefois, conservé par la tradition,
malgré tous les changements survenus depuis 1857
dans l'organisation du Cercle.
Préyire.
Quand fchacoii saide
Nion ne se crève
Atre Sapins aidans
Préscrvins nots adé
De trop londgets estomets
De matés que ne se raconfra pas
De boues crevas dépondits
De tchones niau queii
Dets roupitres de la renaye
Dets tchareutres
Préyir'.
Kan tchakon s'éd"^
nyon n3 s3 krèv' ^
air sapin édan*
prèzèrvin no adé
dd trà londjè-z-èstàmè,''
dd maté^ k'nd s3 rakontra pâ,
dd boue krèvâ dèpondu,''
dd tchoû mô kà,
de roïipitr' *, d'ia rnéy'/
de tcharcétr',^"
L. GAUCHAT
Dets oeùles dégasse
De la colique de la to
Dets vielles fannets que fan la
cela
Dets djouvcncts po nots faire la
coiia
Dets propriaitres sin couchasse
Dets lars dets avocats
Dets apoticaires dets tniedges
Et dets indcpendans, récalcitrans
Amen.
dè-z-âly' d'ègàs',^^
dd la kàlik', d» la to,^^
de vilyè fànè k'fan la sèta,^^
de djoitv'nè pà nà fer' la
koua,^*
de proprié tr' sin konchàs',^^
de lâr',^^ dè-z-avoka,
dè-z-apotikér' , de mxdj' ^"^
è dè-z-indèpandan rèkalsitran;^^
amèn\
TRADUCTION:
Prière.
Quand chacun aide,
Personne ne «se crève» (ne se tue en travaillant).
Entre « Sapins » aidant,
Préservons-nous toujours
D'estomacs trop longs (vides),
De « marteaux » qui ne se rencontrent pas,
De boyaux percés, déchirés.
De choux mal cuits.
De l'hydropisie, du lombago,
Des érj'^sipèles,
Des œils de perdrix (cors),
De la colique, de la toux.
Des vieilles femmes qui font le sabbat.
Des jeunes pour (capables de) nous faire «de la ficelle»,
Des propriétaires sans conscience.
Des larrons, des avocats.
Des apothicaires, des médecins
Et des indépendants, récalcitrants;
Amen.
Cette gaie « prière , si peu en rapport avec les
tendances actuelles du Cercle, avant tout philanthro-
DERNIERE PAGE DE L'HISTOIRE DU PATOIS 59
piques et politiques* n'a été sauvée de l'oubli que
par le respect des traditions, pour ne pas perdre le
souvenir de l'esprit malicieux du fondateur de la
Société du Sapin. Ce n'est pas le seul ancien usage
que le Cercle maintienne. Il est resté fidèle à l'insti-
tution, aussi ancienne que la «prière», du iban du
Sapin y, dont il est souvent question dans les pre-
miers procès-verbaux des séances. Le ban » ou la
« Santé du Sapin » se bat de la manière suivante :
Tous les membres présents se lèvent, se découvrent
et se frappent, sous le commandement du président,
trois coups sur la tète, trois sur le cœur et trois dans
la main. Le ban^ bien entré aujourd'hui dans les
usages des sociétés de la Suisse romande et qui tient
peut-être son origine immédiate des coutumes du
Cercle du Sapin**, a pour but d'acclamer une action
ou une personne. On « bat un ban », d'après les
registres des procès-verbaux, par exemple en l'hon-
neur d'un membre décédé, d'un sociétaire rentrant
après une longue maladie, de quatre collègues élus
grands conseillers, etc. Le texte qui accompagnait
le ban devait être approprié aux circonstances.
J'ai sous la main un exemplaire récent, hecto-
graphié, de la « Santé du Sapin » que je transcris ici
* Remarquons cependant la pointe satirique de la fin.
* * Il rappelle certaines coutumes des étudiants allemands
et doit provenir, en dernière ligne, de certaines institutions des
ordres du moyen âge. J'ignore si l'usage du ban est connu
en France dans la vie des sociétés; en tous cas les diction-
naires sont muets à cet égard.
6o
L. GAUCHAT
textuellement, sans la musique, avec traduction fran-
çaise en regard*.
Santé du Sapin.
Bouèbes du Sapin,'" debout!
Y a-t-il du vin patcho?-" —
Vè.— Nos allins potcha la santa
a noutra balla Socièta. Nos
bérins c'ta^' santa à trè timps.
Permi timps : U piési qu'nos
ains d'no trovâ tos^^ réunis
da c'tu botcha ! '-^.
Deuzîme timps : U piési
qu'nos arins adé da pareille
circonstance.
Trézîme timps : A la pros-
périta de notra balla Sociéta.
Attention ! ■* La man drête
es ermes!^^ Et qu'chacon^®
fasse chorus c'mà s'el moêP''
était dans l'botcha!
Le chœur chante:
A c'ta Santà que tchacon
li réponde,
A c'ta Santà que l'an ^^ vint
de nomma !^*
Sapins! Bevins tu a la ronde,
Fasins hanu à c'ta Santà!
Maudit set qui n'a berra
Et qui s'en barbille-bouille,
Maudit set qui n'a berra
Et qui s'en barbouillera.^"
Enfants du Sapin, debout!
Y a-t-il du vin partout? — Oui.
— Nous allons porter la santé
à notre belle Société. Nous boi-
rons cette santé en trois temps.
Premier temps : Au plaisir
que nous avons de nous trou-
ver tous réunis dans ce bois!
Deuxième temps: Au plaisir
que nous aurons toujours en
pareille circonstance.
Troisième temps: A la pros-
périté de notre belle Société.
Attention! La main droite
aux armes! Et que chacun
fasse chorus comme si le dia-
ble était dans le bois !
A cette santé que chacun
lui réponde,
A cette santé que l'on vient
de nommer!
Sapins! Buvons tous à la ronde,
Faisons honneur à cette santé!
Maudit soit qui n'en boira
Et qui s'embarbille-bouille.
Maudit soit qui n'en boira
Et qui s'embarbouillera.
* Le patois de ce texte n'est plus pur, il est entre-
mêlé de formes françaises.
DERNIERE PAGE DE L'HISTOIRE DU PATOIS
6i
comme
plus haut.
A do dets ^' d'ia garga-
melle ! ^-
Le chceur chante :
Morbleu! il en vaut ben la
peine/'
Pô c'ta balla sociètà qu'on
âme !'*
Bevins rasade â fra Sapins,
i^^i timps I
2* timps
3'' timps
Suci la darire gôtta! Bras
gautche, an'avant! Rubis su
l'onyé ! '^ Suci c'tu rubis ! Bras
gautche en son lieu! Haut les
ermes ! A do dets du cou-
tcheron!^® Faté réz'na c'tu
coutcheron! Haut les ermes!
A do dets du coueu! Faté
rez'na c'tu coueu! Haut les
ermes ! Et c'ma ien '' soù su
•qu'aucun d'vos n'est ennemi du
sexe, a do dets d'ia beureuille!
Faté rez'na c'ta beureuille!
Haut les ermes! A do dets
<l'la tabie,'^ et qu'u mot d'tré
on n'ouie^" qu'on coup! On!
Do! Tré!
Le chœur chante :
Halla halla halla la la la
etc.
A deux doigts du gosier!
Morbleu ! il en vaut bien la
peine,
Pour cette belle société qu'on
aime!
Buvons rasade aux frais sapins.
!«■■ temps I
„„ . I comme
2*^ temps /
p . „ plus haut.
3*^ temps ) ^
• Sucez la dernière goutte!
Bras gauche, en avant! Rubis
sur l'ongle! Sucez ce rubis!
Bras gauche en son lieu ! Haut
les armes! A deux doigts du
sommet! Faites résonner ce
sommet! Haut les armes! A
deux doigts du cœur! Faites
résonner ce cœur! Haut les
armes ! Et comme j'en suis sûr
qu'aucun de vous n'est ennemi
du sexe, à deux doigts du nom-
bril! Faites résonner ce nom-
bril ! Haut les armes ! A deux
doigts de la table, et qu'au mot
de trois on n'entende qu'un
coup ! Un ! Deux ! Trois !
Ce n'est pas évidemment là le texte de l'ancien
« ban » du Cercle, celui dont on honorait les membres
nommés du Grand Conseil! Cependant ce texte doit
contenir les principaux éléments constitutifs du ban
62 L. GAUCHAT
primitif dont l'introduction dans le Cercle remonte
sans doute, comme celle de la « prière », à Ami Hugue-
nin. La « beureuille » n'y figurait probablement pas.
Je ne trouve aucune indication précise sur la forme
du ban dans les archives de la Société, sauf l'indica-
tion, jointe une ou deux fois à la mention d'un « ban > :
adé pas une iresée-»^ que j'interprète ainsi: «toujours
pas une «rosée», c'est-à-dire que personne n'a versé
de vin, ce qui s'accorderait avec les paroles : maudit
soit qui sembarbouillera.
J'ai trouvé en outre, dans les archives du Cercle
une « formule de souhaits de bienvenue pour les mem-
bres nouvellement reçus » que je copie d'un papier
contenu dans la liasse cotée N'' 41 :
« Le président invite la Société, to le biotcha^ à se
mettre debout coiitcJierin déquevoué^^ et se joindre à
lui pour témoigner aux nouveaux sociétaires notre
contentement et le plaisir que que (sic) nous avons
de les voir réunis à nous comme sociétaires.... (fin:)
et que si reinerqua dets pets bians gris noets choco-
lats y na n an pas moins le coueu voiiet^,, c'est-à-dire: et
s'ils remarquent des cheveux (poils) blancs, gris,.
noirs, chocolats, ils n'en ont pas moins le cœur vert.
Cette formule de bienvenue n'est plus en usage au-
jourd'hui.
Si la « prière » ne se renouvelait pas chaque
année, et si l'on n'avait pas de temps en temps l'occa-
sion d'entendre exécuter le « ban » du Cercle du Sapin,
rien ne trahirait plus aujourd'hui que cette Société
a été fondée à l'origine pour être une sorte d'Académie
de patois. Le jour, peu lointain peut-être, où ces
DERNIERE PAGE DE L'HISTOIRE DU PATOIS 63
usages viendront à se perdre, l'histoire du patois de
la Chaux-de-Fonds sera définitivement close.
L. Gauchat.
NOTES.
' Ce document a été reproduit dans le volume Le Patois
ncuchàtelois, publié en 1894 par la Société d'histoire du canton
de Neuchâtel, p. 330, n» i, sous le titre trop général de Soua
de boun-an, c'est-à-dire Souhaits de noitvel-an. Mon texte dif-
fère quelque peu de cette version.
2 En français populaire, on conjugue souvent le verbe
comme réfléchi: je m'aide, tu t'aides, etc. Ce premier fait
explique l'emploi de se, même en dehors de la 3™*^ personne:
«je m'en vais s'aider», etc. De là une tendance du pronom
se à se souder à certaines formes du verbe, surtout à l'infinitif.
Le sens du verbe réfléchi ne diffère pas de celui du verbe
ordinaire.
^) Le sens de ce proverbe répandu dans toute la Suisse
romande doit être celui-ci: Quand cliacun fait son devoir (quand
le travail est bien réparti), personne ne se tue de fatigue. Les
Vaudois disent d'une façon analogue: se mètr ao krCio = «se
mettre au creux» (tombe), pour « s'user au travail ». M. Miche-
lin-Bert (On dmindge et Piaintschtets « Un dimanche aux Plan-
chettes », nouvelle patoise en majeure partie inédite) donne le
proverbe sous cette forme : Ca tschacon s'aide, nion n'se grève
et traduit: personne ne se gêne, mais, outre que le verbe
grava n'a que le sens de gêner, incommoder, comme verbe
actif, non réfléchi, je ne connais comme 3™® personne que la
forme gràv'. Dans l'édition du Patois neuchâtelois, le proverbe
est remplacé par cet autre plus répandu: Que ne sa ne grave
= ce qu'on ne sait pas ne gène pas, qui n'a rien à voir ici.
Tant qu'on n'aura pas retrouvé l'ancienne forme du proverbe
dans des collections de dictons de ce genre, il sera difficile de
se prononcer sur la valeur exacte des mots nyon lU s<) krèv'.
* Faut-il prononcer Sapin-z-èdan, avec liaison, et, à la ligne
suivante, nà-z-adé? Je n'en suis pas sûr. Au lieu de notre
64 L. GAUCHAT
texte, le Patois neuchâtelois donne pour la ligne 3 les mots:
no, bramâ-fan, bramâ-sei — nous qui avons constamment faim
et soif [brama = crier]. En tout cas, l'accent circonflexe n'a
pas sa raison d'être sur le deuxième a, qui est atone et qui
ne se prononce peut-être même pas; j'ai rencontré dans mes
lectures avec la même signification, les mots bran.m'-sdpa, et
bran.m'-pidans' [a nasal + w').
'" londj' , dérivé phonétiquement de la forme féminine du
latin, an' èstçma, pluriel dè-z-èstàinè s. f., recul d'accent et
changement de genre sous l'influence analogique de mots
comme la pâma — le pdmè, etc.; èstçma prend aussi la signi-
fication de poitrine dans la généralité de nos patois.
" La prononciation du mot maté donne lieu à une re-
marque importante. J'ai noté par m et t des sons très parti-
culiers du dialecte de la montagne neuchâteloise. Le t est pro-
noncé plus en arrière que le f français ordinaire, la pointe de
la langue ne s'applique pas contre les dents d'en haut, mais
contre les alvéoles. Cela arrive toutes les fois que le / était
anciennement précédé d'une r. Ce son alvéolaire a produit un
recul de l'articulation du / vers les alvéoles. En dehors de
l'ancienne combinaison ;-/, on prononce un / ordinaire, de sorte
que ce patois se trouve avoir deux /, un / français et un t
anglais, nettement distincts dans la prononciation des «patoi-
sants». La population actuelle, sauf quelques rares représen-
tants de l'ancien idiome, n'a plus aucun souvenir de cette dis-
tinction. On prononçait donc autrefois niètl (moitié), tchantâ
(chanter), gétâ (gâter), même fnétra avec un t postdental (ancien
groupe tr), mais f)''ôta (porte), k^atrè (quarteret), de même
avec d : k''ôda (corde), v'^^ada (verte), etc. Souvent on entend
même tch et dj, donc f'ôtcha et k^'àdja, surtout dans une pro-
nonciation un peu rapide, ensuite d'un recul un peu plus éner-
gique de l'articulation du /. On sait que les patois voisins du
Jura bernois et de France prononcent p'ôtch' , k'^ôdf. Le dia-
lecte de la montagne neuchâteloise, en conservant une pré-
cieuse étape de transition, nous indique la voie suivie par
l'évolution des groupes rt rd. Il arrive même que l'r, dont il
ne reste plus de trace aujourd'hui, a agi à distance, par exem-
DERNIERE PAGE DE L'HISTORIE DU PATOIS 65
pie dans le mot ami (honneur) ou ma (renard), rnadà («re-
narder», c'est-à-dire vomir). On trouve n également dans les
mots qui avaient anciennement m, comme: on b°^^anâ (pelle à
feu, en patois vaudois on bèrnâr'), on sattà (cernil), etc. Ce
patois possède donc également deux espèces d'n: Vn ordinaire
ou postdentale (p. ex. /âna, femme; an iibv', nuage; anoncirè, à
présent, et une n alvéolaire emploj'ée seulement dans quelques
rares exemples. Un de ami (honneur) se prononce, au dire d'un
vieillard de la Chaux-de-Fonds, avec «la bouche pleine».
Le groupe rs devient ch: bursa = bocha. D'autres grou-
pes comme rk, rg, rf, rv, etc. restent intacts: barkâ (glisser
de travers), borg' (rouet), ôrfàii (orphelin), ari'â (arriver).
Cependant les perturbations occasionnées par le son r
dans ce patois sont bien plus grandes qu'elles ne paraissent
de prime abord, car l'initiale de la seconde syllabe agit sur
celle de la première, et une ancienne r finale peut exercer son
influence sur n'importe quelle consonne simple initiale de la
syllabe tonique. De là ta (tour), sàd' (sourd) ; j'ai cru consta-
ter làd' '^lourd) à la Chaux-du-Milieu, avec une / retirée. Les
k et p initiaux deviennent légèrement aspirés sous cette in-
fluence et ils sont suivis d'un petit o//-consonne (anglais w,
français point). Tantôt c'est l'un, tantôt l'autre de ces sons
parasites qui prédomine; au Cerneux-Péquignot, c'est le //, à
Pont-Martel c'est le zî'. L'un n'exclut pas l'autre. Au Locle
j'ai noté k'^'^^'ôda (corde), etc., à côté de kôta (côte) qui se pro-
nonce avec un k ordinaire. Le iv apparaît aussi après b,f, et
V (je n'ai pas d'exemples pour g): B°"éHa (Berne), b""èna
{borne), b""odan-na (mouche à viande, « bourdaine »), h°"on'
(borgne) ; /^"ùnè (fourneau), cpv°*'é (hiver), (fi'^^'è (ouvrir), /""ôtti
{fournir), /■^"ôc/i' (force). L';« du mot tnaté, pour revenir à
mon point de départ, se distingue d'une /;/ ordinaire par la ré-
duction partielle de l'avancement des lèvres. Ainsi presque
toute la série des consonnes se trouve dédoublée: sous l'in-
fluence d'une r finale, ou, plus souvent, des groupes rt, rd, m,
rs (et autres ?), il naît par le contact immédiat de l'r alvéolaire
ou même à distance une série de consonnes alvéolaires qui,
autrement, restent postdentales; les labiodentales et labiales
66 L. GAUCHAT
sont également altérées (retirées). Les palatales ne subissent
aucun changement, l'r n'agissant que sur les sons s'articulant
plus en avant dans la bouche. Remarquez cependant k^', k°^').
Que serait-il arrivé, si le dialecte de la montagne neuchâ-
teloise n'avait pas été destiné à périr? L'r n'existant plus
dans la prononciation actuelle, la distinction de mots comme
fà'itâ (tonner) et tcènâ (tourner) devient une affaire de mémoire.
11 peut arriver que les enfants confondent les deux sons. Il
est possible aussi qu'un son s'impose au détriment de l'autre,
le k peut céder la place au k, qui est en majorité; ou le k,
c'est-à-dire le k'^ ou k°^ peut se communiquer à tous les exem-
ples. Dans les deux cas, sans connaissance de la curieuse
étape que je viens de constater, la science s'}^ tromperait. Si
je découvrais, dans le voisinage, un patois qui aurait transformé
tous les k en k'', je serais porté maintenant à en attribuer l'ori-
gine aux quelques cas où le k était suivi de r -|- une des con-
sonnes indiquées plus haut. Chaque loi phonétique, en théorie,
a pu être limitée primitivement à quelques cas isolés, qu'il est
impossible de reconnaître, une fois que la loi a pris des pro-
portions plus considérables. Rien ne distingue dans les trans-
criptions vulgaires de patois, tànâ de tàttâ, écrits tous les deux
teiinâ. Ce n'est qu'en étudiant les langues vwantes qu'on arrive
à constater de pareilles nuances de prononciation si importantes
pour la compréhension de l'évolution linguistique.
Je termine cette longue note en disant à ceux qui ne le
savent pas que « marteau », dans nos patois, a aussi le sens
de «dent molaire». Le Patois neuchàtclois remplace dans
son édition le mot par masse, c'est-à-dire « mâchoires » ou même
« bouche », et fait précéder la ligne 6 de celle-ci, qui manque
dans l'original: Dé dgedgiva avoué dé gougne = de gencives
avec des ampoules.
" dèpondr' signifie «briser par traction-. On dit en pa-
tois : rèstàma m'dèpon = me fait mal, tant j'ai faim.
® roûpïtr', hydropisie, probablement par déformation du
mot savant. La forme habituelle est roûpïf , voir Saboulée des
Borgognons, Le Locle i86i, p. 8, 17; Patois neuchéitelois 186,
23: roiipife, en rime avec dépite; Glossaire Nicolet cependant:
rofipitre. Au Val-de-Ruz, on dit également roùpitr' .
DERNIÈRE PAGE DE L'HISTOIRE DU PATOIS 67
^ rnèy^ est tiré de renés, les reins, au moyen du suffixe -ata.
*" tcharàtr" s. m., érysipèle; Val-de-Ruz: tchèrâtr' . L'éty-
mologie caro tirtica, proposée dans le Glossaire Nicolet, n'a
aucune valeur. Le mot étant masculin, il faut renoncer à y
voir le mot caro. L'allemand bernois dit Scliaràti, on le ren-
contre également dans les patois allemands de Lucerne, Soleure
et du Valais, même avec tch à l'initiale. C'est évidemment le
même mot, mais d'où est-il originaire?
'^ âly' d'ègas', cor; comparez l'expression bernoise
àg9rcht3-n-àougd. Le mot patois ègas' vient de l'ancien haut
allemand agazza ^^ pie.
'- fà, toux; infinitif: iâssi.
^^ cèta, frib. chèta, sabbat, grand bruit, dérivé de secte,
introduit par voie savante dans les patois. Pour le sens,
comparez vôdCi' = sorcier, de Valdensis, Archives suisses des
Traditions populaires II, 181.
" /ér la koua, litt. faire la queue, m'a été expliqué par
des connaisseurs du patois par l'expression « faire de la ficelle »,
commettre des infidélités. Le Patois neuchâtelois traduit : « qui
ne sont pas fidèles».
*^ propriétr' , forme curieuse, influence de métr' -— maître ?
konchàs', en patois de la Brévine: konsyas' ; ici le groupe sy
est rendu par ch; comparez La Brévine : syé (ciel), syadré (cen-
dres), syànt" (psaume); Les Ponts, La Sagne, La Chaux-de-
Fonds, Le Locle: ché, chadrè, chôm' , etc.
*® lâr, voleur, remonte à l'ancien nominatif latin latro,
conservé sous l'influence de pater = patrem, mater = matrem,
f rater ^= fratreni et des nombreux mots en -ator, conservés
également sous la forme du nominatif dans tous nos patois;
comparez ici foUssâr', fossoyeur, etc. Au lieu du mot avocats,
le Patois iieucliàtelois donne boute-froit, correction due évi-
demment à quelque mauvais plaisant. Avoir du boute -frou
signifie en patois « être éloquent », mais ce ne serait pas là la
forme du patois de la montagne, où l'on dirait bouèt' 'bout')
-fyà. Bouta ou bouètâ a le sens de mettre. J'ai même trouvé
l'expression lo bous'-fyâ, de boussâ, pousser. Inutile de dire
que le boute-frou n'est pas un apanage spécial des avocats.
68 L. GAUCHAT
^' ufidg' , médecin, n'a pas en patois le sens péjoratif du
français mège = médicastre.
'* Les Indépendants, parti radical dissident. Le Patois
neuchâtelois a tort de patoiser ces mots en Indèpadâ, Rccal-
citrâ. On n'a jamais pu dire ainsi, car si le patois rend par
a la nasale française an provenant du latin in, en, par exemple
gentes = dja, infantem = afan, etc., ce n'est pas le cas pour la
désinence du participe présent ante =^ an. On trouve tout au
plus a pour la terminaison atone -ant à la troisième personne
du pluriel du présent de la I""*^ conjugaison, comparez à la ligne 6
rakontra = rencontrent.
''•* En bon patois on dirait: bouâb' du sapé (sappellitm).
^^ patcho, potcha; c'est ainsi qu'on a essayé de rendre
l'ancienne prononciation pat'à, pbt'â.
-' Prononcez sta, masc. stit, pi. m. et ï. stè, du latin ecce
istui, forme analogique = vieux français cestiii, ecce ista, ecce
istos (istas).
^2 Patois: tu.
-^ Les membres du Cercle s'appelant « Sapins » forment
ensemble le b°^'btcha, c'est-à-dire bosquet ou petite forêt, terme
qui est formé, comme le mot bosquet, du latin hypothétique
buscu, bois, d'où est tiré aussi l'allemand Busch, et du suffixe
diminutif /////, qui est généralement rendu en patois par è et non
par a, ce qui ferait supposer que nous avons affaire à un emprunt
fait au patois du Jura bernois, où le mot boitécha est très répandu
comme appellatif, comme nom de lieu et de famille, à moins
d'y voir bitscaciii; comparez bouscas, Mistral, Trésor. Le Glos-
saire de Nicolet donne botchà = bosquet (bois), mais Va n'est
pas long, comme j'ai pu m'en convaincre; j'ai noté ce mot à
plusieurs endroits. J'ignore pourquoi Ami Huguenin écrivait
ce mot biotcha, il orthographiait également î'/o = huit, bieiibes
= garçons, fiait = fort, biodons = bourdons, grains de pian =
pissenlit (grains de porc), etc. J'ai partout entendu prononcer
voilà, bouâb', fouô, bouàdon, gran dd poitô. Le mot simple
bov. ne signifie pas seulement bois, comme matière et dans le
sens de forêt, mais remplace ordinairement le mot arbre: léyié
contre on boue ^= lié contre un arbre (Djaque -Ignace Lam-
DERNIÈRE PAGE DE L'HISTOIRE DU PATOIS 69
padut). Le terme ordinaire pour forêt est koTita, c'est-à-dire
côte, ce qui s'explique par le fait que dans les longues vallées
du Jura les côtes sont boisées, tandis que la plaine est maré-
cageuse ou cultivée. Le mot dju, qui a autrefois concouru
avec les mots cités dans le sens de forêt, n'est plus senti comme
appellatif, mais existe encore comme nom de lieu, p. ex. la dju
du Pyiin' — La Joux du Plane, etc. Le sommet d'un arbre
s'appelle koutchron, dérivé d'une forme perdue kontchè, qui se
retrouve dans les patois fribourgeois et vaudois sous la forme
koHtsè = sommet, cime, et qui vient peut-être de l'allemand suisse
Chuts, sommet d'une colline boisée. Le koiitchron désigne ici
la tête des «Sapins».
-■• En vrai patois: ba/yl-vo a voiiada = litt. «donnez -vous
en garde».
-'" Patois: ciriuè.
^'^ Patois: tchakon.
-'' Lisez s3 l moiiàl -— si le diable, iiioital signifierait merle.
^* Le patois dit on, comme en français. C'est peut-être
une faute de copie.
-^ Prononcez iion-mâ.
^° C'est lin verbe en patois: s'abarbo/vî = s'embarbouiller.
^' « A deux doigts », marque un mouvement préparatoire
que l'assemblée exécute, avant de boire, de frapper sur la
tête, etc. La main, appelée ici aniic, se place à deux doigts
de l'objet nommé.
'- gargamelky mot populaire pour gosier, qui n'est pas patois.
'' Patois: pin.na.
^^ Patois: an.ni'.
^* Patois: onlv\ Cette vérification s'il reste une goutte
dans le verre, rappelle la Nagcl-Probe des étudiants allemands,
et, si je ne fais erreur, certains usages maçonniques. Ami
Huguenin était franc-maçon.
^^ koiitcJiron, voire note 23.
^' Patois: y a soR sur.
^* bàràly', dim. bàrlyon, nombril, de (um) biliaila, (ton) -
biliculonem, devenus biricula, biricitlonem par dissimilation. Les
70 OCTAVE CHAMBAZ
formes ayant perdu la première syllabe (par confusion avec
l'article indéfini?) sont très répandues dans les pays romans.
^^ Prononcez tâby' .
*° Prononcez oûy' .
*' coutcherin, lisez kontchron dèkvoiié = tête découverte.
TEXTES
Lindèman de fîta.
Dialogue eu patois du Gros-deA^aud (Rovray).
I.
La Janèt' a Samin (a sa faly' Maryon, lô lindè-
man de Tabayi de Biôlë) Dzâtyè dà Gran y on te
tBiiye hin de prl yè-r-a né r Yd dzbypsé de vb veral
La Maryon. — Pu k^ ni a dp, kp pb la valts^ nin
kbnypse min a me, e k'in me véyin avoué mon tsapi nàvb
é me bi nyâ, le prdnye invya dé me chatà à kou.
l^a Janèt'. — Le varé kp rire té la pyp bala dé
TRADUCTION
Lendemain de fête.
I.
Jeannette (femme) de Samuel (à sa fille Marie, le len-
demain de la fête de Bioley). Jacques du Grand Clos te tenait
bien de près hier soir? Je jouissais de vous voir!
Marie. — Puis qu'il m'a dit que pour (danser) la valse,
il n'en connaissait point comme (à) moi, et qu'en me voyant
avec mon chapeau neuf et mes beaux nœuds (rubans), il lui
prenait envie de me sauter au cou.
Jeannette. — C'est vrai que c'était toi la plus belle de
TEXTE DU GROS-DE-VAUD 71
tbtè. Dzatye lia pu atindu de roîw' d^r^: l'a prà
vu bil
La Maryon (in sorizin). M'in-n-a kontâ de tbtè
lè sorte è liin tan rckafalâ ks vie cJiinid adi la vintro
(kan l'a-z-u sondzi on mômsnè) Le ta pare gayâ
dzinti . . . Dzâtycl
La Janèt'. — Âl vie pinsb k? le dzinti, è, t9 nd
di pa, avoué sin Ib méyà parti kd ley ose bin lyin è
bin lârdzol . . . (tô pyan) In te rampnin fa-t-s pàtitr'
bayi a chintrs ... .r
La Maryon. — Ô ve! de dâtre mb kd ma ludzi
à pert3 de Vdroy9^ inks, à ba de z'ègrâ., kan l'a vbyu
parti., yé de suito devina kd l'ave rndou fan...', r
La Janèt'. — Ve-tou, Maryon, S3 sin alâv'e saré
toutes. Jacques n'a pas attendu de l'entendre dire: il a vu
assez clair!
Marie (en souriant). II m'en a conté de toutes les sortes
et nous avons tellement ri que je m'en sens encore le ventre
malade... (après un petit moment de rêverie) Il est quand même
bien gentil... Jacques!
yeannette. — Ah! je crois bien qu'il est gentil, et, tu ne
dis pas avec ça le meilleur parti qu'il y ait à dix lieues à la
ronde (bien loin et bien large) ! . . . (tout doucement) En t'accom-
pagnant (à la maison) t'a-t-il peut-être donné à entendre ... ?
Marie. — Oh oui! à quelques (deux-trois) mots qu'il m'a
glissés au trou de l'oreille, là, au bas des escaliers, quand il a
voulu partir, j'ai de suite deviné qu'il avait bien envie...!?
yeannette. — Vois-tu, Marie, si ça allait (si ça aboutissait
* La coutume veut, dans le Gros-de-Vaud, comme ailleurs,
que le danseur qui accompagne sa danseuse chez elle l'em-
brasse en la quittant, ce que Marie sous-entend ici en pronon-
çant les paroles « glisser deux-trois mots, etc. »
72 OCTAVE CHAMBAZ
tan kontintal È t3 pà kontâ ke ton pér^ n3 rpfusère
rin pb Ib trbsi, n'ôsi pouërp . . .1 Sarè-tou pa h3néz\
tè asabin ?
La Mary on. — Ma sondza ve, niera, on gale valè
dinchall
La Janèt'. — Lb kreybl... Pu alà à Gran yoiil
tsi le pyp grô payisan dà valàdsbl ?.. . (ona manut' apri)
Maryonl atyuta me !
La Mary on. — Kè và-tou^ mer 3?
La Janèt'. — Té fà fatmdrp, dûzbrinlé, ma poura
Mary on, a avf de masè de dzalàzè, pc lou mondb...
II.
Dzâtyè dâ Gran ;^ou (lô mimou dzô, a s' n ami
Djan, in bévasin dami-po à kabarè de kamon). Sa yé
rizii^ yc-r-a né!
Djan. — Avoué la Mary on a Samin, à tyé ?
à un mariage), je serais si contente! Et tu peux compter que
ton père ne refuserait rien pour le trousseau, n'aie pas peur
(litt. : n'ayez peur)...! Ne serais-tu pas contente, toi aussi?
Marie. — Mais songe donc, mère, un joli garçon
comme ça!!
Jeannette. — Je le crois ! . . . Puis aller au Grand Clos !
chez les plus gros paysans du village!?... (une minute après)
Marie! écoute-moi!
Marie. ~ Que veux-tu (dire), mère?
Jeannette. — Il faut t'attendre, dorénavant, ma pauvre
Marie, à avoir un grand nombre de jalouses, par le monde...
II.
Jacques du Grand Clos (le même jour, à son ami Jean,
en buvant un demi -pot à l'auberge communale). Si j^ai ri,,
hier soir!
Jean. — Avec (la) Marie de (à) Samuel, ou quoi?
TEXTE DU GROS-DE-VAUD 73
Dzatyè. — Just".
Djan. — Le vâ-îoii a de bon . . . .-
Dzâtyè. — Mè kre-toii as? dâdoii r '.
Djan. — X? savé pa . . . de yàdzh r Kan 11? pa-
troudzè pu din la voiiarga e kp le dekou'enùy? /'? tan
se pou boiina fason . . . .-
Dzâtyè. — Le dâ i^ro tropi^ e onkh y3iia de ponte.
IL, se dp intre no, le ona grocha bpdonnia a koui on
pâ fer inkrerp stn le on va: prin tù ph bonna innn/a ...
Pâsè ph-r-on yâdzh... A la tyon.nal
D j a n . — De minihl
(Ka déchu l'an retapa p6 dami-pô è Tan dèvaza
d'ôtyiè d'ôtrô).
yacqitcs. — juste.
'Jean. — Y vas-tu pour de bon?
yacques. — Me crois-tu aussi nigaud?!
yean. — Je ne savais pas... des fois? Quand elle ne
patauge pas dans la boue et qu'elle est décrassée, elle a tant
soit peu bonne façon?
yacques. — Elle est du gros troupeau, et encore une des
laides. Puis, soit dit entre nous, c'est une grosse niaise à la-
quelle on peut faire accroire ce que l'on veut: elle prend tout
pour bonne monnaie . . . Passe pour une fois ... A la tienne !
yean. — De même!
([Que] Là-dessus ils ont frappé de nouveau pour [un]
demi-pot et ont causé d'autre ciiose).
Octave Chambaz.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Au lecteur ......... i
L. Gauchat, Nos patois romands .... 3
C. Fleuret, A la foire (Dialogue en patois de Bernex,
Genève) ........ 25
E. Tapfolet, Mots d'origine allemande pour désigner
le taureau ........ 27
L. Gauchat, Etymologies: p»fO, pila .... 28
F. IsABEL, Un fenil aux Ormonts (Alpes vaudoises) . 30
J. Jeanjaouet, La konta d Pakâiii (randonnée en
patois de Champéry, Valais) • • • ■ 33
L. Gauchat, Le lit è la gnt (patois de la Montagne
neuchâteloise) 38
J. Jeanjaquet, Et\'mologies : La •' fnteille », citchyèva,
àtidèna ......... 40
L. Gauchat, La dernière page de l'histoire du patois
à la Chaux-de-Fonds 46, 57
— Addition aux n"^ 1—2 du Bulletin .... 56
O. Chambaz, Lindèman de fita ^Dialogue en patois
du Gros-de-Vaud) ...... 70
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire.
DEUXIEME ANNEE
1903
BERNE
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hallerstrasse 39
L AGGLUTINATION DE LWRTICLE
DANS LES MOTS PATOIS
On sait que le mot lendemain remonte à une formation latine
in de-mane, qui a donné régulièrement en ancien français
endemain. Nous retrouvons cette forme dans l'italien indomani
et dans certains patois, comme par exemple celui de la Vallée
de Joux, où l'on dit indnnan. La présence de 17 dans le mot
moderne lendemain s'explique par le fait que l'article défini,
qui accompagnait très souvent le mot, a fini par faire corps
avec lui, à en devenir une partie intégrante et inséparable.
C'est ce phénomène qu'on désigne sous le nom d' « agglutina-
tion, » et l'on dit que telle particule, comme article, pronom
(par exemple dans le mononcle pour foncle), préposition {la
dinde pour la [poule] d'/nde, etc.), s'est «agglutinée» au mot
qu'elle précédait.
Les cas de ce genre sont bien plus fréquents dans les patois
que dans la langue littéraire, et la raison en est facile à com-
prendre. Les formes d'une langue qui s'écrit sont bien autre-
ment gravées dans la mémoire de ceux qui parlent que celles
d'un idiome qui ne s'écrit guère. Combien de fois le patois
n'hésite-t-il pas entre deux ou trois formes ou façons de dire,
là où le français académique plus rigide, plus soucieux de cor-
rection que le langage populaire, a réduit par élimination l'an-
cienne variété de formes ! Cet état d'hésitation, propre à tous
les idiomes qui ne connaissent pas le correctif de l'écriture^
est la cause générale de l'agglutination, qui, en dernier lieu^
n'est autre chose qu'une erreur non corrigée.
4 E. TAPPOLET
Nous ne parlerons pour cette fois que de l'agglutination de
l'article.
On peut distinguer plusieurs types, selon la forme ou la partie
de l'article qui se soude au mot suivant. Voici ceux qui sont
représentés dans les patois de la Suisse romande :
I. Type : le lendemain.
Citons d'abord les exemples que nos patois possèdent en
commun avec le français :
1 . lo lindhnan est la forme usitée dans presque tout le do-
maine, je ne trouve l'ancienne forme sans article que dans la
Vallée de Joux : lou indeman.
2. le lierre, du latin hedera, en ancien français ierre, sem-
ble avoir partout l'article. Il est indigène dans le canton de
Vaud : laira ^ et en Valais : lair?^ (Vionnaz), où il a conservé
le genre étymologique féminin, tandis qu'il est d'importation
récente dans les patois neuchâtelois, où la Béroche, par exemple,
dit lyér, forme française, comme le démontre le développement
normal de è latin dans lepore> lâH'ra, mel> jnâ^, etc.
3. le loriot se dit loriol d'après Bridel, forme agglutinée
comme en français, mais qui a conservé 1'/ finale de aureo-
lum, si ce n'est pas une simple graphie. Le Glossaire genevois
de Humbert donne louriou et ouriou.
4. le landier, chenets de cuisine, en ancien français andier,
apparaît sous la forme lindai (Bridel) dont le in pour an nous
fait douter de l'étymologie amitarium proposée par Meyer-
Lùbke, Einfiihrung in die ro?nanische Spraclnuissenschaft,
p. 25.
* Leirein,s.ra., dans le Glossaire de Bridel, semble remonter à
hedera + inum.
^ On s'attend à * laira d'après ya/Vra, fièvre; laivra, lièvre. Le
mot aurait-il subi l'analogie de la classe nombreuse des mots en
-air9 de -aria m, tels que tsèraird , pèraird , favaird , ou est-ce une
influence du français ?
AGGLUTINATION DE I.'aRTICLE DANS LES MOTS PATOIS 5
5. la luette^oMxVuette, du latin populaire uvitta, se dit dans
le canton de Vaud luetta, aluetta (sur cette formation voir
plus loin) et louette (Genève, Fribourg).
Quand et où la fusion avec l'article s'est-elle produite dans
ces mots ? Nous ignorons l'un et l'autre. Il n'est pas probable
cependant qu'elle se soit opérée chez nous indépendamment
des formes françaises.
Par contre, l'agglutination est indigène dans les exemples
suivants :
6. Lo livro« pis de la vache,» du latin uber, « pis, mamelle, »
qui s'est conservé en outre dans certains patois italiens, en
espagnol, en portugais et en roumain, toujours sans agglutina-
tion*. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que la Suisse romande
présente les deux formes du mot : livro et ivro^ avec ou sans
agglutination. Il faut user de grandes précautions en interro-
geant les patoisants peu versés en grammaire pour savoir si 17
fait réellement partie du mot ou non ; car le mot ne s'emploie
guère au pluriel ni avec l'article indéfini sans adjectif; même
en posant la question : Comment dites-vous pour « un beau pis, »
« un gros pis de vache? » les réponses : on bc-l-ivro, on byà-l-ivro,
on grô-l-ivro ne prouvent pas péremptoirement que l'agglutina-
tion existe, car plusieurs patois, surtout dans le Jura bernois,
•disent couramment ïnptc-\-èn, « un petit âne, » ïn grd-\-èn, « un
gros âne, » în pté-\-bch\ ïn grô-\-ûch\ « un petit, un gros os, »
sans dire une seule fois la Yen ni la \bch. L'intercalation de
cette / s'explique par des cas où 1'/ est légitime, comme dans :
sXèn., « cet âne, » de e c c e i 1 1 u m a s i n u m et ?« ^/l r«, ïn bé\ à je
de bellum. C'est là une autre espèce d'agglutination partielle
ou mieux « accidentelle », qui a sans doute contribué à affermir
dans la mémoire les formes agglutinées avec l'article. Pour
être bien sûr de la présence de ces dernières, il faut se faire
dire en patois, par plusieurs personnes, des phrases telles que :
' Certains dialectes rétoromans connaissent les formes agglu-
titiées liivro, livro. Voyez iSiigra, Arch. glott. XV, p. ii8.
6 E. TAPPOLET
« elle a le pis bien plein, » « son pis est vide depuis long-
temps, » « on voit bien qu'elle a mal an pis ^ » etc.
Voici maintenant la répartition géographique des deux types
zvro et livro dans nos patois. Commençons au Nord : le Jura
bernois dit aussi généralement iit'r que Neuchâtel dit ivr. Les
exceptions sont ici du plus haut intérêt, car elles confirment la
règle constante d'après laquelle le Vallon de Saint-Imier, la
Montagne de Diesse et la colonie protestante de la Ferrière
vont avec Neuchâtel ; on y dit zYr, de même qu'à Tramelan,
dont le patois est aussi isolé à d'autres égards. Dans le patois
de Fribourg, c'est de nouveau la forme agglutinée (liivrou ou
lurou) qui prédomine ; la Basse-Gruyère dit surtout uvro, iiro.
De 35 localités étudiées, 8 seulement ont conservé la forme nor-
male de uber. Le canton de Vaud est partagé: lïvro dans le
Gros-de-Vaud et à l'Ouest dans tous les villages qui ne disent
pas /(j'/ ou pyé {à.ç. pectus, cf. lyé <lectum); ïvro au Nord-
ouest (district de Grandson et Yverdon) et dans toute la partie
Est du canton (Alpes vaudoises et vallée du Rhône). Quelque
divergentes que soient les formes valaisannes de uber: fvro^
uvro, œryo, éryo, ourys, ougro, oubro, etc., il ne se trouve nulle
part de forme agglutinée. — Genève dit pyè, plyè, comme une
grande partie de l'Ouest du canton de Vaud.
On voit par là que les formes agglutinées ne font pas suite les
unes aux autres ; Neuchâtel est cette fois conservateur vis-à-vis
de Berne et de Fribourg, et on ne peut admettre que l'aggluti-
nation se soit propagée du Sud au Nord ni du Nord au Sud ;
elle doit être née indépendamment à plusieurs endroits.
Ajoutons que la forme agglutinée a passé dans le français
populaire du pays romand. A la question : Comment dites-vous
pour « le pis de la vache ? » on m'a corrigé plus d'une fois en
me disant: vous entendez le livre, n'est-ce pas?; ou bien on
m'explique : chez nous on dit h pyé, en français c'est /^ livre 'A
* Mentionnons un curieux pendant de livre que nous offre un
patois de la Suisse allemande. A Zollikon, près Zurich, on trouve
AGGLUTIXATIOX DE L'aRTICLE DAN'S LES MOTS PATOIS 7
Les autres exemples d'agglutination sont tous d'un usage très
local.
7. «Le nombril» se dit lambouret di Genève, forme agglu-
tinée de umbilicu + ittu. Ce mot présente les formes les
plus irrégulières dans tous les idiomes romans: tantôt c'est l'ar-
ticle défini qui s'est ajouté, tantôt la première syllabe du mot,
prise pour l'article indéfini, s'est détachée. Nous parlerons plus
loin de ce dernier procédé '.
S. Un troisième mot désignant une partie du corps, c'est
« l'orteil » de articulus. Le mot patois correspondant semble
avoir subi l'agglutination à Saint-Biaise et à Cressier (Neuchâtel),
où on dit lèrtè, h grà lèrtè (voir Zauner, /. c, p. 140).
On peut citer ensuite trois noms d'animaux :
9. Lanvoué « orvet, » forme attestée pour Dompierre (Gau-
chat, Le patois de Dompierre^ ?• 54' et pour Saint-Cergues, Le
glossaire de Bridel donne anvoué. C'est sans doute un diminutif
de anguis: *anguittum. Le Jura bernois dit dinvoua
« orvet », dont le d étonne. Quant à la forme cxnvert que donne
Bonhôte, Glossaire fieuchâtelois, on pourrait y voir une conta-
mination de notre anvoué avec lanzer ou lainzer, qu'on trouve
dans le même sens de « orvet » dans les glossaires de Bridel et
de Callet.
10. livèrna, s. f. (pluriel lé livcrne) « orvet », à l'Auberson
près Sainte-Croix, de hiberna, appelé ainsi à cause de son
sommeil hivernal.
11. lut s ér an {lut s ér ou, lut cher ou, lut serin ; lucheran [Hum-
bert]), «hibou, chouette,» dans les cantons de Fribourg, Vaud
et Genève. Le mot est probablement dérivé de *huccare
«hucher, appeler en criant, » en patois utchi. A côté de utchi.
sHtcr au lieu de uter, forme dialectale habituelle de Eu ter « pis. »
L'5 illégitime provient des articles tant défini qu'indéfini : das et
es pour eines. (Voir Schweis. Idiotikon, I, 606.)
' Voir les désignations romanes du nombril dans Zauner, Die
ro)namschen Namen der Kôrperteile, p. 161- 164.
6 E. TAPPOLET
nous trouvons jouUi, jouiséyi (radical youts4- idiare), qui
viennent sans doute de l'allemand suisse juc^se", « pousser des
cris de joie, » mot qu'on emploie aussi tout particulièrement
pour les cris peu joyeux du hibou '.
Restent plusieurs cas isolés :
12. /dfa, s. f. «la hotte,» mot fort répandu dans les patois
de Vaud et de Fribourg. Il vient de l'allemand méridional:
Auf/e {u fort ouvert), « panier à bretelles. » Les dérivés et
composés de ce mot présentent aussi la forme agglutinée : ex :
Ibtârs, Ibtayd ; tsdvô de Vota « chevalet à trois pieds sur lequel
on pose la hotte pour la remplir. »
13. /(? loquet pour «le hoquet,» forme attestée dans le fran-
çais régional de Genève, Neuchâtel et Fribourg.
14. h là « le haut, le sommet » (Ormonts), mot que je dérive
de l'adjectif à, àta, « haut. »
Dans ces trois mots l'aspiration n'a pas empêché l'agglutina-
tion de se produire, non plus que dans le français /e layon, fer-
meture d'une voiture de déménagement, qu'on dérive de \\ayon,
haie, ail. haag.
15. landiule, en français populaire de Genève longeole
(Humbert), correspond au français «andouille. »
16. luiset a le sens de « petite lucarne » à Genève (Humbert) ;
des formes analogues se rencontrent en Valais et dans le
canton de Fribourg avec le sens de « contrevent, » et rendent
probable la dérivation de ostium> franc, huis.
17. loirie au lieu de hoirie, mot vieilli pour «héritage,» est
donné par Humbert comme usité à Genève.
18. louèytan, «mesure pour les droits d'alpage » (Evolène),
dérive de octo et devait être à l'origine ouèytan.
{A suivre.) E. Tappolet.
* Quant à la iorme. yntséyi que donne Bridel, je me l'explique
par une contamination de iitsi « hucher, » et youtsi. Lutsévi
^Bridel) semble être dérivé du substantif agglutiné.
LES PARTIES DU VISAGE
DANS LES LOCUTIONS POPULAIRES DE LA GRUYÈRE
-4—
On a souvent dit qu'une langue ne se compose pas de mots,
mais de phrases dont les éléments gisent en partie tout faits
dans notre mémoire, prêts à donner une forme aux pensées
multiples qui traversent journellement notre esprit. L'originalité
d'un parler ne consiste pas seulement dans l'emploi de cer-
taines formes caractéristiques, de certains mots restreints à un
petit territoire, mais encore dans la façon dont les mots usuels
se combinent en tours de phrases, pour revêtir une nuance de
la pensée. Les mots sont les matériaux bruts qui ne prennent
vie que dans le corps de la phrase. Comme le Glossaire a. pour
but de refléter aussi complètement que possible la langue d'au-
trefois du pays romand, c'est-à-dire la forme de sa pensée,
nous ne saurions assez recommander à nos collaborateurs de
bien envisager sous tous leurs aspects et dans leurs multiples
combinaisons les mots qui constituent le vocabulaire patois.
Pour donner une idée de la variété de sens et d'emplois
des mots les plus communs, nous extrairons de la riche collec-
tion de locutions gruyériennes composée pour le Glossaire
par M. Louis Ruffieux celles qui renferment les noms des
diverses parties du visage.
Nous laisserons de côté les nombreuses locutions communes
à la langue littéraire et au patois et nous ne citerons que celles
qui paraissent intéressantes à un titre quelconque. Remarquons
toutefois que plusieurs locutions françaises se retrouvent en
patois avec une signification un peu détournée, avec une
lO L. GAUCHAT
nuance spéciale, comme avi bon nd, « avoir bon nez, » qu'on
emploie aussi dans un sens ironique : fd bon nd de vini ché,
«tu as bon nez de venir ici, » =tu viens inutilement; che fér'
i?ri pc rbrblyd, « se faire tirer par l'oreille, » =: se faire désirer.
Quelquefois un mot changé d'une locution française imprime
un caractère propre à la locution patoise, comme dans trér' di
grà-j'-yè, « sortir de gros yeux, » etc. Une variante d'une locu-
tion établit souvent une nuance assez délicate: n'a pd dèchard
le bbtsè, « il n'a pas desserré les lèvres, » a le sens ordinaire de
« il n'a rien dit, » tandis que n'a pd dèchard le pble, où l'on
emploie le mot plus grossier, ajoute au sens indiqué « il n'a
rien dit » la nuance <' et pour cause. »
Les locutions que nous énumérons démontrent les facultés
d'observation du peuple qui les a créées, comme //r' di prhnè
bbtsè, « faire des minces lèvres, » = paraître mécontent,/»' la
grbba pbta, « faire la grosse lèvre, » = bouder, etc. Mais elles
sont surtout dues à la généralisation de certaines situations ou
à un simple jeu de l'imagination. Sous ce rapport, ce sont les
yeux, « le miroir de l'âme, » qui ont le plus donné lieu à la
création de dictons, puis vient le nez, qui est si souvent l'objet
de la raillerie, puis l'oreille, et enfin les lèvres et la bouche ; les
autres parties du visage ne se rencontrent guère dans les locu-
tions caractéristiques du langage rustique.
Nous n'avons pas la prétention de donner pour gruyériemies
des locutions répandues en partie dans toute la Suisse romande
et ailleurs. Les locutions voyagent vite, elles sont facilement
traduites. J'ai été surpris de retrouver en patois fribourgeois
un assez grand nombre de locutions usitées dans le canton de
Berne ; ainsi le dicton bien connu ntit ich' goiaf fur d oouga
est rendu en fribourgeois par rin lyè bon pb lè-j'-yè, « il n'y a
pas de remède pour les yeux. » Telle locution frappée au coin
du bon sens a fait le tour du monde. Notre désignation de locu-
tions gruyériennes n'indique donc que le lieu où elles ont été
constatées, non leur origine.
LES l'ARTIKS DU VISAUE, I.OCUTIOVS DE LA (IKUVERK II
L'ŒIL.
• J^an on-n-a ma i-j-yè i n /<> Ir tbtchi tyc avi lè-j-èrtè,
« quand on a mal aux yeux, il ne faut les toucher qu'avec
les orteils, » = pas du tout; avi on tèvi dèvan lè-J-yè, « avoir
une planche devant les yeux, » = ne pas comprendre ses inté-
rêts; avi lè-j-yc in-n-ctsarpa, « avoir les yeux en écharpe, »
= même sens ; avi l ka pri di-J-yè, « avoir le cœur près des
yeux, » = pleurer facilement; i n H chabt-è tye lè-j-ye po plybrd^
« il ne lui reste que les yeux pour pleurer, » = il est dénué
de tout ; i n m'a pd balyi chin k pbri me grava din l'yè, « il ne
m'a pas donné ce qui pourrait me gêner dans l'œil, » = rien
donné; avi dou travô pè chu lè-J-yè, « avoir du travail par-
dessus les yeux ; » / chrc pb inè trér' lè-j'-yè de la tida, « il serait
pour me tirer les yeux de la tête, » ^ très irrité ; avi oun' yè k
chè fb de Vâtrb, < avoir un œil qui se fiche de l'autre, "> = lou-
cher ; avi oun' yè k di mèrda a Vétro (variante grossière du
dicton précédent) ; avi ply3 g>'ô-j-yc tyè grà viniro, « avoir
[de] plus gros yeux que gros ventre, » = avoir peu d'appétit;
r9ri l' yè, « tourner l'œil, » = mourir ; / n'a pd frè i-j-yè, « il
n'a pas froid aux yeux, » c'est-à-dire les yeux enflammés, = il
est amoureux, etc....
LE NEZ.
N pd chè léchi pacha la bouts' dèjb l nd, « ne pas se laisser
passer le fétu de paille sous le nez, » = être susceptible ; avi
di mbtsè din l nd, «avoir des mouches dans le nez, » = être
contrarié ; on fts" ?îd, « un fiche-nez, >^ = un fureteur ; avi chi pi
de tèra chu 1 7id, « avoir six pieds de terre sur le nez, » = être
enterré ; balyi chu l nd, = punir ; avi chu l nd, = être puni ;
avi l nd de bou fera de hlyou, « avoir le nez de bois ferré de
clous, » = trouver porte close ( « visage de bois ») ; chè trér'
l nd pb fér' vèrgbny' a che dzoutè, « se tirer le nez pour faire
honte à ses joues, » = être dupe de soi-même, etc....
12 L. GAUCHAT
L'OREILLE.
Pri'ndr' la levra pè Ic-j-brolyè, « prendre le lièvre par les
oreilles, » =: saisir une occasion ; tini l là pè lè-j-orolyè, « tenir
le loup par les oreilles, » = être dans une position embarras-
sante ; le-j-brblye n grâvon pd i-j-àno de porta h bd, « les
oreilles n'empêchent pas les ânes de porter le bât, » = même
l'âne peut rendre des services; on-n-a djèmé jou yu oun' dno
a kouriè-J-brblyè, « on n'a jamais eu vu un âne à courtes
oreilles, » = les sots sont toujours orgueilleux ; lè-j-brblyè me
chiiblyon, troupa mè chu l pi gàtsb, « les oreilles me sifflent,
marche-moi sur le pied gauche » ; chri on ni de rate din
rbrbly? d\m tsa, « ce serait un nid de souris dans l'oreille d'un
chat, » = c'est une chose impossible, etc....
LES LÈVRES.
I n vou pd oujd che bbtsè de prèyi, « il ne veut [= futur]
pas user ses lèvres à prier » ; fér' la pbta, = faire la moue ; chi?t
lyè a cha pota, « cela est à sa lèvre, » = cela lui convient, etc....
LA BOUCHE.
Balyi bouna bâts' , « donner bonne bouche, » =: faire espérer;
balyi krouy' bâts', = le contraire; oiird la bots', = parler;
ûurd la bots' è nyon moadr\ « ouvrir la bouche et ne mordre
personne, » = bâiller ; c}ib§d l pan de la bats' , « s'ôter le pain
de la bouche, » = se faire déshériter ; lyè ktnin la gouna à ihu
de Bro, lya adi l rir' a la bots' , » il est comme la truie à ceux
de Broc, il a toujours le ris (riz) à la bouche, » (jeu de mots
qui dénote la provenance française de ce dicton), etc....
L. Gauchat.
TEXTE
-♦-
Sonnet.
(Patois du Clos du Doues, Jura bernois.)
} a souc. i ô^ kakè an le poiotcK d'mè tyœfifin' :
I sât d dachu me sel - pb défrbmè 3 mè poiistcK ;
I tchoitè kâzi à dô an vouèyin an le linn\
Din stîi k? s'èmouinnè, h dyèl^ ou yiln'^ d se soiistcJi .
■ I ma rhbtè'^' bïn vit', iy bèye ïn bintcha.
Tyin èl 3 bu ïn vouer' . è m' dyé: « èkout\ pté-l-ann'' ;
Di môman k' f tn'é bïn rsyè, i n' t3 vœ p' fer d? ma ;
Dâk' ivïn d? l'anféy?, i n' sa' p' chd krouy' k'èl sann' .
I sœ an trin d' rblè, dschu vbt' pousr ptet bôl\
AT? foèrifi tb pètcho^ . pb l'jnâ n'éti/i djmc sôl^
E ranpyéchin Vanféyd d'tb se k? n'fin 'O p' h bïn.
Min^^, kman t? m'é pyèj'u, i f vœ dir s' k' è f fâ fer'
Pb f sâvè dd l'anféy 3 : pran inn' fann' , ns boue dyèr' .
Bèy' è pou3r, «' di d' ma d'nyfin ^'^i n'anvéy' p' s'k3 n'a p' h tïu.
Jules Surdez.
TRADUCTION
Hier soir, j'entends frapper à la porte de ma cuisine,
Je saute de dessus ma chaise, pour ouvrir (défermer) ma porte ;
Je tombe presque à la renverse en voyant, à la lune (au clair de
Dans celui qui « s'amenait», le diable ou un de sa sorte, [lune),
Je me remis bien vite, je lui donnai un petit banc (escabeau).
Quand il eut bu un verre, il me dit : « Ecoute, petit homme.
Puisque tu m'as bien reçu, je ne veux pas te faire de mal ;
Quoique je vienne de l'enfer, je ne suis pas si mauvais qu'il le
[semble.
14 J. SURDEZ
Je suis en train de rôder sur votre pauvre petite boule,
Me fourrant tout partout, de faire du mal n'étant jamais las,
Et remplissant l'enfer de tous ceux qui ne font pas le bien.
Mais comme tu m'as plu, je veux te dire ce qu'il te faut faire
Pour te sauver de l'enfer : prends une femme, ne bois guère,
Donne aux pauvres, ne dis du mal de personne, ne convoite pas
[ce qui n'est pas le tien. »
NOTES
' Inf. oyi, « ouïr», mot généralement employé dans la Suisse
romande pour « entendre, » et qui tend à être remplacé par ce
dernier.
2 sèl, Neuch. : sèl, Vaud : sala (cp. bala de bellam), Valais:
séla (Vionnaz), mot général pour « chaise, » semble remonter au
latin sella, « chaise, siège. » Le sens primitif du mot «selle »
s'est conservé en français dans plusieurs expressions. La forme
fribourgeoise chôla reste à expliquer.
■" défrbmè, « défermer, » curieux synonyme de œvTd, « ouvrir. »
Le patois connaît deux mots pour « fermer » (une porte, etc.) :
syoïir, « clore, » c'est la fermer sans faire usage de la clef ou du
verrou, c'est la fermeture ordinaire, eX.frdmè « fermer à clef. »
évT9 est probablement l' opposé de syofir, et défrbmè celui de
frbmè. Pour la formation, cp. dclayti, « sevrer, » contraire de
alayti, « allaiter » (Vaud).
'' On s'attendrait à dyâl, d'après ètâl, de stabulum; djnùvrâl,
de diurnum operabilem; cp. aussi rual{e), « diable, » de
rutabulum; œjrâl, «érable,» de acer arborem.
■' « un » apparaît toujours sous deux formes, l'une accentuée,
l'autre non accentuée ; in comme article, (v)m« comme nombre
ou comme article accentué ; « une » est inn' ou ènn dans les
deux cas.
'' bbtè, rbbtè; bouta, bdtû (Vaud), est le mot de la Suisse ro-
mande pour « mettre », qu'on trouve cependant aussi sous la
forme mantr dans le Jura bernois.
'' Pour l'intercalation de cette /, voir plus haut p. 5.
* La forme pètchà nous prouve que la composition de l'ad-
verbe « partout, » attesté du reste en français dès le douzième
siècle, est antérieure au passage de rf à tch.
'' soi, de là sblè, « fatiguer, » de satullare, sblin, adj. « fati-
gant, ennuyant. »
^^ fin, « font, » de même in, « ont^ » vin, « vont. »
NOTES 15
^' fuin, forme très répandue pour « mais ; » pour la nasalisa-
tion, cp. mantr, « mettre; » è nian, « il met; » tiantèyb « nettoyer.»
Aux Ormonts, on dit matixon, « maçon. » D'après ces exemples,
la nasalisation semble se produire quelquefois sous l'influence
d'une consonne nasale précédant la voyelle.
12 nyiin, «personne,» de necunum, mot conservé dans toute
la Suisse romande.
E. Tappolet.
NOTES LEXICOGRAPHIQUES
-♦-
I. touaô', tyiièidè.
Un usage qui a subsisté dans le Bas-Valais jusqu'à une
époque assez récente était de présenter à l'offrande, dans les
cérémonies funèbres, une miche de pain. Cette miche, portée
dans la main gauche, pendant que la droite tenait un cierge,
était recouverte d'une sorte de serviette plus ou moins fine,
parfois ornée de broderies. On donnait à cet accessoire obligé
le nom de touad^ (Champéry), tyucidc (Liddes). Il est facile de
reconnaître dans ce mot patois, aujourd'hui hors d'usage, l'équi-
valent de l'ancien français toaillc, touaillc, « nappe, serviette. »
que Littré et le Dictiomiaire général enregistrent encore comme
mot vieilli ayant le sens d' « essuie-mains ».
C'est un terme d'origine germanique, thwahlia, qui a passé
dans la plupart des langues romanes: ital. tovaglia, esp.
toalla, prov. et port, toalha. En Valais, le mot ne paraît pas
indigène. La terminaison -eidc, à Liddes, ne peut pas remonter
à -alia. Elle indique que le mot a été emprunté au français à
une époque ancienne, avec la prononciation tueilh. A Cham-
péry, le passage de-eille à -aà' est régulier. D'après Bridel, les
patois du Jura bernois emploient touallha avec la même signi-
fication qu'en vieux français: «nappe, essuie-mains. » A Mont-
béliard, une nappe est également une tiuaille (Contejean, Dic-
tionnaire), et le Vocabulaire de Bournois (Doubs), par Roussey,
indique un diminutif tyucyoiin, « petite nappe servant à couvrir
le panier dans lequel on porte le repas aux champs. »
l6 J. JEANJAQUET
Notons à ce propos que le français toilette, avec la significa-
tion primitive de «linge orné servant à recouvrir la table de
toilette, » doit être considéré comme se rattachant à touaille
bien plus qu'à toile, d'où le font dériver les dictionnaires
étymologiques. Il y a eu sans doute contamination et fusion
des deux diminutifs touaillette et toilette, mais les termes dia-
lectaux que nous venons de rappeler indiquent que l'idée fon-
damentale appartient à touaille.
2. fbchèla.
La plupart des patois valaisans, comme en général ceux de
la Suisse romande, se servent pour désigner la poitrine du mot
cstoma, qu'ils font féminin. Quelques-uns des plus archaïques
ont cependant conservé le dérivé de pectus; ainsi on di pyès^
à Miège et dans la vallée d'Anniviers. Mais Evolène offre une
forme tout à fait particulière : fbchèla. Contrairement à ce que
nous avons entendu soutenir, ce mot n'a rien à voir avec le
latin fauces, « gorge »; il correspond à un type latin *fur-
cella, diminutif de furca, « fourche, bifurcation,» et désigne
à proprement parler la partie inférieure de la poitrine, la région
où se bifurquent les côtes. On trouve assez fréquemment la
même expression dans l'ancienne langue (v. les dictionnaires
de DuCange, y^ fur cul a; Godefroy, \^ for celé ; Raynouard,
\° forselà), et elle a subsisté jusqu'à nos jours dans certains
patois de la Normandie et du Maine. En Suisse, le mot a dû
aussi être autrefois beaucoup plus répandu qu'aujourd'hui. En
voici deux exemples relevés dans des documents neuchâtelois
du XV« siècle : (f étranger) peut entrer en la vigne et pranre
des rasins en sa main et apoyer a sa forcelle. (Déclarât, de
coutumes, vers 1450. Arch. de Berne, coll. Gaudard). En oultre
a sentu ledict enfant chault sus la forcelle, ayant espérance que
ledict enfaîit avoit vie. (Déposit. de témoins, 1474. Arch. de
Neuchâtel, Reg. A. Baillod, f» 67).
J. JEANJAQ.UET.
UNE TUILERIE A LAVAUX
AU XVP SIÈCLE
(D'après les matinaux des conseils de l'ancienne conmmnauté de Villette.)
— î—
Le titre ci-dessus ne doit pas faire croire que le Bulletin veuille
•empiéter sur le domaine des périodiques consacrés à l'histoire, et
il est bien entendu que c'est l'intérêt linguistisque que nous avons
en vue en insérant des articles du genre de celui de M. Voruz. Si
l'on ne veut pas se contenter de connaître nos patois dans leur
•état actuel, mais chercher à étudier leur développement et à re-
constituer leur histoire au cours des siècles, on devra bien vite se
convaincre que les sources directes d'information, c'est-à-dire les
textes patois, font presque complètement défaut. La littérature
dialectale, bien maigre et chétive, n'est guère antérieure au XIX«
siècle. Les rares spécimens qui remontent jusqu'au XVH^ sont tout
à fait isolés, et au delà du XVII^ siècle, c'est à peu près le néant.
Dans ces conditions, à défaut de textes patois proprement dits,
c'est dans le français provincial ou dans le latin barbare des docu-
ments que le philologue est obligé d'aller chercher les traces du
langage indigène de jadis. Nos archives renferment en quantité des
textes qui, tout en voulant être du français, fournissent cependant
un appoint des plus précieux à l'histoire de nos idiomes locaux.
Les anciens protocoles, les dépositions de témoins, les comptes, les
inventaires, les règlements de métiers et autres pièces du même
genre abondent souvent en termes techniques et en expressions
•du crû, qui nous révèlent, en même temps que le langage de
l'époque, une foule de coutumes et d'usages disparus. Le Glos-
saire des Patois ne s'est imposé aucune limite chronologique et
cherchera par conséquent à recueillir et à expliquer tous les
mots qui ont appartenu à la langue du pays, quelle que soit leur
date. Ces recherches sont le complément nécessaire de l'étude
18 H. VORUZ
des parlers actuels, qui en retirera le plus grand profit. L'histoire
de certains mots s'éclaire d'un jour tout nouveau lorsqu'on étudie
leur forme ou leur emploi dans les anciens textes, et pour les
régions oîi le patois est à peu près éteint, c'est seulement en
dépouillant consciencieusement les documents d'archives qu'on
pourra arriver à reconstituer dans une certaine mesure l'ancien
vocabulaire.
Une tâche aussi vaste réclame nécessairement le concours de
nombreux travailleurs , et c'est avec reconnaissance que nous
accueillerons toutes les contributions. Nous devons ajouter que,
pour être utiles, ces travaux de dépouillement demandent beau-
coup de soin et d'exactitude. La provenance des matériaux doit
toujours être clairement indiquée et l'orthographe des originaux
rigoureusement conservée, quelque bizarre ou absurde qu'elle
puisse paraître.
Dans les extraits qui suivent, on a imprimé en italiques tous
les mots intéressants dont on retrouve l'équivalent eh patois, et
les formes du parler actuel de Lavaux sont indiquées en note.
Lorsque nous ne possédions pas la forme patoise, lorsque les
mots n'existent plus ou qu'ils n'appartiennent pas à la langue
populaire, on a fait usage de caractères espacés. La comparaison
avec les parlers d'aujourd'hui d'autres régions permettra peut-
être de préciser ou de rectifier les interprétations restées dou-
teuses. Nous comptons sur les communications que nos lecteurs
et nos correspondants voudront bien nous faire à ce sujet.
La Rédaction.
Le lundi 15 avril 1560, le conseil de la commune de Villette
décide d'élever une thiolleyre^ sur les monts de Lavaux et fait
venir maître Grilley, ihiolley- à Baulmes, pour choisir rempla-
cement le plus approprié et pour diriger la construction. Le
conseil ' largit'^ le bois nécessaire: 5 pièces de marrin^
^ tuilerie , patois actuel tyàlard. — ' tuilier , pat. tyàlâ. —
3 accorde. — ^ bois de charpente, pat. marin, d'où le verbe
marina, couper du bois de charpente dans la forêt.
UNE TUILERIE A LAVAUX AU XVl" SIÈCLE I Ç
pour T'asle'-'', 4 douzaines de lans^^ et deux de cuegnis -
pour la couverture. Les chappiiis^ prêtent serment, sous obli.
gation de tous leurs biens, d'' ouvrer ' ^ la rainure ^^ pour le
prochain Carême. Les troncs non utilisables, les buchielles^^,
passels^- et dex^"^ devront se monter ^^. Le transport à partir de
la forêt de Gourze sera fait en corvée par les communiers. Ceux
qui n'ont pas de chert^'^ seront tenus d'aller 'encrosser le
fert'*^. Pour achever le bâtiment, il faudra encore de Ven-
selle^'^. Le tuilier fera les lattes et 'échellons'^^ nécessaires;
on lui fournira les 'essettes'^^ pour 'essuyer sa be-
songne ' 2^, et des mosfies-^ de bois ou de fer. La ' domiffi-
cation '— sera à trois pans, avec cheminée dans la ramure^^.
Le manual mentionne encore comme se rapportant à la con-
struction un avaniey-"^, des pollens-^, et des lans^ pour ' brier
la terre'-'. Le conseil fournira des gens pour tirer la pierre,
mais les murailles et le four se feront aux "^ missions ' ^6 du
tuilier. Les grangters"^' donneront les càerts ^^ pour les c/iar-
^ la halle, le corps du bâtiment. Cf. rue de l'Halle (Lausanne),
Bois de l'Halle (Neuchâtel). — '' planche, pat. /an. Dans les do-
cuments, le mot est très souvent écrit ' laon, lahon '. — "^ pre-
mière planche d'un billon, pat. kouèné, kouèni; on a aussi la forme
koiiènô. Pour l'origine du mot, voir plus loin, p. 34. — * charpen-
tier, pat. tsapoué. — ^ exécuter. — ^° charpente d'un bâtiment,
pat. ranttira ou ramira. — *' éclats de bois, copeaux, pat. bstsi-
lyd. — '■- Les patois emploient aujourd'hui pasi avec le sens
d'' échalas '. Il faut probablement traduire ici par ' grosses
branches, rondins. ' — '■* branches vertes des sapins, pat. dé. —
*^ mettre aux enchères, pat. monta. Dans le français régional,
les enchères = ' les montes ', — *^ char, chariot, pat. tsè. —
i** mettre le sabot, enrayer (?). — '" bardeaux, pat. ansèla. —
^* échelons (?). — '^ petits ais, planchettes. — ^^ faire sécher ses
tuiles. Ce sens de ' essuyer ' se retrouve dans beaucoup de
patois. — -' moules, pat. mounô. — --' mode de construction. Mot
savant. — -' avant-toit, pat. avaniâ. — ^^ On a aujourd'hui dans
le français local ' poulain ', pièce de bois armée d'un crochet de
fer pour descendre les fardeaux d'un char. — '^■' broyer, pétrir la
terre (?). — -*^ frais. — ^' Am]. grandsi^ ' fermier '.
20 H. VORUZ
refs^^. Le tasche'^^ des murs échoit à Bidaux pour 22 sols la
theyse^^. Les tiolles"^^ de la deuxième fournée seront employées
à la couverture de la thiolleyre^ en remplacement des lans^,
qui serviront à une tralaison^-. Le maréchal fera la 'fer-
rure' 33, pour laquelle il recevra un/oux^^. Chaque feu ou
ménage de la paroisse subviendra aux frais par une ' giette ' 35
d'un florin.
La thiolleyre'^ ne demeura pas longtemps en bon état :
quatre ans après la construction , le thiolley - demande des
ouvriers pour ' raccoustrer le raffort dedans la four-
rure ' ^6^ pour ranger la ramure *'' de la ' fer nasse ' 37 et faire
diverses autres réparations. Quelques années plus tard, le toit
tombe en ruines; des chappuis^ sont chargés d'y faire des
louvenos^^. On emploie 2 1/2 milliers de carrons^^ pour refaire
le four.
Autour du bâtiment , le tuilier avait la jouissance d'un
curtil'^^ clôturé é'épondes'^^, et d'une oche'^'^. Il dispose aussi
d'un essert^^ au Z>^t'(?«^**, d'une ??ioille'^^ pour le nourrissement
de deux chevaux et du terrain qu'il peut 'esserper'^^ pour y
planter des arbres. Il doit descoppillier^'^ à l'entour de la
maison, soigner les delaises^^, mener les morsels de thiolle^^
2* charrois, pat. tsaré. — "^^ ouvrage entrepris pour un prix
déterminé, pat. tâtsa. — ^^ toise, pat. tciza. — -^^ tuile, pat. tyôla.
— ^^ poutraison, plafond d'une chambre, pat. tralézon. — ^^ par-
ties en fer du bâtiment. Les patois disent plutôt fèrminta, fr.
pop. ' fermente '. — ^^ hêtre, pat. fd. — ^^ imposition. — *' ré-
parer la garniture du four. — ^^ fournaise (?). — ^^ couvercle mobile
adapté aux cheminées, pat. loitvsnà. On trouve plus bas la men-
tion de ' louvenoux pour pouvoir entrer ', ce qui ne s'accorde
guère avec le sens de ' couvercle de cheminée '. — '*^ briques.
— ''"jardin, pat. kurti. — *' planches dressées dans le sens de la
longueur, pat. éponda. — '*''' chenevière ou jardin potager, pat.
outs3. — ''■^ terrain défriché, pat. èsèr. — "Nom de lieu fréquent
désignant la forêt communale, pat. ddvin. — *^ pré marécageux,
pat. niàlyd. — '"'' esserter, défricher. — • ^" débarrasser, enlever
ce qui obstrue, pat. dèkopdlyi. — ''^ claie, porte à claire-voie à
l'entrée des pâturages fermés, pat. ddléza. — ''^ morceaux de tuile.
UNE TUILERIE A LAVAUX AU XV1= SIÈCLE 2 1
OU mellions'^^ par les chemins et clore à.'ages^^ sa tondiaz'^^,
de manière que les bêtes ne puissent y aller.
En 1583, il est question de derrocher^'^ la thiolleyre^. On se
décida cependant à la conserver en la réparant : on fit des
louvenoiix 38 pour pouvoir entrer, une chambre sur le poille ^*
et des trablas ^5.
L'exploitation de la tuilerie semble avoir donné peu de satis-
faction à la commune. En 1560, elle est amodiée moyennant
' fiance ' ^*'' pour 9 ans à Gilliet. Celui-ci doit faire par ans
4 fournées de 4500 thiolles'^^, à répartir par les ' gouver-
neurs'^'^ aux bourgeois, à l'exclusion des étrangers. Le prix
du millier de thiolles-^^, tant plaies que copues^^, cornelz'^^.
carrons"^, planelles^, chapperons^^, est fixé à 5 florins. Au
bout de six ans, le tuilier devait recevoir un manteau et une
paire de chausses^-. Il lui était interdit de vendre r\\ pasture^^,
ni druge^^, ni une lottée^^ de ' gr ulons '^.
En 1562, plaintes générales: la tuile n'est pas de qualité,
Gilliet dissipe le bois de sa tondue^- et en brûle de celui qui
est propre à faire des entres ^"^ de roues. En outre, son fils a
cueilli de Vaglan^tn laTilliaz et s'est moqué du missellier^^.
Le tuilier est menacé d'être ' e xp e 1 1 i ' "o et promet de s'amender.
En 1566 il a été remplacé, mais son successeur est convaincu
d'avoir dérobé des tuiles et du bois à la commune. On ne veut
plus d'un larre"^ et il est renvoyé.
^"débris, menus morceaux de pierre ou de matières analogues,
pat. mslyon. — '•' haie, pat. adz9. — •'''■ coin de bois nouvellement
coupé, pat. tondya. — "'^ démolir, pat. dèrotsi. — ''^ chambre
principale, chambre d'habitation, pat. pïdo. — ^''' rayons, tablettes,
pat. trablyd, fr. pop. ' tablard '. — ^'' caution. — ■'• membres de
l'autorité communale. — ^'* tuiles rondes ordinaires. — ^^ tuiles
faîtières, pat. kr^né. — *"* briques rectangulaires plates servant
surtout à recouvrir le fond des cuisines. — ^^ tuiles massives
pour le faîte du toit. — ^■'' culottes, pat. tsôsè. — ^'^ herbage, pat.
pâtura. — ^^ engrais, fumier, pat. drudzd. — ^^hottée, pat. lotâyd.
— 6f. {y^ — 67 jantes, pat. intrb. — ^* gland, pat. alyan. — '''* garde-
champêtre, pat. mèsèlyi. — '" chassé. — ^' voleur, pat. lûrè.
32 E. TAPPOLET
Le tuilier qui vient après lui est très pauvre. On lui fait don
de sablon"^^ et le conseil lui accorde une aumône de 4 florins
parce que son enfant s'est rompu'^'^ en coupant du bois. Il est
aussi nommé garde de la forêt de Gourze et dénonce en cette
qualité le ' challottiaux ''^4 des Duboux, qui a pris des
rancs'^^, et des fagots et le garçon de noble Chalon, qui prenait
du cleyron'^^. Il gage aussi un viouge'^'^ au domestique de
Jacques Richard , qui a été vu chapplant '^^ un tronc de
cleron"^^. Comme tuilier, sa fabrication laisse à désirer; il est
accusé d'avoir voulu ' adviller ' '^9 la thiolle'^'^ et deux
' idoynes'^'J sont chargés de le surveiller. Il n'est maintenu
en fonctions qu'à condition d' 'hesmender' ^i le dommage.
H. VORUZ.
''"'■ sable, pat. sablyon. — ' ' fait une hernie, pat. se rontrd, rontu.
— ^"^ (^) — '" grosse branche, rondin, pat. ran. — '^bois d'éclaircie,
pat. klyèron. — '' serpe, patois vybd\d. — ''^ couper, mettre en
petits morceaux, pat. tsaplya. — ™ avilir, faire de qualité infé-
rieure. — *" personnes expertes. — *' amender, réparer.
L'AGGLUTINATION DE L'ARTICLE
DANS LES MOTS PATOIS
II
Nous arrivons aux cas moins nombreux où une partie seu-
lement de l'article s'est détachée, pour se souder au substantif
que cet article avait l'habitude de précéder. On peut distin-
guer quatre cas d'agglutination de ce genre:
I. ra.glan, « le gland, » où le singulier de l'article a été le
point de départ; 2. Vécorne, pour « la corne, » et 3. le zoiseau,
pour « l'oiseau, » où le pluriel de l'article a produit l'aggluti-
nation; enfin 4. le nabit, pour « l'habit, » où s'est ajouté l'élé-
ment consonantique de l'article indéfini.
AGGLUTIN'ATIOK DE L'aRTICLE DANS LES MOTS PATOIS 23
I. Type : aglan.
1. Le mot aglan est particulièrement intéressant, d'abord
parce que c'est une des rares formes agglutinées qui nous
soient attestées dans l'ancienne langue, en provençal et en
français, ensuite parce qu'elle occupe un domaine géogra-
phique très étendu. Nous la retrouvons, en effet, de la Cata-
logne jusque dans les dialectes franco-provençaux, et en outre
en Lorraine, dans le Morvan, le Berry, le Poitou, le Bas-Maine ^
L'a! initial de ce mot étonne au premier moment, et on a eu
recours, pour l'expliquer, au grec axv).oç, « gland mangeable »
et au gothique akran, « fruit. » Mais c'est sans aucun doute
simplement le latin glans qui esta la base de la forme aglan.
Le mot était féminin en latin et conserve ce genre en roman.
On a dit la glan, una glan, et de là, par l'agglutination de Va
final de l'article, on a tiré la forme aglan. L'emploi dominant
du mot au singulier s'explique par sa valeur collective : de la
gland, comme : de la feuille, du raisin, etc.
Quant au passage de alyanaM masculin, que nous constatons
dans toute la Suisse romande, de même qu'en lyonnais et en
lorrain, il est dû sans doute à l'absence de terminaison féminine
et a été facilité par la présence d'une voyelle à l'initiale. Le
français présente plusieurs exemples de changements analogues.
Le Jura bernois, ici comme dans bien des cas, se sépare
des autres cantons romands et fait usage d'une forme non
agglutinée yin, du genre masculin.
Les autres exemples sont d'un usage très local :
2. Vahson, s. f., « la leçon, » dans les patois vaudois et neu-
châtelois. On dit par exemple : rein dere ten' alesson! «. viens
dire ta leçon-! » ou : toi es sortes d'alessons"^.
3. l'amaron, s. m., « le marron, » cf. amarrûni, < marron-
nier. » Je m'explique cette forme curieuse de la façon suivante :
* Voir A. Thomas, Mélanges d' étymologie française, p. 10. —
2 Cité par Cornu, Romania VII, p. 109. — •' Conteur vaudois,
1895, n° I.
24 E. TAPPOLET
on disait autrefois lo maron, puis le mot devient féminin sous
l'influence du synonyme tsatanye, d'où la maron et, par agglu-
tination, Vamaron.
4. l'aluetta, aluvetta, s. f., « la luette, » (Vaud). Le mot est
particulièrement intéressant en ce qu'il est doublement agglu-
tiné: uvitta> uetta^ Vuetta, luetta, la luetta, l'aluetta.
5. l'hôt\ s. f., pour le sôt\ « abri contre la pluie; » on dit
par exemple inn èsôt à Charmoille (Jura bernois). Le mot est
tiré du verbe su(b)stare.
Enfin un exemple masculin:
6. ràstan, pour lo stan, « le stand de tir » (Blonay et Pays-
d'Enhaut). On dit à Blonay: on-n-ostan.
Nous passons à l'agglutination ayant pour base le pluriel de
l'article.
2. Type : les écornes.
Les patois de la Suisse romande semblent particulièrement
riches en exemples de ce genre. Ce qui caractérise ces mots,
c'est qu'ils expriment tous, ou presque tous, une idée de plu-
ralité ; ce sont des pluralia tantum, comme dit la grammaire
latine, dont une bonne partie désignent des objets ou instruments
se composant de deux éléments, comme les cornes, les narines,
les ciseaux, les tenailles, la balance.
I. éeorne, forme courante du Jura bernois. On disait d'abord:
sing. le koudn\ ^Xwx.lê koupti . Puis le pluriel étant d'un emploi
extrêmement fréquent, on a pris ce pluriel de forme pour un
singulier de sens (cp. la balance, le pantalon, etc.), et on
est arrivé à dire èn'ékou9n\ « une corne, » dé ko d'ékou9n\ « des
coups de corne, » ïn bon d^ékou9n\ « un bout, un tronçon de
corne, » Même dans les dérivés il y a la prosthèse: lè-z-ékouènaf
« les petites cornes. » La forme agglutinée n'a cependant pas
remplacé partout la forme régulière, qu'on trouve encore, par
exemple, dans la formulette enfantine : koMn dd bu9, kousn d?
vètch, etc. « corne de bœuf, corne de vache, » etc. On emploie
aussi communément: le kouarC pour désigner la corne comme
AGGLUTINATION DE l' ARTICLE DANS LES MOTS PATOIS 25
substance, ce qui confirme notre hypothèse que ékomn est un
ancien plurieL Le proverbe : pti vêy h bok, pu dur rékou?n\
« pkis le bouc est vieux, plus la corne est dure, » semble ce-
pendant indiquer que la distinction n'est pas toujours stricte-
ment observée.
2. èpilyon, pour pi Ijon, « cils, » est attesté pour la Gruyère
(Fribourg).
3. lou-z-3nari, « les narines, » à Leysin (Vaud), exemple
douteux.
4. les éforces., « ciseaux (à tondre les moutons), » pour les
forces, du latin forpices, cf. l'italien le forbici. Le mot est
répandu dans presque toute la Suisse romande, et tout parti-
culièrement vivant dans le Jura bernois: éfousch' en Ajoie ■•.
5. les étetmilles, « les tenailles, » dans les cantons de Fri-
bourg, de Neuchâtel et de Genève.
6. les ébalances, « les balances ; » Vallée de Joux, Gros-de-
Vaud; Crémine (Jura bernois).
Termes collectifs proprement dits:
7. les égrâ, « escalier,» pour lé grâ, du latin gradus, «mar-
che, » mot courant dans toute la Suisse romande, ainsi qu'en
Savoie, etc. — Bridel donne même édegra, s. m. « escalier,
degré, » qui est à degra ce que égrà est à grà.
8. les éloiiyes, « galeries des maisons rustiques, » pour //
louyly du vieux haut allemand latibja, en français « loge. »
élouys est neuchâtelois.
9. les ébouatons, s. m. pi., « étable à porc, » pour les boua-
tofis, mot vaudois. Pour le pluriel, comparez « les écuries, » en
allemand « die Stallungen. »
Les trois mots suivants désignent un état maladif, qui se fait
sentir par des accès répétés:
10. les époints, s. m. pi., « les points, la pleurésie, » Ormonts,
Valais et ailleurs.
^ L'agglutination semble avoir déjà existé en ancien français,
où on trouve efforges, s. f. pi. « tenailles. »
20 J. JEANJAQUET
11. les étours, s. m. pi., pour « les tours, le tournis, »
(maladie du bétail) mot vaudois et neuchâtelois. Dans le parler
neuchâtelois, fai les étours signifie « la tête me tourne. »
12. les éfrissons, s. m. pi., pour « les frissons, refroidisse-
ment, » mot qui m'est attesté pour le district de Grandson,
pour le Pays d'Enhaut et pour la montagne neuchâteloise.
Enfin nous avons encore :
13. les écrevasses, s. f. pL, pour « les crevasses, gerçures de
la peau. » lez ékrévasé, à Vaulion (Vaud).
14. éyéjard, pour « les lézardes, lézard, » dans le Jura ber-
nois (Sornetan et Crémine).
15. éflyèyi, pour flyèyi, « fléau, » se rencontre dans la Broie
(Fribourg), et dans plusieurs patois valaisans.
16. ékramma^ s. f., pour kranidna, « froid rigoureux, » à Le
Mont (Vaud). Je dérive le pluriel // kranidné, d'où rékramsnê^
du sens de «tourbillon de neige, » qu'indique Bridel, p. 216.
E. Tappolet.
TEXTE
— î—
Les Fées de Grand' Combe.
Conte populaire en patois d'Evolène (Valais).
En oun tein le fây'^ U-j-ahdiâvoiin in la nouera koumouna.
Lè-j-Oiinè le rèstâvotin èmpè le frein:(^ dei byény°, lè-j-âtr^
èmpè le bouat^ dei chès ^ è kakoun^ èmpè de loch kp le fajan'
TRADUCTION
Jadis, les fées habitaient dans notre commune. Les unes
logeaient dans les crevasses des glaciers, les autres dans les
fissures des rochers et quelques-unes dans des tours qu'elles
LES FÉES DE GRAND'COMBE ij
atb de niour^ de rùvjna -. Eu Olein-na ^ y avlk oiuia vyèl'f
fây^ h h govèrnàv'' le-j-àîr' e kp b rèstav^ è)npèr oniia for
lioiuilr^ Chachmeir^ chkr oima grocha pareis de ché^. L'avîk
aoiié lyè dâoii^ ôou trè-j-àtr'^. To doti'kèdon le fajan' parti de
rùvin'-' ka vdnyan konntchye le pras dei Fiants'^. Là tsâtein^
dâoii'^ de lôoH lè^-j-aldvoun' che fer^ notiri ei paâôouch'^ dei
moun'lany^^ de la koiinioiiiia; Voitna b rôlav'^ pè le momi'ta-
ny^ dôoH rèdout^ e l'âtra en' xle dôou rêve. To b mound° che
pleinjïk kè x^è dàoii^ fày^ lè-j-iran koâôoup, ma kè féf^ ?
Nyoun onjâv^ lôoii dir^ mbs ni lôou fer^ la meindra tsoja pè
chèn' k y avan' poiiîr^ kû lè-j-ôussan' balya de niâ a x^ôous
kp lè-j-àlran^^ insùltay^ ôou bhi fé(t) dè-j-étsçrny°.
Oun an' b paâôouch de la Nisva chè chonn dit: No
vblein einkb ver chp nb pourein pa nb dèharachyè de siè kan-
kbn^^K Chè chouii' ènlèndouk kè kan' l'ouna ôou l'âtra dei
faisaient avec des matériaux d'éboulis. A Evolène, il y avait
une vieille fée qui gouvernait les autres et qui demeurait dans
une tour du côté de Sasseneire sur une grande paroi de rocher.
Elle en avait avec elle deux ou trois autres. A tout moment
elles faisaient descendre des éboulements qui venaient salir les
prés des Flanches. En été, deux d'entre elles allaient se faire
nourrir par les pâtres des alpages de la commune ; l'une rôdait
dans les alpages du versant droit de la vallée, et l'autre dans
ceux du versant opposé. Tout le monde se plaignait que ces
deux fées coûtaient beaucoup ; mais que faire ? Personne
n'osait leur dire mot ni leur faire la moindre chose, parce
qu'on avait peur qu'elles ne donnassent le mal à ceux qui les
auraient insultées ou leur auraient joué des tours.
Une année, les pâtres de la Niva se sont dit : « Nous vou-
lons cependant voir si nous ne pourrons pas nous débarrasser
de ces sorcières. » Ils sont convenus entre eux que quand l'une
ou l'autre des fées passerait, ils devaient s'appeler par le nom
28 J. JEANJAQUET
fây'^ h pacbèrik, che dèvan tsikoun apèla pè là non de
« mîma » tsiP vyâT^ h9 chè dpvpjèran' dèvan lôou. Oun :(b
l'ouna dei fà-f VarÇuvK Lp pad-çoiich, trei° koitni'-' de boue de
fourts^,b b chouèloun là bonio, h b fan' nipl Jwmpbmins^^,
b b prèjèntoun de lasê, de flôou, de kalya, de pré^^, de bair'^,
de chèré^^, fhikè de niota ronâeit^, infhi^^ ta chèn' k y avan"
è kp b qir'^ pbchoit(k) fér^ pleiji. Ld j'ày^ l'a eida è'&bnày" è
rè:(ouyây^^^ de chè ver cbp byein tratâf è de trbva de paûôouch
de tan de fth par lyè. Oun pad-ôou l'einvit'' a ala aouè luïk
fer ouna prbmènârda chon(k) pè Ib son de la mountany^ pb
chè pacha Ib iein è pb koulyi kali^ ^ènt'^ flôouch ky airan
pbchou la ièn'ta. L^ fày^ b parlK Lp paûôouch' de tspjyoïir^
chè jyon : Ora y è b niounian de b :(ùyè nonâr^ tbr. Fajein
vï^t° bouUka de lasé ; kan b vpndrè l'are chik. Nb b mètrein
Ib. kblyôou^'' in gor^^ è pouè nb b kblèrein ouna mèstrây^ ^^
de chè lasé hourlèn. Dèvé Ib ta, b fây^ l'arâlv'^ è b dèmand'^
a beirK Lp pât^o b baly^ vi^i° Ib kblyôou in gor^^ è pouè b
de « Même » chaque fois qu'ils parleraient devant elles. Un
jour une des fées arrive. Les pâtres, traîtres comme du bois de
fourche, lui souhaitent le bonjour, lui font mille compliments,
lui offrent du lait, de la crème, du lait caillé, du fromage frais,
du beurre, du sérac, jusqu'à du fromage grillé, enfin tout ce
qu'ils avaient et qui aurait pu lui faire plaisir. La fée a été
étonnée et réjouie de se voir si bien traitée et de trouver des
pâtres qui aient tant d'attentions pour elle. Un pâtre l'invite à
aller avec lui faire une promenade au sommet de la montagne
pour se passer le temps et pour cueillir quelques jolies fleurs
qui auraient pu la tenter. La fée part. Les pâtres du chalet se
disent : « Maintenant, c'est le moment de lui jouer notre tour.
Faisons vite bouillir du lait ; quand elle reviendra, elle aura
soif. Nous lui mettrons le couloir dans la bouche et puis nous
lui verserons un baquet de ce lait brûlant. » Vers le soir, la fée
arrive et demande à boire. Le fromager lui met vite le couloir
LES FEES DE GRAND COMBE 2g
le ouf:(f oiina mèstrây' de lasé botilikèn'. Lp fàf, h làch'^
hcûf^ là hblyôou è b chè met a kriya a la fây* dôou Kbr^e-
« M'am' bourlaf. » x^^^^ dôou Kbr^e h b rèfon': « Ki fa
bourlây' ? » « Mïma ^^, » l'âtra b b dit. « Mïma iù là t é fél,
mima tu là ouardèré. » Lp fây^ de la NiH'a Vè morta d'abà
apré è xb dôou Kà^e l a eiâa bourlàf de la jnîma jnoda en'
ouna mountanf a pa. Lè-j-âtr^ fây^ kp le rèstâvoun in la
koumouna, lè-j-an jou pouJr^ è lè-j-an fàtou là kan en O'O^a.
Bâlé le choun ala chè fonrjyè hnpè de pèrtuis kp lè-j-a?i' fêt
èmpèr oum'pra. Tchika mi apré^^ chp ky avi(k) chè pra
lôou-j-a fàtou l'éou' dèchouk. Adon le chè choun mecli^ tàt^
a kriya '■ <( 0-&a,gd^a. » Lp pràpriyèter^ dôou pra y a pa balya
ftk'^^ a lôou krtk è lôou-j-a dît: « Mè chàrchyèr\ resta lei
pyè ei pèrtuts. » È tot^ le fày^ lei choun rèstay'^ èâàfâyK Di
adon', dei fây'' n'en' ein pa mi aoui dpvpja, ma i jyon kè b
non de la vpla d'OO^a vpn' de x^àou krïk dei fày^ : àd^a,àd^a.
à la bouche et y vide un baquet rempli de lait bouillant. La fée
laisse tomber le couloir et se met à crier à la fée du Cotter:
« Ils m'ont brûlée. » La fée du Cotter lui répond : « Qui t'a
brûlée » — « Même, » lui dit l'autre. « (Puisque) tu te l'es fait
toi-même, toi-même le garderas. » La fée de la Niva est morte
tout de suite après et celle du Cotter a été brûlée de la même
façon dans un alpage voisin. Les autres fées qui résidaient
dans la commune ont eu peur et se sont enfuies à Aoste. Là-
bas, elles sont allées se fourrer dans des trous qu'elles ont faits
dans un pré. Un peu plus tard, celui qui possédait ce pré a fait
venir l'eau (d'irrigation) sur elles. Alors elles se sont toutes
mises à crier : « Ote, ôte. » Le propriétaire du pré n'a pas fait
attention à leurs cris et leur a dit : « Mes sorcières, restez-y
seulement dans vos trous. » Et toutes les fées y sont restées
étouffées. Dès lors, nous n'avons plus entendu parler des fées,
mais on dit que le nom de la ville d'Aoste vient de ces cris des
fées : « Ote ! ôte ! »
30 J. JEANJAQUET
NOTES
II est facile de reconnaître dans le conte reproduit ci-dessus
une variante populaire, strictement localisée, d'un motif de
l'antique légende de Polyphème, dont on a déjà relevé de
nombreuses versions dans les pays les plus divers. Comme
nous nous proposons de signaler ailleurs l'intérêt qu'offre à ce
point de vue notre récit, nous ne nous y arrêterons pas ici et
nous nous bornerons à mentionner qu'une variante de la même
légende a été recueillie dans la vallée voisine d'Anniviers.
(V. Archives suisses dus Traditions populaires ^^ ^ i90i,p. 288).
La version que nous donnons nous a été contée en 1900 par
M. Jean Pralong, d'Evolène, telle qu'il l'avait entendue lui-
même dans les veillées. Grâce à l'obligeance de M. P. Gaudin,
député, également d'Evolène, nous avons pu contrôler récem-
ment notre première transcription.
Le patois d'Evolène est un des plus archaïques et des plus
originaux du Valais. Son système phonique diffère notablement
de celui du français. La simplicité de la transcription adoptée
pour le Bulletin ne nous permet pas d'en rendre toutes les
nuances délicates et nous oblige à nous contenter d'une exac-
titude approximative. Nous attirons l'attention sur les particu-
larités suivantes :
Le son noté / désigne un i d'un timbre particulier, guttural,
dont l'impression acoustique oscille entre / et e. Le même son
plus réduit a été noté par p, qui n'est donc pas l'équivalent
exact de Ve sourd français.
Le timbre guttural de >, qui donne à la voyelle un caractère
mal déterminé, affecte aussi d'autres voyelles, ou bref ou atone
est toujours ouvert. Il se rapproche parfois de u et nous l'avons
dans ce cas transcrit par /// è atone tend à un son voisin de Ve
sourd français.
ei et ôou sont des diphtongues dont le second élément est
faible.
Les voyelles nasales an, ein, on, )n, oun sont suivies d'un élé-
ment consonantique vélaire plus ou moins marqué, sensible
surtout dans les voyelles extrêmes \n et oun; ein désigne un son
plus fermé que le français in.
Les notations an\ on', oun\ etc., indiquent que Vn doit être
LES FEES DE GRAND COMBE 3I
prononcée. Il faut toutefois remarquer que dans ce cas, qui se
se présente lorsque 1'/^ était suivie en latin d'une seconde con-
sonne, la nasalisation est en voie de se produire actuellement
et qu'on rencontre toute la série des phases intermédiaires,
suivant l'intensité plus ou moins grande de la syllabe.
Le V intervocal est en général faible et parfois à peine per-
ceptible. Il est bilabial.
Le k parasite et les consonnes finales autres que r et n ne
sont articulées distinctement qu'en pause ou devant voyelle.
Dans la prononciation rapide devant consonne, ils s'affai-
blissent ou disparaissent complètement.
"• chës^ pluriel de ché, rocher, du latm saxum. Les nom-
breuses formes spéciales de pluriels en s ou ch constituent une
des particularités les plus caractéristiques du patois d'Evolène.
Sans entrer dans les développements que réclamerait l'étude
de cette question, constatons seulement que Y s de flexion s'est
maintenue toutes les fois qu'elle était appuyée par une con-
sonne précédente. Après les voyelles nasales ou r, elle se pré-
sente sous la forme ch : h man, ' la main ', plur. le manch; h
tàr, ' la tour ', pi. le tôch; après les consonnes /, «, /, / mouillée,
on a en revanche s ; h pra, ' le pré ', pi. h pras ; h moulèt, ' le
mulet', pi. h inovlès; h dèn\ 'la dent', pi. le dins ; Fàoujé,
' l'oiseau ', pi. h-J-àoujês ; Pouèl, ' l'œil ', pi. h-J-ouh. Ces faits
ne sont que l'application des lois générales de conservation
des consonnes finales dans le patois d'Evolène ; mais il existe
aussi bon nombre de cas spéciaux, parmi lesquels il faut faire
rentrer le couple ché, chës, où l'état de choses primitif a été
troublé par l'action de l'analogie.
- mouro de rùvîna, amas de terre et de pierres formé par un
éboulement.
3 en Olein-na, forme réduite, plus courante que la forme
pleine en Èoublein-na.
■^ partis de ché, la forme isolée du mot tsi pari'k, mais dans
la prononciation liée, le k s'efface et on perçoit la diphtongue.
^ lo tsâtein, forme du cas régime, de règle pour les détermi-
nations de temps. On sait qu'un assez grand nombre de patois
valaisans ont conservé pour l'article défini la distinction de
32 J. JEANJAQUET
l'ancien français entre cas sujet et cas régime. A Evolène, les
formes de l'article défini sont les suivantes :
Masculin. Féminin.
Sing. Nom. U. ^iiig- Nom. h.
Ace. Ib. Ace. la.
Plur. Nom. h. Plur. Nom. /<?.
Ace. Ve. Ace. /<?.
On dit donc la nioulH y e vèn'douk, la vats^ Vè vèn^ doucha^
mais \ fô vhn'dr'e lô frioulèt, la vais'.
6 dâoii^ de lôoii Ih-j-ctlâvoun. La reprise par un pronom per-
sonnel du sujet déjà exprimé par un nom est un fait à peu près
constant de la syntaxe des patois de la région.
■^ pa^ooti, pi. pU'd-ôouch, est le terme général pour désigner
tous les employés d'un alpage, tandis que pâ(^o ne s'applique
qu'à celui qui dirige l'exploitation.
8 moun^tafiy^, est toujours équivalent de ' alpe, alpage ', mots
qui sont inconnus au patois.
^ rèdâït, versant exposé au soleil, par opposition à rèvê.
10 cûran, forme dérivée du plus-que-parfait de l'indicatif
latin habuerant, mais qui a pris la valeur d'un conditionnel.
Ce temps se conjugue ainsi :
y âir°, t'aif^, y mr'^, nouran, y ourâs, y âiran.
Il ne subsiste que dans les verbes être, avoir et savoir.
11 kankona, terme d'injure 'mégère, sorcière'.
12 kotnpldmins. Dans les mots terminés en -a«', ~èn\ -on\ oîi
\n se fait encore légèrement sentir, le pluriel a des formes
presque complètement nasalisées : -ans, -itis, -ons.
13 kalya.pré. Le kalya est du lait caillé, mais dont les parties
caséeuses ne sont pas encore séparées du petit lait, tandis que
le pré est la pâte du fromage prêt à être retiré de la chaudière.
1* chcré, sérac, fromage blanc qu'on obtient en faisant cailler
le petit lait.
15 infin, vieille forme généralement remplacée aujourd'hui
par atifein.
16 rèzouyây^, devient dans la prononciation courante rèzouyèy.
LES FEES DE GRAXD COMBE ^^
^^ kblyôou, grande passoire de bois en forme d'entonnoir
pour couler le lait qui vient d'être trait.
18 mèsirây^, contenu d'une nièstra, baquet étroit de forme
ovale, ayant d'un côté une douve prolongée servant d'anse.
*9 X_Ip. Forme du cas sujet. Nous avons parlé plus haut de la
conservation dans certaines parties du Valais de la déclinaison
à deux cas pour l'article défini. Nous ne croyons pas qu'on ait
signalé jusqu'ici la déclinaison analogue du pronom démons-
tratif, qui est beaucoup moins répandue. Evolène possède les
trois couples suivants, en regard desquels nous mettons les
formes correspondantes du vieux français :
Sing. Nom. câp (cil ), celui-là. Sing. Nom. y/y (celi), celle-là. sff (cesli), celle-ci.
Ace. c/ié(c(\). Ace. ;;^/<z (celé). sfa{ces,k).
Le masculin chi{k) (cist), celui-ci, s'emploie sans distinction
de cas. Les formes du pluriel sont pour le masculin ■/lôous,
stôous, et pour le féminin jlè^ stè.
20 ffilma. Le français étant oblfgé de dire « moi-même » si
l'on veut indiquer que la personne qui parle a fait l'action, le
jeu de mots ne peut pas être traduit exactement. Mais en patois
la construction de « même » sans pronom personnel est la seule
usitée. Elle est souvent transportée dans le français local, et
des expressions comme : ' Je l'ai fait même'. 'Vas-y même' sont
courantes en Valais.
-1 tchika mi apré, litt. ' un peu plus après '.
" fik est à proprement parler l'équivalent du français ' foi ',
du latin fidem ; par extension de sens, balyè fik est devenu la
locution habituelle pour dire ' faire attention, prendre garde '.
J. jEANJAaUET.
ETYMOLOGIES FRIBOURGEOISES
— î—
I. Fére kotô.
Férd kotô ' faire semblant ', par exemple/, k. de druttii, ' de
dormir'; de rin, ' de rien ': n'a pà fc kotô d'our?, 'il n'a pas
fait semblant d'entendre ', = littéralement : « faire comme tel
[qui dort, etc.]. » Pour aie- > ô comparez male> mô , sale
> sô, etc.
II. Kouini.
Ce mot, qu'on retrouve sous des formes variées dans les
différentes parties de la Suisse romande, signifie dosse, c'est-à-
dire la première planche qu'on scie dans un « billon, » plate
d'un côté, ronde et recouverte de l'écorce de l'autre. C'est de
l'écorce que cette planche tire son nom, qui dérive de *cu-
tinna (de ciitis, peau), kouin-na, 'couenne, croûte' (par
exemple du pain), auquel on a ajouté le suffixe -ellus = /,
donc *cutinnellus. Comparez Mistral, Trésor: coud en, ' dosse'.
III. Kové(y).
On appelle en Gruyère de ce nom l'étui où le faucheur met
la pierre à aiguiser la faux, donc le coffin. Le mot patois n'a
rien à faire avec le mot français coffin, il se rattache plutôt au
latin cotarius, de cos, pierre à aiguiser = queux en français.
Cotarius est très répandu non seulement dans tous nos pa-
tois, mais encore en réto-roman (voir Archivio glottologico
italiano I, 381, 485 ; II, 131), et dans les patois de France. (Voir
ETYMOLOGIES FRIBOURGEOISES 35
p. ex. Mistral, i. coudié, etc.) Le mot simple cos, comme il ar-
rive très souvent, n'a pas laissé de traces; il a e'té remplacé
par ftiolèta, diminutif de '^ nui la = meule (latin mola). Com-
parez le verbe )nold = aiguiser. Le z' de kovè'v^ s'est intercalé
pour effacer l'hiatus, comme dans *potere = povè, pouvoir^
où le V cependant n'apparaît pas partout.
IV. Kunyu.
Fribourg : kunyu = gâteau cuit au four, terme ordinaire
pour gâteau : kunyu i chdrijè (aux cerises), ou vin koué (au « vin
cuit »), ou frs (au fromage), etc.; Neuchâtel : knyœ. = gâteau
de pâte seule. L'étymologie est cuneolus, comme l'a fort
bien dit M. Horning. {Zeitschrift fiir rom. Phil. XVIII, 216.)
Le suffixe -eolus donne précisément -yu en fribourgeois, -yœ
dans la montagne neuchâteloise, comparez filiolus = Jilyu,
flyx; pour 1'// atone du mot fribourgeois, comp. kunyi = cogner,
de eu ne are. Le mot a donc désigné à l'origine un gâteau en
forme de coin. Les patois français de l'Est et du Nord appel-
lent coucnua, etc., des gâteaux ou pains d'une certaine forme.
Beauquier {Frovincialismes du Z>oul>s... sous quigneux) dit: « Ce
gâteau s'appelait encore autrefois Coignole, Conoignole. C'était
un gâteau pointu des deux côtés [à l'origine probablement
seulement de l'un], large et creux dans le milieu, afin d'y rece-
voir un petit enfant Jésus en terre ou en sucre. » Ces gâteaux
se faisaient peut-être à l'origine à Noël exclusivement et repré-
sentaient le cadeau offert par les parrains à leurs filleuls. La
Gruyère en conserve un souvenir en nommant kunyu a kouarne
(gâteau à cornes ou pointes) l'étrenne d'un parrain ou d'une
marraine. Notre mot est apparenté au français quignon.
V. Kuti paryâ.
C'est le nom qu'on donne dans un grand nombre de nos
patois à la plane, c'est-à-dire à un couteau à lame droite à
deux manches servant à égaliser. Cette désignation dérive du
36 L- GAUCHAT
verbe latin parare, tiré de l'adjectif par = égal, pris dans le
sens de égaliser, et conservé dans beaucoup de nos patois. Il
signifie /^/<?r en Valais, en Savoie et à Genève. La forme latine
correspondant exactement à notre kuti paryâ serait donc
cultellus paratorius, comp. en provençal moderne coutèu
paradou (Mistral). Pour le développement de -atoriu, com-
parez miratoriu > msryâ, « miroir.»
L. Gauchat.
ADDITION
— î—
M. le professeur S. Singer me fait remarquer qu'en alle-
mand nichts signifie aussi fleurs de zinc, pompholix, de sorte
que le proverbe nichts ist gut fur die Augen indique un ancien
médicament employé pour les maladies d'yeux. Le proverbe
de la Suisse allemande niit icK goiisf fiir d boug?, mentionné
à la page 10 du Bulletin (1903), est né d'une confusion du
terme chimique nichts avec nichts = rien. Il est donc évident
que la locution fribourgeoise rin lyè bon po /^-y'-j^^? est d'origine
allemande. L. G.
— ooC>0<C<3<^
L'AGGLUTINATION DE L'ARTICLE
DANS LES MOTS PATOIS
{Suite et Jîn.)
3. Type : le zoiseau.
Tout le monde écrit « entre quatre yeux » et prononce <^ entre
quatre-z-yeux, » en dépit de l'orthographe ; c'est une des rares
concessions que l'Académie française a bien voulu faire à la
langue parlée. D'où vient ce z illégitime ? C'est que le pluriel
de « œil » ne s'entend guère que dans la liaison : les yeux,
des yeux, aux yeux, mes yeux ; tes yeux, etc., deux yeux, de
beaux yeux, etc., de là la forme « zyeux » qui se grave dans
notre mémoire phonétique. Ne sommes-nous pas tentés de
demander à un enfant: «Combien d'-z-yeux as-tu?» au lieu de
combien d'yeux as-tu? — Ecoutez les enfants eux-mêmes qui
vous parlent d'un zoiseau, d'un zhantieton, d'un zeiifatif, d'un
zanimaux ; ils ont tort certainement, mais ils nous révèlent
une tendance de la langue qui a modifié plus d'un mot patois.
Le français créole ne connaît que les formes agglutinées, il dit au
singulier : // zie, H zozeau, li zanimaux. Dans les patois romands,
cette tendance a affecté les mots : œil y œuf, oie et iga, 'jument '.
I. jœ, s. m., sing. et plur. pour « œil. » C'est la seule forme
agglutinée de cette espèce qui ait fait disparaître complètement
la forme légitime dans certaines régions. Elle se rencontre sur-
tout dans le Valais oîi la forme zouc l'emporte de beaucoup
sur ouK qui ne se trouve que dans quelques patois isolés. Fri-
bourg, dans sa partie méridionale, notamment dans les districts
de la Gruyère et de la Veveyse, dit de préférence : yè ; cepen-
3
38 E. TAPPOLET
dant le VuUy, le district du Lac et la Broyé présentent jà
ou je. La limite est formée à peu près par la ligne de chemin
de fer Lausanne-Fribourg. Le Jura vaudois semble préférer yà,',
je ; pour ' œil-de-bœuf ' (ouverture dans la grange), Sainte-Croix
dit \.o\x)0\xx'~, jë-dé-bu. En général, le canton de Vaud offre la
forme jà ou je, excepté la partie qui touche au canton de
Neuchâtel (Bullet : ay, Provence : z/), les Alpes vaudoises et la
plaine du Rhône où nous voyons dominer les formes non agglu-
tinées : yé, uè, u. Dans l'ouest du canton la lutte entre les formes
agglutinées et non agglutinées n'est pas terminée : on y ren-
contre oiiè à côté de joué.
Tel est également le cas du canton de Genève oîi l'on trouve
zone, joue à côté des formes plus répandues: sing. nyuè (avec
agglutination d'une partie de l'article indéfini <?«), plur, joue.
Les cantons de Neuchâtel {ou, ou', u, ulyoUy ulyo, àyou, œly')
et de Berne (ày, éy, éy) ne connaissent absolument que les
formes légitimes.
2. za°, s. m., pour ' œuf' m'est attesté pour Forel et pour
Oron. On y dit : bayi on za° pbr avay on ba°, ' donner un œuf
pour avoir un bœuf.
3. zouyd, s. f., pour ' oie, ' se rencontre dans le patois d'Hé-
rémence (Valais) '.
4. ziga, s. f., vieille jument, dans la vallée de Joux, pour iga^
descendant régulier du latin equa, ' jument ' (cf. le provençal
egua, ancien français ive, etc.)
Ajoutons à ces quatre cas d'agglutination plutôt accidentelle
un vieux mot valaisan où la trace de l'article n'a été révélée
que par l'investigation étymologique :
5. frimisé, s. f. pi., ' prémices ' dans le val d'Annivier^.
^ Voir de Lavallaz, Essai sur le patois d Hérénience, p. 70, 171.
On devrait avoir lè-jouys comme on a lè-j-infan ; le s semble im-
porté d'un autre patois.
- Ces prémices consistent en fromages que les Anniviards pré-
sentent solennellement à l'église un dimanche de septembre.
Voir Romania, XXV, p. 437.
AGGLUTIXATION DE L ARTICLE DA\S LES MOTS PATOIS 39
Comment expliquer la pre'sence de cet /à la place du p qu'on
attendrait? M. Gillie'ron nous rappelle que lyde ce patois ]:)ro-
vient quelquefois de sp latin ; ainsi spina, épine, donne é/jna,
spissus, épais, devient èfè, et il dérive, très ingénieusement,
notre frimisé de illas primitias, où Vs du pronom-article
s'est soudé de très bonne heure à la consonne initiale du
deuxième mot qui était toujours employé au pluriel. Reste une
difficulté à résoudre : spina donnant ép9na, sprimitias a dû
passer par éfrimisé. Il faut supposer que dans cette forme 1'^
initial a été retranché par confusion avec l'article pluriel //, de
là la forme actuelle /r/////j'/.
4. Type : le nabit.
Les cas de ce genre sont rares dans nos patois. On en trouve
par contre de nombreux exemples dans les patois de la Bel-
gique ainsi que dans ceux de la Suisse allemande, où l'on
entend fréquemment dire : dr nacht pour dr acht (' le hui-
tième '), dr nàti pour dr àti^ (' le père '). Ainsi nous avons :
1. nirèson, de on-n-irèson (un hérisson), à Blonay (Odin, Pho-
nologie, p. 153). Le hasard veut que le même mot présente une
forme agglutinée à Mons (Belgique).
2. noris3, s. f., mauvais génie, sorcière, diable. Bridel a tiré
ce mot curieux, non sans réserve, de nome, nom de déesses
Scandinaves qui correspondent aux Parques des anciens. C'est
pure fantaisie ; cette explication est aussi inadmissible que celle
qui dérive vôdè^ nom du diable, du dieu germanique Wuodan^.
Si de pareils rapprochements étaient pardonnables à l'époque
de Bridel, ils le sont déjà beaucoup moins en 1903, année qui
a vu paraître X Histoire du canton de Vaud, par Maillefer, où
^ Comp. le français nombril pour oinbril, de umbiliculum,
où \'n peut s'expliquer par agglutination et par dissimilation,
tombril, puis le lornbril = le nombril.
■■' Pour la vraie origine du mot vôdè^ voir E. Muret, Archives
suisses des traditions populaires, II, p. 180 ss.
40 E. TAPPOLEï
ces étymologies germaniques sont citées à la page 76 comme
traces des Burgondes dans nos patois.
Je m'explique le mot nortsd de la façon suivante : le latin
Or eu s, nom du dieu des enfers, est devenu dans les langues
romanes un appellatif dont le sens varie, mais qui désigne par-
tout un être à la fois imaginaire et redoutable^. Grâce à ce
sens flottant, le peuple se représentant cet être qu'il n'a jamais
vu, tantôt sous forme d'un homme, tantôt sous forme d'une
femme, on a donné à or eus un féminin, orca, qui est devenu
régulièrement brtsd dans le patois vaudois, puis, par agglutina-
tion de l'article indéfini, nortsd. On a dû dire souvent fé on-n-
orts9, ou l'a rizu k^min 07i-n-ortsd, ' il a ri comme une sorcière '.
— Si le substantif norts9 tend à disparaître avec l'idée peu mo-
derne, le verbe in-nortsi, ' ensorceler, endiabler, faire enrager '
est encore bien vivant dans le patois. — On pourrait aussi
songer à dériver le n de notre nbrtsd de ce verbe. On aurait eu
d'abord brtsd., puis innbrtsi, enfin, le mot simple modifié par
le dérivé : nbrtsd. La première explication a l'avantage d'être
appuyée par de nombreux cas analogues.
III
Nous n'avons vu jusqu'à présent qu'un côté de notre phéno-
mène linguistique. Dans tous les exemples traités le corps du
substantif en question est augmetité d'un son provenant de l'ar-
ticle, soit défini, soit indéfini. Il nous reste à examiner le pro-
cédé inverse. Puisqu'on se fait si facilement des idées fausses
sur la vraie forme du substantif combiné avec l'article, il serait
étonnant si cela arrivait toujours au profit du substantif et
* En Italie, orco, fort répandu dans les dialectes, signifie
« croque-mitaine, fantôme, épouvantail. » 'L'orco est le person-
nage typique des contes de fée ; comp. ogre en français ; en
Espagne, uerco désigne l'enfer (sens latin) et le diable. La femme
de Vorco italien s'appelle orc/iessa. Notre féminin orca est peut-
être né sous l'influence d'un autre mot orca qui en latin et en
italien signifie une espèce de gros dauphin, « hétérodon ou épau-
lard. »
AGGLUTINATION DE L' ARTICLE DANS LES MOTS PATOIS 4I
jamais à ses dépens. Plusieurs exemples sont là pour démon-
trer qu'en effet ce procédé contraire existe, c'est-à-dire que tel
substantif, au lieu de gagner en consistance par la confusion
avec l'article, y perd. C'est une agglutination négative qu'on
pourrait appeler « déglutination. » On l'observe également
dans le langage des enfants, par ex. : une anterne, les anternes,
pour « lanterne. »
LA DÉGLUTINATION
Nous pouvons distinguer quatre types :
I. Le contraire du type : lendemain.
Les mots suivants ont perdu leur / initial qu'on prenait pour
l'article élidé.
1. écrelét, s. m., forme employée à côté de lécrelet dans le
langage populaire de Genève (Humbert). Ce n'est pas autre
chose que le mot allemand leckerli, sorte de pain d'épices. Le
dictionnaire de Littré enregistre écrelet, parce que Rousseau
l'a employé dans la Nouvelle Héloïse, IV, lo, où il dit: La Fan-
chon me servit des gauffres, des écrelets.
2. egrdfas' , s. m., pour lègr?fas' ' grand vase de cave ' terme
de vigneron (v. Gignoux, Terminologie du vigneron, p. 43).
C'est le mot allemand suisse : Làgerfass ' tonneau de chantier,
foudre ' {Idiotikon, I, 1051). La forme sans / n'est attestée que
pour le vignoble de Lavaux ; la forme normale dans les can-
tons de Vaud et de Fribourg est Icgr ou lègr^fas' .
3. 0, os, s. m., pour lo, los, ' récompense ', c'est le latin
laudes, 'louanges', ancien français los. O, os se trouve en
ancien fribourgeois du quinzième siècle, il a disparu dans les
patois modernes. (Voir Girardin, Le vocalisme du fribourgeois
au quinzième siècle., p. 36.)
4. élargie^ s. f., pour ' léthargie ' ; le Conteur vaudois (1895,
No 48) écrit : parait que Vétâi coumeint on dit, ein nétargie ;
on peut interpréter cette graphie de deux manières : ou bien
le n fait partie du mot, on a dit la léthargie, dans ce cas \n
42 E. TAPPOLET
peut s'expliquer par dissimilation avec / (au lieu de la léthargie
on a dit la néthargie), ou bien le n n'est que la consonne de
liaison, nous avons alors affaire à la forme déglutinée : élargie.
2. Le contraire du type : aglan.
En général, ce sont des mots féminins dont Va initial s'est
détaché par confusion avec l'article.
1. valanlsd ou lavanlsd, s. f. (Ormonts), pour avalanls3 ou
alavantsa, ' avalanche ', si le mot vient réellement de ad
vallem + antia.
2. bai, s. f., pour abaï^ ' abbaye ', ancienne fête de tir dans
le canton de Vaud. Aux Ormonts, on dit par ex. : la vilyy bai.,
' la vieille abbaye ', ou vin-t9 si-y-an pbr pasâ le bat ? « Viens-
tu cette année pour passer les ' abbayes '. »
3. grêla, s. f., pour agrèta, ' cerise commune ', à Dompierre
(Fribourg). C'est une variante du mot français griotte pour
agriote, dérivé de aigre, mot qui est aussi très usité dans la
Suisse romande.
4. tsèta,'s,.ï.,\)Oux atsèta, 'hache' (Fribourg). Dans ces deux
mots, la voyelle tonique du radical primitif a passé à l'article.
5. luèta, s. f., pour aluèta, ' alouette, ' forme usitée dans la
Broie (Fribourg).
6. lèyna, layna, s. f., ' alêne ', Fribourg ; l'Etivaz (Vaud).
7. fjiidon, s. f., pour emidon^ ' amidon ', Jura bernois (patois
de Delémont et de l'Ajoie). A Charmoille, on dit par ex. : in
pb d'midon, ' un peu d'amidon '.
8. lèytyé-vatss, s. f., pour ' allaite-vache ', un des mots qui
désignent la salamandre (Fribourg).
9. brdfnch, s. f., pour l'abr^mèh, ' farine d'avoine', de l'al-
lemand suisse Habermehl.
Voici un exemple pour l'article masculin, l'inverse de Vostan
pour lo stan.
10. relbdzo, s. m., pour * orlbdzo^ 'horloge ', du latin horo-
logium. - Ce mot montre souvent cette aphérèse dans les
langues romanes, ainsi anc. prov. relotge, espagnol reloj, etc.
AGGLUTINATION DE L'ARTICLE DANS LES MOTS PATOIS 43
3. Le contraire du type : nabit.
Un seul mot présente la perte de Vn initiale ; c'est
âdo, s. m., pour nâlfo, ' moyeu d'une roue', Fribourg, s'il
vient de l'allemand JVade (voir Idiotikon, IV, p. 631), Bridel
donne abot = ' essieu ', c'est sans doute le même mot.
4. Type : komotivs.
1. Dans le mot français locomotive, d'importation toute
récente, la syllabe initiale avait pour les patoisants du Jorat
l'air de l'article masculin lo, de là la fausse séparation du mot
en lo komotiv? qui amène un changement de genre, frécjuent
dans les mots importés. Puis le mot redevient féminin, c'est
ainsi que Favrat l'emploie dans la phrase : vatelé via avoué la
comotive. {Mélanges vaudois, p. 243.) Comparez le sifèr, ' le
diable ', pour lucifer, dans le patois de Cellefrouin (dép. Cha-
rente-Inférieure).
2. mala, pour lamala, ' lamelle, lame ' (Valais).
CONCLUSIONS
Les pages qui précèdent sont loin d'avoir épuisé le sujet,
tant pour le phénomène de l'agglutination en général, que pour
les exemples à tirer de nos patois. Mais les mots que nous
avons passés en revue, au nombre de plus de soixante, suffiront
à donner une idée d'ensemble de la question.
Il n'est pas sans intérêt de voir comment nos exemples, tirés
tous du même domaine géographique, se répartissent entre les
différents procédés ou types indiqués. Ce qui frappe tout
<i'abord, c'est que les cas d'agglutination sont bien plus nom-
breux que ceux de déglutination, le procédé augmentatif est
représenté par 47 cas, soit environ 3^^ du total, le procédé
inverse seulement par 17 cas, soit à peu près 1/4.
Cette disproportion n'est pas l'effet du hasard, car en cher-
chant systématiquement des exemples d'agglutination et de
déglutination dans tout le domaine des langues romanes, on
44 E. TAPPOLET
trouve partout que les substantifs ont été bien plus souvent
augmentés que diminués par leur contact avec l'article.
Quant à l'explication de cette prédominance, elle est bien
simple. En théorie, tous les substantifs, quelle que soit leur ini-
tiale, voyelle (type l-endemain) ou consonne (typ e : /-f<?r«^i'), peu-
vent subir l'agglutination, tandis que la déglutination ne peut
se produire que dans certaines conditions phonétiques : le mot
doit commencer par / ou n (cas leckerli et nabe), ou par a (cas
a[midon), par o, lo, la, etc. On voit qu'un nombre beaucoup plus
restreint de mots remplissant ces dernières conditions, la déglu-
tination a forcément moins de prise.
Le second fait qu'il importe de relever, c'est que, parmi les
9 types étudiés, il y en a 3 qui sont de beaucoup plus riches
en exemples que les 6 autres. Ce sont tout d'abord les deux
types : lendemain et écornes, remarquables par leur fréquence
relative ; ils sont à peu près de même force l'un que l'autre, et
forment ensemble environ -j^ du total. Aucun type de dégluti-
nation ne peut rivaliser avec eux ; un seul, celui de ajmidony
est d'une fréquence notable, englobant i/e du total des cas.
Cette statistique sommaire nous permet d'établir certaines
conditions dans lesquelles l'agglutination ou la déglutination a
lieu et sans lesquelles elle ne se produit pas. Ces conditions
sont d'ordre différent : elles concernent avant tout la composi-
tio?i phonétique de la syllabe initiale du substantif; cependant,
la fonction et le sens du mot ne sont pas indifférents.
A. Conditions relatives a la forme du substantif :
Sont surtout sujets à l'agglutination avec l'article les subs-
tantifs qui commencent par une voyelle quelconque (type : le?i-
demain).
Sont sujets à la déglutination les substantifs :
1. qui commencent par / (ou ti), type : IJécrelet ;
2. dont la première syllabe est égale à la partie vocalique
de l'article défini, type : a]mido?i.
AGGLUTINATION DE L'aRTICLE DANS LES MOTS PATOIS 45
B. Conditions relatives a la fonction du substantif :
Pour qu'une forme de l'article, plutôt qu'une autre, se soude
plus ou moins définitivement au substantif, il faut que ce sub-
stantif soit ordinairement employé dans un des deux nombres :
ainsi le lendemain, le haut, le pis, le nombril, le hibou, le
hoquet, etc., tous mots qui ne sont guère employés au pluriel ;
ou alors les cornes, les ciseaux, les tenailles ; les ' étours ' ,• les
yeux, les œufs, etc., qui sont surtout ou presque exclusivement
employés au pluriel.
Enfin, quant aux conditions qu'imposerait à l'agglutination
le sens des substantifs, notre collection ne confirme pas entiè-
rement l'opinion de M. Meyer-Liibke, qui croit que la maladie
de l'agglutination n'atteint guère que les mots rares, Roma-
nische Grammatik, I, p. 356, car, pour ne citer que quelques
exemples, qui oserait appeler rare l'emploi des mots : yeux,
escalier, horloge, cornes, lendemain, le haut, leçon. En outre, des
mots tels que la hotte, le pis, abri expriment des idées très
familières à la vie du paysan.
Toujours est-il que de notre soixantaine d'exemples, il y en
a une bonne trentaine dont l'usage peut être vraiment qualifié
de rare, comme par ex. : tournis, hoquet, gerçure, chenet,
amidon, alêne, etc. Pour s'en mieux convaincre, on n'a qu'à
prendre un groupe d'idées et à chercher la proportion entre
les mots rares et les mots fréquents ; ainsi dans les parties du
corps nous trouvons 5 mots rares : cils, narines, luette, nom-
bril, orteil, contre 3 mots plus ou moins fréquents : yeux,
écornes, pis. Parmi les noms d'animaux, la proportion est
encore davantage en faveur de la thèse des « mots rares ; » on
ne peut pas même considérer le mot oie comme étant d'un
usage fréquent ; des autres bêtes : lézard, orvet, salamandre,
loriol, hérisson, hibou, on n'en parle pas même tous les mois.
Nous ne nous éloignerons donc pas trop de la vérité en
disant que, toutes les autres conditions étant égales, un mot
40 L. GAUCHAT
rarement employé a un peu plus de chance de subir l'aggluti-
nation qu'un mot d'un usage fréquent.
Ajoutons que les quelques mots d'origine étrangère {écrelet,
ègrsfas, bramèl, abo), ou d'origine savante {léthargie, amidon,
locomotive) confirment cette façon de voir, car au moment de
leur introduction dans le patois la chose qu'ils désignent était
nouvelle et rare.
Je me hâte cependant d'ajouter que, si la rareté du mot est
pour quelque chose dans l'agglutination, le facteur le plus favo-
rable à produire cet accident de langage, est sans aucun doute
le contact intime d'un substantif avec telle forme de l'article
plutôt qu'avec telle autre, de là les cas si étonnants au premier
abord les zyeux et les écornes, qui semblent narguer la théorie
des « mots rares. »
E. Tappolet.
LA BOUA
-♦-
La bibliothèque du collège de la Chaux-de-Fonds renferme,
réunies dans un portefeuille, 41 pièces patoises ou relatives au
patois, qui sont de la plus haute importance pour la connais-
sance de l'ancienne langue, aujourd'hui absolument éteinte,
de la Montagne neuchâteloise. Cette collection constitue le
No 7639 du catalogue manuscrit. Elle a été composée jadis par
Célestin Nicolet, dont lôs héritiers ont eu la bonne idée de la
déposer à la dite bibliothèque, sauvant ainsi ces précieux pa-
piers de l'oubli. Plusieurs de ces documents sont inédits, no-
tamment les petits vocabulaires, dont l'un contient entre autres
des mots très rares, par exemple des noms de plantes, etc.,
qui figurent sous les N"^ 7 à 15. C'est d'une pièce de vers hu-
moristique que j'aimerais aujourd'hui entretenir nos lecteurs.
LA BOUA 47
Elle est intitulée La boua (la lessive), émane de feu l'avocat
Auguste Billet et se rencontre quatre fois dans le recueil,
sous les N<'* 25, 32 a et b, et n- Disons tout de suite que les
N<'" 25, 32 a et 33 sont identiques, sauf les variantes orthogra-
phiques inévitables dans la copie de documents patois. Comme
la façon d'écrire les dialectes n'a jamais subi l'influence des
académies, chacun est libre de suivre ses goûts et préjugés. Ce
qui frappe davantage, c'est la grande indépendance du texte
donné sous le N" 32 b. Nous pouvons distinguer, comme pour
les grandes épopées de l'ancienne littérature française, plusieurs
familles de manuscrits, que j'appellerai les familles A (N'^* 25,
32 (Z, 2,Z) st B (Nf 32^). Lequel de ces deux groupes repose
sur la bonne tradition, et représente le plus fidèlement l'ori-
ginal ? Comme, au fond, toute poésie populaire est sujette à
des remaniements arbitraires, cette question n'est pas sans
intérêt, et l'on voudra me permettre d'étudier, à la manière
des philologues, les rapports qui existent entre les variantes de
texte de notre petit poème, tout moderne et tout patois qu'il
soit.
Le comité du patois neuchâtelois a reproduit le morceau
dans le volume que je viens de citer en note, p. 131, d'après
le Ni^ 32(5. Etait-il bien inspiré en préférant cette rédaction?
Notons dès à présent que la copie du Patois 7Uuchâtelois
a sauté le huitième vers de la rédaction B, de sorte que la
rime gôdillon se trouve sans correspondance. Je ne critique
pas la transcription souvent erronée. Quant aux variantes de
texte, le lecteur verra plus loin quelle confiance elles méritent.
' Quant à l'auteur, Lucien Landry parle, dans une note du
volume Le patois neuchâtelois, Neuchâtel, Wolfrath, 1894, p. 131 :
de « l'esprit piquant, humoristique à l'excès, de ce bossu à l'air
chétif, mais qui avait su se faire une place distinguée dans la
société.des femmes d'esprit et élégantes de la Chaux-de-Fonds ».
Voir, du reste, la biographie de l'avocat Bille, par John Clerc,
dans le volume publié à l'occasion du Centenaire de l'incendie de
la Chaux-de-Fonds.
48
L. GAUCHAT
Voici maintenant les deux principales formes de notre
poème, d'après les leçons des N^s 25 et 32^ du recueil de la
Chaux-de-Fonds. Je laisse de côté les leçons des autres repré-
sentants de la famille A et du Patois neuchâtelois qui n'offrent
que des variantes orthographiques.
Famille A, N° 25.
La boua.
Assetoue que vo fat ait la boua
On peu konta su on neva.
Se vo povie vo z'a passa
Sa sarait grau bei?i djobia.
5. Ma peiîiso bin que vo ?i'ie pieu
Ne panetnafi, ne liasseu.
Ne pannemor^ ne manti
Ne muodchu, ne gaudillon
Ne tchaussait, ne galeçon
10. Ke ne saia to cointchi,
Voutre bœube a knio le tchemin
Et vautrait feuilletait assebin
Asse qu'on dit pa dvouai dchi no
Et i ne le kreyo que tro.
1 5 . Lait djouvenait dja danondrait,
{Ke ne sontu tu a kuinottet)
Baillia treviaige pieu dovraige
Ke se nétait du tin don viaige.
Dieu no beugtie!... attate onpoue,
20. / sou greugne kma on petoue !
Ma, kma ne le sarait on pas
A reveyant de tau névas
Damatie qu'avouai le bétain
No saran kasi u tchautain
25. Ma no volein espéra
Ki revadra aprè voutra boua.
Famille B, N° 32 ^.
La boua.
Ass'toû que voz fâtet la boua,
On peut compta su on nèva :
Ça sarait do7ic gros bein djobiây
Se voz povie voz à passa.
Ma peinso bein que voz nHe pieu
Ra d'pânne-mans, ne de liasseux^
Ra d'mouotchus, ne de godillons,
De tchaussets, ne de galeçons.
Pieu d'pânne-mors, ne de d'vanties^
Pieu de ra, que n'seit to coijitchie.
Voûtre boueube à kniot le tchemin,
Et voûtret feuiirtets assebein,
A ce qii'c dia pa d'voai tchi noz.
Po met, i fie l'creyo que trop ;
Cest qu'let djouv'nets dj'as d'anondret,
{Que ne sont-u tu à eu 7nottet 1 )
No bailla baicoilp pieu d'ovraidge
Qu'on n'a faisait u teims d'on viaidge.
Voz n'sarie donc attadre on poue.
To ça m'fâ greugn' ktna on petoue ;.
Eh ! kma ne le sar ait-on pa,
A reveyant de taux nèvas :
Damati qiiavoai le bé teims
No saran quasi u tchaud-teims.
Ma péchasse ! i voui espéra
Qu'après voutra boua, l'bé r'vadra^
LA BOUA 49
On trouvera plus loin la traduction des deux rédactions. En
confrontant A et B, on remarquera qu'ils se correspondent
vers pour vers, sauf les lignes 3 et 4, interverties dans B et le
vers y de A (rime manti) qui doit évidemment passer après 9
pour former la rime plate avec cointchi. Il s'agira là d'une irré-
gularité, voulue ou non, du type A. Sous ce rapport, B offre
une régularité parfaite. De plus, dans B la ponctuation est plus
soignée, et les mots sont plus intelligibles, parce qu'on a eu
soin d'ajouter les signes de la flexion 1, d'orthographier plus à
la française '-, de mieux rendre les sons patois ^ et, enfin, de
séparer convenablement les mots *. A plusieurs formes et mots
rares du texte A correspondent des expressions plus claires
de B, ainsi à treviaige (vers 17) baicoûp, à attate (vers 19)
attadre. Outre cela, le sens est plus lié, les idées se tiennent
mieux dans la rédaction B"". Ainsi, cette dernière forme du
morceau paraît se recommander à tous égards et être plus
digne de confiance, et il semble que les rédacteurs du Patois
neuchdtelois aient bien fait de s'en tenir à ce texte.
Mais nous allons examiner nos variantes plus en détail. Pour
quel motif le type B ofifre-t-il par exemple, au vers 10, pour :
ke ne saia to cointchi, ceci : pieu de ra, que n seit to cointchie ?
Je ne me serais peut-être pas tout de suite rendu compte de la
cause de cette différence, et de tant d'autres, si je n'avais
trouvé dans le manuscrit N" 25 au-dessous de chaque mot un
ou plusieurs petits traits d'une autre encre que le morceau
' Cf. B : voz, peut, pânne-inaiiB, tiasseiix, feiiit/'tets, etc., vis-à-
vis de A : vo, peu, paneman, liasseu, feuilletait, etc.
- Ainsi B : gros, compta, voz à, trop, taux, béteinis, tcliaud-
teiins, quasi, etc., vis-à-vis de grau, konta, vo s'a, tro, tau, bétaiu,
tchautain, kasi, etc.
■' B : ass'toù, /â/et, compta., mouotchus , tchi, bonenbe, ovraiàge,
viaidge, etc., à côté de A: assetoue, /atait, konta, muodchu, dch/,'
bœube, ovraige, viaige, etc.
' Cf. A : dvouat, danondrait, sontn et B : d'voai, d' anondret ,
sont-u.
^ Voir les vers 3-4 de 5 ^ 4-3 de A et surtout les deux vers 19.
50
L. G AU CHAT
même, et trahissant que quelqu'un s'est ingénié à compter les-
syllabes de ces vers. Grâce à ce système, ce critique inconnu
est arrivé à constater que les vers comptent de 7 à lo syllabes.
Le vers : ke ne saia to cointchi en a 7, le vers 2 : on peu konta
su on neva en a 8, le vers 1 7 : Baillia treviaige pieu dovraige
en a 10. Pauvre avocat Bille ! Cette fois les rieurs ne sont pas
de ton côté ! Ta satire serait plus mordante en prose qu'en vers t
C'est donc pour régulariser la pauvre métrique de notre
avocat qu'un inconnu a refait tout son poème. On comprend
du coup que B est dérivé de A, non vice-versâ, car personne
n'aurait pu s'aviser de gâter une poésie à octosyllabes régu-
liers en la réduisant à la métrique boiteuse que nous avons
vue. On se demande toutefois s'il n'y aurait pas moyen de
sauver l'art de l'avocat Bille en supposant qu'il soit l'auteur de
B, non de A, et que cette mauvaise rédaction soit due à quelque
reproduction inexacte faite de mémoire.
Il n'en est rien cependant. A représente bien l'original et ces
vers sont plus réguliers qu'ils ne semblent l'être de prime
abord. L'auteur de B ne s'est pas aperçu que la pièce est
composée tout entière en vers de 7 syllabes et qu'en la rema-
niant il en a faussé le caractère vraiment patois. L'avocat Bille
n'avait consulté que son oreille en scandant ses vers, il n'avait
compté que les syllabes qui se prononçaient réellement, se
fondant ainsi sur la métrique naturelle, la seule bonne. La
reconstruction phonétique que je fais suivre en fournira la
preuve. Pour arriver à découvrir des vers de 7 à lo syllabes,
l'inhabile remanieur a été obligé d'employer et d'abuser du
système métrique de la langue littéraire, en comptant par
exemple comme trois syllabes muodchu, viaige, etc., qui n'en
ont réellement que deux et une. Le mot bœube (vers 11) forme
.pour le nouveau rédacteur trois syllabes, quoique placé devant
une voyelle, tandis qu'il se prononce en une seule émission de
voix. Ce qui paraissait une infériorité de A, l'apparente irrégu-
larité du rythme, tourne tout à son avantage, et témoigne en
faveur des facultés d'observation de l'auteur. Le rédacteur de
LA BOUA 51
B, au contraire, a fait œuvre de dilettante mal inspiré, en comp-
tant les syllabes patoises comme des syllabes de tragédie de
Corneille. Je ne nie pas que certains vers de Bille ne soient un
peu raboteux : sa poésie est rude comme le climat de la Chaux-
de-Fonds, mais elle est d'allure franche et dégagée. Quant à
la ponctuation négligente, à l'orthographe inconstante et
inexacte, elles devaient déjà nous avertir que le type A était
plus voisin de l'original que B. Aux commentateurs le soin de
ponctuer rigoureusement ! Tant que le morceau se dit, tant
que la parole vibre, elle trouve toute seule l'intonation voulue.
Mais la forme écrite qui la remplace plus tard a besoin de tous
les apprêts de la grammaire. Le manuscrit N" 25 cherche à
rendre les sons patois directement, sans égard à l'orthographe
française. Si on écrit vo z'a passa, c'est que le s commence en
réalité la seconde syllabe, comme dans les mots français vous
en passer, si l'on observe bien. On a écrit tro sans p, feuille-
tait sans j- à la fin, parce que ces p Qi s n'ont laissé aucune
trace dans la langue parlée. Loin d'accuser le scribe de A
d'inexactitudes, on le louera de cet essai de transcription plus
ou moins phonétique. Le vrai connaisseur du patois préfère
l'aspect rustique et primesautier de l'orthographe de ^ à la
couleur française de la rédaction B. Il attachera surtout plus
d'importance aux vieux mots treviaige'^, etc., qu'à leurs succes-
seurs baicoîîp^ etc. La rédaction B contient, en revanche, une
ou deux formes dont l'authenticité patoise est plus que dou-
teuse, comme dia, faisait des vers 13 et 18.
On voit combien les apparences trompent. Ce qui avait l'air
d'un texte régulier et soigneusement établi, n'est qu'une mau-
vaise contrefaçon. Le fait que deux autres copies trouvées à la
Chaux-de-Fonds (les N"* 32 a et 33) représentent la même tra
dition que A confirme notre opinion que cette famille reproduit
le plus fidèlement l'original. Cet original s'est-il perdu ? Il est
' Treviaige n'est du reste qu'une façon arbitraire d'écrire trè
viédf =. trois fois, ce que le rédacteur de B n'a pas reconnu.
52
L. GAUCHAT
permis d'en douter. Au verso du manuscrit 25 on lit la dédi-
<:ace suivante, écrite de la même main: LaBoua, à M"'^ Fran-
çoise B., née Jf'., par A*'^ Bille. Allons-nous trop loin en sup-
posant que c'est la lessive de M""^ Françoise B., née W., qui a
inspiré l'avocat Bille et que le manuscrit 25 en est l'autographe?
RECONSTRUCTION PHONÉTIQ.UI;
La boua.
As'toû k' vb fatc la boua,
On pé kontà su on nèva ;
S' 7'd pbvî vb-z-a passa.
Sa s are grô bin djôbyâ.
5 . APâ pinso bin K vb n'ï pyœ
Ni pan.nd-man ?i9 lyassœ,
Nd panji9-}}ibr Ji? vianti,
Ab moubtchu ni gôdilyon,
Ni tchàssè m galisson
10. Ki ni sqya to kouintchî.
Voutn bou^b' a knyb li ich'inin
È voutrè fàly^tè ass'bin,
As' k'on di pa dvoué tchi nb,
È i m li krèyo k' trb.
15. Le djouronè dja d'anondre
{Ki fi'son-t-îi tu a ku-mbtè !)
Balya trè vyédf pyœ d'bvrédf
K' Si n'ètè du tiii d'on vyédf !
Dyé nb bœny' /... ataf on pou:
20. I sou grœny' kma on pitou !
Ma, kma m V sarè-t-on pâ
A r'vèyan di té nèva,
Dainail k' avoué V hé tiji
Nb saran kazi u tcho-tin !
25. Ma nb vblin èspèrâ
KH r'vadra apré voutra boua.
LA BOUA 53
Traduction.
La lessive.
Aussitôt que vous faites la lessive,
On peut compter sur une tombée de neige ;
Si vous pouviez vous en passer.
Ce serait très bien combiné.
5. Mais je pense bien que vous n'avez plus
Ni essuie-mains ni draps de lit,
Ni serviettes ni nappes.
Ni mouchoirs ni jupons.
Ni pantalons (bas?) ni caleçons
ïo. Qui ne soient tout sales.
Votre fils en connaît le chemin
Et vos filles aussi,
A ce qu'on dit « par devers chez » nous,
Et je ne le crois que trop.
15. Les jeunes gens d'à présent
(Que ne sont-ils tous le derrière nu I)
Donnent trois fois plus d'ouvrage
Que ce n'était (le cas) du temps d'autrefois.
Pour l'amour de Dieu ! (« que Dieu nous bénisse ! »)
[Attendez un peu :
20. Je suis chagrin comme un putois !
Mais, comment ne le serait-on pas
En revoyant de telles tombées de neige.
Attendu qu'avec le beau temps
Nous serions presque à l'été !
25. Mais nous voulons espérer
Qu'il reviendra après votre lessive.
Traduction des principales variantes de B : v. 6 et suiv. ra =:
rien, v. 9 d'vanties = tabliers ; v. 13 à ce que dia := à ce qu'ils
disent; v. 14 po met = pour moi; v. 19 voz n'sarie = vous ne
sauriez ; v. 25 pochasse = patience ; v. 26 l'bé = le beau.
L. G.\UCHAT.
TEXTES
— î—
I. A la tsèri *.
(Patois de Rovray, Gros-de-Vaud.)
L6 pèr3 {k9 Un le kàrnè^). — Le sin nb or a ?
Le valè (k'akoulye). — Krèyb k'byi....
L6 pèr3. — È hin, alin ! Dyu nb kondui^è !
L6 valè (in-n-èxatin^). — I! Kbll^, MâniK'... Dèvan!...
Markï^ !...
Lo garson (kd min. ne Ib Marki, dèvan). — // Markî !...
L5 pèrs {kan san zu on bè). bhà ! hœ ! Voué kp vblyan
arètà!... bhà! hé!... on dprè kd san ti sb*" !... œlà!...
TRADUCTION
Au labour
(avec trois hommes et trois chevaux).
Le père (qui tient les mancherons), — Y sommes-nous, main-
tenant ?
Le fils (qui chasse [les chevaux]). — Je crois qu'oui....
Le père. — Eh bien, allons ! Dieu nous conduise !
Le fils (en faisant claquer son fouet). — Hue ! CoH ! Mani !...
Devant !... Marquis !
Le DOMESTIQ.UE (qui mène Marquis, devant). — Hue ! Mar-
quis !...
Le PÈRE (quand ils ont été un bout), — Halte! Arrêtez!
Ouais qu'ils veulent arrêter!... Arrêtez! Arrêtez!... On dirait
qu'ils sont tous sourds!... Arrêtez !...
A LA TSERI
55
Lô valè. — obâ ! hé !...
Lô garson. — hé!...
Lô pèr3 (tan kp pâ gala). — Fd iip vèdè pa kp là Mâiii
l'è inhobyâ ! bbrgnb kp v'îtè !... Sp navè rin dp, Valavan
dinchp kanly'â bè !
L6 valè {apri ave dèkobyà là Màni). — Ardi! àra !
Lô père (dèvan d'arpvà a bè). — Al in ! Kàlî, Manî,
Markî!... Korâd:;^û ! Dèvan, dèrè ; ti tre pare^ !...
Lô valè {in arpvin à bè). — Ardi â bè ! dèvan, dèrè; ti
ire pare !
Lô garson. — Fi)i... Markî! Kbràd:(à â bè !
Lô pèr9. — ohâ ! hé ! N'alâdè pa pye lyin, np fin àna
tsintrp^ ! Np volyin pa troupâ la naval' èsparsèt' â vp::iin
Tyénp... Ça son valè kan Fan ~u rèpyantà la tsèri) Pè^a ! np
vin tru te::^ou ! Pe:;a, tè dyb !
Le fils. — Arrêtez! Halte !...
Le DOMESTIQ.UE. — Halte!...
Le PÈRE (tant qu'il peut crier). — Vous ne voyez pas que
[le] Mani [il] est pris dans ses traits! borgnes que vous êtes !...
Si je n'avais rien dit, ils allaient ainsi jusqu'au bout !
Le fils (après avoir démêlé [le] Mani). — Hardi! à présent!
Le père (avant d'arriver au bout [du champ]). — Allons!
Coli, Mani, Marquis!... Courage! Devant, derrière; tous trois
pareils !
Le fils (en arrivant au bout [du champ]). — Hardi au bout !
Devant, derrière ; tous trois pareils !
Le DOMESTIQ.UE. — Viens... Marquis! Courage au bout!
Le père. — Halte ! Halte ! N'allez pas plus loin, nous faisons
une ^^/«/r(? / Nous ne voulons pas piétiner la nouvelle espar-
cette du voisin Etienne... (à son fils quand ils ont eu planté à
nouveau la charrue) Pèse! nous allons trop peu profond! Pèse,
je te dis!
56 O. CHAMBAZ
L6 valè. — Yd pe^o!
Lô pèra. — Fç'^a onhb me!
L6 valè. — Ve:(o tan hd pu!...
L5 pèr3. — Mè aspbin! Ma on 119 le fâ pa pipétp'^!...
On rintsp^!... Rèkoulè!...
Lô valè (in tmyin Ib mand^^o de s'n èkourdja dèvan la
iîta è tsèvô). — Troukp! Kblî! Mânî!...
L6 garson. — Troukp! Markî!
L6 pèr9 {â tbr^ d'apri, in vprin à ht). — Yo alà vb oral...
btâ! A la ràyp!
Là valè. — A la ràyp! Kblî! Markî!
Lô pèr3 [a son valè). — Tsanpa! Busa fçrmb ! {on pou
pyp lyin) Tirp on bbkon ! {apri) Pa sp ridb : nah-btsin bna
pyèra!... Lâ<^ ! Là^!...
Lô valè. — Là»! Là" ! Kblî! Manî!...
Lô garson. — Là»! Markî!...
Le fils. — Je pèse!
Le père. — Pèse encore davantage !
Le fils. — Je pèse tant que je peux !...
Le père. — Moi aussi ! Mais on n'avance à rien !... On ne
laboure plus!... Recule!...
Le fils (en tenant le manche de son fouet devant la tête
des chevaux). Reculez! Coli! Mani!
Le DOMESTIQ.UE. — Recule! Marquis!
Le PÈRE (au tour d'après, en tournant au bout [du champ]).
— Où allez-vous à présent?... A droite! Au sillon!
Le fils. — A la raie ! Coli ! Marquis !
Le PÈRE (à son fils ). — Appuie ! pousse ferme ! (un peu plus
loin) Tire un peu ! (ensuite) Pas si fortement : nous atteignons
une pierre !... Doucement! Lentement!...
Le fils. — Lentement ! Lentement ! Coli ! Mani !
Le DOMESTIQ.UE. — Lentement ! Marquis !
A LA TSERI
57
Lô pèr3. — btâ ! btâ! {apri kôtye kanbâye). — Ouè!
ouè!... Np van jamé kè d'bn-n-èkstréin9 a Vôtra!... (a son
vale). Alin! fâ le bud:{i; k'on pouésè fini sî tsan onœ.
Lô valè Qn-n-èkourd/^in le Isevô). — Alin, tsaropè ! Dè-
patsin nb !
L6 pèr9 (hp voiiètè dâ kbté dâ garson). — Ouè! Markî!...
Voiièt9 vè yô va!... L'è Ib tsèvô kp tè min. ne!
L6 garson (din sa katsèia). — N'a jamé tb bbrdpnà...
Lô pèr3 {k'a byii). — Le vîlyb dp^an kp yon kp np save
pa brama np valye rin pb tpni le kbrnè!...
Lô pèr3 (è-^-invpron de niid:;^b). — Dèpondè mè xà bîtè!...
Uè bon pb sta vouarba *^.
{Lb valè è Ib garson dèpyeyan, pu d:{iii è bîtè van se rèpétrè.)
Le père. — A droite! A droite! (après quelques enjambées)
A gauche ! A gauche ! Ils ne vont jamais que d'un extrême à
l'autre!... (à son fils) Allons! fais-les bouger [afin] qu'on puisse
finir ce champ aujourd'hui.
Le fils (en fouettant les chevaux^. — Allons, paresseux! Dé-
pêchons-nous !
Le père (qui regarde du côté du domestique). — A gauche !
Marquis!... Regarde donc où il va!... C'est le cheval qui te
mène!
Le DOMESTIQ.UE (à voix basse [dans sa poche]). — [II] n'a
jamais tout grondé....
Le PÈRE (qui a entendu). — Les anciens disaient que celui
qui ne savait pas crier [réprimander] ne valait rien pour tenir
les mancherons.
Le père (à l'approche de midi). — Dételez-moi ces bêtes !...
C'est bon pour cette matinée.
(Le fils et le domestique détellent, puis gens et bêtes vont se
repaître.)
58 O. CHAMBAZ
NOTES
1. alâ a la tsèri, aller labourer avec la charrue ; pyantâ la
tsèri (planter la charrue), labourer ; inrèyi, commencer à la-
bourer.
2. Celui qui, avec la charrue vieux système, « tenait les
cornes, » prenait en quelque sorte, en empoignant les manche-
rons, le bâton de commandement. Aussi cette place était-elle
presque toujours occupée par le chef de famille.
3. J'ai fait la remarque, dans le Gros-de-Vaud, que les per-
sonnes qui depuis longtemps ont abandonné l'usage du patois,
le retrouvent chaque fois qu'elles s'adressent aux animaux, ainsi
que lorsqu'elles sont en colère ou ont seulement un mouvement
d'impatience.
4. Nom de cheval.
5. C'est-à-dire en tirant tous les trois pareillement, d'égale
force.
6. tslntrd, s. m. {atsintri, v.) := l'extrémité du champ, que
l'on laboure dans le sens de la largeur, afin de ne pas empiéter
avec l'attelage sur la propriété du voisin.
7. Nd pa le fér? pipétd = n'y influencer en rien ; «^ mè fâ
pa pipéta = cela m'est indifférent.
8. rintsi onfér? on rm = passer avec la charrue sans la-
bourer.
9. on tbr de tsèri = (un tour de charrue) deux sillons en
longueur du champ creusés en sens opposé. Il faut, pour les
-creuser, faire le tour du champ.
10. on-na vouarba de tsèri — le temps que l'on reste au labour
sans dételer ; de là l'expression, pour désigner un travail quel-
conque long à terminer : Vin-n-a pb on-na vouarba de tsèri = il
en a pour longtemps.
Octave Chambaz.
II. Lou fachon de la bénichon.
Dialogue de deux commères en patois de la Veveyse (Fribourg).
Dyn vb-j-édè, Goton ^ !
— Bon viproii, Tsika'^ ! Te. fô chobrâ^ oima ouèrba è vini
agbd-â*' la mb'&ârda^.
— Dyou pâ na, on-n-è dmrâ hin hhîirajè k^ chl achiou
in-n-an'^. On chè balyè ink' tan de pinna, pu rin....
— Fâ to paré galyâ piéji de rtuèr la moûârda, lou pape
a la bèya "^^ de irbchâ Iwtyè buuyt ^ è pm3-è on talyon '' de ku-
chôla^^.
— Ouna râva ^ * / N'a îyè lou fachon k^ mè rètravè lou
kâ^-. Lou myb nirè ink' rin P valyè. La mb'&ârda n p'kè rin
¥min lè-j-ôtri kou, krèyé jènié de fer' a krouch^lyi le br^cbi^^,
TRADUCTION
— Dieu vous aide, Marguerite !
— Bon soir, Françoise ! Il te faut rester un instant et venir
goûter la moutarde.
— Je ne dis pas non. Assurément, nous voilà bienheureuses
qu'elle soit bientôt passée (cette bénichon). On se donne tant
de peine, puis rien....
— On a cependant bien du plaisir à revoir la moutarde, le
ragoût de mouton, à manger quelques beignets et un morceau
de cuchôle.
— « Une rave. » (Pas du tout.) Il n'y a que le {façoii) hachis
de chou qui me fasse plaisir. Le mien n'était absolument pas
réussi. La moutarde n'a plus le piquant de jadis, je ne croyais
6o
H. SAVOY
oou d:(oa d'or a lou chukrou n^ chukrè pâ ouna frèja, ne dybra
tyè de la chô. Tb chin ne rin, n'ire tyt mon fachon !
— Ma ! chin m'èd-ounè kp fôcbè mankâ ton fachon, kar
id châ prbou bin houj^nâ ! Pbr me, pu d^r9 kp h myb lyè-j-ou
fèrmou bon.
— A / chôplyé, di-mè k^min t'a fé !
_ — Mè chu t^rya pri ^'^ de Fanchon, d^mind^'....
— Fanchon lya gran tin fikbtâ ^ ^ pè lou kabarè, lya adt
tbtè le tchan^è.
La vboudèja, jhné cha katèl^na ^*' lya mankâ.
— Aclf, mè chu f et' a rèmbrâ^^ la rè'&èta^^ dou fachon,.
è lyé galyâ bin rèoiichè.
— Ouâra bon f tè fô la mè tsigâ ^^ pb l'an If vin.
— M'a tan rèk^mandâ de la ouèrdâ,t^ nboudripâ mè vindr'.
— A ko /* di-'&ou ?
jamais arriver à donner du croquant aux bricelets, aujourd'hui
le sucre ne sucre plus du tout, ce n'est bientôt que du sel. Mais
tout cela n'est rien, s'il n'y avait mon [façon) hachis de chou.
— Mais ! cela m'étonne que tu aies manqué ton « fachon, »
car tu sais très bien faire la cuisine ; pour moi, je puis dire que
le mien a été bien bon.
— Ah ! s'il te plaît, dis-moi comment tu as fait !
— Je me suis approchée de Fanchette dimanche....
— Fanchette a longtemps préparé les petits plats au cabaret^
elle a toujours toutes les chances. La sorcière ! jamais sa rave
de sainte Catherine ne lui a manqué.
— Aussi, je me suis fait rappeler la recette du hachis de
chou et j'ai parfaitement réussi.
— Voilà qui est bien ! tu vas me la passer (donner la recette)
pour l'an prochain.
— Elle m'a tant recommandé] de la garder (pour moi), tu
n'iras pas me trahir.
— A qui le dis-tu?
LOU FACHON DE LA BÉNICHON 6l
— E bin, fô k^minxi ci pbrbulyi lè-j-èrbè, pu on le bHè a
èpourâ chu on tèvi, le fô adon tsaplyâ fin. ne avoué lou kult
broché ^^. On lèy puâè la chô è on tsaplyè dey kuvè dè-j-inyon
è dey piti-j-biyon. Du inh' f le pâchè bon burou, F lèy If le on
bokon de mouchhaia. E adon lou ta din la plia.
— M'in vé chin b^tâ chu on bokon de pape. Adyu, Goton !
— Bouna né, Tsika ! A rêver' !
— Eh bien ! on commence par faire bouillir parfaitement les
herbes (choux), puis on les laisse égouter sur un disque. On les
coupe alors bien fines avec le couteau à deux mains. On les
saupoudre de sel et on hache des tiges d'oignons et des petits
oignons. Puis tu les passes au beurre et tu y mets un peu de
noix de muscade. Et alors le tout dans la casserole.
— Je m'en vais le mettre sur un bout de papier. Adieu^
Marguerite !
— Bonsoir, Françoise, au revoir !
NOTES
^ Goto7i est un abre'viatif du diminutif Mar goton, petite Mar-
guerite. — - Tsika, Françoise, rappelle l'italien Franciska. —
^ Chbbrâ, demeurer, rester, s'arrêter un peu longtemps. —
^ Agbûâ la mod-ârda, goûter la moutarde, ou agoûd la bénichon^
goûter la bénichon, sont les expressions dont on se sert pour
inviter à un repas de bénichon. — ^ Albûdrda, préparation dans
laquelle on fait entrer de la farine délayée, du vin cuit et les
graines du Sinapis nigra Z., qui lui donnent un goût piquant.
Les cuisinières mettent tout leur soin à obtenir une moutarde
piquante. Cette préparation est ordinairement servie avec le
beurre. — *^ In-n-an, en avant, être en avant, être bientôt passé.
On dit d'un malade qui ne peut plus %oxi\x: pbou pâ nié in-n-an,
il ne peut plus en avant. — "^ Pape a la beya, ragoût de mouton,
c'est le plat par excellence de la bénichon. Bénichon vient de
benedictionem, cette réjouissance coïncidait autrefois avec la
fête de la dédicace ou de la bénédiction de l'église paroissiale. —
62 H. SAVOY
^Bunyè, beignet, pâtisserie inévitable de la bénichon. — ^ Talyon,
du verbe talyi, couper, désigne une tranche de pain, de gâteau,
etc. — '^^ La Kuchàla, pain pétri avec du lait et du beurre, fait
nécessairement partie des accessoires de \d. bénichon. — ^i Ouna
râva ! une rave, expression pittoresque qui indique une désap-
probation, un mépris. N' v6 pd ouna râva, il ne vaut pas une
rave, il ne vaut absolument rien. — 12 Retrbvâ lou kâ, retrouver
le cœur, se dit des mets qui font plaisir, alors qu'on paraît
n'avoir goût à rien. — ''3 Br^chi, bricelet, croquettes préparées
avec une farine très pure, de la crème et du sucre. — ^* Chè
t'ri pri, se tirer près, s'approcher doucement, câlinement, avec
l'intention d'obtenir une faveur. — ^^ Fikotâ, sans doute altéré
de frikotâ, dérivé de fricot. — ^^ Katèl^na, de Catherine ; le
soir de Sainte-Catherine, on prend une rave, on coupe l'extré-
mité de la racine que l'on creuse. On remplit la cavité de terre
et on y fait un semis ; la rave est suspendue au plafond. Bientôt
les feuilles commencent à pousser, se dressent autour de la
rave et forment une jolie touffe de verdure, que l'on salue avec
plaisir comme première messagère du printemps. On donne
encore ce nom à une courge que l'on évide et dont on découpe
l'écorce de manière à représenter une tête de mort. A la nuit
tombante, une bougie est fixée au fond de la courge, que l'on
va déposer sur une borne dans les champs ou aux croisées des
chemins, afin d'effrayer les passants. — '^ Rémora, rappeler,
rèffiouér', la mémoire. — '^^Rè&èta, recette : une femme habile
est appelée ouna fèniala de reûèta. — ''^ Tsigd, glisser en ca-
chette. Ce verbe indique aussi l'acte des marqueurs à la cible,
de l'allemand zeigen. — -O Kuti br'chè, « couteau bercet, » le
couteau à deux mains est balancé comme un berceau.
• Hubert Savoy.
•>■»<»
LES NOMS DES VENTS
DANS LA SUISSE ROMANDE
Recherches étymologiques.
-♦-
I. Ubèr'.
Le mot « uberre » est très familier à tout Neuchâtelois. Il
désigne généralement un vent un peu chaud venant du Sud
pour les habitants du Val-de-Travers ou de la Montagne neu-
châteloise, du Sud-est pour ceux du Val-de-Ruz. On croit pou-
voir l'identifier avec une espèce de fôJvi adouci. Cette ques-
tion regarde plutôt les naturalistes, auxquels nous laissons
volontiers le soin de rechercher l'origine atmosphérique de ce
vent. Nous nous bornerons à préciser l'emploi lexicologique
de son nom et à en discuter l'étymologie la plus probable.
Dans le langage ordinaire, 1' « uberre » est l'opposé du «Joran, »
vent qui descend des pentes du Jura, tout comme le « vent »
désigne la direction opposée à celle de la « bise. » On ren-
contre le mot « uberre » dès les plus anciens documents d'ar-
chives, où il sert à indiquer la situation d'une terre, etc. >.
Tout essai étymologique doit se baser en première ligne sur
les sons. Comme il s'agit d'un nom exclusivement neuchâtelois
(voir une petite restriction plus loin), c'est dans le système
phonétique de ce canton qu'il faudra chercher la solution de
l'énigme. Nous diviserons donc le mot en ses deux éléments,
* « Ah aiiberreria seu oriente » dans un document de 1456
(Lausanne), dans d'autres documents le mot désigne plutôt le
vent du Sud.
04 L. GAUCHAT
le radical ub- et le suffixe -erre. Comme tous les p ou b latins
entre voyelles ont donné un t' dans tous nos patois, cf. râpa =
râv\ faba z= fâv\ etc., le b de notre mot doit venir d'un mot
allemand ou d'un b appuyé, c'est-à-dire précédé en latin d'une
autre consonne. L'allemand, ne possédant aucun mot sem-
blable, est hors de cause. Nous nous demandons ensuite quelle
peut être l'origine de Vu atone. Choisissons par exemple le
vocabulaire de Savagnier dans le Val-de-Ruz et réunissons un
nombre suffisant de mots présentant les mêmes conditions.
Nous trouverons ainsi les sources du son u en syllabe antéto-
nique. L'// peut provenir de la syllabe tonique, comme dans
rudf (rouge) : rudjef (espèce de prune), ou d'un u long latin,
comme dans djudjP (juger), dura (durer), etc. Puis nous rencon-
trons u pour le groupe latin ul ou ol + consonne, comme dans
addulcire = adussï (adoucir), auscultare = akutâ (écouter),^
sulphurare ^ suprâ (soufrer), ultra = utr (outre, forme pro-
clitique), bullicare = budj'P (bouger), cultellu = kuté (couteau),
collocare ■= kutchP (coucher), pulveraria =^ pudrPr' (pou-
drière), etc. Le son u peut ensuite dériver de / devant labiale,
comme dans sibilare = subyâ (siffler). Enfin, u tire son origine
du groupe al -+- consonne. C'est le cas le plus fréquent et, de
plus, cette évolution est spécialement neuchâteloise. Comme
preuve, je citerai les formes suivantes : ad -\- article / pour
marquer le « datif », par exemple u fou^ = « au feu », sait are
:= sutalisdiViter), faldare — fudar' (tablier), salvaticii pour
silvaticu = suvâdf (sauvage), Salvani... pour Silvani... =^
Suva?iyP (vieux nom de Savagnier), caldaria = tchudPr'' (chau-
dière), calceare = tchussP (chausser), calceonaria = tchussnPr^
(faiseuse de bas), salsicia = sus' (pour * suss^ssj, saucisse),
calcare = tchutchP {^rQ?,'s,tr), falcarm ^= futchP (« faucher »
= manche de la faux), ad illu turnu =: utbr'' (autour), etc.
Avant de nous décider pour une étymologie de « uberre » con-
tenant le groupe al, tâchons d'écarter les autres combinaisons
de sons. La voyelle u n'est guère due à l'influence d'un u
tonique, puisque nous n'avons pas de mot simple auquel cor-
LES NOMS DES VENTS DANS LA SUISSE ROMANDE 65
responde « uberre », les cas de u remontant à û ou i latins sont
extrêmement rares. Comme le b indique qu'une consonne est
tombée devant ce son, nous disposons encore des éventualités
de ?//, ol -\- consonne ou de al -\- consonne. La phonétique est
un instrument de travail trop perfectionné pour nous laisser
longtemps dans l'embarras. Tous les patois n'obéissent pas
exactement aux mêmes règles. Ainsi à la Montagne neuchâte-
loise ul, ol + consonne aboutissent à ou, non à u, et l'on dit à
La Brévine : akoutâ (écouter), koiité (couteau), koutchï (cou-
cher), etc.; al -\- consonne y donne régulièrement ô: sôtâ
(sauter), tchôdPr (chaudière). Le vent dont nous cherchons
l'origine s'appelle à la Montagne « uberre » comme dans le
Val-de-Ruz. Par conséquent, l'étymologie ne contenait ni ///,
ol ni al, ou le nom de ce vent a été introduit dans cette vallée
par les habitants du Val-de-Travers ou du Val-de-Ruz, qui pré-
sentent tous deux l'évolution linguistique mentionnée plus haut.
C'est pour cette dernière alternative que nous nous décidons,
car cette dénomination est plus rare à la Montagne que dans
les autres vallées, et, grâce à sa direction, le vent devait passer
d'abord par les vallées situées plus à l'Est ou au Sud. Du reste,
un des correspondants du Glossaire, habitant la Brévine, inter-
rogé sur les vents, a passé 1' « uberre » sous silence. Il n'y a
donc rien à gagner de ce côté-là. Adressons-nous aux patois
vaudois. Actuellement, notre vent est encore connu dans les
parties de ce canton touchant au canton de Neuchâtel, c'est-à-
dire dans le Vully et sur la rive gauche du lac. Dans ces con-
trées, le groupe id donne ou, u ou ouœ, ainsi cultellu = kouti,
kuti, kouàti ; al donne 6 ou bou, ainsi caldaria = tsooudèr^,
etc. Notre vent s'appelle dans le canton de Vaud ubèra (forme
empruntée) ou àbèrs ; il ne peut donc s'agir que de al -f- con-
sonne. Ces réflexions nous amènent à penser que 1' « uberre »
tire son nom du mot latin albus, blanc. Comme le vent du Nord,
la bise, désigne à l'origine « le vent noir » ou « foncé » (cf. les
expressions pain bis, et bise noire, ce qui équivaut à « ve7it noir-
noir »), le vent du Sud aurait été désigné comme le vent blanc.
66 L. GAUCHAT
Le fait qu'un nom de couleur serve à dénommer un vent n'a.
rien de surprenant. J"ai déjà cité la bise, je pourrais encore
mentionner par exemple les expressions suivantes tirées des
patois du midi de la France, d'après l'excellent Dictionnaire
français-occitanien de L. Piat (Montpellier, 1894, sous vent):
auro brunOy auro rousso, marin blanc, biso rousso, biso negro,
aiitati blanc, vent blanc, etc. Dans ces expressions, l'adjectif
bla?ic indique ordinairement la direction est ou sud-est, c'est-à-
dire la direction du soleil levant ou du Midi (l'opposé du Nord
qui nous envoie les vents noirs). Au reste, les Vaudois (rives
du lac Léman, contrée de Montreux) connaissent un « ve?it
blanc » qui vient du Sud^.
Reste à examiner la question du suffixe. Cette fois, c'est le
Val-de-Travers qui nous guidera -. Dans cette vallée, le suffixe
-aria (qui a par exemple servi à former le nom du vent appelé
dans le canton de Vaud : vboudèrd) offre deux résultats : -ér''
ou -èr\ etc., selon la prononciation locale, dans les types ordi-
naires, et -ir' dans ceux dont la fin du radical contenait une
mouillure. Caldaria aboutit à la Côte-aux-fées à tsadér\
fumaria (fumée) z.ftnér\ tandis que extraïAaria donne ètriii-
dzir\ precaria ('prière) prcyir'. D'après les lois de cette con-
' Dans la Suisse allemande, on ne paraît pas connaître de
« vent blanc. » Les auberges qui portent le nom « zum vveissen
Wind » (ville de Zurich, Einsiedein) le doivent à l'emploi du mot
Wind pour Windhiind (chien-lévrier). L'expression n'était cepen-
dant pas inconnue à l'antiquité ; Horace nomme le vent du Sud :
albus notits {Odes, i, 7, 15) et les Grecs l'appelaient souvent
àç-yearyç, de àçiyr/ç = éclatant (voir Forbiger, Handbuch dcr alten
Géographie, P, 614, note 37).
Malheureusement, les formes ^archives, au lieu d'éclaircir la
question, ne font que l'embrouiller, par rapport au suffixe. Le
radical apparaît généralement sous les formes aub, oub, ub, ce
qui confirme notre étymologie. Les principales formes que pré-
sentent les archives du canton de Vaud sont, par exemple : au-
herra 1547, auberras 1547, et auberreria 1437, 1456, 1471, 1476, etc.
Auberreria nous paraît contenir deux fois le suffixe -aria, mais
pourquoi ne traduisait-on pas simplement par auberia ?
LES NOMS DES VENTS DANS LA SUISSE ROMANDE 67
trée, albaria devait devenir ubér\ ou ubèr' . Entre les deux
résultats du suffixe -aria, qui restent distincts dans les patois
des cantons de Vaud, de Fri bourg et du Valais, comme gé-
ne'ralement dans le Val-de-Travers, une longue lutte s'est
engagée dans le reste de notre territoire, dans les cantons
de Neuchâtel (autres vallées), de Genève et de Berne. Cette
lutte s'est terminée en faveur de la forme du suffixe née après
mouillure, toutefois non sans que par-ci par-là un mot ait
échappé à l'action analogique. Au milieu du Jura bernois, les
patois de Tramelan, Malleray et Court présentent encore quel-
ques formes avec / (fmér\ etc.). Ces faibles restes démontrent
que l'état des cantons de Fribourg, etc., où le développement
double s'est conservé jusqu'à nos jours, était autrefois général.
Au Val-de-Ruz, il n'y a plus que le mot ubèr' qui maintienne
la tradition. Pourquoi a-t-il réussi à se soustraire au mouvement
analogique qui remplaçait -èr' par -Pr' ? Probablement parce
que le mot était considéré comme une espèce de nom propre,
et parce que la fonction du suffixe n'était plus reconnaissable.
Le suffixe -arius désigne surtout des personnes agissantes (me-
nuisier, charcutier, etc.), au féminin spécialement encore le lieu
où se fabrique et où se trouve une matière quelconque (argen-
tière, aumonière, gouttière, etc.). Albaria a donc signifié
d'abord le vent qui émanait de la région blanche, ensoleillée ;
mais cela a été oublié, le sens du suffixe s'est effacé, surtout
après la disparition de l'adjectif albus évincé par blancus dans
nos patois, et ensuite de l'évolution al = u qui a si bien
masqué la provenance du mot qu'il a fallu toute cette petite
investigation pour la retrouver.
L. Gauchat.
ARGOT DE MALFAITEURS
DANS LA SUISSE ROMANDE
AU XVIe SIÈCLE
Il existe aux archives de l'Etat de Soleure (^Schreiben von
Neuenburg, l, 1 68- 171) un document datant de 1567, qui
n'est pas sans intérêt pour l'histoire des mœurs et du lan-
gage dans notre pays. C'est une liste de quarante et un
malfaiteurs, organisés en bande, qui opéraient à cette époque
dans la Suisse occidentale et que les autorités de Neu-
châtel signalent à celles de Soleure, afin qu'elles puissent se
mettre en garde contre cette « malheureuse secte. » L'indi-
cation de chaque nom est accompagnée dans la règle de la
mention du lieu d'origine et de quelque détail typique con-
cernant le personnage. Ces renseignements, qui constituent
un signalement rudimentaire, étaient dus aux aveux d'un des
membres de la bande, Pierre Cherdon, qui avait été capturé
et exécuté à la Neuveville l'année précédente. C'est sans
doute sur les indications du même individu qu'a été dressée
la curieuse liste suivante qui termine le document :
« S'ensuivent aulcungs noms qu'ilz avoyent changés et
qu'ilz parloient par ensembles afin que l'on ne les entendit :
(' Au pain, de l'arty; au vin, de l'eau forte; au grenier,
iing carar; bourse, folUeuse; argent, paillie ; la coràt, joyeuse:
linceulx, large; chausses, tirans;sa.c, boyau; chemise, lyme
robe, sobre; manteau, voilant; souUiers, passans ; chappeau,
perfond; chm.lL, desterie ; firomage, doraine ; espée, trenchie;
ARGOT DE MALFAITEURS DANS LA SUISSE ROMANDE 69
es grandes villes comme Berne et autres cantons, i^rands
biichies ; es petites villes, abergies et temps ; la prison, abergies
de mydy ; es gaigneurs [paysans], les pagans ; l'hospital, le
chasteaii; la buia [lessive], la mollieuse. »
L'emploi par les malfaiteurs de profession d'un langage
de convention leur permettant de communiquer entre eux
sans être entendus des non initiés est un fait bien connu,
et les documents qui nous ont conservé des restes plus ou
moins considérables de ce jargon remontent en France jus-
qu'au xv^ siècle. Une comparaison attentive de tous cqs
documents avec les mots de notre liste donnerait peut-être
lieu à des rapprochements intéressants, mais nous ne pou-
vons songer à entreprendre ici cette étude. Bornons-nous
à constater que des termes tels que tirants, ' bas ', volant,
' manteau ', passants, ' souliers ' sont encore aujourd'hui en
usage dans l'argot parisien et que d'autres de nos mots du
\Yf siècle se retrouvent dans ces jargons du Jura et de la
Savoie, basés en grande partie sur le patois local, qui ont
servi jusqu'à une époque toute récente de langage secret à
certaines corporations d'artisans, maçons, tailleurs de pierre
ou peigneurs de chanvre, lors de leurs émigrations pério-
diques. C'est ainsi que arti ' pain ', fait partie du « bellau »
du Jur^^ (des formes analogues se rencontrent également
dans l'argot de Paris), follieuse ' bourse ' se trouve dans le
« mourmé » de Samoëns-; lynie, 'chemise' est évidemment
le même mot que linma, ' chemise ', dans le « terratsu » de
la Tarentaise^, et peut-être faut-il voir dans doraine, ' fro-
* Voy. Ch. Toubin, Recherches sur la langue bellau, argot des
peigneurs de chanvre du Haut Jura.
(Mém. de la Société d'Emulation du Doubs, 1867).
- Voy. Th. Buffet, Vocabulaire 7)iourmé-français,Ps.x\r\&cy, 1900.
■^ Voy. Abbé Pont, Vocabulaire du terratsu de la Tarentaise,
Chambéry, 1869.
70 J. JEANJAQUET
mage ' une erreur de transcription pour dorame, correspon-
dant au mourmé drame, ' fromage '. Quant à carar, ' gre-
nier ', c'est sûrement le mot valaisan racard modifié par le
procédé si commun dans ces jargons de la transposition des
S341abes. Comme la plupart des affiliés de la bande était ori-
ginaires du Pays de Vaud, du Valais, de la région de Genève
et de la Savoie, il n'est que naturel que certains éléments
de leur argot proviennent de œs contrées.
J. jEANJAdUET.
— ->^< —
ADDITIONS
— î«-
I. A propos de la remarque de M. le professeur Singer sur
le proverbe : « Nichts. ist gut fUr die Augen, » j'ai entendu à
Delémont, à la pharmacie d'un de mes amis, des paysans de-
mander pour lo ou 20 centimes de rien ou de nix. On donnait
une pommade de zinc (d'oxyde de zinc, je crois). Un profes-
seur de Lausanne m'a expliqué que certain composé du zinc
ne laissait aucun résidu lors de la combustion ; d'où son nom
pharmaceutique de: nihilwn (sic) album.
Bâle. A. Ross AT.
II. Dans le N» 2 du Bulletin de 1903, p. 25, on cite le mot
lou-z-dnari comme exemple douteux. Rien de moins douteux
que ce mot. Nous disons o-n-9nari pour une narine, et lou-z-
snari pour les narines, tout comme nous disons b-n-dpouà pour
un point au côté et, lou-z-dpoud pour les points et la pleurésie,
o-n-9tbr pour un étourdissement passager, et lou-z-9tbr pour le
tournis ou des maux de tête fréquents.
Leysin. A. Neveu.
TABLE DES MATIERES
— î—
Pages.
E. Tappolet. L'agglutination de l'article dans les mots
patois 3j 22, 37
L. Gauchat. Les parties du visage dans les locutions popu-
laires de la Gruyère 9
J. SURDEZ. Sonnet (patois du Clos du Doubs, Jura bernois),
avec notes de M. Tappolet 13
J. Jeanjaquet. Notes lexicographiques : i. touad^, tyèidè.
2. fbchèla 15
H. VORUZ. Une tuilerie à Lavaux au XVI^ siècle . . . . 17
J. Jeanjaquet. Les fées de Grand'Combe, conte populaire
en patois d'Evolène (Valais) 26
L. Gauchat. Etymologies fribourgeoises : i. fèrd koto ;
2. kouini; 3. kovè(y) ; 4. kunyu; 5, kuti paryû .... 34
L. Gauchat. La bona 46
O. Chambaz. a la tsèri (patois de Rovray, Gros-de-Vaud) . 54
H. Savoy. Lou fachon de la bènichon (dialogue de deux
commères en patois de la Veveyse, Fribourg) .... 59
L. Gauchat. Les noms des vents dans la Suisse romande,
recherches étymologiques, i. ubèr 63
J. Jeanjaquet. Argot de malfaiteurs dans la Suisse romande
au XVF siècle 68
Additions aux numéros i et 2 du Bulletin de 1903 .... 70
Lausanne. — Imprimerie Georges Bridel & C"
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire,
TROISIEME ANNEE
1904
BERNE
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hallerstrasse 39
PROVERBES PATOIS
Recueillis a Lens (Valais)
-♦-
Les proverbes que nous publions ci-dessous ont été recueillis
en 1902 par un jeune philologue allemand prématurément
enlevé à la science, M. G. Pfeiffer, qui avait entrepris sur le
patois de Lens des recherches qui promettaient d'être fécondes.
M. Pfeiffer s'était appliqué avec beaucoup de conscience à ras-
sembler le plus grand nombre possible de proverbes patois, à
les transcrire phonétiquement et à les accompagner d'une tra-
duction française. Nous n'avons eu que fort peu de retouches
à faire à son travail. La transcription a été contrôlée sur place,
d'abord par AL Muret, dont M. Pfeiffer avait été l'élève à
l'Université de Genève, puis par M. Jeanjaquet. Cette revision
a permis de faire disparaître un certain nombre d'incertitudes
et quelques inadvertances que renfermait le manuscrit de
l'auteur. Pour la publication dans le Bulletin^ nous avons été
obligés d'adopter une graphie simplifiée, qui ne rend qu'ap-
proximativement les nuances délicates du parler de Lens. Le
signe 3 représente uniformément diverses variétés de voyelle
assourdie, qui se confondent dans le parler rapide, mais peu-
vent être distinguées dans la prononciation lente et soignée.
LV sans accent indique une voyelle mi-fermée, <?/« une nasale
légèrement diphtonguée, 671 un son très voisin de oiin. Les na-
sales peuvent être suivies d'un élément consonantique vélaire,
qui est particulièrement sensible dans in et oun. La notation
an\ etc., indique que Vn n'est pas complètement muette, mais
elle est généralement très affaiblie et la voyelle précédente est
plus ou moins nasalisée.
Un autre ancien élève de M. Muret, M. Joseph Zettl, a bien
voulu se charger de rechercher dans les plus importantes col-
GUSTAVE PFEIFFER
lections parémiologiques des pays romands les proverbes qui
peuvent être mis en parallèle avec ceux de Lens *. Ce travail
comparatif pourrait être encore développé et complété, mais,
tel qu'il est, nous avons pensé qu'il ne serait pas sans intérêt
pour nos lecteurs. La Rédaction.
I. Pronostics et
I
Chïn P'ol klyar e ho.
Tan dp vin k\p d'ô.
dictons agricoles.
I
Saint-Paul clair et beau,
tant de vin que d'eau.
/ Roue, h dp 11 a d'oiin roue,
A la Tsandpïâija, h dpna
d'oun tfmja.
3
Kan"^ balyp a Pâkyp,
Lp tèra ta l'an cl/ïns'râchp.
A la fête des Rois, le dîner
d'un roi, à la Chandeleur, le
dîner d'une épouse.
3
Quand il pleut à Pâques,
la terre s'engraisse pour toute
l'année.
* Ouvrages cités dans les notes : Le Roux de Linc}', Livre des pro-
verbes français, 2^ éd., Paris, 1859; Chenaux et Cornu, Una panera
de revi fribord^ey {Romania, VI, 1877); Bridel-Favrat, Glossaire du patois
de ta Suisse romande, Lausanne, 1866 {Mémoires et documents publiés par
la Société d'Jiistoire de la Suisse romande, tome XXI) ; Gilliéron, Patois de
la commune de Fiomiai, Paris, 1880 [BibliotJièque de l'Ecole des Hautes
Etudes, fascicule 40) ; J. Ulrich, Proverbes ruraux {Zeitschrift fier fran\.
Sprache und Litteratur, 1902); Gennaro Finamore, Proverbi abru:(^esi
(Romanische Forschun^en, V) ; Decurtins, Ràtoromanische Chrestomathie
Bd. II ; Dùringsfeld, Sprict.tuôrter der germ. u. rom. Sprachen, 2 vol.,
Leipzig, 1872 et 1875.
' Cf. Le Roux. I, p. 127 : De Saint-Paul la claire journée nous dé-
note une bonne année. Decurtins : In clar sogn Paul, in bien onn.
'^ Le dicton se rapporte à la longueur des jours. Cf. Gilliéron, N° 17,
et Chenaux-Cornu, No 17 : A la xenta Luxa, b xô d'una pudza, A la
xent Anteyno, b râpé d'on mueyno, A la tsandelâja, b râpé d'un' epâja.
^ Le Roux cite le jeu de mots suivant du Calendrier des bons labou-
reurs : Le curé de Saint-Jean dit à son clerc : « Les Pasques pluvieuses
sont souvent fromenteuses, » et le clerc lui répond : « Et souvent fort
menteuses. »
PROVERBES PATOIS
Rafiià ramolfp,
Lp fera ib l'an là dèjîrd.
A la Madplein-na
L'dver fé cbôn-fi-alèin-na.
Kan'" balyp a la Chïn"' Bèr-
tàlanii,
Lp marein-7ip trçin-nôn lp }an-
iûlyp dp ri.
Le dimanche des Rameaux
pluvieux, la terre désire la
pluie toute l'année.
5
A la Sainte-Madeleine (22
juillet), l'hiver prend son ha-
leine.
6
Quand il pleut à la Saint-
Barthélémy (24 août), les
femmes traînent des robes
crottées par derrière.
Chïn'" Bèrtûlami Saint-Barthélémy met le
Mè là bon 'in la nui. bon (le noyau) dans la noix.
8 8
Chbflyaf a Noiihra Dama, S'il fait du vent à Notre-
Chbflyatp tan k' a Chïn Jyan. Dame, il en fait jusqu'à la
Saint-Jean.
9 9
Lp tsatèin dp Chïn Lbrèin, L'été de Saint - Laurent,
Gran tsalour, ma ponk don- grande chaleur, mais de peu
rein.
de durée.
10
10
Chïn Martin,
Patron di ts'in.
Saint-Martin, patron des
chiens.
II
II
A Tsalèndp lp nwuchilyôn,
A Pâkyp lp lyachôn.
A Noël les moucherons,
à Pâques les glaçons.
^ C'est-à-dire on en sent le premier souffle (dans les régions alpestres).
'" La Saint-Martin est l'époque des paiements.
" Cf. Bridel, p. 530; Le Roux, I, p. 112.
GUSTAVE PFEIFFER
12
A Noël au balcon, à Pâ-
ques au tison. .
Pluie de février, remplit le
q-renier.
12
A TsaUrid? ou balkôn,
A Pàkyp ou ûjôn.
13
Plyo:{p dp fpbri
ïnmplyè là gréni.
Mi dp mer, ounkbr dp l'pvèr,
Abri, oun châ-t-i ?
Lp lou y an jyami ppka Vpvèr.
16
Plyo:^p dp mer
Rein là bïn dèjèr.
17 17
Plyo:(P d'abri Pluie d'avril remplit sac et
ïnmplyè gouirp* (fata) è bari. baril.
18 18
Lp dpchan'do chïn cholè Les samedis sans soleil
Chôn mi râr kyp h filyp chïn sont plus rares que les filles
orgouè. sans orgueil.
* Ancien mot désignant un suc de>cuir où l'on conservait le blé.
14
Mois de mars, encore de
l'hiver, avril, le sait-on?
15
Les loups n'ont jamais
mangé l'hiver.
16
Pluie de mars rend le bien
désert.
«2 Cf. Le Roux, I, p. 112.
*•'' Cf. Le Roux, I, p. 98 : Pluie de février Vaut jus de fumier.
i*' Cf. Chenaux-Cornu, N» 11 ; Le Roux, I, p. iio: Quand il tonne
en mars Le bonhomme dit : Hélas !
*~ Cf. Le -Roux, I, p. 93 : Pluye d'abvril vaut le char de David ; de
même : La pluie d'avril remplit le grenier.
^* Cf. Finamore : Majè sabbate sènza sole, Majè donne sènz' amor.
— Dûringsfeld, I, p. 888 : Non y a pas dissatté chens sou, Ni gouyatte
chens amou (Béarnais). — No ghé sabat senza sul Gné pote senz'
amorus (Brescia). — Nom sabbado sem sol Nem moça sem amor (port.).
— Ni sabado sin sol Ni moza sin amor (esp.).
PROVERBES PATOIS
19
La canicule, si elle com-
mence très chaude, se ter-
mine pluvieuse.
20
Le vent chasse la gelée.
21
Les années se suivent,
mais elles ne se ressemblent
pas.
22
19
L9 kanikoiilo, cl/ ïn'trp rbhïk,
cbourtè pourik.
20
L? vins' tsas9 la ~ùlâ.
21
L9-j-an chp chyouvàn, ma chd
rdchhnhlàn pa.
22
Kan h uybh oiian ba, Quand les nuages descen-
Prèin là rahè va-t-in ou pra; dent, prends le râteau, va-t-
Kan h nybb ouan choup', en au pré ; quand les nuages
Prèin là rabé,fà là tp ou koup\ montent, prends le râteau,
flanque-le toi au cul.
Ch' 3 fi ho, prèin h man:;;p, S'il fait beau, prends la
Cl/ pfé pout' (cl/ 9 balyp), t'a casaque, s'il fait laid (s'il
pleut), tu as le choix.
24
Mgne à ronces, pré à ten-
dons (? ), champ à chardons,
garde-les dans ta maison.
25
Taille-moi en rond(?), fos-
soie-moi profond, je vous
ferai rire et chanter en au-
tomne (dit la vigne au vigne-
ron).
Iyèl9.
24
Vmy9 di ryônJ9, pra di ièn\iôn,
tsan di tsardôn,
Ouârda h ïn ta mîjôn.
25
Poua mè ou ryon, fàchàra me
prèon,
Vô fari rir è tsan ta d'outon.
22 Cf. Bridel, p. 530.
23 Cf. Bridel, p. 551.
-'' C'est-à-dire ne les vends pas, parce qu'ils sont sûrement fertiles.
GUSTAVE PFEIFFER
26
UAmlnyp, h mèlyou plyan dp
la vinyp.
Ma plyan'ta pa tbta ta vlnyp.
27
Rptso ïn rb:(o, rptso ïn Kran,
rptso pèr a?i.
28
Lp-j-an tardîk, jyami ourtk.
29
Pp plyo:(P kyp vpnyp,
er^p îou pra è ton vinyp.
30
Chp ton plyan tp tp poinètp ou
mi dp jouïn,
Ton là dire pa a ton vpjïn.
31
Chip ton fèin dpvan palyp,
è ton poiiré li ajouta ou bp-
jouïn la palyp.
Bo our:{0, mégro vin,
Dpjôn h Ion dou latin.
26
L'Amigne [est] le meilleur
plant de la vigne, mais n'en
plante pas toute ta vigne.
27
Riche en rouge, riche à
Crans, riche par ans.
28
Les années tardives, jamais
stériles.
29
Par pluie qui puisse venir,
arrose tes prés et tes vignes.
Si tu plantes tes pommes
de terre au mois de juin, tu
ne le diras pas à ton voisin.
31
Fauche ton foin avant qu'il
soit paille, et tu pourras y
ajouter de la paille au besoin.
32
Belle orge, maigre vin,
disent ceux du latin (c'est-à-
dire les gens instruits, les sa-
vants j.
'-^" C'est-à-dire celui qui possède des vignes plantées en rouge et qui
a des terres à Crans' (au-dessus de Lens) aura de bonnes récoltes, mais
incertaines.
2* Cf. Bridel, p. 532; Cornu, No 46, où sont indiqués aussi des pro-
verbes espagnols et portugais.
3° Cf. Bridel, p. 533 : Si tu vuagne tard et que te t'ein trovâi bin,
ne le dit pas à tè-z-einfan.
PROVERBES PATOIS
33 S3
T'a aoup oiina bbna rpkolta Tu as eu une bonne ré-
sti an ? coite cette année ? demande-
DpmarCda a Chïn Michyèl è a le à la Saint-Michel et à la
Chin Martin. Saint-Martin.
34_ 34
Kan h faya tsoumôn * ou mi Quand les moutons « chô-
dp fpbri, ment » au mois de février,
Tsmnôn pa ou mi dp mer è ils ne « chôment » pas en
d'abri.
mars et avril.
35
35
A la Saint-Urbain, le raisin
à la main.
36
A la S'^-Agathe, il faut avoir
la moitié du foin et de la paille.
37
Mois d'août, mois dur.
38
Pour avoir du lard, il faut
commencer à Saint-Médard
(8 juin), après c'est trop tard.
39
En automne, le grand gre-
nier est ouvert.
40
Celui qui n'a pas de bêtes
ne va pas (c'est-à-dire n'a
pas besoin d'aller) les garder
les jours de fête.
* Se dit lorsque les moutons cessent de brouter à cause de la cha-
leur et cherchent l'ombre.
A la Chïn't Ourban,
Là rajïn a la man.
36
A Chïnt Agyèta,
Myè Jèin, niyè palyèta.
37
Mi d'où, mi dô°"r.
38
Par aï dp lar,
Fa komïncbyè a Chïn Mèdar,
Apre y è tra tar.
D'outôn Ip gran gréni y e-h-
ouvèr.
40
Hlé kp y a pa dp béhyp,
Va pa in tsan h féhp.
{A suivre.)
"^^ Ce n'est qu'à cette époque (septembre, octobre) qu'on sait si la
récolte a été bonne.
3^ Cf. Le Roux, I, p. 128.
^^ Cf. Cornu, No 21 ; Decurtins : Sontya Gada, niesa envernada.
^" C'est le mois d'août qui est le plus pénible, celui où il faut s'im-
poser le plus de privations.
LE ROUET DE MA GRAND'MERE*
-♦-
La jeunesse vit, dit-on, d'espoir et d'illusions, l'âge mûr de
réalité, la vieillesse de souvenirs.
Pour un instant, rajeunissons-nous de quelque trente
ù. ans en nous reportant à l'âge d'or du rouet. Il est par-
i:
1^ fois si doux de revivre son passé !
Pendant qu'au dehors le vent siffle^ amoncelant la
neige par tas, faisant tre?nbler la maison, craquer la
charpente et grincer sur le toit le couvercle de la che-
minée dans laquelle il cherche à s'engouffrer ~, une
!\t^ vieille lampe fumeuse, le traditionnel « craizu^, » placé
\^« sur son support de bois'^ tourné, au fin bord de la
table ^, éclaire de sa lumière tantôt filante,
tantôt vacillante, le visage ridé de la fileuse ^.
b ^^M Hl "^^ Bonne grand'maman, je l'entends encore
dire de sa voix brisée : « Puisque l'hiver est
bientôt là, il me faut recommejicer à
tirer ma quenotiille ; laiszez-moi l'aller
préparer '^. » Puis, étendant sur la table
son paquet de filasse de rite ou d'étoupe^, je
la vois le rouler autour du bâton, l'attacher avec un
beau ruban rouge^, puis s'installer en connaissance de
cause derrière son vieux rouet, qu'elle a descendu du galetas,
■ monté, épousseté, huilé en règle ^^.
PATOIS DE LA HAUTE-GRUYÈRE
' h hrgà de ma méra-gran.
2 dou tin h dèfrô l'aura chublyè, in-n-intsirman la nà pè gonyjyè, in
Jachin a gurlâ la viéjon, knjsnâ la lèvir, è hdchi chu l ta h tèvi de la bouarna
yô vudrà chè fitchi.
3 Ne se dit plus en patois, terme du français populaire.
^ bpèroii.
^ a lafin-na ruva dé la trâblya.
LE ROUET DE MA GRAND MERE 1 I
Là, ça y est : les cordes sont mises et tendues, déjà le pied
presse la pédale, im coup de main à la roue lui donne l'élan 'i
et,... en avant la musique... du rouet. Son ron-ron-ron, son frou-
oû-oû qui berce et fait rêver semble vouloir rimer avec le vou-
oû-oû de la bise.
Pendant que celle-ci fait rage au dehors, pourchassant, dis-
persant, faisant tourbillonner ces myriades de papillons blancs
dont elle tapisse toute chose, le calme reposant des tranquilles
occupations préside aux longues soirées hivernales.
Si le premier état de choses est l'image de l'agitation fiévreuse
du monde, celui-ci l'est du paisible for intérieur de la famille
où tout est paix et douce quiétude.
Ah ! pourtant !... voilà.... Il s'élevait bien parfois un petit
nuage au ciel de nos tranquilles veillées.
Si, profitant des arrêts forcés, des relais nécessaires pour
déplacer le fil d'un cran i^, pour rattacher et relever la que-
nouille'^'^, l'espiègle bambin a lassé la patience de l'aïeule en
faisant tomber les cor des ^'^ du rouet ou en montant un tic-tac
étourdissant aux rayons de la roue qui a repris sa course verti-
gineuse^^, alors un charmant petit orage éclatait en ces termes
qui me sont restés gravés au fond du tympan (comme du reste
tout souvenir d'enfance l'est au fond du cœur) : ^ Tu ne veux-
pas cesser ça! attend s- toi voir, petit drôle. Je veux déjà te
^ la fdlàrs.
'' puchky l'n'à lè dyôra inh, inè jô réksminy^i a tjri ma kdnàlys ; léchi-mè.
alà hnolyi.
* lafolir d'ara (ou de i-sd-a) o dè-j-è'&àpè.
^ on bi trèXou ràd:^o.
^^ k3 la dègilyi di tèréchè, monta, dcpulh), frdtn in rcilya.
' ' lè kouardé chou balayé è tindyé, h pi trépajè d^a chu la pyana, on kou
de man inbriyè la r\a.
'■•^ tsandji on kiàtsè.
'^ pà rarandji la hnolyi.
''' in fachin a tsiji (aussi a tsârs) lè kouardè.
'■' in montin on moulin (en approchant un brin de paille ou de papier
des rayons de la roue) i ré de la rya h voie.
12 P. BOVET
donner, moi, de venir sans cesse toucher à mes cordes pour les
faire tomber! Si Je prends ma quenouille... garef^^ »
Et le bambin, sans être autrement effrayé, s'éloignait douce-
ment en se suçant le pouce gauche, en se passant le bras
droit sur le front, regardant par dessous pour explorer la situa-
tion ; puis, rassuré par l'attitude pacifique de la trop indulgente
grand'maman, il se rapprochait tout confiant en murmurant à
demi-voix en guise de traité de paix : « /e 7i'ai pas eu bien peur :
elle ne frappe jamais ^'^. »
Quand c'était de la laine qu'elle filait, ayant préparé d'avance
ses « boudins, » il ne fallait pas y toucher, sinon cette singulière
apostrophe s'amenait comme second coup de tonnerre faisant
pendant au premier dans cet orage domestique en miniature :
« Enfants, voulez-vous bien laisser ces " boudins/ „ vous allez me
faire faire des inégalités à ma laine ; quand elle sera tout ir ré-
gulière, le drap en sera-t-il plus beau, alors. '^^ » Le ciel rede-
venu serein, tout rentre dans l'ordre habituel ; comme la brise
après l'orage, le rouet reprend son envolée; l'infatigable filan-
dière tire les derniers brins de sa quenouille et la bobine s'ar-
rondit de ce fil qui va faire l'orgueil de la ménagère.
En effet : que de belles chaînes de toile"^^ ont passé par Y axe
de la bobine 20. Mais combien de coups de pédale, de tours de
roue-^ n'a-t-il pas (slUu pour ces belles piles de nappes à raies
'® ts nd vou pâ plyèkâ chin ! alin-te vci, piti hotirichko, le vu d\a balyi,
tnè, de tàdoulon vint foiirgdnà dèv3ron mè kouardè pà le fér a tsârg ! ch?
prin-nyo ma hndlya, gâ !
'' ti'è pâ-j-ou lin puiira, fyà jcmé !
'* jinjan (sic !), vàli-và léchi hoti boudin (portion de laine cardée, mais
non filée, forme et grosseur d'un gros cigare), và-j-alâdc mè fér a fera
di trouyè a ma lan-na ; kan chsrè iota trôyaja, h fràlson chdrè-V^d pîya bi
adon ?
^^ tsàna de tàla.
2" h fu de la boubma, ou de V'epanèla = fuseau, bobine et ailerons.
'■'' ma vhéro de kou dé pyana, dé toua dé rya.
22 pà hou balé tètsé dé manti a véré gonXlyè (la vèra = la raie).
LE ROUET DE MA GRAN'D MERE I3
lèvres-', pour ces frais draps de lit-'^, ces essuie-mains de
toile faite soi-même '^'^, et tous ces tas de chetnises plissées au
compas -5 ? sans compter les rouleaux de triège, de satin rayé,
de grisaille, de drap mi-laine, qui sont aussi sortis du même
rouet et qu'il me semble voir encore à la chambre de dessus-der-
rière, en ligne devant la paroi, raides et bariolés cofn/ne des
soldats du landsturm -^.
Mais la quenouille est épuisée; la vieille horloge de Bour-
gogne vient de sonner dix heures ; la fileuse se lève et dit :
Maintenant, c'est bon pour ce soir, allons dormir, il a déjà
frappé dix heures -'. » Puis, après avoir secoué de son tablier
les impuretés et les débris de filasse -S, elle enfonce la partie
supérieure de sa quenouille dans le trou fait au pied -^ et remet
en place son vieux compagnon de travail.
P. BOVET.
— ->>£•<
LES NOMS DES VENTS
DANS LA SUISSE ROMANDE
Recherches étymologiques.
{Suite.)
— î—
A propos des vents blancs, M. le professeur Forel m'a fait
parvenir une intéressante communication, dont j'extrais le pas-
sage le plus important. « Le vent blanc est un vent du sud, un
sudois, comme je l'appelle, avec ciel serein. C'est en général
^' po hou f ré Jin^n.
2'' hou pâna-man de tala fàtd chè-minio.
2"' ti hou tsiron dé tsdmijè plichàyè ou konpà.
^" chin kontâ lé rùlyé dé tridzo, dé vérâ, dé grijéh, de m3dzdlan-na, h
chon achabin chalyà dou mima hirgd è k3 mè chitiblyè adi vàra a la tsanbra
dèchit-dèrà , in rintsd koiitr la para, ra é bjrgolâ kstnin di chudâ dou land:(-
fourg' (sic !).
2" ara lé bon pu chta né, alin drdmi, la dza fyii dyi-j-aré.
2** lé bàro è lé tsduévulyé.
^^ ou kduàlyon.
14 L. GAUCHAT
l'avant-garde d'un sudois pluvieux, car le vent blanc du matin
se change ordinairement en vent de pluie dans la soirée ou le
lendemain. Ce vent blanc, très chaud, est appelé par nos
paysans maora-blyâ, c'est-à-dire : mûris-blé. » Je remercie vive-
ment M, Forel de bien vouloir mettre sa science à notre dispo-
sition et de venir préciser les définitions nécessairement incom-
plètes d'un philologue.
IL Djoran.
Le vent appelé djoran ou dzoran, selon la phonétique locale
(en français populaire yt'/'flw), est l'opposé de Vuberre. Suivant
la contrée, c'est un vent d'ouest ou du nord-ouest. Il peut être
très violent, et se lève souvent brusquement, le soir. Il cause
parfois de vraies tempêtes sur les lacs de Bienne et de Neu-
châtel et a déjà fait beaucoup de victimes. Comme il descend
des pentes du Jura et qu'il n'est connu que dans les cantons
de Neuchâtel, Vaud et Fribourg i, c'est-à-dire dans le voisinage
plus ou moins immédiat de cette chaîne de montagne, il est
évident que la base étymologique doit être {ventus) juranus
= vent du Jura. Le nom de ce vent se rattache donc à celui
de toute une partie de notre territoire. On me permettra
d'exposer ici, très brièvement, ce que les sources que j'ai sous
la main me suggèrent au sujet du mot Jura, ou Jorat, ce qui
est la même chose.
Les auteurs anciens ont souvent eu l'occasion de mentionner
le Jura. Les Latins l'appellent au singulier Jura, au pluriel
Jures (ainsi César, Bell, gall., i, 2, 3 : altéra ex parte nionte
Jura aliîssimo ; 8, 1 : ad viontem Juram/Fïme, Nat. hist. 3, 31
montibus Juribus ; etc.). Il n'est donc guère possible de consi-
dérer la forme Jura comm.e un pluriel neutre ; nous disons du
reste le Jura, désignation qui peut être fort ancienne. Les plu-
riels neutres donnent ordinairement des féminins dans les
langues romanes. La lettre u de Jura était-elle longue ou
^ On rencontre le terme isolément dans le canton de Berne, par
exemple à Péry.
LES NOMS DES VENTS DANS LA SUISSE ROMANDE 1 5
brève? Les formes latines Jorensia (Sid. Apoll., Epist. 4, 25, 5,
Jorenses heremi [y\xtg. Tur., Vit. patrum, cap. i, i), ultraiorani
(Fred., Chron. 4, 13), qui alternent avec les formes en ?/, prou-
vent qu'il s'agit d'un H, c'est-à-dire d'un son qui s'est confondu
avec ô dans l'histoire des langues romanes. Cette manière de
voir est confirmée par les formes qu'emploient les auteurs grecs,
où nous voyons également alternera et ou Çloupiaio;, Strabon 4,
3, 4 ; lôpx 0/30UÇ, 6, II, etc.).
L'« bref que nous venons de constater rend impossible
toute parenté de notre mot avec le latin jûs, jûris. D'autre
part, la racine y'V, que reflète encore notre prononciation
Jorat *^ nous fait penser à un mot très répandu dans nos patois
romands et qui doit avoir la même origine. C'est le mot qui
signifie /(?r<^/ de montagne ou simplement /i^rt'/ 2^ par extension,
et qui apparaît sous les formes suivantes (je place à côté des
formes de ce mot celles du mot JUGUM, le joug, pour bien
montrer l'identité du développement phonétique) 3 :
Berne: djou [djou); Neuchâtel, Montagne: dju {dju),YaX-à.Q-
Ruz: djœv {djà et dju); Fribourg: dzà'' {dzâ'^, où le mot est
conservé); Vaud, Alpes: dzœr, dzàr, dzao, dzœu {dzao, dzœu^
etc.); Valais: dzœu, zo°'^, zour, etc. ijoug n'est guère usité).
Dans les patois qui ont laissé tomber Vr finale, les dérivés :
dzorèta, etc., font connaître le radical à un état plus archaïque.
Les bois de la plaine sont désignés par les mots bon, fore, avec
lesquels rivalise két = côte dans les cantons de Neuchâtel et
de Berne. Dans ces deux derniers cantons, le terme djou, dju,
djœr n'est plus employé que comme nom propre. L^ne foule
innombrable de lieux-dits de toute la Suisse romande, corres-
pondant au mot simple ou à un de ses dérivés, remontent à la
même source. Nous rencontrons des quantités de Joux, Jeur,
^ La forme Jura, avec u, est influencée par les formes patoises de la
Montagne neuchâteloise. voir plus loin.
2 Kuenlin, Helv. Ahnanach. 1810. écrit « \aiL •=. hergigte waldweide. »
^ Je ne cite que quelques variantes caractéristiques.
l6 L. GAUCHAT
Jor, Jorat, Joratel, Joratiaz, Jora/ys, forasse^ Jorassaz, etc.
Il est donc permis de dire que le mot Jura signifie /(?r<V, ce
qui cadre très bien avec les noms de Forêt Noire, Forêt des
Ar demies, Bregenzer IVatd, Thiiringer JJ'ald, etc., que portent
les chaînes de montagnes de même configuration situées plus
au Nord. Cette interprétation précise celle de montagne, à la-
quelle se sont arrêtés les celtistes. Le mot lui-même, n'étant ni
latin ni germanique, doit être celtique, ou peut-être ligurien,
comme le voudrait M. d'Arbois de Jubainville (voir Holder,
Altceltischer Sprachschatz sous Jura). La voyelle a de Jura
provient probablement d'un suffixe ^ Notre mot a laissé des
traces comme appellatif dans les documents du moyen âge :
je trouve dans Du Cange, sous Jarria, la citation suivante,
empruntée à une charte de 1157 provenant de la région des
Alpes: pratis, pascuis, si/ vis, joriis, viontibus ^ vallibus, où
joriis désigne probablement les forêts de montagnes par oppo-
sition à silvis^ho\'~, de la plaine 2; nos vieux parchemins con-
tiennent fréquemment l'expression Jures nigrœ = les joux
noires dans le sens de « grande forêt de montagne. »
La chaîne du Jura n'aurait donc pas été baptisée d'après sa
nature de montagne ni d'après ses formes extérieures, mais
d'après son utilité, comme c'est aussi le cas des Alpes.
L. Gauchat.
1 Cf. les formes grecques IôjO«;, loujoaTtog, 'lou^xaaoç et nos lieux-
dits Jorasse, Jorassai.
- Le même mot joria se retrouve dans des documents valaisans bien
postérieurs (jusqu'au XVIJe siècle), comme équivalent du patois d\œr,
dzor.
— aoO-OO^ïo—
Bulletin du 6.'- ././c des patois de la Suisse romande, 3° annt
N» 2.
CCRNEUX-
PEOUIGNOT
Ligne rouge .... frontière du pays et des cantons.
Forte ligne noire . . limite des langues allemande et française.
Faibles lignes noires limites des nuances de prononci.ition.
O évolution isolée.
LES LIMITES DIALECTALES
DANS LA SUISSE ROMANDE
Avec une carte '.
La carte que nous présentons aujourd'hui aux lecteurs du
Bulletin est destinée à illustrer, en ce qui concerne la Suisse
romande, la question importante et très controversée des limites
des dialectes et de leur groupement naturel. Elle a été dressée au
moyen des matériaux recueillis pour l'élaboration d'un Atlas
linguistique de notre pays, et résume en un seul tableau synop-
tique les résultats partiels que fournissent les vingt premières
cartes déjà établies de cet ouvrage. Voici en quelques mots
comment il a été procédé :
I. Elaboration des cartes de r Atlas. — Les rédacteurs ont
relevé sur place, en notant exactement la forme de mots types
choisis à cet effet, la prononciation patoise d'environ 300 loca-
lités réparties sur tout le territoire des cantons romands.
Chacun des mots types permet de dresser la carte des trans-
formations subies dans les divers patois par un même son
primitif du latin. Ainsi, pour prendre un exemple, on sait
que les groupes latins r/, rd aboutissent dans une partie des
parlers du Jura bernois à tch et dj (porta = p6Hch\ corda
= kô'df, à Bourrignon, etc.) ; pour connaître l'extension de
cette prononciation, on a demandé dans toutes les localités
visitées les mots porte, courtil, verte, garder, corde, sourde,
perdu. Ces mots, d'un usage courant, et appartenant au fonds
primitif de la langue, nous montrent l'évolution spontanée du
patois. Tous les autres exemples de mots populaires présentant
les mêmes groupes de consonnes subiront le même traitement,
ainsi cher-temps =z tchitchan, ?nardi = medji, etc. C'est dans
* Reproduite d'après VArchiv fur dus Stiuiium der tieueren Sprachen,
CXI, fasc. 3, 4.
3
l8 L. GAUCHAT
ce sens que nous appelons les mots porte, courtil, etc. de nos
listes des mots types. La carte XII de notre Atlas, sur laquelle
figurent les résultats actuels de rt, rd, montre que la prononcia-
tion tch, dj est surtout celle de l'extrême ouest du Jura bernois.
Tous les villages étudiés de l'Ajoie et des Franches Montagnes,
et, selon toute prévision, également ceux que nous n'avons pas
pu visiter, ont tch, df i. Le district de Delémont est divisé ; la
ligne de démarcation passe à Test de Bourrignon, Asuel, Saint-
Ursanne, Glovelier, Saint-Brais, Montfaucon, Les Breuleux,
Les Bois. Tous ces villages ont encore la prononciation pala-
tale, tandis que ceux de Soyhière, Courfaivre, Undervelier, etc.,
situés au delà de cette ligne, ont conservé l'r. La montagne
neuchâteloise, ainsi que La Ferrière et une partie du vallon
de Saint-Imier, présentent au lieu de r/, rd une espèce de / ou
d retirés, alvéolaires, résultant d'une fusion de Vr avec l'explo-
sive suivante. Le Cerneux-Péquignot marche avec le patois
ajoulot. Dans tout le reste de la Suisse romande rt, rd ont été
conservés intacts. La ligne de démarcation inscrite sur la carte
n'a pas un caractère rigoureusement exact, parce que nous avons
été obligés d'attribuer les localités non visitées, un peu arbi-
trairement, à l'un ou à l'autre des domaines phonétiques, et parce
que le long de toute frontière pareille on constate un certain
nombre de transfuges ou de prononciations hésitantes. Ce reste
d'incertitude est inévitable ; il n'infirme pas la valeur de nos
conclusions scientifiques.
Toutes les autres cartes de \ Atlas reposent sur une base pa-
reille.
IL Elaboration de la carte synoptique. — Les limites très
nombreuses et très variées qui coupent la Suisse romande en
tous sens, si on applique le système indiqué ci-dessus, ont été
reportées avec le plus grand soin sur une seule carte, qui est
celle que nous reproduisons. Bien que l'état d'avancement de
V Atlas eût permis d'augmenter ce nombre, on s'est borné à
* Sauf Daravant et La Ferrière.
LES LIMITES DLALECTALES DANS LA SUISSE ROMANDE I9
faire la synthèse des vingt premières cartes, qui embrassent
des caractères suffisamment divers pour donner une idée d'en-
semble. Elles représentent le développement phonétique de
plusieurs voyelles accentuées et atones {a, e, etc.), de diffé-
rentes consonnes isolées ou groupées {cl, si, c devant a, etc.),
la répartition de die lunae et lunae die, c'est-à-dire des mots
pour lundi, qui apparaissent tantôt sous la forme de composi-
tion française : lun-di, tantôt sous la forme provençale : di-lun,
etc. '. Il importe toutefois d'insister sur le caractère provisoire
de notre carte synoptique. En ajoutant aux lignes inscrites
celles qui restent à établir, on obtiendra un tableau plus com-
pliqué que celui que nous soumettons aujourd'hui à nos lec-
teurs. Une grande partie des lignes nouvelles s'associeraient
sans doute aux anciennes et amplifieraient encore les faisceaux
de limites très curieux qu'on trouve sur la carte d'essai ; d'au-
tres lignes viendraient croiser celles qui existent déjà, elles
diviseraient des contrées, comme la Montagne neuchâteloise,
le Gros-de-Yaud, qui ont, d'après notre carte, un caractère
linguistique très uniforme, en deux ou plusieurs fragments.
Mais nous sommes persuadés que l'ensemble ne sera pas sensi-
blement modifié. Les résultats provisoires représentent environ
un tiers de toutes les limites. En y joignant les deux autres
tiers, on noircirait fortement le réseau actuel, sans l'effacer par
un dessin très nouveau.
III. Comment aire de la carte synoptique. — i° Ce qui frappe
tout d'abord, en examinant notre petite carte, c'est qu'à côté
de lignes capricieuses, comme on en trouve surtout dans le
Bas-Valais, on aperçoit une tendance des limites à se grouper.
Le réseau ne fait pas l'impression d'une irrégularité com-
plète, mais d'un certain plan qui aurait présidé à la distri-
bution des limites. Beaucoup de limites suivent les frontières
cantonales, voir par exemple la séparation assez nette entre
* Voir rénumération des cartes dans les Rapports de la rédaction
pour les années 1900 et 1902.
20 L. GAUCHAT
Berne et Neuchâtel, Fribourg et Vaud, Vaud et Genève '. Ce
fait prouve qu'il doit y avoir un rapport entre l'évolution his-
torique de nos cantons et celle de leurs patois. Les change-
ments de prononciation survenus au cours des siècles ont
commencé par saisir certaines contrées, et se sont insensi-
blement étendus, sans toujours franchir les barrières politi-
ques. On imite et adopte la prononciation de ceux auxquels
des liens multiples nous rattachent, tandis qu'on ne se plie pas
volontiers aux habitudes de ceux qui diffèrent de nous par les
us et coutumes, les relations commerciales, etc. C'est une ques-
tion d'affinités. Deux contrées voisines, comme celles représen-
tées par les villages de Rossens et d'Avry-devant-Pont (Fri-
bourg), qui ont dû parler une fois le même latin, se sont insen-
siblement différenciées, grâce au manque de relations. C'est là
que passait en effet l'ancienne limite politique du pays d'Ogoz,
qu'on peut suivre jusqu'au dixième siècle. Les limites dialec-
tales les plus saillantes de notre carte sont probablement les
plus anciennes. Entre Les Bois et La Ferrière Qura bernois) il
n'y a guère eu de rapports avant le dix-huitième siècle. Les
différences de prononciation ont pu s'accumuler, entre ces
deux contrées, depuis un temps immémorial. Les premiers co-
lons arrivés dans ces lieux venaient de régions opposées, ils
n'avaient pas le besoin ni l'occasion de se parler et de s'assi-
miler. Cette limite remonte selon toute probabilité à l'ancienne
division entre les Francs et les Burgondes.
On entend raconter que la Montagne neuchâteloise a été
peuplée par des habitants du Val-de-Travers. D'après notre
carte, cette hypothèse manque absolument de fondement. Les
deux parlers sont bien tranchés. Les deux vallées neuchâte-
loises ont donc été colonisées, très probablement, par des gens
' Aucune limite n'a été inscrhe le long de la frontière suisse parce
que, dans cette carte provisoire, nous n'avons pas tenu compte des pa-
tois des régions limitrophes. Mais nous savons qu'une foule de limites
linguistiques coïncident avec la frontière politique.
LES LIMITES DIALECTALES DANS- LA SUISSE ROMANDE 2 1
venus de France, à des époques diverses et indépendamment
l'une de l'autre.
2" Les résultats ainsi acquis sont d'un intérêt particulier
pour les recherches historiques. Le dialectologue et l'historien
devraient unir leurs efforts pour expliquer les principaux de
nos faisceaux de lignes. Ils sont instructifs pour la plus ancienne
histoire du pays romand. Dans une étude générale sur les limites
dialectales, leur caractère et leur origine, nous avons insisté sur
cette nécessité d'une collaboration de la part des philologues et
des historiens, pour arriver à mieux connaître la période de
formation de notre peuple (Voy. Archiv fiir das Studium der
neiceren Sprachen, 1904, CXI, p. 365 ss.).
30 Ce qui frappe ensuite, dans notre carte, c'est l'irrégularité
de certains domaines. Elle se remarque surtout dans les contrées
montagneuses, favorables à l'isolement, où les communications
sont difficiles. Mais l'unité des parlers des vallées d'Hérémence
et d'Anniviers, qui sont pourtant séparées par une très haute
chaîne de montagnes, démontre que les obstacles naturels ne
jouent pas, dans la différenciation linguistique, le rôle qu'on
leur attribue communément. La même irrégularité se produit
par exemple à l'ouest du canton de Vaud, dans l'étroit passage
qui le relie au canton de Genève. On y rencontre successive-
ment plusieurs barricades de limites. En deçà et au delà, le ca-
ractère dialectal apparaît pur de tout alliage. L'irrégularité doit
s'expliquer par le fait que quelques phénomènes linguistiques
ont trouvé moyen de sauter les barrières politiques, en raison de
la plus ou moins forte intensité des rapports mutuels. L'irrégu-
larité se fonde sur la non-conformité des relations. Les habi-
tants de la rive du lac pouvaient par exemple avoir des relations
plus suivies avec Genève que ceux de la côte. Les viticulteurs
sont plus en rapports avec les Savoyards, qui viennent travailler
leurs vignes, que les paysans, etc. Le Bas- Valais était exposé
aux influences de multiples patois savoyards et vaudois ^ Le
* Ainsi Saint-Gingolph a nécessairement subi l'influence de La Meil-
lerie, centre de la pêche.
22 L. GAUCHAT
dialecte y a perdu toute orientation. Il y a probablement eu
d'innombrables mélanges de populations et superposition de
dialectes dans ce fertile coin de terre suisse.
4° L'uniformité n'est pas moins significative que la variété.
La pénurie de lignes dans le Gros-de-Vaud, le canton de Fri-
bourg, le Haut- Valais romand, le canton de Genève, témoigne
d'une forte unité de descendance et d'histoire.
5" Les îlots qui diffèrent de leur entourage par un ou deux
traits phonétiques mettent en lumière la naissance des transfor-
mations phonétiques. Leur isolement est relativement récent.
Ainsi, les deux îlots qu'on aperçoit dans le Gros-de-Vaud ont
à au lieu de à (pratu = prâ^ etc.). C'est une tendance qui s'est
généralisée ailleurs, par exemple dans l'ouest du canton de
Fribourg, dans le Bas- Valais, etc. Dans les contrées que nous
venons de nommer, la chose a commencé comme pour le
Gros-de-Vaud actuellement, par un ou deux villages ; puis la
nouvelle prononciation s'est introduite partout. Les quelques
villages ont fait tache d'huile, pour des raisons qui nous échap-
pent encore.
6° Les îlots entourés de lignes nombreuses sont des contrées
qui ont résisté à l'assimilation, pour des motifs historiques.
Leur indépendance d'aujourd'hui est une preuve d'affinités an-
ciennes avec d'autres pays. Il n'y a pas un siècle que le village
du Cerneux-Péquignot est suisse. Tramelan et la contrée de
Moutier, Court, etc., ont eu des rapports avec Neuveville. Il
est facile de reconnaître sur notre carte l'ancienne vallée de
NugeroUes, et mainte autre division territoriale aujourd'hui
disparue.
Ces quelques considérations sont bien loin d'avoir épuisé
cette matière, qui nous paraît être d'une grande importance
scientifique ; mais nous nous contentons de publier ce petit
commentaire de notre carte afin de mettre en évidence le se-
cours que la dialectologie peut rendre à l'histoire, et non moins
celui qu'elle en attend. L_ Gauchat.
PROVERBES PATOIS
Recueillis a Lens (Valais)
{Siii'/e. — Fo/V ci-dessus, p. j.)
-♦-
2. Proverbes divers.
41
Marya tèra, jnarya luèrda.
42
Marya :^ètr'ta, marya daoug.
43
Ubmo chaâo rein la jhia ^0-
troua.
44
L9 fortouna d'ouua fena y e
dppoui là kbdo ïn dpvan.
45
To-t-aprèin, yèlyèta.
41
Marie terre, marie merde.
42
Celui qui épouse une jolie
femme en épouse deux.
43
L'homme débonnaire rend
la femme grasse.
44
La richesse d'une femme
se trouve depuis le coude en
avant.
45
Tout apprend, même une
vieille femme.
''* Si on épouse une femme qui a de grandes possessions, on a beau-
coup de soucis.
^'^ C'est-à-dire elle coûtera autant que deux. Cf. Dûringsfeld, II,
p. 324 : Fermosura de mulher nào faz rico ser (port.).
^^ C'est-à-dire consiste dans son aptitude au travail. Cf. Finamore :
La fémmene che sse marét' â da purtâ la dôt' a le déte.
^'^ Cf. Dûringsfeld, II, p. 32 : La vecchia di cent'anni avia a'mparari
(sicil.).
24
GUSTAVE PFEIFFER
46 46
Fins' kyp :(al9, bitjp kyp dè:{ab Vent (du sud) qui gèle,
è jèna kyp prè::;d poiik, U'è bise qui dégèle, et femme
tchyouJ9 bïii rarp.
47
Oun trouvp myb hVo dô^"r kyp
hlb 7ioiip.
48
Oun atrapp mi vpito oun nihi-
tour k'oun klybpo.
49
Oun tsapé dp palyp,
Y a rin dpjbt' kyp valyp.
Tb isan::^p è rein mèlyirp.
Plyan oua, luèin tspnûnp.
L'bino kouryou y è tb:^b gou.
53
Pa dp pourtp chin Ihidàr.
qui parle peu, trois choses
bien rares.
47
On trouve mieux sur le
dur que sur le nu.
48
On attrape plus vite un
menteur qu'un boiteux.
49
Un chapeau de paille, il
n'y a rien dessous qui vaille^
50
Tout change, et rien ne
s'améliore.
Qui va lentement, va loin.
52
L'homme curieux est tou-
jours gueux.
53
Pas de porte sans seuil.
''•> Bridel, p. 539; Chenaux-Cornu, No 274.
'''' C'est-à-dire on a plus de chance de recevoir quelque chose d'un
avare que d'un pauvre, qui ne possède rien du tout.
^8 Gilliéron, p. 126 ; Dûringsfeld, II, p. 62 : As clappa pu chôntsch
un manzneder cu'n zopp (romanche). — Ainz est ateint mensongier que
clop (anc. fr.). — Si giunge più presto un bugiardo che un zoppo (ital.).
''^ Les citadins, les élégants, ne valent rien pour le travail.
^' Bridel, p. 530 ; Cornu, No 227 : Plyan va, lyen tsamane. Le Roux,
II, p. 209 : Qui va le plein, va sain.
PROVERBES PATOIS
25
54
L'eoua kyp ionifp bnii pa.
55
Di gô è di hbloiir diskoiitèui
jyami.
56
Oun ivronyp dd plyou, oiiii
bmo de moiièin.
57
Hlé (Che) ky a byoïip, hère.
58
Pa dp foiin chïn foiia.
59
Pa dp perdp chïn prbfyèt'.
60
Rptso kyp pôût', bravo kyp ait'.
61
âoiiè y a rein, h roue pèr sou
drouè.
62
Lp plyou bêla filyp dou môn-
do balyp kyp cbèin k éy a.
54
L'eau qui tournoie ne fliit
pas de bruit.
55
Des goûts et des couleurs,
il n'en faut jamais discuter.
Un ivrogne de plus, un
homme de moins.
57
Celui qui a bu, boira.
58
Pas de fumée sans feu.
59
Pas de pertes sans profit.
60
Riche qui peut, brave qui
veut.
61
Là où il n'y a rien, le roi
perd ses droits.
62
La plus belle fille du monde
ne donne que ce qu'elle a.
■"•^ Dûringsfeld, I, p. 581.
■'•'' Le Roux, I, p. 380 : Qui a bu, boira.
^'^ Cf. Cornu, N" 149 : Yô lî y a ren de fù lî ya ren de fumeyr?. De
même Le Roux, I, p. 70, 71 : N'est fu saunz fumé, ne amour saunz
semblant.
^^ Proverbes ruraux : Il n'est dommaiges qui ne port aucun profit.
"^ Cf. Dûringsfeld, II, p. 699 : Mas hace el que quiere, que no el que
puede.
•^^ Cf. Gilliéron, N" 242 ; Le Roux, II, p. 94.
•^2 Cf. Dûringsfeld, W, p. 302 : Nessuno dà quel che non ha.
26
GUSTAVE PFEIFFER
63
Rijôn fi mijôn.
64
Bhia ouàrda, jyanii tra.
Dp-van ky9partik,fàfér ourtk.
66
Botsp chïn dèin,
Tsha cJmi ècbyèin.
67
Dpvan kyp férp là pMik,
L'otijé fé Ib ntk.
68
Tsikyd gâta krè la mbta,
Tsîkyp grau krè là pan.
69
Lp farpiia don dyablyo fé pa
dp bon pan.
70
L^ mèdpsïn ppdou
Rèin Vànio bouihon.
63
Raison fait maison.
Bonne garde, jamais trop.
Avant de partir, il faut
vider (le verre).
66
Bouche sans dents, tête
sans escient.
67
Avant de faire le petit,
l'oiseau fait le nid.
68
Chaque goutte augmente
le fromage, chaque grain
augmente le pain.
La farine du diable ne fait
pas de bon pain.
70
Le médecin qui a pitié
rend l'homme boiteux.
63 Cf. Le Roux, II, p. 411.
^6 Cf. Cornu, X» 148 : Tan plya vîlyo, tan plys fû.
•"^ Cf. Bridel, p. 533 ; Cornu, N» 155 : Gôta xù gôta fâ la môta.
6^ Le type suisse-allemand de ce proverbe : 'S Tùfels Melil wird ze
Chrûsch, s'approche de la forme rétoromane : La farina del diavel va
in brenn, et de l'ital. : La farina del diavolo va tutta in crusca.
'" Cf Le Roux, I, p. 266 : Main de médecin trop piteux Rend le
mal souvent trop chancreux. — Dûringsfeld, p. 117 : Saepe solet me-
dici pietate putrescere vulnus.
PROVERBES PATOIS 27
71 71
Omo d'arièin, bmo dp rein. Homme d'argent, homme
de rien.
72 72
Ld fin fan h fbltp, Jd fou èin Les malins font les folies,
rljôn. les fous en rient.
73 73
Oun yûT^o airapa, chein yâ^p Une fois attrapé, cent fois
akouja. accusé.
74 74
Jbt9 h behy9 chôn pa èhat- Toutes les bêtes ne sont
chyh ou hou. pas attachées à l'étable,
75 75
Tbt9 I9 héhy? mïnjôn (^pikôn) Toutes les bêtes ne man-
pa d'avèin-na. gent pas de l'avoine.
76 76
Kan îiôn'îp, fût'. Quand il faut, il faut.
77 77
La mbhnk van kyp dou na Les moqueries ne vont
in la botsp. que du nez dans la bouche.
78 78
Kan oun pou pa mi, rnounk Quand on n'en peut plus,
oun ch9 lâcha. on se laisse mourir.
79 79
A bon tsat', bon rat'. A bon chat, bon rat.
'^ Cf. Le Roux, II, p. 432 : Une fois en mauvais renom, Jamais
puis n'est estimé bon.
"^ Cf. Bride], p. 535 ; Cornu, N" 84.
"•^ Cf. Le Roux, II, p. 378 : Quand Oportet vient en place II est
besoin qu'on le face.
" C'est-à-dire elles retombent sur celui qui les adresse.
28
GUSTAVE PFEIFFER
Kan b ponliko tsanip, h :idbna
dans 9.
8i
àouè h tsarèl' pou ïntra, i pou
choiirûk.
82
Kan y a pa mi, y a ounkor.
83
Fa pa ïnsènyè a kaka a hlou
kp y an la kjsa.
84
Balyp par la pourta ou pairo,
Td tourna ba p9 la bourna.
85
Kan b chah y è plyèin, i boutp.
86
Chèin hy9 yèiii p9 flyouta
chouriè p9 taii"'bour.
80
Quand le coq chante, la
poule danse.
81
Où le char peut entrer, il
peut sortir.
82
Quand il n'y en a plus, il
y en a encore.
83
Il ne faut pas enseigner à
aller à selle à ceux qui ont
la diarrhée.
84
Donne par la porte au
pauvre, et cela te reviendra
par la cheminée.
85
Quand le sac est plein, il
déborde.
86
Ce qui vient par la flûte,
s'en va par le tambour.
® ' C'est-à-dire il n'y a pas besoin d'enseigner quelque chose à celui
qui sait le métier lui-même. Cf. Dûringsfeld, II, p. 25 : Il ne faut pas
enseigner les poissons à nager. Non bisogna insegnare ai gatti a ram-
picare.
**"* Cf. Cornu, N» 68 : Xen c'on balye a la poàrta redexen pè la
boarna.
^" Cornu, No 162 : Xen es ven pa la hlyôta x'en va pè b tabâ. — Dû-
ringsfeld, II, p. 651 : Ben que ven eme la fluito, s'en tourno au tam-
bour (prov. raod.). Lô ch'a ven per fluta, a va via per tambor (piém.).
PROVERBES PATOIS 29
87 87
Hlé kyp agouh tra d'ontôn, bit' Celui qui goûte trop (le
a la fôii'tmi-na dp tsâlèin. vin) en automne, boit à la
fontaine en été.
88 88
Lp plyoïi chadù moulèl' y a Le mulet le plus sage a
toua choun mètrp. tué son maître.
89 89
Lp-j-èhoup valôn mi kyp h Les écus valent mieux que
prbmèchp. les promesses.
90 90
KanIpvîroyèplyèin,Vo oupido, Quand le verre est plein»
Kan lp vîro y è oiipïdo, là je le vide ; quand le verre
plyèinjo. est vide, je le plains.
91 91
Tbta tsansôn kyp prèin cha fin Toute chanson qui prend
Mèrèt a bîr oun vïro dp vin. sa fin mérite ci boire un
verre de vin.
*^ Le Roux, II, p. 350: Mieux vaut un présent Que deux attends.
Gustave Pfeiffer.
— OO'^'^^O'OO—
TEXTE
I. Fâblyâ du Lœu è du Rnâ.
Patois de Bernex (Genève)
On lœu è on rnâ s ràkontrivon ^ hâk vyâô à ûard^à lœu via
iitàr dé pblalyi. L9 lœu avà dp lond' dà, dé-:<^-onglyon hé
pouàtii, on vàtr' plyâ è dé pa tb dra su Vérà^. Al avà tbdb
fan. Sbvà, à-n-ivér, é sœutiv' la Vota, mé é s ratrapiv' dyà
la bèlâ sà:yOn. Là mœuton, lô pblè, lô lapàn pasivon vif dyà
son p'trp^. E n pbvà pâ resta lontà u mem àdra, al étà hétou
kbnyu è bblyèdiâ'^ dp kbri on pou partb. Lp rnâ, lyiii, avà dé
danb' fàn-n, on pa dœu, dé-:(^-br'lyp draf, na bèlâ kaouâ
kbm on plypniè, poué on Ion mu:(ô pouàtu. La fan n V àpaûiv
pâ dp dr'mi. Al étrangliv' dp tà-:{-à ta na pud'nâ hé tàdrâ,
s kontàliv' d'on pou d'édy' jréd- é pasiv son ta a kbly'hàdâ
aoué lé fhnal dp sô-::^-ami. E n étà pâ kontà dp se vîy' sèlèrâ
TRADUCTION
Conte du loup et du renard.
Un loup et un renard se rencontraient quelquefois en cher-
chant leur subsistance autour des poulaillers. Le loup avait de
longues dents, des griffes bien pointues, un ventre plat et des
poils tout droits sur le dos. Il avait toujours faim. Souvent, en
hiver, il n'avait rien à manger (lift, il sautait la hotte), mais il
se rattrapait pendant la belle saison. Les moutons, les poulets,
les lapins passaient vite dans son estomac. Il ne pouvait pas
rester longtemps au même endroit, il était bientôt connu et
obligé de courir un peu partout. Le renard, lui, avait de fines
jambes, un poil lisse, des oreilles droites, une belle queue
comme un plumet, puis un long museau pointu. La faim ne
l'empêchait pas de dormir. Il étranglait de temps en temps une
poulette bien tendre, se contentait d'un peu d'eau fraîche et
FABLYA DU LŒU E DU RNA 3I
d9 lœu k'étà vnu épblalyi tb l moud'', ctb al avà désidâ d h
far fbtr h kan è porta sa pé d'ékouàru alyœr.
Y étà river, l 1à-::^-étà klyâr, la l'nâ è lé-^-étal brilyivon
par U n ô. Ld lœu, k n'avà rà a s mètr ^ô la dà, gr'bbliv' dp
fra è d fan. E va irbvâ s'n ami h rnâ. SÙTJty^, kp n'étà
jamé à pana pè far dé ter, di n lœu : « Di don, konpâr, i fâ
on vré ta pè alâ a la péi), t d k t d - n - é ^ ? D? kbnyas' on-n-
àdra yô lé truit' n mankon pâ. I\ à di t' ? — Pasâ t vi '', dé
fruit' / On n s' à r'gâl pâ sbvà, mbdé vit'. »
Kan-t-i son u bôr d la r'vîr, h rnâ di u lœu :
— (( Mè td u bôr, las trdpâ ta kaouâ dyà l'édy^ sa bœudi,
poué kan lô péson t la mourdron bc fôr, tp pouré la r'tri, y
d-n ara y on u bè. » I fasà na fra'' a fàdr lé pîr, e l'édyp
k'màsiv' a dalâ; mé h lœu 7i'ô^iv' pâ s plyàdr. Pbrtan sa
passait son temps à flirter avec les femelles de ses amis. Il
n'était pas content de ce vieux scélérat de loup qui était venu
épouvanter tout le monde, aussi avait-il décidé de le faire dé-
guerpir et porter sa peau de malingre ailleurs.
C'était rhiver, le temps était clair, la lune et les étoiles bril-
laient par là-haut. Le loup, qui n'avait rien à se mettre sous la
dent, grelottait de froid et de faim. Il va trouver son ami le re-
nard. Celui-ci, qui n'était jamais embarrassé pour jouer des
tours, dit au loup : « Dis donc, compère, il fait un vrai temps
pour aller à la pêche, est-ce que tu en es ? Je connais un en-
droit où les truites ne manquent pas. Qu'en dis-tu? — Pense
donc, des truites! On ne s'en régale pas souvent, mettons-nous
vite en route. »
Quand ils sont au bord de la rivière, le renard dit au loup :
— « Mets-toi au bord, laisse tremper ta queue dans l'eau
sans remuer, puis, quand les poissons te la mordront bien
fort, tu pourras la retirer, il y en aura un au bout. » Il faisait un
froid à fendre les pierres, et l'eau commençait à geler; mais le
32 C. FLEURET
kaouâ étà pra:iâ dyà la glyaf^. Su l niatàii, h lœii nà pbvà
plyp dp fra è di u ma :
— Dp kray bé kp lô pèsoii on rèiioiâ ma kaouâ.
— Sa s pu, di h rnâ, y è l mbmà d la r'iri. Lp lœu tir,
me e rést' pra dyà la glyaf. E tir p' jor : rà n van. Lp rnâ
sp sôv à kriyà k lô âèjyèu vnon. Lp lœu-:(_-â pœr, tir p' fôr
€ arad- sa kaouâ tôt a savây^ ; la pé étà rèstây^ dyà la glyaf.
Lp lœu étà tb kapb aoué sa kaouâ pèlâyp. Lp rnâ h màn-n
dyà sa ton-nâ è H à fâ on-n âirâ aoué dp la ritâ dp ûçnpv'.
Lp rnâ, kp savà y à là bardi fasion du fatâ, di u lœu : « Vé
aoué nip, on-n-irâ^ sp ûarfâ. » Kan-t-i son pré du fouâ è kp
h lœu kbniàs' a s rédœudâ, h rnâ sœut h fouâ è di u lœu
d'à fâr atan. Lp lœu sœut ètb, tonb' u màtà, i brul sa pa e
tbta sa kaouâ dp ritâ. E pœusiv' dé bouiléyp kbm on danâ.
loup n'osait pas se plaindre. Pourtant, sa queue était prise
dans la glace. Vers le matin, le loup n'en pouvait plus de froid
et dit au renard :
— Je crois bien que les poissons ont rongé ma queue.
— Cela se peut, dit le renard, c'est le moment de la retirer.
Le loup tire, mais il reste pris dans la glace. Il tire plus fort:
rien ne vient. Le renard se sauve en criant que les chasseurs
arrivent. Le loup a peur, tire plus fort et arrache sa queue
tout écorchée : la peau était restée dans la glace.
Le loup était tout penaud avec sa queue pelée. Le renard le
conduit dans sa tanière et lui en fait une autre avec de la
filasse de chanvre. Le renard, qui savait oîi les bergers faisaient
du feu, dit au loup : « Viens avec moi, nous irons nous chauffer. »
Quand ils sont près du feu et que le loup commence à se ré-
chauffer, le renard saute par-dessus le feu et dit au loup d'en
faire autant. Le loup saute aussi, tombe au milieu [du feu], y
brûle son poil et toute sa queue de filasse. Il poussait des hur-
lements comme un damné. Alors le renard dit au loup : « Tais-
FABLYA DU LŒU È DU RN'A 33
AIô h ma di u lœu: « Kd:(^ tp è ékœiitâ s ha d t9 dyp. D3
kbuyas' na farmâ yô on-n-a tyouâ h pouàr stœu dari dèr.
La sala è tb fre dyà la kâvâ; aie y a avan h b far mi s
leva. »
Al arivon pré d la mà:(on, h ma sèut b pr'nii dyà la
kâvâ pè b lyui:(é è b lœu sèut aprè, mé l golè étà just prœu
gran par lyui. Al i iruvon dp kp s rgâlâ. Lp ma fasà sàblyan
dp tndi, tàdi kp l lœu glyafiv' lô mélyœu morse. Son vàlr étà
grou kom on bbi^b. Lp ma sp sàv pè b lyui::^é à kriyà u
vblèr, b lœu vu à fâr atan, mé son vàtr è trè grou, è n pu
pâ pasâ. Lp farmi, sa fènâ, sô-2^-àfan, b vâlè, la sarvàlâ,
k aoujyon du brui, arivon aoué dé-:(^airà^^, dé dâlyp^^, dé
souaton è asbmon b lœu. Lp ma, konià, sp sàv à riyà kbm on
dyablyp k àpœrt on danâ.
loi et écoute ce que je te dis. Je connais une ferme où on a tué
le porc ces derniers jours. Le salé est tout frais à la cave;
allons-y avant que le fermier se lève. »
Ils arrivent près de la maison, le renard saute le premier
dans la cave par le soupirail et le loup saute après, mais le
trou était juste assez grand pour lui. Ils y trouvent de quoi se
régaler. Le renard faisait semblant de manger, tandis que le
loup avalait gloutonnement les meilleurs morceaux. Son ventre
était gros comme un tonneau. Le renard se sauve par le soupi-
rail en criant au voleur, le loup veut en faire autant, mais son
ventre est trop gros, il ne peut pas passer. Le fermier, sa
femme, ses enfants, le valet, la servante, qui entendent du
bruit, arrivent avec des tridents, des faux, des triques, et as-
somment le loup. Le renard, content, s'enfuit en riant comme
un diable qui emporte un damné.
Camille Fleuret.
34 J- JEANJAQUET
NOTES
Le titre de fàblyâ donné au morceau ci-dessus ne doit pas
faire croire à un apologue d'origine littéraire mis en patois.
Fâblyâ a aussi le sens de conte populaire, facétie, et c'est bien
à une composition de ce genre, recueillie dans la tradition
orale de Bernex par M. Fleuret, que nous avons affaire ici. Les
aventures du loup et du renard, et les bons tours joués par ce
dernier à son compagnon, sont un des sujets favoris de la litté-
rature populaire. En comparant notre récit à d'autres versions
patoises qui en ont été publiées, on pourra s'assurer que, si les
détails varient quelque peu, le fond traditionnel reste identique.
Voir, par exemple, pour les régions qui nous avoisinent, les
ouvrages de Richenet, Patois de Petit-Noir i^/ura), Dôle,
1896, p. 250-259, où se trouve aussi une version lorraine, et
Ch. Roussey, Contes populaires de Bournois {Doubs), Paris,
1894, p. 23 et suiv.
Pour la transcription, il est à noter que d en finale atone dif-
fère de Va tonique non seulement en intensité, mais aussi par
le timbre, plus voisin de a.
1 rdkontrivon. La finale -on, qui correspond au français -ent,
est atone. — A Bernex, tous les imparfaits de la première con-
jugaison sont en -iv-; on lit plus loin ratrapiv\ pasivon, dpa-
^iv\ étrangliv\ etc. Cette désinence ne devait appartenir à
l'origine qu'aux verbes dont l'infinitif est en -/ (anc. fr. -;Vr),
comme moi, manger, bœudi, bouger, kmdsi, commencer. Elle
a été étendue par analogie à tous les autres verbes de la pre-
mière conjugaison et a supplanté leur terminaison régulière en
-av-, qui subsiste cependant dans certains patois de la région.
Duret, Grammaire savoyarde, p. 42, ne donne d'amivo que
comme forme secondaire à côté de la forme normale d^amavo.
D'après Fenouillet, Monogr. du pat. sav., p. 64, les patois du
Chablais et du Faucigny ont -iv- à la seconde personne du sin-
gulier et du pluriel et -av- à toutes les autres personnes.
FABLYA DU LŒU E DU RNA 35
2 érà. Dans le canton de Genève et dans les patois savoyards
environnants, on a tiré du pluriel les reins un substantif l'érein,
qui s'emploie comme e'quivalent du français dos. C'est un cas
d'agglutination (type écornes) à ajouter à ceux énumére's dans
le Bulletin, II, p. 24.
^ p'tn, du latin *péctore. L'assourdissement de la tonique,
suivi du déplacement de l'accent au profit des voyelles plus
sonores, se présente fréquemment dans les patois genevois.
Notre texte nous offre encore les exemples ^r'/>v <aurîcula,
l'nd < Xxxna., pud'nd < * pullicina, v'non < véniunt.
* bblyèèid. A Bernex, comme en général dans la partie occi-
dentale du canton de Genève, les terminaisons -/a, -oua por-
tent l'accent sur /, ou; mdid, mangé, boud-id, bouchée, pid,
Y>'\Qà, foud, feu, etc., tandis qu'à l'est, au delà de l'Arve, on a
mdyoi, boui^ya, pya, foua, etc. Cependant, dans le domaine de
-ia, oua, l'accentuation est souvent flottante et subordonnée à
la structure de la phrase ; -ta, -oua passent à -ya, -oua si le mot
qui présente ces finales est étroitement lié syntaxiquement à un
autre qui le suit: d'é mô u pia, j'ai mal au pied, mais: u pya
dra, au pied droit ; na bowd^ia, mais : na botid^ya d pan, etc.
5 t à k t à-n-é? litt. : est-il que tu en es? La périphrase avec
est-il, abrégé en ta, est très usitée comme formule interroga-
tive : t d k t3 vu ? veux-tu 1 t d k é van ? vient-il ? etc.
6 pasdtvi, dans le français populaire régional -.pense-toi voir.
'^ na fra, une froid. L'emploi du féminin, qui se retrouve
aussi avec d^ô, est peut-être dû à l'influence de l'idée abstraite
de froidure, chaleur.
8 glyaf. Le passage des groupes latins cy, ty à/, par l'inter-
médiaire de d-, est une particularité phonétique commune à
tous les patois genevois: calceone > x}œufon, *dulcia >
dàufè, cantione > x}anfon, captiare > §èfi, etc. Elle
s'étend à travers la Savoie jusque dans le Bas-Valais.
9 on-n-ird. La construction avec nous pour la première per-
sonne du pluriel a à peu près complètement disparu de l'usage
36 J. JEANJAQUET
dans les patois genevois et savoyards ; nous chantons est rendu
dans la règle par on chante.
10 atrdy trident, est un cas particulier aux patois genevois
d'agglutination avec Va de l'article féminin (type aglan, voy.
Bulletin, II, p. 23). Les autres patois de la Suisse romande ne
connaissent le mot que sous la forme : la trin ou la trati.
'* ddly?, mot usité dans toute la France méridionale pour
désigner la faux (voir Atlas linguistique de la France, carte
546). En Suisse, il n'est connu que dans le territoire genevois.
J. JEANJAQ.UET.
ETYMOLOGIES
-^-
I. Bas-valaisan gar:<^in, eau-de-vie.
Pour désigner l'eau-de-vie en général, le Bas- Valais à
partir de Sion et les vallées latérales (Bagnes, Entremont,
Val d'IUiez) se servent d'un mot inconnu au reste de la
Suisse romande, gar^ifi, dont il existe aussi un dérivé gar-
^inta^ distiller, faire de l'eau-de-vie. Dans beaucoup de loca-
lités, cet ancien terme patois tend à être supplanté par le
français goutte, adopté tel quel ou patoisé en gbla.
Quelle peut être l'origine de cette appellation d'apparence
énigmatique? La variante égar:{in, relevée à Champéry et
dont l'équivalent a existé dans les Alpes vaudoises (égar:(un,
dans le Glossaire manuscrit du doyen Henchoz, de Rossi-
nières), nous mettra sur la voie. Elle doit évidemment être
identifiée avec les formes éguêr:(én (Saint-Paul, arr. Thonon),
égarjhê (Sevrier, arr. Annecy) enregistrées par le Diction-
naire savoyard, et celles-ci ne sauraient à leur tour être
séparées de égardîn (Montricher, Maurienne) et de toutes
ETVMOLOGIES
37
les variantes analogues qui, de la Savoie jusqu'aux Pyré-
nées, servent à désigner l'eau-de-vie et remontent au latin
aqua ardens, « l'eau qui brûle. » (Voir pour le détail Mis-
tral, Trésor, \" aigo ardent et Atlas linguistique de la France,
carte 433.) Le domaine de aqua ardens, dont le terme va-
laisan apparaît comme le poste le plus avancé vers le Nord,
s'étend au Sud bien au delà des limites du territoire gallo-
roman avec l'espagnol aguardiente, le portugais aguardente
et l'italien acquar:(ente. Eau ardente a aussi été usité en an-
cien français pour désigner l'eau-de-vie. Godefroy, v° ar-
dent, en cite deux exemples du seizième siècle et Du Gange,
v° aqua, en a un de 1447. On peut y joindre le suivant
pour notre région : pour Veau ardent pour affeyter les bos-
set^ neufs. (Gomptes des baillis de Lausanne, 1537, dans
la collection manuscrite Millioud.)
Il reste à expliquer le passage de aqua ar défis au valaisan
égar^in, gar:{in. La présence de ég' dans la première partie
du mot, au lieu de la forme indigène ivouè, eau, indique
qu'il s'agit d'un mot d'emprunt, importé probablement de
la Savoie. Quant à la chute de Vé, c'est un cas spécial de
ce que M. Tappolet a appelé la « déglutination » (v. Bul-
letin, II, p. 41). De même que les patois valaisans disent
sans article de vin, du vin, de palyè, de la paille, d'jvouè, de
l'eau, on a dit à l'origine d'égar^^in, de l'eau-de-vie, et c'est
cette combinaison, faussement interprétée en de gar^in, qui
a donné naissance au substantif gar:(in.
Il est plus difficile de rendre compte du rapport de ardens
à rt;-^/V;. Il ne saurait s'expliquer par un développement pho-
nétique, et nous pensons qu'il faut voir dans ar:{in une for-
mation analogique verbale. A l'ancien infinitif ardre, brûler,
on a donné jadis un participe présent rtr^/;/, de même qu'au-
jourd'hui à Ghampéry prindra hit priniin; tb{r)dr9, tû(r):iin;
38 L. GAUCHAT
mo(r)drp, mb{r)iin, etc. Ajoutons que ariin, ariinta, existe
encore comme mot isolé dans le patois actuel de Bagnes,
avec le sens de tnordant, bien affilé, en parlant d'un tran-
chant. D'après le Glossaire valaisan du chanoine Barman
(manuscrit), le mot s'applique aussi dans l'Entremont à
un liquide trop alcoolisé. j_ Jeanjaquet.
II. lôvr (s. m.).
Ce mot, qui signifie /a veillée, n'appartient qu'aux patois
neuchâtelois et bernois. Pour l'idée de la veillée, les patois vau-
dois, par exemple, ne connaissent que l'expression la vèlya (à
accentuer sur Va final), qui vient, comme le mot français, du latin
vigilata. A côté de cette expression, le canton de PVibourg
(districts de la Gruyère et de la Veveyse) possède un mot
vieilli : ald in via = aller en ville, où villa signifie encore
village. Cette locution a donc probablement été employée
d'abord par des gens qui demeuraient dans des fermes dis-
tantes du village. Le Jura bernois emploie une locution tout
analogue : aie an veV , qui signifie : faire une visite de jour,
tandis que aie a lâvr- désigne la visite nocturne (voir Dau-
court, No'éls jurassiens dans les Archives des traditions popu-
laires, III, p. 51). Nous assistons là à une différenciation basée
sur l'existence de deux termes à peu près synonymes.
Dans les patois neuchâtelois, nous trouvons les formes sui-
vantes : h lœvr, ala u lévr^ la lœvrèy ■= la soirée, veillée (au
Val-de-Ruz) ; à Cressier : h lœvr = fréquentation nocturne
entre amants ; à la Sauge : la louvrèy = soirée (Urtel, Beitràge
zur Kenntnis des Neuchateller Patois, p. 62) ; à la Montagne :
ala a louvr = aller à la veillée, la low)réy, louvra = veiller,
Ve louvrtè (proprement « les louvrettes ») =: nom d'une petite
société qui se réunissait vers 1857, à la Chaux-de-Fonds, pour
discuter des travaux d'utilité publique. On appelle aussi ' lou-
ETYMOLOGIES 39
vrettes ' le colchique, probablement parce qu'il annonce la
saison des veillées. Les patois bernois présentent presque par-
tout les formes : l? làvr, aie a làvr, lôvrè = veiller, et h
lévrou, la làvrouz' ^ le veilleur, la veilleuse, et aussi ramant(e).
Quant au sens, il est évident que làvr, etc., a signifié en pre-
mière ligne veillée, c'est-à-dire réunion qui avait lieu le soir
pour travailler en commun, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre
des paysans (allemand Spinnstube), et que le sens de fréquen-
tation entre amants n'est qu'une signification dérivée. La veillée
était le rendez-vous naturel des amants.
L'étymologie de ce mot intéressant a été beaucoup discutée.
M. Behrens {Beitràge zur romanischen Philologie, Festgabe
fur G. Grôber, p. 159) a proposé l'étymologie opéra, ouvrage,
avec agglutination de l'article, qui s'expliquerait facilement
dans l'expression : aller ad illam operam = aller à làvr.
M. Horning, au contraire, accepte l'étymologie proposée jadis
par L. Adam, dans ses Patois lorrains, du latin lu eu bruni,
qu'un ancien glossaire latin-français traduit : lumière ou chan-
delle pour veiller (voy. Du Cange). Lucubrare a en latin le
sens de « travailler la nuit ou avec lumière » (voir Zeitschrift
fUr romanische Philologie, XVIII, p. 221, et surtout XXV,
p. 612, où M. Horning fait valoir différentes raisons qui ap-
puient plutôt l'étymologie lucubrum). Dans la Zeitschrift
XXVI, p. 113, M. Behrens déclare qu'il ne se tient pas pour
battu, mais qu'il reconnaît que les lois phonétiques sont peu
favorables à une dérivation de opéra.
Je me range décidément du côté de M. Horning, en me ba-
sant sur les considérations suivantes :
1° Notre mot est masculin, ce qui ressort surtout de la forme
louvron du Cerneux-Péquignot (Neuchâtel).
2° Les patois romands confondent généralement Vo et Va
latins [lucubrum devait devenir selon les lois phonétiques de
nos patois lu{c)àbru'> /àvr{u)]y mais nous avons des patois qui
distinguent les deux sons jusqu'à nos jours, comme le patois
40 L. GAUCHAT
de la Montagne neuchâteloise, où à latin donne îi (lupum =:
lu), tandis que à latin se transforme en ce (ovum = œ); dans
le Jura bernois 6 latin aboutit généralement à ou, à latin à à
oviîi^. On remarque que ni opéra ni lucubru n'expliquent
facilement nos formes louvr (Montagne neuchâteloise) et lôvr
(Jura bernois), il faudrait donc admettre pour ces régions une
action perturbatrice du v. En effet, cupru, cuivre, donne
également koiivr dans la Montagne neuchâteloise (j'ignore la
forme bernoise) et lucubru aurait par conséquent une évolu-
tion analogue à celle de paupere, qui devient /tf//(z')r à Neu-
châtel, et po'r dans le Jura bernois. Le maintien du v dans
louvr, lôvr, tandis qu'il tombe dans paupere n'a rien d'éton-
nant. On entend encore dire si'àifi è pouvr = cet homme est
pauvre, mais on pour ont, ce qui montre que la syntaxe a joué
un rôle dans le développement de paupere.
30 La présence constante de 1'/ dans tous les mots signi-
fiant « veillée, » tandis que d'autres dérivés de opéra, comme
operare, operaticu, operariu ne présentent jamais d'/.
4° Le mot opéra s'est conservé dans nos patois dans d'au-
tres significations : œvré, s. f. pL, ^= grands travaux de la cam-
pagne (Mont, neuch.), œvr, non * lœvr = rite, filasse de chanvre
(Val-de-Ruz).
50 M. Horning cite des formes de l'Ouest de la France où le
c de lucubrum s'est conservé. (Je relève dans un vieux voca-
bulaire neuchâtelois la mention suivante : leugrâ = veiller,
montagnes : louvrâ. D'où la forme leugrâ a-t-elle pu être
tirée * ? j
6° Enfin, il faut avouer que le sens de lucubrum convient
mieux que celui de opéra, et la première étymologie est for-
* A noter également le passage suivant d'un mandement du Gou-
vernement de Neuchâtel, du 28 août 1647 • " Les dances, masquarades,
mommons, assemblées nocturnes appelées h'éugres ou costers sont aussi
défendues. (z\rchives de l'Etat, Registre des Mandements, I, fo 140.)
LES SALUTATIONS DANS LES PATOIS ROMANDS 4I
tement corroborée par l'expression de la Suisse allemande
z'Liecht ga ^ ^ veiller » et « se fréquenter, > voir Idiotikon,
III, p. 105 1'. Cette rencontre est si curieuse et si frappante
qu'on ne peut pas s'empêcher de penser que l'une des deux
expressions ala a louvr et z'Liecht ga doit être traduite de
l'autre, mais il m'est impossible de dire laquelle est primitive
et si la coutume de la veillée est d'origine romane ou germa-
nique. L. Gauchat.
^
LES SALUTATIONS
DANS LES PATOIS ROMANDS
— î—
Bien que notre population romande ne connaisse pas d'usages
spéciaux pour se saluer, les formules employées à cet effet ne
manquent pas d'être intéressantes à plusieurs points de vue;
c'est ce que nous voudrions prouver dans les pages qui suivent,
sans avoir la prétention d'exposer la matière d'une façon sys-
tématique ni d'être complets.
D'abord nos paysans, lorsqu'ils parlent encore patois, sont
plus cérémonieux que nous autres citadins, tout en gardant
généralement leur chapeau sur la tête. Tandis que nous ne pos-
sédons plus qu'un très maigre formulaire, qui se réduit aux
expressions bonjour, bonsoir, bonne nuit, adieu et au revoir,
expressions sèches et presque insignifiantes, accompagnées de
gestes automatiques, le patoisant a à sa disposition des tour-
nures un peu plus variées, et, en somme, plus expressives aussi.
Les patois n'ont pas le mérite de les avoir créées, et aucune
des formules que nous nommerons n'est probablement née sur
' La Suisse allemande offre aussi le terme : :(DorJ ga
Besuch machen, » voir plus haut aJè an vèV.
42 LA REDACTION
notre sol. Les formes de politesse sont une affaire d'éducation,
de mode ; ce n'est pas au milieu d'un peuple de pâtres qu'il
faut en chercher l'origine. Rien ne voyage, du reste, comme
les salutations. Combien de bons Bernois se disent bbjour ou
adiy, sans songer qu'ils remplacent désavantageusement leurs
vieux mots indigènes par un mauvais cliché. On entend des
Hollandais qui ne savent pas le français se dire hj'our, etc. II
n'en était pas autrement au moyen âge. Les Allemands ne
disaient pas seulement salûieren pour begrïissen, mais on ren-
contre, au milieu des textes allemands, des phrases entières
empruntées au formulaire de politesse français, comme Jâ
hêrre, dêu s al (■= deus vous sait, Dieu vous sauve), etc., dans
le Tristan de Gottfried de Strasbourg. En revanche, des poèmes
français offrent quelquefois des modes de salutations allemands,
comme le godehelpe dans Aimeri de Narbonne, ou le willecome
du Roman de Renard.
Les salutations françaises ont pénétré partout grâce à la
suprématie de la civilisation du monde chevaleresque du
douzième siècle. Nos patois ne sont, sous ce rapport, que les
dépositaires d'un ancien fonds de politesse venu des bords de
la Seine. En étudiant les salutations en usage dans l'ancienne
France (voir entre autres la dissertation de Friedrich Schiller,
Das Grussen im Altfranzôsischen, Halle 1890), on retrouve à
peu près toutes les formules en usage chez nos paysans.
En les écoutant, on est souvent surpris par des mots qui
peuvent paraître étranges de prime abord. En entendant pour
la première fois en Valais à\re Jeidèk (Evolène), quelque Fran-
çais pourrait être tenté d'y reconnaître des traces du passage
des Sarrasins. Mais le connaisseur de la phonétique si curieuse
du Valais découvrira bien vite dans cette forme l'équivalent de
(Dieu \o\x)-s-aide^. Qu'on s'imagine l'impression mystérieuse
^ La formule est souvent complète : dyb t'édèk =z Dieu t'aide (Grône,
etc.).
LES SALUTATIONS DANS LES PATOIS ROMANDS 43
que doit produire d'abord la formule gruyérienne boiprati, qui
n'est autre chose que boti vipro a ti = bon vépre à tous, forte-
ment raccourci ensuite de l'emploi très fréquent. Tout cela
n'est étonnant qu'au premier moment; en examinant les choses
de plus près, l'on se retrouve en pays de connaissance.
Si nos patois n'ont pas l'avantage de nous faire connaître
des salutations nouvelles, ils ont souvent mieux conservé la
signification primitive. Toute salutation était au début un vœu
et ce vœu était approprié aux circonstances. On n'y répondait
pas, à l'origine, par la répétition du même vœu, mais par un
remerciement, par exemple, ou par un autre souhait. Les for-
mules n'étaient pas toujours les mêmes, elles variaient selon
qu'on s'adressait à un égal, à un inférieur ou à un supérieur. Dès
le moyen âge, la langue tend à confondre toutes ces nuances,
à mettre à la place d'expressions plus ou moins personnelles et
particulières un choix de simples formules. Les patois ont suivi
ce mouvement, tout en gardant quelques souvenirs du vieux
temps.
En vieux français on ne disait pas bonjour tout court, mais,
par exemple : bon jor vos doinst dais li granz rois ' bon jour
vous donne Dieu le grand roi ' {Rof?ian de Durmart), ou : bon
jour ayez et vostre compaignie aussi {Cléomadh), ou : bons jor s
vos soit hui aj ornés 'qu'un bon jour vous éclaire aujourd'hui',
etc. En patois, on emploie aussi quelquefois une formule plus
complète que dans le français actuel : bondzériyo (Rossinières,
etc.), ou boiindjbrèyvb, bondjrèyvb (Jura bernois) = ' bon jour
ayez vous ', ou du moins bin lou bon dzor (Vaud), bondjeravb
= ' bonjour à vous ' (Val-de-Travers). Le mot bonjour est quel-
quefois accompagné de restes d'une phrase plus complète dont
la signification n'est pas toujours claire, comme dans dô bon
djœ, do bon vépr, db bouna né (Montagne neuchâteloise), dao
béprè (Ormonts), bon dzbr db ou de bbnan (Valais). Les monta-
gnards neuchâtelois expliquent la locution db bon djœ par deux
bonjours, mais cette idée est bien saugrenue, et l'explication ne
44 LA REDACTION
va pas aux Ormonts où deux se dit dou, non dao. Nous croyons
qu'il faut voir dans le mot db, dao une fusion d'une forme du
verbe donner et du pronom vous : (^Deus) det vobis, ou quelque
chose d'approchant. Dans toutes ces formules, on supprime
plutôt le sujet que le verbe, comparez inlévin ', tè raodzay pi,
te bourlay, etc., imprécations dont le sujet e'tait une fois « le
diable. » Nous ne pensons pas que do, dao puissent repré-
senter la première personne du verbe donner. L'expression Je
vous donne le bonjour est relativement moderne et date d'une
époque oii l'on a déjà oublié qu'une salutation doit être un
vœu. Toutes les anciennes formules contiennent des subjonctifs
du désir. La conservation d'une forme du verbe dare serait un
cas unique dans nos patois, qui ont remplacé dare et donare
par le verbe bailler.
Certains de nos dialectes emploient encore la formule Dieu
vous aide dans des conditions spéciales : c'est le salut qu'on
adresse à ceux qui travaillent, en passant auprès d'un semeur,
d'un laboureur, etc. Tel est le cas en Valais, et il reste des
traces de cet usage dans le canton de Fribourg, mais dans les
autres cantons la salutation est devenue générale ^ La per-
sonne saluée répond en Valais non par le même vœu, qui n'au-
rait pas de sens adressé à un passant, mais ordinairement par
mantinyè, c'est-à-dire ' que Dieu vous maintienne '. A Cham-
péry (Valais), on répond au salut : dyu fidzas' ' que Dieu
t'aide' : dyu h sais ' que Dieu le sache', c'est-à-dire 'que Dieu
t'entende '. Une autre formule employée pendant le travail est :
dyou vb dbni fbouchi ' Dieu vous donne de la force ' ; réponse :
dyou vb mantinyè (Grimentz). A des gens qui gardent ou con-
duisent du bétail, on dit : dyou le vb tsboujèche ' Dieu vous les
conserve (les bêtes) ' ; réponse : dyou Ib vèly ' Dieu le veuille '
' Une chanson satirique neuchâteloise commence ainsi : Dieu vos
aide, Monsieu le Djusti\ie, ce qui veut dire simplement : ' Bonjour, M. le
justicier '.
LES SALUTATIONS DANS LES PATOIS ROMANDS 45
(ibidem). Dans le canton de Genève, on répond à parti vb
bain ' portez-vous bien' : vb ètb ' vous aussi ', à pœrtd te bain :
poue t'ètb 'puis toi aussi', ou i3 asbain 'toi aussi ', Ces ré-
ponses démontrent que la formule est encore comprise comme
vœu, qu'elle ne s'est pas affaiblie jusqu'à devenir une vaine
forme de politesse. Au Val-de-Travers, le souhait bc d la santé
' bien de la santé ' était suivi de : tramarsi ' très (?) merci ' ou
de /' t3 rmartck^ bè. A Montbovon on répond à dyu z'èdyè par
rmar^in ' (nous) remercions ', etc.
On a déjà vu plus haut la salutation valaisanne bon dzbr de
bbnan {bbnan z=. nouvel an), qui s'emploie exclusivement le
jour de l'an. Elle se retrouve dans plusieurs de nos cantons.
En congédiant un mendiant, on lui dit : du9 t3 kondm ' Dieu
te conduise ', ou du9 vb bnâs' (Jura bernois), dyé vb bœny'
(Neuchâtel) = ' bénisse ', etc. Cette même formule est employée
lorsqu'on entend quelqu'un éternuer ; on dit aussi dans ce cas :
dyb td kras"" ' Dieu te croisse ' (Valais), di43 t krâch' (Jura ber-
nois), ou même, par plaisanterie: du? i3 kràs^ tb le djouè d'en
ân\ h diamoiin' dd dou? ' Dieu te croisse tous les jours d'une
aune, le dimanche de deux ' (Bourrignon).
Mais nous tombons dans le chapitre des vœux proprement
dits et nous nous hâtons de rentrer dans celui des salutations.
Il arrive aussi que le français distingue mieux que le patois
entre des salutations propres à certaines circonstances. Ainsi
l'usage veut qu'on se dise bonjour, etc., en s'abordant et adieu
en se séparant. On ne devrait même employer ce dernier terme
que lorsqu'il s'agit d'une longue séparation. La vieille formule
complète: A Dieu vous co/nmant, c'est-à-dire « je vous recom-
mande à la garde de Dieu, » nous l'explique. Blavignac, dans
quelques pages spirituelles qu'il consacre au salut dans son
Efnpro genevois, p. 283-288, constate déjà que les Genevois
emploient les formules adieu et bonjour à rebours. C'est le cas
dans toute la Suisse romande et même au delà. A cette obser-
vation il importe toutefois d'apporter une restriction. On ne
40 LA RÉDACTION
dit adieu en rencontrant une personne que lorsqu'on entretient
avec elle des relations amicales, ou lorsqu'elle occupe dans la
société un degré inférieur. On ne dira pas adieu en abordant
le pasteur ou le curé, mais, par exemple, un enfant. La distinc-
tion de classes, qui jouait jadis un grand rôle dans les façons
de s'aborder et de se quitter, n'a laissé que très peu de traces
dans nos patois. Le salut neuchâtelois a Vanu ' à l'honneur ' ('il
est aussi fribourgeois, mais la formule y est francisée) implique
une marque d'estime. On peut en dire autant du mode : servi-
teur, votre servante, etc., qu'on rencontre par-ci par-là. A
Evolène, la formule adi est plus familière que ajyou; elles
viennent pourtant toutes les deux de ad D eu m.
La salutation de départ la plus répandue dans la Suisse
romande est adichivb (Châtel-Saint-Denis), adyœsivou (Côte-
aux-Fées), adyusaveu (Champéry), {a) duisivb (Jura bernois),
atsivb (Vaud, Fribourg, etc) ; cette petite phrase varie énor-
mément selon la phonétique locale. La forme la plus rapide
atsivb en a obscurci l'origine, qui est cependant claire, lors-
qu'on compare les formes romandes plus pleines et surtout
celles du midi de la France : adeussias, adissiats, etc. (voir
Mistral, Trésor, I, p. 31), d'où il ressort que la locution signifie
« à Dieu soyez. » L'addition du mot vous au subjonctif-impé-
ratif, dans nos patois, est assez singulière ; elle doit s'expliquer
par l'influence d'autres salutations comme bonjour à vous, etc.
On a donc eu tort de traduire notre adichdvo, etc., par Dieu
chez vous, et, les salutations vaudoises rapportées par nos cor-
respondants, adyœ tsi vb, la bouena né tsi vb ' la bonne nuit
chez vous ', sont dues à de fausses étymologies populaires. La
salutation atsivb, à l'origine une parole de congé, est devenue
synonyme de bonjour. On entend dire en Gruyère, par exemple,
adichsvb gray^âja ' bonjour, jeune fille ', litt. ' bonjour gra-
cieuse '. La formule vieillit du reste beaucoup.
La salutation a vb, quelquefois répétée, n'est plus bien com-
prise non plus. On l'emploie dans les cantons de Fribourg et
LES SALUTATIONS DANS LES PATOIS ROMANDS 47
de Vaud, par exemple, en accostant une personne à laquelle
on désire parler. Quelques-uns pensent que c'était à l'origine
une formule de réponse. Mais a vb s'explique plus facilement
comme abréviation de {bonjour) ou (salut) à vous. Nous voyons
ainsi nos patois en train de détériorer leurs modes de saluer ;
on confond l'arrivée et le départ, le respect et la familiarité,
les occasions des différents souhaits qui deviennent à peu près
synonymes. C'est le déclin, c'est la marche irrésistible vers la
fin!
Toutefois, nos patois révèlent, à un observateur exact, toutes
sortes de débris de son ancienne abondance de termes. Un
premier examen nous fera constater surtout les salutations sui-
vantes :
1° bonjour {bondzoua, etc., Fribourg; bondzo{r), etc., Vaud;
bonzd{r), etc., Valais; bondàr, etc., Genève; bondjœ, etc., Neu-
châtel; boUndjd, etc., Berne), employée toute la journée, ou
seulement lé matin.
2° bon vépre {bon vipro, etc.), salutation de l'après-midi, qui
s'éteint.
3° bonne nuit {bouna né, etc.), salutation du soir, vivante
partout.
L'expression bonsoir n'est connue que des patois qui ont
conservé le mot soir, c'est-à-dire û'un patois neuchâtelois
(celui du Cerneux-Péquignot) et des patois jurassiens. Là,
bouèn' né, etc., ne se dira qu'en allant se coucher.
Outre ces saluts fondamentaux, nos enquêtes nous ont fait
connaître des formules très diverses; j'en extrais quelques-unes
de la liste : bsvnyin {si vp) = ' soyez le bienvenant ' ; on prononce
aussi à.9venyin, sans doute sous l'influence du mot Dieu (Berne
et Neuchâtel) ; du? vbf bon vépr ' Dieu votre (1) bon vêpre •
(Berne) ; a vb rvè, etc. (partout) ; tini vb bin dzoyâ ' tenez-vous
bien" joyeux ' (Fribourg et Vaud) ; a la rouayans'' ' à la re-
' Probablement abrégé de Dieu vous donne votre bon vêpre.
48 LA RÉDACTION
voyance ' (Neuchâtel et Vaud) ; a la garda de dyœ (Vaud et
Valais : dyœ tè voimrdè, à Praz-de-Fortj ; d^aouayi-vb = litt.
* choyez-vous, ménagez-vous ' [latin cavicare] (Genève), salu
(Genève, salutation d'un usage général en Savoie même à
l'adresse d'un étranger) ; konsarvi-và, konsarvasyon (Genève
et Valais, en partie) ; vb gbvsrnèk ' (quQ Dieu) vous gouverne '
(Valais), etc.
On pourrait encore insister sur l'intérêt linguistique que pré-
sentent nos formules. Les salutations, grâce à leur fréquence,
offrent des cas souvent très intéressants de contractions vio-
lentes ou d'évolution sporadique. Par leur influence réciproque,
les formules peuvent s'altérer phonétiquement. Nous avons
déjà vu bdvnyin devenir divnyin! \.ç. mot latin diurnu 'jour'
est souvent traité à part dans la formule, ainsi à Montbovon,
où un jour se dit : on dzè, le salut est bo?idza'^. Dans la vallée
d'Entremont bb?iani (bonne nuit) devient souvent bbrani, bel
exemple d'évolution sporadique, car aucun autre mot n'offre
ce passage de « à r. Comme l'influence de la fréquence d'em-
ploi d'un mot sur son développement phonétique n'est pas
encore admise par tout le monde, il y aurait là un excellent
champ d'étude. Mais nous craignons d'impatienter nos lec-
teurs, et, pour ne pas ressembler à ceux auxquels le mot adieu
sert d'introduction à une nouvelle et très longue digression,
nous nous bornons aujourd'hui à dire : a vb revers!
' Comparez à Charmey : h diouè, mais midia = ' midi '.
La Rédaction.
LES QUATRE SAISONS
DANS LES PATOIS ROMANDS
-♦-
On vante souvent l'originalité de nos patois, mais il ne suffit
pas de l'affirmer, il faut la prouver. C'est ce que nous allons
essayer de faire en considérant un domaine très restreint du
lexique. Nous n'aurons pas besoin de rechercher des locutions
particulières, il nous suffira de voir comment nos patois ont
rendu certaines idées très simples, élémentaires même, com-
munes à presque toutes les langues, nous voulons parler du
groupe naturel des mots désignant les quatre saisons de
l'année.
Dans ce domaine, le français littéraire est resté assez fidèle
au vocabulaire traditionnel du latin vulgaire : il dit été, qui est
le latin œstas^ automne , qui est emprunté à au{c)tumnus, hiver,
qui est un dérivé de hieins ; printemps seul est une création
gallo-romane, primum temptis, mais encore ce mot se rattache-
t-il dans sa première T^^xûez primavera, qui est le mot général
des langues romanes et qui a aussi occupé le nord de la
France dans la forme de l'ancien français primevoir.
Si la langue de Paris, comme celle de l'Italie, est presque
entièrement conservatrice, les patois de la Suisse romande sont
hardiment novateurs. Ils abandonnent dans une grande partie
de leur territoire la tradition latine, ainsi ils appellent le prin-
temps le bon temps ou le dehors-temps, l'été est pour eux partout
le chaud temps, dans l'automne ils voient surtout l'arrière-
saison : donc le dernier temps, et l'hiver enfin se dit par ci par
là \q pœ tin, le vilain temps.
Le coin heureux où toutes ces créations nouvelles se donnent
rendez-vous, c'est la rude Montagne neuchàteloise, où les quatre
termes gallo-romans ont été chassés et remplacés par des
50 E. TAPPOLET
mots du cru ; c'est là que, dans le petit domaine des saisons,
l'esprit inventeur a été le plus actif et a eu le plus de succès ;
car ce n'est pas tout de créer, il faut encore répandre le mot
créé, il faut braver la concurrence des termes déjà existants et
savoir assurer ainsi la vie à cet acte d'originalité.
C'est en effet un acte important dans l'histoire du langage
que de passer par exemple de « été » à « chaud temps. » Tout
mot traditionnel dont la signification primitive s'est effacée,
comme c'est le cas pour ///, a un grand défaut: il désigne
abstraitement la chose sans en rappeler en aucune manière les
particularités saillantes : ce n'est pas un défaut de logique,
c'est un manque de pittoresque.
Ainsi « été » est le mot qu'on donne à l'espace de temps qui
embrasse à peu près les mois de juin, juillet et août; en dehors
de cela, le mot ne dit rien, il est dépourvu de toute idée ac-
cessoire, de tout ornement, de tout sentiment, c'est un terme
objectif, presque mathématique.
Il en est tout autrement du mot « chaud temps », le tsôtiii ne
désigne pas seulement l'été tout court, il en rappelle en même
temps la qualité la plus caractéristique, et reconnue telle par
tout le monde, la chaleur : tsôtin met en relation un espace
de temps avec nos sensations humaines; c'est donc un terme
subjectif, si on le compare à été. Ajoutons cependant que été
lui-même éveillait, il y a bien longtemps, deux mille ans au
moins, l'idée de chaleur. Souvent l'esprit créateur se répète
sans le savoir.
Rien de plus tentant que de poursuivre les noms des quatre
saisons à travers tout le domaine des langues et dialectes romans.
C'est ce qu'a entrepris un jeune savant italien, M. le D"" Clément
Merlo, dans son bel et grand ouvrage intitulé : Les 7ioms des
saisons et des mois dans les idiomes romans'^. M. Merlo a pris
connai.ssance des matériaux patois réunis en si grande abon-
1 / nomi vomanTJ délie stagioni e dci mesi. Saggio di onomasiologia, To-
rino 1904.
LES QUATRE SAISONS DANS LES PATOIS ROMANDS 5I
dance au bureau du Glossaire, grâce au zèle et à la patience
de nos correspondants, et il a su en tirer tout le profit dési-
rable. L'indication Svizzera frajicese se rencontre très souvent
au cours de son ouvrage, et nous y apprenons que pour les
noms des saisons la Suisse française occupe une place im-
portante dans le domaine des langues romanes. Elle est parti-
culièrement féconde en termes nouveaux et originaux. Il est
juste d'ajouter que peut-être pour peu d'autres régions M. Merlo
a été si copieusement renseigné. Nous allons passer rapide-
ment ces termes en revue.
LE PRINTEMPS
Fait à noter : la plus belle des saisons, celle qu'attend si im-
patiemment le paysan, celle que chante et que glorifie le poète,
est en même temps de beaucoup la plus intéressante au point
de vue de la langue. Dans notre pays, le mot français est usité
à Genève, notre canton le plus français ; il nous est en outre
attesté — un peu par hasard — pour Bière (Vaud) et pour
Isérables (Valais), en plein domaine à.t fortin. Comment a-t-il
pu se percher là-haut? Dans tout le restant du territoire suisse,
printemps est inconnu. Les mots qui le remplacent sont nom-
breux, on peut en compter une bonne douzaine. Ils doivent leur
origine aux idées de « sortie et départ du bétail », à la
« bonté » et à la « beauté » du temps, par opposition au vilain
et triste hiver, et au « carême », époque qui coïncide souvent
en partie avec le printemps. Aucun de nos correspondants
ne confirme les mots preini, apremi, au sens de printemps,
que leur donne Bridel.
Voici les termes attestés :
I. Fori et fortin, qui signifient « dehors » et « dehors-temps »;
fori est un dérivé du latin fori s « dehors » ; fortin = foris
tempus. Ces deux mots occupent tout le Valais, avec la
vallée d'Aoste, les Alpes vaudoises et Fribourg. Fori ou
fortin est donc le terme alpestre pour printemps ; forti?i est
la forme valaisanne par excellence, elle s'emploie de Saint-
52 E. TAPPOLET
Maurice jusqu'à la frontière allemande; fori"^ se dit dans le
Bas-Valais {forjé) et dans le reste du domaine indiqué (aussi
furi). On trouve aussi défori (Bas-Valais) et défour tin (à Grône),
comme on a défàr, dehors, à côté àQ fàr.
1. Salyi, salyi-frou, salyayts sont les mots vaudois pour
printemps. Salyi est l'infinitif latin salire « sauter >, conservé
dans le français « tressaillir » et « assaillir ». Ce mot a pris dans
nos patois le sens de sortir^ comme en espagnol ; lo salyi est
donc le « sortir » et salyi-frou le « sortir dehors >, mot plus
énergique que le simple infinitif. Salyayta, chalyayta est le par-
ticipe féminin du même verbe, c'est donc la « saillie », la
« sortie ». Dans le Pays-d'Enhaut, le mot se dit encore pour la
sortie du bétail pour la montagne, sans idée de printemps.
Mais comme c'est l'événement principal, une fois l'hiver
passé, dans la vie du paysan, le terme finit par désigner
l'époque où l'on sort le bétail, donc le printemps. Salyi et
salyi-frou s'emploient indifféremment dans tout le Gros-de-
Vaud (surtout dans le Jorat et dans la Broyé). Salyaytd est
usité dans le Jura vaudois (Vallée de Joux, Vallorbe, etc.) et
par ci par là dans la plaine (Vuillerens, Penthalaz).
Rattachons à ces trois mots vaudois :
Pètchifœ, « partir dehors », qu'on trouve en Ajoie et à Bour-
nois (Franche-Comté) [voir Merlo, p. 53, qui le dérive sans
nécessité de partita foris].
L'idée de sortie et de départ a souvent donné lieu à des mots
nouveaux pour printemps, c'est presque toujours l'infinitif ou
le participe d'un verbe tel que salire, sortire, exire, par-
tire, mais nulle part, semble-t-il, cette création n'a réussi à
conquérir un aussi grand territoire que dans la Suisse romande.
* Le / de jori étonne. Les formes de la vallée d'Aoste (type forye) ne
permettent pas de dériver le mot de joris ire ni de forilem. C'est pour
cela que M. Merlo suppose un foriartutn (même un foricarium) , qui en
effet lèverait toutes les difficultés ; mais, vu que le i de foris est tombé
de très bonne heure, on ne voit pas ce qui aurait pu introduire ici une
palatale.
LES QUATRE SAISONS DANS LES PATOIS ROMANDS 53
Mentionnons deux mots analogues dans les patois allemands:
rOberland bernois dit: Ustig^, littéralement <x dehors jour »
jour où l'on sort ; et certains patois montagnards de la Bavière
appellent le printemps Auswàrtsziit, « temps où l'on sort >.
3. Bontin. C'est le mot courant pour printemps dans les
cantons du nord: Neuchâtel et Berne. L'origine du mot n'a pas
besoin d'explication. Après l'hiver si rigoureux dans le Jura, le
printemps est le bienvenu, c'est le bon temps par excellence.
Bontin est aussi très répandu dans le canton de Vaud, un peu
moins dans celui de Fribourg, mais sans y avoir pris la signifi-
cation précise de printemps. Le plus souvent il a gardé son
acception étymologique de « temps agréable » ; tantôt il désigne
seulement les beaux jours du printemps, tantôt tout le temps de
la bonne saison, printemps et éié ensemble; il est alors syno-
nyme de bouna sèzon, qu'on emploie dans ce sens, par exemple
à Montherond.
Rattachons à ce qui précède:
bétin, < beau temps » qu'on entend dans la Montagne neu-
châteloise à côté de bon tin.
rèlin, en Gruyère et à Châtel-Saint-Denis, et rèdou, à Sour-
nois (Franche-Comté), désignent le temps doux qui, après le
froid, annonce le printemps, donc quelque chose comme
« l'avant-printemps > ; cp. l'allemand Vorfriihling.
Nous n'avons plus qu'à mentionner :
4. Kârin-n, « Carême », mot employé dans la vallée de
Moutier (Malleray, Champoz, Crémine) et à Vauffelin-Plagne.
Le printemps est donc la saison privilégiée de l'imagination
romande, on dirait que chaque région a mis son orgueil à
donner au printemps une empreinte particulière: le Valais aime
le yi3r//>?, Fribourg préfère \t furi, Vaud l'appelle le salyi, et le
Jura, qui souffre peut-être le plus des rigueurs de l'hiver, le
salue comme le bon temps.
* Et usiog à Alagna, une des intéressantes colonies de langue alle-
mande au sud du Mont-Rose ; c'est donc un mot antérieur à cette
colonisation.
54 E. TAPPOLET
L'ÉTÉ
Autant de variété pour le printemps, autant d'uniformité
pour l'été. C'est partout le tsâtin {tchàtin, tchâtin, etc.), le
temps des grandes chaleurs. Souvent le mot signifie en parti-
culier l'époque où l'on récolte le foin et le blé, ou se précise
en désignant le temps entre le 15 juin et le 20 ou le 22 sep-
tembre, ou entre le i^'' juin et le i*'^ septembre. Par contre la
Montagne neuchâteloise donne plus d'étendue d,\x tchâtin: c'Q?,t
simplement la bonne saison, opposée en bloc à l'hiver et com-
prenant le printemps, l'été et l'automne. Ainsi la langue nous
confirme dans une certaine mesure le fait climatérique connu
que dans les plateaux jurassiens l'hiver et l'été se succèdent
presque sans époque intermédiaire.
L'AUTOMNE
Les mots pour automne divisent notre territoire en deux :
tout l'est, c'est-à-dire les cantons alpestres Valais, Vaud, Fri-
bourg, a conservé le latin autumnus {oouto?i,Yx\ho\xrg, Vaud ;
œuton, oukton, oupton, Valais) tandis que tout le long du Jura
il y a eu remplacement.
Les nouvelles créations se font à l'aide de « saison dernière »,
« saison tardive. »
I. daritin, dari, indari, le « dernier temps », « le der-
nier », cp. le fortin et le fori^ « l'endernier » (cp. l'ende-
main), occupent le canton de Neuchâtel, y compris Péry
et Plagne (Berne), le Jura vaudois et le canton de Genève ;
ils sont très répandus dans la Franche-Comté, d'où ils sont
probablement entrés en Suisse. Daritin (déritin) est la forme
neuchâteloise et vaudoise, dari, àdari et andari se partagent
Genève.
Rattachons à ce groupe réuni par l'idée de « dernière saison »
un mot isolé :
Ta, le « tard » usité à Sales (Fribourg) à côté de bouton;
c'est le commencement d'une nouvelle formation arrêtée dès
son éclosion par le terme traditionnel. L'idée de « temps
LES QUATRE SAISONS DANS LES PATOIS ROMANDS 55
tardif » a par ci par là donné lieu à des termes nouveaux, par
ex. dans les Vosges, dans les Pyrénées, et dans le \\'urteni-
berg, qui dit Spàtling.
2. èrba, s. m., est le mot particulier au Jura bernois; il est en
outre attesté pour le Landeron (Neuchâtel) et pour la région
de Montbéliard et Belfort. Le reste de la France ne le con-
naît pas. La forme de ce mot singulier varie entre : àrba, Ajoie
et Delémont, arbé, Plagne, arbo, vallée de Moutier, arbé et
arbo à Malleray, avec les intéressants dérivés èrbato?i, petite
prune jaune qui mûrit vers l'automne, crbatat\ s. f., fruit du
prunier d'automne, et crbatij, s. m., prunier d'automne (Ajoie).
En outre on trouve dans des documents du seizième siècle
arbaulx, et aussi herbaulx « champs d'automne » (Franches-
Montagnes).
D'où vient ce mot? » On a proposé: i° l'allemand Herbst^
2° un diminutif de herba : herbittum et 3° un dérivé adjectif
de herba : herbale. Aucune de ces trois hypothèses ne satisfait
entièrement, comme nous allons voir.
I. L'étymologie Herbst ne laisse rien à désirer au point de
vue du sens, et l'on sait combien les mots allemands sont fré-
quents dans le Jura bernois. Ajoutons que les patois vosgiens
se servent également d'un mot d'origine germanique pour dé-
signer l'automne, qu'ils appellent « gain», du radical de l'alle-
mand weiden; il y a cependant cette différence que le mot em-
prunté ne signifie pas « automne » dans la langue d'origine,
comme ce serait le cas pour notre drba. Que dit la phoné-
tique ? Au premier coup d'oeil tout semble s'accorder à mer-
veille. L'ancienne forme de herbst est herbesf {herbist). Or
on sait que dans presque tout le Jura bernois e -\- s -\- consonne
donne a: ainsi â de est, frcl, frais, de frisai, épâ, épais, de
spissu, krâtr, croître, de crescere ; de même donc èrbâ de
herbest, l'aspiration germanique ayant été supprimée.
On objectera arbé à Plagne, et arbo dans la vallée de Mou-
tier. Pour la forme de Plagne, on a tort, car i? + j + consonne y
devient régulièrement é et non pas â: ainsi /= Q?,t,fré=^ frais,
56 E. TAPPOLET
épe =r épais [è par influence française ou par dissimilation
vocalique), dékré = décroît. Quant à Va de arâé, comparez
arbèdj = herbage, barbijat\ s. f. pi., nuages moutonneux,
dérivé de brebis. Pour ce qui concerne la forme avec <?, arbo,
dans la vallée de Moutier, les mots qu'on pourrait citer à
l'appui sont peu concordants entre eux (crescere = krétr
ou krètr à Tavannes, Perrefitte, Grandval, krétr ou krHr à
Court, Malleray, spissu = épa à Tavannes, Perrefitte, épe à
Court, Malleray); cependant Tramelan-dessus offre quelque
analogie avec krdtr, épd. Les dérivés èrbaton, etc. auraient con-
servé le t final de herbest. Pour herbaul du seizième siècle, il
faudrait dans ce cas admettre une graphie inverse d'après c?ie-
vaux, prononcé tchvâ.
Mais la grande difficulté est l'accent. Herbest est accentué
sur la première syllabe, tandis que èrba l'est partout sur la ter-
minaison. Comment admettre ce déplacement d'accent si con-
traire à ce qui se passe habituellement?
Voyons si les dérivés de herba sont moins récalcitrants. Le
sens ne fait guère de difficultés. Pourquoi l'automne ne serait-
il pas la saison des herbes ou des petites herbes, le temps où
l'on mène le bétail brouter sur les prés le dernier regain qu'il
ne vaut plus la peine de couper ? Le mot herbittum se trouve
dans l'ancien français herbet, mais au sens de « herbette » ;
l'équivalent en serait érba dans tout le Jura bernois, y com-
pris Plagne et la vallée de Moutier qui disent tchvala, che-
valet, bida bidet, bia, biat\ blet blette. Ainsi les trois formes
arbé, arbo et herbaulx resteraient inexpliquées ; il faudra donc
renoncer complètement à tirer notre èrba de herbittum.
3. herbale satisfait mieux pour la formation aussi bien que
pour la phonétique. On comprend très bien un herbale (tempus),
temps herbal = époque où l'on broute l'herbe, cp. pour la
formation printemps, fortin, daritin, fenal mois, « juillet »,
dans les patois wallons (Merlo, p. 146 etc.). Le dictionnaire
vieux-français de Godefroy donne: herbal, s. m. 1° mois de
LES QUATRE SAISONS DAXS LES PATOIS ROMANDS 57
juini, 2" prairie, dans ce dernier sens aussi herbd : de là en tous
cas le herbaulx des Franches-Montagnes, mot qui n'est pas nc-
cessairement le même que èrba. L'italien connaît aussi herbale
comme adjectif. Or comme -aie aboutit à â dans la plus grande
partie du Jura bernois, et à o dans la vallée de Moutier, herbal
semble nous débarrasser de toutes les difficultés, puisque nous
avons en général èrba et en particulier èrbo dans cette même
vallée de Moutier qui fait de « cheval » tchvb et de « mal >
7nb. Mais il y a deux obstacles : c'est d'abord et surtout Plagne
dont la forme arbé ne peut provenir normalement de herbale.,
cp. aval ^ avb, cheval = tchvb. Pour soutenir herbal il faudrait
voir dans arbé une forme correspondant à l'ancien français
herbel. En second lieu les dérivés comme crbaton, crbatat\ etc.,
dont le / s'explique si bien par herbest ne se comprennent plus
avec herbal, à moins d'admettre quelque analogie, comme de
clou on fait cloutier et de fer-blanc ferblantier, d'après potier
ou charpentier.
En somme, des trois hypothèses examinées, celle de herbal
a le plus de chance de passer, parce qu'elle laisse le moins de
formes inexpliquées et qu'elle est appuyée par l'ancienne
graphie herbaul; mais le dernier mot n'est pas dit.
L'HIVER
Uhiver est la seule des quatre saisons qui n'ait pas changé
d'appellation, ni en grand, dans le domaine des langues roma-
nes, ni en petit, dans les patois de la Suisse romande; avec
une légère exception cependant: la Montagne neuchâteloise
dit h pce tin, le « vilain temps », à côté de d'vouè, « hiver » ;
mais sans cela, l'ancien terme roman a résisté partout aux
tentatives de remplacement.
^ L'indication de ce sens est erronée. Godefroy a trouvé le mot dans
un document jurassien du XIV= siècle : en février, en mai et en herbaulx
où il doit avoir le même sens qu'aujourd'hui ; comparez le deuxième
exemple tiré de la même contrée: au mois de septembre ou d'erbaulx.
(vers 1436.)
58 E. TAPPOLET
Mentionnons la forme avec nasale inver, qui ne se rencontre
que dans les Alpes vaudoises. C'est probablement l'influence
du verbe inver?iâ, qui se trouve partout, aussi dans le domaine
de iver\ inveruâ au lieu de iver?iâ paraît formé d'après intsàtanâ,
« estiver » et d'autres verbes avec in.
Récapitulons :
Les saisons, si mathématiquement égales par rapport au
temps qu'elles embrassent, sont singulièrement inégales par
rapport aux termes qui les désignent.
Les deux antipodes, hiver et été, nous ont montré une stabi-
lité d'expression étonnante. Partout le tsâtin et partout Vivèr ;
à peine un timide pà tin qui ose concourir, sans aucun succès,
malgré la profonde vérité qu'il proclame dans le pays hivernal
de la Chaux-de-Fonds.
Le printemps et l'automne, par contre, ont étalé devant nous
toute la richesse et toute la variété d'expression dont sont
capables des parlers populaires qui n'ont pas subi l'influence
d'un centre littéraire. Le sol si varié de la Suisse romande a
fait naître une douzaine de formes différentes pour le printemps
et une demi-douzaine pour la saison correspondante de l'au-
tomne. Cette même proportion nous est en général confirmée
par la vaste étude de M. Merlo. Nous y trouvons très peu de
mots pour les deux grands contrastes dans la nature : hiver et
été, mais beaucoup de termes nouveaux pour les saisons inter-
médiaires. Cette constatation est, à mon avis, le résultat le
plus important des longues et minutieuses recherches de
M. Merlo. Aussi l'auteur ne manque-t-il pas de l'apprécier à
sa juste valeur (p. 16.).
Voici son explication, qui me paraît très juste: hiver et été
sont des idées générales, comparées avec printemps et automne,
qui ont quelque chose de secondaire, de particulier. Or les mots
exprimant des idées générales persistent longtemps, tandis que
l'on observe une plus grande variabilité dans l'expression des
idées particulières et dont la langue, à la rigueur, peut se passer.
LES QUATRE SAISONS DANS LES PATOIS RCniANDS 59
Cela nous fait comprendre un peu la grande variété de
termes, mais cela ne nous explique pas pourquoi c'est préci-
sèment la Suisse romande qui abandonne la tradition latine
dans une si large mesure.
A cet égard, M. Merlo fait remarquer avec raison que dans
un pays de montagnes, où l'hiver dure de six à neuf mois, les
contrastes entre la bonne et la mauvaise saison sont plus vifs
et les passages d'une saison à l'autre bien plus rapides. Ainsi
le printemps ou le retour du bon temps devient pour les habi-
tants un événement d'autant plus marquant que le montagnard
est paysan et, inséparable de son bétail, doit partager avec lui
toutes les vicissitudes des saisons. De là ces nombreuses ex-
pressions ayant le sens de « dehors », sortir, partir, ouvrir
(dialectes ladins et italiens), qu'on trouve presque exclusive-
ment dans les patois montagnards, ainsi dans la Suisse romande
et allemande, en Bavière, dans le Tyrol et dans le Frioul.
Sans doute on sort partout au printemps, à la campagne,
comme à la ville, mais dans la vie monotone des paysans
montagnards, cette première sortie au pâturage est un moment
solennel, une fête, qui a été capable de transformer le vocabu-
laire hérité des Romains.
E. Tappolet.
TEXTES
-*-
I. La dsmi-ôna.
Patois de Rougemont (Vaud).
You chu pa tan por lé novalè niéjurè, dajay oun anxçn dé
chachanf an : on yadT^o on béyay ouna botoôp por dou é ouna
chopin han on-n-ér^ay choie ; or a, lo litrp l è tru grô por dou
é lo dpnii-litrp on pou ppiyou ■' oti cha jamé kan on-n-a chin
h fô. Achpbin, din lé niaynad:(o, kan lé-j-infan fajan lé
vôrin ou kp lé fénè avan tru krouyp linvoua, on prinjay la
dpmi-ôna, k'avay justo la grantyaou h faàay por la férè ht
manéyi ; chin fajay io rintra din Voua^drp. Avouay lo métrp^
tyè volay-vo férè ? On-n-a rin mé d'ôtorita !
TRADUCTION
La demi-aune.
Je [ne] suis pas tant pour les nouvelles mesures, disait un
vieux de soixante ans : autrefois, on buvait une bouteille à deux
et une chopine quand on était seul ; à présent, le litre est trop
gros pour deux et le demi-litre un peu petit: on [ne] sait jamais
quand on a ce qu'il faut. De même, dans les ménages, quand
les enfants faisaient les vauriens ou que les femmes avaient
trop mauvaise langue, on prenait la demi-aune, qui avait juste
la grandeur qu'il fallait pour pouvoir bien la manier; cela fai-
sait tout rentrer dans l'ordre. Avec le mètre, que voulez-vous
faire ? On n'a plus aucune autorité.
J. Henchoz.
LE TENÈRÔ 6l
II. La tanero.
Patois de Blonay (Vaud)
La Su::;èn a Djan Pyéro l îr on-na fémala viva é gréhân^a ;
lé-2i-infan l'âniâvan grô, l avéi tbdb°"lon ôkû dé bon a ld°**
balyi, ma l trd pouéirâu:(a ko to. K'îr3 pâ on-na savinta,
kpmin vb-:(^-alâ oUrd pè h konto hs m'a fé li mtma ko sin :
— (( On yâd:(o kp ncûûré-:{-bmb l é^an lé damon pb lé fin,
mé trbvâvb tbta sbléta din sta gràsa mèi^on. Dé d:^ua, sin
m'é&éi bin tbton, ma siîb kp la né vpnyài, l avé gran pouâirè.
On d:{_ua ka l avéi fé tan isô, mé dp^é : « Pbrvu kp np vin-
nyp pâ db°** pou tin sta né! N'a pâ mankâ. Dévè h né, mé
métb a //yô^rp tbtp lépoudrt'é léfpnéiârpkp l éâan d^a xly^sè,
ma anfin, l é tbparéi fé la réyuva dé tbta la méi^on, du h
lénô a la kâva, kpmin dé kb'&pma. Lp tin l trp kpve, ma tran-
tyilb ; mé su pâ dévpha a tsavon, b°^* ka kp falyp mé rélévâ.
TRADUCTION
Le tonnerre.
La Susanne à Jean-Pierre était une femme vive et gracieuse.
Les enfants l'aimaient beaucoup ; elle avait toujours quelque
chose de bon à leur donner, mais elle était très peureuse. Elle
n'était pas une savante, comme vous allez l'entendre par le
conte qu'elle m'a fait elle-même comme ceci :
— « Une fois que nos hommes étaient sur les monts pour les
foins, je me trouvais toute seule dans cette grande maison. De
jour, cela m'était bien égal, mais aussitôt que la nuit était ve-
nue, j'avais grand'peur. Un jour qu'il avait fait très chaud, je
me dis : « Pourvu qu'il ne vienne pas du mauvais temps cette
nuit ! » Cela n'a pas manqué. Vers le soir, je me mets à fermer
toutes le6 portes et les fenêtres qui étaient déjà fermées, mais
enfin, j'ai fait quand même la revue de toute la maison, du ga-
letas à la cave, comme d'habitude. Le temps était couvert,
mais calme ; je ne me suis pas complètement dévêtue, au cas
02 L. ODIN
Mé kutsb, fé ma préyfrè, é, tink on-n-inlypd:io / Té manéréi
pî ! h mé mélo a dprè é so°Hb frb db°" lyi hmin sp bourlâva
d^a, mé vî'&b a la kouâité, métb mé mélyb°" sblâ, kdtnin
nouera niéirp nb-i-avéi tbdb°"lon :(o°^ dp dé férè, l âyb h
krbjb é mé ijn-uyb on-na ouârba b°" méitin db°" pâlyb, mon
hrbjb a la man. Lé-^-mlypd^^b vin-nyon lé-:(^on apréi lé-
:(^ôtrb : la tsanbra n in-n-îrp plyâina ; mé sôvb a Vbûô,... h
mtm aféré.... Dyurlâvb hmin la fblyè. Typ férè ? Alâ tsi lé
vp:yin ? famé n'aré âl^à salyi sbléta dp la rnéi^on né traversa
h tspmin pbr alâ tsi lé M. Mé vin on-n-idéyè : m'in vé b°^
kblidâ kp l a, hpniin tp sa, dw^p pouàrtp dé salyâitè, pindb
mon krbjb a-7i-on xfyou, épu m'infatb din la rintrâyp kp la
mouralyp fâ b°" tpnyémin dé dplé : m'apmyb kontrp la pouârta
é réistb inkp tbta trancha in-n-atindin sin kp pouréi arpvâ.
Mé dp:^é intrémè : Sp Ip tpnerb l intrp pèr on-na pouârta, tp
qu'il me faille me relever. Je me couche, fais ma prière, et
voilà un éclair ! Comme tu y vas i, que je me mets à dire, et je
saute hors du lit^ comme s'il brûlait déjà. Je me vêts à la hâte,
je mets mes meilleurs souliers, comme notre mère nous avait
toujours dit de faire, j'allume la lampe et me tiens un moment
au milieu de la chambre, ma lampe à la main. Les éclairs ve-
naient les uns après les autres : la chambre en était pleine ; je
me sauve à la cuisine... la même chose.... Je tremblais comme
la feuille. Que faire ? Aller chez les voisins ? Jamais je n'aurais
osé sortir seule de la maison, ni traverser le chemin pour aller
chez les M. Il me vient une idée : je m'en vais au corridor qui
a, comme tu sais, deux portes de sortie, je pends ma lampe à
un clou et puis je m'engage dans la rentrée que fait la mu-
raille à l'appartement de l'autre côté ; je m'appuie contre la porte
et reste là, toute transie de peur, en attendant ce qui pourrait
* Littéralement : te manière seulement I Les exclamations de ce
genre sont très fréquentes en patois. Elles expriment le mécontente-
ment d'une personne à la vue ou à l'ouïe de choses désagréables. Elles
ne se traduisent que difficilement.
LE TENÈRÔ 63
té sôvéréi pè Fotra. L ové bin raniasâ mé kbtilyon Jconirp mé,
pb hj sd h t prier 0 dévéi to dé niïnià pasâ pè h hblidâ s in k?
h vâyb, h rw poiiésp pâ mé tbtsi. Léi-y-é pasâ la né sin m-{â
mé sélâ. »
— ff Vài, ma, kp léi dyb apréi sin, 1? ipnerb koua plyp rîdb
tyé vb. »
— « Kéi:;^ té, kp nié répon, din si tin l îro dégadja é n'aréi
janié pu mé ratrapâ. »
La bouna vîlyp vi adéi, h vb dpvp aspbin tyé a mé, sp vb-
:(^-alâ h léi démanda. Fô pâ léi-y-alâ dprp kp la ter a l é
ryonda né kp vîrè : sin né pâ pbsiblyb ; kpniin k'on se ratin-
drâi kan on spréi dé:^b ? Pbr li, kpniin pb lé vïlyb dé son tin,
la gràila vin kan Vmra rblyp lé gbtp dé plybd::ip l'pna kontrp
Vôtra é lé fâ dinsp vpni dure.
arriver. Je me disais en moi-même ; « Si le tonnerre entre par
une porte, tu t'enfuiras par l'autre. » J'avais bien ramassé mes
jupons contre moi, afin que, si le tonnerre devait quand même
passer par le corridor sans que je le visse, il ne pût pas me
toucher. J'y ai passé la nuit sans oser m'asseoir. »
— « Oui, mais, lui dis-je après ce récit, le tonnerre court
plus vite que vous. »
— « Tais-toi, me répond-elle, dans ce temps, j'étais agile et
il n'aurait jamais pu me rattraper. »
La bonne vieille vit encore ; elle vous le dira aussi bien
qu'à moi si vous allez le lui demander. Il ne faut pas lui aller
dire que la terre est ronde, ni qu'elle tourne : cela n'est pas
possible; comment se retiendrait-on, quand on serait dessous?
Pour elle, comme pour les vieillards de son temps, la grêle
vient quand le vent bat fortement les gouttes de pluie l'une
contre l'autre et les fait ainsi devenir dures.
<-^h-*-
TABLE DES MATIERES
-*-
Pages.
Gustave Pfeiffer. Proverbes patois recueillis à Lens
(Valais) 3, 23
P. BovET. Le rouet de ma grand'mère lo
L. Gauchat. Les noms des vents dans la Suisse romande :
IL djoran 13
L. Gauchat. Les limites dialectales dans la Suisse romande
(avec carte) 17
C. Fleuret. Fâblyâ du làu è du rnâ, patois de Bernex
(Genève), avec notes par J. Jeanjaquet 30
J. Jeanjaquet. Etymologie. Bas-valaisan garzin, eau-de-vie 36
L. Gauchat. Etymologie. Lôvr, veillée
La Rédaction. Les salutations dans les patois romands.
E. Tappolet. Les quatre saisons dans les patois romands
J. Henchoz. La ddmi-ôna, patois de Rougemont (Vaud) .
M™e L. Odin. Ld tdytero, patois de Blonay (Vaud) . . .
38
41
49
60
61
L»usanne. — imprimerie Georges Bridel & C'*
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire.
QUATRIÈME ANNÉE
1905
BERNE
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hallerstrasse 39
L'ORIGINE DU NOxM
DE LA CHAUX-DE-FONDS
— î—
Parmi les Chaux innombrables qu'on rencontre dans la
Suisse romande et, bien au delà, dans une grande partie
de la France, celle qui se distingue par l'addition de-Fonds
a acquis la plus grande renommée. Un vrai miracle a, en
effet, transformé une simple chaux, qui ne paraissait offrir
aucun avantage sur d'autres endroits du même nom, en une
localité populeuse, retentissante, qui s'est très longtemps glo-
rifiée d'être le plus grand village du monde. Aujourd'hui,
devenu ville par la force des circonstances, ce centre indus-
triel et politique de plus de 35 000 habitants, à mille mètres
d'altitude, avec un « gymnase », un théâtre, une gare qui a
coûté on sait combien de millions, ne cesse pas d'être une
curiosité. C'est donc indirectement l'industrie horlogère qui
a rendu le mot Chaux intéressant.
Le problème de l'origine du mot a gagné en actualité par
une petite discussion récente entre MM. Niedermann et Jac-
card, professeurs l'un à la Chaux-de-Fonds, l'autre à Aigle,
qui ne sont pas arrivés à se mettre d'accord dans leurs arti-
cles publiés dans le National suisse du 31 mai et la Gazette de
Lausanne des i^*", 17, 21 et 22 juin 1901. Tandis que M. Nie-
dermann soutient l'étymologie callis, M. Jaccard se base sur
le bas latin calma, qu'il défendra encore dans ses Etudes
toponymiques en cours d'impression, dont il a bien voulu me
communiquer les épreuves concernant le nom en question.
Si je prends la plume pour apporter ma contribution à
l'étude du mot, c'est, comme le devine le lecteur, parce que je
ne suis d'accord ni avec l'un ni avec l'autre. Comme mes pré-
décesseurs, je ne m'attacherai pas uniquement au nom Chaux-
4 L. GAUCHAT
de-Fonds, mais j'embrasserai d'un coup d'œil toutes les Chatix
que je connais, afin d'établir l'investigation sur une base aussi
large que possible. Discuter le mot Chaux, c'est se reporter de
2000 ans en arrière et examiner un petit fragment de la vie
d'autrefois.
Les étymologies proposées jadis par Lutz (calvus, chauve),
Matile (cavus, creux), MM. Châtelain et Alf. Godet (casa,
maison), M. Michelin-Bert (clausus, clos) et M. Cohn (*cassi-
ma terra, terre très vide, Zeitschrift fur romanische Philolo-
gie XIX, p. 60) peuvent être considérées comme définitivement
écartées; elles n'ont pas l'appui de la phonétique locale, sans
laquelle aucune étymologie ne saurait tenir debout. C'est aussi
principalement l'étude des sons qui me fait donner tort à
MM. Niedermann et Jaccard.
Mais commençons par constater l'état des choses. D'abord
en Suisse. Il ressort des renseignements fournis par les corres-
pondants du Glossaire que le mot Chaux n'appartient plus
guère à la langue parlée, c'est un fossile linguistique. Les
cartes Siegfried sont pleines de noms qui ont tous eu une fois
leur signification nette et précise, mais dont le sens a pâli au
cours des siècles, pour devenir finalement un simple cliché
géographique, témoins les nombreux Nant, Frasses, Broillet,
Condémine, etc. Pour les paysans, ces mots sont devenus insen-
siblement des noms propres, riches en souvenirs personnels
peut-être, mais vides de sens générique. Un nant est devenu
le Jiant. La principale cause de cette lente transformation du
vocabulaire doit être l'isolement de la chose appelée de ce
nom par les habitants d'une contrée déterminée, ainsi que le
remplacement continuel des termes génériques par d'autres
d'une valeur plus universelle. La vieille expression romande
otô (hospitale) est remplacée par méjon {maison); les « ra-
cards » du Valais finiront par devenir des granges, etc. Notre
mot Chaux est un de ceux qui viennent de perdre leur signifi-
cation précise. Il y a 200 ans, nous aurions été facilement
L'ORIGINE DU NOM DE LA CHAUX-DE-FONDS 5
renseignés sur sa valeur ; aujourd'hui le philologue est obligé
d'intervenir pour interpréter et mettre d'accord les opinions
discordantes.
Dans une seule région chaux est encore employé comme
appellatif, à savoir dans la Gruyère, où tsô^ s. f., signifie /rf/w-
rage abrupt^ près des sommets^ où le bétail arrive difficile-
ment'^. Un proverbe gruyérien dit: fin de tsô, fin de ma, litt.
foin de chaux, foin de mal, c'est-à-dire que le foin des chaux est
difficile à récolter. Un des correspondants donne un exemple
caractéristique du mot comme appellatif: lyè pè le isà k kor-
chon le lèvantsè = c'est par les chaux que descendent (cou-
rent) les avalanches. La définition comme pâturage abrupt
présente déjà une spécialisation de l'idée de chaux, due à la
configuration des approches des sommets en Gruyère. En
effet, l'excellent glossaire de Louis Bornet donne une explica-
tion plus ample: « c'est, dans les hauts pâturages, la partie
qui forme une pente généralement assez uniforme et régulière,
s'élevant plus ou moins au-dessus du chalet, et où les vaches
ne vont pâturer que pour autant qu'on les y mène. » Bornet
n'insiste pas sur le fait « qu'il y a aussi des tzôs trop roides
pour qu'on puisse y mener les troupeaux. »
L'appellatif est encore usité dans les Alpes vaudoises, avec
les définitions suivantes: « partie élevée et généralement ar-
rondie d'un pâturage haut » (Etivaz), « montagne large, ar-
rondie, toute gazonnée et ayant parfois une petite dépression
au sommet, rampe douce » (Ormonts), « pente de gazon ex-
posée au soleil » (Gryon) -.
En Valais, le mot ne fonctionne plus guère que comme nom
' Thorin, Notice sur GrandviUard, p. 62 n. : «prés de montagne
autres que les pâturages. »
^ Comparez ce que disent les vieux dictionnaires inédits de Henchoz
(Rossinières) : « plaine un peu concave sur une montagne » et de Du-
mur: « plaine un peu concave de montagne, » puis « sommet de
montagne, vallon très élevé. »
6 L. GAUCHAT
propre, sous les formes tsô ou tsâ, selon la phonétique locale,
écrit très souvent za et prononcé à tort zâ par les étrangers
et les indigènes qui les imitent. L'expression désigne les pâtu-
rages les plus hauts « où on laisse paître les vaches en toute
liberté, c'est-à-dire sans partager jour par jour » (Trient) , une
« petite plaine surplombant un précipice » (Leytron), une
« grande étendue d'alpages où les génisses, les moutons pais-
sent en liberté » (VoUèges). « 300 pièces de bétail passent l'été
à la chaux du Grand Saint-Bernard. »
Dans les autres cantons, y compris la plaine du canton de
Vaud et la Vallée de Joux, Chaux n'est que nom propre. Le
canton de Genève ne paraît pas même posséder le mot comme
tel. Un seul correspondant bernois indique le sens de « colline
de pâturage s'élevant brusquement » (Charmoille). La forme
bernoise est tchâ. Dans les hautes vallées neuchâteloises, j'ai
essayé vainement de faire définir le mot. Plusieurs personnes
de la Montagne neuchâteloise et du Val-de-Travers préten-
dent cependant que Chaux a un peu le sens de vallée, de
plateau long et élevé. Une très vieille femme a même formé
l'exemple : èl è bè lérdj la tchâ d Vabrsvna ^ « elle est bien
large la chaux de la Brévine^. » Cela paraît donner raison
au doyen Bridel, qui traduit le mot chaux par « sommet de
montagne, pâturages élevés dans les Alpes.... » puis: « ce
même mot signifie au contraire, dans le Jura, un vallon. » Le
même mot aurait-il donc désigné dans les Alpes les pâtu-
rages près des sommets et dans le Jura le fond de la vallée?
La contradiction n'est qu'apparente et s'explique facilement
par les conditions topographiques. Dans les Alpes, les som-
mets et leurs environs sont dénudés, dans le haut Jura ils sont
boisés, et ce sont les dépressions, les combes, en partie maré-
cageuses, qui prennent le nom de chaux.
Il ressort de ce qui a été dit que le mot a été appliqué à
1 C'est donc plutôt VAbrevine qu'il faudrait écrire; de* adbibe-
rina, fontaine pour abreuver?
l'origine du nom de la chaux-de-fonds 7
une étendue de terrain inculte, ensuite de l'absence d'eau et
d'humus. La chaux peut se couvrir d'herbe, servir de pacage,
elle ne peut être labourée, étant trop pierreuse (ou maréca-
geuse). L'inclinaison du terrain, la situation par rapport au
soleil, l'aptitude à servir de pâturage sont des éléments se-
condaires dans la définition du mot. Ce n'est que par exten-
sion qu'on nomme chaux un sommet, un mamelon gazonné.
Ainsi à côté de la Chaux des Tallières (de la Brévine), du
MiHeu^, de Fonds, d'Abel (près Les Bois), Damin (au pied du
Mont Damin, au-dessus des Convers), etc. qui représentent de
vastes étendues de terrain, on trouve dans les mêmes contrées
de petites Chaux sous la forme de replats, de mamelons,
comme la rond' tchô dans la commune de la Brévine, ou le
mamelon appelé tchô près de Dombresson (Val-de-Ruz). Les
lieux-dits Plana-Chaux (Chaux-plane^), Bellechaux^ {(^xvc\Q\v\.i)
prouvent que toutes les chaux ne sont pas nécessairement
abruptes ni dénudées. Sonchaud (sommet de la Chaux) sur
Villeneuve montre que chaux ne peut à l'origine désigner le
sommet lui-même. On ne dirait pas non plus si souvent à la
Chaux, en la Chaux^ sur la Chaux, s'il s'agissait du point cul-
minant de la contrée.
L'étude de nos meilleures cartes conduit au même résultat.
Jamais les chaux ne sont boisées par exemple. Le bois de la
Chaux, sur Tramelan, n'est pas un bois sur, mais au-dessus d'une
Chaux, de là son nom. La feuille n» 276 de l'atlas Siegfried,
intitulée La Chaux, reproduit une étendue à peu près plate
entre le Bois du Veau^ (sic!) qui monte jusqu'à une hauteur
1 Cette appellation se retrouve dans un document fribourgeois de
1693 : La Chaux du Mevten, rière Villars-sous-Mont.
' Comp. entre autres le Plan la Chaux du Grand Saint-Bernard, à
2056 mètres.
3 Comparez la Bella-Cha au-dessus de Chamonix.
* Le cartographe responsable aurait facilement appris que ce bois
appartenait autrefois au Vuax Travers, à la commune de Couvet.
8 L. GAUCHAT
d'une cinquantaine de mètres, et le Broillet, qui s'élève un peu
plus. En somme les chaux sont situées dans le Jura à une alti-
tude d'environ looo mètres, tandis que dans les Alpes elles se
trouvent au-dessus de la zone des arbres à environ 2000 mètres.
Mais il serait faux de croire que le mot appartient unique-
ment aux régions montagneuses. Les Chaux sont moins fré-
quentes, mais non pas rares dans la plaine. Les matériaux
toponymiques du Glossaire que j'ai pu consulter m'ont dé-
montré qu'il n'y avait pas beaucoup de communes vaudoises
qui n'aient eu leur Chaux. Le nom devait être beaucoup plus
répandu autrefois ; il s'est insensiblement retiré de la plaine et
s'est mieux conservé sur les hauteurs. Cela s'explique assez
bien. Dans le bas les landes et bruyères ont été en grande
partie changées en prés et en champs ; une transformation de
nomenclature a suivi ce travail de fertilisation. A la montagne,
la lutte de l'homme contre la nature était inutile, et les chaux
y ont triomphé de tout effort. Fin de isà, fin de ma !
Sortons maintenant de notre territoire romand et tâchons de
délimiter l'aire géographique de notre mot. Nous aurons en
même temps la chance de rencontrer des formes moins rac-
courcies du vocable, surtout dans les patois allemands et du
Midi de la France. Elles nous permettront de reconstituer la
base étymologique.
Le mot est très peu répandu en allemand, preuve que la racine
n'est pas germanique. Nous rencontrons quelquefois Galm ou
Galen dans le Valais allemand et les régions du canton de
Berne qui touchent au domaine romand. « L'alpe sur Loèche
que les Romands appellent Chermignon (probablement un dé-
rivé du mot Chaux) s'appelle en allemand Galm-Alp » ( Jaccard,
Etudes toponymiques). Le Haut- Valais connaît surtout la forme
Galen ^ comp. le nom Galenstock. La carie de Zweisimmen
(feuille n° 462 de l'atlas Siegfried) nous fait voir au-dessus du
village de Matten un monticule (gazonné?) du nom de Galm,
2188 mètres, près de Zweisimmen le Kumigalm, élévation
l'origine du nom de la CHAL'X-DE-FONDS (J
rocheuse, 2127 mètres, et le Muntigalm^, mamelon. La proxi-
mité des Chaux romandes, qui apparaissent dans les mêmes
conditions, et la ressemblance des formes méridionales que
nous allons citer, nous fait penser qu'il s'agit toujours du même
mot. L'échange de g contre ch romand ou plutôt c de l'époque
latine n'a rien de surprenant ; comparez Gampelen — Cham-
pion, Gestelen — Châtillon, Geschenen ou Gœschenen — italien
cascina, Galmis — Charmey, etc. \J Idiotikon III 233 explique
Galtn par « Gipfel, Riicken eines Berges (Wallis), besonders
sanft zulaufender (Bern, Simmenthal) », et renvoie à Galen, III
203: « beraster Bergrtlcken zwischen zwei Taleinschnitten
oberhalb der Waldregion; darauf liegende Alpen (Wallis),..
wohl keltischen Ursprungs. »
En France nous trouvons le mot dans Contejean, Patois de
Montbéliard: « tcha, s. f., nom propre donné à certaines loca-
lités où abondent les cailloux roulés, » Chambure, Glossaire
du Morvan: « chaumâ, s. m. (dérivé), terre inculte et enga-
zonnée, chaume, s. f., terrain engazonné, ordinairement de peu
de valeur, lande, espace vague et livré au pacage des ani-
maux ; » Chambure cite encore les dérivés (diminutifs) chaumeâ
(Vendée), terre inculte, chaumasse (Forez), prairie humide,
chaumea,chaumia (Poitou), petite chaume; Berthoud et Matru-
chot. Etude historique et étymologique des noms de lieux
habités du département de la Cote d'or, I. Période anté-romaine,
Semur, 1901, citent les formes chaume et chaux, avec la
même signification : « terrain inculte, généralement situé sur
les plateaux de notre région et ne fournissant qu'un maigre
pâturage » ; Boucoiran, Dictionnaire des idiomes méridionaux.
^ Ne serait-ce pas une forme allemande de Chaumont? M. Jaccard
voudrait identifier les différents Chaumont, Chaumcmtet, Channoutd de
la Suisse romande avec calidus mons, ou même avec calvus mons
pour le Chaumont de Saignelégier. Je crois qu'il fait erreur et qu'il y
aurait avantage à rattacher toutes ces appellations, plus les Caumoun
du Midi de la France, au mot que nous discutons.
lO L. GAUCHAT
nous fait connaître les mots caume, s. m. (!), plateau sur la mon-
tagne, etcaumû^, s. f., plateau exposé au soleil; Mistral enfin,
dans son Dictionnaire provençal-frayiçais, mentionne les formes
caumo, champ- (Auvergne), cam, cham (Languedoc), chaup'^
(Alpes), = plateau désert, plateau rocheux qui domine une
montagne; il énumère une quantité de noms propres: Lacalm,
Lacam (Aveyron, Tarn), Lachamp (Lozère, Ardèche, Drôme),
La Chalp, La Chatip, La Chau (Alpes et Auvergne) 3. Le dic-
tionnaire du vieux français, de Godefroy, contient les mots
chaumart, s. m., terre inculte, jachère, i. chaume, s. f., montagne,
et 2. chaume, s. f., le chaume, où je propose de traduire par
lande, en réunissant les deux articles, sauf pour un exemple :
« je brusle la chaume et la paille, » qui est de tout autre na-
ture, et enfin le mot chaumoi, très fréquent dans l'ancienne
littérature épique, que Godefroy traduit par lieu couvert de
chaume, champ moissonné, et auquel, d'après tous les exemples
cités, il faut évidemment donner le sens de bruyère *. »
Si ce dernier rapprochement est exact, chaumoi étant répandu
dans tout le Nord de la France, le mot simple chaux aurait une
fois appartenu à tout le domaine gallo-roman. En dehors de
ce domaine, je ne le trouve pas dans les dictionnaires courants,
mais Du Gange mentionne (d'après le dictionnaire de l'Aca-
démie), le mot espagnol calma = ager exilis (c'est-à-dire sec^
^ Un 0 final équivaut à un ancien a au Midi.
^ Le ^ est probablement dû à une influence de campus, comme
pense M. Thomas, Romania XXI, 9 n.
3 Voir encore Littré, Supplément, sous chaiimat et chaume, i et 2, qu'il
aurait fallu réunir ; Sachs-Villatte, sous chaumes = Steppen-Heide-
lândereien ; Cotgrave, A Freuch-EngUsch Dictionary, 16 lï, chaumes ::=
desart or untilled grounds ; lay lands, etc.
* M. Thomas {l. c.) avait déjà proposé de rattacher chaumoi à notre
mot chaux. En effet, comment peut-on identifier avec champ moissonné
le passage où il est question de 30000 Turcs sur un caumoi{s), ou
celui-ci: Romain les suient a desroi, qui par chemin, qui par chaumoi. Le
chaumoi est le lieu où l'on se livre bataille, où l'on fait un camp, etc.
En allemand, on traduirait par Brachfeld ou Heide.
l'origine du kom de la chaux-de-fonds I I
ft ab omni cultu destitutus, donc bruyère, ainsi que le mot ita-
lien calma (d'après Ferrari, et sans indication précise de sens).
Quelques dérivés, comme Chaumaz (Moudon, Oron, Cosso-
nay, accentué sur l'a?), Chaumet (Morges,Echallens,Nyon, etc.),
Chaumette, Chaumetta, Chaumettes (Payerne, Nyon, Auboime),
viennent corroborer l'opinion que les mots Chaux, Chautne, s. f.,
Cau?no, Galm, etc. ne forment qu'une famille. Il est moins cer-
tain que les noms contenant uner.- Charmet, Charmilles, Char-
7noille, Charmey, etc. en fassent partie. Avant de se prononcer
il faudrait étudier la situation topographique des endroits por-
tant ces noms et se rendre compte des rapports phonétiques
entre r et / vocalisée en u. Le fait est que le mot celtique
balma, grotte, se rencontre sous les deux formes de baume et
bar ma, le latin * silvaticus a donné au Val-de-Ruz suvadj^
et en Gruyère chèrvddzo ; d'autres mots comme alpe n'appa-
raissent jamais avec u, etc. Contentons-nous pour le moment
d'une probabilité de parenté entre Chartnet et Chaux, du
moment que Chaumet certifie que la racine devait contenir
une m.
Toutes les formes rapportées nous reconduisent à un hypothé-
tique calm ou calma. En présence de cette base, l'étymologie
callis proposée par M. Niedermann doit tomber. Elle ne ren-
ferme pas Vm que postulent rigoureusement toutes les formes
pleines, ainsi que les formes latines dont il sera question tout
à l'heure. Par rapport au sens, callis n'est pas non plus soute-
nable. M. Niedermann lui donne la signification de pâturage
dans les bois-, qui ne convient pas du tout au mot chaux. En
latin, callis a ordinairement l'acception de sentier dans les
montagnes, dans une forêt, chemin de pâturage et ne signifie
pâturage que grâce à une métonymie poétique. C'est aussi dans
le sens de voie ou rue qu'il s'est conservé dans les langues
* Après le passage de il à al (cf. le français sauvage), on a aZ > au
>■ u, cf. saltare = sutn et la forme patoise de Chaumout: Jchumon.
- Où l'a-t-il trouvée?
12 L. GAUCHAT
romanes, comme l'on sait. Nos patois n'ont plus le mot simple,
que je sache, mais le dérivé * callare > tsalâ = faire une piste,
ouvrir un chemin dans la neige (Valais), et le substantif /<?
U/iâ/è, f., voie ouverte dans la neige (Jura bernois). Ce mot se
retrouve ailleurs, cf. ca/a, même sens, Tessin, chalô, Lyon (voir
Puitspelu Dict. étym.), châlée, traînée d'une chose qui s'est ré-
pandue goutte à goutte, ou grain à grain, ou brin à brin, Genève
(Humbert), etc. i ; il prouve que callis a, en franco-provençal,
le même sens que partout ailleurs.
M. Jaccard a serré le problème de plus près, il a reconnu
l'identité de Chaux et de Galtn 2, la nécessité de supposer une
base avec m, et il dispose de matériaux toponymiques très riches.
Mais il n'a pas été assez critique vis-à-vis de ses sources. Il
tire Chaux, avec Gatschet, Ortsetym. Forschtmgen, 1867, du
« bas latin calma, qui paraît contracté de calamus, chaume,
signifiant au moyen âge tantôt maison couverte de chaume,
tantôt: 1° le champ de céréales; 2° la prairie nue, les champs
étant généralement découverts d'arbres; 3° le pâturage élevé,
au-dessus de la région des arbres. » La première objection qui
se présente est que calma ne pourrait aboutir à autre chose
qu'à * tsôma dans nos patois, Va final ne tombant jamais. Notre
j?^^' suppose calme (m) comme accusatif, donc une forme latine
ou latinisée *calmis. Le groupe Im demande dans les patois
du Nord de la France un e d'appui, qui est absent dans les
dialectes du Midi 3, comparez les formes suivantes : ulmu,
psalmu, scalmu, alnu (arbre), helm =: fr. orm^, psaume
échaume, autie, heaume, vis-à-vis du provençal psalm, elm * (les
* Comparez aussi l'allemand pjaden = ouvrir un chemin dans la
neige.
^ Le nom Scia\, Cha\, etc. qu'il fait rentrer dans la famille de Chaux
dans son article de la Ga\ette de Lausanne du 17 juin 1901 n'a rien à
voir ici. M. Jaccard l'a reconnu et n'en parle plus dans ses Etudes
toponymiques.
^ Voir Thomas, /. c.
* On trouve cependant aussi psahnc, elme.
l'origine du nom de la chaux-de-fonds 13
autres mots paraissent manquer). La Côte-d'Or, comme région
intermédiaire entre le Nord et le Sud, connaît les formes avec
ou sans e; on y trouve par exemple du nom Anshelmus les
doublets Ansaume et Anseaus, de même de calmis : chaume et
chaux ^ . Pour le mot chaux, la Suisse romande se range du côté
des dialectes méridionaux. La base calma n'en existe pas
moins, elle est attestée par la variante provençale caumo, et
par l'espagnol et l'italien calma. Elle est due à l'analogie qui
cherchait à donner aux féminins en e de la troisième décli-
naison latine la terminaison féminine caractéristique de la
première, comparez pulicem > pulica?n > esp. pulga, vau-
àovà piidzd , etc. Mais la forme primitive est bien calmis, s. f.,
dont calma n'est qu'une déformation tardive. En effet, les
exemples allégués par M. Jaccard lui-même 2, ainsi in calme
Arlie (1096, Chaux d'Allié près Pontarlier, Cart. de Romain-
môtier), donnent tous in calmQ, ou calmes, pluriel. La seule
fois que ce mot apparaît dans la « littérature latine, » nous
lisons également calmes, pluriel (dans Grégoire de Tours, 6'"^
siècle). C'est l'exemple le plus ancien du mot. La plus ancienne
traduction se trouve dans la grammaire provençale Donatz
proensals d'Uc Faidit (environ 1240), où calms est expliqué
par planicies siue (lire sine') herba = plaine aride 3. Dans Du
Gange, notre mot figure sous calmen, chalms et calmis.
L'article calma est un mélange de mots, où Du Gange lui-
même et ses commentateurs se contredisent. Les exemples sont
loin d'être clairs, cependant calma y signifie tantôt une espèce
àt fortication, tantôt un champ de blé. Ce sont évidemment
des expressions qu'aucun lien ne rattache à chaux. Dans un
seul exemple (forme calmibus!) on peut traduire par chaux.
Dans le sens de champ, calma a évidemment un rapport avec
calamus. Mais il faut renoncer définitivement à l'identification
' Voir Berthoud et Matruchot, /. c.
* Ils sont tirés de Gatschet.
^ Edition de Stengel, p. 41, 45.
14 L. GAUCHAT
de chaux avec ce mot. Le genre n'est pas le même ^ et, quant
au sens, il est très difficile de partir de chaume pour arriver à
bruyère 2. Les exemples de Du Cange devront être augmentés
et étudiés dans les textes mêmes, avant qu'il soit permis de se
prononcer sur les différents calma. On ne gagne rien à dériver
un mot moderne d'un mot bas latin, car cela ne dispense pas
de répondre à la question: d'où vient le mot bas latin? Pour
la plupart, les mots des chartes médiévales ne représentent
que des tentatives plus ou moins heureuses de latiniser des
expressions romanes inconnues au latin. On entend prononcer
chaume, %. f., et, pour affubler tout le document d'un habit latin,
on traduit ch par c, u par /, e par a, en se basant sur une con-
naissance des plus élémentaires et souvent trompeuse des rela-
tions entre les sons romans et latins, et ainsi naît une forme
calma, tout arbitraire, qui n'a peut-être jamais eu d'existence
réelle dans la contrée. Ces mots ne sont pas plus latins que les
mots feld-maréchal, bourgmestre, valkyrie, etc. ne sont fran-
çais.
Il me reste à émettre une hypothèse sur l'origine de calmis,
s. f., étendue de terre inculte. C'est en tout cas une expression
de l'époque anté-romaine. Berthoud et Matruchot lui attribuent
une origine ibère ^ ; je n'en comprends pas la nécessité et j'y
* Le Caume, (Mistral) est peut-être dû à une confusion populaire avec
calamus.
2 II faut avoir soin également d'écarter le mot chômer et toute sa fa-
mille. Dans le patois de la Montagne neuchâteloise, il a existé un mot
tchô, s. f. équivalent à hutte, maison délabrée. J'en possède plusieurs-
exemples ; quelques-unes des Chaux de nos cartes pourraient repré-
senter ce terme, dont j'ignore l'origine. On peut se demander si le mot
chalet n'en est pas un dérivé, ou s'il remonte à callis. De toute façon
l'étymologie casalittu ne me satisfait pas : chalet ne désigne pas tou-
jours un bâtiment, et je ne me rappelle pas avoir rencontré de vieilles-
formes chaslet, etc. Les chartes ont généralement chalettus.
^ C'est par inadvertance qu'ils disent ligure à la page 23. Cette langue
est exclue par le fait que le mot existe en Espagne. Je ne l'ai pas non
plus retrouvé, jusqu'ici, dans la Haute-Italie.
l'origine du nom de la chaux-de-fonds 15
verrais plutôt un des nombreux mots toponymiques de langue
celtique, témoins de notre plus ancienne civilisation, mais
qu'il est si malaisé de faire parler, dans l'état actuel de nos
connaissances fragmentaires.
Pour finir, je reviens au nom de la Chaux-de-Fonds. Ce qu'il
y a de plus mystérieux, à mon avis, c'est le o^zXxîiCdXxi de-Fonds.
Il y a en France, je ne me souviens où, une localité qui s'écrit
Chaux-de-font et dont le nom est tiré de chaude-font ^ ; cette
explication n'est pas valable pour l'endroit neuchâtelois, parce
qu'il n'y a pas de source chaude, et que les patois le désignent
généralement tout court par la tchô. Il y a bien une source à
la Chaux-de-Fonds, et la Bonne Fontaine n'est pas éloignée,
mais pourquoi ne dit-on pas Chaux de la Font, comme on
devrait s'y attendre? On lit déjà Chault de Font dans un docu-
ment de 1378 (Matile, Monuments, p. 1064, No 760), La forme
bernoise latchoudnfoung'^ ne prouve rien par son r, qui est
sûrement adventice. L'exemple patois de la Saboulée de Borgo-
gfions, Locle 1861, p. 2 ; /><? robâ et spiâ le trè f Chaux, de si a
du Fofid à s' la d'è Talirè ^= pour piller et brûler les tro i
Chaux, de celle du fond à celle des Tallières, paraît indiquer
qu'on avait l'habitude de mettre en relations les trois Chaux '^
des Tallières, du Milieu et celle qui m'a inspiré cet article,
mais alors pourquoi pas du Fond, et de fait la Chaux-de-Fonds
n'est pas située au fond de la vallée qui conduit de la Brévine
au Locle.
Quand je visite une nouvelle contrée qui me plaît, j'ai tou-
jours soin d'en laisser un coin inexploré, c'est pour avoir un
prétexte de retour. L. GauCHAT.
' Pour le genre, comparez les noms de lieu Lafont, Bonnefont, Belle-
fotit, Fonfrede ; fons latin est du masculin.
^ Prononcez ng comme dans le mot allemand Engel.
^ Les trois chaux les plus grandes des hauts plateaux neuchâtelois.
■>»<:■
PRONOSTICS ET DICTONS AGRICOLES
Patois du Clos du Doubs (Jura bernois)
-♦-
I I
Tyin djinvrP anir hnan ïn Quand janvier entre com-
ènyé, èl an rpè^ hnan ïn me un agneau, il s'en re-
lou. tourne comme un loup.
2 2
Le pyœdj' dp djinvrP ranpyà La pluie de janvier rem-
• h spnitér. plit le cimetière.
3 3
Le Sin Julyin ro)i le yès. La Saint- Julien (9 janvier)
- rompt la glace.
4 4
Sin Antouin-n sa é bé ranpyâ Saint- Antoine (17 janvier)
tyèv é véché. sec et beau remplit caves et
tonneaux.
5 5
An le Sin Finsan, ib djal on A la Saint -Vincent (22
tb fan ; l'uvP sp rpran ou janvier), tout gèle ou tout
bïn s ron le dan. fend ; l'hiver reprend ou
bien se brise la dent.
6 6
An le Sin Finsan syèr djoiiin- A la Saint -Vincent claire
ne nb prédi in-n bouin-n journée nous prédit une
an-nè. bonne année.
7 7
Syè mètïn an le Sin Finsan, Clair matin à la Saint-Vin-
brâman dp frut' pb tb lé cent, beaucoup de fruits pour
djan. tout le monde.
PRONOSTICS ET DICTONS AGRICOLES I7
8 8
Sp fpvrt^ à tchâ, krèf bïn tb Si février est chaud, croyez
tchâ h pb b pu chur Pety' bien sans hésiter que très sû-
hrt frouèdur. rement Pâques aura froidure.
9 9
Le notiè d jdvrï^ èmouin-n in La neige de février amène
bê tchâtan. un bel été.
10 10
5^ fpvrî' fi'â p' ïn pô froiiè, Si février n'est pas un
triârs hey trb d Prb é tchin. peu froid, mars donne trop
d'herbe aux champs.
11 II
Syou dp fpvrP ?i vè p' â Fleur de février ne con-
pbmF. vient pas au pommier.
12 12
Tyin fpvrP n'a p' èyâl, mâr Quand février n'est pas
je bécht' lé-i-àl. exigeant, mars fait baisser
les ailes.
FpvrF de ranpyàtr' lé fbse, Février doit remplir les
mars souètchî' le drPr goii- fossés, mars sécher la der-
gnè. nière gorgée.
14 14
Djniè né pèse fpvrP sin grp- Jamais février n'a passé
jèlP fœyP. sans groseiller feuille.
L'evou'm-n dp jpvrP je Iran- L'avoine de février fait
bye h sblV. trembler le « solier ».
16 16
E va mœ vôû'r ïn 1er â dy^- Il vaut mieux voir un vo-
nï^ k'ïn an-n an tchmij an leur au grenier qu'un homme
jpvrV. en [manches de] chemise en
février.
i8
J. SURDEZ
17
An le Tchindlou lé grô ma.
17
A la Chandeleur (2 fé-
vrier), les grands maux.
S h mars kov, an l se edé, Ce que mars couve, on
èpré son irant è unFm le sait toujours, après son
djoué.
Mars sa, evri mo.
20
Mars gri, evri pyœdjou fin
bouin-n an-ne.
21
An mars tyin è touin-n, le
nbvèl n'a p' bouin-n ; h
jèrmî^ di : là moue ! nb-
T^-èrin dé pè moue.
22
An mars tyin è touin-n, tché-
tyiin s'an-n-érney; an-n-èvri
tyin è touin-n, ïn-n-érâ sbli
bèy.
23
Brusâl dp mars, pyœdj d'èvri,
rô:(e dp mé, fin h moue dp
sèptanbr é d'à dye.
24
Brusâl an mûrs, djalè an mé,
lé syou an mars np s'an
mésouin-nyan p'.
trente et unième jour.
19
Mars SQC, avril mouillé.
20
Mars gris, avril pluvieux
donnent une bonne année.
21
En mars quand il tonne^
la nouvelle n'est pas bonne ;
le fermier dit : Hélas ! nous
aurons de vilains mois.
22
En mars "quand il tonne,
chacun s'en effraye ; en avril
quand il tonne, grande ré-
colte cela donne.
23
Brouillards de mars, pluie
d'avril, rosée de mai, font le
mois de septembre et d'août
gai.
24
Brouillards en mars, gelée
en mai, les fleurs de mars
ne s'en soucient pas.
PRONOSTICS ET DICTONS AGRICOLES I9
Mars' ou'rouèyou, èvri é nié Mars venteux, avril et mai
pyœdjou, djuïn din U icha- pluvieux, juin dans les cha-
loUy h pèi^iii â ècharF in-n leurs, le paysan est assuré de
bouin-n sbp' dp mindji'. manger une bonne soupe.
26 26
An le Sin-î-Obin, lé mbton A la Saint -Aubin (i"
son tonju. mars), les moutons sont
tondus.
27 27
Lé mbton h n son p' tonju Les moutons qui ne sont
ayi le Sin-t-Obin din l'étr pas tondus à la Saint- Aubin
an le Sin Grégonèr'. doivent l'être à la Saint-Gré-
goire.
28 28
An pœ vouin-nyF din lé- On peut semer dans les
l'Evan, min nd fâ dîr Avents, mais il ne faut rien
é-^-aJin ran. dire aux enfants.
29 29
Le syou d'èvri, fin pe ïn fié. La fleur d'avril tient par
un fil.
30 30
Moue d'èvri, moue d'èbini. Mois d'avril, mois d'abîme.
31 31
In bon èvri, ïn tchétyiin ri. Bon avril, chacun rit.
32 32
Bouèrb' an-n-èvri, à tchâtan Boue en avril, en été des
dé-^-épi. épis.
33 33
An-n-èvri bruè, an nié roT^e. En avril averses, en mai
rosées.
34 34
Le nouèdj' â moue d'èvri, s'a La neige au mois d'avril,
di pmJ'. c'est du fumier.
20 J. SURDEZ
35 35
S'è touin-n à moue d'èvri, S'il tonne au mois d'avril,
/ pèiiin s de rédjouéi. le paysan doit se réjouir.
36 36
Djàtchon d'èvri bot p6 à Pousses d'avril mettent
tchèri. peu de chose à la remise
(au grenier).
^37 37
Le pyœdj d'èvrt ranpyâ lé La pluie d'avril remplit les
koué (ou lé dy^nP). compartiments de la grange
{ou les greniers).
38 38
Ld prpntî' d'èvri, è fâ k lé Le premier avril, il faut
kouinson boueyœchïn chu lé que les pinsons boivent sur
bou'tchè. les buissons.
39 ^ 39
È 7i'y é p' dp moue d'èvri chp II n'y a pas de mois d'a-
bé, k n'èyéch' dp gralnat' vril si beau qui n'ait de gré-
son tchèpê. sil son chapeau.
40 40
Np rot' pp ïn ptp flè tin k'èvri N'enlève pas un petit fil
n'a p' pésè. tant qu'avril n'est pas passé.
,41 41
È n'y é p' d'èvri sin épi. Il n'y a pas d'avril sans
épi.
42 42
Èvri don kp vir à Ip pé dp tu. Avril doux qui change est
le pire de tous.
43 ^ 43
Ar«' an-n-èvri, rô^è an mé. Nuages en avril, rosée en
mai.
44 44
S'è pyœ an le Sin Mark, ?ii S'il pleut à la Saint-Marc
pm', ni se. (25 avril), ni paniers, ni
sacs.
PRONOSTICS ET DICTONS AGRICOLES 21
45 45
S'è pyœ h prpmP mé, lé kouin S'il pleut le premier mai,
son tyœyè. les coings sont cueillis.
46 46
Tyin è pyœ h ira mé, dp Quand il pleut le 3 mai,
nouch' pP p' in dysné. de noix pas seulement une
amande.
47 47 ^
Djaîè dp mé ou d'èvri, le mi- Gelée de mai ou d'avril,
^(?r â djœt prédi. la misère au juste prédit.
48 48
A mouétan d mé, le fin dp Au milieu de mai, la fin
l'uvî^. de l'hiver,
49 49
A inouè d mé po bin rtyédr'. Au mois de mai pour
è n dèrè djpme pyœvr\ bien récolter, il ne devrait
jamais pleuvoir.
50 ^ 50
Tchad é dons' pyœdj' dp mé Chaude et douce pluie de
fè lé syou bel é l'épi bé. mai fait la fleur belle et l'épi
beau.
51 51
Mé djouèyœ, tpnyin dé dou. Mai joyeux, tenant des
préièdj in-n-an bïn-nèvu- deux, présage un an bien-
rou. heureux.
52 . ^^
Frà mé, tchâ djuin, bèyan Mai frais, juin chaud, don-
pin é vin, min froiiè nan- nent pain et vin, mais froid,
rétchâ nyiin. il n'enrichit personne.
51 ^ 5?>
An le syou dp mé, k'an s'i A la fleur de mai, qu'on
fyœch' èdé. s'y fie toujours.
54 54
Mé dyèdjnP anpya lé dfnP. Mai jardinier emplit les
greniers.
2 3 J. SURDEZ
55 55
An mé, byè é vïn krachan. En mai, blé et vin croissent,
56 ' . . 56
Mé je ou hin défè. Mai fait ou bien défait.
57 ^ . ^7
An mé stu Va anft'vre, tb En mai celui qui est en-
Van à bïn désidè. fiévré, est de bonne humeur
toute l'année.
58 _ 58
Pyint' mp tô, pyint' nip te, Plante-moi tôt, plante-moi
dvin l moue d mé i n trî'- tard, avant le mois de mai, je
drè p' . ne pousserai pas. (Se dit en
parlant des pommes de terre.)
59 59
Du' no vouèdjœch' di pousa Dieu nous garde de la
dp tnéè p9 d le houèrb' d'ô. poussière de mai et de la
boue d'août.
60 60
Mé je h byè é djuïn b fouin. Mai fait le blé et juin le
foin.
61 61
Pant'kot, frè^ an le kot. Pentecôte, fraises dans la
forêt.
62 62
Bé tan an djuïn, èvâlé d Beau temps en juin, ava-
grin-n. lanche de grain.
63 63
S'è pyœ tb pré dp le Sin Méde, S'il pleut tout près de la
h tP dé bïn à an l'éie. Saint-Médard (8 juin) , le
tiers des biens est en danger.
64 64
S'è pyœ h djoué dp le Sin S'il pleut le jour de la
Méde, è pyœ karant' djoué Saint-Médard, il pleut qua-
èpré... kèk pè. rante jours après... quelque
part.
OJUA DE TSALANDÈ 23
65 65
S'è pyœïn djoué ds Sin Djèrvè, S'il pleut un jour de Saint-
s'â hrm^y sin-ny' pb lé byè. Gervais (19 juin), c'est mau-
vais signe pour les blés.
66 66
Le pyœdj dp le Sin Djin tïn La pluie de la Saint- Jean
Io7iîan. (24 juin) dure longtemps.
67 67
An le Sïn Djin le pyœdj A la Saint -Jean, la pluie
pœrd le nœjèy. pourrit la noisette.
{A suivre.) J. Surdez.
TEXTES
I. Djua de Tsalandè.
Patois ue Leysin (Vaud).
La vèdp de Tsaland'a itô de to ta la nièdœu né de tb l'an
pbr se Jér9 drè, u bin po'' vàrp son sor. El 9 pbr sa ks h
fémalè sèr:(âivon tbd^b ^a né intyè pbr savâi sd 09 se marye- ^
ran, aoiié ko, è k9mà luàr onib s are. Don, âa vèd9 de Tsa-
land', è faèâi falà bna kon9tàirya de fi du ta kp h rètré chd-
nâvè, è poui alà oètà âa kou9tâi?ya a katson è a nbvèyo)i
TRADUCTION
Jeux de Noël.
La veille de Noël a été de tout temps la meilleure nuit de
toute l'année pour se faire dire, ou bien pour voir son sort
(avenir). C'est pour cela que les femmes choisissaient toujours
cette nuit-là pour savoir si elles se marieraient, avec qui, et
comment leur mari serait. Donc, cette veille de Noël, il fallait
filer une aiguillée de fil pendant que la « retraite » (les cloches)
sonnait, puis aller attacher cette aiguillée, en cachette et sans
24 A. NEVEU
à-n-ma krouàija de tspmin. Lp prarni kp pasavè è h rontài
Id fi irè se h dg maryèran. Aspbin, pb*' savâi sp l'bmb sarè bè
Il poup, bon u krouyb, è fadâi alà, u kou de la miné, ipri bn'p-
tala a la iitsè. Sp l'ptala îrè bala drâitè, l'bmb dèvâi étf^ bin
fé è binvpnyà. Sp l'ptala îrè mphkbrba u bin rbnyœu:(a,
l'bmb dèvâi étr poup-t-è krâiyb. Kan l'pîala îrè tprya, on-n-
alâvè boupsi a la porta du bouatson. Sp Ip hayon np dp^âi rà,
l'bmb dèvâi étr^ de bon kpman è pâ pyornb. Sp Ip kayon
ronnavè, l'bmb np sarè tyè on ronnèré tbd:(b de poupta trafyon,
E fô bin drè kp la boupn âpartya du ta, Ip fèmalè se
vèdjvon de np pâ boupsi troua fèrmb è h pourb kayon np se
rèvèdivè pa pi. U d:(b*' de ouâi, tui âœu djua de Tsaland?
son aboupli, ubin yà-n-a épai di mârka à djua kp fondon lou
pêon pbr pasâ Ip ta é-:{-àfan.
A. Neveu.
lumière, à une croisée de chemins. Le premier qui passait et
qui cassait le fil était celui qu'elles épouseraient. Aussi pour
savoir si le mari serait beau ou vilain, bon ou mauvais, il fallait
aller, au coup de minuit, tirer une bûche au tas de bois. Si la
bûche était belle droite, le mari devait être bien fait et avenant.
Si la bûche était tordue ou rugueuse, le mari devait être laid
et mauvais. Quand la bûche était tirée, on allait frapper à la
porte de l'étable à porcs. Si le cochon ne disait rien, le mari
devait être facile à mener et pas grincheux. Si le cochon gro-
gnait, le mari ne serait qu'un grondeur, toujours de mauvaise
humeur. Il faut bien dire que la plupart du temps les femmes
prenaient garde [litt. se veillaient) de ne pas frapper trop fort
et le pauvre cochon ne se réveillait pas même. Aujourd'hui,
tous ces jeux de Noël sont abolis, ou bien il y en a peut-être
encore de temps en temps {lilt. de marque en jeu) qui <■< fon-
dent les plombs » pour passer le temps aux enfants.
KATILYON LA CHORCHYERE 25
II. Katilyon la chorchyérg.
Patois de Villargiroud (Fribourg)*.
Cb'in parle adi kôtyè hou, de Katilyon de Vpïâvblâ, la
chbrchyérp. Pare kp yirè galyâ ouna krouyp d:^an. Lè-j-an^yan
kontâvon k'jrè ouna pitita vilyd, ratatinâyp, bouatœjp din
duvè pâ, è, krin-you bin, on bbkon bà'iyÇ- Ma lavin din jyè
kp pèrxyivan, è pu.... ouna lanvotia, kpman tblè bon de cha
choârta.
On d:;;^oa, lin-y-a fèrmou grantin, chan U jon in dyijp-cha-
âan è kôtyè, chta jèmala, k'irè îbtèvi jon tyè ouna rôdœjp,
— / alâvè in demandait l'èrmon-na dpché dplé, — chè tràve
tbta dèjèchpèrâyp. I pachâvè dyuchtaman pè on bon, tb pri
de Vplad^^prou ; ché pâ ch'irè Ion bon de Chond:(i ôbin chi dP
Fâtp ; anfin, n'inpoârtè ! Tb d'on kou, lou dyâblyou lin-y-è
TRADUCTION
Catillon la sorcière.
Il s'en parle encore quelquefois de Catillon de Villarvolard,
la sorcière. Il paraît que c'était une très mauvaise personne.
Les « anciens » (vieillards) racontaient que c'était une petite
vieille, ratatinée, boiteuse des deux côtés, et, je crois bien,
passablement bossue. Mais elle avait des yeux qui perçaient,
et puis.... une langue, comme toutes celles de sa sorte.
Un jour, il y a très longtemps, ça a été (////. est eu) en 1700
et quelques, cette femme, qui n'avait toujours été qu'une rô-
deuse, — elle allait en demandant l'aumône de ci de là, — se
trouve toute désespérée. Elle passait justement par un bois,
tout près de Villargiroud; je ne sais si c'était le bois du Saulgy
ou bien celui de Faitaz; enfin, n'importe. Tout d'un coup, le
diable lui apparut. C'était comme ça un gros homme noir, vêtu
20 R. CHASSOT
aparti. Irè dinchp on grô-l-omou nâ, vuûu là blé, avoiiin
don trb de koarnè chu la liâa, din pi de vatsp, dm nian
chetsè, din grôchè tâpyè kp lavan din-j-onlyè d'ouna grantyâ
èpôvantâblya.
Lou dyâblyou la dp a no'&a Katilyon h chp vblin chè balyi a
li, lin pâyèi'in, ib-i-a l'ara, trè-j-èku blyan. Katilyon, kp yirè
din la pp granta din mijérè, e kp veyin xi^^'i ^^ mon-nâya
intrè le dâ de Griboulyp, la honchanti. Adon, lou dyâblyou la
fin on-n-èkri kp Katilyon la chinyi de chon chan. Inkp du kan
nb-j-an joji la chbrchyérp !
Le du adon kp la fin tan de ntijérp in 7}ibd:(ounâ'^ kp paâou-
râvan pè lou D^iblyà, nyibin in païjan don bâ. I fachin a
brètsi lou laêi dan la tsondârp, i mônétin-yivè Vivoue don
tsalè, intsèrin-yivè ti bon kp rakontrâvè. Din kou, i balyivè lou
mô in biêè, è le fachin a chètsi. I fachin chan avouin ounèch-
péchp de gréchp kp pbrtâvè dan chon kratou ^. Din kou, achp-
tout bleu, avec deux bouts de cornes sur la tête, des pieds de
vache, des mains sèches, de grosses pattes qui avaient des
ongles d'une longueur épouvantable.
Le diable a dit à notre Catillon que si elle voulait se donner à
lui, il lui payerait immédiatement trois écus blancs. Catillon,
qui était dans la plus grande des misères et qui voyait briller
la monnaie entre les doigts de « Gribouille », a consenti. Alors,
le diable a fait un écrit que Catillon a signé de son sang. Voilà
depuis quand nous avons eu la sorcière! C'est depuis lors
qu'elle a fait tant de misères aux pâtres qui pâturaient par le
Gibloux, même aux paysans du bas. Elle faisait tourner le lait
dans la chaudière, elle salissait l'eau du chalet, ensorcelait tous
ceux qu'elle rencontrait. Parfois elle donnait le mal aux bêtes
et les faisait sécher. Elle faisait cela avec une espèce de graisse
qu'elle portait dans son panier. Parfois aussi, quand elle était
KATILYON LA CHORCHYERE 27
bin, kan yirè achitayè chu cha pyèra *, on déchu de Fplachou-
rya, i fachin a pydvâ, a grinld, a tounâ chu le Kuètsou ^.
Ha pouta bi'âp de d:(an chè puin achpbin isand:(i in lâvra. Le
nyibin jon, on yâd^ou, blyochya pèr on tsaxyâ, on kptsè de
V9lad:{3rou. On choa de la né, alavè a la chyèta, on pou ché
on pou lé, dan din bon échkârtâ, yô lou dyâblyou chè trbvâvè
îbtèvi in-n-omou nâ. — Pb fourni, Katilyon le jon lyètâyp.
L'an djudja è le jon kondanâyp a i^rp bourlâyp.
R. Chassot.
assise sur sa pierre, au-dessus de Villarsiviriaux, elle faisait
pleuvoir, grêler, tonner sur les « Kuetzôu. » Cette « vilaine bête
de gens » pouvait aussi se changer en lièvre. Elle a même une
fois été blessée par un chasseur au sommet de Villargiroud.
Au milieu de la nuit, elle allait au sabbat un peu ci, un peu là,
dans les bois écartés, où le diable se trouvait toujours en
homme noir. Pour finir, Catillon a été prise. On l'a jugée et elle
a été condamnée à être brûlée.
^ Ce dialecte est caractérisé par la transformation des anciennes
diphtongues ey et oou en in et on, comp. les formes krin-you, avin, dût,
etc., et hon, U jon, tsondcira, etc.
2 Màd-otmâ, pâtre qui garde surtout les génisses, on dit aussi vajilyâ.
^ Krntou, panier à cerises de forme ovale.
* Il existe au Gibloux une pierre qui porte le nom de Pierre à Ca-
tillon. Les gens disent qu'elle servait de siège à la sorcière.
5 Kuètsou, surnom donné aux Giblousains, Glânois et Sarinois.
ADDITIONS AUX PROVERBES DE LENS
(Cf. Bulletin, III, pp. 3 et 23).
— î<-
Durant un séjour à Lens (Valais), au mois de juillet
1903, j'ai pu, grâce à l'obligeance de mon aimable hôte,
le peintre Albert Muret, et du châtelain ' J.-B. Studer,
député au Grand Conseil du Valais, obtenir quelques éclair-
cissements concernant certains des proverbes et dictons
recueillis par le regretté PfeifFer, et en recueillir moi-même
trois nouveaux. Je publie les résultats de ma petite enquête
sous les numéros assignés dans notre Bulletin aux pro-
verbes déjà imprimés. Les nouveaux venus prendront
place à la suite, sous les numéros 92, ^t, et 94. En les
transcrivant pour le Bulletin, je me suis conformé autant
que possible à la notation adoptée par M. Jeanjaquet, bien
que mon oreille, moins exercée, n'ait pas toujours perçu
les mêmes nuances de son que la sienne. J'ai cru bien faire
en y marquant toujours l'accent.
24. Vtny9 di ryônJ9, pra di tèndôn, tsan di tsardôn, —
Oiiârda h ïn ta mîjôn.
Le mot tendon, tombé en désuétude à Lens, est employé
dans les villages voisins, notamment à Grône, pour dési-
gner l'esparcette.
25. Pouâ mè ou ryon, fbchbrà mè prèori, — Vô fari rir è
tsan ta d'outon.
Taillez-moi en rond, fossûjez-m 01 profond, je vous ferai rire
et chanter en automne [dit la vigne aux vignerons].
^ Tsahdlan, nom donné dans une partie des communes valaisannes
au juge de paix, élu par le suffrage universel.
ADDITIONS AUX PROVERBES DE LENS 29
Ici ma transcription, aussi bien que ma traduction, s'écar-
tent de propos délibéré de celles qui ont été données pré-
cédemment. L'a final de pouâ, fochorâ, a le même son d'^
que celui de ^a/^ au n° 20: M. Studer m'en est garant'.
Ces verbes sont à la deuxième personne du pluriel, comme
en témoigne l'accent mis à poua par le précédent éditeur, et
ont été traduits à tort au singulier.
Pouâ ou ryon est une expression technique par laquelle
les vignerons de la région désignent la taille ronde que
l'on fait avec le sécateur, « par opposition à la taille très
allongée, en biseau, que l'on faisait habituellement avec
la serpette. » Avec le premier mode de faire, « la sur-
face vive exposée à l'air est moins grande » qu'avec le
second, et « le sarment court moins de risque d'être
carié -. »
M™' Odin, se fondant sur l'usage du patois de Blonay
(Vaud), dont elle va publier un Glossaire dans les Mémoires
et Documents de la Société d'histoire de la Suisse romande,
supposait que les mots ou ryon pouvaient désigner la pleine
lune, « le rond de la lune. » Mais cette ingénieuse explica-
tion est inadmissible, parce que jadis les vignerons lensards
croyaient, au contraire, que la taille de la vigne ne devait
pas avoir lieu à la pleine lune.
Au surplus, la version anniviarde de notre proverbe ^ con-
corde parfaitement avec les explications qu'on m'a fournies
à Lens :
' J'entends ce même â à l'infinitif, et M. Studer le transcrit également
par â.
' Lettre de M. Studer, en date du 30 novembre 1904.
^ Gilliéron, Proverbes de Vissoie, en manuscrit au bureau du Glossaire.
Cf. Jegerlehner, Das Val d'Anniviers (Bern, 1904), p. 75. A la même
page on trouvera une variante anniviarde du numéro 11 de la collec-
tion Pfeiffer.
30 ERNEST MURET
Pûuâ mè rybn', fbcho°'^ra me prèvon, èlouanyi niè de
moun' par, èyo d'ouktbn, yb tè fari rigré è tsanîâ.
Taille-moi rond (avec incision nette), fossoie-moi profond,
éloigne-moi de mon pair, et moi en automne je te ferai rire et
chanter.
A Lens, après les mots fbchbrâ mè prèçn on ajoute sou-
vent: màsdrâ me ou fon (noircissez-moi au fond), c'est-à-
dire : « mettez beaucoup d'engrais au fond du sillon ouvert
par le fossoyage. » Màsdrâ signifie « mâchurer, noircir; »
et l'on « dit communément » à Lens « qu'une vigne est
noire de fumier pour dire que l'engrais y abonde ^ »
27. R9tso ïn rb:^o, rdtso ïn Kran, rplso pèr an.
Il n'est pas tout à fait exact de dire que « celui qui pos-
sède des vignes plantées en rouge et qui a des terres » sur
le plateau de Crans « aura de bonnes récoltes, mais incer-
taines. » Car ces récoltes passent pour être plus souvent
misérables que satisfaisantes.
29 et 30. Au n"' 29, le pronom possessif de la deuxième
personne a, au féminin pluriel, la forme ton; au n° 30, la
forme tp: tou vïnya, t9 pomètp. « Les deux formes, m'écrit
M. Studer, sont en usage au féminin pluriel, et on les
emploie indifféremment. Il semble toutefois que la forme
te devrait être préférée. »
92. A chis apbndoup — h dyablyb i è kbnyoup.
A sourcils joints le diable y est connu.
Le substantif chis, employé seulement au pluriel, signifie
« cils » et « sourcils. » On sait que les sourcils joints sont
assez généralement considérés comme un indice de méchan-
ceté.
1 Lettre de M. Studer, en date du 16 décembre 1904.
COMPTE RENDU 3I
93. Z(? isïn chïn ka°"oua y an pâ pouird dp mbhrâ là koiip.
Les chiens sans queue n'ont pas peur de montrer le cul *.
94. Oiin karoufp le fhi9, è oun krp kontrd, pb kp léj àirb
ch'apèrchçychan pâ ky oun h lanmp.
On caresse les femmes, — et on en dit du mal, pour que
les autres ne s'aperçoivent pas qu'on les aime.
Lanmp est la y personne du singulier de l'indicatif présent
du verbe lanmâ. A Hérémence, « aimer » se dit également
lanma. Y a-t-il eu agglutination du pronom régime de la
troisième personne^ ou influence d'un autre mot? Un
mieux informé saura peut-être le dire.
Ernest Muret.
— ►>4'<- —
COMPTE RENDU
Historiettes patoises amusantes. Delémont, Grobéty et
Membrez, 1904. 79 pages in- 12. — Prix: 50 centimes.
Si le patois s'en va, il n'est cependant pas mort et conserve
encore par-ci par-là de fidèles et joyeux adeptes. Preuve en
soit l'élégante petite brochure dont nous reproduisons le titre.
Les deux bonshommes en habit d'arlequin qui ornent la cou-
verture, et se tordent les côtes en se regardant, sont évidem-
ment les amis de la gaîté auxquels le recueil est dédié par le
mystérieux auteur qui signe « l'Ermite de la Côte de mai. »
Ce qui nous prévient en sa faveur, c'est l'absence de toute
prétention qui caractérise la préface. Il y exprime le vœu que
voici: « Puissent ces historiettes.... dilater la rate de ceux qui
les liront et leur faire oublier, pendant quelques instants, les
fatigues de la journée. » Nous ne doutons pas que la plus
' Cf. Gilliéron, Patois de Vionnai, p. 126, 11° 270.
^ L. de Lavallaz, Essai sur le patois d" Hérémence (Paris, 1899), § 141.
32 COMPTE RENDU
grande partie de ces histoires ne produisent l'effet physiologique
que M. l'Ermite leur souhaite. Ce sera surtout le cas pour le
No 4: Un pari bien gagné, et pour le N° 34: Un témoin qui ne
V est pas. D'autres, comme par exemple les nombreux récits de
chasse, feront peut-être un peu hausser les épaules au lecteur,
à moins qu'il ne soit chasseur enragé lui-même et, par consé-
quent, avide d'entendre les bêtises faites par ses concurrents.
L'auteur a aussi ses méchancetés. D'abord il n'est pas tendre
à l'endroit des femmes ; mais aucun conteur d'histoires villa-
geoises ne l'a jamais été ; c'est la bonne tradition gauloise qui
veut qu'ont tape sur le sexe faible, qui n'est pas du tout le
beau sexe chez le paysan ; c'est affaire aux poètes de la ville
de prêcher l'adoration de la femme.
Celle qui a le plus à souffrir dans les Historiettes, c'est la
cuisinière du curé. Tantôt elle n'a pas signé la tempérance,
comme au No 7 : Une cuisinière assoiffée, tantôt elle est d'une
crédulité d'enfant, comme au N» 13 : Un ffiot latin mal compris.
Après la femme, c'est le tour du paysan qui croit au remède
« pour se rendre invisible » (N" 21), puis du professeur dis-
trait, du commis voyageur qui n'aime pas « les corbeaux, » etc.
Tout le monde y passe, jusqu'au ministre protestant, que sa
cuisinière compromet en plein sermon (N" 5, Un malentendu).
Ces histoires, en grande partie amusantes par elles-mêmes,
gagnent beaucoup par le coloris que leur donne la forme pa-
toise. Quant à la transcription, c'est l'orthographe ordinaire et
capricieuse de tous les amateurs de patois, qui souvent rend
le même mot de plusieurs façons différentes. Ainsi on trouve
CBxmèrade p. 29, mais csimerade p. 75, fonnat p. 23, mais
fonat p. 24, ou bin tchure p. 5, mais/<? chure p. 60, etc. Mal-
gré ces inconséquences, les Historiettes sont écrites en bon
patois ajoulot et ne manqueront pas de réjouir le cœur de
tous les amis de la vieille langue. E. T.
<■ )^ ■>
LE FLEAU ET SES PARTIES
DANS LA SUISSE ROMANDE
— î—
Le battage à bras sur l'aire de la grange a sans doute été
chez nous, comme dans tous les pays septentrionaux, le mode
de battage par excellence des céréales, usité de toute antiquité.
Les conditions climatériques et l'absence de grandes exploita-
tions n'étaient pas favorables à l'introduction du battage en
plein air, à l'aide de bêtes de somme et de gros appareils, tel
que le pratiquaient les agriculteurs romains et qu'il est encore
en usage dans les pays méridionaux. Les Romains n'ignoraient
cependant pas le battage au moyen de bâtons, qui nous est
formellement attesté déjà par Pline et Columelle, à côté des
autres procédés'. Le plus ancien exemple de flagellum, ori-
gine du français y7/â!« et de l'allemand i^^^"^^/, au sens d'instru-
ment à battre le blé, au lieu de la signification classique de
fouet, se trouve dans un passage de saint Jérôme, qui qualifie
cet emploi de vulgaire -. Il ne ressort cependant pas avec cer-
titude des termes employés par ces auteurs qu'ils aient eu en
vue le fléau articulé que nous connaissons de nos jours. Heyne
est d'avis, dans l'ouvrage auquel nous empruntons ces données
historiques, qu'il ne s'agissait que de bâtons d'une seule pièce,
et que l'articulation fut un perfectionnement introduit plus
tard, d'abord en Italie 3.
* Messis ipsa alibi tribuJis in area, alibi equanim ^ressibtis exierittir,
alibi perticis flagellatur, Pline, Hist. nat., i8. 30. — Spicae tanliiinmodo
recisae sutit, possxint in honeum couferri, et deiude per bietnein, vel baculis
excuti, vel exteri pecudibus, Colum., 2, 21, 4.
^ Sed vir^a excutiiintur et baculo, quae vulgo flagella dicuntur (explica-
tion du passage d'Esaïe 28, v. 27), cité par Du Cange, \° flagellum.
^ M. Heyne, Das detitsche Nahrungswesen, Leipzig, 1901, p. 57. Heyne
reproduit (p. 56) une peinture décorative du treizième siècle qui se
trouve dans une chapelle près de Laval (Mavenne), et qui représente,
comme figure symbolique du mois d'août, un individu nu jusqu'à la
34 J- JEANJAQUET
Quoi qu'il en soit, il est intéressant de constater que l'emploi
pour battre en grange de perches d'une seule pièce existe
encore, concurremment avec l'usage du fléau, dans quelques
régions de la Suisse romande. C'est spécialement dans le Jura
bernois et neuchâtelois que ce mode de battage est pratiqué.
Il semble être réservé de préférence à l'orge et à l'avoine. On
se sert généralement pour battre au bâton d'une forte branche
de hêtre, suffisamment flexible et légèrement recourbée, dont
le nom habituel est « chuaton », ou d'autres formes analogues*.
Le même mot se retrouve dans toute la Suisse romande avec le
sens de garrot, bâton recourbé que l'on passe dans une corde
ou une chaîne pour serrer une charge, et aussi de gourdin,
trique en général. Cf. dans une procédure neuchâteloise de
1639 : le long Daniel lui donna le premier coup avec un suatton
(Arch. judiciaires de Neuchâtel, Reg. crim. n" 60, p. 357).
En Valais, on n'a pas non plus toujours recours au fléau
pour faire sortir le grain des épis, mais on use aussi d'un pro-
cédé qui consiste à frapper les gerbes contre les parois de la
grange ou sur un billot, et à achever ensuite l'égrenage en
battant d'une main, à l'aide d'un bâton court, le blé pris succes-
sivement par poignées.
En Gruyère, on se sert parfois de la pcrmala, planche à rai-
nures d'environ un mètre de hauteur, que l'on tient inclinée
devant soi et sur laquelle on froisse les poignées d'épis. La
graine est recueillie dans un grand drap posé à terre. Il est bon
ceinture, en train de battre du blé avec un fléau articulé, dont les deux
parties sont presque d'égale longueur. Il existe dans le chœur de la
cathédrale d'Aoste une très ancienne mosaïque où se trouve une
représentation tout à fait analogue.
'' choiialon, Noiraigue (Neuchâtel), Savagnier (id.), i-?<a/ou, Chaux-du-
Milieu (id.), chèton, Côte-aux-Fées (id.), chaton. Gorgier (id.), Sagne
(id.), Vallorbe (Vaud), Vaulion (id.), soiiton, Malleray (Berne), sou^ta,
Charmoille (id.), su^ta, Les Bois (id.), etc. Une appellation peu répan-
due en Suisse est varatchon, Brévine (Neuchâtel), vouarètchon, Cerneux-
Péquignot (id.),mot qui se retrouve en Franche-Comté. Court (Berne),
Izfas', que nous n'avons pas rencontré ailleurs.
LE FLliAU ET SES PARTIES DANS LA SUISSE Rt)MA\DE 35
d'ajouter qu'on ne cultive presque pas de céréales en Gruyère,
et que la. pènmila est plutôt usitée pour l'égrenage du chanvre
et du lin.
Abstraction faite de ces quelques particularités, le battage se
fait ou se faisait naguère dans toute la Suisse romande au
moyen du fléau articulé, et nos patois se servent uniformément,
pour désigner cette opération, du verbe «écourre^», dérivé
du latin excutere, qui se trouve aussi à la base des substantifs
signifiant « batteur '' » et « battage ' » .
C'est le radical du même verbe qui, joint au suffixe -atorium
(fr. -oir), fournit à une petite partie de notre pays le nom du
fléau. Dans tout le canton de Genève 8, et plus loin le long du
Jura jusqu'à Bière, cet instrument est en effet appelé « écos-
soir^». L'examen de la carte n» 580 de V Atlas linguistique
5 battre en grange = ékoiir, Jura bernois, ckœr, Savagnier (Neu-
châtel), èlcor, Côte-aux-Fées (id.), èkir, Landeron (id.), èty^rè^ Vau-
gondry (Vaud), Martigny (Valais), èkâr, Fribourg, ékér^, Vernier
(Genève), ékorè^ Hermance (id.), èhorè. Evolène (Valais), èhôoi'rc, Gri-
mentz (id.), etc.
" batteur = ékùsou, Jura bernois, ékosu. Montagnes neuchàteloises,
èbkhâo, Savigny (Vaud), Villeneuve (id.), èkochaou, Montherond (id.),
ékàchâ, Corsier (id.), èkochà', Vaugondry (id.), èkdchœti, Leysin (id.),
èRàchcè, Savagnier (Neuchâtel), èkdchyœ, Leytron (Valais), ekèchyo^, Vex
(id.), ékdjd, Sassel (Vaud), èkdjâ°, Ormonts (id.), etc., formes qui
sont toutes dérivées régulièrement à l'aide du suffixe -atorem.
Esscossors, batteurs, se trouve déjà au treizième siècle dans le Caiiii-
laire du Chapitre de Lausanne, p. 124; plus tard se rencontrent les
formes escoussioux (Ouchy, Vaud, 1553), escoussieux (Brenets, Neu-
châtel, 1601), etc. Rougemont (Vaud), a batâré, = batt -\- ator.
" battage = êkoujudj\ Vicques (Berne), ékouadf, Les Bois (id.),
èkoyâdj, Lignières (Neuchâtel), ékoyâd^o, Vaulion (Vaud), èkûiâdiou,
Oron (id.), Sassel (id.), Villarimboud (Fribourg), ékoue\on, plur.,
Brévine (Neuchâtel), Delémont (Berne), ékovczon, Gorgier (Neuchâtel),
èkoi'ion , Vaugondry (Vaud), ékouis', Plagne (Berne), etc. On a aussi
hatfidf, Malleray (Berne), batédjo, Noiraigue (Neuchâtel) , baiâd\o,
Penthalaz (Vaud), Vallorbe (id.), VauUon (id.), etc.
* A Hermance, on emploie cependant aussi flyè.
^ êkochyé^ Choulex (Genève), êkàsycè, Veyrier (id.), ckochyà'", Com-
mugny (Vaud), èkochûo, Longirod (id.). Bière (id.), etc.
36 J. JEANJAQUET
4e la France nous fait voir que l'extrémité sud-ouest de la
Suisse se rattache, par l'emploi de ce terme, à un vaste terri-
ritoire qui s'étend sur les deux rives du Rhône, presque jusqu'à
son embouchure.
Partout ailleurs dans nos cantons romands, c'est le latin
flagellum qui s'est continué dans les patois, mais sous des
formes extrêmement variées. Peu de mots sont plus aptes à
montrer la diversité des types auxquels peut aboutir dans nos
contrées un même mot latin. Voici, en les classant par can-
tons, les variétés principales :
Berne : 2^'^i Charmoille, syifi^ Epauvillers, sye^ Saignelégier,
chouayè, Vermes, chaye', Sombeval, kyayé, Plagne, fyèyé,
Lamboing.
Neuchâtel: fyèyé, Corcelles, Chaux-du-Milieu, fyèyï^,
Savagnier, fyèyi, Noiraigue, flèyâ, Côte-aux-Fées, fyàvé,
Cerneux-Péquignot.
Fribourg : €%èyï^ Courtepin, èd^in-yi, Torny-le-Grand,
èfyèyi, Broie, ^/>vV, ^r^/, Gruyère,
Vaud : èjlyèî, Vaugondry, è^àyi, Arnex, ^;|^/)'a^r/,Villars-le-
Terroir, èylyeyé. Sentier, ehèyi, Montreux, X^y^^i Mont-
preveyres, d^èï, Château-d'Œx, Xh^^i Roche.
Valais: flayé, Bouveret, i}ayé^ Champéry, èyjèyi, Vérossaz,
//(fy^, Lourtier, é-^èyi, Bourg-Saint- Pi erre, /fZ'/, Orsières,
Xèvi, Sembrancher, t'Xlcyœ", Leytron, é'&aé, eûavé, Conthey,
Xi<^é, Nendaz, flae^, Savièse, Jlâyct\ Evolène, Jlac\ Nax,
èhlaè, Ayent, hlèyé (/ vélaire), Gx'imQniz, Jïèyé (/ vélaire),
Chippis, y?<?^/% Miège.
Dans son ensemble, la construction du fléau ne varie pas
sensiblement. Il se compose partout de deux parties essen-
tielles : le manche, en bois léger, ayant généralement i'"35 à
i^^So de longueur, et le battoir, en bois dur, de forme cylin-
drique (rarement rectangulaire ou octogonal), d'une longueur
de 50 à 60 cm. (dans le canton de Genève jusqu'à 75 cm.) et
d'un diamètre de 5 à 6 cm.
LE FLEAU ET SES PARTIES DANS LA SUISSE ROMANDE 37
Dans beaucoup de patois, le manche ne porte pas de nom
particulier ; mais, à côté de l'appellation commune à tous les
manches d'outil ^^, on rencontre trois termes spéciaux, occu-
pant chacun un territoire plus ou moins étendu. Ce sont :
1° dans le Jura bernois: mi'nsa^^, 2^ dans une partie des can-
tons de Neuchâtel, Vaud, Fribourg et Valais: asou^-, 3° dans
le canton de Genève: ijuaspmp^^. Ce dernier mot se retrouve
sous des formes variées dans toute la Savoie. Quant au bat-
toir, il est presque partout appelé « verge » ou « vergée ^* ».
Les deux parties du fléau doivent être solidement assem-
blées, mais de manière que le battoir conserve toute sa mobi-
lité et puisse tourner facilement lorsque le batteur le relève
après avoir frappé son coup. Pour obtenir ce résultat, l'ingé-
niosité des constructeurs s'est donné libre carrière, et le mode
d'articulation varie notablement suivant les régions. On peut
distinguer dans notre pays trois types principaux.
'" manche z=z mindj, Bourrignon (Berne), Mettemberg (id.), Brévine
(Neuchâtel), mandzo, Gorgier (Neuchâtel). Bière (Vaud), Vuillerens
(id.), Leysin (id.), Rossinières (id.), Vérossaz (Valais), Savièse (id.),
manchon, Oron (Vaud), Vallorbe (id.), Dompierre (Fribourg), Semsales
(id.), Lessoc (id.), «wh:{o Vex (Valais), Mage {id. ), tnaii^', Aire-la-\'ille
(Genève), etc.
" minsa, Epauvillers, Vicques, Bourrignon, Delémont, iiiansa, Maile-
ray. Court, mèsâo, Plagne.
'■■^ asOU, Dombresson (Neuchâtel), Torny-le-Grand (Fribourg), Vau-
lion (Vaud), Montherond (id.), Oron (id.), Savigny (id.), Corsier (id.),
Sassel (id.), Blonay (id.), ansoii, Vaugondry (id.), Isérables (Valais),
insoH, Lignières (Neuchâtel), lâs^ou. Sentier (Vaud), dsii, Leysin (id.),
asso, Savièse (Valais), achyou, Lens (id.).
^^ l\u(j:^3m9, Bernex, lisdmo, Dardagny, lins3mo, Hermance;/à'^, qu'on
nous indique à Choulex, résulte vraisemblablement d'une confusion
avec le manche de la faux.
^^ vardj, Charmoille (Berne), Vicques (id.), Delémont (id.), Malle -
ray (id.), Court (id.), Plagne (id.), vrrdi^, vèrd:^% vèrdié, Vaud et Fri-
bourg en général, Gorgier (Neuchâtel), Savièse (Valais), vèr:(, Mage
(id.), vnrdzd, Vérossaz (id.), vèrdièta, Bière (Vaud), Sassel (id.), La Joux
(Fribourg), Torny-le-Grand (id.), vcrdjya, Salvan (Valais), vardj'a,
Leytron (id.), vardia, Sembrancher (id.), évard\ri, Vollèges (id.), varZya,
Choulex (Genève), Herniance (id.), vai^ià, Bernex (id.), Dardagny
(id.), varlTr, Aire-la-Ville (id.). — D'autres mots isolés sont: Utin,
^S J. JEAXJAQUET
Le système le plus commun est celui qui a recours à l'em-
ploi de « chapes ^5 ». L'extrémité du manche et celle du battoir
sont revêtues chacune d'une large et forte courroie, qui déborde
de quelques centimètres et forme ainsi une bride. Les deux
brides sont reliées l'une à l'autre par une lanière de cuir nouée,
Vinfrè/jou^^, qui permet aux deux parties de se mouvoir
librement. Il importe naturellement que les « chapes » soient
fixées aussi sûrement que possible sur le bois. A cet effet,
celui-ci est pourvu d'une série d'entailles i', qui servent à retenir
une longue lanière, Vétringa"^^, solidement entrelacée avec le
cuir de la « chape. » (Voir fig. i.)
Souvent, comme dans l'exemplaire que reproduit notre
figure, la chape de cuir du manche est remplacée par un mor-
ceau de bois dur recourbé, qui remplit le même office, et est
Mettemberg (Berne), brants', Lavaux (Vaud), èdfda, Dompierre (Fri-
bourg), étala, Sugiez {\à.),fiija, Lessoc (id.).
1-^ tsapa,Yâud, Fribourg en général, /c/w/)', Dombresson (Neuchâtel),
Plagne (Berne), tchép, Epauvillers (id.), tchépy\ Charmoille (id.), Vic-
ques (id.), ichapi, Court (id.), kap", Bourrignon (id.). kap' ou kapat',
Mettemberg (id.), iif'po, Aire-la-Ville (Genève), ^çpa, Hermance (id.),
Dardagny (id.), ênpâ, Bernex (id.), étsèrpa, Blonay (Vaud), dtsçrpa,
Leysin (id.).
i*' intrèlyou, Vaugondry (Vaud). La Joux (Frib.), Gorgier (Neuch.),
intrélyou, Blonay (Vaud), Savigny (id.), ètrdlyou, Sassel (id.), Monthe-
rond (id.), ètrdlyu, Corsier (id.), Oron (id.), intrèlyu, Torny-le-Grand
(Frib.), intrdly^ou, Sentier (Vaud), citr^la', Leysin (id.), antnîâ, Darda-
gny (Genève), intrèlycék, Isérables (Valais), antrinœ, Epauvillers (Berne)
antryou, Bourrignon (id.), Vicques (id.).
On se sert aussi des mots kordjon, Charmoille (Berne), Plagne (id.),
kord:(on, Vully (Vaud), Vérossaz (Valais), kourdzon, Vallorbe (Vaud),
atnts^, Penthalaz (Vaud), êûats», Rossinières (id.), Dompierre (Frib.).
i' U-j-inkrénè, Torny-le-Grand (Fribourg), àhotsè, Leysin (Vaud),
àko^\ Bernex (Genève).
** étringa, Oron (Vaud), étring' , Sassel (id.), éhiniga, Blonay (id.),
seringa, Autigny (Fribourg), Torny-le-Grand (id.), Viliarimboud (id.),
Semsales (id.), Villars-sous-Mont (id.).
Dans certains endroits, on emploie aussi les mots cités à la fin de
la note i6, ainsi kordjon est au Sentier (Vaud) l'équivalent à' étringa.
LE FLÉAU ET SES PARTIES DA\S LA SUISSE ROMANDE 39
rivé sur le manche ou fixé par une virole métallique. Dans le
Jura bernois, c'est très fréquemment une boucle de métal i^
qui remplace la chape ; en Valais, parfois un capuchon de corne
percé d'un trou -•*.
Ce qui est en général caractéristique pour le fléau du Valais,
et permet d'en constituer un type à part, c'est l'absence de
« chape » et un agencement plus primitif que celui que nous
1...
FiG. 1. Fléau fribourn^eois (Torny-le-Grand) : 1. asoii.
2. rèrdzèta. — 3. Isapa de l'asou. — 4. intrèlyn. — 0. tsapa de la
uèrdzèta. — 6. èiiringè.
venons de décrire. D'ordinaire, le battoir, perforé transversa-
lement dans le haut, est simplement suspendu par une lanière
ou une ficelle-', et celle-ci est fixée d'autre part à l'extrémité
du manche, autour duquel elle peut se mouvoir dans une rai-
nure ménagée à cet effet. Une variante consiste à introduire la
lanière repliée dans un trou percé au centre du battoir et à
passer dans la boucle qu'elle forme à son extrémité une che-
ville transversale. Le lien est ainsi exposé à une usure moins
rapide. Dans les fléaux de construction plus récente, comme
celui que représente la figure 2, le battoir est muni d'une forte
tige de fer terminée par une boucle.
'^ tyàvin-nyd, Vicques. Cf. dans un Rôle de montes de la Chaux-de-
Fonds, 1676: une verge de fléau avec sa chape de fer (Arch. Neuchâtel).
-" la korna. Vérossaz.
-* états', Lourtier, kOrâe\ Savièse, kdrnya, Lens, Vex, etc.
40
J. JEANJAQUET
Le troisième type est celui du canton de Genève, où on
semble avoir visé surtout à faciliter le mouvement de rotation
du battoir, même au prix d'une diminution de la solidité de
l'assemblage. On y est arrivé par le dispositif spécial que montre
7...
Fie. 2. Fléau valaisan (Evolène) : Fie. :). Fléau genevois (Bernex) :
1. manzo. — 2. kôrâyé, — \, lyuitzsnw. — 2. nyiiè. —
3. vèrzé. 3. tornè. — 4. antralii (Darda-
goy). — o. -dopa. — 6. varôïâ.
— 7. àkà^.
la figure 3. La « vergée » est revêtue d'une chape de cuir tout
à fait comme dans le type habituel, mais ici le manche se ter-
mine par une cheville de bois à grosse tête, la « noix" »^ qui
traverse et retient, tout en lui permettant de tourner librement,
une forte pièce de cuir recourbée, le tornè '-3, percée à chacune
de ses extrémités d'un trou par oîi passe le cordon d'attache.
-- nytiè, Bernex, Aire-la-Ville, nyoïiâ, Dardagny.
23 tornè, Bernex, Dardagny.
LES DIMINUTIFS DANS LE PATOIS DES ALPES VAUDOISES 4I
Ajoutons, en terminant, que le fléau, quelle que soit sa con-
struction, est un instrument destiné à disparaître dans un
avenir peu éloigné de l'outillage de campagne. Le battage
mécanique, plus expéditif et moins pénible, lui fait partout une
concurrence meurtrière. Déjà dans bien des régions, surtout en
plaine, le bruit cadencé du battage en grange a cessé dès long-
temps de retentir, et les musées devraient songer à sauver de
la destruction qui les guette les derniers spécimens de fléaux,
aujourd'hui relégués dans quelque coin du grenier, parmi les
choses sans valeur. Mais plus rapidement encore que les objets
eux-mêmes, les vieux mots et les termes techniques qui s'y
rapportent disparaissent et s'oublient ; aussi la rédaction du
Glossaire acceptera-t-elle avec reconnaissance tous les rensei-
gnements qu'on voudra bien lui faire parvenir pour rectifier et
compléter l'esquisse sommaire qui précède.
J. JEANJAQ.UET.
— aoC>0<Ooo—
LES DIMINUTIFS DANS LE PATOIS
DES ALPES VAUDOISES
— î—
En répondant de mon mieux aux nombreux questionnaires
du Glossaire, j'ai été souvent frappé de la richesse qu'offrent
nos patois en fait de diminutifs; l'idée de les réunir tous, de les
étudier attentivement, serait séduisante, mais nécessiterait de
longues recherches. Les matériaux donnés ci-après montreront,
en attendant, que notre idiome romand rendrait, à cet égard,
des points au français, dont quelques grammaires offrent par-
fois une brève étude du sujet. Que de grâce, de naïveté enfan-
tine dans certains de ces diminutifs, qui nous semblent con-
tenir une idée d'attachement ou de joliesse ! Comme ces mots
vous mettent vite à l'aise, en rapetissant tout ce qui pourrait
offusquer par des dimensions géantes ou même ordinaires! En
42 F. ISABEL
patois, le sens des suffixes diminutifs s'est peut-être moins effacé
que dans la langue littéraire. Qui pense à une petite viole, en
entendant prononcer le mot français violon? Les nombreux
mots patois en -on, en -ette^ ont contribué à conserver plus
intact le sentiment de la diminution; on continue à se servir
de ce moyen de dérivation devenu stérile en français et resté
vivace dans les dialectes. Beaucoup de ces expressions ne
correspondent pas tout à fait à leur corrélatif français. Vous
remarquerez que presque aucune ne renferme quoi que ce
soit de dépréciatif, de méprisant ou de dédaigneux.
A quoi sont-elles dues ? Est-ce à une disposition naturelle
de l'esprit, qui cherche à se rapprocher des choses en les ren-
dant plus petites, plus maniables? Est-ce à l'absence de grands
•édifices, de grands animaux, de grands objets, de tout ce
qu'on a coutume de dénommer par des adjectifs en -issifne :
grandissime, richissime, illustrissime ? Il n'est pas rare, dans
nos campagnes, de posséder seulement une ?nayz?nèta, maison-
nette, grandzeta, grangette, on grandzon, une remise, ou on
bàotsè, bœutsofi, bouatson, petites étables pour le bétail. On n'a
qu'un/(?/-///- ou fornalon pour se chauffer, la maison est si petite
qu'elle n'a qu'un taytsè , petit toit, le lit est remplacé par
na tyutsèta, une couchette, la porte se ferme simplement par
une ts3V3lyHa, chevillette ; une loyèta, petit balcon, sert de
séchoir. Tous ces mots ne rappellent-ils pas l'intimité qui règne
entre l'habitant et son milieu? C'est comme s'il disait : « De ce
réduit je me trouve content... il est à moi. » Le diminutif indique
parfois une affection, une amitié intime, comme dans les mots
français petit père, petite mère, frérot, sœurette. En patois, il y a
de même l'expression suèyrèta pour indiquer une sœur cadette
que ses aînées doivent prendre en vraie et bonne affection.
Uandzèta, s. f., est l'ange qui vient à Noël, cher aux enfants.
Le bovayron est le petit bouvier dans tout le charme de sa vie
indépendante et insouciante.
Les diminutifs masculins se terminent généralement par un
-<f bref ou -on, les féminins par -èta. Ces suffixes se combinent
LES DIMIN'UTIFS DANS LE PATOIS DES ALPES VAUDOISES 43
très souvent avec d'autres et forment des mots en -erè, -atsè,
-atso/i, -èron, -aie, -aVcta, -èrcta, etc., comme dans sindèrè, petit
sentier, kartèrc ou kartatson, petit quartier (de fromage), on
p?palè, biberon de veau, etc. Rarement on rencontre d'autres
dérivations, comme dans fia tnantsy, petit marais, on kohtiè,
petite colonne, montant de porte, on ppssô, petite ppsse ou
cascade, na favyoïila, sorte de petite fève et de haricot de
vigne, etc.
En parlant des animaux, les diminutifs s'appliquent aux
jeunes qui n'ont pas encore atteint toute leur croissance, ou à
ceux qui restent toujours de petite taille : on vélon, petit veau,
na vatseta^ veau femelle, et aussi la fleur du colchique, on
modon ou viodzon, jeune pièce de bétail bovin un peu plus
âgée qu'un veau, on bolon, jeune bœuf d'attelage, on niut^nè.
jeune mouton, fia fèyèta, jeune brebis, na ts?vrHa, chevreau
femelle, on kabnlon, jeune cabri, on kaysnc ou kbysnè. jeune
porc jusqu'à trois ou quatre mois, na iroyèta, ou gotodèta.
jeune porc femelle, on-n-a?i-ndlyon, génisson de Tannée, na
ratèta, petite souris, terme d'amitié donné à un veau ou à un
porcelet, oti bétyon, tête de menu bétail, oti ts3nc, petit chien,
^n insnè ou tsaton, petit chat, on pdlaton, jeune coq, na bstscia,
petite bête, na nibtèlcta, belette, na mayintsèta, mésange, na
dzdndlycta, gelinotte, na krdblyèta, crécerelle, on salyè, saute-
relle, etc.
Les diminutifs ne sont pas moins fréquents dans le domaine
des végétaux : on y parlera de plyanton, jeunes plants, de
bbkaton, petite fleur ou petit bouquet, de rèbyblon, dernière
repousse de gazon dans les meilleurs endroits du pâturage,
fortsèta, vrille fourchue de la vigne, gra>iètif, petites graines
qu'on sème dans un jardin, p?pouinè, petits pompons écarlates
qui entourent les fruits de l'alkekenge, /«!^s<^, petits pois, ravon,
petite rave, tubercule de pommes de terre, pomèta, petite
pomme, dzorèta, petite « joux », larzcta, jeune mélèze, etc.
Les noms de plantes ont très souvent la forme diminutive :
ialycta, dent-de-lion, saodzcta, petite sauge officinale, blyan-
44 F. ISABEL
isèta, chèvrefeuille à balai, trotsèia, herbe qui talle, sorte de
raiponse, mâche ou doucette, takou9fiè, tussilage, nnbîyetay
renoncule scélérate, éteilèta de bon, aspérule odorante, brinlètè^
sorte de ciboulette des Alpes ; 07i chambtson (Leysin), petit
sapin rabougri, etc.
Entrons dans un de ces vieux ménages rustiques et regar-
dons autour de nous. Nous nous trouvons dans onpaylè, petite
chambre à coucher adjacente à la grande pièce, ou dans \3itsati-
brèta, h tsanbron, chambrette. Le jour entre par la fdnetrèta,
\a. portèta est munie d'un /^;jj^, genre de petit/)/;^^ ou panneton
de serrure, d'une peseta, d'un loquet (de fer). Dans les tiroirs
il y a des borsofi, goussets, des bbrsètè, anciennes bourses en
cuir, des pmyètè, peignes fins ou décrassoirs, et quantité d'autres
menus objets. Mais c'est la cuisine qui est le vrai domaine des
diminutifs, voici la mayrèta, petite maie à pétrir ou à casser les
noix, avec du rapdsson^ pâte qui a été raclée de la « pétrissoire »,
tout à la fin (se dit aussi par plaisanterie du dernier né de la
famille), la radèta, rouleau à étendre la pâte ; toutes sortes
d'ustensiles s'alignent sur des toularè, tablettes, rayons: le
bcssalc, ustensile de bois pour le pain et le fromage (de bèssé,
très ancienne mesure à blé), le bouanyon, seille à oreilles pour
le beurre fondu, la méfrèia, petit baquet ou « meltre » en bois,
dont une douve s'allonge verticalement en poignée, les pèlon,
petites poêles, >^j;|^^^z, petite « casse » en métal, à court manche,
le ts3dèron, chaudron, ou tsddèrèta, petite chaudière à lait ;
le panèron, petit panier, les krsbdlyetc, petites corbeilles plus
larges que les crabdlyon, corbillons sans anse; les râklètèy
ratissoires, palètè, petites pelles ipalèta a aussi le sens de
premier livre d'épellation), pâlon, petite pelle (aussi omo-
plate), le kotsè, cuiller à lever la crème, le poison, louche
ou cuiller à potage, les tsanon, chanes d'étain, les biunctè,
petites écuelles. Voici encore la kavanyèta, petite hotte, le
bou9lyè, l'auget, la bantsèta, petit banc, le palantson^ petit
bâton ou levier de bois, Ya%èta, la hache, ainsi que Xa. ptolèia,
même sens, ou X^pyolon, petite hache (de là piolet), on krosson,
LES DIMINUTIFS DANS LE PATOIS DES ALPES VAUDOISES 45
petit bâton à crochet pour cueillir les cerises ou les noisettes,
la krossèta, petite crosse, canne à poignée recourbée en demi-
cercle, la bblyèta, petit vase à liquide qu'on porte sur le dos, le
bidsnè, petit bidon, fia guètsèta, petite jatte à mettre crémer le
iait, on dyètson, baquet à lait ou à crème ; Xz. plybtscta, bille ser-
vant de tranchoir ou de tronchet à fendre le bois, la râssèta^ scie
à main, la bornèta^ petite cheminée supérieure d'un vieux four-
neau maçonné, aboutissant à la grande cheminée de la cuisine.
A la remise, à la cave, vous trouvez les tsèrè, chars plutôt
petits, des lybdzctK petites luges ^ petits traîneaux légers et
ajourés, des lybdzK petits traîneaux de forme plus ramassée,
et plus lourds que les précédents, des bèrdètè, brouettes d'écu-
rie, des lantsè, petites planches, des bbssaton, petits tonneaux,
des bossètè^ tonneaux à transporter le raisin foulé de la vigne
au pressoir, la y^avèta, petite clé de fer plate tombant au tra-
vers de la vis d'un pressoir de vendange, Vèkœuvèta ^ petit
balai de rameaux pelés proprement, pour le pressoir; des
outils : la kimanlèta^ petit coin de fer, à maille, pour traîner
le bois, des martèle, petits marteaux, des fbrsètc, ciseaux à
tondre les brebis, la sizcta, ciseau de géologue ou de mineur
(mines de sel de Bex), Aqs p9tson, petites pioches, sarclorets ou
binettes, etc. ; une foule d'autres petites choses : des hnuè,
petits nouets ou liens de ficelle pour un sac, des tssnablyon,
petits licols de bois pelés en sève, etc.
Tout se correspond: \z.bbtblyt'ta, petite bouteille, on fyblèta,
petite fiole, la X^ndzèta, petit pain plat (de X'^tidz?, pain de
paysan des Ormonts), le gàtèlè, sorte de galette vaudoise
pétrie au lait, au sucre et dorée avec des œufs, la krattiaXfia,
petite crémaillère secondaire ou accessoire, na sbyèta, petit
repas vite apprêté. On se dirait en vrai pays de Liliputiens.
Le tdp3ne, petit pot, n'a qu'une gblèta, petit goulot.
Un proverbe dit : tb pbtè trœuvè son krsmayh (ou kivrrtè),
toute petite marmite trouve sa petite crémaillère (ou son petit
couvercle), c'est-à-dire : le plus humble trouve à se marier.
De même : tbta danyèta a sa tsdniszcta, toute tigette a sa
46 F. ISABEL
chemisette, disaient autrefois les femmes qui triaient avec soin
chaque tige {datty?) de chanvre ou de Hn,
Les petites choses comptent dans les petits ménages : gbtèta
fé mbtèta, chaque petite goutte de lait contribue à former un
fromageon. Èrpalyeta^ la mbtèta, dicton énigmatique par sa
brièveté, qui veut dire que la petite combe d'Arpilles, à l'ouest
d'Isenod, a des herbages si bons qu'ils influent sur l'excellence
du fromage, si petit soit-il.
On trouve des diminutifs concernant les vêtements, la toi-
lette : 071 tsèufon ou tsao^on, bas, chausson allant jusqu'au
genou, où commençaient les chausses ; un enfant quittera de
bonne heure les bou?tmtson, s. m. pi., très petits bonnets de
coton blanc tricoté, et les mandzon, s. m. pL, ou mandzèts,
s. f. pi., brassières; le boîibalyon, garçonnet, mettra bientôt de
pantahnè, petits pantalons, on t sape Ion ou tsapèlè, t saper on ou
isapèrè, petits chapeaux, et n'aura plus besoin de palyssson.
Y.di f?lyèta, fillette, ne portera plus longtemps ses grsdsnè,
petits jupons, et sa robèta, robette (nom que les magasins de
mode commencent à employer en français), qui s'agraferont
soit avec des bbtsnè, petits boutons, soit au moyen de krbtsè,
crochets, et de bb^èts, s. f. pi., bouclettes en fil. Sa fatèta,
pochette d'habit, ne devra pas avoir le moindre pèrtdzè, petit
trou ; grâce à son fœudaron, petit tablier, elle paraîtra encore
bien dzouw^dnèta^ jeunette, et peut-être blyatitsèta, blanchette,
si elle n'a pas sa plyassèta, petite place, au soleil du bon
Dieu. Mais elle deviendra bien balcta (belle, mignonne, ave-
nante), et alors, gare aux vendanges!
Lou valè lè-z-inbrasson,
S? le lâsson " on rapslyon ! „
(Les jeunes gens les embrassent si elles laissent un grappillon).
Autant de grappes oubliées involontairement, autant de becs.
C'est la coutume du vignoble.
Quand saura-t-elle (a.he onpâton, masse de pâte pétrie, prête
à être mise au four, ou filer sa kouhialycta, sa petite que-
nouille^
LES DIMINUTIFS DANS LE PATOIS DES ALPES VAUDOISES 47
Ces enfants nudzbton (mangeottent) déjà bien, il ne faut pas
leur épargner les bok?nc, petits morceaux, car mieux vaut payer
les boulangers que les médecins !
Dans les diminutifs appliqués aux choses de la nature, je
trouve au courant de la plume : une ilyèta, petite île, on bcdè,
petit bied, ou bètè^ ruisselet, on golyè, petite flaque, mare, on
lagb^ un étang rappelant une lagune dormante, nafontan-nèta,
petite fontaine naturelle, on partsc, petit parc, on yynè, petit
sentier, « vionnet -■>, on isPiMnc, petit chemin, nn^konbèta, petite
combe, dépression du sol, na r9V9ncta, petit éboulement de
terre, na montanyèta, petit alpage, on pakouayrè, petit pâturage,
on mslèr, molard, mamelon rocheux, na bèkèta, petite pointe
de roc, on kou3tsè, sommet, on poyè, petite montée, raidillon,
le sondzon, le sommet du village ; le fàulaton, petit cyclone
ou tourbillon qui enlève le foin sec sur les htètc, bande rectan-
gulaire de fauchage, très longue en amont et très étroite ; na
karèta, ondée ou averse qui ne dure qu'un niojnsnc, un petit
moment, des nyo/èû, très petites nuées, qui fondent parfois aux
chaudes matinées d'été. Le dzalon est une légère couche de
gel sur l'herbe ou les planches.
De la réunion de plusieurs suffixes naissent quelquefois des
sous-diminutifs : le patois j^ji'^, petite paroi de rocher, a donné
encore sassolè ; un bilyon, billon, plus mince est un bslyinè : on
sclydne est un petit seillon ; na pudz3ncta est une très jeune pous-
sine ou poulette ; des isœuX^nè sont de très petits bas d'enfants;
un t3p3nè, un petit t3pin (Topf) ; na 7'ir3lt-ta, une « vire » encore
plus petite ou plus courte que ?ia virèta ; on bbhnc, un bœuf
plus petit encore qu'un bblon; on mbdz3nè, nne génisse moindre
qu'un mbdzon; pi'lbty3nè, un très petit peloton, qui est lui-même
un diminutif de pelote ; une petite cuve ou t3na est un tinb
(ou t3non), dont le numéro le plus petit sera un t3nalon ; l'e sa-
/<2j'/-/7r, d'après leur suffixe, devraient être plus âprement acides
encore que //' salètc, la petite oseille des prés ou surelle.
Enfin, on trouve des diminutifs dont le mot simple n'existe
pas dans les patois de la contrée, d'autres appliqués d'une
48 F. ISABEL
manière bien inattendue : passon, petit pieu fourchu, na via-
zèta, mauvais genre d'individu, sans parole et sans conscience,
fia frassèta, rupture de terrain, cassure, crevasse, na v9rèta,
dé à coudre, veste d'homme, on yadzèy fardeau peu lourd,
vassale, petit vaisseau, sorte de ruche d'abeilles, de la ravss-
sèta, tiges acres de l'anthrisque sauvage, sèpon, grossière ser-
rure de bois, na pudrcta, sautelle de vigne, motscta ou suprèta,
allumette, navèta petit pain, genre gâtelet, tsa?ibèta, ne signi-
fiant ^\\x% petite jambe, mais la partie supérieure d'une jambe
de porc ou d'ours, un jambon, on sardzon, plein une « sarge, »
ou carré de toile, na sar dzêta, petite « sargée», le botèiè, les
onglons des chèvres et des brebis, lou grifyon, les extrémités
des griffes, la damèta petite dame, sorte d'orchis, planche
ajourée d'un balcon de chalet, nom de vache. Takouanc (de
tacon, motceau d'étoffe pour rapiéçage), nom de vache tache-
tée, et pomèta, autre nom de vache.
Fomèta, layva-tè, Pommette, lève-toi.
Passa ko... me! Passe où je passe !
Td nJ tè dcrbtserépâ! Tu ne tomberas point dans le précipice!
criaieiit, d'après la légende, les fées des Ormonts qui condui-
saient les vaches dans les rochers, pour, en récompense,
trouver sur le toit de la rase du berger un baquet de lait bien
propre.
Souvent les diminutifs sont tirés de verbes : ainsi le trblyon,
dernier moût que le pressoir peut faire sortir, de la bèvèta,
mauvaise boisson, de piètre qualité, Vafuasson, petit reste final
de tout le foin sec d'une prairie, na likèta, petit bateau
glissant bien {hkâ = glisser), h rpbatè, l'ensuble d'un tisse-
rand, le brinlètè, ail a tête ronde (ses tiges branlent sans cesse
à la brise), sorte de ciboulette des hautes Alpes.
Il y a même des verbes diminutifs : y3 nèoudtsè, il neigeotte,
un flocon par ci, un flocon par là, rizbtâ, sourire avec grâce
ou avec une pointe de malice, et même d'hypocrisie, etc.
Pour être complet, il y aurait également de nombreuses
remarques à faire sur les noms de lieux, où les diminutifs ne
LES DIMINUTIFS DAN'S LE PATOIS DES ALPES VAUDOISKS 49
sont pas rares non plus. En voici quelques-uns pris au hasard :
Conchette^, Croix de la Vouardetia-, Croix de VAroleite^y
Ordzevalettaz^, la FrHtrettaz'->, la Gissettaz^\ la Gittettaz,
la Poiisettaz"^, XAtigettaz^, la Tretnetaz^,\a. Loélettaz^^, Arpi-
tetta^^y la Condeminettaz^-, VOchettaz^"^ , la Repettaz'^'^ , la
Corbettaz^^, la Cotettaz^^, la Combalettaz »", la C/ie?talettaz^^,
la Porreyrettaz, et même la Petite Porreyrettaz^^, la Léche-
rette'^^, le Pascheu de la Déleretta-^,\di Chavonettaz, la Fras-
settaz-^, la Lavanchette-^, les Franquettes-^, les Colombettes'^^,
les Dentelettes^^, les Mossettes, la Pointette, les Forclettes, la
Sergnette-', les Ressettes-^, les Barmettes-^, les Molliettes, la
Rionzettaz, les Tornettes"^^, les Gobalettes"^^, les Pierrettes^-,
\ç%Echerchettes'^'^, les Gleyrettes"^^, lesPreisettes^^, V/vouettaz^^,
les Ptanc/iettes-^'', Crète/ ^^, Créte/et^^, le Châtelef^, les CVr-
belets^^, les Closalets^', Luissélet^"^, le Tsevayret, les Cîzr-
tillets^^, le Portalet^^, le Duzillet^^, Fenalet^"^, le Pralet^,
les Vanalets'^^, les Collatelets^^, les Fentllets, Chevrillet, les
Greneyrets'-^^, les yErnets^^, les Arsets^^, les Diab/eys^^, les
Diablons'^^, les Diablerets^'^, le Lavanchet'^'^, les Fssertons^^,
' Ormont - dessus , Corbeyrier, Avenches. — -Près Vernayaz. —
■"^ A 2271 m. dans le Val Savaranche (Aoste). — "'A Grimisuat. —
■'' Saint-Cergues. — ^ A Montbovon. — " A Leysin. — ^ Château-d'Œx.
— " Gruyère. — i" Près du mont Pleureur (Bagnes). — *' Sur Zinal.
— *2 Ollon. — *'^ Panex sur Oilon. — ^^ Plans de Frenières. — *■'' Cor-
beyrier. — *^ Aux deux Ormonts. — *'' Sur le Sépey. — '* A Ollon,
Bex, Entremont. — *^ Alpes de Bex. — -° Gryon, Chesières, Château-
d'Œx. — ^' Antagne près Ollon. — ^- Près Vers-l'Eglise (Ormonts).
— ■■''A Mordes. — ^4 ^ Lavey. — ^^ Gruyère. — '-"^ Près du Petit-
Muveran. — -'' Vallée de l'Hongrin. — '^* Yvorne. — -^ Ollon et Bex.
— 3" Ormonts. — •** Ollon et vallée de l'Hongrin. — ^'^ Littoral du
Léman. — ^^ Bretaye sur Ollon, et Finshaut. — 3' Etivaz. — ^^ Orm.-
dessus. — 36 Alpes de Bex, Rossinières et sous Chesières. — ■'''' Bex,
Ollon, Neuchàtel, etc. — ^^ Ollon, Bex. — ^^ Gryon, Ormont-dessus.
— *" Bex, Gsteig. Salvan, etc. — •" Corbeyrier. — ^- Ollon et Oron. —
" Gryon. — ** Alpes de Bex. — ^^ Val Ferret. — ^"^ Ollon-Plaine. —
*' Bex. — ''^ Ormont-Dessus. — '"' Etivaz. — ^^ Mordes. — ^^ Orm.-
— ^2 Gryon. — -'^ Plambuit sur Ollon. — ^* Fully. — ^'^ Anniviers. —
^ Ormonts, Bex, Conthey. — '""^ Bagnes. — '"* Ormonts, Aigle. —
50
F. ISABEL
Zermillon^^ , et bien d'autres exemples qu'il serait facile de
multiplier.
Qu'on me pardonne la longueur de cette causerie, qui a
dépassé mes prévisions, en songeant que ce n'est point pour
y faire mes fèrrètè (bénéfices très appréciables), ni pour en
tirer gloriette que je l'ai commencée.
F, ISABEL.
Alpes lénianiennes.
*' JX ■>
PRONOSTICS ET DICTONS AGRICOLES
Patois du Clos du
(Suite. — Voir ci
68
Sin PPr é Sin Pbl pyœdjou,
pb tranf djoué son don-
djurou.
5p djuyè à hé, èpouint' té vé-
ché.
70
S'è pyœ h prpinî' djoué dp la
kanikul, è pyœvré ché snin-n
dp tan ; s'è fë be, Ip hé tan
durré.
71
An le Madlin-n , le nouch' à
pyin-n, an le Sin-Loran,
an kréy dpdin.
DouBS (Jura bernois)
-dessus, pp. 16-2 j.)
68
Saint-Pierre et Saint-Paul
(29 juin) pluvieux, pour
trente jours sont dangereux.
69
Si juillet est beau, prépare
tes tonneaux.
70
S'il pleut le premier jour
de la canicule (16 juillet), il
pleuvra six semaines de
temps; s'il fait beau, le beau
temps durera.
71
A la Madeleine (22 juillet),.
la noix est pleine, à la Saint-
Laurent (10 août), on fouille
dedans.
PRONOSTICS ET DICTONS AGRICOLES 5 I
72 72
S'e pyœ an le Sin Viktor, on S'il pleut à laSaint-Victor>
tiû rtyé p' grin îchoi. ^^ ^^ récolte pas grand'
chose.
73 73
Lp moue d'à mèvur tb. Le mois d'août mûrit tout.
74 74
A moue d'à lé djrin-n son Au mois d'août, les poules
souédj. sont sourdes.
75 75
Tan sa an-n-b, gros' nU^ Temps sec en août, gros
hyœv', nouèdj pb l'uvF. nuages bleus, neige pour
l'hiver.
76 76
S'è pyœ an le Sin Loran, std S'il pleut à la Saint-Lau-
pyédj èriv è tan. rent (lo août), cette pluie
arrive à temps.
77 77
An le Sin Loran h vonlin. A la Saint-Laurent la fau-
cille.
78 78
Sp h'b nd tyœrt, sepianhr' h Ce qu'août ne cuira, sep-
rœtiré. tembre le rôtira,
79 79
0 mèvurâ, sèptanbr' drtyœ, Août mûrit, septembre
an si dou moue tb vè pb V récolte, dans cts deux mois
mœ. tout va pour le mieux.
80 80
A niouètan d'b, VuvF s'è- A la mi-août, l'hiver se
hmans'. met en train.
52
J. SURDEZ
81 8l
An le fin d'à, lé fan-nè cho- A la fin d'août, les femmes
kan. claquent des dents.
82 82
Sèptanhr' â h nié d'èrbà. Septembre est le mai d'au-
tomne.
83 83
An sèptanbr', le bij' èhnans'
dp tandr'.
84
An le Sin Lœ, le linp à syo.
85
Ravouét' bîn, S9 td m krè, h
landmin dp Sint' Krou: sd
h tan â btn bê, an-n-eron
dp to prou; an-n-èron ïn
kroû'y' an, sp h tan à pyœ-
djou.
86
Bé tan an le Sint' Krou,
bouin-n an-ne.
87
Tyin è pyœ an le Sin Matyœ,
vètch é bù^ n fe pu kou-
tchi' fœ.
88
An le Sin Matyœ, lé djoué k
lé né n son pu Ion ni pu
koué.
En septembre, la bise com-
mence à souffler avec force.
84
A la Saint-Loup, la lampe
au clou.
85
Regarde bien, si tu m'en
crois, le lendemain de Sainte-
Croix (14 septembre) : si le
temps est bien beau, on aura
de tout assez; on aura une
mauvaise année, si le temps
est pluvieux.
86
Beau temps à la Sainte-
Croix, bonne année.
87
Quand il pleut à la Saint-
Mathieu (21 septembre), ne
fais plus coucher vaches et
bœufs dehors.
88
A la Saint-Mathieu, les
jours ne sont ni plus longs
ni plus courts que les nuits.
PRONOSTICS ET DICTONS AGRICOLES
53
89
An le Sin Michel, to le fru
son tyœyè.
90
Vouin-ny' h djoué dp Sin
Fransouè, tè grin-n ère di
poiiè.
91
S9 l tan à syè an le Sin Dni,
l'uvî' nd sré p' ïn-n-ènye.
92
Lp djoué dp le Sin Dni, l'âi^r
sp mèrî' an niFnœ.
93
Tyin è pyœ din l bé Ip djoué
dp le Sin Luk, Vâv kp
tchouè à noue din Ip à.
94
An le Sin VolP, le tchirû^ do
l pouèrF.
95
Sin Krépïn, le moû^ émâi^tch'.
96
An le Sin Simon, in-n mâi^lch
va ïn hblon.
89
A la Saint-Michel (29 sep-
tembre), tous les fruits sont
cueillis.
90
Sème le jour de Saint-Fran-
çois (4 octobre), ta graine
aura du poids.
91
Si le temps est clair à la
Saint-Denis (9 octobre), l'hi-
ver ne sera pas un agneau.
92
Le jour de la Saint-Denis,
le vent se marie à minuit.
93
Quand il pleut dans le bas
le jour de la Saint- Luc (18
octobre), l'eau qui tombe est
neige dans le haut,
94
A la Saint-Vendelin (20
octobre), la charrue sous le
poirier,
95
Saint-Crispin (25 octobre),
la mort aux mouches,
96
A la Saint-Simon (28 oc-
tobre), une mouche vaut un
pigeon.
54
J. SURDEZ
97
An le Tbsin, lé byè vouin-nyP,
é tb lé fruf son bïn kouè-
tchF.
98
Tym le Tbsin à li, Uch le
tchèrii' li.
99
Sp l'tivP vè son tchmïn, vb
l'ère an le Sin Mètchïn; s'è
s'ètèrdj ka:(i ran, vb Vèrè
an le Sin Klèman ; s'è S9
mâsy' dd trin-ne, vb Vèrè
an le Sin- 1- André; sd vb
n l'è ni si, ni li, vb Vèrè
an mé ou avri.
91
A la Toussaint (i"^' no-
vembre), les blés semés, et
tous les fruits sont bien ca-
chés.
98
Quand la Toussaint est
là, laisse là la charrue.
99
Si l'hiver va son chemin,
vous l'aurez à la Saint-Martin
(11 novembre) ; s'il s'attarde
quelque peu, vous l'aurez à
la Saint-Clément (23 novem-
bre) ; s'il se mêle de traîner,
vous l'aurez à la Saint-André
(30 novembre); si vous ne
l'avez ni çà ni là, vous l'au-
rez en mai ou avril.
100 100
Epré le Nôtr' Dèm', h vïn à Après la Notre-Dame (2 1
bon pb bonèr. novembre), le vin est bon à
boire.
101 ICI
An le SinV Katrin-n, mon-nP A la Sainte-Catherine (25
fè tè fèrin-n ; Sin-t- André novembre), meunier fais ta
vré, kp tb djalré é Vèrâtré. farine ; Saint- André viendra,
qui tout gèlera et t'arrêtera.
102
L'hiver est bien souvent
fatigué à la Saint-Nicolas (6
décembre).
102
UuvP à bïn svan sol an le
Sin Nikblâ.
PRONOSTICS ET DICTONS AGRICOLES 55
103 103
An le Sin Tdtfia, lé djoué A la Saint-Thomas (21
son à pu bé. décembre), les jours sont au
plus bas.
104 104
È Nà le yès', è Pety' le bè- A Noël la glace, à Pâques
bcû'rat'. les moucherons.
105 105
Siu k s'étchâd à saroiièy' è Nà Celui qui se chauffe au
h sin djoué, dèré brélè di soleil à Noël le saint jour,
bo tyin Pety' ère son toué. devra brûler du bois quand
Pâques aura son tour.
106 106
Djme satch an-nè n9 f^^é pdi^r Jamais année sèche n'a
son mètr. appauvri son maître.
107 107
Satch an-nè nà p' èjèmè. Année sèche n'est pas af-
famée.
108 108
An-nè d djalè, an-nè d byè. Année de gelée, année de
blé.
109 109
An-nè âi^rouèyâi:^' , an-nè pb- Année venteuse, année de
niôûi'. pommes.
iio iio
An-nè d k'mkouèdj, bouin-n Année de hannetons,
an-nè. bonne année.
III III
L'an-nè Vé di fouin bràman L'année qui donne beau-
/ pu svan n va ran. coup de foin le plus souvent
ne vaut rien.
56 J. SURDEZ
112 112
Sêjon èièrdjï^ ran bon lé Saison tardive rend bon
mœrdjF. jusqu'aux « murgiers » (tas
de pierres dans les champs).
113 113
Tin h le lin-n ros, dur, lé Tant que la lune rousse
frut' nd son p' chUr\ dure, les fruits ne sont pas
sûrs.
114 114
Lin-n byèv : pyœdj ; lin-n Lune pâle : pluie ; lune
hyintch' : tan syè ; lin-n blanche : temps clair ; lune
rbs' : cu'r. rousse : vent.
115 115
5p le lin-n sp rfe tyin è pyœ, Si la lune commence de
è fré hé don djoué pu le. croître par la pluie, il fera
beau deux jours plus tard.
116 116
Lp sbroiièy' h banity' h mètïn Le soleil qui louche le
np vré djpmè è bouin-n fin. matin n'arrivera jamais à
bonne fin.
117 117
Djalè byintch' èmouin-n Gelée ^blanche amène
pyœdj'. pluie.
118 118
Sât krèpâ, nb-:(^èrin d Vàv. Saute crapaud, nous aurons
de l'eau.
119 119
Tyin l pou boue l ichà tan, le Quand le coq boit en été^
pyœdj n'a p' louin d'èrivè. la pluie n'est pas loin d'ar-
river.
PRONOSTICS ET DICTONS AGRICOLES 57
120 120
U pyœdj di du'moiiin-n dur La pluie du dimanche dure
spvan là le smin-n. souvent toute la semaine.
121 121
Sbrouèy' d'uvï' à vit koiiètchî^. Soleil d'hiver est vite ca-
ché.
122 122
Roudj lôvrè, grij mètnè, bel Rouge soirée, grise ma-
vâprè. tinée, bel après-midi.
123 123
Le vouin-nyéjon, le mouèchon, Les semailles, la moisson,
in ybt' tan è yot sejon. ont leur temps et leur saison.
124 124
Tyin è notièdj din l'anson, è Quand il neige sur les
fè frouè din h fon. hauteurs, il fait froid dans le
bas.
125 125
E nà gri moue h np rv9- Il n'est gris mois qui ne
nyœch\ revienne.
126 126
Pb m bé djoué d'tivF, l'ojé np Pour un beau jour d'hiver,
syotr' pp. l'oiseau ne siffle pas.
127 127
In-n èlonbrat' np fè p' h bon- Une hirondelle ne fait pas
tan. le printemps.
J. SURDEZ.
TEXTE
-♦-
La moisson d'autrefois.
Dialogue en patois d'Aire-la- Ville (Genève)
— On n 0 po nié h dpman a mèspno.
— '^o bé no, on mè b boké ^ ou a.
— N y è po tré lôû, p^o vré, Driân°, aoué dé chalœr parîr,
on-n-è hounéi k i sày^ vil fé.
— "0, y è bé su, Karblin'^, mé han-t-on p'^ès' é tnèson dé-
:(-otr vlyod', y éi^e bé onko pi !
— Bé oua, kan-t-i fale tb mèspno aoué h vblan - !
— Y è vré k y éiae rudamè pènibly, mé y éf^è plyp gé h
yœr.
— d^i nb, on-n-avH tbrdb na bèd' dp mèsyè, na di^^^en",
a peu prè, è poué atan dp mèsnir^.
TRADUCTION
— Nous n'avons (liit. on n'a) plus que demain à moissonner.
— Oh ! bien nous, nous mettons le bouquet aujourd'hui.
— Ce n'est pas trop tôt, n'est-ce pas, Adrienne, avec de
pareilles chaleurs, on est bien aise que ce soit vite fait.
— Oh ! c'est bien sûr, Caroline, mais, quand on pense aux
moissons d'autrefois, c'était bien encore pire.
— Bien oui, quand il fallait tout moissonner avec la faucille.
— C'est vrai que c'était rudement pénible, mais c'était plus
gai qu'à présent.
— Chez nous, on avait toujours une bande de moissonneurs,
une dizaine à peu près, et puis autant de moissonneuses.
LA MOISSON' d'autrefois 59
— T^i lô Pirolè y è-n-av"è onkb nié, i lô nièlfV^" tô drpmi
su h sbli, tb melon mélè ; i s i pasiv' dé br'^ov' cbû~' !
— «0 bé, p"o tbrdb ; splè kp vpnyïv°>* tb drâ dp t^i le, dp
la Saoué, al étyon onkb bé bnét è poué mèlyœ bvrî kp lô mb-
lardî'-^ ; mé y e-n-avâ k ét"è dp la rud" kasibrây'.
— Dp nip rapèl k yon m avê kbryb aprè kan d alîv mèsnô
ûi mons' Anri. Kan-t-al b vyu h métr' k arpvîv', y è se k è
rptèrno "è-n-arî; é vblè mp faro *.
— A mp ètb, y b on vlyod' k i vblyon mp faro. Kan dp
mp s'^è vycû° prâ^, dp mp s^e asetoy' pè tèr°, è poué dp lô-^-é
bfèr mon pîy° ; i n on po ô^o mp faro. "è mp r'^ètbrn^e, dp
lô-:(^é kriyo : (( Kapon ! » I m on kbryb aprè ; alôr y è mp kp
d é déouèdo mé gibol ; anfin, i « on po pu m avâ.
— E poué lé mèsnîr' , kan h farfv^" Ip mblyœ ^ ! Y b on
vlyod' al avyon faro h mblyœ k étà h garson dp la maè-
:(^on; y è lyiii k él^e "è kbler !
— Chez les Pirolet, il y en avait encore plus, ils les mettaient
tous dormir sur le fenil, tous pêle-mêle ; il s'y passait de jolies
choses !
— Oh ! bien, pas toujours ; ceux qui venaient tout droit de
chez eux, de la Savoie, étaient encore bien honnêtes, et puis
meilleurs ouvriers que les « molardiers, » mais il y en avait qui
étaient de la rude racaille.
— Je me rappelle qu'un m'avait couru après quand j'allais
moissonner chez M. Henri ; quand il a vu le maître qui arrivait,
c'est lui qui est retourné en arrière ! Il voulait me « ferrer. »
— Moi aussi, il y a une fois qu'ils voulaient me ferrer. Quand
je me suis vue prise, je me suis assise par terre; je leur ai offert
mon pied ; ils n'ont pas osé me ferrer. En m'en retournant, je
leur ai crié : « Capons ! » Ils m'ont couru après ; alors, c'est
moi qui ai dévidé mes gigues ; enfin, ils n'ont pas pu m'avoir.
— Et puis les moissonneuses, quand elles ferraient Taigui-
6o GEORGES CHRISTIN
— Y è k i HP h fasîv' po du bd, p^es" vi, b frbîo la
plyant" dé pfy° aoité na poudnîy° dp blyo è poué l "èfaio dé
bud- f^ètr lô-:{-artyè.
— Dp mp tpnîv' amif du mblyœ, pè k é mblis' loniH mon
volan; dp nip rppôiiv p<^èdè se t^è.
— T'alîvb bé èib dari lé sf:^ pè tp rppb:(0 l ér^'e ?
— KpvUt ? on-n-él^è dp vlyoo rudamè fatigô, on langpsîv
k i fus' on^ yœr pè nidî h pape ^.
— Dp l é prœ-:(^u pbrto pè lô âan.
— E poué on d^ènîv a katr œr.
— Alôr, de katr œr a la né, b t^e pasîv prœ vit'.
— Bé oua, on sp rpmètîv a ûanto è a travalyî ; lé mèspnir
kbm'^èstv'^", è lô mèsyè répondfv^".
— T a k îp tp rapèV la âanfon dp la bèl° Loui:(on :
Louison, belle Louison,
Disent qu'elle est tant belle !
seur. Il y a une fois, elles avaient ferré l'aiguiseur, qui était le
garçon de la maison ; c'est lui qui était en colère !
— C'est que cela ne lui faisait pas du bien, pense donc, lui
frotter la plante des pieds avec une poignée de blé et puis lui
enfiler des brins de paille entre les orteils !
— Je me tenais amie de l'aiguiseur, pour qu'il aiguise long-
temps ma faucille ; je me reposais pendant ce temps.
— Tu allais bien aussi derrière les haies pour te reposer les
reins !
— Que veux-tu, on était parfois rudement fatigué ; on lan-
guissait bien qu'il fût onze heures pour manger la bouillie.
— Je l'ai assez eu portée par les champs.
— Et puis on dînait à quatre heures.
— Alors, de quatre heures à la nuit, le temps passait assez vite-
— Bien oui, on se remettait à chanter et à travailler; les
moissonneuses commençaient et les moissonneurs répondaient.
— Est-ce que tu te rappelles la chanson de la belle Louison?
Louison, etc.
LA MOISSON d'autrefois 6i
— È poiiC tp s pi otr' :
Petite Madeleine,
Veux-tu t'y marier,
Oh ! oh ! oh ! veux-tu t'y marier ?
Comment m'y marierais-je,
Autant d'amants que j'ai?
Oh ! oh ! oh ! etc.
J'en ai bien vingt à trente.
Tous des beaux compagnons,
Oh ! oh ! oh ! etc.
Dp np nip rapèV po la rést'.
— Y è vrè k y è-n-ava tèlamè dp sôurf k on np pu po tôt
sp lé rapèlo.
— Sp k èt^è br^ov', y ét"è kan-t-i r"ètrîv°» la ne ta a hrc,
lé mèspnîr dpvan è lô mèsyœ dan.
— '^è-n-arpvè a la maè:(on, i sp mètîv^" "è ryon pe kon-
tinouo dp ûanto è poué i finpslv^" '^è poiièse na kouènoy' '^.
— Y avè onko rp d as' gé kp h dari dœr, han-t-on mèlîv
h bokè.
— Et puis toi cette autre :
Petite Madeleine, etc.
Je ne me rappelle pas le reste.
— C'est vrai qu'il y en avait tellement de sortes qu'on ne
peut pas se les rappeler toutek.
— Ce qui était joli, c'était quand ils rentraient le soir en se
donnant tous le bras, les moissonneuses devant et les moisson-
neurs derrière.
— En arrivant à la maison, ils se mettaient en rond pour
continuer à chanter et puis ils finissaient en poussant une
« coinnée. »
— Il n'y avait encore rien d'aussi gai que le dernier jour»
quand on mettait le bouquet.
62 GEORGES CHRISTIN
— ûi no, on kbpiv on sapin k9 lô mesyœ garnpsîv^** dp ruban
dp papî, i-:(^i mètîv^" na hbtply^ pè for vî k al avyçn bé uto
abèro.
— On montîv tô su h darî ■&arè, y è-n-ave yon lip tpnîv
Ip bbkè su Ip dpvan, è poué on r)-antïv' kbm' dp lâr :
Je le branlerai
Mon joli bouquet.
Sp k on pbviv' rîr' !
— Y è vrè k y ét^è on pou plyp gé kp yœr.
— Oua, e poué se nb fo vîly^ dp nb rapèlo tb se.
— Bé su, nié tb vin vyœ aoué nb j on-ti-è onko ity' pè sp
rapèlo se bô t^e, nié kan-t-on sarb m6rt\ n y arb po mé nyon
pè '^è rpparlo.
— Chez nous, on coupait un sapin, que les moissonneurs
garnissaient de rubans de papier ; ils y mettaient une bouteille
pour faire voir qu'ils avaient été bien abreuvés.
— On montait tous sur le char, il y en avait un qui tenait le
bouquet sur le devant, et puis on chantait à tue-tête {litt. comme
des voleurs) :
Je le branlerai
Mon joli bouquet !
Ce qu'on pouvait rire !
— Il est vrai que c'était un peu plus gai que maintenant.
— Oui, et puis cela nous fait «ieilles de nous rappeler tout
cela ! ■
— Bien sûr, mais tout vieillit avec nous ; on est encore ici
pour se rappeler ce beau temps ; mais quand nous serons
mortes, il n'y aura plus personne pour en reparler.
Georges Christin.
LA MOISSON d'autrefois 63
NOTES
* L'habitude d'orner d'un bouquet le dernier char de récohe s'est
perdue, mais l'expression est restée. Ce bouquet était conservé sous
l'avant-toit.
' Chaque coup de faucille donnait une poignée de blé, chaque poi-
gnée était posée à terre pour former ensuite une javelle : 'na ^ôvalo.
' Ouvrier de profession engagé à Genève^ sur la place du Molard,
par opposition aux ouvriers d'occasion, fils ou filles de maison, qui
venaient travailler temporairement dans notre contrée avant leurs
moissons plus tardives.
* Plaisanterie qui consistait à déchausser la personne qu'on voulait
« ferrer » et à lui frotter la plante des pieds avec des épis.
^ Moissonneur occupé uniquement à aiguiser les faucilles.
^ Bouillie au riz et à la farine, délayés dans du lait, qui se mangeait
à onze heures.
"^ Cri de tête qui terminait le chant.
[Remarque sur la transcription. — Le son noté 0 conserve, lors-
qu'il provient de a tonique latin, une nuance de a et peut se diphton-
guer en ('o. "è indique une diphtongue dont le premier élément est
peu sensible. « final atone, qui équivaut dans la régie à l'a final latin,
se rapproche plus ou moins de 9 ou de a, suivant la nature des sons
environnants. La mouillure de 1'/ des groupes pî, bl, gl, etc. (plynnto,
hlyo, etc.) est affaiblie et sur le point de disparaître, ce qui explique
son introduction dans des cas comme vlyod, •< viaticum, oi^i elle
n'est pas justifiée étymologiquement. — J. J.]
TABLE DES MATIERES
-*-
Pages.
L. GauCHAT. L'origine du nom de la Chaux-de-Fonds . . 3
J. SURDEZ. Pronostics et dictons agricoles. Patois du Clos-
du-Doubs (Jura bernois) . 16, 50
A. 'Neveu. Djua de Tsalandè, patois de Leysin (Vaud) . . 23
R. Chassot. Katilyon la chorchyérd, patois de Villargiroud
(Fribourg) 25
E. Muret. Additions aux proverbes de Lens 28
E. T. Historiettes patoises amusantes. (Compte rendu) . . 31
J. Jeanjaquet. Le fléau et ses parties dans la Suisse romande 33
F. Isabel. Les diminutifs dans le patois des Alpes vaudoises 41
G. Christin. La moisson d'autrefois, dialogue en patois
d'Aire-la- Ville (Genève) 58
Lausanne. — Imprimerie Georges Bridel & C*
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire.
CINQUIÈME ANNÉE
1906
BERNE
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hallerstrasse 39
LES EXPRESSIONS
POUR UNE « VOLÉE DE COUPS «
DANS LES PATOIS FRIBOURGEOIS ET VAUDOIS
-• î—
De quelle façon voulez-vous être battu V Voulez-vous rece-
voir des coups avec la vouista, la verge, ce sera oima vouistây?,
ou bien avec l'ékourdja, le fouet de cuir, ce sera onn' ékour-
djatây3 ? Dans l'un et l'autre cas, vous aurez ofina fecha,
« fessée, » qui vous fera faire des chaoinyc et des pà?nâyè, « des
sautées, » et « des paumées. »
Non seulement on peut donner et recevoir des coups de bien
des manières, mais encore on peut envisager l'action de battre
quelqu'un à des points de vue très divers. Battre quelqu'un est
une opération assez compliquée : pour la bien décrire, il faut
faire un récit, où l'on donnera toutes les circonstances de l'ac-
tion, où l'on dira avec quel instrument on a battu, quel bruit
cela a produit, quel effet cela a eu sur la personne battue, etc.
De cette multiplicité de circonstances résulte la variété des
expressions pour « battre. » Elle est grande en français, elle est
immense dans les patois. Deux excellents patoisants, M. Louis
Bornet et M. Louis Epars, ont eu, indépendamment l'un de
l'autre, l'idée originale de dresser une liste des mots patois qui
signifient une « volée de coups. » Ces deux listes sont déposées
au bureau du Glossaire ; elles contiennent un total inattendu
d'environ 170 substantifs. Les termes vaudois, au nombre de
lie, ont été recueillis par M. Epars dans le patois de Pen-
thalaz ; ceux de M. Bornet proviennent de la Gruyère. Quelque
attrayante que soit la tâche, nous ne pouvons songer à étudier
ici une à une ces 170 expressions. Elles trouveront toutes leur
petite place dans le Glossaire. Pour le moment, nous nous
bornerons à traiter la question de savoir quel est, dans ces
expressions, le rapport logique entre la chose et le mot. J'écarte
4 E. TAPPOLET
d'emblée un certain nombre de ces i/o expressions, soit que
le rapport me paraisse impossible à déterminer, soit que l'em-
ploi du mot ne me soit pas suffisamment connu. Pour le reste,
nous pouvons faire les constatations suivantes.
En remontant au sens primitif de ces mots, nous trouvons
que très peu signifient « battre » tout court, comme batrè, fyèrè,
« férir, » frapâ, tapa. Les autres cachent tous quelque idée
secondaire sentie ou non sentie.
Essayons de les grouper d'après leur origine probable. Très
souvent on se sert d'un instrument pour battre quelqu'un. De
là en français les mots : fouetier, sangler (frapper à coups de
sangle), cravacher, bétonner, canner, crosser, étriller, et d'au-
tres encore. Nos patois ne sont pas moins riches ni surtout
moins énergiques. Nous avons déjà mentionné la vouistâyp et
Vékourdjatâyd. Un enfant récalcitrant reçoit une byolâys {pyola,
branche de bouleau et, en général, petite branche, verge), ou
une rutàyd (de l'allemand Ruthe, verge), on dit 2Mi%\fouatây3,
batounâyd, kanây? comme en français. Si les coups se donnent
au moyen d'un dordon, « gros bâton, » ou d'un tbrnè, « ron-
din, » c'est une dbrddnây} ou une tbrnatâyd ; faute de mieux,
on prend des liens de fagot, une ryôûta ou une vèta, et l'on
donnera des ryoutâye ou des vètâyè.
Ajoutons ici trois mots, tirés de la liste vaudoise de M. Epars,
qui, à l'origine, désignent autre chose qu'une volée de coups,
ce sont : koutdlây?, pons3nây3, « coups donnés avec un poin-
çon, » et grifâys, « griffée. »
Après l'instrument qui frappe, parlons de la partie du corps
qui est atteinte. Si c'est l'échiné, on a dit étsanâyd, si c'est l'en-
droit du corps destiné par excellence à recevoir des coups, on
a àxtfècha, « fessée. » D'après le même procédé, on a formé
en français nasarder « donner une chiquenaude sur le nez. »
Un nombre considérable de nos mots sont dus au bruit que
produit une « rossée. » Voici tout d'abord plusieurs mots qui
évoquent l'image de la sonnerie de cloches: sounâys, S9nalya,
trékodounâyi, substantif verbal de trékodounâ, « carillonner, >
LES EXPRESSIONS POUR UNE « VOLEE DE COUPS » 5
dt?idarâ, mot vaudois qui a l'air d'être une variante de din-
danâ, « branler, en parlant d'une cloche, » cp. le français dindaii-
dindan, onomatopée imitant le balancement régulier d'une
cloche. On croit entendre siffler les coups qui tombent dru sur
la malheureuse victime dans zon-nây?, '/(lya/âys, é^lyatây^ ;
tinpétây?, produit une sensation analogue. Quand le bruit de la
querelle s'accroît, on aura recours à un terme plus vulgaire :
pt-tclyy, « pétée. »
Parfois on trouve des analogies entre l'action de battre et
des phénomènes de la nature. Une volée de coups est com-
parée à la tempête déchaînée, à une giboulée qui fouette le
visage des passants, ou au dégel qui amène la débâcle, de là
des phrases comme: l'a résu onna tinpétây?, oima dzsbolây?,
onna dédzalâyi (dégelée) k3 sHn sovindrè, il a reçu une volée
de coups dont il se souviendra. Ajoutons avesa, « averse. »
Plus souvent que la nature, certaines occupations des
hommes offrent des comparaisons heureuses. En première
ligne, il faut citer des travaux de ménage; les diverses opéra-
tions de nettoyage, la lessive et la toilette ont fourni toute une
collection de mots : rincha, « rincée, » tortsJuâys « torchonnée, »
kouriiy?, « récurée, » raXlyâys, « raclée, » pélclyy, « pelée, »
plyoumày?, « plumée i, » vcsâya, « versée, » savounâyy, « savon-
née, » buyây9, « lessivée, » répasâys, « repassée, » pinya, pei-
gnée, » dckutya, « démêlée, » brocha, « brossée, » dépu{)^ya,
« époussetée, » épudj'a, « épucée, » plydlya, « pouillée -. » Dans
toutes ces opérations si différentes, il s'agit le plus souvent de
mouvements rapides et répétés, semblables à des coups qui se
succèdent sans intervalle. De plus, presque tous les mots cités
' drilya, " drillée, » je pense que ce mot est dérivé de driy^, « sasser
les fèves, graines » (Blonay); inkr3mây?, de inkrmiâ, qui signifie peut-être
« fouetter la crème. »
- On retrouve la même métapliore dans les patois de la Suisse alle-
mande : aim flôd (de Floh), « châtier quelqu'un, » Ions? (de Laiis),
(( donner des coups sur la tête » (Bâlc), de même yrflôa, .vlons^, v, a.,
rosser quelqu'un.
6 E. TAPPOLET
sont reliés par l'idée de nettoyage : or, on bat les enfants pour les
corriger, pour les « nettoyer » de leur méchanceté, il me paraît
donc probable que ces mots qui rappellent le ménage ont été
d'abord appliqués à des enfants à punir.
D'autres mots moins nombreux sont tirés de la vie et des
occupations du paysan : crtcha, « hersée, » dézandanya, « action
de défaire les andains, » ckosa, subst. tiré de ékâorè, « battre en
grange, » van-nâyd, « vannée, » tsèrkbtâys, « charcuterie, »
débouèlây?, de déboucla, « ôter les boyaux, démêler, » sanya,
« saignée, » sans doute dans le sens du remède médical.
Certains métiers fournissent également des termes pour une
volée de coups : ainsi chsrdja, « sérancée, » kartây?, « cardée, »
é§èrja, de éd^èrji, « lisser le fil, » terme de tisserand, du
latin extergere, essuyer, cf. anc. fr. estergier, « nettoyer, »
mblâyd, « action de moudre, » voir plus loin « écraser, » hmâyy,
« limée. » L'idée qui domine ici est celle de « frottement, »
aussi dit-on onna rnda frbtâys pour « une bonne rossée, » dz3-
moiâyy, probablement confusion avec s?motây?, de sdmota,
fouler, presser (le raisin). Dumur donne le mot avec le sens de
secousse, mouvement brusque et violent.
En se battant on s'échauffe. De là balyi onna châys, omia
boîirlây?, onna frdkachq, « donner une suée, une brûlée, une
fricassée. » L'allemand dit en style plaisant : tuir haben ihm
warm gemacht, wir haben ihm tiUhtig eingeheizt. De même
tsôda, terme de battage en grange, battage d'une airée.
Après s'être roué de coups pendant quelque temps, on com-
mence à s'écorcher la peau, à s'arracher les cheveux, à se dé-
chirer les habits. La batterie dégénère en ékbrtcha, « écor-
chée, » dépondya, dépsnalya, ébrikâyj, cfrszây?, épèXlyôy?, dé-
frsgalya (de frsgilye, lambeaux), défrdpynâyd, tscrpilya ' ;
enfin voMnya, de vounyi, « tirer les cheveux. »
' Même origine que l'aiic. franc, cbarpir, carder, mettre en morceaux
(lat. carpere, cueillir); pour le suffixe, comp. grappiller, mordiller.
On trouve aussi tsèrpinyn, anc. fr. charpigiiier, qui résulte peut-être
d'une fusion de charpir et de peigner.
LES EXPRESSIONS POUR UNE « VOLEE DE COUPS » 7
On continue à se maltraiter en se poussant, en se secouant,
en se tiraillant ; de là, busâys, de btisi, « pousser, » tsatipâys,
« repoussée, » sakàsa, « secousse, » tsèrvounya, sabblâyd, <' se-
couée;» on peut rattacher ici: trinblyây?, grulâys, brin/iâyy,
« tremblée. »
Dans une bonne bagarre de cabaret, quand on s'est assez
maltraité à force de coups et de bourrades, on essaie de ren-
verser son adversaire ; de là des mots tels que : ranvèsâyi,
ahkây?, « glissée, » dégslya, ctindya, de étindrè, « étendre par
terre, » éd-esa, de é-d^edrc, « jeter quelqu'un par terre tout de
son long, » du latin sternere, étendre, inplyatrây?, « emplâ-
trée, » roulây? et roubaiây?, « roulée, » ébourdBfalyq, « mise
par terre. » Ce mot vaudois me paraît être le résultat d'une
confusion entre le verbe ébourddlyi, « se faire une hernie, s'éven-
trer, » et l'adjectif participe éboutifalyq, « qui a les intestins
sortant de l'abdomen. »
On ne se contente pas d'avoir « déguillé » son adversaire, il
faut l'écraser pendant qu'on y est : de là ckrazâya, éim'hiâyp,
de éméluâ, « aplatir, anéantir en écrasant ; » cjlyafâys éveille
la même idée.
L'acharnement de la lutte ne connaît pas de limites, il va
jusqu'au bout. Quand l'adversaire est rendu insensible, on
parle d'une étèrijq, de étèriji, éthériser, c'est-à-dire faire res-
pirer de l'éther pour rendre insensible ; quand il est mort, c'est
une asomôy9, « assommée, » ou une krrcâya, « crevée. »
Nous étions partis des innocents et salutaires coups de verge,
nous voilà arrivés aux coups graves et mortels. Toutes les
phases d'une bataille corps à corps y ont passé.
Les listes dressées par MM. Bornet et Epars, qui m'ont servi
de base, ne permettent pas de dire j usqu'à quel point les mots
cités ont pris le sens de « volée de coups. » Peut-on dire, par
exemple : « il a reçu une crevée, » aussi bien qu'on dit : « il a
eu sa rincée ? » C'est fort possible, dans ce cas, nous avons à
faire à une forte hyperbole. L'hyperbole s'emploie dans le lan-
gage emphatique, soit qu'on se plaigne d'avoir reçu des coups.
8 MAURICE GABBUD
soit qu'on se vante d'en avoir appliqué de fort énergiques.
Je le répète, cette étude n'a rien de complet, et j'ajoute
qu'elle ne sera jamais complète, c'est dans la nature du sujet.
Dans la foule d'expressions employées pour « volée de coups, »
il y a une bonne part de mots individuels, dus à l'imagination
plus ou moins heureuse, mais toujours féconde, des bons pa-
toisants. La rancune et la victoire sont des états d'âme qui
remuent l'esprit, qui le poussent à créer, à chercher une ex-
pression nouvelle et originale qui rende bien l'affront qu'on a
subi ou la joie exubérante de l'avoir emporté sur son ennemi.
E. Tappolet.
■<• '^ •>
ÉNIGMES, JEUX DE MOTS
ET FORMULETTES BAGNARDES
Patois de Lourtier (Valais).
-♦-
1 . Ona mé^on blantsd pléna tank an frîta ? — on kàkon.
Une maison blanche pleine jusqu'au faîte ? — Un œuf.
2. PI in 0 bœ" de vatsè rodi^è, d mose dddin on a naivd k i
fi totè sorti ? — 9 fo.
Plein l'écurie de vaches rouges (charbons ardents), il entre
dedans une noire (T ccouvillon) qui les fait toutes sortir } —
Le four.
3. Pîr9 korbo, mîr9 bona, trâ'-^-infan étatsya s 0 tyit ? —
9 pb.
Père courbe {l'anse), mère creuse (Je corps), trois enfants
(les pieds) attachés sur le derrière ? — La marmite.
4. Tyu i pà kp fi, âsè sbbrà on boiié ? — âvoh.
Tous les pas {chaque point) qu'elle fait, elle perd (////.
laisse rester) un boyau {bout de fil) ? — L'aiguille.
5. On grpnâ' fè^ra di rate ? — p gàiro.
ÉKIGMES, JEUX DE MOTS ET FORMULETTES BAGN'ARDES Ç
Un grenier à l'abri (////. hors) des souris ? — Le goitre.
6. Tîrè p a kavoiia, roiiè p a pçii'/Jp ? — p borfrp.
Tire par la queue, gronde par la panse ? — La baratte.
7. Oiia grosa d:{9n9l9 blantsp, a nïn lyu nïn çiilsè, è d va
fo hbni ona niplsçnxh ? — âvhilsp.
Une grosse poule blanche, n'a ni cul ni hanches, et va
fort comme le diable ? — L'avalanche.
8. Sètô II pâyo, inpd~ cvi iné::^on ? — p fànié.
Assis dans la chambre, mange à la cuisine ? — Le poêle
(qui est adossé à la muraille, et dont l'ouverture pour intro-
duire le combustible se trouve à la cuisine).
9. Ona kberta iota rbmindâyp, a p on poiiin ? — 0)i ta'.
Une couverture toute raccommodée, n'a pas un point }
— Un toit (réparé).
10. Ona d:^pnpl9 nâirp, in-n-a ona nias' d âtrè étatsyè u
lyu, fi rin kè sbrxlâ, p parton tbtè. — p tspmïn de je.
Une poule noire (la locomotive), en a une quantité d'au-
tres attachées au derrière Qes wagons), ne fait rien que
souffler, elles partent toutes ? — Le chemin de ter.
11. Kalro dame parton in-n-ona, p von fo parâirp è p pon
jamè s akonsyœ"rp ? — / rœ'*vè du tsarç.
Quatre dames partent ensemble, elles marchent avec la
même vitesse (////. elles vont fort pareilles) et ne peuvent
jamais se rejoindre ? — Les roues du char.
12. p mœ"hlo p pyé rokan d a nieion ? — étyœ"va.
Le meuble le plus fureteur de la maison ? — Le balai.
13. p niœ"blo p pyé krètïn d a mé:y0n 1 — p kblœ" : voiiârdè
b kroiiè, as' alâ b bon.
Le meuble le plus stupide de la maison ? — La passoire
à lait : elle garde le mauvais (les impuretés) et laisse passer
le bon.
t
lO MAURICE GABBUD
14. p mè"blo p pyé fin d a mé:;^on ? — p van du blô.
Le meuble le plus avisé de la maison ? — Le van (qui
rejette la poussière et garde le bon grain).
15. Kin d v'in d vïn pâ, kin 9 vïn pâ 9 vïn ? — d blô è 9
p9ha blô.
Quand il vient {le moineau) il ne vient pas {le blé), quand
il ne vient pas [le moineau) il vient Qe blé). — Le blé et
le moineau.
16. Kin 9 mosè, rèbotè, kin 9 so, dègàtè ? — 9 pçtS9 par
inxlbrâ.
Quand elle entre, elle refoule, quand elle sort, elle dé-
goutte ? — La cuiller à écrémer.
17. On k9 m9d:~è, don 1:9 fortseyon, hatro h piton, on ha
porte d9nd e on h9 tsçxV i moisè. — 9 vats9.
Un qui mange {le tnuseau), deux qui manient la fourche
{les cornes), quatre qui foulent le sol {les pieds), un qui
porte à diner {la tétine) et un qui chasse les mouches {la
queue) ? — La vache.
18. On h 9 seye, dou k9 râdon, don k'épantson, katro k9 kb-
rèson, katro k9 porton d9nâ, on k9 tsaxl' i motsè è on k9 sonè
înyéd:(0 ? — 9 vatS9.
Un qui fauche {le museau), deux qui regardent {les yeux),
deux qui étendent {les contes), quatre qui courent {les pieds),
quatre qui portent à diner {les trayons), un qui chasse les
mouches {la queue) et un qui sonne midi {la clochette) ? —
La vache.
(Variante du numéro précédent recueillie à Champsec.)
19. 9 vïn inxlé du Tsablo sin fîr9 d onbrè ? — 9 ton d a
Xlots9.
Il vient du côté {litt. en çà) du Chable sans faire
d'ombre? — Le son de la cloche (de l'église paroissiale,
qui se trouve au Chable).
KN'IGMES, JEUX DE MOTS ET FORMULETTES BAGNARDES I I
20. Mosyè à tindu ulrp pè dpdin à findu ? — nwsyè a x^à
dùi b hogan.
Engaîner le tendu dans (////. outre par dedans) le fendu?
— Mettre la clef dans le trou de la serrure.
21. ôtè i boité par alâ bâirp ? — 9 padayj9.
Ote ses boyaux pour aller boire ? — La paillasse (quand
on va la laver).
22. Roiid'P i boiiè, ésoyè b san, a b joua inyjoii a linvoua ?
— 9 lûiipyp.
Ronge ses boyaux, fait sécher son sang, a le feu au bout
de la langue ? — La lampe.
23. Oii(i dama h porte tbrpyon a mé:(on avoiii lyé ? —
émçsp.
Une dame qui porte toujours sa coquille avec elle ? —
L'escargot (////. la limace).
24. Tyu bâ, tyu inô, tila kontrp iyii, dyè su dou ? — hiu
on-n-àryè i isyorè.
Cul en bas, cul en haut, tête contre cul, dix {les dix
doigts de celui qui trait) sur deux {les trayons de la
chèvre) ? — Quand on trait les chèvres.
25. Ona iiiûsp d'anyé blaii, se d:(btrou pb inpdjyè on moue
de pan ? — / diu.
Une masse d'agneaux blancs, se battent pour manger un
morceau de pain? ~ Les dents.
26. Nairâ dp a Rbdiâ : Se mon tyu krapè, to hrapèri tb
para' to ? — p pb è p fou a.
Noiraud (la marmite) dit à Rougeaud (le feu) : Si mon
cul crève, tu crèveras aussi ? — La marmite et le feu.
27. Vintro konlrp vintro, man u tyu, tsîlp u bbgan ? — on
mïn-nô kp sape.
Ventre contre ventre, main (de la mère) au derrière (de
MAURICE GABBUD
l'enfant), cheville (bout du sein) au trou (bouche du nour-
risson) ? — Un enfant qui tette.
28. Ko kp va avoui a tita déiç ? — / tatsè di bçtè.
Qui est-ce qui marche la tète en bas ? — Les clous de
souliers.
29. Difèrinxh intr on hapbtsïn e ona sœ"sdS9 ? — 9 ka-
pbtsïn è étatsya p à ni et in e d sœ"s9S9 p i don byé.
Différence entre un capucin et une saucisse ? — Le capu-
cin est attaché par le milieu et la saucisse par les deux bouts.
30. Difèrinxh intr ona pçnia kouaitp è on mintè" ? — Y
in-n-a pâ : ona pbina kouaitp è pâ krua e on mintà" è pà kru
non plu.
Différence entre une pomme cuite et un menteur ? — Il
n'y en a pas : une pomme cuite n'est pas crue et un men-
teur n'est pas cru non plus.
31. Jeux de mots basés sur l'homophonie de certains
vocables :
sin, 'sans', — sin, 'saint'. Sin pan è on pouro siu, 'saint
(sans) pain est un pauvre saint '.
sin, ' cela ', — sin, ' saint '. A l'indiscret qui demande :
ko sin, ' qui cela ? ' on répond : on sin k a rin de din, ' un
saint qui n'a pas de dents '.
tyè, ' quoi ? ' -= tyè, ' présure '. A celui qui a toujours à
la bouche : tyè ? ' quoi ? ' on réplique : de tyè de vé, par
inhalyè d axlè d anyé, ' de la présure de veau pour faire
cailler du lait d'agneau '.
Je, ' fer ', = fe, ' tranquille '. èta je, ' reste tranquille '.
Réponse : yo sa^ pà de fë, ' je ne suis pas de fer '.
ye, ' hier ', = yè, ' donc ' (franc, pop. voir, dans : ' écoute
voir '). A l'interpellation : vïn ye, ' viens donc ', on répond
qu'il ne faut pas dire : vïn ye, ' viens hier ', mais : vïn vouâ'^,
' viens aujourd'hui '.
rèmè, ' saindoux ', = rè}}iè, forme du verbe rèmètrp.
ENIGMES, JEUX DE MOTS ET EORMULETTES BAGXARDES I3
* remettre '. Si quelqu'un engage à différer un projet en
disant : rèniè, 'renvoie', on répond: 9 vô r'm de rèmètr9 ; 9
rèmè è rin k9 bo)i se di kayon, è fô onhb k'use de se di-:^-
vivariiô, ' cela ne vaut rien de renvoyer, il n'y a que le
saindoux (remets) des porcs qui soit bon, et encore fliut-il
que ce soit de celui des hivernes '.
Formulette enfantine pour chasser le brouillard (recueillie
à Champsec) :
^2. Tsènyïn (ou tshiyi), tsènyïn, foui, foui, k atramin siu
Martin vïn av' ona d::^erha de pal9, pb tè hbrlâ a kbral9, on
sèpoii, pb tè krâ b fron, oiia tseiia de fè, pb tè trénà in-n-iufè.
Brouillard, brouillard, fuis, fuis, sinon saint Martin vient
avec une gerbe de paille pour te brûler les entrailles, un
gros morceau de bois équarri pour te crever le front, une
chaîne de fer pour te traîner en enfer.
Empros, formulettes de jeu :
^T). On :^â, dou ^à, tré zà, katrïn hatrâ, xlïndïn yj^'^dà,
émon dyétson, duprïn s9inon, kbkab bbrdon, tir 9 pala, yjïn-
kantyon.
34. Pinka panka, d~érs9 vir9 vèura, Djan k9 ti fœ"ra. A
Sarreyer : Pïnka, ponka, resta ferma, vir9 vœ"ra, Djan fi fœ.
l'^. Uni unô, de pik de pô, de karabin, de sin serin, mby9,
Jby9, klcu.
Formulette adressée à celui qui a l'habitude de fouiller
ilans les poches d'autrui :
36. Fbrd:(^pfûta, nïn de rata, va bair a kalya, u fon d afata.
Fouille poche, nid de souris, va boire le lait caillé au
tond de la poche.
Formulette enfantine accompagnant le jeu de la balan-
çoire (recueillie à Champsec) :
37. Gouga, patin gà, davouè-:;^-œ"rè apri d9nâ, bà pè dè^o
râkâ di Ç[à.
14 L. GAUCHAT
Balancer, patin c^â (?), deux heures après dîner, en bas par
dessous le grenier des Gard (nom de famille).
Formulette prononcée en frappant avec le manche du
couteau une branche de saule, dont on veut enlever l'écorce
pour faire un sifflet (recueillie à Sarreyer, cf. Arch. suisses
des trad. pop., 1905, p. 59-64, où ont été publiées de nom-
breuses formulettes analogues) :
38. Sâèrïn, sâèrïn, s ta va bïn, te balo de bon vin, s to va
pà bïn, tè balo de ppsp de tsin.
Sâèrïn (?), si tu vas bien, je te donne du bon vin, si tu
ne vas pas bien, je te donne de la pisse de chien.
Maurice Gabbud.
ETYMOLOGIES
-♦-
I. Semoraul =1 juin.
On rencontre quelquefois dans de vieux actes de la Suisse
romande le mot semoraul comme ancienne appellation du mois
de juin. Un passage comme celui-ci : « ou premier jour de
semoraul » {Recueil dipl. Fribourg, V, p. 95, en 1393) montre
clairement qu'il s'agit d'un mois; le suivant prouve qu'il s'agit
de juin : Les membres du Conseil et des 60 sont répartis en
trois séries, qui prennent tour à tour la charge d'assister aux
« jornees deis marches » et à la justice, pendant 4 mois « per
ceste manere. Jueneir, avril, sesson ^ et octouvre pour une
partie, fevreir, may, ogst et november pour lautre partie, mars,.
semoraul, septembre et décembre pour la tierce partie » {ib., V,.
p. 8S, en 1392). Le terme était général autrefois; nous le re*
trouvons dans les annales de l'Abbaye de Joux : « semel in
' = juillet, nom qui rappelle l'allemand Heiivionat et qui dérive
probablement de sèyi, faucher, bien que la présence de ss ne soit pas
très claire.
ETYMOLOGIES I5
vere semel in semorali et semel in autumno » {Mém. et doc. soc.
(Thist. Suisse rom., I, p. 182, en 1273), ^^ ^' ^^^ encore à Héré-
mence en Valais sous la forme de chambra, avec le sens précis
de juin (Lavallaz, Essai sur le patois d'Héréfnence, p. 70). Pour
la phonétique, comparez calidu = tsâ., à Hérémence ; tso-, dans
les cantons de Fribourg et de Vaud (=- *aul).
Le mot a été formé à l'aide du verbe ssmbrâ ou somàrâ, qui
nous est attesté dans les patois de toute la Suisse romande, et
qui signifiait à l'origine : labourer les terres qui sont en jachères.
On retourne la terre provisoirement, pour la déchaumer, et
faire disparaître les herbes qui ont poussé entre les éteules. Ce
travail se faisait anciennement en juin. En automne, avant
d'ensemencer, on labourait une seconde fois, plus profondé-
ment. Le verbe a été plus tard appliqué également aux labours
préparatoires, après la moisson, des champs qu'on se propo-
sait d'ensemencer au printemps. Toute une petite famille de
mots se rattache à ce terme, dont nous possédons les traces
les plus nombreuses dans les patois vaudois.
L'étymologie de sombra soulève un problème qui ne saurait
être résolu qu'en étudiant simultanément les formes somarer^,
labourer (pour la première fois), somart'^, jachère, du vieux
français, qui possède également le dérivé somartras, avec le
sens de Juin (voir Godefroy, Dict. Vil, p. 465 ; Merlo, / nomi
romanzi délie stagioni e dei mesi, p. 136 ; A. Thomas, Nouveaux
essais de philologie française, p. 360).
Mentionnons encore l'identité parfaite de semoraul avec
l'appellation allemande Brachmonat {brachen ou brechen =
sombra). En réto-roman, on rencontre pour le même mois le
nom de zarcladur, mois où l'on sarcle, qui indique une fort
ancienne communauté de culture de tous les pays romans
situés entre le 46^ et le 49^ degrés de latitude. Le Midi ne pa-
raît pas connaître le mot sbmbrâ ni aucun terme équivalent.
L. G AU CHAT.
2. Ancien neuchâtelois : entrèves.
A Neuchâtel, comme dans d'autres pays de droit coutumier,
il était jadis d'usage que, dans les cas embarrassants, les jurés
du plaid d'une localité envoient une délégation pour consulter
■ Avec les variantes importantes sombrer, sombre.
l6 J. JEANJAQUET
la cour de justice de l'endroit dont ils relevaient au point de
vue des coutumes. (Voir Matile, Hist. des instit.judic. de Nen-
châtel et Valangin, p. 61-8 r.) Cette consultation juridique est
généralement désignée dans les actes par le terme d'entreves,
entretwesy entrives, dont on a de fréquents exemples jusqu'au
seizième siècle. Le plus ancien que nous connaissions se trouve
dans un document de Valangin de 1446: lesdit juriez volloient
avoir les entreiiues... laquelle cognoissance et entreiives
furent rapourtees par lesdit deux commis {Arch. de VEtat de
Neuchâtel, A 9, n" 10). Le verbe entrever, = demander les
entreves, apparaît déjà en 1352 dans un autre acte de Valangin
(Matile, Monum. de l'hist. de Neuchâtel^ II, p. 674, où il faut
lire entrevelz au lieu de e/itreveler). Matile a voulu expliquer ce
terme juridique, qui, croyons-nous, n'a pas été signalé ailleurs,
en disant que le juge consulté, formulant sa sentence, « la tre-
vait, treuvait, ou trouvait, selon la vieille expression du droit
allemand et de la poésie française. » {Instit. j'ud., p. 61.) En
réalité, entrever n'a rien à voir avec trouver^ mais doit être
identifié avec le verbe intrevâ, intèrvâ, « s'enquérir, s'infor-
mer, » que connaissent encore la plupart des patois vaudois,
fribourgeois et valaisans, et qui est issu du latin interro-
gare. Aller aux entrèves, c'était donc proprement: aller aux
informations. Ce substantif verbal de entrever existe encore
aujourd'hui dans quelques patois, mais comme terme tout à fait
vieilli et restreint à de rares locutions traditionnelles. Ainsi, à
Blonay (Vaud), on répond aux questions importunes des
enfants: Qu'y a-t-il là-dedans? Qu'en fera-t-on? etc., par:
déi-z-intrâivè, déi kouarnd dé lâivrè, « des demandes, des
cornes de lièvres. » De même à Liddes (Valais) : dé-z-intèrvè
dd kouryà"^^ « des questions de curieux. -> A Champéry (Valais),
on a aussi le dicton : pèr intèrvé, on va a Roma, « en deman-
dant, on va a Rome. » Cf. Mistral, entrèvo, dauphinois enterras
= questions, informations. Raynouard, Lexique, V, p. 104, et
Levy, Prov. SuppL- Worterbuch, citent un exemple du substantif
enterva en ancien provençal avec le même sens. Godefroy ne
donne pour le vieux français que le verbe enterver.
J. jEANjAaUET.
LE CONTE DU CRAIZU
EN PATOIS DE LUTRY, PUBLIÉ d'aPRÈS UN AN'CIEN MANUSCRIT INÉDIT
-♦-
« Le Conte de la Lampe, ce petit tableau de genre de notre
vie campagnarde, avec ses peintures d'inte'rieur si parlantes et
d'une rusticité où le fou-rire fait tout excuser, avec sa figure
principale enfin d'un comique si impassible et si candide, est
un petit chef-d'œuvre de simplicité, de gaîté, de récit, de na-
turel et de nationalité. » C'est en ces termes que Juste Olivier
parle, dans son beau livre sur le canton de Vaud^, d'une com-
position patoise de 218 vers qui a été publiée à la fin du XVIIF
siècle, probablement à Lausanne, et que Gaullieur^ appelle le
« fondement de la littérature patoise du Pays de Vaud. » Cet
opuscule est, en effet, le premier livre patois imprimé dans le
canton de Vaud dont nous ayons connaissance 3. Il mérite déjà
notre attention à ce titre-là. Et, sans partager tout à fait l'en-
thousiasme de Juste Olivier, il faut avouer que le poème, impro-
* T. Il, Eclaircissements, p. XLVin.
^ Etudes sur l'histoire littéraire de la Suisse fratiçaise, particulièrement
dans la seconde moitié du JCVIIF siècle, p. 290. Genève 1855. {Bull. Institut
liât, genevois, t. III.)
^ Un de mes amis m'avait cité comme premier livre patois un petit
traité de morale, qu'il n'avait jamais vu, inlitulé La hoiiiia via. Je n'ai
pas réussi à en retrouver la moindre trace.
Ib L. GAUCHAT
prement appelé conte ou r^^^-àVa-'/^^ possède une grâce pleine
de malice, une saveur, qui n'ont pas encore perdu leur charme.
Le patois, langue dans laquelle on peut tout dire, atténue la
crudité de certains passages. La situation est originale : un
père raconte à un notaire, pour les faire juger par un tribunal
de mœurs imaginaire, les mauvais tours qu'un polisson a joués
à sa fille. Ce sont des plaisanteries de mauvais goût que
l'amant malhonnête fait à sa belle, et que le père rend encore
plus comiques par le grand cas qu'il en fait. Sous l'indignation
feinte du plaignant transparaît le sourire de l'auteur, qui se
plaît à énumérer les méfaits de son héros -.
Le poème se compose d'alexandrins à rimes plates, groupés-
en sorte de strophes d'inégale longueur, terminées ironique-
ment par le refrain : « Si le souverain dit que c'est une action
(permise), patience! »
L'imprimé du win^ siècle ne porte pas de date et est ano-
nyme. C'est une petite brochure in-8° de douze pages, qui a
pour titre : Lo conto d'au craizu. Coq à V Ane datis le Patoi du
Canton de Vaud^. Il en existe un exemplaire à la Bibliothèque
cantonale vaudoise (coté M 2059*) et un autre à celle de
Fribourg. Dans l'ouvrage cité, p. 290, Gaullieur lui assigne la
date de 1785. Pierquin de Gembloux, Histoire littéraire des
patois, Paris 1858, p. 249, celle de 1780. Mais ces dates
sont peu certaines. Le doyen Bridel^, et d'après lui Pierquin
• Cette appellation était autrefois un peu synonyme de poésie humo-
ristique ou satire (voir Boissière, Poétique, p. 254). Dans le Recueil
Corbaz on dénomme ainsi une énumération des instruments qui ont
servi à faire un charivari, p. 80, et une gaie anecdote de chasse, en vers,.
p. 121.
2 II n'est pas impossible que le morceau repose sur des faits réels,
D'après Ch. Berthoud (Miisce neuchâtehis, VII, p. 64), l'auteur aurait
été avocat.
3 Comment concilier le terme de canton avec la date attribuée à la
publication? Pouvait-on, avant l'émancipation, parler d'un ca;; /on de Vaud?
* Actuellement égaré.
^^ Etreiuies behétiennes et patriotiques, 1811, Avis liltêi aire (Tp. 119-123)^
reproduit dans le Conservateur suisse, i^e édition, t. VII, 404-407.
LE CONTE DU CRAIZU IÇ
de Gembloux' et Juste Olivier- considèrent comme auteur
un monsieur De la Rue, de Lutry. Le volumineux répertoire,
de noms de famille de Piccard (exemplaire des archives can-
tonales^ à Lausanne), mentionne un De Rue, seigneur de Mon-
tagny s/Lutry, dès 1627, et un De la Rue, de ou à Lutry, 1820
dont l'existence n'est pas certaine. Malgré les recherches que
M. Millioud a bien voulu faire pour moi, il n'a pas été possible
d'identifier le personnage. La mention de Montagny, vers 36
et 41, confirme cependant ces indications de provenance. A
son tour, la langue montre que le poème a été écrit dans
les environs de Lausanne 3. On y remarque par exemple
une hésitation entre e et / pour la voyelle latine e devant s
+ consonne : veté, vers 38, r évité, vers 169, = vëstit; être,
vers 70; téta, fêta, en rime, vers 123-124; téta, vers 144. Le
groupe es cons. devient / dans le patois de Lavaux, / dans
celui de La Côte ; Lausanne forme la limite, et offre une
inconstance bien naturelle dans le traitement de ce phonème.
J'ignore sur quoi s'appuient Corbaz et Favrat, dans leurs édi-
tions citées ci-dessous, pour donner notre récit comme spéci-
men du patois de Pully, qui sera du reste identique avec celui
de Lutry.
Le Conto d' au craizu a été réimprimé plusieurs fois. Corbaz
l'a placé en tête de son Recueil de morceaux choisis en vers et
en prose en patois, paru à Lausanne en 1842*. Son édition ne
diffère de l'imprimé du XVIIF siècle que par quelques détails
insignifiants. L'orthographe est la même. Le texte de Corbaz a
été ensuite reproduit, avec de simples divergences orthogra-
* Ouv. cité, p. 284-285.
' Canton de Vaiid, t. II, Eclaircissements, p. xlvi. Comp. aussi la table
du Recueil de Corbaz, Lausanne 1842, où on lit : << Le Conto d'au
Craizu, par De la Rue, de Lutry. »
^ Le document gagne par là en valeur : il représente le patois dès
longtemps disparu de la capitale vaudoise.
* L'ouvrage a été publié par fascicules, dont le premier était en vente
dès 1841.
20 L. GAUCHAT
phiques, par le Conteur vaudois, 7," année (1864-65), n^^ 5 et 6;
par Favrat, dans son Appendice au Glossaire de Bridel (1866),
p, 512-518, et de nouveau par le Conteur vaudois, en 1905,
no^ 45 et 46.
M. E. Muret, professeur à Genève, a bien voulu me commu-
niquer une copie manuscrite, appartenant à M. de la Harpe, à
Vevey, dont le texte diffère sensiblement du premier im-
primé. Ce manuscrit remonte probablement à la fin du xvill°
siècle et offre généralement des leçons préférables à la rédaction
imprimée. Mais l'orthographe est hésitante et fortement franci-
sée, surtout au début. Il n'existait pas, à ce moment, de tradition
orthographique patoise. Je trancris ici ce manuscrit sans rien
changer au texte ni à l'orthographe ; je rectifie seulement les
nombreuses erreurs commises dans la séparation des mots.
J'y joins une traduction aussi littérale que possible. En note,
je citerai les variantes de la rédaction traditionnelle, d'après
le vieil imprimé, sans m'occuper des divergences purement
orthographiques. En appendice, je donnerai la prononciation
actuelle dans les environs de Lutryi des mots dont la transcrip-
tion laisse subsister des doutes, et j'expliquerai certains termes
intéressants de ce document. Ils sont, dans le texte, accompa-
gnés d'un astérisque.
' A Lutry même, le patois est complètement éteint.
LE CONTE DU CRAIZU
[Lo conto day craizu.]
Le père : — Dieu lo vo haillay bon, nionsii lo secretéro,
Acebin qu'a ti vo, messieu se penchounéro *,
Tant Ecrivin que Cler, gens de banche * et de plume,
Qui forgeai ti l'argent sans martau ni enclume.
5. Mais pardon, se vo plé, ne s'agit pas de cin.
Dait-on pas condana a ti frai et depin,
Dite lo vay, messieu, ti per vouira conchense,
Ce qu'ètien lé craisu* par malice et vengence ?
TRADUCTION
Le récit des lampes.
Le père :
Dieu VOUS le donne bon [le jour], monsieur le secrétaire,
Aussi bien qu'à vous tous, messieurs ses pensionnaires,
Tant écrivains que clercs, gens de bureau et de plume.
Qui forgez tous l'argent sans marteau ni enclume.
Mais pardon, s'il vous plaît, il ne s'agit pas de cela.
[Ne] doit-on pas condamner à tous frais et dépens.
Dites-le un peu, messieurs, tous sur votre conscience.
Celui qui éteint les lampes par malice et vengeance ?
Le manuscrit n'a pas de titre, la ponctuation manque à peu près tota-
lement. — 2. messieux lés Commissêro [n'a pas de sens]. — d^^eus dé
hani:(e et dé pUomma [bien préférable comme transcription ; du reste, le
texte est beaucoup moins francisé dans la suite du manuscrit de la
Harpe]. — 4. Que ford:(i ti l'ard\en sen marié né encUomma [item]. —
5. Ma per don, se vo plié [item]; çen [le scribe de notre manuscrit a été
embarrassé en transcrivant le e nasal, qu'il écrit en, en, in; quelquefois
on trouve, comme ici et dans la ligne suivante, en corrigé en m]. —
8. lo craisu [notre texte vaut mieux, puisque le héros éteint deux lampes ;
cf. aussi vers 155]; vend\ence [orthographe préférable].
2 2 L. GAUCHAT
Le notaire: — Pouro frare, epay* bin que vo-7^ay prau reson,
10. Mas no ne vayen pas, io va voutra question.
Le père : — Que ! vo ne cède pas, messieu, que i'é oiina felie,
Dont on laron t^i no voliay fére a la pelie* ?
Mais, par gué ! n'en est pas inque io voudray bin.
N'a pas troua son fou, c'est ma fay on biau t^^in *.
15. Dinché, bravo tnessieu, moyenan bon saléro,
Féde mé on mandai a noutron concistero * :
« A vous. Messieurs les Juges, ministre et Lieutenant,
Secrétaire, assesseu et to Io bataclian.... »
Que lau say deffendu, et en bonne écretoura,
Le notaire :
Pauvre ami (frère), peut-être que vous avez bien raison,
Mais nous ne voyons pas où va votre question.
Le père :
Quoi ! vous ne savez pas, messieurs, que j'ai une fille,
Qu'un mauvais sujet (voleur) chez nous voulait enjôler?
Mais, par Dieu ! il n'en est pas là où il voudrait bien.
Il n'a pas trouvé sa dupe; il est, ma foi, bien attrapé (un
beau chien).
Ainsi, braves messieurs, moyennant bon salaire.
Faites-moi un mandat à notre Consistoire :
« A vous, messieurs les juges, pasteur et lieutenant.
Secrétaire, assesseurs, et tout le bataclan.... »
Qu'il leur soit défendu, et en bonne écriture.
9. hin rêson [notre texte évite la répétition du mot bùi]. — 10. ne ne
vyen pas [manque une syllabe et la forme actuelle est bien vâyéin]. —
12. Idre. — 14. l'est ntafai. — 15. Dite, hravo Messieux [notre texte vaut
mieux]. — 16. per noiitro. — 17. L'imprimé donne tout en patois :
A vo, Messieux les Diud^o, Menistré, Lutenien [le manuscrit, qui repro-
duit d'abord le texte officiel français et passe ensuite au patois, nous
semble être plus près de l'original].
LE CONTE DU CRAIZU 23
20. Dé rén distribua dé noiUra procedoura.
Pesa fer *, se vo plié, vos verray se ; éson,
Qiiand vo-^-ari conta dau i^alan lés akchon.
Vo saray don, Messieii, ce vo plié d'aciita.
Que ma félie et ce cor ce son zfiii -^i ama*
25. Et que ne craya ti que saray on mariajo,
Vo ne manqueray pas haro, pan ne froumajo.
Mé vayqué que Uni ; car por lli, orendray,
Ma fellie n'en vau plieu, ne en blian né en nay.
Et se li'a :(ii balli quoqué tracasseri* ,
30. Por cén ni a né papay né parchemi ecri.
Baste ! enfin ce akchon son envers lli se naire,
De rien divulguer de notre procédure.
Pesez bien (ferme), s'il vous plaît, vous verrez si j'ai raison,
Quand je vous aurai conté du « galant » les exploits.
Vous saurez donc, messieurs, s'il vous plaît d'écouter,
Que ma fille et cet individu (corps) s'étaient autrefois aimés
(se sont eu eu aimés)
Et que nous croyions tous que ce serait un mariage.
Où ne manqueraient pas beurre, pain et fromage.
Mais voilà qui est fini ; car pour elle, désormais,
Ma fille n'en veut plus, ni en blanc ni en noir.
Et s'il lui a une fois donné quelques petits cadeaux,
Pour cela, il n'y a ni papier ni parchemin écrit.
Baste! enfin, ses actions envers elle sont si noires.
22. Quand yari d'au gaîaiid raconta les acchons. — 24. se sont d^a ^u
cmâ [notre version est plus patoise]. — 26. pan, buro né. — 28. n'en vaut
rin. — 29. se l'ai a \u hailly [le manuscrit présente encore l'ancienne
forme de pronom datif ly, remplacée aujourd'hui par lay = illac,
comp. en français : ;"y dis]. — 30. n'a ni papai; part^emin. — 31. envers
h sont.
24 L. GAUCHAT
Que nara pas Vhonneu de in appela biau-paire *.
Vo-:^-én vé raconta giiogtié-^-echantillon,
Per io vo verray bien cén qu'est ce compagnon.
ly On djor lay di'- no fan divei'ti stau venenje ;
Alén no promena a Montagni Demenje !
Uotra lau lay promé, et, lo djor ariva.
Se laive lo matin, se veté et s'en va
Appala la Lu^on, qu'élay noutra ve:{éna,
40. Brava fellie, ma fay, et que noutra cou^éna.
Stau galandé* s'in von dray a stu Moniagni,
Yo stu cor ne fu pas ! né-t-e pas on mépri ?
Dite-lo ti, messieu, et per vautra conchense,
Ce cén est oun'akchon ?
Qu'il n'aura pas l'honneur de m'appeler beau-père.
Je vais vous en raconter quelques échantillons,
Par où vous verrez bien le caractère (ce qu'est) de ce
compagnon.
Un jour, il lui dit : il nous faut [nous] divertir [pendant]
ces vendanges;
Allons nous promener à Montagny dimanche!
L'autre le lui promet, et. Te jour arrivé,
Elle se lève le matin, s'habille et s'en va
Appeler Louison, qui était notre voisine,
Une brave fille, ma foi, et qui est notre cousine.
Ces jeunes filles s'en vont « droit » à ce Montagny,
Où cet individu ne fut pas ! n'est-ce pas un mépris ?
Dites-le tous, messieurs, et sur votre conscience,
Si c'est une action [permise] ?
32. appaU [meilleure forme]. — 34. stu compagnon. — 35. l'ai de [passé
déf., ici présent]. — 38. Le se laivé matin, se vîté, et s'en va. — 39. Le
cria. — 40. Viré noutra cou:(ena [= elle était, est vaut mieux]. —
41. contré stu Montagni. — 42. Stu cor ne l'ai fn pas. ■ — -43. Dite lo vai,
messietix, ty.
LE CONTE DU CRAIZU 25
45. Ce lo souverin di que cén say* oun'akchoii,
Fachense !
On aiitro ■viad:;;o encor, que cassavon lés coquie*,
Noutra fellie lay va ; stu cor, sén deré porquié,
Quitta son martelet, sor e s'epouffé* fau,
50. Comén se llire entra on or aubin on lau.
T^acon crai/^ay d'abor, en vian sa grimace,
Qu'a on verro de vin Vallavé fére pliace.
Mé sén ce qu'on rêve * / Se bin qu'a la miné
Le pare fu contrin, son viaud^o * su lo bré,
55. Dé la raccompagni t^i no tôt a pejiau~a,
Vo l'aray bin voliu avay resta merdau:{a.
Si le souverain dit que c'est une action,
Patience !
Une autre fois encore, qu'on cassait (ils cassaient) les noix,
Notre fille y va ; cet individu, sans dire pourquoi,
Dépose son martelet, sort et s'esquive dehors,
Comme s'il était entré un ours ou un loup.
Chacun croyait d'abord, en voyant sa grimace,
Qu'à un verre de vin il allait faire place.
Mais on ne le revit pas ! De sorte qu'à minuit
Le père fut contraint, sa serpe sur le bras.
De la raccompagner toute penaude chez nous,
Où elle aurait bien voulu rester toute honteuse.
49. Léssa son tiiaitélet, s'en va lo vaiquié fro. — 50. Coumin se Vire,
entra on laù, ohin on or. [L'amant prend la fuite devant la jeune fille,
au moment où elle entre, comme à l'apparition d'un ours ou d'un loup.
On ne connaît aujourd'hui que la forme proclitique /ro ou /roî^ du latin
foris. Notr-€ texte offre ici la forme tonique. Comparez en patois
valaisan les formes toniques /«'«ra ou four a. L'ancien éditeur a établi
une mauvaise rime (pour les yeux) en intervertissant les mots du
vers 50J. — 51. crayai [préférable?], vyen [dito]. — 52. qu'à n-on vèro
[suppression d'hiatus très courante]. — 54. Jo viaud::^o. — '^6. voliu resta tota.
L. GAUCHAT
Pliétou quié d'alla U por avay ce affron,
Et u verre moqua per on tau compagnon.
Dité-mé don, messieu, îi per voutra conchense,
éo. Ce cèn est oiinakchon !
Ce lo souverain dit que cén say oun'ahchon,
Pachense !
Ouna veilla, i^i no, eten pré dau moriay * ,
Yo fa-^ay qidé sémblian dé s'ed:(aiida lé day.
65. Cin qu'on s'en apperçu, ye sor de sa cad^étta
De la pudra, avoué quié vo fa ouna gueliétta*.
Et volien la sed:(i, la laissé dchay au fii ;
Se bin qui' en folien * et fasén sliau biau dju,
To d'on cou sén vo fa, messieu, ouna voilaye *,
70. Que ma maison risqua d'eiré tot'émbrasaye.
Plutôt que d'aller là pour avoir cet affront,
Et de se voir ridiculiser par un tel compagnon.
Dites-moi donc, etc.
Un soir (veillée), chez nous, ils étaient près du brasier,
Où il ne faisait que semblant de se chauffer les doigts.
Sans qu'on s'en aperçût, il^sort de sa poche
De la poudre, avec quoi il vous fait une « guillette » ;
Et voulant la sécher, il la laisse tomber au feu ;
De sorte qu'en badinant et en faisant ces beaux jeux.
Tout d'un coup cela vous fait, messieurs, une [telle] flambée,
Que ma maison risqua d'être tout embrasée.
57. stu affron. — Dite h vai. — 63. Fêtai pré. — 64. Yofasai ensemhlian
dé se t^aiidâ. — 67. tjai. Recueil Corbaz : tjaire [le manuscrit et l'imprimé
représentent la même forme : tchyây, venant directement de cadére,
tandis que les patois modernes possèdent des formes analogiques
tchâyrd ou tsiii]. — 68. stu biau dju. — 69. çen vo fe [passé déf] onua
tôla voilaye.
LE COXTE UU CRAIZU 27
Pliu ma fellie etay quié, lo vo deri io net,
Sa conollie a la man, fasin lo cafornet,
Et lo fil que sauta é s'émpré ay-:(-etopé,
Fe quié sa mère et lli ne furont pas niau sotte.
75. Ditte-mé donc, messieu, ti per vautra conchense.
Ce sin est ouna akchon !
Ce lo souverin di que cén say oun'akchon,
Pachense !
Nos avia-i-ouna bouna et halla galéry,
80. Que y'é éta contrin de fére démoly.
Ne pocvo * pas di min por l'honneur de ma fellie,
One volié conserva entier dén sa couquéllie.
Car veniay taquena tiautre* tolé lé né;
Day viad2;o lo matin, d'otro viad^o a miné.
Puis ma fille était là, je vous le dirai franchement,
Sa quenouille à la main, faisant le « cafornet » (en posant
les pieds de part et d'autre du « mortier »).
Et le feu qui sauta et prit à la filasse
Fit que sa mère et elle ne furent pas mal sottes.
Dites-moi donc, etc.
Nous avions une belle et bonne galerie,
Que j'ai été obligé de faire démolir-
Je n'en pouvais pas à moins pour l'honneur de ma fille,
Que je voulais conserver entier dans sa coquille.
Car il venait taquiner chez nous toutes les nuits ;
Quelquefois le matin, d'autres fois à minuit.
71 . nouira fellie était tie [pliu au lieu de pu =zpms est le résultat d'une
confusion avec le mot plus'I. — 73. sauta alla prendre [notre texte est
plus patois]. — 74. De quié sa mère. — 75. Dite lo vai. — 80. fére-à
déguelly [plus pittoresque, mais signifie plutôt abattre, jeter à bas, et
convient peu ici]. — 81. N'en poivo pas dé vien. — 82. eittire-en. —
83. per chaut re - autre la né [voir appendice].
28 L. GAUCHAT
85. Por t:{ert:{i l'occasion de poiiay feré ripaille,
En forcin d'an certin cabinet la s er raille.
Slia galeri m'avay cotta cinquante Ecu :
C'est sa fauta portant, ce y'é ta cén perdu.
Dite*-mé don, messieur, ti per voiitra conchensCy
90. Ce cén est oun'akchon !
Ce lo souverin di que cén say oun'akchon,
Pachetjse !
Noutré ve^^in avion aberd^i ouna né
— Por vo deré bin quand cén ne fa rin au fé —
95. On certin novien* qu'étay bon violare.
To ce ressemblia quié, tant lé féllie quié mare.
Stu galand lay etay, yo fa:(ay lo finden,
Sin fére pi simblian de pi vouaiti lé d:{en.
Lay sauta* et densa* sliau qu'etion a sa potta,
Pour chercher l'occasion de pouvoir faire « ripaille, »
En forçant la serrure d'un certain cabinet.
Cette galerie m'avait coûté cinquante écus :
C'est sa faute pourtant, si j'ai perdu tout cela.
Dites-moi donc, etc.
Nos voisins avaient hébergé une nuit
— Pour vous dire [la chose] exactement, quoique cela ne
fasse rien au fait —
Un certain aveugle qui était bon joueur de violon.
Tout se rassembla là, tant les filles que les mères.
Ce « galant » s'y trouvait, faisant le petit maître,
Sans faire seulement semblant de regarder les gens.
Il y fit danser et sauter celles qui étaient à son gré (////. à
[sa lèvre).
87. Ma gaUry. — 88. L'é sa Jota, orendrai. — 89. Diié lo vai. —
93. Noiilro ve^in avai [moins bon]. — 96. Vai se rassemhlian iy, lé
fellie avoué U mârè. — 97. que fasai. — 98. sen férè ensemhlian. — 99. Uai
dansa, Vai sauta stau.
LE CONTE DU CRAIZU 29
100. Et lé mollavé* bin a la fin de la 7totta*.
Adon, coumen t:;^acon sond:^ivé a s'en alla,
Et dén lo tén qu'allé noutra fellie appalla,
La pré et li'en mena enfin ouna petita,
Mé cen slia que besa ne niola ouna miilaf
105. Dite, brave messieurs, ti per voutra conchensa,
Ce cén est oun'akchon !
Ce lo Souverin di que cén say oun'akchon,
Pacbense !
Vo saray don encor, et sta et la pliou forla,
iio. On d~or quié la Zabet iré su noutra porta,
— Cettay Vhyver passa que fa:(ay ce gran fray
Et qu'on ne savay pliii yo ce cat:(i lé day, —
Stn cor s'approut:(e et pui, sen dere quié so quotte,
Et les embrassait bien à la fin de la danse.
Alors, quand chacun songeait à s'en aller,
Et au moment où j'allais appeler notre fille,
Il la prit, et lui en fit danser enfin une petite.
Mais il s'en fallut bien qu'il la baisât ni embrassât un peu
(une miette) !
Dites, braves messieurs, etc.
Vous saurez donc encore, et celle-ci est la plus forte :
Un jour que Elisabeth était sur notre porte,
— C'était l'hiver passé, qu'il faisait ce grand froid
Et qu'on ne savait plus où se cacher les doigts —
Cet individu s'approcha et puis, sans hésiter (sans dire :
que coûte cela ?)
102. Ye fù tii mon veiin [= je Jus, etc., le manuscrit offre un texte
plus clair]. — 103. la menaonna iota petita. — 105. Dite lo vai [le refrain
est uniformisé dans l'imprimé]. — m. L'étay Vlnver ; stu grand frai. —
112. Yôon ne. — 113. s'approut:^a [passé défi, impossible à cause de la
mesure], et poiii, sen derè porquiè [potquic, accentué sur 0, cfr. les vers 46
30 L. GAUCHAT
Apre qiioquie ré^on quiquiè lay vo marmotte,
115. Et avay fé lé ior que f on les tcharlatan,
Folie lé lay fora âedén son cat^eman*.
Dite-mé don, messieu, ti per voiitra conchense,
Ce sen son des akchon!
Ce lo Souverain di que cén say oiin akchon,
1 20. Pachense !
Vaicé on autro ior que lay fe l'an passa,
A que ne pu djamé de sang fray repensa.
Les fellie et valet s'etion bouta en teta,
De s'alla promena on certin d:(or de fêta.
125. Cou m en l'eîion ii qtiie au dessu d'on recor*.
Après quelques paroles qu'il lui marmotte là,
Et après avoir fait les tours que font les charlatans,
Il voulut les lui fourrer [les doigts] dans son « cache-mains
Dites-moi donc, etc.
Voici un autre tour qu'il lui fit l'année passée,
Auquel je ne puis jamais « repenser » de sang froid.
Les filles et les garçons s'étaient mis en tête
D'aller se promener un certain jour de fête.
Comme ils étaient tous là au haut d'un tertre (?),
et 47, rime mal avec j/zarwo/ie, la locution offre peu de sens ici, et rem-
place évidemment l'expression sen dere quié so quotte tombée en désué-
tude, et que l'éditeur de l'imprimé a cependant dû laisser subsister au
vers 185, ne trouvant rien à mettre à sa place. L'expression doit signi-
fier : sans hésiter ou quelque chose d'approchant, et est peut-être née
dans des phrases comme : il partit avec son larcin, sans demander: que
cela coûte-t-il, c'est-à-dire au plus vite. ; la forme quié me fait présumer
qu'il s'agit plutôt d'une proposition interrogative que relative]. —
114. résons, adon que l'ai m. [peu satisfaisant]. — 116. l'o/Z/ai [imparfait]
fourra se dai. — 117. Dite la don. — 122. Au que n'éjamêpû. — 123. Le
fellie et U valets. — 125. Vèlian setiet [aujourd'hui on dirait sstâ pour
assis, la forme setiet m'est inconnue et repose peut-être sur une faute
de lecture], an coutzet d'on.
LE COXTE DU CRAIZU 3I
Slu grivoi l'embrassa per lo viaiten dau cor;
Noittra fellie quetay aupré de lin siaye,
Et dcii lo mémo len la vaiqui renversaye ;
Et puis, hredin breda, vo fou lo batacu *.
130. Tantou Von est de^o, et tantou l'est dessu;
Cebin que le montra, coumen vo patidé craire,
D:(arotire, d:^enau.... et cen qu'on volie vaire.
Apres avay risqua dé la fére assoma,
Le se relaivé enfin, avoué don pi de na.
135. Dité-mé don, messieu, ti per voutra conchense,
Ce cen est oun'akchon ?
Se lo Souverain di que cen say oun'ahchon,
Pachense !
Accula vay, messieu, en vaicé ouna terriblia :
140. Lo Diablo n'en pan pas fére ouna pliu-^-orriblia.
Ce grivois l'enlaça par le milieu du corps ;
Notre fille (qui) était assise auprès de lui
Et au même moment la voilà renversée ;
El puis, bredi breda, ils vous font la culbute.
Tantôt l'un est dessous, et tantôt il est dessus ;
De sorte qu'elle montra, comme vous pouvez croire.
Jarretières, genoux... et tout ce qu'on voulut voir.
Après avoir risqué de la faire assommer.
Elle se relève enfin, avec deux pieds de nez.
Dites-moi donc, etc.
Ecoutez un peu, messieurs, en voici une terrible :
Le diable ne peut pas en faire une plus horrible.
126. l'embrassé [présent, le rythme demande le passé déf.]. — 127. dé
conta îy selaïe [l'original portait certainement setaye]. — 128. Est, d. l.
m. t., to d'on cou r. — 130. tantou l'otro est déssu [contresens comique
devenu populaire, mais qui n'appartenait pas à l'original]. — 152. to
çen qu'on voliai. — 1 3 3 • <^«' se fére assomd [ préférable ?] . — 135. Dite lo vai .
— 140. fére oniia s'horriblia [avec hiatus avant ontta et élision devant
horrihlia, est peut-être la bonne leçon].
32 L. GAUCHAT
Fo pré de la verraire et la pilé au morlay,
— Que mafy lay pusse dinché pela lé day ! —
Et piii ye porté so den h lly de tîia féllie,
Que la vo dépoira day la teta a la grellie.
145. Rin nest pliu vré, inessieu; lai ce vos-:(^-avia vu
L'etai yo ce trova adon son pouro eu!
Vo-:(^aray fé pedi, lo pouro miser ab Ho /
Car rinnocén ne day pati por lo coupahlio.
Portant lé d:(^a garia, mé de ne cén lo mén
150. Que no-'^-en a cota d'on bon pot d'eguar^en *.
Dite-mé donc, inessieu, ti per voutra conchense,
Ce cen est ounakchoii ?
Se lo Souverain di que cen say onnahchon,
Pachense !
II vous prit des débris de verre et les pila au mortier,
— Que le diable puisse ainsi lui piler les doigts ! —
Et puis il porte cela dans le lit de ma fille,
De sorte qu'il vous l'écorcha de la tête à la cheville.
Rien n'est plus vrai, messieurs ; hélas ! si vous aviez vu
L'état où se trouvait alors son pauvre c. !
Il vous aurait fait pitié, le pauvre misérable !
Car l'innocent ne doit pas pâtir pour le coupable.
Cependant elle est déjà guérie, mais toujours est-il
Que cela nous coûta un bon pot d'eau-de-vie.
Dites-moi donc, etc.
141. vo prend [présent]. — 142. que lo diablio l'ai pouisse [mafy, in-
compris, est un des nombreux noms du diable]. — 143. Et poui, t'ap-
porte çen. — 144. Yâvo la [la vo est plus patois] ; dû la téta. — 145. Quand
l'ai penso, Messieux. — 148. L'ènocen ne dai pâ. — 149. Vê portant d^a
garri, ma de çen lo men [ — une syllabe]. — 150. bio pot. — 151, Dite
lo vai.
LE CONTE DU CRAIZU 33
155. Lo conio day crai:^u per yo yé coumeucy,
Ne vo-:(^-a pas enco eta fé a demi.
Ye m'en vé lo fini. Messieu, vo paiidé craire,
Quouna ?ié — yo defio qu'on t:(at eusse pu vaire —
Slu compagnon venie avoué de se ami,
160. Environ la miné, que n'etia d:(a drumi,
Excepta la Zabei, que s'epud:(ivé encora,
A qui cria : veni on poù ver mé iotora !
Vo-y^-én prio, Zabet, y'é oquie de pressén
A vo cou m unie a, mode çay que vos m en !
165. Noutra fellie, qu'a ^u, day sa plin tendr'énfénce,
Por ti lés grand valet beaucoup de complié:(ence, '
— Car i;in de bouna race, a cén que t^acon dit,
Tsassé sovén solet, sén qu'on l'ausse dressi —
Le récit des lampes par lequel j'ai commencé,
Ne vous a pas encore été fait à demi.
Je m'en vais le finir. Messieurs, vous pouvez croire
Qu'une nuit, où je défie qu'un chat eût pu voir.
Ce compagnon vint avec [quelques-uns] de ses amis,
Vers minuit, alors que nous étions déjà couchés,
Excepté Elisabeth, qui cherchait encore ses puces,
A laquelle il cria : venez un peu vers moi tout de suite !
Je vous en prie, Elisabeth, j'ai quelque chose de pressant
A vous communiquer, maudit soit qui vous ment !
Notre fille, qui a eu, dès sa plus tendre enfance,
Pour tous les grands garçons beaucoup de complaisance,
— Car chien de bonne race, à ce que chacun dit,
Chasse souvent tout seul sans qu'on l'ait dressé —
155. d'au crat'iu. — 156. Ne vos a pas ctd oncojc. — 157. tué vé vo lo.
— 158. né que défio. — 159. slu grivois [ — une syllabe]. — 160. // dni-
mis. — 161. Hoimi nonlra; se pud^ive. — 162. L'ai crié, veni vai, vers
mè on pou tot-ora. — ï6s. piemire enfance. — 166. valets que trau dé
[= trop].
3
34 L- GAUCHAT
Sén ce fére pressa le r évité son cheurtT^o *,
170. Et dechen ver stu cor, qui'eiay den neutron pouert:^o.
To lo dray soupçonni que lli'avay de l'ougnion *.
A^^ me trompavo pas, car stu fin compagniou,
Apre lay avay fé coque faussé carresse,
Lay di que l'etay tén de faire day promesse ;
175. Que le devay alla t:(i son cousin Dubret,
Yo troverion day pliouimé et l'ecrétéro prêt ;
Que ni'aray qu'a segni et que le devay craire,
Quié quand cén saray fé, lay ballieray hin d'aire.
Et cén lay dére g a, Vempougne per lo bré,
180. Fa~^en ti sé-^-efor por la fhe alla lé.
Meday, quand le ve cen, le su bin se deffendre:
En lo grafounen fer, li'en de:(^én pi quié pendre,
Sans se faire presser, [elle] met sa robe
Et descend auprès de cet individu, qui était dans notre
corridor.
Tout de suite je soupçonnai qu'il y avait du louche (de
l'oignon).
Je ne me trompais pas, car ce rusé compagnon,
Après lui avoir fait quelques fausses caresses,
Lui dit qu'il était temps de faire des promesses [de mariage].
Qu'elle devait aller chez son cousin Dubret,
Où l'on trouverait des plumes et l'écritoire préparés ;
Qu'il n'y aurait qu'à signer et qu'elle devait croire,
Que quand ce serait fait, il lui donnerait bien des arrhes.
Et sans lui dire gare, il l'empoigne par le bras,
Faisant tous ses efforts pour la faire aller là.
Ma foi, quand elle vit cela, elle sut bien se défendre :
En l'égratignant fort, lui en disant pis que pendre,
170. à noutron. — 174. de [passé déf.]. — 175. Dehret. — 176. Yâ
troverai. — 177. Que n'arrai. — 179.ro/ en l'ai de^en çen. — 182. lai
LE COXTE DU CRAIZU 35
Le cria : Paire, paire, apparia lo crai::^ii,
Et dé voutr' outra man ne vegni pas voi^u * !
185. Prendé on bon tricot / Ne dio pas quié so cotté,
Saiito frou de mon lly, sén bouta nié ciillotté.
Y'enprennio mon crai::^u, frinno avo:^^ lés-:(^egra,
Couten bin qnie cocon ne m'en saray pas gra.
Comen y été an pocn d' entra deden l'alaye,
190. Slu grivoy, que chèntay quoqnie nialapanaye*.
En arreven que fi, devant que Vusso vu,
D'on cou de son t:^appé mé détien * mon crai~ji.
Sbin que me vaiquié sen verre ouna gotta,
Et puis ma lanipa bas, que se toumavé tota.
195. Dité-mé donc, messieurs, ti per voulra conchense.
Ce cen est oiin'akchon ?
Ce lo Souverain dit que cen say ounakchon,
Pachense !
Elle cria : « Père, père, apportez la lampe,
Et ne venez pas sans rien dans votre autre main !
Prenez un bon bâton ! » Je ne fais ni un ni deux, (je ne dis
pas: que cela coûte-t-il?)
Je saute hors de mon lit, sans mettre mes culottes.
J'allume ma lampe, m'élance en bas l'escalier,
Pensant bien que quelqu'un ne m'en saurait pas gré.
Comme j'étais sur le point d'entrer dans le corridor,
Ce grivois, qui pressentait quelque mauvaise aventure.
Au moment où j'arrivai, avant que je l'eusse vu,
M'éteint ma lampe d'un coup de son chapeau.
De sorte que me voilà sans voir goutte,
Et puis ma lampe à terre, qui se vidait toute.
Dites-moi donc, etc.
185-186. Saiito fro dé mon liy sen bould mé culotté, Prenuio on bon
bâton, ne dio pas que çen cotté. — 187. Empougno mon craiiu. — 188. Savé
ben que stu cor ne m'en savai. — 189. Quand ye fil su lopoent. — 190. Mon
grivois. — 193. Se bin que mé vailé. — 195. Dite lo don.
36 L. GAUCHAT
N'est pas lo toi ! Quand vi ma lampa renversaye,
200. Yô cru que ma Zabeth etay desonoraye.
Me bouti a cria : fena, depat:(e-lé,
Enprein Vautro crai;^n, sauta frou en parité !
Le me cray ; dein don sau, sla fena se présenté.
Stu compagnon, qui' etay cai:(y derrey day breintê,
205. S'avance tôt d'on coup, et, sen la respecta,
Paf ! d'on cou de tt^appé, vaiquié son crai:(_u ba.
Cebin que no vaiquié encora sén lumière,
Sén savay yo alla, craignen les etriviere.
A la fin lo galan, apré to ce fraca,
210. Se recoué* et t:(i lli s'ein alla sonica*,
Contein comein on ray d'avay vu noutra pouére.
Et de no-:(-avay fé a ti veni la jouer e.
Lay y'é encor gagni on rommo violein.
Ce n'est pas tout: Quand je vis ma lampe renversée,
Je crus que mon Elisabeth était déshonorée.
Je me mis à crier : « Femme, dépêche-toi,
Allume l'autre lampe, « saute dehors » en chemise ! »
Elle m'obéit ; en deux sauts, cette femme se présente.
Ce compagnon, qui était caché derrière des « brantes »,
S'avance tout d'un coup, et, sans la respecter,
Paf! par un coup de chapeau, voilà sa lampe à terre.
De sorte que nous voilà encore sans lumière,
Sans savoir où aller, craignant [les coups d'] étrivière.
A la fin, le galant, après tout ce fracas.
Rentre et chez lui s'en va dormir [à poings fermés].
Content comme un roi d'avoir vu notre peur,
Et de nous avoir fait à tous venir la diarrhée.
J'y ai encore attrapé un rhume violent.
202. Et pren [l'éditeur ne connaît apparemment pas le verbe eim-
prendre = allumer], — 203. ma féna. — 206. lo crai\u. — 207. no vailè.
— 210. Se reçoit illy t:{i ly, et s'en va sonica.
LE CONTE DU CRAIZU 37
Que m^a bin tormenta et vie revin sovetn.
215. Hem ! hem ! hem ! Adon dites vay en conchense,
Ce sein son dai akchon ?
Ce lo Souverein dit que cein say dai-^^- akchon,
Pachense !
Qui m'a bien tourmenté et me revient souvent.
Hem ! hem ! hem ! Maintenant dites un peu en conscience,
Si ce sont des actions?
Si le souverain dit que ce sont des actions,
Patience !
214. et que niè prend sovent. — 215. Hom. Hom. [et rien de plus]
216. Dite h vai, etc., comme les autres fois.
APPENDICE
I. Prononciation
Comme il est impossible de reconstituer exactement la pro-
nonciation patoise du xviii« siècle, nous avons renoncé à
transcrire le poème phonétiquement. Nous croyons cependant
rendre un service aux amateurs de nos dialectes, en indiquant
la façon dont se prononcent aujourd'hui les mots les plus inté-
ressants à ce point de vue. C'est un vieux « régent » d'Escherin
sur Corsy (près Lutry) qui m'a renseigné là-dessus. Les numéros
correspondent aux vers du texte.
Titre: kreyzu ou krayzu. — i. balyây. — 3. klye, plyon-ma.
— 4. ardzè, niarti, èklyàna. — 6. dèy-t-on, dcpc. — 7. ditè-lo
vây konchesd. — 10. vâycin (diphtongue nasale). — 11. fply>. —
1 2.pplyy. — 14. ma fax . — 19. laou say. — 20. rè. — 22. akchon.
— 24. ko. — 25. nb krayâ. — 27. vay ty?, par lyï, brcindrâ. —
28. nâ. — 29. kotyè. — t,o. papa. - 31. nâr?. — 32. byÔ-pârd.
— 35. dzb. — 38. layve. — 39. vàzœna. — 40. kouzmia. —
^'j.yâdzo, ankouora, kokè. — 48. portyc. — 49. martalè. —
50. /«. — 51. vayè. — 53. rdvp. — 54- vyddzo. — $ç,. pinâ^za.
— 58. ver?. — 63. vèlya, mcrtâ. — 64. etsboudâ, dâ. — 65. sô. —
38 L. GAUCHAT
66. gslyèta. — 67. tomber ^t dit aujourd'hui tsdzi. — 69. voualây?.
71. étay ty3. — 81. pouâvo. — 2>t,. On dirait maintenant Z^^^^-
trè au lieu de tiautre. — 95. fioviyë. — ^"j. fèinde. — 98. vouèti,
dzè. — 99. Xh^^ou. — 104. Xh-^- — ^09- forta. — 1 1 1. ivè,frâ.
— 115. le tb. — 121. vaytsé. — 123. b9tâ, tïta. — \2/\. fîta. —
125. rdko. — 126. maytè. — 128. tnlmo. — 129. batakii. ■ —
12,1. pâdè. — i^i.vèrâr?. — 144. dèponèra, grplya. — \6-^.prèsè.
164. mode, m'e. — 169. cheurizo, n'est plus connu. — 1 70. portso.
— 178. (?rp ou ilr9. — 181. viddâ. — \%2. pëdrd. — 184. vouayzu.
— 187. frin-no. — 192. dètyè. — 202. chata frb. — 204. brëts.
208. krënyè. — 210. rakoiiè. — 211. pouâra. — 212. fotiârJ. —
213. ron-mo, vyolè. — 2x4. tbrmctâ, 7-3vèin, sbvè.
II. Explication de mots.
2. Les «pensionnaires» sont probablement les commis du
notaire devant lequel le père dépose sa plainte.
3. bantsd, étude de notaire, greffe du tribunal.
8. krayzii, identique avec le mot français creuset, vieux fran-
çais croisuel, esp. crisuelo, it. crogiuolo, qui ont signifié à l'ori-
gine «lampe» et qu'on tire généralement de cru-
ceolus, petite croix, sans qu'il soit bien démontré
quel rôle la croix a joué dans cette dérivation.
M. Schuchardt {Zeiischrift fiir romanische Philo-
logie, XXVI, 314 ss.), suppose qu'il faut partir de
cochlea, parce que la mèche émergeant de la lampe
faisait penser à une tête d'escargot sortant de la
coquille. Ce serait en ce cas *cloceolus, changé
en *croceolus. Notre forme patoise rend vraisem-
blable une intervention sinon une dérivation de
crucem. Inutile de dire que cette espèce de lampe
n'est plus en usage.
9. ^^ji/ = peut-être, du latin spero, vieux français espoir,
voir Romania, XXV, 437.
12. p3ly3, àt pdlyi, ix. piller = voler adroitement.
14. J'ignore comment l'expression beau chien arrive à signi-
fier bien attrape.
16. consister 0, tribunal paroissial qui, sous la domination
bernoise, se composait d'un juge, président, de son lieutenant
ou vice-président, du pasteur (ministre), de plusieurs assesseurs
LE COXTE DU CRAIZU 39
et d'un secrétaire. Ce tribunal semi-ecclésiastique, semi-laïque,
jugeait les causes matrimoniales, les infractions aux bonnes
mœurs, les contraventions aux règlements de police. Les ordon-
nances du gouvernement envoyées au consistoire commen-
çaient ordinairement par les mots : Aux sieurs, Juge, Ministre,
etc., salut! imités ici par à vous, etc.
21. fè, adverbe, du latin firmus, subsiste encore dans
d'autres patois.
24. Ce son zau zu ama, littéralement: se sont eu eu aimis, le
z de liaison (provenant de nous avons eu, etc.) est soudé indis-
solublement au mot. La langue populaire remplace le passé
défini // aima par // a aime, et, par conséquent, // eut aimé
par il a eu aime. On dit communément: quand f ai eu su,
quand il a eu dit, etc., où le mot eu marque une idée d'an-
tériorité. Au passif, on dit il a eu été aimé , et, comme en
patois la formule il a été est généralement rendue par il est eu,
il en naît la construction barbare, mais logique, il est eu eu
aimé. Le cas n'est pas seulement intéressant au point de vue
syntaxique, mais aussi par la diversité phonétique du mot eu
placé sous deux accents différents, le premier plus fort que le
second, ce qui produit la forte contraction de la deuxième
forme.
29. Le mot tracasserie a conservé en patois le sens de baga-
telle, petit présejit.
32. La rime mira: byo-pàrs s'explique par la phonétique
locale, qui supprime dans certaines positions la deuxième com-
posante de l'ancienne diphtongue ay.
41. galandé, seul exemple de notre littérature patoise où ce
mot se trouve au féminin.
45. que cé7i say, subjonctif, après les verbes de la parole,
comme en allemand, en italien, en vieux français.
47. La récolte des noix donne lieu à des réunions de jeunes
gens tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, appelées kasàya. On
casse des noix, on n'oublie pas de les arroser de vin, et l'on
trouve l'occasion de forger des projets de mariage.
49. s'épou/â, cfr. pour le sens l'exemple suivant: « Item a
dit qu'ayant été laissé à la montagne des Prayses pour la garde
des fromages qui restoient dans le challet de la dite montagne
après la descente du bétail, il s'en époufat avec la casaque de
40 L. GAUCHAT
l'Armallier et un Serex [sérac] qu'il dérobât » (Cour de Vevey,
1682). Vient peut-être de pulvis; cfr. l'allemand sich ans dem
Staub machen.
53. sén ce qu'on rêve, comparez le vers 104 : cen slia que besa,
où sen a le sens de: le diable emporte celui qu'on revit, etc., ce
qui équivaut aune forte négation. Je suppose que c'est un juron
abrégé. On rencontre parfois une forme plus complète: dei/te)
sin que; cfr. 149 : de ne cén lo mén d'on bofi pot d'eguarzen
= pas moins de, etc. ,
54. viaudzo, espèce de serpe très forte à lame d'abord
droite, puis recourbée à son extrémité ; sert à tailler les haies
et à couper des bran-
ches pour en faire des
fagots. Du mot celtique
viduvium, fr. vouge.
On ne voit pas très bien pourquoi le père s'arme de cet outil.
Voulait-il se prémunir contre un mauvais coup du « galant » ?
63. mortay, grande pierre de grès
creusée, dans laquelle on met les
braises de la cuisine, après les repas,
et servant de brasier. On l'emploie
encore dans des lieux écartés. Même
^&- origine que le fr. mortier.
66. gueliétta, petit cône de poudre
humectée et broyée que les enfants s'amusent à fabriquer.
68. foVeyi, rad. àt/oti -\- idiare.
69. voilaye, de l'allemand w ail en?
81. poëvo, a pris la terminaison de la première conjugaison.
On trouve aussi volavo, de vouloir, mais pas ici ; cfr. volié au
vers suivant.
83. tiauire, probablement pour kiautre, lat. eccum hic
ultra, doublet éteint de chautre ^tcce hic ultra, qui existe
encore dans la composition pèchautre, dans nos parages.
95. novien, aveugle, de non vedentem.
99. danser et sauter sont ici employés comme transitifs.
100. molâ, embrasser, proprement émoudre, probablement à
cause de la ressemblance du bruit, notta, note — air — air de
danse — danse.
116. On appelle catzeman non seulement un wâ!w//i?«, mais
LE CONTE DU CRAIZU 4I
aussi l'ouverture, de chaque côté d'une jupe, qui correspond
aux poches que portaient les femmes.
125. recor signifie ordinairement le regain^ ce qui ne va pas
ici, à moins de comprendre tas de regain. Mon sujet d'Escherin
m'a indiqué le sens de tertre, mais cette assertion mériterait
d'être contrôlée.
1 29. batacu, de betacu, par assimilation de voyelles, formé des
mêmes éléments que le français culbute, mais dans l'ordre inverse.
150. eguarzen, du latin aquam ardentem; cfr. Jeanjaquet,
Bulletin du Glossaire, III, p. 36.
169. cheurtzo = robe, de l'allemand Schiirze ; comparez
cette indication du Vocabulaire du Recueil Corbaz : cheurtzo,
espèce de vêtement de femme, comme qui dirait une robe de
chambre, un surtout. Le mot existe encore en Valais, par
exemple à Evolène : choutso = robe en drap du pays, corsage
et jupe d'une pièce, ainsi que dans les patois de l'Est de la
France. Voir aussi Salvioni, Rojnania XXVIII, 106.
171. Vey a de l'unyon = il y a anguille sous roche.
184. voizu, lat. vacivus, vide, stérile. Comp. le proverbe
an tardtt ne fu djai7ié vouazu.
190. malapauaye est composé de mal a = mauvais, et de
panaye, du verbe pana = essuyer, frotter.
192, détiendre = éteindre, de deextinguere.
210. recouilli, signifie ramasser le blé à mesure que le mois-
sonneur le fauche ; l'ouvrière qui fait cette opération s'appelle
la recouillauza. C'est une spécialisation du sens de recueillir.
Se recouilli a le sens de rentrer. Comparez se ramasser de
quelque part, se réduire chez soi, etc.
sonica ne signifie pas, comme l'indique le Vocabulaire du
Recueil de Corbaz, suivi par Favrat, ^a/, content, mais dortnir;
comparez les passages suivants : on pdo sonicâ et mijnameint
ronclliâ à se n'ése, on peut dormir et même ronfler à son aise
{Conteur vaudois, 1899, No 18); ne vollieint être leva devant
que l'aussè botsi de sonicâ = nous voulons être levés avant
qu'il ait cessé de dormir {Conteur vaudois, 1884, N° 15). Ce
verbe, qui se retrouve encore plusieurs fois dans le Conteur,
est formé plaisamment, au moyen du suffixe -ikâ, du radical
de sonno, sommeil.
L. Gauchat.
<• m ■*■
FRAGMENT
D'UN GLOSSAIRE DE L'AJOIE
(Jura bernois)
[La rédaction du Glossaire des Patois romaiuls a eu la bonne fortune
de trouver en M. Fridelance, professeur à Porrentruy, un collaborateur
des plus compétents, qui s'occupe depuis plusieurs années à recueillir le
vocabulaire complet du patois de l'Ajoie. Ce travail de premier ordre
sera bientôt achevé, et nous en reproduisons ci-dessous le début, à titre
de spécimen et de modèle à suivre par nos correspondants. Le patois
plus spécialement représenté est celui de Charmoille.]
â, S. m. Voyelle et première lettre de l'alphabet. n9 sèvoè
ni a ni h : ne savoir ni a, ni b^ être complètement ignorant,
illettré.
â, forme de l'article combiné avec à ou en. â iyœtchi : au
jardin, â bouian : au printemps, â fùd! au feu. â Ion : à côté
(de), ci. an, e.
â, s. m. Ail. ïn-n â, dé^ à- un ail, des aulx, in-n ¥of d'à:
une gousse d'ail. ïn-n yan-n d'à : une glane, une chai ne
d'aulx. i9 pu lé^ à '■ tu pues l'ail.
à, ât', ou avec aspiration hà, bât', adj. Haut, élevé, stp
pou'tch n\i p' prou âl' : cette porte n'est pas assez haute.
s'a tro à, i n sdrô èpondr' : c'est trop haut , je ne saurais
atteindre, mon pin na dyèr veni à : mon pain n'a guère levé
(////. n'est guère venu haut), an-n n on dj' vu de chi hâ k lu :
on en a déjà vu d'aussi haut placés que lui. Adv. è n' fâ
p' iyudP paie pu hâ k là tyn : il ne faut pas vouloir péter
plus haut que le c, c'est-à-dire vivre au delà de ses mo3'ens.
I S. m. Partie supérieure, haut, sommet, èl é nadji^ ch' lé hâ:
FRAGMEKT d'uX GLOSSAIRE DE L'aJOIE 43
il a neigé sur les hauteurs, là hâ d Mont'brœ : le haut, le
point culminant de Montbreux. è fâ brègè là hâ è p9 dinorè
din l bé : il faut vanter le haut (la montagne, et demeurer
dans le bas (la vallée, la plaine), si tchinbon san lo hâ d le
tyèch' : ce jambon sent le « haut de la cuisse » (le faisandé).
âbèdj, s. m. Chanson d'amour qui se chantait le soir. Les
abèdj ont disparu du Jura, mais se chantent encore dans les
villages du Doubs. tyin lé boti^b in tiri^ â sor, è vin tchintè
lé:^ abèdj è p9 dinsi^ pè lé mâjon ■' quand les conscrits ont tiré
au sort, ils vont chanter les abèdj et danser de maison en
maison.
âbén, s. f. Aubaine.
âbésé, s. m. Alphabet, abécédaire, hél en! è n se pi' p'anho
Vâbésé '• quel âne ! il ne sait pas même encore l'alphabet.
èpar Vâbésé : apprendre l'abc. C'était autrefois un petit livret
dont la première page présentait l'image de saint Nicolas
bénissant les petits enfants dans le saloir de la légende, èl é
to dévouer è son-n âbésé: il a tout déchiré son abécédaire.
On collait aussi le tableau des lettres sur une (■' palette. »
Cf palat'.
âbi, s. m. Ne s'emploie qu'avec l'adjectif « libre, » dans
la locution èvoè son libr iîbi : avoir son libre arbitre, sa liberté
d'action, de décision.
âbil, adj. Habile, expéditif è n'a dyèr abil : il est peu ha-
bile, il a peu de savoir-faire, vo^ él' âbil : vous êtes expé-
ditif, vous avez vite eu fait. 1| Prompt, agile, è n fœ p' prou
âbil : il ne firt pas assez leste, assez agile.
âblâtr', s. m. Arbalète, tiri^ an l'âblâtr : tirer à l'arbalète.
1 1 Fig. Malotru, escogriffe, tyu â si pp-l-âblâtr f quel est ce
vilain merle, ce malotru ?
ablélrF,s.m. Arbalétrier. i| Sagittaire, signe du zodiaque.
âbnèt', s. f Mot vieilli pour âbni^, eau bénite, par d Vâbnèt :
44 F- FRIDELANCE
prendre de l'eau bénite avec les doigts dans le petit bénitier
suspendu dans la chambre et se signer, âbnèf, i t pran,
I d trâ Ichô:^ nip defan : \ d Viii-n'mi, d le scrpan, \ d métchin-
n djan \ d mœri de moti^ sdbifman ■' Eau bénite, je te prends.
De trois choses me défends : De l'ennemi (du démon), du
serpent. De méchantes gens, De mourir de mort subite-
(ment). Prière en prenant de l'eau bénite le matin en se
levant. Cf. âbni'.
âbnéti^,js. m. Grand bénitier fixe d'église. || Nom du car-
dère (Dipsacus sylvestris)^ dont les feuilles forment bénitier
autour de la tige et recueillent l'eau de pluie. Cette eau
passe pour rendre beau qui s'en lave la figure et rajeunir
les vieux.
abnèti^r, s. f. Bénitier, petit bénitier domestique, è y è bïn
in-n abnèti^r an yôl poèy' , min èll à tôt' satch, è n'y é ran d'din:
il y a bien un petit bénitier dans leur chambre, mais il est
complètement à sec, il n'y a rien dedans. Quand il com-
mence à grêler, on met quelques grêlons dans le bénitier
pour arrêter la grêle. Cf. tchâdraf.
âbnl^, s. f. Eau bénite, par d Vâbni^ : prendre de l'eau bé-
nite (pour se signer). /;/ ou tchinpè Vâbnl^ : asperger d'eau
bénite avec le goupillon ou un rameau de buis. A l'office
du samedi saint, le prêtre prépare une cuve d'eau bénite et
chacun en emporte une provision. On en asperge les ver-
gers, car on lui attribue la vertu de détruire la vermine.
Certaines paysannes ne laissent pas sortir de leur maison
une goutte de lait sans y avoir jeté un peu d'eau bénite,
afin de prévenir les maléfices. || Par plaisanterie, eau-de-vie.
vin par Vâbni^ : viens boire la « goutte ». aie an Fâbni^ :
aller chercher de l'eau-de-vie (avec une bouteille cachée
sous la blouse). Cf. la variante âbnèt'.
FRAGMENT d'uN GLOSSAIRE DE L'AJ'ME 45
abrpmêl (yAr'nnitabpruiei), s. m. Gruau d'avoine; gruau
gris dont on fait de la soupe.
abr^sak, s. m. Havresac. || S'emploie aussi comme terme
injurieux, bogr dp véy' abr^sah : b de vieux havresac. Cf. se.
absïnt\s.ï. Absinthe, plante et Uqueur, d Fabsïnt' ddtyœtchi:
de l'absinthe de jardin, absinthe cultivée, par in-n absint' :
prendre une absinthe, boèyou d'absïnf : buveur d'absinthe.
âdj, s. m. Auge. ïn-ii âdj é pou^ : une auge à porcs. Loc.
chi bel' k'ïn pou' k piclf din son-n âdj : aussi bête qu'un porc
qui pisse dans son auge. || Bassin de fontaine. Vâdj dibpné :
l'auge, le bassin de la fontaine, èbrœve an /'^t// / abreuver (le
bétail) au bassin de la fontaine. Cf. nô. \\ Sorte de coffre à
graine, à fruits séchés, à outils, etc. Cf. èrtch' .
âdja, s. m. Dimin. d'^^y, .petite auge, auget. st ojé n é pu
ran din son-n âdja : cet oiseau (en cage) n'a plus rien dans
son auget. || Auget tenant autrefois lieu d'assiette; encore
employé par plaisanterie dans quelques expressions, p. ex.
tan ton-n âdja : tends ton auget (assiette), dira celui qui sert
la soupe. Il Aube à auget. Cf. kopa.
adjdœ, adv. Aujourd'hui, â djb d adjdœ : au jour d'aujour-
d'hui, adjdœ dïncV, dpmin atrpman : aujourd'hui d'une ma-
nière, demain d'une autre. Loc. an n'âp' dâ^ adjdœ : on n'est
pas d'aujourd'hui, c.-à-d. on sait ce qu'est la vie.
âdji (y pers. èl âdjâ), v. Agir, en é p' bïn âdji : il n'a pas
bien agi. s n â p' dincV k'an-n âdjâ : ce n'est pas ainsi qu'on
agit, s n â p' âdji: ce n'est pas agir (c'est mal agir). Réfl.
S'agir, tyin è s'adjiré : quand il s'agira, s'c s'adjeche : s'il s'a-
gissait, iyin cl é s' âdji: quand il s'est agi (////. quand il a
s'agi). Cf. l'autre forme •' èdji.
âdyans', s. f. Audience, bèyi^ âdyans' : donner audience.
aie é:( âdyans' : aller à l'audience, devant le tribunal.
ajin, s. m. Enfant, s'a ïn sb-l-afin : c'est un enfant pénible,
46 F. FRIDELANCE
indocile, turbulent. Cï.Ud\ pœ-l-afin: laideron, sacripant.
vè t an, pœ-l-afin : va-t'en drôle, garnement ! Prov. pté-1-afîii^
ptéf krou, grô-l-afin^ gros' krou : petit enfant, petit tourment
(croix), grand enfant, grand tourment, rvpui an-n afin :
tomber en enfance, radoter, si poii^r afin ! ce malheureux !
Se dit aussi des grandes personnes, èlèrm, afin ! alarme, en-
fants! Exclamation exprimant l'étonnement, la surprise, è bïn!
t'é ïn bél-afin ! eh bien ! te voilà beau ! te voilà propre, bien
arrangé ! voz êî' bïn afin : vous êtes bien simple, bien naïf.
â non di pér, è d le mër, t dé:( afin, s'a moc l pu véy è l pu
métchin : au nom du père, et de la mère, et des enfants, c'est
moi le plus âgé et le plus méchant. Parodie du signe de la
croix. Il S. m. pi. /^~ afin : les Gémeaux, signe du zodiaque.
è n fà ni vannyi^ ni pyiniè lé iyèboii é\ afin : è bèy'rïn ïn grô
monsé dp ptét tel : il ne faut ni semer ni planter les choux
aux Gémeaux : ils donneraient une quantité (////. un gros
monceau) de petites têtes (au lieu d'une seule grande).
afna, s. m. Dimin. de afin, petit enfant, si pou^r afnaf ce
pauvre petit enfant ! èl à chi afna: il est si enfantin, si jeunet,,
si naïf.
afinsie,s. f. Enfance. || Candeur, naïveté. || Enfantillage.
âJdn, âkin-n, adj. et pron. Aucun, aucune. On emploie
plus souvent pi^ p' ïn, pi^ p' in-n . è n'y é fe alun inâ (mieux
è n'y é pi^ p' fè ïn ma) : il ne lui a fait aucun mal.
âl, s. f. Aile, œvi^ lé:( âl : ouvrir, éployer les ailes. béchi\
pandr lé^ âl : baisser, laisser pendre les ailes ; fig. être abattu,
déconfit. Il lé^ àl d'ïn tchèpé: les bords d'un chapeau. || /^'^ âl
d'ïn djipon : les basques ou pans de l'ancien habit.
F. Fridelance.
-'s^^i^fî-
ETYMOLOGIE
-♦-
Vaudois satcnno, chatamo, repas de funérailles.
Bridel enregistre dans son Glossaire un mot vaudois chata-
viof, tschatanio, qu'il explique par : repas de funérailles défendu
inutilement par les lois de police. Aujourd'hui, ces plantureux
repas d'enterrement de jadis sont à peu près complètement
tombés en désuétude, et avec eux le vocable qui les désignait.
On nous signale cependant encore satâmo, à Vaugondry sur
Grandson, et r9pa dà satamo, à Pailly (Jorat). Bridel, infidèle
pour une fois au celtique, voit l'étymologie de ce terme dans
l'hébreu c/iata, il boit, fnout, mourir ; c'est le vin de la mort.
Plus récemment, M. Ceresole l'a rapproché de c/ièla, chata,
sabbat des sorciers, et s'est demandé s'il ne signifiait pas à l'ori-
gine la danse, la fête païenne en l'honneur du mort'. L'étude
scientifique du mot ne vient pas à l'appui de ces hypothèses
aventureuses : elle nous amène à reconnaître dans sattimo un
simple continuateur du latin septimus, le septième. Dans le
latin du moyen âge, septimus ou septimum est employé
comme terme ecclésiastique avec le sens spécial de septième
et dernier jour d'une série d'offices funèbres célébrés pendant
une semaine consécutive après l'ensevelissement d'un défunt.
Le mot s'appliquait aussi à l'offrande spéciale reçue par le
prêtre à cette occasion, et les textes réunis par DuCange nous
font voir qu'un repas de circonstance ou des distributions de
vivres accompagnaient fréquemment la clôture de ces exer-
cices pieux 2. Il n'est pas douteux que c'est à ce terme d'église
qu'il faut rattacher notre mot patois satamo. De même qu'en
vieux français on trouve set?fie, sepme, semé comme équivalent
de septimum, on rencontre dans d'anciens documents de notre
1 Ceresole, Légendes des Alpes vatidoises, p. i8o.
2 Voir DuCange, sous scptiitius, septimum, semé, seplimale, septaiarium^
tricenarium, et Godefroy, setme.
4» J. JEANJAQUET
région la forme septame: Vuil que ma (lire )nes) conroi (repas)
et mengiers soient fait a la clergic ou premier jour de mon
sevilement (ensevelissement), ou septame et ou trentième (Neu-
châtel, 1373)*- (Le raarguillier) doit perceivre lo dit dieme tant
soulemant eis Jors de sépulture deis cors,... eis jors de septame.,
trentanier et eis anniversaires (Fribourg, 1414)2. VIII pos de
vin singa (offerts) a M''^ de Friborg ou sataniez (lire satamez)
de la femme a sieur Jacob (Fribourg, 1476)3. Ces passages
permettent de comprendre comment le mot qui désignait à
l'origine une cérémonie religieuse catholique a pu subsister
dans le canton de Vaud réformé avec le sens restreint de repas
de funérailles. L'expression r^pa dâ satamo, à Pailly, montre
bien comment s'est opérée la transition. L'acception religieuse
s'est du reste conservée dans une partie du Valais. A Nendaz
et dans la vallée d'Hérens on appelle encore chatamo l'office
célébré en l'honneur d'un défunt le septième jour ou le diman-
che après l'inhumation. Au point de vue phonétique, le pas-
sage de septimum à satamo ne présente rien d'anormal. Le
mot, proparoxyton à l'origine, a subi un déplacement d'accent
qui, dans les patois de la région, paraît être de règle en cas
pareil; cf. par ex. jûvenem > dzouvpno, * \éndina.'> lifidpna,
términum > tarniJno. Septem > sa(t) est la forme de toute
la Suisse romande; on attendrait satpno , mais la voyelle
sourde a pu facilement s'assimiler à celle de la syllabe initiale,
primitivement accentuée. Le ch pour s à l'initiale est, dans le
canton de Vaud, une particularité du Pays d'Enhaut. Quant à
la variante tschatamo, donnée par Bridel, nous la tenons pour
une reconstruction erronée de l'auteur du Glossaire, d'après le
modèle des doublets purement graphiques champa et tschampâ,
■channa et tschanna, etc.
J. JEANJAQ.UET.
- * Testant, du comte Louis de Neuchdtel, dans Matile, Monuments, p. 965.
Dans une rédaction précédente, datée de 1354 (ibid., p. 696), le même
passage se retrouve avec la forme française septième. Au lieu de conroy,
Matile imprime covroy, qui ne signifie rien. Voir Godefroy, conroi, et
Bridel, com-ei.
^ Jeanjaquet, Un document inédit du français dialectal de Fribourg au
XVc siècle, p. 9.
^ Ochsenbein, Urfcuiidcn der Belagerung und Schlachl bei Miirten. p. 542.
ooC>0<Oo«'; :
LA CHANSON DE LA PERNETTE
DANS LA SUISSE ROMANDE
_^-
M. George Doncieux, qui fut un charmant poète et un
romaniste distingué, a consacré à la jolie chanson qu'on
appelle la Pemetle un article élégant et sagace dans la
Romania ^ d'abord, puis dans le Romancero populaire de la
Fratice"^. L'étude méthodique de plus de soixante-dix ver-
sions de la Pernette ^, orales, manuscrites, imprimées, fran-
çaises du Midi ou du Nord-Ouest, italiennes et catalanes
lui a permis de l'attribuer au début du xV siècle*; de lui
1 Romania, tome XX (1891), p. 86 ss.
2 Le Romancero populaire de la France... Textes critiques, par Georges
Doncieux, Paris, 1904.
3 M. Doncieux répartit les versions de la Pernette en quatre familles :
France du Midi, France du Nord-Ouest, Italie septentrionale, Cata-
logne ; il accorde la priorité aux versions de la France du Midi, mais
prétend que la chanson ne saurait être originaire d'une région proven-
çale (témoin les formes marierons, pendolerons, placées à l'assonance,
les premières personnes du pluriel en -ons étant totalement inconnues
aux dialectes d'oc), pas plus d'ailleurs qu'elle ne saurait appartenir à la
France du Nord (car toutes les assonances remontent à un 0 tonique
primitif, diversifié en on, eu, on en français de l'époque où fut compo-
sée la Pernette, mais demeuré intact en provençal ; ajoutez à cet argu-
ment que le verbe pendokr, fréquent en provençal et en franco-
provençal, n'a pas été constaté dans la France du Nord). Il est donc
probable que la Pernette fut composée dans une contrée où se confon-
daient les caractères d'oc et d'oïl, le Bourbonnais ou le Forez, terres
fécondes en poésie populaire.
* En effet, la Pernette ne doit être ni antérieure ni postérieure à cette
date puisque l'invention du rouet à filer date du xiv^ siècle avancé et
que la chanson déjà transformée existe copiée dans un manuscrit de
Namur du milieu du xve siècle {Romancero, p. 31).
50 W. HIRSCHY
assigner comme lieu d'origine le Forez septentrional et
même de la rétablir ainsi qu'il suit, sous une forme qu'il
croit très voisine de la leçon première :
La Pernete se lieve
la tra la la, la tra la,
1 . La Pernete se lieve Ireis ores davant jor,
Treis ores davant jor. (bis)
2. El prent sa colognete avoi son petit tor,
3 . A chascun tor qu'el vire, fait un sospir d'amor.
4. Sa mare H vient dire : « Pernete, quavés-vos ?
5. Av'-os lo niau de teste, 0 bien la mau d'amor ?»
6. — « N'aipaslo mau de teste, mais bien lo mau d'amor.-»
7. — « No ploras pas, Pernete, nos vos maridaron,
8. Vos donaron un prince 0 lo fi d'un baron. »
9. — « /o no vuolh pas un prince ne lo fi d'un baron,
10. Jo vuolh mon ami Piere, qu'est dedens la prison. »
11. — (( Tu n'auras mie Piere, nos lo pendolaron ! »
12. — « Se vos pendolas Piere, pendolas-mei itot.
13. Au chemin de Saint- Jaque enteras-nos tos dos,
14. Cuvrés Piere de roses e mei de milefiors ;
15. Los pèlerins que passent en prendront quauque brot,
16. Diront : Dio aye l'ame dous povres anioros !
17. L'un per l'amor de l'autre ils sont morts tos los dosK »
Du Forez septentrional, de caroles en caroles, la Pernette
atteint Lyon; on la traduit en français, elle suit les mari-
niers des rives du Rhône, et insensiblement, au gré des
patois qui l'adoptent, se transforme sans trop trahir son
rythme initial et la grâce de son dessin. Or, partie égale-
* Le texte adopté est celui du Romancero populaire, p. 17, quelque
peu différent de celui paru dans la Remania, mais postérieur à ce der-
nier.
LA CHANSON DE LA PERNETTE 5I
ment de sa terre natale, et s'en éloignant par d'autres voies,
intacte peut-être ou déjà mutilée, une seconde version tra-
verse l'Auvergne, mais ne s'y conserve pas, atteint l'ancien
Bazadais, stationne à Lectoure, où de nos jours on l'a re-
cueillie, tronquée d'une part, le nom de la fidèle amante
changé, un « monsieur » substitué à la mère ; allongée,
d'autre part, d'un vers, comme le fera voir la version sui-
vante :
1. Petito Margarido, — que marit bolets-bous /(voulez-vous)
2. Boulet::^ Ion bill (fils) d'un coimte — ou lou hill d'un haroun ?
3. Nou lou boi (yeux) pas d'un counie, — ni tapouc (non plus)
d\m baroun.
4. Boi lou men ami Pierre, — lou ques dens la presoun.
5. Petito Margarido, — Pierre n'es pas per bous,
6. Pierre es jutgat à pende — douman (demain) au pung
dau jour ^
7. Moussu, si penjats Pierre, — penjats-nous à tous dous,
8. Nous harats (ferez) vo tounibo — per nous bouta tous dous.
9. Caperats (couvrez) -??ie de roses — et nioun auii de flous.
10. Lous qui ang07t (vont) a San-Jacque — prieront Dieu
pour nous. (Lectoure.)
Ainsi défigurée, la Pernette n'en demeure pas moins va-
gabonde ; compagne des matelots, elle enchante la mer,
se traîne dans le sillage des nefs qui quittent Bordeaux, fait
escale dans les ports, se répand en Italie, en Catalogne, en
Poitou, en Bretagne, en Normandie, et, phénomène singu-
lier, mais caractéristique de la chanson populaire, cette mal-
heureuse et chétive version, que ses blessures semblaient
' Les vers 5 et 6 équivalent au vers 1 1 dédoublé du texte reconstitué
par Doncieux,
52 W. HIRSCHY
condamner à l'oubli, reprend vie au contact de chansons
saines, greffe un couplet à son corps sans tête; ici*, elle
emprunte les vers anciens et connus par lesquels débute
la Belle à la tour :
La belle se siei au piet de la tour
Qui pleure et sospire et maine grant dolour.
Son père li demande '■ Fille que voleis-vous ?
Voleis-vous niarit ou voleis-vous seingnour ?
Là ^, elle subit la contamination moins noble de la Fille
à marier et demande à grands cris l'amant qu'on lui refuse :
Marie7^-moi, inon père, car voici la saison.
Si la saison se passe, les amants s'en iront.
ou : 0 mon père, ô mon père, vous m'ave:^^ bien promis
dondaine
l'amour de mon berger
don dé
Et quand je serais grande de m'donner un mari.
Enfin, en Catalogne, une certaine variante amalgame
la Pernelte et les Prisonniers sauvés par une chanson.
Ce sont Là les grandes lignes de l'histoire des migrations
de la Pernette, et la théorie que M. Doncieux a émise à leur
sujet paraîtrait simple dans son ingéniosité et fort plausible,
en somme, si ne venait la compliquer, sans toutefois la
saper, une version qu'il ignorait. En Suisse, dans le canton
de Fribourg, la Pernette a été recueillie sous la forme mi-
française, mi-patoise que voici ^ :
* Famille poitevine-bretonne. — ^ Famille normande.
^ Il en a été publié trois rédactions, fort peu différentes : Hsefelin,
Patois romans du canton de Fribourg, p. 132; Nouvelles ètrennes fribotir-
geoises, 1873, p. 106; Chants du Rond d'Estavayer (1894), N" VI. Nous
citons le texte de Hœfelin, en le transcrivant d'après le système du
Bulletin.
LA CHANSON' DE LA PERNETTE 53
1. Kan ly été d::^ouvenéta — L'on voulait me marier
Sur la violette,
L'on voulait me marier,
Sur le violet.
2. Ora kp yp su granta — L'on ne m'en parle plus.
3. Vboii-tou h fp dbou prinsoii — Ou bien celui du roi?
4. Np vu pa Ip fp dbou prinsou — Non plus celui du roi.
5. Yp vu mon-n-ami Pyèrou — C'est lui que j'aime tant.
6. 0, dé ton-n-ami Pyèrou — Il n'en faut plus parler.
7. Kar ly è d:(tid:(i a pandrp — Demain la matinée.
8. Pér^, sp vb h pandé, — Intèra mè dè:{b.
9. E mè krpvri de rou:^é — Et mon amant de fleurs.
10. Les pèlerins kp pâson — Prendront tous une fleur.
11. Prèyèron Dyu pb Vanna — De sibou dou-^^-amuèyra.
(Estavayer.) ^
Est-il besoin d'insister sur la valeur de la Pernette fribour-
geoise et de montrer qu'elle est en tous points dépendante
de la version de Lectoure et non moins parente des chan-
sons bretonne et poitevine ? Comme celles-ci, elle a em-
prunté sa strophe liminaire à la Fille à marier, elle a dé-
doublé le IP vers du texte original, elle a laissé tomber le
nom de l'héroïne et fait de l'interlocuteur non plus la mère
mais le père de la jeune fille. Ainsi donc, voici le domaine
assigné à la famille du Nord-Ouest fi"ançais considérable-
ment étendu ; ne pourrait-on pas, pour lui conserver ses
anciennes limites, prétendre que des mercenaires suisses au
1 Variantes : 2. Manque dans les Nouvelles Etrennes fribourgeoises.
4. Manque dans les Nouvelles Etrennes fribourgeoises et dans les
Chants du Rond d'Estavayer.
5. Lui que j'ai tant aimé (.V. Etr.frib.). Celui que.... {R. d'Est.).
6. Por dé te n'ami Pierre (N. Etr. frib. et R. d'Est.).
7. Il est dzuzi {N. Etr.frib.).
54 W. HIRSCHY
service du roi de France, mis par le hasard des guerres en
présence de Bretons ou de Poitevins, ont rapporté dans
leur patrie quelque peu d'or et une gracieuse chanson
apprise dans les camps? Le fait n'est pas probable, parce
que la variante staviacoise ne mentionne ni le beau livre
d'amour, ni le beau drap de velours, ni le beau chapelet
d'amour, ni les quatre beaux pommiers d'amour placés sur
des fosses distinctes, où doivent reposer les amants des ver-
sions du Poitou et de la Bretagne ; elle se souvient au con-
traire des roses odorantes du midi, qui doivent parfumer leur
tombe. Il serait également téméraire d'affirmer que la Per-
nette, lentement et de village en village, a pénétré jusqu'au
cœur de la Suisse romande, car alors elle eût rencontré en
Franche-Comté^ une Pernette bien vivante et très semblable
à celle qu'on chante dans le bassin du Rhône. Pour les
mêmes raisons, les versions du Nord-Ouest ne dérivent pas
de celle d'Estavayer ; il en faut donc conclure que les
voyages de la Pernette sont plus nombreux et moins sim-
ples que ne le supposait M. Doncieux ; la version tronquée
de Lectoure doit s'être égarée dans le Lyonnais ; puis, non
loin de là, elle fut probablement influencée par une autre
variante, qui contient cette « phrase informe- » et précieuse:
Marie:;^-moi, ma mère! Ma mer', 7narie:^-moi^.
et il se pourrait que ce soit grâce à ce vers que la Fille à
marier se soit si généralement juxtaposée à la Pernette.
' Voir Beauquier, Ctiansons populaires recueillies en Franche-Comté, p. 38.
2 C'est ainsi que la qualifie Doncieux, Romania XX, p. loi.
^ Il est d'autres versions qui possèdent des vers semblables et qui
font allusion à la chanson de la Fille à marier ; ainsi en Piémont, une
version recueillie par M. Nigra débute :
Di là da ctii boscage na hela fia a fè.
So pare e sua mare la vôlo inaridè.
LA CHANSON DE LA PERNETTE 55
Une analyse de la Pernette fribourgeoise la déclare en une
certaine mesure conforme à celles que connaissent le Jura
et la Savoie, et le chemin qui l'aurait conduite chez nous
serait celui par lequel semblent nous être venues un grand
nombre de chansons populaires : nous les devons aux pro-
vinces limitrophes de la France. Elles étaient autrefois très
répandues dans toute la Suisse romande; grâce à des condi-
tions spéciales, elles ne se sont conservées que dans les
deux cantons restés un peu fidèles à leurs traditions popu-
laires : Berne et Fribourg.
La Pernette, on l'a vu, se compose de quatre parties vi-
tales et peut-être à l'origine indépendantes les unes des
autres.
1° d'un début narratif traditionnel, ancien, français ou
roman ; celui de la famille méridionale n'est que le com-
mencement d'une chanson de toile, celui du Poitou est
emprunté à la Fille à marier, et celui de la famille nor-
mande se retrouve dans des chansonniers du xV siècle, et,
altéré, dans la Belle enfermée dans la tour, souvent confon-
due avec la Pernette.
2° d'un dialogue, que la muse populaire a rajeuni dans
cet exemple :
Ne pleure:(_ pas, belle Fancbon,
Fous sere^ 7îiariée,
Fous sere:(^ mariée
Dondaine, dondon....
O (avec) le plus beau de nos soldats....
Oui soit dedans l'armée....
— De nos soldats je ne veux pas....
Je veux un capitaine....
— Un capitaine tu n auras pas'^ ....
* Cf. le Recueil de Rolland, I, p. 239.
56 W. HIRSCHY
3° d'une conclusion traditionnelle, non plus romane cette
fois, car elle termine des chansons slaves et magyares, que
M. Doncieux croit, bien que différentes, influencées par
la Pernettef?).
4° d'un refrain, sans caractère spécial dans les versions
du Midi, mais qui, en Normandie, est certainement beau-
coup plus vieux que la chanson elle-même :
Lasf il n'a nul mal qui n'a le mal d'amour.
et dont la lyrique du moyen âge possède plus d'un équi-
valent :
Nul ne set les maus s'il n'aime ou s'il n'a aimé.
Le dondaine, dondé poitevin, la violette d'Estavayer appar-
tiennent à des pastourelles, et à un groupe de pastourelles
assez curieuses, les unes contaminées avec l'éternelle Fille
à marier^, les autres influencées par la Pernette; la plupart
ou provençales ou franco-provençales :
Quand io ^era petiia,
Mignouna la boureya violeta,
Io gardava las oueilla
Las oueilla, les moutous....
Par le chemin vint a passer
Monsieur de Cha^^erou. (Auvergne.)
ou encore :
Quand iou ère petito — Petito Margoutou
Gardave les fedetos — Aussi les agnelouns
Aro que siou grandeto — Sont devenguts moutouns
Aperaquit n'en passo — Lou flou d'un rei baroun
(Provence.)
1 Cf. la chanson citée à la page précédente : Ne pleurez pas. . .
LA CHANSON DE LA PERNETTE 57
qu'il est intéressant de rapprocher de la chanson si connue :
Mon père avait cinq cents montons, j'en étais la berç^ère, le
loup m'en a pris quin:{e; le fils du roi vint à passer, m'a
rendu ma quin:(aine. — Belle que îne donneras-tu ? — Quand
nous tondrons nos blancs moutons, vous en aure:^ la laine.
Ce n'est pas la laine, c'est ton petit cœur, bergère, que je veux.
— Mon petit cœur n'est pas pour vous, il est pour Pierre que
j'aime. (Savoie.)
Ces comparaisons, qu'on pourrait et qu'on devrait multi-
plier dans un travail plus approfondi, aboutiraient aux con-
clusions suivantes : D'assez bonne heure et non loin de son
pays d'origine (si celui-ci est en effet le Forez) la Per-
nette a glissé quelques-uns de ses vers dans des chansons,
pastourelles ou chansons de filles à marier; celles-ci ont
réagi sur une Pernette tronquée et, en échange d'une
strophe, lui ont rendu un couplet adventice. Si cette suppo-
sition est hasardée, un exemple final fera voir qu'elle est
au moins plausible. Il existe de La claire fontaine une ver-
sion que j'abrège :
En revenant de noces, j'étais si fatiguée
Qu'auprès d'une fontaine je me suis reposée.
Au bord de la fontaine croissait un peuplier.
Sur la plus haute branche un rossignol chantait.
C'est pour mon ami Pierre qui ne veut plus m' aimer.
L'ami Pierre est emprunté à la Pernette, cela ne fait pas
de doute, et peut-être à la Pernette que caractérise ce vers :
Et sur la même branche nos deux corps s'uniront.
58 W. HIRSCHY
: La claire fontaine, à son tour, s'est trouvée en rapport
avec la ritournelle militaire la Jeannette^ et lui a donné l'équi-
valent de ce que la Pernette lui avait prêté :
Ne pleure pas, Jeannette, — Nous te marierons
Avec le fils d'un prince — Ou celui d'un baron.
Je ne veux pas d'un prince — Ni même d'un baron.
Je veux mon ami Pierre — Oui est dans la prison.
Tu n auras pas ton Pierre — Nous le pendouillerons.
Si vous pendouille^ Pierre, — Pendouille:(^moi-:^-avec.
Et l'on pendouilla Pierre, — Et la Jeannette aussi.
Sur la plus haute branche — Le rossignol chanta :
« Ne pleure pas, Jea?inette, — Nous te marierons.... »
Ainsi, en étudiant les chansonniers populaires, nous
voyons les chansons se transformer, se décomposer, se
contaminer^ se reconstituer sans cesse. Même les plus beaux
morceaux ne sont pas épargnés. La Pernette fribourgeoise
n'a conservé, assez bien du reste, qu'un fragment de l'ori-
ginal; l'entrée en matière est empruntée à un autre groupe
de chansons, le refrain est encore d'origine différente. Comme
c'est généralement le cas, la petite poésie a beaucoup perdu
en voyage ; seule la reconstruction de M. Doncieux, citée
plus haut, en fait goûter tout le charme primitif.
W. HiRSCHY.
1 Chanson recueillie au service militaire et que tous les soldats neu-
châtelois connaissent. Elle dérive de versions franco-provençales et n'a
pas suivi le même chemin que La Pernette fribourgeoise.
.JÏ5.I
TEXTE
-♦-
La pir d^ mlain.
Conte en patois de Plagne (Jura bernois.).
Sâ^ dp Kbr an ain niâ^r
Kp ttp pœ pu rb hà^r ;
0 sali a n y a pè gro nio :
Pbr ain mâ^r, su é pè ain défo.
O la hbvrè a-l-a parju la têt,
San pbr sbli b-n-étrp niant pu het.
Tôt u ho d la montaiu,
Pbr ain Ib ne niplain,
LA MEULE
Ceux de Court ont un maire qui ne peut plus rien boire ;
à cela, il n'y a pas grand mal : pour un maire, ce n'est pas un
défaut. A la corvée, il a perdu la tête, sans pour cela en être
beaucoup plus bête. Tout au haut de la montagne, pour un
Note de la Rédaction. — On raconte dans le Jura bernois les fa-
meuses histoires de Gribouille, de la vache qu'on étrangle en la hissant
au haut d'un clocher où croît une belle touffe d'herbe, de la graine de
poulains, etc., en les mettant sur le dos des voisins, ici les habitants
de Court. Parmi celles de ces facéties que notre excellent correspon-
dant, M. Grosjean, a mises en vers, nous choisissons l'histoire, très
répandue, du maire qui passe sa tête dans le trou d'une meule qu'on
fait rouler du haut de la montagne pour pouvoir signaler l'endroit où
elle s'arrêtera. Le patois de Plagne est intéressant à plusieurs égards :
il forme la transition entre le tvpe jurassien et ceux du canton de Neu-
châtel ; il renferme un grand nombre d'archaïsmes et de germanismes
très curieux. Nous rendons par ain une diphtongue nasale unissant an
et /// avec leurs intermédiaires en une émission de voix.
6o A. GROSJEAN
D ain véy grijon sâ^ d Kbr prurain la pîr,
Par fèr en niœl. A n savain d hét mamr
O pyâ^ la prbr avo :
0-l-arâ^ trb dd mo
Avâ^ ain tchèr ; la tcharêr, bain trb rot,
N alâ^ pè u hô dp la Ht ;
Pbr a do la pbrlè,
A n i fayâ^ pè nm^e,
Y étâ^ bain trb pà^:(an-n ;
0 la ypdjan, a fbdrâ^ bain la snan-n,
Pbr b vmi a bou,
A pè sbli étâ^ bain trb dondjrou.
A désidirain, tb drâ^, dp la bœkyi^
Avô la kot. Pbr la bain diridji',
A pbr savâ^ cuvé la rptrbve,
Kan i sarà^ arive tôt u be,
Kêkain davâ^ prbr pyas
Dan Ip partu d sœl mas.
Lp mâ^r sp dévoua.
La mœl drasi^, dpdan a sp fora,
tout nouveau moulin, d'un vieux granit ceux de Court prirent
la pierre pour faire une meule. Ils ne savaient de quelle ma-
nière ou pouvait la descendre (prendre en bas) : on aurait trop
de mal avec un chariot ; la route, beaucoup trop rapide, n'allait
pas au haut de la forêt ; pour la porter à dos, il n'y fallait pas
penser, elle était beaucoup trop lourde ; en la glissant, il fau-
drait bien la semaine pour en venir à bout, et puis cela était
beaucoup trop dangereux. Ils décidèrent aussitôt (tout droit)
de la rouler en bas la côte. Pour la bien diriger, et pour savoir
où la retrouver, quand elle serait arrivée tout au bas, quelqu'un
devait prendre place dans le trou de cette masse. Le maire se
dévoua. La meule dressée, il se fourra dedans, et puis en bas,
LA PIR Da MLAIX
A pœ avo, honirp yoii^r be vsledj,
A lansirain, b kèryati « bon vouayedj, »
Mèl avâ^ prè:(idan.
Ran tan plan, ran tan plan,
Sbli fo dainch avo la kot —
I vo-:(-è dâ« k yer rot ! —
A-l-akoiilirain londjsmb.
Tb bru pyaka, b n byâ^ rb.
Ld mà^r davà\ arive chu l tchanpay,
Kœrye bain for, pbr kp tb h moud ay
Ld ratrbvè la ddo,
Tbt u fain fou du bo.
O déchbdan avo la nœv tcharêr
K9 vè kontrs la prér,
Lé-:(^bm dp Kbr, chu lé pi^, chu lé m an,
Fuain, sôtain, ravi:(an, akoutan,
Trbvan k b rnâ^r davâ^ bayi^ siny d vi\
K a-l-alâ^ Ion dpvan d'byu hètchi^.
Kan a furain u fon,
A s murain pbr dp bon
dans la direction de leur beau village, ils lancèrent, en criant :
« Bon voyage ! » meule avec président. Ran tan plan, ran tan
plan, cela fit un tel bruit en descendant la côte, — je vous ai
dit qu'elle était rapide ! Ils écoutèrent longtemps. Tout bruit
cessa, on n'entendait rien. Le maire devait, arrivé sur le pâtu-
rage, crier bien fort pour que tout le monde aille le retrouver
là-bas, tout au fin fond du bois. En descendant le long de la
nouvelle route, qui conduit à la carrière, les hommes de Court,
sur les pieds, sur les mains, couraient, sautaient, regardant,
écoutant, trouvant que le maire devrait donner signe de vie,
que cela (il) allait long[temps] avant qu'on entende hucher.
Quand ils furent au fond, ils se mirent pour de bon à chercher
02 A. GROSJEAN
A hru partb, dan lé pîr, la brousay
A lé hotcha k a y avà^ chu l tchanpay,
S a np vyain rb trbvè.
Par var lé katr, l adjoiiain fbra son ne
Dan ain mœrdji^, tb d kot en îcharbbner,
Bain pu avo k h fon dp la tcharer,
A pœ a vo la pîrp dp mplain
K'étâ^ houtchi^ do ain ppti pœtyain.
A vya tb tchô kœryè, ko m en gros fét,
Sb k y arivâ^, mè a vo kp la tét
Du mâ^r n êtâ^ pè li.
« Sbli n vè pè •» k a di.
A-l-apala. Lé-:(-étr s murain tu a fur,
Pbr aie vâ^ sœl tariby avantur.
— « Kan nb son vni, b la paintp du djbr,
La tét du mâ'r étà^-t-i' li ankbr ? »
Dpnianda-t-é ; « a vb fo tu tèchi^
D i bain mu:(e, ou bain l a-t-é lachi^
Dan son tchape, kan a-l-a vyu vpni ?
Pbr Ip savà^, atbtp nip par si,
Tanto tché you, u vlèdj,
partout, dans les pierres, la broussaille et les buissons qu'il y
avait sur le pâturage, [pour voir] s'ils ne trouveraient rien
(voulaient rien trouver). (Par) vers les quatre [heures], l'adjoint
fourra son nez dans un tas de pierres, tout près d'une charbon-
nière, bien plus bas que le fond de la route, et puis il vit la
pierre de moulin qui était couchée sous un petit sorbier. Il
voulut de suite crier, comme à un événement dont il fallait se
réjouir, ce qui lui arrivait, mais il vit que la tête du maire
n'était pas là. « Cela ne va pas, » qu'il dit. Il appela. Les autres
se mirent tous à courir, pour aller voir cette terrible aventure.
— « Quand nous sommes venus, à la pointe du jour, la tête du
maire était-elle là encore?» demanda-t-il ; «il vous faut tous
tâcher de bien y penser, ou bien l'a-t-il laissée dans son cha-
peau quand il a voulu venir? Pour le savoir, attendez-moi par
LA PFR D3 MLAIN 63
J V aie avà^ kbrèdj
Ddmandè so k o-ii-é. »
A s 0 vè don ib drâ^ u kabaré
Kp ipnyà^ l mà^r ; b sa fbn a dpmand:
— « Di don, madrés, tb k é fbn dp bbn hnand,
Kan b mâ^r, slu fnalaiii,
Ala b la moiita'm,
Avâ^-t-é prâ^ sa têt,
Ou bain fo-t-é prou bét
Pbr la lachi^ tché vb ? »
— « Ma fâ^, i n b sa rb ;
Dan tu lé ka, y étà^ ankbr du^main-n
Chu sé-:(^-épol ; y è la mbn adé ch pyain-n
K i n pyé rb dir dp pu.
Mè sp n é pè la pprmi^r và^, tb chu,
Kp sœl têt sarâ^ parju.
Dp la rpkru, i ti b vo pè la pain-n :
A vo atan k a n b-n-à^ rb,
Pbr la kbmun' a pœ pbr mb. »
A. Grosjean.
ici; tantôt chez eux, au village, je veux aller avec courage
demander ce qui en est. » 11 s'en va donc tout droit au cabaret
que tenait le maire ; à sa femme il demande : « Dis donc,
7?iairesse, toi qui es femme de bonne commande, quand le
maire, ce matin, alla à la montagne, avait-il pris sa tête, ou
bien fut-il assez bête pour la laisser chez vous ?» — « Ma foi,
je n'en sais rien ; dans tous les cas, elle était encore dimanche
sur ses épaules ; j'ai la mienne si pleine que je ne peux rien
dire de plus. Mais ce n'est pas la première fois, c'est connu
(tout su), que cette tête serait perdue. De la rechercher, cela
(elle) n'en vaut pas la peine : il vaut autant qu'il n'en ait point,
pour la commune et puis pour moi. »
»♦-$
TABLE DES MATIERES
— î—
Pages.
E. Tappolet. Les expressions pour une « volée de coups »
dans les patois fribourgeois et vaudois 3
M. Gabbud. Enigmes, jeux de mots et formulettes bagnardes,
patois de Lourtier (Valais) 8
L. Gauchat. Etymologie, semoraul =z juin 14
J. Jeanjaquet. Etymologie, ancien neuchâtelois : entrèves . 15
L. Gauchat. Le conte du craizu 17
F. Fridelance. Fragment d'un glossaire de l'Ajoie (Jura
bernois) 42
J. Jeanjaquet. Etymologie, vaudois satanio, chaUtmo, repas
de funérailles 47
W. HiRSCHY. La chanson de la Pernette dans la Suisse ro-
mande 49
A. Grosjean. La pir dd mlain, conte en patois de Plagne
(Jura bernois) 59
Lausanne. — Imprimerie Georges Bridel & C*
BULLETIN
Df
GLOSSAIRE DBS PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire,
SIXIEME ANNEE
1907
ZURICH
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hofackerstrasse 44
LES BRANDONS
-♦- ,
Les pages suivantes ont été rédigées comme ébauche d'un article du
futur Glossaire des patois de la Suisse romande. Nous les soumettons à
nos lecteurs, et spécialement à MM. les correspondants du Glossaire,
en les priant de bien vouloir nous signaler les erreurs ou omissions
qu'ils }• pourraient constater. Les cantons romands sont désignés par
les siglcs suivants : Vd : Vaud, G : Genève, V : Valais, F : Fribourg,
N : Neuchàtel, B : Berne. La Rédaction.
Brandon (Vd, G, V, N), britidon (Vd : Vallorbe, Jorat; V:
VoUèges. Liddes, Trient, Gloss. lîarman : breindons). (iuélat,
(iloss. fr.-pat. donne le fr. Brondons comme traduction fran-
çaise du patois faiyes., ensuite il écrit bratido/iner = Ttrie les
faix es.
I. Torche, flambeau; spécialement: a) ceux qu'on em-
ployait pour marquer une saisie de récolte, etc., b) ceux qu'on
allumait lors de la fête des Brandons: 2. petite branche de
bois sec. Dumur, Voc. ; 3. grand feu de joie allumé à
la dite fête, gros feu en général: débris enflammé qui
s'élance d'un incendie (Vd, Vaulion) ; 4. pi., fête célé-
brée le premier dimanche de carême, p. ext. d'autres
fêtes.
I a. Btvctc lo brandon, mettre à ban (N, Noiraigue) : nb n
pbvin pr pasé, vivctlink on brandon., nous ne pouvons pas
passer, voilà un « brandon » (ib.) ; 3. Va fc on brandon d la
niHsansè, l'a brslâ sa slpa, elle a fait un feu du diable, elle a
brûlé sa soupe (son dîner : Vd, Vaugondry) ; 4. ddmindz di
brindon, dimanche des Br. (V: Liddes, Vollèges) ; // brindon
(V, Trient). Appellation générale du dimanche Invocavit ou
Qi/iidragesùno' iprem'iQv dimanche après le mercredi des cen-
4 LA REDACTION
dres, six semaines avant Pâques) dans les vieux almanachs.
« Jour que les calendriers ecclésiastiques du seizième siècle
désignaient par le nom de Brandones » (Mém. de Frib., III,
p. 78). Apparaît souvent comme date dans les documents d'ar-
chives. A Savagnier (Neuchâtel), l'époque des Br. était jadis le
moment de la reddition des comptes de la commune (Perrin,
Mus. neuch., 1901, p. 40). Dumur, Voc. : lou dzoi dei brandons,
désignant le 24 juin.
HiST. : Le mot dérive du germ. brandy tison, voir bran (2)^,
auquel on a ajouté le suffixe dim. -one. I>es patois du midi de
la France ont encore le mot simple brand, tison qu'on agite,
à côté de brandonn, torche. Originaire de la Gaule, ce mot a
passé en it. brandone, tison, dont le suffixe n'a pas la valeur
augmentative habituelle, en esp. blandon, grand cierge (comp.
l'ancien prov. brandos 0 candela ordens, Rayn.), et en port.
brandâo, torche. Du Gange: brand 0 : fax, tœda, funale, aussi
= cierge.
I. Brandons, coutume de droit. Dans le canton de
Neuchâtel, on appelle brandons des bâtons au bout desquels
se trouve un torchon de paille, dans un pré, etc., pour mon-
trer qu'il est à ban. « Get usage désignait dans le vieux
droit français la saisie féodale. Le seigneur se transportait
sur le fief, y posait la main et y plantait un bâton garni de
paille ou d'un morceau de drap. Quelquefois les bouchons de
paille étaient flambés au feu. Ils prenaient alors le nom de
brandons » (Michelet, Orig. du droit, livr. II, chap. III fin). Le
Dict. général rattache dubitativement ce mot à brandon, torche.
Le doute ne nous paraît pas justifié ; voir plus loin la descrip-
tion des brandons allumés à l'occasion de la fête. Du Gange,.
brandeum et brando 2.
II. La fête des Brandons, i. Cette fête porte chez nous
plusieurs noms; outre brandons, elle s'appelle bordes {Jmiârdè,
Vd, Pays-d'Enhaut, F ; borde, N : bord, B, Plagne), vouignes
' Renvoi à un autre article du Glossaire.
LES BRANDONS 5
{v703nyè, V-d, Ormonts), tsafayrou (Vd; aussi cafarou dans
Dumur, Voc, F, Broyé; choyfèron^ (î), lou-z eskdrndvê (G).
Notre correspondant de Longirod nous indique le terme de
brosu désignant une fête de printemps (à vérifier j. L'appella-
tion bordes provient des joutes usitées à cette occasion, voir
])lus loin (comp. le dimanche Behourdiz des chartes, Du Cange
sous Bohordiciim et Bordœ) ; tsafayrou désigne proprement
de grands feux de joie, comme brandon signifie à l'origine une
torche. La fête en a pris le nom, parce que ces feux ou tor-
ches en formaient le principal attrait. L'origine de ces mots
sera discutée sous bivârdè, etc.
2. Le dimanche des Brandons a attiré à lui toutes les ré-
jouissances du carnaval : danses et chansons, repas somp-
tueux, beignets, mascarades. Aussi le carnaval porte-t-il chez
nous le nom de Kramintran, c'est-à-dire de Quadragesima
intrante, commencement de carême. Après avoir duré à
l'origine de l'Epiphanie jusqu'au mercredi des cendres, les ha-
bitudes de carnaval ont été finalement restreintes au dimanche
des Brandons ou des Bordes. Ce jour est aussi désigné comme
le dimanche des failles {dmào dd lé faly^ ou dé-z aloûyè. G,
du''imuen' de fày, B), a cause du nom de faille donné aux
flambeaux dans les cantons de Genève et de Berne ; puis,
comme dimanche des bonyè, ou beignets, en Valais (comp.
l'expression française dimanche des bugnes), dimanche de kar-
lavé ou karnavé, d'après le nom de Carnavalet donné aux mas-
ques (V: Salvan, Fins-Hauts, Saint-Maurice), enfin dimanche
vieille (V, Bagnes). Cette dernière expression doit provenir
des essais infructueux faits par le clergé de placer la fête avant
le mercredi des cendres. On a dû fêter les Brandons pendant
quelque temps le dimanche Esto mihi. Mais le peuple est
revenu à ses anciennes habitudes. Dans la Suisse alleminde,
on appelle également alte Fas{t)nacht ou Bauernfastnacht le
premier dimanche de carême, et Herreti- ou Pfaffen-Fas{t)-
nacht la fête célébrée huit jours plus tôt. Cette tentative de
séparer les rigueurs du carême et les joies carnavalesques s'est
6 LA REDACTION
renouvelée en 1907 par l'exhortation de l'évêque de Bàle
à allumer les feux des Brandons le dimanche Esta mihi. Mais
les habitants du Jura n"en ont pas tenu compte. On a essayé,
en 1891, avec plus de succès, de renvoyer les anciens feux
saluant le solstice d'été (Saint-Jean) au i^"" août, date de la fon-
dation de la Confédération suisse. Du reste, les feux des Bran-
dons s'allument quelquefois la veille du dimanche Invocavit
(voir C. V.^, 1894, n" 47) ou le premier dimanche de mars (G;
Ormonts); le cortège des Brandons se faisait aussi le premier
lundi de carême. Du Cange cite des textes qui font supposer
que la jeunesse s'amusait avec des brandons pendant toute la
première semaine du carême (« le Dimenche ([ue l'on dist des
premiers Brandons », etc.), ce qui fait mieux comprendre l'op-
position du clergé. Le nom de Bordes fut même donné à la
fête commémorative de la bataille de Grandson (3 mars 1476,
jour des Bordes) célébrée chaque année à la date historique
pendant plus d'un siècle après l'événement (S. de Chambrier,
^lairie de Neuch., p. 378-380 ).
Les noms donnés au dimanche des Brandons dans la Suisse
allemande rappellent singulièrement les termes romands : Fo-
fensonntag (F), Funkensonntag (dim. des étincelles), Chiiechli-
sonntag (dim. des beignets, dans le Toggenburg), et autres, voir
Schweiz. Idiot., IV, p. 646. Dans l'Allemagne du sud, on dit
Scheibetisonniag, à cause des disques enflammés qu'on avait
l'habitude de lancer. Les Etrennes frib., 1899, P- 49» traduisent
Brandons par Hirssonntag (dim. du millet, d'après un plat
servi ce jour-là).
3. Les bûchers des Brandons étaient souvent de simples
entassements de bois ou de roseaux que la jeunesse du village
préparait longtemps à l'avance, ou ils étaient construits avec
art, en forme de pyramide, autour de jeunes sapins coupés
dans la forêt. Les gamins faisaient la quête pour se procurer
du bois et de la paille. M, Volmar, dans ses Us et coutumes
* C'est-à-dire Conteur vaudois.
• LES BRANDONS 7
d'Estavayer, Arcli. s. d. trad. pop., VI, p. 93, 94, décrit ainsi la
construction du bûcher : « Tout d'abord on traçait sur le sol,
avec un pieu ou une pioche, un beau carré, dont la grandeur
variait en raison de la quantité de fagots et de bois récoltée.
A chacun des angles de ce carré on plantait une « cotte »,
c'est-à-dire un jeune tronc de bois vert, d'environ un mètre et
demi de haut, coupé à la hauteur des branches de façon à
former fourche. Quatre perches, venant s'emboîter dans ces
fourches, reliaient ces quatres supports et formaient un cadre
horizontal sur lequel on alignait des rondins de vingt centi-
mètres en vingt centimètres à peu près, de façon à former une
espèce de claie. C'est sur cet entablement, qui devait être de
bois vert, et qui, partant, ne prenait feu qu'après tout le reste,
qu'on entassait en pyramide les fascines et les fagots. Le bû-
cher proprement dit se trouvait ainsi à un peu plus d'un mètre
au-dessus du sol. On plaçait au-dessous la paille, qu'on arrosait
de pétrole, et, la nuit venue, on y mettait le feu. » A Delé-
mont, les enfants parcourent les rues de la ville, la veille des
Brandons, en traînant une charrette, et en criant :
véy tyu d' pd - ni^ ! dé véy é - kouv' !
« (Des) vieux fonds de paniers, des vieux balais ». On réserve
dans les ménages, pour celte occasion, tout ce qui n'est plus
bon qu'à brûler : paniers, caisses, etc. Quelques paysans géné-
reux y ajoutent une gerbe de paille ou une grosse bûche (voir
Rossât, Chants pat. jur., Arch. s. d. trad. pop., IV, p. 134,
135). Le tas de bois porte, dans le Jura bernois, le nom de
hœt' (hutte) ou de tchavan 1 lat. capanna, cabane), ce qui
montre que le bûcher avait à l'origine une forme plus ou moins
régulière. Pour allumer le tas, on désignait « la dernière ma-
riée de la commune, ou, à son défaut, une jeune personne de
la classe aisée > (Mém. de Frib., III, p. 78); ce soin est confié
aussi au « président de la jeunesse » (C. V., 1905, n° 10), ou
8 LA REDACTION •
au curé de la paroisse (Berne, Arch. s. d. trad. pop., VII,
p. 180). Dans la Suisse allemande, cette action est quelquefois
accompagnée de prières (Schweiz. Idiot., IV, p. 652). « En
151 2, des prêtres, des conseillers se réjouissaient avec le
peuple près d'un feu des Brandons allumé à la Fayaz (près
d'Estavayer-le-Lac) et y soupaient ensemble » (Dict. par. cath.,
p. 179). D'autre part, M. Daucourt raconte une légende d'un
jeune moine cruellement puni pour avoir dansé autour d'un de
ces feux (Arch. s. d. trad. pop., I, p. loi). Quand la flamme
jaillit, la jeunesse se met à pousser des cris de joie. et à danser
en rond autour du bûcher. Selon l'abbé Daucourt, les ména-
gères du Jura bernois tournaient autour du feu en criant « au
long chanvre » (Arch. s. d. trad. pop., I, p. 100). Comme on
choisissait pour faire ces feux une éminence près du village ou
les sommités voisines, ces bûchers flambant à des distances
assez rapprochées les unes des autres, illuminant pour ainsi
dire tout le pays, présentaient un aspect merveilleux, particu-
lièrement le long des rives du lac de Neuchâtel. C'est aussi
dans cette contrée que la fête s'est le plus longtemps con-
servée, et les Brandons d'Yverdon ont acquis une certaine
réputation (Arch. s. d. trad. pop., II, p. 14). Quand le feu s'étei-
gnait, les plus hardis et même les filles les plus courageuses
sautaient par-dessus la braise. Cela leur donnait, disait-on, la
chance d'un mariage prospère. Selon d'autres, plus on sautait
haut, plus l'année serait fertile.
4. A ces grands feux, les jeunes gens allumaient les tor-
ches, appelées aussi failles ifdly', G; fey, B), du lat. facula
(en France : feulines, escouvillons, oupille, brandelons), qu'ils
agitaient en courant dans les alentours. Le doyen Bridel (Cons.
suisse, X, p. 169, 171) les appelle /<tz//aj-, d'après l'article 12
des Statuts de la Grande Cour séculière de Lausanne (1455).
qui porte : « Item etiam videtur Lausanam abuti facere Die
Dominica Bordarum faciendo et portando per Villam Lau-
?,diX\z.e foras {fatias) et faciendo Pisabenata » (Mém. doc. S. r.,
VII, p. 586). Ce mot a été reproduit par Ceresole (Voix et
LES BRANDONS 9
soiiv., |). 124) et le C. V., 1892, n" 7; mais il doit reposer sur
une fausse lecture, comp. l'ordonnance du Conseil de Lau-
sanne de 1454 : « utile esse (\\iod/alie que portantur per villam
cassentur » (Méni. doc. S. r., XXXV, p. 176). Failles est aussi
la forme employée par Bonivard. Il dit, parlant des premières
assemblées de Huguenots, en 1518: « Soubz couleur de faire
guet, l'on s'assembloit à belles torches et fallotz et faisoit-on
des banquetz tour à tour et chescun le sien et faisoit-on ardre
ung brandon, comme l'on a de coustume la première dimenche
de caresme, lesquelz brandons s'appelloient failles, jouxte la
langue savoysienne . (cité d'après Blavignac, Emprô, p. 164J.
Bride! décrit ces torches de la manière suivante : « C'était des
torches, fagots ou faisceaux de bois odoriférans, tressés avec
de la paille, dans lesquels on mettait de la canelle et d'autres
aromates » (Cons. suisse, X, p. 171). Dans le Jura bernois, ce
sont des flambeaux de bois gras, fendu menu, et qu'on prépare
bien à l'avance afin qu'il soit très sec (Arch. s. d. trad. pop.,
VII, p. 179, 180), ou une espèce de massue en bois de tilleul
bien sec, dans le gros bout de laquelle sont plantées des bû-
chettes de [)in ou bois gras, ou encore c'est un fagot composé
de biàchettes de bois de sapin ou de pin bien sèches (B, Met-
temberg). On emploie aussi des racines de pins. Ailleurs l'on
se contente d'un bouchon de paille au bout d'un bâton (Vd,
Vaulion), ou même de branches de bruyère sèches et facile-
ment inflammables, liées au bout d'une perche assez longue
(Arch. s. d. trad. pop., VII, p. 161, G). Le Gloss. de Duret dé-
finit les failles comme des rameaux et branches entortillés,
mêlés quelquefois à des bouchons de paille à l'extrémité de
perches.
L'usage de ces brandons, comme des feux de joie, nous est
attesté pour tous les cantons romands. Mais c'est dans la cam-
pagne genevoise que ces flambeaux semblent avoir le mieux
conservé un ancien usage symbolique se rapportant à la pros-
périté des jeunes ménages. Le dimanche des pjrandons, les
enfants vont demander les alouyè devant les portes des jeunes
lO LA REDACTION
mariés qui n'ont pas encore d'enfant et qui s'empressent de les
leur jeter, c'est-à-dire de leur lancer des bonbons, dragées,
caramels, etc. Le couple qui voudrait se soustraire à ce tribut
est menacé d'avoir un garçon chétif, contrefait, mal venu, un
« garçon d'hiver » et il risque qu'on lui fasse un charivari. Les
nouveaux mariés qui ont eu leur premier enfant avant le
dimanche des Brandons « gagnent les alouye », c'est-à-dire
qu'ils sont dispensés de les donner. Le soir, on allume les
failles en l'honneur des jeunes époux, et l'on cv\e: fdlyè, fdlyè-
zon! la fèrC a N. far a on bô garson! Faille, faillaison, la femme
à N. fera un beau garçon (voir Arch. s. d. trad. pop., VIL
p. i6i, où est reproduit un article de L. Reichstetter paru dans
la Tribune de Genève du 4 mars 1903, et où ces paroles ne
sont pas données correctement ; voir aussi Const. et Dés., Dict.
sav., sous Aloiûâ). Duret (Gr. publiée par Koschwitz, p. 13, 14,
n. 2) donne une autre forme de cette rimaille: É-z aloûlîe^ La
fenna c graissa Dœte de kàn ? De Karmàntràn, aux alouilles,
la femme est grosse, dites depuis quand? depuis le carnaval.
Ces paroles correspondent presque exactement à celles indi-
quées par le Dict. sav. Duret nous enseigne que les campa-
gnards promenaient le dimanche des Brandons les failles ou
chauffairons dans les jardins et vergers et sur les coteaux, les
présentant aux arbres fruitiers et les brandissant comme pour
les menacer d'être brûlés s'ils ne portaient pas de fruits, et il
nous donne encore la variante que voici du couplet ci-dessus :
Fâlle, f aller on, Que le bon Diii nos balleysse 'na bouna sayson !
Se ma mare me fat pas mejir de bougnon, De meto le fua à son
cotlyon (Aviernoz, Savoie), Faille, failleron, que le bon Dieu
nous donne une bonne saison ! Si ma mère ne me fait pas
manger des beignets. Je mets le feu à son cotillon (Duret, GL.
Cet usage aurait aussi été pratiqué dans les cantons de Vaud
et de Fribourg. Blavignac (Emprô, p. 162 ss.) rapporte encore
un peu autrement la formule des alouilles: Es alouilles, La
fenna est groussa, Dé quan? Dé la San-Dian [Saint- Jean)! Lia
fera dei biaii einfan. Alouilles ! Alouilles! Il ajoute que dans
LES BRANDONS II
certaines localités le jour des alouilles s'appelle le dimanche
des Escarnavex. Les mariés sans enfants sont raillés par les
quolibets suivants: Escarnavex! Escarnavatte ! Une telle est
mcsalle i ladre, c'est-à-dire improductive), ou bien: Un tel est
mouUt (mulet, improductif), Elscarnai'ex ! Escarnavex ! ou en-
core : Escarlavai! Escarlavata '. D'ai de l'amadou dian via
fat ta (dans ma poche), Si vo nie bailli (donnez) pa des bou-
nions (beignets), De brulo vutra nièzon (Je brûle votre maison).
Il est facile de reconnaître dans l'expression « dimanche des
Escarnavex » (tirée de dimanche des carnarc, par redoublement
de es, comme dans les tenailles, les estenailles, etc.) le mot
Carnavalet cité plus haut comme signifiant masque de carnaval,
en Valais, et dont {Es)carlavata serait le féminin. La coutume
existe encore à Hermance (G), où l'on se déguise, parcourt le
village en cortège, en s'amusant et en criant : Eskarnavé,
cskarnavala, na tâla {une telle, remplacé par un nom) /• bin
mézàla. Cela se dit aujourd'hui d'une femme peu estimée, dont
on se mof^ue, souvenir atténué des coutumes d'autrefois. Mézcila
a le sens de maigre, maladive. Le mot eskarnavé désigne
aussi les torches des Brandons.
Selon Duret (GL, les failles, près de s'éteindre, sont jetées
en tas, et c'est ce brasier-là que les jeunes gens les plus agiles
s'amusent à franchir d'un saut.
5. On peut conclure de toutes les indications mentionnées :
jeune mariée allumant le bûcher, femmes dansant autour du
feu en criant : au long chanvre, flambeaux présentés aux arbres,
satires adressées aux mariés sans rejeton, que ces feux symbo-
lisaient la fertilité. Leur sens était de saluer solennellement le
retour prochain du printemps. Dans la Suisse allemande, la
coutume s'est perpétuée de brûler dans le feu des Brandons
un mannequin représentant probablement l'hiver. On voit en-
core immoler cette poupée, appelée Bogg, toutes les années à
Zurich lors du Sechselduten. Des traces de cet usage se sont
conservées en Valais. Barman ne se trompe point en di.sant.
dans son Gl., que les Brandons étaient les restes d'une fête
12 LA REDACTION
célébrée anciennement en l'honneur de l'agriculture. Il est pro-
bable que des coutumes romaines et germaniques ont été com-
binées à l'occasion des Brandons. Les failles correspondent
aux îtwccoli du carnaval romain.
6. Les Brandons désignaient aussi l'époque où reprenaient les
danses en plein air accompagnées de chansons nommées co-
raules {korâ^la, Vd, F) ou vwèysri (B), voir ces mots (Arch. s.
trad. pop., IV, p. 134; VI, p. 94). Quel bonheur quand jeunes et
vieux pouvaient entonner de nouveau leurs gais refrains inter-
rompus pendant le long hiver !
7. C'est encore l'époque des bons repas (hérités du mardi
gras '?) et de toutes sortes de beignets nommés bouny' (G),
bounyè (V, Vd), merveilles, pisa benaia, crépi ou crapé ( Vd,
B), derbonnards (F), oriettes, têtes (B), kutyètè, talyc (F), etc.,
qui se mangent aussi en d'autres occasions, et pour lesquels
nous renvoyons à l'article bougnè. On cite aussi du riz au
lait comme mets traditionnel des Brandons i C. V., 1880,
d'après une conférence lue en 1824 à la Soc. d'émulation de
Vevey). Barman dit que dans le district de l'Entremont (V),
les jeunes gens des deux sexes célèbrent la fête des Brandons
par un repas commun. De toutes les coutumes des Brandons,
la fabrication de merveilles est celle qui est encore le plus
scrupuleusement observée (v. Lien vaud., 1902, 10 févr. ). Bridel
raconte, en parlant des pisa benata, qu'on en remplissait des
corbeilles le soir des Brandons et qu'on en offrait à tout ve-
nant. « Souvent, dans nos Alpes vaudoises, on met des étoupes
dans les beignets des brandons pour attraper les gourmands ;
plus d'une jeune fille sut y cacher un billet, un ruban, un
anneau, et faire tomber le beignet receleur entre les mains de
celui auquel il étoit destiné » (Cons. suisse, X, p. 172). Détails à
noter: Ce sont les jeunes filles qui font les frais des Brandons,
en offrant des pâtisseries à leurs galants. Un garçon qui con-
duit une fille au feu des Br. en reçoit des œufs à Pâques (B,
Epauvillers).
8. l^es mascarades des Brandons revêtaient facilement un
LES BRANDONS I3
caractère saliriciue. Ainsi, en 1872, on rei)résenta à Payerne le
fameux « Sclnilvogt » 1 inspecteur féde'ral des écolesj. C'est à
cette occasion qu'avaient lieu les cortèges des métiers. Genève
a conservé celui des bouchers. On y joignait autrefois certaines
cérémonies superstitieuses. Kuenlin, Dict., I, p. 282, mentionne
qu'en 1580 il fut défendu de baiser le fourneau, de parcourir
la ville (de Fribourg) avec une charrue, etc., le mercredi des
cendres. Les masques de carnaval portent chez nous les noms
de fou, bouffon, kamintran (= carnaval), karnn'alc {Carna-
valet), farata iV, Savièse), kokyc |V, Isérablesi. Nous ne
voyons guère se développer certains types de masques comme
dans la Suisse allemande, où toutes ces coutumes sont restées
beaucoup plus vivaces. Les déguisements de fous de carnaval
prennent souvent un caractère licencieux, et, en parcourant les
vieux papiers, nous rencontrons des plaintes à leur sujet et des
demandes d'abolition. La Suisse romande a aussi eu, à l'occa-
sion du carnaval, ses sotties ou pièces satiriques représentées
])ubliquement par des sociétés de sots, témoin la Sottie des
Béguins, jouée à (Genève le 22 février 1523, et la Sottie du
Monde, jouée dans la même ville le 14 février 1524 (repro-
duites par E. Picot dans son Recueil général des Sotties, t. II).
9. Enfin les Brandons donnaient lieu à des joutes, c'est-
à-dire des combats de garçons qui se servaient de jeunes
arbres ébranchés comme lances. De là le nom de Bordes (voir
Du Cange, sous Bordae, Bohordicuiii). Une curieuse variante
de ces jontes existait à Estavayer jusqu'en 1731, année où la
coutume fut abolie. Les jeunes mariés étaient obligés de jouter
ensemble sur le lac. Postés sur la proue de petits bateaux con-
duits par des rameurs à leurs ordres, et armés d'un bouclier au
bras gauche et d'un poussoir en guise de lance, ils se culbu-
taient dans l'eau jusqu'à ce qu'il n'en restât plus qu'un, pro-
clamé vainqueur et porté en triomphe par la ville (voir Vol-
mar, Us et coutumes, dans Arch. s. trad. pop., VI, p. 98, 99,
d'après les Annales de Dom Grangier ).
10. Tout ce qui reste de ces vieilles réjouissances des Bran-
14 L. GAUCHAT
dons (et du Carnaval i sont quelques feux de joie allumés en-
core çà et là, le plus régulièrement dans le Jura bernois, l'ha-
bitude de se régaler de merveilles en ce temps et la coutume
des alouilles dans le canton de Genève. Au XV^ siècle on
abolit d'abord les feux et les flambeaux dans les villes, puis
on les interdit formellement dans tout le canton de Vaud
(1538). On craignait les incendies, mais le zèle religieux des
protestants n'était pas pour peu de chose dans cette suppres-
sion. D'après le Mémorial de Frib., un ministre bernois dé-
clara en 1536 hérétiques ceux qui prenaient part à ces réjouis-
sances. Dans le canton de Fribourg, les feux ne furent sup-
primés que vers le commencement du dix-neuvième siècle.
Bibliographie. Travail d'ensemble de M.E.Hoffmann-Krayer:
Die Fastnachtsgebriiuche in der Schweiz, dans Arch. s. trad.
pop., I, et dans le Dict. géogr. de la Suisse, V, p. 41 ss. Suisse
rom. : Bridel. Cons. suisse, X, p. 169, 171, 172: Mém. de Frib,,
III, p. 78-80; C. V., 1880, n° 23 ; 1892, n" 7 ; 1894, n° 47 : 1903,
n° 1 1 ; 1905, n° 10; Arch. s. trad. pop., I, p. 100; II, p. 14:
IV, p. 134; VI, p. 92 ss. ; VII, p. 161, 179; Jura du Uim., I,
p. 12; L'Eveil, 6 et 10 mars 1897.
COMMENT ON NOMME LE FROMACiE
DANS NOS PATOIS
-♦-
I^n consultant la carte N" 613 de V Atlas linguistique de la
France, on s'aperçoit que l'appellation fromage a plusieurs
concurrents dans la Suisse romande. Laissons tout à fait de
côté le second fromage ou sérac. Pour le fromage propre-
ment dit, la carte indique encore les expressions tomme et
7ndtaK Mais, outre le terme général que V Atlas cherche à
' L'ô est bref, non long, comme on pourrait le croire d'.iprès la
notation de M. Edmont.
COMMENT ON NOMME LE FROMAC.E DANS NOS PATOIS 15
reproduire ^, il existe chez nous un grand nombre de noms
donnés à certaines espèces de fromages, et dont quelques-uns
sont aussi usités, occasionnellement, dans un sens plus large.
L'abondance de nos vocables est même étonnante. L'industrie
laitière est une des principales ressources d'une partie de notre
population, le fromage l'un de ses meilleurs aliments, mais on
ne soupçonnerait pourtant pas qu'on ait jusqu'à 24 termes pour
le désigner.
Remarquons d'abord que le mot latin CASEUS, son représen-
tant le plus répandu dans les pays romans, et bien au delà -, a
laissé très peu de traces. On trouve dans la partie orientale du
Valais romand le mot tscj'yôrd pour l'endroit où on fait le
fromage, mais le produit lui-même n'est plus appelé de ce nom,
au moins sous une forme indigène. Nous n'avons que des néo-
logismes plus ou moins récents. On pouvait se placer à diffé-
rents points de vue pour le dénommer. C'est ce que je me pro-
pose d'étudier sommairement.
L Le fromage envisagé comme produit: 1° fruit '-^^ mot usité
comme terme général dans les cantons de Fribourg,Vaud (Alpes 1
et dans le Bas- Valais. Les formes patoises de cette expression
poétique varient : fr?^ froid, etc. ; 2° arpyézo, s. m. (Valais :
Mage, Vernamiège), tiré du verbe '^alpidiare au moyen du
suffixe -ATICUM. Le mot a signifié autrefois la redevance en
beurre et en fromage qu'une montagne devait à son seigneur.
"IL Comme nourriture: ^° yinda (Lavaux, Voc. de Dumur,
Champéry, Valais), yéda (Vionnaz, Bas- Valais), yèna (Rossi-
nière, Alpes vaudoises). Le mot signifiait une fois : nourriture
' Les sujets interrogés ont souvent fourni des termes spéciaux à côté
ou à la place du terme général.
- Casetts a envahi de bonne heure les pays de langues germaniques.
^ C'est de là que vient ['e-api-cssion fruitier, fruitière, pour fromager,
fromagerie ou laiterie communale. Ces dérivés sont très répandus dans
nos cantons, tandis que le mot simple fruit = fromage est resté local.
Le fruitier représente du reste le fromager de profession, dont l'appa-
rition n'est pas ancienne. La Gruyère paraît avoir fourni le modèle de
l'institution de là fruitière, et le mot en même temps.
î6 L. GAUCHAT
en général ; Damur le définit comme « viande, fromage, toute
substance animalisée (?) qu'on mange avec le pain. » Bridel,
sous ienna, ieinda, dit: « petit fromage maigre, pitance ».
Dans un exemplaire du même ouvrage, annoté par L. Croisier,
nous trouvons: « ienda, pain et fromage », Ollon. A Cham-
péry, on a encore la locution: alâ a la yinda ■==. mendier *.
C'est du reste le même mot que le français tnande qui signi-
fiait en vieux français « tout aliment qui entretient la vie ».
Au seizième siècle encore, Rabelais parle des champignons
comme de « viande des dieux », et Olivier de Serres règle la
manière de distribuer la viande (c'est-à-dire des grains) aux
pigeons. Le mot a passé tôt au Midi, où viando^ selon Mistral,
signifie: vivres, fruits de la terre, récoltes, viande; puis biens,
aisance, et enfin hardes, nippes. En italien, l'ivanda, tiré du
français (avant la disparition du î! intervocalique ?), est syno-
nyme Aq pietanza; en espagnol, vivienda (remontant directe-
ment au latin populaire) a le sens de manière de vivre, habita-
tion, hôtel. Dans nos patois, le mot ne signifie jamais viajide^
idée rendue par l'ancienne expression latine Caro, chair; le
sens (S.Ç. fromage représente un rétrécissement de signification :
nourriture -^ fromage, bien explicable dans un pays o\\ l'on
mange peu de viande. C'est à Paris, paraît-il, que s'opéra
l'évolution sémantique : nourriture ->- chair, grâce à la prédo-
minance de cet aliment. On ne serait pas étonné de rencontrer
des patois où viande signifierait pain on poisson', selon les res-
sources du pays.
Aucun doute que notre yinda ne remonte directement au
latin vi(v)enda, s. neutre pluriel. Le deuxième 7' est tombé
par dissimilation, comme en français, et 77 devient régulière-
ment ji;, COmp. VIATICUM -^ yâdzo, VKDIUTUM ->-J^'^/, VIOLITTA
^ M. Gilliéron, Patoh de Vionnai, p. 182, ajoute à la traduction par
fromage : a c'est aussi le repas qu'on prend à 4 heures de raprcs-midi
consistant en pain et fromage ».
^ Dans un dialecte sarde, le mot signifie « minestra di farina », voir
Jtrh. ghiss. il., XV, p. 486.
COMMENT ON NOMME LE FROMAGE DANS NOS PATOIS 17
-^ yolèta, etc. ; les exemples ne manquent pas. La fonction de
la terminaison gérondive est inusitée, comme l'avait déjà ob-
servé Diez. Je m'explique l'origine du substantif neutre de la
façon suivante : on aura parlé d'abord de ce qui est nécessaire,
AD VIVENDUM, puis de viVENDUM tout court'. L'étymologie
VITANDA, « ce qu'il faut éviter- », donc la chair, en temps de
carême, par exemple, est inacceptable-', car: 1" elle ne rend
compte que du sens auquel est venu aboutir le français mo-
derne, 2" nos formes patoises démontrent que la base conte-
nait la nasale en, non AN *. La forme italienne vidanda, qui
apparaît rarement à côté de vivanda^ s'explique comme padi-
gliojie—paviglione. Le développement VITA ->- 7wurriture,
assez fréquent dans les patois, est un fort appui sémantique.
L'évolution vi(V)ENDA ->- viande est généralement citée
comme parallèle de celle de Habe(b)am -v *avea, que postu-
lent les langues romanes. Comme on le voit, l'exemple est irré-
prochable.
La variante patoise ycna^ de Rossinière, offre la réduction
très curieuse dans nos contrées de nd k n : mais c'est sans
aucun doute le même mot que yinda; Bridel l'avait reconnu
instinctivement en réunissant les formes ienna et ieinda, et le
vieux vocabulaire du doyen Henchoz (inédit) définit yhia
comme « petit fromage maigre considéré sous le rapport de
V alimentation. »
III. Le nom est tiré de l'un des stades de la fabrication du
fromage : 4° pré, petit fromage (Champéry), fromage tendre, à
' Une des gloses de Reichenau traduit ciharia par cibtis viveiidi. Fi-
vaiida, « nourriture », se rencontre déjà dans les capitulaires des rois
francs, en 803.
■^ Proposée par M. Kôrting, Lat. rotn. Worlerhiich, N" 10266. L'au-
teur a l'air de vouloir la retirer dans la y édition.
■■' On est surpris de voir M. Pieri l'adopter dans son intéressante
étude des fonctions gérondives : // tipo morfologico di volandoJa, Zeilschr.
f. rotn. Phil, XXVII.
' Il est vrai que cantando se transforme dans nos patois en *caii-
fetido, de sorte que le verbe vitare, s'il avait existé chez nous, aurait
pu avoir un gérondif *vitendiis.
l8 L. GAUCHAT
pâte molle, fabriqué à la maison, ou avec une petite quantité
de lait (Leysin, Vérossaz en Valais). Du latin PRESSUM, ce qui
désigne l'état du caillé au moment où il devient compact, prêt
à être retiré de la chaudière. L'opération suivante consiste,
dans les chalets, à mettre la masse caséeuse dans la presse où
elle reçoit ^d^ forme. Dans la fabrication domestique, la forme
peut être donnée au moyen de vases de différentes dimen-
sions *. De là le nom diO. fromage, FORMATICUM, qui est devenu
le terme courant dans la plus grande partie de la Gaule
romane et qui a même pénétré en Italie : foriiiaggio -. Il s'est
surtout répandu dans les cantons romands où la fabrication du
fromage est restreinte : Berne, Neuchâtel, Gros-de-Vaud, Ge-
nève. L'extension du terme correspond probablement à un
perfectionnement du façonnage de la matière caséeuse (à l'in-
vention de la presse à fromage, très primitive encore dans la
plupart des chalets ?) Froin<l^i^ a dû désigner à l'origine l'opé-
ration elle-même, le^/romage était le formé. Et, en effet, nous
rencontrons encore l'expression: 6° h frotmiâ dans la Vallée
de Joux (Le Cheniti. En Valais, fromage s'emploie plutôt
pour la grosse pièce de fromage que pour la nourriture. Le
verbe frotnadji a conservé, dans le même canton, des accep-
tions très diverses, sans rapport avec le sujet de cette étude •'.
A Genève, on appelle : 7° r9blyoi}on * un petit fromage gras
de forme ronde. Le terme et la chose sont d'importation
savoyarde 5. Le verbe rsblyod^i doit avoir en Savoie (il n'est
pas enregistré par le Dictionnaire de Constantin et Désor-
maux), comme en Valais, le sens de faire sortir par une nou-
1 Voir l'étude instructive de M. Luchsniger : Das Molhereigerât in
dei! romanischen Alpendialekieii der Schii<ei\, Arch. s. d. Irad. pop., IX.
avec de nombreuses illustrations.
2 Autrefois aussi en Allemagne, voir Kluge, Etym. Wôrterh., sous Kdse.
^ Le dàvam\iXi( frovmget désigne un petit fromage, usité surtout dans
le Jura bernois.
•* En français populaire, rebloclmi, rehlosson, reblaichon. Les ouvriers
genevois, qui l'estiment beaucoup, l'appellent aussi « poulet d'iior-
loger ». — ■' Spécialité des vallées de Thônes et du Grand-Bornand.
COMiMEKT ON XOMME LE FKOMAGE DANS NOS PATOIS 19
vefle « pincée » le lait qui se trouve encore dans le pis de la
vache après la traite. Cette espèce de fromage serait donc faite
avec un reste de lait.
IV. Le^Jromage considéré comme masse : 8° mbta, propre-
ment la motte, appellation propre aux cantons de Fribourg,
Vaud et Valais. « Faire la mbta » veut dire : fabriquer une
grosse pièce, par exemple de 25 à 35 kilogrammes, de fro-
mage gras, dans les chalets*. En Valais, par exemple à Ley-
tron, on appelle encore de ce nom les fromages faits à la
maison. Les diminutifs mbtHa, màtyon, etc., désignent des
grandeurs inférieures. Le mot a pris un sens général, et l'on
dit couramment « manger de la rnoia », on commande de la
jHÔta au cabaret, etc., à peu près comme on dit « boire un
litre, un verre ». L'origine de motte est obscure. Un autre
terme du même genre est : 9° toma, mot répandu un peu par-
tout chez nous, quoique non indigène. Son centre de propaga-
tion est le Midi de la France -. Comme tourna signifie dans
son pays d'origine aussi morceau, rappelant par là l'espagnol
tomar, le grec TÔao;, etc., l'expression a probablement eu le
sQr\s~Së~portion de lait réservée à la fabrication du fromage.
Aussi toma s'applique-t-il chez nous de préférence au fromage
maigre, fait 3 la maison, appelé aussi fromage de femmes ^.
Comme terme commercial, tomme équivaut à petit fromage de
lait de chèvre.
V. L'animal qui fournit le lait a aussi occasionné les noms
de: xo° vacherin'^ et de: 11° chevrotin. Le premier désigne soit
une espèce déterminée : petit fromage à pâte molle enfermé
dans des caisses de bois mince, spécialité du Jura, soit une
petite pièce de fabrication domestique, faite avec des restes de
^ Dans les cantons de Berne et de Neuchàtel la grosse pièce s'ap-
pelle la iiienli'.
"^ Voir la carte citée de VA tins linguistique, de la France.
^ 7V>/»a est souvent pris dans le sens général.
' Les formes patoises correspondent exactement à cette forme fran-
cisée, sauf iv'7(7j/(';/ à Cliarmnille (Berne, autre suffixe).
2Ô L. GAUCHAT
lait (Valais). Le mot se compose de vacher (vacca + arius)
et du suffixe diminutif -in, donc « petit fromage que le vacher
fait pour son usage ». Tssvrbtin'^ dérive de CAPRA au moyen
de -OTTUS et -inus, et indique à l'origine qu'on fabrique cette
espèce avec du lait de chèvre, mais en de'pit du nom on y
mélange quelquefois du lait de vache, de même qu'on peut
rencontrer l'expression vacherin de chèvre, moins illogique
qu'elle ne semble de prime abord, puisque le terme ne remonte
pas directement à vache.
VI. La forme extérieure du fromage a provoqué les noms
suivants, tous pris dans une acception spéciale: 12° chiba-^
petit fromage rond (comme les anciennes petites vitres entou-
rées de plomb) à pâte tendre (Rossinière, Vaud); 13° bondon,
petite tomme de lait de mouton ressemblant à une bonde de
tonneau (Genève): 14° tête de moine, nommée ainsi parce qu'elle
se fabriquait jadis dans l'abbaye de Bellelay (Jura bernois), sup-
primée en 1797 par les révolutionnaires français. Les environs
continuent la tradition. Nous ignorons si ces fromages (espèce
de vacherin) s'appelaient déjà de ce nom du temps des moines,
ou seulement après leur expulsion, par ironie.
VIL Selon ses qualités, le fromage porte les noms de: 15"
kolin, fromage très doux (Salvan, Valais = coulant?); de: 16°
maigre, gras, mi-gras, adjectifs substantifiés à l'occasion (par
exemple ? mingrs à Bagnes, Valais).
VIII. Le goût a donné le nom : 17" à'égron à des tommes
maigres, un peu aigres, fabriquées en Savoie et mangées à
Genève.
IX. Le fromage aux herbes s'appelle souvent: 18° persillé
{pèrs?lyé, s. m., Le Chenit, Vallée de Joux, pcrsayi à Bière,
Vaud 3).
X. L'époque a fourni le terme de: 19° mayintsê, s. f., fro-
' Variante genevoise tyèvri, s. m. = caprile (Dardagny).
- De l'allemand suisse chibs, Scheibe.
^ D'après l'endroit La Sarraz, il s'appelle en commerce sarrasin,
terme qui n'est guère patois.
COMMENT ON NOMME LE l-ROMAGE DANS NOS PATOIS 2 1
mage fait au moment oîi l'on remet les vaches à l'herbe, dans
les niayens ou bas pâturages de printemps (Trient). Donc, de
MAJL'S -\- le suffixe -INCUS, attribué présentement aux Ligures.
XI. Voici un nom curieux dû évidemment à une méta-
phore '. Lorsqu'on fait, dans le Pays d'Enhaut, un petit fro-
mage avec un supplément de lait ou d'un reste de la pâte dont
on a fait le grand, on l'appelle, selon les patois : 20° fidon,
fdlyon, f^oon, c'est-à-dire FILIUS -(- -ONE. Comparez l'expres-
sion analogue filyâla ^ filleule \ désignant la même chose en
Gruyère. Faut-il voir une erreur de copie dans le nom de
fstyon donné par Testuz ( Voc. de Villeneuve) au même objet
et \\xt. fdlyon? C'est vraisemblable.
XIL Les voisins allemands ont communiqué aux Jurassiens
le nom : 21° kczlé-, petit fromage fait avec un reste de lait
(Vermes, etc.).
Xin. Un correspondant du Valais fSembrancher) nous fait
connaître le terme enfantin: 22° jnâmâ, donné au fromage''.
XIV. Enfin, nous citerons deux mots d'origine inconnue :
23° tabaora^ s. f., indiqué par notre correspondant de Bière
comme appellation d'un mauvais fromage, mot que nous avons
retrouvé dans le Conteur vaudois de 1866, n° 12 : « tabaourraz,
fromage dur*, maigre et mauvais », et: 24° prâko, commu-
niqué par un correspondant de Vérossaz, Valais, dans le sens
de « petite pièce de fromage ».
Sans compter les deux dernières expressions, dont nous
ignorons la provenance, nous avons constaté non moins de
iT, sources différentes capables de fournir un nom au fromage
en général et à ses espèces. Cet exemple fait yoir quel riche
répertoire de détails de civilisation le Glossaire romand de-
viendra. L. Gauchat.
' L'expression fruit, citée en premier lieu, n'est pas une métaphore,
puisque le latin fructus a déjà le sens de produit, qui en est même le
sens premier.
^ J'écarte les mots tsigr' et chapisigr', qui concernent la séracée.
^ Ailleurs au lait (Fribourg), ce qui en explique l'origine.
* Comme la peau d'un tambour ?
TEXTES
-♦-
I. La foun' a Fârdinan G9nyè.
RÉCIT EN PATOIS DU ChENIT, VaLLÉE DE JOUX (VaUD)'.
Fârdinan Gmye ér on gran vyéloii là se, boua'ta°, k'alâvè
adé avoué^ on hâlon. E vehdsa'' avoui'^ sa nicr^, k'on li dp^a*"
la Gmyèrda è kp tpnya'' oiina piljla boutika dàré'" tché Ion
rpsèvya". Ld va'"da'' da" fi, dè-:^ a""lyè, dp la fisela, da" laba,
de pipe avoué'" de konvéxhou a"' blon, de bj^è, da^' ju, da"
bô"^" de rpgàli, dè-^ ârbolan.nè, lotè suèrtè d'afé^r"" è aspbé'"
la gota, sa kp n'erè pâ lou mèlya". S' ère d:(a adon otina
krô°"f kouipma de dé'" se ba'rè da" krals^ fyé" da*" lou nia-
TRADUCTION
La fouine- à Ferdinand Guignard.
Ferdinand Guignard était un grand vieux tout sec, boiteux,
qui allait toujours avec un bâton. Il vivait avec sa mère, « qu'on
lui disait » la Guignarde, et qui tenait une petite boutique der-
rière chez le receveur. Elle vendait du fil, des aiguilles, de la
ficelle, du tabac, des pipes avec des couvercles en laiton, des
pastilles à la menthe, du jus, du bois de réglisse, des plantes
médicinales, toute sorte d'affaires et aussi « la goutte », ce qui
n'était pas le meilleur. C'était déjà alors la mauvaise coutume
de comme ca boire du crache-feu dès le matin.
* Nous devons la transcription phonétique de ce morceau à l'obli-
geance de notre excellent correspondant^ M. Aug. Piguet, professeur
au Collège du Sentier. La traduction est de M. E. Tappolet. (Réd.)
2 Trident barbelé pour harponner les gros poissons. En français, on
trouve en outre les formes : fouane, foène, foiiie ; en français populaire
de la Vallée on dhfoune. C'est le latin fuscina, petite fourche.
LA I-OUN' a I-ÀRDINAN GENYE 23
té'". Np se'" pâ sd F'àrdinan a ::a!' Iravalyé kaii l'érè d::iô°"v9-
noii, iné'" de mon ta iid l'é'^ jainé"' vu rà fé"rè k''yè d'alâ a
la pèts^. Lou maté'", la vèpra, l'ère adé Ion Ion de rŒrba.
É trppbtqv^ su lou prâ pb fé'^r'^ salyi de ve h l'a"'plai"' a
son moxlye pb sàrvi d'amoues'. E lanchév^ son fi a l'égp, dè-
cha'"da'^, rpmontâv\ s'arètâv^ ve le gblyè è pasav'^ dé'"sè se
d:(èrnâyè pâ la plybd:( è pâ lou byô ta dà la salya'ta kank a
l'adàré'". A"'-n ivè, s'ér oun ôtra pèts^. Kan lou /é"" ère bé'"
d^alâ è la lyas^ viva, Fàrdinan alavè kbratâ su lou lé'^ avoué^
son fdrè pb pbsè'^grè Ve bètsè. Le bètsè son de pèson k'on tré^v^
on pô"" pàrtb. E son alondjé, avoué'' ouna gran tè'ta plyata
è ouna gouèrd:^^ bé'" gyàrnya de dà a krbtsç. Kan é tsason, é
ré'ston sa'" rédjé de gran mbmà è apré se lanson tb dra'' dèvan
la" pb avôlâ la° pèts^. A'"-n ivè, on le va*" bé'" dp^b la lyas^
Je ne sais si Ferdinand a eu travaillé quand il était jeune,
mais, de mon temps, je ne l'ai jamais vu rien faire (d'autre)
que d'aller à la pêche. Le matin, l'après-midi, il était toujours
le long de l'Orbe. Il piétinait dans le pré pour faire sortir des
vers qu'il enfilait à son hameçon pour servir d'amorce. Il lan-
çait son fil à l'eau, descendait, remontait, s'arrêtait vers les
« gouilles* », et passait ainsi ses journées par la pluie et par le
beau temps depuis le printemps jusqu'à l'automne. En hiver,
c'était une autre pêche. Quand le lac était bien gelé et la glace
vive, Ferdinand allait « courater » sur le lac avec son « ferret »
pour poursuivre les brochets. Les brochets sont des poissons
qu'on trouve un peu partout. Ils sont allongés, avec une grande
tête plate et une bouche bien garnie de dents à crochet. Quand
ils chassent, ils restent sans bouger de grands moments et
après ils se lancent tout droit devant eux pour avaler leur
« pêche ». En hiver, on les voit bien dessous la glace claire.
' Endroits plus profonds de l;i rivière, où l'eau paraît n'avoir pas de
courant.
24 L. MHYLAN
Xhf''"- ^^" f^'Ç ^ ^^'^ ô'"'''' bâloii avoué"' oiiiui poua"'l(t de Je
a" hè. On se ba°"fè avoué"^ se bâton pb hkâ su la lyas^. Ouna
founa è ouna suerta de grôsa fbrtsçta pb arpounâ le pèson; h
s\i'"niand:^è a° bè da° fàrè. On yâdi°" kp Fàrdinan s'a'"-n
alâvè su lou lé"' avoué"' sa founa bé'" rpduita dà sa hatseta è
so)i fàrè a la nian, le jandârni^ kp lou vèlyévon y ava'' d:(a
grau ta sd balyàron lou mb pb lou pra'"drè, kye la tsas^ è
bètse avoué" la facna è dèfa'"gya. E lou gpnyévon h s'a"*-n
alâvè da" xh^^i au" Rbtspra'' a'" brasà la na''. Yon de jan-
dârnf resta a la té' ta da" lé", l'olrou fi lou tœ pà vè Iché
Simon. Fàrdinan s'a'"* balya tb son sô'*" à se loudjé de tui le
Xlyan. Kan Vu pra" vdryé è rropryé su lou /^* sa*" ava'' pu
apyâ lou ma"*drè pèson, é se dèsida a rpvini pà lou Grata
La" è la Sauf. Lou jandârnf, ky erè resta a l'ata'"drè lou
fi irasâ da° ;f/)'fl« da'' Solya tché lou prèfè. Fàrdinan, ky ère
pbrtan pra" nialé'", np rpnaska pâ è se bouta brâvamà a"*
Un « ferret » est un grand bâton avec pointe de fer au bout.
On se pousse avec ce bâton pour glisser sur la glace. Une
« foune » est une sorte de grosse fourchette pour harponner
les poissons; elle s'emmanche au bout du « ferret ».
Une fois que Ferdinand s'en allait sur le lac avec sa « foune »
bien serrée dans sa poche et son « ferret » à la main, les gen-
darmes, qui le guettaient déjà depuis longtemps, se donnèrent
le mot pour le prendre, car la chasse aux brochets avec la
« foune » est défendue. Ils le guignèrent au moment où il s'en
allait du côté du Rocheray en « brassant » la neige. Un des gen-
darmes resta à la tête du lac, l'autre fit le tour par vers chez
Simon. Ferdinand s'en donna tout son soûl à se luger de tous
les côtés. Quand il eut assez « viré » et « reviré » sur le lac
sans avoir pu attraper le moindre poisson, il se décida à s'en
retourner par le Gratte-Loup et la Sagne. Le gendarme qui
était resté à l'attendre le fit « tracer » du côté du Solliat chez
le préfet. Ferdinand, qui était pourtant assez malin, ne regimba
LA rOUN' A l'ARDINAN GENYE 25
rçtd uvoiic" son konpanyon. Kaii é Juron am'â Ichc Ion prèjè,
Ion jandânn^ a"'lra Ion proutnyé pb j'^'re son raponè, tandi
kp Fàrdinan ata'"da'' vè Ion fyœ'* a la tô k'on Ion fas' a"'lrâ.
Ê p sa"'blyan d'ava!' be'" sa*"; s'érè epa*" varf, e l'ala ha'r
a la kasa. Mé^ sp l'ava- sa*", l'ava'' aspbé'" ouna bonna jars'
d'à la té' la. É profita dp la chans' è hka sa founa dà la sèlyp
a ma'kyé plyé'"na d'ég'. Amanà dèvan Ion prèfè, Ion jan-
dârm' rafp son raponè. Dp^a'' kp l'ava'' vn Fàrdman, — è
sp nérè pâ lou pronniyé yâdion, — pdsé'"grè le bètsè avoné"
son fàrè è kp l'ava'' onna founa pb lè-:^ arponnâ. Fàrdinan
It^sa dèrè sa"* tàtché de se dèfa'"drè. Kan l'ôtron n atsèvâ, é
se folya li mé'm"", ra'"vèsa totè se katsètè pb bé'" mbtrâ ky'é
n'ava'' d~é'" de founa. Lon jandârm' ère tb èbai è pâ tré"
kontà. Lon prèfè np sava'' kyè dèrè. Pb a"' fini, é fbt^ on bon
galb a Fàrdinan, ky ère bc'" kbnn pb brakounâ sn lon lé"' è
lou lâtsa. Se ik' ava'' ankouè be"' sa'' a'" salyà; l'ala ba'r
pas et se mit bravement en route avec son compagnon. Quand
ils furent arrivés chez le préfet, le gendarme entra le premier
pour faire son rapport, tandis que Ferdinand attendait près du
feu à la cuisine qu'on le fît entrer. Il fit semblant d'avoir bien
soif, — c'était peut-être vrai, — et il alla boire à la « casse ».
Mais, s'il avait soif, il avait aussi une bonne farce dans la tête.
II profita de la chance et fit glisser sa « foune » dans la seille
à moitié pleine d'eau. Amené devant le préfet, le gendarme
refit son rapport ; il disait qu'il avait vu Ferdinand, — et ce
n'était pas la première fois, — poursuivre les brochets avec
son ferret et qu'il avait une « foune » pour les harponner. Ferdi-
nand laissa dire sans tâcher de se défendre. Quand l'autre eut
achevé, il se fouilla lui-même, retourna toutes ses poches pour
bien montrer qu'il n'avait point de « foune ». Le gendarme était
tout ébahi et pas trop content. Le préfet ne savait que dire.
Pour en finir, il ficha une bonne remontrance à, Ferdinand, qui
était bien connu pour braconner sur le lac, et le lâcha. Celui-
26 J. JEANJAQ.UET
ankoiiè on yâd:^" a la kasa, rpprp sa fouiia è s\i"*-ii ala là
hontà e prè a i-pkouma'"cbé. E°^ bi dèrè y a kôhyè d::;œ kp
Fàrdinan s'en boula, kan l è :{a° trœ^* vyèl°" pb alâ su Ion
lé"", a V9ryé la hourkan.na a la frpté"*rp pb le d:(a kp viilya'-
yon li fé^rè gânyé ôkye.
L. Meylan.
ci avait encore bien soif en sortant: il alla boire encore une
fois à la casse, reprit sa « foune » et s'en alla tout content et
prêt à recommencer.
T'ai entendu dire il y a quelques jours que Ferdinand s'était
mis, quand il a été trop vieux pour aller sur le lac, à tourner
la baratte à la laiterie, pour les gens qui voulaient lui faire ga-
gner quelque chose.
^♦^^
II. I poaro kôrdanyè.
Conte popul.\ire en patois de H.\ute-Nendaz (Valais) ^
Oun kou, y aei oun pouro kbrdanyè ky ën^d aei tsmja kyp
chin kyp gânyf à dzprnia. Dpkâit à baraka dû kbrdanyè y
aei na vyeli- gran^d^p. Ouna né ky è-t aroua tanmin*^ ta du
traô, en plach' d'aâ dpsbnà a fena è è mèinâ, è-i aâ chp
rptrin'^drp dprën yja vyèli gran^d^p. Ch' è niilû dp pla
ch oun'" pèi dp palp cn-n oun kâro. Kan ch' è-t inu œ'"'trp
p à né, è-t arouà' i chpnîgmda^ dprën '^ p â gran*^d:(^p. Tinyan
Le pauvre cordonnier.
Une fois, il y avait un pauvre cordonnier qui n'avait rien
que ce qu'il gagnait en journée. A côté de la maison du cor-
donnier, il y avait une vieille grange. Un soir qu'il est arrivé
un peu tard du travail, au lieu d'aller réveiller sa femme et ses
enfants, il est allé se coucher dans cette vieille grange. Il s'est
étendu sur un peu {litt. un poil, un brin) de paille dans un
coin. Au milieu de (////. quand c'est venu outre par) la nuit, le
I POLRO KORDANYE 27
OHii Iriii ctfrœ'', Isàrnidoii Ishiii apiî oiiiia vyèli chbrchiri kyp
vinyei pâ a bï d'aroua. P à fén, è kan iiiiiit aroiiâ' è è-j alra
tshîii din"tû pb chaei pçrkyp aei ian fè on. //<? vyèli chbrchîn
a di liyd yc'i 'aei d^hya traaya ché né, k aei baya niâ â mata
du rei. È-j âlr an ën"lèroua kyën kon*ftrppei aei mitù. I chbr-
chiri a di k aran pâ trba koiinip kyp chei ché kon'Urppei, kyp
fayf mètr^ baiiye a niûht du rci en'" p ô chan d'oun tsaa ^
blan. Apri chou partei è b niaiën ché kbrdanyè ïnkyp è-l ad
Irba b rei. I rei aei d^hya fé ini tshni è grau mèdpsen, ma
ën"d aei pu youn k' ou chei chùpii^' dèky aei i chaoua mata. Kan
è-t aroua i kbrdanyè, shishi a di kyp yui kbnyèchei b rpmyèd^o
pb ouari a prënshyècha. Aprï, i rei a brdbna k aichan ashye
ën**tra. Kan a ju yii yja ïnkyp, i kbrdanyè a di k'aei rin
k'oun rpniyèd'O k'ouchci pùchii a ouari, ma k îrp tshyè è chaei
pâ ch' a rei pùchii trbà. I rei ouei k' ouchei di b rpmyèd^o. I
sabbat des sorciers est arrive dans la grange. Ils faisaient un
vacarme (////. ils tenaient un train) affreux, ils juraient tous à
cause d' {litt. après) une vieille sorcière qui ne venait pas à
bout d'arriver. A la fin, elle est quand même arrivée, et les
autres tous autour pour savoir pourquoi elle avait fait si long-
temps. Cette vieille sorcière a dit qu'elle, elle avait déjà tra-
vaillé cette nuit, qu'elle avait donné le mal à la fille du roi.
Les autres ont demande quel moyen de guérison (////". quel
contrepoids) elle avait mis. La sorcière a dit qu'ils ne trouve-
raient pas (/ïV/. qu'ils n'auraient pas trouvé) comment était ce
remède, qu'il fallait mettre baigner la fille du roi dans le sang
d'un cheval blanc. Après ils sont partis et le matin ce cordon-
nier est allé trouver le roi. Le roi avait déjà fait venir tous les
grands médecins, mais il n'y en avait pas un qui eût su ce
qu'avait sa fille. Quand est arrivé le cordonnier, il (//VA celui-
ci) a dit que lui connaissait le remède pour guérir la princesse.
Après, le roi a ordonné ([u'on le laisse (///A qu'ils l'aient laissé 1
entrer. Quand il a eu vu la fille, le cordonnier dit qu'il n'y
28 J. JEANJAQ.UET
kbrdanyè a ponèlp di h i fayf plon"d::Jjye a prciishyècha eu'"
p 6 chan, è a pâ manha, han au ju fé clnu, i prnishyecba è
jù ouareiti'', è i kbrdanyè a rpshyii ouua grocha chôma d'ard:^ùi
è pouè a lia mpiia ëulshye yui en ouètura. Dpkô&l ô kbrdanyè
ilaè oun vyb ava, è ché vyb ava a u chaei du kbrdanyè homn
ad fé pb atrapi x^^ chôma. I kbrdanyè a di kyd yui aei riu
fé k'aà drumi'^ na né èn"'p9 ;f/rt vyèli gran^d:^. Ché vyb ava
a û fera pari, è mi aâ chd mètrd da pla cn-n oun kâro d'à
gran**d^9. Ché né ri a mi pâ mankâ, è-t arouâ' i chpmgâida.
Kan-t è iuyuai i vyèli, chab'én ky è ju ënfoumâ' ; a di k'aan
d;;;hya dpkouè b chpkrèi, ky i mata dû rei îr^ d:(hya ouarèili,
kyp fayë aouèitshye, kyp dèei cn"d aei kâkouu pp //^ gran"d:(P.
Apri, è-j àtr au aoiièitshya ; an** trbâ ché vyb ava, è pouè b-t
an** tsaplâ pli pr'én kyp erha ^ di prâ.
avait rien qu'un remède qui pût la guérir, mais qu'il était cher
et qu'il ne savait pas s'il pourrait le trouver. Le roi voulait
qu'il dise le remède. Le cordonnier a alors dit qu'il fallait
plonger la princesse dans le sang, et ça n'a pas manqué, quand
ils ont eu fait cela, la princesse a été guérie et le cordonnier a
reçu une grosse somme d'argent et puis a été mené chez lui en
voiture. A côté du cordonnier demeurait un vieil avare, et ce
vieil avare a voulu savoir du cordonnier comment il avait fait
pour attraper cette somme. Le cordonnier a dit qu'il n'avait
rien fait qu'aller dormir une nuit dans cette vieille grange. Ce
vieil avare a voulu faire de même, il est aussi allé s'étendre
dans un coin de la grange. Cette nuit-là, cela n'a de nouveau
pas manqué, le sabbat des sorciers est arrivé. Quand la vieille
est venue, elle a naturellement été fort en colère ; elle a dit
qu'on avait déjà découvert le secret, que la fille du roi était
déjà guérie, qu'il fallait regarder, qu'il devait y avoir quelqu'un
dans cette grange. Là-dessus, les autres ont regardé, ils ont
trouvé ce vieil avare et l'ont haché plus mince que l'herbe des
prés.
I POURO KÙRDANYE iÇ
NOTES
^ Raconte en 1906 par Joseph Michelet, à Nendaz. Nous avons dans
ce texte noté par ii un son intermédiaire entre ou et 11 français ; ce der-
nier n'existe pas à Nendaz ; / indique un e très fermé, c' un son parti-
culier, sorte d'3 vélaire. Le premier élément de la diphtongue œii a
une nuance plus ou moins marquée de ô; sh, ^} sont des modifications
de ch, j, qui sont constantes devant y ; tshy, d\hy sont intermédiaires
entre ty, dy et tchy, djy ; xl est une combinaison spéciale dans laquelle
,V n'a pas sa valeur habituelle, mais se rapproche de »l^; ;■ est toujours
linguale, mais à l'initiale, ou redoublée, elle est fortement roulée,
tandis qu'intervocale elle est faiblement articulée et tend à se confondre
avec / ou d.
2 vyèVi < *vecla; 17 initiale ou intervocale disparaît régulièrement à
Nendaz: (in.na, laine, ni.oiia, langue, /^a, filer, vaè, valet, etc. Là où
le son se rencontre aujourd'hui, comme dans vyèH, ii est l'équivalent
d'une ancienne / mouillée.
^ chyiùgdùdd, déformation du mot « synagogue », avec changement
de sens analogue à celui de sabbat.
'* ddicit, dedans, présente le passage de d à 1'/- intervocalique men-
tionnée dans la note i.
'■ tsan, cheval, pour un plus ancien tsya. La tendance des voyelles à
s'assimiler aux sons avoisinants est très développée dans le patois de
Nendaz. Il en résulte beaucoup d'instabilité pour certaines voyelles.
Taèloii, (' tavillon » (petit ais mince), devient telon ; taon, talon, peut
passer à Idoit, presque ton, etc. Les formes de notre texte, ddkonl' û
baraka, p â fat, /> ô clmn, etc., proviennent de même de dokoutd a b.,
p3 af., p3 à chan. On dit aussi at û man, avec la main, al ^ pya, avec
les pieds, pour alù a m., ald i' p., i porta d ëljj, la porte de l'église,
pour di> èlîj, etc. En s'allongeant par la fusion, Ve et Vo deviennent
plus fermés.
^ chiipi'i, su, est pour cboiipii, par influence assimilatrice de la tonique;
on a aussi piichii, pu. ii (> *ouU, llù), voulu, et même, dans le parler
rapide, //■(//(, fallu. L'assimilation peut se propager à plusieurs syllabes:
tsdnèo, chanvre, mais Isinijri, chenevière, ou d'un mot à l'autre : tsè,
chair, mais tsi vTva, chair vive.
" ouariHti, guérie ; les verbes en / ont presque tous leur participe en
-èi,-f}ili <C -ectu, -ecta.
* driïmi; Vu n'apparaît que lorsque la syllabe tonique est en /, ail-
leurs on a oit: inf. dri'imi, imparf. dri'nuTyo, mais partie, drotniii'i, ind.
pr. drcu'iio, etc.
" èrba ; une curieuse conséquence de la chute de 1'/ à Nendaz est la
disparition complète de l'article singulier devant les mots commençant
30 J. JEANJAQ.UHT
par voyelle : âno = âne et l'âne, èiba ^ herbe et l'herbe, etc. Le pro-
nom le, la disparaît de même ; ainsi s'expliquent plus haut (p. 27) :
k oilchan ashyc, qu'ils /'aient laissé ; ch' arei pïichù tràa, s'il /'aurait pu
trouver.
J. Jeanjaquet.
-i^^i^fî-'
COMPTE RENDU
Neufranzôsische Dialekttexte, mit grammatischer Ein-
leitung und Wôrterverzeichnis, von Eugen Herzog. —
Leipzig, Reisland, 1906. XII, 76, 130 p. gr. in-8°. (Sammlung
roraanischer Lesebilcher I.)
Pendant que nos patois s'éteignent au milieu de l'indiffé-
rence à peu près générale de la population, voici que paraît à
I^eipzig, par les soins d'un professeur de Vienne, un recueil de
morceaux patois destiné à servir de manuel pour les cours imi-
versitaires. Il répond, nous assure-t-on, à un besoin urgent.
Encore quelques années, et les étudiants allemands connaîtront
sans doute mieux que nos cami>agnards ce patois qui fut jadis
la langue authentique de nos pères. La chrestomathie patoise
de M. Herzog est dans tous les cas fort bien comprise et nous
paraît répondre parfaitement au but qu'elle se propose. Elle
réunit, en soixante numéros, des spécimens, classés géographi-
quement, des principaux types patois gallo-romans, à l'excep-
tion des dialectes méridionaux, qui sont réservés pour une
seconde publication. La littérature populaire tient, comme il
est naturel, une large place dans le volume, intéressant aussi k
ce point de vue. La Suisse roinande occupe les n°^ 45 à 54,
qui sont groupés sous les rubriques Romand (cantons de Neu-
châtel, Vaud, Fribourg, Bas-Valais), Haut-Valaisan et Sa-
voyard (Genève). On remarquera l'absence complète de textes
du Jura bernois. Cette lacune nous paraît fâcheuse et aurait
facilement pu être comblée à l'aide de la riche collection de
chansons populaires patoises publiées en transcription phoné-
ticjue par M. A. Rossât dans les Archives suisses des traditions
populaires. On pourra aussi trouver que Fribourg tient ime
COMPTE RENDU 31
bien grande place, au détriment de Vaud et de Neiichâtel.
Mais le fait que M. Herzog n'a admis pour la Suisse que des
textes publiés phonétiquement restreignait forcément son choix.
Il a puisé essentiellement dans les publications de Hiifelin et
de Cornu. Le Bulletin du Glossaire a l'honneur de voir repro-
duits trois morceaux publiés par lui, ceux de Champéry {Bul-
letin, I, p. 36), Evolène (II, p. 26) et Bernex (III, p. 30).
M. Herzog ne s'est pas borné à réunir des textes patois de
toutes les régions et à réduire leurs graphies variées à une
transcription uniforme partout où la chose était possible : il a
accompagné son recueil d'un glossaire étymologique sommaire
et d'une copieuse introduction grammaticale. Ce dernier tra-
vail, qui n'occupe pas moins de 76 pages, coordonne métho-
diquement, sur les bases de la grammaire historique, les mil-
liers de faits dialectaux renfermés dans les textes. En l'absence
de travaux d'ensemble dans ce domaine, on conçoit coml)ien
pareille étude a dû être difficile et délicate, et on ne peut que
rendre hommage aux connaissances approfondies et à la péné-
tration dont l'auteur fait preuve dans cette partie de son ou-
vrage. II nous permettra néanmoins de signaler ici quelques
inexactitudes de détail relevées dans ce qui concerne la Suisse
romande.
ijji 18 et 546. pusnè, 45, 34, n'est pas un diminutif {poussin
-\- et), mais le pluriel de pusna, « poussine -, mot qui se re-
trouve 54, 7. — S 19. se, 51, 12, n'est pas l'adverbe ci, mais le
démonstratif correspondant à l'anc. fr. cel. — § 139. oroly?,
47, 12, suppose une base aurucula et ne représente donc pas
le traitement de é + / mouillée. — >^ 144V La palatalisalion du
k ^■ajtv'à kyœudra, Q.Qvy\\i, 51. 41, n'a rien de surprenant. Elle
est habituelle dans la région devant œ. Cf. Gilliéron, Patois
de Vioîinaz, p. 71. — J; 284. Dans les patois savoyards, / est
le produit régulier de c -\- e, i, cons. -\- cy, ty et n'appa-
raît pas seulement par dissimilation. — ?; 413. Je ne vois pas
de quelle façon le plusque-parfait aurait pu influencer les
formes du conditionnel do Vionnaz : ar} (aurait), pbrj (pour-
,<52 J. JRANJAaUET
xzSx),f6dr3 (faudrait), etc. Ces formes sont accentuées sur la
terminaison et n'offrent rien d'anormal. — § 45i- Les formes
dœz3 (dit), 47, 82, înos), moz? (mordit), 47, 11, 45, sont inter-
prétées à tort comme des parfaits forts. Elles ont l'accent sur
la terminaison et équivalent à disit, etc. Cf. trèzi (de traire),
47, 57, riji (de rire), 50, 140. D?j(pi (et non dpjan), 50, 141,
est un imparfait. — § 460. vudran, 49, 43, est le conditionnel,
non le futur de voidoir. — § 478. Le nom de lieu Vuissens,
49, 10, n'est sûrement pas senti comme un pluriel; les du vers
suivant ne s'y rapporte pas. — § 532. L'étymologie quem >
kyiîi est insuffisante. L'emploi du mot montre qu'il s'agit, non
pas d'un relatif simple, mais d'une forme adjective analogue
au français quel. — § c^^ç^. folaton ne se rattache pas di folâtre,
mais est dérivé de follet. Cf. les verbes en -eter, qui ont en
patois la terminaison -ata. — § 616. Vaoulave io la foudra
dans le Recueil de Corbaz, p. 206, est sans doute une simple
faute d'impression pour co la f. — Vocabulaire : d'abb est
naturellement le fr. d'abord et non d'about. — bbiTg ne se rat-
tache pas à bouteille, mais à bosse = tonneau. — dsbouarz est
la 3' pers. de i'ind. pr. du verbe débriser. — doua n'est pas fémi-
nin; c'est l'anc. fr. duel. — djanlya, lire dzanlya. — ékoiiaru,
« malingre », est peut-être simplement le mot « écureuil ». On
ne voit en tout cas guère le rapport avec corium. — kourc,
dans lâchye kourè, 53, 24, n'a rien à voir avec cadere. 11 vient
de currere et serait mieux traduit par « laisser échapper » que
par « laisser tomber ». — rita n'est pas seulement « Hanf-
strahne », mais « filasse » en général. Il ne peut être rattaché
à restis. Toutes les formes supposent un / dans le radical et
Diez avait déjà indiqué comme origine l'anc. haut allemand
rîsta. — seileta = situla (non sitella) -|- itta. — tchutch, 45, i,
est la 3'' pers. de I'ind. pr. du verbe tchatchi, calcare déjà
indiqué plus haut. j Jeanjaquet.
LE CHATEAU D'AMOUR
-♦-
« Il existe, écrivait il y a cent ans le doyen Bridel dans
un article des Etrennes Helvétiennes pour l'an de Grâce
MDCCCVll, reproduit en 1814 au tome V du Conservateur
Suisse, une ronde villageoise, qu'on entend encore chanter
dans les vignes de la Vaud, et qui en temps de vendange
se répète quelquefois de bande en bande, des fauxbourgs de
Lausanne au pont de Vevey : elle commence par ces mots :
Château d'amour, te veux-tu pas rendre ' ?
Veux-tu te rendre ou tenir bon ? »
Ces jolis vers, sauvés de l'oubli par celui qui fit, à lui
seul, en son temps, toute la besogne d'une Société suisse
des traditions populaires, étaient un dernier écho d'une
fête galante, dont il se plaisait à supposer que « l'institution
remonte peut-être à un temps fort reculé. »
« Dans divers villages soit Fribourgeois soit Vaudois, le
premier dimanche de mai, on élevoit (à ce qu'il nous ra-
conte) une espèce de château en planches de sapin, et quel-
quefois on l'entouroit d'un petit fossé : après l'avoir cons-
truit, les jeunes gens non mariés se partageoient en deux
troupes ; l'une devoit attaquer le château, et l'autre le dé-
fendre du haut de la galerie qui en faisoit le tour. A un
signal donné, les assiégeans ayant tous une rose à leur
chapeau, entonnoient la chanson du château d'amour, et le
siège commençoit : de part et d'autre, on se servoit des
3
34 ERNEST MURET
armes du siècle; avant l'invention de la poudre, c'étoient
des lances, des hallebardes, des piques sans fer; ensuite on
employa les armes à feu. Les assaillans prenoient ordinai-
rement le château par escalade, après quelques heures de
siège; ils y mettoient le feu, et la journée finissoit par des
danses et des libations bachiques, dont la garnison prison-
nière faisoit les frais. Quoiqu'on veillât à ce que ce simu-
lacre de guerre et ce siège fictif n'entraînassent aucune suite
fâcheuse, l'acharnement des deux partis causoit par fois des
accidens funestes : à Corcelles du Jura, un jeune garçon
risqua de périr dans les flammes du château, incendié- avant
que la garnison l'eût évacué : dans un village du canton de
Fribourg, un des assiégeans se cassa la jambe, et un autre
fut grièvement blessé. Ces malheurs furent cause que la
police proscrivit cet amusement comme dangereux, et que
le gouvernement de Berne, par un édit de 1543, défendit
sous l'amende de cinq florins de fa'we des charivaris et des
laonneries. Cet édit apprend que l'ancien nom de cette fête
villageoise étoit laoïinerie. Ce mot vient du patois Lavon,
Laon, Lan, qui signifie un ais ou une planche, parce que le
château en étoit construit...
« Malgré ces défenses, la fête proscrite fut encore célé-
brée de temps en temps dans quelques villages écartés ; et
tout récemment elle a eu lieu aux environs d'Echallens^
sans aucun accident, parce qu'on avoit pris pour les prévenir
toutes les précautions possibles, dont la meilleure fut d'em-
pêcher les acteurs de s'enivrer avant de monter à l'assaut.
« Le siège du château d'amour se faisoit aussi autrefois
dans la ville de Fribourg, mais d'une manière moins dan-
gereuse et plus galante : sur la grande place paroissoit une
forteresse en bois, ornée de chiffres, d'emblèmes et de de-
vises analogues à l'esprit de la fête : chargées de la défense
LE CHATKAU D'AMOUR 35
du château, les plus jolies filles de la ville et des environs
montoient sur le donjeon. Les jeunes garçons, en costume
élégant, venoient en foule les assiéger. La musique sonnoit
la charge, en jouant les airs les plus tendres. De part et
d'autre, il n'y avoit pour armes, que des fleurs : on se jetoit
des bouquets, des guirlandes, des festons de roses ; et quand
cette innocente artillerie étoit épuisée, quand le donjeon et
les glacis étoient jonchés des trésors de Flore, on battoit la
chamade. Le château arboroit le drapeau blanc : la capitula-
tion se régloit; et l'un des articles étoit toujours, que cha-
cune des amazones qui formoient la garnison prisonnière
choisissoit un des vainqueurs, et payoit sa rançon en lui
donnant un baiser et une rose : ensuite les trompettes son-
noient des fanfares. Les assiégeans montoient à cheval et
se promenoient dans les rues ; les dames, dans leur plus
belle parure, du haut des fenêtres, les couvroient de feuilles
de roses et les inondoient d'eaux parfumées : la nuit ame-
noit des illuminations, des festins et des bals. C'étoit vrai-
ment une scène de l'ancienne chevalerie... La fête étoit
d'autant plus agréable, que l'ordre le plus sévère y étoit
scrupuleusement observé; et qu'elle se passoit sous les yeux
des pères et mères, attentifs à maintenir la décence au
milieu du bruit, et la courtoisie à côté de la joie. »
Dans les Etrennes Helvétiennes pour 1805, le doyen Bridel
avait déjà «fait mention du château d'amour, en parlant du
fameux Chalamala (ou Chalama, comme il l'appelle), le fou
du comte Pierre V de Gruyères, et de ce conseil qu'il
« s'étoit choisi parmi les hommes les plus gais et les plus
spirituels » et « avec lequel il délibéroit gravement sur des
bagatelles. » Ce conseil, dit-il, « qui ne s'assembloit que les
jours des grandes fêtes... connoissoit du carnaval, des mas-
carades, des charivaris, des jeux militaires, et principalement
36 ERNEST MURET
de celui qui se nommoit le siège du château d'amour^. »
Vérité ou fiction, c'est de ces aimables récits qu'est sortie
l'une des œuvres les plus charmantes qu'on ait applaudies
sur une scène suisse, le délicieux Château d' Amour, dont les
auteurs sont deux Genevois, le poète Daniel Baud-Bovy et
le si regretté sculpteur et musicien Hugues Bovy *. Par
cette heureuse collaboration de deux beaux talents, issus
d'une même souche féconde en excellents artistes, l'antique
fête de la jeunesse et de l'amour et la Gruyère légendaire,
à demi féodale, à demi pastorale, éprise de tournois, de
danses et de chansons, ont été évoquées, sous nos yeux
ravis, dans un vivant et inoubliable poème. Le Château
d'Amour devait être représenté en 1896, à l'exposition de
Genève, sur la place du Village Suisse, qui lui eût offert un
décor à souhait, non loin de la maison de Chalamala et du
joli chalet qui abritait les tresseuses de paille fribourgeoises.
Hélas ! la pluie persistante de ce maussade été de l'exposi-
tion nous a privés de la représentation en plein air, et c'est
dans une salle close que, l'hiver suivant, ce beau spectacle
s'est déroulé aux lumières, sur une scène trop petite et avec
un recul insuffisant. Espérons que nous aurons un jour le
plaisir de le revoir, soit dans le jardin de quelque intelli-
gent amateur de l'art national, soit, de préférence, sur la
place même de Gruyères, au pied du vieux château, parmi
les verdoyants paysages de notre « Arcadie suisse ».
Vérité ou fiction ? En consultant quelques-unes des per-
sonnes les plus versées dans la connaissance de l'histoire
locale ^, j'ai pu m'assurer qu'aucune allusion au Château
d'Amour n'a été jusqu'à présent relevée dans les documents
vaudois ou fribourgeois antérieurs au dix-neuvième siècle.
Parmi les nombreuses ordonnances au moyen desquelles le
LE CHATEAU D'AMOUR 37
gouvernement paternel de Leurs Excellences de Berne s'ef-
forçait de réprimer la licence des mœurs vaudoises, ni l'ar-
chiviste bernois, M. Tûrler, ni M. Alfred Millioud, aux
archives de l'Etat de Vaud, n'ont pu découvrir aucune trace
d'un édit de 1543, interdisant « de faire... des laouneries. »
Cependant, la fréquente prohibition, aussi bien que la longue
persistance de ces divertissements campagnards, nous est
confirmée par un témoignage contemporain et indépendant
de celui du doyen Bridel. D'un manuscrit « datant de
181 5 » et « dû à la plume d'un de nos anciens professeurs, »
le Conteur Vaiidois a tiré naguère des Notes sur quelques
anciens usages vaudois, recueillies, au dire de l'auteur, « de
diverses conversations avec des vieillards, surtout à Dom-
martin » (district d'Echallens) « et à Lavaux. »
« Les Lanneries, selon notre anonyme '\ sont des fêtes
dans lesquelles on bâtit un château en planches. On l'en-
toure de palissades et de fossés et les jeunes gens s'exer-
cent tant à l'attaque qu'à la défense de cette place forte.
Divisés en deux bandes conduites par leurs officiers, ils
imaginent toutes sortes de ruses de guerre et entrent en
pourparlers comiques pour la reddition de la place, entre-
prennent des sorties ou des assauts, sont tantôt vainqueurs
tantôt vaincus, et en sont quittes souvent pour quelques
blessures très réelles ; il est même arrivé de très grands
malheurs dans ces jeux. Voilà pourquoi on a si souvent
défendu les Lanueries, qui sont encore tellement du goût
des communes du Jorat qu'il ne se passe guère d'années
sans qu'il s'en fasse quelqu'une qui attire toujours un très
grand concours de monde. C'est là aussi une des réjouis-
sances du mois de mai. »
Ainsi, cet amusement guerrier était associé, dans les cam-
pagnes vaudoises, aux fêtes joyeuses par lesquelles, de temps
3» ERNEST MURET
immémorial, on célébrait, le premier mai ou le premier
dimanche de mai, le renouveau de la belle saison. La même
coutume existait, sous un autre nom, dans le pays de Neu-
châtel,au dix-septième siècle. J'ai sous les yeux les comptes''
d'une promenade dit mois de mai qu'on fit à Cortaillod en
1686. Nous apprenons par le détail des dépenses que le
29 avril la fête avait été annoncée au son du tambour, que
les 28 et 29 on avait travaillé à la construction d'un « châ-
teau », que le i" mai on y avait mis une porte à claire-
voie ou drayse, et qu'on avait « dellivré la poudre pour la
promenade » ; que le grand jour, enfin, qui fijt le dimanche
5 mai, on envoya « par ordre deux potz de vin et deux
batz de pain au Chasteau », sans doute pour ravitailler la
garnison, et qu'en outre cent vingt-six personnes reçurent
chacune, en tout honneur, un pot de vin.
Juste Olivier, en parlant du Château d'amour et des laon-
neries, dans son Canton de Vaud^, rappelle que « c'est une
fête absolument semblable qui devint l'occasion de la révo-
lution des lazzaronis dont Mazaniello fut le héros. » Ouvrons
l'histoire de l'Insurrection de Naples en 164'j d'Angel Saa-
vedra, duc de Rivas '^. « Suivant un ancien usage, à la fête
de la Vierge du Carmel, » le 16 juillet, « on élevait sur la
place devant l'église un château en planches qui, défendu
par une troupe de jeunes garçons habillés à la turque, était
assailli par une autre troupe différemment costumée... » Si
j'ai bonne mémoire, un jeu analogue est décrit dans un
roman espagnol du commencement du dix-septième siècle,
je ne sais malheureusement plus lequel. Ces divertissements
populaires tirent sans doute leur origine d'un jeu militaire
du moyen âge, que Viollet-le-Duc, dans son Dictionnaire du
mobilier français '°, a défini comme « simulacre d'attaque
d'un fort ou tout au moins d'un ouvrage palissade », en y
LE CHATEAU D'AMOUR 39
appliquant mal à propos le terme de behourl ou bohourt,
par lequel on désignait une grosse lance courte et un tour-
noi à la lance. De même que le beboiirt chevaleresque s'est
perpétué dans le peuple par les joutes au bâton naguère
encore en usage le dimanche des Bordes ou des Brandons ^ ' ,
peut-être y a-t-il quelque allusion au siège simulé dans la
jolie ronde enfantine^-:
— J'ai un beau château...
— L'uôtre est bien plus beau...
— Nous le détruirons...
— Comment fere:(^vous ?
De l'ensemble parfaitement concordant des témoignages
qui viennent d'être mis sous les yeux du lecteur, il résulte
que le doyen Bridel a eu tort de confondre la laonnerie ou
lannerie avec le Château d'Amour nommé dans la chanson
populaire. Mais il est tout naturel que les jeunes paysans
qui prenaient part à cette fête printanière se soient plu à
fleurir leur chapeau d'une rose, au besoin d'une rose artifi-
cielle. Il est fort possible qu'ils nient parfois marché à l'as-
saut en chantant la chanson du Château d' Atnour .U anonyme
de 1815 peut avoir ignoré ou négligé ces détails, où Bridel
reconnaissait des traits de cette galanterie romanesque dont
est tout empreinte sa description du brillant tournoi de Fri-
bourg. Au spectacle de cette élégante bataille de fleurs, que
nous sommes loin de la grossière simplicité des jeux mili-
taires campagnards ! A quelle source, demeurée jusqu'à pré-
sent cachée, l'habile conteur a-t-il pris son récit ? Dans la
scène qu'il a retracée, il n'est aucune des données essen-
tielles qui soit de son invention. Il n'en est aucune qui n'ait,
dans la vie, l'art et la littérature des siècles passés, de mul-
tiples et parfois lointaines correspondances. Ainsi, dans les
40 ERNEST MURET
poèmes allemands du Rosengaricn, qui remontent à la fin
du treizième siècle et qui ont donné lieu, au quatorzième,
à des représentations publiques ^•', un baiser et une rose
sont, comme dans le Château d'Amour fribourgeois, la ré-
compense des heureux vainqueurs. L'authenticité de maint
autre trait se prouve semblablement par la comparaison
avec d'autres documents qui n'ont pu être connus du doyen
Bridel qu'en partie. Mais ce diable d'homme s'entendait à
merveille à combiner, pour les adapter à ses fins, des élé-
ments de toute sorte et de toute provenance ; il savait, si
j'ose me servir d'une métaphore un peu triviale, accom-
moder au goût du jour et à la sauce helvétique des mets
étrangers ou surannés. Bien habile donc qui pourrait discer-
ner, dans son article de 1807, ce qu'il doit à une tradition
aujourd'hui perdue et ce qu'il a tiré de son propre fonds,
de ses vastes lectures et de sa riante imagination !
Le jeudi 7 mai 1857, lisons-nous dans les Souvenirs du
baron de Hûbner, ambassadeur d'Autriche à Paris sous le
second empire'*, « par un temps délicieux », la cour, à
Villeneuve-l'Etang, fiiisait fête au grand-duc Constantin de
Russie. On était au lendemain de la guerre de Crimée ;
mais les belligérants étaient si bien réconciliés que, trois
jours auparavant, dans un diner à l'ambassade russe, le grand-
duc avait porté un toast « aux vainqueurs de l'Aima et de
Sébastopol. » A la partie de campagne impériale, il y eut un
déjeuner sous la tente, des courses sur l'eau et des jeux
sur l'herbe. On simula la prise du Mamelon vert, la princi-
pale position d'approche du siège de Sébastopol. « Le ma-
melon, notait Hûbner, défendu par l'Impératrice et les
dames... Les hommes, l'Empereur à la tête, montaient à
l'assaut. C'était un peu trop gai et trop intime pour l'occa-
LE CHATEAU D'aMOUR 41
sion. » Simple caprice de gens qui s'amusent, ou vague
réminiscence du siège du Château d'Amour ? Qui sait si
quelque écho n'en était pas parvenu dans cette cour où
brillait l'érudit et spirituel Mérimée ? N'en eût-on pas su
davantage, l'on ne pouvait ignorer en France ni l'un ni
l'autre des deux articles du doyen Bridel, reproduits en 1817
au tome I" des Mémoires de la Société royale des anti-
quaires^''.
Le terme de carrousel a désigné, comme l'on sait, d'élé-
gants tournois de parade, des sortes de ballets militaires,
qui furent, au seizième et au dix-septième siècles, un des
divertissements préférés des cours européennes. Dans l'un
de ces carrousels, exécuté au printemps de 1581 par quel-
ques gentilshommes de la cour d'Angleterre en l'honneur
des ambassadeurs français venus à Londres pour négocier
le mariage du duc d'Anjou avec la reine Elisabeth, il me
semble que l'on ne saurait méconnaître une ingénieuse va-
riation sur le thème, probablement traditionnel, du siège du
Château d'i.\mour. Les Chroniques contemporaines de Holin-
shed en offrent un récit très circonstancié'^, et Schiller l'a
brillamment décrit, par la bouche du comte de Kent, au
commencement du deuxième acte de Marie Slitart.
A ce que nous apprend le chroniqueur anglais, la galerie
située à l'extrémité de la lice adjacente au palais de White-
hall fut désignée, — « et non sans raison, » puisque la reine
y devait prendre place, — comme « le château ou la forte-
resse de Parfaite Beauté. » Quatre poursuivants, intitulés les
nourrissons de Désir, revendiquaient le château comme
leur possession par droit héréditaire et jurèrent, si l'on con-
testait ce droit et que l'on prétendît les exclure de leur
patrimoine, de vaincre et de soumettre par la force qui-
conque ferait mine de leur résister. Le 16 avril, comme la
42 ERNEST MURET
reine sortait de sa chapelle, un cartel lui fut porté par un
page, vêtu de rouge et de blanc, qui proclama que, le vingt
du mois, les quatre poursuivants viendraient assiéger « la
fatale forteresse ». Pour des motifs d'urgence, la fête fut
successivement remise au i" et au 8 mai, et, en fin de
compte, elle n'eut lieu que le lundi de la Pentecôte. Les
assiégeants avaient fait construire une machine roulante en
bois, « couverte de toile et si excellemment peinte à l'exté-
rieur qu'il semblait que ce fût de la terre véritable. » Au
sommet de cette espèce de « tranchée mobile » étaient pla-
cés « deux canons de bois, si bien coloriés qu'on aurait cru
voir deux jolies pièces de campagne à l'ordonnance. » Tout
auprès se tenaient deux servants vêtus de taffetas cramoisi,
chacun muni de son gabion. Un porte-enseigne, vêtu de la
même façon que les canonniers, déployait un drapeau. A l'in-
térieur de la tranchée étaient habilement disposés divers
instruments de musique. On fit avancer cette machine aussi
près que possible de la reine. Lorsqu'elle fut arrêtée, la
musique joua ses plus beaux airs, et un jeune garçon lança
le défi, en chantant au son des instruments :
Céde:^, céde^, oh! céde^, vous qui défende:^ ce château
assis dans les champs de l'honneur sans tache.
A la force de Désir aucune force ne peut résister.
Donc, céde^, céde^ au désir de Désir.
Céde:^, céde:^, oh / céde^. Il est temps de vous rendre,
avant que l'assaut commence. Oh ! céde^, céde/^.
Un autre jeune garçon, se tournant vers les assiégeants,
■chanta l'appel aux armes. On fit feu des deux canons, char-
gés l'un de poudre odoriférante et l'autre d'eau parfumée :
le bruit de la décharge était rendu par « un excellent concert
■de musique à l'intérieur de la tranchée. » On amena de
LE CHATEAU D'AMOLR 43
jolies échelles pour l'escalade, et les gens de pied jetèrent
contre les murailles des fleurs et des bouquets, avec des
devises appropriées à la circonstance. L'attaque dura jusqu'à
ce que parurent dans la lice, en grande pompe, les tenants
du château de Parfaite Beauté. Alors s'engagèrent les joutes,
qui se prolongèrent pendant deux jours et que le chroni-
queur compare aux batailles des Grecs et des Troyens. Cet
élégant tournoi se termina, comme il convenait en l'occur-
rence, non par la prise du château, mais par la défaite et
l'humble soumission des nourrissons de Désir.
Un auteur français du dix-septième siècle, Vulson de la
Colombière, qui a décrit un grand nombre de beaux carrou-
sels dans Le vray théâtre d'honneur et de chevalerie, publié à
Paris en 1648, ne paraît pas connaître le Château d'Amour.
Mais il mentionne, dans un passage qui vaut la peine d'être
cité, l'usage qu'on faisait des parfums dans ces tournois à
plaisance'^'' :
« Nous avons^ dit-il, plusieurs autres Autheurs Allemans,
Espagnols et Anglois qui ont décrit divers Tournois, Jeux
de cannes, combats de Taureaux, et autres jeux et scara-
mouches qui se faisoient avec des balles ou pots de terre
tort légers, remplis d'eau de senteur ou de poudres odori-
férantes, lesquels l'on jettoit les uns contre les autres par
galanterie, l'attaque et la charge qui se faisoit de la sorte
estant très plaisante. Le Dictionaire Toscan nomme ces
balles de terre, Caroselle, d'où quelques-uns croyent qu'est
venu le nom de Carrosel... » Rappelant une fête célébrée à
Turin en 1608 : « nous avons parlé, continue-t-il, d'un
semblable combat qui se fit avec des œufs pleins d'eau de
senteur; l'on en jettoit aussi par galanterie sur les Eschaf-
fauts ou autres Heux où estoient rangées les principales
Dames... Ces pots de terre ou œufs qui estoient destinez à
44 ERNEST MURET
estre jettez aux Dames, estans attachez avec les plus beaux
rubans ou galands qu'on pouvoit trouver, sur lesquels le
nom et la devise des Chevaliers qui les jettoient estoient
escrits en lettres d'or. Et pour donner un contentement
entier, et faire la galanterie parfaite, les Dames ne trouve-
ront pas mauvais que je conseille aux Cavaliers qui vou-
dront imiter toutes ces agréables magnificences, de leur en-
voyer encore plusieurs confitures par leurs Escuyers, et par
leurs Pages, afin que tous leurs sens jouissent à souhait de
ce qui est le plus capable de les charmer. »
Au quinzième siècle, au quatorzième principalement, et
même dès la fin du treizième, le siège du Château d'Amour
est un des sujets que les maîtres ivoiriers ont traité avec
prédilection sur des coffrets ou au revers de ces miroirs
métalliques dont se contentait la coquetterie du bon vieux
temps. On connaît dans les collections publiques ou privées
de presque tous les pays d'Europe une vingtaine d'ivoires,
la plupart de provenance française, qui représentent quelque
épisode de ce siège galant'^. «Des chevaliers armés de
pied en cap et montés sur des chevaux caparaçonnés atta-
quent'^» la forteresse, que défendent les dames; «des
branches de roses à la main, elles tentent des sorties... et
des roses sur leurs écus, des roses plein les machines de
guerre qui en bombardent le château, les chevaliers tentent
l'assaut par des échelles de corde -*^ » ou « en se faisant la
courte échelle^''.» Au pied des remparts, on distingue par-
fois « un homme d'armes qui remplit la cuiller d'un man-
gonneau de paquets de fleurs^'. » Ou bien, « sur la plus
haute tour, l'Amour ailé, » couronne en tête, « plante des
flèches dans le cœur de deux des jeunes femmes qui l'en-
tourent'^. » L'issue ne saurait être douteuse. «La résistance
est vive, sans doute, mais point désespérée ; les chevaliers
LE CHATEAU D'AMOUR 45
entrent dans la place et on les voit sur les terrasses rece-
voir des dames la juste récompense de leurs exploits, tandis
que )), du haut du donjon, « le dieu d'amour les crible de
ses flèches pour animer leur ardeur-^'. » Un artiste original
a représenté au dos d'un miroir la reddition du château : les
dames introduisent les vainqueurs dans leur conquête; l'une
d'elles, qui tient une grosse clef, s'apprête à leur ouvrir la
porte; une autre, trop vivement pressée par un chevalier, le
menace de la paume de la main--. Ailleurs, comme dans
le carrousel de Londres, les dames sont simples spectatrices
d'un combat à la lance, livré à l'entrée du château par deux
chevaliers bardés de fer. De chaque côté, un homme sans
armes est en train d'escalader la muraille ; un troisième, déjà
parvenu au terme de ses désirs, haise une dame sous les
yeux d'Amour-'^. Dans ces petites compositions les ivoiriers
ont souvent déployé une verve merveilleuse et fait preuve
d'un art consommé. Sur la surface restreinte qu'ils avaient
à décorer se déroulent des scènes variées ; une foule de
personnages se meuvent avec aisance et se mêlent sans
confusion. Une vie intense anime le mol ivoire aux tons
jaunis par le temps.
A en croire certains auteurs, le même thème aurait été
quelquefois répété, au treizième et au quatorzième siècles,
sur des fresques ou dans des miniatures de manuscrits -V
Mais le titre de Château d'Amour a été abusivement étendu
à des œuvres d'art qui n'ont qu'un rapport très lointain, ou
même purement imaginaire, avec les ivoires décrits tout à
l'heure -5. Dans les scènes figurées sur ces ivoires, l'on a
prétendu à tort reconnaître tel ou tel épisode de roman, et
particulièrement l'imitation du Roman de la Rose. Les com-
bats ou les sièges allégoriques racontés dans le Roman de la
Rose et d'autres poèmes du même genre, comme la Minne-
46 ERNEST MURET
burg allemande ^^, ont un caractère tout différent. A ma con-
naissance, aucun poète du moyen âge n'a raconté ou décrit
un siège du Château d'Amour. Ce n'est pas (ou, du moins,
ce n'est que dans une faible mesure) de la poésie allégorique
ou romanesque, — mais de la vie réelle, des fêtes magni-
fiques et galantes de la société féodale qu'ont dû s'inspirer
les premiers artistes qui aient traité ce motif aussi gracieux
qu'original. Nous en retrouvons les données essentielles, le
siège soutenu par les dames et la bataille de fleurs, dans la
description d'une fête qui eut lieu en 12 14, à Trévise, et
qu'a racontée, avec un grand luxe de détails, dans sa chro-
nique latine achevée en 1262, un contemporain de bonne
foi, Orlandino de Padoue, né en l'an de grâce 1200 et mort
en 1276.
En ce temps, dit-il -^, « fut ordonnée dans la cité de Tré-
vise une fête de liesse et de soûlas, à laquelle furent invités
un grand nombre de chevaliers et de gens de pied de
Padoue. On convoqua aussi pour l'ornement de cette fête
une douzaine de dames, d'entre les plus nobles, les plus
belles et les plus gaies qu'il y eût alors à Padoue. L'ordon-
nance de cette fête, ou, pour mieux dire, de ce jeu, fut la
suivante. On fit un simulacre de château, dans lequel furent
mises des dames, avec des jeunes filles ou damoiselles qui
les servaient ; et toutes ensemble, sans l'aide d'aucun
homme, défendirent très bien le château. Ce château était
garni, en guise de défenses, de fourrures de vair et de gris,,
de satin, de pourpre, de velours, d'écarlate, d'étoftes de
Bagdad et d'Almeria. Que dire des couronnes d'or enri-
chies de chrysolithes et d'hyacinthes, de topazes et d'éme-
raudes, de rubis et de perles et de toute sorte d'ornements,
au moyen desquelles les têtes des dames furent prémunies
contre l'ardeur des assaillants? Les projectiles et machines
LE CHATEAU D'AMOUR 47-
de guerre qui servirent à la prise de ce château étaient des
pommes, des dattes et des noix muscades, des gâteaux -^, des
poires, des coings, des roses, des lys et des violettes, ainsi
que des fioles de baume... et d'eau de rose, de l'ambre, du
camphre^ du cardamome, du ciname, des clous de girofle...
en un mot tous les genres de fleurs et d'épices qui ont du
parfum ou de l'éclat. » Le chroniqueur ne nous dit pas
expressément que les attaquants fussent des hommes ; mais
cela ressort clairement de la fin du récit. « A ce jeu prirent
part beaucoup de Vénitiens et encore plus de dames véni-
tiennes, venues pour faire honneur à la fête. Portant avec
eux le magnifique étendard de Saint-Marc, ils combattirent
avec habileté et avec élégance... Tandis, cependant, que les
Vénitiens rivalisaient au jeu avec les Padouans à qui péné-
trerait le premier par la porte du château, une querelle s'en-
suivit. »
Comme en des temps plus rapprochés de nous, la litté-
rature et la société françaises étaient, aux alentours de l'an
12 14, le modèle qu'on imitait dans les pays voisins. Les
troubadours étaient accueillis à bras ouverts dans les cours
seigneuriales du nord de l'Italie, et jusqu'à Dante des poètes
italiens ont chanté leurs haines et leurs amours dans la
langue poétique du midi de la France, la langue d'oc ou le
provençal. La galanterie et les armes étaient les occupations
favorites de cette brillante société chevaleresque et les thè-
mes préférés de la poésie à la mode. Quelles suggestions
les Trévisans ont-ils pu recevoir, pour leur tournoi galant,
de la poésie contemporaine ou antérieure ? Ami du marquis
gibelin de Montferrat, adorateur attitré de sa fille Béatrice,
le troubadour Raimbaut de Vaqueiras la représentait, dans
un brillant poème -", attaquée par une foule de dames, ja-
louses de sa beauté et de son « prix », et repoussant victo-
48 ERNEST MURET
rieusement les furieux assauts de « la commune des vieilles »,
qu'accompagne au combat le symbolique carroccio, devenu
fameux dans les luttes de la Ligue lombarde contre l'empe-
reur Frédéric Barberousse. « Batailles de dames », égale-
ment, ces quatre poèmes français, du genre énumératif,
trop goûté au moyen âge, qui sont intitulés Toiirnoienient
des dames'^^. Ces héroïnes de joutes imaginaires sont sœurs
des antiques Amazones que plus d'un roman, et non des
moins en vogue, mettait aux prises avec des guerriers du
sexe fort^^ Siège de dames, enfin, par d'illustres chevaliers,
— mais non siège pour rire, — dans ce bizarre épisode de
la Chanson des Saxons, où l'on voit les femmes infidèles des
barons de Charlemagne tenir tête à l'armée des maris dans
le château de Saint-Herbert !
Ainsi rattaché à la poésie lyrique et narrative florissante
au même temps, le brillant spectacle auquel Vénitiens et
Padouans furent conviés par la ville de Trévise nous offre
une ingénieuse et élégante variété de ce jeu militaire qui
consistait dans le simulacre d'un siège et qui s'est perpétué
jusqu'au dix-neuvième siècle dans les hiuneries vaudoises.
Le château construit pour cette fête aurait pu s'appeler le
Château des Dames, ou bien, d'un nom emprunté aux ro-
mans de la Table Ronde, le Château des Pucelles, ou bien
encore, d'un nom qui est mentionné en Angleterre, le Châ-
teau des Roses. Mais ce n'est pas encore le Château d'Amour
des ivoires postérieurs et de la chanson recueillie par le
doyen Bridel. Il y manque un élément essentiel des repré-
sentations artistiques du siège galant. Sur la plupart des
ivoires à moi connus trône au sommet des créneaux un
personnage ailé et couronné, qu'un naïf Anglais a bonnement
pris pour un ange^^ et qui n'est autre qu'Amour lui-même,
encore armé des flèches du Cupidon antique. Rien ne donne
LE CHATEAU D'AMOUR 49
à penser que le château décrit avec tant de complaisance
par Orlandino fût déjà conçu comme la demeure du dieu
d'amour. Cette conception du Château des Roses est sans
doute un peu plus récente. On s'explique très bien comment
elle a dû se former, au cours du treizième siècle, sous l'in-
fluence de cette poésie allégorique, alors à son apogée, où
le moyen âge prenait un si vif plaisir et dont le Roman de
la Rose est l'œuvre capitale.
La poésie des Romains s'était déjà complue à la descrip-
tion de palais mythologiques et allégoriques : Claudien et
Sidoine Apollinaire avaient décrit celui de Vénus. Dans une
célèbre chanson allégorique, composée au plus tard en
1204 par le troubadour catalan Guiraut de Calanson^^ et
subtilement glosée à la fin du même siècle par Guiraut
Riquier, une strophe est consacrée au palais d'Amour, qui
est ici du genre féminin, comme la Vénus antique et la
Fraii Minne des poètes allemands, et qui est dépeinte
volant par les airs et couronnée d'or ;
« En son palais, où elle va reposer, il y a cinq portes,
et celui qui a pu en ouvrir deux franchit aisément les trois
autres; mais il n'en sort qu'avec difficulté. Qui peut y
demeurer vit dans la joie. On y monte par quatre degrés
très accessibles. Mais il n'y entre ni vilain ni malappris.
Ceux-là sont hébergés avec les trompeurs dans le faubourg,
qui tient plus de la moitié du monde. »
L'idée même du palais d'Amour, que Guiraut Riquier
identifie avec la personne aimée, est sans doute empruntée
à la poésie latine. Mais, pour le poète du moyen âge, le
palais se confond avec la demeure seigneuriale, qui est la
partie principale du château féodal. Le « château » qu'ha-
bite Amour est décrit pour la première fois, très briève-
50 ERNEST MURET
ment, dans un poème composé au midi de la France, pro-
bablement dans les premières années du treizième siècle, et
intitulé par son éditeur La Cour d'Amour : « Au sommet
du mont du Parnassus, » au milieu d'un magnifique jardin,
s'élève un « château, le plus beau qu'on ait jamais vu, car
il n'y a pa§ une pierre des murailles qui ne resplendisse
comme de l'or et de l'azur. De là on mène la guerre contre
vilenie. Les clefs sont mérite et privante... » Vers le milieu
du siècle, un troubadour italien s'est amusé à bâtir avec des
allégories un élégant Château d'Amour, que le temps n'a
malheureusement pas assez épargné 3*. Sur le même thème
il y a un joli poème français par demandes et réponses ^^ :
Du castel d'Amours vous demanch
Le premier fondement.
Amer loialment.
Après nommés h maistre mur
Oui plus le fait fort et seiïr ".
Cheler^ sagement. .
Dites moi qui sont H crestel '^,
Les sajetes '^ e li quarrel \
Rewarder eii atemprant f.
Je vous demanc qui est li clés
Oui le porte puet deffremer^.
Priier sagement.
Nommés la sale e le manoir
U^' on puet premiers joie avoir.
Accueillir douchement '.
a) Sûr. — h) Celer, dissimuler. — c) Créneaux. — d) Flèches. —
e) Carreaux d'arbalète. — /) Regarder avec discrétion. — g) Peut
ouvrir. — /;) Ou. — i) Doucement.
Qu'en des cerveaux nourris d'une semblable poésie
l'idée, un beau jour, ait surgi d'identifier avec le château
LE CHATEAU D'AMOUR 51
d'Amour allégorique la forteresse défendue par des dames
et assaillie par des chevaliers dans une bataille de fleurs,
l'on ne saurait en être surpris. Cette identification, réa-
lisée sur l'ivoire dès la fin du treizième siècle, s'est-elle
d'abord produite dans quelque fête chevaleresque dont
aucune chronique n'a gardé le souvenir, ou bien sous la
main habile de quelque ingénieux artiste en train de
décorer un coffret ou un miroir? L'une et l'autre supposi-
tion sont permises. Mais, si une telle innovation fût restée
confinée dans le domaine des arts plastiques, si elle n'eût
trouvé un favorable accueil dans le langage et les plaisirs
de la société élégante, jamais, sans doute, on n'aurait vu
les chevaliers de la reine Elisabeth défendre contre les
assauts de Désir la citadelle de Parfaite Beauté. Jamais, à
coup sûr, — tant la survivance des idées et des usages des
classes supérieures forme un élément essentiel de la tradi-
tion populaire, de « l'âme populaire » ! — jamais, à travers
les riants coteaux vaudois, au temps heureux où les travaux
de la campagne s'accompagnaient de perpétuelles chansons,
n'eût volé de bouche en bouche et de bande en bande le
joli refrain noté par le doyen Bridel et repris par M. Baud-
Bovy :
Château d'amour, te veux-tu rendre.
Veux-tu te rendre ou tenir bon 1
Ernest Muret.
NOTES •
1. Pour que !j mesure du vers soit juste, il faut élider le te ou sup-
primer le pas.
2. J'ai déplacé la virgule, qui. dans le texte de Bridol, se trouve non
avant, mais après le mot incendié.
3. Conservateur Suisse, t. V, pp. 429 ss., à la suite de l'article sur Le
Siège du Clidtedu d'amour (pp. 425-428), qui seul est signé des initiales
52 ERNEST MURET
P. B. Dans mes citations, je me suis conformé à l'orthographe et à la
ponctuation du Conservateur^ les Etrennes étant très mal imprimées.
4. Daniel Baud-Bovy, Le Château d'Amour. Fête suisse. Musique de
H. Bovy. Genève, 1897.
5. MM. J. Reichlen, à Fribourg, et A. Bovet, à Gruyères, et, par
leur entremise obligeante, MM. F. Reichlen, Léon Remy, l'abbé
Ducrest, et les deux archivistes fribourgeois, MM. Schneuwly et Rsemy.
6. Conteur Vaudois, 1880, n" 23, p. 3. Dans un article publié en 1885
par le même journal (n» 18) sur le Château d'Amour, on n'a fait que
démarquer celui du doyen Bridel.
7. Copie communiquée à M. Jeanjaquet par M. Albert Henry, à
Cortaillod.
8. lomel, p. 387.
9. Trad. L. d'Hervey de Saint-Denis (Paris, 1849), !> P- 37-
10. Tome II, p. 407, art. Behourt.
11. Bulletin du Glossaire des patois, 1907, p. 13, § 9.
12. Variantes françaises et neuchâteloises dans les deux recueils du
regretté Alfred Godet, Chansons de nos grand'mères (ire éd.), p. 28, et
Echos du bon vieux temps, p. 49. Une version bagnarde a été publiée
par M. L. Courthion dans les Archives Suisses des traditions populaires,
t. I, p. 226 C'est M. S. Singer qui a attiré mon attention sur cette
chanson, aussi bien que sur les poèmes allemands du Rosengarlen et de
la Minneburg, dont il sera question plus loin. Je suis redevable d'autres
précieuses indications à MM. E.-A. Stùckelberg, F. De Crue et
L. Gauchat.
13. « Item dum erat proxima feria secunda post diem penthecostes fuerat
hic ludus ante consistorimn von dem Rosengarden... » Mention tirée des
comptes du conseil de Langensalza, en 1381, par Jacobs, Rosengarten
im deulschen Lied, Land und Branche (Halle, 1897).
14. Tome II, pp. 23-221, et compte rendu du colonel Ed. Secretan,
dans la Galette de Lausanne du 10 octobre 1904.
15. Pages 184-187, sans indication de provenance.
16. Holinshed, Chronicles of England, Scotland and Ireland (1587),
t. III, pp. 1315-1332. Je dois la connaissance de ce texte à l'obligeance
de M. Alfred Nutt, qui a bien voulu le faire copier pour moi au British
Muséum. Dans l'édition de 1808, il occupe les pages 435-44S du t. IV.
17. Tome I, p. 528.
18. Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Comptes rendus des
séances de l'année 189^, p. 1 5 : « M. Mùntz lit un mémoire intitulé V Icono-
graphie du Roman de la Rose. » Il « ne signale pas moins d'une vingtaine
d'ivoires du xive et du xve siècle représentant le Siège du Château
d' Amour. » La plupart sont énumérés dans les deux articles signalés
ci-après (notes 19 et 20), dont les curieux pourront compléter, contrôler
ou corriger les indications, en consultant : Pulzky, Fejervary Ivories
LE CHATEAU D'AMOUR 53
(Liverpool, 1856), n° 47, le Catalogue de l'Exposition rétrospective de
l'art français des origines à 1800 (Paris, 1900), no* 155, 1 59-161 et 165,
et mes notes 21, 22, 23, 24, 25 et 27.
19. Ivoire de la collection Arconati-Visconti, décrit et reproduit par
M. Marquet de Vasselot, dans la revue Les Arts, 1903, no 20, pp. 10
et 12.
20. R. Kœchlin, Les ivoires gothiques, t. II, fe partie, p. 494, de la
grande Histoire de l'art publiée sous la direction de M. André Michel.
21. Coffret en os du musée de Boulogne-sur-Mer, décrit et reproduit
par Viollet-le-Duc, dans son article Behourt déjà cité à la note 10.
22. Hefner-Alteneck , Costumes, œuvres d'art et ustensiles, trad. de
l'allemand (Francfort s. M., 1880-97), t. III, pi. 153. Sous le même
numéro et sous les numéros 156 et 161 (celui-ci décrit par M. Kœchlin),
on trouvera d'autres représentations du Siège. La sculpture reproduite
au n" 156 est peinte et dorée.
23. P. Lacroix, Vie militaire et religieuse au moyeu âge et à l'éfoque de
la Renaissance (Paris, 1873), p 176, fig. 134: «Le prix du tournoi,
d'après un couvercle de miroir sculpté en ivoire. Fin du treizième
siècle. )) La présence d'Amour ne permet pas d'accepter cette interpré-
tation. On regrette que la provenance de cette pièce ne soit pas indiquée.
24. Hefner-Alteneck, pi. 161. Fr. Michel, au t. II de son édition de
la Chanson des Saxons de Jean Bodel, pp. 192-193, mentionne, à propos
des laisses 77-79 du poème, dont il sera question plus loin (p. 22),
non seulement « les sculptures d'un coffret d'ivoire appartenant à
Sir Samuel Rush Meyrick et... décrit par son possesseur », mais éga-
lement « une miniature du célèbre ms. Louterell, qui représente un
château défendu par des dames armées de roses, et assiégé par des
chevaliers couverts de leur armure... » Je n'ai, malheureusement, pas
réussi à apprendre ce que c'est que « le célèbre manuscrit Louterell ».
25. Par exemple, les ivoires nos ^j et 94 du Catalogue de la collection
Spitzer (dont la fausse attribution me rend également suspect le no 1 14),
et la fresque de la maison Zur Zinne, à Diessenhofen (canton de Thur-
govie), décrite par MM. R. Durrer et R. Wegeli, dans les Mitlheilungen
der Antiquarischen Gesellschaft in Zurich, t. XXIV, fasc. 6, p. 277 (cf.
pi. vin F).
26. Ehrismann, Untersiichungen t'iber das mhd. Gedicht von der Miune-
bur^, dans les Beitrâge ^ur Geschiclte der deutschen Sprache und Literatur,
t. XXII.
27. Rolandi Patavini Chronica(^Monumeuta Germanicv, Scriptores.XIX),
lib. I, pp. 45-46. Ce texte difficile, déjà auparavant signalé par Diez, a
été traduit en allemand par M. A. Schultz, au tome I, p. 578, de son ou-
vrage classique, Das hofische Lehen ■:iur Zeit der Minuesinger {2^ éd.;
Leipzig, 1889). A la page précédente, M. Schultz a reproduit un ivoire
du couvent de Reun, en Carinthie, qui représente le siège du Château
54 ERNEST MURET
d'Amour, et il en mentionne encore, d'autres dans les notes des
pages 232 et 233.
28. Littéralement, « de petites tourtes » {tortellis), suivant la défini-
tion de ce mot donnée par Papias (Ducange, i. Torta) : a Artocrea
punis carnem continens, vulgo Tortella. » Mais je crois plutôt qu'il s'agit
de pâtisseries légères, de forme ronde ou annulaire, comme les gim-
blettes ou ces pains qu'on appelle en Savoie et en Suisse « couronnes »
ou «torches». Sur quelques ivoires, notamment ceux qu'ont publiés
M. Schultz et Lacroix (n. 23), on voit aux mains des dames assiégées
des sortes d'anneaux ou de bourrelets circulaires, dans lesquels je ne
puis reconnaître des couronnes de fleurs et qui pourraient bien être les
tortella de notre texte.
29. Publié, en dernier lieu, dans la Chrestomathie provençale de Bartsch,
6e édition, refondue par Ed. Koschwitz (Marburg, 1903-1904), col. 140,
et dans le Maimaletto provenzale de M. V. Crescini, 2^ édition (Vérone
et Padoue, 1905), p. 281. Si l'on avait accordé plus d'attention aux
allusions politiques contenues dans cette pièce, personne ne se serait
avisé d'y reconnaître un exemplaire unique d'un genre poétique dé-
nommé carros ou carrousel.
30. Jeanroy, Notes sur le Tournoienmit des dames, dans la Romatiia,
t. XXVIII, p. 232.
31. Romans de Troie et d'Alexandre, du xii^ siècle.
32. S. Rush Meyrick, dans sa description du coffret mentionné plus
haut (n. 24), d'après Fr. Michel. C'est le même qui nous apprend que
le Château d'Amour « was also termed the Castle of Roses. » Ce texte
a été traduit par Fr. Michel dans l'introduction de son édition du
Roman de la Rose, t. I, p. lvi, n. i.
3 3 . Dammann, Die allegorische Can:(one des Giiiraiit de Calanso A leis
oui am de cor e de saber und ihre Deutung. Breslau, 1891.
34. A. Thomas, Chaste! d'Amors, fragment d'un poème provençal,
dans les Annales du Midi, 1. 1, pp. 183 ss. A la page 187, il est parlé de
la Cour d'Amour, publiée en 1882 par M. L. Constans.
35. Fragments d'une anthologie picarde (xiiie siècle), publiés par
A. Boucherie, dans la Revue des langues romanes, t. III (1872), p. 322.
Ce poème « est plus connu sous le nom de Demandes d'amour, » à ce
que m'écrit M. A.' Piaget, qui m'en signale des variantes dans trois
manuscrits d'Angleterre, l'une publiée dans le Bulletin de la Société des
Anciens textes français, 1875, pp. 25-26.
TEXFES
— î—
I. On-na dzôrnâ dé péts a Sudzi.
Description en patois de Sugiez (Vully fribourgeois').
L9 pétchb inpouè::^é sa Ityèta aoiii Vépouèjo. Vp prè sa
pâla, sa trubya, sa pèrts. Préparé sé-::^ étôlé, se karfèré, sé-^
étalé a palâyé, sé-:(^ éiôlé dé treté, lé porté a sa Ityéta tsiï l grè.
Lé-:^ ôtré, lé mé ddè son banyblé. Inpè sa Ityéta par parti;
prè sa pâla pbr palèyi. Prè sa kapa, la tsanpé par ouéti dé
tyin kôté Savante s'é :(o vdri. « Aha, s'a V9ri dô kôté dô lé
dé. Mbra ; bon ! fô alâ dé si kôté ! » Yp va ô koula d la
Kabiits. Kan lé arvà lé, tô bud:(jvé dé karf° k armavan, tan
kp se je lé pouan môtrâ. Vp prè sé-i^ étôlé, lé-^ étatsé tb-t
TRADUCTION
Une journée de pêche à Sugiez.
Le pêcheur vide l'eau de son hateau de pêche ^ avec l'épui-
sette. Il prend sa rame, sa truble -, sa perche (pour battre et
remuer l'eau). Il prépare ses filets, ses filets à carpes, ses filets
à palées et ses filets à truites, les porte à son bateau sur le
réservoir à poissons. Les autres, il les met dans son baquet. Il
pousse son bateau pour partir, prend sa rame pour ramer. Il
prend sa casquette, la jette en l'air pour voir de quel côté la
visière s'est tournée (<^ s'est eu tournée »). Aha, elle s'est
tournée du côté du lac de Morat ; bon ! Il faut aller de ce
côté-là 3 ! Il va à la partie de l'entrée du lac nommée de la
« Kabuts. »
^ Je me suis borné à transcrire les phrases telles que me les dictait
un vieux pêcheur, sans exercer aucune influence sur son style. Le
patois est déjà très contaminé, et je ne puis garantir toutes les formes.
56 E. FROMAIGEAT
insinbyo par ¥minsi dé chèdr ti sô harf^. Yp prè sa trubya,
l a brasâ, pbr U trubya, é lé oiiidé ô fon dé sa Uyèîa, kantyé
k l a yu k in-d avè par inpyi son gré. L a rètrà de sa Ityèta,
l a ôvri son grè, l a inpyi kantyé ô k^viky^.
L a rpprè sa fouèny\ in-d a fouényi, k in-d a inpyi di l
grè kanty ô nâ. Lé ^alà h Ion dé sé-:^ étalé, in-d avè on-na
dyurlây, k in-d a inpyi sa liyèta kantyé ô niintin (presque
mète) dé kôrbé, di l fron dô grè kanty ô tyu. Vp vè d l ouvra,
l a fayu se dépaisi dé leva sé-:^ étôlé, par poué fotr l kan,
dévan tyé l vè vinyé tni fb*', pbr kp pouçyé alà se gara a-n-
on kâro, pbr pa vni ra:(à, é k se péchon n eyon pâ ti fôtii
l kan. L a atèdu on mbniè, l'ouvra l a kalà, l a tb balaniè
pu se dégarà pbr poué vni kontr Vôtô.
Quand il est arrivé là, tout bougeait de carpes qui frayaient,
aussi loin que ses yeux lui pouvaient montrer. II prend ses
filets, les attache tous ensemble pour commencer à entourer
toutes ses carpes. Il prend son filet à manche, Jl est allé dans
l'eau jusqu'aux genoux, pour les chasser (avec le fileta manche)
dans les grands filets, et les vide au fond de son bateau jusqu'à
ce qu'il a vu qu'il y en avait (assez) pour remplir le vivier de
son bateau. Il est rentré dans son bateau, il a ouvert le vivier,
l'a rempli jusqu'au couvercle.
Il a pris ensuite son harpon * et en a accroché (tant) qu'il en
a rempli du vivier jusqu'au bout du bateau. Il est allé le long
de ses filets, il y en avait une quantité (telle) qu'il en a rempli
son bateau jusqu'à mi-hauteur des courbes, du devant du ré-
servoir jusqu'à l'arrière du bateau. Il vient du vent, il a fallu
se dépêcher de lever les filets pour pouvoir partir avant que le
vent ne vienne trop fort, pour qu'il (le pêcheur) puisse aller se
mettre à l'abri, dans un coin, afin que l'eau ne vienne pas à
fleur du bateau, et que tous ses poissons ne se sauvent pas. Il a
attendu un moment, le vent est tombé, il a pu tranquillement
quitter son abri pour s'en retourner à la maison.
ON-NA DZÔRKÂ DÉ PÈTS A SUDZI 57"
Vp vin ô par, y'étatsé sa Ityéta, vè demanda sa féna :
(( Porta lé-^ étôlé a l'épantcho par lé-:( inpantsi. Dabbr kan
l vè kabré, vu aJâ à Montlyi vèdr lé péchon. » La féna le di :
« T in-d a 7^0, dé karf°, sîi yàd^o ! »
Dévan l désétsmè, la péls rapôrtâvé topyin d'ard^è. On
poiiè pétsi août lé nqsé, lé bèrfou é la fonény. La nqsa été fèt
in vtir^i aoui dé lyiré. L péchon alâvé ddè pè l gôhron, in-
tràvé dé la nasa, nd poiiè pà rfrb. Par leva la nasa, on la
prènyè pè l kbrdon aoui la nply^ d la pâla. On-n ôvrivé la
porta, la vrivé pbr kp lé péchon pouçyon sorti. L bèrfou été
fabrikâ kmè la nasa, aoui dô fi. L avè don gôléron : b pprmi
été l gôbron d l intrdy, b ségon été l gôbron dé surtâ, ô mintin
(mèlè). On lévâvé l bèrfou é on détatsivè la iyua pbr sbrti lé
péchon. La fonény l a ché fôrts^lyon aoui dé rakrô pbr tpni l
péchon, b mand:^, la dôly aoui on perte pbr inkyoulâ l mand:!^.
Il vient au port, il attache son bateau, il va chercher sa
femme: «Porte les filets à l'étendage pour les suspendre. Aus-
sitôt que le vent tombera, j'irai à Montilier^ vendre le poisson. »
La femme lui dit : « Tu en as eu, des carpes, cette fois ! »
A-vant le dessèchement''*, la pêche rapportait beaucoup d'ar-
gent. On pouvait pêcher avec les nasses (d'osier), avec les
nasses de fil et le harpon. La nasse était faite d'osiers avec des
cercles pour les tenir ensemble. Le poisson pe'nétrait par l'em-
bouchure, entrait dans la nasse, ne pouvait pas ressortir (////.
re-dehors). Pour lever la nasse, on la prenait par le cordon,
avec la poignée de la rame. On ouvrait la porte, la retournait
(la nasse) afin que les poissons puissent sortir. Le « bèrfou »
était fabriqué comme la nasse (mais) avec du fil. Il avait deux
embouchures. La première pour l'entrée, la seconde de sûreté,,
au milieu. On levait le « bèrfou » et on détachait la partie pos-
térieure pour retirer les poissons. Le harpon a six dents avec
des crochets pour retenir le poisson, le manche, la douille avec
un trou pour clouer le manche.
58 E. FROMAIGEAT
Orci on pô pâ nié pétsi tyè aoui lé-:( éîôlé honjormé a la
loua. L an prbihâ iôpyin dé-:{ éiôlé : la rond:(inr, la bondalîr,
la férèyîr. On pô ankôra servi la rtorsa, la karfer, la pa-
lèyç/^a, la mày dé sin kâr, la niây d na livra, Vétôla dé dnii
livra.
Lé navé pbr pétsi sou : l grô navé par katr dé là, h navyô
par don dé là é la Ityéia a grè par yon sole. La Ityèta dé tsès
l a rè dé grè. La l nâ fèdu pbr mètr la kanardyér, h bantsé
dé dévan pbr poué épôlâ, l bantsé dô mintin (mité) pbr poué
s'astà, lé palété pbr aprbtsi, la halamita pôr se débarboiilyi
kan on-n é ddè lé nyçlé borné.
Maintenant on ne peut plus pêcher qu'avec les filets con-
formes à la loi. On a défendu beaucoup de filets : le filet à van-
nerons, à bondelles,à feras. On peut encore se servir: du grand
filet, du filet à carpes, de celui à pale'es, de 5/^, de i livre, de
1/2 livre.
Les bateaux de pêche sont: le grand bateau pour quatre
personnes (////. de leur)"^, celui pour deux personnes et le petit
bateau à réservoir pour une seule personne. Le bateau de
chasse n'a pas de vivier. Il a la pointe fendue pour mettre la
canardière, le banc de devant pour pouvoir épauler, le banc du
milieu pour s'asseoir, les petites rames pour s'approcher (du
gibier 3), la boussole pour se tirer d'affaire quand on est dans
les brouillards épais ^.
E. FROMAIGEAT.
NOTES
' La Ityéta est le bateau de pêche à une place ; les parties sont ;
b nâ (ou U) = la pointe, h grè = le vivier qui se trouve au bout du
bateau, \e bantsé = le banc, lê-i épondé = les parties latérales, 1 fon
= le fond, Je kçrbé = les courbes qui relient les planches latérales et
■celles du fond. Entre les deux courbes du milieu s'emboîte h poyalé,
pièce de bois munie d'un anneau où se fixe la pcda, la rame, dont les
parties sont h pabron, c'est-à-dire la partie large du bout, h mandio
=: le manche et la mlys = la poignée. L'arrière du bateau se nomme
ON-NA DZÔRXa DÈ PÉTS A SUDZI 59
.b tyii (cul). Les planches qui couvrent le vivier sont h kn.'Tky°, celles
qui le limitent du côté du bateau où se trouve le pécheur forment
Ja fron.
' La truhya est un petit filet à manche {niand:(o), qui sert à prendre
les poissons qu'on met dans le grè.
^ C'est ainsi que les pêcheurs et les chasseurs laissent le sort dé-
cider s'ils iront du côté du lac de Morat ou de celui de Neuchàtel.
Kdbtits = petite cabane de roseaux et de joncs que font les chasseurs
pour se mettre à l'abri.
■* Lafouény est un engin de pêche aujourd'hui défendu ; elle avait
ordinairement six dents disposées en râteau, rattachées au manche par
Ja douille. (Cf. Bulletin du Glossaire, VI, p. 22.)
^ C'est à Montilier qu'a lieu le marché aux poissons.
" C'est-à-dire les travaux de dessèchement du Grand marais et
l'abaissement du niveau des lacs de Morat, Neuchàtel et Bienne.
"^ Les parties sont les mêmes que pour la Ityéta. Le iiavé n'a pas de
pôyalé ; les rames sont fixées à un cordon, la lantin ; il est pourvu de
voile (/a vnla), d'un màt (h valè^ litt. voilier).
8 On pourrait mentionner en outre les bateaux de transport rem-
placés aujourd'hui par le bateau à vapeur : h hôk, grande barque avec
cabine pour le marinier (la tsabra), avec la vala (la voile) et h trètyé
(petite voile qui se mettait sous la grande tout en haut du màt) — et
h ra\i (radeau), qu'on faisait avancer au moyen d'une sorte de gaffe
{la chôta).
II. Le pyintè d'ana tchamney du vîly' tin.
Patois des environs de la Chaux-de-Fonds (Neuchàtel').
Y'é dins' oyi Voir dJ9 ok^ Von d:(è on pou a katchon, —
ma, tb parî, yé hin konprè h s'ètè d mè k'i prèdjïva. I d^aft
dins' : « / fô la tirî avô ? » Tb parî, kin viô lé é-yo fâ ?
TRADUCTION
Les plaintes d'une cheminée du vieux temps.
T'ai comme cela entendu l'autre jour quelque chose qu'on
■disait un peu en cachette, — mais tout de même j'ai bien com-
pris que c'était de moi qu'ils parlaient. Ils disaient ainsi : « Il
' Ecrit sous la dictée de M"e L. B.
6o W. PIERREHUMBERT
Atatè vè : i soû èbaya loué i vœya sètchî lœ bœr:{i è lé bakon^
kan i saroU lavya ! — / fa:(oU d la fmîr tan k'i pbvoU : krè-
hin h'ya-n é trb fâ ; ma s'i fô k'i m'a-n aloù, i voiidrou vb
rakontâ on pou ib sa Vy'é vou. I soû vïly, ma y'è djer ètéy ^
djoUvna ; da sta gran koU/^na y'é vou bin dè-:(-afan Van pasâ,
de vïlybtè k s'a son analâ de la îouè on np rvin pâ. Y'é oyi
tchantâ, djêr pybrà, y'é vou de uiaryâdj, dè-:;;^ alarma, de ger,
y'é oyi de koû d fou-{i; y'é vou de sudjé.... Y' ave de bouœb
kd patchsan pb l'ètrindjî, k'on np rvèyè djamâ. Y'avè de djp
k'yavoU l'agrî, adon i pybràvo de làgœrni iotè nerè, djuk
avb. È kan i fa:(è d l'ouvra, i lè-:( apètchoû d dœrmi. I d^an:
« S'è sta vîly k fâ son triu, i fô alâ tirî la kouôdja pb la bin
ètaichî. » I vèyoû bin k'on mp fa^è la mina; i soû pela, i n
soû pyp a la moûda ! — Y'é vou fér du pan, de knyœ, du
faut la tirer en bas ! » Tout de même, quel mal leur ai-je fait?
Attendez donc: je m'étonne où ils veulent sécher leur viande
salée et leur lard, quand je serai loin ! — Je faisais de la fumée
tant que je pouvais : peut-être que j'en ai trop fait ; mais s'il
faut que je m'en aille, je voudrais vous raconter un peu tout ce
que j'ai vu. Je suis vieille, mais j'ai aussi été jeune; dans cette
grande cuisine j'ai vu bien des enfants qui ont passé, des petits
vieux qui s'en sont allés (////. s'en sont enallés) d'où on ne
revient pas. J'ai entendu chanter, aussi pleurer, j'ai vu des ma-
riages, des enterrements, des guerres, j'ai entendu des coups
de fusil; j'ai vu des soldats.... Il y avait des garçons qui par-
taient pour l'étranger, qu'on ne revoyait jamais. Il y avait des
jours que j'avais l'ennui, alors je pleurais des larmes toutes
noires jusqu'en bas. Et quand il faisait du vent, je les empê-
chais de dormir. Ils disaient: « C'est cette vieille qui fait son
train, il faut aller tirer la corde pour la bien attacher. » |e
voyais bien qu'on me faisait la mine ; je suis laide, je ne suis
plus à la mode ! — J'ai vu faire du pain, des gâteaux, du
* Forme douteuse, la vraie tournure patoise serait /ê suis eu.
LE PYINTÈ D'ANA TCHHMNEY DU VÎLY' TIN 6l
bœr, de gofrè.... krèbin k l'ôtra n ver a ra d ib sink. V'avoû
on bon gran œly^, k boûtâv h syèl, è lè-:^ afér kp s'fa:(cin
avô, è /(?-^ 0^^ kp vnyan tchantâ tsu ma téta è h sole kp m
rètcbôdâv.
Tu lè-i an h vîly' Rbboué, k'avè de rniasè a Ion mindj,
vnyè révâ la rvoûs' ; s'ètè on djp dp rbos', on sp rlédjîv bin
kan il èiè pasâ ; adon Ve-:^ dm fa^^an on gran fyœ tsu Vâtr,
s mettra a tchantâ, a rakontâ totè chotchè d'afér. — / np voui
pâ dir a vb rvè, i vo ml dir a slè k son ankouo tchï lœ :
« Balyï-vb a vouedj, vb vadrï astoù mp rtrbvà. » Da mon
djoUvan tin i fa:iè bé vivr, on n vèyè pâ vni la fin hna
anondrè ; tb pas' , ib pas', djuk è tchpmnëy du vîly' tin.
W. PlERREHUMBERT.
beurre, des gaufres,... peut-être que l'autre ne verra rien de tout
cela. J'avais un bon grand œil qui regardait le ciel, et les
choses qui se faisaient en bas, et les oiseaux qui venaient
chanter sur ma tête et le soleil qui me réchauffait.
Tous les ans le vieux Robert, qui avait des balais à long
manche, venait ôter la suie ; c'était un jour de remue-ménage,
on se réjouissait bien quand il était passé ; alors les hommes
faisaient un grand feu [pour chasser la mauvaise odeur] sur
l'âtre, se mettaient (h't/. se mirent) à chanter, à raconter toutes
sortes d'affaires. — Je ne veux pas dire au revoir, il vaut mieux
dire à ceux qui sont encore chez eux : « Prenez garde, vous
viendrez bientôt me retrouver. » Dans mon jeune temps, il fai-
sait beau vivre, on ne voyait pas venir la fin comme à présent;
tout passe, tout passe, jusqu'aux cheminées du vieux temps.
' Le texte porte leuye, qui doit être une erreur.
ETYMOLOGIE
-♦-
Laonnerie, lavon, lan, Ion.
Le doyen Bridel, dont les étymologies sont suspectes à plu-
sieurs égards, ne se trompait cependant pas en tirant le nom
vaudois du « château d'amour », laonnerie, du substantif qui
signifie planche dans tous nos patois (voir plus haut, p. 34).
Ce mot varie selon les contrées et on prononce làvon dans le
Jura bernois, Ibvon au Cerneux-Péquignot (Neuchâtel) ; la7i est
la forme ordinaire des cantons de Neuchâtel, Fribourg et
Vaud ; en Valais lan alterne avec van dans les parlers qui
perdent 17 initiale, souvent remplacée par un v ; à Genève^
enfin, on entend dire Ion, comme en Savoie. Dans de vieux
documents, le mot s'écrit laon ou la7i. Voir p. ex. Mém. et doc.
de la Soc. d'hist. de la S. R., V, p. 335, 402. Le sens est tou-
jours celui de planche de moyenne épaisseur, ais. On emploie
des lan pour lambrisser, boiser une chambre, un bâtiment. La
planche dont se sert la lessiveuse porte le même nom. « Etre
sur le lan » signifie « être mort ». Les tout vieux Neuchâtelois
se rappellent avoir entendu dire kyou h lan pour « ferme
la porte », ce qui indique un vieux système de porte formée
d'une simple planche. Les contrevents de l'ancienne mode,
faits d'une seule pièce de bois, s'appelaient lanè. On rencontre
assez fréquemment un autre dérivé : lanâ, verbe, dans le sens
de planchéier, fermer ou couvrir de planches i.
Gaston Paris {Romania, XXXI, p. 154.) a voulu rattacher
notre mot lan au latin latus, mais l'emploi du mot ne fait pas
supposer que la largeur de l'objet ait jamais joué un rôle. Elle
est donnée par l'épaisseur de l'arbre. La rencontre de a et de
on dans l'ancienne forme laon pouvait être écartée soit par
l'insertion d'un v, soit par la réduction à une seule voyelle
nasale, qui est de préférence an, quelquefois on, comme nous
l'attestent les formes romandes énumérées ci-dessus, et comme
^ II y a un second verbe lanâ, réfléchi, qui s'emploie en parlant de
pierres ou de bois qui se fendillent, se partagent en lames. Il dérive
du latin lamina, lame.
ÉTYMOLOGIE ÔJ
nous le montre la prononciation du mot français taon, où
l'on a hésité entre ta?i et to7i '-. Parmi nos patois, ceux du Jura
bernois ont préféré la première solution (insertion de z'), les
autres présentent la contraction ; nous rencontrons le même
phénomène dans les représentants actuels du latin maturus
= mdvu dans le Jura bernois, 77iœr etc. dans les autres cantons.
Comparez pour le v encore là où = Idvou en patois jurassien.
La bonne étymologie du mot lan a été proposée par M. Meyer-
Liibke {Zeitschrift fiir rom. Phil. XXV, p. 6ii), qui reconnaît
dans notre mot l'allemand Laden^ emprunté par les dialectes
de l'Est sous une forme hypothétique ancien haut allemande
lado{ti). A noter que -on n'a pas sa valeur ordinaire de suffixe
diminutif dans le mot romand, et qu'il ne peut donc s'expli-
quer que par l'ancienne désinence germanique. Le français
possède l'expression scieur de long, qu'il faudrait écrire scieur
de laon, car il s'agit du même mot, comme l'a judicieusement
remarqué M. Meyer-Liibke. M. Thomas croit que de long a
dans ce terme la valeur de en long, ce qui paraît peu probable
au point de vue syntaxique. Les exemples de l'ortographe long
qu'il cite en faveur de cette opinion {Romania XXXVI, p. 102)
ne remontent pas au-delà du XV'^ siècle. Ils prouvent que la
réduction de laon à Ion avait déjà donné naissance à l'étymo-
logie populaire qui nous fait écrire long.
Le mot allemand Laden a été une seconde fois emprunté
par nos patois sous la forme de làd^ Ibd, lôda dans le sens de
contrevent (Berne, Neuchâtel, Vaud). A propos de ce mot, je
ne puis m'abstenir de mentionner le curieux contresens auquel
il a donné lieu dans un ouvrage autrefois très consulté. Il se
trouve cité dans la liste de mots patois dont Ebel croyait
encore devoir accompagner son Manuel du voyageur en Suisse^
en 18 10. Dans l'édition française, le mot est traduit correcte-
ment par contrevent, mais dans l'édition allemande il est rendu
par 6^^^^«a7W, vent contraire ! L. Gauchat.
'^ Comp. Jjion, prononcé Lan. mais Saint-L yti = Lon, Thurot, De
la prononciation française depuis le commencement du XVIe siècle. II, 541.
Pour les mots paon, flaon, faon, Thurot ne trouve mentionné que la
forme avec an. Mais en Valais, par exemple, jlan est rendu par don
ou xon.
TABLE DES MATIERES
-*-
Pages.
Xa Rédaction. Les Brandons 3
L. Gauchat. Comment on nomme le fromage dans nos
patois 14
L. Meylan, a. Piguet et E. Tappolet. La foun a Far-
dinan G^nyè, récit en patois du Chenit, Vallée de Joux
(Vaud) 22
J. Jeanjaquet. I pouro kàrdanyè, conte populg.ire en pa-
tois de Haute-Nendaz (Valais) 26
J. Jeanjaquet. E. Herzog, Neiifranzôsische Dialekttexte,
compte rendu 30
E. Muret. Le Château d'amour 33
E. Fromaigeat. On-na dzôrnû dé péts a Sudzi, description
en patois de Sugiez (Vully fribourgeois) 55
W. Pierrehumbert. Le pyintè d'ana tchdmnéy du vïly tin,
patois des environs de la Chaux-de-Fonds .... 59
L. Gauchat. Etymologie: laonnerie, lavon, lan, Ion ... 62
L»us»nne. — Imprimerie Georges Bridel & C"
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire,
SEPTIEME ANNEE
1908
ZURICH
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hofackerstrasse 44
SYSTEME DE TRANSCRIPTION
A. VOYELLES
a, è, é, i, u, ou ont la même valeur qu'en français.
0^=0 ouvert (comme dans bord [bdr]).
6 ■=: o fermé {^eau [po]).
œ =^ œ ouvert {beurre [bœr']).
é =: ce fermé (feu [fé]).
e, o, œ sans accent sont des voyelles moyennes.
9 (e renversé) = e sourd (brebis [br^bt]).
an, in, on, un, sont les voyelles nasales des mots français temps
[tmt\, main [min], rond [ron], hmdï [lundi],
in, tin, oun désignent les nasales de i, u, ou, qui ne se trouvent
que dans certains patois du Jura bernois et du Valais.
a, voyelle intermédiaire entre a et b.
fl =: è très ouvert.
Les diphtongues sont notées ay, èy, oy, aou, œu, etc., ou ya,yè,
yb, oua, uœ, etc., suivant la nature et le mode de combinaison
des éléments qui les composent.
B. CONSONNES
b, p, d, t, j, ch, V, f, s, z, l, ni, n, r ont le même son qu'en français,
g représente partout le son dur de ^oût [gou\.
^ » » » coup [kou].
ly ^ l mouillée dans l'ancienne prononciation taîV/e [taly].
ny = n mouillée comme dans \\gne [viny].
y s'emploie comme dans le français jyeux [yœ], fusîbn {^fuzyorï]^
p/ed [pyé].
h = aspiration semblable à celle de l'allemand /;och.
â = son du t/i dur anglais.
à = son du th doux anglais.
X = son de l'allemand \ch.
C. GÉNÉRALITÉS
Les voyelles particulièrement longues sont surmontées d'un
trait horizontal : fi, etc.
Les sons faiblement articulés sont notés en caractères plus
petits, par exemple a', a", ow, etc.
Un petit trait sous une voyelle ((/) indique qu'elle porte l'accent
tonique.
MELANGES BAGNARDS'
~*~
I. Le genre des noms.
A. Rapports entre la terminaison et le genre.
La terminaison d'un substantif trahit plus souvent son genre
en patois bagnard qu'en français. Certains sons finaux appar-
tiennent en propre à un seul genre. A IV muet peu caractéris-
tique du français correspondent -o atone, si le mot est mas-
culin, et -a atone s'il est fe'minin. Voici quelques exemples
choisis au hasard : bvw'^ (l'homme), 3 payo (« le poêle », la
chambre d'habitation), e tsânyo (le chêne), bzèràblo (l'érable),
? sbkro (le sucre), p borgo (le rouet), grdzo (l'orge, toujours
masculin); Pyaro (Pierre). Mots en -a : d bota (soulier, botte),
3 farana (la ïzr'xné), 3 fouÏJi.na (la fouine), p m'etra (la maîtresse,
celle qui commande), 3 tnctrèsa (mot d'emprunt = amante),
3 rà"va (la roue), 3 iséiia (la chaîne), etc.
Tous les substantifs terminés par -o sont du genre masculin.
Nous ne connaissons point d'exception à cette règle dans tout
le vocabulaire bagnard 3, Ceux terminés en -a sont ordinaire-
ment féminins, sauf une seule exception à nous connue*. Le
mot borsa (bourse, testicules) s'emploie au masculin, sans
changer de désinence, dans le sens de «simple d'esprit» ou
comme terme d'injure.
a bref et tonique, non précédé d'une mouillure, ne termine
* La prononciation indiquée est celle de Lourtier (Valais).
^ La chute phonétique de 1'/ fait disparaître l'article défini devant
les mots commençant par une voyelle.
^ Voir toutefois ce qui est dit de sono à la fin de l'article.
■* Les adjectifs présentent les mêmes désinences: masc. -o, fém. -a.
Il faut mettre à part les substantifs ou adjectifs féminins en -■', dont
il sera question plus loin.
4 M. GABBUD ET L, GAUCHAT
guère que des noms masculins. Il faut excepter brasa ou
abrpsa (havresac), qui est du féminin malgré son a tonique, et
bien que ce soit un composé de sac. Cela s'explique par la
« déglutination » de Va initial qui, soudé à IV, a produit ancien-
nement l'article féminin la et le changement de genre.
Les mots papa et marna, dans leur sens habituel, s'accen-
tuent sur le premier a. Ils sont ordinairement employés au
vocatif. On dira ainsi: kd fi to, marna? (que fais-tu, maman?),
et également: Y an.mo papa è mcpna (j'aime papa et maman).
Avec cette accentuation, les deux mots ont leur genre naturel.
On les rencontre cependant aussi comme mots d'emprunt,
accentués sur la finale, et dans ce cas, ils sont tous deux du
masculin: on bo?i papa du vyœ^ tin (un bon papa du vieux
temps), nb fàdray an komona de bon papa d a bàrba blantss
(il nous faudrait à la commune, c'est-à-dire pour diriger la
commune, de bons papas à barbe blanche) ; 072 dzouino marna
(une jeune mère, épouse).
Les mots en -ya [a bref) proviennent de formes latines en
-a ta, placé après une mouillure, et sont par conséquent du
féminin*. Ils expriment ordinairement une idée de contenu, et
sont en partie tirés de verbes dont l'infinitif est en -yè. Tels
soni: paner y a (contenu d'un panier), tsœ^ddrya (contenu d'une
chaudière), pbya (montée), rblya (averse, du verbe rblyc, pleu-
voir fortement).
â long termine généralement des noms masculins. Mais on
rencontre souvent, dans le langage des plus vieux patoisants,
un certain nombre de substantifs féminins avec cette termi-
naison, comme /« (fève), r<7 (rave), /«(pelle), /'jû'/« (chapelle),
sa (salle), fèsâ, (latin fiscella, moule à sérac), gâ (ailleurs
gala (enflure, glande). La voyelle â, dans tous ces mots, est le
résultat d'une contraction de deux a, après la chute des
consonnes intervocaliques v ou /, que le patois moderne tend
à rétablir. Ainsi l'on dit aujourd'hui plutôt râva, sala, sous
^ Voir -ata sans mouillure plus bas, sous 6.
MELANGES BAGNARDS 5
l'influence d'autres dialectes et de la langue littéraire. Cepen-
dant les mots plus rares fèsà, gà, n'ayant pas de correspon-
dance directe en français, se sont conservés tels quels. Le nom
de plante nèyâ (litt. ni gel la, proprement Jioirâtre, la nielle) a
passé au masculin. Quant à myâ, moelle, il est des deux genres.
Serait-ce l'analogie des infinitifs substantifiés en â qui en serait
cause? Le moi p/ya, fém., poêle à frire (lat. patella), est
développé irrégulièrement. A noter que cervelle ne s'emploie
qu'au pluriel: / sarvà'^ ^ fém., et que les adjectifs beau, nouveau
ne connaissent pas de féminin en â ; on dit bêla, novHa.
La terminaison par -è tonique est réservée exclusivement aux
substantifs masculins : kaye (cahier), bonye { beignet i, etc.
Sur une liste d'environ cinquante substantifs en -/, nous
n'avons trouvé qu'un seul nom féminin vraiment patois. C'est
pé i^peau, lat. pellis, fém.). Les autres dérivent de mots en
-ellum qui sont restés masculins. D'autres mots tels que valé
(vallée), épé, kalité, etc., féminins, ont été empruntés au fran-
çais à une date relativement récente.
La terminaison 3 (atone) n'indique point le genre, mais elle
est rare au masculin. Nous possédons comme mots patois :
métr? (maître), yr^Trp' (frère), ârs (voleur); puis //>.? (père,
emprunté anciennement au français), sans compter une foule
de mots d'emprunt, comme titrs, etc. A part ceux-là, •? est une
désinence féminine qui a sa raison d'être dans tous les sub-
stantifs qui contenaient une mouillure devant Va final latin :
grandz? (grange), tsaRouy? (charrue, latin carruca), pah
(paille), motsd (mouche), etc.
Trois noms masculins sont terminés par un d tonique ; bou3
(bassin, auge), frouj (fromage, proprement = ix\\\i), pdnrvou^
(papillon).
Les terminaisons ou, ù."*, b s'appliquent exclusivement, nous
semble-t-il, à des noms masculins. Ainsi : tsou (chou), bou (bois),
varkou (perchette disposée horizontalement au-dessus de la
* On entend aussi dire/m/r.
6 M. GABBUD ET L. GAUCHAT
crèche des moutons et des chèvres pour les empêcher de se
jeter dans celle-ci, tout en leur laissant l'espace nécessaire pour
introduire la tête); bœ'* (établej, «jvi'" (nœud), fnéryœ" (miroir),
asyœ" (étage supérieur des granges et «racards»); pà (pot et
aussi lèvre), sàko (secours), tsaso (eau. salie, liquide mélangé
d'impuretés), pako (boue). Dans tous ces mots, le genre est
ou peut être supposé étymologique.
Les autres terminaisons se rencontrent parmi les substantifs
des deux genres. Cependant, les noms féminins sont partout
très inférieurs en nombre à leurs congénères masculins. Ce
n'est que dans les listes de mots en -ô, -i. -ou, -œ que les fémi-
nins se présentent en groupes un peu compacts, mais com-
posés très fréquemment d'éléments étrangers au patois et dont
l'adoption doit être toute récente. En -o, nous mentionnons
byœ^tô (beauté), vànetô (vanité), môsànètâ {éX^X. d'une personne
malsaine) ; hidbnb (contenu d'un « bidon »), inXlô (contenu
d'un carré de toile), etc. En /, nous avons les nombreux mots
en -/', 'èri, correspondant aux désinences françaises -ie, -erie i .•
martsyandi (marchandise), kayonèri (saleté, cochonnerie), mb-
tyh'i (moquerie); en -on: rayzon (raison), prayzon (prisonj,
etc. ; en é : flé (emprunté au français, ainsi que de nombreux
abstraits en -eu7-).
B. Mots bagnards n'ayant pas le même genre
(Iu'en français.
Il va sans dire que nous n'admettons pas dans la liste sui-
vante des noms patois qui n'ont qu'un rapport de signification
avec des noms français de genre différent. Que le hanneton
s'appelle en patois vâra,{ém., que darbon-, mot masculin, soit
le nom patois de la taupe, que nous appelions ona vardzqs?
l'écureuil du dictionnaire français, cela n'a rien à voir ici. Ces
mots n'ont entre eux aucun lien étymologique. II sera question.
^ Isolément:^/ (poix), fém., et ri (racine), fém.
^ On a bien voulu tirer darbon, âèrhon, etc., de *talponem, mais
c'est une étymologie douteuse.
MELAKGES BAGNARDS 7
dans ce qui suit, de vocables patois et français ayant la même
origine, et à peu près le même sens.
Voici d'abord des mots appartenant au vieux fond patois
qui ont conservé le genre féminin qu'ils avaient en latin :
pouizoTi (poison), sochon (soupçon), mcsondzj (mensonge),
d3mindz3 (die do mi ni ca, dies considéré comme fém.),
kobla (couple), karayma (carême), krayma (chrême, confirma-
tion), onla (ongle), niyèrla (femelle de diverses espèces d'oi-
seaux; l'espèce merle est appelée merlo, masc), lârzd ou ârz3
(mélèze, vis-à-vis de Fit. // laricey. Comparez èpana (empan,
de l'ail. span?ie, fém.), QlfritJ, plus rarement frita (faîte, ail.
firste, comp. le vieux ùdiXxc.aÂ'à /reste, fém.).
Sont masculins pour la même raison (étymologique) : rôdzo
(horloge), o/do (huile), dçto (lat. debitum, le mot français
remonte au pluriel), intso (encre), /ri (fraise, représente direc-
tement le latin fragum), af/ro (affaire, inf. substantifié), grdzo
(orge).
La base étymologique explique encore les cas de : /rou^t?, f.
(fruit dansle sens collectif, latin vulgaire *fructa, pluriel neutre,
comp. l'italien), sabla, f. (du pluriel neutre sabula), ron.ma
(rhume, mot grec neutre en -a). Le mot latin avait une autre
désinence que pour le français dans : épya, f. (épi, latin spica,
à côté de spicum = fr. épi, m.), âzyçrda, f. (lézard, lat. lacerta
et lacer tu s), insu, m. (lessive, de li xi vu, non Wx'wdi), pâ, m.
(paire, de pare, non paria), /ri? //n'a, f. (lat. formica), narè,
m. (narine, autre suffixe), et probablement aussi dans inri(lo,xù..
(rouille, litt. eiirouille, donc probablement subst. verbal), sèya-, f.
(seigle, comp. l'it. segola), vcrna, f. (verne, aulne), mata, f.
(spécialement cidre-moût), /<;'/>;'^, f. (pépin). Le marbre se dit
mâbro, mais pour les billes avec lesquelles les enfants s'amusent.
* Lavallaz, Essai sur le patois d'Hérémence, cite aussi hira, fém.,
=: lierre. Au val de Bagnes, la plante s'appelle /o/^ de layvra, par con-
fusion avec lièvre.
^ N'est employé que dans les expressions : pan de sèya ou far?na dé
sèya, mais on ne peut avoir de doute sur le genre.
8 M. GABBUD ET L. GAUCHAT
on dit 7nâbra, fém., ce qui peut remonter à un pluriel neutre.
D'un verbe, on peut tirer des substantifs masculins ou fémi-
nins. Le mot patois a reçu un genre différent de celui du mot
français dans les cas suivants : kpnta, f. (conte), vouârda, f.
(garde, féminin dans tous ses emplois), resta, f. (reste, à Sar-
reyer, val de Bagnes, on dit rèsto et le mot est masculin), dota, f,
(doute), inpoyza, f. (empois), grjfyo, m. (griffe, subst. verb. ?),
tâtso (tâche, par ex. dans trâlyè a tâtso^ travailler aux pièces).
Voici quelques cas plus curieux : layvra, f. (lièvre), sarpin, f.
(serpent), may, f. (miel), sa, f. (sel),r/^ f. (riz)2. Cette anomalie
se retrouve sur un très grand territoire ; rappelons les subst.
espagnols la liebre, la sierpe ou serpiente, la iiiiel, la sal. La
liste serait beaucoup plus longue, si nous comparions le genre
des mots bagnards à celui des mots latins. Les vocables deve-
nus féminins en français (comme en patois) : mer, dent, fin,
/leur, moi?, en -eur, etc., devraient également y figurer. Le phé-
nomène s'explique par l'ancienne morphologie romane. Les
mots de la 3^ déclinaison offrant le schéma :
SING. PLUR.
nom. ars, f. nom. artes
ace. artem ace. artes
comme pons,pontem,pontes, pontes, etc., pouvaient faci-
lement être pris pour des féminins à l'époque où l'article défini
n'était pas encore de rigueur. Il est plus rare que des féminins
passent au masculin {le val, vieux fr. aussi la val, comp. notre
Lavaux). On rencontre même le nom la Mont 7naiidite (dans
le massif du Mont Blanc).
Nous avons cité plus haut * la brasa (havresac), pris pour un
féminin ensuite de la soudure de l'a initial à 1'/ de l'article.
En empruntant des mots français, il est souvent arrivé qu'on
a donné au mot un genre nouveau. C'est le cas de andzd, f.
1 Attiré par ri = radicem ?
^ L'expression sarvayrj, f., pour loup-cervier s'explique probablement
par l'existence antérieure du mot lynx, féminin.
MELANGES BAGNARDS 9
(ange)', santïn.ina, f. (centime), sigâra, f. (cigare), ispfra, f.
(chiffre et très souvent problème), éstoma, f. (poitrine, ensuite
de l'accentuation de IV, ce qui donne au mot un aspect fémi-
nin); les vocables nommés paraissent être de souche ancienne;
en voici de plus récents : rbmatris? ou rômatis?, f. ^ (rhuma-
tisme), insandi}\ f. (incendie), pèirol, f. (pétrole); tfwsiatso,
m. (moustache), idé, m. (idée), datiré, m. (denrée;, rèkru, m.
(recrue, genre naturel), imâ\ m. {\-\\ime\\x), poutre, m. (poutre,
les jeunes le font féminin). Les raisons du changement sont
diverses ; tantôt le genre est déterminé par la terminaison
{andz9, idé, imœ, etc.), tantôt le vieux mot patois donne son
genre au nouvel arrivant (*irâ, m. := lat. trabs, influence
poutre) : mbstatso est plutôt emprunté à l'italien qu'au français,
etc. Que penser de tsdnidnô, m. (litt. cheminée = le foyer et
ses alentours)? Et surtout ùt platafôrma, m.? Deux mots fémi-
nins à terminaison bien caractéristique qui composent un mas-
culin, c'est une vraie excentricité linguistique.
Il y a enfin un certain nombre de mots à deux genres. Nous
allons les passer en revue. L'expression tmtora (« nature » dans
le sens de vulve 1, est féminin, son doublet français-patois na-
tur3 est du masculin. On dira /' pâ d'on kroiië natun = il n'est
pas d'un mauvais caractère. Ce cas rentre donc plutôt dans le
paragraphe précédent. Dyetsd (baquet à lait avec une douve
prolongée servant d'anse) est féminin pour la plupart des
patoisants de Lourtier, tandis qu'une minorité prononce ce mot
dyetso et le fait masculin. Il dérive de l'allemand suisse gèbsa,
féminin. Pour guide nous trouvons plutôt dyido, m., dans le sens
de guide de montagnes, et dyida, f., dans celui de « animal
domestique qui conduit le troupeau », parce qu'ordinairement
ce guide est une femelle ; dyida, f. également pour rênes. Le
mot français mode, qui est des deux genres, a été reproduit en
patois par viondo"^, m., avec l'acception de modération, et par
' Quelques jeunes, influencés par l'école, font ce mot masculin.
- S'emploie quelquefois avec l'article masculin.
^ Nasalisation par Vm précédent.
10 M. GABBUD ET L. GAUCHAT
monda, f., avec celle de mode, f., manière de vivre. On dira
donc : fâpâ de mondo,\.\x ne sais pas te confiner dans de justes
mesures, et d inonda de ha, la mode d'aujourd'hui. Le traite-
ment de dzin, gent, est presque identique à celui que pres-
crivent les grammaires françaises: i poiirè dziti, f., / dziti ray-
zonâblo, m. Les cas cités (sauf dyètsd) s'expliquent probable-
ment par les rapports qui existent entre le patois et la langue
littéraire. Les suivants ont leur origine dans le patois même et
en sont d'autant plus caractéristiques.
Au mot ^//z^/(? correspondent les formes bagnardes: invay, m.
(envie de faire quelque chose), tnvpde,L (tache naturelle)^ Ces
formes soulèvent un problème phonétique, dont la solution
expliquerait peut-être aussi l'anomalie du genre. En tout cas,
dans le premier sens, envie s'emploie la plupart du temps sans
article et sans qualificatif, toujours au singulier, ce qui peut
offusquer le genre; dans le second, le pluriel est fréquent.
Dans cinq autres vocables, le patois indique au moyen du
genre des nuances de sens assez subtiles. Nous assistons là
à un procédé de différenciation inconnu en français, à notre
connaissance, mais qui se retrouve dans d'autres patois ro-
mands. Ce sont les mots ma (mal), fun (nuit), yr^j/ (froid), tsâ
(chaud) et sono (sommeil). Mo est masculin avec la valeur de
mal, maladie, et féminin dans le sens de douleur. On ma de tita
(un mal de tête), ona inô dè?n?isanXl£ (une douleur du diable,
litt. *méchance). iVz« masculin a le sens de j-(?/r (influencé dans
son genre par jour, matin), comme féminin il a la signification
ordinaire de nuit. Fray et tsô sont du masculin quand ils
désignent l'état de la température, et du féminin, si l'on veut
exprimer l'incommodité, la souffrance causée par des excès de
chaud et de froid. On grô fray = une température rigoureuse,
so/ri d a tsà e d a fray, souffrir de la chaleur et de la froidure.
Sono, m., c'est l'action de dormir: j é fi on sono ^ j'ai fait un
somme: au féminin, c'est l'envie de dormir: me vïn ona sono
^ Sans compter inviy?, f. pris au français = jalousie.
MÉLANGES BAGNARDS II
■de 7n?tsanjle = j'ai un besoin pressant de dormir. Il est évi-
dent que ce sont les mots/c?//;/ et soif (\\x\ ont causé la forma-
tion des variantes féminines àç. froid, chaud et sommeil'^.
Les conditions que nous venons de décrire sont celles d'un
patois conscient et vivace. Dans le langage de jeunes ado-
lescents peu doués, de vieillards à facultés intellectuelles affai-
blies, il est aisé de reconnaître un certain degré d'inconstance
et d'hésitation au sujet des genres. C'est un symptôme de
déchéance. Si nous ne nous trompons, il y aurait chez ces indi-
vidus une tendance à masculiniser le vocabulaire patois. Cela
s'observerait-il ailleurs que chez nous ?
M. (jABBUD et L. Gauchat.
^ La, chOno se retrouve dans la Gruycre, la chaud, la froid en Savoie
•et à Genève, cf. Bulletin, III, 35.
ANDAIN
-♦-
Que fait le faucheur ? On répondra qu'il fait des andains.
Mais qu'est-ce qu'un andain? Ce n'est pas du tout facile à dire^
Autant de dictionnaires, autant de définitions K
Pour ce qui est de l'aire du mot, on peut dire que andain
règne en maître dans toute la France. Il a peu de concurrents
et aucun n'est sérieux, c'est-à-dire aucun ne l'a remplacé sur
une grande étendue. La Suisse romande, comme tout le do-
maine franco-provençal, ne connaît que andain.
Terminaison. — Nous nous occupons d'abord de la termi-
naison, pour laquelle les formes phonétiques de la Suisse ro-
mande occupent une place à part. Quelle que soit l'étymologie
qu'on adopte pour le radical du mot, l'accord de la plupart
des formes romanes nous fait supposer pour la deuxième partie
du mot la terminaison -anum ou -ana; ainsi la Provence dit
ift.ndan, l'Italie du nord dit andana (voir l'article cité de
M. Horning, p. 515), tout le nord de la France dit andain\
cf. granum> grain. La Suisse romande se divise nettement
en deux groupes : le Jura bernois dit indè, dont nous parlerons
plus tard, le reste des patois dit généralement andin. Pour le
gros des patois romands on s'attendrait à andan, puisque
granum y devient gran. Mais cette forme ne se rencontre que
très sporadiquement : à Savigny (Vaud), à Villeneuve 2, à
Gingins (Vaud) d'après V Atlas, et dans une partie des patois
' Pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire les articles aussi intéressants
qu'étendus consacrés à ce mot par MM. G. Paris {Romania, XIX,
p. 449) et Horning {Zeitschr. fiir rom. Philologie, XXIX, p. 514).
2 Villeneuve dit itidan qu'on peut expliquer par la métathèse des
voyelles nasales de andin, forme vaudoise courante.
ANDAIN 13
</enevois, où -an peut provenir d'un plus ancien -///, fenum,
« foin» et famem, « faim», aboutissant tous les deux à/a//.
Ces formes en -an ne semblent pas remonter à -anum.pas
plus que celles de la Savoie. Dans quatre villages de la Haute-
Savoie, V Atlas linguistique de la France note andan, entouré
à'andin. Or dans trois de ces quatre villages (n°= 946, 956, 957 ),
je trouve également //a/z/ail pour .plantain', de plantagi-
nem, et paran pour , parrain ', de patrinum (cf. payrin,
payri dans les patois du Midi). Dans ces deux mots, où -anutn
n'est guère probable, nous constatons le changement de -/// en
-an. Il en sera de même de andan, qui se trouve dans des con-
ditions phonétiques semblables.
Reste à étudier andin {atidc, etc.), qui est la forme courante
des cantons de Vaud, Valais, Fribourg et Neuchâtel. Faut-il
l'expliquer par un changement de suffixe? Dans la Suisse ro-
mande seule -Inuni se serait-il substitué à -anujn? C'est possible,
€t V Atlas note même une fois i/idïn (Drôme 844), qui semble
bien représenter un mot en -inum. Ou bien X andin romand
serait-il d'importation française? La chose peut étonner pour
un terme aussi profondément agricole que le nôtre, mais on
sait qu'à l'époque des foins on engage souvent des ouvriers
venant du dehors et parlant un patois différent. Dans ce cas,
on aurait préféré la forme française, connue de tout le monde.
Il y a une troisième possibilité à laquelle me rend attentif
M. Gauchat, c'est -aneum, dont la palatale rendrait compte
du passage de a -\-n à in; la mouillure aurait disparu. Ce qui
appuie fortement cette opinion, ce sont d'un côté les verbes
dérivés de andin : andanyi (Vaud, Lyonnais), dézandanyi
(Vaud, Fribourg), où la mouillure se serait conservée, cï. pro-
vanyi, provanyur?, dérivés de provin. D'autre part, nous trou-
vons des formes à terminaison mouillée dans les patois français
du Piémont (vallée d'Aoste. deux fois ; vallées vaudoises, trois
fois) et sporadiquement dans le Midi de la France, toujours
d'après V Atlas, en outre au Frioul, antagn, etc. (Horning, /. c.
p. 518).
14
E. TAPPOLET
Pour ce qui est enfin de iiidè, forme commune à presque
tous les patois du Jura bernois et assez fréquente aussi dans
les patois français avoisinants, à Bournois et ailleurs, elle ne
laisse pas de nous embarrasser beaucoup. Point de doute sur
le radical, qui est le même que celui de c/î^rt'/«, puisque chanter
y donne tchintè, mais la terminaison -è ne correspond ni à
-anum, ni à -aneum, ni à -ïttum, qui donne -a. Qu'est-ce?
M. Horning est porté à y voir le suffixe -aceum; on aurait
fait du radical and \in*a?id as, comme plâtras dérivé ÙQ plâtre.
N'ayant point trouvé d'autres exemples dans les patois en
question, je n'ose me prononcer sur ce point ^.
Signification. — Passons à la sémantique du mot, qui nous
arrêtera davantage. Les significations données par nos corres-
pondants ne permettent pas de déterminer la valeur du mot
d'une façon définitive. La plupart cependant s'accordent à dire
que l'andain est « ce tas allongé, en forme de chenille, d'herbe
fauchée et amoncelée à gauche du faucheur », tas allongé que
la Suisse allemande appelle jmid?, s.f,, substantif tiré du verbe
màhen, «faucher» ou chora , s. f., tiré du verbe scheereti,
<: tondre », employé par ex. à Biel-Benken (Bâle-Campagne) et
à Wyhlen (Grand duché de Bade). C'est en tout cas le sens
prédominant du mot andain. Voici quelques exemples : fô se
chdtâ su Vandœ po mddzi la soupa, « il faut s'asseoir sur l'an-
dain pour manger la soupe » (Penthalaz, Vaud) ; rèrba râra nt
bqlye pa de Vandin.o- l'herbe rare ne donne pas d'andain »
(Vaugondry, Vaud). Le mot s'emploie aussi métaphoriquement:
ouék me cJié leva kan li sole fajck Vandin, « aujourd'hui je me
suis levé quand le soleil faisait l'andain », c'est-à-dire com-
mençait à dorer le sommet des montagnes » (Evolène, Valais).
On voit par ces exemples que l'andain ne désigne pas l'es-
' Quand on parcourt à ce sujet le Glcssaire de Bournois, par Roussey,
on est étonné du grand nombre de mots en -è, correspondant au fran-
çais -et, p. ex. bidè, brikè, houle, byê = billet, aussi des mots non fran-
çais, comme hanvè, bâton, bourbe, bourbier, tout cela à côté de la
terminaison régulière -ô, -dt. Le mot iiidè appartiendrait-il à cette
deuxième couche de diminutifs en -et ?
AKDAIX 15
pace fauché, mais bien l'herbe couchée en forme de rouleau.
Ce sens est confirmé par le terme « andain double », dont nous
parlerons plus loin, et est aussi attesté pour plusieurs régions
de la France.
Toutefois la signification de « rouleau d'herbe fauchée » n'est
pas la seule ciue nos correspondants aient donnée à notre mot.
Il y en a deux autres. Tout d'abord andain arrive par extension
de sens à désigner tout rouleau d'herbe ou de foin fait non
seulement avec la faux, mais aussi avec le râteau'. Cet emploi
plus étendu est surtout attesté pour le Jura bernois, malgré le
terme spécial boudin, dont on se sert exclusivement pour le
rouleau de foin par opposition au rouleau d'herbe. Ajoutons
que les deux mots de la Suisse allemande tnad? et chbrd s'ap-
pliquent également à un rouleau de foin quelconque, de préfé-
rence dans leurs formes diminutives madli et chœrli. Jusqu'ici
le développement de sens de andain, mad3, chbrd est tout à fait
parallèle. Enfin le moi afidain signifie encore: «l'espace fauché
ayant la largeur d'un coup de faux et occupant toute la lon-
gueur du pré ». Ce sens est attesté par notre correspondant du
Vullyvaudois et par celui d'Evolène (Valais), malheureusement
sans exemples qui permettent de préciser. Par contre, notre
excellent correspondant, ^I. Reymond, bibliothécaire à Lau-
sanne, que j'ai consulté à ce sujet, a bien voulu me faire
observer qu'on dit couramment : il a pris un large andain, en
parlant de l'espace que parcourt la faux. De plus, il est certain
que le sens en question existe dans les patois de la Suisse alle-
mande. On peut dire, par ex., en se promenant dans un pré
dont le foin est rentré depuis longtemps : do gsct ms no d'madi,
«là on voit encore les andains » ; ici, maJ? désigne évidem-
ment la série des traces que laissent sur le sol les coups de
faux donnés (surtout par un faucheur maladroit). Ou encore on
dit : ich das 3 braiti mads .', « quel andain large ! », par quoi
^ Cf. Jaccottet, Scènes de la vie vaudoise, 1854, p. 45 : « Les râteaux
ramassent le foin en larges endains, que les fourches poussent et rappro-
chent en endains {toulns) plus larges encore. »
l6 E. TAPPOLET
on entend, non le rouleau, mais l'espace vide d'herbe entre les
rouleaux 1.
Enfin, il existe un synonyme de ;«a^^ auquel me rend attentif
M. le 1)'' Hubschmied, c'est le molyân'-, répandu dans une
grande partie de la Suisse allemande. Il désigne entre autres
le « chemin qu'un faucheur laisse derrière lui ou le chemin qui
lui reste à parcourir. » On dit par ex. m^r ivei d breits yân' ne,
« nous allons prendre « le chemin » large. » [Schw. Idiotikon,
III, 43, etc.)
Nous sommes donc amenés à conclure que dans la Suisse
romande andaiti signifie à la fois un rouleau d'herbe fauchée et
l'espace compris entre deux de ces rouleaux d'un bout du pré
à l'autre.
Or si nous consultons quelques dictionnaires français, nous
pourrons les répartir d'après la définition qu'ils donnent du
mot andain en deux groupes :
I. Littré dit un peu vaguement: « andain, l'étendue que le
faucheur peut faucher de pas en pas. » Faut-il entendre l'es-
pace tout entier ou seulement l'espace atteint par UN coup de
faux ?
Le Dictionnaire de l'Académie nous fixe là-dessus en disant:
« andain, l'étendue du pré qu'un faucheur peut faucher à
chaque pas qu'il avance. »
De même Gazier, qui dit: «andain, surface qu'un homme
peut faucher toutes les fois qu'il avance d'un pas. »
Le 2= groupe ne parle plus de l'espace fauché, mais de
l'herbe coupée.
Ainsi le Dictionnaire général : « andain, ce que le faucheur
coupe à chaque enjambée. »
1 Je dois ces informations à l'obligeance de M. le Dr E. Dick, ori-
ginaire de Ersigen, près Berthoud (Berne).
2 On rattache ce mot à la racine contenue dans le sanscrit jâ,
« aller», ce qui appuierait l'hypothèse de ceux qui voient dans notre
anàain un dérivé de aiidare. L'allemand ydn' serait-il identique avec
gin, qu'on trouve dans les patois français du nord et du nord-est ?
Voir Behrens, dans les Mélanges Chabanean, p. 548-549.
AXDAIX 17
De même Larousse : « a?idain, herbe qu'un faucheur peut
abattre à chaque pas qu'il fait. »
Ce qui nous frappe, c'est le désaccord complet entre l'em-
ploi du mot en français et l'emploi du mot en patois. En fran-
çais, ridée d'un andain est inséparable de celle d'un coup de
faux ; c'est ou bien le petit espace que parcourt la faux ou la
petite portion d'herbe qu'elle abat en une fois ; V andain fran-
çais est peu de chose en comparaison de X andain romand, car
l'andain romand, soit comme espace, soit comme herbe, em-
brasse toute la longueur du pré.
Le sens romand est-il inconnu à la langue française? Non,
voici P. Monet, lexicographe du xvii^ siècle (1635), qui dit:
« andain, trace tondue et vide d'herbe d'un bout du pré à
l'autre. »
Enfin et surtout il faut tenir compte de l'ancien français. Ici
andain nous est attesté entre autres dans le sens d"« enjambée,
pas, mesure ».
Le Dictionnaire général cite la phrase : « à grands audains
va à perdition. » Ce sens a persisté dans la langue littéraire
jusqu'au xvii« siècle. Un lexicographe anglais de cette époque,
Cotgrave, note : « andain = a stride or as ??iuch ground or
space as a man can comprehend by striding» ; en français : « une
enjambée ou autant de terre ou d'espace qu'un homme peut
couvrir en écartant les jambes. » Si nous résumons ce que
nous avons dit. nous aurons les cinq significations que voici :
1. andain = rouleau d'herbe fauchée (par extension: rou-
leau de foin).
2. andain = portion d'herbe fauchée d'un coup.
3. andain = long espace fauché, correspondant au sens i.
4. andain = petit espace fauché, correspondant au sens 2.
5. andain = enjambée, spécialement la longueur d'une en-
jambée de faucheur.
Etymologie de andain. — Plusieurs étymologies ont été
proposées. Nous ne pouvons les discuter ici comme elles le
mériteraient. La question est d'autant plus épineuse qu'elle se
l8 E. TAPPOLET
complique avec le terrible problème de aller-andarc. En effet,
la première idée des étymologistes, — Diez en tête, — était de
rattacher notre mot au radical roman de andare, l'andain
aurait été une « allée, » puis l'espace parcouru par la faux.
Mais le suffixe -aniim ne s'ajoutant jamais à des verbes, on a
proposé deux substantifs latins : indaginem (G. Paris) et
*ambitanum (MM. Grober et Horning). De fortes raisons
d'ordre phonétique, exposées par M. Horning /. c, nous font
écarter indaginem en faveur de *ambitanum, que nous
croyons l'origine la plus probable. Au point de vue de la forme,
il n'y a point de difficulté sérieuse. Quelle aurait été l'évolution
sémantique ?
Ambitus, s. m., dérivé de ambire, aller autour, expri-
mait en latin le mouvement circulaire, on disait par ex. : per
ambitum capitis, tout autour de la tête, ou l'espace occupé par
une chose : explorare anibitiwi Asiœ, explorer l'Asie dans toute
son étendue (Georges). Mais ce qui nous rapproche bien mieux
de notre andain, c'est ce passage si précieux, tiré de Festus',
qui démontre qu'on appelait ambitus cet espace de deux
pieds et demi, prescrit par la loi, que l'architecte romain devait
laisser entre deux maisons -.
Par cet emploi technique, le mot change d'aspect : de
« circuit », qu'il signifiait, il arrive au sens nouveau de « inter-
valle ». Or cet intervalle inter vicinorum ccdijîcia est de deux
pieds et demi, c'est-à-dire précisément la longueur d'un pas
normal, une enjambée. Ambitus serait devenu dans le langage
des architectes romains un synonyme de gradus, pas.
Il faut supposer, — aucun texte ne nous le dit, — que dans
la suite ambitus, terme technique des architectes, a été
' Grammairien latin, probablement du ne siècle après J.-C.
■^ Amhitus proprie dicitiir... inter vicinorum adificia locus diiorum peduni
et semipedis ad circumeiuidi facuUalem relictus. [Zeitschr. Jiir rom. Phil.,
XXIX, p. 515.)
^ La largeur de ce pas est en moyenne de 0,65 m. d'après les infor-
mations de M. Horning.
AXDAIN
19
appliqué, directement ou indirectement, au pas du paysan qui
fauche, les jambes écartées. Telle est l'opinion de M. Hornin"-.
Reste à examiner un autre point de vue. Ambitus étant le
mouvement circulaire, il est possible que le mot ait désigné
l'arc de cercle que décrit la faux en passant de droite à gauche.
Ambitus aurait été d'abord la ligne que trace, dans l'herbe à
faucher, la pointe du tranchant de la faux, puis l'espace par-
couru par la faux (sens 4 de notre tableau), enfin l'herbe fau-
chée sur cet espace.
Ce qui appuie cette façon de voir, c'est une expression
curieuse de l'allemand bernois que m'indique M. Dick. On dit
à quelqu'un qui n'abat pas une assez grande quantité d'herbe
en fauchant : dou mou^sch viacTroum mày?, « tu dois faucher tout
autour de toi » (proprement tout autour de l'homme). On voit
au moins par là que l'idée de mouvement circulaire est pré-
sente à celui qui fauche. Le développement que je suppose ici
aurait l'avantage de conserver au mot ambilus son sens étymo-
logique « ligne circulaire».
J'avoue que les très judicieuses remarques de M. Horning
sur le passage de Festus ne m'ont pas entièrement convaincu
que atnbitus soit devenu synonyme de « pas ». J'incline plutôt
à croire que dans l'idée d'un architecte romain ambitus est
un espace libre tout autour de la maison, un pourtour^. Il a un
minimum de largeur de deux pieds et demi, mais l'idée d'une
largeur déterminée n'est peut-être pas aussi importante que
M. Horning semble le croire.
Quoi qu'il en soit, que ambitanum appliqué au fauchage
ait désigné l'enjambée ou l'espace circulaire que parcourt la
faux, le mot aura bientôt pris le sens de < travail accompli à
chaque pas que fait le faucheur ». Ce travail consiste, — selon
le point de vue auquel on se place, — soit à balayer avec la
faux l'espace qu'on a devant soi (de là le sens 4, « petit espace
* Tel est aussi le sens qu'indique le Dictionnaire latin de Benoist,
se basant sur un passage de Cicéron.
20 E. TAPPOLET
fauché » ), soit à coucher à sa gauche l'herbe abattue (sens 2,
« portion d'herbe fauchée d'un coup »). Rappelons que la plu-
part du temps on emploie le mot a/idai» a.vec\Q verbe « faire ».
«Tu fais de gros andains » peut signifier: 1° « tu rases une
grande étendue d'herbe d'un seul coup de faux » : 2° « tu
coupes une grosse portion en une fois ».
Ces deux idées sont étroitement liées l'une à l'autre, car il
va de soi que plus est grande l'étendue que le faucheur peut
raser, plus est grosse la portion d'herbe qu'il peut abattre. Je
dirais même: ces deux idées, produit théorique de notre ana-
lyse, sont liées au point de n'en former qu'une seule, et le vrai
sens que cache le mot ambitanum > andain semble être
celui de « travail de pieds, de mains, de tête qu'accomplit le
faucheur, toutes les fois qu'il avance d'un pas ».
Ceci établi, les sens 1 et 3 (rouleau de foin et long espace
fauché) se conçoivent facilement, si nous songeons que les
petits andains, soit comme espaces, soit comme portions
d'herbe, une fois ajoutés les uns aux autres, ne sont plus guère
visibles. Ils se présentent à l'esprit comme une série continue,
le petit « andain » s'absorbant dans le grand.
Reste à mentionner Vandain double. Celui qui « ouvre le
pré » a l'habitude de faire le premier andain au milieu de la
largeur du pré, le second se fait généralement en revenant du
côté de l'herbe couchée, de sorte que les deux premiers andains
se trouvent côte à côte. C'est ce qu'on appelle un andin
droby"" (Fribourg, Vaud, Valais). Le Jura bernois dit donhy'
indè. La Suisse allemande dit également dopdl-chbr' (vallée du
Birsig, Bâle-Campagne). Aussi chlagmad? (Bas-Emmenthal).
E. Tappolet.
->'«^<-
TEXTES
-♦-
I. La droga.
Patois de la région de Troinex (Genève).
Fô-;^ / prœ k^"iiyii h vîy' kiiré dd Vela-la-Gran, se bon
vivau 1:9 np hradiv' pâ dyan l ver e Iz'avè tbiob na gandoué::^
a dir pè far rïr h niO)id' ?
On dœr, b gran Félisk s'an vin h trbvâ. — (( Mous' h
kuré, vb savi kp mon pôUrp par :{_ e môr, pïskd vb l'i antarâ. »
— « Oiiè ! oiiè ! Damâo, y été on brâv bin! » — « 0/ ouè,
k y été on brâv bni ! Y è bin s kp ni'anbel dp l chouanti dyan
l purgatouèr, è d i ^u dink Vidéy dp fâr dir^ kâk mes' pè h
rpô dp su âni'. Y è pè san k dp vpny'. » — (( E bin ! fâ bin
fé! T'é ètb on brâv garson. On i'arandra san pè I myœ ; va
pi. » — <( Gêr prpnyî vb, nions' ïp kiiré, pè dir na mèsa } »
La drogue.
Vous avez bien connu l'ancien curé de Ville-la-Grand, ce
bon vivant qui ne crachait pas dans le verre et qui avait tou-
jours une gaudriole à dire pour faire rire le monde ?
Un jour, le grand Félix s'en vint le trouver. — « Monsieur
le curé, vous savez que mon pauvre père est mort, puisque
vous l'avez enterré. » — « Oui, oui. C'est dommage, c'était un
brave homme ! » — « Oh ! oui, que c'était un brave homme !
C'est bien ce qui m'ennuie de le sentir dans le purgatoire, et
j'ai eu comme cela l'idée de faire dire quelques messes pour le
repos de son âme. C'est pour cela que je viens. » — « Eh bien !
tu as bien fait ! Tu es aussi un brave garçon. On t'arrangera
cela pour le mieux; va seulement. » — « Combien prenez-vous,
monsieur le curé, pour dire une messe? » — « Ce sera trente
sous. » — « Trente sous! C'est bien cher, monsieur le curé,
2 2 J. JEANJAaUET
— (( E sara tranta sou. » — « Tranta son ! Y è hin d-êr,
vions' h hiri, y e hin i^er. » — k K°'*}nan ! bin ûér, y e h
pri. » — ((A otiè, nions' h kuré, y è Oér. h? hiré. dd San
Fargo np pran h van sou. » Alôr h kuré dp Vela-la-Gran,
h nâm' pâ d'étr^ kontrèria, S9 fc an kblér : « Lp kuré dp
San Fargo ! Ip kuré dp San Fargo ! Bin ouè, mon vâlè, va
fan fâr dir té mes' a San Fargo. A ! t'aré d la bêla drbga ! »
E. Patru.
c'est bien cher !» — « Comment! bien cher, c'est le prix. » —
« Oh ! oui, monsieur le curé, c'est cher. Le curé de Saint-Cer-
gues ne prend que vingt sous. » Alors le curé de Ville-la-
Grand, qui n'aime pas à être contrarié, se met en colère : —
« Le curé de Saint-Cergues ! le curé de Saint-Cergues ! Bien
oui, mon garçon, va t'en faire dire tes messes à Saint-Cergues.
Ah ! tu auras de la belle drogue. »
^*^>
II. È fâoua de Prinpfo.
Conte populaire en patois de Conthey (Valais) '.
On-na fâoua a maryô on maton di Prinpfo. Chtach'da y
aè de dèvan : Te fô pa mè der^ « fâoua tabnâ^ » è pouè' tè
mâryo pré. Cheli è pouè' partà an montany'. E fâoua a kbpô
b hvô kan èir^ rin mœ. Apri b i a intèlya in mètin on ran de
La fée de Premploz.
Une fée a épousé un garçon de Premploz. Celle-ci lui avait
dit auparavant : Il ne te faut pas me dire « fée talonnée » et
alors je t'épouserai bien. Lui est ensuite parti pour l'alpage.
La fée a coupé le blé [de leurs champs] alors qu'il n'était pas
du tout mûr. Ensuite elle l'a entassé en mettant une couche de
1 Raconté en 1894 par Joseph Torrent, d'Erdes. Sur le sujet de ce
conte, voir S. Singer, Schwei\er Mârcben, i. Fortsetzung. Bern, 1906,
p. 31 ss., surtout p. 45-46, où se trouvent d'autres indications biblio-
graphiques.
E faoua de prikpfo 23
bvô è on ran de fodè de verna. Cbinli è poiiè' èim a chaè a
dm°, k èir an montany'. Atr^ è poiiè' ènu btl è i t a de: fâoua
iaànâK Yé è partèii' è àin° a t a pà mi toruô verK Yé vènyé
kûii lui èir lai p'o pènye è chbnye è-j infan. Papa a de œ-j in fan
k'è fadf^ der^ a marna de lornâ. 1 1 a répondu : Nô tôrno
prœ, mi 0 fô der'^ a papa k'inbrachyèch^ chin ky è déjà à tron
bâ œ ûèa. Déjà ché iron y aè on-na chèrpifi inmèrbyâK Om°
è pouè' itô. Kan a lèô 0 tron, è chèrpin ch'è lèa^ drèit^ konlrè
lui. Atr« a ju pouèir'^ è a i a bèlyâ^ lai. Yé a fi on-na kèryô
è om° a t a pa mi yûa è è-j infan non plu. Apri chin è ènu
on-na griya è è bvô è tb ju perdu, iand:^bikè chin ky è itô kbpô
pè a fâoua a byiii morô.
blé et une couche de feuilles de verne. Cela est ensuite par-
venu à la connaissance du mari, qui était à l'alpage. Il {liti.
l'autre) est alors dt^scendu et lui a dit: « fée talonnée ». Elle
est partie et son mari ne l'a plus revue. Elle venait quand il
était absent pour peigner et soigner les enfants. [Leur] papa a
dit aux enfants qu'il fallait dire à [leur] maman de revenir.
Elle leur a répondu : Je reviendrai bien, mais il vous faut dire
à papa qu'il embrasse ce qui est dessous le tronc en bas, au
cellier. Dessous ce tronc, il y avait un serpent entortillé.
L'homme est ensuite allé. Quand il a levé le tronc, le serpent
s'est dressé contre lui. Il {litt. l'autre) a eu peur et l'a repoussé.
Elle [la fée] a poussé un cri et l'homme ne l'a plus revue et les
enfants non plus. Après cela, il est survenu une tempête de
grêle et le blé [des autres gens] a tout été perdu, tandis que
ce qui a été coupé par la fée a bien mûri.
J. JEANJAQUET.
— »ciO>0»*Coei—
ETYMOLOGIES
Avalanche, mayen et rdmwentsd.
On a reconnu en ces dernières années, dans le vocabulaire
usuel et les noms de lieu de la France méridionale, de l'Italie
septentrionale et de la Suisse italienne, l'existence d'un suffixe
■hicus et d'un suffixe plus rare -ancus, qui semblent être les
débris d'une langue morte, celle des Ligures, peut-être un temps
parlée dans tout le bassin du Rhône et les Alpes occidentales^.
Dans un article qui paraîtra dans \3LRomajna,]ç montrerai que
ces suffixes se retrouvent dans maint nom de lieu de la Suisse
romande et de la Savoie et que le plus commun des deux a
servi chez nous, comme dans le midi de la France et en Sar-
daigne, à créer des appellations ethniques du type Ormonnan,
Ormonnanche. Ici, je voudrais signaler la présence du suffixe
-incus et de sa variante -anciis dans quelques termes, patois ou
francisés, par lesquels on exprime certains aspects caractéris-
tiques de la nature alpestre et de la vie des populations cam-
pagnardes et montagnardes. L'un de ces termes a déjà été
relevé par M. Gauchat, dans son article Comment on nomme le
fromage dans nos patois {Bulletin, VI, p. 20, x), et les pages
qui vont suivre y perdront quelque chose de la nouveauté
qu'elles auraient pu avoir auparavant pour maint lecteur.
1 H. d'Arbois de Jubainville, Les premiers habitants de VEiirope (2e éd.;
Paris, 1889-94), t. II, pp. 3-215. — Salvioni, Ancora i noini leventinesi
in -engo {BoUettino storico délia Singera italiana, XXV, 1905, pp. 93 ss.).
— E. Philipon, Provençal -enc, italien -ingo, -engo {Romania, XXXV,
1906, pp. 1-18). — Cf. Archives suisses des traditions populaires, XI,
p. 155, n. I, et p. 162.
HTVMOLOGIES 25
Avalanche, autrefois avallanche (Cotgrave, 161 1), avalange
(1697, 177O; lavanche (Pelletier du Mans, La Savoye, 1572),
lavange (forme la plus usitée au xviir siècle)*.
Midi de la France : lavanca, vers 1 200, dans une poésie du
troubadour Pierre Vidal (Raynouard, Lexique Roman ^ IV,
col. 33); lavanciiiartim (gén. plur.), en 1323, dans une charte
latine du Dauphiné (Ducange, art. lavanchia). — Mistral, dans
Lou Trésor don Félibrige^ enregistre les formes patoises : ava-
lanco, valanco , avalancho (Limousin), eivalancho , eilavanchi
(Dauphiné), valancho, lavancho (Alpes).
Suisse romande et Savoie : « Helvetii Gal[lica] Ling[ua]
Levanze, Vallantze, à valle... vocant •» (Scheuchzer, Itinera,
1723)2; avalantzche et avalantze (Bridel); avalantsè et /z-a-
lantsè (M^^e Odin, Glossaire du patois de Blonay, sous presse) :
évalanche et évalaticher, v. intr., «s'ébouler», dans le parler
vulgaire de Genève (Humbert, Nouveau Glossaire genevois,
1852); Iavents9,laçnts9^ (Valais); lavend^3 (Constantin elDésor-
maux, Dictionnaire savoyard^ art. lavênçhe). — Un dérivé par
le suffixe -arium [Lavancher, Lavanchy) est fréquent dans la topo-
nymie alpine pour désigner des lieux exposés aux avalanches.
Italie: lauanche (f. pi.), dans un ancien texte lombard*:
lavanka, lavenka, dérivé lavankal (Val Brozzo) ; laventchi (Val
* Je complète les données de Littré et du Dictionnaire général par
des renseignements que je dois à la complaisante érudition de mon
collègue M. Alexis François. — MM. Gauchat et Jeanjaquet m'ont
fourni aussi quelques utiles indications concernant les mots avalanche
et mayen.
^ Cité par F. F. Tuckett, Note on the ternis Lauine, Lawine and
Avalanche {Alpine Journal, V, pp. 346-349).
^ Cette prononciation, propre au Valais central, ne justifie pas
l'identification établie par M.Jaccard.dans son Essai de toponymie {jç>. 221),
entre laventss ou lavanche et le mot lanche, usité dans les Alpes fribour-
geoises et vaudoises, dans le Bas-Valais et en Savoie, sous les formes
hintsj ou Idnts, lanàs, lansle, et diff"érent aussi par sa signification. Je
compte revenir quelque jour sur ce mot, qui nous offre peut-être un
exemple de plus de l'emploi du suffixe -anca dans les parlers alpins.
•* Archivio glottologico ilaliano, VII, p. 26, 1. 21, et XII, p. 410.
26 E. MURET
Soana)'. — La forme littéraire (peu ancienne) valanga, qui
passe généralement pour empruntée au français, provient plus
probablement de l'un des dialectes parlés sur le versant méri-
dional des Alpes-.
Contrairement à l'opinion de M. KôrtingS, qui attribue la
priorité à la forme avalanclie, ce mot francisé et ses corres-
pondants patois doivent être issus du type lavanca ou lavenka,
par métathèse et moyennant l'agglutination de Xa de l'article*,
sous l'influence du verbe avaler^ pris au sens primitif de « des-
cendre, tomber». Les formes originaires *lav-iuca, lav-aiica
sont dérivées du verbe latin labi^ « glisser, tomber», comme
les synonymes: allemand laioine, réto-roman lainna, livina
(avec le dérivé laviiial, livinaï), tessinois levina'^, provençal
lavifw, « roche calcaire en décomposition, lieu raviné » (Mistral),
— dont le prototype lab-Jna{cî. ru-Ina,ée. ruere) était déjà usité
dans la latinité chrétienne au sens d'« éboulement » 6. Dans les
formes co.mme eilavaîjchi, évalanche, celle-ci déjà mentionnée
en 1768, — on retrouve le verbe composé elabi (ou plutôt un
verbe recomposé, ex-labi), qui a la même signification que le
simple. Ces formes, aussi bien que la différence sémantique,
interdisent de rattacher, avec Nigra, ^lavinca"' et lavanca à
l'italien lava (lave).
* Nigra, Arch.glott., XIV, p. 284.
- S. Pieri, dans les Stiidj ronian\i, I, pp. 54-55.
^ Lateinisch-romamsches Wôrterlmch (5e éd.), n°* 5355 et 284.
"^ Cf. E. Tappolet, dans notre Bulletin, II, pp. 22 ss., et dans la
Festschrijt lur 4^. Versammhing deiitscher Pbilologen und Schuhiiànner
(Basel, 1907), pp. 324 ss.
^ Dictionnaire géographique de la Suisse, art. Lauenen. L.euenen, etc.
^ Josias Sin".ler, dans sa Vallesia et Alpinm Descripiio (1574), dont
M. Coolidge a publié récemment une nouvelle édition, copieusement
annotée (Grenoble, 1904), parle du danger qui résulte pour les voya-
geurs (p. 222) : (( à decidentibus conglomeratis nivibus quas nostri
Lôitwineii. Rheti Labinas vocant, haud dubie à labendo... » J. Wagner
(1680) et Scheuchzer, cités par Tuckett, appellent les avalanches labinie
ou labeiia.
"^ Ou *labinca (c'est tout un) ; mais non *labTn-ica, comme le sup-
pose M. Pieri. Dans tous les patois alpins, le c latin prononcé après
ETVMOLOGIES 27
Les formes française lavange et avalange résultent probable-
ment de la substitution du suffixe -ange de vidange^ mélange
(quelquefois féminin), bara>igeJouange,di la de'sinence très rare
-anche. En Italie, les adjectifs termine's au masculin en -eng
(prononcez -enk)., au fe'minin en -etiga, -e/ika, -inkja, et les
noms de lieu de même désinence du Piémont et de la Lom-
bardie ont pour correspondants, dans la langue littéraire et
l'usage officie], des formes en -ingo, -engo, -inga ou -enga.
Plusieurs noms propres, comme Mare?igo (nom de lieu) et
Maretico (nom de famille), Landarenca , parfois Landarenga
(Grisons), s'écrivent ou se prononcent tantôt d'une façon,
tantôt de l'autre*. Valanga nous offre, à ce qu'il me semble,
un spécimen de ces procédés maladroits d'adaptation par les-
quels maint nom de lieu a été déformé, en passant de l'usage
oral dans l'usage écrit et officiel.
Mayen-, may^n., maen, incen^ s. m. Terme par lequel on
désigne, dans la plus grande partie du Valais romand, les pâtu-
rages, appelés au Tessin inaggenghi ou inonii^, où les vaches
séjournent au printemps et en automne, avant d'aller paître
l'herbe des montagnes ou de redescendre au village. On en a
des formes médiévales dans les noms* de Petrus dol Mayench,
mentionné vers 1250, de Johannes don Maeyng, habitant de
Sion en 1306. Il se traduit en allemand par jnaiensass ou l'or-
une voyelle pénultième atone est devenu sonore (cf. dominica, pro-
noncé ddmpnd-{d en Suisse, ddmenôe en Savoie). Le changement d'r
en ^ ou e fermé sous l'influence d'une labiale est fort hvpothétique
et ne rendrait pas compte des formes du type lavanca.
* Salvioni, dans l'article précité, pp. 98-99.
2 Pour ne pas m'écarter de l'orthographe usuelle de ce mot, on
me permettra de noter ici par en le son nasal habituellement transcrit
par in dans le Bulletin. Pour distinguer des voyelles nasales les voyelles
orales suivies de la consonne n, je mets une barre entre Vu et la
voyelle précédente.
^ Annales de géographie, XV, p. 358, n. i.
* Documents relatifs à l'histoire du Vallais, publiés par J. Gremaud,
I, p. 4)6 ; Zimmerli, Die deiitsch-franiôsische Sprachgren~e, III, p. 19.
2 8 E. MURET
sàss, et il a pour synonyme, dans l'ancien Valais savoyard, en
aval de Saint-Maurice, /(Cr/Vr, en patois /c/zr/, qui signifie pro-
prement « printemps » ^. Dans le canton de Vaud, c'est un mot
rare, sans être tout a fait inconnu. A ce que m'apprend notre
correspondant M. A. Neveu, il n'est employé à Leysin que pour
dénommer le pâturage et la Tour de Mayen, /a tbr de Maya.
A Blonay, d'après M'"^ Odin, mayen est un synonyme « très,
peu usité » de tsale et de grandzè, qui désignent les « nombreux
petits chalets disséminés sur les hauteurs, au-dessus des villages
et à mi-chemin des grands pâturages » de la montagne. Dans
le Jura vaudois, on connaît un mot f/iayon, qui figure ou figu-
rait au cadastre, dans les lieux dits es Méon oX. Plat-des-Mayorn
(commune du Chenit). Ce mot mayofi, lisons-nous dans la
notice de L. Reymond sur La Vallée de Joux (p. ^2) ^^ ^^
seconde édition), «est le même que fnaye?i employé encore
aujourd'hui dans les montagnes du Valais et ailleurs pour
désigner ces petits bâtiments où l'on serre provisoirement des
fourrages au moment de la récolte (on dit aussi quelquefois
mazots). »
Le diminutif maye\ntset, mae\ntset., mayentse se rencontre
assez souvent parmi les noms de lieu valaisans. Dans la vallée
de I.ouèche, où l'on a parlé des patois romands jusqu'au XVF
siècle, il est prononcé ma\ntchèt à Varonne, ma\nchet à Inden
et Louèche-les-Bains, dans le nom de famille Mayenzet et le
nom de lieu Manschetgraben {con-imnnt de Louèche-les-Bains).
Je relève des mentions, en 1366 de Perrodus de MaynchetOy
en 1380 de Petrus de Maetu/ielo, à Louèche^.
Dans le lieu dit / niayenfson, au-dessus de Lourtier (Bagnes),,
orthographié Mayentzon au registre foncier, es Mayenzons en
1800, apparaît un autre diminutif, — plus rare, si j'en puis
juger par les noms de lieu, — que nous retrouverons tout à
l'heure dans un autre emploi.
' Cf. Bulletin, III, p. 51.
'2 Gremaud, VI, pp. 538 et 198.
ETYMOLOGIES 29
Le féminin ))iayents3 est usité dans plusieurs sens différents
et sur un territoire plus étendu que les formes masculines. Dans
la vallée de Bagnes, on appelle en quelques endroits 3 (la)
mayents? une zone étroite de pâturages communaux, entre les
mayens, qui sont divisés entre un grand nombre de petits pro-
priétaires, et les montagnes^ qui appartiennent à des consorts'^.
Dans les cantons de Vaud et de Fribourg, on appelait jadis
maientzes (Bridel) les jeunes filles qui, le premier dimanche de
mai, allaient de porte en porte quêter de petits présents en
chantant, tandis que les garçons qui « chantaient le mai »
étaient qualifiés, à Blonay, de mayentson. Mayçnts? ou son
diminutif mayenta'eta (Blonay) : « Se dit de toutes les espèces
de mésanges» (Bridel). La carte Mésange de V Atlas linguis-
tique de la France montre qu'il en est de même dans mainte
localité d'outre-Jura.
Les dialectes lombards ont un adjectif mageng-, les patois
du midi de la France un adjectif fnaien, majen, majenc (Limou-
sin), au féminin majenco, signifiant : « de mai, du mois de mai,
printanier ». Les foins de mai s'appellent, d'après le Trésor de
Mistral, fen inaien, Ion inaien, en Lombardie fen tiiageng.
Olivier de Serres, qui écrivait en Vivarais, sous Henri IV, a usé
de ce terme dialectal, dans son Théâtre d'agriculture (1600),
en parlant des « premiers foins, dits maiens par estre cuellis au
mois de mai 3. » De même qu'à Trient mayents? est le nom
d'un « fromage fait au moment où l'on remet les vaches à
l'herbe, dans les mayens ou bas pâturages de printemps »
(Gauchatj, l'on appelle masgiukja au Tessin, dans la Val-
maggia « certo cascio fatto in maggio » (Salvioni). Le mot ge-
nevois meinche, s. f., défini par Bridel: «Sorte de spectacle
public, représentation théâtrale, jeux de bateleurs », est sans
* La forme mayense a été employée par quelques écrivains comme
synonyme de mayen (voyez le Suppîémetit de Littré); mais je n'ai jamais
rencontré le mot patois dans cette acception.
^ Sur cette désinence, voir plus haut, p. 27.
•^ Godefroy, Dictionnaire de l'ancieiiiie langue française, V, p. 70.
30
E. MURET
doute identique à maienco ou majenco, usité dans la France
méridionale pour désigner la fête de mai, le feuillu, comme
on dit aujourd'hui dans la campagne genevoise^.
Selon toute vraisemblance, c'est parce que les petits de la
mésange éclosent au mois de mai que les différentes espèces
du g&nxQ parrus ont été qualifiées par une épithète dérivée de
maius. Le même adjectif, tombé chez nous en désuétude, mais
ailleurs persistant, se reconnaît dans toutes les formes de mots
et dans toutes les acceptions énumérées ci-dessus, et d'autres
encore qui sont enregistrées par Mistral. Le sens général de
« printanier » qu'a cet adjectif au midi de la France fait com-
prendre comment il a pu être appliqué par nos montagnards à
leurs maycfîs, où la rudesse du climat ne permet pas qu'on se
rende avant le mois de juin.
Haitmiçntss , rsmwçjîts, rèmwents?-, s. f. Terme par lequel
on désigne en Valais, dans un pâturage à vaches (ou montagne)
de quelque étendue, ou dans un groupe de pâturages exploités
en commun, les sections pourvues d'une cabane où l'on fait le
fromage, mais non d'une cave pour le conserver, l'unique
cave étant toujours jointe à l'installation principale ou, du
moins, située dans son voisinage immédiat. Tandis que le bâti-
ment principal et ses dépendances sont désignés par des termes
spéciaux, qui varient d'un lieu à l'autre, celui de r^nnccnts^
s'applique presque partout à chacune des fromageries secon-
daires aussi bien qu'aux pâturages qui en dépendent. Le verbe
' Suivant Littré ({Supplément), mayen « s'est dit pour fête de tir
tédéral, sans doute à cause que ces solennités se célébraient au mois
de mai », et il en cite deux exemples tirés d'un article du Journal offi-
ciel de la République française sur nos tirs fédéraux. En se reportant à
cet article, on voit que l'auteur anonyme n'a fait que franciser le mot
aUemand meye, meyen, par lequel nos confédérés désignent toute espèce
de solennité joyeuse, fête de tir ou fête de corporation. Cf. Sclnueiie-
risches Idiotikoti, IV, col. 7.
^ Je note ici par le ic anglais la consonne qui est représentée en
français par ou dans oui, oiiale, fouetter, par 0 dans vioelle. moellon, poêle,
foin, loin, moins.
ETYMOLOGIES 3 1
« remuer » signifiant dans nos patois, comme en ancien fran-
çais, « changer de demeure », et plus spécialement, dans l'éco-
nomie alpestre, « changer de pâturage », on dit que les pâtres
remuetii, lorsque, à des dates presque immuables et suivant un
ordre prescrit par la coutume, ils se transportent d'une partie
de la montagne à l'autre, pour y séjourner un temps plus ou
moins long avec leur bétail.
M. de Lavallaz, dans son Essai sur le patois d'Hérénience
{Valais), a bien reconnu dans notre mot (p. 143) un dérivé de
*re-mutare ; mais il s'est mépris sur le suffixe. Supposant un
prototype *remiit-entia, il n'a pu que constater la divergence
entre le ts de r3muents<^ , — qui répond à un c latin, initial du
mot ou de la syllabe (après une consonne) et suivi d'«, — et
Vs qui est le correspondant ordinaire de ^'/ précédé d'une con-
sonne et suivi d'une voyelle. Si je ne me trompe, nous avons
affaire ici à un ancien adjectif, dérivé de *re-mutare par le
suffixe -incus et accordé en pensée avec un substantif féminin
{casa? capanna?), ou avec un pluriel neutre [pasciia?*mon-
tajiea ?), pour désigner ces pâturages, ces fromageries, que tour
à tour on occupe et l'on abandonne au cours de la saison
d'estivage. Tandis que, dans avalanche, l'activité exprimée par
le radical verbal est envisagée par rapport à son sujet, dans
rdmwç7its3 elle est située, par l'emploi du suffixe -inca, dans un
lieu d'où elle procède et où elle aboutit. C'est une différence
analogue à celle qu'on observe, dans la syntaxe du participe
présent, entre son usage ordinaire et le sens passif que nous
lui prêtons dans des locutions comme une rue passante, une
toilette voyante, à beaux deniers comptants.
Comparez Chabrand et Rochas d'Aiglun, Patois des Alpes
cottiennes... et en particulier du Queyras (Grenoble, 1877),
p. 93 : « Muando, s. f. Chalet, | Mutare, lat. », et p. 207 :
« Muande, s. f. Chalet. Maison de pasteur avec un bercail. »
Une note de la page 93 montre l'identité foncière de ce terme
et du valaisan rannuçntsd : « Pendant l'alpage, c'est-à-dire pen-
dant la saison où les troupeaux se nourrissent dehors, ceux-ci
32 L. GAUCHAT
montent de chalet en clialet, épuisant les pâturages, au fur et
à mesure qu'ils arrivent à maturité: les troupeaux redescendent
ensuite, habitant successivement les mêmes chalets en ordre
inverse. » Dans les hauts pâturages du Valais, il y a aussi telle
nmwentsd qu'on visite deux fois par saison, à la montée et à la
descente.
Ernest Muret.
lavra == lucubrare.
Un de nos lecteurs les plus assidus, M. E. Vuarnet, à Mes-
sery, Haute-Savoie, nous informe qu'il existe encore, dans sa
contrée, des traces d'un verbe /prrâ ayant le sens de « soigner
les bêtes la nuit ». Autrefois, a/â hvrâ équivalait à : mener
paître les bœufs pendant la nuit. Ce verbe prouve d'une façon
indubitable l'existence, en franco-provençal, du motlatin lucu-
brare = travailler de nuit, et rend encore plus probable l'éty-
mologie du mot làvr^ veillée = lu eu bruni, défendue dans le
Bulletin, t. III, p. 38.
L. Gauchat.
— y^î-^l-
LA PREPOSITION A'
— î—
Variantes phonétiques : a pour Vd V G F N, <? pour
Berne. — Combinaisons avec l'article suivies d'un mot à ini-
tiale consonnantique-. Au français an correspondent: o°",
û, œ, on, u, ou (Vd), w, ô, ou, œ, œ", i (V), u (G), ^°", ou,
à, on (^F), u, i, ou (N), a, u, i (^B). Au français aux corres-
pondent : èy, e, i ( Vd), i, e, u, H (V), e (G), èy, e, i (F),
è, e (N), ^ (Bi. — Pour la liaison au pluriel, v. l'article. —
Cas particulier: la maison à-n-on notéro (C. V. 1896, 42);
à-n-on pra (C. V. 1892, 45). La présence de cette n insérée
devant l'article indéfini s'explique sans doute par la combinai-
son, très fréquente en patois, de: en-n-un pré, en-n-un coin,
etc. (par ex. ën-n-oun kâro, Bulletin, VI, p. 26), vu que souvent
à et en sont complètement synonymes (cf. la fin de cet article).
Emplois de la préposition. Dans la classification des
exemples, nous suivrons le système du Dictionnaire général.
La préposition à exprime un rapport de destination. Il y a lieu
de distinguer :
I. Destination de lieu.
Ss trovè â kabarè di tchvâ byin, se trouver dans le cabaret
du Cheval Blanc (B); âlè è Porintru, aller à Porrentruy (B);
en Valais on dit même : je viens d'<z Sion, d'« Louèche (Pott,
* Ces quelques pages sont un premier essai de mise en œuvre des
matériaux dont dispose actuellement le Glossaire romand sur ce sujet.
Dans la rédaction définitive, on réduirait certaines parties que le carac-
tère du Bulletin indiquait de développer. Les abréviations Vd V G F
N B désignent respectivement les cantons de Vaud, Valais, Genève,
Fribourg, Neuchâtel et Berne. C. V. = Conteur vaiidois.
^ Nous ne donnons ici que les formes principales en plaçant à la
tête de la série cantonale celles qui sont le plus répandues.
34 E. TAPPOLET
Personennamen, p. 348) ; partir à la campagne, aller (ou être)
à quelque part, à autre part, à nulle part (français populaire
Vd F V) ; mettre quelque chose à sa poche (pour dans sa
poche, français pop. G N B), bâirè onna golâie a la casse
(C. V. 1888, 2i^)\ le vuiichtre envié a botchie David,\e ministre
envoya chez le boucher David (B, Hist. pat., p. 13); aller à
l'apothicaire (français pop. Vd F N). Souvent on emploie à
sans article quand il s'agit d'un apprentissage à faire : apanr
a èkofi, a kouHiryièr, apprendre le métier de cordonnier, de
couturière (Chaux-du-Milieu, N) ; aller (être) à maître, aller en
service : Françoise qu'étal a maître per tsi onna dame, Fran-
çoise qui était en service chez une dame (C. V. 1892, 33).
Cf. le wallon, qui dans ce cas emploie à avec l'article. Il dit :
« être au peintre», pour être en apprentissage chez un peintre.
On dit dans un sens analogue : mettre un enfant à nourrice
(au lieu de en, B, Péter). — Le Jura bernois dit aie è dj'ïndr,
aller à gendre, c.-à-d. aller habiter chez ses beaux-parents.
Locutions prépositives: a flyan dé va., à côté de vous (Vd);
a Vétèr d la mézo?i, autour de la maison (Vd) ; ma chambre est
à niveau du Jardin (F, Grangier) ; cf. le fr. à fleur, à ras.
IL Destination de temps,
Hiair à né, hier soir (C. V, 1899, 10); cf. hier au soir,
anc. fr. anuit; dmindje à vépre, dimanche soir i^Pat. Neuch.,
255) ; à bonne heure, pour « de bonne heure » (fr. pop. Vd F);
lo père Tiétse halllivè on franc à ti le bomiaji ao poustiyon, le
père T. donnait un franc au facteur à l'occasion de chaque
Nouvel- An (C. V. 1891, 46); cf. à Noël, à Pâques, etc.
III. Destination de but.
Plusieurs verbes qui expriment une tendance, un effort vers
un but, sont suivis de à, non seulement: se mettre à, donner à,
comme en français, mais aussi : suivre à, vouloir à, falloir à,
aller à, être à, faire à, laisser à. Exemples : s bote â rir, se
mettre à rire ; s bote â fur, se mettre à fuir, aussi dmoré II â
LA PREPOSITION A 35
bœyiy, être planté là bouche béante (B). La présence de l'ar-
ticle dans ces exemples (« = au) rappelle la construction de
l'ancien français: c'est folie del promettre, tens est del herber-
gier, « il est temps de prendre logement » ; met soi ou retourner,
« il se met à retourner » (Etienne, p. 243). — Suivre à l'affaire
{Parlons français., 19), probablement sous l'influence de
« donner suite à l'affaire » ; balyi à Ictchc, donner à lécher
(N, Brévine), cela veut à dire = cela veut dire : mè faut alla
trovâ lo tnâidzo (médecin), po savai cein que cein vâo à derè
(C. V. 1889, 44); ye va vairè cein que cein vollidvè à derè
(C. V. 1894, 20) ; vu prâo fére tôt cein que faut à fére, je veux
assez faire ce qu'il faut faire (C. V. 1903, 42) ; V Anglais... lai
démindè cein que cliaô manaires alavan à dere,... ce que ces
manières signifiaient. (C. V. 1900, 52). Cf. en français: quand
il vint â mourir. Cet ai à dire (= cela voulait dire) qu'Lieus
Madjestâ mettant les pies sus la Comtà(N, Quinche, Couplets,
32). Après «faire» suivi d'un infinitif: qu'on fasse don assavai
à ma fenna... qu'on fasse savoir à ma femme {Chanson de Rocati,
28); po lo férè a caisi, pour le faire taire (C. V. 1903, 43);
no-z-a adé fé à paï ratnoudiachon, il nous a toujours fait payer
l'amodiation (Corbaz, p. 19); fn'a fé à plhora (Moratel, Bibl.
rom.,Tp. Il) ; me su fé à fére on par dé bote, je me suis fait faire
une paire de bottes (Vd, Dumur) ; Va fei a tia lou vi gra, il a
fait tuer le veau gras (F, Stalder, Landesspr., p. 383, 27) ; chi
konto fâ a vini la pi d'ouïe, ce conte fait venir la chair de
poule (F, Gruyère ) ; se vo faire à préyie, sans vous faire prier
{Pat. Neuch., 107) ; aussi léchi a epurd, laisser égoutter le linge
(F, Charmey). Cf. l'historique de cet article.
Un autre emploi très ancien de à qu'on peut classer ici, c'est
avoir à nom = s'appeler : il y avait dans notre commune une
veuve qu'avai ànom Pernetta (Corbaz, p. 53); aussi sans verbe:
ouna filya a noti Berta (N, Valangin) ; cf. l'historique. Notons
aussi: être à l'avis que... {Parlons français, 19, 24). Ici, il y a
sans doute contamination entre ,être d'avis' et ,à son avis '.
36 E. TAPPOLET
IV. Destination de personnes, de choses.
Il y a lieu de distinguer ici trois rapports plus ou moins
différents.
1. attribution, par ex. s'adresser â quelqu'un. En français
populaire on dit : causer à quelqu'un (Pautex, 103) sous l'in-
fluence de parler à quelqu'un. Cein mé /a rassoveni onco à ion
de clliâo bons vilho dittons, cela me fait ressouvenir d'un de
ces bons vieux dictons (C. V. 1901, 33), sous l'influence de
faire penser à ; de même dans , il rêve toutes les nuits à elle '
{Parlons français). Citons ici un emploi particulier, attesté par
de nombreux exemples, où à sert à exprimer une idée de distri-
bution : quand V euront bu à tsacon on verro (C. V. 1891, 12);
dou gailld furieux que tignont à tsacon on grand coûté, ...qui
tiennent chacun un couteau (C. V. 1890, 21). L'idée sous-
entendue semble être celle de plusieurs couteaux , distribués,
donnés à chacun '. Vont z-u à tsacon onna bouna ratélaie, ils
ont eu chacun sa part (de coups) (C. V. 1894, 46); le tsachao
ont et a d-obedzi de demanda à tsacon on cognaque po se reveni
lo tieu, ...obligés de demander chacun un cognac pour se
remettre le cœur (C. V. 1888, 25); fein est dza venu onna demi-
dozanne^ ti à tsacofi avoué on violon, ...tous avec un violon 1.
2. adjonction, par ex. joindre un mot à un autre.
à équivaut à , en comparaison de ' dans la locution : , il n'y
en a point à lui pour faire '... (Vd G N), c'est-à-dire à le com-
parer, lui, avec les autres, à le placer à côté des autres, il faut
convenir qu'il n'y a que lui pour faire.... ; lai in a min à tioutron
cordagni por fére dei bi et bon solâ, il n'y en a point comme
notre cordonnier pour faire de beaux et bons souliers (Vd,
Dumur) ; se totes le bites ne savont pas déveza (parler) coumeint
no-z-autro, y'eina tôt parai min à clliao papegai po dessuyi lé
^ Voici un exemple en français littéraire que je trouve dans Restif
de la Bretonne (i 734-1 806) : «Je ne rapporterai qu'une- de leurs lettres,
à chacun, avec une de leurs conversations. » Les Contemporaines, éd.
Assezat^ p. 84.
LA PREPOSITION A ■ 37
dzetns, ...point comme ces perroquets pour contrefaire les gens
(C. V. 1901, 52): savont tôt. Vont tôt vu, n'y a min à leu po
férè quiè que sai ...point comme eux pour faire quoi que ce soit
(C.V. 1899, 43). Tour fréquent en français local.
3. appartenance, par ex. : ce chien est à moi. Nous ne
donnons point d'exemple pour l'emploi datif, qui est le même
qu'en français. Mais il importe de signaler le cas où, pour
marquer la possession, le patois met à au lieu de de : le cheval
à David, la fête à ma mère, la bouéba à Samiotet, la fille de
Samuel ; le ?nonsu reimpliè ce ao tserroton, le monsieur remplit
celui (le verre) du charretier (C. V. 1894, 6): lo grand Napo-
léion. pas ce à rUgénie, ma ce à la Joséphine (C. V. 1893, 7).
Ce à possessif ne s'emploie qu'en parlant de personnes, on ne
dira pas par ex. le toit â cette maison. — Rangeons ici : l'è à
son tor (C.V. 1903, 37), construction contaminée de , c'est à
lui ' et , c'est son tour '. Retrancher cent pages à un livre
[Parlons français), dû à l'influence de , enlever, ôter à '.
V. Destination de moyen.
Tirer à l'arc, à l'arquebuse (fr. pop. B, Péter) ; lo pot io on
met cein à quiet on vao férè lo quegnu, le pot où l'on met ce
dont (avec quoi) on couvrira le gâteau (gâteau aux pommes,
aux cerises, aux œufs), (C. V. 1889, 27); krwd on tay a tav3-
lyon, couvrir un toit en (de) bardeaux (Odin, Blonay). La prép.
à marque le prix : acheter à quatre sous de cerises (G, Hum-
bert); à diéro voliai-vo fréma que na? combien voulez-vous
parier que non? (C. V. 1889, 15). Ajoutons ici : i w' trovai
rentire à pieu de 12 jo du b' y net s , je me trouvai rentière à
raison de plus de 1250 doublons (pièces d'or) (N, Lamp.,
116, 8). Le patois vaudois dit , avoir assez à\ au lieu de de:
fin a prâo à iena, il y en a assez d'une (C. V. 1894, 43) ; y''in
a, quand l'ont sâi, que se conteintont de bâirè onna golâie à la
casse, et qu'ein ont prâo à-n-on simplio gongon, il y en a qui,
quand ils ont soif, se contentent de boire un bon coup à la
« casse», et qui en ont assez d'une simple gorgée (C.V. 1888,
38 E. TAPPOLET
38). — Aller â âne, à mulet (N, Bonhôte), sans doute par ana-
logie de , aller à cheval ', , aller à pied '. Est-ce l'idée de moyen
ou ridée de direction vers un lieu qui prédomine dans 'aller
à cheval ' ? En tout cas, l'origine de cette locution me semble
être d'ordre local. Cf. monter à cheval, comme conduire â
l'échafaud pour sur l'échafaud. — Souvent l'idée de moyen
s'efface pour faire place à celle d'un simple circonstanciel de
manière, c'est le cas pour: on ns léy va tyé a puairè, on n'y va
qu'à peur (Odin, Blonay) ; s'ingrindzi tôt à dé bon, se fâcher
pour tout de bon (F, Schiveizerbund, 74); d'à prdmi, adv.
d'abord (C. V. 1892, 20) ; févrai, dsmi àvrai, sp n'é a prsnii Vé
a dèrai, février, demi-ouvrier, s'il n'est le premier, il sera le
dernier (Odin, Blonay).
Cas isolés, a vod^on pà=- vos pareils (F) ; cf. en ancien fran-
çais à mon semblant = mon pareil, san jn'inmouyè, a inè, cela
m'ennuie, moi (F, Dompierre) ; il t'a vu aussi, à toi (F, fr. pop.).
Mé et té servant à la fois de datif et d'accusatif, il est probable
que cette construction est due à l'analogie de verbes à régime
indirect tels que , cela me répugne, à moi ', , il m'a obéi, à moi '.
Comparez aussi l'espagnol, qui habituellement fait précéder le
régime direct de a (p. ex. ha visto a la reina, il a vu la reine),
mais qui, tout en mettant le pronom conjoint à l'accusatif, le
répète, pour le relever, sous la forme du datif; par ex. hizo
juramento de i?iorir... en el reino defendiendolo a el y a sus
vasallos, il jura de mourir dans le pays en le défendant, lui et
ses vassaux. C'est presque exactement le cas de notre , il m'a
vu, à moi '. — , Etre â court d'argent' (Parlons franc. ), conta-
mination de , être court d'argent, et , être à court '. — ,à pure
perte ' pour en pure perte (F, Grangier ; G, Annales J.-J. Rous-
seau, III, p. 60, où sont cités quelques rares exemples du fran-
çais littéraire). Dans plusieurs cantons romands, on entend
dire : , êtes-vous d'à parent avec un tel ' ? — Can stou dzounou
y sont entra., toté stou fille à le voueithi , quand ces jeunes
gens y sont entrés, toutes ces filles à les regarder (en français de
les regarder, infinitif dit historique) [Etrennes frib., 1874, m).
LA PRÉPOSITION A 39
Reste à signaler l'absence de à dans le français populaire :
jusque midi, jusque hier, acheter bon marché (Vd, Callet).
Histoire, a, è viennent de la préposition latine ad, dont
l'emploi s'est considérablement étendu dans toutes les langues
romanes. Nous allons voir que pour la plupart des emplois
romands de à on trouve des analogies plus ou moins complètes
dans le français littéraire. Nous avons déjà rapproché le , se
bouter au rire ' du Jura bernois de l'usage de l'ancien français.
Quant à l'emploi de , faire â rire', il semble peu répandu dans
l'ancienne langue; toutefois, à côté d& faire entendre, on pou-
vait dire faire à entendre (Tobler, V. B. I^, ^2), faire assavoir,
f attenir (Godefroy), faire à croire (jusqu'au xvn« siècle),
faire à entendre, faire à conoistre {Rotnanische Stiidien,!, 399).
Des exemples plus nombreux de cette construction se ren-
contrent dans d'anciens textes de la région franco-provençale,
ainsi dans VYsopet de Lyon (voir la note de Foerster dans son
édit., p. 139 et 146) et dans la Chronique savoyarde de Jean
Servion(xv= siècle). Le wallon moderne dit également : , donnez-
moi ou laissez-moi à voir' {Projet de dictionnaire, p. 12), cf.
Herzog, Dialekttexte, p. E 70. — Quant à la construction , avoir
à nom ', l'usage en est courant en ancien français, où l'on dit
également : tenir à époux, à fou, à sot, donner à femme. Cet
emploi est conservé dans le français moderne : , tenir à hon-
neur ', , prendre à témoin ', , à tâche ', enfin dans l'italien :
avère a rappresentante, avère a schifo, avoir en dégoût. —
Le sens possessif de à suivi d'un nom de personne était d'un
usage fréquent en ancien français (la fille au roi). Il s'est con-
servé par ex. dans une bête au bon Dieu, et surtout avec le
pronom personnel : une tante à moi, avoir maison à soi. —
Pour l'emploi comparatif, // n^y en a point à lui, on trouve
également des analogies en anc. français et en italien : de
toutes ces riens e?isemble noiens a ceste me resanble.... en com-
paraison de cette (chose-là) (Tobler, V. B. I^, 6) ; picciolo
podere era il loro alla potenza délia città (Vockeradt, §155,7).
A titre provisoire, on peut revendiquer comme romandes les
40 L. GAUCHAT
constructions que voici : aller â maître, à ékofi, etc., cela veut
à dire, cela va à dire, il faut â faire, et la grande extension
donnée à la construction : faire à rire ; tenir â chaam un cou-
teau et plusieurs expressions plus ou moins isolées.
Synonymes. La préposition à a un concurrent puissant,
c'est en, il suffit de rappeler l'usage français: e7i mon nom et
au vôtre; en France, au Japon, croire e7i Dieu, au bon Dieu.
Ainsi le Jura bernois emploie couramment en pour à: aie an
le 7?iâs, aller à la messe ; étr an se pxès, être à sa place ; dir an
son pér, dire à son père. Pour la délimitation exacte des deux
prépositions, voir l'article in du Glossaire.
E. Tappolet.
LE SUFFIXE ROMAND -ERl
FÉM. -ÈRlDA
— î—
En étudiant l'histoire d'un mot patois, nous sommes souvent
arrêtés par l'insuffisance de nos connaissances en matière de
suffixes. Avant de se mettre à rédiger les trésors lexicologiques
accumulés dans le Bureau du Glossaire, il faudrait pouvoir vouer
une attention particulière à ces éléments constitutifs de la
parole, qui reviennent toujours et qu'il est malaisé d'apprécier
au point de vue de l'idée qu'ils représentent et de leur prove-
nance, en prenant pour base uniquement le mot qu'on ana-
lyse. L'un des suffixes qui m'ont le plus intrigué, parce que je
le rencontrais à chaque pas, sans en connaître la vraie nature,
est celui qui possède en patois fribourgeois la forme de -èrî.,
fém. -èrîda, et qui s'attache actuellement, à ce que je crois,
exclusivement à des thèmes verbaux. La difficulté du petit
problème me paraissait résider dans la forme féminine, pour
laquelle je ne trouvais de point de départ ni en latin ni dans
les langues germaniques. Après avoir réuni quelques matériaux
LE SUFFIXE ROMAND -ERl 4^
provenant de diverses parties de la Suisse romande, je crois
pouvoir présenter l'explication suivante.
Citons d'abord quelques exemples. Le poète Louis Bornet
en a dressé une petite liste dans des papiers qui constituent
une esquisse de grammaire gruyérienne: brûtcrt, -îda^, brainérf,
pllorérî , tzantérî , sublérî. Ces mots signifient : grondeur,
crieur, pleureur, chanteur, siffleur, ou plus exactement : qui a
l'habitude de gronder, crier, etc. Il ressort déjà de ces exem-
ples que le suffixe désigne en première ligne une personne qui
fait fréquemment ou habituellement l'action énoncée par le
verbe 2. Comme les termes correspondants français, les vo-
cables munis de ce suffixe ont la valeur de substantifs et d'ad-
jectifs. On peut dire : « il est grondeur » et « c'est un grondeur ».
L'expression prend facilement un sens dépréciatif. Ainsi dans
les mots suivants: siikrbtèrî, qui aime à trop sucrer ses ali-
ments; krbtsatèrl, crocheteur, filou; 7n?rybtèrîda, fille qui se
regarde beaucoup dans le miroir ; liigcrl, qui reste à regarder
travailler les autres; bringèrl, qui redit toujours la même chose,
qui « fait la bringue » ; bbnycri, boudeur : rbterï, qui rote sou-
vent, etc. Mais ce sens défavorable est donné surtout par le
verbe sur lequel le suffixe est venu se greffer. Il est absent
dans tsantèrî, cité plus haut, dans paydnerï (Broyé), qui cligne
tout le temps des yeux, et beaucoup d'autres. On peut donc,
à l'origine, considérer le suffixe comme synonyme du français
-eur et du patois -are, qui en est l'équivalent, avec la diffé-
rence que le français -eur repose sur l'ancien accusatif latin
-atore, tandis que le patois -are dérive de l'ancien nominatif
-âtor. En effet, les sujets interrogés pendant mes courses dia-
lectologiques m'ont souvent répondu par des dérivés en -èrï^
ou en -are des mêmes verbes, un peu au hasard. Ils ne font
guère de distinction. Il arrive même qu'on mélange les deux
formations, comme dans isibrbtor?, fém. tssbrbièrîda, qui bal-
butie (Broyé).
^ Orthographe de Bornet.
- Nous avons aussi le verbe hrtila, gronder.
42 L. GAUCHAT
Les deux suffixes concurrents sont encore vivaces, et il est
loisible d'en former des dérivés avec n'importe quel verbe ^.
Ils rappellent, par le sens, l'ancien suffixe -arius, qui doit
avoir cessé de produire des mots nouveaux. Nous verrons plus
loin que -èrï n'en est qu'un composé.
Quelques cas isolés trahissent que la signification du suffixe
était autrefois plus étendue. L'expression rotèrî signifie aussi
«le rot», non seulement la personne qui éructe; kratsèrï
répond au français « crachat ».
Malgré l'abondance des exemples que nous avons sous les
yeux'2, nous n'arriverions pas à découvrir le sens primitif de la
forme latine de notre suffixe, si nous ne pouvions pas recourir
au moyen le plus commode de toute investigation étymolo-
gique : la comparaison. En feuilletant le dictionnaire du patois
de Blonay (Vaud), par M'"^ L. Odin^^ on rencontre très sou-
vent le suffixe sous la forme -éréi, qui ne laisse aucun doute
sur la provenance: -éi ne peut être que le latin -ellus; com-
parez les mots ozci < avicellus, oiseau, koutci < cul tell us,
couteau, etc. Je cite deux ou trois représentants relevés dans ce
dictionnaire : kotérèi, ver blanc, larve du hanneton (en gruyérien
kotérï)', pyoj'Hcréi, fr, pop. «;piorneur», celui qui geint sans
cesse; sotdér'ei, sauterelle; chbrdér'ei^ fém. -eila, sourdaud, -e.
Cette dernière forme confirme notre opinion qu'il s'agit de
-ellus par la présence d'une /au féminin. C'est une forme ana-
logique, refaite sur le masculin, car -ella latin en tradition
directe donnerait à Blonay, comme presque partout ailleurs
* Ils sont particulièrement fréquents dans les verbes qui désignent
les bruits. A remarquer que sur les cinq exemples cités par L. Bornet,
quatre (ou même tous?) appartiennent à cette catégorie.
2 En voici d'autres, choisis dans diverses régions : barbdtèrî, mar-
motteur ; ron.nèrT, grognon (Praz de Siviriez , Fribourg) ; épointèré,
pointilleux; âmâyèré, hésitant; trafdgèré, trafiquant (Praz-de-Fort,
Valais, féminins en -ira); d\akat3ré, -driya^ jaseur (Lourtier, Valais) ;
ka-&éré, -éral°, cachottier ( Aire-la- Ville , Genève); adjectifs: grasêré,
gras ; setséré, sec (Isérables, Valais).
^ Sous presse, paraîtra prochainement.
LE SUFFIXE ROMAND -ERÏ 43
dans la Suisse romande, -ala, témoin bel la, rendu en patois
par bala. Mais le féminin légitime apparaît dans d'autres patois,
comme à Hermance (Genève), où l'on dit bramèrè, fém. bra-
mcrala, criard, pleurnicheur, etc.
La comparaison nous apprend aussi quelle est l'origine de
la première partie du suffixe -èrï. En Valais, à côté du féminin
bramèrèda, on cite bramera, c'est-à-dire le même radical muni
d'un des développements modernes de -arius'.
Voilà donc la question résolue : notre suffixe est un conti-
nuateur diminutif de -arius. Il se range avec -aricius,
-arilis, etc., dont on a recherché la genèse et la diffusion
dans des travaux récents. Ce suffixe n'est pas inconnu au fran-
çais, qui le possède dans volereau, lapereau, poètereau, tom-
bereau; passerelle, sauterelle, etc. Le terme de Blonay soutér'ei
est au français sauterelle ce que laivra, fém., est à lièvre,
masc. D'abord applicable à toute espèce de radicaux-, le
grand nombre de thèmes verbaux figurant parmi les dérivés en
-arellus en a de plus en plus limité le domaine de producti-
vité. Le sens diminutif s'est effacé. La différence qui existait
une fois entre on bramai 3, un « grondeur (insupportable) » et
on bramèrï , « personne malheureusement trop encline à la
gronderie », est oubliée de nos jours. Un chbrdéréi était
d'abord un homme qui faisait un peu la sourde oreille ou qui
n'entendait réellement pas très bien. Aujourd'hui cela signifie
tout bonnement un sourdaud, et il ne me semble pas impos-
sible qu'on dise en patois : 07i grà chbrdéréi.
Reste à expliquer la forme féminine en -èrlda (Fribourg et
Vaud) ou -èréda (Valais). On fait souvent l'expérience que la
forme masculine des adjectifs est plus résistante que le fémi-
* La formation féminine -iya de Lourtier, citée dans la note 2 de la
page précédente, correspond probablement à un ancien -i\a, de -ella;
-ira de Praz-de-Fort est peut-être le résultat d'un croisement de -ila
et de -aria.
- Cfr. chbrdéréi, de sourd, et grasêrè, setséré (note 2 de la p. 42).
3 Du radical bram + arius, synonvme de hraiiiàré.
44 - L. GAUCHAT
nin''. C'est un fait qui donne à réfléchir, mais que je ne puis
étudier ici. Quelles étaient les possibilités de formations ana-
logiques pour le féminin d'un mot en -ï? Ecartons les cas où
la voyelle finale était brève, comme •'\N\x'à{vi-viva^ etc.), -itus
{puri-purya, pourri, etc.), qui a entraîné par ex. -ilis dans
suti-sutya, fin, adroit, (lat. subtilis); faisons aussi abstraction
de cas extraordinaires et ne pouvant pas agir comme mafî,
7nafït3, fatigué ; il ne reste en -i qu'un seul modèle : prinu-Jn^
dreitl-Ir?, droitier, leràzl-ïra, léger, etc., classe très nombreuse
et qui cependant ne semble avoir exercé aucune influence.
Peut-être prononçait- on encore d'une part -i? et de l'autre -éi
à l'époque où l'on fit appel à l'analogie, ce qui rendait les cas
plus dissemblables qu'ils ne le sont maintenant. Le point de
départ de la formation -èrJda ne peut donc être un type en -/'.
Un d existe dans le féminin de mots comme braillard, gui-
gnard, etc., qui ont à côté d'eux des doublets en -èrï. Mais la
présence de Vr dans l'ancien patois- me semble empêcher une
création analogique sur ce modèle. Les mots du type mokèran,
■da, moqueur, drdfnyan, -da, dormeur, sont également hors de
cause, avec leur voyelle nasale constituant une classe bien
caractérisée 3. Je ne vois que des mots peu nombreux en -ô,
-ôda, comme tsâ, -da, chaud, patilyô, -da, déguenillé (dérivé
de «patte », au moyen de -aldus?), ou en -ou^ -ouda, comme
* Ainsi nudus s'est continué directement, tandis que nuda a été
souvent refait sur divers modèles. On trouve d'excellents matériaux
sur la question dans l'intéressant article de M. Nyrop, Remarques sur
quelques dérivés français [Bausteine :(ur romanischen Philologie, p. 503 ss. ;
reproduit, avec quelques changements, dans le tome III de la Gram-
maire historique de la langue française, 1908); je mentionne les féminins
che'tite, gentite, coite (pour coie) ; avarde, bi^arde, igtiarde, etc. Comparez
aussi ce que dit M. Jaberg à propos du féminin des participes passés
dans sa remarquable étude Uber die assoziativen Erscheijiungen in der
Verhalflexion einer sïidostfran:(osischen Dialektgruppe, p. 85.
^ La consonne finale est aujourd'hui tombée dans nombre de dia-
ectes.
•^ Peu importe que la formation -aiida soit elle-même analogique ;
elle peut avoir précédé et influencé l'autre.
LE SUFFIXE ROMAND -ER[ 45
piiyou, -da (-oldus?), qui puissent nous tirer d'embarras *. On
a lieu de s'étonner que des mots offrant si peu de rapports
avec le suffixe en question aient pu provoquer la constitution
d'un type nouveau {-èr) I, -Ida, et que des mots aussi fréquents
que bî, bàla, beau, et novl, novàla, nouveau, ne l'aient pas
empêchée. L'embarras que nous éprouvons en face de ce fémi-
nin en -da montre bien, je le répète, l'intérêt et la nécessité
d'études d'ensemble sur les suffixes des langues littéraires et
populaires.
L. Gauchat.
' Comparez les exemples français que je choisis dans l'article pré-
cité de M. Nyrop : bedeaude, boyatidier, échattder (de chaux), marivaudage.
•î^-t"^-
46 J. JEANJAQ.UET
TEXTE
— f-
I pesta a Nin"da^
Traditions locales en patois de Haute-Nendaz (Valais).
Dèan hyd chei aroiiâ' i pesta dp an më'^ sën sin è Nin*^da,
y aei oun shyon.ni liyd dpjan- Fransei D:(îlo du Tsablo. Oun
dpcban^do kyp vinyei dî Shyoun^ dp né at ô tsaâ, a atrapei^
oun'^ pairo vyb kyp poei pa ml chp trangyèa, è ché vyb èy a
dpman"da chp ouei ashya •' aa moiin'Ha cl] b shyo tsaâ. Fransei
D:(îlo a di hy9 ouè, k'ouchei pyè jii ènà^. Chon rin jû k oun"^
bbkon kyp i tsaa è jû fèin a èprua. I shyon.ni a ën^tèroua a
ché vyb dèky aei k îr^ ta?i ppjan, kyp i shyb tsaa pbrta^ trei a
katrp kyën^fâ dp châ chin chp anye, è ara îrp trabatu cn.n
ordo rin kyp pbr oun"^ pouro vyblè. Atr^ èy a di kye ch mchei
Lia peste à Nendaz.
Avant que la peste de l'an mil cinq cents soit arrivée à
Nendaz, il y avait un marchand de sel qui s'appelait {lUL
qu'ils disaient) François Gilloz du Chable. Un samedi qu'il
venait de nuit de Sion avec son cheval, il a rejoint un pauvre
vieux qui ne pouvait plus se traîner, et ce vieux lui a demandé
s'il voulait le laisser monter sur son cheval. François Gilloz a
dit que oui, qu'il n'avait qu'à monter. Ils n'ont rien fait qu'un
petit bout de chemin, que le cheval a ruisselé [de sueur]. Le
marchand de sel a demandé à ce vieux ce qu'il y avait qu'il
était si lourd, que son cheval portait trois à quatre quintaux
de sel sans se fatiguer et qu'il était maintenant tout mouillé
rien que pour un pauvre petit vieux. L'autre lui a dit de ne pas
s'effrayer (////. se faire peur), qu'il était la mort et qu'il montait
I PESTA A NIN^'DA 47
pa fé pûHff, kp yiii îr i mo è kp ouajei' amù Charijyè^ rppara
è taon di bot' i mat^ dp Odo'-^ Prâ. xl^ mat' îron trei d:(oti'én'
ky îron tim'm choiipèrb' kyp trayon"' pâ dp prœ"^ bon kbrda-
nyè. A di kyp à in"dpinan, kan charan chôurtei di^^ a mecha,
ch cûcJf plashya dpkoût à porta d élïj', è k ouchei aoneitshya;
kyp tshiii x^'i'" kyp yiii arei trutshya at 6 bâton charan tshui
mo, ma k ouchei pâ di oitn mb, atramin èy arei pa cnmprei
bën. 0 in"dpman^\ Fransei D~îIo e-t aa chp plashye dpkôùt à
porta d élîj è i mo a kouniinshya a triitshyè tsâ ché^^ kyp
chourtf. Ashyé^ a pou pri ctsapâ nyoïm, è Fransei D^zlo, kan
a yù kyp trulshye' tshui è shyo parin è e-j ami, è tshui x^^^"
kyp kbnyèchei, a pâ puchû ch ën"tèrtini d ën^tèroua ch îr' pa
d abb prœ'*. I mo a rppon^dii kyp, d abpsky^^ îr' pa kon**tin,
arei trutshya yui aoui. yjœ'^ d:(0 apri, è-t arouâ' i pesta :
mourfon tshui kouni' dp mots è i shyon.ni è mo koum e-j âtr'.
à Cerisier pour raccommoder les talons des souliers des filles
de Odo Pra. Ces filles étaient trois jeunes personnes si orgueil-
leuses qu'elles ne trouvaient pas de cordonnier suffisamment
bon. Il lui a dit de se placer le lendemain, quand on sortirait
de la messe, à côté de la porte de l'église et de regarder; que
tous ceux qu'il toucherait de son bâton mourraient tous, mais
qu'il ne devait pas dire un mot, autrement mal lui en prendrait.
Le lendemain, François Gilloz est allé se placer à côté de la
porte de l'église et la mort a commencé à toucher les uns
après les autres ceux qui sortaient. Elle ne laissait échapper à
peu près personne, et François Gilloz, quand il a vu qu'elle
touchait tous ses parents et ses amis, et tous ceux qu'il con-
naissait, n'a pas pu se retenir de demander si ce n'était pas
bientôt assez. La mort a répondu que, puisqu'il n'était pas
content, elle le toucherait lui aussi. Quelques jours après, la
peste est arrivée : ils mouraient tous comme des mouches et le
marchand de sel est mort comme les autres.
48 J. JEANJAQ.UET
È-t adon kyp dpjçn ¥îr^ rin chbbrâ kyp kalrb maryâd:(b
è Nin*^dàta è k an ita dèslrui è don vèadib dou Vëjënan è
don Chavyèjan. U Chavyèjan chon ishui mo è il V'éjënan
è rin chbbrâ k oiin mèinâ û brP. Ir^ i avan grâlcha dp
D:(Jjyan Bourban d à Krèta^^.
D:(hyoii toupari ky aei yoiin k itâè œ"tr à nibrin"ts^^^ dîtsan.
Chéré a ita trei d:^o k a pâ yi'i aprbshyè œ"tr^ dp main"db.
È partei ënsé pb ver deky aei. Kan è jiï ënsé p ë Râclf^^, a
yiï ini hà p ë tsan d à Oii^ '® plèina a vèi dp kyîclf. Kan a yi'i
chin, a pincbâ tbnm ën^dèri, ma è troua jû ta : è mo koum
e-j âtr^.
Kan è jii paehâ' i pesta, an porta ishui è dra di mo élin"-
dii è-j oun ch è-j âtrb il xlb d abka^^. A jiï na tèija dp va.
C'est alors que, à ce qu'on dit, il n'était rien resté que quatre
ménages à Haute-Nendaz, et qu'ont été détruits les deux vil-
lages du Visinan et du Saviésan. Au Saviésan ils sont tous
morts, et au Visinan il n'est rien resté qu'un enfant au
berceau. C'était l'aïeule (////. l'arrière grand'mère) de Jean
Bourban de la Crête.
On dit {litt. ils disent) aussi qu'il y avait un individu qui
demeurait au delà de la Morenche des champs. Il {Hit. celui-là)
est resté trois jours sans voir venir de monde de son côté. Il
est parti du côté du village pour voir ce qu'il y avait. Quand
il a été en deçà, aux Rasses, il a vu descendre par les champs
de la Loye plein le chemin de cercueils. Quand il a vu cela, il
a pensé retourner en arrière ; mais c'était trop tard : il est mort
comme les autres.
Quand la peste a été passée, on a porté tous les linceuls des
morts étendus les uns sur les autres au Creux de l'Avocat. Il y
en a eu une toise de haut. On distingue encore maintenant en
haut dans la chambre de Jacques Lathion les petits creux
I PESTA A NIN'^DA 49
Otui hçny'^' adï ôra ami'i u pilb dp D::^ahy9 Atshyon è krûji
k an fépô plan"tshyè è mat^ dp Odb Pra kan parfoumâon
0 pilb pb dèfin"dr' a pesta.
qu'ont fait dans le plancher les filles de Odo Pra lorsqu'elles
brûlaient des parfums dans la chambre pour se préserver de
la peste.
NOTES
1. Raconté en 1906 par Joseph Michelet, à Nendaz. Pour certaines
particularités phonétiques du patois de Nendaz et la façon dont nous
les avons rendues dans la transcription, voir Bulletin, 1907, p. 29, note i.
2. ddjnn, 3e pers. plur. dans le sens indéfini : on disait. De même
plus loin, p. 48, dzhyoji, on dit.
3. Shyoïin, Sion, de Se dû nu m. Dans la plus grande partie du terri-
toire franco-provençal, -un uni et -onem se sont confondus en -on. Le
patois de Nendaz, comme d'autres patois valaisans, conserve la distinc-
tion primitive -ûnum >• -oun et -onem >• -on. Cette particularité
fournit un indice précieux pour l'étymologie des noms de lieux en -on.
Ainsi on pourra inférer de la forme patoise Ardoun, pour Ardon, que
le nom de cette localité renferme aussi le -dunum celtique.
4. atrapei ; l'infinitif de ce verbe est atrapi, d'où le participe en
-«' <-ectu. Cf. Bulletin, 1907, p. 29, note 5.
5. ch ouei asJrya, s'il voulait le laisser. Sur cette disparition du pro-
nom régime par voie purement phonétique, voir Bulletin, 1907, l. c,
notes 2 et 9. Elle est ici remarquable en ce sens que le mot suivant
n'avait pas primitivement l'initiale vocalique. Ouei est l'imparfait régu-
lièrement développé du verbe « vouloir », qui se conjugue : ouo, ouei,
ouei, ouschën, oudch], ouan.
6. k ouchei pyè jii ènâ, litt. qu'il soit seulement eu en haut. Oiichei re-
présente une curieuse fusion du subjonctif de » avoir », dûcl}^, avec celui
de «être», chei. Cette forme contaminée est la forme courante du
subjonctif pour les deux verbes. Oucl}^ peut aussi à lui seul remplir la
double fonction, tandis que chei est à peu près hors d'usage.
On remarquera l'emploi des temps du passé dans le discours indi-
rect. C'est un caractère constant de la narration dans le patois de
Nendaz. Cf. plus loin : a di kys... ch ouch» plashya,...Jc ouchei aoueitshya,...
k ouchei pa di oun mo, etc. Voir aussi le conte déjà publié dans le
Bulletin, l. c.
50 L. GAUCHAT
7. ouajei, imparfait de « aller » formé sur vadere, qui, à Nendaz, a
envahi presque toute la conjugaison. Ind. présent: ijo ou ouajà ;
imparf. ouajo, rarement aâà ; fut. ouàri ; condit. ouaro ; subj. onajècho
ou aècho ; inf. a(i .
8. Chdrijyè, groupe de maisons au sommet du village de Haute-
Nendaz.
9. Odo, forme probablement altérée d'un prénom. Le narrateur avait
aussi entendu la variante Oiito.
10. chourtei di a mecha, litt. sorti dès la messe, comme plus haut :
vinyei di Shyoïin, il venait dès Sion. Cet emploi nous paraît confirmer
l'explication de dès par une fusion de de avec ex.
11. ô in»ddman; les circonstanciels de temps prennent toujours la
forme du cas régime là où la déclinaison de l'article est conservée.
Cf Bulletin, 1903, p. 31, note 5.
12. tsâ ché... combinaison de la particule distributive tsâ < Kara
avec le démonstratif, comme on dit : tsâ yoiin, un à un, tsâ pou, peu à
peu, etc.
13. d'abisky', contamination de d'abord que avec puisque, qui s'em-
ploient tous deux en patois dans le sens causal.
14. Krèta, hameau de la commune de Nendaz.
15. nidrin'^ts^ ; on donne ce nom à des restes d'anciennes construc-
tions en pierre qui se trouvent près du village. Pour d'autres exemples
de ce mot dans la toponymie romande, voir E. Muret : De quelques dési-
nences de noms de lieu particulièrement fréquentes dam la Suisse romande
et en Savoie. Paris, 1908, p. 123.
16. Lieux-dits de Nendaz.
17. kdny^; le présent de l'indicatif de kànyètr' se conjugue kànyècho
ou kOnyo, kOny^, kàny^, kànyèchin, konyètr^, kônyèchon ou kOnyon. Il y a
sans doute eu influence des verbes en -ir, qui ignorent complètement
la flexion inchoative au présent de l'indicatif: ouaro, je guéris, ouar»,,
ourir^, ouarin, ouari, ouciron.
J. JEANJAQUET.
<»cOO<^«o
ÉTYMOLOGIES
-♦-
I. Xeuch. détchpouènâ, « dévêtu >^.
M. Ph. Godet, à Neuchâlel, a bien voulu nous communiquer
l'extrait suivant d'une lettre écrite vers 1861 par G. Quinche,
auteur bien connu de récits patois et d'un excellent vocabu-
laire inédit du parler de Valangin : «Que dites-vous de ce
ETYMOLOGIES 5 r
retour d'hiver? Il fallait du reste s'y attendre : les mois de jan-
vier et février avaient été beaucoup trop beaux, tellement
beaux qu'un imbécile (on peut l'appeler ainsi 1 s'est avisé à
Engollon (Val-de-Ruz) de planter toutes ses pommes de terre....
Les gens ici travaillaient en manches de chemise, et ce fait
m'a rappelé ce dicton patois de nos ancêtres : Atan vai on lu
dsii on fétni quenn homme detchepoiiennà 11 mai d févrî.... *
Le sens de ce proverbe, qui a déjà été publié dans le Glos-
saire de Bridel, p. 532, et, d'après les papiers de G. Quinche,
dans le volume Le Patois nciichâtelois, p. 32, est: Autant voir un
loup sur u)i fuDiier qu'un honuue en manches de chemise au mois de
février'^. Dans son vocabulaire, Quinche définit detchepouénâ
par «être à demi déshabillé». On retrouve le mot dans une
traduction de la parabole des vignerons par M. A. Dardel-
Thorens en patois de Saint-Biaise : c'étaî on piaisi de le vair
travaillî : Vétan adf to detchepouénâ {Pat. neuch., p. 369). Il
équivaut à une forme française « déjuponné » et s'explique par
le fait que djipon ou djupon avait conservé, en patois neuchâ-
telois, le sens d'habit d'homme descendant très bas, qu'il a
aussi possédé en français, témoin les vers de Molière : « Vous
pourriez bien ici, sur votre noir jupon, Monsieur l'huissier à
verge, attirer le bâton. » ( Tart., v, 4). Plusieurs passages de
notre littérature patoise attestent le sens de <' long vêtement
d'homme ». Le jupon de femmes se disait godillon. Djipon
perd facilement son / et se prononce alors tchpon., comme dans
son dérivé.
2. Neuch. djJr, djïrè^ « aussi ».
Ce vocable est fréquent en vieux français sous les formes
g(t)ers, gierre, gier{r)es, avec le sens de « par conséquent,
alors», et son étymologie a été plusieurs fois discutée, en der-
nier lieu par M. A. Thomas {Remania, XXXIII, 91-92 1, auquel
je renvoie pour plus ample information. Il signifie chez nous
' Cf. des variantes de ce proverbe dans Chenaux et Cornu, Revi
fribordiey, n« 4; BuUetiti du Glossaire, 1905, p. 17, n" 16; Archives
suisses des trad. pop., t. XII (1908), p. 166, n" 46.
52 L. GAUCHAT
aussi, par ex. dans ces vers de la Bourgeoisie de Valangin, par
Quinche : Lly èd-avai deu la Tchatlani qu'chi vnian dgtrè grô
binfti, « il y en avait de la Châtellenie (de Thielle) qui « ci »
venaient aussi très bien vêtus». Pour le développement du
sens, cfr. aussi = par conséquent, en tête d'une proposition
française, qui représente l'évolution sémantique inverse. A la
Côte-aux-Fées, l'on m'a indiqué la phrase: i />ié dzàr, avec le
sens « il pleut de nouveau », et â, dzàr comme exclamation de
surprise avec la valeur : « Qui l'eût cru ! » Mais ces assertions
sont sujettes à caution. Tissot donne dans son dictionnaire du
patois des Fourgs^ écrit au bon temps du patois, les sens : « en
ce cas, s'il en est ainsi, alors ». On prononce djîr{e) au Val-de-
Ruz et au Val-de-Travers, et djerè à la Montagne neuchâte-
loise. Cela nous permet de reconstruire un ancien *^y/Vr^i' dont
1'/ aurait conservé l'accent dans les deux premières vallées, et
aurait été, à la Montagne, absorbé par la consonne palatale
tout en rejetant son accent sur le deuxième élément de la
diphtongue. Le même phénomène s'est produit dans djïrl
(«gerle», latin gerula) du Val-de-Ruz, vis-à-vis de djérl de
la Montagne, ou dans etchi^rl (Val-de-Ruz, latin s cala) à côté
de ètchél (Montagnes).
Parmi les étymologies mises en avant, je préfère le latin ea
re^, devenu avec déplacement d'accent * iâre; de ea re me
paraît contenir un élément superflu, et ea de re une construc-
tion peu populaire. L'adverbe a été fortement influencé par
hac hora, qui apparaît envieux français sous les formes <?r, ^rj,
ore, ores, en patois neuchâtelois moderne comme ora et orè
(ce dernier seulement dans la composition ankore). A remar-
quer que le français or a pris la place de l'ancien giers au
commencement de la phrase, où il tend à être remplacé à son
tour par aussi^.
' Les Fourgs sont très peu distants de la Côte-aux-Fées.
^ Proposé par MM. Meyer-Lùbke et A. Thomas.
3 Ce qui relève l'importance de cette étymologie, c'est qu'elle
prouve la survivance du pronom latin is, dont les traces sont bien
rares en roman.
ETYMOLOGIES 53
3. Neuch, lianià, « vite. »
Voici d'abord quelques exemples, tous tirés du patois de la
Montagne : vo compratè qu'avoué la mon djamâ nion ti'porret
virî la snieula pru lia?na, « vous comprenez qu'avec la main
personne ne pourrait tourner la manivelle (de la baratte) assez
rapidement» [Pat. neuch., 319, la Sagne); la dcgucuiUc le pra,
i m (lire 5'^) va adè pieu ïiaiiia, « la frayeur le prend, il s'en va
toujours plus vite > ; l'acccptron hin ciicoiiot liaiiia on d'joui d'et-a-
tchet po met ha, « j'accepterais bien encore volontiers [?] une
paire d'attaches pour mes bas » {Let metchan guignofi, p. 12).
Je crois reconnaître dans ce mot le latin L'etamente, qui
pouvait, dans une phrase comme «vas-y gaîment», prendre
facilement le sens de z'ite. Dans le parler neuchâtelois, aller
gaîment se dit aussi d'un objet qui a du jeu, qui n'est pas
serré : Cette vis entre trop gaiement (Bonhôte, Gloss. neuch.),
4. Neuch. sy rlêdjl, « se réjouir ».
Le même radical se retrouve dans le verbe sj rléd jî. qui
correspondrait à une formation *se relœticare, et dont on
a tiré un substantif verbal rlédj\ s. m., «joie». Les exemples
sont nombreux. Citons celui-ci : / /"/' a n'avè k avant d'jà reu-
bia fané et a/an du rlèdj'e qui Vavan de rolie enkouô on viedje
le Borgognions, « il y en avait qui avaient déjà oublié femmes
et enfants à cause de la joie qu'ils avaient de bien battre
encore une fois les Bourguignons. » iSaboulée, p. 4).
5. Neuch. kvi, « accorder ».
On det ly qvi çà qu'ly vint d'drait, « on doit lui accorder
ce qui lui revient de droit» {Djaque-Ignace-Lampadut, p. 10,
37). Du latin cupere (alicui), qui s'est conservé dans les
langues romanes sous la forme *cupire, cfr. en vieux français
covir (un exemple dans Godefroy, plusieurs sous encovir).
6. Neuch. /rt'c/'r^^, « du coup ».
Glossaire de Quinche : El ai-z-eu tiouâ frczcrct c fi'a pas
rebudgie, « il a été [litt. est eu] tué du coup et n"a pas rebougé».
54 L. GAUCHAÏ
Equivaut au (i:a.nça.is froid et raide, a.\&c un z de liaison, plutôt
qu'à frais et raide. Le latin rigidus s'est continué sous la
forme ré = ferme, raide, revéche, indocile.
7. Bern. pro^, s. f., « troupeau ».
Variantes phonétiques: prô, prou', et même pran, à Malle-
ray, dans lequel il serait difficile de reconnaître le mot latin
prfeda, n'étaient les formes moneta> man.na?/, seta > san,
corrigia> kbran, enregistrées par M. Degen, Das Patois
von Crémine, p. 21. M. B. Dumur a signalé {Rev. hist. vaud.,
1903, p. 114J l'emploi courant dans les documents lausannois
du xvi"= et du xvii= siècle de prie au sens de « troupeau » : la
prie de la ville, la. prie du gros bestail, etc. Le développement
phonétique est, ici aussi, parallèle à celui de seta > siya,
m o ne ta > mouniya, dans la même région. Le dictionnaire
vieux français de Godefroy cite plusieurs passages où proie
signifie «troupeau», provenant surtout de l'Est et du Nord,
entre autres celui-ci, extrait des Chroniques de froissart : «Jou
ay veu, dist li espies (espion), \e proie de la ville yssir hors, et
y a bien sis ou sept cens grosses bestes. » Cette phrase nous
fait comprendre l'identification, en temps de guerre, de « trou-
peau » avec « profit d'une victoire ». Comparez pour le sens
l'histoire des mots robe (allemand Rattb) et butin (allemand
Beute). La carte troupeau {de moutons) de V Atlas linguistique
de la France assigne à. notre mot un tout petit domaine mo-
derne dans le canton de Berne et ses confins. Au Nord, le
terme français alterne avec 6 (latin hostem), het \Heerde) et
bande. Cf. aussi Du Cange, sous prœda (2) et Littrésous proie
(7°), où se trouve encore un exemple de 1787 pour proie
= troupeau.
8. Anniv. V9t)u/gr?, s. f., « troupeau ».
Les variantes de ce mot, qui nous est attesté surtout par les
patois parlés à l'Est de Sion, et dans la vallée de Bagnes, sont
trop nombreuses pour les citer toutes ici. Bornons-nous à men-
ETYMOLOGIES 55
tionner la forme bagnarde, plus transparente que les autres :
vèiyuîr?, qui trahit qu'il s'agit de vesti tura. Vèti (yè\.\x) signifie,
en effet, conduire le troupeau sur l'alpe, et dèvèti, abandonner
l'alpage. Les prés délaisse's semblent « dénudés » aux yeux d'un
peuple habitué à les contempler non au point de vue pitto-
resque, mais de l'économie rurale. Cependant, certaines
expressions, relevées par Du Cange, telles que ager vestitus
^ «terrain exploité», feraient croire que notre expression se
rattache à une ancienne coutume de droit. On dit aussi en
Valais invèti pour mettre en culture un champ, Tensemencer
ou y planter quelque chose. Investir est fréquent dans les docu-
ments pour « mettre en possession » '.
9. Frib. vichpyon, s. m.. « crayon ».
Demi-adaptation du terme suisse-allemand wyssblî ( JVet'ss-
Blei\ pour l'ordinaire blhvyss-, dont la deuxième partie a été
traduite en romand : Blei = pyon. Le Glossaire manuscrit de
Louis Bornet contient la forme vichpli, plus rapprochée de son
origine germanique.
10. Français pop. raveur, s. f., « chaleur ardente ».
Dans tous les cantons romands, le mot raveitr est très usité
en langage populaire. On entend dire : « Quelle raveur il fai-
sait dans celte chambre » ; « avec ces bonnes raveurs^ le blé a
bien, pu mûrir» (Ceresole, Scènes vaudoises); «les raveur s de
la canicule », etc. En patois vaudois, on s'attendrait à la forme
ravâo. Bridel indique, en effet, un mot pareil : ravaii, éclat
d'une flamme éloignée, reflet d'un incendie, grande rougeur au
ciel, ardeur du soleil. Mais on emploie plus souvent, assez
curieusement, la forme mi-française ravœ{r). Ainsi Conf. vaud.
18S3, n° 2T,: fasât onna raveu, qu'on châvc (suait) sein remouâ
' Cf. aussi l'expression chemin de dêvestitiire, chemin pour sortir le
bois des forêts.
2 D'après le minerai qui en est l'élément essentiel.
56 L. GAUCHAT
(sans bouger). Les formes phonétiquement exactes réappa-
raissent dans les Alpes vaudoises: ravœu, en Gruyère: ravâ,
en Valais : ravœu, ravou, etc. Dans ce dernier canton, l'ex-
pression désigne habituellement une lueur dans le ciel ou à
l'horizon, produite par le soleil levant ou couchant, un grand
feu, etc. En patois fribourgeois, le mot s'applique en outre à
une exhalaison chaude, qui sort par ex. d'un four. Le dialecte
vaudois connaît également l'extension de sens : reflet de lumière
ou de flamme —>■ réverbération de chaleur. Moratel, Bibl.
romane^ ajoute : « Se dit de cette espèce de tremblement que
l'œil croit voir dans la couche inférieure de l'atmosphère, au
moment des grandes chaleurs. » Le point de départ doit être
le latin ruborem, qui a produit le vieux français rouveur,
rouille des blés, l'espagnol arrebol, rougeur de l'aube et du
crépuscule ^. Pour expliquer Va de la syllabe initiale patoise,
il faut recourir à l'influence d'un autre mot. Je suppose que
*ro7'or, dissimilé en ''revor, a été changé en '*ravor par la
concurrence des termes chaleur ou ardeur -.
Le radical ru b- joue un rôle dans la toponymie romande;
peut-être m'en occuperai-je prochainement. Disons en atten-
dant que les nombreux lieux nommés ravières n'ont pas néces-
sairement tous été plantés de raves, mais peuvent représenter
des endroits situés en plein soleil.
Dans le val d'Anniviers, le fameux « Alpengliihen » s'appelle
ravorèy, s. m., ce qui n'est qu'une dérivation de notre mot au
moyen du suffixe -ellus. Ailleurs, le même mot signifie un
grand feu.
II. Vaud. délâo, s. f., «gros chagrin, dépit».
Ce mot vient évidemment du latin dolorem. Il rappelle
raveur par le changement caractéristique de la voyelle de la
^ Comparez le sens indiqué pour le mot valaisan.
2 Guillebert, Gloss. neiich., p. 118, rattache raveur au latin ravus,
qu'il traduit à tort par roux, et qui ne paraît pas s'être perpétué dans
les langues romanes.
ETVMOLOGIES 57
première syllabe, due évidemment à la dissimilation de 0-0 en
e-o, comme dans le fribourgeois cher a pour sororem. Délâo
ne s'emploie jamais pour désigner une douleur physique; dans
ce cas, on se sert du terme hybride doulœ, ou de mô \mal).
12. Frib. ch?jin, -ta, adj., « gracieux ».
Les acceptions données par nos sources sont: élégant, con-
venable, qui a de la bonne grâce dans sa personne, dans ses
manières : il existe aussi un substantif chijintsri, bienséance,
politesse, convenance dans les manières. C'est le participe pré-
sent du verbe seoir, tombé en désuétude. Le son J est venu
allonger toute une série de radicaux de verbes en -ère et -ëre,
sur le modèle à,ç. faisant , patois /(^/ï;/, et d'autres verbes. On
dit rire — * risant, traire — * traisant, choir — * chesa7it, etc.
13. Frib. cdèrbala, «assommer, étourdir».
De * excer( e)bellare, cfr. en vieux français escerveler
« faire jaillir la cervelle hors du crâne ».
14. Suisse rom. ètâva, s. f., « latte ou échalas de palissade ».
M. Oaston Bigot termine sa petite étude de l'article estave^
de Godefroy, insérée dans la Romania, XXXVII, p. 29g ss, par
les mots: « si lelatin statua est resté dans le vocabulaire du
peuple jusqu'à l'époque où le français a arboré ses couleurs, il
est incontestable qu'il a dû revêtir la forme * estave\ mais
* estave n'a pas encore été trouvé dans les textes ». Il sera per-
mis d'identifier avec ce mot latin le terme ctàva (Vaud),^î?^?'rtr
(Fribourg), èi}àva (Valais), qui désigne certaines parties des
clôtures de prés dans nos montagnes. Comme les systèmes de
haies varient beaucoup d'un lieu à l'autre et doivent avoir
varié dans le temps, il n'est pas facile de déterminer le sens
primitif du mot. Dans les cantons de Fribourg et de Vaud, ce
sont des lattes refendues, placées horizontalement ou en biais
sur des pieux croisés en X ; en Valais, où l'on a plus de chances
de rencontrer la signification primitive, on appelle de ce nom
' Il faut peut-être lire estans, cfr. Zeitschr.f. roui. Phil., XXXII, 753.
S8 L. GAUCHAT
les planchettes verticales clouées contre les traverses qui
relient les pieux. Ce dernier sens s'accorderait assez bien avec
celui de statua. Le sens Ôl' éclat de bois que étava prend dans
le Bas-Valais pourrait s'expliquer par un ancien usage de se
servir d'éclats de bois pour clôturer. Aucune difficulté phoné-
tique, le l' naît de Vu, comme dans vidua > véz'a.
15. Frib. iyiti, s. m., «culot».
Le mot tyiii s'applique en Gruyère au dernier d'une nichée
d'oiseaux, d'une ventrée de cochons, au cadet d'une famille,
au dernier reçu dans une compagnie. On le retrouve dans les
Alpes vaudoises, avec les mêmes sens, auxquels il faut ajouter
celui de « petit doigt » {kun, Rossinières). Cette dernière
acception, qui figure déjà dans le Glossaire de Bridel, sous
kin, rend certaine l'étymologie de quintus qu'on lit à la fin
de cet article. Le petit doigt étant le plus faible a donné son
nom d'ordre au dernier-né d'une nichée. Les autres significa-
tions s'en sont déduites aisément. La phonétique n'a rien à
opposer à ce raisonnement.
16. Val. ayjsnâ, « soigner le bétail le soir ».
De *adcœnare; le sens primitif était celui de «donner le
repas du soir». Le c latin devant <?, / aboutit à yj dans la
vallée de Bagnes', par exemple, cfr. yjin = cinq, yjîr? ^=. cire,
etc. Cœna se prononce donc ylin-na et signifie i" repas du soir,
surtout en parlant des bêtes, — pour l'homme, le terme est de
moins en moins usité, — 2° le lieu où ce repas est donné, l'en-
droit où l'on mène pâturer le bétail le soir, 3'' le temps em-
ployé à ce repas. Comparez addnâ (*addisjejunare) =
« nourrir le bétail le matin ».
17. Français pop. déquepiller, «débarrasser».
Expression propre au parler provincial de Neuchâtel et de
Berne. On entend dire : « On l'a fait déquepiller de la place ;
1 Dans d'autres parties du Valais, le mot existe sous d'autres formes.
ETYMOLOGIES 59
il faut dêquepiller les mulots, les taupes; déquepille-\.o\ d'ici,
vilain merle ; il a bientôt eu déqiiepillc son héritage =: dila-
pidé, dépensé follement ». Nous avons aussi le substantif ^/^z/^-
pille, par ex. dans l'exclamation : « quel rude déquepille »
= quel bon débarras ! Le patois du Val-de-Ruz possède le
verbe dèkplyî, ancêtre du terme français, dans le sens indi-
qué, ainsi que le substantif </<^^///)'', m. Le mot n'est pas rare
dans les anciens documents neuchâtelois, où il a généralement
la forme décupiller. Ex. : la femme dud. mons^ Claude luy
■dict : Je veulx estre decupillée de mon mary (Procédure de
1568). Uescupillera tous les vieux bâtiments qu'il faut oster
pour remettre celuy cy en sa place (Chaux-de-Fonds, 16601.
Le mot réapparaît dans le canton de Fribourg, mais avec un
tout autre sens: dekupilyî, « enlever les cupules des noisettes »,
etc., qui est dérivé de kupilya, involucre et cupule des glands,
noisettes, etc. En Valais (Charrati dekbpeyi signifie débarrasser
un vase, un panier de son contenu. Voir aussi, pour le vaudois.
Bulletin, IL p. 20. n» 47. Je n'hésite pas à identifier ces mots:
débarrasser un t"ruit de ses cupules a pris le sens plus large de
« débarrasser de n'importe quelle chose gênante ». L'étymo-
logie serait dans ce cas dis-}- cuppicula, ce dernier diminutif
de cùppa, les cupules formant une espèce de petite coupe
soudée à la base du fruit et l'entourant *.
Les fortes variations de signification qui peuvent se pro-
duire d'un de nos cantons à l'autre, prouvent combien nos
connaissances sont fragmentaires et combien toutes nos inves-
tigations étymologiques sont livrées aux hasards d'une tradi-
tion mal connue et souvent interrompue.
L. Gauchat.
' D'après dêquepiller, on a créé euqiiepiller, prononcé aussi aquepiller
ou èquepiller, embarrasser, gêner. On dit au Val-de-Ruz : é :(é èkplyïe
dé-i èfan d son frâr, il a eu à sa charge les enfants de son frère. De
ce verbe est tiré aqiiepilk, embarras.
-^î^-^-
GENEVOIS ou GENEVOIS ?
-*-
On sait que ces deux variantes du nom des habitants de
Genève existent concurremment, la première étant seule usitée
à Genève et dans les régions avoisinantcs, tandis que les écri-
vains français se servent de préférence de la seconde. Un de
nos compatriotes qui professe le français aux Etats-Unis,
M. Albert Schinz, vient de consacrer à la question de savoir
laquelle de ces deux formes doit être adoptée une étude qui
ne saurait nous laisser indifférents *. L'auteur conclut (p. 300)
que : « L'ignorance des principes phonétiques de la langue
française seule peut laisser subsister le moderne Genevois. »
Voilà une condamnation catégorique et qui surprendra proba-
blement bien des Suisses romands. Est-elle sans appel et ne
nous reste-t il qu'à abjurer au plus vite nos erreurs passées?
Nous ne le pensons pas. M. Clédat, professeur à l'Université
de Lyon et directeur de la Revue de philologie française, a
* Autour d'un accent, dans la Revue de philologie française et de littéra-
ture, t. XXII (1908), p. 291-301. Aux renseignements de fait qu'il
donne sur l'emploi des deux formes, M. Schinz aurait pu ajouter que
Littré, dans le Supplément du Dictionnaire, écrit genevois et s'appuie
pour cette orthographe sur le Complément du Dictionnaire de V Académie
de 1842. Mais il fait observer que l'usage est différent à Genève. Le
Dictionnaire phonétique de la langue française, par Michaelis et Passy
(Hanovre, 1897), ne donne pas genevois ; en revanche, à côté de gene-
vois, il enregistre une prononciation genevois, qui est aussi attestée, et
même placée avant les deux autres, dans le grand dictionnaire français-
allemand de Sachs- Villatte. C'est évidemment une dérivation analo-
gique récente, créée par des personnes qui ignorent les formes tradi-
tionnelles. Le Dictionnaire de Trévoux (Nancy, 1734) écùx genevois et
ne mentionne que pour les condamner les variantes genevois et génois,
qui ne se disent plus, «à moins que ce ne soit en quelque province ».
GENEVOIS OU GENEVOIS 6l
•déjà fait suivre de réserves l'article de son collaborateur, et
admet que genevois « semble bien être la forme régulière de
l'adjectif. »
Nous ne suivrons pas M. Schinz dans l'établissement labo-
rieux des ^< principes phonétiques » sur lesquels il prétend
appuyer sa thèse. Ses déductions manquent trop de base histo-
rique pour être concluantes. A notre avis, le problème se réduit
à ceci: Etant donné le mot Genavensis, attesté dès l'époque
latine (civitas Genavensium, pagus Genavensis), qu'a-
t-il dû devenir en français par l'application des lois phoné-
tiques qui régissent le développement de notre langue? Or
n'importe quel manuel de grammaire historique nous dira
qu'un e protonique initial devient dans la règle e sourd (que
nous notons par p; M. Schinz l'appelle semi-muet) et que Va
de la seconde syllabe, en vertu de la loi dite de Darmesteter,
aboutit également à p. Genevois est donc le produit tout à fait
régulier de Genavensis, et cette forme a dû être jadis la
seule employée partout. Genevois n'est cependant pas une
déformation isolée et purement accidentelle, et nous ne sau-
rions l'attribuer avec M. Clédat à une simple « fausse lecture».
Il est incontestable qu'il y a dans la langue moderne une ten-
dance marquée à remplacer l'ancien e sourd par e accentué en
syllabe initiale, et surtout lorsque la syllabe suivante renferme
aussi 3. C'est ainsi que des mots commQ prévôt, pépin, quérir,
férir, chéneau, génisse, désirer, chhievière, chcnevis, et quantité
d'autres, étaient anciennement prévôt, pépin, quérir, etc., avec
£ sourd. Mais c'est là une simple tendance, qui, dans nombre
de cas, n'a pas triomphé ou n'a triomphé Qu'à une é])oque
toute récente'. On trouvera dans l'ouvrage de Thurot, De la
' M. Schinz s'est appliqué à représenter comme absolu le principe
suivant lequel deux syllabes consécutives ne peuvent contenir un e
sourd en français. Ne pouvant cependant pas éliminer des exceptions
aussi gênantes que devenir, recevoir, relever, et autres composés avec rc-,
il s'efforce d'en affaiblir la portée par des considérations où se fait
cruellement sentir le manque de connaissance du développement histo-
rique. S'il récuse Genei'iève comme exception, parce que c'est un nom
02 J. JEANJAQ.UET
prononciation française depuis le xvi' siècle, t. I, p. 121-142^
d'abondants détails sur ces modifications, ainsi que sur les
hésitations qui en sont résultées et qui, pour quelques mots,^
durent encore aujourd'hui.
Le parler de la Suisse romande s'est montré en général plus
conservateur à cet égard que la langue de Paris. 11 n'a pas seu-
lement maintenu genevois, mais il connaît encore génisse, pépin
{pépin n'est devenu officiel qu'en 1878), chenevière, chenevis
(abandonné par l'Académie seulement en 1835), cheneau,
etc. Pour les mots qui font partie de la langue commune et
sur lesquels l'Académie s'est prononcée, nous ne songeons
naturellement pas à défendre la forme sans accent, qui n'est
plus qu'un archaïsme provincial. Mais le cas de genevois est
différent. Il s'agit d'un dérivé de nom de lieu, et l'usage local
indigène est ici bien autrement important que l'emploi occa-
sionnel et restreint qui a pu se développer ailleurs, fût-ce même
à Paris. Comme, au surplus, nous avons montré que genevois
est parfaitement normal et correct au point de vue de la pho-
nétique française, nous ne voyons vraiment pas pourquoi les
milliers d'individus qui emploient journellement cette forme
devraient l'abandonner pour y substituer une altération posté-
rieure plus ou moins récente, qu'aucune autorité décisive n'a
consacrée. Bien loin donc d'accepter les conclusions de
M. Schinz, nous sommes au contraire d'avis qu'il est du devoir
de tous les Genevois et de tous les Suisses romands de main-
tenir énergiquement, dans l'écriture comme dans la pronon-
ciation, la bonne forme traditionnelle genevois^ et d'aider
ainsi à son adoption générale en France, où elle compte déjà
des partisans tels que MM. Lemaître et Lanson et de puissants
auxiliaires comme les dictionnaires Larousse.
Quant au développement du nom même de Genève, dont
propre, il sera permis de lui signaler encore chevelure^ ècheveU, ensevelir.
Est-il besoin d'ajouter que «l'euphonie de la langue française», cette
grande ressource des grammairiens à court d'explications précises, n'a
rien à voir dans la question ?
GENEVOIS OU GENEVOIS 65
M. Schinz s'occupe à la page 29S d'une façon qui nous paraît
bien insuffisante, voici, à notre avis, comment il s'explique.
Genava, la forme la plus ancienne à laquelle nous puissions
remonter, était un proparoxyton, dont l'accentuation primitive
s'est conservée dans l'allemand Genf ei dans le patois d^tfva.
Lorsque le français devint réfractaire à la prononciation pro-
paroxytonique, la réduction en paroxyton s'effectua de façon
différente suivant les régions. On peut distinguer trois procédés :
1° Syncope de la voyelle médiane: Gén(a)va > Genve(s)
ou, avec une r adventice, Genvre(s] (cf. chanvre).
2° Syncope de la syllabe finale : Géna(va) > Genne{s)
(d'où l'adjectif mentionné plus haut Génois).
3° Maintien des trois syllabes avec avancement de l'accent
sur la seconde : Génava > Gène va > Genève.
Toutes ces variantes existent concurremment et sont attes-
tées dans notre ancienne littérature ^. Le premier procédé
représente le traitement normal du français, le second appar-
tient plus spécialement à la région de l'Est, et le troisième à
celle du Sud-Est. Le triple développement de Génava se
retrouve d'une façon tout à fait parallèle dans cannabu
> 1° fr. chanve, chanvre; 2° dans l'Est chenue ; 3° dans le Sud-
Est chenève. (Voir pour les formes exactes des patois et leur
répartition \ Atlas linguistique de la France, carte 234.) Cf. aussi
* J à c o m u s (ital. Giacomo) > i ° J aimes ; 2° Jacques : 3° Jaquhne
(nom de famille lyonnais). Isara > 2° Oise ; 3° Isère.
Genève est donc un développement dialectal particulier à la
région franco-provençale-, qui a supplanté dans l'usage les
formes proprement françaises. j. jeanîaq.UET.
* Voir E. Langlois, Table des noms propres de toute nature compris
dans les chansons de geste (Paris, 1904), p. 272-273.
'^ Un déplacement d'accent dans des conditions tout à fait analogues
s'est produit beaucoup plus tard en français dans sêmble-je >■ semhU-je,
chante je >• chanté-je, etc. Pour des exemples du phénomène franco-
provençal dans les patois romands, voir Bulletin, 1906, p. 48.
TABLE DES MATIERES
Pages.
M. Gabbud et L. Gauchat. Mélanges Bagnards : I. Le
genre des noms 3
E. Tappolet. Andain 12
E. Patru. La dràga, patois de la région de Troinex
(Genève) 21
J. Jeanjaquet. È fâoua de Prfttpfo, conte populaire en
patois de Conthey (Valais) 22
E. Muret. Etymologies: avalanche, niayen et r9mwenfs9 . 24
L. Gauchat. Lavrn =:lucubrare 32
E. Tappolet. La préposition à 33
L. Gauchat. Le suffixe romand -èrî, fém. -èrjda. ... 40
J. Jeanjaquet. I pesta a Nin'^da, traditions locales en patois
de Haute-Nendaz, avec notes 46
L. Gauchat. Etymologies: i. Neuch. détchpouènâ, dévêtu.
2. Neuch. cljîr, djjrè, aussi. 3. Neuch. liama, vite.
4. Neuch. s9 rlédjT, se réjouir. 5. Neuch. kvi, accorder.
6. Neuch. frèzèrè, du coup. 7. Bern. prôd, troupeau.
8. Anniv. vad^uigrd, troupeau. 9. Frib. vichpyon, crayon.
10. Français pop. raveur, chaleur ardente. 11. Vaud.
délào, gros chagrin, dépit. 12. Frib. chdjin, -ta, gracieux.
13. Frib. èûèrbalâ, assommer, étourdir. 14. Suisse rom.
ètâva, latte ou échalas de palissade. 15. Frib. tyin, culot.
16. Val. ayldnâ, soigner le bétail le soir. 17. Français
pop. déquepiller , débarrasser 50
J. Jeanjaquet. Genevois ou Genevois ? 60
Lausanne. — Imprimerie Georges Bridel & C"
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire,
HUITIEME ANNEE
1909
ZURICH
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hofackerstrasse 44
SYSTEME DE TRANSCRIPTION
A. VOYELLES
a, è, é, i, II, ou ont la même valeur qu'en français.
à =■ 0 ouvert (comme dans bord [bàr\).
0 •=. 0 fermé {^eau [^o]).
^ =: œ ouvert (bewrre \bœr\i.
û? = a? fermé {ieu [fcé]).
e, o, ce sans accent sont des voyelles moyennes.
9 {e renversé) = e sourd (brebis [br^bi]).
an, in, on, un, sont les voyelles nasales des mots français t^wps
{tan\ main [min], rond [ron], ]unài [lundi],
in, Un, oun désignent les nasales de i, u, ou, qui ne se trouvent
que dans certains patois du Jura bernois et du Valais.
a, voyelle intermédiaire entre a et o.
à = è très ouvert.
Les diphtongues sont notées ay, èy, èy, aou, au, etc., o\xya,yèt
yo, oua, uœ, etc., suivant la nature et le mode de combinaison
des éléments qui les composent.
B. CONSONNES
b, p, d, t, j, ch, V, f, s, z, l, m, n, r ont le même son qu'en français,
g représente partout le son dur de ^oût \gou\
^ » » » coup \Jîou].
ly = /mouillée dans l'ancienne prononciation tait/e [ta/y'].
ny = n mouillée comme dans vi^we [viny],
y s'emploie comme dans le français j'eux [yé], fuszon [fuzyon],
pted [pyé].
h ■=■ aspiration semblable à celle de l'allemand Aoch.
^ = son du t/i dur anglais.
é = son du th doux anglais.
X = son de l'allemand \c/i.
C. GÉNÉRALITÉS
Les voyelles particulièrement longues sont surmontées d'un
trait horizontal: â, etc.
Les sons faiblement articulés sont notés en caractères plus
petits, par exemple a', a", ow, etc.
Un petit trait sous une voyelle {a) indique qu'elle porte l'accent
tonique.
MELANGES BAGNARDS
-♦-
IL Les expressions servant à rendre l'idée
de « pleuvoir » et de « neiger ».
Dans l'ensemble du vocabulaire, un patois local ne saurait
aucunement soutenir la comparaison avec la langue française.
Le dialecte est particulièrement pauvre en termes généraux et
abstraits, ce qui fait qu'une partie des questionnaires du
Glossaire roviand ont produit un résultat plutôt faible. En
revanche, sans même se confiner dans le domaine technique
de l'agriculture et des occupations campagnardes, il est facile
de trouver des cas ou un seul patois, tout imparfait qu'il soit,
peut rendre des points à la langue littéraire. Nous aimerions le
prouver en énumérant les nombreux termes qui correspondent
dans la vallée de Bagnes au mot français « pleuvoir ».
Cette multiplicité n'a pas lieu de nous étonner. Tout au plus
gênante pour les promeneurs et les badauds, la pluie ne change
guère les habitudes citadines, tandis qu'elle fait l'espoir et la
fortune, cause le désarroi et le malheur du paysan.
Il est d'abord curieux de constater que le terme propre, le
correspondant direct du latin pluere, ou plutôt de son équiva-
lent vulgaire * p 1 o v é r e , c'est-à-dire le verbe plouay ^ , n'est plus
usité aujourd'hui que par quelques vieillards qui s'en servent
rarement. Il en est de même du verbe nay, «neiger», lat.
*nivëre, qui avait remplacé l'ancien n ingère, et qu'on peut
désormais considérer comme archaïsme en bagnard. Beaucoup
^ Signe de décadence : plusieurs patois romands ont formé un infi-
nitif ^/)'ôrf;(z, qui équivaut à un français upleiiger», sur le modèle de
neiger. L'analogie est facilitée par le fait que plu via donne plyàd:^
dans nos patois.
4 M. GABBUD ET L. GAUCHAT
d'habitants de la vallée ne connaissent ni ne comprennent plus
cette expression. Ces termes, qui avaient paru commodes et
significatifs pendant deux mille ans, sont vieillis, rouilles, relé-
gués au vieux fer^. Cela est d'autant plus surprenant que l'ex-
pression qui en triomphe doit nous paraître bien incolore et
insignifiante: on dit balyè {de plbdz9, de nay)-. Comme le
complément de plbdzs est généralement supprimé, on se con-
tente de dire : (//) donne'^ pour il pleut. Dans la vie et dans le
développement linguistique, les successeurs ne se distinguent
pas toujours de leurs prédécesseurs par l'abondance de leurs
qualités. Qui donne la pluie? On ne s'en rend pas compte*.
Le langage est plus énergique lorsqu'il s'agit de caractériser
une pluie forte ou fine. Pour une averse, on se sert volontiers
de mots qui signifient battre (cfr. en français : pluie battante).
On emprunte les verbes rolyè^, évouapâ, dzsrbâ {de plodzi) et
même étnlyè {«. étriller >> = battre à coups redoublés). Le
second de ces termes a le sens de frapper à grands coups et
s'emploie par exemple en parlant des batteurs de blé. Le troi-
^ Le substantif /)/za'é; et les dérivés pluvieux et k pleiivig7ier » (voir
plus loin) ont cependant conservé toute leur force vitale. Les cartes
1034 (pleuvoir), 1035 (il pleut), 1039 (pluie) àe'V Atlas liiii^niistique de la
France prouvent que le substantif est le mot le plus résistant des trois.
// pleut est souvent remplacé par il tombe de l'eau ou il mouille. L'infi-
nitif manque dans de vastes contrées. Pluie a fait naître le dérivé
bagnard plàd^iro, grande chute d'eau.
2 Comparez halyè xlouè, « donner (du) soleil », faire un beau temps.
3 Les patois des vallées valaisannes supérieures (p. ex. Anniviers)
possèdent encore le verbe ddtiâ, qui prend le même sens.
^ L'expression allemande es eriebt Regeii n'a certainement exercé
aucune influence sur la création de « il donne de la pluie ». Du reste,
elle n'a pas la même signification et désigne une pluie à venir, recon-
naissable à des symptômes atmosphériques.
^ Signifie battre dans d'autres patois; comp. la tournure populaire :
il pleut à la roille. Une rapide revue des matériaux du Glossaire nous
fait trouver les autres verbes suivants au sens de battre pris métapho-
riquement Tpour pleuvoir : drdyn , averse « drillée » (Le Chenit) ; ràcha,
u rossée» (Vaud, Fribourg, Berne); tape (Berne); chake, <i claquée»,
(Berne). Cfr. le suisse allemand bràtch = fesser et pleuvoir fortement.
N'oublions pas de mentionner oiia batyoua de plàd^^ (Bagnes).
MELANGES BAGNARDS 5
sième dérive peut-être de gerbe et rentre dans la même
sphère d'idées. Un cinquième verbe dàrdzyè, dans d'autres
patois valaisans dradjye (de dragée^ grenaille ?), appliqué à une
forte averse chassée par le vent, paraît représenter l'idée
d'une chose lancée avec force. Les cinq verbes cités ont à
peu de chose près une acception identique. Individuellement,
l'un peut paraître plus expressif que les autres. A côté des infi-
nitifs, nous avons les substantifs rdlya, évouapàyd, dzjrbây),
étr?lya, dbrdzya. Il est difficile de dire si les substantifs ou les
verbes ont reçu d'abord le sens figuré indiqué. On rencontre
parfois aussi 3 rgb, s. f., pour la pluie. Pour la formation et
l'absence de la mouillure devant 3 final, on peut rapprocher
le couple molyè et 3 mgh = mouiller — mouille, avec le sens
général de pleuvoir et pluie. On dit ainsi s? yan n in pne" de
mol3, cette année est pluvieuse. Le terme est rare. De même
bab, tiré de balyè susmentionné : on tin vryya su a bah, un
temps enclin à la pluie.
Lorsqu'au lieu d'une forte ondée on n'a affaire qu'à une
bruine légère et bénigne, le patois ne manque pas de ressources.
Voici d'abord plusieurs diminutifs qui rendent cette idée :
plbvsnyè ,ou plbnyè, selon la tendance individuelle ou locale
de conserver ou de supprimer le z' intervocalique. En français
suisse on dit également <<• pleuvigner^ ». Plbnyè a engendré un
sous-diminutif//<7«>'a/j>'<^, qui désigne une pluie encore moins
abondante. Avec le même élément formai ont été constitués
les verbes à peu près synonymes gbtsnyè et rszpnyè'-. Ils sont
plutôt inférieurs en force à plbnyè, grâce à leur origine : gota,
goutte et le radical du mot rose'e. L'appellation moderne balyè
a occasionné la formation du diminutif balyatsyè 3, qui se rap-
porte à une pluie peu importante et passagère.
Non content des treize verbes cités jusqu'ici, le patois
' Comp. l'italien pioi'igginare. Tous nos patois connaissent le mot ;
dans le canton de Berne, l'n n'est pas mouillée.
^ Substantils çdt^nya, rdj^nya.
^ Cfr. dànoutsé du val d'Anniviers.
6 M. GABBUD ET L. GAUCHAT
bagnard possède encore les expressions konpleyè ou tsarmasyè
pour une pluie intermittente pendant une certaine période de
temps, avec de rares éclaircies de soleil (juin 1909!), d'origine
obscure. Substantifs konpli, m., et tsarmasèri , f. Enfin une
bruine froide plus ou moins abondante, tombant de travers et
souvent accompagnée de neige, est désignée par le vocable
dz9frasyè, qui est susceptible de s'appliquer à la neige seule.
Son compagnon obligé est le substantif dz?frasya. Le suffixe
verbal est -aceare,le radical probablement apparenté à celui
du français givre.
Pour neiger, le Bagnard s'est montré moins inventif. Aussi la
saison morte est-elle moins importante pour le paysan. Cepen-
dant, l'intérêt dont il accompagne la chute de la neige est suf-
fisamment attesté par les verbes nèoutsyè, à peine connu au
Val de Bagnes ^ ; sandreye, neiger en flocons ténus et peu
pressés ; grizayè et blantsi, qui désignent différents degrés de
couverture de la terre par la neige: bar doua, tacheter, qui
s'applique à une étendue enneigée, mouchetée de taches noires
où la neige a disparu. Taranâ se dit enfin du sol en voie de se
débarrasser de sa couche blanche ; quand il è tarin {^=. ter-
rain^, le moment est venu où .recommencent les joies et les
labeurs de la vie agricole.
M. Gabbud et L. Gauchat.
* Existant dans la vallée du Rhône.
TEXTE
-^-
Fragment du poème des Paniers, de F. Raspieler.
Transcriptions en patois de Courroux et de Charmoille (Berne).
Nous donnons ci-aprcs un fragment des Paniers, transcrit phonéti-
quement d'après la prononciation des patois de Charmoille et de
Courroux. Ces deux versions permettront au lecteur de se faire une
idée des différences assez notables qui existent entre les parlers de ces
deux villages. Nous devons celle de Charmoille à la grande obligeance
de M. Fridelance, tandis que celle de Courroux est empruntée, ainsi
que la traduction, à l'édition de M. A. Rossât, parue dans les Archives
suisses des traditions populaires, t. VIII, p. 213-219, et qu'il a bien voulu
nous autoriser à reproduire ici. Charmoille se trouve à l'extrémité Est
de l'Ajoie, à 10 km. de Porrentruy; Courroux est situé dans la plaine
de Delémont, à 2 km. de cette ville. Les deux villages, situés à une
distance de 14 km. l'un de l'autre, sont séparés par une chaîne de
hauteurs formant le plateau de Pleigne.
Les « Paniers » sont le poème à la fois le plus populaire et le plus
ancien que possède la littérature patoise du Jura bernois. On l'a consi-
déré longtemps comme une œuvre originale de Raspieler, curé de
Courroux, mort en 1762. Mais, grâce aux infatigables recherches de
M. A. Rossât, publiées dans les Archives suisses des traditions populaires,
t. VIII (1904) à X (1906), il est aujourd'hui bien établi que Raspieler
n'a fait que traduire et amplifier dans le patois de son village un poème
anonyme en patois bisontin, imprimé en 1735, que l'on attribue à
Jean-Louis Bizot, conseiller-doyen au bailliage de Besançon (i 702-1 781).
Les « Paniers » sont une violente satire dirigée contre la coutume
qu'avaient alors les femmes de porter des vertugadins ou a paniers »,
et qui flagelle en même temps les prétentions de certaines petites gens,
qui s'efforcent d'imiter le luxe de la noblesse sans en avoir les moyens.
L'ouvrage est écrit avec autant de verve gauloise que de rusticité gros-
sière. Après un petit prologue où l'auteur donne libre cours à son indi-
gnation, le fragment que nous reproduisons introduit l'héroïne du
poème (vers 29-83). E. T.
5 A. ROSSAT ET F. FRIDELANCE
Patois de Courroux (Delémont).
Y'e Vâtrd yïs rankontre doup dènu dp Dlémon
30. K9 s'an-n-alïn brîd::^in kontrp Kortètnlon.
E porîn pbrtin bïn étr9 dd Porintru ;
E santïn le lèvûrp ; dyeh an pan.nè son ixu!
Tbt9 dcûp anpahtè dm le san ;
Fât-è h dp tàlp trûp sïn dïnchp kouâfaii !
- 35. / yi diji: médènip, vo dèrïn vargan.nyip !
S'a antxœ h dupmoiianp, rpix^tp-vo à motip.
— Tb se grintp prouayiprp son trb lédp è solënp ;
Nà n son pp chp nïinbïn dp poiiâr tin dp poiienp.
— Min, médèmp, vo sètp t^P le devosyon
40. A vbtrp èritèdjp è vbtrp bkupàsybn.
— Lp dupmouanp dé tchèyë l'bfisp èrp chp Ion
T^P no np sœnp soudé d'étrp è djpnon.yon.
I lé pyaki lé dôûp pb aie voua masp
Ou ét'P èup don:(èlp ty^eve le patprasp.
45. / èrp ch'èsutpnan ¥i pyindje, sbpilè
Dp sb iX3 lé grin masp ïn pÔ lonian duré.
— Yé:(9s ! dijét-i, tb mon povrp kop grûlp.
S^i nèvo pép pri stu mètïn dé pilulp !
J'ai avant-hier rencontré deux dames de Delémont
30. Qui s'en allaient vagabondant contre Courtemlon.
Elles pourraient pourtant bien être de Porrentruy ;
Elles sentaient la lavure : le diable en torche son c. !
Toutes deux empaquetées dans la soie ;
Faut-il que de telles truies soient ainsi coiffées !
35. Je leur dis: Mesdames, vous devriez avoir honte!
C'est aujourd'hui dimanche, rendez-vous à l'église, [gantes.
— Toutes ces grandes prières sont trop ennuyeuses et fati-
Nous ne sommes pas si niaises de prendre tant de peine.
LES PANIERS 9
Patois de Charmoille (A joie).
Y'è d'vïn y 19 {l'âtr9 djo) rankonlrè doiid dètnJ ds Dle-
30. Kp s'an-n-alîn troimyîn kontrp Kotch'iuplon. [mon
E porïn pûtchîn bïn étr? dp Forint ru;
E santtn le r'ièviir^ '• dyèl' an pan.nè son tyu !
Tôt' don' anpèhtè din le sop (sonp) ;
Fât-é k' dé ta ir'up (trup) sïn dîncljp koèfê ! (kouèfe)
^y I yô dyé : niédèm', vô dèrïn vargan.nyip !
S'a odj'dœ dnpmoinjf , rptyœt'-vo à môtïp.
— To se grânt' prayipr' soii tro Icd' è sôlîn.n' ;
Nô n son p' chi nûubui dp par tîn d' poîn.n'
— Mîn, médènf, vô sèl^ kp le d'vôsyon
40. A vôl' érHèdj' è vôt' okupàsyon.
— Lo du'moin.n' de boucha l'ôfis' été chi grân
Kp nô n' sin.n' duri' d'étr' è dj'nônyôn.
1 lé léché lé doup po aie vou' mâs' fan le niâs^)
Von été in.n' don:;^èl' k'èvè le « pat'ràs' ». (détras'J
45. EU' été chi èsinti (mâdœt') k'èl pyînjè, sôpirè
Dp so k' le grân niàs' m pô lôntan dure.
— Djœ^ces ! dyè-t-éy', to mon poPr' kop grulp.
S'i n'èvô pi' (p^i') pp pri si mètïn dé pilul' !
— Mais, Mesdames, vous savez que la dévotion
40. Est votre héritage et votre occupation.
— Le dimanche des Rameaux, l'office était si long [lées,
Que nous ne pûmes {liii. sûmes) endurer d'être agenouil-
Je les plantai là les deux pour aller à la messe {litt. voir
Où était une donzelle qui avait la détresse. [messe
45. Elle était si douillette, qu'elle plaignait, soupirait,
De ce que la grand'messe un peu longtemps durait.
— Jésus ! disait-elle, tout mon pauvre corps tremble.
Si seulement je n'avais pas pris ce matin des pilules !
lO A. ROSSAT ET F. FRIDELANCE
Me povrd pptè pî9 son djè èvartèyip;
50. De ! i se tota votiik^ d'etrd èdjpnon.yip.
Y'e djè pri h baron, b rpdé, h klbka.
Y'èro san Joua mœ fè dp vardè b fbrna !
Y'èvo suchpinsyon k'i sobre dp le dinsp;
Pbrspmém9 i soudé djintx an-n-ii réchip pinsp.
55. Stp dèmp don i prâdjè èr9 bèb è pïnpe ;
I èvè pri là son lan pb sp hïn epïndyë.
I èrp tchèrdjîp dp nuka, dp rbbp è dp pènip,
Tx'cintrin dpdin lé bin i motre son dprip.
I èrp poudran, fri^blan, ix'i îx^ido ib dp bon
60. TxP sèr9 in tch'in bèrbè, voit b txu d'ïn-n-opyon.
I nip pansé : mon dup ! hbnian dé brevp djan
O^ant-è, père bïn, sp vétrp chp pœtpman ?
Min dûp, t/j èyènp se modp è nbvâte,
Tb di Ion étandii le fè è kanbi:^è.
65. I aie bpyon.nin, krie lin tx'i pbye :
Oyp b txép ! l'èchtbrnè ! éle, Seigneur, éle !
I n'an pœ pu ! Yé^ps ! Mon Dieu ! viprdjp Mèrip !
— Aie pi ïn po d'âvp an le rénp ^^''Hongrie.
Mes pauvres petits pieds sont déjà déboîtés ;
50. Dieu! Je suis tout éreintée d'être agenouillée.
J'ai déjà pris la toux, la colique, le hoquet ;
J'aurais cent fois mieux fait de garder le fourneau !
J'avais suspicion qu'elle [se] fatiguerait de la danse :
Pourtant elle tint ferme jusqu'à ce qu'on eut frappé la poi-
trine (//■//. la panse, c'est-à-dire jusqu'à l'élévation).
55. Cette dame dont je parle était belle et pimpée;
Elle avait pris tout son temps pour se bien épingler.
Elle était [si] chargée de nœuds, de robes et de paniers,
' Inconnu aujourd'hui à Courroux.
LES PANIERS II
Mê podr^ pdté ph (p^i^) son dj^ évaicbayip ;
50. Dé ! i sœ tot^ voiiiJc^ d'étr' èdj'iion.yb.
Y'è dj' pri V boron, V « r^dœ », lo sya.
Y'èrô sau foè niœ fè d' vadje Vfona !
Y'èvô siichpânsyon h'èl sôl^rè d^ le dîns^ ;
(Pochan niîn.tn^ ?) tb dmîn.m^ èl tpnyé ko djîiik mi-n-œ
55. St9 dèm^ don i pràdj^ été bel" è phipè ; [ropchi<^ pins'
ÈU'èvè pri to son tan po f btn épïndye.
Èll'étè tchèrdji' dp nonka, dp rob^ è d^ ppni9,
K'antrïn dpdin lé bîn èl niôlré son d'rip.
Ell'étè poudre, fri~olè, k'i tyndo to d' bon
60. Kp s' été ïn tchî'n bèrbè, von 1° tyu d'ï'n.n opyôn. .
I m' pansé : mon Dn^ ! konian dé hrâv^ djan
Ojant-é(y), poèdé bï'n, sp vétr' (ou véli^ chi pètpnian ?
Min Diip, kp èypn' se viôd' è nôvâtè,
To di lôn étandu le fè è ^( kànbi^e » (bortyulè).
65. EIV aie béypnè, kriyè tin k'èl paye '•
— Oy^ lo tyu' ! l'échtomè ! elè, sin.nyœr, élè !
I II' an pœ pu ! Djœ:{œs ! Mon Dieu ! (mon Du') vÏPrdjp
[Mèrip !
— AU « pi » (tfri) ïn pô d'âv' an le rîn.n' ^'Hongrie.
Qu'entrant dans les bancs elle montrait son derrière.
Elle était poudrée, frisottée, que je croyais tout de bon
60. Que c'était un chien barbet ou le c. d'un oison.
Je (me) pensai : Mon Dieu ! Comment des braves gens
Osent-ils, parbleu bien, se vêtir si vilainement.^
Mais Dieu, qui déteste ces modes et nouveautés,
Tout du long étendue la fait (à) culbuter.
65. Elle allait roulant par terre, criant tant qu'elle pouvait :
— Aïe le cœur ! l'estomac ! hélas ! Seigneur, hélas !
Je n'en peux plus ! Jésus 1 mon Dieu ! vierge Marie !
— Allez chercher un peu d'eau à la Reine de Hongrie.
12 A. ROSSAT ET F. FRIDELA\XE
Vo-^-élP an-n-èprdfia ! kcûptp don vitaman !
70. Le vouala t^' à châsè, U-À^œyd yi viran.
A vinègrp, à vinègrp / vitp di hrint9vïn.
Von bïn èporie yi le tchan.naid di vïn !
Sigan.nyis-lè gèye : b maléJ9 le tûp.
Toua, koHP vit9 à liin pb i èportè di brup.
75. Tyj txêtxùn âb pi b dbktor chbchp-m'i!
Porte le chu son ye ! mèdènip an ve niéri.
I grpinp djè le dan, son vé::^èdjp à ichindjîp.
Loulœ ! d'ïn virp-min i vè etrp virip !
Elè ! mon dud, êle ! i tîrp lé dprip.
80. / é djè b rinkouaya ; i pe pb l'àlrp vlp.
Vin kouâlin èprè le djintx' an l'étèrnitè,
Efïn dp rpmerkè dp ixé kotè i âdré.
I tîrp dpvoua b sîp ; vouayan sp i antrpré.
A. ROSSAT.
Vous êtes comme une souche ! courez donc vite !
70. La voilà qui est pâmée ! les yeux lui tournent.
Au vinaigre, au vinaigre ! vite de l'eau-de-vie,
Ou bien apportez-lui la burette du vin !
Secouez-la vigoureusement : le malaise la tue.
Toi, cours vite à la cuisine pour lui apporter du bouillon.
75. Que quelqu'un aille chercher le docteur Souffle-m'y !
Portez-la sur son lit ! Madame en va mourir.
Elle grince déjà des dents, son visage est changé.
Parbleu ! en un tour de main elle aura défunte {liti. elle
va être tournée).
Hélas ! mon Dieu, hélas ! elle est à l'agonie (////. elle tire
les derniers).
80. Elle a déjà le râle, elle part pour l'autre vie.
Allons doucement après elle jusqu'à l'éternité,
Afin de remarquer de quel côté elle ira.
Elle se dirige vers le ciel ; voyons si elle y entrera.
LES PANIERS I3
Vôi-ét' aii.ii (( éprpga » (è ou â bœyi^) ! fiil^ don vitp-
70. Le voèla k'à syâsè ! lé:<^-œy^ yi viran. [jnan !
A vïn.nègr^, â vïn.negr^ ! vit' di hrantdvïn,
Fou hïn èpotchè-yi le tchan.naf di vïn !
« Sigan.nyi^ »-lè (ch^kouf-lè) gèye : lo malèj^ le tup.
Toè,fii (ou rit^) vit^ an le tyœjin.n' po yèpotche di brt0.
75. K9 kékiin al^ ty'ri lo doktœr xo^X^-'ni (xo9X'-'>i^3-yi) !
Potchè-lè chu son yé ! MèdèîJi' an vœ mari.
El' grpni' dJ9 lé dan, son vi:(èdj' â tchîndji3.
« Loulœ » (poèdê !) d'ïn vir'-tè-mîn èl' vœ étr^ virip !
Elè ! mon Diip, elè ! H' tir' le d'rip.
80. ÈWé djd lo rînkaya; èl' pe po Fâtr' vi9.
Vîn kouâlîn èpré lé djink' an Vétèrnite,
Êfïn dp r'mèrtyè dp ké san èlVâdré.
El' tir' d'va l'si' ; voèyan s'èlVantrpré.
F. Fridelanxe.
ETYMOLOGIES
-♦-
I. Val. bisse, s. m., « canal d'irrigation ».
Le nom des fameuses conduites d'eau du Valais n'est pas
si énigmatique qu'il semble l'être au premier abord. Ce n'est
pas autre chose qu'une variante phonétique du mot français
aie/, qui provient du germanique ded dit de ruisseau) ^. Le mot
est répandu dans toute la Suisse romande, et prend entre
autres les formes suivantes : bis' (Evolène, indéclinable), ùay
(Bas-Valais, Vaud), de (Fribourg), dï (Montagnes neuchâte-
loises), àip (Berne). Il signifie canal, petit ruisseau, torrent, et
se rencontre, comme de juste, fréquemment parmi les noms de
lieu. Ceux qui prétendent que les Arabes ont introduit les
^ Pour le sens, cfr. les dérivés défasse, val, avec le sens de ruisseau
sur la carte 1175 de V Atlas linguistique de la France.
14 L. GAUCHAT
bisses en Valais, ne seront pas satisfaits de cette étymologie ;
car une chose arabe ne saurait porter un nom germanique.
Reste à expliquer la forme bis\ qui a passé dans la langue
des touristes et qui a par là acquis droit de cité en français.
Généralement les patois romands confondent les voyelles
latines ^ et ë accentuées en syllabe libre; ainsi les mots tel a
et lëpore offrent aujourd'hui dans le Gros-de-Vaud les formes
iayla et layvra. Les patois des cantons de Neuchâtel, Berne et
de la partie du Valais romand située à l'Est de Sion distin-
guent les deux résultats. Nous avons donc le schéma:
têla lëpore *bëdu
Bas-Valais, Gros-de-Vaud : tayla layvra bay
Gruyère :
tèla
lèvra
bè
Evolène :
teyla \\
livra
bis'
Montagne neurbàteloise :
tèla II
lyëvra^ \
1 bï
Jura bernois :
toual 11
yidvr
bi?
Quant à \s finale, elle nous rappelle qu'en vieux français, à
côté de bief^ l'on rencontre souvent la forme biez^ dont l'équi-
valent existe aussi dans nos anciens documents. Ainsi à Neu-
châtel : ou beyz de la Roche; juxta le beyz {Extentes du Val-de.
Travers, vtvs, 1340). Parmi les différentes latinisations, la forme
becium témoigne également de la prononciation * biets : Jtixta
beciu?n labentem de Ruvinis nigris ex oriente (Ormont-dessus,
1427).
M. Meyer-Liibke a certainement raison de voir dans biez et
bie/ des essais imparfaits de rendre la prononciation germa-
nique bed [Gramm. rom. I, § 557 et II, § 20). Puitspelu cite éga-
lement deux formes, bi et bis\ pour le dialecte lyonnais. Un
radical avec -s est postulé par les dérivés valaisans tels que
bizèt\ petit bisse, etc. Tandis que presque tous nos patois
laissent s'amuïr les consonnes finales , certains de ceux du
Valais en conservent quelques traces. C'est ainsi que -s subsiste
à Evolène comme reste d'un ancien *-ts , témoins digitos —
* deits — deys, directus — * dreits — drèys, *muttos —
* mots — mos, filius — *Ji{l)ts — fis, pilos — *pei(l)ts —
pèys, etc.
* L'ancien *lievra a été traité comme *gieres (voy. Bulletin, VII, p. 52).
U ont fusionné et l'accent s'est fixé sur l'e. Lévolution normale est
représentée par mël = viT, medicu = )nTdj, etc.
ÉTYMOLOGIES 1$
2. Français pop. dégreviillé, « dégourdi ».
A propos de déquepiller, « débarrasser », expliqué par
« enlever les cupules des noisettes », etc. (voir Bulletin, VU,
p. 58), plusieurs de nos lecteurs m'ont rendu attentif à l'ex-
pression dégremillc, part. p. de (se\ dcgremiller, « (se) dégour-
dir, se déniaiser, se défaire de sa rusticité, de sa gaucherie »,
aussi « remuer, se donner du mouvement » ; comme verbe actif,
« développer, éveiller, éduquer ». Ce mot doit évidemment son
origine à une idée analogue : dégremillet\ en patois degrsmdlyi
ou dègroumdlyî, paraît avoir signifié d'abord « sortir les gru-
meaux, c'est-à-dire noyaux de leur enveloppe ». La base latine
serait donc *grrimiculum = noyau, qui n'existe plus comme
tel, mais qui persiste sous la forme diminutive gnnulyon =
peloton, grumeau de farine dans la soupe (voir Bridel, sous
grejnelhoii). Le mot actuel pour noyau mangeable ou amande
d'une noix, noisette, etc., est grsmo, qui remonte à *gruma-
culum, et qui a donné naissance au verbe grsinalyl, « casser
les noix, séparer l'amande de la coque ».
3. Cherinoutatie, nom de lieu.
Chennontane est le nom officiel, figurant sur les cartes géo-
graphiques, d'un grand alpage qui forme l'extrémité du val de
Bagnes. On le traverse avant d'arriver à l'admirable col de
Fenêtre de Balme, qui rehe le Valais au val d'OUomont.
M. Jaccard explique le nom, dans son Essai de toponymie,
p. 85, ainsi que dans le Dictionnaire géographique de la Suisse,
par le mot vieux français sermontan, nom du Laser Siler,
ombellifère très abondante à la Petite Chermontane. C'est une
des nombreuses étymologies de M. Jaccard, dont l'œuvre est
du reste très méritoire, qui ne sauraient être approuvées par
la linguistique. D'abord le vieux français, qu'il fait souvent
intervenir à l'appui de ses hypothèses, n'a rien à voir ici, car
on n'a jamais parlé cette langue dans nos montagnes. Nos
patois et le vieux français ont un fonds commun de mots tirés
du latin ou d'autres sources et que la langue française actuelle
ne possède plus. Dans ce cas, les documents de l'ancienne
France fournissent des variantes de même origine, et rien de
plus. La plante en question porte, du reste, toujours en français
le nom de ser7nontai7i, autre raison pour ne pas invoquer la
l6 L. GAUCHAT
vieille langue*. Je préfère, sous ce rapport, le texte du DicL
géogr., où il est dit que Chermontane vient de sermotttati, nom
patois du Laser Siler. Mais est-il vrai que la plante s'appelle
ainsi chez nous? Durheim, Schweiz. Pflanzen-Idiotikofi,\n(X\c[\XQ
les prononciations semontain et sermontin, Bridel donne en
outre sermet et semontan., Savoy n'enregistre que sermontain ;
pour le Valais, les matériaux du Glossaire offrent invariable-
ment samontan, sans r. Si l'on met en regard de cette dernière
forme, seule valable en Valais, l'appellation patoise de Cher-
montane, c'est-à-dire tsarmàtâna, que j'ai eu l'occasion, cet été,
d'entendre dans tout le val de Bagnes, on s'aperçoit bien vite
que les deux noms n'ont aucune espèce de rapport. La lettre «
du nom français est due à une simple fantaisie de géographe.
Il est aussi peu probable qu'on ait donné sans autre le nom
d'une plante à toute une alpe.
Notre vaillant correspondant bagnard, M. Gabbud, me sug-
gère une origine bien plus satisfaisante de tsarffwtâna. Ce
serait, d'après lui, Calmis Augustana, c'est-à-dire la chaux-
des Valdôtains. En effet, la Chermontane a été longtemps un
sujet de litige entre les deux populations. Elle est célèbre par
un procès qui remplit presque tout le xvT siècle, à la fin duquel
l'alpe fut adjugée au territoire actuellement suisse. Le nom de
Mauvoisin désignant la contrée la plus rapprochée serait-il
également un souvenir d'anciennes luttes ?
L'histoire du nom de Chermontane met en relief deux choses :
le secours précieux qui peut nous être donné encore par les
■indigènes intelligents, et le fait que seule la forme patoise de
nos noms de lieu doit servir de base dans nos recherches éty-
mologiques. Elle montre donc l'urgence et l'utilité des études
poursuivies avec tant de zèle et de compétence par M. le prof.
E- Muret. L. Gauchat.
^ Voir les noms gallo-romans de la plante dans Rolland, Flore popii-
laire,\lf 116-I17. Sermontain dérive apparemment de sil montanus
ou montana : on trouve aussi cermontaygne, f., dès le xnie siècle.
- Sur ce mot, voir Bulletin, IV, p. 3 ss.
— ^^^i^fî-
LES NOMS ROMANDS
DES CLOCHETTES DE VACHES
— î»-
Lè chgnaliyrè van le pramirè.
Ram des vaches.
La gaie sonnerie de nos troupeaux pourrait faire le sujet
d'une belle page poétique. Je me borne à en évoquer le sou-
venir et je passe sans autre préambule à mon modeste travail
de philologue, qui consiste à énumérer les termes dont nos
campagnards se servent pour désigner les différentes espèces
de clochettes. D'abord un mot de l'objet lui-même. Toutes les
clochettes se laissent ramènera deux types (voir fig. 1-3) faciles
à distinguer. L'un reproduit en petit la forme des grandes
cloches d'église. Il est fabriqué en métal fondu (cuivre ou
alliage de cuivre) et donne un son clair et joyeux. Je le nom-
merai clarine^. Le second varie de forme. Plus ou moins aplati,
il est généralement bombé au milieu et se rétrécit vers son
ouverture. Il est en fer battu et rivé^ et produit un son sourd.
Je l'appellerai bourdon. La principale variante de ce deuxième
type est carrée et large par le bas ; elle se rencontre surtout
dans les cantons de Berne et du Valais, mais aussi ailleurs. La
clarine est plus coûteuse et plus luxueuse; les fonderies de Bex,
de La Sarraz, du Gessenay, etc., se surpassent à l'orner de
beaux dessins (glands, feuilles, scènes alpestres) (fig. 4). En re-
vanche, les bourdons peuvent être fabriqués partout et sont
plus résistants.
Si je ne fais erreur, le bourdon est déjà moins répandu que
son concurrent, que je crois d'introduction relativement récente.
* Le mot est français et manque à nos patois.
^ Depuis quelque temps on en voit aussi en métal fondu.
l8 L. GAUCHAT
Cependant la clarine existait déjà à l'époque des Latins. On
trouve plusieurs exemplaires de l'ancien tintinnabulum au
musée pompéien de Naples, en bronze, de forme cylindrique.
Les plus grandes espèces de bourdons, qui atteignent jusqu'à
40 cm. de diamètre et pèsent jusqu'à 6 kilos, sont encore très
en honneur. Elles servent d'objet de parade, lorsque le troupeau
monte à l'alpage ou en redescend, traverse un village, etc.
C'est alors la «reine», la maîtresse-vache qui porte le plus
gros bourdon. Elle n'en est pas peu fière, et le vacher ne le lui
cède en rien. On raconte des scènes de jalousie entre animaux
à propos du privilège de porter la grosse clochette. Au pâturage,
les gros bourdons ou les grandes clarines, qui empêcheraient
le bétail de brouter commodément, sont remplacés par des
sonneries de dimensions moyennes. De plus en plus, la clarine
l'emporte par son élégance et sa sonorité''.
A l'origine, les clochettes avaient un but pratique: elles per-
mettaient de retrouver les bêtes égarées, perdues dans le
brouillard; elles préservaient le bétail, au dire des gens, d'in-
fluences néfastes, de la morsure des vipères, par exemple.
On pourrait s'attendre à ce que les deux types de clochettes
soient nettement distincts dans la terminologie patoise. C'est
ordinairement le cas, mais on trouve fréquemment le même
nom donné aux deux types, et même des contradictions entre
dialectes. J'en citerai des exemples dans la suite. La nomen-
clature facilite, jusqu'à un certain point, la reconstruction de
l'histoire des clochettes dans nos vallées. Les termes propres
désignant la clarine sont manifestement récents^ : kanpan.na
trahit par l'absence de palatalisation de son initiale {ka au lieu
de tsa,tcha) sa provenance italienne; le mot clochette n'a guère
* Le culte chrétien paraît aussi s'être servi primitivement de clo-
chettes à main, en fer forgé, avant d'avoir adopté les cloches d'églises.
Voir L. Morillot, Etude sur l'emploi des clochettes che^ les anciens et depuis
le triomphe du christianisme. Dijon, 1888, cité par H. Schuchardt, Rom.
Etymologien, II, p. 10.
2 Le mot français clarine ne marque-t-il pas aussi le progrès d'un
bruit sourd à un son clair ?
LES NOMS ROMANDS DES CLOCHETTES DE VACHES 19
pénétré dans les Alpes vaudoises ni en Valais. D'autre part, le
bourdon a reçu des noms peut-être ironiques {toupin, pote)
datant probablement du temps où la clarine fut introduite
(xvn"= siècle ou auparavant). Le bourdon a plus souvent donné
lieu à des emplois métaphoriques que la forme cloche (voir
plus loin).
Une étude d'ensemble des noms de clochettes dans les
langues romanes manque encore, mais C. Nigra a touché à la
question en étudiant ceux des colliers des ruminants^.
Après ce préambule, que j'ai cru nécessaire pour élucider le
côté matériel du problème, passons à l'étude des divers termes.
Je les francise pour éviter la bigarrure phonétique des patois
romands.
1. sonnail, s. m. (en patois spnà, c/i^nà-, etc.), est le plus an-
cien mot, à mon avis, qu'on puisse atteindre. Il désigne encore
le bourdon à Villeneuve et dans le Gros-de-Vaud; ailleurs
(Vaud et Fribourg) un grelot, genre bourdon, porté par les
chevaux ou par les veaux. Dans les Alpes vaudoises, on entend
par là la clarine, la nouvelle clochette ayant gardé le vieux
nom. Il remonte au latin sonaculum, du verbe sonare, donc
proprement «instrument pour sonner». Cf. dans nos patois
battaculum > bato, «battant de cloche, appareil servant à
battre la cloche :». Sonnai/ aura, dénommé à l'origine toute espèce
de sonnette. En dehors des deux cantons cités, il est inconnu.
2. sonnaille , ancien- neutre pluriel collectif, devenu un
féminin singulier 3, s'est conservé un peu partout comme terme
général pour toutes les sortes de clochettes (pat. spna/jp, cha-
nadd, Alpes vaudoises, etc.). En particulier, il a la valeur de
(gros) bourdon, dans tous les cantons sauf Berne. Métaphori-
quement, il signifie «goitre». Les Vaudois disent par plaisan-
terie qu'en Valais on porte la sonnaille toute l'année, par allu-
1 'Nomi romanzi del coUare degli animali da pascolo, dans Zeihchrift f.
rom. Phil., XXVII, 1903, p. 129-156, avec illustrations.
^ Francisé sous la forme incorrecte de sonneau dans le Pays d'Enhaut.
3 Comme en ira.nça\s ferraille, fetiille, etc.
20 L. GAUCHAT
sion aux crétins. En Valais, on a les locutions : « tu as une voix
de sonnaille », c'est-à-dire rauque, ou « tu as une bonne son-
naille », pour une bonne place, une haute fonction.
3-7. Avec le même radical, on a formé les diminutifs
sonnaillet, sonnaillette et sonnaillon, et les mots son-
nai/Ier, « sonner », sonnaillée ou sonnaillère, « porteuse de clo-
chette ». Les expressions sonnet et sonnette, qui rappellent
davantage le français, sont propres au canton de Berne, où
elles signifient de petites clochettes, ordinairement longues et
étroites, non arrondies.
8. toupin est exclusivement une appellation du bourdon
(Vaud et Genève), sens dépréciatif ; en Valais, où le mot est
importé, il ne s'emploie guère que pour une clochette fêlée
ou trop petite, etc. Toupin et, plus fréquemment, toupine, si-
gnifient habituellement: pot de terre, où l'on conserve, par
exemple, du beurre. Au figuré, toupin veut dire: niais, lour-
daud. On dit aussi : sourd comme un toupin. L'ensemble des
langues romanes fait voir que le sens primitif est celui de pot
et nous renvoie à l'allemand Topf, malgré les objections for-
mulées par MM. Mackel et Nigra (voir Romania, XXVI, 560).
Dans nos patois, le mot pot signifiait aussi marmite. Le bour-
don lui ressemble par sa forme ventrue.
9. toupsnè, dim. du précédent.
10. potè (Vaud, Fribourgi, plus petit que le toupin^, même
genre; signifie bourdon en général dans les cantons de Neu-
châtel et de Berne. On parle dans les Montagnes neuchâteloises
des « potets du Valais », mais, dans ce dernier canton, le mot
n'est pas connu, seulement la chose. L'origine est claire et
confirme l'étymologie qui précède.
11. La tape (pat. tapa, Vaud et Genève), est une variété
aplatie ou carrée (Vallée de Joux) du bourdon. Comparez
l'expression Chlopfe de la Suisse allemande et le provençal
moderne clapo. Est-ce un mot enfantin ou est-ce un écho d'un
' C'est-à-dire que la sonnaille à Fribourg.
LES NOMS ROMANDS DES CLOCHETTES DE VACHES 21
appareil très primitif, en bois, disparu depuis longtemps?
L'étude des clochettes ou de leurs remplaçants chez des peuples
moins civilisés, slaves par exemple, nous apprendrait peut-être
quelque chose là-dessus (fig. 5).
12. carrée, autre nom pour le même objet (Vallée de Joux,
Vallorbe)!.
13. cloche ne se dit que dans le canton de Berne, pour la
clarine ; clochette s'y emploie pour des sonnettes de petit calibre
ou grelots. La répartition des termes allemands Glocke et
Glocklein est la même. On néglige la différence de i à plu-
sieurs milliers de kilos, mais on note la petite distance de i kg.
à quelques cents grammes. Les autres cantons, excepté Genève,
le Valais et les Alpes vaudoises, disent :
14. clochette (pat. Xh^^^^^'^-' tyœtchta, etc.). Pour l'étymo-
logie de ce mot, qui nous vient de France, je renvoie à l'ad-
mirable travail de M. H. Schuchardt, Rom. Ety/n., IL Vienne,
1899.
15. campane appartient surtout au Valais, où il caractérise
le type clarine. Il existe aussi dans les Alpes vaudoises et à
Genève. Fribourg, Neuchâtel et Berne désignent par là le gros
bourdon (Val-de-Travers kanperi , Berne tyinpin.n'). En com-
parant le mot aux résultats phonétiques du latin c a m p us > tsan,
tchan, tchm on remarque que cainpane est un mot importé chez
nous. Son ancienne patrie est la Campanie-. L'Italie nous l'a
donné il y a très longtemps. Le fait est démontré par sa grande
diffusion 3, et certains emplois figurés: sotte fille (Valais), per-
sonne bavarde (Berne), etc.
16. campai2e£ie, dim. du précédent.
17. campanin, de même; campanarde^ campanière, «por-
teuse de clochette».
' Prov. mod. queirado, voir le travail cité de Nigra, p. 135, no 8.
2 Voir Schuchardt, op. cit., p. 10.
3 II n'est pas exclu que Berne, par exemple, ait reçu le mot de
France, où il's'est rapidement acclimaté et où il a pris des significations
diverses.
22 L. GAUCHAT
On voit que, par sa force vitale, campane est devenu le
concurrent le plus redoutable du terme indigène sotinail.
i8. campagnard (Vallée de Joux) tient, par sa forme légè-
rement arrondie (fig. 6), le milieu entre le toupin et la tapa. Au
point de vue étymologique, ce mot offre une curieuse conta-
mination des thèmes campane et campagne.
Les mots suivants, d'usage local, me sont en grande partie
obscurs, quant à leur provenance. 19-22. tarkyé ou tèrtyé,
« bourdon, mauvaise sonnaille », au fig. « femme bavarde »
(Villeneuve); tarkach' (Vernamiège, Valais), tèrkasè (Leysin),
«mauvaise clochette»; tarkachon^, «clochette fêlée», for-
ment probablement une famille avec kyèrkan, « clochette
fêlée » (Vallée de Joux)^, «bourdon de moyenne grosseur»
(Fribourg). J'y vois le mot carcan, du moins dans le dernier
nommé. Le mot devait désigner à l'origine non la cloche,
mais le collier. 23. targalèt' (Lens, Valais), « clochette»,
doit en être séparé. 24. botdouk, s. m., vieille clochette (Ver-
namiège). 25. bûk ds so^ et 26. kdto^ ( Granges-de-Vesin,
Fribourg), type bourdon. 27. kèbœ (Cerneux-Péquignot), clo-
chette, litt. réduit obscur'"*. 28. barlatay, clochette ovale,
longue et évasée (Leysin 6, fig. 7).
Plusieurs expressions déterminent le lieu de fabrication :
29. bagnarde (Leysin); 30. tsamouni (Charmey, Frib.).
31. tiréla, grosse sonnette sphérique des harnais de chevaux
(Fribourg).
C'est sur le gros bourdon, remarquable par son extrava-
gance, que s'exercent surtout les facultés créatrices du langage.
On l'appelle d'après sa forme: 32. pela, c'est-à-dire marmite,
à Leysin, 33. tsœudèron, « chaudron » (Sembrancher, Valais);
' Vuillerens, Vaud : carcasson, très petit bourdon.
- Désigne un objet quelconque en métal rendant un son sourd, et,
par extension, diverses choses vieilles.
3 loue de ?
■* Probablement onomatopée.
-"' De la même famille que ca{in)buse, ca(r)hoh, cahorgne, etc.
^ Proprement marchand ambulant.
LES NOMS ROMANDS DES CLOCHETTES DE VACHES 23
d'après son gros bruit sourd: 34. bourdon^ (Vaud et Valais),
T,^. tromblon (Valais), 36. bondon (Fribourg), 37. Jban-
ban.na (ib.), 38. klanka- (ib.)- Ce dernier a-t-il été créé par
onomatopée, ou l'allemand klang en est-il responsable ?
Pour les grelots qu'on attache au cou des jeunes bêtes et du
menu bétail : génisses, veaux, chèvres, brebis, nos patois pos-
sèdent également une abondante nomenclature. Mais il est
temps de terminer ce carillon de cloches et de mots. Je noterai
seulement que les noms du grelot se confondent souvent avec
ceux du grillon, ce qui confirme l'opinion de ceux qui vou-
draient les faire remonter à une même origine.
Pour finir, je transcris le joli morceau, dû probablement à
C Dénéréaz, inséré dans le Conteur vaudois, 1881, n° 6.
Lo nmnisipô KrMson, Izavay on hyô troupe de vatsè, ètay
fo pb la smalyèri ; asdbin kan niontavè, fa~ay rude byô vayrè
è ourè pasà son troupe kp sédyay là frptay avoué sa dâtsp, e
de byô savay kd Krptson alàvè adé on bè pb ourè pp gran tin
sa bala spnèri, kâ n'y avay pâ na bétp kp nôsè sa spnalyp :
toHpin, ylybtselè, karâyè, tape, toiippnè, y'in-n-avay de tbtè le
TRADUCTION
Le [conseiller] municipal Cretson, qui avait un beau trou-
peau de vaches, aimait beaucoup (était fort pour) la sonnerie;
aussi quand il montait [à l'alpe], il faisait très beau voir et
entendre passer son troupeau qui suivait le vacher avec sa
gibecière de cuir, et il est clair (de beau savoir) que Cretson
allait toujours un bout [de chemin] pour entendre plus long-
temps sa belle sonnerie, car il n'y avait pas une bête qui n'élit
sa clochette: bourdons, clarines, carrées, tapes, petits bour-
' L'origine de ce mot et de sa nombreuse famille a été discutée par
Mlle Richter, Sit^uni^sher. cl. Wien. Akad. 1908.
'^ Désigne aussi des bourdons plus petits. Comp. les mots réto-
r omans plotimbe, plotimpe, Nigra, p. 155, nos 9-10.
24 L. GAUCHAT
sorte è de totè le grantyào. Le gplin è le smô ètyon pb le
fayè è pb le mutoii. As9bin tb Ib plyé^i de Krptson, kan le
vatsè ètyon rddèchindyè de la montanyp, èiay de le mpnâ è
de le rampnâ d'in isan, y à lo hbvayron le gardâvè. Ma fay
rivé, kan le vatsè ètyon a la rptsp, adyœ le smalyè. Np
lésivè k'on totipmè a-n-on ppti vé è rèdui:(ay totè lè-^-ôtrè
ao grpnay, yô l'ètyon pindyè a due pertsè.
On d:(b, hontrè lo bounan, n9 se pâ sp Krptsou s'in.nbyivè
è SP Vavay lo niô dao payi day xlyotsètè, ma tan-t-y a k'on.na
vèprà on-n-ou on brplan dao tbnerp pè Ib grpnay. Le valè
von vèrp kp y avay : l'ètay tb bounamin Ib munisipô k'avay
a tsatyè man ypna day pertsè, kp tpnyay konniin on bè de
suvirp, è kp le spnibtàvè pb férè spnalyi ta Ib kbinèrsp.
— Ma, kp fédè-vb don, pérp, sp lay fà y on day valè,
kin.na brplayrp vb prin-î-p ?
dons, il y en avait de toutes les sortes et de toutes les gran-
deurs. Les « guelins » et les « sonneâux » étaient pour les brebis
et pour les moutons. Aussi, tout le plaisir de Cretson, quand les
vaches étaient redescendues de la montagne, était-il de les
mener et de les ramener du pâturage, où le berger les gardait.
Ma foi, l'hiver, quand les vaches étaient à la crèche, adieu
les clochettes. Il ne laissait qu'un grelot à un petit veau et
réduisait toutes les autres [clochettes] au grenier, où elles
étaient suspendues à deux perches. Un jour, aux approches du
nouvel-an, [je] ne sais pas si Cretson s'ennuyait et s'il avait
le « mal du pays » des clochettes, mais tant y a qu'un soir
on entend un bruit du tonnerre au (par le) grenier. Les gar-
çons vont voir [ce] qu'il y avait : c'était tout bonnement le
[conseiller] municipal qui avait à chaque main une des perches
qu'il tenait comme un manche de civière, et qu'il secouait pour
faire sonner tout le « commerce ».
— Mais, que faites-vous donc, père, (ainsi) lui fait un des
garçons, quelle lubie vous prend-il ?
Fig. I.
Fig. 2.
Fig. 4.
Fig. 7.
LES NOMS ROMANDS DES CLOCHETTES DE VACHES 25
— E hin ! t9 vay, sp rppon, fé on konser !
— A-t-on jamé vu ! ma vo radota, perd, l'è pptou on
tsèrivari k'on konser. On fà le konser avoué Ib vyblon è
na pâ....
— Ld vyblon ! Ib vyblon ! sp rppon lo perp in lay kbpin Ib
sublyè : l'è on bi instrumin kè Ib vyblon, np dyo pâ ; ma Ib
toupin è adé Ib toupin.
— Eh bien, tu vois, je fais un concert !
— A-t-on jamais vu! mais, vous radotez, père, c'est plutôt
un <i charivari » qu'un concert. On fait les concerts avec le
violon et non pas....
— Le violon ! le violon ! (^ainsi) répond le père en lui cou-
pant la parole (le sifflet) : c'est un bel instrument que le violon,
je ne dis pas [non] ; mais le bourdon est toujours le bourdon.
L. Gauchat.
LES TERMES DE FENAISON
DANS LES PATOIS ROMANDS
-♦-
Le 2 2 juillet de l'année 1671, M""' la marquise de Sévigné
écrivit une lettre à son cousin, M. de Coulanges. Dans cette
lettre elle dit : « Voilà un bon temps pour faner. Savez-vous ce
que c'est que faner? Il faut que je vous l'explique : faner est la
plus belle chose du monde, c'est retourner du foin en batifolant
dans une prairie; dès qu'on en sait tant, on sait faner. » Bati-
foler dans une prairie ! voilà ce que la littérature classique de
la France nous apprend sur le sujet qui va nous occuper,
^jme (jg Sévigné, et avec elle toute cette élégante société de
Paris et de Versailles, ne se doute pas du travail et des peines
que coûte au paysan la récolte du fourrage. Pour lui, il ne
s'agit certes pas de «batifoler dans une prairie», il s'agit au
contraire d'une occupation des plus sérieuses et des plus fati-
gantes.
Nous commencerons par rappeler d'une façon sommaire les
principales opérations dont nous nous proposons dans cet
article d'étudier les dénominations patoises. Nous parlerons
essentiellement de la récolte du foin dans la plaine 1. En lisant
ce que disent sur ce sujet les ouvrages d'agriculture, on voit
combien l'intérêt de leurs auteurs est différent de celui du
linguiste, car tantôt ils passent sous silence ce qu'il nous impor-
terait de savoir, par ex. la grandeur, la forme et la destination
des tas de foin, tantôt ils s'étendent longuement sur des ques-
' Seront exclus de ce travail comme demandant une étude à part :
la récolte du foin de montagne (charge à dos d'homme, filet, transport,
etc.), la meule de foin, le fenil, les débris de foin, les outils, le regain.
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 27
tions de peu d'intérêt pour la langue, telles que le meilleur
moment à choisir pour les foins ou le meilleur moyen d'éviter
la combustion spontanée.
Dans des circonstances normales, voici en quelques mots
en quoi consiste la fenaison : De grand matin, le faucheur abat
l'herbe mouillée au moyen de la faux (sèyi), en même temps il
la couche en andains. Dans la matinée, les faneuses, plus rare-
ment les faneurs, la fourche à la main, se mettent à étendre
{épancher) sur la place libre entre les andains l'herbe fraîche-
ment coupée. Vers midi, on retourne le foin étendu {virer).
C'est le moment de faire une méridienne bien méritée. Vers le
soir, mais avant que la rosée soit tombée, on ratnasse le foin
avec le râteau en petits rouleaux {rintsëta, boudin), dont on fait
ensuite de petits tas pour la nuit [tsiron.matson^tchéyon). Il s'y
produit une première fermentation qui prépare la dessication
par le fanage du lendemain. Pendant la nuit, le foin à demi
séché reste entassé. Le second jour, dans la matinée, on défait
les tas {déisironâ, etc.), pour étendre le foin une seconde fois;
vers midi, on le retourne, vers le soir, on le ramasse d'abord
en grands rouleaux {toula, tire, rouvon), puis en grands tas
{valamon, moue, mouL monsc), d'où on le charge sur le char à
foin. Suivent la rentrée du char et le déchargement à la grange.
Cette orientation matérielle terminée, nous passons à la
partie linguistique de notre travail.
I. Termes généraux.
L'herbe se transforme en foin, et le foin sert de fourrage.
L'usage de ces trois mots est forcément quelque peu flottant;
il en est de même en allemand des mots Gras, Heu et Futter.
Le foin n'est pas seulement l'herbe séchée, mais aussi l'herbe
destinée à être séchée. Ainsi on entend dire « couper le foin »,
en ail. Heu màhen, quand même ce « foin » encore debout est
tout ruisselant de rosée. Tous nos patois se servent du mot
28 E. TAPPOLET
foin^ du latin fenum, employé dans toutes les langues romanes
sans altération de sens^. — A côté de « faire les foins», on dit
communément /(2«^r 2 (en ^^3X01?, fonè,fèna,f3na, etc.). Le mot
semble désigner tout particulièrement le travail fait avec le
râteau (non avec la fourche), qu'il s'agisse d'étendre l'herbe
couchée en andain ou de ramasser le foin en tas.
Quant aux dérivés «fenaison» et «fanage», ils semblent
être d'importation récente. Le vrai patois dit « les foins » ou
« le temps des foins ». Le Val d'Anniviers préfère « séchage »,
« séchaison ». Mage (Valais) emploie tramontazo, s. m.
Nous passerons en revue les différentes opérations du fanage
dans l'ordre indiqué plus haut.
IL Le fauchage.
On fauche l'herbe et le blé. Toute la Suisse romande em-
ploie pour désigner cette opération un verbe sèyi"^, qui est
l'équivalent du français «scier ». Scier, dont le c est purement
orthographique, continue, phonétiquement le latin secare, qui
avait le sens général de « couper ». On employait secare en
parlant d'un doigt qu'on se coupe, d'une pierre qu'on taille,
etc., aussi de l'herbe qu'on abat [fenum, pabulum secare,
à côté de metere, demetere) ou du bois qu'on scie. C'est ce
dernier sens qui resta attaché au mot en français et en pro-
vençal moderne (Guyenne), en espagnol segar et en italien
segare qui, il est vrai, signifie à la fois faucher et scier*. Quant
au sens exclusif de « faucher » (herbe et blé), nous le trouvons,
sans parler du portugais segar, dans une grande partie du
domaine gallo-roman. Son aire comprend, d'après la carte 541
de V Atlas linguistique de la I^rance, la Wallonie (dans quatre
^ Les principales variantes phonétiques sont •.foidn,foiian,fin,fè,Jan.
2 Faner au lieu de Jener est dû à l'influence de la consonne nasale.
Cf. glaner, anc. fr. glener, ramer, anc. fr. retner.
3 Variantes phonétiques : sayia, sèyi, siyi ; cf. l'ancien français soyer,
employé jusqu'au xvne siècle, qui est à scier ce que ployer est à plier,
de plicare.
^ Cf. Gilliéron et Mongin, a Scier» dans la Gaule romane, Paris 1905.
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 29
villages situés à la frontière flamande), les départements des
Vosges et du Doubs. toute la Franche-Comté, toute la Suisse
romande, toute la Savoie et la vallée d'Aoste; elle s'étend jus-
qu'en Provence qui, dans son sega, a mieux conservé la forme
latine. On voit que scier dans le sens de « faucher » occupe
presque toute la partie Est de la France. Il est fort probable
que les formes wallonnes se rattachaient autrefois au grand
domaine oriental. 'L'Atlas linguistique nous montre que pour
« faucher » la France se divise en trois grandes parties : le
Nord àxX. faucher, dérivé à.Qfaux, le Sud dit dalya, dérivé de
daille ^ faux ' (d'origine incertaine), l'Est seul a conservé le
latin se car e, dont il a si singulièrement rétréci le sens.
Le faucheur est désigné par un dérivé de sèyi, souayou, sur-
tout usité dans*le Jura bernois, dérivation moderne qui corres-
pondrait à , scieur' ou aussi par le mot sayta° (sayto), etc.,
forme qui remonte à sectorem, comme le prouve la conserva-
tion du / appuyé. De nombreux dérivés, que nous supprimons
ici, témoignent de la vitalité de ce radical.
Le résultat visible du travail accompli par le faucheur, ce
sont les andains, mot important, français aussi bien que ro-
mand, auquel nous avons consacré un article à part {Bulletin,
VII, p. 12-20).
Il existe un certain nombre de mots dont le sens est très
voisin de celui à'andain. Le mieux attesté, c'est :
1. père, s. f. (Jura bernois), ha. père désigne l'espace fauché
entre deux andains. On dit par ex. en Ajoie : i yè mole dou ko
anfyin sti père, J'ai aiguisé deux fois en faisant cette allée';
ou l'on demande : combien as-tu fait de père ? — / yè souayi?
si prè an trâ père, j'ai fauché ce pré en trois père '. Le mot
fait songer surtout à la largeur de cet espace : al à pri an
bousn' père, « il a pris Jarge ' en fauchant». La Suisse alle-
mande dit zug OMJàn, mot d'origine controversée, qui signifie
. allée, raie, chemin que le faucheur laisse derrière lui ou qu'il
a devant lui ' {Schweiz. Idiotikon, III, 43") ; père provient sans
doute du verbe père, para, qui signifie « égaliser en rasant » et
30
E. TAPPOLET
qui semble être un dérivé direct du latin parare au sens de
j rendre pair, égaliser ', mot dérivé de Va.d]ect[( par K
2. Une partie moins 'longue que Xz. parée, c'est la mole
, aiguisée ', c'est-à-dire autant de terrain qu'on peut faucher
sans raiguiser la faux (Jura bernois).
3. Neuchâtel, ainsi que Plagne-Vauffelin, disent la svèy
{sève), d'origine douteuse 2. Le sens en semble être celui de
^ fauchée, herbe abattue d'un seul coup de faux'. Ici encore
on parle fréquemment de la largeur de la svèy. ^ Plus la svèy
est large, plus gros devient l'andain ' (Plagne).
Voici quelques autres termes employés pour cet espace du
pré que laisse derrière lui le faucheur à mesure qu'il avance :
traîne, traînasse, s. f. (Valais, Fribourg) ; passée^ s. f. (Fri-
bourg, Berne) ; raie, raiette, s. f. (Valais) ; chemîn, charrier e,
foulée (Jura bernois).
Ces mots désignent aussi les traces que laissent les pas du
faucheur dans l'herbe mouillée ; plusieurs d'entre eux ont des
' On sait que le latin possède un autre verbe parare d'origine diffé-
rente, qui signifie « préparer, disposer à un effet voulu )>. Dans ce sens,
on dit en français parer la viande = en ôter les peaux, parer des racines
=: les rogner légèrement avant de les planter (comparez l'anglais qui
dit en employant le même verbe to pare one's nails, rogner, couper les
ongles), parer les poires = peler, et de même parer le pied du cheval
= en niveler la surface plantaire en ôtant la corne (pour le ferrer plus
facilement). Ce dernier sens est attesté par Bridel. On voit qu'il *est
très voisin de celui qui nous occupe ici.
^ S'il ne faut pas voir dans ce mot une notation approximative pour
swayid, , sciée ', — ce qui conviendrait parfaitement au sens, — il se
rattache peut-être à schwàh ^ schwingen ' (mouvoir circulairement avec
la main, agiter, brandiller, en parlant d'un drapeau, d'un fouet, par ex.),
mot assez répandu dans les patois de la Suisse allemande. (L'est-il
dans les cantons limitrophes?) Le mot se serait appliqué au mouve-
ment semi-circulaire des bras qui conduisent la faux. Cf. Scbwaden,
andain, rouleau de foin, qui, d'après l'opinion de M. A. Bachmann,
rédacteur en chef de Vldiotikon, dérive de schwàid par le même procédé
que Mabden, dérivant de màhen. Au même verbe se rattache sans doute
le mot bas-allemand Swade ^ faux ', que donne H. Paul dans son
Deutsches IVôrterbuch. Cf. l'anglais to sway ^agiter, brandiller'.
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 31
emplois très variés *. Le seul qui me paraisse être arrivé à
l'état de terme technique précis, c'est père.
Celui qui fauche mal laisse des touffes d'herbe au bord de
l'andain. On ne manque jamais de le chicaner à ce sujet. Le
patois de Grindelwald possède plusieurs verbes désapprobatifs:
stra7npaarte,mitz're,mirte, « mal faucher > (Friedli, Bdrndiltsch,
II, 286). Les patois romands connaissent une vingtaine d'ex-
pressions pour désigner l'herbe non coupée au bord de l'an-
dain. Plusieurs sont d'origine obscure.
1. Le terme le plus répandu, c'est la koma, du latin coma
(it. chto?na, anc. fr. corne ^ chevelure ', plus tard ^ crinière '). On
trouve ce mot dans les cantons de Vaud, Valais, Neuchâtel,
sous les formes kotn^ koum, goma, ekojna-. On dit aussi komâ,
komè, faire des ^ comes '.
Il est curieux de voir l'imagination en travail : environ la
moitié des termes repose sur la ressemblance de cette herbe
non coupée par négligence avec des cheveux isolés. Outre
koma, nous trouvons :
2. bèrb, s. f., proprement ^ barbe', fort répandu dans le Jura
bernois. On dit également Bart dans le même sens dans la
vallée de la Kander (Grand-Duché de Bade).
3. mouchtats, s. f. (Fribourg), cf. l'allemand suisse Schnuz
, Schnauz ', moustache, qui s'applique également à la touffe
d'herbe non coupée (le terme plus général est schtuffle).
4. kota, kyéta, s. f. (Pays d'Enhaut, Fribourg, Bas-Valais),
mot qui signifie ^ mèche de cheveux, favoris, tresse'.
5. tchoup, s. f. (diminutif: tchoiipa^ verbe tchouple), usité en
Ajoie au sens général de ^ chevelure'. Malgré la consonne ini-
tiale explosive qui indiquerait une origine romane, le mot
semble emprunté à l'allemand suisse Tschupp , toupet, touffe
* Les matériaux dont nous disposons pour le moment ne permettent
pas de les étudier au point de vue sémantique.
2 Pour la prosthèse de Xe, voir mon article dans la Festschrift des
Netipbilologencongresses in Zurich, ipio (sous presse).
32 E. TAPPOLET
de cheveux', altération dialectale de l'allemand Schopf,(\\x\ a
exactement le même sens.
6. krsnyèr, s. f. (VoUège, Valais).
7. houètcha, s. m. (dérivés : bouètchotè, v. , corner', bouetchoton,
s. m., qui laisse des , comes '), Franches-Montagnes. Le mot si-
gnifie Jeune bouc ' et — totum pro parte — , barbe de bouc '
(cf. l'ail. Bocksbart, qui désigne plusieurs plantes de montagne).
8. suda, s. m., proprement . soldat de garde' (Matran, Fri-
bourg).
Souvent l'ouvrier laisse derrière lui une série de touffes
d'herbe. On dit alors : adz3, s. f., ^haie ' (Fribourg, Vaud, moins
les Alpes); ruban., s. m. (Neuchâtel); bave, s. f., par ex. ^ faire
la bave ' (Chamoson, Valais).
III. L'étendage.
On j étend ' ou , éparpille ' l'herbe verte de l'andain, ainsi
que le foin à demi séché. La plupart des termes servent à dési-
gner les deux actions d'étendre. Il est malaisé de les séparer.
Trois mots ne se disent, semble-t-il, que de l'herbe fraîche-
ment coupée.
1. désandener, désandeler, v. (Vaud, Fribourg, Genève).
2. ma°rè, v. (3= sg. ind. prés. ma°) forme attestée par tous
nos correspondants du Pays d'Enhaut. Le mot paraît venir du
latin movëre ^ mouvoir, remuer' et par rétrécissement de sens
^ remuer le foin, étendre ' ^.
3. èmésè, v. (vallée de Delémont, probablement importé à
Charmoille et à Plagne). On est étonné de trouver ici le mot
de amasser au sens de ^ défaire ce qui est mis en tas (andain) '.
« C'est que, observe fort bien notre correspondant de Plagne,
M. Grosjean, il s'agit ici non seulement d'étendre l'herbe, mais
aussi de la rassembler auparavant au moyen d'un râteau, de la
^ Cf. Jaberg, Uber die asso:(iativen Erscheinungeti in der Verhàlflexion
einer siidostfraiij^osischefi Dialektgruppe, p. 70. Quant à mo v e r e au lieu
de movëre, la forme se trouve, en italien et en provençal ancien et
moderne : moure, matire (Levy, Mistral).
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS ^^
tirer hors des buissons», et, d'après M. Fridelance, èmésè a. le
sens de « râteler les brins d'herbe éparpillés autour des rup »
(V. plus loin), ce qui correspondrait à l'allemand zusammen-
rechen. Avec le temps, l'idée primitive de _ ramasser l'herbe
afin de l'étendre ' a cédé la place à l'idée secondaire de
^ étendre ',
Les autres termes s'appliquent aussi bien à l'herbe qu'au
foin. Nous citons en première ligne :
épancher^ v. [épantsi, épintchi, éfa?itsyé^ etc. ; aussi répantsi,
Vd), qui occupe de tous les mots en question le territoire le
plus étendu: Vaud, Valais et sporadiquement Neuchâtel et
Berne (Plagne). Ce mot, qui en français moderne n'est guère
employé que dans le style élevé, vient de *expandicare, fré-
quentatif de expandëre, étendre (p. ex. expandere alas,
étendre les ailes). Godefroy donne un exemple de 1312:
espainchier les andains, qui atteste l'ancienneté de l'usage du
mot dans le sens que lui attribuent nos patois. Les cantons de
Neuchâtel et Berne emploient surtout le terme français étendre
(aussi rétendre), qui est moins usité à Genève. En dehors
de ces deux termes solidement établis l'un au Sud-Est, l'autre
au Nord-Ouest de la Suisse romande, il en existe un certain
nombre d'autres qui sont d'un emploi plus local et plus restreint.
I. invouâ, V. (aussi évouâ, revouâ, Vaud, Valais), de in +
aequare, d'après MM. Gilliéron (Fwnnaz, p. 73) et Gauchat.
Le sens en serait .égaliser, aplatir', ce qui conviendrait assez
bien ici; 2. voiiareyé, aussi évouareyé, v. (Valais); 3./"(f«â, v.
(Vaud), mot que nous retrouvons au sens de , ramasser ' ;
4. éparpdlyé, v. (Valais) ; 5. étanfchi, v. (Neuchâtel), curieuse
contamination entre étendre et épancher ; 6. élargir, v. (Jura
bernois) ; 7. épafidre, v. (Jura bernois).
Quant aux patois de la Suisse allemande, on est frappé de
voir les analogies qu'ils présentent. Ils disent : zett^ [zettl^, ver-
zettl^), propr. ^ éparpiller ' ; streii\ ce qui correspond à ^ épan-
cher, épandre ' ; vertu^, et zerschriiss^ (Grindelwald), ce qui
3
34
E. TAPPOLET
équivaut à ^ défaire les andains '. Ajoutons breitmache, vallée
de la Kander (Grand-Duché de Bade), qui est le pendant alle-
mand de élargir'^, verwerfe (Ersingen, près Berthoud), qui
désigne spécialement l'action de jeter le foin du birlig au large,
à l'aide d'une grande fourche de fer. Et surtout: worbe (même
radical que iverfen, jeter), terme technique très répandu, qui,
de même que épancher^ ne s'emploie qu'en parlant des foins.
Normalement, le foin étendu recouvre toute la surface du
pré fauché. Quand le foin est ,rare ', p. ex. en faisant le regain,
quand le pré ne ^ foisonne ' pas, comme dit le paysan des
Franches Montagnes, on préfère, — pour ne pas éparpiller
inutilement le peu de foin qu'on a, — ne l'étendre que sur une
partie du pré. Dans ce cas, on fait ce qu'on appelle dans le
Jura bernois des rud, ou riiqt, c'est-à-dire qu'on divise le pré
fauché en parcelles plus ou moins régulières (le plus souvent
des carrés longs), qu'on couvre de foin tout en laissant libre la
place entre ces carrés. Les deux croquis que voici représentent
deux des nombreuses formes de ces carrés :
(Les Bois.)
Pour faire une ruât, on réunit le foin de plusieurs andains
(2 à 4 selon la densité du foin). Le patron décide s'il faut dis-
^ Il n'est pas sans intérêt de noter que le patois de la vallée de la
Kander distingue nettement entre luaibe = étendre le foin, et breit-
mâche = étendre le regain. Il paraît qu'au mot de warbe il se rattache
l'idée d'un plus grand effort à faire.
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS
35
poser le foin de cette façon. Il dira p. ex. aux faneurs (faneuses) :
«en étendant, vous ferez des rtiat, il n'y a guère de foin».
bote afi ru?, rue, ruate, sont les verbes en usage.
Le passage entre les rus, non couvert de foin et soigneuse-
ment râtelé, s'appelle aux Bois an antr-ruat, à Charmoille an
gas, s. f., de l'allemand Gasse. Notons que la ruât n'est pas
ruât ->-
(Charmoille.)
plus petite que la rus. Certains villages semblent préférer ru3,
certains autres ruat^.
Il va sans dire que le système des ru3 ne s'applique pas seu-
lement à l'herbe des andains, mais aussi au foin demi-sec des
tas et des rouleaux; eux aussi, on les met en rî{9,s\ bien (\\ieru?
arrive à désigner la jonchée de foin prête à être chargée (quel-
quefois par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs tas à charger,
provenant de cette ru?).
D'où vient le mot ru9? On ne peut guère hésiter qu'entre
rue et roue, qui tous les deux aboutissent à rti ou ru? dans le
Jura bernois -. L'état actuel de nos recherches ne permet pas
1 Le mot n'ayant pas été demandé dans les questionnaires, nous ne
pouvons en indiquer le domaine exact. Sa présence dans la Vallée de
Joux {ruyy, s. f. pi. : U rayé ^ tas de foin allongé', se dit aussi d'un tas
de bûches ou de branches, rdyèta, s. f. , ruelle entre deux maisons',
, sentier encaissé', inmyi , mettre en tas en laissant une rm pour le
char) fait supposer pour ce terme une extension assez considérable.
- Il n'en est pas de même, il est vrai, de la vallée de Joux, qui dit
ruva pour ^ roue'..
36
E. TAPPOLET
de trancher la question. Ce qui complique les choses, c'est que
certains patoisants désignent par le même mot ruât la couche
de foin et le passage non couvert, de sorte que rus arrive à
être un synonyme de gas. Cependant, je crois que c'est là une
déviation de sens, l'idée dominante de ru3 semble bien être
celle d'une jonchée de foin étendue pour sécher'.
Je n'ai pas connaissance qu'en pays romand on donne à la
ru3 la forme d'une roue, mais un de mes étudiants. M. Wuthe-
rich, m'assure qu'à Benken (Bâle-Campagne, à env. i8 km. du
i^ Q
schihe
formée de tas (schôchli) formée de foin étendu
Jura bernois français), on groupe les tas de foin en forme cir-
culaire (v. croquis p. 36) et qu'on appelle un de ces groupes
une schibe ^ disque '. On peut supposer que le système des
disques ou roues a occupé un domaine plus étendu autrefois, et
que, tout en donnant à l'ancienne roue une forme carrée, on
en ait conservé le nom. (Cf. l'allemand Fensterscheibe ^ carreau
de fenêtre '. qui présente une analogie frappante.) Je serais par-
ticulièrement reconnaissant au lecteur qui voudrait bien me
fournir des informations supplémentaires ou rectificatives à ce
sujet.
IV. Retourner le foin.
L'idée de retourner n'a pas donné naissance à des appella-
tions très variées. Toute la Suisse romande sans exception dit
LES TERALES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 37
virer {j'3ri, varyé, viria, etc.), ou quelquefois revirer, forme
dont le préfixe exprime la répétition du même mouvement
(cf. répancher au lieu de épancher, rétendre, ramasser, etc.).
Vaud et Genève disent sporadiquement tourner et retourner.
La Suisse allemande ne présente pas tout à fait la même uni-
formité d'expressions. L'/^/V//>è^« donne cher^ {■=kehren),'went^
(Grindelwald), wnalitze^ (Simmenthal).
V. Ramasser le loin.
Nous étudions d'abord les mots employés dans le sens gé-
néral de ramasser le foin, soit en rouleaux, soit en tas, soit
pour la nuit, soit pour charger. On ne trouvera pas ici les
termes dérivés des mots patois pour tas ou rouleaux (intsi-
rounâ, etc.).
1. ramasâ est le terme le plus répandu. (Variantes: rèmèsè,
ramosala, aussi sans le préfixe itératif: aniasâ et surtout aino-
chalâ, Fribourg).
2. rètrindrè, du latin restringere j serrer', aujourd'hui
employé sous la forme savante restreindre. Le mot se trouve
en Valais (Val d'Illiez et Val de Bagne) et dans le Jura bernois
(Franches Montagnes), qui prononce retroundr (cf. koun-
troiindr , contraindre ', étroundr , étreindre ' ; foun , foin ' ;
avoun.n , avoine ', etc.). Pour le substantif r^/'r^z^«x, v. plus loin
p. 41. On est frappé de voir ce mot apparaître seulement aux
deux extrémités du domaine romand. Aurait-il autrefois occupé
tout le territoire? (Voir aussi retrinsi, p. 38.)
3. \re'\cueillir. Ici le même problème se pose : on trouve
koulyœ (Champéry, Valais), et rtchœdr- (Les Bois, Berne).
Toutefois, il faut remarquer que rtchœdr a un sens plus général
que les autres mots traités ici : il embrasse toutes les opérations
qui se font sur le pré en vue du chargement du foin. Quand le
patron juge le foin assez sec, — par un temps douteux, il y a
* Ne serait-ce pas plutôt une désignation plaisante de caractère indi-
viduel ?
- Pour la forme, cf. tchœ, cœur; tchu?, cuir, etc.
38 E. TAPPOLET
souvent des discussions assez vives à ce sujet, — il dit à ceux
qui l'aident : h foun â boun, no vyân rtchœdr, le foin est bon,
nous voulons ^ recueillir '. Ce moment divise la fenaison en
deux parties : avant, on travaille en vue du séchage ; après, en
vue du chargement. Généralement on ne ^ recueille ' que le
second jour.
Les autres expressions pour ^ ramasser ' ne sont attestées que
sporadiquement: 4. amonceler (Vaud) ; 5. tirer près (Vaud);
6. retri?isi, (La Ferrière, Berne), peut-être une forme conta-
minée de retrindrè + rétrécir \ 7. retropè, v. (vallée de Ta-
vannes, Plagne, Berne), dérivé sans doute de troupe, troupeau,
cf. attrouper. La Suisse allemande a des termes très variés
aussi , elle dit : zdmemach^, zdm'tu^, zdfn^troole ; uf mâche, ufreche * ,*
itu\ qui a le sens général de , recueillir, rentrer '.
VL Le rouleau de foin.
Les rouleaux de foin sont de forme et de destination très
différentes. On peut en distinguer deux espèces : des petits et
des grands.
A. Les petits rouleaux sont un travail préparatoire pour
faire les tas. On les fait le premier jour et avec le râteau. Le
foin est à demi sec.
Quels en sont les noms patois ? Il n'y en a point de commun
à tout le domaine romand; chaque région aura son terme. Nous
en connaissons trois qui occupent un territoire plus ou moins
déterminé.
1. rintsèta, s. f. (Fribourg et Vaud: Moudon, Oron). Ce mot,
dérivé de rin = Ta.ng, de l'allemand ring, signifie , petite
rangée '. Cf. rin , long tas de foin ' (Neuch.).
2. boudin, s. m. (Jura bernois), v. croquis p. 40, proprement
, boudin ', dont il existe plusieurs emplois métaphoriques.
Cf. du reste boui, p. 39. Le terme semble être assez répandu
* A Ersingen (près Berthoud), ufreche ne s'emploie que dans le sens
spécial « ramasser le foin demi-sec du premier jour pour faire les petits
rouleaux (rmisèta).
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 39
en France ^ Les boudin commencent à tomber en désuétude.
Certains paysans pressés les suppriment volontiers.
3. kirs, s. f. (Pays d'Enhaut)-.
Isolément on trouve encore : 4. boni, s. m. (Vaud), propre-
ment ^ boyau ' ; 5. sènyd, s. m. (Berne), proprement ^ simple', par
opposition à rouleau , double ', se composant de la quantité
de foin contenue dans deux andains parallèles ; 6. andin, s. m.
Les termes correspondants de la Suisse allemande, tous des
diminutifs, sont: tnàdli, propr. ^ petit andain', dérivé de màhen
^ faucher ' ; sch'orli, propr. , petit andain ', dérivé de scheeren
^ couper ' ; wàlmli, dont nous aurons à parler à propos de
valamo7i (p. 45).
B. Les gros rouleaux, aussi appelés rouleaux ^doubles*,
se font en vue du chargement. On les fait généralement le
second jour et avec la fourche. Souvent c'est la dernière for-
mation qu'on donne au foin avant de le charger sur le char.
Ici il n'y a que deux termes qui occupent une aire un peu
étendue.
1. ioula, s. f. (Vaud, moitié Est ; Gruyère: Vionnaz, Valais),
dérivé direct du latin tabula, qu'on retrouve dans les dérivés
patois foulon, vase en fer blanc (Vd, Neuch.) ; toular ^tablar'
rayon d'étagère (Vd). Quant au sens de toula qui nous occupe
ici, il est difficile de dire d'où la métaphore est prise 3.
2. tira, s. f. (Gros de Vaud, Jorat, Fribourg en partie), subs-
tantif verbal de tirer, employé en français par ex. comme
' On le trouve par ex. dans P. Diffloth, Les semailles et les récoltes,
P-505-
* Mot d'origine inconnue, à moins qu'il ne soit une variante phoné-
tique fort étonnante de tir^ ^ rouleau de foin ', ci-dessus.
^ Est-ce de tôle = tuyau, canal en fer blanc (v. Littré pour les signi-
fications techniques) ou est-ce de toida = planche de jardin (Vd, Bridel),
ces planches ayant souvent la forme d'un carré très allongé et étant
séparées les unes des autres par des sillons plus ou moins profonds?
L'aspect d'un jardin potager régulièrement divisé en planches pourrait,
à la rigueur, avoir rappelé le pré dont le foin est mis en rouleaux.
40
E. TAPPOLET
terme de blason (=raie) et dans des expressions adverbiales
telles que , voler à tire d'aile, travailler tout d'une tire '. Le
mot s'applique aussi au blé. Pour Vaud, on trouve tire au sens
de , gisement de neige long et étroit ',
Les autres termes semblent être d'un emploi strictement local :
3. roiwon, ravon, s. m. (Alpes vaudoises, Gruyère, Franches
Montagnes, la Perrière). Le mot, qui est un dérivé de rive^
boudin
signifie , bord, rebord'. L'idée primitive s'effaçant, il ne reste
plus que celle de , chose très allongée, tire, traînée ' ;
4. ria, s.f. {riè, pi.), (Vaud, Est), prop. , raie' du latin riga
(de rigare, irriguer). Bridel donne le mot avec le sens de
, fossé'. 5. rièrè, s. f. (Yverdon) probablement = rivière au
sens de ^ bord ' ;
6. akron, s. m. {akrpnâ, v. mettre en rouleaux), (Valais :
Vérossaz, Vionnaz). Le mot semble se rattacher à la famille
méridionale représentée par agrmn, s. m., agglomération,
groun,grum,s.xa.., grumeau, agroumâ, v., se blottir, agroimiela,
V., mettre en grumeaux, etc. (Mistral), tous dérivés du lat.
grumus, s. m. tas de terre ^.
1 Grumum aurait donné *gron (et. unum >• on)\ de là un verbe
avec préfixe servant de renfort *agrmâ (cf. masse, amasser ; troupe,
Attrouper; monceau, amonceler), qui à son tour change l'ancien subst.
gron en agron, comme pince se transforme en espince sous l'influence de
espincer. Le passage de g à. k reste cependant inexpliqué.
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 4I
7. nd-y, S. f. (Valais, passim), propr. ^ crèche';
8. rssarâ^ s. f., (Neuchâtel), propr. .resserrée';
9. rin, s. m. (Neuchâtel), cf. rintseta ;
10. reiroutis, s. f., aussi retrou?j.nyur, s. f. (Franches Mon-
tagnes), substantif tiré de retroimdr . resserrer'. On fait les
retrouns en resserrant le foin étendu des deux côtés d'un rou-
leau à faire. La retrouns est un boudin doublé (v. les croquis).
reirouns
Il nous reste à donner la liste des termes que nos matériaux
ne permettent pas encore de définir, nos correspondants ne
donnant pour toute description que . rouleau de foin '.
réba, s. m. (Vaulion, Vd); roubatè, s. m. (Valais), tiré de
rebatâ, rouler (cf. reba, s. f., raie, Bridel) ; roi, s. m. (Valais);
rolè (Vd), propr. , rouleau ' ; rotiela, s. f. (Evolène, Anniviers,
Genève), a probablement le même radical que le mot précé-
dent. Cf. cependant le français rouelle . tranche coupée en rond',
diminutif de roue ; kornè, s. m. (Leytron, Valais) ; fayeta, s. f.
(Lens, Valais), propr. , petite brebis '.
M. Horning a démontré dans une très intéressante étude* que
souvent un nom d'animal a servi à désigner un tas (de foin,
de blé ou d'autre chose\ Aux exemples cités par M. Horning
(bouc, chèvre, cochon, poulain, veau (?), mule), on peut ajouter
le nôtre et peut-être petite oie {w piron, p. 43, n. 6) et cochon
(v. p. 44).
^ Zeitschrift Jûr rom. Phil., t, XXVII, p. 149 et suiv.
42 E. TAPPOLET
?}iètché, S. m. ? {mètchlâ. v.) (Neuchâtel, Cerneux-Péquignot).
Cf. Atlas linguistique de la France, carte 1285: mëcho, 140,
162; mechd, 150, en Lorraine, signifiant «tas de fumier»;
rorta, s. f. (Neuchâtel, Val de Travers), sans doute le même
mot que ryorta, s. f. ,Iien de fagot', du latin retorta , chose
recourbée', puis , lien en osier 'i,
VIL Le tas de foin.
C'est ici que nous trouvons la plus grande variété de termes,
conformément à la diversité des habitudes locales. Abstraction
faite d'un petit nombre de mots insuffisamment définis, nous
pouvons établir deux catégories de tas de foin :
A. Le petit tas qu'on fait le soir du premier jour et qu'on
modifie selon le temps qu'il fait: tout petit par le beau fixe
{?natson, tsoton, tchéynà, etc.), plus grand et plus soigné en cas
de pluie menaçante (tchéyon, piron, etc.). Notons qu'on dé-
signe quelquefois ces tas plus gros que d'ordinaire par le mot
qui signifie , tas à charger ', en ajoutant le déterminant , à la
pluie ', par ex. valmon à la pluie, moule à la pluie, etc. En
français, on dit veillotte ou meulon.
B. Le grand tas prêt à être chargé. On ne le fait ordinaire-
ment que le second jour ; il est généralement très gros et fait
sans aucun soin, puisqu'il sera défait par le , bailleur ' aussitôt
achevé. Nous ne connaissons pas de terme français correspon-
dant.
A. — Le petit tas pour la nuit. Il n'existe aucun mot
pour toute la Suisse romande. Voici trois termes de caractère
cantonal :
I. tsiron, s. m., s'emploie essentiellement dans tout le canton
de Vaud et dans une partie de ceux de Neuchâtel et de Fri-
bourg. Il s'applique aussi au tas de blé et à n'importe quel
' On est surpris de voir que trois de ces mots (rorta, kornè, et roiieîa,
si le mot correspond à rouelle) remontent à l'idée de ^ chose recourbée '.
Reste à examiner la question de savoir si primitivement ces rouleaux
n'eurent pas réellement une forme qui justifierait ces appellations.
Cf. schibe, p. 56.
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS RO.\L\NDS 43
autre tas*. II a donné naissance à plusieurs verbes : intsiroima,
ètsirouna, détsirouna.
2. matso7i {piouatson, motson), s. m. richement attesté pour
tout le Valais, sauf pour le Val d'Entremont et le Val de Bagne.
Le maison, forme diminutive de tnouaiss-, s. f. (Conthey), est un
tout petit tas de foin. On trouve les verbes matsonâ, inmatsonâ,
amotsonâ. L'origine du mot est inconnue '^.
3. tchéyon (tchion, tchyoîin), s. m., répandu dans tout le Jura
bernois. On en a fait un ô.\m\n\xi\ï tchéyna, s. m., qui s'applique
au regain et un verbe (chéynè ^ mettre le foin en tchéyon '. Le
tchéyon est un tas conique fait avec beaucoup de soin en pré-
vision de la pluie. L'usage des tchéyon tend à disparaître aux
Bois. Le Landeron connaît tchiya.n pour ^ tas de fumier ' [Atlas
Img., carte 1285). Le Vully vaudois dit tsdlyon'^ (est-ce ts^yont)^
qui paraît être le même mot.
En dehors de ces trois mots importants, les patois valaisans,
particulièrement riches en termes de fenaison, en connaissent
d'autres d'un emploi très local :
4. t sot on (tsyoton), s. m. (Val d'Entremont, Val de Bagne);
tchotron (Yvorne, Vd). Le mot s'emploie aussi pour un petit
tas de terre au sommet des montagnes^.
5. piron, s. m. (Plaine du Rhône, Valais), désigne une veillotte
de 50-60 cm. de haut. Le mot, probablement dérivé de
^ pierre', serait donc à l'origine .petit tas de pierres '6;
' Le mot se rattacherait-il, ainsi que tchéyon, n'^ 3, comme le croit
M. Gauchat, au radical de cacare?
2 On trouve aussi mats', s. f. ^ pièces de bois qu'on place sur le fruit
à presser ' (Evolène).
^ Le mot semble se rattacher à l'adjectif ntatchyo , légèrement
mouillé' (Evolène). C'est le cas du maison dont le foin n'est pas
encore sec.
^ La Vallée de Jeux connaît tsslyou, s. m. ^morceau de pain'.
"' On ne trouve nulle part tsaton ^ petit chat ' qui conviendrait pour
le sens.
*"' Il faut toutefois remarquer que petronem donnerait *peron,
comme en français, cf. nevé ; piron serait donc refait sur pira, forme
très répandue, surtout dans le Haut-Valais, et qui pouvait l'être autrefois
44 E. TAPPOLET
6. katson, s. m. (Val d'IUiez, Trient). C'est peut-être le mot
, cochon ' qu'on trouve à Evolène sous la forme katson. Pour
les métaphores tirées des noms d'animaux, v. p. 41.
La Suisse allemande a deux termes principaux pour le petit
tas qu'on fait le soir : schôcJili et birlig, que V Idiotikon fait
venir de b'érn ^ porter '. Le birlig serait à l'origine ce que peut
porter un homme. Cf. note. — Les Grisons disent en outre
h'ôckerli.
dans la plaine du Rhône (voir cependant Gauchat, Dompierre, p. 23,
qui considère pyèra comme indigène). Le fait est que, aujourd'hui,
Evionnaz (V) et Le Chàtel (Vd) disent pyera et pyero , Pierre ' (Zim-
merli). Aussi ne connaissons-nous pas piion, au sens de ,tas de pierre'.
Pour ces raisons, on ne peut considérer cette étymologie comme tout
à fait assurée. — Il y a peut-être autre chose. Le bas-latin connaît un
pyra=: tas (v. Idiotikon, IV, col. 1503, où il doit rendre avec acervus
et congeries l'idée de ^tas de foin'(doc. de 1662) ; Du Gange le donne
deux fois: i. pirra, f., «cumulus», terme général, 2.pirra, f., «pila,
structura erecta in modum columnae >>, etc. Ge mot, sans aucun doute
emprunté au grec •Trvçâ, rogus ^ bûcher ', revit en anc. français pire,
encore chez Scarron, et en itahen pira, toujours au sens de bûcher
servant de torture. A côté de cette signification technique et historique,
le mot peut fort bien avoir été employé dans la langue vulgaire au
sens général qu'indiquent Du Gange et le document de VIdiotikon ; de
là à piron .petit tas de foin' en Valais, il n'y a pas loin. Le birling de
la Suisse allemande, que VIdiotikon rattache à hërn . porter ', mais qu'en
réalité on ne porte guère, n'aurait-il vraiment rien à voir là dedans ? —
Pour les autres mots romans qui présentent le radical pir-, je crois
qu'il faut les écarter ici. On trouve piron, s. m., jeune oie (Saintonge,
Littré) ; /)îVo/e, s. f., oie femelle (Sachs-Villatte, Suppl.) ; piron, s. m.,
batteur en grange maladroit (S.-V.), tous probablement dérivés de
Pierre, cf. cependant it. piro, poussin, et pira, poule. Un autre groupe
étymologique est formé par le îr. piron, s. m., « Spur-Zapfen », terme de
mécanique (S.-V^.), sans doute identique à l'italien pirone, levier, che-
ville ; ,ferro de clavicembali ', ^ dente cilindrico' (Petrocchi), et proba-
blement apparenté hvqc pirouette, s. f. (aussi piroiiet s. m.) , disque que
traverse un pivot', jouet d'enfant, toton, et pirtiolo , cheville ', famille
dont l'origine est fort controversée, (v. Kôrting, etc.). Il y a enfin un
troisième /(iVon =: fourchette, au Nord-Est de l'Italie (lomb. -vénitien,
ladin), que M. Flechia démontre être emprunté au grec moderne
Trnçovviov,
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 45
B. — Le tas à chargera II n'y a pas non plus de terme
général suisse-romand. Celui qui est le plus répandu et qui
peut-être a occupé autrefois tout le territoire de la Suisse
romande, c'est:
I. valamon [vouai amon, volamofi, voamofi, valmon, vol mon),
s. m., usité aujourd'hui dans tout le Valais et dans tout le Jura
bernois, en outre dans une partie du canton de Vaud, surtout
dans les Alpes, et sporadiquement dans la région de Lavaux.
Le mot désigne tantôt le tas pour la pluie, tantôt le tas à
charger, tantôt la meule de foin qu'on laisse dehors plusieurs
mois (Evolène). C'est toujours un très gros tas (de 1 m. de
hauteur et de 80 cm. de diamètre à Trient, par ex.).
Quant à l'origine de ce mot important, certaines formes
phonétiques font songer à un radical germanique commençant
par w. Le mot existe, c'est le walm, wàlmli de la Suisse alle-
mande. D'après les matériaux de V Idiotikon, que AL Bachmann,
rédacteur en chef, a mis obligeamment à ma disposition, le
mot, fort répandu, a entre autres les significations suivantes :
1. rouleau de foin, Berne (Gampelen, Anet, Biiren), Soleure
(Lâberberg) ;
2. meule de foin, Berne (Lutzelfliih) ;
3. petit tas (allongé?) de terre, qu'on fait en plantant les
pommes de terre (Morat) ;
4. emplacement dans la grange destiné au foin et au blé
(Thurgovie).
Bien que wal/n ne se trouve nulle part dans le sens précis
de jtas à charger', il résulte de ces données que le mot s'ap-
plique à diverses formations de foin parmi lesquelles celle d'un
tas est doublement attestée. Il n'y a pas de doute sur la nature
germanique de walm, qu'on rattache au radical de wolben
, voûter'. L'intercalation d'un a entre deux consonnes se re-
trouve dans les mots français d'origine germanique, canif,
emprunté du nordique knifr; chaloupe, du néerl. sloep, canapsa,
^ En suisse-allemand lad-schoche ou hufe.
46 E. TAPPOLET
de l'ail, knappsack. Au point de vue géographique, l'explication
satisfait entièrement pour le Jura, le mot allemand étant bien
attesté pour l'allemand soleurois et bernois^.
• Le second mot intercantonal est :
2. moui\ s. m., apparaît en Suisse dans des régions peu cohé-
rentes: Plaine du Rhône, Montana, Gros-de-Vaud, Genève.
Mais la carte 1 285 de V Atlas ling. nous apprend que le mot,
au sens général de ^ tas ', est couramment employé dans les
deux dép. de la Savoie, dans la vallée d'Aoste et dans le dép.
de l'Ain. C'est un terme franco-provençal dont l'origine n'est
guère douteuse. Deux formes de la Haute-Savoie, mwèl, ainsi
que de nombreux dérivés verbaux en Suisse comme mouilâ,
inmoîièlâ^ demouclâ, etc., montrent clairement que -/remonte
à -ellus. Quant au radical, ce ne peut être que le latin modus,
s. m. , mesure, manière ', d'où proviennent par des voies diverses
les mots français moule (dérivé populaire de modulus), fno-
dule (dérivé savant) et modèle (emprunté à l'italien modello).
Quant au développement du sens, il faudra supposer que mo-
dellus a servi à désigner un tas (de foin, de blé, etc.), soi-
gneusement construit d'après un ^ modèle ', une , forme ' déter-
minée dans le genre des meules de foin et servant peut-être en
même temps de mesure. (Cf. aussi le heinzi du canton d'Uri,
qui consiste en une espèce de chevalet formé de plusieurs
bâtons croisés, auquel on fixe le foin pour le préserver de l'hu-
midité du sol.) La preuve que les mots pour ^ modèle, forme'
peuvent prendre le sens général de tas, nous la trouvons dans
l'inappréciable Atlas de Gilliéron, dont la carte 1285 traduit
,tas de fumier', entre autres, par w<?//^^/(? (m., Haute-Vienne et
Corrèze) eiform (Maine) ^.
Les termes cantonaux proprement dits sont peu nombreux :
1 Quant au Valais, il fait difficulté, le mot étant inconnu, par ex., à
Munster et à Mœrel (Haut-Valais allemand). Il n'est pas probable que
le mot ait été introduit en Valais par l'intermédiaire du canton de Vaud.
^ Ajoutons que la même carte donne moulotin pour la Provence, mot
qui représente un * modulomm.
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 47
3. moul, S. m. (Neuchâtel) correspond sans doute au français
moule, cité plus haut, et illustre une fois de plus le passage
sémantique de ^ modèle' à , tas ' ^.
4. monsé, s. m. (Jura bernois) et isolément mouché (sic), s. m.
(Saint-Luc, Valais), correspond à monceau, répandu au sens
général de tas dans les dép. de la Haute-Saône et du Doubs.
Enfin quelques termes isolés :
5. avoulys, s. f. (Vallée du Rhône, de Chamoson à Yvornei.
Le nom provient de la perche appelée ^ aiguille ' au moyen de
laquelle on transporte ces tas de foin ;
6. vayi9, s. f. (Mage, Valais);
7. rez, s. f. ? (Clos du Doubs).
A ces deux listes, il faut en ajouter une troisième, celle des
termes insuffisamment déterminés.
koutsè, s. m. (La Côte, Vd.), kud^è (Genève), français popu-
laire cuchet, se retrouve en ancien français cuchet, cuchon, tas
de foin (Godefroy)^. Le mot signifie aussi ^ sommet, extrémité'
(Bridel). (Se rattacherait-il à gutsch, giitsch de la Suisse alle-
mande, qui signifie , petit monticule, mamelon ^ 1); fortcha, s. f.
(Vaud, Fribourg, Genève), propr. ,fourchée'; 7nount07i, s. m.
(Haut- Valais romand), terme général pour tas, dérivé de mont"^
(Godefroy connaît le mot au sens de , troupe ') ; doblè, s. m.
* moule désigne aussi une ancienne mesure pour le bois (25 pieds
cubes, Bridel) dans les cantons de Neuchâtel et de Vaud, et en Savoie.
Cf. Littré, Supplément . De là peut-être le sens de grand tas en général,
puis gros tas de foin.
- Le mot est sans doute de la même famille que le provençal mo-
derne encucha, entasser, mettre en meulon (Mistral); ^«^^«,'956;
kutchoun, 980 ; kuson, 818, 912; koêon, 924; koutchoun, 889; peut-être
aussi kichon, 920; kitchoun, 971 ; toutes ces formes d'après la carte ,tas
de fumier' de V Atlas de Gilliéron.
>* Mofit seul signifie , tas ' dans beaucoup de patois gallo-romans
(Pas-de-Calais, Tarn, Aude, etc.). Les dérivés en sont nombreux :
monceau, montet, montel, mountchou (Provence), toujours au sens de tas
{Atlas linguist., carte 1285).
48
E. TAPPOLET
(Orsières, Praz-de-Fort, Valais) ; kouè, s. m. (Le Brazel, Neuch.),
propr. , cours ', mot qui dans le Jura bernois désigne le tas à la
grange, v. p. 50; mabr, s. m. (Le Brazel, Neuch.), propr.
^ membre ', probablement au sens de partie d'un tout, d'une
série (cf. le mot suivant); morsey, s. m. (Noiraigue, Neuch.),
propr. ^ morceau '.
VIIL Le chargement.
Le soir du second jour approche, le soleil a donné très
fort. Le foin est bien sec, il exhale des parfums délicieux, les
faneurs sont contents, ils attendent le char à ridelles pour y
charger le fruit de leurs efforts.
Le char arrive ; on ne peut charger partout, il faut choisir
son emplacement. Si le terrain est fort en pente ou s'il est ma-
récageux, on ne peut y conduire le char, il faut transporter le
foin à la place favorable, appelée tserdjâ ^chargeoir' (Frib.)i.
Bien charger est un art. Voyons en quoi il consiste. Pour
Cf. passoir = endroit (d'une clôture, par ex.) où l'on peut passer.
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 49
charger, nous écrit un correspondant genevois, il faut au moins
trois hommes : un pour donner, le bailleur, un pour arranger
sur le char, le chargeur, et un troisième pour râteler les débris
de foin éparpillés autour du char. Le terme le plus commun
pour donner, c'est balyi, mais on dit aussi : leva (Vaud et spo-
radiquement Fribourg), tindrè (Vionnaz, Valais), tcKinpè Jeter'
(Franches-Montagnes). La Suisse allemande se sert de u^gd^
litt. donner dessus, et u^gder, litt. donneur dessus.
Pour arranger le foin sur le char. — travail fort délicat, —
on dit partout charger, ail. lad^. Celui qui le fait est le char-
Première levée du lit commencée
I. kouèna — 2. serre — 3. échellée
geur ou lader. On trouve aussi charge-foin (Fribourg). Spora-
diquement on emploie invouâ à Vionnaz, intsana à Saint-Luc,
intretsavutiyi (?) en Gruyère.
Passons en revue les opérations du chargement i.
Le char vide est placé le long des ^ tas à charger '. Le
^ bailleur ' pique dans le tas avec sa fourche, et, faisant un
effort, présente la fourchée au , chargeur '. On remplit d'abord
le char à ridelles jusqu'aux bords. La quantité de foin ainsi
^ réduite' et bien serrée s'appelle échellée (Vaud et Berne) ou
échelage (Berne). Tout ce qu'on place au-dessus de ^ l'échellée '
c'est le , lit ' {yé, Berne). Il n'est pas facile de bien construire le
' Je prends pour base le système pratiqué aux Bois (Berne), où j'ai
étudié le sujet.
50 E. TAPPOLET
jlit'. La première chose qu'on fait, ce sont les quatre ^ coins',
à gauche, à droite, en avant, en arrière. La fourchée placée au
coin, qu'il faut plier adroitement, s'a-ppeUe kouèna, s. m. , petit
coin ' ou kar dans le Jura bernois, épôl, à Genève (?). Entre les
deux kouèna, on fait entrer de force une troisième grande four-
chée, qu'on appelle la serre {sàr, les Bois). Voir le croquis p. 4g.
Ceci fait en avant et en arrière, on introduit les fourchées
du milieu en les faisant entrer les unes dans les autres. Une
couche ainsi construite s'appelle la levée (Vd, Berne). On en
compte quatre à cinq pour un char. Chacune des , levées ' se
commence au même bout où l'on a terminé la précédente.
Le j lit ' présente ainsi une série continue de contours. Poser
les fourchées sans les rouler se dit à Genève charger à plat;
les poser en les roulant pour faire le coin, se dit charger à
brçîd à Genève, plyatâ en Gruyère, tranplyâ dans la Broie.
Le char chargé, on pose Xz. presse ou perche, on la fixe au
moyen d'une corde, qu'on serre avec le tour à l'arrière du char.
Heureux de la bonne récolte, on rentre et l'on engrange
{ingrandzi), comme disent tous les patois romands. Isolément
on trouve cacher (Valais, Neuchâtel).
IX. Le déchargement.
Le char bien placé sur l'aire de la grange, on commence à
4 décharger ', Pour cela, il faut deux hommes au minimum :
I. celui qui donne, le , déchargeur ', et 2. celui qui reçoit et
dispose les fourchées sur l'emplacement destiné au foin. On
l'appelle rtirou, s. m. ^ retireur' dans les Franches-Montagnes.
Pour le tas de foin à la grange, en allemand Heustock, la
Suisse romande se divise en deux groupes. Le gros des patois
dit:
tèts9 {tètch, tes, fr. pop. ^ tèche '), s. f., employé partout, sauf
dans le Jura bernois. Le mot se retrouve en Savoie et en
Franche-Comté. Il se rattache à ^ tas, entasser, anc. fr. tasse '
d'origine germanique. Le Jura bernois seul dit ko {kor, koue^
fr. pop. j cours '), s. m. ^ compartiment de la grange destiné au
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 5 I
foin, au blé', mot qui semble identique au français cours <
cursum^. Ce même compartiment s'appelle kartay ^ quartier '
dans les Alpes vaudoises.
X. Conclusion.
Dans l'ensemble des travaux agricoles, la fenaison, telle que
nous l'avons étudiée, est un domaine relativement conserva-
teur. Depuis que l'homme récolte le foin pour en nourrir son
bétail pendant l'hiver, on aura coupé l'herbe, on aura étendu
les andains, on aura entassé le foin, en rouleau ou en tas, pour
le transporter plus facilement à une place abritée (meule, fenil
ou grange). Dans ces opérations fondamentales, le progrès de
la civilisation n'aura guère apporté de changement 2.
On pouvait donc s'attendre à une grande uniformité d'ex-
pression. En réalité, il n'en est rien. Le total des mots que
nous avons étudiés dépasse la centaine^. Tous ne sont pas,
bien entendu, des termes de fenaison proprement dits, c'est-à-
dire des mots qu'on n'emploie qu'en parlant des foins (ou de la
moisson) ; de ceux-là, il y en a relativement peu, une bonne
vingtaine tout au plus (v. le tableau p. 53).
Quant à l'origine de ces mots, la grande majorité peut s'ex-
pliquer soit directement par le latin {foin, sèyi, rétreindre),
soit par un dérivé du latin {andain, moue, épancher, etc.). Un
petit nombre sont d'anciens mots germaniques (rin, rintsèta^
tcche, vouayïn) *. Comme ils font tous partie de l'ancien fonds
' Le développement du sens n'est pas évident. ^ Cours ' signifie
entre autres , rang continu de pierres dans une bâtisse ' (Littré) ce qui
s'accorde assez bien avec Izo, qui désigne chacune des divisions de la
grange marquées par des colonnes.
- Il est évident que cela ne s'applique pas aux outils (faux, faucheuse,
râteau, fourche, char, etc.). Les anciens outils non mécaniques du fau-
cheur ne sont pas de la même importance au point de vue du dévelop-
pement que le sont, par ex., les ustensiles du fromager pour la fabri-
cation du fromage.
^ Ne sont pas comptés les innombrables dérivés dont nous n'avons
cité qu'un petit nombre.
'' ^ Regain', du radical zceideu. Le regain fera le sujet d'un article à part.
52 E. TAPPOLET
du vocabulaire français, ils ne prouvent rien pour l'influence
que pourraient avoir eue les Allemands dans la façon de
récolter le foin. Il n'en est pas de même des mots empruntés
aux patois de la Suisse allemande : valamon, gas, tchoup, svèy (?),
ouûzon , regain ', de l'allemand waseji ^ gazon '. La diffusion
double de valamon — dans le Jura et dans le Valais — peut
indiquer, dans les régions où il s'est répandu, un changement,
si léger soit-il, dans les habitudes du faneur i.
Essayons de présenter au lecteur un tableau d'ensemble
(v. p. 53) qui montrera la répartition des termes techniques
proprement dits dans le domaine de nos patois. Il fallait faire
un choix: on ne trouvera dans ce tableau que les termes les plus
importants, c'est-à-dire ceux qui sont matériellement indispen-
sables au faneur et partant bien ancrés dans la mémoire linguis-
tique d'une région un peu étendue. Pour ne pas grossir la liste,
nous avons dû, non sans regret, en écarter les mots peu ou mal
attestés dont l'emploi semble occasionnel ou strictement local.
Ces mots sont très nombreux, j'en compte jusqu'à 80. Ils sont
d'une importance capitale pour la vie du langage, ils en repré-
sentent la partie mobile, ils témoignent de la faculté imagina-
tive des patoisants, c'est par eux que le vocabulaire se renou-
velle et s'enrichit. Où ils ne sont plus, le patois est mort.
Il va de soi que les dérivés ne figurent pas non plus dans
notre tableau.
Que nous apprend ce tableau sur le caractère linguistique
de la Suisse romande? Les mots français, communs à tous les
cantons, soit littéraires (comme foiti, etc.), soit provinciaux
(comme scier, virer, bailler) offrent peu d'intérêt 2. Quant aux
termes , romands', ce qui frappe le plus, c'est l'absence d'unité.
Il faut insister sur le fait que pour seize idées essentielles de la
^ Seule une étude détaillée et comparative de la fenaison romande
et allemande en Suisse pourrait trancher la question.
- Notons toutefois que de tous les termes exclusivement employés
pour la fenaison, ^oin est le seul qui ait eu déjà ce sens en latin clas-
sique.
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54 E. TAPPOLET
fenaison, domaine agricole primitif et indigène s'il en fut, il
n'y a pas un seul terme exclusivement romand qui soit répandu
dans tous les cantons: et de ceux qui en approchent le plus:
recor, come^, tèche et vala?non, les trois premiers se retrouvent
en dehors de la Suisse et le quatrième, valamoii, est un em-
prunt visible fait aux patois allemands limitrophes.
La région qui se détache le plus nettement du gros des can-
tons romands, c'est, comme chacun sait, le Jura bernois. Cela
saute aux yeux pour ^tas à la grange ' et pour ^ regain '. En
outre, il faut relever un certain nombre de termes qui ne sont
que jurassiens et en partie franc-comtois : perè, botidïn, tchéyon,
retrouns, monsé, tcMnpè. Ainsi, pour la fenaison, le Jura bernois
présente avec le Valais le plus grand nombre de termes parti-
culiers.
Parmi les autres cantons, Genève manque presque totale-
ment d'originalité. Des termes qui figurent dans notre tableau,
le patois fribourgeois ne possède à lui que la rintsèia, Neu-
châtel ne peut revendiquer que le moul et la savèy. Ce sont
Vaud et Valais qui cachent les grands trésors, tantôt à eux
seuls {épancher), tantôt en commun avec d'autres {fnoué, vala-
mon), tantôt c'est Vaud, — jamais Valais, — qui s'accorde avec
Fribourg {isiron, toula, tira, lever'), tantôt, — mais c'est très
rare, — Vaud est seul à posséder un terme ikird), le plus sou-
vent c'est le Valais, vrai paradis pour le lexicographe, qui fait
bande à pari; c'est lui la patrie des maison et des katson, des
tsoton et des piron, et sans doute de mainte autre formation
caractéristique qui aura échappé à nos recherches.
' Quant à corne, je ne lui trouve en France (Savoie, Midi) que le
sens de , crinière'.
LES TERMES DE FENAISON DANS LES PATOIS ROMANDS 55
Je ne puis terminer ce travail sans m'acquitter de la dette de
reconnaissance particulière que j'ai envers MM. les correspon-
dants qui m'en ont fourni les matériaux. Ce qu'ils ont noté
dans les formulaires du Glossaire, j'ai essayé de le résumer,
de le grouper, de le commenter. La présente étude est loin
d'être définitive, elle a des lacunes, dont je sens l'importance
mieux que personne. Il faut les combler avant de rédiger le
Glossaire. Qui nous a aidé nous aidera. De nombreux termes,
qu'on trouvera dans cet article, ont besoin d'être précisés pour
la forme et surtout pour le sens. Le lecteur patoisant versé
dans les travaux rustiques, à la compétence duquel je fais appel
en terminant, ne manquera pas, j'espère, de compléter et de
rectifier notre information'. ^ ^
E. Tappolet.
' Le mode le plus pratique pour nous, c'est de présenter ces rectifi-
cations sous forme de fiches envoyées au Bureau du Glossaire. Nous
recommandons tout particulièrement l'usage du croquis, quelque som-
maire ou grossier qu'il soit, surtout lorsqu'il s'agit d'indiquer la forme
du rouleau ou du tas et la répartition du foin sur le pré.
TEXTE
— î—
On drolo de chin.
ANECDOTE EN PATOIS GRUYÉRIEN.
Vo-j i hin chur jou yu kpmin niè de hou grô chin de bon
kd ly avi din h tin pè le vilyo nioxi, è mimamin apèdji pèr
dèvan kotyè vilyè kabutsè. I kaminûon a lou férp râ ; h pou
kp n-in^ richtè chon galyâ rèdui pè chu le tàréchè-.
On de chtou-j dvà pachâ, in nbnanta^ kp krayo, la pèrotsp
de V. ch'èâi a'&inhlyâyp pb dèchidâ tote chouârtè d'aférp.
To ly èâi galyâ rilyâ^ kan Djan Ppkabou chè bptè a drp :
Ly a chi vilyo chin de bon kp tranè pè chu Ip chin.mityiro^
du ly a kôtyè-j an ; mè chinblyè h ne pâ bin dniâo. N&
dèvran Ip bplâ in mija pb h rapèrtchi du pèr inkp.
La chakrichtin na pâ tarda a Ip rebrakâ^ in li dpjin :
Ché pâ chp chpri prou plyp bni&o de h mijâ ? Tyè d^ran le
Un drôle de saint.
Vous avez bien sur vu (////. eu vu) comme moi de ces gros
saints de bois qu'il y avait dans le temps dans (////. par) les
vieilles églises, et même applique's à la façade de quelques
vieilles masures. Ils commencent à se (/zV/. leur) faire rares;
le peu qui en reste sont bien réduits dans les galetas.
Un de ces hivers passés, en nonante, que je crois, l'assem-
blée paroissiale de V. s'était réunie pour décider toutes sortes
d'affaires. Tout était bien réglé quand Jean Piquebois se met à
dire : Il y a ce vieux saint de bois qui traîne sur le cimetière
depuis il y a déjà quelques ans ; [il] me semble que ce n'est
pas bien honnête. Nous devrions le mettre aux enchères pour
l'enlever d'ici.
Le sacristain n'a pas tardé à le réprimander en lui disant :
[Je ne] sais pas si [ce] serait beaucoup plus honnête de le
ON DRoLO DE CHIN 57
diin ? No-j in-d an d^a prouniatara^ jou fà pèchyâtrD"' chin
fèr9 onkb cbtçch^. Ld ramâcheri è h bstèri chu le tàrécbè
intch3 mè^ ; ly é d^a lé diitrè'-^ vilyè mârè k9 vjnyon du h
mbxi ; i grave rin avoua.
Chin ly è jou fournà pèr inh ; n'iti-d an pâ re parla.
Ld minio dpvà-h-né^^, Pshabou, k'irè on malin chatsè^\
chè di intrè li : Ché pâ chp h tindrè tan grantin chu le
tàréchè. K in mimo tin, i va ou boufè , prin on patyoiè^'^ de
pura è on grô tdrâro de rç'd^^, ch'in va ou choua d la né f'erd
en puchin pèrtp ou chin, ly infatè^^ cha pura è apri Vavi
bin tsoupdnâ, chè rè intouârnè inich^ li.
Vb chèdè ks l'^và de nbnania ly è jou déchira du, ly a fà .
na kram9na a martalâ^'^ de frà a la katsèta^''. Ach3 h bou
ly è J9lâ !
On matin k^ U chakrichtiii ch'indalâvè arandji pè b mbxi,
la Fanchètd, cha fèna, li fâ '. Di va, D:{âtye, te fà me tsè-
mettre aux enchères. Que diraient les gens? Nous en avons
déjà assez fait par ici (outre) sans faire encore celle-ci. [Je] le
ramasserai et le mettrai au galetas chez moi ; j'y ai déjà plu-
sieurs vieux débris qui viennent de l'église : il ne gêne pas avec.
Cela a été {litt. est eu) fini par là ; on n'en a 1 Ittt. ils n'en
ont) pas reparlé.
Le même soir, Piquebois, qui était un malin (sachet), se dit
« entre lui » : [Je ne] sais pas s'il le gardera bien longtemps au
galetas. Et en même temps, il va au buffet, prend un petit
paquet ,de poudre et un gros perçoir de râtelier, s'en va au
« sourd » de la nuit faire un gros (////. puissant) trou au saint,
y verse la poudre, et après l'avoir bien bouché, s'en retourne
chez lui.
Vous savez que l'hiver de nouante a été très dur, il a fait un
froid de loup à grelotter de froid sur les marches du poêle.
Aussi le bois [y] est allé !
Un matin que le sacristain s'en allait « arranger » (préparer
la messe) à l'église, la Fanchette, sa femme, lui dit : Dis un peu,
Jacques, [il] te faut me couper quelques grosses bûches pour
58 C. RUFFIEUX
plyâ dutrè tron pb hdtà ou forni ; né rin mé a li fatchi, —
N'é pâ liji ôra, ka li rèpon chdn çmo, prin chi chin de bon
ka ly è pè chu le tàréchè; ifô hmin ka chà n-in tari on t savon.
La Fanchçt9 râxlyè anion lè-j ègrâ, vin avô avi h chin è
l'infatè din h forni. Ld fu irè fmamintè^^ bin inprà'^'^,
k'on-n ou tb d'on kou ouna dèbbrdpnâyp dou dyâblyo ; on-n
ari dp le kanon d'Avry^^ h choutâvon pè h Bry. Fanchètp
Vire java ^^ a la kâva, monté a la prèchpitayp, châlè ou palyo
è n'è pâ jou mô èâpnâyp de trbvâ h jbrni in.mèluâ, di nibchi
de pare è di mbchi dou chin èpard:(9nialâ ché ou lé.
Ld bon Dyu nb-j a puni, kd chè di intrè li. Du mh adon
i ch'in va a chô amon ou mbyj po h drp a D:(àlyè. Chtichp,
kan ly a jou aprà l'aféra, chè bptè to balaniin a dra a cha
fèna : O! bin, akuta, ma pour a tè, i chu bin rin tan èd^dnâ:
ntdjèmé jou bin boun idé de chi chin'^^ ! ç^ Ruffieux.
[les] mettre au poêle, [je] n'ai plus rien à y jeter. — [Je] n'ai
pas le temps (//'//. loisir) à présent, (que) lui répond son mari
(////. homme), prends ce saint de bois qui est au galetas, il
faut comme qu'il en aille en tirer parti {litt. comme que soit
en tirer un bout).
La Fanchette monte rapidement {litt. racle en haut) les
escaliers, descend (////. vient en bas) avec le saint et l'intro-
duit dans le poêle. Le feu était à peine bien allumé qu'on
entend tout d'un coup un bruit du diable ; on aurait dit les
canons d'Avry qui sautaient.... Fanchette, qui était allée {litt.
était eue) à la cave, monte précipitamment, court (saute) à la
chambre et n'est pas mal étonnée de trouver le poêle réduit en
pièces, des morceaux de pierres et des morceaux du saint épar-
pillés çà et là.
Le bon Dieu nous a punis, qu'elle se dit « entre elle ». Puis
elle va vite (////. à sauts) à l'église pour le dire à Jacques.
Celui-ci, quand il a su {litt. a eu appris) l'affaire, se met tout
doucement (bellement) à dire à sa femme : Oh ! bien, écoute,
«ma pauvre toi », je [ne] suis pas du tout si étonné; je n'ai
jamais eu [une] bien bonne idée de ce saint.
ON DRoLO DE CHIX 59
NOTES
Ce morceau est emprunté à un recueil d'anecdotes et liistorieltes
publié sous le titre de Oiina Joiirdhd ^('-/-(''/yî^tfi^o, c'est-à-dire « un tablier
plein de bons mots» (proprement éclairs), par Tohi di-j-èlynidzo^.
Comme l'auteur v a joint son portrait, nous ne pensons pas l'offenser
en trahissant que derrière ce pseudonyme se cache le spirituel
C. Ruffieux, ci-devant professeur à l'école normale de Hauterive. Son
volume, qui doit faire les délices de tout amateur de bon et franc
patois gruyérien, réunit, en plus de 300 pages, une foule d'aventures
comiques, relatées avec une verve inépuisable, qui avaient paru précé-
demment dans VAmi du peuple'^. On y trouve des contes qui ont déjà
tait la joie des quatre coins du monde, mais pour la plupart c'est la
réalité, grande inventrice de situations drolatiques, qui les lui a fournis.
Il y est beaucoup question de paysans malins et retors, de capucins, de
curés et de leurs servantes. Les personnes auxquelles le tour a été joué
se sont bien gardées d'en souffler mot à M. Ruffieux, de peur qu'il ne
«les mette sur son journal», mais il l'a tout de même appris, dans
cette aimable Gruyère où tout se sait. Ajoutons que l'esprit de l'auteur
n'est jamais méchant, que sa satire n'a rien de personnel, que sa morale
est celle du peuple un peu cancanier et peu délicat à l'adresse des
femmes.
Mais ce qui fait le principal mérite de ces histoires, c'est qu'elles
sont racontées en patois. Ne les redites pas en français, elles y per-
draient leur sel. L'auteur se plaît à accumuler les synonymes, par ex.
p. 155, où il énumère les mots d'injure servant à décrier les femmes :
isebrô, chdtwlya, gouma, etc. Il n'y en a pas moins de vingt-quatre. On
voit qu'il a tait là-dessus des recherches systématiques. Il termine la
liste en disant qu'il supprime les expressions qui ne se laissent pas
écrire, mais ailleurs il ne craint pas de prononcer tel mot grossier, où
le rapporteur fidèle de scènes intimes le juge nécessaire.
La transcription des sons est simple et claire. Elle ressemble à celle
du Bulletin. Parfois on eût désiré plus d'exactitude, surtout dans la sépa-
ration des mots. Nous avons transcrit le morceau que nous reproduisons
dans l'orthographe du Bulletin, à laquelle nos lecteurs sont maintenant
habitués. Nous employons à pour un e long et très ouvert, qui cepen-
dant n'est pas encore très voisin de a. Le son â se prononce souvent
comme un à long, et dans beaucoup de cas on entend ao, surtout dans
la bouche des jeunes. Nous n'avons pas noté la quantité des voyelles,
afin de ne pas trop charger le texte de signes.
1. Bulle, Imprimerie commerciale, 1906. Prjx : a fr. 50.
2. L'auteur continue à publier des morceaux humoristiques en patois dans la
Feuille d'ai'is de Bulle.
6o L. GAUCHAT
1. Remarquez Vn de liaison qui s'introduit après une voyelle devant
in = en. De même dans adoti, po n'in rèvini a mm ichtoirs, p. 121 et
passim. Ce sont des formules comme on en dit, etc., qui ont servi de
modèles.
2. Terme spécialement fribourgeois, employé surtout au pluriel, du
latin terraceas. A dû désignera l'origine un galetas dont le plancher
était recouvert de terre glaise. (Voir Hunziker, Das Schweiierhaus, t. IV,
p. 128.) — 3. Du latin regulare, en développement populaire.
4. Aussi chin.mttyiro ; la nasale de la syllabe initiale a probablement
subi l'influence du mot chin, « saint ». — 5. Mot où se sont confondus
les termes français « rubrique » et a réplique ». — 6. De prou := lat.
prode 4- materia. — 7. Per-ecce-hic-ultra.
8. Litt. in *caso me. A propos de * cas us pour casa, voir
El. Richter, Zeitschr. f. rom. Phil., XXXI, 569 ss. in *caso devenu
préposition est accompagné du pronom personnel ; cf. l'italien mal-
grado mio >■ malgrado me. Comp. intchs H du texte, ligne 1 1 , même page.
9. = deux-trois; du de *dui?
10. Litt. devers-le-nuit ; le nuit d'après le jour, inversement en vieux
français tote jor d'après tote nuit. — 11. De sachet (à malice).
12. Muni des suffixes combinés -ottus -}- -ittus.
13. Infatâ signifie proprement «mettre dans sa poche», de fata,
poche ; ce dernier d'une forme burgonde correspondant à l'allemand
Fet^en. — 14. A l'origine « marteler ;>, claquer des dents.
15. On appelle katsèta les marches derrière les vieux poêles de grès,
place favorite des vieux, litt. « cachette ».
16. « Finement» =:: « à peine» n'a pas besoin d'explication; ce qui
est plus curieux, c'est la terminaison en è qui doit procéder d'adverbes
à double forme comme onkà — onkorè, cfr. en français encor[e) — encores.
Par analogie, on a formé de o{ou) min, « au moins », le mot omintè.
17. Part, passé de inprindre, «s'enflammer ».
18. Allusion à un canon en chêne, cerclé en fer, fabriqué à Avry-
devant-Pont et utilisé dans les fêtes populaires, mariages, etc. Un beau
jour, il sauta; on taquine encore les bourgeois d'Avry sur cet incident.
19. C'est le latin habuta, auquel s'est agglutiné Vs de liaison de
je suis eu, tu es eu, etc.
ao.^Une version soi-disant historique de cette anecdote, rattachée à
l'introduction de la Réforme à Neuchàtel en 1530, a été recueillie dans
la première moitié du XVIIIe siècle par Jonas Boyve dans ses Annales
historiques du comté de Neuchàtel et Valangin, t. II, p. 311-312. Elle a été
agréablement contée en vers par M. Philippe Godet dans le Musée neu-
ckâtelois, 1881, p. 284-288 : La colère de saint Jean.
L. Gauchat.
>^,^
LA HARANGUE PATOISE DE DAVID BOYVE
AU PRINCE DE NEUCHATEL EN 1018
— î—
Vers la fin de i6 17, le prince de Neuchâtel, Henri II d'Or-
léans Longueville, qui venait d'atteindre sa majorité, se rendit
dans sa principauté. Il devait, suivant la coutume, y prêter le
serment d'observer les franchises du pays et espérait pouvoir
en même temps mettre fin aux différends qui s'étaient élevés
entre le souverain et ses sujets. Mal conseillé et (Connaissant
insuffisamment le caractère ombrageux et opiniâtre des Neu-
châtelois, il ne réussit pas dans sa mission, et sa présence ne fit
qu'accentuer le conflit avec les bourgeois de la ville. Ceux-ci
demandaient qu'il jurât, comme ses prédécesseurs, de maintenir
toutes leurs franchises et usances, écrites ou non écrites, tandis
que le prince déclarait qu'il ne s'engagerait à rien avant de
savoir ce qu'étaient ces coutumes non écrites, qui devaient être
rédigées en un coutumier. Henri II irrita en outre les bour-
geois en faisant ostensiblement célébrer la messe au château.
On prétendit le lui interdire. C'est au milieu de ces contesta-
tions, au commencement de 16 18, que le maître bourgeois en
chef David Boyve, à bout de patience, aurait adressé au sou-
verain un discours patois débutant ainsi :
Mousigneur, se vo ne volev pas cessa de faire chanta messa 11
chatey, ne deuianderev dev trouppé à Messieurs de Berna por vos en
empeschie. Et por say que du coutumier, cl é impossible d'ay faire on
et de métré totc noutré coutemê par écrit. Quan le lay sairey on poté
d'eiche, et qu'on prisse to le papie que la papeleri de Serrieré porrey
faire de cent ans, é giiairey pas pru papie ne prit eicloe por le totc
écrire, etc. (Monseigneur, si vous ne voulez pas cesser de faire
chanter messe au château, nous demanderons des troupes à
Messieurs de Berne pour vous en empêcher. Et pour ce qui est
du coutumier, il est impossible d'en faire un et de mettre toutes
nos coutumes par écrit. Quand le lac serait un encrier et qu'on
prendrait tout le papier que la papeterie de Serrières pourrait
faire de cent ans, il n'y aurait pas assez de papier ni assez
d'encre pour les écrire toutes).
Si l'anecdote était authentique, nous aurions dans ces quel-
ques lignes le plus ancien texte connu en patois neuchâtelois,
en même temps qu'un spécimen de la verve hardie avec la-
quelle nos ancêtres savaient défendre leurs droits, même vis-à-
vis du souverain. Mais il n'est pas nécessaire de pousser bien
62 j. JEANJAaUET
loin le scepticisme pour concevoir des doutes sur la réalité des
faits rapportés. D'abord, si échauffés qu'on suppose les esprits,
il est bien invraisemblable qu'un maître bourgeois de l'époque
ait oublié les convenances et l'étiquette au point de se per-
mettre avec le prince un ton pareil de bravade gouailleuse. Il
suffit de lire les pièces officielles du temps pour se convaincre
que les remontrances les plus pressantes des bourgeois étaient
toujours présentées sous les formes de la plus humble et de la
plus respectueuse soumission. De plus, l'emploi même du patois
est aussi insolite que peu justifié. Le patois était sans doute en
1618 la langue courante des Neuchâtelois de toutes les classes
et on aura voulu, en s'en servant, accentuer le caractère d'irres-
pectueuse, familiarité de la harangue du maître bourgeois. Mais
le prince ignorait sûrement ce jargon, et alors de quelle utilité
pouvaient bien être des représentations dont il ne comprenait
pas le premier mot? A supposer qu'il eût toléré pareille inso-
lence, c'était en tout cas choisir un bien mauvais moyen pour
le persuader.
Sur quelle autorité s'appuie ce récit, si peu vraisemblable en
lui-même ? Il n'a, croyons-nous, pas d'autre garant que le chro-
niqueur Jonas Boyve, qui écrivait environ cent ans après les
événements de 1618. A notre connaissance, aucun des docu-
ments contemporains relatifs aux démêlés du prince avec les
bourgeois ne renferme la moindre allusion à la harangue de
Boyve, et le chancelier de Montmollin, qui a recueilli les confi-
dences de Henri II et a consacré à la relation de ses séjours
dans la principauté quelques-unes des pages les plus vivantes
de ses Mémoires, ignore absolument cet incident. Tout nous
paraît donc indiquer que la prétendue harangue patoise de
1618 est apocryphe et date seulement du xviii* siècle.
Ce qui, à nos yeux, vient confirmer ces conclusions, c'est que
la partie la plus originale du fragment patois, cette hyperbole
pittoresque : « quand le lac serait un encrier », etc., n'est autre
chose qu'une variante appropriée aux circonstances locales
d'un thème bien connu de la littérature populaire de toutes les
nations. En Orient comme en Occident, de l'antiquité jusqu'aux
temps modernes, on rencontre en de multiples variations la
même image, destinée à traduire l'idée d'une quantité infinie.
Quiconque veut s'en convaincre n'a qu'à consulter la très riche
collection d'exemples de toute provenance réunie par M. R.
Kôhler*. On pourrait encore y en ajouter d'autres. Ainsi la
citation suivante, empruntée à une vieille traduction espagnole
LA HARANGUE PATOISE DE DAVID BOYVE 63
d'un livre originaire de l'Orient : « Le sage dit que quand même
la terre se changerait en papier, la mer en encre et les poissons
en plumes, on ne pourrait pas écrire toutes les méchancetés des
femmes. » {Libro de los engannos, éd. Comparetti, p. 54.) Je
me hâte d'y joindre, comme contre-partie, cette déclaration
d'un amoureux catalan du Xiv^ siècle : « Je vous jure par le
monde entier que si tous les arbres de l'univers... devenaient
des plumes et la mer de l'encre, que si les étoiles étaient des
mains... et le ciel du parchemin ou du papier, ils ne suffiraient
pas, belle dame, à écrire vos louanges. > {Ro?iiania,\..l^Y ,]). 213.)
Il faut donc transporter la harangue de David Boyve du
domaine de l'histoire dans celui des légendes traditionnelles,
où elle possède de lointains ancêtres. Jonas Boyve n'aura fait
que l'arranger pour les besoins de sa cause ou aura consigné
une « tradition de famille » déjà formée *. Mais, même rajeuni
de cent ans, ce texte demeure un des plus anciens spécimens
du patois neuchâtelois et méritait à ce titre d'être signalé aux
lecteurs du Bulletin. y Jeantaouet
1. R. Kôhler. Und- wenn der Himmel wàr Papier.... dans la revue
Orient und Occident, t. II, p. 546-$ 59.
2. Il est à remarquer que dans le manuscrit original de Bovve, con-
servé à la Bibliothèque de Neuchâtel, la harangue patoise ne figure pas
dans le texte même du récit, mais a été ajoutée en note à la phrase :
« De sorte que la mémoire du maistre bourgeois David Boyve a tou-
jours esté dès lors en bénédiction parmy les bourgeois». Elle est intro-
duite par les mots suivants : « Et ce qu'il y avait de singulier est qu'il
ne parla au prince qu'en patois ou jargon du pays. Il luy dit, entre
autres: Monsigneur, etc. » (t. II, p. 325.)
La rédaction des Annales de Boyve, « revue, corrigée et augmentée
par J.-F. Boyve, son neveu, « que possède également en manuscrit la
IBibliothèque de Neuchâtel, a amplifié le récit en s'efforçant d'en corriger
l'invraisemblance : « Ce maître bourgeois parla d'un ton de voix qui
ébranla le prince. Il fit son discours en patois et lui dit : « Monsigneur,
etc.... Le prince voulut savoir tout ce qu'il avoit dit et qu'on le lui
rendit bien spécialement, et il changea d'avis. » (t. II, p. 349.)
L'édition imprimée des Annales, t. III. p. 458-439, combine arbitrai-
rement les deux rédactions. Le texte patois renferme quelques inexac-
titudes, que nous avons corrigées d'après le manuscrit original dans
notre reproduction.
Le doyen Bridel a publié la harangue patoise de 1618 dans le Conser-
vateur suisse, t. m (18 13), p. 123, au cours d'un article intitulé : Les trois
voyages de Henri II, duc de Longuevillc, dans ses Etats de Neuchâtel et
Vallangin. Il a sûrement eu à sa disposition une copie manuscrite de
l'ouvrage de Boyve, qui n'était pas encore imprimé et qu'il cite ailleurs.
-•î^î'^-:-^
TABLE DES MATIERES
Pages.
M. Gabbud et L. Gauchat. Mélanges bagnards : IL Les
expressions servant à rendre l'idée de « pleuvoir »
et de « neiger » 3
A. ROSSAT et F. Fridelance. Fragment du poème des
Paniers, de F. Raspieler. Transcriptions en patois
de Courroux et de Charmoille (Berne) 7
L. Gauchat. Etymologies : i bisse. 2. dégremillé. 3. Cher-
montane 13
L. Gauchat. Les noms patois des clochettes de vaches
(avec une planche) 17
E. Tappolet. Les termes de fenaison dans les patois ro-
mands 26
C. RUFFiEUX. On drolo de chin, anecdote en patois gruyé-
rien, avec notes par L. Gauchat 56
J. Jeanjaquet. La harangue patoise de David Boyve au
prince de Neuchâtel, en 1618 61
Lausanne. — Imprimerie Georges Bridel & C*
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire.
NEUVIEME ANNEE
1910
ZURICH
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hofackerstrasse 44
SYSTEME DE TRANSCRIPTION
A. VOYELLES
a, è, é, i, u, ou ont la même valeur qu'en français.
0 = 0 ouvert (comme dans bord [bôr']).
6 =1 o fermé (peau [po]).
à =^ œ ouvert (b^wrre [bœr]).
ûé = œ fermé (ïeu [fé]).
e, 0, ce sans accent sont des voyelles moyennes.
0 {e renversé) = e sourd (brebis [br^bt]).
an, m, on, un, sont les voyelles nasales des mots français temps
[fan], main [mm], rond [ron], lundi [lundi],
în, tin, oim désignent les nasales de /, u, ou, qui ne se trouvent
que dans certains patois du Jura bernois et du Valais.
Cl, voyelle intermédiaire entre a et à.
à ■=■ è très ouvert.
Les diphtongues sont notées ay, èy, ûy, aou, œu, etc., on ya,yè,
yo, oua, uœ, etc., suivant la nature et le mode de combinaison
des éléments qui les composent.
B. CONSONNES
b, p, d, t, j, ch, V, f, s, z, l, m, n, r ont le même son qu'en français,
g représente partout le son dur de ^oût [gou].
^ » » » coup [koïi].
ly z= /mouillée dans l'ancienne prononciation ta»V/e [ta/y'].
ny = n mouillée comme dans vi^«e [viny'].
y s'emploie comme dans le français j^'eux [ycé], fus/on [fusyon],
pied [pye].
h = aspiration semblable à celle de l'allemand //och.
1? = son du /// dur anglais.
à = son du /// doux anglais.
X = son de l'allemand ich.
C. GÉNÉRALITÉS
Les voyelles particulièrement longues sont surmontées d'un
trait horizontal : â, etc.
Les sons faiblement articulés sont notés en caractères plus
petits, par exemple a', a", ou^, etc.
Un petit trait sous une voyelle [a) indique qu'elle porte l'accent
tonique.
. LA TRILOGIE DE LA VÎË
Série d'articles-spécimens du Glossaire romand
sur la naissance et le baptême,
le mariage, la mort et l'enterrement.
Il n'y a pour l'homme que trois évé-
nements : naître, vivre et mourir: il ne
se sent pas naître, il souflVe à mourir
et il oublie de vivre.
La Bruyère.
N«'sansa, s. f. naissance.
Très peu usité, emprunté à la langue française. Le i est
quelquefois allongé: nësans? ou nesansJ (V, N, B)^ ; épaississe-
ment habituel de Xs: nèchanchè (V Salvan, etc.), nèsanch?
(B Malleray) ; finale en {9) ou è, selon les patois.
Noutra vty? s'^èkàolè onkbr ruidd intrè x}lyao dou-z instan
di la nésans9 è d? la iiior, notre vie s'écoule encore rapide-
ment entre ces deux instants de la naissance et de la mort
(Vd Ormont-dessus). Avœ^glo de nesqnsd (V Lourtier). Li
pour? sp/ron di la nésans? tinkè a la inô, les pauvres souffrent
depuis... (V Leytron). De touppa sur on lit eill avant prêts
nessanhe, sur un lit de mousse ils (deux agneaux) avaient pris
naissance (Python, Egl. I, p. 23 de l'éd. Moratel). Son djb
d'nàsans, anniversaire (Rossât, Develier, B).
I. La rareté du mot s'explique par son inutilité. Pour
annoncer une naissance, on se sert plutôt des mots pour fiaître
ou accoucher (voir sous nétr3^ akutst), ou de périphrases : il y a
* Les cantons romands sont désignés par les sigles suivants : Vd :
Vaud, G : Genève, V : Valais, F : Fribourg, N : Neuchâtel, B : Berne.
4 L. GAUCHAf
du nouveau, à\x frais ; fé zu du béton ané ^ «j'ai eu du béton
(colostrum) cette nuit » (Vd Leysin). Rare : la V3nya (au monde)
= naissance (Vd Penthalaz, Rougemont).
2. Autrefois on attachait une grande importance aux
« signes » (du zodiaque) sous lesquels l'enfant naissait. Il
fallait venir au monde sur une bonne « planète » ; voir les
restes de ces superstitions sous plyanèta.
3. Aux enfants indiscrets qui s'informent de l'origine de
notre espèce, on répond qu'on les a trouvés dans un chou,
sous une feuille de chou, dans une courge, qu'on les a achetés
à la foire, à Genève (se dit dans les villages genevois), que la
sage-femme les a apportés (elle en possède une chambre noire
toute pleine, V Praz-de-Fort), rôle attribué parfois aussi à la
cigogne (Vd isolément, par ex. Penthalaz, Ormont-dessus, cette
explication paraît être d'origine allemande). A Leysin (Vd) la
cigogne, qui n'existe pas dans la contrée, a été remplacée par
une pie. A Lourtier (V), on raconte que l'enfant a été décou-
vert dans un coin de la maison d'habitation ou du grenier,
finement emmaillotté et coiffé d'un bonnet blanc. On y dit
aussi qu'il est descendu du ciel ou par la cheminée. Dans
plusieurs endroits, on a recours à des traditions locales : les
enfants naissent sous un gros bloc de granit, la « Pierre à
bourdons » à Praz-de-Fort (V), la « Pierre-à-Bot » à Neuchâtel;
ils sont trouvés dans des cavités d'accès très difficile nommées
V Aiguë roche {T Agui rotch), au N-E des villages de Plagne et
de Vauffelin. La sage-femme seule en connaît exactement l'en-
trée. Elle va les prendre dans la Bâ.n-Bdkyat (Baume Bequil-
lette), grotte qui se trouve dans une forêt à l'Est du village de
Charmoille. A Champéry (V), ils sont apportés par La Besse,
femme qui vient de la Savoie ; à Grimentz (V), par l'ermite, etc.
4. Au val d'Anniviers (comme dans le Haut-Valais), on avait
coutume de mettre un fromage de côté, quand un enfant nais-
sait. Des traces de cet usage existent ailleurs. Au canton de
Neuchâtel, c'était du vin qu'on conservait jusqu'au mariage de
l'enfant; voir l'anecdote rapportée sous le titre Le vin de hap-
LA TRILOGIE DE LA VIE 5
thue par le Conteur vaud. 1897, n° 22. Ailleurs encore, il arrive
qu'on plante un arbre au verger en mémoire de la naissance
de l'enfant.
5. L'accueil souvent très différent fait à l'arrivée d'un gar-
çon ou d'une fille se manifeste diversement dans notre voca-
bulaire. Lorsqu'un garçon paraît, c'est un «héritier», « on dzo-
rai » (bûcheron, V Vollèges), « on brantàr? » (porteur de
«brante»,Vd Penthalaz), « <?« chudd» (soldat, F), <t on koyu •»
(porteur de c , Vd). Phrase notée à Bernex (G): fnon koii-
zain Jozon pays a hâr a tb h mond\ al c kofttii, sa fend a fé
on galyon, mon cousin Jozon paye à boire..., il est content, sa
femme a fait un .< guillon » (verge). L'expression la plus répan-
due est on bais pour un garçon et 07i ou on.na dsmi-bats pour
une fille. (Nombre de patois ne connaissent plus que le dernier
terme). En voici l'origine: Lors du baptême, les parrains et
marraines remettaient autrefois aux parents d'un garçon une
étrenne d'un batz (env. 10 centimes), à ceux d'une fille seule-
ment un demi-batz. De là l'usage de dire : â-iou zu on bats obin
on.na ddtni-bats pour : as-tu eu un garçon ou une fille ? Dans le
Bas-Valais, la naissance d'un descendant mâle est appelée une
journée entière, d'une fille une demi-journée. « Il a perdu sa
journée », dit-on également d'un père, en ce dernier cas, à
Noiraigue (N). A Plagne (B), un garçon non encore baptisé est
désigné comme gran d? byà (grain de blé), une fille : gran
d'avain.fi (gr. d'avoine). A cet usage se rattache le terme de
grain de café pour une fille à Savigny (Vd). Le mot le plus
courant pour déprécier une fille est spflya-fû (souffle-feu, Vd,
V, F) ; isolément on rencontre : kazinqirs (cuisinière, V Vol-
lèges), késeta (caissette ? V Mage), « encore une du tablier »
(V Vernamiège). L'expression «ce n'est qu'un subyè-» (sifflet,
Vd, V), semble rappeler la coutume d'accompagner le baptême
d'une fille de coups de sifflets. Les jeunes gens, écrit M. Isabel,
se cachaient près du temple et faisaient de grosses sifflées avec
les doigts, pour mortifier le père. La même habitude nous est
rapportée de Leysin. Les tournures obscènes ne manquent pas :
6 L. GAUCHAT
une fille est un (garçon) /<?«d?«, la sage-femme l'a mis éclater
sur le poêle (Alpes vaudoises); katsèta d? jilè (poche de gilet)
pour « fille», (Vd Savigny) doit probablement être rangé ici.
Bou'ehou (Tsve (garçon d'hiver, F et B) est plus poli. Mais la
phrase rapportée par un correspondant de Vermes (B) s'a in
pÔ pu k ran, «c'est un peu plus que rien », marque le comble
du mépris. Voir les variantes phonétiques de ces mots sous
bats, soflya-fW^, etc.
6. Les désignations d'une femme qui a beaucoup ou qui n'a
pas d'enfants sont réunies %o\x^fena.
Netra, v. n. naître.
nêtr{e) (Vd, G, Bas- Valais, B) ; nïtrè (Vd Pailly, V Liddes,
rare); nàtrèi^à Chenit); nàtr (B Develier) ; néhrè (V Lens);
nêûrè (V Grimentz) ; néxi {x = fricative vélaire, Lavallaz,
PaL d' Hérctnence, p. 229, V, forme suspecte; nître de Pailly
est également surprenant). Lourtier (V) et M. Courthion (Foc.)
indiquent que ce verbe n'a pas d'infinitif. Autres formes : 3^ p.
ind. prés, è nà (B), / nè^è (V Grimentz); part. p. ?ié, forme
française, presque partout, fém. idem ou tiéys (Vd); formes
anciennes seulement en Valais : nékou (Savièse), néku, f. nékua
(Chamoson),«p /y// (Bagnes), fiètyu (Liddes), «/ar<?//(Hérémence),
remontant à un type latin *nascutus. La forme natus s'est
conservée dans les composés f/iarnâ,bœrm; voir sous ces mots.
Itrè né su on bon {krouyou) sinyou, être né « sur » un bon
(mauvais) « signe » (Vd Montherond). Marna Vbot^jéi k'èn
poouro là è né, tbzbr i chè rdtré, (tout) malheureux (qu'est)
l'oiseau qui en pauvre lieu est né, toujours il revient (Gilliéron,
Prov. de Vissoiè). E vouèrïn k'an vnyin d'nétr — di bon dûs
fœXin Vmétr, ils voudraient qu'en venant de naître — du bon
Dieu (ils) fussent le maître (chanson pop. contre les garçons.
Rossât, Arch. s. d. trad. pop. VII, p. 84, n° 155, 4).
1 Articles qui figureront dans le Glossaire, comme d'autres auxquels
-nous renvoyons ici.
LA TRILOGIE DE LA VIE y
I. Ce verbe, très peu usité', est presque complètement rem-
placé par l'expression « venir au monde >, surtout dans les
cantons de Fribourg, de Neuchâtel et de Berne. Principales
formes : v?ni ao mondo (Vd) ; viriin, fni u niondo (V) ; vini ou
mondo (F) ; mni à mônd (B). Immédiatement après la nais-
sance, on dit aussi l'enfant « est là » ou « est arrivé». Dfa se
bni, cl â li, Dieu soit béni, il est là (B Epauvillers). A noter
que le latin parère n'a plus de correspondant direct dans nos
patois, comme c'est aussi le cas en français. Voir les locutions
usitées sous akutsî (accoucher).
Batçmo, s. m. baptême.
batèm? (Vd Alpes, aussi bâfèmp), batè?no (Vd Vaugondry. V Sa-
vièse, F Sugiez), bat'emou (Vd Montherond), batém? (Vd Sassel),
bathno (Vd Penthalaz, V Salvan), bat'àmou (Vd Chenit), bâtemo
(Vd Frenières), bâtemou (V Praz-de-Fort), bâté?no {Y Cham-
péry ; Jeanjaquet : baihtw), bâtaimo (V Bagnes), bâteimo (V
Liddes, Isérables), bâtimo (V Vionnaz), batiqmo (V Evolène),
batîmo (V Anniviers), batïn.fno (V Vernamiège, Mage), baotcm^
(G Aire-la- Ville), bâtam^ (F), bèthn'' (N Cerneux-Péq.), bathti'
(B), bâtèm' (B Develier). Pour N, voir plus loin Hist.
Alâ in pérè u batèm?, aller « en père » au b. = entrer le pre-
mier à l'église en qualité de père (Vd Ormont-dessus). La
gras' du bâté/non (V Praz-de-Fort). Oiin batîmo de ploubz?
...de pluie (V Grimentz). Parin di bâtaimo, parrain de b
(V Chable). Ld bàtemd le h pr?mi de sakrdman (B Granges-de
Vesin). Rèzervd h bdtèm?, expression employée quand on com
pare un animal à une personne au point de vue physique (F)
Nbt fa.n â-t èyu rtiâlèt dou moua d'tan, èpœ nbt vètch\ rèzervd
l bâtèniy â echb'in 7nâlèt\ notre femme a été malade deux mois
de temps, et notre vache, réservé le baptême, est aussi malade
(B Develier). Soùn.nd ïn bathn\ sonner un b. ; tiris ïn b.,i\XQX
' Les participes passés valaisans tirés de *nascutus et le dérivé
naxon, vulve (Vd et F), de *nascione, prouvent que le verbe vivait
autrefois d'une vie plus intense.
8 L. GAUCHAT
des coups de feu sur le passage du cortège de baptême (B
Charmoille).
Hist. C'est évidemment le mot français plus ou moins bien
adapté au fonds héréditaire patois. Dans l'Ajoie, p. ex., on
s'attendrait à une forme bètâm, cf. baitâme, Chambure, Gloss.
du Morvan. En Valais, le mot paraît avoir subi l'influence du
verbe. Concurremment avec baptême, les patois vaudois et fri-
bourgeois emploient le verbe baptiser, substantifié, voir bâtsl.
Autres formes : i. batay^mè, s. m. (Vd Chenit) ; 2. batsîmo, s. m.
(Vd Noville, fait l'effet d'une contamination de l'inf. batsl
avec baptême; indiqué comme vieilli par M'"^ Odin {Gloss. de
Blonay) ; 3. batchmè, s. m. (N Val-de-Ruz, Val-de-Travers) ou
batchmq (N Montagnes), comparez baptisement en ancien fran-
çais, batéjamen en provençal moderne ; 4. batazi (Vd Leysin,
aussi verbe). 5. A Bagnes (V) enfin, le mot français bâtizé si-
gnifie comme subst. « cortège baptismal », «'/«^j'w /a j'â on bâtizé,
nous avons vu passer des gens qui portaient baptiser un enfant.
Encycl. i. Le choix du prénom à donner au nouveau-né
n'est soumis à aucune pratique constante. Mais on donne très
souvent le nom du parrain, si c'est un garçon; de la marraine,
si c'est une fille. Il arrive qu'on combine les noms du parrain
et de la marraine. Ex. : si le parrain s'appelle Léon et la mar-
raine Joséphine, l'enfant portera les noms de Léon- Joseph ou
de Léonie-Joséphine (F Broyé). On donne aussi les noms des
père et mère, surtout aux aînés, ou des grands-parents. Dans
certaines familles, il y a des noms traditionnels, qui compli-
quent énormément l'établissement d'une généalogie. On choi-
sissait autrefois assez souvent le nom du saint du jour ou du
patron de la paroisse. Chez les protestants, les noms bibliques
étaient très en honneur. Dans les temps modernes, le choix
devient de plus en plus arbitraire. On consulte beaucoup le
calendri'er ou le dictionnaire (cf. la jolie nouvelle d'O. Hugue-
nin, L'enfant trouvé, dans Gefis de cœur) et on va jusqu'à
pêcher des noms dans les lectures les plus diverses. On se
contente rarement d'un seul prénom, mais on ne dépasse guère
LA TRILOGIE DE LA VIE 9
le nombre de trois. Si le nom du parrain ou de la marraine ne
figure pas en premier lieu, on le met en second. Sur les pré-
noms les plus en vogue selon les contrées du pays romand,
consulter l'article non (nom).
2. Les parrains et marraines sont choisis parmi les pro-
ches parents ; pour les premiers nés, les grands-parents ont
souvent la préférence. Pour les derniers, on s'adresse volon-
tiers aux frères et sœurs aînés. Quand la famille est nombreuse
et que les circonstances l'indiquent, on fait appel aux patrons,
à des personnes riches, dont on espère le secours. Dans l'an-
cienne principauté de Neuchâtel, on s'adressait quelquefois au
souverain et les prénoms de ce dernier étaient toujours abon-
damment répandus. Bien des fois on choisit des jeunes gens
qu'on cherche à rapprocher en vue d'un futur mariage. Il arrive
aussi qu'on prenne des fiancés ou des mariés. En général on
s'arrange de façon à ce que chaque famille des deux conjoints
soit représentée. Il y a des marraines qui s'offrent d'elles-
mêmes, avec une affection qui ne se démentira point. De leur
côté, les filleuls montrent un attachement et un respect parti-
culiers pour leur parrain ou leur marraine, surtout s'ils sont en
même temps leurs oncle et tante. Si un parrain n'est pas marié
et qu'il se trouve plus tard que sa femme ne soit pas marraine,
le filleul du parrain appelle celle-ci plaisamment sa marraine
de bois (Ormont-dessus). Le remplaçant ou la remplaçante
d'un parrain ou d'une marraine empêchés d'assister au baptême
s'appelle à Plagne (B) yûjtsnafi çX yûitman.n (« lieutenant »).
Le parrain et la marraine se désignent mutuellement par « mon
compère», «ma commère ». Ensemble ils se nomment kopa-
ràdzo (« compérage ») ou nôbyas'' (« noblesse », B Plagne).
Dans la plupart des cantons romands, on se limite à un
parrain et à une marraine. Il arrive même qu'un enfant n'ait
qu'une marraine. Dans le canton de Vaud, il est de règle
d'avoir deux parrains et deux marraines, ce qui est aussi
souvent le cas dans le canton de Berne. Actuellement, en pays
vaudois, on se met à multiplier à l'excès les représentants de
lo L. GAUCHAT
cette fonction, ce qui a l'apparence d'une spéculation. Car
chacun est tenu moralement d'apporter son cadeau en nature
ou en argent. Dans les Alpes d'Ollon, plusieurs marraines s'as-
socient quelquefois pour donner leur présent en commun. A la
confirmation, on adjoint un second parrain au premier, s'il
s'agit d'un garçon, et une deuxième marraine pour une fille, la
même personne ne pouvant fonctionner au baptême et à la
confirmation pour le même enfant (V Bagnes).
3. A l'occasion du baptême, les parrains étrennent la mère
de l'enfant en lui donnant généralement un écu de cinq francs,
ou davantage, selon leur situation. Dans le vieux temps, la
somme était beaucoup plus modeste, voir sous nesansd, 5, bats.
Souvent l'argent est remplacé par des objets utiles : lampes,
poêles de cuivre ou autres ustensiles, vêtements, coffrets, une
Bible, du sucre ou du café, etc. Le bébé reçoit de sa marraine
des pièces d'habillement : robe, brassière, bonnet, voile, etc.,
ou tout un petit trousseau. Selon des coutumes plus modernes,
l'enfant est étrenné de pièces d'argenterie (anciennement
d'étain). A Plagne (B), le parrain joint à la pièce de monnaie
dont il dote l'enfant, une feuille de papier nommée bya d' ba-
tcm'' (billet de b.), contenant les souhaits qu'il forme pour son
avenir et son salut. Ces vœux, souvent naïfs, sont quelquefois
enluminés et il n'est pas rare d'en voir encadrés dans les cham-
bres de ménage des paysans. Dans l'Ajoie, un ou deux jours
après le baptême, la marraine préparait et portait à l'accouchée
un « présent » dont la pièce principale était un voète (gâteau).
C'était un gros gâteau, épais, fourré, garni d'amandes et de
miel. Seules les marraines « riches » se payaient ce luxe. En
Valais, les voisines et amies de l'accouchée ne manquent pas
de lui apporter du pain blanc, des œufs, etc., tout ce qui con-
vient au régime spécial d'alimentation auquel est soumise la
mère. Dans les Alpes d'Ollon, la coutume exigeait autrefois que
celle-ci donnât en retour aux parrains, au moment du départ,
à chacun un inouchoir de poche neuf. En Gruyère, il est assez
d'usage que le parrain achète une paire de gants à la marraine,
LA TRILOGIE DE LA VIE II
et celle-ci un foulard, une cravate ou quelques mouchoirs de
poche à son compère. Les dons faits à l'enfant doivent lui
porter bonheur. Quelques vieilles personnes croient encore
qu'un enfant mal étrenné n'ira pas bien. A propos des dons
que les parrains font plus tard à leurs filleuls, consulter l'article
koupârd (parrain).
4. Dans les campagnes catholiques, la coutume s'est assez
bien conservée de baptiser dans les trois premiers jours qui
suivent la naissance, à moins de circonstances particulières.
Notre correspondant de Praz-de-Fort écrit : « Autrefois on bap-
tisait le lendemain de la naissance, quelque temps qu'il fît et
bien que le bébé fût malade, même si l'on était éloigné d'une
lieue de l'église. » Dans les villes catholiques, on attend géné-
ralement le dimanche. Au XVIIF siècle, les protestants faisaient
baptiser dans les premiers huit ou quinze jours. Cela dépendait
de l'état de la mère, qu'on tenait à voir assister au baptême, et
qui faisait souvent sa première sortie à cette occasion. Cette
habitude gagne insensiblement du terrain en pays catholique,
surtout en Valais, les difficultés des communications aidant.
Actuellement, dans le canton de Vaud, on s'accorde plus de
marge et on renvoie au 2^ ou 3' mois, quelquefois plus loin,
si on se trouve dans la période des gros travaux de la cam-
pagne ou si l'importance qu'on désire donner à la fête exige
de longs préparatifs. Pour éviter des frais, on combine volon-
tiers le baptême avec le culte. Au Val -de -Travers, ancienne-
ment, quand un enfant naissait vers la fin de l'année, on le
baptisait immédiatement, parce qu'on prétendait qu'un enfant
né dans le courant d'une année et baptisé dans l'autre n'avait
pas de bonheur.
5. Toilette de baptême. Le poupon est ordinairement
simplement emmaillotté. Mais on lui met un bonnet-capot orné
de dentelles appelé totyè de bât si (bonnet de b., F), bonnet à
oreillettes (Vallée de Joux), kraimclè (V Praz-de-Fort), kâlat'
(B Charmoille). Dans les temps modernes, on a pris l'habi-
tude de mettre à l'enfant une robe de circonstance, blanche.
12 L. GAUCHAT
avec une large ceinture flottante (Vd). Cette robe est souvent
empruntée à des connaissances ou prêtée par la sage-femme.
L'enfant est ou était porté à l'église dans un mignon berceau
(Alpes vaud., vieilli; V, le berceau s'appelle batizia. Cham-
péry), ou dans une corbeille (V, F), dans une espèce de porte-
feuille en lingerie (B), bien recouvert du tapis de baptême, qui
porte les noms de voile (Vd), robe de baptême (V Champéry),
toiiâld (V Bagnes, aussi vouèlo), tyàly? a fnan ou simplement
tyâlyi (F), toualct (N Val-de-Travers), batché ou batchu (autres
parties de N), drapilè (V Chamoson), krev-bfan (« couvre-
enfant», B Plagne), batizou (B Ajoie). Le voile n'est pas usité
à Praz-de-Fort (V) ni à Bernex (G), où l'on enveloppe l'enfant
d'un châle de laine.
Voici quelques détails pour certaines contrées ayant mieux
conservé que d'autres les anciennes mœurs. Les vieux de
Lourtier (Bagnes) se rappellent que le sexe du nouveau-né
était indiqué sur le berceau par une fleur artificielle ou un bou-
quet pour un garçon, une couronne de fleurs {chapelet) pour
une fille. Mais la mode existe encore de recouvrir l'enfant du
foulard d'épousée, que la mère a porté le jour de son mariage,
sur lequel vient se placer le taj)is de baptême. Le très beau
tableau de M. Biéler, que nous reproduisons, montre deux
tapis de baptême, de facture diverse. La couronne et le bou-
quet désignent encore le sexe de l'enfant. Le petit cortège est
formé des deux marraines, suivies des parrains et de la sage-
femme, qui porte le cierge. En Gruyère, l'enfant est porté
sur un coussin, couvert d'un fin lange circulaire à dentelles
(nommé toiletté), et le tout recouvert de la tydly?, qui est en
beau velours rouge carmin, orné de franges d'or. Dans la
Broyé, l'enfant, placé dans sa corbeille, est couvert de deux
nappes, l'inférieure blanche et la supérieure en soie de couleur,
avec franges. A Granges-de-Vesin, ces deux nappes s'ap-
pellent sèryçte de batsi (serviettes de b.). A Noiraigue (N)
la toilette était une couverture de soie, rose ou bleue, recou-
verte de tulle et bordée de dentelles, à l'usage de tout le
LA TRILOGIE DE LA VIÈ t^
village. Un inventaire d'Oron (Vd), de 1740, mentionne: «une
couverture de satin en laine, damassé rouge et blanc, de deux
largeurs, d'une aune de long et garni de dentelles de dorure
fausse ». Un autre, de 1768 : « un baptisé avec sa toile en pas-
sement ». Dans les Alpes d'Ollon, on achetait autrefois de
beaux carrés d'étoffes quadrillées bleues et blanches ou rouges
et blanches, devant servir par la suite à des robes pour l'enfant.
On les utilisait tels quels pour le baptême, et on les appelait
robe de ^., habitude disparue, d'une belle simplicité. Ainsi s'ex-
plique le nom, cité plus haut (Champéry), de robe pour tapis
de baptême.
Le parrain et la marraine sont simplement endimanchés. Ils
mettent « leurs plus belles plumes » (B Charmoille). Le « tube >
est de rigueur dans le canton de Vaud. Dans la Broyé, on
demande souvent un parrain en disant : Vudrè-vb vsni metr»
vbQoîi bon tsapé par mè = voudriez-vous venir mettre votre
bon chapeau pour moi. Le parrain reçoit de la marraine, dans
certains endroits, une fleur qu'il fixe à son chapeau ou au
revers gauche de son habit. Les marraines fribourgeoises por-
taient autrefois le vieux costume local : la coiffe à larges den-
telles et le bdvèri, tablier à bavette. Jusqu'en 1830, les parrains
de Plagne (B) portaient encore l'épée et le manteau de céré-
monie (mante).
6. C'est en général la sage-femme qui porte le bébé à
l'église et qui le présente au baptême. Anciennement, c'était
le parrain, coutume qui existe encore dans plusieurs endroits
protestants, par ex. à Gryon (Vd). La présentation se fait aussi
par la marraine, la plus jeune, s'il y en a plusieurs (Vd). Pen-
dant la cérémonie, au moment où le prêtre verse l'eau, les
parrains touchent l'enfant de la main droite. En se rendant à
l'église, la sage-femme marche en tête avec l'enfant, quelque-
fois précédée d'un garçon avec un cierge (V) ; suivent le par-
rain et la marraine, /<? be (« les beaux >, comme ils s'appellent
à Charmoille, B), de même iè bî (F Broyé), se donnant le bras,
le parrain allant à gauche ; enfin, s'ils assistent à la cérémonie
14 L. GAÛCHAt
(en pays protestant), les parents et les invités. Dans les endroits
où a encore lieu la remise de l'enfant par la sage-femme à la
marraine, cela se pratique sous le porche de l'église. C'est là
aussi que les catholiques attendent le prêtre, lui communiquent
les noms de l'enfant, et que celui-ci administre la première
partie du sacrement. Le rite du baptême n'offre rien de parti-
culier. Citons cependant un détail : dans la Vallée de Joux, une
fillette vêtue de blanc, portant une serviette sur le bras gauche
et un petit pot à la main droite, la verseuse^ était chargée de
répandre l'eau sur la tête de l'enfant. La verseuse prenait natu-
rellement part au repas et recevait une petite rétribution en
argent. A la sortie de l'église, les parrains jettent actuellement
des 7iây (dragées) aux enfants, et la sage-femme en reçoit un
cornet (B Ajoie).
7. Dans les endroits protestants, on ne sonne les cloches
que lorsqu'on baptise un jour ouvrier. Chez les catholiques, on
fait un petit carillon ou l'on sonne après le baptême. Cet usage
n'est cependant pas général. Où l'on ne sonne qu'une cloche,
c'est la grande pour un garçon, la seconde pour une fille. Pour
un enfant illégitime, on sonne la petite, appelée la cloche
d'amour (B Ajoie). Généralement, les bâtards sont baptisés à
la tombée de la nuit, sans sonnerie. En Anniviers, on donne
trois coups de cloche pour un garçon, deux pour une fille.
Dans la Broyé, la sonnerie est exécutée par des enfants, qui en
sont rétribués en menue monnaie par les parrains.
L'usage de tirer des coups de feu (mortiers) est devenu
fort rare; il ne s'est guère conservé que dans les cantons de
Fribourg et de Berne et y est déjà très limité. En général, c'est
le parrain qui fait les frais de la poudre.
Le reste de la journée se passe en promenades, repas et
chansons. Là où l'on baptise tôt après la naissance, les choses
se font assez simplement. En pays protestant, les repas sont
souvent aussi plantureux que les moyens le permettent, même
au delà. Les pâtisseries de fête et les mets du pays (la raclette
en Valais) y jouent un grand rôle. Et le vin surtout. A Plagne
LA TRILOGIE DE LA VIE !$
(B), le repas de baptême porte le nom de r'ke ou kcèke, voir
sous ces mots,
8, Nous n'avons pu recueillir que très peu de superstitions
au sujet du baptême. Pendant le trajet de la maison à l'église,
on recommandait aux parrains de ne pas se retourner, cela fait
loucher les enfants (Vd Blonay, Odift), et de suivre la route
ordinaire, sans prendre de raccourcis, sinon l'enfant aurait
des tendances à devenir voleur. Il fallait porter le berceau de
façon que les pieds soient en avant et la tête en arrière. Les
enfants mort-nés étaient portés à la chapelle de Saint-Etienne,
près Montagnier (Bagnes), dans l'espérance vaine que le cadavre
donnerait un signe de vie, afin qu'on pût le baptiser. Une
légende concernant des jumeaux illégitimes a été publiée par
M. Gabbud dans les Sagen ans dem Unterwallis, de M. Jeger-
lehner (Bâle, 1909, p. 159). Si un enfant pleure pendant la
cérémonie du baptême, il deviendra un bon chanteur. Avant
le baptême, on ne séchera pas les langes en plein air, mais
dans l'intérieur de la maison ; la mère ne sortira pas non plus
avant le baptême. Si elle doit absolument le faire, elle aura
soin de se couvrir la tête d'un bout de planche ou d'un bar-
deau (B Plagne).
Les mots patois pour /o/i/ s baptismaux et acte de baptême
sont indiqués sous fon et batistçro.
Batèyi, v. a. baptiser.
batèyî (Vd Plaine du Rhône), batcyê (Vd Le Chenit), batayi
(V Val-d'Illiez, -jv/, Vionnaz), batèyt (V Salvan, Bagne, Isé-
rables, Mage, aussi batsyè), batèè (V Savièse, Evolène), badié
(V Grimentz), batayi — batyi (G), bètèyi (N Cerneux-Péq.),
batayid ou batèyi? (B, isolément batoèyi?).
3<= p. ind. prés, batîè (V Savièse, Isérables), batèè (V Evo-
lène), badié (V Grimentz). Part. p. identique à l'inf., sauf en
Valais et à Genève : batèya, batèa, badya.
Batèè b vin, ajouter de l'eau au vin (V Savièse). E iïou
bad^ya, es-tu baptisé, c'est-à-dire un homme raisonnable (V
i6 L. G AU CHAT
Grimentz)? ouna bed^ batèyay^, une bête baptisée, un sot (V).
L'è-i^ avouk bu'&ya, il a été b. = il a reçu une forte réprimande
(V Grimentz). Sofi tyué bat'eya dou yâdzo., ils sont tous b. deux
fois, c'est-à-dire ils ont tous des sobriquets (Courthion, Voc.
bagnard). 1 1 an batèya aouc dd Vedy' trçblya, ils l'ont baptisé
avec de l'eau trouble, de quelqu'un qui est borné, simple (G
Hermance). Tiain â ce que vos pensay le faire batayïe {Ermits
Cote de Mai, p. 62), quand est-ce que....
Hist. et syn. voir sous bâtsï.
Bâtsi, V. a. et s. m. baptiser, baptême.
batsî, aussi bâl si {ioni Vd, F Broyé), baichi {F Gruyère, N).
betsî (Henchoz, Rossinière, forme douteuse), 3^ p. prés. ind.
batsè (Vd), bÔtsè (F Estavayer), batch^ (N); p. p. = inf.
I. Verbe. 1. Administrer le sacrement du baptême.
2. présenter au baptême. 3. donner un nom ou sur-.
nom à; \. mélanger de l'eau à du vin, à du lait;
5. mettre un prix à qch. dans une vente aux en-
chères.
II. Substantif. 1. baptême; 2. repas de baptême;
3. ensemble de personnes qui y assistent. Moratel
{Fiches) indique encore le sens : espèce de tavaïolle, que nous
n'avons pas retrouvé dans les patois actuels. Voir les termes
pour tavaïolle sous batema, 6.
I. 1. Lo menistrè batsà lo gosse, le pasteur baptisa le gar-
çon {Cont. vaud. 1883, n° 43). Pr. Kan V infant l'est batzi, le
parin fnankont pâ {Lien vaud. 1905, 18). 2. fr. pop. « qui est-
ce qui baptise.^», en parlant du père qui présente son enfant
pour le faire baptiser (Péter, CacoL). 3. Bat si on véi, donner
un petit nom à un veau (Vd Blonay, Odin). Ly-a mé de dzin
fou tiè dè-j-âno batchi, il y a plus de fous que d'ânes baptisés
{Tobi di-J-clyudzo, p. 210). 4. Batsî dao lasi (Vd Monthe-
rond). 5. Vuèrou h bâtsè-dou, combien en offres-tu? (F
Broyé).
Keioiir de haptêitie à Saviése (\';ilMis).
|.,,.,,,„ ,. .).■ U ' .,„l.:,l.........i.
LA TRILOGIE DE LA VIE 17
11. Alci a batsi, aWtr « à baptême », en qualité de parrain ou
de marraine (Vd Odin). Pr. Kan on va à noce \ LHn cote\\
A batzi \ Onco pi^ quand on va a noces, il en coûte ; à un bap-
tême, encore plus {Lien vaud. 1904, 13), donné par M™^ Odin
sous cette forme : a nb{}è \ On va a se kgxVe \ A batsi \ Onkb mi,
à noces, on va à ses frais ; à un baptême d'autant plus, c'est-à-
dire que la responsabilité est encore plus grande dans le der-
nier cas. Pr. Apri h batsi pra parin, après le baptême, assez
[de] parrains (F Broyé, cf. la forme donnée sous I, I).
2. JSTan min fé de batzi (Dumur, Voc), ils n'ont pas fait de
repas de baptême, se dit si les parents se sont bornés à l'ac-
complissement de la cérémonie religieuse. L'han fé on batzi\
On batzi dé tzein, ils ont fait un repas de baptême de chien
•(dégoûtant), Rec. Corbaz, p. 171. 3. On bî batzi, un beau cor-
tège de b. (Vd).
Ilisl. L'emploi comme subst. est secondaire. C'est l'inf. ou
le part. p. substantifié, cf. intèrâ pour enterrement. Le verbe est
tiré du grec ^xktîI^hv, baptiser, répandu par le culte. Le suffixe
-t'Çsw, lat. pop. -idiare est rendu phonétiquement dans les
formes baptoier du vieux français, batéja du provençal mo-
derne et notre bateyî. Ce type représente par conséquent la
<:ouche la plus ancienne. Il est exclusivement employé dans
les cantons du Valais, de Genève et de Berne ; traces isolées
dans ceux de Vaud et Neuchâtel. Il appartenait autrefois à
tout le Midi de la France, voir la carte 1454 B de V Atlas ling.
La forme de Grimentz fait seule difficulté ; elle s'explique
sans doute par quelque contamination. Quant au type batsî.,
on pourrait le tirer de *bapticare, mais cette formation n'est
pas suffisamment attestée, de sorte qu'il vaut mieux y voir une
ancienne adaptation du mot vieux-français baptisier (formation
plus savante que baptoier). Il appartient exclusivement aux
cantons de Vaud, Fribourg et Neuchâtel. La dérivation pro-
posée est confirmée par l'emploi du mot fr. baptisé pour bap-
tême en fr. pop. et par l'introduction récente de la forme mo-
derne baptiser dans nos patois. « Inviter à un baptisé, il y a
l8 L. GAUCHAT
un baptisé à trois heures » (Grangier) ; « j'assistai hier au bap-
tisé de cet enfant » (Péter, CacoL), cf. Bonhôte, sous baptiser.
« Ne laissant guère de festins sans y aller, surtout es baptisés
d'enfants » (J. Olivier, Ca?tton de Vaud,t.ll, XC, cf. LXXXIX).
Bâtizï, V. (Vd Ormont-dessus), bat^zi, v. et s. (Vd Leysin),
batizâ, V. (V Leytron). batijé, v. (V Liddes), bdtizi, v. (G
Bernex), batizi?, v. (B Boncourt). Cf. les emplois de ce mot
cités sous batçm^, 5. Le sens I, 5 existe aussi en provençal
mod., cf. Mistral, Trésor : batéja, mettre le prix à une chose
qui doit être vendue à l'encan.
La batchi de la Grandza dou dyimo.
I
A la Grand^9 dou dyïmo,
Vb b chedè bin,
Refr.
Vb vb vb vb h chedè bin,
Vb vb vb h chedè bin.
II
Ly an trbvâ ouna filyd
Ka h bè tan prin.
III
Ly an prèy pb koiipârp
Lp kurya°^ Dandin ;
IV
Ly an prèy pb koumârp
La tanta Katin.
V
Ly an porta batchi
Dpmind:(9 matin.
VI
Ly an fi boima tsîra
D'on vintro de tsiii,
VII
D'ouna tid-a d'ano
Kuèytd in-n on tonpin,
VIII
D'ouna rpnalyp vèrda
Frpkacha tan bin.
IX
Ma ly a Vonxb'o D^âtyè-
Kp ch'è trbvâ plyin ;
X
Dpdin cha fatyèta
Ily a ft le tsin ;
XI
Bâ pa la karèta,
Pa chu le vèjin.
Chanson pop. parodiste souvent reproduite 1, voir Bibliogr.^
Index. Donnée ici sous la forme notée par M. Cornu, à Epagny
1 En dernière ligne dans le volume Po recajâ (Lausanne, Payot,,
1910), p. 214.
LA TRILOGIE DE LA VIE
19
(Gruyère). Air dans la Gruyère ill. IV-V, p. 59. Trad. : Le
baptême de la grange du dîraeur. I. A la grange du dîmeur,
vous le savez bien, refr. II. Ils ont trouvé une fille qui a « le
bec » si petit. III. Ils ont pris pour compère le notaire Dandin.
IV. Ils ont pris pour commère la tante Catin. V. Ils ont porté
baptiser dimanche matin. VI. Ils ont fait bonne chère d'un
ventre de chien, VII. D'une tête d'âne cuite dans un pot de
terre, VIII. D'une grenouille verte fricassée si bien. IX. Mais il
y a l'oncle Jacques qui s'est trouvé plein; X. Dans sa poche
de gilet il a fait les chiens (vomi); XI. Sur les marches du
poêle, par dessus les voisins.
Coin inférieur d'un lapis de baptême employé à Lexsin (Vaud)
depuis une centaine d'années.
TEXTES
-♦-
I. La tabœo".
Conte populaire en patois d'Orsières (Valais)'.
On d:(è dp fair'^, na niîr^ Vavé de a son boubo hè yé
Valav^ a la fair'^ pbr adapté on tsdvô, e l'ave de u bcubo dp
nidné la bonpya e dd metr^ din V et chef o tb sin ky ër^ dp nyè
din la barak. Kan la mîr^ Vè jua via, h boubo l'a atplô
l'âno è l'a fbtn din l'ètchéfo tb sin kd l'a irbvô dp nyè : U
Le benêt.
Un jour de foire, une mère avait dit à son garçon qu'elle
allait à la foire pour acheter un cheval, et elle avait dit au
garçon de « mener » la lessive et de mettre dans le cuvier tout
ce qu'il y avait de sale {litt. de noir) dans la maison. Quand
la mère a été partie, le garçon a attelé l'âne et a mis dans le
^ Recueilli à Orsières en 1896. Les aventures burlesques du garçon
simple d'esprit, qui interprète toujours d'une façon stupide les ordres
et les recommandations de sa mère, sont un des thèmes populaires
traditionnels les plus répandus et se retrouvent presque identiques d'un
bout à l'autre de la France. La Suisse romande ne les ignore pas non
plus. En dehors de notre version, qui, malgré le peu de talent du
conteur, reproduit assez fidèlement les épisodes liabituels du récit, on
trouvera deux autres rédactions valaisannes dans la collection de
M. Jegerlehner, Sagen ans dem Unterwallis (Bâle, 1909), l'une de Salvan :
Les tribulations de Tampagnon (p. 30-34), l'autre, très sommaire, de
Bourg-Saint-Pierre: Der dumme Sohn (p. 83-84). Nous avons entendu
le même conte, avec des variantes, à Evolène. Sous la signature de
Pierre d'Antan, le Papillon du 50 septembre 1903, p. 154-155, a aussi
publié une version en français populaire vaudois : Le dadou des Ornionts.
A comparer également un texte engadinois recueilli par G. Barblan, et
intitulé /a^«a« Sclmmbocker, dans les Annalas délia Socicta reto-romantscha,
XXIV (1909), p. 287-292.
LH TABŒO" 21
tsè°'*dair^, li inarmit'^, U koupmâfouo, è Va prbm9nô son-n
âno tb h d^œ pè h vplâdio par kè krèyé kè l'êr'^ déns^ k'on
niMâv^ la bonpya. Kaii l'è vpiiu a myèd:^œ, l'avé fan, è l'a
valu fîr on.na bona scûy^ ; Va mèUi Vân ii bè°" è y a baya
on pa' dp fin è Vè tbrnô ina pb ftr^ son dpné. L'a mètii su
h foiia on.na pila è dp balro dpdin, è poua* Vè parla* bâ a
la kâva poiip tchèrlché on tchnr dp vén. Kan Va jii la meiya
du dpmi litr dy vén, s'è tbrnô msœvèni kè Vavé lâcha Ip bâlro
su Ip foua. L'a plakô dp trfr'^ Ip vé)i è Vè venu vif ver« Ip
bcUro, SB se bourlàv^ pa, è Va lâcha la dyidèta uverta. Kan
Va ju yu hp Ip bâlro Ver^ fo bourlô, Vè tbrnô ponblé ba a la
kâva, è Ip vén Vè ju tb fœ°"ra du bbsé. A don savé pa kbmin
ffr^ poup fîr^ sètché Ip vén è h fîr^ parti dp la kâva. L'avé
0)1. na kbvfr'^ è dè:^'^ poud~én, è Va pinsô k'in mètin on sa d^
kourts è dp farpna prpmyé, la kbvô Varé prœ<"* tb nièdjya.
cuvier tout ce qu'il a trouvé de noir : les chaudières, les mar-
mites, la crémaillère, et il a promené son âne tout le jour par
le village, parce qu'il croyait que c'était ainsi qu'on « menait »-
la lessive. Quand midi est arrivé, il avait faim et il a voulu
faire un bon repas; il a mis l'âne à l'étable et il lui a donné un
peu {litt. un poil) de foin et il est retourné en haut pour faire
son dîner. Il a mis sur le feu une poêle et du beurre dedans,
et puis il est descendu à la cave pour chercher une goutte de
vin. Quand il a eu la moitié du demi-litre de vin, il s'est sou-
venu qu'il avait laissé le beurre sur le feu. Il a arrêté de tirer
le vin et est vite venu voir le beurre, s'il ne brûlait pas, et il a
laissé ouvert le robinet du tonneau. Quand il a eu vu que le
beurre était tout brûlé, il est redescendu au galop à la cave, et
le vin était tout sorti du tonneau. Alors il ne savait pas com-
ment faire pour faire sécher le vin et le faire disparaître de la
cave. Il avait une poule couveuse et douze poussins, et il a
pensé qu'en répandant dans le vin (////. en mettant parmi) un
sac de son et de farine, la couvée mangerait bien tout. Il est
2 2 J. JEANJAQUET
L'e poiia' alô lyéri la kbvô, nii l'an pa vblii iiièiijyê. Adoii y
è vpnii. tan rad;^» kp l'a de : « D'aboiio h vb vola^ pa luèdjyé,
kà°'*vèrai prè^" yo », è s'è chèiô su la kbvô è l'a inmètyèlô
li poud/^èn. Kan la uiîr'^ l'è jua dp rètô è kè l'a ju yii la
kbvô ininètyèlay^, y a de ■' « Bâ°^*gro dp fou, tp sa vin ffrK
Etèra' prœ°'^ yb a iné:^on, è tœ, t'îri a la faire. »
Lp prpmyé dplon, Va poua* in.oupya h boubo a la fair^ pbr
ad:(Pté dé-:^ aotipd^. Kan rintrâv^ h niïmo ni, koiimin y ër^ on
grô trœ, l'a volii se rppb:{è din on.na grand^, è kouinin //-^
aoupd^ l'inbarasav^", //-;{; a fblyiiè din lp fin. Kan l'a volu
tbrné parti, lp niatcn, l'a pa pbclm trœvé li-:^ aonpd'^ è l'è
iiô iiblidja dp parti déns^. Kan l'è arpvô a la barak, la inîr^
l'a tsénkanya lœ^ è y a de : « Savé tœ pa pèdé li-^ aoiwd^ din
donc allé quérir la couvée, mais ils [les poussins] n'ont pas
voulu manger. Alors il s'est tellement fâché qu'il a dit :
« Puisque vous ne voulez pas manger, je couverai bien moi-
même », et il s'est assis sur la couvée et a écrasé les poussins.
Quand la mère a été de retour, et qu'elle a vu la couvée
écrasée, elle a dit au garçon : « Bougre de fou, tu ne sais rien
faire. C'est moi qui resterai à la maison, et toi, tu iras à la
foire. »
Le lundi suivant {litt. le premier 1.), elle a donc envoyé le
garçon à la foire pour acheter des aiguilles. Quand il rentrait
le même soir, comme il y avait un grand bout [de chemin],
il a voulu se reposer dans une grange, et comme les aiguilles
l'embarrassaient, il les a jetées dans le foin. Quand il a voulu
se remettre en route, le matin, il n'a pas pu trouver les aiguilles
et il a été obligé de partir ainsi. Quand il est arrivé à la mai-
* Litt. « l'a grondé h ». Cette répétition du pronom régime après le
participe, qui revient encore une fois plus loin dans notre texte, est
exceptionnelle en Valais. C'est une particularité par laquelle le patois
de l'Entremoiit trahit le voisinage des dialectes piémontais, où on sait
qu'elle est de règle.
La TABŒOU 23
//' mand:(^ ? L9 matén, tœ li-i are trœvi. Inféii, t'aré dyu
myœ°^ fir^ kè sin, din tytiè li ka. Dplon kè vcii, tp làrnpri
on.n âtra yâd^ a la fair^ è t'ad^ètpri on.na trin. » Lp boubo
l'a fi sin kè y ér^ kàmatidô è a ad:;^plô oti.iia bêla Iriii. L'a
vblu se tbrné rppo:{é din la mîma grand:;^ , mi sén hou l'a valu
fîf^ sin kè la mîr'^ y avé koinandô l'âtrp kou. L'a poiia' sar-
ta* la trin din li inand;;^, è, prœ°" chnîr^, son jiiè totè parque.
L'è arpvô kan ninno a nié:(on h Vunipinan, è la i/ifr'^ l'a ko
Iscnkaiiya niî k.y h prpnii di kou yi dp~in : v Arc tœ pa pbcbu
kbpé on mand:^ è perte la trin su l'épâla ? L'i poua' èlèvô
on grô tabœ°'* ! Tçrna èprœvé kb on yâd:^^ d'alé a la fair^ e
tp m'ad::etpri on kayon. » Lp boubo l'a ad^Ptô on jbli pptyoïi
kaypni poup on~p fran, l'a poua' kbpô on )}iand:^, kouiiiin y
avé de la mîr'^, è,pb pbva' porté lp kayon, y a sarta' lp mand^
u kou è l'a porto déns'^ tink'a mé^on. L'a pa mankô, lp kayon
son, la mère l'a grondé et lui a dit : « Ne pouvais-tu pas piquer
les aiguilles dans ton habit? Le matin, tu les aurais trouvées.
Enfin, tu aurais dû mieux faire que ça, dans tous les cas. Lundi
prochain, tu retourneras à la foire et tu achèteras un trident. »
Le garçon a fait ce qui lui était commandé et a acheté un beau
trident. Il a voulu retourner se reposer dans la même grange,
mais cette fois il a voulu faire ce que la mère lui avait recom-
mandé la dernière fois. Il a donc planté le trident dans l'habit,
et, naturellement {litt. bien sûr), celui-ci a été tout percé.
Il est arrivé quand même à la maison le lendemain, et la mère
l'a encore grondé davantage que la première fois, lui disant :
« N'aurais-tu pas pu couper un manche et porter le trident sur
l'épaule? J'ai donc élevé un gros benêt ! Essaie encore une fois
d'aller à la foire et tu m'achèteras un cochon » Le garçon a
acheté un joli petit porcelet pour onze francs, il a donc coupé
un manche comme sa mère le lui avait dit, et, pour pouvoir
porter le cochon, il lui a enfoncé le manche dans le derrière et
l'a porté ainsi jusqu'à la maison. Cela n'a pas manqué, le
24 J- JEANJAQ.UET
Ver'^ oiierba krapô han l'è ar9vô. La fnj/^ l'a tsénkanya lœ
on-n âtrd yàd:^ e y a de kg p°"b h darai yâd:^ Valâv^ èprœvé
dp b fîr^ torné a la fair'^ par ad^^plé on.na tsè°"dairK Lp
houbo Vè prà^** alô è l'a prœ^'* ad^plô na bêla tsœ°'*dair^, ouà
mi u yiia dp la pbrlè, a ad:{Ptô on kordi è l'a trênây^ tjnkè
a mé\Oii. La tsœ°^dair^ l'è jua tota pai'Xç è la mîr\ sén kou,
y a fbtu on.na tinbarlô è l'a pa mi in.oupya a la fair^.
cochon était crevé depuis longtemps quand il est arrivé. La
mère l'a grondé de nouveau et lui a dit que pour la dernière
fois elle essayerait de le faire retourner à la foire pour acheter
une chaudière. Le garçon est bien allé et a bien acheté une
belle chaudière, oui mais au lieu de la porter, il a acheté une
cordelette et l'a traînée jusqu'à la maison. La chaudière a été
toute percée et la mère, cette fois, a flanqué une rossée à son
garçon et ne l'a plus envoyé à la foire.
J. JEANJAQ.UET.
II. Le duvè lâvrè e la pèdzè.
Anecdote ex patois de Vaugondry (Vaud).
Me fyo bin kp va n'a pâ ^œ :(u ^ konyu Abran Dagon dà
Tsan-Rptsâ (Abran V abondansè k'on l'avà bâtsî). L alàvè
kokè yâd^o a l'akrppya'^, e l'in koniâvè dà totè rade, témouin
chta-^-isè : On devèloné^ de chtu deràlin^ pasâ, kp n'avi ta
Les deux lièvres et la poix.
Je pense [je me fie bien] que vous n'avez pas connu Abram
Dagon des Champs-Richard (Abram l'Abondance comme on
l'avait surnommé). Il allait quelquefois à l'affût [du lièvre], et
il en contait de très (toutes) raides, témoin celle-ci : Un soir de
LE DUVE LAVRE E LA PÇDZE 2$
rpdii^ (s' et à aprî la Sin- Martin), ne volyi iyâ lo hayon h
lindeman ; no falyà dao salpitro, kokè-^ espiso et de la pèd:(è.
M'in vé a On.nin po sin tsertsî tsî rElçnè. Rechtari''^' pptitrè
en œra a barè demi po avoué Loni ao jardinyé, tsî Ronyon,
epoiii m'in rpvmyo amon. Kan fouir i^ din lo boû, in-desu de
la Kodrèta, véyo to por on koù na làvra h dechindà avo lo
tsemin. « Te raod:{à pfrè », kp me sond^^o "^ , « te nâ pà ton
fu:(i, pâ pîr on bâton, ke fo-t e j'ere ? » La làvra venyà adï.
Kan le foup to prî de me. plyaf ! lyà foto nia pèd^è pe lo
mouèti. E ne Vé pâ mankâyp. Y'alâvo l'apouènyî tindu h le
tsertsîvè de se deped:{asî^ avoué le pî devan^. Mé in vouàtsé
en otra hp venyà amon lo tsemin, vantratarp ; le rinkontrè
Voira nâ a nâ, e ma fa! le se son apedjè^^ t le-^ é ^ve le
duvè.
l'automne passé, que nous avions tout réduit [terminé les tra-
vaux de la campagne], (c'était après la Saint-Martin), nous
voulions tuer le porc le lendemain; il nous fallait du salpêtre^
quelques épices et de la poix. [Je] m'en vais à Onnens pour
« cela chercher » chez l'Hélène. [Je] restai peut-être une heure
à boire [un] demi-pot avec Louis au jardinier, chez Rognon,
et puis [je] m'en reviens «en-haut». Quand [je] fus dans le
bois, en-dessus de la Coudrette, [je] vois « tout pour un coup »
un lièvre qui descendait « en bas » le chemin. « Te ronge seu-
lement [le diable t'emporte] », que je pense, « tu n'as pas ton
fusil, pas même un bâton, que faut-il faire ? » Le lièvre venait
toujours. Quand il fut tout près de moi, paf ! [je] lui lance la
poix « par » le museau. Et [je] ne l'ai pas manqué. J'allais
l'empoigner pendant qu'il cherchait à se dépêtrer avec les
pieds [de] devant, ^lais en voici un autre qui « venait en haut »
le chemin, ventre à terre ; il rencontra l'autre nez-à-nez, et ma
foi ! ils se sont collés l'un à l'autre et je les ai eus tous les deux.
26 s. GANDEK
NOTES
1. Passé surcomposé, cf. a-vo i{é Z" '^" " aférè dise = avez-vous
« eu eu vu » une affaire « ainsi » r= jamais vu.... ; à-vo \é ^u medj^ï
de la tsè de tsevô = avez-vous jamais mangé de la viande de cheval?
Dans d'autres parties du canton on prononce zao :(u.
2. Litt. à l'accroupie.
3. Litt. de vers le miit. Le patois distingue entre h né =: le soir et
la né =z la nuit. Le « devers le nuit » indique la tombée de la nuit.
4. Litt. dernier-temps ou derrière-temps, les expressions dernier et der-
rière se confondant en patois.
5. Réduire prend chez nous le sens de mettre à couvert, engranger,
etc.
6. Curieux restes du passé défini : ce devaient être à l'origine des
premières personnes du pluriel. Avant la perte totale d'un temps, cer-
taines personnes, mieux gravées dans la mémoire que d'autres, en
prennent les fonctions pendant un temps restreint.
7. Litt. songe.
8. Tiré àe pèd\è, poix, au moyen du suffixe -asT = -aceare.
9. « Les pieds devant », comme derrière s'est confondu avec dernier,
voir plus haut note 4, dei'ant fonctionne également comme adjectif.
10. L'infinitif est apéd^T . « adpidicaré », de *pidicus pour
picidus, poisseux; le part, passé masc. est apèdjj, le fém. apèdja
pour un ancien *apèd^ya, au pluriel apèdjè pour *apédj^é.
S. Gander.
ETYMOLOGIE
— î—
Suisse rom. cetoiir, «cellier».
II existe dans le Bas-Valais, les Alpes vaudoises, la Gruyère
et la région de la Haute-Broye un terme patois qu'on peut
franciser en cetoiir et dont la signification générale correspond
à celle du français « cellier ». La forme du mot varie beaucoup
suivant les patois. Hunziker, Das Schweîzerhaus,i.\,\). 191, et
t. IV, p. 127, indique pour le Valais, Vaud et Fribourg les
variantes fartô (Saint-Maurice), i}artô (Daviaz, Bas-Serre),
ETYMOLOGIE 27
•^ertp (Vérossaz), ê^eto (Salvan), feto (Finhaut, C'ollonges),
??«'/(«' (Champéry), ?^é'/'ç(Gryon), j^//r (Diablerets),/*?/"^ (Lavey),
fetô {Posses),/re fou (Palézieux), fetoua (Ecublens. Vauderens).
Plusieurs de ces formes demanderaient à être contrôlées. Nos
correspondants ont noté pour le Valais_/"/V<)(Martigny-Combes),
X<^^iO (Vérossaz), ;|^/ft'/a' (Champéry), et {htoua en Gruyère.
V Atlas linguistique de Gilliéron, carte 203 (cave), enregistre
seulement sçrtd au point 969 ( L'Rtivaz, Vaud). La signification
diffère aussi quelque peu suivant les régions. En Valais, le
retour est un local non éclairé, occupant la partie inférieure
de l'habitation, au niveau du sol, dans lequel on conserve la
provision de vin et de fromage, et qui sert aussi de réduit pour
•différents outils et ustensiles. Dans le canton de Fribourg, c'est
l'idée de garde-manger qui prévaut. Bornet, dans son vocabu-
laire gruyérien (^manuscrit), explique ■ijetoua py « cellier qui
•sert de dépense, de garde-manger où l'on dépose lait, beurre,
fromage, pommes de terre, etc. : le thetoa remplace la cave. »
Dans le patois des Alpes vaudoises, le mot s'applique aussi à
ces petites constructions répandues dans le vignoble de la
Plaine du Rhône, qui servent de gîte aux habitants des villages
de la montagne pendant les quelques jours qu'ils consacrent à
la culture de leurs vignes, et qui renferment aussi un petit
pressoir et des ustensiles de cave. C'est l'équivalent des
« mazots » valaisans de la région de FuUy. En dehors du terri-
toire restreint indiqué ci-dessus, cetour semble inconnu aujour-
d'hui aux patois vaudois. Mais il a dû y occuper un domaine
plus étendu jusqu'à une époque assez récente. Dumur enregis-
trait/(?r/<^ dans son glossaire de Lavaux, vers 1840, en le qua-
lifiant de vieilli (voir Gignoux, Terminologie du vigfieron, p. 33).
On rencontre saire to^ dans la brochure intitulée La Jointe où
l'on va, imprimée en 1801, et qui doit représenter le patois de
la région d'Vverdon (voir Recueil Corbaz, p. 27). Mais l'aire
' Modifié en serretot dans la réimpression du recueil Po recajâ (Lau-
sanne, 1910), p. 56.
28 J. JEANJAQ.UET
du mot s'agrandit notablement si on consulte les anciens docu-
ments. 11 apparaît fréquemment jusqu'au xvii^ siècle dans tout
le Pays de Vaud sous les formes cetor^ sertor, certor, certour^
etc. En voici quelques exemples empruntés à des pièces des
Archives cantonales vaudoises : la garnison (= ferrure) mise
en la porte du cetour au dit truyt (pressoir) (Comptes, Lau-
sanne, 1537); A ceste houre, le dit estrable reduict en sertor
(Dommartin, 1548); Souventeffoys, il est entrer au settour de
la mayson d'habitation... pour boyre du vin (Morges, 1556);
Un petit trapon pour dessendre au certour (Vevey, 1 609) ; Ititra
secrètement dans le sertour, où il prit pleynes ses poches de
pommes (Glérolles, 1624). Cetour a aussi été en usage à Neu-
châtel. Dans les extentes de 1353, f° 4, on lit: Lour mayson^
exceptel le citour'^ desoubt (Arch. de l'Etat). Des rôles de bour-
geois de 1396 et 1436 indiquent un Jehamioni du cetour et les
hoirs Guillanie du cetor (Arch. de la Ville). Mais le mot dispa-
raît de bonne heure de cette contrée. Nous n'y en connaissons
pas d'exemple postérieur au xv^ siècle. A Fribourg, un Uldryet
dou cetor figure parmi les habitants de la ville en 1379 (Zim-
merli, Sprachgrenze, II, p. 96). Une traduction française de la
Handfeste, dont le manuscrit est de 1406, traduit: cuicumque
foderit cellarium par : se aucun crouse son cetour (Rec. dipl. de
Fribourg, I, p. 39, et Handfeste, édit. Lehr, p. 70). Dans les
comptes de la ville de l'année 1418 se trouve un poste: por
treire les VI bosses de vin fur s dou cetor '^ {Rec. dipl., VII,^
p. 65). Le mot n'est pas rare non plus dans les anciens docu-
ments de Genève. Notons p. ex. dans la collection d'inventaires
des Archives cantonales : Ung grant exchieffoz a fere buye
^ M. le D"" Guillaume a pris à tort ce citour pour un puits ou citerne^
dans sa notice historique sur l'Alimentation d'eau de Neuchdtel, Musêe^
neuchâtelois, 1887, p. 62. Cf. Roulet, Statistique de la ville et banlieue de
Neuchdtel en 13SS' P- 8.
2 Exemple cité par Godefroy, qui n'a pas su comment l'interpréter.
L'explication en a déjà été donnée dans le Dictionnaire savoyard, sous
cet or.
ÉTYMOLOGIE 29
{= cuveau à lessive) estant au citor (Inv. Deluc, 1542); Au
iitour du dict Jehan Coquet, dix bosset ou fustes plaines de vin
(Inv. Coquet, 1546). Le nom de famille Dustour, qui existe
actuellement à Genève, doit avoir la même origine et repré-
senter un plus ancien du cetour.
Dans les documents latins de la Suisse romande, notre mot
est toujours rendu par citurnus, citurnum. Le plus ancien
exemple que nous en connaissions se trouve dans un acte no-
tarial relatif à Pomy (Vaud), daté de 13 10: Sextam partem
unius citurni siti ante doinum suani, qui citurnus partitur cum
Perroto Rolier, etc. (Min. Collondel, f» 208 v"). Un autre de
Gorgier (Neuchâtel ) est de 1340: dotnus dicta Gravan}\ citur-
nus^ et marescarcia (Matile, Monuments, L p- 478)- Pour
Genève, citons : Ne aliquis vendat vinum infra civitatefn, vide-
licet infra citurnos vel sub tectis (1461, Reg. du Conseil, I,
p. 60). En Valais: Ad eundum in citurnum;... parietes sépa-
rantes hypocausta (les chambres d'habitation, poêles) et citurna
(Bagnes, 1635. Min. H. Mariete. Arch. cant. Sion).
En dehors de la Suisse romande, cetour ne paraît attesté
qu'en Savoie, où il est encore usité dans toute la région com-
prise entre le Léman et le lac du Bourget. Le sens est le même
qu'en Suisse, les formes également assez variées : setor, fetor,
sartb , fartb. fertb (voir Dict. sayoyard , cëtor et fartb\
Fenouillet, Patois savoyard., sartot et fartot). Le type latin
habituel est ici suturnus, sutturnus, soturnus. On en trouvera
de nombreux exemples à partir du xiv= siècle dans les comptes
publiés par ^L Bruchet en appendice à son Etude archéolo-
gique sur le château d' Annecy (ainsi p. d^., 64, 66, 67, etc.), et
dans le précieux glossaire qui accompagne le Château de
Ripaille (Paris, 1907) du même auteur, au mot suturnus.
' Matile imprime ci te mus ; mais le document, qui est une copie
vidimée de 1419, porte très distinctement après le / l'abréviation habi-
tuelle de iir et non celle de «'. Cette mauvaise lecture a entraîné la
traduction erronée «la citerne » dans Chabloz, La Béroche, p. 33.
30 J. JEAX]AQ.UET
Quant à l'origine du mot. le Dictioniiaire savoyard signale
sans l'admettre l'explication de Constantin, d'après laquelle il
correspondrait à une forme française serre-tout, ce local ser-
vant à serrer, à remiser toute sorte d'objets. Cette étymologie
nous a aussi été indiquée spontanément par certains correspon-
dants^, et il n'y a pas de doute que c'est ainsi qu'interprètent
beaucoup de ceux qui emploient le mot aujourd'hui. Mais il est
facile de voir que c'est là une simple étymologie populaire,
incompatible avec les formes anciennes et bon nombre des
variantes actuelles. Le type primitif n'avait sûrement pas d'r
intérieure. Celle-ci s'est introduite probablement par réaction,
à l'époque oii V r finale devenait caduque ; au lieu de setor on
a dit serto(r). Le fait que le groupe -rt- est fréquent à l'inté-
rieur des mots a dû favoriser cette modification. Cf. les cas
analogues y(9//r^^ (tablier) à côté dt/oî/da <faldare, ourtâ
(autel) < altare. sourdâ ''soldati < soudard.
M. A. Thomas a indiqué récemment une étymologie beau-
coup plus plausible. Partant du mot mediurnus, «moyen»,
rencontré dans une ancienne traduction latine des œuvres
d'Oribase, il montre que le suffixe -urnus a eu une certaine
vitalité en roman et reconstitue un type subturnus, dérivé
de subtus, comme base du setor savoyard^.
Cette base rend-elle suffisamment compte de toutes les
variantes que nous avons constatées ? L'^ qu'offrent partout
les formes patoises en regard de 1'// de subturnus ne fait pas
de difficulté. La dissimilation de o-o en e-o dans deux syllabes
consécutives est un phénomène très répandu et attesté pour la
région franco-provençale par plusieurs exemples. Ainsi sav.
sorore > serœu, vaud. dolore> delâo, soluculu > selâo,
' Elle est déjà exprimée dans la graphie saire ta du texte de 1801
cité plus haut.
- Notes lexicografiques sur la plus ancienne traduccioii latine des euvres
d'Oribase, dans les Mélanges Louis Havet, Paris 1909. Dans sa Mono-
graphie du patois savoyard (Annecy, 1903), M. Fenouillet avait déjà
indiqué subturnus comme étymologie àe setor.
ETYMOLOGIK 3I
rùbore> *revor> ravèu ( voir Bu//e/tn, Yll (igoS), p. 55-57).
Il est donc parfaitement admissible que subturnus ait passé
à setor. La terminaison patoise correspond aussi fort bien à
-urnus, et rime exactement avec les dérivés de diurnu, furnu;
de là frib. {}etoua, comme furnu > foua. Le traitement de la
consonne initiale seul ne paraît pas concorder. \Jf de nom-
breux patois savoyards et bas-valaisans, et ses équivalents û
(Frib., Val.), "j^l (Val.), apparaissent dans la règle comme
développement d'un c initial suivi de e ou /': centu>yf«,
ûin, Xlin, cineres > Jindrè, c\r c\.\\u, faryjo, etc. Le type
latin ci t urnus, seul usité en Suisse, semble donc à première vue
devoir être préféré au savoyard suturnus. Toutefois ce der-
nier n'est pas absolument incompatible avec ^f {d^^yj) initiale.
Il est certain qu'il y a des exemples d'.$ aboutissant au même
résultat que c ^' '. A l'intérieur du mot, le phénomène paraît
être lié à la présence avant s d'une n ou d'une / : insimul >
infinblo ,^Vi\v'\%-\- à. > pœufa, salsitia > sa'ufyri}? ( Vionnaz),
sœufps3 (Savoie), etc. A l'initiale, nous ne voyons pas de cause
phonétique déterminante, et il s'agit probablement d'influences
analogiques dans les rares cas que nous connaissons, et dont
l'aire est restreinte : singulu > fanglio (Sav.), soluculu >
/èid'u (Gen., Sav.2),summu> /?6?// (\^al.), *summione> yjo//-
dzon (Val.). Ils suffisent cependant, croyons-nous, à justifier la
possibilité de subturnu >y"(?/^r, ferto, Reloua, etc. Les plus
anciens exemples de citurnus n'étant pas antérieurs au
xiv« siècle, ce type peut être interprété comme une latinisation
erronée de la forme patoise d'après la correspondance habi-
tuelle/,/^ = c^-'. On peut aussi supposer que cellariu, qui
subsiste dans une partie du territoire romand et représente pro-
bablement le type indigène primitif, a provoqué la substitution
* Ti-, ci- ne donnent/(ii, xh que lorsqu'ils sont précédés de con-
sonne: cantionem. tsanfon, etc. Nous n'avons donc pas à nous en
occuper ici.
- A Evolène (Valais), où, à l'initiale, s > cl), tandis que c^i^'^ s,
on a aussi sole + ittu "^ sôlèt (soleil), mais solu + ittu > chàlct.
32 J. JEANJAQ.UET
de ce- à se-i. Tout cela semblerait indiquer que cetour
n'appartient pas en Suisse à une couche bien ancienne et que
le centre de propagation du mot doit être cherché vers le Sud,
-dans cette région de la Savoie où il est toujours latinisé en
suturnus. Ainsi s'expliquerait aussi pourquoi l'/initiale appa-
raît dans des patois où elle est sans cela inconnue, comme
c'est le cas pour le patois de Lavaux, oxxferto est isolé.
La provenance méridionale de cetour est confirmée par la
présence dans les dialectes du Midi de la France et en catalan
d'un mot évidemment apparenté sotol, sotoiil, soutoul, etc.,
dont la signification est aussi « local au rez-de-chaussée pou-
vant servir de cave ou d'étable ». (Voir Raynouard, sotol ;
Mistral, soutou ; Godefroy, sotoul ; Du Gange, sotolunî).
M. Thomas admet pour ce mot une base subtulus, qui se
trouve parfois dans les actes latins, et que M. Meyer-Lubke
rattache aussi à subtus [Gramm. rom., II, §430). Ges dérivés
-subturnus, subtulus, n'en restent pas moins, à nos yeux, un
peu étranges et, en regard du français souie, de l'espagnol
sotafto, cave, etc., l'hypothèse d'un radical sii tt-, d'origine incer-
taine, nous semble aussi pouvoir être prise en considération.
J. JEANJAQ.UET.
* La iorme fétâi. « cave », notée par M. Gilliéron à Vionnaz, semble
hien résulter d'un croisement entre suturnu et cellariu, qui
aurait maintenu ici non seulement so 1 initiale, mais aussi sa termi-
jiaison.
•s^-r-^^-
LA TRILOGIE DE LA VIE
-^ -
II
fèrnialyô, s. f. pi. fiançailles.
fcrmalyè (Vd, V, F), frèmadè (Vd Château-d'Œx), fèrmadè
(V Conthey), farniàh (V Châble, Atl. ling. d. l. Fr. 563,
Va doit être bref).
I. fiançailles; 2. contrat de mariage; 3. repas de
fiançailles.
1 . Aie sovigno d'o?i poitro coiier, qti'a veindu la senanna de
se fermaillé un boccon de courti, por conteinta lé valet, je me
souviens d'un pauvre individu qui a vendu, la semaine de ses
fiançailles, un morceau de jardin pour contenter les jeunes
gens (pour payer la rançon due à la société de garçons, v. 7Jia-
ryàdzo, ^wj'^/.),Bridel, Valets, Recueil Corbaz, p. 57. Oiiand
nos iratis bas per stau fins, Avuei neutres Ermaillès, Te fnè
parlavè, m' in sovins, Totevi de fermaillé s. Quand nous étions
là-bas dans ces prés, Avec nos bestiaux, Tu me parlais, je m'en
souviens, Toujours de fiançailles {Bergère abandonnée, Helv.
Alm. 18 10, p. 121). Fera le fèrmqlye, célébrer les f. F. Nous
n'avons pas d'exemples pour les sens 2 et 3, indiqués par
Dumur, Voc, mais notre correspondant de Château-d'Œx défi-
nit le mot : « reconnaissance ou contrat de mariage entre les
époux», et Barman donne dans son Voc, outre le sens de fian-
çailles (Martigny), celui de « fête du jour du mariage». Comp.
Jermalyé (V Lens) = repas de fiançailles.
Ilist. Le mot est tombé en désuétude dans les cantons de
A^aud et du Valais, mais il est encore bien vivant et attesté par
3
34 L. GAUCHAT
tous les dictionnaires dans celui de Pribourg. II a dû être très
répandu : on trouve/erma//ias, fiançailles, en ancien provençal i
fermaille^ avec le sens plus général de traité, accord, en vieux
français. Plusieurs patois français modernes ont conservé le
mot avec notre sens, tandis qu'en provençal d'aujourd'hui il a
pris la signification plus spéciale de repas de fiançailles. Dans
la Suisse romande, il a eu pour concurrents : les mots français
fiançailles, protnesse{s) de mariage, accord, accordailles, outre
les mots patois akbrdairon (Vd) et grintÔ (Vd), voir sous ces
mots. Le verbe {se^ fiancer est peu populaire dans nos contrées :
il est emprunté à la langue littéraire ou remplacé par pro-
mettre, être promis, s'accorder, s'arranger, s'engager, s'épouser,
faire le nœud. Il existe cependant des termes autochtones :
krintâ, èkrintâ (V, comp. grintÔ, cité plus haut) et s'alyansi
(« s'alliancer» N), voir ces mots. La carte 563 de \ Atlas ling.
de la France (ils sont fiancés^ présente la même bigarrure de
termes, mais plus en grand. Le fiancé, la fiancée se disent, en
laissant de côté certaines tournures ironiques, très occasion-
nelles, avec le mot français, plus ou moins adapté au patois
(voir sous fiyansé)., ou en employant des mots tels que le pré-
tendu, le futur, V époux, le sien (V), son grivois, sa grivoise
(N Val-de-Travers); mots du crû: tsèrmalai (Vd Vallorbe), qui
a signifié d'abord autre chose, voir maryàdzo, Encycl., méHin
(Vd Chenit), « le pain bnîlé » := fiancé, « la miche brûlée >'
= fiancée (Vd Salvan), Ip bé, là bal (« beau » B), etc. Plusieurs
de ces derniers répondent aussi à l'idée de bon a?ni, voir sous
an.?nâ. Mais l'expression la plus usitée pour fiancé, -ée est le
promis, la promise, voir sous promè (promètu). Vieilli: akbrdâyd,
fiancée (Vd). Périphrase humoristique : ne fidi, ne fcna, ne
putan, ne vèva, «ni fille, ni femme, ni putain, ni veuve»,
=^ fiancée (Vd Leysin).
L'expression y?rw^/y^ est tirée du latin firmus, firmare,.
rendre valide, garantir, pris dans un sens juridique (comp. le
développement de sens firmare— > «'^«^r en italien), à l'aide
du suffixe -a lia, emprunté dans ce cas peut-être à sponsalia^
LA TRILOGIE DE LA VIE 35
fête de fiançailles. Ce dernier s'est perpétué, chez nous, très
faiblement, sous la forme épbzalyè (voir ce mot).
Encyel. 1. Les fiançailles, qui étaient, pendant le haut
moyen âge, une espèce de marché conclu entre le fiancé et le
père ou tuteur de la fiancée, ont beaucoup perdu de leur
ancienne importance. Le terme de fèrmalyè, ainsi que ses
synonymes (p. ex. accbrdairon ; grintÔ, de *credentale,
comp. en vieux français creanter, graa7iter^ garantir) renfer-
ment en eux-mêmes le souvenir du respect avec lequel on trai-
tait la chose et de sa valeur juridique. Le déclin actuel des
mots symbolise celui des usages. M. E. Ritter a publié dans les
Etrennes chrétiennes de 1887, p. 167-193, de curieux extraits
des registres du Consistoire et du Conseil de Genève, datant
du xvi^ au XVIIF siècle et démontrant quelle importance on
accordait jadis aux promesses et aux gages échangés entre
fiancés. Les Conseils avaient le pouvoir de les déclarer nuls ou
de forcer les rétractants à les maintenir. « Que nulle promesse
de mariage ne se fasse clandesunement....,mais qu'il y ait pour
le moins deux témoins, gens de bien et de bonne réputation. »
(Ordonnances ecclésiastiques passées en Conseil gén. en 1576 :
Ritter, p. 170). Nous lisons dans les Mémoyres d'Abraham
Chaillet (Neuchâtel): 1664. «Le 8 janvier sont estées faictes
les fyançailles de Marguerite ma fille, en ma maysson, avec
Louy fils de feu noble Abraham Chambrier.... Dieu les veuille
begnir. Amen. Le traicté de mariage (qui pouvait donc se
faire à la même occasion) a esté receu par le S'' Jonas Purry et
le grephier Benoict Cortaillod» {Musée neuch. 1898, p. 73).
Toutefois, M. Ritter produit déjà des pièces d'où il ressort que
les Conseils étaient quelquefois impuissants à se faire respecter
par des époux récalcitrants. Aujourd'hui, le clergé et le gou-
vernement n'interviennent pas avant la publication des bans
de mariage, à moins qu'il n'y ait une plainte pour dommages
et intérêts ou tort moral. Les fiançailles sont devenues aftaire
privée. Le jeune couple se dispense même assez souvent de la
formalité de fiançailles officielles et passe immédiatement de la
^6 L. GAUCHAT
« fréquentation » (voir sous an.mâ) aux « annonces ». M. Gabbud
(Bagnes) écrit dans les Archives s. des trad. pop. V, p. 48 :
« Les projets de mariage ne sont révélés aux parents eux-
mêmes qu'au cours des derniers jours précédant la publication
des bans. Afin de tout dissimuler jusqu'à la dernière minute,
on attend pour aller ftiarquer (inscription des bans) que la nuit
soit complète : c'est alors seulement que l'on gagne le presby-
tère par quelque sentier détourné ». Heureuse la jeune fille qui
n'a pas besoin de se répéter le proverbe vaudois : la pronièsa
d'on galan dure atan tyè o?i botyè blyan (autant qu'un bouquet
blanc).
2. Les vieux papiers publiés par M. Ritter relatent une cou-
tume symbolique dont toute trace a disparu : « la dite Emery
requérant que le dit Groby soit condamné à accomplir les
promesses de mariage par lui faites a la dite Emery, accompa-
gnées et confirmées par toutes les circonstances pratiquées en
semblable cas, jusqu'à avoir bu onsemblo au nom de ma-
riage, en mêlant le vin du verre de l'un dans celui de l'autre,
à la manière accoutumée, en présence de parents, et reçu de
part et d'autres les félicitations ordinaires » (année lyoïjp. 187,
passage reproduit dans les Archives s. des trad. pop. L 74) ;
« burent en nom de mariage » (année 1655, ib. p. 176).
3. Nous apprenons de quelle nature étaient les gages réci-
proques : la fiancée reçoit des gants (p. 172, 186; coutume
conservée dans le Bas-Poitou et dans l'Aunis, voir Scheffler,
Die franz. Volksdichtung und Sage, I, 164), un quart de louis
d'argent, des épingles et une bague ; le fiancé reçoit en retour
un mouchoir à pointe (dentelle, p. 176); elle reçoit une bague
■de diamant, lui des bracelets (p. 179). Aujourd'hui on se donne
avant tout le traditionnel anneau d'alliance, qui remonte au
temps des Latins, appelé anà, baga [d'aliyansa, de maryâdzo,
bàg ds nas = noces, B), vcrdzd ou verdzèta (V), ironiquement
frepa {frette) ou fèrao^ {ferraille, V Isérables). Superstition
notée à Hermance (G) : pour rester maîtresse dans le ménage,
il faut vite courber le doigt quand on reçoit la bague d'alliance,
LA TRILOGIE DE LA VIE 37
pour qu'elle ne dépasse pas la jointure. — Le fiancé fait aussi
cadeau d'autres bijoux : broches, colliers, pendants d'oreilles,
montre en or, ou de pièces d'or de 40 ou de 100 francs. Les
présents dans leur ensemble portent le nom de gadzo (voir ce
mot), ingazhnin (proprement engagement, V), cy (= ?, F Mont-
bovon), erè (litt. arrhes, F), rnondrc (du latin munera, F). On
voit par-ci par-là le mot promesè se matérialiser et prendre le
sens de gages (Vd et F). On se sert aussi des désignations
générales de kadô, ètrin.na, don.na, etc.
\. Le repas do (ian<;ailles est peu usité de nos jours. II
portait le nom de sbpat{ï\\X. petite soupe, « souper offert autre-
fois par les fiancés à leurs parents et amis quelques jours avant
la noce », B), s3pâ, choupâ, etc. di fyansqlyc (Alpes vaudoises)^
bqla dsmèindzs (« beau dimanche », parce que le repas se fai-
sait surtout le premier dimanche de la publication des bans à
l'église, chez les parents de l'époux, Vd), grmtou ( Vd Vallée
de Joux), rabota don krintâ (« ribote des fiançailles », V Grône),
fèrmqlyè (V Lens), marinda di fèrmalyè (F) , moucrand dé
fyinsèy (B).
5. C'est après les fiançailles qu'il fallait autrefois payer à
boire aux sociétés de garçons (voir sous maryàdzo, Encycl.),
Bridel raconte dans ses Valets {Recueil Corbaz, p. 57) : « Après
les fiançailles, il fallait que tous ceux qui se mariaient fissent
boire et danser les garçons et les filles du bourg, ou leur donner
une quantité d'écus pour se divertir au cabaret. Personne n'osait
se rebiffer, si bien que cela gênait fort les fiancés, qui bien des
fois ne possèdent pas plus qu'il ne leur faut pour s'ôter la faim
et payer le berceau. Je me souviens, etc. (suit la phrase que
nous citons parmi les exemples dt ffrmalyè).
<>. M. A. Thomas vient de ramener avec bonheur à un type
latin *juxtulare le mot djouklla, qu'il a trouvé dans le Glos-
saire de Bridel, avec la traduction « promettre en mariage son
fils ou sa fille tout jeunes » et la mention « Jura » (Romania,
1910, p. 238). L'original manuscrit de Bridel, que nous avons
sous les yeux, ne contient pas les mots <- tout jeunes», qui
38 L. GAUCHAT
doivent être une addition, fondée ou non, de L. Favrat. Les
patois modernes ne paraissent plus connaître djouklyâ, que la
phonétique défend du reste d'attribuer au Jura bernois, comme
le fait M. Thomas. Vds Jura, Bridel entend plus généralement
la Suisse occidentale (Vallée de Joux, Neuchâtel, Berne).
7. La riij)ture des (ianoailles n'a pas donné lieu à la
création d'expressions bien intéressantes. On emploie rompre
et ses synonymes ou d'autres périphrases de circonstance.
Citons cependant dèfyansi (N), dèfyinsi? (B); dèzakbrdé [^ Val-
de-Tra\^ers), dègalyi h maryadzo {Vitt. faire tomber le m., Vd
Vaulion), krapâ la kotyuirc ([faire] sauter la couture (V Salvan).
Mârya. s. f. la rage de se marier.
N'apparaît qu'en Valais, dans le district d'Entremont, terme
grossier.
è dèrindja da mârya, il devient fou de ne point trouver à se
marier (Lourtier). è rin k? é mârya ki me 0 inonda an mizèr?,
ce n'est que la rage du mariage qui met le monde dans la
misère (Chable). tè fà i prèdjé de la tnàrya po i firè plézi
il te faut lui parler de mariage pour lui faire plaisir (Praz- de-
Fort).
Etyiii. Subst. verbal de maryâ.
Maryâ, v. a. marier, épouser.
maryâ (Vd, V, N, B Malleray), maryâ (F, G), mâryâ (Vd
Savigny, influence des formes accentuées sur le radical), mèryâ
(Vd Vallorbe), meryà (N Cerneux-Péq.), marye (B Plagne),
mdryà (B), mariyê (V Lens, forme douteuse), maryi (G Aire-la-
Ville). Est-ce dans la chanson populaire citée par Spazier,
Wanderiingen durch die Schioeiz, p. 209, que Bridel a péché
la forme marida qu'il indique en deuxième ligne dans son
Glossaire et qui a l'air d'un îlot provençal en pays romand ?
3^ p. ind. prés, mârye (Vd, V, G, N), mdrye — moryè (F),
mari? — mary? {G), mari? (B). 6^ p. ind. prés, mâryon (Vd, V, G).
Part, passé = inf., sauf Bas- Valais : 7?iaryÔ, fém. maryây?.
LA TRILOGIE DE LA VIE 39
I. V. a. t. unir par le mariage. 2. épouser. II. v. réfl.
I. se marier. 2. se fiancer (F Gruyère). III. part. pass.
I. qui est marié, e. 2. époux, épouse, le jour de la
noce, allemand Brdutigam, Braitt , employé souvent au pluriel
(yow èpâo). Un sens figuré n'est pas attesté dans nos matériaux.
Les emplois I, 2 et II, i sont dominants dans le langage courant.
I. I. Ma mère ne me voiiliu maridar, ...ne veut pas me ma-
rier (Spazier, IVafiderungen, p. 209, dans une chanson de Saint-
Gingolph, sans doute d'origine étrangère). L? pètabbson m'a
7tiaryâ, l'officier d'état-civil m'a m. (Vd). L a maryd totè se
fdlyè^W a marié toutes ses filles, se dit d'un homme qui marche
les mains croisées derrière le dos ; de même avec la négation :
n'a pa maryd, etc. (Vd Blonay). E m vin pb a bè dd maryi tôt
se fdlyd, il ne vient pas à bout, etc. (G Aire-la-A"ille). resta a
maryd, rester célibataire (Vd Blonay). Marna, maryCi mè, lé
tctè mè krechon, maman, mariez-moi, mes seins se gonflent
(chanson pop. défendue en 1579, voir Bridel, Gloss. sous ////).
Mon p'er3 mè von (veut) marié (chanson pop. Estavayer). Quan
i'ètâi fellie à maryd, Lo bon tein que metidî^o, quand j'étais... le
bon temps que je menais {Fo recafd, p. 195). Mon pér? ka mè
marie (mot français), D'oiina drÔla de fason (chans. pop. ;
noce comique, où la ceinture de noces est remplacée par une
chaîne d'oignons, la couronne de mariée par un fond de
panier, etc.) Tyiri on maris le' fèy?, quand on marie les filles
(chanson pop. du Jura bernois, Arch. s. trad. pop.lY,'^. 146).
I. 2. La maryâ la fsly? ao noter 0 , il a épousé la fille du
notaire (Vd). Lé la fan ks maryè la soi , c'est la faim qui
épouse la soif ; se dit de personnes pauvres qui se marient
(Vd Blonay). T9 mdrycréi on soûlon, tu épouseras un ivrogne,
dit-on à une jeune fille qui se mouille beaucoup en lavant du
linge (ib.). L'avâi prau fan de la maria, il avait bien envie
de l'épouser (Favrat, Mél., p. 191). La maryâ Vardzun, il a
épousé l'argent ; il a pris sa femme à cause de sa fortune (Vd
Penthalaz). Maryâ tsôja, marier « rien », une personne pauvre
(V Evolène). Maryâ r an, marier rien, se mésallier (F Broyé).
40 L. GAUCHAT
Ko è-t 3 ki tb ?nâryè, qui est-ce que tu épouses ? (V Bagnes).
Mârya lo, lo loouk farèièrè proouk, épouse-le, le loup t'arrê-
tera assez (la légèreté te passera, V Grône). On a beintou prau
d'ardzein, You ! Por maryâ sa ??iie, O gué! Par maryâ sa mie
(chanson de fête de vignerons, 1819, Po recafd, p. 142).
Fr. pop. Il a marié sa domestique (Callet); sais-tu que Jacques,
le célibataire, va marier la fille à Truchet (Humbert) ; marier
sa femme (Dupertuis) ; il a marié une institutrice {^Parlons
français); cf. Guillebert, p. 238, Grangier, Péter. Manière
de s'exprimer encore très répandue dans toute la Suisse fran-
çaise et au delà (Savoie, Franche -Comté). II. 1. Se son
maryâ in Verdon, il se sont mariés à Yverdon (Vd Vaugondry).
So?idzon a Ibou maryâ dèvan d'éihr échœ dèréi lé-z orblyè,
ils songent à se (leur) marier avant d'être secs derrière les
oreilles, avant l'âge (Vd Blonay). Se maryâ intr? katro lan,
se m. entre quatre planches, mourir, se dit de fiancés qui meu-
rent avant la noce (ib.). Kan mè su maryâ, ]\fè su tnaryâ de néy
Vé prâi on.na fèna As9 nâird Kon korbé, quand je me suis
marié.... de nuit, J'ai pris une femme Aussi noire qu'un corbeau
(Chanson pop. Vd). Ché niaryâ avoué lo pan è la mot a, se m.
avec le pain et le fromage, contracter un mariage pauvre
(V Evolène). Mârya tè, fou choudré vouéro kbtè la châ, marie-
toi, tu sauras combien coûte le sel (V Grône). S? maryâ à ku
d? lotd, se marier en cul de hotte, se dit quand l'époux va
demeurer chez l'épouse (G Bernex). Se maryâ avèi lou nian-
dzou de la r3?nas3, se m. avec le manche du balai, ne pas trou-
ver un mari (F Praz-sur-Siviriez). Tyin is va t3 màry'à, quand
veux-tu te marier ? (commencement d'une chanson très répan-
due dans le Jura bernois ; elle peint l'insouciance de la jeu-
nesse: Jeannot, à qui s'adresse cette question, prétend nourrir
son épouse de pain blanc, la vêtir de soie, etc., voir Arch. s.
trad. pop. V, 216 ss.). Ly'è la filye de nouthron vejin ke ch'c
mariâye, Din na niéjon de pouretâ yô le jelâye. O ! le bon fin
ke rare Vèpaojakan revindrè ! Cf-X la fille de notre voisin qui
s'est mariée, Dans une maison « de pauvreté » où elle est allée.
LA TRILOGIE DE LA VIE 41
Oh ! le beau temps qu'elle aura l'épouse, quand elle reviendra!
(Chanson pop. fribourgeoise qui peint d'une façon poignante
la misère d'un ménage pauvre ; Gruy. ill. IV-V, p. 70 ; aussi
connue dans le canton de Vaud et en Savoie ; voir Po recafâ^
p. 200, et Servettaz, Chans. de la Savoie, p. 233). La résse
dera: mâria-tc. Et lo inoiilin : n'tè maria pas .' ha. scie dira:
marie-toi, et le moulin : ne te marie pas (à un indécis qui ne se
résout pas à se marier, Favrat, Afe'/., p. 226).
Pour se marier à l'état-civil et à l'église, nous avons les
expressions suivantes : I (mariage civil) : se maryâ tsî lo pHa-
bosoti, chez l'officier d'état-civil (Vd) : « an civil » p. ex. u sivih
(V Lourtier): an l'ekol, à l'école (B et ailleurs, parce qu'une
salle d'école sert souvent de local, d'autant plus que l'officier
d'état-civil est très souvent choisi parmi le personnel ensei-
gnant); u mouylin, au moulin (Vd Leysin, tournure ironique).
II (mariage religieux): à l'église (wi???/, F, Vully vaudois), 7noti?
B, sarmon N Noiraigue, in layzd V Lourtier, pridzo Vd), ou
« devant l'église», dèvan lo prir?, le prêtre, V Evolène, « au
prêtre » : â prêt B Pommerats, â tyurid B Séprais.
Tours plaisants pour se marier (nous traduisons en français; :
« faire babiller le ministre » (Vd); « faire le grand saut », c'est-
à-dire du haut de la chaire, par la publication des bans, ou faire
la « déguillée », chute ( Vd) ; « se tordre le cou » (V, F, B) « se
mettre la corde au cou» (partout); «se f... loin», « se tirer
loin », « se jeter loin » (V Champery) ; « se mettre en une »,
c'est-à-dire ensemble (V Lourtier) ; far pasd la fan du ku pe
atrapa la fan de dà ( dents, G Bernex). Quelques-unes de ces
locutions ont évidemment le sens de se mésallier, cf. encore
se m? maryâ.
III. 1. Ndï jnaryâ, nouveau marié (Vd Rossinières), to frâ
màryà, tout frais m. (B Vermes). Chon maryâ! ils sont mariés,
se dit ironiquement d'un mariage malheureux (V Evolène).
Maryd sein idrs èpouzd ou tnarvd kiman lè-zozi, mariés sans
être épousés ou mariés comme les oiseaux, d'un concubinage
(F Granges-de-Vesim. On yâdzo maryâ, tsakon a d? l'aréta-tc.
42 L. GAUCHAT
une fois marié, chacun a de « l'arréte-toi » (Vd Ormont-dessus).
m. 2. È m' in mi h pu â hou, Po s k etÔ l3 pu nityou, You !
Vi-z à vi d là màryà. You! Br'indyin nÔ-z amour pesa! Ils
m'ont mis le plus au bout, Parce que j'étais le plus jeune, You !
Vis-à-vis de la mariée. You 1 Portons la santé à nos amours
passés ! (B, Arch. s. trad. pop. IV, 163).
Proverbes : Que ta se mâryc^ mau se mârye, qui tard se m.,
mal se m. A la couâita que se mâryè, à lezi s'ein repein, qui se
marie à la hâte, s'en repent à loisir. On è pllie vito (plus vite)
maria que bin lodzî. Variante valaisanne : On-n è pyé vito hyin
maryà kè hyin deno, que bien dîné, rassasié. Fo se peindre et
po se maria, ne lài fau pas gran tein pensa (F: mouja)., pour
se ])endre et pour se m., il n'y faut pas longtemps penser.
le fau se maria po se fer e à hllamâ, ie fau mûri po se fer e à
gabâ, il faut se m. pour se faire (à) blâmer, il faut mourir pour
se faire (à) louer. Ci que mâryc onna galéza fènna, ein mâryè
duvè, celui qui épouse une femme jolie, en épouse deux (non
seulement la jolie, mais la laide qu'elle deviendra plus tard)
(V Lens, avec plus de force concise : Marya zènta (jolie),
marya daoïa). Terra mâryè jnerda et Vardzein ponte dzein,
la terre s'attache à m. et l'argent allie les vilaines gens. Va-
riante du Valais ; {ki) mâryc tèra, mâryè mèrda, qui épouse de
la fortune, épouse des occasions de soucis. Le louï d'or marian
le iiu tor, les louis d'or accouplent (même) les c... tordus. Mau
se maria, mau se pa maria. Mariâdc-vo, mariâdc-vo pa. Mo
le motzè^ mô le tavan; mô le piau, mô le mol an, Diahllo Von,
diabllo Pautro, que vous vous mariiez ou pas, mauvaises les
mouches, mauvais les taons, mauvais les poux, mauvaises les
teignes, au diable l'un, au diable l'autre. Maria-tè, ne tè maria
pa. Assura que te fein repeintra, marie-toi, ne te marie pas, il
est sûr que tu t'en repentiras {Po recafâ, p. 400-402), I fd bon
maria dés %nllic, on se marié prau sovein, il fait bon épouser
des vieilles, on se marie (au moins) assez souvent {Rec. Corhaz,
p. 52). Ci ki se mâryc sin cchin, n'in-n arc jainc rin, celui qui
se marie sans escient, n'en aura jamais rien (Vd Pailly). Le
LA TRILOGIE DE LA VIE 43
Jilye a maryâ san pènâhlyd a garda, les filles à marier sont
pénibles à garder. Ko a dai fdly? a tnaryâ, lai fô dd Vèrdzè a
plyantâ, qui a des filles à marier, il lui faut de l'argent à
planter (à l'origine: à pi enté ■=z en masse; Vd Ormont-dessus).
Fà marya h lâit po l'arcdu, il faut m. le loup pour l'arrêter.
Fà cihrs don po se marya, yen c ysna, il faut être deux pour
se m., un et une, disent les parents à leurs enfants impatients
de se m. Ka7i chè maryon, chou prbouk rètso, quand on se
marie, on est (toujours) assez riche (V Grône). Tôt chè mâryè
c tôt chè kouèty Chbf yb è H moulèt (ou: ^ //' tsivri jouet), tout
se marie et tout se ramasse, sauf moi et le mulet (le hibou),
lamentation des filles à marier (V Anniviers). Marya ta fslyè
a boiin san, Plyanta ta V3nyè a boun plyan, marie ta fille à bon
sang, plante ta vigne de bon plant (G Hermance). J/arjï/ vuto
ou ta, Chovin le ch'achoupd, marier vite ou tard, souvent c'est
se tromper (FLessoc). El è as vit arivâ d S9 maryâ kd d? pètâ,
il est aussi vite arrivé, etc. (N Savagnier). Su k? s maris fè bin,
èpœ su k? s mari? p fè inkb mœ, celui qui se marie fait bien, et
(puis) celui qui (ne) se marie pas fait encore mieux (B Séprais).
Lf djoué d? là Sin Dni, Vousr s? maris an midnœ, le jour de la
Saint-Denis, le vent se marie (^ ?) à minuit (B Epauvillers).
Mdry'à â bon, min d S9 rmàryà n va dyàr, (se) m. est bon, mais
de se remarier ne vaut guère (B Develier). Stu k maris in fÔ
pb son bïn, vœ pésdrd h bin, min l fÔ dmÔr?, celui qui épouse
un fou pour son bien, perdra le bien, mais le fou reste (B Bou-
rignon). 5 à tyin là bâchais à màryà k an trbvs l pu ds
djindrs, c'est quand la fille est mariée qu'on trouve le plus de
gendres (ib.).
Voir d'autres proverbes sous maryâdzo,fena, cpâo.
Ilisl. maritave, proprement « pourvoir d'un mari », prend
dès la haute latinité le sens de conjoindre. C'est probablement
grâce à la confusion de mariage et noces, qui est générale, que
s'établit sur un terrain plus restreint celle de marier avec
épouser. Ce dernier, ainsi que le mot mari (remplacé par
homme) est très peu usité chez nous.
44 L. GAUCHAT
Encycl. Se marier, c'est le rêve de toute jeune fille. Aussi
employait-on jadis toute sorte de moyens pour savoir si ce
vœu se réaliserait, et nous ne saurions affirmer que toutes ces
pratiques soient complètement abandonnées. I. Oracles: Les
filles effeuillent une grande marguerite des champs en disant :
maryd, pd maryd, restd fdlyy, v?/ii 7nouin.na (devenir nonne) i
le mot qu'on prononce en arrachant le dernier pétale est
décisif (F ; B Plagne, où l'on dit plus simplement: maryè , pè
maryè). Si le résultat est négatif, on est renvoyé d'une année
(B). S'il est positif, on lance en l'air les étamines de la margue-
rite, préalablement bien séparées les unes des autres : le nombre
d'étamines retombant sur le dos de la main est celui des
enfants qu'on aura. Dans le canton de Fribourg, on fait le
même jeu avec les pétales et les pistils qu'on dispose sur la
main: les pistils jaunes qui retombent sur le dos de la main
indiquent le nombre des garçons qu'on aura, les pétales celui
des fillettes. — Il faut mettre un trèfle à quatre feuilles sous le
gros orteil avant de se chausser : la première personne qu'on
rencontrera sera le futur conjoint ou la future conjointe
(V Bagnes). — La jeune fille qui désire se marier va déposer
au mois de mai, à la tombée de la nuit, une branche de gui
au pied de la roche qui forme la caverne de Faira (Jura ber-
nois). Les garçons qui la surprennent ne manquent pas de lui
crier : t? i rvà (tu y rêvas, Arch. s. trad.pop. VII, 174-175). —
Qui réussit à compter neuf étoiles pendant neuf soirées consé-
cutives se mariera dans l'année (neuvaine des étoiles, V
Bagnes). — La veille de Noël (à minuit) est particulièrement
apte à éclairer les amoureux. C'est le moment qu'on choisit
pour verser du plomb fondu dans un vase plein d'eau. Si le
plomb reste massif, cela indique la richesse ; s'il se désagrège
en fragments, la pauvreté ; dans la forme qu'il prend on recon-
naît, en y mettant un peu de bonne volonté, un instrument ara-
toire, une arme, un ustensile de ménage, ce qui indique la
condition du futur. Autrefois, au temps des petites fenêtres
encadrées de plomb, ce métal ne manquait pas dans les
LA TRILOGIE DE LA VIE 45
familles. On avait aussi l'habitude de fondre à domicile les
balles de fusils. A défaut de plomb, on fondait de la cire (qui
se trouvait dans chaque panier à ouvrage tant qu'on cirait
encore le fil à coudre). Si les gouttelettes de cire s'accostaient
dans l'eau, c'était un signe de mariage ; si elles semblaient se
fuir, un présage du contraire. — A la même heure, les filles
s'approchaient « à reculons » du tas de bois bien amoncelé sous
Tauvent et en retiraient une bûche, la première que la main
touchait. Si la bûche était belle, droite, le futur serait de belle
stature; si elle était recourbée, noueuse, il serait d'humeur diffi-
cile. Il fallait ensuite aller frapper de cette bûche à l'étable à
porcs. Si le cochon ne répondait pas, le mari serait facile à
mener ; s'il grognait, il serait grincheux. Inutile de dire que les
filles prenaient garde de ne pas frapper trop fort (Vd, B, voir
Bull, du Gloss. IV, 24). — On pouvait aussi consulter une
aiguillée de fil qu'on avait filée pendant que la « retraite » (le
couvre-feu) sonnait, et qu'on attachait, en cachette et sans
lumière, à une croisée de chemins. Le premier qui passait et
qui cassait le fil était le futur (Vd.). — On rêvait de son futur
en disant le soir de Noël trois fois l'oraison dominicale et
en montant dans son lit en lui tournant le dos (Vd Vallée
de Joux). — La coutume existe encore de se faire viri? lé
kiitck', tourner les cartes, par quelque commère passant pour
s'y connaître (B et ailleurs). — La veille de l'an, en entendant
frapper les douze coups de minuit, il fallait écrire son nom.
On voyait alors en songe l'image du futur (Vd Le Chenit). —
IL Prédîclions : Pour être sûres de trouver un mari, les jeunes
•couturières mettaient de leurs cheveux dans l'ourlet d'une
robe de mariée (ib.). — La personne à qui l'on verse à boire
la dernière goutte d'une bouteille se mariera dans l'année
(G Bernex). — Si, le jour des Brandons, un garçon et une
jeune fille sautent le feu sans le toucher, ils se marieront (ib.).
— Le garçon dont une fille rêve le soir de la messe de minuit,
deviendra son mari (ib.). — La fille d'honneur qui reçoit de la
mariée un bout de son voile et un bouton de sa couronne, se
46 W. PIERREHUMBERT
mariera dans les douze mois suivants (ib.). — On recommande
partout aux jeunes filles de ne pas entamer une miche de pain
ni un morceau de beurre moulé, si elles ne veulent pas risquer
de coiffer sainte Catherine. — Trop aimer les chats empêche
de se marier (Vd Ormonts).
Dans plusieurs parties de la France, on a découvert des
traces d'un rite curieux : les filles désireuses de se marier dans
l'année montaient sur une roche doucement inclinée et se
laissaient glisser du haut en bas. Si elles ne s'écorchaient pas,
elles se croyaient assurées de trouver bientôt un mari. M. Sé-
billot croit que la Pirra Lozenza, en Valais, sur laquelle les
bergers s'amusent encore à glisser (selon B. Reber, Bull. Soc.
d'Anthropologie, 1903, 33), a pu servir autrefois au même but
{Le Folk-Lore de France, I, 338).
Voir d'autres traits de superstition concernant le mariage
sous niaryàdzo, Eficycl.
L. Gauchat.
— ->^<- —
LES ÉQUIVALENTS D « LM FORTUNE R »
DANS LE PARLER SUISSE ROMAND*
-♦-
Le parler de la Suisse romande — l'auteur de ces lignes
connaît surtout celui de Neuchâtel — renferme une jolie col-
lection de termes, plus ou moins pittoresques, pour rendre
l'idée d'« importuner » quelqu'un. Nous avons une trentaine
de façons de dire : « Vous m'ennuyez ! » qui toutes, sous leur
apparente synonymie, comportent des nuances souvent expres-
sives. Au reste, le français d'outre-Jura, même abstraction
faite de l'argot, n'est guère moins riche en termes, en nuances
et en images exprimant des idées analogues. A côté d'impor-
* La substance de cet article est tirée d'un glossaire du français^
suisse romand en préparation.
LES ÉQ.UIVALEXTS D'« IMPORTUNER » 47
tuner et di ennuyer, dont la compréhension est étendue, voici
d'une part houspiller, tarabuster, (piereller. taquiner, chicaner ,
puis, marquant spécialement une action sur le système nerveux,
agacer, énerver, horripiler, exaspérer, impatienter, enfin, expri-
mant l'ennui proprement dit, assommer, endormir, rompre la
tête, scier le dos, raser, sans parler du très trivial embêter, qui
broche sur le tout.
La variété et le pittoresque des mots que nous allons passer
en revue doit tenir à ce fait d'ordre psychologique : ennuyé
ou agacé par un « embêtement » ou un « embêteur » quel-
conque, vous cédez à un mouvement d'impatience et d'humeur
qui se traduit immédiatement par une expression vive et forte,
une métaphore hardie : et le fâcheux aura eu tout au moins le
mérite de faire revivre dans votre bouche tel ou tel vieux mot
dont le sens propre allait se perdre tout à fait,
I. Métaphores tirées de divers instruments.
Certains instruments, par les sons monotones et agaçants
qu'ils produisent, ont donné leurs noms aux personnes ou aux
choses ennuyeuses. Citons en particulier :
I. La meule. — Quelle meule ! se dit d'un discours assom-
mant, d'une rengaine fastidieuse. Si f avais su qu'on m'en ferait
de telles meules, je n' aurais pas dit un mot du concours.
T. Combe, Biblioth. univ., 1896, t. III, p. 145. — Faire la
meule à quelqu'un, ou le meuler, c'est l'ennuyer, lui rabâcher
des sornettes. Ejifin, nous ne sommes pas ici pour nous faire la
meule. W. BiOLLEY, L'Apaisement, VIII. Viens voir pas me
meuler: quand f ai dit non, c'est bon. Absolument: Elle meule,
cette pluie, ça ne veut pas quitter. — Ce verbe, inconnu au
français, correspond au patois molâ, émoudre. On le trouve
au sens de « tourner la meule, moudre » dans la Bible d'Oster-
vald, Ecclésiaste, XII, 5 : « Lorsque celles qui meulent cesse-
ront, parce qu'elles auront été diminuées.... » — Un personnage
importun est un meulard , mot sans doute influencé par le
terme dialectal molare, rémouleur.
48 W. PIERREHUMBERT
2. La segneule (prononcez snyœl), cant. de Vaud signôle'.
— C'est proprement une manivelle ; sens qui n'est plus guère
connu. Segneule se dit de toute ritournelle ennuyeuse. Faire
des segneules, faire la segneule à quelqu'un^ le se gueuler^ lui
res'gneuler une chose, c'est l'importuner de diverses façons.
Ses parents se sont mis après elle et lui ont fait une de ces
signales... . B. Vallotton, Sergent Bataillard, p. 250. Tu
ni fais la s'gneule avec tes taches ! viens donc pas s'gneuler par
ici. — Le fâcheux est 7m segneulard, un segneuleur ou une
segneule. Le vieux Ahram- Louis est la plus grande segnieule
que je connaisse. Bonhôte, Gloss. neuch.
3. La vouingue ou ouingue"-. — Ce mot signifie au sens
propre un cric ou un treuil à manivelle. On souhaite d'acheter
un gros, fort et bon cric, soit levier ou vuingue. Feuille d'avis
de Neuchâtel, 19 juillet 1770. On conçoit dès lors qu'une
vouingue ou vouinguée se dise de tout bruit monotone et grin-
çant, comme celui d'une batteuse, des contrevents mal croches,
etc., et aussi d'une serinette importune. Quelle ouingue elle
fait avec ses solfèges; a-t-elle hientôt tout ouingue? — Les
joueurs de char connaissent une autre acception spéciale de
ce mot.
4. La scie. — Métaphore bien connue en France. Faire la
scie à quelqu'un. Tais-toi, vieille scie! — « Scier» est donné
par les dictionnaires dans l'expression « scier le dos ». Nous
disons plutôt scier les cotes. File tne scie les côtes avec toutes
ses racontes.
5. Le rasoir. — Ici encore nous sommes dans le français
populaire. Raser quelqu'un, lui faire des rases., des discours
rasants, — être un raseur, un rasoir, une vieille rase, sont trop
connus pour que nous nous y arrêtions.
' Littré a les formes signale, soiiaînole, Godefroy ceoignole et sigognole,
Du Gange songnole, désignant divers mécanismes articulés. L'étymo-
logie du mot, suivant A. Thomas, Mélanges d'étymoh, p. 144, est
•ciconiola, la manivelle rappelant un bec de cigogne.
- Mot de même racine que le français « guinder ».
LES ÉQ.UI\ALENTS D'« IMPORTUNER » 49
6. Le char. — Charrier quelqu'un, c'est le berner, le faire
endêver, le houspiller; équivalent exact de \t faire aller (en
•char!) que nous retrouverons plus tard. Pauvre diable! ce
qu'on l'a charrié avec sa fréquetitation en ville! Est-ce de
l'argot ?
7. La vioûle ou viole. — Cet instrument de musique ne
de'signe pas, ou ne désigne plus chez nous la viole ou la vielle.
Au canton de Vaud, la vioûle est l'instrument de bois ou de
•cuivre des musiciens ambulants, et, à Neuchâtel, l'orgue de
Barbarie. La ritournelle de cet humble instrument a le don
d'agacer les nerfs ; aussi toute musique ennuyeuse, et par exten-
sion tout discours ou toute chose fastidieuse, devient une
vioiile. Au diable la maudite vioule et les plaisirs de la foire !
Le Neuchâtelois, 20 avril 1909. La porte fait des vioûlées. Et
la santé, comment va? — Oh! c'est toujours la même viole.
Quelle vioûle est-ce que tu me fais? on la sait, va, ne reviens
pas la vioûler !
8. La quinquerne. — Du sens primitif de guitare < ou
vielle, ce mot est également déchu au sens d'orgue de Bar-
barie. Supplice des oreilles sensibles, la quinquerne devait fata-
lement désigner aussi une serinette quelconque, un sot babil,
des redites importunes, ou encore un fâcheux rabâcheur. Les
deux daines Voucbe et Racolin, c'est ça des quinquernes !
U. Olivier, La servante du docteur, XIX. Ton père aurait
bien envoyé profuener le ministre avec ses quinquerneries. lD.,La
maison du ravin, XIII. La mère n'a jamais tout lamenté et
quinquerne . ID., L'oncle Matthias, I, ch. 8. Elle quinquerne son
mari toute la sainte journée. HuMBERT, Gloss. genev. Finis
donc tes quinquernages. BoNHÔTE, Gloss. neuch. — Ce mot a
beaucoup vieilli à Neuchâtel, comme d'ailleurs presque tous
les termes locaux cités dans ces pages.
1 Quinquerne est probablement apparenté à l'ancien franc, guiterne.
— Guitare se dit aussi en français pour « scie», « redite ». Autre gui-
tare .'...
50 W. PIERREHUMBERT
II. Termes locaux divers.
1 . Bringue, bringuer. — Ce mot est en revanche en pleine
faveur aujourd'hui dans le langage trivial. Mais deux sens prin-
cipaux sont à distinguer ici: i» Mauvaise chicane, querelle-
d'auberge ou autre, provocation. Allons, gar(o?is, pas de
bêtises, ce tiest pas une bringue à nous monter, celle-là..
T. Combe, Pauvre Marcel, p. 157. Fichons-le dehors si i com-
mence des bringues. En ce sens, bringuer = provoquer des
querelles, chercher chicane "•. Çui qtii veut bringuer, hardi ! on
le sort. De même un bringueur est un querelleur. — a» Impor-
tunité, ennui : C'en est une de bringue, ce procès ! Ritournelle,,
serinette : Ils font entefidre,a7<ec accompagnement de Jliltes, des
chafits monotones, de vraies bringues. E. H.ekny, Trois ans
chez les Canaques, XIX. Faire la bringue à quelqu'un, le brin-
guer, l'ennuyer, lui rebattre les oreilles. Lui bringuer quelque
chose, le lui ressasser. Nous Va-t-on pourtant bringuée, cette
règle des participes ! Tais-toi, tu m' fais la bringue à la fin !
Un bringueur , une bringasse = rabâcheur. Une chose bringante
= assommante. — Pour retrouver le sens originel du mot,
allem. bringen, apporter, porter, il faut remonter aux siècles
passés, où une bringue signifiait une santé « portée », un toast-,
et bringuer, porter des santés, provoquer à boire ; voyez dans
BOYVE, Annales de Neuchâtel, années 1553 et 1564, des dé-
fenses de bringuer ou bringer. Ces provocations à boire avaient
pour suites ordinaires l'ivresse et les querelles. — Le français
a retenu le mot sous la forme brinde ; italien brindisi.
2. Aringue. — Discours ennuyeux (littér. « harangue »,ital.
ari?iga). File m'a fait des longues aringue s. Au figuré, chose
1 Embringuer se dit aussi parfois. Viens pas nous embringuer ! S'em—
bringuer avec quelqu'un, s'acoquiner avec lui.
"^ « S. Exe. fit l'honneur en après de boire et de faire raison à tous
ceux du magistrat l'un après l'autre. Les bringues et la nuit obligèrent
à la fin un chacun de la compagnie à songer à la retraite. » Journal
(1646-1675) de J.-N. Vergier, dans Vautrey, Histoire des Evêqnes de,
Bâle, II, p. 233.
LES ÉQ.UIVALENTS D'« IMPORTUNER » 51
longue et pe'nible. Cest une aringue, pour faire rentrer ces
cotisations !
3. Ritoûle. — Ritournelle, rengaine. David, tu m' énerves
à la fin avec ta ritoule. Ceresole, En cassant les noix, p. 42.
Mot principalement vaudois et bérochaud.
4. Triôle, trioûle, du verbe triôler, trioûler, à Neuchâtel
plutôt tériôler, térioûler. — Ce verbe signifie « répéter plain-
tivement la même chose, importuner par des demandes réité-
rées, (BONHÔTE, GIoss. neuch.,p. 247) et une triôle ou térioûlée
est une scie, un rabâchage, f espère qu'en me répondant vous
ne ferez pas comme ??ioi qui ne vous parle ici que de ma triôle.
Rousseau, Lettre Boy de la Tour {Annales Soc. f.-f. R., III^
p. 45). Auguste triaulait sa mère pour lui donner à boire.
U. Olivier, Un fils unique, VII.
5. Aquepiller, enquepiller ou équepiller^. — Mot qui se
rencontre assez fréquemment au xvi= siècle au sens propre
d'encombrer, embarrasser. Que ?iul n'aye à empescher ny enque-
piller la raye du moulin. 1556, Etrennes neuchâteloises, I,
p. 145. Qu'il n''enquepellat les chemins, qu'on ny aye asses
large. Acte de 1557, aux arch. de Nods. Aujourd'hui, on le
dit d'un individu qui vous embarrasse, vous importune, vous
est à charge. Qu'i ne r'viêne pas nous aquepiller dans notre
cuisine, ce long faitiéant. Une aquepille {équepille, etc.) est un
importun toujours planté là. On ne peut donc plus passer par
ici avec cette acpille toujours au cheniiti! H. Magnin, Biblioth.
Univ., 1908, t. LII, p. 491.
6. Encoubler. — Presque exactement synonyme du précé-
dent, ce verbe très usité désigne proprement l'action d'en-
traver (de couble =: entrave, lat. copula, lien), d'embarrasser.
^ A Neuchâtel, euquepiller, forme originale, s'entend surtout à la
Béroche, équepiller dans le reste du Vignoble et au Val-de-Travers.
aquepiller aux Montagnes ; cette dernière forme tend à prédominer.
M. Gauchat cite le mot dans son étude étymologique sur le contraire
dèquepilhr ; voir Bulletin, 1908, p. 59.
52 W. PIERREHUMBERT
Encoubler un bœuf. S encouhler dans sa robe, sur une racine, etc.
De là au sens d'être à charge, ennuyer, importuner, il n'y a
qu'un pas. Au lieu de nous donner un coup de main, qui est-ce
qui nous encouhle, si ce n'est pas les hommes? O. Huguenin,
Récits de chez nous ; Rivaux. — Une personne encombrante
et importune, toujours en travers de votre chemin est une
encouble (ou aussi une encombre), c'est-à-dire une entrave, un
embarras. Ces domestiques allemands, ça n'est souvent que des
encoubles.
7. Empédger. — Ce mot est plus usité au sens propre
d'engluer, poisser, enduire de pèdge^, qu'au sens figuré d'en-
nuyer, importuner. Cet estafier a filé... mais qui dit qu'on fi'en
va pas r'ctre empedgé? HuGUENiN, Régent de Lignières, IV.
La forme vaudoise et bérochaude est empédzer, et pèdze. L'im-
portun lui-même, dont on ne sait comment se dépêtrer
[dépédger], ou aussi le lambin, est qualifié de pèdze, de grande
pcdge.
8. Bousarder. — Absol., il signifie faire du vacarme (du
bousifi, probablement), quereller ou polissonner. Ne commencez
pas à houzarder, garçons! cria le justicier. Bachelin, Jean-
Louis, II, p. 293. Bousarder quelqu'un, c'est le houspiller, le
tarabuster. I^ais pas la hcte, j'suis pas d'humeur à m' laisser
bousarder.
9. Ennioler. — Sens général d'ennuyer, chicaner. Une
autre fois y fera ?nieux- de rester à Neuchâtel plutos que de
venir nous engnoller ici. Neuchâtel s'amuse, 1909. — Mot ge-
nevois et vaudois et sans doute aussi français populaire. Gniolle,
en argot, signifie nigaud, bête. D'autre part, en Suisse romande,
niolle[\dX. nebula) veut dire brouillard, nuage, bruine; enfiioler
pourrait donc revenir à embrumer — phénomène éminemment
ennuyeux.
•■ Poix; matière collante. Sur ce mot, voir L. Gauchat, Patois
Dompîerre, p. 34.
LES ÉQ.UIVALENTS D'« IMPORTUNER » 53
10. Emphysiquer. — Ici le sens ordinaire est duper, trom-
per, « mettre dedans », mais il passe facilement à celui de
conter des sornettes, rompre la tête. Viens voir pas m' emphy-
siquer avec ton schpiritisme.
11. Piorner. — Encore dans ce mot, dont le sens propre
est pleurnicher, larmoyer, on passe souvent au sens d"ennuyer
(par des je'rémiades), importuner (par des plaintes). Qii'est-ce
qu'elle est venue te r' piorner, la Julie ? — Elle me piorne des
heures durant pasque son hovcbe fait ses rioûles. La piorne est
un rabâcheur d'humeur essentiellement grognon. La mère est
une piorne, une quiuquerne finie. U. Olivier, L'oncle Matthias,
I, ch. 3. La justicier e devient bien piorne. Bachelix, Jean-
Louis, II, p. 261. Piorneur, euse on piornu, ue, même sens.
12. Attédier. — Dérivé direct du latin ttedium, ennui,
ce verbe, connu du vieux français, est le plus classique de nos
équivalents d'ennuyer; mais il n'est à notre connaissance plus
du tout usité. Peut-être, d'ailleurs, le peuple l'ignora-t-il ;
Ch. Berthoud (dans LittrÉ, Supplém.) nous apprend qu'il fut
du « bon usage » à Neuchâtel jusque dans le XIX^ siècle. Pour
ne pas attédier inutilement la cour, il pensait qu'il était conve-
nable de s'assurer préalablement le concours du magistrat.
Lettre de Béville, gouverneur de Neuchâtel, 1801, ibid. —
Attédiation = importunité. Ils étaient marris de l'attédiation
que les dits Ministraux donnent à S. A. Factum de 161 8, dans
J. Boyve, Annales, III, p. 454.
13. Chiner. — Mot français populaire en faveur dans la
jeune génération surtout; on le dit pour « chicaner», taquiner,
houspiller. Les étudiants nous chinent un peu pendant la nuit...
ils nous traitent de gâpions. Vallotton, Portes entr'ouvertes,
p. 198. Je doute que ce soit le sens original; cf. LlTTRÉ, Suppl.,
sous chineur. Chez nous, un chineur est un taquin.
L'idée d'ennui provoqué par des demandes répétées, est
encore contenue dans nos deux verbes roquer ti pétler (ail.
betteln), qui signifient quémander, mendier avec insistance,
mais sont un peu en dehors du cadre de notre sujet.
54 W. PIERREHUMBERT
III. Mots français pris dans un sens figuré.
Rappelons meule, scie, raser et charrier, cités ci-dessus, et
ajoutons-y :
1. Etouffer, qui s'emploie concurremment avec le terme
vieilli étoûtcher. — Tu m' étouffes ! ûgrix^t chez nous ; « tu m'a-
gaces, tu m'importunes au delà de toute expression. » Rien ne
m'étouffe comme ces montres qu'on vous retourne, deux, trois fois
de suite. L. Favre, Huit jours dans la neige, VII. Charrettes
de mouches, ce qu'elles sont étouffantes ! Y" avait assez de temps
qu'on était étoiUché de sfheimatlâse par la commune. — Une
étouffe (souvent prononcé étoûfe),une étoufette,OM une étoûtche,
est un personnage ennuyeux, désagréable, qu'on souhaiterait
au diable. Quelle pouètte étoûfe, s f homme, quand il a bu ! Leur
gosse est une étoufette, un fichu gâtion. Mots tout à fait locaux.
— Chez nous, le sens primordial d'étouffer est moins « suffo-
quer, asphyxier», qu'« empester », empuantir, patois étoûtchî.
Aussi son emploi au figuré, pour expressif qu'il soit, est fort
peu choisi et même franchement offensant.
2. Endiabler, avec l'euphémisme endianstrer (pour en-
diantrer). — « Il me fait endiabler », est français; nous disons
endiabler quelqu'un, pour le tracasser, le quereller, l'ennuyer
(le faire donner au diable), et endiabler, absol., provoquer des
querelles, faire du train, manigancer. T'as voulu nous endians-
trer ? attends, tu veux voir, espèce d'oiseau! La justicier e a
endiablé pour que la fjière Tissot ait à rembourser ce qu'elle
devait. Bachelin, Jean-Louis, p. 150. — Un simple diantrtn
dianstrer s'entend quelquefois ; diabler s'est aussi dit. « Quatre
autres tireurs, pour avoir diable dans le stand, doivent payer
chacun i batz. » Quartier-la-Tente, Le canton de Neuchâtel,
I, p. 552. — Endiableur ou endianstreur, querelleur.
3. Agoniser. — Maltraiter en paroles ou autrement, que-
reller, tarabuster. PP allez pas le dire à ma femme, elle tn' ago-
niserait jusqu'au lendemain du Nouvel- An. ValLOTTON, Portes
entr'ouvertes, p. 65. Cette expression, ainsi que agoniser d'in-
LES ÉQUIVALENTS D'« LMPORTUNER » 55
jures, de reproches, etc., appartient au français populaire, et
Ch. Berthoud [Etudes et biogr., p. 54) a tort de la qualifier
de «pas française», c'est-à-dire de suisse romande. Ce n'est
qu'un «: barbarisme », selon l'expression de Stapfer, Récréa-
tions grainmat. et littér., p. 180 ; agoniser, au sens ci-dessus,
et aussi agonir, se disent tous deux en France.
4. Emmieller. — Sens général d'importuner. Ce commis-
voyageur devrait bien se passer de ci venir nous emmieller. —
Remarquez la similitude de sens avec etnpédger cité ci-dessus.
D'autre part, ce mot est sans doute souvent un euphémisme
pour un autre emm.... très grossier, fort usité dans le bas peuple.
5. Bassiner. — On bassine un lit pour procurer un sommeil
agréable, aussi le figuré revient-il à « endormir » = assommer,
■ennuyer. Tu m' bassines avec ta tempérance. I devient bassi-
nant, il est bassin. Français populaire.
6. Monture. — Faire la monture à quelqu^un, lui faire une
monture., le berner, l'ennuyer en lui contant des sornettes ou
de toute autre façon. Quelle monture, cette pluie! I nous a fait
la monture avec sa conférence ; ça vaut l'coup pour une tnonture !
Connu en France ' ; monture revient ici à « coup monté ».
7. Boire le sang. — Cette jolie expression, qui fait allusion
aux maudits taons de la saison des foins, est-elle connue en
dehors de nos frontières ? Tu me bois le satig, signifie : Tu
m'excèdes, tu m'impatientes ! va au diable ! Un buveur de sang
est chez nous un tourmenteur, un agaceur, point du tout un
homme sanguinaire.
8. Faire aller. — Expression classique pour dire se mo-
quer de quelqu'un, le berner, s'en amuser. T'as envie d'me
faire aller, que? — Donné par l'Académie comme locution
familière.
' Monture a en outre, chez nous, deux sens différents: 1° Saynète
■d'cntr'acte dans les soirées théâtrales d'étudiants. 2° Accès de colère.
Piquer une monture.
56 W. PIERREHUMBERT
9. La faire. — Avec la manie actuelle d'abréger le lan-
gage, _/a/W la scie, faire la meide^la bringue, la monture, etc.,.
etc., devaient naturellement se réduire à la faire, qui exprime
les mêmes idées sous une forme laconique. Oti ne me la fait
pas, à ;/w/ / BiOLLEY, L'araignée, II, se. 3.
Mais il est temps, à mon tour, de ne point la faire au lec-
teur bienveillant qui n'aura pas été trop attédié pour suivre
jusqu'au bout ces quelques notes toutes fragmentaires. Nous
n'entreprendrons pas, en terminant, de nous excuser sur ce
qu'elles ont de décousu, ni d'en tirer des conclusions en forme.
Il nous suffira de remarquer — ce qui d'ailleurs saute facile-
ment aux yeux — que :
1° Les termes dialectaux et expressions locales ayant un
sens péjoratif et, comme c'est le cas ici, de dénigrement contre
quelqu'un ou quelque chose, sont de ceux qui se conservent le
mieux.
2» Un mot dialectal peut subsister longtemps dans un sens;
figuré suffisamment expressif alors que le sens propre n'est
plus du tout ou presque plus connu ^. C'est surtout le cas si à
un sens dépréciatif, comme ici, s'adapte une forme ou une
désinence elle-même péjorative ; remarquez ci-dessus la termi-
naison -oie dans viole (vioûlè), signale {segneule), triole, ritoûUy
ennioler, et -ingue dans bringue, vouingue, aringue.
3° La langue populaire de France pénètre de plus en plus
l'idiome romand. Comme celui-ci ne peut plus vivre de sa
propre substance, dont la source est tarie, et que cependant le
langage vit plus que jamais aujourd'hui, il est naturel et forcé
qu'il s'alimente, avec plus ou moins de bonheur, au dehors ;.
mais il est à souhaiter que notre langage conserve le plus long-
temps possible des traits et une physionomie propres.
W. PIERREHUMBERT.
Cf WissLER, Das scJnL'eixerische Volksfran:(osisch, p. 6;
TEXTE
-♦-
La vilyè.
Chanson populaire en patois d'Hermance (Genève).
La chanson de la vieille amoureuse, qu'un galant épouse à cause Je
sa fortune et qui meurt tôt après la noce, semble avoir été populaire,
en Suisse, surtout dans le canton de Vaud. Elle s'y est répandue sous
forme de ronde patoise, signalée déjà en 1837 par Juste Olivier, qui
en a reproduit trois couplets {Canton de Vaud, p. 507, note 2, et Eclair-
cissements, p. Lv). Le texte complet a été donné en 1842 dans le
Recueil de Corbaz, p. 51, et réimprimé plusieurs fois depuis lors, en
dernier lieu dans Po recafâ (Lausanne, 1910), p. 210-212, avec
quelques couplets en plus, La version que nous transcrivons ci-dessous
nous a été dictée en 1910 par M^e F. Richard, à Hermance (Genève),
où cette chanson était autrefois très usitée comme chanson de ronde.
Elle diffère assez sensiblement du texte vaudois et se rapproche beau-
coup plus des versions savoyardes récemment publiées par M. Cl. Ser-
vettaz. Chants et chansons de la Savoie (Paris et Annecy, 1910), nos i j6-
139, notamment de la ronde française no 139.
I
2
Dyan Pari y avè na vîly^, (bis)
Tyr> , j . 7- ' L è-t antrâ]"^ dyan la danp
K ave katrp van di-^ an. -^ -' ' ^
-r- T 1 u ^ 1 11 '1 > \ Pè>' i trbvâ on palan. [(bis)
Iirlt branbranlonlalavyely / ^ lv /
i^'^ '1^4 ^ j- Tirli branbran, etc.
A ave katrp van di-:^ an, > ^ ■
Tirli branbran.
La vieille.
1. Dans Paris il y avait une vieille, qui avait quatre-vingt-dix
Tirli branbran lonla la vieille, etc. [ans.
2. Elle est entre'e dans la danse pour y trouver un galant.
' Cette forme française est constante dans le refrain.
58 J. JEANJAaUET
3 6
L avè choué:(ya h pd dyuan.no, L avè dyan sa granta kâva (bis)
K an-n èlè b p9 galan. [(bis) Kat san séti d bon vin hlyan.
Tirli branhran, etc. Tirli hranbran^ etc.
4 7
— Va fan, va fan, ma ^ bcuna Lavé dyan sa grania kûva (bis)
Kâ tô}i laii è binfîni-.[vîly^,{\>b) Kat san kbp dp bon f roman.
Tirli branbran, etc. Tirli branbrau, etc.
5 8
— S tp savyâ s kp l a la vfly^, — Rpvin, rpvin, ma^ bouna vîly^,
Tp parhryâ pâ hnan san [(bis) Kà ton tan ne pâ fini, [(bis)
Tirli branhran, etc. Tirli branbran, etc.
3. Elle avait choisi le plus jeune, qui (en) était le plus galant.
4. — Va t'en, va t'en, ma bonne vieille, carton temps est bien
fini.
5. — Si tu savais ce qu'elle a la vieille, tu ne parlerais pas
comme ça.
6. Elle avait dans sa grande cave quatre cents setiers de bon
vin blanc.
7. Elle avait dans sa grande cuve quatre cents coupes de
froment.
8. — Reviens, reviens, ma bonne vieille, car ton temps n'est
pas fini.
1 Ce mot devrait être supprimé pour rétablir la mesure du vers.
2 Ce vers et le vers correspondant du huitième couplet, qui ne pré-
sentent pas l'assonance en -an, constante partout ailleurs, sont évi-
demment altérés. Mais telle était la leçon d'Hermance. Il serait facile
de corriger, par ex. : Ka fâ Inn (resp. t'a pâ) fini ton tan.
LA VILVE
59
I van trbvâ h nbtéro : (bis)
■<f I fô maryâ slœ-:(^ an/an ».
Tir H branbraii, etc.
10
-Slé-:( an/an, di b nbtéro, (bis)
Y an-n a yôn k a katrp van.
Tirli branbran, etc.
II
Y è dpman h mariado, (bis)
Apre dman Vanter aman.
Tirli branbran, etc.
12
On jl tan chœlâ la vîly'^, (bis)
Kp l è mort an chœtplyan. *
Tirli branbran, etc.
13
L avè dyan sa granta gela
Katrp marié è tré dan. [(bisj
Tirli branbran, etc.
14
Ypna branl è Voira klyçk'^, (bis)
L'otra s' an- va tb krpvalan.
Tirli branbran, etc.
On-n éget^ dyan sa gouêf', (bis)
L avè ta Ion chvé blyan.
Tirli branbran, etc.
i6
On-n égét^ dyan sa fata, (bis)
On n'i trûv'^ oin d'ardaji.
Tirli branbran, etc.
9. Ils vont trouver le notaire : « Il faut marier ces enfants. »
10. Ces enfants, dit le notaire, il y en a un qui a quatre-vingts.
11. C'est demain le mariage, après-demain l'enterrement.
12. On fit tant sauter la vieille, qu'elle est morte en sautillant.
13. Elle avait dans sa grande gueule quatre maiteaux (molaires)
et trois dents.
14. Une branle et l'autre loche, l'autre s'en va toute tremblo-
tante.
15. On regarde dans sa coiffe, elle avait tous les cheveux
blancs.
16. On regarde dans sa poche, on n'y trouve point d'argent.
J. JEANJAQ.UET.
' Ce couplet et le précédent ont été restitués à l'aide du texte fran-
çais de Servettaz, ouv. cité, n" 139, M™e R. n'ayant pu retrouver exac-
tement la leçon d'Hermance, qui était un peu différente.
- Supprimer s'an pour rétablir la mesure du vers.
ETYMOLOGIES
-♦-
I. Bagnard barnai, «hérétique».
M. E. Muret a démontré dans les Archives suisses des trad..
pop. II (1898), p. 180-181, que le mot romand vaudai, sorcier,
diable, n'avait aucun rapport avec le dieu germanique wotaity.
comme on le croyait autrefois, mais n'était pas autre chose
« que le nom jadis détesté des hérétiques vaudois ». Voici un
pendant de cette étymologie : d'après le voc. bagnard de
M. Courthion, barnai signifie « hérétique » ; le petit voc. ms.
de M. Cornu lui donne les acceptions de « mauvais sujet,
homme sans foi ni loi » et de « Bernois ». Ce dernier sens
indique la provenance du mot. On n'était pas tendre autrefois
à l'adresse de Berne, ce qui transparaît encore dans certaines
locutions romandes telles que : « raide comme la justice de
Berne », « être de Berne » = n'avoir plus rien à désirer, être
hors d'inquiétude, comme pouvaient l'être les maîtres du beau
Pays de Vaud. Le changement de ^r en ar.- Bernensis >
barnai est régulier en bagnard, voir l'étymologie suivante.
Je m'aperçois après coup que l'identification en question a
déjà été faite par M. Meyer-Liibke, qui donne (d'après J. Cornu,
Rom. VI) dans sa Grammaire romane., II, p. 390 : « berfiey,
Spitzbube, eigentlich Berner», parmi les cas analogues bougre
(prop. Bulgare), anc. fr. lombart, usurier, esp. turco, homme
féroce, et autres. On peut citer dans ce contexte le mot. neuch.
kasroû, sorcier, diable, qui pourrait bien remonter, comme
me le suggère M. Kleinhans, au grec xadapoc [4-oldus],
nom d'une secte du xii' siècle, d'où provient également le
terme allemand ketzer, l'italien gazari.'Lt ??, en prononciation
assibilée, aurait produit les s, tz, z des langues modernes.
HTYMOLOGIES 6l
2. Bagnard aràdzo, adj., « sauvage ».
Je ne connais momentanément de ce mot que la mention du
voc. de M. Courthion : «Sauvage, difficile à aborder; noyé
aràdzo, noyer (ou arbre quelconque) dont les branches s'iso-
lent les unes des autres ; se sœudâ è aràdzo, ce soldat a l'air
redoutable 1 ». Le mot se retrouve dans une poésie célèbre du
troubadour Bertran de Born : Et arrage veirem anar destriers
= et nous verrons des chevaux errant [par le champ de ba-
taille, leurs cavaliers étant tués]. Dans son Supplément- JVorter-
buch, I, p. 78, M. Levy y ajoute deux exemples où l'expression
provençale anar aratge prend le sens dérivé de « désespérer ».
Le mot provient du latin erraticus. Les sens de « errant» et
de « sauvage » se touchent, surtout en parlant de bêtes. Et
« sauvage » passe, comme l'allemand wild, facilement à « féroce,
peu abordable ». M. Kôrting a tort de dire que ce mot latin
n'a donné dans les langues romanes que des formes savantes
{Lat.-rom. JVP, n" 3278). Ne pas confondre arâdzo avec le
valaisan éredzo (glossaire nis. Barman), qui signifie méchant,
vicieux, violent, impétueux, sorcier, et qui dérive de haere-
t i c u s .
3. Espagnol cordera, « agneau ».
On tire l'esp. cordero, cat. corder, port, cordeiro, it. cordesco,
« agneau », du latin chordus, «né tardivement ». Cette ori-
gine est indubitable, puisque les auteurs anciens Varron et
Pline donnent déjà l'expression agnus chordus, et que le
terme italien a conservé la valeur de agnelle di seconda
Jigliatura. Mais voici que AL Gabbud, notre correspondant
valaisan, donne un nouvel aspect à la chose en faisant, à propos
du mot bagnard kbrdyaird, «brebis», la remarque suivante:
« On appelle cordière, une brebis dont le dernier agneau n'est
pas encore sevré. Je pense que ce mot est dérivé de corde.
^ M. Tappolet me signale le mot à Lens (Valais) : mijoiin arâia,
maison solitaire (et lugubre).
62 L. GAUCHAT
parce qu'ordinairement une brebis qui a mis bas est enlevée
du troupeau, les paysans la gardent au village avec sa progé-
niture et l'amènent aux champs, attachée à un bout de corde »
(Arch. s. des trad. pop. XIII (1909), p. 49, n. 5). Je me de-
mande en effet si cet usage, quelque peu varié, n'est pas plus
général, et si le mot chorda n'a pas réellement remplacé,
dans ridée du peuple, l'ancien adjectif chordus. Cela me
paraît ressortir du fait qu'on ne trouve plus cordo dans les
langues romanes, mais des dérivations à l'aide des suffixes
-arius et -iscus. Quant au mot bagnard, son v nous oblige
à le faire remonter à un ^cordellaria'^ corde-aria (avec la
suppression habituelle de / intervocalique), où l'ingérence de
corde est manifeste. Cette manière de voir est corroborée par
la présence du mot réto-roman ^/;az;(f22/«, agnelet qu'on conduit
en laisse (Filisur, dans le dictionnaire de Pallioppi), dérivé de
chavezza, chevêtre, auquel me rend attentif mon collègue
M. Jud.
4. Neuch. agri, « ennui ».
Dans le morceau On voyaidge, O. Huguenin emploie la
phrase: iai la gri d'ia Seigne, traduit par: j'ai l'ennui de la
Sagne {Le Patois neuch., p. 320). Les matériaux du Glossaire
nous offrent plusieurs exemples de ce mot. Michelin-Bert donne
entre autres celui-ci : Ai vo adé Vagrî d'voiiteur vlédge 9
= Avez-vous toujours la nostalgie de votre village ? Au Val-
de-Ruz, on prononçait agre., comp. le Glossaire de Quinche :
agré =- ennui, heimweh ; et le passage de la Bordgèsie d'Vau-
laidgin du même auteur {Pat. neuch., p. 150): rc qu' d'ily
pinsâ ce bâille Vagré^z rien que d'y penser, cela donne l'ennui.
Les autres exemples dont je dispose ne font que confirmer la
forme et le sens. Ce mot m'intriguait depuis longtemps, quand
je suis tombé sur le verbe valaisan agrèye' ^ aggrsLver (Liddes),
ennuyer, mettre en colère (Bagnes) ; l'étymologie cherchée était
donc le latin g revis* pour gravis. Le verbe agrèyi existe
1 La transformation s'explique par l'influence de l'opposé lavis.
ÉTYMOLOGIES 65
aussi en fribourgeois, avec le sens de mettre en colère, exciter.
En étendant nos recherches au canton de Berne et aux régions
limitrophes de la France, l'origine indiquée apparaît toujours
plus sûre. A Delémont, on dit grîj, s. f., ennui ; à Belfort, grle,
mal du pays (Vautherin, Glossaire du patois du Châtenois^) \
à Montbéliard on trouve grie, s. f., chagrin iContejean); dans
les patois lorrains, il y a gri\ adj.. ennuyé, à côté du substantif
gritè, nostalgie, du latin gravitatem; le Morvan offre le
verbe greuver, faire de la peine, chagriner, et la Wallonie
grîver, même sens. M. Grammont {Le pat. de la Franche-
Montagne) cite dans son vocabulaire la phrase è m ô grî, « je
m'ennuie, je regrette », pour laquelle il renvoie au vha. girida^
« appétit, désir». C'était chercher bien loin l'origine d'un tour
de phrase identique au vieux français // m^est grief. Le mot
neuchâtelois qui m'a servi de point de départ est donc une
variante de son et de sens du français grief. Pour le change-
ment de genre, je renvoie à ce que j'ai dit dans le Bulletin
VII, p. 8 ; */^ gfieif) a été compris à Neuchâtel ragrie{f),
par agglutination ; enfin la voyelle / de la forme du Val-de-Ruz
ne fait pas difficulté pour quiconque en connaît à fond la
phonétique (cfr. ffiedj, de me dieu s; levr, de leporem, en
regard de i/itdj\ etc., à la Montagne).
L. Gauchat.
* L'auteur de cet intéressant dictionnaire rappelle l'anglais grief,.
chagrin, et l'adjectif vieux français grief.
•5^i^f%-
TABLE DES MATIERES
-*-
Pages.
L. Gauchat. La trilogie de la vie. Articles-spécimens du
Glossaire romand. I. Naissance et baptême (avec une
planche). II. Fiançailles et mariage 3, 33
J. Jeanjaquet. La tabœ^", conte populaire en patois d'Or-
sières (Valais) 20
S. Gander. Le diivè lUvrè e la p^dzè. Anecdote en patois de
Vaugondry (Vaud) 24
J. Jeanjaquet. Etymologie. Suisse rom. cetour, « cellier » . 26
\V. Pierrehumbert. Les équivalents d'< importuner » dans
le parler suisse romand 46
J. Jeanjaquet. La vîly'^, chanson populaire en patois d'Her-
mance (Genève) 57
L. Gauchat. Etymologies : i. Bagnard barnai, hérétique.
2. Bagnard arâdzo, sauvage. 3. Esp. cordero, agneau.
4. Neuch. agrï, ennui 60
IMPRIMERIES REUNIES S. A. LAUSANNE.
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire.
DIXIEME ANNEE
1911
ZURICH
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hofackerstrasse 44
LA TRILOGIE DE LA VIE
(Suite)
-♦-
inaryâdzo, s. m. mariage.
maryàdzo (Vd, V, F), maryâdzo (F Gruyère, et ailleurs), ma-
ryâzo (V, à l'Est de Sion), tncryàdzou (Vd Vallorbe), tna-
ryâdo{G), maryâdj (N Val-de-Ruz), maryedj (N Montagnes
et Val-de-Travers), nièryédzou{^ Côte-a.u\-¥ées), mâryàdj'^'*
(N Cerneux-Péquignot), màryàdj (B). On entend aussi pro-
noncer mariyàdzo, etc.
I. dot; 2. union légitime d'un homme et d'une femme;
3. jeu de cartes connu sous le nom de mariage.
1. mariagùim = biens apportés en dot, 1227 (Mém. Doc.
S. rom. VI, 172; fausse latinisation habituelle au moyen âge,
voir Du Cange, Gloss., sous cette forme). Mariage = dot,
XV^ siècle {Mém. Doc. S. rom. 2^ série, V, 231). « et luy donna
des paires en mariage», 16 19 [Arc/i. ca/it. vaud. Procès déta-
chés, Glérolles). 1 m' an rakrè ?non mariâdzo D'ou?ia tsêna
dè-j-inyon. Ils m'ont augmenté ma dot D'une chaîne d'oignons
{Mè nothc, chans. pop. comique, Gruy. ill. IV- V, p. 76). T^s
mcrièdj i hèysrî-vo, Ditd-lo, An le bèh Margsrii?, quelle dot
lui donnerez-vous. Dites-le, A la belle Marguerite ? (Rossât,
Chants pat. jur., Arch. s. trad. pop. IV, p. 161, n° 68 ; là-dessus
sont énumérées les parties de la dot). C'est de ce sens que
dérive probablement l'emploi de notre mot comme lieu-dit,
dont voici quelques exemples: Ouz Mariajoz, 1461, vigne à
Corsier S/Lutry (Fiches Millioud), es Mariages, Epesses (ib.);
aux Mariages, Vionnaz (ib.) ; au Mariage, Jongny, Aclens,
Chatillens, Eclépens (Fiches Burnet) ; au Mariagoz, Corseaux
(ib.).
4 !.. r.AlCllAT
'2. Pi'r /(' bin ritii, S'ti bi fuiriaiizi'. Tour le bien tctcr. Ce
beau mariage (^dcbut d'une cluinson composée pour la tête des
vignerons de iSiq"). i\V crayd ty que serrai on maridiizo. )'<' ne
manijui-rai pas pan, buro né fromdJzo, Nous croyions tous que
[ce serait un m. oii ne manquerait pas pain, beurre ni fro-
mage {Conte du Crat'zu, AVi. Corba:, \^. 2). F ère on hvo [krou-
you] ///., faire un beau [mauvais] m. i^N'd."). Lou nian'âi/z'"* r
on.n" loiiri, tsakon rutni.n aprï son numcrô, le m. est une loterie,
chacun soupire après son tiuméro (^\'d Sassel). Mor è- inariadzo
brièon tb koniJnan, mort et mariage annulent toute convention
(Vd Leysin). Li maryâdzJ c on dinâ k) kiminXè plr h dtsér,
...qui commence par le dessert (Vd Ormont). Atiuta, Dorothée,
fas zu medzi du pan blian avoue di z'au/a^nes, te sa se cein
est bon? Ouai, le rudamein bon. Eh hin! le mariadzo, le eneô
bin meillau, écoute. D., tu as mangé du pain blanc avec des
noisettes, tu sais si cela est bon? Oui, c'est rudement bon.
Eh bien, etc. {Lien raud . 1901, 2). Fabnka on ///., faire un m.
(Vd Blonay). On m. a boutsilyon, ...qui va mal (litt. à copeaux;
ib.). Lyè maryàdzo de nublio, la mdr vô nié tyè l par, c'est un
m. d'épervier, la femelle vaut mieux que le mâle (F Gruyère;
chez les oiseaux de proie, le mâle est généralement plus petit
que la femelle"). Lj m. ne pa fe onkora (F). Chè fa me de ma-
ryâdzou ehu lou ts^min tyè 0 m'^"o^i, i\ se fait jikis de m. sur
le chemin qu'à l'église (F Châtel-St-Denis). Bon m. pâyj tby
...paye (arrange) tout (V Champéry). Apri 0 maryâdo on sa
sèn kyé kbt i sa, après le m. on sait ce que coûte le sel (V Isé-
rables). )' a-t? zu de m., y a-t-il eu des m., c'est-à-dire: le curé
a-t-il publié des m. (V Bagnes) ? El â vni â mond fà- di ma-
riàydj, il est venu au monde hors du m. (B). 3. Dzà'i u m. ;
jouer au -^ mariage » (V Champéry). Ce jeu aura contribué à
faire appeler un bon ou mauvais mariage, une bonne (mauvaise)
levée, « plie » : lèrây^,plyâya (Vd Vallée de Joux).
Autres termes ironiques: h /â on.na bala patsj, elle fait un
bon marché (occasionné par les contrats de m. ; pactus pour
contrat de m. se rencontre dès la Lex Alem.). La fan è la ehâ,
la faim et la soif = mariage (G Bernex).
LA TRILOGIE DE LA VIE 5
l*r(»v<M*l)C.s : Au mariadzo et à la niouâ, Ion diabllo fà tt se-
z-effoua, au m. et à la mort, le diable fait tous ses efforts
(Dumur, Frov. Forme bernoise dans Rossât, Arch. s. trad. pop.
XII, p. 267, n° 214). Ce proverbe, qui se dit partout, apparaît
aussi sous d'autres formes : â mariazo e a la mb to h zyèblo
chi datatson, ...tous les diables se détachent (V Mage); a
la mor è u ynaricdf lo dyab" s'é metyè, ... le diable s'en mêle
(N Noiraigue). Le maryâdz", le partâdz° gâton le bainh mezon
les m., les partages gâtent les bonnes maisons (par la division
des biens, Vdj. / tnàryddj à kman in djœrjiis : t'/Jn lé djr'en
sonfé^ H bakan pb y antrà; èchtà k'èl son dsdin, H bakan pb
rpètchi, le mariage est comme un poulailler : quand les poules
sont dehors, elles frappent du bec pour y entrer; aussitôt
qu'elles sont dedans, elles frappent du bec pour en ressortir
(Rossât, Arch. s. trad. pop. XIII, p. 43, n° 398. Dicton très
répandu et quelque peu varié).
Khrta pats?, londz atats9, court marché, longue attache
(Vd). Jamé on m fâ dd mouindr? pats? k'ao moti, jamais on ne
fait de moindre marché qu'à l'église (Vd). le va gro mi se
bourlâ à Voté kie au moti, il vaut beaucoup mieux se brûler à
la cuisine qu'à l'église {Lien vaud. 1904, 11). De bon pllan
pllanta ta vegne., De houna mare prein la fellie, de bon plant
etc. (Po recafà, p. 400). Lhomino l'è d'étopa, la fénna de rita,
le mari est d'étoupe, la femme de «rite» (= première qualité
de filasse; ib.). Le fénnèjè fan preindre pouetè. Quan san balè,
vignan pouete ; quan san pouetè., restan pouetè., les femmes,' il J
faut les prendre laides, etc. (ib., p. 401). On gale vesadzo ne
ballie pa à medzi, un joli visage ne donne pas à manger (ib,).
Avoué le z'anchan, on niedze lo pan bilan., avec les vieux ^maris],
etc. (ib.). Avoué la pi d''on villio, on a la pt d'on dzouveno,
avec la peau d'un vieux, on a la peau d'un jeune (ib.). Lài a pa
de chouma que ne trovè son bourrisco, il n'y a pas d'ânesse qui
ne trouve son âne (ib.). Totè le mer mite Van lau cvuvicllio,
toutes les marmites ont leur couvercle, toute fille trouve à se
marier (ib.). La prsmiir an.nà, s'a béjid-béja; là s gond an.nà,
s\'i bnsii-brssa ; là trâji?m an.nd, sVi bàti-bàta, la i''* année,
6 L. GAUCHAT
c'est baisi-baisa: la 2=, c'est berci-berça; la 3^, c'est batti-batta
(B, passim).
Voir d'autres proverbes sous maryâ, fèfia, èpâo.
Hist. Tiré demaritare, à l'aide du suffixe -a ti eu m, qui a
servi, au haut moyen âge, à désigner une quantité d'impôts ou
taxes, voir Meyer-Liibke, Gr. rom. II, § 482. Le dict. vieux-
français de Godefroy enregistre deux exemples du sens de
«donation matrimoniale, bien de l'époux». Cfr. Du Gange:
viariagiuin et maritagium. Les matériaux nous manquent pour
élucider le rapport qui existe entre les sens \ et 2. Sous 2, on
pourrait distinguer les acceptions suivantes : action de se marier,
noce, état qui en résulte, que l'allemand rend par trois mots :
Heirat, Hochzeit, Ehe. Nos patois possèdent aussi noce[s), qui
cependant nous paraît être d'un emploi plus rare qu'en français.
Encycl. 1. Avant 1874, les bans se publiaient du haut de
la chaire, avant le culte, pendant trois dimanches consécutifs,
comme cela se pratique encore en pays catholique. La formule
était : il y a promesse de mariage entre.... Généralement, ni
les contractants ni leurs parents n'assistent à la publication.
Moyennant la dispinsa'^, qui consiste en une certaine somme
d'argent, on peut obtenir qu'elle n'ait lieu que deux ou qu'une
fois. L'obtention d'une dispinsa, procurée par l'évêque ou par
le curé, est également nécessaire, lorsque les époux sont trop
proches parents. En patois, les bans s'appellent les annonces, ou
les cries (Valais); pour publier, on se sert des expressions (nous
francisons) publier, crier, lire les annonces, annoncer.
2. La nouvelle constitution fédérale (1874) a institué l'obli-
gation de se présenter devant un fonctionnaire civil, qui prend
l'inscription, devant deux témoins, et qui l'affiche dans un lieu
public : pilier, tableau exposé à la mairie ou maison d'école, etc.
La bénédiction du mariage par le pasteur ou curé n'est plus
obligatoire, mais elle est très rarement supprimée. On nomme
en Valais les sourds ceux qui ne se marient pas à l'église. Bien
qu'il soit d'introduction récente, les patois se sont approprié le
* Les variantes dialectales sont données sous dispinsa.
LA TRILOGIE DE LA VIE 7
nom de l'oftlcier d'élat-civil. Ils le déforment souvent en
disant: officier civil, du civil J'ctai-civil, ou le civil tout court;
officier de ?nariage (B Malleray). L'hostilité que toute nouvelle
loi rencontre souvent parmi le peuple s'est traduite en toute
sorte de sobriquets donnés au nouveau fonctionnaire : maqui-
gnon des demoiselles, soudeur d'enfant, colleur d'amour {cipè-
zdârc d'amour, Alpes vaud.); maryé, marieur (Vd Longirod);
maryatsc, dim. de mari (F Lessoc); tsdvdly, cheville (V Verna-
miège); curé civil, curé de Berne (V) ; pontife (F Montbovon),
rabbin ( pron. ràbi, N Cerneux-Péq.). Mais le nom ironique qui
a fait le plus fortune est celui de pètahoson, que Dénéréaz a
inventé pour l'un des premiers officiers d'état-civil du canton
de Vaud dans l'anecdote publiée dans le n" 9 du Conteur vau-
dois de 1876. Il y est question de fiancés qui se chamaillent
pour savoir s'ils donneront la préférence au pasteur de l'en-
droit, surnommé pH' en-Vair, ou à l'officier d'état-civil, affligé
du sobriquet de pèta-boson (boson =: buisson, l'explication de
crève-buisson, donnée par M'"'= Odin, est erronée). Ce nom s'est
très répandu dans le Gros-de-Vaud et jusqu'aux frontières du
canton, pas au delà. Il a été employé par des personnes qui
n'en connaissaient pas l'origine, et est devenu un vrai appel-
latif, voir sons pètahoson. M'"^ Odin le cite comme tel, sans en
noter le sens humoristique. Il se peut, en effet, qu'il ait été
employé sans malice. Ce cas, assez rare, où l'on assiste à la
création et à la propagation d'un terme patois, mérite qu'on
s'y arrête.
Pour « être affiché » au pilier public, les patois se servent
aussi de tournures comiques, comme être pendus (à Leysin:
piidolÔ), être dans la boîte, dans la cage, le treillis (à cause du
treillis de fil de fer dont l'affiche est protégée dans certains
endroits).
3. Autrefois, du temps des trois bans, le second l)an était
souvent célébré, chez les gens aisés, par une petite fête orga-
nisée par la jeunesse du village. Le fiancé versait quelque
finance, et la fiancée préparait un café avec force gâteaux et
friandises (Vaud).
8 L. GAUCHAT
i. Adieux du père. Selon le Conteur vaudois 1902, n" 14,
au moment où la jeune fille quittait le toit paternel, son père,
ou quelque autre parent, aurait eu coutume de lui adresser
le couplet:
Plliora! plliora! pourra bair Pleure! pleure! pauvre belle
épâosa! épouse !
Tas bin de qtiie tant plliora. Tu as bien de quoi tant pleurer.
La maison de ton pire La maison de ton père,
Te faut la quitta ! Il te faut la quitter !
Bézè lo coumacllio. Baise la crémaillère,
Po lo premi [!] iadzo, Pour la première fois ;
JBézè lo tiu dâo pot Baise le fond du pot,
Po lo derrai dzo ! Pour le dernier jour !
Le Recueil Corbaz, p. 204, donne une version plus authen-
tique :
Pliaura pour a épausa, Po lo dèrai pas^
Pour a malhirausa, Jamc dé ta via
Bese lo coumachlio Te ne chai revindri (Tu ne re-
Po lo dèrai iadzo. Tant a ton prêtai, viendras ici
Passa lo lindai (seuil) jusqu'à ton ?)
Dans son bel article De quelques rites de passage {Rev. de
Vhist. 'des religions, 19 10), auquel nous aurons encore l'occa-
sion de renvoyer, M. van Gennep mentionne une vieille chan-
son que jouait en Savoie le ménétrier, en tête du cortège nup-
tial, et qui commençait d'une façon analogue : Pleura, pleura,
ma pour a épeusa, etc. (la suite différente). Notre chanson
pourrait avoir quelque rapport éloigné avec ce couplet. Voir
la litt. indiquée en note, p. 37, n. 4. Le souvenir de cette litanie
du ménétrier ne s'est pas perdu dans les campagnes gene-
voises, et l'on nous cite ce début de sa chanson : vain (viens),
vain, màlirœ^sd, vain.
5. Le costume des époux ne présentait autrefois rien de
particulier. Voile blanc (de tulle ou de mousseline) et couronne
de fleurs d'oranger sont d'introduction récente. Comme on les
considère comme un symbole de virginité, ils ne sont pas
portés par une veuve qui se remarie ni par une fille qui ne s'en
LA TRILOGIE DE LA VIE 9
juge plus digne. La virginité est aussi annonce'e par une cein-
ture (B). On se faisait faire des habits neufs pour la circons-
tance, à la mode du pays. La couleur préférée était le noir.
Actuellement, l'épouse s'habille souvent tout en blanc. Voici
quelques détails, par cantons. Vaiid : au xviir siècle, et même
jusque vers 1840, l'époux s'habillait volontiers en militaire,
pour se marier — c'était autorisé et de bon ton. Aujourd'hui:
chapeau haut de forme, cravate en soie, habit de fin drap noir,
parfois gilet de satin brodé de fleurs. L'épouse portait ancien-
nement le bonnet vaudois, de velours, soie, à. dentelles larges,
ajourées et retombantes, « mites » à l'avant-bras, robe noire de
la meilleure étoffe, bas noirs, tablier et fichu de soie, ou large
châle-tapis. Fribouin/ : i'èpàja, avi (avait) ouna bala roha de
nanjou (nansouk), on fourdâ a bâveri (tablier à bavette)
d''épine (?) è on motchà de chèya (mouchoir de soie)...., ouna
kouêthe a lârdzè pointe (une coiffe à larges dentelles ; Ruffieux,
Four dira, p. 280, où une noce est décrite avec beaucoup de
détail). Quelquefois la fiancée avait sa robe de la même étoffe
que l'habit du fiancé. Aujourd'hui couronne de fleurs artifi-
cielles sur la tête de l'épouse et bouquet de fleurs, également
artificielles, avec ruban, sur le chapeau ou au revers de l'habil
de l'époux. Cette mode, qui vient des villes, se répand partout.
Valais : Couronnes, nommées tsapélè{i), et bouquets sont aussi
portés par les amis et amies de noce, souvent même le di-
manche suivant. >'eucliàtol : La mariée portait une robe de soie
ou de laine noire, cadeau de l'époux. L'épouse lui donnait la
chemise de noce, ordinairement cousue par elle. lîcrne : Jusque
vers 1830, le marié portait l'épée et le wa//// (manteau de céré-
monie, Plagne). L'épouse avait une couronne de buis ornée
de fleurs naturelles (ib.).
0, Le rôle des (jar<;ons et demoiselles (l'honneur, jadis
important, a bien diminué. Ils s'appellent/;' ou féy d'an.nœr
(fils ou fille d'honneur) ou encore tchrou d fan, « chercheur de
femme » dans le Jura bernois. Seul, le canton de Vaud (en partie)
a conservé un terme original : ts'ermalâi, tsèrmalâirs, voir ce
mot. L^n ami de noce non accompagné d'une demoiselle s'ap-
lO L. GAUCHAT
pelle à Leysin/i5 mousts", d'après le jeu de cartes mouts'^, voir
ce mot. Bridel définit encore les tscrmalâi comme ceux qui
devaient détourner des jeunes époux les mauvaises influences.
Peut-être par des incantations ; car il est probable que le mot
dérive de carmen, cfr. tsèrmalèri, s. f. = sorcellerie. Jadis,
le tsèrmalâi et la tsermalàird offraient aux mariés la soupe
nommée bfà, voir le § 13. Le tsèrmalâi avait aussi le droit de
couper la jarretière de l'épouse. Cet usage ne se pratique plus
que dans certains villages du canton de Berne. La mariée
attache son bas avec un ruban de couleur rose. Pendant le
dîner de noces, le garçon d'honneur se glisse sous la table et
lui enlève ce ruban, le coupe en morceaux et en décore toute
l'assemblée en commençant par le couple. M'"^ Odin décrit la
scène autrement : Autrefois les gens qui se mariaient allaient à
cheval. La jarretière de ruban rouge de l'épouse dépassait la
robe. Le tscrmalâi la coupait et la mettait à son chapeau. Le
matin de la noce, le garçon et la demoiselle d'honneur appor-
taient à l'épouse l'offrande de bénédiction, voir bousalc (Blo-
nay). De nos jours, l'ami et l'amie de noces, s'il y en a, orga-
nisent la fête, habillent l'épouse, et lui font ou donnent cou-
ronne et voile.
7. Pour le cortôye qui accompagne les époux à l'église, il
n'y a pas d'ordre bien déterminé. L'épouse est souvent con-
duite par le garçon d'honneur (en ce cas, l'époux suit avec la
demoiselle d'honneur), ou par son père, son tuteur, sa mar-
raine. Quelquefois ce n'est qu'avant la cérémonie même que
le père remet sa fille à l'époux, et que les anneaux sont échan-
gés. Au retour de l'église, les mariés se donnent le bras. Pen-
dant le trajet, il est beaucoup d'usage de tirer des salves en
l'honneur du couple. On se sert de pistolets, de fusils ou de
mortiers, « pour annoncer l'ouverture des hostilités», dit mali-
cieusement l'un de nos correspondants. A l'origine, tout ce
bruit devait servir à épouvanter les mauvais esprits, voir
E. Samter, Geburt, Hochzeit und Tod, 191 1, p. 39 ss.
8. Rien de spécial à dire sur la cérémonie elle-même.
Avant de recevoir la bénédiction officielle, les époux sont sou-
LA TRILOGIE DE LA VIE II
vent bénis par leurs père et mère (B). Quelques-uns font bénir
le lit nuptial. La superstition ne manquait pas autrefois de
troubler la solennité du moment. Pendant le mariage, les époux
se tiennent par la main devant la table de la cène. On croyait
qu'il fallait en cet instant emprisonner la main de son conjoint
pour être maître dans le ménage. Cette croyance populaire
donnait lieu jadis à des luttes très comiques (Vd).
9. Dans la Plaine du Rhône, partie vaudoise, et les Or-
monts, s'est conservée une très vieille coutume, celle de jeter
des grains de céréales, ou à défaut de riz, sur la tête de
l'épouse et sur tout le cortège de noce. Traces de ce rite
dans d'autres parties du canton : Savigny, Penthalaz, et dans
les cantons de Fribourg (Gruyère), et Genève (Dardagny).
Cela se fait à présent durant le parcours de l'église à la maison
nuptiale (de l'époux) par toutes les femmes qui s'y prêtent.
Dans le temps, cette coutume ne concernait que l'épouse et
se pratiquait au moment où elle arrivait devant sa nouvelle
demeure. La (vieille) femme désignée pour accomplir cette
fonction était une parente ou une amie intime de la famille et
portait le nom de bèrnâda. L'opération même s'appelait berna-
klyo (non bèrnâdzo, comme le dit M'"= Odin, vofr ces mots).
Ce rite existait déjà chez les vieux Grecs {yM7ayjJ0ti.u~vA, où
l'on couvrait l'épouse, au moment même du mariage, d'une
pluie de dattes, figues, noix, menues monnaies. M. E. Samter,
Familienfeste der Griechen und Romer, 1901, y voit un sacri-
fice pour concilier les démons, J\L van Gennep (^. c. au § 4)
un rite de fécondation. C'est bien en ce dernier sens que le
bernâklyo est interprété par nos populations. Bridel ajoute (sous
bernada) qu'après cette cérémonie une autre femme (à l'origine
sans doute la belle-mère) présente à l'épouse les clefs, emblème
de son nouveau pouvoir; ailleurs il est parlé d'une louche (cfr.
van Gennep, 0. c. p. 49 ss. rite d'entrée).
A présent, ce sont au contraire les enfants et les pauvres
assistant au défilé du cortège qui sont aspergés de dragées, de
pièces de monnaies, etc., nommés tsèrpply? (Vallorbe), nôy
(Berne), souris (Genève). La dépendance de cette coutume de
12 L. GAUCHAT
celle que nous venons de nommer est démontre'e surtout par
le nom qu'on lui donne dans le canton de Genève, où les
enfants crient : lé pîr a barfid, comp. à Messery (Savoie): tri
la pirra à Barnada = tirer la pierre à Bernarde (van Gennep,
0. c. p. 39).
A Longirod (Vd) les enfants du village se rendent après le
mariage religieux chez l'e'poux et chez l'épouse ensuite en
chantant :
La 7>i?lsct, la )ii9tsèt, h krotson,
Po lo bon bovairon!
La michette, le morceau de pain, pour le bon petit bouvier \
Là-dessus la cuisinière sort avec un paillasson plein de « bri-
celets » qu'elle distribue aux enfants. Quelquefois elle ajoute un
morceau de pain et de jambon et un verre de vin.
10. Lorsqu'un jeune homme sort de la compagnie des gar-
çons de son village pour se marier, il est rançonné par la
société, à laquelle il doit payer une somme très variable, qui
dépend de sa position sociale et de celle de sa future, du
nombre des sociétaires et des traditions locales. La hauteur de
la somme est souvent longuement débattue, comme dans une
foire. Les abus n'ont pas manqué. «A Dombresson (N) la so-
ciété des garçons exigea d'une fille Fallet, riche de 22000 écus,
un louis d'or par 1000 écus (509 fr.) » {Musée neuch. XXVII,
214). Plusieurs de nos correspondants indiquent la somme
qu'ils ont dû verser: 50, 100 fr. ^ Si le fiancé refuse de payer,
il était de coutume autrefois de lui faire un charivari, appelé
tsèrivari {tsarvari, tsavalèri, tchèribèri, etc., voir sous tsèri-
vari) pendant la nuit de noce et les quinze jours suivants,
même au delà. Il est arrivé que la jeunesse, frustrée par un
époux trop avare ou trop fortement taxé, se soit laissé entraîner
à dévaster ses biens. Malgré les ordonnances de police très
sévères à l'égard des charivaris, ceux-ci se produisent encore
de temps à autre. La rançon se nomme sortie, seines'^ (F et Vd'
On trouve plusieurs mentions de ces sommes dans le Cont. vaud.
no 40 de 1900, article Les Jeunesses.
LA TRILOGIE DE LA VIE I3
proprement « vin d'honneur » 1, bou.n indalàye (F, litt. « bonne
en-allée ■»), pi? de bu? (B, litt. «pieds de bœuf»). Nous n'avons
pas réussi à éclaircir le mystère de cette dernière appellation.
Elle se rattache probablement à un rite disparu, comp. celui
du ferrement mentionné par Scheffler (Franz. Volksdichtung
u. Sage, I, 194) d'après Cbampfleury pour le Poitou, et qui
consiste à ferrer le pied d'un léger coup de marteau, aux époux
et aux conviés, le lendemain de la noce.
C'est en Valais que les choses se passent le plus simplement:
l'époux paye à boire à la jeunesse jusqu'à un litre par tète.
Dans le canton de Vaud, on y met plus de formes. Voici
comme notre correspondant du Vully décrit la coutume :
« Quelque temps avant le mariage, la compagnie des garçons
fait annoncer à l'époux qu'une délégation de la Société ira le
trouver. Au soir convenu, celui-ci la reçoit ordinairement chez
sa fiancée ; deux ou trois garçons arrivent, apportant deux ou
trois bouteilles, qu'ils offriront à la société. L'un des délégués
débite un petit compliment à l'adresse des époux et indique en
même temps le motif de sa visite, etc. »
L'époux est surtout taxé s'il choisit sa femme dans un autre
endroit que celui qu'il habite. Au temps où chaque village for-
mait un microcosme, hostile à son entourage, emmener une
jeune fille hors de la commune était considéré comme une
espèce de rapt.
Le paiement de la rançon donne ou donnait lieu au rite du
barra(je,en patois barâdzo (Vd et F), ^r^/(B,litt. une arrête);
verbes : barà, {e)râtd. Si l'épouse est d'un autre village, c'est
lorsqu'elle est emmenée qu'elle trouve sa route barrée ; si les
conjoints habitent le même endroit, c'est ordinairement à la
sortie de l'église qu'on les arrête. On emploie à cet effet des
perches, des chaînes, des cordes, plus récemment des rubans
ou même une guirlande en papier (F Broyé). Anciennement, on
allait jusqu'à former de véritables barricades, en plusieurs en-
droits où le cortège devait passer, ce qui provoqua des inter-
dictions de la part des gouvernements; voir Jeanjaquet, Man-
dement neuchâtelois de I5Ç6 interdisant de « barrer » les époux.
14 L. GAUCHAT
dans les Arch. s. trad. pop. VIII, p. 225. Dans ses détails,
l'usage, abandonné dans beaucoup de contrées, varie de lieu
en lieu. A Leysin (Vd), l'époux saute la chaîne tendue devant
la porte de l'église, paye la rançon ou offre du vin aux garçons
pour leur faire enlever la chaîne et laisser passer l'épouse.
Dans cet endroit, chœ"tâ la tséna est devenu synonyme de se
7narier. Souvent les garçons offrent une petite collation et
adressent quelques paroles de félicitation aux époux en
échange du cadeau d'argent qu'ils vont recevoir. (Ce sont eux
aussi qui se chargent des coups de feu mentionnés au § 7). La
rançon payée, le ruban est coupé ou enlevé, l'obstacle ôté, et
le cortège continue son chemin.
Le rite du barrage a dans beaucoup de contrées dégénéré
en jeu d'enfants, qui tendent un ruban pour avoir leurs bon-
bons, cfr. § 9.
Par confusion, les termes désignant la rançon et le barrage
sont souvent pris les uns pour les autres. Pieds de bœuf est
aussi le nom d'une chanson que les garçons de l'Ajoie (B) vont
encore chanter devant le domicile de l'époux, la veille de la
noce ou le soir du mariage. C'est un petit dialogue d'amour
dont on trouve le texte dans les Chants patois jurassiens de
M. Rossât, Arch. s. trad. pop. V, p. 222 ss. Dans les Alpes
vaudoises, la jeunesse donne souvent une sérénade à l'époux,
ce qu'on appelle dzui lé-j ôbàrd^ (« aubade »). Sur le barrage
comp. Daucourt, Arch. s. trad. pop. 1, p. 97; E. Hoffmann-
Krayer, Knahenschaften und Volksjustiz in der Schweiz, ib. VIII,
p. 97 ss. ; van Gennep, 0. c. p. 43 ss., où sont rapportées les
réponses de différents correspondants savoyards à un ques-
tionnaire ad hoc; Blavignac, Empro gen., p. 168; E. Samter,
Geburt., Hochzeit u. Tod,\). 162 ss., où il est question de cou-
tumes analogues dans les divers pays d'Europe, l'Inde, etc.
\\ . Il ne reste pas grand'chose chez nous du rite de rapt
anciennement très répandu chez tous les peuples. Le doyen
Bridel raconte que quelques jeunes gens cachés dans une
grange située sur le parcours du cortège nuptial s'efforçaient
d'enlever Tépouse, défendue par les tscrmalâi. M. Gabbud
LA TRILOGIE DE LA VIE 15
cite de sa contrée (V Bagnes) la co.utume de cacher la mariée,
qui se prête de bonne grâce à ce jeu, mais qui est toute con-
tente d'être retrouvée par son conjoint {Arch. s. trad. pop. V,
49). Pour le Jura bernois, M. Daucourt relate le remplacement
de l'épouse par une vieille femme postée dans la demeure de
l'époux et qu'il faut enlever de force (ib. I, 97). Comp. là-
dessus Samter, 0. c. p. 98 ss. (la fausse épouse doit tromper les
mauvais esprits qui se rabattent sur elle).
12. Au ban«nicl de iiore, on sert les mets les plus friands
du pays : jambon fleureté et enrubanné, merveilles, crotelles,
etc. Le beurre était souvent façonné en forme d'église. La rstya
(« rôtie ») était un potage légèrement capiteux où l'eau était
remplacée par du vin blanc, mets spécial du matin d'un jour
de noces (Vd Ormonts). On a conservé le souvenir de repas
extraordinairement plantureux, entre autres d'un qui dura trois
jours, en (bruyère (1695, cfr. Valais romand, 15 févr. 1897); le
premier jour fut pour les vieux, qui banquetèrent pendant huit
heures, le second pour les jeunes, le troisième pour les pau-
vres, au nombre de 75 ! Dans le canton de Neuchâtel, l'épouse
offrait une collation, appelée t3rya-fœr (litt. «tirée-dehors»)
à ses parents et amis avant de se rendre à l'église.
13. Pendant le repas et après qu'ils se sont retirés, les ma-
riés étaient souvent en butte à toutes sortes de taquineries :
allusions à leur premier enfant, on démonte leur lit, coud les
draps, et autres grossièretés du « bon vieux temps », mais ce
qui pouvait leur arriver de pis, c'était qu'on les forçât à manger
rô/a ou la saipa forâys. Les tsèrmalâi pénétraient de force
dans la chambre nuptiale et leur offraient un potage au vin,
très épicé. Malheur à ceux qui essayaient de se soustraire à
cette épreuve. La coutume ne nous est attestée que pour le
canton de Vaud, où elle doit encore se pratiquer secrètement,
malgré les interdictions réitérées, sur lesquelles cfr. J. Olivier,
Cant. de Vaud, p. 356-357 ; Cérésole, JVos fctes de jadis {Au
foyer rom. 1899, p. 147 ; il y est aussi question des charivaris^
p. 153 ss.). M. van Gennep, o.c, y voit un rite fécondateur. La
coutume existe aussi dans les pays allemands {Brautsuppe).
l6 L. GAUCHAT
14. Croyances et usages divers. Cadeaux: En Valais,
l'épouse paye quelquefois la rançon à ses compagnes de jeu-
nesse en leur donnant un mouchoir. Parmi les dons que faisait
l'époux à sa conjointe à Neuchâtel mentionnons l'ancienne
boîte de senteurs appelée civette. Après la cérémonie, la ma-
riée mettait mystérieusement dans la main de ses amies un ou
deux quarterons ^'épingles, en retour de quoi elles lui don-
naient une pièce d'argent (J. Olivier, Canton de Vattd, I, 357).
Les époux donnent deux épingles à tous leurs amis, en outre
un mouchoir à leurs parrains et marraines (V Champéry).
Le tour de noce, avant la construction des chemins de fer,
était unp rareté. Depuis, il devient de plus en plus commun.
Les couples catholiques se rendent de préférence à Einsiedeln.
Au dîner de noces, on présentait le gouz37iyon fentamure du
pain) à celui qu'on présumait être l'époux suivant, et \ç. pape è
y^indr'^ (bouillie mêlée de cendres) à ceux qu'on estimait trop
jeunes pour faire l'amour (F). Il ne faut pas se marier au mois
des chats (février, Vd Blonay). Revenir sur ses pas, c'est-à-dire
revenir de l'Eglise par le même chemin, porte malheur (ib.),
de même de rencontrer un enterrement en route ou un cercueil
à l'église (passim). Pour s'assurer le bonheur, il faut casser
quelque chose dans la maison, le jour du mariage (Blonay). Si
l'épouse chante, si on entend des pleurs d'enfants, il n'y aura
pas de progéniture. La bise annonce que le mari mourra
d'abord, le vent que ce sera la femme, ou vice-versa. La bise
assure en outre le pouvoir à monsieur, le vent à madame. La
pluie indique la prospérité du nouveau ménage : il aura des
enfants, de bonnes vaches laitières, etc. Si l'un des cierges
brûle plus vite que l'autre à la messe nuptiale, la vie du conjoint
le plus rapproché de ce cierge est menacée. Il est néfaste d'es-
sayer le voile et la couronne avant la noce, l'époux doit se
garder de cracher dans le cendrier avant de se marier. Mar-
cher sur la traîne d'une dame signifie qu'on sera invité à sa
noce (G, N).
Pour ce qui concerne le trousseau, voir trosi; pour les ex-
pressions par lesquelles inari et femtne se désignent mutuelle-
ment, voir mari; pour ffîégcre, \o\x fena; ■çomxV épouse de mai,
voir mé. L. GauCHAT.
LE REGAIN ET LA PATURE DAU TOMNE
DANS LES PATOIS ROMANDS
-*-
Articles -spécimens du Glossaire.
Ne parlez pas à un grand nombre
de bourgeois, ni de guérets, ni de
baliveaux, ni de provins, ni de regain,
si vous voulez être entendu; ces termes
pour eux ne sont pas français :.... ils
ignorent la nature, ses commence-
ments, ses progrès, ses dons et ses
largesses. La Bruyère.
Nous essayons de combiner, dans cet article, le point de vue
lexicologique et le point de vue onomasiologique, soit la ques-
tion de savoir par quels mots les patois expriment les difte-
rentes espèces de récolte tardive. Il y en a deux espèces prin-
cipales qui seront traitées l'une après l'autre :
I. le regain proprement dit (deuxième coupe d'herbe).
II. troisième herbe qui pousse (deuxième regain), qui
se subdivise en :
A. troisième coupe;
B. pâture d'automne.
Remarques, i. Dans chacune de ces divisions sémantiques l'ordre
des mots se détermine par leur vitalité. 2. Le sigle du canton imprimé
en caractères gras (Vd) indique que le mot, la forme ou le sens en
question est particulièrement bien attesté pour ce canton.
I. LE REGAIN PROPREMENT DIT.
rakor s. m. regain (Vd, F, V, G, Ni.
r{e)kor (Vd Alp. moins Pays-d'Enhaut, F Sugiez, N Lunde-
ron Atlas., B Péry Atlas, Plagne), rekôr (Vd Auberson),
rskà (V, Vd, N), nko iVd, V Vionnaz Gill., Liddes),
l8 E. TAPPOLET
rékouà (Vd Blonay), rekoua (F, Vd), rekouar (Vd Pays-
d'Enhaut), rskoua (Vd Joux, Vallorbe), r?kou (G, V Lens,
Anniviers), rego (V Grône, forme suspecte), rkoiià 'N
Montagne), rèkb (V Lourtier). Pour le timbre de la voyelle
accentuée, cfr. mort, corps, fort, sourd, etc.
1. seconde coupe d'herbe. 2. pré clôturé où Ton
récolte le regain (emjJoi vieilli).
I . Le plus souvent le mot désigne d'une façon concrète la
masse d'herbe verte ou séchée, on dit faucher, faner, rentrer,
être après le rekor, on parle d'un char, d'un tas de rekor.
Quand il pleut à la mi-oîi,ya prou raves et prou recou (G Hum-
berl). fun e rékoucir désigne toute la récolte d'un pré (Vd Eti-
vaz). on prà a fin e rakor est un bon pré (Vd Corbeyrier).
A côté de faire le rekor, on trouve fréquemment faire les
recors, déjà attesté en Valais pour 1454 'collection Iselin).
Pour l'emploi du pluriel, c\x. faire les foins, les moissons, les
vendanges, les semailles, aussi en patois //' vouanyè; a t? dja
tui fé iou réko? as-tu déjà fait tous tes rekor s'} (V Véros^oz)
me semble indiquer qu'occasionnellement le mot peut se
prendre au sens de « parcelle de pré qui donne du regain ■»,
sens qui justifie mieux l'emploi du pluriel. — Dans certaines
tournures, le mot a un caractère verbal, il fait songer aux opé-
rations de la récolte : au temps des rekor s., aux rekors = jien-
dant la récolte du regain, de même dans la phrase : le rekcr
se fait après le foin.
Extensions de sens: herbe pâturée pour la seconde fois
(V Lens), reko du fortin = herbe coupée dans des prés pâtu-
rés au printemps (V Bagnes, Evolène). Cette herbe s'appelle
ouazon dans les Alpes vaudoises et rekoua pad'^r a en Gruyère.
Atzheu en allemand ^ Stebler, Alp- und Weidewirtschaft, 232 l
De même qu'on entend dire , couper le foin ', on parle de
« faucher le r^/è^^- >, où le mot signifie proprement ^seconde
herbe destinée à être séchée'. — 2. A l'époque où les terres^
non encloses étaient ouvertes à tous [droit de parcours, on disait
LE REGAIN ET LA "ATURE . D'AUTOMNE I9
korè li rekoua, courir les terrains à regain (Vd Vaulion), moyen-
nant rétribution à la commune et au seigneur (Blonay)]. chaque
communier n'avait à clos, c'est-à-dire exempt du droit de par-
cours, qu'un terrain de médiocre grandeur, voisin de sa maison
et planté d'arbres fruitiers, qui permettait d'y faire une seconde
coupe. C'était le pré à rekor, ou le rekor tout court. (Pour le
procédé, cfr. , un vapeur ' pour ^ un bateau à vapeur ' ). Cet
emploi du mot, qui tend à disparaître, n'est attesté que pour
Vd (Gros de Vd, Blonay, C. V. 93, 15); ié fé on cta?i par égaii
iné recor d'anion et d'avo, ...pour arroser mes prés d'enhaut et
d'enbas (Corbaz, 130). Probablement le même sens dans les
phrases : du k? n'in lo hyô,... mè vé férè siyi lo grau rekor,
puisque nous avons le beau temps, je vais faire faucher le
grand pré à regain (C. V. 73, 29) et l'an scd? (18 16) // rékoiid
Vavan potirâi dézo la mit, avaient pourri sous la neige (Blonay;
cfr. sous I le sens de parcelle de préj. Dans un document de
1447, ori trouve déjà un lieu-dit Pré dou R£cor, et plus tard,
plus souvent /rt'j à record. A partir du milieu du 18^ s., nous
raconte M"^ (Jdin {sons par kou), les propriétaires demandèrent,
l'un après l'autre, à pouvoir entourer leurs prés d'une clôture.
C'est ainsi qu'on vit le pays se couvrir de haies, aujourd'luii
arrachées. L'expression consacrée par les actes était : passer
(ou réduire) tel pré à clos, record et recordon, attestée par ex.
pour 1758, 1778 (coll. Millioud), v. autre exemple sous rekor-
don. On trouve en outre : tout le mas de Six-Fontaines fut réduit
à clos, record et recordon, moyennant la somme de 750 florins,
1723 (Baulmes, Méin. Doc. Suisse rom. XIII, 135). Les lieux-dits
sans le mot .pré' sont fréquents, par ex. Recors Signy 1418,
ouz Recor Al eus 1491, ou simplement au Record, en Record.,
prés et champs de la commune de Montricher (Vd : cadastre
30, 35, année 1843). C'est ici qu'il faut ranger sans doute le
vers 125 du Conte du Craizu (18^ siècle) ...Vétion ti quie au
dessu d'on recor, ils étaient tous là au haut d'un tertre (?) (éd.
Gauchat). Comme il s'agit de toute la jeunesse d'un village, le
sens de , tas de regain ". attesté nulle part du reste, me semble
20 E. TAPPOLET
exclu et par l'étroitesse de la place et par la culbute prolongée
que fait le vilain corps avec l'objet de sa tendresse. Quant au
sens de tertre, M. Gauchat ne l'a pas trouvé avec certitude dans
les patois vivants en question, il se rattacherait du reste difficile-
ment à l'idée de rekor. Ces difficultés disparaissent si nous
supposons qu'il s'agit d'un pré à rekor qui était en pente. Cfr.
l'exemple tiré de Corbaz. — Composé mddz-rékouâ m. espèce
de sauterelle (Blonay), v. ce mot.
Homonymes: rekor t. ^ recours (v. cependant Blonay),
2. = recors, agent (de recorder).
Hist. Le mot vient du radical latin représenté par l'ad-
jectit CORDUS (CHORDUS ) S qui exprime d'une façon générale
l'idée de « maturité ou de naissance tardive ». Cfr. ail. Nach-
70J/chs, Spdtgebtirt. Il s'applique en latin aux végétaux aussi
bien (ju'aux animaux. Le Thésaurus cite des exemples pour
frumentum cordum, du blé tardif; uvae cordae du raisin tardif;
olus cordum, plante potagère de l'arrière-saison et d'un autre
côté agnus cor dus, agneau né après le terme normal. Que
signifie y^^w/w corduf/i?I\ a le sens plus général de foin récolté
après l'époque, de la fenaison, foin tardif, foin d'automne,
appelé aussi fivnuni autumuale : il comprend le rekor et le
rekordo7i et se traduirait le plus exactement par l'allemand
Spàtheu. Columelle, auteur latin agricole, vante à plusieurs
reprises la finesse et la délicatesse de ce foin ; on le donnait à
manger aux brebis grecques, race particulièrement délicate
qui demandait beaucoup de soins; mêlé avec de la paille très
propre, il servait de litière aux poules. On employait la faucille,
non la faux, pour le couper (v. Thésaurus). — Le radical de
cor dus s'est conservé dans les langues romanes 1. comme dési-
gnation de pièce de bétail (agneau, veau), souvent en per-
' M. J. Jud a choisi ce mot comme sujet d'un article-spécimen qu'il
publiera dans le prochain fascicule de V Archiv f. d. St. der neiieren
Sprachen, à propos d'un compte-rendu qu'il donnera du Rom. Worterhuch
de M. Mever-Lùbke.
LE REGAIN ET LA PATURE D'AUTOMNE 2 1
dant ridée de naissance tardive (vache, brebis), v. Meyer-
Liibke, Rom. IVorterbuch, qui indique un domaine qui va de
l'Italie jusqu'en Portugal (cfr. Bulletin du Glossaire, IX, 6i);
2. comme désignation de regain, c'est-à-dire en gardant
toujours l'idée première de maturité tardive. Le territoire
occupé par cordiwi ou recordum = regain, embrasse l'Italie
du Nord avec une partie des (irisons, puis la vallée d'Aoste,
toute la Savoie et tous les cantons sud de la Suisse ro-
mande'. Au point de vue gallo-roman, c'est un vrai mot
franco-provençal, sauf qu'il ne paraît pas avoir franchi la
chaîne du Jura. En revanche, il a conquis au Nord le plateau
de Vauffelin, qui, en général, se rattache par son vocabulaire
au Jura bernois (v. voucy'i?i). I.a conservation presque intacte
de cordum = regain dans une zone située autour des Alpes
suisses et italiennes est une nouvelle preuve pour l'ancienneté
du vocabulaire de ces régions. Ce conservatisme est d'autant
plus remarquable que le regain n'a rien du tout de particu-
lièrement alpestre, puisque au contraire les pâturages de mon-
tagne, si jamais on les fauche, ne permettent qu'une seule
coupe (V. Encycl.). — Quant aux modifications survenues lors
du passage du mot latin en roman, notons d'abord les rétré-
cissements de sens : parmi les végétaux, l'adjectif cordus ne
s'applique plus qu'au foin, ce qui se comprend aisément quand
on considère que pour les autres produits (blé, raisin, légume)
la récolte tardive n'est jamais aussi constante ni aussi impor-
tante que pour le foin. La même considération fait comprendre
qu'on a fini par supprimer le substantif y*?///////, l'idée de foin
étant devenu inséparable de cordum, qui désormais fut employé
comme substantif. Le premier exemple que nous ayons - de
cet emploi exclusivement roman nous est donné par un docu-
ment fribourgeois de 1394 où il est question d'un pré qu'on
' recordo, recouerdo f. que cite Mistral sous recolla ne sont sans doute
que des variantes locales de recolle, cfr. recorto, etc.
- Tiraboschi ne dit pas de quelle époque sont les Antichi slaluti
riirali que cite pour cordum M. Salvioni {Postille, p. 6).
2 2 E. TAPPOLET
vend au curé de Bulle « avec tous ses droits ? : recorto ' scu
repasu [Arch. soc. hist. frib. 1882, p. 108). Un autre rétrécis-
sement moins général, c'est que dans les parlers romands
actuels au moins, le mot perdant son sens de ^ toute espèce de
foin tardif, ne s'applique plus guère qu'à la deuxième coupe
de foin, à l'exclusion de la troisième qui est le rekordon. —
Reste à noter une troisième modification du mot latin: on aug-
menta le corps du mot par le préfixe re, c'était un renfort
, imminent' partout, puisque la récolte du regain est une répé-
tition de la fenaison; aussi la plupart des termes gallo-romans
pour regain présentent-ils cette formation: regain., ricayin, etc.
Franche -Comté, revivre s. m. Midi de la France, reprin
Hérault, recoupe Isère, refretson V, rebyolon Vd, reprise V,
refoin., redaly Béarn, cfr. ail. Nachiouchs, anglais af fer-gras,
after-inath, anc. fr. reaoust, double récolte. Observons toute-
fois que pour aucune de ces transformations le préfixe n'est
moins indispensable au point de vue logique que pour notre
cordum qui par lui-même contient déjà l'idée de seconde
récolte. Aussi le mot simple s'est-il conservé, à Bergamo, à
Brescia, dans le Frioul (Salvioni, l^ostille 6) et sans doute
ailleurs. Si le suffixe itératif s'ajouta à cordum dans les autres
patois, c'est que, je suppose, l'idée primitive de ^ seconde
récolte ' s'était affaiblie en faveur de la nouvelle idée de ^ foin '
qu'avait adoptée le mot depuis la suppression de fœnum. Il
avait besoin d'une régénération,. elle s'opéra par le moyen de
re qui — qu'on me passe cette métaphore — rendit au mot
son équilibre sémantique ". Ainsi comprise, la formation de
recordum serait parfaitement analogue à celle de refoin (v. ce
mot). Inutile d'ajouter, après les exemples cités plus haut, que
re s'unit souvent avec un substantif sans qu'il existe à côté un
' Preuve douteuse pour la prononciation du / final comme dentale
sourde, plutôt mauvaise latinisation, de même que repassa pour repasio
v. repô.
- On peut supposer un développement semblable pour record, agneau
né après terme, que cite Mistral.
LE REGAIN ET LA PATIKH D AUTOMNE 23
verbe correspondant (rappelons ref/i/x, revif (retour de la
marée), rebord, recoin, revin : repomata f. petite pomme de
terre qui sort d'une nouvelle (V T.ens), etc. Le verbe rekordâ
sera un dérivé de rekor. — Dans notre territoire, le mot est
muni du préfixe dès sa première apparition (1394 1.
Kiicyol. ' Le regain, c'est une de ces belles largesses de la
Nature dont parle La Bruyère {Caractcres, chap. 7). Pour en
comprendre l'importance, il faut se rappeler qu'il y a trois
façons d'utiliser l'herbe d'une prairie : i. en la faisant brouter:
pâture, ali. W'cidfiitter: 2. en la donnant au bétail comme four-
rage vert, ail. Grii/ifi/tter ; 3. en la donnant au bétail comme
foin, ail. Heufuttcr. L'application de ces procédés varie à l'infini
selon le climat, le temps qu'il fait, la nature du sol, l'altitude du
terrain, les degrés d'engraissement, la quantité de bétail qu'on
veut nourrir. Sans pouvoir ici tenir compte de toutes ces
variétés souvent très locales et même individuelles, on peut
distinguer au point de vue du rapport en herbages quatre caté-
gories de terrain gazonné :
L le pré gras de la plaine (p. ex. Gros de Vaud, Ajoie,
etc. I, ail. Talwiese. Il fournit trois coupes, dont deux de four-
rages secs (foin et regain) et une de fourrages verts (le rekor-
don, vouaina), qu'on peut aussi traiter de foin dans de bonnes
années. Il est plus rare que l'herbe pousse une quatrième fois.
Dans ce cas, on la fait pâturer par le bétail {repas, ail. suisse
Herbstweid i.
II. le pré de situation plus élevée, environ 700-1 100 m.,
vers la limite des arbres fruitiers (par ex. le Jorat). On l'appelle
Bcrgiviese en allemand, i^i?//^;// en patois bernois. Il ne permet
plus que deux coupes de foin (foin et regain); ce qui pousse
après ces deux récoltes est utilisé comme pâture, qu'on appelle
repé. repâ, paki, pat aura.
III. Le pâturage printanier ou mayen (ail. Voralp, Vor-
' Une partie de ce que nous exposons ici scni donné sous foin dans
\\ rédaction définitive du Glossaire.
24 E. TAPPOLET
sass, Uiitersass, Unterstaffel, Maiensàss, etc.), qui se trouve à
une altitude de 1000-1900 m. On y mène brouter le bétail au
printemps (mai ou juin), il fournit une seule coupe de foin, en
août, qui se conserve dans le fenil. Est-ce du foin ou du
regain? Du foin, parce que c'est la première (et seule) coupe,
du regain, parce que c'est la deuxième poussée d'herbe. De
fait, certains patois valaisans l'appellent r<?y^(7 doti fortin {xQgaXn
du pâturage printanier), d'autres ouazon ou rekor pâturé^
V. rekoi\ cfr. Stebler, 0. c, p. 232.
IV. le pâturage de la montagne ou montagne (bW. Alp,
Alpwiesé), il est entièrement brouté, l'herbe n'y pousse qu'une
fois l'année, ou si elle repousse, on la laisse se pourrir, c'est le
seul engrais qu'on donne à ces pâturages. — La récolte du
foin saiwage (ail. Wildheu) sera traitée à part.
A la plaine, dans les prés proprement dits (catégories I et II),
la récolte du regain s'effectue pendant les mois d'août ou de
septembre, ordinairement elle est terminée dans la première
quinzaine de septembre, il arrive qu'elle se prolonge jusqu'en
octobre; en cas de neige exceptionnellement précoce, on est
obligé de ^ recorder ' en novembre (Grindehvald). De là la
dénomination pour le regain de foin d'automne qu'on trouve
déjà en latin :/«?////;« autumnale. — Le plus souvent on compare
le regain avec le foin dont il diffère principalement par la moins
grande abondance de la récolte :yV n' ai pas fait deux chars de
rekor cet an, se plaint un correspondant genevois. Le regain
ne donne jamais beaucoup, souvent très peu. Ce fait se traduit
dans la langue par la fréquence des diminutifs : rekordc m. Vd,
voucna m. B, regin.nc m. N, ail. suisse àmdli s. n. et àmdele" v.,
toujours en parlant d'une petite récolte de regain. La fenaison,
au contraire, s'appelle ^ les grands foins ', ^ les bons foins ' (Vd).
— D'autre part on oppose le regain, comme étant de meilleure
qualité, au foin appelé ^rare' ou ^ maigre ' qu'on fauche une
seule fois aux côtes rapides, sans engrais et qui est encore plus
court et moins fleuri que le regain (Vd Blonay). — Les qua-
lités qu'on attribue au regain diffèrent beaucoup : à Evolène il
LE REGAIN ET LA PATURE D 'AUTOMNE 25
est plus indigeste, à Genève il est plus recherché par les vaches
que le foin. — L'usage de fêter la fin du regain par un repas
en commun, connu sous les noms de dmterledi, àmterioin dans
le canton d'Appenzell (v. Idiotikon), paraît faire défaut à la
Suisse romande.
rekonlè s. m. I. petit regain (VdBlonay), 2. troisième
coupe d'herbe (Vd Penthalaz).
Etym. ■^recordittum, de formation ancienne ou tiré du
verbe.
l'dkordin adj., v. rekordâ v.
rekordi s. m., pré à regain (V Conthey).
Etym. Dérivé ancien de recordum -{- acetim, cfr. s'erJ {%é\€)
< seraceum.
rekorda v., paraît peu usité. 1. récolter le regain
(F Gruyère, Matran) ; 2. pousser, en parlant du regain
(V Vernamiège). De là: rskordin, -in."ta adj. donnant du
regain, firà rokordin (V Bagne, Entremont).
Etym. *recordare de formation ancienne. Pour la terminai-
son du participe, cf. tsa/itin, vindin (Fankhauser, Val d' Illiez
153, etc.). Pour le féminin analogique cf. mooula lirinta (Blo-
nay).
Homonymes: i. apprendre par cœur, 2. corder de nou-
veau.
Autres dérivés de rekor : rekordon, rekordxon, rdkordnâ^
V. sous II A.
2. vouayïii s. m. IJ, retrain.
{v)ouayin (B Atlas), voèy'ln (Charmoille), vouàyïn (les Bois),
cfr. oiiayin, dép. Doubs, Vosges, etc.
I. seconde coupe d'herbe, B. 2. deuxième ou troi-
sième herbe qu'on fait pâturer (Charm., Courfaivre).
I . lèz amour son hnan l 7>ouayin, tyain an krè k'èl a pèsèy
h vouait k) rvïn, ...quand on croit qu'il est passé, le voilà
qui revient (B Epauvillers). 2. bote lé bét e voèyïn, mettre le
:26 E, TAPPOLET
bétail pâturer le regain (Charnioille) ; lé vetch son e vouayïn
(Courfaivre).
Hist. Ce mot, exclusivement jurassien, est inconnu au reste
de la Suisse romande. La limite entre le territoire de vouayïn
et celui de rekor est formée, comme d'habitude, par le vallon
de Saint-Imier. Ici encore, le Jura bernois se rattache entière-
ment au vocabulaire des patois du Nord de la France; vouayïn,
rvouayin et le franc, regain, qui n'en est qu'une variante,
occupent, au sens de regain, toute la moitié nord de la France,
tandis que le midi, — à part quelques termes isolés, — emploie
vivre et revivre comme substantifs. Ce n'est guère qu'en Suisse
que se sont rencontrés, — et quelque peu heurtés l'un contre
l'autre, — l'ancien terme latin cordii77i et l'ancien mot germa-
nique weida « fourrage », auquel remontent sans aucune espèce
de doute toutes les formes citées. Notre vouayïn dérive de
7c>eida-\- -m^«, latinisé en vuadivien, représenté par l'anc. fr. et
l'anc. prov. ^«/"w. C'est ce qu'a démontré d'une façon convain-
cante pour ,(re)gain' M. Thomas, Romania XXV, 86-89,
en s'appuyant d'un côté sur les rimes qui séparent l'ancien fran-
çais gahi {gaïm) ^ regain ' de gaaing ^ gain ' ^ et de l'autre sur
des dérivés comme regaïiner ^ faire le regain ' t'iprcz gitimaulx
jprés à regain' (Rabelais, éd. Marty-Laveaux I, 19), etc. Cette
formation est confirmée par l'ital. gnaime ^ regain', qu'il soit
emprunté au français ou d'origine dialectale". La phonétique
locale n'offre guère de difficulté. Pour l'initiale, cfr. ouèr
-< weigar fr. guère, ouardc v. fr. garder, Y a (ou d] patois
semble correspondre à Va de gaïm ; quant à Vy. c'est un reste
' Qui n'en diffère que par le mode de formation.
- En italien, la terminaison -/(«s a un caractère directement agricole:
3 mots pour fourrage ou pâture: governime, mangime, paslime, 5 mots
pour fumier: concivie, grassiuie, marcime, on peut ajouter /e/Z/wc Jitière'
(Pistoia), c'est toujours une masse plus ou moins compacte se rappor-
tant aux soins du bétail. Faut-il s'étonner que le moiiveida , fourrage',
•quelle que soit la route qu'il ait prise, ait été assimilé à cette ftmilie
•morphologique ?
LE REGAIN ET LA PATURE D'AUTOMNE 27
de la diphtongue allemande, ou bien il s'est produit pour ré-
soudre l'hiatus comme dans mèyu < anc. fr. vieur, mûr (Cour-
rendlin^i ou oyu < eu (Péry), cfr. boyau < hoeL joyau <ijoel.
hoyau < hoel. La terminaison -imen s'est confondue avec le
produit patois de -liuim. ce qui peut expliquer la présence de
71 — non de ;// qu'on attendrait — dans les dérivés vouaimt m.
z'ouaiiû V. Ces mots auront été formés d'après le modèle le
.moulin moulinet, lapin lapiïlet. patin patiner; cfr. aussi tchiti.
tchna ^ petit chien " P3 ^
Reste à examiner le côté sémantique. Dans l'ancien haut-
allemand, tveida exprimait l'idée très générale de .recherche
de la nourriture', _ nourriture ', il s'appliquait aux animaux
aussi bien qu'aux hommes; il désignait le fourrage, la pâture,
la pèche, la chasse en général (cfr. IVeidgeselle, etc.) et la
chasse aux. oiseaux en particulier, de même le verbe weidinôn
signifiait ^ paître', .chasser', _ gagner au moyen de la chasse",
er l'eut en. 1 De là au sens très vivant en anc. français de ^ gagner
' Toutefois il n'est pas impossible , malgré les recherches de
M. Thomas, qui gardent toute leur valeur pour l'anc. fr. gaïiii, qu'à
coté de ce gahn il ait existé un oaain {ouaing etc.), au sens de ^ regain "
(ou pâture d'automne ?), qui non seulement expliquerait mieux la pré-
sence de n dans les dérivés cités plus haut, mais rendrait compte de
plusieurs formes anciennes et modernes que cite Godefroy sous (pré)
gaaigiieau, , pré à deux coupes de foin' (doc. de 1366), c'est sans doute
le pré giiiinau de Rabelais, mais dérivé de gaaigner ou de * gaaing.
(cfr. pré à rekor). Ajoutons regaaigner v. ^ récolter en regain ' (Godefroy),
de même dérivation. Un examen des significations semble confirmer
cette hypothèse : tous les mots qui se rattachent à la famille de gagner
s'emploient dans l'ancienne langue, à côté de leur sens moderne, en
parlant de la terre et de ses produits, gnaing lui-même signifie
^ terre labourable'; , fruit de la terre', , récolte ' (Godefroy), donc ni
exclusivement .gain, profit', ni exclusivement ^ regain ', comme le fait
croire l'article de M. Thomas. II y a eu attraction et influence réci-
proques entre gaaiiig et gahn. Ajoutons que regain s'emploie aussi pour
^seconde fructification du figuier', sens dans lequel on peut voir un
reflet de la signification plus générale de , récolte': cfr. toutefois
recordon i. ■■=. second essaim d'abeilles (Savoie), 2. ^= fruit avorté
(Yonne), simples extensions de sens (v. Godefroyi.
28 E. TAPPOLET
au moyen de la guerre, butiner ", il n'y avait qu'un pas). Ce
radical germanique a passé dans toutes les langues romanes
de l'Ouest, de l'italien jusqu'au portugais. Partout — dans les
textes du moyen âge plus que dans les parlers modernes — le
mot a gardé une signification agricole; rappelons anc. fr.
gaaigner ^ cultiver la terre ', , labourer ', avec ses dérivés, par ex.
gagnage m. « culture de la terre, grain », fr. mod. ^ pâturage '
(Dict. gén.), anc. t^xo\. guazag?iar ^ciûûwqx la terre'; espagnol
anc. et mod. guadaùar , faucher ', esp. mod. guadaûa f. et port,
mod. guadanha f., ^ faux, faucille' ^, etc., mots auxquels il faudra
joindre sans doute le franco-prov. vouin.tivi ^ semer' ou Jabou-
rer et semer' ^^v. ce mot). Nous n'avons pas à étudier ici toutes
ces modifications de sens, en partie très curieuses, du radical
germanique ; ce qui nous importe, c'est de constater que le
sens 2 de notre mot se rapproche le plus de la signification
ancienne (^et moderne) de l'ail. Weide (cfr. repé, repâ, paki,
patoura, tous de pascere). C'est peut-être le sens primitif de
gai m, rega'ùn; avec le progrès de l'agriculture, — dans ce cas
avec l'augmentation du nombre des pièces de bétail à nourrir
en hiver, — le besoin d'avoir plus de foin en grange aurait
amené un changement dans l'exploitation du pré : au lieu de
laisser pâturer le bétail après la première coupe on aurait fait
d'une façon plus régulière qu'autrefois une seconde récolte de
' A propos de ces formes hibérico-romanes, qui trouvent leurs cor-
respondants en anc. fr. gaaigm f., en anc. prov. guazanha, terre labou-
rable, et en patois romand vouanyè f. pi. semailles ; cfr. aussi en anc.
italien i^iiadao^na f. ^guadagno' (Petr.) et franc pop. gagne f ^ gain '
(Sachs-Villatte, Suppl. ; Anjou, Verrier et On.), on peut se demander si
c'est partout un simple substantif verbal de la forme romane de * wai-
danjan purement hypothétique ou si nous n'avons pas plutôt à faire à
iveida -\- suffixe latin et roman -anea; il se serait ajouté sous l'influence
de mots très usités comme montanea, campanea qui exprimaient égale-
ment l'idée d'^ une étendue de terrain '. Rappelons aussi la presque
identité d'emploi qui existe entre le terme romand de montagne = pâ-
turage de montagne, et l'ail. Alpiveide [cfr. espagnol hrafia ^ Sommer-
weide ' que Meyer-Lùbke {Rom. Gr. II, 501) tire de veranea\.
LE REGAIN ET LA PATURE D"AUT0MXE 29
foin, et le mot pour l'ancien système aurait été gardé pour le
nouveau. Dans ce cas, le sens i qui domine actuellement serait
dérivé du sens 2 qui, aujourd'hui, a l'air d'être occasionnel
(cfr. toutefois les emplois sûrement dérivés de rekor). Pour
Encycl. v. rekor.
voiièinè V. B, faire le regain.
3^ p. prés. ind. è vouèyœn. Pour l'hist. v. -roiiayin.
loc. prov. vouèinè dvin fonè {z.vzx\\. de faner) se dit en parlant
d'une fille qui a laissé « entamer son capital » avant le mariage
(B Bourrignon).
vouèinoii (-oiiz) s. m. (f) B, celui qui fait le regain.
vouè'néjon f. saison du regain (B Vicques). Dér. de Touè'nè,
d'après fonéjon.
rouan s. m. regain (N Cerneux-Péq. ).
Ilist. Le mot n'est attesté que pour cet îlot linguistique; le
patois très voisin de Grand'Combe (dép. Doubs)dit également
rouan (Boillot), sans doute une variante phonétique de rouJ7i
que note V Atlas aux points assez rapprochés 41 et 31. La
forme semble être une réduction vocalique de rveyin qu'on
trouve dans la même région (Atlas). La terminaison fait diffi-
culté, car Grand'Combe dit m?lïn . moulin ', Ifpï/i ^ lapin ', même
Jvïf/ , levain'. Serait-ce le correspondant de l'anc. fr. regaaing
et non de regàim ? v. vouayïn, Hist.
3. ragin s. m. V G N, regain.
rsdyin (Vd Pailly).
Mot très peu usité, importé par le français à côté des formes
indigènes rvouayin et r<?/^fl';/. Dérivés: rgin.nè va.rgingin.nè m.
4. rafouin s. m. regain (V, fr. pop. ), peu attesté, inconnu aux
patois, formation remarquable par sa clarté. Pour re, v. ce qui
est dit dans l'article hist. sous rekor.
30 E. TAPPOLET
IL TROISIÈME HERBE QUI POUSSE.
Pour cette idée, la terminologie patoise est beaucoup plus
variée et plus flottante que pour le regain, que la Suisse ro-
mande, conformément à sa bipartition linguistique, rend par les
deux termes consacrés, le rekor au Sud et le vouayïn au Nord.
Très souvent les termes que nous étudions sous le titre de , troi-
sième herbe' s'entendent tantôt comme fourrage sec (rarement
vert), tantôt comme pâture que broute le bétail. Cette indéci-
sion d'emploi s'explique en grande partie par l'incertitude ma-
térielle où est le paysan des régions inférieures pour savoir s'il
devra couper ou faire pâturer la troisième pousse. Néanmoins
il y a lieu, dans la plupart des cas, d'observer un emploi pré-
dominant. C'est pourquoi nous essayerons de distinguer entre i
A. troisième coupe {rekor don, vouama].
B. pâture d' a.utomnQ {repas, pàçuier, ail. suisse Herbst-
weid).
A. TROISIÈME COUPE.
I. rekorclon s. m. second regain (Vd, F, V, N).
r?kordzon (Vd, Y),r(9)kordjon (N, B Prêles, Plagne), même
étendue que rekor, mais beaucoup plus rare. Première mention
1668... manger les rekor dons (en parlant du bétail qui entre
dans un pré) (Oleyres, X. notar. Avenches).
Herbe qui repousse sur un pré fauché deux lois,
le plus souvent en parlant de la troisième coupe de foin (plus
rarement d'herbe), quelquefois par opposition consciente à repé
(Gruyère) qui ne désigne que l'herbe pâturée. Par contre cer-
tains patois du Gros de Vaud et de N emploient le mot au
sens de repé: ce pré n'a que du rekordon (Blonay). Par extension
herbe tendre' (F Granges de Vesin). — On s'attend à une
récolte peu abondante : farâ Jami kru kd ley usé zu de l'as' byo'
rekordon, tu n'aurais jamais cru qu'il y eût eu d'aussi beau r.
(V Vérossaz). — passer un pré à recordon signifie ^acquérir le
droit de récolter la dernière herbe d'un pré': ... // lui fut per-
LE KEGAIX ET LA PATURE D'AUTOMNE ^l
mis de passer à r. un pré appelé Bornicon déjà à record
(v. re/ior) mais dont la dernière herbe appartient à la commune
(Colloque d'Orbe, 3 mai 1787). — Nom jiropre vaudois pro-
venant sans doute de queUjue lieu-dit.
Etym. Dérivé ancien de recordum à l'aide du suffixe dimi-
nutif -on, cfr. grandzon, brinton, etc. ; la forme r?kordzon,
attestée 5 fois dans des régions très différentes embarrasse. Si
l'on ne veut pas, avec M. Gauchat, la tirer de ^recordio, -ionis,
^< action de récolter le regain », mot qui serait devenu masculin
à cause de son synonyme rekordon, on peut songer à une in-
fluence dt kordzon [kordjon X, B) ^ bretelle de hotte' (Bridel)
qu'on emploie à côté de kordon , bretelle de hotte' (Blonay),
quoique la distance sémantique soit assez considérable. On
trouve aussi plantson, bien attesté pour le Valais, à côté de
plyanton.
rokoi'dyou s. m. troisième coupe d'herbe (V Martigny).
Ktym. Dérivé de rr/l'<?r -f- suffixe français -ion (d'origine
douteuse) qui alterne (jueliiuefois en français avec -on, cfr,
fanion et fanon, croupion et anc. fr. cropon, peut-être aussi
anc. fr. corion . cuir' et coron -bout (de cuir?)'. La Suisse ro-
mande emploie ce suffixe plutôt pour des êtres vivants : bétion,
gàtiou, gdpion, etc.
l'okoi'din s. m. troisième coupe d'herbe (G, Savoie Const.
et Dés. ; seulement dans les prairies artificielles, G Laconnex).
Etym. Semble être * recordinum, à moins que ce ne soit
l'adjectif rekordin substantifié. Les parlers genevois et sa-
voyards, qui ont aman à côté de amin, ne permettent pas de
trancher la question.
iM'koi'dô s. m. troisième coupe d'herbe (Vd Penthalaz,
Blonay).
i*,)kordonâ v. repousser en parlant de l'herbe du regain,
le prà rkôrdnan (F Sugiez).
2. voiiainH s. m. B(.-\joie. Delémont).
loond (Charm.) rouainc (Saint-Brais, Atlas).
32 E. TAPPOLET
I. troisième herbe coupée (plus rarement pâturée)
2. petite récolte de regain.
pocr ds voc'tui m., sorte de poire mûre à l'époque des re-
gains.
Etym. Tiré de vouaym à l'aide du suffixe •ittuin.
pvouèyïn s. m. troisième coupe d'herbe (B Charmoille).
Dérivé de vouayl'n, pour re v. rekor.
rouainè v. faire le second regain (B Epauvillers).
Dérivé de r\j'\oiiayïn.
3. rogiu.iir s. m. troisième herbe d'un pré 1 >' ; Vd fr. pop.
écrit re gui net).
Dérivé du français importé regain.
rogingin.nè s. m. quatrième coupe d'herbe (N Brazel).
Dérivé de regain par un curieux redoublement de la syllabe
radicale, emprunté peut-être au langage enfantin, cf. fanfan,
bonbon^ g lin g lin, etc.
En dehors de ces diminutifs de rekor, vouayïn et rsgin, les
patois emploient pour la 3^ coupe, très isolément il est vrai,
plusieurs expressions composées :
dari rkoi/à s. m. N, propr. ^ dernier regain'; rèr vouayïn
s. m. B, propr. , arrière regain ' ; trèjyema prija s. f. (V Verna-
miège) et trczyèma kopâ s. f. G.
B. PATURE D'AUTOMNE.
I. repé s. m. (F, Vd, N, B).
rèpé (F), répc (Vd Blonay), rspé (Vd passim, F Sugiez,
N Béroche, B, alternant avec rspc), fr. pop. de F repais (seule-
ment au sens 2). cfr. repâ.
1. repas, 2. troisième (ou dernière) herbe quand on
la fait pâturer (surtout F, moins usité Vd Jorat), 3. pâtu-
rage d'automne (F).
V. a la Sint-Antin.nou, h rèpé d^on tnouin.nou, a la Tsan-
LE REGAIN ET LA PATURE D"AUT0MXE 33
dclâza, h rèpé de Vépâza, à la Saint-Antoine (17 janvier) le
repas d'un moine (petit repas), à la Chandeleur le repas de
l'épouse, se dit en parlant des jours courts et longs, in kanpany?
i gran dzb on fa chi repé, à la campagne, pendant les jours des
grands travaux, on fait six repas (F Broyé). ïn syel 9rpé, un
faible (frugal) repas (B Epauvillers). S'emploie souvent, comme
en français, pour ^ repas de cérémonie ' (baptême, noce, enter-
rement, etc.). Le vrai mot patois pour ^ repas' est souy?, v. ce
mot. 1. ly a on bon repé sti an, il y a une belle quantité de
, repas ' cette année F, souvent employé au pluriel au sens de
j place à repais '. lèy a dzo de hi rèpé, il y a déjà de beaux
^ repais " (F). h9td le vatse i repé (Gruyère), ce dernier emploi
marque le passage au sens 3. — 071 tsan a rèpé (F), est un
pâturage d'automne. — Occasionnellement, le mot s'emploie
pour la deuxième herbe d'un pré qu'on ne fauche pas, par
opposition au rekor qu'on fauche (F, Gér. Dup., cfr. repâ et
paturon). Pour les droits de la communauté sur le repais,
\. parkou, Encycl. — 8. cir. repâ. — Homonyme r^//(Durheim
et Savoy écrivent repè) m. saule (Bridel).
Hist. Dérivé du latin repascere qu'on retrouve dans plu-
sieurs parlers méridionaux au sens de ^ repas ' : prov. anc. et
mod. repais ; gascon repaich, etc. (v. Mistral sous repas). Il y a
deux explications également possibles : i . On peut faire re-
monter ces formes à un *repascum, comme le fait M. Gau-
chat {Dompierre, 18), pour la voyelle dix. fé ^ faix' de fascem
(^Dompierrei; pasc(u)um ^ pâturage ' existe en latin classique,
il a ùonné pasco, pascolo ^ pâturage' en italien Qt pasch en rou-
manche (Pall.). Pour le re v. rekor. 2. on peut les considérer
comme formations postverbales de repaître, la 3'' pers. de l'ind.
prés, est repais en prov. mod., repèich en gasc. (Mistral), rdpé
en romand; de croître, l'anc. fr. faisait un substantif crois
^ accroissement ', aujourd'hui croît, décroît, etc. cfr. débat, sou-
tien, gain. Pour être difficile à expliquer, cette formation est
très fréquente en français (v. Nyrop, Gram. hist. III, ^ 540,
€tc.). Si elle n'est pas attestée pour le masculin, elle paraît
3
34 E. TAPPOLET
l'être pour le féminin parl'anc. ïr. paisse f. , pâture' (Godefroy)
de {re)paisser ^ (re)paître '. — Nul doute que le premier sens
de ce mot, comme aussi de repâ^ ne soit celui de , pâture '; il
aura été appliqué aux repas de l'homme — sens très répandu
aujourd'hui — sous l'influence du mot français repas. — Les
domaines géographiques de repé et de repâ (Alp. Vd et Bas-V,
G) sont nettement séparés.
Encycl. au sens I, v. sous dédzoïuiâ. dinâ, s3pâ, etc.; au
sens 2, v. rekor.
repji s. m. (Vd Alpes, V, G).
rcpâ (Alp.Vd), rspâ (Bas-V, Val d'Illiez, Entremont, Bagnes),
rdpâ (G), rpà (N, mot français non patoisé), repâr (Pays-
d'Enhaut, à côté de repâ), repair (forme écrite et isolée à
Château-d'Œx, influence de ^ repais'?), repasu forme mal lati-
nisée d'un doc. frib. de 1394, v. rekor, Hist.
1. troisième (ou dernière) herbe d'un pré quand on
la fait pâturer; 2. repas.
I. kin byo r?pâ! quelle belle herbe d'automne! (V) ; tnddzt
lo r?pâ, brouter le , repât' (Vd Rossinière).
Emplois occasionnels : deuxième herbe lorsqu'on ne la
fauche pas (opp. rekor V Entremont) ; pré qui donne cette
herbe (ib.); pâturage d'automne (ib.); par exception: 3*= herbe
lorsqu'on peut la faucher (Vd Ormonts, où en 1822 on a fauché
six charges de ^ repât ' au Rosex). 2. V amè le boug rcpâ, il aime
les bons repas (V Anniviers).
Hist. Dérivé du \dX.pastiis ^ fourrage, pâture ', dont \\.. pasto,
prov. anc. et mod. past, anc. fr. past, fr. mod. pât ^ certaine
nourriture pour chiens ou oiseaux ', etc. Pour le préfixe, v. rekor.
On trouve déjà repast en anc. fr., d'où le fr. mod. repas: pour
la variante orthogr., v. appât à côté de appas. — La forme des
Alp. Vd présente un ranorganique qui n'est pas rare en franco-
prov. : cfr. klar ^ clef ', tablard pour trablyâ, clcdard pour
clcdas (v. Gauchat, Mél. Chahaneau, 871). Ajoutons coiitelar
et cade/iar que donne Humbert, Gloss. genevois. — repé et repâ
LE REGAIN ET LA PATURE D'AUTOMNE 35
sont des cas intéressants de rétrécissement technique du sens
d'un mot général pour , fourrage ', cfr. pât ^ nourriture pour
chiens', astur. cebu ^foin' de cibus ^ nourriture ', ail. bernois
spîs , fromage ', de Speise, etc.
2. pâki s. m. pâquier (fr. pop.).
Vd Est, Leysin, F, Bas-V, O; pàtyi (Vd Jorat, Blonay, F);
patyè (Bas-V, Vd seulement Dum.); pâki iG); pasquier ou
pascuis 1441 doc. vd.
1. pâturage; 2. troisième (ou dernière) herbe d'un pré
lorsqu'on la fait pâturer; 3. surface d'herbe néces-
saire à la nourriture d'une bête pendant l'été (Vd).
1 . Terme général au même titre que patiiradzo et montany?
(il faut mener les bêtes 2M.patyi, Vd Blonay), avec tendance
toutefois à désigner un pâturage destiné à telle espèce de
bétail: // fayè son vènyué in tsan su lo patyè di vatsè , les
brebis sont venues paître sur le , pâquier ' des vaches (V Praz-
de-Fort); patyc di inodzon (ib.); pâquier traduit par , Rinder-
weide' (F Kuenlin, Dict. II, 224): patyi e vi = aux veaux (F
La Toux). — Le Coutumier du Pays de Vaud de 161 6 men-
tionne pâquier commun, qu'il traduit par Allmend. — Leysin
appelle patyi un pâturage clôturé de peu d'étendue. — A
Liddes (V), le mot tend à disparaître.
2. Après le sens général, celui de pâturage d'automne est le
plus abondamment attesté pour tout le territoire occupé par le
mot, c'est un vrai synonyme de repé à F et de repâ en Bas-V,
mot dont il diffère surtout par la nuance ^ géographique ' (sens
1) et par l'emploi juridique (sens 3) du mot. — C'est ici qu'on
peut ranger les anciens noms de lieu : \\\\ pratmn dou Pasquier
(près Villeneuve, Arch. cant. vaud., Cartulaire Bouvier), etc.
1669 prcz à Pasquier (F, papiers Mynsiez) =: pré qui donne
du _ pâquier '.
3. léi-y-a bin déi patyi su d-a ni07itanyè, il y a place pour
beaucoup de têtes de bétail sur ce pâturage ( Vd Blonay). Le
système de ces évaluations du terrain est ancien (attesté pour
36 E. TAPPOLET
1666, Etat du gouv. d'Aigle, p. 14). Chaque communier avait
droit à tant de pàquiers, dont le nombre pouvait se modifier
par les successions. En cas de partage, le ^pâquier' pouvait se
diviser en fractions. Aujourd'hui, les ^ pâquiers ' de montagne,
devenus indivisibles, sont vendables, comme des actions. (Pour
d'autres détails, v. Blonay sous patyi). Le mot est fre'quent
comme nom de lieu sous la forme Le Pdquier (Paquier) dans
Vd, F, N, sous la forme de Pâqiiis dans Vd et G, où c'est le
nom d'un quartier de la ville, ainsi qu'à Annecy (Const. et Dés.
sous pâqui), et sous les formes Paqueys (Vd Yvorne), Paccais
(Vd Chessel),/'^^//a/j-(V Colombey); v. Jaccard. De là le nom
de famille Dupasquier en Suisse et en France.
Ilisl. Le mot correspond sans doute au français paqider
(v. l^ittré, Supplément), qui était d'un usage beaucoup plus fré-
quent dans l'ancienne langue (anc. fr. et anc. prov. pasquter,
prov. moà. pasquic, Mistral), presque toujours au sens de , pâ-
turage', ^ fourrage', et qui remonte au lat. pop. pascuarium
(formé du radical /ai'^(//!), que fournissaient les adjectifs^ai-cz/z/j,
pasqualis, -\- ariiis). Quant au suffixe -arius qui ne donne ye
en Bas-V qu'après une ancienne palatale [herjye = berger, mais
ovra,0('rï= ouvrier), il paraît que dans notre mot la palatale
secondaire a produit le même résultat que l'ancienne. Tou-
jours est-il que les formes romandes, y compris celles de la
Savoie — à part peut-être celles du Valais — peuvent aussi
bien représenter pasquis (de pascii -f- ïciimi) ou pasquil (de
pascii -j- ileni). Si le dernier, attesté en anc. fr., semble assez
raxe, pasquis, fr. moû.. pdquis était très fréquent; c'est un de
ces dérivés en -is comme pàtis , pâturage ',/(??///// j", taillis,
éboulis, glacis, etc., qui s'emploient de préférence pour une
, étendue de terrain'. Ce qui témoigne de la fréquence du mot
en français romand, c'est que souvent — déjà en 1441 — le
mot patois paki a été francisé en pdquis, cfr. Les Pdquis à
Genève ^ et à Annecy. Aussi le sens spécial de Herbstiveid ne
' On a cependant hésité entre Paquis, attesté pour 1712, et Pâquiers
de l'année 1777, formes que je dois à l'obligeance de M. Muret.
LE REGAIN ET LA PATURE D'AUTOMNE 37
peut-il être invoqué en faveur de pâquier (qui a sûrement ce
sens en Valais), puisque déjà un écrivain français du XVF
siècle, Olivier de Serres, semble employer le mot pasqiiis
dans le sens en question ^ — Notons la francisation curieuse
du mot par paquet, que donne le correspondant de Praz-de-
Fort (V). Elle repose sur la prononciation identique en Valais
à.Q patjè . pâquier ' et paquet. — Onomasiologie.A l'excep-
tion de la périphrase dera^r èrba ^ dernière herbe ' ( Vd), tous
les termes romands pour , pâture d'automne ' remontent d'une
façon ou d'une autre au radical latin de pascere , paître',
v. repé^ repâ, patoura.
3. patoura s. f. pâture (partout).
patoîira (Vd), pq&oura (F, V), pai}3ra (F Gruyère, Vd
Blonay), paiœra (Vd Ouest, F Estavayer), paiera (Vd Vau-
gondry, Ormonts, accent \SiX\a.h\&],pa))ura (Vd Pays d'Enhaut),
patoUra{Yû. ]o\i\)^ paiUra {G),pâiiira (/>= intermédiaire entre
ou et //, V Entremont, Evolène), pasdra (F Lac), pàtur (N),
pétur, rarement petur (B).
1. pâture (Vd-B) ; 2. troisième lierbe d'un pré lors-
qu'on la fait pâturer (dans tout le Haut- Valais).
I. Fér3 la patoura, préparer la nourriture du bétail (Vd).
A la montagne, le libre parcours du bétail, la « vaine pâture»,
s'ouvre le jour de la Madeleine (22 juillet), dans le bas il
est permis deux mois plus tard (29 septembre) (Pierrehumbert,
Aliis. neuch. 1909, p. 52). Y allai hroiyain le quïu comme in buë
de péture, elle allait tordant le c. comme un bœuf de pâture
(Raspieler, Paniers, 647).
Ilist. Du latin pastura, pâture. — Dans les cantons de N
et de B, le mot, peu vivace. est remplacé, au sens général, par
' Voici ce passage curieux :... il (le père de famille) la (la prairie)
fauchera deux fois, voire trois.... Et finalement sut (= sur) l'entrée de
l'Automne reproduira elle du pasquis de telle abondance, qu'elle suffira
pour bien entretenir son bestail durant grande partie de l'Hyver selon
la propriété du climat (Théâtre de V Agriculture, éd. 1639, p. 238).
38 J. REICHLEN
satiœ, serni (N) et par tchinpouè (B). On emploie en outre
montany? et intsâtanadzo. v. ces mots.
paturon s. m. V
paturon{C\\di.n\o%ox\, hey tr on), J> a far on (Martigny).
deuxième herbe d'un pré qui a été pâturé, par ext.
pâturage d'automne ; // vafsè son bouènc i paturon, les vaches
sont bonnes à lait quand elles sont aux pâturages d'automne
(V Leytronj.
Hist. Dérivé de pastura -j- suffixe roman -on. — Le sens
français de ce mot (partie de la jambe du cheval, etc.) paraît
inconnu aux patois romands. Onomasiologie : les termes
valaisans pour ^ deuxième pâture d'un pré ' varient d'une vallée
à une autre, il n'y a pas de terme général et consacré, on dit :
rebyolon, rebvolin, refretsofi, redzeton, reprise; comme on voit,
c'est toujours l'idée d'une nouvelle poussée d'herbe qui a servi
de point de départ. E. Tappolet.
— ->^<-. —
TEXTES
-♦-
Deux chansons populaires fribourgeoises.
Patois de Praroman.
Bien qu'on ait déjà publié d'importants recueils de chansons popu-
laires patoises du canton de Fribourg \ nous en tenons encore un
assez grand nombre d'inédites en réserve. En voici deux, transcrites
d'après le système orthographique du Bulletin. La première contient,
sous une forme allégorique, un sens caché qu'il serait intéressant de
rechercher. L'air en a été utilisé par M. Emile Lauber pour la musique
du drame populaire Chalaniala, de M. le D^ Thurler, représenté à
Bulle en 19 10. La seconde rentre dans la nombreuse catégorie de
chants se rattachant aux visites nocturnes que font les garçons aux
filles, selon une vieille coutume, et qui ont, sinon d'autres mérites,
celui d'être autochtones.
^ Voir surtout Nouvelles Elrennes fribourgeoises, années 1863 -1898 ;
Romania, t. IV (187^), publication de J. Cornu; F. Ha^felin, Les patois
romans du canton de Fribourg, 1879 ' notre collection de la Gruyère
illustrée, livr. IV-V, 1894, les Chants du Roud d'Estavayer, 1894, et Nos
chansons, par J. Bovet, 19M.
DEUX CHANSONS POPULAIRES FRIBOURGEOISES
Lent.
I. Bon Triolè.
Ace. de Casimir Meister.
mf
^i
fc-î-ElE^iS
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40 J. REICHLEN
I. Ly-a jou le lâr a mon gournà, 1
Kd lî m an to pra. J
Refrain : Bon Iriolè !
Krèchi l'àrha dèvan niè !
Bon iriolè !
Krèchi Vàrba dèri mè!
II. Li ni'an to prà ly'on gran de hlyà,
lù li ui'è chohrà. — Refr.
III. Ly-é bdtâ chi gran chu mon isà,
Ly-é mmâ ou moulin. — Refr.
IV. L9 nioiinà hd h m'a mulyà,
Mè Va a dpmi prà. — Refr.
V. N'ind-é pu fér cha piti pan
È to b lèvan. — Refr,
Le bon triolet.
I. Il ^y I a eu les voleurs dans mon grenier,
Qui m'y ont tout pris.
Refrain : Bon triolet !
Que l'herbe croisse devant moi !
Bon triolet !
Que l'herbe croisse derrière moi !
II. Ils m'y ont tout pris excepté un grain de blé,
Qui m'y est resté.
m. J'ai mis ce grain sur mon char,
Je l'ai mené au moulin.
IV. Le meunier qui me l'a moulu
M'en a pris la moitié.
V. J'en ai pu faire sept petits pains
Et tout le levain.
DEUX CHANSONS POPULAIRES FRIBOURGEOISES
41
II. La vèlya.
Ace. de Casimir Meister.
Allegretto.
Kan ch'in vin h dj - cban-do ne. Les garçons s'en vont
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pro-nie-ncr. Kan ly-a-ron-von de - jo lé ta, Chè h-uiiii-àon a
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42 J. REICHLEN
I. Kan cl/in vùi h dadjando né,
Les garçons s'en vont promener.
Kan Jy-arouvon dèjo U in,
Cbè kdniindon a d~arakâ :
« Ma kadgneta va-dp bin ?
Mè frijon chè dtfan-êp rin ? »
II. Kan chtoii filyè lè-j mi^on vini,
Nind-aii h ha° to rèd~oyi :
« Or a, or a, vptp-lè cbé !
D;;;(Mnè filyè à marier,
Dèpatsin-no, viif 0}i bokoii,
Kd no chalsiii tçtè dan/J ! »
III. Kan ly-oud~on kp up vinyon pâ,
Nind-an h ka° dèjèchpèrâ :
« Or a, or a np vinyon pâ !
No no-j in chin pachây' ané,
No no-j in pàchèrin chta né. »
La veillée.
I. Quand s'en vient le samedi soir, Les garçons s'en vont pro-
mener. Quand ils arrivent dessous les toits, [Ils] (se) com-
mencent par attacher leurs jarretières : « Ma cadenette
va-t-elle bien? Mes frisons ne se défont-ils point? »
IL Quand ces filles les entendent venir, [Elles] en ont le cœur
tout réjoui: «Maintenant, maintenant, les voilà (ici)!
Jeunes filles à marier, Dépêchons-nous, un peu vite, Que
nous sachions toutes danser ! »
III. Quand elles entendent qu'[ils] ne viennent pas, [Elles] en
ont le cœur désespéré : « Maintenant, maintenant [ils] ne
viennent pas ! Nous nous en sommes passées hier au soir.
Nous nous en passerons bien ce soir ! »
DEUX CHAXSOXS POPULAIRES FRIBOURGEOISES 43
IV. Kcin nind-an jao la dpniind:^^ né,
Ch'in van in dpjin la h dplon :
« O ouè ! no-j ind-an joii anê,
lù chi vinyan pi totc le ne.
La ponârla no lon-j onrcrin;
Kâ chon achurâ di to gale. »
V. (( Kan cl/iii vin von, ci/ in vin bin don ;
I cijinblyè 1:? ciji vinyon fon.
Chp cljavan ini Ion inètpgâ,
No fudrè pâ fan no-j in pacJjà ;
No-j ind-aran tod^oua JcoJwn ;
Ld lin 110 chinblyèrè pâ Ion. »
IV. Quand [elles] en ont eu le dimanche soir, [Elles] s'en vont
(en) disant tout le lundi : « Oh oui ! nous en avons eu
hier au soir, Qu'[ilsj viennent seulement ici toutes les
nuits. Nous leur ouvrirons la porte: Car [ils sont assu-
rément des tout jolis. »
V. «Quand il (s')en vient un, il (s')en vient bien deux; 11
semble qu'ils [en raffolent de venir] ici. S'[ils] savaient
mieux se (litt. leur) répartir, [II] ne faudrait pas tant
nous en passer; Nous en aurions toujours quelqu'un; Le
temps ne nous semblerait pas long. »
T. Reichlex.
^*<-
4 4 L. GAUCHAT
LES NOiMS DES VENTS
DANS LA SUISSE ROMANDE
{Stiife.) — Voir Bulletin II (1903), p. 63.
-♦-
III. ru/lyo.
Dans la Gruyère, on désigne de ce nom un vent froid qui
prend naissance dans les montagnes, à la Tine, au-dessus de
Montbovon. Il souffle surtout en été pendant la nuit et le matin
avant le lever du soleil, quelquefois jusqu'à 8-9 heures. Ce doit
être une espèce àç. fœhn. En dehors de son domaine habituel,
que nous venons d'indiquer, il est peu connu. Réunissons tou-
tefois soigneusement toutes les traces, pour être plus ample-
ment documenté. Il faut, en étymologie, toujours compter avec
la possibilité qu'un mot ne se soit conservé que dans un sens
détourné, souvent bien éloigné de son origine. A Rossinières,
ce vent s'appelle rondo, s. m. ; il n'y est plus, comme en
Gruyère, un vent du sud, mais il va de l'est à l'ouest. Il se fait
sentir le matin, avant et après le lever du soleil, et annonce le
beau temps. Dans le cours de la matinée, il tombe et est rem-
placé par la bise. A FEtivaz, c'est un souffle froid dans les
jours clairs de l'hiver. Aux Ormonts {rujd), c'est également un
courant très froid, auquel certains lieux se trouvent exposés.
Ces indications de nos correspondants confirment ce qu'on
peut lire dans les articles riklau et roulho (p. 338 et Suppl.
p. 423) du Glossaire de BrideP. Le dictionnaire de M'"<= Odin
enregistre riXlyd (fr. pop. riflard) s. m. vent froid du soir....
il amène parfois des giboulées. En Valais, la chose change
^ L'éditeur du Glossaire, L. Favrai, rectifie dans le supplément l'a
peu prés phonétique des formes de Bridcl et écrit iiMIo et rottiho.
LES NOMS DES VENTS DANS LA SUISSE ROMANDE 45
d'aspect : roieklo est identifié avec la hise noire fSalvan) ; dans
la vallée de Bagnes, rolleya ou ruyjeya, s. f., désigne une bour-
rasque ou rafale, un vent violent mêlé de pluie, un tourbillon.
Ces dernières formes sont dérivées d'un verbe ràyjèyè, où l'on
reconnaît le radical de notre ruXlyo, auquel est venu se souder
le suffixe -i?y6' = lat. -idiare, qui se retrouve dans bizèyè, faire
de la bise, et d'autres verbes employés en parlant des vents.
Voilà tous les renseignements, contradictoires et épars,
qu'oftrent les matériaux du Glossaire. Quelques recherches
rapides faites dans un certain nombre de dictionnaires de diffé-
rents pays m'ont fait découvrir les vocables : ruscle \ s. m., pluie
qui fouette, pluie battante, averse passagère (Mistral, Trésor)
et rose'-, aquazzone, pioèuv a rose, piovere a rotta, a secchi,
diluviare (Monti, Voc. di Coma).
Les formes de la Suisse romande reconduisent toutes à un ra-
dical hypothétique *r us cl; cf. pour le traitement du groupe cl
après consonne les formes de circ(ujlu> ehçryjyo (Gruyère),
cher do (L'Etivaz). Les dialectes lombards nous font saisir le
radical, non diminutif, *rusc, signifiant toutes sortes de choses
qu'on peut ramener à l'idée de a77ias. Comparez Cherubini,
Voe. mtlanese, sous rose: i. tutte le interiora dell'animale,
2. stormo, 3. gregge, 4. penzolo, 5. il pêne con l'altre appar-
tenenze. M. Salvioni (Arch. glott. it. XVI, p. 234) me parait
avoir tort de dériver ce mot de *roteu qui ne convient guère
aux patois français. Ce sera plutôt ruse eu, attesté deux fois,
avec le sens de sordidtis, dans le Corpus gloss. lat., voir t. VII,-
p. 218, et qui doit être un autre ruse eu que celui dont parle
M. Schuchardt, Rom. Etym. I, p. 62 ss. Ce dernier est tiré du
nom de plante ruscum, qui ne doit avoir aucun. rapport avec
notre mot. Rusceu, tas, se retrouve dans toute la Haute-Italie
et dans les parlers rétoromans. Voir des listes de formes dans
Lorck, Altherg. Sprachd., p. 203, et Schneller, Die rom. Volks-
viund. tjt Siidtirol, p. 171.
' Se dit aussi rasch.
- Prononcer rÔch ; se comme dans l'italien scewo, etc.
46 L. GAUCHAT
Les patois romands offrent certaines analogies : rôyja, s. f.
amas (Val de Bagnes) ; ruklyoti, tas de boue, balayures et
autres immondices, gadoue, débris divers (Vaud et Genève)^.
L'énorme répertoire de Du Gange donne ruscum, quodvis
immundum, ut videtur, et ruscus, sordidus, d'après le Vocahu-
larium latinutn du lexicographe Papias (xi""' siècle).
Sommes-nous allé trop loin dans nos identifications? Le
lien qui unit les divers mots de cette famille, si c'en est une,
nous échappe. Le type ruse, différent de r fisc a -=^ écorce,
s'est croisé avec d'autres, par exemple avec rifl dans la forme
de Blonay r/^^^^^i nientionnée ci-dessus. La voyelle u du gruyé-
rien nij^lyo pourrait bien aussi représenter un ancien / devant
*y?. En tout cas, cette petite promenade étymologique montre
combien difficiles et souvent illusoires sont nos tentatives de
reconstituer l'histoire des appellations d'un groupe déterminé
(vents) à l'aide des matériaux si fragmentaires des vocabu-
laires dialectaux.
IV. Vaudaire.
Le principal domaine de ce vent est constitué par les rives
orientales du lac Léman, qui le reçoivent des Alpes et du
Valais. G'est un vent très fort et chaud, qui souffle souvent par
rafales. Les navigateurs le craignent. Il arrive du sud dans le
Pays-d'Enhaut et dans la vallée fribourgeoise de la Veveyse.
Il entre par l'ouest dans la plaine du Rhône, à laquelle il
amène de la pluie. On le connaît jusqu'à Saint-Maurice d'un
côté, jusqu'à Genève de l'autre. C'est le fœlm de la contrée,
qui fait rapidement fondre les neiges. Un proverbe vaudois dit:
Vaiidaira (lire -aire) dau né fâ chétzi lé gollé: Vaiidaira dau
matin fâ veri lé moulin = « Vaudaire » du soir fait sécher les
flaques, « vaudaire » du matin fait tourner les moulins.
Les plus anciennes mentions à nous connues datent du xvir
siècle. On sait que dans les vieux actes on indiquait souvent la
^ Fenouillet, Pat. savoyard, cite un verbe niella, racler, curer, enlever
la saleté.
LES NOMS DES VENTS DANS LA SUISSE ROMANDE 47
situation des lieux par le nom des vents {devers bise, etc.).
Vaudeire désigne l'orient dans un acte de Chillon d'environ
1650, la même direction dans un document de Villeneuve de
1619.
Un de nos correspondants, qui faisait à l'occasion de l'éty-
mologie, M. L. Ruffieux, voulait tirer le nom de ce vent de
*validaria, parce que c'est un vent fort. Mais le suffixe -aria
ne se joint guère, chez nous, à des adjectifs, et l'on ne voit
pas quelle en serait ici la signification. On a pense' que le
terme se rattache à l'un des noms du diable (proprement « sor-
cier » I, à validai, que M. Muret a dérivé, comme le faisait déjà
le doyen Bridel,des hérétiques vaudois \Arch. suisses des trad.
pop., II, 180-181). La chaleur du vent et son impétuosité peu-
vent, en effet, le faire considérer comme une œuvre diabolique.
L'imagination des peuples n'a pas manqué d'établir des rap-
ports entre les vents et des entités surnaturelles, voir Sébillot,
Folk-Lore de France, I, p. 66 ss. « A Guernesey, par exemple,
le tourbillon d'été est conduit par Héroguias, la reine des sor^
cières ; en Haute-Bretagne, il contient un sorcier» {ib. p. 82).
L'un ou l'autre de nos correspondants confirme cette manière
de voir en qualifiant la vaiidaire de «vent du diable», et
M™^ Odin, sous voudàirè, remarque : « il va sans dire que nos
bons ancêtres faisaient souffler le vent par le voiidài, quand il
avait besoin de déblayer les neiges pour pouvoir passer ». Un
Hexenwind est aussi mentionné par M. Wehrle dans son étude
Volkstumliche Windiiamen, p. 16^ (Zeifsc/ir. f. deutsche Wort-
forschung, t. IX).
Et cependant, cette étymologie se heurte à une grosse diffi-
culté: comme vaodâi vient de Waldensis. on s'attendrait à
une forme vaudaiza^, scil. oi/ra (aura). Voyons donc s'il y
a moyen de proposer autre chose.
M. Singer avait cru reconnaître dans notre vaudaire une
survivance du vent latin volturnus, avec échange du suffixe
C'est ainsi qu'on appelle dans nos patois les sorcières.
48 L. GAUCHAT
inusité^ contre -aria {Arc/i. suisses des trad. pop., I, 207, n. 3).
Mais outre que cette opinion n'est pas appuye'e par la phoné-
tique — le radical vult- ne saurait donner que zwiit- et non
vaud, — cette appellation est trop locale et trop isolée pour
perpétuer un souvenir antique. Les noms latins des vents pa-
raissent avoir été oubliés. Pas de traces chez nous de Eurus,
Auster, Nottis, Aquilo, etc., pas même de Favonius, qui s'est
pourtant conservé chez les Rétoromans et qui est parvenu à
l'allemand (F'ôhn) à travers les dialectes suisses-allemands (cfr.
Wehrle, Zeitschr. f. d. Wortf.).
Je pense donc, en fin de compte, que le radical de vau-
daire contient le nom géographique Vaiid. Le suffixe -aria
servirait, comme si souvent, à désigner le lieu. Le nom entier
se rangerait avec les très nombreuses appellations de vents
d'après leur provenance: Vent de Savoie; Bise de Berne, de
Scieur e, de Laiisantie : la Lo?rin.n (lorraine), la Biermoise, la
Tramelote (soufflant de Tramelani, etc. Cette idée a déjà été
exprimée par Fenouillet, dans sa Monographie dit patois sa-
voyard, où on lit : vaudeire, vent d'Est sur le lac Léman (de
Vaud). Terme de bateliers savoyards à l'origine, ce nom se
serait répandu et fixé au delà de son domaine primitif, sans tou-
tefois devenir très populaire dans le canton de Vaud, comme
le prouve le petit nombre d'attestations que nous possédons
pour ce canton.
(A suivre.) L. Gauchat.
1 -urnus paraît cependant bien s'être conservé dans subturnus,
voir Bulletin IX, p. 30.
NOTES SUR \/S FINAL LIBRE*
DANS LES PATOIS FRANCO-PROVENÇAUX
ET PROVENÇAUX DU PIÉMONT.
On peut dire, d'une façon générale, que de la vallée
d'Aoste jusqu'au Col de Tende, les habitants des Alpes
piémontaises parlent des patois franco-provençaux et pro-
vençaux ou en ont parlé naguère -.
Mais on peut dire avec autant de certitude qu'au bout
d'un ou de deux siècles on n'y parlera plus que le pur pié-
montais ou un piémontais altéré plus ou moins par l'ancien
fonds dialectal auquel il se superpose. Aujourd'hui, l'enva-
hissement des hautes vallées latérales du Pô bat son plein ;
avec l'administration italienne, avec les douaniers, les sol-
dats, les commerçants et les maîtres d'école, avec les indus-
triels et les touristes, le piémontais s'avance en vainqueur.
Il y a des vallées, — la Val Chiusella par exemple, — qui
sont déjà entièrement conquises; il y en a d'autres, — je
pense aux vallées vaudoises, — qui, grâce à des conditions
sociales ou religieuses particulières, opposent une résistance
acharnée. Partout les clefs des vallées, les bourgs et les
villes importantes qui en gardent l'entrée, Ivrea, Cuorgnè,
Lanzo, Pinerolo, Torre Pellice, Paesana, Venasca, Dronero,
et d'autres encore, sont entre les mains de l'ennemi et
étendent leur influence destructrice jusqu'aux hameaux les
plus éloignés qui, perdus au fond de quelque ravin, au
milieu de champs minuscules appuyés par de petits murs
' J'entends par s final libre l'jf après voyelle.
- On s'étonne de voir répéter par le Griindriss, I-, 550 que la fron-
tière politique entre la France et l'Italie coïncide avec la limite entre
le provençal et l'italien. On n'a qu'à consulter Biondelli (sans parler
du travail de Morosi, Arch. gl. XI, 309-416 et de Salvioni, Lettura,
1901, p. 714-724) pour se persuader combien cette assertion est fausse.
— La limite entre le franco-provençal et le provençal passe au nord
de la vallée de Suse.
50 K. JABERG
péniblement construits, semblaient à jamais devoir se sous-
traire à la domination linguistique des centres civilisateurs
de la plaine. Ce qui donne un intérêt particulier à la région
dont nous nous occupons, c'est qu'elle nous présente la
lutte linguistique dans les phases les plus diverses et sous
les aspects les plus variés. Un grand nombre de villages
sont bilingues ; tous les habitants parlent le patois et le pié-
montais^; le patois quand ils sont entre eux, le piémontais
quand ils s'adressent au prêtre, au médecin, à l'apothicaire,
aux employés de l'Etat, aux boutiquiers et aux commer-
çants, qui, bien souvent, ne sont pas de l'endroit même ou
ont perdu l'habitude du langage local.
Assez souvent, — c'est le cas, par exemple, à Sampevre,
— la bourgade centrale d'une commune parle de préférence
le piémontais, tandis que les fractions (frazioni) rurales ont
encore conservé l'ancien parler. Dans certaines vallées, le
piémontais supplante le patois sans s'altérer foncièrement
pendant la période de transition, — c'est ce qui arrive en
général dans le Nord ^; — dans d'autres, — on en jugera
par les formes que je citerai d'Entraque (vallée du Gesso)
et de Vernante (situé sur la route du col de Tende), —
les deux langues se pénètrent et aboutissent à un dialecte
intermédiaire tel que nous le connaissons par l'esquisse que
M. Salvioni a donnée du dialecte de Roaschia^. Le piémon-
tais importé est dans certaines vallées, par ex. dans la vallée
de rOrco, la variété locale du centre de commerce le plus
voisin, dans d'autres plutôt le , piemontese illustre ' ^. On
* Je me sers du mot patois pour désigner l'ancien parler local par
opposition au piémontais envahisseur. L'usage de ces mots avec les
acceptions que je leur donne est du reste assez répandu dans les Alpes
piémontaises. Le piémontais, évidemment, est considéré comme une
langue supérieure, le patois est ^campagnard', , rustique', ^ grossier '.
— - Ettmayer, Die prov. Minidart von Vinadio, Bausteiiie \ur roiii. Phil.,
p. 219, se trompe quand il croit qu'il y a une transition insensible
entre le franco-provençal et le piémontais. Les patoisants eux-mêmes
se rendent fort bien compte de la différence qu'il y a entre les deux lan-
gages. — ^11 dialefto proveniah'ggiaiite di Roaschia (Cuneo), dans Mclam^es
Chabaiieau, Erlangen, 1907, p. 525-559. Roaschia est situé entre \'er-
nante et Entraque. — ■* Ainsi on m'a assuré à Sampeyre, dans la haute
vallée de la Varaita (je n'ai pas pu contrôler l'assertion), que le piémon-
tais qu'on y parlait était bien plus élégant, c'est-à-dire plus voisin du pié-
montais de Turin que celui de Venasca, situé à l'entrée de la vallée.
L'S riXAL LIBRE DANS PKS PATOIS DU PIÉMONT 51
aurait tort de généraliser les observations faites dans tel ou
tel endroit; l'enquête minutieuse sur place peut seule faire
connaître la vérité. Je ne parle pas de l'influence exercée par
l'italien littéraire et par le français. En général, la connais-
sance de l'italien est peu répandue chez les personnes sans
instruction, et si des mots italiens s'infiltrent dans les patois
franco-provençaux et provençaux, c'est souvent par l'inter-
médiaire du piémontais. A des questions posées en italien,
on répond souvent en piémontais, même dans les magasins
où on est habitué à voir des étrangers. Quant au français,
on le comprend généralement dans les vallées vaudoises ^ et
souvent on l'y parle assez bien, mieux ( la vieille génération
surtout! que l'italien. Dans certaines familles, on a même
gardé le français comme langue de tous les jours ; et les
personnes cultivées le parlent quelquefois avec une facilité
et une élégance remarquables. Il n'est pas sans importance
de rapporter le fait que dans les vallées placées au sud
du mont Cenis, on a en général conscience de parler des
patois semblables aux patois provençaux de France; dans
les vallées de l'Orco et de Lanzo, par contre, on ne se rend
pas compte, à ce que j'ai pu observer, de la communauté
linguistique avec la France.
L'aperçu rapide que je viens de donner peut paraître trop
sommaire ; mais il suffira peut-être pour empêcher le lec-
teur de considérer les détails de phonétique que je me suis
proposé d'étudier dans ces notes à un point de vue trop
étroit. Les mots que je citerai ont tous, à peu d'exceptions
près, été notés sur place. Ils sont extraits de matériaux qui
n'étaient pas destinés à servir de base à une étude phoné-
tique. Le questionnaire dont je me suis servi reposait à
l'origine sur le questionnaire de M. GiUiéron ; je l'ai modifié
peu à peu au cours d'excursions dialectologiques dans la
Suisse française, les Grisons et la Haute-Italie. J'ai posé
mes questions en français à Bobi, Pra du Tour et Crissolo;
en italien dans tous les autres endroits. Inutile de relever
ici les défauts inhérents au système de l'interrogation. J'in-
' le n'ai pas visité la partie supérieure de la vallée d'Aoste ni la
vallée de Suse, où la connaissance du français doit être assez répandue.
52 K. JABERG
siste plutôt sur un point, dont se rendent compte tous ceux
qui étudient un domaine linguistique d'une certaine éten-
due : l'insuffisance de notre oreille et par suite de la nota-
tion phonétique appliquée à des patois fort différents, dont
on ne s'est pas assimilé les sons par une longue habitude.
Je n'ai donc aucune honte à avouer qu'il doit y avoir des
erreurs et des inexactitudes dans mes notes. J'ai mis le plus
grand soin à saisir les sons que j'ai entendus et à ne pas me
laisser influencer par des considérations linguistiques pré-
conçues. Si ma notation reste tout de même une esquisse
grossière de la réalité, c'est que, vu les conditions de l'en-
quête, il ne peut pas en être autrement.
J'ai modifié aussi peu que possible la transcription du
BnUeiin, quoique j'aie eu quelque peine à habiller les patois
du Piémont d'un vêtement qui n'a pas été taillé pour eux.
Yo\c\ les signes nouveaux que je me suis vu obligé d'in-
troduire :
Tj = n guttural (n de VArch. glott.).
. n = n devant consonne (ne servant pas comme signe de
la nasalisation de la voyelle précédente).
I =z son intermédiaire entre / et r. On produit ce son
en retirant le bout de la langue et en l'appuyant en arrière
du point d'articulation ordinaire d'/ et d'r. J'en ai observé
différentes nuances à Brosso, Pral et Bobbio.
a ^= voyelle réduite non arrondie qu'on trouve dans
l'allemand Vogel et qui est parfaitement distincte de l'e
muet français (9), quoiqu'il y ait des nuances intermédiaires
(et par suite des hésitations dans ma transcription). Cf.
Arch. gl. XVII, XXVII et 214 : é. J'ai désigné par le même
signe le son qui se rapproche davantage de à (par ex. brikafj
et qui est caractéristique pour la région canavaise.
où = ou ouvert (cf. l'allemand ktir-).
à réunit plusieurs nuances intermédiaires entre è et à.
II y a dans mes matériaux des hésitations dans la nota-
tion d'/ et de y qui ne correspondent pas à la réalité.
^ et ~ sont partout plus ou moins palatalisés ; les diffé-
rences individuelles étant très grandes, j'ai négligé cette
palatalisation à moins qu'elle n'ait conduit à ch et /.
s lenis (que ma notation ne distingue pas) est fréquent
L'S FIXAL LIBRE DANS LES PATOIS DU PIEMONT 53
devant ///, //, v et alterne dans ce cas avec ~. Dans le sud
de notre région, je l'ai assez souvent observé à la finale,
en pause.
tch et di se rapprochent presque partout de Is et d:^^^.
Quand l'accent n'est pas indiqué, il occupe, en général,
la même place qu'en latin.
Une croix (+) indique qu'une forme me manque pour
un certain endroit.
Je me borne à examiner le sort de Vs final libre dans les
six cas que voici :
I. Pluriel des substantifs (adjectifs) féminins en a.
IL Article féminin pluriel.
III. Secondes personnes du singulier non accentuées sur
la syllabe finale.
IV. Secondes personnes du singulier accentuées sur la
syllabe finale (forme affirmative).
V. Seconde personne du singulier de l'indicatif présent
des verbes à syllabe finale accentuée à la forme interrogative.
VI. s final libre secondaire.
Je commencerai par un exposé purement descriptif, et
terminerai par quelques considérations générales qui n'ont
nullement la prétention d'épuiser le sujet.
Pianiprato -.
L's final s'est amuï partout :
I et II. h pià.ntè , les arbres ' — h béxtiè , les bétes ' —
h home , les cornes ' — h doue roù''^è doù karptoùiiY] i sou.nt
roù.ntne , les deux roues du char sont cassées ' — doue fpiiè
, deux femmes ' — h djamè ^ les poules ' — où a(t) le tchanihè
* Mon sujet A de Limone (dont le patois tient du ligurien) mélange
tch et dj avec Is et i- d'une façon fort frappante.
- Piamprato est le dernier hameau de la Val Soana, situé au pied
du M. Rosa dei Banchi, à une dizaine de kilomètres au delà de Ronco,
dont le patois forme la base de l'étude de Nigra, Arch. i;htt. III, 1-60.
On y arrive de Champorcher par le Col Santanel, de la \'al Chiusella
par le Col de la Bocchetta. Une route partant de Ronco est en con-
struction: elle remplacera l'ancienne , mulattière '. Piamprato fait partie
de la commune de Valprato, dont le langage a été étudié par M. Sal-
vioni dans les Reitdiconli del R. Istituto Lombardo, série II, vol. XXXVII,
p. 1043-1056. Je dois la plus grande partie de mes matériaux à l'ama-
bilité de M. Garavetti, instituteur à .\lice Superiore; je n'ai recueilli
que très peu sur place.
54 K. JABHRG
Xloùrlchiè ^ il a les jambes tordues ' — uouxiè btiriiyè ^ nos
prunes ' — / itvè i sok.n doufè , les raisins sont doux ', etc.
III. iiièiiè , mènes ' (Ind. pr. 2) — luanàvè , menais ' —
(Ind. imparf. 2) — nianîrè , mènerais' (Condit. 2) — ina-
nisc , menasses ' (Subj. imparf. 2) — van — va.ndîrè ; va.n-
dissè iiormQs correspondantes du verbe t'^./Zf/ri?, vendre'), etc.
IV. a ^ as ' — di , dis ' — è , es ' — fây ^ fais ' — pé
j peux ' — sa ^ sais ' — tchê , tombes ' — va ^ vas ' — vei
^vois' — vé , veux ', etc.
ijutiiéy , mènes' (Subj. prés. 2) — iiiaiiarç ^ mèneras ' —
va.ndey (Subj. prés. 2, Ind. imparf. 2).
V. ax tu — dix ^" (ou di tu) — fax tu — péx tu — sax
t^u — Vax ^" comme koùxJcit , coûte ' — kréxta , crête ' —
té/Ja ^ tête ' — Ip inoiixtchè , les mouches', etc.^
VI. hurièus , curieux ' — grafièus , gentil ' — djalèus
, jaloux ' — nâs ,nez' — rîs , riz' — axpçus , jeune marié'.
Noasca, Ceresole Reale, (iroscavallo,
Mondrone -.
.s se conserve devant une pause et devant un mot com-
mençant par une voyelle ; il disparaît devant un mot com-
mençant par une consonne. Cependant, il suffit de la plus
légère hésitation ou de l'arrêt le plus insignifiant pour le
faire réapparaître même dans ce dernier cas. J'ai fait remar-
quer autre part ■' que c'est exactement l'état ou se trouvent
les consonnes finales à Paris, au seizième siècle, selon le
témoignage de Henri Estienne.
Exemples. Devant une pause ^ :
' vois-tu r= vCy tu.
- Noasca (à 1050 m.) est l'avant-Jernière, Ceresole Reale (à 1600 m. 1
la dernière commune de la vallée de l'Orco. L'influence piémontaise
est moins sensible à Noasca qu'à Ceresole Reale, ce dernier village
étant un centre de touristes. Groscavallo (à 11 00 m) est situé dans
la Valle Grande di Stura, Mondrone (1250 m.) dans la Valle di Stura
d'Ala. Les vallées de Lanzo sont à un degré de civilisation plus avancé
que la partie supérieure de la vallée de l'Orco et la Val Soana. Le
voisinage de Turin, où une grande partie de la population de Gros-
cavallo passe l'hiver, y est pour quelque chose. Aussi le piémontais
a-t-il fortement entamé l'ancien patois.
•• Zeitsctmft f. frani. Sprache u. Litt. XXXVIII, 238-259. On \-
trouve le texte de H. Estienne.
■* On trouvera d'autres exemples dans les phrases citées plus loin.
L"S FINAL LIBRE DANS LES PATOIS DU PIEMONT 55
I et II. Noasca ; )iâr da lui.ndjiar al bèsius
Ceresole: iiar da mi.ndjiar al héchUf-s
Groscavallo: nâ da ini.ndjia al hèslias
; donner à manger aux bêtes '.
Noasca: — / rifoit lus
Ceres.: plâr «/ trîfoiilas
G rose av.: raskiâ al tri foulas
Alondrone : />/« / tri foi lias
< peler les pommes de terre' (, mondare le patate').
Noasca: dji largérj "^l val chas ^
Ceres. : dj'Uâr al vàtclnts
Groscav. : lardjia al vatchas
, paître les vaches '.
III. Ceres. : parkè ta levas
Grosc: parka ta d levas
, pourquoi te Icves-tu?'
Ceres.: ...troùvâsas...-
Grosc. : ...trokvusas...
Mondr. : ...tronvasès..-
(,si tu le) trouvais, (il ne serait pas content')''.
IV. Noasca: ...s t lou vos
Ceres. : ...se lok vos
Grosc. : ...sa t lou vos
Mondr. : sa t lou vbous...
(, je te le donnerai), si tu le veux'.
Ceres. : i semblât ka ti '^d dur mes
Grosc. : e :^mît ké té d dur m es
Mondr.: « smiyat ka d durmevus
, il semble que tu dormes '.
VI. Noasca: + — uâs — paourous
Ceres.: kurioRch — nâs — ■ poourous
Groscav. : kurioùs — nâs — poourous
Mondr.: kurioùs — nâs — 4-
' ire pers. du plur.
- J'indique par les points que j'extrais quelques mots d'une phrase.
' Je mets entre parenthèses la partie de la phrase que je ne reproduis
pas.
56 K. JABERG
Devant une voyelle :
I etil. Noasca: al bèsias^ i krèpoùrj koualkeçta...
C ère s. : / bésicis a hrapok.n d viâdjo...
Grosc. : al vatchas ou iiwiroù.nt kéikï bol...
^ les bêtes crèvent quelquefois, (quand
elles ont mangé trop de trèfle ' ).
Gères.: «/ moûchias a roû.ntoù.nt...
Grosc. : al mousias ou roû.ntoù.nt...
Mondr.: al moûsus ou va.nt a.nt...
,les mouches déchirent (les toiles d'araignées').
Gères. : '^Iz Uvas a sb.n doUsas.
Grosc. : laz Uvas sok.n doUsas
Mondr. : ^Iz Uvas on sok.n bêlas doûsas.
, les raisins sont doux '.
Chute syntaxique de Vs devant une consonne:
On aura remarqué dans les exemples qui précèdent la
forme de l'article au féminin pluriel devant des mots qui
commencent par une consonne. G'est /, «/, al, al, formes
variant selon la rapidité du discours et selon l'entourage
phonétique-. Il ne peut pas y avoir de doute sur la genèse
de ces formes : il las, en passant par las > las, a abouti à la
(ou h) que nous trouvons à Piamprato. Ensuite / a absorbé
l'élément vocalique dont il était suivi, quitte à le détacher de
nouveau comme voyelle prosthétique. Us s'est conservé
devant voyelle (la^ > l~> al^ ), voir l'exemple , les raisins
sont doux '.
L'étroite Haison entre l'article et le substantif nous tait
comprendre pourquoi Vs, dans ce cas, ne réapparaît jamais,
comme cela arrive assez souvent dans les exemples à's
devant une consonne qui suivent-'.
Noasca: al doû rouas dal karlourj l soirrj routas
Gères.: «/ doua rouos dal kartoùr^ a sorj^ roulas
^ 11 se pourrait que par inattention j'eusse noté s au lieu de .; dans
cet exemple et dans ceux qui suivent. — - Je ne parle pas des mots
commençant par s impur, qui doivent être considérés à part. — •' Je mets
entre parenthèses Vs des formes que j'ai entendu prononcer diftcrem-
ment selon que le discours a été lent ou rapide. — ^ Pron. lente : soJ't.
L'S FINAL LIBRE DANS LES PATOIS DU PIÉMONT 57
G r G S c , : al doua roas dou kàr ou sokq routas
Mondr. : al doUas roûas^ dou kartowq sourj routas
, les deux roues du char sont cassées '.
Noasca : doû fpiias
Gères. : doua f nos-
Gros c: doûa(s) fumàlas
Mondr.: dou(s) fumelas'-^
^ deux femmes '.
Noasca: al' tchambè 1 or sas
Gères. : al a ^1 tchamba(s) tbrsas
Grosc. : a / tchainbas astortas (plus vieux : vartchas)
Mondr. : Gf. tchambai astortas)
, il a les jambes tordues '.
Gères. : mi.ndjî parkè t a fam
Grosc: nti.ndji ha t a fam
Mondr. : ini.ndjî parkè t a dja fam
, mange, puisque tu as faim '.
Gères. : parkè 1 loù fây(s) piourar
Grosc. : parka t loù fais pioùra
Mondr. : parkè t loti fay pioura
, pourquoi le fais-tu pleurer ' ?
Quoiqu'elles ne rentrent pas dans le cadre étroit de ce
travail, je ne puis m'empêcher de citer ici les formes syn-
taxiques de la troisième personne du singulier du verbe être.
La forme pleine est as à Noasca et à Geresole, est à Gros-
cavallo et à Mondrone (cf. at à Piamprato) :
Gères.: la fia al as isiâ mourduè
,1a femme a été mordue'.
Grosc: est u'q masle difitchil
Mondr.: est irq masté difitchil
, c'est un métier difficile '.
J'ai noté assez souvent un premier affaiblissement en ast
' A Balme, dernière commune de la vallé d'Ala, dont le patois est
à peu près identique à celui de Mondrone, j'ai obtenu : doua roûas.
- Cp. stafncLS ,ces femmes-ci', sla fuas ^ ces femmes-là'.
^ Balme : doiia(s) fiiiiirlas.
58 K. jABERG
à Groscavallo, par ex. al i ast ala dtirinî , elle est allée se
coucher '.
Un second degré d'affaiblissement est représenté à Gros-
cavallo par us, à Mondrone par st et at :
Grosc. : / àiva i as proufou.nda . le fleuve est profond'.
Mondr. : / st alâ dur mi
sali ki ou s at astartnâ... ^
, il s'est caché (derrière l'armoire ').
L'étape finale de Groscavallo et de Mondrone coïncide
avec celle de Ceresole ; on en jugera par les exemples sui-
vants :
Gères. : lou sîr ai (as) kiar
Grosc. : lou tchel al t chair
Mondr. : arjkoiié est asrerj
, le ciel est clair '.
Ceres. : lou fè al as mort
Grosc. : lou fia al d astis
Mondr.: lou fia l mort
, le feu est éteint '.
Gères.: / ûrdjoîi al mèyar
Grosc. : ruurdjoîi al mîiy
Mondr. : Fûardjoù al mèyroù.
, l'orge est mûre '.
On voit que la forme verbale a fini par disparaître com-
plètement.
Il y aurait lieu de préciser par des recherches dirigées
dans ce sens la règle générale énoncée plus haut -. Il fau-
drait pour cela d'une part varier systématiquement les
phrases à demander et d'autre part écouter des conversa-
tions entre indigènes. Assez souvent, ma notation ne repré-
sente pas le premier jet, et si la méthode que j'ai suivie pour
mon enquête crée nécessairement des conditions linguis-
tiques artificielles, le danger d'obtenir des formes phoné-
* Cf. une fois à Grosc. : lou tchûout al at tstfi-.- ,1a chaleur a été
tardive cette année '.
- Ainsi les consonnes continues semblent favoriser tout particuliè-
rement la chute de Vs qui les précède.
L'S FIXAL LIBRE DANS LES PATOIS DU PIHMONT 59
tiques anormales est encore plus imminent quand on se fait
répéter les réponses. M. Terracini, dont l'étude sur le parler
d'Usseglio^ a été entreprise avec tant de circonspection,
nous renseignera peut-être plus exactement que je ne puis le
faire après un séjour trop court dans les vallées en question.
J'ai noté de nombreux cas où 1'^ s'est conservé malgré
des conditions en apparence fiivorables à sa chute. On aura
remarqué que dans la phrase , les deux roues du char sont
cassées ' Vs de rouas reste partout. \''oici d'autres exemples :
Ceres. : tcbasâiiyas krûvus
Gros c. : «/ lastànyas krUas
Mondr. : '-'■/ kohas hruvas
, des (les) châtaignes crues '.
Xoasca: al konias d la valchi
Ceres. : al ko mas dal vâtchas
, les cornes de la vache (des vaches ').
Ceres. : sâs kè...
Grosc. : ton sas ke...
Mondr. : Cf. sâs ton ke...
, sais-tu que iton oncle a fait construire une maison' i?
V. Les secondes personnes de l'indicatif présent à S3'llabe
finale accentuée présentent, comme à Piamprato et ailleurs,
le traitement de st à l'intérieur d'un mot :
Ceres. :
krèsoù
Cf. : ...ko usât
Grosc. :
krès ton iè
...koustat
Mondr.
: tè krès tou
...konstat (', combien cela
, crois-tu ? '
coûte-t-il ' (^ quanto costa ? ')
Pral et Pra du Tour-.
Parmi les trois communes vaudoises que j'ai visitées,
Pral et Pra présentent une affinité remarquable, qui ne se
restreint pas au phénomène que nous étudions. Je sépare
par un point et virgule les formes de Pral de celles de Pra.
' Arch.glott. XVII. 198 suiv. Usseglio est situe dans la plus méri-
dionale des trois vallées de Liuizo, séparée de la vallée de Mondrone
(appelée ordinairement vallée d'Ala) par une chaîne de montagnes.
- Pour le langage actuel des Vaudois du Piémont, voir le travail
riche et consciencieux de G. Morosi, ArcJ). gîott. XI. 309-416 ; Morosi
6o K. JABERG
S libre, primaire et secondaire^ tombe en allongeant la
voyelle précédente. Cependant cet allongement est loin de
présenter la régularité que lui attribue Morosi, p. 347.
Je Tai observé surtout dans l'article. Exemples ^ :
I et II. la doua roua dal karous sowq routa; là roûa dar
hàr sourrq- roula. — doûâ dônna'^; doua doua. — la djaima"^...:
là djalîna... — al a là ichamba toitr~Ua; al a la tchamba
garsa. — là uwUtcha... ; la moustcba... — plâ là trffa; plà
là trifoula — u.n troupel d féa; u.n troupàl d fea , un trou-
peau de moutons'. — garda là vatcha; id., etc.
III. Ich.anié; id. — tcha.nté ; id. — tcha.uiàvé ; id. —
tcba.nlprfye ; tcha.ntari (Ind. prés., Subj. prés., Ind. imp.,
Condit. du verbe tcha.utâ , chanter ' i. — - vp.ndé ; vd.nde —
vp.ndé ; id. — vp.tidJyé; V9.ndîyé — vd.udrîyé ; + (formes
correspondantes du verbe V3.7idré , vendre ').
IV. tcba.ntprè ; tcha.ntara — vp.ndrè ; + — (Fut.) etc.
à ; a — siyé ; se — fà ; fa — po ; pœ — sa ; sa — va ; va
— vée; vé — volé ; vœ, etc.
V. S'il y a accord pour les formes affirmatives, Pral et
Pra se distinguent nettement pour les formes interrogatives;
voici les exemples :
a choisi le patois de Pral comme base de soi: étude. A page 318 suiv.,
on trouve un aperçu géographique et linguistique sur les ^Vallées '
auquel je n'ai rien à ajouter. Voici comment s'échelonnent, quant à
leur vitalité, les patois que j'ai étudiés: Pral, Pra du Tour, Bobi. Je
dois mes renseignements sur Pral à M. Stefano Menusan, berger en
été et maître d'école en hiver, dont l'intelligence vive et rapide m'a
permis de recueillir en peu de jours des matériaux considérables.
M. Menusan habite Ribba (1500 m.), hameau perdu au fond de la
haute vallée de Pral, dernière commune de la vallée de Saint-Martin
(vallée de la Germanasca). Ribba est le premier hameau italien qu'on
trouve en venant de France par le col d'Abriès. — Pra du Tour, le
célèbre refuge et dernier retranchement des Vaudois persécutés, qu'Ed-
mondo de Amicis a décrit dans les Porte d'Italia sous des couleurs
quelque peu outrées, forme la partie supérieure de la vallée d'Angrogne,
séparée de la partie inférieure par les contreforts du Yandalin et du
Cervin. On traverse, pour v arriver, le défilé étroit que De Amicis a
baptisé les Thermopyles vaudoises.
' Les exemples sont en général ceux cités pour Piamprato. Je ne
donne la traduction que pour les exemples nouveaux.
- Voyelle nasale suivie d'« guttural.
'' Morosi, p. 347, ^ 103, donne là feennâ.
"* A Pral, Vn intervocalique est tombé en nasalisant la voyelle précé-
dente.
L'S FINAL LIBRE DANS LES PATOIS DU PIÉMONT 6l
â tu ; as lu — fd tu ; fâs tu — sa tu ; sas tu — va lu ;
vas tu, etc.
Cf. hreto ; krésla — lelô; tàsta, etc.
A noter les déplacements d'accent à Pral :
pprké itâ tu tchut; prké isl9s tu kiat , pourquoi te tais-tu?'
— doum va lu ou doit.nt anâ tu ; don.nt vas tu , où vas-tu?'
— S9.nté tu pà; S9.nt9s lu pà ^ ne sens-tu pas ? ' — hiye tu ;
krés tu , crois-tu... ? ' — ...f9ria lu; ...farïs tu , ferais tu?'
( Cf plus haut tcha.nt9rïye; tchan.tari^).
VI. hurioU; id. — /w;/^ — djalou ; djalou — ///#; mé
j mois ' — nâ; id. — pàouroU ; pbouroù — //; ris — susp9-
toû; malisiou , soupçonneux ' — eypoû; h (Ion) spoû.
A Pral Vs réapparaît dans l'article féminin devant une
voyelle : /a^ bonralya; la bourélya , les oreilles ' — /«;{ ey-
palla ; là spalhi , les épaules ' — /«^ eyte^-la - ; la stela , les
étoiles ' — la:(^ ua sou.n doûsa, etc.
Même observation pour les pronoms démonstratifs et
personnels f. pi. : èykta~ erha , ces herbes ' — a la~ àou , il
les entend ' — a la::;^ 9Slîuioît , il les aime ', etc. ^.
Bobi (Bobbio ) ^
Pour le traitement à's final libre primaire, Bobi marche
tivec Pra. Il fait chemin à part pour 1'^ final libre secondaire,
qu'il conserve en général :
I et II. la doui roue dur kâr soun routé — doui doue —
la poule (ou djalpie) — al a la tchambé gàrse — la luoûysé
' Ichantari représente un tchantariye antérieur avec absorption de IV
par 1'/.
- Mais doua èytê^la, ^ deux étoiles'.
•' Cf. la ire et la 2^ personne du pluriel du pronom personnel: vouz
anti , vous allez ' — noui anrj ^ nous avons ' — vou:^ avè — nou-{ fioiivdn
, nous entendons ' — voji-{ douve ^ vous entendez ' — a noti^ fiou ^ il
nous entend ' — a voii:^ âou ^ il vous entend ' — a noui dstjmoù ^ il nous
aime ' ■ a voui dstlmoù ^ il vous aime ' — loti tchaout voui èytouffo ^ la
chaleur vous étouffe '.
"* Joli bourg à une dizaine de kilomètres de la Tour (Torre Pellice),
en train d'être envahi par le piémontais. Mon sujet, tiraillé par des
influences françaises et piémontaises, quoiqu'il ait presque toujours
habité le pays, représente le patois à un état de délabrement qui, au
moins à la campagne, ne doit pas encore être général. Bobi est le point
992 de l'Atlas linguistique.
62 K. JABERG
— plà la trifoiilé — //.// iroiipâl d fê — pasliirà la vatche —
hastanye krUé, etc. \
III. icha.nte — icha.nté — tcha.ntàve — tcha.niprîyc —
Icha.ntpsé — vp.nde — vs.nde — d. durmïyé — dœrnisriyè.
IV. tcha.ntpra — a — fa — kré — va — vê.
V. as tu — fas tu — sas lu — vas tu.
VI. hirioûs — fus , fuseau \ , rais ' — djalous — })iês —
}iâs — ponvroUs — ri — / pspoûs.
Crissolo -.
s final primaire a disparu dans l'article et dans le sub-
stantif; il est resté dans le verbe, excepté au futur.
I et IL le bal'' , testicules de bélier ', lé bélyé , abeilles ',
lé héonlé , bouleaux ', lé béslié , bêtes ', lé blué , étincelles ',
le hrêlé , excréments d'animaux ', lé briale , bretelles ', lé
fiamé , flammes', lé fisfiie , fagots ', lé fûlyé .feuilles'^ lé
fumé , pipes ', lé djerbé , gerbes ' (cf. plus bas), lé gfspé
, guêpes ', lé gfci^é , églises ', lé giilété ^ feuilles du mélèze ',
lé karéé, , chaises', lé horde .cordes', lé Icàlé , robes ',
lé hoîirouné , couronnes ', lé lâbré ^ lèvres ', le lëouré
. lièvres ', lé m^soyré , foux ', le iiiisfle , joues', lé violé .pin-
cettes ', le moUchtché , mouches ', lé iiioûré . mûres sauvages "",
le muda.nde .caleçons', lé nf^ré .puces', lé pâle .pelles',
le pèle . poêles ', lé pèyré . pierres ', lé piaulé . plantes ', lé
porté . portes ', lé rasié . scies ', lé >lôké . zoccoli ', le tâoulé
.tables', lé tmâlyé .tenailles', lé testé .têtes', lé t9:{0uyré
. ciseaux ', lé trifoule . pommes de terre ', lé tchbhé . cloches ',
lé vjiune .osiers', lé vîyé .routes', lé virole .véroles'.
Devant s impur (je donne aussi le singulier) ^: / pskiièla,
l pskuèlé (suj. A) * . écuelles ', la spâla, 1 pspâlé . épaules ' '',
^ Cp. ly ourdlyé, ly sspâlé, !y jspTne, etc.
- Crissolo (1300 m.) est la dernière commune de la vallée du Pô,
située au pied du Monte Viso et point de départ pour l'ascension de
cette montagne. En été, Crissolo est habité par des étrangers. J'ai pu
constater en passant que le patois d'Oncino, commune située un peu
plus bas, mais éloignée de la grande route, a gardé plus d'originalité.
^ Les formes du pluriel des mots commençant par s impur que je
donne dans le texte sont, sauf indication contraire, celles du sujet B.
Voir plus bas.
■• C et B : /fl skouëla, lé skotiêle.
■' C :pl. lé spûlé.
L S FINAL LIBRi; DANS LES PATOIS DU PIHMONT 63
pi. lé spô.ndé , les parties latérales du lit ' (suj. A), la spoU-
nya, lé spoUnyé , éponges', la starii'Ha, le siar/Hé , les cham-
bres', la sléla, l pstélé^ , étoiles ', pi. lé slçlé , bûches ', la
stûa, l pstué'- , poêles' m., / psichâla, l pstchâlé'^, pi. / pstchîué^
,dos'. '
Devant une voyelle : / oulànyé , noisettes ', le oûré
, heures ', lé oiirélyé , oreilles ', lé ûé , raisins '.
Je viens de donner mes matériaux plus complètement
qu'à l'ordinaire. Voici pourquoi : dans un certain nombre
de cas, l'article fém. plur. se présente sous la forme de hs
ou h:^. je cite tous les exemples que j'ai notés :
hs fie , brebis \ hs fémiié ^ femmes \ hs fîlyé , filles ',
hs djalïné , poules \ lé^ djerhé , gerbes \ hs tchabré , chè-
vres ', hs tchamhe jambes', hs IchqowJé < bas ', hs vâtché
, vaches '.
III. trobps — tchà.ntps — tcba.fitavps — tcha.ntarips —
lcha.iites9s — vejuias — vê.udus — vp.ndfyps.
IV. tronbara, — ci. diinnara, etc., mais as — fâs — pôs
— sàs, etc.
V. as tu — fâs tu — sàs tu, etc.
VI. Pour s secondaire, les résultats sont contradictoires:
irou , heureux ' — fus — djplou — '■ mè (me) '' — nâs —
pourou (pbonroU) — près , pris ' — rïs , riz ' — pspou.
Sampeyre, Elva, Entraque".
Je me borne à donner les matériaux, en laissant au lecteur
le soin de formuler les règles, qui sont bien simples.
I et II. / doue roue dal kartouv^ soio] route; + ; rt;^ doms
' C : pi. lé stêlé. — - C : la stilva, lé stilvé. — ^ C: la stcbâla, lé stchâlé.
— * la stchjna, le stchjné.
•' Je mets entre parenthèses les formes du sujet B toutes les lois
qu'elles ne sont pas identiques à celles du sujet A.
'■ Sampeyre (1000 m.), gros bourg et chef-lieu de district (manda-
mento) est situé dans la vallée de la Varaita. La campagne semble
avoir assez bien conservé le patois, tandis que le bourg est envahi par
le piémontais. Je dois mes renseignements à M. Agnesotti, photographe
âgé de 34 ans, intelligent et observateur. M. Agnesotti, qui n'a quitté
le pays que quelques mois, représente le langage de la population agri-
cole qui n'a pas encore honte de parler patois.
Elva (1600 m.) est une commune dont les hameaux s'échelonnent
64 K. JABERG
roûi^ àal hariou-q a soivq routtà ^ — doue, frèmè ; doué frhnés
et doués f renié s ; douas fœmuà — î djalfnè ; lé djalînés; «^
djalînà — ai tchambe gèrsé; a lé tchainbés gersés ; a las
tchamba gèsa — i mouslché roiimpérj...; lé mouslché'- roum-
poirq léz aranya ; as nwuslchu as ronmpoir/]... — pla i trifouVe;
plar lé irifoulés ; plâr as tarliflà — kdstânyè krûè; tchastânyés
krûes ; tistanya krùa, etc.
/ ourèyè ; léz ouréyés ; a:( onrœlya — lé spâle ; l pspalés ;
a:(^ aspalla — / stelè ; l ésiélés ; a^ asféla — iy ûè sou.n
dboiisè ; léz nés sou'q doousés ; (/ ô^(c / «^ dopMa), etc.
III. t robes ; id. ; trovas — trobés ; id. ; trovas — troubâvés ;
id.; trouvavas — ma.ndjarîyes ; mi.ndjarîyés ; Irotivarîyas —
troubésés ; id. ; troiivœsas — vé.ndés ; vè.ndés ; vè.ndas —
vé.ndés ; vè.ndés; vè.ndas — vé.ndîyés ; id. ; van.dfyas —
vé.ndarîyés; id. ; va.ndarîyas. — ve.ndésés ; id. ; va.ndœsas.
IV. Iroiibares ; id. ; tronvarès — vé.ndarès; id.; va.ndarés.
as ; id. ; as — fas; id. ; fâs — pos ; id. ; pos — sas ; id. ; sâs.
V. as vé.ndu; a'i vé.ndu ; a:^ va.ndu (interrog.) — fas tu
koulasiourj ; fas koulasiour^; fâ^ da:(dju^rj — etc.
VI. hurious: id. ; id. ; — fus; -h \fUs , fuseau ' — djelous;
djèlous; dlous — niés ; id.; niés — nas ; id. ; iiâs — pbonroUs;
paourous ou pourou^; ; (pi.n 'pour) — rîs ; ris; id. — / espous;
l éspoûs ; l aspoûs.
sur le versant méridional de la chaîne de montagnes qui sépare la
vallée de la Varaita de la vallée de la Maira. Les , mulattières ' qui
conduisent aux communes voisines passent toutes à une hauteur d'à
peu près 2000 mètres. Le sentier qui conduit plus directement dans la
vallée principale est taillé dans les rochers à pic bordant le fleuve qui
conduit les eaux d'Elva à la Maira. Les habitants d'Elva font presque
tous le singulier métier de commerçants de cheveux et, à l'exception
des vieillards et des enfants, ne passent dans leur village natal que les
quelques mois d'été.
Entraque (900 m.), dans la vallée du Gesso, au sud de Valdieri, n'est
pas très loin de Roaschia (voir plus haut, p. 50, n. 3).
Je sépare par des points et virgules les formes des trois communes;
une croix indique qu'une forme me manque.
' Je rends par à le son intermédiaire entre a et ii qui. en pause, est
caractéristique pour les substantifs en a et qui demanderait une notation
particulière.
- Assimilation exceptionnelle d'5 final à r initial. Cp. sktièJe routes.
Même phénomène à Roaschia. v. Salvioni, p. 532. — Le fait se pro-
duit aussi en portugais.
L'S final LIBIŒ DANS LES PATOIS DU PIHMOXT 65
Vernante et Linione K
I et II. / doûu roè ciel kartouTj souTj roultr ; + — + ;
Joué J ranimé — / djalinnè ; li dialinne — al a i tchambè
Ionique ; al a li tsamht garsè — / mouché ; li moûslsè —
/ tarlifoulè; li tartujjoiilè — kastauyè kruè ; (moundatchi km).
Le sujet B de Limone, par contre, dit lé tsaousay , les bas '
— // brœlsay , les aiguilles à tricoter ' — // nœsay , les
noces'' — far hatiâdjay .baptiser', etc.) — / oiirtyè ; li oura-
djdjé — / èspûlè; l pspâlè — / stèllè ; li stàllt — / ûve sou.n
doûse ; li ûyè sou.n doûsè, etc.
ITT trœvas ; irœbt- — irèvas ; Irœbï — truvàvas ; trou-
bâvi — irouvarîyas ; troubarîs'^ — trouvasas ; troubest —
vp.ndas ; va.ndi — V9.ndu:^...; va.ndï — durmîyas ; và.ndî\i
— farîyas , ferais ' ; và.ndarîyt — va.uddsus ; fnisèsi, etc.
IV. + ; troubarès — + ; va.ndares — as ; as — ses ;
ses — fâs ; fâs — pœs ; pas — sâs ; sas, etc.
V. as va.ndu ; as va.ndu — fâs koulasiourj ; fâs konla-
siourj. — '■ sâs ka... ; sâs ka..., etc.
VI. kirious ; knrioûs — fus; fus , fuseau ' — djaloûs ;
djèlous (dièlous) — mas; mas — nâs ; nâs — (spouratchi) ;
paonrous — ris; id. — / uspoûs ; loii spous.
Traversella, Perosa, Lagnasco^.
Je considère ces trois patois comme types représentatifs
du piémontais tel qu'il pénètre dans les Alpes occidentales.
' Les deux villages dans la vallée de la \'crmenagna, sur la route du
col de Tende; Vernante (800 m.), fortement envahi par le piémontais,
est plus grand que Limone, dont le patois est mieux conservé, quoique
le village soit chef-lieu de district. Le sujet A de Limone, cordonnier
âgé de 28 ans, n'a quitté le pays que pour faire le service militaire. Sa
mère est originaire d'un hameau situé plus bas, ce qui explique peut-
être le fait qu'il n'y a pas trace chez lui de la réduction d'i final à v
qui paraît appartenir à l'ancien fonds dialectal de Limone et qui est
régulière chez le sujet B, femme de l'aubergiste (à peu près 50 ans).
Voir Salvioni, Roaschia, 532, n. i, avec renvoi à Biondelli, p. 51 j
(corrigez 513).
- «è se rapproche ici de o. Je ne suis pas sur d'avoir toujours bien
noté ce son intermédiaire.
^ Cf. finicharis, avns, faiis.
* Traversella. dans la vallée de la Chiusella, type du canavais sem-
blable à celui qui pénètre dans la vallée de l'Orco. Traversella a été le
premier village piémontais que j'ai visité. Il peut y avoir des fautes de
66 K. JABERG
I et II. /(' doue roue ibl /car a soiiTj roiittè ; le doue roue
dal kartourj a sourj roiittè; + ; — doue fouuiiiè : doue foumnè ;
douy foumnè — / galinne ; lé galirjg ; -| al a le garnbè
ouàrîiè ; a la le gambè chlorlè (ou gèrlchè); hyèl li la l gambè
sirounya — / mouskè a rou.ntd-ii... ; lé iiiouské a roumpou...;
-\ ruskâr l trifoulè ; plé lé patate ; -\ kastènyè hriivc;
kaslanye krue ; H etc.
/)' ourdlyè ; le oiiriyè; l ourtyè — spallè (l'article manque);
spalt (même observation) ; / pspâlè V; le stàyle; -\~ —
ly ûvvè a se.u doudè ; lé uve sokq douse ; l u'^'è sou.n dope.
III. trovè ; ka.nle; H porte ; ka.nte ; +; — pourtàvc :
ka.ntâve; ^ pourtrissè; ka.ntrîyè ; -\ pourtaisè: tcha.n-
tésé; H vai.ndè ; vé.nde; vè.ndis ; 1- vé.iuie; -\ h;
vé.ndiyè ; -\ farissè; ve.ndrîye ; -\ \- ; vd.ndésé, etc.
IV. trouvrà ; ka.ntras ; -\ \-; vé.ndras ; +.
à; las ; -\ fà ; fas ; -\ pœs; pœlè ; H sa ; sas ;
-\ va ; vas ; vas, etc.
V. / à vu.ndu; t las tu ve.udu ; las tu va.ndu — / fà koii-
lai'Hou'f] ; it fas koulai'Houy] ; -\ / sa kè... ; t sas tou ké:
cf. vas tu, etc.
VI. karrioûs ; kurioûs ; -I fus , fuseau ' ; +; +; —
djaloUs ; djeloUs; -\ + ; ludys ; màys — nas ; nas ; nas
— pbouroûs ; paourous ; + — rîs ; ris ; + — / ^spoùs :
l 9spou ; +
s final primaire a disparu partout dans les substantifs, dans
l'article et dans les secondes personnes non accentuées sur
la syllabe finale ^ Dans les secondes personnes accentuées
sur la terminaison, il s'est conservé à Perosa et à Lagnasco
(type identique au piémontais de Turin); il est tombé à
Traversella. s final secondaire s'est maintenu partout.
notation plus grosses qu'autre part. Perosa, village industriel, situé ;l
l'entrée de la vallée de Saint-M.irtin, type du piémontais tel qu'il es:
importé dans les vallées vaudoises, assez voisin du piémontais de Turin.
— Pour Lagnasco, village agricole de la plaine, situé entre Saluzzo et
Savigliano, mes matériaux sont malheureusement fort incomplets.
' Pour Lagnasco, il faut excepter les types vendis (et cantasi.
D'après Schàdel, Die Mundart von Ormea, Halle 1903, p. 71, Saluzzo et
Cuneo conservent Vs dans: portes, perdes, poiirtâves, v^.iidJes (Saluzzo).
portes, Içzes, pourfâves, va.ndTes, etc. (Cuneo). Cf. Vernante.
L'S final libre dans les patois du PIÉMONT 67
Considérations générales.
L'espace ne me permet pas de traiter ici un certain
nombre de cas particulièrement intéressants d'^ final ; de
même je dois renvoyer à un travail de plus grande enver-
gure le soin de placer les faits phonétiques isolés que je
viens de décrire dans l'ensemble de faits linguistiques qui
peut seul les montrer dans leur juste lumière. Cependant, je
ne puis pas m'abstenir d'ajouter dès aujourd'hui quelques
considérations générales à mon exposé descriptif.
Je commence par donner quelques tableaux synoptiques,
dans lesquels je tiens compte, outre de mes propres relevés,
de celui que M. Salvioni a fait à Roaschia ^ (v. plus haut)
et des données de V Allas linguisliqne sur la vallée d'Aoste,
la vallée de Suse et la zone limitrophe de la France. J'in-
dique par s la conservation, par un trait la chute de l'.s-.
-v entre parenthèses veut dire que les résultats sont diver-
gents^. Par la disposition des s et des traits en cinq colonnes,
je cherche à rendre aussi bien que possible la situation géo-
graphique des points observés. J'ai eu soin de ne placer
dans la première colonne que des points situés en France,
dans la cinquième des points piémontais, y compris les
patois intermédiaires de Vernante et de Limone. La limite
entre le franco-provençal et le provençal passe entre 973
et 971, 3 et 972. Pour les données de Y Atlas, j'ai gardé les
numéros de cet ouvrage. Voici la clef des autres numéros :
1. Ceresole Reale. 7. Sampeyre. 13. Piamprato.
2. Groscavallo. 8. Elva. 14. Traversella.
5. iMondrone. 9. Entraque. 15. Brosso^.
4. Pral. 10. Noasca. 16. Perosa.
5. Bobi. II. Pra du Tour. 17. Lagnasco.
6. Crissolo. 12. Roaschia. 18. Vernante.
19. Limone.
' D'après M. Ettmavcr, op. cit., Vs s'est conserve partout à Vinadio
(situé à l'ouest d'Entraque). Malheureusement, l'auteur donne très peu
d'exemples. Il n'y en a aucun pour II, V et VI.
- Je ne tiens pas compte de l'atiaiblissement de 1'^ en l (ce qui, pro-
bablement, indique s lenis) et ■{. (Voir AU. liiiq.).
■' A une heure de Traversella. Un de mes élèves, M. Moser, prépare
une thèse sur ce patois fort original.
68
K. jABERG
I. S final primaire dans le pluriel des substantifs
féminins en a.
967
—
—
987 -
955
—
966
—
975 —
986 —
965
—
985 -
964
~
I
2
(s)
(s)
10 (s)
13 —
14
15
973
—
3
(s)
971
—
972
4
z
982
11 —
16
981
s^
5
6
—
980
s -
7
—
17
889
s
8
s*
9
—
12 s
18
991
898
s*
19
99
' Exceptionnellement : a grose goûtes. — - Exceptionnellement : a
groso joutes [AtJ. carte 659) avec s tombé dans l'adjectif. — ^ Excep-
tionnellement : a groso goiitos. — * Exceptionnellement : douei rodo
routas {Atl. carte 1702), besti. [Atl. carte 129), a grosa goûtas. — ^ s peut
s'amuïr devant r.
IL s final dans l'article fém. plur.
967
—
987 —
955
—
966
—
975 —
986 —
965
—
985 -
964
I
2
10 —
' 0
14
15
973
—
3
—
971
"
972
4
Z
982 —
II —
16
981
s*
5
6
(S)
980
s
7
—
17
889
s
8
—
9
S'
12 s*
1%
99^'
—
19
898
(s)^
99<
^ Exceptionnellement: le djalines {Atl. carte 1071). — -.f peut s'amuïr
devant r. — ^ Exceptionnellement : la^ nostras prunas {Atl. carte
1097). — * Mélange de las et de sei, qui paraît être un reste d'ipse en
fonction d'article.
L S FINAL LIBRE DANS LES PATOIS DU PIEMONT
69
III. S final dans les secondes {)ersonnes du singulier
non accentuées sur la syllabe finale^
14 —
15 —
907
—
987
^)55
—
966
—
975
—
986
965
—
985
964
—
I
2
(s)
(s)
10
(s)
'3
973
—
3
(S)
97'
■ —
r
982
1 1
— •
981
(«j
5
6
s
980
s
7
s
889
s
8
s
9
s
12
s
991
s
898
s
16 —
18
•9
990
* Pour Y Atlas ling., j'ai consulté la carte lu me trouves (n° 1540).
- Cf. p. 66, n. I.
IV.
à
967
955
965
9Ô4
973
97'
.y final dans les secondes personnes du sing.
syllabe finale accentuée (Forme affirmative) ^
991
966 —
981 —
980 s
889 s
I
2
3
972
4
5
6
7
8
9
(S)
(s)
(S)
975
982
1 1
12
(s)
987
986
985
' Cf. Atl. ling. carte 11° 24, tu vas (tomber).
- Cf. Schàdel, p. 71, vd's, vas, slas, sus, etc. à Salurzo.
14 —
'5 —
16 s
'7
18
19
990
70
ABERG
980
991
final
final
dans les secondes pers. du sing. à syllabe
e accentuée (Forme interrogative)^
967
955
965
964
973
971
981 (s)
966
1
2
3
972
4
5
6
7
975
10
982
II
987
986
9«5
13
14
'5
16
'7
18 s«
19 - s-'
990 —*
^ Cp.Atl. lino. carte no 25, où l'as-tii ?, 14 16 qui veux-lu... ?, 558 crois-
tu...} — - Résultat dV -\- l du pronom, identique au résultat de st à
l'intérieur des mots. — ■' Le pronom précède presque toujours le
verbe. — '' Le pronom précède le verbe. — '' Le pronom n'est pas
exprimé. — "^ Souvent le pronom n'est pas exprimé.
VL s final libre secondaire^
967
—
987
(S)
955
—
966
—
975 —
986
s
965
—
985
s
964
~
I
2
s
s
10 s
13
s
14
15
973
—
3
s
971
972
4
982 —
1 1 —
16
981
s
5
6
s
(s)
980
s
7
s
'7
889
s
8
s
9
s
£2 y
18
99'
898
s
s
19
99c
* Pour les indications concernant V Atlas, j'ai tenu compte des cartes
fuseau (B 1575), mois (868), nei {<)oS), peureux (1009), pris (1090). Je
considère comme normal (non pas comme ancien) l'état représenté
par quatre mots sur cinq. Cela établi, il n'v a d'intermédiaire que le
point 987.
LS riXAL LIBRE DANS LES PATOIS DU PIEMONT 71
L'examen de ces tableaux fait entrevoir la tendance géné-
rale de révolution : c'est de ramener les patois de la mon-
tagne au tvpe piémontais de la plaine, de laisser tomber
partout 1'^ final primaire et de ne le maintenir que dans les
secondes personnes du verbe accentuées sur la syllabe
finale^, de garder ou de réintroduire 1'^ final secondaire
(tvpe fusum). Mais que de variété dans le détail! Combien
de chemins et combien d'étapes intermédiaires pour arriver
à ce point terminus ! Celui-ci une fois atteint, qui oserait
reconstruire les phases parcourues par les différents patois ?
Quand on est habitué à observer la réalité, on s'étonne
des hypothèses de la phonétique historique spéculative. La
règle phonétique, souvent si simple en apparence, est la
résultante de causes si diverses qu'il faut bien du courage
pour la comparer à une loi naturelle.
Examinons quelques épisodes de l'évolution générale.
Je commence par l'y final du substantif et de l'article
dans la partie de notre territoire qui est située au sud des
vallées vaudoises. La séparation entre la France et l'Italie
est nette: au delà des Alpes, s a été conservé partout"-;
en deçà, il est fortement ébranlé '^ Cette séparation est-
elle ancienne ? Ce n'est guère probable ; si Sampeyre a
perdu r.v de l'article et du substantif, Roaschia a gardé les
deux, et à Crissolo nous en observons aujourd'hui la dispa-
rition dans l'article"^. L'impulsion à la chute de Vs est venue
de la plaine piémontaise ; elle s'est arrêtée là où cesse T in-
fluence piémontaise — à la frontière française ; c'est une
' Excepté dans le Nord, où le caïuivais a perdu Vs de fas, sas, etc.
- Les points 991, 898 et 990 appartenant à l'ancien comté de Nice.
doivent être considérés à part.
■■ Roaschia seul conserve l'^- dans le substantif et dans l'article; situé
dans une petite vallée latérale de la vallée du Gesso, il doit avoir été
mieux que d'autres villages à l'abri des innovations linguistiques.
Crissolo perd Vs du subst. et ne garde qu'exceptionnellement Vs de l'ar-
ticle, Sampeyre a perdu les s, Elva maintient 1'^ du substantif, Entraque
celui de l'article.
* Biondelli nous apprend, en outre, qu'il y a 60 ans Acceglio (vallée
de la Maira) conservait encore Vs du substantif et du pronom possessif,
Castelmagno (vallée de la Grana, entre les points 8 et 9) Vs du subst.
et de l'article, Vinadio de même (cf. Ettmayer), \'aldieri (non loin d'En-
traquei 1':. du substantif; Sampeyre, qui, aujourd'hui, l'a perdu com-
plètement, en présentait encore des traces {le sonos sostaiisos).
72 K. JABFRG
de ces innovations qui arriveront à doubler d'une limite
linguistique la limite politique entre la France et l'Italie.
Comment l'influence piémontaise s'est-elle exercée? Les
formes sans s ont-elles été importées peu à peu ? Crissolo,
dont nous allons parler tout à l'heure, pourrait le faire
croire ; mais ce qui est vrai pour une vallée peut être faux
pour la vallée voisine. Peut-être n'avons-nous affaire autre-
part qu'à l'importation d'un nouveau mode d'articulation,
qui conduit à des changements phonétiques semblables, mais
non pas identiques à ceux qui caractérisent le piémontais.
Je ne me hasarde pas à présenter des hypothèses sur la
chute de 1'^ primaire dans les vallées situées au nord du Pô,
où il semble y avoir eu plus de spontanéité d'évolution.
Arrêtons-nous plutôt un moment à Crissolo. Nous avons
vu, p. 62 et suiv. que l'article féminin plur. y est tantôt le,
tantôt les (hs). Les mots qui prennent les appartiennent tous
à l'ancien fonds du patois, tandis que parmi les mots pré-
cédés de l'article le, il y en a bon nombre qui sont plus ou
moins modernes. La conservation de Ys ne dépend pas,
comme je l'ai cru d'abord, de la consonne initiale du sub-
stantif. Il n'y a pas non plus, ou dans une mesure très res-
treinte, des nuances individuelles. Entre les sujets A et B,
qui sont à peu près du même âge (ils ont une quarantaine
d'années), je n'ai constaté des différences que pour ci/çrbé
qu'A fait précéder de /,^^, B de lé. Le sujet C cependant, h.ls
de B, petit garçon intelligent de neuf ans à peu près, qui est
plus fortement influencé par le piémontais qu'A, et B et qui
représente la génération à venir, m'a donné invariablement
des pluriels avec lé (lé féé, lé femné, lé ffyé ^ le djaliné, lé
djèrhé, etc.), à l'exception d'un seul : lés tchaouifé, le seul
aussi dans lequel il n'ait pas remplacé l'ancien i>- par 1'^
moderne. Il semble du reste que Vs, dans la conscience de
celui qui parle, n'appartienne plus à l'article, mais bien au
substantif, puisqu'on dit doiids fenine, n Ironp dp~ vatch^
' y à la place de Jy sous l'influence du piémontais. Même fait à Sam-
peyre ; Becetto, hameau de Sampeyre. dit encore ly. — -à, paria
phonétique dont on a honte, disparaît partout dans nos vallées. —
•' A a la particularité individuelle de chuchoter quelquefois ou de ne
pas prononcer du tout les voyelles finales a et f. — B: nu partîxa ihi
vatché.
L'S FINAL LIBRE DANS LES PATOIS DU PIEMONT 73
,un troupeau de vaches', ;/ troiipàl d9:^^ fée , un troupeau
de moutons ' (mais dotié bàré , deux barres ■", lé doue roue
^ les deux roues '). Il faudrait donc écrire plutôt / 9sfh,
l psféinné, etc. Les substantifs en question rentrent par suite,
pour le pluriel, dans la nombreuse série des substantits
commençant par s impur : / dskotiéle, l dspâlé etc., et je ne
m'étonnerais pas de rencontrer un jour un singulier / 9sfêa
(la sfea), l psfémna (la sfèmna), etc. -.
Ce que nous observons à Crissolo n'est qu'un état pas-
sager que nous avons la chance de surprendre au moment
intéressant ; les réponses du petit garçon C montrent bien
dans quelle direction l'évolution va se faire. Mais il se
pourrait que l'un ou l'autre parmi les pluriels cités se
figeât dans la langue, grâce à des associations qu'il faudrait
établir dans chaque cas, comme M. Tappolet a essayé de le
taire dans son travail. En dehors de Crissolo, je n'ai observé
qu'un seul exemple rentrant dans le même ordre de faits '^ :
A Elva, on appelle lés trâpés (l éstrâpés) une espèce de
filet fixé sur deux bâtons recourbés et qui sert à porter le
foin. C'est sans doute le mot , trappes '. Je l'ai noté à
Bobbio avec la même signification : la trâpe.
Les séries homophones fortes (constituées par des mots
nombreux ou par des mots souvent employés) résistent en
général plus vigoureusement à l'invasion phonétique que les
séries homophones faibles. Mais une fois entamées, elles
succombent plus vite, les groupements associatifs jouant un
' :-; au lieu de s est probablement une erreur de transcription.
- Il y a des patois qui, ayant perdu Vs de l'article devant les sub-
vtantits commençant par une consonnne, l'ont conservée devant une
voyelle et 5 impur, par ex. le patois de Pral {!f/ d/al'fa, mais /a- dourplya,
]a:{ eypalla). D'autres, par ex. le patois d'Elva, sont en train de remplacer
les formes avec s devant s impur par les formes antéconsonantiques
normales (le), de sorte qu'on trouve côte à côte lé:^ èspTyés et Je spTyés
^ les épis ' (sing. / dspjyo et h spjyo), U\ cstoiihiés et le stoi/biés ^ les
éteules ' (sing. / pstoitbid), etc. Ce serait une autre base pour arriver
à ?sft~a (sfëa), à savoir par un pluriel refait Je-{ dsjee. 11 n'est donc pas
nécessaire de supposer le singulier intermédiaire Vesteuaille construit
par M. Tappolet, Festschrift -iiiii 14. NeiiphUoJogenta^e in Zurich içio,
p. 161, n. 2, pour arriver à les esteiiailles.
^ Il est fort probable que des recherches dirigées dans ce sens feraient
trouver d'autres exemples. Cf. plus haut p. 64, à Elva : doue firmes
et doit es frthuês.
74 K. JABERG
rôle plus considérable. Dans les séries faibles, l'invasion
se fait plutôt individuellement.
Le tableau VI mérite sous ce rapport un examen particu-
lièrement attentif. Pour la France, la situation est claire et
simple: les patois franco-provençaux plus le point 971
(Monêtier-les-Bains, dans la vallée de la Guisane, débou-
chant à Briançon dans la vallée de la Durance) perdent ïs;
les patois provençaux (à l'exception de 971) le gardent.
Pas de complications non plus pour les patois piémontais :
ils gardent tous l'.s-. Il n'y a d'hésitation que dans la zone
intermédiaire : La partie supérieure de la vallée d'Aoste
marche avec la France, la partie inférieure avec le piémon-
tais; le point 987 (Ayas) hésite. La vallée de l'Orco, la
Val Soana et les vallées de Lanzo s'accordent, au moins
devant une pause, avec le piémontais. La vallée de Suse
et les vallées vaudoises (excepté Bobi) laissent tomber 1'.^,
d'accord avec le point 971. Crissolo (vallée du Pô) hésite.
Les vallées situées au sud du Pô conservent Vs comme les
patois piémontais et les patois de France dont elles sont
flanquées. Pour la vallée d'Aoste et pour la vallée du Pô,
il ne peut pas y avoir de doute: le piémontais impose sa
phonétique aux parlers qu'il est en train de décomposer.
Est-il arrivé quelque chose de pareil dans les vallées de
l'Orco i,y compris la Val Soana) et de Lanzo? Les an-
ciennes séries y ont-elles été complètement remplacées
comme aux points 985 et 986 ? Je ne saurais l'affirmer.
Que l'on considère cependant les formes de sambucum
(dans presque toutes les vallées situées au sud de la vallée
de Suse le mot a pénétré sous la forme de samhuk) : Tra-
versella: / situibu ; Piamprato : loù sainbu ; 'Hoasca:
sambôis^ ; Ceresole : sambur ; Groscavallo : sambUs ;
Mondrone: saiiibiis : Balme'-: sambiis^. Serait-ce saiiibii
^ ii libre diphtongue en <>! est normal pour Noasca. Cf. T libre >■ ai :
fail ^ fil ', radais ^racine', varay ^ guéri ', etc., exemples à ajouter
Meycr-Liibke, Ro. Gr. I, p. 58-59. Cf. Fankhauser, Dus Patois von Val
d'Illiei, p. 28 et suiv. — - Dernière commune de la vallée d'Ala. —
■' Cf. Atl. ling , carte 1270 (sureau): 985 sannibucb : 986 saii.nhu ;
987 saiimhuchl;.
L'S final libre dans LKS patois du PIÉMONT
75
(c'est la forme canavaise) muni abusivement d'un s lors de
la réintroduction dans les exemples /«i, tnes, etc.?
Bobi, selon mes notes, possède la série complète avec s.
Mais Morosi, qui, p. 376 et suiv., traite ensemble les patois
de Bobi et de \'illar Pellice (situé entre Bobi et La Tourj,
donne au iV 105 fu à côté de mes ,mois ', pés , poids', et
sur la carte pris (1090) de l'Atlas je trouve pré, qui manque
dans mes matériaux \
Il est de toute évidence qu'à Bobi 1'^- a été réintroduit
grâce à l'influence piémontaise -, qui a agi un peu moins for-
tement sur Crissolo. Nous pouvons donc reconstruire pour
la chute de r.s- un ancien territoire qui s'étendait de la vallée
de Suse, peut-être même de la vallée d'Aoste, jusqu'à la
vallée du Pô.
L'invasion de Vs piémontais devient plus apparente quand
nous considérons les mots l'un après l'autre :
4 —
0
h
6
7
s
8
s
9
s
jaloux'
+ i i^
14
15
16
17
18
19
+
* Cf. Morosi, p. 573, no loj, pour Pramol et Saint Germain (dans
la vallée du Cluson, au-dessous de La Pérouse) : ^s riescito finale, non
sempre cade '. Donc ici aussi les résultats sont divergents.
- Cette conclusion est confirmée par le fait que Guardia piemontcse,
colonie vaudoise fondée en Calabre avant 1400 et provenant probable-
ment de la vallée du Pellice, laisse tomber IV avec une régularité par-
faite. Cf. Morosi, p. 386.
•' Une croix (-(-) indique que le mot me manque, o représente un
type lexicologiquc autre que celui indiqué par les titres des tableaux.
76
K. JABERG
peureux^
967
955
965
964
1
966
I
2
s
s
975 . —
10 s
987
986
985
13
s
s
s
0
14
15
s
0
973
971
—
3
972
4
0
982 —
II —
16
s
981
—
5
6
s
980
889
<s)
7
8
9
s
s
0
17
18
+
0
991
898
—
19
990
s
s
Cf. Atî. Ung. carte 1009.
curieux
I
s
10
+
13
14
s
2
s
15
s
3
s
16
s
4
—
1 1
—
5
6
7
8
s
+
s
s
'7
+
9
s
18
19
s
s
amoureux
I
2
10
+
13 s
14
15
s
+
3
s
16
0
4
0
1 1
s
5
6
s
0
7
8
s
s
17
+
9
s
1
18
19
.s
0
L"S FINAL LIBRE DANS LES PATOIS DU PIEMON T
77
soupçonneux isospettosoi
I
s
lO +
'3 o
2
s
3
s
4
Il o
5
-F
6
o
7
s
8
o
9
+
'4
16
18
19
967 —
955 —
965 —
964 —
973 —
971 -
9S1 —
9S0 —
889 o
966
1
2
3
972
4
5
6
7
8
9
nouveau marié (sposo)^
I 987
975
10
982
II
991
S98
o
+
986
985
13
+
+
s
14
15
16
17
' Atl
ling-
carte B 1625.
nez '■
967
955
965
964
—
966 —
1 s
2 s
975 —
10 s
987
986
985
•3
(«)
s
s
s
973
971
—
3 «
972 —
4 —
982 —
II —
981
S
5 s
6 s
980
S89
s
7 s
8 s
9 s
991
898
s
14
^5
16
ï7
+
18
s
19
990
s
+
18
s
19
s
990
s
' Atl. liiig. carte 908.
K. JABERG
fuseau ^
967
955
965
964
973
971
981
889
991
966 —
I ,
2
3
972
4
5
6
7
s'
+
s
s
s
s
+
975
1 1
982
12
987
986
+
'4
'5
16
18
19
990
+
» Cf. Ail. linz. carte B 1575. — -
Mot français fuseau
importé.
v«^
forme faussement refaite. — ^
rais'. — ■' filj^el.
m 0 i s ^
967
—
987 .s
955
2
966 s
975
s
986 s
965
985 s
964
t --
10
+
13 +
H
15
+
+
973
3 +
971
972 —
4 —
982
z
16
s
981
.S
5 «
6 —
980
S
7 •**
17
s
889
s
8 .s
9 "^
18
.s
99]
s
19
s
898
s
990
s
' Cf Atl. ling. carte 868. — - Forme française : iiiouâ.
riz
10
+
13
14
16
I»
19
+
S
I. s 1 IX.M. LIRRK DANS LHS PATOIS 1)L PIHMOXT 79
Parmi les adjectifs en -osuni, jaloux et peuieux'
correspondent exactement aux conditions que nous avons
établies p. 70. Curieux, pour lequel la forme de Crissolo
me manque, n'y contredit pas. Amoureux itvpe (û)inoroso)
se présente avec un .< irrégulier à Pra ; c'est dans les patois
tranco-provençaux et provençaux un mot tout récent. A
Piamprato et même à La Pérouse, on me le signale comme
tel. Pral, Crissolo et Limone ne connaissent que kaliuyairc:
La Pérouse, Pra, Bobi, Sampevre, Hlva ont kitliiiynirc et
iiiiionroiis : mais dans plusieurs endroits knliiiynire vieillit ou
devient ironique. Sospettoso est, lui aussi, un mot im-
porté d'hier; si nous le trouvons sans .v à Pral (suspc^loijjy
c'est que ce patois a une force d'assimilation considérable.
Du reste, les adjectifs en -osum forment une famille qui
résiste mieux qu'un mot isolé. Peut être époux doit-il à
cette tamille l'intégrité de sa forme phonétique, iitis avec .■>
a pénétré à Crissolo, fus au point 072 (Oulx) et à Cris-
solo, nu's a envahi toute la vallée d'Aoste. ris ne se trahit
comme intrus qu'à Pra et à Crissolo'-.
Qu'on se rende bien compte de ce qui se passe dans les
Willées vaudoises et dans la vallée du Pô : la série des mots
qui ont perdu Vs final secondaire est en train d'être détruite
par les mots à finale piémontaise, qui s'infiltrent un à un.
Klle est intacte à Pral, à peine effleurée à Pra, fortement
entamée à Crissolo, complètement renversée à Bobi. Nous
nous trouvons en présence d'une expansion lexicologique
qui finira par être une expansion phonétique. Ai-je besoin
de dire combien est fausse la ^ loi phonétique " qui dit qu'.v
final libre secondaire s'est conservé à Bobi ?
On est convenu de considérer la régression linguistique '
comme un tait anormal; rien n'est plus normal, au contraire;
ce n'est qu'un cas particulier de l'expansion linguistique, et
on ne peut se lasser de répéter que celle-ci est une condi-
tion essentielle de l'évolution du langage. K. Iahi lu;.
' [.'.-///as ne donne qiio coliii-ci. — - .-^ Bobi, mon sujet, que j".\i
questionné en iVanç.iis, m'a probablement donné le mot tVanç.iis. —
•' Voir les exemples particulièrement Irappants étudiés par M. Gilliéron
dans les MiiOi^fs phoricliijiws (Rev. de pliil. (r. XXI. 118-149) et par
M. Gauchat dans la Fts/sibrift -;/»;; i^. Nt'iiphilo]og<'»t(iS'i' i» Zurich 19 10.
p. î5)-36o.
TABLE DES MATIERES
— i—
Pages.
L. Gauchat. La trilogie de la vie. Articles-spécimens du
Glossaire romand. II. Fiançailles et mariage (suite) . 3
E. Tappolet. Le regain et la pâture d automne dans les
patois romands. Articles-spécimens du Glossaire ro-
mand 17
J. Reichlen. Deux chansons populaires fribourgeoises . . 38
L. Gauchat. Les noms des vents dans la Suisse romande
(suite) III. ruylyo ; IV. vaudaire 44
K. Jaberg. Notes sur \'s final libre dans les patois franco-
provençaux et provençaux du Piémont 49
IMPRIMERIES RÉUNIES S. A. LAUSANNE.
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire,
ONZIÈME AXXEE
1912
ZURICH
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hofackerstrasse 44
LES NOMS DES POISSONS
DU LAC LÉMAN
-*-
En 1814, le Conservateur Suisse contenait sous le titre de
Mélanges ichthyologiques un petit article qui faisait connaître
non seulement les espèces, mais aussi les noms patois des
poissons vivant dans le lac Le'man. L'auteur en e'tait le
doyen Bridel. Avec une conception scientifique qu'on peut
appeler moderne, il considérait l'étude des légendes, des tradi-
tions et même des patois comme indispensable à un histo-
rien ; c'étaient pour lui des symboles de vie passée qui ne
pouvaient manquer d'inspirer un vif intérêt à un homme qui,
comme Bridel, aimait à prêter l'oreille aux échos lointains de
la pensée et de la parole de ses ancêtres. Cette large concep-
tion des recherches linguistiques mises au service de l'histoire
de la pensée et de la civilisation humaines, telle que cherchait
à la réaliser l'auteur du Glossaire du patois de la Suisse ro-
mande, a été proclamée et mise à la base de son enseignement
durant plus de quarante ans par son arrière-neveu, ^L Schu-
chardt.
Depuis la publication de son œuvre fondamentale sur le
Vocalisme du latin vulgaire, où, à l'aide de formes patiem-
ment recueillies dans les gloses, les textes et les inscriptions
du bas-latin, il était remonté aux origines des langues romanes,
une série de recherches des plus ingénieuses et des plus solides
ont ouvert à l'enquête linguistique un champ immense, où il a
tracé lui-même des sillons ineffaçables. Nous ne saurions passer
en revue les nombreux et brillants travaux qui ont suscité l'ad-
miration profonde de tous ceux qui croient avec lui que la
recherche scientifique ne consiste pas à appliquer de vieilles
méthodes avec une routine même parfaite, mais à renouveler
4 J- JUD
et à perfectionner constamment les outils dont nous disposons
pour nous rapprocher lentement de la vérité relative.
Il y a cinq ans, à l'occasion de la publication d'une étude
riche en idées heureuses et en résultats nouveaux de M. An-
toine Thomas, publiée dans le tome XXXV de la Remania,
M. Schuchardt a consacré un mémoire étendu aux noms de
poissons qu'un lexicographe obscur du \^ siècle, Polemius
Silvius, a enregistrés dans ses Nomina cunctorum spirantiiiin
atqiic quadrupeduni. Reprenant pour ainsi dire le brouillon
ichthyologique qu'avait laissé son ancêtre Bridel, il a discuté
l'origine d'un certain nombre de noms des poissons de la
Suisse {Z-f- rom. Phil. XXX, 7 1 2). Quand le rédacteur en chef
du Glossaire des patois de la Suisse roma?ide nous fit con-
naître son projet d'offrir à M. Schuchardt, à l'occasion du
soixante-dixième anniversaire de sa naissance, un petit hom-
mage de la part des romanistes suisses, je m'avisai de reprendre
l'examen de quelques problèmes dont il avait déjà trouvé ou
pressenti la solution dans le travail que je viens de rappeler.
Si je réussis à éclairer quelque peu un coin obscur du vocabu-
laire de nos patois romands, j'en serai en quelque sorte rede-
vable à mes maîtres. Car, en guidant mes premiers pas vers les
études romanes, ils n'ont cessé d'insister sur l'importance capi-
tale qu'il y a à rechercher, comme M. Schuchardt nous a appris
à le faire, la philosophie profonde cachée dans tous les faits
du langage.
* *
La Suisse, située au centre de l'Europe, offre par la richesse
de ses eaux une variété d'espèces de poissons qui mérite
bien l'attention particulière du naturaliste et du linguiste.
M. Fatio ^ a consacré une étude magistrale aux poissons vivant
dans les eaux suisses: ce serait maintenant au linguiste à en
fournir le complément, en discutant l'histoire et l'origine des
noms de ces animaux. Ils soulèvent bien des problèmes
' V. Fatio, Faune des vertébrés de la Suisse, vol. I\', V: Histoire natu-
relle des poissons. Genève et Bàle, 1882, 1890.
LES XOMS DES POISSONS DU LAC LEMAN 5
compliqués et en partie insolubles. Le but que nous nous pro-
posons est bien plus modeste : nous nous bornons à présenter
les résultats de recherches confinées à l'onomasiologie des
poissons du Léman, tout en insistant sur les rapports étroits qui
existent entre les termes alavians et romands, qui remontent
souvent à la même base préromane.
'L.z. faune ichthyologique du lac Léman n'est pas très variée.
En la comparant à celle des bassins et des rivières avoisinants,
j\L Forel, dans sa belle monographie du lac Léman \ constate
l'absence de toute une série de poissons existant dans les
affluents ou les lacs du bassin du Rhin en amont de Bâle, et
dans le Rhône en aval de la Perte de Bellegarde. Des vingt-
cinq espèces que le Léman nourrit à présent, six sont d'impor-
tation artificielle ou accidentelle, dont nous pouvons facilement
refaire l'histoire ; ce sont : la perche-soleil, le poisson doré de la
Chine, la grande marcfie, le 7k.'hite-Jîsh, le saumon et \ anguille.
Restent dix-neuf espèces, que nous divisons en trois groupes:
1. espèces d'immigration par voie fluviale dans les
temps historiques : la lotte (probablement dès la fin du 17^ siècle)
et peut-être la carpe.
2. espèces fluviatiles indigènes à l'état erratique dans
le lac: le chabot, le gouJon,\Q spirlin,\t vairon, \ii loche, Vombre
(6 espèces).
3. espèces lacustres indigènes, dont l'existence dans le
lac doit être en tout cas très ancienne .• la perche, la tanche.
Vablette, le rotengle, le gardon, la chevaine, la fera, la gra-
venche, Y omble-chevalier . la truite, le brochet- (11 espèces).
' F. -A. Forel, Le Léman. Monographie liiimoîojique, t. III. Lausanne,
1904.
- Forel III, 79, 345 ss. Voici une bibliographie sommaire pour
guider le lecteur peu iamilier avec le sujet :
Asper = G. Aspur, Les poissons de la Suisse et la piscicidture. Lausanne,
1891.
Bruchet = M. Bruchet, Le Château de Ripaille. Annecy, 1907.
Fatio = V. Fatio, op. cit.
Forel =: F.-A. Forel, op. cit.
Klunzinger = Die Bodenseefische. Stuttgart, 1892.
/(/. =r SchiceiT^crdeutsches Idiot ikon.
6 J. JUD
Nous commençons donc par l'examen des noms de la lotte
et de la carpe.
La lotte, Iota vulgaris, dont l'existence dans notre lac est
due à une immigration ^ spontanée vers la fin du 17^ siècle, par
le canal d'Entreroches ou par le Nozon, affluents du lac de
Neuchâtel, possède deux noms dans nos patois :
I. Iota (Vaud, Frib., Genève, Neuch.), Sav. /i?/« (Const. et
Dés.), qui existe concurremment avec d'autres noms dans une
grande partie de la France'. Le mot, d'origine incertaine,
Liebenau = Th. v. Liebenau, Geschichle der Fischerei in der Schu'et:^,
Berne, 1897.
Rolland = E. Rolland, Faune populaire, t. III, XI. Paris 1881, 1910.
Schw. F. Zig. = Schwei'{eiische Fischerei^eitmig. Zurich.
Qu'il nous soit permis de remercier ici tous ceux qui nous ont aidé
à accompHr ce modeste travail : M. Gauchat, qui a bien voulu mettre à
ma disposition les riches matériaux du Glossaire romand, M. Melcher,
directeur du vocabulaire rétoroman des Grisons, qui m'a fourni la
nomenclature des poissons du domaine qu'il explore avec tant d'amour
et de succès ; M. Heuscher, professeur à l'Ecole polytechnique, qui m'a
signalé des travaux concernant l'histoire de la pêche en Suisse ;
M. Friedli, qui, séjournant à Anet (Berne), s'est rendu expressément à
Sugiez (Fribourg) pour y relever les noms des poissons ; MM. Luchs-
inger (Saint-Gall), Kaufmann (Zurich) et Nàgeli (Ermatingen) qui ont
bien voulu s'informer auprès des pêcheurs sur la prononciation des
noms de poissons de quelques lacs de la Suisse allemande. Nous devons
une mention spéciale de reconnaissance à M. Fankhauser, qui, au
moment où l'auteur de cette étude était empêché de s'absenter, s'offrit
à interroger les pêcheurs des bords des lacs de Neuchâtel, de Morat et
de Bienne. Cette enquête personnelle, exécutée avec tout le soin dont
M. F. est coutumier, eut pour résultat d'éclaircir divers points obscurs
de la terminologie des corégones de la Suisse romande.
' Forel 326, 347.
- Rolland, III, 108 ; XI, 211. Bridel ofire encore un autre nom de
la lotte : barhotla, o gobius lotta. viotaila est plus usité », que les patois
actuels ne semblent plus connaître ; v. aussi Schw. F. Ztg. II, Beilage,
nos I j_ 22, p. 104. Dans le registre des dépenses pour la table des sei-
gneurs de Ripaille, on lit à la date du 8 déc. 1391 (p. 316) : Item, 20
gross. lutus, 80 bechetis, una truytia emptis... a Petro Coster, adicto Fichi-
porci, de Burgeto, piscatoribus , où hitns (ace. plur.) est identifié par l'édi-
teur avec la /o//^ vivant aussi dans le lac du Bourget. — Pour l'origine du
mot, V. encore Schuchardt, Beiheft VI de la Z. f. roni. Phil., p. 26.
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LtMAX 7
semble être attesté dans la glose latine : squilla genus piscis est
optiini et delicati, quevi lulgo vocamus iotam.quQ M. Wessner.
Arch.f. lat. Lex. XIII. 379, propose de reconstituer en lotam.
II. Vaud. motaila Brideli, motaila iChenit), motàla (Val-
lorbe), frib. modcila (Portalban), mote'la > Sugiez, Fankh.). C'est
le lat. raustela e belette », qui continue à vivre dans les patois
de TEst et du Midi de la France ^ Les pécheurs sont unanimes
à déplorer l'appétit féroce - de ce poisson carnassier, qui.
guettant sa proie comme une belette, est toujours prêt à fondre
sur Tobjet de sa convoitise et cause des ravages considérables
parmi les chabots, les jeunes truites et les jeunes feras et bon-
delles de nos eaux suisses*. Il est cependant curieux de cons-
tater que, selon Rolland III, 137; XI, 155. 212. 220, mustela
ne désigne pas dans les patois français la lotte, mais surtout des
variétés de l'espèce cobitis (la loche frmiché) : en effet, Conrad
Gessner *, qui a été professeur à l'Académie de Lausanne, de
* Voir Atlas linguist., carte belette, anc. fr. moustoile (God.), anc. prov.
mostela (Levy), sans relever les nombreuses formes dialectales recueil-
lies dans les dictionnaires. — Le lexique latin nous offre déjà mustela
pour désigner un certain poisson, sans que les gloses nous renseignent
esaaement sur l'espèce dont il s'agit (v. Corp. gloss. lat. III, 89, 16 :
mustela : jj-aroç) ; déjà Pline, Hist. tiaturalis, livre IX, c. 29, vante la
délicatesse du foie de la mustela du lac de Constance : proxuma est viev.sa
jecori dumtaxat mustelarum , quas {mirum dictu) inter Alpis quoque lacus
Rljaetia Brigantinus œmulas marinis geiierat. Et l'auteur du beau poème
qu'est la Mosella nous dépeint notre poisson (mustela) de la manière
suivante :
quis te nalurae pinxit color ! atra supei ne
puncta notant tergum. qua lutea circuit, iris
luhrica caeruleus perducit tergora fucus :
corporis ad médium fartim pinguescit, at illinc
usque sub extremam squalet cutis arida caudam.
Ausone, Mosella, v. 110 ss. Mon. Germ. hist. Auct. antiqu. V, 89.
- C'est pour cette raison, sans doute, qu'on donne à la lotte au
Lauraguais (Gascogne) les noms de loup, gendarmo (Rolland III, 109).
* Mais c'est peut-être aussi la coloration du poisson, en dessus grise,
fauve avec des taches irrégulières, qui lui a valu son nom ; cf. viotellâ
«tacheté», W'issler, Volksfran:;osisch, 82.
* Burgundi et alii minimum etiam pisciculum jitiviatilevi (quem supra
8 J. JUD
1537 à 1540, cite comme nom de la loche le nom niotdla, qui,
dans ce sens, est resté vivace sur les bords du Léman.
Rien n'empêche donc de supposer qu'avec l'immigration
relativement récente de la lotte dans le bassin du Léman, le
nom de mustela, qui désignait la loche chez nous, comme dans
tout le reste de la France, a passé à la lotte'^ à une époque qui
reste encore à déterminer ".
La carpe, cyprinus carpio, offre en français, comme dans
les patois romands, des formes où manque la palatalisation de
descripsimns inter gohios, Cobitidis harhatuh nomine,fundu}!im aliqui viilgo
vocilant, Germanicl noviinis imitatione, inuslelam appellant, nec imme-
rilo aliquis mustelam minimam nominarit. De hac, vir quidam literatus
Lematti laciis accola, his verhis nitper ad me scripsit : motella {sic vulgus
projert pro mustelà) dictiis pisciculus, magnitudine fere piscis chassot {id
est gobii capitati) cinerei est coloris et stellis insiguis, in deliciis maxime, et
propter caritateni a divitihus tantum delicatulis emitiir. (Historia anima-
lium, IV, p. 714. Tiguri (1568). v. Forel 333.
* Le passage des noms de poisson d'une espèce à l'autre représente
un phénomène fréquent dans l'onomastique ichthyologique : la lotte
« Iota vulgaris n désigne la loche « cobitis barbatula » dans la Vienne et à
l'embouchure delà Mayenne (Rolland III, 137), tandis que la loche
(( cobitis barbatula » serait le nom de la lotte dans les lacs jurassiens
(Rolland III, 109). Pour d'autres exemples, v. Schuchardt, Z. f. roin.
Phil. XXXI. 641.
- La jeune lotte porte dans les patois alamans les noms de Schlàngli,
Id. IV, 472, Moserli, Id. IV, 472, Wellfisch, Id. I, 1105; le poisson
adulte a reçu le non: de Oiiappe, Fatio 469, sur les bords du lac de
Constance, tandis que les autres dialectes de la Suisse l'appellent
Trische, Treusch, Triische, Trischeln, Treische, Schwar:(trische (Fatio V,
469, et V. la monographie sur la lotte (« Trùsche ») dans Schw. F. Ztg.
I.Beilage 2 zu no 10, no 1 3 zu n» 22). A Gléresse (lac de Bienne) : trish
(Fankh.). Ce dernier mot doit évidemment remonter à la même base
que trinscia (Fatio V, 469) du lac Majeur, et slrini, strinzàl, « pesce
del génère dei ghiozzi, ma più piccolo ; ghiozzo ancora giovane n du
lac de Côme (Monti, Cherubini) : la forme Triïsche s'expliquera par la
vocalisation de Vn devant s, qui est un phénomène particulier à un
grand nombre de nos patois alamans. Mais il est curieux de constater
l'existence d'une forme trisca dès le onzième siècle, dans une liste de
poissons qu'Ekkehard IV établit pour le monastère de Saint-Gall
(Liebenau, 39-40). — Il m'est impossible d'aborder ici l'examen des
autres noms tessinois de la lotte.
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LEMAN 9
r" {carpe, carpa ' au lieu de charpe, tsarpa) : le mot n'appar-
tient guère au vieux fonds du vocabulaire gallo-roman. Le
résultat de l'examen phonétique est donc en parfait accord
avec l'hypothèse des naturalistes, qui admettent la migration
du poisson {et de son nom) partant d'un centre d'irradiation
oriental inconnu: nous ignorons à quelle langue il faut attribuer
le mot carpa, qui se retrouve aussi bien dans les langues ger-
maniques que dans celles du groupe slave ''.
Restent û/ize espèces lacustres indigènes, ou dont l'introduc-
tion par immigration ou par importation doit être en tout cas
très ancienne : la. perc/ie, la tanche, V ablette, le rotengle, le
gardon, la chevaine, Xdi/éra, la gravenche, V omble-chevalier, la
triiite,\Q brochet, et six espèces Jluviaiiles\nà\gtne%,ç[\.n arrivent
plus ou moins souvent jusque dans les eaux du lac : le chabot,
le goujon, le spirlin, le vairon, la loche, \ ombre.
Passons d'abord à l'examen des noms du dernier groupe,
que les naturalistes rangent parmi les espèces erratiques.
Le chabot, cottus gobio, vaud. tsaso (VuUiens, Penthalaz,
Bière, Oron, Montherond), -cho (Château-d'Œx), genev. sélh
(Aire-la-Ville), frib. tsacho (Gruyères), chatso (Lessoc), tsaso
(Romont, ^Montbovon, Sales). Nous lisons dans la carte du
syndic Jean du Villard, de Genève, en 1581: Le chassot est
en sa saison au mois de Febvrier (Forel 331); Bridel offre:
' A Sugiez (lac de Morat), M. Fankh. a noté la forme kârfo masc,
qui a subi l'influence de l'allemand àdr kàrpf, masc. (Douanne).
- Cf. Thésaurus L. lat., s. cai-pa, Thomas, Rom. XXXVI, 95, Meyer-
Lùbke, Et. Wtb. s. carpa; Schrader, ReaIlexikoii,s. Karpfeii, qui suppose
à tort l'existence de débris de la carpe dans les palafittes de Moossee-
dorf (près de Berne) et de Robenhausen (Zurich), cf. Forel 61. Le
premier témoignage de carpa dans les patois romands nous est con-
servé dans la liste de vente, rédigée en latin, des poissons de Ville-
neuve, de 1376: carpe [génitif] (Forel 3_?4). Peu après, les comptes
de dépenses du château de Ripaille mentionnent : ^o corpes, que l'édi-
teur, M. Bruchet, propose de lire: carpes (p. 315, a. 1381 et Gloss.).
Le Glossaire offre corpa « carpe » aussi pour le patois du Vully (Frib.).
— Les patois allemands onx hirpfen (<; karpo -on masc, /i. 111, 477),
et càrpan (Monti), mil. carpen (Clierubini) sont usités sur les bords
des lacs italiens au pied des Alpes centrales, v. aussi Rolland III, 1.48.
lO J. JUD
/sûssOi, tschasso, sctzot, séchot, séchau «chabot»' (353,388),
avec le dérivé tsassota « aller à la pêche des chabots avec un
filet appelé chassoticre » (Genève). La tête massive, large et
déprimée qui caractérise le poisson explique aisément les noms
de grosse tête à Metz, tête d'âne, tltard dans diverses provinces
françaises (v. Rolland III, 174) et de même le chabot de la langue
littéraire, lequel, d'origine méridionale, semble avoir remplacé
un plus ancien c/ievot, dérivé de caput". Pour refaire l'histoire
du mot romand, il ne faudra peut-être pas oublier le fait que le
même poisson porte le nom de scazzun dans levai de Poschiavo
et que le même vocable se retrouve sur les bords du lac de
Côme sous la forme de scazon « sorta di pesce del génère dei
ghiozzi, cottus gobio » (Monti). Je ne saurais reconnaître
d'autre étymologie possible pour les formes lohibardes que
celle qui prendrait comme point de départ le substantif corn,
scazon « cazzuola », caza «creuset» (Monti), tosc. cazzuola
(< cyathiu). En effet, le toscan cazzuola sert à désigner aussi
«la larve de la grenouille», caractérisée par sa grosse tête' et
' Ces formes de la rive droite du Léman semblent être en désaccord
avec celles de la Savoie : sassà s. m. (( chabot » et sassolâ « fouiller les
pierres ou la vase pour en faire sortir les sassà » : Les premières remon-
tent à un c^ initial, les dernières à s». Les formes genevoises séchot,
sel:^ot et le verbe séchoter « prendre des s. », relevées par Bridel et
Humbert, et saçl^o (Const. et Dés.), représentent peut-être une étape
intermédiaire entre le vaud. tsaso et sav. sassà : est-il permis de pos-
tuler une métathèse consonantique entre ts-s '^ s -ts (conservée dans
le fr. popul. de Genève sous la forme : séchot, cf. la forme de Lessoc,
citée ci-dessus) et l'assimilation postérieure de Vs intérieure à 1'^ ini-
tiale ? Ce qui me frappe, c'est que la forme sassol se retrouve, d'après
FatioIV, 107, dans le français local de Neuchâtel; faudra-t-il admettre
encore ici la même évolution phonétique que pour la forme savoyarde,
tandis que Razoumowski dans son Histolie naturelle du Jorat I, 126,
1789, prétend que chassot est le nom du poisson le long du lac de
Neuchâtel ? Comment interpréter d'autre part cliassu (Bourget) « chas-
seur, poisson de la Leysse, servant d'amorce-) (Const. et Dés.)? Est-ce
le inême poisson que le sassà ?
- Dict. gên. s. v., P. Barbier fils, Rev. de pbil. Jrç. XX. m.
^ Le mot tëlard désigne aussi le chabot, v. Rolland III, 174. et l'un
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LEMAN II
son menu corps. Or, la larve de la grenouille est connue en
français sous le nom de têtard, qui, comme nous venons de
voir, est précise'ment l'un des noms provinciaux du chabot ;
scazzon aurait servi à désigner le chabot pour les mêmes rai-
sons que rit. cazziiola a été appliqué à la larve de la grenouille
en Toscane ^ Mais il subsiste de sérieuses difficultés que jj
m'empresse de signaler.
Si, dans l'Italie septentrionale, la base cyathiu- jouit d'une
grande vitalité jusque dans les dialectes modernes, il faut dire
que, pour la Suisse romande et la Savoie, Bridel et Constantin-
Désormaux se bornent à enregistrer le seul cassa (sav. cassa,
café) « poêlon, vase de cuivre étamé, grande cuiller de métal
pour puiser l'eau dans les seilles de cuisine, poêle à frire », qui,
par l'absence de la palatalisation c" (> ts), se révèle plutôt
comme un emprunt fait au vocabulaire piémontais ou pro-
vençal (cf. aussi frç. casse, Dict. gén. s. v.). Pour maintenir
des noms savoyards du chabot est têtu ou tctari (Fatio IV 107. Const.
et Dés. s. v.). A Yverdon, on appellerait le chabot : tHi à maillot
(Humbert, s. séchot),a Neuchâtel : tète à maillocJje (Jeanjaquet), dont
l'explication est donnée par l'ex'istence de malyé « têtard » dans les
patois vaudois.
* Le têtard est souvent comparé à la truelle ou à la cuiller : gallic.
ciilleres «têtard» (Pifiol), valais, culyerèta «têtard» (= « cuillerette »),
v. Atlas, littguist. c. têtard, Vallée de Non (Tyrol) kjâèole « têtard »,
v. Ettmayer, Zeitschr. f. roin. Phil. XXXIII, 602, qui doit être rapproché
de ca^a. Au milieu des noms des reptiles du Laterculus, cités plus
haut, nous rencontrons aussi le nom de popia {Rom. XXXV, 167),
qui s'est conservé, à mon avis, dans le s^lv. poche « têtard de grenouille »
(Const. et Dés.), Jura bernois potchat, identique sans doute avec poche
« cuiller à potage » (v. Cornu, Rom. XXXII, 126). Pour d'autres
exemples, v. maintenant Rolland XI, 122.
^ Pour la famille de cyathiu, dans l'Italie supérieure: v. anc. lomh.
caça « tazza, ramajuolo », caço « catinello », Salvioni, Arch.glotl. it. XII,
593 ; XIV, 206; anc. gén. cassola, Parodi, Arch. glott. it. XV, 55 ; anc.
tess. ca^olo « mestolo », Sa.\v\oni, BoUett.stortco délia Bviz^. ital. XIX, 149,
sans parler des formes modernes ; v. aussi Lorck, Altbergam. Sprach-
denhn. 191 ; dans les patois méridionaux, v. anc. prov. cassa « poêlon,
grande cuiller » -ola (Levy) ; en outre : cassa dans Mistral et Atlas lin-
guist., c. cuiller.
12 J. JUD
l'étymologie que nous venons de proposer, il serait donc
nécessaire de supposer l'existence d'un plus ancien isase^
(< cyathia), qui aurait cédé sa place à un intrus postérieur
casse; mais les matériaux dont je dispose ne me permettent pas
de donner un appui solide à cette hypothèse -.
Je n'ai que peu de chose à dire sur le goujon, gobio fluvia-
tilis. Le latin (gobius) gobione, d'origine grecque (zwpioç),
a triomphé dans la Suisse romande ^ comme dans tout le
reste de la France* sous la forme godzon. Déjà le syndic
' Cerlogne connaît pour le Val d'Aoste la forme ti,as « cuve pour
cuire la vendange ».
" Les patois de la Suisse allemande offrent Groppe, qui réunit aussi
les deux sens de « cottus gobio » et de « têtard », v. Id. II, 788 ; les
parlers ladins des Grisons, selon Fatio IV, 107, désignent le même
poisson par rambo^, ramhottel (le dernier est aussi enregistré par
Pallioppi sous la forme du bas engad. rambot, v. encore Carigiet s. v.
M. Melcher m'informe que lambàt est vivant dans le surselv. et le
bas engad., tandis que les dialectes sousselv. (Andeer, Obervaz, Lenz,
Filisur), offrent rambàllel, ruinbôttel; le second élément du mot — le
premier est rana, cf. posch. ranabôttol « girino » (Monti) — ne doit
pas être séparé du com. bmtt, bôttrisit (Fatio IV, 107 et Cherubini,
s. bottrisa) «goujon». Le même radical sert aussi à désigner le têtard
de la grenouille, d. mil. bottaranna agirino, cazzuola », Sainéan, Z. f.
rom. Phil., Beiheft. X, 118, 125, 126, 132, Lorck, op. cit. 216, vaud.
bô, bot «grenouille de la plus petite espèce » (v. Bridel, Rolland III, 46,
67, XI, 88, 122, Const. et Dés. s. bà, Atl. ling., c. crapaud, têtard) et
surtout Schuchardt, Zeitschr. f. rom. Phil. XV, 104.
•' Bridel connaît encore un autre nom du goujon sur les bords du
lac Léman : veiron, vouairon, mais il est probable qu'il s'agit ici d'une
confusion entre le goujon et le vairon (phoxinus Isevis). Enfin Const. et
Dés. relèvent : bhtjbon «goujon » (Annecy), dont j'ignore l'étymologie
(mais cf. blaviê •> sparus alcedo », Rolland III, 171, M. P. Barbier fils.
Rei'. des l. rom. LI, 388, et Fatio IV, 606, qui offre pour le squalius
agassizii le nom de blavin à côté de celui de blageon pour la Savoie).
^ Cf Rolland III, 146; Horning, Z. f. rom. Phil. XXI, 45 5;
A. Thomas, Mélanges, 51, et Rom. XXXV, 189; Pieri, Arch. glotl. it.
XV, 213, et Studi romanzi IV, 168 n. — Parmi les noms de la Suisse
allemande [Kressling, Id. III, 852, Grundeli II, 776, Ammel, I, 217), il
y en a un seul qui soit d'origine romane: gûtsche, dont Vld. II, 566
n'indique pas la répartition géographique (à Douanne, lac de Bienne :
gi'is, à Gléresse : giïtsch). — Le poisson fait défaut dans les eaux du
canton du Tessin.
LES KOMS DES POISSONS DU LAC LEMAX 13
du Villard nous donne à la fin du 16"^ siècle le plus ancien
exemple du mot légèrement francisé : gogeon (Forel 332).
Comme le goujon, le spii'lin, spirlinus bipunctatus, ne fait
nulle part l'objet d'une pêche spéciale: il sert surtout d'amorce
aux pêcheurs à la ligne.
Selon Fatio IV, 393 et Forel 62, le poisson porte sur la
côte vaudoise le nom de baroc/ie, sur les bords du lac de Neu-
châtel celui de barre; Bridel enregistre: borotha, borotsa^
« cyprinus bipunctatus», dont je n'ai réussi ni à retracer l'his-
toire ni à retrouver l'étymologie. Un autre nom aussi attesté
par les patois actuels, est plyatc, plate (Vaud), pyaton, pyètoji
(Frib.). Il est vrai qu'il désigne fréquemment aussi le l'otengle,
scardinus erythrophthalmus, qui, sur la côte savoisienne du
Léman, s'appelle : plate, platelle et à Vevey plateron. Pour
les mêmes raisons, il m'est impossible de dire si pllatta s. f.,
pllattet,pllatton,pllatziron « cyprin, soit palée, sorte de poisson
du Léman» (Bridel) s'applique plutôt au spirlin qu'au rotengle.
M. Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 725, a consacré à ce
groupe de mots une page nourrie d'idées et de faits, à laquelle
je ne saurais ajouter rien d'essentiel "-.
Tout enfant habitant les bords de nos rivières connaît les
compagnies de petits vérons aventureux et entreprenants,
qu'on est bien étonné de retrouver jusque dans les petits lacs
de nos Alpes neigeuses. L'imagination populaire s'est beaucoup
' L'idée de chercher dans horotsa un dérivé de honi « canard » se
heurte à la difficulté de la forme neuchâteloise {barre) qui postule plutôt
l'existenee d'un a protonique dans la base du mot.
- Cf. aussi une note de M. P. Barbier fi!s, Rev. des. l. rom. LXVI,
179, et Rolland XI, 208, 210. — Les noms du spirlin des patois ala-
mans semblent être d'origine germanique : Bainbeli, Bâmmell (Id. IV,
12)7, v. p. 15), Schneider (Fatio IV, 395), Bringîi (Fatio IV, 393, que je
ne retrouve pas dans VId.), Alantblecke (Id. I, 171), Latigeh, qui désigne
aussi l'ablette {Id. III, 1172), Bachbnmbeli {YV , 1260), Àrtieli (I, 498),
BUugge (V, 121), IVeissfiscb (Fatio IV, 393). Il est difficile de se pro-
noncer sur hcberUphtte, attesté pour les lacs de Thoune et de Lucerne
(Jd. I, 547, Fatio IV, 393) ; on serait tenté de reconnaître dans le
second élément la même base que dans pyaloii, pyatè de la Suisse ro-
mande.
14 J. JUD
occupée de ce petit être curieux qui réjouit l'œil de l'observa-
teur par sa coloration variable selon la saison et l'âge.
Le phoxinus laevis est appelé dans nos patois romands :
1. vairon (Vaud., Neuch.), viron, véron (Jura bernois). Ce
sont les couleurs changeantes, variables qui ont frappé l'imagi-
nation. C'est le latin *varione (dérivé de varius)^^oxi\. l'exis-
tence semble être assurée par la grande diffusion géographique
à travers l'Italie et la France ^
2. valais, grisetta (Bridel), grisette (Fatio IV, 640).
3. neuch. blavin, dérivé de * blau « bleu » \^bllu, bliau, blavet
«bluet» (Bridel)] ^
4. petit saumon, terme qui ne doit pas être très populaire,
puisque le mot saumon est d'origine toute récente dans la Suisse
française.
5. vouardon (Bridel). C'est le frç. gardon, qui est toutefois le
nom d'une autre espèce de poisson : le leuciscus erythro-
phthalmus, très petit, comme le vairon *.
6. lehette (Rolland III, 140 et Fatio IV, 639), sur la côte sa-
voisienne, d'origine obscure ■•.
7. gremoillon, gremohllon (Bridel). Le même radical, muni
d'un autre suffixe: gremelhetta (Bridel), sert à désigner la loche
franche (cobitis barbatula) et le lézard gris (lacerta agilis).
'La. gremelhetta « lézard gris » est vivante dans les patois franco-
provençaux aussi bien que dans les dialectes méridionaux de
la Provence : lagr amusa, lagratnuso, lagratnué, lagromué, qui
remontent à lacrimusa, attestée déjà dans le Laterctthis de
Polemius Silvius. D'autre part le frç. gremille'' est le nom de
' Cf. P. Barbier fils, Rev. des l. rom. LXIV, 188. — ' V. p. 12 n. 3.
•' La confusion entre les deux variétés se répète dans la Charente où
le vairon porte le nom àe gardon, gardon malin (Rolland III, 139). Pour
l'étymologie, v. Schuchardt, Z.f. rom. Phil. XXX, 730, et Behrens, Bci-
trâge inr fr^. IVorlgeschichte, 360.
* Il faudrait évidemment connaître la vitalité du mot avant de se
prononcer sur son étvmologie. Peut-être le mot ne sera-t-il pas autre
chose que « Je hcte » (= le sot), parce que le vairon, confiant et aven-
tureux, est souvent la victime de sa trop grande curiosité.
'"" Fatio IV, 639, Forel 64, ofl^rent grenwiUon pour le vairon, et selon
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LEMAX 15
l'acerina vulgaris, qui s'appelle à Metz grcmei/ille, et grcinaou
au dép. du Gard (Rolland III, 180). Le mot est peut-être d'ori-
gine pre'romane^ cf. le verbe vaudois grenielli, frétiller).
8. hambella (Bridel), qui trouve son pendant parfait dans le
suisse ail. bainbeli, Bachbambeli {Id. IV, 1257), sans qu'on
puisse dire de quel côté il faudra chercher l'emprunt-.
9. vaud. anéron (Bridel), sav. ainaroti (Fatio V, 639, Forel
349 n., anc. gen&w. amaron (Jean du Villard 1581, Forel 332).
Comme la chair passe pour être a/ncre, on pourrait penser à
un dérivé d'amaru « amer » ^ : la forme vaudoise a?icron*
aurait alors subi Tinfluence d'une étymologie populaire ^.
Le corps allongé de la loc/ie, nemachus barbatulus, rappelle
Faiio V, 20 et Forel 65, la gremeliette, gremilielle, groumellietle serait le
nom de la loche franche ; v. aussi Littré, s. gremillon.
' Sur lacrimusa, v. Thomas, Rom. XXXV, 180, et Schuchardt,
Z. /. roin. Phil. XXX, 715, Rolland XI, 19-20. Il n'est guère probable
que gremiUe soit le même mot que le v. fr. greiiiille « petit grumeau »,
V. Godefroy, s. v.
- Le radical bamb «s'agiter» semble jouir d'une forte vitalité aussi
bien dans les patois alamans (cf. /(/. IV, 1257) que dans les patois
romands: vaud. hambeUhi « brandiller », hamhellhon «chiffon qui bran-
dille », sav. hanheliuche « lambeau pendant», banhJyon «fanon d'une
vache»), etc. Sur le radical hanib, v. Schuchardt, Z.f. rom. Phil. XXXI,
649, Strekelj, Denkschriften der Wiener Ahademie L, 21, 80, et Meyer-
Lûbke, El. IVth. s. bamb.
■^ Cf. sav. amaron «zeste de noix, fruit du marronnier».
* Les patois de l'Oberland bernois ont conservé comme nom du
goujon ameli, emeli {Id. I, 217), qui continue peut-être un plus ancien
ameri, correspondant à Vamaron de la Savoie.
^ En dehors du barubeli et de Vameli, les parlers alamans de la Suisse
nous donnent les noms suivants : Butt, Binshut, Bachbutt, etc. (Fatio
IV, 640, /(i. IV, 1907, et pour le radical, v. p. 12 n. 2), Welling, Wcttling
(Bâle). Les formes tessinoises ont été expliquées en partie dans un
article de M. Barbier fils, Rev. des l. rom. LU, 128 : starnicol (Fatio IV,
640) aurait emprunté son nom à celui de la pie-grièche (it. stonio'), et
la stonia^ia représenterait un dérivé du mil. storna, storn-è. Les autres
noms vairon, rossigneti, sangttigneit {<C ross-, sang- igneu [•< ineolu], cf
Meyer-Lùbke, //. Gramm. § 550) sont clairs ; cent-ln-bocca est peut-être
un sobriquet que les pêcheurs donnent à ce petit poisson de peu de
valeur.
l6 J. JUD
un peu celui de l'anguille, et, comme le vairon, elle est peu
estimée de nos pécheurs. Voici ses noms dans les patois ro-
mands et le français provincial parlés sur les bords des lacs :
1. motaile, vioiitaile (Lutry). Rolland III, 137, v, p. 7.
2. gremelhetta (Rolle), v. p. 14.
3. '[\t.\XQ\\. petite lotte, v. p. 6.
4. genev. motistache, frib. motistatso (Sales) à cause des six
barbillons qui se dressent sur sa lèvre supérieure. Cette parti-
cularité lui a valu encore le nom de :
5. petit harhot (Forel 65).
6. vaud. dre/nillha , droumillha , dremilletta (Brideli, sav.
dromly'c . genev. drdmilh (Hermance) [v. aussi anc. gç.Vit\.
dormille^ (du Villard, Forel 331)]. Le poisson a l'habitude de
se tenir blotti de jour sous quelque pierre ou de rester long-
temps immobile sur un caillou. C'est donc un substantif tiré
du verbe droiulyi «sommeiller» (Const. et Dés.), anc. franc.
dormillier (anc. prov. dormilJios « somnolent »j, franc, mérid.
doiirmiha -ilhà (Aveyron) « sommeiller » (Mistral), qui con-
tiennent tous un latin *dormiculare-'.
7. nench. percepierre (Rolland III, 138). En fuyant, le poisson
passe entre les pierres, filant comme un éclair ^.
8. dartre (Fatio V, 20) est le nom populaire, répandu sur
les bords des lacs de Morat, de Bienne et de Neuchâtel (Au-
vernier: dert, frç. local). Il s'explique peut-être par les écailles
teigneuses du poisson ou par les taches irrégulières éparses
souvent sur toute la longueur du corps, à la manière des plaques
de peau qui caractérisent la maladie appelée dartre. Le point
' Le même nom s'applique aussi au cyprinus amarus, qui partage
avec la loche l'habitude de rester longtemps immobile sur le gravier:
dormille, dronnUe commune est attesté pour le dép. de l'Isère, cf. Rolland
III, 152; Mistral relève dourmihouso, etc. a loche, petit poisson qui paraît
quelquefois immobile dans l'eau», v. aussi Rolland III, 89, XI, 165.
- La grande extension géographique de ce mot à travers l'Italie
[dormicchiare) et la France jusque dans l'Espagne (gallic. dônnilhso) fait
supposer déjà en latin l'existence de la base dormiculare.
•^ Ailleurs perce-pierre désigne la lamproie fluviatile (petrisuga fluvia-
lilis), cf. Vit. foracqua (=z perce-eau), Rolland III, 138.
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LEMAN 17
de départ est darvitaS qui semble être le produit d'un croise-
ment entre herpès et un mot gaulois.
9 genev. baromètre , qui doit faire allusion - à quelque
croyance populaire, répandue parmi les pêcheurs genevois^.
Pour le thymallus vexillifer, nos patois sont d'accord pour
lui donner le nom d'onbiv», qui correspond au frç. ombre et au
latin ambra; à l'époque des amours, la coloration devient de
plus en plus sombre et très souvent les mâles apparaissent alors
presque complètement noirs. Voici les formes patoises : genev.
vaud. frib. bern. ofibr(a), vaud. onbrou, masc. ( Vallorbe) onhreta
(frib.)*, V. aussi Rolland III, 129, umbre [génitif] (taxe de Ville-
neuve 1376, Forel 334), anc. genev. umbra (du Villard, Forel
330'-
* Sur la répartition géographique de ce mot, v. Horning, Z. f. rom.
Phil. XX, 86, XXI, 454; Salvioni, Postille s. berpete; Meyer-Lûbke.
IVietier Studien XXV, 98 ; Bulletin de dialect. rom. III, 67, et Walde,
s. derbiosus. M. P. Barbier fils a relevé quelques noms de poissons qui
semblent refléter la même base, v. Rev. des l. rom. LI, 393.
- Pour une variété de la loche, misgurnus fossilis, Fatio (V, 9) cite le
nom allemand Wetterfisch, parce que l'on aurait remarqué qu'à l'ap-
proche d'un orage, il a l'habitude de s'agiter jusqu'à troubler complé-
ment l'eau boueuse autour de lui. Quelques personnes auraient même
profité de cette attitude du poisson en l'employant comme baromètre,
après l'avoir mis dans un récipient rempli de limon.
■'' L'ail, grundele {Id. II, 776) repose sur la même idée que dormillc :
c'est le poisson qui aime à dormir au fond des eaux. La répartition
géographique de l'autre nom suisse ail. Scbmerle m'est inconnue. Pour
l'étymologie, v. Kluge, s. Scbmerle. — Pour la loche de rivière, cobitis
tainia, particulière aux eaux tessinoises, les patois lombards oftrent
toute une série de mots : iugrisella, grisella, o-bisella (Monti), gar^ella
(Lugano). cflf^//o/fl (lac Majeur), dont la discussion m'entraînerait trop
loin. A Ems (Grisons), le poisson s'appellerait : àvol ; faudra-t-il y voir
l'ail, siual (Fatio IV, 544), qui est le nom du blageon dans la Landquart
et le Rhin ?
* A Genève, on donne au poisson le nom d'ombre d'Alondon ou
ombre de rivière et à Neuchâtel celui de ombre d'Anvenjne (Fatio V, 287).
Comp. aussi sur l'ombre des eaux suisses un article de M. Hofer, Schw.
F. Ztg. III, Beilage 19 au no 13. Dans le français local d'Auvernier
(Neuch.), M. Fankh. a relevé: dé gnglè «de petites ombres^).
* Dans la Suisse allemande, le même poisson est appelé : Aesche {LI.
l8 J. JUD
Des onze espèces lacustres indigènes, ce sont sans doute les
<M>régones ^ (la fera, la gravenche, la pale'e, la bondelle ) qui
soulèvent les problèmes les plus intéressants pour le naturaliste
aussi bien que pour le linguiste. Il est en effet inte'ressant de
voir que les corégones sont soumis à des variations particu-
lières dans chaque lac du plateau suisse, tandis que la plupart
des autres espèces de poissons d'eau douce se retrouvent avec
les mêmes caractères spécifiques dans toutes les eaux de notre
I, 564 et Schuchardt, Z. /. rom. Phil. XXX, 720), (jeune): Kresling {Id.
m, 852), Knab (III, 711), Ischer (I, 547), Aeschling (I, 564), Minier
(IV, 564). Sur les bords des lacs subalpins de la Lombardie, on désigne
le poisson par tétnôl, tcnioîa (Monti, Rolland III, 129), v. P. Barbier fils,
Rev. des 1. rom. Ll , 403, berg. temel, Lorck , Altberg. Sprachd. 148,
no 1665 ; strisôl « ombre dans son premier âge », maronscei u ombre dans
son deuxième âge », Rolland III, 129. — Dans le bas-eugad. (Schleins),
le poisson est appelé user qui représente évidemment l'ail. Ascber.
* Voici d'après Fatio V, 67 ss. et Forel 65, les noms des corégones
vivant dans les lacs suisses (v. la carie à la fin de cet article) :
Lac de Constance : Blaufelcben, Gangfisch, Balcben, Kilchen.
» • de Zurich : Albeli, Blauling, Haegliug, Bratfisch.
V de Wallenstadt : Albeli, FeJchen.
» de Greifensse, Pf^effikon : Albeli.
» de Baldegg-HalKvyl-Sempach : BaUen.
» des Quatre-Cantons : Edelfisch,lVeissfisch,Felchen{?).
j> de Thoune et Brienz : Albock, Brienilig, Bakhen, Kropflein.
)) de Neuchâtel : bondelle, palée.
» de Bienne : Bakhen, Pfarrig, P/àrit (v. la note en bas).
» de Morat : palây? {Bakhe),Jèra [Fàrig), Kropfer (v. la note
Il Léman : ft'i'a, gravenche. [en bas).
» du Bourget : lavaret, be\oule.
Le nom de fèrit, relevé par Fatio V, 133, 185 pour le lac de Morat
doit reposer sur une erreur: ce n'est pas un nom patois, mais l'ali.
fiïrig que M. Fatio a considéré à tort comme un mot français (commu-
nication de M. Fankhauser). Enfin une grosse palée avec une espèce de
goitre s'appelle à Sugiez, gôirÇo^'ia (« goitreuse » ■< gâtro « goitre »),
qui se retrouve à Montilier (près Morat) sous la forme de ChrÇppr,
de même à Douanne (lac de Bienne),. dérivé de Chropf, que VId. n'a
pas enregistré. Selon les informations que M. Friedli m'a fournies,
le Chropfer désignerait à Anet aussi le brochet du mois de mai.
LES NOMS DES POISSONS DV LAC LEMAN 19
pays. M. Fatio, qui a soumis toutes ces variéte's à un examen
approfondi, ne constate pas moins de vingt-quatre types dans
les lacs de la Suisse et de la Savoie ; des quatre qu'on pêche
aujourd'hui dans le lac Léman, deux, la grande marhie, core-
gonus maraena, et le Whitefish, coregonus albus, y ont été
récemment importés ; la fera et la gravenche, par contre, sont
considérés comme autochtones. Mais qu'on me permette
d'abord de discuter brièvement l'origine du nom de la bon-
«lelle du lac de Neuchâtel.
Les ichthyologues distinguent aujourd'hui dans ce lac deux
groupes de notre espèce en choisissant comme critère V atti-
tude du poisson z.\x moment dit frayer : Xfà uns fraient sur la
terrasse littorale plongée dans l'eau («la beine »), les autres
dans les régions profondes. C'est à cette dernière catégorie
qu'appartient la bondelle qui dépose ses œufs dans les grands
fonds, à 90, ICO ou 130 mètres, tandis que l'autre corégone
du même lac, la palée, fraie sur les graviers (palée de bord) ou
à une profondeur de 25 à 50 mètres (palée de fond). Il me
paraît donc très probable que la bondelle doit son nom à ses
habitudes de frai et à sa vie sédentaire dans les profondeurs
des eaux (Fatio V, 193). Dans l'étude de la nomenclature ich-
thyologique, le linguiste, avant de proposer une étymologie
satisfaisante, ne pourra pas se passer de la connaissance exacte
de l'objet.
Or, le moyen irlandais désigne le fond d'un vase, le creux
d'une rivière par une parole qui s'accorde à merveille avec
ridée en question: moyen irl. bond, bonn, cymrique bond
«fond » (cf. Stokes, Urkelt. Sprachsch. 180 et Loth, Revue cel-
tique XX, 345) qui remontent à une base bundos, bien con-
servé dans la toponomastique de l'Italie supérieure et de la
Suisse française : bresc. boudai « gorgo, profondità » (Biondelli,
Saggio 60, qui propose déjà — cette fois avec raison — une
origine celtique pour le mot italien 1, valses, bonda « luogo
nascosto, recesso » ( noms de lieu : Bonda, Bondaccia, Bondal
20 J. JUD
! cf. aussi Bondasca, Val di Bregaglia , attestés dès le 13= siècle) S
qui se retrouve dans le patois allemand d'Alagna Bimde « inse-
natura di montagna » {/d. IV, 1369). Le même mot paraît jouer
un rôle considérable dans les noms de lieu de la Suisse ro-
mande: Bonde, Bondelle (Vaud), v. Jaccard, Essai de topo-
9iymie, 41 ". La bondelle serait donc le poisson qui vit au fond
(à la bonde) du lac; la forme patoise bondala (sur les bords du
lac de Neuchâtel) représente hond{a) -\- ella'^.
Passons maintenant aux noms des deux espèces indigènes
de corégones du lac Léman: la gravenche^coxfgowM^ hiemalis,
et la fera, coregonus fera.
I. coregonus hiemalis.
I. (jravoïK'lie (Fatio V, 262), gravanche, garvanche (Bridel);
anc. genev. gravenche (du Villard, Forel 332), gravanche (Hum-
bert), grdvamjs (Hermance).
Tandis que la/éra dépose ses œufs dans le sable ou le limon
du fond, souvent à cent ou deux cents mètres d'eau, la gra-
venche fait sa ponte sur la grève du Léman : « les individus des
deux sexes arrivent alors en bandes nombreuses, en faisant de
la bouche un bruit de claquements qui s'entend d'assez loin,
de manière que la pêche, qui se fait surtout de nuit, est alors
aisée au moyen de filets, dans lesquels on attire au besoin le
poisson au moyen de feux allumés sur la rive » (Fatio V, 267).
Il n'est guère douteux que notre mot ne remonte au gaulois
' Meyer-Lûbke, Et. Wth. s. bunda cite déjà la forme de la Valsesia.
V. aussi mon article sur le frç. bonde (vaud. bonda) « ouverture du
tonneau, par laquelle on le remplit », peut-être identique avec notre
mot, Archiv. fur das Stud. der neuern Sprachen CXXVII, p. 435.
^ Cf. Gruber, Vordeiitsche Ortsnamen, Festband VollmôUer, 320.
^ Les documents bernois offrent dès le 16e siècle le nom de bûndeli
(Id. IV, 1368). V. Liebenau, p. 139-140, qui relève le fait, important
quant à l'ancienne extension du mot, que le nom de Bûndeli était le
nom d'un corégone des lacs de Sempach, de Lticerne et de Hallwyl,
avant le 17e siècle. — Le filet pour prendre les bondelles du lac de
Neuchâtel s'appelle à Sugiez (lac de Morat) hondallr, cf. Fromaigeat,
Bulletin du Glossaire VI, 58. Dans leur français populaire, les pêcheurs
de Marin et d'Auvernier désignent le filet par bondéyér.
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LEMAN 2 1
grava ' (cf. frç. grève), muni du suffixe également préroman
-inca, que M. Muret a étudié avec tant de compétence dans
le Bulletin du Glossaire VII, 24, et Rom. XXXVII, 543 ss.
2. bezeiila, v. p. 28.
3. Il est curieux de voir que le texte qui nous offre le plus
ancien témoignage du moi fera (v. p. 22) nous a conservé en
même temps le nom palatao (a. iito). En outre M. Forel
(III. 335) a relevé dans les comptes de Chillon, rédigés à la fin
du 13*^ siècle, la mention de l'envoi de 140 palées [palatae) ^,
de 7 ombles {ambulae) et de 1 1 grandes truites par le châtelain
de l'Ile de Genève au comte de Savoie, résidant alors dans son
manoir sur le lac du Bourget. Comme aujourd'hui le nom de
palée est inconnu sur les bords du Léman, l'idée d'y recon-
naître un autre nom synonyme de gravenche est peu acceptable :
ce sera plutôt le poisson du lac de Neuchâtel, la palée, qui a
formé de tout temps l'objet d'une pêche très active et d'un
commerce lucratif entre Yverdon et Genève. A Neuchâtel, tout
le monde connaît bien \?Lpalée^ (palée de bord, blanche; palée
de fond, noire) ; {]t\.\nQ:petite palée, fera, petite fera); gibbion^;
dans les villages allemands situés sur les bords du lac de Bienne,
on désigne le poisson par Balche (fém.) à Gléresse, Balyj (fém.)
à Douanne, Bauyj (fém. 1 à Luscherz *. A Sugiez (lac de Morat)
' Il n'est pas rare de retrouver grava dans la formation d'autres
noms de poissons : gravelet « vandoise » (Metz), Rolland III, 142, gra-
vier « cyprinus amarus d (Aube) ibid. 152.
- On est assez surpris de rencontrer le même mot dans un acte éma-
nant des archives de Zurich {i}o6) : ^oo palatas maiores dictas tu'ibalche
{M. IV, 1193).
•'' Dans le français local d'Auvernier et de Marin (lac de Neuch.), la
baUy (Fankh.).
■* Seljon Fatio V, 243 n., le nom de gibbion s'appliquerait sans dis-
tinction aux petits corégones momentanément réunis en grand nombre
et serait le dérivé de gibbionner qui, en argot de pêcheurs neuchàtelois,
signifie « pulluler, frétiller ».
■■* La Balche du lac de Bienne est mise en vente sur le marché de
Neuchâtel sous le nom de fera et ionâelle ! Le nom Balaie, relevé par
Fatio pour les patois allemands du lac de Bienne, doit être une erreur,
et le mot Balchpfârit semble très peu usité dans la langue des pêcheurs.
22 J. JUD
on l'appelle palây^^, tandis qu'à Montilier (de langue alle-
mande) il est nommé Bal^e (ni.(?). Pour le lac de Neuchâtel,
les correspondants du Glossaire ont en outre indiqué palâyè
(Vaugondry), paldy^ (Portalban), cf. aussi /«'/m (Bridel). C'est
à M. Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 725, que revient le
mérite d'avoir rattaché pal aie au nom de poisson pelai ca
que Polemius Silvius nous a transmis dans sa liste de poissons.
Selon M. Thomas, Rom. XXXV, 186, pelai ca ne serait
pas autre chose que pelagica, dérivé de pelagus «mer»,
mot latin d'origine grecque. J'avoue franchement que, vu le
caractère savant et la faible vitalité de pelagus en vieux fran-
çais, j'hésite à admettre l'existence d'un dérivé dans une région
où TTs^ayo; fait complètement défaut -. Il conviendra peut-être de
reconnaître dans la palaïe, comme dans la botidelle et la gra-
venche une base d'origine préromane. M. Schuchardt a rappelé
l'irl. pollan, l'écoss. powan, sans toutefois se prononcer sur le
rapport phonétique et morphologique de notre mot romand
avec ses parents d'Outre-Manche. Si l'on accepte l'étymologie
proposée pour hondelle, comme « le poisson vivant et frayant
ZMfond des eaux >■>, on serait tout disposé à rechercher dans la
palaïe le poisson qui, au contraire, fait sa ponte sur la grève
ou sur le « mont » du lac, où les pêcheurs l'attendent pour
l'attirer dans un filet ancré au bord. Mais il serait sans doute
téméraire de vouloir rattacher \)elaica,OM ^plutôt pal aica (v. ci-
dessous), au mot préroman pala^ qui, au sens de « prairie tra-
versée de bandes de rocher», est assez fréquent dans la topo-
nomastique alpine des Grisons et de la Provence ; cela ferait
1 Fromaigeat, ■Bidktin VI, 55. A Sugiez, le filet à palées s'appelle
paUyÇia, ibid. 58, v. aussi Liebenau : la paiUaiiia, p. 120 ; à Marin et à
Auvernier, palèyèr (frç. loc.)
^ Comment faudrait-il expliquer l'évolution du sens de pelagica « ce
qui est particulier à la mer », au nom d'un poisson vivant dans le lac
de Neuchâtel ? Pour les représentants romans d'une base pelaica en
dehors de la Suisse romande, cf. les articles de MM. Thomas et Schu-
chardt ; v. aussi Rolland XI, 202, 208, 231.
3 V. V. Ettmaver, Gcrm.-Rom. Monatsschrift II, 364.
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LEMAN 23
de \z. pal aie le « poisson frayant sur la batide de rochers le long
de la côte » ou, pour me servir de l'expression technique des
pêcheurs, sur la « beine du lac ». Mais en attendant que les
recherches toponomastiques de MM. Muret et Fankhauser
viennent confirmer ou démentir l'existence de pala dans les
noms de lieu de la Suisse romande, je me permets d'attirer
l'attention sur le mot Balc]ien{<,pelàica avec recul de l'accent
sur la première syllabe) de nos patois allemands, qui, de même
que la forme palatae, relevée dans les textes, atteste la pré-
sence de Va protofiique au moment où le nom du poisson est
entré dans le vocabulaire des pêcheurs allemands. Mais, si
l'existence de palaica ne peut guère être mise en doute,
comment faudra-t-il interpréter la latinisation d'un pa/ai'e dia-
lectal en palatae ? Avons-nous affaire à une tendance des
notaires ou des scribes à forger machinalement des formes
latines arbitraires en -atae à tous les mots patois en -aye?
Q.oxvcaxt'k dzornây) correspond diurnatas,il se pourrait qu'ils
eussent latinisé /a/ôj'^ en palatas^
II. coregonus fera.
I . fera fém. : (vaud./<frâ (Savigny) ; genev. /<irà (Dardagny ) ;
frib. fara, ferra (Bridel). Le témoignage le plus ancien du
' Voici du reste les noms de la fera dans la Suisse allemande (v. la
carte à la fin de l'article]. : Seelen (Id. VII, 709), Heuerling {Id. II 1585),
Midd {Id. I, 1102 ; IV, 84), Stiiben (Fatio V, 116), Gangfisch (Id. I,
iioo) (aussi: Sandgangfisch , cf. la gravenche), Kilchen {Id. III, 237),
Bhuling [Id. V, 245), HdgUng {Id.'u, 1080), Brienzling (Id.Y, 646,
768), Kropflein (Fatio V, 182), Bratfisch {Id. II, 1 105). — Parmi les mois^
d'origine préromane, je rangerais kamp « saumon mâle » (< cambd's')"
v. Jud, Bulletin de dial. rom. III, 4 n. et Schuchardt, Z. f. roui. Phil.
XXX, 719, renke « mâle de la fera » {Id. VI, 1142, d'origine gauloise,
V. Schuchardt, Z. /. rom. Phil. XXX, 719) et enfin alhick, alpke {ex
par étymologie populaire ?) albock « fera » (sur les bords des lacs de
Wallenstadt. de Thoune et de Brienz, Id. I, 185, et albiicos, Liebenau
47 ss), qu'on serait tenté de rapprocher du poisson nommé ambicus
dans le Laterctihis ds Polemius Silvius {Rom. XXXV, 167). La liquide à
la place de la nasale pourrait être expliquée par l'influence d'autres noms
de poissons comme alhele. etc. — Les corégones ont été introduits, il y
a seulement une vingtaine d'années, dans les lacs subalpins au sud des
Alpes.
24 J- JUD
mot se trouve dans un traité de 1 150, selon lequel les chanoines
de Sainte-Marie d'Aoste donnèrent au prieuré de Saint- Jean de
Genève l'église de Saint-Eusèbe d'Aoste moyennant une rede-
vance annuelle de deux setiers de vin, deux setiers de froment
et les gros poissons nécessaires à leur réfectoire : si vero pisces
grossi reperiri non potiierunt, pro ipsis quinqiiaginta p al at e
recipiende vel ducente f err at e recipiende persolvende sunt^.
Le même nom revient ensuite dans la liste de vente de Ville-
neuve (1350) : ferratarwn (Forel 334). Les chartes et les
comptes de dépenses, publiés par M. Bruchet dans son beau
volume Le château de Ripaille, font assez souvent mention des
ferras. En T471, l'administration qui pourvoit au menu de la
table ducale paye les pêcheurs savoyards : pro quihusdam
grossis bisolis et j ferrati s...; ufia /errata, 2 truttelle,
I parva f errata, de bisolis ...: pro ^o ferratis, einptis pro
salsando...: pro i ferrachone (= « fératson » ?) , j bisolis
et de serulis... (p. 318). A la fin du 16= siècle, Jean du Villard
relève parmi les poissons vendus au marché de Genève : la
bezole se treiive Jusquâ dix livres et se prend au profond...;
les bezoles, soit ferra, qui se prennent à la Bennaz... (Forel
331). Enfin, fait important, le mot est entré dans le dialecte
des colons alamans établis depuis le 9^ ou 10^ siècle sur les
bords des lacs de Alorat et de Bienne sous une forme qui con-
corde avec les témoignages conservés par les chartes latines
du moyen âge : en face du roman : fera masc. (Sugiez, lac de
Morat), les patois voisins de l'alaman offrent :/^rz^ (Montilier,
ail.) ; lac de Bienne pf'àrig (Gléresse , Douanne), masc. ;
pfarit'- (Liischerz) masc. (Ffdrig au lieu de Pfdrit par échange
du suffixe -ig contre -it, rare ou inconnu dans les patois ala-
mans, v./^. I, 903, Liebenau 95, 126). Ces formes font supposer
» Historié patria momimenta II, 271, Forel 35S ss. (Texte tiré de
l'original des Archives de la cathédrale dAoste).
- Les Pfàritnet^e « filets à feras » sont mentionnés dans les statuts
des pécheurs du lac de Bienne -dès le 16^ siècle (cf. Liebenau p. 127 et
Pferit p. 95, 128.
LES XOMS DES POISSONS DU LAC LE.\[AN 25
un romand *ferrada^ qui est resté féminin même dans les
patois alamans voisins.
S'il n'y a aucune difficulté à ramener /t'Va, Pfàrit à la base
f errata, attestée dès le 12= siècle, on est plus embarrassé d'in-
diquer le rapport qui doit exister entre la f errata romande et
son pendant /"f/r//^« de la Suisse allemande'-. Cette dernière
forme remonte à un type fer(r)icu ou fer(r)acu ou, si l'on
admet que Felchen a suivi aussi en v. h. ail. la flexion faible en
-a -on, à un type ferricone ou ferracone (accus.), dont l'évo-
lution phonétique serait conforme au grec ■/.•jpia.Y.o-j, qui a abouti
chez nous à Chilche en regard de l'ail. Kirche^. Mais quel est
le rapport morphologique entre la base romande fer( r)ata et
le type alaman fer(r)acu? Deux hypothèses sont possibles:
I. La forme romande ferrata représente un type plus primitif
ayant aussi vécu à l'origine sur les rives du lac de Constance,
où son suffixe -ata aurait été remplacé (sous l'influence de
Balchen < palaica?) par -acu ou -icu^, fréquent surtout dans
les noms d'animaux (cf. Elch < ahd. ëlaho, Bilch < ahd.
bilih: Lerche <lêrahha, Kranich < ahd. chranih, etc). II. La
forme allemande Felchen serait plus voisine du type primitif.
De même que pelaica ou palaica a abouti à Balchen et à la
pal aie romande, un iy^t ferraica aurait évolué \Qr?,felche alle-
' Pour l'évolution phonétique de ferrada > PJàrrit, v. Solodurum
>• Solothurn, Sedunum >• Sitten, Rhodanu '^Rotten, fruda "^ fiirt
et pour la chute de l'-a, v. en dehors de fruda ^ fritt, aestiva
>■ L'Etivai (FfàHa) (Vaud), qui réapparaît dans les villages voisins du
canton de Berne sous la forme de Lessi (Ablcntschen) et Lessi (Gsteig) ;
Gêna va dont la forme dialectale à Berne était jw//; Hauterive (Fri-
bourg) Alta ripa, pat. utarUva, dans le dialecte ail. du village voisin
de Saint- Sylvestre aîbnf, etc. (Je dois une partie des matériaux topo-
nomastiques à l'obligeance de mon collègue M. Fankhauser.)
- Felchen est surtout employé sur les bords du lac de Constance.
■* Uld. I, 800 cite la forme bavaroise Ferch qui, d'après une com-
munication de M. Bachmann, rédacteur en chef de VIdiotikon, repose
sur une erreur : Ferch doit être une formule dialectale pour forelle
[ferchna, cf. Kluge, s. v.).
* La substitution du suffixe s'est répétée, comme nous l'avons cons-
taté, à une époque relativement récente dans Pfarrit > Pfârig (v. p. 24).
26 J. JUD-
mand et * ferait des patois vaudois et genevois. En effet, un
texte de la fin du i2« siècle nous offre le passage suivant:
pisces qui diciintur romana lingiia feraies^ {Mém. et Doc.
XVIII, 388), qui, à première vue, correspondrait phonétique-
ment à la palaie du lac de Neuchâtel. Mais il reste à écarter
une grave difficulté : c'est le passage phonétique d'un type
*feraie à la forme actuelle fera. Dans son article : Encore
vianducatum^manducaiam(Roin. XXVII, 270 ss.), M. Gauchat
a démontré que, dans nos patois, le résultat régulier d'-ata est
-à, tandis que -aie est d'importation française relativement ré-
cente ; cette manière de voir est fortement appuyée par les
noms de lieu tels que strata, prata qui aboutissent régulière-
ment à Estraiz), La Pra{z). Les formes actuelles y>W7 exigent,
d'après la phonétique régionale, un type f errata et semblent
exclure *ferraica, à moins qu'on ne veuille admettre qu'à
l'époque où, dans certains patois vaudois (p. ex. de Lausanne)
on hésitait entre dzornaye et dzorna ( < diurnata), les patoisants
auraient refait de *feraies-, par fausse analogie ^ une forme
fera. Je n'ai aucune hypothèse plausible à présenter sur l'ori-
' MM. Gauchat et Fankhauser, avec qui, à plusieurs reprises, j'ai
discuté la question de -ata dans nos patois romands, préféreraient voir
àâns feraies le résultat régulier d'un pluriel /«Ta/a5 >-/t'?Ta?V^ en regard
de ferrata >• fera. M. F. s'est chargé d'examiner sommairement en vue
de l'histoire d'-ata dans les patois romands, les formes des noms de
lieu conservées dans les chartes qu'a publiées Gremaud dans ses Docu-
ments relatifs à l'histoire du Vallais 1895 ss. Voici le résultat de ses
recherches. Le nom de lieu Planta, près de Sion, revient en 1244 sous
les graphies: Planlaes {■<C. Plantatas , Grem. I. 377) ; Plantayes (1318,
Grem. II, 290), P/rt»/a/w (1339, Grem. IV, 237), Plantayes {i^-^f), Grem.
IV, 240). Un certain Andréas de Pratis des environs de Loèche apparaît
tantôt comme Andréas Prayes (Grem. VI, 204) tantôt comme Andréas
Praes (Grem. VI, 332).
^ A Sugiez (lac de Morat), le filet pour prendre les feras s'appelle
férèyïr, cf. Fromaigeat, Btilletin du Gloss. VI, 58.
^ Comme prattim a donné prû, *pratas par contre praies, on pour-
rait supposer que d'après ferraies plur. on aurait reconstruit un singulier
analogique ferra.
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LEMAN 27
gine du radical /^rr-. On serait tenté de penser à un dérivé de
ferrum, mais un type *ferraica ou *ferrata « poisson gris
de 1er», admissible au point de vue du sens (v. hezola) n'est
guère probable au point de vue de la morphologie; fario\
attesté dans le poème Mosella d'Ausone, n'est pas non plus
satisfaisant, parce que le mot désigne une espèce de saumon et
que les patois romands et alamans s'accordent pour postuler
une base fer(r). — L'idée de mettre à la base à.Q fera le mot
préroman qui continue à vivre dans le valais, fàro, fèro (Val
de Bagnes) « dalle, pierre plate », se heurte à la difficulté réelle
que notre poisson ne fraie pas sur le sable ou les dalles le long
de la côte, mais bien, contrairement à ce que fait la gravenche,
sur le sable ou le limon du fond, assez souvent à cent, voire
même deux cents mètres de la surface (Fatio V, 249).
2. Le nom de Xd. fera est en train de remplacer son concur-
rent autrefois redoutable des bords du lac Léman- besole qui,
comme M. Bruchet l'a démontré, s'applique non seulement à
deux types du genre des corégones, mais aussi à l'ablette.
a) Les pêcheurs savoyards appelaient autrefois besole le
poisson connu aujourd'hui sous le nom àt féra^ : pro pedagio,
pro quolibet cento ferr at aru7n seu bi solartun. (Bruchet 596).
b) Aujourd'hui encore, les pêcheurs savoyards désignent
par la bezole, bezeule, bezule^, le « coregonus hiemalis », connu
sur la côte vaudoise sous le nom de gravetiche. Comme ce der-
nier nom n'apparaît jamais dans les documents de Ripaille,
nous avons peut-être le droit d'identifier la bisola avec la gra-
' L'éditeur de la Mosella dans les Mon. Geint, hist. Aiicl. Antiquisa.
V, p. 86, v. 130, n'a pas admis la leçon /c/n'o qu'il a remplacée parcelle,
des autres mss. sario. Mais cf. l'article de Much, Z. fur deittsches AUer-
tiim XLII, 166.
- ferrât a seu bis al ce (Bruchet 596). Le syndic Jean du Villard connaît
be:{ole et fera comme appellations du même poisson (cf. Bridel : besaiila,
hessola, bessuïa '(ferra»); besolon « petite fera» (Gloss. ms. de Dumur).
•' V. ci-dessus p. 24, et à la p. 318 nous lisons: pro dimidio quartero-
nortini honaritm bisolaruin... ; pro 6 bisolts..., 2 bisolis récent ibu s...,
ùro I anibone, 12 bisolis
28 J. JUD
venche toutes les fois qu'elle figure seule dans les comptes de
dépenses. Jean du A-^illard distingue nettement entre la gra-
venche et la besole ou ferra dans sa liste de poissons vendus au
marché de sa ville natale ^
c) Enfin bezeula est aussi le nom de l'alburnus lucidus, c'est-
à-dire de l'ablette commune.
Ensuite, il est curieux de constater que la mouette porte sur
les bords du lac Léman les noms de bezolet, bejii, bezu, bedzu,
besutchet (Bridel), besolet « hirondelle de mer » (Const. et Dés.),
que je ne saurais séparer du nom savoyard de la gravenche,
que nous venons de rappeler. Si la même base peut s'ap-
pliquer à un poisson et à un oiseau, il faudra admettre un trait
caractéristique commun à tous les deux : la coloration de la
fera ou de la gravenche est d'un gris olivâtre ou vert, et de
même la mouette adulte possède un plumage d'hiver dont le
manteau et les tectrices alaires sont d'un cendré clair ". De plus,
le français possède l'adjectif bis « gris sombre, gris brun », dont
' Les variétés de corégones du lac du Bourget sont : i" la besoule^
beioule, he^euJe (Fatio V, 268, et Brochet 596), noms qui nous sont
attestés dès le 16^ siècle sous la forme de bisde, be\oh, hi-{ola dans des
textes savoyards relevés dans le volume de M. Bruchet. 2° Le lavaret
(cf. aussi lavaron, Rolland IH , 128) qui doit être identifié, selon
M. Schuchardt,Z./. rom. Phil. XXX, 722, avec le le va r ici nu s relevé
dans le Latercuhts de Polemius Silvius, forme sans doute altérée à la
finale par le copiste. Comme le îavarel fraie sur la beine et sur le gravier
du lac, à peu de profondeur sous l'eau, on pourrait supposer que le
radical de Icvaricinits, ou peut-être mieux *lavaricinus, renferme la base
lava «couches de pierres très polies», si répandue dans les patois
alpins, cf. Nigra, Arch. ijlott. it. XIV, 284 ; XV, 488 ; Meyer-Lùbke,
Z. /. rom. Phil. XXIH, 473 ; jura : laves « couches superficielles des
bancs calcaires qui forment le premier plateau du Jura » [Annuaire du
Dép. du Jura 1840, 308).
- Des noms d'oiseau reviennent souvent dans la terminologie des
poissons : palumba, palumbo désigne à Gênes le » chien de mer »
(Rolland in, 84); cf. arendoula «hirondelle» à Nice pour le poisson
volant (Rolland III, 153 n. 2) ; acce/a « bécasse » > bordel, assêe, prov.
mod. assêi^e, scjo « vandoise », cf. Thomas, Mélanges 2, Rom. XXXM,
255 et Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXVI, 405.
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LÉMAN 29
les dérivés désignent divers oiseaux: hizet «pigeon sauvage de
couleur grise », biset te « nom vulgaire de la macreuse, à cause
de son plumage gris foncé ». (v. Dict. gén. s. v. et Mistral, s. v.).
La bisola des textes du moyen âge correspondrait par con-
séquent à un type *bombyciola, dérivé de (bom)byciu
(> bis{e)^, qui aurait servi à dénommer aussi bien le poisson
que l'oiseau.
En résumé, il me paraît presque certain que les noms de la
/c'ra {Felcheii) et de la palce {Balc/ien) remontent à l'époque
où tout le plateau suisse parlait la même langue latine ou même
encore le gaulois : il me paraît probable, sinon sûr, que la gra-
venche du Léman, la bondelle du lac de Neuchâtel et le lavaret
du Bourget sont également d'origine prérotnane^ et, si notre
essai d'explication est admis, seul le terme hesole serait dérivé
d'un mot latin de provenance grecque {bombyciii).
Les noms de la tanche, de la chevaine, de la truite et du bro-
chet ne donnent lieu qu'à très peu de remarques.
Le latin tinca, d'origine incertaine (v. Walde, s. v.), est
représenté dans nos patois sous la forme tintsd (vaud. frib.
genev. val.), //«/r^^ (Brévine, Neuch.), tantch' (Charmoille, Jura
bernois), sav. tençhe (Const. et Dés.)^ anc. genev. tenche
(du Villard, Forel 332), liste de Villeneuve : tenchie [génitif]
(Forel, 334).
La chevaine, « squalius cephalus», se retrouve dans nos
patois sous les appellations tsèvenou-no (vaud. frib.) tchavoin.ne
' Pour l'étymologie, en dernier lieu, Horning, Z. /. rom. Fini.
XXVII, 347, et pour d'autres noms de poissons dérivés de his, v. une
note de M. P. Barbier fils, Rev. des l. rom. LI, 588. Enfin Mistral relève
biset « mâle de la grenouille reconnaissable à sa couleur brune ».
- V. aussi renke, kavip et albick, p. 23 n.
^ Sur la diflfusion de tinca, v. Rolland, III 145, néerl. tinke, Kluge,
Pauls Grundrissl -336, sic. tenga, tenchia, Salvioni, Memorie deU'Istitiito
lombarde XXI, 270 n, et Thomas, Rom. XXXV, 191. — Le nom qui
correspond à la tanche dans la Suisse allemande est ScbkilJe, v. Grimm,
H'^tb. der deutscben Spi-ache, s. v.
30 J. JUD
fém. (Charmoille, Jura bernois), d-avann^ (genev.), chavenne,
i-^«é?//(Neuchâtel[Bridel]), senef{\z.c Noir, Fribourg) selon Fatio
IV, 559Sanc. genev. chaz'entjoz (Forel 331), taxe de Villeneuve
chevenorum [génitif] (Forel, 334), qui reflètent la base latine
capitine qu'a reconstituée M. Thomas', Essais, 261-264.
Le latin tructa, d'origine incertaine, est représenté par tous
nos patois. Le type régional vaudois est traits ^ (d'où résultent
trdt?, tràtd), puis troaitd, trouaits ; trouaita nous est attestée
pour Dardagny; frib. trata, trcta; frib. trèt^ (Sugiez, Fankh.);
truts (neuch.j, trèt (Jura bernois); trouitJ, truit9 , troaits
(valais.); Bridel donne trotta, traita; la Savoie offre trw'etd
(Const. et Dés.) ; du Villard recommande la « petite truite
jusqu'à une ou deux livres» (Forel 331)' '^^.xe de Villeneuve:
' Selon Fatio IV, 559, le même poisson porterait dans le fribourgeois
le nom de vantonse, qui est aussi enregistré par Bridel s. veintousa
« meunier, vulgairement chevesne. C'est aussi le nom d'un des cyprins
du lac Noir ». Comme le poisson, de l'avis de M. Fatio IV, 573,
n'est pas indigène dans ce lac, il n'est guère douteux que son nom n'ait
été importé en même temps que l'objet : ce sera l'anc. frç. : ventoise
(cf. Rolland III, 142), le frç. mod. vandoise (cf. Rom. XXXVI, 92-93
vendesia v. Ducange s. v.), dont l'étymologie reste obscure.
- Cf aussi Lorck, Althergam. Spracbdenhnaler, 217; Salvioni, Rovi.
XXXVI, 238; Schuchardt, Z. /. rom. Phil. XXXIII, 83 ; Rolland III,
145 ; Fatio IV, 559. Const. et Dés. relèvent un frç. provinc. chavassoti,
dont la formation a été examinée par M. A. Thomas, Mélanges, 50.
— D'après les matériaux donnés par les correspondants du Glossaire,
le nom de la chevaine semble s'appliquer aussi au chabot ou au barbeau
dans le Jura bernois. — Dans la Suisse allemande, le même poisson
est appelé Alet, Alat {Id. I, 171) et Dobeî selon Fatio IV, 559.
•' Pour les noms spéciaux des variétés nombreuses de la truite,
v. Fatio V, 525 ; v. aussi un passage de Grégoire de Tours, qui vante
l'abondance des truites du lac Léman, Liebenau. 15.
^ Ce même turtu r — qui déjà en latin désigne un poisson, v. Corp.
gloss. lat. : turttir : Tçvyùv « sorte de raie » — revient dans les docu-
ments de Ripaille (p-. 503, a. 1435-37): Libravit die eadem pro expensis
ibidem factis, tam pro panateria, botellieria quam coquinn ultra 600 parus,
unum tiirtiir de provisione Morgie et unum bar raie vin i... (v. aussi p. 316,
a. 1391) : après avoir énuméré divers poissons : et 8 gross. turturibiis
onptis a piscatoribus... (p. 599 s. bisola): petiant tiirturis seii triiycte
LES NOMS DES POISSOXS DU LAC LEMAN 3I
turteris*' seu truyt (Forel 334) ^ Il paraît qu'il faut distinguer
deux bases: truc ta, qui aurait donné traite, trètt (cf. anc.
prov. irocha, galic. troita, it. trota, alban. trofte) et trûcta,
qui a abouti au franc, truite, importé à une date relativement
récente dans nos régions ; truito, trouite ne seraient pas autre
chose que des formes empruntées au français*.
Le nom latin du brochet était lucius, représenté dans le
vieux provençal par lutz et par l'ancien français /«s*, ce qui
recenlis... où l'éditeur, M. Brochet, propose de reconnaître le nom de
la truite.
' Dans les actes du château de Ripaille, on rencontre triiiiella,
truttelk (p. 318, a. 1471), triiytes, truytia (p. 316, a. 1391J.
- V. pour les autres formes, Rolland III, 129; Schrader, Reallexikon,
252 s. Forelle ; alsac. troit Urtel, Rev. de dial. rom. I, 9 ; forez, troeyte
Philipon, Rom. XL, 11 ; Val Soana : trujla, Nigra, Arch. ghtt. it. III,
14, anc. berg. Iroyta, Lorck, AUherg. Sprachdenkm. 148, etc. Sur trûcta
et tnicta, v. Meyer-Lùbke, Z. Ji'ir jrati:^. Sprachc n. Litt. XX, 66, et
Horning, Litbl. f. ^cnn. u. rom. Pbil. 1900, 291. — Les patois de
la Suisse allemande offrent : Forelle {Id. I, 935) et Ammele (I, 217),
V. encore Fatio V, 326. Les dialectes tessinois offrent : truta, trutèla
(Monti) ; le Val de Poschiavo et le Val Mustair (Grisons) ont aussi
frilla, dont la forme est bien curieuse si on lui attribue l'origine alle-
mande (v. Kluge s. Forelle) ; frilla, qui dans le Val Mustair semble
désigner non la truite, mais de tout petits poissons vivant dans les eaux
marécageuses (rotengle?), trouve son pendant dans le mot tyrolien
pfrillen (Schneller, Rom. Folksmd. 273 et Kluge Pauls Grundrissl ■542),
qui est d'origine incertaine. Fatio V, 325, connaît en outre pour les
Grisons /ort'//a colschna (v. aussi Pallioppi, Deutsch-Romanisch s. Forelle);
silt « variété de truite argentée », qui doit être emprunté aux patois
alamans, quoique ce sens du mot me soit inconnu dans la Suisse alle-
mande; litgiva (Carisch. Carigiet), surselv. lik'iva, laFiva (de Sedrun
jusqu'à Ems), d'origine incertaine ; haut-engad. marok\ .sDiarÇk'
(Melcher) «truite vulgaire à grosse tête» que Pallioppi rapproche de
marocc <( rebut » (?). Par contre, le surselv. scariin « trotta grossa ^■>
(Ascoli, Arch. ghtt. it. VII, 4 10) ne désigne pas la truite, mais le sau-
mon (Melcher; à Ems: rilanka, et. Id. III, 1343) ; c'est, comme Ascoli
l'a bien vu, un dérivé de scarus (it. ven. scaro, sic. scaru, scauru,
Salvioni, Pastille 274 et Schuchardt, Z.f. rom. Phil. XXX, 728).
•' L'anc. frç. lui "'^^^^ ?^^^ populaire aujourd'hui dans les dialectes
de la France, s'il est permis de se baser sur les informations de Rolland
III, 154; Godefroy relève la dans l'île de Guernesev. Cf. pour le mot
A. Thomas, Rom. XXXIV, 194.
32 J. JUD
ne permet pas de conclure l'existence du mot latin dans la
Suisse romande. Il paraît beaucoup plus probable que, dans
certaines parties de la Gaule romane, le nom latin n'a jamais
réussi à supplanter le vieux nom indigène — peut-être pré-
roman — de notre poisson: hrocJiet, brotsè {yâ.nà.AxS^.'), brotche
(neuch.), hrotzef, brotchet, « esox lucius » (Bridel), val. brosë,
qui se rattachent tous à une base brocc(a) -)- ittu «pointu »
— le brochet a la tête écrasée en avant en guise de bec de
canard ' — qui a laissé une postérité nombreuse dans les par-
1ers gallo-romans : frç. broc (vaud. brotzei) « vase à bec »,
broche « tige de fer pointue à l'une des extrémités qu'on passe
à travers une pièce de viande » (cf. vaud. brotze « grande che-
ville en bois traversant le centre de la cible et la fixant au
poteau »), anc. prov. broc « épine » (cf. vaud. brotze « aiguille
à tricoter) » etc. D'après les matériaux que nous fournissent les
réponses des correspondants du Glossaire romand et les témoi-
gnages des documents, il paraît que /^rV^^/" jouissait autrefois
d'une plus grande popularité sur les bords du Léman : vaud.
frib. bètsc, bétsc (Sugiez : bétsé^ (diminutif) bétsàla^gtnQv. hetset
(Bridel), dérivé de beccu (frç. bec), d'origine gauloise. Dans
les comptes pour la table ducale de Ripaille, on lit sous la date
du 8 déc. 1391 : So bechetis...,86 bechetis; le syndic du Villard
cite pour Genève en 1581 : le béchet (Forel, 331) et dans l'ex-
trait d'un acte de 1622, figurant parmi les matériaux du Glos-
saire des patois de la Suisse romafide, trois pêcheurs de Rolle
promettent au Conseil Ide Lausanne?] de livrer aux bourgeois
et habitants la livre de truite pour 14 s. et celle de béchet
pour 7 s..,. ^
* Selon le dict. manuscrit de Moratei, le brochet serait aussi nommé
vioiiar de horra «museau de canard ».
- Cf. Rolland III, 13J, anc. frç. hcchet, et Schuchardt, Z. /. rom.
Phil. XXX, 718.
•'' La taxe de Villeneuve présente le nom liicU [génitif], qui est sans
doute la forme savante du notaire qui savait mettre en valeur ses con-
naissances latines. Les textes du château de Ripaille offrent aussi un
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LÉMAN 33
Il nous reste à examiner les noms de la perche, du rotengle,
du gardon et de X ombre-chevalier .
Pour la perche, perça fluviatilis, on rencontre dans la Suisse
romande deux noms :
1. pèrts3 (vaud. frib/ genev.) S piertch (Charmoille), anc.
gQntw. perche (du Villard)-; -et, pertsèta (jeunes) [frib. vaud.
genev.], pèr/sÇ/a (Sugiez) « petite perche ».
2. doya, bolya (vaud.), boita, bohlla (Bridel), bolyq (genev.,
Hermance).
L'étymologie du premier est claire, c'est le latin perça,
tandis que l'origine de bolya reste incertaine *.
Les jeunes perches s'appellent : 1° milcanton (vaud. frib.
neuch.), qu'on serait tenté d'interpréter comme alevins four-
ambone (p. 318) que M. Bruchet identifie dubitativement avec le brochet.
— Les patois de la Suisse allemande offrent : Hecht (Id. 11,981), Schnà-
Ivli (jeune) Fatio V, 420, et les parlers tessinois nous ont conservé lu^,
lusc (Monti).
■ Les habitants d'Estavayer ont pour sobriquet : les Pertsets et ceux
de Riez le surnom : les holhai, v. note 4.
- La taxe de Villeneuve (1380) latinise le mot patois sous la forme
curieuse de perticarum (Forel 334): d'où il faut conclure que dés le
14e siècle pertica et perça ont donné le même résultat phonétique dans
le dialecte de Villeneuve.
■' V. une belle monographie de M. Hofer, Der Barsch, Beilage n" 22
du no I du t. IV de la Schw. F. Zfg.
* On serait tenté de postuler un type bocula, dérivé de boca (/Jùif),
mais hoca désigne le spams boops qui. à ce que je sais, n'offre pas de
grande ressemblance avec notre poisson (cf. Rolland III, 171, et Pieri,
Z. /. rom. Pbil. XXVII, 586). Le texte de la carte du syndic Villard
nous apprend que « la perche se treuve jusqu'à cinq livres et est en
sa saison au mois de Janvier. En Sebtembre la ferche s'apelle boitât, est
bonne au dit mois. » (Forel 331.) La holia ne serait donc qu'un nom
spécifique de la. perche à un moment donné où elle est sans doute bonne
à manger ; dès lors, on pourrait se demander s'il n'est pas permis de
reconnaître dans notre bolya le même mot qu'ont enregistré Const. et
Dés. : bolyà » jeune mouton ou cochon gras et rond », bolyo « homme
trapu » que M. Jeanjaquet est incliné à rattacher à bolyy « ventre, panse » ;
ce serait la perche bien grasse à l'époque où elle se retire de la région
littorale sur les bords des « monts».
34 J- JUD
millant dans tous les coins (cantons), le long de la place du frai
de leurs parents * ; 2° viva (vaud., Fatio IV, 14, Bridel [Vevey',
Dumur), genev, (Cris de Genève, cf. Blavignac, Eviprô p. 201)..
qui s'applique aussi bien à la loche qu'à la perchette ; il serait
le féminin de vivus (frç. vive), parce que les petites perches sont
d'une grande vivacité; 3^' jolerie (Fatio IV, \^),jhola «jeune
fera» (Hermance), cf. Bruchet, 606; Joulleri, djoulleri «blan-
chaille, menu poisson, fretin» (Bridel)', pour lequel je ne
connais pas d'étymologie satisfaisante ^ ; 4° bi'andenailles
' niilkeinton (Bridel), vaud. milkanlon (Vallorbe), anc. genev. tiiille-
canton (du Villard, Forel 332). M. F. -A. Forel, dans la Galette de Lau-
sanne, no du 28 juillet 1902, constate que dans un acte bernois de 1723
le mille-cantons est désigné par Taiisend Mccodeli, nom qui revient même
dans une ordonnance sur la pêche du lac de Morat en 141 1 sous la
forme de Tausend magetli « mille jeunes Hlles ». De plus, les prières d^
table de l'évêque Ekkehard IV de Saint-Gall, à la fin du 106 siècle,
offrent l'invocation suivante : millia coctorum henedic dee piscimloriim
« ô Dieu, bénis les mille petits poissons cuits! » (« Gott, segne uns die
tausend Backfische ! »). Le mot latin mille-coctoruni aurait abouti par
évolution phonétique — qui offre de sérieuses difficultés — à mille-
couetor -coneintor -coiieinton -keinton -canton, tandis que millia-coctorum
ou son produit patois aurait été traduit en allemand par Backfische ; ce
dernier mot offrant un double sens, aurait été remplacé par Mai^dehin.
Je me borne à mentionner cette ingénieuse étymologie, bien que, pour
des raisons d'ordre phonétique et chronologique, elle me semble peu
probable.
- Le syndic du Villard relève dans sa liste de poissons : « la jolerie
sont petites perches de la longiteur du doigt, est sa saison m Juin » (Forel
351). Dans les registres des dépenses de Ripaille, on retrouve par deux
fois : janlai (Bruchet 318, a. 147 1). Enfin, Fatio V, 245 indique comme
nom de la jeune fera : loiiland, mot dont la formation ne m'est pas
tout à fait claire.
•• M. P. Barbier fils, dans un article de la Rev. des l. r. LXIV, 168
{d. aussi Rev. de dial. rom. I, 438), examine une série de vocables qui,
au point de vue phonétique se rapprochent bien de notre mot, c'est /o/
(Gard, Hérault), «goujon » (Rolland III, 147), joell « atherina » (Pyré-
nées-orientales). Mais l'étymologie oculus , qu'il propose, ne saurait
convenir ni aux formes méridionales: hngueà. jol, Juol, juel, jiiiel,Jiivel
(Mistral), — v. aussi la carte œil de l'Atlas lingtiislique, — ni î\. jaula^,
johrie de la Suisse française. Dans le Laterciilus de Polemius Silvius
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LÉMAN 35
« petites perches, fretin, blanchaille » (Bridel, Const. et Dés. ;
Fatio V, 14, offre une variante (ou faute d'impression?'): sav.
br and email le), qui est le de'rivé d'un verbe brandinai « mar-
cher et circuler sans cesse » (Montbéliard), franc, mérid.
brandinà « flâner » (v. Projet d' arrangement du Glossaire des
patois de la Suisse romande, 19071 s. brandenailleY.
Le rotengle, scardinius erythrophthalmus, est confondu sou-
vent avec le gardon, d'où il résulte quelque incertitude dans
la terminologie des deux poissons. Voici les noms qui nous
sont attestés pour la Suisse romande :
I. genev. vaud. raufe ; roufa (vaud. Roche), anc. genev.
roffa (Forel 332), vaud. raufa, roffa (Bridel), qui doit peut-être
son nom à ses écailles d'un jaunâtre cuivré. Pour des raisons
d'ordre phonétique, il n'est guère probable que le mot remonte
au latin rûfu «rouge» attesté comme nom de poisson dans
un texte cité par Ducange^.
on rencontre dans la série des noms des reptiles le mot iulus
(<^ toi'?;,of) V. Thomas, /^o?M. XXXV, 167, qui, phonétiquement, pourrait
bien être la base de notre mot romand.
' Selon Fatio V, 14, voici les noms de la Suisse allemande : (jeunes)
Euerlich. Hi'irlig {Id. I, 144), Trdnli (I, 144) ; (plus tard) : EgJiii (I, 144),
Fenderling (« l'antenois » Id. I, 1020), Kret\er (III, 951), Ba>schliiio,
Stichling, Schanhfisch {Id. I, 1103) Rauhegel ; (adulte): Barsch (v. Kluge
s. V.), RechUng (Id. VI, 137), Bersich (Bâle, Id. I, 1599 ^'- Kluge
s. barsch), Raubfisch, Lntz, Btit^lld. IV, 2000, v. p. 12 n.); v. aussi une
étude sur la perche des eaux suisses par M. Hofer, Schiv. F. Z/;'. I\',
285. Sur les bords des lacs du Tessin et de la Lombardie, on dit
(Jeunes) : centin, cent-in-hocca (v. p. 15 n.), handirâlo, hertoiisceUo, gbeubh
(^ « gobbo », c'est-à-dire « p. à dos recourbé «) ; (adulte) : pesce per-
sico, péss-persigh, persighin (cf. Meyer-Lùbke, Et. IVtb. no 966), ruttcll
(de la couleur du rat?)^ berlon (Monti) dérivé de berla « taccola », qui
partage avec le poisson les taches ou bandes noires du corps).
- Vita B. Berthol. : Appropinquantibus illis Jliivio ciini sagena ; ecce
ininmi dictn, piscis, qui vocalur tymalhis, riifo perseqiieiite, actus in Jugani,
nn'rantibits ciiiiclis, de aqiia in terrain exilivit. Il est en effet bien curieux
qu'un petit poisson tel que le rotengle puisse menacer le thyniaUns qui
est notablement plus grand. Du Cange cite un autre témoignage de
36 J. JUD
2. neuch. rotte, roitelet (rota à Sugiez, selon M. Fankh.),
vaud. rotta (Bridel, s. rofà), qu'on serait tenté de considérer
comme un emprunt fait au suisse allemand rotte, rotel ; cepen-
dant il faut tenir compte de l'existence de la forme rottas dans
le Latercidus de Polemius Silvius (cf. Schuchardt, Z. f. rotn.
Phil. XXX, 727). D'autre part, les rédacteurs de V Idiotikon,
VI, 1785, de la Suisse allemande sont eux-mêmes bien embar-
rassés pour expliquer le suisse ail. rotte [içt/i à Montilier
(Morat), à Douanne, à Gléresse iBienne)], qui ne peut être
un dérivé de l'adjectif marquant la couleur «rot». S'agit-il
encore ici d'un mot appartenant au fonds commun des patois
allemands et romands du plateau suisse^?
3. sav. plate, plateron, platelle (v. p. 13), qu'il aura peut-
être reçu à cause de son corps fortement comprimé ".
Ruodlieb (ne siècle); lucius et rufus. Dans le Coutiimier de Talloires
(Savoie) de 1568, M. Bruchet (Ripaille, p. 596) relève le texte suivant :
tinam hi^olam seu veyronum cum parvis piscihus omnia in oleo frixa, et
cum Mis débet intinctum ruffum seu salsam riijfam. Mais pour appuyer
l'étymologie, il faudrait démontrer l'existence de l'adj. riiftis dans le
franco-prov. ; pour l'anc. frç., v. Ott, Etude sur les couleurs, 1 16. — Au
point de vue phonétique, il serait préférable de rapprocher le nom du
poisson de la famille bien répandue ruf, représentée dans le franco-
provençal par roja « morve», rfiais je ne vois pas de moyen pour expli-
quer l'évolution sémantique du mot. — Enfin existe-t-il un rapport
quelconque entre rujolk [Id. VI, 678) et la roja ?
' La taxe de Villeneuve (Forel III, 334) offre brame [génitit], dont il
n'existe aucune trace dans nos patois ; c'est évidemment le frç. brème
{v. Dict. gèn., Rolland III, 144, hranma, Const. et Dés. et Antoine
Thomas, Rotn. XXXV, 1 90-191). V. aussi l'article du Projet d'arran-
i^ement du Glossaire n" 5461.
- Voici les noms que Fatio IX , 459 a puisés dans la langue des
pêcheurs de la Suisse allemande : Rotten (v. Id. VI, 1785), Rothasel, Schwal
{Id. I, 1104), Schneider fi sch (I, 1104), Forvi (I, 1017), Furn, Furnickel
(I, 1022), (jeune) Gnitt (Id. II, 676). L'allemand désigne le même
poisson par le nom Plot\e, qui s'accorde d'une manière frappante avec
le haut engad. plot'a (Pall. et Melcher), com. piôta (Monti), que nous
devons mettre en rapport avec le posch. plota, lomb. pioda,pioda,piola
« lastra di pietra » (v. pour le sens sav. plate, plaleron ■< plat). Sur
cette famille de mots, v. Salvioni, Bo//. storico délia Si'ii:^. ital. XVII,
LES NOMS DES POISSOXS DU LAC LEMAX 37
L'ablette, alburnus lucidus, porte les noms suivants: i" sar-
dine, mirandelW^ (v. aussi Const. et Dés.). — 2° tiaze, qui est
ailleurs le nom du chondrostema nasus, suisse dW.Nase, Nasen-
Jisch, neuch. nase, naze, frib. nâz^, (Sugiez, Fankh.) masc. ; c'est
sans doute un mot d'emprunt tiré des patois allemands voi-
sins, puisque d'une part nasus a donné nâ dans les dialectes
neuchâtelois et fribourgeois et que d'autre part ce poisson
voyageur ne vit que dans les affluents du R/iiii. — 30 beseula,
(v. p. 28). — 4° vaud. ahletta^ablo (Bridel), frib. àhya {?>\ig\ez),
neuch. atible (^Rolland III, 140), ahle, laube'-, Morat abbelé (¥3.\.\o)
— qui est le latin albula^ (à cause de ses écailles d'un beau
blanc argenté). — 5° blanchet, blanchaille (Fatio), blyantsè
(vaud. frib.), bllantzet (Bridel), dérivé roman de blyan, blyantsè
(cf. albula). — 6° neuch. rondion (Bridel), rondzon (vaud.
frib.), qui se rattachera peut-être à rond à cause du museau
plus ou moins tronqué obliquement (v. naze) ou bien à rondzon
«trognon d'un fruit», quoique le développement du sens ne
soit pas clair*. — 6° anc. genev. horreta (du Villard), dérivé
141; XVIII, 40; XIX, 162; XXIII, 90. Kendic. delPIstituio lomh.
XXXIX, 514-515, Rom. XXXVI, 244, Memorie dell'lstituto lomb. XXI,
528, v. Ettmayer, Z. /. rom. Phil. XXX, 528, et sur le nom piota
comme nom de poisson v. Ant. Thomas, Rom. XXXV, 187 ; Schu-
chardt, Z. f. rom. Phil. Meyer-Lûhke, Ibid, XXXI, 503. Sur le tessi-
nois scardola v. aussi Thomas, Rom. XXXV, 191 et Schuchardt, Z.f.
rom. Phil. XXX^ 729 ; v. enfin un article instructif de M. C. Wanger,
Beilage 25 de la Schiv. F. Ztg. IV.
' Tous les deux noms doivent être sans doute peu anciens, le second
est dérivé d'un substantif meranda [cf. vb. nieri « mirer», meriola, nii-
riola « marqué de taches blanches » (Bridel)], formation attestée dans
nos régions aussi par le vaud. cosandai, -aira (< consuenda -\- ariu
« tailleur »). Sur ces formations, v. Pieri, Z.f. rom. Phil. XXVII, 459
et notamment p. 462.
- Cf. aussi le suisse ail. Lauheli, Fatio IV, 416.
•'' Cf. Rolland III, 140, frç. ablette {Dict. ^èn.), Thomas, Mélanges, 22,
Nouv. essais, 82; Grammont, La dissimilation consonan tique , p. 62,
P. Barbier fils, Rev. de phil. frç. XXI, 385, et Rev. des langues rom. LI,
241, et surtout Désormaux, Revue savoisieniie XLV, 68.
* Du Cange cite le nom de poisson rundula, que je ne puis contrôler
38 j. JUD
de horri , borron, borré , hourri « canard, oie » (Bridel). —
7° tnedzd (vaud.), medzd-mèrda'^ (Villeneuve, Noville), genev.
t/iatige-merde (Rolland III, 141), noms qui s'expliquent par
Tappétit extraordinaire de ces petits poissons, qui se jettent sur
tout ce qui tombe dans l'eau ^
Le (jardon, leuciscus rutilus, est souvent confondu avec le
rotengle : tous les deux sont d'un vert olivâtre ou bleuâtre en
dessus, se fondant sur les côtés dans un jaunâtre plus ou moins
cuivré ou argenté ; de là une assez grande incertitude dans la
nomenclature des deux poissons. Voici les noms recueillis dans
nos patois romands (Fatio IV, 481) : 1° blanchct (Evian) (v. p.
37); 2"^ vaud. ratife (Saint-Saphorin), (v. p. 35); 2>° f^S^' * ^^^'
geron » (Bridel, usité à Lutry selon Jurine), que l'on voudrait
rattacher à fagot, quoiqu'il soit difficile de reconnaître le ter-
tium comparationis\ 4° rosse, qui sera «la rousse » (Rolland
dans le texte latin auquel il renvoie. Il n'est guère permis de supposer
que notre mot soit un dérivé de (hi)runda, point de départ d'autres
noms de poissons (v. P. Barbier fils, Rev. de dial. rom., I, 447).
' Les substantifs composés d'un impératif et d'un substantif sont très
nombreux dans nos patois romands; en voici quelques exemples for-
més avec le verbe vicdii « manger d : madia-brssé « mange-gautre »
(surnom donné aux gens de Çiez près Villeneuve, mdd:(3-fêdio « mange-
foie » (surnom donné aux gens de Nyon), med%e-gratta « mange-gale
ou gagne-peu » ou plutôt « qui mange ce qu'il a réussi à gratter, à
gagner péniblement », med7;e-campouta «mange-choucroute», l'un des
surnoms des habitants de Venezy), medie-cudra « mange-courge ». sca-
rabée doré, beau coléoptère vert, carnassier vorace qui vit d'insectes n,
ined\e-profi =. « mange-profit », « petit travailleur qui gagne à peine son
entretien », etc.
^ Les patois de la Suisse allemande désignent le même poisson par
Ischer (v. p. 11 n.), Winger (Fatio IV, 416), Blâuîing (Id. V, 245), Luenili
{Id. III, 1548), Ingerli (I, 336), Seeleti (v. p. 14 n.), GrâssJing {Id. IH,
8521, Zienfisch (Fatio; Id. I, 129), Wissfisch {Id. I, 1105), Lagune {Id.
III, 1172), qui rappelle d'une manière bien singulière l'agon du lac de
Côme, lequel désignerait toutefois, selon Monti et Fatio, un tout autre
poisson, l'alosa finta cf. aussi Lorck, Altherg. Sprachdenkm., 217. Une
variété de l'ablette, alhitrnus alhorella, vivant dans les eaux tessinoises,
serait appelée selon Fatio IV, 441 vairon (Monti), v. p. 14.
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LEMAX 39
III, 142); ^° français (Evian), mais le mot le mieux attesté dès
la fin du moyen âge est 6° veindzeron, vendzero7i (frib. '), î'an-
geron (Hurabert), neuch. vingeron (Wnmbtxt, s. vangerofi), dont
la taxe de. Villeneuve (1380) nous apporte déjà le témoignage
précieux: vengerotiorum [génitif]; nous retrouvons ce nom aussi
dans la liste des poissons établie par le syndic du Villard de
Genève en isSi : <■< Le vetigeron se pesche jusqu'à demi-livre, sa
saison est en Juin. Des moindres. » (Forel 332). L'explication,
donnée par. M. P. Barbier fils, Rev. des l. rom. LI, 404, qui
croit reconnaître dans vengeron le représentant patois du franc.
vigneron, est inadmissible, puisqu'une forme vindzeron = vi-
gneron est incompatible avec toute la phonétique régionale
(v. At/as lingîiist., c. vigneron). Il paraît plus probable que
nous avons affaire à la base qui se continue dans l'allemand
Winger, qui désigne le gardon dans la Suisse allemande-:
ce mot remonte à un type vingari, qui aurait abouti tout
régulièrement dans nos patois romands à *vindzer, forme
élargie "par le suffixe fréquent -on en veindzeron. L'origine de
vingari est obscure^.
Il nous reste à parler de l'onibre-chevalier, salvelinus
umbla, qui est appelée sur les bords du Léman omble-chevalier
et (par étymologie populaire ou par confusion avec Vonibre)
aussi ombre-chevalier, tandis qu'à Neuchâtel on connaît le
' A Sugiez (lac de Morat) vindi^ron, à Auvernier, Marin (frç. local)
vingeron (lac de Neuch.), à Montilier près Morat (allemand) : vinid:;drùr]
(autrefois : vlmsr?), à Douanne, Gléresse, Lùscherz (lac de Bienne) :
vlTivdVd fém. (Fankhauser).
- Le mot, vivant dans la région située entre les lacs de Morat, Neu-
châtel et Bienne, désigne le gardon, tandis qu'à Lucerne IFiiiger est le
nom de l'ablette (v. Asper, 93, 96).
^ Le nom le plus connu de la Suisse allemande, Rdteh{Id. VI, 1775)
fait allusion aux nageoires souvent rougeâtres du poisson. Les lacs au
sud des Alpes offrent plusieurs variétés caractéristiques de notre espèce:
1° leticiscus pigits, com. pigh (v. les explications données par Fatio IV,
511 n. et Monti, s. pigh), dont Veiicôbia serait la femelle (Monti, Cheru-
bini) ; 2° leuciscus aida : truîl, tro'i (Fatio IV, 536; trtii, triât, Monti).
40 J. JUD
poisson sous le nom à'amble. Les matériaux recueillis au
bureau du Glossaire de la Suisse romande présentent les
formes suivantes : ovibrechevalyé (Sugiez, frib.) — sans doute
forme francisée — anbiou (Portalban, frib.); Const. et Dés. ont
enregistré le sav. anbrd « ombre-chevalier », du Villard connaît
en 158 1 omble, qui s'accorde parfaitement avec amblii [génitif]
de la taxe de Villeneuve (1380) et ambulœ des comptes du
châtelain de Chillon (Forel 334, 335^). Sur la côte savoisienne,
ce sont les registres de dépenses du château de «Ripaille qui
nous fournissent la preuve de la grande faveur dont l'ombre-
chevalier jouissait sur la table des seigneurs et des moines de
Ripaille : pro 4 ambulis (p. 318, a. 1471), pro 12 omblaz (ibid.),
ambloz (p- 317, a. 1 415, 318, a. 1471). Il est évident que toute
recherche étymologique doit partir de la forme la plus an-
cienne qui est ambula, transcription latine d'une forme patoise
ambla ou amblo, que je crois identique avec l'amulus^
(> amblo) attesté dans le Laterculus de Polemius Silvius ^
' Le dérivé anibkria et amblaria se rencontre dans deux actes de
1363-1364 et de 1403, rédigés sur la côte vaudoise près de Montreux .
Ce seront sans doute des viviers où l'on enfermait un certain nombre
de poissons prêts à être servis quand des hôtes imprévus venaient
demander l'hospitalité du châtelain de Chillon. Aujourd'hui, on désigne
le lieu de frai de l'ombre-chevalier par le dérivé : omhlièie (Forel III,
Introd. p. i).
" L'étymologie umhra proposée par M. Barbier fils, Rez^. de dial. rom.
I, 452, est donc insoutenable.
Dans les villages allemands des lacs de Bienne et de Morat, la
forme primitive, mais aujourd'hui disparue, des patois romands avoisi-
nants s'est conservée : amhdlï (Lùscherz) et ampAi (Montilier près
Morat), cf. aussi Id. I, 239. Fatio V, 397, relève comme nom de
V ombre-chevalier sur les bords des lacs de Thoune et de Brienz le mot
hamel, qui, dans ce pays anciennement roman, atteste peut-être la sur-
vivance de amulus, rapproché de hammel {}) par l'étymologie populaire.
On trouve en outre Rotel, v. p. 39 et Ritter {Id. VI, 1719), qui traduit
le second élément du mot français (ombre-chevalier) .
^ Polemius Silvius est, pour ainsi dire, le premier lexicographe
franco-provençal. Quoiqu'on n'ait pas de raisons suffisamment solides
pour identifier l'auteur du Laterculus avec Silvius, évêque d'Octodurum
LES NOMS DES POISSSONS DU LAC LEMAN 41
*
La recherche étymologique est souvent appelée à nous
éclairer sur l'histoire de la civilisation, là où il ne subsiste pas
de documents écrits : on pourra donc considérer ces recher-
ches sur l'origine des noms de poissons comme une contri-
bution à l'histoire ancienne de la navigation et de la pêche
de nos lacs suisses. Cependant, il faudrait bien se garder de
vouloir dès maintenant dresser des statistiques pour établir, par
exemple, le pour cent des mots appartenant par leur origine
soit au lexique latin, soit aux vocabulaires celtique et germa-
nique : ce serait négliger certaines distinctions qu'il est indis-
pensable de faire, si l'on ne veut pas s'exposer à tirer d'une
(Martigny), il n'en est pas moins vrai que sa liste de noms d'animaux
contient un nombre relativement considérable de mots appartenant
exclusivement au territoire franco-provençal ou à la Provence propre-
ment dite. II faut y distinguer, sans doute, deux parties d'une valeur
bien différente pour nos études : \° fonds traditionnel de noms remon-
tant à diverses sources anciennes, que nous ont révélées les recherches
de AIM. Thomas, Rom. XXXV, 161, et Schuchardt, Z. f. rom. Phil.
XXX, 712 ; 2° additions faites par l'auteur du Laterciilus , qui les a
recueillies dans les parlers de sa région natale. Voici la liste des mots
confinés au franco-provençal ou à la Provence : aries « bélier » (v. Atlas
iing., c. bélier), _camox « chamois » (qui n'est populaire en Gaule que
dans le territoire alpin), darpns « taupe » (cf darhoun, Atl. ling.,c. taupe,
taupinière), lacrimusa (cf. p. 14 et Thomas, Rom. XXXV, 180), mus
montanus «marmotte» (qui est peut-être une fausse latinisation du
nom de l'animal, qui s'appelait déjà à cette époque marmotta, répandu
jusque dans les Alpes s,nsonnQs) , amhicus (p. 23 n.),pelaica (p. 21), rottas
(p. 36), popia, que je crois identique avec le sav. poche «têtard», le
même mol (\viq poche «cuiller, poche » (v. Cornu, i?om. XXXII, 126), itilus
(v. p. 34). L'étude systématique du vocabulaire franco-provençal mettra
au jour plus d'un continuateur roman de ces mots énigmatiques du
texte latin. L'examen attentif de cette liste d'animaux nous enseigne
d'ailleurs un fait d'une importance capitale, c'est qu'il existait dès le
4^ siècle une notable différenciation lexicologique dans la Gaule romane :
c'est ainsi que darpiis «taupe » existait sans doute déjà dans le domaine
franco-provençal, où le latin talpa n'a jamais réussi à déraciner le mot
indigène sans doute préroman.
42 J. JUD
enquête pareille des conclusions mal assurées. — En premier
lieu, il convient de séparer nettement les poissons qui ont été
l'objet <l'iine pèche active d'avec ceux dont la chair est
peu appréciée ou qu'on capture pour servir d'amorce. C'est
à la première catégorie, la plus importante pour l'homme,
qu'appartiennent le brochet [bétset, brotsè;, la truite [traite],
la perdu pertse, bolia , Vomhre-chevalier [omble, amble], la
fera [fera, besole], gravenche '^graventse], la carpe Tcarpa).
En examinant, au point de vue étymologique, les noms de
ces gros i)oissons de pèche, on est forcé de constater que la
majorité en est d'origine préromane [bétset, brotsè, omble, fera,
gravenche '] ou de provenance douteuse | traite, bolia, besole (?)! ,
tandis que seul le nom de la perche (lat. perça) est d'origine
latine^.
Même parmi les noms des poissons de (fi-andeur moyenne
et de valeur médiocre [la lotte, le chabot, le goujon, le spirlin,
le vairon, la loche, l'ombre (espèces fluviatiles) ; la tanche,
l'ablette, le rotengle, le gardon, la chevaine (espèces lacustres)],
l'élément d'origine préromane ou incertaine ^ est fortement
représenté, bien que, il est vrai, les mots latins ou de dérivation
romane semblent prédominer \
' Le lecteur n'oubliera pas que les noms de la boiidelle, la palée du
lac de Neuchâtel. ainsi que du lavaret du lac de Bourget, sont également
d'origine inconnue.
^ Sur le mot cai-pa, v. {). 8.
■'' Voici les noms des poissons du lac Léman qu'il faudra ranger dans
cette catégorie: la lotte: lot la, miistela (?) [aussi la «loche»]; le
spirlin: neuch. harrè (vaud. borotha), plate [aussi le «rotengle»];
le vairon : leheite (?), gremoilloti \gremelbetta, aussi la « loche »] ;
petite j)erche : jola; rotengle: rotta (qui ne paraît plus être em-
ployé sur les bords du Léman) ; gardon : vingari {veiid:(eron).
* Voici les noms latins ou romans : chabot : tsassot « cyatiti ?),
têtu ; goujon : goujon (< gobius) ; vairon : vairon « varione)
[désigne aussi le spirlin], petit saumon, vouardon (?), bavibella, aniaron
(•< amar « amer ») , loche : moustache, barbet [barbotta a lotte »], dre-
millha {<^dormicn]are), baromètre ; ombre: ombra (< uynbra) ; che-
vaine: tseveno (<C capitine); tanche: tintsd (< tinca) (?) ; jeunes
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LEMAN 43
L'observation que nous venons de faire permet de supposer
que des noms d'un certain nombre de poissons se sont transmis
fidèlement de la langue parlée par les Helvètes à celle qui
triompha sur les bords du lac Léman, c'est-à-dire aux patois
romands actuels. La langue latine, parlée dans la Suisse fran-
çaise après la conquête de notre pays par les Romains, a donc
accordé l'hospitalité à un petit nombre de mots préromans
désignant des espèces de poissons particulières à nos lacs
suisses ^, tnais incomiues aux eaux de V Italie centrale.
En étudiant la terminologie des poissons communs aux quatre
systèmes des fleuves suisses (Rhin. Rhône, Tessin, Inn), on est
amené à constater la parenté remarquable qui existe entre les
noms des bassins du Rhône et du Rhin: hondelle, hiindeli |lac
de Sempach, etc., v. p. 20 n. 3I \palaie: Balche; fera: felche
(Pfarig, Pfarit) - ; vengeron: ivinger ; rotta : Rotte « rotengle » '
ablo : Laubeli « ablette » ; amblo : [h)amel « ombre-chevalier »^.
Ce fait s'explique le mieux par l'existence de la même popula-
tion préromane ou romaine sur tout le plateau suisse et par les
rapports intimes qui n'ont cessé d'exister depuis plus de mille
ans entre les Romands et les Alamans. Par contre, les concor-
dances entre la terminologie des poissons vivant dans les lacs
de r Italie supérieure (Lombardie et canton du Tessin) et ceux
des bassins du Rhône et du Rhin ne semblent pas être nom-
perches : miUecanton, viva, brandenaiUc ; rotengle et gardon:
ranfa [< rufa (?)], sardine, miraiidelle [aussi « Table »] ; ablette : ablo<
Manchet [aussi le « gardon »], horretta (< borri « canard »), med::t-vieyda
(« mange-merde ») ; gardon : fagot, rosse, français.
' Il importe d'insister sur les noms des coréi:^ones et celui de Vouibre-
chevalier.
- Parmi les noms des corégones répandus exclusivement dans la
Suisse allemande, il faut relever Albock, d'origine latine ou préromane
(■< albii ou ■< aiiibicu), Aibeli (< albnla ?), renke « mâle de la fera »
(p. 23 n.).
^ Je laisse de côté : goujon: Gïitsche (lac de Bienne), phatè ; Ischerli-
platte « spirlin », banibela, bambeîi : « vairon », amblo : anipjli (lacs de
Bienne et de Morat) «ombre-chevalier», qui sont peut-être des em-
prunts faits à une date relativement récente.
44 J- J^'D
breuses: trinscia: Trusche ; scazzun : tsaso « chabot» (?); bot :
Butt : bot « chabot, têtard » ^ ; enfin , les noms de poissons
appartenant aux eaux des 6^r;i'^«j-, dont la faune ichthyologique
est très pauvre, semblent tantôt s'appuyer sur celle des patois
alamans [/^rf/Zr?, schilt, ahr, frilla{?)\ tantôt sur celle des
patois lombards {scarun « saumon ■»,rambot « têtard, chabot (?) » ;
plotra «rotengle » (?), tandis que le nom surselvan de la truite :
lik'iva, haut-engad. smarok\ paraissent attribuables exclusive-
ment au domaine rétoroman.
En présence de la persistance des mots préromans dans la
terminologie des poissons, on serait porté à croire que les
noms des instruments et des outils servant à la pêche remonte-
raient également en partie à l'époque préromane. Cependant,
bien que rien n'empêche d'admettre que les palafitteurs ou les
Helvètes aient déjà fait usage du hameçon et du filet pour
prendre les poissons, le vocabulaire technique des pêcheurs
romands ou alamans n'offre guère de termes communs qui nous
reportent à l'époque précédant l'établissement des Romains,
en Suisse. A en juger d'après une enquête sommaire, ce seraient
même les Romains qui auraient introduit les engins perfec-
tionnés destinés à augmenter le produit de la pêche : en effet,
nos pêcheurs alamans continuent à se servir i° de la sage < sa-
gena- (lac de Constance),/^. VII, 477. Liebenau 38, attesté déjà
dans le v. h. ail. v. b. ail. segina, frison, seine, angl. segne, Kluge
Pauls Grundriss I - 344, et Archivf. das Stud. d. neuern Sprachen
CVIII, 194 -; 2° du tracht (garn) < tractu, Id. II, 425, Sckiv.
F. Ztg. I, n*^ 8 : Irachtgarn (témoignage du mot qui remonte
au moyen âge), Liebenau 38^; 3'^ de la Tragele {Jroglen, lac
' La carpe a son histoire particulière, v. p. 8.
- Le mot s'est conservé aussi dans les langues romanes : a. frç. seiyie.
« filet qu'on traîne sur les grèves » (v. Atlas ling., c. filet), anc. prov.
sagena « sorte de vaisseau » (?), — il semble absent de la Suisse ro-
mande, — bergam. saina, com. saina « sorta di rete simile al tramaglio »
(Monti), tosc. sagèna, etc.
■' Le latin tractu sert à désigner tantôt un engin de chasse (et. mil.
LES NOMS DES POISSONS DU LAC LEMAN 45
de Bienne dans Liebenau 126, Trogele, lac de Constance,
Klunzinger 168) < tragula^ qui est aussi entré dans le v. angl.
troeglian (drognet < tragum ), Kluge, Pauls Grundriss I "'346;
4° Klusgarn (lac de Constance), Id. II, 421, Klunzinger 191,
Liebenau 38), pour lequel il faudra peut-être rappeler l'exis-
tence des reti da chiusa, Schuchardt, Ro?n. Etyniol. II, 107 ;
5° ]Varlef [Suisse centrale, Id. III, 11 49; IV, 1454 (lac de
Thoune), Liebenau 90, 127 (lac de Bienne) , qui n'est pas autre
chose que vertibulum, transformé par Tétymologie popu-
laire - ; 6° Arrach « palissade installée le long du bord pour
retenir les poissons » (lac de Constance) <C arca (?), v. Id. I,
T^Z'è., Klunzinger 191 [v. aussi frib. artsd a péssons « réservoir à
poissons» (Montbovon, Lessoc) '. Enfin, les \QxhQS pulsen, qui,
trace « arnese da caccia », portug. trauta « rasto da caca » (Cornu,
Grundrissl^ 925), tantôt un filet dont je ne puis malheureusement indi-
quer ni la forme ni l'usage : vén. trata (Boerio), et Gustav Mever.
Neugriech. Stiid. IV, 90, mais cf aussi com. trace de red « una tirata di
rete » (Menti). — Déjà en latin tractits désignait la laine entourée autour
de la quenouille et Ausone nous parle des stataria retia suheriuis corti-
cibiis extetidere, signis per certa iiifervalhi dispositis tractus funiuin li-
hratitur haniati.
' Le mot est largement représenté dans les dialectes romans de
l'Italie, de la France et de l'Espagne; je me home à citer ici les formes
des patois avoisinants de la Suisse romande : vaud. trahUa « tramail,
sorte de filet » (Bridel), tandis que la iragualla (Bridel) du Lac de Morat
(Liebenau 119) doit être expliquée comme un emprunt fait aux patois
alamans voisins : Trogdh. Le mot, au sens de Kjilet », semble faire
défaut sur les bords des lacs subalpins de la Lombardie et du canton
du Tessin.
- V. les nombreuses formes que M. Schuchardt a recueillies dans la
Z. /. nvii. Pbil. XXX, 208, frç. verveux n filet circulaire soutenu
par des cercles qui vont en diminuant jusqu'au fond où tombe le
poisson », poitev. mervau, Meyer-Lùbke, Rom. Gramni. II, § 500, Thomas,
Rom. XXXVII, 128, Atlas, linguist. c. filet (P. 510); à Sugiez : hèrfOU,
Bull, du Ghss.W, 57 (cf. aussi Bridel 25), vèrvo, voirveati (Jura bern.).
•' Les patois romans (italiens et franco-provençaux) ne semblent
connaître ni la rûsehe d'origine incertaine, Id. VI, 1476-79, ni la Bere
(< lat.-grec. pera, Id. IV, 1455), qui, il est vrai, est entrée, à une
époque récente, dans les patois du Jura bernois hid, beù,bé^ (Glossaire).
46 J. JUD
il est vrai, n'est pas attesté au sens de « troubler l'eau pour
chasser les poissons » ^ dans nos patois allemands {Id. IV, 1 2 1 9)
et irible"^ (Liebenau 491, qui entre dans la famille de tribu-
lare, Schuchardt, iÇ^w. Et. II, 137, complètent la terminologie
technique du pêcheur ^.
^ Le hlun^e7- « bouille o (v. Ici. V, 126) se rattache peut-être à la
iamille nombreuse que M. Schuchardt a étudiée dans ses Rom. Et. II,
128-129; le Jager [Id. V, 126 s. blunzer) est peut-être une traduction
allemande de la tschassaiissc (?) Liebenau 120 (v. aussi Ityéta dé tsèss
« bateau de chasse» (Sugiez) Bulletin VI, 58, qui est appelé à Bienne
Jager, Id. III, 19). Le vivier du bateau est appelé à Sugiez : gré {Bulletin
du Gloss. VI, 56), qui n'est peut-être pas autre chose que le gra{u)s
« vivier » du lac de Bienne. Id. II, 782, Liebenau 129.
- Vaud. trohlya « filet à manche », valais, truhlya « grand filet », vaud.
trohyâ « agiter l'eau », Sugiez truhya « filet à manche qui sert à prendre
les p. » Bulletin du Gloss. VI, 55, S9 et trohla, Liebenau 18 (document
de Romainmôtier). — La cincta « circuitus, ambitus, modus piscandi,
quo circumeundo pisces cinguntur et capiuntur », Liebenau 38, n'a pas
laissé de traces dans les dialectes de la Suisse allemande ; je n'ai pas
réussi non plus à retrouver pour le mot pala dans les patois actuels un
sens analogue à celui qui est attesté dans un document genevois du
14e siècle: secundum boiios usus Roddani fructus omnes et exitus seu pro-
vcntus duarum palarum... in piscaria Roddani, quarum una vocatur ma-
gistra pala, et alla pala Vissery (Liebenau 61 traduit le mot par « Fach » ;
v. /(/. I, 658). Mais peut-être sera-ce le mot pala «petit échafaudage
composé de quelques morceaux de bois, perches, liteaux » (pour quel
usage ?), relevé par Bridel ?
•^ Il ne faudrait pas oublier non plus le type du vieux bateau plat à
flancs parallèles, sans quille, de forme rectangulaire ou à proue effilée
(Forel 558), qui porte dans nos patois alamans le nom de naue {Id. IV,
880), correspondant exactement à la nau, na, nauha (Bridel), Jura ber-
nois nava (Gloss.) et à ses dérivés tiavattai « batelier», naviot a petit
bateau» [Sugiez: grô navé «grand bateau pour quatre personnes»,
navyô « b. pour deux personnes » {Bulletin du Gloss. VI, 58)], vaud. nâ,
nô, Odin, Phonologie des patois du canton de Vaud 21, navata, navaterio
déjà dans Bruchet, p. 339, 608. Sur les rapports qui existent entre les
formes alamanes et romandes, v. YAugQ, Pauls Grundriss ^I, 341, Schu-
chardt, Z.f. roin. Phil. XXIII, 186 ; XXIX, 5 5 S") 56- Enfin, M. Schu-
chardt a attiré tout récemment l'attention des romanistes sur l'allem.
sâss, SÔSS3, qui se rattache au bergam. sassola, mil. sasser, sassera, etc.,
prov. mod. sasso, sanso « pelle creuse à anse ou à poignée qui sert à
Lrs noms de la , fera " en Suisse.
V.,,_ / Reloues sur place-, transcription phonétique du glossaire.)
/('^l'^
,/ 7
hauD
/l
hala
10
altui
'Ihjli
5hau_\,i f jifiirit ?n.
pahii/.i fera in, ,5
liiUJ i bondiila f
^^j^âhifblcuhr /^Ixj[all>.j/, "S^'l
hâ-ld
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pal il i
auùèic,.
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'"'•sllZfera qui fraije
(/ih.prci'yc <iu ■
bord du /lie!
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U AIonliUer[utlcriiand] S ^l<-'9yc'i-
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5 Luschcrz _ ., I ■ , c
6 Doua une ^allemand] W SriupaduT .Sec 1U (nvi/m J.-e
V y/iun "" // lliillioilcr .Si-c l5\\,ilcii -hr
12 nii/Juvd
13 Xiti ich
1U (ilVl/c/l
15 Wnlcii
16 lior.uhiuh
1/ liriuatiiuicn
LES NOMS DKS POISSONS DU LAC LEMAN
47
Mais il est temps de terminer cette excursion scientifique
qui a risqué plusieurs fois de m'entraîner trop loin, car il est
toujours bon de se rappeler la belle maxnne d'Euripide
0-JTCk) TÔ ).tKV viTTOV tTTM'JM
TOÛ ptyîSév ay«v
X«i E-J^fii(70\)(Tl (TOfOÎ plOt.
(Hippolyte 263-265.)
J. JUD.
jeter l'eau hors des bateaux >», v. Z. /. ro>«. Pè//. XXXIII, 655. —
Je laisse de côté le IVeier <^ vi varia, vaud. vivjé « réservoir ou étang
à poissons », qui a été introduit chez nous par les moines de nos grands
monastères suisses.
INDEX
OFFR.^NT TOUS LES MOTS Q.UI OXT ÉTÉ l'oBJET d'uN'E DISCUSSION' OU
QUI SEMBL.MENT ASSEZ IMPORTANTS POUR ÊTRE RELEVÉS
/. Mots romands et bases latines ou préromanes.
ableita . .
a 1 b u 1 a .
amaron
a m b i c u s
a m b G n e .
a m u 1 u s .
anbra sav.
arca. . .
bamb . .
bambeila .
barbot (petit
baroche .
baromètre
beccu . .
bèrlbu . .
besole . .
bétset . .
bia ...
bisoia. .
blajhon sav.
blanchet .
blavin . .
bolya . .
( b o m ) b y c i
bondaHr .
• ?/
• 37
• 15
• 25
35n.
. 40
. 40
• 45
• 15
• n
. 16
• 15
• 17
• 32
4)11.
27' 37
• 32
4)11.
-/
12 n.
37, 38
■ 14
28, 29
20 n.
bonde Irç
bondelle
borotha
borreta .
brame .
brandena
broccu
brotset .
b u n d o s
c a m b o s
c a p i t i n e
carpa .
c i n c t a
culyerèta ^
c }• a t h i u
darpus
dartre .
d a r V i t a
d o r m i c u
dremilJha
iago . .
t a r i o .
faro .
fera .
(férit)
lies
20 n.
• 19
• 13
■ 37
36n.
• 34
• 52
• 52
• ^9
23 n.
29,30
. 8
46 n.
un.
. 10
41 n.
16
16
[6 1
58
25-27
18 n.
f e r r a t a .
français .
gibbion
g o b i o n e
gôtrô°"za .
grava . .
gravenche
grè . . .
gremelhetta
gremoillon
grisetta . .
guglè . .
jolerie . .
j ulus . .
1 a c r i m u s a
lava . .
lavaret . .
lebette . .
e V a r i c i n u
Iota. . .
lotte (petite)
lucius. .
medze-merd
milcanton
niirandelle
.31
• 24
• 38
21 n.
. 12
i8n.
20-21
. 20
46 n.
. 16
. 14
. 14
17 n.
• 34
• 34
. 14
28 n.
28 n.
. 14
28 n.
. 6
. 16
32 n.
• 38
■ 33
■ 37
48
J. JUD
niotaila. . . . 7, i6
mouar de borra . 32
moustache ... 16
raus montaïuis . 40 n.
mustela. ... 7
nau 4611.
navis .... 460.
naze 37
ombra 17
ombre-chevalier 39-40
pala 4611.
palatae .... 21
palée 21-23
palèyôza , . . 22 n.
pelaica . . 21-23
pera . . . . 45 n.
perça 33
perce-pierre ...16
pertsa 33
plate 36
platt 13
plyatè . .
poche sav.
popia . .
roffa . . .
rondion .
. • 13
. un.
. un.
.35,38
37
rosse 38-39
rotta ... 33, 36
rufa(?) .... 35
rundula. . . 37n.
sagena . . . .44
sardine 37
sasso prov. mod. . 46n.
saumon (petit) . 14
têtu un.
tinca 29
tintse 29
trac tu 44
tragualla . . . 45 n.
tragula . . 44-45
trahlla . . . . 45 n.
traita vaud. ... 30
t r i b u 1 a r e
troblya . .
tructa. .
iruita. . .
tsaso. . .
tschassaussé
tseveno . .
t u r b u 1 a r e
turtur. .
u m b r a .
V a r i o n e .
veintousa .
veiron . 12
V e n d e s i a
vengeron
V e r t i b u 1 u m
vèrvô .
V i n g a r i
viva . .
V i V a r i u
vouardon
. 46
46 n.
30-33
30-51
■ 9
46 n.
29-30
46 n.
30 n.
• 17
• 13
30 n.
13-14
30 n.
• 39
• 45
4511.
• 39
• 54
47 n.
. 14
//, Mots rétoromans ou italiens
aser b. engad. . 18 n.
berton com. . . 35 n.
beutt com. . . 12 n.
Bonda (nom (le liett) . 19
bondai bresc. . . 19
cent-in-boccacora. 1 5 n.
chiusa (reti da) . 45
cuUeres gallic. . un.
frilla posch. . . 31 n.
gheubb com. . 35 n.
III.
kjazole . . . . un.
lik'iva surselvan. 3 1 n.
marok' b. engad. 31 n.
pigh. com. . . 39 n.
piôta com. . . 36 n.
plotra h. engad. 36 n.
rambot b. engad. 1 2 n.
rattell com. . . 35 n.
rilanka (Ems) . 3 1 n.
saina com. ... 44
scarun surselv. 31 n.
scarus . . . 31 n.
scazôn com. . . 10
silt h. engad. . 31 n.
starnicol com. . 15 n.
strinz com. . . 8 n.
trata vén 45
trinscia com. . 8n.
vairon com.. . 15 n.
zvol (Ems) . . 17 n.
albick . .
. . 23 n.
ameli .
. .15".
ampeli .
. . 40 n.
arrach .
... 45
àsche .
. 17-18 n.
balche .
. . 21 n.
bambeli
i3n., 15
bere . .
. . . 45 n-
blunzer.
. . . 4b n.
bùndeli .
. . . 20 n.
butt
15
chropfer
. , 18 n.
felchen .
. . 24 ss.
Mots alamans et allemands
graus . . . . 46 n.
gûtsche. . . . 12 n.
haniel . . . . 40 n.
ischerliplatte . 13 n.
jager 46 n.
kamp . . . . 23 n.
mœgetli (lauscnd) 34 n.
nase 37
naue. . . . . 46 n.
pfàrig 24
pfrille . . . . 51 n.
plôtze . . . . 56 n.
pulsen .... 45-46
renke
rilanke
rotli .
ru folk
sàss .
schwal
trachtgarn
tragele
trible
trische
warlef
^^etterfisch
vvinger
• 23
3in.
. 36
36 n.
46 n.
17 n.
. 44
. 45
. 46
8n.
• 45
170.
• 39
' Je regrette infiniment de ne pas avoir pu consulter l'étude intéressante de
M. Pavesi, La distiibuzione dei pesciin Lombardia, 1896, que je n'avais réussi à me
procurer qu'après avoir donné le bon à tirer aux dernières feuilles d'impression
EFFETS DE LA LIAISON DE CONSONNES
INITIALES AVEC S FINALE, OBSERVÉS DANS
QUELQUES NOMS DE LIEU VALAISANS
-♦-
Au lieu dit î/râs, petit hameau de la commune valaisanne
de Saint-Jean, dans le val d'i\nniviers, on voyait naguère un
charmant oratoire, qui a été malheureusement désaffecté et
converti en celUer. Encore en 1881, les actes de visite épisco-
pale mentionnent cette localité sous la forme archaïque js Pras.
La désaffectation du p et sa conversion en /, qui est l'un des
traits caractéristiques des langues germaniques, comparées aux
autres langues indo-européennes, n'a jamais eu lieu dans les
langues romanes, i^ initiale est ici, comme dans le mot anni-
viard le friviisè, « les prémices » ^, la continuatrice régulière du
groupe de consonnes sp, ïonné par la liaison du substantif avec
l'article pluriel. Pareillement, \'h des noms de lieu Harroz,
Hoinhes. Homhettes, Hondemhies, Horbes, à Chalais, Arbaz,
Lens et Ayent, n'est pas, comme le suppose M. Jaccard, dans
son Essai de toponymie (j^. 209), une « permutation curieuse » de
Vh initiale des formes normales Carroz,Coiidemines, Cojiibes, Qic,
mais le représentant ordinaire du groupe de consonnes sk dans
les patois de cette région Au cours de mes enquêtes sur les noms
de lieu du Valais romand, j'ai aussi observé à mainte reprise,
après l'article pluriel ou un autre mot jadis terminé par s, le
remplacement des consonnes initiales / et ts par {) ou h et s,
' GWliéron, Romania, XXV, p. 436.
50 ERNEST MURET
des groupes initiaux pi et kl \)Z.x fljil ou yj. En assemblant ici
mon petit butin, il me plaît, à l'occasion du soixante-dixième
anniversaire de M. Hugo Schuchardt, d'en faire hommage
à ce maître illustre, dont un mémorable article nous a ouvert
les yeux sur Les modifications syntactiques de la consonne ini-
tiale dans les dialectes de la Sardaigne, du centre et du sud de
l'Italie.
Dans le corps des mots, sp est changé en/, sc{h) ^ en s, sk
en // ou h', dans seize paroisses ou vingt-deux communes du
Valais romand, toutes situées en amont de Sion : au midi du
Rhône, à Hérémence, Saint-Martin et Evolène ^ dans tout le
val d'Anniviers (Grimentz, Saint-Jean et Painsec*, Vissoie,
Ayer, Luc^, Chandolin "), à Chippis^, Chalais et Vercorin*;
au nord du fleuve, dans la Contrée de Sierre (Miège, Veyras®,
Venthône, MoUens et Randogne "j, dans la paroisse de Mon-
tana et celle de Lens, comprenant Chermignon et Icogne ^S
^ Par c{h) je désigne le c ou k palatalisé avant a latin ou germa-
nique ou e, i germaniques, prononcé cl) en français, ts dans les patois
de la Suisse romande, et toujours représenté par cl) dans nos documents
du moyen âge. Cf. p. 52.
^ Pour la transcription du patois, voir plus loin, p. 59.
3 Paroisse séparée en 1703 de celle de Saint-Martin d'Hérens.
■* Village de la commune de Saint-Jean, situé à une petite heure de
marche du chef-lieu.
^ Dans l'usage officiel moderne, Saint-Luc, paroisse séparée au
commencement du xixe siècle de celle d'Anniviers, dont l'église est à
Vssoie.
'^ Paroisse séparée il v a une trentaine d'années de celle de Luc.
'• Village situé en plaine, à l'entrée du val d'Anniviers, et jusqu'à
ces dernières années presque exclusivement peuplé d'Anniviards.
** Haut village peuplé pendant deux mois de l'année par les habi-
tants de Chalais, mais formant une paroisse distincte.
® Paroisse de Miège.
'' Ces deux villages forment la paroisse de Saint-Maurice de
Laques, dont l'église est située sur le territoire de Mollens.
'" Les deux paroisses et les quatre communes formaient naguère
encore les quatre « sections » de la grande commune de Lens.
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 51
enfin à Ayent et Arbaz '. Le changement de st en t) est cons-
taté dans toutes ces localite's, hormis les cinq communes de la
Noble Contrée, où a prévalu le t commun à tout le reste du
Valais. On trouvera plus loin le détail de ces faits, avec l'indi-
cation de mes sources et la preuve de mes allégations. Or, à
l'exception d'un seul, tous les noms de lieu dans lesquels un p,
un t, un c initial nous apparaissent semblablement modifiés par
la liaison avec une s finale, ont été recueillis au-dedans des
limites qui circonscrivent l'aire de chacune des modifications
observées dans le corps du mot'. L'unique exception tout à
l'heure mentionnée est du petit nombre de celles qui confir-
ment la règle. Dans la commune de Granges, située entre
Sierre, Lens et Chalais, il y a un lieu dit î horbè, où l'on re-
connaît sans peine notre substantif féminin « courbe ». Le lieu
dit a rèkàla, prononcé Vèhâla par les habitants de Chalais et
les vignerons anniviards de Sierre, les prononciations èkortchyè,
«écorcher» (d'où le lieu dit a l'èkortyâ), et èkaouva, «balai»,
notées à Granges par M. Jeanjaquet, témoignent que le groupe
sk n'y est pas changé en //. Mais les vignes des Horbes, situées
aux confins des communes de Granges et de Chermignon,
appartiennent à des montagnards, dont la façon de prononcer
ce nom s'est imposée à leurs voisins de la plaine.
A l'occident, la limite entre l'/d'amont et le p d'aval, attestés
d'une part par le mot èfina (spina) d'Ayent, de l'autre par le
lieu dit ij èpin/\ à Grimisuat, coupe une vaste étendue de prés
situés aux confins de ces deux communes et dénommés parles
Ayentots î frïs, par les habitants de Grimisuat I pris. A l'orient,
Yh et 1'/ issues des groupes sk et sp débordent la frontière
' Commune et paroisse séparée au xix^ siècle de celle d'Ayent.
- M. Jaccard (p. 209) croit reconnaître une permutation de k en /;
dans le lieu dit aux Homes, à Gryon (Vaud). Mais 1'/; n'est ici que
graphique. Si je suis bien informé, elle ne fait pas obstacle à la liaison
de l'article avec le substantif, qui n'est sans doute pas autre chose que
l'afr. orne.
52 ERNEST MURET
actuelle des langues romanes et germaniques et se continuent
en bouche allemande, dans quelques noms de lieu romands
des communes de Sierre ^, Sarquène -, Varonne. Louèche-la-
Ville, Louèche-les-Bains et Albinen. Dans ces noms de lieu,
germanisés au xv= et au XVI^ siècles, dans les noms de famille
et dans quelques mots usuels se retrouvent, sous des formes
archaïques, les traits caractéristiques des patois actuellement
parlés dans la Contrée de Si erre. Au ts romand, continuateur
d'un c latin palatalisé avant a, y correspond habituellement
l'une des consonnes tch ou ch^, tandis que le ts germanique
* L'ancienne population de Sierre est de langue allemande. Mais
la plupart des Anniviards y ont des habitations et s'y transportent en
masse au printemps et à l'automne pour le soin de leurs vignes. Le
français est de plus en plus la langue prédominante : les plans du
cadastre, établis en 1903, sont en français.
- Officiellement SaJqiienen, en français, et Sah^esch, en allemand;
dans les patois romands d'alentour, chârkeno. La forme française Sar-
quène, employée quelquefois dans la première moitié du xix^ siècle,
est bien préférable à l'hybride Salqucnen et mériterait d'être remise en
usage.
^ Sierre: Champêtre, 1905, ail. tchampètrà, a tsampédrô (Anniviards);
Tschètroi. 1905, ail. tchyèlrô, a tséhio (Gilliéron, Glossaire de Vissoie)
ou tsêidrô (patois d'Ayer). — Sarquène : Tschallong, 1904, Champs-longs,
jetzt Schaloncr, 1851 (cf. le 1. d. châïon-n à Bramois, francisé en Jalon);
Tschendcren, 1904, Tschentern, 185 1 ; Schachtalar, 1904, Chachtelar, 185 1 ;
Schampedii, 1904, Chanip-pctâ, 185 1 ; Schampitro, 1904 ; Schandertiuo,
1904, Champs de Rhône oder Schanderunen, 1851 ; Scharsu, 1904; etc. —
Varonne : Flanlschang (cf. p. 64), Glotscheten, Grandschang, Gulantschi,
planitchât , Plantschelen, Praderolschi, Tschabîen, Tschabonetta, Tschampitren,
Tschanen, Leischier, etc. — Louèche-la-Ville : Meretschen, Trulschnrd,
Tschabh, Tschenifieri , Tschûdenet, Roschelten, etc. — Louèche-les-Bains,
1881 : Tschabkn, Tschahneten, Schachtalar, lêichîr (cf. lêch^, « marais »),
etc. ■ — Inden, 1895 : Tschabkn, Tscharboniry , Tschareien. — Albinen,
1881 : Rotschy, Tscherniinong, Schamonieren, etc. — Noms de famille:
Witschard (Louèche-la-Ville) ; ma-ntchèt, à Varonne, ma-nchèt, à Inden
(écrit Mayen^et). — Il faut signaler encore le curieux verbe tchânè, qui
signifie « ramasser la feuille du chêne pour en faire de la litière ».
Sur les conditions linguistiques de la commune de Bramois (près de
Sion), mentionnée ci-dessus et plus loin, voyez Zimmerli, Die Spvach-
gren\e in IVallis, pp. 26 ss
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 53
est demeuré intact dans tous les patois allemands du Valais ^
Preuve évidente, preuve décisive que le ts franco-provençal
n'est qu'une modification récente du tch prononcé en français
jusqu'au xiii= siècle et continué par notre ch moderne ! J'ai dit
tout à l'heure que, dans les patois romands voisins de la fron-
tière des langues, une s est issue de la liaison du c palatalisé
avec une s finale. Le remplacement du tch normal par ch, qu'on
remarque dans maint nom de lieu germanisé du district de
Louèche, ne serait-il pas un effet de la même cause? Suppo-
serons-nous que IV romane résulte de la liaison avec ts ou avec
tch? Cq sont là des problèmes difficiles, dont la solution n'im-
porte pas à mon propos et que je n'entreprendrai pas de
discuter ici. Us romane apparaît, d'ailleurs, dans les lieux dits
Maressen, à Louèche-les-Bains, et en Maressi, mentionné à
Sierre en 181 2 ; mais je n'en connais aucun exemple à l'initiale
du mot.
L'j" dont la liaison avec l'une des consonnes initiales/, /, c
a donné lieu aux modifications étudiées dans le présent mé-
moire, peut être la désinence d'un adjectif qualificatif accordé
avec le substantif suivant au pluriel, ou d'un substantif au plu-
riel accompagné d'un déterminatif quelconque. Ordinairement
c'est Vs de l'article joint à un substantif au pluriel. Dans la
prononciation du lieu dit a jîanùbrçns^'k Evolène, se font sentir
les doubles effets de la présence de l'article et d'un qualificatif
précédant le substantif « torrents ». Je ne connais que deux cas
où l'initiale modifiée apparaisse dans un nom de lieu du singu-
lier : les lieux dits a la scvalir (ou savalîr), à Evolène, et a la
ho?td:>mlna,di Chermignon". Cette anomalie se justifie aisément.
' Voir les formes patoises du mot :^eit, énumérées par Î\I. Zimmerli,
op. cit., p. 127. Le c latin palatalisé avant e et i est également repré-
senté par ts dans les lieux-dits ZenoJen, à Louèche-les-Bains, et tsèngU,
à Varonne (cingula).
- Cf. pp. 75 et 78. Je ne connais pas la Hoiima\, que M. Jaccard
(p. 209) mentionne comme lieu dit d'Ayent et qu'il identifie avec
l'appellatit « combe », £n supposant, contre toute vraisemblance, une
influence de la forme arermanisée kiimme.
54 ERNEST MURET
en supposant que le singulier actuel est issu d'un pluriel anté-
rieur. L'agglomération et le morcellement alternatifs de la pro-
priété foncière font souvent passer d'un nombre à l'autre les
noms de lieu, dont beaucoup varient, dans l'usage actuel des
campagnes, selon qu'on désigne le lopin d'un seul propriétaire
ou l'ensemble des propriétés du même nom. Cette considération
rend également compte, sans qu'il faille recourir à l'hypothèse
d'une dissimilation préventive, du sort différent des deux ini-
tiales dans les noms composés ï flampràs, à Chalais, et a flan-
torens, à Evolène. Ce devaient être, à l'origine, des singuliers,
qui, en passant au pluriel, ont été traités comme des mots
simples, à la façon du français « plafond », oh ce n'est qu'à la
réflexion que nous reconnaissons un composé. La différence
entre les lieux à\is Jla?itdrens &t flanbbrens fait pendant à celle
de nos pluriels « plafonds » ou « aubépines » et « bonshommes »
ou « petits-enfants ».
Le polymorphisme des consonnes initiales, tel qu'on l'ob-
serve dans les parlers sardes et italiens, répugne au français et
à nos patois, qui n'admettent de variation syntaxique qu'à la
fin du mot, selon qu'il est indépendant ou lié à un autre et que
le mot suivant commence par une voyelle ou par une consonne.
Pour que, dans les groupes syntaxiques illas primitias,illos
pratos, illos pianos torrentes, illos campos, illas
cumbas, les consonnes liées j/, st^ se aient éprouvé les modi-
fications en train de s'accomplir dans les mots spina, cris ta,
musca, scopa et autres semblables, pour que, dans les patois
d'Hérens, d'Anniviers, de Lens, de Chalais, d'Ayent, à Blonay
(Vaud) et dans tout le canton de Fribourg, le pronom « tu » ait
reçu dans la phrase interrogative une forme nouvelle, différen-
ciée de la normale par l'effet de sa liaison constante avec Y s
finale du verbe, il a fallu que le terme ainsi modifié ou diffé-
rencié fût, comme «prémices », isolé dans la langue, ou bien
que, par sa fonction, son emploi spécial, il eût cessé d'évoquer
à la mémoire les notions ou les images qui demeuraient asso-
ciées à la forme ordinaire, à la forme « normale » du mot. Le
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE ^5
nom propre ou l'appellatif, le substantif ou l'adjectif employés
à former des noms de lieu abdiquent en partie ou complète-
ment leur nature et leur valeur propre, si bien qu'il nous faut
un effort d'attention pour y percevoir autre chose que de purs
noms et en évoquer la signification originelle, fût-elle la plus
claire du monde. Ajoutez que, s'il y a un article, il fait partie
intégrante du nom de lieu et qu'il n'est pas loisible de le suppri-
mer, ce mariage sans prêtre n'admettant aucun cas de divorce.
Ces variations d'un seul et même mot que nous rangeons
sous la rubrique de la « phonétique syntactique » ou « syn-
taxique » dépendent de conditions si complexes et de causes
si ténues que l'on n'y saurait découvrir de règle fixe et que les
exceptions y foisonnent. Aussi les effets de la liaison des con-
sonne initiales/, /, c avec s finale ne s'offrent-ils à nous que
d'une façon irrégulière et sporadique. Dans certaines localités,
il y en a proportionnellement beaucoup plus d'exemples qu'ail-
leurs. Dans la grande commune de Chandolin, je n'en ai
recueilli qu'un ou deux, dans les petites communes de Chippis,
Veyras et Venthône aucun. Côte à côte apparaissent, dans des
noms de lieu formés des mêmes éléments, des initiales intactes
et des initiales modifiées. La plupart des noms de la première
catégorie peuvent avoir été formés postérieurement aux modi-
fications que l'on observe dans la seconde ; mais il serait hasar-
deux de supposer qu'ils l'aient été tous. Pour qu'une partie
d'entre eux y fût soustraite, il suffisait que la signification ori-
ginelle y fût moins oblitérée que dans les autres. On remar-
quera que, dans certains noms, la prononciation hésite entre la
consonne intacte et la consonne modifiée.
Dans la région des Alpes qui s'étend du Mont Rose jusqu'au
Mont Genèvre, l'abbé Rousselot^ a signalé des modifications
des groupes sp^ st, se, identiques ou fort analogues à celles
dont j'ai constaté l'effet au nord des Alpes pennines. Pareille-
' VS devant T, P, C dans les Alpes {Etudes romanes dédiées à Gaston
Paris, pp. 47s ss.).
S6 ERNEST MURET
ment, st est changé en d ou h, dans le canton de Fribourg, à
Montreux, à Blonay. Il serait intéressant de vérifier si les con-
sonnes initiales de quelques noms de lieu y ont été affectées
par ces modifications de la même façon qu'en Valais. Ni à
Blonay, ni à Montreux, ni dans les communes fribourgeoises
que j'ai visitées, mes enquêtes ne m'ont révélé rien de pareil.
Nulle part, dans les noms de lieu valaisans, je n'ai observé de
variations syntaxiques résultant du traitement différent de cer-
taines consonnes, notamment / et v, entre voyelles ou après
d'autres consonnes, sinon dans une aire très restreinte ou coïn-
cident, au centre du Valais, l'amuïssement du v intervocalique
et ces modifications des groupes sp, st, se désormais connues
de mes lecteurs. Aux confins des communes d'Ayent et d'Arbaz,
il y a un lieu dit i vsletd (Veleiles ou Villettes, 1880, 1858),
tandis qu'un des villages ayentots s'appelle la ela {Vellaz, 1906;
Laëlaz, 1880, 185 8). A Hérémence, on dit en ve'jf.a ^ {in Villa,
1878, 1851; Vella, 1851), en parlant du chef-lieu de la com-
mune, et dsri èÀa pour désigner des champs situés « derrière le
village» d'Euseigne. Dans ces très rares exemples, dans ces
cas exceptionnels, nous retrouvons en germe cette variabilité
de l'initiale caractéristique des parlers sardes et italiens et des
langues celtiques.
Les noms de Heu qui vont suivre sont répartis, selon les
effets différents produits par la liaison de Vs finale avec les
consonnes initiales, en cinq groupes, sous les rubriques sp, spl,
st, sc{/i), sk, ski. Quelques noms dont je n'ai pas réussi à
déchiffrer l'énigme sont rangés tout à la fin, sous la rubrique
Cas douteux. A chaque nom j'ai joint la plupart des mentions
parvenues à ma connaissance. Ces mentions datées sont tirées
d'anciens documents, imprimés ou manuscrits, notamment de
la collection des Mémoires et Doaiments publiés par la Société
d'histoire de la Suisse romande [M. R.'; des cartes n"= 481,
' Pour la transcription du patois, voir ci-dessous, p. 59.
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE tJ
482, 486, 487 et 527 (au 50 000 «^j de V Atlas topographique de
la Suisse, connu sous le nom d'atlas Siegfried S.] ; des plans
cadastraux récemment établis dans la plupart des communes
valaisannes ; des registres de la propriété foncière, qui sont
tenus à jour dans chaque commune par un « teneur des rôles »
et renouvelés quand le besoin s'en fait sentir; enfin (pour quel-
ques communes de langue allemande), des rôles de classifica-
tion des immeubles dressés chaque année pour la fixation
de l'impôt ^ Je n'ai spécifié la nature et la culture des lieux
dits que lorsque j'ai pu le faire très brièvement ou que cela
importait pour l'explication du nom. On verra par ces indica-
tions que la région des hauts pâturages, des montagnes, offre
(généralement parlant) moins d'exemples de consonnes ini-
tiales modifiées par l'effet de la liaison que la région des cul-
tures et des habitations permanentes.
Pour l'éclaircissement des noms, j'ai eu parfois recours au
Glossaire du doyen Bridel ou au Dictionnaire de Vancientie
latigue française de Godefroy, et j'ai souvent renvoyé le lec-
teur à VEssai de toponymie de M. Henri Jaccard, qui fournit
des matériaux de comparaison très abondants. L'amicale com-
plaisance de M. Gauchat m'a largement ouvert l'accès des
trésors du Glossaire des patois, et sa sagacité m'a aidé à ré-
soudre plus d'une difficulté". Grâce aux relevés phonétiques
faits par M. Jeanjaquet J.], en T899, dans un grand nombre
de localités du Valais, j'ai pu contrôler et compléter les infor-
mations que me fournissaient mes propres enquêtes et celles
d'autrui concernant les modifications subies par les groupes sp,
st, se, soit dans le corps des mots, soit par l'effet de la liaison
d'une consonne initiale avec s finale. Sous chacune des rubri-
ques sp, spl, st, sc{h), sk, ski, sont résumées les données géné-
^ Il me manque les dates de Varonne et de Louèche-la-Ville.
- MM. Séraphin Bétrisey, à Ayent, et Pierre Gaudin, à Evolène,
m'ont fourni par lettres quelques renseignements, dont je les remercie.
58 ERNEST MURET
raies ou particulières sur lesquelles se fonde l'interprétation des
noms de lieu. Mes principales sources d'information sont énu-
mérées ci-après :
Gilliéron, Petit Atlas phonétique du Valais romand (sud du
Rhône), planche 30: exemples recueillis à Hére'mence, Saint-
Martin, Evolènaz, Ayer, Saint-Luc, Chippis et au village de
Reschy, de la commune de Chalais.
Le même, Glossaire du patois de Vissoie, manuscrit au
Bureau du Glossaire des patois. — A ceux de Vissoie, l'auteur
a joint d'autres mots recueillis à Luc et à Chandolin,ou encore
de la bouche de passants originaires d'autres villages du
Avalais : « simples matériaux de comparaison, dit-il, que je n'au-
rais pas publiés. » La mention « Vissoie » ou, suivant l'occur-
rence, un G. entre parenthèses renvoient à ce précieux glossaire.
Le même. Notes dialectologiques , au tome XXV de la
Ro}nania (1896), pp. 425 ss.
Zimmerli, Die deutsch-franzosische Sprachgrenze in der
Schweiz, III (1899), Lauttabellen: exemples recueillis à Evo-
lène, Pinsec, Saint-Luc, Chalais, Montana et Ayent [Z.].
L. de Lavallaz, Essai sur le patois d' Hérémence (VdiXi?,, 1899).
Gilliéron et Edmont, Atlas linguistique de la France, points
979 (Lens), 988 (Evolène) et 989 (Vissoie). — Les exemples
cités ayant été recueillis par M. Edmont, je renvoie à ce mo-
numental répertoire, tantôt par l'abréviation A. L., tantôt par
la seule lettre E., entre parenthèses.
Comme la plupart de mes prédécesseurs n'ont pas marqué
ou n'ont marqué que très irrégulièrement l'accent des mots, je
ne l'ai noté que dans les formes que j'ai recueillies moi-même.
Dans les noms de lieu du pays allemand, il n'est indiqué que
lorsqu'il a surpris mon oreille par sa coïncidence avec l'accent
des langues romanes. Je me suis un peu écarté du système de
transcription en usage dans le Bulletin du Glossaire des patois
de la Suisse romande, en notant par en Ve nasalisé qu'on pro-
nonce dans les mots ïra.nçdà% £enja7nin ou maintien; par œn Vœ
nasalisé des mots bru?i, chacun, Jeun ou Meung ; par le lu
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 59
anglais Vou consonne articulé dans oi/i, ouais ç.\. fouet ; par â,
non seulement un a particulièrement long, mais tout a vélaire,
ou « fermé >^, comme on dit improprement en français. Trois
consonnes rares dans nos dialectes ont exigé l'emploi de signes
nouveaux. Par ii je représente Vn vélaire, notée en allemand
par 7ig dans Nibelungen et les noms de lieu en -ingen: par le /
grec 17 vélaire russe et polonaise ; par une h barrée la pronon-
ciation du cJi allemand après a, 0, u, dans bach, hoch, suchen
ou kuchen.
S + P>/
Gilliéron, Petit Atlas: vespam, spinam.
Le même, Remania, XXV, pp. 429, 436 et 437.
Zimmerli : sponsum (VII), spinam, vespam (XV).
Lavallaz, § 235.
Atlas linguistique, cartes 471, 474B, 476, 477, 483, 493,
672, 1238, 1553, 1711.
Ly, presque constante dans tous ces exemples, est encore
attestée, grâce aux enquêtes de M. Jeanjaquet, à Miège et
Venthône, dans les mots s pin a et vespa; à Hérémence,
Saint-Martin, Evolène, Grimentz, Painsec, Ayer, Saint-Luc,
Chandolin et Chalais, dans la formule de salutation bonum
vesperum, «bonsoir». L'enquête sur les noms de lieu me
fournit deux autres exemples du changement de sp en /"dans
le corps d'un mot :
B. lat. raspa, «râpe»: râfa, «mauvais terrain», à Ran-
dogne: 1. d. / ràfl\ à Saint-Jean et Ayer.
Raspille (la), torrent formant limite entre les communes de
Sierre et de Sarquène, les districts de Sierre et de Louèche
(S. 482): aqua que dicitur Raspilly, 1299 (M. R., XXX,
p. 535); // rafîly? (Veyras). — Lieux dits en la raflh (Anni-
viards), ail. râf\ll^ à Sierre ; en ra/îlyi, à Miège, en rafilyl,
à Mollens, a la rafilye, à Lens ; râfilyc, à Sarquène, râfilyi,
à Louèche.
6o ERNEST MURET
ï fachûn, prés à Ayer.
De pachon ou passon (Bridel ) , « petit échalas, piquet, jalon » ?
La comparaison avec le 1. d. i plan pachon, à Saint-Jean, rend
cette étymologie douteuse.
i falèt?, prés à Ayent: Palettes, 1906, 25.
De palèta, « palette » (A^issoie). Cf. les lieux dits i palçtè, à
Montana, et Palettes, ail. pâlctè, à Bramois.
ï falouk, 1. d. à Ayer: Falouc, 1902, 1873, 1859; Faluc, 1873,
1859.
ifalais, prés à Chermignon: Phaliix, 1856.
De paludem «marais». Cf. le 1. d. a la paloup, à Montana,
et la place de la Palud, à Lausanne.
I far, prés àLuc:j' Fards, i'à2)0; P fards, 1863, 1851.
De par, « parc à bestiaux ».
Dans le 1. d. farchonk, pâturage de la montagne de Varonne
(Varneralp), je crois pouvoir reconnaître le diminutif fréquent
partsçn^. La forme romane en farchon, que j'ai recueillie de la
bouche dim pâtre de Venthône, peut être influencée par l'alle-
mand.
1/ fâyèr, 1. d. à Arbaz: Fahier, 1908, 31, 32.
De pascuarium, « pâquier » (^Bull., X, p. 21). Cf. les lieux
dits ou paxçr, à Montana, at pay/r dai bis, à Icogne.
J fèjèlis, prés à Ayer: Pégeris, 1902, 1873, 1859.
ifèjcri, champs à Vercorin : Pegeri, 1904; Pegery, 1880.
Cf. le 1. d. ai pèj^riX , à Ayer, identique à l'afr. peseril,
« champ où l'on a récolté des pois » {Romania, XXXVII,
pp. 439 ss.). La prononciation //yV//,$- résulte sans doute d'une
métathèse.
i fairt?, 1. d. à Ayent.
De porta, «porte», prononcé pairta à Lens, Montana et
Ayent.
' Lieux-dits à Grimentz, MoUens, Randogne, Ayent, Finhaut,
Dorénaz et Lavey {au Parchoii, 18 16).
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 6i
Ci frâ d? la zû, 1. d. à Evolëne : J'y a et fra de la Zau,
1878; Pra de la saur, 1850.
ei mayen dei frâ dd lâc/i, 1. d. de la même commune. —
Cf. le 1. d. prâdl'lachè, à Albinen : Pradalaschi et PradalascJu.,
1881.
dcjb le frâ, 1. d. à Grimentz : Dèjolefras, 1878; Dèjolefra,
1878, 1863, 1851; Sous les fras, 1863.
i frâ k3m^\jiâ, forêt à Grimentz.
Ifrâs, hameau de Saint-Jean : Frasse, 1889-91 (S. 487);
y Frasse et Fras, 1878, 1863, 1858, Pras, 1863, 1858, dans les
registres du cadastre ; Sacellum d^ys Pras, 1 88 1 , d?' Ky Fras, 1 86 1 ,
i}i Pras vulgo Fras, 1820, in Pras seu Fras, 1809, jj- Pras
(var. in prass), 1764. de Sacello deys pras, 1687, dans les
actes de visite épiscopale conservés aux archives de la paroisse
d'Anniviers.
en chb le frâs, champs à Chermignon : Salop/irasses, 1856.
u frà, 1. d. de la Combe d'Arbaz.
frânové, 1. d. à Albinen: Franowe, 1881. — Cf. les lieux
dits cm prânovê, à Nax, en prâ nbve {Pré Nouveau), à Arzier-
le-Muids (Yaud).
De prâ ou prô, « pré ».
à plan dé fréilàch, pâturage de la montagne d'Arzinol, à
Evolène.
Dérivé de *pratellum icï.frïs^, par le suffixe -aceus. Cf.
le 1. d. ô préilèt, autre montagne d'Evolène.
frèvîri, 1. d. à i\lbinen : Freioire, 1881.
Cf. les lieux dits <?« la prèveiri, à Evolène, ï prâ prcvîrb, à
Saint-Jean, /'rac Preveyroz, Praz Prévire, etc. (Jaccard, p. 365),
de presbyterum, 2Sx. prouvoire.
i fris, prés et champs d'Ayent limitrophes des pris de Gri-
misuat (p. 51): Prisse, 1906, 4, 7.
De *prat-ellum, diminutif de pratum, it. pratello, afr.
prael , d'où « préau ».
02 ERXEST MURET
ifujès, mayens à Ayent: Fugesses^ 1906, 47.
Dérivé de puteus, « puits », par le suffixe -olus ou le suffixe
-ittus (Gauchat)?
Dans quelques cas il y a doute si l'on est en présence d'une
/ primitive ou d'un/ modifié par sa liaison avec j finale. Je
suis enclin à reconnaître le mot « pont » plutôt que le mot
«fond», au pluriel, dans les lieux dits T fous et prâ dï fo-n,
situés dans la commune de Chandolin, au bord d'un torrent,
le second tout près d'un pont. Il y a dans la même commune
un 1. d. I po72s.
S + Pl
Aucun exemple à moi connu dans le corps d'un mot. En
liaison, sp se continue par/", aussi bien avant / qu'avant r ou
les voyelles, à Hérémence, Saint-Martin, Evolène, Chalais,
Randogne, Chermignon, Sarquène, Varonne et Albinen. Mais,
/ayant été changée avant / en h, h ou x, à Grimentz, Saint-
Jean, Painsec, Vissoie, Ayer, Ayent et Arbaz, l'ancien groupe
sp a subi les mêmes vicissitudes. A Lens, la prononciation du
nom de lieu / %iya7i-nte est en désaccord flagrant avec les
données fournies par MM, Edmont et Jeanjaquet concernant
le groupe/',- mais / remplace également /avant / dans le lieu
dit cm prâ yjyôurçn, 011 l'on ne saurait hésiter à reconnaître le
participe florentem ou le nom de baptême Plorent. Entre les
différentes enquêtes il y a, d'ailleurs, quelque divergence dans
la perception de la consonne qui a succcédé avant / à Vf
latine.
Zimmerli : flamma, flancum, conflare (XII).
Atlas lifiguistique: enfle (462), flamme (579), fleurs (582),
fleurir (583), gonfler (654B), ronfler (1164), souffler (1249).
'EvoXhne: flanma, flan, gonfla (Z.) ; enfl3, floouch (E,).
Grimentz. — M. Jeanjaquet, en 1899, avait noté j^/v^zz/w^,
choyj3 (il «souffle»), %loou («fleur»); mais, dans une enquête
postérieure faite en commun par lui et M. Gauchat, le pre-
mier a noté 'pa?ima et le second hlanma.
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 63
Painsec: yjanma, yjan, gonyjâ (Z.); mais dlyou (].). — I^a
prononciation ///, que j'ai notée dans les noms de lieu, m'a été
récemment confirmée par le correspondant du Glossaire des
patois, qui a également renseigné par écrit M. Zimmerli et ver-
balement M. Jeanjaquet. Elle est sans doute en corrélation
avec la prononciation vélaire qu'on donne à l'ancienne /
mouillée dans les patois d'Anniviers.
Vissoie : enhh, hlanma, /ilai, hlairik, ronhla, chohla (E.).
Lens: enfis, flyanma^ flœrik, ronflya, cJwflya (E.); flyour
(E. et J.).
Ayent: %lanma, ylen, gonyjâ (Z.).
Ajoutez le nom de famille Florey, prononcé f^orçi, à Ran-
dogne ; hlbré, à Saint-Jean et Ayer.
ei flach», lieux dits à Saint-Martin.
h bis dei jflach, canal d'irrigation traversant une partie du
territoire de cette commune: aqueductum deys plusses, 1t5S
(Heusler, Rechtsqitellen des Kantons Wallis, viP 360, art. 10,
P- 345)-
i flachè, 1. d. à Chalais.
i flyqchs, prés et habitations à Chermignon : Flaches, 1867 :
y s Fhlaches, 1859.
/' hlqchè ou dlqchc, 1. d. à Grimentz ; y Flaches, 1908, 19 ;
Blac/ie, 1878, 1863; Fiasse, 1863, 1851.
i hlqchè, hameau de Zinal, commune d'Ayer: Flache, 1902;
y flaches, 1873.
u hlach, prés à Arbaz : y ou u U lâche, 1879 ; Flache 187s;
y Place, 185 1.
i ylqch), 1. d. à Ayent : Flaches, 1906, 40.
flache, 1. d. à Albinen : Flaschen, 188 1.
De. plach? ou plyachi (Z.), « place ».
Ci et i flachetc, lieux dits à Saint-Martin, Evolène et Chalais.
u ylyachet?, forêt à Arbaz : Flachette et Hlachette, 1883.
64 ERNEST MURET
Jf achète, 1. d. à Albinen: Flascheten, 1881,
Diminutif du précédent.
i flaji d'oujçnys, 1. d. de la montagne de Mandelon, située
au-dessus d'Euseigne, dans la commune d'Hérémence.
e?i la krèt)a i flan (Hérémence), ou a la krèda da flan, rare-
ment dei plan (Saint-Martin), hameau situé aux confins de ces
deux communes: Crcta es Flancs, 1878 (S. 486). — Le déter-
minatif / flan, m'a-t-on dit à Hérémence, désigne le versant
méridional de la crête occupée par les maisons et sert à distin-
guer ce hameau d'autres localités du même nom, comme la
(Jrête de Suen, à Saint-Martin.
ci flanmayçmh, mayens situés sur un petit plateau, aux envi-
rons d'Evolène : Flanmayen, 1898 (S. 487); Flantnayens, Flam-
mayens, 1878, 1850; Flanniayens, Flafis-mayens, 1850.
ei flandbrens, prés à Evolène. — Cf. p. 53.
(i flantbrçns, 1. d. de la montagne du Cotter, à Evolène.
Ci fllatich, lieux dits de la montagne de Ferpècle et de celle
de Bréonne, à Evolène.
eiflan, \
, , , , ^ / lieux dits de la montagne de
0 plan d3jo d Ci flan, [
\ Pragras, a Evolène.
o plan danwtin dei flan, )
é flan vèch, pentes gazonnées de la montagne de la Vouasson,
à Evolène. — L'élément vèch est l'adjectif pluriel « verts »
(Gauchat). Cf. en plan vèr, 1. d. de la montagne de Torrent, à
Grimentz.
i flan y forêt à Luc : Flanch, 1905.
i flamprq, 1. d. à Vercorin : Flanipra, 1904, 1850.
/ hlan, 1. d. à Saint-Jean: Flang, Flanc, Flan, 1873, ^^^2)i
1858.
i '/Jan, 1. d. à Ayent : Flan, 1906, 50.
flantchank : Flantschang, \ lieux dits à Varonne. — Aux
ilânbvïnyè-n: F lanowinien, \ deux premiers, cf. les lieux dits
in flank : in (die) Flang, ] Planchamp (Jaccard, p. 349), et
En la vigne plannaz, à Dorénaz, au XVlii^ siècle, d'après un
plan conservé aux archives de l'abbaye de Saint-Maurice.
EFFETS DE LA L[AISON AVEC S FINALE 65
flan-nd-11., 1. d. à Sarquène : Flagnen, 1904, FlaTien, 1851; au
xv-' siècle, eys plannes (Zimmerli, III, p. 57).
Vit plan, plan-na (Z.), adjectif et substantif masculin et fémi-
nin, dont suivent quelques dérivés.
i flanâ, prés à Euseigne, commune d'Hérémence.
Cf. les lieux dits Planard ( Jaccard, p. 349).
c flancs, 1. d. à Saint-Martin.
ei flânes, 1. d. à Evolène : Flanness, 1878; Flavneys, 1850.
/ hlanès ou hlanes, 1. d. à Painsec : y Flanesse, Flagnesse,
1878, 1863, 1858.
Dtplattct, «petit endroit plat» (Vissoie).
/ flanyès, mayens à Hérémence : i Flaniesses, Flagniesse,
1878.
Cf. les lieux dits en la pyattyôûla et a/ pyanyblet, à Héré-
mence, et Plagnuit, Planuit, Plagnitz, Planiu (Jaccard, art.
Plagne, p. 347), probablement dérivés de planum par le
suffixe -iolus.
/ yiyan-nte ou xa-fite, hameau de Lens : le Plantey, 1878
<S. 481); Flanthey, 1899, 1892, 1880, Phlantéy, 1856.
fla-ntéi. 1. d. à Sarquène: in Flantey.
Cf. la mention à.\\n pratiim de les Plantaes, en 1244 (M. R.,
XXIX, p. 377, n° 478), et les lieux dits la Planta, à Sion, la
Plantaz, la Plantau (Jaccard, p. 350), enm plan-ntéi, à Ven-
thône ( plantata et plantatas).
£i flantsè, 1. d. à Evolène: Flaiitzes, 1878; Flanches^ 1850.
Y)& plants?, «planche».
ei fla-ntsetc, 1. d. à Evolène.
/ hla-ntsetc ou pla-ntsètc (de deux sujets différents), 1. d. de
la montagne de Naveta, à Ayer.
/;;/ fla-ntsètè, 1. d. à Sierre, appelé par les Anniviards
i pla-ntsçte : Planchettes, Planzettes, 1903, 1878.
fla-ntchcte-n, 1. d. à ^"aronne : Plantscheten.
De plant seta, diminutif du précédent.
5
66 ERKEST MURET
S + T > î9 OU //
Gilliéron, Petit Atlas : stellam, castaneam, fenestram,
essere (afr. estre); Glossaire de Vissoie, passim.
Zimmerli : extranearium (IV); crescere (VII), afr. creis-
tre ; essere, castellum (VI); testam, festam, costam
(XV).
Lavallaz, § 234.
Teanjaquet : fenêtre, tu interrogatif.
Gauchat, carte XX du futur Atlas linguistique de la Suisse
romatide.
Atlas linguistique de la France, cartes 25, 55, 65, 85, 86,
252, 3i7> 35 •' 362, 489, 4901 492, 494, 495' 496, 49^, 499o23.
524, 549> 556, 557, 956, 1030, 1132, 1300, 1456, 1497, 1556,
1557, 1637, 1653, 1656, 1680, 1681.
Afr. estanc, étang: cdan, Evolène, Vissoie (G.), Ayer, Mon-
tana; èhan, Lens, Ayent, Arbaz.
strictum -a.* éûrèt , «étau», à Evolène \ éhrîta, à Vissoie,
éhrJt3, à Lens (E.) ; lieux dits ij edri, à Painsec, ij èdrît, à Luc,
ij èhri, à Chalais, a Véhris, à Arbaz.
Des observations d'autrui et des miennes propres, il résulte
à l'évidence qu'on prononce b à Hérémence, Saint-Martin,
lîvolène, Montana, et généralement dans tout l'Anniviers, h
avant r à Vissoie,/^ (et parfois /î^) à Chalais, Chermignon, Lens,
Icogne, Ayent et Arbaz. Les vieillards de Lens prononçaient
naguère ou prononcent encore d, les jeunes gens de Montana
commencent à prononcer h, et \'h se fait déjà entendre sur les
lèvres des Anniviards. De l'hésitation entre les deux consonnes
résultent peut-être les divergences qu'on observe, à Grimentz
et à Saint-Jean, dans la représentation des groupes spl et ski
(pp. 62 et 81).
^ L'adj. fém. <( étroite » est prononcé clnktyd (E.).
- Le sujet interrogé à Lens par M. Edmont prononce toujours ainsi.
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 67
/ dachyôrè ou dâchyâirè, 1. d. à Hérémence : i Tachiores, 1S78.
Cf. tàsora (Bagnes), « planchette ou liteau sur lequel on mar-
quait autrefois dans les alpages la quantité de lait obtenue
des vaches de chaque consort » (Gauchat).
ï dardik, prés et champs à Saint-Jean: y Hardie, Ehardic,
Essardic, Essardig, y Sardi ou Sardit, 1878, 1863, 1858.
De l'adjectif /"«rd?/,^, «tardif, mûrissant tard».
ï hèrd'e ou dèrdé et î h'erd^let, lieux dits à Grimentz : Herdc,
1908, 14, \i)\ Herdés, 1878, 1863, Herdey, 1863, 1851; Her-
delet, 1908, 14, etc.
Peut-être diminutifs de Tierdoz ou Terdoz, nom de lieu assez
fréquent (Jaccard, p. 461), ou bien, avec dissimilation de / en
</, du substantif tèrlo (sterilem), usité au val d'Anniviers
pour désigner un terrain inculte, un vaque, suivant la termi-
nologie courante en Valais.
éi dojîrè, prés à Evolène : Thozires, T/iosires, 1878; Stozires,
1850.
Cf. les appellatifs tbjirè, f. pi., « ciseaux » (MoUens), et toouja,
« une certaine quantité donnée ou reçue à la hâte » (Evolène),
et les lieux dits en-n tàouja {Tauza, 1878), en Iwé d? tçouj'a, à
Evolène, éi tôoxijè {Tauges, 1904, 185 i), à Nax. Je ne connais
pas le 1. d. Toîize, Touzo, à Conthey, que M. Jaccard (p. 468)
rapproche de l'afr. touser, « tailler ».
en la lei di dbr, 1. d. à Ayer.
7'è la pira et ai pou di hbr (ou di sàr?), lieux dits à Grimentz.
— Le sujet de qui je tiens la prononciation sor me l'a confir-
mée lors d'une seconde enquête. Il doit y avoir là quelque
erreur de transmission.
De tôr, « tour (en tous sens) »,à Vissoie, ou de taurum? Cf.
les lieux dits en la Ici dai tàr, à Grimentz (montagne de Ma-
rais), ai dsnâ dai tbr et dai tore., dans les montagnes d'Héré-
mence.
68 ERNEST MURET
é 7nayen dé ddrçns., 1. d. à Evolène.
eiflandorens, prés à Evolène, sur une côte parcourue par
plusieurs petits torrents. — Cf. ib. le 1. d. a flantbrens (plus
haut, pp. 54 et 64).
ei dbrè-ntès, 1. d. de la montagne de la Crète, à Evolène.
/ ûàrç-?i et / dorc-ntet, lieux dits à Painsec, au confluent de
plusieurs torrents : j' Torren, 1878, je Torrent, 1878, 1863,
1858 ;_)' To?-rentet, Torretiiets, 1878, 1878.
De tore-n ou tbrçn, «torrent », et d'un diminutif en -ittum.
c moyen déi dôùlè, 1. d. à Evolène.
/ hôûh, prés et forêts à Ayent: Houle, 1906, 58.
Houle, 1879, P^^s ^t bois à Arbaz.
De iôûla S « surface rectangulaire unie ; pré rectangulaire,
généralement transversal à la pente, carreau de jardin, bande
de gazon», etc. (Glossaire).
i ùairniduh, 1. d. à Tiérémence.
Cf. afr. torniole, « tour, détour» ?
ô plan déi t)ré, communaux d'Evolène.
De trc, « trois » (Gauchat), ou de tractum?
/ hrehnè, 1. d. à Saint- Jean: y Hrenne, Etrenne, Etrienne,
1878, 1863, 1858.
De treha (Painsec), tren-na, « piste marquée pour les bois»,
à Evolène {Glossaire), traina (Bridel), fr. « traîne ».
ô plan déi ('yrt»;/^//, partie de la forêt du Ban de Saint-Martin".
éi dronc/i, forêt à Evolène.
De tron, « tronc d'arbre coupé ».
(i ùro-ntses, 1. d. de la montagne d'Arbey, à Evolène.
Diminutif du précédent.
' Hec siuil iiinee heati maiiini de uiueis [V^evey]... iumi)i tolam (Cartii-
laire de N. D. de Lausanne, M. R., VI, p. 348).
- D'après M. Pierre Bovier, garde-forestier d'Evolène, autrefois
chargé aussi de la garde des forêts de Saint-Martin.
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 69
S-{-C(h)>s
Zimmerli : muscam, scalam (XV).
Lavallaz, !^ 236, |3, y.
Atlas linguistique : échelle (436 ) ; m/s^ ( afr. rusche), « écorce »
(442); éséli, <•< escalier» (480); fraîche (607); mouche (876);
krâlsd (it. crusca), « son de farine » (12421.
scala: èsyèla, à He'rémence, Painsec, Vissoie, Luc, Mon-
tana et Ayent, d'après les auteurs cités ; à Chippis, Miège et
Venthône, d'après M. Jeanjaquet ; à Lens, d'après le même et
le Glossaire de Vissoie ; à Randogne, d'après le 1. d. ij esyele ;
— • hhyèla, à Evolène et Chalais (Z. et E.), à Lens (E.) ; —
lej èdîlè^ à Grimentz et Chandolin (J.).
musca: w^)jp, dans toutes les localités visitées par MM. Zim-
merli et Edmont, à Hérémence et, d'après M. Jeanjaquet, à
Chippis, Miège et Venthône. — Dérivé : maichilyo7i, à Evo-
lène et Lens, ina/chslon, à Vissoie (A. L., 877), afr. mouchillon.
Cf. 7H(us9lvon et inotsd à Blonay.
Afr. inar esche ou maresse: lieux dits a la mares, à Evolène,
/ mares?, à Chandolin, îi marcs3 pairye^ à Arbaz, en Maressi,
à Sierre, en 181 2, Maresseti, à Louèche-les-îîains ; / marès^'îJ
(au XYJIP siècle Maressuel), à Venthône.
Fichelin, ancienne mesure de 15 \\\.x<t?,\ Jiscilini, XIF siècle,
fischilinos, 1228 (M. R., XVIII, pp. 386 et ^i^), fissili/ws, 1448
(ib. XXXIX, n° 3009, p. 397), fèsèlin (Vissoie et Lens).
Chandolin, village d'Anniviers, Escandulyns, v. 1250 (M R.,
XXIX, p. 455): en sa-ndaili-ii; Essandu/in, 1685 (archives de
Sierre). — On prononce de même le nom des mayens de Chan-
dolin (S. 487) ou Sandulin, à Saint-Martin. Comparez Chan-
dolin, village de la commune de Savièse, a tsandbœn, et la
Chandoline, 1. d. des commune de Sion et de Salins, en tsan-
dolina (Salins), /' tsandàènè (Savièse) ^
' L'aphérèse de Ve initial, que l'on constate dans toutes ces formes,
en les comparant avec les anciennes mentions {Romaiiia, XXXVII, p. 32).
est sans doute la conséquence de l'emploi fréquent de la préposition
«de » avec les noms de lieu.
70 ERNEST MURET
Avant Va diphtongue en te du mot s cal a, afr. esc/n'e/e, le
groupe sci/i) a été différemment modifié suivant les localités,
tout comme, dans les patois de la Suisse romande, le c de
capra, afr. chievre, est représenté tantôt par ts, tantôt par tch,
tantôt par ty. Dans mouchillon^ ce n'est pas seulement la con-
sonne issue de se, mais également Vou protonique, dont il fau-
drait rendre compte. Les autres mots nous offrent partout \s,
qui répond également, dans les patois étudiés ici, au c latin
prononcé avant e ou / et que nous allons retrouver dans un
grand nombre de lieux dits. La graphie y^xJ-zV/^^j- de 1448 est
à retenir comme point de repère chronologique.
ei sàblo, prés à Saint-Martin.
/ sâblo, prés, champs, incultes, situés au-dessous du châble
àtVorben, à Chalais : Sabloz, 1904, 1880; Tzabloz, 1851.
De tsàblo, «châble», couloir servant à dévaler les bois
abattus.
/ salmet'c ou sarmetc, 1. d. situé aux confins des montagnes
de Colombire et de Merdechon, à Mollens : Salmettes, 1878-
1904.
îi sèrmet3, mayens à Arbaz : Sermettes, Scermettes, 1879.
Diminutif de cal mis, chaux {Bull., IV, pp. i ss.). Cf. les
lieux dits Charmettes (Jaccard, art. Charmet, p. 74), Tschal-
mettn, à Louëche-les-Bains.
/ sainarœn, 1. d. d'Ayent: Samarain, 1906, 54.
Peut-être dérivé par le suffixe -anus du gentilice Camarius,
ou identique au cognomen Camarinus^? Ou bien formé du
' W. Schulze, Ziir Geschichtc lateihischer Eigeiinanten, p. 139. Sur la
foi d'un sujet qui prononçait samareti, j'ai naguère dérivé ce nom du
gentilice Camarenus {Romaiiia, XXXVII, p. 541, n. 3). Mais de nou-
velles informations m'ont persuadé que la désinence en est identique à
celle des mots «sapin», « moulin » ou «chien», et différente de celle
de « torrent » ou de « plein ». Il n'y a aucune raison plausible de situer
à Ayent le lieu mentionné vers 1250 dans les termes in valle Chamarey
(Jaccard, p. 67, art. Cbamarin).
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 71
mot campus (cf. l'art, suivant) et du nom de baptême Mari-
nus, encore en usage dans nos contrées au X^ siècle {Regeste
genevois, n° 138)?
i sàmilyen^ 1. d. à Randogne.
Peut-être formé du mot campus (cf. l'art, précédent) et
d'un nom de personne comme déterminatif ? Celui d'Emilien
est aujourd'hui prononcé 7/ièlien à Randogne, mais peut avoir
eu jadis une prononciation différente. Cf. le nom de famille
français Millien.
dèjb le san, 1. d. à Hérémence.
é tsan dei san, champs à Evolène.
/ san^ 1. d. à Ayer : Sa7i, 1902; Sang, Sangt, 1873, 1859; —
à ^lollens : Isand, 1875.
/ San dâlâ, 1. d. à Ayer: Sandaillard, 1908, 1873, 1859. —
Daillard, en patois dâ/.â, est le nom d'une famille éteinte.
De tsan, « champ ».
/ sampi/^, prés et champs à Ayer: Samptll, 1902; Sanipily
1902, 1873, ^^59; Sampyl, 1859.
Peut-être dérivé de campus par le suffixe collectif -ilia"?
Dans le 1. d. ij èsanpilyè, à Lens, Echampilles, 1889 (S. 481),
es Essempilles, 1863, on reconnaît le même nom, probable-
ment avec agglutination de l'article.
1 sanpdlet, mayens à Saint- Jean : _>/ Sampelet, Sempelet, 187S,
1863, 1858.
/ sampelet, mayens situés aux confins des communes de
Vissoie et de Chandolin: Sempellet, 1880, à Chandolin.
Diminutif de « champ», afr. champelet.
éi sanyérè, 1. d. à Evolène : Sagneres, 1878, 1850.
Dérivé, par le suffixe -aria, de tsanyô , «chêne», usité à
Evolène, Lens (A. L., 265), Arbaz.
/ sape, 1. d. à Ayent.
De tsapéy, « chapeau » (Vissoie) ? Cf. le 1. d. 6 tsapé, à la
montagne de Chandolin, et le Chapeau, à Chamonix.
72 ERNEST MURET
t savane, 1. d. à Luc : Savanes, 1880; Sarannes, Savanne,
1880, 1863, 1851; — à Vercorin: Savanne, 1904, 1880, 1851.
De tsavana, usité dans d'autres patois pour désigner la hutte
où les pâtres font le fromage, ou l'une des pièces de l'habita-
tion. Cf. les nombreuses localités du nom de Chavannes
(Jaccard, p. 82).
ï savanetè , 1. d. à Ayer: Savanettes, 1902; Savatiette, 1873.
Diminutif du précédent. Cf. les chalets de Chavanette, au-
dessus de Morzine (Haute-Savoie).
éi séb'eks, 1. d. de la montagne de Veisivi, à Evolène.
Cf. les lieux dits ai tsébek, forêt et pâturage, et en la ts'ebs,
mayens et bois, à Hérémence : ou Tzébec, in la Tzébe, 1878. A
Evolène, le mot tsébd désigne un grand arbre mort, gisant dans
la forêt (P. Gaudin).
éi sen-ntrè,\. d. à Evolène: Ceintres , Zeintres, Seintres,
Tzintre, 1878, 1850.
/ sen-i-ntrè, 1. d. à Grimentz -.y Cintre, 1 908, 2 ; Sintre, Zintre,
1853, 1851.
i se-ntrc, prés à Saint-Jean : ;' Sintre, Sinctre, 1878, 1863,
1858.
/ sentra, « prés, jardins et tzintres », à Ayent: Zti entre, 1906,
48; Tzintre, 1906, 41, î88o, 1858; Tzeintre, 1880, 1858.
u sçntrd, «prés et sérandes>->, à Arbaz : Seintre, 1879, 1S65,
185 1; Zeintre, 1879; Ceintre, 1865.
D'un mot dialectal « chaintre » ', qui désigne le talus d'un
pré, ou un pré de qualité inférieure; spécialement, à Ayent et
Arbaz, comme son synonyme local sêrande. un pré « que l'on
ne fauche pas et où l'on fait paître le bétail. » Pour l'étymo-
logie, voyez Romania XXXII, pp. 626-627.
ï sèjâ, 1. d. à Saint-Jean : y Segea, Segeaz, 1878, 1863, 1858.
/ sèJa, 1. d. à Ayer: Segea, 1902 ; SeJa, 1873, ÏS59.
* Cartulaire de N. D. de Lausanne (M. R., VI, p. 449) : apiid sauctuni
Siniforiamim... unam chantn prafi (mj) ; Cartulaire de Romaiuniotier
(M. R., III, p. 523) : très chentrias pratorum (1281).
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 75
Cf. les lieux dits éi tsèjàs, à Evolène, / iséjâs, à Montana, et
les nombreux Chesal et Chesaux (Jaccard, p. 86). De c a sale,
afr. chesal^ usité dans nos patois pour de'signer un emplace-
ment à bâtir ou les ruines d'un bâtiment (Gilliéron, Patois de
Vionnaz^ art. tsèzo du glossaire).
ï sèjalf^ 1. d. à Saint-Jean : y Segea/i, Se/a/t\ 1 878, 1863, 1858,
Dérivé du précédent par le suffixe -arius.
ei sinâs^ 1. d. à Evolène.
De ts^nâ, « conduite d'eau en bois, canal d'étable pour fu-
mier » (Vissoie). Cf. les lieux dits Zenal, Zinal, etc. (Jaccard,
P- 354)-
/ smèirs ou sinîrc^ 1. d. à Hérémence : / Seneires, 1878. —
Cf. ib. le 1. d. / tsinîrl\ chenevières à Euseigne.
// sènèvîrt\ 1. d. à Evolène.
D'une forme dialectale de « chenevière ».
le ây di sinlret^ chemin à Hérémence.
i sdn'erèti^ 1. d. à Ayent : Senerettes, 1906, 21.
Diminutif du précédent.
ô plmi dé sevàs^ 1. d. de la montagne de Pragras, à Evolène.
De tssvâ^ « cheval » (A. L., 269, et Zimmerli).
Ci sèvalîch^ prés à Evolène : Sevaliss, Scevaliss, Sc/ievah'ss,
1878, 1850.
en Ivè sèvali^ 1. d. de la montagne de la Meina, à Evolène.
a la sh'alîr, 1. d. de la montagne de Châté, \ à Evolène
a la s?7'alîr, 1. d. de la montagne de Cotter, ^ (cf. p. 53).
Probablement d'un ancien nom de famille, correspondant à
ceux de Chevalley (Vaud et Saint-Maurice), Chevallay (Port-
Valais) ou Chevalier. Un Perrodus Clieualer ou Cheualeir est
mentionné en 1352, 1367-68, 1398, à Bramois (M. R., XXXIII,
pp. 64 et 318; Zimmerli, III, p. 28).
i sir ij allé (ou c/ii/ircûlè, d'^iprhs M. François-Joseph Huber,
né en 181 2), haut pâturage situé au-dessus de Vercorin: A[lpe
de] Zigeroulaz, 1889-gi (S. 487); Sigeroi/la, 1904, 1880; Siri-
geoule, 1850-58.
74 ERNEST MURET
Diminutif de tsijyèrl^ chalet de montagne» (Vissoie), ca-
searia. Cf. Jaccard, art. Cheresaulaz (p. 85).
/ saigdïrè, 1. d. de la montagne d'Orzival, propriété de
consorts de Chalais dans la commune de Saint-Jean.
De tsaigdîrd, « chaudière », à Chalais (Z.).
i sainiyœ, pâturages communaux, à Ayent : Souviieux^ 1880,
185S.
Dérivé, par le suffixe composé -atorium, du verbe « chô-
mer », qui se dit en Valais du repos que le bétail des mon-
tagnes prend durant les heures chaudes de la journée. Cf le
s. f. tsôma, « endroit où le bétail se repose » (Vissoie), et le
1. d. u plan du tsôumyœ (ou tsômyœ)^ à Isérable.
ei sa/pil\as, 1. d. à Evolène.
Cf tsoupa, « monticule ».
S + K > /; ou h.
Gilliéron, Petit Atlas, et Zimmerli (XV) : ausculta re,
excorticare.
Lavallaz, § 236, «.
Atlas linguistique, cartes 107, 290 B, 349, 440, 441, 443, 444,
446, 447» 448, 970, 1542.
Afr. escouler : 1. d. ij ehôlàye^ à la montagne de la Barme,
au-dessous du glacier des Ecoulaies (S. 527), à Hérémence.
« Rakard, s. m. Fenil, petite grange. Valais » (Bridel) ; ras-
cardutn (Sierre, 1623): pi. râhàch (Saint-Martin); rahâ iGri-
mentz), râha (Saint- Jean et Ayer), rahàr (Arbaz) ; 1. d. Rachar^
à Albinen (i88i)\
Seul, M. Zimmerli a noté % à Evolène, Pairisec " et Saint-Luc.
D'après M. Jeanjaquet, le mot scopa, afr. escouve, « balai », est
' Cf. râkà, à Vernamiège (district d'Hérens) et ailleurs.
- L'erreur doit provenir de ce que M. Zimmerli a été renseigné par
correspondance. Cf. p. 63.
EFFETS DE LA LIAISOX AVEC S FINALE 7,
prononcé avec h à Hérémence, Saint-Martin, Evolène, Painsec,
Chippis et Ayent ; le verbe « écorcher /> avec h o\x h dans les
mêmes villages, à Grimentz, Ayer, Luc, Chandolin, Chalais,
Venthône et Montana. Les deux prononciations ne me sem-
blent pas pouvoir être exactement localisées : il y a variation
d'un observateur à l'autre, d'un sujet à l'autre et parfois chez
le même sujet.
Avant 0, atjKi, apparaît, çà et là, très irrégulièrement, une/,
que nous retrouverons avant / dans un ou deux exemples :
Afr. escofier: èfbfîr^ « cordonnier», à Saint-Luc (G.); 1. d,
tsan dd Vèfbflry , à Chermignon, probablement du nom de
famille Ecoffir (prononcé hbfîr)^ à Veyras.
Afr. escondre^ p. p. fém. escondi/e : eho-ndr? ^ «disparaître
au regard » (Hérémence) ; lieux dits en lèfèhb-ndwà, a Héré-
mence, en lèt'èhb-ndwà, à Saint-Martin et à Evolène S en
lufdfondywa^ pâturage sur territoire bernois, autrefois pro-
priété de la montagne de Ravouin (Rawyl), à Ayent -.
Pascha, « Pâques » (cf. it. Pasqua^ esp. Pascua) : pâhè (E.),
à Evolène ; pâfwa (G.), pàfw» (E.), à Vissoie ; pâky3 (E.),
pâftvè (G.), à Lens.
scopa (cf. ci-dessus), scopare: èhâva et èfôva^ à Chippis
(J.), èhôouva (J.) et èfaià^ à Ayent.
Lieux dits ij èkwènb, à Grimisuat, ij èfwhib^ à Randogne.
Dans plusieurs noms de lieu, la modification du k initial
résulte de sa liaison avec Vs qui jadis suivait Ve dit « prosthé-
tique » :
ij (•hblgnc ^ nom donné à Hérémence aux fameuses Pyra-
mides d'Euseigne. — Cf. kblbtia, « poteau », à Vissoie et Lens
(A. L., io66).
* Lottecondoi, 1877 (S. 527), Loiiélcondoiia, dans le tarif des guides
d'Evolène, en date du 8 juin 1893.
- Une lèta est une bande de gazon dans des rochers. M. Gauchat
me signale le 1. d. la loita délia canioscia, dans la Val Maggia, au Tessin.
7 6 ERNEST MURET
ij ehbmçn (Hérémence) ou èkomûun (Vex), nom de deux pâ-
turages situés dans la commune d'Hérémence, l'un confinant à
celle de Saint-Martin S l'autre divisé entre des consorts de Vex
et d'Hérémence. L'appellatif pluriel ekbmcun désigne à Vex
des biens indivis entre deux communautés. Cf. le 1. d. éz
ékmainqly, à Dardagny (Genève).
ij èhoîibab, 1. d. à Ayant.
ij èhbrnite^X. d. de la montagne de Ravouin, à Ayent ; Ehor-
nettes, 1878 (S. 481). — Cf. la forme jurassienne écornes.
ij èhadet, 1. d. de la montagne de Marais, à Grimentz.
ij ehrbjas, forêt à Arbaz.
Cf. plus loin les articles haimounch, hbmbelè, hades et
hrbjet. Sur le caractère et les causes de la prosthèse, voir
Ta])polet, L'agglutination de l'article dans les mots patois
i^Bull., Il, pp. 24 ss.) et Die E-Prothese in den franzbsischen
Mntidarten (pp. 158-183 de la Festschrift zum XIV. allgemei-
nen deutschen Neuphilologentage ifi Zurich 1910).
/ hqrb, 1. d. à Chalais : Harroz, 1904 ; Barros, 1865 ; — à
Chermignon : j'.r Barroz, 1856 ; — à Lens.
u hârô, prés à Arbaz:/ Barroz, 1879, 1865 -.y Baro, 185 1.
De kàro, « coin », ou du nom de famille Carroz, d'Arbaz.
I hartè, 1. d. à Miège: Marthe, 1904, 1878, iS6^; Martes, 1910.
Cf. les lieux dits Cartes ou Quartes (Jaccard, p. 371), d'où
le nom de famille Descartes.
hatsô-haibdl, 1. d. à Sierre.
Cf. le 1. d. ai katsb, à Venthône.
i hâwè, champs à Mollens : Mavues, 1875. — Quelques-uns
disent kàivc.
' Un plan des Echiunun est mentionné eu 1832 dans un acte de
délimitation entre la bourgeoisie de Saint-Martin, la montagne de
Vendes et la commune d'Evolène, que j'ai vu, à Saint-Martin, entre
les mains de M. Martin Beytrison, député.
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 77
De kâtca, « queue » (Z.). Cf. les lieux dits Cavoues, Cuaz ou
Queues (Jaccard, pp. 62 et 124).
/ hôayé o\x h^oàyé, 1. d. à Hérémence: / Ilouayes, 1878.
De koàyd, « couvée », usité à Bagnes {Glossaire). Hérémence
forme également en -^_y^ le participe féminin de la i"'^ conjugai-
son, et cubare y est prononcé koa (Lavallaz, pp. 209 et 116).
eihàlys, mayens à Saint-Martin: Caully, 1878; Plan des
Cholies ou C/iaulies, autre 1. d. mentionné dans un acte de
délimitation de 1832 (ci-dessus, p. 76, n. i).
De kôly?, « porte d'enclos, dans les hauts pâturages et les
mayens. » Cf. le 1. d. è (vers) la kôlys, à l'entrée de la montagne
■de Lovegnoz, à Saint-Martin.
é holybrè, 1. d. de la montagne de Bréonne, à Evolène.
/ hblyuerd {u consonne), 1. d. à Ayent : Holiere, 1906, 12 ;
Holuere, 1880, 1858.
Cf. les lieux dits Colluaire, etc. (Jaccard, p. 99), identiques
au fr. « couloire ».
/ hgmbè, 1. d. à Euseigne, commune d'Hérémence : / Humbes,
1878; — à Saint-Jean : y Ilombe, 1878, 1863, 1858; — à la
montagne de Pipinet, à Randogne.
/ hbnibd de mâch, 1. d. près du hameau de Mars, à Hérémence.
ei ou c honmhè (deux pâturages), c hombè, é hpnbè, é honbc de
Varvel, lieux dits à Evolène.
/ hbmbè (ou honbè) nîrè, 1. d. à Grimentz -.y Hombenire, 1908,
2. — Cf. le 1. d. Combenoire, au Lieu 1 Vaud).
I honbè, 1. d. à Ayer: Hombe, 1902, 1873, 1859.
/' honmbè, forêts à Ver cor in : Hombe, 1904, 1850.
i hginhè ou i prà di hbmbè, 1. d. à Miège : Hombes, 1910.
/ hombè de varôouna (ail. kumè), partie de la montagne de
Varonne ( Varneralp) située sur le territoire de jNIollens.
/ humbè de ban, vignes voisines de celles de Banc, à Cher-
mignon : les Hinnbes de Banc, 1856; les Hombes, 1868.
/ honib3, 1. d. à Icogne : M[ou]''" des Combes, 1878 (S. 481).
78 ERNEST MURET
i horibd OU honbè, ravins au-dessous d'Ayent : Hombes, 1880^
1858.
De cumba, « combe », dont suivent quelques dérive's.
/ hàmbèlè, 1. d. à Ayer : Hombelle, 1902, 1873, 1859.
u honbqh, 1. d. à Arbaz : Homballe , Hombale, 1879, 1865,
185 1. • — Cf. ib. le 1. d. e?i konbala.
De konbala^ «petit vallon» (Bagnes, Glossaire)^ afr. combele.
Cf. La Comhallaz^ aux Ormonts (Vaud), et le 1. d. en la kbm-
bela, à Grimentz.
/ hômbalete, 1. d. à Montana: es Humbalettes , 1878.
Diminutif de «combe»: formé des mêmes éléments que le
fr. comblette^ afr. combelette, qui n'est usité que dans un emploi
métaphorique, comme terme de vénerie. Cf. le 1. d. Kumelti.
à Louèche-les-Bains.
/ hbmbetl\ 1. d. à Chalais : Hovibette, 1904, 1850.
De konbeia^ diminutif de « combe».
/ honmbilè, champs contigus aux prés de la Combelle, à
Grimentz.
Dérivé de cumba par le suffixe -Icula.
/■ hb-nd3mln3^ hameau de Lens : Hondemines^ 1863; es Conde-
mines ^ 1856.
/ hondsmpnè ou horidsmjns^ prés et champs à Ayent: Honde-
niene, 1906, 38, 1880, 1858.
a la ho-nd3ni\iia, 1. d. à Chermignon. — Voyez ci-dessus,.
P- 53-
Du bas latin condomina, condamina. Cf. les lieux dits
Condamine ou Condemine (Jaccard, p. 102).
/ horbè^ vignes à Ollon, aux confins des communes de Cher-
mignon et Granges (ci-dessus, p. 51) :_)'j Horbes, 1856 (Lens);
Horbes, 1604 (d'après M. Modeste Germanier, notaire à
Granges).
/ hûrb?^ vignes à Ayent: Horbes, 1906, 9.
C. les lieux dits Corbaz^ Corbes, Corbettes (Jaccard, p. 105V
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 79
/■ hgr\^ 1. d. à Ayent.
Cf. le 1. d. en vyc kor^, à la montagne de Corbire, au-dessus
de Montana.
éi houlâyè, lieux dits à Evolène.
Cf. les lieux dits Culayes ou Cullayes (Jaccard, art. Culand^
p. 126), identiques au fr. « culée ».
/■ houles, 1. d. de la montagne de Pipinet, à Randogne.
Cf. les lieux dits Culet et Culat (Jaccard, 1. cit.) et l'art, culet
du Dictionnaire de Godefroy.
/ haimounch, ) .
: lieux dits a Evolene.
0 plan déi ha/moun, )
en la zô dé hatmounch ou é haiwonch^ forêt à Evolène.
i hannouii^ 1. d. à Ayer: Huniun, i9°2, 1873, 1859.
Du pluriel « communs » pris aux sens de « communaux ».
u hrés^ 1. d. à Arbaz : Urées ^ 1879, 1865, 185 i ; Hréésse, 1879 :
Hréess, 1851.
De kré, « crêt », forme masculine de « crête ».
/ hrc7'ay\s, pre's à Mollens : Crevais, '875.
i hrévais, vignes à Randogne: Crevais, Crevays, 1878.
Cf. le 1. d. / krcvais ou krèvayis (de deux sujets différents»^
prés sur un terrain un peu mouvant, à Miège, et voyez Jaccard,
art. Crevey (p. 121). Noms probablement dérivés par le suffixe
-ici us du participe passé de crepare, «crever».
Dans le 1. d. / hrèv'eks, à Evolène, on retrouve non seule-
ment le même radical, mais aussi le même suffixe composé
-aticius, non le suffixe -etum, qui ne saurait être joint au
radical d'un verbe. Cf. les lieux dits éi chaipleks, à Evolène,
et / chaiplhs , à Hérémence, dérivés de chaiplà, «brûler»,
comme les mots français «brûlis, coulis, levis, taillis » de
« brûler, couler, lever, tailler ». La différence de timbre qu'on
observe entre le second e de hrèveks et celui de c/ia/plèks
se répète entre le 1. d. sébeks (p. 72) et la plupart des autres
noms en -etum, qui ont dans le patois d'Evolène un e ouvert..
-So ERNEST MURET
/ hro/'ây?, 1. d. de la montagne du Lucel, à Evolène.
ci gran, ci pititc hrojâyc, lieu dit de la montagne du Cotter,
à Evolène.
Du participe passé féminin de kroja, « creuser » (Vissoie).
/ hfojèt, 1. d. à Grimentz.
/ hrbjet^ 1. d. de la montagne de Lirec, à Ayer.
Diminutif de «creux». Cf. les lieux dits Croset et Crosat
(Jaccard, art. Crau, p. 120), ai h'bjH, à Montana.
/ hràjwat ou krôjwai, 1. d. de la montagne de Merdechon,
à Mollens.
Cf. le 1. d. (1/ kràpoat, à Grimentz.
i hrôu, 1. d. à Painsec : _y Hrou^ Hrotix, 1878, 1863, 1858.
/ hrôû ou kroû, lieux dits à Mollens et à Randogne.
De krou, « creux » (Vissoie).
c gran hrâijs, 1. d. de la montagne d'Arzinol, à Evolène.
Cf. les lieux dits è-n krâija, à Vercorin, Craiisaz, Creiisaz,
formes féminines de l'adjectif « creux ».
/ hrousc, vignes à Chermignon.
Ni le mot trousd^ «jupon », qui m'est signalé par M. Gauchat,
ni le mot krais\ (Vissoie, Luc, Lens), krais (Painsec) ou
kroisd^ « son de farine », ne conviennent pour le sens. Mais le
pluriel // Â'rafs, dé krais, dont on se sert quelquefois à Painsec,
en parlant dim mets de mauvaise qualité, semble pouvoir être
appliqué à la dénomination d'un lieu, si la nature du terroir
n'y répugne pas, ce que j'ignore.
é hricny?, mayens à Evolène: Hernies, 1878; Croules, 1878,
1850.
Cf. afr. cruie^ crue, crie^ « cruche » ?
/ /noarp, champs à Euseigne, commune d'Hérémence :
Houarros, 1878.
Cf. les lieux dits é mayen dd kivdrb, à Saint-Martin, et ai-
kîuàrà, à Veysonnaz, et le nom de famille Quaroz [hcârà), à
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 8l
Hérémence, ou Quarroz {kwàrro), à Saint-Martin. On sait que
beaucoup de noms de localités ont été formés en mettant au
féminin celui d'un propriétaire.
S + Kl
Il n'y a (jue très peu d exemples dans le corps des mots:
b. 1. cremasclum et le dérivé «crémaillère», exclusa,
<^ écluse », et m a s c u 1 u m , « mâle », dans le Glossaire de Vissoie
et V Atlas linguistique (cartes 349, 440 et 804), misculare,
«mêler», et afr. esclater, dans le Glossaire de Vissoie seul. Les
formes de « mêler » recueillies par M. Edmont à Evolène,
Vissoie et Lens (1625) paraissent influencées par le français.
Evolène : krh/tayjré, l'xlyôûja (E.) ; 1. d. à plan de me^lyà.
Grimentz : cdlàja.
Vissoie: kbmàflb (G.), kaimâhlô (E) ; èhlaouj^ (G.), chloja
(E.) ; jnâhlo, mchla, èhlata, (G.).
Lens: kômâhlô (E.), èflo„ja (G.); kbmaxlîfd (appellatif et
nom d'un des chalets de la montagne d'Hert de Chermignon).
Ayent : 1. d. ij èyjatjoura.
i '/.Çivc , champs en amont d'Euseigne (Hérémence), au-
dessous du hameau de la Crète, en face de Saint-Martin. —
D'après un autre sujet, on appelle i klèvc (i Cleives, 1878) les
communaux qui s'étendent au-dessous du village principal,
d'Euseigne et de Saint-Martin, sur les deux rives de la Borgne.
ei J^lçivc, forêt à Evolène: les Cleives, 1893. — Cf. ib. les
lieux dits a la kly'çiva, ei klyèivè.
i xlyçyy, 1- d. d'Ayent : Fleives, 1906, 46; Cleyes, Cleives,
1880, 1858.
Pluriel d'un appellatif /è/j'tfiZ^rt ou klçya, très fréquent dans la
toponymie valaisanne et peut-être identique au suivant.
i hlîvc, hlîvè ou dlîvc, 1. d. à Grimentz: y Hlives, 1878;
Flives, 1878, 1863, 1851.
/ hlivè ou klîvc, 1. d. à Miège.
6
82 ERNEST MURET
i fXivc, 1. d. à Luc:_>' F/ ires, 1880, 1863, 1851.
Iflîvè, 1. d. à Vercorin : Flrce, 1904; Flives, 1880. — Cf. ib.
le 1. d. / klîvc.
De klfva ou klyîva (cliva, pi. de clivus), qui de'signe à
Lens une « pente», à Saint-Jean et Ayerun « mauvais terrain »,
un « mauvais pré ».
i Xlvèvetc, 1. d. à Randogne.
// yjyietd, I. d. à Arbaz.: y Illêcttes ou llléttes, 1879; FI cette,
1865 \y Hleétte ou Clectes, 185 i.
Diminutif du ou des noms précédents. Cf. les lieux dits en la
khçta, à Arbaz, a la klyéivèta ou ei klyéwètè, à Evolène.
é xh'^^ ou xy^^, Ci xh'^'^ ^^' P^} plusieurs lieux dits dans les
montagnes d'Evolène.
Formes liées du pluriel klybs de klybt, « trou, enfoncement,
dépression de terrain ».
é xlybtçs, \
é yjbtcis, lieux dits dans les montagnes d'Evolène.
ei xbtaiès,
Diminutifs de klybt. Cf. afr. dot et et eh tel.
i xb'^^ mayens à Euseigne, commune d'Hérémence : Clhioud,
1878; Clhioux, 1878, 185 1. — Cf. ib. le 1. d. en tsan klyât.
I hibou bbvî ou dlôoH bbvî, 1. d. à Saint- Jean : ;' Flohovi,
Fleubovi, 1873, 1863, 1858. — Le déterminatif bbi'î est sans
doute le nom de famille Bovier, prononcé boTÎ à Nax et bbvi
à Evolène.
z hibou, 1. d. à Ayer : Fleur, 1902, 1873, 1859.
/ Xb'àou, 1. d. à Randogne. — Cf. ib. le 1. d. ai klyàou.
i yjyôinerlô ou a klyànièrlo, 1. d. à MoUens. — « Merle » se
dit mèria à Mollens ; mais ce mot varie de genre dans nos
patois, comme en ancien français. Ce peut être ici un nom de
famille ou un sobriquet.
De kim, kl à, klàon ou klyàou, « clos ».
EFFETS DE LA LIAISON AVEC S FINALE 83
i hli'hnije OU dlôjè, 1. d. à Saint-Jean: y Flei/gé 1878, 1863,
1858.
Floujet, 1880, Floujeih, 1880, 1863, ]. d. à Luc.
i Xlyâljety, 1. d. à Lens: les Floiigettes 1856, igoo.
/ xly^""f^'Ç^ (^' consonne), mayens à Mollens : Clauches, '875.
Diminutifs de cl au su m, « clos », par les suffixes -ellum ou
-ittum, -itta et -iolum. Cf. afr. closel, closet.
é xlyôjourc ou xlyôoujcurc, 1. d. à Evolène.
Cf. le 1. d. ij èyjaijour?, à Ayent, et l'afr. closure, « clôture,
cloison, barrière >•.
CAS DOUTEUX
Les groupes de consonnes hr et ;f/>', parfois réduit à yy ou I.
étant très rares au commencement des mots dans les patois
d'Evolène et d'Ayent, on peut soupçonner dans les cas sui-
vants les effets de la liaison d'un / ou d'un k initial avec une s
finale. Mais je ne connais pas de mots auxquels puissent être
rattachés avec vraisemblance ces noms de lieu.
/ hras, 1. d. de la montagne de Serein, à Ayent.
ci tiiayen dé //j'Ây//', \
è-n la konha dé xlyjsiè, lieux dits à Evolène.
/ xl^siinè, '
é xonfrè, 1. d. de la montagne de Bréonne, à Evolène.
Ernest Muret.
ETYMOLOGIES
-♦-
I. Xeuch. bœrnâ, «heureux».
Ce mot, très fréquent dans la littérature patoise de mon
canton, me rappelle l'expression du vieux français Inier est nez
= il est né sous une bonne étoile. L'origine doit être la même:
bona hora natus. Le pendant mala hora natus, afr. mar
nez, n'existe plus dans le dialecte neuchâtelois, mais les patois
du Valais offrent encore manià, fém. marnâye, «misérable».
2. Rom. dcsuvi, «contrefaire».
Vaud. et frib. dhuvi (s dure), dcsuyi, dechoui ; val. dèsoyc;
neuch. dèchouà = imiter une personne, son ton, son langage,
ses gestes, de manière à la rendre ridicule. D'une base latine
deexjocare, dont le y' aura été absorbé par l'.r précédent.
Comp. le développement de jocare= dzuvi, dzuyi, dzoyé.
Pour la terminaison à de dechouâ cf. l'afr. joër, où la palatali-
sation manque également. Le français déjouer^ qui n'a pas le
même sens que notre mot, est composé autrement : dis-
jocare.
3. Neuch. iioupèr, « jacinthe ».
Le glossaire inédit de G. Quinche enregistre ce mot, écrit
tioûpair. J'y vois un dérivé de clavus pers[ic]us et j'en
conclus qu'une variété à fleur bleue de cette plante a dû être
favorisée. En patois vaud., elle s'appelle aussi simplement
klyou = clou, à cause de la forme du bouton non développé.
Comp. l'expression c/oi/ de girofle, ail. Nelke = Ndgelke, ail.
suisse Ndgeli.
L. Gauchat.
•I^^î
LKS CRIS DE GENEVE
-*-
Les cris traditionnels par lesquels, dans les grandes villes
surtout, les vendeurs ambulants signalent leur présence aux
clients et annoncent leur marchandise, ont excité depuis long-
temps la curiosité des observateurs des mœurs populaires. Ces
cris, plus nombreux et plus variés autrefois qu'aujourd'hui,
jouaient un rôle moins effacé et constituaient un facteur impor-
tant de la physionomie populaire de certaines cités. Dans la
brève introduction qu'il a mise à sa collection des cris des
vendeurs de Naples S K. Sachs a énuméré les principaux
ouvrages où ont été réunies ou étudiées des collections ana-
logues. Presque tous se rapportent aux cris de Paris"', Dans la
capitale de la France, ce sujet est devenu dès le moyen âge un
thème littéraire. Au XIII^ siècle déjà, Guillaume de la Ville-
neuve compose en 194 vers son « dit > des Crier ies de Paris.
Mais c'est le XYI^ siècle surtout qui mit à la mode les produc-
tions littéraires sur les cris des marchands. La plus connue et
la plus étendue est celle du peintre Antoine Truquet: Les cent
et sept cris que Von crie jotirnellement à Paris. De nouveau
composé en rhimme française pour resjouir les esperits, où
chacun des vendeurs signale sa marchandise en un quatrain
approprié, plus ou moins plaisant. Le succès de la pièce est
attesté par les multiples éditions qui se succédèrent de 1545
jusqu'à la fin du XVII^ siècle et par les additions qu'on fit
' Die Schreie der Verhàufer, dans la Zeitschrijt f. roui. Philologie, XX
{1896), p. 492-499-
^ Un a pour objet les cris de Dijon et deux les cris de Londres.
M. Lambert s'est occupé récemment des cris des rues dans le Midi de
la France [Revue des langues rotii., 1910, p. 5-2S)-
86 J. JEANJAQUET
bientôt au texte primitif. Des recueils d'images, avec ou sans
texte, représentent dès la même époque les types caractéris-
tiques de vendeurs et témoignent aussi de la vogue du sujet.
Celui-ci fut même transporté au théâtre \ Les appels des mar-
chands ambulants ayant chacun leur mélopée propre et tradi-
tionnelle, les musiciens y pouvaient aussi trouver matière à
composition, et ce côté musical n'a pas non plus été négligé.
En 1550, un des plus célèbres compositeurs de l'époque,
Clément Jannequin, entreprit de rendre dans un quatuor les
principaux cris de Paris. Au XIX= siècle, le musicien Georges
Kastner en a tiré une symphonie^. Mais ces grandes composi-
tions ne purent naturellement jamais prétendre à la popularité.
En revanche, la forme de la chanson à couplets sur un air
connu parvint à renouveler la vogue du thème usé des cris de
Paris. Dès 1572 apparaît une Chanson nouvelle de tous les Cris
de Paris, se chantant sur l'air de la Volte de Provence, qui fut
réimprimée jusque dans le courant du XVIII^ siècle ^
Il n'était pas inutile de rappeler ces vicissitudes littéraires et
cette diffusion des cris de Paris pour expliquer l'apparition
et apprécier l'originalité de la chanson patoise des Cris de
' Voir la Farce nouvelle, très bonne et fort récréative pour rire des cris
de Paris, impiimée à Lyon en 1548 et reproduite par Viollet-le-Duc,
Ancien théâtre fiançais, II, p. 303-325.
- Les Voix de Paris. Essai d'une histoire littéraire et musicale des cris
populaires de la capitale.... suivi de Les Cris de Paris, orande symphonie
humoristique, vocale et instrumentale. Paris 1857.
^ Toutes les pièces anciennes mentionnées ci-dessus ont été réunies
par A. Franklin dans le volume de la collection « La vie privée d'au-
trefois » auquel nous avons emprunté nos renseignements et qui est
intitulé L'annonce et la réclame. Les cris de Paris (Paris 1887). C'est à
cette édition que se rapportent nos références dans la suite de ce tra-
vail. Une réimpression facsimilc des Cris de Paris de Truquet a paru en
1872 dans la « Bibliothèque gothique » du libraire Bailleu. La chanson
de 1572 et le texte de Truquet sont aussi reproduits dans Paris bur-
lesque et ridicule au XVIl^ siècle, par P. L. Jacob (Paris 1859), mais d'après
des éditions de beaucoup postérieures aux originaux et qui présentent
de nombreuses altérations.
LES CRIS DE GENEVE 87
Genève, que nous publions ci-dessous. Ce texte curieux n'a
guère attire jusqu'ici l'attention de ceux qui se sont occupés
de la littérature ou de l'histoire de Genève. Gaullieur est le
seul, à notre connaissance, qui l'ait au moins mentionné. II lui
consacre trois lignes et en indique la date probable, mais ne
s'arrête pas au contenu de la pièce, dont il ne cite que le titre'.
II est vrai que la valeur littéraire en est nulle et que le fait
qu'elle a été imprimée seulement comme feuille volante, au-
jourd'hui très rare, l'a empêchée d'être connue en dehors d'un
cercle très restreint de collectionneurs. Elle n'a pas échappé
aux recherches de John Jullien et de Jean Humbert, qui en
ont laissé des copies"; mais en 1875, le savant bibliographe du
patois de Genève, M. Eugène Ritter, n'en avait pas vu d'exem-
plaire imprimé et n'en connaissait qu'une copie manuscrite due
à M. DuBois-Melly, d'après laquelle il cita le premier couplet ^
C'est d'après la même copie que M. Gauchat publia en i8g6
les couplets i et 3, avec traduction ^ Dix ans plus tard seule-
ment, M. Ritter signale à la rédaction du Glossaire le don fait
à la Société de Lecture de Genève d'un original imprimé et
lui en communique le texte exact, avec traduction. En 191 1
enfin , les vingt couplets des Cris de Genève ont été publiés
dans la Revue savoisienne par M. J. Désormaux*, non pas tou-
tefois d'après l'imprimé original, mais d'après un recueil ma-
' « Les Cris de Genève mis en chanson patoise sont aussi un monu-
ment de cette littérature populaire, qui fut imprimé, sinon compose, à
la même époque que les pièces de l'Escalade, c'est-à-dire dans la se-
conde moitié du dernier siècle. » Gaullieur, Etudes sur l'hisloire littéraire
de la Suisse française, Genève 1856, p. 290.
- Voir la Bibliographie linguistique de la Suisse romande, t. I, n» 740.
•'' Recherches sur le patois de Genève, Genève 1875 j p. 13.
■* Dans le recueil Aus allen Gauen. Dichtungen in den sclnuei\eriscben
Mundarten, Zurich 1896, p. 1 50-151. Reproduit, avec des interpréta-
tions de son crû, par F. C[habloz] dans la Feuille d'Avis de Neuchdtel
du 30 mars 1896, sous le titre Les Cris de la Rue.
' Formulettes en patois savoyard, dans la Revue savoisienne, 191 1,
p. 188-190.
88 J. JEANJAQ.UET '
nuscrit de la fin du XVIII<= siècle, appartenant à M. A. Bétant,
de Genève. Le texte présente plusieurs interversions et des
altérations qui rendent certains passages incompréhensibles.
L'éditeur ne s'est d'ailleurs pas rendu compte de la véritable
nature de la pièce, qu'il donne comme une série de formulettes
ou de rimailles présentant de bizarres associations d'idées. Le
principal intérêt du manuscrit genevois nous paraît être qu'il
donne la mélodie de la chanson, que M. Désormaux n'a pas
reproduite, mais que nous sommes en mesure d'offrir à nos
lecteurs, grâce à l'amabilité de M. Bétant et à l'obligeante
entremise de M. A. van Gennep.
Les recherches que nous avons faites dans diverses collec-
tions publiques et particulières de Genève nous ont fait
connaître six exemplaires du placard imprimé de notre texte.
Ils ne sont pas identiques, mais représentent trois éditions
distmctes, que nous avons décrites comme suit dans la Biblio-
graphie linguistique de la Suisse romande, t. I, n° 740 :
Edition A (exemplaires à la Bibl. de la Société de Lecture
et dans la collection RiHiet). — Feuille in-fol. (20 X 35 cm.)
à trois colonnes, séparées par un trait simple ; encadrement. Au
recto, chanson française : Les Légats de la Vache à Colas
de Sedege. Verso, titre: Les Cris de Genève, mis en
Chanson ; | Sur l'Air, de V Aimable Vainqueur. Premier vers
de chaque colonne: i. RAclia Seinena; 2. A mon bo hlian
Chablon; 3. U bon Triolet; dernier vers : Zai le fua û cû. FiN.
Edition B (exemplaires à la Bibl. de Genève, Gf. 555 bis,
pièce n» 6, et dans les collections Maillart et Lullin). —
Variante de l'édition précédente. Feuille in-fol., également à
trois colonnes et encadrement, mais la séparation des colonnes
est constituée ici par de petits ornements ronds alignés. Les
Cris de Genève occupent le recto, au sommet duquel se trouve
une tête de lion flanquée de deux amours couchés. Titre et
disposition du texte comme dans A. Texte lui-même identique,
LES CRIS DE GENÈVE 89
sauf quelques légères divergences. Le mot Fix manque. Au
verso : Les Légats de la Vache à Colas | de Sedege.
Edition C (exemplaire dans la collection Rilliet). — Feuille
in-fol. (22 X 37 cm.) à trois colonnes, sans séparation ni enca-
drement au recto ; avec en-tête, large bordure et séparation au
verso. Texte en caractères italiques. Au recto, deux chansons
françaises d'Escalade : Qu'elle fatale Journée et Contentez-i'ous
Savoyards. Verso, titre: Les Cris de Genève. | Mis en
Chanson, | Sur l'Air de r Aimable J^ainqueur. Répartition du
texte en trois colonnes comme dans A et B.
Malgré leur sujet complètement étranger aux démêlés de
Genève avec les Savoyards et à l'événement historique de
1602, les Cris de Genève rentrent dans la catégorie des « Chan-
sons d'Escalade », qui s'imprimaient dès le XVIP siècle sur
feuilles volantes et se vendaient chaque année à l'occasion de
la fête commémorative du 1 2 décembre ^ Ils en ont tout à fait
l'aspect extérieur (format, papier, impression) et le fait qu'une
des éditions est jointe à deux vraies chansons d'Escalade
montre bien que ces productions avaient pour rôle commun
•d'égayer le traditionnel repas d'Escalade. On remarque au
XVIII'^ siècle une tendance à renouveler et à varier le réper-
toire usité en cette occasion. On pourrait supposer que le
libraire ou l'imprimeur qui utilisa dans ce but les Cris de
Genève ne fit qu'adapter à un but nouveau une composition
déjà existante. Le fait est certain pour la seconde pièce des
■édition A et B, Les Légats de la vache à Colas, qui est une
vieille chanson huguenote du temps de Henri IV-. Mais pour
les Cris de Genève, nous en sommes réduits aux conjectures.
L'auteur en est inconnu et nous ne voyons dans le texte aucun
indice qui permette de lui assigner une date un peu précise.
' Voir sur cette littérature Bibliographie liiu^uistique etc., t. I, p. [64
et suivantes.
- Elle figure déjà dans le recueil de chansons d'Escalade imprimé à
Amsterdam en 1702.
90 . J. JEANJAQ.UET
Celle de V Aimable Vainqueur, sur l'air duquel se chantaient les
Cris de Genève, serait probablement plus aisée à retrouver,
mais ne fournirait qu'un terminus a quo. En admettant comme
probable que l'époque de l'impression soit assez voisine de
celle de la composition, ce n'est que d'une façon dubitative
que nous placerons celle-ci vers le milieu du XVIIP siècle.
Par l'examen des originaux, les spécialistes en typographie
genevoise arriveraient peut-être à des résultats plus assurés.
Mais ce qui nous paraît certain, c'est que l'auteur des Cris de
Genève s'est inspiré de l'ancienne Chanson des Cris de Paris ^
et l'a prise pour modèle. Le procédé de composition des deux
pièces est tout à fait le même. Il suffira pour s'en convaincre
de citer un des couplets de la chanson française :
Prunes de damats, cerises,
Quomquombre, beaux abricau.x.
De bon ancre pour escrire.
Beaux melons, gros artichaux.
Harenc frais, maquereau de chasse.
A refaire les seaux et soufflets.
CytrouUes. Filace, filace.
Qiii a vieux chapeaux, vieux bonnets-?
On voit que, dans l'un comme dans l'autre cas, l'auteur s'est
borné à diviser en séries d'égale longueur et à mettre bout à
bout, dans le pêle-mêle le plus complet, les cris variés des
vendeurs ambulants. Les textes eux-mêmes sont différents dans
leur ensemble, mais présentent toutefois des coïncidences qui
ne nous paraissent pas s'expliquer toutes par l'identité du sujet.
Nous les avons relevées dans les notes de notre édition Si la
forme métrique diffère complètement, c'est qu'elle était déter-
minée par celle de la chanson qui fournissait la mélodie.
' Brunet, Manuel, II, 425, en cite des réimpressions populaires de
Troyes, avec privilèges de 1714 et 1724. M. A. Bovet, élève de l'Ecole
des Chartes, qui a bien voulu rechercher pour nous ces éditions dans
les bibliothèques de Paris, n'a pas réussi à les y découvrir.
- Franklin, ouv. cité. p. 219.
LES CRIS DE GENEVE 91
laquelle n'était pas la même. La pièce parisienne comprend
dix couplets de huit vers, les quatre premiers de sept syllabes
et les quatre derniers de huit (avec plusieurs irrégularite's),
tandis que la chanson patoise est divisée en huit couplets de
vingt petits vers (le sixième en a vingt-et-un), généralement de
cinq syllabes, mais qui en ont aussi parfois quatre ou six. On
comprend que la nécessité de conserver autant que possible au
cri sa forme traditionnelle ait grandement gêné la versification.
Aussi le poète de Genève, encore plus dénué de talent que son
confrère parisien, a-t-il renoncé à rimer entièrement sa pièce.
Dans chaque couplet, un nombre plus ou moins considérable
de vers sont dépourvus de rimes.
En donnant à ses Cris de Genève la forme du patois local,
l'auteur n"a pas seulement voulu donner à son œuvre un carac-
tère plus original et plus plaisant, mais il n'a sans doute fait
que se conformer à la réalité. Il s'en faut d'ailleurs de beau-
coup que le patois dont il se sert soit parfaitement pur. On y
retrouve les traits essentiels du dialecte de la région, mais les
formes plus ou moins francisées sont fréquentes, et des vers
entiers sont complètement en français. Ce mélange d'éléments
dialectaux et de français correspondait vraisemblablement à
l'état réel des choses et a été voulu par l'auteur. C'est donc bien
à tort, à notre avis, que M. DuBois-Melly s'est efforcé dans sa
copie de restituer partout un patois correct. Les marchands
ambulants n'étaient certainement pas tous de Genève ou des
environs immédiats S et si le patois était encore d'un usage
général dans les classes populaires au milieu du XYIIIn^^ siècle,
le français était cependant connu de tous. Il devait déjà tendre
à s'infiltrer dans l'idiome local et à le supplanter, surtout dans
' Dans les deux couplets qu'il a reproduits, F. Chabloz a cru pou-
voir distinguer les cris de maraîchers français, de revendeurs italiens,
de « crampets du Jura », de marcliandes de poissons vaudoises, etc. Il
a bien de l'arbitraire dans ces attributions^ mais l'idée fondamentale
;:st juste.
92 J. JEANJAQ.UET
les manifestations de la vie publique. On sait que dès 1703 il
avait été ordonné aux huissiers de l'Audience de faire leurs
publications en français et non plus en patois ^
On sera peut-être surjjris de l'abondance des cris de tous
genres recueillis par le chansonnier. Sont-ils tous bien authen-
tiques et l'auteur n'a-t-il pas amplifié un thème facile en puisant
dans son imagination? Nous n'avons, malheureusement, aucun
moyen de contrôler l'exactitude de ses kyrielles. En tout cas^
si elles ont réellement existé, il n'en subsistait déjà que bien
peu de chose une centaine d'années plus tard. Blavignac a
consacré une partie du trosième chapitre de son précieux
recueil de folklore genevois aux cris des marchands tels qu'il
les avait encore entendus vers le milieu du XîX'"'= siècle". On
n'y trouve que de bien rares échos de la chanson des Cris de
Geficve. Il ne faudrait cependant pas se hâter d'en conclure
que cette dernière ne fut en grande partie qu'une fiction. Pen-
dant cent ans, les usages avaient bien changé. Si l'on veut se
faire une idée du rôle que jouaient encore au XYIII'"*^ siècle
les cris de la rue, il suffira d'évoquer la page si vivante cpie
Sébastien Mercier a consacrée aux cris de Paris dans son tableau
de la capitale : « Non, il n'y a point de ville au monde où les
crieurs et les crieuses des rues aient une voix plus aigre et
plus perçante. Il faut les entendre élancer leurs voix par dessus
les toits ; leur gosier surmonte le bruit et le tapage des carre-
fours. Il est impossible à l'étranger de comprendre la chose; le
Parisien lui-même ne la distingue jamais 'que par routine. Le
porteur d'eau, la crieuse de vieux chapeaux, le marchand de
ferraille, de peaux de lapin, la vendeuse de marée, c'est à qui
chantera sa marchandise sur un mode haut et déchirant. Tous
ces cris discordants forment un ensemble dont on n'a point
d'idée lorsqu'on ne l'a point entendu... On entend de tous
côtés des cris rauques, aigus, sourds : « Voilà le maquereau,
' E. Ritter, Recherches sur le patois de Genève, p. 22.
^ Eniprô genevois, 2<^ édition, Genève 1875, p. 181-213.
LliS CRIS DE GENEVE 93
qui n'est pas mort, il arrive, il arrive ! » « Des harengs qui gla-
cent, des harengs nouveaux! » « Pommes cuites au four! » « Il
brûle, il brûle! » ce sont des gâteaux froids. « Voilà le plaisir
des dames, voilà le plaisir ! » c'est du croquet. « A la barque,
à la barque, à l'écailler! » ce sont des huîtres. « Portugal,
Portugal ! » ce sont des oranges. Joignez à ces cris les clameurs
confuses des fripiers ambulants, des vendeurs de parasols. Les
hommes ont des cris de femmes, et les femmes des cris d'hom-
mes. C'est un glapissement perpe'tuel; et Ton ne saurait peindre
le ton et Taccent de cette pitoyable criaillerie. lorsque toutes
ces voix réunies viennent à se croiser dans un carrefour ^ »
Genève n'est sans doute pas Paris, mais, toutes proportions
gardées, on peut, d'après cette description, se représenter ce
que devait être dans la cité de Jean- Jacques Rousseau l'anima-
tion des rues aux jours de marchés et s'imaginer combien
l'impression produite par ces multiples appels des vendeurs,
dans leur patois original, devait différer de celle de la Cxenève
cosmopolite d'aujourd'hui.
Nous donnons ci-dessous une reproduction exacte de l'édi-
tion B de l'imprimé du XVIII'"^ siècle. Nous avons laissé sub-
sister la division des mots parfois défectueuse, l'accentuation
et la ponctuation insuffisantes de l'original. La traduction mise
en regard servira de correctif. L'orthographe est semblable à
celle des vieilles chansons d'Escalade en patois. La prononcia-
tion y est représentée d'une façon approximative, sans viser le
moins du monde à une grande précision ni à une uniformité
rigoureuse. Une des particularités caractéristiques, qu'on
retrouve dans la plupart des anciens textes genevois, est l'em-
ploi de s, z pour noter les spirantes interdentales d, ô, qui cor-
respondent, dans les patois de la région, aux sons c/i, J, du
français; ainsi: se/nena «cheminée», so «chaud», assefa,
« acheter », perse « perches », arzan « argent >-, rozo « rouge »,
' Mercier, Tableau de Paris, chap. 579.
94 J- JEANJAQUET
pinzon « pigeon », zerba « gerbe », etc. La comparaison de
notre texte avec celui des deux autres éditions décrites plus
haut ne nous a fait constater que des variantes insignifiantes.
On a affaire à de simples réimpressions, qui sont entre elles
dans la plus étroite dépendance. Nous avons signalé dans les
notes les quelques divergences des éditions A et C, sans enre-
gistrer toutefois de simples différences dans l'emploi arbitraire
des majuscules ou des accents. Nous avons aussi utilisé les
manuscrits Bétant, J. Humbert et DuBois-Melly, mais nous n'en
avons mentionné qu'exceptionnellement les variantes, ces
copies remontant sûrement à des imprimés tels que ceux que
nous avons eus sous les yeux et offrant, par conséquent, peu
d'intérêt pour la critique du texte.
La musique est empruntée au manuscrit Bétant S p. 40-42,
que nous avons reproduit sans modification. Il faut probable-
ment suppléer en tête un si bémol comme indication de la tona-
lité. La faute de mesure de la cinquième ligne (4^ mesure) est
dans l'original.
Outre le volume déjà cité de Franklin sur les Cris de Paris,
les ouvrages auxquels nous renvoyons sans cesse dans les notes
sont les suivants :
J. Humbert, Noiiveati glossaire genevois. Genève 1852, 2 vol.
Alexis François, Les provincialismcs suisses-romands et
savoyards de Jean- Jacques Rousseau, dans les Annales de la
Société Jean- Jacques Rousseau, t. III (1907), p. 1-67.
J. Blavignac, L'empro genevois. 2^ édition. Genève 1875.
A. Constantin et J. Désorma.ux, Dictionnaire savoyard. Paris
et Annecy 1902.
F. Fenouillet, Monographie du patois savoyard. Annecy 1903.
* Ce manuscrit, de 44 p. 111-4» oblong, avec lacune de 22 à 27, ne
porte ni nom ni date. L'écriture et le papier semblent indiquer la fin du
XVIIIe siècle plutôt que le commencement du XIXe, auquel l'attribue
M. Désormaux. Outre les Cris de Genève, on y trouve le Ce qu'é laino,
couplets 1-6 1, avdc musique notée, et diverses autres chansons d'Esca-
lade en français, la plupart également avec mélodie.
LES CRIS DE GEXHVE
95
A. Constantin et P. Gave, Flore populaire de la Savoie.
ii"^ partie. Annecy 190S.
Les formes patoises d'Hermance ont été relevées par nous
dans cette localité genevoise.
Les Cris de GENEVE, mis en CHANSON ;
Sur l'Air de Y Aimable l'ainqueitr.
Ra - clia se - me - iia ; La - fc sau c - cra - ma; Vo-
-é •-
:^=i==^
H - vo rail fai - ua, Ou qitar - // de tiè - vra Fa - ra hou
J
1=
=1=F
d:=±
^=t:
t=t:=^
:^=^=:
it
tZIIÉl
bouil-Jon, Vo - li - vo ran pian-drè, Yè bon et tan-dro,
m-
-^
—^-.
^=^
=1=i
--^
m — ^-
Pn-gni ka - qu{e)raii ; E rav{e) el é fin; L'on pi - a de
:i—\—^-
=ftzitr
:p=:t=i:
îï=t==P=
::lzzzi=:
bii, Pa - né pa - te - liait - lé E sa - pé de pail - le; A
tii:
::l=1:
:^
^
mou bons 0 - gnons, E pia de meii - ton; A ta fi
:,=J=^
-é — ^
^3^
cas -si - a; Bon - lé - te far - ci - a, A mon bo car - don :
:=1:
=1:
=^
•^^•-
V-
mi — 0 — aM— • — • — 0-^-^T — '-*
No - ga, 110 - ga, La vi - va, à la viv{a),E bel{lè)fa - ra.
96
J, JEAXJÀQ.UHT
Radia Seuiena;
Lafè fan écrama;
Voli-vo ran Faina,
On qiiarti de Tiévra,
) Fara bon bouillon,
Voli-vo ran prandrè.
Yè bon & tandro
Pregni kaqueran ;
E Rave &■ é Tiii ;
lo L'on Pia de Bu,
Pané Patenaillè,
E Sapé de paillé ;
A mou bon ognons
E Pia de Menton;
1 ) A la Frecafjia ;
Botiléte farcia,
A mon ho Cardon ;
Noga, Aoga,
La viva à la viva,
20 E belle Fara.
Racle cheminée (ramoneur) î
Lait non écrémé !
Ne voulez-vous rien, femme ?
Un quartier de chèvre
) Fera de bon bouillon ;
Ne voulez-vous rien prendre :
Il est bon et tendre,
Prenez quelque chose !
Aux raves et aux choux !
10 Les pieds de bœuf!
Panais, carottes,
Aux chapeaux de paille !
A mes bons oignons !
Aux pieds de mouton !
15 A la fricassée !
Boulettes farcies !
A mon beau cardon !
Nougat ! nougat !
Fretin ! au fretin !
20 Aux belles feras !
I. Le cri du ramoneur ne manque dans aucun des anciens Cris de
Paris; voir Franklin, pp. 156-157 (avec reproduction d'une image du
XVIe siècle), 172, 213, 216. Pour Genève, cf. Blavignac, p. 194.
6. Les trois éditions impriment Voli-von, simple erreur typographique.
II. Le patois des environs de Genève emploie /ia«(J pour désigner le
millet (Hermance ; cf. H umbert, />««<;/; Flore pop., n" 745). Certaines
régions de la Savoie appliquent aussi ce mot au mouron [Dict. sav.,
pane; Flore pop., no 1172), mais le fait que pané est joint ici à patenaillè
indique qu'il s'agit du panais, plante potagère (Pastinaca sativa, L.
d. Flore pop., no 740). Cf. « Panets, beaux panets, Beau cresson, ca-
rotte, carotte », Chanson des Cris de Paris, p. 219.
13. bas Ognon C.
1 5 . Frecasia C.
17. Ici et dans quelques autres passages, où le pluriel paraîtrait plus
naturel (p. ex. vers 45, 49, loi, 146), il serait facile de lire mou au
lieu de mon, malgré l'accord des trois éditions.
17-20. Par suite d'une erreur d'interprétation de la disposition du
texte dans le manuscrit Bétant, M. Désormaux a imprimé ces quatre
vers en tête du ler couplet. La même interversion des quatre derniers
vers se reproduit pour les couplets 2 et 3.
19-20. C'est à toft que DuBois, suivi par Ans alleu Gaiien, p. XX,
LES CRIS DE GENEVE 97
[2.J 2.
A mon Ventre de Vé A mon ventre de veau !
E bon pia de vé ; Aux bons pieds de veau !
A ma bella braza A ma belle braise !
Aj'eta ma paille Achetez ma paille !
25 Arsan dé bonnet; 25 Argent des bonnets !
LiaJ'fe d'Espargè Bottes d'asperges !
E belle RemafJ'è Aux beaux balais !
Veji^ni éi mé frai; Venez à mes fraises !
E /lia /rai, Aux œufs frais !
50 La Marmota envia ; 30 La marmotte en vie !
Vegni è Sèra//iè; \'enez aux séracées !
traduit « à la vive et belle fera». E ne représente pas ici la conjonction
«et», mais l'article es «aux», comme l'indique la forme plurielle
hUé. Les vers 19 et 20 sont donc indépendants l'un de l'autre. Blavi-
gnac, p. 202, cite le cri : « A la vive I Aux belles feras ! » comme
encore en usage de son temps parmi les poissonnières, mais il n'était
plus compris et était souvent altéré en Lavivvobell férds ou Labibobell
fèrds, à quoi les gamins ne manquaient pas d'ajouter : La pie hell'é
ctcvd! Viva désigne la blanchaille, le menu fretin qu'on mange en tri-
ture ; voir sur ce mot J. Jud. Les noms des poissons du lac Léman, dans le
Bulletin du Glossaire, 1912, p. 34. Sur la /é;'a,ibid., p. 23-27, et François,
p. 38, où se trouve une abondante bibliographie. Rousseau a écrit :
« Je mangerois bien de cette ferra » (Nouvelle Héloïse, VI, 11). D'autres
ont tait le mot masculin.
25. La formule flr;{a;z de... signifiant «achetez-moi... » revient en-
core aux vers 36, 83, 90 et 109. Elle se retrouve dans la Chanson des
Cris de Paris de 1572 : « Argent de mes gros ballets « ; « argent du fin
trébuchet », éd. Franklin, p. 219.
28. Fai A.
29. Esiia C. Il faut naturellement entendre : é-^ lia. Cf. dans la
Chanson: «Beaux œufs frais», p. 216, et dans Truquet : « J'ay des
œufz frais », etc.. p. 194.
51. Notre texte distingue entre sérassia a séracée » et sairay « sérac »
(vers 52), qui désignent deux choses différentes. « Sérac» (ou ses équi-
valents dialectaux) est répandu dans toute la Suisse romande comme
nom du fromage. blanc, de nature particulière, qu'on tire du petit lait
restant après qu'on a extrait le premier fromage. « Séracée » paraît, en
revanche, particulier aux parlers de la région savoyarde et jurassienne.
Le mot figure dans quelques dictionnaires français, grâce au fait qu'il
a été employé par J. J. Rousseau dans la Nouvelle Héloïse, IV, 10 :
<( La Fanchon me servit des grus, de la céracée, des gaufres, des écre-
lets». et. François, p. 40. Rousseau explique en note : « Laitages
98 J. jEAX)AQ.UET
E bo Ravounets ; Aux beaux radis !
Haran Soret Hareng saur !
A mon f ai de Bot : A ma charge de bois !
35 ^ fnon bon Zenaivro 35 A mon bon genièvre !
Arzan de mé Coêfè Argent de mes coiffes 1
Vegni II Mourguet ; Venez au muguet !
Dé Bas, dé Bas ; Des bas, des bas !
E Seudelet fo fo, Aux chaudeaux tout chauds !
40 Vegni è bon Cara. 40 Venez aux bons « carrés » !
excellens qui se font sur la montagne de Salève. Je doute qu'ils soient
connus sous ce nom au Jura. » Les définitions des lexicographes mo-
dernes ne sont pas très précises, ni concordantes : Humbert traduit par
(( Caillebotte, lait caillé dont on a séparé le petit lait et qui fait masse >',
et Littré reproduit cette définition sous « séracée », après avoir traduit
simplement par «sorte de laitage» sous « céracée ». Le Dict. sav.
explique sérachà par « petit lait avec lequel on fait un fromage mou et
maigre, appelé seré en patois et sérac en français local », et Fenouillet
par « lait caillé et préparé d'une certaine façon ». Nous croyons plus
exacte dans sa btièveté la définition de M. J. Hubschmied, qui a relevé
sèrasya au Val-de-Travers et l'explique par « seré non pressé ». Ce qui
nous paraît en effet assuré, c'est que la «séracée» est une masse
caséeuse fraîche, pouvant être assaisonnée de différentes manières et
destinée à être mangée immédiatement , tandis que le « sérac » est
pressé et salé pour être conservé. Cela ressort aussi de l'exemple relevé
par M. François (p. 43 , sous grn) dans un acte de 1708 : « L'amo-
diateur [du pâturage] doit livrer tous les vendredis une séracée à raison
de 3 sols. Blavignac, p. 198, mentionne comme toujours existant le cri
« Aux séraces ! » Mais les « séraces» semblent être encore autre chose
que les « séracées ». D'après le Glossaire de Duret, on appelle sérftça
des grumeaux de « caillé très doux » provenant d'un second barattage
du babeurre. Cf. V Atlas livg.de la France, carte 1605, points 81 5 et 869,
où seras signifie «lait de beurre». Enfin Bridel donne scrassct, s. ni.
« grumeaux de lait caillé très délicats (La Côte). »
37. Moiirget C.
39. « Chaudeht, chaudeau, boisson chaude composée de lait, d'œufs
et d'eau de fleur d'oranger qu'on donne aux femmes lorsqu'elles
viennent d'accoucher ». Humbert. Il faut croire que l'usage de cette
boisson réconfortante était plus général au XVIII= siècle.
40. Nous n'avons pas retrouvé dans le patois actuel l'explication du
mot cara. DuBois pense qu'il s'agit d'une sorte de balance,, dite à
Genève « levreau » ou « quarré », ce qui est bien peu probable. On
pourrait plutôt penser à une pâtisserie de forme carrée. A Arzier (Jura
vaudois). karrfi désigne aussi une motte de beurre.
LES CRIS DE GENKVE
99
[î-1
E bo Polatou ;
Ouranse et Citron
Vegni é akméte,
E fainnes lunétes ;
4) A mon bo Sapon,
E Tome de Tievra
Chalada rornanna
Moulo de Boton
A mon Bénaiton
50 Et Fazioule blianfe
Egarzan de France,
Vegni II Sairay
U bon Beuro frai
A tiwii bo Cordon
5 ) A mon bo blian Chablon [col. 2]
Mé Pointes fainnès
Me bonnes Epinguè
Verro zotdis
3-
Aux bons poulets !
Oranges et citrons !
Venez aux allumettes !
Aux fines lunettes !
45 A mon beau chapon !
Aux « tommes » de chèvre !
Salade romaine !
Moules de boutons !
A mon hanneton !
50 Aux haricots blancs !
Eau-de-vie de France !
Venez au « sérac » 1
Au bon beurre frais !
A mes beaux cordons !
5 5 A mon beau sable blanc !
Mes fines dentelles !
Mes bonnes épingles !
Verres jolis !
42. Cf. « Auranges, citrons», Chanson, p. 216.
46. La « tomme de chèvre » est un petit fromage à pâte molle. Ct.
Humbert, toniine ; Dict. sav., tdmâ ; Fenouillet, toma ; Blavignac, p. 200.
48. On appelle encore hàton a moulo, ou simplement moido les bou-
tons plats en os, percés de cinq trous (Hermance).
49. Bènéton, petit panier rond de paille tressée, sans anse, dan^
lequel on laisse lever le pain avant de le porter au four (Hermance).
Cf. Humbert, bénaiton.
31. Egarzan, sur l'origine et l'extension de cette appellation de l'eau-
de-vie, voir Bulletin du Glossaire, 1904, p. 36-58.
32. Sairay, voir ci-dessus, vers 31.
54. Au sujet de cordon , DuBois fait la remarque suivante : « La
mode des cordons de chapeaux pour hommes (dits Bourdaloue) datant
de la seconde moitié du XVII'= siècle, peut-être y a-t-il ici un indice
touchant l'époque où cette chanson fut composée. « Mais rien n'in-
dique dans le texte qu'il s'agisse spécialement de cordons pour chapeaux
d'hommes.
36. On peut hésiter ^our pointes entre le sens de « dentelles», attesté
pour la Savoie par Fenouillet, et celui de « sorte de clou », aussi connu
du patois (Hermance).
38. Zouli n'appartient pas au vocabulaire patois, qui rend «joli» par
lOO J. JEANJAQUET
La malice dé Faines « La Malice des Femmes >
60 Et Grifelidis. 60 Et « Griselidis » !
[4.] 4.
E Rave û barbo Aux raves bouillies !
Conté & Ciziati Couteaux et ciseaux !
Ratires & Cages Ratières et cages !
E C/iales de paille Aux escabeaux de paille !
6) Farmolo Cizio 63 Faire aiguiser ciseaux!
Grefion (5" Griot e Bigarreaux et griottes !
E belle Carotè ; Aux belles betteraves rougest
Armana nouveau ; Almanach nouveau !
bravo. Cette épithète est empruntée au français « Verres jolis >^ qui se
trouve dans la chanson des Cris de Paris (p. 216), et déjà antérieure-
ment dans les compositions de Jannequin (p. 213), de Truquet (p. 179)
et d'une autre du commencement du XVIe siècle (p. 146).
59-60. Titres de livrets appartenant à la littérature de colportage.
La chanson des Cris de Paris n'a rien d'équivalent, mais bien la pièce
de Truquet, qui consacre six vers aux « babiolles » littéraires (p. 200).
L'histoire de Griselidis, traduite de Pétrarque, et La malice des femmes,
pièce en vers empruntés au Ma/Zw/^a-, ont été souvent imprimées dès le
XVIe siècle. Voir le Manuel de Brunet, qui cite entre autres des édi-
tions populaires de Troyes.
61. Barboter signifie «cuire à gros bouillons» et les « raves au
barbot » sont des raves bouillies entières. Voir barbol dans Humbert et
dans le Dicl. sav. C'était une sorte de mets national savoyard, qui est
aussi mentionné dans le Ce qu'è laine, strophe 63. DuBois assure
qu'on en préparait en hiver sur les places de marché.
64. Chahs, aujourd'hui srtlè (Hermance). La même prononciation
archaïque de Vs comme ch se retrouve dans clialade, v. 47, choflets,
y. 109, et cholars, v. 122. Pour la signification, cf. «A mes belles selles
de boys.... D'aucuns n'en ont pas pour les {c.-à-d. se) seoir», Truquet,
p. 181. Chala revient plus loin (v. m) avec le sens de « selle ».
65. DuBois écrit Arinolo ! et traduit par «Rémouleur!» Il faut
plutôt voir dans Farmolo l'équivalent de far rniolà. L'auteur a sans
doute noté le cri comme il l'entendait, sans se rendre compte des élé-
ments de la composition. L'a des infinitifs a, dans les patois genevois,
un timbre très voisin de à.
67. Caràta désigne la « betterave potagère », dont on fait de la
salade, tandis que la carotte jaune est la patenaille mentionnée au vers 1 1 .
Voir Flore pop., nos 140 et 192.
68. Cf. « Almanachs nouveaux», dans la Chanson, p. 216, et dans
Truquet, p. 296.
LES CRIS DE GEXEVE
lOl
TortoUion to J'o
70 E belle Bougncie ;
AfJ'eta nié Crebélie ;
Dé bo Articho,
Livre nouveau
Vegni è Esc a r go
73 E bo Abrico
Cliapo vieux â vendre
Belle toile blanche
E bo Taillerins
E Percé & è .Ponie
^o Vegni é Rezain.
[>■]
Vin roso &' blian
Il est bon e fran
Arzan de mous Abro
Ma Polaille gracha
S 5 Mon Fai de Serman
Ho laine Halaine;
Vegni à la Betoine
A mou bas ribans ;
A mou bos Haran
-90 Arzan de mou Peno;
A mon fai de Perse
Boun Ancro luisan;
« TortoUions » tout chaiuls !
70 Aux beaux beignets !
Achetez mes corbeilles !
Des beaux artichauts !
Livres nouveaux !
Venez aux escargots !
75 Aux beaux abricots!
Vieux chapeaux à vendre !
Belle toile blanche !
Aux beaux vermicelles !
Aux pêches et aux pommes !
80 Venez aux raisins !
5-
Vin rouge et blanc !
Il est bon et franc.
Argent de mes arbres !
Ma poule grasse !
85 Mon fagot de sarments !
Alênes, alênes !
Venez à la bétoine !
A mes beaux rubans !
A mes beaux harengs !
90 Argent de mes peignes !
A mon fagot de perclies !
Bonne encre luisante !
69. « Tortûlion, craquelin, sorte de pâtisserie en forme de collier. »
Humbert.
70. A Herrrlance, on distingue entre les hoiinyè, « beignets « et les
l'onnyétè, faites avec de la pâte de pain, frite dans l'huile ou dans la
graisse.
76. Cf. « Qui a vieux chapeaux, vieux bonnets ? " Chanson, p. 220.
78. « Taillerin, petit morceau de pâte pour la soupe, vermicelle plat. »
Humbert. — ^81. roie A. — 85. Sarman C.
86. Les alênes ne sont pas seulement employées par les cordonniers,
mais se trouvent à la campagne dans tous les ménages.
87. La bétoine est probablement ici l'c arnica », très employé comme
vulnéraire et qui est appelé « bétoine de montagne » dans quelques
régions de la Savoie et dans les Alpes vaudoises. Y o'ir Flore pop., n^S,.
92. Cf. «De bon ancre pour escrire», Chanson, p. 220.
102
J. JEANJAaUET
Mous bon Ciiradan
Gatio de milan
95 La taila de Rit a
Dé Saiagnè coite
E fleur de Pavo,
La morto rats;
Vo/ii'o-ran prandre ;
loo Pé r'écoura.
Mes bons cure-dents!
Gâteaux de Milan !
9) La toile de « rite » !
Des châtaignes cuites !
Aux fleurs de pavot !
La mort aux rats !
Ne voulez vous rien prendre
ioo Pour récurer ?
[6.]
A mon bo Biscoin
En volivo zain
E Mefé à la RofJ'è
E belle Epenoffe
105 ISiy vo zain de Reprin
6.
A ma belle brioche !
N'en voulez-vous point ?
Aux petits pains, à Tarroche !
Aux beaux épinards ! [de recoupe?
105 Ne prenez-(/;7/. ii"avez) vous point
94. Gatiati C.
9j. La rita est la filasse peignée. Cette toile indigène, offerte en
patois, s'oppose sans doute à la « belle toile blanche » annoncée en
français au vers 77.
96. Coite, prononcer koiiètè.
98. Cf. "J'ay la mort aux rats, aux souris», Chanson, p. 216, et
" La mort aux rats et aux souriz », Truquet, p. 173.
lOi. mou C. — Biscoin « pain à deux pointes, dont le nom désigne
la forme et que dore une forte teinture de safran», Blavignac, p. 195.
Cf. Humbert et Fenouillet. On en vendait encore de son temps dans
les foires et dans les « vogues ».
105. DuBois écrit « à la rose » et explique par u manger à la rose ».
c.-à-d. exquis, ce qui n'est pas soutenable. Blavignac parle, p. 195, de
« beignets de rose », ainsi appelés d'après leur forme. Nous avons aussi
entendu dire « beignets à la rose », mais la forme rossè, confirmée par
la rime, ne saurait être identifiée avec « rose ». Cf. rouies au vers 118.
Le manuscrit Bétant a roche. Nous croyons qu'il faut comprendre :
E mesè, à l'arossè. M?ûè, « miche », s'emploie pour « petit pain » (Her-
mance), et l'arroche des jardins, dont les feuilLs sont comestibles,
s'accorde bien avec les «épinards» du vers suivant. La Flore pop.,
n° 87, mentionne arrousse parmi les formes du français régional.
105. Reprin, farine grossière obtenue par une seconde mouture du
son.
LES CRIS DE GENEVE
103
A la Zernmitdria
A la Secoria
U bon Triolet [co\. 3J
Arsan dé Choflets
] I o La bella Cavala
La breda & la chala,
Aj'feta la may,
Vegni il Sarbon
Il est bo e- bon
1 1 5 Point de chou de Ray
.LL belles Alagnes ;
La cire d' Ef pagne
Roiizes ô Ouliets,
Conilli de bai ;
120 Terivo à caro,
Pregni garde ii boi.
[7-]
A mon bo Cholars
Fade Ion dècrota ;
A la germandréc!
A la chicorée !
Au bon trèfle !
Argent des soufflets !
110 La belle jument !
La bride et la selle !
Achetez le pétrin !
Venez au charbon !
Il est beau et bon.
1 1 5 Point de choux de roi ?
Aux belles noisettes !
La cire d'Espagne !
Roses et oeillets !
Cuillers de bois !
120 Tirez-vous de côté!
Prenez garde au bois !
A mes beaux souliers !
Faites-les décrotter,
106. Zarmandria AC. A Hermance, <)arwaud)a, plante dont on fait
des tisanes.
112. Le mot habituel dans la campagne genevoise pour «pétrin,
huche à pétrir » est aripatir^. Mè est cependant aussi connu. Rousseau
s'en est servi ; voir François, p. 45. Cf. Dicl. sav., mè et Fenouillet,
maie, met. La traduction de DuBois : « achetez-la-moi » est inadmis-
sible. Le patois dirait adtâ m la.
II). Vers d'interprétation très douteuse. DuBois écrit Pointes et
traduit par « pointes (bourgeons) de choux-fleurs (comme on apprête
en salade les brocolis) >i ; mais nous ne connaissons l'appellation « chou
de roi )) ni pour le chou-fleur m pour une autre espèce de chou. Notre
texte se sert d'ailleurs plus haut (v. 9) de la forme patoise tin. Serait-il
question ici d'une pâtisserie? Cf. dans Jannequin (p. 215): «choux,
petits choux chauds ! » Point représenterait dans ce cas « voulez-vous
point » et serait l'équivalent du voli-vo ~ain qui revient plusieurs fois
en patois. — 118. OiiUers C.
120-121. Cris d'avertissement invitant les passants à se garer.
122-126. Réclame poutiin cirage appelé «la Royale». Ci. « noir à
noircir », Chanson, p. 219, et Truquet, p. 167.
123. La deuxième personne du pluriel de l'impératif du verbe
104 J. JEANJAQ.UET
MonJ'ieur ils font /aies Monsieur, ils sont suies.
125 Vegni à la Royale, 125 Venez à la Royale,
No Ion cirerain, Nous les cirerons.
A mou bo Pinzons ; A mes beaux pigeons !
A nié bonnes lardoires ; A mes bonnes mésanges !
Mon bo Champignon, Mes beaux champignons !
130 U petit cabaret 130 Au petit cabaret!
Parficot Fenouillet Persicot, fenouilleite !
Ma hoiin eau clairette Ma bonne eau clairette !
Mou bons écrelets ; Mes bons pains d'épice !
Vegni es Obelons, Venez aux houblons !
« taire » est aujourd'hui /a^'^/. yiaxs fade a existé. Voy. le placard patois
de J. Gruet. Fenouillet (p. 78) indique les deux formes pour le Chablais.
128. On pourrait songer aux « lardoires v, qui sont mentionnées
dans Truquet, p. 197. Mais le voisinage àni, pinsons rend plus probable
qu'il s'agit des mésanges, en patois lârdêrè (Hermance). DuBois
rapporte qu'on dit encore aujourd'hui en Savoie qu'on vend tout sur
le marché de Genève, jusqu'à des lardaires.
130. Humbert donne a cabaret, sorte de petite table», sens que
connaissent aussi les dictionnaires français. A Hermance, on nous a
indiqué « ustensile pour porter des verres ou des bouteilles ». Ce vers
doit être joint aux trois suivants comme cri du marchand de liqueurs et
de pains d'épice.
131. Blavignac, p. 189, définit \e. persicot « liqueur dont l'alcool avec
des noyaux de pêches formaient la base )>. Le mot a été admis en 1760
par l'Académie. Ménage le cite déjà dans son Dictionnaire étymologique
(1692) en disant qu'il vient de la Savoie. — La fenouillette est aussi
une liqueur, à base de grains de fenouil.
132. Ueait clairette, d'après DuBois, serait composée d'eau-de-vie,
d'infusion de cannelle et d'un peu d'eau de rose.
135. Ecrelets, mot employé par J. J. Rousseau dans le passage déjà
cité plus -haut (v. 31) de la Noiivdle Hêloïse, IV, 10 (voir François,
p. 56) et enregistré par Littré. La forme primitive Ucrelet, où 1'/ a été
prise pour l'article, existe concurremment. Le mot est tiré, non pas de
Leckerei, comme le disent Humbert et François, mais d'un diminutif
Leckerli, usité dans la Suisse allemande, d'où proviennent le mot et la
chose.
134. Obeloii ; les jeunes pousses du houblon sont comestibles. Hum-
bert cite les phrases : 0 Cueillir des obelons ». « Manger des obelons en
salade >>.
LES CRIS DE GENEVE
105
1 5 5 AfJ'eta de Melon
A lue pminnies herbe
AfJ'eta ma Zerba ;
A mon bo Rampon ;
Dé fleurs de Lits;
140 Chanfon d'Escalade
A mou bo oublis.
[8.]
Pondre à poudrer,
Cire à cirer
Belle laine blanche
145 De rite de France ;
A mon bo rate ;
E belle rioiité
Bonnes échalottes
E peti Yzé ;
150 U bo Piracè
Tabac à fumer ;
Paffera Merlo
Vegni c Sambero;
Liaffe de Poret,
i)) A mon bo Fliorety
A ma bouna Sia
Affeta ma Fia;
155 Aciietcz lies melons!
A mes menues herbes !
Achetez ma gerbe!
A ma belle doucelte !
Des fleurs de lis !
140 Chanson d'l-"se,ilade !
A meb beaux pains à cacheter !
8.
Poudre à poudrer !
Cire à cirer !
Belle laine blanche
145 De « rite >> de France !
A mon beau râteau !
Aux beaux liens!
Bonnes échalottes !
Aux petits oiseaux !
1 50 Au beau persil 1
Tabac à fumer !
Moineau, merle !
Venez aux ccrevisses I
Botte de poireaux !
155 A mon beau fleuret.
A ma bonne soie !
Achetez ma brebis !
1 36. Praimmes C.
139. Les feuilles de lis, conservées dans l'eau-de-vie, étaient un vul-
néraire qui ne manquait dans aucun ménage.
140. et. « A deux liards les chansons tant belles », Chanson, p. 219.
Sur les chansons d'Escalade, cf. ci-dessus, p. 89.
147. Rioulc, liens de branches flexibles, pour attacher les gerbes ou
les fagots. Cf. Humbert, rioùte ; Dict. sav., rioiita.
151. Les diff"érents Ciis de Paris ne mentionnent pas encore le tabac.
Il était répandu chez nous dès le XVIIe siècle.
156. Sous l'influence du français, la plupart des patois genevois
disent actuellement soiié, choiiè, pour «soie». Mais l'ancienne forme
indigène sia subsiste dans quelques endroits. Le développement se ta
> sîa est parallèle à celui de fêta >//a « brebis », que nous avons
au vers suivant et qui est conservé presque partout.
lo6 J. JEANJAQUET
E bon Trebnchet ; Aux bons ttébuchets!
Egru, Egrit Aux <( grus », aux « grus » !
160 Ma SentiJ'e bride ' 160 Ma chemise brûle,
Zai le fua ù cû. J'ai le feu au c...
158. Cf. « Argent du fin trébuschet », Chanson, p.*2i9.
159. Gril pourrait être « gruau », niais il est plus probable qu'il s'agit
de ce laitage analogue à la uséracée», dontj. J. Rousseau parle dans
le même passage de la Nouvelle Héloïse, IV, 10 (ci-dessus, vers 31).
Voir François, p. 43. Humbert définit «du caillé, du sèret mè\é de
crème ».
160- 161. On peut rapprocher le passage suivant d'une chanson
populaire jurassienne en patois : « Au secours ! mon cul brûle ! Ma
chemise s'en sent. » Arch. suisses des trad. pop. IV (1900), p. 151. Aller
crier derrière la porte : « Ma chemise brûle ! Qui est-ce qui l'éteindra? »
est une des pénitences de « jeux de gages » que l'on connaît aussi dans
le canton de Genève. C'est peut-être ce qui a suggéré à notre auteur
sa conclusion burlesque.
L'édition A se termine par le mot FIN.
J. JEANJAQ.UET.
►>*^—
TABLE DES MATIERES
-*-
Pages.
J. JUD. Les noms des poissons du lac Léman 3
Ernest Muret. Effets de la liaison de consonnes avec
5 finale, observés dans quelques noms de lieu
valaisans 4g
L. Gauchat. Etymologies : i. Neuch. bicrnâ, heureux.
2. Rom. dèsuvi, contrefaire. 3. Neuch. tioupèr,
jacinthe 84
J. Jeanjaquet. Les cris de Genève 85
— oc=C>C>0*^
IMPRIMERIES RÉUNIES S. A. LAUSANNE.
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire,
DOUZIEME ANNEE
1913
ZURICH
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hofackerstrasse 44
AUTOUR DU RHUIVIE
-♦-
Quand 'SI. L. Gauchat m'invita à me joindre aux rédacteurs
de ce Bulletin pour fêter l'anniversaire de M. Schuchardt, je
me demandais sérieusement si j'avais à présenter un sujet qui,
vu la solennité des circonstances et la nature de la collabo-
ration qu'on attendait de moi, pût ne pas paraître par trop
insignifiant. J'avais, il est vrai, sous la main des études sur les
noms des maladies dans les langues romanes. Mais, me disais-
je, est-il séant de parler des misères de l'humanité, des souf-
frances corporelles quand on présente ses vœux à un maître
vénéré? Est-il digne d'étaler devant lui des expressions patho-
logiques, — 7tiala ingrata j'é'«/<?rz .^ Cependant, ce qui me ras-
surait un peu dans mon embarras, c'est que j'avais eu l'honneur
de développer quelques problèmes de ce genre devant lui à
Graz, lors du congrès des philologues en 1909; et c'est en
me rappelant la bonté dont il honora mon petit essai que
je me décidai à présenter ces quelques modestes remarques.
Puisse-t-il dans ces pages reconnaître le dévouement et la
gratitude de l'auteur, qui ne cessera de se rappeler ces inou-
bliables journées d'automne de Graz !
L'évolution des désignations du ^ rhume ' est peut-être un
des plus intéressants chapitres de l'onomasiologie. Nous y
trouvons deux groupes différents : les termes savants à côté des
noms populaires.
A regarder de près les diverses expressions, deux notions
prédominent : comme l'essentiel du rhume, on regarde ou l'hu-
meur qui découle des fosses nasales, ou l'accumulation de
matériaux s'établissant soit dans le nez, soit même encore plus
haut, dans le cerveau. Le nez, d'après une idée très ancienne.
4 H, URTEL
ouvre sur le cerveau et tout ce qui descend par le nez vient
directement du centre de la pensée humaine. C'est pour cela
qu'on s'imagine qu'un rhume purge, pour ainsi dire, le cerveau,
qu'il de'gage l'intérieur du crâne de toute matière encombrante :
ptirgari coryza et hrancho cereh-um, dit Hippocrate. PJus il
sort de matière, plus il se fait de clarté dans l'esprit (cf. le
proverbe allemand : Viel Rotz, viel Ver stand).
Partons d'abord de l'idée d'après laquelle le rhume consiste
en un écoulement et passons en revue les expressions savantes
et populaires qui s'y rapportent :
I. ùe~ju.u, le rhume, s'est maintenu vivant partout en France;
il signifie plus spécialement « rhinitis » et dans un sens plus
étendu « refroidissement » ; cependant il y a des régions qui
l'emploient pour ^ tussis '. Dans deux aires différentes, V Atlas
linguistique de la France nous fait connaître un verbe rhumer
[carte 1321 ^ tousser'] ^. Nous y trouvons : rumc (P. 143, Meuse
méridionale), rœma (P. 132, Haute-Marne), et d'autre part:
rumà (P. 958, Haute-Savoie ). Or la région de rhume := ^ tussis "
est plus grande que V Atlas ne le laisserait supposer d'après la
carte « tousser » ; j'ai entendu : lo rhn , toux ' à Schirmeck-
La Broque, lèrum ,toux' dans les vallées de Rombach (Alsace).
M. Horning (Ostfranzos. Grenzdialekte) l'a recueilli de même
à Gérardmeretà La Bresse (Vosges): on le connaît au Thillot :
le rïn-m (communication de M. Bloch) -. Il semble que cette
expression soit répandue sur une grande partie de la région
vosgienne. La répartition des points indiqués permet de sup-
poser qu'il y a eu à une certaine époque une région homo-
gène de rhume = ^ tussis' dans tout l'Est. Dans l'ancienne
^ Nous constatons un développement analogue en Rouergue :
raiimas ucat =: coqueluche (Mistral). Une carte ^ toux ' manque à l'Atlas.
- Il est étonnant que dans quelques localités P. 493 ([Côtes-du-N.],
P. 397 [Ile de Jersey], et, au Nord, P. 198, 190 [Wallonie], 177 [Ar-
dennes]) on ait répondu à M. Edmont , tds ' etc. pour ^ rhume ' (C. 1 1 55).
Ces gens n'auraient-ils pas de termes spéciaux pour ces deux phéno-
mènes ?
AUTOUR DU RHUME 5
langue, ces différentes acceptions ne sont pas encore précisées
autant qu'aujourd'hui. ^ La reutne ', en ancien français, a encore
une signification plus générale. C'est le flux qu'on ^ tranche ' en
saignant la veine temporale (voir dans Godefroy l'ex. de la
Chron. de Brabant)ti qui apparaît autant par les yeux * ipor le
trop larmier, et por reutne, et por autres maladies assés qui as
ieux avienent, Régime du corps, éd. Landouzy-Pépin 36, 23)
que parles gencives, etc. Le premier exemple, tiré de Joinville,
que cite Godefroy t. Vil. 160 montre un double emploi de
^reume'; il fait voir qu'on sentait encore la signification d'un
^fluens ' .• un réunie si gratis en la teste que la reume me fil oit
de la teste parmi les nariles.
C'est sur la base du flux découlant par le nez — effet visible
d'une cause intérieure — que l'expression ^ rhume' = rhinitis
s'est constituée. De ^pvjuu', c'est-à-dire de l'altération des hu-
meurs, sort directement aussi l'acception ,tussis' ; car ^ rhinitis'
et . tussis ' sont deux phénomènes absolument différents, qui ne
sont même pas toujours liés pathologiquement.
Nous voyons que ^ rhume ' a gardé le genre féminin qu'il
avait en anc. franc, en Lorraine, dans tout le Nord, dans
la Normandie et à l'Est. Ce n'est qu'au centre de la France,
que, d'après la carte 1155 de V Atlas, le genre a changé. En
Suisse, nous constatons la même lutte. L'ancien féminin se
trouve (d'après les communications que je dois à la bonté du
Bureau du Gloss.) à Leysin(Vaud), en Valais (sauf à Lourtier) et
en quelques points du canton de Genève (Aire-la- Ville, Bernex,
Choulex). Le masculin s'est introduit dans le Gros de Vaud,
dans le canton de Fribourg et dans quelques endroits des
autres cantons: Dardagny (Gen.i, Cerneux (Neuch.), Vermes,
Courrendlin (Bernej. C'est sans doute sous l'influence savante
' On comprend facilement qu'on ait regardé les larmes de l'enrhumé
comme sortant de la même ^ source ' que les humidités des fosses
nasales. Du Gange cite ^ oculi rlienmaiii^autes ' ; on trouve encore en
prov. ^réiimo' chassie des yeux (Mistral). La carte 1783 de V Atlas
(chassie) ne nous révèle aucune forme analogue.
6 H. URTEL
et par analogie de termes comme ^ catarrhe, flux', etc., que le
genre masculin s'est introduit dans la langue littéraire.
Notons par parenthèse que l'évolution de jhewna' a suivi
d'autres voies hors de la France. Tandis que le prov. ramnas
(avec un suffixe péjoratif ou augmentatif, cf. Rom. Gram. II,
p. 459, 567) garde encore la signification de ^ catarrhe ', nous
apercevons que le mot ne s'applique pas généralement à la
j rhinitis " dans l'Italie du Nord, en Catalogne et en Espagne ;
ses dérivés ne désignent que le ^ rhumatisme ' et on emploie à
la place de , josûpa ' des dérivés de infrigidare et refrigidare,
dont les équivalents apparaissent déjà aux confins de la France
(voir V Atlas, P. 898, 990, 982, 992 [Est,, 797, 795, 796, 798
[Sud]). Cf. plus loin.
2. xavdpjjous :
Les exemples latins du Thés. ling. lat. (596, 77, etc.) nous
font voir que le mot catarrhus ne sert pas seulement à expri-
mer l'idée d'écoulement d'humeur sortant du nez (Isid. Orig.
4, 7, 1 1 : catarrhus est reuma lu gis e naribus, Marcell. med. 5,8:
ad catarrhum sive destillationon lofioris ex capite), xr\di\?, encore
le j rhume de poitrine' {Gloss. III, 598, 41 : reumaticus humor
in pectore). Oribase regarde le catarrhe comme étant l'effet
d'un flux descendant de la tête : ...de capite reuma currens
catarrhum excitât (Orib. Sy7i. 4. 32).
Le mot catarrhe est resté dans la langue littéraire de France;
il ne parait pas être très populaire dans les dialectes, la carte
1 155 de VAt/asne nous le montre qu'au Nord sur un territoire
restreint et en un point des Alpes Maritimes (P. 899; C. 1815
« enrhumé », P. 899, evkàtàrà). Cependant il est cité par Mistral :
caiarri, désignant, outre le catarrhe, une maladie des agneaux
qui se manifeste par des convulsions épileptiques. Il paraît que
le terme est plus populaire au Nord de l'Italie : ^a/ar (Piémont)^
katarro (Abruzzes), cai/ar^ (Parenzo) ; de même qu'en Espagne
et en Portugal: esp. catarro, estar acatarrado ; teni kdtaro
(Manacor, Baléares); port, catarrheira (gros rhume'.
AUTOUR DU RHUME 7
En ancien français, nous trouvons à côté de la forme savante
catarrhe une forme mi-savante catherre (Godefroy, t. IX, 8;
X,575).
Il semble qu'en France ces deux formes aient donné lieu à
une différenciation de sens. En anc. fr., le mot catherre a pris
la valeur d'apoplexie, cf. l'exemple de Commines cité par
Godefroy : le mal du roi Charles VII fut un catherre ou apo-
plexie. Nous avons encore en lorrain lo kàtèr (La Poutroiej
= , apoplexie ' ^ Dans quelques dialectes de l'Ouest, le sens du
mot s'est encore élargi ; nous avons à côté de katàr (Gloss. de
Pléchâtel), un ^katér' (Dottin, Gloss. des pari, du Bas-Maine)
non seulement dans le sens de ^ rhume', mais aussi dans celui
de , maladie quelconque, convulsions des enfants ' ; c'est aussi
le cas pour caterre dans l'Orne.
En outre, il existe au Nord, avec changement de la finale :
katerne (Saint-Pol), caterne (Meuse, Cordier) ", caterneux ^ en
mauvais état, ruineux, peu solide ' (même sens en piém. catar
^malaticcio cagionevole, maladif, invalide' (Zalli) ; angev. ;
fille catarrheuse, , fille disposée à la débauche ', Verrier-
Onillon). Il est remarquable qu'en catalan on trouve une dési-
nence analogue: cadarn, subst. et encadarnat, adj. (Manresa).
3- 0"tta:
gutta ^catarrhus, fluxio' de Du Gange est encore un
terme très vague. En ancien français l'emploi de goutte s'est
fort étendu ; on a donné ce nom à plusieurs phénomènes de
nature tout à fait différente (voir sous ce rapport les remar-
ques instructives de M. Ebeling dans son édition de VAuberée).
Paré connaît encore le sens plus général, quand il parle du
^ vocable de goûte': aucuns rappellent descente.^ rhume ou
catarre, parce que le nom de goûte est odieux principalement
^ Cf. katerlo ^ apoplexie' en frib. [-erlo <^*-erno ?). •
^ Je ne saurais décider si le mot cierne , catarrhe ' (dans V Antidotaire
Nicolas (éd. P. Dorvaux), que M. Thomas dérive de cier = catarrlius [?]
(Rom. XXV, 351) a le même suffixe ; voir plus loin chifèrn.
8 H. URTEL
aux jeunes gens (Littré 2. goutte [Hist.]). Il est probable que
cette aversion de la jeune génération s'explique par l'emploi
de goutte comme désignation de maladie vénérienne (cf. au-
jourd'hui : goutte militaire = blénorrhagie chronique) et c'est
sans doute la raison pourquoi nous ne trouvons plus «goutte»
sur la carte , rhume' de V Atlas; de là s'explique que goutte
dans la langue littéraire est resté = arthritis (cf. Godefroy,
t. IX, 712a).
4. fhixus, fluxionem, etc. :
Le mot fluxus s'est conservé dans le français littéraire (flux
catarrhal, flux de ventre, tic); fluns = fluxion, cité par Bou-
quet (vol. XXIII 51,9) dérive de *flumine {-çixoy. flums, anc.
fr. Jlum de ventre); fluxus n'apparaît pas dans le sens de
j rhume ' dans les patois de France ; mais on en trouve de nom-
breuses déformations désignant la dysenterie, tic: f ru de
sang ^ fruit à Mon\.hé\\a.x d, Jlus de ventre (Mistral), même j^iite
(voir plus loin) aura existé ; nous avons encore flûter = foirer
dans l'Est. Fluxionem est resté populaire sur un vaste terri-
toire : fiukchon {'è>\x\%%t)^fuksyon Cèdàni-VoX), flussioun, flissioun
(Provence), flussion (Piémont).
U'influenza a passé également dans la terminologie popu-
laire ; nous rencontrons : fluenza ^ grippe ' (Arette) avec aphé-
rèse. Il semble que l'étymologie populaire (en imitant le son
àe fluenza?) ait créé: fliite membre viril] en bas = influenza
(Verrier-Onillon), qui, à son tour, a produit: fliite en l'air
(ibid.).
La fllanza, nom répandu en Anjou (à Brion et à Luigné,
d'après Verrier-Onillon), nous semble être en rapport avec les
fllandaines, ces fils d'araignées qu'on voit tendus sur l'herbe
en automne. Elles passent pour donner la toux aux bestiaux.
5. ipXérpLU :
Parle changement du sens (flegma ^ ce qui brûle', inflam-
mation, humidité muqueuse), ce mot touche à un problème très
intéressant de la sémasiologie grecque ; il nous arrive sous la
AUTOUR DU RHUME 9
{ox\\\% flume^ fleume en anc. fr. ; Mistral nous donne fleumièro,
flumiero pour , rhume de cerveau' ; à Castres on a: enflaoufnà
^ enchifrené ' (Couzinie').
6. xôpu^a :
Ce mot, désignant originairement le mucus sécrété par la
membrane muqueuse du nez, apparaît dans les écrits des mé-
decins latins {Thés. ling. /at.lV, 1082, 28). Les deux exemples
qu'en donne Du Cange (II, 566)^ tirés de Papias et d'Isidore,
confirment que le ^ coryza ' est regardé comme une humeur des-
cendant de la tête et causant une inflammation dans les fosses
nasales. Le terme s'est maintenu sur un grand territoire en
Italie, en Espagne {korisà, ^Nlanresa, esp. coriza, it. corizza), il
est resté mot savant en France.
Nous voyons par ces expressions savantes combien prédo-
mine l'idée qu'il s'agit de courants d'humeurs montant et des-
cendant dans les voies intérieures du corps. Nous constaterons
quelle valeur ces idées possèdent aussi dans la formation des
expressions populaires.
A côté de la conception que le rhume est un écoulement de
viscosité muqueuse se trouve cette autre que le mal provient
d'une accumulation de matière dans les voies nasales. Epiphora,
à ce qu'il semble, n'a pas laissé de traces ; l'it. gravedine con-
tinue le terme savant latin. Le mot le plus répandu paraît être :
7. eonstipationem :
Tandis qu'en France ce terme est plutôt employé pour
Tobstruction des voies intestinales, le sens de ^ rhume' s'est
maintenu dans le piém. costipassion, Tesp. constipacion, le port.
constipaçao.
* *
Si nous passons maintenant aux expressions populaires, nous
sommes tout d'abord frappés de l'extrême richesse et de la
variété des termes ^
* Nous passons sous silence les termes qui sont de purs emprunts
comme chiioiipe , rhume ' dans les villages autour de Metz.
lO H. URTEL
Le terme le plus vague paraît naître de l'idée que le malade
est inopinément ^ atteint ' par le mal, sans localisation bien
déterminée de ses effets :
j ee qui vous prend, saisit ' :
germ. grîpan :
fr. grippe, lorr. grip^ S^^P^ (Suisse rom.), grJp (Saint-Pol),
h grïpd (Landes), roum. gripà.
V. être grippé^ général dans la Suisse romande.
abruzz. rappijje ^ infreddatura ' ; arpresàte ^ infreddato '
(Finamore).
prinzure ^ rhume ' (Alençon, Dubois), satsissure ■= rh. du
cerveau (sans indication de provenance).
^ ee qui nuit ' :
nouzemefit =^ ^ refroidissement ' (Castres, Couzinié), nousemen
(Mistral).
embarras qui empêtre :
intoxicare, intoxicatu: être întoutscha (Ormont-dessus),
^ enchifrené ', s'étoufchi (Noiraigue, Neuch.).
*increpinare, Hnkrèvsnà ^s'enrhumer', au Chenit (Vaud),
dérivé de /èr^e/^/za \ épidémie, dépérissement, grippe' (com-
parez : korselà (Savoie), ^ tousser ' et korsa , épidémie ' propr.
j course ').
Une idée plus précise déjà attribue le rhume à un ^ refroi-
dissement'. Il y a d'abord l'intensité, le degré qui attire notre
attention. Du léger froid qui nous menace, nous arrivons jus-
qu'à la terrible situation du malade dont le sang paraît être
glacé.
le froid :
L'expression , le froid ' ifré, etc.) est employée dans les îles
normandes [Atlas, C. 1155,?. 39g, 398), à l'extrême limite du
Nord-Est de la Wallonie (P. 196, 193, 191), dans les Ardennes
(P. 177). A l'Est, elle apparaît sous la forme agglutinée loufrè,
fém, dans le Doubs (P. 41), frè (P. 42), frwa (P. 74 [Suisse]):
AUTOUR DU RHUMK II
refroidissement, refroidi^ etc.
Pour nous en tenir à la France, la répartition ge'ographique
des mots froid, refroidissettient, etc., n'est pas sans intérêt.
Les deux caries de X Atlas qui nous renseignent là-dessus
(carte 1155 et la carte fragmentaire 1815) nous montrent
d'abord l'adjectif gardant la forme originale sur une plus vaste
étendue que le substantif, ce qui prouve (observation confirmée
par l'examen d'autres noms de maladie) que l'idée se maintient
avec une plus grande force dans l'adjectif. Nous voyons envahi
par le , rhume ' tout le territoire français, tandis que , refroidis-
sement ' et , refroidi " traînent encore une vie misérable dans
quelques enclaves aux confins de la France ; notons cependant
que , refroidissement' est encore plus vivant que ne le font voir
les cartes de la grandiose œuvre de MM. Gilliéron et Edmont.
Voici quelques faits cités d'après V Atlas : Les vallées des
Alpes présentent des formes intermédiaires entre la France et
la plaine du Pô : frédjyan{¥. 990 ^Alpes Mar. ), dià.].onfrèdj'yà,
freydœyrà , adj. œnfreyda (P. 982), frèydîi, adj. œnfreida
(P. 992), et l'adjectif seul : réfrédi (P. 975 [Val d'Aoste ),
enfréda (P. 950 Isère , P. 963, 973 TSavoie ); nous ajoutons
subst. infrèdoiiir? , rhume ' (Salvan, Valais). Ce sont des débris
qui témoignent qu'une aire cohérente, bien caractérisée, reliait
autrefois l'Italie du Nord et la France, car nous trouvons de
l'autre côté des Alpes : anfrijda (Usseglio), rafredor (Turin),
^nfreidor, adj. anfreydd (Piém.), resfriài ,raffredore' (Sarde
xnénd.), refreadiira (logud.), refifreddesciùna {a.hrnzz.), fard or
(Lugo, Romagna ), ra/r^^^V de testa (Parenzo,Istrie). Donc un
énorme déploiement du type , rhume', partant du centre, a eu
lieu en France; le type frigidu- et ses dérivés ne se conser-
vent qu'à la périphérie. Comme les points des Alpes Maritimes
semblent relier la France à l'Italie, il y a des endroits au Sud de
la France qui sont en concordance avec les termes espagnols;
nous avons: rafradaméfi^ (P. 796, 798 Pyrén. Orient.]), rd-
' Mistral donne : refrcjameit, eufredameii, esjre^imen, frejotis.
12 H. URTEL
frddàt (P. 796, 798 et 795, 797 Pyrén. Orient.'), qu'on ne
pourra pas séparer du catal. refredament, de l'esp. resfriado
resfriadura, du port, resfriamento.
«•haud-froid (v. Rom. Gramm. II, § 548, aigre-doux, etc. ):
chaud-freid (Moisy), gros rhume, fluxion de poitrine, pleu-
résie.
sav. chô-fré (Const. Dés.), cha rfdrdi , refroidissement subit
du corps ' (Dottin).
angev. chaiifroidie , pleurésie ' (Verr. On.).
prov. caud-e-fre, fred-e-catid (Mistral).
Nous rencontrons le même terme sur la carte 1878 de V Atlas,
consacrée aux formes patoises de , pleurésie'.
chofsrdl, P. 316 ; kaïlt fréy, P. 888 : frit é tchâù, P. 825.
N'y a-t-il pas une étymologie populaire cachée là-dessous?
y lacé :
glacià j enrhumé ' à Grenoble (Ravanat).
Le phénomène caractérisant le mieux le rhume était, à con-
sidérer les termes savants, une sécrétion d'humeurs sortant du
nez, de la gorge, des yeux. S'étonnera-t-on de voir revenir ce
genre d'expressions dans la terminologie populaire ?
s'èpyorna (Vérossaz, Valais), s'enpiorna (Champéry, Valais)
ttpyorfia, pioèrna , rhume de cerveau' (ibidem).
C'est d'abord la sécrétion muqueuse elle-même sous ses diffé-
rentes dénominations qui a donné naissance à bien des termes:
inucca :
s''émdtch3rnf (Plagne, Berne), forme qui supposerait un
* mot c hem avec un suffixe qu'on a vu apparaître plus haut
(cf. caterne, p. 89).
roupie :
Nous constatons cette base dans les expressions usitées en
Savoie et dans le Valais: roupià (Savoie), subst., s'inroupyâ
AUTOUR DU RHUME 13
(Lourtier), cJi enrboupia (Grimentz), itrc inroupiô (Leytron),
inroupiô (Praz de Fort), inroupiô (Chamoson).
Notons que einroupio est ^ enroué ' à ^''ollèges ; itiroupie-
min s. m. =r , enrouement ' à Leytron, Praz de Fort ; enroiipieri
s. f. enrouement ' à Chamoson.
morve :
anmorvur, Luppy (Lorraine ail.).
crachat ?
crabant^ crabas, crachat épais et fréquent ; gros rhume
(Vienne, Lalanne); krâch(AtlasC 1555, P. 510, Deux Sèvres).
cf. sard. capune s. pL = sornacchi, grossi spurgi, farfalloni
(Spano) ; capunara, cappofiaia = , catarro grosso \
A côté de termes insistant sur la nature muqueuse du rhume,
nous découvrons en parallélisme aux expressions savantes une
autre série de termes, où se présente l'idée que le rhume est
causé par une obstruction dans les fosses nasales ou dans la
gorge. Ces expressions se trouvent sur une vaste étendue :
fr. bouché (de bucca):
cl ô boutché (Le Thillot, Vosges) ; avay h nà boutscha (Or-
mont-dessus), même : atrapâ lou nâ boutzi (Dompierre), etc.
cf. l'esp. tapado (de germ. tap- cf. Zapfen).
Ce type se rencontre surtout dans les pays de langue espa-
gnole et portugaise : esp. port, estar tapado^ cat. tsnir 9I nas
tipat ; tapado de las narices (San Salvador).
chtbpf (ail. stopfen) = ^ enchifrené ' à Charmoille (Berne).
Mais la terminologie populaire est plus variée. Le peuple
éprouve le besoin de préciser les termes généraux, de localiser
les phénomènes. C'est le nez, qui est bouché ; il s'obstine, il
se défend contre le mal ; c'est pourquoi celui-ci devient, pour
ainsi dire, un objet compacte, un corps consistant.
se prendre :
7non né s'pra?i^ à Mettemberg (Berne).
14 H. URTEL
D'un autre côté, le nez ne remporte pas la victoire, il devient
faible, insensible, et voilà qu'un jour on a l'idée que le nez est
mis en franges, coupé ou ramolli :
le Doz est effrangé :
éfrindya = ^ enrhumé ' Trient (Valais).
avoir le nez crevassé :
avet h nâo tsapliâo, Villars s. M. (Fribourg).
le ^ museau ' se fond :
Est-ce le mot mor =^ museau (cf. lorr. tfiour = visage) qu'il
faut reconnaître dans la première syllabe de morfondre au
lieu de morve que proposait Diez?
morfonture {Oxnç.^ Du Bois), aussi enfontume (Orne, Du Bois,
p. 238).
morfondu^ Atlas C. 18 15 et 1155, P. 146 (Marne); marfon-
dama^ marfondyu, P. 805 (Puy-de-D. ) ; marfondyu, P. 809 (Puy-
de-D.) ; mbrfundii, P. 807 (Puy-de-D.); marfondjyu ^ P. 816
(Loire) ; Mistral : morfoundamen, marfoimdamén, malfomidemcn.
Mais il y a d'autres facteurs dans la terminologie populaire
qui font ressortir l'idée d'un empêchement soit dans le nez, soit
dans la gorge. Une croûte s'est interposée quelque part :
encroûté :
r'àfa , rhume' (Savoie), Atlas C. 1155, P. 964; s'anrofnê
(Vermes-Courrendlin); s'anrôfné (Mettemberg) = ^ enroué";
anrôfne (Vicques); atirôfné.
En tenant compte de l'expression qui suit, je dérive ce mot
de la racine allemande (v. h. ail. hruf^ Suisse ail. ru/y = croûte^
tartre) qui, d'après ce qu'enseignait Diez {£t. Wtb., p. 277), a
passé dans les différents dialectes d'Italie et de France ^
^ Citons encore: abruzz. rdjfa ^crosta lattea, lattime ' (Finamore),
rom. riifa (Zanazzo), napol. rcrva. En France se montre un changement
de la voyelle qui suppose un *rafa, *rafuJa ; rajo (Mistral) , croûte de
lait', rafl (Dottin) , gale des enfants', même *rifula : rifl (Dottin), rifle
, gourme des enfants' (Du Bois), rinfle (La. Villette, Calvados), cf. l'an-
glais riff, ruff.
AUTOUR DU RHU.\Œ 15
s'eingreiibâ (Villeneuve) ; étr' dgrœubi ^ être enrhumé ', Leysin
(Vaud), cf. suiss. graoba ^ tartre, croûte', grobi (Frib. Vaud)
croûte ' ; %d>N.greubâ , croûte sur la peau ' ( Samoens ). Cf. ëgroubd
V. , en parlant du tartre, recouvrir les parois intérieures d'un
vase de cave, incruster un ustensile en métal servant à cuire ;
obstruer un canal' (L. Odin, Gloss. de Blonay).
L'it. intasatnento, intasatura nous montre l'idée analogue
d'une outre à vin, bouchée par le tartre (it. taso); (cf. aussi l'esp.
sarro = ^ pituite ' et ^ tartre ').
Nous rencontrons aussi une idée assez curieuse, — je ne l'ob-
serve qu'en Suisse, — que c'est une sorte de givre qui recouvre
les organes de la respiration :
yivré, couvert de givre :
on dzayvro ^ une bronchite ' ; sHndzevra , s'enrhumer ', Lour-
tier (Valais).
Puisque le givre n'est formé que par la vapeur vésiculaire
des brouillards qui sont congelés (roum. brumci , givre '), nous
ne nous étonnerons pas de voir que la bruine joue aussi un
rôle dans notre nomenclature (cf. plus \vdM\.: fil and aines). Ces
, brumes' entrent par le nez comme elles pénètrent dans l'œil
et le troublent {bro7na^= ^ catarata dels uUs', Sopeira, Aragon).
bruma: 3sta dmhromat, , être enrhumé' Manacor (Mallorcaj.
aer :
^r (Montpellier) ^ enchifrènement ' ; kb d'èr, Atlas C. 1155,
P. 861 (Gard).
Passons du plus léger au plus pesant. On s'est imaginé que
la matière qui encombre le nez pèse comme du fumier, de
l'engrais (cf. un rhume gras).
fumier = drudz? :
eylv' édroudji^ Noiraigue (Neuchâtel).
Nous rencontrons ensuite l'idée que le nez est couvert comme
d'un emplâtre :
pegflumas (Mistral) , emplâtre de poix, enchifrènement'.
l6 H. URTEL
Avec ce terme, nous touchons déjà aux expressions qui nous
présentent l'idée d'empêchements qui ne se trouvent phis à
l'intérieur du nez ou de la gorge. C'est un fait général bien
établi que le peuple cherche à expliquer par des obstacles
externes les phénomènes pathologiques dus à des causes
internes; je ne cite que l'allemand , Ohrevklammer' = paro-
tide ; îetenâiye (tenailles) = , grand mal de tête ' (Pays de Bel-
fort), etc. Or les noms du rhume nous présentent toute une
série de termes de ce genre; il y a d'abord le sentiment d'un
empêchement général, on se sent :
étranglé :
gutta estratiguria ^ morbi genus, catarrhus, fluxio ' (12631,
Du Cange s. v. gutta ^ 2.
étrinjaura ^ enrouement, rhume ' à Vernamiège.
Mais comme il s'agit du visage, du , museau', qui est affecté
du mal, le genre de V empêchement se spécialise :
inlerricai'e (afr. enfo-gier) :
it. anfergiu d'nas (Castell Tinello).
subst. anfergiu (Castiglione Tinella, Alba), verb. anfargese
(Pieve di Teco).
infpenatu- sard. esseri infreiiau ad su ?iasu (Spano).
bernac :
Nous lisons dans une glose anglo-normande (éd. p. M. Priebsch
dans la Festschrift fur Mussafia^ p. 540) :
hic ca?>tus bernac.
chamum {vel capistrum) barnac, cf. angl. bernicles Oxf. Dict.
,^ Marterinstrument ", barnacle ^ Nasenknebel fiir unruhige
Pferde'. C'est là la racine que nous rencontrons dans ^ember-
niclé , enchifrené ' (Verrier-Onillon) ; embourniclé semble avoir
subi une influence des expressions marquant l'ensorcellement
par le mauvais oeil.
boui'on (de bourrer) :
A l'Est de la France, on appelle , bouron ' un , filet à très
grandes mailles, monté sur deux demi-cercles en bois, se
AUTOUR DU RHUME 17
pliant en charnière, destiné à contenir du fourrage vert qui y
est bourré et le contenu est une bourenaie. — bourê ^ collier de
cheval ' (Châtenois, d'après le Gloss. de Vautherin).
A Châtenois, nous rencontrons : enboirnai _ enchifrené', à
Charmoille (Jura \içxnd\%) anbornc ^ enrhumer'. Nous avons en
outre: boron {Atlas C. 1155, P. 72 Jura bern. ), le borron (Les
Paniers, v. 51); baron, Mettemberg, Séprais ; hordn, Plagne,
Pleigne ; bôrôn, Charmoille; bôroun, Vicques ; bouron, bourofi
di sarvè, Malleray ; bôrô?i d'ia têt, Plagne; v. s'ânbortiè, Char-
moille; s'ébbrnè^ Plagne; s'anbornê, Mettemberg; s'obourtià,
Mailleray ; atibôrtië, Séprais ; 77// anborfiè, Vicques.
(•anius :
Est-ce de ce mot qu'il faut tirer la camoudje ^ rhume de cer-
veau ' (Vautherin) et oncamoûëtchie , embarrassé du cerveau '
(Vautherin) ?
canicula :
ang. encanillé, enquenillc, ^ avoir le nez enquenillé, embar-
rassé, bouché ' (Verrier-Onillon).
Je ne sais si le mot eniinèflgnie (Montbéliard, Contejean),
onmiejîgnie (Châtenois, Vautherin), qui signifie ^enrhumé du
cerveau ' doit être cité ici ; j'ignore sa valeur propre ; cepen-
dant il pourrait signifier , enfermé ', car je le trouve dans le
journal montbéliardais ^ Le Diairi ' de 1903, dans un conte inti-
tulé : Lai nofjuné Potatchâ en pairaidis avec le sens de « en-
fermé au purgatoire ».
C'est encore ici qu'il faut ranger une expression qui paraît
difficile à expliquer.
Le terme français le plus usité, quand on veut exprimer que
le nez est obstrué par les sécrétions muqueuses est :
adj. enchifrené, subst. enchifrcnement.
L"étymologie de ce mot est généralement tirée de chanfrein
désignant « la pièce d'armure qui couvrait le devant de la tête
du cheval » (Littré ad. 1°). Mais il ne peut y avoir eu lieu
qu'un rapprochement postérieur; car on ne comprendrait pas
l8 H. URTEL
comment la première syllabe de chafifrein — dont l'origine
n'est pas du tout claire, comme l'a montré dernièrement
M. Meyer-Lubke dans son Roin. FA. Wtb. s. v. ^ camus' —
aurait passé à chif- en position atone. Au surplus, les significa-
tions que les dérivés du radical chif- ont adoptées dans les
dialectes s'accordent mal avec ^ chanfrein '. Sur la carte 1155
de V Atlas, nous trouvons chifèrn, P. 263 Somme] ; chifamèy,
P. 284 Picardiel ; auxquels il faut joindre : àchifèrné, Hargnies
Ardennes] ; enchinfrené , Havre (Maze) ; enchifarné ^ Anjou
( Verrier-Onillon); déchifarner ^{3.\re disparaître l'enchifrènement'
(Ver. -On.). En Suisse: s'ètsdfrdnâ. Bière (Vaud) ; s' etichifrenâ,
Dardagny (Genève) ; s'intzefrdnà., Romont et environs (Frib.);
s'intchifrena, La Brévine (Neuch.); s'ètchifre/ia , Landeron
(Neuch.); s'otchifranâ^CQxn&nx (Neuch.); enisifrau ^moxxenx'
(Val d'Illiez). Nous pourrions allonger cette liste. L'examen
le plus superficiel nous fait voir que la plupart des exemples ne
montrent pas de nasale dans la première syllabe. Le type
chifèrn présenterait donc la forme d'où il faudrait partir. Il se
compose d'un radical chif- et d'un suffixe -r;/, dont nous avons
déjà parlé à l'occasion de caterne. Nous croyons donc pouvoir
admettre une forme antérieure enchiferné. L'ancien français,
d'après ce que nous apprend Godefroy par deux exemples
du Roman de la Rose, ne connaissait que la tournure : d''amors
enchifrenés. Dans ces exemples, le sens d'^ enrhumé ' n'est pas
encore visible. Il semble qu'il ne puisse y avoir de rapport
entre les deux notions enrhumé et possédé {d''amour) qu'à tra-
vers l'intermédiaire: ^lié, empêché'. L'idée qu'un homme
affligé du ^ mal d'amour ' est comme mis à la bride par sa pas-
sion, a été très répandue de tout temps. Nous en avons la
preuve par une miniature italienne du treizième siècle (repro-
duite dans la ^ Geschichte d. ital. Litteratur par \\'iese-Percopo,
p. 18-19), o^ nous voyons l'amour représenté à la manière d'un
incube sur le dos de l'amoureux qui rampe à terre et qui est
tenu par la bride.
Ce qui provoqua d'abord nos doutes au sujet de l'ancienne
AUTOUR DU RHUME IÇ
manière d'expliquer le terme, ce fut le mot provençal : chifar-
nhi^gifarnèu ^ coup d'épée ou de bâton donné sur la tête', cité
par Mistral. Il ne serait pas permis de le laisser de côté dans
l'étude de cette tamille sémantique. Mistral le dérive du breton :
chifern, sifern ^ rhume de cerveau ' ; on ne comprend pas
pourquoi; car il est évident que ^ rhume' est une signification
postérieure et que le sens de coup doit être plus ancien ; il
existe bien des exemples (v. plus bas) pour le changement de
la signification ^ battu' en , enrhumé' et non pas du contraire.
Qu'il me soit permis de risquer ici un rapprochement qui ser-
vira peut-être à éclaircir les origines de notre terme.
Il ne me paraît pas impossible que dans chifarrièu il s'agisse
d'un coup attribué à un être diabolique et que le coup ait
gardé le nom de cet être mystérieux ^ (l'ail. Alp est le démon
même et le mal qu'il inflige ; der Ddmonen-Name ivird
hier wie ôfters zum Krankheits- [Symptovi-] Namen, Hofler,
Deidsch. Krankh. Namenbiich^ p. 13*: pour ^ le coup', com-
parez encore: Elfensclilag, Zwergschlag^ Schelmenschlag). Ce
chifarnèu = ^ coup ', nous ne pouvons pas, à ce qu'il semble,
le séparer du terme français qui exprime la même idée : cÂin-
/reneau^:^ ^ coup à la tête, au visage' (Littré); le Dict. Gén. qui
donne encore les formes : chanfreneau et chinforgnau les
explique par , horion '. Les deux exemples cités par Littré(tirés
d'Ambroise Paré) et le Dict. Gén. (tiré de Saint-Amant) ren-
dent probable que la signification était déjà devenue celle de :
^ taillade, coupure, cicatrice '. On trouve dans Zalli, Dizionario
piemontese s. v. ferl'éca = ferita, squarcio^ franc, balafre,
à chinfreneau^ taillade. Les démons ne donnent, d'après l'ima-
gination populaire, pas seulement des coups qui tuent, ils se
contentent d'égratigner secrètement. C'est pourquoi les expres-
sions désignant toutes sortes à'égratignures sont souvent en
rapport avec des noms de démons. Nous avons des termes
' Cf. chifèr = cerf-volant , insecte à longues cornes (bigorne) en
Rouergue ; chifeno, cerf-volant femelle (Mistral).
20 H. URTEL
comme: ^grifa'' (Vaud), ^grtfur'' (Saint-Pol), unglade (Pyr.
Orient.), ounglado (Castres), etc., qui prouvent qu'on se figurait
de légères blessures comme l'œuvre de démons, (cf. en ail.
Teufelsbiss , Hexenmal , Geisterkneifen, Alpfleck^= stigma dia-
boli). En wallon, ^ le cauchemar' même est appelé ^ marque'
d'après la petite blessure qu'il laisse sur la peau (war^/zf = cau-
chemar, terreurs nocturnes des enfants, Bull, de la Soc. liég.
de lang. et Jitt. ttall. 40). Nous sommes donc autorisés à faire
rentrer dans notre série le port, chifrar ^ racler, gratter ' et
avec changement de la voyelle radicale ,chafTarâo, cicatriz
grande ', l'esp. chafarrîjiar, chafarrinon ^ tache ', chafrignié
j griffonner, écrire comme un chat ' à Grenoble (Ravanat); dé-
chaffrer , se gratter vigoureusement' (Verrier-Onillon, p. 267);
tchafra , écraser' (Bagnères de Luchon), Rev.d. l. rom. 47, 102.
Pour en revenir à chifèrn, chifarnht., il sera permis de rap-
peler qu'il existe quelques termes qui, sous le sens d', enfant
turbulent' cachent peut-être le nom d'un diable, de sorte
qu'ils pourraient être de même origine. Nous trouvons déjà
dans Du Gange: cifo Italis ciffone garcio, gardufîa/h/s ; dans
les dialectes italiens, on rencontre d'autres termes qui parais-
sent être apparentés: cifell, cifilett^ .frugolo, demonietto, ra-
gazzo' (à Bedano, Tessin, Schw. Arch. f. Volksk. VIII, 259);
velletr. cifero, ^discolo', arcev. cifero, can. cifaro, sor. cifro,
Studj. rom. V, 70; en France chiffe, chiffon {Dict. gén.) en
parlant d'une étoffe de tissu lâche, mais aussi en parlant d'une
personne de caractère mou; angev. chiffon: petite fille mal-
propre, mal tenue; chiffon d'enfant dans la langue littéraire
(Littré). Mais, nous dira-t-on, n'est-ce pas plutôt la signifi-
cation , petite fille' qui vient de chiffon flambeau d'étoffe'
que vice-versa? J'ose croire cependant que chiffon dans la
signification ordinaire de ^ lambeau ' se rattache de même
à une racine chif-. On sait que, selon une croyance popu-
laire, les démons, en fouillant dans les chambres, laissent
comme marque de leur passage, soit un désordre général, soit
des lambeaux de toile, etc., qu'ils ont déchirés à belles dents.
On pourrait, sauf erreur, admettre une explication qui verrait
AUTOUR DU RHUME 21
dans chiffon ces tas de rognures d'étoffe ; cette supposition
serait remarquablement appuye'e par le mot bigornais = amas,
fouillis d'objets divers ei principalement de rognures d'étoffe^
de chiffons (Chambure, Gloss. du Morvan^ s. v.) qui vient de
, bigorne '. Mais nous avons, me semble-t-il, encore d'autres
témoins, qui plaident en faveur de l'origine diabolique de chif-.
Nous trouvons dans Littré: chiffonner sub. 4° le sens: ^ cha-
griner, intriguer ', chiffonnerie . petit souci qui chiffonne l'es-
prit ' et surtout : tout le chiffonnage dUin gros rhume ' {Suppl.) ;
dans les dialectes, nous rencontrons : xifouna , inquiéter, tour-
menter' (à Castres d'après Couzinié), chifouner ^ importuner,
tourmenter, tracasser' {Gloss. du Morvan), chifo, chifour , dépit,
chagrin, inquiétude' (Mistral). Ces expressions nous en rap-
pellent d'autres d'un sens analogue, qui contiennent sans doute
des noms de démons : décarcasser en Lorraine (Labourasse)
=: j se démener, se débattre, discuter vivement'; faire le bous-
trou ^ faire le tapage, disputer' en Anjou (Verrier-Onillon,
Suppl.); embrigonâ ^ chiffonner' à Grenoble (Ravanat) vient
peut-être d'un , embigornâ ' ; et le vaudois : tsèrfegni ^ con-
trarier', tsèrfegnâil ^ contrarieur ' (L. Odin, Gloss. de Blonay)
ne s'explique-t-il pas par un *tscfregni.^ *tscfregnâu'^
Mais nous nous sommes déjà trop arrêté à l'étymologie de
ce seul mot. Ce que nous voulions rendre probable, c'est que
toute la série appartenant à la racine chif-, chaf- contient ori-
ginairement le nom d'un démon ; cette racine se serait élargie
d'abord par une nasale^, s'installant de préférence devant une
labiale et puis par une r épenthétique ; le peuple, ne connais-
sant plus l'être mystérieux qui avait donné lieu au terme, et
séduit par des termes analogues comme enfergier, etc., y aurait
mêlé l'idée de ^ chanfrein '.
En admettant l'influence d'esprits ennemis, nous sommes
arrivés à l'ensorcelleiiient. Les cas où nous en voyons les
effets sont assez nombreux :
' V. le travail de M. Schuchardt, Ziim Nasdeinschuh, Zt. f. rom. Phil.
33, 71-
2 2 H. URTEL
charme :
Nous avons en France toute une série de termes où l'on
peut reconnaître un rapport avec charme, bien que l'origine ne
soit pas toujours très claire.
Citons les substantifs charmoise (Doubs, Beauquier), char-
moise (Jura, Chaussinj, antsarmoise (Mesnay), charmonge
(Haute-Saône), charmoture (Meuse, Cordierj, tchomwédj (à
Miélin, Haute-Saône), intzarmoudia (Grône, Valais); les adj.
ocharvwiî'té, acharmouté (Meuse, Labourasse) ; mtsarmijà ^ quj
a le rhume de cerveau' (Aoste, Cerlogne) ; cKintsarmonziè,
Mage, intsarmosia^ Savièse (Valais), antsarmozyà, Atlas C. i8 1 5,
P. 989 (Suisse).
M. A. Thomas, dans un intéressant article de la Romania
(XXXVIII. 369)^ nous a montré de quelle complexité sont les
questions que nous posent ces expressions. Il me suffira d'attirer
ici l'attention sur des formes qui présentent une apparence un
peu différente. Dans des régions très vastes du Doubs et même
des Vosges, nous rencontrons des formes qui, par étymologie
populaire, paraissent avoir été rattachées à col et moucher. Nous
avons colmoutche (Sancey, Doubs), kblmdtch (Bournois); d'ail-
leurs, j'ai entendu: chblmoiichd à la Forêt (Ct. Bains, Vosges) et
fblmouchd (à côté de chbrvwuzi) recueillis de la bouche de vieil-
lards du même endroit. J'ignore l'étymologie de ces termes.
Quant à la forme que j'ai notée aux Voivres (Ct. Bains, Vosges),
le chbrnouzs, je crois pouvoir la rattacher au radical que cite
Diez dans son Etym. Wôrterb. p. 299, 746 s. v. sorn-., sournois,
sornione, qu'il fait remonter à Saturmis. Saturne est, d'après
ce que nous apprend l'astrologie du moyen âge, qui dépendait
des Grecs, une planète sous laquelle naissent les caractères
froids ; les Saturniens sont des personnes d'humeur triste, mo-
rose. Chez les Grecs < l'opinion cotnmune voulait que Saturne
' M. Meyer-Lûbke dit à propos de cet article [Zeitscbr. f. roni. Phil.
1910, 125) que camoria dans la terminaison rappelle le grec: yevô^çoca
assertion qui serait appuyée par le sicil. camtirria'^zr. malattia venerea,
gonorrea (Traîna).
AUTOUR DU RHUME 23
fût froid et hutnide ;. .. il excite dans le corps huviain des mou-
vements d'humeurs froides ^ flux intestinaux^ pituites , etc. »
(V. Bouché-Leclercq, L'astrologie grecque, p. 96 s.). Donc
Saturne était regardé depuis le temps des Grecs comme le
Dieu des enrhumés.
Parmi les charmes dont nous retrouvons les traces chez tous
les peuples, nous citons l'ensorcellement par le mauvais oeil, le
'malûcchio Ml existe des cas où le rhume est considéré comme
effet du mauvais regard d'une bête ensorceleuse (v. plus haut
embourniclé).
mauvais œil :
prov. enlugra (Mistral) ^ pocher les yeux, aveugler', dont
l'origine ne m'est pas claire.
s' enlugra, prendre un violent rhume de cerveau.
lorr. èbûh'nè (Uriménil, d'après Raillant) ^ éperdu, ébloui';
Saint-Amé: èbohnè, , atteint d'un rhume de cerveau' (Thiriat) ;
èbeuhené ^ qui a le rhume de cerveau ' (Saint-Amé) ; ce serait
donc la buse qui par son mauvais œil fascine l'homme et lui
donne le rhume.
En continuant notre examen des termes pour ^ rhume ', voici
encore un autre charme, A l'occasion de chifarnèu, nous par-
lions des coups que les démons enchanteurs donnent à la
pauvre créature qui en meurt ou en reste au moins gravement
atteinte. Or nous avons une série de termes qui nous montrent
que l'idée d'un rhume, produit par un tel coup, est assez répan-
due (v. coup de froid, gros coup de froid, dans les cantons de
Fribourg et de Vaud).
coup :
fr. horion ^ =1 ^ coup ' aussi bien que . rhume ' ; en Normandie
nous avons, outre le sens de ^ coup ' la signification : gros
' Notons que M. Hôfler dans son Deiitsches Krankheitsnamenhuch ,
p. 48-1 a voulu rattacher le mot horion à l'astre Orion (cf. Siriasis
, Sonnenstich ') ; s'il fallait tirer l'origine de ce mot des astres, il serait
étranee de le voir borné au Nord de la France.
24 H. URTEL
rhume, épidémie (Du Méril), fièvre causée par les marécages
(Du Bois); àBayeux: horique ^ maladie régnante ' ; en Picardie:
horgm, horniole ^coup'; à Saint-Pol: brnybk , coup que l'on
se donne' ^
lorr. èzubà , enchifrené, à Saint-Maurice s. Moselle ; cf. zaubè
j battre, frapper' (Haillant, Adam).
lorr. amâchené h. Florent, Meuse (d'après Janin),subst. viache-
nure. Faut-il rapprocher ce mot de masse, massue (voir tna-
chouque, comp. ^contusion', à Saint-Pol, machoque di^oVi\ogné)'i
sav. enmorniflà {Atlas C. 1815, P. 964), émornifla (Brachet)
, enrhumé du cerveau ' qu'il faut dériver de mornifle ^ coup au
visage '.
prov. s''enJounca (Mistral) ^ se couvrir de jonc, s'enrhumer du
cerveau'. Il s'agit apparemment d'un coup donné au moyen
d^unjounc, espèce de baguette, canne de rotin.
prov, embourdi (Mistral) , enchifrené ', de bourdo , gourdin,
bâton '.
land. enbaoumat ^ enchifrènement ' (Lacanan, Médoc). Ce
mot, dont l'origine est douteuse, se trouve ailleurs au -sens de
, se heurter contre ', voir : s'einbaumer dans le français popu-
laire de la Suisse (G. Wissler, Das sc/na. Volksfranzbsisch,
p. 129); s'einbou7nd ^se cogner, se heurter, recevoir un choc'
(L. Odin, Gloss. de Blonay)"; qu'il y ait là-dessous quelque
force magique, cela semble prouvé par : embauma ^ charmer,
enchanter, séduire' (Mistral).
' Quant au lorr. hôrié ^rosser' que cite Diez {Et. Wlb. 11^, p. 616)
il doit être rejeté, puisque la consonne initiale est un x {Xi^rie , fouetter
fortement ' à Uriménil, xorie à Ventron) ; l'origine est excoriare.
^ En regard de cette série, on pourrait se demander si le terme alle-
mand Stockschniipfen ne pourrait pas être en rapport avec Stock (et
non avec ^siocken^); mais il n'en est rien: nous lisons chez H. Paul,
Dentsches Wôrterb. p. 529: «/« Vergleichen deutet ^ Stock' die Steifheit an,
daher ^stocksteif ; von da ans ist Stock \u einer Verstârkung geiuorden. »
— ^Stockschniipfen'' serait donc un , rhume caillé' (v. Al. gestockte Milch,
gestûcktes BJiit) et cette signification irait avec l'expression mon nez se
prend mentionnée plus haut.
AUTOUR DU RHUME 25
De l'idée qu'on a été , battu ' quand on est enrhumé, jusqu'au
sentiment qu'on est interdit, stupéfié, ahuri, il n'y a qu'un pas.
Déjà le grec xô^ouÇa renfermait les significations rhume et abru-
tissement (j Stumpfsinn ', voir Léo Meyer, Hdb. d. griech. Etym.
11,37 0.
sliipéfîé :
prov. empepia (Mistral) , rendre niais, stupéfier ', de pcpi . im-
bécile, niais ', s' empepia (Alpes), ^ être enchifrené '.
prov. enmouqueta (Mistral) ^ enchifrené ', de monquet ^ penaud,
capot, confus, interdit '.
Nous avons vu que le nombre des cas est considérable, où
le peuple voit dans les empêchements de ses organes la main
invisible de démons. Examinons encore les cas, où le nom du
démon (nous y comptons aussi , enchifrener ') s'est conservé.
Pour procéder en bonne forme, il faudrait, avant de déctire
la part qu'ont prise les démons dans la création des noms des
maladies, recueillir d'abord les noms de ces démons mêmes,
des lutins, des fantômes, du cauchemar dans tous les dialectes
néolatins. Je ne puis présenter ici qu'une maigre récolte, qui
ne donne qu'une modeste idée de l'importance qu'ont les
dénominations de ce genre pour la nomenclature pathologique.
le babou (v. Meyer-Lubke, Et. Wtb. s. v. bau).
Mistral :' être imaginaire dont on fait peur aux petits enfants'.
embabouchi, embaboutit ^ étourdi, brouillé, interdit, enchifrené \
la carcasse.
cf. Mistral : s'encarcassela ^ se mettre à califourchon sur les
épaules ' (comme un démon).
carcassou , cigale de petite espèce' (originairement désignant
un petit être diabolique^).
s'encarcassa , s'enrhumer ' (Mistral), cf. carcassié , tousser
sans trêve ni repos' à Grenoble (Ravanat).
' V. mcigala (Mistral).
20 H. URTEL
>Vui*m :
envornement^ envournement ( Jaubert) , enchifrènement '.
le blaireau.
Le lorr. etohuné (Saint-Nabord s. Remiremont) vient de
tohhon {tas s on).
On emploie en allemand quelquefois le mot : verdachst pour
exprimer qu'on est somnolent ou engourdi. Toutefois il paraît
singulier que le blaireau se soit égaré parmi les animaux infer-
naux ; d'après le rôle qu'il joue dans la fable animale, le blai-
reau est une bête très innocente ^
le chat :
avoir un chat dans la gorge (Verrier-Onillon) ; une chatonnée
de rhume (ibid.).
la chèvre :
du un sdgai ^ conduire une chèvre ' (Artâ, Mallorka) ^ être
enrhumé ; cf. port, acabrunhado, fâché ^ verschnupft '.
Pourquoi a-t-on choisi des bêtes comme le blaireau, le chat,
la chèvre pour caractériser un ^ rhume ' V Est-ce leur extérieur
poilu qui a créé une analogie entre la peau animale et la gorge
enflammée? En disant ^ la chèvre' on aura pensé à la voix
rauque de cette bête.
Ces remarques nous reconduisent à la question de la locali-
sation qu'on donne au mal dans la terminologie populaire. Sur
le siège du rhume, les idées des peuples ne sont pas bien
nettes ; tantôt on cherche le mal dans la tête, tantôt dans la
gorge ou dans la poitrine.
la lète:
Outre l'expression ^ rhume de cerveau ', qui apparaît dans les
patois autant que dans la langue littéraire, nous rencontrons
^ Voir à ce sujet H. Class, Aiiffassung iind Darstellung der Tierweh
im Roman de Renaît, Tùbinger Diss. 1910, p. 38, 77. Cependant le
blaireau (lucifuga) paraît avoir des forces magiques ; on sait que la
graisse du blaireau a été très estimée dans la thérapie des anciens.
AUTOUR DU RHUME 27
ronmo de tita (Corsier, Yaud), riim dTe têt (Pommerais, Berne) ;
fre\ d'aou cervau (Vaulion) ; anfreidbr anf la testa (Piémont).
Chose singulière, même la partie du corps où, d'après la
croyance populaire, se forme le rhume, le cerveau est pris
comme nom du mal : srevcy à Luppy (Lorraine) , De là, nous
parvenons peut-être à expliquer le mot chbber, attesté par
M. Edmont dans V Atlas (C. 11 55, P. 460 [lUe et Vilaine]). Il
y a un terme chauhard ^= , nuque, derrière de la tête ' dans
l'Yonne cité par M. Zauner, Die roman. Namen d. Kôrperteile^
p. 90 (v. les remarques de M. A. Thomas à l'occasion du mot
champenois : chaubert, Rom. 39, 208) ; or, nuque et cerveau sont
tout près Tun de l'autre ;' il y a eu même confusion des deux :
cervix {=icerebrum) illius per aiires descendebat, Vita S. PVanc.
de Paula (Du Cange, s. v. cervix) ; le sens de chbbèr, que nous
trouvons encore dans l'Orne {chaubert , rhume ' chez Du Méril)
et à Alençon (Du Bois) pourrait donc avoir passé de , nuque '
à _ cerveau ' et de là à ^ rhume de cerveau '.
le nez :
Le germ. nif- a donné naissance à :
nv/lya,sHnni'/Jyâ,'id,%%€i:, nijly a, s' inmJ?ja^Ya.ugonàTy{ Y a.ud},
ave la nijia, La Brévine, avè la ni/fia, Noiraigue (Neuch.) ;
fiiya, Prez v. Siviriez (Frib.); nef a, Mage; nef a, Lens (Valais i:
einniyjemein, s'einnixla, Pailly; s'einnicllia, Oron (Vaud) ;
s'en^nifié, Noiraigue (Neuch.).
nioiiffle =: ^ museau ' (v. Verrier-Onillon) :
enmouflé ^ enrhumé ' à Moulins (d'après P. Duchon).
nni'em -|- nif- :
subst. «d;r^(?a, verb. s'ànarJda, Leysin (Vaud); einnariflyâ,
Savigny; ènarixà, Montherond; s'ennartclia,Ydi\\\\ox\; s'unnari-
chliâ, Penthalaz ; sHnnsrsflya, Corsier ( Vaud) ; nariyjya, Lessoc
(Frib.)
nif- + mouffle?
einoflyà, Haute-Savoie {Atlas C. 1815, P. 945); einoufîà ibid.
P. 967 : einôfîà, Savoie, P. 955, 933, 954-
28 H. URTEL
bee :
sic. aviri lu mali bicchignu , per ischerno ad uomo che pa-
tisce corizza' (Traina).
«}oi*ge :
\o\xci\. guturaîû; mold. gutunâr, de ^ gutturalium ' (Tiktin);
fr. engorgé, prov. engargassa (à Castres).
poitrine :
*impectoratura ?
inpetrouire , rhume en général' Salvan (Valais).
*pectoraria?
port, peitoreira.
aval V est orna plyein dé glyeirb ^ avoir un rhume profond, non
encore bien déclaré ' Pailly (Vaud), où estoma signifie poitrine.
S'il y a erreur sur le siège du mal, nous ne serons pas sur-
pris de voir qu'on se trompe absolument sur le caractère de la
maladie elle-même. De là de nombreuses méprises qui font que
des noms de maladies, au fond tout à fait différentes, se mettent
à la place du , rhume '.
enrouement :
raucu-.
s'enreuUàenay (Pleigne); s' inroutscAi {Ormont-dessus et envi-
rons) ; sHnroutsi, Vallorbe (Vaud).
astlime :
hœutséyè ^ avoir la respiration gênée ' cf. bœutso , poussif,
asthmatique ' {butso , asthmatique ' L. Odin, Gloss. de Blonay),
de là:
subst. eimhœutsuire, VoUèges (Valais), ^ rhume de cerveau '.
enflure, apostènie :
Il paraît que l'on a eu l'idée que l'enflure du nez, etc.,
accompagnant le rhume, provient d'une sorte de tumeur à
l'intérieur du crâne. Comme la phtisie a été regardée comme
étant causée par un abcès dans les poumons (Gloses : fitisis,
AUTOUR DU RHUME 29
ulcérât io pulmoniim vel toracis ; la potttme du poutnon, Ms. de
VEc. sup. de Pharm. de Paris ^ N° 1.32''), la matière découlant
des fosses nasales est produite par un abcès du cerveau. Pour
ne pas entrer dans trop de détails, je ne citerai qu'un exemple
qui nous mo'ntre la popularité de cette idée. Nous lisons dans
un des nombreux manuscrits de Barthélémy l'Anglais (Bibl.
Nat. Ms. Fr. 914 1, Fol. 116"^°: « Le III^ chapitre parle des pro-
priétés de la Runie du chief, les physiciens appellent ceste
maladie cachaste [autre ms : catharre'] (ii6^'°). Il est contenu
au VHP chapitre du livre de astronomie que dieu fiert et bat
aucune fois les personnes de forcenerie et de folie ...forcenerie
a ce propos est appellee frenaisie de la quelle dit Constantin
que frenaisie est U7ie apostume qui est entre les peaulx du
ceruel. » Quoique nous n'ayons pas encore une idée très claire
sur les rapports qui peuvent exister entre les maladies du cer-
veau et le rhume, nous sommes frappés de voir traiter les
ulcères du cerveau au chapitre du rhume. Et si nous trouvons
des expressions comme le ^ félon de chief de home, qui fait
enfler' {Recettes, éd. Rob. Reinsch, Herrigs Arch. 64 [1880]
p. 171), il ne nous paraît pas impossible d'y voir le rhume de
cerveau. Mais passons aux termes patois qui rappellent l'idée
d'une tumeur.
, apostème ' :
subst. potaytna Lourtier, potayma Vollèges (Valais) ; subst.
eimpotœumuire Vollèges (Valais) ; s' einpotœumà à côté de :
s'eimpotauma ^ s'enchifrener ' Vollèges, impàtbmô ^ enchifrené '
Lourtier.
^petœfe' (cf. pêdiiblya, etc., L. Odin, Gloss. d. Blonay, pes-
subla,pétublla Bridel)= , vessie' ; subst. petœfe = , rhume de
cerveau ' La Posse (Bex) ; p3teu%la Gryon (Vaud) ; sHnpsteuyla
, s'enchifrener ' Gryon (Vaud): s'inpctoclia ^prendre un rhume
de cerveau' Trient (Valais).
// est enfle ^ il a la fluxion ' (Neuchâtel).
3°
H. URTEL
toux = , rhume ' ( v, plus haut) :
Atlas C. II 55, P. 482, 493 [Côtes du Nord], P. 397 [Norm.
Inf.j, P. 198, 194 [Wallonie , P. 70, 71, 60, 989 Suisse^.
Ajoutons encore deux termes des extrêmes périphéries de la
Romania, où nous constatons également une confusion de
maux divers.
, inkjraine ' :
arab. schaqî-qah. (Diez 498).
enxaquêta{=enxagueca) en Algarve , enrhumé ' R. Lus. IV, 335 ,
angine :
macéd. sina%e ^ rhume ' du néogrec : <ro-!)y.yj., ce qui est dans le
grec classique: o-jvây;;^-/? {'/.wù.--jyvi) ^ Entzundung der inneren
Muskeln des -Schlundes ' (cf. 'âq^tù ^ zusammenschniiren '). Nous
trouvons déjà dans les Gloses du lo'^ s.: sinancis i. inflatio
faucium cum tumore, quinance sinance cause {C. Gl. L. III. 596).
En considérant dans leur ensemble les expressions que le
peuple a adoptées pour le rhume, nous sommes frappés par
l'analogie qu'elles présentent avec le développement d'une
série parallèle.
Nous avons trouvé pour enchifrènement au Centre le mot
env ornement, envournement (Jaubert). Le ^ wurm', qui a fait son
entrée dans le groupe des noms du rhume, s'est introduit de
même dans l'onomastique d'une autre maladie présentant éga-
lement des symptômes d'empêchement : la gourme.
La j gourme ' est une inflammation de la membrane pituitaire,
qui se manifeste soit par l'écoulement d'un mucus blanc par
les narines, soit par un abcès volumineux sous la ganache
(voir Littré, Dlct. de méd. s. v. gourme). Cette maladie est
caractérisée par des gonflements des glandes du cou, des abcès
au cou et autour de la bouche et par l'écoulement d'une ma-
tière suppurante sortant des abcès. Le gonflement des gan-
glions lymphatiques accompagnant la maladie a fait naître des
rapprochements curieux dans la terminologie populaire: les
AUTOUR DU RHUME 31
glandes enflées sont par le peuple regardées comme l'essentiel
du mal. Nous trouvons donc le gourmat en Lorraine, glandes
que les moutons ont sous le cou ; gormes ^ parotide ' existe
dans la Marne. (Heuillard, Pat. de la comtnufie de Gaze,
cant. Sézanne). L'encombrement des voies intérieures se mani-
feste dans d'autres expressions, où la ^ gourme'' n'est qu'un
obstacle: une vache engoiirmée est une bête « dont le pis ou le
sein est gonflé, soit par un excès de lait, soit par l'inflammation »
( Verrier-Onillon) ; dégourmer ^à.éhd>xxz.%%Qx de l'inflammation'
(ibid.), angàrumè ^ se dit du gosier qui s'embarrasse de muco-
sités ou d'autres corps étrangers', angànimé ^ dont le gosier est
obstrué ' (d'après Dagnei, Parler du Cûglais). Kien n'empêche-
rait de penser que le mot gour/zte, avec cette acception, serait
en rapport avec gourttiette, mot dont on connaît l'origine cel-
tique. Tandis que le chanfrein serre la partie supérieure de la
tête, la gourmette entoure l'inférieure. Ce rapprochement serait
rendu encore plus vraisemblable par d'autres considérations.
Le mot de gourme n'aura pas été restreint à désigner un , gon-
flement', il aura passé à la conception à' abcès en général et
dès lors le mot est employé surtout, quand il s'agit d'une série
d'enflures qui s'enchaînent ^ Nous avons d'autres termes qui
éveillent une idée analogue : j'ai trouvé dans un dialecte (l'in-
dication de provenance s'est perdue) muselière ^ désignant une
rangée de pustules autour de la bouche'; je cite en outre
bangon = , mouchoir passé sous le menton et noué au sommet
de la tête; maladie des brebis : un mouton baugoufiné (La.pdL\re,
Pavots berrichoti). En supposant que gourmette (chaîne! et
gourme soient le même mot, nous rendrons compréhensible
l'expression : jeter la gourme., qui, elle, a donné naissance à
d'autres expressions analogues : jeter son jafjier (Verrier-
Onillon), pousé sn ékrankiyon (Saint-Pol), etc.
' On se rappellera le latin : freniisciui [ulcéra circa lictuDi cris similia,
quaefiunt jnmenlis asperitate frenorum, Isid. 4, c. 8) Du Cange ; v. gourmes,
impétigo du visage chez les enfants, à Vaudioux (Jura).
32 H. URTEL
Nous avons parcouru en hâte les différents aspects de la
terminologie savante et populaire créée pour dénommer le
rhume. Le dépouillement des glossaires et l'enrichissement de
leurs données par la bonté de correspondants bénévoles, pro-
cèdent normalement, et nous espérons que, dans le cadre d'une
étude plus ample sur tous les noms romans des maladies, bien
des problèmes qu'on ne peut qu'effleurer dans une étude déta-
chée se présenteront sous un jour plus clair.
La plupart des questions qui viennent de se dresser devant
nous seront résolues plus facilement en tenant compte de l'en-
semble des matériaux. On a déjà vu que les simples recherches
phonétiques ne suffisent pas dans ce domaine ; il faut en outre
tirer profit de la mythologie, des croyances populaires, de la
botanique. Et après avoir présenté des matériaux bien classés
et examiné le détail des diverses questions, il faut essayer de
tracer la marche générale de l'évolution des noms des mala-
dies. Cette recherche finale formera une page intéressante de
l'histoire de la civilisation et elle permettra de saisir des traits
caractéristiques de l'âme des peuples ^
H. Urtel.
' Je me fais un devoir de remercier cordialement à la fin de mon
travail MM. Gauchat et Lavoipière, à Hambourg, d'avoir enrichi cet
essai de mainte précieuse remarque.
•s^i'^î-
SERVADZO
-*-
D'après une opinion admise par les savants, !'« Homme
sauvage», — le Sauvage qui, dans les contes des grand'mères
et des vieilles servantes, continue à jeter dans l'âme des petits
enfants une terreur sans égale, — serait le dernier et bien
faible reste d'un personnage légendaire dont les origines les
plus lointaines vont se perdre dans la nuit des mythes des
forêts. Dernièrement, M. F. Neri, s'appuyant sur des traditions
anciennes et récentes, a fait revivre^, avec. force détails et une
riche documentation, la figure protéiforme de cet être mysté-
rieux dont parlent les légendes germaniques, que nous
montre la religion romaine et que les rites d'une foule d'autres
peuples, sous des formes diverses, indépendantes même
pourrait-on dire^, nous représentent comme une divinité, un
esprit, un symbole des forêts, des champs et de la nature.
De peuple à peuple, le Sauvage perd quelques traits carac-
téristiques, mais c'est pour en prendre d'autres. Il en résulte
une physionomie complexe, où se conserve cependant un
caractère uniforme : partout, en effet, il est un symbole, une
image vivante des arbres, des feuilles, des forêts. Au cours des
âges, nous le voyons émigrer avec les peuples qui emportent
leur bagage inépuisable de traditions et de légendes. Si, chez
les Germains, il semble prendre une forme bien différente
de celle du « Silvanus » des Romains , ailleurs il devient le
centre du culte de la nature ; en d'autres endroits, sa person-
' Giornale storico délia letteralura iialiana, LIX, 47 sqq. Voir aussi
Decurtins, Ràtoromanische Cbestomathie, I, Ergànzungsband, Erlangen,
1912, p. 173.
' Goblet d'Alviella. Les fîtes de la moisson, dans Croyances, rites,
institutions, I, Paris, 191 1, p. 293.
34 GIULIO BERTONI
nalité s'affaiblit et disparaît presque entièrement; ce n'est plus
qu'un petit esprit lutin, un croquemitaine ou un diablotin ^.
Ces diverses attitudes du Sauvage, les savants les ont étudie'es,
examine'es et discute'es à fond, et nous ne saurions résumer ici
leurs opinions très divergentes sur l'origine, le sens et les
transformations de l'éirange personnage. Le lecteur nous per.
mettra seulement d'attirer son attention sur quelques aspects
du problème, aspects qui, à mon avis, n'ont pas été suffi-
samment étudiés.
Tout le monde sait que dans l'ancienne poésie lyrique pro-
vençale et italienne, le Sauvage apparaît comme un être qui
apporte joie, courage et réconfort. Ce réconfort (en prov. lo
cofiort del Salvatge) est de nature à égayer l'homme par
suggestion, étant donné que le Sauvage est joyeux même quand
il aurait des raisons de s'attrister. Ainsi chantait Guido Orlandi ;
?oi cVaggio udito dir dell'om. selvaggio
Oie ride e mena i/ioia de! turbato
Si corne fosse bel tempo di Ma^gio
Si truova d'aUegrei:!^a sormontato.
Et Cecco Angiolieri, au milieu de ses tristesses, se disait
soulagé comme Vom selvaggio, quand arrive le beau temps.
Le troubadour Rambaut de Beljoc affirmait qu'il se sentait
ragaillardi ainsi que k Sauvage, parce qu'il chantait alors
qu'il aurait eu plus d'un motif d'être triste^. Mais, au lieu de
rapporter d'autres allusions déjà signalées par les érudits, je
me bornerai à citer une poésie provençale échappée aux
recherches des savants. Elle a pour titre: Li sons desTes del
' Quant à la métamorphose du Sauvage en l'un de ces petits esprits
bienveillants ou méchants à l'aspect familier, qui, même de nos jours,
alimentent la superstition dans les campagnes, on ne peut la conjec-
turer que d'après le nom de servan ou selvan qui sert encore à désigner
ces diablotins. Dans les contes des campagnes de l'Italie du Nord, le
Sauvage est devenu une sorte d'ogre, appelé om salvâdegh ou om di bosk^
^ Ces textes ont été cités déjà par M. Neri, îoc. cit., 50.
SERVADZO 35
homen sauvage. Le texte ne se trouve que dans le manuscrit de
Paris fonds fr. 844 (fol. 190J et a été publié par M.K. Appela
« Ces mots insensés » (cf. anc. fr. dtrvé « fou, furieux, forcené »
Godefroy, II, 677) expriment seulement l'état d'âme agité d'un
poète anonyme, qui, malgré un temps affreux, se déclare prêt
à chanter l'amour. Ainsi, ce ne sont plue les cris du Sauvage
que nous fait connaître cette poésie, mais bien ceux d'un poète
qui se compare au Sauvage :
Poi ve\em que l'ivers s'irais
Et part se del tan\ amoro^y
Que non au ges notes ni lais
Des autels per vergers foillo^,
Per h freit del brun temporau
Non hisserai un vers a far
Et dirai alques mon lalant^.
Tous ces passages et d'autres semblables de la poésie
lyrique courtoise ont besoin d'une explication. Pourquoi donc
le Sauvage se moque-t-il de la tempête et en profite-t-il ,pour
se réjouir comme si « c'étaient les beaux jours de mai » ? Il me
semble que ces vers font allusion à une coutume dont les traces
survivent encore en Suisse, coutume aimable qui, dans quelques
pays, a fait prendre le Sauvage comme une sorte de symbole
du printemps aux fêtes des premiers jours de mai. Je rappellerai
que dans la Gruyère, le premier dimanche de mai, les jeunes
garçons chantaient naguère de savoureuses poésies du genre
de celle-ci :
Chervâd^o, chervâdi^o,
Ne fou ne chdd:^o !
On mochi dé bacon
Por mè froid le gargachon,
Ouna poma bllantie, etc. ^
' Appel, Prov. Ined. aus Paris. Handschriften, Leipzig, 1892, p. 329.
^ Le lecteur a déjà pu remarquer que le texte est bien francisé. Rien
d'étonnant à cela ; il se trouve, en effet, dans un manuscrit renfermant
surtout des poésies françaises. Cf. L. Gauchat, Romania XXU, p. 364 ss.
* Schweiierisches Archiv fur Volkskunde, I (1897), p. 231. Ce person-
^6 GIULIO BERTONI
Et dans le canton de Vaud, on chantait : Patifou sauvâdzo,
que nest ni fou ni sâdzo, etc. Une ancienne coutume de
Blonay, dont il ne reste aujourd'hui qu'un souvenir \ nous
apprend qu'autrefois « les jeunes filles se couronnaient. Les
jeunes gens mettaient dans un drap porté par quatre d'entre
eux une fantoûma ou p3poûna.... Selon une autre version,
c'était une fnayintséta ^ qui portait la fantoûma dans un ber-
ceau sur son dos. Un des mayintson parlait pour \z. fantoûma,
qui semble avoir été désignée par le terme de servddzo ; un
autre donnait la réplique. Voici quelques bribes de ces chan-
sons, recueillies de la bouche de deux personnes âgées :
Mayintson ! Mayintséta !
On poû, 53 vo plyé, po sti p9li ServàdT^o
Ks n'é né foû né sâd:^o, etc. »
Il est évident que le Sauvage, si l'on ne veut pas qu'il
représente, ainsi que je le crois, le Printemps, symbolisait du
moins le retour du beau temps et conjurait la pluie, « il turbato »,
selon l'expression de Guido Orlandi. Les poètes lyriques du
treizième siècle prouvent que des coutumes semblables ont dû
être très répandues* et que notre légendaire Sauvage en était
arrivé à prendre une place prépondérante dans les fêtes
joyeuses de mai. Par suite, le conort del salvatge n'est plus un
problème : c'est une allusion au temps rasséréné, au renouveau
qui fait reverdir les prairies *.
nage apparaît aussi dans d'autres parties du canton de Fribourg, cf. le
même périodique, VI, p. loo, Us et coûtâmes d'Esiavayer, par Joseph
Volmar. Voir aussi l'article plein de détails intéressants inséré par
M. Octave Chambaz dans le no i8 du Conteur vaudois de 1905. On y
trouve la description exacte du costume du sauvage et une des
« ringues » chantées en son honneur.
' Odin, Glossaire du patois de Blonay, Lausanne, 1910, p. 521.
* Mayintsy ou mayintséta, jeune fille qui chantait le mai.
' Peut-être les auteurs lyriques italiens ont-ils puisé dans les poésies
provençales ; il n'en reste pas moins vrai que les fêtes du printemps,
avec ou sans le Sauvage, furent également connues et célébrées en
talie.
* Au sujet de ces fêtes de mai, je renvoie, pour ne pas m'étendre
SERVADZO 37
On voudra bien me permettre d'ouvrir ici une parenthèse.
A ces fêtes du Printemps, dont les savants admettent presque
4:ous l'origine païenne, le christianisme imprima, si l'on y
regarde de près, un sens nouveau. Elles signifiaient primitive-
ment un souhait, une espérance. Le christianisme y ajouta
l'idée de remerciement et d'hommage à Dieu. Ces fêtes de
printemps, ainsi transformées, en abandonnant leur caractère
originel, perdirent leur éclat et finirent par disparaître.
A Blonay, après la chansonnette, on entonnait le Psaume loi,
preuve que l'esprit chrétien s'était emparé, pour ainsi dire, de
ces rites jusque-là païens. On y substitua d'autres passe-temps.
G. Villani i^VIII, 70) parle d'une représentation, d'un jeu ou
« sollazzo » à Florence pour le « Calendimaggio » de l'année
1304. Sur la scène on voyait l'Enfer, les démons, du feu et
plusieurs genres de supplices et de tourments. Ce ne sont plus
les joyeuses compagnies de jeunes gens enguirlandés, mais des
hommes contrefaits, semblables à des démons et horribles à
voir. Et comme les fêtes de mai avaient mis leur empreinte
dans l'ancienne poésie et jusque dans quelques strophes que
nous possédons encore (p. ex. dans celle qu'on chantait
naguère à Blonay), ainsi, les nouvelles solennités religieuses
laissèrent un écho dans les chansonnettes qui, aujourd'hui
encore, font les délices des enfants. En Italie, j'ai assisté sou-
vent à ce « jeu » enfantin. De tout jeunes gens tiennent le rôle :
l'un représente un démon, l'autre Dieu, un troisième l'âme
d'un défunt. Ils chantent :
— Angelo, heW angelo, volaie qui da me !
— Non posso volare, perché il Diavolo è U !
— Aprite h vosire ali e volaie qui da me !
Alors, « l'âme » ouvre les bras, prend son élan et s'cflbrce de
se soustraire aux poursuites du diable, qui lui lan^e un objet
(ordinairement un mouchoir noué). Si l'en far. t (l'âme) peut
trop longuement, à un article que j'ai publié dans la \noia Antologia,
ler mai 19 10 (Le origiiti délia lirica italiana).
38 GlULIO BERTONI
éviter l'objet, il vient se jeter tout heureux dans les bras de
Dieu, et l'ennemi du genre humain en rougit de honte! Ces
jeux nous font songer aux anciennes représentations de l'éter-
nelle lutte entre l'esprit du « Bien » et l'esprit du « Mal », lutte
qui a pris des formes diverses aux différents âges de l'huma-
nité et qui constitue, en quelque sorte, le noyau d'où est sortie
la merveilleuse légende de Faust et aussi l'épisode fameux de
la Divine Comédie où Dante nous montre l'âme de Guido
Montefeltro que se disputent François d'Assise et un démon
(/«/. XVIl):
Francesco vernie poi com' i' fui morto,
Per me ; ma un de' neri chertibini
Gli disse : nol portar ; non mi far torto.
Il me semble d'ailleurs que ces représentations de l'Enfer,
du Purgatoire et du Paradis ont donné naissance à d'autres
jeux, témoin celui que j'ai vu à Romont. Quelques fillettes sont
invitées par leurs compagnes à choisir une couleur (rouge,
noir, etc.). Puis, d'après la couleur choisie, elles se divisent
en plusieurs groupes. Elles ignorent qu'à chaque couleur
correspond l'idée du bonheur ou de la souffrance, mais à un
moment donné le mystère s'explique au milieu d'une ronde
générale : les unes avaient choisi le Paradis, les autres l'Enfer
ou le Purgatoire :
d\ine, d\ine, dzand/^u, dans le Paradis !
d^ine, dzine, d^and\n, dans le Purgatoire !
chantent-elles. Le mot dzandzu, aujourd'hui incompréhensible,
désignait sûrement les anges (prononcez le-zanges)^, puisque
ce jeu-là encore est d'origine chrétienne.
Mais fermons la parenthèse et revenons au Sauvage. Ce
personnage ne s'est pas contenté de devenir la fantoûma du
Printemps, dans les fêtes de mai, mais il a osé, d'après les tra-
^ C'est un cas d'agglutination, phénomène si bien étudié par
M. E. Tappolet.
SERVADZO 39
ditions populaires, faire partager ses amours aux Anguane ou
Guane, c'est-à-dire aux Aquane, divinités des fontaines et des
rochers. De l'union de ces dernières avec le Sauvage sont
sorties les Saguarte (les « sorcières ») dans le Frioul^ En outre,
notre légendaire homme sauvage a perdu, par-ci par-là, dans
sa course à travers les âges, son caractère primitif, et peut-être
en s'identifiant avec d'autres symboles inférieurs des mythes
champêtres, est-il devenu en certains endroits un lutin, dans
d'autres un ogre. A mesure que la vie devenait plus intense,
que surgissaient les bourgades et les villes, que les forêts se
défrichaient, le Sauvage, le fantôme des forêts, dont le nom
laissait transpirer l'acre parfum des bois, s'éloignait des
humains. Les plantes commençaient à perdre leur langage
muet et cependant si expressif pour les peuples, et l'habitant,
le dieu des forêts, devenait un être éloigné du monde civilisé.
Le Sauvage se rapetissa, comme se rapetissait son royaume.
Et lorsqu'il sortit des forêts, il s'amincit et devint un diablotin
aux formes changeantes (appelé encore dans certains pays
servait, silvan), capable de prendre divers aspects, celui d'un
renard, d'un lièvre, d'un insecte, etc. Oh ! pauvre Sauvage des
mythes champêtres, pauvre servâdzo des fêtes de mai !
GlULIO Bertoni.
* Meyer-Lûbke, Kom. Et. îf'tb., n'-' 573, cite, en véronais, sigar corne
n'anguana, « schreien wie ein Adler».
•î^î'^S-
40 J. CORNU
UNE LANGUE QUI S'EN VA
QUELQUES OBSERVATIONS SUR UN RECUEIL DE MORCEAUX
EN PATOIS VAUDOIS
— î—
Lors de mon dernier séjour dans le Jorat je t'ai dit, cher
docteur, que le patois de nos villages, tel qu'il se parle aujour-
d'hui, est un baragouin qui ressemble de moins en moins à la
langue de nos pères, car, à vrai dire, ce n'est ni du français ni
du patois, à moins qu'on ne prenne ce mot dans son plus mau-
vais sens ; qu'il suffisait d'un peu d'attention pour remarquer
l'invasion d'une foule de mots soit purement français, soit
français d'origine, mais afïuble's d'une terminaison patoise qui
voile tant bien que mal leur provenance étrangère, et l'emploi
de mots patois déformés sous l'empire du français et rappro-
chés en quelque sorte de cette langue.
En m'envoyant Po Recafâ{K Lozena tsi Payot & C'^, 1910),
dont je te remercie, tu m'as parlé des éloges qu'on a faits de
ce riche recueil et tu m'en as dit toi-même mille belles choses
qui me font conclure que tu crois ces éloges en tous points
mérités. Le contenu du volume Po Recafâ, souvent très amu-
sant, t'a empêché sans doute d'estimer à sa juste valeur le
contenant qui est la langue. Au point de vue de la langue, si
tu veux bien me permettre de dire ouvertement ce que je pense
des morceaux que renferme Po Recafâ^ il y en a un grand
nombre de mauvais, beaucoup de médiocres et peu d'excel-
lents. La plupart de ceux qui se sont mêlés d'écrire dans
la langue de nos paysans paraissent ne pas savoir qu'elle
exige comme toute autre langue, pour la posséder, une étude
sérieuse, embrassant toutes les parties de la grammaire, et que
cette étude est bien plus malaisée que celle d'une langue litté.
UNE LANGUE QUI S EN VA 41
raire, éclaircie à Tenvi par de nombreux ouvrages gramma-
ticaux et lexicographiques.
Tu tiens, m'écris-tu, à mon jugement sur Po Recafâ. Sans
doute que tu te rappelles le temps où je te menais par la main
et que tu me récitais: « Quelle heure est-il? — Midi. — Qui
l'a dit ? — La Judith. — Que fait-elle? — Des dentelles. — Pour
qui? — Pour son petit. — Comment est-il gros? — Comme un
sabot», et où je me donnais la peine de te faire parler patois.
La compétence, quant à notre vieux langage, je l'avais peut-
être il y a une quarantaine d'années. Je ne puis guère l'avoir
accrue durant celles que j'ai passées à l'étranger. Ce que je te
communique, ce sont des débris de mes souvenirs. Mais je crois
que les listes suivantes d'incorrections notées au cours de mes
lectures serviront à te prouver ce que j'avance.
Est-ce par ignorance que les auteurs des pièces contenues
dans Po Recafâ terminent par a les mots féminins suivants^:
agasa, bîtdi, poîtra btta, bolondzira , boulangère', boUnïra.
, boutonnière', dyleza, la dèraira, sa draita, dzalya ^ mou-
chetée', dzêba jCage', dzsmlylra^ faira , foire ', pétâys de
fruita (on à\i /rouit?), kyésa fyésa, kouaita , hâte ', krouya
estd?na, krouya féna, krouya lè"ga, krouya vya, inanaira,
mat air a, pr au itiataira ^ assez', Vépina naira, nosa ,noce',
neïra = noylrp, orolya, pansa , panse ', pataira, pouaira, la
prattnra ne, la pramîra ralondzs, prsmiramc", tsasa, tsèraira,
ver go ny a, la vîlya, la pour a vllya, vllya kot?ma, vîlya kura
j sotte', vllya féna, vîlya feralya, vllya ylybtsd, %lya bouna
vîlya preyln, vîlya rstiy?, vîlya véva?
Tu sais aussi bien que moi que ces substantifs et adjectifs
qui répondent à la première déclinaison latine ont e {3) comme
terminaison en patois.
Est-ce par ignorance qu'ils donnent en revanche la termi-
naison e (p) aux mots que voici, mots qui jadis avaient a:
^ Les citations aussi bien que les formes patoises qui devraient les
remplacer sont transcrites d'après le système du Bulletin. On a main-
tenu cependant la graphie au = ao.
42 J. CORNU
la gaula auvertB, m?tiâ la barks, trovâve la tèra trau bâs9
■per tsï //', Bernd, bétorsQ pour betÔsa, le siki k'a dau bouts
dor = boutafro, on-na brâvd dzè" ,une brave personne',
chéts3-mok9, o?i-na damhauzg^ etsïl9, fays ^ brebis', // stati
galBbontin, on-na tbta galézQ, prè**dre gardd ai bolo?i, garde
t07i fin ,foin', lo gards-rohB, in gis9 de, la goî'erne, kodarQ
pour kodara^ kodoura, a plyata kodsrQ , ylya kraminB pour
kraiMna, ma kouziji9 Zali?id, la laivrQ ^ le lièvre ', la lè^g9,
onn Ôtra lè"g9, Vetai tbta jnaladQ., la ?nai9 tsansd, la màrk9
afu, prendre mezoûr9, l'avai tb rupâ a mézoïird per le, laféna
s'etai ?nesd chu lo pï d'à là lai foradzï de'* sè-z âlyon , on-na
mbs9 pour mosâ, la not9, ylyau d'Orhd, balyl la parold, pein9
pour pin-na, on-na petite bouatd pour on-na p?tita bouait?, le
boil dau Dzorâ n3 lai nionteran pâ pipètQ ^rien du tout',
pomârdd, la porte auverta, sd Ma ti3 marmbte, Avri fà la
pbtd,dai-z ozl de pouid rasd, s'ïre remese a plyorâ, %lya ringe^
min de réponse, plyasB de la Riponne pour Ripouna, on-na
tota rude, la mindre ruva, la pnmïn sorte, la tatite Nanète,
la tchîvre, la t^nâblye ,1a séance', '/lya tsaravoûte, k? fâ, yà
é'tJ ?, %lya tsaravoûte de mjhbaugro, vermine pour vermana,
vuse pour vusa (Jorat : yusd) ?
Jadis les mots suivants et autres pareils avaient la termi-
naison -0 (c'est un o plus ou moins fermé; dans beaucoup
d'endroits c'est ou) : Vàdze pour Vâdzo^ Avintse pour Avintso,
châve k'on bor?iye, lo dyablye le prainye ti !, lo dyâblye de
Non/ou, dyabe la ini , pas une seule miette ', dyabe lo pâ , nulle-
ment', dyahe la pê ki fazan ^ ils ne faisaient nullement la paix',
dyabe lo pï, intse pour intso , encre', lo fédze, %lyau krouye-z
è^fan, dai krouye-z bmo, krouye-z ozl, dai krouye vtzin, le-z
è*'/an san krouye, on mafidze de roumas?, lo mindre, monde
pour mondo, on mofih de boû pour on moillo ou plutôt on moûno
de boû, car moûno est la forme patoise, brdze, lo paivre, on to
bï prïdze, proûtse de Loz3na, proûtse de sti vilâdzo, proûtse
dau tnotï — lyin dau bon Dyu, lyin de son bin — proûtse de
sa pèrda, lo rodze a la Nanèti, se pai et an ply? rodze kf lo
UXE LANGUE Q.UI S'EN VA 43
fu, servis9, tonerB, lo tsankrQ la ?nè"ta k) dyo, tsankra de
ouivra^ on se fâ vil y 9.
La terminaison -3 a-t-elle réellement remplacé dans le parler
patois l'ancien -0'}
Y a-t-il un avantage quelconque à emprunter des pronoms
et des adjectifs possessifs au français et à dire :
// posiblyo! au lieu de é-ti posiblyo! qu'on pourrait bien
exprimer par sè*^ se pati-ts ?
7nin inin-7ia , tin tin-na, sin sin-?ia : si ardzè^ é bin lo miti,
le min , les miens ', «V pâ minma; lo tin, to sare tin, a la tin-?ia,
hosaton; fnozai lo sin ^il mordait le sien ', la koumoima a lo fb
k'é sin, kontan kd Vetai la sinna, au lieu de myon myon-na, tyon
tyon^na, chon chon-na;
no dou ko au lieu de noûtre doû ko, to parai san no-z ami
au lieu de to parai san noûtre-z ami ;
à se servir de leu :
le fêne bramavan; leu (eux, ils) trezan lau sâbro ; ne fÔ pâ
fére komè" leu ; in-n avan me fÔta tye leu ; in far é bin atan tye
leu; y on de leu, derai leu, devan leu ^ avant eux, devant eux',
in leu-jmmo, intre leu:intre ti leu ^ entre eux io\x?>' , por leu,
po leu, respè par leu, su leu, tsï leu, devan tsï leu, de ver leu,
^ de leur côté ', yp san portan dzoyau — fÔ Vitre me tye leu (p. 102,
en faussant la rime) ;
au lieu de lau, qui apparaît ailleurs :
on lau prome adï mé de buro tye de pan; lau fnanke rè" por
ître bsnirau; Ve hin lau dan , ils ont ce qu'ils méritent ' ; lau-z
âlyon, noutra pouina n'a rè** por lau tye remaufây? ; Vin-n é de
%lyau parezau k? fis gânyan rè" tsï lau ,
d'employer s'è, s'etai, fr. c'est, c'était:
se" ks fâ martsï lo komerss{\a. machine), r'^tf« kanon defuzi,
s'è doû martsÔ kd fan se" modâ, ç'è on-n ovrâdzo rido patè,
5^ et ai tnidzb, c'etai on-na vergbnyj, s' et ai epouairè"^ de vaire lo
mondo ki lai avai.
44 J. CORNU
au lieu de l'é? Il suffit de rappeler le proverbe: kan Vé bon
Vé prau.
De la conjugaison, on ferait mieux de n'en rien dire. Ce serait
charité. Elle foisonne de formes erronées, si extraordinaires
qu'elles te sont sans doute aussi peu connues qu'à moi. Mais il
pourrait arriver que quelque naïf prît au sérieux les erreurs
commises et nous écrivît là-dessus une dissertation. Ce n'est
pas pour pour toi que je relève les bévues que voici:
Conjugaisons.
Conjugaison en -â et conjugaison en ï.
INDICATIF PRÉSENT
fremâ: frêtno ^o\xx fraimo; elevà: élève pour elaive (3) ; pezà:
vie pèze ^o\xxvie paize; trovâ: trovo e -e -in -an pour trauvo
■e -e -in -an; plyorà : plyoro -e -e -i?i -an \io\xx plyauro -e-e
-in -an.
SUBJONCTIF PRÉSENT
grava: grave pour graveye ou gravai; balyï : balye pour
balyêye ou balyai ; Dieu balye dau pan ai poure dzè** e ai
ntso lau ronte le de**; reste pour resteye ou restai: fô ki
reste tsï sa vîlya ; k? lo tsertse, mais le proverbe dit correc-
tement : si k? l-afôta dau fu, ki lo tsertsai.
IMPARFAIT
vo devjzâvi pour vo devisâva; balyssai pour balyive (3) ; kou-
d)sé-ay pour kudyïvo-e (1,3); djiivisan "pour djùviv an {2,).
GÉRONDIF
in port an pour in porte**.
PARFAIT
alaran pour aliran.
Je ne relève pas non plus pour toi celles qu'on rencontre
dans les autres conjugaisons. Les malheureux ne savent pas
conjuguer, ils écrivent :
UNE LANGUE Q.UI S'EN VA 45
INDICATIF PRÉSENT ET IMPERATIF
por kouime pr3ni-vb? {te?ii-vo, p. 487) pour por koui me prè^^de-
vo; komprsnyi-vb or a ^^oxar ko nprè" de -vo ora?; prsni pachè**s3
t^ovlx prè**de pachè^s? ; cheintide pour chè**ie (infinitif chè**tre).
SUBJONCTIF PRÉSENT
oîiyai pour ouye (3), viai pour vaiye (3), rofitéye pour ronte (3)
comme s'il y avait un verbe ro7itâ {tin adrai te tsôse k?
Vatatsend se rontéye pâ, p. 57). L'infinitif comme tu sais est
rentre.
IMPARFAIT
prsnai \)Omx pr 3 ny ai (3), no rizai pour no rizân, oïssé pour oye
ou oyfsê, atindavan pour atè"dan, ekozavan pour ekozàn,
fazavon pour fazàn, oyivan pour oyàn, seintivan pour chè**tân,
tinyïve -ai -an pour tinyé -ai -un, ts3zïvo -on pour ts3zé -an.
GÉRONDIF
in vaiy3sin pour in viyè" ou in rayé".
PARFAIT ET IMPARFAIT DU SUBJONCTIF
moza pour mos3 (mordre), diran pour d3ziran , tinre pour
t3niran., vinse pour vsnise.
PARTICIPE PASSÉ
apri pour aprai, ts3zi pour ts3zu ou ts3zai.
Ces erreurs ne sont point les seules. J'en relève d'autres plus
loin qui ne sont pas moins graves.
Les adverbes empruntés au français ou défigurés sous l'in-
fluence de cette langue valent-ils mieux que les adverbes
patois ? Y a-t-il quelque avantage à dire :
d'halo pour dapr3mï, d'abo aprJ pour tb lo drai aprl, alo
pour adnn, du /i?r pour du adàn, ankora — anko — inkora pour
onkora — otikb, bintoû — binsto pour binstoû , bientôt ', /aj^
a côté pour pasâ de koUte, pi , puis ' — e pi ^ et puis ' pour pu
— e pu, poui — e poui pour pou3 — e pou3 — epoiotadan — ep3-
tadan, pautlfre — pstltre pour epai, pautître bin — pstitre bin
46 J. CORNU
pour epai bin, ply3 ^ davantage ' pour me (cf. vo-z in-n are d?
on bè ply? : tye volyai-vo de ply3? D'autres passages donnent le
mot juste : tne on bai, me on-n a sai, e me û?i-n a sai, me on bai;
kraiyon ïtre fnê tye li, la gaula fâ me tye lo bre ; me de biiro tye
de pan; fâ de Vovrâdzo me tye katro ; me de braga tye de fê)y
plyyto T^OMx plystoû {plysto tsatrâ, plysto ouari, p. 454), (/<?) de
suit9 pour to lo drai, trankilamè*^ pour balame'K
S'exprime-t-on d'une façon plus correcte en écrivant: auto
de pour alintb de, môgré leur pour mÔgrâ lau^ parmi le pdte
pour pertni le pâte, suiran pour d^aprï (fô fere suivan son-n
ardzè"; suivan ta borsi gouverna ta bots?), sur se'^ pour chu
se", sur tb pour chu tb ?
Y a-t-il quelque raison pour mettre hors de cours damachè"
^ à cause de ', damachè** ki , parce que ' ?
damachè"-mé, -te, -li, -no, -vo, -lau ^ à cause de moi, de toi',
etc. ; le mot est pourtant bien employé dans les exemples
suivants :
damache" lo dordon ^ à cause du gourdin ' ; in-n a plyd rè**
volyu damachè" le misère kj lai an fë ; l-avai prai lo serjan
damachè" kd l'etai on valè to sole; l-a fe tnarkâ sa dzornâ kan
l-e ju a Vabayi dai vsnyolan, damachè" k? s' Ire arétâ a Lozdna,
damachè" ks l-e on-n éga.
A quoi bon le remplacer par pè rapo a, rapô a, rapo ka?
Quoi qu'il en soit, les exemples de ces nouvelles expressions
sont de plus en plus nombreux : NHn inddzî on bokon de pan
e de saus3S3 ka n'in du pana pe rapo ai-z au ; L'avùn on-na
nyéz9 rapo a Vardzè" ; L-e po se" k? vinyo oui vo dire se" kd se
rapo ai konselyé de per tsî no ; Rapo a si trezo lai aval bin
dai-z afamâ k'avàn prau volyu garni lau boson aoué%lyau-z ecu;
On min-na-mb de pè Lozina avai fe on krouyo bokon de prose
à on pouro dyâblyo de Dzoratai, rapo a dai dzimlye k'etàn
z-ilâye pdkotâ a la meson chu lo vizin; S'etàn bin rolyï rapÔ k?
(parce que) volyaivan ti dans! aoué Je plyi baie e le ply? ntse;
Sa féna Vavai on bokon krouya lè"ga rapÔ ki (parce que)
Vavai adï Ôtye a brama chu se vizin ; Lai plyovisai koumè**
UNE LANGLE QUI S EK VA 47
de frou rapo h (parce que) mankâve on moui de tyoJe au tai^
N'avai pouairs de ri" rapo k? (parce que) retai artilleii.
Pourquoi dire ni -ni pour né -né qui est la seule forme
qu'employait jadis le patois? Né- né se maintient encore dans
les expressions traditionnelles telles que né fan né fÔta, né sai
né fan, né vin né pan, n'a né f rare né chère, sin kontâ né yon
né do fi, mais ailleurs on trouve ni-ni : ni A ni B, ni li ni sa
féna, la bala cher a n? pau ni la vaire ni la chè"tre, m fo jainê
nyon méprszï ni lo poiiro ni lo p?ii.
Qui voudra prétendre que pish , puisque ' : pisk? vo fâ
plyézi^vu bin kraire se" kd vo nie dite; piski fâ remouilla tsana,
va me ksri on vèro ; pisk? l-é dinch?, ne vu rè" d'on koratyau
de fslye; stisd n3 pan pâ lire lo voûtro, pisks nin kontin tye
nau se", vaille mieux que duks qui a exactement le même sens
ainsi qu'il ressort des exemples suivants : duh l-é dza au
V3lâdzo,koteré pâ tan; duk? no sin sole kraiyo h no pouin no-z
in-n alâ ; vo daite fére la preyJr3, duk? lai y a kôkon po vo-z
oûre ?
Je remarque que, après tout ce que j'ai dit jusqu'à présent,
je n'ai fait qu'ébaucher le sujet et que les innovations que j'ai
relevées n'épuisent nullement la matière. Les deux listes sui-
vantes, qui concernent surtout le vocabulaire, en sont en
quelque sorte le complément. Elles fourmillent de termes em-
pruntés au français et d'expressions patoises modifiées sous
l'empire de cette langue. Si l'on peut ajouter foi aux pièces
contenues dans Fo Recafà^ tu as vu et tu verras que le rôle du
français à l'égard du patois et celui du patois à l'égard du
français n'est à l'avantage ni de l'un ni de l'autre. Il en résulte
un langage bigarré que je n'ai pas sans raison qualifié de
baragouin et qui est bien en arrière de la pureté qu'avait
encore le patois au dix-huitième siècle et dans la première
moitié du dix-neuvième. Tout n'est pas progrès dans ce bas
monde. Mieux vaudrait bien parler le patois et bien parler le
français, quoi qu'en disent ceux qui ne peuvent pas attendre le
jour où personne ne saura plus parler la langue de nos pères.
J. CORNU
Parmi les infinitifs cités dans cette liste, il y en a une dizaine
que je marque pour bonne raison d'un astérisque. Tu sauras bien
pourquoi.
aida*
poui
■ aidyT,
erintâ poui
■ ardnâ,
aidî*
aidyT,
eseyî
aseyî,
s'amuzâ
se gala ,
esparnyï
reparmâ,
anpoutâ
inpoutâ.
estropyâ-ys
ekoiiesï — ekouechà,
apartdrii a kôkon
ïtre a kôkon,
fabrskâ
fére,
apelâ apah'i
hiâ,
jëre atè"chon
se velyT,
m'apelo Nanèta
me dyan Nanéla ou
fëde bin aiè^chon
velyî-vo bin,
y'ë a non Nanèta,
fëre reflechon
chondzï.
apouyï
apoyt,
fëre lep dou (doux) gmyï ou relukâ,
apriyandâ
Ttre in kou^on,
fit si avô
mètre avO, fàtre avO,
ûsomâ
e ter II,
foatâ
dziblyâ,
atatsï
etatsT,
fotre
métré, bdtâ.
aliiâ* '
ataiT
foire via
tsanpâ via,
s'iitroupâ
s'atropû,
gadii
fremâ.
ats3tû
ad\dtû.
grimpa
grapdyï,
bastâ
dioûre,
gyêri
gari
brddoulyï
hr?dolyT,
indikâ
motrâ ,
demanda
intrevâ.
ingad^ï
akovè"tâ.
deperdre
depèdre.
s'ingad^ï
s'akovè"tâ ,
dezandanâ*
deiandmû*
1
J
dezandanyî.
ingycézâ
indyé:i^â
]
\
ingoicgsnâ,
de^irâ
avaifan de, volyai,
innouyî
in ■ noyT,
dimâ
dyïmâ ,
inplyetâ -
ad\3tâ,
dja\â
batolyî, barjakâ,
insdVdli
in ter â.
djuvT on to
in-fêre yma,
intama
intanâ.
dtesâ*
dresT,
se jénâ
avai vergonyg,
dura
doiirâ,
se vergonyT,
ekta\à
^X^y^Jf', ^peyjyâ,
konparâ
akonparadv,
ekremâ
ekramâ,
se konplyotâ
se deva^ft.
s'eniaj'inâ
se chond^î,
kontrarii
kontreyT,
l la mére-gran ati^ave son fu e tsantave.
^ tiré du fr. emplette, patois inplyaitd.
UNE LANGUE Q.UI S'EN VA
49
ktidi*] pour hidyï,
labora arâ,
au selau levan au selau levé", au lefè",
lima btnâ,
livra levrâ,
louchT ^ regarder gduy T,
en cachette'
lyetâ on botyé nyû on botyé,
manh'i fôtn,
se métré in route modâ,
viinldui manlmi,
montra motrâ,
moriu vio\u — moju,
oublyâ aubl)â,
parla devd\n,
parti modâ,
parvniyo pervTnyo,
toerdre pèdre,
pesa* persT,
pétri inpatâ,
pila p'^lâ,
pé"'sâ chond\î,
se pé"sâ se chond^^ï,
pinsâ* ^ pincer' pinsT — blyosT,
presî* (on se pré- presâ
sivé mouin keoraj,
ragrandi rovranti,
rakouvioudâ repetasT ou retakounâ,
rapelâ fère rechondzT,
se rapelâ se rasovmi,
ratatsT retatsT,
réfléchi pour chondy — rechond:^,
refouimhe* redjè^dre,
rehih'i rekoulâ,
remarkâ apèchaidre,
remisa réduire — bdtâ,
repè"sâ rechoudiT,
se repè'Hi* se repè"tre,
resta trankilo dioûre,
tetakonâ retakounâ^
relrouso me mandée rekouso me
mandée,
ruina rinâ,
rumina chondiT,
sekaure chakaure,
sépara deseparâ,
siyî seyT,
souanyî trouver nâ,
sublyâ ^so\iii\er so/Jyô,
à l'oreille'
chaidre,
tâtsT . s'efforcer ' kudyT,
t^vT lofemé trère lofemê,
tsrî trère,
iormé"tâ , ennuyer ' resî,
tortilyï tortolyî,
tousâ * tousi,
triJ chèdre,
trousâ se mandée rekousT se mandie,
tsertst hri,
tsertsT aseyï,
versa vèsâ ,
vu, revu yu, reyu.
le-z abi pour le-:^^ âlyon,
ufâblyo avmyè",
Asinchon ^ Ascension' Ansechon,
asyeta ekouala,
per aiâ s? se devsne.
bn ^chaussettes' pour Isausou,
le balanse le-i ebalanse,
batèms batsT,
pâ bétd pâ bïtd — dâdoii,
bd^puin jota ,
4
50
J. CORNU
bière va,
bordai ^sellier' pour horalai,
borna , borne ' boiiéna,
horson , poche de boson , diminutif
pantalon ' de bosa,
bougro baugro,
boutddor boiiiafro,
brissekt (fr. vnlg.) brasT,
butsd boiits.\
charpantyé, cherp. tsapoti,',
chasseu tsachau,
chère, chaire d^ayTra,
deficilo, dijicilo, -a môléiï, tnôlèjà,
aboutè"-la,ouaitè»-ta,
nd jâ pâ la defocila n'êpâ ouaitè>^ta,
la derai fortchà la dhairs fortcho,
deta, -3 , dette' dévala, -e,
dî dyî,
di:(e voui dyîzp oii3,
dïi ehi dyT-i ekii,
dï'^an-na dyij^an-na,
la dlma la dyîma,
lo dîmo lo dyîmo,
dou man duve nian,
doiiian-na doian-na,
efrouayablio, -a epouairè"-ta,
emâblio, -a av3nyè"-ta,
le-i estomà le-\ estome, cf. erma-
na, -e ^almanach',
1-etai tôt' etourlây3 l-etai tot'etourla,
évèqiie évéko,
se'* n\ pâ facilo se" c môleif,
far sa fâsa,
fassna d\evala,
fêre faillite fére apèdre,fêre lo
betsku,
fête Jïta,
la flyau dai p^rd la xlyaii dai pm
burâ burâ.
laflieu dai byÔ valè pour laXlyau dai
byôvalè on dai bî v.
Jlyô exlyeyî,
fÔs? tsdnévo , force on-na petâya de,
chanvre ' ott-na mas3 de,
graninersi granmasi,
habitude kotoiima, kotmia,
hotiit houi, oui, ou3t3 ou3,
hoiiit atire ou3l-aure,
sat-ati houi dâdoû sut au ou3 dûdoû,
houitanta oustanta,
intïr3 intyîrs,
jambon tsanbéta,
la jeunesse le dioiiV3no, le valè,
cadeau prerj:",
hàna bâton,
kanâ , canard' bdra,
karelè karalè
kartyé kartai
kasonârda kasounârda
clian ^ client ' pratika,
kompère koupâre,
cor de chasse kô de tsas3,
Korsale ^ Corcelles ' Kosale,
côté ruva,
a côté de dekoûte,
dau côté de kontre,
de ti le côté de ti le kâro, de per
ti le kâro,
kotumyé kotoumï — kotsmî,
Xlya kramina Xly^ krani3na,
de crainte de pouairs,
on koïi on yâdio,
dou au Irai koû dou au trai yâd^o,
dau trai koû dau trai yâdzo,
koumandan koumandè**,
koumoûdo,kdmoûdo,-a èTj, cjà,
kouplyè koblyè,
UNE LANGUE QUI S'EN VA
51
koutelays pour kotitalây^,koutalâ,
kutalây^, kutalâ,
kotiti kuti,
lâro l(ire,
ligne (d'ehrstoura) rintsi,
lyutmi'* hitdnyè**,
inaidesin maid:^o,
marmita mermita,
martelé martalè,
masd petây?,
tif lai apâ mèche lai a pâ nioyati,
mechè^, -ta kroûyo, -9,
sin minteri sin d?re dai dianlye,
menteu dianlyau,
moineau paseran,
mÔkoumoûdo, a, môléxj, niôUjdy
tnolyT, molyà moû, moûva,
monsieu nionchu,
le inessieu le monchii,
momè** otiarba,
mominè ouarbèla,
au momin mïnio to h drai, cf. M'in
vê alâ io lo drai
a la dxpnalyirs,
— Yâmo atan
hotsî to lo drai.
morsa mOsa ,
morsa , mousse ' mocha,
lo moiiin lo min,
mouindro, -a tnindro, -a,
mdvè koû krouyo koû,
napa manti,
natura natoura,
d'ordméro de kotouma,
orlod\o rilàd^o,
eureu-:(a pour bmirau-ia,
on-na pareille tsoû\a on-na parlyt
tsoû:(a,
parola ddre, rëzon,
padT psdyï,
perta pêrda,
pinson tyinson
plyi , pli ' plyai,
poison pouéi^on,
preuve praiiva,
printin salyi ou salyifro,
prixpn pre^on,
pudra pusa,
pyoû ,poux' - pyau,
ralélT ratalï,
refrain refradon *,
réguelisse , réglisse' régalisg,
rôti ruti ou routi,
sapelè sapalé,
lo sékon, la sekonda VÔtro, l'Otra,
sobrikyè, non sobrikyè sorenon,
sordâ chudâ,
tâtsd ahson,
ti^on td\on, iouT^on,
travailleu travalyau,
traversa travèsa,
troupa tropa,
troupe tropé,
tsapelè tsapalè,
tsatelan tsatalan,
tsaiidron tsauderon,
Xlyau vermine Xly^^ vermme,
vie de tsin vya de tsin,
voleii lâre.
* L'o:{^ï chu on-na niota,
Vaih lo lefndon.
La vaitfki tàta , — L'ozî chu on boson, —
52 J. CORNU
J'aurais pu, cher docteur, répondre en quelques lignes à ton
aimable lettre qui m'est parvenue peu après Po Recnfâ, mais
sachant l'intérêt que tu as dès ton enfance porté à notre vieux
langage, j'ai pensé que plus elle serait longue, plus elle te
serait agréable. Afin que tu ne croies pas mon jugement trop
sévère, j'ai mis sous tes yeux une partie des faits sur lesquels
je le fonde. Quand tu auras lu les deux listes ci-dessus, me
suis-je dit, tu mettras de l'eau dans ton vin. C'est au mauvais
patois à qui j'en veux et à ceux qui vendent des vessies pour
des lanternes. Ce sont tes éloges de Fo Recafâ qui m'ont dicté
cette interminable lettre.
Le patois est une langue qui s'en va ; il est, disons-le ouver-
tement, en pleine décadence. Une bonne partie des Vaudois,
surtout de ceux qui habitent les villes, comprend peut-être le
patois, mais ne sait plus le parler. Les campagnards qui le
parlent savent tous bien ou mal le français. Quand ils parlent
français, ils francisent le patois, et quand ils parlent patois, ils
patoisent le français, rapprochant ainsi sans s'en apercevoir
les deux langues. Ceux qui savent le mieux le patois ne
l'écrivent pas. Demander de ceux qui l'écrivent qu'ils l'écrivent
purement et correctement, c'est aujourd'hui trop exiger, je
l'avoue.
J. Cornu.
Postscriptum de la Rédaction.
Bien que nous soyons en tout point d'accord avec l'auteur
de l'étude qu'on vient de lire, nous tenons à prévenir un
malentendu qui pourrait naître dans l'esprit de" certains lecteurs.
Le recueil Po Recafâ peut être jugé d'après son contenu ou
d'après la langue qui lui sert d'expression. Dans le premier
cas, tout amateur du patois ne pourra s'empêcher d'éprouver
un vif plaisir à relire ces bonnes vieilles histoires d'autrefois,
ces chansons de vignerons, ces trésors de pratique sagesse
vaudoise mise en proverbes. Le patois, cependant, qui pourrait
faire le principal mérite du livre, est devenu, il faut bien
UNE LANGUE QUI S'EN VA 53
l'avouer, une langue très incorrecte, et l'on ne saurait donner
tort à M. Cornu qui, vivant depuis trente-six ans à l'étranger,
en a conservé une image pure et vivante, et qui constate
aujourd'hui avec douleur les ravages ope'rés dans cette langue
par l'influence du français. Et pourtant, tout contamine que
soit ce patois, il est encore fort supérieur à celui représenté
par le volume Le patois neuchâtelois , où les erreurs et les
déformations sont infiniment plus nombreuses. Si c'est la déca-
dence dans le canton de Vaud, c'est la pleine déroute à Neu-
châtel. Néanmoins, les rédacteurs du futur Glossaire romand
seraient ingrats s'ils allaient oublier l'accueil bienveillant et
l'appui très efficace qu'ont trouvés leurs recherches au milieu
de la population vaudoise et les réels services que leur ont
rendus les patoisants de bonne volonté. On peut même se
demander si l'empressement à nous informer eût été tel au bon
temps du patois. On ne s'aperçoit de la valeur de bien des
choses, hélas ! qu'au moment où elles s'en vont. En Valais, le
patois est encore florissant: il en est d'autant moins estimé.
Du reste, il y a longtemps que le dialecte vaudois est miné
par le flot montant de la langue littéraire. Plusieurs des erreurs
incriminées par M. Cornu se rencontrent déjà dans le Glos-
saire du doyen Bridel, et remontent donc à près d'un siècle.
Enfin, il est aussi instructif d'étudier comment une langue
s'abâtardit, et nous sommes très reconnaissants à M. Cornu
d'avoir, le premier, dressé un inventaire des tares du patois
vaudois actuel et de nous avoir montré par quels canaux se
produit l'infiltration française.
54 J- JEANJAQ.UET
LE PLACARD PATOIS DE JACQUES GRUET '
L'année 1547 fut à Genève une période de troubles et de
luttes, qui mirent plusieurs fois en péril le régime instauré par
Calvin. Dès son rappel, en 1 541, le réformateur avait travaillé
énergiquement, de concert avec les autorités civiles, à réaliser
son idéal de communauté chrétienne. Une institution nouvelle,
le Consistoire, composée du corps des pasteurs et de douze
assesseurs, avait spécialement été chargée de veiller à l'ob-
servation de la discipline ecclésiastique et à la pureté des
mœurs. Un véritable système d'inquisition et de délation si-
gnalait à l'autorité toutes les fautes commises dans ce domaine.
A partir de 1545 surtout, le Consistoire sévit impitoyablement
contre tous ceux qui, en matière de mœurs, continuaient les
traditions largement tolérantes de l'ancienne Genève. On con-
çoit que l'établissement du nouvel état de choses n'ait pas été
sans provoquer des résistances et qu'il se soit formé un parti
' Sur Gruet et les événements contemporains, voir spécialement
J. A. Galiffe, Notices généalogiques sur les fantiUes genevoises, t. III (Ge-
nève, 1836), p. 258-263 ; P. Henry, Dus Leben Johann Calvins, t. II
(Hamburg, 1838), p. 440 et suiv. ; A. Roget, Hist. du peuple de Ge-
nève, x.. Il (Genève^ 1873), p. 289-312 ; F. W. Kampschulte, Johann
Calvin, X. Il (Leipzig, 1899), p. 56-66; G. A. Cornélius, Histortsche
Arheiien (Leipzig, 1899), p. 501-505 ; E. Ritter, Bulletin de l'Institut
national genevois, t. XXXIV (1897), p. 1-26 ; W. Walker, Jean Calvin,
trad. Weiss (Genève, 1909), p. 327-330. Le procès est résumé dans
Gautier, Hist. de Genève, t. III (Genève, 1898), p. 300-304, et dans
Calvîni Opéra, t. XII (Brunsvigse, 1874), no 932. Mais la source essen-
tielle est H. Fazy, Procès de Jacques Gruet, dans les Mémoires de l'Insti-
tut nat. genevois, t. XVI (1886), où toutes les pièces du procès sont pu-
bliées in extenso. Cette publication est suivie des Procès et démêlés à
propos de la compétence disciplinaire du Consistoire (1546- 1547), où l'on
trouvera tous les actes concernant les Favre.
LE PLACARD DE J. GRUET 55
hostile, qui s'accrut à mesure que les pasteurs devinrent plus
intransigeants. Après avoir écarté ceux qu'il jugeait trop tièdes,
Calvin s'était entouré de collaborateurs partageant ses vues,
tous Français récemment débarqués, qui, à l'occasion, se mon-
trèrent plus fanatiques que lui-même. « 11 fault procurer leur
bien maulgré qu'ils en ayent, » avait écrit un jour le maître en
parlant des récalcitrants, et tel paraît bien avoir été le mot
d'ordre que le corps pastoral s'efforçait de suivre. Quand le
réformateur entreprit d'imposer sa discipline de fer non seule-
ment aux petites gens, mais aussi à des familles riches et in-
fluentes, l'opposition s'accentua et les conflits prirent un carac-
tère aigu. Sans être le moins du monde hostiles à la Réforme,
bien des Genevois ne pouvaient se plier aux exigences du purita-
nisme rigide qui était devenu de règle. On comprend aisément
les sentiments d'amertume que devaient éprouver de vieux pa-
triotes qui avaient lutté pour l'émancipation de leur ville, lors-
qu'ils la voyaient sous la dépendance presque absolue d'une
poignée d'étrangers, dont il fallait subir le joug tyrannique. « Ces
Français, ces mâtins sont cause que nous sommes esclaves, s'é-
criait François Favre ; si les évêques du passé eussent fait ce
qu'ils font, on ne l'eût pas enduré. » Le manque de tact de cer-
tains pasteurs, les personnalités blessantes qu'ils lançaient du haut
de la chaire ne faisaient qu'accroître l'antipathie qu'ils inspi-
raient. Mais c'est surtout le Consistoire et ses censures qui
avaient le don d'exaspérer les esprits. Si les pécheurs tombés
en faute se résignaient sans trop murmurer à subir les peines
infligées après enquête par l'autorité civile, conformément
aux édits en vigueur, ils éprouvaient en revanche une grande
répugnance à reparaître ensuite devant le Consistoire. Cette
juridiction mal définie leur paraissait une superfétation, un em.
piétement sur les attributions de la justice régulière, et il leur
était particulièrement pénible d'avoir à s'humilier devant les
prédicants étrangers, d'autant plus que les remontrances frater-
nelles que ceux-ci devaient leur adresser dégénéraient parfois
en grossières invectives.
0 . JEANJAQUET
Les démêlés orageux de la famille Favre avec l'autorité ec-
clésiastique, pendant les années 1546 et 1547, sont l'illustration
la plus frappante de l'état d'esprit qui régnait alors dans cer-
tains milieux. François Favre était un homme âgé et riche, qui
avait autrefois rendu des services à la République et était en-
core influent, quoique ayant cessé de prendre part à la poli-
tique active. Deux de ses gendres étaient membres du Petit
Conseil, et sa fille Françoise était mariée au capitaine général
Perrin, jadis partisan zélé de Calvin, mais qui s'en éloignait
de plus en plus pour devenir le chef de l'opposition. Cette
Françoise, communément appelée la Franchequine, était une
femme à poigne, orgueilleuse et colérique, à la langue redou-
table, qui n'était guère disposée à se laisser régenter et ne
cachait pas son aversion et son mépris pour les prédicants.
Son frère Gaspard n'était pas plus respectueux.
François Favre, prévenu de scandale domestique et de rela-
tions illicites avec une servante, fut cité à comparaître en Con-
sistoire, de même que son fils Gaspard, coupable aussi de di-
vers méfaits. L'un et l'autre ne tinrent aucun compte de cita-
tions réitérées, et lorsqu'enfin ils se décidèrent à se présenter,
leur attitude fut tout autre que soumise et repentante. Ils se re-
fusèrent à répondre aux pasteurs, qu'ils déclaraient ne pas con-
naître. Il s'ensuivit des altercations violentes, dans l'une des-
quelles Abel Poupin traita François Favre de « chien excom-
munié de l'Eglise. » Cette injure redoubla les colères. La
Franchequine, qui avait aussi eu maille à partir avec le Con-
sistoire pour avoir enfreint l'édit sur les danses, vint protester
au nom de la famille contre l'insulte faite à son père, puis, ap-
puyée par son mari, demanda au Conseil qu'il fût fait justice.
Le Conseil, pressé d'autre part de sévir contre les rebelles, n'o"
sait user de rigueur, demeurait hésitant et cherchait à concilier
les parties. Les cas d'insubordination se multipliaient et les
droits du Consistoire furent bientôt ouvertement contestés. Ce-
pendant Calvin ne se laissait pas intimider et défendait ses po-
sitions avec énergie, lorsque ses adversaires suscitèrent un
LE PLACARD DE J. GRUET 57
nouvel incident qui porta l'agitation à son comble. Ce fut l'af-
faire dite des chausses « chaplées ». On appelait de ce nom les
chausses découpées aux genoux, à la mode suisse. Cette mode,
qui symbolisait des tendances indépendantes, avait trouvé dans
la jeunesse des partisans convaincus. Mais les ministres,
jugeant ce costume trop peu austère, en firent décréter l'inter-
diction. La défense fut mal observée, et lorsqu'elle fut renou-
velée en mai 1547, à l'occasion de la fête prochaine du tir des
Arquebusiers, beaucoup n'en tinrent pas compte, Perrin à leur
tête. Les Arquebusiers demandèrent même que le vêtement
prohibé pût au moins être porté le jour de la fête. Au fond,
Perrin et ses amis cherchaient sous ce prétexte à organiser un
mouvement populaire contre la tyrannie ecclésiastique. Les
Conseils étaient sur le point de céder, mais Calvin, qui sentait
bien que c'était sa situation même qui était en jeu, intervint
avec tant d'habileté et de force persuasive qu'il réussit à faire
maintenir l'interdiction. La fête elle-même fut ajournée indéfi-
niment. L'opposition, vaincue, dut ronger son frein en silence,
mais l'irritation sourde ne fit que grandir.
Sur ces entrefaites, la Franchequine ayant de nouveau dansé
fut appelée devant le Consistoire. Elle y parut le 23 juin 1547,
mais, suivant la tactique habituelle des siens, elle refusa de re-
connaître la compétence consistoriale, et, plus orgueilleuse que
jamais, se répandit en récriminations. Le ministre Abel Poupin
l'ayant prise à partie, elle ne se contint plus, l'accabla de re-
proches et d'invectives et termina par cette apostrophe : « Va,
gros groin de porc, tu as menti méchamment. » Il fallut l'ex-
pulser de force. Naturellement, il y eut plainte portée au Con-
seil, et, dès le lendemain, celui-ci ordonna l'arrestation de la
trop bouillante commère. Françoise Perrin réussit toutefois à
se réfugier à temps dans la propriété que la famille Favre pos-
sédait à la campagne, hors de la juridiction de Genève. Le
hasard voulut qu'au moment de quitter la ville elle rencontrât
Poupin. Elle en profita pour lui renouveler publiquement ses
injures et ses menaces : « Gros chartreux ! gros porc ! s"écria-t-
58 J. JEANJAaUET
elle, lu es cause que les femmes sortent de Genève, mais tu
t'en repentiras! »
C'est trois jours après cette scène, soit le lundi 27 juin 1547,
que fut affiché le placard qui doit nous occuper plus spéciale-
ment ici. On trouva fixé à la chaire de la cathédrale de Saint-
Pierre un papier qui portait quelques lignes écrites en patois,
dont voici la traduction littérale : Gros pansu, toi et tes compa-
gnons feriez mieux de vous taire ! Si vous nous poussez à bout,
il ny a personne qui vous garde qu'on ne vous mette en tel lieu
que peut-être vous maudirez V heure que vous sortîtes jamais de
votre moinerie. Cest désormais assez hldmé ! Que diable ! il est
bien sûr que ces /..tus prêtres renégats viennent ici nous mettre
en ruine. Après qu'on a assez enduré, on prend sa revafiche.
Gardez-vous qu'il ne vous en prenne comme il fit à monsieur
Werli de Fribourg, Nous ne voulons pas tant avoir demaitres.
Notez bien mon dire.
Ces paroles n'ont guère besoin de commentaire si l'on se
reporte à la situation et aux événements que nous venons
de rappeler. Elles trahissent bien l'état d'exaspération de ce
groupe de Genevois qui étaient las d'être tenus en laisse, et
rudement tancés au moindre écart, par des gens qu'ils envisa-
geaient comme des intrus dans leur ville. L'emploi de l'idiome
local devait sans doute souligner ce caractère de protestation
des éléments indigènes contre les étrangers francisants. Le
« gros pansu » interpellé en première ligne ne peut naturelle-
ment pas être Calvin, dont la maigreur ascétique est connue,
mais n'est autre qu'Abel Poupin, ancien cordelier, de qui la
mine florissante, autant que les intempérances de langage,
semblait un défi à ceux qu'il exhortait à l'humihté et à
une vie de renoncement. Originaire de l'Anjou, il était établi
à Genève comme pasteur depuis 1543. Le pamphlet dirigé
contre lui et ses collègues était grossièrement injurieux,
mais, ce qui était plus grave, il renfermait des menaces, et
même des menaces de mort. En effet, le chanoine fribourgeois
Werli, dont on rappelait l'exemple, avait été tué d'un coup
LE PLACARD DE J. GRUET 59
d'épée en 1532, dans une des rixes qui avaient accompagné
l'établissement de la Réforme à Genève.
Le Conseil de la ville, effrayé de l'audace grandissante des
rebelles, ordonna dès le 28 juin une enquête sévère sur l'affaire
du placard. Les soupçons se portèrent immédiatement sur Jac-
ques Gruet, qui fut incarcéré. Ce personnage, âgé d'une cin-
quantaine d'années, fils du notaire Humbert Gruet, était un
homme de plume de condition aisée, puisqu'il possédait une
maison au Bourg-de-Four, mais qui semble avoir été simple
employé de bureau dans la maison des Philippe. II avait vécu
à Lyon, où il avait connu Etienne Dolet, et s'y était imbu de
doctrines antireligieuses d'un radicalisme monstrueux pour
l'époque. Il se gardait d'ailleurs de les afficher et ne demandait
qu'à vivre paisiblement à sa guise ; il estimait que dans une
société bien organisée chacun doit pouvoir prendre son plaisir
où il le trouve et avait notamment -sur la paillardise des idées
fort peu orthodoxes. On conçoit que le régime calviniste lui
fût en horreur et qu'il fréquentât les cercles hostiles aux prédi-
cants. Il était de ceux qui, en 1546, avaient dansé à une noce
chez Antoine Lect et il s'était distingué à cette occasion par
son attitude inconvenante devant le Consistoire. Il gardait
une rancune particulière à Calvin, qui l'avait taxé en chaire de
« méchant et balafre ». Gruet ne jouait du reste aucun rôle
dans les affaires publiques. Ses goûts et son éducation le por-
taient bien plutôt vers les lettres. Sa procédure nous révèle
qu'il était « homme sçavant en escrire et qui escrivoit beau-
coup de choses tant licites que illicites » et aussi qu'il avait été
« solliciteux et cupideux de escripre, dicter et composer balla-
des, dixain, escripteau et brivet, tant en langue françoyse que
en patoix, et à ce s'est excercé tant icy que ailleurs. » On con-
naissait en particulier de lui une « rime » en patois contre le
duc de Savoie. Le nombre de ceux qui, à Genève, maniaient
la plume en patois devait être bien restreint et la justice n'eut
pas à faire preuve de beaucoup de pénétration lorsqu'elle in-
culpa Gruet d'être l'auteur du libelle séditieux affiché à Saint-
60 J. JEANJAQUET
Pierre. Néanmoins, dans les premiers interrogatoires qu'on fit
subir à l'accusé, il nia catégoriquement, et le fait que l'écriture
ne correspondait pas à sa manière habituelle embarrassa d'a-
bord les juges. On fit chez lui une perquisition qui amena la
saisie de papiers divers si compromettants qu'ils devinrent la
base principale de l'accusation. Gruet perdit bientôt de son
assurance. Le 8 juillet, il affirme toujours qu'il ne sait rien da
placard, mais il ajoute que « quand il l'aurait fait, il a fait et
dit d'autres choses plus d'importance que le dit billet. » Le
lendemain, il objecte encore que sa main a pu être contrefaite
et que d'ailleurs cela ne ressemble pas à son écriture; puis, me-
nacé de la torture, il se décide à avouer « spontanément ».
M. H. Fazy a prétendu, après M. Galiffe, que, malgré cet aveu,
qu'il juge arraché par la contrainte, Gruet était probablement
innocent du méfait dont on l'accusait. Il s'appuie sur ce qu'au-
cune preuve directe de sa culpabilité ne put être apportée.
Une femme, arrêtée le même jour que Gruet pour avoir
dit à des commères qu'elle savait depuis quatre ou huit jours^
que le placard serait affiché à Saint-Pierre, nia formellement
avoir tenu ces propos. Comme l'a déjà fait observer M. Ritter,
cette thèse de l'innocence de Gruet ne résiste guère à l'examen
attentif des faits. Dans la suite du procès, l'accusé ne revint
jamais sur ses premiers aveux ; il les confirma au contraire à
plusieurs reprises, et, dans de nombreux interrogatoires, sans
l'intervention de la torture, il donna avec de très légères varia-
tions des détails circonstanciés sur la façon dont il avait écrit
et mis en place son pamphlet; il en reproduisit la substance, il
en discuta avec ses juges les termes et la signification, de sorte
qu'il est d'une complète invraisemblance que tout cela ne re-
pose sur rien de réel.
En combinant les données éparses fournies par l'accusé, voici
comment on peut reconstituer la genèse du placard. Le diman-
che 26 juin, Gruet avait soupe en compagnie de diverses per-
sonnes appartenant au groupe des mécontents chez la « donne
Batezarde ». Les incidents des jours précédents, la scène du
LE PLACARD DE J. GRUET 6l
Consistoire et la fuite de la Franchequine y avaient été ample
ment commentés et on était fort monté contre les pasteurs,
surtout contre Poupin. Le lendemain, Cîruet déjeuna en ville
chez François Favre, qui lui parla naturellement aussi de sa
fille et des persécutions auxquelles sa famille était en butte.
C'est en rentrant chez lui, la tête échauffée par ces discours,
qu'il conçut et mit immédiatement à exécution son projet. Il
avait justement sous la main une écritoire empruntée une se-
maine auparavant à un garçon chez les Philippe et il se servit
d'un bout de papier coupé à une lettre. Aussitôt le libelle écrit,
il se rend à la cathédrale, où il arrive vers 2 heures. Il entre
par la grande porte, s'assure qu'il n'y a personne à l'intérieur,
et, au moyen de cire, fixe en grande hâte son papier contre la
chaire, « au lieu où M. Calvin s'appuie. » Après quoi il s'enfuit
par la porte de derrière, tremblant d'être surpris. Dans la soi-
rée il va se promener vers le Molard et soupe chez son ami
Claude Franc avec un quincaillier du voisinage.
Interrogé sur les motifs qui l'avaient poussé à agir, Gruet
déclara que c'était parce que « les prédicants ne voulaient
condescendre à laisser passer le temps aux jeunes gens et aussi
que la femme du capitaine Perrin avait serré sa boutique et
était contrainte sortir hors Genève ; » il reconnaît que le pla-
card visait en premier lieu Abel Poupin « à cause qu'il fut le
principal des prédicants au Consistoire qui remontra à la Fran-
çoise, fille de François Favre, laquelle eut courroux avec le
dit maître Abel. » Il était donc évident que les menaces du
billet avaient été provoquées par les mesures prises contre les
Favre, mais ceux-ci en étaient-ils responsables? Etaient-ils com-
plices, ou au moins instigateurs de l'acte de Gruet ? L'accusa-
tion aurait visiblement désiré pouvoir établir une connivence
de l'inculpé avec d'autres personnes et mit une obstination
acharnée à vouloir lui arracher des aveux sur ce point. Mais
en dépit de la torture et de son accablement, Gruet, qui n'a-
vait pas l'étoffe d'un héros, demeura absolument constant dans
ses réponses. Il ne se lassa pas de répéter qu'il avait agi de
62 J. JEANJAaUET
son propre mouvement et absolument seul, sans préméditation
aucune. Il n'avait parlé à personne du placard ; il le fit « à la
volée » et « si secrètement qu'il ne voulait pas quasi que sa
main senestre le sût. » Il n'en avait pas gardé ni donné de co-
pie. S'il s'était servi en plusieurs endroits du pluriel nous^ c'é-
tait seulement afin de donner plus grande crainte aux prê-
cheurs. « Quand il accuserait quelqu'un il ferait mal, car c'est
lui seul qui a fait tout l'affaire. »
Nous ne pensons pas qu'il faille mettre en doute la vérité de
ces affirmations si souvent réitérées. Le placard de Gruet ne
fut pas le résultat ni l'expression d'un complot ; bien que reflé-
tant les sentiments de tout un groupe, il ne dut son existence
qu'au coup de tête d'un individu isolé, qui convint lui-même
d'avoir agi « par folie ». 11 fallait en effet bien peu connaître
Calvin pour s'imaginer qu'il se laisserait effrayer par une sem-
blable manifestation. Il dut se féliciter, au contraire, de la ma-
ladresse de l'adversaire qui venait se livrer entre ses mains et
lui fournir l'occasion de faire un exemple. Le réformateur sui-
vit de très près le procès du libre penseur genevois et, autant
qu'on en peut juger, usa de tout son pouvoir pour amener la
sentence capitale qui le termina. Gruet fut exécuté à Champel
le 26 juillet 1547. Nous n'avons pas à examiner ici les chefs
d'accusation qui, en dehors du placard patois, permirent aux
juges de se montrer si sévères. Notons seulement qu'il serait
exagéré de prétendre que ce libelle de quelques lignes coûta
la tête à son auteur. Si l'on n'avait pas eu d'autres griefs à faire
valoir contre ce dernier, il est à peu près certain que sa vie
n'aurait pas été en danger. Mais les incriminations de menées
séditieuses, de trahison, de blasphème, d'impiété, qu'on réussit
à échafauder sur les papiers saisis au domicile de l'accusé,
donnèrent à son procès une tout autre tournure et jouèrent
un rôle prépondérant dans la décision du tribunal.
Le placard original qui fut apposé contre la chaire de Cal-
vin existe encore aux Archives de l'Etat de Genève, où il
LE PLACARD DE J. GRUET 63
est conservé parmi les pièces de la procédure Gruet. C'est
une feuille de papier de 125 X 205 mm., où le malheureux
patoisant a tracé en caractères de grandeur ordinaire, bien
lisibles, les neuf lignes de sa protestation menaçante contre les
ministres. Nous en reproduisons ci -contre le facsimilé. Le
chiffre 7 placé en tête du document est celui de la cote qu'il
avait reçue dans le dossier. En y introduisant la ponctuation
moderne, l'apostrophe et la distinction des u et des 27, et en
résolvant les quelques abréviations, le texte du placard, dont
nous avons donné plus haut la traduction, est le suivant :
Gro panfar, te et to compagnon gagneria niiot de vot queysi !
Se vot not fade enfuma, i ri y a persona que vot gardey qu'on
ne vot mette en ta lua qu'epey vot mouderi Voura que James vot
salie te de votra moennery. Et mezuit prou blâma ! Quin dyablo !
Et to sut que cetou fottu prêtre renia not vegnon ice tnettre en
ruyna. Apret qu'on a prou endt^ra, on se revenge. Garda vot
qu'inevot nen pregne comme i fit a mosiur Ver le de Fribor.
Not ne vollin pa tan avey de mètre. Notta bin mon dire.
Il est assez instructif de mettre en regard du texte original la
rédaction que Calvin en communiqua à Viret dans une lettre
du 2 juillet 1547, quelques jours après la découverte du pla-
card. Elle est conservée à la Bibliothèque de Genève et a été
publiée dans l'édition des Calvifii Opéra, t. XII (1874), lettre
n° 921, p. 546, note 8. Le texte altéré et fortement francisé
montre que le patois de Genève n'était guère familier au ré-
formateur. Voici en effet comme il transcrit :
Gros panfar, te et tes compaigfions gaigneriaz mioulx de vos
quiesyr. Si voz noz fadez enfuma, y n'y a persona qui voz garda
qu'on fie voz mec te en lioua que pouy vos tnouldirez Vhoure que
jamais voz salliete:^ de la' tnoynery. Est meshouy prou blasma !
Quin diablo est ou cin que cestou fottu prestres reniaz noz vien-
nent icy mettre en ruina : après qu'on a prou endura, on se re-
venge. Gardez voz qu'il ne voz en prenna com7ne a Monsieur
Ver le de Fribourg. Noz ne volins pas tant de mestres. Nota
bin mon dire.
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LE PLACARD DE J. GRUET 65
La teneur du pamphlet, en original ou en traduction, a été
maintes fois publiée par les historiens de (Genève et de la Ré-
forme. Le contenu, mis au discours indirect, se trouve déjà
dans une note de Y Histoire de Genève, de Spon, t. I (1730),
p. 288; il a passé de là dans X Histoire de la Réformation de la
Suisse, d'Abr. Rachat, édit. Vulliemin, t. V (1836), p. 318. Le
texte patois a été publié pour la première fois par J. A. Galiffe,
Notices généalogiques sî(r les familles genevoises, t. III (Genève,
1836), p. 259, et reproduit sans contrôle dans les ouvrages
déjà cités de P. Henry, p. 441, avec traduction allemande;
A. Roget, p. 323, avec traduction française p. 290 ; H. Fazy,
p. 5, avec quelques modifications et traduction française :
F.W. Kampschulte, t. II, p. 59, note; aussi dans Blavignac, Ein-
pro genevois, 2= édit. (1875), p. 227 ; traduction française seule
dans J. Gaberel, Histoire de l'Eglise de Genève, t. I (2^ édit.,
1858), p. 391.
Le texte de Galiffe est fort peu correct et a contribué à induire
en erreur les traducteurs, déjà suffisamment embarrassés. A la
troisième ligne, notamment, Galiffe avait cru voir après
le mot ta un point, qui n'est en réalité que l'extrémité du
délié de Va. Il imprima : en tas. Lua que pey, etc. De là cette
menace assez bizarre : « Si vous nous irritez trop, personne ne
pourra empêcher qu'on ne vous mette en tas » (Fazy), qui de-
vient : « Si vous nous irritez trop, nous vous pulvériserons »
(Gaberel), « nous vous mettrons en poudre » (Roget). La tra-
duction la plus fantaisiste est celle de Henry : « Du und die
Deinigen, ihr werdet wenig gewinnen durch euer Treiben.
Wenn ihr euch nicht entfernt, so soU es Niemand hindern, dass
ihr nicht zu Boden geworfen werdet, » etc.
En 1875, dans ses Recherches sur le patois de Genève, p. 8,
M. Eugène Ritter a donné enfin une transcription exacte de
l'original conservé aux Archives ^ Récemment M. J. Pellaton
^ Il faut seulement corriger dyable, tant en dyahlo, tan. M. Ritter
a conservé la notation ta. Lua, tout en donnant la traduction correcte
du passage. Sur que pey pour qucpey, voir ci-dessous, Lexique
66 J. JEANJAQUET
a réimprimé avec quelques fautes d'impression le texte de
M. Ritter dans le Centralblatt des sc/nveizerischen Zofinger
Vereins, mai 1913, p. 671. Il n'a visiblement pas utilisé le fac-
similé publié en 191 2 dans la Bibliographie linguistique de la
Suisse ?-omande, t. I, p. 163, pour accompagner la notice con-
sacrée au placard Gruet (n° 732).
Ce placard n'est pas intéressant seulement comme témoin
des luttes religieuses de 1547, mais aussi comme document lin-
guistique. C'est le second en date de nos textes en patois ro-
mand et le plus ancien qui soit conservé en original. Il ne le
cède comme ancienneté qu'à un autre texte de Genève, la
Clumfon de la complatita et desolafion dé paitré, qui doit être
d'une quinzaine d'années antérieur, mais dont on ne possède
(]ue des copies du dix-septième siècle ^
Le peu d'étendue du texte de 1547 restreint dans des limites
étroites les renseignements qu'on en peut tirer sur l'état du
dialecte de Genève au seizième siècle. Les quelques notes lin-
guistiques qui suivent nous permettront cependant de consta-
ter pour les faits essentiels la concordance des patois genevois
actuels avec celui de Gruet.
l*honéti(|ue. — a tonique libre conservé: e?ifuma, blama^
garda, ta talem, etc. — Palat. |- a = i: queysi quie tiare.
a final maintenu : persona, oura, ruyna, 7'otra. — Après pa-
lat. = e: reve/ige, pregne.
e fermé libre tonique = é")'.' ai'ey^ gardt}\ epey spero. Dans
les patois modernes, la diphtongue s'est généralement réduite
à è ou à; elle subsiste cependant sporadiquement.
m e 1 i u s = miot^ forme encore courante.
Enfermé libre tonique = oîi: oura, prou, cetou. Cette notation
est assez surprenante en regard de «'«, «'', seuls connus des pa-
tois actuels. Les autres anciens textes genevois écrivent eu. La
Chanfon a déjà preu. En revanche, plusieurs anciens textes
savoyards, tels que la Far sa de Toannou àou Treu, le Discours
' Voir BihVio^raphie ]inguhlique de la Suisse roiuaude, t. I, n" 731.
!.E PLACARD DR J. GRUET 67
sur Ventreprinse de Genève, la Plaisante pronostiquation, ont
également ou. Il y a peut-être là une influence lyonnaise.
0 entravé reste: gro, Frihor.
locu = Itia, encore usité dans la région.
A noter la graphie de IV bref et ouvert par ot: viiot, not^
vot ; c'est sans doute aussi la brièveté qui est indiquée par le /
dans sut s e c u r u , nie^uit, m a g i s h o d i e .
Dans le domaine du consonantisme, Vf provenant d'un c
primitif, caractéristique de la région savoyarde, est attestée
dans pan far.
En revanche, la mouillure du groupe bl n'est pas indiquée :
hlaina. dyablo, pas plus que la prononciation interdentale (S)
qui a dû exister dans la terminaison de revenge.
nen pour en, dans ?ien pregne, est très répandu. Il n'y a pas
lieu d'écrire n'en.
Moi'plioloçjie. — La plupart des formes verbales n'ont pas
varié; ainsi les infin. enfuma, queysi; part, blâma, endura; impér.
garda, notta (2^ pi.) : fut. mouderi (2^ pi.) ; condit. gagneria
(2^ pi.) ; ind. prés, vollin (i"^^ pi.), vegnon (3^ pi.) ; vot fade (2^
pi.) est généralement remplacé aujourd'hui par vo fassi, mais
la grammaire de Duret (p. 59) cite encore les deux formes.
Les subj. y^x. pregne et gardey (36 s.) sont archaïcjues. Le der-
nier est un reste de l'ancien subjonctif à terminaison accen-
tuée, si répandu dans la Suisse romande. Il est encore fréquent
dans les anciens textes genevois, par exemple dans la Conspi-
ration de Compesières, où il a la terminaison -ay, -ai: lassay,
eer sai, str. log, garday, 114, interrozay, 143, etc. Les passés
définis saliete (2^ pl.),y?/ (3^ s.) sont des formes patoises peu
sûres. Duret indique vo sallita (p. 49) et è fasse on fè (p. 59).
Quin dyablo signifie littéralement « quel diable » ; ce pro-
nom quin est généralement remplacé aujourd'hui par qualis.
La différence de terminaison entre le possessif to « tes » et
le démonstratif cetou « ces » trouve son équivalent dans les
formes modernes ta et stœ" ou stà'.
68 J. JEANjAaUET
Lexique. — Enfuma « mettre en colère ». Le mot a été re-
levé de nos jours dans le Bas-Valais et les Alpes vaudoises ;
Bridel donne aussi einfouma « irrité, de mauvaise humeur. »
Epey « peut-être ». M. Ritter, suivant l'exemple de Galiffe,
divise quepey du manuscrit en que pey et traduit par « que
puis ». M. Fazy donne ta tua (sic), Quepey et escamote la tra-
duction. Il n'existe pas, à notre connaissance, de forme patoise
pey signifiant « puis ». Il faut lire qu'cpey et reconnaître le mot
dérivé de spero, encore fort répandu dans les patois vau-
dois, fribourgeois et valaisans. Voir Bridel, ^'^^Z; Odm, épài,
et, pour le valaisan èji, Romania, XXV, p. 437.
Mezuit « désormais » est l'ancien français maishui ; le
mot n'est plus usité et ne paraît pas indigène en patois.
J. jEANJAaUET.
-<• yk •>■
TABLE DES MATIÈRES
Pages
H. Urtel. Autour du rhume 3
G. Bertoni. Servâdzo 33
J. Cornu. Une langue qui s'en va 40
J. Jeanjaquet. Le placard patois de Jacques Gruet ... 54
IMPRIMERIES REUNIES S. A. LAUSANNE.
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire.
TREIZIEME ANNEE
1914
-«■
ZURICH
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hofackerstrasse 44
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA SUISSE ROMANDE
NOTICE HISTORIQUE
I. LES PRELIMINAIRES
Le noyau de la vaste entreprise du Glossaire est un petit
travail que M. Gauchat présenta, en 1888, à son maître à
l'Université de Berne, M. le professeur Morf. Celui-ci, per-
suadé que la vie du langage doit être étudiée dans les patois
vivants plutôt que dans de vieux textes, avait envoyé les
membres de son « séminaire des langues romanes » en
exploration dans différentes localités fribourgeoises du voisi-
nage. Le village de Dompierre échut à M. Gauchat, qui y
recueillit les éléments d'une phonétique du patois local.
Cette esquisse sommaire fut développée ensuite et aboutit
à une thèse de doctorat, présentée en 1890 à l'Université
de Zurich, où M. Morf avait été appelé. M. Gauchat n'en
publia que la première partie, l'étude des voyelles (Zeit-
schrift fïir romanische Philologii:, tome XIV). Les autres
chapitres, le consonantisme et la morphologie, restèrent
dans ses tiroirs. C'est que le jeune philologue, ayant pris
infiniment de goût à ce genre de travail, avait poursuivi et
' Cette notice et celle de M. Muret, qui suit, ont été rédigées en
vue de l'Exposition nationale suisse à Berne. Nous les reproduisons ici
dans la pensée qu'elles pourront aussi intéresser les lecteurs du Bulktin.
4 L. GAUCHAT
étendu ses recherches ; les matériaux s'étaient rapidement
accumulés, et la publication des observations faites à Dom-
pierre eût exigé une refonte complète. Elles furent donc
mises en réserve pour une autre occasion.
Le bel exemple donné par VIdiotikon des patois de la Suisse
allemande fit naître le désir de créer une œuvre analogue
pour les cantons romands. Leurs dialectes, en effet, ne le
cèdent en rien à ceux de la Suisse alémanique. Au contraire,
ils contiennent davantage de ces mystérieuses survivances
des langues de peuples qui ont habité nos Alpes dans les
temps préhistoriques. A l'aide de ces débris, dont les uns ont
été identifiés avec des mots celtiques et dont les autres ne
sont pas encore attribuables à un groupe linguistique déter-
miné, il sera plus tard possible d'élucider maint point de
notre préhistoire.
Même sans ces témoins du parler de nos ancêtres les
plus éloignés, nos patois offrent un intérêt scientifique de
premier ordre. Ceux de la Suisse allemande peuvent être
fiicilement ramenés à une seule et même souche, tandis
que la Suisse romande présente, sous ce rapport, des varia-
tions de type tout à fait remarquables. L'ancienne langue
d'un Jurassien et celle d'un Valaisan sont des parlers abso-
lument différents. Dans le même canton, d'une vallée à
l'autre, par exemple du Val d'Illiez au Val d'Anniviers, le
contraste peut être si grand que les habitants ont de la
peine à se comprendre. Il serait bien difficile de retrouver
ailleurs, sur un territoire si restreint, pareille floraison de
sons, de formes, de mots.
A l'intérêt non seulement philologique, mais historique
dans le meilleur sens du mot, vient se joindre l'intérêt pa-
triotique. On peut dire qu'à l'exclusion du Jura bernois, qui
se rattache au groupe des patois franc-comtois, la Suisse
GLOSSAIRE DES PATOIS
romande a eu une fois une langue à elle, telle qu'elle n'existe
nulle part ailleurs. Cette langue, qui était vraiment de chez
nous, la Suisse est en train de la perdre. Le français de
Paris a envahi nos vallons et la supplante partout. Nous
n'aurons garde de nous répandre à ce sujet en plaintes vaines,
car c'est là une nécessité économique imposée par les cir-
constances, et il serait puéril de nier les avantages de cette
transformation. Mais la Suisse, qui tait tant de sacrifices
pour la conservation d'espèces végétales ou animales me-
nacées de disparition, ne ferait-elle rien pour sauver d'un
oubli total l'instrument si original de la pensée de nos
pères, la langue qui pendant des siècles a servi à exprimer
leurs joies et leurs soutîrances ?
Telles sont les considérations qui ont fait agir M. Gauchat.
Encouragé par M. Morf, il résolut de travailler à mettre en
sûreté des matériaux si précieux. Mais il ne se dissimulait pas
les difficultés d'une pareille entreprise, qui exigeait surtout de
fortes ressources financières. Avant d'assumer une tâche
peut-être trop lourde, il voulut connaître l'avis et les impres-
sions des initiateurs de ïldiolikoii et se rendit chez MM. F.
Staub et L. Tobler. Il en reçut les plus sérieux encourage-
ments. M. Staub lui dit : « Si je pouvais venir encore une
fois au monde, je referais un Idiotihoii. » En vue d'obtenir
un appui financier, M. Gauchat s'adressa aux conseillers
fédéraux Schenk et Welti. Ce dernier surtout s'intéressa
vivement au projet et répéta à plusieurs reprises : « Il
faut que cela se fasse. » Numa Droz, également consulté,
donna même des conseils pratiques sur le mode d'enquête.
Comme YIdiotikon est patronné par la Société des antiquaires
de Zurich, M. Gauchat crut devoir d'abord se mettre en
quête d'une société savante qui présiderait aux destmées
du futur Glossaire. Mais ses démarches n'aboutirent pas et
6 L. GAUCHAT
en lui faisant perdre un temps utile, risquèrent de le dé-
courager. Enfin, M. John Clerc, chef du Département de
l'Instruction publique du canton de Neuchâtel, à qui
M. Gauchat, comme Neuchâtelois, avait exposé ses in-
succès, prononça le mot qui ne sera pas oublié : « Je
veux bien vous épauler. » Il convoqua ses collègues des
cantons romands à Genève, en 1897, ^^ l'année suivante,
dans une séance qui eut lieu à Neuchâtel, il fut décidé de
demander une subvention à la Confédération et d'accorder
des subsides cantonaux pour l'œuvre à créer. Le Conseil
fédéral ayant répondu favorablement, l'entreprise devint
officielle en 1899. M. Gauchat fut chargé de la direction.
Avant de se mettre à l'œuvre, il s'était assuré le concours
de deux jeunes philologues, sortis de la même école que
lui, qui venaient de débuter par des travaux montrant leur
compétence en matière dialectologique, MM. J. Jeanjaquet
et E. Tappolet. Dès le commencement, ces trois Suisses
ont partagé toutes les peines et toutes les joies de l'œuvre,
à laquelle ils consacrent avec amour leur temps et leurs
efforts.
Un plan-programme du Glossaire et un spécimen de
l'article vache avaient été soumis à l'appréciation de roma-
nistes distingués, entre autres du regretté Gaston Paris et
de M. J. Gilliéron, qui enseignait déjà brillamment la dia-
lectologie à l'Ecole des Hautes Etudes de Paris. Par leurs
excellentes directions, ces savants devinrent les parrains
intellectuels du Glossaire.
GLOSSAIRE DES PATOIS
II. L'ORGANISATION
Trois groupes de personnes assumèrent la responsabilité
<ie la bonne marche de l'entreprise : le Comité de rédaction,
•composé des philologues susmentionnés, qui forment, avec
un copiste ou secrétaire, occupé exclusivement à notre
oeuvre, le Bureau du Glossaire ; une Commission philologique
de six membres, qui discute surtout les questions techniques,
et une Coininission administrative, de six membres également,
dont la tâche principale est de régler les questions finan-
cières.
Les rédacteurs sont malheureusement domiciliés dans des
lieux différents, — ils enseignent actuellement la philologie
romane aux Universités de Zurich, de Neuchâtel et de Bâle,
— mais ils se voient souvent, afin de rester en contact
continuel. Le Bureau, où sont déposés les matériaux du
Glossaire, est installé dans la ville où demeure le rédacteur
€n chef, M. Gauchat. Il a été jusqu'en 1902 à Zurich, de
1902 à 1907 à Berne, puis de nouveau à Zurich. Comme
secrétaires, nous avons eu successivement M. L. Gignoux,
M"^^ H. Boucherie, MM. O. Chambaz et P. Bovet, M"" E.
Décrevel et L. Rivenc. Tous, ils nous ont rendu, dans la
mesure de leurs forces, d'éminents services, que nous nous
plaisons à rappeler ici.
Les deux Commissions se réunissent une fois par an. La
Commission administrative est formée des Chefs des
Départements de l'Instruction publique des six cantons
romands. Neuchâtel a3'ant été désigné comme canton-direc-
teur, son représentant, M. le conseiller d'Etat Ed. Quartier-
la-Tente, la préside depuis 1899 avec une sympathie pour
notre œuvre qui ne s''est jamais démentie. Le premier se-
L. GAUCHAT
crétaire du Département de Neuchâtel fonctionne comme
caissier de l'entreprise. M. Gaucliat est délégué aux réunions
et y rapporte sur la marche des travaux et sur les décisions
de la Commission philologique.
Celle-ci, qui est nommée par la Commission administra-
tive, doit se composer de personnes compétentes en ma-
tière de dialectologie et se recrute surtout parmi les profes-
seurs de philologie romane des Universités de la Suisse
romande. Quatre cantons ont encore aujourd'hui les repré-
sentants désignés dès le début : MM. Bonnard (Vaud), en
même temps président de la Commission, E. Muret (Ge-
nève), vice-président, A. Piaget (Neuchâtel), H. Morf (Va-
lais). Le représentant de Fribourg a changé plusieurs fois :
à M. P. Marchot ont succédé MM. A. Huonder (décédé),
K. von Ettmayer et l'abbé H. Savoy. M. Ch. Gigandet,
ancien vice-chancelier de la Confédération, a représenté le
Jura bernois de 1899 ^ sa mort, survenue récemment; il
a été remplacé par M. Virgile Rossel. Les réunions de la
Commission philologique ont lieu alternativement dans l'un
ou l'autre des cantons romands.
Chaque année, la Rédaction rend compte de son activité
dans un rapport, qui est imprimé. Le caissier fournit égale-
ment au Département fédéral de l'Intérieur un relevé
complet des comptes annuels et en soumet un résumé aux
Commissions.
Qu'il nous soit permis de dire que cette organisation a
fonctionné jusqu'ici à la complète satisfaction des intéressés.
Les séances périodiques impriment une allure régulière à
la marche de l'entreprise. La Rédaction est heureuse de
n'être pas seule à supporter la responsabilité d'une œuvre
aussi considérable. Elle a largement profité des délibérations
des deux Commissions de surveillance et leur sait gré de
GLOSSAIRE DES PATOIS 9
leur collaboration efficace. Quant aux autorités fédérales et
cantonales, nous leur sommes reconnaissants de leur concours
financier, qui n'est pas seulement nécessaire pour mener à
bien une entreprise si ardue et si longue, mais qui constitue
pour la Rédaction un encouragement toujours renouvelé et
une preuve d'estime de ses travaux.
m. LES TRAVAUX
J. L'ENQUÊTE
Les sources sur lesquelles doit porter l'enquête destinée
à fournir les matériaux du Glossaire sont au nombre de six.
I. Littérature patoise
Tout le monde sait que notre littérature patoise est
pauvre. Le Valais, qui possède le dialecte le plus original,
n'en a pour ainsi dire point. Quelques pamphlets politiques
à Genève, des chansons populaires à Fribourg et à Berne,
partout des anecdotes d'almanachs et des historiettes pour
rire, enfin, deux ou trois poètes, voilà à peu près tout notre
bagage littéraire. Et cependant il ne faut pas dédaigner cette
source des textes écrits. Si on voulait réunir en un volume
toutes les histoires amusantes que l'aimable Conteur vandois
publie tous les samedis depuis un demi- siècle, cela ferait
bien 2000 pages. Dès le début de l'entreprise, nous nous
sommes mis à dépouiller soigneusement cts textes, et ce
travail n'est pas encore achevé. La rédaction a dressé dans
le tome \" de la Bibliographie (voir Publications) un inven-
taire complet de tous les écrits en patois parvenus à sa
connaissance, de sorte qu'il est facile de savoir ce qui est
10 L. GAUCHAT
fait et ce qui reste à taire dans ce domaine. Le principal
avantage des textes suivis est de nous fournir en quantité
des locutions, des tournures caractéristiques, des nuances
d'expression, qu'il est bien difficile d'obtenir dans un inter-
rogatoire direct, mais que le contexte fait surgir naturelle-
ment. Or, une langue n'est pas seulement intéressante par
ses mots et ses formes, mais aussi par ses tours de phrases
et ses idiotismes. C'est par eux que le discours s'anime et
se colore. Nous faisons notre possible pour ne pas négliger
ce côté original et parfois poétique des dialectes.
2. Documents d'archives
Une autre source écrite qu'il est nécessaire de mettre à
contribution, ce sont nos documents d'archives. Quoique
le latin et le français aient toujours été les seules langues
employées dans les actes, nombre d'entre eux, comme les
comptes, testaments, inventaires, dépositions de témoins,
etc., sont souvent émaillés de mots patois, plus ou moins
francisés ou latinisés. Comme notre littérature patoise ne
remonte guère au delà du XVIIP siècle, ces mots épars peu-
vent être regardés comme la prolongation de notre tradition
écrite jusqu'au XIIP siècle à peu près. Nous découvrons
dans ces vieux papiers ou parchemins, non seulement les
anciennes formes, utiles à connaître pour l'étymologie et
l'histoire de la langue, de vocables encore existants dans le
parler vivant, mais une foule de termes tombés en désué-
tude pour une raison ou pour une autre. Malheureusement
les rédacteurs ne peuvent pas, à côté de leurs autres beso-
gnes, trouver le temps nécessaire à l'exploration systéma-
tique des archives et il a été très difficile de rencontrer des
collaborateurs s'intéressant à ces recherches, qui relèvent
GLOSSAIRE DES PATOIS II
de l'histoire aussi bien que de la linguistique. Une circu-
laire adressée aux historiens est restée sans résultat. Cepen-
dant nous ne manquons pas de matériaux de cette espèce.
Grâce au concours de MM. A. Millioud, à Lausanne,
J. Reymondeulaz, à Chamoson, W. Wavre et M"^ L. Mo-
rel, à Neuchâtel, A. Gros, à Neuveville, F. Fridelance, à
Porrentruy, R. Hoppeler à Zurich, nous possédons environ
40 000 fiches extraites de documents d'archives. Lorsqu'il
était encore sous-archiviste à Neuchâtel, M. Jeanjaquet a
dépouillé lui-même pas mal d'anciens textes, et le travail a
été poursuivi plus tard par M"^ Morel, de sorte que le gros
de la besogne peut être considéré comme achevé pour ce
canton. Pour Vaud, nous disposons de la très riche collec-
tion que M. Millioud a réunie pendant de longues années.
D'après nos directions, M"'' Morel a fait à Genève des recher-
ches méthodiques qui ont notablement enrichi nos collec-
tions. Pour Fribourg, il existe un vaste recueil fait par feu
l'archiviste J. Schneuwly, que nous pourrons un jour mettre
sur fiches. Evidemment le Glossaire sera avant tout le
monument de la langue du XYK.'' siècle, mais il serait regret-
table qu'on n'y incorporât pas en même temps, dans la
mesure du possible, celle des siècles antérieurs, qui fournit
tant d'enseignements précieux et donnera â l'œuvre une
assise plus solide.
3. Recueils lexicographiques
La Rédaction a recherché partout et collectionné avec
soin les vocabulaires manuscrits déjà existants. Elle en a
découvert un bon nombre, et ce ne sera pas un des moin-
dres mérites du Glossaire que d'avoir sauvé de l'oubli et
mis en valeur les compilations patientes des moines,
12 L. GAUCHAT
pasteurs, poètes ou autres amateurs de patois de jadis, aux-
quels la méthode fait généralement défaut, mais qui ont
eu l'avantage de vivre à une époque où nos dialectes
étaient encore très vivaces et moins contaminés de français
qu'aujourd'hui. Quelques-unes de ces anciennes collections,
dont la trace a été relevée, n'ont pas pu être retrouvées.
Mais le nombre de celles qui restent et qui ont été mises à
notre disposition est déjà respectable. Il y en a pour tous
les cantons. Voici les plus importantes :
\/aucl. Vocabulaire de Louis Dumur, qui a été pasteur
à Savigny, deux volumes d'un contenu très riche, avec
d'excellentes définitions ; Vocabulaire de Rossinière, par le
doyen Henchoz, soucieux de la phonétique locale.
Valais. Manuscrit du Grand-Saint-Bernard, par le cha-
noine Barman: patois de Martigny, mais augmenté de nom-
breux termes d'autres parties du canton.
Genèue. Glossaire de Victor Duret, auteur d'une Grain-
maire savoyarde.
Fribourg. Glossaire gruyérien du poète Louis Borket,
admirable de précision.
NeuchâteL Glossaire du Val-de-Ruz, par Georges
QuiNCFiE, qui maniait si bien le patois de Valangin.
Berne. Vocabulaire patois-français et français-patois du
dialecte ajoulot, par F. Guélat, du commencement du
XIX= siècle.
Deux manuscrits ont été publiés : celui du doyen Bridel,
par les soins de L. Favrat, en 1866; et, en 19 10, le Glossaire
de Blonay de M""^ L. Odin, revu et muni d'une préface par
M. E. Muret. Le Glossaire a encouragé par une subvention
cette dernière publication. A côté de ces grands recueils, il
y en a une quantité d'autres, de moindre importance,
d'étendue et de valeur très diverses. On en trouvera la
GLOSSAIRE DKS PATOIS 13
liste dans nos Rapports et dans le tome II de la Bibliogra-
phie. Plusieurs philologues qui s'étaient occupés avant nous
des patois romands se sont fait un devoir de nous aban-
donner leurs trésors ; citons entre autres MM. J. Cornu,
J. Gilliéron, G. Pfeift'er, A. Horning, qui ont mis à notre
disposition leurs riches collections provenant de la Gruyère,
de Vissoye, Lens et Panex. A l'heure qu'il est, nous pouvons
nous flatter de posséder à peu près tout ce qui peut exister
dans ce domaine.
4. Enquête par questionnaires
Ce qui distingue notre entreprise d'autres poursuivant un
but analogue, c'est l'organisation, sur une grande échelle,
d'une enquête svstématique sur le patois encore parlé au-
jourd'hui. En 1899, les trois rédacteurs ont parcouru tout
le pays à la recherche de correspondants. Nous avions re-
cueilli les adhésions d'environ 200 patoisants, choisis sur-
tout parmi les instituteurs, pasteurs, curés et autres notables,
mais aussi parmi de simples agriculteurs. Quelques dames
étaient du nombre. Malheureusement, ce beau zèle n'avait
pas de racines bien profondes, et à l'arrivée des premiers
questionnaires, les défections furent nombreuses. Pendant
toute la durée de l'enquête, nous avons eu à nous préoccu-
per de combler les vides laissés par des démissionnaires et
de remplacer des défunts. Mais une bonne trentaine de col-
laborateurs de la première heure nous sont restés fidèles
jusqu'au bout, et plusieurs de ceux qui ont été enrôlés tar-
divement ont tenu à reprendre toute la série des question-
naires, de sorte que nous avons toujours travaillé avec envi-
ron 80 correspondants. Cette besogne régulière était de-
venue pour quelques-uns un vrai besoin, un délassement, et
14 L. GAUCHAT
nous avons reçu des témoignages touchants d'attachement
à notre œuvre. Nous ne mentionnerons que le cas de ce
brave vieillard de Vaulion, qui, « couché sur son dos, <>
passait ses dernières heures à remplir, d'une main trem-
blante, les fiches du Glossaire. Plusieurs correspondants ont
été vivement intéressés par leur besogne et de vrais talents
philologiques se sont révélés. Certains d'entre eux se sont
mis à travailler en dehors de l'enquête et nous ont fourni
des matériaux de très grande valeur. Citons particulièrement
MM. F. Fridelance (Porrentruy), L. Ruffieux (Gruyères),
Fr. Isabel (Ormont-dessus), A. Piguet (Le Chenit), A. Ne-
veu (Leysin), M. Gabbud (Lourtier), Pour le grand nombre,
les résultats sont naturellement très inégaux ; la plupart ont
fait de leur mieux ; beaucoup ont des mérites spéciaux :
l'un favorise les dérivés, l'autre les locutions, un autre en-
core a le flair des mots rares, etc.
Voici comment nous avons procédé pour l'application de
notre système. Au début de chaque mois les correspon-
dants recevaient par la poste une enveloppe renfermant
deux questionnaires imprimés, un carnet à souche avec
cent fiches détachables, pour inscrire les réponses, et une
enveloppe pour le renvoi. Le carnet rempH devait nous être
réexpédié jusqu'à la fin du mois. Les retardataires étaient
avertis par l'arrivée des questionnaires suivants, qui se sui-
vaient avec une ponctualité qui faisait dire à quelques-uns :
« régulier comme le Glossaire. » Néanmoins, un certain
nombre de correspondants ont laissé les carnets s'entasser
et ont fini par se décourager. D'autres, au contraire, nous
demandaient des fiches supplémentaires ou un second car-
net pour satisfaire leur désir d'être complets. Pendant les
mois de juin à août, saison des grands travaux de la cam-
pagne, afin de décharger nos collaborateurs, nous ne leur
GLOSSAIRE DKS PATOIS 15
envoyions qu'un seul questionnaire. Nos fiches ont une
grandeur de ii cm. sur 8 ^2. Un papier de couleur diffé-
rente est employé pour chaque canton, de sorte qu'au
moment de la rédaction la nuance indiquera clairement la
provenance. Le Bureau a en outre muni chaque fiche d'une
estampille indiquant le lieu d'origine. Ce système nous a
été suggéré par les rédacteurs de Vliiiotikon, qui se plai-
gnaient d'avoir cà recopier leurs sources et de s'user la vue à
lire des écritures trop fines. Comme nos correspondants ne
devaient écrire qu'un mot par fiche, leur écriture est ordinai-
rement grande et bien lisible.
L'enquête ainsi organisée a duré onze ans, un an de plus
qu'il n'était prévu. Elle a été menée parallèlement dans les
six cantons romands. Nous avons expédié 227 question-
naires, dont le dernier, d'un autre format, se rapporte aux
flexions verbales. Afin d'être sûrs de ne rien oublier, nous
avions préalablement divisé toutes les notions qui consti-
tuent le monde matériel et moral en groupes homogènes :
le corps humain, les maladies, le caractère, l'agriculture,
etc., qui se subdivisent suivant les besoins en sous-groupes.
Ce sont ces derniers qui faisaient généralement l'objet
d'un questionnaire. Nous avons donc demandé successive-
ment ce qui a trait aux différents animaux domestiques, à
la fabrication du beurre, du fromage, etc. L'élaboration de
ces questionnaires nous a coûté beaucoup de peine, et, si la
chose était à refaire, nous aurions plusieurs points à réfor-
mer. Il existe bien comme guides des dictionnaires idéolo-
giques, mais ils sont souvent mal conçus et ne s'adaptent pas
aux conditions très spéciales de la Suisse romande, avec ses
mœurs et ses industries locales, son genre de vie infiniment
différencié. Nous avons donc dû tirer de notre expérience et
de nos connaissances la matière de nos questionnaires. La
l6 L. GAUCHAT
tâche en a été facilitée pour ceux qui sont venus 'es nous,
et nous avons déjà dû envoyer pour des entrepiise'^ Analogues
à la nôtre la série de nos questionnaires en Itali en Espa-
gne, en Autriche, en Allemagne et jusqu'au Cann . M. Gau-
chat a eu une douce émotion en retrouvant à B elone les
débuts d'une entreprise sur les dialectes catalar reprodui-
sant la nôtre dans ses traits fondamentaux. Nos collègues
du Vocabolario délia Syl^era italiana et du Glossaire réio-
roman des Grisons ont également adopté le système d'en-
quête par matières et par correspondants ; mai? ils diffèrent
de nous dans certains détails d'application.
Les questionnai! es offrent sûrement des av '""tages indé-
niables sur d'autres procédés : ils permettent ( faire, en un
laps de temps calculable, le tour du vocahnl e ; par leur
concentration, ils forcent à explorer à fond chaque domaine ;
ils communiquent la vision des choses, et les mots s'appel-
lent les uns les autres. Nous avons pu constater qu'à l'aide
de questionnaires un patoisant intelligent, bien guidé et
bien stylé, auquel on laisse le temps ce réfléchir, est à
même de fournir quelque chose de très remarquable, sou-
vent de bien supérieur à ce que peut produire l'interroga-
tion directe par un philologue, si expérimenté soit-il. Le
meilleur sujet ne saurait trouver à brû'e-pourpoint ses lo-
cutions rares et ses proverbes ; il y a des domaines entiers,
comme celui des facultés intellectuelles, de la santé, etr ,
qui ne donnent que de mauvais résultats par l'enquête or e.
Celle-ci exige un effort considérable pour atteindre un;'
d'information souvent médiocre.
Notre enquête par questionnaires adressés à plusieurs
personnes de la même région, a aussi mis en lumière le
fait que le vocabulaire des patois vivrnts est -nfiniment
plus riche qu'on ne le croyait jusqu'à ],iésent. Toutes nos
GLOSSAIRE DES PATOIS 17
prévisiû à cet égard ont été dépassées. Ainsi on savait
sans do e qu'il existe une grande variété d'expressions
pour dé ^ner les états de la folie ou de l'ivresse. Mais
n'est-on is étonné d'en trouver jusqu'à 120 pour la folie
et 150 }. dv l'ivresse? Et qui aurait cru que dans le petit
domaine t la Suisse romande on trouverait de 25 à 30
équivalents patois pour chacune des idées verbales de
<( ruisseler », « mouiller «, « barboter », « gicler », « accou-
cher », « .'orloter », etc. Bien entendu, il s'agit dans ces
chiffres de adicaux différents, il n'est pas même tenu compte
des dérivés
Un poil Taible de l'enquête par questionnaires, c'est as-
surément i.e la transcription des correspondants laisse
souvent fc iésirer. Au début, nous avions donné des
instructions précises pour obtenir une graphie uniforme,
mais nous n'avons pas trop insisté dans la suite auprès de
ceux qui ne s'y sont pas conformés exactement. Il est bon
d'ajouter que les relevés phonétiques que nous avons faits
nous-mêmes dans plus de 300 localités romandes nous
mettent en mesure d'interpréter sans grandes chances d'er-
reur les graphies les moins rationnelles.
Les réponses de nos correspondants constituent environ
les deux tiers de no;. matériaux. Ce sera donc la base essen-
tielle du Glossaire, et nous aurons réalisé notre idéal de
l'aire écrire ce livre par le peuple romand lui-même. Ce que
is avons pu offrir à nos vaillants et infatigables coUabo-
. jrs, en compensation de leur grande peine, est bien peu
de ^..ose : de petites gratifications annuelles, un diplôme
d'hc-.eur, la série de nos Rapports et Bulletins, — et l'assu-
rance de notre profonde gratitude. Cela a suffi. Mais il est
juste de ^.roclame? encore une fois tout ce qu'ils ont fait, par
leurs patientes recherches, pour le succès de notre entreprise.
^^•^ : DES PATOIS 2
l8 L. GAUCHAT
A côté de l'enquête générale, nous avons trouvé bon de
faire explorer certains domaines difficiles par des spécia-
listes. C'est le cas pour la médecine populaire, pour laquelle
nous avons mis à contribution des médecins, des pharma-
ciens et des sages-femmes, et notamment pour la botanique
patoise, où des connaisseurs, MM. H. Savoy ( Fribourg),
M. Besse (Valais), F. Fridelance (Berne) nous ont prêté
l'appui de leur compétence et de leur zèle. Enfin, après
avoir exploré en groupes tout le vocabulaire, nous avons
comparé notre répertoire des mots demandés par question-
naires à un dictionnaire français pour constater s'il y avait
des lacunes. Il s'en est trouvé quelques-unes, mais en géné-
ral les questions supplémentaires sur des mots divers que
nous avons adressées à nos correspondants concernaient
plutôt des termes savants et rares.
5. Enquêtes sur place
Dans les contrées où toute tentative de trouver un cor-
respondant a échoué, — et elles sont assez nombreuses, —
les rédacteurs ont, autant que possible, fait eux-mêmes des
séjours prolongés. Attablés avec de vieilles personnes, der-
niers dépositaires d'une langue oubliée, ils ont enquêté en
prenant pour base le glossaire d'une région voisine, ou les
questionnaires, ou en s'abandonnant parfois aux hasards de
la conversation, en se faisant montrer des objets dès long-
temps remisés au grenier, en demandant les termes des mé-
tiers, en étudiant sur place les différentes opérations de la
vie agricole. Quels délicieux entretiens leur ont souvent
procurés ces investigations dans le passé et quel charme ils
ont éprouvé dans ces évocations du bon vieux temps ! Du
même coup, en vivant au milieu de la population romande.
GLOSSAIRE DES PATOIS I9
ils se sont préparés à leur grande tâche de décrire la vie lo-
cale d'autrefois.
Plusieurs collaborateurs occasionnels nous ont courageu-
sement aidés dans cette besogne : MM. A. Rossât, à Deve-
lier (Berne), J.-U. Hubschmied, au Val-de-Travers, E. Fro-
maigeat, à Sugiez (Fribourg), R. Chassot, à Villarsiviriaux
(Fribourg), L. Courthion, à Bagnes (Valais ), M. Gabbud, à
Vouvry (Valais).
6. Provincialismes romands
La dernière source à utiliser pour l'élaboration du Glos-
saire est constituée par les provincialismes de la Suisse ro-
mande. Elle fait pendant aux mots d'archives. Ceux-ci re-
présentent les premières apparitions écrites du patois, en-
core isolées, timides, souvent déguisées sous une forme de-
mi-latine ou demi-française. Ceux-là en sont les derniers
vestiges, honteux, mis à l'index, mais aussi recherchés par
des hommes de lettres, les Mulhauser, Ceresole, Vallotton,
Morax, en vue de donner à leurs écrits plus de saveur, un
bon accent du terroir. Ce sont ces expressions pittoresques
telles que rebedoiiler, greboler, épécler, et mille autres que les
Romands laissent échapper à leur insu, parce qu'ils n'en con-
naissent pas les équivalents français, ou qu'ils emploient à
dessein, parce que cet équivalent manque ou est moins
énergique. Ces mots ont suscité de vives discussions entre
puristes et nationalistes. Notre tâche n'est pas de les com-
battre, mais de les recueillir soigneusement de la bouche
du peuple, dans les dictionnaires de provincialismes et de
« locutions vicieuses » et dans notre littérature. Ils sont un
signe de l'ancienne vitalité de certains mots patois, de leur
force expressive; ils sont quelquefois les seuls témoins
d'anciens termes tombés en désuétude.
20 L. GAUCHAT
Dans ce domaine aussi, nous avons rencontré de pré-
cieux auxiliaires. MM. W. Pierrehumbert, qui recueille de-
puis longtemps avec patience les termes du cru, A. François,
auteur d'une excellente étude sur les provincialismes de
J.-J, Rousseau, et G. Wissler, qui a écrit une intéres-
sante thèse de doctorat sur le français populaire en Suisse
ont bien voulu nous permettre de prendre copie de leurs
collections.
B. LE CLASSEMENT
Bien qu'il nous reste encore un grand nombre d'im-
primés et de manuscrits à dépouiller et que nous ayons
quelques glossaires régionaux à terminer, on peut cepen-
dant considérer la période de l'enquête comme terminée.
Qu'a-t-elle produit? Rien ne nous a-t-il échappé? Il est
impossible de compter nos fiches autrement qu'en gros.
Nous savons ce que nos boîtes peuvent renfermer et nous
en connaissons le nombre. En calculant ainsi, on arrive à
un total approximatif d'un million et demi de fiches. 11 peut
V en avoir moins, mais aussi davantage. Malgré ce chitfre
presque effrayant, nous ne nous flattons pas d'avoir tout
recueilli. Il reste forcément des coins inexplorés. Ainsi,
dans le canton de Fribourg, où nous avons eu la plus
grande peine à découvrir des correspondants, nous sommes
fort bien renseignés sur la Gruyère, mais nous le sommes
moins sur les autres parties du canton. M. Gauchat, qui
s'en occupe spécialement, a fait lui-même à Estavayer tout
un glossaire local, afin de combler un peu cette lacune. Il
en aurait fait d'autres encore, s'il était possible de se dé-
doubler. Pour ne pas retarder indéfiniment la publication, il
était nécessaire de fixer un terme à la période d'enquête.
GLOSSAIRE DES PATOIS 2 1
Du reste, grâce au système employé, nous avons tout lieu
de croire que rien de bien important ne nous a échappé.
Quand M. Muret s'enquiert auprès de nous du sens pro-
bable des noms de lieu qu'il explique, le Glossaire peut
presque toujours lui fournir d'abondants renseignements.
M. le Conseiller aux Etats Python demanda un jour en plai-
santant si nous avions déniché le mot tapagolye, qui désigne
un individu à la démarche très lourde : il était attesté trois
fois dans nos fiches. Dernièrement, lorsque le Couleur Van-
dois a soulevé le petit problème de la signification exacte du
terme culinaire tsergotsè, le Glossaire ne s'est pas trouvé
pris au dépourvu.
Il s'agit maintenant de coordonner ces innombrables
fiches. Il n'est pas possible de publier la moindre partie du
Glossaire sous une forme définitive avant d'avoir classé le
tout. Les spécimens d'articles que nous avons donnés à titre
provisoire sont tous à remanier. A vouloir trop se presser^
on s'exposerait à retrouver après coup quantité de fiches
utiles, pour lesquelles il fiiudrait foire des additions. Nous
voulons éviter autant que possible ces suppléments fasti-
dieux pour les chercheurs. Une fois que chaque mot sera
bien à sa place, que tous les renvois seront faits, que nous
aurons toutes les listes de synonymes, alors nous pourrons
aller carrément de l'avant.
La période que nous traversons est la plus ingrate. Les
matériaux sont recueillis et les non initiés s'étonnent de ne
rien voir paraître. Le travail qui s'accomplit est énorme,
mais il se fait dans le silence du Bureau, sans que rien
trahisse au dehors les longues et délicates manipulations du
classement. Nous avouons franchement que nous n'avions
pas évalué à sa juste mesure cette opération difficile. Mais
aussi n'avions-nous pas prévu une masse pareille de maté-
L. GAUCHAT
riaux. Nous ne nous attarderons pas à décrire en détail les
multiples opérations du classement, qui n'ont cependant pas
été pour nous un moindre casse-tête que l'organisation de
l'enquête. Nos Rapports en font foi. Nous ne dirons ici que
l'essentiel.
Les mots d'archives (source n° 2) sont réunis par ordre
alphabétique et forment un groupe à part. Ils constituent
pour ainsi dire un langage spécial, trop différent du patois
actuel pour y être incorporé pendant le classement.
Les extraits de textes et les glossaires régionaux (sour-
ces I, 3, 5) ont été d'abord combinés en blocs alphabétiques
cantonaux. Ce travail terminé, on a ensuite fusionné les
trois cantons dont les patois sont le plus rapprochés : Vaud,
Fribourg et Neuchâtel, qui forment actuellement une seule
série. Depuis quelque temps, M. Gauchat est occupé à y
faire entrer les trois autres cantons et le français populaire
(source 6). Comme il profite de cette occasion pour pren-
dre une foule de notes philologiques de toute espèce, notes
qui faciliteront beaucoup la rédaction, ce travail avance très
lentement, d'autant plus que M. Gauchat en est souvent dé-
tourné par les publications en cours.
La source n° 4, c'est-à-dire les réponses des correspon-
dants, a déjà subi une première transformation. On a déta-
ché les fiches des carnets à souche et réuni les mots iden-
tiques dans des enveloppes de classement. Le classement
primitif par cantons n'existe donc plus, mais les groupe-
ments d'idées subsistent.
De cette façon, nos matériaux ne représenteront bientôt
plus que deux grandes séries : d'une part, les sources i, 3,
5 et 6 ; de l'autre, la source 4. La réunion finale du tout en
une seule série alphabétique n'est pas encore commencée,
mais elle ne tardera pas à l'être.
GLOSSAIRE DKS PATOIS 23
Il serait non seulement regrettable, mais impardonnable
de laisser perdre sans en tirer parti l'avantage du groupe-
ment des fiches de nos correspondants par ordre d'idées.
Veut-on savoir comment on dit chez nous pour « arc-en-
ciel «, « voie lactée », « éclair », « tonnerre », « borgne »,
« aveugle », « loucher », etc., on n'a qu'à prendre les
boîtes qui correspondent à nos questionnaires asironomie
populaire, h levips, la vue, et l'on est vite renseigné sur les
moindres détails. Nos étudiants qui ont fait des thèses sur
ces matières n'ont pas eu besoin de parcourir tous nos ma-
tériaux. La partie la plus longue de leur travail, la recherche
des termes, était déjà faite. Nous-mêmes, nous avons large-
ment mis à profit cet arrangement, qui constitue l'origi-
nalité de notre entreprise, et nous avons été en mesure de
répondre sans trop de perte de temps aux multiples
demandes de renseignements qui nous arrivent de tous les
pays. A supposer qu'un savant veuille connaître les appel-
lations romandes de la bardane, nous cherchons sous ce
mot et nous trouvons, bien réunis, tous les noms de cette
plante qui ont été relevés par nos collaborateurs.
Ce n'est pas sans regret que nous verrons se disperser
par le classement alphabétique ces belles collections de mots,
où tout se tient, où un terme explique souvent l'autre.
Aussi avons-nous imaginé un moyen de conserver la subs-
tance de cet arrangement, destiné à disparaître. Avant de
répartir les fiches à leur place alphabétique, nous notons
dans de grands cahiers, que nous appelons « résumés »,
tous les mots et périphrases que nos correspondants nous
ont fournis comme équivalents patois de telle ou telle idée
indiquée dans nos questionnaires. Ces « résumés » consti-
tueront donc un vaste répertoire de la synonymie patoise,
tel qu'il n'a jamais été dressé, que nous sachions, pour
24 L. GAUCHAT
aucun groupe de dialectes. L'élaboration de ces résumés est
la tâche principale de M. Tappolet, qui les exécute avec le
concours de plusieurs étudiants de Bâle et de Zurich. A
l'aide de ces cahiers, çà et là illustrés de croquis, il sera
facile de reconstruire les cadres naturels de l''enquête par
questionnaires, que nous fait briser la dure nécessité du
classement alphabétique des fiches. Inutile de dire ici toute
l'importance scientifique d'un pareil répertoire pour étudier
les inombrables problèmes soulevés par l'action phoné-
tique, morphologique ou sémantique que peut exercer un
mot sur un autre.
C. PUBLICATIONS
Nos Questionnaires et nos Rapports, déjà mentionnés,
s'adressent en première ligne à nos correspondants et à
nos autorités de surveillance. Nous avons cherché à attein-
dre un public plus étendu par le Bulletin du Glossaire, qui
s'imprime depuis 1902, à raison d'au moins quatre feuilles
par an, et qui en est donc aujourd'hui à sa treizième année.
Malgré son nombre de pages restreint, ce modeste pério-
dique a rendu des services. D'abord à nous-mêmes : il nous
a fourni l'occasion de faire des essais de transcription, d'édi-
tion de textes, de recherches étymologiques, d'illustration
et de rédaction d'articles du Glossaire. Il a ensuite contribué
à entretenir l'intérêt pour le patois chez nos abonnés et à
initier les meilleurs de nos correspondants aux méthodes
philologiques; il a permis aux autorités qui veulent bien
subventionner notre entreprise de se tenir au courant de
nos travaux. Les romanistes eux-mêmes n'ont pas jugé né-
gligeable notre Bulletin et certains d'entre eux, comme
MM. Paul Meyer et Eugène Herzog, en ont parlé avec
GLOSSAIRE DES PATOIS 25
éloges. Le dernier lui a emprunté quelques textes pour sa
chrestomathie des dialectes français. A la suite de demandes
répétées, les premières années sont aujourd'hui épuisées.
Soutenus par la collaboration de plusieurs romanistes dis-
tingués, nous avons osé offrir les trois dernières, sous le
titre à'Etreniies helvéliennes, en hommage à iM. le profes-
seur Hugo Schuchardt, à Graz, à l'occasion de son soixante-
dixième anniversaire.
En 191 2, nous avons ouvert la série proprement dite des
publications du Glossaire par le premier volume de notre
Bibliographie linguistique de la Suisse romande (Neuchâtel,
Attinger frères, éditeurs; in-8° de x-291 pages). Le se-
cond volume, qui doit compléter l'ouvrage, est sous presse.
Pour nos propres besoins, nous avions dû dresser un inven-
taire complet des nombreux ouvrages qui ont été publiés
sur nos patois avant et pendant notre enquête, de toutes
les sources à utiliser pour le Glossaire, des études sur nos
provincialismes, sur les noms de lieux et de familles. Nous
avons pensé faire œuvre utile en publiant ce catalogue d'ou-
vrages qui n'intéressent pas seulement la philologie, mais
aussi l'ethnologie, l'histoire et d'autres disciplines encore.
Quand le Glossaire paraîtra, notre Bibliographie en devien-
dra un complément nécessaire pour connaître la valeur dia-
lectologique, l'étendue, le lieu d'origine et la date des textes
qui y seront cités. Tout l'ouvrage n'est, au fond, pas autre
chose que l'énumération raisonnée des sources du Glossaire.
Nous y avons joint un chapitre de portée plus générale sur
la statistique linguistique de notre pays, la limite du français
et de l'allemand et la question des langues, qui échauffe
par moments les esprits. Ce chapitre et celui de la littéra-
ture patoise remplissent le tome premier, déjà paru, qui est
accompagné d'une carte linguistique et de sept fac-similés
20 L. GAUCHAT
d'ouvrages patois. C'est M. Jeanjaquet qui est surtout
chargé de la rédaction de la Bibliographie.
Nous allons livrer à l'impression un nouveau volume, qui
renfermera les Relevés phonétiques hits par nous dans soixante-
deux localités de la Suisse romande, choisies de façon à
donner un aperçu assez complet de la prononciation des
principales variétés de nos patois. Cette phonétique romande
se présentera sous la forme de tableaux comparatifs des
équivalents d'environ 600 mots types. Nos relevés offriront
cette particularité d'avoir toujours été faits simultanément
par deux des rédacteurs du Glossaire. Le texte reproduira
la transcription de M. Jeanjaquet, qui a été présent partout,
mais toutes les divergences du second rédacteur seront
signalées. Ces variantes d'audition, parfois surprenantes,
présentent pour le linguiste un intérêt que relèvera l'intro-
duction. L'ouvrage rendra naturellement aussi de grands
services comme complément du Glossaire.
U Atlas linguistique de la Suisse romande, en préparation,
doit représenter graphiquement, par des teintes, sur 80 cartes
de grand format (i : 400 000), les traits essentiels de la pho-
nétique de nos patois. Ainsi, la carte-spécimen clave, « clef»,
indique ce que devient en pays romand le groupe initial cl.
Les formes de ce mot sont typiques, c'est-à-dire que la
généralité des autres vocables indigènes commençant par
CL, cloche, clocher, clair., clore, clos, etc., ont la même
prononciation. On a choisi cette carte comme exemple,
parce qu'elle fait mieux voir que d'autres l'extrême diversité
de nos dialectes. La base de l'ouvrage, constituée par plus
de 400 relevés faits en Suisse et dans les pays limitrophes,
existe depuis plusieurs années , et nombre de cartes ont
déjà été établies. Mais les frais très élevés ont empêché
jusqu'ici la pubhcation. Nous espérons néanmoins que cet
GLOSSAIRE DES PATOIS 27
obstacle ne sera pas insurmontable et que nous arriverons
à mettre à la disposition des travailleurs cet Atlas, dont
l'intérêt scientifique est incontestable. Il ne ferait pas double
emploi avec les Relevés dont nous venons de parler, car
nous ne pourrons pas représenter tous les phénomènes
phonétiques par des cartes, et celles-ci ne donneront pas
la prononciation du mot entier, mais seulement celle du
phonème étudié. Le Glossaire lui-même tirerait profit de
V Atlas, aussi bien que des Relevés, par le fait que des renvois
à ces ouvrages permettraient d'abréger notablement la partie
phonétique.
Ce que ni les Relevés ni Y Atlas ne peuvent rendre, l'in-
tonation avec toutes ses nuances, pourra être conservé aux
générations futures par la collection de phonogrammes
que nous avons entreprise, de concert avec les Archives
phonographiqiies suisses, à Zurich. Dans une première expé-
rience, une demi-douzaine de ces phonogrammes ont enre-
gistré les différentes variétés de patois neuchâtelois.
Quant à notre œuvre principale, le Glossaire des patois de
la Suisse romande,, elle demande une longue série d'essais
et de tâtonnements. Il n'y a pas pour les dictionnaires de
ce genre de règles toutes faites, qu'on puisse appliquer
partout. Chacun a sa physionomie propre et soulève des
difficultés spéciales. Elles sont particulièrement nombreuses
lorsqu'il s'agit d'une langue qui varie à l'infini, dont la
vitalité diffère énormément suivant les lieux et que personne
n'avait encore étudiée d'une façon approfondie. Il nous
faut chercher notre chemin. Ce n'est que par l'expérimen-
tation de divers systèmes que nous pourrons nous rappro-
cher du but à atteindre. Le Glossaire ne se fera qu'une fois.
Il est donc important qu'il réponde aux exigences les plus
diverses, de la simple curiosité du passé aux hautes aspira-
L. GAUCHAT
tions de la science linguistique. L'orientation doit en être
aussi moderne que possible, la technique simple et pratique.
Aussi le Comité de Rédaction et la Commission philologique
s'occupent-ils depuis plusieurs années des principaux pro-
blèmes d'arrangement. Pour servir de base aux discussions
qui s'y rapportent, un double projet a été élaboré en 1907
par MM. Gauchat et Jeanjaquet. M. Tappolet a soumis
également aux Commissions d'intéressantes propositions
sur le choix des formes d'entêté des articles et sur le sys-
tème à adopter pour indiquer l'aire géographique des mots
patois. Pour le détail de ces questions, nous renvoyons à
nos Rapports. Qu'il nous suffise ici de résumer les principes
généraux qui nous ont servi de direction et qui se dessi-
nent de plus en plus nettement à mesure que nous
avançons :
I" Le Glossaire ne sera pas une œuvre de philologie
pure ; il devra être accessible au plus grand nombre pos ■
sible de lecteurs. La transcription des matériaux, les citations,
les définitions auront à en tenir compte.
2" Les articles purement lexicologiques alterneront avec
d'autres, de nature encyclopédique, où seront retracées
dans leurs traits essentiels les conditions particulières de la
civilisation romande : habitation, nourriture, vêtements, jeux
et divertissements, industries spéciales, etc. Les spécimens
publiés dans le Bulletin montrent la voie à suivre.
3" Le Glossaire sera illustré par des dessins et des repro-
ductions de photographies, que nous rassemblons depuis
les débuts de l'entreprise. Ce ne sera pas un simple orne-
ment, mais une partie intégrante de l'œuvre. Ces illustra-
tions préciseront ce qu'il est difficile d'expliquer clairement
en paroles et réuniront en tableaux synoptiques les élé-
ments que dispersent les hasards du classement alphabétique.
GLOSSAIRE DES PATOIS 29
Outre les publications officielles dont il a été question
dans les pages précédentes^ nous pourrions mentionner un
grand nombre d'études spéciales faites en marge du Glos-
saire '• éditions de textes romands, de documents d'archives ;
travaux d'ensemble sur la vitalité de nos patois, les rapports
entre les Romands et les Allemands qui se sont rencontrés
dans nos cantons de langue française ; sur différents points
de la grammaire qui offrent un intérêt général ; mémoires
sur la provenance du lexique romand, etc. La liste de tous
ces travaux, dus aux membres de la Commission philologique
et aux trois rédacteurs, occuperait trop de place ici. Ceux
qui s'}' intéressent en trouveront l'énumération dans les
deux volumes de notre Bibliographie. Nous les avons réunis
en vue de l'Exposition nationale de cette année, où l'on
pourra se rendre compte qu'ils forment déjà une petite
bibliothèque. Nous y avons fait figurer aussi les thèses de
doctorat de nos étudiants dans lesquelles les matériaux du
Glossaire ont été utilisés.
Ceux qui auront pris la peine de nous lire auront pu se
convaincre que l'entreprise du Glossaire est extrêmement
longue et compliquée et qu'elle exige un effort soutenu et
persévérant. Nous espérons que ces pages contribueront à
développer la sympathie et les encouragements que notre
oeuvre a rencontrés jusqu'ici et dont elle a plus besoin que
jamais. Nous pouvons envisager avec satisfaction le chemin
parcouru. Le travail ardu de la récolte a été couronné de
succès et un point capital est désormais acquis : les maté-
riaux sont réunis et sont plus riches qu'on n'eût jamais osé
le souhaiter. Qu'on veuille bien nous faire crédit de quelques
années encore pour la mise en œuvre et l'utilisation ration-
nelle de cts richesses. Ces années ne seront point perdues,
30 L. GAUCHAT
et ce serait compromettre les résultats que de vouloir brû-
ler les étapes. Les rédacteurs eux-mêmes sont les premiers
à s'impatienter, à sentir la rapidité des années qui s'envo-
lent et à souhaiter l'achèvement de leur instructive et atta-
chante, mais dure et lourde besogne.
Louis Gauchat.
->;<»<-
ENQUETE SUR LES NOMS DE LIEU
ET LES NOMS DE FAMILLE
Les noms propres, noms de lieu et noms de peisonnes,
ont été trop longtemps négligés des linguistes. Formés des
mêmes voyelles et des mêmes consonnes, soumis aux
mêmes règles d'usage que les autres mots, ils participent
avec eux au perpétuel et insensible changement du langage.
Une foule de noms de lieu et maint nom de personne ne
sont pas autre chose que des noms communs ou des ad-
jectifs, les uns encore en usage en français ou en patois,
les autres tombés en désuétude. L'onomastique s'éclaire
par la connaissance du lexique ancien ou dialectal et con-
tribue à l'enrichir de significations et de mots perdus. Pour
la chronologie de nos dialectes sans histoire les noms pro-
pres ont une importance capitale. Longtemps avant l'appa-
rition de nos premiers textes patois, lieux et gens sont
mentionnés, tantôt sous une forme latinisée ou francisée
qui laisse néanmoins deviner la prononciation vulgaire, tan-
tôt et de très bonne heure sous la forme vulgaire elle-
même, diversement et plus ou moins fidèlement transcrite
selon les habitudes propres à chaque siècle, à chaque con-
trée, à chaque individu. Joints aux quelques phrases et aux
trop rares mots patois que nous otîrent les documents
écrits en latin ou en français, ces noms de lieu et ces noms
32 E. MURET
f
de personnes sont nos plus anciens « textes de langue w.Jls
jalonnent les étapes successives par lesquelles a passé^le
latin parlé dans l'Helvétie romaine pour aboutir à cette va-
riété bigarrée de patois dont s'émerveille l'observateur at-
tentif des dialectes modernes de la Suisse romande.
Les mots les plus usités, les plus familiers s'empruntent,
s'échangent, sont sujets à se modifier sous les influences
du dehors. Attachés à la glèbe, les noms de lieu nous ap-
paraissent comme l'élément le plus stable, le plus résistant et,
pour ainsi dire, comme le noyau solide de chaque parler
local, dont parfois ils peuvent seuls nous déceler quelque
trait caractéristique. Les noms de personnes, en revanche,
sont aussi peu fixés au sol que les hommes eux-mêmec. qui
les portent. Il n'y en a point qu'on puisse qualifier d'au-
tochtones, comme les plus anciens noms de lieu. Non seu-
lement dans nos villes cosmopolites, mais jusque dans les
villages les plus écartés, des familles qui passent pour indi-
gènes et anciennes trahissent par leur nom leur origine
française, savoyarde, italienne ou allemande. Néanmoins, ces
noms, même quand ils sont de date assez moderne, ne man-
quent pas d'intérêt pour le linguiste. Il est curieux d'obser-
ver dans quelle mesure ils ont subi les modifications ré-
centes du dialecte ou comment ils ont été accommodés aux
habitudes de la prononciation locale. L'étude des noms de
personnes est d'ailleurs inséparable de celle des noms de
lieu, beaucoup de lieux étant dénommés d'après des p^y
sonnes et beaucoup de familles tirant leur nom de leur ré-
sidence ou de leur propriété.
A l'exemple du ScJm>ei~ericbes Idioiikoii, le Glossaire des
patois de la Suisse romande accueillera les noms,, de lieu et
les noms de personnes dans lesquels on peut reconnaître
des emprunts à la langue commune. Mais le plan d'un sem-
EXQ.UETE SUR LES XOMS DE LIEU 33
blab e ouvrage exclut nécessairement la plupart des noms
de personnes, tous les noms de lieu dérivés de noms de
personnes, tous ceux qui proviennent des langues parlées en
Htlvétie 'antérieurement au latin continué par les patois,
tous ceux enfin dont l'origine et la signification nous de-
meurent inconnues. Fallait-il laisser périr sans mémoire
ces précieux vestiges de notre passé, tandis que l'on con-
sacre tant de peine à sauver de l'oubli nos patois mourants ?
Recueillir ces noms, sous leur forme authentique, de la
bouche des derniers patoisants, les identifier avec les men-
tions fournies par les anciens documents, en retracer l'his-
toire, en découvrir la signification et l'emploi originel, y re-
connaître l'empreinte des langues, des peuples, des civilisa-
tions qui se sont succédé avant nous sur le sol helvéti-
que, n'est pas une tdche moins belle, moins patriotique,
moins urgente que celle qu'ont assumée M. Gauchat et ses
vaillants collaborateurs du Glossaire des patois.
Dès la première séance de la Commission philologique
du Glossaire, tenue en 1899, surgit le projet d'un diction-
naire des noms de lieu de la Suisse romande, n'embrassant
pas seulement, comme les Dictionnaires topographiques des
départements français, tous les noms de lieux habités, avec
leurs anciennes mentions, mais tous les lieux dits, en pa-
tois. En i9oi,à la suite d'un intéressant rapport de M. Jules
Vodoz, qui s'était mis à l'œuvre, encouragé par M. Gauchat,
dans le district de Neuchâtel, M. Ernest Muret fut chargé
u Tganiser une vaste enquête sur les noms de lieu et les
noms de famille de la Suisse romande, et l'année suivante
il en prit la direction. La bienveillance que le public et les
autorités n'ont cessé de témoigner à l'œuvre du Glossaire
n'a pas manqué à l'entreprise sœur. Pour y fournir les res-
sources nécessaires, la subvention allouée par la Confédé-
GLOSSAIRE DES PATOIS 3
34
E. MURET
ration au Glossaire a été augmentée. Le Service topogra-
phique nous a donné la plupart des cartes indispensables. A
notre demande, les gouvernements de Neuchâtel et de Vaud
ont fait dresser dans chaque commune la liste des noms
patronymiques de leurs bourgeois; et l'archiviste de Berne
a mis à notre disposition un répertoire des noms de fa-
mille du Jura. Partout, au cadastre, dans les dépôts d'ar-
chives, auprès des fonctionnaires cantonaux et communaux,
chez les particuliers, nous avons trouvé l'accueil le plus em-
pressé et le concours le plus obligeant.
Pour donner un fondement solide à l'enquête sur les
noms de lieu, on a tout d'abord fait mettre sur fiches,
dans le Jura bernois et les cantons de Fribourg, de Genève,
de Vaud et du Valais, tous les noms usités au cadastre,
avec l'indication de la date et des folios des plans et, si pos-
sible, la mention de la nature et de la culture du sol ou des
bâtiments sis sur le fonds. Pour le canton de Neuchâtel,
comme il existe un répertoire imprimé des lieux dits, les
fiches se font au fur et à mesure des besoins. En Valais, le
dépouillement des plans cadastraux n'est pas encore' achevé,
parce que la plupart n'ont été levés qu'en ces dernières an-
nées. Mais, dans toutes les communes où ils faisaient dé-
faut en 1902, des personnes complaisantes ont recueilli
pour nous les noms contenus dans les registres de l'impôt
foncier, avec toutes les variantes où se perpétue jusqu'à nos
jours l'anarchie orthographique du bon vieux temps.
On a également dépouillé les plans d'aménagement des
forêts du \'^alais et d'une partie des forêts vaudoises et, re-
montant dans le passé, un grand nombre de plans du XVIP
et du XVIIP siècle et du commencement du XIX% con-
servés aux Archives d'Etat de Fribourg et de Genève, au
château de Porrentruy, à l'abbaye de Saint-Maurice et dans
ENQUETE SUR LES NOMS DE LIEU 35
les archives des communes. Le plus gros de cette besogne a
été accompli, de 1902 à 1906, par iM. Walther Meylan, dont
la retraite a été une grande perte pour nous; car il reste à
dépouiller la plupart des anciens plans conservés à Fribourg
et tous ceux des Archives cantonales vaudoises. Les docu-
ments antérieurs, reconnaissances de fiefs et de dîmes, gros-
ses et registres de notaires, ne pourront être étudiés que
plus tard. Cependant, M. Vodoz en a fait des extraits aux
.archives de Neuchàtel, et M. Albert Burmeister a diligem-
ment exploré toutes les archives communales des districts
d'Avenches et de Payerne. A plusieurs reprises des amis
de notre œuvre ont bien voulu nous communiquer leurs
extraits de documents manuscrits ; et les quelque vingt
mille fiches cédées par M. Alfred Millioud au Glossaire des
patois contiennent une foule d'anciennes mentions de lieux
et de personnes. Le directeur de l'enquête dépouille les
documents imprimés, les grandes collections historiques.
Beaucoup de lieux dits non identifiés par les historiens trou-
vent immédiatement leur place sur les fiches centralisées
entre ses mains au retour du cadastre, des archives et des
enquêtes locales.
L'enquête sur le terrain, la chasse aux formes locales, pa-
toises, qui est notre tâche principale et la plus urgente, se
poursuit durant la belle saison, chaque année, depuis 1900,
mais ne progresse que très lentement, faute de collabora-
teurs. M. Vodoz a dû malheureusement, à cause de l'état
de sa santé, renoncer en 1903 à ses recherches dans le can-
ton de Neuchàtel. Réclamés par d'autres devoirs, MM. Gau-
chat, Jeanjaquet, Tappolet, Adrien Taverney n'ont pu nous
prêter qu'un concours momentané, dont nous leur savons
beaucoup de gré. M. Burmeister, en visitant les archives
du district de Payerne, n'a pas négligé de s'enquérir du pa-
;^6 E. MURET
tois local. Plusieurs correspondants du Glossaire ont fourni
d'utiles, voire même d'importantes contributions : M. Fran-
çois Isabel a recueilli les noms du district d'Aigle et du
Pays d'Enhaut, M. Maurice Gabbud ceux de la vallée de
Bagnes. Mais, seuls, le directeur de l'enquête et, depuis
1906, M. Franz Fankhauser ont pu fournir une collabora-
tion ininterrompue. L'un a parcouru tout le Valais de lan-
gue romane, presque tout le Jura vaudois, plusieurs com-
munes vaudoises et fribourgeoises aux alentours de Vevey ;
enfin, accompagné de quelques-uns de ses élèves de l'Univer-
sité de Genève, plusieurs communes de la campagne gene-
voise. L'autre a exploré toute la Gruyère et la rive droite
de la Sarine jusqu'aux environs de Fribourg. Dialectologue
expérimenté, il a bien voulu se charger à plusieurs repri-
ses de contrôler les enquêtes d'autrui dans le canton de
Vaud et en Valais.
Ces études vagabondes , cette école buissonnière, qui
nous montrent tour à tour les aspects riants et les aspects
sévères de la terre natale, sont pleines de charme et d'inté-
rêt. Mais il ne faut pas être pressé. Les distances, les com-
munications malaisées, la difficulté de trouver de bons
« sujets » font perdre beaucoup de temps. L'on s'adresse de
préférence aux vieillards, aux hommes qui ont été mêlés
aux affaires publiques. Pour les noms de famille, sans ou-
blier les dérivés féminins que les patois ont tirés de plu-
sieurs d'entre eux, point n'est besoin de longs interroga-
toires; mais des heures, des journées entières se passent
avant qu'on ait épuisé la kyrielle des noms de lieu, qui se
comptent par dizaines et par centaines. Il ne s'agit pas seu-
lement d'en noter aussi exactement que possible la pronon-
ciation locale, qui est la clef des anciennes graphies et la
pierre de touche de l'étymologie, mais d'obtenir tous les
ENQ.UETE SUR LES NOMS DE LIEU 37
renseignements qui peuvent nous éclairer sur leur significa-
tion et leur usage, parfois assez différent de celui qu'y at-
tribuent les cartes, les géographes et les touristes. La vue
des lieux importe moins que le commerce familier avec les
gens qui les fréquentent. En parcourant le pays, en ques-
tionnant les gardes champêtres et les gardes forestiers, les
pâtres, les chasseurs, nous avons recueilli en Valais des
milliers de noms rarement ou jamais écrits et perpétués
seulement par la tradition orale.
Dans mainte commune il n'y a plus personne ou presque
personne qui sache encore le patois. Mais le français local
conserve, en général, assez fidèlement la prononciation tra-
ditionnelle des noms propres pour qu'on puisse et qu'on
doive y recourir, à défaut du patois dégénéré ou éteint. Les
communes voisines fournissent quelquefois les formes pa-
toises qui manquent sur place. On a demandé à Blonay et
à Saint-Légier les noms veveysans, à Savièse ceux de Sion.
Tout comme les autres mots, les noms de lieu sont pro-
noncés différemment, quand les localités qu'ils désignent
sont connues de personnes parlant des patois différents.
Nous enregistrons avec soin ces variantes, très intéres-
santes pour la comparaison des dialectes et précieuses pour
la recherche et le contrôle des étymologies. Nous en avons
recueilli à la frontière française et à la frontière d'Italie.
Nous avons même franchi à plusieurs reprises la limite des
langues pour nous enquérir de la prononciation allemande
de noms de lieu fribourgeois, vaudois et valaisans, en
même temps que pour retrouver d'anciens noms romans,
parfois à peine altérés en bouche germanique.
A ce jour, plus de deux cent cinquante communes ont
été visitées. On atteint presque le chiffre de trois cents, si
Ton fait entrer en ligne de compte les enquêtes incom-
38 E. MURET
plètes OU seulement amorcées et les matériaux fournis par
correspondance. Mais, comme il y a en Suisse de neut
cents à mille communes de langue française, on voit qu'il
reste énormément à faire, avec de faibles ressources en
argent et en hommes. Les noms recueillis ne sont pas en-
core tous mis sur fiches, et le loisir nous a manqué jusqu'à
présent pour en entreprendre le classement systématique,
qui sera un travail de longue haleine. En attendant, nous
pouvons recourir à un répertoire alphabétique de tous les
lieux dits du canton de Vaud qu'avait dressé pour son usage
personnel M. Edouard Burnet et qu'il a généreusement mis
à notre disposition. Très versé dans les questions de chro-
nologie, M. Burnet nous rend de grands services, en vou-
lant bien vérifier les dates des mentions de lieux et de per-
sonnes recueillies par nous dans les documents du moyen
âge. Qu'il veuille bien recevoir ici, avec tous nos collabo-
rateurs et correspondants, l'assurance de notre très cordiale
reconnaissance !
Il ne suffit pas de rassembler des matériaux pour une
oeuvre future que nous risquons de ne pas voir achevée. Il
faut tâcher d'en tirer parti dès à présent pour l'avancement
de la science. M. Fankhauser, dans sa thèse de docteur sur
le patois de Val d'Illiez, a très largement et très intelligem-
ment mis à profit les noms de lieu recueillis dans cette ré-
gion du Valais. Le directeur de l'enquête a contribué à la
nomenclature de la carte Lavey-Morcles au 25 ooo*^ (1908)
et fournit au Dictionnaire historique, géographique et statis-
tique du Canton de Vaud, en cours de publication depuis
191 1, des notices historiques et étymologiques sur les prin-
cipaux noms de lieu. Quelques-uns des résultats où l'ont
conduit ses études onomastiques sont consignés dans divers
mémoires publiés en ces dernières années.
ENQ.UETE SUR LES NOMS DE LIEU 39
Dans une carte destinée à figurer à l'Exposition de Berne,
on a tenté de mettre sous les yeux du public, en une syn-
thèse provisoire, les principales données historiques fournies
par notre enquête sur les noms de lieu. Des traits de cou-
leur différente marquent l'origine probable de la plupart des
noms de communes et de paroisses des cantons du Valais,
de Genève, de Fribourg et de Vaud et des districts neuchà-
telois de Boudry et du Val-de-Travers, la part que l'on
peut attribuer aux habitants préhistoriques de nos contrées,
aux Celtes, à Rome, au christianisme, aux établissements
germaniques et au moyen âge dans la formation de notre
nomenclature géographique. L'auteur ne se dissimule pas les
imperfections de ce travail, qu'il n'aurait pu entreprendre
sans les travaux antérieurs de Gatschet, de M. Jean Stadel-
mann et de M. Jaccard, ni sans les matériaux de compa-
raison mis à sa disposition par le Glossaire des patois.
Ernest Muret.
^rr:^^^
SYNONYMIE PATOISE
(sommeil, jour et nuit, lait et fromage)
-♦-
INTRODUCTION
Pendant onze ans, nos correspondants ont répondu infatiga-
blement à nos questionnaires. Plusieurs articles du Bulletin
leur ont déjà présenté le résultat de leurs vaillants efforts. Ici
nous désirons attirer plus particulièrement l'attention du lec-
teur sur l'étonnante richesse du vocabulaire patois en publiant
quelques spécimens de la synonymie patoise telle qu'elle ré-
sulte directement de notre enquête par questionnaires. Le lec-
teur de nos Rapports se souviendra que les réponses de nos
correspondants aussitôt rentrées ont été classées par ordre
d'idée et inscrites dans des cahiers grand format, appelés
résumés, qui permettent de trouver en un tour de main les
équivalents patois pour telle ou telle idéedonnée. Ce sont ces
cahiers qui ont servi de base aux tableaux qu'on trouvera ci-
après.
Par synonymie patoise nous entendons deux catégories de
synonymes :
1. Les synonymes proprement dits, au sens usuel du
terme, c.-à-d. des mots, locutions ou périphrases qui se pré-
sentent à l'esprit des patoisants d'une même région plus ou
moins déterminée, dès (ju'il s'agit d'exprimer telle ou telle idée;
par exemple : porc et kayon, cailler et trancher (le lait) ; mettre
et , bouter ' sont synonymes dans la plus grande partie de la
Suisse romande.
2. Les équivalents patois, c.-à-d. des termes plus ou
moins synonymes, mais occupant une aire géographique difTé-
4
42 E. TAPPOLET
rente. Ainsi l'idée de , regain ' se rend dans les cantons sud
par r^kor, dans le Jura bernois par vottayin. Il en est de même
pour les idées de ^ brebis ', Jument', taureau' et beaucoup
d'autres. Les trois termes signifiant , traire ', arya, trioèdre et
traire, ont chacun leur domaine géographique assez bien déter-
miné.
La différence essentielle entre ces deux catégories est celle
que les , synonymes ' sont concurremment à la disposition des
patoisants de telle ou telle région, tandis que les , équivalents '
ne font pas partie du vocabulaire usuel du même individu,
(exception faite de certains villages situés à la limite des aires
lexicologiques).
Dans nos tableaux, nous n'avons pu tenir compte de cette
différence que d'une façon très sommaire, en indiquant la
répartition du mot par canton. Le futur Glossaire, qui con-
tiendra pour chaque mot des indications précises, permettra
mieux de se renseigner sur la synonymie réelle ou fictive de
telle ou telle région.
Outre les ^ synonymes ' et les , équivalents ', nos tableaux
présentent par ci par là des nomenclatures, par exemple
pour les vases à transporter le lait ou à conserver la présure.
Ici il ne s'agit pas, à proprement parler, d'un seul et même
objet dénommé différemment, mais bien d'un objet qui varie
souvent de forme et de matière, selon les habitudes locales.
, Tonneau ' et ^ bouteille ' ne sont guère, des synonymes. S'ils
figurent dans nos tableaux sur la même ligne, c'est qu'ils ser-
vent tous les deux de récipient à la présure. On peut les con-
sidérer comme synonymes par leur destination. C'est dans ce
sens que nous avons accordé une place à ces , nomenclatures ',
qu'il aurait été fâcheux d'en exclure par esprit de principe,
puisqu'elles complètent très heureusement la terminologie de
tel ou tel groupe d'idées.
Il est facile de montrer que ces tableaux sont de la plus
haute importance scientifique. Pouvoir embrasser d'un coup
SYNONYMIE PATOISE
43
d'œil pour n'importe quelle idée tous les e'quivalents, tant les
radicaux que les dérivés, c'est un avantage inappréciable pour
le linguistemoderne, qui sait combien sont multiples les aspects
sous lesquels se présentent les choses, combien sont variées
les influences qu'exercent l'un sur l'autre les synonymes d'un
mot donné. Examinons le premier groupe de problèmes :
I. Le point de vue onomasiologique, soit l'ensemble
des problèmes qui essaient d'expliquer psychologiquement les
moyens d'expression (mots, tournures, périphrases) dont dis-
pose la langue pour tel ou tel objet, action ou idée. C'est à
ce point de vue que sont conçus plusieurs articles de notre
Bulletin^. Les tableaux que nous possédons donneront lieu à
une foule de recherches semblables. Rien de plus suggestif
que ces groupes de synonymes.
Ce qui frappe en première ligne, c'est l'inégalité du
nombre des termes pour des idées qui, à première vue,
semblent être sur le même plan. Pourquoi, pour citer quelques
exemples, trouvons-nous dans les patois romands si peu de
mots pour ^ étalon ' et pour ^ verrat ', à côté de près d'une
vingtaine pour , taureau' et pour , bélier"? Pourtant ces quatre
animaux exercent la même fonction, ils sont les reproducteurs
de leur espèce. L'inégalité constatée s'explique par le fait que
l'étalon et le verrat, rarement visibles, passent plus ou moins
inaperçus, tandis que le taureau et le bélier frappent bien autre-
ment l'imagination, tantôt par le rôle économique qu'ils jouent^
tantôt par l'aspect physique qu'ils présentent -. — L'année se
divise en quatre saisons de durée plus ou moins égale. Pour-
• Les quatre saisons (année III), une volée de coups (V), le fromage
et ses espèces (VI), la fenaison, les clochettes de vache (VIII), l'idée
d', importuner ' (IX), le regain et la pâture d'automne (X), les poissons
(XI). — Il serait trop long d'énumérer tous les autres travaux de ce
genre.
- Pour de plus amples développements, voir l'article de l'auteur à ce
s\i']et dans Arcbiv fur das Studium der ueueren Sprachev CXXX (191?),
p. 81-124.
44 E. TAPPOLET
quoi constatons-nous dans la Suisse romande une parfaite stabi-
lité de termes pour ^ été ' et ^ hiver ', à côté d'une variété surpre-
nante de mots pour , printemps ' et , automne ' ? C'est que l'été
et l'hiver sont les grands contrastes nettement déterminés de
l'année, tandis que les saisons intermédiaires, printemps et
automne, ont un caractère plus flottant, plus irrégulier, mal
défini. Ajoutez à cela que dans une population agricole et
montagnarde le printemps, dont l'arrivée dégage des senti-
ments intenses de joie et de bien-être, est forcément une
source féconde d'inspiration linguistique. — Nous observons
d'ailleurs une situation analogue dans notre tableau Jour et
nuit'. Pour le grand contraste, la langue est conservatrice,
nos patois ont tous gardé les termes latins diurnus (lat. popu-
laire) et nox, qu'ils emploient exclusivement. Grande est par
contre la variété pour les périodes intermédiaires entre jour et
nuit, tant le matin (aube, pointe du jour, etc.) que le soir (cré-
puscule, tombée de la nuit, etc.), moins cependant le matin
que le soir, car, quelque matinal que puisse être le paysan, la
tombée de la nuit jouera toujours dans sa vie sociale et profes-
sionnelle un rôle plus important que l'arrivée du jour. Par des
raisons analogues s'expliquera sans doute la richesse de mots
et de dérivés pour ,soir', par opposition au seul , matin', et
pour ^ après-midi' par opposition à ^ matinée '.
Parmi les idées qui par leur nature ne se laissent guère coor-
donner à d'autres, il y en a beaucoup qui offrent une richesse
inattendue. A quoi bon tant de mots pour ^ le résidu du lait
bouilli qui s'attache aux parois du récipient ', pour ^ les gru-
meaux du lait caillé ', pour ^ les rognures du fromage mis en
forme ', pour ^ l'écume du lait qu'on vient de traire ', etc. ? Dans
tous ces cas, il s'agit de choses accessoires, irrégulières, mal
définies et variables de forme, qui, réunies en masse, présentent
un aspect hétérogène. Ce caractère indéterminé de la chose
semble se trahir dans l'expression linguistique : chacun la
nomme comme il lui plaît, le choix du terme est sans consé-
quence; la chose étant du reste d'un intérêt assez médiocre et
SYNONYMIE PATOISE 45
passager, on n'éprouve pas le besoin de la désigner par un
terme uniforme ; aussi la langue littéraire manque-t-elle de
terme consacré. Ces petits produits accessoires sont pour ainsi
dire à la merci de la création individuelle.
Une autre cause de la richesse dans l'expression, c'est
l'intensité du sentiment. Si quelqu'un vous ennuie, vous
l'envoyez promener tout court, mais s'il revient à la charge,
vous vous impatientez, et, inspiré par ce mouvement, vous
l'appelez : îneule ou segneule, vieille scie ou maudite vioule. Les
termes mobilisés par l'impatience se pressent à votre esprit et
à leur défaut vous en créez de nouveaux. De là cette longue
série d'équivalents pour ^ importuner' que M. Pierrehumbert a
pu collectionner pour le Bulletin. Et si d'autres correspondants
nous ont fourni une liste encore plus variée de termes pour , une
volée de coups ', c'est qu'ici à l'humeur batailleuse qui fait dire :
.attends, je te donnerai une bonne rincée! ', s'ajoute la vantar-
dise qui aime à raconter : , ah, vous ne vous imaginez pas quelle
savonnée je lui ai appliquée ! '. — C'est aussi à ce mouvement
d'impatience et de mauvaise humeur que nous devons sans
doute la quantité de termes plus ou moins comiques pour
ronfler", termes créés au moment où vous avez été dérangé
dans votre sommeil bien mérité par ce bruit de scie de votre
voisin. Quiconque a jamais passé la nuit dans une chambrée
de soldats, aura éprouvé sur soi ces moments d'inspiration cha-
ritable. — D'autres périphrases, par ex. celle pour ^ aller se
coucher ', ^ faire la grasse matinée ', ^ s'endormir en faisant des
révérences ', sont dues simplement au plaisir de faire rire par
des tournures comiques.
Ces quelques développements suffiront pour affirmer que la
synonymie patoise que révélera le futur Glossaire d'après
notre enquête par questionnaires soulève quantité de problè-
mes onomasiologiques dont on ne soupçonnait pas l'existence,
faute de matériaux recueillis systématiquement.
Nos tableaux ne seront pas moins utiles à consulter, quand il
s'agit de rechercher l'origine et la formation des mots.
46 E. TAPPOLET
2. Le point de vue étymologique. Pour trouver l'ori-
gine d'un mot, il suffit quelquefois de jeter un coup d'œil sur
les synonymes. Neuchâtel dit étantchi pour ^ étendre le foin'.
D'où vient ce mot? On a beau se creuser la tête pour chercher
un rapport d'idée avec le mot français , étancher ' dans ses
acceptions diverses , étancher le sang, le tonneau, la soif, etc. ',
on n'en trouve point. La liste des synonymes fournit d'un coup
la solution du problème : le même canton de Neuchâtel em-
ploie en outre pour la même action le terme français . étendre '
et le terme romand ^ épancher '. Quoi de plus naturel que de
supposer un croisement, dont le résultat sera forcément étantchi
ou bien épandr ' ? Il y a longtemps qu'on connaît ce procédé de
la langue sous le nom scientifique de , contamination '. Ce
qu'on connaît moins, c'est l'extraordinaire fréquence de ce
phénomène". La synonymie patoise est appelée à la démontrer.
Voici quelques exemples, choisis au hasard, qu'il serait facile
de multiplier.
Une des contaminations les plus curieuses, c'est le mot
étrangle qu'a donné un correspondant valaisan pour , touriste ',
sans doute un produit comique de ^ étranger' et de , anglais',
qu'on emploie fréquemment comme synonyme de , touriste ' '.
Rattachons à ce mot l'expression ndingléz (Vd), . redingote ',
où le mot français s'est combiné avec le terme , anglaise ', éga-
lement en usage pour la même pièce d'habillement. — , Gron-
der ', (en parlant du tonnerre) se dit brondina (Vd), qui s'ex-
plique aisément par une influence réciproque de gronda et de
bordena (= bourdonner), — De même balafra . manger gou-
lûment ' (F) par un croisement de la première moitié de bâfra
^ Mot qui existe réellement dans le Jura bernois, mais qui continue
sans doute le latin expandere, anc. fr. espandre.
- Cfr. une remarque intéressante à ce sujet que fait M. Puscariu
dans la Zeitschrift fur romanische Philologie (191 3). XXXVII, p. 101.
^ Peut-être y a-t-il dans ce mot quelque rancune cachée qui aurait
fait dire à un paysan ennuyé par des touristes : ^il faudrait les étrangler,
ces sacrés Anglais '.
SYNONYMIE PATOISE 47
(= bâfrer) et de la seconde partie de galufra, également em-
ployés dans les patois fribourgeois. — Par un procédé ana-
logue, on peut voir dans sagrula ^ secouer, rosser qn. ' (Vd
Chenit) une forme composée de la première syllabe de sakaore
, secouer' et du verbe romand grula , secouer un arbre '.
Nous faisons suivre ces verbes de quelques substantifs. , Pré-
cipice' se croise avec son équivalent patois dérupjto m. (Vd)
pour donner dérupis f. ( Vd). Parmi les termes usités pour dési-
gner la guêtre, on trouve au Cerneux-Péquignot (N) la forme
gerotcha f , qui paraît être le produit de garôda (N) et de
gamotch (B) avec le changement de a en <r fréquent devant r.
— Plusieurs villages du Jura bernois disent ankrJto?r f pour
^ encrier ', c'est le mot écritoire (souvent employé au sens
d'j encrier') avec l'initiale de encrier. — Pourquoi Sassel (Vd)
appelle-t-il la verge vyotila ? C'est parce que la verge se fa-
brique avec les ramilles de bouleau, en patois byottla, mot dont
rinitiale se modifia sous l'influence de verdzd.
Souvent la contamination ne frappe que la partie suffixale
du mot. Pour . se mouiller les robes jusqu'aux genoux ' Fri-
bourg dit entre autres : margotà et gargalâ^ de là par change-
ment de suffixe la nouvelle forme margalâ. Au lieu de ^ ami-
donner ' le Jura bernois dit an-midnè, sans doute à cause de
anpajè ^ empeser'; de même dans les Alpes vaudoises in-mi-
dinâ sous l'influence de inpeza , empeser '.
Quelquefois, l'influence du synonyme se réduit à un son ou
à un groupé de sons. Notre correspondant de Pailly (Vd) a
noté la forme nyoblyou m. , nuage', sans doute le résultat d'un
croisement entre nublyo m., forme très répandue, et nyola f.,
terme courant pour , nuage '.
Jusqu'ici il était toujours question de véritables synonymes.
Il arrive aussi que tel mot subit une altération phonétique sous
l'influence d'associations d'idées plus lointaines. Si par exemple
certains villages vaudois disent brinialè au lieu de brutale
^ bretelles', il me paraît évident qu'il en faut chercher la cause
dans hrinta, vase bien connu à transporter le raisin, le lait,
^8 E. TAPPOLET
etc., que le vigneron ou le laitier porte au dos à l'aide de
larges courroies de cuir appelées ^ bretelles ' ; ^ brente ' et bre-
telles formant de fait un tout organique, les termes désignant
l'une ou l'autre partie sont sujets à se confondre. — A côté de
la forme courante lapin on trouve assez souvent la forme avec
/ mouillée, lyapin, dont l'initiale remonte probablement à
lyapà j crier comme un lapin ', mot répandu jusqu'au Jura
bernois (yèpe).
On voit par ces deux derniers exemples l'avantage que pré-
sente sur l'ordre alphabétique des dictionnaires de synonymes
notre groupement par ordre d'idée.
Le point de vue morphologique. Sans comprendre
tous les dérivés d'un mot, nos tableaux, groupant les syno-
nymes par famille étymologique, démontrent à l'évidence, à
quiconque aurait besoin de s'en convaincre, la supériorité des
patois sur la langue littéraire en matière de dérivation. Sous ce
rapport, les suppositions qui paraissaient hardies au linguiste
expérimenté se trouvent réalisées.
S'il est superflu d'insister sur ce point, il sera utile d'appeler
l'attention sur un autre problème de la morphologie, celui du
genre. J'ai essayé de montrer dans un récent travail^ que
dans une large mesure les mots d'emprunt doivent leur genre
à leur équivalent dans les patois du pays emprunteur. Ainsi
pourquoi le mot allemand die Grube, passant dans les patois
valaisans et vaudois, sous la forme grœbo, prend-il la forme et
le genre masculin? Rien n'aurait empêché une forme * grœbai.
de se produire. C'est que le mot allemand désignait sur terri-
toire français exclusivement la place du feu dans un chalet et
que cette place s'appelait/iy/m. ow foyidzo m. ûaxisXts mêmes
patois. — Le même radical allemand présente le cas inverse,
dans le mot der Schorgraben, qui désigne la rigole à purin
dans une écurie. Ici le mot devient féminin: la cholgrab (B),
' Die alemannischen Lehnwdrter in den Mundarien der franxpsischen
Schwei'i. Strassburg, Trùbner, 1914, p. 80 ss.
SYNONYMIE PATOISH 49
évidemment parce que les mots patois correspondants rigole
et raie sont du genre fe'minin. — L'allemand suisse gatter , mot
masculin ou neutre, passe au genre féminin là gatr (B) à cause
des nombreux synonymes, tous féminins : porte, delèz, bdliij ;
claie, grille. — L'idée de boue se rend dans le Jura bernois
par bourbe f. et par truiz f., auxquels s'ajoute quelquefois le
mot trek, employé toujours comme substantif féminin, contrai-
rement au genre allemand.
Et qui ne reconnaîtrait pas l'analogie frappante qui existe
entre battre la firobe (en allemand der Feierabend) et battre
la retraite? Mais quelle que soit la valeur de cette théorie,
acceptée par les uns, mise en doute par les autres, il n'en est
pas moins certain qu'il n'aurait été possible ni de la soutenir
ni de la combattre sans le secours de notre répertoire de syno-
nymes.
Il va sans dire que nos tableaux rendront de précieux ser-
vices à bien d'autres points de vue que ceux que nous avons
développés ici ; notamment les études de géographie linguis-
tique, les recherches sur la vitalité du patois, sur l'invasion des
mots français, etc., en tireront grand profit.
Dans quel ordre fallait-il présenter au lecteur les termes sy-
nonymes souvent bien nombreux V II nous a paru naturel de
réunir d'abord les dérivés du même radical (aryœu, aryare),
les mots du même groupement étymologique étant toujours
séparés par une virgule. Dans la suite, nous avons pris soin de
classer les termes (mots ou groupes étymologiques de mots)
d'après leur fréquence géographique. D'abord :
1° les termes intercantonaux, répandus dans tous les
cantons ou plusieurs d'entre eux, énumérés dans l'ordre adopté
par le Glossaire : Vd, V, G, F, N, B., le terme le plus fréquent
en tête. — Cet ordre ne sera modifié que lorsqu'un mot est
sensiblement mieux attesté pour un canton que pour un autre,
ainsi bogati , trou ' (V, Vd) signifie que ce mot est bien plus
50 E: TAPPOLET
valaisan que vaudois. L'indication cantonale est supprimée
dans les cas où elle aurait un caractère de fortuite ; ainsi sur-
tout pour des expressions qui peuvent se dire un peu partout,
V. par exemple les synonymes pour ^ aller se coucher' ou pour
, ronfler '. — Dans la série intercantonale, le sigle cantonal ne
s'applique toujours qu'au mot qui le précède immédiatement.
— Ensuite:
2° les termes cantonaux, répandus dans un seul canton.
Le premier tiret annonce le commencement des termes can-
tonaux. Tous les termes d'un canton sont également séparés
par un tiret. Le nom du canton précède ici l'énumération des
termes. Quant à la forme du mot, nous avons choisi celle qui
dans le Glossaire servira d'en-tête. On trouvera donc la forme
française du terme patois toutes les fois qu'elle existe, d'après
le système adopté par la Rédaction, (v. Rapport 191 2, p. 455).
Ainsi nous écrivons: jour, nuit, pour résumer en uiie forme
toutes les variantes patoises : dzo, dzoua, dzor^ dzœ, dj'ouè, etc.,
et né, net, nek, niiè, nà, etc. Les mots exclusivement patois sont
toujours imprimés en italiques.
Pour conclure notre avertissement, nous prions le lecteur,
qui parcourant ces longues listes de mots désirerait être ren-
seigné sur telle ou telle expression, de prendre patience : cha-
cun de ces mots sera dûment précisé, commenté et expliqué
dans les articles du Glossaire; pour le moment, nous ne tenions
qu'à faire connaître son existence en nous plaçant au point de
vue des moyens d'expression dont disposent nos patois.
SYNONYMIE PATOISE
51
TABLEAUX
Idée
I . Le sommeil.
Equivalents patois
sommeil. . . . sono m. et f. (partout). — Cfr. dzjj f. (V,
1 prop. j couche ', de gésir) ; indrsmya f. (F,
donner ^ l'endormie ' à qn.).
petit sommeil ! klyopc m. (Vd, V, G, F, N) ; chone (m. Vd, V) ,
(pendant somclyarda f. (Vd), soum^lyon (F), ssmoya
la journée) \ m. (B) ; aplyon m. (Vd, V, F) ; méridienne ;
repos, reposée; sieste; midi; donday?:
tokay?, etc. (v. s'endormir et sommeiller).
— Vd bhion (dér. de bin-na v.) ; ètha f.
(étendue) ;w/r^«a (forme patoise de méri-
dienne) ; bain de lézard. — V i)pé m. (de
tapa V.) ; plate f. — N hronicha f., bron-
1 tchon m. — B bouetch f. {bountchi? v.).
dormir dormir (partout) — périphrases : clore les
j yeux, taper de l'œil.
se coucher . . ; se coucher (partout) — V se cacher (em-
ployé dans les deux sens) ; gésir — F s'at-
terrer.
aller se cou-
cher
aller se foutre bas, — se mettre bas, — se
hita ba, — se trén ba ; aller s'étendre ;
aller chercher demain, aller voir lundi (se
dit le dimanche soir) ; aller voir la paille,
aller à la paille, aller au lit, — au porte-
feuille, — au nid, — a° bredo^ aller firôb
(N); aller contre Dornach (B, village so-
leurois situé dans la vallée de la Birse, jeu
de mots avec , dormir').
52
E. TAPPOLET
Idée
EaUIVALENTS PATOIS
sommeiller,
sommeiller (partout), inchonHyi (F, Vd, V),
s'endormir
asoufn?lyi (Vd), sonika (Vd), U/iomèsip(B)y
san-nè (B); sHntoup3naJoup3na,s^at3piJepa
(Vd, F) ; pioncer ; lyopi (V, F) ; s'endormir,
sHntrindrdmi, dromatsè (V), dnmnè (B) —
V sornatchi ; klounyè — G lodi — F in-
chupilyi — B anfobeyi.
s'endormir
tôka (Vd, V, G, N, B): donda (Vd, V, F);
en faisant des
dwka (F, V) ; binna (V, F) ; , clocher'
révérences
(G, B, imiter le mouvement de la cloche).
— Vd malyetsi : plonger; tour ta ; compter
ses tome (pièces de fromage) — V baké'',
bonzyè ; borneyè ; bœurona ; lyoka ; pimtchyè
— G faire des saluts — F drouka — B bœke :
bouatchi?, piocher.
ronfler
ronfler i partout) ; rësi (Vd, G := scier) —
périphrases : tirer au lien ; tirer les cordes ;
bouillir les ^ pommettes " ( pommes de terre);
tirer à Vakola (chaîne de reculement, Fî.
ronfleur ....
rondare m. (Vd), ronyjètso (V), ronflera (V),
ronfâ (V), ron%eri (F), ronfleur (B).
ronflement . .
ronflée, ronflement, ^ ronfle ' m., ronflage,
ronflerie, rontchœ (B). — B rœtchon.
rêver (pendant
songer (partout) ; rêver, rêvasser — V tabèyè ;
le sommeil)
trabasa ; ko3dzyè.
rêve
songe (partout) , rêve — V tabek ; N signe.
cauchemar . .
cauchemar (Vd, G, N, B) : tsàdivilyj (F, Vd)
— V trakachèjon f. ; F ranpa f. (crampe?) ;
N niton m. (idée d'un lutin); ^ foui ta m.
(idée d'un esprit follet).
Idée
SYNONYMIE PATOISE
EaUIVALENTS PATOIS
53
faire la grasse
matinée
faire (la) grasse matinée (partout) — Vd faire
sa couenne, sa tsaropa ; se pourrir les
yeux — V faire le matin tard; faire sa fa-
tigue ; droufuîk choou che ^ dormir son soûl '
— G se lever sans chandelle — F faire
le tour de l'horloge — B dormir comme
un sire, comme un pourri (= paresseux) ;
pœrichnè a yé (paresser au lit) ; ressécher
sa pisse ; il demeure au lit jusqu'à ce que
les os lui craauent.
(se) réveiller
se lever
être debout .
(se) réveiller, (s')éveiller (partout) ; (se) , des-
songer ' (V, Vd) — V [se) desona, {s')in-
sona, (se) dinsona.
se lever (partout) ; se dresser ; s'abada (Vd, F)
— Vd ^ se dématiner ' (se lever de bon
matin) — B debuskè.
être droit, être d'adrè; être debout; être
frou (dehors) ; être sur pied, en jambes,
de pointe ; être haut, delà ; être levé, planté,
abada.
jour
journée ....
il commence à
faire jour
2. Le jour et la nuit.
jour.
journée, dzornjva f. (V), djoneyat f. (B).
il commence à (de)venir jour ; le jour com-
mence à poindre, à salyi (sortir) ; on com-
mence de voir beau; le jour pique (F),
est a'' pdkolon (Vd) — Xà pouctayi v. (dér.
de pointe) ; orayi v. ; le jour sort — V ar-
beyè v. (de arba ^aube'); cKaxar (dér. de
clair) ; (il) vient gris ; vyin zortèt (petit
jour) ; (il) blanchit — F trahnâ v.
54
Idée
E. TAPPOLET
Equivalents patois
(à la) pointe
du jour
pointe du jour (partout), point du jour (Vd»
V, B); , pique' du jour f. (N), , piquet '
du jour (Vd), .piquette' du jour f. (B) —
F levée du jour ; kotsi de dzo f.
aube
aube (un peu partout, forme pat. arba V, G).
aurore
aurore (rare).
matin (= ail.
Morgen)
matinée (= ail.
Vormittag)
matin (partout).
matinée, matin (partout) ; devan-midzor (Vd^
F).
midi . . . .
après-midi
soir.
il commence à
faire nuit
à la tombée de
la nuit
crépuscule. . .
midzor m. (partout), raidi (B, N) — V dîner.
apri-midzor m. (partout), dutnidzo m. (F, Vd);
vêprée f. (Vd, F, N, B), veprsnay) f. (G) ;
tantôt m. (V, G, F) ; après-dîner m. (V,B),
— V cholèzo m. — B r ce sus f.
nuit f. (m.) (Vd-F) ; vêprée (F, N), vêpre m.
( Vd, W^.vepnnd f. (V, G) ; soir (B) ; dèfrina
f. (V) ; develaném. ( Vd, G, F, prop. devers
la nuit), duvehne m. (F); tantôt m., tan-
tale m. (Vd-F) — V develota{r) m. (prop.
devers le tard), délota m., volotar m.
bornayi v. (Vd, F) — F sonbrèyi.
à la tombée de la nuit (un peu partout); a la
tsaiti de la 7ié (V, F, N, B), — tsdzaitd de
la né f. (F), tchezœ m. (?) (N) ; entre jour
et nuit, entre chien et loup (un peu par-
tout), entre chat et chien (F) — N poaytd
adv. — N tœrnidga (sic) adv. (?) (N) —
B e ro3 nœ adv.
aube de la nuit (G, V) ; brune (très rare)^
bruneya f. (V) — G àbournyâ f.
Idée
SYNONYMIE PATOISE
Equivalents patois
5$
nuit
nuit f. aussi m. (partout), nœyaf f. (B).
(il fait) nuit
nuit noire (partout) ; sar{a)né (Vd, V, F, N) ;
noire
borna n/(Vd, F) — Vd eklyata de la né —
V yè topo , ye né topa ; c'est sombre \
ferme nuit.
au milieu de
a° maitin de la né (Vd, V, G) ; a" soir) de la
la nuit
né (Vd, V) — V au fort de la nuit ; o"^
bouk de la net — B an-mé la nœ.
minuit
minuit f. (partout).
lait
espèces de lait:
lait encore
chaud
(ail. kuhwarm)
béton (premier
lait d'une vache
qui a mis bas)
lait coagulé
sortant du pis
comme un fil
lait que donne
une vache en
tarissant (ail,
gâltigc Milch)
petit-lait ....
autres espèces
de lait
3. Le lait,
lasé (partout).
lait-chaud, chaud-lait, tchada m. (B, N) ; lasé
frè arya, lasé tsô arya (V, F) ; fra-lèsé{B);
lait tiède (V).
béton m. (Vd, V, G, F, N), bè m. (V, N), bati-
ron (B) — N resb m. — B bak (= bè de
V, N).
dzéme f. pi. (Vd, F) ; bedzon (V, Vd), abedzon
m. (F) — V lasi intruma ; l. bresonok —
F fia m. pi. — B maton m. ; lésé randy?ni;
l. rondl'e.
agoton m. (Vd, V), égotyon m. (V) ; {in)tré-
choyi adj. (Vd, V, F) ; lait salé (Vd, V, N)
— V édzotttire f . ; répachô adj. — F tardit'
— B epasiir f., épais adj. ; amer adj.
laitya f. (partout) ; clair m. (B, N).
lait rouge (partout) — Vd lait vert ; brèvofi m. ;.
r et sert son m. — V lèvi m. ; veta f. ; inko-
ralyon m. ; grason m. ; laséplan m. ; po-
tage m. — F reblyantsi m. ; ladi-batsi
(baptisé).
56
Idée
e. tappolet
Equivalents patois
traire.
diverses façons
de traire
traite
celui qui trait
lieu où l'on
trait
pis
trayon
manier le pis
écume du lait
qu'on vient de
traire
laitier
vache laitière
arya v. (Vd, V, F); traire (Vd, G, N, B) —
V moèdrè.
tsitsota v. (Vd, V) ; ititrhhoyi v. (Vd, F) —
V blotchye ; pceudzeyè v. ; ponyata v. ; ts3-
fonye v.
souyj f. (Vd, V, F); traite (Vd, G, N), très f.
(B, N), tré m. (Vd, G), trèyèdj m. (B) ;
aryayd (Vd, V, F) — V tirée.
aryœu m.(Vd, V), aryarm. (Vd, F); tréja""
m. (Vd), trèyou m. (B, N) — V moèjœ m.
— G berger.
arya^ m. — V mouijyœu m. — B tréyour f.
ivro m. (partout sauf G) ; tétine (Vd, G, N)
— V 7nandroîy3 f. ; pdna f. — (G) pis.
tète m., téton, tétin, tdti, tityon m., tata (B);
trayon (Vd,N);/^^>^<?/2 rc\.,pèchonè xï\., p9S3t
f. (V, G) — V touche f. — F nènè m.
amolyi, in-molyi v. (Vd, G, F, N) ; maneyi,
amaneyi v. (F, Vd) ; étnœdr v, (B, N) ;
adoucir (Vd, V) — Vd apareiller ; chérachi
— V abaisser ; aprécha (, appresser ' ?) ;
attraire — F amasser.
dzé (= jet?, Vd, V, G, N) ; écume (un peu
partout) ; djèf (B), djèfè m. (B, N) ; —
V borai.^ borets f . ; zort m. — G bave —
N mousse — B fleurette; choum f. (ail.
Schaum).
fruitier (partout) ; laseli m., laitier m. (un
peu partout).
vache laitière, z'. lasliir, ladelœza; vache
(bonne) à lait ; fonta7vna a lasi (un peu
partout ) — V aryinta adj. f. \fonday3 adj. f.
F dè%lya f.
Idée
SYNONYMIE PATOISE
Equivalents fatois
57
ustensiles :
chaise à traire
seau à traire .
vases à porter
au dos
vases à porter
à la main
vases à^déposer
le lait
couloir
sala, soleta f. (partout) ; boutaku m. (le mets-
[à -cul, Vd, G) — V banka, bantsèta; bréla
f. ; chata f. — N tabouret — B treyat.
seillon, sélè m., soiiaya m., etc. (partoutj ;
souaya-trèra (B) ; brotsè m. (F, Vd), bro-
tsarya m. (F) — Vd dzalaita f. — B trara
m. (dér. de traire).
bolya f. (partout ) ; brinta f. (Vd, V ), brin-n
f. (B).
mitra f. (partout); bidon; seille (un peu par-
tout) ; toulon (F, Vd) — Vd boutfzala f. —
V carrée.
banyolè m. (partout sauf Bj ; dyètso m. (Vd,
V, F) ; rondla m., ronde m. (B, N) — V han-
seya f. ; hémine, minon m.
couloir (partout), passoir m. (F, N, B), pas-
soire f. (V, G).
couler couler (partout) — G passer.
écrémer .... écrémer (partout); effleurer (F, Vd, V, N) —
V cueillir.
crème crème(partout);fleur(F,Vd, V,N), aussi fleu-
rette, _/?t?r^« m. ; krqpa f. (F, V).
crème fouettée crème fouettée; c. gonflée; c. battue, dé-
battue (un peu partout) — V fleur; kou-
lya f. ; trintson m.
lait écrémé . . bleu adj. (V), byœvur f. (B) — V pèr adj.
(= pers , bleu-violet '), rjprin m. — B
maigre.
lait gras (partout), pur adj. (Vd, V, G),fyan adj.
non écrémé (Vd, V) — V entier — B bon.
Idée
ë. tappolet
Equivalents patois
faire bouillir
le lait
résidu qui s'at-
tache aux pa-
rois des usten-
siles en bouil-
lant le lait
pellicule (à la
surface du lait)
cuire, recuire (partout); gonfler (Vd, F);
bouillir (Vd, G) ; échauder (V, F) - Vd
faire bruire (brouir ?) — V faire moda,
faire émoda.
rapyon m., rapon m., rapin f., rapô f. (F,
Vd,V); raklyoti m. (Vd, N), rc^ur f. (B)';
croûte (Vd, G) — Vd bourlon m., rou-
pyon m., inroupi m. — V archouti m. ; katsè
m. ; kratsd f. ; krépi m. ; pega f. — F rixtse
f. — B rœjnr f.
peau (partout) ; kreya f. (craie?, Vd, V),
culottes (chausses) du fruitier (Vd, G, N) ;
pelisse (V), pelure (B) — V crasse, crème.
4. Le fromage.
(cfr. Gauchat, Bulletin VI, p. 14-21 ; Luchsinger, Gabbud,
Arch. suiises des traditiom pop. IX, XI et XIII).
fromage j fromage (partout) ; fruit (Vd, V, F) ; foma f.
(terme général) (partout sauf B) ; motte (Vd, V, F); j^/Wd!
) (Vd, V ; = viande au sens de nourriture).
parties d'un fromage :
pâte
couenne
trous
pâte (partout): dedans m. (V, F) — V motte ;
myolèt m., myota f. ; pré m.
couenne; croûte (un peu partout!; talon
(Vd, G) — Vd ntsj f. — V krosyon m. —
G para f. ; râklyura f. — B kof f.
pertuis ; yeux (un peu partout) ; bogan m.
(V,Vd) — Vd invèr m. ; hsté m. — G gole m
faire le fromage, fromadzi., a-, in-fromadzi
(^partout sax\{ ¥)] frûiiitchyè, v. {Y),fr3-
talâ V. (G) ; trancher (F, N) ; cailler, inka-
/r^(Vd, V) — Vd motayi v. ; faire le train
— V kajina v.
faire le fro-
mage
Idée
SYNONYMIE- PATOISE
EaUIVALENTS PATOIS
-59
celui qui le
fruitier {\)Zs\o\\\) \ fromadjao , fromadzi m.
fait
(Vd, V, B); maître (Vd, V), laitier (Vd,
V, F); dzinyo m. (Vd, F); — Vd armailli
— V pato — B gruyérien ; vètchron ; kuyir
(ail. Kiiher).
lieu
où l'on le
fruitière, fruiterie (partout); fromagerie (par-
fait
tout); laiterie (V, Vd,F); trintsad'zo, trin-
tsàblyou m. (F, Vd) ; mèx3 m., tnèxlyeri f.
(Vd, Y);pachhièri f. (Vd, N) — Vd kakj-
reta f. ; chalet, tsalo m. — V tséjyori f.
foyer
foyer, foyir ï.^ foyidzo m. (partout); creux
•
(du feu) (Vd, G, F); grœbo m. (V, Vd);
âtre (B,N) — Vd soyi m. — B fouin-nta m.
ustensiles :
ensemble des
ustensiles
chaudière . . .
vases à conser-
ver la présure
bâton à briser
le caillé (ail.
Kiisebrecher)
carré de toile à
retirer le caillé
(ail. Kâsetuch)
train (\'d, F, V); éze f. pi., ejman m. pi. (par-
tout); ameublement, meubles (Vd, V) —
Vd outils — V bagages ; hastrin m.
chaudière, chaudron, etc. (partout).
az?lyire f. ( Vd, F), izi m. (V), botizi m. (F);
kalyèrè m., kalyorè f. (V, Vd), aussi bosè
m. ; tonneau ; baro m. ; bolyj f. ; brinta f. ;
fiole ; pot ; bouteille.
débatyao m. (Vd, F, N) ; frindjœ m. (V, Vd);
{é)modyèta f., modyœu m. (Vd, V), modon
m. (V) ; brassoir (G), bras-kalya m. (N),
brès f. (B) — Vd dekalyao m. ; sabre de
bois — F defajya m.
pyé m. ; toile (un peu partout) — Vd pyason
m. — V drape la f. \ fôda f . ; sardzon m. ;
serpillière.
t)0
Idée
E. TAPPOLET
EOPIVALENTS PATOIS
opérations :
cailler . . . ,
présure
(pour le lait)
masse caillée
grumeaux
de lait caillé
(ail. Klumpen)
briser le caillé
réunir en
masse
enlever les
grumeaux
cailler, inkalyi ; trancher (partout) ; breisi.
bretselyi^ bretsola (partout sauf G) — Vd
biffer — V torba — F virer, tourner —
B tailler.
azi m. ; présure (partout) ; kalye m., kalyi f. ;
ko m., tyé (Vd, V, F) ; agir m. (N, B).
caillée f. (Vd, V, G, F) ; pri m. (B, Vd, V, F)
— B épais m.
brètse f. pi., bretson m. (Vd, V, F); maton
(Vd, N, B) ; grumeaux ; grain (un peu par-
tout) ; kalyon, caillot (V, G, F, N) ; garbo
m. (Vd, V) — Vd bifè f. pi. ; bok va., f ré va.
— V fleurettes ; filandres ; flotson m. ;
melyon m. ; petson m. — F prvnotu va. —
B galets ; mot a va.
frindre{Y,\à)\ débattre (Vd, F) ; décailler;
brasser (un peu partout).
(r)amasser (Vd, V, F) — Vd rapertsi — V re-
trindre.
rechercher (Vd, F) — Vd ebntsi — effleurer,
inflora — B écrémer.
presse
à fromage.
mettre en
presse
égouttoir. . .
petit-lait
qui en sort
presse (partout) — V tour ; indzirhouire f.
presser (partout) — Vd serrer — V charger;
tyèzye.
inntchâPva. (partout sauf G); égouttoir (Vd,
F) — Vd établi — V printan va. ; tôle;
tri/as va. ; trintsun va. ; isizyèr? f., tsizyœ
va. — B épurou va. ; troté va.
printps {., printa f. (Vd, V); laitya krua f.
(Vd, V, F) — Vd egoton va. : r^vèsa f. —
V rjzerbon va. tsijon m., frais m.
SYNONYMIE PATOISE
6i
Idée
EaUIVALENTS PATOIS
forme
r^^sp f. (Vd, F,V); cercle (partout) — V zrr
(ail. Kasereif)
m.: rond m.
moule
fètouir? f. (V, Vd) ; forme (Vd), fouérmat f.
(pour les petits
(B); moule (Vd, G) — Vd moiino m. —
fromages)
B bœt3tyin m. (ail. Bottig).
rogner
rogner (partout); (re)parer (A'd,\'); — Vd
barba ; byordzi — V rnotia , pstsyœ —
B ourler.
rognures. . . .
rognures (Vd, V, N); para f. (Vd, G), repa-
ron (V); rive, rdvon m. (Vd, V, G, F) ; œl f.
(N, B); baves, bavure (F, B) — Vd bord;
hyordzèi. pi. ; fils ; cordons ; maton m pi.;
r3bihe f. pi. : — V queues ; courroies ;
pitsj f. — F limbes.
cave à fro-
cave (partout); grenier (Vd, V, F); sHor m.
mages
(Vd, V); chambre, tsanbron m. (Vd, V, N) :
fromagère (Vd, G) — V fruitière; salle;
cellier.
saler
saler (partout) — Vd mettre le sel — F metr
a la mouèr).
celui qui sale .
saleur, salare (partout) — V tsijdrin — F
chala-fr? ; gouverna-fra.
crasse
mordzd f. (Vd, V, F) ; mouers f. (Vd, V) — V
(sur le fromage)
goutna f., mousse ; crasse ; chemise ; râpa f..
kra m. — F rama f.
E. Tappolet.
•î^î
62 L. GAUCHAT
LES NOMS DES VENTS
DANS LA SUISSE ROMANDE
{Suite.) — Voir Bulletin X (191 1), p. 46.
Encore la vaudaire.
On se rappelle que j'avais rattaché l'origine du mot vau~
daire au nom géographique Vaud, supposant que c'avait été
d'abord un terme de bateliers savoyards, lequel se serait dans
la suite propagé au-delà de son premier domaine. A l'occasion
d'un petit séjour fait en automne 1913 à Saint-Gingolph, dans
le but d'y recueillir le vocabulaire spécial des pêcheurs, je n'ai
pas manqué de m'informer aussi des noms des vents usités
dans la contrée. La vaudaire y est très connue. A ma question
si elle venait du canton de Vaud, on me répondit: Pardon,
monsieur, elle vient du Valais. Cette réponse ruinait absolu-
ment mon étymologie, la réalité s'y opposant. Si un nom géo-
graphique formait la base du mot, Vaud devait être remplacé
pdiT Valais, et je pensai immédiatement à la forme médiévale
de ce nom, qui est Vallesia et dont on avait pu tirer (aura)
vallesaria, «vent du Valais». Mais cette base semble ne
pouvoir donner que vauzaire. Avais-je donc fait entièrement
fausse route et fallait-il en revenir à vaudai, nom du diable?
Ce qui finit par me dérouter, fut la forme phonétique que
vaudaire prend à Saint-Gingolph, ainsi qu'au grand village de
Meillerie, situé plus à l'ouest, et bien plus important pour la
pêche. On y dit : la vovaire. Impossible désormais de partir
d'un radical vald, où al ne faitpas obstacle, puisque caldaria
aboutit à tsodaire, mais dont le d ne saurait en aucune façon
se transformer en un v.
Pourtant je ne me décourageai pas. Croyant bien tenir cette
fois mon étymologie, je ne renonçai pas à vallesaria, quitte
à mettre la phonétique locale d'accord avec le fait que la vau-
LES NOMS DES VENTS DANS LA SUISSE ROMANDE 63
daire a pour patrie le Valais, ce qui est vrai pour le canton de
Vaud aussi bien que pour la Savoie.
Ici, je suis obligé d'entrer en quelques détails de phonétique
et de faire même un détour avant d'arriver à une conclusion.
En expliquant l'origine probable du mot suisse romand cetour,
cellier, M. Jeanjaquet cite la règle que nos patois font passer s
k û (spirante sourde interdentale) toutes les fois qu'elle était
précédée d'une n ou d'une / : insimul > inHinblyo (pat. frib.
par exemple), pulvis -\- a > puda, etc. Cet ancien d a été
remplacé par / dans les patois bas-valaisans, qui prononcent
infinblo.pceufa, etc. (Voir Bulletin IX, p. 31). Les exemples de
ce cas ne manquent pas^ : falsa devient en gruyérien /oi^û!,
l'ancien haut allemand milzi > nuda, in summo > in-don,
etc. Dans son excellente étude sur le patois du Val d'Illiez,
p. Il 6, n. 2, M. Fankhauser augmente la liste de quelques
noms de lieux: mondèrvin = Montsalvens, in dinavsla = En
Sonlaville, chin-ddlè = Semsales, chboicdivoiù = Saussivue (de
salsa aqua), tous en Gruyère.
On peut se demander ce qui devait arriver, si n et / précé-
daient non un j-, mais un s, quelle que fût son origine. Le paral-
lélisme du développement phonétique, qu'on observe générale-
ment dans un parler normal, livré à lui-même, exigerait que ce
z évoluât vers à (spirante sonore inlerdentale), qui, à son tour,
deviendrait <■' en Bas-Valais. Ce serait précisément le cas de
vall(e)saria, où le s aurait eu le temps de se sonoriser avant
la syncope. Donc vauhaire > vovaire à Saint-Gingolph. Cepen-
dant cette hypothèse restera hypothèse tant qu'elle ne sera pas
appuyée d'exemples probants. Ici la série des noms de nombre
II à 16 nous vient en aide. Undecim et quindecim notam-
ment, qui ont dû sonner une fois ond9zè, kindazc, puis ondzr,,
kind{c^ et qui ont pu facilement influencer leurs congénères,
offrent encore dans plusieurs contrées la prononciation onbè,
tyinbè,diix\s\ au Val d'Illiez, à Charnex près Montreux, à Blonay,
' J'écarte à dessein tous ceux où n et / étaient suivies d'un c<^', ou
de // + voyelle, tels que les correspondants patois de faucille, enfoncer,
<t fûncet ■)■), chausses, chanson, etc.. bien que je sois convaincu qu'ils re-
présentent au fond la même « loi phonétique ».
64 L. GAtJCHAT
dans la Broie fribourgeoise, où ce sont les seuls mots qui pré-
sentent le son ô (voir l'intéressant paragraphe 177 que M. Fank-
hauser consacre à ces formes ^). Suivant la règle posée plus
haut, Vouvry dit tyinvè, sévè (16), dovan-na, tyinvéna = dou-
zaine, quinzaine"^. Saint-Gingolph a conservé anvè, doué. Sous
cette lumière, vovaire, de vallesaria, apparaît régulier.
Reste à vaincre la difficulté de la forme vaudoise. Elle dis-
paraît en présence des traces assez nombreuses d'une pronon-
ciation onde, dàdè, etc., que Bridel mentionne déjà, et qui vit
encore au Pays d'Enhaut et aux Ormonts. Cette façon de
parler, où M. Fankhauser a certainement raison de voir une
ancienne évolution ô > <3?, était autrefois beaucoup plus ré-
pandue. Ainsi vaudaire, normal dans une partie du canton de
Vaud, a pu prendre racine ailleurs, le diable (?'a«^/^î) peut-être
s'y mêlant. La série des nombres 11-16 n'est pas seule à pré-
senter le phénomène en question : pollicem, pulicem et
autres se rencontrent aussi avec d. Ces mots ont tous une / ou
71 avant l'ancien ô pour c. Mais le type pulicem ayant, dans
notre territoire, alterné avec *pulicam (cf. espagnol /w/^a),
il n'y a pas grand parti à en tirer. Je chercherai à remédier à
cette pénurie d'exemples à l'aide des beaux matériaux accu-
mulés au Bureau du Glossaire et dont j'ai à peine commencé
à tirer profit pour l'histoire de nos parlers. Les riches collec-
tions de noms de lieux de M. Muret nous permettront égale-
ment d'élucider maint problème. Voici un exemple, en atten-
dant : le nom patois d' Anzeindaz, grand alpage de la commune
de Bex, est anvénda. M. Muret propose comme étymologie
douteuse un nom de femme Adosinda. La filiation très pro-
bable, après ce que nous venons de voir : a{n)d?zinda "]> an-
binda — anvénda, qui explique du même coup la forme offi-
cielle avec z, paraît bien lui donner raison. L. Gauchat.
' Cf. à ce propos la Contribution à la morphologie des parlers savoyards
de J. Désormaux dans les Mélanges Bnuwt et sa critique par H. Urtel
dans le Rom. Jahreshericht XI, I, 237.
- Mais on:^è, do:{è, etc., sous l'empire de la langue littéraire.
LA TRILOGIE DE LA VIE
(Suite.)
-♦-
III
inoiiâ ^ s. f. mort.
mouâr (Vd Pays-d'Enhaut), mouâ ou moud (Vd Lavaux, Blo-
nay, Vaulion ; F Gruyère, Glane ; N Côte-aux-Fées), moue (Vd
Vallorbe, Vallée de Joux), m""Ôr (V Liddes), mouÔ (N Monta-
gnes), mou" (B Malleray ), mor (voyelle ordinairement longue,
Vd Ouest, Est, Leysin ; V Salvan, Lens, x\nniviers ; G Bernex ;
N Val-de-Travers : B Plagne), tuÔ ( Vd Centre ; Bas-Valais,
Hérens), tnôr {G x\ire-la-Ville, Hermance ; N Val-de-Ruz, Vi-
gnoble; B Montagne de Diesse), ??iÔ (G Vernier ; F Broyé), ?>iÔ3
(V Saillon ? ; B Delémont, Franches-Montagnes), ?>ioû? (N Cer-
neux-Péq. : B Ajoie). Plusieurs de ces formes trahisssent l'in-
fluence du français, moer, mouer, mor, Bridel. Gloss., la pre-
mière et la troisième forme sont des additions de P'avrat. Mouâ,
Dumur. Moârt, Bornet. Môe, Guélat. Homonymes patois:
niort, adj. et s., mors, mord[s). Synonymes.- â^/^(?i',yf«, trépas,
voir ces mots.
1. mort subie ou donnée ; 2. cas de décès; •*$. person-
nification de la mort; \. autrefois: épidémie mortifère;,
5. dans des composés: substance ou plante pernicieuse.
^ Depuis la publication de l'anicle-spécimen précédent, en 191 1, la
Rédaction du Glossaire a décidé de donner en français les inots d'entêté
pour lesquels la langue littéraire possède un correspondant exact de
formation et de sens. Ce serait le cas ici, ainsi que pour les mots sui-
vants. Si nous conservons l'ancien système, c'est pour ne pas changer
de méthode au milieu de la série. Pour la même raison, nous n'intro-
duisons pas encore les sigles destinés à abréger sensiblement la nomen-
clature géographique qui ont été dernièretnent soumis à l'approbation
de la Commission philologique.
66 L. GAUCHAT
1. Za pouaira de la ?nouer, il a peur de... (Bridel, Gloss.
ms.). A-n OH lyi dé moiui, sur un lit de... (Vd Blonay). La
mbr c h rai dé-z èpotivintèmin, ... est le roi des épouvante-
ments (Vd Ormi. Za mû nivâilè tb, ... nivelle tout (Vd Pen-
thalaz). Ks Dyu nb prèjèrvai... Dr la niouâr dou traitao,
que Dieu nous préserve... de 1. m. du traître, c'est-à-dire de
Judas Iscariot, ancienne prière (Lambelet, Croy. pop., Arch.
s. d. trad. pop. XII, 117). Mo S9b9tan-na,vci. subite (Vd) ; ;;/^//r/
d^ tnô choubyta, mourir de m. s. (V Nendaz). Mo 7>yolinta,
m. violente (Vd), 7iwuÔ frapinta, « frappante » (N Bre'vine).
Nb fô fui pasâ pe la moue, [il] nous faut tous... (Vd Chenit).
Mouri de sa bala mbr.^ de sa mort naturelle, ou : sans trop
souffrir, ou: innocent, jeune (on dit aussi « de sa bonne m. »,
ou : de sa pdan-na môr, Leysin ; plyan-na moud, Gruyère). / det
meri d^sa bala mouô (N Michelin-Bert, Diinanche aux Plan-
chettes, éd. Jeanjaquet, p. 49, d'un vieux cheval qu'on ne veut
pas tuer). Fér on-fia bala mouô, mourir sans souffrances (F); ?ia
brava môr (G). Intrd la vya c la moue, entre la vie et... (Vd
Vallorbe). Ave la moue de rdma, avoir la m. dans l'âme (ib.).
Konba a fn., combat à m. (ib.). S'tn-nouyi a la m., s'ennuyer...
(ib.). Orin è tb parai devan la m., on est tous égaux... (Vd
Bière). Se halyi la mo, se donner... (Vd). Za mbr n'a pà fan,
la m. n'a pas faim (Vd et ailleurs, se dit en voyant une personne
misérable qui est à la charge d'autrui). — Zaché i fir?, yjœu-z
inpï., é varan prœu an mo %li7i k'è d'di pâ fi adrai, laissez- les
faire, ces impies, ils verront bien à la mort ce que c'est de ne
s'être pas bien conduits (V Bagnes, Courthion). Mèmamèn h
vèrmé lan pouir? de la mbr, même les vers ont peur de la m.
(V Anniviers). Mouri de la mbr dura, mourir vieux garçon
(V Salvan). On vi toui ta?ik a la mb, on vit tous jusqu'à la m.
(V Vérossaz). A la mb noun prin tsôja apré chè, à la m. on [ne]
prend rien avec soi (V Evolène). Ona mb dœu%b,... douce (V
Bagnes). — A fin de moud, in extremis (F Gruyère, aussi Vd).
Avi la moud chu le botsè, avoir... sur les lèvres, même sens (ib.);
din le jyè.1 dans les yeux (ib.). Chè balyi la m. ou kouà, « se
LA TRILOGIE DE LA VIE 67
donner la m. au corps », gâter sa santé (ib.). /dr' a dou de de
la m., être à deux doigts..., bien malade (ib.). Ses grahès, ses
vertus triomphant de la /nouart, ses grâces, ses vertus, triom-
phent... (Python, Egl. 5, p. 130 de l'éd. Moratel). Adeisivo, petit
volâdzou, Ne vo revéri djiainé ; Schondzidé adi koqué yadzoti
Que vo ni'ey caouja la uiod, adieu, petit volage, je ne vous
reverrai jamais; songez bien quelquefois que vous m'avez
causé la m. {Etrennes frib. XXVI, p. 122). Aid tsèrtchi la moua.
« aller chercher la m. » = marcher très lentement (F Romont) ;
cf. êtr bon par km (chercher) la fnor, être lent, mettre beau-
coup de temps pour faire une course (B Plagnej. É vœl s kéyi
djuk a la mor, ils se haïront à... (N Noiraigue). É pyœ a mor,
« il pleut à mort » ^ à torrents (ib.). Resta unis, fidèles, djanqua
la niuau, restez unis, f., jusqu'à la m. (,Huguenin, Chansonnier,
n° 1). — Èvoue le mous antr lé dan, avoir la m. entre les dents
(B Ajoie). I in-virô mœ sœfri mil wo^, j'aimerais mieux souffrir
mille morts (B Mettemberg). Malet an le m., malade à m. (ib ).
Byèsi e m., blessé... (ib.). Kondane è m., condamné... (ib.). La
pin-n d3 tn., la peine... (ib.). Le m. d' Vâm, la m. de l'âme (ib.).
El éfè en bel (' bouin-n mÔJ, il a fait une belle et bonne m., il
est mort dans de beaux sentiments de religion (ib.). Enne bin
belle moue, titre d'une historiette (Pays du dimanche, iSçSin^is).
Tbti fèy3 k3 pati n'é pd le mÔ3 â txu, toute fille qui pète n'a pas
la m. au c. (Rossât, Chants pat., n" 61). Le fnou? d'in Ôjeld, la
mort d'un oiselet (ib., n° 104, chanson de A. Biétrix, devenue
très populaire en Ajoie). — 2. Ai 7'b la mo tsi vb, avez-vous
la m. chez vous, une personne décédée dans votre parenté ?
(Vd). «Quand on abordait autrefois quelqu'un en entrant dans
une maison mortuaire, on lui disait : vo-z éi (avez) la moud »
(Vd Blonay). E y é èyu mÔ3 d'a-n^ il y a eu mort d'homme (B).
— 3. On se représente la mort comme un squelette, voilé ou
non d'un suaire, et armé d'une faux, aussi tenant un sablier.
La ma? porté la fà su Vépôla pb ssyè H vy'e di dzin, ...pour fau-
cher les vies des gens (V Saillon). La phrase po sauva lo tnondo
dâi grappiè de la moo, ...des griffes de... {Po recafâ, p. 382)
68. L. GAUCHAT
semble montrer sous un autre aspect cette personnification.
Dans nos légendes, elle apparaît sous des formes diverses.
Maison à V enseigne de la tnort, Bulle, plan de 173 1, 3 ; ancien
nom, jusqu'en 1838, de l'Hôtel de l'Union. Dans une pétition
de 1838, il est fait mention de la Porte de la mort, ancienne
porte Sud, détruite à cette époque (Ruffieux). — -i. « La fa-
meuse peste dite la mort noire», en 1349 (Courthion, Veillées
des Mayens, p. 172). « Dans la première moitié du dix-septième
siècle, une peste appelée jnort noire'' ravagea non seulement
les populations de la plaine, mais même celle de nos Alpes »
(Ceresole, Légetides des Alpes vaiid., p. 321) ; cf. la désignation
allemande de la peste « Der schwarze Tod ». La mort de Me-
nières, nom fribourgeois de la même épidémie, d'après un vil-
lage où elle fit de grands ravages (Kuenlin, Dict. II, 121). —
5. môr è ra, arsenic (Vd Leysin); cf. mort-aii-rat (Duret, Gloss.,
p. 151), nior de ra (V), môd é rh (B); môr dei rate, Euphorbia
Peplus, mélangé avec des aliments, sert à détruire les souris
(V Evolène). L'est de clliâo que sont coumeint dâi tireboutchons,
qu'on lâi dit pe Paris ddi z'«. accroche-tieu », que V est la moo ai
rate dâi valets, il y e.n a (des mèches de cheveux dont se
parent les jeunes filles) qui sont comme des tire-bouchons,
auxquelles on dit à Paris des « accroche-cœurs», qui sont le
poison des jeunes gens {Cont. vaud. 1880, n^ 3). MÔ3 é motch,
mort aux mouches (B). Mouér é vis, mort aux vers, vermifuge
qu'on donne aux enfants (B Boncourt). Mor i tsin, m. aux
chiens, colchique (Vd Villeneuve). Mor u dyablyo, petite sca-
bieuse, etc., ne contient pas notre mot, voir sous mouâ, mors.
Cf. d'autres composés sous trompe-la-mort, morbleu.
Comparaisons: frai k?min la moua, froid comme... (Vd
Blonay) ; pâle, blanc c. la m. ; byèv c. la m., pâle (B).
Proverbes ou dictons ^ : Apri !a mouâ^ lou maidzo, après
la mort, le médecin (Dumur, Voc.)\ cf. âpre la mor, h ?nédj
(B Plagne). A la moud, rin dé ré?fuiido, à la m. pas de remède
(Vd Blonay) ; cf. y a partb de rhnyèdzo Han mo (V Bagnes) ;
' Il y en a qui ont déjà été cités sous )iiariage, voir partie II.
LA TRILOGIE DE LA VIE 69
a la mÔ min dd rdmâido (V Vouvry); è y c ïn rmedi an tb si
s' 71 â an le moû3^ il y a un remède à tout si ce n'est à... (B
Rossât, Prov.s Arch. s. d. trad. pop. XII, p. 263). Oou ma-
rra dzo c a la moini, h dyâblyo fa sé-z éfoua, au mariage et à
la mort, le diable fait ses efforts (Vd Blonay); ailleurs : //(tous)
sé-z éfoua: forme bernoise: â mcryèdjs e an le mÔ?, /' dyel fè
sé-z éfo9 (Rossât, Arch. s. d. trad. pop. XIII, 40, cf. XII, 267).
Moud é vindisyon ronpon tôt amddiyasyon, mort et vente rom-
pent toute amodiation (Vd Blonay) ; varié à Villeneuve : mor,
partâdze è veindisyon kâson tôt amodiachon. Loti dzouvino ki
vclys e lou vilyo k? doua, san ti dou bmprî de la mouâ, le jeune
homme qui veille et le vieillard qui dort, sont tous deux bien
près de la m. (Dumur. Revi). Moueir de ferma et via de tsévo,
Le la tsevauce de Votto, mort de femme et vie de cheval, c'est
la prospérité de la maison ( Corbaz, p. 142; Chenaux et Cornu,
Pan., n*^^' 125), cf. la corruption de ce proverbe, qui en fait
encore mieux ressortir le cruel matérialisme, notée par M. Gillié-
ron à Vissoie (V): Mbr de fèna, ritchds? d'bmo. Crouia via et
bouna mor, djamé ne fur an d'accord, mauvaise vie... (Corbaz,
p. 193), cf. Quinche, Frov., p. 4; Le Patois neuch., p. 129. La
Vallée de Joux dit: bouna via fa{Ï3i\\.)houna moue. l^a. Gruyère,
plus brièvement : tola ya, tola moud, telle vie... ; forme plus
archaïque notée à Lessoc : ta va tÔ mouâ. ToV é la mor d'oun
omo, toV c la mor d^oun ano, telle... d'un âne (Corbaz, p. 136)
variante du prov. plus polie : Târ è la moo d'an sadzo (sage ), tôV
(• la moo d' on fou (Po recafà, p. 456). Si ks dèzirc la mÔ de
son V3zin.^ la sin-na n'e pâ lyin, celui qui désire..., la sienne
n'est pas loin (Vd Pailly). La mb on sa pâ kan vin,... on "ne
sait pas quand [elle vient iV Val Ferret). La mb râd'e rin yà
priu,... ne regarde pas où elle prend (ib. ). A la mouâ nb chsrin
ti para,... non?, serons tous égaux (F Châtel-St-Denis). La mouâ
nèpârnyè nyon,... personne (F Gruyère). A la mÔ fô tb pèrdtna
(F Broyé). An tôt omr (heure) la mousr â prât (prête, B Clos
du Doubs). La vi n'a k' en part, la mbr bn a san, la vie n'a
qu'une porte, la m. en a cent (B Plagne).
On entend dire à l'occasion d'un décès : Le bon s'in von, le
70 L. GAUCHAT
krouyo rèston, les bons s'en vont, les mauvais restent (Vd Ville-
neuve). Adjdœ â dénè, dmiti dln l v'^e, aujourd'hui au dîner,
demain dans le cercueil (B), ce qui correspond à l'allemand :
heute rot, morgen tôt.
.Noms «le lieux : à la Mort du Day (Vd Renens, fiches
Millioud) ; Fraz_ la Mort (Vd Lucens, ib.) ; En Longe Mort
(Vd Ollon, 1834, 65, prés, pron. pat. in londzs mor); ce lieu-dit
se rencontre ailleurs: F Hauteville, F Villarvolard, où il se
prononce en patois londzdnuî, cnû mort = moud, cf. mâr-né =
mort-né, à Lessoc, Gruyère; La Mort (B Les Bois, 1857, 23),
nom d'une partie des gorges du Doubs ; autrefois moulins,
dans un site très sauvage. Moulins de la Mort, ib., 1875, 8;
pron. pat. {c le >nÔ3): Clos la Mort {J^ Montsevelier, 1846, 8,
prés, Meylan) ; Pré de la Mort (B Souboz, 1850, 5, prés, Mey-
lan).
Etym. du latin morte m.
Encyel, ^ 1 . En Suisse romande, la peine de mort n'existe
que dans les cantons du Valais et de Fribourg. Ce dernier
canton l'avait déjà abolie en 184S, Neuchâtel en 1854, Genève
en 187 1. I-a Constitution de 1874 proclama l'abolition pour
tout le domaine de la Confédération, ce qui engagea Berne et
le Valais à supprimer l'exécution capitale — car il ne s'agit
que de cette peine depuis les temps de la République Helvé-
tique — dans leurs codes pénaux cantonaux. Vaud suivit
en 1875. Cependant, par un arrêté fédéral de 1879, l'^-bo-
lition fut limitée aux crimes politiques, ce qui permit de réin-
troduire la peine de mort au Valais (1883), à Fribourg (1894),
ici sous l'impression d'un crime monstrueux. Le nouveau pro-
jet d'unification du droit pénal en Suisse ne la contient plus;
les cantons seront néanmoins libres de la conserver par des
lois d'introduction. Ch. Soldan et C. Decoppet, L,a peine de
mort dans le canton de Vaud, Berne 1892, et M. Scheward-
nadse. Die Todesstrafe in Europa, Munich 1914.
' Tout ce qui concerne le deuil et les funéi ailles figure sous entrr-
renient, voir plus loin.
LA TRILOGIE DE LA VIE 71
2. Présayes de la mort. La crainte de la mort, qui accom-
pagne l'homme presque du berceau au tombeau, a fait naître
une foule de croyances superstitieuses, en partie encore forte-
ment enracinées dans le peuple. Les progrès de la civilisation
tendent à les faire disparaître, mais elles renaissent grâce aux
forces mystérieuses qui enveloppent notre vie. Nos correspon-
dants ne manquent pas d'affirmer qu'on ne croit plus à ceci
ou à cela, mais il y aura toujours des êtres faibles, des âmes
timorées ou éprouvées par le malheur, qui s'inquiéteront à
l'apparition d'une comète ou éclipse, qui éviteront d'être
treize à table, qui écouteront avec angoisse le vent qui s'en-
gouffre dans une cheminée, ou la tempête qui rugit à l'angle
de la maison, qui seront impressionnés par les étoiles filantes,
les feux-follets ou les figures formées par les nuages. Nous ne
nous arrêterons pas à ces sentiments généraux et ne citerons
que les signes ou marques ou avertissements {chdnè Vd Leysin,
aloudzo V) qu'on considérait ou que l'on considère encore —
impossible de faire le départ — comme étant de mauvais
augure. Nous commençons par les traits les plus tenaces,
par l'interprétation occultiste de la nature.
Animaux. On interprète de façon fâcheuse la présence,
surtout de nuit, des animaux de couleur noire : corbeaux, pies,
strygiens, araignées noires, taupes. La chouette qui, dit-on,
flaire le cadavre avant la mort, annonce le malheur en venant
pleurer sous votre toit. Le hibou et la chouette portent le nom
d'oiseaux de la mort. Les pies qui jacassent à proximité d'une
maison où il y a un malade, ou qui viennent frapper du bec
contre la fenêtre, les corbeaux qui se placent avec persistance
sur certains arbres du verger ou qui croassent sur le toit ont
une mauvaise réputation. De même les poules qui frappent aux
vitres (Vd Sassel), celles qui imitent le chant du coq, celui-ci
s'il chante avant minuit ou le soir. Les grosses araignées noires
sont parfois messagères d'une nouvelle fatale (V(1,G). Lorsque
les taupes font leurs taupinières dans l'enceinte le la maison,
dans les caves ou cuisines, ou qu'elles sortent d( terre près des
habitations, c'est un mauvais signe. La mort de souris, sur-
7 2 L. G AU CHAT
venue sans qu'on pût en découvrir la cause naturelle, avait
averti les ouvriers d'une carrière d'un éboulement qui arriva
peu après (V Bagnes). Il ne faut pas que les souris rongent les
habits (B Plagne). Si une brebis fait un agneau tacheté, c'est
signe de désaccord ou de mort dans la famille (V Isérables).
Les papillons de nuit appelés drmètè («petites âmes») sont né-
fastes (F). Il est mauvais de trouver une colonie d'abeilles
morte au printemps (Fj ; on est anxieux lorsque les bêtes se
détachent d'elles-mêmes, la nuit (V Grône). Les petits coups
de marteau produits dans les parois vermoulues par l'insecte
nommé « horloge de la mort » (voir sous ce mot les nombreux
termes patois: c'est VAnobium pertinax, le Totenhàmmerli de la
Suisse allemande) continuent à effrayer les malades qui cher-
chent vainement le sommeil. On attribue le pressentiment d'un
décès au chien de la maison, qui le manifeste en poussant des
hurlements plaintifs dans la nuit. Si en hurlant {lulâ V'^d) il
baisse la tête, le fossoyeur aura bientôt de l'ouvrage ; s'il la
lève, c'est pour un incendie (Vd, G). Le cri nocturne du renard
a une signification analogue ( V Evolène).
Plantes. Si les choux fleurissent («montent»), c'est un indice
de mort (Vd F B). Il n'est pas bon que les choux ou les hari-
cots aient des feuilles blanches (B Plagne). Lorsqu'un arbre
fleurit pour la deuxième fois la même année, un membre de la
famille doit se préparer à mourir (\'d Longirod). Beaucoup de
fleurs d'arrière-automne indiquent une grande mortalité parmi
la jeunesse (V Bagnes). Des fleurs blanches à un arbre, en au-
tomne, annoncent un décès dans la famille durant l'année, des
fleurs rouges un mariage (V Isérables).
Bruits. Tous les bruits insolites, craquements de planchers
ou de meubles, frôlements inexplicables, chute d'un corps qui
tombe lourdement, etc. qui interrompent le silence de la nuit,
sont des « avertissements » pour les gens peureux. Ils ne sont
pas toujours interprétés comme présages de mort pour ceux
qui les entendent ou les leurs. A Genève (Bernex), des coups
frappés annonceraient qu'un mort demande des messes pour
LA TRILOGIE DE LA VIE 73
le repos de son âme. Dans le Jura bernois, on y voit un effet
de télépathie, par laquelle un parent ou ami fait connaître
qu'il a cessé de vivre. Même en plein jour, lorsqu'on entend à
côté de soi comme un bruit de gouttière, c'est un présage de
mort pour un membre de la famille (V Evolène). D'autres veu-
lent avoir eu des visions de défunts ou avoir entendu des sou-
pirs ou même des voix qui les appelaient par leurs noms. Si
cela se répète, c'est encore bien plus grave.
Kèves. Rêver de fruits en une saison où ils ne mûrissent pas
(B Plagne), surtout de fruits noirs : cerises, prunes, cassis, de
fleurs ou de bouquets blancs, est un signe de deuil prochain.
De même si l'on rêve qu'on étend du linge, qu'on assiste à un
convoi funèbre interminable, à une noce (B), qu'on parle à des
défunts. Au contraire, lorsqu'on rêve qu'une personne vivante
est morte, cela lui prolonge l'existence (de 10 ans, B). Rêver
d'un décès signifie noces prochaines d'un parent (B Char-
moille). Les oiseaux, les œufs, les moissons qu'on voit en
songe, sont funestes. Si le blé est sur pied, cela désigne la
mort d'une jeune personne, s'il est en gerbes, d'une personne
âgée (G Bernex). Rêver qu'on arrose oit il y a trop d'eau, ou
de moutons qu'on voit dans l'eau, mort certaine d'un proche
parent (V Anniviers).
Présages divers. Sont de mauvais augure le bris de verres,
de vitres, d'un miroir qui se casse ou qui tombe sans cause
apparente, d'un encrier qui se fend tout seul iB Boncourti.
l'arrêt subit ou < râle » d'une horloge, deux horloges de
villages rapprochés qui frappent l'heure ensemble (Vd Chex-
bres), des couteaux et fourchettes mis en croix sur la table ou
autre chose se présentant sous cette forme (G, B), une porte
qu'on ne peut tenir fermée, des chandelles vues par une per-
sonne alitée (cf. Ceresole, Légendes des A. v., p. 331). On peut
en dire autant des taches noires sur le linge qu'on lessive, d'un
drap qui gardera des places sèches et qui deviendra votre lin-
ceul, d'une lessive «fleurie». Faire la lessive pendant les
Rogations amène la mort du chef de la maison (V Bagnes) :
74 L- GAUCHAT
quand on la fait en la semaine sainte, on blanchit un linceul
pour la parenté {Arc/i. s. des trad. pop. XII, p. 169);.., la se-
maine de la Toussaint, il meurt un parent dans l'année (ib.
p. 172); la faire pendant qu'on a un malade, en détermine la
fin (G Hermance). Des cendres qui restent en paquets ou gros
grumeaux sont un mauvais signe. On s'inquiète d'une salière
renversée ou de taches bleues sur la peau (Vd); elles s'appel-
lent blyb de moue à la Vallée de Joux, cf. les Tote/ibliimchen de
la Suisse allemande. Qui constate deux samedis dans l'année
où le soleil ne brille pas, aura un décès dans la famille (Vd
Vallée de Joux). Si un enfant au berceau se frottait le nez avec
persistance, c'était le présage d'un décès prochain dans le voi-
sinage ou la parenté (V Bagnes). Nous n'avons pas retrouvé en
Suisse les rites, connus ailleurs, qu'on emploie en construisant
une maison pour empêcher que la mort n'y entre. Mais autre-
fois, dans le Jura bernois, la tête de la bête tuée pour fêter
la levée d'une maison était clouée au faîte et y restait, ce
qui indique peut-être un ancien usage de ce genre. A Her-
mance (G), pour exprimer que celui qui fait constiuire meurt
souvent quand la maison est prête, on emploie le dicton : Kan
la kaj è fêt, Vizé s'an va., quand la cage est faite, l'oiseau s'en
va. Il ne faut jamais compter les étoiles, car si l'on venait à
compter la sienne, on serait frappé de mort (V).
On observe avec une attention particulière ce c^ui se passe
pendant les cérémonies ou J'étes, pour en tirer des conclu-
sions sur la vie des participants. Lorsqu'un mariage est célébré
par le vent, le mari mourra le premier; par la bise, ce sera la
femme (voir sous mariage., Encycl. 14). Un cierge qui brûle
plus vite que les autres, pendant la bénédiction nuptiale,
annonce la mort de celui des conjoints qui est le plus rap-
proché (V Bagnes). S'il y a un cercueil déposé à l'église où
entre la noce, l'un des époux mourra dans les six mois (ib.). Si
un cadavre était « sur la planche » le dimanche, on croyait
qu'il y aurait sous peu un autre décès dans la maison. Même
croyance, si les membres d'un mort ne se raidissaient pas. si
LA TRILOGIE DE LA VIE 75
les bras qu'on lui avait croisés se déplaçaient, ou si on ne réus-
sissait pas à lui fermer les yeux. Quand un convoi funèbre se
désagrège pendant l'enterrement, un deuxième ne tardera pas
à suivre (B). Si on voyait les gens revenir du sermon en se
tenant ensemble au lieu de se disperser par groupes ou isolé-
ment, cela faisait dire : il va y avoir un enterrement dans peu
de jours.
A certains signes on croyait reconnaître si un nouveau-né
viv'rait. S'il ne pleurait pas à la naissance, s'il venait au monde
un Vendredi Saint (Vd), s'il avait un front fortement proémi-
nant(F) ou des veines saillantes aux tempes, au front (B), sa vie
était censée être de courte durée. Enfants et animaux nés en
février n'ont pas longue vie, reste d'astrologie (V St-Maurice).
Une femme enceinte qui assistait à un enterrement, nuisait à
la vie de son enfant (V Bagnes) ; de même si elle présentait un
entant au baptême [Arc/i. s. d. trad. pop. XII, 119). Si elle
allait visiter un moribond, l'enfant naissait avec la couleur
cadavérique de l'agonisant (ib.).
Une grande partie des « signes » mentionnés se retrouvent
en Savoie (voir A. van Gennep, Du berceau à la to/nbe,\i. 226 ss.).
Voir d'autres présages sous nombre, 7'eridredi, gaucAe, éternuer\
les moyens dé se préserver contre la mort sous amulette.
.'î. On a malheureusement trop laissé se perdre la plupart
des belles Ié(|endes que se racontaient nos aïeux. Celles qui
ont été recueillies montrent le rôle important que la mort
y jouait. Nous ne pouvons en entreprendre ici une étude
collective faute de matériaux un peu complets, et nous nous
contentons de rappeler l'influence sur la fin de notre destinée
attribuée au chasseur nocturne ou cavalier (V), à la procession
des morts (ib.), aux revenants, au mauvais œil, aux sorcières,
aux lutins, aux esprits inventés pour personnifier de grandes
épidémies. Nous donnerons quelques détails sous les mots
chasseur, procession, etc. Notons en attendant la légende de
Jean de la Bolliéta, mise en poésie par Bussard (? voir Bi-
bliogr. ling. I, n" 558), où un lutin fâché cause la perte d'un
76 L. GAUCHAT
troupeau de vaches, le récit Un servant cause de mort donné
par Ceresole, Lég. des Alpes vaud., p. 35, et la croyance que
la rencontre des fenettes des îles du Rhône, espèce de nym-
phes, était funeste (ib. p. 79). Quant aux personnifications de
maladies contagieuses, nous renvoyons à l'histoire de la Dépo-
pulation de Champ s- Jumeaux dans les Veillées des Mayens, de
M. Courthion, p. 176, et au conte sur la Peste à Nenda{,
publié par M. Jeanjaquet dans le Bull, du Glossaire, VII, p. 46.
\. Passant aux coutumes observées pendant et immédiate-
ment après un décès, il y a lieu de mentionner les rites pra-
tiqués par les cathoUques pendant l'agonie. Le malade reçoit
les sacrements de pénitence et d'Eucharistie; le danger devenu
plus imminent, le prêtre lui donne encore le sacrement
d'extrême-onction. Il l'assiste de ses prières, auxquelles le
mourant prend part dans la mesure de ses forces. Le prêtre
peut être remplacé par des laïques. On appelle cela «récrier»
le mourant (B). A Bagnes, le curé est appelé par un parent ou
ami, muni du voile de pénitent (voir plus loin). Le départ du
presbytère est accompagné d'une petite sonnerie de cloches.
Le nombre des coups est différent selon les villages où l'on
porte le viatique. On allume aussi une bougie (jaune) à l'église
devant un autel, persuadé que la vie s'éteindra avec le cierge.
Pour les agonisants qui ont occupé une fonction à l'église, on
y joint un cierge blanc (Bagnes). Lorsqu'un enfant est agoni-
sant, on appelle les parrains, qui viennent 1' «étrenner», c'est-
à-dire placer sur sa poitrine une pièce d'argent qui sera
ensuite remise au curé pour dire un office. Cet usage est consi-
déré comme devant hâter la « délivrance» de l'enfant (F Broyé;.
Chez les protestants on a recours, pour adoucir les derniers
moments, à des prières ou lectures de textes bibliques. On
enlevait le lit de plumes («couatre») sous le mourant (Vd).
On croyait qu'un coussin de plumes prolongeait l'agonie
(V Bagnes).
Pour exprimer que le malade est in extremis, les patois
emploient quelques périphrases, dont voici les principales
LA TRILOGIE DE LA VIE 77
mous francisons où l'expression n'y perd rien): être à {toute)
extrémité, au bout {de la perche) (Vd V F B) ; ùiu tsai-on de
l'orna, au bout de la rangée (V) ; a kâro, au coin (= tour-
nant, V); être bien in-nan, avancé (Vd); inxlon, au bout (\'i ;
u sondzon, item (V); a totè reste, aux derniers restes (N ); à la
dèrairs, dernière ( Vd V G), sur ses derniers moments (Vd), à
{sur) la fin, à fin de mort (voir ci-dessus p. 66 [tirage à part 49],
Vd F B) ; ardvâ fini, «arriver fini » (Vd), «.il a fait» (Y): filer
dît mauvais coton (en parlant du râle); être près du pertuis
(tombe, F). Quelques-unes de ces tournures, cela va sans dire,
sont humoristiques. Les mots pour râle, râler seront donnés
sous rankb, rankâ.
A propos des skjnes extérieurs de la mort, nos corres-
pondants citent toutes sortes de détails physiques, parmi les-
quels nous ne relevons que ce qui présente un intérêt philo-
logique : avoir les yeux kalyé, «caillants» (Vd, Chenit), iukrotâ,
enfoncés (Vd F), ingdrâ, égarés (F), ékondu, « éconduits » (V),
et art sa, grands-ouverts (V Vollèges), moch, morts (V Evolène),
fondu {y), anvarèyid , vitreux? (B Vicques), tréviri?, tournés
(B), la toile devant les yeux (F), la mousse {la toile) au nez
(V), des fèrni3r (toiles d'araignée) dans le fiez (B). L'agitation
fébrile des mains, occupées à froisser le drap de lit, s'appelle
ramasser iB), faire des pon-n?, poupées (G).
5. Usages pratiqués après le trépas. Aussitôt que le ma-
lade a fini de souffrir, on a l'habitude de lui fermer les yeux et
de donner h ses mains l'attitude de la prière. En pays catho-
lique, on les entoure d'un chapelet, de préférence à grains de
bois. Quelquefois on donne au mort un scapulaire, s'il ne le
porte pas déjà autour du cou (V Bagnes ). Un crucifix est placé
près de la tête. Une tasse ou assiette remplie d'eau bénite,
avec une branche de buis, permet aux visiteurs de se signer et
d'asperger le défunt en signe de croix. On allume une petite
lampe ou un lumignon. Certaines personnes, par dévotion, ou
en vertu d'un vœu, venaient offrir du pétrole ou de l'huile pour
l'alimenter ( V Bagnes). La lampe se met sur un meuble ou sur
78 L. GAUCHAT
la tablette de la fenêtre, près du chevet ou au pied du lit. Au
lieu d'une lampe, on allume aussi un cierge qui brûle jusqu'à
l'enterrement. Mais cela est assez rare, à cause des frais. Dans
plusieurs villages du Jura bernois, on se sert d'une pivatte
(mince bougie de cire enroulée en peloton creux). Le soir,
quatre ou six bougies, disposées autour du lit, brûlent pendant
que les parents et les voisins récitent le chapelet (F). A Evo-
lène, il est d'usage de faire sur le front du défunt une croix au
moyen de neuf gouttes de cire. La «sonnerie de r agonie >•>, ou
«du trépas» (B) avertit le village de l'événement. Cela se fai-
sait autrefois même au milieu de la nuit. Depuis quelque
temps, cet usage est renvoyé à l'aube, si le décès a lieu pen-
dant le sommeil des habitants. Dans le canton de Genève, le
glas est sonné à midi et le soir. La manière de sonner fait
reconnaître s'il s'agit d'un homme, d'une femme ou d'un
enfant. Ainsi on sonne pendant environ dix minutes toutes les
cloches pour les adultes, une seule pour un enfant (B Roggen-
bourg). On peut aussi distinguer la sonnerie pour les hommes
et pour les femmes en prenant une cloche grande ou moyenne.
On commence par tinter, puis on sonne à toute volée et on
finit par un second tintement. Naturellement, toutes ces pra-
tiques religieuses varient légèrement de lieu en lieu. A Cham-
péry (V), par exemple, on sonne d'abord trois coups, puis la
deuxième cloche à grande volée ; trois coups qui suivent signi-
fient que c'est un homme qui est mort.
La coutume d'ouvrir la fenêtre, immédiatement après le
décès, est un reste inavoué de paganisme; cela avait à l'origine
pour but de laisser sortir l'âme (voir van Gennep, op. cit., Le
sort de rame, p. 199; le même, Revue de l'histoire des reli-
gions, 1910, p. 65 j. On considère aujourd'hui la chose comme
une mesure d'hygiène, et l'on n'a pas tort. Quelques-uns arrêtent
la pendule dans la chambre mortuaire, symbole de l'arrêt de la
vie. Assez généralement on couvre d'un linge ou d'un voile le
miroir, ou on le retourne. Il y en a qui masquent aussi les
tableaux. On explique cette pratique en disant que c'est pour
LA TRILOGIE DE LA VIE 79
écarter tout objet de vanité. Mais c'est plutôt un reste de
croyance aux mauvais esprits. Il y a des pays où l'on masque
le miroir également lors des naissances et des mariages; on
prétend que dans ces moments on y .voit le diable (voir
Samter, Gebiirt, Hochzeit, Tod, p. 134, et Frazer, The golden
bough, I, p. 294). Selon une très belle croyance — la super-
stition est pleine de poésie — on jugeait les bêtes capables de
prendre leur part du deuil de la maison. C'est pourquoi on
ôtait les clochettes du bétail, usage dont la trace s'est à peu
près perdue. Mais il y a encore des personnes qui croient fer-
mement que les abeilles dépérissent et s'envolent après la mort
de leur propriétaire ou d'un membre de la famille. Ce sen-
timent touchant de solidarité se manifeste de différentes
manières, soit en mettant un crêpe au rucher ( Yd Alpes, G),
soit en soulevant ou retournant les ruches (Vd Centre, B), soit
en envoyant quelqu'un pour annoncer formellement aux
abeilles, en frappant sur le rucher : Votre maître (ou tel
autre de la maison) est mort (B) (voir van Gennep, op. cit.,
\). 225 I. A Bernex (G), on met même un crêpe aux chaises de
la chambre mortuaire. Une survivance curieuse de coutumes
païennes nous est relatée pour un village du canton de Berne :
( )n vide l'eau de la seille, car «l'âme du mort s'y est lavée en
jjartant» ; on frappe contre la tonne à choucroute, afin que le
contenu ne se gâte pas, et contre le tonneau à vin, sans quoi ce
dernier tournerait. Autrefois on brûlait, sur un grand chemin.
la paillasse du mort, coutume en train de disparaître depuis
l'introduction de sommiers et de matelas coûteux (voir Dau-
court, Arch. s. d. trad. pop., XVII, p. 226). Dans la région de
('haumont (N), habitée par des fermiers d'origine allemande, on
découpait jadis dans le drap sur lequel avait été couché ie défunt
un morceau de toile qu'on enroulait à hauteur d'homme autour
du tronc d'un arbre fruitier de son verger. Quand ce morceau
était pourri et tombé de l'arbre, on disait que le propriétaire
avait fini son temps de purgatoire et était entré en paradis
(et". A. van Gennep dans le Folk-Lore suisse T915. p. 6). Cette
So L. GAUCHAT
observance vient de la Suisse allemande, où elle est encore
très usitée ; on emploie à cet effet surtout les linges avec les-
quels on a essuyé la sueur du malade ou lavé le cadavre
(cf. Totentucher, Arch. s. d. trad. pop., I, p. 218, et surtout
E. Hoffmann-Krayer, Feste utid Branche des Schweizervolkes->
1913, p. 44, auquel nous renvoyons une fois pour toutes au
sujet des traditions populaires dont nous parlons ici et sous
enterremefit).
0. Les pleureuses (ou pleureurs) ont fait leur temps.
C'étaient des personnes qu'on engageait pour manifester,
publiquement, surtout en suivant le cercueil, le deuil en se
répandant en lamentations bruyantes. On les employait aussi
pour inviter à l'enterrement. Cet usage ancien et païen n'existe
plus nulle part chez nous, mais s'est faiblement conservé en
Savoie (voir van Gennep, op. cit., p. 201). D'après un article
non signé du Conteur Vaiidois 1898, n° 13, sur les Ancietvies
coutumes, des vieillards se souviendraient encore, dans le can-
ton de Vaud, d'avoir vu les pleureurs ou pleureuses. A Neu-
châtel, cette tradition aurait cessé vers 1870. Il n'est pas
impossible que le rôle àes prieuses du Val de Bagnes soit en
rapport avec les anciennes pleureuses. Ce sont des femmes du
village qui ont pour office de se rendre aussitôt après le trépas
dans la maison mortuaire, si elles n'y sont pas allées dès
l'agonie. Elles récitent de longues prières des morts. D'autres
personnes, mues par des motifs de piété, leur viennent tenir
compagnie.
7. Toilelle du mort. A Bagnes, c'est aux prieuses qu'in-
combe le soin de faire la toilette du mort. Il y a environ une
cinquantaine d'années, on cousait encore le défunt dans son
suaire ou drap de lit. La pratique en a survécu dans certains
hôpitaux, ainsi que dans quelques villages, comme aux
Ormonts. Quelques points ou épingles avec nœuds de crêpe de
tulle suffisent à joindre le linceul sur la poitrine. Maintes familles
le remplacent par un peu de toile blanche, achetée ad hoc.
De plus en plus la coutume prévaut d'habiller complètement
LA TRILOGIE DE LA VIE 8l
les morts, après les avoir dûment lavés, peignés, même rasés.
On leur donne un vêtement convenable ou celui qu'ils pré-
féraient ou leurs habits de cérémonie (deuil ou noce). Aux
jeunes mariées, on aime à mettre leur robe de noce. Les fil-
lettes sont souvent habillées de blanc. On ne met généralement
pas de souliers aux défunts, mais la coutume naïve s'est con-
servée dans quelques villages du Jura bernois, situés près de la
frontière allemande, de mettre des souliers à une femme morte
en couches, afin qu'elle puisse revenir allaiter son enfant. Si le
bébé est mort, il est enseveli avec la maman. Aux vieilles
femmes on met l'ancien bonnet (B). En Avalais, où les adultes
font ordinairement partie de la confrérie du Saint-Sacrement,
les morts sont revêtus de leur habit de pénitent, nommé abè
(= habit), espèce de domino blanc, recouvrant tout le corps.
Dans les soins donnés ainsi au cadavre, la famille se fait
volontiers remplacer par des amis ou voisins, par des gens
pauvres ou par des «spécialistes». On les rétribue d'une che-
mise ou d'un vêtement du défunt, quelquefois d'une gratifica-
tion en argent.
Ainsi vêtu ou enveloppé de son linceul, le mort était autre-
fois ou est encore étendu sur une planche placée sur des
tabourets, ou sur un banc, en attendant que le cercueil soit
fait. Cette planche, le Leichenbrett de la Suisse allemande, est
surtout usitée dans les cantons de Fribourg et de Berne. Mais
elle l'était partout, témoin la locution être sur la planche, ou
sur h lan ou sur le banc, connue dans toute la Suisse romande
dans le sens de être mort. On laissait aussi le corps dans son
lit. tout en ayant soin de mettre une planche dessous. Comme
raison, on indique que la tiédeur du lit développe la décompo-
sition. Sous la tête d'un mort couché sur la planche on mettait
un coussin ou simplement des copeaux. Les mains étaient
croisées sur la poitrine, enveloppées d'un chapelet ou munies
d'un petit crucifix, dans les contrées catholiques. Un bouquet,
de romarin par exemple, mis dans la main du défunt, embel-
lissait l'aspect triste, surtout quand c'était une jeune personne.
82 L. GAUCHAT
Dans les Alpes vaudoises, et sans doute aussi ailleurs, une per-
sonne âgée tenait un petit psautier. On mettait aussi une Bible
sous le menton, pour empêcher la bouche de s'ouvrir. A
Plagne (B) on attache les mains d'un ruban de deuil, A Cham-
péry (V) on signale l'habitude de mettre une image de saints
ou une prière écrite entre les mains du mort. On dit à Bagnes
qu'il ne faut pas lier les jambes avec le suaire. Le corps étendu
sur un banc est souvent recouvert d'un linceul. Un prêtre
décédé est revêtu des ornements sacerdotaux qu'il employait
à la messe. La planche, mentionnée ci-dessus, servait aussi à
y placer le cercueil pour la descente dans la tombe.
Plusieurs termes techniques se sont développés à cette occa-
sion dans nos patois. Re7'êtir prend en Valais et dans les
Alpes vaudoises le sens spécial d'habiller un mort. Ailleurs on
dit {f)habiller, èfti (N Landeron), sans signification spéciale.
Tous les soins qui précèdent la mise en bière s'appellent
mettre {bouta) adrai (convenablement, Vd), ins9v?li, « ense-
velir» (F, B), inf acheta (F Châtel-Saint-Denis), ?nantr an bisr
^= «mettre en bière» (B). On remarque la déviation curieuse
du sens propre de quelques-uns de ces termes. Pour « être sur
la planche», on disait concurremment: être exposé, être en
corps (F Gruyère). Au lieu de lan, planche, on rencontre
t savant on (F environs de Romont).
8. L'ancien ?nessager (aussi invitàrè, exprès Vd), chargé
<r."innoncei' la mort aux parents et amis, et de les convoquer
à l'enterrement (verbes employés: mander, demander, com-
mander, inviter, prévenir, prier, <.< faire à savoir »), est de plus
en plus remplacé par les lettres de faire part et les avis dans
les journaux. Les premières s'appellent aussi lettres de deuil
(F), de mort (N), d'enterrement. Pour le Chenit, Vallée de
Joux, on nous indique l'année 1870 comme époque où l'on
cessa de communiquer verbalement la triste nouvelle au
moyen d'un jeune homme muni d'une liste. A cet effet, on
choisissait généralement un voisin, ami ou parent du trépassé.
Il portait des habits de deuil. Comme on lui offrait beaucoup à
LA TRILOGIE DE LA VIE Ô3
boire, il se trouvait quelquefois, à la fin de sa tournée, dans un
état contrastant singulièrement avec sa mission. La coutume
de faire inscrire chaque décès, ce qui se faisait anciennement
par les curés et pasteurs, a eu quelque peine à entrer dans nos
mœurs. Nos archives contiennent des plaintes à ce sujet. On lit
par exemple dans le Registre des décès de Gingins : « Depuis
ce jour 22 juillet 1777, ensuite des plaintes que j'ai portées
contre l'abus d'enterrer les morts ou trop tôt ou s'en [sic]
m'en aviser comme pasteur pour les inscrire ; ou enfin dans
des fosses qui n'étaient pas à la profondeur exigée par la loi,
on a établi des enterreurs, auxquels on a alloué 20 batz pour
chaque mort au-dessus de l'âge de dix ans, et 12 pour les
morts d'un âge au-dessous, payables par les parents du défunt
ou la commune s'ils n'ont pas de quoi payer, etc. » (Millioud,
Anciennetés du Pays de Vaud, 1901, p. 105). L'institution de
rétat civil (1874), avec l'obligation de se procurer un cer-
tificat du médecin, un acte de décès, appelé mortitéro en
patois, et un permis d'enterrer, a mis fin à ces désordres.
9. De grands changements se sont accomplis dans la façon
de veiller les morts. Jadis, tous les parents, voisins et amis y
prenaient part. Cette collectivité a fait place à un petit nombre
et, dans beaucoup de localités protestantes, on ne veille plus
du tout, tandis que chez les catholiques, il y a, jour et nuit,
quelqu'un qui prie à côté du défunt. La raison de la diminution
des participants est que ces réunions nocturnes où l'on buvait,
se gobergeait même de friandises, 011 l'on caquetait et se dis-
putait, causaient souvent du scandale et des rixes, sans compter
les frais inutiles. Actuellement, en Valais, on laisse le soin de
veiller ordinairement à des pauvres, qui reçoivent, de droit, un
habillement du défunt. Certaines personnes s'en font une spé-
cialité, on les appelle vHys-mbr au Val d'Anniviers. Dans le
canton de Genève, plusieurs personnes, parents et amis, veil-
laient dans la cuisine, près de la chambre mortuaire. A minuit,
les veilleurs faisaient une petite collation et déjeunaient le
matin avant de partir. Vaud a à peu près aboli la coutume.
84 L. GAUCHAT
Alais on fait souvent veiller la première nuit par une seule per-
sonne, à laquelle une autre peut offrir de tenir compagnie ou
d'alterner avec elle. Si la mort survient après minuit, les assis-
tants finissent la nuit sans aller se coucher. Dans le canton de
Fribourg, ce sont, la plupart du temps, des personnes de bonne
volonté, deux à quatre, qui passent auprès du cadavre les deux
ou trois nuits qui précèdent l'enterrement, en priant à voix
basse. Par intermittences, on récite à haute voix le chapelet.
On leur offre pendant la nuit du thé et du café, avec du pain
et quelquefois du fromage. A la montagne neuchâteloise,
c'étaient les voisins qui veillaient la première nuit, les parents
la seconde. Voici quelques détails pour le canton de Berne : à
la nuit, des voisins et amis viennent, plus ou moins nombreux,
veiller jusqu'au jour. D'heure en heure on récite le chapelet à
haute voix. Une personne « dit devant » et les autres répondent
en choeur, en ajoutant à chaque salutation angélique : « Déli-
vrez les âmes du Purgatoire », et aux litanies: « Priez pour lui
ou pour elle. » A lo heures et à 2 et 4 heures, on va à la cui-
sine boire un « petit verre » et manger du pain ; à minuit, on
sert du café au lait avec pain. Dans d'autres villages, les gens
de la localité venus le soir pour prier se retirent vers 10 heures,
à l'exception des « veilleurs » qui passeront la nuit en prière.
Les termes patois pour veiller sont : vèlyi, {se) vouardâ,
tsboujik (= « choisir » au sens ancien de « regarder », Hérens).
Voir la suite de ces indications encyclopédiques (cercueil,
porteurs, fossoyeur, etc.) sous enterrement.
HTVMOLOGIES 85
ÉTYMOLOGIES
-*-
I. Bridel : menan, mcuanlho, « vieillard ».
Le Glossaire de Bridel contient un certain nombre de mots
qui restent isolés au milieu des mate'riaux du Glossaire romand,
en dépit des recherches systématiques poursuivies dans toutes
les régions de la Suisse française. Ainsi une seule fiche est
venue accompagner celle qui reproduit ce texte du doyen
(imprimé de 1866) : « MENAU, MENANTHO, s. m. vieillard. C'est
un nom honorifique qu'on donne aux anciens du peuple. Voy.
ANTHOU (Pays-d'Enhaut). » Cette fiche provient du vocabulaire
manuscrit du doyen Henchoz de Rossinière, qui a servi de
source à Bridel, et oîi on lit : « Menau (vieilli) répond assez à
sieur en y joignant l'idée d'un certain âge. Au moins il paraît
que cette qualification supposait chez celui auquel elle s'appli-
quait quelque titre au respect. » Sous ANTHOU nous trouvons
dans Bridel : « Un vieillard, un quidam, la personne que vous
savez. Dans le Pays-d'Enhaut on le joint par honneur au pré-
nom : Authou Pierro. L. antiquus. - Aiiilo^ dans les îles Philip-
pines, signifie ancêtre, vieillard. » Cette fois encore, le doyen
ne donne qu'une rédaction abrégée de l'ouvrage de son ancien
voisin et collègue Henchoz, qui dit : « Subst. sans genre, mais
qui pourtant s'applique plus souvent aux femmes. C'est le nom
burlesque par lequel on désigne une personne que l'on ne
daigne pas honorer de son nom, mais qui est assez connue de
celle à qui l'on parle pour qu'elle ne puisse pas s'y méprendre.
C'est l'a. veut dire c'est vous savei bien qui. Un mari donne sou-
vent ce nom à sa femme, cependant cette expression tend à
disparaître, on la faisait suivre du nom de baptême l'a. Pièro ;
l'a. Jeanne comme le quidam Pierre, etc. Il s'y joint en même
temps quelque idée de vieillesse, mais plutôt sous le rapport de
la caducité que des droits au respect. »
Il s'agit donc d'un terme désigné comme vieilli dès le com-
mencement du xixi^e siècle ; il n'est pas étonnant que nous ne
l'ayons plus retrouvé dans le parler vivant. Les mots de ce
86 r.. GAUCHAT
genre ne manqueront pas de causer de l'embarras au moment
de la rédaction de nos multiples matériaux; mais heureusement
nous ne sommes pas les seuls qui s'en soient occupés, et deux
moyens de contrôle nous prêteront leur appui : notre connais-
sance exacte de la phonétique locale et la présence d'expres-
sions analogues dans d'autres contrées. Voyons s'il est possible
d'en tirer parti pour l'explication de menau, menantho.
Comme Favrat n'a pas rendu textuellement le manuscrit de
Bridel qu'il avait sous les yeux, et qu'il en existe un autre, plus
ancien et souvent aussi plus sûr, il est bon d'y avoir recours
en pareil cas. Or, le premier en date des manuscrits donne sous
menau, menantho la définition : « vieillard respecté : c'est un
titre donné à l'âge avancé. » Cela change la question: ces mots
ne désignent pas le vieillard comme tel, mais sont un titre
d'honneur qu'on lui donne. C'est par erreur que Bridel, et par
conséquent son éditeur, suppriment ensuite le mot respecté dans
la première définition.
L'attribution au Pays-d'Enhaut nous met en présence d'une
phonétique spéciale qui nous fait vite reconnaître dans antho
une ancienne forme du mot oncle ^ En effet le groupe on y don-
nait autrefois régulièrement an : sponda — epanda, exponere
— epandre, (rontem — /rfl»,pontem — pan, tondere — tandre,
— submonere — chemandre^, etc. Le groupe cl après con-
sonne aboutit à j?, que Henchoz transcrivait par un signe spécial
et que Bridel rendait par /^: m as cul us — mâdo, mi s cul are
— meda, sarculare —cherda^, etc. Le vocabulaire manuscrit
de Dumur confirme cette étymologie en donnant sous onklyo,
oncle : « titre honorifique que l'on donne à la campagne aux
personnes âgées, à qui celui de monsieur ne conviendrait pas
tout-à-fait. » Voir encore Bridel, sous onkllo. Dans le Glossaire
de Moratel, également inédit, se trouve sous anthou une copie
de Bridel, avec la mention : « Je crois que c'est simplement le
mot onhllou, qui s'emploie dans les mêmes sens. » Nous possé-
dons enfin un exemplaire du Glossaire de Bridel, annoté par
M. Cornu à Cuves (Pays-d'Enhaut), vers 1870; notre savant
' Et Bridel allait chercher un terme de comparaison aux iles Philip-
pines !
- J'emprunte ces exemples à la dissertation de doctorat inédite sur la
phonétique du Pays-d'Enhaut de M. Cornu, qui a bien voulu la meure
à notre disposition.
KTYMOLOGIES 87
collègue indique, en regard de aiithou, la forme otWo comme
étant celle de ce village. Il a aussi retrouvé nwmwn'do à Cuves,
et nmwndo à Château-d'Œx. Le premier élément n'est pas autre
chose que l'adj. poss. mou.
Quant à menau, à l'aide de la forme valaisanne actuelle aou,
oncle, qui s'emploie dans les vallées d'Hérens et d'Anniviers,
on y reconnaît également un dérivé du latin a vus, c'est-à-dire
avolus, ancien concurrent de a v un cul us. Cette forme doit
avoir eu autrefois un domaine plus étendu.
La seule chose qui fasse encore difficulté est qu'on ait ajouté
anthoH (lire antho) à des noms de femmes, et même de préfé-
rence, au dire du doyen Henchoz. A-t-il confondu antho et anla
(amita), qui devait être la vieille forme pour tante ^? Ou aurait-
on réellement généralisé la forme masculine? C'est ce qu'il est
malaisé d'élucider aujourd'hui.
2. Bridel : fethaula, « petite saucisse attachée à une plus
grande. »
Bien que cet article soit suivi immédiatement de celui-ci :
fethaula, fetheula, s.f. filleule, le lecteur de Bridel ne re-
marque peut-être pas qu'il s'agit les deux fois d'un seul et
même mot, pris dans des acceptions diverses, le rapport entre
la grande et la petite saucisse ayant été considéré, par méta-
phore, comme celui d'une marraine à sa filleule. On donne ce
nom aussi, dans nos patois, à de jeunes pousses de vigne, à des
rejetons d'œillet, d'artichaut, etc. En Gruyère, filyâla désigne
en outre un petit fromage qu'on fait avec un reste de lait. Ail-
\eursfilyon (filius + suffixe dim. -one), paon, fddon, etc., signi-
fie tantôt l'un, tantôt l'autre, ou les deux (petit fromage ou tige
adventice). Bridel a eu le tort de ne pas réunir les articles, de
laisser à peine deviner la vraie prononciation, qui est jdbaola
(ainsi à Rossinière) et de donner la correspondance patoise du
français ///cm/^ sous un accoutrement phonétique trop local et
trop bizarre, sans en indiquer la provenance. La forme com-
mune vaudoise serait fshaoïila. On voit que le Glossaire romand
aura beaucoup de choses à mettre au point. L. Gauchat.
* Elle est encore usitée en Valais.
TABLE DES MATIERES
-♦-
Pages
L. Gauchat. Glossaire des patois de la Suisse romande.
Notice historique 3
E. Muret. Enquête sur les noms de lieu et les noms de
famille 31
E. Tappolet. Synonymie patoise 41
L. Gauchat. Les noms des vents dans la Suisse romande (suite).
Encore la vaudaire 62
L. Gauchat. La trilogie de la vie (suite). Articles-spécimens
du Glossaire romand. IIL La mort 65
L. Gauchat. Etymologies : i. Bridel : menait, menanfho,
vieillard. — 2. Bridel : fethanla, petite saucisse atta-
chée à une plus grande 85
<oCX><0<»o-
BULLETIN
DU
GLOSSAIRE DES PATOIS
DE LA
SUISSE ROMANDE
PUBLIE PAR LA
Rédaction du Glossaire.
QUATORZIÈME ANNÉE
1915
ZURICH
BUREAU DU GLOSSAIRE
Hofackerstrasse 44
LA TRILOGIE DE LA VIE
(Fin.)
— i—
>louâ, mouârta, adj.-part. et s. mort.
Les formes masculines sont identiques avec celles indiquées
en tête de l'article précédent ; seulement, comme nous sommes
mieux documentés pour l'adjectif, nous pouvons mieux en déli-
miter les aires. La forme mouâr se rencontre dès Corsier près
Vevey, qui se rattache ainsi au Pays d'Enhaut ; mouâ se dit
aussi à Oron et à Vaugondry (Vdi; comme variante de moud,
le Voc. de M. Cornu indique inud, fém. mubrta pour Albeuve
et Pont-la- Ville (F) ; Sassel a mo, comme le Gros-de-Vaud ; mbr
existe aussi à Isérables (V) ; la vallée d'Hérens a mÔ, comme
tout le Bas- Valais; Lavallaz, Hér., p. 93, écrit mb" pour le
subst. ; \ Atlas ling. de la France, n° 883 (ils sont morts)
note mbr pour Evolène, ce qui est une erreur : on y dit
nibch; Nendaz n'a pas non plus mon, comme le prétend
M. Edmont, mais mo. Il donne môr pour Bourg-Saint-Pierre,
forme que nous n'avons pas contrôlée. Pour Bernex, X Atlas a
mour, tandis que notre correspondant, qui a servi de sujet pour
V Atlas, écrit lui-même màr; cependant cet à peut être très
fermé ; on trouve aussi moi/r dans une traduction en « patois
du canton de Genève » de la Parabole de l'enfant prodigue
(Corbaz, p. 170). iVf' appartiendrait, d'après V Atlas, a. plusieurs
localités de l'ouest du canton de Vaud. Les environs de
Romont (F) ont déjà la forme gruyérienne moud. Moû^tck
donné par Y Atlas pour Les Bois n'est valable que pour le
féminin. Le Jura bernois distingue en partie l'adjectif (ail. toi)
du participe (ail. gestorben) ; ainsi s'expliquent les formes de
4 L. GAUCHAT
V Atlas mru (Péry) et niœri (Courrendlin), identiques avec l'in-
finitif mourir. Cf. sous fnourt, principales formes.
Formes féminines: à moiiâ{r), 7noiid^ correspond mouârta,
niouârta; mouerta (Vd Vallée de Joux, Vallorbe) ; mouôta >
mouôtcha (N Montagnes) ; à 7nb[7-) correspond môrta (voyelle
gén. longue); 7nÔ3 ou mou? du Jura bernois, Ouest, ajoutent
tch; le district de Delémont a môirt, sauf les villages ayant
une forme spéciale pour le participe (voir ci-dessus), qui est
commune aux deux genres. Même mÔ3, mou? se rencontre
comme féminin, par exemple à Charmoille. Ainsi s'explique
qu'une ânesse puisse dire dans une chanson populaire d'Aile
i n sa p 7noud, je ne suis pas morte (à corriger la note de
M. Rossât, Arch. s. d. trad. pop. Vil, p. 255). C'est l'identité
de la forme des participes des verbes en -er, -ir et -re qui
en est cause. L'identité habituelle des inf. et part, a occa-
sionné les formes 77iru, f7iœrt mentionnées plus haut. Voir sous
7nourir.
Moua, mouai, adj. voy. mouert ; mouert, 7?iouerta, adj. mort,
décédé (Bridel, le choix de cette forme comme type vaudois
est curieux). Mouar, ta, adj. et part., avec la remarque : les
deux dernières lettres du mot ne se prononcent pas (Dumur,
Voc). Mouert, ta, adj. indiqué pour Conthey par Barman
(influence de Bridel?). Mouo (Michelin-BertV Moe, trépéssai
(Guélat).
I. adj. 1. privé de vie. 2. par extens. éteint, tran-
quille, etc. II. comme participe passé du verbe 7nourir :
mort. III. s. 1. qui est mort. 2. cadavre. 3. revenant..
4. Dans certains jeux de cartes : joueur fictif, voir l'article
cartes.
I. 1. Kouë moue, corps mort, cadavre (Vd Chenit), kouar-
7710U?, idem, comme composé (B Charmoille). Z'«« tràva 77ioud,
on l'a... (F Lessoc). Bestes mortes, insulte prodiguée par les lu-
thériens aux religieuses pendant la réforme (Millioud, AncieTi-
nete's, 1901, p. 35). Fi? 77iÔr k? z//, plus mort que vif (N Noi-
raigue) ; ploti mort a k? vigva, très effrayée ou abattue (V Evo-
LA TRILOGIE DE LA VIE 5
lènei. Lé nu k? me rédzouyo dé verd, kan s?ri moua, ko feréra lé
bail, c'est moi qui me réjouis de voir, quand je serai m., qui
ferrera les bœufs, disait un vieux maréchal qui se croyait indis-
pensable aux autres (Vd Blonayi. Téi moud, tu es m., dit-on
par moquerie à un enfant qui pleure, parce qu'il s'est fait mal
(ib.). Chu le fÔs dd se doûs èmia — Ib galan mou? yi tchouayé,
sur la fosse de sa douce amie, le galant mort y tomba (Rossât,
Chants patois, Arch. s. d. trad.pop. V, p. 206). I. 2. Y a mb
lé joue, il a les yeux éteints (V Vernamiègei. Saizon mbrta,
saison m. (Vd"); in moudrta chéjon, en hiver (F Gruyèrej. Tôt
è mb, tout est silencieux (Vd Penthalaz). On kou la mouizika
mbrta, T? va drsmi su h fin, une fois que la musique a cessé,
tu vas dormir sur le foin (chanson de société, Vd OUon). Eioue
morta, eau stagnante (V Nendaz) ; / ??' fa pc s' fyé éz avoua
mbrtd, il ne faut pas se fier aux eaux tranquilles (N Noiraigue);
ov mort (B Cortébert) ; cf. noms de lieux. Morta yd, « vie
morte », indigence, pénurie, misère (V Orsières, Barma.n). Jyèrè
a man morta, frapper en tenant la main flasque (Vd) ; fir? a
man morta, se laisser mouvoir la main par un autre. Main morte
était un terme de l'ancien droit = possession non transmise.
Icelle a librement confessé d' avoir promis en main morte....
(1619, Arch. cant., Procès à Corsier). La Mainmorte, nom de
lieu, à l'Est du lac des Rousses. On kou mÔ, « un coup mort »,
simple entaille faite au moyen de la hache sur l'écorce d'une
pièce de bois ; é noutra mârka du bou è dou kou mo, notre mar-
que de famille pour le bois est deux coups morts (V Bagnes,
Courthion). Tser mbrta, chair paralysée, atrophiée (Vd). Fyèra
mbrta, sorte de molasse en très petits gisements dans les
Préalpes (Vd Ormonts). Dd bou mbr, du bois sec, pourri; a
esté gagé en sian (sciant) un vargne (sapin blanc) que le boisi
tnort aurait fait 8 feulles (17 12, Montpreveyres). L7 pérâi le
moud, le poirier est sec (Vd Blonay). dlaizon mbrta, haie
(« cloison ») morte, par opposition à h. vive (Vd Ormonts).
Comme adverbe : / fà t?ri ôt é ma, « il faut tirer haut et
mort», au jeu de boules = il faut lancer haut, de sorte que la
6 L. GAUCHAT-
boule s'écarte peu de l'endroit où elle tombe (G Vernier). Cf.
mort-né. II. Kan on-n è mÔ, on-n è mÔ, quand on est m...., encou-
ragement à jouir de la vie (Vd). Le passage de la Parabole de
l'Enfant prodigue si souvent traduite dans nos patois (voir
Bibliogr. Ihig. I): «ton frère, que voilà, était mort, et il est
revenu à la vie » permet de comparer les formes de ce parti-
cipe dans les diff. dialectes. On-7i a bin rhon d'onorâ xlyè (ceux)
k3 son moue po la patri (Vd Chenit). N'e pâ mb de la promira,
il n'est pas mort du premier mensonge, se dit souvent, cf. Cont.
vaud 1882, no 1 2 ; ib. 1887, n=> 41. El é nior d'éytr afâti... d'ina-
nition (N Noiraigue). / seut celé qu'à moerte, je suis celle qui
est m. (Raspieler, Pan.., vers 126, éd. Rossât). I «' sue p' mo/1?
piskd i djâz ankbr?., je ne suis pas morte (dit une ânesse, voir
ci-dessus, formes phonétiques) puisque je parle encore (Rossât,
Chants pat. Arch. s. d. trad. pop. VII, p. 255). L'adjectif-part.
mort sert à former un passé surcomposé qu'on rencontre assez
fréquemment : L'è z'u mo ci pouro Djan-Daniè {Mél. Favrat,
p. 239, cf. Cont. vaud, 1893, no 7), avec le sens: il y a long-
temps qu'il est mort. Voir, sous mourir, les nombreuses péri-
phrases pour exprimer: /"/ est mort. III. l.férè lou mÔ, feindre
■d'être mort (Vd). Lé mÔ n? rdvïnyan pâ, les m. ne reviennent
pas (Vd Montherond). On mÔ le onkora vito msJzi, un m. est
encore vite mangé, dit un fossoyeur qui a bu l'argent de sa
fonction (Vd Savigny). Lo mÔ è su lo lan,... sur la planche,
voir art. préc. encycl. 7. On mor, homme sans énergie (V Salvan).
Prèyè pb H mo, prier... (V Praz-de-Fort). Lé klbs3 dé mbr, les
cloches (sonnerie) des m. (V Grône). Dra di tnô, linceul (V
Nendaz). // è pru vïly pb fér on mono, il est assez vieux pour...
(N La Brévine); al è bon pè far on môr (G Bernex). On ne vè
pieu gfionça lé fanne seudre lé îhouo, on ne voit plus nulle part
les femmes suivre les morts, prendre part à un convoi funèbre
(Droz, Loc). Vouéyi? ïn mous, veiller un m. (B Ajoie). Le jour
des morts (2 nov.) s'appelle comme en français, mais plutôt le
jour de toutes âmes.^ la fête des aines, les trépassés, voir âme,
trépassé. III. 2. Iré na zinta morta, c'était une belle m, (V
LA TRILOGIE DE LA VIE 7
Vernamiège). Iron katrou pb porta h ma, ils étaient quatre
pour porter le cadavre (F Broyé). La niôrta ire pèzanta, la m.
était pesante (ib.). III. 3. La yu on ma, il a vu un revenant
(V Praz-de-Fort). Oiin mor lèû aparouk,... est apparu (V Gri-
mentz). Avé poiiir» dé ?ndch°", avoir peur des revenants (V Evo-
lène) ; loua dé m., lieu hanté (ib.) ; h prbsèchyon dé m., la pro-
cession des m. (ib.),voir sous procession. III. 4. Prindr h mor
pb dzbyi avoue, prendre le « mort » pour jouer avec (Vd Fre-
nières). Le « mort », joueur fictif", dont on peut prendre les
cartes pour remplacer les siennes, s'appelle aussi borgne (G),
aveugle (Vd), blïnd (B, de l'allemand suisse blind, aveugle, voir
Tappolet, Die alem. Lehmvôrter, II) ou bbk., fuouton (B), voir
sous ces mots.
Composés : cf. r aide-mort, ivre-mort, tête de mort (sous tête),
morte-saison.
Comparaisons : Celles citées sous ?nort, s. s'emploient aussi
avec l'adj. substantifié: pdle, etc. comme un mort. Il faut y
ajouter: raide, froid c. un m.
Proverbes : Mouerta la betd, ?nouê lou vmitt, m. la bête, m.
le venin (Vd Vallorbe ; se dit aussi ailleurs, figure dans la chan-
son de l'Escalade Ce qu^è lainb, str. 54, p. 25 de l'éd. Ritter :
Moicrta la béque, et tnourta i^sic ! le venin). Kan on-n c mÔ, on-n
a prœu pan, quand on est m., on a assez de pain, c'est-à-dire :
c'est peine perdue de tant se tracasser pour l'avenir (V Bagnes).
A la Chint Alero le mo nkbminson Ibou pinns, à la Saint-
Hilaire, les m. recommencent leurs peines (V Vernamiège).
1 fô avi puer di vi., le moud n vblon rin fér de ma, il faut avoir
peur des vivants, les morts ne feront pas de mal (F Gruyère).
Le moud ly an adi touâ, pbrtan n mouâjon nyon mé, les m. ont
toujours tort, pourtant ils ne mordent plus personne (ib.). Berné
k'è mor, heureux qui est mort (N Val-de-Travers). Quand on
est mort cest por lontai (longtemps, Reima du corti, Matile,
Mus. hist. III, 169), dicton encore en usage d'après le Pat.
much. p. 135, n. 6 ; Duret, Gloss., p. 202, quand on est mor, y
est per lontimp. Le dyisr â le fét dé mous, la guerre est la fête
8 L. G AU CHAT
des m. (B Clos du Doubs), A?i kontin chu lé soulë dH'n moud, an
vc lontan détchà, en comptant sur les souliers d'un m., on va
longtemps nu-pieds {\h.). È n fâ dékrie ni lé tnou? ni se k n son
p li^ il ne faut dire du mal ni des m. ni des absents (ceux qui
ne sont pas là, ib.). In en an vid â pu k'in chir mou3^ un âne en
vie est plus qu'un riche m. (ib.). Afô lochia lé mdr an pè, il faut
laisser les m. en paix (B Plagne). Ls mdr a ade t'or^ le m. a tou-
jours tort (ib.). Cf. les proverbes cités sous mort^ s.-
Noms de lieux : La Mortigue, nom de deux torrents dans
le distr. d'Echallens et le distr. de Lavaux (== morta aqua,
eau à cours tranquille), La Mortaigue, Yverdon ; dito Aigle,
1718 (Isabel), voir Jaccard, Essai de top.^ p. 297 ; Moriègue,
Daillens ; La Mortivue, Semsales, 1890, pron. pat. inortîvouè ;
affluent de la Broyé, de même nom, torrent très intermittent,
parfois à sec; Eaux-Mortes, Cartigny, 1852, 10; Les Eaux
Mortes, Avully, 1849, 5 ! Eaumorte, hameau ainsi dénommé
d'après un ruisseau, autrefois le Nant d^aigue morte ou d'Eau
morte (i 762-1763), aujourd'hui le Nant des Crues (pat. a édyy
môrta)\ Champ de la Morte-eau, Malleray, 1852, 3 ; Morteauve,
Bévilard, 1891, 13; 1841, 6. La Mortaz, Granges (Payerne),
1891, 25, prés, champs, mare, signifie « flaque d'eau tranquille »
(Burmeister). E71 fontannaz mortaz, Avenches, 1652; en morta
fontanaz, Bière, 1845 (^= source desséchée). Mortruz peut être
rangé ici, nom d'un ruisseau à Cressier, pour lequel M. Godet,
il est vrai, a proposé l'étym. Martis rivellus {Musée neuch.
XX, 283, voir Jaccard, op. cit. p. 297) ; mais, outre que ruz
représente rivus, non rivellus, il nous paraît peu probable
que ce ruisseau porte le nom d'un dieu de l'antiquité. Si son
cours est rapide aujourd'hui, il peut avoir été une fois à sec.
En Morta Terraz, GoUion, 1891, 33, champs (peu productifs ?) ;
en Mortaterraz, Cossonay, 1493, pré; Mortaterraz, Thierrens,
1815 ; A Morterre (pour mor{te)terre), Diesse, en partie sur
Prêles, 328 ; Jardins de Morterre, Prêles, 1856, 8, champs, prés,
pâturages. Mortaveau, Nyon, pour Mortavaux (vallée aride ?),
voir Jaccard, op. cit.; Morvaux, rochers lugubres, dit Lutz,
LA TRILOGIE DE LA VIE 9
entre la Val-Sainte et Bellegarde(F). Jaccard, qui défend l'étym.
tjiort val, cite les anciennes graphies Morval 1134, 1146, Mor-
vas 1146, Morvaux 1198, où on remarque l'absence d'un t, ce
qui ne laisse pas de la rendre suspecte. Mor = m au rus, noir?
Le mot V a 11 i s apparaît aussi comme masculin. Pron. pat. z'wrz'a
(Fankhauser). Sous le bois de McrtevilU, Bonfol, 1849, champs.
Mont-Mort, petit sommet au S. E. de l'hospice du Grand-Saint-
Bernard, 1783, 1762. Pron. pat. u mon mÔ. L'étym. mons
mortuus ou morti(s) est douteuse, cf. le Mormont qui se ren-
contre à plusieurs endroits, et que M. Jaccard rattache plutôt à
d'autres racines. A ses exemples il faut ajouter celui du Mor-
mont à Coùrtemaîche (B). Plaine Morte ou Planmortis, MoUens,
grand glacier descendant du Wildstrubel. Pron. pat. lachyèr
de plan-moiirti ÇSloWon?,) ; en plan-na nwrta (Lens). Ce nom
paraît être d'introduction récente; auparavant on disait à Lens
et on y dit encore en ouitoiin, lachyèr d'ouitoiin. Dans Plan-
fnortis û faut probablement voir un planum mortivum. La
légende veut que ce vaste plateau ait été jadis un des plus
beaux pâturages du Valais, transformé en glacier à cause de
la méchanceté des pâtres qui l'habitaient, voir Mario, Le génie
des Alpes val., p. 109: Les mauvais pâtres de l'ém'bré. Plan-
Morts, Chalais, 1904; Plamort 1880, Plaît d'y 7norts 1850;
pat. i plan di mor, forêt, broussailles, dans le Ban de Vercorin,
qui, selon la tradition, aurait eu là son ancien emplacement
(réminiscence de la peste de 1349 ?). Plan des Morts, forêt de
la commune d'Hérémence ; pat. u plan di mb, endroit hanté,
dit-on, par la procession des morts. Morteroche, Grandval, 185 1,
forêt, pâturage; dito, Eschert B, 1852, bâtiment, pré.
Le sentier aux morts, pat. h sitidâi éi moua, « mauvais sen-
tier par lequel on descendait autrefois les morts des Cheval-
leyres » (Odin, Gloss. de Blonay) ; Chemin es Morts, 1735, sur
le plan de Mollondin (Millioud) ; Charrière des Morts, Oron.
« Afin d'éviter le passage des convois funèbres par Oron-
la-Ville, surtout en temps de peste, on le faisait passer par le
Carroz et les Chênes; ce chemin a conservé jusqu'à nos jours
lO L. GAUCHAT
le nom de.... » (Pasche, Oron, p. 458). Le même nom se ren-
contre à Gruyères, La Roche, Treyvaux (Fankhauser). La Vy
■des Morts, Jussy, 1742, chemin au nord du village paroissial.
Même nom, Petit Saconnex, 17 12, chemin conduisant au ci-
metière, aujourd'hui Chetîiin TrembUy. Vie es Morts, Lajoux
(Saicourt), 1853, champs. Crct des Morts, Carouge, 1810,
hangar, au Crest des Morts, ib. 1756, champs. Au Mollard
des Morts, Gingins (Burnet). A la Mortaz, Denezy (Vd), dito
Forel Vd (Burnet), peut s'expliquer comme ci-dessus La Mortaz
de Granges, près Payerne, mais ce peut être aussi le souvenir
d'un cadavre trouvé en ces endroits. En Mortavillie, Mur, 1580.
La Féna mortat, Arzier, 181 2, 36, pré. Sur la Tête de V Liomme
Mort, Mordes, 1848, g, rochers et gazons, voir sur l'origine de
ce nom Ceresole, Légendes, p. 299. A V Homme Mort, lieu-dit
de Corcelles (N) ' ; le Chemin des Vieilles Mortes, nom de la
route du Locle à La Saignotte (N Brenets) « parce qu'à la fin
d'un hiver où la neige rendait les communications impossibles,
on trouva mortes dans leur demeure deux vieilles femmes »
{F. A. Perret, Le Doubs, p. 177). «A Petit-Noir [France], l'an-
cien lit du Doubs [corrigé] est appelé la Morte » (ib. p. 340).
La pïra du mbr, Arbaz (V), bloc de rocher et chemin dans la
forêt du Ban de Moëre ; Pirraz di Morts, Bourg-Saint-Pierre,
1863, prés et champs. La tradition veut que deux personnes de
Liddes soient mortes de la peste en cet endroit. Pierre des
Morts, Saint-Maurice, 1882. La Morte Pierre, Corcelles (B),
1851, prés, champs; Pierre Morte, Soulce, 1850, champs;
pourrait signifier «pierre effritée», cf. ci-dessus Morteroche.
Combe des Morts ^ partie de la route du Saint-Bernard très
exposée aux avalanches au pied du Mont-Mort.
mouri, v. mourir.
mouri (Vd Centre, Pays d'Enhaut, Vallée de Joux, Vevey-
Villeneuve, Bas- Valais), 7nuri (tout F et contrées vaudoises
attenantes ; Atl. ling. viœri, Billens, forme douteuse ; Vd Au-
' Déformation de Aiil]e)iiatire{s), voir J. Vodoz, Echo des Alpes, 1910,
p. 410.
LA TRILOGIE DE LA VIE II
terson), moujri (Vd Ormonts, Plaine du Rhône, Pailly, Val-
lorbe, Arzier ; V Vionnaz, Praz-de-Fort, Saillon ; G Hermance,
Dardagny, Aire-la-Ville ; B Prêles), mouèri (Yà Vaugondry;
N Vignoble, Val-de-Ruz, Val-de-Travers), moûri (V Nendaz,
voyelle entre ou et u), mari {Y Bagnes, Trient, Finhaut; G Ber-
nex, textes), 7n""ourèi (V Champéry ), nwréi (V Isérables), mou-
ri{k) (V Hérens), moiirik (V Lens, Anniviers), mœri — in9ri
{V Savièse; N Montagnes, forme habituelle de B), inri (N Côte-
aux-Fées), mru (B Plagne, Péry, Malleray, Crémines), Les for-
mes de \ Atlas ling. s'accordent assez bien avec les nôtres. Le
recul de l'accent sur le radical, tel qu'il a été noté presque
partout par M. Edmont, est conforme à nos habitudes de pro-
nonciation. Mais les longueurs de la voyelle radicale nous
laissent perplexes. Nos matériaux ne les donnent qu'exception-
nellement.
Fi'ineipales formes. Mourant : voir l'article mourin ; on y
voit alterner les types * mor ente et *moriscente, ainsi à
Vd Vaugondry ?noiièrin et Vd Penthalaz tnotirdsin. — Il meurt,
ils meurent: *morit ou *moriscit, le dernier retire ordi-
nairement l'accent sur le radical ; L i?iou3r, motiairon (Vd Or-
monts) ; moue (Y à Champéry); moû moûrzon {y Liddes) ; mâ\
mouairon (V Bagnes) ; inout (V Evolène ) ; mœ{f) (G) ; muâ,
muàron (F Romont) ; mouir (N Dombresson) ; mœ, mcèra (N
Montagnes) ; mia, niœran (B Delémont) ; musr fnro (B Plagne) ;
IL mourè (Vd Penthalaz) ; môrét, môrésott (V Isérables, à côté
de mœrt) ; mourt\ mourèchon' (V Anniviers) ; inoudre (G Darda-
gny) ; mouarè, murchon (F Gruyère) ; N et B n'ont pas de for-
mes inchoatives. — il mourait : Vd V G F offrent fréquemment
*mourissait, ainsi mourdsâi (Vd Savigny). — Il mourut: n'est
sûrement attesté que pour ^,miré (Delémont), wra (Plagne). —
Il mourra : alterne avec des formes inchoatives, telles que
mourstra (Vd Savigny); mouridrè (V Anniviers); mouirètra
(G Dardagny); mœrtra (N Chaux-de-Fonds). B ne les connaît
pas: muyré, mœré. Ces anciennes formes sont très rares dans
les cantons Sud, mais I^eysin a encore nioudrè ; M. Cornu a
relevé à Montbovon chti a?i mûri =^ cet an je mourrai, forme
12 L. G AU CHAT
tombée en désuétude depuis. B Plagne miarsr, correspond à
un français * mourira, cf. de inourdrè,]^ '^ mourir ai, dans Duret,
Gramm. sav., p. ç^\\ y' an inœrirÔ (Rossât, Chants pat., Arch. s.
d. trad.pop.Y , p. 102) est une forme analogue du conditionnel,
qui est habituellement mœrô, comp. les barbarismes /<? viotirirai^
je mourirais mentionnés par nos dictionnaires de provincia-
lismes (Grangier, Péter, Pierrehumbert). Le dernier cite « un
fameux début de harangue militaire : « S'il faut mourir, mou-
rissons! s'il faut périr, pérons!» qui, s'il n'est pas authentique,
illustre du moins assez bien l'hésitation entre les formes inchoa-
tives et non inchoatives. — Comme participe passé fonctionne
l'adjectif mort, dont nous avons trouvé bon de faire un article
à part du Glossaire, voir article précédent. Cependant nos
patois n'ont pas manqué, isolément, de former un participe sur
le modèle d'autres verbes en -ire, ainsi war/, employé de pré-
férence dans le district de Delémont : el â mœri; ou mrn, qui
correspond au français fautif * mourti, et qui a envahi l'infinitif,
dans une partie du Jura bernois, grâce à l'identité ordinaire
des infinitifs et des part, passés (voir Degen, Die Konj. im Pat.
von Crémines, p. 107). A Montbovon, M. Cornu a noté }?iou-
réi-td, forme qui manque à Haefelin, Les pat. du cant. de Frih.y
p. 128.
Syn. Voir plus loin.
1. mourir; 2. cesser de fonctionner; 3. comme verbe
actif: éteindre (V).
I . Mouri din se sold, m. dans ses souliers, sans passer par la
maladie (Vd Blonay). M. a son pan gdnyin, m. à son pain ga-
gnant, sans être à charge à autrui (ib.). Lan dévan ki moiirs-
sise, l'année avant qu'il mourût (ib.). Alà in mounsin.^ aller en
m., en douceur (ib.). Nd vouai p a moudri siy an, d^abo ki me
kop3 dou bokon de pan, je ne vais pas m. cette année, puisque
je me coupe deux morceaux de pain (par inadvertance, loc. Vd
Ormont-dessus). I farai pâ ma de mori, il ne regretterait pas...
(V Bagnes). M. so kou, m. sur le coup, instantanément (ib.).
Mouri de ma choubst?, m. de mort subite ; m. de la ma dé môsèy
I
LA TRILOGIE DE LA VIE 13
m.... des mouches, de mort imprévue (V Evolène). Mà-ri d mou?
sôbit (B Charmoille). Mouri dm cha tyœutsè, m. dans son lit
= m. de sa belle mort (V Salvan) ; mœri din son yé, idem (B
Séprais). Nd kontètï toui viourik, nous devons tous m. (V Gri-
mentz). Mourik koum oun a vakouk^ m. comme on a vécu (V
Mage). ...que vo volia... nos ctranglia et far e to tnori, que vous
vouliez... nous étrangler et nous faire m. tous {Ce qiiè lainô,
str. 44, éd. Ritter). Vou pà avei liji de mûri, il ne veut pas
avoir loisir de m., d'un qui est toujours pressé (F Prez-vers-
Siviriez). Côdrus que 7tiueirt por sovar sa patrie, Codrus qui
meurt... (Python, Egl., éd. Moratel, p. 122;. Flaccus Maro,
frârè de Virgile, que moure din s Vâgeo d''adolescenhe, ... qui
mourut... (ib., p. 118). Moûre gaillard, qu'est-ce qu' ce m' fâ,
meurs seulement... (Quinche, Gloss.). I jnouére'trai s'i mdgîve
atant que liu, je mourrais si je mangeais autant que lui (ib.\
El etai force, ass' force que de tnouèri, il était nécessaire, aussi
n... (Quinche, Passage du Roi, Le Pat. neuch., p. 177). Même
formule dans la lettre de Quinche placée en tête de son Gloss.
{Le Fat. neuch., p. 22J. Vollin meri gai et boneuna, nous vou-
lons m. gais et heureux (Huguenin, Chans., xsf 21). Maidaime
en vai meuri, m. en va m. (Raspieler, Pan., vers 107). / vœ
mœri si s n a p vré, je veux m. si ce n'est pas vrai ( B Boncourt).
O niud tu lé djbr, on meurt tous les jours, insensiblement (B
Plagne). Mru chu sotifine, m. sur son fumier, sans être sorti (ib.).
El â prou maUtpo tnœri, il est assez malade pour m. (B Vermes).
Mœri d' véyds, d' tchègrïn, d' pàvou.^ m. de vieillesse, de cha-
grin, de peur (ib.). — 2. Le linp mœr^ la lampe s'éteint (B Ver-
mes). — 3. mousri h fouà, éteindre le feu (V Charrat). Mour
lo foud, éteins... (V Liddes).
Proverbes. Va mï sauf ri tyé mouri ^ il vaut mieux souffrir
que m. (Vd Blonay). Kan on-n a yu tré béi méi d'avri, le as9toû
tin dé mouri, quand on a vu trois beaux mois d'avril, il est
bientôt temps de m. (ib.), se dit aussi ailleurs. On n9 sa ne
kâ vi ne kâ mou3r, on ne sait qui vit ni qui meurt, exhortation à
bien vivre (Vd Ormont-dessus) ; en Valais : on sa pâ nïn h vi
14 L. GAUCHAT
hin ks mœ (Bagnes); forme bernoise (Plagne) : o ti se n ko vi n
ko mû?r. N3 fà pâ grantin por motisri, on est vite mort (Vd
Ormont-dessus). Pb payl è pb mouri, le adî prâo vito, pour
payer et pour m., c'est toujours assez tôt (Vd Savigny ) ; variante
frib. : pb payi è mûri le totèvi praou vutou {Etr. frib. 1875,
mai). Kan on vi sin s'amâ, on mou9r sin se règrètâ, quand on
vit sans s'aimer... (Vd Ormont-dessus). On n' asuirô de rd tye
de mouiri^ on n'[est] sûr de rien que... (Vd Leysin). Apre tan
ds inà, inru a fà, après tant de maux, m. il faut (B Plagne).
Aléi n'èm pou, moiirik che lâché, [quij plus n'en peut, m. se laisse
(Gilliéron, Prov. de Vissoye). Les vîllio deyvont, les dzouno puont
mûri, les vieux doivent, les jeunes peuvent m. {Etr. frib. 1875,
juillet). En regard de ces témoignages de l'inéluctabilité de la
mort, la sagesse populaire offre cette consolation : On ne muert
qu''onna vez, ... fois (Duret, Gloss.) ; an n mu? k dUn-n mou?, on
ne meurt que d'une mort (B Epauvillers). Ne fà todzb y?na pb
mousri, il en faut toujours une (une cause) p. m. (V Vérossaz).
Ey faut se maria po se f ère à bliamâ; ey faut mûri po se fer e
à gabâ, ...pour se faire blâmer ...louer [Etr. frib. 1872, déc. ;
même prov. dans le Lien vaud. 1904, n** 10). Pb bin mûri è fà
bin vivn (F Broyé). Stu k vi an me, mu? an me, celui qui vit
en renard,... (B Boncourt). L'un pœ mèri d? s k? fè è vivr ïnn
âtr, l'un peut m. de ce qui... un autre (B Epauvillers). N? t?
dépouy pè dvan k d? mru, ne te dépouille pas avant... (B Plagne).
Etym. Du latin m or ire pour mori. Pour l'inf. mru voir
ci-dessus sous principales formes. Le sens A' éteindre s'explique
probablement ainsi : mourir a été autrefois employé comme
verbe actif dans le sens de tuer, comme en vieux français. A
ce moment, il s'est rencontré avec le verbe tuer, qui réunit
également les deux significations de mettre à mort et à!' éteindre ;
voir ce mot.
Synonymie. Non seulement les poètes se sont ingéniés
à trouver de nouvelles expressions pour l'idée de la mort, soit
en imitant des tournures des langues anciennes, soit en recou-
rant au trésor inépuisable de l'imagination poétique ; la langue
LA TRILOGIE DE LA VIE 15
du peuple aussi ne cesse d'inventer des périphrases, dans le
besoin, qui renaît constamment, d'éviter le mot brutal,
effrayant, indélicat, ou d'ajouter au sens général une nuance
dictée par les circonstances. I^a mort fait résonner toute la
gamme des sentiments humains, du désespoir le plus profond
jusqu'à l'ironie méchante. Il y a peu de domaines linguistiques
où l'on puisse, comme dans celui-ci, étudier l'action de la
psychologie sur le renouvellement incessant du vocabulaire.
Aussi avons-nous cité un choix de locutions romandes pour
înourir dans une étude des rapports qui existent entre le
monde des idées et celui de l'expression {An den Sprachqueîlen,
Universitàt Zurich, Festgabe zur Eiiiweihtmg der Neubauten,
1914, p. m).
La mort rompant tous les liens et mettant un terme à toutes
les occupations, les points de départ pour arriver à une nou-
velle périphrase sont multiples. De là l'étonnante richesse de
la liste que nous allons soumettre au lecteur. Elle comprend
bien au delà de deux cents termes. Encore notre catalogue
est-il loin d'être complet. Il nous arrive souvent, en classant
les fiches du Glossaire, de mettre la main sur un mot oublié.
Comment introduire de l'ordre dans cette longue énumération?
Nous aurions pu suivre le modèle qu'offre M. L. Morandi dans
sa fine étude stylistique I sinonitni del verbo inorire (dernière
rédaction dans Prose e poésie italiane, 1 900), c'est-à-dire dis-
tinguer entre les styles noble, familier et comique {scherzevole).
Mais il nous paraît bien difficile de séparer ce qui appartient
aux deux dernières catégories et nous ne pensons pas que
M. Morandi y ait pleinement réussi. Nous tâcherons donc de
diviser nos périphrases en termes honnêtes et en termes plus
ou moins facétieux, tout en les groupant, à l'intérieur de cha-
que subdivision, un peu d'après l'idée dominante qui y réside:
départ, voyage, métiers, vie de famille^, etc. En outre, comme
* M. Morandi a adopté l'ordre alphabétique, que nous jugeons trop
superficiel.
l6 LA TRILOGIE DE LA VIR
les périphrases se rapportent à différents moments du trépas,
nous essayons de distinguer entre celles qui signifient mourir
et celles qui représentent plutôt l'idée à' être mort, bien qu'ici
encore la classification ne puisse pas être nette. Un change-
ment de temps {il fait ou a fait le grand voyage), le rempla-
cement d'un élément de la phrase [il va, il est dans le pays des
iaupes) peut faire passer la locution d'une catégorie à l'autre.
Quelques-unes des expressions, comme graisser ses bottes,
auraient mieux trouvé leur place dans la liste synonymique
donnée à l'article 7?iort, s., eticycl. 4, sous agonie.
Evidemment, la grande majorité de nos périphrases nous
sont venues d'ailleurs ; un très petit nombre portent une em-
preinte locale, plusieurs ont pu naître spontanément en diffé-
rents endroits. Notre liste est donc un ramassis de locutions
représentant d'anciens tabous qui défendaient de prononcer le
mot de mort, de réminiscences littéraires ou de sermons, de
croyances bibliques, d'euphémismes prudents dont on use vis-
à-vis d'un malade, d'atténuations sages employées devant les
enfants d'un défunt, de mots cruels inventés par le gamin de
Paris, qui fournit tant de phrases aux pays de langue fran-
çaise, etc. La population romande n'est pas responsable de la
création de certains de ces tours, qui peuvent paraître bar-
bares en présence de la mort. Du reste, posséder un terme
n'équivaut pas à l'employer souvent, et une expression forte,
lâchée dans un moment d'abattement moral, traduit bien des
fois plus de faiblesse que d'équilibre. C'est un moyen de
tromper les autres et soi-même sur le degré de résistance qu'on
possède.
Comme chacune de ces périphrases reparaîtra sous sa forme
patoise, avec ses exemples, dans les articles respectifs du Glos-
saire, nous les francisons ici, sauf exception, tout en sachant
bien qu'elles y perdent beaucoup en expressivité.
A. Mourir. I. Termes polis : Rendre le dernier soupir,
le dernier souffle, le dernier peccavi (F); tirer le dernier souffle,
tirer les derniers, tirer (V) ; faire le dernier bâillement, le
'-^'^ Il ••iim-iiwMaMiiwwmnniiii wiiHiiMÉ iwik i uni*
-t'î*".».'^.»» ff '»j^ «^ -^- '■■^
<9^1êriM*Jif*è1ifJ(J33BirâfJnit»^i^,
Enterrement en Valais.
Lithographie de H. B. Wieland.
LA TRILOGIE DE LA VIE I7
dernier soupir, bailler {donner) le dernier soupir; expirer.
S'éteindre, se dèy^indrè (même sens), fermer {clore) les yeux,
kotà le J3 (même sens, F), clore le pilyon (les cils, Vd). Dormir
le grand som?neil, s'endormir tout de bon. Décéder ; succomber;
se laisser aller (V). Rendre rame ; pat tir pour la gloire (peut
prendre une teinte ironique) ; partir pour réternité, entrer
dans la joie de son Seigneur, dans la grande retraite ; aller
voir le Père éternel. Fenâ (finir, V), afanâ (V); achever sa
carrière, sa course, son temps ; tsavounâ (achever) sa carrière,
finir ov\ fournir sa carrière, finir on fournir son temps, sa vie,
ses Jours, de souffrir, tsavounâ sou dzœ (achever ses jours, V);
ctre au tehavon de sa carrière (N) ; faire son temps ; défunter.
En partir {y ^); trépasser, s'en aller, partir pour T autre monde,
passer dans l'autre tnonde, quitter ce m., faire ses adieux ; faire
une grosse place (V); laisser de la pitié (V). Resta k? (rester
là, Vdi, sobrâ (rester, Yd).
II. Termes plus ou moins facétieux : Oublier, rou-
blier de souffler, plyèkâ de cho%lyâ (cesser de souffler, F), finir
de siffler, de ronfler (Vd). Virer le blanc (des yeux), le Jaune
(Vd), virer l'œil, virer gâga ou gâgat (B), tourner les yeux ;
moTitrer les dents blanches (Vd). Faire le grand voyage, le
gros V., le voyage de saint facques (V), partir pour le gros
voyage, pour les Indes (V), pour le pays d'Aoste (V), pour le
pays des taupes {des dèrbon), pour le royaume des taupes, pour
le pays des bousrcé (taupes, B), aller trouver les taupes, aller
dans le pays des taupes ; faire le grand saut, la culbute; piquer
les sauts (Vd) ; passer outre ou delà (V, F), de Vautre côté (V),
la Gemmi (V), les glaciers (V), passer derrière (V), pasâ Tsi-
vilye è Dorbon (Vd Ormont-dessus) ; aller sur Mussel (G, où
il y a un cixn&ûhrQ); passer dans la barque à Car on (Vd); aller
voir ce qu'ils font de l'autre coté ; déguerpir, tourner les se-
melles. Frotter (graisser) ses hottes (F), cirer ses bottes (N, B),
aussi « le curé lui a ciré ses bottes » = donné les derniers sa-
crements » (Daucourt, Folk-Lore Suisse, III, p. 75). Périr (tiré
de la vie des animaux), crever, krapâ ou krapi {Yd, V). Claquer
l8 L. G AU CHAT
(comme pour crever, à l'origine idée d'une chose qui éclate,
cf. l'italien scoppiare, schiattare, schiantare, Morandi, p. 684),
klyanpâ (voir ce mot), pctâ, pètâ la grofila (voir ce mot, Vd),
craquer (Vd) ; craquer le marmot (F, terme d'argot mal com-
pris, croquer le m. signifie attendre une éternité). Casser sa
pipe, briser sa p., briser le fétu de sa p. (F), rompre sa p. (B),
avoir fumé sa dernière pipée (Vd), renoncer à la tabatière;
casser ses noix [kpkyè, Vd) ; dévisser {son billard) (Vd, F) ;
renverser son huile (Vd) ; trosâ la kotairyâ (rompre l'aiguillée
de fil, souvenir d'Atropos? Vd Alpes) ; laisser courir sa cuiller S
laisser tomber sa c, laisser bas sa c. (V), perdre sa c. (B), jeter
loin sa c. {tsanpâ lavi, fotrs via, fyèri), essuyer so?i couteau;
lâcher [renverser) son écuelle ; perdre le goiU du pain, tourner
le dos au p., avoir jnangé tout son p.; son oie est bientôt cuite
(Vd)," il a d'abord cuit ses aulx (V), être cuit (B). Donner son
bien (aux pauvres, V, F), tester (V, F). Passer l'arme à gauche
(argot militaire), descendre la garde, mordre la poussière. Délo-
ger et autres verbes signifiant déménager. Lever l'ancre. Chtorbd
(de l'ail, gestorben, F). Aller dormir dessous l'herbe (Vd). V9ri
h brœsè (r='? V Chamoson) ; tifyâ (sens primitif? V Bagnes);
Rendre les « guilles » {quilles?^). Etre au bas des Chaux (N).
Aller faire des «.froyida-» (espèce de jouet, voir ce mot, B).
Sentir le sapin (signifie plutôt « être en danger de mourir »,
allusion au cercueil); achounâ h pskcltso (sentir la boue, V);
aller faire des toupities (Vd).
B. Etre mort (aussi en cercueil ou enterré). I. Ter-
mes polis : Etre sur la planche, sur lo lan (voir ci-dessus mort,
s., cncycl. 7). Avoir été fauché isèyà, on ajoute quelquefois:
comme de l'herbe tendre, pour une mort subite, de même les
1 Voir l'explication de cette locution donnée par E. L. Rochholz
(cuiller comme symbole de droit) sous V olksîhûmliche Redensarieti fiir
Sterben, dans son ouvrage Deutscher daube iind Brauch im Spiegel der
heidnischen Vor\eit, t. I, p. 142. On y trouvera aussi, sous Oberdciitsche
Leichenbràuche , p. 1 31-21 5, une quantité d'analogies avec nos rites
funèbres.
LA TRILOGIE DE LA VIE , I9
suivants), moissotiné (comme un champ d'avoine), coupé, em-
porté. Il a tout dit, tout bataillé (fini de b.). Jl est loiti, là,
étendu. Le bon Dieu l'a voulu ! c'a été son heure.
II. Termes familiers ou facétieux : avoir mis le
« garde-habit», la « garde-robe », la veste, le paletot en sapin,
le gilet de bois, son anglaise de sapin, sa « l'cture » de s. (Vd, F) ;
avoir mis le dernier habit, le complet qui ne se change pas (V),
uti Jupon de sapin (B), un inanteau de bois (B) ; être dans la
boîte en sapin (N). Etre entre quatre {six) planches. S'en aller
les pieds devant .^ les premiers. Faire son dernier chemin. Garder
les poules du curé (les cimetières sont près de la cure), garder
les p. à Millier (habite près du cimetière, Vd Savigny), chez
Plus (dito, B Plagne). Sucer {manger) les dents de lion par les
racines, ronger les dents de lion par le bout. Etre {à) six pieds
sous terre, en tipa (gazon, Vd), être caché six p. s. t. (V), avoir
six pieds de terre sur Je nez, le corps, le mbr (museau), avoir
les pieds en terre (Vd). Donner à manger aux vers. N'' avoir
plus mal aux dents, être guéri du m., n'avoir plus mal à la
gorge ; avoir le nez sec, les os secs, les pieds froids. Avoir été
réduit (mort subite), raclé, plié, raplèya (replié), nettoyé, ra-
massé.^ foutu. N'avoir plus soif, ne pouvoir plus souffler sa
soupe, être à bas du pain. Il a roté (G, =: fini de r.). Etre barba
(rasé pour tout de bon, V). // a viré les fers. Etre embarqué.
Etre chtbrb tall. gestorben, voir ci-dessus A. II). Tèpâ (som-
meiller, F). Avoir fini d'entendre le coucou (V, B) ^.
intëreniin, s. m. enterrement.
intèremin (\'d Centre, Grandson, Plaine du Rhône, Bas-
Valais, F Gruyère — Veveyse ; la nasale in est souvent diphton-
guée, voir Atlas; des deux e des syllabes médianes le deuxième
' Les expressions allemandes pour «mourir», surtout celles d'ori-
gine bibliques, sont réunies dans l'article de Fr. Wilhelm Die Euphe-
niisinen tind biliUichen Ausdri'icke unserer Spracbe iiber Sterben tincl Totsein
jind die ibnen zii Grtinde liegenden Vorslellutiiyen {Aleiiianma XXVII,
p. 75-83). Elles correspondent souvent aux nôtres.
20 L. GAUCHAT
est moins ouvert, le premier ordinairement allongé), unteremin
(Vd Pays d'Enhaut), unteremun (Vd Penthalaz) ; intereman (Vd
Enclaves, F Glane et Broyé) ; àterèmd (Vd Leysin ; cette déna-
salisation s'observe en beaucoup d'endroits, à divers degrés,
voir Atlas), è^'^tèr^tnè (Vd Savigny), Hnûrdm~e (Vd Vallée de
Joux), eter{e)jnè (Vd Ouest), intèrmè(Y Sugiez) ; intèramin (Bas-
Valais, passim, ainsi à Bagnes, Liddes); èntèrèmèn ou entèranihi
(sans nasales, V Est) ; antèraman (G Hermance) ; àtàràmd (G
Bernex), aètaramè (G Aire-la-Ville); ètcrmè (N Vignoble, Val-
de-Ruz), étarmc (N Noiraigue), ata?-ma (N Montagnes), aterma
(N Chaux-de-Fonds), btèrmb (N Cerneux-Péq., B Malleray);
intèrmin (B Prêles) ; étarmb (B Plagne), antcrmai2 (B, pron.
française, sauf que è est plus ouvert).
1. action de couvrir de terre, par ex. une plante;
2. ensevelissement d'un mort (ensemble des cérémonies
accompagnant la mise en terre du corps); par restriction:
8. convoi funèbre; 4. repas d'enterrement.
\ . voir sous intèrâ, enterrer. 2. Le vîlyè dzin se soûlon d'alâ
todzor é-z interemin, les vieilles gens se lassent d'aller.... (Vd
Ormont-dessus). Tandi hin dè-z anâyè, n? su alâ a la Valâ kè
po dè-z Hntermè, pendant..., je ne suis allé à la Vallée... (Vd
Le Chenit). Lé-z ôtro yddzo on faséi grô dé tïrsbâ éi-z intère-
min, autrefois l'on faisait un grand branle-bas aux e. (Vd Blo-
nay). Asistâ in-n on-?i intèrhnin, assister à un e. (V Lourtier).
Firè sinblan de kbrné h dzb de ri., faire semblant de pleurer
le jour... (V Praz-de-Fort). On son-na lo glyé pddd Vdlârdma,
on sonne le glas pendant... (G Bernex). Chouno V intèrèman^
sonner l'e. (F Villargiroud). Y è deman le mariâzo, apré-d''man
r antèraman, c'est demain..., chanson de la vieille, G Hermance,
Schwyzerlàndli, p. 233). An V antèrman de'-z èvar, lé-z értis ryan,
à l'e. des avares, les héritiers rient (B Charmoille). Bayid h
pin ds r intèrmin, distribuer du pain à l'occasion de.... (B Prêles).
La pan, la mbta, h vun d'untèreniin, le pain, le fromage, le vin
consommé dans un [repas d' ent. (Vd Rougemont); manti d'int.,
« manteau », voir encycl. n° 1 1 ; niècha, rèpé dHnt., messe, repas
LA TRILOGIE DE LA VIE 21
d'e. (F); /// dênè d'antèr>nan, un dîner d"e. (B Charmoille) ;
in-fi mi-n d'ant. ; une figure funèbre (ib.). — Proverbes : Kan
le fhnalè aréton de dcvezà, Vinthremm fà prépara^ quand les
femmes cessent de jaser, il faut préparer Te. (Vd Ormont-dessus).
Forme gruyérienne: Kan fèna plyèkè de parla {dèv?jd), Vintè-
reniiti fÔ aprèdd (prépara) (Chenaux-Cornu, Remania VI,
n^ 124). E Ji fâ p txuè le pus,pdsk?, ixin an lé txuan, è y an vin
â nwîiin dou san à Vantèrman^ il ne faut pas tuer les puces,
parce que, quand on les tue, il y en vient au moins deux cents
à l'e. (B Develier, Rossât, Prov., Arch. s. d. trad. pop. XIII,
p. 45). — 3. L'"interine è p'erti justou a l'aoura, le convoi
funèbre est parti juste à l'heure (Vd Le Chenit). A//V'r Vàièrèmà,
suivre le convoi ( Vd Leysin) ; on vyédj s'cté la inouda k? le fane
scéyan lè-z atèrma, autrefois c'était la mode que les femmes sui-
vaient les c. (Droz, Loc). Fà pâ k'on-na nosp rinkontréi on-n
intèremin, il ne faut pas qu'une noce rencontre un cortège fu-
nèbre, cela porte malheur (Vd Blonay). Onn a vyu pasd Van-
tèratnan, on a vu passer le c. (G Hermance). Outà nd, vàtyd
l'citaramà k va pasd, ôtons-nous, voilà l'e. qui va passer (G
Bernex). On bî-l (grà-l) int., un « bel > (gros) e. = un long
convoi (Vd et ailleurs). — 4. Le J intèremifi vsnyon tchyè^ les
repas d'ent. re]viennent cher(V Vernamiège). ^/r^ l'intèremin
ou kabarè, faire le repas d'e. à l'auberge (F Montbovon). I se
ainvitè 0 Vétarmb, je suis invité au repas d'e. (B Plagne).
Etyni. : De *interrare -|- suffixe -amentum.
Syn. : intèrâ, s. m. (Vd, voir ce mot, c'est l'inf. pris substan-
tivement, cf. ci-dessus bât si) \ intèryaou (Vd, *interratorium,
voir ce mot) ; chérsmin (V Lens, litt. « serrement », de serrer =
réduire) ; ensevelissement ; défunt (cf. Grangier, Gloss frib.
Suppl. p. 16).
Encyel. I. Anciennement, à Lausanne, on avait la coutume
denterrep l'année. « Un mannequin, représentant un homme
mort à force de boire, était porté en procession par la ville, à
la lueur des flambeaux, par des hommes costumés et masqués,
l'un en confesseur, sous un baldaquin, d'autres en médecin,
2 2 L. GAUCHAT
apothicaire, marguiller, etc. Cette procession faisait des sta-
tions dans chaque rue. Le mannequin était placé sur un drap
tendu, soutenu par huit hommes qui le paumaient (bernaient)
en l'invitant à boire (par une chanson)». Cette ancienne masca-
rade a pris fin vers 1820 {Cont. Vaud. 1884, no 52). De la
même façon, dans le Jura bernois, on enterre le carnaval,
voir sous brandons, Encycl. 5.
2. Rêver d'enterrement est signe de noce prochaine (B).
3. Suite des remarques encyclopédiques faites sous 7nort.
voir ci-dessus. Les noms qu'on donne au cercueil dans
nos patois sont vâ{r), qui est le mot le plus répandu, puis ce
sont les correspondants de bière, cercueil^ caisse. Termes iro-
niques : kats9-fnouâr, « cache-mort » (Vd), dèrin méjon, « der-
nière maison » (Vd), vi%ir3 de sapin, « vêtement d. s. » (F).
Va, du latin vas, est un souvenir des anciens sarcophages de
pierre ; « caisse », usité en Valais, correspond bien aux cercueils
de bois les plus simples qu'on puisse imaginer. Mettre en bière
se dit aussi encaisser (V). On a également tiré un verbe spécial
de bière: è?itbi9ryè (V Lens).
On se rappelle encore le temps où un cercueil servait pour
tout le monde : arrivé au cimetière, on le vidait en laissant
glisser le cadavre dans la fosse. Cela nous est attesté pour
Lessoc (F) et pour la vallée de Salvan (voir Mario, Génie des
Alpes val., p. 199). A la campagne, on voit encore beaucoup
de cercueils de bois de sapin auquel on laisse sa couleur natu-
relle; on se borne souvent à peindre une croix sur le couvercle
ou sur les planchettes de devant et de derrière. Sans cela, la
couleur noire prédomine; ce n'est que depuis peu qu'on la
remplace par des teintes brunes. Dans le Jura bernois, le noir
est souvent réservé aux personnes mariées, tandis que les céli-
bataires ou enfants sont ensevelis dans des cercueils bleus ou
blancs. L'usage de pratiquer une ouverture dans le couvercle,
afin de pouvoir contempler jusqu'au dernier moment le visage
du défunt, n'est guère connu en Suisse romande, mais on a vu
de ces petites fenêtres dans les cantons de Berne et de Fri-
LA TRILOGIE DE LA VIE 23
bourg. Le corps avait la lête couchée sur de simples copeaux.
On les remi)lace peu à peu par des coussins d'étoffe. Autre-
fois c'étaient les voisins ou amis qui confectionnaient le cer-
cueil ; traces de cet usage dans la haute vallée de Bagnes, à
Plagne (B) et ailleurs. Maintenant c'est plutôt à un menuisier
qu'on le commande et, dans les villes surtout, le luxe a été
introduit dans ce domaine comme dans tous les autres : cer-
cueils façonnés, capitonnés, à pieds et ornements de métal
blanc, en bois de chêne ou de noyer. Dans le canton de
Genève, il arrive qu'on indique, au moyen de clous à tête
jaune, les initiales du défunt.
Dans le livre cité, Mario raconte avec quel stoïcisme nos
rudes campagnards voient la mort s'approcher. Il y en a qui se
font faire eux-mêmes leur cercueil. Ce meuble les attend,
remisé dans un raccord. Un couple de Bagnes s'en servait
tranquillement comme d'une table à manger. Nous avons nous-
même consulté sur son patois une nonagénaire, à Charmey,
assise dans sa chambrette à côté de son cercueil.
Les montagnards tiennent à être enterrés dans leur village
natal. Avant qu'il y eût des routes, on pouvait voir des Anni-
viards, morts dans la plaine, montés à califourchon et solide-
ment attachés sur un mulet, faisant de nuit le long trajet qui
les séparait de leur église (voir Mario, op. cit., p. 198). Lors-
qu'un décès survient dans les hauts pâturages, on peut ren-
contrer le cercueil vide, porté par un mulet, tandis que plu-
sieurs hommes transportent dans la vallée le cadavre, enve-
loppé dans un drap (V).
\. Dépôt d'objets dans le cepcueil. On couche les morts
dans leur dernière demeure tels qu'ils étaient dans leur lit ou
sur la planche (voir ci-dessus mort, Encyd. 7), avec un cha-
pelet aux mains, un crucifix, un calice (si c'était un prêtre), une
Bible ou un autre livre pieux sur la poitrine, quelques fleurs
(surtout pour une jeune fille). Les traces de coutumes païennes
se sont perdues, mais on raconte en Valais que, dans certains
villages, il arrive ou arrivait qu'on mît une pièce d'argent dans
24 L- GAUCHAT
la bouche du mort pour la traversée, ou qu'on déposât dans la
bière du vin, du'pain, du fromage, et même une paire de sou-
liers, afin qu'il pût sans encombre effectuer le voyage de Saint-
Jacques.
5. La tombe est creusée généralement par un fossoyeur
attitré, qui est la plupart du temps le marguiller ; accidentelle-
ment, ce peutfêtre un autre fonctionnaire public, ainsi le can-
tonnier (G Hermance). Mais à la campagne, surtout dans les
cantons de Fribourg et du Valais, s'est conservée la belle tra-
dition de faire creuser la fosse par les amis ou les proches
voisins du défunt. En récompense, ils sont invités au repas
d'enterrement, s'il a lieu, ou reçoivent une petite collation
pendant le travail ou quelque vêtement laissé par le mort. A
Bagnes, chaque village est divisé en cercles mortuaires, les
voisinages, en patois V9z9nan, dont les familles sont mises à
contribution lors de l'ensevelissement d'une personne mariée.
A tour de rôle, elles sont astreintes au creusage de la fosse au
cimetière paroissial. La nomination d'un croque-mort, survenue
il y a quelques années, ne fut pas jugée favorablement et on en
revint au vieux système.
(>. L'usage de porter le cercueil entre amis, voisins ou
parents du trépassé est encore très commun à la campagne.
Certains cimetières alpestres ne permettraient pas d'autre
moyen de transport '. Le corbillard des villes s'introduit avec
les routes, mais est encore peu usité. Comme porteurs, on
nomme spécialement les ressortissants des voisinages, pour
Bagnes ; les filleuls, neveux ou cousins pour Evolène et Cham-
péry; souvent la famille désigne ceux qui doivent remplir ce
devoir. Dans beaucoup d'endroits, une touchante solidarité
unit les morts et les vivants, de sorte que les adolescents ou
enfants sont portés par ceux de leur âge ou de leur sexe. Dans
H. Herzog, Schweiz, Volksfeste, Sitten und Gebràuche, p. 311,
' Voir la lithographie de H. B. Wieland, que nous reproduisons
d'après le périodique « Die Schweiz », 1915.
LA TRILOGIE DE LA VIE ?5
on trouve la description poétique de l'ensevelissement d'une
petite fille dans les vallées d'Hérens ou d'Anniviers. Elle est
habillée de blanc, ornée d'une petite couronne de mariée,
portée dans un cercueil ouvert, et accompagnée de six
couples de fillettes vêtues comme elle. La plus pauvre enfant
de la commune porte le vêtement de la morte, qu'elle hérite.
— Un petit enfant est porté par le parrain, la marraine ou la
sage-femme. — Quand le trajet est long, les porteurs se
relayent. On porte sur les épaules ou sur un brancard {potch-
tnou3, «porte-morts», B Ajoie). De là les expressions /t7r/<7r^
ou hrankardâre. Comme ce sont à l'origine les mêmes qui font
la tombe et qui portent le cercueil, on les appelle aussi dans
les deux fonctions fousâr (N).
7. Pendant le convoi, le cercueil est recouvert d'un drap
mortuaire appartenant à l'église ou à la commune. Il s'appelle
<ikourèrta des morts» où koiivertyâ (F), «couvre-morts»,
« couvre-cercueil. » Ce drap est ordinairement de couleur noire,
avec une grande croix blanche, cousue dessus. Mais il arrive que
la couleur soit variée selon le cas : noir, larme de blanc pour
les mariés ; blanc et bleu ou violet pour les célibataires (B ; noir
ou blanc F, G). Le grand poêle, dont quatre parents ou amis
tiennent les cordons, est d'introduction récente. L'usage de
mettre d'abord sur la bière un linceul, sous le drap mortuaire,
ne s'est conservé que dans la campagne genevoise. Ce linceul
appartient de droit au curé (droit de spolie, voir vari Gennep,
Du berceau à la tombe, p. 211 ss). Autrefois on n'ornait de
«•oui'onnos que les cercueils des enfants et des célibataires.
C'est encore le cas dans nombre d'endroits. Ces couronnes
étaient données par les compagnons ou amis, les sociétés de
jeunesse, qui se cotisaient, ou les parrains. Elles étaient de
fleurs ou de perles artificielles, généralement blanches. On y
joignait quelquefois des versets bibliques ou des poésies de
circonstance, calligraphiés sur des feuillets blancs découpés en
cœurs et lus à la fin de la cérémonie funèbre (Vd Ormonts,
Savigny). Les couronnes étaient aussi portées séparément par
26 L. GAUCHAT
des «porte-couronnes». Après l'enterrement on en laissait au
cimetière, ou en faisait cadeau à l'église pour servir d'orne-
ment des autels ; d'autres en conservaient sous verre, à la
maison ; il n'est pas rare, aujourd'hui, d'en rencontrer dans
nos chalets, sous des glaces convexes, avec indication de la
date, déjà lointaine, du décès. L'usage coûteux d'embellir la
mort de tout âge d'une profusion de fleurs naturelles est rela-
tivement récent. Un de nos correspondants valaisans dit très
bien: Li kbrbnè prèyon pâ pb se ky3 le mÔ3, les couronnes ne
prient pas pour celui qui est mort.
8, Cortôtje funèbre. Les usages étant très différents chez les
catholiques ou les protestants, nous les traitons séparément.
Chez les premiers, avant de se mettre en marche, le curé vient
faire la «levée du corps », c'est-à-dire qu'il asperge le corps,
récite le psaume De profundis et une oraison (ainsi à Met-
temberg B). Ailleurs on récite en commim im chapelet. Puis le
convoi part dans l'ordre suivant : l'officiant avec ses serviteurs,
le cercueil, les parents mâles d'après le degré de parenté, les
amis ou connaissances, les femmes dans le même ordre. A
Bagnes, les prieuses ouvrent le cortège (voir ci-dessus mort,
Encycl. 6. Elles portent un crucifix encadré d'une couronne.
Il faut joindre en tête le* porteur de la croix qui marquera la
tombe, peinte en rouge pour les célibataires, en noir pour les
mariés (Broyé). En Valais, c'est le filleul qui porte cette croix
pour son parrain, la filleule pour sa marraine. Dans le Jura
bernois, la croix est ornée de fleurs pour les enfants, munie
d'un crêpe pour les adultes. Les quatre ou six premiers parents
portent de gros cierges allumés; le nombre et la grosseur sont
en rapport avec la position sociale du trépassé. Aux cierges est
fixé un crêpe pour les grandes personnes, un ruban blanc pour
les enfants (F). Dans les villages bernois, on voit encore une
femme précéder le convoi avec un long cierge jaune, en forme
de peloton, la pivat\ Fribourg a aussi connu cet usage du
chtokel. Voici quelques détails pour un cortège du district de
Delémont : croix de l'église (noire pour les personnes âgées de
LA TRILOGIE DE LA VIE 27
plus de sept ans ; blanche, bleue ou rouge pour les petits
enfants), portée par un servant ; croix qui sera plantée sur la
fosse, portée par un petit garçon pour les mariés, par une
petite fille pour les célibataires ; les enfants de l'école (s'ils
prennent part); les chantres ; le curé (vêtu du surplis, de l'étole
et de la chape noire pour une personne âgée de plus de sept
ans, sans la chape pour un enfant) ; à droite et à gauche du
curé marchent deux servants, dont l'un porte le bénitier et
l'autre l'encensoir ; le cercueil ; les parents précédant les amis
et connaisssances ; les parentes suivies d'autres femmes.
Chez les protestants, un culte et une prière ont lieu dans la
maison mortuaire, quelquefois en plein air, à l'église si la par-
ticipation est très grande. Le pasteur rappelle les principaux
événements de la vie du défunt. Pendant ce temps, la bière a
■été préparée devant la maison. Le cortège se range. Sa com-
position est celle-ci : cercueil en tête, parents, amis, d'abord
les hommes, puis les femmes. Aux Ormonts, les filleuls con-
duisent à tour de rôle le cheval du corbillard, puis, arrivés au
cimetière, portent le cercueil. Les femmes s'abstiennent de
plus en plus de « suivre ». Dans la ville de Genève, cela leur
fut défendu en 1664 {Recueil des Arrêts du Magnifique
Conseil, t. V). Neuchâtel suivit en 1699: mais à la campagne
la coutume survécut.
L'enterrement a ordinairement lieu le surlendemain du
décès, dans les trois fois 24 heures. En été ou dans un cas de
maladie contagieuse, il peut être hâté. A la campagne, on
enterre de préférence le matin ; si c'est un dimanche, l'après-
midi.
Il n'est pas de bon ton de se montrer sur le passage d'un
convoi funèbre : dans beaucoup d'endroits on a encore l'habi-
tude de fermer les volets et les maisons. Il faut y voir proba-
blement un reste inconscient de paganisme (voir van Gennep.
op. cit. p. 207, Samter, Geburt, Hochzeit, Tod,"^. 28). Dans les
villes, au contraire, les curieux font la haie.
9. Sonnerie de cloches. Nous avons décrit sous mort,
28 L. GAUCHAT
Eficycl. 5 la sonnerie de l'agonie. On sonne encore plusieurs
fois jusqu'à ce que le corps soit rendu à la terre. En pays pro-
testant, il n'y a pas ou peu de sonnerie. Certaines contrées ont
tenu à conserver aux cloches une partie de leur langage sym-
bolique d'autrefois. Dans plusieurs endroits, on sonne pendant
que le cortège funèbre se rend au cimetière ; à Plagne (B)
en outre, quand la fosse est creusée. En pays catholique,
les cloches sont plus éloquentes. La sonnerie varie assez
selon les lieux et selon les cloches que la paroisse possède.
On sonne ou peut sonner le lendemain du décès, le matin
(sonnerie de la mort, trois « couplets » avec les trois cloches,
précédés ou suivis de tintements avec l'une d'elles, selon que
c'est un homme, une femme ou un enfant), en commençant ou
en achevant de creuser la tombe, la veille de l'enterrement,
pendant celui-ci, au moment où le prêtre quitte l'église, oii il
fait la « levée du corps », avant et pendant le cortège, au
moment oii l'on chante à l'église le Libéra me, lorsqu'on quitte
l'église pour s'approcher de la fosse.
10. Au cimetière et à l'éqlise. Les protestants se rendent
généralement directement au cimetière, où a lieu un deuxième
culte plus bref qu'à la maison, une prière et, selon les lieux et
circonstances, une allocution. Après que le fossoyeur (ou un
parent) a jeté les trois premières pelletées de terre dans la
tombe, le pasteur prononce la bénédiction. Anciennement, il y
avait encore le « remerciement » aux assistants, dit par un
membre de la famille (Vd). « Dans les enterrements, écrit le
doyen Bridel à propos des Ormonnens, il y a toujours quelque
parent ou ami qui fait devant la fosse une petite oraison
funèbre... et qui les (les assistants) remercie de l'amitié qu'ils
ont portée au défunt » {Coup d^œil sur les Alpes du canton de
Faud, Cons. VI, p. 288). Dans quelques villages, on va d'abord
au cimetière, puis à l'église, où se font l'oraison et la prière.
Les catholiques entrent à l'église, à moins qu'on ne s'arrête
d'abord devant elle pour procéder à la cérémonie de la «levée
du corps ». A l'église, la messe est accompagnée de l'office
LA TRILOGIE DE LA VIE 29
des morts. La liturgie varie quelque peu de canton à canton.
Nous faisons suivre deux descriptions, pour en donner une
idée. Environs de Romont (F) : le cercueil est placé au chœur,
sur un soubassement, et les cierges portés par les parents sont
disposés, allumés, sur six guéridons autour de la bière (ils
deviennent la propriété du curé ou de l'église). On chante le
requiem {Obii) et le Libéra me. Ensuite le cercueil est porté
au cimetière où se font les dernières prières liturgiques. Le
curé jette la première (ou les trois premières) pelletées. La
tombe est aspergée d'eau bénite. Pas de discours. — District
de Delémont : le cercueil est déposé à l'entrée du chœur et les
assistants prennent place dans les bancs, les proches parents en
avant; le curé chante l'office des morts et la messe pour le
défunt. La messe finie, on chante auprès du cadavre le Libéra
vie ; puis le cortège se forme de nouveau pour se rendre au
cimetière, où l'inhumation se fait avec les prières prescrites
par le Rituel. Si l'enterrement a lieu l'après-midi, la messe est
remplacée par le chant des vêpres des morts.
Aussitôt que les participants se retirent, la tombe est remplie
par le fossoyeur et ses aides, ailleurs par les porteurs. A la
sortie du cimetière (ou en revenant à la maison mortuaire) a
lieu dans les cantons protestants, aussi chez les catholiques
genevois, la cérémonie de l'honneur, qui consiste à défiler
devant les membres de la famille du défunt, avec ou sans poi-
gnées de main. La coutume est en train de se perdre. Les
femmes n'y prennent pas part. A Neuchâtel, c'est au domicile
du défunt que les parents, réunis dans une chambre, reçoivent
la poignée de main des assistants, avant le départ du convoi, à
moins que la lettre de faire part n'avise qu'« on ne touchera
pas. >•■
il. (-ostume de deuii. Le brassard d'étoffe noire que les
hommes portent au bras gauche, le ruban noir autour du cha-
peau, le voile long dont se couvrent les femmes ont été intro-
duits il n'y a pas longtemps. Autrefois les femmes portaient
une espèce de mantille noire, restée traditionnelle dans cer-
30
L. GAUCHAT
taines parties de Fribourg et du Valais. Les hommes avaient à
leurs chapeaux (le haut de forme était de rigueur) un long
crêpe dont les deux bouts pendaient sur le dos. Cela s'appelait
le manti {manteau), nom qui rappelle une coutume encore plus
/^^^
ancienne : c'était un véritable manteau de toile noire et légère
qu'on mettait sur ses habits. Nous supposons que c'était une
réminiscence de l'habit de pénitent (blanc ou d'autre couleur)
que portaient lors des funérailles les membres des confréries à
l'époque catholique. Dans plusieurs vallées valaisannes, les
porteurs du cercueil ou même les membres de la famille revê-
tent encore cette « robe de fraternité » ou abè. Dans le canton
de Vaud (première moitié du XIX"'^ siècle), on mettait le long
LA TRILOGIE DE LA VIE 31
crêpe aussi pour aller annoncer le décès chez le pasteur et
pour commander la fosse (Valle'e de Joux). D'anciens règle-
ments du XVIIP"<^ siècle prescrivaient combien de temps ce crêpe
devait être porté selon le degré de parenté du défunt (J/us/e
neuch. 1896, p. 47). A Evolène, les hommes ne se rasent pas
pendant quelque temps, en signe de deuil. Dans cette vallée,
comme dans celle d'Anniviers, les femmes portent, pour un
grand deuil, la barbette (coutume autrefois plus répandue),
c'est-à-dire une longue bande de toile blanche, attachée
autour du cou et flottant jusqu'aux pieds ou fixée à la robe.
Le temps pendant lequel cela devait se faire était prescrit (trois
semaines pour père et mère) ; maintenant cela a lieu à l'en-
terrement et en allant à l'offrande. Fischer, Die Hunnen, p. 371
ss., qui décrit tout au long un ensevelissement auquel il a
assisté dans l'Anniviers, parle encore d'un linge blanc que les
hommes et les femmes mettent sur la tête. Le noir et le blanc
sont ainsi les couleurs du deuil. Bridel a encore vu un « cou-
vre-chef blanc » chez les femmes qui assistaient à l'enterrement
{op. cit.). Dans plusieurs localités de la Gruyère, les hommes
portaient naguère un pantalon blanc (gilet et redingote noirs)
à l'enterrement d'un célibataire. Comp. le tablier blanc que
mettent les filles en accompagnant le cercueil d'une célibataire
dans le Prattigau {Arch. s. d. trad. pop. i, p. 46) ^ Dans le
Vully, on rencontre encore des enfants auxquels on attache un
tablier noir aux épaules, souvenir de l'ancien inanti. Dans le
Jura bernois, les femmes mettaient autrefois un mouchoir de
tête blanc (ou bleu), nommé boucyat\ douhya, voir ces mots,
comme le portent encore les femmes anabaptistes. Plus tard,
elles endossaient les hagnolets, sorte d'énorme capuce ronde
avec mantille.
On observait le grand deuil (pour mari ou femme, père ou
mère, enfants) pendant un an et six semaines, le demi-deuil
' Voir aussi Rochholz, Die Leiifarhc IFeiss, dans le volume men-
tionné plus haut, p. 133 ss.
32 L. GAUCHAT
(étoftes grises ou autres couleurs sombres) une seconde année.
Le petit deuil (pour d'autres parents) durait trois à six mois.
Actuellement toutes ces usances tendent à devenir moins
rigoureuses.
12, Il y a une cinquantaine d'années régnait encore, pres-
que indiscutée, la coutume de grands repas d'enterrement,
auxquels prenaient part tous ceux qui assistaient aux céré-
monies funèbres. On improvisait de longues tables dans la
grange ou ailleurs, afin de pouvoir placer tout ce monde.
Rien n'était épargné, on mangeait force bouillis et rôtis et le
bon vin vieux pétillait dans les verres, comme le décrit
Schiner dans sa Description du Dép. du Simplon (1812 ; voir
aussi Mario, Génie des Alpes val., p. 149). Les paysans met-
taient de côté une bonne pièce de fromage et surtout un ton-
neau de vin, afin que rien ne manquât à leur fête, car c'est
ainsi que ces repas, y compris les funérailles, se nommaient
dans les Alpes vaudoises et dans le Bas-Valais. On les appelait
aussi dîner ou goûter d'enterrement, dèdzon-non, non-n, trantô
(B Malleray) et satâmo (nom qui signifie proprement septième
et a désigné à l'origine la fin d'une série d'offices liturgiques,
voir J. Jeanjaquet, Bull, du Gloss. Y, p. 47, et ci-dessous
n° 14). On disait même baire lo co , « boire le cadavre»
(Bridel). Ces véritables banquets avaient lieu avant le convoi
funèbre, ce qui était particulièrement choquant, ou au retour
du cimetière. Après avoir commencé avec dignité, ils dégéné-
raient facilement en beuveries et en festins pantagruéliques.
Nous lisons dans X Agace la phrase: lous autre iadzo on molavè
sous queuté por alâ is enterrèmen, autrefois on aiguisait ses
couteaux pour aller aux enterrements (n° 20, p. 3). En 1678,
un communier de Travers convia jusqu'à 112 personnes à un
repas funéraire (J. de Sandoz Travers, Notice hist., p. 75).
Mais ces repas étaient surtout onéreux, et un de nos corres-
pondants affirme connaître des familles qui ont été plusieurs
années avant de pouvoir se libérer de la dette contractée à
une telle occasion. Aussi les autorités ont-elles trouvé bon
LA TRILOGIE DE LA VIE 33
d'intervenir. M. Isabel cite pour Vaud des mandats du Conseil
de Berne de 1706, 1747, 1767. {Vieux usages, Arch. s. d. trad.
pop. XM, p. 86, où l'on peut lire une description détaillée de
ces repas). Dans les Registres du Conseil de Genève, nous
trouvons sous le 25 nov. 1699: «A été dit qu'il seroit à pro-
pos... de faire un Règlement qui défende les repas que l'on a
accoutumé de faire parmi les dits sujets dans les maisons des
défunts au retour de leurs ensevelissemens ce qui constitue leurs
enfans ou parens dans une dépense considérable... ». Bridel
mentionne (sous baire) un arrêt du Conseil de Neuchâtel de
161 6. En Valais, les abus furent interdits par un règlement de
police, de 1889 (Jegerlehner, Das Val d'Anniviers, p. 144) ;
mais on nous cite une dame de Champéry, qui avait été mise à
l'amende déjà vers i86o. Dans le canton de Fribourg. le clergé
a fait une campagne ardente afin d'obtenir qu'on n'invitât
plus que les proches parents venus d'autres villages. Grâce à
ces efforts, ces repas sont aujourd'hui abolis presque partout.
M. Isabel {op. cit., p. 86) en ramène l'origine à la cœna
feralis des Romains. C'est possible ; mais les grandes distances
que les parents ont souvent à parcourir pour se rendre au lieu
d'enterrement, mettent la famille du défunt dans l'obligation de
restaurer leurs forces; un petit repas est inévitable; on tient
aussi à récompenser les porteurs, fossoyeurs, chantres, etc. de
leur peine. Ainsi la coutume d'un repas à grandes proportions
peut naître spontanément en tout temps et en tout lieu. Inutile
de dire que de petites collations se pratiquent encore. Surtout
en revenant du cimetière, on sert du pain et du fromage,
arrosés de vin, des petits pains (Ormonts), de la pâtisserie
(Genève). Le soir, les dames sont invitées à un café (Vd). On
se réunit soit dans la maison mortuaire, soit à l'auberge.
Dans certains endroits, l'abolition des grands repas s'est
opérée graduellement. A Bagnes, ils ont été restreints aux cas
de décès d'un célibataire fortuné. On a, pendant quelque
temps, versé dans la caisse des pauvres une part de la somme
qui aurait servi à festoyer. Puis on a renoncé à tout. Dans le
3
34
L. GAUCHAT
canton de Fribourg, un repas réunissait les membres de la
famille le premier dimanche après Tenterrement. Dans TAnni-
viers, tout le cortège se rassemble encore dans la maison de
Commune, après l'enterrement; on sert pain, fromage et vin,
« le tout à satiété». C'est à cette occasion que sont tranchées,
en plein conseil des «hommes de serment», toutes les diffi-
cultés d'héritage (voir Fischer, op. cit., p. 377 ; cet auteur men-
tionne des détails concernant ces repas que nous ne pouvons
pas tous relever ; fidèle à sa thèse, que la critique s'est
empressée de réfuter, il met toutes ces coutumes d'enterrement
en rapport avec l'apparition des Huns en Valais).
13. Si c'est un progrès réel d'avoir renoncé aux festins
d'enterrement, on ne peut pas en dire autant de l'abolition des
distributions ofHcielles de vivres et de vêtements aux
pauvres {la don-na; binfc, «bienfait» est le nom de l'exécu-
tion d'un pareil vœu exprimé par le défunt) (V et F). Les
anciens cortèges funèbres étaient souvent, dans le Jura ber-
nois, précédés d'une femme qui portait, avec une chandelle
allumée, une ou deux miches de pain, symbole de la distribu-
tion qui se pratiquait ensuite et qui atteignait le total d'une
fournée ou davantage. A Bagnes s'est conservé le souvenir
d'une distribution de neuf chaudières de soupe de fèves et
d'orge à l'occasion de l'inhumation d'un curé. Sur l'usage de
donner des fèves, cf. Courthion dans Arch. s. d. trad. pop. V,
p. 48. On invitait autrefois les indigents à manger les reliefs
des repas d'enterrement. On leur donnait aussi de l'argent.
Actuellement, on rémunère en espèces ou en vêtements surtout
les veilleurs, où il y en a encore, les porteurs ou fossoyeurs,
ceux qui ont fait la toilette du mort. Les enfants qui ont porté
la croix dans le cortège sont invités plusieurs dimanches à
dîner dans la famille du défunt (F), privilège que reçoit aussi
occasionnellement un pauvre de la commune. Pour le reste,
tout est laissé maintenant à la charité personnelle. Il est juste
d'observer aussi que la mendicité a énormément diminué.
14. Les catholiques ont coutume de répéter l'office des
LA TRILOGIE DE LA VIE 35
morts le y"^, le 30"^^ et le 365"'= jour après le décès. La der-
nière cérémonie s'appelle généralement la « messe du bout de
l'an» {/ornait?, àt forni, finir, V), celle du y'"*^ satâmo ou
« les 7 jours». Celle du 30'""= est un peu tombée en désuétude.
1-e satâmo est souvent célébré dès le lendemain de l'enterre-
ment ou un des jours suivants. Dans certaines paroisses du
Jura bernois, on ajoute un office le 3"»' jour après l'inhumation;
dans d'autres on dit simplement trois messes pendant les pre-
miers jours, ou on fait dire une messe par trois prêtres, mais
sans supprimer l'anniversaire. A Bagnes, le curé dit tous les
matins, pendant une semaine après l'enterrenient, les répons,
auxquels assiste un parent avec un cierge allumé. Cela se con-
tinue tous les dimanches de l'année et s'appelle « porter la
chandelle ». En d'autres endroits valaisans, le port de la chan-
delle n'est que mensuel, ou inconnu. Dans le canton de
Genève, une messe des morts est célébrée le lendemain des
funérailles ; une femme parente ou payée à cet effet y assiste
en tenant un grand cierge allumé, appelé luminaire. Cela peut
se répéter pendant un an. La messe d'anniversaire est nommée
anivarsela.
15. Divers. En Valais s'est un peu conservée l'habitude
de payer le curé en nature (pain, bougies) ; il recevait autre-
fois une mesure de froment. A Bagnes, à la première offrande,
une parente apporte une nappe. L'abbé Daucourt a publié
dans le Folk-Lore Suisse, III, p. 41, une charge contre le
casuel des prêtres. Voir une parodie des Vêpres des morts
dans L. Courthion, Veillées des Mayens, p. 205, des cancans
d'enterrement (^ femme qui s'extasie sur les meubles, etc., dans
ja maison mortuaire) dans V Agace, n° 38. En pays catholique,
les morts-nés et suicidés sont généralement enterrés sans céré-
monies, quelquefois dans une partie spéciale du cimetière*
Mario, op. cit., p. 198, rapporte la coutume anniviarde de
creuser quelques tombes à l'avance, à l'approche de grandes
gelées qui durcissent la terre, ce qui rend possible qu'un fos-
soyeur prépare sa propre fosse. A Bagnes, on servait autrefois
36 L. GAUCHAT
de la soupe aux pois et du lard aux veilleurs ; dans les Fran-
ches-Montagnes on cuit du riz pour les repas d'enterrements.
De Chambrier, Mairie de Neuchâtd, p. 450-452, rappelle les
contestations qui avaient lieu anciennement sur le rang à
occuper dans le convoi funèbre; sur Taffluence de visites de
condoléances telle que le magistrat dut y mettre un frein en
17 10. Le pasteur faisait son oraison au retour du cimetière,
devant la maison mortuaire. On trouve une vieille ordonnance
(de 1776) sur les deuils, dans le Musée neuch. 1896, p. 45 ; un
règlement de 1810 pour les enterrements à Neuchâtel,
ib. 1897, p. 48, Ce qui concerne le soin des tombes sera
indiqué sous cimetière.
L. Gauchat.
AU SOUPTLK DE LA VAUDAIRE
Lettre à M. Louis Gauchat'
— i—
Mon cher ami,
Veveysan de naissance, grandi au souffle de la vaudaire, je
me suis, avant les bateliers de Saint-Gingolph et de Meillerie
insurgé contre votre opinion d'antan, qui dérivait ce mot du
nom de ma patrie vaudoise. Cependant, votre objection contre
rétymologie vaudai, «sorcier, diable», me touchait d'autant
plus qu'aux exemples du xvil^ siècle invoqués par vous j'en
puis ajouter un du XVF : « devers la Voudeyre », dans un do-
cument vaudois de 1553". J'en étais venu à supposer, entre le
synonyme uberre^ et vaudai, un de ces croisements, une de ces
contaminations dont notre collègue Tappolet constatait na-
guère la fréquence dans nos patois *. Mais voici qu'en même
temps vous nous apportez le « fait nouveau » qu'exige tout
jugement en cassation et une sentence nouvelle, contre laquelle
je n'ai plus garde d'interjeter appel.
Pour établir que le v de la forme chablaisienne vovaire est
le continuateur légitime de Y s sonore jadis prononcée dans
Valle{ti]seni et l'hypothétique * valles-aria, vous ne pouvez, à
la vérité, vous fonder que sur des exemples du type undecim,
quindeci>n,Q\.?,wv l'analogie des mots où une s sourde, précédée
de / ou de «, a été changée en d ou en f. Les mêmes considé-
' Voyez Bulletin, X, p. 46, et XIII, p. 62.
^ Mémoires et Documents publiés par ki Société d'histoire de la Suisse
romande, XXIII, p. 318.
" Bulletin, II, p. 63.
' Ib., XIII, p. 46.
38 ERXEST MURET
rations m'avaient déjà conduit, en mon particulier, à expli-
quer par le même processus phonétique un nom de lieu
vaudois qui nous montre, comme celui d' Anzcinde, rajjpelé à
la fin de votre article, et quelques autres en Savoie \ un z' patois
correspondant à une s entre voyelles ou un s de l'usage officiel.
Deux probabilités concordantes n'équivalent pas à une certi-
tude; mais, dans les sciences historiques et philologiques, ne
devons-nous pas souvent nous contenter à moins ? En s'entr'ai-
dant comme l'aveugle et le paralytique, votre étymologie et la
mienne, dont je vous prie d'être le parrain, remédieront autant
qu'il est possible à leur commune faiblesse.
Le 23 décembre 1043, Aymon, évêque de Sion, inféodait au
chanoine marié Warnerius, à sa femme Helisana et à leurs héri-
tiers la terre de Mordes, avec l'alpe de Martenod". Or, un
pâturage de la commune de Bex, qui n'est séparé du territoire
de Mordes que par le massif de Javerne, s'appelle Eusannaz,
Ausannaz ou Eiizanne, en patois œvanna, et ce nom s'identifie
avec celui d'Helisana aux mêmes conditions (ou sous les mêmes
réserves) que vovaire avec ^vallesaria. Si nous avons ren-
contré juste, ce serait un nouveau spécimen à ajouter au petit
nombre des lieux dits tirés de noms de femmes, tandis qu'^w-
zeittde, plutôt que d'un féminin Adosmda, me paraît être issu
du masculin Adosifidus, conformément à un mode de dériva-
tion des noms de lieu qui est représenté dans le voisinage par
Bovomiaz (ou Bovonnc)^ de Bovon, et dans toute la Suisse
romande par beaucoup d'exemples analogues.
La présence d'une / ou d'une n précédente est indispensable
pour que l'une des sifflantes j ou s soit changée en ts ou d{ ;
mais je ne crois pas que l'évolution postérieure de ts q\. dzdi d
ou/, ô ou V ou d, dépende encore de cette condition, ni qu'il
y ait besoin de recourir à anve (ou onde) et tienve pour expli-
* Mésinge, Jonzier, Minzier, Scionzier. Voyez Rontania, XXXVII,
P- 7S-
* Mém. et Doc, XVIII, p. 338.
AU SOUFFLE DE LA \AUDAIRE
39
quer dove ( ou dôdè), treive, quatorve et sève \ L'« qui termine
aujourd'hui la première syllabe d.'Anzeinde n'est constatée qu'à
partir du XVIF siècle, et la prononciation contheysanne
ainnda, supposant un avinnda antérieur, corrobore les graphies
Adzenda et Azenda des années 1300-1302. Mésinge (près de
Thonon), en 1248 Meizinium, en 1294 Mezingio, Mesitigio, en
1298 Mecifigio, dans le patois actuel inrv/fibd, et quelques-uns
des noms vaudois et valaisans que je citerai tout à l'heure pour
illustrer le changement en d, font tomber toute restriction.
Ainsi que l'a très bien reconnu M. Jaccard dans son Essai
de toponymie, un ancien dj gallo-roman, noté au moyen âge
par / ou g et habituellement représenté dans nos patois par dz,
l'est exceptionnellement par d dans les noms de quelques pâtu-
rages des Alpes vaudoises: Audon, à Ormont-dessus"-, en [332
Oijgion et Oiizon ; la Badausaz, à Ormont-dessous, au XIV"=
siècle Baiousa ; Chaudes dans le bassin supérieur de l'Hongrin,
au XIF siècle Calgi, Chaugi, Chages. En contraste avec la
prononciation rodzbmon du nom de Rougemont, ce d spora-
dique reparaît au Pays d'Enhaut dans les lieux dits Rodomonts,
Rodocher et Rodoscaix, Rodovanel. Dans la grande commune
valaisanne de Conthey, il sert à caractériser le patois des vil-
lages montagnards par opposition au dz régnant dans le bas.
On dit lodzo et làdb, fdnàdzb et fdtiâdb, en parlant de deux
hauts pâturages dont les noms sont identiques au français
« auge »^ et au dialectal « fenage ». Les vèrdzèle du Bourg, les
rl-rdale de Premploz et les vèrdcle de la commune voisine
d'Ardon sont autant de répliques d'un même nom, diminutif
fréquent de « verger ».
Ces faits nous éclairent sur les vicissitudes antérieures et
l'extension géographique de ce d alpin que vous avez signalé
' Les formes en v, d'après Fenouillct, Moiio^n-aphie du patois savoyard
(Annecy, 1903), pp. 51 et 58.
- Ne pas confondre avec VAiuhu bernois, qui a donne son nom à
rOldenhorn et dont le d peut avoir une autre origine.
^ Masculin dans nos patois, comme il l'est parfois en ancien français.
40 ERNEST MURET
dans les noms de nombre. Mais ils ne jettent qu'une lumière
indirecte sur celui du mot vaudaire, puisque c'est principale-
ment dans le bassin du Léman qu'on ressent les effets de ce
vent diabolique. Comme vous le donnez à entendre, il se
pourrait que notre d eût jadis occupé une aire plus vaste que
celle où le cantonne aujourd'hui notre ignorance. Je relève
dans des documents du xv*^ siècle^ les graphies Vizi (1435,
1453), Viiy (1471, 1488) et lldi (1452) du nom bien connu de
Vidy, ancienne paroisse et lieu dit de la commune de Lau-
sanne. Il resterait à en élucider Télymologie " et à rendre compte
de la graphie du Carhdaire de Lausanne: vifi, en 1228^. La
valeur attribuée aux lettres latines par les scribes du moyen
âge est parfois incertaine, et cette incertitude autorise mainte
hypothèse. Ce d de Vidy, ce d de vaudaire (le vaudai « peut-
être s'y mêlant » ) ne serait-il pas, dans les plus anciennes men-
tions, une notation imparfaite, dans le français local et les
patois influencés par lui, un substitut du ô persistant, à Mon-
treux et à Blonay, dans la série des noms de nombre de « onze »
à « seize » ? L'histoire encore si mal connue de nos dialectes, à
laquelle doivent contribuer les patois modernes, les noms de
lieu et tous les documents écrits dans nos contrées, offre aux
linguistes un magnifique champ d'investigation, où se plaît à
vous rencontrer souvent
Votre fidèle collaborateur et ami,
Ernest Muret.
' Mém. et Doc, XXXV, pp. 162, 176, 197 et 220 ; Mémorial de Fri-
hotiro, IV, p. 316.
' Peut-être *vitic-ehiiu, de vilicem, au sens d'à osier» qu'il a dans
quelques patois du midi de la France?
"■ Mém. et Doc, VI, p. 12. A ce que veut bien me faire savoir le
savant bibliothécaire de Berne, M. de Mulinen, la lecture n'est pas
douteuse et le / ne peut être confondu avec un c Le même Cartulaire
(pp. 132 et 133) nous offre les formes successives Clingerio (885 en-
viron et 888) et Clendie du nom de Chndy, à Yverdon ; mais ce très
ancien d, apparu dans de tout autres conditions que celui d'Jtidon et
de Vidy, ne nous concerne pas ici.
AU SOUFFLE DE LA VAUDAIRE 4I
P. S. — L'hypothèse de la substitution de ^ à ô, dans la
transcription officielle et dans le passage du patois au français,
est confirmée par le nom d'Evordes, lieu dit des communes de
Bardonnex etTroinex, annexées en 181 5 au canton de Genève,
Les derniers patoisants du voisinage prononcent: a évœrn?.
Les plan? du xviiF siècle nous offrent les graphies Esvordes,
Es Vaurses, En Vurse, En Vuorse, an champ de vorge, champ
aux vorges, dans lesquelles on reconnaît le nom patois de plu-
sieurs espèces de saule ou d'osier.
ETYMOLOGIES JURASSIENNES
-*-
I. sii*a « beau-père » et (lônïn « belle-mère »
Dans la précieuse collection d'anciens termes de parenté
que nous offre pour le Jura bernois le poème des Paniers aux
vers 207-209 du manuscrit A, publié par M. Rossât, il y a un
couple particulièrement intéressant, celui des beaux-parents:
sira pour le masculin, dènïn pour le féminin. Ces deux mots
s'expliquent l'un par l'autre : ce sont sans aucun doute des
dérivés de sire^ et de dè-n, bonne forme jurassienne de dame.
Ils attestent une fois de plus l'habitude qu'on avait autrefois de
désigner les beaux-parents par un titre honorifique. Ainsi toute
l'Italie du Nord les appelle misser (monseigneur) et madonna
(madame). En France, l'épithète de beau devient terme dis-
tinctif: beau-père, belle-mère {[iovxr d'autres analogies, voir mon
étude Die romanischen Verwandtschaftsnatnen^ p. 123).
' Ce mot ne peut pas être le latin suer us, qui a donné sire en Nor-
mandie (v. GoJefroy), suite en ancien français, et qui, dans le Jura
bernois, aurait abouti soit à *suy (chur), d'après t;(U3 (cuir), t^nd (cuide),
/n/p(truie\ soit à *sœr {chœr) d'après tx^èr (cuire), txcéch (cuisse), ^ (huis).
42 E. TAPPOLET
Le terme féminin offre plus d'intérêt que sira, simple dimi-
nutif en -ïttu, comme oncha de oncle. La forme simple dè'n
(aussi din-n, dan-n B, dan N et Vd Auberson) désigne la maî-
tresse de maison dans le Jura bernois, la mère chez les ani-
maux (moins chez les personnes\ dans les cantons de Neu-
châtel et de Vaud. Dans cette forme dhn se reflètent deux
particularités phonétiques, dont l'une est française : le passage
de * dôme (domina) à darne, et dont l'autre est patoise, propre,
paraît-il, à toute la Suisse romande : la réduction de mn à n (au
lieu de m en français) ainsi fian-nè (nommer), /a-w (femme).
Reste à expliquer la terminaison-/;/. Le plus ancien exemple
que nous ayons de notre mot (1613, Procès de sorcellerie, aux
Archives de Berne) l'écrit daynin, graphie qu'on peut inter-
préter comme dènin ou comme dènïn. Le texte des Paniers
nous tire d'embarras, puisque daimiin rime avec aischebin, qui
est toujours prononcé cchlnn (aussi bien). Au surplus, M. Fri-
delance l'a entendu prononcer dinnïn. C'est fâcheux, car nous
ne serions pas en peine d'expliquer un *dènin, auquel corres-
pondrait assez exactement la forme vaudoise dsnan {dénan) f.,
nom donné par un enfant à sa grand'mère ; c'est évidemment
domina — ane, suffixe féminin d'origine controversée, qu'on
retrouve dans le franc, putain, nonnain ; quant à ddnan au lieu
de *donan, c'est un affaiblissement fréquent en syllabe préto-
nique: gdverna f. (gouverne), d3na v. (donner), ahna (éclairer,
de adluminare).
Qu'est-ce donc que ce -in ? Phonétiquement -ïn final ne
peut dériver que du suffixe -ïnum, toujours masculin, ou
du phonème ien de Tancien français, quelle que soit son
origine latine: ainsi le Jura bernois dit aussi bien bïn (bien)
vïn (vient), vûn (mien) que tchïn (chien), tchintïn anc. franc.
cha?itiens, ïoxmQ de l'imparfait et du présent du subjonctif, pro-
venant de la terminaison latine de -eamus (-ebamus). On
peut en déduire la règle phonétique que an [ani) précédé d'une
palatale se réduit à ïn. Or l'ancienne langue possédait deux
termes de parenté du genre féminin qui se trouvent être dans
ÉTYMOLOGIES JURASSIENNES 43
les conditions voulues : ce sont taien « grand'mère » (lat. atavia
-i anem, voir Verwandschaftsnamen,\i.6^) ti necien «nièce»
(neptia -| anem), (jui sont à taie «grand'mère» et à nièce
exactement ce que sont antain ou nonnain à atite ou à nonne,
taien et necien (fiiecien) ont dû aboutir dans le Jura bernois à
*tèïn (*tèyïn) et à *mmi i*nisïn), formes (jui, grâce à l'analogie
sémantique, ont facilement pu amener soit un changement de
suffixe (ancien *dcnin transformé en *dènïn)., soit la création
d'un dérivé dènïn d'après la forme simple dèn. — Ajoutons
niJînin « grand'mère » et tintïn « tante », qui présentent proba-
blement le même mode de formation, à moins ciu'ils n'aient
adopté la terminaison dirainutive masculine, exprimant la ten-
dresse, qu'on retrouve dans /(?//■« « grand-père» (B rare):/a/?«,
qui existe dans les patois français de l'Est, n'est pas attesté
pour le Jura bernois.
2. dj<«tudjia « châtier »
Dans le poème des Paniers (éd. Rossât, ms. A, vers 435),
après qu'un petit diable encore novice s'est fort mal acquitté
de son métier de bourreau en enfer, le chef des diables le
prend à partie et, lui reprochant sa maladresse, lui dit : técole.
fon dinsche taie ^ens geutusie? (variante geutugie) « t'enseigne-
t-on ainsi à châtier de telles gens?» L'édition de 1849 du
même poème donne : a-ce dinsche qu'ai fâ taies gens djeu-
tugie? « est-ce ainsi qu'il faut de telles gens châtier? »
Tandis que M. Fridelance, dans sa traduction manuscrite en
patois ajoulot moderne, rend le mot djeutvgie par tchétayii
«chatoyer», M. Rossât le transcrit par djœtudjii et affirme
qu'il s'emploie encore aujourd'hui. Il n'y a donc pas de doute
sur la forme phonétique ni sur la signification du mot. D'où
peut-il venir ? Je crois y reconnaître une transformation du
x&xht justicier, dont le sens primitif était « rendre la justice»
mais qui, ne s'employant plus que par rapport au coupable,
avait pris le sens de « punir en exécution d'une sentence ». A
cet égard, il y aurait donc accord parfait avec le passage cité
44
E. TAPPOLET
des Paniers. Reste à expliquer la déformation phonétique.
Justicier aurait donné *djutsie dans le Jura bernois. En effet,
j'ai trouvé jutsi pour le substantif « justicier » à l'Auberson
I Vd) et le patois berrichon û\t Jul.jute « juste » d'après Littré ;
c'est aussi la l'orme sans s qu'_pn attendrait en français. Si Juste
est de formation savante, le Jura bernois offre une bonne forme
populaire dans son dj'œt, forme courante pour «juste», la
forme féminine jus ta paraît avoir supplanté la forme masculine
"^djœ (cf. Degen, Das Patois von Crémine, p. 8). Quelle que
soit la raison d'être de la voyelle œ au lieu de u, seul résultat
normal de Viï latin, il est de toute évidence que justicier a
subi l'influence de l'adjectif djœt ^ Quant à la seconde partie
du mot, elle paraît avoir été modifiée sous l'influence de Juger,
en patois djudjia. S'il en est ainsi, cette double contamination
aurait eu lieu à une époque ancienne où justicier avait peut-être
encore le sens neutre de « rendre la justice », « juger ».
Ajoutons que la forme geutusier que donne un des manus-
crits n'est pas nécessairement une « faute de copie », comme le
croit M. Rossât (note 202 de son édition), puisqu'elle trouve
sa correspondance diSiXMVdjnc. ïx. J ou ti si er [àQ Jus tise), qui peut
fort bien s'être maintenue en patois. Quant au changement de
/ en u, on le trouve quelquefois avant ou après z, ch, etc. : atuzi
« attiser », kondzu pour kondzi « congé » (F) ; frutch « friche ■»
(B).
3. niinbïn s. m. « imbécile »
I.e mot se trouve au vers 38 des Paniers : Nos ne sons pe sche
nuTtbin de poire tain de poine «Nous ne sommes pas si niaises
de prendre tant de peine ». Il nous est en outre attesté pour
' On est tenté de voir cette même influence adjective dans les for-
mes sans s de l'ancien français jouticier, jotisser, etc., aussi joiitiffier
« justifier » (v. Godefroy), en supposant un adjectif */o!/, ajoute «juste »
qui nous rapprocherait de djœt ; mais ce sera plutôt l'anc. fr. joster, soit
au sens de « se rassembler » (pour rendre justice), soit au sens de
« jouter », « combattre» (l'une des parties contre l'autre), qu'il faut
rendre responsable du passage de Jusl- à jost- (jot-, joui-).
KTYMOLOGIES JURASSIENNES 45
l'Ajoie et pour le Vadais (Develier), avec de nombreuses va-
riantes : tiiinbïn, nii9bïn^ aussi mniobïn ; puis sin-niinbïn, sïn-nu3-
bi'n, sin-nutibïn (sic). Dans le Pays du Dimanche 1 1902, 251),
on lit son hanne, in gros nuebin « son homme (mari), un
gros nigaud ».
La seule explication qu'on ait tentée de ce mot est celle de
A. Biétrix, qui traduit « qui ne sait nul bien », hypothèse gra-
tuite, qui ne satisfait à aucun point de vue. Nous arriverons
mieux à notre but, je crois, en invoquant la faveur d'un saint.
C'est saint Lubin qui nous aidera à faire façon de presque
toutes les difficultés. Quant au sens, il n'y a rien d'étonnant à
ce qu'une piété fervente soit interprétée par des esprits pro-
fanes et moqueurs comme un certain manque d'intelligence.
Nous n'avons qu'à nous rappeler les béates figures de saints
qu'on trouve dans mainte église. Du reste, les faits de langue
ne manquent pas : benedictus est devenu « benêt» ; « simple
d'esprit », « innocent », « candide », « naïf », bénin », etc.
prennent tous à l'occasion une nuance plus ou moins déprécia-
tive (cf. Jaberg, Péjorative BedentiingsentKncklung, Zeitschr.
f. rom. F/iil. XXVII, p. 65). Ajoutons que les noms de Michel
et à' Agnès s'emploient comme appellatifs, le premier au sens
de « niais » (argot parisien), le second au sens de « jeune ingé-
nue », usage qui remonte peut-être à saint Michel et à sainte
Agnès. Ce qui me paraît certain, c'est que de Lubin, soit
comme nom de saint, soit comme nom de personne très ancien
et très fréquent (il désigne par ex. un valet lourdaud chez Mo-
lière), on a tiré le verbe lubiner « niaiser», attesté par le dic-
tionnaire d'Oudin (1660). — Par cette hypothèse s'expliquerait
très naturellement l'hésitation en patois entre les formes avec
et sans sin-. La forme avec si'n aurait été amenée par -bi'n.
Au point de vue phonétique, il n'y a pas de difficultés sé-
rieuses. Pour le passage de / initiale à n nous rappelons lefi-
tille, lézard, luzerne, Livel à côté de nentille, nézard, nuzerne,
niveau (v. mon article Zur Agglutination in denfranz. Mund-
arten, Festschrift, Basel 1907, p. 334). Le un au lieu de 1'//
46 E. TAPPOLET
simple provient de IV/ précédente, cf. min (mais), maiitr pour
tnatr (mettre), »anfajt pour tiatayi (nettoyer). — Je ne m'expli-
que pas les variantes nudbin, mnusbïn et sin-nunhïn.
I initiale étant devenue;)' devant les voyelles palatales dans
le Jura bernois, le passage de / en ;; doit être antérieur à ce
changement phonétique.
4. éti'iô s. m. « sorcier »
Ce mot ne nous est attesté que par les Paniers, au vers 13
de l'édition Rossât (ms. A) :
Que langairdin de moi, me nannin Etrio (en rime a.vec pro-
ximo siio). « Qu'elles (les dames en panier) médisent de moi,
[qu'elles! m'appellent sorcier. »
Le sens ne fait pas de doute, puisque les deux manuscrits
(A et B) du poème de Raspieler traduisent le mot dans leurs
glossaires par « sorcier » ; au surplus, le sens injurieux du mot
apparaît plus clairement par le contexte du ms. B, où il est en
compagnie de « bélitre » et de « coquin » (vers 37). Quant au
radical, il est facile d'y reconnaître le latin striga «femme
qui fait du mal aux enfants », « sorcière », qui est une variante,
supposée par l'accord de plusieurs formes romanes, du latin
classique strïga, d'où l'italien strega « sorcière ». Ce strîga
a donné régulièrement estrie, f. en ancien français, mot bien
attesté par Godefroy au sens de « monstre malfaisant », vieille
sorcière (femme hideuse comme estrie).
II est plus difficile de se rendre compte de la terminaison du
mot patois. Au point de vue phonétique, rien n'empêche de
dériver étrià soit d'une forme latine strigellum soit d'une
forme de l'ancien français *estriel dont le cas sujet *estrieaus,
passant par étriyau, a dû aboutir à étriô. Notre mot ayant été
employé comme terme d'injure, comme le démontre le passage
cité des Paniers, il était naturel que le nominatif étriô eût fait
disparaître l'accusatif *étrié, qui serait la forme patoise corres-
pondante de l'ancien français *estriel. Même sans tenir compte
de cette explication, on sait par l'étude de Gilliéron {Revue des
ETYMOLOGIES JURASSIENNES 47
patois gallo-romans I, p. 33), ainsi que par les cartes de Y Atlas
linguistique de la France, combien sont fréquentes dans les
patois de l'Est les formes twyô (0) à côté des formes en é (i),
etc.
Si en français le suffixe diminutif -ellum s'ajoute plus fré-
quemment aux noms de choses (tableau, morceau) et d'ani-
maux (taureau, chevreau), les noms de personnes ne manquent
pas, ainsi : damoiseau, jouvenceau, tyranneau, larronueau, etc.
Il arrive même qu'un nom de personne est tiré d'un verbe,
c'est le cas de chemineau propr. « homme qui chemine », qui
désigne tantôt le terrassier changeant fréquemment de chantier,
tantôt, avec la variante orthographique cheminot, l'employé de
chemin de fer si souvent en route. De ce côté-là, il n'y a donc
rien d'étonnant dans la formation supposée à.''*estriel.
C'est le genre qui fait difficulté : estrie étant du genre fémi-
nin, on s'attendrait à *estriele (cf. demoiselle, it. sorella), d'au-
tant plus que dans l'imagination populaire la sorcière est bel
et bien un être féminin.
Un moyen d'expliquer le dérivé masculin serait de supposer
pour la vieille langue un verbe *estrier (cf. lat. s tri gare,
it. stregare « ensorceler ») d'où l'on aurait tiré un *estriel
« celui qui ensorcelle », comme de cheminer on paraît avoir
formé chemineau. Mais comme cette formation est peu attestée,
il est préférable de supposer un ancien masculin *estri, qui
correspondrait au point de vue morphologique exactement à
l'italien strego & sorcier» (à côté de stregone) et dont le dimi-
nutif normal estriel nous tirerait de toutes les difficultés.
Il existe près de Moutier un nom de X\tv\ Fenatte de V Etriou,
que, dans son étude (p. 41), M. Roche traduit par « petite fin
de l'étrilleur » ; il serait peut-être préférable de le rattacher à
notre radical en l'interprétant comme « petite fin d'un nommé
Etriou, sobriquet naturel au sens de « enchanteur », anc. franc.
*estrieur, tiré du verbe *estrier, supposé plus haut.
E. Tappolet.
48 L. GAUCHAT
UN CAS D« UMLAUT»
DANS LE DIALECTE GRUYÉRIEN
— 5—
Dans le domaine des langues germaniques, on observe dès
l'époque de l'ancien haut allemand l'action assimilatrice d'un i
suivant sur un a du radical : gesti, pluriel de Gast, d'oîi la
forme moderne Gdste. Ainsi s'expliquent les transformations
mass, /ndssig ; Tanz, Tànzlein (anciennement -//«), etc. C'est
ce qu'on appelle «Umlaut», en français « apophonie ». Ce
phénomène finit par s'étendre à presque toute l'échelle voca-
lique : Sohn — Sohne, Bube — Biiblein, etc.
Dans son ouvrage Les Patois romans du canton de Fribourg
(1879), Haefelin a cru reconnaître une évolution phonétique
analogue en Gruyère: «Il est possible que le changement de
\'a atone en e soit aussi dû à l'influence d'un / suivant dans
les mots ci-dessous^: ènyld, côté de la forme ^/«^^'/(agnellus);
Erbivuè^ Albeuve ( a 1 b a a q u a) ; cmi (a m i c u s) ; erdzin (a r g e n-
t u m) ; %lyè vï ( f 1 a g e 1 1 u m) ; terdi à côté de tardu (t a r d i v u m) » .
De cette liste, il est prudent d'écarter les mots où ar se change
en cr, ce qui arrive indépendamment d'un i suivant, comme
le montre erdzin, où il n'y a pas d'/. De même yjyèyi, où il
s'agit du groupe ay, qui passe à èy dans un vaste territoire.
Restent les cas sûrs ènyî et cmi, auxquels viendront se joindre
les nombreux exemples que je citerai plus bas.
Un autre cas d'apophonie concerne Vou atone qui devient u
devant un / tonique : kiitsi, drumi, mûri, etc. (ailleurs koutsT^
droumi, mouri), dont j'ai touché un mot dans ma dissertation
Le patois de Donipierre, p. 57-59. M. Jeanjaquet a constaté
des phénomènes analogues en Valais, voir Bulletin VI, p. 29,
' P. 32. Nous remplaçons la transcription de Haefelin par celle du
Bulhlin.
UN CAS D'« UMLAUT » DANS LE DIALECTE GKUVÉRIEN 49
notes 5-6. Enfin, M. Fankhauser en a relevé plusieurs dans sa
pénétrante étude sur le patois de Val d'IUiez, p. 108 et 112 ss.
Dans la note 3 du § 134, il est aussi question des conditions
fribourgeoises et du cas spécial qui m'occupe ici : tavi > tcvi.
J'aimerais aujourd'hui me borner à ce dernier, en cher-
chant à préciser l'influence que 1'/ accentué exerce sur un a
de la syllabe précédente. Voici d'abord quelques matériaux :
alyl ou èlyi « alisier » : ajl ou èj'I « présure » ; achi, cchï ou èyj
« acier » ; avri ou èvri « abri » et aussi « avril » ; ènich « anis » ;
avi ou èvi « avis » ; ehi « habit » ; lavi ou levi « loin » ; nari ou
neri « narine » ; kratchî ou krctchi « cracher » ; tavï ou tevî
« couvercle » ; tsa'/[J ou tsèyl « chasser » ; yjyapi ou ylyèpi
« flétri » ; grapi ou gr'epi « grimper ». Il y en a d'autres, mais
les formes citées suffisent amplement pour prouver qu'on est
bien en présence d'une règle phonétique ^.
Mais avant de parler d'une règle, il faut faire la contre-
épreuve et voir s'il n'y a pas de mots qui s'y dérobent. L'apo-
phonie n'a pas lieu lorsque l'a est séparé par une syllabe de
r/ tonique: abalyî, abètsi, afÔti, amolyl, aplycyî, armalyï, etc.,
pas même dans avijî « accoutumé ». L'/ n'agit qu'à courte
distance. Les verbes sont un peu réfractaires : balyî, katchJ, etc.,
évidemment parce que les formes accentuées sur le radical et
qui sont à l'abri de cette influence: balyo, kqtso, etc., agissent
dans le sens de la conservation de la voyelle primitive. Un a
long n'est pas atteint : bânyî, gànyJ, etc. Ce qu'il y a de plus
curieux, c'est que certains mots ne présentent nulle part des
formes avec è, tels que pachï « échalas » ; arlda « arête » ; rajl
« radeau » ; ladî « lait » ; adi « toujours » ; chapï « sapin » ; aprJ
« après » ; vanJ « rocher ». Le dernier exemple pourrait s'expli-
quer par une ancienne forme hypothétique van-n7. Mais les
autres ? Pourquoi jamais lèdî pour « lait » ? Toutes ces excep-
* Ce sont les travaux de classement des matériaux du Glossaire qui
m'ont fait voir clairement qu'il y avait là une certaine régularité (voir
Rapport de 19 13. p. 6).
50 L. GAUCHAT
tions ont en commun que 1'/ n'y est pas ancien. A Blonay, par
exemple, on dit encore paséi, aréiûa, ladéi, adéi, apréi (les
autres mots manquent), prononciation plus archaïque et qui
doit être à la base des formes fribourgeoises. Il s'agit de - e 1 1 u m
ou de ^ -j- J et consonne. Le lecteur attentif objectera que tèvi
<C tabellum est bien du nombre des cas infectés d'/. A cela
on peut répondre que l'hésitation entre avi et èvi a pu entraîner
tcvi. Les mots ylyèml « espèce de gâteau», de flamellum, et
plyètï «plateau », ne me déroutent pas: ici le son è est dû à
l'action de la mouillure précédente; ci. plyèdl « placer », et le
mot %\\Vl^\q. plyèdd « place », ainsi que d'autres ^. anyl (agnel-
lum) représente un cas à part; derrière gn le suffixe -ellum
paraît avoir subi un traitement spécial ; cf. anyî et non anyéi
à Blonay.
La Gruyère n'a donc conservé qu'en partie les anciennes
conditions d'extension du phénomène, mais elle en laisse
encore reconnaître les limites. Comme les textes fribourgeois
du xv^ siècle étudiés par M. Girardin n'ont pas de traces d'une
prononciation aprï ou la^ï^ avec i (§ 30 et 33), et que ces cas
font généralement bande à part, l'apophonie ami >■ hni doit
remonter plus haut.
Aujourd'hui le phénomène tend à disparaître sous l'influence
du français : ami, anyî sont plus fréquents que leurs doublets
en e. Quelques mots, qui n'ont pas de correspondants directs
en français et sur lesquels l'influence de la langue littéraire n'a
pas de prise, ne connaissent pas de formes en a: rèvi «pro-
verbe », qui se rattache à raviser, adèvi ka « aussitôt que », de
ad istam vecem quod. Ils montrent que aw/, «-«jv' sont rela-
tivement nouveaux.
Au Pays-d'Enhaut, notre phénomène off"re des conditions
modifiées. De la dissertation inédite de M. Cornu : Lautlehre
der Mundart des Pays-d' Enhaut (1874), j'extrais les exemples
suivants : agèchï « agacer » ; batebl « batailler » ; bètsl « bap-
' Le patois de Dompierre, p. 21.
UN CAS D'« UMLAUT » DANS LE DIALHCTE GRUVERIEN 5 I
tiser* » ; bèbî « bailler, donner » ; konpènyi « compagnie » ; fèri
« [je^ ferai » ; malèdi « maladie » ; mèfi « fatigué » ; unphts
« empêché » ; rèmir? « ramure » ; travèàï « travailler » ; tsèbi
« chaloir » ; chcbi « saillir, sortir ». On voit que la règle y est
maintenue plus pure, mais M. Cornu nous avertit que « nur
alte Weiber, welche auch desswegen von den jungen Leuten
verspottet werden, lassen dièse Anniiherung der Laute hâufig
hôren». Il s'agit du patois de Cuves. M. Cornu a même re-
cueilli des cas d'apophonie où l'action d'^ s'étend à deux syl-
labes précédentes : mèlèdi, trèvèbï.
Quelques rares formes apophoniques se sont répandues au
delà de leur domaine premier : on voit apparaître krctsî « cra-
cher », à Blonay ; rèvi ou rdvi « proverbe », se dit dans tout le
canton de Vaud, mais Juste Olivier atteste que c'est un mot
qui provient des Alpes vaudoises.
Notre petite loi phonétique rend compte des anomalies appa-
rentes de certains vocables, qui, dans Bridel, ne figurent que
sous des formes altérées ; ainsi le rapport à^ennesi « jeune porc
d'un an», avec annus devient clair, et béthi « diguer», appa-
raît comme simple variante du verbe bâtir.
L. Gauchat.
' C'est à tort que j'ai considéré comme suspecte cette forme dans ma
Trilogie da la vie (Bulletin IX, p. 16).
52
J. JEAXJAQ.UET
RITOURNELLE PATOISE
SUR LES NOMS DES JOURS DE LA SEMAINE
— i—
Le refrain populaire patois ci-dessous nous a été communiqué en
1904 par un correspondant du Glossaire, M. R. Chassot, qui l'avait
noté à Villargiroud, dans le district fribourgeois de la Glane :
L é rakontra Marianna dp Ion,
Kd pbrtàvè a vandr? Vbnyon.
Dalon, Vbnyon;
Trinka Madslon!
J'ai rencontré Marianne lundi,
Qui portait à vendre l'ognon.
Lundi, l'ognon ;
Trinque Madelon !
L é rakontra Alarian-na dama,
K3 pbrtâvc a vandn don hyâ.
Dama, don hyd; dalon, Vbnyon;
Trinka Madilon!
J'ai rencontré Marianne mardi,
Qui portait à vendre du blé.
Mardi, du blé' lundi, Tognon ;
Trinque Madelon !
L é rakontra Marianiia d3mîkrou,ya.\ rencontré Marianne mercredi,
Ks pbrtàvè a vafidr on kmnxou. Qui portait à vendre un couvercle.
Dimïkrou, on krdin%ou,, etc. Mercredi, un couvercle, etc.
4. 4.
L é rakontra Marian-na dsdzâ, J'ai rencontré Marianne jeudi,
K3 pbrtàvè a vandr? din-J-â. Qui portait à vendre des œufs.
Dsdzâ, din-J-â, etc. Jeudi, des œufs, etc.
5- 5-
L é rakontra Marian-na dn'indrou, y dX rencontré Marianne vendredi,
K? pbrtàvè a vandr on chindzou. Qui portait à vendre un singe.
Divjndrou, on chindzou, etc. Vendredi, un singe, etc.
RITOURNELLE PATOISE
53
6. [^0", 6.
Z / rakontrd Marian-na dichan- J'ai rencontré Marianne samedi,
Ki pbrtâvè a vandr on rqnchou. Qui portait à vendre du lard.
Dichandou, on ranchou, etc. Samedi, du lard, etc.
7-
L é rakontrd Marian-na d^mindzs,
Ky pbrtâvi a vandr? din frindzc
Dimindz? , din frindzè ;
Djchandou, on ranchou ;
Dn'indrou, on chindzou ;
DddzCi, din-j-â:
DimîkroH, on krnnxou ;
D?nid, don byâ ;
Dilon, Vonyon.
Trinka Maddlon!
7-
J'ai rencontré Marianne dimanche,
Qui portait à vendre des franges.
Dimanche, des franges ;
Samedi, du lard ;
Vendredi, un singe;
Jeudi, des œufs ;
Mercredi, un couvercle ;
Mardi, du blé ;
Lundi, l'ognon.
Trinque Madelon !
Cette petite composition appartient à un genre bien connu dans la
littérature populaire orale, celui des énumérations en série progres-
sive, à laquelle une formule constante quelconque sert chaque fois
d'introduction. Ici ce sont les noms des jours de la semaine, accou-
plés chacun à un autre mot formant assonance, qui constituent la
kyrielle croissante. Nous ne saurions dire, faute de moyens d'infor-
mation suffisants, si cette ritournelle a été signalée ailleurs qu'en
Suisse. Ce qui est certain, c'est qu'elle n'a pas pu être empruntée
au français ni se répandre par son intermédiaire, puisque la termi-
naison uniforme du français lundi, mardi, etc., détriiil-ait la base
même de l'agencement de notre texte patois. Son origine doit être
cHerchée dans la partie du domaine gallo-roman qui a adopté le type
de formation dies lunae au lieu de lunae die s pour les jours de
la semaine. On sait qu'en Suisse romande les patois du Jura bernois
sont seuls d'accord à cet égard avec le français. Partout ailleurs on
a dslon, d^mar, etc.
La chanson sur les jours de la semaine paraît particulièrement
répandue dans le canton de Fribourg. M. J. Reichlen l'a publiée
54 J- JEAK^JAaUET
avec la mélodie dans ses Chants et coraules de la Gruyère, p. 72-73,
et un ancien correspondant du Glossaire, M. le D"^ Nicolet, l'a aussi
recueillie à Farvagny. Abstraction faite des particularités de dialecte,
ces deux textes diffèrent fort peu de celui de Villargiroud. Ils s'accor-
dent à donner pour assonance à dfmîkrou, don trîdzou « du triège»,
au lieu de on krdvî%oii, et la variante gruyérienne a pour refrain
Tink3 Maddlon «Voilà M.», qui sert aussi de titre. Mais à côté de
la version fribourgeoise, le hasard des recherches nous a fait con-
naître deux autres rédactions patoises, qui attestent que cette chanson
n'a pas seulement un caractère local et qu'elle est ancienne dans le
pays.
Nous tenons de M. le D"" H. Stauffer, à Neuchâtel, une variante
neuchâteloise que sa mère aimait encore à répéter, et qui, paraît-il,
faisait la joie des veillées de fileuses aux Verrières vers 1840. Le texte
est très voisin de celui de Villargiroud ; quant au patois tel qu'il nous
a été prononcé, il est passablement francisé.
1. 1.
Dion i ratikontrâv via ml. Lundi je rencontrais ma mie
Ki portJv ^ vindr d Vbnyon, Qui portait vendre de l'ognon.
Dion d rbnyon. Lundi de l'ognon.
Atsl vb ", ma mJjiikank ^ a ddnian ! Adieu, ma mie, jusqu'à demain !
2. 2.
Dmouéi rankontrâv ma fnl. Mardi je rencontrais ma mie,
Ki poriïv vindr du byé. Qui portait vendre du blé.
Dmoué du byé, dlon d Vbnyon. Mardi du blé, lundi de l'ognon.
Atsï vb, etc. Adieu, etc.
7- 7. . .
Dmindz i rankontrâv ma ml, Dimanche je rencontrais ma mie,
Ki pbrtJv vindr dé mindz. Qui portait vendre des manches.
1 Forme inexacte '^om portâv, par confusion avec les imparfaits des verbes
2 Formule de salutation, contractée de A Dieu soyei-voiis !
^ Contamination de jusqu'à et tant qu'à, qui avait le même sens.
RITOURNELLE PATOISE 55
Dmindz dé ffiindz^ Dimanche des manches,
Dsand' dé sandr \ Samedi des cendres,
Dvindr dé dind, Vendredi des dindes,
Djœ dé-j-cé, Jeudi des œufs,
Dmëkr kouvëky, Mercredi couvercle,
Dmoué du byé, Mardi du blé,
Dion d Vbnyon. Lundi de l'ognon.
Atsï vo, ma mJ, jukank' a diman! Adieu, ma mie, jusqu'à demain!
La version valaisanne que nous a transmise M. Maurice Gabbud,
à Lourtier, a été recueillie par lui à Verbier (Bagnes), où elle est cou-
rante. Le texte est altéré, des formes étrangères au patois local tra-
hissent l'importation et la plupart des mots en rime n'ont plus aucune
signification. Mais le sens joue un rôle si secondaire dans les produc-
tions de ce genre que sa disparition ne nuit pas au succès. On se
contente du cliquetis des assonances. On y prend même tant de
plaisir que le jeu a paru trop court et qu'on l'a prolongé par l'addi-
tion de nouveaux couplets sur les mots « semaine », « mois », « an » et
«siècle ». A remarquer aussi que la première syllabe de dilon, ddtnâ,
etc., disparaît dans le refrain.
1. I.
Rèkontrà Dziràna ddîon, Rencontré Gironne lundi
K? s'in-nalâvè vindrs de gron. Qui s'en allait vendre des .... (?)
Lan, gron^ son. Lundi, (?)
Retourna tè, Dziràna, Retourne-toi, Gironne,
Retourna tt\ gripyou'. Retourne-toi, accrocheur.
2. 2.
Rckontrci Dziràna ddniâ. Rencontré Gironne mardi
Kd s'in-n-alàvè vindrd de là. Qui s'en allait vendre du lard.
Ma, là; Ion, gron, son. Mardi, lard ; lundi, (?)
Retourna tè, etc. Retourne-toi, etc.
^ Forme française amenée par la rime.
" Surnom donné aux libéraux dans les luttes politiques du Valais et qui
signifie proprement accrocheur.
56 J. JEANJAQ.UET
II. II.
Rckontrà Dziràna b syekh, Rencontré Gironne le siècle,
Kd s'in-n-alàvè vindr? dd pyéxh. Qui s'en allait vendre du (?)
Syèkh^pyèxh ; Siècle, ('?),
L'an, pan; L'an, pain ;
Mai, pat; Mois, pois ;
Sinàna, lâna ; Semaine, laine ;
Mindzd, pindzj ; Dimanche, (?) ;
Sando, pando ; Samedi, (^V) ;
Vindro, ppido ; Vendredi, (?) ;
Dzàu^ bœu; Jeudi, bœuf;
M'ekro, l'ebro; Mercredi, (?) ;
Ma, là; Mardi, lard;
Lon, gron, son. Lundi, ..... (?).
Retourna ti\ Dzirôna, Retourne-toi, Gironne,
Retourna tè, gripyou. Retourne-toi, accrocheur.
J. JEANJAQ.UÊT.
A NOS LECTEURS 57
A NOS LECTEURS
-♦-
Les subventions accordées au Glossaire romand ayant subi
une forte réduction par suite de la guerre, nous nous voyons
obligés, à notre grand regret, de renoncer à la publication
coûteuse de notre Bulletin. Celui-ci n'était du reste destiné
qu'à préparer la voie aux ouvrages où seront consignés les ré-
sultats définitifs de notre vaste enquête sur les patois romands :
la Bibliographie linguistique de la Suisse romande, dont le
premier tome a paru en 1912, et dont le deuxième est sous
presse, les Tableaux phonétiques et V Atlas linguistique, enfin
le Glossaire lui-même, dont la publication commencera dès
que les travaux de classement qui nous occupent encore seront
achevés. Devant ces œuvres de plus grande envergure, le
modeste Bullett?i s'efface aujourd'hui, après avoir accompli
l'essentiel de sa tâche. Mais si nous prenons maintenant congé
de nos lecteurs, c'est avec le ferme espoir de les retrouver
bientôt plus nombreux, lorsque le Glossaire retracera dans
toute son ampleur le tableau original de notre civilisation ro-
mande, telle que la révèlent nos vieux patois.
La Rédaction :
L. GAUCHAT, J. JEANJAQ.UET, E. TaPPOLET.
•^^î-^-:-
TABLE DES MATIERES
— i—
Pages
L. Gauchat. La trilogie de la vie. (Fin.) 3
E. Muret. Au souffle de la vaudaire 37
E. Tappolet. Etymologies jurassiennes : i. sira « beau-
père » et dènïn « belle-mère » ; 2. djétujid « châtier >;
3. niinbin « imbécile » ; 4. étriô « sorcier > 41
L. Gauchat. Un cas d'«Umlaut» dans le dialecte gruyérien 48
J. Jeanjaquet. Ritournelle patoise sur les noms des jours
de la semaine 52
La Rédaction. A nos lecteurs '57
E. Tappolet. Table générale des années I-XIV du Bulletin 55
Système de transcription 68
TABLE GÉNÉRALE
des années 1-14 (1902-191 s) du Bitllcfni.
Les chiflVes indiquent d'abord l'année, en caractères gras, puis la page.
Un petit chiftre après celui de la page désigne l'alinéa ou renvoie à une note.
I. Table par noms d'auteurs.
Berton'i, g. Le Sauvage [Servadzo] 12, 33
BovET, p. Le rouet de ma grand'mère (Gruyère F) . . . 3, 10
Q.YLA.MBXL,0. Lendemain de fête i^ovray Va) 1, 70
— A la charrue (Rovray Vd) 2, 54
ChassoT, R. Catillon la sorcière (Villargiroud F) . . . 4, 25
Christix, g. La moisson d'autrefois (Aire-la- Ville G) . 4, 58
Cornu, J. Une langue qui s'en va (Vd) 12, 40
Fr.EURET, C. A la foire (Bernex G) 1, 25
— Conte du Loup et du Renard (Bernex G) 3, 30
Fridelaxce, F. Fragment d'un glossaire de l'Ajoie (B). . .'ï, 42
— Fragment des Paniers (Charmoille B) 8, 7
V'R.OMXlG'EX'î, 12,. Une journée de pêche [Sngi^zV) . ... fi, 55
Gabbud, ]\I. Enigmes, jeux de mots et formulettes ba-
gnardes (Lourtier V) .5, 8
— Mélanges bagnards 7, 3 ; 8, 3
Gander, s. Les deux lièvres et la poix (Vaugondry Vd) . . 9, 24
G AUCHAT, L. Nos patois romands I.306
— Le loup et la grue {^lonta.gnQs'^) 1, 38
— La dernière page de l'histoire du patois de la Chaux-
de-Fonds 1, 46, 57
— Les parties du visage dans les locutions populaires
de la Gruyère . 2, 9
6o E. TAPPOLET
GauchaT, I,. La lessive (La Chaux-de-P'onds X) . . . 2, 4C)
— Les noms des vents : ubèr 2, 63 ; jormi 3, 14 ; ni/Jyo
10, 44 ; vaiidaire 10, 46 ; 13, 62 ; cf. 14, 2)7-
— Les limites dialectales (avec carte) 3, 17
— L'origine du nom de la Chaux-de-Fonds .... 4, 3
— Le conte du rraz>» (Lutry Vd) 5. 17
— Conmient on nomme le fromage 6, 14
— Mélanges bagnards 7, 3 ; U, 3
— Le suffixe romand -èri, -èrida . 7, 40
— Les noms des clochettes de vaches 8, 17
— Notes gruyériennes 8, 59
— La trilogie de la vie :
I. Naissance et baptême 9, 3
11. Fiançailles et mariage ^, H '• 10. 3
III. Mort et enterrement 13, 65 ; 14, 3
— Notice historique sur le Glossaire 13, 3
— Un cas d'« Umlaut » en gruyérien 14, 48
— Articles étymologiques (cf. V Index des mots étudiés,
p. 64) 1, 28 ; 2, 34, 63 ; 3, 38 ; 4, 3 ; 5, 14 ; fî, 62 ;
7, 32, 50 ; 8, 13 ; 9, 60 ; 11, 84 ; 13, 85.
Grosjeak, a. La meule (Plagne B) 5, 59
Henchoz, J. La £^emz-aMwe (L'Etivaz, Vd) 3, 60
HiRSCHY, W. La chanson de la Perj^e/Ze •"». 49
ISABEly, F. Un fenil aux Ormonts 1, 30
— Les diminutifs dans le patois des Alpes vaudoises . 4, 4 1
Jaberg, K. Notes sur Vs final libre dans les patois franco-
provençaux et provençaux du Piémont . . . . 10, 49
JEANJAQUET, J. Le conte de Pequin, randonnée (Chani-
péry V) 1, 33
— Les fées de Grand' Combe (Evolène V) 2, 26
— Argot de malfaiteurs au xvi<^ siècle 2, 68
— Notes genevoises 3, 34
— Le fléau et ses parties '^*, 2>i
— Le pauvre cordonnier (Nendaz V) 6, 26
— Compte rendu de E. Herzog, Neuframôsische Dia-
lekttexte 6. 30
— La fée de Premploz (Conthe\' V) 7, 22
— La peste à Nendaz (V), traditions locales .... 7, 46
TABLE GÉNÉRALE DES ANNEES I-14 61
JEANJAQUET, J. C^enevois OU Genevois ? 7, 60
— La harangue patoise de David Boyve au prince de
Xeuchâtel en 161 8 U, 61
— Le benêt (Orsières V) î), 20
— La vieille, chanson populaire (Hermance (i) . 9, 57
— Les Cris de Genève 11, 85
— Le placard patois de Jacques Gruet (G) . . 12, 54
— Ritournelle patoise sur les jours de la semaine
(FNV) 14. 52
— Articles étymologiques (cf. l'Index, p. 64) I, 40 ;
2, 15 ; 3, 36 ; 5, 15 ; 47 ; 9, 26.
JUD, J. Les noms des poissons du lac Léman (avec carte) 11, 3
Meyi,ax, L. La fouine à Ferdinand Guignard (Vallée de
Joux Vd) 6, 22
Muret, E. Additions aux proverbes de Lens (V) .... 4, 28
— Le Château d'amour 6, 33
— Etymologies (cf. l'Index, p. 64) 7, 24
— Effets de la liaison de consonnes initiales avec s
finale, observés dans quelques noms de lieu va-
laisans 11. 49
— Enquête sur les noms de lieu et les noms de famille 13, 3 1
— Au souffle de la vaudaire l'S. 37
Neveu, A. Jeux de Xoël (Leysin Vd) -i, 2^
Odin, L. Le tonnerre (Blonay Yd) 3, 61
Patru, E. La drogue (Troinex G) 7, 21
Pfeiffer, G. Proverbes recueillis à Lens (V) 3, 3, 23 (cf. 4, 28)
PiERREHUMBERT, W. Les plaintes d'une cheminée du vieux
temps (Chaux-de-Fonds N) 6, S9
— Les équivalents d'« importuner » 9, 46
PiGUET, A. La fouine à Ferdinand Guignard (Vallée de
Joux Vd) 6, 22
RÉDACTION. Au lecteur 1, i ; 14, 57
— Les salutations 3, 41
— Les Brandons fi, 3
— Système de transcription . . 7, 2 ; 8, 2 ; 9, 2 ; 14, 68
Reichi^en, J. Deux chansons populaires fribourgeoises . 10, 38
ROSSAT. A. Fragment des Paniers 8, 7
RUFFIEUX, C. Un drôle de saint (Gruyère F) 8, 56
62 E. TAPPOLET
Savoy, H. Le hachis de la Bénichon (Veveys^F) ... 2, 59
SuRDEZ, J. Sonwe/ (Clos du Doubs B) 2, 13
— Pronostics et dictons agricoles (Qos du Doubs B) .4, 16, 50
Tappoi^ET, E. Mots d'origine allemande pour « taureau ». 1, 27
— L'agglutination de l'article 2, 3, 22, 37, 70
— Notes jturassiennes (B) 2, 14
— Les quatre saisons 3, 49
— Q.om.'çtQr&ndw.dç. Historiettes patoises amusantes {B). 4, 31
— Les expressions pour « volée de coups » 5, 3
— La fouine à Ferdinand Gui gnard {y à\\éeàç]ow^\ di) 6, 22
— « Andain » 7, 12
— La préposition à 7, 33
— Note introductive stxr le poème des Paniers ... 8, 7
— Les termes de fenaison 8, 26
— Le regain et la pâture d'automne 10, 17
— Synonymie patoise 13, 41
— Etymologies jurassiennes 14, 41
— Table générale l'i. 59
Urtel, h. Autour du rhume 12, 3
VoRUZ, H. Une tuilerie à Lavaux (Vd) au xvi"? siècle . . 2, 17
II. Index par matières.
Agglutination 2, 3, 22, 37, 70.
Argot 2, 68.
ArTICI^ES- SPÉCIMENS du Glos-
saire : brandons 6, 3 ; —pré-
position à 1. 33 ; — trilogie
de la vie 9, 3, 33 ; 10, 3 ;
13, 65 ; 14, 3 ; — regain et
pâture d'autome 10, 17.
Boyve, David, sa harangue 8, 61 .
Comptes rendus : Historiettes pa-
toises 4, 31 ; Herzog, Dialekt-
texte 6, 30 ; Tobi di-j-èlyudzo,
Fourdèrâ 8, 59.
Contamination 13, 46 (impor-
tance) ; 7, 49* ; 7, 50 '' ;
8, 38* ; 14, 54 ^
Déglutination 2, 4 1 .
Dérivation, v. Morphologie.
Description technique, v. Ency-
clopédie.
Encyci^opédie : baptême 9, 78 ;
— brandons 6, 3 ; — clo-
chettes de vaches 8, 17 ; —
enterrement 14, 21 ; — fe-
naison 8, 26 ; — fenil 1, 30 ;
— fiançailles 9, 35 ; — fléau
^' Zi '< ~ fromage, 6, 14 ; —
lessive 2, 46 ; — mariage 9, 44 ;
10, 6 ; - mort 13, 70 ; -
naissance 9, 4 ; — pâture
d'autonme 10, 17, ^z ; —
pêche 6, 22, 55 ; — poissons
TABLE GENERALE DES ANNEES I-14
63
11, 3 ; — regain 10, 17 ; —
rhume 12, 3 ; — rouet 3, 10 ;
— salutations 3, 41 ; «trueille»
1, 40 ; — tuilerie 2, 17 ; —
vents 2 ; 63 ; 3, 13 ; 10, 44 ;
13, 62 ; 14, },7.
Folklore, v. Littérature popu-
laire.
Glossaire des patois de la Suisse
romande, histoire et organisa-
tion 13, 3.
Glossaire de l'Ajoie .">, 42.
Gram]maire patoise, voir Pho-
nétique, Morphologie, Syn-
taxe, cf. Agglutination, Dé-
glutination, Contamination.
Omet, J., placard 12, 54.
Histoire du patois 1, 46, 57 ;
2, 17, 46 ; a, 61 (N) , 12, 40
(Vd).
Langue littéraire 1, 9 ; 10, 71
(Piémont) .
Lexicographie, voir Encyclo-
pédie, Articles-spécimens,
Glossaire.
Limites dialectales 3, 17 ; cf.
I, 23.
Littérature popui,aire et
FOl<Kl.ORE : Chansons 5, 49
(Pernette); 9, 18 (baptême) 57
(G);10,38(F);11,95(G);14.52
(FNV). — Château d'amour
6, 33. - Contes 1, 33, 38; 2,
26 ; 3, 30; 5, 17 ; 6, 22, 26 ;
7, 22. — Cris des marchands
II, 85. — Enigmes, 5, 8. —
Formulettes 5, 8. — Jeux .de
mots 3, 8. — Locutions 2, 9.
— Personnages : Pequin 1,33
fées 2, 26 ; 7, 22 ; Polyphème
2, 30 ; Catillon i, 25 ; (îui-
gnard B, 22; cordonnier 6, 26;
sorciers et sorcières 4, 25 ;
(», 2/ ; benêt 9, 20 ^ ; le Sau-
vage 12, 33. — Proverbes,
pronostics, etc. 3, 3, 23 ;
4. 16, 28, 50 ; 8, 62 ; 9, 42 ;
10, 5 ; 13, 68 ; 14, 7. 21. -
Randonnée 1, 33. — Cf. aussi
Encyclopédie, Textes.
Morphologie : Déclinaison de
l'article et du pron. démonstr.
-. 3"' 3 3 '• article di.sparu G,
29 ® ; 7, 3 - ; pronoms 12, 67 ;
pronom disparu 6, 29 » ; 7,
49* ; genre 7, 3 ; 8, 60 " ; 13,
48. — Conjugaison 12, 44, 67 ;
imparfait 3, 34 ; subjonctif 7,
49* ; passé défini 9, 26'. —
Suffixes -ar 1,5'; diminutifs
4, 41; -inciis, -anciis 7, 24 ;
-èri, -èrida 7, 40 ; -ottus, -ittus,
8, 60 '*; -asi^, 26*; dérivation
1.4.
Nomenclature, v. Enc^xlopédie.
Noms de lieux, enquête 13, 31;
4. 3; 8, 15; 11,49; 14.8.
Onomasiologie 13, 43 (impor-
tance) ; 10, 17 ; pour les dé-
tails. V. Sj'nonymie.
Paniers 8, 7 ; 14, 41.
Phonétique : effets de ]';- ap-
puyée 1, 64 ; accent tonique
3, 35*; notes valais. 6, 29;
assimilation de voyelles 6, 29 * ;
Umlaut6, 29^-6'»; 14, 48 ;
64
E. TAPPOLET
-unum et -onem > on 7, 49^ ;
e atone 7, 60 ; c e, i et s après
w, /, 9, 31 ; 13. 63; 14, 37;
s finale 2, 3 1 ; s finale en Pié-
mont 10, 40 ; liaison n 8, 60 ^ ;
s 8, 60''-' ; II, 49 ; sp 11. 59 ;
spl 11, 62 ; si 11. 66 ; se II,
69 ; s 11, 74 ; ski 11, 81 .
a final 12, 41 ; notes genev.
12, 66.
Placard Gruet 12, 54 (G).
Préposition à 7, 32.
Provincialismes 1, 10 ; 13, 19;
Suffixes, V. Morphologie.
Synonymie : importance 13, 41;
abri 1 , 5 , 56 ; andain 8, 29 ;
clochettes de vache 8, 17 ;
étendre le foin 8, 32; fléau 4,
T,^ ; fenaison (tableau) 8, 53 ;
fromage 6, 14; 13, 58 ; herbe
non coupée 8, 3 1 ; importuner
9, 46; jour et nuit, etc. 13, 53 ;
lait, etc. 13, 55 ; mourir 14,
14 ; neiger 8, 3 ; pâture d'au-
tomne 10, 17, 32 ; pleuvoir 8,
3 ; poissons 11, 3 ; ramasser
8, ^y ; regain 10, 17, 22, 25, 29;
rhume 12, 3 ; rouleau de foin
8, 38 ; saisons 3, 49 ; sommeil,
etc. 13, 51 ; tas de foin 8, 42;
volée de coups 5, 3.
vSyntaxe: verbe réfléchi 1, 63 ;
correspondance des temps
7, 49*; il a eu vu 5, 39^*; 9, 26 ^
Textes : bernois 2, 13; 5, 59 ;
8, 7 ; — fribourgeois 2, 59 ;
4, 25 ; «, 53 ; 8, 56 ; 9, 18 ;
10, 38 ; 14, 52; — genevois
1, 25 ; 3, 30 ; 4, 58 ; 7, 21 ;
9, 37 ; 11, 85; 12, 54; - neu-
châtelois 1, 38 ; 2, 46 ; 0, 59 ;
8, 61 ; 14, 54; — valaisans
1, 33 ; 2. 26 ; 6, 26 ; 7, 22, 46 ;
9, 20; 14, 55 ; — vaudois 1,70;
2, 54 ; 3, 60, 61 ; 4, 23 ; 5, 17 ;
(î, 22 ; 8, 23; 9, 24; 10, 8.
Transcription, système du Bul-
letin 7, 2; 8, 2 ; 9; 2 ; 14. 68.
III. Index des principaux mots étudiés.
Pour les noms de poissons, voir l'index spécial 11, 47.
« aringue », discours 9, 50.
arpyézo, fromage 6, 15.
fltsivo, adieu 3, 46.
attédier, 9, 53.
avalanche, 7, 25.
avoulya, tas de foin 8, 47.
axlsna, soigner le bétail 7, 58.
barnai, hérétique 9, 60.
batèyi, baptiser 9, 15.
batsi, baptiser 9, 16.
à, 7, 33.
adana, nourrir le bétail 7, 58
aglan, gland 2, 23.
agri, ennui 9, 62.
akvon, rouleau de foin 8, 40.
andain, 7, 12.
anrofnè, enrhumé 12, 14.
apèdzi, coller 9, 26 '**.
« aquepiller », ennuyer 9, 5 1
aradzo, sauvage 9, 61.
TABLE GENERALE DES ANNEES I-I4
65
« bisse », canal d'irrigation 8, 13.
bœniâ, heureux 11, 84.
boron. rhume 12, 17.
bouètcha, herbe non coupée 8, 32,
«bousarder», quereller 9, 52.
« bringue », 9, 50.
« campane », clochette 8, 21.
catarrhe, 12, 6.
cetoiir. cellier 9, 26.
charme, 12, 22.
chataino, v. satamo
Chaux-de- Fonds, 4, 3.
chsjin, gracieux 7, 57.
Chermontane, 8, 15.
«chiner», chicaner 9, 53.
chdbèr, rhume 12, 27.
chvits, taureau 1, 28.
« cordière », brebis 9, 61.
dan{tin), automne 3, 54.
« dégremillé », dégourdi 8,15.
délâo, chagrin 7, 56.
dènîn, belle-mère 14, 41.
« déquepiller », débarrasser 7,58.
dèsiivi, contrefaire 11, 84.
détchpouèna, dévêtu 7, 50.
di, dés 7, 50 '".
djir(è), aussi 7, 51.
dj(ÉtndfÏ3, châtier 14, 43.
djoran, vent local 3, 14.
è-dèrbalâ, assommer 7, 57.
« écorne », corne 2, 24.
édroudji, enrhumé 12, 15.
égarzin, eau-de-vie 3, 36.
eitchyèva, heure de la traite 1,43.
émotcharnè, enrhumé 12, 12.
«empédger», poisser 9, 52.
enchifrené, 12, 17.
« encoubler », 9, 5 i,
«ennioler», ennuyer 9, 52.
enterrement, 14, 19.
« entrèves », information 5, 15.
épancher, 8, ^^.
épey, peut-être 12, 68.
èrba, automne 3, 55.
ètantchi, épandre 13, 46.
ètâva, latte 7, 57.
étrio, sorcier 14, 46.
fèrmalyè, fiançailles 9, T)2)-
fethaiila, saucisse 13, 87.
fluxion, 12, 8.
fochèla, poitrme 2, 16.
fori, fortin, printemps 3, 51.
frèzèrè, du coup 7, 53.
«froid», refroidissement 12, 10.
garzin, eau-de-vie 3, 36.
genevois, 7, 60.
gourme, 12, 30.
goutte, 12, 7.
graoba, tartre 12, 15.
grippe, 12, 10.
inbomâ. se heurter 12, 24.
indari, automne 3, 54.
ingrœba, enrhumé 12, 15.
inkrèvsna, enrhvuné 12, 10.
inpyorna, enrhumé 12, 12.
inroupya, enrhumé, 12, 12.
intèrâ, enterrement 14, 21.
intoutcha, enrhumé 12, 10.
invouâ, étendre 8, -^^^i-
ivro, pis 2, 5 .
« joran », vent local 3, 14.
jupon, 7, 51.
konia, herbe non coupée 8, 31.
koto, (faire) semblant 2, 34.
kouini, dosse 2, 34.
koutsè, sommet 8, 47.
66
E, TAPPOLET
koveiy), coffin 2, 34.
kraizu, ancienne lampe 5, 38,
kiinyu, gâteau 2, 35.
kiiti paryâ couteau à égaliser
2, 35-
kvi, accorder 7, 53.
lan, planche 6, 62.
lannerie, fête 6, 2>7> 62.
lavon, planche 6, 62.
hvva, soigner les bêtes 7, 32.
liama, vite 7, 53.
livro, pis 2, 5 .
Ion, planche 6, 62.
lôvr, veillée 3, 2)^.
mani, bœuf 1, 28.
ma°rè, étendre le foin 8, 32.
mariage, 10, 3.
marier, 9, 38.
« mayen », pâturage de prin-
temps 7, 27.
menau, menaniho ,\iei\la.Td IS, 85.
mort, 13, 65 ; 14, 3.
■moue, tas 8, 46.
rnouni, taureau 1, 28.
mourir, 14, 10.
naître, 9. 6.
nichts, rien 2, 10, -^6, 70.
nixlya, rhume 12, 27.
norts9, sorcière 2, 39.
nûnbîn, imbécile 14, 44.
nût, V. nichts.
œiidèna, espèce d'herbe 1, 45.
ourno, bœuf 1, 27.
« pâquier », pâturage 10, 2>S-
pâture 10, 37.
psfâ, diable 1, 28.
père, espace fauché 8, 29.
petœfe, rhume 12, 29.
pila, omelette 1, 29.
piron, tas 8, 43.
potatchnotè, petit pot 1, ;.
potayma, rhume 12, 29.
pr<')3, troupeau 7, 54.
« quinquerne ». instrument de
musique 9, 49.
« raveur », chaleur 7, 55.
rdkor, regain 10, 17, 20.
yakordon, regain 10, 30.
r9mouints9, partie d'alpage 7, 30.
repas, 10, 34.
repé, pâturage d'automne 10, 32.
rètrindrè, serrer 8, ^y.
rhume, 12, 4.
rien, v. nichts.
rlédji, (se) réjouir 7, ^2,.
mat, rud, carré de foin 8, 34.
vu'/lyo, vent 10, 44.
salyi {frou), printemps 3, 52.
satamo, repas de funérailles 5, 47 .
« segneule», ritournelle 9, 48.
semoraiil, juin 3, 14.
sérassia, laitage 11, 97 •^'.
servadzo, sauvage 12, ^^i-
sèta, sabbat 1, 67.
sdtoiir, cellier 9, 26.
sève, andain 8, 30.
sira, beau-père 14, 41.
sonnaille, 8, 19.
svèy, andain 8, 30.
tchard'tr, érysipèle 1, 67.
tchéyon, tas 8, 43.
tchoup, herbe non coupée 8, 3 1 .
tetss, tas 8, 50.
tioupèr, jacinthe 11, 84.
tir&, rouleau de foin 8, 39.
touaba, serviette 2, 15.
TABLE GÉNÉRALE DES ANNEES I-I4
67
ioitla, rouleau de foiu }{, 39.
toiipin, clochette 8, 20.
« triole », rabâchage 9, 5 1 .
« trueille » serre-charge I, 40.
tsa, particule distributive
7, 50 ''.
tsiron, tas 8, 42.
tyin, culot 7, 58.
tyueidè, serviette 2, 15.
ubèr, vent 2, 63.
val{a)moH, tas de foin 8, 45.
« vaudaire», vent 10, 46; 13, 6:
14, 37.
vs'duigrs, troupeau 7, 54.
vichpyon, crayon 7, 55.
viole, 9, 49.
vouaytn, regain 10, 25.
« vouingue », cric 9, 48 .
yinda, fromage (>, 15.
IV. Table des illustrations.
Baptême à vSavièse 9, 16
Baptême, tapis de 9, 19
Carte des liinites dialectales de la Suisse romande . . 3, 16
Carte des noms de la fera en Suisse 11, 46
Clochettes de vaches 8, 24
« Craizu », ancienne lampe 'y, ^^
Crêpe de deuil (manti) 1-^. 30
Knterrement en Valais li, 24
Fenil aux Ormonts 1, 30
Fléau et ses parties i, 39, 40
Foin, divers modes de séchage 8, 34-36
Foin, chargement du char 8, 48, 49
Lutry, croquis 5, 16
Mortier 5, 40
Placard (^ruet, fac-similé 12, 64
Rouet 3, 10
« Trueille » pour serrer la corde des fardeaux . . . . 1,41
Serpe {vyaudzo) 5, 40
E. Tappolet.
SYSTEME DE TRANSCRIPTION
A. VOYELLES
a, è, é, i, n, ou ont la même valeur qu'en français.
/) = o ouvert (comme dans bord [bàr']).
ô z=: o fermé {[)eaii [pà]).
ce ^=- œ ouvert (b^?/rre \bàr^.
œ ^= ce fermé (Jeu [fœ]).
e, o, ce sans accent sont des voyelles moyennes.
9 (e renversé) = e sourd (brebis [br^bi]).
an, in, on, tm, sont les voyelles nasales des mots français temps
[tan], main [min], rond. [ron\ \unà\ [lundi],
in, tin, oun désignent les nasales de /, tt, ou, qui ne se trouvent
que dans certains patois du Jura bernois et du Valais.
à, voyelle intermédiaire entre a et à.
a ^ è très ouvert.
Les diphtongues sont notées ay, èy, oy, aou, œu, etc., o\iya,yè,
yo, oua, uœ, etc., suivant la nature et le mode de combinaison
des éléments qui les composent.
B. CONSONNES
à, p, d, t, j, ch, V, /, s, z, l, m, n, r ont le même son qu'en français
g représente partout le son dur de ^oût [gou].
k f ■» ■> coup [kou].
ly ■=. l mouillée dans l'ancienne prononciation ta/V/e [taly].
ny ■:=. n mouillée comme dans vi^we \oiny].
y s'emploie comme dans le français j'eux [yé], fus/on {^fxisyon],
p/ed \^pyé].
h = aspiration semblable à celle de l'allemand hoch.
i9 =z son du t/i dur anglais.
p = son du th doux anglais.
X = son de l'allemand \c/i ; h = son de l'allemand ac/i.
C. GÉNÉRALITÉS
Les voyelles particulièrement longues sont surmontées d'un
tiait horizontal : â, etc.
Les sons faiblement articulés sont notés en caractères plus
petits, par exemple a*, a^, ow, etc.
Un petit trait sous une voyelle (a) indique qu'elle porte lacent
tonique.
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PC Bulletin du glossaire des
314-1 patois de la Suisse
B8 romande
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