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I
I
BULLETINS
DE LA SOCIÉTÉ
D'ANTHROPOLOGIE
DE PARIS
PAniS. — TYPOGRAPHIE A. IIENNUYER, RUE DARCBT, 7.
BULLETINS
DE LA SOCIÉTÉ
D'ANTHROPOLOGIE
DE PARIS
TOME DEUXIÈME
QDATRIÈHE SÉRIE
ANNÉE 1891
PARIS
G. MASSON, ÉDITEUR
■ •■AimS DB I«*ACADBBI1E DB MÉDCCIX
BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 120
1891
« •
SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE
DE PARIS
STATUTS
TITRE PREMIER. — but et orgahisation de la sogiAté.
Article 1*'.— La Société d'anthropologie de Paris a pour but l'étude
scientiâque des races humaines.
ÂKT. 2. — Elle se compose, en nombre illimité, de membres titu-
laires, de membres honoraires, de membres associés étrangers et de
correspondants.
ÂBT. 3. — Tons les membres et correspondants de ta Société sont
nommés par voie d*élection, sur la proposition de trois membres, sauf
Texception indiquée en Tarticle 11.
Art. 4. — Un Comité central de trente membres, se recrutant lui-
même par voie d'élection parmi les membres titulaires, est chargé de
veiller aux intérêts matériels, moraux et scientifiques de la Société. Les
membres du Comité central peuvent seuls voter sur les modifications
des statuts et règlement. Les membres du Bureau et de la Commission
de publication ne peuvent être choisis que parmi les membres du
Comité central.
Art. 5^ — Le Bureau, élu par la Société en séance publique» se
compose d'un président, de deux vice-présidents^ d^un secrétaire gêné-
* Modifié conformément au décret du 3 octobre 1867.
^ .■
a
429917
Il STATUTS.
rai, d'un secrétaire général adjoint, de deux secrétaires annuels, d*un
archiviste, d'un trésorier et d'un conservateur des collections. La Com-
mission de publication se compose de trois membres. Tous ces fonc-
tionnaires sont élus pour un an, à Texception du secrétaire général, dont
les fonctions sont triennales. Tous sont rééligibles, à Texception du
président, qui ne peut être réélu qu'après une année dUntervalle.
ÂRT« 6. — La Société est représentée par le Bureau.
TITRE IL — CANOlBàTURES ET NOMINATIONS.
fl
Art. 7. — Les litres de membre titulaire et de correspondant national
ne peuvent être conférés qu'aux personnes qui ont fait acte de candida-
ture. Les membres honoraires, les associés et correspondants étrangers
peuvent être nommés directement par la Société.
Art. 8. — Les conditions à remplir pour devenir membre titulaire
0^ pour obtenir le titre de correspondant national sont : i^ d'être
présenté par trois membres qui inscrivent leur proposition sur le grand
registre et y apposent leur signature ; 2<> d'adresser au président une
demande écrite ; 3^ d'obtenir au scrutin secret la majorité des suf-
frages des membres présents. Ce scrutin a lieu dans la séance qui suit
l'inscription de la candidature.
Art. 9. •— Les associés étrangers et les correspondants étrangers sont
nommés individuellement et au scrutin secret, à la demande de trois
membres qui inscrivent leur proposition sur le grand registre et y appo-
sent leur signature. Le scrutin a lieu à la majorité absolue des membres
présents, dans la séance qui suit Pinscriplion de la candidature.
Art. 10. — Tout membre ayant rempli pendant cinq ans au moins
les fonctions de membre du Comité central (ou de membre titulaire
antérieurement à la création du Comité central), et ayant fait partie de
la Société pendant dix ans au moins en qualité de membre titulaire
(ou de membre associé national antérieurement à la création du Comité
central), pourra, sur sa demande, être élu membre honoraire en séance
publique, à la majorité absolue des membres présents. Il cessera dès
lors d'être soumis à la cotisation, en continuant à jouir de tous hBS droits
des membres titulaires, et à recevoir gratuitement toutes les publica-
tions de la Société.
STATUTS. ni
An. 11. — La Société, sur la proposition de cinq membres, confère
directement le titre de membre honoraire à des savants pris hors de
son sein, et ayant rendu des services éminents à la science. Les pré-
sentateurs inscrivent leur proposition sur le grand registre et y appo-
sent leur signature. L'élection a lieu à ta majorité absolue des membres
présents, dans la séance qui suit Tinscription de la candidature.
TITRE Hi. — AimifliSTAÂTioif.
ÂBT. 12. Les ressources de la Société se composent :
1* Do revenu des biens et valeurs de toute nature appartenant à la
Société ;
â* Du droit d'admission pour les membres titulaires et pour les cor-
respondants nationaux. Ce droit est fixé à 90 francs ;
3<* De la cotisation payée par tous les membres titulaires, résidauts
ou non résidants. Le montant en est fixé par la Société, suivant set
besoins;
4* Des amendes encourues, suivant quMI sera statué par le règle-
ment;
5<> Du produit des publications ;
6^ Des dons et legs que la Société est autorisée à recevoir ;
7® Des subventions qui peuvent lui être accordées par FEtat.
Art. 13. — Les fonds libres sont placés en rentes sur l'Etat.
Art. 14. — Les délibérations du Comité central relatives à des alié^
nations, acquisitions ou échanges d* immeubles et à Tacceptation de
dons ou legs, sont subordonnées à Tapprobation du gouvernement.
Elles ne peuvent être prises qu*après une convocation spéciale, et à
h majorité des deux tiers des membres du Comité qui assistent à la
séance.
Art. i5. — Les livres, brochures, cartes, crânes, plâtres, pièces
d*anatomie, objets d'art et d'industrie, dessins, photographies, etc., qui
composent les collections de la Société, ne peuvent en aucun cas être
vendus; mais la Société pourra compléter son musée par voie d'échan-
ges. Ces échanges ne pourront porter que sur les objets possédés à plu-
sieurs exemplaires. Ils ne pourront avoir lieu qu*entre le musée de lai
1? STATUTS.
Société et d*autres musées d'une importance reconnuOi et ils devront
toujours être indiqués sur le catalogue*
TITRE IV.— DISPOSITIONS GéllÉRÀLES.
Art. 16. — La Société s'interdit toute discussion étrangère au but
de son institution.
Art. 17* — Un règlement particulier, soumis à Tapprobation du mi-
nistre de Pinstruction publique^ détermine les conditions d'administra-
tion intérieure^ et en général toutes les dispositions de détail propres à
assurer Texécution des statuts.
Art. 18. — Nul changement ne peut être apporté aux statuts qu'avec
Papprobation du gouvernement.
Art. 19. — En cas de dissolution, il sera statué par la Société^ convo-
quée extraordinairement, sur l'emploi des biens, fonds, livres^ etc.,
appartenant à la Société; toutes les pièces du musée deviendront de
droit la propriété du Muséum d'histoire naturelle, à moins que la Société
n'en dispose» par un vote régulier, en faveur d'un autre établissement
public ou d'une société reconnue par TEtat.— Dans cette circonstance,
la Société devra toujours respecter les clauses stipulées par les dona*
teurs en prévision du cas de dissolution.
RÈGLEMENT
DE
LA SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE
EEVISÉ EN AVRIL 1863, OCTOBRE 1867, JANVIER 1878,
AVRIL ET JUILLET 1880 ET BN 1881.
TITRE PREMIER. — des séances publiques.
ARTICLE 1**. — Les séances publiques ont lieu le premier et lo troi-
sième jeudi de chaque mois, de trois à cinq heures de l'après-midi. Il
pourra être tenu des séances extraordinaires sur la proposition du Bu-
reau et par décision de la Société.
Art. 2. — La périodicité des séances pourra être changée par une
simple décision de la Société^ à la majorité absolue des membres pré-
sents, pourvu que la Société en ait été prévenue une séance à l'avance
par son président, et que tous les membres aient en outre été convo-
qués à domicile.
Art. 3. — La Société prend chaque année deux mois de vacances, en
août et septembre.
TITRE IL — FONCTIONS DU BUREAU.
Art. -4. — Le président dirige les séances, proclame les décisions de
la Société et les noms des membres élus, et nomme, après avoir pris
ravis do Bureau, les commissions chargées des rapports et des travaux
scientiûqoes.
Art. 5. — En Tabsence du président et des vice-présidents, le plus
ancien membre préside la séance.
Art. 6. — Le secrétaire général, élu pour trois ans et rééligible,
reçoit, dépouille et rédige la correspondance. Il prépare Tordre du
jour des séances de concert avec le président. II a la parole immédia-
tement après l'adoption du procès-verbal, pour communiquer à la
Société les pièces de la correspondance. Il est chargé de la publication
des Bulletins et Mémoires sous la direction du Comité de publication,
yi RÈGLEMENT.
avec le concours des secrétaires annuels. Il est adjoint de droit à la
Commission de publication, et tous les travaux destinés à cette Com-
mission sont d'abord déposés entre ses mains. Il est suppléé dans ces
différentes fonctions par le secrétaire général adjoint.
Art. 7. — Les secrétaires sont chargés de la rédaction des procès-
verbaux. Pour concourir à cette rédaction des procès-verbaux, la
Société pourra élire, en dehors du Comité central^ deux secrétaires
adjoints pris parmi les membres qui, étant titulaires depuis phis d*une
année, ont fait à la Société une communication scientifique.
Art. 8. — L'archiviste est chargé de la conservation des manuscrits,
des dessins, des livres et gravures^ des paquets cachetés, des lettres
adressées à la Société. Il date et parafe toutes ces pièces le jour de leur
réception. Les pièces anatomiques, les moules et tous les objets offerts
à la Société ou acquis par elle sont mis sous la garde du conservateur
des collections. Tous deux dressent un catalogue et un inventaire des
objets de tout genre qui leur ont été confiés, et en rendent compte tous
les ans à une commission spéciale.
Art. 9. — Le trésorier reçoit le montant des cotisations, des amendes
et des droits d'admission, tient toutes les écritures relatives à la comp-
tabilité, signe^ de concert avec le président, les baux et les bordereaux
de dépenses, solde les frais de publication, touche chez les libraires le
produit de la vente des Bulletins et Mémoires^ et rend chaque année
compte de sa gestion à une commission spéciale.
TITRE III. -r DU COMITÉ central.
Art. 10. — Les questions administratives, personnelles, réglemen-
taires, et en général toutes les questions qui ne sont pas purement
scientifiques, exception faite de celles qui sont mentionnées dans les
articles 31, 32 et 68, sont examinées et résolues dans les séances du
Comité central.
Art. 11. — Les réunions du Comité ne sont pas publiques, et n*ont
jamais lieu le même jour que les séances de la Société. Elles sont annon-
cées huit jours à favance par le président, en séance publique. Les
membres du Comité sont en outre avertis à domicile. Tous les membres
de la Société ont le droit d'assister à ces réunions.
Art. 12. — Les membres du Comité central qui, sans être en congé
régulier ou sans justifier de leur absence, manqueront à quatre séances
consécutives du Comité seront, après avertissement préalable, consi-
dérés comme ne faisant plus partie du Comité. Cette disposition ne
concerne pas les anciens présidents de la Société.
Art. 13. — Dans ces réunions, tous les membres de la Société
indistinctement ont toujours voix consultative. Les membres du Comité
seuls ont voix délibérative.
Art. 14. -— Le bureau du Comité est le même que celui de la Société.
Toutefois le Comité pourra, à la demande des secrétaires, charger un
de ses membres de rédiger les procès-verbaux de ses séances.
BtouMEirr. TU
àirr. 45. — Les procès^verbaux des séances du Comité, n*étanl pas
destinés à être publiés, sont transcrits par les soins du secrétaire sur
un registre spécial qui reste toujours déposé dans les archives.
AtT. 16. — Les séances du Comité ont lieu régulièrement : 1*^ en
janvier, dans la quinzaine qui suit la séance d'installation du Bureau ;
^ dans la première quinzaine d'avril ; 3<» dans la première quinzaine de
juillet; 4** dans la première quinzaine de novembre.
Abt. 17. — Le Bureau a en outre le droit de provoquer une réunion
du Comité toutes les fois qu'il le juge nécessaire.
Ait. 18. ^ Lorsqu'une ou plusieurs places sont vacantes dans le
sein do Comité, le comité nomme une commission de cinq membres
chargée de lui présenter une liste de candidats. Les personnes portées
sur cette liste devront a|)partenir à la Société depuis au moins un an
en qualité de membres titulaires, et avoir lu un travail scientifique
dans l'une des séances publiques de la Société.
Ait. 19. *— La présentation de cette liste doit être motivée par un
rapport écrit gui est lu et discuté séance tenante. Le vote suit immé*
diatement la discussion, et l'élection a lieu à la majorité absolue des
membres oui y prennent part. Mais elle n'est valable que lorsque le
candidat élu ootient au moins douze voix.
Abt. 20. — Le Comité peut élire plusieurs membres dans la même
séance et à la suite du même rapport. Ces élections, qui ont lieu par
scrutins successifs et individuels, ne peuvent dépasser le nombre de trois
dans la même séance.
Abt. 21. —Dans la séance de janvier, le Comité nomme, au scrutin
de liste et à la majorité relative, une commission des congés composée
de trois membres.
Abt. 21 bi$. — Le Comité central nomme chaque année une com-
mission permanente de cinq membres, qui est chargée d'examiner les
candidatures au titre de correspondant étranger ou d'associé étranger.
Avaot d'inscrire une de ces candidatures sur le grand registre, les
présentateurs doivent soumettre à cette commission les titres anthro-
pologiques ou autres de leur candidat. Le jour de Télection, le prési-
dent de la commission annonce, avant le scrutin, que la candidature
est présentée avec ou sans l'appui de la commission. (Avril 1880.)
Abt. 21 ter, — Cette commission est chargée en outre d^étudier la
liste des membres étrangers au point de vue des changements d^adresse,
des vacances par décès ou par démission, et des lacunes à combler sui-
vant les besoins de la Société. (Avril 1880.)
Akt. 22. — Les résultats des séances du Comité sont annoncés par
le président dans la plus prochaine séance de la Société, soit publi-
quement, soit en comité secret, et sont consignés, s'il y a lieu, dans
les Bulletins. Cette communication ne peut donner lieu à aucune dis*
cossion.
TITRE IV. — recettes et dépenses.
Abt. 23. <— Le droit d'admission est fixé à 20 francs pour les membres
titulaires et pour les correspondants nationaux. Les membres hono*
▼m RÈGLBIIEIIT,
raires, les associés étrangers et les correspondants étrangers sont
admis grataitement.
Art. 24. — Les membres titulaires fournissent chaque année une
cotisation de 30 francs, qui peut être rachetée par le versement d*iine
somme de 300 francs dont le payement pourra être effectué en
trois annuités conséeulives de 100 francs. Ils reçoivent gratuitement
un eiemplaire de toutes les publications de la Société. Les membres
nouvellement élus ont droit aux fascicules déjà publiée des Bulletins
de Tannée et du volume de Mémoires en cours de publication.
Art. 25. — Les membres titulaires qui ne résident pas dans le dé-
partement de la Seine sont, sur leur simple déclaration, autorisés à ne
verser leur cotisation qu*à la fin de chaque année* Le recouvrement
s*effectue à leur domicile aux frais de la Société. Toutefois les membres
qui résident hors de France doivent désigner à Paris une personne
chargée de verser leur cotisation.
Art. 26. — Tout membre qui aura laissé écouler un trimestre
entier, non compris les mois de vacances, sans acquitter le montant de
ses cotisations et des amendes qu*il aura encourues, sera averti une
première fois par le trésorier, une seconde fois par le président; si ces
avertissements sont sans efTet, il sera considéré comme démissionnaire
et perdra ses droits à la propriété des objets appartenant à la Société.
Art. 27. — Les membres honoraires élus directement, les membres
associés étrangers et les correspondants, n'étant soumis à aucune
cotisation, n'ont aucun droit à la propriété des objets appartenant à la
Société. Les correspondants nationaux ne peuvent être choisis que
parmi les Français voyageant ou résidant à 1 étranger, ou appartenant
soit à Tarniée, soit à la marine.
Art. 28. — Les recettes provenant de la vente des publications de
la Société seront encaissées par le trésorier aux échéances convenues
avec les libraires chargés de la vente.
Art. 29. — Les frais de location, de bureau et d'administration
seront réglés par le Bureau et acquittés par le trésorier, sur le visa du
président.
Art. 30. — Les frais de publication sont réglés par la Commis-
sion de publication; ils sont acquittés par le trésorier, sur le visa do
président.
Art. 31. — Le trésorier présente ses comptes dans la première
séance de janvier. Une commission^ composée de trois membres tirés
au sort dans la dernière séance de décembre, fait un rapport écrit sur
ces comptes dans Tune des trois séances suivantes, en comité secret.
La Société vote sur le rapport, et le président, s'il y a lieu, donne
ensuite décharge au trésorier. Tout délai dans la présentation des
comptes ou du rapport fera encourir au trésorier ou à chacun des com-
missaires une amende de 5 francs par chaque séance de retard.
Art. 32. — Dans la dernière séance de décembre, une commission
de trois membres tirés au sort est chargée d'examiner le catalogue de
tous les objets dont l'archiviste et lé conservateur des collections sont
RftOLEMEin'. 1Z
dépositaires. Cette commission fait son rapport dans la séance suivante.
Tout délai dans la présentation du catalogue ou du rapport fera encourir
à rarcliifiste^ au conservateur des collections ou à chacun des commis-
saires une amende de 5 francs par séance de retard.
TITRE V, — PUBLICATIpKS.
Anr. 33. — La Société publie des Bulletins et des Mémoires ori-
ginaux.
Abt. 34. — Tons les mémoires manuscrits lus ou communiqués à la
Société, tous les rapports scientiGques et généralement tous les travaux
qui ne Ggurent pas dans les procès-verbaux des séances, sont remis
à la Commission de publication.
Art. 35. — Les Bulletins sont publiés par le secrétaire général, sous
la direction du Comité de publication, avec le concours des secrétaires
annuels, et se composent : 1^ des procès-verbaux des séances; 2<» des
travaux renvoyés aux Bulletins par la Commission de publication pour
y paraître textuellement, ou en extraits, ou en analyses.
Art. 36. — La Commission de publication se compose de trois
membres élus chaque année au scrutin de liste et à la majorité absolue
des votants. Ils sont rééiigibles et peuvent faire partie du Bureau. Le
secrétaire général est adjoint de droit à cette commission.
Art. .37. — Cette commission dirige la publication des Bulletins
et des Mémoires de la Société. Ses droits sont absolus et ses déci-
sions sans appel. Elle décide, ajourne ou refuse Fimpression des tra-
vaux qui lui sont renvoyés et détermine Tordre de leur publicntion ;
elle s^entend avec les auteurs pour les modifications^ les coupures et
les suppressions qui lui paraissent opportunes, ou pour la rédaction
d^ extraits qu'elle juge utile de publier à la place des mémoires pri-
mitifs.
Art. 38. — Les frais de gravure ou de lithographie, et généralement
tous les frais de composition supplémentaire qui ne seront pas compris
dans les conventions passées avec le libraire, sont supportés par les
auleors, à moins que la Société, sur la proposition de la Commission
de publication, et sur Pavis du trésorier, ne décide qu^elle prend ces
frais à sa charge.
Art. 39. — Tous les travaux inédits lus ou adressés à la Société
deviennent sa propriété, et ceux qui ne sont pas publiés textuellement
sont déposés aux archives avec les formes officielles destinées à en dé-
terminer exactement la date. Ceux qui émanent de personnes étrangères
à la Société ne peuvent, en aucun cas, être repris par les auteurs.
Ceux-ci, toutefois, ont le droit d'en faire prendre copie aux archives.
Les planches, dessins, pièces anatomiques ou moules en plâtre peuvent
toujours être repris par ceux qui les ont présentés ; mais la Société se
réserve le droit d*en conserver la copie, la photographie ou la reproduc-
tion par tout autre procédé, à la condition de ne point les détériorer.
X RÉOLEIIBIIT.
Art. 40. — Tout manuscrit émanant d^un membre de la Société»
qui ne serait pas publié dans le délai d*an an, ou dont il n*anrait été
publié qu'un extrait^ ou qui serait déposé aux archives, sera remis à
rauteur sur sa demande.
Art. 41. — Les auteurs des travaux publiés dans les Mémoires
reçoivent gratuitement vingt-cinq exemplaires d*un tirage à part sans
remaniement. En renonçant à ce privilège, ils ont le droit de faire
faire à leurs frais un tirage à part à cent exemplaires sans remanie-
ment. Les tirages plus considérables ne peuvent être faits qu'avec
Fautorisation du Bureau. Dans ces tirages à part, la pagination des
Mémoires de la Société devra toujours être conservée; mais les auteurs
pourront, à leurs frais, y faire ajouter une pagination spéciale.
TITRE VL — COMMISSIONS et rapports scientifiques.
Art. 42. — Tout travail inédit présenté par une personne étrangère
à la Société est renvoyé à une commission de trois membres désignés
f)ar le président» sur ravis du Bureau. La commission pourra, suivant
'importance du travail, faire un rapport verbal ou écrit; mais toutes
les rois qu*elle présentera des conclusions soumises au vote de la So-
ciété, il faudra que le rapport soit écrit et signé des commissaires.
Art. 43. — Quoique les commissions ordinaires ne se composent
Sue de trois membres, on peut, si on le juge utile, adjoindre un ou
eux membres de plus à certaines commissions.
Art. 44. — Les ouvrages imprimés adressés à la Société sont ren-
voyés à une commission, si les auteurs en font la demande; dans le cas
contraire, le renvoi à une commission est facultatif, et le président
peut ne désigner qu'un seul commissaire.
Art. 45. — Dans toute commission scientifique, les pièces sont
remises au commissaire nommé le premier. Il en accuse réception sur
un registre spécial dont Tarchiviste est dépositaire, et c'est lui qui est
chargé de convoquer la Commission. Il garde le travail pendant huit
jours pour en prendre connaissance, après quoi il le transmet à tes
deux collègues, qui ont également huit jours chacun pour prendre
connaissance du travail. Au bout de trois semaines, la Commission se
réunit et désigne son rapporteur. La durée des préliminaires ne pourra
être abrégée que pour les rapports d'urgence, sur l'invitation du pré-
sident.
Art. 46. — Les commissaires en retard seront avertis tous les trois
mois, par le président, en séance publique ; leurs noms seront inscrits
sur le tableau des commissions en retard, et le président, après deux
avertissements, aura le droit de nommer une autre commission.
TITRE YI bis, — délégations scientifiques.
(Comité central du Si juillet 1880.)
Art. 46 6ti. — La Société, pour faciliter les recherches en pays
étrangers, peut confier des miasiona temporaires à des voyageurs na-
RteLIWlIT. XI
tioDâux ou étrangers, oui reçoivent à cet effet des délégations spéciales
sur parchemin. Ces aélégaiions, eisentieJlement différentes des di-
plômes de correspondants, indiquent la date, la durée et la nature de
la mission. Elles perlent la signature du président et du secrétaire
général. Leur durée sera déterminée d'après la nature de la mission,
filles sont renouvelables.
Abt. 46 1er. — Nul ne peut obtenir une nouvelle délégation avant
d'avoir communiqué ou transmis à la Société les résultats scientifiques
de la délégation précédente.
Abt. 46 ^^mA^t. — Toute personne qui désire obtenir une délé-
gation doit en faire la demande écrite et être présentée par trois mem-
bres de la Société, qui inscrivent la proposition sur uu registre spécial.
La Société peut voter séance tenante sur cette proposition.
Abt. 46 quiisiiu, — En cas d'urgence motivée par le prompt dé-
part du voyageur et par Téloignement de la première séance^ le Bu-
reau peut donner une délégation dont la durée n'excédera pas un an.
Abt. 46 Hxiva. — Le Comité central pourra décerner des mé-
dailles de bronze ou d'arsent aux personnes qui se seront acquittées
de leur mission à la satisfaction de la Société.
TITRE VIL — ORDRE DES SÉANCES.
Art. 47. — L'ordre du jour est réglé par le président, après avis du
secrétaire général. Néanmoins^ sur la proposition de trois membres, la
Société peut modilier cet ordre du jour.
Abt. 48. — Toute personne étrangère à la Société peut s'inscrire
fiour une lecture ou une communication orale, mais la parole ne peut
ui être accordée dans une discussion que sur la proposition de trois
membres.
Art. 49. — Les personnes étrangères à la Société, ne pouvant
obtenir la parole sur la rédaction du procès- verbal, seront toujours
invitées à résumer elles-mêmes par écrit leurs communications orales
et à rennettre, dans un délai de cinq jours, leurs notes au secrétaire.
Si elles ne répondent pas à celle invitation, elles ne seront admises à
élever aucune réclamation sur la manière dont le secrétaire aura rendu
dans son procès«verbal leurs paroles ou leurs opinions. Le secrétaire
aura même, si cela lui convient, f^roit de ne taire aucune mention
de leurs communications.
Abt. 50. — Lorsou'une lecture ou une communication est renvoyée
à une commission, ta discussion ne peut s'ouvrir immédiatement; elle
est remise jusqu'au jour du rapport.
Art. 51 . — Les lectures et les communications émanant des mem-
bres de la Société sont discutées immédiatement, ainsi que les rapports.
Lorsqu'il v a des conclusions à voler, le rapporteur a le droit de prendre
la parole le dernier.
XJI RiSGLEMiSIIT.
Art. 52. — La parole est accordée, dans le cours d^une discussion,
à tout membre qui la demande pour rétablir la question, pour proposer
la clôture ou Tordre du jour, ou pour un fait personnel.
Art. 53. — Le président rappelle à Tordre quiconque dépasse les
limites des discussions scientifi(]ues, et à la question tout orateur qui
s'éloigne de Tobjet de la discussion.
Art. 54. — Le président ne peut, de sa propre autorité, interrompre
ou terminer une discussion, proposer la clôture ou Tordre du jour; il
ne peut consulter la Société à cet égard que si la clôture ou Tordre du
jour, proposé par un membre, est appuyé par deux autres membres au
moins. Toutefois, dans le cas où Tordre ne pourrait être rétabli, le pré-
sident, après avoir consulté le Bureau^ a le droit de lever la séance.
Art. 55. — Les personnes étrangères à la Société ne peuvent assister
à la lecture et à la discussion des rapports faits sur leurs travaux.
TITRE VIII. — ÉLECTIONS DU BUREAU ET DES COMMISSIONS.
Art. 56. — La Société renouvelle son Bureau dans la première
séance de décembre, par voie d^élection, conformément à Tarticle 5
des statuts. Le nouveau Bureau entre en fonctions dans la première
séance de janvier.
Art. 57. — Les élections du Bureau et de la Commission de publi-
cation ont lieu à la majorité absolue des votants. Tous les membres
titulaires, résidant soit à Paris, soit en province, sont appelés à voter.
Art. 58. — Les membres non résidants sont seuls autorisés à voter
par correspondance, suivant les formes indiquées dans les articles 6i
et 62. Les membres résidants ne peuvent voter qu*en déposant eux-
mêmes leur bulletin dans Turne.
Art. 59. — Le Comité central, dans sa réunion de novembre, dresse
la liste des candidats qu'il propose pour les diverses fonctions.
Art. 60. — Cette liste, avant d*être envoyée à tous les membres
titulaires, est communiquée à la Société par le président, dans la seconde
séance de novembre. Toute candidature proposée par cinq membres est
de droit ajoutée à la liste, pourvu qu*elle soit conforme à Tarticle 4 des
statuts, et transmise au secrétaire général dans les trois jours qui sui-
vent cette séance publique.
Art. 61. — Au terme de ces trois jours, le secrétaire général
adresse à tous les membres titulaires non résidants une circulaire ren-
fermant : 1<» les articles du règlement relatifs aux élections; 2*^ la liste
des candidats proposés par le Comité central et des autres candidats
proposés par cinq membres; 5° Tindicalion du jour où le scrutin sera
dépiouillé; 4<* un bulletin de vote imprimé et numéroté sur lequel les
diverses fonctions vacantes sont énumérées ; 5^ une enveloppe impri-
mée dans laquelle le bulletin, rempli et non signé, doit être renvoyé
au secrétariat.
RÈGLEIIEirr. 1111
ART. 62. — Le jour du scrutin, le président tire au sort, parmi les
membres présents, le nom d'un commissaire scrutateur. Tous les bul-
letins envoyés par correspondance sont décachetés en séance par ce
commissaire, oui dicte aux secrétaires les numéros d* ordre des bulle-
tins. Lorsque l énumération est terminée et qu'il est constaté qu'aucun
membre n'a voté plus d'une fois^ le scrutateur dépose un à un les bul-
letins dans l'urne, en déchirant chaque fois le numéro d'ordre. Le
secret du vote se trouve ainsi assuré. Les membres présents déposent
ensuite directement leur vote dans Fume. Le président procède alors
au dépouillement du scrutin suivant les formes ordinaires.
Art. 63. » Les candidats qui obtiennent la majorité absolue des
suffrages exprimés sont déclarés élus. Les billets blancs sont annulés.
ART. 64. — Lorsque, pour une ou plusieurs fonctions» il n'y a pas
eu de majorité absolue, un scrutin de ballottage a lieu dans la seconde
séance de décembre. Dans l'intervalle des deux séances, une nouvelle
circulaire est adressée à tous les membres titulaires non résidants, qui
sont invités à opter, pour chaque fonction vacante, entre les deux can-
didats qui ont réuni, au premier tour, le plus grand nombre de suffra-
ges. Le nombre de voix obtenu par chacun des deux candidats est
indiqué sur la circulaire. Le second scrutin est dépouillé comme le
premier. En cas de partage, l'ancienneté de titre d'abord, ensuite
l'ancienneté d*àge décident entre les deux candidats.
TITRE IX. — COMITÉS SECRETS.
ART. 65. — Sauf le cas d'urgence absolue, le comité secret est an-
>Dcé une séance à l'avance par le président, et annoncé de nouveau
par lui immédiatement après la lecture du procès- verbal de la séance
Art. 66. — Les comités secrets commencent à quatre heures et
demie. Les décisions y sont prises à la majorité absolue des votants et
sont valables, quel que soit le nombre des membres qui prennent part
au vote, sauf l'exception indiquée dans l'article 68.
Art. 67. — Les comités secrets peuvent être provoqués de deux
manières : i^ par le président au nom du Bureau; 2<^ sur la proposi-
tion de cinq membres de la Société qui en font au président la aemande
écrite, en indiquant l'objet de leur proposition. Le président, après
avoir pris l'avis du Bureau, accorde ou refuse le comité secret; dans
ce dernier cas, les membres signataires de la demande peuvent faire
appel de la décision du Bureau à celle de la Société.
Art. 68. — S'il arrive jamais qu'une circonstance grave paraisse de
nature à motiver l'examen de la conduite d'un membre, la Société
pourra lui demander des explications, formuler un blâme contre lui ou
même prononcer son exclusion. Mais cette mesure pénible ne pourra
être prise que de la manière suivante : i^ cinq membres titulaires dé-
posent sur le bureau une demande motivée réclamant en même temps
un comité secret, qui ne peut avoir lieu moins de huit jours après et
Zrr RÈOLEMBNT.
qui est précédé d'une convocation spéciale. — 2<» Le jour du comité
secret, le membre interpellé ou accusé est appelé à donner les explica-
tions qui lui sont demandées, et a toujours le droit de parler le der-
nier. Il se relire ensuite, si la Société, consultée par le président, décide
qu'il y a lieu de prendre la proposition en considération. Dès ce mo-
ment, la discussion générale est close, mais il est toujours permis de
présenter des amendements à la proposition. Le vote peut être renvoyé
a une prochaine séance. Il n'est valable que si les deux tiers au moins
des membres résidant à Paris y prennent part. La censure et Pexclu-
sion ne peuvent être prononcées que par un nombre de voix égal ou
supérieur aux deux tiers des membres résidant à Paris. — 3^ Ces me-
sures ne sont appliquées que si la Société, consultée une seconde fois
au bout d'un mois, après une nouvelle convocation à domicile, confirme
la première décision par un vote définitif semblable au précédent.
TITRE X. — REVISION DU RÈGLEMENT.
Art. 69. — Toute proposition tendant à reviser le règlement devra
être signée par cinq membres au moins, déposée sur le bureau et
soumise à l'appréciation d'une commission de trois membres du Comité
central nommés au scrutin de liste et à la majorité absolue des votants.
La Commission fait son rapport dans une des séances du Comité cen-
tral ; la proposition est discutée immédiatement après ; tous les membres
de la Société peuvent prendre part à cette discussion ; mais les membres
du Comité seuls sont appelés à voler sur la modlGcalion proposée^ hinsi
qu'il est dit eu Tarlicle 4 des statuts. La inoditication ne peut être
adoptée que par un nombre de voix égal ou supérieur à la moitié plus
un du nombre total des membres du Comité. Toute abstention, toute
absence sont comptées comme des voix négatives. Tous les membres
du Comité doivent, par conséquent, être convoqués à domicile par
une circulaire spéciale, où le sujet de la délibération est indiqué en
termes précis.
Art. 70. — Par exception aux dispositions précédentes, la revision
des articles 1 et 3 du règlement s'efi^ectuera suivant les règles indiquées
en l'article 2.
PRIX GODARD
FONDÉ PAR H. LB DOCTEUR ERNEST QODARD EN 1862.
Extrait du testament, — c Ce prix sera doDoé au meilleur mé-
moire sur un sujet se rattacliaDt à Tanthropologie ; aucun sujet de
prix ne sera proposé. »
RÈGLEMENT.
Article i*'. — Le prix Godard sera décerné^ tous les deux aiis^ le
jour de la séance solennelle de la Société.
Art. 2. — Ce prix est de la valeur de 500 francs.
Art. 3. — Les membres qui composent le Comité central de la So«
ciélé .d'anthropologie sont seuls exclus du concours.
Art. 4. — Tous les travaux, manuscrits ou imprimés, adressés ou
000 à la Sociétéi peuvent prendre part au concours.
Art. 5. — Tout travail oui aurait été couronné par une autre sociélé,
avant son dépôt à la Société d'anthropologie, est exclu du concours.
Art. 6. — Le jury d'examen se composera de cinq membres élus
au scrutin de liste par les membres du Comité central, choisis dans
ton sein et à la majorité absolue des membres qui le composent.
Art. 7. — Ce jury fait son rapport et soumet son jugement à la rati-
ûcation du Comité central.
Art. 8. — Le jury d'examen sera élu quatre mois au mous avant
le jour où le prix doit être décerné.
Art. 9. — Tous les travaux, imprimés ou manuscrits, adressés
à la Société ou publiés après le jour où le jury d'examen aura été
nommé, ne pourront prendre part au concours du prix Godard que pour
la période biennale suivante.
Art. 10. — « Dans le cas où) une année, le prix Godard ne serait
pas décerné, il serait ajouté au prix qui serait donné deux années
pins tard, r (Termes du testament.)
Art. il. — Le prix Godard sera décerné pour la première fois
dans la séance annuelle que tiendra la Société en 1865.
PRIX BROCA
FONDÉ PAR M"^^' BROCA EN 1881.
« Ce prix est destiné à récompenser le meilleur mémoire sur une
question d*anatomie humaine, d*analomie comparée ou de physiologie
se rattachant à Tanthropologie. »
RÈGLEMENT.
Article 1*'. — Le prix Broca sera décerné, tous les deux ans, le
jour de la séance solennelle de la Société.
Art. â. — Ce prix est de la valeur de 1500 francs.
Art. 3. — Les membres qui composent le Comité central de la So-
ciété d'anthropologie sont seuls exclus du concours.
Art. 4. — Tous les mémoires, manuscrits ou imprimés, adressés à
la Société, peuvent prendre part au concours; toutefois, les auteurs des
travaux imprimés ne pourront prendre part au concours qu*autantqu*ils
en auront formellement exprimé Tintention.
Art. 5. — Tout travail qui aurait été couronné par une autre société,
avant son dépôt à la Société d'anthropologie, est exclu du concours.
Art. 6. — Le jury d*examen se composera de cinq membres élus
au scrutin de liste par les membres du Comité central, choisis dans
son sein et à la majorité absolue des membres qui le composent.
Art. 7. — Ce jury fait son rapport et soumet son jugement à la rati-
fication du Comité central.
Art. 8. — Le jury d'examen sera élu quatre mois au moins avant
le jour où le prix doit ôtre décerné.
Art. 9. — Tous les mémoires, imprimés ou manuscrits, adressés à la
Société après le jour où le jury d'examen aura été nommé, ne pour-
ront prendre part au concours du prix Broca que pour la période
biennale suivante.
Art. 10. — Dans le cas où une année le prix Broca ne serait pas
décerné, il serait ajouté au prix qui serait donné deux années plus
tard.
PRIX BERTILLON
« Le prix Bertillon sera décerné au meilleur travail envoyé sur une
matîèie conceroant Tanthropologie et, notamment, la démographie. >
Co!iDiTiO!i8 :
i* Le pris Bertillon sera décerné, tous les trois ans, le jour d'une
séance solennelle de la Société;
i ^ Ce pris sera d^une valeur de 500 francs ;
3* Les membres qui composent le Comité central de la Société
d'anthropologie seront seuls exclus du concours;
4* Tous les mémoires, manuscrits ou imprimés, adressés à la So*
ciété, pourront prendre part au concours; toutefois, les auteurs des
travaux imprimés ne pourront prendre part au concours qu*autaot
qu*ils en auront formellement exprimé Tintention;
5* Tout travail qui aurait été couronné par une autre Société avant
son dépôt à la Société d'anthropologie est excla du concours;
6® Le jury d'examen se composera de cinq membres élus au scrutin
de liste par les membres du Comité central, choisis dans son sein et à
la majorité des membres présents;
7* Ce jury fera son rapport et soumettra son jugement à la ratiBca-
tion du Comité central;
8« Le jury d'examen sera élu quatre mois au moins avant le jour où
e prix devra être décerné;
9<* Tous les mémoires, imprimés ou manuscrits, adressés àja Société
après le jour où le jury d'examen aura été nommé, ne pourront prendre
part au concours du prix Bertillon que pour la période triennule sui-
vante;
\Q^ Dans le cas où, une année, le prix Bertillon ne serait pas dé-
cerné, il serait ajouté au prix que Ton décernera troi^ ans plus tard ;
il* Ce prix sera décerné è la personne, sans distinction de sexe, de
nationalité ni de profession, qui aura présenté le meilleur mémoire sur
une question anthropologique;
i^ Ce prix sera décerné pour la première fois dans une séance
solennelle que tiendra la Société en 1889.
XVIII
PERSONNEL.
USTE GÉNÉRALE
DES PRÉSIDENTS DE LA SOCIÉTÉ.
En 1859 MM
. MARTIN-MAGUON.
Ed 1875 MM
. DALLY.
1860
Isidore GEOFFROY
1876
DE MORTILLBT.
SAINT-HILAIRE.
1877
DE RANSB.
1861
BËGURD.
1878
MARTIN (Henri).
1862
BOUDIN.
1879
SANSON.
1863
DEQUATREFAGES.
1880
PLOIX.
1864
GRATIOLET,
1881
PARROT.
1865
PRUNER-BEY.
1882
THULIÉ.
1866
PÉRIER.
1883
PROUST,
1867
GAVARRET.
1884
HAMÏ.
1868
BERTRAND.
1885
DUREAU.
1869
LARTEl.
1886
LETOURNEAU.
1870-71
GAUSSIN.
1887
MAGITOT.
1872
LAGNEAU.
1888
POZZl.
1873
BERTILLON.
1889
MATHIAS DUVAL.
1874
FAIDHERBE.
1890
HOVELACQUE.
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
DE 1859
A 1880.
BROCA (Paul
), fondateur
•
BUREAU DE 1891.
Président MM. LABORDE.
1" Vice-Président BORDIER.
2« Vice- Président SALMON.
Secrétaire général LETOURNEAU.
Secrétaire général adjoint. . G. HERVÉ.
o . . , (CAPITAN.
Secrétaires annuels | gj^ ^^y^^
Conservateur des collections , A. DE MORTILLET.
ArchivUte C. ISSAURAT.
Archiviste honoraire DUREAU.
Trésorier FAUVELLE.
pbbsonubl.
XIX
COMITÉ CENTRAL
BÂTÂILURD.
fiORDlER.
aPITAN.
CHERVIN.
CHUDZJNSKI.
COLLINEAU.
E.C0LL1N.
CUYER.
DARESTE.
DELASlÂCYË.
MM.
FAUVBLIE.
GIRARD DE RIÂLLE.
HERVÉ.
C. ISSADRAT,
LABORDE.
LÂCOMBE.
ANDRÉ LEFËVRE.
MAHOUDEAU.
MANOUVRIER.
MONCBLON.
MM.
A. DE MORTILLET.
OllivibrBEAUREGARD
PIÈTREMENT.
ROUSSELET.
ROYER(M»« Clémence)
SALMON.
SEBILLOT.
TOPINARD.
VINSON.
ZABOROWSKI.
ikaaiess ffwémîéemim ■MSitoes eu C!«nllé eestral.
MM.
BERTRAND.
DUREAU.
MATHIAS DUVAL.
HAMY.
HOVELACQDE.
LAGNEAU.
MM.
LETOURNEAU.
MAGITOT.
DE MORTILLET.
PLOIX.
POZZI.
PROUST.
MM.
DE QUATREFAGES.
DE RANSE.
SANSON.
THULIË.
COMMISSION DE PUBLICATION.
MM. POZZL — MATHIAS DUVAL. — HOVELACQUE.
COMITÉ CONTENTIEUX.
MM. GALIN, noUire.
NIGQUE VERT, avoué près le Tribuaal de première instance.
LAURENT (Abbl), agent de change.
LISTE DES MEMBRES
DE LA
r *
SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE
Membres honoraires*
Brown-Séquard, professeur au Collège de France, membre de l'Aca-
démie des sciences, 19, rue François !•'. (Fondateur.)
Ck)RNiL, sénateur, professeur à la Faculté de médecine de Paris, 19, rue
Saint-Guillaume. (1«' août 1867.)
Dareste, D. m. p., 37, rue de Fleurus. (Fondateur,)
DcLASiAUVE, ancien médecin de Thospice de la Salpètrière, 35, rue
du Sommerard. (Fondateur,)
DuRUT (Victor), membre de l'Institut, ancien ministre de Tinslruc-
tion publique, 5, rue de Médicis. (18 août 1864.)
GuTOT (Yves), député de la Seine, ministre des travaux publics, 95, rue
de Seine. (7 mai 1874.)
Krantz, sénateur, inspecteur général des ponts et chaussées^ commis-
saire général de l'Exposition universelle de 1878, 47, rue La Bruyère.
(2 août 1877.)
Renan, membre de TÂcadémie française, professeur au Collège de
France. (3 mat 1860.)
Roter (M"^** Clémence), maison Galignani, boulevard Bineau, à
Neuilly (Seine). (20 janvier 1870.)
Sée (Marc), professeur agrégé à la Faculté de médecine, membre de
l'Académie de médecine, 126, boulevard Saint-Germain. (17 no-
rcin6reld59.)
Yerneuil (Aristide), professeur à la Faculté de médecine^ chirurgien
de rhôpital de la Pitié, membre de l'Académie des sciences et de
l'Académie de médecine, 11, boulevard du Palais. (Fondateur.)
Hembres titulaires.
I. Membres titulaires résidant dans le département de la Seine
et dans celui de Seine^et-Oise,
Act (Ernest d')^ archéologue^ 40, boulevard Malesherbes* (3 décembre
1868.)
mSOHlfBL. XXI
ÂLBiiT, prince de Monaco, 25, me du Faubourg-Saint-Honoré. (Ijuin
1883.)
Algute (Em.)> professeur à la Facnlté de droite 27, avenue de Paris,
Versailles. (18 octo6r0 1883.)
ALIX, D. M. P.> 10, rue de Rivoli. (4 février 1864.)
ÂUDiFFaED, avocat, 8, boalevard des Capucines. (4 mar# 1880.)
Ata, D. m., 18, rue Chateaubriand. (17 décembre 1885.)
AzouLAT (L.)^ ancien élève de Tlnstitut Pasteur, 14^ quai d^Orléaos.
(6 novembre 1890.)
BiETCE (Otto), directeur de Plnstitution des enfants arriérés, Eau-
boone (Seine-et-Oise). (!«' décembre 1881.)
Baolarger, membre de FAcadéroie de médecine, ancien médecin de la
Salpêtrière, 8, rue de PUniversité. (IjuUlet 1859.)
Bassako (marquis de), ancien secrétaire d*ambassade, 9, rue Dumont-
d'Urviile. (2 février 1888.)
Bataoxaao (Paul), archiviste de la Faculté de médecine, 12, rue de
IXMéon. (17 novembre 1863.)
BiACHB (H.-E.), professeur à la Faculté de médecine de Nancy, 58, rue
de Courcelles. (19 novembre 1863.)
BcRTUJ^Hf (Jacques), D. M. P., chef du service de la statistique muni-
cipale, 24, rue de Penthièvre. (7 février 1878.)
Bbetillon (Alphonse), 51, avenue de TObservatoire. (1*' avrtH880.)
BEiTRAifD (Alexandre), membre de Tlnstitut, conservateur du Musée
gallo-romain, à Saint-Germain-en-Laye. (é février 1864.)
Bbbtuaivd (Georges), docteur en droit, 8, rue d* Alger. (15 mars 1883.)
■eflibre à ▼!«.
Besbih, palethnologue, 2, me Servan, à Paris et à Villemomble. (18 dé-
cembre 1890.)
Bessoh (Eug.), D. M. P., licencié es lettres, licencié en droit, 95, rue
de Seine. (24 mat 1860.)
BiDABD, D. M. P., ancien interne des hôpitaux de Paris, 9> rue de
Soresnes. (3 janvier 1878.)
BmcT, D. M. P., 33, boulevard Henri IV. {il juillet 1884.)
Blanchard, D. M. P., professeur agrégé à la Faculté de méde-
cine, 32, rue du Luxembourg. (15 juin 1882.) Membre A
Tie.
BuGifiÈEBS (Célestin de), capitaine d*artillerie, 38, rue de Longchamps,
à Neuilly (Seine). (5 février 1863.)
Blocb, d. m. p., 47, rue Blanche. (19 décembre 1878.)
BoBAif-DuvEBGÉ (Eugène-Aodré), antiquaire, 122, avenue d^Orléans.
(7itif//en881.)
BoissonifBAD (A.-P.), 52, avenue Félicie, La Varenne-Saint-Hilaire
(Seine). (I";ui7lell880.)
XXII PBII801IIIBI.
BoNAPARTB (le prince Roland), 22» coun la Reine. (7 féwriir 1884.)
BleBibre à vie.
BoMiiAFoiiT, D. M. P., ancien médecin principal de rarmée,3, rue Moga-
dor. (!•' mars 1866.)
BoNifARD, avocat à la Cour d'appel, agrégé de philosophie, 15> me
de la Planche. (6 décembre 1883.) HeMbre à vie.
BoNNEMÈRE (Lionol), avocat, 26> rue Chaptal. (6 mai 1880.)
Bonnet, géologue, 9, rue de Mazagran. (19 décembre 1889.)
BoNNiER (Pierre), 119, rue Notre-Dame-des-Champs. (3 avril 1884.)
BoRDiEE, D. M. P., professeur à l'Ecole d'anthropologie, 10, place VoU
taire, et au Bâchais, près Grenoble (Isère). (21 décembre 1876.)
Bréaudat, pharmacien, 23, rue de Beaune. (20 décembre 1888.)
Brelat (Ernest), 35, rue d*Offemont. (lijuin 1875.)
BaocA (Auguste), D. M. P., prosecteur à la Faculté de médecine, 9, rue
de Lille. (4 novembre 1880.) Membre à vie.
BaouANDBL, doyen de la Faculté de médecine, à la Faonllé de méde*
cine. (4 novembre 1875.)
BmssBT (A.), architecte, 4, rue Berthollet. (5 fiovafi6re1880.)
Capitan (Louis), D. M. P., ancien interne des h6pitaux,chef de clinique
à la Faculté de médecine, 5, rue des Ursulines. (17 mars 1881.)
Gapos (G.), docteur es sciences, 7, rue Campagne-Première. (6 dé-
cembre 1888.)
Gatat (Louis), D. M. P., 28, boulevard Saint-tiermain. (4 novembre
1867.)
Cbenusghi (Henri), 7, avenue Yelasquez (parc Monceaux). (K aoùê
1875.)
Gharencit (de), 24, rue de la Chaise, et Saint-Maurice-les-Charencey
(Orne). {A février \Slti.)
Cbarnat (Désiré), archéologue, 38, boulevard Magenta. (15 février
1883.)
Cheryin (Arlhurj, D. M. P., directeur de Tlnstitation des bègues de
Paris, 82, avenue Victor-Hugo. (15 février 1877.) Membre à vie.
Choquet, d. M. P., 13, rue de Seine. (2 mars 1882.)
Chudzinsei, premier préparateur au Laboratoire d'anthropologie,
5, rue du Faubourg-Saint-Jacques. (5 août 1880.) Membre à
▼le.
CoiGNARD, D. M. P., 10, rue de Constantinople. (17 avril 1879.)
CoLLiN (Emile), négociant, 8, rue Beauregard. {\9 juillet 1888.)
CoLUNEAU, D. M. P., 84, rue d'Hauteville. (l juillet 1867.)
Gottiau, ancien président de la Société géologique de France, 17, bou-
levard Saint-Germain. (3 juin 1869.)
Cuver (Edouard), peintre, prosecteur è l'Ecole des beaux-arts, 13, rue
de Seine. (4 février 1886.)
miORlflL. XXIII
Dablw (Paul), huissier, 5, rue du Faubourg-Saint-Honoré. (!«' vuirs
1883.)
DAfiiifcouKT (Emmanuel), D. H. P., 45, rue de Tournon. (20 décembre
1883.)
Dalvol (Lucien], directeur des jeunes détenus à FAdministration péni-
teuliaire. Colonie de la Loge, à Nogent-sur-Seine. {iQ janvier 1890.)
Dalt (César), directeur de la Revue d'arohUeetwre^ 51, rue des Ecoles.
(19 janvier 1865.)
Daslot, conseiller municipal, 125, boulevard Yollaire. (21 avril 1887.)
Datkldt, 4, rue des Artistes. (17 octobre 1889.)
Datio, D. m. P.,180,boulevardSaint-Germaia.(âlitn7/fM881.)
Delisle, d. m. p., préparateur d'anthropologie au Muséum, 30, rue
Gay-Lussac. (15 février 1883.)
Dblohgli (François), consul de l'<» classe, 7, boulevard Delessert. (6 mai
1886.)
OuTOLB (J.), naturaliste, 6, rue François I'^'. (5 novembre 1885.)
DEmiBR, bibliothécaire du Muséum d'histoire naturelle» 2, rue de
Buffon. (20 janvier 1881.) Membre à vie.
Dojc SiMoiii, archéologue, 68, rue Magenta, à Asnières. (6 mars 1890.)
Doi!f, libraire-éditeur, 8, place de TOdéon. (2 février 1882.)
DoffiiAT (Léon), ingénieur, conseiller municipal, 11, rue Chardin. (19 /)?•
vrt^l885.)
DouGLASS (Andrew, E.), de New-York, 99, avenue des Champs-
Elysées; chezl^roux, 28, rue Bonaparte. (5 mat 1887.) Membre
A vie.
DucHKSivB (Eugène-Léon), D. M. P., licencié en droit, 34, rue Tron-
Ghet. (19 mars 1885.)
DocHiNSxi (F.-H.), de Kiew, 81, rue de Passy. (6 juillet 1865.)
DoFAT, D. M. P., sénateur de Loir-et-Cher, 76, rue d'Assas. (18 mars
1880.)
DcpLAT (Simon), professeur à la Faculté de médecine de Paris, 2, rue
de Pentbièvre. (17 décembre iS^.)
DcpoRTAL, ingénieur en chef du Bône-Cuelma, villa Montmorency, à
Paris- Auteuil. {^3 janvier 1868.)
DuREAu (Alexis), bibliolhécaire de TAcadémie de médecine, 49, rue
des Saints-Pères. (2 avril 1863.)
DoTAiLLT, ancien député, 181, boulevard Saint-Germain. (22 décem^
bre 1887.)
Dotal (Mathias), membre de TAcadémie de médecine, professeur à
la Faculté de médecine, professeur àTEcole d'anthropologie, 11, cité
Malesherbes (rue des Martyrs). (19 jutn 1873.) Membre à vie.
EcBERAG (d*), inspecteur de l'Assistance publique, 34, rue Mazarine.
(4 mar# 1880.)
XXIV PBR601IKIL.
Edwards-Pillibt (M"*" Blanche), D. M. P., 4» riie Ricbeptnse.
(21 awîH 887.)
EiCHTHAL (Adolphe d'), président du conseil d'administration des che-
mins de fer du Midi, 42, rue des Matburins. {il juin i875.)
EscHENAUER (le pastcur), 149, boulevard Saint-Germain. (18 tnai 1876.)
Fabre de Larcbe, attaché au ministère des affaires étrangères, 3, place
du Palais-Bourbon. (17 mat 1888.)
Falret (Jules)^ D. M. P., médecin de Bicètre^ 2/ rue Falret, àVanves.
(1 décembre iS6^.)
Fauybllb, D.M.P., 1i, rue Médicis. (4 /anvi^r 1883.) Membreà Tle.
Féré (Charles), D. M. P., médecin de la Salpétrière, ancien interne
des hôpitaux de Paris, 37> boulevard Saint-Michel. (3 janvier 1878.)
FiAux (Louis)^ D. M. P., 3, rue de Navafin. (2 janvier 1878.)
Flourmot (Ed.), étudiant en sciences, au château de Juvisy (Seine-et-
Oise). (10 avHl 1888.)
FuMOuzE (V.), D. M. P. . 78, rue du Faubourg-Saint-Denis. (20/iim 1 872.)
Gaillard (Georges), D. M. P., 182, rue de Rivoli. (26 octobre 1879.)
Gallois (Jules), 64, rue de la Boëtie. (6 mai 187S.)
Garnier, médecin en chef de l'infirmerie spéciale près la préfecture
de police. (22 janmer 1891.)
Gaume, d. m. p., 13 biSf rue des Mathurins. (18 octobre 1866.)
Geoffroy, D. M. P., 12, rue Malher. (5jutn 1879.)
Geoffroy Saint-Hilaire (Albert), directeur du Jardin zoologique d*ac-
climatation, au Jardin zoologique d'acclimatation, Neuilly (Seine).
(15 /<?i;n>r 1883.)
George (Hector), D. M. P., licencié es sciences, 8, rue des Ecoles.
(iS novembre 1869.)
GiGNOux, ancien avoué, 64, avenue delà Grande-Armée. (IS mat 1878.)
Girard de Rialle, chef de la division des archives au ministère des
affaires étrangères, 1, place Pereire. (21 janvier 1864.)
Guillon (Alfred), D. M. P., 90,rue Saint-Lazare, {ti février \HSO.)
GuYOT (Prosper), publiciste, 166, boulevard Montparnasse. (3 février
1887.)
GuzNAN Blanco (le général), ancien président de la République du
Venezuela, 25, rue Lapérouse. (19 juillet 1888.)
Hamy (Ernest), D. M. P., conservateur du Musée d'ethnographie, di-
recteur de V Anthropologie, 40, rue de Lubeck, avenue du Trocadéro.
(21 mars 1867.)
Harmand, d. m. p., 225, rue du Faubourg-Saint-Honoré. (5 avril 1875.)
HEiwmrsR, imprimeur-éditeur, 7, rue Darcet. (6 janvier 1881.)
Membre à vie.
Heryé (Georges), D. M. P., professeur à TEcole d'anthropologie. S, rue
de Berl'n. (10 novembre 1880.)
PnSORNIt. XXV
HoYCLACQut (Abel), direcleur de TÉcole d^anthropologie» député, 38,
rue du Luxembourg. (17 janvier 1867.)
HoBBARO (G.-A.), dépoté de Seine-et-Oise, 19, avenue d'Antin. (B/an-
vieriSSl.)
Bureau de Yillbneute (Àbel), D. M. P., 91, rue d'Amsterdam. (2 avril
1863.)
Htades, D. m. p., médecin del'* classe de la marine, 6, rue Oudinol.
(19/iiin1879.)
IssAURAT (C), homme de lettres, 27, rue Drouot. (7 mai 1874.)
IssACRAT (Albert), D. M. P., 27, rue Drouot. (^janvier 1888.)
Jatal (Emile), D. M. P., député, directeur du laboratoire d'ophtal-
mologie, 58, rue de Grenelle. (15/'^rier1872.) Membre A vie.
Jerhuigs (Oscar), membre du Collège royal des chirurgiens de Lon-
dres, 35, rue Marbeuf. (19 juin 1879.)
JoNGH (Edouard de)^ 15, rue de Loogchamps, à Neuilly-snr-Seioe.
(2i fioufmôre 1889.)
Jo!C€H (Francis de), 15, rue de Loogchamps, à Neuilly>sur-Seine.
(21 novembre 1889.)
JouRDAKET, D. M. P., 1, ruo do Berry. (i^ juillet 1875.)
JoussEAUMB, D. M. P., 23, rue de Gergovie. (1"mar« 1866.) Membre
«▼le.
JouTENCBL (Paul DE),ancien député, 20, rue Singer. (22 not^em&re 1860.)
JuGLAR (H"* J.), 58, rue des Matburins. (3 mars 1881 .) Membre A vie.
Kerckhoffs, professeur à l'Ecole des hautes études commerciales,
17, rue Yauquelio. ({9 juillet 1883.)
Labadie-Lagraye, d. M. P., médecin des hôpitaux, 8, ayenue Mon-
taigne. (4 mare 1869.)
LABÉDOLLiÈRE(oE),r4ipitainede vaisseau, 20, rue de Navarin. {2ijuil^
lel 1881.)
Laborde, d. m. p., chef des travaux de physiologie à la Faculté de
médecine^ 1, boulevard Saint-Germain. (3 août 1876.) Membre
Avle.
Lacombb (P.), avenue du Marché, à Gharenton. (21 cim7 1887.)
Ladrett de Lacharrière, médecin en chef de Tlnstitution nationale
des sourds-muets, 1, rue Bonaparte. (21 juillet 1864.)
Lagneau (Gustave), D. M. P., membre de l'Académie de médecine,
38, rue de la Ghaussée-d'Antin. (18 août 1859.)
Lamouroux, d. m. p., 150, rue de Rivoli. (6 juin 1872.)
Lamt (Ernest), 113, boulevard Haussmann. (2A octobre 1878.) Membre
ATie.
Lakdowsxi (Paul), D. M. P., 36, rue Blanche. (8 janvier 1880.)
Landrir (Armand), conservateur du Musée d^eihnographie, au palais
du Trocadéro. (3 avril 1879.)
XXVI PnSONlIBl.
Laniiblongue, professeur à la Facolté de médecine de Paris, membre
de l'Académie de médecine, 3, rue François 1*'. (1"' mars 1877.)
Larbit (le baron), ancien député, membre de Plnstitut et de TAca-
démie de médecine, 91, rue de Lille. (19 avril 1877.)
Latteux,D.M. p., 17, rue du Louvre. (3 aoùi 1876.)
LAUMomtR, 28, rue d'Astorg. (21 juin 1883.)
Layropf (Pierre), 328, rue Saint-Jacques. (21 avril 1870.)
Le Baron (Jules), D. M. P., inspecteur des enfants du premier âge,
4, rue de Lille. (19 mat' 1881.)
Le Blond (Albert), D. M. P., 53, rue d'Hauleville. (7 novembre 1872.)
Le Gom (Albert), D. M. P., 15, rue Guénégaud. (4 dée$mbr$ 1873.)
Lecrosnirr (E.), libraire-éditeur, place de l^Ecole- de -Médecine.
(20 novembre 1884.)
Lepéyre (André), homme de lettres, professeur à TÉcole d'anthropo-
logie, 21, rue Hautefeuille. (7 mat 1874.)
Legrain (G.), élève diplômé de TÉcole du Louvre, 44, rue du Cherche-
Midi. (6 novembre 1890.)
Legrand (Maximin), D. M. P., ex-chef de clinique à la Faculté de
médecine, 39, rue de Grenelle. (17 novembre 1859.)
Leiars, prosecleur à la Faculté de médecine de Paris, 130, rue d^Assas.
(5 décembre 1889.)
Le Marcis, 17, rue Chanaleilles. (3 avril 1879.)
Le Roter de LoNGRAmE, ingénieur civil, 23, quai Voltaire. (19 avril
1888.)
Lesodef (Alex.-Aug.), 109, boulevard Beaumarchais. (\S janvier 1877.)
Le Sourd (Ernest), D. M. P., ancien chirurgien de la marine, 4, rue
de rOdéon. (2 février 1865.) Membre A vie.
Letourneau, d. m. p., professeur à FEcole d^anthropologie, 70, boule-
vard Saint-Michel. (19 janvier 1865.)
Lbyasseur, membre de Tlnstitut, professeur au Collège de France, 26,
rue Monsieur-le-Prince. (17 mars 1881.)
LouET (A.-J.-E.), 25, rue de Tournon. (8 janvier 1891.)
LuGOL (Edouard), avocat, 11, rue de Téhéran. (8 novembre 1866.)
LuTS, membrederAcadémiedemédecine,20,ruede Greuelle.(18 août
1859.)
Magitot, d. m. p., 8, rue des Saints-Pères. (20cf^eem6re 1860.)
Magnan, d. m. P., médecin de Tasile Sainte-Anne, rue Cabanis.
(2 noremôre 1876.)
Mahoudeau (P.-G.), professeur suppléant à TÉcoIe d*antbropologie,
14, rue Godefroy. (3 février 1887.)
Manouvrier (L.), D. M. P., professeur à PGcole d^anthropologie,
15, rue de TEcole-de-Médecine. (5 janvier 1882.) HeMbre à
vie.
PUSOHHII» XXV 11
M ARCAROfD. M. P.^ ancien interne des hôpitaux, 5^ me de Tbann. (17/^-
c?n>f 1887.)
Marche (Alfred), voyageur^ 17, rue Servandoni. (\Q janvier 1879.)
■«■ibreà vie.
llAmMOTTAïf, D. M. p., ancien député de la Seine, 31 > rue DesI)ordes-
Valmore. (20 mot 1875.)
Martel (E.-A.), avocat, 60, rue de Richelieu. (3 décembre 1885.)
Mabun (André)» D. M. P., auditeur au Comité consultatif d^bygiène,
3, rue Gay-Lussac. (3 février 1881 .)
Maspéro, professeur au Collège de France, membre de Tlnstitut, 24,
avenue de l'Observatoire. (20 mai 1880.)
Masséha (duc de Rivoli], 8, rue Jean-Goujon. (3 août 187!.)
Massighok, 93, rue Saint-Honoré. (15 mars 1883.)
Masson (Georges)^ libraire de rAcadémie de médecine, 120, boulevard
Saint-Germain. (16 mai 1861.)
Mauddit (Pierre-Isidore), D.M. P.,13,rue du Temple. (1 9 novem5r6 1863.)
Mater, conseiller municipal, 40, avenue Philippe- Auguste. (5 mai 1887.)
He!iabd Saint-Yves, D. M. P., directeur de Tlnstitut de vaccine ani-
male, 8, rue Ballu. (20 octobre 1887.)
MiERZEJBwsKi, D.M. P., professeur à TAcadémie médico-chirurgicale
(clinique des maladies mentales), Côté de Wyborg, Saint-Péters-
bourg. Chez le docteur Magnan, à Sainte-Anne^ rue Cabanis.
(20 mai 1885.)
MiLLAUD (Edouard), sénateur du Rhône, 78, avenue Kléber. (3;uml880.)
MiLLESCAMPS (Gustave), membre du comité archéologique de Sentis,
10, rue de Lamennais. (22 janvier 1874.) Membre A Tie.
MoROD (Charles), professeur agrégé à la Faculté de médecine, 12, rue
Cambacérès. (15 février 1872.)
MoirrELAHG (le comte Ghislain des Cantons de), 8, rue de Tivoli.
(21 avril 1864.)
MoKGAN (Jacques de), ingénieur civil des mines, 7, rue de Villars.
(il décembre \S9S.)
MoRTiLLET (Adrien de), professeur suppléant à TÉcoIe d'anthropo-
logie, 3, rue de Lorraine, Saint-Germam-en-Laye. (17 novembre
1881.) Membre A vie.
MoRTiLLET (Gabriel de)^ professeur à TEcole d^anthropologie, Saint-
Germain en Laye. (2 février 1865.) Membre à vie.
Motet (Â.), D. M. P., 161, rue de Charonne. (17 février 1887.)
MoDGEOLLE, ingénieur, 5, rue de Châteaudun. (17 décembre 1885.)
MoussAUD, D. M. P., 7, boulevard Sébastopol. (iS juillet 1861.)
MooTiRR, D. M. P., 20, rue des Halles. (19 janmVr 1888.)
Nadaillac (le marquis de), membre de Tlnstitut, 18, rue Dupliot.
(15 avril 1869.)
XXYIII PBR801INBL.
Ollitier Bbaubbgard, 3, rue Jacob. {% janvier i879.)
Ortigosa yJ. Fernandez), D. M.» médecin-légiste, 22, rue Roquépine.
(S janvier i9Q\.)
PÊNE, 233 &t«, rue du Faubourg-Saint-Honoré. (iO/titn i884.)
Pératé, D. m. P.y 26, rue des Ecuries-d*Ârtois. (17 décembre 1868.)
Philbert, d. m. p., médecin-inapecteur des eaux de Brides -les-Baios,
34, boulevard Beaumarchais. (17 mars 1881.)
PiETKiEwicz (Valérius)y D. M. P., 79, boulevard Haussmaon. (18 jiitt-
let 1878.)
Piètrement, vétérinaire militaire en retraite^ 141, boulevard Saint-
Michel. (19 mar« 1874.)
Pigeon (M""* Pauline), 28, rue de Bondy. (6 mars 1890.)
PiLLiET (À.-H.), D. M., 4, rue Richepanse. (6 mars 1889.)
Ploix, ingénieur hydrographe de la marine, en retraite, 1, quai Mata-
quais. (4 mars 1869.)
Poirier, D, M. P., chef des travaux anatomiques de la Faculté, 7, rue
de l'Ëcole-de-Médecine. (5 jutn 1890.)
PoNSOT (A.), 21, rue du Faubourg-Saint-Jacques. (7 février 1884.)
PoRNAiN (Léon), ex-interne des hôpitaux, 21, quai Saint-Michel. (5 mat
1 888.)
Poussié, D. M. P., 46, boulevard Henri IV. (7 /^rûr 1884.) Membre
A¥le.
Pozzi (Samuel), professeur agrégé à la Faculté de médecine, chirurgien
des hôpitaux, 10, place Vendôme. (21 avril 1870.)
Proust (Adrien), professeur à la Faculté de médecine, membre de l'Aca-
démie de médecine>9, boulevard Malesherbes. {\9 décembre 1861 .)
QuATREFAGES DE Bréad (Armand de), membre de Tlnstitut, professeur
d'anthropologie au Muséum d'histoire naturelle, 36, rue Greoflroy-
Saint-Hilaire. (2 février 1860.) Membre A vie.
QuiNQUAUD, médecin des hôpitaux, professeur agrégé à la Faculté de
médecine, 5, rue de TOdéon. {^décembre 1879.)
Rabot (Ch.j, explorateur des régions sub-arctiques, 11, rue de Condé.
(4 décembre 1890.)
Raffegeau, d. m. p., 95, boulevard Magenta. (7 février 1889.)
Ranse (Félix-Henri de), D. M. P., correspondant de TAcadémie de
médecine, rédacteur en chef de la Gazette médicale, 53, avenue Mon-
taigne. (5 février 1863.)
Reclus (Elle), 72, boulevard du Port-Royal. (17 février 1881.)
Reclus (Elisée), 19, avenue de Cherbourg, à Nanterre (Seine). (2 mat
1889.)
Rémosat (Paul de), 118, rue du Faubourg-Saint-Honoré. (2 mat 1861.)
Ret (Aristide), député de Tlsère, 1, boulevard Morland. (8 janvier
1880.)
PERSONIIBL. XXIX
Retkieb (Paul), professeur agrégé à la Faculté de médecine^ chirur-
gien des hôpitaux, 11, rue de Rome. (!«' novembre 1883.)
RiBBMiMrr, D. M. P., professeur agrégé à la Faculté de médecine^ 10,
boulevard Malesherbes. (3 aoûl 1876.)
RiBOT (Tb.)> directeur de la Revue phUosophique, professeur au Col-
lège de France, 108, boulevard Saint-Germain. (5 février 1880.)
RicBET (Charles), D. M. P., professeur à la Faculté de médecine, 15^ rue
de rUniversité. (5 avril 1877.)
RiTTi (Antoine), D. M. P., Maison nationale de Charenton-Saint-Mau-
nce. (20 mat 1875.)
RiviÈRB, archéologue, 50, rue de Lille. (19 avril 1888.)
Rom>EÀU, D. M. P., 81, rue de la Pompe. (2 février 1882.)
Rothschild (le baron Gustave db), 23, avenue Marigny. (1«' juillet
1875.)
Rothschild (le baron Edmond de), 41, rue du Faubourg-Saint-Honoré.
{i^^juilUl 1875.)
Roussel, D. M. P., 64, rue des Mathurins. (21 février 1889.)
RocssELET (L.), archéologue, 126, boulevard Saint-Germain. (18 avril
1872.) Membre à Tie.
RuBBEifs (Clément), 69, boulevard Saint-Michel. (2 janvier 1890.)
Sawtc (0.),D. m. p., 59 6t>, rue Rochechouart (M juillet 1890.)
Salmoh (Philippe)^ vice-président de la commission des monuments
mégalithiques, 29, rue Le Pelelier. (5 décembre 1878.)
Sarsor (André), professeur de zoologie et de zootechnie à TÉcole natio-
nale de Grignon et à Tlnstitnt national agronomique,ll, rue Rois-
sonnade. (4 décembre 1862.)
Sébillot (Paul), artiste peintre, membre de la commission des monu-
ments mégalithiques, 4, rue de TOdéon. (4 avril 1878.)
Ségalas, d. m. P., membre de la Société médico-psychologique, 13> rue
de Mézières. (6 novembre 1884.)
Sehallé (René de)^ 1^ rue de THermilage, à Versailles. (23 janvier
1868.) Meflibre A vie.
Semëlaigne, d. m. p., avenue de Madrid, ch&leau Saint-James (Neuilly).
(21 noi?m6r«1861.)
SiHONEAu, conseiller municipal^ 63, rue Manin. [M juin 1886.)
SiRETY (de), d. m. p., 10, rue de la Chaise. (5 février 1874.)
SoozA (de), d. m. p., 5, rue Rude. (6 décembre 1888.)
Stamour (M««), statuaire, 6, rue du Val-de-Grâce. (21 ;um 1888.)
Teurier (Félix), D. M. P., professeur agrégé à la Faculté de méde-
cine, chirurgien des hôpitaux^ 3, rue de Copenhague. (21 décembre
1871 .)
Thévemot, d. m. P.^ 44, rue de Londres. (7 juin 1877.)
Thibollen (Adrien), 31, rue de Fleurus. {±0 janvier 1887.)
XXX PBR801INIL.
Thorel, D. m. p., 1, place d'Bylau.(l«'jMiii 1876.)
Thulié, D. m. p., 37, boulevard Beauséjour, Passy-Paris. (2 awril i866.)
TopiNARD, D.M. P., directeur adjoint du Laboratoire d'anthropologie de
PEcole pratique des hautes études, directeur de VÂnthr<}pologie,
105, rue de Rennes. (18 juillet 1860.) Hembre à vie.
TouRANOiN, D. M. P.y conseiller général de Tlndre, fOler^ boulevard
Voltaire. (i9;tttn 1879.)
Tramond, préparateur d'histoire naturelle, 9, rue de l*Ecole-de-Méde-
ci ne. (18 novembre 1880.)
TnuMET DE FoNTARCE, D. M. P., 16, ruc du Général-Foy. (1«'jtim 1882.)
Valdès-Morel (Albert), D. M. P., 50, rue des Écoles. (djuillH 1890.)
Valenzuela (Théodore), docteur en droit, ancien ministre plénipoten-
tiaire de Colombie, à Bogota, chez M. Garcia, 6, cité Rougeaiont.
(4 mars 1875.) Membre A vie.
Vallat, d. m. p., 68 6is, avenue Âubert, h YiDcennes. (16 décembre
1880.)
Varat (Cb.), 17, boulevard de la Madeleine. (M avril 1890.)
Variot^ d. m. p., 42, rue de Trévise. (id janvier 1888.)
Vauchez (Emmanuel), 14, rue J.-J.-Rousseau. (19 janvier 1888.)
Vauvillé (0.), archéologue, 11, boulevard Barbés. (3 juillet 1890.)
Vernbao, d. m. p., 148, rue Broca. (17;tttn1875.)
Vernial, d. m. p., 45, avenue de la République, à Courbevoie. (3 no^
vembre 1880.)
Verrier, D. M. P., 15, rue des Ecoles. (17 mai 1883.)
Vielle (A.), juge de paix à Ecouen. (5 novembre 1883.)
ViNSON (Julien), sous-inspecteur des forêts, professeur à l'Ecole nationale
des langues orientales vivantes, 5, rue de Beaune. (3 mat 1877.)
Meaibre A vie.
VoGT (Victor), 75, boulevard Saint-Michel, (^janvier 1890.)
Voisin (Auguste), D. M. P., médecin de la Salpètrière, 16, rue Séguier.
(\9 janvier 1865.)
Wecker (L. DR), D. M. P.,31, avenue d'Antin. (6 février iSQS,)
Wehlw, d. m. P., 29, rue de Paris, à Clamart (Seine). (20 novembre
1884.)
Weisgerrer (H.), D. M. P., 62, rue de Prouy. (17;uin 1880.)
Weisgerrer, ingénieur en chef des ponts cl chaussées, 72, rue de Mon-
ceau. {1 juin 1888.)
WmxE (M»«), 11, rue de l'Arcade. (3 janvier 1889.)
Zaborowski, 2, avenue de Paris, Thiais. (3 décembre 1874.)
pirsonhil. XIX 1
IL Membres titulaires résidant à Vitranger et dans les départements
autres que ceux de Seine et de Seine-et'Oise.
Albeot, D. m. p., à Rodez. {^juilUt 1877.)
ÂLEZAis (H.), D. M., cher des travaux anatocniqaes, 47, rue de Breteuii^
à Marseille. (18 mars 1886.)
ÂLMERis (Jean -Jacques}, ex-cliirurgien en chef de Thôpital d'Etampes,
è Âutretot, par Yvelot (Seine-Inférieure), et Thiver^ à Menton. (21 août
1862.)
Arnaud, notaûre, à Bareelonnette (Basses-Alpes). (16 février 1888.)
Atgirr, médecin-major au 135« d'infanterie, 16, rue de TAsile-Saint-
Honoré» à Angers (Maine-et-Loire). (7 mar# 1877.)
AuttT (Paul), D. M. P., 17, rue du Port^ à Saint-Brieuc. (16 décembre
1886.)
Adlt-Douesnil (D*), administrateur des musées, i, rue de i*Baaette, à
Abbeville (Somme). (16;utfi 1881.)
AzAM, professeur à la Faculté de médecine de Bordeaux, 14, rue Vital-
Caries. (21 novembre 1861.)
Barret (Paul), médecin principal de la marine, 29, rue Saint-Yves, à
Brest. (4 avril 1889.)
Bâte (Joseph de), à Baye (Marne). (20 novembre 1873.)
Bercbon, ancien médecin principal de 1'* classe de la marine, 96; cours
du Jardin public, à Bordeaux. (18 ooiU 18S9.}
Bostadx-Paris, maire de Cemay-les-Reims (Marne) (20 not^emère 1890.)
BocTEQUOi^ D. M. P., à Chàtillon-sur-Seine. (7 novembre 1878.)
Bruret (Daniel), directeur médecin en chef de Tasile des aliénés
d'Erreux. (8 décembre 1862.)
Carred (Domingo), professeur agrégé à la Faculté de médecine de
Buenos-Ayres. (6 décembre 1888.)
Cartailhac (E.), directeur de VAnthropologiey 5, rue de la Chaîne, à
Toulouse, et 17, rue Lacépède, à Paris. (13 mat 1869.)
Cazaus db Foroodce, ingénieur, licencié es sciences, 18, rue des Etuves,
à Montpellier. (23 février 1865.)
Cbautre (E.), sous-directeur du Muséum, 37, cours Morand^ à Lyon.
(7 mai 1868.)
Chateluer (Paul du), au château du Kernuz. par Pont-l'Abbé (Finis-
tère). (17;in7/ell890.)
Chactkt, notaire à Ruffec (Charente). (2 décembre 1875.)
Chatassier, d. m. p., à Saint-Sernin, par Duras (Lot-et-Garonne).
(21 novembre 1861.)
Closhadboc (de), d. m. P., président de la Société polymathique du
Morbihan, à Vannes. (7 février 1884«)
XXXll PBRSORIIBL.
GoLLiGNON (René), D. M. P.» médecin-major, 42, rue de laPaix^ à Cher-
bourg. (20 mai 1881.)
GouRAL, médecin delamarine,à Narbonne. (2 novembre 1866.)
Crouzat, D. m. p., professeur à la Faculté de médecine de Toulouse.
(16 mar< 1882.)
Daleau, à Bourg-sur-Gironde. (2 décembre 1875.)
Dallas (Maurice)^ avocat, 18, cours d'Aquitaine, à Bordeaux. (6 mars
1890.)
Dehoux, d. m. p., à Port-au-Prince (Haïti). (21 juin 1883.)
Dekbteref (W.), d. m., attaché au département de la médecine^ mé-
decin à rhôpital clinique des maladies mentales, àSaint-Péterst)ourg.
(16 juin 1887.)
DoDEmL(Timo]éon),D. M. P., à Ham {Somme),(A janvier 1866.)
DoRLHAG DE BoRNE, rcceveur des postes, à Libreville (Gabon). (6 mars
1890.)
DuFocRMANTELLE, archivlste du département de la Corse, à Âjaccio
(Gorse). (21 février 1878.)
DoMONT (Â.), 17, rue de Bras, à Caen (Calvados). (2 mat 1889.)
Durand de Gros, au domaine d'Arsac, par Rodez (Aveyron). (18 avril
1867.)
EiCHTHAL (Louis D*), Conseiller général du Loiret, aux Bézards, par
Nogent-sur-Vernisson (Loiret). (3 mar< 1881.)
Fallot, d. m. p., médecin adjoint des hôpitaux, professeur suppléant à
l'Ecole de médecine, 133, cours Lieutaud, à Marseille. (3 juillet 1879.)
Ferraz DE Macedo, docteur en médecine, 63, rue Nova de Almeda,
Lisbonne. (19 juillet 1888.)
FiRMiN (D.), avocal, à Port-au-Prince, Haïti. Correspondant, M. Picbon,
24, rue Soufflot. (M juillet 1884.) Membre & vie.
FouRNiER, D. M. P., à Kambervillers (Vosges). (1 novembre 1878.)
Gadeau de Kerville (Henri), homme de science, 1, rue Dupont, à
Rouen. (21 octobre 1886.)
Gaillard, archéologue, à Plouharnel (Morbihan), {["février 1883.)
Germain (Henri), ingénieur civil des mines, place Beaulieu, à Cognac.
(21 juin 1877.)
Guérault (Henri), ex-chirurgien de la marine, chirurgien de l'Hôtel-
Dieu de Tours. {U mai 1860.)
GoÉRUf (Paul), médecin de la marine, à Rochefort.(2d^(;em6r« 1881.)
GuiBERT, D. M., à Saint-Brieuc. (i9 juillet 1888.)
GuiLLABERT, avocRt, 30, Tuo Lafayotto, à Toulon (Var). (15 novembre
1888.)
GuiMET (Emile), 1, place de la Miséricorde, à Lyon. (3 mat 1877.)
Membre ft vie.
Habert, archéologue, 80, rue Thiers, à Troyes. (19 décembre 1889.)
PER801INKL. XXX m
HàHSEH (Soreo), D. Bl., 2, Strandpromeoadeo, Copenhague (Dane-
mark). (21 octobre 1886.)
Jackson (Henry-William), 67, Upgate, Louth, Lincolnshire, Eogland.
S. E. (20 mat 1865.) Membre à jfîe.
Jacobt (P.), D. M., chez M. Masioff. — Ârbat^ impasse Wiasieff, mai-
son Lwof, à Moscou (27 juin 1889.)
Jahtier (L.), d. m., secrétaire de la légation d*Haïli, Ripon House^
Russell Square. Londres. (21 décembre 1882.)
KcssLCR (Fritz), manufacturier, à Soultzmatl (Alsace). (7 juin 1883.)
Klivahskt (M™® L.), Minsk gour, maison Dvorgety, Goubervatorskajo
(Russie). (i^juHUt 1888.)
KoTALiK, professeur de sciences naturelles, à Selmeezbanya (Hongrie).
(19 mai 1889 )
Laiaro (Joseph), archéologue, rue Horace-Vernet, à Avignon. (5jiitn
1888.)
Le Double (Â.), D. M. P., professeur à TEcole de médecine, chirur-
gien de l'hôpital général, à Tours. (18 mars 1876.)
LiÉTAKD, D. M. P., membre de la Société asiatique, médecin aux
Eaux de Plombières. (9 juin 1862.)
LoHBABD, lieutenant de vaisseau, 11, avenue Vauban, à Toulon (Var).
i^ février \98S.)
Macabio, d. M. P., directeur de rétablissement hydrothérapiqne,
à Nice. (20 i«in 1861.)
Maillabd (rabbé)^ à Gennet, près Chàteau-Gootier (Mayenne). (6 avril
1876.)
Uabicourt (René de), membre du comité archéologique de Senlis,
à Villemétrie, près Senlis (Oise). (2 janvier 1873.)
Mabtiii (J. de), d. m. P., à Narbonne (Aude). (4 mat 1865.)
Maorel, d. m. p., médecin principal de la marine, professeur à TEcole
de médecine, 102, rue d'Alsace-Lorraine, à Toulouse. (22 novembre
1877.)
Maubicet (Alphonse), D. M. P., à Vannes, place de la Halle-aux-Grains.
liaison Charpentier. (21 août 1862.)
Meilhac (M"« Bertlia), 8, via di Robbia, à Florence. (\" avril 1886.)
MtLixorr (Loris), en sa maison au coin de la rue Sadowa-Ganowska, à
Tiflis (Russie). (3 janvier 1889.)
MicflAOT, D. M., à Yokohama (Japon). (3 juillet 1890.)
Mibbdr, d. m., 1, rue de la République, à Marseille. (3 avril 1890.)
MonCELOif, à Tgrande (Allier), (ii janvier 1886.) Membre & vie.
Morel, receveur des finances, Vitry-le-François (Marne.) (8 janvier
1880.)
MoTBEAU (B.), médecin des prisons de la régence de Tunis^ à Tunis.
(20 mars 1890.)
XXXIV PB1801III1L.
MusGRàVE-GLAYE (R. db), D. M., 10^ Tuo Gachet, à Pau (Basses-Pyré-
nées). (16 mai 4889.)
Nbis (Paul), D. M. P., médecin de !'• classe de la marine, à Saigon.
(M mars iSSi.)
NiCAisE (Charles-Louis*Âuguste), archéologue , à Châlons-sur-Marne.
(5 décembre i878.)
NiCAS, D. M. P., à Fontainebleau. (7 novembre 1867.) .
Nicolas^ 9^ rue Velouterie, à Avignon. (21 juin 1888.)
Nicole (P.), 9, rue des Pénitents, Le Havre (Seine-Inférieure).
(5 décembre 1878.)
Obolonski, professeur à TUniversité de Kiew (Russie). (Â avril 1889.)
Ollibr dbMarichard (Jules), archéologue, à Vallon (Ârdèche). (!*' awkt
1867.)
Paris (Gustave), D. M. P., à Luxeuil. (4 novembre 1880.)
Patsant, trésorier-payeur, à Oran (Algérie). (20 mars 1890.)
Pechdo (J.), d. m. p., à Villefranche (Aveyron). (6 juin 1878.)
Pemnetier (Georges), professeur à TEcole de médecine de Rouen, 9, im«
passe de la Corderie (barrière Saint-Maur), à Rouen. (21 mai 1868.)
PETrr (Abel), D. M. P., 65, rue de la Mairie, à Carcassonne. (4 no-
vembre 1875.)
PiBTTE, juge au Tribunal de i" instance, 18, rue de la Préfecture,
à Angers (Maine-et-Loire). (17 /ët^nVr 1870.)
PiNART (Alphonse), voyageur dans l'Amérique du Nord^ à Marquise
(Pas-de-Calais). (20 mai 1872.)
Plantier,D.M.P.^29, rue d'Avignon, à Alais (Gard). (16 /éun>r 1882.)
PoMMEROL (Félix), D. M. P., conseiller général du Poy-de-Dôme,
à Gerzat (Puy-de-Dôme). (1" mars 1866.)
PoNCET, D. M. P., rue Desbrest, à Vichy (Allier). (7 avril 1881.)
PoRcnoN (A.), directeur de PEcole d'Airaines (Somme). (5 février
1891.)
PucHERAN, D. M. P.9 à Bouillouse, près Port-Sainte-Marie (Lot-
et-Garonne). (18 ootU 1859.)
Regrault, d. m. p., mc'Jecin des Messageries maritimes, à Co-
lombo (Ceyian). (6 décembre 1888.)
Renard (Léon), D. M. P., 97, rue Toupet-de-Béveaux, à Cbaumont
(Haute-Marne). (1" avril 1880.)
RsY (Philippe), D. M. P., médecin en chef à Tasile de Saint-Pierre,
à Marseille. (19 avril 1883.)
Rethibr (i.-B.), D. M. P., à Sistcron (Basses-Alpes). (2 décembre 1886.)
RicGARDi (Paul), professeur à TUoiversité de Modène (Italie). (7 juin
1888.)
Robin (Paul), directeur de Torphelinat Prévost appartenant au dépar*
tement de la Seine, à Cempuis (Oise). (7 avril 1881 #) Membre A vleé
PSEBOmiBL. XXXV
Saporta (le marquis Gaston de)^ correspondant de Tlnslitut, à Saint-
Zacharie (Var). (13 mai 1869.)
Segohd^ professeur agrégé honoraire à la Faculté de médecine, Gaillian
(Var). {\0 octobre iSn.)
Selts-Longchamps (Walter de), Halloy, près Ciney (Belgique). (18 /on-
vier i877.) Membre à vie,
SfiRRUBiER (L.)^ docteur en droit, directeur du musée national d'ethno-
graphie des Pays-Bas, à Leyde. (1 janvier i886.)
SoucHU-SERYmiÉRE, député de la Mayenne, 2, rue des Fossés» à Laval
(Mayenne). (7 novembre 1867.)
Souza-Leite, D. m., Rio-de-Janeiro (Brésil), correspondant, M. Martin,
50, rue des Petites-Écuries. (17 avril 1890.)
Stephemson (Franklin-Barbe), D. M., Surgeon United States, Navy,
Barlett streetRoxburg, Boston (Massachusetts). (7 mari 1878.) Hem-
bre à vie.
Sterrt (Huot), docteur es sciences de la Société royale de Londres, à
Montréal (Canada). (16 mars 1867.)
Tarhowsxt (M"*^), d. m., trésorière de la Société d^anthropologie de
Saint-Pétersbourg, 104, quai de la Moïka, correspondant, M. CoUin,
55, rue de TEcole-de-Médecine.
Teilleux (Isidore), médecin en chef de l'asile d'aliénés de Bonneval
au Mans. (20 novembre 1862.)
Ten Rats (Hermaon-Frédéric-Karl), D. M., 48, Javastraat, à la Haye.
(18 décembre 1879.)
TssTirr, D. M. P., professeur d'aoatomie à la Faculté de médecine de
Lyon, 7, quai de Tilsitt. (7 juin 1883.) Membre à vie.
ToMHASiNi, D. M., 22, boulevard Séguin, à Oran (Algérie).
TouRTOULON (de), président de la Société des langues latines de Mont-
pellier, Valergues, par Lansargues (Hérault). (20ytttii 1878.)
TâccT, D. M. P., médecin en chef de la colonie à Saigon (1" fé-
wrier 1883.)
VuHNA RiBBiRO (le coloncl Carlos, Fernando), à Marahào (Brésil).
[M juUlet 1884.)
Vielle, juge de paix à Fère-en-Tardenois (Aisne). (29 novembre
1888.)
Wechhiakof (Théodore), membre de la Cour supérieure de justice, ré-
sidant au Kremlin, à Moscou. (!"' février 1866.)
WiLsoK (Thomas), Smithsonian Institut, à Washington (D. C). (7 fé^
vrier 1884.)
WissEiiDORFF (Henry), membre de la Société des Etudes Lettones de
Riga-Moika^ d« 17, app. 8, à Saint-Pétersbourg (Russie). (20 ma»
1886.)
XXXVI pbrsounbl.
Membres aasoelés étrangers.
âmdradeCorvo (J. de), conseiller d'Etat honoraire, président du congrès
d'anthropologie et d'archéologie préhisloriques, 8, T. de Espéra,
Lisbonne. (16 décembre 1880.)
Bbddoe (John), à Clifton, Brislol (Angleterre). (22 novembre 1860.)
Blakb (Carter), membre de la Société d'anthropologie de Londres.
28, East Street, Queen*s square, Londres, W. C. (21 mat 1863.)
BoGDANow (le professeur Anatole), à Moscou. (16 juillet 1874.)
Brucke, professeur à TUoiversité de Vienne. (21 juin 1860.)
BuRTON (le capitaine William), consul anglais, à Trieste. (4 novembre
1875.)
Galori, professeur, à Bologne (Italie). (4 ;utnl874.)
Cakdolle (Alph. de), de Genève. (19 décembre iSêl .)
Capellini, professeur de géologie et de paléontologie, à TUniversité de
Bologne (Italie). (22 janvier 1874.)
Castro (Fernando), vice-président de la Société d'anthropologie de
Madrid. (19 octobre 1865.)
Chah (Paul), à Genève. (22 novembre 1860.)
Charnock (Richard), trésorier de la Société d'anthropologie de Londres.
(21 janvier 1864.)
Chil-t-Naranjo, D. m. P., à Palmas (Grandes-Canaries). (7 novembre
1878.)
CoccHi (Igino), professeur à Tlnstitut des études supérieures, à Flo-
rence. (15 février 1872.)
CoLLiNGWOOD (Frederick), curator and librarian de la Société d*an-
thropologie de Londres. (21 janvier 1864.)
Delgado Jugo (Don Francisco), secrétaire de la Société d'anthropologie
de Madrid, 50, calle Âncha-de*San-Bernardo, à Madrid, (l^'/utn
1865.)
Dupont, directeur du musée royal d'histoire naturelle, à Bruxelles.
(7 novembre 1872.)
Evans (John), président de la Société des antiquaires et de la Société
de numismatique, Nash Mills, Hemel Hempstead (Angleterre). (19
avril 1877.)
Fenerlt-Effendi, professeur à l'Ecole impériale de médecine de Cons-
tantinople. (2 novembre 1865.)
Flower, directeur du Musée d'histoire naturelle de Londres, Cromwell
Road, London, S. W. (15 février 1877.)
Gaddi, conservateur du Musée analomique, à Modène. (3 juillet
1886.)
GiAcoMiNi, professeur à l'Université de Turin. (7 novembre 1878.)
PIMONIIBL. TXXVII
GiCLiOLi (B.)» professeur de zoologie à nnstilut supérieur, Viale dei
Colli (Villa BeWedere), à Florence. (2 novembre 1882.)
Gosse (Hippolyte), professeur à HJuiversité de Genôve. {^février 4860.)
Hahroter (Ad.)^ à Copenhague. (17 ruwembre 1859.)
Hatder, inspecter gênerai of U. S. Geological Survey» Washington
(Etats-Unis). (19 février 1880.)
Hbllwald (Friedrich db)^ directeur de la Revue Aueland, Cansladt,
près Stuttgart (Wurtemberg). (5aoiU 1875.)
HiGGiifs (Alfred), secrétaire pour l'étranger de la Société d'anthropo-
logie de Londres. (17 décembre 1863.)
His (Wilhelm), professeur à FUniversité de Leipzig (Saxe). (7 juillet
1864.)
UoKLMa (de), conseiller supérieur de médecine, Marienstrasse, à Stutt-
gart. (20 ;ut7/eM 882.)
HuMPioiT, professeur d*anatomie à TOniTersité de Cambridge. (8 avril
1872.)
HuxLBT (Thomas), professeur à TEcole royale des mines^ 4, Maribo-
rougb Place» Londres, N. W. (5 avril 1866.)
Utrtl, professeur à TUniversité de Vienne. (2i juillet 1860.)
Kanitz (Félix), président du Comité de 1 Exposition des sciences
anthropologiques (1878), Eicherbach Casse, à Vienne (Autriche).
(7 novembre 1878.)
KoFERifiçKi, professeur à Bukharest. (21 novembre 1867.)
Làzarus, professeur, 5, Kônigsplatz, à Berlin. (15 mari 1866.)
LuBBOCK (sir John), 34, Queen Anne*s Gâte Westminster, Londres.
(1« août 1867.)
Lme (comte de), amiral, président de l'Académie des sciences, à
Saint-Pétersbourg. (4it<în 1874.)
IIàuef, professeur h l'Université de Kasan. (2 novembre 1882.)
Mahtegazza (le professeur), directeur du Musée national, à Florence.
(7 mat 1863.)
Meigs, professeur libre à l'Académie des sciences naturelles de Phila«
delphie. (24 mat 1860.)
Meter (A.-B.)^ conservateur du Musée d'anthropologie et d'ethnogra-
phie de Dresde. (3 juillet 1890.)
MoRSBLU, professeur à l'Université de Gènes. (4yutn 1874.)
MuLLER (Frédéric), professeur à l'Université, vice-président de la
Société d^anthropologie de Vienne, III, Marxergasse 24*, à Vienne
(Autriche). (15 octobre 1874.)
NicoLDca (Giustiniano), professeur d'anthropologie, à l'Université de
Naples. (4/'A?ft>rl864.)
Norr (J.-C), à Mobile (Etats-Unis). (17 novembre 1859.)
O'DoitovAN (Denis), bibliothécaire du Parlement à Brisbane, Qneens-
laod (Australie). (19 novembre 1885.)
xxiviii wtsoimii.
Ornstein (Bernard), médecin en chef de l'armée grecque, à Athènes.
{i novembre 1882.)
OwEif (Richard), professear, à Londres. (20 août 1863.)
Padilla (don Mariano), à Goatemala. (1«' août 1861.)
Pedro d'Alcantaka (S. M. don), à Lisbonne, (^janvier 1876.)
P£TRiM (Michel), D. M. P.,àGnlatz (Roumanie). (5 mai 1874.)
PiGORiNi, fondateur et directeur du musée préhistorique et ethnogra-
phique de Rome. Gollegio Romano, Roma. (16ytfinl881.)
PiTT RiyERs(le major général), président de llnstitut anthropologique
de Grande-Bretagne et d'Irlande, à Londres. (4 août 1881.)
PowBLL (le major J.*W.), président de la Société d'anthropologie de
Washington, directeur du bureau d'ethnologie, à Washington, (^fé-
vrier 1882.)
PoLSiT (François de), ancien président du Congrès international d'an-
thropologie et d'archéologie préhistoriques de Budapest. ÇJ novembre
1878.)
Rankb, professeur de zoologie à FUniversité de Munich^ 25, Brienner
Strasse, Munich. {i9 juillet 1882.)
RuTiMETBR (Ludwig), à B&le. (7 juillet 1864.)
Sasse(A.)9 D. m. P.,à Zaandam (Hollande). (18 décembre \%1 3.)
ScHAAFHAUSEN, profosseur d'anthropologie à l'Université de Bonn
(Prusse rhénane). (19 novembre 1863.)
Schmidt (Waldemar), professeur à l'Université de Copenhague. (4 no-
vembre 1875.)
Sbrrano (Matias-Meto)^ président de la Société d'anthropologie de
Madrid. (17 octobre 1865.)
SouiER, à New- York. (9 janvier 1868.)
Stapleton, à Dublin. (1" décembre 1859.)
Steenstrup, directeur du Muséum de zoologie, à Copenhague. (5 /é-
vrier 1872.)
Stieda, professeur à TUniversité de Rœnigsberg (Russie).
TuRNER (William), professeur à TUniversité d'Edimbourg. (7 novembre
1878.)
Ttlor, président de l'Institut anthropologique de la Grande-Bretagne
et d'Irlande, à Londres. (5 août 1880.)
Tttler (Robert), gouverneur du Bengale, à Umballa. (\" février 1866.)
VANDERiiNDfcRi (Léou), professeur à la Faculté de philosophie et lettres
h rUniversité libre de Bruxelles. (3 janvier 1884.)
Van Dubbh, professeur et directeur du Musée, à Stockholm. (4 avril
1878.)
ViRCHOw, D. M., député, professeur à l'Université de Berlin. (9 dé-
eembre 1867.)
VoGT (le professeur Cari), à Genève. (16 aoilf 1863.)
PBB90N1IBL. XIXIX
Goprespondants.
I. Correspondants nationaux,
AuBERT, médecin-major de l'* classe^ médecin en chef de l'hospice
mixte de Bourg. (22 décembre 4887.)
Bassighot, médecin de la marine, à Saint-Denis (Réunion). {A février
1869.)
BcvoiT (BarUiélemi), chirurgien de l'* classe de la marine, au Séné-
gal. (15 décembre 4859.)
Ber (Théodore), à Lima (Pérou). (18 mars 4876.)
BEvuDfiT (Charles), à Londres. (49 janvier 4865.)
BiSTion, médecin de 4'« classe de la marine, rueSaint-Roch, à Toulon.
{M juillet 4879.)
BuKT (Lucien), à Orizaba (Mexique). (46 janvier 4862.)
BoYERy D. M. P., médecin de la marine, à Brest. (45 mai 1878.)
Cabaret de SAurr-CERNin , lieutenant de vaisseau. (48 juillet 4861.)
Cazaus, D. m. p., 81, rue Blanche. (4*' décembre 4864.)
Cazaus, pharmacien de la marine, à Rochefort. (4 mars 1874.)
Celle (Eugène), D. M. P., à San-Francisco (Californie). (21 août
4862.)
Cessac (de Lévis). (24iant;tVT4875.)
Cbahot^ d. m. P., ex-chirurgien de la marine» à Hle de la Réunion.
(22 novembre 1860.)
Cbassagne, d. m., médecin-major au 35* régiment d'artillerie, à Vannes.
(49/irt;n>r4880.)
Chassin, d. m. p., à la Vera-Cruz. (21 avril 4870.)
CoR5s, consul au Japon, ex-officier de marine, 40, rue SaiiU-Sé vérin.
{2 janvier 1879.)
CoRifuxuc, médecin de la marine. (48 mars 4869.)
Dallt (Aristide), commandant d'infanterie en retraite, 421, boulevard
Malesherbes. (6 juin 4867.)
Dahuios, conservateur au musée de Boulacq, au Caire. (47 février
4860.)
Delà Bruyère, artiste peintre, à Alger. (9 février 4880.)
Dkpmazes, chef de bataillon du génie (2* régiment), à Montpellier.
{3^ janvier 4880.j
DuHoussET (le colonel), 6, rue Furstenberg. (20aotl^ 4863.)
Faorb, d. m. p., médecin de colonisation, à Chéraga (Algérie). (7 juin
4860.)
FoRTAN (Alfred), à Mazamet (Tarn). (49 juillet 4860.)
Gaillardo» d. m. p., médecin sanitaire de France, à Alexandrie
(Egypte). (46 juillet 4874.)
XL PIESORMBL.
Glaumont, commis-rédacleur de radminislration pénitenliaire, à Nou-
méa. (18 avHl 1889.)
GouïN (Léon), ingénieur civil des mines^à Cagliari(SardaigQe).(17 avril
1884.)
Henry (R.)» clief de bataillon du génie. (30 décembre 1877.)
HuRST (Marie-Joseph)» médecin en cher, à Laghouat (Algérie). (7 dé^
cembre 1863.)
Jacquemet, professeur agrégé à la Faculté de médecine de Mont-
pellier. (1" décembre 1859.)
Jaloozbt, vice- consul de France, à Belfast. (15 fêtrier 1883.)
Lacàssagne, professeur de médecine légale à la Faculté de médecine
de Lyon. (4 février 1869.)
Lagrené(de), consul de France, à Moscou. {\^ janvier 1879.)
Lautré, médecin missionnaire^ à Thaba-Bossiou (montagnes de la
Nuit, Afrique australe). (21 août 1862.)
Lecdter, D. m. p., à Beaurieux (Aisne). (i9 décembre 1878.)
Léger (H.), D. M. P., à la Guadeloupe. (7 janvier 1864.)
Mac-Cartt, conservateur du musée d'Alger. (17 avril 1879.)
Martin, D. M., conseiller municipal d'Alger. (M avril 1879.
Mazé (Hipp.)» commissaire de la marine. (17 novembre 1859.)
MiRANoe, juge au tribunal de Karikal (Indes françaises). (17 décembre
1868.)
MoLiNiER, pharmacien de la Société des voyages d^études, à Bussiôre
(Loire). (20 juin 1878.)
Montano, d. m. V., chargé d'une mission du gouvernement enMalaisie.
• (17 avril 1879.)
Montroozier (le père), missionnaire, à la Nouvelle-Calédonie. (2 dé-
cembre iS60.)
PiCHON^ D. M. P.^ à Shang-Haî (Chine). (7 novembre 1872.)
PiGNÉ, D. M., à San-Francisco (Californie), (i avril 1863.)
Pinot (l'abbé) , missionnaire, Fort Good Hope, district de la rivière
Mac-Renzie (Amérique septentrionale). (7 novembre 1872.)
Poteau (Anselme), médecin-major au 3^ dragons, à Nantes. (21 dé-
cembre 1882.)
Prengrueber, d. m. p., médecin de colonisation, à Palestre. (4 août
1881.)
Regnt-Bet (db), chef du service central de statistique d'Egypte^ membre
de l'Institut égyptien, à Alexandrie (Egypte). (i6 juillet 1874.)
Rocher (Emile), employé aux douanes chinoises, à Shaog-Haï. (1881.)
Routière (le capitaine de), officier d'ordonnance du général Faidherbe.
(19 décembre 1867.)
Sainte-Marie (Pricot de), consul de France, à Syra. (20 mat 1880.)
Sanret, d. m. p., ex-médecin-major. (15 mat 1878.)
Sériziat, médecin-major. (3 mai 1866.)
PnSONNBL. XU
SuEUE (Henri), D. M. P., médecin de l'armée d'Afrique, à Orau. (6 nO'
vembrê iS73.)
Tirant , D. M. P., administrateur des affaires indigènes, à Saïgon
(Cochincbine). (19 novembre 4874.)
ToDCHAED, chirurgien de l'* classe de la marine, au Gabon. (5 mat
1864.)
VALEirriH, Toyageur en Afrique. (2 octobre 1873.)
YmcEirr, médecin de la marine. (2 décembre 1869.)
Walthsr (Charles), premier médecin en chef de la marine, à la Basse-
Terre (Guadeloupe). (18 mai 1865.)
Walthbr de la Tour (E:.),D. M. P., ex-médecin delà marine de TEtat.
(5 mare i874.)
WiDiCR, voyageur au Pérou et en Bolivie^ 10^ rue Saint-Lazare. (7 fé*
vrier 1878.)
n. Correspondants étrangers.
Alba (Léon y)^ D. M. P., à Lima (Pérou), {^janvier 1861.)
AuiAGRO, D. M. P., à Madrid. (19 juin 1862.)
Amoutciiiib (Dimitri), professeur d'anthropologie. Musée polytechnique,
à Moscou (Russie). (3 mai 1877.)
Arbo, d. m., à Drammen (Norwège). (29 mai 1880.)
AuDAiic, D. M. P., à Port-au-Prince (Haïti). (18 août 1859.)
Barber (E.-A.), maître es arts de PUniversité de Philadelphie, éditeur
adjoint de IMnfiçttanan, 4007 , Ghestnut street, à Philadelphie.
(U. S. A.)- (1B mars 1886.)
BiLuica, professeur à TUniversité de Pérouse (Italie). (7 novembre
1878.)
Beredikt, professeur à PUniversité de Vienne, Franciskaner Platz, 5
(Autriche). (7 novembre 1878.)
BcNSEiiGRE (Basile), D. M. P., membre de la Société d'anthropologie,
grande Moltchanowska, maison Maylowsky, à Moscou. (16 octobre
1873.)
Brrz, professeur et directeur du laboratoire d'anatomie, à l'Université
de Kiew (Kussio). (4 décembre iS19.)
BoKUHiBRES (Charles de), membre de l'Académie des sciences de Saint-
t\ Louis (Missouri). (2 novembre 1865.)
Brabrooi, directeur de l'Institut anthropologique de la Grande-Bretagne
et d*Irlande, à Londres. (5 août 1880.)
Bruitoh, d. M.^ professeur d'ethnologie et d'archéologie à TAcadéroie
des sciences, à Philadelphie. (7 mai 1885.)
Calongb (Belisario), D. M. P., à Truxillo (Pérou). (3 ;ant^r 1861.)
Carr (Lucien), assistant curator of the Peabody muséum, Harwards
Univeraity, Cambridge (Massachusetts, U. S.). (26 oe(o5re 1879.)
XLII PBBIOIIHIL.
Garrow, D. m., à Canton (Chine). (16 janvier 1879.)
Gastelfranco (Pompeo), professeur, à Milan. (17 avril 1884.)
Chakir-Bbt, ancien aUaché militaire à Tambassade ottomane. (5 a<ySu
1875.)
Choudens (Joseph de), D. M. P., à Porto-Rico (Antilles). (16 mat 1861.)
CoNSTAirriKESCu (Barbe), docteur en philosophie, professeur d'histoire à
Bukharest. (3 avril t879.)
GoRA (Guido), directeur du Cosmos, 74, corso Vittorio-Emanuele, ft
Turin. (6 novembre 1873.)
Costa (Simoès da), professeur à TUniversilé de Coïmbre (Portugal).
(!•' février 1866.)
CouRiARD (Alfred), D. M. P., Grande-Kooiuchenui, à Saint-Péters-
bourg. (18 mars 1875.)
Darling (W.), professeur d'anatomie descriptive aux Universités de
New-York et de Vermont, à New-York. (8 noi^emôre 1877.)
Delmas (Louis-H.), D. M., membre numéraire de la Société anthro-
pologique espagnole de Madrid, fondateur de la Société anthropolo-
gique de Cuba, à la Havane. (3 janvier 1878.)
Derizans (Benito), D. M., Brésil. (20 avril 1876.)
Destruges (Âlcide), D. M. P., à Guayaquil (république de TEquateor).
(19 févHer 1863.)
DiAMANDT, archéologue, 15, boulevard Saint-Crermain, à Paris.
DUNANT, D. M., à Genève. (9 janvier 1868.)
Fernandés (Ântonio-Francisco),D. M. P.,à Rio-Janeiro (Brésil), (4 avrt/
1861.)
Frîjs, professeur à TUniversité de Christiania (Norwège). (18 mars
1876.)
Frter (le major), commissaire du gouvernement anglais en Birmanie,
à Calcutta. (5 avril 1877.)
Gardo (Manuel), membre fondateur de la Société d'anthropologie de
Madrid. (19 octobre 1865.)
Garson, d. m., conservateur du musée anthropologique du Collège
des chirurgieus de Londres. (19 novembre 1885.)
Gross, D« m., à Neuville, canton de Berne (Suisse).
Hatnes (Henry-W.), professeur à l'Université de Boston, 239, Bea-
constreet, Boston (Massachusetts, Etats-Unis). (7 novembre 1878.)
Hazelius, d. m. p., directeur du musée ethnographique Scandinave,
à Stockholm. (5 novembre 1874.)
Heger, d. m. p., professeur de physiologie à PUoiversité, 7, rue
du Chêne, à Bruxelles. {3 janvier iSSi.)
Hilderrand (Hans), D. M. P., 1«' conservateur au musée royal d'ar-
chéologie, à Stockholm. (15 octobre 1874.)
HiTCHMAïf, membre fondateur de la Société d'anthropologie de Liver-
pool, 29, Erskine street. (4 novembre 1869.)
PBBfiOHKBL. XLltl
HouzÉ, D. M. P., professeur d'aothropologie à l^Uoiversité, 7, rue du
Cbène, i Bruxelles. (3 janvier 1884.)
Htde Claui, local Secretary of the Anthropologieal Society of Lon-
1^, président de PÂcadémie d'Anatolie, à Smyrne. (IS^utn 1865).
IxoFF (C), secrétaire de la sectioD anthropologique de la Société des
Amis des sciences naturelles, à Moscou. (1^' mars 1883.)
iTAUà-NiCASTEO, D. M., à Palazzolo-Âcreide (Sicile). (5 juillet 1866.)
IwAiiOFSKY^ D. M., y. Vyborskaïa Storma, Finski pereoulok, maison
Opolchînina, à Saint-Pétersbourg (Russie). (A décembre i%19,)
Jaiisskiis>D. M.^ à Bruxelles, 2t,rue des Comédiens. (18 novembre 1869.}
KAUEa>iiio, D. M. P., à Bukharest. (13 mai 1869.)
KiSKWBTOw (W.), ancien président de la Société des amis de la nature
de Moscou. (6 décembre 1888.)
KoLuumf» professeur de zoologie, à Bâte (Suisse). (!*' mars 1883.)
Landbt, professeur à TUniversité de Québec (Canada). (16 mat 1861.)
LooocQ^D. M. P., professeur à TUniversité de Gand (Belgique). (3;an-
vier 1884.)
LssoniZAMOif (D. Juan-Martin), ministre du gouvernement de la pro-
vince de Salta (république Argentine). (21 juin 1877.)
LiTTOR FoRBES, membre de la Société de géographie de Londres, ancien
médecin aux consulats anglais en Océanie, Cbaodos club^ Langham
Place, à Londres.
LiTi, D. M., au 16« régiment d'infanterie italienne, à Rome. (19 juillet
1888.)
LuinioLTz (Cari), consulat général de Suède et Norwège, à New-York.
(17 ianrierl 889.)
LoscBAR (Félix), médecin de la Société anthropologique de Vienne
(Autriche), T. 3, Stoszam Himmel. (6 juin 1878.)
Macbdo Pitrro» professeur à l'Université de Coîmbre (Portugal). (1«' fé-
vrier 1866.)
Masoii (Otis, P.), conservateur du musée ethnologique du Smilhsonian
lostilutioD, à Washington. (7 mai 1885.)
MoirrEuus (0.), D. M. P., 2<> conservateur au musée royal d'archéo-
logie, à Stockholm. (15 octobre 1874.)
MoKEfio, directeur du Musée de la Plata (République Argentine. (A juin
1873.)
MoRCHO Maiz, d. m., à Lima (Pérou). (18 août 1864.)
Morris (J.-P.), à Ulverston, Angleterre. (8 avril 1867.)
HucH, secrétaire général de la Société d'anthropologie, à Vienne. (5 dè^^
cembre 1878.)
NuMoz LuNA, membre fondateur de la Société d'anthropologie de Madrid .
(19 octobre 1865.)
MovARo, D. M.» professeur agrégé à la Faculté des sciences de Buenos-
Ayres, 18, rue de Constantinople. (16 mai 1878.)
1
XUV PSISONNEL.
OssowsKT (G,), membre de la commission archéologique des sciences
de Cracovie, Oulica Slawkowska, 228, à CracoTie. (17 avril 1879.)
Pagliani, professeur d*hygiène à FUniversité de Rome. (12 novembre
1877.)
Pengellt (W.)y mernbre de la Société royale de Londres, à Torqaay,
Devonshire (Angleterre). (S janvier 1874.)
Perbra (Andrews), professeur à Slave-teland, Colombo (Geylan). (16 no'
vembre 1882.)
Phiumonoff, conservateur du musée des armures au Kremlin, à Mos-
cou. (A décembre 1879.)
PicHARDO (Gabriel), membre correspondant de la Société anthropolo-
gique espagnole de Madrid, fondateur de la Société anthropologique
de Cuba, i la Havane. (3 janvier 1878.)
PiuR (Georges), professeur de géologie à TUniversité d'Agram (Au-
triche-Hongrie). (i^juUlet 1874.)
PosADA Arango, D. m., professeur à Médelline (Etats-Unis du Sud).
n juilUt 1870.)
Profillet (le R. P.), missionnaire, à Haïti. (5 mot 1864.)
PuTNAM (F.-W.), conservateur en chef du musée Peabody^ Harward
uoiversity.à Cambridge (Massachusetts). (2/'^tTter1882.)
Rangabé (Alexandre), membre de la Société d^archéologie d'Athènes^
ministre de Grèce. (19 octobre 1865.)
Rêgaua (B.), au musée anthropologique de Florence (Italie), 3, via
Gino Caponi. (2 août 1877.)
Rbtzius (Gustaf), professeur agrégé à la Faculté de Stockholm. (20 fé-
vHer 1873.)
RiVETT Carmac(H.), archéologue attaché au gouvernement civil du Ben-
gale, à Allahabad (Indes anglaises). {A janvier 1883.)
RoMER (Floris), professeur à l'Université de Pesth (Hongrie). (17 no-
vembre 1867.)
RuDLER (F.-W.), vice-président de Tlnslitut anthropologique de
Grande-Bretagne et d*Irlaode,à Londres. (4 août 1881.)
ScHORTT (John), Inspecteur général delà vaccination à Madras, membre
de la Société d'anthropologie de Londres, à Madras (Indes an-
glaises). (5 aoil( 1875.)
Sebland (N.), D. M., médecin en chef de la province de Semiretscbenk,
à Verni (Russie). (18/^i;rier 1886.)
Sigerson, d. m., professeur de biologie à l'Université de Dublin, 3,Clarc
Street, à Dublin. (7 novembre 1878.)
Smirnow (Michel), maison Tamanisheeff, à TiQis. (22 novembre 1877.)
SosmiER, secrétaire de la Société italienne d'anthropologie, 3, via Gino
Caponi, à Florence. (2 décembre 1886.)
Stamley (Davis-Ch.-Henry), D. M. P.^ à Meridom, Connecticut (Etals-
Unis), (t janvier 1878.)
PnSOIfNBL. XLV
StwàiiGàu, principal du collège de Vidyodaya, Colombo (GeylaD). (i6 no-
vembre i882.)
Tayano, D. m., à Rio- Janeiro. (27 novembre 4878.)
Tiboiiiboff(â.)> secrétaire de la Société impériale des Amis des sciences
naturelles, d^antbropologie et d'ethnographie, à Moscou. (4 dé^
cemdre 1879.)
ToDD (Spencer)y secrétaire général du gouvernement de la colonie^ au
Cap de Bonne- Espérance. (19 juin 1879.)
Toaaes (Melchior), professeur agrégé à TEcole de médecine de Buenos-
Ayres. (20 novembre 1879.)
TaowTowsn, secrétaire général de la Société d'archéologie de Moscou.
(6 décembre 1888.)
Yarela, commissaire à l'Exposition de 1878 pour la république Argen-
tine. (7 novembre 1878.)
VAScoHccLLOs-ABaEU (de), à Coîmbre. (2 novembre 1875.)
yunnà, D. M., à Pernambuc (Brésil). (21 juin 1877.)
WU.S01I (Daniel)y professeur à l'Université de Toronto(Canada). (15 avril
1875.)
WmiALL, i Genève. (23 janvier 1868.)
WoLDBiCH, secrétaire de la Société d'anthropolof;ie, à Vienne (Au-
triche). (5 décembre 1878.)
Wrzesniowsii, professeur d'anatomie à TUniversité de Varsovie^
2, rue Alexandrie, à Varsovie. (18 mars 1880.)
ZocKAFF, membre du comité de TExposition anthropologique, à Mos-
cou. (4 <lêcem6re 1879.)
SOCIÉTÉS SAVANTES
AVEC LESQUELLES LÀ SOCIÉTÉ ÉCHANGE DIRECTEMENT SES PUBLICATIONS
FRANCE
Anthropologie (1*).
Archives de médecine navale et coloniale.
Bulletin de la Société d*acclimalatton (Revue des Sciences naturelles
appliquées).
Bulletin du Muséum d'histoire naturelle de Ljon.
Commission des monuments mégalithiques.
Laboratoire d'anthropologie du Muséum d*htstoire naturelle do Paris.
Laboratoire d'anthropologie de TEcole des hautes études.
Mélusine.
Mémoires de médecine et de chirurgie militaires.
Musée Guimet.
Progrès médical.
Revue scientiGque.
Revue des traditions populaires.
Société d'acclimatation.
Société d'anatomie.
Société centrale des architectes français.
Société de biologie.
Société d'ethnographie. (Alliance scientifique.)
Société géologique de France.
Société de géographie de Paris.
Société d'histoire de Paris. (Archives.)
Société médicale des hôpitaux de Paris.
Société de statistique de Paris.
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Allemag^ne*
Auslaud, Munich.
Deutchen Gesellschaft fur Anthropologie (Archiv fur Anthropologie).
Munich.
SOCIÉTÉS SAVANTES. XLYII
Ani^lelerre.
Nature Journal of scieuces^ Londres.
Journal of Aoatomy and Physiology. Edimbourg.
Avtrlehe.
Museo civjco di Storia naturale di Trieste.
Brésil.
Muséum d'histoire naturelle de Rio-Janeiro.
«
Canada.
Journal Canadian Naturalist.
Canadian Institute, Toronto.
États-Unis.
The American Ântiquarian, Chicago.
The American Naturalist, Philadelphie.
Bureau of ethnology. M. Powel, à Washington.
Department of the interior, United States geological and geogra-
pbical Survey.
Journal Science, Cambridge.
Muséum Comparative Zoology, at Uarward Collège, Cambridge.
Italie.
Cosmos de! prof. Guido-Cora, Turin.
Bullettino di Paletnologia italiana, Parme.
Societa reaie di Napoli. Naples.
Jajpon.
Journal of the Asiatic Society of Japan^ Tokio.
■eiKlqae.
Museo Nacional de ciencias Cérdoba.
Portugal.
Sociedade Carlos Hibeiro. (Revista di Ciencias naluraes e sociaes.)
Porto.
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Societatii stiintifice si literare din Jassy.
Société des médecins et des naturalistes de Jassy.
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FRANCE
Revue des sciences naturelles de Montpellier.
Société académique d'agriculture, de sciences, arts et belles-lettres
de TAube, à Troyes.
Société d'anthropologie de Lyon.
Société d'anthropologie du Sud-Ouest et de Bordeaux.
Société des antiquaires du Centre^ à Bourges.
Société des antiquaires de TOuest, à Poitiers.
Société archéologique de Senlis.
Société archéologique de Constantine.
Société archéologique, scientifique et littéraire du Yendômois, à
Vendôme.
Société Belfortaine d'émulation, à Bel fort.
Société des sciences physiques, naturelles et climatologiques de
l'Algérie, à Alger.
Société dunoise d'archéologie, histoire, sciences et arts, Châteaudun.
Société d'émulation de l'Allier, à Moulins.
Société d'émulation de Montbéliard.
Société d*émulatioD des Vosges, à Spinal.
Société d'études scientiGques d'Angers.
Société de géographie de Tours.
Société d'histoire naturelle de Toulouse.
Société de médecine et de chirurgie de Bordeaux.
Société polymalhique du Morbihan, à Vannes.
Société savoisienne d'histoire et d'archéologie de Chambëry.
Société des sciences naturelles et archéologiques de la Creuse
Guéret.
Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne, à Auxerro.
Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux.
Académie de Nimes.
Académie delphinale, Grenoble.
Académie d'Hippone, B6ne.
Académie nationale» Reims.
Académie des sciences» arts et belles^lettres, Bordeaux.
Académie des sciences, arts et belles-lettres» Mftcon.
Académie des sciences» belles-lettres et arts» Lyon.
Académie des sciences, belles-lettres et arts» Rouen.
Académie des sciences» lettres et arts» Arras.
Académie des sciences, lettres et arts» Marseille.
Académie de Stanislas, Nancy.
Comité historique et archéologique, Noyon.
Conmiission des antiquités de la G6te-d'0r, Dijon.
Société académique de Tarrondissement de Boulogne-sur-Mer.
Société académique, Laon.
Société académique de Maine-et-Loire, Angers.
Société académique de Nantes et de la Loire-Inférieure, Nantes.
Société académique d*archéologie, sciences et arts, BeauYais.
Société académique des sciences, arts et belles-lettres, Saint-Quentin.
Société d'agriculture» sciences et arts de la Sarthe» le Mans.
Société des antiquaires de la Morinie, Saint-Omer.
Société des antiquaires de Normandie» Gaen.
Société archéologique de la Gironde» Bordeaux.
Société archéologique, Montpellier.
Société archéologique» historique et scientifique, Soissons.
Société dunkerquoise» Dunkerque.
Société £duenne» Autun.
Société d'émulation» Abbevilie.
Société d'émulation du Doubs» Besançon.
Société nationale havraise d'études diverses, Havre.
Société de médecine» Nancy.
Société nationale d'émulation, Montpellier.
Société des sciences, lettres et arts de la Réunion» Saint-Denis.
Société des sciences médicales, Gannat.
Société des setencoa naturelles, Cherbourg.
Société des sciences physiques et natnrelles» Toulouse.
Société de statistique» sciences, belles-lettres et arts, Niorté
Akademie der Wissenschaften» Munich.
Gesellschaa fftr Aathiopolof^e (Zeitiehrifl '.fôr Anthropologie), Ber-
lin.
Physikalisch^konomischen Gesellschaft zu Kœnigsberg.
Verein fur BnNumde^ Dresde.
Vereim fir Irdêumde, Leipdg.
■ L SOCifoÉS SAVANTES.
Al«»ee*L«rralBe •
Société d'histoire naturelle, Colmar.
Angleterre.
Anthropological Institute of Great Britaiu and Ireland, 3, Hauover
square^ Londre.-, W.
Royal geographical Society of London.
Royal Society of Edinburgh.
Antrlehe.
Anthropologischen Gesellschaft, Vienne.
Avstralle.
Royal Society of New South Wales, Sidney.
Belgique.
Académie royale des sciences, lettres et arts de Belgique.
Société d'anthropologie de Bruxelles.
Société de géographie de Bruxelles.
Danemark.
Société royale des antiquaires du Nord, Copenhague.
Egypte.
Institut égyptien, Alexandrie.
ÉtatB-UiUs.
Academy of Sciences, Saint-Louis.
American Philosophical Society^ Philadelphie.
Boston Society of natural history.
Essex Institute, Salem.
The Numismatic and Antiquarian Society^ Pliiiadelphie.
Peabody Muséum, Uarward's University, Cambridge.
Smithsonian Institution, Washington.
Anthropological Society of Washington (The American anthro^
pologist).
Gréée.
Société historique et ethnographique de Grèce^ Athènes.
Hollande.
Bataviaasch genootschap van kusten en Wetenschappen.
Kon. Nederlandsch aardrijkskundig Genootschap. Amsterdam*
SOaÉTis SAVANTES. U
Indes maglalses,
Asiatic Society of Bengale Calcutta.
ItaMe.
Societa italiana di antropologîa ed etnologîa, Floreoce.
Societa geografica italiasa, Rome.
Âcademia JlaciODal de ciencias, Cérdoba.
Société impériale des nataralistes, Moscou.
Société des amis des sciences naturelles de Moscou,
Société impériale de géographie de Saint-Pétersbourg.
Uni? ersité impériale de Saint- Wladimir, à Kiew.
Svède.
Svenska sallskapet fôr antropologi ocli geograQ (Ymer Tidskrift),
Stockholm.
8«iMe.
Natarforschende Gesellschaft» BAIe.
Société de géographie, Genève. (Le Globe.)
Société yaudoise des sciences naturelles, Lausanne.
Société neufch&teloise de géographie.
BULLETINS
DE LA SOCIÉTÉ
D'ANTHROPOLOGIE
DE PARIS
m* SÉANCE. — 8 jaiTier I8»l.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
INSTALLATION DU BUREAU.
M. HoTELAGQUE, président sortant, retenu par une indis-
position, adresse à la Société le discours suivant, lu par
M. Hervé :
Ghers Collègues,
L'année qui vient de s'écouler montre, comme les précé^
dentés, que notre Société est incontestablement en état de
prospérité. Il sufflra, pour s*en rendre compte, de parcourir
le volume des Bulletins dont la première moitié nous a déjà
été distribuée. Ce volume ne le cède en rien à aucun de ceux
qui Tout précédé. Les communications qu*il contient sont
d'an ordre extrêmement varié ; elles traitent des différentes
matières qui forment le sujet de nos études.
Tous avez abordé et vous poursuivez en ce moment Texa-
ouen d'une importante question qui donne à vos séances un
intérêt tout particulier. C'est ainsi que nos p^édécesseurs
ont traité autrefois d'autres questions d'ordre général, celles,
par exemple, du croisement des races, de la perfectibilité
T. n (4* StRIB). j
3 SÉANCE DU 8 JANVIER 1891.
des fonctions cérébrales, de racclimatation, de TinflueDce
des milieux, de la consanguinité, de la religiosité, de la civi-
lisation, du transformisme. Depuis des années, Thabitude était
à peu près perdue dHnstituer des discussions de cette nature.
Vous Tavez heureusement fait revivre. La masse des docu-
ments de toute sorte accumulés aujourd'hui ne doit pas
demeurer à Tétat de simple matériel plus ou moins scienti-
fiquement catalogué. Il faut mettre en œuvre ces matériaux.
Des faits patiemment et méthodiquement amassés, il faut
tirer cet enseignement général qui est, en définitive, la
raison d^étre et le but de notre science. Les séances du der-
nier trimestre de cette année marqueront sans nui doute
dans l'histoire de notre société.
J'ai à m'excuser de n'avoir pu prendre part plus fréquem-
ment à vos travaux ; il a fallu, pour m'en éloigner trop sou-
vent, des obstacles que je n'ai pu surmonter. Mais le zèle et
le dévouement qu*a apportés notre cher vice-président de
Tan dernier, notre président pour 1891, ont rendu mon ab-
sence fort peu regrettable pour la Société. Que mon ami
H. Laborde reçoive mes bien sincères sentiments de grati-
tude.
Il vous a été donné connaissance, dans la séance du
17 juillet, des résultats complets de l'inventaire du mobilier
et de la librairie qui, comme vous le savez, comprend l'en-
semble des diverses publications de la Société. La commis-
sion vous a fourni alors un aperçu des richesses que contient
le musée. Dans une très prochaine communication, elle vous
apportera le résultat définitif de son travail. Elle vous fera
connaître la valeur commerciale actuelle des nombreux
objets relatifs non seulement à l'anthropologie anatomique,
mais aussi à l'ethnographie, dont l'ensemble constitue un des
musées anthropologiques les plus complets qui existent. Le
catalogue détaillé de toutes ces richesses sera bientôt à votre
disposition. Il est à peine utile que je vous dise quelle somme
de travail ont dû donner les membres de la commission,
MM. Salmon, Fauvelle, Adrien de Mortillet, pour mener à
IKSTAtLATION DU BUREAU. 3
bien une entreprise anssi considérable. Ds ont, pendant des
mois et des mois, consacré à cette tâche délicate la meilleure
partie de leur temps.
C'est ce qu'a fait également H. Issaurat, délégué par la
commission administrative de notre bibliothèque, en ce qui
concerne cette dernière. Les difficultés, ici, ont été beaucoup
plus sérieuses qu'on ne le pouvait supposer. Il a fallu, pour
arriver au résultat précis qui est heureusement obtenu après
huit mois de travail quotidien, remettre toutes choses sur le
chantier à plusieurs reprises.
L*effort qu'a coûté à nos collègues cette œuvre de longue
haleine, menée à bien avec une persévérance et une compé->
tence remarquables, mérite les plus grandes louanges. Qu'ils
reçoivent Thommage de toute notre reconnaissance.
Le Ck)mité central a voté les fonds nécessaires à la publi-
cation de ces si utiles catalogues dont l'impression sera pour-
suivie soigneusement. Il appartiendra à l'avenir de tenir au
courant l'œuvre d'enregistrement et de classement que la
fin de Tannée 1890 lui aura laissée.
Malgré les dépenses nécessitées par l'inventaire, les
finances de la Société, grâce à une stricte économie, sont
dans un état prospère, et tout porte à croire qu'elles four-
niront sans peine les ressources nécessaires à l'entretien des
coUeclions.
La Société compte actuellement deux cent quatre-vingt-
deux membres titulaires, soit un léger excédent sur le nom-
bre de Van passé. Elle a eu le regret de perdre MM. Barbie
du Bocage, Garlier, Trélat, Clary, Guillon et son ancien
président de 1867, un des membres les plus assidus et les
plus dévoués, M. Gavarret.
Des dix-neuf membres fondateurs de notre Société qui se
réunirent pour la première fois en assemblée générale le
i9 mai 1859, quatre seulement sont encore des nôtres:
MM. Delasiauve, Dareste, Vemeuil, Brown-Sequard, tous
quatre membres honoraires.
D*aprës les premiers statuts, le nombre des membres titu-
4 SÉANCE DU 8 JANVIER 1891.
laires était flxé à trente. Il était procédé à une élection lors-
qu'une vacance se produisait. C'est le 23 août 1860 que
Gavarret fut élu. Il a donc appartenu pendant trente ans à
notre Société.
Élu vice-président pour 1866 (il n'y avait alors qu'un vice-
présidenl), il ouvrit la première séance de cette année — en
l'absence de M. Périer — par une allocution dont le souvenir
est resté.
a Les manifestations humaines, disait-il, quelles qu'elles
soient, nous apparaissent comme des forces. A ce titre, elles
ne peuvent étre,et ne sont, en effet, que des modalités du prin-
cipe dynamique universel. La raison d'être de ces modalités
elles-mêmes doit être cherchée dans l'organisme qui leur sert
de rapport et dont elles sont inséparables. A vous qui avez
choisi pour objet de vos études la connaissance de l'homme,
incombe la tâche de découvrir les rapports intimes de ces
manifestations humaines avec les autres forces de la nature.
Marchez donc avec résolution dans la voie que vous vous êtes
ouverte, et que la sublimité du but à atteindre soutienne
votre courage. »
Chers collègues, la Société qui a compté dans ses rangs,
et parmi ses membres les plus dévoués, des hommes comme
Broca, Berlillon, Isidore Geoffroy, Béclard, Gratiolet,Parrot,
Faidherbe, Gavarret (pour ne parler que de ceux qui ne sont
plus), cette Société peut être fière de son passé et elle peut
envisager l'avenir avec une légitime confiance.
M. Laborde, président pour 1891, prononce le discours
suivant :
Messieurs,
Je ne puis m'empècher de vous exprimer le regret sincère
d'avoir eu à exercer si souvent ma vice-présidence, et ce
regret sera, j'en suis sûr, suffisamment justifié à vos yeux par
le motif qui l'inspire : l'état de santé de noire honorable
président effectif, M. A bel Hovelacque.
INSTALLATION DU BUREAU. 5
Quoi qu'il en ait dit, avec sa bienveillance et sa modestie
habituelles, vous auriez certainement gagné à une prési*
dence expérimentée comme la sienne, et d*une compétence
qu'il serait diTQcile d*égaler, dans les choses de Tanlhro-
pologie. Il est vrai que j*ai gagné, quant à moi, à cette sup-
pléance, un apprentissage qui n'est pas inutile pour la bonne
direction des travaux si variés, et des ordres du jour ordi-
nairement et heureusement si chargés de la Société ; mais,
cet avantage personnel ne saurait me consoler de Tabsence
obligée de notre cher président, et je suis convaincu que,
partageant ces sentiments, vous vous unirez à moi, messieurs,
pour lui exprimer notre ardent désir de voir s'améliorer
déflnitivement sa santé, afin qu'il puisse revenir régulière-
ment au milieu de nous, et nous apporter, comme par le passé,
son précieux concours.
D'ailleurs, dans son éloignement forcé, il ne nous a jamais
abandonnés, il a suivi les travaux de la Société, avec un
intérêt et une sollicitude d'autant plus vifs, qu'il avait le
regret de n'y point participer; il vient de vous en donner le
meilleur des témoignages dans la récapitulation et Tappré-
ciation analytique de ses travaux pour Tannée qui vient de
s'écouler.
Mais une preuve autrement significative de son dévoue-
ment à la double institution que constituent solidairement
la Société et l'Ecole d'anthropologie, est dans un événement
récent concernant cette dernière, que je m'empresse, et que
je suis heureux de vous annoncer.
La mort si regrettable, à tous égards, du professeur
Gavarret, laissait l'École sans directeur; et un pareil rem-
placement n'était pas sans présenter certaines difficultés, eu
égard à toutes les conditions exigées par Tintérêt bien com-
pris de l'École.
N'écoutant que cet intérêt, et la voix de son profond
dévouement à une institution dont il fut un des artisans de
la première heure, avec le maître illustre qui la créa de
toutes pièces, M. Hovelacque a bien voulu accepter la succès-
6 SiARd DU 8 lARTlBR 1891.
sion de Oavarret et la charge de directeur ; charge qui a
pris une importance particulière depuis qu*une ère nouvelle
s'est levée pour l'Association, grâce à sa reconnaissance
d*utilité publique.
Nous devons à M. Hovelaoque tous nos remerciements pour
cette acceptation dévouée, et en les lui adressant ici, je suis
assuré, messieurs, d*ôtre votre fidèle interprète ; car, rien de
ce qui intéresse TÉcole, notre sœur puînée, ne saurait nous
laisser indifférents.
Qu'il me soit permis de vous rappeler aussi, à ce propos,
que les liens si désirables et si précieux de TÉcole d'anthro-
pologie avec la Faculté de médecine, sous les auspices de
laquelle elle a été fondée et elle a vécu, ont été non seule-
ment maintenus, mais encore affermis^ depuis le départ de
Gavarret, par la nomination de M. le doyen Brouardel à la
présidence d'honneur de l'Association pour renseignement
des sciences anthropologiques, dont la prospérité est plus que
jamais assurée.
Je m'applaudis d'en pouvoir dire autant de la Société, qui
poursuit avec un succès constant, fruit de votre empresse-
ment et de votre savante participation, son œuvre patiente
d'accumulation et de classement des matériaux de l'histoire
de l'homme et du groupe humain, dans le but suprême de
les faire ser?ir à son amélioration sociale, au développement
et au perfectionnement de ses mœurs ; œuvre essentielle-
ment humanitaire et libératrice, et qui, comme l'a si bien
dit ici même mon éminent prédécesseur, « travaille à
l'affranchissement intellectuel et moral de nos contemporains
et de nos fils ».
C'est sous la haute et féconde inspiration de cette idée et
de cette mission ci?ilisatrices, les plus élevées et les plus
utilitaires qu'il soit donné de réaliser par la science, que
vous accomplisses, messieurs, et que vous continuerez à
accomplir vos travaux, auxquels je suis particulièrement
heureux et fier d'avoir été aj^pelé I présider.
OUVRAGES OFFERTS. 7
Je ferai, eomme je m*y suis déjà appliqué, tous mes efforts
pour me rendre digne de votre haute conflance; et vous
pouvez, du moins, compter sur mon dévouement absolu à la
Société et à ses intérêts.
Permettez-moi de compter, à mon tour, sur Tindulgence et
la bienveillance auxquelles vous m'avez habitué.
M. Gabriel de Mortillet propose à la Société de voter des
remerciements au bureau sortant.
M. le Président propose de voter des remerciements à
MM. Fauvelle, Salmon et Issaurat, pour le dur labeur de mise
en ordre et de confection de Tinventaire des collections de la
Société.
OUVRAGES OFFERTS.
BuscHAN (D' G.). Die Heimath und das Alter der europatschen
Kulturpflanzen [Separalabdruck ans dem Con^espondenz-Blatt
der Deutschen anthropologischen Gesellschaft), 1890, n' 10,
8 pages.
Chatellier (P. du). Crâne trépané découvert à Crozon {Finû-
1ère], le 20 septembre 1843 (Ext. des Mémoires de la Société
d^ émulation des Côtes-du-Nord), In-8", 8 pages et 1 planche.
Gabeau de kbrville (Henri). De ta coloration asymétrique des
yeux chez certains pigeons métis (Ext. du Bulletin de la Société
des amis des sciences naturelles de Rouen, an née 1 887 ,2' semestre) .
Rouen, 1888, in-8'*, ^pages. (Ouvrage présenté par M. Hervé).
Marchesetti (D' Carlo). Ricerche preistoriche nelle caverne
di S, Canziano presso Trieste {Estratto dal Bolletino délia
Società Adriatica di Scienze naturali in Trieste, vol, XI, 1889).
Trieste, in-8^, 19 pages et 2 planches ;
La nécropoli di S. Lucia presso Tolmino. Trieste, 1886, in-8°,
73 pages et 10 planches.
Mortillet (G. de). Formation des variétés; albinisme et gau-
ckiuement (Ext. des Bulletins de la Société d'anthropologie^
séance du 3 juillet 1890). Paris, in-8% 10 pages. (Présenté par
Tauteur.)
8 SÉANCE DU 8 JANVIER 1891.
Neugebauer (D' Franz Ludwig). Worte der Nothwehr gegen
Seine Excellenz den KaherL Russichen Geheimen Rath^ PrO'
fessor D' med, Herrn Wilhelm Duozan Lamhl. Leipzig, in-8*,
78 pages,
Verneau (D').V Enfance de l'humanité. 7* L*Age de la pierre,
Paris, 1890, in-16, 295 pages et 66 figures. (Présenté par
Tauteur.)
PÉRIODIQUES.
Journal des savants (novembre 1890). G. Dareste : Evolution
de la famille et de la propriété; A. de Quatrefages : Critiques
and Addresses de Huxley.
Revue scientifique (27 décembre 1890) . P. Bonnier : 1* Audition
chez les invertébrés. — (3 janvier). Ch. Richet: la Natalité
en Europe depuis vingt ans.— (10 janvier). Rosenthal: Lavoi*
sier et son influence sur les progrès de la physiologie ; Vivian
Poor : la Vie au sein de la terre ; Hermann Fol : la Ressem-
blance entre époux.
Le Progrès médical (3 janvier). Alex. Pilliet : Débris de cap-
sule surrénale dans les organes dérivés du corps de Wolff.
Bulletin de la Société royale belge de géographie (septem-
bre, octobre 1890). Aug. Couvreur: la Turquie en Europe et
les États des Balkans ; Keïla Gob : le Costume japonais.
Mittheilungen der Anthropologischen Vereins in Schleswig-
Hohtein (1890-1 Heft). Eine wendische Ansiedlung am Schar-
see ; Ausgrabungen des Professor Pansch am Hopsô; Sicher-
gestelltc alterthumsdenk mâler.
Bulletin ofthe Muséum of Comparative Zoology at Hmward
Collège (Vol. XX, n« 3). Preliminary account of the fossil
mammals from the White river and Loup fork formations.
Journal and Proceedings of the Royal Society of New South
Wales (1880, Part. H). J. Malhew:The Australian Abori-
gines ; Edward Stephens : The Aborigines of Australia, being
Personal recollections of those tribes which once inhabited
the Adélaïde plains of South Australia.
OUTRAGES PÉRIODIQUES. 9
The Journal anatomy and physiology (janvier i 891 ). M. Bene-
dikt: Some Points on the surface anatomy of the brain ; An
open Letter to sir^William Turner; R.-W. Shufeldt: Fur-
ther Notes npon tbe crania of North America Indians ; Roger
Williams : Polymalism witb spécial référence to mammsB
erraticœ and Ihe Development of neoplasms from supernu-
merary mammary structures ; Arthur Tbomson : Note on the
skin and scalp of the negro fœtus ; D.-J. Cunningham : The
Sylvian fissure and the Island of Reil in the primate brain.
Nature (25 décembre et 1" janvier). The Australian Abori-
gines;A.-F. PainteriTbe Hill Arrians of India; Clément:
Ancient mounds at Floyd^ Jowa.
American naiuralist {octobre et novembre i890). Charles
Sedgwick Minot : The Mesoderm and the Cselom of verté-
brales (illnstrated) ; E. D. Gope : Tbe Evolution of mind ;
L.-H. and W.-H. Luce : Three Cases of bypospadias in
which the sex was undeterminable unlil puberty ; Samuel
N. Rhoads: Probable Causes of polygamy amongbirds.
ZeiUchrift fur Ethnologie (i890-Heft V). Otto HeiniAlt-
preussische Wirthschaftsgeschichte bis zur Ordenszeit ; Kr.
Templin : Bronzeschwerter von Horst,Ost-Priegnitz,und Bur-
gwall ; Schlesien : Flache eiserne Schalen von Trachenberg ;
Scbweden : Kragenartiger Bronzebalsschmuck von Gotland ;
Mark Brandenburg: Bronzedepôtfund von Heegermûhie bei
Eberswalde ; Rud. Virchow : Samoaner ; Schliemann : Aus-
grabungen auf Hissarlik ; L. v. Rau: Sichte (10 Zinkogr,);
Siebcke : Hufeisensteine im Kreise Storman (6 Zinkogr.) ;
Handebmann : ûerâlhe und Steinsarkophage aus rheinis-
chem Trass in Schleswig-Holstein ; Wunder, Virchow : Reste
eines alten Bootes ans dem AUuvium von Leipzig; Reinach,
Virchow : Archâologische Funde aus dem mëhrischen Dilu-
vium ; 0 Slaudinger, Virchow : Somali und Wakamba in
Berlin, R. Hartmann; Bensbach, Schmellz: Geschwftnzte
Leutevon derGeelvinkbai, Neu Guinea; Moncony, R. Forrer,
Virchow: Kind mit Makroglossi ; Brantz : Photographie einer
mongolischen Prinzessin im Strassenkostûm; Vater : Steinbeil
10 SÉÀNGB DU 8 JANVIER i89i.
und Bronzemesser von Uterhorst bei Nauen ; Mense, Schwcia-
furth, Virchow, Hartmana : Skelet und Schâdel Yon Buseh-
minnern; G. Krause, Vlrcbow, Sckwartz: Ausflug nach
Stendal und Umgegend ; KUnne, Virchow : Griechischer Sch&-
del von Akragas (Girgenti) ; R. Virchow: Nordkaukasische
Alterthûmer (82 Zinkogr.) ; H. Scbliemann : Ausgrabungen
in Troja ; Vircbow, E. v. Marions : Koncbylien der Troas ;
Krause : Die Aegis der Gôttin Atbene in Troa (Zinkogr.) ;
Radde, V. Luscban, ZintgrafT : Reisen der Herren Hirtb ;
F. Kiilm: Photographie des Hrn. Kund; v. Duhring, F. Mo«
reno: Yerkebr mit Wissenscbaftlioben Yereinen in Mexico
und La Plata; Apponyi: InternationalerCongress der geogra-
phischen wissenschaften in Bern 1891 ; Kûnne : Bucherges-
chenk ; Schierenberg, Virchow : Aufnahme an Scbulkin-
dern zu Horn, Lippe ; R.-A. Philippi Pfeilspilzen und Pfeifcn*
kopfe in Sûdamerika; H. v. Ihering : Schreiben; H.-S.
Vodskov : Seelencult; Rackwitz : Verbreitung der osier und
anderer Feuer; Bartels : Photograpbien von megalitbischen
monumenten und Bauerbausern in Westfalen; Tellen : Alte
Eisenscbmelzst<e in Versmold, Westfalen ; Schumann :
Torfscb&dei von Trampe Uckermark ; R. Andrée : Volksleben
und Arcb&ologiscbes in Savoyen (2 Zinkogr.).
CANDIDATURES.
M. le docteur Garnibr, médecin de l'infirmerie spéciale du
Dépôt de la préfecture de police, présenté par MM. Magnan,
Laborde, Hervé.
PRESENTATIONS.
les d« ha«l Congo t
PAR M. E. COLLIN.
J'ai eu l'occasion de me procurer quelques armes prove-
nant du haut Congo français, et je ne puis résister au plai-
sir de vous les soumettre à nouveau, quoiqu'elles vous soient
dé(jà familières,
DISCUSSION BUa DES A1ME8 DU HAUT CONGO. 14
Voici deax couteaux de sacrifice des peuplades de l'est,
dans la région des grands lacs, depuis le lac Victoria jusque
chez les Tonbous dans le désert, probablement Nyam^nyam
ou Momboutlous (?). Schweinfurtb^ dans Arte$ Africarue, ne
mentionne pas cette forme d'instruments de supplice.
Des deux instruments que je présente, Tnn mesure 38 cen-
timètres ; e'est le plus grand couteau connu ; celui de
M. Penne n'a que 31 centimètres. Les rainures en forme de
canalisation servent à Técoulement du sang.
A VExposition universelle de 1889, nous avons remar-
qué, dans la collection Penne, des aimures sous le nom de
sacrificateurs provenant du haut Ogouwé, appartenant aux
peuplades Osébay peuplades plus au midi, et que chaque
féticheur ou chef bakalais porte sur lui.
Ici, permettez-moi de citer un fait que M. Penne a bien
voulu me communiquer. Lorsqu'un naturel en veut à un
autre, il fait venir un féticheur. Celui-ci fait prendre à la
victime des médicaments à sa façon et attend Teffet. Le ma*
lade tombe; il est empoisonné. Si Teffet se fait trop attendre,
le féticheur saigne la victime à gauche du cou et à Taine, et,
lorsque les nerfs dénudés apparaissent, il dit : « Vous voyez,
i) faut qu'il meure, p Et alors il finit l'office de bourreau
qu'il avait si bien commencé^ en enfonçant la pointe de
celte arme en bec d'oiseau dans le cou, et en retournant
l'arme pour frapper et détacher la tête*
Biscussion.
M. Vbbnbau dit que ces formes sont originaires de TAfrique
orientale. Elles seraient probablement d'origine palouine et
présentent toujours, dans ce pays, une gouttière qui devait
laisser passer le sang des victimes. Au Congo et au Gabon,
ees gouttières sont devenues des ornements. Ce sont des
armes dues à une industrie importée de l'est.
M. Adrui de MoaiuXBT pense que ce ne sont pas seulement
des instruments de Sacrifice, mais aussi des arme* dé jet. OA
42 SÉANCE DU 8 JANVIER 1891.
les rencontre aussi bien dans l'ouest que dans Test de i*AfrL-
que. Il y a des types beaucoup plus compliqués que ceux-ci,
qui ont la forme d'une tête d*oi$eau ; ces objets présentent
parfois jusqu'à six pointes.
M. Gabriel de Mortillet dit qu'on fabrique ces types dans
le pays ; mais les Anglais en ont fabriqué eux aussi et en im-
portent en Afrique des quantités considérables. Tout comme
pour certains bracelets de bronze du Dahomey, qui ont été
fabriqués à Nantes.
M. Hervé dit que les populations du centre de l'Afrique
sont en plein déplacement depuis un siècle.
Suite de la diseusâion sur le faible accrolssemeof
de la population en Franee.
M. Beauregard présente un Manuel des confesseurs de 1593.
Il lit certains passages relatifs à la réglementation, par le
confesseur, des rapports sexuels. Un second volume, celui
d'Escobar, renferme un certain nombre de prescriptions que
lit en latin M. Beauregard. Le troisième est moderne et dû à
M>^ Bouvier. En somme, il résulte de tout cela que les con-
fesseurs doivent donner toutes les indications pour que les
époux procréent le plus grand nombre d*enfants possible.
A propos de Télat stationnaire du chifTre de la population
en France, il a été dit, je crois, non pas précisément que les
ministres de la religion catholique prescrivent ouvertement
la restriction dans les effets naturels et légitimes du droit
conjugal, mais qu'il se peut bien que le célibat par vocation
religieuse et d'ailleurs recommandé comme un état désirable
et voisin de la sainteté intervienne, dans une certaine propor-
tion, et même dans une proportion sensible, dans le déficit de
la natalité annuelle dénoncée aux pouvoirs publics.
Je n*ai point par moi-même ni à ma disposition de statis-
tique qui me permette de mesurer l'état négatif du célibat
religieux sur la natalité annuelle en France ; mais j'apporte
ici^ en le donnant pour ce qu'il vaut, le témoignage indé-
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. i3
niable de rintervention des conseils de TÉglise catholique
dans le mode, la pratique et les effets de l'acte conjugal.
Dans son livre : Aphorismi cenfessariorum (1593), Emma«-
nuel SA, societatis Jesu^ écrit ce qui suil^ à propos du devoir
interconjugal :
Page 14i, ^ 6 : « Gopulari antè benedictionem levé pecca-
tum est (etsi quidam mortale esse putant). »
Page 448, f 6 : « Nec benedictionem omittere, nec antè
eam consammare matrimoninm, est mortale. Quod si fiant
hsc sine causa, est veniale. »
Page 145, ]^ 14 : « Nullus copulse modus si fiât in vase dé-
bite, id est intra uxoris pudenda, est peccatum mortale, nisi
sit periculum impediendi generationem, nec si fiât in festo,
aut quovis alio tempore^ aut cum^ uzore gravida, modo absit
periculum abortûs. »
Page 443, f 12: a Gopulam in loco sacro mortale esse pec-
catum, etiam reddentis, quidam aiunt ; ego etiam petitionem
puto aiiquando posse a morlaii excusari, si fiât ad vitandum
peccali periculum aut alla justa causa* »
Page 146, f il : a Inchoatam copulam omiltere ante semi-
natioaem non est mortale nisi sit alterutro ex eo periculum
poUutionis. »
Page 454, f ^: n Gontrahere prinoipaliter matrimonium
ob pulcbritudioem aut divitias, non est mortale» nec contra*
hère invitis parenlibus, si absit scandalum. »
Page 146, f \S: <i Non est mortale non reddere (debitum)
ssBpissime et moleste pelenti ; moderate enim petendum : aut
sic petenti ut non intendat admortale peccatum obligare^ aut
quia plures jam sunt filii quam ut ali possint a pareatibus ;
in omnibus tamen dictis casibus excipiendum, nisi in petente
esset alioqni periculum incontinenliœ. »
Page 146» f id: a Debitum petere nocte, mane communi*
caturum^ peccatum est, sed non mortale. »
Escobar, qui fut l'un des vingt- quatre docteurs de la So-
ciété de Jésus, dans son gros livre : Teologia moralis (1644),
s'occupe également, en termes chastes et mesurés, du jeu
44 séânci du 8 JÀNTiKR 4801.
de la copulation à l*asage des personnee saintement nnies.
Dans son livre, Escobar procède par demande et par ré-
ponse.
Page 184y f 9& : « Potestne adnlter petere debitnm ab
uxore î
d Potest amioô citra aotionem. »
Page i 1 17, ]^ 53 : a Conjuguai alias exprime obligationes...
Prœlerea conjugalis actus bonus est, si ob prolem flat, vel ad
debitum reddendum ; ob alias fines, veniale non ezcedlt ; ob
delectationem, sanilatem et similes. »
Page 1117, f 55 : «An sacroinlocolicitus sitactus conjugii?
« Saoer locus sub mortali respicit hujus modi actum, extra
oasnm necessilatis. »
Page 1117, f 57: < Estne copnla simnl complenda? Si
possit, complenda esset simnl; si non possit alteri expec-
tandum dum perficit aller, non autem necesse est. n
Page 1117, ]^ 63 : « Licetne tractus venerei inter con-
juges? Si referuntur ad copulam, llcili sunt. Si ad majorem
voluptaiem capiendam, veniales ; si ad pollutionem extra vas
vel oum illius moralî periculo, mortales sunt. »
Plus près de nous (1834), M»' Bouvier, évêque du Mans,
dans son livre : Disserialio in sextum dialogi praceptum, sait
être bien plus explicite que ces devanciers, et, tout en se réfu-
giant pourtant, comme eux, pour étendre la tolérance, dans
les cas de nécessité et de simple convenance de lieu et de
personne, il s^exprime avec une hardiesse d*expression qui
va jusqu'à mettre les points sur les i et les chevilles dans les
trous qu'il rencontre.
Je le laisse parler, d'autant plus volontiers que les conseils
et les prescriptions de Ms' Bouvier sont, dans son livre, pré-
cédés ou suivis de descriptions et de constatations bien ca-
pables de nous faire comprendre qu'il parle ex professa.
Page 33 : « Per virginem hic non inteiligitur persona que
contra castitatem nunquàm peccavit, benè vero ea quœ car-
nis integritatem servavit, et signaculum virginitatis habere
dicitur.
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ BK FRANCE. 18
« Quanti httc carnis integritas apud omnes œstimetur^
Démo nescit. »
Page 40 : t Goncabitas etiam légitimas conjugum in loco
sacro, absqne necessitate exercitns, malicium saorilegii oon*
trahit. »
Page 54 : a Alia est sodomise species, quœ est concnbltus
cum persona diversi sexns, sed extra vas oatarale^ v. g. in
vase posteriori, in ore, inter mamillas, cmra tel femora. »
« Page 87 : « Oscnla etiam honesta ex motivo libidinis
data vel accepta^ inter personas ejusdem vel diversi sexfis,
sont peccata mortalia. Oscula aulem in partes corporis inso-
litaSy y. g. in pectus, in mamillas, vel more columbamm,
linguam in os intramittendo exercita, exintentione libidinis
fleri consentnr, ant saltem grave pericalam libidinis indn-
cunt, et ideo a peccato mortali excusari nequennt. »
Page 90 : « Mortaliter procnl dubio peccaret mulier qnœ,
etiam sine affectu libidinoso, permitteret se tangi in pnden-
dis, ant partibns vîcinis, vel in mamillis. »
Page 94 : « Morose aspicere ubera pulchrœ mulieris nnda
est peccatum mortale. »
Page 129 : « Gonsummatio (matrimonii) fil per emissionem
seminis viri in vas naturale mulieris vel per commixtionem
viri ac mulieris. »
Page 144 : a Qnseritur an matrimonium sit validnm quando
mnlier arcta per commercium cum altero facta est apta ?
a Gommuniùs docetur illud esse validnm. »
Page 158 : « Gonjuges per se non tenentur debitum conju-
gale pelere ; naoi unusquisque jnri suo cedere potest. Ali-
quando tamen tenentur per incidens, videlicet si ad prœca-
vendum grave religionis ant reipublicœ damnum, prolis sus-
ceptlo necessaria sit. n
Page 168: a Gonjux, qui in usu matrimonii exoptat ut
proies ex suâ actione non nascatur, peccat. »
Page 169 : <c Constat scripturà sacra et ralione strictam
existere obllgationem pro utroque conjuge reddendi debitum
alteri expresse vel tacite petenti. »
n
16 SÉANCE DU 8 JANVIER 4891.
Page 172 : <i Debitum negare non licet ob meium numero-
sioris prolis. »
Page 176: u Peccatum Onœ in eo consistit quod vir, post
penetratîonera, se relrahat et semen extra vas mulleris,
effundat ut generationem impediat. »
Page 188 : « Mortaliter peccanl conjuges si actus valdè
turpes et bonestati natnrali graviter répugnantes, prœsertim
eos qui ad copulam in vase indebito ordinantur ; v. g. si
mulier membrum viri in os suscipiat... qui copulam babent
cum gravi periculo al)ortûs.
« Peccatum est mortale si conjuges generationem impe*
diant, v. g. si mulier semen ejiciat, vel ejicere conetur, et
proprium semen exteriùs profundat. »
Page t89: « Mortaliter adbuc peccant conjuges si in usa
conjugii adullerinum babeant affectum, id est, si aliam perso-
nam sibi prœsentem esse fiogant et in cogitatione commercii
cum illa babila volun tarie delectantur. Idem si copulam ex
fine mortaliter malo exerceant, v. g., si vir debitum petat
aut reddat ex desiderio quod uxor difficultate pariendi mo-
riatur. »
Quoique le plus souvent entachées d'une réticence qui en
atténue la portée et l'efficacité, toutes ces adjurations pasto-
rales tendent bien aux Ans naturelles du mariage, c'est-à-dire
à la plus grande propagation de l'espèce bumaine.
M. Fauvelle: dit que la religion catboUque jette sur les
relations sexuelles une déconsidération complète.
Note Bor les relation» die la eapaelté erAnienae»
du poids et ém irolame da eerveaa ehes rhomoie ;
PAR M. CH. DBBIBRRB.
Cette communication a été déjà publiée par la Société
d'anthropologie de Lyon (1891).
La séance est levée à six heures un quart.
L*tên des iecrilairei : CAPITA^.
OUVRAGES OFFERTS. 17
530* StANCe. — M jaoTier 1801.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
commcjmcàtioks du bureau.
. M. le Secrétaire général annonce la mort d*un membre
de la Société, M. Delehaye ; il prononce quelques paroles de
regret.
M. LE Président annonce à la Société que, dans sa der-
nière séance, le Comité central a élu membre M. Oiiivier
Beauregard.
La commission des échanges a été ainsi composée :
MM, Gabriel de Mortillel, Hervé, Salmon, Sanson, Vinson.
ouvrages okferts.
Mies (D*). Ein Fall angebomem Mangjsn des 5 Fingers und
Mtttelhandknochens der Reichten Hand,
— Ueber ein Instrument zur Bestimmung korrespondirender
Punkte auf Kopf. Schàdel und Gehim.
— Ueber die Bôke und die ffôhenzahl des Gewichts und des
Volumens von Menschen und Thieren,
M. Ollivier Beauregard offre à la Société un petit livre
blilulé la Science la robe au vent, souvenir du VIII* Congrès
iaternalional des orientalistes. Stockholm-Christiania, 1889.
Ce livre renferme des gravures donnant une idée des cos-
tumes suédois dans Tantiquité. M. Oiiivier Beauregard fait
remarquer que Temblème héraldique, très fréquent en Suède,
est le lion.
Les couteaux actuellement en usage chez les matelots ont
encore la même forme que les couteaux antiques. Enfln, Tau-
leur a pu relever la trace de sacrifices humains à une époque
relativement peu ancienne. Les barques du dixième siècle,
T. II (4* SÉRIE). 2
18 SÉANGB DU 32 UNVIBR 1891.
étudiées d'après les monuments, avec lesquelles les Suédois
allèrent en Amérique, n'avaient pas de gouvernail à pivot.
M. Oluvier Beauregard lit une notice sur une série d ou-
vrages qu'il vient d'offrir à la Société et qui comprennent
deux incunables. Des remerciements sont adressés au dona-
teur.
PÉRIODIQUES.
L* Alliance scientifique^ Bulletin de la Société d ethnographie
(janvier 1891). 'Jacques Tasset : le Nirvana bouddhique.
Comptes rendus hebdomadaires des séances de la Société de
biologie (16 janvier 1891). Docteur H. Arnaud ; Présentation
d'un cas d'anomalie de position du cœur.
Builetinde laSociété de géographie [ivohihmQ trimestre 1890).
J.-G. Reichenbach : Élude sur le royaume d'Âssinie ; Gh.
Rabot : Exploration dans la Laponie russe, ethnographie;
D' Nicolas Severtzow : Études de géographie historique sur
les anciens itinéraires à travers le Pamir.
Bulletin of the Muséum of comparative zoology at Harvard
Collège (vol. XX, n^ 5). G.-H. Parker : The Eyes in blind cray-
fishes.
Cosmos delprof, GuidoCora (maggio-giugno 1890). J.-G. :
La Nuova Guinea britannica, esplorazioni, studi, coloniz-
zazione; E. fiaudi di Vesme : Viaggio nellinterno del paese
dei Somali ; G.-V. Burmeister : Due Yiaggi di C.-V, Bur-
meister nella Patagonia.
Aiittheilungen der Anthropologischen Gesellschafi in Wien
(XX Band, m et iv Heft.) : J.-N. Woldrich : Prfthistorische
Fundstâtten bei Kromau in Mâhren; Bretislav Jelinek : Die
Funde zu Siup bei Prag.
MiUheilungen des Anthropologischen Vereins in Schlesmig^^
Holstein (1891, l''' fasc). J. Mestorf : Die Ausgrabungen des
-|- Professors Pansch ; Handelmann : Sichergestellte Alter-
thumsdenktnftler ; Der limes Soxoniœ in den Kreisen Stormam
und Segeberg; J. Mestorf : Ueber gewisse typische Bronze-
ringe ; Uandelmanu : Silberfuudo, und Hinge mit Schiebern.
GANDIDATURBS. 19
Mittheilungen aus Justus Perthes, geographischer Anstalt
(i890-xi). Ratzel (D' Friedr.) : Versuch einer Zusammenfas-
suDg der ^rissenschafllichen Ergeboisse der Slanleyschen
Darchquerung.
NaturCj de Londres (8 janvier 1891). Prof. George J. Ro-
manes : Are the Efifects of use and disuse inherited?
— (15 janvier 1891). Prof. Henry 0. Forbes : Throwing-
Sicks and Canœs in New-Guinea.
Revue de l hypnotisme (janvier 1891). Prof. A. Pitres : Des
variations de la personnalité dans les étals hypnotiques;
mémoire relatif à certaines radiations perçues par les sensi-
tifs; suggestions criminelles et responsabilités pénales.
Bévue des sciences naturelles appliquées (20 janvier 1891).
H. B. : le Bétail sauvage de Tlndo-Chine.
Revue scien^i^9we(n janvier 1891). P. Sollier: les Troubles
du langage dans Tidiotie et Vimbécillité.
Revue des traditions populaires (13 décembre 1890). Ch, Har-
douin : Traditions et Superstitions siamoises (suite) ; Clément
Rubbens: Préjugés en Louisiane ; G.- M. Ollivier Beauregard :
Proverbes et Dictons malays.
Ymer ttdskrift utgifven afSvenska sàllskapet fôr antropologi
ochfjeografi (1890, 2-3 bœft). Ernst Garlson : Geograflen sa-
som vetenskap ocb geographien sâsom skoldmme.
DÉLÉGATION SCIENTIFIQUE.
M. le docteur Fernandez Ortigosa ayant demandé une dé-
légation pour recueillir, au Mexique^ des objets destinés au
Musée de la Société, cette délégation lui est accordée par
acclamation.
CAI^DIDATURES.
M. A. PoNCHON, directeur de l'école communale d'Airaines
(Somme), présenté par MM. P. Salmon, Adrien de Mortillet
etÉmUeColiin.
âO SÉANCE DU â2 JANVIER 4891.
Rapport sur le» flnanees de la Soelété ;
par m. fautbllb, tr&oribr.
Messieurs,
Conformément à Tarticle 31 du règlement, j*ai rhonneur
de vous présenter les comptes de l'exercice 1890, c'est-à-dire
le bilan annuel, qui comprend, comme vous le savez^ d'une
part^ Tinventaire financier au 31 décembre 1890, et, de
l'autre, l'ensemble des opérations exécutées durant l'année
qui vient de s'écouler. 11 est clair que, si la situation nous
montre que l'avoir s'est accru d une certaine somme, celle-ci
est due à un excédent des recettes sur les dépenses, et que,
par conséquent, les deux différences doivent être parfaite-
ment égales. C'est précisément ce que nous montrent les
deux tableaux suivants :
InTentaire aa 31 décembre 1890.
Kcnw
Caisse 86' 10
Valeurs mobilières 49 286 80
Renies à toucher 399 75
Quittances à recouvrer 2 370 »
Société générale, solde débiteur 15 837 54
M. Masson, éditeur, solde débiteur.. 1 013 20
Êoole d'anthropologie, solde débiteur. 14 25
Total de ractir 69 006^64 69006^64
PASSIF
Médaille Broca, solde créditeur.. . . . . 500' n
Statue Broca, solde de la souscription. 2 822 10
Prix à distribuer 1916 »
Factures et mémoires à payer 2 850 74
Total du passif 8 088' 84 8 088' 84
Actif oet au 31 décembre 1890 60 917' 80
Actif net au 31 décembre 1889 60 511 39
A 11 fomentation 406' 41
FALVELLE. — RAPPORT SUR LES FINANCES DE LA SOCIBTÉ. 21
Rétumé dei opérations en 1890.
RECETTES C
Sobvention de TÈUt pour les BulUlins. . . 1 000' »
CoUsatioDs, rachats et droits d'entrée • . . 9 90O »>
Reoies et iniéréts provenant des titres et
dépôts de fonds 1 916 55
Vente des BuUetmi et antres publications. 1 760 »
Solde du compte Exposition 8 55
Total des recettes 14585M0 14585^10
DÉPENSES
Frais généraux 3 362' 26
InsUllatlon et entretien 216 73
Bibliothèque 828 90
BuUetms et autres publications 7 373 95
Prix, provisions annuelles 1 166 »
Collections 1930 85
Total des dépenses 14 178^69 14 178 69
Excédent des recettes sur les dépenses 406' 4 1
Ainsi l'actif net^ au 31 décembre 4890, remporte surTactif
netaa 31 décembre 4889, de 406 fr. i\, comme les recettes
de l'exercice iSUO excèdent les dépenses du même exercice
de 406 fr. 41. La situation est donc favorable.
L*an dernier, je vous avais annoncé qu'à l'avenir les droits
d admission et les rachats de cotisations seraient capitalisés,
conformément aux règles d'une bonne administration. Mal-
heureusement, les dépenses importantes nécessitées par l'in-
ventaire des collections et celui de la bibliothèque m'ont forcé
de disposer d'une partie delà somme de 920 francs^ montant
de ces deux articles. Mais il me sera facile de prélever sur
la réserve disponible au 31 décembre 1889, qui s'élève à
1 1 224fr. 50, une somme de 553 fr. 59, qui jointe au bénéfice de
l'année, 406 fr. 41 , nous permettra d'acheter, au taux actuel,
30 francs de rente 3 pour 100. Le reste de cette réserve,
soit 10 670 fr. 91» sera largement sufflsant pour parer à tontes*
les éventualités qui pourront résulter de l'inventaire, et spé-
22 SÉANCE DU 24 JANYIBR 4891.
cialement à l^impression du catalogue de la bibliothèque, pour
lequel le Comité centrai a voté une somme de 2 500 francs.
Je dois ajouter que la situation sera encore améliorée, si,
comme il y a lieu de l'espérer, la ville de Paris nous accorde
la somme de i2 05l) fr. 50, que nous avons réclamée comme
complément de la subvention pour TExposition de 1889.
Aujourd'hui, restimation du mobilier, de la librairie et des
collections est terminée. Il ne reste plus que celle de la biblio-
thèque ; elle a été renvoyée après l'impression du catalogue,
pour faciliter le travail de l'expert.
La valeur du mobilier s'élèvo h Il ^60^ 50
Celle des colleclioDs à 67 518 85
Et celle de la librairie à 7178! 65
Total 15056lf »
Comme je vous l'ai promis il y a un au, je vais ouvrir au
grand livre, pour chacune de ces parties de notre avoir, un
compte qui subira toutes les fluctuations qui seront la consé-
quence des acquisitions, des ventes et des moins-valeurs.
EnÛn, les chiffres qui serviront de bases à ces comptes nous
permettront de modifier notre assurance contre l'incendie
et autres risques, au mieux des intérêts de la Société,
prësektatioi^s.
CrADes aneieos.
M. E. GoLLiN. J'ai Thonneur de présenter à la Société et
de faire don à l'École d'anthropologie, au nom de M. le baron
Alphonse de Rothschild et de M. Macé, architecte, de vingt
crânes recueillis dans les fouilles pratiquées, en I8^8, dans
les terrains de la plaine de SaintMaur, rue des Sorbiers, à
380 mètres des bords de la Marne, vis-à-vis de la commune
de Bonneuil.
En consultant V Histoire de Salni-Maur, par Z.-J. Pierart,
on y voit qu'au septième siècle, à cet emplacement, existait
nne église qui a été démolie et dont les cloches ont été
transportées dans Téglise actuelle;
E. COLLOf. — CRANES ANCIENS. 23
Dans la partie fouillée» il y avait trois cimetières super^
posés.
Les corps trouvés à Tétage inférieur avaient une sépulture
à peu près analogue à celles des cimetières gaulois, avec des
pierres en calcaire posées à droite et à gauche de la lète^
du bassin et des pieds, sans aucun mobilier funéraire.
Ceux au-dessus datent du treizième siècle assurément,
étant données les poteries accompagnant les corps ; elles sont
à llammicules, dont en voici quelques débris avec dessins di-
vers, et quelques-uns avec une et plusieurs croix, probable-
ment marquées par le potier en vue de Tusage funéraire. Ces
poteries étaient enfermées en partie dans les cercueils, faits
grossièrement en plaquettes de calcaire brut non taillé,
juxtaposées les unes an bout des autres, leur nombre variant
suivant le besoin ; le plus souvent, trois de chaque côté
dans le sens de la longueur, et une seule à chaque extrémité ;
pour couverture, elles étaient posées en tuileaux, les unes
au-dessus des autres.
Parmi le grand nombre de tombes mises à jour, M. Macé
n*a trouvé qu'un seul cercueil en plâtre, et beaucoup de
squelettes se trouvaient à même la terre.
Les poteries se trouvaient assez régulièrement à la tête et
aux pieds; un seul objet a été trouvé parmi ces poteries :
c'est un cachet en bronze; il représente, d'après Tempreinte
que voici, un lion héraldique.
En ce qui concerne la couche supérieure, M. Macé, n'igno-
rant pas qu'elle provenait du dix-septième au dix- huitième
siècle, n'en a malheureusement rien recueilli, parce que, à
ce raonnent-là, il ne recherchait que les objets. C'est depuis
ma visite sur les lieux des fouilles que M. Macé m'a promis
qu'àTavenir tous les ossements qu'il rencontrerait seraient
mis de côté pour être étudiés au laboratoire. 11 nous fera
également part de toute nouvelle découverte.
À 150 mètres de ces fouilles, entre la rue des Sorbiers et la
Marne, qui forme la boucle de la Marne, d'autres fouilles ont
mis à jour une tranchée de 200 mètres de longueur, faite
24 SÉANCE DU 22 JANVIER 1891.
dans le tuf, et ayant 5 mètres de largeur, 4 mètres de profon-
deur, en forme de cuvette, et ayant au fond, au milieu, une
petite canalisation de 1 mètre de large, probablement pour
Técoulement des eaux à la Marne. De chaque côté de cette
canalisation, se trouvaient des foyers de cendres distancés de
80 centimètres à 1 mètre les uns des autres. Ces fossés étaient
comblés par toutes sortes de détritus, tels que clous, cro-
chets, lames en fer, ossements de bœuf, tous brisés pour
en extraire la moelle, et une grande quantité (environ 1 mètre
cube) de fragments de poteries remontant à diverses époques :
gauloise, romaine et moyen âge (les plus anciennes peuvent
remonter à 200 ou 250 ans avant notre ère).
Ces débris étaient dans Tancien retranchement, probable-
ment les anciens fossés de Saint-Maur.
Ces poteries ainsi que le cachet ne sont que présentées.
M. Macé pourra, plus tard, en faire don.
Ce qui prouve que les Romains ont habité longtemps cette
contrée, c'est que, sur la berge d'où la Marne s'était retirée,
près du pont de Champigny et de la rue de l'Église, j'ai trouvé
une pièce de monnaie impériale romaine, moyen bronze, de
Vespasien, mort en 79 de notre ère.
Cr Ane de « Fells spœlea )» .
M. Adrien de Mortillet présente un moulage fort remar-
quable d'un crâne de Felis spœlea^ dont l'original est au
musée de Chalon-sur-Saône et provient de la grotte de San-
thenay. C'est le plus grand spécimen connu de Felis spœlea.
M. Gabriel de Mortillet. Je désire ajouter une simple consi-
dération à celles qui viennent d'être exposées par mon fils. La
magniûque tête de Felis spœlea qui vous est présentée, offre
un puissant argument en faveur du transformisme. Comme
Ta dit mon fils, cette tête se rapporte surtout au lion ; mais
elle offre également certains caractères qui la rapprochent
du tigre. Ces caractères sont même si tranchés, qu'un de
nos anciens présidents, paléontologue des plus distingués,
_ 0
Edouard l^artet, hésitait tellement sous le rapport du classe-
ZELLE. — LE6 ORANGS^KOCBOCS. 25
ment du Felis spœlea, qu*au musée de Saint-Germain, il Ta
snccessivemeut désigné comme lion et comme tigre. C*est
doue bien un intermédiaire entre ces deux espèces. En effets
s'il présente certains caractères spéciaux au lion, d*autre
part, son museau est plus renflé, son front large et plat^ ce
qui lui donne le profil du tigre.
IVOMINATION DE COSfMlSSIONS.
M. LB Président tire au sort, parmi les membres présents,
les noms de trois membres devant faire partie de la commis-
sion des finances destinée à examiner le rapport de M. Fau-
velle. Le sort désigne : MM. Bessin, Gollin^ Zaborowski.
Une seconde comnaission, tirée également au sort, sera
chargée du contrôle des collections, des archives et de la
bibliothèque. Le sort désigne : MM. OUivier Beauregard^
Marcano, Lamy. Ce dernier, ayant refusé, est remplacé par
M. DaveJuy.
COUMUNICATIONS.
Les Orans^s-Konboos ;
PAR M. LB OPITAINB L. -J. ZBLLB.
(Note présentée par M. G. Capus.)
Quoique, personnellement, je n'aie jamais eu Toccasion de
faire la connaissance des Orangs-Koeboes — prononcez Kou-
bous — et que leur existence ait maintes fois été mise en
doute, je voudrais néanmoins communiquer les renseigne-
ments que j'ai eus sur cette peuplade in téressante^ vivant en-
core actuellement à Tétat de nature, avec des mœurs toutes
primitives, dans les forêts vierges et malsaines d'une partie
de nie de Sumatra.
Dans YHislory of Sumatra^ de Marsder (London, 4814,
3* édition), on peut lire à la page 41 et suivantes :
« Pendant mes recherches au miaeu des indigènes, sur les
peuplades primitives de Tile, j*eus des nouvelles de deux tri-
26 SÉANCE DU 22 JANVIER 1801.
bus distinctes qui vivaient éparses dans la forêt, en évitant
tout contact avec le reste de la population. On les appelle
OrangS'Koubom et Orangs-Gougom. Les premiers, me dit-on,
seraient assez nombreux, surtout dans le pays situé entre
Palembang et Djambi. Quelques individus de cette tribu
étaient capturés de temps à autre et tenus comme esclaves à
Laban. On trouve encore actuellement à cet endroit un
homme qui s'est marié avec une fille koubous passablement
belle. Elle avait été prise lors d'une incursion dans leur pays,
qui fit découvrir la hutte qu'elle habitait. Cette tribu parle
un idiome particulier et se nourrit indistinctement de tout
ce que fournit la forêt : cerfs, éléphants, rhinocéros, san-
gliers, serpents, singes, etc.
« Les Orangs-Gougous sont bien plus rares que ceux-ci et,
sauf la langue, diffèrent peu des Orangs-Oetangs de Bornéo.
Ils ont le corps couvert de longs poils. Ils sont entrés deux
ou trois fois an plus en relation avec les habitants de Laban,
à qui je dois ces renseignements. L'un d'eux fut fait prison-
nier, il y a déjà quelques années, presque à la façon du
singe dans les fables de Pilpay *, par le charpentier.
Cl Cet individu avait eu des enfants d'une femme de Laban,
enfants qui étaient plus poilus que ceux des autres habitants.
La troisième génération cependant ne se différenciait plus
du restant de la population.
« Le lecteur pourra accorder à ces renseignements la con-
fiance qu'il leur croira mériter. Je ne suis pas assez hardi
pour en garantir l'authenticité. Il est probable qu'ils repo-
sent sur un fonds de vérité, mais que les détails ont été beau-
coup exagérés. »
Ce que l'explorateur anglais appelle Koubous et Gougous
est sans doute la même tribu, et le dernier nom simplement
la forme adoucie du premier.
^ Pilpay ou BidpaK est le soi-disant auteur d'une suite de fables et de
contes, répandus depuis plus de quinze cents ans en nombreuses traduc-
tions et adaptations, auprès de toutes les peuplades de TOrient et de l'Oc-
cident.
ZELLB. — tfiS 0RANG8-K0UB0U8. VI
Dans le temps, on a noirci beaucoup de papier ponr savoir
si ces individus étaient nés, ou non, avec des queues de singe.
Il s*est même trouvé des auteurs qui prétendaient Fa voir vu,
et la question a été traitée encore tout dernièrement. Il va
sans dire qu*eUe appartient au chapitre des fables. Que les
indigènes de cette tribu aient le système pileux développé
sur tout le corps, ainsi que les Orangs-Oetangs, est d*autant
moins probable que les indigènes de Tlnde, en général, ont
le corps beaucoup moins poilu que les Europ<^ens.
Uexistence des Koubous n'est point un mythe ; ils vivent
dans la partie nord-ouest de Palembang (Sumatra), dans les
contrées situées entre le Moesie et le Djambie. Au milieu de
ces dépressions marécageuses, couvertes de forêts vierges et
coupées de nombreuses rivières, ils mèneot une vie acciden-
tée de pêcheurs et de chasseurs. Quelques-uns se seraient
suffisamment civilisés pour devenir sédentaires le long des
affluents de ce» rivières, tels que le soengie (rivière) Toeng-
kal, le soengie Bayot, etc. On estime leur nombre à cinq ou
dix mille.
Les Koubous sont une des tribus les plus primitives de
l'archipel indien. Ceux qui sont déjà assez avancés pour vivre
dans un doessoen ou village, ne sont supérieurs à leurs frères
ethniques nomadisant dans les forêts, qu*en tant qu'ils ont
appris à connaître quelques petits besoins de plus et ne
vivent plus exclusivement de nourriture animale. Ni les uns
ni les autres ne font preuve des moindres notions d industrie
ou de travail d'artisan. Ils ne savent que réparer les quel-
ques objets en fer dont ils ont besoin et qu'ils transforment
au besoin. Ils se servent, pour leurs travaux, de Toutil le
plus simple : d'une pierre comme enclume et d'une autre
comme marteau ; un tuyau de bambou leur tient lieu de souf-
flet. Les objets en fer qu'ils recherchent sont des hameçons,
des harpons, des pointes de lance et de javelot, ainsi que
des parangsy qui leur servent de hache ou de glaive, 'selon
les circonstances. Tous ces objets leur sont utiles à la chasse
ou à la pêche, leurs seules occupations.
38 SÉANCE DU l>i JANVIER 1894.
Tous les Koubous ont une singalière et caractéristique
antipathie contre toute espèce de commerce avec le restant
de la population. Ceux qui errent dans les forêts peuvent s'y
soustraire complètement, et les Koubous des villages ou Does-
soens-Koeboes Tévitent autant que possible. Mais comme les
uns et les autres ont besoin de divers objets qu'ils ne sau-
raient se procurer sans entrer en contact avec la population
malaise, il s'est développé avec eux un certain commerce
qui; pour ce qui concerne les Koeboes nomades, s'opère d'une
façon singulière.
En effet, certains commerçants de Palembang faisant le
troc avec les Koubous — le seul mode de commerce possible^
parce que ces sauvages ne connaissent pas l'argent — ga*
gnent avec leur pacotille les profondeurs de la forêt et Téta-
lent sous un arbre, qu1Is choisissent très grand et facile à
reconnaître parmi ses voisins. Leurs marchandises apportées
consistent surtout en objets de pêche et de chasse^ comme je
Tai dit plus haut, en tabac, sel, différentes poteries, tasses
grossières en porcelaine de Chine, etc. Dès que leurs mar-
chandises sont étalées, ils frappent quelques coups forts et
retentissants sur un gong et se retirent ensuite à une distance
considérable de larbre en question. D'ordinaire, les Koubous
les ont observés depuis longtemps sans que les marchands
aient pu voir les sauvages. Quand ils retournent/après quel-
que temps, auprès de Tarbre, ils ne retrouvent plus les mar-
chandises qu'ils y avaient déposées, mais, à leur place^ des
produits naturels tels que de la rire d'abeilles, du miel^ de
l'ivoire, du rotang, etc. Ces produits surpassent, en général,
de beaucoup la valeur des objets enlevés. Les Doessoens-
Koeboes font déjà le troc de la main à la main et s'approvi-
sionnent ainsi de riz, de grossières cotonnades, en dehors
des objets ci-dessus indiqués.
Physiquement, les Koeboes ne diffèrent pas, dans les points
essentiels, du reste de la population ; la taille, la figure et la
coloration de la peau sont les mêmes chez les deux. Les dif-
férences, dans leur façon d'être, sont uniquement détermi-
ZBLLB. — LES 0RAN6S-K0UB0US. 29
nées par les degrés divers de leur civilisation, leur manière
de vivre et de s'habiller. Encore, l'expression de leur physio-
nomie est-elle pins sauvage, leur regard plus perçant et
plus mobile, leur maintien plus courbé en avant, et leui^
démarche moins assurée et plus traînante que chez le reste
de la population de Palembang.
On dit que, parmi leurs femmes jeunes, on en trouve assez
fréquemment au type agréable et même beau. On vante le
c^ûractëre des Koubous. Ils seraient doux, bienveillants et très
honnêtes, mais également braves et intrépides. Aucun des
puissants habitants de la forêt ne leur ferait peur, et pas un
Koeboe ne reculerait, armé de son seul javelot, devant l'atta-
que, par surprise, d'un tigre. Le meurtre et le vol leur seraient
inconnus ; l'adultère^ par contre, serait assez fréquent, sans
cependant donner lieu, comme cela arrive malheureusement
trop souvent parmi la population de l'archipel indien en
général, à des actes de sanglante vengeance.
L'anthropophagie n'existe pas chez eux, et ils ne l'ont
jamais pratiquée. Sous ce rapport, ces tribus, placées pour-
tant si bas sur l'échelle de la civilisation, se distinguent avan-
tageusement des Battas, relalivemenl beaucoup plus civilisés
qu'eux. Ceux-ci, en effet, cultivent la terre ; ils obéissent à
des lois très sensées et à une sorte d'administration commu-
nale ; ils habitent des maisons bien construites, groupées en
villages plus ou moins étendus ; ils possèdent une écriture
propre et même une sorte de littérature. Néanmoins, ils sont
anthropophages ; mais ceci ne doit pas nous étonner, quand
nous nous rapellerons que les Aztèques, ce peuple si haute-
ment développé, l'étaient également. Il faut dire, à leur
honneur, que cette coutume disparaît de plus en plus et que,
chez les Battas du moins, elle disparaîtra entièrement dans
un avenir qui n*est pas indéterminé.
Les habitations des Koeboes, aussi bien de ceux qui vivent
dans les doessoens que de ceux qui vagabondent dans les
forêts, sont des huttes de la plus simple construction, aussi
vite érigées que démolies. Les matériaux de construction sp
30 SBANGB OU ai JAMYIBR 4891.
trouvent à foison partout, puisque les parois et le toit sont
faits d'écorce d'arbre. Tout aussi simples sont les ustensiles:
quelques poleries, une paire d'écuelles pour conserver les
aliments et les provisions de miel, et parfois, comme article
de luxe, quelques nattes grossièrement tressées en guise de
lit ; voilà tout rameubiement de l'habitation du Doessoea*
Koeboe, même le plus riche.
Leurs vêtements sont des plus primitifs. Chez les nomades,
un pagne en écorce molle d'arbre, plus long chez la femme,
le reste du corps n'étant pas couvert. Chez les sédentaires,
par contre, Técorce d'arbre a été remplacée par de la coton-
nade grossière troquée auprès des marchanda de Palembang.
On constate aussi que le costume des populations avoisinantes
est de plus en plus accepté par eux. Ces Doessoens-Koeboes
se nourrissent, en dehors du produit de la chasse et de
la pêche, également de riz, ce que ne font pas encore les
Koeboes nomades. Excepté la viande d'éléphant et celle
de Tours {Ursus malatanus), qu'ils considèrent comme mai-
saine, ils ne dédaignent la viande d'aucun animal vivant :
singe, cerf, tigre, serpent et crocodile, qulls savent prendre
au piège très adroitement. Le sanglier est un de leurs plats
favoris.
Les mariages se concluent sans beaucoup de cérémonie.
Lorsque l'adolescent a atteint l'âge de la puberté, il fait
choix d'une jeune fille avec laquelle il vit maritalement et
en cachette pendant un certain temps. Si l'élue de son cœur
continue à lui plaire, il va prier sa future belle-mère de la
lui accorder en mariage. La belle-mère rassemble alors tous
ses parents, le père du jeune homme, les siens, et quand
tous se trouvent réunis, la belle-mère déclare que le jeune
homme un tel va se marier avec sa fille. Ensuite le père du
fiancé, ou un des parents de la mariée, frappe quelques
coups retentissants contre un morceau de bois creux, et le
mariage est conclu.
Gomme je l'ai déjà dit, l'adultère et la séduction de femmes
mariées ne sont pas rares chez les Koeboes, sédentaires et
ZBLLE. — LK8 ORANOS-KOUBOUS. 31
nomades. (Ihez ces derniers, il existe une sorte de dnel qu'en-
gagent, pour la possession de la belle, le mari offensé et le
séducleur. A cet effet, tous deux se rendent à Tune des petites
rivières voisines, où Teau ne leur va que jusqu*à la poitrine,
et, en luttant, essayent de se renverser et de se noyer l'un
l'antre. Hélène devient le prix du vainqueur.
Ordinairement cependant, le séducteur étant déjà en pos*
session de femme, le mari lésé rentre en possession de son
bien peu avarié, sans qu*il lui faille le reconquérir dans un
duel. Chez les Doessoens-Koeboes, les contestations pour
femmes trouvent une solution paciflque, par Tentremise des
anciens du village ou passlras, moyennant une rémunération.
Si la femme déclare, devant le passira, qu'elle n'a pas accordé
à son séducteur la faveur suprême, elle doit retourner auprès
de son mari, qui reçoit de son rival des dommages-intérêts
de la valeur d'environ iO florins en objets de troc. Si, au con-
traire^ la femme avoue son infidélité consommée, le mari
reçoit du séducteur des valeurs pour une somme quatre fois
plus forte et la femme demeure avec celui-ci.
Le mariage est prohibé entre frères et sœurs seulement ;
aucun autre degré de parenté n'est considéré comme un
obstacle.
L'éducation des enfants est à peu près nulle. Filles et gar-
çons, dès qu'ils peuvent courir, accompagnent leurs parents
dans la forêt et les aident, au degré de leur force, dans leurs
occupations de chasseurs et de pécheurs.
Leurs armes consistent en lances et javelots dont ils se
servent avec une grande habileté, capables de tuer un iigre
d'un seul jet de javelot. Ils prennent les crocodiles au moyen
de lignes munies d hameçons et d'une façon particulière de
harpons.
La croyance à un être supérieur, si tant est qu'on peut en
parler, est extrêmement confuse. Ils n'ont qu'une idée vague
d une existence après la mort. Toutes les tentatives faites,
par de zélés musulmans, pour introduire l'islam parmi eux,
sont restées sans succès. Ils croient seulement que Tâme de
3â , SÉANCE DU 22 JANVIER 1891.
leurs parents décédés voltige, à Tétat d*esprit, au-dessus de
l'endroit où reposent leurs restes corporels.
Le morty revêtu de son vêtement et de ses armes, est ex-
posé dans la forêt, où les agents naturels, les insectes et les
grands fauves se chargent d'une besogne hygiénique. Les
termites surtout accomplissent là une œuvre très utile. Le
corps est couché sur une natte, soutenue à une certaine hau-
teur par des pieux. Ils placent, à côté du cadavre, Técuelle
qui lui avait servi pour préparer sa nourriture, ainsi que le
tuyau de bambou dans lequel il avait l'habitude de boire.
Les indigènes de fîle de Nias exposent leurs cadavres de la
même façon, mais dans des arbres très élevés.
Lorsque le Koeboe est à Tagonie, tous ceux qui entourent
sa couchette épient attentivement Tinstant où il va rendre le
dernier soupir, pour surprendre dans son corps un bruit
faible et sifflant. Lorsqu'ils ont entendu ce bruit, ou plutôt
croient Tavoir entendu, ils sont sûrs que le défunt est devenu
un esprit. Quant à ceux qui n'ont pas accusé, en mourant,
ce signe de transfiguration, ils sont simplement morts. Or, le
fait de passer à Tétat d'esprit est aussi peu la récompense
d'une vie sage que le contraire est la punition d'une vie mau*
vaise.
Les Koeboes jouissent, en général^ d'une bonne santé et
atteignent un âge avancé. Ils sont profondément convaincus
de perdre cet avantage s'ils se mélangeaient ou se métissaient
davantage avec le reste de la population, et cette conviclion
est une des causes principales de leur ségrégalion. Ils croient
fermement que chaque contact avec des individus qui ne
sont pas de leurs tribus, leur amènera des maladies. Les épi-
démies sont très rares parmi eux ; ils ont eu la variole une
ou deux fois dans l'espace d'un siècle, et celte maladie leur
inspire une crainte et une répulsion indescriptibles.
Quand la variole a fait son apparition chez eux, toute la
tribu quitte immédiatement sa résidence pour ne construire
de nouvelles huttesqu'à une grande distance de cet endroit,
et sans se préoccuper, en quoi que ce soit, du sort des ma*
ZBLLE. — LES ORANQS-KOUBOUS. 33
lades qu'ils abandonnent. Le procédé n'est pas humain,
mais il est certainement le meilleur, dans les circonstances,
poar éviter toute propagation par contagion.
Ils considèrent toutes les maladies comme dues à Tinfluence
de mauvais esprits et^ pour combattre celles qui ne sont pas
contagieuses, ils s'adressent au pouvoir de certains individus
dont la réputation comme guérisseurs et possesseurs de con-
naissances supérieures est établie. Ces privilégiés se cachent
la tète, se soumettent, avec le malade, à des fumigations de
benjoin en invoquant les bons esprits jusqu'à ce qu'ils tom-
bent par terre, étourdis et épuisés. Ils disent recevoir^ dans
cet état, des révélations sur le siège de la maladie et la meil-
leure façon de les guérir par des frictions, le massage ou
d'autres traitements, qui consistent à lécher de la langue la
partie malade, ou à Tenduire de salive, etc.
Je n'ai pas pu avoir des renseignements détaillés sur la
langue des Koeboes*. Les tribus nomades seules la parleraient
pure et sans mélange, tandis que les Koeboes sédentaires y
auraient introduit déjà beaucoup de mots malais. Il serait
intéressant, dans tous les cas, de savoir le rapport qui existe
entre Tidiome des Koeboes et les anciens dialectes conservés
à Sumatra, notamment celui des Battas.
On a émis différentes opinions au sujet de Forigine des
Koeboes. D'après les uns^ ils seraient les derniers survivants
de Tancienne race autochthone de Sumatra ; ils auraient
gardé les caractères primitifs de cette race pour être restés à
Tabri de toute influence des éléments de voisinage et étran-
gers successifs, d*abord indiens, ensuite musulmans, enQn
européens. D'autres, au contraire, admettent que les Koe-
boes ne se seraient ségrégés qu*à Tépoque de Timmigration
javanaise de Demak à Palembang, lorsque, en 1544, Oeding
Soero jeta les bases du royaume des sultans. Une partie de
la population du nouveau royaume se serait alors séparée
volontairement ou forcément des autres et, après s*être retirée
dans les forêts, serait de plus en plus retournée à l'état sau-
vage pour arriver finalement à leur degré de barbarie actuelle.
T. II (4* série). 3
34 SÉANGB DU 2i JAAflBR i89ti
La première hypothèse doit, à mon avis, prévaloiré L'an-*
thropophagie^ en effet, que les Battas, quoique n*6tant pas
une peuplade absolument inculte, pratiquent encore aujour-
d'hui et qui, probablement^ a été pratiquée sur une plus
grande échelle encore à Sumatra, jusque vers 800 de notre
ère — quoique la population de celte Ue eût déjà subi très
anciennement rinfluence de la culture indienne -^ Tanthro-
pophagie, dis-je, n'ayant jamais existé chez les Koeboes, il
ne s'ensuit pas que les Battas soient nécessairement une
peuplade plus ancienne et plus primitive. Le oannibalismei
en effet, n'est ni une coutume propre à toutes les tribus ran-
gées sur le plus bas échelon de la civilisation^ ni le critérium
du minimum de civilisation. En d'autres termes, le peuple le
moins civilisé n'est pas forcément un peuple de cannibales.
L'anthropologie nous montre plus d'une peuplade n'ayant
appris à Consommer de la chair humaine qu'après avoir
atteint un degré intermédiaire de culture. Tels étaient, nous
l'avons dit, les Aztèques, tels sont encore les habitants dé Id
Nouvelle-Zélande et, comme il est probable^ également les
Battas.
Discnsiion.
M. Bbaureqard rappelle qu'il y a deux ans, dans une com-
munication sur les populations de la Malaisie^ il a fourni des
renseignements en tous points analogues.
M. Zabohowski. J'appelle l'attention sur les considérations
qui terminent la très intéressante communication de M. Ga-
pus. L'auteur, dont il nous a rapporté les observations,
s'étonne presque, en un passage, que les Roubous, quoique
inférieurs en civilisation, ne soient pas cannibales. Bt il in-
siste sur ce fait que les Battas le sont, quoique bien supé-
rieurs. Eh bien, il me paraît certain que l'anthropophagie
ii'fest pas primitive. Elle se montre, à un certain degré d'or-
ganisation sociale, consécutivement peut-être au développe-
ment des inégalités qui petmettetit à de certains hommes de
considérer d'autres hommes comme un simple gibier. Je suis
DISCUSSION SUn LA NATALITÉ BN FRANGE. SS
heorenx d*eii aToir une constatation nouTelle de la part d'un
obserTatear n'ayant^ à ce sujet, aucune opinion théorique.
D'autres constatations du même genre ne seraient d'ailleurs
pas superflues.
M. H07ELACQUB regrette qu'à côté de renseignements ethno-
graphiques fort intéressants^ l'auteur de la communication
n'ait donné rien de préois au sujet du type. On pourrait lui
demander de combler cette lacune^ On sait que la plus an*
cienne population de l'Indonésie est fort dififérente des In-
donésiens (Battaks et autres) qui l'ont refoulée Ters le centre.
Ce sont surtout ces anciennes peuplades qu'il importe de
bien connaître. Or les informations qui nous sont adressées
sont à pen près muettes sur la description physique ; il est
souhaitable qu'on les complète.
M. Zaborowski. J'ai foi*t bien remarqué au passage, dans
la communication de M. Gapus, l'assertion que les Koubous
ont la même taille que les populations environnantes. Je ne
peux pas formellement mettre en doute cette assertion.
Cependant il est possible qu'on la verrait démentie^ si au lieu
de se borner à des observations faites à vue de nez, grosso
modoy on procédait à des mensurations exactes. Les Koubous
peuvent avoir une taille sensiblement inférieure, notamment
pour les motifs que vient de rappeler M. Hovelacqne, et en-
core en raison de l'influence très longue et très ancienne de
conditions particulières de mœurs et d'habitat.
M. Lagneau propose d'envoyer non seulement le question-
naire de la Société, mais aussi les instructions de Broca. En
tout cas, on enverra le questionnaire.
Suite de la dlseoMlon sur le faible accroissemeat
de la popnlatloa en Franee.
M. EscHSifAUBH. Dès avant 1870, une commission de sa-
vants, parmi lesquels figuraient plusieurs membres de l'Aca-
démie de médecine, fut chargée par le gouvernement de
dresser la statistique des mouvements de hausse et de baisse,
de progrès . d'arrêt ou de recul de la population française
36 SÉANCE DU 22 JANVIER 1891.
comparativement aux fluctuations de même nature qui se
produisent dans la population respective de tous les États
européens.
Ce travail monumental fut terminé et publié à Strasbourg
dans le courant de «Tannée terrible», il y fallut une kyrielle
de volumes. Dans le tome XVllP se trouve le petit tableau
que je vais en détacher, et où sont résumées, en chiffres
d'une éloquence frappante, les rigoureuses déductions de ce
corps de savants spécialistes.
Le voici tel quel :
Accroissement Période
Pays. anaael. do doablement.
«/Russie 1,39 50 ans.
I I Suède 1,38 55 ans et demi.
^ l Norvège 1,3Î 53 —
-S \ Ecosse 1,31 53 -
^ < Angleterre 1»*6 55 —
« 1 Prusse 1,25 55 —
•S f Saxe 1,05 55 -
5, Pays-Bas 1,05 66 —
p! \ Danemark 1,05 66 —
aï / Belgique 0,88 76 —
I l Italie 0,83 83 -
^ J Bavière 0,70 99 —
'^ j Espagne 0,67 104 —
•5 f Autriciie 0,65 110 —
^ \ France 0,38 190 —
M. Hehvé pense qu'il y a beaucoup d'exagération dans les
affirmations du chanoine Rocca.
Parmi les pays de forte natalité (environ 450 naissances
sur \ 000 femmes de quinze à cinquante ans), il y a, à côté
de pays protestants, des pays slaves et catholiques. Inver-
sement, parmi les pays de faible natalité, on trouve les
États-Unis protestants; ceux-ci, en somme, ne se mainte-
nant et n'augmentant que par Timmigration. Là, pas plus
qu'en France, le facteur religieux n'intervient par consé-
quent.
M. Fauvelle dit que l'enseignement traditionnel de l'Eglise
est de prêcher la non- restriction. Aujourd'hui, il en est encore
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 37
ainsi en principe, mais, dans la pratique, le clergé trouve des
accommodements .
M. Hervé lit des passages du Compendittm de théologie mo-
rale du père Gury, d'où il résulte très nettement que le prin-
cipe d'avoir le plus d'enfants possible, de ne rien faire pour
l'éviter est absolu, mais que, dans la pratique, il peut y avoir
des tolérances pour la restriction voulue.
M. Zaborowski. m. Hervé a dit à peu près tout ce que
j'avais à dire. Une première objection s'élève évidemment
tout de suite contre la thèse de M. Rocca, présentée par
M. Ëschenauer. Il est de notoriété que ce sont, en effet, les
populations les plus catholiques de la France qui sont restées
les plus fécondes; ce sont les populations bretonnes. Et ce
qui arrive en France arrive aussi en Europe ; c'est parmi les
populations les plus catholiques de l'Europe que se trouvent
être les populations les plus fécondes. Je fais allusion à des
populations slaves, aux provinces polonaises. Je n'ai pas ift'é-
sents à l'esprit les chiffres qui les concernent, et je n'ai
pas vu ceux de ces dernières années. Mais les statistiques
d'il y a dix à quinze ans accusent chez elles une fécondité
extraordinaire. Ce résultat n'est pas dû à la religion et n'est
avec celle-ci que dans un rapport presque accidentel. La
religion n'est qu'un élément dans un ensemble de conditions
sociales complexes ou apparaît notamment l'absence de dé-
sir ou de moyens de s'élever au-dessus d'une existence
très simple. La religion n*a plus d'ailleurs qu'une valeur so-
ciale bien épuisée, notamment en France, où l'on n'est pas
religieux, et où Ton serait plutôt clérical. Les prêtres catho-
liques peuvent y âtre d'un mauvais exemple. Mais ils ne
visent eux-mêmes qu'à assurer leur recrutement; en dehors
de là, ils ne montrent pas une si grande ardeur de propa-
gande en faveur du célibat. On les a vus, pendant une pé-
riode du moyen âge, pousser à la fécondité des ménages
d'ane manière presque cynique, uniquement parce que les
seigneurs se plaignaient de ne pas avoir assez de serfs. Ils
referaient aujourd'hui la même chose (mais, d'ailleurs, sans
38 SÉANCE DU 23 JANTIBR 1801.
résultat appréciable), en faveur d'un gouvernement à leur
convenance qui se plaindrait de manquer de soldats.
fin réalité, il n'y a sans doute pas à faire fond sur des pré-
dications de ce genre, ni sur toute considération plas ou
moins générale pour modifier la situation actuelle. Gelle-oi
tient à une foule de conditions sociales profondes qui sollici-
tent les gens d'une manière autrement pressante que toutes les
objurgations imaginables. Un de nos collègues, M. Arsène
Dumont, a communiqué à la Société les résultats d*une en-
quête qu'il a entreprise sur différents points bien circonscrits
de la France, où la natalité est très différente. Il nous a
fourni ainsi des pièces d'une valeur documentaire incontes-
table. Eh bien, que résulte-t-il de ces pièces? Que résulte-t-il
notamment de son enquête sur l'un des cantons du Finis-
tère ? C'est que les populations restent fécondes tant qu'elles
ne cherchent pas à s'élever en dehors ou au-dessus de leurs
conditions actuelles d'existence, ces conditions étant très stm-
ples sans être misérables. Ce résultat est d'ailleurs confirmé
par toutes les données générales recueillies depuis longtemps
en France et ailleurs. Le père d'un de nos collègues, M. Ber-
tillon, ^vait déjà établi, il y a bien longtemps^ que les pro-
vinces les moins fécondes étaient celles où le paysan plus
aisé cherchait à s'élever davantage. Tout le monde sait bien
d'ailleurs que, dans nos villes, c'est dans les quartiers les
plus pauvres qu'il y a le plus d'enfants. Pour poser franche-
ment la question, il faudrait donc se demander si Ton doit
chercher quelque moyen détourné de maintenir la population
dans la pauvreté et l'ignorance ; il faudrait se demander si
nous ne devons pas détruire ce que nous venons de faire, et,
par exemple, les lois d'obligation scolaire, qu'un de nos col*
lègues les plus compétents, M. Féré, estime devoir épui-
ser les réserves de la race. Il faudrait se demander même si
nous ne devons pas tout répudier de ce qui a été fait depuis
la Révolution. Mais, en réalité, il ne serait au pouvoir de per-
sonne de procéder à un semblable recul, h une semblable
destruction (à supposer que celle-si soit possible), saas 0091-
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ BN FRANCE. 89
promettre rexistenoe même de la société qu'on voudrait
sauver. Il me paraît donc bien préférable de faire appel à des
modifications politiques profondes encore mal déterminées, à
des couches sociales, à des partis nouveaux^ moins adonnés
au culte de Targent, moins attachés à nn idéal de bien-être
et de luxe stérilisant.
M. G. Lagneau. Je savais que la population des États-Unis
s'accroissait surtout par immigration. Mais la remarque de
M. Hervé, relative à la faible natalité de plusieurs des États-
Unis de TEst, est intéressante.
A propos de cette discussion sur le faible accroissement de
notre population, ainsi que M. Eschenauer, ainsi que le cha«
Doine que cite notre collègue, plusieurs personnes m'ont paru
attribuer une grande influence à la religion, soit qu'elle
accrût la natalité en prescrivant aux mariés de croître et de
multiplier, soit qu'elle restreignît la natalité en imposant le
célibat aux membres du clergé.
Alors que, de < 877 à 4886, la fécondité des femmes mariées
de moins de quarante-cinq ans est en moyenne, en France,
de 19,4 naissances légitimes sur 400 femmes; elle s*élève
à 31, à 31,5, à 3â, et à 33,9 sur 400 dans Hlle et- Vilaine,
le Morbihan, les Côtes-du-Nord et le Finistère. M. Hervé
attribue cette haute natalité de nos Bretons à leurs fortes
croyances religieuses. Mais les habitants de notre Normandie
et du bassin de la Garonne, au sud-ouest, avec leurs pèleri-
nages de Notre-Dame de la Délivrande et de Notre-Dame de
Lourdes, sont-ils moins religieux que nos Bretons avec leur
pèlerinage de Notre-Dame d*Auray?La natalité légitime n'est
que de 13, 44,2 et 15,8 dans les départements de l'Eure,
de rOrne, du Calvados; de li, de lâ,3 et 4â,8 dans ceux
du Lot-et-Garonne, du Gers et du Tam-et-Qaronne ^
Quant à la restriction apportée à Taccroissement de la
population par le célibat religieux, elle semble incontestable.
D'après le recensement de 1886, la religion paraît soustraire
t statistique générale dt ia France ; Album de $tatistiqu9 graphique ,
pi. XXVIII, oirte 74.
40 SÉANCE DU 22 JANVIER 1894.
à la procréation légitime : 127 143 habitants, dont 44 072 com-
posant le clergé séculier et 83071 composant le clergé régu-
lier, comprenant 19 086 hommes et 63985 femmes ^.
Malgré Tabsence de statistique permettant d'évaluer le
nombre des hommes et des femmes voués à la vie monas-
tique avant la Révolution, d'après le nombre des couvents et
des congrégations^ dont on a conservé le souvenir^ il semble
qu'anciennement le clergé régulier était encore beaucoup
plus nombreux qu'actuellement. Aussi, la restriction apportée
à la natalité par ce grand nombre d'individus voués au céli-
bat religieux devait plus ou moins annuler ou compenser
Taccroissement de la natalité légitime, qu'on prétend avoir
jadis été favorisée par la loi successorale du droit d'aînesse.
Sous le rapport démographique, le catholicisme des pre-
miers siècles était préférable au catholicisme actuel, car il
n'exigeait pas alors le célibat religieux. Au cinquième siècle,
Sidoine Apollinaire, évéque d'Augustonemetum, actuelle-
ment Glermont-Ferrand, était l'époux de Papianilla, fille de
l'empereur Avitus, et le père de trois enfants : un fils, Apol-
linaire, et deux filles, Roscia et Severiana '.
M.EscHENAUER affirme de nouveau qu'il n'a pas voulu porter
la question sur le terrain religieux. Le point qu'il a soulevé
n'est qu'une des faces de cette si complexe question, qui mé-
rite d'être étudiée. Ce point particulier, d'ailleurs, doit être
examiné au point de vue matériel : d'abord diminution de la
procréation par l'abstention de certains sujets; en second
lieu, point de vue moral, sorte de dépréciation jetée sur
Texercice des fonctions génésiques, la préexcellence étant à
"" ceux qui ne les exercent pas.
M. Fauvelle. La tournure prise par la discussion ne dé-
coulé nullement de ma communication. Ce n'est pas l'influence
religieuse directe qui agit en l'espèce, mais le discrédit que
* Statistique de la France ; Résultats statistiques du dénombrement de i^HB^
p. 266, 269.
* Sidoine Apollinaire, Notice biographique, au commencement du texte
et de la traduction dç Grégoire et GoUombet, t. I, p. ix-zxx«
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ BN FRANCS. 41
renseignement catholique jette sur Tacte génésiqae qu'on
apprend aux jeunes gens à abhorrer. Il leur en reste quelque
chose plus tard. La loi également poursuit avec la même
rigueur les couples surpris en flagrant délit, qu'il s'agisse
de couples illégitimes on de sujets très légitimement mariés.
C'est donc la même idée qui a inspiré le législateur. Je n'ai
pas dit autre chose; M. Eschenauer m'a bien compris.
M. Hervé dit que renseignement catholique est encore très
puissant en Bretagne. Or, c'est en Bretagne qu'il y a le plus
de vieux garçons et surtout de vieilles filles. Le célibat est
doDC saint; mais^ si l'on se marie, il faut avoir beaucoup
d'enfants ; aussi les populations bretonnes présentent- elles
une natalité fort élevée.
Quant à Tinfluence du Code civil, Tinvoquera-t^on aussi
pour les États-Unis de l'Est, qui ont une natalité de âl à
iA pour A 000 ? Ce n'est donc pas la nécessité du partage de
la fortune qui arrête les parents. En pratiquant la restriction,
ils entendent se réserver à eux-mêmes, au moins autant qu'à
leurs enfants, une plus grande somme de bien-être.
M. Lagneau croit aussi que l'influence de la loi est faible.
M. Letoorneau dit que les célibataires bretons sont sur-
tout des femmes; et elles gardent le célibat seulement parce
qu'on ne les demande pas en mariage, car les hommes émi-
grent en grand nombre. Les nombreuses congrégations de
filles sont donc l'efl'et et non la cause du célibat. Les céliba-
taires hommes sont, au contraire, rares; il est presque
honteux, pour un homme, de n'être pas marié.
M. Lagneau. M. Letourneau paraît attribuer le mariage
tardif et le célibat de beaucoup de filles de notre Bretagne à
l'éloignement des jeunes gens voyageant au loin sur les mers,
dans les colonies.
L'émigration unisexuée, ou du moins très diff'érente de l'un
et de l'autre sexe, m'a également paru une des causes de la
restriction apportée au mariage, et, par suite, à la natalité
légitime dans d'autres régions. Dans le département de la
Creuse, d'où, chaque année, suivant M. le docteur Yillard, de
49 SÉAVCB DU 3â IAKVIBR 1881.
6uér0t, én^igrent 36000 ouvriers, dont 33 000 homnaes et
4 000 femmes S je fus étonné de voir que, en 1885, les gar?
çons y demeurant s*y mariaient dans la proportion de lt,ll
sur 100, alors que les filles ne s'y mariaient que dans la pro-
portion de 5, 03 sur 100'. Dans ce département, par suite de
rémigratioQ de la plupart des garçons, les filles ont donc
deux fois moins de chances de s'y marier que les peu nom-
breux garçons qui y restent.
niombre des enfants par famille
élnilié par arrondissement* canton et commnve
diifis le |liOt-et-Garonne ;
PAR H. CRBRVIN.
AVANT-PROPOS.
J'ai eu l'honneur d'appeler l'attention de la Société sur la
proportion du nombre des enfants par famille, dans les diffé-
rents départements français*.
J'ai montré que les départements où les familles sont les
moins nombreuses forment un groupe très accusé au sud-
ouest de la France. Le département du Lot-et-Garonne est,
en quelque sorte, le noyau de ce groupe. A ce titre, il présente
un intérêt tout particulier, d'autant plus que c*est un dépar-
tement riche, fertile, salubre et par conséquent dans les
meilleures conditions pour élever de nombreux enfants. Le
fameux aphorisme : « Là où naît un pain, naît un homme, »
paraît donc être, une fçis encore, en défaut.
«Le déparlement du Lot-et-Garonne, dit M. Elisée Reclus*,
ainsi nommé des deux rivières qui viennent s'y réunir dans
la plaine la plus féconde de la France, se divise en régions
t Villard (de Guérel), Émigration des ouvriers creusois {Annales de dt%to-
graphie internat ionale, t. V, p. 389, 1881).
s Album de slalistique graphiquef pi. XVIII, cartes 42 et 43.
' Voir les procès-verbaux de la séance du 15 novembre 1888, p. 540 et
suivanieg.
^ Géa^rêphiê mh9r$$U$; la Fnm^i t. II, p. 157.
CHERTIN. — NATALITÉ BAV8 LE LOT-ET-GARONNE. 43
natnrelles parfaitement distinctes par l'aspect et la compo-
sition du sol. Au sud, les chaînes de collines du pays de
Lomagne viennent se terminer par de brusques escarpements
dans la plaine delà Garonne ; au sud-ouest, s'étend la surface
unie des landes boisées, appartenant jadis au Bazadais,
tandis qu'an nord des admirables campagnes que parcourt
le fleuve, tout TAgenais est occupé par des coteaux d'origine
tertiaire entre lesquels le Lot, îe Dropt et de nombreux
ruisseaux ont découpé de tortueuses vallées. Pris dans son
ensemble, le département est fort riche, très productif en
denrées agricoles de toute espèce; il possède une race bovine
des plus estimées ; quelques industries y prospèrent. La
misère est inconnue dans la contrée. »
Ajoutons pour donner une idée de sa fertilité au point de
vue de notre principale céréale, le froment, que le Lot-et-
Garonne, d'après Tenquôte agricole de 1882, est le dépar-
tement qui produit, proportionnellement à la superficie des
terres labourables, la récolte maximum de toute la France,
soit 712 hectolitres de froment pour 100 hectares de terres
labourables. H est le deuxième sur la liste, si l'on compare le
produit au chifiFre total de la population, soit 660 hectolitres
pour 100 habitants de tout âge.
Le département du Lot-et-Garonne est donc dans des condi-
tions de prospérité exceptionnelles ; il m'a donc paru mériter
on examen démographique aussi complet que possible,
permettant de rechercher les causes de sa pauvreté particu-
lière en enfants.
Je viens vous apporter le résultat d'une étude qui embrasse
les 326 communes du département du Lot-et-Garonne.
NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
Je rappellerai dans quelle situation démographique se
trouve ce département. Il présente une moyenne générale
de 16,1 enfants pour 100 familles. Cette moyenne se décom-
pose ainsi :
Nombre
d'enfanU
par
famille.
Lot-
et-
Garonne
Moyenne
delà
France
. entière.
0 enfant.
21,8
20,0
i —
34,3
24,4
î —
îiO,t
21,8
3 —
14,4
14,5
4 —
5,5
9,0
5 —
2,3
5,2
6 —
0,9
2,9
7 —
0,6
2,î
44 SÉANCE DU 22 JANVIER i89l.
DépartemenU à moyenne
Minimum. Maximum.
Hérault 10,5 Orne 38,6
Finistère 14,4 Gère 18,0
Alpes- Maritimes. 14,6 Lot 34,2
Gard 8,1 Landes 23,8
Lot 3,8 H au te- Garonne. 14,8
Orne 2,2 Deux-Sèvres.... 12,0
Hérault 0,4 Isère 8,0
Hérault 0,1 Côtes-du-Nord. . 6,5
Il résulte de ce tableau que la caractéristique de Lot-et-
Garonne est de posséder un très grand nombre de familles
ayant un seul enfant, un tiers environ. Les familles sans
enfants ou celles qui en ont deux ou trois se rapprochent de
la moyenne générale de la France. Par contre les familles de
plus de quatre enfants sont extrêmementrares et leur propor-
tion bien au-dessous de la moyenne générale de la France.
Voyons maintenant comment se comportent :
!• Les quatre arrondissements ;
2o Les trente-quatre cantons ;
3» Les trois cent vingt-six communes.
Cet examen fait, nous essayerons d'en dégager des conclu-
sions basées sur cette étude statistique méthodique.
I
ÉTUDE PAR ARRONDISSEMENT.
Le département du Lot-et-Garonne est divisé en quatre
arrondissements qui se présentent à nous^ au point de vue
démographique, dans les conditions suivantes :
ArrondiiaemenU
Agen.
Marmande.
Nérac.
VilleneuTe.
Familles
sans enfant
247
197
203
225
—
ayant 1
enfant. . .
380
326
314
350
— >
i
^^ •• •
191
218
233
171
—
— 3
^■^ • • .
118
144
161
153
—
— 4
■~~' •"• .
40
72
58
54
—
— 6
*^** • . •
14
27
20
28
—
— 6
^^ • . •
4
10
10
11
—
— 7
—^ • . •
3
6
5
7
1000 1000 1000 1000
CHERVni. — NATAUTÉ DAMS LE LOT-BT-GARONNE. 45
On Toii que rarrondissement d'Agen se comporte tout
différemment des trois autres. Les familles sans enfant ou
n'en ayant qu*uny sont beaucoup plus nombreuses qu'ailleurs;
elles constituent presque les deux tiers des ménages. Par
contre, les familles de deux enfants et au-dessus y sont
moins nombreuses. Les autres arrondissements, et surtout
ceux de Marmande et de Nérac, sont dans des conditions plus
satisfaisantes. L^arrondissement de Nérac est le plus favorisé
jusques et y compris les familles de trois enfants. Pour les
familles de quatre enfants et au-dessus, l'arrondissement de
Marmande présente les moyennes les plus élevées.
Au surplus, le tableau ci-après> qui donne le nombre
moyen d'enfants par famille, nous permet de classer d'une
manière exacte la valeur démographique de chaque arron-
dissement.
Sur 1 000 familles, combitn d'enfants m moyenne?
ArroodiBsement d'Agen 1 401
— de Vi II eneave 1 626
— de Nérac 1671
— de Marmaode 1726
L'étude des cantons et des communes nous donnera la clef
de cette différence ; mais, dès maintenant, il nous est permis
d'afBrmer que le nombre des enfants dans les différents
arrondissements du Lot-et-Garonne est en raison directe de
la richesse de ces arrondissements.
Comme le dit M. Elisée Reclus, l'aisance est générale dans
le département. Toutefois il y a des degrés dans l'aisance et
on peut dire que les arrondissements d'Agen et de Villeneuve
jouissent, entre tous, d'une prospérité exceptionnelle.
Enfîn nous signalerons en passant une petite nuance qui a
peut-être son importance. Les arrondissements de Nérac et
de Marmande fournissent une proportion de protestants qui
ne se rencontre pas dans les deux autres.
Sans vouloir faire jouer à la religion un rôle aussi impor-
tant dans la question que celui que lui attribuent certains
démographes, c'est, à n'en pas douter, un facteur qu'il ne
48 SÉANCE m 82 lANTIBR 1891.
faut pas complètement négliger, sortout lorsqu'il s'agit de
minorité.
La pénurie dans le nombre des enfants a un retentissement
très marqué sur Taocroissement de la population générale da
département;
Si Ton compare ce qu^était la population en i9%\, lors du
premier dénombrement exécuté dans le Lot-et -Garonne areo
les mêmes dimensions territoriales qu'aujourd*huiS on s'aper-
çoit que, sauf Tarrondissement de Nérao, tous les arrondisse-
ments ont été continuellement en diminuant, à ce point qu*iU
sont moins peuplés aujourd'hui qu'en 48)1, ainsi qu'en
témoigne le tableau suivant :
Agen i...i...i
MarmaDde
Nérac
Villerieure
1821.
1886.
80214
76)70
99240
89407
57878
57 969
98789
83891
830181
307 437
II
ÉTUDE PAR CANTON.
Les différences que nous venons de trouver dans la compo-
sition des familles des quatre arrondissements du Lot-et-
Garonne, nous allons encore la retrouver dans les cantons,
et pour toutes les catégories. Nous les signalerons au passage
en en faisant ressortir les causes toutes les fois que ce sera
possible.
Voyons donc quelle est la richesse en enfants des différents
cantons.
* En 1807, les cantons de Qasteljaloux et de Damazan ont été distraits
de l'arrondissement de Marmande «t réunis à celui de Néfae. L'arrondis-
sement de Moissac et une partie de Tarrondisseroent de Marmande ont
été détachés du déparlement de Lot-et-Garonne, en 1808, pour faire partie
du département de Tarn-et-Garonne.
CHBATIN. -^ NATALITÉ DAHS LB IOT-BT-GARONNE. 47
f AHILLES SANS eIIFANT.
Sur iOQ famUUs, combien sont sans snfantf
PREMIER GROUPE. DEUXIÈME GROUPE. TROISIÈME GROUPE.
12,8 — 18,6 18,7—24,4 24,5 — 30,2
Villeneuve 12,8 La Plume 18,8 Puymirol Î4,6
Tonneius 12,9 Bouglon 19,0 Mézin 24,8
Nérac 15,0 Houeillès 19,2 Castillonnès 25,2
Marmaude. ..... 15,3 Àstaffort 20,0 La Hoque 25,5
Damazan 15,9 Port &»«-Marie. . 20,4 Lauzuo 26,0
Fumet 16,8 Ma8-d*AgeDai0* . 21,6 Castelmoroo. «.. 27,0
CancoD 17,2 Lavardao «. 22,0 Penne 28»4
Seychea. 17,8 Beauville 22,7 Casteijaloux. ... 29,8
Fraiicefloaa 18,2 Duras 23,1 Agen 80,2
Prayssas 23,3
Monclar 23,3
Monflanquin. ... 23,8 Sainte-Livrade. « 39,2
Meilhan. ....... 23.7
Tournon.l. 23,8
ViUeréal 23,8
Bien qu'il soit di£Qcile de tirer qaelque chose de précis de
cette rubrique : familles sans enfant qui comprend les mariés
de la veille, les ménages malheureux qui ont perdu tous
leurs enfants et les ménages inféconds, il est néanmoins
possible de faire quelques remarques curieuses.
Le canton où le montant des familles sans enfant est le
plus considérable est Sainte-Livrade, avec une proportion
de 39,2, celui où ces familles sont les moins nombreuses est
YUlenenve, avec 12^8. La différence entre les deux moyennes
extrêmes est du triple, et cependant, géographiquement, ces
deux cantons se touchent absolument. Ce même canton de
Villeneuve et son voisin, Cancon, paraissent du reste une
exception dans la région ; car ils sont entourés de toutes parts
de cantons ayant des moyennes beaucoup plus élevées que
la leur.
D une manière générale, il semble que les cantons les plus
populeux sont aussi ceux où les ménages sans enfant sont
les moins nombreux, et C'est incontestablement la partie est
48 SÉANCE DU 2â JANVIER 1891.
du département qui est la moins favorisée. C'est là que nous
rencontrons les deux groupes où les familles sans enfant sont
les plus nombreuses, à savoir: au nord-est Gastillonnès, Lau-
zun,Castelmoron etSainte-Livrade ; au sud-est. Penne, Laro-
que, Agen, Puymirol.
FAMILLES n'ayant QU'UN ENFANT.
Sur 100 familles, combien ont un seul enfant?
PRBMIBR GROUPE. DKUXIÈIIE GROUPE. TROISlàMB GROUPE.
«3,8 — 30,5 30,6 — 37,7 37,8 — W.O
Bouglon Î3,3 Cancon 33,0 Francescas 40,5
Nérac 25,3 Agen 32,0 Monclar «0,«
Fumel 26,1 Sainte-Livrade. . 32.2 Port-S»«-Marie.. 40,8
Marmande 26.2 Monflanquin 32,7 La Roque 4t. 1
Houeillès 26,6 Castillonnès 32.8 Puymirol 41,1
Casteijaloux 27,5 Lavardac 33,2 Beauville 41,4
TouDein» 29,0 Mézin 33,2 La Plume 42,5
Vilîeréal 33,2 Prayssas 43,8
Lauzun 33.8 Villeneuve 45,0
Meilhan 34,3
Penne 34,9
Tournon 35.0
Duras 35.5
Seycbes 36,3
Caslelmoron. ... 37,4
Mas-d'Agenais. . 37,4
Astaffort 37,5
Damazan 37,5
On sait que la moyenne du nombre des enfants, par fa-
mille, est de 16,1 pour 100 dans le Lot-et-Garonne. Aussi les
familles ayant un ou deux enfants constituent-elles la grande
majorité. La ligne de démarcation apparaît déjà très sensi-
blement pour la catégorie des familles n'ayant qu'un enfant.
Les cantons appartenant à la catégorie moyenne occupent
tout le nord du département et forment une bande trans-
versale qui va de l'ouest au sud et coupe en deux le groupe
des cantons ouest qui appartiennent en général à la première
catégorie. Les cantons à moyenne élevée forment un noyau
CHERVIN. — NATALITÉ DANS LE LOT-ET-GARONNE. 4D
central très compact et dont Ja majeure partie est dans
TÂgenaîs.
Il faat remarquer la différence considérable entre Nérac
et les cantons voisins de Francescaset delà Plume, qui ont une
moyenne plus élevée que lui de presque le double. La même
chose a lieu pour Tonneins et ses voisins, Port- Sainte-Marie
et Prayssas.
Je signalerai encore le canton de Fnmel, qui est à Tangle
nord-est du département et qui se comporte d'une manière
complètement différente des cantons limitrophes. On verra
par la suite que le canton de Fumel est toujours plus fécond
qu'eux.
FAMILLES AYANT DEUX ENFANTS.
Sur 100 familles f combien ont 2 enfants?
PREMIER GROUPE. DEUXIÈME GROUPE. TROISIÈME GROUPE.
14,6—18,2 18,3 — 21,8 21,9 — 25,0
Sainte-Livrade. . 14,6 Houeillès 18,5 Marmande 2!,0
Fumel 13,5 Duras 18,8 Port-Si«-Marie. . 22,2
Monclar 15,5 Beauville 19,0 Bouglon 2t,4
Penne 16,6 Casteljnloux 19,3 Lavardac 22,4
Castelmoron. ... 16,7 La Plume 19,6 Seyches 28,2
Villeréal 16,7 Mézin 19,9 La Roque f5,4
Tournon 17,1 Damazan 20,0 Tonneins 25,5
Villeneuve 17,1 Mas-d'Agenais. . 20,2
Laazun 17.8 Astaffort 20,3
Agen 18,0 Cancon 21,0 Nérac 31,9
Prayssas 18,0 Meilhan 21,4
CastillonDès 18,0 Francescas 21 ,5
Monflanquin. ... 18,0
Puvmirol 18,2
Rien de plus curieux que la répartition géographique
de cette catégorie de familles. Les cantons de l'est présentent
peu de familles ayant deux enfants, les unes parce que
c'est trop pour eux, les autres parce que ce n'est pas assez ;
les cantons de l'ouest appartiennent à la catégorie moyenne,
et une petite bande médiane appartient à la catégorie con-
tenant le plus de familles de deux enfants. Le fait est tel-
T. 11 (4* série). 4
50 SÉANCE DU 22 JANVIER 1891.
lement tranché, que^surles dix cantons de l'arrondissement
de Villeneuve, qui est situé à Test du département neuf (celai
de Gancon excepté) appartiennent à la première catégorie,
tandis que Tarrondissement de Nérac, qui est situé à Fouest,
n'en présente pas un seul appartenant à cette première caté-
gorie.
FAMILLES AYANT TROIS ENFANTS.
Sur 100 familles f combien onl 3 enfants?
PREMIER GROUPE. DBUXIÈMB GROUPE. TROISIÈlfB GROUPE.
9,1 — 18,1 13,4-17,1 17,2—21,1
La Roque 9,1 Âstaffort 13, ti TonDeins 18,2
Prayssas 9,2 Mézin 13,2 Houeillès 19,8
Sainte-Livrade . . 9,3 Seyohes 13,6 Nérac 20,0
Port-St'-Marie. . 10,3 Agen 13,7 Fumel 21,1
Puymirol 10,4 Lauxun 13,9
La Plume 11,1 Penne 13,9
Villeneuve 11,5 Bouglon 14,1
Beauville 11,6 Monclar 14,6 •
Meilhan 12,1 Casteljaloux 14,7
Castelmoron. ... 12,1 Damazan 16,0
Francescas 12,2 Lavardac 15,6
Ma8-d*Agenais. . 12,6 Marmande 15,8
Duras 13,1 Monflanquin 16,0
Tournon. • 16,1
Villeréal 16,3
Cancon 16,6
Castillonnès 16,7
La répartition géographique des moyennes est encore très
tranchée pour les familles de trois enfants. Tous les cantons
situés au nord appartiennent à la catégorie moyenne, à
l'exception de Duras, qui appartient à la première, et de
Fumel, qui appartient à la troisième. Les cantons du sud-
ouest appartiennent moitié à la deuxième, moitié à la troi-
sième catégorie. Ces deux portions extrêmes du département
sont séparées par une bande formée des cantons arrosés par le
Lot et la Garonne, qui, à l'exception de Tonneins, appar-
tiennent à la catégorie où les familles de trois enfants comp-
tent à peine pour un dixième dans le chiffre total.
CHBRVIN. — NATAUTÉ DANS LB LOT-BT-GARONNE. 51
FAMILLES AYANT QUATRE BUVANTS •
Sur 100 famUlêS, combkn ont h enfanté?
PBEMIEB GROUPE. DEUXIÈME GROUPE. TROISIÂIfE GROUPE.
i,6— 5,î 6,3 — 7,8 7,9-10,6
Saiote-Li?rade ... 2,6 Seyches 5,3 Houeillès 8,8
Moncltr 2,9 ABUffort 5,4 Tooneina 9,9
Prayssas 3,2 Lauzuo 5,5 Fumel 10,6
Penne 3,4 Villeréal 5,7
Agcn 3,6 Villeneuve 6,4
Beanville 3,6 Boaglon 6,8 Marmande. . ... 12,8
Puymirol 3,7 Damaxan 7,1
Castelmoroo 3,7 Cancon 7,2
Franeescas 3,9
Port-S»«-Marie. ... 4,0
CtatUlonnès 4,1
Casteljaloaz 4,1
Lavardac 4,2
La Roque 4,3
Meilhan 4,6
Mas-d* Age nais. .. 4,7
Nérac 4,7
Toarnon 4,7
La Plume 4,9
Mézin 5,0
Doras 5,2
Monflanquin 5,2
Les familles de quatre enfants commencent à être des
raretés dans le département du Lot-et-Garonne, aussi voyons-
nous que les deux tiers des cantons appartiennent à la pre-
mière catégorie ; ils appartiennent en générai à la partie est du
département. Le canton de Fumel se distingue toujours par
sa plus forte proportion d'enfants par ménage que les
cantons voisins. C'est ainsi que, tandis que Fumel a une
moyemie de 10,6, le canton de Penne a 3,4; celui de Tour-
non 4,7 et celui de Monflanquin 5,2. Le fait analogue se passe
pour Marmande, Tonneins et Houeillès, qui diffèrent très
sensiblement des cantons voisins.
Tous les cantons de Tarrondissement d'Agen (celui d*Astaf-
fort excepté) se distinguent par la faiblesse de leurs moyennes.
52 SÉANCE DU 22 JANVIER 489i.
FAMILLES AYANT CINQ ENFANTS.
Sur 100 familles, combien ont 5 enfants?
PREMIER GROUPE. DEUXIÈME GROUPE. TROISIÈME GROUPE.
0,8 -«,3 2,* -3.9 *,0-5,5
Beauville 0,8 Casleljaloux 2,4 Houeillès 4,0
Sainte-LIvrade. .. 1,1 Damazan 2,6 Marmande 4,9
Agen 1,?. Monflanquin 2,8 Fumel 5,5
Prayssaa 1,2 Cancon 2,9
Puymirol 1,2 Bouglon 3,1
Caslelmoron 1,8 ToiinelnB 3,2
La Roque 1,3
Lavardac 1,3
Port-St'-Marie... 1,4
Penne 1,5
Nérao 1,6
Francesoas 1,7
Duras 1,8
Mas-d'Âgenais.. . . 1,8
Meilhan 1,8
Monclar 1,8
Tournon 1,8
Villeneuve 1,8
Mézin 1,9
La Plume 2,0
Lauzun. 2,0
Villeréal 2,1
Seyches 2,2
ÂstafTort 2,3
CadlilloQDès 2,3
A mesure que le nombre des enfants augmente, la liste de
la catégorie minimum s'allonge. Il n*y a plus maintenant
que le quart des cantons pour remplir les deux autres caté-
gories. Mais il faut remarquer que les neuf cantons qui
composent les deux dernières catégories forment des groupes
parfaitement homogènes, Tun au nord est formé des cantons
de Fumel, de Monflanquin et de Cancon, Tautre à Touest com-
prenant les autres cantons. Tout le nord-ouest et le sud-sud-
est n'ont qu'un très petit nombre de familles de cinq
enfants.
CHERVIN. — NATALÎTé DANS LE LOT-ET-GARONNE. 53
FAMILLES AYANT SIX ENFANTS.
Sur 1000 famiUêSt combien ont 6 enfants?
PReiUER GROUPE. DEUXIÈME OROUPF. TROISIÈME GROUPE.
1 — 9 10—18 19 — 17
MarmiDde 1 Cancon lo Villeneuve 20
Beaoville t Meilb&n lo Fumel 27
PrayBsas 2 Mézin 10
Poymirol 2 Daujazan 10
La Roque 3 Fronoesoaa 10
La Plume 4 Tonnein» 11
Port-Sainte-Marie . 4 Villeréal 12
Castelmoron 4 Bouglon 13
Agen 5 Casteljalouz 13
AstafforL 5 Houeillès 17
MoDc.'ar 5
Penne 5
Sainte-Li%Tade 5
Lavardac 0
Doraii 7
Lauznn 7
Mas-d*Agenai8 7
Caatillonnèa 7
Seyches 8
Nérac 8
Tournon 8
Monflanqoin 9
Nous arrivons à des proportions misérables. Quand on
pense que^ dans le canton de Marmande, il y a en moyenne
une famille sur iOOO, ayant six enfants et que le canton de
Fumel, qui est le mieux partagé, en a 27. Mais la grande
majorité des cantons ne dépasse pas 10 pour 1 000.
Le groupement géographique est ici encore très accusé,
un groupe au sud-ouest et un autre au nord-est qui appar-
tiennent aux deuxième et troisième catégories, tout le reste
du département peuple la première catégorie.
54 8ÉANGE DU 22 JANVIER 1891.
FAÎULLES AYANT SEPT ENFANTS.
Sur 1000 familles f comlnen ont 7 enfants et plus ?
PREMIER OROUPB. DEUXIÈME GROUPE. TROISIÈME GROUPE.
1 — 4 5-8 9 — H
Prayssas: 1 Astaffort 5 Villeréal 9
Marmande 1 Dura« 5 Houelllès.. ii
Beauville 2 Seyches 5 Fumel li
Port-Sainte-Marie.. 2 Bouglon 6
Puymirol 2 'Meilhan 6
Nérao 2 Casteljaloux 6
Agen 3 Damazan 6
La Roque 3 Franceacas 6
Lavardao 3 Penne 6
La Plume h Lauzun 7
Castelmoron 4 Mas-d'A gênais. . .. 7
Tonneins 4 Mézin 7
Monclar 4 Cancon 7
Sainte-Livrade 4 Castillonnès 7
Villeneuve 4 Tournon 7
Monflanquin 8
Il ne s*agit plus maintenant que de phénomènes et il est
certain que les familles de sept enfants doivent être montrées
au doigt. Il y a une navrante régularité dans la gradation
des proportions, si bien que les trois catégories sont à peu
près équitablement composées. Gomme toujours, il y a deux
groupes situés aux extrémités du département, au nord-est
et au sud-ouest, oii les moyennes sont un peu moins faibles,
tant il est vrai qu'il y a des degrés en tout. Mais cela ne
vaut vraiment guère la peine d'en parler. Quoi qu'il en soit,
il faut le constater, et constater aussi que les vallées de la
Garonne et du Lot, les plus fertiles de toutes, se distinguent
entre toutes par leur absence de familles de sept enfants.
Nous venons de voir quelle différence profonde sépare les
cantons entre eux. On pourrait croire à l'examen des écarts
enti'e les moyennes cantonales qu'il s'agit de régions très
éloignées et très dissemblables, et cependant, tous ces cantons
CHBRym. — NATALITÉ DANS LE LOT-BT-GARONNE. 55
appartiennent à an même groupe ethnique et se trouvent
dans des conditions mentales identiques.
La différence est aussi grande entre les cantons qu^elle était
entre les divers départements.
Rang oooapé
Revenu net dans la claggittcation
imposable de la Talear da nombre moyen
par hectare. durevenn. d'enfanU.
Honeillès 12^36 1 31
CasteljaloQX 37,00 2 13
Bouglon 44,78 3 27
Pamel 44 ,02 4 34
Méxin 46,65 6 il
Laroqoe 58,38 6 3
Beaoville 59,94 7 7
Mooflanqain 62^08 8 24
Villeréal 64,73 9 23
Doras 65,73 10 15
Tournon 66,74 11 18
Uozun 70,58 12 12
Caetillonnès 70,35 13 20
UPIame 71,13 14 11
Poymirol 72,94 15 4
Seyches 72,93 16 25
Caocon 72,25 17 29
FraDceseas 76,40 IS 21
Castelmoron 77,50 19 6
Damazan 78,44 20 26
Penne 79,04 21 8
Prayssas 83^54 22 2
MoDolar 85 ,04 23 9
Lavardao S8,ll 24 19
Nérae 95,35 25 30
VilIeneuTe 99,67 26 28
Astaffort 100,61 27 22
Agen 101,55 28 5
Meilhan 108,36 29 14
Mas 104,06 30 16
Port-Stinte-Marie 110 ,78 31 10
MarmâDde 112,76 82 33
Tonneins 121,69 33 32
Sainte-Livrade 137,01 34 1
Chaque canton apparaît avec une physionomie à part que
nous allons résumer en donnant le nombre moyen d'enfants
par famille^ pour chacun d'eux. Mais, dès maintenant, on peut
56 SÉANCE DU 22 JANVIER 1691 .
affirmer que ni la race, ni les conditions physiologiques,
mentales et morales dans lesquelles se trouvent les cantons
ne peuvent intervenir dans la question ; un seul élément
domine tout le problème : l'état économique du canton.
Pour permettre d'en juger, nous donnons ci-dessus le seul
document qui, dans ce département essentiellement agricole,
permette de juger approximativement la richesse de chaque
canton : le revenu net imposable par hectare.
NOBIBRE MOYEN D*ENFANTS PAR FAMILLE.
Sur iOO famiUêt, combien d'enfants m moyenne?
PREMIRR GROUPE. DEUXIÈME GROUPE. TROISIÈME OROUPf^
110,9 — 146,1 146,2 — 181,3 181,4 — 216,6
Sainte-Livpade.. 110,9 La Plume 150,6 Nérac 188,7
Prayssas 132,3 Lauzun 151,7 Houeillès 197,2
La Roque .. 132,5 Casteijaloux.... 151,8 Tonneios 198,9
Piiymipol 134,3 Meilhan 152,8 Marraando 211,7
Agen 135,8 Duras 162,8 Fumel 216,6
Castelmoron. .. 136,5 Mas-d'A gênais.. 152,9
Beauvillo 137,2 Mézin 153,8
Penne 138,5 Touruon 154,3
Monclar 142,1 Lavardac 155,0
Port-S»p-Manc. . 143,9 Castillonnès. . . . 155,8
Francescas 155,9
Astaffort 158,2
Villeréal 162,5
Monflanquin. .. 163,1
Seyches 164,5
Damazan 174,9
BougloD 175,4
Villeneuve 177,9
Cancon 180,4
Remarquons tout d'abord que, entre le canton à moyenne
minimum, Sainte-Livrade, it0,9, et le canton à moyenne
maximum, Fumel, 216^6, la différence est du simple au double.
Or, ces deux cantons appartiennent au même arrondissement
de Villeneuve. Seulement, l'un est pauvre et l'autre est riche.
Toute la région comprise entre le Lot et la Garonne est la
plus riche et en même temps la plus inféconde ; elle com-
prend les cantons de Prayssas, Port-Sainte-Marie, Agen,
CHERYIN. — NATALITÉ DANS LE LOT-ET-GARONNE. 57
Laroque, Puymirol, Beauville, Sainte-LhTade, Penne. Le
canton de Tournon, qui est le moins riche de cette vallée,
surtout depais Tapparition du phylloxéra, se distingue de ses
voisins de la même vallée en ayant plus d*enfants ; il appar-
tient à la deuxième catégorie.
Au nord, dans Tangle formé par le Lot et la Garonne, on
note Monclar, Gastelmoron et Villeneuve qui sont trois
cantons très riches. Les deux premiers appartiennent à la
première catégorie, le dernier à la deuxième. Mais il ne faut
. pas oublier que Villeneuve est une ville de 45000 habitants
et que les ouvriers y sont nombreux. Dans cette même région,
on trouve Tonneins, canton très riche, qui appartient à la
troisième catégorie, parce que Tonneins est une ville ouvrière
placée au milieu d'un canton très riche. Il est arrivé dans la
statistique que la moyenne du canton a bénéficié de la forte
natalité du chef -lieu ; voilà pourquoi Tonneins, quoique très
riche, est un des cantons les plus prolifiques.
Le canton d'Agen, qui appartient à la première catégorie,
semble échapper à cette loi. Cette anomalie s'explique quand
on sait qu*Âgen, malgré ses 25 000 habitants, n'est pas une
ville ouvrière et que, proportion gardée, elle contient beau-
coup moins d'ouvriers que Villeneuve et Tonneins.
Fumely canton pauvre : beaucoup d*enfants.
Marmande, canton riche, très richC; peu d'ouvriers.
Pourquoi ce canton appartient-il à la troisième catégorie ?
Pourquoi produit-il beaucoup d'enfants, malgré sa richesse ?
Il est probable que la moyenne générale du canton a été
faiblement influencée par le cheMieu, qui est un centre com-
mercial et industriel très important. Pourquoi Seyches, Gan-
con, Monflanquin, Villeréal, Gastillonnès, cantons moyenne-
ment riches aussi, appartiennent-ils à la deuxième catégorie?
Duras et Lauzun, qui sont beaucoup plus riches que
les précédents, ont une moyenne beaucoup plus basse qu'eux,
tout en appartenant à la même catégorie.
A l'ouest, Meiihan, Mas d'Agenais, Damazan, Lavardac,
cantons très riches, appartiennent à la deuxième catégorie.
58 SÉANCE DU 22 JANVIER 1891.
ainsi que La Plume, Astaffort, Francesoas, Bouglon, Gastel-
jaloux, Mezin, qui sont moins riches que les précédents et ont
des moyennes plus élevées qu'eux.
Le canton de Houeiilès, qui est le plus pauvre de tous avec
ses landes qui ne produisent que des chênes-lièges, est parmi
les cantons de la troisième catégorie, où les familles sont les
plus nombreuses.
Nérac est dans le même cas. Placé au centre d*un pays
riche, il doit probablement sa situation démographique
favorable à ce que la ville de Nérac recèle une quantité de
pauvres espagnols.
En résumé, les catégories sont très nettement tranchées.
Les cantons compris dans la plaine de la Garonne se font
particulièrement remarquer par la faiblesse de leur fécondité.
Us appartiennent tous à la première catégorie. Faut-il ajouter
que ce ne sont pas les cantons les moins riches, au contraire.
Les cantons de la troisième catégorie, qui comprend les
fcunilles les plus nombreuses, sont ceux où la richesse agricole
n*est pas Tunique ressource du pays et où réside une popu*
lation ouvrière commerçante ou industrielle, commeàFumel
qui possède des hauts fourneaux, comme à Nérac, Marmande,
Tonneins, qui sont des centres commerciaux importants.
III
ÉTUDE PAR COMMUNE.
J'arrive enfin à Tétude de la composition des familles dans
chaque commune. Il ne m*a pas été possible, et il n'était pas
utile d'ailleurs^ d'étudier la composition des familles pour
chacune des huit catégories habituelles.
En effet, les communes du Lot-et-Garonne sont en général
très petites; sur 326, 2i seulement ont plus de 2000 habi-
tants. Or, des agglomérations de moins de 2000 habitants
supposent de 300 à 400 familles; c'eût été s'exposer à n'avoir
que des bases bien faibles^ et, par conséquent^ forcément
CHBHYIN. — NATALITÉ DANS LE LOT-BT-GARONNE. 59
inexactes, que de détailler le nombre des familles ayant 1, 2,
3, 4, 5, 6 et 7 enfants.
Pour toutes ces raisons donc, je me suis borné à recher-
cher la moyenne du nombre des enfants par famille. C'est
déjà une assez grosse besogne, et j'ajoute tout de suite bien
franchement, beaucoup plus fructueuse qu'il semblerait au
premier abord. Cette étude sert non seulement de contrôle à
Tétude des cantons, mais elle apporte également un élément
considérable d'appréciation. Il est quelquefois difficile de se
retrouver au milieu de ces moyennes qu'il a été forcément
nécessaire de classer. Néanmoins, il en est résulté certains
groupements géographiques sur lesquels j'appellerai l'atten-
tion en temps et lieu.
Une première réflexion s'impose. Lorsqu'on jette un regard
sur les moyennes des communes, on est frappé de leur homo-
généité. Elles se suivent à de très petites différences près et
avec une gradation presque régulière pour la plupart des
communes.
Aussi le groupement de ces 326 communes par catégorie
est facile et se présente dans des conditions parfaitement natu-
relles. J'ai eu simplement à mettre à part^ d'un côté une dizaine
de communes qui ont moins de 1 enfant par famille, et, d'un
autre côté, 4 communes qui ont une proportion d'enfants
beaucoup plus considérable que les autres, et surtout qui
laissent un très grand intervalle avec les précédentes.
Les groupes ont donc été constitués de la manière sui-
vante; les catégories s'échelonnant à vingt unités de dis-
tance :
!'• catégorie, les moyennes inférieures à 100, soit 10 commanes.
2*
—
—
comprises entre 100 et 119, soit
24
3«
—
-
—
120 et 139,
—
54
4*
—
—
—
140 et 159,
—
91
5«
—
—
160 et 179,
—
90
6«
—
—
—
180 et 199,
—
33
?•
—
—
—
200 et 219,
—
10
8«
—
—
—
220 et 239,
—
10
9*
—
—
supérieures
à 240. soit. • . .
4
^* ^W W ^ • "^ ^» • W ■ W W W
• • •
Total 326 communes.
60 SÉANCE DU 32 JANVIER 4891.
Pour qa*il fût possible de se retrouver au milieu de cette
foule de chiffres et de communes dont le nom et la situation
géographique ne sont pas très familiers, j*ai dû ro'écarterde
la règle habituelle qui veut que les moyennes soient rangées
dans un ordre régulier de croissance ou de décroissance.
Voici Tordreque j*ai adopté : Dans chaque catégofie/f ai groupé
les communes par arrondissement d^abord, et par canton
ensuite, en suivant Tordre alphabétique; ainsi, donc, le pre-
mier nom est celui de la commune, le deuxième, qui est
entre parenthèse, indique le nom du canton auquel appartient
la commune, et le chiffre qui suit donne le nombre moyen
d*enfants pour cent familles de cette commune.
Première catégorie.
Celte première catégorie contient les communes où les fa«
milles n'ont pas même en moyenne un seul enfant. J*avoue
que je ne pensais pas, avant d'entreprendre cette étude,
qu'un fait aussi triste pût se présenter. Je dois dire cepen-
dant que, pour certaines communes, il doity avoir une erreur
dans les chiffres fournis par Tenquête statistique.
Quoi qull en soit, ces 10 communes où la stérilité paraît
être la règle ne sont pas dispersées au hasard. En effet,
5 appartiennent à l'arrondissement d*Agen , et 3 au seul
canton de Puymirol. J'ajoute^ circonstance grave, que 3 de
ces communes sont absolument voisines, ce sont : Grayssas,
Saint-Uroisse et Clermont-Dessus. L'arrondissement de Vil-
leneuve compte également 3 communes, dont 2 ne sont pas
éloignées Tune de l'autre.
Enfin, il faut encore remarquer que sur ces 10 communes,
il y en a 3 qui sont des chefs-lieux de canton : Prayssas,
Saint-Livrade et Monclar, et ce sont précisément trois chefs-
lieux de canton où la population vit dans une très large
aisance.
CIIKRVIN. — NATAUTI-: DANS LE LOT-ET-GARONNE. 6i
I
Arrondissement d*Agen,
Grayssaâ (Payroirol) 92 Lacépède (Prayssas) 97
Saioï-Urcissc (Puymirol) 95 Prayssas 98
Clermont- Dessus (Puymirol).. 97
Arrondissement de Marmande.
Saint-Jean-de-Duras (Duras) 96
Arrondissement de Nérac.
Andiran (Nérac) 44
Arrondissement de Vilteneuve.
Sainte-Livrade TG
Douzaios (Castiilonnès) 99
MONCLAR 98
Deuxième catégorie,
La deuxième catégorie comprend les 24 communes où, sur
100 familles, on trouve de 100 à 119 enfants. Ce sont encore
des familles presque infécondes.
Vingt-quatre communes sont dans ces conditions, dont 15
ap.partiennent aux deux arrondissements d'Âgen et de Ville-
neuve.
Il n*est pas rare de voir deux communes voisines présenter
la même moyenne : Sauveterre et Saint-Nicolas, dans le canton
d'Astaffort; Saint- Salvy et Bazens dans le canton de Port-
Sainte-Màrie; Villeneuve-de-Mézin et Lannes, dans le canton
de Mézin; Pujols et Sainte-Colombe dans le canton de Ville-
neuve; Saint-Sylvestre et Penne, dans le canton de Penne.
Ces petites agglomérations montrent bien que ces faits ne
sont pas de purs hasards et qu'il y a des causes locales.
Nous trouvons, dans cette deuxième catégorie, trois chefs-
lieux de canton, savoir : Casteljaloux, Tournon, qui ont une
moyenne notablement inférieure à celles de toutes les com*
munes de la région ; et Penne, voisin de Tournon, mais dans
62 SÉANCE DU ^^ JANVIER 1891.
des conditions économiques et démographiques générales dif-
férentes.
II. — 100 à 119.
Arrondistement d'Agen,
Sauveterre (Astaftorl) 103 Tayrac (Beauville) 116
Saint- Nicolas-de-Ia-Balerme Salnt-Salvy (Port-Sainle-Ma-
(Astaffort) 111 rie) 116
Foulayronnes (Agen) 105 Bazenis (Port-Sainte-Marle).. 119
Lusignan-lc-Pctit (Prayssas). 107 Brax (La Plume) 118
Arrondissement de Marmande,
Laperohe (Lauzun) 111 Verteuil ^GastelmoroD) 117
Allemans (Laucun) 113 Laparade (Castelmoron) 1U
Arrondissement de Nérac.
Espiens (Nérac) 107 Villeneave-de-Mézia (Mézln). 118
Thouars (Lavardac) 115 Lannes (Mézin) 119
Castbljaloux 118
Arrondissement de Villeneuve,
TouRNON 100 Saint-Silvestre (Penne) 109
Pujol8( Villeneuve) 102 Penne 115
Sainte-Colombe (Villeneuve). 116 Le Temple (Sainte-Livrade).. 116
Savignac (Monflanquin) 1 09
Troisième catégorie,
La troisième catégorie comprend les 54 communes où, sur
cent familles, on trouve de 120 à 139 enfants. Le groupe-
ment des communes ayant ces moyennes, est un peu plus
accentué que pour les deux catégories précédentes.
C'est ainsi que l^arrondissement d'Agen contient 29 ooromunet.
— — de Marmande . 13 —
— — de Nérac 6 —
— — de Villeueuve 6 —
Total 54 communes.
Il existe, dans Tarrondissement d'Agen^ un groupe corn*
pact et important de 17 communes s'étendant sur les cantons
d*Agen, de Beauville, de La Roque et de Puymirol, et qui est
CHERVIN. — NATALITÉ DANS LE LOT-ET-GARONNE. 63
formé des communes d'Agen, Lafox, GastelcuUer, Saint-Ga-
prais, Pont-du-Casse,Bajamont, La Roque, La Croix-Blanche^
Castella, Sauvagnas, Saint-Robert, La Sauvetat-de-Savère,
Saint-Martin, Gandaille, Ëngayrac, Beauville» Blaymont et
Prespech.
Les antres communes sont disséminées un peu partout et
ne forment pas d'agglomérations importantes.
A signaler encore huit chefs-lieux de canton, savoir: Agen,
Beaaville,La Roque, Port-Sainte-Marie dans Tarrondissement
d'Agen; Bouglon, Castelmoron, Duras dans l'arrondissement
de Marmande, et Monflanquin dans l'arrondissement de
Villeneuve.
in. — 120 h 139.
Arrondissement d*Agen,
Agbn 122
Bajamont (Agen) 131
Pont-da- Casse (Agen) 13'3
Saint-Hilaire (Agen) 134
Fais (Aslaffort) 134
Biayraont (Beauville) 126
Saint-Martin (Beauville) 182
Beauville 136
Gandaille (Beauville) 136
Engayrac (Beauville) 138
Hoquerort (La Plume) 131
Aubiac (La Plume) 188
La Croix-Blanche (La Roque). 121
Ca8tella(La Roque) 124
Saint-Robert (La Roque) .... 127
La SauveUt-de-Savère (La
Roquej 180
La Roque 132
Sauvagnas ( La Roque) 138
Lagarrigue (Port-Sainte-Ma-
rie) 126
Fregimont (Port-Sainte-Ma-
rie) 133
Lusignan -le - Grand (Port -
Sainte-Marie) 133
PORT-SaINTB-M ARIE 134
Bourran (Port-Sainte-Marîe). 135
Saint-Sardos (Prayssas) 132
Madailban (Praysaas) 1 39
Lafox (Puymirol) 129
Saint-Caprais (Puymirol). ... 133
Saint-Romain (Puyrairol) .... 18.1
Castelculier ( P uymirol) 139
Arrondissement de Marmande,
Bouglon 128
Castelmoron 132
La Sauvelat (Duras) 139
Duras 135
Serignac (Lauzun) 135
Saint-Colomb (Lauzun) 129
Agnac (Lauiun). 186
Taillebourg (Marmande) 135
Gonlaud ( Marmande) 13G
Virazeil (Marmande) 139
Gaujac (Meilban) 132
Coutbures (Meilhan) 137
Mauvezin (Seyches) 136
64 siUnce du 22 janvier 1891.
Arrondissement de Nérac.
Saint-Pierre (Damazau) 12i Sainte-Maure-de-Poyriac (Mé-
Montgaillard (Lavardac) 131 zin) 127
Yianne (Lavardac) 133 Saumont (Népacj 136
Bruch (Lavardac) 138
Arrondissement de Villeneuve.
Casseneuil (Cancon) 133 Daussc (Penne) 137
Monsempron (Fumel) 139 Freapech (Penne) 139
MoNFLANQuiN 137 Tourlîao (Villeréal) 139
Quatnème catégorie.
La quatrième catégorie comprend 91 communes où, sur
100 familles, on trouve de i 40 à i 59 enfants.
Ces 91 communes se groupent de la manière suivante :
Arrondissement d'Agen 16 communes.
— de Marmande 34 —
— de Nérac 20 —
— de Villeneuve 21 —
Comme on voit, c'est dans Tarrondissement de Marmande
que les communes appartenant à cette catégorie sont les
plus nombreuses.
Ces communes forment une série de petits groupes, tous
situés dans la moitié ouest du département.
Au sud, nous trouvons un groupe de 13 communes conti-
guës, constitué dans les cantons de Francescas, de La Plume
et de Nérac, par les communes de Moncrabeau, Lasserre,
Fréchou, Francescas, Fieux, Saint- Vincent, Marmont, La
Plume, Moirax, Montagnac, Moncaut, Sainte-Colombe et Mon-
tesquieu.
Près de là, un petit groupe formé de quelques communes
des cantons de Lavardac, de Damazan, savoir : Ambrus,
Xaintrailles, Lavardac, Buzet; Feugarolles, Saint-Laurent et
Saint-Léger.
Enfin, un groupe plus important mais moins compact,
formé de 23 communes situées au nord du département,
CHERVIN. — NATALITÉ DANS LE LOT-ET-GARONNE. 65
savoir: Ferrensac, Montauriol, Segalas, Monlignac-de-Lauzua,
Villebramar, Tombebœuf, Tourtrës^ Gaubel, Montastruc^
Saint- Pastour, Coulx,d*une part, et Moatignac-Toupinerie,
Armillac, Miramont, Peyriëre, La Chapelle, Gambes, Saint-
Avit, LevignaC; Monteton, Âurlac, Pardaillan, et Moustier,
d*autre part.
Les chefs-lieux de canton qui appartiennent à cette caté-
gorie sont : La Plume, Puymirol, Mas-d'Agenais, Meilhan,
Francescas, Lavardac, Mézin et Yilleréal.
IV. — 140 à 159.
ArrandUsiinent d^Agen.
BoD-Encontre ^Agen) ISK
Le Passage (Agen) 156
SaÎDt-Sixle (AsUfTort) 141
SaiDUMaurin (Beauville).... Ui
Sainte-Colombe (La Plume).. 141
Marroont (La Plume) 143
La. Plums 150
Moirax (La Plume) 150
Cassignas (La Hoque) 144
Monbaien (La Roque) 145
Galapian (Port-Saiote-Marie). 148
Granges (Prayesas) 147
Cours (Prayssas) 149
Montpezat (Prayssas) 1 50
PUY&IIROL 140
Sainl-Jean-de-Tburao (Puy-
mirol) 145
Arrondissement de Marmande.
Anlagnac (Bouglon) 146
Romestaing (Bouglon) 135
Coulx (Castelmoron) 1 52
Saint-Gayrand (Castelmoron). 152
Grateloup (Caslelmoron) 155
E3clotles( Duras) 143
Sainl-Aslier (Duras) 144
Auriao (Duras) 146
Pardaillan (Dura?) 147
MousUer (Duras) 151
Peyrière (Lauzun) 159
Armillac (Lauzun) 142
Montignac-de- Lauzun (Lau-
zun) 143
Miramont (Lauzun) 144
Segalas (Lauzun) 155
Sainle-Bazeille (Marmande).. 157
Agmé (Marmande)* 158
Catunont (Mas) • 140
T. II (4* SÉRIE).
Villeton (Mas) 142
Seneslis (Mas) 147
Mas 147
Calonges (Mas) 151
Cocumont (Meilhan) 146
Meilhan 149
Jusix (Meilhan) 155
Montignac-Toupinerie (Sey*
elles) 142
Caubon-Saint-Sauveur ( Sey-
ches) 150
Lévignac (Seyches) 147
Cambes (Seyobes} 148
La Chapelle (Seyches) 162
Monlelon (Seyches) 158
Sainl-Avit (Seyches) 1 59
Fauillel (Tonneins) 143
Qairac (Tonneins) 1 56
66
8ÉANCB DU 32 JANVIER 1801.
Arr<m4iism9^t de Nérae.
Villefrtnohe-du-Qaeyran (Cas-
teljaloux) «•••• i&6
Ambrus (Daroazan) 140
Saint-Léger (Damazan) 147
Pooh (Damazao) , 157
Buset (Damazan) 158
Lasserre (Francesoas) 140
Francbsgas 153
Monorabeau (Francescas).... 150
Fieuz ( Francescas) 1 55
Saint-Vincent (Francesoas)... 169
Pindères (UoaeiUès) 148
Xaintrailles (Lavardae) 141
Saint-Laurent (Lavardae) .... 145
Montesquieu (Lavardae) 1 49
Feu garol les (Lavardae) 155
Lavardac 157
MÉziN 145
Montagnao (Nérac) 146
Fréchou (Nérac) IW
Moncaut (Nérac) 154
Arrondissement d$ Villeneuve.
Saint-Quentin (Castillonnès). . 145
Monlauriol (Gattilionuàs) .... 156
Lalandusse (Castillonnès) .... 157
Ferrensao (Castillonnès) 158
Caubel (Mondar) 145
Salnt-Padtour (Mondar) 146
Viilebramar (Monclar) 146
Saint - Etienne - de - Fougères
(Monclar) 154
Tombebœuf (Monclar) 156
Tourlrès (Monclar) 1 57
Montastruc (Monclar) 1 58
La Sauvetat-sur-Lède (Mon-
flanquin) 166
Auradou (Penne) 151
Massoulès (Penne) 152
TrentelB (Penne) 155
Cazidéroque (Toumon) 150
Saint-Antoine (Villeneuve) ... 156
ViLLERÉAL 140
Naresse ( Villeréal) 15«
Saint-Eutrope de Born (Ville-
réal) 156
Parranquet (Villeréal) 1 58
Cinquième catégorie,
La cinquième catégorie comprend les communes où, sur
iOO familles, on compte de 160 à 179 enfants ; elles sont au
nombre de 90. Savoir :
10 communes dans l'arrondissement d*Agen«
34 «- — de Marmande.
19 — — de Nérac.
27 — — de Villeneuve.
Cette répartition, par arrondissement, suit la même ligne
que pour les communes de la quatrième catégorie. C'est dans
l'arrondissement de Marmande qu'elles sont, et de beaucoup,
les plus nombreuses. Mais nous ne retrouvons pas de grou-
pements aussi importants que dans la précédente catégorie ;
CHERVIN. — NATALITâ DANS LE LOT- BT- GARONNE. 67
les communes de cette catégorie sont disséminées un peu
partout par groupes de 7 à 10 communes, rarement plus. Cela
n'a rien d'étonnant, car c'est en quelque sorte la catégorie
moyenne.
Nous signalerons néanmoins de petits groupes isolés dans
les cantons de Mézin, de Yilleréal et de Tournon.
Le seul groupe important à indiquer est constitué dans les
cantons de Meiihan, Le Mas, Bouglon, Marmande, Seyches,
Tonneins, et comprend les 21 communes suivantes : Saint-
Sauveur, Marcellus, Samazan, Sainte-Marthe , Fourques,
Sainte-Gemme, ArgentoUj Longueville, Fauguerolies, La-
gruère, Saint-Pardoux-du-Breuil, Birac, Escassefort, Seyches,
Puymiclan, Saint-Barthélémy, Labretonie, Hautesvignes,
Varès, Saint-Pierre-Nogaret, Beaupuy.
Les chefs-lieux de canton qui appartiennent à cette ca-
tégorie sont les suivants : Astaffort, Lauzun, Seyches,
Houeillès.
V. -^ 160 à 179.
àrronditsemênt d*Âgm,
Astaffort ## 166
Layrac (Astaffort) 166
Caudecoste (Astaffort) 167
Cau2ac (Beauville) 162
Esiillao (La Plume) 171
Clermont-Dessoua (Pori-Sain-
te-Marie) 164
Nicole (Port-Sainte-Marie). . * 164
Laugnac (Prayssas).. , 160
Sainl-Pierre-de-Clairac (Puy-
Aiguillon (Port-Sainte-Marie). 162 mirol) 170
Arrondiisement d$ Marmande.
Sainte-Gemme - de - Martaillao
(Bougloo) 167
Argenton (Bouglon) 179
Bmgnao (Gastelmoron) 16S
Labretonie (Gastelmoron) .... 172
Loubèa-Bernac (Duras) 169
Soumen8ac( Duras) 172
Sav gnac (Duras)..... 176
Lauzun 161
Lavergne (Lausun) 167
Roumagne (Lauzun) 167
Puyaserampion (Lauzan) 176
Saint-Nazalre (Lauzun) 176
Beaupuy (Marmande) 166
Birao (Marmande) 17S
Longueville (Marmande) 174
Sain t-Pardoux-dn-Breuil ( M ar-
mande) 477
Saint- Pierre -Nogaret (Mar-
mande) 165
Fauguerolles ( Marmandp). ... 1 65
Hauievignses (Marmande).... 179
Lagruère (Mas)...., 162
Samazan (Mas) 162
Sainte-Marthe (Mas) 167
FonrqvM (Mat) 165
68 SÉANCE DU 22
Marcellus (Meilhao) 167
Saiat - Sauveur - de - Meilhan
(Meilhan) 171
CaaielDaud (Seyches) 161
Saint-Pierre-de-Lévignac (Sey-
ches) •... 161
Saint-Barlhélemy (Seyches} . . 1 61
JANVIER 1891.
ScycHis 17t
Saint-Geraud (Seyohes) 174
Escasseforl (Seyohes) 176
Puymiolan (Seyches) 178
Varès (Tonnems) 168
Lafflte (Tonoeios) 160
ArrondisttmnU de Nérac.
Anzez (Caateljalouz) 162
tieyritz-Montcassin (Gastelja-
loux) 174
Caubeyres (Damazan) 161
Saial-Léon (Damazan) 161
Razimel (Damazan) 163
Fargues ( Damazan) 169
LamoQtjoie (Fraocescas) 163
Nomdieu ( Francescas) 168
Saumézan (Houeillèd) 164
HOUEILLÈS 179
Pompiey (Lavardao)
Poudeoas (Mézin)
Saint-Pé-SainUSimon (iMé
zia)
Gueyze (Mézin)
Meyian (Mézin)
Sos (Mézin)
Réaup (Mézin )
Lisse (Mézin)
Calignao (Nérac)
160
160
162
168
168
169
174
179
175
Arrondissement de Villeneuve,
Pailloles (Gancon) 162
Monviel ((Rançon) 163
Gasteinaud (Gancon) 166
Boudy (Cancon) 172
Cahuzac (Gasiillonnès) 172
Gavarc (GasUilonnès) 178
HauUrive (Monclar) 160
Fongrave (Monclar) 168
MontagnacHiar-Lède ( Mon -
flanquin) 166
Laussou (Monflanquin).... ,. 173
Monlségur (Monflanquin).... 174
Hauterage (Penne) 169
Massels (Penne).. 177
Allez- et -Gazeneuve (Sainte-
Uvrade) 161
Dolmayrao (Sainte- Lirrade) . . 161
Montayrol (Tournon) 166
Gourbiao (Tournon) 172
Saint- Vite (Tournon) 172
Thézao (Tournon) 175
Bourlena (Tournon) 178
Sembas (Villeneuve) 172
Saint - Etienne - de - Villeréal
(Villeréal) 160
Boumel (Villeréal) 163
Saint-MarUn-de- Villeréal (Vil-
leréal) 165
Rayet (Villeréal) 171
Devillac (Villeréal) 177
Rives (Villeréal) 1 78
Sixième catégotne.
La sixième catégorie contient 33 communes où, sur 100 fa-
milles, il y a de 180 à 199 enfants, La répartition par arron-
dissement est la suivante :
GHBRVIIf. — NATALITÉ DANS LE LOT-ET-GARONNE. 69
ArroDdisBement d*Agen 3 communes.
^~ de Marmaade 8 —
— de Nérac 5 —
- de Villeneuve i7 —
Cette fois, c*est rarrondissement de Villeneuve qui tient
la corde.
Les communes de cette catégorie sont dispersées çà et là
dans tout le département, et ce ne sont guère que des groupes
de 4 ou 5 communes qu*on rencontre dans les points où le
groupement est le plus compact. C'est, au sud-ouest, le groupe
formé par les communes de Bousses, Durance, Barbaste et
Nérac ; au nord^ le groupe de Monbahus, Saint-Maurice, Lou-
gratte. Montant ; à Test, le groupe de Paulhiac, Salles, La
Caussade, Saint-Âubin et celui de Trémons, Anthé et Mas-
quières.
Pour qui connaît un peu la région, il est évident que ces
33 communes sont généralement moins riches que celles qui
composaient les cinq catégories précédentes.
Les chefs-lieux de canton qui appartiennent à cette caté-
gorie sont au nombre de quatre, savoir: Nérac, Castillonnès,
Fumel; Villeneuve-sur-Lot.
VL — 180 à 199.
Arrondissement d^Agen.
SaintrCipq (Agen) 188
Cuq (Aslaffort) 187
Serignac (La Plume) • . 198
Arrondissement de Mar mande,
Guérin (Bouglon) 183 Villeneuve-do-Duras (Duras) . 19.1
Ruffiac (Bouglon). 196 Bourgougnague (Lauzun).... 190
Baleyssagues (Duras) 187 Montpouillan (Meilhan) 19H
Sainte-Colombe-de-Duras (Du- Lagupie (Seyches) 185
pas) 191
Arrondissement de Nérac*
Monbeurt (Damazan) 1 89 Barbaste (Lavardac) 1 96
Durance (Houeillès) 183 Nérac 198
Boosses (Houeillès) 195
70
SÉANCE DU 9i JANVIER 4891.
Arrondissement de ViUêneuve.
Monbahus (Caneon).. 180
Saint-Maurice (Cancon) 186
Lougratle (Caatiilonnès) 180
Gastillonnès 194
Sauveterre (Fumel) 186
Goodezaygue8(FufneI) 189
FUMBL 195
Salles (MooQanquin) 180
La Caussade (Monflanquin).. . 184
Paulhiao (Monflanquin) 188
La Capelle-Blron (Monflan-
quin) • 189
SaintrAubin (Monflanquin). . . 198
Trémon8 (Penne) 187
Masquières (Tournon) 187
Anlhé (Tournon) 190
Villeneuve- SUR- Lot 190
Monlaut ( Villeréal) 19Î
Septième catégorie.
La septième catégorie comprend les communes où, sur
100 familles, on trouve de 200 à 219 enfants^ c*est-à-dire une
moyenne de 2 enfants par famille; elles sont au nombre de
iO seulement, qui se répartissent de la manière suivante :
Arrondissement d'Agen 0 commune.
— de Marmande 6 —
— de Nérac 1 —
— de Villeneuve 3 —
Donc, plus de la moitié de ces communes appartiennent à
l'arrondissement de Marmande. Le richissime arrondisse-
ment d'Agen n'en contient pas une seule.
On n*est pas embarrassé pour rechercher les groupements
de communes. A part 3 communes dans le canton de Bou-
glon et 2 dans celui de Cancon, le reste est épars; mais nous
verrons tout à l'heure que les communes isolées de cette ca-
tégorie se rattachent à d'autres communes appartenant à des
catégories supérieures, de telle sorte qu'il nous est possible
de distinguer, sur la carte de la répartition géographique des
communes d'aprèsle nombre deleursenfants.certainsgroupes
de communes où les familles de 2 enfants sont relativement
assez nombreuses.
Il n'y a que le cheMieu de canton, Cancon, qui appartienne
à celte catégorie.
CHBRVIN. — NATALITÉ DANS LE LOT-ET-GARONNE. 71
VII. — 200 h 219.
Arrondisiemint de Marmande»
Labastide-de-Castel (Bouglon). 201 Saini-Serniii (Duras) 202
Poussignac (Bougloo) 203 SaiDl-Pardoux-l8aac(Lauxun). 203
Grézet (Bouglon). 206 SainUMartio-Pelit (Seyohes). . 215
Arrondistemint de Sérac,
La Réunion (Casleljaloux) 217
Arrondissement d$ VUlsfieuve,
Cancon 201
Moulinet (Cancon) 20K
Gavaudun (Monflanquin) 21 0
Huitième catégorie,
La huitième catégorie comprend les communes où, sur
400 familles, on trouve de 220 à 239 enfants; il n'y en a
que 10 :
Arrondissement d'Agen 1 commune.
— de Marmande l —
— de Nérac 4 —
— de Villeneuve 4 —
Pas de groupe bien accusé ; il faut signaler toutefois que
les trois communes d'Allons, Pompogne et Saint-Martin sont
assez voisines l'une de Tautre, et que ce sont toutes trois des
communes pauvres.
VIII. — 2i0 à 239.
Arrondissement d'Agen,
Boé ( Agen) 239
Arrondissement de Marmande»
TONNBINS. « ....... • 225
Arrondissement de Nérac,
Saint-Martin-Curton ^Castelja- Allons (Houeillès) 231
loux) 228 Pompogne (Houeillès) 235
Damasak 2t9
7i SÉANCE DU 2â JANVIER 1894.
ArrondissemefU de Villeneuvr.
Beaagas (Gancon) 229 Lédat ( Villeoeuve) 220
Blanquefort (Fumel) 235 Doudrao (Villeréal) 225
Neuvième catégotne.
m
Enfin, ia neuvième catégorie comprend les communes qui
ont plus de 240 enfants pour iOO familles. Elles sont au
nombre de 4 réparties de la manière suivante :
Arrondissement d'Agen 0 commune.
>— de Marmande 1 »
— de Nérao i —
— de Villeneuve 2 ^
Or, il faut remarquer que les deux communes de l'arrondis-
sement de Villeneuve appartiennent toutes deux au même
canton de Fumel. Ce canton de Fumel, qui est un de ceux où
la grande industrie métallurgique est la plus répandue et la
population ouvrière la plus dense, est aussi de ceux où les
familles sont les plus nombreuses, ainsi que nous Tavons vu
lors de Tétude des cantons. Nous voyons maintenant que sur
les 7 communes qui le composent, i appartient à la troi-
sième catégorie, 3 à la huitième et 2 à la neuvième.
IX. — 240 et plus.
Arrondissement de Marmande,
Marmandb 277
Arrondissfmfnt de Nérac.
Beauziao (Casteijaloux) S54
Arrondissement de Villeneuve,
Saint-Front (Fumel) 260
Cuzorn (Fumel) 297
Confirmons ce que nous disions tout à Tfaeure des groupes
des communes appartenant aux trois dernières catégories qui
contiennent les communes ayant au moins deux enfants en
moyenne par ménage. Nous avons trois groupes bien dis-
tincts, Tun à l'ouest, formé de huit communes : Allons, Pom-
CHERVIN. — NATALITÉ DANS LE LOT-ET-GARONNE. 73
ponge, la Réunion, Saint-Martin-Gurton, Beauziac, Pous-
signac, Labastide et Grézet; Tautre, au centre, formé de
trois communes du canton de Gancon, savoir : Gancon, Mou*
linet et Beaugas; le troisième, à Test, formé des quatre com-
munes de Gavaudun, Blanquefort, Saint-Front et Guzorn.
Eh bien, et c'est là une démonstration qui me paraît pé-
remptoire^ toutes ces communes sont de celles où, dans ce
département très riche, Taisance est la moins générale.
Si Ton veut condenser en quelques chiffres cette longue
analyse des communes en les rapportant aux arrondissements
dont elles font partie, nous voyons quelle est la part propor-
tionnelle de chacun d'eux dans les diverses catégories.
Sur 100 communes, combien apjpartietinênt à chaque catégorie?
Agen.
Marmande.
Nérac.
Villeneuve
ira
catégorie
((moins de 100). ..
7
1
2
3
f
—
de 100 à 119...
11
5
8
8
3«
—
de 120 à 139....
41
12
10
7
4«
—
de 140 à 159....
22
33
32
23
5»
—
de 160 à 179....
14
33
30
30
6«
—
de 180 à 199....
4
8
8
19
7e
—
de 200 à 219....
0
6
2
3
8«
de 220 à 239...
1
1
6
4
9«
—
au-dessus de 240
0
1
2
3
100 100 100 100
L'infériorité de l'arrondissement d'Agen est plus manifeste
que jamais et on voit qu'il a juste la moitié moins de com-
munes que les trois autres arrondissements, dans la caté-
gorie moyenne de 160 à 179 enfants pour 100 familles.
CONCLUSIONS.
En résumé, j'ai étudié :
1* Dans chacun des arrondissements et dans chacun des
cantons du département du Lot-et-Garonne la répartition
géographique des familles, suivant qu'elles ont 0, 1, 2, 3, 4,
5, 6, 7 enfants;
2* La répartition géographique du nombre moyen d'en-
74 SÉANCE DU 32 JANVIBR 1891.
fants par famille dans chacune des 326 communes du dépar*
tement.
Que résulte-t-il de cette masse considérable de cbififres et
de cette étude que je crois aussi complète et aussi détaillée
que possible?
Il en résuite, à mon avis, la démonstration péremptoire
que, dans ce riche département du Lot-et-Garonne, ce sont
les parties les plus riches qui ont le moins d'enfants.
J*ai montré que, dans cette vallée du Lot et de la Garonne,
dont la fertilité, la beauté, la richesse, sont proverbiales,
la moyenne des enfants par famille est de \ .
Le Lot-et-Garonne est le pays par excellence du petit pro-
priétaire. Sur 151934 cotes foncières:
\ 31 879 appartiennent à la petite propriété, soit 87 pour i 00 ;
19058, soit 12 pour 100, à la propriété moyenne ;
El 997, soit 1 pour 100, à la grande propriété.
Or, il faut considérer que le petit propriétaire a besoin de
peu de bras pour cultiver son bien ; la vigne, le prunier
d ente, les céréales, l'élève du bétail, sont pour lui des occu-
pations particulièrement lucratives et Tobjet d'échanges nom-
breux et faciles qui font affluer Tordans sa cassette. Et il n'y
a rien qui fascine davantage Thomme des champs que cette
arrivée incessante, périodique de l'argent. N'ayant pas de
besoin de dépenses, pouvant se donner, à peu de frais, le
modeste confort qu'il ambitionne, il rêve de devenir riche.
Et il sait bien que l'économie et l'épargne sont les meilleurs
moyens de parvenir à la richesse. Entre toutes les dépenses
sur lesquelles il songe à économiser, il n'en est pas de plus
sensible pour lui que celle des enfants.
A quoi lui servirait, se dit-il, d'avoir beaucoup d'enfants?
A-t-il donc besoin de tant de bras pour la culture ? En aucune
façon, et, en tout cas, un valet lui coûtera moins qu'un
enfant.
D'un autre côté, plus il y a d'enfants dans une maison,
plus il faut p8u*tager l'héritage, et son amour-propre est flatté
en entendant répéter le nombre d'écus qu'il laiisera à son
CflERVIN. — NATAUTÉ DANS LE LOT-ET-GARONNE. 7S
fils OU à sa fille, et la dot qu'il leur donnera en les mariant.
Que ferait-il alors de ses enfants, s'il en avait trois ou
quatre? Il ne lui vient pas à l'idée de les envoyeràTétranger.
Où trouveraient-ils, en effet, un climat plus beau, une vie plus
facile, plus agréable? Il n'y a que les crève-faim qui déser^
ient le village et s'arrachent aux joies et aux habitudes du
clocher.
Mais, lui, peut nourrir ses enfants, et il les garde.
Tout concourt à rendre le paysan, et le paysan riche par-
ticulièrement économe de progéniture ; il limite donc volon*
tairement le nombre de ses enfants au strict minimum.
<( Si les nobles ont inventé le fils aîné, nous avons inventé,
nous autres paysans, le fils unique, » disait un jour un riche
propriétaire rural à un de nos amis.
Le nombre des enfants, dans le Lot-et-Garonne, est en
raison directe de la pauvreté.
C'est ainsi que nous voyons, dans ce département, le
pauvre des villes être plus prolifique que le pauvre des cam-
pagnes ; les châtelains, les nobles^ bien qu'appauvris, pro-
liférer plus que le riche bourgeois et le fonctionnaire. Mais
le moins prolifique de tous est incontestablement le riche
paysan. ^
La volonté seule, guidée par l'intérêt et par les habitudes
locales, influe sur la limitation du nombre des enfants dans
le Lot-et-Garonne comme dans presque tous les départe-
ments. Et ici la démonstration est plus patente encore que
partout ailleurs, car les habitudes locales restrictives du
nombre des enfants ont gagné la population ouvrière elle-
même. D'ordinaire, elle est moins prévoyante et plus proli-
fique que la classe aisée ; dans le Lot-et-Garonne, elle se tient,
elle aussi, sur ses gardes ; elle a plus d'enfants que la bour-
geoisie, mais elle en a moins que la population ouvrière des
autres régions.
Dans ces conditions, que deviennent les moyens proposés
de toutes parts pour remédier à la faiblesse de notre déve-
loppement démographique ?
76 SÉANCE DU 24 JANVIER 1891.
Assistance spéciale, dégrèvement d*iinp6ts, primes en
nature ou en argent, réforme du Code civil, recherche de
la paternité, etc., etc., rien ne peut latter contre cette volonté
bien arrêtée da paysan qui croit voir son intérêt dans la limi-
tation au strict minimum du nombre de ses enfants.
Il faut en prendre notre parti, la France, qui n'a jamais été
un pays de familles nombreuses, ne le sera jamais, quoi qu'on
fasse.
Faut-il en conclure, comme le proclament quelques pessi-
mistes, que nous sommes fatalement appelés à disparaître et
à ne plus être qu'une simple expression géographique?
Je crois qu*il faut tout prendre au sérieux et rien au tra-
gique, et qull ne faut pas croire à l'effacement et à la dispa-
rition de la France, parce qu'il ne nous est pas permis d'ar*
river à un développement numérique égal à celui de cer-
taines nations voisines. C'est le rêve d'un trop grand nombre
de politiques de notre temps, que de vouloir coucher tous les
peuples sur le même lit de Procuste. La prospérité des na-
tions ne se règle pas sur une base uniforme. Avec leur genre
particulier, leurs manières d'être différentes, elles nous don-
nent, chacune dans son genre, la mesure de ce que l'homme
idéal pourrait être. Mais quel est celui qui peut se flatter de
jamais rencontrer cet idéal chez un peuple quelconque.
Cela est si vrai, même au point de vue démographique, que
ce que nous considérons chez nous comme une calamité est
désiré ailleurs comme un bienfait. Je recevais, il y a quel-
ques jours à peine, une lettre du docteur Ogle, le savant régis-
trar général anglais, dans laquelle il me disait que, tandis
que nous nous alarmons de la faiblesse de la natalité fran-
çaise, on commence à s'inquiéter, en Angleterre, de la trop
grande fécondité des familles ouvrières.
Si je dis cela, ce n'est pas pour soutenir ce paradoxe, que
nous devons nous féliciter de la lenteur de Taccroissement
de notre population, mais bien pour montrer que si nous
devons travailler à en diminuer la faiblesse, il ne faut pas
jeter le manche après la cognée et s'écrier : Fink Galltse,
CHERVIN. — NATALITÉ DANS LE LOT-BT-GARONNE. 77
Tâchons, si nous n'ayons pas le nombre, d'avoir la qualité.
Prospérité sociale, cela veut dire : Thomme heureux, le
citoyen libre, la nation grande, a écrit, quelque part, Victor
Hugo.
Mais si les mesures législatives sont impuissantes, les me-
sures hygiéniques nous fournissent le seul et unique palliatif
que nous ayons à notre disposition, et j'ajoute que, bien ap-
pliquées, elles donneront des résultats qui ne sont pas à
dédaigner.
Avec MM. Brouardel, Rocbard,Lagneau et tous les hygié-
nistes, je dirai: Assainissons les villes de toutes les manières,
développons, ou plutôt créons l'assistance publique, et surtout
protégeons l'enfance à tous les degrés et de toutes les façons.
Faisons, nous aussi, des économies de vies humaines en
diminuant les chances de mortalité.
Tels sont les moyens faciles qui permettront, sans boule-
verser les lois fondamentales de la société française, de garder,
et, par conséquent, d'augmenter notre population.
Sur ce point, l'accord est facile à établir, et un fort courant
peut se créer, car il ne faut pas oublier que le problème de
l'augmentation de la population n'est pas de ceux qu'on im-
pose facilement. Le remède doit être, non seulement effi-
cace, mais encore être accepté facilement par l'opinion
publique.
Or, si la plus grande passion du paysan est la possession
de la terre, il faut reconnaître qu'il aime aussi beaucoup ses
enfants, qu'il les veut heureux. C'est en le prenant par un
côté où il soit accessible, qu'il faut poursuivre le seul but
possible à atteindre, et qui est, non le relèvement de la nata-
lité, mais la diminution de la mortalité.
C'est en montrant au paysan la possibilité de prolonger ses
jours et ceux de tous les siens, d'augmenter sa dose de bien-
être par des mesures d'hygiène faciles et bien comprises,
qu'on aura une action sur lui.
En un mot, la parole n'est pas aux économistes ; elle est
aux hygiénistes. Je n'ai entrepris ce long et fastidieux tra-
78 SÉANCE DU 5 FÉVRIER 1891.
vail de statistique que pour faire la démonstration de ce fait,
qui, je le répète, domine toute la question, à savoir : que ce
sont les familles riches qui ont en général le moins d'enfants.
C'est dire que les réformes fiscales, les réformes des lois de
succession ou autre sont sans objet.
Puissais-je être entendu et que les efforts communs des
administrateurs, des politiques et des patriotes se liguent
pour faire triompher les deux seules solutions de ce grand
problème : Tassistance etPhygiène.
La séance est levée à cinq heures trois quarts.
Vun des secrétaires : CAPITAN.
531« SÉANGK. r- B fétrier 1891.
Pré«ldemee de M. lA— PB, pré«ldem«.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
OUVRAGES OFFERTS.
M. Verneau offre à la Société un volume qu'il vient de pu-
blier : les Races humâmes. Des remerciements sont adressés
par le président au nom de la Société.
Praipokt (Julien). Comptes rendus des travaux du VPCon^
grès de la fédération archéologique et historique de Belgique^
tenu à Liège, les 3, 4, 5 et 6 août 1890, t. VI, 1" fascicule.
Gharenget (Comte de). Confessonario en lengua mixe. Es-
crito todo por el P. Augustin de Quintana. Alençon, 1890,
in-8% 150 pages.
Heoer (Franz) : Reise in Kauknsus, in Transcaspien und
Russisch-Turkestan {Juni bis october 1890); Theilnahme am
VllI russischen Archàologen-Congress m Moskau, Besuch von
St-Pelersburg (Annalen des K. K. Aaturhistorischen Hofmu-
sewns. Separatadbruck aus Bd V, Heft 4). Wien, 1890, in-8%
32 pages.
VAUVILLÉ. — INSTRimBNTS GHBLLÉENS. 79
PÉRIODIQUES.
Mélusine^ t. V, n* 7 (janvier-février 189i). H. Gaidoz : les
Rites de la construction; Oblations à la mer et présages.
Revtie des sciences naturelles appliquées^ publiée par la So-
ciété nationale d'acclimatation de France, n** 3, 5févrierl89l.
G. d'Orcet : le Cheval à travers les âges {suite).
Anomalo (L\ vol. II (1 890, n" H-lâ). Nicolucci (G.) : rUomo
prehistorico in Europa. Lombroso (G.) : l'Anthropologie cri-
minelle et ses récents progrès. Aguanno (G. d*) : la Missione
sociale délia donna secondoidati delFantropologia e délia
sociologia.
The American naturalist.yoh XXIV, n"288 (decemberl890).
Eduard Meyer: Annelid Descent: The Origine of Metamerism
and the Signifiance of the Mesoderm.
Società geografica italiana (Bolletino)» Série III, vol. III, fas-
cicule i2 (décembre 1890). UEsplorazione Habot nelle regioni
del Peciora et deli' Ob.
ÉLECTIONS.
M. PoNCHON est nommé membre de la Société par S8 voix
sur 28 votants.
PRÉSENTATIOIVS.
iMsIniBieMis chellécns du dép4^t q«atermaire
de MonUIlioCre-DAiiie (Aisne) ;
PAR H. 0. VAUVILLJ.
Le bassin de la rivière d*Aisne et ceux de ses affluents
comprennent un certain nombre de gisements quaternaires,
qui ont été en partie explorés par MM. de Saint-Marceaux et
Wimy.
Je viens vous entretenir très brièvement d'un de ces dépôts
et vous présenter quelques pièces que j*ai pu y recueillir.
Il existe, au lieudil les Hautes-Bruyères, sur le territoire de
80 SÉANCE DtJ 5 FÉVRIER 1891.
Mont-Notre-Dame, canton de Braisne, une petite colline si^
tuée au nord-ouest du village et au-dessus du confluent du
Murton, affluent de la Vesle, rivière qui se jette dans TAisne,
près de Condé-sur-Aisne.
Cette élévation, qui est à Taltitude d'environ 80 mëtreg,
est d'une trentaine de mètres au-dessus du niveau de la Vesie ;
elle est garnie, du côté de Mont-Notre-Dame, d*un dépôt
quaternaire variant de 60 centimètres à i mètre d'épaisseur,
déposé en partant du sommet et en s'étendant sur la pente
opposée à la Vesle.
Ce gisement est formé principalement de silex roulés de
toutes formes et de grosseurs diverses ; de grès brisés, de par-
ties quartzeuses et siliceuses, et, en certains endroits, d*un
poudingue composé de petits silex roulés, de quartz, de silice
et d'un ciment très ferrugineux ; cette dernière partie est très
variable d'épaisseur; elle estde 20 centimètres au maximum.
La grosseur et la quantité des silex roulés de ce dépôt
sont telles, que Tadministration des chemins vicinaux a fait
prendre des arrêtés d'expropriation du sol, généralement
planté en bois, pour ouvrir des carrières pour l'extraction
des matériaux nécessaires pour entretenir les chemins vici-
naux du pays.
La position spéciale de ce gisement est très intéressante;
car les parties déposées par les eaux n'ont pas pu être ame-
nées par un courant qui serait venu de la direction de celui
de la Vesle, attendu que, dans ce cas, les parties lourdes,
comme le silex, n'auraient pas pu remonter une hauteur
aussi forte ; au contraire, elles auraient suivi le courant et la
pente, dans le sens de la rivière, pour aller se déposer sur
d'autres gisements, comme ceux de Limé, Braisne, etc.,
plus rapprochés de la rivière d'Aisne, dépôts qui sont d'une
altitude de beaucoup inférieure à celle du gisement de Mont-
Notre-Dame. Ce dernier dépôt paraît, au contraire, avoir élé
formé par les eaux venues de la direction du courant du
Murton et de celui de son affluent, la Muze.
Dans des recherches récentes, j'ai pu découvrir, dans les
VAUVlLLk). — INSTRUMENTS CHfitXÉBNS. 84
carrières, des Hautes-Bruyères, un certain nombre d'instru*
ments se rapportant à Tépoque chelJéenne. La plus grande
partie de ces objets ayant un caractère toat à fait spécial de
fabrication, je pense qu*il peut être intéressant de vons si-
gnaler ce genre particulier, qui me parait être local.
Voici huit pièces typiques du genre cbelléen, provenant
des carrières en question ; leurs dimensions varient de 85 à
182 millimètres de longueur, de 61 à 94 millimètres de lar-
geur et de 25 à 35 millimètres d'épaisseur.
Sur ces huit instruments, on remarque que six ont été
fabriqués avec des plaquettes ou oliquarts naturels de silex
d'eau douce, desquels on a simplement enlevé tout le tour
des éclats pour donner la forme désirée pour Tinstrument ;
on voit que, par ce moyen, la fabrication était bien simplifiée.
Le cortex naturel, resté de chaque côté de l'instrument, ne
laisse aucun doute sur l'emploi des plaquettes.
Ce genre de fabrication me parait être locale car les in*
struments que l'on trouve dans les autres gisements de la
vallée de l'Aisne n'ont pas été fabriqués à l'aide de pla-
quettes; ils sont, en général, du genre des cinq pièces du
carton que je vons présente; ces instruments viennent des
sablières de Giry-Salsogne.
J*ai pu, cependant, recueillir une autre pièce provenant de
plaquette ; cette dernière a été trouvée dans une carrière
exploitée sur le territoire de Limé, au lieudit leLong-BocheC;
cela n*a rien d'étonnant, car cette dernière carrière se trouve
très rapprochée et au-dessous de celles des Hautes -Bruyères.
Cette dernière pièce a très probablement ia même origine
que celles trouvées sur Mont-Notre-Dame; elle a dû être
amenée par le même courant.
On peut aussi remarquer, sur cinq pièces ayant été for-
mées avec des plaquettes venant des Hautes-Bruyères, que le
fabricant a eu le soin de ménager, du côté opposé à la pointe,
une partie plate sur un seul côté ; ceci peut même faire croire,
au premier aspect, que la pièce est restée inachevée.
L'examen attentif de ces diverses pièces fait voir, au con-
T. II (4* SArIB). ti
82 SÊAKCfi tV K FBVtllER i891.
traire, que cette partie plate a été ménagée inientioanelle'»
ment; elle avait pour but la préhension plus facile de. Tin-
strument dans la main, en plaçant Tindex sur la partie plate
réservée pour cela.
On peut aussi remarquer que les instruments recueillis sur
Mont-Notre Dame sont généralement en silex d*eau douce
très variés; je n*ai pu recueillir jusqu'alors qu'un fragment
d'instrument en grès lustré, qui paraît être un fragment de
percuteur.
Au contraire, sur Giry et d'autres gisements, les instru-
ments en g^ès sont nombreux. Ceci indique bien aussi que
les objets déposés aux Hautes-*Brnyères viennent d'une autre
direction que ceux des autres dépôts plus rapprochés de la
rivière d'Aisne.
Le mode de fabrication avec plaquette n*est cependant pas
général dans le gisement de Mont-Notre*Dame. Une pièce en
silex d'eau douce de 13i millimètres de longueur, de 78 mil-
limètres de largeur et de 29 millimètres d'épaisseur, indique
bien que cet instrument a été enlevé sur un silex très épais,
car on voit très bien, du côté du talon, le plan de frappe et le
conchoîde de percussion, qui n'ont pas été détruits par les
retouches faites en dernier lieu pour donner la forme typique
de l'instrument.
Cette dernière pièce, quoique d'un autre genre de fabrica-
tion que celles provenant de plaquettes, paraît aussi avoir
subi des retouches intentionnelles, dans le but de ne pas
blesser l'index de la main par la préhension, comme pour les
cinq pièces provenant de plaquettes dont il a été question.
Il existe aussi, sur les pièces du carton venant de Giry, un
instrument en grès de 140 millimètres de longueur, qui a dû
être fabriqué dans le môme but, comme l'indique une partie
plate bien conservée volontairement d'un seul côté*
Les sept pièces fabriquées intentionnellement pour ne pas
blesser la main permettent bien d'afûrmer que ces instru-
ments ont été employés directement avec la main sans avoir
été emmanchés.
DlSCUSdlON »IIR DfiS tNdîRUMBNTS CâELLÉENâ^ 83
11 ftorait très intéressant de pouvoir découvrir les endroits
de fabrication des instruments de l'époque cheliéenne dé*
poséâ dans les gisements quaternaires qui reposent au milieu
de larges vallées, comme à Cheiles et dans la vallée de la
Somme, car ces instruments, en général, doivent provenir de
tris loin.
J'espère, à la suite de nouvelles recherches que je pense
faire à la belle saison, pouvoir de nouveau fixer votre atten-
tion sur Torigine de fabrication des instruments et sur la
direction du courant qui a pu les déposer dans le gisement
de Mont-Notre- Dame.
Discnssion.
M. Gabriel de Mortillbt fait remarquer que les coups de
poing oheiléens présentés par M. Vauvillé sont d*autant plus
intéressants que, parfaitement taillés tout au pourtour, ils
conservent un petit espace plat laissé intentionnellement tou*
jours au même endroit. M. deMortillet regrette que M. d'Acy
ne soit pas à la séance, ces pièces montrant bien qu'elles
devaient être tenues à la main et non emmanchées.
M. Capitan constate que ce méplat se trouve sur un très
grand nombre de pièces chelléennes; le doute ne paraît
donc pas possible, d'autant plus que certaines pièces ne pré^
sentent pas ce méplat, ce qui semble bien indiquer que là
où il existe, c'est qu'il a été laissé intentionnellement. On
ne saurait admettre, en présence de la perfection de la taille
de beaucoup de pièces, qu'il s'agit là d'une partie manquée
ou seulement ébauchée.
M. OabrixIi de MoRTiitLET reconnaît qu'il existe^ en effet,
quelques coups de poing sans plat sur le calé. Mais c'est
l'exception. Ainsi, sur les dix pièces produites par M. Vau-
villé, parmi lesquelles on en remarque de travaillées avec
beaucoup de soin, neuf présentent à la base un petit aplatis^^
sèment sur la pourtour. Une s^ule eat plus ou moins tran*
chante tout autour. Pourtant, en l'essayant, on reconnaît
84 SÉANCE DU 5 FÉVRIER 1891.
qu'il est facile de la saisir et de la tenir à la main sans se
blesser. Quêtaient donc bien des instruments à main et non à
emmanchure.
M. Adrien de Mortillet fait remarquer que si l*on avait
employé l'emmanchement à Tépoque chelléenne, on l'aurait
certainement conservé ; or, aux époques immédiatement sui-
vantes, on ne trouve rien qui rappelle Temmanchement.
Calllère aaeleMie,
M.DiAMANDT présente une cuillère trouvée en Bessarabie et
qu*il pense être romaine. Il l'offre au musée de l'École d'an-
thropologie.
Difooftion.
M. Gabriel de Mortillet. La curieuse cuillère présentée par
notre collègue reproduit une forme ancienne, c'est incontes-
table. Mais est-ce une forme romaine? J'en doute d'autant
plus qu'on peut dire d'une manière générale que les Romains
ne se servaient pas de cuillères.
Le couvert des Romains était réduit à la plus simple ex-
pression. 11 se composait tout bonnement d'un couteau, qui
souvent avait le même aspect que nos couteaux de table à
bout pointu, et d'une pointe avec un petit godet à l'extrémité
opposée* Cette seconde partie du couvert remplaçait tout à
la fois la fourchette et la cuillère. On piquait les morceaux
avec la pointe pour les porter à la bouche. La fourchette
n'était pas connue à Rome et le latin n'a aucun mot pour la
désigner. Quant au petit godet opposé à la pointe, il était de
fort petite dimension et appelé cochlear quand il était rond
en forme de coquille, et imgtUa quand il était allongé en
forme de langue. Plus petits que nos cuillères à café, ces
godets ne servaient qu'à prendre le jus des viandes coupées.
Ce n'étaient pas de véritables cuillères. Ces dernières ne se sont
montrées qu'avec l'arrivée du christianisme, comme le prou-
vent les devises et les emblèmes qu'elles portent.
LEGRAIN.— STATUETTE ÉGYPTIENNE. 8^
Les Romains faisaient usage d'aliments liquides ou solides,
lis n'avaient pas d'intermédiaires. Ils piquaient les solides et
buvaient les liquides. Aussi, pour les séparer^ employaient-
ils souvent des casseroles doubles, entrant Tune dans Tautre.
L'intérieure, toute percée de trous, était une véritable pas-
soire. En la retirant, elle emportait la partie solide du
ragoût. La partie liquide ou sauce restait dans la casserole
extérieure.
M. Adrien de Mortillbt dit que la cuillère offerte par
M. Diamandy présente une tige torse et non la tige plate
beaucoup plus récente. C'est une forme qui d'ailleurs s'est
conservée et existe encore en Russie et en Bessarabie chez
les paysans.
M . DE Gharencey fait remarquer que les Romains mangeaient
de la soupe et des œufs à la coque; comment donc pouvaient-
ils manger ces mets?
M. Adrien de Mortillet dit qu'à Tépoque néolithique,
il y a des cuillères en terre cuite et en bois. A l'époque du
bronze, il n'y en a pas, on n'en retrouve que beaucoup plu>
tard.
M. Beauregahd rappelle, qu'il existe des cuillères datant
du moyen âge de forme analogue à celle de la cuillère
offerte.
M. Lbgraln entretient la Société d'une image du dieu Set.
Cette divinité est représentée avec une tête d'animal car-
nassier, au museau long et un peu busqué, aux oreilles droites
et larges du bout. On la voit couronnée du pscheut.
Dans la statuette en question, les oreilles ont été brisées
et remplacées par des cornes de bélier. Grâce à cette substi-
tution, on a obtenu une figure de Kbnoum ou d'Amon crio-
céphale.
H. Legrain rappelle que le culte de Set a été proscrit en
Egypte au temps de la conquête persane et pense que C'=it»e
86 SÉANCE DU 8 FÉVHIER IH^Î.
statue a été mutilée à cette époque. Gr&ce à celte opératiou,
on a obtenu l'image d*un dieu orthodoxe à la place de celle
d*un dieu dont le culte était aboli.
M. Hervé demande quel est ce pscheut?
M. Legkain répond que c*est le pscheut composé de Tasso-
ciation de la couronne rouge et blanche.
Papier et vêtement indiens.
M. ViNSON présente à la Société une feuille de papier faite
dans rinde, partie avec de la bouse de vache, partie avec de
' la paille de riz.
Il présente ensuite un morceau discoïde de verre vert en*
louré d'un cercle de plomb de 6 à 8 centimètres de diamètre,
qui constitue le seul vêtement des petites filles de THindoustan
au-dessous de huit ans.
M. Adhien de Moutillet rappelle qu'il y avait, à TExpo-
sition de 1889, des objels analogues, dont l'un provenait du
Laos.
(:OMMU.\ICATIONS.
La Justice et les Tribunaux «Sans l'aiioiciiue É{cy|ite («Mile);
PAR M. OLLIVIER-BEAUREGARD.
I
11 importe, à titre anthropologique, de rechercher et de
savoir ce que fut, dans le monde de la société de l'antique
Egypte, le personnel d'accusés et de criminels qui figurent
aux procès dont nous nous sommes occupés.
D'abord deux observations préjudicielles bien capables
d'aider à faire comprendre comment et pourquoi le mal de
rapine a surtout sévi en Egypte sur des classes de travail-
leurs et de fonctionnaires plus spécialement en continuel
contact avec les morts.
Dans les villes de l'ancienne Egypte et tout particulièrement
dans les grandes villes, telles que Thèbes et Memphis, le
BEAURE6ARD. — LA JUSTICE DANS L'aNGIENNE EGYPTE. 87
quartier fanéraire avoisinait, à i*ouest, la ville proprement
dite.
Ainsi le quartier funéraire de Tbèbes était situé sur la rive
gauche du Nil et, tandis que la ville bordait la rive droite, le
quartier funéraire bordait la rive opposée. A Touest de Mem-
phiSy e*est la plaine de Sakarah, qui nous livre aujourd'hui les
attestations de la situation de sa nécropole.
A Tbèbes comme à Memphis, les quartiers funéraires
étaient fort étendus et constamment ouverts à une population
de travailleurs de tous états, tels que maçons, ciseleurs,
tailleurs de pierres, appareilleurs, terrassiers, à qui la nature
et Texigence de leurs travaux donnaient sur tous les points
un libre accès et un libre parcours.
La police des quartiers funéraires était confiée, comme
nous l'avons dit, à un corps de gendarmerie nommé \^ i
^ M ) )^t rnadjaiû^ en souvenir d'une tribu libyenne de ce
nom, qu'eurent à combattre les Pharaons du moyen et nou^
vel empire, et qui, vaincue, passa au service de l'Egypte.
Nous ignorons quel fut précisément reGTectif numérique de
cette tix)upe, mais il paraît avoir toujours été insuffisant, car
de tous temps, les vols aux hypogées ont été fréquents et
audacieux.
Les circonstances locales, il est vrai^ se prêtaient, comme
à souhait^ à cet inconvénient ; le sol de la nécropole thébaine,
établie, comme Ton sait, aux plus voisins contreforts de la
chaîne libyquei était naturellement fort accidenté, et la vue
n'y pouvait avoir une longue portée. Dans la plaine de Saka*
rab, les fouilles incessantes amoncelaient les sables extraits et
créaient à la vue des obstacles multipliés; ici et là, les cha-
pelles construites et les chapelles en construction s'offraient,
comme autant d'abris, aux maraudeurs malintentionnés, à
qui, d'ailleurs, le prétexte de travaux à suivre, de missions à
remplir, de Vun à Taytre chantier, sur l'aire d'une même
nécropole, assurait, par avance, le libre parcours.
De fait, la Burvelllanoe exacte était fort difficile aux quar*
88 SÉANCE DU 5 FÉVRIER 189i.
tiers funéraires; en même temps que les richesses considé-
rables que l'on savait être déposées dans les tombeaux étaient,
pour tout le personnel vivant dans la nécropole et de la
nécropole, ouvriers ou fonctionnaires, un appât fort alléchant
et bien capable de persuader à de médiocres vertus que voler
les morts, c'est ne voler personne. D*ailleurs tout ce même
personnel^ sans cesse excité à la convoitise, résidait là au
foyer de ses appétits, et y constituait un quartier vivant de
population très dense.
Il
Je trouve au catalogue du musée de Boulaq, dressé par
Auguste Mariette, des indications tout à fait justificatives des
insinuations qui précèdent. Sous les numéros 810 à 839,
le catalogue d'Auguste Mariette nous fournit Tinventaire
des bijoux trouvés dans la sépulture de la reine Aah-holep,
présent de la lune, épouse ou mère du premier roi de la
XVIll* dynastie, Aahmès, engendré de la lune, quinze siècles
avant notre ère; et c'est à profusion une énumération de
bijoux de prix à faire douter de la réalité.
Il s'agit en effet de l'écrin d'une morte. On y compte:
1® Bracelet d'or à double charnière, orné de gravures et de
figures symboliques, dont le travail exquis fait dire à Ma-
riette que ce bijou est un des meilleurs morceaux de la
collection ;
2* Deux bracelets d'or et de perles; les perles sont d'or, de
lapis, de cornaline rouge et de feldspath vert. Les perles
courent sur un fil d'or;
3° Un bracelet composé de deux parties reliées par une
charnière; les dimensions de ce bijou disent qu'il a dû être
porté à l'humérus ;
4"^ Un beau diadème, recueilli sur la tête même de la reine
dans le fouillis de sa chevelure.
La décoration en est très riche; c'est, dit Mariette, un
magnifique spécimen du travail égyptien.
5^ Une fort belle chaîne tenant suspendu un scarabée. Le
BBAUREGARO. — LA JUSTICE DANS LANCIENNB EGYPTE. 89
corps du scarabée est d*or massif; les pattes, d'un travail
exquis, sont soudées au corps ; le corselet et les élylres sont
en p&te de verre bleu tendre, rayés de lignes d'or. La chaîne
mesure 9J centimètres, et chacune des extrémités porte une
tête d'oie recourbée. La flexibilité de cette chdne témoigne
d'une grande habileté de main-d'œuvre.
6^ Une hache, manche en bois de cèdre recouvert d'une
feuille d'or; les hiéroglyphes qui| y sont découpés nous
donnent le protocole complet de la dénomination du roi
Amosis. Le tranchant est en bronze orné d'une épaisse
feuille d'qr qui en embrasse les deux faces; d'intéressantes
gravures, où figure Amosis vainqueur, décorent le champ de
chacune des deux faces.
La hache adhère au manche par une simple entaille dont
les joues sont consolidées par un treillis d'or.
T* Un poignard d'or et son fourreau également en or, monu-
ment sans égal, dit Mariette, pour la grâce et l'harmonie des
formes. Suit, au catalogue, une longue description.
8* Un bracelet, perles d'or et de lapis enfilées sur des fils
d'or assez espacés pour que l'ensemble en reste à jour; le
fermoir porte la légende d'Amosis.
9^ Un poignard à lame de bronze jaunâtre, dit Mariette ; le
pommeau est un disque lenticulaire d*argent; à l'usage, le
pommeau lenticulaire s'appuyait sur la face interne de la main,
la lame passant entre l'annulaire et le médium.
JO* Deux mouches or et argent, parties décoratives d'un
collier;
I P Un bracelet en or massif, épais et sans ornementation;
12® Un collier ousekk dont les branches sont formées de
lions et d'antilopes courant, de chacals assis, de vautours,
d'éperviers, de vipères ailées, reliés entre eux par des lacs de
cordes enroulées, des fleurs à quatre pétales épanouis ; les
agrafes sont à tête d'épervler. Tous ces ornements sont en
or repoussé.
13' Un pectoral, qui affecte la forme d'un naos (petite cha-
pelle) ; Amosis y figure au centre recevant d'Ammon et de
90 SÉANCE OU 5 FÉVAIBR 1891.
Phré Veau de purification. Mariette, qui décrit minutieuse-
ment ce bijou, dit, de ce monument, qu*ail est d*un travail
hors ligne n.
14"* Un collier formé de rosaces en or, avec incmstatioâs de
pierres entre cloisons; des pendeloques en forme d'amande
descendent de chaque rosace ;
15^ De petits rectangles d'or, semés de quelques perles sont
des débris de bracelets que le temps a détruits ;
i6<» Des anneaux creux en or, qui peuvent bien avoir été
utilities comme bracelets ;
l"/* Une chaîne d'or portant trois mouches en or massil ;
18" Deux tètes de lion, une en bronze nu, Tautre en bronze
revêtu d'or;
19*^ Un bâton en bois noir recourbé à l'une de ses extrémi-
tés et entouré d'une large feuille d'or en spirale \
40* Un poignard à manche d'or massif;
^1" Une hache à manche de corne rehaussé d*or à son
extrémité inférieure ; le tranchant est d'argent ;
22' Un chasse-mouches, flaàeUum ; le manche et le couron-
nement sont de bois recouverts d'une feuille d'or ;
23° Un miroir ;
24* Neuf hachettes ; trois en or, six en argent ;
25*' Des anneaux de jambe en or et en grande quantité ;
26* Enfln, une barque d'or massif, garnie de son équipage:
douze rameurs en argent massif et trois personnages^ dont
le timonnier et le commandant en or massif.
111
Cette sépulture de la reine Aah-hotep est sans doute Tune
des plus riches parmi celles qui nous sont connues, mais elle
n'est pas la seule, qui^ sous ce rapport, soit digne d'attention,
et l'aveu des voleurs qu'a retenu le Papyrus Amhurst^ est un
témoignage tout à la fois du grand nombre des riches sépul*
tures dans l'antiquité égyptienne et surtout au temps de
Tancien empire, et de l'attrait fascinateur qu'exerçait sur
BEAUREGAHD. -* LA JUsTICB DANS L*ANC»BNNE EGYPTE. 9f
Tesprit de la population des hypogées la certitude acquise
de Texistence effective de riches dépôts dédiés aux morts.
Voici, diaprés le Papyrus Amhurst, quelle fut la déclaration
catégorique des voleurs arrêtés et amenés, comme disent
les papyrus, au lieu du jugement.
« Nous nous sommes introduits dans le tombeau du roi^
Sebak-em-sauf et de la royale épouse Noubshas, sa royale
épouse, par Tendroit de son couloir.
c L'accès en était protégé et défendu par de la maçonnerie,
et couvert de dalles. Nous le démolîmes complètement et nous
trouvâmes la reine reposant. Nous ouvrîmes également leurs
cercueils et les coffres funéraires dans lesquels ils étaient.
Nous trouvâmes la momie auguste du roi, qui était près de
la divine hache d'armes. Et un nombre considérable de talis-
mans, ^ ^ ^ ^ *^ , ulha, et d'ornements, 1 ^ ^ *^^ , aperer,
d'or étaient à son cou. Sa tête était recouverte d'or pur-
dessus, et la momie auguste du roi était entièrement garnie
d'or; ses cercueils élaient revêtus d*or et d'argent, en de-
dans et en dehors, et couverts de toute espèce de pierreries.
Nous prîmes Tor que nous trouvâmes sur la momie auguste
du dieu, ainsi que les talismans et les ornements qui étaient
à son cou, et les coffres dans lesquels il reposait. Ayant
trouvé également la royale épouse, nous prîmes tout ce que
nous trouvâmes avec elle de la même manière, et nous
mîmes le feu à leurs coffres funéraires, et nous volâmes leurs
mobiliers, que nous trouvâmes avec eux, à savoir : des vases
d'or, d'argent et de bronze, 11/,, et nous nous les par-
tageâmes. Nous fîmes l'or, que nous avions trouvé avec le dieu,
dans leurs momies augustes, les talismans, les ornements, les
cercueils, en huit parts. »
Les voleurs étaient au nombre de huit, dont cinq seulement
nous sont nominalement connus. Et nous voyons que ces
loups ravisseurs ne se mangeaient pas entre eux ; ils parta-
geaient en frères et amis, et se gardaient entre eux de dis-
putes compromettantes.
92 SÉANCE DU 5 FÉTR1BR i89i.
IV
L'autre observation, dont il est nécessaire défaire précéder
notre étude, sur le personnel rois en cause dans les exposés
déjà relatés, est relative au titre de scribe qui n'eut pas en
réalité, chez les Égyptiens de l'antiquité, l'ampleur exagérée
qu'il a généralement acquis dans la pensée des curieux ordi-
naires des choses de l'Egypte.
Le titre de scribe, chez les Égyptiens pharaoniques, n'avait
par lui-même guère plus de valeur que nos certificats d'études
élémentaires. Il pouvait conduire à tout en Egypte, mais il
n'était qu*une porte d*entrée. Pour l'utiliser et en tirer tous
les avantages qu'il était apte à procurer, il fallait faire preuve
de science acquise et ce n'était que par échelons que Ton
montait lentement aux charges administratives, qui toutes
exigeaient, avant qu'on pût prétendre à y aspirer, qu'on eût
gagné le titre initial de scribe et qu'on en fût officiellement
pourvu.
Cela dit pour mettre, autant que possible, dans leur milieu
natif» les acteurs et les faits que nous avons à juger, je vais
relever dans chacun des rapports concernant les affaires cri-
minelles dont il a été parlé, le personnel tout spécial qui s'y
meut.
L'ensL'iuble du Papyrus judiciaire dt Turin et des Papyrus
Lee et lUdUn fournit à nos études un total de trente-deux
condamnations appliquées aux criminels dont tout à l'heure
nous donnerons les noms et les qualités ; mais il convient au-
paravant de faire connaître les termes de l'ordre royal qui
renvoie les accusés devant le tribunal, et de dire le nom des
juges composant ce tribunal.
Parmi les accusés se trouvent des étrangers à l'occasion
desquels le personnel du tribunal semble avoir été modifié ;
en signalant ces accusés étrangers, nous ferons connaître les
modifications du tribunal à leur sujet.
B£AUREGARD. — LA JUSTICE DAMS L'ANGlSNNfi EGYPTE. 93
Voici en quels termes s^exprime le Pharaon :
«Je charge des criminels du pays : le préposé du Trésor
JOen-tu-em-to^ le préposé du TréBorPcûf-retOy le porte-chasse-
mouches Karo^ le contrôleur Febésa^ le contrôleur Katen--
tertf le contrôleur Baarmohar^le contrôleur Petràonnou, le
contrôleur Thothrekhnefer ^ le lieutenant du roi Pen$*amaou,
le scribe Phra-em-heb de la Bibliothèque, le porte^enseigne
Bora , des travailleurs , en disant : Les paroles qu'ont dites les
hommes, je ne les connais pas. Allez, jugez-les I Allant et les
jugeant, et faisant mourir en leur corps, ceux qui ont donné
la mort de leurs mains, je ne les connais pas; en faisant appli-
quer le châtiment aux autres et je ne les connais pas en
réalité.
« Or donc, je tous dis, à savoir : ayez du cœur I gardez-vous
de faire châtier quiconque serait prévenu de délit et sur qui
cela ne tombe pas, relativement à eux.
« Ne résistez pas ! quelque chose qui ait été faite, ceux qui
Tout faite, que tout ce qu'ils ont fait soit sur leur tête !
«Je protège; je prends soin à toujours. Je suis avec les rois
de la Justice, qui sont devant Anïon-ra, Roi des Dieux et
devant Osiris, Souverain de TÉtemité. »
Après cette déclaration du roi, où nous notons Tinstitution
de onze juges, nous trouvons, au Papyrus judiciaire de Turin
et à sa quatrième colonne, renonciation qui suit :
« Gens amenés pour les grandes abominations qu'ils ont
faites. Je — moi le Roi, probablement —les ai mis au lieu du
jugement, en présence des grands magistrats du lieu du ju-
gement pour les faire juger par le préposé du Trésor Men-
tu-em-to^ le préposé du Trésor Patf-reto^ le porte-chasse-
mouches Karo^ l'ofQcier {ûbû) Païbast^ le scribe Mai de la
Bibliothèque, le porte-enseigne tiora * ; ils les jugèrent et les
trouvèrent en culpabilité, ils leur Ûrent appliquer le châti-
ment, et leurs abominations leur furent enlevées. »
> Ce porie-enseigoe Bora est le même Uora que nous verrons plus loin
oonvainou d'enlente avec les oonspirateun et qui, à cette cause, fût coo*
damné à mort et exécuté.
94 SÉAKCfi tHJ & FÉVRtfift 189t.
Remarquons que la première déclaration du roi institue
onze juges nominalement désignés, et que les accusés com-
paraissent devant un tribunal composé seulement de six
juges, parmi lesquels deux noms nous sont nouveaux, à sa-
voir celui de TofQcier Paîbasty et celui du scribe Mai, de la
Bibliothèque.
Assurément nous sommes ici insuffisamment renseignés.
Voici maintenant les noms et les qualités des accusés, et
indication sommaire du jugement qui frappe chacun
d'eux.
Là, tous les personnages mis en cause sont un à un quali-
fiés de <i Grand criminel », comme on va le voir au libellé du
jugement du premier d'entre eux, jugement que je transcris
in extenso^ parce qull expose la nature du délit et qu'il est,
par sa forme et ses expressions , une curiosité judiciaire
de valeur archéologique, et qui doit être retenue.
VI
' Le grand criminel (^ ^ V- 2^. Kherû ad] Paï-baka-
Kamen étant majordome. Amené pour son délit , qu'il fit à
cause de Taiih avec les femmes du harem. Il fit un avec
elles ^ Il lui arriva d*emporter leurs*7)aroles au dehors, à
leurs mères et à leurs sœurs, qui étaient là (dans ie harem)
pour dire d'exciter les hommes, d'engager les malfaiteurs à
faire tort à leur seigneur. Il a été mis en présence des grands
magistrats du lieu du jugement. Ils jugèrent ses abomina-
tions> ils trouvèrent à dire qu'il les fit en réalité, et que ses
abominations étaient complètes en lui. Les magistrats qui le
jugèrent lui firent appliquer son châtiment.
Mesdùsou-ra^ ûbù (officier?), coupable de complicité;
Pa^anaouky intendant du Gynécée royal, coupable de com-
plicité ;
Pen-douaouou^ scribe du Gynécée royal, coupable de com-
plicité ;
V C*«tt^*dire : il oomplote av«o eUesi dans le m4me bat, et dans 1«
mêmes oriminelles intentions.
beaUrêgaro. — La justice Dans l*anûiënnë égyptê. 95
Pa-mwa^m-dua-^Amon^ employé au Gynécée royal, coupa-
ble d avoir connu, sans les dénoncer, les propos tenus et les
complots ourdis à sa connaissance par las hommes el les
femmes du Gynécée royal ;
Karpous, employé au Gynécée, coupable de n'avoir pas
dénoncé les propos tenus en sa présence;
Sha-^m-apet, employé au Gynécée, même chef de culpabi-
lité ;
Sha-m-mââ-ner, employé au Gynécée, même chef de cul-
pabilité ;
Séti-m'pef*'thot'tif employé au Gynécée, même chef de
culpabilité ;
Ouar^ officier, coupable d'avoir, quoiqu'on les blâmant,
connu les complots du majordome Paî^bakO'Komen^ et de
ne les avoir pas dénoncés ;
Aih'hebs't^ au service de PaUbaka-Kamen^ coupable, étant
informé des complots de son maître, de ne les avoir pas dé-
noncés ;
Palka, étranger, officier et scribe de la Maison de vie (col-
lègn des scribes), même culpabilité ;
Libon-2nint\ étranger, officier, même culpabilité ;
Six femmes des préposés aux portes du Gynécée, coupa-
bles de connivence avec les accusés ;
PaUari, fils de Lama, étranger, préposé au Trésor, cou-
pable d'avoir, en complicité avec Pen-haVben^ excité les
malfaiteurs à la révolte contre le Roi. Ces deux personnages
figurent aussi au Papyrus Léo,
Ban^em-ouaboUf officier d*Éthiopie, coupable d'intelligence
avec sa sœur, en service au Gynécée, pour l'engager à pous-
ser les hommes à la révolte contre le Roi.
Pour cet accusé, le tribunal est modifié dans son person-
nel, il comparaît devant :
Çedenden, Boar-mohar, étrangers, Pa-arou et Thoth-rekh-
nofer.
De ces quatre jtfges, deux, Baar^mohar et Thotli-rekh-
nofer, nous sont connus, les deux autres sont nouveaux, à
96 SÉANCE DU 5 PÉTIUBR 1891.
moins que Qedenden soit le même que le contrôleur Katenlen
déjà nommé.
Sous une seconde rubrique et frappés par le même juge-
ment, nous trouvons au Papyrus judiciaire de Turnif les six
personnages dont les noms suivent :
f^aï-as^ capitaine d*archers ;
Mes'SoU't, scribe de la Maison de vie (collège des scribes) ;
Pàrâ-Kàmen-f, supérieur-chef (?) ;
Aî-ri, prêtre chargé de la libation de Pacht ;
Neb'thefaoUy officier [ûhû) ;
Shad-mesther, scribe de la double Maison de vie, tous
coupables d'avoir comploté avec Pai-baka-Kamen^ Palpas et
Pentaour. Ils furent condamnés à mort, et ils seraient morts
eux-mêmes, dit le jugement, sll n'avait été fait exception
pour eux.
Nous avons sous une troisième rubrique, mais désignés
chacun par un jugement spécial, les quatre personnages dont
voici les noms :
Pentaour, connu aussi sous un autre nom, dit le Papyrus;
Han-outen-Amon, officier;
Amenas ha-^u, musicien au harem;
PaUariou, scribe au Gynécée royal,
qui, coupables d'avoir connu, sans les dénoncer, les com-
plots et les mauvaises dispositions des femmes du Gynécée
royal, furent condamnés à mort et exécutés.
De ces quatre personnages, Pentaour est le seul dont le
nom ne soit pas flétri de la qualification grand criminel^ et
il y a lieu de penser que le nom de Pentaour dissimule un
personnage de la famille royale.
Puis, sous une quatrième rubrique, nous avons, au Pnpy-
)m8 Judiciaire de Turin, une série de quatre jugements qui
infligent le supplice de Tablation du nez et des oreilles à
quatre juges négligents du devoir de leur charge, ce sont :
Païbast, officier ;
Maîf scribe de la Bibliothèque ;
Tai'neckh'tou'ta, officier des ouaï (travailleurs) ;
BËAURKGARD. — LA JUSTICE DANS L*ANaENNfi 6GTPTE. 97
Nanaian^ supérieur des..*
U leur fut fait leur châtiment, et de plus, dit le jugement,
il fut disposé de Pcûbast ; il mourut lui- môme.
Enfin, dans sa sixième colonne, notre Papyrus^ dans un
dernier paragraphe, nous donne la teneur du jugement rendu
contre tiara^ le porte enseigne des ouaï (travailleurs).
Il est reconnu coupable de s'être joint aux conspirateurs,
u U est disposé de lui, dit le jugement, et U n'est pas fait
d'exception pour lui. » Il fut exécuté à mort.
Le Papyrtu Lee nous inilie aux hauts faits de Pen Aaî-hen^
l'intendant des troupeaux, Thomme aux procédés magi-
ques, avec Pat'baka-Kamen, Tun des agents les plus actifs
de la conspiration ourdie contre Ramsès IIi> dans son palais,
et nous fait savoir le sort qui lui échut.
Condamné à mort comme conspirateur et usurpateur des
>ecrets magiques, il fut exécuté avec ses complices.
Le Papyrus Lee nous signale un nommé \ ^1 ^ ^T* "^
î' lit» -^^''^^> étranger, dont Pen-haï-ben se servait pour
entretenir ses intelligences secrètes avec le personnel du
palais; mais il ne nous fixe pas sur son sort; nous devons
croire qu'il a été ensuite exécuté comme complice de Pen-
hal'ben.
VU
Ëo somme, le Papy^tis de Turin et ses annexes, les Papyrus
Lee et Rollin, nous font connaître le procès criminel fait aux
acteurs actifs et passifs de la conspiration ourdie contre le
Pharaon Ramsès 111, chef de la XX* dynastie ; ils nous en
donnent quelques détails.
Par eux, nous savons la composition du tribunal institué
pour juger les coupables, et nous sommes instruits de Tinci-
dent qui, au cours du procès , provoqua la révocation de
juges trop peu énergiques et la désignation d'autres juges
en remplacement.
Par eux aussi» nous avons la minute de trente-deux juge*
T. II ^i*" 8KRIE). 7
ments rendus, savoir : quatre contre les Juges négligents et
vingt-huit contre les conspirateurs.
De ces vingt-huit sentences rendues, onze prononcèrent la
peine de mort.
Six des onze sentences de mort n'eurent pas, grâce à la
clémence royale, leur effet capital ; les cinq autres furent
consacrées par Texécution des condamnés.
Quant an personnel criminel, qui figure à ce procès, il
s'est, comme dans toutes les conspirations de palais, recruté
parmi le personnel même en charge auprès du souverain.
C'est aux palais des rois que s'exalte Tambition des grands
et des petits.
Il y a dans nos listes de conspirateurs des grands et des
petits, mais petits et grands sont gens de palais.
VIII
Les rapport! criminels que consignent les autres papyrus
judiciaires dont nous avons invoqué le témoignage, livrent à
nos études un personnel de coupables que ses exploits ran-
gent plus directement dans l'ordre des malfaiteurs, qui sont
Tordinaire écume de toutes les classes de la société.
C'est, en effet, de meurtres, de viols, de vols, crimes dont
souffrent encore nos civilisations modernes, que sont accusés
les comparants aux papyrus antiques qui nous occupent.
Mais, ici, les vols sont plus particulièrement de ceux que les
richesses, enfouies avec ostentation dans les demeures funé-
raires, ont, de tout temps, en Egypte, pour ainsi dire solli-
cités.
Dans la tourbe des malfaiteurs que nous allons connattre,
toutes les classes de la société égyptienne ont des représen-
tants.
La qualification de saailège, attribuée à Tacte criminel
de la profanation et de la violation des tombes n'a même
pas eu le privilège de détourner de cette œuvre maudite,
des membres haut placés de la classe sacerdotale, des scribes
pourvus d'emplois supérieurs, que nous trouverons ici mêlés
BfiAURÊGAkD. -A Ik 4U8ttG£ t)ÀKS i^^UClENNfi EGYPTE. M
aux snppOU dti pltti vili uppéiits ^ de la pl^» basM cupi-
dite.
Il convient, d'ailleurs, de noter ici, en passant, que les
Égyptiens ont eu, dans l'antiquité, la réputation, qui semble
leur être Justement acquise, d'être d'habiles voleurs.
IX
Le Papyrm Abbott est la relation fort mutilée et de tout
point incomplète de la procédure suivie contre les auteurs
de vols commis dans les hypogées.
C'est au règne de l'un des Ramsès de la XX* dynastie qu'il
faut rapporter la date de ce monument.
Le Papyrus Amhunt est, comme le Papyrus Abbott^ un
lambeau détaché d'un même acte de procédure.
Le Papyrus Abbott divise en trois séries la longue liste des
coupables qui interviennent au procès.
Voici cette liste telle que la fournit le Papyrus,
§1
Q L an l*^ Thoth â* jour, correspondant à l'an 19 ;
« Copie du libellé des voleurs du Kher et des voleurs des
maisons, déférés au Pharaon, par le commandant seigneur
Sheouh :
a 1"* Le scribe Toouisherau^ fils de... emab, du Trésor, de
Diospolis ;
« S"* Le nommé Shanebouaout^ fils de Pirpenifouemap, fils
de... aa^ de Diospolis;
« â"" Le supérieur des portielrs Thoth-hotep, fils de Pif^peni-
fouemap, de Diospolis ;
« 4* Le Ouaou Num^ flls d'Aner^ fils à'Jsema qui était AevA ;
« 5° Le num Pekamen^ fils de Pêouamen, de la Bibliothèque
d'Ammon;
<c 6** Son frère également fils de Peouamen ;
« 1* Le saribe Skkaha^t^hirtmêên^ûiÈ de ShouaM^ dit A^temab,
lui de la ville de Hof ;
MOU ^KANOfc: DU 5 FÉVHlEh 1891.
a 8» Le prêtre Peimkher, de Khompe'iri'Skher ;
« g*» Le gardien Bukhaef, flls de Ouaoudjau, de Diospolis,
lui de la ville d'Apap ;
« 10« Le num Khnosmès, fils de Djetou'nedjemou, qui étoit
grand gouverneur; sa mère était Mesi, de Diospolis.
§11
<« Voleurs des maisons des alentours :
« 11» Le scribe Pebeka, fils de Nasamen^ sa mère /sis, du
temple à'Ouserma'ra'meri'Amen ;
a 12*» Le prêtre Djapenefer, fils de Pai-neb-mès, de Dios-
polis ;
(c IS'» L'aouh Pramou, qui était prophète de S^éa*, à
Paonkh ;
a 14» L'aouh Pikamen, qui demeure dans la ville d'Her-
montes ;
u 15» Le khenti Sehakaru, fils 6:Arinefer, du temple...
u L*an P% de Paophi 24« jour, correspondant à Tan 19 ;
u Copie du libelle des voleurs du Kher, remis au gouver-
peur Ma-neb-ra, par le commandant seigneur Shoouh :
a 16* Le nommé Em-Shennabi-amen-totou, de Diospo-
lis..., fils de Peripenifamen, de Diospolis ;
« 17* Kheperpesherau, fils de la femme Dja-djaou;
u 18** Le prêtre de Tencens Shetàoukkons, de Diospolis,
et ses deux frères ;
<c 19»' Djevaiou^ de la ville de Sesennou, établi au bourg
de Tenedj ;
a 20° L'aouh Pekaramaou^ qui est serviteur du surinten-
dant de la demeure de Ra ;
« 2l« Stesskkay qui est au commandant de Pa-mau, et qui
réside à Ombos ;
a â2<» Le serviteur Ounouamen^ du kbou Djetshau^ préposé
en chef de la demeure d'Ammon ; •
BEAUREtiAKD. — LA JUSTICE DANS l'aNCIENNË EGYPTE. tOI
« 23° Le kbaou DjeUhaUy fils de Kanakht, de Diospolis ;
« 24» Le gardien ûukhaef, de Diospolis ;
« 25** Le gardien Pias, fils de Nebau ;
« 26» Le scribe Toouisherau, fils de.... du palais de Dios-
polis ;
« 27« Le scribe Piaas€tau.,.jll^{^ de Piaasetau.,,;
« 28» L'aouh Khememab^ qui était majordome ;
a 2i)« ï/aouh Numenaniou, de...;
«« 30** L*aouh Pekamen^ fils de Ouaamen ;
«31*» L'aouh AmenapetoUy lils de Ouaamen :
a 32° L'aouh Skhahalhiramen, serviteur de Shouai^ dit
Aaemab ;
« 33" Le prêtre Peiriskhev^ de Khouspeiriskher ;
« 34° ... fils de Mehi^ de Diospolis ;
« 35° Le prêtre des libations Aar, du temple funéraire
du Roi-Baïra ;
« 36» Le prêtre Pionmluiu^ fils d'Âmenhotepy du temple
de Pa-Baï ;
« 37** Le nu ni Pakhar, qui était avec le chef d'auxiliaires
Aufenamcn ;
(c 38° L'aouh Peammi, qui était prophète de Sehak à
Paonkh ;
a 39» Le supérieur des portiers Tkothftotep, fils de Peripe-
nifouanap ;
« 40® Lh scribf du mnlériel Onkhef\ fiis de Ptahemheb,
de Diospolis :
« 41» Lescrihe du matérieK4w/e/<ame«, fïX^AePlahemheb;
« 42" Le sotem Pekharnakht , de Diospolis ;
« 43° L'atekhou Djelourmlot^ du cheF d'auxiliaires Xufp-
uamen ;
•' Le ... T'uljafi, de Pa-Moul. »
C'est donc, pour l'ensemble des trois listes que J'ournit le
Papyrus A bboU, un total de quarante trois accusés nomina-
lement désignés ; mais il convient de noter que quelques-uns
des individus qui figurent à la double liste remise au Pha-
raon reparaissent sur la troisième lî^l<^, rell^ qui fut rero^**
(02 SÊANOE OU 5 tÉtRiBtl 4894.
au gouverneur Ma-nefhRà, Ils sont coupables à deux degrés,
mais chacun d*eux ne vaut qu'un.
Ces individus, qui flgurent ainsi en double, sont :
1* Le num Pekamen^ fils de Peouamen, de la Bibliothèque
d'Ammon. Il est le cinquième sur la liste du Pharaon et le
quinzième sur celle du gouverneur, titré de num sur la
première liste, il est dit aouh sur celle du gouverneur ;
2® Le supérieur des portiers Thoth-hoiep^ fils de Perpeni"
fouemap; troisième sur la liste du Pharaon, le vingt-qua-
trième sur celle du gouverneur;
8* Le scribe Skaka-t-hiramen, fils deShouat^ dit Aaemak;
fils de Shouaî sur la première liste, il est dit seulement servi-
teur de Shouaî sur la seconde ;
4" Le prêtre Petr/sWer deKhonspelriskher; huitième sur
la liste du Pharaon, le dix-huitième sur celle du gouverneur;
5^ Le gardien Bukhaef, fils du Ouaoudjau, neuvième sur
chacune des deux listes;
6» PramoUy qui était prophète de Sebak à Paonkh, du
numéro 13 de la liste du Pharaon passe au numéro 23 sur la
lisie du gouverneur.
Ce n'est donc, en réalité, que de trente sept individus dont
nous avons à nous occuper d'après le Papyrus Abbott.
Ces trente-sept individus se répartissent numériquement
comme suit, dans les conditions sociales qui leur sont attri-
buées :
7 individus sans condition spécifiée;
J valet ou serviteur ;
2 gardien^ ,
i portier;
7 enlumineurs (de coffres à momicd et de tombeaux),
"^ "^^ \ \ ^, aouh. Le mot : ^^^'^i ^ww, signifie
couleur, et le copte xy^^N, qui le rappelle phonétiquement
et littéralement, signifie également couleur ^ ;
. I. statuaire, khenli, ^ ^ f^ image, statue ;
' Interprétation que j'aurai soin d'établir dans un mémoire ?périal.
BBAURBGARD. — LA JUSTIGB DANS L^ANaBlINB EGYPTE. i03
1 mesureur, ^ ^ ^ v^* *^^®'^' >*
1 fbndeur, ^ ^ ^ 9 * àtekhou ;
1 passeur, ouaou, \ 1=»^^» oua, signifie barque *;
2 num (?) ;
5 prêtres;
1 grand-prôtre, sotem, P^^^f arcbiprêtre;
1 prophète;
6 scribes.
Ensemble trente-sept malfaiteurs de conditions diverses,
et je peux ajouter, de résidences diverses^ puisque nous en
voyons de : f /*\^j ^c/*, du nome Latapoliter; de \\^i
Apou ou Apâp^ Panopolis; de | V 1 _f | ®» An-en-Mont,
Hermontis; de CU'^'^, Paonkh, du ilome Arsihoé.
X
Le Papyrm Amhurst^ qui nous a fourni les intéressants
aveux des voleurs de la tombe du roi Sebak-em-sauf et de
celle de la reine Noubsbas, et dont le contenu se rapporte,
nous le savons, aux actes de spoliation que signale le
Papyrus Abbott^ nous dénonce huit autres coupables; mais
Télat fâcbeux de cette relique ne permet d'y lire que cinq
des noms de ces malfaiteurs et leur signalement ; ce sont :
1** Le manœuvre If api, fils de..., de la demeure d'Am-
mon-ra ;
I 2* L'ouvrier ciseleur 5tV\Cjî' ^*'''^''ût//iew, de Tin ten-
dant des surveillantes, "^1^ ^^Jj (en copte NAY,
roiVf surveiller^ regarder) Nasiamoriy delà demeure d'Ammon-
ra, roi des dieux ;
îi" Le cultivateur 4j[ V ^ v— i , Amonemheb^ de la demeure
iï Amonapety qui commande parmi les gens à'Amonapet, sous
Tautorité du premier prophète d'Ammon ;
1 Interprétation qne .)*aiirfti soin d'établir dans ud mémoire spécial.
lOi SÉANCE DU 5 FÉVJtlER 1891.
4** Le fournisseur d*eau î f ^2S, Kaemuab^ du pavillon
de repos du roi Menkheperou-ra (Tholhmès IV), sous Tauto-
ritédu... ;
5* Le soldat Ne fer, flls duNekhouiemmou, qui est sous l'au-
torité de l'esclave nègre Tanouramon, du premier prophète
dAmmon.
Ici, pas de personnage démarque, ni scribe, ni prêtre;
mais je rappelle que ce sont ces mêmes accusés qui furent
mis à la question de la fustigation par le bàlon, à qui on
serra les pieds et les mains, et qui persistèrent dans leur dé-
claration première.
An Papyrus Abbott ^ cet acte particulier de procédure est
désigné par la phrase hiéroglyphique : *jli vv ] ] vli îk H^ \V
] ] ^ ^ \\^ ^m \< ' c'est-à-dire : Examiner par une con-
frontation complète.
La dernière page du Papyrus Amhurst ne nous donne que
quelques débris de lignes et de phrases, où nous voyons bien
qu'il est question de quelques autres personnages accusés de
vol ; mais ces personnages ne sont pas nommés, ou, plus
justement, leurs noms ont disparu, et ce qui en est dit ne
peut en rien nous servir.
Nous n'avons rien et nous ne savons rien des jugements
rendus à la suite de la laborieuse information relative aux
vols commis dans les hypogées.
XI
Le Papyrus Sait n'est points à proprement parler, un sou-
venir officiel des fastes judiciaires de l'ancienne Egypte,
comme paraissent l'être les documents dont nous venons de
uous occuper ; mais, par les faits caractéristiques, dont il
fait, pour nous, vivre les auteurs prétendus, il acquiert une
importance très voisine de celle qu'ont le Papyrus Judiciaire
de Turin et les Papyrus Affboth et Amhurst,
C'est à celte cause que je le fais intervenir ici.
Lp Papyrus Sait est un acte de dénonciation articulé pnr un
BEAUAKGARD. -*- LA JUSTICE DAMS LANGIENMË EGYPTE. 405
personnage lésé dans des affections de famille et dans ses
intérêts par un homme qui, à en croire son accusateur, s'est
complu dans une existence de rapines, de viols elde meurtres,
et qui, chargé de tous les méfaits qui se peuvent commettre,
a su se soustraire, par Taudace et la pratique de la corruption,
aux châtiments qu*il a plusieurs fois mérités.
Le dénonciateur se nomme Neferhotep, et l'homme, dont
la conduite est incriminée se nomme Paneba,
L'accusateur est très violent; il dénonce crûment les méfaits
de l'homme dont il a en à souffrir, et c*est en termes très
.'iiguisés qu'il le désigne et le dénonce au gouverneur.
Cet acte de dénonciation est long et souvent coupé de
lacunes, que le temps y a faites en rongeant le papyrus.
Je n'en consignerai ici que les points principaux :
« Je suis le lils du chef-ouvrier Kebnefcr (bon Maître). Mon
père est mort. Il a laissé NeferhoUp, mon frère, à sa place.
Le brigand j ^^ ^ ^ ^^» Khoui, a frappé Neferhotep. Et
pour éviter la condamnation à mort, Tassassin donna an
gouverneur Phra-em-heb cinq des serviteurs de mon père,
et il fut sauvé.
« Ayant pénétré dans la tombe des rois, Paneba y fit de
nombreux détournements.
« Au Khe/*nuter,i\ vola Tencens de la famille divine et par-
tagea avec ses compagnons l'objet de son larcin.
« Dans les celliers du roi, il a volé les vins de Sa Majeâté.
et sur un autre point, il a volé divers objets. Le scribe
Kenhikhopeshef ol^ par écrit, consigné tous ces méfaits.
« Par un conduit souterrain qu'a pratiqué Paneba, il a pé>
nétré dans le sanctuaire d'une tombe royale et y a volé les
approvisionnements de l'adoration.
« Il a forcé la porte de^eferhotep/û en a brisé la clôture. Il
méritait la mort, mais il corrompit le scribe Kenhtk/topeshef\
qui le sauva.
« Sur le sommet du mur d'enceinte du quartier funéraire, il
a violé la femme Ouaou; phi^^ tard, il a violé la femme Hunvr^
106 8ÉAK0B OU b FÉVRIBIl 1891.
qui vivait maHtalemetit aveo Béèa ; puis, passant de la mèfe
à la fille, il viola Oubkhet, tandis que son fils violait Ouùkhei-
kerou, la fille de Oubkhet.
a II s'est approprié des matériaux destinés à la construction
de la tombe de SeU-ménephtah, et il a pu s'en faire quatre
colonnes pour sa maison.
« 11 a forcé l'entrée d'une résidence royale, et, à sa suite,
des passants ont pu violer la sainteté de cette résidence. »
Neferàotep cite les témoins du fait. Ils sont au nombre de
sei2e, tous maçons, qui travaillaient dans le voisinage; puis,
continuant sa dénonciation, Neferhotep affirme que « Pa-
neba a soustrait le registre du her-bakou^ o J^^T^Cj»
supérieur des ouvriers, et Ta gardé chez lui.
« Paneba, dit Neferhotep, bl poursuivi ce même chef ouvrier
et Ta menacé de mort.
« Sur la plainte de ce chef ouvrier, le gouverneur Amenmè$
lit fustiger Paneba; mais à l'aide d'un nonlnlé Mesi, Paneba se
tira encore d'affaire et put échapper à la sévérité du gou-
verneur.
« Paneba^ ayant à faire exécuter des travaux chez un sennou,
^„^^w^^, officier du temple d'Ammon, profila de la cir-
constance pour exiger que les femmes lui tissassent des
étoffes pour son usage personnel, au détriment des temples.
« A un chef ouvrier nommé Haï, il donna rendez-vous et
lui prescrivit de tuer... (le nom a disparu).
« Chez l'ouvrier Nakhlkem^ il a volé sa couche ; il a dépouillé
un mort et s'en est approprié les vêtements.
(( Sur son ordre, et pendant la nuit, dans le quartier funé-
raire, son flls a maltraité des ouvriers.
« Sur le mur d*enceinte en construction, il a détérioré des
matériaux pour nuire aux fournisseurs. Pris en flagrant délit,
il jura solennellement qu'il avait agi ainsi par ordre du
gouverneur, et il sut encore une fois se soustraire à la
justice... »
Cette plainte de Neferhotep dénonce encore des larcins et
BEAUREGAKD. -^ LA JUSTICE DAMS L AHGIEUNE ÉGTPTE. 107
dés profanations connnis par Paneèa, et se termine par une
aeensation qui résume toute la plainte :
a Or, cette conduite ne comàience-t-elle pas à être notoire?
Lui, il jouit du salut divin, ^^T^^hi^Ti; lui. qui
est semblable à n'importe quel abominable scélérat, JM ^
mit'V 1^; c'est qu'il a tuô les gens pour qu'ils ne puissent
pas donner des avis an Pharaon,
a Vois ! je fais connaître au gouverneur ce qu'il a fait, o
Exclamation terminale, qui est, sans ambage, une accusa-
tion de suppression de témoins par le meurtre.
Ce dernier trait ne pouvait manquer au tableau des vertus
de Panebal
XU
Le document que nous venons d'analyser peut bien, dans
son contexte original, nous livrer, sinon la formule exacte,
au moins, dans son allure ordinaire, le libellé des plaintes au
criiuinel telles qu'elles se produisaient en Egypte à l'époque
des Ramessides; peut-être même est il Tteuvre d'un expert
en cette matière, ce qui est assurément un point intôressatit.
Mais la grande importance, pour iious, de ce document, est
le tableau qu'il expose des fastes de la criminalité en Egypte
à une époque des plus glorieuses de l'histoire de ce pays au
grand renom de sagesse.
Ce document, dont la date, dans son expression spéciale, a
disparu, ou qui peut-être n'a jamais eu de date officielle qui
lui fût propre, peut, à tout prendre, Relever du règhe de
Sel'i Ménéphtah 11, dont le cartouche (jj ^ ^ ^ ' ||1 se
trouvé là plusieurs fois répété sans prétendre dii*ectement à
un rôle chronologique.
Les erimes qu'il dénonce à la charge de l'inculpé Paneèa
sent : le vol, le viol, la profanation sacHlège des tombeaux
et des temples et l'assassinat; accessoirement, ce document
InerlhiiBe plusieurs magistrats de prévarication et de fbrfai-
108 SÉANCE DU 5 Ff^VBIER 1891.
ture par corruption^ el Tauteur de la dénonciation se plaîl à
répéter ilérativeraent que la conduite criminelle de Paneba
eet de notoriété publique.
J'avoue naïvement que cette accumulation de crimes sur
un même nom me fait douter, non pas de Taulbenticité du
Papyrus Sali, qui assurément est œuvre égyptienne bien ca-
ractérisée, mais de la valeur foncièrement juridique du
document.
Dans son étude égyptoiogique qu'il a intitulée : Du genre
épi'stolaire chez les Egyptiens de V époque pharaonique, M. le
professeur Maspéro nous met en garde contre la facile con-
descendance qui fait accorder, à tout papyrus d'origine
égyptienne constatée, une importance de valeur historique.
Appréciant l'héritage des papyrus qui nous sont venus el
peuvent nous venir encore de l'ancienne Egypte, il s'exprime
ainsi :
« Quelques débris à peine ont survécu de cette correspon-
dance ofOcielle ou privée... Quelquefois ces lettres ont été
trouvées encore intactes dans des cassettes qui servaient de
bibliothèques, ou sur le corps de la personne à laquelle elles
étaient adressées; plus souvent elles sont venues jusqu'à
nous dans des recueils spéciaux formés à diverses époques
par les scribes de Thèbes et de Memphis. Je n'oserais affirmer
que toutes les pièces contenues dans ces recueils sont des
lettres authentiques ; le ton déclamatoire, la morale vide et
pompeuse de quelques-unes d'entre elles forment un contraste
frappant avec la rapidité et la sincérité des autres. A mon
avis, les morceaux de ce genre ne sont pas lettres réelles,
mais ampliflcations en forme de lettres, sujets de discours,
exercices de style, qui se faisaient dans les classes et se
transmettaient de génération d'écoliers en génération d'éco-
liers, comme nos cahiers de corrigés ou nos recueils de vers
latins. » Et il me semble, quant à moi, en l'étudiant de plus
près, que le Papyrus Sait nous met en main un lambeau de
Tune des œuvres d'un scribe stagiaire s'exerçant au style de
la basoche égyptienne, par une plainte en justice, où il se
BEAUKEGARU. — LA JUSTâCK DAiNS L ANCIENNE KGYi^TK. 1U9
livre, à ce propos, à toutes les fantaisies d'un procureur
échauffé à l'accusation.
Tous les crimes que dénonce cet acte, et ces crimes soot
nombreux^ variés et se répètent, sont, de plus, de notoriété
publique, comme se plaît à le répéter plusieurs fois le dénon-
ciateur ; Tauteur en est connu, et, dans une contrée où Fac-
tion publique de la justice relevait de Tinitiative de tous les
magistrats en charge et des officiers civils et militaires,
Paneba peut passer son temps à voler un peu partout, à tuer
à Toccasion les gens qui lui déplaisent ou embarrassent son
chemin ; il peut, pour varier ses distractions, violer les femmes
et les filles en partie liée avec son fils, en terre sainte (khei^-
nuter), en plein jour, dc-ci et de- là sur les murailles des cha-
pelles en construction, et si, d'aventure, il se trouve un ma-
gistrat qui s'indigne auxhauts faitsdece brigand atout faire,
ce magistrat se laisse fasciner par son justiciable, qui, libre et
content, s'en va continuant ses exploits sur le même terrain,
dans la même enceinte funéraire, dans le même milieu
d'hommes et de choses où il avait précédemment travaillé.
Il y a bien là, je crois, quelque raison de faire douter de la
validité juridique de l'acte qui nous occupe.
A propos d'un moulin, un prince tout-puissant a pu, un
jour, croire qu'il se trouverait contre lui des juges à Berlin,
et au temps de Ramsès le Grand, dans le pays renommé
comme le plus sage de l'antiquité, il ne se serait pas trouvé
un magistrat pour venger la morale publique à rencontre
^ d'un scélérat dont les crimes dénoncés sont notoirement
connus?... Cela n'est pas possible, n'a pas été possible!
Je crois à l'authenticité originelle du Papyrus Sait ; il est
bien égyptien, mais il n'est pas, il ne peut pas avoir été acte
de procédure effective, il ne peut pas avoir eu de valeur juri-
dique.
Un fait tout mince et d'ailleurs assez original ajoute encore
à mon entraînement vers le doute : c'est le nom dont se trouve
revêtu chacun des intervenants, actifs ou passifs, à cet acte
d'accusation.
no fâANCfi t>u 5 révfttBR 1891*
S'agit-il du plaignant et des lésés? Leurs noms »ont char*
mants et bien propres à les recommandar.
Le pire da dénoncialear se nomme Nebnefer, c'est-à-dire
bon mattre; Taocusateur lui-même se nomma : Neferhotep,
c'est*àdire heureux prisent, gracieux don, et une victime du
prétendu criminel, un ouvrier, que Taccusateur veut rendre
intéressant, se nomme Nakhl^Khem, c'est-à-dire kabiU m-
venieur.
Quant à Taocusé, son nom est Pnneba, mot composé de
Tarticle masculin ^ , pn, le, et du mot f^ J ^ ^ 1 » 'ï^*^/,
feu, flamme, ou du môme mot accentué du déterminatif des
végétaux 4r et qui signifie alors un végétal épineux, que nous
traduirons ici par fagol d'épines^ de sorte que le nom Paneba,
privé, par circonstance, de sa désinence féminine égyptienne
A, signifie facultativement le feu dévorant ou le fagot d'épines.
Dans une pièce où toutes les circonstances sont dramatisées
avec soin, ces dénominations à point caressantes ou accusa-
trices sont-elles une i^imple coïncidence? Ce n'est pas pro-
bable.
Mais, si je crois pouvoir dénier au Papyrus Sait une valeur
juridique de légitime portée, je n'en suis pas moins convaincu
que les dénonciations au criminel qui y flgurent sont dignes
de l'attention des investigateurs de l'anthropologie crimi-
nelle, à l'intention de qui j'ai fait intervenir ici le Papyrus
Sait, à la suite de quelques autres de valeur plus intimement
juridique.
Le Papyrus Sait doit être considéré comme un tableau de
la criminalité au pays de l'ancienne Egypte.
A ce titre, c'est une précieuse relique anthropologique.
Discattion.
M. LEaRAiif montre, à propos de la coipmuniçati^i) de
M . 9ea^r#ga^d, une plancha raprésaatMi «a m^i^dai égyp-
tien rtndaai )a justice.
bisciîssioN bUr U bÉPOPÛLAtiûK i)È tA ^AànCË. i i {
Salle J0 la JIm«mIoii sur le faillie eeereleeemeiit
de la pepalaCiea ea Praare*
LiMepIcaliaaIiea des eatoals à Parle
eeauaa eiéaieal de dépapalaliea i
PAR M. 6. YARIOT.
Jç demande à la Société la parmiss^ion d'appeler sod atten-
tion, pendant quelques instants, sur un élément spécial qui
intervient dans la dépopulation à Paris.
J'ai en vue Forganisation défectueuse de nos hôpitaux
d'enfants, dans lesquels la contagion intérieure fait encore
tous les ans des centaines de victimes.
L'augmentation de la morlaiilé de ce chef est, il est vrai,
minime relativement au chiffre total, mais il faut considérer
que c'est un facteur permanent qui exerce son influence
depuis près d'un siècle, puisque nos grands hôpitaux d'en-
fants ont été ouverts au commencement du siècle.
Le D' Lunier, en 1882, dans un rapport adressé au minis-
ite, sur l'état déplorable de l'hospice des Enfants assistés
(Enfants trouvés), signalait que 33 pour 100 des enfants qui
succombaient dans cet asile mouraient d'une maladie con-
tagieuse qu'ils y avaient contractée.
Depuis cette époque, on a fait quelques réformes urgentes ;
des pavillons d'isolement ont été élevés, des étuves à désin-
fection ont été installées et la mortalité s'est notablement
abaissée aux Enfants assistés.
Il y a six ans, lorsque nous remplissions les fonctions de
chef de clinique à Thôpital des Enfants malades, rue de
Sèvres, il n^existait qu'un seul pavillon d'isolement pour la
diphtérie, et, on peut dire sans exagération, que les salles
communes étaient, pour les petits malades, de véritables
champs de bataille, où ils étaient obligés de défendre leur
vie contre les germes de maladie contagieuae qui les assail-
laient de toute part.
Dans ces trois dernières années, on a commencé de sépa-
112 SKANCK DU 5 FÉVRIER 1891.
ler les rubéoleux , le? scarlatineus qui étaient placé? pêle-
mêle à c6té des enfants aiteinls de maladies non conta-
gieuses et souvent légères.
On a construit des pavillons pour la scarlatine à Thôpital
des Enfants malades et à Thôpital Trousseau, et on a placé
la rougeole dans des salles particulières.
Cette réforme, trop tardive, a déjà eu d'heureux résultats;
mais ce n'est là qu'une demi-mesure qui ne remédie qu'in-
complètement aux défectuosités de notre hospitalisation in-
fantile.
L'hôpital des Enfants malades contient environ 450 enfants ;
rhôpital Trousseau a 350 lits, et ce sont les deux seuls hôpi-
taux de l'Assistance publique spéciaux pour les enfants.
Dans la même enceinte, nous trouvons des pavillons de
diphtérie, de scarlatine, des services de médecine pour les
maladies aiguës, des services de médecine pour les maladies
chroniques, des services de chirurgie, une section de tei-
gneux, une crèche pour les enfants au biberon.
Cette accumulation d'enfants présente les plus graves in-
convénients, malgré les tentatives d'isolement qui ont été
récemment faites.
Après avoir visité en 1889 les hôpitaux d'enfants à Lon-
gues, cette année les hôpitaux d*enfants italiens à Gênes, à
Naples et à Rome, nous croyons que, pour décentraliser nos
hôpitaux trop encombrés, il faut adopter à Paris les types
des hôpitaux-dispensaires, qui rendent de si grands services
ù Londres.
Ces petits hôpitaux-dispensaires, au nombre d'une douzaine
dans la métropole anglaise, ne reçoivent que les enfants
non contagieux. Les enfants atteints de maladies conta-
gieuses sont hospitalisés dans les infectiom hospùals. Dans
ces hôpitaux-dispensaires inconnus à Paris jusqu'à présent,
le service de l'hospitalisation est relégué au second plan. On
admet les enfants qu'en cas de nécessité absolue dans les
salles.
Le service du dispensaire pour la consultation externe est
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 113
tout à fait prédominant. Les petits malades sont apportés
par les parents, reçoivent les conseils du médecin et les mé-
dicaments, puis sont remportés chez eux pour être entourés
des soins de la famille, que rien ne saurait remplacer à cet
âge.
La création de semblables hôpitaux-dispensaires a été ac-
cueillie, en principe, par le Conseil municipal de Paris, et
M. Paul Strauss a demandé, sur nos instances réitérées, la
construction et l'aménagement de deux de ces hôpitaux d*un
nouveau genre.
Les avantages qui résulteront du fonctionnement de ces
établissements seront considérables :
!• On déchargera ainsi nos grands hôpitaux d'enfants, qui
seront transformés graduellement en infectious hospitals
pour enfants.
^ On soustraira ainsi bon nombre d*enfants aux chances
de contagion, puisque les contagieux ne seront pas admis
dans les hôpitaux-dispensaires.
3® Les dépenses d'hospitalisation seront allégées, puisque
la plupart des enfants seront soignés à domicile.
Discussion.
M.Laborde pense qu'il faudrait établir nettement le chiffre
de la mortinatalité dans les premiers mois de la vie, et celle
des enfants plus âgés.
D'ailleurs, l'idée de la réforme sur la surveillance des en-
fants du premier âge est partie de la Société d'anthropolo-
gie ; Goudereau a été des premiers à s'occuper des procédés
de nourricerie des petits enfants, surtout par la chèvre et
l'ânesse. Il y a là déjà bien des réformes utiles faites.
Mais pour les enfants plus âgés, il y a encore beaucoup à
faire; jusqu'en ces derniers temps, la promiscuité était com-
plète.
L'enfant atteint de maladie peu grave prenait une maladie
morlelle, ou guéri de la diphtérie, mourait de la rougeole.
T. II (4« SÉRIIS). 8
114 SÉANCE DU 5 FÉVRIER i891«
' Reste la question de savoir sli faut pratiquer l'isolenient
dans un hôpital spécial, ou simplement dans des bâtiments
spéciaux.
Dans ce dernier cas, si le personnel est également nette*
ment séparé sans aucune promiscuité, on peut éviter absolu-
ment la contamination du voisinage. C'est ce que M.Laborde
a observé à Beaujon, pendant la guerre, dans le service des
varioleux.
On peut donc, en somme, réaliser assez facilement Tisole*
ment sur place.
M. Laborde insiste aussi sur la nécessité de la création
d*asiles pour les femmes sur le point d*accoucher«
M"* Clémence Roter dit que si les Anglais hospitalisent peu
leurs enfants, c*est qu'ils ont de la place pour les soigner
chez eux. La plupart des habitants de Londres, à moins d'être
très pauvres, ont une petite maison avec une nursery assez
grande pour pouvoir y garder les enfants malades et les y
isoler en envoyant les autres chez des amis.
M. Hervé fait remarquer que si notre natalité est plus
faible, notre mortalité, surtout infantile, est beaucoup moins
élevée que celle des autres pays. D'une façon générale, la
France est un des pays où la mortalité infantile (de 0 à 5 ans)
est la plus faible. Le quart seulement de nos enfants meurt
avant cinq ans, tandis que les pays allemands perdent plus
d'un tiers dos leurs, et qu'en Russie la proportion est de près
de moitié. Pour 1000 enfants du premier âge (de 0 à 1 an),
nous avons 179 décès annuels, notablement moins que la plu-
part des États européens. Si ce n'est pas une raison pour ne
pas chercher à restreindre encore, par tous les moyens,
celte mortalité, c'est du moins l'indication que la véritable
cause du faible accroissement de la population française
doit être cherchée ailleurs.
M. Laborde dit que si le fait est vrai, la grande natalité des
paysétrangers peut contrebalancer laléthalité infantile élevée.
Au point de vue de la variole, notre léthalité est extrême-
ment élevée ; la vaccination obligatoire s'impose donc.
f
l
I
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. H5
M. Variôt dit que, à Londres, on n'hospitalise jamais les
yrubéolenx. Les parents préfèrent exposer les autres enfants
à la contagion. De plus, c'est aussi par économie qu'ils font
soigner les enfants au dispensaire.
• M. Sanson pense que la question ainsi posée sort de la
compétence delà Société d'anthropologie, dontTavis ne sau-
rait peser en Tespèce.
Le seul point anthropologique, c*est celui de savoir pour-
quoi le chiffre des enfants, de trois par ménage, est tombé à
deux. Quant aux multiples questions annexes, elles sortent
de la compétence de la Société.
M. Hervé proteste contre celle manière de voir. Quelle
que soit Une question, elle devient anthropologique si elle
touche par une de ses applications à Tétude du groupe
humain ou de la vie des sociétés
M. G. LagnëaU. Je crois que la Société, ainsi que je Tai fait,
pouvait rechercher les moyens d'accroître la nuptialité et la
natalité; mais puisque, pour le moment, elle étudie les moyens
de restreindre la mortalité, je ferai quelques remarques sur la
mortalité infantile à Paris. Je ne puis que louer M. Variot
de s'occuper des moyens de diminuer l'énorme raorlalilé
des enfants assistés ou hospitalisés. Tout le monde sait com*
bien est grave la diphtérie; mai*» la rougeole et la coqueluche,
que le publie non médical regarde comme des maladies
bénignes, sans être aussi graves que la diphtérie, présentent
une véritable gravité, du moins pour les petits malades hos*
pltulisés, et pour les petits malades des quartiers ouvriers,
des quartiers peu riches.
Chargé, au Conseil d'hygiène du département, du rapport
sur le» maladies épidémiques, depuis longtemps je remarque
combien sont nombreux les décès par rougeole. En 1889, on
a compté 1220 décès par la rougeole, plus que par la fièvre
typhoïde (il 14). On a compté 522 décùs par coqueluche;
près de qualre fois plus que par variole (139). De 1 879 h 1 889,
dans les hôpitaux, malgré les soins éclairés donnés aux petits
malades, la léthalité de ces affections est d'environ un quart
116 SÉANCE DU 5 FÉVRIER 1891.
OU un cinquième. Durant ces onze années, les proportions
moyennes ont été de 27,63 décédés pour 100 malades atteints
de rougeole, et de 22,75 sur 100 atteints de la coqueluche.
Pareillement, depuis longtemps, notre collègue, M, Jacques
Berlillon a fait remarquer, dans la statistique municipale,
combien la rougeole sévissait dans certains quartiers pauvres
de la périphérie de Paris.
En I867,au congrès international de médecine*, et en 4878,
au congrès international d'hygiène^, M. Gh. Rauchfuss, à
propos des hôpitaux d'enfants de Saint-Vladimir à Moscou,
du prince Pierre d'Oldenbourg à Saint-Pétersbourg, avait
signalé de bonnes et utiles mesures d'isolement. Depuis,
M. Chautemps au Conseil municipal, M. Ollivier au Conseil
d'hygiène, MM. Grancher, Hutinel, Deschamps et plusieurs
autres confrères, à la Société de médecine publique, ont in-
sisté sur les hôpitaux spéciaux, isolés, sur les mesures d'iso-
lement et d'antisepsie, relativement aux enfants atteints de
maladies transmissibles. Après avoir visité les hôpitaux d'en-
fants d'Angleterre et d'Italie, M. Variot paraît favorable à la
création d'hôpitaux spéciaux, petits et nombreux; il semble
redouter l'hospitalisation pour certaines affections de l'enfance
pouvant être mieux traitées chez les parents, aux consulta-
tions externes, aux dispensaires.il a bien fait de soumettre ses
opinions au Conseil municipal. 11 y a de grandes améliorations
à apporter aux conditions fâcheuses des enfants pauvres de
Paris. Leur mortalité est énorme.
Lorsqu'en 1875 je communiquai à l'Académie des sciences
morales un travail sur l'influence de l'illégitimité sur la mor-
talité, je vis que, d'après les relevés statistiques de Chenu et
d'Ély, de la naissance à vingt et un ans, âge auquel nos jeunes
gens sont appelés à Tarmée, 100 garçons illégitimes avaient
perdu 74 décédés, tandis que 100 garçons légitimes en avaient
perdu 33 à 34'. Depuis, M. Monod, directeur de l'Assistance
• Page 515.
» Page 727.
s Chenu, HecrutetMnt de l'atmée et Population de la France, p. 56-57,
r
J
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 117
publique, constatait que les enfants assistés, qui, la plupart,
sont illégitimes ou se trouvent dans des conditions sociales
aussi fâcheuses, présentent une mortalité de 68 sur iOO*.
Mais, dès avant la naissance, F état de misère dans lequel
se trouvent la plupart des filles mères, détermine une énorme
mortinatalité. Plusieurs démographes ont cru devoir attribuer
la mortinatalité plus élevée des enfants illégitimes que des
enfants légitimes à une intervention criminelle. Sans contes-
ter la vraisemblance de cette intervention de la part de mal-
heureuses, pour qui la maternité est un motif de réprobation
et constitue une charge écrasante, je crois que cette morti-
natalité fort élevée des enfants illégitimes tient surtout à
rétat de misère, de dénuement dans lequel tombent la plupart
de ces femmes, lorsque, arrivées au sixième ou septième mois
de gestation, elles ne peuvent plus la dissimuler, sontrenvoyées
de leurs places, et se trouvent sans domicile et sans moyens
d'existence. Dans sa récente communication à la Société de
médecine publique sur Tassistance des femmes enceintes,
M. Pinard disait dans quel état de dénuement arrivaient sou-
vent dans les maternités ces malheureuses femmes, n'ayant
plus ni chemise, ni bas^ ni jupon, n^ayant plus qu'une mau-
vaise robe pour tout vêtement^.
C'est dans le but de prévenir cette misère et, par suite, la
mortinatalité et la mortalité infantile que, depuis 1875, à
plusieurs reprises, j'ai insisté sur la nécessité de créer des
maternités-ouvroirs, où les femmes sans domicile, sans res-
sources, pourraient être reçues durant les derniers mois de
leur grossesse, où elles travailleraient proportionnellement à
leur faible validité, où elles accoucheraient, et où elles pour-
raient, tout en travaillant, allaiter et soigner pendant quelque
temps leurs enfants.
1867 ; Ely, Recrutement, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales,
p. 64S.
i MoDody Congrès intemaiional d'hygiène et de démographie de 1889,
p. 1034.
* Pinard, De l'assistance des femmes enceintes, des femmes en couches et
dis femmes accouchées {Revue d'hygiène ^ décembre 1890, p. 11 01 y
118 SÉANCE DU 5 FÉVRIER 1891.
Quoique séparés, notre ville a déjà plusieurs de ces établis-
semants d^assistance: asiles pour femmes enceintes, mater-
nités, maisons de convalescence.
Ainsi que Tobserve M. Hervé, la mortalité diffère peu en
Angleterre et en France. Cependant, dans ces dernières
années, en Angleterre, de 1881 à 1887, elle est descendue à
49,â décès sur 4000 habitants*, tandis qu'en France, en 4888,
elle est de 91 ,9'. Mais la différence semble plus notable lors-
qu'on considère que, dans la population anglaise, figurent
plus d'enfents, en âge de haute mortalité, que dans la popula-
tion française. De 1806 à 1886, comme le remarque M. Levas-
seur, notre population s'est élevée de plus de 9 millions d'ha-
bitants, de â9i074i0 h 38^18903; en 4866, nous comptions
733^7 mariages de plus qu'en 4806; toutefois nous avons,
en 4887, 50647 naissances de moins qu'en 4807 : au lieu de
876096 on n'en enregistre plus que 835479^.
M*»® Clémence Royer, qui précédemment a fait remarquer
l'influence restrictive qu'à Paris parait avoir, sur la natalité,
l'exiguïté des logements, ne permettant d'y maintenir que
quelques enfants, attribue également à cette exiguïté l'obli-
gation dans laquelle se trouvent les parents d'envoyer à
l'hôpital leurs petits malades, qu'ils ne peuvent garder, soigner
et isoler dans les pièces petites et peu nombreuses qu'ils habi-
tent. Contrairement, à Londres, en dehors de quelques quar»
tiers très peuplés, beaucoup de petites maisons séparées
permettraient aux parents de garder chez eux plus facilement
leurs petits malades. A Paris, comme dans beaucoup de grandes
villes, certaines professions, celles de domestique, de demoi-
selle de boutique, deviennent aussi pour les parents un
motif d'éloigner les enfants, en les envoyant en nourrice, en
les abandonnant à l'assistance publique. Autant que possible,
pour réduire la mortalité infantile, il importe cependant de
* Annual report of the regislrar générai of hlrlhs, deaths, and maria f$ m
Sn gland, 1887, p. y.
> Vannacque, Mouvement de la pojnUation en 1888 {Journal ôf/hiely
28 août 1889, p. 4193.)
' Levasseur, la PopUation frfinfoiM, 2* vol., p. 42, 1891.
DISCUSSIOfiT SUR LA NATALITÉ EN FRANGE. ;ii9
mettre les parents, et surtout les jeunes mères, à môme de
conserver leurs enfan Is . Tel est un des buts que semblent s'être
efforcés d atteindre plusieurs des conseillers municipaux, qui,
comme MM. Clemenceau, Thulié, Strauss, se sont occupés
des enfants assistés. Il faut, autant que possible, que, par
des secours suffisants, promptement donnés, toute femme
indigente puisse devenir la nourrice payée de son propre
enfant, puisse ralledter, le soigner, le conserver auprès d elle.
Ainsi diminuerait notablement la mortalité infantile de nos
agglomérations urbaines.
Pour les enfants plus âgés, il serait également à désirer que,
par des soins médicaux largement donnés, par des médica-
ments gratuitement fournis, les parents fussent de plus en
plus mis à même de soigner chez eux certains petits malades.
Combien d'enfants, envoyés à Thôpital pour des maladies
bénignes,f y contractent la diphtérie ou autres maladies mor-
telles !
Si rhabitat des villes peut avoir une influence sur la
natalité et la mortalité par Texiguïté des logements, il me
paraît être plus préjudiciable encore par Tencombrement
humain de certains quartiers, qui, comme ceux de Saint-Avoye,
de Salnt-Gervais et de Bonne-Nouvelle, ont 971, 988, voire
même 1025 habitants par hectare*. Si, comme le remarque
M"» Cl. Royer, à Londres, aux nombreuses petites maisons
séparées, la population est moins entassée qu'à Paris, peut-
être devons-nous attribuer à ce moindre encombrement
humain la moindre mortalité par phtisie à Londres qu'à
Paris. Je savais depuis longtemps quelle énorme dîme mor-
tuaire prélève chaque année la tuberculose dans notre popula-
tion parisienne trop souvent stratifiée en étages superposés
dans des maisons privées d'air et de lumière. En 1889, sur
54083 décédés, Paris en a perdu 1 1 554 par affections tuber-
culeuses des poumons, des méninges, du mésentère, etc.*,
plus d'un cinquième! Mais c'est en lisant le récent ouvrage,
* Statistique municipale de la ville de Paris ^ 1889^ p. 4.
' Ihid,, p. 6-7.
120 SÉANCE DU 5 FÉVRIER 1891.
de M. Levasseur*, et certain article de M. Drysdale ' que j'ai
remarqué que, sur 10000 habitants, la phtisie enlevait an-
nuellement à Paris Al ou 48 décédés, alors qu'à Londres elle
ne faisait que 20 à 21 victimes, moins de moitié.
M. Bbrtillon croit qu'il faudrait préciser la question et la
réduire à quelques propositions simples.
M°*^ Clémence Royer insiste sur l'influence de la hauteur
des habitations. A Londres, on a déjà fait la statistique de la
morbidité par étages. Ce fait peut avoir un assezgrand intérêt.
M. Bertillon rappelle que cela se fait aussi en France dans
certaines circonstances.
Resurgi talion maternelle ehez des ehlenne*.
par m. FRANÇOIS DALEAU.
Apropos de la communication de M. Laborde : On cas curieux
et exceptionnel du développement de l'instinct maternel chez la
chienne {Bulletins de la Société d:* anthropologie de PariSy 1890,
p. 145), voici ce que j'ai observé:
1** Nous avions, ici, une chienne courante allaitant deux
petits. Absolument libre, elle courait les rues, recueillant
dans les tas d'immondices et dans les tueries (abattoirs
privés) des aliments qu'elle régurgitait ensuite à ses petits.
Cette chienne, âgée de huit ou neuf ans, manquait peut-
être de lait et voulait, sans doute, parce stratagème, sevrer
ses chiens.
Si la mère restait trop longtemps absente, les petits hur-
laient pour l'appeler et, dès qu'elle paraissait, ils se suspen-
daient en quelque sorte à ses lèvres pour recevoir la nourri-
ture impatiemment attendue. Gomme il y avait plusieurs
chiens dans l'enclos, dont l'une des portes était presque tou-
jours ouverte, la mère entraînait ses enfants à l'écart, et là,
presque sans efforts, leur régurgitait la pitance. Gela dura^ si
* Levasseur, toc. cit., 2« vol., p. 411, note 3.
> Drytdale, Th9 Echosaturday^ january 27, 1891, p. 4, col. 2.
DALBAU. — RÉGURGITATION MATERNELLE CHEZ DES CHIENNES. i2i
j'ai bonne mémoire, au moins deux mois. La chienne en
question recevait, comme ses congénères d'une petite meule,
une fois par jour^ une soupe abondante.
â<* J*ai vu aussi une chienne, Labri (chien de berger), à
laquelle on ne donnait que très peu d'aliments ; elle courait
dans le village, cherchant de porte en porte, et absorbait
gloutonnement ce qui restait dans les auges des étables à
porcs (des soupes faites d'herbes et de pommes de terre). Son
estomac plein, elle retournait à ses petits et leur vomissait ce
qu'elle avait recueilli.
Un vieux chasseur m'a dit avoir vu :
1*^ Une chienne très mal nourrie, allant l'été dans les ruis-
seaux à peu près desséchés, y pêcher des anguilles dans la
boue, les mâcher avec précaution pour les vomir ensuite à
ses jeunes chiens.
2» Une autre mère dévorait des prunes bleues, dites Saint-
Antoine (dont on nourrit les porcs), tombées sous les arbres,
et en nourrisscdt ses chiens par le même procédé. <
Les mœurs des chiens élevés en ville dans des locaux peu
spacieux où ils reçoivent plusieurs fois par jour d'abon-
dantes pâtées, doivent certainement différer de celles des
ruraux; souvent l'entrée de la maison leur est interdite, ils
couchent dehors, on leur donne pour aliment la croûte car-
bonisée du pain et un peu de pommes de terre bouillie. Ces
bons animaux sont obligés de se nourrir de ee qu'ils trouvent
dans les champs et de ce qu'ils peuvent rapiner aux porcs.
La faim fait, dit-on, sortir le loup du bois.
La séance est levée à six heures dix minutes.
Uun des teerétaires : CAPITAN.
499 «ÉAKOt DU 10 FÉVIIER 186i.
53t' SfiiNCe. — 19fénier \m,
PréflliieMee de M* liABORBE^ préflliieiit*
Le prooès-verbal de la dernière séaace est lu et adopté.
A propos du procès-verbal.
A propos du procès-verbal, M. OLLiyisa-BlîiUftEGiRD de-
mande la parole.
Il ei^posa qu'il l'issue da la précédente séance, l'un de nos
collègues lui a fait observer qu'il avait répondu h côté de la
question posée à propos de Set, par M, Hervé.
M. Hervé avait demandé, lui a-t-il été observé, oe que pou-
vait signifier le mythe de Set et à quel ordre d'idées il répon-
dait dans Tensemble des croyances de Tancienne Egypte, et
non pas seulement l'époque à laquelle le culte de Set s*était
établi en Egypte et le temp3 qu'il y avait duré,
Je vais, dit M, Ollivier-Beauregard, répondre à. la question
un peu complexe dont M. Hervé désire la solution, et je
renverrai à la suite de ma réponse de ce jour et à titre de
complément, le court exposé que j'avais fait à la précédente
séance.
La légende osirienne est la base la plus réelle des croyances
de Tancienne Egypte ; elle met en scène un grand nombre de
comparses, dont Osiris, Isis, Horus et Set sont las seuls qui
doivent intervenir ici.
Isis est la sœur-épouse d'Osiris.
Horus est leur fils.
Osiris et Set sont frères.
Osiris est Texpression du bien ; Texcellence divine et les
vertus humaines sont incarnées en lui.
Set est Texpression du mal ; tous les mauvais instincts, tous
les sinistres penchants sont réunis en lui.
Leurs tempéraments directement opposés ont, de fort
À PBOPQS DU PROCàS^VKIAAL. 123
bonne heure, fait d'Osiris et de Set deux frères ennemis, et
Set, ayant attiré Osiris dans une embûche, le tua, disséqua en
quatorxe morceaux le corps de son frère, enferma dans une
caisse les restes mutilés d'Osiris et les jeta au Nil.
Le Nil emporta la caisse à la mer et la mer la poussa jus-
que sur les côtes de FAsie Mineure. Et c'est là qu'Isis, en quête
de son époux, le trouva et le rendit à la vie, remplaçant, par
des similaires en bois, les parties génitales d'Osiris qu'avaient
mangées les poissons, lesquels, à cette cause, sont restés, chez
les Égyptiens, Texpression des abominations de toutes sortes.
Ici se place, en symbole, l'idée originale du dogme de la
résurrection, dont Je n'ai pas à m'occuper aujourd'hui.
Horus, résolu de venger la mort de son père, en rechercha
le meurtrier qu'il savait être Set.
Set, pourchassé^ forcé de combattre, fut vaincu. Horus vain-
queur ne le tua point, il se contenta de l'énerver, de l'émas-
culer, croyant le rendre par là tout à fait inoffensif.
Set, vaincu et défleuri, gagna, par la langue de terre que
nous connaissons sous le nom d'istkme de Suez, les déserts
situés au nord-est de l'Egypte, espaces dévolus, oomme le
disent les textes égyptiens, à la race maudite des Rhétas, e'est-
à*dlre l'Arable et les terres de Ghanaan.
Set, mauvais diable en Egypte^ passa d'emblée bon dieu au
pays des Khétas.
Dans les textes égyptiens à grandes figures. Set est repré-
senté, comme je le montre ici^ avec un long museau sans
caractère bien déterminé, les mâchoires inférieure et supé-
rieure de sa gueule sont rendues impuissantes par une sorte
de clef qui en empêche le jeu complet, et les deux cornes
qu'il porte sont obtuses et plates à leur extrémité, toutes
conditions particulières qui expriment l'état d'impuissance
qu'il tient de rémasculation que lui a Infligée Horus.
Mais de bonne heure, en Egypte, dans l'esprit sarcastique
de la nation, cette figure de Set se transforma en tète d'âne.
Son long museau s'alourdit en muffle de béte asine, et ses
cornes obtuses devinrent de longues oreilles.
HA SÉANCE DD 19 FÉVRIER 1891.
Cette transformution de la figure égyptienne de Set, trans-
formation à laquelle les prêtres d'Osiris ^loivent avoir très
consciencieu sèment travaillé, fit de l'Ane le symbole des popu-
lations de l'Arabie et des terres syriennes, au moins pour les
Égyptiens restés fidèles au culte d'Osiris, et ils furent toujours
les plus nombreux.
J'ai trouvé l'expression du symbole de Set ainsi trans-
formé sur des monuments d'origine
égyptienne de divers âges, et, en ce
sens, elle a survécu à l'Egypte pharao-
nique dans la légende de la nativité de
Jésus.
Une caricature égyptienne, que les
faits pris par elle à partie font remonter
au régne de [tamsès lE (Sésostris), attri-
bue, dans le gouvernement de l'Egypte
pharaonique, au temps des premiers
règnes de la X!X° dynastie, un rAIe pré-
pondérant à Set, qui est lit représenté de la tête aux pieds
sous la figure d'un &ne aux longues oreilles.
A la séance de notre Société, du 7 février 1889, j'ai donné
un fac-similé de cette caricature, et, par une analyse minu-
tieuse de ce dessin satirique, j'en ai fourni l'explication et
l'interprétation.
Je répète ici le même dessin, et tout en renvoyant, pour en
avoir l'e-^ptication, nos collègues à notre Bulletin du 7 fé-
vrier 1889, je répète ici que, dans notre dessin, première
partie, première ligne, lecture de droite à gauche, nous avons
un ensemble d'auimau\ symboliques figurant les diverses
régions composant le territoire de l'Egypte telle que l'avaient
faite les conquêtes réalisées par la XVllI' dynastie et par
Sésostris lui-même, quand il n'était encore que prince
royal. Ainsi le lion représente l'Ethiopie, conquête de Sésos-
tris, prince royal ; le crocodile, c'est l'Egypte moyenne ; le
marsouin, c'est la basse Egypte; allant tous àlaflle à la suite
de Set, fleuré par un ftne et.dnnsl'espritdes prêtres satiriques
126 SÉANCE DU i9 FÉVRIER 1891.
qoi fabriquèrent cette caricature, désignant malicieusement
Ramsès IL Sésostris lui-môme, qui, sémite par sa mère, a
* r
tenté de faire admettre en Egypte, et au préjudice d'Osiris,
le culte de Set, son dieu natif.
Toutes ces circonstances sont historiquement démontrées
et connues, et ne laissent aucun doute sur la valeur intention-
nelle et critique de la figure d*âne
qui intervient ici, quinze siècles
avant notre ère.
Un autre monument authenti-
quement égyptien, et qui repré-
sente officiellement Set avec une
tète d'âne aux longues oreilles,
remonte seulement à deux siècles
avant notre ère ; il est du règne
de Ptolémée-Evergète II. Je le
relève à la planche 64, de la des-
cription de rÉgypte, série A,
volume IIL
Là, Set est représenté par un
corps humain portant une tête d'âne ; ses bras sont enchaî-
nés; Horus, corps humain, tète d'épervier, tient Set par ses
longues oreilles d'âne et faitle geste de le frapper avec un bâton.
Je répète ici ce groupe .
Je signale une image chrétienne qui, élargissant la légende
d'après laquelle Jésus naquit la nuit de Noël dans une étable,
représente l'enfant légendaire vagissant nu entre un bœuf et
un âne.
Chacun de nous connaît ce tableau assez souvent édité en
relief^ petit modèle.
Le Nouveau Testament, qui, le plus souvent, parle en para-
boles, n'a point ici manqué à sa vocation, je veux dire à ses
habitudes. Cette image est, de fait, l'expression figurée de
l'éclosion du christianisme.
Dans cette image, en effet, le bœuf est Apis, c'est-à-dire
Osirisisla religion égyptienne.
A PROPOS DU PROGàS-YBRBAL. 127
L*âne est Set, o*est-àodire les Hébreax nsle mosalsme.
Et dans son ensemble, Timage nons représente le christia-
nisme entre ses deux parrains qui le présentent au monde.
Dès Tannée 1866, et dans un chapitre intitulé : le Dernier
Hiéroglyphe égyptien^ première imagé chrétienne^ j'ai, dans mou
livre: les Divinités égyptiennes^ etc., fourni de plus amples
explications des particularités de cette image qui^ dès l'abord,
attestation d'origine, est, avec le temps et par pure spécula^
tion, passée symbole d'humilité ohrétienne.
En résumé, le mythe de Set relève de la légende religieuse
et intimement égyptienne d'Osiris, où Set est l'esprit du mal
à rencontre d'Osiris, et il est acquis que Set, d'abord repré^
sente dans le panthéon égyptien sous les traits de l'animal
fantastique que nous avons reproduit, était déjà, à l'époque
initiale du temps de la XIX* dynastie, connu sous les traits de
l'âne symbolisant la race maudite des Khétas, des Sémites.
Quant au culte effeotif et officiel qui fut rendu à Set en
Egypte» il convient de dire qu'il ne fut jamais là qu'accidentel
et temporaire*
Accidentel, car il fut une des conséquences de la révolution
qui porta au trône des Égyptes les chefs de la dynastie des
Rhamessides.
C'est à Sésostris, Ramsès II| que l'Egypte doit l'établisse-
ment du culte exotique de Set, et cette dérogation au senti-
ment religieux de l'Egypte s'explique par ce fait que Sésostris
était sémite par sa mère — en Egypte la filiation s'exprime par
les ascendants maternels -^ et qu'il crut, en sacrifiant à Set,
sacrifier au dieu de ses ancêtres.
Mais détesté du collège des prêtres égyptiens toujours cor-
dialement attachés au culte d'Osiris, le culte de Set ne survécut
pas à son fondateur; il semble qu'il ait un instant repris sous
le règne de Seti II, petit-fils de Sésostris. Mais, après la mort
de ce prince, toutes les figurations et les emblèmes de Set
furent minutieusement et rigoureusement recherchés et
détruits, et soit que les statues furent alors brisées^ soit que
l'on ait martelé plus tard les images et les expressions de cette
428 SÉANCE DU 19 FÉVRIER i89i.
divinité dont avaient été chargés les édifices publics, il ne
nous en est revenu que fort peu.
Dans sa ferveur à Set, Sésostris crut devoir donner à son
fils le nom de cette divinité ; le successeur de Sésostris porte,
en effet, le nom de Séti. Nom, qui, loin d'être par sa désinence
une atténuation du mot Set, en est au contraire une affirma-
tion redondante, qui concorde d'ailleurs avec la prétention
toujours vive des rois d'Egypte à se croire et par conséquent
à s'intituler dieu à toujours.
La désinence ttde Setiest, en effet, en égyptien, l'indication
du duel ; de sorte que Seti signifie en réalité le deux fois Set,
c'est-à-dire ici Set dieu, Set roi dans la même personne; Set
dieu devant être, aux termes des croyances égyptiennes, le
double du roi.
OUVRAGES OFFERTS.
M . Gabriel de Mortillet. Notre archiviste, M. Issaurat, qui,
depuis plusieurs mois, consacre avec un dévouement digne du
plus grand éloge, tous ses après-midi au classement de nos
livres et à la rédaction du Catalogue de la bibliothèque, m'a si-
gnalé le manquement du troisième volume des Matériaux pour
r histoire de l'homme. Cette lacune était d'autant plus regret-
table que les quatre premiers volumes publiés sous ma direc-
tion sont actuellement introuvables en librairie. J'ai été assez
heureux pour découvrir un exemplaire du volume manquant.
Je me fais un véritable plaisir de l'offrir à la Société.
J'ai aussi l'honneur d'offrir au nom de M. J. Gosselet,
professeur de géologie à la Faculté des sciences de Lille, une
brochure in-8®, intitulée: St'lez taillés trouvés dans les exploi-
tations de phosphate de chaux de M. Delattre, à Quiévy, près
de Solesmes {Nord), accompagnée de sept planches in-4»,
représentant des coups de poing cheliéens de grandeur natu-
relle. Plusieurs sont tenus à la main, et dans le texte, l'auteur
dit: « C'est un fait remarquable que presque tous paraissent
avoir été taillés pour être pris à la main. Ils présentent une
sorte d'encoche naturelle ou artificielle, qui permet de les
OUVRAGES OFFERTS. 129
saisir, soit avec le poing, soit avec le pouce et les doigts
extrêmes. » Cela vient confirmer ce qui a été dit dans la der-
nière séance à propos d'une présentation de M. Vauvillé.
Un des grands mérites de la publication de M. Gosselet
est d'avoir très nettement déterminé le gisement des coups de
poing en silex de Quiévy.Ils se rencontrent à la base du qua-
ternaire, composé sur ce point de limon de lavage, sous
lequel se trouvent, de la glaise grise, puis de Targile rouge
souvent sableuse.
« C'est le principal gisement des haches en silex^ » dit
M. Cayeux, préparateur de M. Gosselet, chargé de faire le
relevé géologique.
M. d'Act fait remarquer que certains silex chelléens se
tenaient à la main et que d'autres^ retaillés tout autour,
n'auraient pu être saisis à la main sous peine de blesser.
M. d'Acy, indique quatre types qui, môme d'après M. Gosselet,
ne devaient pas se tenir à la main. Il pense également, d'après
M. Gosselet, que dans les types dont celui-ci ne parle pas, il y
en a plus qu'on ne le croit dans ce gisement qui sont retaillés
sur tout leur pourtour.
M. Gabriel de Mortillet. M. d'Acy en est réduit à plaider
l'exception. Il fait remarquer que quelques échantillons se
manient difficilement à la main; mais il ne démontre pas
qu'ils s'emmauchent plus facilement.
M. Adrien de Mortillet dit que le coup de poing est un ins-
trument à tout faire, dont les formes multiples sont les
ancêtres des instruments des époques suivantes.
Musée Guimet (Bibliothèque de vulgarisation, vol. III). Les
Hétéens, histoire d'un empire oublié, par A. H. Sayce (traduit
de l'anglais, par Joachim Menand. Paris, in-i8, 210 pages,
illustré.
Fauvellb (D'). Sépultures puniques de Carthage; lampes
funéraires des nécropoles de Carthage; durée moyenne de la vie
des employés romains à Carthage, au deuxième siècle de notre
T. H (*• série). 9
i30 SÉANCE DU 19 PÉVRIEB iS^K
hre. (Ext. des Bulletins de la Société d'anthropologie^ taai, juin
^t juillet 1890,) Paris, 1890, in-8% 36 pages, illustré.
TouRTOULON (Ch. de). Des dialectes^ de lew* classificattOH et
de leur délimitation géographique. (Communication faite au
Congrès de philosophie romane de Montpellier, le 26 mai 1890.)
Paris, i890, in-S*», 60 pages. (Ext. de la Revue des langues
romanes,)
CuARENCEY (H. de). Essai de grammaire de la langue de Viti^
diaprés les manuscrits des missionnaires maristes, coordonnés
par le père A. C... Second fascicule, Paris, 1884, in-8*,
72 pages. — Dictionnaire latin-uvea^ à Vusage des élèves du
collège de Lano, par les missionnaires maristes, revu par le
père A. C... Paris, 1886, in-8^, 185 pages. — Katekismu l'ede
Yoruba (traduit du Catéchisme de Cambrai)^ par le révérend
père Baudin. Paris, 1884, in-18, 98 pages.
U. S. Geological Survey (Department of the interior)w
ISinth annual report of the United States geological survey to the
secretary ofthe Interior^ 1887-4888, by J.-W. Powel, director.
Washington, government printing office, 1889, in-4^, xm-
717 pages et figures.
PERIODIQUES.
Annales de P Académie de Mâcon, deuxième série^ tome VU.
Mâcon, 1890, in-8°. A. Arcelin: l'Homme tertiaire.
L' Anthropologie j tome 11, n° 1 (janvier- février 1891). D' Car-
ton : les Mégalithes de Bulla^^^egia^ les Alignements de la
plaine de la Medjerdah et les Sépultures du Djebel Herrech,
avec 15 figures ; — Paul du Chatellier : De quelques cachettes
découvertes dans le Finistère, avec 13 figures; — Aristote-G.
Neophytos: Le Grec du nord-est de l'Asie Mineure au polo l
de vue anthropologique ; — G. de Lapouge : Crânes modernes
de Montpellier.
Revue de l* hypnotisme et de la psychologie physiologique.
(o« année, n» 8, février 1891). D' Dejerine : Hypnotisme et Sug-
gestion.
Comptes rendus hebdomadaires de la Société de biologie
A. DE MORTILLKT. — CUILLÈRES PHÉHISTORIQUES. 131
(9* série, tome III, n" 5, 1891). J.-AV. Laborde: Des phéno-
mènes extérieurs que Ton observe sur la tète et le tronc des
décapités et de leur signification physiologique.
Bulletin de la Société de géographie (V série, tome XI,
4* trimestre, 1890). Gabriel Bonvalot : Voyage dans TAsie cen-
trale et au Pamir; — Guillaume Gapus : Pamir et Tchitral.
Bulletin de la Société de géographie de Toulouse (9* année,
1890, n«» 9, 10, 11, 12). De Poumayrac: Le Congo français.
iVa/tire (volume 43, n°» IHO, IMi, 5 et 12 février 1891).
— G. -Smith Worthington : Skallton of brachycephalic celt;
— D^Alfred-R. Wallace : Modem biology and psychology;
— Prof. W.-Boyd Dawkins : The Lake-dwellings of Eu-
rope; — G. Smith Worthington : Notable paleolithic im-
plement.
The American antiquarian and oriental jommal (volume XIIÏ,
n» 1, janvier 189)). S.-D. Peet: The Great Gahokia Mound
(illustrated) ; — W.-M. Beauchamp : Earth-works and sto-
kades; — James Deans : A Weird mourning song of the
haidas ; — A.-W. Williamson : The Dakotas and their tra-
ditions.
PftÉSENTATlOlMS.
M. Letourneau présente, au nom de M. Tremlett, une série
de plus de cent cinquante dessins et relevés de monuments
mégalithiques de Bretagne.
Gnillèreft préhistoriques.
M. Adrien de Mortillet présente une cuillère néolithique, en
terre cuite, provenant de la grotte de Vermont ; c'est une
vraie poche.
Au camp de Chassey, on en a trouvé une avec manche.
M. de Mortillet en montre aussi une en bois provenant des
habitations lacustres. En Chine, il en existe en porcelaine de
même forme qu'en Amérique, oi!i le point de départ semble
avoir été une cuiMère faite avec un coquillage scié ; le manche
432 SÉANCE DU i9 FÉVRIER 1891.
est alors creusé en gouttière qui se continue directement
avec Textréroité de la cuillère.
Série de eolllèreB d'époqses variées ;
PAR M. CAPITAN.
J'ai l'honneur de présenter à la Société une série de onze
cuillères des diverses époques suivantes. Tout d'abord deux
spécimens, l'un en bronze, l'autre en os, de cuillères romaines.
C'est une tige mince, pointue, munie à son extrémité d'une
petite cuillère ronde. C'est là la cuillère de table des Romains
(V. bas fig. A), d'après certains auteurs. D'autres y voient seu-
13 Cenhonètyes
Fig. A.
lement une cuillère à parfum pour l'usage de la toilette ou à
destination du culte.
Puis viennent les cuillères rondes, à bords échancrés du
coté du manche> à manche quadrangulaire ou arrondi, muni
à son extrémité d'un petit ornement terminé en bas par un
bouton. C'est le type carlovingien qu'on retrouve du septième
au dixième siècle (v. milieu fig. A). Plus tard, vers le treizième
siècle, il existe encore un type analogue, à bords un peu plus
échancrés dans la partie de la cuillère adhérente au manche
et présentant souvent, à l'extrémité de ce manche, une figu-
rine de saint ou le plus souvent de la Vierge (v. haut fig. A).
Au dix-septième siècle, le manche s'aplatit et se termine par
une extrémité plate aussi et plus large que le manche. La
cuillère proprement dite s'allonge et prend une forme ovale.
A l'époque actuelle, on retrouve, dans bien des pays, des
(ormes rappelant les formes anciennes. Je vous présente aussi
CAPITAN. — CUILLÈRES d'ÉPOQUES VARIÉES. 433
une petite cuillère en bois, dont le manche court est terminé
par une fourchette ; c'est l'appropriation moderne du type
romain. A côté de spécimens de ces diverses époques, je vous
montre aussi une cuillère kabyle, de forme analogue à celle
des cuillères du moyen âge, et enfin un spécimen russe,
moderne aussi, en vermeil émaillé, à cuillère ovale, échancrée
sur les côtés, à tige torse terminée par un simple bouton.
JO U^^ir^yitret -j
Fig. B.
iy^tntitniftt*
Fiç. C.
S3^«nrimètr«s
S 2 Canh'mè^e«
Fig. D.
C'est une forme très analogue à celle des cuillères du moyen
âge.
Une autre série que voici se compose de spécimens assez
récents mais présentant des réminiscences des types antiques.
Le premier est une petite cuillère fabriquée au moyen d'une
coquille sciée en deux, elle provient de l'Inde (voir fig. B).
On retrouve, dans divers pays, des spécimens en bois ou en
céramique affectant une forme inspirée de cette cuillère en
coquillage. £n voici une en bois provenant du centre de TAfri-
que et qui a la même forme générale que la précédente (voir
fig. C). En Chine et au Japon, il existe des cuillères en por-
celaine blanche souvent décorée, en forme de poche se con-
tinuant avec le manche, qui affecte la forme d'un demi-
cylindre; c'est là un type d'ailleurs très vulgaire.
134 SÉANCE DU 19 FÉVRIER 1891.
Je vous présente aussi quelques cuillères kabyles en bois
avec ornements tracés au fer rouge; ces ornements sont inté-
ressants et d'aspectarchaïque; les formes sont assez élégantes;
d'ailleurs ces cuillères sont fabriquées avec soin dans du bois
dur (voir fîg. D).
Discnsnon.
M. Gabriel de Mortillet fait remarquer que la décoration
des cuillères kabyles présentées par M. Capitan est tout à fait
semblable à celle d'usage courant de Tâge du bronze européen.
Cette décoration consiste en séries de triangles formés par
des hachures parallèles. Ces triangles sont alignés en cercle
dans l'intérieur de la cuillère et en lignes droites sur le man-
che; c'est ce qu'on appelle les dents de fow/î.Dansle centre du
rond d'une des cuillères, il y a une petite croix au-dessus
d'un poignard. Tout le centre de l'autre est occupé par une
croix formée de deux lignes qui se croisent à angle droit.
Cette croix estcantonnée dans ses quatre compartiments de
doubles points. Ce mode de croix et le cantonnement se
trouvent aussi fréquemment à l'âge du bronze. Il y a donc là
une très importante similitude.
M. Ollivibr-Beauregard présente une cuillère en argent à
manche mince, rectangulaire, à nervures, et présentant à
son extrémité une figurine de Vierge. Elle date donc du
moyen âge.
M. le colonel Duhousset. La façon de se nourrir et les ins-
truments culinaires qui servent, accessoirement, à l'alimen-
tation doivent intéresser autant l'ethnographe que le collec-
tionneur. On a dû remarquer, parmi les ustensiles en métal
présentés plusieurs fois à la Société, que les cuillères an-
ciennes affectaient presque toujours, avec une légère con-
cavité, la forme régulièrement arrondie de contour qui se
trouve généralement en usage dans le nord de l'Europe.
J'ai vu, tout récemment encore, une série d'objets analo-
gues trouvés par M. F.Moreau, en 1890, dans des sépultures
DISCUSSION SUR DES CUILLÈRES d'ËI>OQU^S VARIÉES. 13S
du terrain àet nécropoles préhistoriques avoisinant le cours
de rOuroq et de Carenda (Aisne), soumises
& des fouilles sérieuses et sans relAche
dès 1073.
Déjà, en 1876, il y avait, dans les coUec<
lions de cet archéologue, des cuillères en
bronze ornées de figurines, probablement
Fig. I. Fie- ■
gallo-romalnee, et venant d'un tombeau de Sablonniêres.
Ainsi qu'on l'a jndicïeasenient fait observer, les paya qui
i36 SÉANCE DU 19 FÉVRIER 4891.
se nourrissent principalement de pâtes ne font pas usage
de cuillères ; encore de nos jours, on consomme peu de
potages en Italie, et les peuples d'Orient, dont la base de la
nourriture est le riz, même en Tarrosant d'une sauce épicée,
puisent avec leurs doigts dans le plat commun^ chacun fai-
sant brèche devant lui.
A Naples, les lazzarones ne se font pas faute d'agir de la
même façon pour avaler le macaroni, et souvent aussi les
Arabes opèrent ainsi avec le couscoussou imbibé de meurga
au poivre rouge.
Voici une cuillère en olivier venant d'une habitation ka-
byle où plusieurs, façonnées de même, étaient plantées dans
un râtelier en bois; sa forme se rapproche de celles en usage
en Bretagne, qui vous furent montrées dernièrement ; la
pointe est peu indiquée, et elle n'est que légèrement creusée.
Le même modèle se rencontre à Madagascar.
On trouve, dans la collection Bing, deux cuillères à doser
le thé, venant du Japon (dix-septième siècle) ; elles ont les
manches en argent émaillé, et sont pointues et creuses.
Notre collègue, le voyageur Rousselet, dans son long sé-
jour dans rinde, a constaté, comme je Tai fait en Perse,
que la forme en pointe de la cuillère était presque constante,
et je viens appuyer mon dire en en mettant quelques-unes
sous vos yeux dans les différents emplois asiatiques : d'abord,
une cuillère pointue et dont le cuilleron a la forme très
creuse d'un ustensile semblable en pierre, et d'une haute an-
tiquité, qu'on vous a montré l'autre jour; presque toutes les
autres dérivent de cette dernière, comme on le voit dans la
toute petite cuillère absolument décorée de même et creusée
d'une façon analogue.
J'ai acquis ces cinq cuillères s'ajustant l'une dans l'autre
d'une nomade illiate, dont la tente était dressée dans la
plaine de Véramine, non loin de Hhagès.
Cet ustensile très orné, qu'on trouve sur les tables des
riches, et dont le bois est sculpté comme une dentelle, sert à
Duiser dans un bol contenant des sorbets ; on se la passe à
DISCUSSION SUR DBS CUILLÈRES d'ÉPOQUES VARIÉES. i3i
la ronde en ayant soin de boire de côté. Par le mot table
dont je viens de me servir, il faut entendre le tapis recouvert
d'une nappe, car c'est sur le sol que les différents plats sont
posés, devant les convives agenouillés.
Ces petites cuillères en argent et en os sont renfermées
dans le calendan, petit nécessaire en carton contenant tout
ce qu'il faut pour écrire, et servent à prendre les quelques
gouttes d'eau qui mouillent le tampon de fil saupoudré de
poussière d'encre ; c'est en appuyant fortement dessus, avec
la plume roseau, que celle-ci se charge de noir pour écrire.
Enfin, Tinstrumenl que voici, formant un triangle métal-
10 cenhmirréi
21 c*nHrr*ittret
*î^
J_a cenhtnrhrei _
'^^•"'■"^
'i^^ 5.
lique très pointu, est, dans l'Asie Mineure, à l'usage du fu-
meur ; avec cette palette ou petite truelle, il dépose sur le
tchillam (grande pipe à eau) le tombako composé de mé-
lasse et de tabac malaxés ensemble, ayant l'aspect d'une
forte pilule de la grosseur d'une boule de loto. On trouve
souvent, en Asie, des cuillères n'ayant pas la pointe dans la
direction du manche, et dont les bords affectent la courbure
d'une palme.
Je termine en disant qu'il serait intéressant de bien spéci-
fier les origines et les limites de ces cuillerons profonds ou
plats, les premiers terminés en pointe et ne servant probable-
ment que pour des aliments très liquides, et les seconds ten-
dant, avec la forme arrondie, à n'être plus qu^une palette lé-
gèrement creusée.
M. BoNNEMÈRE rappelle qu'en Suisse, il y a encore aujour-
d'hui des cuillères arrondies rappelant le type du moyen
âge.
138 SÉANCE DU 49 FÉVRIER 1891.
M. Sanson dit que les cuillères entrant les unes dans les
autres se rencontrent aussi à Bombay.
M. Gabriel de Mortillet dit qu'il faut distinguer, à l'é-
poque romaine, entre les cuillères servant à la table et celles
qui servaient à la cuisine; celles-ci étaient en bois et en
forme de poche ; on les voit figurées sur des fresques,
M. Zaboroswki dit que les Kabyles fabriquent une cuillère
ronde à manche plat, qui a une forme analogue à celle des
cuillères antiques présentées.
Sar oa dlsqoe pereé, on aonoma en pierre, Méollthi^ne
PAR MM. LES DOCTEURS MENARD ET CAPITAN.
J'ai l'honneur de vous présenter, au nom du docteur Ménard,
de Saint-Gervais-les-Trois.Clochers (Vienne), et en mon nom,
un grand disque mince très régulier, poli, mais à surface
un peu altérée, en roche granitique, à mica verdâtre abon-
dant et à feldspath rose. Ce disque, qui mesure i75 milli-
mètres de diamètre sur une épaisseur de 9 millimètres au
milieu et de 4 millimètres sur les bords, est percé à son centre
d'un large orifice de 73 millimètres de diamètre. Cet objet a
été découvert avec un autre de même forme, mais un peu
plus large de quelques centimètres (4 centimètres environ),
et de même roche, h 1 mètre de profondeur, par des paysans
qui arrachaient des arbres au lieudit TararoUy commune de
Saint-Christophe, sur les confins de la commune de Saint-
Gervais-les-Trois-Clochers, tout à fait au nord-ouest du dépar-
tement de la Vienne.
Tous les environs de cet endroit sont d'ailleurs riches en
débris de diverses époques. C'est une petite vallée au fond de
laquelle coule un ruisseau au milieu de marécages. La tra-
dition locale prétend qu'une ville a été engloutie dans ces
marais. Le fait est que plusieurs indices permettent de sup-
poser qu'il y a eu en cet endroit une station lacustre. Des
recherches seront d'ailleurs faites pour élucider ce point.
Sur le coteau qui borde à l'est la petite vallée, il existe des
MÉNARD ET CAPITAN. — DISQUE PERCÉ. 439
(ombelles dont Tépoque n'a pas été nettement déterminée.
Tout autour, on a découvert des silei^ et des jaspes taillés
de diverses époques. Sur le coteau ouest, tout à côté préci-
sément de Tendroit où ont été découverts les disques, il
existe une station romaine d'une certaine importance.
Enfin, à 500 mètres, on trouve encore en assez grande
abondance des silex taillés. On y a découvert récemment une
Pig. I. — Anneaa en pierre. Époque néolithique. (Moitié grandeur natorelle.)
grande pointe en silex de Pressigny mesurant 175 millimè-
tres de longueur sur 30 millimètres de largeur, bien retaillée
sur les bords.
Le gisement ne peut donc donner aucun renseigne-
ment sur Tàge de cet objet. Mais des disques ou anneaux
semblables en pierre ont été découverts en diverses parties
de la France, dans des conditions qui permettent d^affirmer
qu'ils remontent à Tépoque néolithique. Il existe, au musée
de Vannes, un très bel anneau, de forme identique à celui
140 SÉANCE DU i9 FÉVRIER 4891.
que nous présentons à la Société, et qui a été trouvé dans
un des grands dolmens de Bretagne, avec une superbe hache
polie passée dans l'orifice de Tanneau. Tout ceci permet
donc de dater Tobjet présenté et de le considérer légitime-
ment comme étant de l'époque néolithique.
Reste à chercher l'usage auquel était destiné ce grand
disque ou anneau. Sur ce point, les avis sont partagés. Quel-
ques auteurs pensent que ce disque aurait pu servir d'arma-
ture à une massue ainsi qu'il en existait, il y peu d'années
encore, chez certaines populations océaniennes (Nouvelle-
Guinée surtout). Les dimensions de Toriflce ne permettent
pas d'accepter cette hypothèse. Quelques archéologues pen-
sent que c'était un ornement destiné à être suspendu au
cou et porté sur la poitrine, soit pour y fixer les vêtements,
soit comme emblème, ainsi qu'il en existait chez les an-
ciens Mexicains et chez d'anciennes populalions de Tlnde.
Tel est Tavis de nos amis Salmon et Boban. Enfin d'autres
archéologues fort compétents pensent que c'était une véri-
table arme. Pour les uns, c'était une arme de jet, le premier
représentant du disque hindou en fer, à bords tranchants
{tckah^am) qui se lançait après lui avoir imprimé un mou-
vement de rotation rapide autour de l'index passé dans l'o-
rifice. C'est l'opinion de notre collègue M. OUivier-Beau-
regard.
Pour les autres, c'était un véritable bracelet servant à la
fois de parure et d'arme, comme moyen de parer, ou, au con-
traire, pour frapper; on le fixait sur l'avant-bras ou bien
au-dessous du biceps. Notre ami M. Adrien de Mortillet, qui
a défendu cette idée, nous a fait remarquer que les Touaregs
ont encore un bracelet en pierre analogue, quoique moins
large. Il est vrai que Ton pourrait objecter à cette interpré-
tation que Torifice dont est percé notre anneau de pierre est
bien peu large pour un bras d'adulte. Nous l'avons fait
essayer à un jeune homme à extrémités fines, qui a pu pour-
tant facilement passer la main par Torifice, et amener l'an-
neau jusqu'au tiers inférieur de l'avant-bras. Il ne faut pas
DISCUSSION SUR UN DISQUE PERCÉ. 141
oublier aussi que les poignées des armes en bronze préhis-
toriques que nous retrouvons sont courtes et indiquent une
petite main chez les peuples préhistoriques.
11 est enfin une dernière hypothèse que Ton pourrait
émettre à propos de notre anneau. Ce pourrait être une sorte
d'instrument de musique, peut-être à destination sacrée,
comme certains gongs en bronze ou en bois dont se servent
les bonzes annamites dans les pagodes. Si, en effet, on sus-
pend notre anneau par une ficelle et qu'on le frappe avec
une baguette de bois, il donne un son musical. C'est là une
pure hypothèse, cela va de soi. On peut rémettre comme
telle à la suite des autres. Quoi qu'il en soit, il est bien difficile
de se prononcer sur ces diverses interprétations qu'il pouvait
y avoir intérêt à signaler en l'espèce, tout en réservant la
question dont il faut attendre la solution complète de recher-
ches futures.
Nous présentons aussi à la Société, comme point de com-
paraison, un anneau qui a d'assez grandes analogies avec le
précédent. 11 provient vraisemblablement de l'Afrique cen-
trale, et quoique n'ayant pas un aspect absolument récent, il
est certainement de Tépoque contemporaine. La matière em-
ployée est de l'ivoire jauni, fissuré, ayant en somme l'as-
pect du vieil ivoire. C'est également un disque, moins ré-
gulier que le précédent, plat sur une de ses faces, mesurant
122 millimètres de diamètre et percé au centre d'un orifice
de 64 millimètres de diamètre, à parois sciées assez irrégu-
lièrement dans l'ivoire. Ce disque est assez épais au milieu
(24 millimètres) à cause de la forme un peu conique dé-
primée qu'affecte l'autre face. L'épaisseur sur les bords est
de 8 à 11 millimètres; ces bords sont mousses. En somme,
oet objet, surtout vu par une de ses faces^ présente une très
réelle analogie avec notre disque antique.
Les mêmes hypothèses ont été émises à propos de son
usage probable. Il semble donc que l'emploi d'un instrument
analogue à l'objet antique que nous venons de présenter se
soit continué jusqu'à nos jours. Les renseignements précis
442 SÉANCE DU 19 FÉVRIER 4891.
sur les types africains modernes qu'on pourra certainement
se procurer un jour ou Vautre, nous donneront probablement
Tinterprétation exacte de l'usage auquel était destiné notre
spécimen antique.
Discussion.
M. Ollivier-Bbauregard dit que certaines divinités hin-
doues portent comme attribut un disque analogue. C'est un
large anneau plat, tranchant à la circonférence extérieure.
M. Adrien db Mortillet fait observer que le disque dont
parle M. Beauregard, le tchakram, était en effet une arme
de jet en fer, mais d'une forme différente de celle de la pièce
présentée.
Bapport de la eommisslon des floanoes ;
par m. f. bessin.
Messieurs,
J'ai l'honneur de vous présenter le rapport de la commis-
sion des finances, composée de MM. Zaborowski; président,
Emile GoUin^ F. Bessin, rapporteur.
Nous devons avant tout, messieurs, rendre hommage à
l'activité de monsieur le trésorier, qui a su, par d'heureuses
dispositions, assurer le bon fonctionnement de la compta-
biUté.
C'est ainsi que Tordre chronologique dans le classement
des pièces justificatives et les inscriptions sur les différents
livres est fidèlement observé. Aussi, notre travail de vérifi-
cation s'est-il trouvé bien simplifié, et nous avons pu consta-
ter très facilement une parfaite régularité dans les opéra-
tions de la Société et les écritures, qui sont bien conformes
an compte rendu dont il vous a été donné lecture le 22 jan-
vier dernier.
Monsieur le trésorier vous a donné une idée aussi com-
plète que possible de la situation financière de la Société ;
F. BESSIN. — RAPPORT DE LA COMMISSION DES FINANCES. 143
nous nous bornerons donc à vous signaler ce qui nous a
paru devoir mériter votre attention.
L'exoédent des recettes est bien inférieur, cette année, à
la moyenne des excédents précédents ; mais la situation n'a
pas cessé pour cela d'être prospère.
Il ne faut pas oublier, en effet, les deux faits importants
qui ont marqué oes deux dernières années.
D^abord, notre participation à TExposition^ dont nous res-
sentons encore les effets.
Vous savez ensuite qu'on a dû procéder à l'inventaire gé-
néral des meubles, des collections et de la bibliothèque^ sur
la proposition de monsieur le trésorier, qui vous en a si clai-
rement montré l'importance.
Ce projet, en voie d'exécution, accroît nécessairement
d'une façon sensible le chiffre des frais généraux.
L'expertise et le classement des précieux objets qui con-
stituent la richesse de notre musée ; Tcntreprise du catalogue
de la bibliothèque, qui comprendra, vous le savez, non seu-
lement les imprimés, mais aussi tous les manuscrits et les
documents importants, représentent une somme de travail
considérable.
Ces dépenses sont, d'ailleurs, purement accidentelles, et il
ne faut voir dans ces mesures excellentes qu'un élément de
plus pour la prospérité de la Société.
L'importance des fonds versés par les sociétaires est assez
grande pour que la commission ait cru devoir vous signaler
en passant le chiffre relativement faible des u quittances à
recouvrer». C'est un heureux symptôme pour l'avenir, que
nous nous plaisons à constater.
Nous savons avec quel soin Monsieur le trésorier pour-
suit la rentrée des cotisations annuelles ; mais il faut, bien
entendu, compter sur votre bienveillant concours.
11 n'est pas besoin de vous faire ressortir l'importance des
versements aux dates déterminées par nos règlements ; ces
sommes, venant s'ajouter aux ressources dont dispose la So-
ciété pour faire face aux dépenses de l'exercice conraut,
144 SÉANCE DU 19 FÉVRIER 1891.
pourraient, par exemple, faciliter rintrodaction dans nos
Bulletins de quelques dessins, si rares depuis quelque temps,
et Ton serait peut-être en droit d'espérer, dans une certaine
mesure, une répartition équitable dans la distribution de ces
dessins, qui sont souvent une des conditions essentielles de
la valeur démonstrative d*un travail scientifique.
En résumé, mes^iieurs, la situation financière de la Société
est des plus satisfaisantes.
Votre commission des finances a donc l'honneur de vous
proposer d'approuver les comptes de Texercice 1890 et de
voter des remerciements à M. Fauvelle, notre trésorier, qui
apporte, dans Taccomplissement de sa mission, tant de con-
viction et de dévouement.
Suite de.la diseussion sur la natalité en Franee ;
PAR U. JACQUES BBRTILLON.
Le manuscrit de l'auteur n'a pas été remis.
COMMLIMCATIOKS.
Lea Ostlaks ëe l'^nral et de l'Obi ;
PAR H. RABOT.
Discussion.
M. CuARENCEY fait remarquer que la langue des Ostiaks de
i'ieniseï est différente do celle des Ostiaks de TObi. 11 donne
quelques explications linguistiques à ce sujet.
M. Lktoirxkau, à propos du voyage de M. Sommier, dit
que cet auteur ne s'était guère occupé de la sociologie de ce
pays. Il demande à M. Rabot des explications à ce sujet.
M. Rabot. La propriété du sol appartient, je crois, au gou-
vememeut russe; les indigènes ont droit de chasse et de
pèche. Chaque famille a son territoire de chasse et de pèche.
La jeune tille est achetée au père par le fiancé au moyen de
DISCUSSION SUR LES OSTIAKS DE L'OURAL ET DE L*OBI. 145
rennes, ou môme d'argent. Il existe des paouls, sorte de pe-
tites agglomérations de deux ou trois familles,
M. Gabriel de Mortillet dit avoir vu à l'Exposition de 1889
des ornements en coquille provenant des populations des
bords de TObi, et ce sont des cauries.
M. Rabot dit que, dans ce cas^ il s*agit d*autres popula-
tions que celles qu'il a vues ; ce sont probablement des po-
pulations finnoises du Volga.
M. Zaborowski demande à M. Rabot si la danse de Tours a
été observée par lui.
M. Rabot répond qu'il a vu danser, par les Ostiaks, une
prétendue danse de Tours très différente de celle dont Alqvist
a été témoin.
M, Zaborowski demande si des fétiches reposent sur les
tombes.
M. Rabot n'en a pas observé. Le mort n'a autour de lui que
les instruments dont il se sert ordinairement. Les Osliaks
portent à leur couteau une dent d'ours percée.
A une question posée par M. Sanson, M. Rabot répond qu'il
y a des harnais de renne formés de deux pièces latérales en
os, appliquées sur les joues de Tanimal et maintenues par
une courroie faisant le tour de la base du museau. Le trait
de traction unique passe entre les jambes, sous le ventre,
puis il traverse une pièce d'ivoire attachée au traîneau.
La séance est levée à six heures un quart.
L'un des secrétaires : Gi\PlTAN.
T. II (4« SÂRIEj. 10
146 SÉANCE DU 5 MABS 189i.
533* SÉANCE. — S mars 1891.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
COMMt.MCATlOKS DU BUREAU.
M. LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL Communique à la Société le pro-
gramme d'un Congrès international d'hygiène et de démogra-
phie^ qui s'ouvrira à Londres le 10 août 1891.
OUVRAGES OFFERTS.
M. Gabriel DE Mortillet. Notre bibliothécaire, M. Issaurat,
qui poursuit activement la classification et rédige le Catalogue
de la bibliothèque de la Société d^ anthropologie, m'a prié d'in-
tervenir auprès de plusieurs de nos collègues, pour les prier
de compléter le don de leurs diverses publications. Ces
messieurs ont accueilli favorablement ma demande, et j*ai
rhonneur d'offrir à la Société, au nom de M. Paul du Ghatel-
LIER, vingt-sept brochures ou volumes concernant le préhis-
torique de l'extrémité de la Bretagne.
M. Gustave Chauvet, de Ruffec (Charente), de son côté,
me charge de vous offrir huit brochures complétant son
œuvre archéologico-anthropologique.
M. Bleicher, professeur à l'École de pharmacie de Nancy,
m'a envoyé quatre brochures manquant à l'éaumération de
ses œuvres.
M. F. Barthélémy, de Nancy, a envoyé quatre publications.
M. le baron Joseph de Baye, six brochures.
M. Giuseppe Bellucq, professeur à TUniversilé de Pérouse
(Italie), trois brochures.
La liste détaillée de tous ces envois va être insérée dans
le Catalogue^ qui est sous presse.
Barthélémy (F.). Répertoire des découvertes préhistoriques
OUVRAGES OFFERTS. 147
dans le département de la Meurthe (Association française pour
Favancement des sciences, congrès de Paris, 1889). Paris,
in-S*, 16 pages et cartes.
Bleicher {Jy) et Barthélémy. Les Tumuli de la Lorraine
(Association française pour ravancement des sciences, con-
grès de Nancy, 1886). Paris, in-8®, 16 pages. — Note sur une
sépulture de rage du bronze découverte à Domèvre-en-Haye
(Extrait do Journal de la Société d'archéologie lorraine, de
juillet 1886). Nancy, 1886, in-8«, 7 pages et planche.
BoRSARi (FBRniNANDo) Etnologia italica, Etrnschi, Sardi e
Siculi nel XIY secolo primo deir era volgare (Est. dalla
Rassegna scientifica, literaria e politica) Napoli, 1891, in-8*,
19 pages.
BusGHAN (Georg). Die Steinzeit und Bronzezeit in Aegypten
(in-8®, 5 pages).
Mies (Josef). Ueber das Gehimgewicht einiger Thiere (Ver-
bandiungen der Gesellschaft Deutscher Naturforscher und
A. Bremerzteen 1890, Sonderabdruck). Leipzig, in-8*', 5 pages.
Terrt (James). Sculptured anthropcïd ape heads, Found in
or near the valley of the John Day River, a tributary of
theColombia River, Oregon. New-York, 1891, in-4%15 pages
et planches.
Cérémonie bouddhique dite Hau-on-kau ou actions de grâce
à Sin-/tan, fondateur de la secte Stn-iSioM, célébrée au musée
Guimetle 21 février 1891. Paris, in-8*», 8 pages.
Aevue mensuelle de l'École d'anthropologie de Paris, publiée
par les professeurs. Première année, numéro j , janvier 1891.
Paris, in-8* avec figures.
Royal Collège ofPhysicians ofEdinburgh (Reports from the
Laboratorî of the). Vol. III. Edinburgh. 1891 , itt-8o,304 pages
et planches.
PÉRIODIQUES.
Archives de médecine navale et coloniale, février 1891. Doc-
teur M. -A. Legrand : la Lèpre en Nouvelle-Calédonie, appa-
rition, extension et distribution géographique de la maladie;
i48 SÉANCE DU 5 MARS 1891.
— D' Le Daniec : Origine tellurique du poison des flèches
des naturels des Nouvelles-Hébrides.
Société médicale des hôpitaux de Patns (Bulletins et mé-
moires de la), 26 février 1891. P. Marie et Onanoff : Sur la
déformation du crâne constatée dans certains cas de myo-
pathie progressive primitive.
Société nationale d'acclimatation de France (Revue des
sciences naturelles appliquées), 20 février et 5 mars 1891.
A. Milne-Edwards : Influence des grands froids sur quelques-
uns des animaux de la ménagerie du Muséum; — Maurice
Arthur : Action du froid sur les êtres vivants; — M, V. B... :
L'Upas Tiente des Javanais.
Revue scientifique (Revue rose), ^\ et 28 février 1891. P.AI-
bertoni : la Physiologie et la Question sociale ; — l'Exposition
ethnographique de Sibérie; — M. Boule : les Grands Ani-
maux fossiles de TAmérique.
Société royale belge de géographie (Bulletin), 1890, n* 6,
novembre- décembre. Aug. Couvreur : la Turquie d'Europe
et les États des Balkans; — N. Ghennadieff : la Macédoine.
Asiatic Society of Dengcde (Proceedings), n* 7, july, 1890,
L. A. Waddell : Note on an inscription in kulila characters,
from a stone recently un-carthed at mudgal-âsràma (Kash-
taharani ghàt) mungir, with ink impression of inscription.
Asiatic Society of Bengale (Journal), vol. LVIII, part, I, n<»3,
1889. Yincent A. Smith : Grœco-Roman influence on the
civilization of Ancient India.
Bollettino di paletnologia italiana, t. VI, 1890, n"* 11. Sca-
rabelli : Sulle piètre lavorate a grandi scheggie del qua-
ternario presse Imola, con ta vole ; — Strobel : Saggio délia
funna mammologica délie stazioni preistoriche dei Monti
Lessini.
Nature^ illustrated journal of science, n^* 1112 et H13,
D' F. Helm : On the affinities of Hesperonis ; — T. G. Bonney :
Température in the glacial epoch; — D'Alfred R. Wallace :
Remarkable ancient sculptures from North- West America.
E. GOLLIN. — OSSEMENTS OUATERNAIRES. 149
ÉLECTIONS.
M. Charles du Pasquier, interne en médecine, est élu
membre titulaire de la Société, par trente-deux voix sur
trente-deux votants.
M. T. S. Tremlett, membre de la Société d'anthropologie
de Londres, et M. Léo Stanton Rowe, membre de l'Americau
Academy, sont nommés membres correspondants par le
même nombre de voix.
PRÉSENTATIONS.
Déeoaverieft d'ossemeBU qnaternairea
sur la botte d'Orgemoat ;
PAR M. B. COLUN ^,
J*ai Tavantage de présenter à la Société^ au nom de
M. Boucher, quelques ossements recueillis par les soins de
M. Yergognan, chef de chantier des travaux d'exploitation
de la Société des plâtrières du bassin de la Seine, qui les remet
au fur et à mesure à M. Boucher, directeur de Técole commu*
nale d^Argenteuil ; ils figureront dans le musée de cette école
comme spécimens paléontologiques de la contrée. Il y a :
6 fragments de Rhinocéros tichorinus : tibia, omoplate, tête
d'humérus, tête de fémur, astragale et extrémité inférieure
d'humérus ;
2 fragments de défense d'éléphant;
3 fragments de bovidé : une tête de fémur et deux extré-
mités métatarsiennes;
i andouiller de renne et 2 dents rongées par la hyène ;
1 ccmon postérieur de cheval.
Ces ossements ont été recueillis au lieudit l'Union^ dans
une poche quaternaire, à 60 mètres d'altitude et distante de
iOO mètres de Tendroit où, en 1883, M. Stanislas Meunier
* Suite d'un travail iulitulé : GUémeni de mammifères qualtmaires aux
environs d'ArgenteuH {Seine-tt-Oise),
450 SÉANCE DU S MARS 1891.
en avait recueilli d^autres dont il avait déterminé les espèces
(voir Comptes rendus de V Académie des sciences^ t. XCVl,
p. i510). Ces espèces étaient, du reste, les mêmes que celles
dont proviennent les ossements que nous vous présentons et
qui ont été déterminées par M. le professeur Gaudry.
M. Mahoudeau présente, de la part de M. Moreau, un
groupe en pierre provenant de Vilnour, près de Pondicbéry.
Muselés présteraaax;
PAR M. LB POCTBUR A. LE DOUBLE.
J*ai Thonneur de vous montrer les modelages de deux
nouveaux muscles présternaux qui ont été disséqués à
Taraphithéâlre de l'École de médecine de Tours; l'un en
août 1890, l'autre en janvier 1891, par deux de mes élèves,
MM. Emile Dubois et Henry Barnsby. Les modelages ci-
contre ont été faits par ceux qui ont constaté la malforma-
tion, et sur la pièce même. Ces deux nouveaux présternaux
portent à trente-cinq le nombre de muscles présternaux que
j*ai eu l'occasion de présentera la Société.
Voici un exposé succinct de ces dernières anomalies.
Homme, quarante-quatre ans, phtisie ; 4 août 1890.
Le préslernal n'existe qu'à droite. Il est mince, effilé et
dirigé très obliquement de haut en ba< et de dehors en de-
dans. Il s'atlachejsupérieuremenl aux première et deuxième
oiMos dn.>iles, dans le point où elles s'unissent aux cartilages
costaux, et, inforieuromcnl, à la cinquième cùle. Il reçoit un
filet nerveux du quatrième nerf intercostal.
Homme, cinquante-deux ans, affection cardiaque; défor-
mation conj^rénitale do la colonne vertébrale ; 10 janvier ISOi,
Le muscle presternaî est unilatiTaî, gauche.
11 est diricè obliquement de haut en bas et de dehors en
dedans. 1! t>t innerNe par le oinquituie ntrf intercostal. H se
tîxe supôrieuronu nt à îa deuxième c^te et au deuxième car-
lilace costal *:àuche el an bord cauche ûj slemum. Infe-
rieurtment, il se teni.ine far une expansion teodinease
LE DOUBLE. — * MUSCLES PRÉSTERNAUX. 151
large, qui prend ses points d'attfiuîhe sur les cinquième et
sixième côtes et cartilages costaux gauches.
Chez ce même individu, on a rencontré deux anconés
internes, Tun dépendant du biceps, Tautre indépendant
(épitrochléo-olécranien).
Dans la dernière communication que j'ai faite, le 7 juillet
de Tannée dernière, j*ai examiné les différentes opinions qui
ont été émises sur la nature et la signification, au point de
vue de Tanthropologie zoologique, du muscle présternal.
J'ai essayé de prouver que les diverses théories émises jusqu'à
cejour àce sujet sont toutes peu acceptables, sauf, peut-être,
celle que j'ai défendue dans mon article Sternal, du Dtclion-
naire encyclopédique des sciences médicales, celle qui ferait de
cette malformation un rudiment du peaucier pectoral des
mammifères inférieurs au genre homo.
Comme je l'ai indiqué, il est difficile de croire, avec Bour-
dane et Marjolin, qu'il est un prolongement du sterno-maS'-
toïdien, puisque celui-ci ne descend, dans aucune espèce
animale, jusqu'au muscle grand droit de l'abdomen.
Il n'est pas possible d'en faire également, comme Hal*
bertsma, un muscle spécial à Thomme, un muscle consti-
tuant un caractère distinctif séparant l'homme des « pri-
mates » . Si cela était, on devrait le rencontrer d'une façon
constante; son absence, et non sa présence, constituerait
l'anomalie.
L'hypothèse de M. Testut, qui le rattache au sterno-mas*
toTdien et au grand oblique, n'est pas moins sujette à caution
que les précédentes. « Identité de situation^ identité de direo*
tion, identité d'insertion à la ligne axiale antérieure, voilà
des faits empruntés à l'anatomie humaine, qui fourniraient
déjà de fortes présomptions en faveur de Thomologie. La
disposition suivante, qu'indique l'anatomie comparée, chan-
gerait peut-être ces présomptions en certitudes. Chez les
serpents, les fibres les plus antérieures du grand oblique
prennent leurs attaches sur l'apophyse mastoïde ; elles se
portent de ce point sur la surface ventrale de l'animal et
152 SÉANXE DU 5 HARS 1891.
constituent dans cette région un rectus superficiel. N'est-ce
pas là, dit notre collègue de la Faculté de Lyon, la disposition
que nous offre, chez Thomme, le muscle présternal, réuni à
sa' portion d'origine, le sterno-mastoïdien? »
Tout d'abord, j'objecterai qu'il n*y a pas dans Tespèce hu-
maine identité de situation. Ce n'est pas le présternal qui cor-
respond au muscle grand oblique, mais le muscle intercostal
externe, et réciproquement. Dans un article que j'ai publié en
janvier 1886, dans la Revue d'anthropologie (Contributions
à l'histoire des anomalies musculaires^ 1885, etc.), j'ai établi
nettement :
l*' Que les intersections aponévrotiques, noyaux cartila-
gineux, observés par moi dans les muscles longs de l'ab-
domen, n'étaient rien autre chose que des côtes et des car*
tilages costaux avortés ;
2* Que les intersections aponévrotiques constantes du grand
droit antérieur de l'abdomen, dont on a tant discuté l'usage
et la raison d'être, devaient être considérées, au point de vue
de l'anatomie philosophique, comme la répétition et la con-
tinuation des côtes thoraciques de quelques animaux, et sur-
tout des reptiles;
3** Que si, d'habitude, le grand droit antérieur de l'abdo-
men de l'homme n'offrait pas plus de trois, quatre ou cinq
coupures fibreuses transversales, c'était parce qu'il reprodui-
sait fidèlement celui des anthropoïdes, nos plus proches voi-
sins dans l'échelle zoologique ; et de même que nous voyons
diminuer chez les primates supérieurs le nombre des pièces
osseuses du sternum par suite de la fusion de certaines ver-
tèbres sternaires, de même nous voyons les intersectrices
aponévrotiques du grand droit de l'abdomen se réduire à
cinq chez l'homme et les anthropoïdes, tandis qu'il s'élève à
sept chez les primates.
Cette troisième proposition a été soutenue par mon maître
Broca, et j'ai été heureux de voir, en juillet dernier; M. Hervé
appuyer les deux premières.
Il n'y a pas davantage, le plus ordinairement, identité de
LE DOUBLE. — MUSCLES PRÉSTBRNAUX. 453
direction entre les fibres du sterno-mastoïdien du grand obli-
que de Tabdomen et du présternal.
Dans les deux pièces ci-jointes, la direction est inverse.
Enfin le présternal ne se prolonge pas toujours jusqu'à la
ligne axiale. Un seul des muscles préslernaux que je mets
sous vos yeux atteint le plan médian.
L'opinion qui rattache le présternal aux muscles pecto*
raux est non moins discutable.
Chez les mammifères, il y a en général trois muscles pec-
toraux : le grand, le petit et le moyen. Chez l'homme, le
grand pectoral est constitué uniquement par la portion dite
ascendante, La portion descendante ^ qui en est séparée par
un interstice celluleux, est le moyen pectoral : elle procède
de la partie supérieure du sternum et de la moitié interne
de la clavicule. 11 en est de môme chez les oiseaux et les
quadrupèdes clavicules. Chez les quadrupèdes peu ou point
clavicules^ le pectoral moyen est en deux faisceaux distincts
et contigus : l'un sternal, dit stetmO'huméral; Veiuive clavi-
culaire ou cléido-huméral, prolonge le cléido*mastoïdien
auquel il est uni, par suite du défaut de clavicule (il faut
donc ici laisser de côté le sterno-mastoïdien, très uni au
cléido chez l'homme, mais parfaitement séparé chez nos
quadrupèdes). — Le pectoral moyen, ainsi constitué, est très
évident chez les chats, par exemple. Et la soudure bout à
bout des deux parties musculaires existe de même entre le
trapèze claviculaire et le faisceau claviculaire du deltoïde.
Quant au steimal transverse, particulier aux quadrupèdes non
clavicules, et dit stemo^aponévrotique^ ce n'est certainement
pas un muscle pectoral.
En fait, je persiste à croire que si la théorie qui veut que
le présternal soit un rudiment du peaucier pectoral des ani-
maux n'est pas exacte, elle est au moins la plus vraisem-
blable.
Depuis que j'ai pris la parole devant vous, j'ai vu, d'ail-
leurs, plusieurs anatomistes français et étrangers s'y ral-
lier ; entre autres, pour n'en citer qu'un, M. Lavocat qui,
154 SÉANCE DU 5 MARS 1894.
hier encore, regardait ce faisceau comme une dépendance
des pectoraux.
Voici ce que m'a écrit, le 3 janvier dernier, l'ancien direc-
teur de l'École vétérinaire de Toulouse :
« Les bandelettes sternales que vous avez observées chez
l'homme ne paraissent avoir aucune affinité avec le sternal
transverse des quadrupèdes, en raison de leurs attaches et
de leur direction. Elles n'ont rien de commun avec la bande
sterno-costale du grand droit de l'abdomen, et je crois,
comme vous l'indiquez, que c'est une reproduction par ata-
visme de quelques faisceaux du peaucier pectoral, chez des
êtres moins élevés dans l'échelle zoologique. )>
Malheureusement, nous ignorons complètement quels sont
ces êtres probablement ancêtres de l'espèce humaine, dont
l'origine doit remonter jusqu'au monde de ces reptiles dis-
parus dans la période secondaire.
Db miisele épitroehléo-oléoranleii et île sa aigniSeatlon
aa point de vue de l'anthropologie aoeloglque ;
PAR M. LE DOCTEUR A. LE DOUBLE.
L'accueil favorable que vous avez fait à ma dernière
communication sur trente-trois muscles présternaux chez
l'homme m'autorise à attirer votre attention sur un autre
muscle anormal dans l'espèce humaine.
11 s'agit d'un faisceau contractile remplaçant, au-dessus du
nerf cubital, la bandelette flbreuse qui réunit le chef épi-
trochléen et le chef olécranien du muscle cubital antérieur.
Depuis 1880, j'ai noté plusieurs fois l'existence de cette
malformation ; mais o est seulement dans ces trois dernières
années que j'ai essayé d'établir son degré de fréquence.
Voici d'abord un exposé succinct des cas que j'ai observés
depuis 1880 jusqu'à 1888 inclusivement.
LE DOUBLE. **- MUSCLE ÉPITROCHLÉO-OLÉGRANIEN. 155
ANNÉE 1880.
Femme, trente-cinq ans, phtisie ; 20 décembre.
L'épitrochiéo-olécranien est bilatéral, aplati, charnu,
rectangulaire ; il sUnsère en dedans^ à la face postérieure du
condyle interne de l'humérus, sur un plan plus élevé que
Forigine condyloïdienne du muscle cubital antérieur. Il est
innervé par un filet détaché des ramuscules articulaires du
nerf cubital qui naissent dans la gouttière épitrochléenne.
Homme, dix-huit ans, méningo-encéphalite traumatique ;
9 mars.
L'épitrochléo-olécranien n'existe qu'à droite, charnu dans
toute son étendue; il est légèrement renflé à sa partie
moyenne. Il reçoit un filet du ramuscule nerveux du muscle
cubital antérieur.
ANNÉE 1881.
Homme, soixante-quinze ans, hémorragie cérébrale; 17 no*
vembre.
L'épitrochléo-oiécranien est rudimentaire, mais se retrouve
des deux côtés. Il est représenté par quelques libres rouges
contractiles, terminées par des trousseaux de flbres conjonc-
tives fixées à i'épitrochlée ; son rameau nerveux émane du
tronc même du nerf cubital, à trois travers de doigts au-
dessus de répitrochlée.
Homme, trente-deux ans, tuberculeux; 23 novembre.
L'épitrochléo-olécranien siège exclusivement à droite ; en-
tièrement charnu, il a la forme d'un triangle isocèle dont la
base repond à Tépitrochlée et le sommet à Tolécrane. Il est
animé par un filet nerveux provenant du tronc du nerf
cubital.
Fille, trente ans, péritonite puerpérale; 15 janvier.
L'épitroehléo-olécranien, très étroit et bilatéral, charnu du
côté derépitroohlée, est tendineux en dehors. Il est dirigé obli-
quement de bas en haut et de dedans en dehors, et s'attache
456 SÉANCE DU 5 MARS 1801.
à rolécrane, immédiatement [au-dessous du triceps. Le nerf
cubital lui envoie directement un filet.
Homme, cinquante-trois ans, ataxique ; 30 janvier.
L*épitrochléo-olécranien est rectangulaire, charnu à sa
partie moyenne, tendineux à ses deux extrémités. Il se ren-
contre des deux côtés et est innervé par un filet qui se dé-
tache du nerf du muscle cubital antérieur, branche du nerf
cubital,
ANNÉE 1882.
Femme, vingt-sept ans, métrorrhagie ; 1" décembre.
L'épitrochléo-olécranien ne se trouve qu'à gauche. II est
constitué par deux ventres conoïdes réunis Tun à Tautre par
un tendon. Dirigé obliquement de dehors en dedans et de
haut en bas, il slnsëre en dedans sur la portion sus-épitro-
chléenne de la cloison intermusculairc interne du bras et sur
le condyle interne de Thumérus, et, en dehoi*s, sur le bord
interne de Toiécrane et aussi sur Taponévrose antibrachiale.
Le ventre supérieur mesure 25 millimètres ; le tendon inter-
médiaire, 4 millimètres ; le ventre inférieur, 32 millimètres,
ce qui donne^ pour la longueur totale du muscle biventer,
61 millimètres ; chaque ventre reçoit un filet nerveux dis*
tinct du nerf cubital.
Fille, onze ans, méningite tuberculeuse; 20 décembre.
L'épitrochléo-olécranien est aplati, charnu dans toute son
étendue, quadrilatère. Il est bilatéral. Un filet sensitivo-
moteur lui est fourni par la branche articulaire huméro-
cubitale du nerf cubital.
Homme, aliéné, soixante-quinze ans ; 3 février.
L*épitrochléo-olécranien n'existe pas à droite. Il est com-
posé de deux faisceaux entièrement charnus, fusionnés en
dedans. En dehors, le faisceau inférieur s'attache au bord
interne de i'olécrane ; le faisceau supérieur à l'aponévrose
brachiale, sans se confondre avec le triceps. Chacune des
bandelettes contractiles reçoit un filet nerveux distinct du
nerf cubital.
LE DOUBLE. -* MUSCLE ÉPITROGULÉO-OLÉCRANIEN. 157
En 1883 et 1884, j'ai été obligé, en raison du mauvais état
de ma santé, d^abandonner la direction de Tamphithéàtre de
rÉcole de médecine de Tours; mais je Tai reprise en 1885,
et, peu après^ j*ai eu encore l'occasion de voir des spécimens
intéressants du muscle en question.
ANNÉE 1885.
Homme, fièvre typhoïde, quarante ans; 30 janvier.
L'épitrochléo-olécranien est exactement semblable à droite
et à gauche. Épais^ charnu, carré, il recouvie tout Tespace
épitrochléo-olécranieu^ depuis le sommet jusqu'à la base de
Tolécrane. Il est animé par deux filets très ténus du nerf
cubital.
Homme, vingt et un ans, suicide, coup de feu ; 15 mars.
L'épitrochléo-olécranien n'existe qu'à droite. Il ne se com-
pose que de quelques fibres d'un rouge pâle, formant un rec-
tangle d'environ 2 centimètres et demi de largeur. Il est mû
par un filet nerveux provenant du nerf du muscle cubital
antérieur.
ANNÉE 1886.
Homme, pneumonie, trente-cinq ans; 22 décembre.
L'épitrochléo-olécranien est bilatéral, charnu, mais un peu
différent à droite et à gauche. Il est quadrilatère à droite,
légèrement fusiforme à gauche ; une des branches articu-
laires du nerf cubital lui fournit un mince et court ramuscule.
ANNÉE 1887.
Fœtus du sexe masculin; 12 janvier.
L'épitrochléo-olécranien est bilatéral et identique à
droite et à gauche. Il est triangulaire, charnu à sa partie
moyenne, aponévrotique à sa base et à son sommet. Son
sommet est à Tépitrochlée ; sa base répond à tout le bord
interne de Tolécrane. Il reçoit un ramuscule du nerf cubital.
158 ' SÉANCE DU 5 MARS 1891.
Homme de soixante-dix-sept ans, ramollissement eérébral ;
20 janvier.
L'épitrochléo-olécranien est bilatéral, composé d'an
mince troasseau de fibres musculaires, innervé par an ramns-
cule d^une des branches articulaires du coude du nerf
cubital.
Femme, soixante ans, cancer deTestomac; 2 avril.
L'épitrochléo-olécranien se rencontre seulement à droite.
Charnu dans toute son étendue, il est représenté par deux
faisceaux confondus vers Tépitrochlée, mais distincts en
dehors, où ils sont fixés, Tun à Tolécrane, l'autre au fascia
aponévrotique sus-jacent. Il reçoit du nerf Cubital un ramus-
cule unique qui va se perdre dans son intérieur presque au
niveau du condyle interne humerai.
ANNÉE 1888.
Homme, deliriura tremens, trente ans; 9 décembre.
L'épitrochléo-olécranien est trouvé à droite et à gauche
sous forme d'une bande plate, rectangulaire, presque entiè-
rement tendineuse, étendue du bord interne de Tolécrâne à
répitrochlée. Le nerf du muscle antérieur du cubital lui
donne un petit filet.
Homme, saturnin, quarante-cinq ans; il décembre.
L'épitrochléo-olécranien est bilatéral. II est cylindrique,
charnU; gros comme la phalangette du petit doigt. Une des
branches articulaires du coude du nerf cubital lui abandonne
un filet sensitivo-moteur.
Femme, paralysie générale, soixante-sept ans; 19 janvier.
L'épitrochléo-olécranien n'est observé que sur le coude
droit. Il est rectangulaire, tendineux à ses deux extrémités,
innervé par un rameau détaché du nerf cubital à deux tra-
vers de doigt au-dessus de la gouttière épitroohléo-olécra-
nienne.
Jeune homme, tuberculose, douze ans; 10 février.
L'épitrocfaléo-oléeranieii est semblable des deuK côlés* H
LE DOUBLE. <— MUSCLE ÉPITROCHLÉO-OLÉCRANIEN. 159
est constitué par une bande plate, mnculense^ animée par
un filet du nerf cubital.
Homme, cinquante ans, hernie étranglée; 17 mars.
L'épitrochléo-olécranien est bilatéral, triangulaire, entiè-
rement charnu, innervé par un filet du nerf du muscle cubi-
tal antérieur. La base du triangle qu'il forme se fixe à Tolé-
crâne et un peu aussi au bord postérieur du cubitus, et le
sommet à l'épitrochlée.
Femme, quarante-deux ans, septicémie; 25 mars.
L'épitrochléo-olécranien est minuscule, bilatéral, indiqué
seulement par une quinzaine de fibres rouges allongées entre
Tolécrane et l'épitrochlée. Le nerf cubital lui envoie un petit
filet.
En 1889, je me suis préoccupé d'établir le degré de fré-
quence de cette anomalie, et, dans ce but, j'ai examiné : en
1889, 40 sujets ; en 1890, 52 sujets ; en 1891, 40 sujets; soit,
en tout : i02 sujets ou 204 coudes.
Pour établir une statistique plus précise, j'ai disséqué ou
fait disséquer la région interne du coude sur le même nombre
d'hommes et de femmes, soit sur 51 hommes et 51 femmes.
J'ai noté les modes de conformation les plus divers, mais tous
se rapprochent de ceux indiqués plus haut ; aussi m'abstîen-
drai-je d'insister davantage sur ce point.
Sur les 102 sujets (hommes et femmes) examinés, j'ai
rencontré répitrochléo-olécranien sur 32 (24 hommes et
8 femmes) ; vingt fois il était bilatéral (14 hommes et 6 fem«
mes); douze fois, unilatéral (chez 7 hommes et 2 femmfes, il
se trouvait à droite, chez 1 homme et 3 femmes, à gauche).
Sur 204 coudes, je l'ai donc trouvé cinquante-deux fois; ce
qui donne une moyenne approximative de une fois sur quatre.
Généralement, il était plus développé chez Thomme que chez
la femme, et du côté droit que du côté gauche.
L'épitrochléo-olécranien a été décrit sous les noms les plus
divers par les anatomo-zoologistes, chez les animaux et dans
l'espèce humaine: Epiirockleo aneoneus(professeur Gruber,de
Saint-Pétersbourg; professeur Macalister, de Cambridge);
160 SÉANCE DU 5 MARS 1891.
AnconeiÂS epitrochlearis (Wood); Anconeus quarius (Rrause) ;
Anconeus quintus (Koster) ; Anconeus sextus (Galton) ; AnconetAs
inleimus (professeur Humphry, d'Edimbourg; Strauss Dur-
klein) ; Anconeus par vus (Rapp) ; Anconé interne (Cuvier, Lau-
rillard); Epitrochléo-cubital (professeur Testut), etc.
On n'a noté chez l'homme, jusqu'à présent, que quatre
anconés :
A. Un antérieur ou sus-anconé^ signalé en 1806 par Portai,
dans son traité d*anatomie, qui est constitué par des fibres
détachées de la face profonde du brachial antérieur, qui vont
s'unir à la séreuse du coude dont elles empêchent le pince-
ment dans les mouvements de flexion de l'avant-bras ;
B. Un postérieur ou sous anconé, décrit en 1839, parTheile*,
et retrouvé, plus tard, par Jamain et Béraud, qui ne semblent
pas avoir eu connaissance des travaux de Tanatomiste aile*
mand, — constitué par des fibres détachées de la face profonde
du triceps, qui vont s'insérer à la séreuse du coude dont elles
empêchent le pincement dans les mouvements d'extension de
lavant-bras;
G. Un externe, noté par tous les auteurs ;
D. Un interne.
Les dénominations d'épùrochléo-cubital, A' épitrochléo- an-
coné seraient applicables à Tépitrochléo-olécranien si celui-ci,
comme son congénère, 1 epicondylo-anconé, descendait dans
Tespèce humaine au-dessous de Tolécrane; celle à'anconé
interne conviendrait, si divers auteurs ne qualifiaient ainsi
le vaste interne du triceps brachial. C'est pourquoi je pro-
pose le qualificatif nouveau et précis i'épitrochléO''Olécranien.
Bien que ce faisceau soit inscrit dans VAnatomie desanptive
de Henle et de Luschka, c'est sans conteste à M. le professeur
W. Gruber, de Saint-Pétersbourg, que revient l'honneur d'en
avoir compris la signification et donné, dès 1866, dans deux
mémoires successifs, une description fidèle. Précédant de
quelques années ces anatomistes, Malgaigne a bien écrit dans
> N9derlan$h Archief, t. II, p. 4ôi.
LE DOUBLE. ^ MUSCLE ÉPlTROCHLÉO-OLÉGRAiriEHr. 161
ion traité d*anatomie chirurgicale: « En dedans^ on troave le
muscle anconé, sorte de prolongement du triceps^ qui recouvre
]a gouttière osseuse constituée par Tolécrane et Tépitrochlée,
dans laquelle passe le nerf cubital, o Assurément, Malgaigne
a voulu parler là d'un anconé interne { toutefois cet anconé
interne, sorte de prolongement du triceps, est-il le même que
]e nôtre ? C'est ce que nous discuterons ultérieurement.
L'épitrocbléo-oiécranien, sans connexion intime avec le
triceps, a été vu encore dans l'espèce humaine, par MM. Wood,
Galton, Macalister, Knott, Testât; et mes dissections, jointes
à celles de ces savants collègues, me permettent d'en fournir
un exposé assez complet.
11 est unilatéral ou bilatéral, se retrouve dans toutes les
races, chez l'homme comme chez la femme et même chez le
fœtus. Ordinairement, il est constitué par une lame charnue,
rectangulaire, transversale, plus ou moins épaisse, étendue
derépitrochléeàrolécrane,àlamanièred'un pont au-dessus
du nerf cubital, en remplacement de l'arcade fibreuse qui unit
normalement le chef épi trochléen et le chef cubital*du muscle
cubital antérieur.
Cette arcade est, en effet, un reliquat permanent du muscle
anormal, de même que le ligament de Struthers est un rudi-
ment du long coraco-brachial, et Texpansion fibreuse qui pro-
longe l'insertion du grand dorsal de la coulisse bicipitale
à Tépitrochlée (Winslow, Cruveilhier, Sappey), un vestige
du muscle dorso-épilrochléen. Les données fournies par
Tanatomie comparée, qui montrent, chez certains animaux,
des muscles là où, dans Tespèce humaine, on observe des
aponévroses, autorisent cette comparaison (Bardeleben, Ueber
Fascien und Fascienspanner, in Centralbl.^ 1879). Les fascia
sous-cutanés eux-mêmes ne sont que des transformations
des muscles de la peau, et l'aponévrose clavi-pectorale de
l'homme, ou ligament suspenseur de l'aisselle de Gerdy, doit
être considérée comme la trace persistante de Tinsertion
humérale de paoicule charnu des animaux non clavicules
(Broca, Lannegràce).
T. n (4* SÉRIl). Il
46S sêaMcë du 8 Maas 189(. *
Au lîeu d*êtrc rectangulaire, l*épitrochléo*ol6cranlen peut
être carré, cylindroïde, fusiforme, digastrtqtie, les deux vett-
très réunis par un tendon (Testut, cas personnel), triangu-
laire, la base du triangle qu'il forme étant située en dedans
ou en dehors (cas personnel).
Au lieu d*ëtre charnu dans toute son étendue, il peut être,
quelle que soit sa forme, tendineux en dehors seulement, tendi-
neux en dedans seulement, tendineux en dedans et en dehors.
Au lieu d'être charnu des deux côtés, il peut être, quelle que
soit sa forme, charnu d'un c6té et tendineux de l'autre, ou
charnu ou tendineux des deux côtés , rudimentaire et repré-
senté seulement par quelques fibres rouge pâle, aboutissant à
tm tendon aponévrolique interne ou externe.
Au lieu d*être transversal, il peut être, oblique du haut en
bas et de dehors en dedans, oblique de bas en haut et de
dehors en dedans.
Au lieu d'être unique, il peut être constitué par deux
faisceaux rectangulaires ou digastriques séparés dans toute
rétendue de leur trajet (Qruber, 1" mémoire, pi. I, flg. 9, et
cas personnel), constitué par deux faisceaux séparés à Tolé-
crâne, mais fusionnés à l'épitrochlée.
Au lieu de se fixer exclusivement sur l'olécrane et l'épitro-
chlée, il peut se fixer, en dehors, à l'olécrane et à l'aponé-
vrose brachiale, ou àFolécraneetà l'aponévrose antibrachiale,
en dedans, sur l'épitrochlée et à la cloison intermuscuiaire
interne du bras.
Il est toujours innervé par une branche détachée directe-*
ment du nerf cubital, ou par un ramuscule des filets que le
même nerf abandonne à l'articulation du coude, ou au muscle
cubital antérieur. Jamais je ne l'ai vu recevoir on filet du
rameau que le nerf cubital fournit au deux^tiers Interne du
fléchisseur profond des doigts ou par un filet du médian ou
du radial. M. Wenzel Gruber parle d'un sujet chez lequel la
longue branche que le radial donne à l'articulation huméro-
cubitale côtoyait (le faisceau anormal sans lui fournir le
moindre filet.
LE DOUBLE. -^ MUSCLE ÉP1TROC0LÉO-OLÉCRANIEN. 163
Ddhë son (iremier mémoire de TAcadémie des sciences de
Saint-Pétersbourg (juin 1866), M. W. Grnber rapporte que,
snr iOO sujets, soit 200 coudes qu'il a examinés dans Tespace
d'environ un mois, il a trouvé répitrochléo-olécranien sur
34 sujets (sur 26 hommes et 8 femmes) ; dix-neuf fois il était
bilatéral (chez 18 hommes et chez 4 femmes); quinze fois
unilatéral (9 hommes et 3 femmes le possédaient du côté
droit, et 2 hommes et i femme du côté gauche), ce qui donne
53 cas sur 200 coudes. D'après lui^ il serait aussi d'ordinaire
plus développé chez Fhomme que chez la femme, et chez
Tun et Tautré, du côté droit que du gauche.
ta. 'WooA {Vùtiûtions in human myology observed dwing the
wxnter session of 1867-1868 ai King^s Collège, in Proceedings
ofthe Royal Society, vol. XVI, n» 104, p. 497, 1868) Ta ren-
contré, en 1868, quatre fois sur 36 sujets, trois fois aux deux
bras, une fois au bras gauche seulement ; en 1867, une fois sur
36 sujets * ; en 1866, une fois sur 34 sujets ; ce qui donne un
total de six fois sur i06 sujets. Se basant sur sa statistique, si
différente de celle de M. le professeur W.Gruber, M. le profes-
seur John Wood estime que Tépitrochléo-olécranien est plus
commun dails la race slave que dans la race anglo-saxonne.
De son côté, M. le professeur Macalister, pendant sa der-
nière aflnée d'exercice comme démonstrateur d'anatomie au
Royal Collège of surgeons in Ireland, Ta observé bien plus
communément que son compatriote, plutôt une fois sur
quatre qu'tme fois sur cinq ; seize fois sur 63 sujets, ce qui
permet de conclure, remarque cet anatomiste, à un degré
approximatif de fréquence de quarante-huit fois sur 200.
Enfin, en 1881, M. le professeur Testut, de Lyon, a disséqué
49 Coudes appartenant à un nombre de sujets indéterminé
et Ta rencontré avec un développement variable, douze fois.
Ètt 1883, »ur 13 régions du coude appartenant à 9 sujets, il
Ta encore découvert quatre fois. En totalisant ces deux ré-
sultats, M. Testut arrive à la fraction 16/62, soit un peu moins
t Et non ÈVLt 34, cotinns réoHt M. Te«tdt, de Lyon.
164 SÉANCE DU S MAB8 1891.
de un quart comme représentant le degré de fréquence de
cette anomalie.
D*après ces diverses statistiques et la mienne, je crois avoir
le droit d'affirmer:
i"" Que Tépitrochléo-olécranien est aussi commun dans les
races anglo-saxonnes que dans les races slaves, et dans celles-
ci que dans les races latines;
2^ Qu*on le trouve chez environ un tiers des sujets et sur on
quart de bras ;
3® Qu'il est plus souvent bilatéral qu*unilatéral ;
4'' Qu*il est plus fréquent chez Tbomme que chez la femme ;
5° Qu*il apparaît plus ordinairement à droite qu*à gauche ;
6** Qu*il est généralement plus développé chez l'homme
que chez la femme, et, toutes choses égales d'ailleurs^ du côté
droit que du côté gauche ;
7^ Qu'il constitue l'anomalie musculaire la plus fréquente
au bras chez Thomme^.
L'épitrochléo-olécranien existe chez un grand nombre
d'animaux , et cependant une certaine confusion persiste
toujours dans la question de ses homologies. Et il y aura
encore longtemps besoin, suivant les expressions du docteur
Bust Wilder, «de plus de précision dans sa dissection, sa déli-
néation» , avant d'arriver à une lumière éclatante à cet égard.
Quoi qu'il en soit, il n'en faut pas moins tenir grand compte
des faits acquis. Je vais succinctement les exposer.
M. le professeur W. Gruber a fait suivre la première des
monographies qu'il a consacrées à Vepitrochleo anconeus de
deux planches lithographiques. Tune représentant cinq types
différents de ce muscle dans l'espèce humaine, Tautre mon-
trant la configuration de ce muscle chez Vlnuus semestri^
nusj Cebus falellus, GaleopUkecus volans, Myogale mosckata^
Ursus arctus, Felis leoy Felis domestica \ Dasyurus viver^
* J*ai cru pendant longtemps qu'un troisième chef au biceps humerai
constituait l'anomalie musculaire la plus fréquente chez l'homme ; aujour-
d'hui, je suis absolument sûr du contraire.
* Probablement Vanconé interne de Strauss- Durokheim {AnaUmiêdet'
LE DOUBLE. — MUSCLE ÉPITROCHLBO-OLÉCRANIEN. 165
rmt», Lepus iimtdus^ Dasypus tricmctus et Phoca vitulina.
Dans cette première monographie, il ne signale la présence
de répitrochléo-olécranien que dans onze genres de mammi-
fères seulement, y compris Thomme. Dans sa seconde mono-
graphie, parue un peu plus tard, le même anatomiste Tindique
dans qu6irante-sept genres de mammifères dont il donne la
liste. {Nacktrag, OE., S. 334.)
 cette liste, M. Galton (/otirna/ of anatomy and physio'
logy, novembre 1874, p. 170) a ajouté deux nouveaux genres,
savoir : Phascolomys toombata, Echidna setosa et Cholopus
didaciylus, et fournit le dessin exact de cette même lame con-
tractile chez le Myrmecophaga tamandua^ dans lequel elle
avait déjà été notée, mais sans croquis à Tappui, par Rapp,
sous le nom A'anconeus parvus [Anaiomische Untersuchungen
uber die Edeniaten, z'* auf. S, 48, Tubingen,i832).
G. Guvier et Laurillard ont aussi, dans leur magnifique
atlas, signalé Tépitrochléo-olécranien dans seize genres de
mammifères. Ils le dissimulent toutefois sous tant de noms
différents, et Jes dessins qu'ils en fournissent sont tellement
imparfaits, qu'on est obligé de convenir avec M. Pouchet
« que les travaux de ces naturalistes ne peuvent être que
d*un faible secours ». {Anatomie comparée. Recueil et planches
de myologie dessinées par G. Cuvier et exécutées sous ses yeux
par M. Laurillard, Paris, 1855; G. Pouchet, Mémoire sur le
grand fourmilier^ 1" livraison, Paris, 1867.)
C'est chez les Édentés que Tépitrochléo-olécranien semble
être le plus fréquent. Il a été noté par MM. Marie et Gruber
chez le Dasypus {Tolypeutes) tricmctus • ; par M. Galton et
Cuvier chez le Dasypus sexcinctus; par Poucher, sous le nom
de vaste interne, chez le grand fourmilier; par M. Galton et
M. le professeur Humphry, sous le nom d*anconé inteime^
chez Yorycteropus ; par MM. les professeurs Humphry et
criptive et ccmparativê du chatf t. II, p. 851, et Atlas^ pi. 9, folio 93, 17.
Paris, 1845.
1 On the habits, structure and relationg of the tree^banded armadiUo
(Tolypeleus conurus), Trans, Lin, Soc,^ vol. ^(XX} tabl. S5, fig. 82.
166 SEANCE DU S MARS 1891.
Gruber chez le mants {Journal of anatomy and physiolagy^
vol. lY, p. 39); par M. Galion chez un très jeune Talntia
novem cinctus (D. Péba) ; par le même et par les professeurs
Humpbry et Gruber chez le cyclothurus; par MM. les pro-^
fesseurs Humpbry et Macalister chez Yaï {On the myology o/
bradypus tridactylus wilh remarks on the gênerai anatomy of
the Edentata, in Ann. and Mag. nat, history, vol. lY, p. 59,
1869) ; par MM. Happ et Gruber, chez le tamandua. EnOn
M. le professeur Hyrtl consacre au Chlamydophorus truncatu$
les lignes suivantes^ sur lesquelles j'appelle Tattention dans
la monographie qu'il a publiée sur cet animal : a Geterum tri-
ceps non omnis metamsuam in olecrano attingit, sed crasso,
lacerto ultra cubitum producto, internam antebrachii regio-
nem visitai, ubi iensoris fascis antebrachii munere fungiiur.»
{Deutchschrift der K. Ak.^derWm.en Wien, p. 27, XIBd, 1855,)
Dans les Chéiroptères^ il fait défaut ou est très rare. Quoi
qu*en dise M. Testui, M. le professeur Humpbry n*en fait pas
mention chez le pteropus {Journal of anatomy and physiology,
vol.YlII). M. le professeur Macalister n'en parle pas davantage
dans son travail sur les Cheiropth*es {Phil. Trans., 1872),
pas plus que mon ami et ancien collègue dlnternat, M. le
professeur Maisonneuve (d'Angers), dans sa thèse sur le
Vespertilio murinus {Ostéologie et myologxe du « Vespertilio mu-
rinuSy » thèse pour le doctorat ès-sciences, 1878). M. le pro-
fesseur Gruber le décrit, il est vrai, chez le galeopithecus ;
mais ce mammifère est rangé aujourd'hui par les uns parmi
les Insectivores, par les autres parmi les Lémuriens.
Dans les Monotrèmes, ordre qui compte peu de sujets,
répitrochléo-olécranien a été disséqué par M. le professeur
Wood sur Vomithorhyncus^ sur lequel Meckel ne l'avait pas
trouvé, et par MM. Mivart* et Galion sur deux variétés
* On thê anatomy of Echidna hystrix {Trant, Lin, Soc, vol. XXV). —
Bien qu'il ne formule aucun dessin, M. Mivart désigne répitrochléo-olé-
cranien en termes précis : a A distinct slip of the triceps wioh forms an
arch (extending from the inner condyle to the oleoranon) beneath wich
(>a8s thç inferior profunda arter^ and the uinar and médian nerres. »
LE DOUBLE. — MUSCLE éPlTROCBLÉO-OLÉCRANIEN. 167
d'eehidna^ de sorte qu'on peut présumer qu'il est commun dans
cet ordre.
Chez les Ongulét^ ce muscle ne paraît devoir se rencontrer
que rarement (peut-être ne l'y a-t-on payissez cherché), Gra»
tiolet a vu pourtant, chez V hippopotame^ un faisceau muscu-
laire comblant la gouttière épitrochléo*olécranienne, dans
lequel divers anatomistes ont cru reconnaître Tépitrochléo-
olécranien. a Chez l'hippopotame, dit-il, le vaste interne s'at-
tache, d'une part, à Tune des faces latérales de Tolécrane, et
d'autre part à rbumérus. Ses relations avec ce dernier os sont
tontes particulières ; il ne s'attache point à sa face posté-
rieure, mais s'enroule sur sa face interne pour se terminer sur
sa face antérieure jusqu'à la crête qui sépare cette face de la
face externe. Cette disposition à l'enroulement est fort ana<-
logue à celle que présente le muscle supinateur, et il en
résulte des conséquences pareilles. En effet, en rapprochant
fortement l'olécrane de l'épitrochlée, le vaste interne est lui-
même supinateur à un degré très prononcé. Rien n'est cer-
tainement plus curieux et plus digne de l'attention du natu-
raliste philosophe. » (Graliolet, Rechercher sur Vanatomie de
t hippopotame j p. 266. Pciris, 1867.)
Il appert des dissections de MM. Wood et Gruber, dont nous
avons donné plus haut les résultats, qu'il est assez fréquent
chez les Carnivores, les Insectivores et les Rongeurs. Krause
l'a mis à nu chez le lapin et dénommé anconeus quartus. Moi-
môme je l'ai trouvé chez le chaty le lièvre, le lapin, le rat.
Chez le chat^ le lièvre, animaux à violentes extensions de
l'avant-bras, il est plus long, plus fort, et constitué par deux
faisceaux entièrement indépendants des triceps : Tun, fixé à
l'épitrochlée et au contour de la fosse olécranienne et sur le
revers externe de l'olécrane, l'autre se terminant sur le côté in-
terne de l'olécrane. N'est-ce pas une disposition à rapprocher
de celles où l'épitrochléo-olécranien humain est formé de
deux faisceaux dont l'un se prolonge en dehors sur l'aponé-
vrose brachiale ou antibrachiale? Chez le /aptVt, ce muscle
partiellement recouvert par un des chefs du cubital anté-
168 SÉANCE DU 5 MARS i89l.
rieur, est plutôt carré que rectangulaire ; chez le rat^ il a
la forme d*un triangle à sommet épitrochléen ; ces modes de
configuration sont comparables à certains observés aussi chez
rhomme. Sur deux êowis où nous avons cherché, mon pro-
secteur, M. Henry Bamsby et moi, cette malformation, nous
avons vu la gouttière épitrochléo-olécranienne comblée par
un prolongement du vaste interne du triceps brachial qui
allait se confondre avec les muscles internes de la région
antibrachiale postérieure.
Très apparent chez les Lémuriens où il est le plus habi-
tuellement rectangulaire, comme dans Tespèce humaine,
l'épitrochléo-olécranien disparaît d'une façon à peu près
complète chez les Anthropoïdes. Duvernoy, Vrolik, Church,
Bisehofif, Champneys n'en parlent pas dans les différents mé-
moires quHls ont publiés sur la myologie du chimpanzé, de
Vorang, du gibbon et du gorille, M. Testut, de Lyon, Ta vai-
nement cherché chez les deux Anthropoïdes {chimpanzé et
orang) qu'il a disséqués jusqu'à ce jour. Dans sa brochure :
On the anatomy of ihe gorilla {Proc, Roy. Irish Acad,^ vol. I,
série II, Sciences, p. 502}, M. Macalister s'exprime ainsi : Is
no anconetis inte^mus, »
D'autre part, Gratiolet et Alix l'ont découvert chez le
Troglodytes Aubryii; M. le professeur Wood chez Vorang,
et M. le professeur Macalister chez un chimpanzé femelle^
mais à l'étal rudimentaire.
Chez les Anthropoïdes comme chez l'homme, il ne se pro-
duit peut-être qu'accidentellement?
En fin de compte, M. Testut a dressé, avec les noms des au-
teurs à l'appui, le tableau suivant des espèces animales dans
lesquelles on rencontrerait, sous des aspects variés, l'épitro-
chléo-olécranien :
I. Primates. Cernopilhecus (Gruber).
Macacus simiut (Wood).
Orang (Wood). Inuus (Guvier, Gruber).
Troglodytes Aubryii{Orfi{Xo\ei,h\ïx), Cynocephalut i (Cuvier, Gruber).
* Il n'existe pta, à coup 8Ûr, chez le Cephaku anuhis.
LE DOUBLE. — MUSCLE ÉPITROCHLÉO-OLÉCRANIEN. 169
II. LÂMURIRNS.
Limur (Cavier).
Tarsiui (Bunneisler).
Galeopithicus (Gruber).
IIU Chéiroptères.
PUropus (Humphry).
IV. Carnivores.
Meléi (Gruber).
Mustela (Gruber).
Luira (Cuvier).
Viverra (Cuvier).
Herpestêi (Graber).
Fêlis (Cuvier, Strauss, Durckheim,
Gruber, Wood).
Vrtus^ (Gruber).
Panthtra (Cuvier).
Putorius vuLgaris, bHeite (Wood).
V. Pinnipèdes.
Phoca (Cuvier, Duvernoy, Rosen-
thal, Gruber).
VI. Insectivores.
Srmaceus (Cuvier, Gruber, Wood).
Sorex (Gruber).
Croeiiura (Gruber).
MyogaU (Gruber).
loipa (Gruber, Wood).
VII. Rongeurs.
Bathymrgw^ rat-taupe (Cuvier).
Arctomyg (Cuvier, Gruber).
Rat de Norvège (Wood).
Myoxus (Gruber).
Sciurus (Gruber, Wood).
Pterornyi (Gruber).
Tamias (Gruber).
SpermophUus (Gruber).
Castor (Cuvier).
Cricetui (Gruber).
Mui (Gruber).
Merkmes (Gruber).
Hypudœui (Gruber).
Lemnus (Gruber).
Diput (Gruber).
Lepus (Gruber).
Histrix (Gruber).
Dalyprocta (Gruber).
Cœtogenys (Cuvier, Gruber).
VIII. Prosbocidibns.
Eléphant (Cuvier).
IX. É DENTÉS.
Bradyipus (Gruber, Maoalister,
Humphry).
Dasypus (Cuvier, Gruber, Galton).
Oryeteropus (Cuvier, Humphry).
Myrmecophaga (Cuvier, Rapp, Gal-
ion, Pouchet).
Pangolia (Gruber, Humphry).
Cholopus didaetylus (Galton).
X. Marsupiaux.
Phatcolomys wombala (Galion).
DidelptUs (Gruber).
Dasyurus (Gruber).
Phalangista (Gruber).
Macropui (Cuvier).
Phascolarcius cinereus (Young).
XI. MONOTRÈMES.
Omithorhyncus (Alix, Wood).
Echidna (Galtoo, Alix, Mivari).
V' La confection d*une telle liste est bien prématurée, eu
égard à nos connaissances acluelles sur les homologies cer*
taines de répitrochiéo-olécranien dans toute la série ani-
male *. L'étude attentive des documents fournis par les au*
1 M. Tesiut ne l'a pas rencontré lui-même sur VUrsus americanus,
* Ajoutons que M. Tesiut fait figurer à tort dans cette liste le Pteropus,
et y passe sous silence divers mammifères sus-indiqués.
170 SÉANCE DU 5 MARS 1891.
leurs et nos disseotions personnelles me font même me de-
mander s'il n*y a pas, ehez Thomme et chez les animaux,
deux variétés d'anconés internes : l'un indépendant, Tautre
dépendant du triceps brachial.
Que dit, en effet, M. le professeur Gruber, Tanatomiste
le plus compétent sur ce point spécial : oL'épitrochléo-anco-
neus anormal de l'homme est Thomologae de Tépitrochléo-
anconeus normal des animaux, et cette conclusion est cen-
flrmée par l'étude des filets nerveux qui l'animent, Che%
thomme, cependant^ il est quelquefois un muscle indépendant^
quelquefois un chef du triceps brachial, tandis que dans tous les
autres mammifères^ il est indépendant. Chez l'homme, il a pour
fonction de protéger le nerf cubital et les vaisseaux qui
l'accompagnent, et de soutenir concurremment avec le tri-
ceps brachial et le ligamentum cubiti medialis, la jointure
du coude. Chez les autres mammifères, il est adducteur de
Tolécrane ou supinateur de l'avant-bras, et sert à défendre
de toute pression quelquefois le nerf cubital et les vaisseaux
qui l'accompagnent, quelquefois le nerf médian et les vais-
seaux brachiaux, o
De son côté, M. Testut écrit {Traité des anomalies vntacu-
laires^ p. 426. Paris, 1884) : « Le muscle épitrochléo- cubital
constitue, dans la majorité des cas, un muscle parfaitement
distinct, comme aussi quelquefois il semble se confondre avec
la portion inférieure du vaste interne ; je crois que cette
fusion nest qu'apparente; j'ai toujours trouvé pour ma part ^
même dans le cas ou la fusion patmssait intime^ un interstice
séparatif qui me permettait d'isoler les deux muscles. Cette
indépendance du faisceau épitrochléo-cubital ressort encore
de son mode d'innervation qui le rattache au nerf cubital
(branche du médian, nerf fléchisseur), tandis que le triceps
reçoit les branches du nerf radial. En outre, M. Testât,
dans les pages qu'il a consacrées aux anomalies du triceps
brachial, ne note pas un prolongement du vaste interne vers
la gouttière épitrocbléo-oléeranienne.
Eh bien, ce prolongement du vaste interne vers Tavant-
LE DOUBLE. ^ MUSCLE ÉPITBOGBLÉO-OLÉGRANIEll. 17 i
br^, comblant la gouttière épitrochléo-olécranienne, se
trouve tout aussi bien chez les animaux que chez Thomme.
Si Ton veut bien se reporter à mes recherches bibliogra-
phiques concernant le degré de fréquence de Tépitrochléo-
olécranien dans les divers genres de mammifères, on verra
que ce prolongement du vaste interne du triceps vers Tavant-
bras est signalé par M. le docteur Hyrtl chez le Chlamydo-
phof^us truncatus ; qu'un vaste interne, indépendant de Tépi-
throclée, est noté par Gratiolet chez V hippopotame. J'incline
aussi à croire que les faisceaux musculaires décrits chez le
grand fourmillier^ par Pouchet, sous le nom de vasle interne et
chez rhyrax, par Mûrie et Mivart, sous le nom de quatrième
chef du triceps brachial^ ne sont pas des épitrochléo-olé-
craniens types. Dans le même ordre animal^ la sangle muscu-
laire épitrochléo-olécranienne et le prolongement du vaste in-
terne du triceps brachial vers Tavant-bras peuvenVooexister
même ; dans l'ordre des Rongeurs, j*ai trouvé, ainsi que je Tai
dit plus haut, le premier chez le lapin^ le second chez la souris.
Dans Tespèce humaine, le prolongement du chef interne
du triceps brachial vers Tavant-bras a été observé trois fois
par moi.
I. Femmcj phtisie, vingt-sept ans, 5 décembre 488i. —
 droite, le vaste interne du triceps brachial descend le long
du bord interne de Folécrane sur lequel il slnsère ainsi que
surl'épitrochlée.Inférieurementyil se termine par une mince
lame aponévrotique qui va se confondre avec l'aponévrose
antibrachiale postérieure. Il ne reçoit aucun filet du nerf cubi-
tal au-dessus duquel U forme une masse charnue et épaisse*
A gauche, le coude est normal.
IL Enfant, dix ans, carie lombaire, 7 mai 1887, L'ano-
malie est bilatérale et identique à droite et à gauche. Le
vaste interne du triceps adhère très intimement à la partie
postéro-interne de l'olécrane par des fibres charnues épais-
ses aboutissant en bas et eu dedans à une aponévrose nacrée
qui se confond avec Taponévrose antibrachiale et brachiale*
Le nerf cubital ne lui fournit aucun rameau.
172 SÉANCE DU 5 HARS 1891.
III. Ce cas est le plus curieux. D*un côté, en effet, il y
avait un muscle épilrochléo-olécranîen type, et de l'autre un
prolongement du vaste interne du triceps brachial vers le
chef externe du muscle cubital antérieur.
Je copie mes notes.
Homme, vingt-deux ans, garçon de café, péritonite tubet^
culeuse, 10 janvier 1891.
A droite, on trouve une bandelette charnue en dedans,
aponévrotique en dehors, étendue de Tépitrochlée à Tolé-
crane, au-dessus du nerf cubital qui lui envoie directement
un rameau. Au niveau de Tépitrochlée, les fibres musculaires
les plus inférieures vont s'unir aux fibres supérieures du fais-
ceau épitrochléen du muscle cubital antérieur.
A gauche, le vaste interne du triceps s'attache à toute
la longueur du bord interne de Tolécrane, remplit tout l'es-
pace épitrochléo-olécranien et va se confondre entièrement
avec le chef externe du cubital antérieur qui prend ses in-
sertions sur Tolécrane et le bord postérieur du cubitus. Il
recouvre le nerf cubital dont il ne reçoit aucun filet et n'a
que des rapports de voisinage avec l'épitrochlée.
Les deux coudes de ce sujet ont été disséqués les il et
là janvier de cette année par deux de mes élèves, MM. René
Petit et Yalla-Brochard, et moulés, les mêmes jours, par mon
prosecteur, M. Henry Barnsby. J'ai l'honneur de mettre ces
deux modelages sous les yeux de la Société.
Vous le voyez, messieurs, je confirme ce qu'a dit Malgaigne
dans son Anatomie chirurgicale, (lEn dedans (du coude), on
trouve le muscle anconé, sorte de prolongement du triceps
qui recouvre la gouttière osseuse constituée par l'olécrane
et l'épitrochlée dans laquelle passe le nerf cubital.» En même
temps, je revendique en faveur d*un anatomiste français la
nouvelle découverte de cette malformation dans le genre ^omo.
En résumé, on peut observer à la face interne du coude,
chez l'homme, deux trousseaux musculaires anormaux qui
reproduisent, par atavisme, une disposition similaire normale
chez les animaux.
VAUVlIxi. ^ ATELIERS PRÉHISTORIQUES DE TAILLE DE SILEX. 173
SarTun, il n'y a pour moi aucun doute; il représente le
muscle adducteur de Tolécrane chez les mammifères dont
Tarticulation du coude jouit de mouvements de latéralité,
et s'il disparaît ou se réduit à un simple tractus fibreux fixé
à l'olécrane et à Tépitrocblée dans Tespèce humaine, c'est
que sa présence n'est plus nécessaire.
Sur Tautre, je n'ai aucune opinion déterminée. Est-il une
modification, une adaptation fonctionnelle de l'épitrochléo-
olécranien type? Est-il un muscle spécial? Toute affirmation
positive à cet égard serait, à l'heure présente, aventurée. Mais
le problème que je soulève n'est pas insoluble. Je le soumets
aux méditations des anatomistes de la Société, me réservant
moi-même de le creuser au fur et à mesure que m'arriveront
de nouveaux matériaux d'étude.
Discussion.
M. Hervé dit qu'il semble y avoir là deux formations très
distinctes : l'une qui est une dépendance du triceps brachial ;
l'autre qui se rattache au système du cubital antérieur.
M. Le Double. Il y a évidemment deux types. Et ceci est
établi nettement par l'innervation différente de deux muscles
anormaux trouvés jusqu'à ce jour. L'un reçoit ses filets ner-
veux du nerf cubital ou des rameaux collatéraux de ce nerf
(nerf fléchisseur), l'autre du nerf radial ou des rameaux col-
latéraux de ce nerf (nerf extenseur).
COMMUNICATIONS.
Ateliers préhlslerlqnes de taille de silex
de l'eneeliite de Liereeart et d'Erondelle (Seaiaie) ;
PAR V. O. VAUVILLÉ.
L'admirable enceinte située h environ iO kilomètres au
sud-est d'Abbeville^ sur les territoires de Liercourt et d^Eron-
delle, communes du canton d'Allencourt, connue dans le
pays soQS le nom de Camp de César ou le CatelU^ d'une con-
474 SÉANCE DU 5 Mars 1891.
tenance de 32** ,42, renferme beaucoup de silex taillés ; oh en
rencontre presque partout.
J*aî rhonneur de vous présenter 56 pièces que j*aî recueil*
lies en passant dans les terres cultivées ; ces instruments se
décomposent de la manière suivante :
Deux percuteurs, 2 nudeus, 2 racloirs, 8 grattoirs concaves,
iO grattoirs convexes dont 1 du genre de la Madeleine (Dor-
dogne), 6 perçoirs, 4 retouohoirs (l'un d'eux, de 12 centi-
mètres de longueur, est superbe), i tranchet, 3 scies ordi-
naires, 1 scie ayant un grattoir convexe, i scie avec nn
grattoir concave du côté opposé delà scie, 2 pointes dont une
retouchée des deux côtés et l'autre d'un seul côté^ \i lames et
éclats. Quelques-unes de ces pièces sont finement retouchées.
L'enceinte de Liercourt-Erondeile a été habitée sédentai-
rement à l'époque néolithique, comme le prouve bien la
grande quantité d'instruments divers et d'éclats en silex que
l'on trouve partout. Les beaux instruments, tels que haches
polies et autres grosses pièces, ont été ramassés depuis long-
temps ; on m'a cité des personnes qui viennent régulièrement
chaque année, depuis vingt ans, pour chercher de belles
pièces, pour les vendre ensuite à des collectionneurs ou à des
marchands d'Abbe ville ou d'Amiens.
Les petits instruments, tels que ceux que vous voyez, n'étant
généralement pas bien connus, ont été moins recherchés, de
sorte qu'une personne ayant un peu l'habitude de reoonnattre
ces instruments pourrait en trouver un grand nombre.
Les silex bruts ne manquaient pas pour alimenter les ate ^
liers de l'endroit, qui sont indiqués par les nombreux éclats
que l'on rencontre, car la craie, contenant des rognons de
silex, affleure sur le bord des pentes qui existent sur plus
des trois quarts du tour de l'enceinte.
Il n'est pas possible de douter de l'occupation sédentaire
de cette partie du plateau à l'époque néolithique, car, lors
des fouilles que j'ai faites, en septembre dernier, à l'aide
d'une allocation de M. le ministre de l'instruction publique,
ayant pour but de rechercher Toriglne de plusieurs enceintes
YAinriUÉ. — ATELÎÉRS t»RÉHtSTO!llOÙEd bfe tAItLE DE SILEX. iTS
antiques établies sur des hauteurs bordant et dominatit la
vallée de la Somme S j'ai eu la bonne fortune de découvrir
une habitation de Tépoque de la pierre polie.
HABrrATION NÉOUTHIQUE d'eRONDELLE.
Dans la partie de l*enceinte se trouvant sur le territoire
d*Erondelle, j'ai découvert, à 40 mètres au nord du bout
ouest du retranchement principal, se trouvant sur la même
commune, une habitation de Tépoque de la pierre polie.
Voici, sommairement, la description de Thabitation, les
constatations que j'ai pu faire et les objets que j'ai recueillis.
L'habitation fouillée avait les dimensions suivantes : lon«^
gueur, 3 mètres; largeur, 2*,80 et i*»,15 de profondeur au-
dessous du niveau actuel du sol, qui est probablement plus
bas maintenant qu'ft l'époque de l'occupation de rhabitation.
A partir de la couche arable, ou 15 centimètres de profon-
deur, jusqu'au fond^ j'ai constaté qu'il existait un amas
composé de cendres et de charbon de bois, dans lequel j'ai
recueilli^ sur un cube remué de plus de 8 mètres, des silex
taillés, beaucoup de très grossières poteries mélangées, à
tous les niveaux de l'habitation, avec des poteries beaucoup
plus fines, des fragments de terre rouge durcie au feu, des
ossements brisés de cheval, bœuf, sanglier, mouton ou
chèvre. Je n'ai pas pu constater aucune trace de métal.
Instruments en silex. — Voici 26 instruments en silex, non
compris des éclats et des silex craquelés, que j'ai recueillis
dans rhabitation ; ils peuvent se déteiminer de la manière
Suivante :
1 percuteur, i nucletls, 6 lames, dont une finement retou-»
ehée, S grattoirs concaves, variant de iO à 33 millimètres de
corde d'arc, 5 grattoirs convexes, (l'un d'eux est admirable-
ment retouché), 4 perçoir, 1 retouchoir, 2 soies simplesi
^ Les résultats des fouilles seront l'objet d^une prochaine communication
au Comité des travaux historiques et scientifiques. Une note concernant
les mêmes foniUes strt publiée par la Booiôté dat antiqaaire» d« France.
476 SÉANCE DU 5 MAR8 (801.
3 scies doubles, dont une munie d*un petit perçoir d*un bout,
J pointe, 4 broyeur*
Instrument en os. — J'ai pu recueillir un lissoir en os,
formé d'une côte de bovidé qui a été grattée avec soin dans
le sens de la longueur.
Cette pièce, de 15 centimètres de longueur sur 32 milli-
mètres de largeur, indique qu'elle a servi de lissoir, comme
le prouve bien l'usure d'un bout produite par l'usage.
Poteries. — Les poteries trouvées dans l'habitation sont de
deux genres, comme vous pouvez le voir par celles que je
vous présente^.
Les unes sont très grossières et épaisses ; elles ont été fa*
çonnées à la main avec une pâte mélangée généralement
avec du silex écrasé ; ces poteries sont, en général, de cou-
leur variant du rouge au noir, suivant qu'elles ont plus ou
moins servi; la coloration est à peu près la même dans
toute Pépaisseur des vases.
Les autres poteries, quoique fabriquées à la main, sont
relativement très fines et très soignées ; elles sont souvent
lustrées et contrastent avec les précédentes.
Poteries grossières. — Elles varient entre 8 à 12 millimètres
d'épaisseur ; elles sont de 20, 30, 45, 48, 50, 65, et même
70 centimètres de diamètre. La hauteur était variable d'après
la forme des vases. Les poteries au-dessous de 48 centimètres
de diamètre avaient, en général, la forme d'un cône tronqué
renversé ; celles d'un diamètre plus fort avaient à peu près la
forme des terrines à lait actuelles ; la bordure de ces dernières
était presque verticale et d'une largeur de 3 centimètres pour
le diamètre de 50 centimètres, de 5 centimètres pour celui
de 65, et de 58 millimètres pour le diamètre de 70 centimètres.
Cette dernière forme avait probablement pour but de
donner plus de résistance à la bordure des vases de grande
dimension, qui n'auraient pas résistés s'ils avaient eu la forme
des vases de 20 à 48 centimètres de diamètre.
• t Toutes cet poteries sont représentées ptr des fragments.
VAUVILLÉ. — ATELIERS PRÉHISTORIOUES DE TAILLE DE SILEX. 177
Malgré ce premier perfectionnement sur les vases de
grande dimension, consolidés par la forme angulaire du bas
de la bordure, on dut reconncutre que ce genre, dont Tépais-
seur du bord était la même que pour toutes les autres parties
du vase, n'était pas encore suffisamment résistant pour les
très grands vases. Pour obvier à cet inconvénient, on eut
ridée de faire des vases avec bordure très large ; c'est alors
qu'est apparu le genre de bordure que voici, d'une largeur
de 38 millimètres d'épaisseur sur la partie borizontcde du
dessus. En plus de l'avantage de résistance, ce perfection-
nement avait, en outre, celui de pouvoir prendre le vase
avec les mains par la bordure.
Cette forme de large bordure s'est encore perfectionnée
plus tard, à l'époque gauloise, pour des vases très grands ;
elle est alors devenue plus élégante, chose rendue facile par
Tusage du tour. On remarque, pour cette dernière époque, un
bord variant généralement de 40 à 46 millimètres de largeur,
sur lequel il existe des moulures circulaires sur tout le tour du
vase.Toici, comme comparaison, deux spécimens de l'époque
gauloise ; l'un d'eux vient de la même enceinte où j'ai fouillé
l'habitation néolitique d'Érondelle, qui m'a fourni les silex
et les poteries que vous voyez; l'autre vient d'une habitation
de Saint- Thomas (Aisne).
Quelques poteries très grossières, d'un diamètre de 35 à
30 centimètres, sont à fond plat, avec bordure presque verti-
cale de 3 à 4 centimètres de hauteur.
Sur quelques poteries, les anses sont représentées par :
1« De simples trous, de 7 millimètres de diamètre, percés
sur le bord du vase, ayant servis à recevoir les attaches pour
le porter ;
2^ Une partie remontante de 35 millimètres au-dessus du
bord de chaque côté du vase ; cette partie a été rabattue
extérieurement en forme de bourrelet, en saillie de i centi-
mètre ; ceci permettait de prendre facilement le vase avec
les mains.
J'ai aussi recueilli des fragments de passoire qui devait
T. II (4< SÂRIB). i%
i16 9ÊANCE DtT 5 MARS 1891.
avoir 20 centimètres de diamètre de haut, de 6 à 8 cetiti-
mètres au fond et 8 centimètres de hauteur; les trous sont
assez distancés sur le tour; dans le fond^ au contraire, ils
sont très rapprochés les uns des autres.
Enfin, comme grossière poterie, voici une pièce dont il est
difficile de déterminer exactement Tusage. Elle consiste en
une pièce ronde de IS centimètres de hauteur, ayant sa base
plate de 6i millimètres de diamètre ; au milieu, de 85 milli*
mètres; et du haut, de 57 millimètres. Cette dernière extré*'
mité porte une partie concave de 6 millimètres de profon*
deur ; elle parait avoir été destinée pour recevoir un objet
quelconque sur la pièce .
J'ai constaté dans Thabitation fouillée six objets du même
genre ; mais leur fragilité ne m'a pas permis de recueillir les
antres. Serait-ce là un pied ou un support do lampe ?
La découverte d'un fragment de vase de forme ovale, qui
devait avoir 9 centimètres de longueur, 7 centimètres de
largeur, et arrondi dans le fond sur A centimètres de pro-
fondeur, permet de croire que c*est là un reste de lampe ;
œtte partie paraît très bien s'adapter sur le pied dont il
vient d'être question.
Poteries ornées, — Les variétés de ces poteries, qui sont en
partie avec pâte assez grossière, sont de quatorze ornemen-
tations diverses, qui consistent en :
i* Poterie très grossière, dont le dessus du bord est orné
obliquement, sur le tour de la circonférence, d'empreintes
produites avec un doigt.
2"* Vase d'un grand diamètre, à bord droit, portant, à 5 cen-
timètres au-dessous du bord, une couronne formée de coups
d*ongle donnés dans le sens de la hauteur du vase (cet orne-
ment est analogue à celui d'un vase du musée de Saint^Ger-
main, salle S, vitrine n<> 1, provenant de la forêt de Com-
piègne).
3* Ornements avec le pouce et Tongle, imprimés sur tout le
tour du vase, sur Tangle formé entre la partie horizontale
du bord, de 45 millimètres de largeur, et la partie oblique
VAUVILLÉ. — - ATELIâRS PRÉHldTOBlOUES DE TAILLE DE SILEX. 179
allant vers le fond (poterie et ornements analogues à un
fragment de vase du dolmen de Meudon, du musée de Saint-
Germain, salie 2, vitrine 9).
4* Vase orné au pouce en lignes parallèles sur le tour,
Tongle ayant été tourné dans le sens de la hauteur du vase
(poterie analogie de forme et d*omements à une du musée
de Saint'Oermain, salle î, vitrine 9, n« 31216, provenant
d*un tumulus-dolmen du plateau du Ger).
5® Ornements au pouce disposés sans ordre, Tonglo ayant
été tourné dans le sens de la largeur du vase, contrairement
à ce qui a eu lieu pour le vase décrit précédemment.
6® Poterie avec ornements variés disposés par lignes dans
le sens vertical du vase ; des rangées ont été faites avec le
pouce; d'autres, au contraire, ont été produites avec un
instrument ayant formé des cavités rectangulaires.
Les six vases dont il vient être question sont en terre
presque noire, plus ou moins mélangée avec du silex brisé.
7" Poterie en terre rouge, de 13 millimètres d'épaisseur, de
12 centimètres de hauteur, 15 à 18 centimètres de largeur du
haut, avec deux petites anses, et 8 centimètres de diamètre
du fond, ornée par des cavités faites au pouce, avec Tongle
tourné dans le sens du tour du vase ; de distance en distancOi
il existe des lignes droites, dans le sens de la hauteur du
vase, formées de saillies produites par le pinçage de la pâte
entre le pouce et Tindex.
8** Ornements, sur vase en terre noire lustrée, produits avec
Tongle du pouce, en poussant de manière à faire sortir de la
pâte un petit bourrelet qui est resté adhérent à la poterie.
9® Poterie noire lustrée, ornée de parties mamelonnées,
ayant été formées en commençant comme pour le genre
d'ornement de la poterie précédente; ensuite on a pincé et
même repincé le bourrelet en sens inverse, pour arriver à
former presque des pointes.
Poteries ornées à l'aide d'un peigne, — 10* Vase qui avait
13 centimètres de hauteur, 18 centimètres d'ouverture du
haut et 12 centimètres du fond, en pâte noire grossière, un
180 SÉANCE DU 5 MARS I8M.
pea lustrée^ avec ornements dans le sens de la bantenr, par
groupes de quatre raies bien parallèles en creux ; Tune d'elles
à droite est plus profonde que les autres.
11* Poterie presque plate, avec bordure verticale de 28 mil-
limètres de hauteur, de 30 centimètres de diamètre, en terre
noire fine fortement lustrée, garnie régulièrement, sous la
partie du dessous du vase, d'ornements en lignes droites faits
à Taide d'un peigne à neuf dents; ces lignes sont peu pro-
fondes.
12* Ornements sur un vase de 20 centimètres de diamètre,
en terre noire, formés régulièrement de lignes parallèles pro-
fondes, produites par un peigne à neuf dents.
13* Vase de 30 centimètres de diamètre et de 9 millimètres
d'épaisseur, en'pâte noire lustrée, orné en partie sur la panse,
dans le sens de la hauteur^ de lignes parallèles faites avec
un peigne à sept dents.
ii"" Poterie de plus de 30 centimètres de diamètre, en pâte
grossière, noire et lustrée, de 12 millimètres d'épaisseur,
ornée de lignes en formant des parallélogrammes, faites avec
un peigne à trois dents.
Si Ton examine l'ensemble des poteries dont il vient d'être
question, on voit très bien qu'à Tépoque de l'occupation de
Thabitation fouillée, la céramique avait déjà fait un progrès
sensible. On remarque en effet une série comprenant des
poteries les plus grossières comme pâte et épaisseur; elles
représentent bien celles du début de la fabrication. Les pote-
ries avec ornements, faites avec pâle plus ou moins fine et
souvent lustrée, laissent voir un progrès qui est encore plus
visible dans les poteries fines que voici:
Poteries fines.^EÛQs sont généralement noires, de pâte très
fine, ne contenant que peu ou pas de parties grossières, comme
dans la plus grande partie des précédentes. Celles-ci sont
d*uoe épaisseur de 4 à G millimètres ; elles ont été façonnées
à la main et sont presque toutes lustrées. On voit très bien que
les formes de ces dernières dérivent de celles des plus gros-
sières poteries.
YAUVILLÉ. — ATELIERS PRÉHISTORIQUES DE TAILLE DE SILEX. 181
Parmi les formes de ces poteries, on peut en remarquer à
fond presque plat, d'un diamètre de 20 centimètres^ avec
une bordure relevée de 20 à 25 millimètres de hauteur ; une
autre forme n'ayant pas de pied, celui-ci est simulé par une
partie ronde renfoncée légèrement, au milieu du vase, sur un
diamètre de 4 centimètres.
Enfin des poteries très fines de 3 à 4 millimètres d'épais-
seur. L'une d'elles, grise, n'est pas lustrée ; elle porte extérieu-
rement des lignes presque parallèles, dans le sens du tour du
vase, qui ont été certainement faites à la main. Les autres,
très noires et bien lustrées, laissent voir très bien, de chaque
c^té du vase, les traces du lissoir qui a servi à les finir; ces
parties se croisent^ c'est ce qui permet bien d'affirmer qu'elles
ont été faites à la main.
Ces poteries sont aussi fines que celles provenant des
dolmens du Morbihan (musée de Saint-Germain, salle 2,
vitrine 3).
J'ai pensé; messieurs, que la présentation de Tensemble
des pièces que j'ai recueillies dans l'habitation néolithique
d*Erondelle pouvait vous intéresser. Je regrette d'avoir été
un peu long sur la description des poteries; c'est parce que
ces poteries sont extrêmement curieuses sous ce rapport
qu'elles prouvent bien qu*à l'époque néolithique, la céramique
avait déjà fait un grand progrès dans la Somme.
Les poteries fines, ornées et lustrées, d'Erondelle pourraient
même faire supposer qu'elles sont de l'époque gauloise. Pour
celui qui a un peu l'habitude des poteries de cette dernière
époque, il n'y a aucun doute que celles provenant de l'habi-
tation en question sont toutes d'une époque bien antérieure.
J'ai apporté, pour pouvoir comparer, trois cartons garnis
de poteries que j'ai recueillies dans des habitations gauloises
de l'oppidum de Pommiers {Noviodunum des Suessîonei)\ vous
pourrez remarquer que ces poteries usuelles, qui diffèrent
beaucoup de la forme des poteries funéraires de la môme
époque, ne ressemblent pas à celles provenant d'Erondelle.
La fabrication de l'époque gauloise a laissé généralement,
ISS SÉANCE DU 5 MARS 1891.
des deux côtés da vase, des traces bien parallèles provenant
de remploi du tour.
Les ornements divers représentés sur les poteries gauloises
de Tun des cartons n*ont rien d'analogue aux ornements des
poteries d*Erondelle.
La comparaison des poteries des deux époques fait voir que
les nombreuses formes de l'époque gauloise sont aussi bien
différentes de celles des poteries néolithiques de l'habitation
fouillée.
Les pièces que j*ai recueillies à Erondelle pouvant offrir un
certain intérêt pour la classification des poteries néolithiques
du même genre d'ornement, en raison de la série de quatorze
variétés diverses, pourraient être reproduites si la Société
d'anthropologie le croit utile dans l'intérêt des nombreux
membres qui ne peuvent pas assister aux séances.
Discussion.
M. Adrien de Mortillet fait remarquer que les débris de
poteries présentés par M. Yauvillé sont extrêmement variés.
Si quelques-unes sont très grossières, d'autres sont extrême-
ment fmes et rappellent les poteries du bronze et même du
fer. Une ornementation particulière est celle en coup d'ongle
modifiée de la façon suivante : le coup d'ongle laisse sur le
vase une cavité et sur le bord concave une petite saillie pro-
venant de la terre soulevée. Dans les poteries de M. Yauvillé,
cette petite saillie a été façonnée de façon à faire une sorte de
petit cône. D'autres ornementations rappellent certains types
de l'époque du bronze et même gauloise. D'autres débris
montrent des rebords de vase qui présentent des concavités;
le bord est gaudronné. C'est là un aspect qu'on retrouve sur
certaines poteries et que M. de Mortilleta vu chez des Kabyles.
M. Yerneau dit qu'il a trouvé, sur un vase du dolmen des
Mnreaux, l'ornementation en bouton semblable à celle que
présentent quelques pièces de M. Yauvillé. Il a trouvé égale-
ment dans le même dolmen un petit vase en terra noire, très
analogue aux débris si fins que présente M. YauviUé.
BEAUREGARD. -* UN OFFICE RELIGIEUX BOUDDHIQUE. 183
Sur une question de M. Hervé, M» Yauvillé dit que les
poteries fines étaient mélangées aux poteries grossières dans
la fouille.
M. DiAMANDY montre des spécimens de poteries avec marne-
Ions en tout point analogues, et provenant de la station d^
Cucuteni (Roumanie) ^
Un ofllee religlews boadiUiiqae * PavUi ;
PAR M. OLLIVIBR-BEAURBOAED.
Un office religieux bouddhique a été célébré, le 21 février
dernier, au musée Guimet.
Gracieusement invité par monsieur le conservateur de ce
musée, j'ai pu assister à cette intéressante manifestation reli-
gieuse du culte le plus répandu dans Tlnde et Textrême
Orient.
Un programme de la cérémonie a été distribué aux assis-
tants. J*en ai recueilli un exemplaire pour la Société et j*en
fais ici la remise.
Deux prêtres bouddhistes, deux bonzes japonais, de la
secte de Sin-Siou, après avoir visité l'Europe, où ils sont
directement venus du Japon, comme chapelains à bord de
deux cuirassés japonais, se sont arrêtés quelques jours à
Paris.
La visite qu*ils ont faite au musée Guimet leur ayant ap-
pris qu'ils y pouvaient trouver au complet les vêtements
sacerdotaux, les châsses et les accessoires liturgique ment
indispensables à la célébration régulière d'un office de leur
culte, ils réclamèrent, et obtinrent du chef de la légation ja-
ponaise à Paris, Tautorisation de célébrer publiquement la
cérémonie bouddhique dite Hau-on-Kan, ou actions de gr&ce
à Sin-Ran^ fondateur de la secte Sin-Siou, aujourd'hui la plus
florissante du Japon, où elle compte 19195 temples et
17176 prêtres de tous rangs. Il est des prêtres qui desservent
plusieurs temples.
1 Voir Bulletins de la Société d'anthropologie, 1888,
18-1 SÉANCE DU 5 MARS 1891.
La salle de la bibliothèque du musée avait été, pour la
circonstance, disposée, ornée et meublée en chapelle.
Vers le fond, en face de rentrée, un tabernacle où siège
Bouddha, dans Tattitude assise que Ton connaît, les jambes
renversées à droite et à gauche et repliées en dedans.
La main gauche debout, ouverte vers les assistants; Tavant-
bras droit étendu sur la cuisse droite, la main à demi ouverte,
le médium et le pouce courbés i*un vers l'autre.
La statue est dorée.
Sur le devant du tabernacle, un espace libre pour y dépo-
ser Tencens et les offrandes.
A gauche du tabernacle où siège Bouddha- Amida— surnom
qui signifie immense — une sorte de crédence où sont déposés
les livres de prières et les coffrets qui les reçoivent en dehors
de la célébration des offices.
Les officiants siègent en face du tabernacle; chacun d'eux
à Vexlrémité d'une ligne droite, qui serait la base d'un
triangle dont le tabernacle de Bouddha serait le sommet.
Chacun d'eux a près de lui, à sa portée, à gauche pour
l'un, à droite pour l'autre, un pupitre où déposer ses livres
et les indispensables objets à la pratique extérieure du
culte.
A la droite de l'officiant de droite et à sa facile portée est
établi un gong.
Le tintement d'une cloche extérieure annonce le commen-
cement de l'office.
La salle est ouverte, le public prend place et s'assied.
Les prêtres alors joignent les mains et saluent neuf fois
Bouddoa-Amida. Ce moi amida est sanscrit ; c'est un qualifi-
catif qui signifie immense.
Trois coups sont frappés sur le gong, à l'effet d'éveiller
l'attention des êtres du monde supérieur, du monde des
humains et du monde des enfers.
Tour à tour, les prêtres répètent deux fois une sentence
sacrée, et, tour à tour aussi, chacun va encenser Bouddha.
La cérémonie se continue.
ADRIEN DE MORTILLKT. — INSTRUMENT MAGDALÉNIEN. 185
Le bruit du gong, un ou deux ou trois fois frappé, marque
les phases diverses de l'office.
Le son argentin que rend au moindre choc un léger bassin
de bronze, signale, suivant le nombre de coups, le chant
d'un hymne, la lecture d'une prière, la fin des versels ou les
reprises.
L'office a duré trois quarts d'heure.
Trois coups frappés sur le gong en ont annoncé la termi-
naison aux Bouddhas et aux êtres ou esprits célestes.
L'éloge de Bouddha-Amida et celui du fondateur de la
secte SiN-Siou ont clos les exercices religieux des prêtres
bouddhistes.
Les éloges prononcés sont l'œuvre personnelle des offi-
ciants.
QuantàVimpression qu'a faite sur moi cette représentation,
elle est, soit dit sans malice, qu'il n'y a guère, de nos céré-
monies dites catholiques aux cérémonies bouddhiques des
Japonais, que la différence du langage et des chasubles;
d'ailleurs, mômes génuflexions, même jeu de mains.
lostrameiit masrdalénlen ;
PAR U. A. DE HORTILLET.
M. Adrien de Mortillet fait une communication sur l'usage
auquel pouvaient servir certaines pièces en os magdalé-
niennes terminées par un crochet. La comparaison avec des
pièces d'ethnographie lui permet de penser que c'était là un
objet servant à lancer les sagaies, analogue au woumera des
Australiens, ou au propulseur des Esquimaux et de certaines
populations du centre de l'Amérique du Sud.
La séance est levée à six heures et demie.
L'un des secrétaires : MAHOUDEAU.
i86 SÉANCE DU 19 MAM 1891 •
SU* SÉANCE. — 19 mars 1891.
Présidence de M. MéAmoWDWij présldenl*
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté*
CORRESPONDANCE.
M. LE Secrétaire général donne lecture d'une lettre par
laquelle M. Trémie tt remercie la Société de son élection
comme membre correspondant étranger.
M. Gabriel de Mortillet donne quelques renseignements
sur l'excursion qui va être faite en Belgique sous sa direction.
OUVRAGES OFFERTS.
M. LE Président présente nne brochure intitulée : CoUmUor
iion par les enfants assistés , par M. Tbulié. (Des remercie*
ments sont adressés à Tauteur.)
Blasio (D' Abele de). Sopra un teschio dei primo périodo
dell' età délia pietra rinvenuto in quel d'Arpino (Est. dal gior-
nale la Farmacia, 1890). Naples, in-8°, 8 pages et figures.
DuMONT (Arsène). Dépopulation et cioilisation ; étude démo-
graphique (Bibliothèque anthropologique, vol. xui de la collec-
tion). Paris, 1890, in-8%520 pages,
HouzÉ (D' E.). Programme du cours d'anthropologie donné à
r Université de Bruxelles en 1890-1891. Bruxelles, 1891, in-8%
49 pages.
Vauvillé (O.). Notes sur les fouilles et les objets trouvés dans
r enceinte dite du camp de Pommiers (Aisne) (Ext. du Compte
rendu du Congrès archéologique de France, Soissons et Laon,
i887). Caen, 1889, in-8% 37 pages et figures. — Mémoire sur
plusieurs enceintes antiques du département de l'Aisne (Ext. des
Mémoires de la Société nationale des antiquaires de France^ t.L).
Paris, 1890, in-8% 28 pages et planches.
RiccARDi (Paolo). Di alcune correlazioni di sviluppo fra la
OUVRAGES OFFERTS. i8T
statura umana e taltezza del corpo geduto^ studio di antropo^
metria, Modène, ia-4'*, 1891, 81 pages et tableaux.
M. Vauvillé offre deux brochures dont il est Tanteur.
La première est relative aux fouilles et aux objets recueillis
dans Tenceinte; de 40 hectares de superficie, se trouvant sur
la commune de Pommiers, près de Soissons. Le résultat des
fouilles et l'examen des trouvailles ont prouvé que c'est bien
là Tenceinle du Noviodunum des Suessions.
La deuxième brochure comprend les résultats des fouilles
faites dans les enceintes de :
i*^ Saint-Thomas (Aisne), d'une contenance de 32 hectares
70 ares; les fouilles et les constatations faites dans cette
enceinte permettent d'affirmer que là se trouve bien rempla-
cement du Bibrax des Rèmes, cité par César ;
^ De Ghatelet, commune de Montigny«rEngraiiij( Aisne), de
8 hectares 88 ares de superficie; les fouilles ont permis de
bien constater, pour cette enceinte, une fortification de
l'époque gauloise et une autre plus récente qui se rapporte au
dixième siècle ;
^^ D'Épagny (Aisne), de ! hectare 52 ares de contenance ;
les fouilles permettent de croire que cette enceinte ne remonte
pas au delà de l'usage des armes à feu, quoiqu'elle soit
nommée Camp de César,
Alignement d'Épagny, — Au sujet de la dernière enceinte
dont il vient d'être question, je crois devoir vous signaler un
alignement que j'ai constaté lors des fouilles.
Il existe vers l'ouest de l'enceinte, tout près de l'escarpe-
ment naturel, quatre pierres levées et bien dressées vertica-»
lement.
Ces pierres sont bien alignées du côté sud, dans la direction
de l'est à l'ouest ; elles sont enterrées assez profondément
dans le sol.
Voici leurs dimensions hors du sol, et leurs distauces
entre elles :
i88 SÉANCE DU 19 MARS 1891.
Haotear. Largear. Épaisseur. Distance entre elles.
V à l'est ... 1»,20 1"»,ÎS0 0»,85 1
I à 2",10 du milieu au milieu.
2« à l'est 1 ,20 0 ,50 » 0 ,70 ]
8. à rest .... 1 ,00 0 ',30 0 ,60 r * ''' ^«^ ™'^'^^" ^^ '""'^"•
4- à l'ouest.. 0 ,80 0 ,80 0 ,50 ( ^ ^ '^^ ^" "^^'*^" ^^ ™"»^^-
La quatrième pierre, à l*ouest. est à 6 mètres de l*escarpe-
ment naturel. De 12 à 15 mètres à l*est de ces pierres, il
existe d'autres pierres levées, mais elles ne sont pas alignées
avec les quatre premières.
Les silex taillés deTépoque néolithique se rencontrent assez
fréquemment sur le plateau où se trouve Tenceinte d'Epagny.
PERIODIQUES.
Jowmal des savants (janvier et février 1891). A. de Quatre-
fages : Théories transformistes.
Société archéologique y scientifique et littéraire du Vendômois
(Bulletin, t. XXIX, 1890). Nouel : Note sur une découverte
de sépultures dans le roc, rue de la Grève, à Vendôme. —
Ludovic Guignard : Artins et ses tombeaux. Notes sur les
grottes et les abris sous roches.
Société de biologie (Comptes rendus hebdomadaires des
séances, n^" 8, 6 mars 1891). J. Dejerine : Contribution à Tétude
de Taphasie motrice sous-corticale et de la localisation céré-
brale des muscles intrinsèques du larynx.
Société d'histoire naturelle de Toulouse (bulletin trimestriel,
1890, avril à juin). Jammes : les Anciennes Civilisations de
rindo-Chine. Age de la pierre polie et du (bronze au Cam-
bodge. — Laborie : Observations sur quelques crânes de la
collection Marty.
Revue de t hypnotisme et de la psychologie physiologique
(mars 1891). D'Edgar Bérillon : Suggestions criminelles et
responsabilité pénale. — De Heichembach : Mémoire relatif
à certaines radiations perçues par les sensitifs.
< Les pierres numéros 2 et 3 ont la largeur touroie en sens inverse de
Talignement.
OUVRAGES PÉRIODIOUES. 489
Revue scientifique (Revue rose, 6 et 14 mars 1891). E. Aymo-
nier : la Langue française en Indo-Chine.
Revue des sciences naturelles de V Ouest {n'^i de 1890). D'Marc
Eli : rOuest à la Société d'anthropologie de Paris en 1890.
Anthropological Institute of Great Britain and Ireland
(vol. XX, n^' Set 3). James Macdonald: Manners, Gustoms, Su-
perstitions and Religions of South Africa. — Henry Balfour :
The Old British «Pibcorn » or «Hornpipe» anditsaffinities. —
Hector Mac-Lean : The Ancient People of Ireland and Scotland
considered. — Isidore Spielman : Exhibition of a skull dred-
ged on Ihe Manchester Ship canal works. — W.-H. Flower:
Exhibition of a Felish, or Ula, from lake Nyassa. — Théo-
dore Bent : The Ansairee of Asia Minor. — Bernard Hollamder:
A Contribution to a scientifîc phrenology. — H.-H. Risler:
The Study of ethnology in India.
Nature (vol. XLIII, n» 1114). Meldola : An anti-darwinian
contribution. — The Duke of Argyll : Darwin on the unity
of the human race. — Francis Gotch and Victor Horsley :
The Mammalian Nervous System.
Muséum of comparative zoology at Harvard Collège (Bulletin,
vol. XX, n® 8). W.-E. Ritter : the Pariétal Eye in some lizards
from the Western United States.
Asiatïc Society of Bengale (Proceedings, 1890, n"* 9 et 10).
P.-N. Bose : Chhatisgar : Note on its tribes, sects and castes.
— L.-A. Wadell : Note on the « Manik-tham» monolith in
the Puraniya district.
Das Ausland Wochenschrift fur Erd-und Volkerkunde {iS9l ,
n® 8). Karl Peuka : Enlstehung der arischen Rasse. — Emil
Kuster : Zur Methodik der Yolksdichtedarstellung.
Archiv fur Anthropologie ^ Zeitschrift fur Naturgeschichte
und Urgeschichte des Menschen. (Band XIX, Heft 6). — Lin-
denschmit : Das etruskische Schwert ans* den Grabem von
Hallstadt und das vorgeschichtliche Eisenschwert nôrdlicht
der Alpen. — Oberstabsarzt Meisner : Die KOrpergrôsse der
Wehrpflichtigen in Mecklenburg.— Erekert : Kopfmessungen
Kaukasischer Yolker.
490 SÊANC8 Dtl 19 MARd 189!.
Canadian Inslitutê (Transactions, tôI-Î, part.i, n* 4). David
Boyle : Archaeological Remains. — D.-B. Read : The Htirons.
— J.-C. Hamilton : Slavery in Canada.
Hevisia argentina de historia natural (t* I, entrega !•).
Plorentino Ameghino : Observaciones criticas sobre los catial-
los fosiles de la Republica Argentina ; *— Una rapida ojeada a
la evolucion fllogenetica de ios mamiferos; — Los Plagianla-
cideos argentinos y sus reictciones cooiogioas, geologieas y
geograflcas.
PRÉSENTATIONS.
M. Sanson présente une série de huit cuillères s' emboîtant
les unes dans les autres, fort bien sculptées et provenant de
Bassûra ou de Bombay.
A propos du procèi-TerbAl«
Liturgie romaine et llCargie bonddhlqlie;
PAR H. 0LL1VIER-BEAURB6ARD.
J*ai rendu compte, à notre dernière séance, de la cérémonie
bouddhique célébrée, le 21 février dernier, au musée Guimet.
J*ai dit, en terminant ma communication, que Timpression
quej^avais ressentie au spectacle de la liturgie bouddhique
en action pouvait se définir par cette affirmation que, n'étaient
la langue et la dissemblance des idoles, on pourrait, aux gé-
nuflexions, aux adorations répétées, aux gestes des mains
jointes, à l'encens prodigué aux images, aux chants alternés
des officiants, à leurs révérences réciproques, tout bonne-
ment se croire dans une église chrétienne.
Notre collègue, M. de Gharancey, crut alors devoir faire
observer que c'est seulement au troisième siècle de notre ère
qull a été question, dans notre monde occidental^ des reli-
gions de rinde. M. de Gharancey entendait par là exonérer
la liturgie catholique de tout emprunt aux religions de l'Inde.
' Je regrette de ne pas retrouver ici, aujourd'hui, M. de
Gharancey ; mais, comme mes observations sei^nt insérées
LITUHGtËS ROMAINE ET BOUDDfilQUE. 191
à nos Butletinê, notre coUègae pourra les lire et y répondre,
8*il le juge à propos. Je vais donc parler comme s^il était
présent.
Notre collègue se trompe de plus de mille ans, et à sup-
poser, par impossible, qu'il ne se trompe pas, c*est'à-dire
qu'il soit exact que les religions de llnde n'aient été coue-
nnes dans notre vieil Occident qu'au troisième siècle de
notre ère, M. de Gharancey n'en serait pas plus avancé pour
la justification des prétentions dont il entend faire suivre son
observation.
Je reviendrai sur ce dernier point. Constatons d'alK)rd
l'existence, antérieurement à notre ère, des rapports entre
l'Inde et même l'extrême Orient avec notre monde occi"
dental.
A ce propos, Reinaud (de l'Institut)^ à qui nous devons un
mémoire de quatre cents pages in-4** sur l'Inde, dans l'étude
qu'il fait de la relation des voyages accomplis par les Arabes
et les Persans dans l'Inde et à la Chine au neuvième siècle de
notre ère, s'exprime ainsi (p. xxviii, 1. 1") : «Les relations com*
merciales entre les côtes de la mer Rouge et du golfe Per-*
sique d'une part, et, de l'autre, la côte orientale de l'Afrique
et la côte occidentale de la presqu'île de l'Inde^ remontent à
une haute antiquité. On ne peut douter que tel ne fat l'objet
de certaines expéditions des Phéniciens, expéditions aux"
quelles le roi Salomon ne voulut pas rester étranger. Ce fut
par cette voie que les produits de l'Arabie Heureuse, de la
côte de Sofala et des parages de l'Inde, se répandirent en
Occident. Ce commerce était une source de richesses consi-
dérables, n
Ces relations se conservèrent sous les rois grecs, qui suivi*
rent la mort d'Alexandre. Elles furent la base principale de la
grande importance qu'acquirent en peu de temps Alexandrie,
en Egypte, et Séleucie, sur les bords du Tigre.
Au troisième siècle antérieur à notre ère, MégasthèneSi qui
servait sous le règne de Séleucus Nicanor, voyagea dans
rinde et écrivit une Histoire des Indes.
492 SÉANCE DU 19 MARS 1891.
Le texte de cet ouvrage est perdu pour nous, mais le té^
moignage en est souvent invoqué par les anciens anteors
grecs ou latins qui l'ont connu, et, par exemple, Arrien, l'his-
torien d'Alexandre de Macédoine, dit expressément (liv. Y)
que Néarque, qui accompagna Alexandre dans sa campagne
de rinde, a navigué dans Tocéan Indien, et que, sur ce qu*a
écrit Mégasthènes des lois et des institutions de l'Inde, il se
propose de composer un traité des choses de cet intéressant
pays ; et dans cet ouvrage, Arrien, enregistrant une chro-
nique des rois de l'Inde, y fait figurer un roi du nom de
Budyas, qui régna vingt ans.
Ces indications remontent au troisième siècle antérieur à
notre ère^ et il n'est pas déraisonnable de trouver Buddha
dans le Budyas dont parle Arrien.
Trente ans environ avant la date de Téclosion convention-
nelle de notre ère, Cicéron, disciple de Philon d'Athènes, dans
ses Tusculanes (liv. V, ch. xxvii, §§77-78), met en opposition
avec les mœurs relâchées de son temps le tempérament ro-
buste et la fermeté de cœur des sages de Tlnde, qui vont nus
en dépit des intempéries, et l'intrépidité des veuves hindoues,
qui montent souriantes sur le bûcher qui consumera leur
corps avec celui de leur mari.
Virgile, plus de vingt ans avant notre ère, atteste la pré-
sence, sur la flotte de Gléopâtre et d'Antoine, d'Arabes d'Asie
et d'Indiens (liv. VIII, vers 705-706).
Ainsi, assurément et longtemps avant l'éclosion de l'ère
vulgaire, vers une époque dont nous pouvons faire remonter
la date initiale à une antériorité de 1 000 ans, notre vieil
Occident classique avait connaissance des peuples de l'Inde
et de leurs mœurs.
Pour la période qui s'étend de la date de l'éclosion con-
ventionnelle de notre ère au troisième siècle de cette ère,
dont se réclame notre collègue M. de Gharancey, les attesta-
tions de la connaissance alors acquise de l'existence des
peuples et des mœurs de l'Inde ne nous font point non plus
défaut.
LITURGIES ROMAINE ET BOUDDHIQUE. 493
Le géographe Slrabon, contemporain d'Augaste et de Ti-
bère, c'est-à-dire de Téclosion de notre ère, consacre tout le
chapitre xxxix du livre XV de sa géographie à la description
de rinde et à la constatation des mœurs de ses habitants.
Apollonius de Tyanes, de la même époque, parle, au cha-
pitre X du livre Yl de Philostrate, des gymnosophistes de
l'Inde et de leurs mœurs.
Vers Tan 30 de notre ère, ou plutôt vers Tan 20 — Tan 30
est la date de la mort de Philon — c'est-à-dire avant que,
sur le calvaire, le Christ eût affirmé à sa manière sa mission
divine, Philon d'Alexandrie, parlant, dans son traité De
Abrahamo, des mœurs et des coutumes des philosophes in-
diens qu'il paraît bien connaître, signale le sacrifice volon-
taire que les veuves de l'Inde faisaient d'elles-mêmes sur le
bûcher de leur mari, avec autant d'entrain que si elles eussent
consciencieusement pris leur essor vers l'immortalité.
C'est encore grâce à la connaissance qu'il a des mœurs et
des coutumes des Indiens, que Lucain — première moitié du
premier siècle de notre ère — dans la Pharsale (liv. III,
vers 240); affirme l'insouciance des Indiens allant à la mort.
Pline, 79 de notre ère (liv. VII, ch. ii), sous l'autorité de
Mégasthènes, nous entretient des gymnosophistes qui se con-
damnent volontairement à des attitudes dont ils supportent,
sans se plaindre, les exigences proibngées.
Viennent ensuite — pour ne faire intervenir ici que nos
auteurs classiques que chacun a sous la main — les deux
historiens d'Alexandre de Macédoine : Quinte-Curce, qui
écrivait vers l'an 80 de notre ère, et Arrien, de la première
moitié du second siècle de notre ère.
Quinte-Curce (liv. VllI, ch. ix et x) fait la description de
rinde, et cite les philosophes de cette contrée comme per-
sonnages de vie exemplaire et entourés de juste considé-
ration.
Arrien s'appuie sur Mégasthènes, dit l'avoir tout spéciale-
ment pris pour guide, pour écrire celui de ses ouvrages qu'il
a intitulé : De rébus indicis»
T. II (40 SÉaiB). 13
194 SÉAHCB DU 49 MARS 4891.
Ici encore il est question des gymnosopbistes, et, par ce
qui précède, nous savons que les gymnosophistes sont des
philosophes indiens qui sHmposaient une règle de conduite
sévère, même rigoureuse ; qui nu-pieds, nu-tête, très pau-
vrement vêtus, allaient à travers le monde indien, instruisant
les populations et les édifiant par leurs bons exemples.
Avec Clément d'Alexandrie — quelques-uns disent même
saint Clément — nous entrons dans le troisième siècle de
notre ère. Clément d'Alexandrie est mort, en effet, en 217,
et ses écrits et ses enseignements étaient connus avant la fin
du deuxième siècle.
Chez lui, nous trouvons encore, et assez abondamment, des
témoignages de la connaissance, dès longtemps acquise, des
choses religieuses de l'Inde.
Au premier livre des Stromates^ je lis :
u La philosophie est donc chose très utile. Elle a eu autre-
fois de l'éclat chez les barbares et s*est signalée à travers les
nations ; plus tard, elle se fit remarquer chez les Grecs ; mais,
auparavant, les Égyptiens ont eu leurs prophètes, les Assy-
riens leurs chaldéens, les Gaulois leurs druides, et les Bac-
triens leurs samanéens. »
Notons ici que le moi samanéen est le mot samana, sanscrit^
qui signifie fidèle, constant, et qui était la qualification dont
se revêtaient les disciples de bouddha, au même titre que
les sectateurs du Christ se disent fidèles.
Au livre III des Stromates, je trouve encore : « Les brah-
manes ne mangent point de substances animales, ils ne
boivent pas de vin ; quelques-uns d'entre eux se nourrissent
chaque jour comme nous, d'autres ne mangent que le troi-
sième jour. Ainsi que le fait remarquer Alexandre Poly-
histor, dans son traité Des choses de VJnde, ils méprisent
la mort et estiment peu la vie ; ils croient à la revivifica-
tion... Ceux d'entre eux que l'on désigne du titre de vénérables
ne se vêtent point, prêchent la vérité et prophétisent; ils ont
le culte d'une certaine pyramide — le Lingam— tous laquelle
ils supposent que se trouvent les reliques d'un dieu. Ni les
UTUROIES ROMAINB ET BOUDDHIQUE. îVi
gymnosophistes, ni les vénérables n'ont de commerce avec
les femmes ; Tusage leur en paraît un abus et une injustice.
Ils restent ainsi en état de chasteté. Il y a chez eux une classe
de femmes vouées à la virginité, et que désigne le vocable
de vénérables : elles observent les astres et, de leurs travaux
d'observation, tirent des horoscopes. »
Au livre lY des SlromaleSy Clément incite les néophytes
chrétiens à rester fermes dans leur foi, et, entre autres argu-
ments d'exhortation qu'il leur fournit; il cite les paroles des
philosophes indiens à Alexandre de Macédoine : u Tu poux
nous obliger à nous déplacer, mais tu es sans pouvoir sur
nos âmes. Le supplice du feu est plus terrible que la croix,
et nous méprisons le feu. »
Enfin, au livre III, chapitre ii, de son traité De l'instituteur^
Clément prêche aux chrétiens la simplicité dans les choses
du culte, la modestie dans le temple et dans les vêlements,
« car ce n'est pas, dit-il, l'extérieur personnel qu'il importe
d'orner, c'est l'âme qu'il faut vêtir du lustre de la probité.
(( Il ne faut pas faire comme les Égyptiens, chez qui les
temples sont de magnifiques édifices, où les murailles sont
couvertes de peintures et de pierres précieuses venues de
l'Inde, et dont le sanctuaire a pour dieu un animal. »
Des constatations qui précèdent, toutes historiquement
acquises, il résulte clairement que, longtemps avant l'établis-
sement du christianisme, l'Inde, ses mœurs et ses enseigne*
ments étaient connus à Alexandrie, restée pendant plus de
trois siècles, pour ainsi dire, le centre du monde, ainsi qu'à
Rome et dans la Grèce.
Cependant, pour être agréable à M. de Charenccy, mais
seulement à celte cause, Je consens pour un instant à ad-
mettre que c'est seulement au troisième siècle de notre ère
que notre monde classique de l'Occident a connu l'Inde et
ses enseignements philosophiques et religieux, et nous allons
voir qu'à cette large concession M. de Charencey ne peut rien
gagner.
Notre collègue ne peut pas ignorer, et d'ailleurs nous sa-
196 SÉANCE DU 19 MARS 1891.
vons tous, que ce n'est point aux premiers disciples de Jésus
que Ton peut, avec quelque raison, attribuer rétablissement
des règles de la liturgie chrétienne, telle que nous la voyons
pratiquée de nos jours et depuis des siècles déjà.
Ce travail d'études lentes et de précautions fort minu-
tieuses n'a pu être Tœuvre du temps de la primitive croyance,
et la prédication a longtemps précédé le culte soumis aujour-
d'hui aux prescriptions de règles généralement connues et
religieusement pratiquées par Tuniversalité des chrétiens.
C'est à cette classe d'esprits religieux, que l'histoire de la
catholicité désigne sous le titre de Pères de PÉglise, que la
religion du Christ doit rétablissement de ses règles litur-
giques et l'universelle pratique de ses rites.
Au nombre de ces pères de rÉglise> et sur le premier plan
chronologique, nous trouvons :
Saint Jérôme,
Saint Chrysostome,
Saint Ambroise,
Saint Basile,
Saint Grégoire.
Et tous ces ouvriers du temple de la bonne nouvelle sont du
cinquième siècle de notre ère !
Dans ces conditions, notre collègue ne peut plus, ce nous
semble, nier l'influence possible des pratiques religieuses de
rinde et de l'Egypte sur rétablissement des rites religieux
de la chrétienté.
Le voulût-il, il ne le pourrait pas sans aller contre le té-
moignage de saint Jérôme, qui, lui, pour enseigner les chré-
tiens et les mettre en droit chemin, ne craint pas de deman-
der de bons exemples à suivre et des règles à observer aux
sectateurs d'Osiris et de Bouddha. v
« Qui pourrait, dit-il (liv. II de ses Lettres)^ dispenser
une vierge, consacrée à Jésus-Christ, d'une entière absti-
nence, après que les Juifs, par un scrupule ridicule, se sont
défendus à eux-mêmes la chair de certains animaux et de
certaines viandes, et que les prêtres indiens et les gymno-
LITURGIES ROMAINE ET BOUDDIIIQUE. 497
sophistes d'Egypte se sont engagés à ne vivre que de pommes,
d'un peu de riz et de bouillie. Si le faux éclat du verre a été
mis à si haut prix, combien ne doit pas être plus estimée la
vraie perle. »
Cet aveu, qui n'a point été préparé au bénéfice spécial de
cette discussion, doit convaincre M. de Charencey de l'exacte
légitimité de mon observation.
Et, par occasion, j'ajoute que ce n'est pas seulement des
pratiques ritualistiques de la religion des Indiens que la
conscience des premiers chrétiens s'est inspirée.
Plus de 600 ans avant notre ère, Gautama-Bouddha est né
d'une vierge restée vierge. Mais cette vierge se nommait
Maya; ce nom sanscrit signifie illusion, imagination, et
c'est par le côté droit qu'elle a donné Bouddha au monde
indien.
Les Juifs eux-mêmes ont aidé, inconsciemment il est vrai,
à la vulgarisation du mystère le plus obscur des doctrines
chrétiennes.
Philon d'Alexandrie n'a-t-il pas écrit dans son livre : De
cherubinis : « Des vierges, les hommes font des femmes ;
mais, quand Dieu s'établit dans une âme, il en rétablit la
personne dans sa virginité première, et cette personne, fût-
elle une femme usée aux plus actives voluptés de la luxure,
revêt alors dans ses chairs les caractères essentiels de la vir-
ginité. »
De là à l'incarnation divine, il n'y a pas loin, et adjuvante
colwnbay il y a 1891 ans, à la date astronomique de l'équi-
noxe du printemps, la vierge de la suprématie divine, bé-
quetée au bon endroit, a commencé sa neuvaine de rédemp-
tion, pour la terminer à la fin de l'automne, à la date
astronomique du solstice d'hiver.
Tout cela soit dit au nom de la vérité historique et sans
intention de blesser la conscience religieuse de personne.
M. Adrien de Mortillet montre deux spécimens de wou-
mera (instrument australien servant à lancer les sagaies) ; il
198 8ÉANCB DU 19 MARS i891.
montre comment on s'en servait pour lancer les sagaies. Il
fait voir, en même temps, des photographies de très belles
pièces de la collection Piette, provenant de la grotte du Mas*
d'Azil et affectant une forme identique à celle des instru-
ments contemporains qu*il vient démontrer. L'analogie com-
plète de forme est une preuve de l'identité d^usage.
M. DiAHANDY indique les sources de plusieurs chiffres cités
dans sa dernière communication.
COMMUNICATIONS.
Rapport de la commlssioa d'inventalra ;
PAR M. FAUVELLB.
Il y a deux jours, le 17 mars 1891, la Commission d'inven-
taire a exposé aux chefs administratifs des trois établisse-
ments, Société, École et Laboratoire, le résultat de son tra*
vail, concernant les collections et le mobilier.
Monsieur le directeur du Laboratoire, monsieur le direc-
teur de l'École et monsieur le secrétaire général de la Société,
délégué, à cet effet, par le comité central, ont d'abord reconnu
exactes les constatations faites dans les divers locaux où les
collections et le mobilier sont réunis. Ils ont ensuite admis,
comme bien fondés, les motifs sur lesquels la Commission
s'était basée pour les attributions faites à chaque établis-
sement.
L'inventaire a donc été accepté contradictoirement par les
trois établissements, et désormais il fera loi entre les parties.
Il est impossible de vous faire l'énumération, même suc-
cincte, des richesses scientifiques qui vous appartiennent main-
tenant sans conteste ; mais quelques chiffres vous permettront
d'en apprécier l'importance. La Société possède : 17 squelettes
montés de races diverses ; 3792 crânes ethniques, préhistori-
ques et nationaux des différentes provinces et des différentes
époques de notre histoire; i2 momies égyptiennes, péru-
viennes et guanches ; 8 squelettes montés d'animaux, et spé-
PAUVELLE. — RAPPORT DE LA COMMISSION d'iNVENTAIRE. 199
cialement d'anthropoTdes ; 17 crânes d'animaux; 116 bustes
et masques, parmi lesquels ceux d'un grand nombre d'hommes
célèbres ; environ 150 moulages pris sur le vivant, et notam-
ment la précieuse collection rapportée du cap Horn par
M. le docteur Hyades.
11 faut y ajouter une quantité innombrable d'ossements,
auxquels leur origine ethnique ou préhistorique donne un
grand intérêt, et un nombre considérable d'objets représen-
tant Tindustrie humaine des périodes quaternaire et néoli*
thique.
La société possède aussi des collections ethnographiques
d'une grande valeur. Nous devons signaler le legs Grasset,
relatif à l'Afrique; le don fait, en 1889, par la République de
l'Equateur; la collection péruvienne de M. Théodore Ber, et
les séries relatives au Venezuela, que nous devons à la libéra-
lité de nos collègues, MM. Gusman Blanco et Marcano.
L'évaluation de tous ces objets, faite avec toute la modé-
ration possible, a donné le chiffre respectable de 67518f fr. 85,
qui figurera, dans votre comptabilité, pour l'ouverture du
compte Collections. Il en sera de même pour le mobilier, qui
a été évalué à 11260 fr. 50.
Prenant en considération les conditions fâcheuses dans les-
quelles se trouvent les collections ethnographiques, les dési-
gnations insuffisantes que portent la plupart des objets répar-
tis dans les différents casiers et vitrines, et les dérangements
forcés qu'ils subissent par suite du travail quotidien ; dési-
rant, en outre, prévenir le retour de la confusion, à laquelle
elle a été chargée de remédier, la Commission d'inventaire
avait eu l'intention, comme elle vous l'a annoncé dans la
séance du 17 juillet 1890, d'opérer un classement méthodi-
que de l'ensemble du musée, en séparant, autant que pos-
sible, les parts de chaque établissement; mais des difficultés
sans cesse renaissantes ont prolongé son travail au delà de
toute prévision, et l'ont ainsi forcée de renoncer à ce projet.
Aujourd'hui, elle s'en trouve d^ailleurs dispensée, par suite
de la nomination de trois conservateurs : MM. À. de Mortillet,
200 SÉANCE DU 19 MARS i89i.
pour la Société ; Letouraeau, pour l'École, et Manouvrier,
pour le Laboratoire.
La compétence, le zèle et Tactivité bien connus de nos
trois collègues vous sont un sûr garant que la réorganisation,
si urgente du musée, sera conduite rapidement et à bonne
fin. La responsabilité de la Commission d'inventaire se trouve
donc complètement dégagée à partir de ce jour.
En résumé, pour ce qui concerne la Société, notre tâche
est terminée ; nous avons inventorié :
10 La librairie dout la valeur s*éiève à 71 781'63
îo Les collecUons à 67 518 85
3» Le mobilier h 1H60 50
Total 150o6!f »
Enfin, grâce au concours dévoué de notre collègue M. Is-
saurat, rinventaire de la bibliothèque est terminé, et le cata-
logue sous presse ; mais ce ne sera qu'après la composition
de toutes les épreuves, que nous pourrons en faire faire
l'estimation.
En terminant, la Commission a la satisfaction de constater
que l'ensemble de l'inventaire a coûté fort peu de chose k la
Société. M. le docteur Verneau a fait les estimations des col-
lections et contrôlé ainsi, d'une manière précise et nécessaire,
nos constatations personnelles, puisque tous les objets ont
passé par ses mains.
M. Adrien de Mortillet a estimé les pièces préhistoriques,
et M. Imbert le mobilier. Enfin, MM. Mahoudeau, Pornin et
E. Collin ont concouru à la rédaction des procès- verbaux.
La Commission demande à la Société de vouloir bien
adresser des remerciements à toutes les personnes qui Tout
secondée dans son œuvre longue, aride et souvent difficile.
M. UovKLACouE dit que, l'inventaire étant terminé, il ne
faut pas en rester là. 11 émet le vœu que la bibliothèque et le
musée soient toujours tenus en ordre, et que les collections
continuent à être cataloguées.
OBJETS OFFERTS. 201
M. LE Président remercie, au nom de la Société, la Com-
mission et ceux qui ont collaboré à son œuvre. Il donne Tas-
surance que l'on continuera cette œuvre et que, maintenant,
l'avenir est assuré.
OBJETS OFFERTS.
Le menhir de Doingt et qaelqoes mosnmeiits paléollthlqaes
et Béollthiqaes den envlross de Pérosse ;
PAR M. LBGRAIN.
J'ai l'honneur de présenter et d'offrir deux photographies
à la Société.
Ces photographies représentent, sous ses deux faces, un
monument mégalithique, un menhir, qui se trouve près de
Péronne, à Doingt.
Ce menhir mesure près de 5 mètres de hauteur. Il affecte
la forme d'un parallélépipède rectangle.
Dans le pays, on désigne ce monument sous le nom de
pierre de Gargantua,
D'après la légende, Gargantua aurait dressé cette pierre,
afin d'aveugler une source qui inondait le pays.
Il y a quelques années, on fouilla à Tentour et on décou-
vrit, au pied, m'a-t-on dit, une jolie statue de Mercure gallo-
romain, qui est conservée aujourd'hui au Musée de Péronne.
Je rapporte ces deux faits, les signalant aux personnes
compétentes en cette matière.
La légende de Gargantua, intervenant pour expliquer Télé-
vation de cette énorme pierre, nous semble curieuse et pa-
raît se lier intimement avec les autres récits, attribuant aux
fées et aux géants la disposition des monuments mégalithi-
ques.
Les dolmens, les menhirs, aussi bien que les arbres et les
fontaines, ont été longtemps l'objet d'un culte particulier ;
l'abbé Cochet et bien d'autres encore ont établi ce fait. La
trouvaille du Mercure gallo-romain vient, en quelque sorte,
préciser cette assertion, en même temps qu'il nous montre
302 SÉANCE DU 19 MARS 1891.
qu'à une époque relativement moderne, la croyance popu-
laire entourait de sa vénération ces monuments, dont on
ignorait i*originc.
Les silex paléolithiques et néolithiques ne sont pas rares
autour de Pôronne. Voici quelques spécimens que M. Guérin,
instituteur, a bien voulu me donner.
A Licourt, nous trouvons des silex taillés. Voici une hache
coup de poings deux nucleus et un couteau. Un autre coup
de poing a reçu un commencement de polissage.
A Villers-Garbonnel, nous avons une riche station paléoli-
thique et néolithique. Une pointe de flèche et quatre cou-
teaux représentent la première période, tandis que trois
haches, dont deux inachevées, figurent la seconde. Ces silex
se rencontrent à i°',50 de profondeur, dans une sablière.
Enfin, à Eterpigny, nous avons acquis une hache qui est
d^époque néolithique.
Discussion.
M. Hervé dit qu'un mémoire sur ce menhir a déjà été
publié par M. Ponchon.
M. Gabriel de Mortillët, bien que ce menhir ait été déjà
décrit; reconnaît qu'on doit se féliciter d'en posséder des
photographies, et remercie M. Legrain de celles qu'il vient
d'offrir à la Société.
M. ViNsoN rappelle que, dans diverses régions de la France,
le nom de Gargantua a été appliqué à certains monuments
de grandes dimensions. Il cite, comme donnant des rensei-
gnements précis à ce sujet> un ouvrage de M. Sébillot : Gar-
gantua dans les traditions populaires,
M. Legrain fait remarquer qu'un des silex qu'il présente
est taillé, à Tune de ses extrémités, en forme de bec de per-
roquet.
M. Adrien de Mortillët dit que les silex présentés par M. Le-
grain sont intéressants, et attire l'attention sur une hache
polie qui, après une usure déterminée par l'usage, a dû être
retravaillée, afin de pouvoir servir de nouveau comme un
CH. DU PASQUIBR. — DE LA FIXITÉ DE L'ESPÈCE. 203
instrument neuf. Il pense qu'on devait ainsi retravailler les
pièces usées, afin d'économiser les belles pièces neuves.
De la limité de Teepéee t réaaitai des denx faelenre
de l'éTolation t la irariabilité et la loi de l'hérédité fl^e ;
PAR !!• CH. DU PASOCIER.
Aujourd'hui, qui est partisan de la théorie de révolution
croit à la variabilité de l'espèce ; Tespèce varie à l'infini ; de»
espèces anciennes naissent des espèces nouvelles, il y a trans-
formation, descendance. Les adversaires de la théorie, au
contraire, croient à la fixité de l'espèce et à sa constance :
les races ne sont pas des espèces en voie de formation ; les
espèces sont sorties tout armées des mains du Créateur.
Nous ne venons pas apporter ici une conciliation entre
gens d'opinions opposées, la science n'a que faire de con-
cessions. C'est une interprétation nouvelle *, croyons-nous, de
l'évolution que nous venons soumettre au lecteur, résultant
pour nous de l'action de deux facteurs de l'évolution, la va-
riabilité de la matière organique et l'hérédité.
En un mot, comment se fait-il que l'espèce soit variable
encore aujourd'hui, la variabilité allant en s'atténuant de
plus en plus chez les êtres où la division du travail est très
avancée, et l'hérédité agissant suivant la loi de l'hérédité
fixée et constituée de Lamarck, c'est-à-dire en accumulant
et en capitalisant les caractères? Tel est le problème que
nous posons. Nous y répondons, pour notre part, par la
fixité de l'espèce, bien que l'espèce soit cependant dans notre
esprit le résultat de l'évolution. L'idée de fixité de l'espèce
< NaudiD, dans un article de la Revuê horticole d$ 1852, émet Tidée que
la flexibilité des formes a pour autagoniste la puissance de Thérédité ;
mais^ dit-il, cette force a, à son tour, pour contrepoids, une seconde force
qui la règle et la domine: c'est la flnalité, puissance mystérieuse et fatale
qui détermine le volume et la forme des êtres, en raison de leur destinée,
dans Tordre des choses. Il n'est point, selon nous, nécessaire d'admettre
l'existence de cette dernière force. L'idée de ûualité ressort de l'adaptation
rigoureuse de l'organisme }l son milieu. Ce rapport exact est le résultat
même de l'évolution.
304 SÉANCE DU 19 MARS 1891.
n'est pas incompatible avec celle de révolution : bien plus,
la théorie de Lamarck, croyons-nous, devait forcément
aboutir à ce caractère de Tespèce, à sa fixité.
Ce n'est pas en effet sur des variétés et des races d'espèces
anciennes qu'ont agi les facteurs de l'évolution ; ils ont agi
sur des groupes entiers d'organismes, ayant une morphologie
presque semblable, inqualifiés et inqualifiables encore dans
leur phase de variabilité, pour les en faire sortir et en créer
les espèces. Ainsi, le mode d'apparition des espèces est le
même pour toutes; il n'y a pas eu transformation intégrale
d'espèces anciennes en espèces nouvelles, il n'y a pas eu
d'espèces filles; ce que l'évolution a fait pour Tapparition
des premières espèces (dites espèces mères), elle l'a fait pour
toutes. De plus, les facteurs de l'évolution, la lutte pour
l'existence, en divisant la masse des organismes primitifs, en
limitant des groupes, en créant des filiations dont le terme
ultime devait être une espèce, a rendu une classification
chose possible et durable.
Au dire des partisans de la variabilité de l'espèce, un des
modes d'apparition des nouvelles espèces résulte de la
fixité que sont susceptibles de prendre les caractères d'une
race. Pour ce qui en est de l'apparition de nouvelles espèces
par fixation des caractères hybrides, les expériences de
Broca {Mémoiresy t. Ill, p. 482) nous enseignent seulement
qu'il faut un changement dans les milieux pour maintenir un
caractère nouveau chez un hybride \ elles ne nous montrent
pas qu'à l'état de nature un caractère hybride puisse au-
jourd'hui indéfiniment persister au point de devenir la carac-
téristique d'une nouvelle espèce. Le retour au type primilif
eût été indubitable si, par la mise en liberté de ces hybrides,
on eût réalisé à nouveau les conditions habituelles d'exis-
tence du lièvre, car les animaux ne retire aucun avantage
dans la lutte pour l'existence des caractères hybrides que
confère la sélection artificielle. A. R. Wallace observe que
les animaux domestiques ne peuvent fournir aucune donnée
CH. DU PASQUIER. — DE LA FIXITÉ DE l'eSPÉGE. 205
Bur la permanence des variétés à l'état de nature {La Sélec*
lion naturelle^ p. 41 , Reinwald). Revenons à la première h3rpo-
thèse.
Quand Darwin dit que les variétés et les races ne sont
que des espèces en voie de formation, il veut dire par là qu'au
sein d'une même espèce surgissent, chez certains types, de
nouveaux caractères qui, se reproduisant de génération en
génération, deviennent en fin de compte l'apanage exclusif
d'un groupe d'organismes ; ce groupe constitue dès lors la
nouvelle espèce. Mais la condition sine gua non de l'apparition
de nouvelles espèces est ici tout entière dans la variabilité
de Tespèce, c'est-à-dire dans la possibilité pour elle d'ac-
quérir les nouveaux caractères qui, sous l'influence des fac-
teurs de l'évolution, vont se fixer et servir à la détermination
d'une nouvelle espèce. Quand donc cette variabilité sera
limitée ou perdue, Tapparition de nouvelles espèces sera dès
lors rendue plus difficile ou impossible. Or, cette variabilité
est-elle infinie? Est-elle aujourd'hui pour les êtres organisés
ce qu'elle était au début de l'évolution? C'est ce qui mérite
d'être examiné.
La variabilité pour la matière vivante, c'est la possibilité
pour elle de se laisser influencer et modifier morphologique-
ment par les milieux extérieurs. De plus, la raison de cette
variabilité est tout entière dans les changements qui sur-
viennent dans ces milieux : elle en est fonction. Que les
milieux restent les mêmes, les caractères restent identiques;
qu'ils changent, l'organisme, dans les milieux où il vit, croît
et se reproduit, changera ses caractères morphologiques et
s'efforcera de se plier aux conditions changeantes des milieux.
L'acquisition de nouveaux caractères résulte donc de la varia-
bilité de la matière vivante qui est susceptible de se modifier
sous l'influence changeante des milieux.
Quelle est aujourd'hui cette variabilité ? Nous n*en avons
présentement que peu de preuves dans les organismes où la
division du travail est très élevée ; nous en avons, au con-
traire, des preuves plus manifestes dans les êtres inférieurs
906 SÉANGB DU 19 MARS i891.
L'hydre d'eau douce en est un exemple frappant ; ne peat-
on pas retourner ces animaux comme un doigt de gant, sans
que la digestion pour cela cesse de se faire, le feuillet externe
et interne devenant tour à tour le siège de Tabsorption?
(Tremblay.) Il semblerait donc que la variabilité est en raison
inverse de la perfection d'un organisme : plus la division du
travail est avancée, moins grande est sa variabilité. Il est en
ontogénie, du reste, une preuve de ce fait. On sait, en effet,
la facilité avec laquelle un œuf en voie de développement
peut subir des arrêts de développement^ présenter des dé-
viations du processus évolutif, aboutir à des monstruosités.
(Dareste, Recherches 9ur la production artificielle des mons-
truosités, 1877). Les chances de succès sont d'autant plus
sûres, que Tœuf est plus jeune ; que le développement de
Tœnf dans la coquille soit presque complet, des changements
de formes; tout au moins appréciables, ne peuvent plus sur-
venir. Cet ordre de faits est fort instructif et précieux, non
seulement parce qu'il nous montre le degré de variabilité des
formes aux diverses époques de leur développement, mais
encore parce qu'il nous indique, puisque Tontogenèse est
une récapitulation brève de la phylogenèse, ce qu*a été cette
variabilité dans leur développement phylogénique. Que té-
moigne l'existence d'êtres à vie latente, oscillante et libre sur
lesquels insiste Cl. Bernard (Leçons sur les phénomènes de la
vie commune aux animaux et aux végétaux, t. I), si ce n'est la
plasticité plus grande des premiers organismes? Tous les
êtres dont le degré d'organisation est très avancé, Thomme,
par exemple, est, au début de son évolution embryonnaire,
comparable à un organisme à vie oscillante ; il devient^ lors
de son développement complet, un être à vie indépendante.
Ne pouvons-nous donc pas conclure sans présomption qu'au
début de l'évolution, il n'existait que des formes organiques
simples et rudimentaires, se pliant aisément aux conditions
matérielles d'existence qui leur étaient imposées? Elles
étaient dociles, plastiques, éminemment variables. Aujour-
d'hui, pour ce qui est des formes élevées, elles ne le sont
CH. DU PA90UIER. — DE LA FIXITÉ DE L*ESPèCE. 207
que peu ou pas ; leur variabilité se trouve limitée par Tétat
plus ou moins achevé ou parfait de leur organisation. Nous
voyons donc la variabilité, condition nécessaire à l'apparition
de nouveaux caractères, et par suite de nouvelles espèces, se
trouver limitée du fait même de l'évolution des formes et de
Tétat plus ou moins complet de la division du travail. Voilà
ce que nous apprend l'examen des faits; cherchons-en main-
tenant la raison.
Elle est d'abord dans l'uniformité des milieux, et secon-
dairement dans les lois de l'hérédité.
Elle est dans l'uniformité des milieux. Nous avons vu que
la raison même de l'acquisition de nouveaux caractères était
tout entière dans les changements survenant dans les mi-
lieux extérieurs ; l'uniformité des milieux^ c'est le statu guo
dans le processus évolutif de la morphologie animale. On
connaît les expériences de W. P. Edwards (Influence des
agents physiques sur la vie, 1824, p. 108 et suivantes) sur les
têtards de grenouilles : il faut un changement dans les con-
ditions d'air, d'alimentation et de température où vit le
têtard, pour que cette forme évolue et aboutisse à celle de la
grenouille. Ceux qui naissent tard en été, la température
n'étant plus désormais assez élevée, passent l'hiver avec leur
forme de larves, et ne la perdent qu'au retour de la chaleur.
Des modiflcations de milieux sont donc nécessaires à l'appa-
rition de nouveaux caractères dans une espèce, et il faut que
des conditions nouvelles soient maintenues pour que le ca-
ractère persiste. Or^ ces changements dans les conditions
d'existence, les organismes les rencontrent-ils à l'état de
nature? Nous ne le croyons pas.
L'époque est déjà bien reculée où des bouleversements
changeaient la surface du globe ; depuis longtemps, les con-
ditions climatériques de chaque contrée semblent s'être tou-
jours maintenues identiques. Cette absence ancienne de
variations des milieux extérieurs est déjà une preuve en faveur
de la pérennité de l'espèce depuis ces temps reculés. Nous
pourrions citer de nombreux exemples (Wiseman, traduction
208 SÉANCE DU i9 MARS 1891.
Nettement, Discours swr la science et la religion; Cuvier,
Discours sur les révolutions de la surface du globe). Mais sur-
viendraient même, aujourd'hui encore, des changements
appréciables dans les conditions cUmatériques, que nous ne
croirions pas les organismes susceptibles de s*y plier nouvel-
lement et de s'en accommoder. Quand, dans une région, -sur-
viennent des perturbations atmosphériques, quand un hiver
se prolonge seulement, nous voyons les espèces autochtones
fuir les frimas et gagner des pays plus tempérés; Tinstinct
est pour elles un guide qui les oblige à quitter une contrée
où elles ne peuvent vivre sans souffrir, tant les parties d'un
organisme sont spécialement adaptées à des conditions dé-
finies d'existence, tant la vie des êtres, leur existence et leur
morphologie, sont le résultat même des milieux sur la matière
organique ; l'instinct ne serait-il pas né d'une rupture de
Y équilibre biologique (Giard) des organismes ? Les changements
de climat, de nouvelles conditions atmosphériques ne sem-
blent donc plus avoir de prise aujourd'hui sur les espèces ;
elles s'y dérobent ou souffrent et meurent pour s'y être expo-
sées. Il n'est donc point de raisons aujourd'hui pour qu'à
l'état de nature de nouveaux caractères individuels apparais-
sant dans une espèce^ ils y soient maintenus, pour qu'en un
mot^ il apparaisse une race et en naisse une espèce.
Artiûciellement^ l'homme peut, en isolant par la sélection
artificielle un caractère individuel^ maintenir ce caratère,
créer ainsi des variétés et des races ; c'est qu'il impose et
perpétue ces nouvelles conditions d'existence auxquelles les
espèces ne sont pas naturellement portées à se soumettre,
qu'elles semblent, au contraire^ par leur natufe^ être portées
à éviter. Les races ne sont donc que des produits artificiels,
résultat de Tindustrie de l'homme; ce ne sont pas des résul-
tats de la sélection naturelle. Rien ne montre que les races
puissent se mainteniren dehorsde la surveillance del'éleveur,
au contraire; jamais on n'a vu apparaître de nouvelles espèces.
Les lapins de Porto-Sanlo, les chats duParaguay>les cobayes
d'Amérique^ dont la morphologie avait changé au point que
CH. DU PASQUIER. •*- DE LA FIXITÉ D£ l'esPÉCE. 209
le résultat de leur accouplement avec les espèces autochtones
était nul, restaient précisément dans les conditions où est
placée une race sous la surveillance de Téleveur; de nou-
velles conditions d'existence leur avaient été imposées par un
déplacement et maintenues ; ce fut des espèces artificielles,
et non dérivées d'un processus évolutif naturel. Seule, la
possibilité pour l'homme de créer des variétés et des races
donne donc la mesure de la variabilité de l'espèce. Mais cette
variabilité, si tant est qu'elle soit suffisante encore à l'état en
nature pour permettre l'apparition de nouveaux caractères,
est-elle égale à ce qu'elle était, ou s'est-elle limitée et tend-
elle à le faire? Les organismes ont-ils conservé la même
facilité à s'adapter nouvellement et fortuitement aux milieux
extérieurs, dans le cas où des modifications suffisantes sur-
viendraient dans les milieux? C'est ce que nous verrons dans
le paragraphe suivant.
La raison de la limitation de la variabilité est encore et
presque tout entière dans l'hérédité qui transmet intégrale-
ment les caractères des individus, et qui agit en garantissant
dans l'avenir, suivant la loi de l'hérédité fixée ou constituée
de Lamarck, la reproduction des caractères acquis.
Elle transmet intégralement les caractères des individus,
par conséquent le degré d'organisation élevé qui limite la
variabilité ; elle transmet les caractères suivant le mode de
l'hérédité fixée, c'est-à-dire que les organismes acquièrent,
du fait même de leur variabilité, des caractères qui sont trans-
mis héréditairement et comme capitalisés. « Les variations
organiques produites dans chaque individu par l'usage de
l'exercice sont insignifiantes; c'est en s'accumulant, en se
transmettant, capitalisées de génération en génération,
qu'elles acquièrent de l'importance» , dit Lamarck ; et Hœokel
trouve cette vue fondamentale pleine de justesse {ArUhropo^
génie ^ p. 58).
Il est de notion presque vulgaire qu'un mal héréditaire,
la phtisie, par exemple, est plus grave et plus rapidement
mortelle que la phtisie acquise; qu'une maladie héréditaire
T. n (4« siaiB). 14
iiQ ÉéAM^ DU 49 MARS ittl.
eit toujours pins rebeUeàIathénpaiitîqiie(Boii6hiit,Ghoiiid).
Bâillon ne disait-il pas : <i On hérite des maux de ses parents^
coMiaie on hérite de leors biens, et ce funeste héritage se
traMmet d'une façon plus stkre encore que rautre. » L*hé*
redite est donc un garant d'autant plus sftr de la transmis-
sion des caractères, que son action s'exerce depuis plus long-
temps ; elle n*a pas seulement un rôle actif de fixation, mais
bien encore un rôle accumulateur. En morphologie générale,
rhérédiié c'est comme l'habitude pour les choses de Fesprit :
elle ne crée rien, elle forlifie ; c'est la grande éducatrice, la
grande idée de révolution.
Quel a été donc Teffet de l'hérédité sur la matière orga-
nique, sur les organismes 7 Elle a limité, à un moment donné
de révolution, la variabilité des formes, et nous pouvons
exprimer ce fait, en disant que la variabilité est en raison
inverse de l'ancienneté d'action de l'hérédité.
Supposez l'hérédité un être intelligent et libre, s'effbrçant
de û%^ an caractère ; sa tâche, au début, était difficile et
ardue. Lamatière organique éminemment souple et plastique,
étant susceptible d'acquérir promptement et de perdre aussi
vite des caractères morphologiques nouveaux, fut obligée
de profiter d'une pause dans le déveLoppement et l'accroisse-
ment des êtnes; due à une uniformité des conditions physico-
chimiques^ pour fixer un caractère, puis la morphologie d'un
groupe entier d'organismes ; l'hérédité n'avait que peu de
prise sur cette matière toujours en mouvement, jamais à
l'état de repos. € eût été le statu quo sans des changements
survenus dans le milieu extérieur. Mais parce que les chan-
gements survinrent, soit que les organismes se déplacèrent,
soit que des modifications réelles eurent lieu, le groupe prî<-
mitif des êtres organisés put, dès lors, être influencé diverse-
ment. Une partie seule fut soumise à des conditions de
milieux différentes, tandis que celles-ci étaient maintenues
identiques pour Tautre moitié ou l'autre tiers ; les premiers
seulement acquirent de nouveaux caractères, tandis que
l'autre partie conserva la même morphologie^ car l'hérédité
CH. DU PASQUIBR. — DE LA FIXITÉ DE L'ESPÈCG. III
vigilaaio profitait de ruaiformité des milieux pour l'établir :
ainsi se fixa le type I . Un type 2, résultat de Tensemble des
organismes pour qui les milieux changèrent ; du type 3, in-
fluencé, dès lors, à la fa^on du groupe primitif, sortit un type 3.
Chaque type consécutivement put faire souche ; d'eux se sé-
parèrent de nouveaux groupes, toujours par le même mèca*
nisme, et sans que, pour cela, rancêtre commun cessât de
persister en gardant toujours les mêmes caractères fixés par
rhérédité. Grâce aux facteurs de l'évolution, les diverses fi-
liations des organismes se différencièrent de plus en plus,
rendant de jour en jour plus facile l'action de l'hérédité, et
les organismes, ne se modifiant plus que dans le sens de leur
perfectionnement, sortirent petit à petit de leur phase de
variabilité : les espèces apparurent alors.
Cette action seule de l'hérédité suffirait à prouver que les
espèces sont fixes ; que les races ne sont pas des espèces en
voie de formation ; que les caractères des variétés, à Tétat de
nature, n'ont aucune stabilité ; que le retour à l'espèce pa-
rente doit s'effectuer avec rapidité et indubitablement. La
variabilité^ qui s'est trouvée restreinte par le perfectionnement
des formes, maintenue stationnaire par l'uniformité des mi-
lieux, s^est en même temps limitée et a fini par disparaître,
grâce à Vaction de rhérédité. Ceci tendrait à montrer même
qu*à rencontre de certains faits, les espèces inférieures, où
la division du travail est peu avancée* sont fixes également ;
que d'elles^ pas plus que des espèces élevées en organisa-
tion! ne peuvent naître et se détacher de nouvelles espèoes.
Les formes ont été obligées de se mouvoir dans un cadre de
plus en plus restreint, grâce à Taotion combinée des milieux
extérieurs et de l'hérédité, cadre qui est ai\jourd*hui celui de
1 espèce, Les espèces varient, mais elles van'&iù dans l'espèet,
sms en sfiviir ; elles ne varient aujourd'hui que pour se per-
fectionner! que pour s adapter plus exactement aux condi-
lion» extérieures. 8'il semble exister encore des exceptions,
fi'iX n^t et apparaît aujourd'hui de nouvelles espèces, ce que
nwk ne croyona paa^ c*eat parée que Taoliofi des deiu( grande
3 là SÉANCE DU 19 MARS 1891.
facteurs en question n'est point encore suffisamment an*
cienne ; quoi qu'il en soit, si leur variabilité n'est point encore
limitée, elle tend à le faire, et ces formes, un jour ou l'autre,
entreront dans les limites d'une espèce. Le résultat de l'évo-
lution est la fixité de l'espèce. Étant donné donc que les orga-
nismes sortent d'eux-mêmes de leur phase de variabilité en
se perfectionnant du fait de la division du travail, qu'ils y
sont engagés et contraints par l'action des lois de l'hérédité
fixée et constituée, il est impossible de comprendre Tappari-
tion des espèces par fixation des caractères d'une race, ou
par maintien des caractères d'individus hybrides.
On voit donc que la variabilité de la matière organique
rencontra vite, dans l'hérédité, une force antagoniste, et que
c'est néanmoins de leur action opposée, du conflit de ces
deux forces, que sortirent les espèces. Avec de la matière
organique vivante, jeune, à peine organisée, jouissant d'une
très grande variabilité, il était réservé à l'hérédité^ agissant
de concert avec les milieux extérieurs, de grouper, par filia-
tion, des organismes divers et de former les espèces. Grâce
à elle, réducation de la matière organique est faite ; la loi
de l'accélération embryogénique ou de l'hérédité abrégée, qui
préside au développement de certains êtres, n'est -elle pas
une preuve de la facilité et de la sûreté plus grande avec
laquelle la nature éduquée reproduit les formes, en dépit des
causes modificatrices extérieures ?
En un mot, toute l'évolution, l'apparition des espèces et
leur fixité, semble être résultée de ce fait^ que certains
individus d'un même groupe, à une époque déterminée,
grâce à leur habitat, aux conditions atmosphériques, aux
bouleversements qui sont survenus, ont seuls été sollicités à
modifier leur morphologie, tandis que l'autre partie du groupe
était maintenue identique, grâce à Tuniformité des milieux,
leurs caractères étant garantis ultérieurement et fixés désor-
mais par l'action accumulatrice de l'hérédité. Il est certaine-
ment des espèces plus jeunes les unes que les autres ; toutes
ne sont pas sorties en même temps de leur phase de variabi-
CH. DV PASQUIER. — DE LA FIXITÉ DE l'esPÉCE. 213
lité ; il est probable que les espèces où la division du travail
semble être la moins parfaite sont les espèces les plus an-
ciennes. Le degré de perfection peut rendre compte de Tâge
de chaque espèce : Tamibe est plus ancienne que le ver, le
ver que le mollusque, le mollusque que le vertébré, le mam-
mifère plus jeune que le poisson. A côté des espèces supé-
rieures en organisation persistent encore aujourd'hui les
espèces inférieures, témoins des ébauches, des tâtonnements
de la nature, s'efforçant toujours d^élever la forme et de la
perfectionner. Chacun des stades embryonnaires parcouru
dans son ontogenèse, par une espèce plus parfaite en organi-
sation, est représenté par une espèce moins élevée et actuel-
lement existante ; Tontogenèse reste la récapitulation brève
de la phylogenèse.
Cette interprétation de l'évolution permet de comprendre,
croyons-nous, pourquoi de nouvelles espèces semblent ne
plus apparaître, pourquoi la confusion n'existe pas dans le
règne organique, pourquoi il y a persistance de types infé-
rieurs, d'organes rudimentaires ; elle n'ôte, de plus, rien
à la valeur et à la portée de cette grande hypothèse de l'évo-
lution, qui rend compte de tant de faits et de phénomènes,
qui permettra et facilitera la solution probable de questions
encore obscures en anatomie et en biologie ; elle reste ce
qu'elle est, une des plus grandes idées de l'esprit humain, et
une des plus fécondes. Pour nous seulement, l'évolution a
abouti à la fixité de l'espèce et à sa spécificité, mieux encore
à la spécificité cellulaire * ; elle a cessé avec Tapparition de
l'espèce, parce qu'elle s'est trouvée limitée par l'action de
* La spécificité cellulaire nous semble ainsi plus rigoureusement élublie
que dans la thèse de M. le docteur Hillemand {SpérificUé cellulaire chez
Vhommê)y qui ne confère à l'espèce qu'une fixité relative... < La notion de
spécificité se tire de ce caractère évolutif, d'après lequel une espèce donnée
ne peut jamais se confondre avec une espèce collatérale ou antérieure n
(page 21] ; mais dans l'esprit de l'auteur, d'espèces anciennes naissent tou-
jours de nouvelles espèces. Ces espèces ont donc encore aujourd'hui suffi-
samment de variabilité pour acquérir les nouveaux caractères qui diffé-
rencieront l'espèce fille de l'espèce mère.
114 SÉANCB DU 19 MARS 189i.
deux de ses plus puissants facteurs, la variabilité et Théré*
dite. Pourquoi invoquer deux modes différents de rappari**
tion des espèces ? La nature a-t-elle cessé d^étre égale à elle-
même, « toujours prodigue d*eflets, et avare de causes ».
M. Gabriel de Mortillet présente un exemplaire des Re^
cherches archéologiques sur la Lorraine avant rhistoire, par
F. Barthélémy. Cet exemplaire est offert par Tauteur à la
Société. Il présente aussi des ossements du département de
TAisne, envoyés par M. Moreau.
M. LE PRÉsmENT dit que des remerciements seront adres-
sés à MM. F. Barthélémy et Moreau.
CANDIDATURES.
M. Zblle sollicite le titre de membre de la Société d*an-
thropologie. Il est présenté par MM. Laborde, Gapus et Le-
tonmeau.
COMMUNICATION DU BUIUIAU.
M. LE PRÉsmENT annoncc que le docteur Verneau met à la
disposition des membres de la Société des cartes dMnvitation
à visiter l'exposition des collections rapportées de Mada-
gascar par le docteur L. Gatat, exposition ayant lieu au
Laboratoire d'anthropologie du Muséum d'histoire naturelle.
M. Verneau dit que M. Catat a fait un voyage scientifique
duquel il a rapporté de nombreuses et intéressantes collec-
tions.
Les Haporals;
PAR M. LE CAPITAINE L.-J. ZBLLK.
(Note lue par M. G. Gapus.)
J'ignore absolument si Ton s'est occupé des Maporais,
n'ayant jamais trouvé leur nom dans aucune relation de
voyage ni autre livre. On aura probablement pensé qu'ils
n'en valaient pas la peine.
2MLLE. -> LIS MAPORAIS. 31B
Mapor est iiii kampong (village) sitoé sur ta frontière sep-
tentrionale du district de Soengeiiiat, avec ccloi de Blinjoe^
dans nie de Banka.
Les habitants de ce kampong ne seraient pas orig^nûret
de rîie; mais, d'après une vieille légende, représenteraient
les descendants de Téquipage d*ane jonqae cochinchinoise^
qui a péri sur la côte de Banka, à remboachnre du Soengei*
Mapor (rivière de Mapor).
On n'a aucune donnée sur Tépoqne de Tarrivée de ceitt
jonque. L'équipage, n'ayant pas les moyens de retourner dans
son pays, se serait fixé près de la côte, dans le kampong da
Mapor ; cependant, il n'est pas dit s'ils ont fondé ce kam«
pong ou non, et, en s'unissant à des femmes du pays, s'ils ont
donné naissance à la tribu des Maporaîs actuels.
La supposition d'après laquelle ils se seraient ûxés dans
le kampong de Mapor n'est peut-être pas tout à £&ût exaeie,
car autrefois il n'y avait pas de village, à proprement dire^
dans l'île de Banka ; chaque famille allait demeurer dans les
bois, sur son ladang (rizière non irriguée), et changeait tous
les deux ou trois ans de domicile, de telle sorte qu'on ne sa-
vait jamais trouver les personnes dont on pouvait avoir
besoin.
Ce n'est qu'après l'émeute d'Amir, en 1850, qu'on a forcé
la population de quitter ses ladangs et de se réunir dcms des
kampongs, le long des grandes routes. J'ignore si Mapor a
été dans le même cas ou non.
La raison pour laquelle les Bankanais préféraient vivre sur
leurs ladangs, au lieu de se réunir en communauté^ était,
outre la commodité qu'ils trouvaient d'habiter là où ils culti-
vaient leur riz en satisfaisant ainsi à leur paresse innée^ la
peur des pirates ; car, jusqu'en 1866, presque chaque année,
une flotte plus ou moins grande de ces hardis écumeurs de
mer venait, de l'archipel de Solo et de Mindanao, dans l'île
de Banka, pour enlever un plus ou moins grand nombre de
personnes, surtout des femmes et desfîUes, qu'ils réduisaient
en esclavage.
2f6 SÉANCE DU 19 MARS 189i.
Il est clair que, dans les bois, la population était plus à
Tabri de ces invasions que dans les villages, étant donné que
le Bankanais n'a pas le courage de défendre ni son bien^ ni
sa personne, contre les attaques de qui que ce soit.
Les Maporais ne ressemblent pas beaucoup aux Bankanais ;
ils sonl plus grands, d'une constitution plus forte, plus éner-
giques, et, signe distinctif, bien plus braves.
Le Bankanais pur sang se nourrit exclusivement de riz,
noir ou rouge, de grain et de poisson ; il ne mange que bien
rarement de la viande, parce qu'il n'y a pas de bêtes domes-
tiques autres que les porcs des Chinois, auxquels sa religion
lui défend de toucher; ce n'est que quand il par\ient à
prendre un cerf ou un daim, dans ses filets, qu'il peut se
permettre le luxe de manger un morceau de viande.
Le Maporais, au contraire, mange tout ce qu'il peut se pro-
curer: du sanglier, du serpent, des grenouilles, du crocodile.
Il cuit ou rôtit sa viande ou son poisson, comme les autres
indigènes, et en mange autant qu'il peut.
Comme tous les habitants de l'archipel malais, il est d'une
grande imprévoyance, et ne fera jamais de provisions (excepté
le riz qu'il cultive) ; la mer et la forêt lui fourniront, d'ail-
leurs, toujours du poisson et du gibier en abondance.
Les substances enivrantes et excitantes ne leur sont guère
connues, à l'exception du tabac, qu'ils fument en cigarettes
ou dans des pipes en bois (bambou) ou en métal ; ces der-
nières sont de fabrication chinoise.
L'opium, cette immense plaie des Orientaux, est trop cher
pour la pauvre population de Banka, et surtout pour le
Maporais.
Le Maporais est beaucoup moins sensible à la douleur phy-
sique que les autres indigènes de l'île.
Je ne saurais dire si les autres sens sont plus ou moins
développés, parce qu'il est très difficile d'entrer en commu-
nication d idée avec eux ; ils sont si peu développés qu'ils
ne comprennent pa-^ ce qu'on leur demande. Ils diffèrent,
en tout cas, beaucoup des peuples plus civilisés', sous le rap-
ZELLE. — LES HAPORAIS. 247
port de la sensibilité olfactive, car ils supportent les odeurs
les plus nauséabondes avec la plus grande placidité.
Ils ne portent ordinairement aucune espèce de parure, ni
même de vêtements, à Texception d'un petit morceau de
cotonnade, ou même d'écorce d'arbre, en forme de tablier,
pour couvrir les parties sexuelles. Ce tablier est un peu plus
grand chez les femmes que chez les hommes, sans pour cela
cacher beaucoup leur nudité. J'ai cependant vu quelques
femmes avec des boucles d'oreille, et des enfants avec un
collier en grossières perles de verre ou de coquillages. Le
tatouage n'existe pas parmi eux.
Ils n'ont besoin d'aucune déformation ni mutilation pour
être laids. Le beau sexe surtout est bien vilain.
Ni danse, ni instrument de musique, ne sont en usage
parmi eux ; ils ont cependant une espèce de chant monotone
et peu agréable à Toreille, qui les aide à marcher en cadence,
lorsqu'ils portent des fardeaux à plusieurs.
Comme les autres indigènes de Tarchipel, ils aiment leurs
enfants et ne les maltraitent pas trop, ni leurs femmes non
plus, sans avoir pour cela une trop grande tendresse pour
elles.
Ils ont le respect des vieillards.
Ce sont surtout les femmes qui portent les charges les plus
lourdes ; elles sont, en général, très recherchées comme por-
teuses de palanquin, parce qu'elles ont la marche sûre et
légère, et qu'elles sont réellement infatigables.
Si les Maporais ont un culte quelconque, il doit être des
m
plus primitifs, car on ne s'en aperçoit pas du tout. Seuls des
indigènes de Banka, ils ne sont pas musulmans et mangent
du porc ; c'est pour cette raison qu'ils sont généralement
méprisés.
J'ignore s'ils font des sacrifices ou des offrandes, mais je
ne le crois pas.]
Ils enterrent leurs morts sans grandes cérémonies. Je ne
suis pas bien certain qu'ils croient à une vie future, mais ils
ont une certaine idée d'un génie bienfaisant ou malfaisant.
318 SÉANCE DU 19 MARS 1891.
selon les oiroonstances. On ne peut pas dire qn'ils sont indif-
férents en matière religieuse, je crois plntôt qu'ils n'y pen^
sent pas du tout, car ils n'ont ni prôtre, ni culte, ni temple,
ni prière.
Us vivent assez bien en famille, et s'occupent de leurs en-
fants pour les nourrir. L'héritage n'existe pas, parce qu'ils
ne possèdent rien.
Les passions contre nature sont généralement peu connues
des indigènes de Tarchipel malais. Quoique cela n'ait an«
cun rapport direct avec les Maporais, il est à remarquer
qu'en général les femmes malaises et javanaises ont un sen-
timent de pudeur, je dirais plutôt de convenance hygiénique,
qu'on ne rencontre que rarement chez les femmes euro-
péennes ; ainsi, aucune de ces femmes ne se donnera jamais
ni à son mari, ni même à son amant, pendant la gestation ou
l'allaitement, parce qu'elles disent: «Gela nuirait à mon en-
fant. »
Quoique la polygamie soit légalement permise à la popu-
lation de la Malaisie, elle n'est guère pratiquée que par les
riches, qui ne sont pas nombreux ; le couli ou le petit cultiva*
teur ne peut pas se permettre le luxe de nourrir plus d'une
femme ; il en est de même des Maporais.
Si les filles à marier manquent dans son village, le Mapo-
rais trouve difficilement une compagne, non seulement parce
qu'il est trop pauvre pour payer une dot, mais plutôt parce
qu'il est méprisé comme kafir, qui mange des bêtes impures.
Il est donc bien forcé, s'il veut se marier, d'enlever une
femme ou une fille d'un autre village, ce qui n'entraîne ordi-
nairement pas des conséquences bien funestes, parce que le
Bankanais est trop lâche, soit pour venger son honneur, soit
pour défendre ou reprendre sa fille à son ravisseur. Je dois
ajouter que ces femmes se trouvent rarement malheureuses,
et qu'elles ne réclament pas trop contre la violence qu'elles
ont eu à subir.
L'esclavage étant aboli aux Indes néerlandaises, depuis le
1*' janvier 1860, il n'y a donc plus d'esclaves à Banka.
Z8LLE. — LES MAPORAII. 319
Les rapports des Maporais avec les représentants dn gou-
vernement sont des plus faciles ; ils exécutent les travaux
qu'on leur ordonne de faire, et payent les impositions, de
manière qu'ils ne donnent jamais lieu à des plaintes sé-
rieuses.
Gomme leur nombre ne dépasse pas quelques centaines,
ils se connaissent tous par leurs noms, et n'ont donc besoin
ni d'un n totem », ni de signe de reconnaissance.
Us n'ont pas d'autre industrie que la chasse, la pèche et la
culture des ladangs.
Il servent, la plupart du temps, comme porteurs de palan-
quin.
Par ladang, on entend les rizières non irrigables, qui dé-
pendent uniquemeut de la pluie. Pour établir les ladangs, on
coupe les broussailles et les arbres qui ne sont pas trop gros
sur une étendue voulue ; on laisse sécher ce bois coupé pen-
dant quelques mois, puis, après y avoir mis le feu quelques
jours avant les premières pluies^ on sème le riz dans lés
cendres refroidies. Si la pluie vient, et qu'il plaise à Allah,
on aura une abondante moisson d'un riz qui n'est pas si
appétissant, mais bien plus nutritif, que celui que l'on récolte
dans les rizières irrigables {sawa).
L'inconvénient de cette culture est, outre le pénible tra-
vail de couper le bois, une destruction déplorable souvent
de grandes étendues de bois précieux pour ne récolter, en
somme, que quelques sacs de riz. Par suite, le pays se dé-
boise, et les pluies deviennent plus rares et moins abon-
dantes.
Le gouvernement a déjà essayé d'introduire la culture des
sawa à Banka; mais on a commis la faute de ne pas défendre
l'établissement des ladangs une fois pour toutes, ce qui au-
rait naturellement coûté de l'argent, parce qu'il aurait fallu
importer du riz et le fournir à un prix au-dessous du prix de
revient, pendant au moins trois ans.
En fait d'animaux domestiques, le Maporais a quelques
poules^ et quelquefois un chien.
220 SÉANCE DU \d MARà 189f.
Pour la pêche, ils se servent de la ligne et d'un filet tri-
coté par eux-mêmes.
La chasse au sanglier est faite au moyen de fosses cachées
et recouvertes légèrement^ dans lesquelles on place un appât
quelconque. Les cerfs sont pris dans de grands filets en jonc.
Gomme armes, ils ont tout au plus une lance à pointe de
fer et un parang^ espèce de sabre court, qui leur sert en même
temps d'arme et d'instrument pour couper le bois. Us con-
naissent bien les armes à feu, mais n*ont pas les moyens de
s'en procurer.
Excepté le crocodile, il n'y a pas d'animaux carnassiers à
Banka.
Gomme indice de civilisalion naissante, j'ai vu un Mapo-
rais allumer une cigarette avec une allumette chimique,, qui
prenait feu tout de suite.
Us se servent de la poterie de Palembang, qui, sans être
artistique, est très bonne ; ils ont aussi quelquefois des tasses
en grossière faïence chinoise ; mais, la plupart du temps^ leurs
vases pour contenir les liquides sont des calebasses ou des
noix de coco.
De tous les habitants de la Malaisie, le Bankanais est cer-
tainement le plus paisible^ et le Maporais n'est guère plus
belliqueux, quoique plus brave.
Les habitations sont de misérables cabanes, construites sur
pilotis, à 1 mètre au plus au-dessus du sol ; les membrures
sont faites de perches plus ou moins droites, coupées dans la
forêl, et les murs sont en écorce d*arbre ; la toiture est cou-
verte en aiap ou feuilles de nipa, une espèce de palmier nain
qui croît dans les marais.
Gomme meubles, ils ont un àali'balt\ espèce de canapé en
bambou, qui sert de couchette ; ils ont bien aussi un coussin
de feuilles sèches, rarement du kapok (coton naturel), qui
croit cependant en abondance à Banka.
Gomme ils ne portent aucune espèce de vêtement, M. Sin-
ger, de New-York, n*a pas encore trouvé bon d'établir une
succursale à Mapor.
MANOUVRIER. -^ SUR LA DÉTERMINATION DE LA TAILLE. 2St
Le seul moyen de transport en usage est de porter le far-
deau, suspendu sur Tépaule, aux deux bouts d'un bambou.
Etant continuellement en contact avec la civilisation rela-
tive, par laquelle ils ne se laissent cependant pas entamer^ ils
ont appris à connaître la valeur de l'argent monnayé.
Quant à leur mémoire et à leurs facultés imaginatives, je
puis dire seulement qu'ils sont extrêmement bornés. Je ne
sais s'ils sont observateurs^ car on ne s'en aperçoit jamais
par une remarque quelconque qu'ils pourraient faire. Il n'y
a ni fou, ni idiot, ni goitreux parmi eux.
Leur langue est la même que celle des autres indigènes de
Banka, c'est-à-dire un bien mauvais malais. Je n'ai jamais
pu apprendre s'ils ont gardé quelques mots cochinchinois
dans leur langue, ce qui serait une preuve de la vérité de
la légende.
Il y en a qui savent compter jusqu'à dix sur les doigts;
mais pour ajouter un nombre à un autre, et en faire une
somme, ils n'y parviennent jamais. Ainsi^ par exemple, un
Maporais doit recevoir quatre fois quatre cents, alors qu'il
n'accepterait jamais seize cents ; il faut lui donner quatre tas
de quatre cents chacun pour le contenter. Quoique je me
sois souvent donné beaucoup de peine pour leur faire com-
prendre que 2 et 2 font 4, je n'y suis jamais parvenu.
Aucun Maporais ne saurait se figurer quelque chose, en
dehors de son rayon visuel^ non pas qu'il se refuse à croire à
l'existence d'autres contrées que la sienne, mais son imagi-
nation ne va pas jusque-là.
Snr la déterminatioii de la taille
4'aprèa les •• longs des membres;
PAR M. LB DOCTEUR L. MANOUVRIBR.
Ce travail est renvoyé aux Mémoires de la Sociité,
m 6ÊA1IGB DU 19 VARB iMl.
Sotte 4e la dlseaselen eor le flilble •eerelesemeiit
de la popolatlen en Franee.
M. Fauvelle. Il est un fait digne de remarque c'est que,
dans cette enceinte aussi bien qu'ailleurs, toutes les per-
sonnes qui ont parlé de la diminution de la natalitéi démo-
graphes, médecins, hygiénistes, tous ont traité la question
uniquement au point de vue économique, absolument comme
sll s'agissait de l'attraction qui entraine la population des
campagnes vers les grandes villes. Personne ne semble avoir
osé aborder le côté physiologique qui, cependant, comme je
crois l'avoir démontré, peut seul nous permettre d'apprécier
sainement le danger qui nous est signalé, et nous conduire à
la découverte des moyens capables de le conjurer.
Bn effet, Téconomie sociale est une science que, comme la
médecine^ chacun croit savoir sans l'avoir jamais apprise.
La Société se trouve-t-elle atteinte de quelque mal, chacun
arrive avec son remède, sa panacée meilleure que toutes les
autres. On croirait entendre ces matrones qui assiègent le
lit d'un malade, ordonnant, pronostiquant et n*bésitani pas
à critiquer Tordonnance du médecin avec un sérieux vrai-
ment comique. £t puis, comment traiter en public un sujet
que dès le jeune âge on est habitué à regarder comme incon-
venant et malpropre! Toujours est-il que ce côté de la ques-
tion, malgré son importance, parait avoir été écarté comme
trop scabreux.
Je crois, néanmoins, nécessaire d'essayer encore de rame-
ner la discussion sur son véritable terrain, celui de la phy-
siologie, car jusqu'ici, malgré le talent déployé par les divers
orateurs^ elle ne nous a fourni aucune indication susceptible
d'être sérieusement mise en pratique. Résumons d'abord les
points acquis.
Le ralentissement prononcé que subit depuis une quaran-
taine d'années l'accroissement de la population de la France,
a pour cause à peu près unique la diminution de la natalité.
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ E!f FRANGE. 333
G^esi un fait indéniable, que les nombreux documents démo*
graphiques qui nous ont été fournis ont amplement démon-
tré ; il n*y a plus à y revenir. Un autre point qui paraît
également bien établi, c'est que le chiffre restreint de la
procréation est le résultat d'une abstention volontaire. Enfin,
cette abstention s'observe presque uniquement dans la
classe moyenne, dont la préoccupation principale est de
constituer un capital pour la famille. En effet, chez les ou*
vriers, qui ne pensent guère à capitaliser, les enfants sont
suffisamment nombreux.
Il est très probable que^ dans tous les temps et chez tous
les peuples, la classe capitalisante s'est comportée d'une
façon analogue ; mais tant qu'elle reste peu nombreuse,
comme il est arrivé chez nous depuis la constitution de la
nationalité française jusque dans ces derniers temps, les
effets de sa stérilité relative sur la natalité générale sont
peu marqués. Il n'en est plus de même lorsqu'elle prend
une grande extension. C'est précisément ce que l'on observe
aujourd'hui en France, où la fortune publique a pris, depuis
bientôt un demi-siècle, un développement d'une importance
dont on ne trouverait peut-être pas d'exemple dans les an-
nales de l'humanité. Actuellement, l'abondance des capitaux
disséminés dans une fouie de mains a plus que décuplé la
petite bourgeoisie aux dépens de la classe ouvrière qui vit
au jour le jour. C'est cette aisance du plus grand nombre
qui donne chez nous une importance relativement moindre
aux questions sociales, et qui a permis à la forme républi*
caine du gouvernement de s'établir d'une manière durable.
Mais, par contre^ dans la crainte de perdre le bien acquis,
tous ces petits capitalistes limitent, autant qu'ils le peuvent,
le nombre de leurs héritiers.
Qu'une catastrophe nationale survienne^ la plupart retom*
beront dans la masse des prolétaires, et nous verrons peut»
être revenir les temps prolifiques de l'ancien régime, où,
suivant Buffon, trois mariages donnaient en province dix>»
biul enCants et douze à Paris (Prohiimu de la vtîe, (SuvreSi
2i4 SÉANCE DU 19 MARS 1891.
t. X, p. 519). Ce sont sans doute ces considérations qu'ont
en vue certains esprits éclairés qui pensent qu'on a tort de
se préoccuper du nombre restreint des naissances. Mais Tob-
servation des animaux nous apprend que la diminution de
la fécondité est le signe de Tabàtardissement d*une race et
Tannonce de son exlinclion prochaine. 11 faut donc nous
garder de cet optimisme dangereux, et répondre au cri de dé-
tresse parti de tant de bouches autorisées.
La question se trouvant ainsi circonscrite, il s'agit de spé-
cifier pourquoi la classe moyenne peut parvenir à entraver
une fonction instinctive qui, normalement, domine la vo-
lonté^ et de rechercher quels sont les moyens susceptibles
de Tempêcher de s'abstenir.
Certainement, dans la situation actuelle, il n'est pas inu-
tile de s'efforcer de diminuer la mortalité. La vie humaine
devenant rare, il est prudent de l'économiser. Il n'est pas
non plus douteux que cette partie du problème puisse être
utilement abordée dans cette enceinte ; mais je pense qu'elle
est plutôt du ressort de la médecine publique, et pour que
l'intervention des anthropologistes soit efficace, nous devons
la diriger sur les véritables causes de la diminution de la
natalité et sur les moyens d'y remédier.
Dans une première communication, je crois avoir établi
que l'éducation des enfants de la classe moyenne était très
défectueuse, surtout au point de vue de la reproduction de
l'espèce, et que raffaiblissement de l'instinct génésique
qui en résulte laisse le champ libre à toutes les considérations
qui militent contre la constitution d'une famille nombreuse.
Je ne reviendrai pas sur ces considérations qui n'ont qu'une
importance secondaire ; mais, pour confirmer ma thèse, je
vais aujourd'hui montrer par quel mécanisme physiologique
elles arrivent à vaincre l'instinct génésique plus ou moins
affaibli.
Cet instinct, comme je l'ai exposé, comprend deux parties
bien distinctes : l'attraction des denx sexes l'un pour l'autre,
résultat de l'affinité réciproque des éléments mâle et femelle,
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 225
et la conjonction des organes sexuels, qui se trouve sous la
dépendance du centre génital de Taxe médullaire dont Tac-
tion est réflexe, c'est-à-dire indépendante de la fonction céré*
brale.
J'ai peu de choses à dire sur le premier point. Les causes
de Téloignement des sexes sont rarement d'ordre purement
intellectuel ; il faut, le plus souvent, qu'il s'y joigne un ob-
stacle matériel, ou que la production des éléments sexués
soit languissante et leur constitution débile. En d'autres
termes, cet éloignement est le résultat de la claustration ou
de la maladie. Certainement, le défaut d'union des sexes con-
tribue à la diminution de la natalité, mais dans des propor-
tions relativement minimes.
Le plus souvent, comme dans le cas de mariage, les sexes
se rapprochent librement, et Tacte génésique en est la con-
séquence naturelle. Voyons comment, malgré son caractère
impulsif indéniable, il peut être interrompu de manière à
empêcher la fécondation.
Chez tous les animaux dont le cerveau est intact, les ré-
flexes médullaires sont conscients, c'est-à-dire que les hémi-
sphères cérébraux perçoivent les excitations sensorielles qui
mettent en jeu ces réflexes, ainsi que les mouvements qui en
sont la conséquence. En effet, le système nerveux forme un
ensemble dont toutes les parties sont connexes, c'est-à-dire
que les différents centres dont il est composé sont reliés
entre eux par des filets conducteurs, qui permettent à Tin-
flux nerveux de se porter de l'un à l'autre suivant les besoins
du moment; de telle sorte que, lorsque l'un d'eux fonctionne
avec énergie, tous les autres sont forcément dans un repos
relatif. 11 n'est pas besoin d'être un physiologiste de profes-
sion pour se rendre compte de ces particularités. Tout le
monde sait que, dans l'état d'équilibre physiologique, après
un repas copieux, l'organisme, absorbé par la digestion, est
impropre à tout autre travail important, et que si alors une
excitation violente survient d'un autre côté, il peut en ré*
sulter une indigestion, faute d'une quantité suffisante d'in-
T. II (4* Série). 15
216 séANCE nu 19 MARS 489(,
flux nerveux dans les centres gastriques. De raème, lorsque
1q eentre génital est en action chess qn sujet vigoureux, tout
travail intellectuel ou autre, si minime qu'il soit, ne peut
avoir lieu. Mais cette action peut être interrompue par une
douleur violente, physique ou intellectuelle.
Dans rélat normal, chaque centre, travaillant h son tour,
laisse les autres se reposer, et il en résulte un état d'équi-
libre qui constitue la santé, Mais cet équilibre est rompu si
Tun d'eux est trop souvent en action. Les gros mangeurs
sont impropres à tout travail intellectuel un peu compliqué;
de même ceux qui se livrent à des excès vénériens voient
toutes leurs autres fonctions languir. Par contre, si l'un des
centres dont nous parlons présente une faiblesse congénitale
ou acquise, ses excitants normaux ne sont plus en mesure
d'y appeler une quantité d'influx nerveux suffisante pour
imposer aux autres le repos relatif dont je parlais tout à
l'heure; alors son action est facilement entravée, et la fonp-
tion à laquelle il préside, souvent interrompue.
C'est précisément ce qui arrive au centre génital des deux
sexes, dans les ménages aisés que j'ai dépeints lors de ma
première communication. Alors la fonction cérébrale, c'est-
à-dire les diverses considérations économiques ou autres qui
sont la préoccupation habituelle des époux, suffit pour in-
terrompre l'acte réflexe, et la fécondation n'a pas lieu.
Quoi qu'on en ait dit, ces considérations ne peuvent donc
être regardées comme la cause réelle de la diminution de la
natalité. Lorsque le centre génésique a toute sa vigueur,
elles ne se présentent à l'esprit que lorsqu'il n'est plus temps.
Il en est de même lorsqu'un repas succulent, arrosé de quel-
ques verres de vin généreux, vient la lui rendre momenta-
aément.
L'exposé physiologique qui précède nous explique l'inutilité
de toutes Icd lois fiscales ou autres, à l'aide desquelles, à dif-
férentes époques, on a prétendu remédier à 1% diminution
d^ la natalité, et que l'on propose de rééditer aujourd'hui.
Lorsque la puissance prolifique des animai» domotiques
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 9^
reproducteurs diminue, les éleveurs ne se perdent pas comme
nous en conjectures plus ou moins bizarres ; ils les soumet-
tent immédiatement h un régime hygiénique, susceptible de
la ranimer; puis, l'équilibre des fonctions une fois rétabli,
ils mettent les sexes en présence à un âge où la force génô-
sique est dans toute sa puissance, et le succès couronne leurs
efforts.
La question de la natalité est, en réalité, du ressort de la
zootechnie, bien plutôt que de la science économique.
En d'autres termes, si nous voulons remédier sérieuse-
ment au mal qui nous est signalé, il faut mettre les repro-
ducteurs dans des conditions physiologiques normales, con-
sacrer l'union des sexes à un âge où la fonction génésique
est exubérante, et ne pas attendre que Torgane cérébral ait
acquis, par les progrès de Tâge et les circonstances de la
vie, une prépondérance fâcheuse sur les centres médullaires.
Pour donner à ceux-ci tout le développement qu'ils compor-
tent, le meilleur moyen est d'entretenir l'activité musculaire
des membres par des exercices variés, soutenus par une ali-
mentation suffisamment abondante, et renoncer à cette espèce
de stabulation qui maintient d une manière presque conti-
nue l'enfance et la jeunesse, soit dans les études, soit dans
les ateliers, soit dans les bureaux.
Depuis 1870, la nation paraît être entrée dans cette voie.
Elle poursuit, il est vrai, un autre but que celui dont il s'agit
ici ; mais peu importe, si cette voie nous y conduit. En effet,
les sociétés de gymnastique et d^exercices militaires se sont
multipliées sur toute l'étendue du territoire, et le tout est
couronné par le service obligatoire qui, réduit à trois ans,
suffit pour faire de nos enfants des hommes solides, sans les
transformer en traîneurs de sabre. Cette brièveté du séjour
à l'armée a, en outre, l'avantage de permettre le mariage à
un âge où Tacto reproducteur est le plus efficace. En un mot,
cette éducation tepd à donner aux centres nerveux spinaux
une activité qui doit arriver à les soustraire à la domination
du centre cérébral.
338 Sl^ANCR DU 19 MARS 1891.
Malheureiisemenl, celte transformation salutaire ne s'ob-
serve que chez le sexe mâle; les filles y sont restées, jusqu'ici,
complètement étrangères.
En effet, comment pourrait-il en être autrement, lorsque
l'éducation de la plupart d'entre elles est confiée à des
congréganistes, qui n'ont d'autre préoccupation que d'ef-
facer chez la femme tout ce qui caractérise son sexe ? Aussi
les épouses que Ton nous accorde sont-elles, le plus souvent,
peu propres à la reproduction, et, pour comble, comme je
l'ai déjà fait remarquer, elles sont appelées à jouer dans le
ménage un rôle prépondérant.
Si donc on veut arrêter la diminution progressive de la
natalité, il faut soigner l'éducation physique des filles. Toutes
celles qui apportent en mariage une santé robuste et des
fonctions génésiques bien normales, sont mères de trois ou
quatre enfants avant trente ans, pour peu que le mari ne soit
pas trop étiolé.
A ce propos^ il est un point sur lequel je veux, en termi-
nant, appeler l'attention : c'est la tendance que Ton a au-
jourd'hui, sous prétexte de philanthropie, à vouloir refaire
la constitution de tous les sujets défectueux qui naissent avec
une tache originelle. Les communes, les départements et
même l'État, ne reculent devant aucun sacrifice pour con-
struire à grands frais de vastes sanatoriums plus ou moins
luxueux, où toutes sortes de soins sont prodigués à une masse
d'avortons issus d'une souche dégénérée. Mais on a beau
faire, quels que soient les succès apparents obtenus, on ne
refait pas leur constitution, et Ton dote la société de repro-
ducteurs détestables qui vont semer partout la scrofule, la
phtisie et tous les autres stigmates de la dégradation d'une
race.
Puisqu'il s'agit ici en réalité de zootechnie, a-t-on jamais
vu un éleveur dépenser son temps et son argent à vouloir
transformer en sujets robustes la partie la plus débile de son
troupeau ? Non ; il sait bien que ce serait en pure perte.
Certainement, dans l'état actuel de Ja civilisation, il ne faut
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 229
pas songer à se débarrasser brutalement des sujets défec-
tueux ; mais la société doit les négliger pour reporter toute
sa sollicitude sur la partie saine de la population, et aban-
donner aux familles les soins à donner à ces êtres tarés qui,
quoiqu'on fasse, figureront toujours au passif de la nation.
En résumé, la diminution des impôts, si considérable qu'elle
puisse être, n'arrivera jamais à entraîner les ménages pru-
dents à avoir beaucoup d'enfants. Leur fournirait-on d'em-
blée le capital auquel ils aspirent, ces mauvais reproducteurs
trouveront toujours d'autres prétextes pour légitimer leurs
fraudes. Le mari serait-il plein de bonne volonté, la femme,
que les questions économiques touchent peu, saura toujours
le mettre à la raison pour les motifs personnels que j'ai
énumérés.
La question de la natalité est d'ordre purement physiolo-
gique, et c'est à la physiologie qu'il faut demander les
moyens propres à remédier à son ralentissement. S'engager
dans toute autre voie serait aller à un insuccès certain.
M. Cher VIN. Nous avons eu le plaisir d'entendre une très
intéressante communication de M. Jacques Bertillon sur les
causes de la dépopulation de la France.
Je suis heureux d'être d'accord avec mon savant ami sur
les grandes lignes, mais je vous demande la permission de
faire quelques réserves sur certains points que j'ai de la
peine à accepter.
Et d'abord, voyons les points sur lesquels l'accord est com-
plet.
M. Bertillon affirme avec moi que la principale cause de la
faiblesse de notre natalité est chose voulue, préméditée par
les époux qui limitent, à leur gré, le nombre de leurs enfants.
M. Bertillon a accepté la démonstration que j'ai faite du rôle
primordial joué par l'état de fortune des époux qui sont
d'autant plus portés à limiter le nombre de leurs enfants, que
leur condition de fortune se rapproche davantage de l'ai-
sance et même de la richesse. Je le remercie de l'adhésion
qu'il a bien voulu donner à ma thèse, et j'espère maintenant
930 SÉANCE DU 10 MARS 1891.
que, forte de son appui, elle ne renconlrera pas de contra-*
dicteur.
Mais si nous sommes d'accord sur les causes, nous diffé-
rons sur les remèdes.
Mon ami Bertillon m'a fait aussi quelques reproches aux-
quels je tiens à répondre. Il pense que j'ai eu tort, dans la
communication que j'ai faite à la Société, de rallonger par
des considérations étrangères au sujet, notamment lorsque
j'ai parlé de la recherche de la paternité.
J'en demande bien pardon à mon ami Bertillon, mais il
me semble que la recherche de la paternité a été proposée
par nombre de bons esprits comme un moyen d'aider au
peuplement^ en faisant une situation plus sortable, plus régu-
lière à la fille-mère, et en diminuant par suite les chances de
mort des enfants illégitimes. Mais M. Bertillon, non seule-
ment nous a démontré que la récherche de la paternité n*a
aucune influence ni sur le nombre des naissances, ni sur la
mortalité des enfants illégitimes, mais il ne veut pas même
qu'on s'attarde à rechercher les moyens de diminuer la mor-
talité. 11 ne partage pas sur ce point les conclusions que
j'avais eu l'honneur de présenter à la Société et qu'elle
m'avait paru accueillir avec quelque faveur.
M. Bertillon ne croit pas que Tapplication de la loi Roussel
soit efftcace pour diminuer la njortalité des petits enfants.
M. Bertillon ne croit pas que les tentatives faites par les
hygiénistes pour diminuer la mortalité des maladies épidé-
miques contagieuses aboutissent. M. Bertillon ne croit pas
que les projets d'approvisionnement en eau pure des villes,
des casernes, aient un résultat sérieux.
Mais, en revanche, M. Bertillon affirme que la réforme des
impôts, que la liberté testamentaire, et qu'une meilleure
répartition des richesses sont les seuls moyens de donner
une vive impulsion à la natalité française et de la mettre à
la hauteur des natalités anglaise et allemande.
J'ai le regret de me séparer de mon ami BertUlon sur ce
point. J'ai déjà donné dans ma communication les raisons
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 231
d'ordre général qui m'empêchent d*accepter ces changements
de législation comme des panacées démographiques. Je n*y
reviendrai pas. Je demanderai soulement à M. Bertillon de
vouloir bien préciser et de ne pas se contenter de nous dire
qu'il faut réformer l'impôt des contributions mobilières et
personnelles, mais de nous dire sur quel point doit porter la
réforme et par quelle rédaction il propose de remplacer le
texte législatif actuellement en vi.c^ueur. 11 ne suffît pas d'ap-
porter des formules vagues, il nous faut des textes précis que
nous discuterons au point de vue de leur portée démogra-
phique possible. Jusque-là, il me permettra de lui dire que
le mot de réforme des impôts des contributions, dans le
but d'amener à une plus équitable répartition des richesses,
est une formule creuse, bonne pour les réunions électorales^
mais qui n'a pas cours dans les sociétés scientiûques qui sd
piquent d'écarler les hypothèses pour ne se déterminer que
par l'examen des faits. Mais j'ai bien peur que mon ami fier-
tiilon ne me fasse attendre longtemps l'énoncé précis de 068
réformes. On a bien vu par l'insuccès de la loi Javal qu'il
est fort difficile et fort dangereux de légiférer sur ce point.
Car, non seulement la loi Javal n'a apporté aucun soula-
gement aux familles de sept enfants, mais elle a été la cause
d'injustices criantes qui, à ce que j'ai appris tout récemment,
ont bien dépassé la proportion que j'avais donné dans ma
communication. Il m'est revenu, en effet, que dans un grand
nombre de communes, les maires se sont refusés à sanc-
tionner les dégrèvements prescrits par la loi, à cause de
rimportance de la répercution de ce dégrèvement sur les
autres familles. Il a fallu que les préfets les imposassent
d*oftice. Et cela est d'autant plus vraisemblable que, dans
certaines communes du département des Hautes-Pyrénées,
par exemple, les impôts des familles de moins de sept enfants
ont été augmentés de plus de 200 pour 100 du fait de la loi
Javal.
Donc^ jusqu'à preuve du contraire, je maintiens ce que
j'ai dit au sujet de l'impuissance des réformes fiscales en
232 SÉANCE DU 19 MARS 1891.
matière démographique. II est même facile d'ajouter une
nouvelle preuve à celles que j'ai déjà données précédemment.
M. Bertillon demande la réforme de la contribution per •
sonnelle et mobilière ; je vais lui faire la part belle, et dans
la démonstration que je vais faire, je la suppose supprimée
complètement. J'ajoute même que pour lui faire plaisir je
supprime Timpôt des portes et fenêtres. Enfin, pour mettre
le comble à sa joie, je supprime Tirnpôt sur la propriété fon-
cière non bâtie et la propriété foncière bâtie. Plus de droits
8urles successions, plus de droits sur les alcools, les vins, la
bière. Enfin, il pourra user d'allumettes excellentes sans
payer d'impôts.
Voilà certes des conditions avantageuses à faire pâmer les
contribuables français! Et mon ami Bertillon doit penser que
si jamais les Français étaient délivrés de toutes les taxes que
jeviens d'énumérer, ils pulluleraient comme de simples lapins.
Eh bien, cet Eldorado des contribuables existe : c*est TAl-
gérie. Et nous allons, si vous le voulez bien, étudier quelles
ont été les répercussions de ces dégrèvements sur les mé*
nages algériens tant indigènes qu'européens.
J'ai déjà eu l'occasion d'entretenir la Société de l'enquête
faite en France, lors du dénombrement de 1886, sur le nombre
des enfants existants dans chaque famille. Voici maintenant
les résultats pour TAlgérie, avec la comparaison des résultats
pour la France.
CLASSEMENT DES FAMILLES d'aPHÈS LE NOMBRE DES ENFANTS
ET D*APRÈs l'État civil des parents.
I Pour \00 familles j combifti d'enfants?
0
,. ., (monogames 18,7
Mariés J , .„ «
r polygames 16,2
Veuf» 18,4
Veuves 17,4
Divorcés 21 ,9
Total 18,3
Territoire de commande .. 23,7
— civil 17,1
France 2o,o
1
2
3
4
5
6
7
21,9
20,1
15,7
10,7
6,9
3,6
2,3
19,3
20,2
11,8
11,1
7,3
6,7
5,4
21,2
16,4
15,3
12,4
ft,6
5,3
2,4
21,9
20,5
16,2
12,3
7.4
3,3
1,0
22,3
19,3
16,1
10,7
6,9
1.9
0.9
21,5
19,9
15,^
IM
7.4
4.1
2,5
25,2
18,4
13,0
9,2
6,9
2,4
1,2
20,7
20,1
15,7
11,5
7,5
4.4
2.8
2*,4
21,8
14,5
9,0
5,i
2,9
2,2
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 233
Ce petit tableau montre, qu*au point de vue général, la
difTérence n'est pas très grande entre les résultats constatés
chez les familles françaises et ceux présentés par les familles
algériennes monogames et polygames. Il faut noter seule-
ment que les familles d'un et de deux enfants sont moins
nombreuses en Algérie qu'en France, et que les familles de
trois enfants et plus y sont un peu plus nombreuses.
Ëa descendant dans le détail, on voit :
1» Que les familles polygames sont, comme cela était à
prévoir^ un peu plus prolifiques que les familles monogames;
2° Que les familles vivant sous le régime militaire sont
dans de moins bonnes conditions démographiques que celles
vivant dans le territoire civil. En effet, le nombre des familles
n^ayant pas d'enfants ou n'en ayant qu'un seul, est plus nom*
breux dans les territoires de commandement qu*en France.
Ces résultats sont assurément bien faits pour surprendi*e,
et nous allons voir, dans le tableau suivant, que la situation
des familles algériennes est loin d'être aussi prospère qu'il
était permis de l'espérer.
NOMBRE MOYEN d'BNFANTS PAR FAMILLE (TOUTES FAMILLES RÉUNIES).
., ., Toutes
^.^ilîîî!:^^ famillet
Départements. Monog. Polyg. Veufi. Vearee. Oivorcéi. comprîtes.
Alger.
Territoire civil 2,26 3,34 3,16 2,04 1,63 S,30
» décommanda 1,32 1,84 3,74 3,70 8,30 2,01
Total 2,19 2,42 3,27 2,24 2,23 2,25
CONSTANTINE.
Territoire civil 2,39 2,97 3,31 2,11 1,53 3,39
— décommanda 9,05 1,83 1,13 1,90 0,42 1,93
Total 2,35 2,79 2,03 2,07 1,43 2,84
Oran.
Territoire civil 2,14 2,94 3,00 2,53 2,20 2,63
— décommanda 1,84 2,07 1,62 1,99 1,22 1,87
Total 2,05 2,80 2,86 2,51 2,18 2,42
•5-g(Territ. civil... 2,31 3,04 2,31 2,19 2,01 2,36
5i^| — decomd^ 1,86 1,87 1,72 2,50 2,23 1,96
Algérie tout entière. 2,25 2,64 2,41 3,24 2,03 2,32
France 2,14 » 1,83 1,80 1,11 2,07
934 SÉANCE DU 49 MABS J891.
La lecture de ce tableau me dispense d^insister. On y trouve
nne preuve nouvelle de la solidité de mon argument, consistarit
à réclamer des mesures tendant à la diminution de la morta-
lité. Je crois, en effet, que la natalité algérienne, tant euro-
péenne qu'indigène,, est assez élevée, mais on voit qu'en fin
de compte il ne reste pas beaucoup d*enfants à chaque fa-
mille, certainement à cause de leur excessive mortalité. Ce
qui se passe dans le territoire de commandement le prouve
jusqu*à révidence, Car nous voyons que, pour les monogames
comme pour les polygames, les conditions d*hygiëne, d'assis-
tance et même de stabilité dans lesquelles vivent les ménages
soumis au régime militaire sont des facteurs aut^emënt puis-
sants pour rélevage de leurs enfants que des conditions
fiscales quelconques.
Je ne conclurai pas non plus en faveur de la polygamie,
car, ainsi que Ta demandé, il y a longtemps déjà, mon oncle
Nicolas Chervin, dans son remarquable travail intitulé :
Recherches médico -philosophiques sur les causes physiques de
la polygamie dans les pays chauds *, la pluralité des femmes
n*est pas favorable à l'augmentation de la population ; c'est
une mesure féodale, c'est la loi du plus fort appliquée au
sexe faible ; ce n'est pas une mesure démographique. ,
Le tableau ci-après indiquant la quantité relativement con-
sidérable de mariés de moins de dix-huit ans, ne me paraît
pas non plus une chose souhaitable, même dans les pays
chauds, ou la puberté est en avance de plusieurs années sur
les populations de nos climats tempérés.
MARIÉS DE MOINS DE DIX-HUIT ANS.
S«ze maicalin.
»
»
6
17
74
65 dont 27 polygames.
Age.
Sexe (toiiDin.
8 ans.
6
9 —
55
10 —
187
Il -
281
lî —
1124
13 -
2017
1 Thèse de Paris, 12 mai 1812.
DISCUSSION SUR IK NATAL1T6 Bit FRANCB. 93S
Sexe masculin.
Age.
Sexe féminin.
263 dont 21 polygames.
14 ans
4107
2196
15 —
9903
2315
16 —
9 835
3 260
17 —
13237
7 496
18 —
23 884
Je n'ajouterai qu'un mot en réponse à cette affirmation de
M. J. Bertillon que le rapport entre les naissances et les
décès tendait à s'égaliser dans tous les pays (notamment en
Angleterre) et que, par conséquent, la rédaction de la mor-
talité n'atteindrait pas le but que nous poursuivons, à savoii^
l'augmentation de la population, puisque du même coup la
natalité baisserait.
Les chiiTres suivants empruntés aux doonments ofRoieis ne
semblent pas donner raison à M. Bertillon.
Angleterre.
Pour 1000 habitants.
Périodes. Mariages. Naissances. Décès.
1841-50 16,1 32,6 22,4
1851-60 16,9 34,1 22,2
1861-70 1C,6 85,2 22,5
1871-80 16,2 85,4 21,4
En effet, tandis que l'excédent des naissances sur les décès
est de 10 pour 100 dans les premières périodes décennaieSi
cet excédent monte successivement à 12, 13 et 14 pour 100
dans les périodes suivantes.
Je ne nie pas que, dans une certaine limite, un équilibre
ne tende à s'établir entre les naissances et les décès, en France
surtout et précisément à cause de l'habitude de nos paysans
de limiter le nombre de leurs enfants et de n'avoir un nouvel
enfant que slls viennent d'en perdre un. Mais nous avons
encore fort à faire pour atteindre, môme en France, la limite
maximum de la diminution de notre mortalité, et je continue
à penser que c'est de ce côté qu'il faut porter nos efforts.
La séance est levée à six heures un quart.
L*un des secrétaires : ÉDOUAMD CITTER.
136 SÉANCE DU 2 AVRIL i89i.
IW SÉANCE. ~ i arril 1891.
Préflldonee de M* liABOKDE^ président.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
CORRESPONDANCE MANUSCRITE.
MM. Gapitan et Guyer, secrétaires annuels, s'excusent de
ne pouvoir assister à la séance.
OUVRAGES OFFERTS.
Ministère des travaux publics. Documents relatifs à la mis-
sion dirigée au sud de l'Algérie par M. A. Ghoisy, ingénieur
en chef des ponts et chaussées. Deux volumes (texte et
planches).
PÉRIODIQUES.
Société nationale d'acclimatation de France (Revue des
sciences naturelles appliquées), 1891, n' 6. D' Saint-Yves-
Ménard : De la croissance ; application de son étude à
l'élevage et à Tamélioration des animaux.
Société de biologie (Comptes rendus hebdomadaires), 1891,
n*» 10 et 11. J. Dejerine : Sur un cas d'aphasie sensorielle
(surdité et cécité verbale) suivi d'autopsie. — J. Luys : Exa-
men de cerveaux de deux aphasiques et d'une sourde-muette.
— D' Netter: Surdité verbale ; ramollissement de la première
circonvolution sphénoïdale gauche. — J. Dejerine : Sur un
cas de cécité verbale avec agraphie, suivi d'autopsie. —
J. Luys : Pathologie expérimentale. De la sollicitation isolée
du lobe gauche et du lobe droit dans l'état hypnotique, au
point de vue de la parole.
Société académique de Nantes et du département de la Loire-
Inférieure (Annales), 1890,2° semestre. Léon Maître : Question
de géographie ancienne.
Métusine {msivs-ayril 1891). Th. Voikov : la Fraternisation.
OUVRAGES PÉRIODIQUES. 237
Revue mensuelle de V École dH anthropologie de Paris (février
et mars 1891). J.-V. Laborde : les Fonctions intellectuelles et
instinctives (avec gravures). — Gabriel de Mortillet : Chro-
niques préhistoriques. — Ab. Hovelacque : Races and
People, par Dan. Brinlon. — Ch. Letourneau : l'Évolution
mythologique. — L. Manouvrier : Étude sur la rétroversion
de la tête du tibia et Tattitnde humaine à Tépoque quaternaire.
Revue des traditions populaires (mars 1891). René Basset:
le Culte du marteau chez les Lithuaniens (le Soleil captif). —
G. Fouju : Légendes et superstitions préhistoriques ; pierres
qui tournent. — René Basset : les Rites de la construction;
sacrifices humains en Océanie. — Walter Grégor : les Rites
de la construction ; sacrifîces humains en Ecosse.
The American Anthropologist, janvier 1891. T.-H. Lewis :
Bowlder outline figures in the Dakotas, surveyed in the
summer of 1890. — Franz Boas : Physical Characteristics of
theindians of the North Pacific Coast. — D.-G.Brinton : The
International Congress of Americanists.
The Journal of the Anthropological Society of Bombay.
D' W. Dymock : Note on a form of fire worship amongst
Ancient .^rabs.
Nature, 26 mars 1891. Professeur George-J. Romanes :
Coadaptation. — George Henslow : Neo-Lamarckism and
Darwinism. — W.-J. Stillman : Formation of language.
Tijdschrift voor Indische, Taal, Land en Volkenkunde uitge-
geven door het Bataviaasch Genootschapvan Kusten en Wetens^
chappen. Deel XXXIV, Aflevering II. F.-S.-A. de Clercq :
Rapport over drie reizen naar het Nederlandsche gedeeite
van New-Guinea. — W.-D. Helderman : De Tijger en het
bijgeloof der Bataks.
Archivio per l'antropologia è la etnalogia, vol. XX, fasc. 3.
Dott. Pietro Costa : Il terzo trocantere, la fossa ipotrocanterica,
la cresta ipotrocanterica nel femore dell'uomo. — Dott.
Paolo Riccardi : Preguidizi e superstizioni del popolo mode-
nese. — Raffaello Zampa : Gli scheletri di Remedello e di
Fontanella di Casalromano nelle provincie di Brescia e Man-
988 SÉANCB DU 2 AVRIL 4891.
lova. •— Dott. Giuseppe Relluoci : Docuraenti per la palet-
nologia deir Abissina; Martelii o mazzuoli litici con foro rin-
venuti in Italia.
Z'i4 noma/o, février 1891. A. Zuccarclli : Gurioso cangia-
mento del capelli in una famîglia.
Bulletin de la Société des médecins et des naturalistes de Jasty^
1890, n° 6. D' G. Bottez : Hydrencéphalocèle congénitale de
la racine du nez.
Archiva Societatiî stiintifiee si literare din Jasiy décemlire
1890. Emile Picot : Chants populaires des Roumains de la
Serbie.
PRÉSENTATIONS.
CrAaes do Moww%m.
M.Hervé présente une sériede crânes provenant duMorvan,
et dont l'origine est bien spécifiée. G^est un don fait au
musée de l'École par M. le docteur Comoy, de Saint-Honoré
(Nièvre).
Poisson du genre Cbiméro (?).
M. Ë. GoLLiN présente un poisson empaillé qu'il suppose
appartenir au genre Gliimère. Gette pièce, en assez mauvais
état, est cependant intéressante par la disposition des dents
et du maxillaire inférieur. Elle est offerte à l'École d'anthro-
pologie.
COMMUNICATIONS.
Ethnogroplile précoMinbieilBe du VonoEneln.
Note sur les Cnieaw et len TI|||olo« ;
PAR M. LB DOCnUR 6. MARGANO.
Les objets que nous avons Thonnear d'offrir à la Société
d'anthropologie proviennent de la région de la Gordillère
vénézuélienne la plus montagneuse et 1^ plus occidentale de
la République^ Les uns ont été trouvés au Barrero, à 8 Ueues
MARCANO. — ETHNOQRAPHIB PRÉCOLOMBIEMNB DU VENEZUELA. S89
de Trujillo ; leâ autres ont ôlé exbumés à Mucuchies, près de
Mcrida.
Dans ces contrées très peuplées aux époques précolom-
biennes, existent encore des chemins tracés par les Indiens,
et qui établissent des communications entre Trujillo, Mucu-
chies et Merida. Sur le versant de la Cordillère sont creusées
des grottes ; les unes renferment des ossements humains ;
les autres^ particulièrement celles qui sont situées près des
paramoi, sont remplies de poteries et didoles en terre cuite.
Ce qu'elles contiennent de plus intéressant, ce sont ces pla-
ques, qui peuvent être considérées comme spéciales à la ré-
gion, car on les y trouve en grand nombre, et qui y étaient
fabriquées. 11 y en a de noires, de grises et de vertes, mais il
ne s'agit pas là de trois matières différentes ; c'est toujours une
serpentine schistoïde à aspects divers. Les plus nombreuses
ont de 25 à 30 centimètres ; mais certains fragments prou-
vent qu il y en avait d'énormes. A partir de cette limite
extrême, on peut les disposer en une série graduelle dont les
plus petites ne dépassent pas 3 centimètres de longueur.
Leur forme, toujours la même, peut être comparée à celle
d'un plioir dont les bouts seraient plus larges que la partie
moyenne du corps. Au milieu se trouve une lamelle carrée,
confondue avec la plaque par sa base, et séparée d'elle laté-
ralement au moyen de deux traits de scie obliques. Sofi bord
libre présente deux trous. Les e:i^trémitéâ sont convexes et
arrondies par polissage.
Ces plaques sont très fragiles; aussi presque toutes sont
cassées. L'étude de leurs nombreux fragments est, du reste,
aussi intéressante que si elles étaient entières. Quelques-unes
ont été abandonnées pendant la fabrication, et nous per-
mettent de nous rendre compte des procédés employés par
les ouvriers précolombiens et de l'habileté de leurs mains.
Chaque lame était détachée de la roche par deux traits de scie
parallèles dune extrême fmesse. La forme leur était donnée
par une adroite combinaison de sciage et de polissage, d'au-
tant plus remarquable que l'objet est plus grand. Quelquefois,
240 SÉANCE DU 2 AVRIL 1891.
on se contentait, pour les plus petites, d'un seul coup de scie
circulaire et superficiel, que l'on achevait par fracture. Les
trous sont faits avec une grande régularité.
Quel est Tusage de ces plaques? Ernst*, qui est peut-être le
premier qui en ait publié un dessin, les avait prises pour des
grattoirs, opinion qui n*est pas soutenable. Dernièrement on
s'est demandé, à la Société anthropologique de Berlin, si
elles ne devaient pas être assimilées aux phonolithes des Asia-
tiques 3. Il est certain qu'en suspendant les plus légères, on
obtient par la percussion un son aigu ; mais le fait n'est pas
assez général et peut être dû à une simple coïncidence.
Comme le font remarquer Uhle ^ et Gabelentz, elles ne res-
semblent en rien aux instruments de musique chinois auxquels
on a vodlu les comparer. En outre, elles ne sont pas toutes
faites avec des pierres sonores. Vous en voyez un certain
nombre en coquillages. En voici une très bien conservée qui
n'est que la coquille d'un strombus, dont on a très habile-
ment utilisé la face concave. Elle mesure 24 centimètres de
longueur et en la voyant, la première idée qui vient est de
l'appliquer sur le devant de la poitrine à la manière des
hausse -cols des anciens officiers d'infanterie.
En effet, l'idée la plus naturelle, celle qui s'impose le plus
logiquement à l'esprit, est qu'il s'agit là de simples plaques
d'ornementation > analogues aux parures faites en métal
ou en d'autres substances que l'on retrouve chez les anciens
Ghibchas, dans Tisthme de Panama et même aux Antilles.
Il nous est plus difticile de remonter à l'usage des toutes
petites plaques qui abondent dans les grottes du Burrcro.
Elles ont la même forme que les précédentes, excepté que les
extrémités conservent le trait de scie primitif, c'est-à-dire
qu'elles ne sont pas arrondies par le polissage ; de plus, elles
^ A. Ernst, IndianUche AUerthUm$r aus Veneiuda. Globus, BrauDsch-
weig, 1878, n» 24.
* Verhandlungen der Berliner Gesellschafi fUr Anthropohgw, Ethnologie
und Urgeschichle, Berlin, t. XVI, 1884.
s /Ml., t. XVII, 1885.
MARGANO. — BTHN'OGRAPHIB PRÉGOLOMBIEfOIE DU VENEZUELA. 241
ne possèdent aucun trou. Ëtaient-ce des jouets ou des amu*
lettes ?
La céramique est très abondante dans la zone de la Cor-*
dillère. On y trouve un grand nombre d*ustensiles de ménage,
vases, assiettes, supports, etc. Nous ne nous arrêterons qn*aux
idoles, dont la forme est spéciale. La plus grande est assise,
elle mesure 188 millimètres. Elle est en argile, très légère,
peinte en blanc jaunâtre, avec des décorations rouges et noires,
consistant en lignes droites et courbes, tracées près des bords.
Sa face est carrée, ses yeux horizontaux. Le front est droit et
élevé. Les cuisses, écartées et interrompues près de la racine,
portent sur les moignons des sillons représentant les orteils.
Le sexe est féminin. Sur la partie supérieure de la tëte^ on
voit un trou par lequel on a probablement introduit les bou-
lettes d'argile qui résonnent lorsqu*on secoue Tidole.
D'autres sont faites suivant un autre procédé, et ne ressem-
blent pas aux premières. En voici une série, toutes pareilles,
dont la plus grande mesure 83 millimètres et la plus petite
49 millimètres. Elles sont en argile noire très grossière. La
dernière est assise, les autres debout et entièrement repré-
sentées. Leur tête n'a pas de front, à sa place existe un plan
horizontal surmonté, sur quelques-unes à la partie postérieure,
d'une saillie carrée, placée verticalement à la manière d'un
peigne. Les yeux et le nez commencent sur le rebord du plan
qui remplace le front. Les différentes parties du tronc ne sont
pas distinctes. Les bras manquent. Les membres inférieurs,
très grossièrement faits, se terminent par un élargissement
en forme de massue qui offre une large base de sustentation ;
il est muni de rainures représentant les orteils.
Quelques idoles sont en pierre. La mieux faite est cette
petite en serpentine si soigneusement polie. Elle n*a que
41 millimètres de longueur, et cependant ses détails sont
très minutieux. Sa partie antérieure est concave; l'autre côté
est plat. La face est un triangle régulier.
 Mucuchies, il n'existe pas de cimetière, par hasard seu-
lement on déterre quelquefois des vestiges indiens, sans in-
T. II (4* sArib). 16
S4i stAKGB DU i AVRIL «iM.
dicatioo préalable, en labourant les champs. C'est ainsi
qu'on a trouvé notre sépulture. Elle contenait un crâne, et
les dix sept objets suivants entourés de -cendre végétale
noire» le tout à t mètre de profondeur : a« Huit de ces ob-
jets sont en coquillages ; ce sont trois plaques circulaires mu-
nies d'un trou au centre; deu& plaquettes rectangulaires
concaves d'un oôté^ trois convexes de l'autre^ avec des trous
latéraux disposés de telle façon qu'une corde qui les traver-
serait fixerait ces plaquettes à plat comme des boutons, un
petit disque, une sorte de passe-lacet à chas, une plaquette
allongée munie de deux ti*ous à l'une de ses extrémités.
b. Cinq cylindres en quartzite rose, pareils à ceux que nous
avons trouvés dans certains colliers des tombes des Gerritos.
Le plus long (82 millimètres) porte une rainure circulaire au
milieu. Le plus court mesure i8 millimètres, c. Un fragment
de pierre polie de forme olivaire. d. Un morceau de stéatite
polie de 73 millimètres de longueur et 40 de largeur, très
aplati. A son milieu est creusée une rainure qui fait le tour
complet. Sur un de ses angles, on a gravé une tète rudimen-
taire dont Toeil est représenté par un trou fait sur la pierre,
e. Un vase fait du fruit d'un crescentia^ rempli de graines de
cacao desséchées et d'autres fruits. Ce dernier avait seul un
but alimentaire. Tous les autres sont des objets de parure.
Le crâne de Mucuchies est devenu complètement noir au con-
tact des cendres et ses parois très fragiles; il aperduTécailledu
temporal gauche et des fragments du pariétal et de Toccipilal
du même côté. Nous n'avons pas pu, par conséquent, le cuber.
Son aspect est absolument bestial; nous n'en avons pas encore
rencontré dont la configuration soit aussi brutale. La glabelle
est énorme ; sur les côtés existe un trou qui permet de voir
l'intérieur du sinus frontal. L'écartement qui forme ce dernier
commence au-dessous du diamètre frontal minimum, et
comme sa cavité est en rapport avec la saillie de la glabelle,
il en résulte qu'elle est très grande et très courte de haut en
bas. Le front est très étroit et fuyant, et sa conformation
est exceptionnelle. Les arcades sourcilières étant très sail-
MARCANO. -^ ETHNOORAPHIB PRÉGOLOMBIBNNE DU VENEZUELA. 843
lantes, les bords latéraux du frontal présentent une courbe
très accentuée, d'où il résulte que le diamètre frontal mini-
mum est placé très haut. Le frontal inférieur qui passe par
l'ophryon se trouve à 6 millimètres au-dessous du minimum.
On sait que ces deux diamètres se correspondent dans les
races européennes. Nous les avons trouvés différents dans la
plupart des crânes précolombiens du Venezuela, mais jamais
la distance qui les sépare n'a été aussi grande que dans le
cas actuel. Ce crâne est encore exceptionnel par l'indice cé-
phallque, car il est le plus dolichocéphale que nous ayons
rencontré (70.7). Son diamètre vertical étant plus grand que
le transverse , Tindice transverso-vertical est des plus
grands que Ton puisse observer (100.7). Son prognathisme
est aussi très fort.
A cause de son intérêt, nous avons inscrit ce crâne au nu-
méro 1 dans le tableau suivant. Nous avons placé ensuite les
quatre hommes et la femme trouvés dans les grottes du Bur-
rero.Le numéro 2 offre des saillies trop fortes pour ses dimen-
sions. Avec son front étroit et fuyant, son énorme glabelle et
son prognathisme, il reproduitle type du précédent. Malgré la
différence de leurs indices céphaliques^ il reste encore doli-
chocéphale. Le chiffre de L'indice trans verso- vertical est de
même très accentué. Il offre un commencement de soudure
à l'obélion, et à la suture pariéto-occipitale gauche, dans les
environs du lambda, qui ne se continue pas avec l'oblitéra-
tion obéliale. Les autres crânes ne sont pas aussi caractérisa
tiques, mais conservent le même type.
Le numéro 3, plus petit, a un front plus droit, la glabelle
moins accentuée, de même que le prognathisme. L'obélion
est soudé, et l'oblitération se continue sur le lambda, dans
une certaine étendue. Le crâne féminin a un aspect tout à
fait enfantin; il présente des soudures à l'obélion, au lambda,
dans presque toute sa totalité, aux sutures fronto-pariétales
droite et gauche et aux ptérions. Les at^^cades dentaires
sont complètement usées.
La moyenne de la série masculine nous donne comihe
244 SÉANCE DU 2 ATRIL i89i.
indice céphalique 77,1. L'indice nasal de 46,4, et l*orbitaire
de 89,9. C'est-à-dire que ces crânes sont sons-dolichocépha-
les, mégasèmes dans les limites delà mésosémie et leptorrhi-
niens. La femme est mésosème et franchement leptorrhi-
nienne.
Quel nom faut-il donner aux Précolombiens dont nous
venons de décrire les vestiges ? A Mucuchies auraient siégé
les Indiens du même nom ; au Burrero^ les Cuicas. Dans
un travail inédit, auquel MM. Ernst ' et Sievers * font allu-
sion, et que nous ne connaissons que par la courte men-
tion qu'ils en font, M. Lares soutient que Ttmotes est la
désignation collective qu'il convient d'appliquer à toutes les
tribus précolombiennes qui ont habité la Cordillère, de Me-
rida jusqu'à la vallée de Motatan. Les Timotes se subdivi-
seraient en vingt-huit tribus : Chamas, Mirripuyes^ Tigui-
fioes, Miguries, Quinaroes, Bailadores, Mucutuyes, Mocotos,
Muncuches, Taparros, Tricaguas, Mocombos, Montunes,
Mucuchachies, Quinos, Âricaguas, Jajies, Quiroraes, Insumu-
bies, Canaguaes, Guaquis^ Tatuyes, Tabayones, Escagueyes,
Mucurubaes, Mucuchies, Quindoraes, Guaraques.
Quoique, au point de vue auquel nous nous plaçons, ces
classifications n'aient pas le même intérêt que pour les histo-
riens, nous devons, cependant, préciser la provenance des
ossements, et chercher dans le passé les données historiques
qui doivent nous aider dans l'étude de nos documents. C'est
dans les annales de la conquête que nous trouvons les ren-
seignements les plus précieux.
Les premières tentatives de conquête faites par Ferez de
TolosaetD. de Losada, en 1547, n'eurent aucun résultat.
En 1556, D. Garcia de Paredes pénétra dans l'intérieur du
pays des Cuicas et fonda la ville de Tnijillo, que les Indiens
détruisirent peu de temps après. En 1558, J. Rodriguez
Suarez fonda la ville de Merida, d'où partit J. Maldonado,
1 A. Ernst, Vber die Reste der Ureinwohner in den GMrgm von Merida
(Zeitschrift fiir Ethnologie, etc., Berlin, t. XVII, 1883).
* W. Sievers, Venezwta, Hambourg, 1888.
MARCANO. — ETHNOGRAPHIE PRÉCOLOMBIENNE DU VENEZUELA. 945
pour faire la soumission des Timotes, et des Cuicas ensuite.
Dans le même temps, Francisco Ruiz quittait le Tocuyo pour
aller rétablir Trujillo et continuer la conquête commencée
parParedes.Par le plus grand des hasards, les deux capitaines
se rencontrèrent dans la vallée de Tostos ouBocono au com-
mencement de 1559. Pour terminer la dispute qui s'éleva
entre eux deux, il fut convenu que les Timotes seraient sou-
mis au gouvernement de Merida et les Cuicas à celui de Tru-
jillo. Ces deux peuplades formaient, aux époques précolom-
biennes, une province qui commençait à la Sierra Nevada et
s'étendait à 30 lieues au nord. La moitié qui avoisine les
paramos était occupée par les Timotes ; le reste par les
Cuicas \ Aux premiers appartient, par conséquent, le crâne
de Mucuchies ; ceux du Burrero aux derniers.
Les objets de la Cordillère n'offrent aucune ressemblance
avec ceux des vallées septentrionales'. La céramique en
diffère à tous les points de vue, et plus particulièrement les
idoles. Ni la tête, nile corps, ni Tattitude s'en rapprochent, à
tel point qu'il est impossible de les confondre entre eux. Les
plaques des Timotes sont tout ù fait spéciales à leur région.
Aucun objet semblable n'a été trouvé dans les tombes des
Cerritos ni sur les bords de l'Orénoque. Au point de vue
craniologique, les caractères sont les mêmes sur le crâne de
Mucuchies que sur ceux du Burrero; il est donc nécessaire
de les réunir dans la même série. Si nous comparons cette
dernière avec celles que nous avons déjà fait connaître, nous
arrivons à des différences si importantes, que nous sommes
obligéde considérer les Timotes comme un peuplebiendistinc
des antres Précolombiens du Venezuela. Leur tendance à la
doiichocéphalie est leur premier caractère. Le crâne do
Mucuchies est le plus dolichocéphale que nous connaissions
(70,7). La hauteur crânienne est considérable (moyenne, 433).
L'indice transverso-vertical, de 100,7 sur celui de Mucuchies,
> Frai Pedro Simon, Notkias hisioriaUSf et Oviedo y Baûos, Hisloria de
Venezuela,
' Mémoires de la Société d'anthropologie» Paris, 2« série, t. IV.
246 SÉANCE DU 2 AVRIL 4891.
eàt sur tous, excepté sur le quatrième, au-dessus de tontes
les moyennes que nous avons obtenues. La mégasémie^ ce
caractère si constant qni ne nous avait jamais fait défaut,
subit ici sa première exception. Sur six crânes, deux seule-
ment sont mégasèmes. Il en est de même de la mésorrhinie
que nous avons signalée.
Il n*est pas sans intérêt de comparer les vestiges des
Timotes et des Guicas avec ceux des Gbibcbas, leurs voisins.
Dans le plateau de Bogota, on trouve deux espèces de crânes :
des brachycéphales déformés et des dolicbocéphales. Dans
une petite série, Broca trouva les indices céphaliques sui-
vants : 78,5; 73; 75,5. « Il y a lieu de présumer, ajoute cet
anthropologîste, que cette population était au moins sous-
dolichocéphale*. » Virchow range les Gbibcbas parmi les
dolichocéphales. Les dolichocéphales sont, en outre, mésorrhi-
niens, tandis que les brachycéphales sont platyrrhiniens.
N'est-il pas intéressant de trouver, dans la Cordillère vénézué-
lienne, des crânes qui se rapprochent plus des Gbibcbas que
des Goagires et des tribus des vallées septentrionales ? Le fait
est d'autant plus remarquable que la même concordance
existe entre les autres objets. Les idoles des Timotes sont
pareilles à celles des Chibchas. Il en existe qui sont faites sur
le même plan que les tunjos de Bogota. On peut s*en assurer
en comparant une figurine d*argile dont le dessin a été publié
par Gôring', avec les tunjos de l'ouvrage de M. Uricoechea '.
La forme du corps, l'attitude des bras, les mains, tous les
détails en un mot sont absolument pareils. Du reste, le mot
tunjo, qui ne s'applique guère aujourd'hui qu'aux idoles
chibchas, se trouve employé parles anciens auteurs lorsqu'ils
décrivent les reliques des Timotes. Les plaques de la Gor-
* BroosL, Deux séries de crànês provetMLni de sépuUur9S du platmu de
Bogota (Bulletins de la Société d* anthropologie de Paris, 2« série, t. XI, 1876,
p. 859).
* A. GOring, Venezuelaniiche Aller thiimer {Mittheilungen des Vereins fur
Erdkunde lu Leipzigy 1874. Leipzig, 1875, p. SI).
' Uricoechea, Memoria sobre las antiguedades tieo-granadinas, Berlin,
1854.
DISCUSSION SUR LE VENEZUELA. Wt
dillère sont aussi comparables aux ornements des Ghibehas.'
On trouve dans les histoires de Simon et d'Oviedo quelques
renseignements sur les mœurs des Cuicas et des Timotes.
Discutnon.
M. HovBLACQUE. Les crânes que Ton nous présente ont, à
mon avis, une grande importance. D'une façon générale, on
peut les rapprocher des anciens crânes de TEurope préhis-
torique occidentale. Il y a sans doute quelques divergences,
mais Tensemble est parfaitement comparable et caractéris-
tique. Je vois ici une confirmation de Thypothèse qui fait
venir de Touest de l'Europe les premiers Américains. La
forme même des pierres taillées dont se servait Taneien
homme fossile américain indique l'époque de la migration.
Des indigènes européens, à tête allongée, auraient passé
d'Europe en Amérique, avant la période glaciaire, par une
/''voie terrestre qui, aujourd'hui, n'existe plus. La jonction de
TAmérique avec l'Europe a été alors un fait réel; la faune,
la flore en témoignent.
Si ces premiers Américains (car il faut écarter toute idée
d'indigénat) n'ont pu venir du nord de l'Asie ni de la Poly-
nésie, ce qui est incontestable, on ne voit pas d'autre hypo-
thèse que celle de la venue de l'ouest de l'Europe. Cette
supposition est pleinement confirmée par la comparaison
très facile à faire entre ces anciens crânes et les anciens
crânes européens. Je ne puis voir là qu'une seule et même
race. Les immigrateurs auraient pénétré, non par une Atlan-
tide plus ou moins fabuleuse, mais par les terres qui ont
rejoint le continent européen aux Péroô, à l'Islande, au ter-
ritoire américain du nord-est.
J'ajoute que cette race est distincte de l'autre race amé«
ricaine, celle-ci à tête arrondie, qui est venue postérieure-
ment, et vraisemblablement d'Asie par une voie à déterminer.
Il y a eu des contacts et des mélanges, des métis ont été pro-
duits; mais il est impossible d'admettre que les anciens doli-
chocéphales très caractérisés, dont nous voyons ici des des-
348 8ÉAVC£ DU 2 AVRIL 1891.
cendants^ se soient jamais transformés en brachycéphales,
comme on en trouve dans certaines régions de l'Amérique.
Uy a eu deux races^ non une seule.
En somme, si Torigine asiatique des plus anciens Âméri*
cains à tète allongée est inadmissible, il faut bien songer à
l'origine européenne, et cette origine, possible par voie de
terre, est justifiée parla comparaison des formes crâniennes.
On aurait trouvé les crânes que nous avons sous les yeux
en même temps et aux mêmes endroits que les plus anciens
crânes européens, qu'on les aurait certainement tous attri-
bués à une seule et même race.
M. Hervé regarde comme une utopie Tunité de race des
Américains, vu qu'il est impossible d'admettre la transfor-
mation des dolichocéphales en bracbycéphales et récipro-
quement.
La race dolichocéphale est la plus ancienne. Les bracbycé-
phales sont beaucoup plus récents, et sont venus de TAsie
orientale, soit par Behring, soit par le courant du Kouro-
Sivo, le fleuve Noir des Japonais.
M. Manouvrier. Dans Tétat actuel de nos connaissances,
on n'a pas plus le droit de nier que d'affirmer la possibilité
du passage d'une population de la dolichocéphalie à la bra-
cbycéphalie. Il est parfaitement légitime d'admettre, à titre
d'hypothèse, qu'une pareille transformation a pu se produire
à la longue dans un pays en dehors de toute immigration,
à moins qu'on ne veuille attribuer maintenant aux races
humaines l'immutabilité naguère attribuée aux espèces.
Mais, tout en croyant à la possibilité de cette transfor-
mation, pour diverses raisons que je ne puis développer
ici, je ne crois pas qu'elle puisse être invoquée pour expli-
quer les difl'érences considérables qui séparent les plus an-
ciens crânes américains des modernes, parce que des faits
assez nombreux et de toutes sortes semblent démontrer l'in-
tervention de races asiatiques dans le peuplement de l'Amé-
rique. Les crânes américains primitifs, les crânes des Esqui-
maux et les crânes européens quaternaires présentent, au
DISCUSSION SUR LE VENEZUELA. 249
contraire, des analogies remarquables qui témoigneraient
d'une origine commune. Il existe un immense arc de cercle
à convexité septentrionale dans retendue duquel ont pu se
produire des migrations en tous sens, dont la description
me paraît encore devoir rester dans le domaine de Thypo-
thèse, si Ton ne veut pas s'aventurer dans celui de la fan*
taisie.
M""" Clémence Roter se félicite de voir M. Hovelacque se
ranger à Topinion qu'elle soutient depuis vingt ans, au sujet
des analogies profondes des races quaternaires européennes
et des races indigènes américaines. Elle a signalé, dès long-
temps, les affinités du type de Néanderthal et de Ganstadt,
avec celui des Esquimaux du nord de TAmérique, et des
Patagons de son extrémité sud ; et^ en plusieurs occasions,
elle a fait remarquer qu*il fallait aller chercher peut-être
jusque dans rAmérique du Sud Torigine de la race dite du
renne ^ qui, certainement, est venue en Europe par T Afrique,
vers la fin de Tépoque quaternaire. Elle a signalé déjà plu-
sieurs fois un passage d'un mémoire où les Guaranis sont
appelés des Sémites américains, (Il en a été rendu compte dans
la Bibliothèque universelle de Genève antérieurement à 1860.)
Précédemment, elle a appelé l'attention de la Société sur
la platycnémie générale des races de TAmérique du Sud,
constatée par M. Hamy sur de nombreuses séries de sque^
lettes. Ce caractère^ exceptionnel chez les Européens, serait
la règle chez les indigènes américains.
Il se peut donc qu'au commencement de l'époque quater-
naire, et pendant la période glaciaire peut-être, la race de
Ganstadt se soit étendue d'Europe en Amérique, ou récipro*
quement, par des terres polaires ; mais il semble non moins
évident qu'une race plus méridionale, partie des bords de
l'Atlantique intertropical, a rayonné, vers la fin de la même
époque, dans l'Afrique du Nord et dans l'Amérique du Sud,
par des terres chaudes, refoulant ainsi au sud et au nord la
race de Ganstadt, dont les descendants modifiés survivraient
encore chez les Patagons et chez les Esquimaux, et auraient
SM SÉANCE DU 2 AVRIL ië91.
même, par atavisme, des représentants sporadiques ohes les
races plus récentes qui se sont substituées à elle dans les
climats tempérés de l'Amérique.
Il est possible et même probable qu*à ces populations qua-
ternaires dolichocéphales se sont mêlées, plus tard, en Amé-
rique, comme d'ailleurs en Europe, des races brachycé-
phales venues d'Asie par le détroit de Behring ; mais il faut
admettre aussi que ces émigrations ont dû être réciproques.
Bn Amérique, le type dolichocéphale peut s'être modifié;
Bon crâne peut s'être élargi, comme il tend à s'élargir chez
toute race qui progresse ; puisque, plus le crâne s'approche
de la forme sphérique, plus sa capacité augmente relative-
ment à sa surface.
Des migrations mésaticéphales ou même déjà brachycé-
phales, très anciennes, ont donc pu avoir lieu de l'Amérique
du Nord en Asie, où le type se serait de plus en plus accusé,
à la rencontre d'autres races à crâne large, tels que les né-
gritos andamans qui, certainement, sont le reste de popula-
tions asiatiques très anciennes.
En règle générale, il ressort du principe de divergence
du caractère que, plus les diverses races d'une espèce ont
des caractères tranchés, plus elles sont récentes. Il y a donc
lieu de croire que les brachycéphales à peau jaune d'Asie
sont plus récents que les mésaticéphales à peau cuivrée de
l'Amérique du Nord.
M. Sanson pense que la mésaticéphalie ne constitue pas une
race spéciale, mais le mélange des deux types. 11 n'en est pas
autrement chez l'homme que chez les animaux. On aura beau
accumuler chiffres sur chiffres, mensurations sur mensura-
tions, il n'en sera ni plus ni moins. Pour lui, du reste, les mi-
grations n'ont pas la valeur qu'on leur attribue. Il peut y
avoir eu des manifestations humaines sur différents points
de la terre.
M. Hervé ne peut admettre l'apparition de l'homme en
Amérique. Il est catarrhinien, et tous les singes américains,
fossiles et actuels, sont platyrrbiniens. Les communications
DliCUMtOM SUR LB YIHIIUILA. SSI
entre l'Asie et le nouveau inonde sont faciles* II existe d'ail**
leurs, entre le type jaune et le type brachycéphale de rAtné*>
rique, une ressemblance qu*on retrouve également dans les
arts des deux groupes. Tous les crânes quaternaires du cou*
tinent américain sont des crânes allongés, absolument comme
ceux de TEurope. M. Hovelacque n*a donc pas tort de songer
aux populations néanderthaioïdes de TEurope occidentale
pour le premier peuplement de rAmérique*
M""* Clémence Roter n'a pas prétendu plaoer en Amérique
le berceau de l'homme quaternaire, puisque Thomme exis»
tait en Europe dès l'époque tertiaire miocène ; bien des races
ont pu passer de l'un à Tautrë continent, s*y succéder
et s'y mélanger sans y être autochtones. Pourtant, s'il est
vrai que l'Amérique actuelle ne renferme aucun genre
d'anthropoïdes ayant pu donner naissance à l'homme^
il n'est pas démontré qu'il n'y eh a jamais existé. Nous
sommes d'ailleurs certains qu'aucun des anthropoïdes ae-
tuellement vivants dans l'ancien continent n'a été la souche
de l'espèce humaine qui, nécessairement, a supplanté et
détruit celle dont elle est issue dans les contrées où s'eét
accomplie sa transformation. C'est donc justement paroe
qu'il n'existe plus d'anthropoïdes en Amérique qu'il y aurait
quelque probabilité pour que les ancêtres éteints de l'homme
y aient vécu. Cet cmcêtre d'ailleurs n'était point un qua»
drumane, il ne marchait ni à quatre mains ni à quatre
pattes, il ne grimpait pas aux arbres; si c'était un singe»
c'était un singe de rivage, encore bon nageur et presque am*
phibie, ayant les quatre membres palmés (voyex Bulletin»
de (a Société d'anthropologie : Sur la phylogénie, à propos
d'un lézard bipède, 1890), et c'est aux dépens de ces quatre
membres palmés, et en grimpant sur les rochers, que se sont
formés directement deux pieds, adaptés exclusivement à la
marche, et deux mains de plus en plus adaptées à là pré*
hension»
Il n'est possible d'expliquer la distribution géographique
aetuelle des diverses raees humaÎBes qu'ea admettaal TalLis*
3SS 8ÉANGB DU i AVRIL 1891.
tence dans chaque continent de plusieurs strates successives
de très anciennes populations qui s*y sont succédé en s*y
superposant, et en s'y mélangeant plus ou moins profondé-
ment. Nulle part il n'y a plus de races réellement au-
tocthones, mais des produits métis indigènes, très modifiés,
d'anciennes migrations venues de points bien divers.
Si à l'âge quaternaire, l'homme, armé d*outils de silex,
était déjà répandu sur toutes les terres alors émergées, qui
font encore partie de nos continents actuels, comme tendent
à le démontrer les découvertes récentes des archéologues,
cette expansion générale de l'espèce, dès cette époque, sup-
pose qu'elle existait depuis longtemps, et qu'elle doit avoir
été représentée quelque part, dès l'époque tertiaire, par
d'autres races, sans doute encore inférieures. On trouve là
une confirmation inductive de l'existence de l'homme ter-
tiaire, déjà attestée en Europe, à Thenay, en Auvergne et
en Portugal, par ses instruments, mais qui pouvait exister
encore ailleurs.
Quant aux moyens de migration terrestre entre les deux
divers continents émergés, ils n'ont fait défaut à aucune
époque.
Si la durée de chaque période géologique est mesurée
par un déplacement à longue période des pôles géographi-
ques, dans une courbe fermée, ce déplacement entraîne
celui du renflement équatorial qui ne peut s'effectuer sans
modifier considérablement la distribution des terres et des
mers, en faisant émerger les contrées dont l'équateur s'éloi-
gne, et immerger celles dont il s'approche.
Cette hypothèse d'un déplacement cyclique des pôles,
que M"*' Clémence Royer soutient depuis trente ans (note de
la traduction française de VOrigine des espèces^ 1'' édition,
in-18, 1862 ; Congrès de géographie de Paris, 1875; Congrès
d'archéologie et d'anthropologie préhistorique, Paris, 1889),
vient d'être confirmée par la constatation de leur déplace-
ment annuel. Comme cette variation du plan de rotation du
globe ne peut avoir que des causes météorologiques très va-
DISCUSSION SUR LR VENEZUELA. 253
riables en intensité, il est absolument impossible que chaque
cycle annuel ramène exactement les pôles de rotation juste
aux deux mêmes points matériels de la surface de Tellip-
soïde terrestre. Il doit donc nécessairement en résulter un
déplacement séculaire très lent de ces points qui parcour-
raient ainsi une courbe hélicoïdale à boucles annuelles très
petites et très serrées, dont les centres décriraient la courbe
séculaire, peut-être de très grand rayon, sur laquelle, du-
rant la deuxième période géologique, se sont manifestés,
dans les deux hémisphères, les climats polaires. Ainsi s'ex-
pliquerait tout naturellement comment, dans Thémisphère
boréal, la Scandinavie, le Danemark, TAngleterre, les Vos-
ges, les Alpes, les Pyrénées en Europe, puis les Açores et
toute l'Amérique du Nord, ont été successivement des Is-
lande, des Nouvelle-Zemble et des Groenland couverts de
glaciers permanents et entourés de glaces flottantes; tandis
que, dans Thémisphère austral, les mêmes phénomènes se
manifestaient dans la Nouvelle-Zélande. •
Les affinités génériques et même spécifiques des faunes
tertiaires, quaternaires et actuelles d'Auvergne et d'Europe,
prouvent qu'à chaque période géologique il a existé, entre
ces deux continents, des routes terrestres, non pas seulement
par les régions polaires, mais par des régions tempérées ou
tropicales. Ni les mastodontes tertiaires, ni les éléphants
quaternaires, n'ont pu aller de l'un à l'autre à travers des
terres glacées où ils n'auraient pu trouver de quoi se nourrir.
L'autruche africaine et Témou américain ont certainement
un ancêtre commun dont les représentants n'ont pu traver-
ser TAtlantique sur la glace. 11 en est de même des ancêtres
communs des félidés actuels et du machairodus quaternaire
qui vient d'être retrouvé en Amérique; des ancêtres des
hipparions tertiaires et des chevaux quaternaires; des an-
cêtres de l'aurochs et du bison actuel, et de ceux des nom-
breuses espèces de cerfs qui habitent encore actuellement
les deux continents.
Or, si des chemins terrestres ont été ouverts û tous ces
T. II (4« SÊUIK). 17
iÛ' BÉAlfCB DU 16 AVRIi 1891.
animaux aux diverses périodes géologiques, les diverses
races humaines ont pu également y passer.
La séance est levée à cinq heures trois quarts.
Pour les secrétaires empêchés : FADVELLE.
SS6« SËANGI. — 16 tiril 1891.
Présidence de M. liAMORINES, président*
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
A propos du procès-verbal.
M. YiNsoN. La statuette présentée à la Société par notre
collègue M. Moreau représente certainement Yichnou, la se-
conde personne de la Trinité hindoue, dans sa quatrième
incarnation, celle en homme-lion, Nara-Simha, Vichnou
prit cette forme pour venir au secours d'un de ses fidèles
adorateurs, Prahiâda. Le père de Prahlâda, le roi Hiranya-
kàcyapa, avait acquis, par ses mérites et ses vertus, la faculté
de ne pouvoir être mis à mort ni par un homme ni par un
animal. Fier de cette immunité, il en vint à exiger qu'on lui
rendît un véritable culte. Prahlâda s'y refusa, et son père
allait le tuer, lorsqu'il invoqua Vichnou qui sortit d'une co-
lonne de la salle sous la forme d'un homme-lion, prit le tyran
sur ses genoux et le mit en pièces.
La statuette offre tous les caractères distinctifs de Vichnou,
notamment la conque et la fleur de lotus.
LEGS A LA SOCIËTÈ.
M. LK Président. Suivant testament, en date du 8 juin 1890,
reçu par M. Berceon, notaire à Paris, avenue de l'Opéra, n«» 4,
M. Delehaye (Jules-Alexandre-Napoléon), membre de la So-
ciété d'anthropologie, décédé en son domicile à Paris, rue
Vignon, n° 8, le iO janvier 1891, a fait don à notre Société
d'une somme de \ 0<)0 francs, nette de droits de mutation.
GORRBSPONDANCfi. S5S
Un extrait de ce testament nous a été délivré par M. Ber-
ceon, notaire, en date du 3 avril 1891, et M. le Préfet de la
Seine nous a invités à remplir les formalités nécessaires pour
entrer en possession du legs.
Le Comité central de la Société a décidé, à l'unanimitô,
Tacceptation du don de M. Delehaye.
11 a décidé, en outre, que cette somme serait employée aux
travaux scientifiques de la Société et à ses publications.
Une lettre de remerciements a été adressée à M"»« veuve
Delehaye.
COMMUNICATIONS DU UURTAU.
M. LE Président annonce qu'il a touché, pour la Société,
une somme de 2059 fr. 70, accordée par le Conseil muni-
cipal de Paris, comme complément de son allocation pour
les dépenses nécessitées par Texposition collective de TÉcole,
de la Société et du Laboratoire, à l'Exposition universelle
de 1881).
M. LE Thésorieb fait remarquer que, sur cette somme,
l'École d'anthropologie doit recevoir 400 francs. Le reste de
la somme est la propriété de la Société.
M. LE Président annonce qu'il a reçu le diplôme et la mé-
daille d'or (en bronze) qui a été décernée à l'Exposition col-
lective de la Société et de TEcole à l'Exposition universelle.
Diplôme et médaille seront déposés dans les archives.
CORRESPONDANCE.
M. LE Président annonce que M. Jaime, auteur d'un des
articles publiés dans le dernier fascicule de la Revue de
rÉcole d'anthropologie, lui a adressé des flèches empoison-
nées et un carquois, qui seront présentés à la Société dans
une prochaine séance.
M. PoMCflON, d'Airaines (Somme), remercie la Société de
«on élection comme membre. Il annonce l'envoi d'un crâne
méroyiBgien, et donne les indications se rapportant à ce
crâne.
SS6 SÉANCE DU 16 AVRIL 1891.
OUVRAGES OFFERTS.
M. Matbias Duval présente une brochure de M. Aleiis
Julien, intitulée : Uhi de la position des centres nei^veux.
11 donne à ce sujet les indications suivantes :
M. Julien résume ainsi sou travail :
« 1» Chez les rayonnes y les principaux centres nerveux soot
ventraux comme les principaux organes sensoriels et loco-
moteurs ;
(I 2° Chez les anneiés et les mollusques, les principaux cen*
très nerveux sont dorsaux comme les principaux organes sen-
soriels, et ventraux comme les principaux organes locomo-
teurs ;
«( 3"» Chez les vertébrés, les principaux centres nerveux sont
dorsaux comme les principaux organes sensoriels el loco-
moteurs. »
M. Julien conclut donc :
n II y a un rapport cotistant entre la position des principaux
centres nerveux et relie des principaux organes sensoriels et loeo*
moteurs. »
Cette loi, d*ordre absolument général, et vraie pour le
règne animal tout entier, me parait inattaquable. Mais je
pense que M. Julien ira plus loin, qull nous montrera le
pourquoi de sa loi, ou plutôt qu'il nous l'expliquera par les
phénomènes de révolution.
Les divers types animaux ne sont pas, en effet, jetés an
hasard. les rayonnes,, les anneiés, les mollusques et les ver-
tébrés sont des embranchements, c'est-à-dire des tiges d'un
même tronc. L'étude de révolution peut seule nous faire con-
naître le type ancestral d'où sont dérivées les formes ani-
males actuelles.
Vous savez que^ depuis Etienne Geoffroy Saint-Hilairet on
considère le vertèbre comme un annelé t^etoumé^ c'est-à-dire
comme un animal marchant sur la partie dn corps qui cor»
resi>ond au dos de l'annelé.
DISCUSSION SUR UN OUVRAGE OFFIJIT. 257
Or, M. Julien tire de sa loi le corollaire suivant : a Le ver-
tébré nest pas plus un annelé retourné que Cannelé n'est un
vertébré retourné,
« Le vertébré, dit-il, est un animai dont les principaux
organes sensoriels et locomoteurs, et partant les principaux
centres nerveux, sont dorsaux.
« Uannelé est un animal dont les principaux organes sen-
soriels sont dorsaux, tandis que ses principaux organes loco-
moteurs sont ventraux ; par suite, ses principaux centres ner-
veux sont en partie dorsaux et en partie ventraux, d
J'ajouterai qu'un argument très important, tiré de Tétude
des phénomènes de l'évolution, semble corroborer l'idée
d'Etienne Geolfroy Saint-Hilaire : la vésicule vitelline des
vertébrés est, en effet, ventrale, tandis que celle des annelés
est dorsale.
Discussion.
M. Georges Hlihvé. M. Alexis Julien infirme dans ses con-
clusions la loi d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire concernant le
retournement du vertébré comparé à Tannelé. Sans pré-
tendre que ce retournement soit une réalité, il est permis
de constater que les parties homologues du système nerveux
présentent dans les deux types des rapports inverses, comme
s*il y avait eu retournement. Chez le vertébré, les cordons
supérieurs ou dorsaux de la moelle donnent naissance aux
nerfs sensitifs; les cordons inférieurs ou ventraux, aux nerfs
moteurs. Chez l'invertébré, au contraire, des deux cordons
dont se compose également la chaîne nerveuse sous-intesti-
nale, Tuu, supérieur, donne naissance aux nerfs du mouve-
ment ; Tau tre, inférieur, aux nerfs sensitifs, ainsi qu'il résulte
des expériences déjà anciennes de Newport sur les insectes
et de Longet sur les crustacés. Tant que ces expériences
n'auront pas été démontrées inexactes, a-t-on bien le droit
de déclarer mal fondée la thèse du retournement?
. M. Alexis Julien. Chez les vertébrés, les racines sensitives
sont dorsales et les motrices ventrales ; chez les annelés, les
258 SÉANCE DU 46 AVRIL 4894.
racines sensitives sont ventrales et les motrices dorsales.
Mais ce fait prouve simplement que, dans le vertébré comme
dans l'annelé, les racines sensitives sont plus rapprochées
du tégument que les racines motrices ; il rentre dans la loi
de la position des centres nerveux.
Enfin, si les ganglions du tronc de l'annelé sont ventraux,
ceux de la tête sont dorsaux. Cette disposition dorso-ventrale
des centres nerveux de Tannelé constitue contre la théorie
du retournement une objection capitale et, à mes yeux, tout
à fait suffisante. Retourner Tannelé, c'est retourner le pro-
blème et non point le résoudre.
M. Manouvrier présente la thèse inaugurale de M. Laloy,
intitulée : Elude des applications thérapeutiques de la sug^
gestion hypnotique (Thèse médicale. Paris, 1891, in-8°,
42 pages).
Bien que la thérapeutique soit hors du domaine de Tan-
thropologio, il s'agit, dans la thèse de M. le docteur Laloy, de
deux questions très intéressantes au point de vue de Tan-
thropologie physiologique : l*» la production de Tétat hyp-
notique ; 2° rinfluence que peut exercer la suggestion, dans
cet état, sur des affections diverses du cerveau et du reste
du corps. M. Laloy expose dix observations originales, rela-
tives à cette influence. Son mémoire contient, en outre, di-
verses considérations intéressantes et un aperçu historique.
Il n'a point passé sous silence, comme certains autres auteurs,
les travaux de notre savant confrère, le docteur Durand de
Gros, qui, dès 1855, eut le mérite de réveiller en France la
question de l'hypnotisme, plus de dix ans avant la publication
de l'ouvrage du docteur Liébeault. Sous le nom de docteur
Philipps, M. Durand de Gros fit, à Paris, des conférences
scientifiques sur Thypnotisme. et publia un traité intitulé :
Electro' dynamisme vital ; puis, en 1860, son Cours théorique
et pratique du braidlsme ou hypnotisme nerveux, 1! a contribué
à faire entrer ces questions dans la voie scientiflque, et j'ai
cru bon de le rappeler ici, d'autant plus que les travaux de
M. Durand de Gros ont été trop souvent oubliés.
CLÉMENT RUBBRIfS. — ÉVOLUTION RELIGIEUSE AU CONGO. 259
PRESENTATIONS.
ÉvolHlioB reliflfl«aae au Conipo ;
PAR M. CLÉMENT RUBBENS.
L aspect de ces fétiches n'est ni flatteur ni attrayant, mais
pour le Congolais, il est une puissance avec laquelle il
compte, et dans laquelle il a une confiance absolue, même
lorsque les désirs qu'il a- exprimés n'ont pas été satisfaits,
car« alors, la faute n'en est pas au fétiche^ mais à une autre
cause. C'est ainsi que le Congolais, sur le point de faire une
mauvaise action, regardera si son fétiche ne peut le voir; si
oui, il s'empressera de le couvrir et de le cacher, autre-
ment son fétiche pourrait l'en punir. Les femmes congolaises
n'oseraient se compromettre le jour, car le fétiche les ver-
rait et les ferait mourir.
Pour nous, pour l'histoire des religions, ces fétiches ont
leur place marquée au même titre que les idoles les plus
luxueuses des religions les plus relevées, et ces fétiches-
ci ont même quelque chose de plus que les autres pour
attirer notre attention ; car avec elles, nous assistons au
début des civilisations naissantes où l'homme, déjà en butte
avec rinconnu, cherche les causes non du bien qu'il peut
ressentir, mais du mal dont il soufTre, invoquant et conjurant
tout ce qui l'entoure, tout ce qui lui tombe sous la main, un
caillou, un morceau de bois, un rocher, un arbre, un ani-
mal, tout est bon, leur demandant leur aide et leur protec-
tion contre les différents maux ou accidents qu'il avait à
soufTrir et qu'il ne savait empêcher. C'est à ce moment
psychologique des sociétés naissantes qu'apparaissent ces
individus, non plus savants, non moins ignorants que leur
milieu, mais plus malins et plus avisés que les autres, qui
comprirent tout le parti qu'ils pourraient tirer d'une telle
situation, d'un tel état de choses. Alors, eux aussi, eurent
leurs fétiches qu'ils firent valoir bien haut ; et quels fétiches I
260 SÉANCE DU 16 AVRIL 1891.
car ils en obtenaient tout ce qu'ils voulaient, et leur puis-
sance était si grande, qu'il n'y avait rien qui pût l'égaler.
En leur nom et par eux, s'ils l'eussent voulu, ils auraient pu
commander aux éléments, faire la pluie et le beau temps ;
portés sur eux, leurs fétiches les rendaient invulnérables, et
les bêtes féroces n'auraient osé les approcher.
Mais un tel fétiche ayant une telle puissance n'était pas fa-
cile à obtenir, car il était nécessaire qu'un esprit, et un esprit
fort et puissant, fût bien fixé dans l'objet. Cet objet pouvait
être n'importe quoi et en n'importe quelle matière, mais il
était nécessaire de faire certaines simagrées, de dire certai-
nes paroles magiques et cabalistiques pour pouvoir réussir
à fixer, à retenir l'esprit et à l'emprisonner dans l'objet. Sans
toutes ces formalités, l'objet ne pouvait êlrc fétiche, ou
alors un fétiche sans pouvoir ni efficacité, et conséquemment
nul. Ces individus vantaient bien haut qu'eux seuls connais-
saient les paroles cl ces signes, les seuls capables de fixer
l'esprit pour en faire un fétiche fort et puissant. Comment et
où les avaient-ils appris? C'était leur secret qu'ils gardaient
pour eux, nt avec un soin jaloux.
Mais l'ignorance est crédule, et un tel pouvoir chez ces
individus devait leur donner une grande importance aux
yeux de leurs concitoyens. Aussi ceux-ci, ne pouvant avoir
de fétiches assez forts pour conjurer et apporter un adou-
cissement à leurs maux, vinrent-ils d'abord consulter les
heureux féticheurs et leurs fétiches pour toutes sortes de
choses; puis ensuite, au moyen de présents, ils les sollici-
tèrent et les prièrent de leur rendre fétiches une foule d'objets
qu'ils leur apportèrent, car ce désir de posséder eux-mêmes
un fétiche puissant, dont ils pussent disposer, à qui ils pus-
sent s'adresser, était très naturel.
Dès ce moment, la religion et le culte se trouvèrent à l'état
embryonnaire; le sorcier, le féticheur, le prêtre, avaient pris
naissance. Nous verrons bientôt les premiers sortir de leur
état embryonnaire, se développer et s'étendre, pendant que,
pour les seconds, et parallèlement, s'augmentera leur in-
CLÉMKNT nUBBENS. — ÉVOLUTION RELIGIEUSE AU CONGO. Ml
fluence sur les masses, et comme conséquence leur force et
leur puissance.
Au Congo, nous pouvons déjà constater ce commencement
de développement, et cette série de fétiches-ci est intéres-
sante sous ce rapport. Ce sont d'abord des objets hétéro-
gènes associés ensemble ; tel est celui-ci composé de trois
vertèbres de je ne sais quel animal associés à deux mèches
de cheveux ou de poils tressés en natte. Puis, cette corne,
fétiche de chef, à laquelle sont réunis des plumes de coq et
un fragment de peau garnie de son poil ; elle porte à sa base
et en saillie, faisant corps avec la corne, une sorte de. petit
reliquaire recouvert d'un verre, et contenant quelque objet
hétéroclite comme le précédent. Mais ici la puissance du
fétiche sera beaucoup plus grande, car la corne elle-même,
emblème de force, est le fétiche par excellence, et, réunie
aux plumes et aux poils, ils paraissent former tout un fais-
ceau de puissances.
Ce petit reliquaire que nous voyons joint à cette corne
comme partie indépendante, nous le trouvons ici incorporé
dans le dos de cette espèce de monstre en bois, représen-
tant les deux parties antérieures de deux animaux réunis
vers le milieu du corps. Les têtes de ces animaux, qui ont
quelque chose du porc, ont leurs gueules ouvertes et héris-
sées de dents, avec un air menaçant, pour quiconque ose-
rait toucher au dépôt qui leur est condé.
Dans celui-ci, ce n'est plus un monstre qui sera chargé de
veiller sur le précieux fétiche, et nous en sommes arrivés à
l'anthropomorphisme, à la représentation de l'image de
l'homme, et ce sera à son simulacre que sera confié le féti-
che, et renfermé dans ses flancs, il en acquerra encore plus
de puissance et de force.
Enfin; messieurs, nous touchons au moment où le Congo-
lais va concevoir son fétiche semblable à lui même, car,
comme il croit que tout a un esprit, les pierres comme les
arbres, les animaux et les hommes, il est évident pour lui
que de tous ces esprits, celui de l'homme devra être le plus
362 SÉANCE DU 16 AVRIL 1891.
fort. Dès lors, ce ne sera plus ce simulacre incomplet de
rhomme avec ses flancs creux recouvert d'une glace et
renfermant le fétiche, mais une représentation de Thomme
au complet^ le fétiche par excellence et le plus puissant de
tous.
Ce fétiche nous est représenté par cette petite statuette en
08, nue et assise, supportant dans ses mains ses deux seins
arrondis qu*elle présente, nous rappelant ainsi la déesse
mère et nourrice de Tanliquilé.
Et encore par ces deux grandes statuettes offertes par
M. Salmon au musée de la Société, et représentant un homme
et une femme ayant tous leurs attributs sexuels fortement
accentués.
Ces dernières représentations de Thomme fétiche viennent
compléter et nous confirmer cette évolution religieuse qui
s'est faite au Congo.
Pour ce qui est de leurs prêtres féticheurs, nous ne con-
naissons que fort imparfaitement leur hiérarchie ; ce que
nous savons, c'est que, au sommet de cette hiérarchie sacer-
dotale, se trouve placé une sorte de grand lama ou do pape
nommé Chitome^ dont le pouvoir et la puissance sont im-
menses. Il est lui-même grand fétiche, sa maison est fétichée
également, et un feu qui ne s'éteint jamais y brûle conti-
nuellement. C'est avec des tisons pris à ce feu que le Chi-
tome paye et récompense pour les services et les nombreux
présents qu'il reçoit, et ceux à qui il remet ces brandons les
emportent avec bonheur et très satisfaits de posséder un tel
fétiche.
Les rois n'entreprennent rien sans le consulter, et lors-
qu'un dignitaire de l'État est nommé à quelque emploi, avant
de se rendre à son poste, il va, avec sa suite et force présents,
demander la bénédiction au grand Chitome. Là, le dignitaire
se jette à terre, pleurant, soupirant et se couvrant de pous-
sière ; si les présents ne sont pas jugés suffisants par le Chi-
tome, on le laisse se lamenter jusqu'à ce que ceux-ci aient
été complétés. Alors le Chitome daigne sortir de sa case, il
CLÉMENT RUBBEN8. — ÉVOLUTION RELIOIBUSH: AU CONGO. 263
asperge d*eau et de poussière le dignitaire qui rampe à ses
pieds, puis, le faisant coucher sur le dos, il lui pose, à plu-
sieurs reprises, le pied sur la poitrine, pour bien lui faire
connaître qu'il est sous sa dépendance, et qu'il ne doit rien
faire contre lui, ni rien sans son assentiment.
Au-dessous du Chitome, et sous sa dépendance, sont les
Ouagangas, qui sont supérieurs aux Scingilis, simples évoca-
teurs de la pluie.
Le Mganga Amaloro avait le fétiche spécial consacré contre
les effets du tonnerre.
Montinoua Maya avait le fétiche de Teau ; il rendait ses
oracles en observant les mouvements d'une calebasse jetée
à la rivière.
Molonga prédisait l'issue des maladies par l'inspection de
l'eau bouillante.
Le Moni prédisait Tissue des maladies par les idoles.
L'Amabondou avait pour spécialité les champs ensemencés.
Le Mganga Mnene veillait à la conservation des récoltes
renfermées dans les greniers.
Le Mganga Matombola se faisait apporter des trésors par
ses parents trépassés, qu'il avait le pouvoir de faire sortir de
leurs tombeaux.
Ngourianamboua, il fallait gagner sa faveur pour réussir
à la chasse de l'éléphant.
Le Mpombola aidait^ par ses charmes, les chasseurs à cap-
turer les fauves dans leurs pièges.
Nbacassou faisait retrouver les vaches égarées.
Les Npougou, Ceibanza et Issa, préservaient les guerriers
des blessures.
Le Mganga Ambougoula donnait, en sifflant, la victoire
sur l'ennemi.
Toutes les actions de la vie sont ainsi mises sous le con-
trôle et l'intervention d'un prêtre sorcier, qui possédait le
fétiche spécial, car tous les faits de l'existence sont soumis
à l'action de l'influence d'un esprit spécial, qui doit avoir
son corollaire dans un fétiche également spécial à la chose*
264 SÉANCE DU 46 AVRIL 1891.
Le mariage^ la grossesse, la naissance, l'entrée dans Tàge de
puberté, la mort, exigent l'intervention du prêtre magicien.
La justice, les épreuves du poison ou liqueur fétiche, sont
faites et données par le prêtre magicien ; en un mot, en tout
et pour tout, on le retrouve.
Gomme vous le voyez, messieurs, cette longue nomencla-
ture des prêtres féticheurs, avec leurs fétiches difFcrcnts
pour chaque chose spéciale, nous rappelle singulièrement
les derniers temps de la Rome antique où tout était adoré :
car les vertus comme les vices avaient, eux aussi, leurs tem-
ples spéciaux, avec leurs prêtres particuliers pour célébrer
leurs mystères. Quelque incomplète qu'elle soit, cette nomen-
clature nous est une preuve que cette expansion fétichico-
religieuse au Congo a été successive et, par conséquent, évo-
lutive; et parallèlement à cette expansion, Tinfluence de ses
prêtres est devenue de plus en plus grande sur leurs conci-
toyens, et cette influence se traduisit par puissance et domi-
nation.
Les Congolais reconnaissent à leur grand Chitome un tel
pouvoir et une telle puissance que, s'il n'existait plus, l'uni-
vers entier périrait et serait anéanti ; aussi, pour éviter une
telle catastrophe, son successeur s'em presse- t-il, lorsqu'il
est sur le point de mourir, de l'étrangler ou de l'assommer,
à son choix. Ceci se passe en comité secret, bien entendu, et
le monde continue d'exister.
C'est à ce titre de conservateur de l'univers que le Chi-
tome reçoit une dîme sur tous les biens de la terre ; de même,
dans chaque village, le prêtre féticheur reçoit, sur chaque
animal que Ton tue, la part du fétiche et, comme on le
pense bien, cette part n'est pas le plus vilain morceau delà
bête.
Un objet quelconque ne devient fétiche que lorsqu'il a été
consacré par le prêtre, et, à cet efiTet, on n'obtient un kipy ou
fétiche qu'après avoir payé largement le prêtre qui lui a
donné le caractère divin, ce qui, pour ces prêtres, doit être
CLÉMENT RUBBENS. — ÉVOLUTION RBUGIEUSE AU GOlfOO. 365
d'un grand profit, car les Congolais en sont abondamment
pourvus.
Gomme nous 1 avons dit> les Congolais ont, pour leurs fé*
liches, une grande confiance et une grande condescendance.
Pour posséder leurs fétiches, ils s'imposent des privations
qui leur sont ordonnées par leurs prêtres féticheurs; par
exemple, ils devront s'abstenir de telle viande pendant un
certain temps, ou bien à certaines époques. Il en résulte que,
possédant souvent plusieurs fétiches, les Congolais sont
astreints à de nombreuses privations. En leur honneur, ils
pratiquent également laumône ; dans certains endroits, pour
honorer leurs fétiches, ils leur crachent à la figure la pre«
mière bouchée de leurs repas, après Tavoir mâchée.
La cérémonie de la consécration d'un fétiche nous est
ainsi rapportée : le prêtre sorcier place llmpétrant ou ache*
teur au milieu d'une foule d'objets baroques, tels que pieds
d antilope et cornes de bélier, et lui met un miroir dans la
maiq (le miroir joue un grand rôle), avec injonction de souf-
fler dessus; de son côté, il s'évertue avec une énergie crois-
sante à battre d'un tambour fait d'une calebasse recouverte de
peau. La plupart du temps, le fétiche est un grossier produit
de la nature, enveloppé d'étoffes, ou bien l'objet essentiel
est dissimulé dans Tintorieur creux de quelque statuette en
bois. Tout ce tapage est une sorte d'incantation, pour faire
entrer, dans ce qui doit être le corps du fétiche, Tesprit errant
qui ranimera ou le rendra efficace.
11 est probable que la matière et la qualité du fétiche sont
en raison de la personne qui en fait la demande, et de l'of-
frande qu'elle fait au prêtre féticheur ; et alors il pourra être
ou quelque amalgame insignifiant comme des poils, des ver-
tèbres de poisson, etc., ou bien une statuette creuse avec fé-
tiche à l'intérieur, ou bien encore, pour les privilégiés, le
fétiche fort et puissant d'une statuette humaine complète,
11 y a au Congo des grandes et des petites idoles : les zambi
dont les prêtres se servent, et les kipy comprenant des petites
idoles et la multitude d^objets hétérogènes fétiches.
266 séANGË DIT 46 AVRIL 1891.
Les zambi, idoles gardées par les prêtres, sont de diffé-
rentes grandeurs et ont cette particularité qu'elles n'ont pas
la figure africaine ; leur nez est aquilin et long. Elles sont
barbouillées de toutes sortes de couleurs et bizarrement
décorées de chiffons, de plumes, de vieux morceaux de
fer, etc.
La plupart de ces fétiches portent des attributs qui les
font reconnaître de leurs initiés, mais que, nous autres pro-
fanes, ne pouvons que chercher à les deviner. Je ne crois
pas que les prêtres sorciers du Congo aient une science éso-
terique bien savante, ni bien développée ; cependant elle
doit exister, et noiis en verrons plus loin la preuve.
A l'Exposition de 1889, le Portugal exposait plusieurs fé-
tiches provenant d'Angolo.
Un de ces fétiches était hérissé de clous et tenait une fau-
eille dans la main.
L'autre avait une petite glace sur la poitrine et portait une
coiffure à pointe.
Au pavillon des colonies, au Ghamp-de-Mars, il y en avait
une curieuse collection dont j'ai relevé les particularités qui
m'ont frappé.
Un petit fétiche, au lieu de la glace sur le ventre, avait un
verre qui laissait apercevoir des petits coquillages univalves
et bivalves.
Un autre avait le corps entièrement traversé par une ou-
verture formant une sorte de reliquaire vide, avec un verre
de chaque côté.
Un autre avait trois gibbosités : une sur le ventre avec
glace, les deux autres sur le dos et sur l'épaule, sans glace ;
il tenait sur ses genoux un simulacre de fusil.
CSertains ont la gibbosité sur le dos seulement, et garnie
de la petite glace.
Beaucoup ont la coiffure en pointe, qui ressemble à Tex-
eroissance de Bouddha, et que Ton appelle ousnisha.
D'autres ont pour coiffure une sorte de cône oval tronqué.
D'autres encore ont des calottes avec desëins; certains
CLÉMENT RUBBEN6. — ÉVOLUTION RBUOIËUSE AU CONGO. 361:.
sont assez agrémentés de dessins représentant des triangles,
des points de lignes en zigzag on brisées, etc.
D'autres, enfin, avaient une sorte de chapeau haut de
forme.
Un était double, c'est-à-dire composé de deux figurines
assises et adossées Tune à Tautre, et sans gibbosités ni
glaces.
Un fétiche avait nne sorte de bouteille sur le ventre, et,
sur le ventre de la bouteille, une petite aspérité ayant Taspect
d*un bout de sein.
D'autres ont ces mêmes bouteilles sur le creux de l'es-
tomac.
D'autres ont la poitrine et le ventre garnis de dessins.
L'un a, depuis le creux de l'estomac jusqu'au bas du ventre,
des petits carrés.
Un autre, depuis le dessous des seins jusqu'au bas du
ventre, en zigzag, a des lignes se croisant à leur rencontre,
et l'extrémité inférieure terminée par quatre lignes verticales
et obliques en éventail.
Un autre, enfin, portait sur la poitrine deux séries de pe-
tites lignes parallèles partant des épaules et aboutissant vers
le milieu des seins.
Pour ces fétiches qui sont sous vos yeux, nous allons faire
un examen rapide de leurs attributs.
Le numéro 4 se compose de trois vertèbres et de deux pe-
tites tresses de poils ou de cheveux ; rien de particulier que
la réunion de choses si disparates.
N"^ â. Cet animal fantastique est fait de la réunion de la
partie antérieure de deux sortes de porcs. Le fétiche qu'il re-
présente peut avoir rapport à l'élevage et à l'engraissage de
cet animal, ou peut être encore invoqué pour la chasse au
sanglier.
N*^ 3. Ce fétiche féminin porte la coiffure à pointe, a deux
gibbosités : l'une sur le ventre, ornée d'une petite glace;
l'autre sur le dos, sans glace. Dans l'intérieur de ces petits
reliquaires se trouvent des choses fétiobées ; le corps a été
â68 SÉANCE DU 16 AVRIL 1891.
recouvert d'une peinture blanche dont on voit les traces; il
a, comme toutes ces petites figurines anthropomorphes, deux
petits morceaux de verre pour représenter le brillant des
yeux, et il est probable que Taspect que ces petits verres
donnent à la physionomie du fétiche ainsi que la glace qu'il
porte sur le ventre ou ailleurs entrent pour quelque chose,
sinon pour une bonne partie, dans la terreur que leur fétiche
leur inspire. En effet, voyez-les, les yeux grands ouverts, ils
semblent vous regarder et vous suivre des yeux là où vous
allez ; et le jour, les rayons solaires se jouant sur ces verres
semblent leur donner la vie et même, parfois, le mouvement
à la prunelle, à l'iris, et peuvent produire Teffet de ces
images du Christ qui, lorsqu'on les a fixées quelques in-
stants, semblent s'animer. Donc, rien d'étonnant si le Congo-
lais cache son fétiche dans la crainte d'être vu.
N^ 4. Ce fétiche féminin en bois rouge, presque de la cou-
leur de la peau du nègre dont il a la physionomie, a pour
coiffure un cône tronqué ; à l'occiput, il a une petite glace
de quelques millimètres, et une autre sur la poitrine qu'elle
recouvre en partie ; ses oreilles sont percées pour recevoir des
pendants. 11 tient dans la main droite une bouteille et, dans
la gauche, un verre. Avec ces attributs de la dive bouteille,
on serait porté à croire qu'il est le fétiche imploré pour le
succès de la production du vin de palme ; ou bien encore le
fétiche de Teau-de-vie, dont tous les noirs sont si friands, au
point que l'on a vu un père vendre son fils pour pouvoir s'en
procurer.
N"* 5. Ce fétiche féminin est le type des zambi, fétiches
des prêtres sorciers ; sa tète a été relativement soignée, il a
le front fuyant, le nez fortement aquilin, avec une bouche
d'un prognathisme accentué. Sa figure porte les traces de la
couleur jaune dont elle a été recouverte ; vue de côté, elle a
beaucoup du type des naturels de la NouvelleZélande, mais
rien du Congolais. Ce fétiche avait deux gibbosités ; celle du
dos est disparue, celle du devant est très saillante et recou-
verte d'une glace. Comme coiffure, il a un bonnet qui lui des-
CLÉMENT RUBBENS. — ÉVOLUTION RELIGIEUSE AU CONGO. 269
cend jusqu'au bas de la nuque et qui est orné de dessins au
trait représentant des triangles, des losanges pleins ou rem-
plis de traits ou de grainetis s'alternant ; un cbiiTon lui ser-
vant de pagne lui fait le tour du corps en lui passant entre
les jambes ; il porte sous le bras un anneau en laiton, ainsi
qu*un au cou, auquel sont ajoutées trois dents de crocodile
taillées en forme de pballus.
Ce dernier attribut ne nous laisse pas beaucoup de doute
sur le rôle de ce féticbe et sur l'idée qu'il représente ; il ap-
partient au culte phallique, dont il porte remblèmc, qui a
pour fin la propagation de Tespèce. Ce culte^nous le rencon-
trons dans toute Tantiquité et chez tous les peuples, et, de
nos jours encore, nous en retrouvons les traces en Europe,
dans ces petits phallus appelés fascintim, que Ton met au
cou des enfants, en Italie, pour les protéger contre les
charmes, Tenvie^ etc.; ou encore en bijoux sous différentes
formes, portés par les grandes personnes.
N®6. Ce petit fétiche féminin représentant une femme nue
assise et à l'air heureux et souriant, appartient également
au culte de la propagation de l'espèce ; mais son rôle de
mère nourrice est tout conservateur, et, en voyant ses ma-
melles qu'elle présente si bien remplies, cela nous explique
le bonheur qui se voit sur sa figure.
Je connais un autre exemplaire de ce fétiche nourrice, et
il est probable que leur rôle est de donner le lait aux mères
nourrices, qui l'implorent, ou encore est-elle invoquée pour
la conservation des nouveau-nés.
Il est intéressant de retrouver en Afrique, à notre époque,
la même déesse mère qu'invoquaient les Assyriens, les Chal-
déens ou les Phéniciens^ et représentée, presque identique-
ment et dans la même pose, dans les déesses Istar, Anahit
ou Astarté, car elles aussi sont représentées nues ou presque
nues^ présentant dans leurs mains leurs seins rebondis. Ce*
pendant, sous le rapport de la civilisation, ces puissants peu-
pies étaient autrement avancés que ces noirs Congolais, et
tous parallélisme et comparaison entre eux serait impossible $
T. II (4* sÉniK). 18
27Ô Si^ANCB DU 46 aTril 48d<.
cependant voilà un point sur lequel ils se sont renoontrés.
Ceci s'explique parce que> chez ces peuples de l'Orient, Tévo •
lution religieuse est restée stationnaire, pendant que, dans
ces mêmes pays, la civilisation progressait dans le même
temps.
Ces deux grands fétiches de la Société d'anthropologie^
comme vous le voyez, sont des deux sexes et appartiennent
également au culte phallique. Cette exhibition excentri-
que des organes procréateurs, ce qui aujourd'hui nous
scandalise, nous la retrouvons chez tous les peuples anciens.
Ils étaient pour eux l'objet de grandes manifestations ; ils
leur rendaient de grands honneurs comme étant la cause
de la perpétuité de Tespèce. A Thèbes, on retrouve en-
core ces grandes processions où le dieu Hem, ou Amsi, TAm*
mon générateur de Thèbes, est plusieurs fois représenté
Ityphalique; nous le retrouvons encore sur des stèles où
Horus et Ammon Ityphaliques sont adorés par des rois et
des reines qui leur font des offrandes et br&Ient de Tencens
en leur honneur. Est-il nécessaire de rappeler la bonne
déesse, les nombreux temples où Vénus était adorée sous
une multitude de vocables se rapportant à des attributs dif»
férents, et, si elle était la déesse du plaisir, elle était aussi
la déesse du printemps, à ce moment où une force interne
met la nature entière en mouvement, la déesse des fleurs,
des jardins, des vignobles et des vendanges, et les jardiniers,
le 23 avril et le 19 août, Tinvoquaient en même temps que Ju-
piter. Priape qui, eu venant à Rome, avait conservé son ca*»
ractère oriental, était le démon de la végétation exubérante,
en même temps que le symbole de tous les appétits char*
nels. 11 était représenté Ityphalique et avait sa place dans
les jardins et dans les plants d'arbres où son image servait
à la fois d'épouvantail, et délivrait du mauvais œil. C'était
un emblème de l'éternelle force de régénération qui anime
la nature et la renouvelle sans cesse.
Ces fétiches, d'environ 60 centimètres de hauteur, ont le
eorps peint en blanc et la figure en rouge; ooou&e
CLÉMENT RUBBEN8. — âTOLUTION RBLIGIBUSE AU CONGO. 271
une sorte de bonnet strié qui, vu de face, forme une demi-
ellipse se joignant en hauteur avec l'autre face; ils ont les
parties sexuelles accentuées.
C'est donc probablement au point de vue de la propaga-
tion de Tespèce que les Congolais adorent ces fétiches, et
les implorent l'un ou l'autre suivant le sexe qu'ils désirent,
ou peut-être tous les deux lorsqu'ils n'ont pas d'enfants.
Ces fétiches, qui ont été donnés par M. Salmon à la Société
d'anthropologie, proviennent d'Angola, et étaient à l'expo •
sition portugaise.
M. le docteur Capitan, dans son intéressante collection,
possède également deux fétiches reliquaires de la même
taille et de la même provenance. Ils ont sur le devant du
torps la petite glace qui les recouvre en partie ; l'un de ces
fétiches est très ancien ; l'autre a cette curieuse particularité
qu'il est hérissé de clous. Ces clous lui ont-ils été plantés
dans le corps pour avoir oublié de satisfaire son invoca-
teur? Ou bien est-ce pour le remercier des services rendus?
Ou encore pour augmenter sa puissance? Mystère I
N» 7. Cette corne fétiche, à laquelle sont réunis le reliquaire
dont nous avons déjà parlé, des plumes de coq maintenues
à la base de la corne et formant avec celle-ci, en la prolon-
geant, un arc qui reproduit la paire de cornes, puis dans
l'intérieur de la corne un fragment de peau recouvert de
son poil, cette corne a appartenu à un chef.
Les cornes ont été de tout temps l'emblème de la force, de
la puissance et de l'abondance. L'homme, en créant ses
dieux, les voulut faire forts, et pensant qu'un aspect terri-
ble pouvait les rendre plus redoutables, il orna leur chef des
armes que les animaux possédaient naturellement; car,
pour lui, elles étaient le nec plus ultra de la représentation
de la force et de la puissance. En Egypte, nous voyons les
tètes d'Isis et d'Hator ornées de cornes de vache. Osiris,
Amon, KoDS, Homs, ont les cornes du bélier ou du bœuf.
En Chaldée, en Assyrie, en Perse, les rois parent leurs
dieBX et lears génies monstrueux qui gardent les portes de
272 SÉANCE DU 16 AVRIL 1891.
leurs palais, non seulement d'une paire, mais de deux, trois,
jusqu'à six paires de cornes. La Grèce et Rome ont aussi
eu leurs dieux cornus, et pour les dieux à cornes de nos
ancêtres les Gaulois, les autels de Reims et du musée de
Gluny nous les font connaître.
Après avoir ainsi rendu ses dieux redoutables, Thomme
pensa à s'introduire dans leur famille, et comme il leur don-
nait le doux nom de père, il pensa que, en raison de la loi
atavique qui veut que dans les descendants d'une famille
on retrouve certains traits qui ont appartenu aux ancêtres,
il a pris pour lui-même cet insigne de la force et de la
puissance ; et alors nous voyons les rois et les reines 8*en
orner la tête à l'égal de leurs dieux. C'est le roi Snefrou qui
en a une double paire, une de bœuf et une de bélier ; le»
rois Toutmès IV, Ramsès, Scheschong I*% avec des cornes
de bélier. C'est la reine Autk-nu-nofrihet-nefert-ari, épouse
de Ramsès, la reine épouse d'Aménophis IV qui sont coiffées
de cornes de vache, etc.
L'insigne était devenu, pour celui qui le portait, un talis-
man précieux, car il devait assurer à son heureux posses*
seur le succès dans toutes ses entreprises; aussi les rois en
coilTèrent-ils leurs soldats, ce] qui, non seulement leur don*
nait un air terrible, mais encore les rendait redoutables à
leurs ennemis ; car par la confiance qu'ils avaient en leur
talisman qui, pensaient-ils, les rendait invulnérables, leur
faisait affronter le danger, assurés du succès. On retrouve
ces coiffures cornues à toutes les époques, et de nos jours
encore nous avons des peuplades, en Afrique comme en
Amérique, qui, lorsqu'elles combattent, en ornent leur chef,
et aussi bien les hommes que les femmes, portent cet ap-
pendice.
En Europe même, nous retrouvons cette confiance dans
ce talisman, et la manna cornuta^ petite main faisant les
cornes que l'on trouve en Italie et en France, faite en toutes
sortes de matières, se porte encore contre les mauvaises
influences. Et n'avons-nous pas vu dernièrement un pre*
DISCUSSION SUR L*ÉVOLUTION REUGIBUSE AU CONGO. 273
mier minisire, en plein parlement, sortir une corne de corail
de sa poche et, en la faisant voir à rassemblée, proclamer
bien haut les bienfaits dont il lui était redevable. Soit con-
viction ou ironie, le port de la corne de corail n*en est pas
moins attesté.
Pour nous résumer, nous dirons que le fétichisme actuel
au Congo a pu prendre naissance sur son sol même ; mais
que certainement il s'y est développé, lentement il est vrai,
mais sûrement, et au point de pouvoir former une religion ;
non une religion parfaite, développée et savante comme
les religions de TEurope et de l'Asie, mais capable de pro-
grès et ayant tout ce qu'il faut pour ce développement. En-
suite que, parallèlement à elle, et dans le même temps^ il
s'est formé une caste sacerdotale qui s'est organisée hiérar-
chiquement et successivement pour le culte de ces fétiches,
que celte caste a pris une influence qui est devenue con-
sidérable, et qui, avec le temps, s'est traduite, pour le
Congolais, par ces trois mots : puissance, domination, exploit
talion.
Diicussion.
M. Adrien de Mortillet demande si les glaces qu^on trouve
sur certains fétiches ont une signification. Pour lui, il sup-
pose que c'est peut-être la même idée qu'en Italie, où le miroir
passe pour renvoyer le mauvais regard. Les chevaux ont sou-
vent sur le front un petit miroir entouré de poils de blaireau,
talisman destiné à les préserver du mauvais œil.
M, Legrain dit que les statues de femmes du type chaldéen
se tenant les seins sont plutôt des déesses funéraires que des
déesses mères.
Les cornes d'isis et d'Athor dérivent de la vache, la nour*
ricière ; il ne semble pas qu'il y ait là idée de jettatura.
M. Bonnemère. Dans le Maine-et-Loire et partie de la Bre-
tagne, les chevaux de charretier ont une peau de blaireau
pour les protéger; on fait aussi une foule de remèdes avec le
blaireau.
i74 SéARCE DU 16 ATRIL 1891.
M. DuHOCssET dit qu'en Perse il est d'habitude d'avoir dass
les écuries un sanglier pour protéger les chevanx ; on y con-
serve anssi an sachet de peau d'hyène dans le même but.
M. Saxsos dit qa*encore actuellement certaines gens pré-
tendent qu'il faut avoir un bouc dans l'écurie pour protéger
les autres animaux contre les maléfices ou les maladies con-
tagieuses. C'est la même idée que celle d'avoir une madone
pour vous protéger.
M. E. CoLLLX dit que les cornes qu'a signalées M. Qément
Rubbens, et qui existent dans la collection Catat, constituent
chez les Malgaches un fétiche de Bara Tanimaloza nommé
Ampélu, qui est porté par les naturels pour les aider à se
procurer de belles femmes.
PAR H. d'aCT.
J^ai l'honneur de présenter deux gaines qui étaient des-
tinées à l'emmanchement de haches polies.
Le bois de cerf dont elles sont faites a été poli, puis orné
de dessins au pointillé. Sur l'une d'elles, ce sont simplement
des lignes droites. 11 y en a trois groupes, dans le sens de la
longueur : un de deux lignes sur un côté ; un de trois, sur
le milieu, et un de deux, sur l'autre côté. A droite et à
gauche du trou destiné à recevoir le manche en bois^ se
trouvent deux lignes transversales, formées de points plus
gros que les autres.
La seconde gaine est décorée avec beaucoup plus de soin.
Eïle présente également trois groupes, «composés^ l'un de
deux, le second de trois^ et le dernier de deux lignes longi-
tud'males. Mais ces lignes n'offrent pas simplement une suite
de points. Deux d'entre elles, la première du groupe de
gauche et la seconde du groupe de droite, sont accompa-
gnées, à Textérieur, d'autres petites lignes formant barbe-
lure, toujours au pointillé. Les cinq autres sont constituées
de dents de scie mises les unes au bout des autres, et eom»
DISCUSSION SUR DBS INSTRUMENTS NÉOLITIIIOUES. 275
posées d'un semis de points. Â droite et à gauche du trou
destiné à recevoir le manche de bois, quatre lignes sont
disposées transversalement. Deux sont en dents de scie ; une
est en points avec barbelures, et la quatrième présente sim-
plement une suite de points.
L'ornementation en dents de scie formées de points se voit
assez souvent sur la poterie néolithique ^ Mais les gaines dé-
corées paraissent être rares. M. Montélius en a figuré une —
il dit une hache (?) — « en corne d*élan, sur laquelle sont
gravés quelques animaux (un cecf (?), etc.)'. » Le musée
d'Amiens en possède deux ou trois qui sont ornées de
dessins géométriques ; et il y en a une très belle, assure-t-on,
ohez un amateur de Picardie.
Je n'en connais pas d'autres. El, chose remarquable, à
Texception, bien entendu, de celle qui a été publiée par
M. Montélius, toutes ces gaines décorées proviennent de
Montières, près d*Amiens.
11 semblerait y avoir eu là une fabrication spéciale de ces
objets. Cette localité a fourni, d'ailleurs, beaucoup d'instru-
ments néolithiques, parmi lesquels il y en a de fort beaux.
Discuision.
M. Gabriel de Mortillet. Tout en faisant des réserves sur
les gaines de hache ornées de gravures, je demanderai à
M. d'Acy si celles qu'il présente ont été trouvées dans les
alluvions quaternaires ou dans la tourbe. Quand on indique
simplement Montières, on entend les alluvions qui sont
voisines du village et de la route, alluvions contenant, au
moins presque exclusivement, des objets paléolithiques. Les
gaines de haches polies présentées par M. d'Acy auraient été,
dit-il, trouvées dans la terre à brique, partie supérieure des
alluvions de Montières. J'en doute fort. Tous les débris ani-
maux, os et cornes de cervidés des alluvions de Montières,
aussi bien de la terre à brique que des sables et graviers, sont
< Gabriel et Adrien de Mortillet, /e Musée préhislariqWt n^ 536,537,538.
* Otoar Mootélkii, AntiquUéi suédoiM, 1873, n* 43.
27C SÉANCE DC 16 AVRIL 1891.
complètement blancs. Or, ce n'est pas le cas des gaines pré*
sentées. Elles ont au moins la véritable coulenr des cornes de
cerf et sont même pins foncées. Sans toucher à la qoeslion
de Tanthenticité des pièces, on peut conclure sûrement qo*il
y erreur sur la provenance.
M. d'Act. La moins ornée des deux gaines provient incon-
testablement de la terre à briques de Montières. Je Tai
achetée, sur place, à un ouvrier. Elle était toute brisée,
comme il est facile de le voir; et les morceaux, malheureu-
sement incomplets, étaient encore empâtés dans de la terre
à briques. J'ai eu l'autre chez un marchand. Celui-ci m'a
affirmé qu'elle avait été trouvée, elle aussi, dans la terre à
briques, à Montières; et sa coloration, absolument semblable
à celle de la première, ainsi que l'analogie qui existe dans
Tornementation des deux, donnent tout lieu de croire que
cette assertion est exacte. Montières, ou, pour préciser com-
plètement, rassise de terre à briques de Montières, a fourni,
je le répète, beaucoup d'instruments néolithiques, dont plu-
sieurs sont fort beaux.
OBJETS OFFERTS.
OsscBieiils de l'époqae atéroTiagieBMe ;
PAR H. EMILE COLLUC.
M. E. CoLLiN offre à l'École d'anthropologie et présente à
la Société, en son nom et au nom de M. Ck)sserat, chef de
section des travaux de la Compagnie de i'Ouest«une collection
d'ossements provenant des sépultures découvertes dans la
tranchée d'Andresy, sur la nouvelle ligne d'Argenteuil à
Mantes.
D'après le mobilier funéraire, ces ossements datent de
l'époque mérovingienne. Les nombreux objets recueillis sont
en la possession de M. Cosserat.
La collection offerte à l'École comprend : 20 crânes, 19 fé-
murs, 15 tibias, 14 humérus, 6 radius, 4 cubitus, 3 péronés
et i bassin. Beaucoup de ces os, qui étaient brisés, ont été
FAUVELLE. — SUR UN CRANE FOSSILE DE BOVIDÉ. 277
reconstitués par M. E. CoUin avec Taide de M. Félix Flan-*
dinette.
Des remerciements sont adressés à MM. Gollin et Cosserat»
Dessins de lombes musulmanes de l'Asie.
M. Capus offre à la Société un album de quatre-vingts dessins
ou croquis représentant les tombes musulmanes qu*il a pu
observer dans le centre de TAsie, chez les Kirghiz et les
Turcomans.
M. Adrien de Mortillet estime que tous les voyageurs
devraient imiter l'exemple de M. Capus.
Un erAne fossile do bovidé;
PAR H. FAUVELLE.
J'ai l'honneur de mettre sous les yeux des membres de la
Société un crâne fossile offert à TÉcole d'anthropologie par
M. André Lefèvre. On a très peu de renseignements sur cette
pièce. On sait seulement qu'elle provient du royaume de
Naples et qu'elle a été trouvée dans un terrain reposant sur
des couches tertiaires.
Voici le résultat des recherches que j'ai faites pour déter-
miner à quelle espèce animale ce crâne a pu appartenir.
D'abord son aspect irrégulier tient à ce que la table externe
des os de la voûte a presque entièrement disparu, laissant
à nu les énormes vacuoles du diploé. Laterreque contenaient
encore ces anfractuosités aun aspect calcaire dû à la présence
de fragments minuscules de coquilles absolument indéter-
minables. On y rencontre aussi un certain nombre de radi-
celles de végétaux qui prouvent que la pièce a été trouvée
dans un terrain voisin de la superficie. De plus, le poids spé-
cifique considérable du tissu osseux indique une fossilisation
avancée qui fait remonter ce crâne à une époque tout au
moins préhistorique.
L'aspect général de la base et spécialement la forme de la
.cavité glénoïde du temporal doivent le faire ranger dans
S78 8ÉANCB DU 16 AVRIL 489f.
l'ordre des ruminants, et la situation au-dessus des fosses
temporales de deux saillies du diploé, qui devaient supporter
les prolongements frontaux des cornes, le rattache indubi-
tablement à la famille des bovidés. Reste maintenant à spé-
cifier, s'il est possible, à quel genre il appartient.
Cette famille qui se rattache aux antilopes par YAlcelapkus
bubdlis apparaît dans la couche supérieure du pliocène qui
se continue avec le quaternaire. La première espèce signalée
est le Bos etruscus du val de Ghiana dans le cours supérieur
de TArno.
Durant la période quaternaire^ les espèces de bovidés se
multiplièrent, et, dans la région de Naples, on a signalé un
buffle qui présente de grandes analogies avec celui du nord
de l'Afrique. M. Albert Gaudry, le savant professeur de
paléontologie, qui a bien voulu examiner ce fossile^ le classe
parmi les bovidés quaternaires et ne serait pas éloigné de
croire qu'il appartient au sous-genre bubalus, qui se distingue
du bœuf ordinaire par son front bombé, particularité qui est
manifeste ici. Du reste, voici un atlas d^aurochs que j'ai re*
cueilli il y a quelques années dans les alluvions de Grenelle;
bien que son volume soit en proportion avec celui de notre
crâne, il est facile de voir que ses cavités cotyloïdes ne sont
pas en rapport de forme avec les condyles de Toccipital.
En résumé, cette pièce, bien qu'incomplète, est un précieux
reste d'une espèce très rare de bovidés quaternaires. Nous
devons donc adresser nos remerciements à M. André Lefèvre
qui a bien voulu en enrichir nos collections.
Discussion.
M. Sanson fait les plus expresses réserves sur cette inter-
prétation. Il pense qu'on ne peut dire qu'une chose : c'est
qu'il s'agit d'un bovidé. Le Bos primigenius quaternaire pré-
sentait de nombreuses variétés de tailles différentes. Des
types actuels de bovidés de la Vendée en ont encore aujour-
d'hui tous les caractères. L'aurochs, au contraire, chassé au
temps de César, était un bison ; c'est tout à fait autre chose.
PAUL RAYMOND. — SILEX PRÉHISTORIQUES. S79
M. Gabriel de Mortillet rappelle qu'il y a deux types de
bovidés quaternaires, Tun se rapportant à une espèce de
grand bœuf, le Bos primigeniusy l'ancêtre de nos bœufs do-
mestiques, Fautre qui est le Bùon europœus; en France, en
Italie et en Angleterre, on fait cette différence ; le Bo$ ptnmi-^
gem'us ou ufus est un type qu'on différencie avec soin du Bison
europœus ou aurochs.
M. Dbniker. Les auteurs allemands appellent Auer^chs^
Ur ou Urochs (bœuf primitif), le Bos primigenius qui vivait
jadis en Germanie, et le distinguent absolument du bison,
Bos bison, Ray, Wisenij dont les derniers représentants vivent
encore en Russie, où on leur donne le nom de Zoubr. C'est
donc en somme une terminologie toute différente.
M. Hervé dit qu'il faudrait supprimer le nom d'aurochs,
qui prête à confusion, et dire bœuf primitif et bison.
M. Fauvelle. Je ne puis suivre mes honorables collègues
dans la discussion qui s'est élevée au sujet de ma présenta-
tion, car elle a pour origine une erreur d'interprétation de
mes paroles. Voici ce que j'ai dit : M. Albert Gaudry, à la
suite de l'examen qu'il a bien voulu faire de (a pièce, n'a pas
prétendu affirmer qu'elle appartenait à un buffle. 11 m'a dit
en propres termes : « C'est un crâne de bovidé quaternaire,
peut-être d'un buffle, cette espèce ayant vécu à cette époque
dans le sud de l'Italie ; mais il est impossible de l'affirmer. »
Il n'y a donc pas lieu de faire ici le procès de la paléonto-
logie et des paléontologistes.
Silex préhisloriqves de TArdèelie ;
PAR M. LE DOCTEUR PAUL RATMONB.
Les objets que j'ai l'honneur de vous présenter provien-
nent de cette partie de la rivière d'Ardèche qui sépare le
département du Gard de celui de TArdèche. Ils ont été
recueillis les uns sur la rive droite, dans le Gard, les au-
tres sur la rive gauche de la rivière, dans l'Ardèche. Dans la
dernière partie de son cours, l'Ardèche traverse de hauts
280 SÉAIfCE DC 16 AVRIL 1891.
plateaux au milieu desquels elle s'est creusé uq lit dont la
profondeur varie entre 150 et 200 mètres. Il s*est ainsi formé
des gorges d'un aspect grandiose, et qui font de cette partie
presque ignorée de la France l'une des régions les plus in«
téressantes de notre pays, l'une des plus pittoresques que
Ton puisse imaginer. Tous ces parages ont été habités par
nos ancêtres des temps préhistoriques, ainsi qu*en témoi-
gnent les nombreux objets qu'ils y ont laissés, les monuments
qu*iU y ont élevés. Ils les ont habités pendant un espace de
temps considérable, ainsi que le prouvent les silex de Tépo-
que moustérienne qu'on y trouve, les silex magdaléniens et
ces fragments d'anneaux de bronze trouvés dans un dolmen,
que je vous présente.
Dans ces gorges de TÂrdèche, il existe une quantité con-
sidérable de grottes ; j'en connais pour ma part plus de
cent cinquante. Elles sont étagées sur les rochers à pic qui
encaissent la rivière. Les unes n'ont que quelques mètres
de profondeur ; les autres atteignent une centaine de mè-
tres. Parmi les cavernes, il en est une qui a plus de deux kilo-
mètres. Elles ont été, pour la plupart, habitées par l'homme
ou les grands animaux, et les fouilles qu'on y a faites bien
avant moi ont amené des découvertes du plus grand intérêt.
Je ne vous rappellerai qu'un nom, celui d'un savant des plus
distingués^ M. Ollier de Marichard, bien connu de nous tous,
et dont, en 1878, nous avons pu admirer à l'Exposition la ma-
gnifique collection. Ce sont surtout les grottes situées en
amont de la rivière qu'a visitées M. Ollier; les grottes d'aval
ont été moins explorées, et c'est cette exploration que j'avais
commencée lorsqu'un malencontreux accident est venu
mettre un terme à mes investigations. Quoi qu'il en soit, mes
recherches n'ont pas été vaines, et ce sont les échantillons que
j'ai récollés que je fais passer sous vos yeux. Ils proviennent
de trois gisements différents : d'un abri sous roche, de deux
grottes, d'un dolmen. Vous savez, en effet, que celte région
est aussi très riche en cette dernière sorte de monuments
mégalithiques ; ils ont été pour la plupart fouillés, les uns
PAUL RAYMOND. — SILEX PRÉHISTORIQUES. 381
méthodiquement, les autres malhenrcasement par des igno-
rants qui espéraient y trouver le trésor classique. Tous ces
dolmens ont plus souffert de la main des hommes que des
injures du temps, et le volume seul de leurs dalles a pu sauver
de la destruction ces demeures des fée^, ces omlau di fado^
comme on les appelle dans cette partie du bas Languedoc.
L'abri sous roche est situé dans la commune de Saint-
Martin-d'Ardéche ; il se trouve à mi-hauteur environ du
plateau. Il pouvait avoir de 10 à 12 mètres de long et 4 mè-
tres de profondeur. La roche forme avec le sol un angle aigu
ouvert au sud-est. Cet abri était le siège d^une taillerie de
silex, ainsi qu'en témoignent les nombreux éclats qu'on y ren-
contre. Il suffît de creuser à une profondeur de 30 centimè-
tres pour trouver ces éclats. Pour ma part, je n*ai trouvé
dans cet abri que ces éclats et quelques conchoïdes de per-
cussion. Ils ont néanmoins une importance majeure, parce
qu'ils montrent que dans cette région où il n'existe pas de
silex, il y avait, outre l'importation de produits manufac-
turés, fait sur lequel je reviendrai dans un instant, une im-
portation de blocs de silex, de rognons que l'industrie
locale se chargeait de tailler et d'utiliser.
Dans les deux grottes dont je vous parlais, voici les objets
qui ont été trouvés. D'abord ces fragments de poterie. Us
sont caractéristiques, et je ne vous ai apporté que les plus
intéressants. Yoici^ au milieu de la pâte noire, les petits
fragments de spath calcaire typiques. Le premier fragment a
pris sur sa face externe la couleur rouge de la cuisson,
mais elle ne pénètre pas bien profondément. Ce deuxième
fragment a été lissé par un instrument; il a conservé à l'ex-
térieur sa teinte gris noirâtre. En voici un troisième qui pré-
sente une série d'impressions à l'ongle qui constituent une
ornementation régulière tout autour de l'ouverture.
Les objets en silex sont tous cacholonnés. Ce sont des
lames finement retouchées, avec cette précision qui caracté-
rise l'époque de la Madeleine. Je vous présente, avec ce
concboïde de percussion, ces fragments de lames, un très
Stti SÊANCB DU 46 AVHtL {891.
joli couteau de 8 centimètres, un burin et un grattoir sur
lequel je désire insister. Il est en jaspe bicolore, comme ces
instruments que Ton trouve dans la Vienne, et provient
vrai3emblablement de cette contrée.
Quant aux dolmens, j'en ai visité deux sur la rive gauche
de la rivière : l'un qui avait été récemment découvert venait
d*être fouillé; Tautre était rempli d une quantité considérable
de pierres. Ne sachant s'il avait été antérieurement fouillé,
j*ai ajourné mes investigations et je me suis surtout occupé
des dolmens de la rive droite compris dans le département
du Gard, communes de Laval et du Garn. Là se trouvent
plusieurs dolmens bien connus et qui ont été pour la plupart
fouillés méthodiquement, ce dont j'ai pu me convaincre en en
repassant deux ou trois. J'ai toutefois rencontré une de ces
sépultures qui, bien qu'ayant été violée, m*a néanmoins permis
de récolter quelques objets intéressants. Un mot d'abord sur
ces dolmens. Dans un espace, en somme, assez restreint (1 ki-
lomètre environ), j'en ai compté quatorze et je ne crois pas
les avoir tous vus. Quelques-uns d'entre eux sont de véri-
tables caissons constitués par deux dalles parallèles et une
dalle de fond de même largeur, mais en général ils sont
beaucoup plus longs que larges. Celui que j'ai fouillé, situé
dans les bois de Laval, présente une longueur de 3 mètres,
une largeur de 80 centimètres et une profondeur de 80 cen*
timètres environ. Les dalles latérales avaient basculé et
elles étaient venues s'arcbouter Tune contre l'autre. Le plus
souvent la dalle de recouvrement fait défaut. On reconnaît
encore à certains d'entre eux les vestiges du tumulus de
pierrailles qui les recouvrait. Le dolmen dont je parle était
orienté du nord-est au sud-ouest, mais il est facile de se con-
vaincre que celte orientation n'est pas uniforme en ce qui
concerne les quatorze dolmens de cette région du moins.
Les dalles de ces dolmens ainsi que les tumuli sont consti-
tués par la roche de la contrée. Dans le dolmen que j'ai ex-
ploré, j'ai d'abord trouvé des ossements qui appartiennent
à plusieurs corps* lis se trouvaient au milieu de cette couche
t)ISGt;S8tON SUR LA NATALtTt fiN I^RANCB. 9tl3
de cendres qui indique bien que ce dolmen était une sépul-
ture bien plutôt qu'un ossuaire à proprement parler. J*y ai
trouvé en outre des perles au nombre de quinze ; elles sont
arrondies et très régulières, sauf deux qui sont beaucoup
plus grosses que les premières. Tandis que celles-ci sont en
coquilles, les deux autres sont en calcaire. Voici un nodule
de fer oligiste poli. Il a la forme et les dimensions d'une
grosse olive. Voici encore un fragment de nucléus en silex,
et voici enfin des fragments d'anneau en bronze qui datent
ce dolmen*. Il est intéressant de trouver dans cette même
sépulture des vestiges d'une époque de transition. 11 ne
s'agit pas d'ailleurs ici de superposition de sépulture, et je
sais que, dans difTérents dolmens de la région, on a trouvé
à la fois la pierre et le cuivre.
Suite de la dlseoaeleB sar le telUe aeerol— teat
de la pepalalloB ea Fraaee.
M. Eschenauer dit que l'essentiel est d'avoir beaucoup
d'enfants. Il s'élève contre les mesures restrictives, contre les
difficultés qu'élèvent les propriétaires au sujet des nombreux
enfants, contre les ennuis suscités par les compagnies de
transport.
M. Hervé fait remarquer que plus une famille a d'enfants
moins elle pourra les bien élever.
M. Eschenauer répond qu'au contraire, dans les grandes
familles, l'instruction se fait entre les divers enfants qui
s'éduquent mutuellement.
M. Sanson. Je demande d'abord la permission de préciser
la question qui se discute depuis longtemps déjà devant la
Société et dans laquelle il a été introduit, selon moi, des
éléments qui lui sont en grande partie, sinon tout à fait étran-
> Lorsque J*ai présenté eet iDneau à U Société ci'anthropoloigio,
M* AdrioD de Morlillet 8*eit demandé i"\l n'était pas plutôt en cuivre
qu'en bronze. J*ai pu me rendre compte qu'il est en effet en cuivre et que
l'hypolhèse de M. Adrien de MorUllet, quant à la date de ce dolmen, est
pai>AliUraeai exacte.
284 SÉANCE DU i6 AVRIL 1891.
gers. Gesi à ce qu'il me semble la seule manière d'en trouver
la solution.
Au premier rang de ces éléments étrangers se place la mor-
talité, sur laquelle on a insisté de façon à laisser croire, d*une
part, que seule elle devait fixer Tattention et, de Tautre,
qull n*y avait aucunement lieu de se préoccuper des mesures
propres à la diminuer. A entendre, par exemple, M. Jacques
Bertillon, il a pu sembler que tel était son propre avis. Ce
n*est évidemment là qu'une apparence. 11 a seulement insisté,
trop insisté à mon sens, sur ce fait incontestable, mis en
évidence par toutes les statistiques, qu'à la suite de toutes
les grandes mortalités un accroissement de la natalité vient
toujours combler les vides faits dans la population. On en a
eu, chez nous, une preuve frappante dans les premières
années de la Restauration, après les guerres de TËmpire qui
avaient consommé un si grand nombre d'hommes et tant
affaibli la population. Peu de temps après la paix rétablie, il
n'y paraissait plus. Est-ce à dire que notre collègue ait voulu
soutenir qu'il faille négliger les efforts propres à diminuer la
mortalité normale ? Aucun de vous ne le pense, je suppose.
Il a voulu montrer simplement que ce n'est point de ce côté
qu'il faut chercher la solution du problème en présence
duquel nous nous trouvons, et, à mon avis, il a eu pleinement
raison. La question de la mortalité, infantile ou autre, si
intéressante et importante qu'elle soit en elle-même, est en
dehors de ce problème.
En effet, nous constatons que depuis le commencement du
siècle le coefficient d'accroissement de la population française
est allé diminuant. Le baron Charles Dupiu avait une façon à
lui d'exprimer ce fait. Je l'ai entendu bien des fois, il y a une
trentaine d'années, à l'Académie ,des sciences, s'écrier avec
chaleur que la France était en train de manger son troisième
enfant, et adjurer les pouvoirs publics d'y mettre ordre. Il
entendait par là que le nombre des enfants par ménage, qui
avait été de trois en moyenne, n'était plus que de deux et une
fraction. Depuis lors la fraction s'est amoindrie. Elle a pré-
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANGE. S85
sente des oscillations, bien entendu, comme on l'observe tou-
jours dans tous les phénomènes naturels, dont aucun ne peut
être exprimé par une droite ; mais la courbe n'en est pas
moins constamment descendante, et il est dès lors permis de
prévoir le moment où le nombre moyen sera tombé à deux,
Qu'adviendra-t-il alors de notre population ? Je vous le de-
mande. Qui est-ce qui pourra l'empêcher de diminuer et quel
sera l'avenir de notre nation ? Ne sera-t-elle pas vouée à une
perte certaine? Je suis de ceux qui s'en effraient, je vous
l'avoue, et qui pensent que rien ne doit nous coûter pour
conjurer un tel malheur.
Sans doute il n'y a pas à craindre un péril immédiat, en
comparant noire population à celles des nations qui nous
entourent. Le nombre de soldats dont nous disposons actuel-
lement et leur valeur propre me laissent en pleine sécurité.
Homme pour homme nous pouvons supporter la comparaison
avec qui que ce soit. Mais ce n'est ni du présent, ni d'un pro-
chain avenir qu'il y a lieu seulement de se préoccuper. Il faut
avoir la vue plus longue. La nation française a joué et joue
encore dans le monde un rôle que nous avons le devoir de lui
assurer pour le plus long avenir. Si au lieu de s'accroître nor-
malement, en raison du coefficient que lui permettraient les
conditions véritablement privilégiées de son sol, elle va au
contraire diminuant de population, rien ne pourra l'empêcher
de disparaître de la carte du monde. Elle sera fatalement
absorbée par une nation plus forte. C'est la loi de l'histoire.
Comment ne pas s'émouvoir en présence d'une telle éventua-
lité?
Le péril sera devenu certain à partir du moment où le
nombre moyen des enfants par ménage sera réduit à deux, et
il est incontestable que depuis le commencement du siècle
nous y marchons d'un pas qui tend plutôt à s'accélérer qu'à
se ralentir. Quand nous en serons là, voyez-vous le moyen
d'arrêter le mouvement de diminution de la population en agis-
sant sur la mortalité ? Je ne pense pas que personne prétende
qu'il soit possible de réduire cette mortalité à zéro. Si grands
T. H (*« SÉUIe). l'J
S86 SÉANCE DU 16 AVRIL 1891.
que soient les progrès de Thygiène et de la médecine^ ils ne
sauraient arriver jusque-là. Il y aura toujours des pertes,
si minimes qu'on puisse les supposer, et dès lors la popa«
lation diminuera nécessairement, car il y aura au moins une
fraction de reproducteur qui ne sera pas remplacée. Ces
progrès de l'hygiène et de la médecine ne sont point niables.
La preuve péremptoire en est qu*à mesure que, dans notre
population, la natalité diminuait, la mortalité diminuait aussi
de son côté. Je ne crois pas me tromper en disant que nous
avons une des plus faibles mortalités de TEurope, sinon la plus
faible de toutes. C'est notre population qui perd le moins
par la mort et c'est une de celles dont l'accroissement se
ralentit le plus. Les statisticiens nous l'ont démontré à
satiété. Où trouver une meilleure preuve que la mortalité
n'est pour rien dans le phénomène qui nous occupe et que
conséquemment il faut éliminer du débat la question de la
mortalité. Les hygiénistes continueront leurs louables efforts.
Nous leur en serons reconnaissants. Mais il faut se bien per-
suader que la science hygiénique est impuissante toute seule,
contrairement aux prétentions qui ont été manifestées ici et
ailleurs, à résoudre le problème posé.
Ce problème est tout entier, et j'ose dire exclusivement,
dans la question delà natalité. Pour que le péril soit conjuré,
il faut que nous voyions augmenter le nombre des naissances,
au lieu de le voir diminuer. C'est là un point sur lequel nous
sommes ici, je crois, tous d'accord. Il n'a, du moins à ma con-
naissance, été contesté par personne. On a cherché à l'expli-
quer de diverses façons. Quelques tentatives ont été faites
pour lui attribuer une raison physiologique ; mais les hypo-
thèses proposées à ce sujet ne me paraissent pas avoir obtenu
grand crédit. Ce qui me semble acquis, c'est que la restric-
tion de la natalité est considérée à peu près par tout le monde
comme un phénomène volontaire. Il y a longtemps que je
Tai dit ici, notamment à l'occasion d'une communication dans
laquelle M. Chervin attribuait à Tinfluence de l'alcoolisme la
diminution de la population en Normandie. Lui et M. Lagneau
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 287
Tont alors conleslô. J'ai eu la satisfaction de les voir depuis,
Tun et lautre, se ranger à mon avis, qui ne m'était d'ailleurs
point personnel. On peut donc, sans chance d'erreur, prendre
pour base des recherches ultérieures ce fait que, dans notre
population la restriction de la natalité est un acte dépen-
dant, du moins dans sa généralité, de la volonté. On n'a
pas plus d'enfants, dans les ménages, parce qu'on ne veut
pas en avoir davantage. Les cas de stérilité pathologique,
ceux de retard ou d'empêchement aux mariages et autres
n'entrent que pour une part minime et conséquemment négli-
geable dans le phénomène, ce qui ne veut pas dire qu'on
doive s'abstenir de remédier à ceux qui peuvent être atteints.
J 'entends seulement qu'il ne faut pas, en s'y attachant, comme
quelques-uns de nos collègues s'y sont complu, et en y insis-
tant, détourner l'attention du fait principal qui est, je le
répète, celui de la restriction volontaire des naissances.
Quel est le motif ou quels sont les motifs de cette restric-
tion ? C'est ce qu'il faut d'abord se demander, si l'on veut
trouver le remède ou les remèdes au mal constaté. Il est
remarquable que ce mal se manifeste à peu près exclusive-
ment dans deux catégories sociales, qui à certains égards sont
fort analogues. Dans les campagnes, où il exerce la plus
grande influence eu égard à la prépondérance des popula-
tions rurales, on le rencontre surtout chez les cultivateurs
aisés. Je l'avais signalé ici- même, à M. Ghervin, dans l'occa-
sion que j'ai rappelée, et depuis vous savez qu'il l'a confirmé
par la statistique. Nous sommes donc d'accord sur le fait. Je
vous montrerai, dans un instant, qu'il n'en est pas de même
au sujet des conséquences qu'il y a lieu d'en tirer. Il a persisté
dans son opinion que la législation n'avait rien à voir dans
cette affaire. Nos paysans aisés tiennent à n'avoir qu'un seul
enfant et visent ensuite à l'unir par mariage avec un autre
enfant unique, d'abord pour ne pas avoir à diviser leur petite
fortune, qu'ils acquièrent par Tâpreté au travail et à l'écono-
mie que l'on sait, ce qui fait du reste la richesse exception-
nelle de la France; puis pour que la fortune du nouveau
â88 SÉANCE DU 16 AVRIL 4891.
ménage soit doublée. C'est ainsi que les petites fortunes
rurales s'agrandissent, en même temps que les grands
domaines disparaissent peu à peu en se divisant entre les
cultivateurs. Les purs rentiers du sol se ruinent à mesure
que les cultivateurs s'enrichissent. Le mouvement en ce sens
n a pas cessé de s'accentuer depuis la Révolution. Et il n'y a
pas de doute que celui de la restriction de la natalité lui a
été corrélatif.
Je suis convaincu, pour ma part, que ce mouvement de
restriction est la conséquence des mesures prises dans le Gode
civil au sujet du droit de succession. En vue de réagir contre
l'ancien régime, on a dépassé le but en établissant, non seu-
lement le principe de l'égalité des partages, mais encore le
droit à la succession des ascendants, en telle sorte que les
enfants ont été amenés, par la législation même, à se consi-
dérer légalement comme les propriétaires légitimes des biens
dont les parents ne sont que les usufruitiers. Tous ceux qui
ont observé les populations rurales savent que, quand un
paysan tarde trop à se dessaisir par la mort ou par sa volonté
de la jouissance des biens qu'il délient, ses enfants ne se
gênent guère pour manifester leur impatience. Gela leur
semble tout naturel, puisque leur esprit s'est habitué à ce qui
est en effet le droit. Et quand le père dissipe la fortune du
ménage, est-ce qu'ils ne se considèrent pas comme lésés ?
Je ne dis pas que les mêmes idées n'aient point cours dans
les populations urbaines. H y a au contraire tout lieu de
croire qu'elles y florissent de même. Et, tenez, laissez-moi
vous conter à ce sujet une brève anecdote. Je causais récem-
ment avec un médecin de ma connaissance et je lui deman-
dais s'il faisait de la clientèle. Oh bien peu, me répondit-il,
un peu de consultation seulement. Je n'ai qu'une fille et le
père un tel (son père à lui) laissera 350 000 francs. Vous
comprenez que je n'ai pas besoin de me fouler pour lui gagner
une dot. 11 me disait cela de l'air le plus tranquille du monde,
comme s'il s'était agi d'un axiome. L'idée se manifeste ainsi,
chez ceux qui ont reçu une certaine éducation, sous des
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANGE. 289
formes moins brutales. Ils attendent en apparence plus
patiemment. Mais au fond c*est la même chose. Les citadins
pensent comme les ruraux, que moins on est pour partager
la succession paternelle mieux cela vaut. G*est passé dans les
mœurs.
La première chose à faire me paraît donc être de rendre
au père de famille la libre disposition de ses biens. On me
répondra que, dans Tétat actuel de la législation, il peut en
attribuer à sa volonté une partie qu'on appelle la quotité
disponible. Ce n'est pîis assez. Il faut, pour que les mœurs
changent sur ce point, qu'il soit en droit de disposer du tout.
La crainte qui a été quelquefois manifestée de voir ainsi
revivre le droit d'aînesse, que les auteurs du Code civil ont
eu évidemment en vue, me paraît être devenue une pure
chimère. Il n'y a pas de risque de le voir rétablir dans notre
État démocratique. 11 est dans la nature des choses que le
père de famille aime également tous ses enfants et qu'il les
traite tous également, s'ils n'ont pas démérité par leur con-
duite, s'il n'a pas lui-même acquis la conviction que l'un ou
plusieurs d'entre eux feraient mauvais usage des ressources
qu'il pourrait leur laisser. Il n'y a plus aucun motif pour que,
systématiquement, il favorise l'un plutôt que l'autre. L'im-
portant, à notre point de vue, c'est que les enfants ne
puissent plus compter, dès qu'ils arrivent à l'âge de raisonner,
sur la succession de leurs parents comme sur une chose qui
est de droit, et qu'ils s'habituent à l'idée que leur avenir
dépendra d'eux seulement, à partir du moment où leur père
les aura mis en mesure de s'en créer un par leur travail.
On ne manquera sans doute pas de m'objecter que le
changement proposé dans la législation sur les successions
ne saurait avoir pour effet d'augmenter le nombre des enfants
par ménage, en remarquant, comme M. Donnât l'a déjà fait
dans le cours de la discussion, que les deux mesures législa-
tives votées sur les propositions de Paul Bert, d'une part, et
de M. Javal, de l'autre, ne se sont point montrées efficaces.
Lorsque l'argument a été produit, j'ai déjà dit que les auteurs
llt^t *!L fîn-l i.r:r*-ii«t: ri* ."uriTitfic: i»î
iit'rr '.T*^Li i-r^r >ê-:i:«xTTL 5* "tj-pu. C.ozikx: ! t;
qu'elle Cr^fix;r«t >çjk.&izt? > f!l âfç«tn2^rf «c rveûne sorte
€*;•> ©éltrit*. C^: p-M i p*-:. IfsiiTvrl. exe ie drcsî à la
Kjccç'f^'.'î: a j^:-îiii: ko f-'îi- La FCT«rwsi>a de ce droit oe
pett pf>icir* !c îien -Tat «d* rates* e:i m:»ilf art l« idées
«t. par «>â»é>7iient. i*§ soms. Ces?. t-rî«5é3*aJ pourquoi
il ixDport^ d'y aTi**r ie plu* V*A pos&bù^.
MaU eaeore bien çn* sr c^ tromperaïf «sr ce eaFKt^rv de
lar^^forme çce je pr^p-:-^. erjyex-Tos? qa'i! «eraît indîflerenl
que le* âl* n eassect pk* à c^i-mpter qu'éTeataelleraeol sur la
iucrefè'Oii d-îr ienr? prrre*? £=*-«>? ca'en ce cas ils ne sermieot
pas amené* for r^fmtnt à pen?er de tinne heore que leur
avenir dépend avant toot de lenr tTarail. de lenr initiative,
et ne voos s^mbie-t-ii p>as que par c^ela même le nombre des
inutiles, qni deviennent fi facilement nuisibles, serait de
beaucoup diminaé ? La valeur, la pai>5ance des nations dé-
pendant pour la plus forte part de la somme de leurs efforts
individuels, de la somc:e de leurs vatenrs productives, rien
qu'a ce point de vue la réforme serait justifiée.
J'ai dit que c*: devrait être la première à réaliser. Ce n'est
donc pas ia ^euie. A mon avis, elle a§:irait principalement sur
lea populations des campagnes. Celles dont je vais parler
maintenant visent plutôt la petite bourgeoisie des villes, qui
restreint aussi sa natalité.
Pourquoi les petits bourgeois n'ont-ils que le moins pos-
sible d'enfants? Ce nest point, si je ne m'abuse, pour le motif
dont je viens de m'occuper, du moins ce motif ne me paraît
y avoir qu'une faible part. Il ne suffit pas ici de nourrir ses
DISCUSSION 8Ua LA NATALITÉ EN FRANCE. 291
enfants, de les vôtir ot de les envoyer à rôcola primaire. Il
faut, pour qu'ils atteignent la condition de leurs parents, qu'ils
aillent au lycée. Gela coûte très cher. Les petits bourgeois
n'ont pas beaucoup d'enfants parce que leurs ressources ne
leur permettraient pas de les élever, dans le sens que nous
donnons à ce mot. On essaierait en vain, je le crains bien, de
les persuader que les grandes familles s'élèvent aussi bien et
même mieux que les petites, ainsi que nous le disait tout k
l'heure avec sa chaleur communicative notre excellent col-
lègue M, Eschenauer. Les prédications morales ne peuvent
avoir que des avantages. Elles sont excellentes en elles-mêmes,
Mais elles n'atteignent que bien rarement leur but, surtout
quand elles ont à lutter contre des difficultés comme celles
dont il s'agit ici.
Pour les familles un peu nombreuses, les conditions de
l'existence sont devenues de plus en plus difûciles. Depuis le
commencement du siècle, le prix de la viande, par exemple,
a plus que doublé, et il en a été à peu près ainsi pour pres-
que tous les objets de subsistance. Supposez un petit bour-
geois disposant d'un revenu de quatre à cinq mille francs,
môme de six mille, si vous voulez, et admettez qu'il ait trois
enfants, comme ce serait désirable. Il voudra nécessairement
les faire arriver à une condition au moins égale à la sienne,
et, si possible, supérieure. C'est légitime, et c'est ainsi que sa
forme ce qui a été appelé les nouvelles couches sociales, dont
nous ne voudrions certainement'pas arrêter Tessor. Elles font
la force et la vitalité de notre démocratie. De ses trois enfants,
notre petit bourgeois en devra entretenir au moins deux à
la fois au lycée ou au collège. Eh bien, cela lui coûtera
1200 francs par tète, soit 2400 francs pour les deux. Gom-
ment lui, sa femme, son autre enfant et une servante qui,
pour n'être pas indispensable est cependant, le plus souvent,
considérée comme nécessaire dans un tel ménage, pour-
raient-ils maintenir leur propre condition avec ce qui restera
sur le revenu ? Ge serait tout au moins la gêne et les priva-
tions de toutes sortes. N'est-il pas facilement compréhensible
âOS EÉANGE DU 16 AVRIL i891.
qu'en pareil cas on s'arrange plutôt pour n'avoir qu'un seul
ou, au plus, deux enfants convenablement échelonnés?
Voilà l'obstacle que rencontrent les prédications en faveur
des nombreuses familles. C'est le principal, veuillez le croire,
et tant qu'il subsistera, ne comptez point, de ce côté, sut
l'accroissement des naissances. Elles continueront plutôt de
diminuer, car il y a lieu de penser que la hausse des subsis-
tances ne fera que s'accentuer dans l'avenir. On me dira peut-
ôtre qu'il existe des bourses auxquelles chacun peut aspirer.
Ce n'est pas assez. Ce n'est qu'une espérance. Il faut la cer-
titude pour lever l'obstacle.
Et remarquez, je vous prie, que la situation d'après laquelle
je viens de raisonner n'est point la moindre. Il ne manque
pas de ménages bourgeois dont le revenu descend au-dessous
du minimum que j'ai admis. En présence des besoins actuels
de la vie, combien de jeunes hommes, parmi ceux au milieu
desquels nous nous trouvons tous les jours, renoncent au
mariage ou tout au moins le retardent, parce qu'ils ne trouvent
pas leur position suffisante pour se donner la charge d'une
famille. C'est l'objection qu'ils opposent quand on les engage
à se marier. Il y a li\ un empêchement autrement puissant
que celui qu'on attribue au service militaire, par exemple.
Celui-ci, en vérité, n'est pas sérieux. Songez donc que les
jeunes gens sont libérés du service actif à 1 âge de vingt-
quatre ans au plus tard. Combien en voit-on, dans notre popu-
lation, qui sont en mesure de se marier avant cet âge-là ?
Laissons donc de côté ces considérations secondaires, qui
n'ont vraiment pas d importance. Si tous ceux qui se marient
avaient au moins trois enfants, de façon que la moyenne
par ménage se maintînt à trois, nous pourrions nous en con-
tenter. Je ne pense pas qu'il nous soit permis de viser à égaler
sous ce rapport l'Allemagne. Les femmes françaises ne sont
pas, en général, aussi fécondes que les Allemandes. Bornons
nos prétentions à faire disparaître Tobstacle sur lequel j'ai
insisté et qui détermine la restriction volontaire de la nata-
lité. Il y a, me semble-t-il, un moyen sûr d'y arriver, et je
DISCUSSION BUR LA NATALITÉ EN FRANCE. Î93
n'hésite pas à le proposer. Ce moyen, c'est simplement de
décider que désormais Tinstruction sera donnée gratuitement
à tous les degrés.
Je ne demande pas qu'elle soit obligatoire. L'obligation
doit être limitée à l'instruction primaire, et, en ce qui con-
cerne celle-ci, elle n'a pas besoin sans doute d'être justifiée
ici. Nous sommes tous également convaincus que l'enseigne-
ment primaire obligatoire est d'intérêt national. Pour le reste,
la gratuité suffit. Elle permettra que chacun puisse librement
développer ses aptitudes par la culture intellectuelle et se
préparer ainsi à toutes les carrières qu'elles comportent.
Toutes, dans une démocratie, doivent être accessibles à tous
ceux qui se montrent capables d'y réussir. Et quelle sélec-
tion sous un tel régime ! Mais, pour rester sur notre terrain,
ne voit-on pas que, dans ces conditions, le père de famille
serait complètement affranchi de la préoccupation qui le
retient maintenant. N'ayant plus d'inquiétude pour l'avenir
de ses enfants, assuré de pouvoir les élever jusqu'au moment
où ils seront en mesure de pourvoir eux-mêmes à leurs
besoins, il se donnerait, j'imagine, la satisfaction, et c'en
est une grande, vous n'en doutez pas, d'en avoir le plus
possible.
Mais il est bien clair que, pour établir la gratuité de l'en-
seignement aux degrés qu'on appelle secondaire, supéineur et
professionnel^ il faudrait de l'argent. Il en faudrait même évi-
demment beaucoup. Cela ne m'effraie pas du tout. L'ensei-
gnement est, à mon avis, le premier de tous les services
publics dans une démocratie. On n'y consacrera jamais une
trop forte part de l'impôt. Le budget actuel des recettes n'y
pourrait assurément pas suffire. C'est entendu. Il faudrait
donc créer de nouvelles ressources. Ces ressources, savez-
vous à quoi je les demanderais? Tout simplement aux suc-
cessions. Sans me lancer dans l'inconnu et sans courir le
risque de mécomptes, je me bornerais à augmenter, dans la
mesure nécessaire, les droits qui se perçoivent déjà, d'abord
sur les successions en ligne collatérale, puis, au besoin, sur
294 8ÉANGB DU 16 AVRIL 489!.
celles en ligne directe. Sur les bases des droits actuellement
perçus, les calculs seraient faciles à faire. Et personne
ne serait fondé à prétendre que la mesure enfreindrait le
principe de tout impôt équitable, qui est que chacun ne doit
contribuer aux charges publiques qu'en proportion de sa
fortune. Ceux qui n'hériteraient point n'auraient rien h
payer.
Veuillez remarquer, je vous prie, qu'en outre de son avan-
tage propre, qui serait de contribuer à faire naître plus d'en-
fants et de les mettre en valeur par l'instruction, cet impôt,
contre lequel on ne voit vraiment pas d'objection valable,
aurait celui d'agir dans le môme sens que la première mesure
proposée^ en diminuant d'autant l'importance des sucées**
sions.
J'espère qu'on ne me reprochera pas, comme à M. BertiU
Ion, d'être resté dans les généralités vagues au sujet des
réformes capables de fournir la solution du problème qui
nous occupe. Je viens de formuler des propositions nettes
et précises. Elles pourront paraître hardies, graves, difficiles
à faire accepter ; j'en conviens. Elles ne sont certainement
pas plus graves, toutefois, que le mal auquel il y aune véri-
table urgence de remédier.
M. DuMANDY fait quelques observations d'ordre écono-
mique.
M. Hervé fait observer que la diminution de la natalité
n'a pas progressé d'une façon constante depuis le commen-
cement du siècle, mais qu'il y a eu des hauts et des bas,
les abaissements coïncidant avec la diminution de la pros-
périté générale, tandis que, dans les circonstances inverses,
il y a augmentation de la natalité, en même temps qu'une
moindre mortalité.
M. G. Lagneau. m. Jacques Bertillon paraît penser que
l'accroissement de notre population n'est pas sensiblement
restreint par l'alcoolisme, par l'usage du tabac, par la sy-
philis, par le célibat reUgieux, par Tinterdiction de la re-
cherche de la paternité, par la stérilité réelle des ménages^
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANGE. 30S
par la mortalité épidémiquo, spécialement variolique et
iyphique, dont l'Académie de médecine se préoccupe trop
exclusivement. Notre collègue attribue notre faible accrois-
gement de population principalement, sinon uniquement, à
notre natalité volontairement restreinte par suite de préoc-
cupations d'argent.
Mainte et mainte fois, j'ai également cherché à montrer
que notre natalité était volontairement restreinte. Mais, dans
les fâcheuses conditions démographiques ou nous nous trou-
vons, je crois que, sans [en exagérer l'importance, on fait
bien de tenir compte de certaines des causes auxquelles
M. J. Bertillon dénie toute influence.
J'ai déjà parlé de l'influence du célibat religieux.
L'abus du tabac ne peut nuire qu'à quelques individua-
lités. L'usage du tabac est plus général en Allemagne qu*en
France. La natalité est plus grande au delà qu'en deçà du
Rhin.
Plus fâcheux est l'alcoolisme, l'usage abusif, superflu, inu*>
tile des boissons alcooliques. L'habitude que prennent beau*
coup déjeunes gens de dépenser tout ce qu'ils gagnent chez
les marchands de vins, les cafetiers, les empêche de se ma-
rier, et, quand ils se marient, leur fait redouter une haute
natalité. « Il n'y a plus de place pour la famille, » m'écrivait
une femme mariée. En i886, 448773 établissements étaient
assujettis à la licence relative à la vente des boissons ^ Ce
sont ces établissements qu'il faudrait frapper de lourds im-
pôts.
La mortalité infantile est considérablement accrue par la
syphilis, si fréquente dans nos grandes villes. Dans 1500 fa-
milles syphilitiques, M. Fournier a reconnu que, sur 100 pro-
duits de conception, de 68 à 86 mouraient avant ou peu après
la naissance*. Pareillement, M. Le Pileur, sur 100 concep-
tions de femmes syphilitiques, a constaté 76,7 expulsions de
> Annuaire itatisliquê de la France, 1889, p. 398.
> Fournier, Bulletin de 1^ Académie de médecine, 3 mars 1885, p. 289,
S9:i, etc.; — Gazette hebdomadaire de médecine, 6 mars 1885, p. 160, etc.
296 SÉANCE DU 16 AVRIL 1891.
fœtus ou de mort-nés. Sept enfants, au plus, survivaient au
delà des premiers mois K
Actuellement, la durée du service militaire, réduite à trois
ans, fait moins qu'antérieurement obstacle au mariage de
nos jeunes gens. Ce service retarde moins l'obtention d*nne
profession permettant de subvenir aux besoins d'une nouvelle
famille. Néanmoins, cette durée pourrait être réduite davan-
tage, si, comme le voulait notre ancien collègue Paul Bert,
nos jeunes gens, durant la période scolaire, étaient exercés
à la gymnastique et aux exercices militaires. Dans Tenquète
que le ministre de l'instruction publique fît à propos du sur-
menage et de la sédentarité scolaires, plusieurs recteurs
d'académie ont eux-mêmes demandé que les lycéens des
classes supérieures pussent aller s'exercer au tir, à l'équi-
tation, sur le stand, aux quartiers de cavalerie *. Si nos
jeunes gens étaient sérieusement instruits aux exercices mili-
taires durant la période scolaire, si au lieu de maintenir le
tirage au sort pour désigner les hommes à renvoyer préma-
turément dans leurs foyers, on ne renvoyait que les hommes
ayant fait preuve d'instruction militaire complète, nos jeunes
gens s'efforceraient de s'instruire promptement, on n'aurait
pas besoin de les retenir trois ans à l'armée.
Ainsi que M. J. Bertillon, je crois qu'il faudrait favoriser
le mariage en simplifiant le plus possible les formalités, en
rendant aussi minimes que possible les frais qu'il exige; car
ces frais sont parfois considérables, surtout lorsque les con-
joints sont de nationalités différentes, ainsi que cela a sou-
vent lieu dans nos départements frontières et dans nos grandes
villes. C'est le meilleur moyen de limiter le concubinat.
Notre collègue pense que l'interdiction de la recherche do
la paternité n'a aucune influence sur la natalité illégitime,
* Le Pileur, De la mortalité infantile causée par la syphilis ^ p. 20, 23
{Société obstétricale et gynécologique,iSS9).
* Commission pour Vétude des améliorations à introduire dans le régime
des établissements d'enseignement secondaire (Extrait des rapport* de
MM, les Recteurs, p. 133, 133, 142, etc., Paris, 1888).
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 297
Je ne partage pas complètement son opinion, tout en recon-
naissant que la proportion de la natalité illégitime paraît
dépendre de bien d'autres causes que de cette recherche de
la paternité. Je constate que sur 100 naissances totales, de
Tan IX à l'an XI, de 1800 à 1803, avant la promulgation
de notre Code civil qui interdit cette recherche, on comptait
4,88 naissances illégitimes, et que, depuis, notre natalité illé-
gitime s'est accrue progressivement à 8,5, en 1888*. En An-
gleterre, où la législation protège davantage la jeune fille,
de 1877 à 1887 on a compté 4,8 naissances illégitimes sur
100 naissances totales', comme autrefois dans notre pays. Il
importe que le père naturel, de même que dans les îles Bri-
tanniques, dans les pays allemands, dans les Etats-Unis, soit
tenu de fournir une pension d'entretien à l'enfant qu'il pro-
crée. Il ne faut pas qu'on laisse mourir de misère et de dé-
laissement ce malheureux enfant. Or, Chenu ^ et Ély* ont
montré que, de 0 à 21 ans, nos garçons illégitimes perdent
74 décédés sur 100, tandis que les garçons légitimes perdent
33 à 34 décédés sur 100.
Selon M. J. Bertiilon, notre natalité volontairement res-
treinte lient à notre état de richesse relative, qui fait que
nous nous préoccupons beaucoup des questions d'argent.
Contrairement au souvenir de M. Sanson, je ne me rappelle
pas avoir contesté la restriction volontaire de la natalité, mais
tout en reconnaissant qu'en général les riches ont moins
d'enfants que les pauvres, tout en reconnaissant qu'ordinai-
rement la richesse a une influence restrictive sur la natalité,
ainsi que je le disais ici le 2 juillet 1874, je pense que la na-
talité restreinte dépend « du désir des parents d'assurer à
leurs enfants une position sociale égale à la leur, une situa-
« statistique de la France^ 2« série, t. XX, p. 190, 19i ; 3° série, U XIII.
p. XXXI.
« Annual Report of the registrar gênerai of birlhSf deaths and mariages
in England, 1887, p. x.
3 Chenu, Hecrutement de l'armée et population de la France , p. 56-57, UCT.
* Ely, Hecrutement, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicalisa
p. 642.
298 SÉANCE DU 16 AVRIL 1891.
lion de fortune au moins aussi considérable que celle dont
ils jouissent». Les parents tiennent compte, non seulement
de leur situation, mais aussi des débouchés qui, ouverts à
leurs futurs enfants, peuvent leur procurer la situation dé-
sirée. L'Angleterre, dont la population est plus riche et plus
dense que la nôtre, pour 1000 habitants^ do 1881 à 1887, a
32,9 naissances \ alors que la France, de 1881 à 1888^ n'en a
que 24,11 *. Mais TAngletcrre a sur nous le grand avantage
d'avoir de très nombreuses colonies, qui offrent de larges
débouchés aux Anglais qui s'y portent, tout en fournissant
moyens d'existence et richesse à ceux qui demeurent dans les
iles Britanniques.
Ainsi qu'à M. Hervé, les enfants de familles peu nom-
breuses étant mieux soignés me paraissent présenter une
moindre mortalité que ceux de familles plus nombreuses.
Mais au point de vue moral, au point de vue de leurs apti-
tudes et de leur utilité sociales, avec M. Ëschenauer je re-
connais que trop souvent les fils uniques, trop choyés, trop
dorlotés, sont loin de valoir ceux de familles plus nombreuses.
En général^ dans les campagnes, les familles nombreuses
se trouvent dans de bonnes conditions biologiques.
On est porté à croire qu'il sufOt de deux enfants par
ménage pour remplacer les deux parents procréateurs,
et empêcher la population de décroître. Mais il faut tenir
compte de la mortalité des enfants depuis leur naissance
jusqu'à l'âge où ils peuvent eux-mêmes procréer. Notre
natalité légitime de 1867 à 1880 est de 3 enfanls par ma-
riage*, voire même de 2,91 par mariage en 1888*.
Avec une pareille natalité légitime, notre population dé-
croîtrait sans l'adjonction de la natalité illégitime et do Tim-
* Annual Report of the regislrar gênerai ofbirths y etc., I.ss7, p. v.
' Mouvement de la population de la France en 1888 {Journal officiel de la
République française, âS août 1880).
' Album de statistique graphique f pi. XXVllI, carte 73, 1889.
♦ Vannacquc, Sur le mouvement de la population en 1888 (Journal officiel,
Î8 août 1889, p. 4194).
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 299
migration étrangère, si considérable dans notre pays. « En
France, disait très justement Bertillon père, en 1872, nous
ne dépassons guère trois naissances vivantes par mariage et
ces trois existences sont réduites à moins de deux (i,92), à
vingt ans, de sorte que notre population adulte ne se main-
tient et ne progresse quelque peu, quant au nombre, que
par l'appoint que lui fournit la natalité illégitime *. »
Quoique les enseignements secondaire et supérieur, in-
dispensables au maintien de la supériorité intellectuelle de
notre nation, n'aient qu'une influence douteuse ou indirecte
sur l'accroissement de notre population, puisque, à propos
de cet accroissement, M. Sanson pense que les enseignements
à tous les degrés doivent être, non pas obligatoires, mais
gratuits, je ferai remarquer que le nombre des élèves sui-
vant renseignement secondaire a augmenté de plus du dou-
ble depuis 1850, et s'est élevé à 86,561 en 1888, d'après
M. Gréard, recteur de l'Académie de Paris*; que, grâce
aux bourses d'enseignement secondaire ^et supérieur très
largement accordées, de plus en plus se manifeste la dispro-
portion entre le petit nombre des professions libérales et le
grand nombre des personnes instruites aptes à les remplir ^
qu'en particulier il y a un nombre considérable d'institu-
trices qui, bien qu'ayant leurs titres et leurs diplômes, atten-
dent vainement de pouvoir être placées.
Quant aux réformes apportées à notre enseignement se-
condaire, toutes peuvent n'être pas parfaites. Toutefois,
lorsque, dans des commissions au ministère de l'instruction
publique, j'eus à combattre plus la sédentarité scolaire que
le surmenage intellectuel, je remarquai combien notre in-
struction classique, grecque et latine, difFère de l'instruction
utilitaire, comprenant sciences et langues vivantes. Plus
que beaucoup d'autres confrères, j'ai fait des recherches
* Bertillon, Mauiage (Démographie), p. 30 [Dictionnaire encyclopédique
des sciences médicales],
5 Grùard, De l'éducation morale et physique dans les lycées {Revue bleue ^
âO juillet 1889, p. 73, col. 1).
300 RKANCE 1)1' IH AVRIL iSOl.
dans les uuteurs grocs ùi lalins, ainsi qu*en témoignent
mes travaux (IVtluiogénic. Mai:?, h je crois les langues an-
ciennes utiles pour les universitaires, les magistrats, les
médecins, les liltéraleurs, je suis uldijfé de reconnaître qae
de très nonibrrux reoIi^Ts, qui se destinent aux carrières
industrielles, eonimerciales, administratives, agricoles, n'en
onl nul besoin. An-si leur baocidauréat passé, n'ouvrent-ils
plus aui'un ouvrait* cla-siijue.
INjur favorisrr rustre accroissement de population, M. San-
son a parlé de mudilier noire loi successorale. Déjà pour
favoriser la nuptialité et la natalité, M. Javal a rappelé cer-
tain décret de ITtM, dinnnuanl les contributions personnelles
du père di^ familb', et auLjmentanl celles du célibataire.
Déjà MM. liliey-sdM. JuL^hir ont insisté sur la nécessité sinon
de rétablir hi droit d'aînesse, du moins de laisser aux parents
la liberté d<^ l«'strr. Ilcmaripion^i qui^ le sentiment d'égalité
s'e^l imposé dans nos mo'.urs avec une telhî force depuis la
Iiévolution, ([u'il "sl rare, que U'. père dispose de la quotité
lisponibb^ autorisée par Tartieliî 1)111 du code civil, (craignons
aussi (ju"en pernu.'ttant de dé-liériter certains enfants, on
les piu'te à embrassi-r les ordres religieux, au grand dé-
triment de la nuptialité et de la natalité. Aux siècles der-
niers, li's cnuvents «'laient extrêmement nombreux.
La séance c.«'l levée à six heures un quart.
L'un ilis sccrriaiics : CAPITAL.
i
OUVRAGES OFFERTS. 30i
S37« SÉANCE. — 7 mai 1891.
Prëaldenee de M. UUOM9E, prémïdenU
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
OUVRAGES OFFERTS.
Nadaillag (De). Notes sur les dolmens de Roknia et les
fouilles de M. Ch. Mollet. Paris, 1879, in-8", 4 pages.
AuBRT (D' P.). LaMortinatalité dans le département des Côtes^
du'Nord. Paris, 1891, in-8%23 pages.
Baye (De). De l'influence de l'art des Goths en Occident. Paris,
1891, in-4%8 pages.
M. Lagnbau fait la présentation suivante :
M. le baron Joseph de Baye, qui poursuit ses études d'ar-
chéologie comparative sur les peuples qui envahirent jadis
Tempire romain, m'a prié d'offrir à la Société ce mémoire.
Par de belles planches représentant des fibules à rayons, des
boucles d'oreilles à chatons polyédriques, des boucles de
eeinturon à plaques carrées, trouvées dans les divers pays
anciennement occupés par les Francs, les Burgondes, les
Vandales, les Goths, M. de Baye met à même de saisir les
grandes analogies existant dans l'art de ces différents peuples.
Ses études l'amènent à penser que « les Goths sont bien des
importateurs de cet art en Occident ».
NiEDERLE (Lubor). Contribution à C anthropologie de la Bo*
Aeme (en tchèque). Prague, 1891, in-8®, 121 pages.
BoGDANOW. Matéinaux pour l'histoire de renseigtiement et
l'étude de la géologie en Itusste. Moscou, 1891, in-4'', 156 pages
et planches.
HoBRNES (Df M.). Die Urgeschichte des Menschen nach dem
heutigen Stande der Wissenschaft. Deux premiers fascicules.
M. DE Nadaillag. J'ai l'honneur d'offrir à la Société un tra-
vail que je viens de terminer sur les progrès de l'anthropologie,
T. Il (4« série). 20
30B SÉAMCS mi 7 MAI i89l.
Les conclusions que je défends sont, je le crois, en opposi-
tion à celles adoptées par un très grand nombre de nos col-
lègues ; mais l'honneur de notre Société est que toutes les
opinions peuvent librement s'y manifester. C'est là une des
meilleures traditions de nos fondateurs, et j'ai la ferme espé-
rance qde nous y resterons toujours fidèleii.
M. Gabriel de Mortillet constate que l'envoi des épreuves
du Catalogue de la bibliothèque a fait arriver 43 brochures
qui nous manquaient :
M; HouzÊf de Bruxelles, en envoie 13^ M. Fâlsan, de Lyon,
14 ; M. Fischer, du Musédnl de Pàrid^ 5 ; M. Lagassaonb, de
Lyon, H ; total : 43.
M. Garrigou annonce l'envol de diverses publications de
son père et de lui.
PERIODIQUES.
LAnihropologie (1891, n° 2). E^ Gartailhac : les Fouilles de
M. Ed. Piette dans la grotte du Mas-d'Azil (Ariège). — B; Bras-
saux : Mutilations ethniques observées au Gongo. — G« Dn-«
moutier : Ghua-Hai-Bal, le temple des deux Darnes^ prèâ
d'Hano!^ — Théodore Voikov : Rites et usages nuptiaux eil
Ukraine. — G. Paris : l'Annamite, ses caractères ethniques^
Archives de médecine navale et coloniale (1891, n® 4). Gh.Se-
gard : Contribution à la géographie médicale. Division nà«
vale de l'extrême Orient. Esquisse climato-pathologique.
Société d'acclimatation de France (Revue des sciences natu-
faciles appliquées^ 20 avril et 5 mai). P.-A. Pichot : la Lutte de
l'homme contre les animaux.
Archiv fur Anthropologie (woL XX, 1" et 2<» fasc). D' Ingvald
Undset : Ans der jiingeren Eisenzeit in Norwegen. — F. SeÈf :
Das heldnische Kreuz und Seine, Yerwandten zwischen Oder
und Elbe. — D' Alexander Schmidt : Zur Kenntniss des
ZwergWEohses. — Dr Richard Wittmann : Die Schlagadern
der Verdanungsorgane mit Beriicksichtigung der Pfortader
bei dent Orang, Ghimpanze, Gorilla. — D^ Ernst Evelt : Ein
Fall voD Polymastie bein Manne.
LEGRAIN. — STAtltt^^ PRftnfèTOUlgtJË te SAINT-AUBIN. 3Më
American PMlùSophkàt Sotiéty [PhciediHH^, ii* \3^: Dé-
Hiel-Q. Bridtbn ? Noie on thé {^tiquina iBUgnà^e b( iyeni.
r
PRESBIVTATIONS.
Là fitaetdfi ^i^èhmWèi^é Hé »ëUtt^àhMti ;
PAR k. lÈGRilN.
Le village de Saint-Aubin-Jouxte-BouUeng se trouve sur
la rive droite de la Seine, en face de la ville d'Elbeuf (Seine-
Inférieure). Une route, longeant la Seine, mène de Saint-
Aubin à Fourneau. Le silex abonde dans cette localité, et de
vastes carrières y sont actuellement en exploitation.
C'fe'àt au mîlleti de cette fôutè, sui* Hné sàffàcê de près
de i hébtàfe, que? se* renfcoiitrérit léà èilét que nous vouiJ
On le» reticontré à fléfttr flèl ter>e, et \ë soc de là cliârrue
suffit pour léfè fîimërier 8 là ^aWace.
Il y a quelques années, Hf. Oaéhëlebx, eti àStbnçkiii son
jardin, tr(yuva uri ateli» dèf tffllerif flè iîlèx. 11 ni'd Ait avoir
miâ S jôiif* ùiie strate de hiiié ëh terré difrcle. Tout aùtotfr se
trouvaient des pièces plttà tftt fflcfiri!? afclievèès. Cfëtte trouvaille
est àtljourd'hui èoh^er vée àù ntHUêe d'BIHëuf.
Lèfs dt^ëté que nous préâréntbïi^ âe àont qti'nfa'è faible paftiè'
de ceux que nous avons rediéilHs. hei plu» beaux ddt été
donnés au musée de Saint-Gerïnain. PàrÉfii éeux-ci ^trou-
vait une petite haèbé polie ; c'est nbé flè» rà^êf* fflècès ngèfïi-
thîquej qucf tioùs àybhs trotitées * Sëirit-ÀuMti; PfcWfWtnrt,
Yoiei queiytiès fAècé^ qui portent êûcdfe Hëi (fàcéè de
polissage.
Qdtiiil àù resté, te ne sont (jde dés slî^ de torrHë ^(ébli-
thique. Quelques-uns sont remarquables comme taille. On
petit i-ecoiihaître dé* racloirs, grattoirs, grattWtt éôricavès,
poiiitc», frtètjes fetouebées (qtféI^rfe*F-unes tit bee de perro-
quet), une scie à encoche.
On trouve, aux environs, de fort belles bâches polies. Nous
304 SÉANCE DU 7 MAI 1801.
en avons vu, chez M. Cacheleux, une fort belle en roche
verte. Il possédait aussi un marteau à plan ovoïde, à côtés
verticaux, et percé d'un trou fort bien creusé. Ces pièces ont
été trouvées dans les dragages de la Seine.
Cette contrée est d'ailleurs fort riche en silex taillés. Nous
signalerons la collection de M. Blay, d'Elbeuf. Nous y avons
vu réunis les plus beaux spécimens des époques néolithiques
et paléolithiques.
Lo dolmen d'Tmaro;
PAR M. LEGRAIIC.
11 y a quelque temps, je signalais à la Société un dolmen
situé à Ymarc. C'était à propos de la guérison des maladies,
obtenue en passant sous un objet quelconque, arbre, étole.
Voici, aujourd'hui, la photographie de ce dolmen que
j'offre à la Société d'anthropologie. Ce dolmen, qui est
signalé sur la carte des monuments mégalithiques du musée
de Saint-Germain, se trouve sur la limite des départements
do l'Eure et de la Seine-Inférieure. Il est de petites dimen-
sions et enfoncé peu profondément en terre.
A Ymare, on le désigne sous le nom de Croix de Rouville;
en effet, une croix a été gravée sur le plan supérieur de la
pierre de recouvrement, à gauche.
Le dolmen d'Ymare a la réputation de guérir du mal de
reins. Les malades n ont qu'à passer sous le monument, et à
y déposer une pièce de monnaie, pour être guéris. Cette tra-
dition, paraît-il, se perd un peu. Une épine miraculeuse,
située à l'extrémité opposée du village, jouit d'une faveur
plus grande : on y mène les chevaux qui ont des tranchées.
M. le docteur G. Variot présente un fœtus humain recou-
vert galvaniquement d'une couche de cuivre et en fait don
à l'École d'anthropologie.
BÉRENGER-FÉRAUD. — PRATIQUES RELIGIEUSES. 305
GOMMCNICATIONS.
(kiatribotioii à l'éinde des Tostlces des prAiiqnss rsllglsoses
de rantiqaité ches les ProTeaçaux de nos Jours :
L'iannersioB de 1a statue da salut;
PAR II. BBRBNGBR-FBRAUD.
Dans certains villages de Provence, à Calliaz, de Tarron-
dissement de Grasse; à Gollobrières, dans le massif monta-
gneux des Maures ; à Signes, près de Toulon^ etc., on a fait^
jusqu*au milieu de ce siècle, une cérémonie assez singulière :
à un moment de Tannée, on allait processionnellement, et
avec un appareil de grande solennité religieuse, plonger la
statue du patron du pays dans un cours d'eau du voisinage.
Suivant les localités, la pratique présentait certaines va-
riantes de mise en scène pouvant indiquer à Tobservateur
une différence d'origine et de signification primitive de cette
immersion. Pour fixer les idées sur cette divergence, spéci-
fions successivement ce qui se faisait à Calliaz et à CoUo-
brières.
A Calliaz, le jour de la fête patronale, une procession
composée de presque toute la population s'organisait, et son
cortège se grossissait d'une partie des habitants des villages
voisins. Toutes les confréries d'hommes et de femmes, les
enfants aussi faisaient partie de la procession ; la musique
n'était pas oubliée, et la compagnie des bravadairesy en
armes^ s'apprêtait à faire parler la poudre.
Le clergé, revêtu de ses ornements, et s'étant adjoint tous
les ecclésiastiques des environs, se mettait en frais d'appa-
rat ; on s'en allait ainsi, en chantant, jusqu'au quartier où
jaillit la source de Sainte-Maxime. N'oublions pas de signaler
que les statues des divers saints qui figuraient dans cette
procession étaient couronnées de fruits autant que de fleurs.
Dans maintes familles, on conservait avec soin des grappes
de raisin depuis la vendange précédente pour les faire figurer
ce jour-là. Ce détail nous indique que les attributs de Gybèle
prévalaient, à la procQUffipin dp ^i^pte-Maxime, sur ceux de
Flore, qui dominent généralement dans ces cérémonies.
Arrivée près de la source, la procession entonnait un can-
tique en langue provençale, racontant comment sainte Maxime
avait fait jaillir une source d'un rocher aride :
Maxima, diiis sa bounta,
Fé Bouriir Talgo d'oou roucas.
. P^Rdan^ PQ MfPPS» 1^^ âévpts se plaçaient de telle sorte que
)fi statut jetait pcè^ fl^ Teaii. \j^ supe^citation mi-pieuse, mi-
JQy0H9P lUlalt pf:e$aeudQ, d-autant que la compagnie des bca:
l^fid^ireç fa|$M^ Ï^M tapage ipfecnal av^c ses coups de fusil,
g^fitie Maxip^p ét^H ^Iqp^ plongée à ^rois reprises dans le
}|q()|4e> 1^^ h fp^l^ en d^lir» cfi^atc^H au village, les chaa^
IW^ |^épppii)op^^t, les Ifr^va.daireç brûlant jusqu'à leur
49Fm^i? gr^in de pqu^f:^, s^n& PPfppteK qufi) depuis le matin,
}q v'm et Qutf^^ js^fiit^qt^ alcooliques étaient consommés
Wffifi pne IptfiWP^F^P^ r^n^apqpabl».
. Pf^e foi$ 1^ f^tQ p^sséQ, on pe p^n^^pait plus de Tannée la
statue à la fontaine, quelles que fussent les éventualités mér
^pciqi^.eç. Sqipte M|p^im^ pi^PH^it un baip par an, nen de
rIr8, rifip de wpip^.
A Cqllol^néres^ 1^ m^nièc^ d'agir était difléreote : l^ jour
^e la fé^ p^trpp^Ie, {^ proc^$3ion se dirigeait vers la fontaine
gpj ^limeqte le p^ti|, cpprs d'eau YPi^iu; muis les statues des
laints étç^ieut Pfi^é^? s^ql^rif^nt dq fleurs, et pas de fruits. Si
les pluies du printep^pç avaient é^é suffisantes, la statue de
§|aint pp(|? ne f^fs^ît q»e pî^^s^r devant la fqataiBe; pu ne
rjma^ergPAi^ qpp g) )^ sépl^pf:es§e m^naçail. Un outre, si
après Ift f^te, et gijel qpe (%\. le momeut de Tanuée, les
pluies yepftJQnt à ffiirp défapt, §aipt Ppus était de nouveau
porté propessiounpjlement jusqu'à l'epdrqit précité, et était
plopçé ayec soiq ^^ns j'e^u, efttril été baigné d^îi quinze
ÎQur^ ^^iparavant, à peiup.
Qij'pn fpp peripptte, s^^^i d'al|er plus loin, dp diw un
BÉRENGER-PéRAUP. — PRATIQUES RELIGIEUSES. 007
mot touchant la sainta qu'on honore à CaiUaz et le ^aint 4p
Goilobrières. — La légende raconte qm9 sainte Maxime Appftç-
tenait à la noble maison de (jr^sse ; qu'elle vivait au ^ffips
des croisades, et qu'elle avait une telle sainteté .qq'el}0 Qt
jaillir une fontaine pendant sa vie, et qu'après sa paort ei|p
délivra son frère, comme sainte Rossoline, de la maisw ^^
Villeneuve, délivra son frère Helion, prisonnier des inQdèUii,
le ramenant, en une seule nuit, de terre sainte en BrovAPe^i
snr son voile étendu sur la meri c'est-à-dire transfori^i^ ep
barque miraculeuse, r- Saint Pons était pu anaphofrèt^ qni
évangélis^ le caqton de CoUobrières et jBinquant9 autres vil-
lages au moins de la basse pu de la haute Provenpe. Miiis
toutes séduisantes que soient ces assertions, il va sans dire
qu'elles ne s'appuient sur aucune donnée historique) de
sorte que sainte Maxime semble bien être Ja traductfpp
française de Sancta Maxima^ de même que saint Pons est
une altération de Sancta Fons, qui s'est masculinisée ^p
chemin.
Quoi qu'il en soit, ainsi que je l'ai dit en commençaptiA^
deux variantes me paraissent se rattachée à deux prigin^
différentes de la cérémonie, et ont eu primitivement une si-
gnification distincte. A CoUobrières, Pimmersionde Ift ste(i|e
n'était au fond qu'une coercition exercée vis-Mis d^ Wniy
tandis qu'à Galliaz elle était une pratique purement piease.
Dans un des cas, on punissait le fétiche ; dan^ V^utrei W
n'avait que le seul désir de rhonopei!.
Gomme je me suis occupé ailleurs de la punition du fé^ipl^p
dont j'ai retrouvé des exemples très reiparqufibles dai^s les
pratiques actuelles de certains de nos çQntqmpppains, pn me
permettra de ne pes m'en occuper en pq {noment ; )e n^p
bornerai ici qu vestige religieux qiie représente I4 pratig^}^
de Galliaz.
Les mentions les plus reculées qui sqiept venues 4 i9i^
connaissance touchant l'immersion pieuse de l'idole det)S
Teau sont celles de Iç^ «(^non des Grecs ^ qui r^cppéfait
chaque année sa virginité en se plongeai^^ daps Veau de {{i
308 sÈAncE DU 7 MAI !89i.
fontaine Canathos, en Achaîe, près d'Ârgos, et de la Mère
idéenne de Pessinunte, on d'Hiérapolis. Cette Hère idéenne
avait, on le sait, des temples célèbres qui, enx^mèinesi
avaient été primitivement des sanctuaires de premier ordre
du culte de la terre mère.
Dans ces temples, on plongeait les idoles dans Teau, avec
la pensée qu*on leur donnait ainsi un regain de puissance et
de divinité. Il y avait à ce moment une surexcitation fana-
tique des dévots, qui allait jusqu*auz sacrifices les plus
étranges : les coups de fouet, les incisions de la peau, l'émaa*
culation même, ce qui était, disons-le en passant, une ma-
nière assez imprévue pour nous d^honorer Tidée de la repro-
duction, qui dominait dans le symbole de la déesse.
Quoi qu'il en soit, comme les plus grands bienfaits étaient
espérés de la Mère idéenne, les Romains voulurent la pos-
séder dans leur désir de domination et d*absorption qui les
caractérisait, et nous savons qu'en Tan 205 avant Jésus-
Christ la translation de Pessinunte à Rome se fit avec une
grande solennité, et même que le fameux miracle de la ves-
tale Claudia se produisit à cette occasion.
A partir du moment ob laCybèle de Pessinunte fut installée
à Home, on institua des fêtes annuelles, pendant lesquelles
la déesse était plongée dans TAImo, tandis que la populace
se livrait à des chants, des danses et des cris frénétiques.
Seulement, comme les Romains ne poussaient pas le fana-
tisme religieux aussi loin que les peuplades asiatiques, l'exal-
tation n'alla pas chez eux jusqu'à l'émasculation ; ils préfé-
rèrent honorer autrement la déesse.
Nous venons de voir comment l'immersion de l'idole s'in-
troduisit à Rome ; nous devons ajouter que ce ne fut pas la
seule porte d'entrée de la coutume dans notre pays; en effet,
nous savons par Tacite que les Germains, Sarmathes, Goths,
Scythes, etc., avaient le culte de Herta, dans lequel on plon-
geait aussi la divinité dans l'eau, à certains moments de
l'année. Go culte de Herta se propagea de pays en pays jus-
qu'en Cclto-Lygic. J'en donnerai pour preuve, entre autres
BÉRENGER-FÉRAUD. — PRATIQUES RELIGIEUSES. 309
exemples, rimportance que les mots de : Herta^ Herte^
Berthe^ Verte, ont conservé dans les superstitions de maintes
provinces françaises depuis TAlsace, les Vosges, le Jura, jus-
qu'aux Alpes et en Provence. Il est donc infiniment probable
que, lorsque les Romains envahirent la Gelto-Lygie et les
Gaules, ils trouvèrent le culte de Herta établi chez nos an-
cêtres. Selon leur coutume, l'acceptant pour le transformer
à leur profit, ils ridentiflèrent au culte de Gybèle, et l'im-
mersion dans les fontaines et les torrents de la Provence ne
fut bientôt|que la réédition de ce qui se faisait sur les bords
de TAlmo.
On me demandera pourquoi ces vestiges de croyances an-
tiques se sont perpétués dans de minimes agglomérations
humaines comme Galliaz, Signes, ('ollobrières, etc., alors
qu^on ne les retrouve pas dans d'autres localités de plus
grande importance ? La réponse est facile à faire : ces villages
étaient des oppida celto-lygiens, avant l'invasion romaine,
et par conséquent existaient à une époque où les villes de
premier ordre de la Provence de nos jours n'avaient pas en-
core été fondées ; de sorte qu'il y est resté des traces du
passé qu'on chercherait en vain ailleurs.
Pour en finir avec mon étude, qu'on me permette de dire,
comme conclusion, que l'immersion de sainte Maxime de
Galliaz, pratiquée jusqu'au milieu de ce siècle, n'a été, en
somme, que la transformation chrétienne de la fête de Gybèle
des Romains, de celle de Herta des Germains, de celle de
Junon canathienne des Grecs, de celle de la déesse syrienne
de Pessinunte, Hîerapolis, etc. Je pourrais ajouter, aussi, de
celle de Parvati des Indiens, et de celle du cycle des 52 an*
nées des anciens Mexicains.
En prenant la question de plus haut, on peut dire que
toutes ces fêles n'étaient en réalité, elles-mêmes, que la
transformation du culte des fontaines, une des manifesta-
tions de l'animisme primitif de nos premiers parents. Pour
cette manifestation de la religiosité, comme pour les autres,
on voit que les premiers dévots eurent l'idée élémentaire,
810 BÉANGS DU 7 MAI 189i .
vague, incomplète, fruste, qu*on me passe le moi. Pais, i
mesure que le cuite fut perfectionné, elle prit des formes
plu3 concrètes, mieux arrêtées. L'afithropomorpfaisma vin^
se substituer ensuite à Tidée originelle des forces de la na?
tare, etc. En un moi, les religions, se siratifiant las uue^ aiif
les autres, comme les dépôts calcaires des sources iiusnigr
tantes, ont transmis d'âge en âge la donnée initiai» e^ V^fiz
propriant au fnr et mesure à la mode du momafit. p'P$(
ainsi que de 6ybèle, de Hbéa, de Herta, de la Mère idé^^|Ml,
de la firand'Mère à sainte Masima {Sançta lUç^xima) ; dp \^
Fontaine, la bonne Fontaine {Sancta Fons) à saiqt ppn«, \%
transition paraît simple et naturelle pour c^lui qui veut jr ré-
fléchir un ini^tnt, en se dégageant de tput^ peasé^ dt^Hr
gère & celle de la pure curiosité scientifique. De màme
qu*entre deux pratiques dUmmersion de Tidole, presque geu)-
blables en apparence, on peut distinguer le fait de l-adopatioi)
proprement dite, de celui de la coercition exercée par le d6r
vot sur son fétiche récalcitrant.
Discussion.
M. Gabriel de MoRiif^pT. ie n-ai l'ien à ^jquter po^f o^ gifi
poncei?ne la baignadei honorifique des fétiphes, si bipn 4^cfite
|5t sj gftwnannent discutée par M* Bérpngpr-Fér^ud ; mm'if^
demande ^ citer un fait de baignade cpercitiye qui (ne p^r^U
intéressant. !(. Béref)ger-Férai}4 ^QiM^ connaître^ car, b|e^
que n'étapt p^si de Prpvpnce, il est tout voisin : il ^^t (ji)
CQmM-
A Garppptras, au-dessous de Taque^HC, dans le fqnd du
vallon, se trouy^ une église ovi Toq f^it desi priprps pi;t)liqqfi^
quand on désire la pluie. Lorsqu'une ^épjierjBsse persistapt^
CQipprqpiet les récqltes, on orgaqisq une prqcessiqq pour
^ller chercher |a statue (]p s^iqt Cent ou Gens, dans un pra?
tpire o\x phapelle ^ queiqqe^ kilomètres de distaqp^ flap$ {a
partie p^ppt§^npi]^e. Cette processiqp est des plus origiq^^ç.
Un certain nombre de jeunes gens qui, dans le hon vip^z
icfpp^, dik<^Pi ^taiept pus, mais qui uit^jnlpnant, par fespepl
DISCUSSION 9UR p^ fR47IQ|i;^ RPLIGIEUSES. Qi|t
pour l0» mœqr^i pprtoat ^w «SQÔce de maillot, se mettent
en tête. Le curé à cheval vient après, et ils partfint au pas
de course. Qommes, femmes, enfants, vieiUacds, suivent en
courant, chacun d'gpràs spb t^ippérament et sps focces, de
sorte qne la procession s-égràna rapidement et s'allonge sur
toute la route.
Arrivés i la p}iapelle, {es jeunes gpns s-emparent de la
statne en bQis du saiuti la chargent suc leurs épanies pt,
sai}3 prendre haleine, c^d^speudent encQU|:ant jusqu-iréglise
de Garpentras, sans se pféopcfipec le moins du monde des
processionneurs qu*ils rencontrent sur tout le trajet. Chacun
rebrousse chemin et redescend à Téglise oii Ton installe le
Une fois déposé danç TégUlQi l^ poptfiUW IrWit m »age et
couverts de poussière vont se jeter dans un bassin ou petit
étang qui occupe le fond du vallon. La légende prétend que
ce bain antihygiénique n'a jamais en de conséquences fâ-
cheuses.
L'exposition du saint dure neuf jours, accompagnée de
prières et do cérémonies religieuses.
Si, pepdant ce temps, la pluie arrive, Ton reporte ie saint
dans son oratoire en grande cérémonie. Les porteurs sont en
habits de fête; ils traitent la statue avec beaucoup d'égards,
le curé suit à pied, ainsi que tous les fidèles^ d'un pas calm»
et solennel, en chantant. G-est un véritable hommage rendu,
une vraie ovation.
Mais, si la sécheresse persiste, si la pluie ne vient pjis, la
statue est jetée dans l'étang. C'est de nuit qu^on la relire
pour la réintégrer, presque clandestinement, dans sa cha-
pelle.
Gela a-t-il toujours lieu?
Je ne sais. Mais je puis certifier que cela se pratiquait
encore il y a un demi-siècle.
M. BÉRENGER-FiaAUo connaissait le fait de coercition cité
par M. de Mortillet; mais il s-est passé en dehors df^ la Pro-
vence. Ces faits sont tfès nombreux.
312 SÉANCE DU 7 MAI 1891.
M. Ploix demande quelques explications sur rimmersioa
de la déesse.
M. BâRENGER-FâRAUD pense que c'est une cérémonie ana*
logue au baptême. Du reste, le sentiment attaché à ces su-
perstitions est très vague. Probablement, c*est pour donner
une nouvelle force à la divinité.
M. Lbtourneau rappelle un fait qui s'est passé dans TAmé*
rique du Sud, et qui se rapporte, comme moyen de coercition,
à rimmersion d'un saint dans l'eau parce qu'il ne faisait pas
retrouver un cheval qui était perdu.
tîmt eomparallf de U slatlstlqne de la déllailtalloB de la
lanfoe française et de la lancue breloaae daas le éépmf»
feaieat du HorMIiaa if 8«0- 1878)1
«
PAR II. LE DOCTBUR IIAURICBT, DB VANNES.
(Communication de M. Fauvelle.)
Sous ce titre, la Commission d'inventaire a rencontré,
dans le cours de ses opérations, une série de documents très
intéressants sur la disparition progressive de la langue bre-
tonne; ces documents ont été adressés en 1878 à la Société
par M. le docteur Mauricet, de Vannes, un de ses plus
anciens membres.
Gomme ils n'ont pas été communiqués en leur temps,
pour des raisons qui me sont inconnues, je pense répondre
à la pensée de l'auteur en vous en donnant lecture aujour-
d'hui. Il voudra bien accepter la tardive réparation d'un
oubli regrettable.
Voici d'abord la lettre d'envoi.
f( Il résulte du travail que je mets sous les yeux de la
Société :
« Que les paroisses de Credin, Radenac, Reguiny, Billio,
Buléon, Guchenno, Plumelec, Questembert, Muzillac, Bil-
liers, Noyai-Muzillac, étaient paroisses bretonnantes au com-
mencement de ce siècle et ne le sont plus actuellement;
MAURICET. — LES LANGUES DANS LE MORBIHAN. 313
« Que dans plusieurs autres paroisses, le nombre des per-
sonnes parlant breton a considérablement diminué ;
M Enfin il autorise à prévoir le jour rapproché où cette
langue ne sera plus en usage.
« Dans tous les cas^ voici un travail sérieux qui permettra,
dans un certdn nombre d*années, de contrôler cette der-
nière assertion. »
Vannes^ le 18 décembre 1878.
Signé: D' J. Mauricbt.
Premier document^ 1732.
a Le R. P. Grégoire de Rostrenen, dans son Dictionnaire
français- breton /imipTimé à Rennes en 1732, dit dans sa pré-
face, au sujet de la langue bretonne : « C'est le langage de
(( tout le diocèse de Tréguier, de celui de Léon, de celui de
« Quimper, hormis quatre paroisses, de celui de Vannes, si
« vous en exceptez quatorze ou quinze paroisses. On parle cette
« langue dans treize ou quatorze paroisses du diocèse de
« Saint-Brieuc ; dans un quartier de celui de Nantes et dans
« plusieurs paroisses de celui de Dol, situées dans les en-
ce claves des autres diocèses. »
Deuxième document^ 4824.
(( L'abbé Mahi, chanoine de la cathédrale de Vannes, Fau-
teur de l'Essai sur les antiquités du Morbihan^ dans son ou-
vrage intitulé : Étendue actuelle de la langue bretonne dans
le Morbihan, dit, page 85 : a Parmi les Armoricains, on la
c parle dans le Finistère, dans une partie des Gôtes-du-Nord
« dans une partie du Morbihan. Voici quelles sont^ dans ce
<c dernier département, les communes bretonnantes qui y
« forment les limites de la langue celtique : Billiers-Muzil-
n LAC (une partie parle breton et l'autre français *), Lauzach,
« Berrig, Sulniac (on y parle français dans certains cantons et
* Vers 1800, il y avait encore 150 bretonnanlaà Muzillac; il n*yen avait
plus du tout en 1878 (voir le tableau ci-après).
iU diAKrCÉ Dû 7 ÉAt 4891;
(( ÂLLOUBStRë [éëlië éoihiànné ëÉi ini-fâttië ie Bfétôtis et Cte
cl Ff âdÇàié ^, EL'ffeN (lé breton y ë^ presque êtMiH *), MbRÊAC,
« Naizin, Kerfourn, Gueltat, NtftAL-PoitTitf, SAlNT-Gftftilîtfl
« IhoitÂNTEC. »
Eh cdMpaMiit léfd Aettu elt^ti^yris reetiillies pà^H.Mdiirkïet;
il semblerait que, pendant les quatre- vingtsdtfttte àM qui
séparent 1733 de 1825, la langue bretonne aurait disparu des
départeméri(ô deTllle-el-Vilaine et de laLoire-Inférieure,pour
se concentrer dans Textrémité de la péninsule armoricaine.
Troisième document, 1878.
G*est une série de sept tableaux dressée par M. iMauricet
lai-même, fi y compare le nombre des brdioniiants au com-
mencement du siècle et en i^lë, dans les cihqùaiite-six
paroisses (sic) des cantons de ï^oniivy, àdiiâh^ Lbcmiûé,
Saint-Jean-Brevelay, Elven, Ouestemfcért et Muziîiaè (Mor-
bihan), et met en regard la population dé ces communes
d'après le recensement de 1876. J'ai réuni ces tableaux en
un seul pour la facilité de Tétude, et j'ai ajouté une colonne
qui indique les différences en moins.
Nombre de bretonnants DiflTérenco Popalation
Cantons. Paroisses. vers 1800*. en 1878. en moins, en 1876.
Pontivy. ; 7 000
Croixanveo 2S0
Gueitas: «.....• âOO
Gucrn 2700
. yKerfoorn dlO
^ °""^'y \ NoyaI-P(mtiv J. ..... 3 1 00
iSaint-Géran 1000
Saint-Gonnery 150
. Saint-Thûriàu iÈOO
1 Soiirû ;..*.... D^fr
1 Sdr es 1367 habitants de Sainîao, il y avait; enr 1878, miltc personnes
parlant breton^ avec une perte de deux cents sur le commencement du
siècle (voir le tableau ci-après).
< D^àprès M. Màarîcet, vers 1800 comme en {^78, tout (é monde hre-
lonmifH k Saint'Allonestre, fftO sur 938 habitants (voir le tableau ot-aprèé);
' Il était encore parlé en 1878 par trois cents personnes sur une popu-
lation dé 3 897 fasftfitants (voir le tableau ci-après Jf.
^ En 1800 ou une autre anrrfe dif tâitimericèmëtii dû èfècle.
4000
3 000
8252
250
30
291
30
170
1070
2G00
100
2709
900
\ê
9!0
2900
soo
3315
900
100
1007
10
130
560
HOO
ioo
IffS
doo
so
980
UAUniCET. '
' LES UNSÙBS nARS tB HORBIDAN.
iBrehan-Loudtao...
LantltlBe.; ..-;
Pleugriffet
Radenac
Raguiny
Sùnt- JeaU'
BrercÙt-
Locminé
MoHac. ...i, .......
Mousloir-Ac
\ Moustoir-Remungol.
iNaiïin
I Pltamelin
\ Hemuogol
ySainl-Jean-Brevelay.
ÏBiino.
<Bul&on
Jouohenoo
1 Plunelec
\ Saint-AIIoneatref .-<.'
/El ton
I Monterblano
ISiiint-Nolf.
^Suinlao. i. ..-..-.
JTrJdioD
[Tréflesn
\ La Vraie^TOli
Oueelembcft
Bohal
Lauiach
Molaow
Peaule
Pleucadeue
/MaiilTae
|Billiïrs
jUamgan
[ Le Onerno
\ Nojil-MuiilUc
•l070
ftSSt
170(1
tisa
i03S
tséi
atis
871*9
316 SÉANCE DU 7 MAI 1891.
Bien que l'auteur ne nous indique pas les sources aux*
quelles il a puisé ces chiffres, nous devons les considérer
comme exacts, et voici les quelques remarques qulls sug-
gèrent.
Dans les cinquanle-six communes cilées, dont la popula-
tion s'élevait, en \ 876, à 87 793 habitants, il y avait, vers 1 800,
46429 personnes parlant breton, et^ en 1878, ce chiffre était
réduit à 36 930, avec une perte de 9499. La diminution la
plus considérable a eu lieu à Pontivy, 3000 sur |7 000. A
Kerfourn, canton de Pontivy, la variation n'a été que de
910 à 900, avec une perle de 10. Enfin à Remungol^ canton
de Locminé, le chiffre de 1 280 est resté le même sur une
population de 1 288 habitants en 1876 ; de même à Sainl-
AUouestre, 930 aux deux époques sur 938.
En comparant la population de chaque commune en 1876,
avec le nombre de personnes parlant breton au commence-
ment du siècle, on voit que très souvent les chiffres sont
presque identiques, ce qui donnerait à penser que le nombre
des habitants a généralement peu varié entre les deux dates.
M. Mauricet a donc été bien inspiré en prenant pour terme
de comparaison les résultats du recensement exécuté deux
ans avant son travail. Dans cette hypothèse, de 1800 à 1876,
le nombre des personnes parlant français se serait élevé de
40000 à pins de 50000.
En terminant, je ne saurais trop engager notre collègue
de Vannes à reprendre aujourd'hui le même travail; les
douze annés qui se sont écoulées depuis le mois de décem-
bre 1878 suffisent parfaitement pour lui permettre de con-
trôler Tassertion qu'il a émise à celle époque, à savoir que le
jour n'est pas éloigné où la langue bretonne cessera d'être
en usage.
Discussion.
M. Gabriel de Mortillet fait remarquer qu'une erreur
s'est glissée dans les documents cités. Un d'eux dit que le
breton n'existe plus dans la Loire^Inférieure, ce n'est pas
DISCUSSION SUR LES LANGUES DANS LE MORBIHAN. 317
exact. Le breton est parlé au Croizic et autres localités du
canton de Guérande.
M . HovELAGQUE rappelle que, depuis le travail lu par M. Fau-
velle, M. Sébillot a dressé une carte de la langue bretonne,
carte qui se trouve, en grand format, dans la bibliothèque de
la Société.
 ce sujet, M. Hovelacque demande que les personnes qui
s*occupent des limites des différenteslangues (français et fla-
mand, français et breton, etc.) ne se contentent pas de
tracer une ligne séparant les deux idiomes. Gela est insuffi-
sant. Il ne suffit pas non plus d'établir une zone mixte. Ce
sont detuc zones mixtes qu'il faut constituer.
C'est ainsi qu'il y a une trentaine d'années, M. Goussemac-
ker, recherchant les limites du français et du flamand, en
France, a réuni tout d'abord les localités frontières où Ton
parle uniquement le français (Gravelines, Saint-Georges,
Saint-Omer, Thiennes, Merville, etc.), puis celles où les
deux langues sont parlées, mais où le français domine (Hol-
que, etc.), en troisième lieu^ celles où l'on parle également
les deux langues, mais où domine le flamand, enfin les loca-
lités que le français n'a pas encore atteintes, et où on em-
ploie exclusivement le flamand.
Si la Société veut dresser des instructions à ce sujet pour
les diverses langues parlées en France > M. Hovelacque s'of-
fre pour dresser un avant-projet.
M. Fauvelle. En donnant communication des documents
recueillis par M. le docteur Mauricet, je n'ai pas eu l'inten-
tion de traiter la question de la langue bretonne^ et les quel-
ques réflexions dont je les ai fait suivre, n'ont eu d'autre
but que de mettre en relief les chiffres qu'ils renferment. Je
ne puis donc répondre aux questions qui me sont posées, si
elles n'ont pas directement trait au contenu de ces documents.
Gomme le côté géographique du sujet paraît intéresser la
Société, je puis ajouter que six des cantons qui figurent
dans la statistique du médecin de Vannes, sont disposés du
nord-ouest au sud-est suivant une ligne partant de Pontivy
T. II (4« sbrik). 21
3i8 SÉANGB DU 7 NAI 1891.
Qt se dirigeant vers La Hoche-Bernard, à quelque distanoe
de rembouchure de la Vilaine. De iSOO à 1878, la dimiou*
tion de la langue bretonne a progressé sur cette ligne d'ane
manière très aooentuée au fur et à mesure qu'on s'éloigne
de Pontivy. Ainsi Loominé a perdu i|4 pour 100, Saint-
Jean -de- Brevelay 11,2 pour 100, Elven 21,5 pour 100,
Questembert 27,1 pour 100, et Muzillac 72,2 pour iOO. Il
n'y a d'exception que pour le canton de Pontivy qui a perdu
32,7 pour 100, ce qui s'explique par ce fait que cette ville
est un centre administratif qui favorise Textension du fran-
çais. Quant au septième canton, celui de Rohan, situé à Test
des collines qui limitent de ce côté le bassin du Blavet, le
breton en a complètement disparu.
L'ensemble du travail de M, Mauricet tend donc à établir
que le vieux langage de TArmorique voit son aire se rétrécir
progressivement de la circonférence au centre de la pres-
qu'île,
COKlNIINIC/VTIONa.
Note «or elaq cms de malforinatioii spéelAle de îm poltrtee
(thormx en entomielr «).
ContribaClon ù. rélude des stlcmaies phjalqvea
de défréDéreiieence ;
PAR mi. LES DOCTEURS J. RAUADIBR ET PAUL SERIEUX,
Médecins adjoints des asiles de la Seiae.
La malformation de la poitrine que nous nous proposons
d'étudier est essentiellement caractérisée par une dépression
de dimension variable située au niveau de la partie médiane
et antérieure du thorax. Cette dépression est formée par le
sternum qui, plus ou moins profondément incurvé dani sa
partie moyenne ou inférieure, décrit ainsi un aro de eerole
à concavité antérieure. H entraîne avec lui en arrière les car-
tilages costaux constituant une excavation analogue à celle
< Aveo pr4aQnUtion h Tappui ds mouiag^i et Us photo|pr»phios.
RAMAOIER ET SÉRIEUX. --^ MALFORMATION DE LA POITRINE. 8i0
que l'on produirait en refoulant avee le poing la paroi anté-
rieure et médiane du thorax supposé flexible. Cette dépres*
sion, très évasée d*abord, se rétrécit ensuite d'avant en ar*
rière, affectant ainsi une forme conique, d'où la nom de
thorax en entonnoir.
Jusqu'à aujourd'hui Tattention des observateurs ne semble
pas avoir été beaucoup attirée sur cette malformation, en
France du moins, où il n'en a été publié, à notre connais-
sance^ qu'un seul cas, il y a une trentaine d'années, par un
auteur anonyme ^ Ebstein ', en Allemagne , a rassemblé
toutes les observations, au nombre de cinq, publiées avant
lui, a donné deux cas personnels, et a fait du thorax en
entonnoir une élude assez complète.
Plus tard, Ëicbhorst', à Zurich, et Klemperer^, à Berlin,
ont relaté de nouveaux exemples de cette malformation qu'ils
considèrent comme très rare.
Nous avons eu occasion d'observer cinq cas de cette ano-
malie dont la rareté nous semble avoir été un peu exagérée '.
La cause de ce fait doit être attribuée d'abord au siège môme
de la déformation qui explique que oelle^ci puisse passer
facilement inaperçue quand l'attention des observateurs n'est
pas portée de ce côté, et aussi à l'absence presque constante
de troubles fonctionnels qui la laissent parfois ignorée du
malade lui-même. Ajoutons enfln que cette anomalie a pu
également être mal interprétée et attribuée, à tort selon nous,
au rachitisme.
1 Difformité thoracique, Gazette des hôpitatkx^ Puns, 1860.
• Ebstein, Ueher die TrictUerbrust {Detitsch. Archiv fur. Aîed.y t. XXX).
> Eiohhortl, TréUé de diagnottie médioal, Tradaotion fraoçalsQ de Map-
fan et Weias, 1890.
^ Klemperer,$octV(^ de médecine interne de Berlin; séance du 2 juillet 1888
{Comptes rendus du Bulletin médical» 11 Juillet 1888).
* Il existe au musée Dupuytren dans une vitrine consacrée au rachitisme
lin moulage non catalogué, sur lequel nous n'avons pu avoir aucun ren-
seignement, et qui semble bien être la reproduction d*un thorax en enton-
noir. La profondeur de l'excavation, dont le sommet correspond à la
ligne bi-mamelonnaire, est d*environ 75 millimètres. Le thorax ne parait
pas présenter d'autres déformations qu'un léger degré de Booliose,
320 86ANCB DU 7 MAI 1891.
Nous espérons, en effet, montrer que la poitrine en enton*
noirn*a rien de commun, comme on est tenté de le croire an
premier abord, avec les déformations rachitiques, mais qu'elle
doit plutôt être rattachée aux états de dégénérescence dont
elle constituerait un des nombreux stigmates physiques.
Voici les observations :
Observation I. {Personnelle.) — T..., quatre-vingt-cinq ans,
ayant exercé la profession de journalier. Ce malade, dont les
deux sœurs ont été aliénées, dont les fils ont également pré-
senté des troubles mentaux, a toujours été regardé comme
un excentrique, et^ à partir de quarante-sept ans, a eu, à
diverses reprises, des bouffées délirantes ambitieuses, k son
entrée à l'asile de Yaucluse, il est complètement dément; il
succombe au bout de peu de temps à une pneumonie ca-
séeuse.
Taille : 161 centimètres ;
Crâne : plagiocéphalie assez accentuée ;
Diamètre antéro-postérieur maximum, 191 millimètres;
Diamètre transverse maximum, 151 millimètres ;
Diamètre frontal minimum, 104 millimètres;
Membres supérieurs : doigts en massue, vitUigo à la main
droite ;
Organes génitaux : phimosis^ vitiligo du scrotum ;
Membres inférieurs : syndactylie des deuxième et troisième
orteils ;
Ichthyose généralisée. Un petit-fils du malade a la même
affection.
La poitrine présente une vaste excavation qui peut loger
le poing; le sternum, à partir de la fourchette jusqu'au qua-
trième cartilage costal, garde une inclinaison normale; plus
bas il se dirige en arrière suivant une pente d'abord douce,
mais qui, au niveau du cinquième cartilage, plonge presque
perpendiculairement au rachis. A l'union du corps du sternum
et de l'appendice xiphoïde se trouve une dépression digitale
qui constitue le sommet de rentonnoir. La paroi de ce der-
nier se redresse ensuite en avant, et par une pente peu sen-
RAMADIER ET SÉRIEUX. — MALFORMATION DE LA POITRINE. 32i
sible se continue avec la paroi antérieure de i*abdomen. An
niveau de l'union des fausses côtes avec la septième, il existe,
de chaque côté, une voussure très notable de cette partie du
thorax, qui forme les bords latéraux de la partie inférieure
de l'entonnoir.
Les mensurations pratiquées sur le thorax ont donnéjes
résultats suivants :
Diamètre sterno- vertébral à Tunion du corps du sternum
et de la poignée, 180 millimètres ;
Diamètre sterno-verlébral au niveau du fond de l'enton-
noir, 430 millimètres;
Diamètre transverse au niveau du mamelon, 255 millimètres;
Diamètre transverse maximum au niveau de l'entonnoir,
277 millimètres;
Longueur maxima de Tentonnoir, 137 millimètres; lar-
geur maxima, i26 millimètres; profondeur, 55 millimètres ;
Distance entre le fond de Tentonnoir et le milieu de la ligne
bimamelonnaire, 40 millimètres;
Distance entre le fond de Tentonnoir et l'ombilic, 166 mil-
limètres ;
Longueur du sternum, 210 millimètres ; largeur maxima,
40 millimètres ;
Circonférence thoracique^ 780 millimètres ;
Rachis normal. Pas de scoliose.
On constata^ à l'autopsie, que le sommet de Tentonnoir
répondait à la partie supéro-externe du lobe gauche du foie
à 2 centimètres du bord postérieur. La voussure droite cor-
respondait à la partie moyenne du foie ; le cœur était recou-
vert par une lame pulmonaire et sensiblement dévié à gauche ;
une aiguille enfoncée dans la poitrine au niveau du mamelon
gauche traversait la partie moyenne du ventricule gauche.
Malgré un examen des plus attentifs, nous n'avons trouvé
aucune trace de déformation pouvant être rattachée au ra-
chitisme.
Observation 11. (P^r^onrie//^.)— M..., quarante-deux ans,
né en Ecosse, est issu d'une famille d'alcooliques ^ son père
32S 8ÉANGË BU 7 MAI 1891.
8*est brftlé la cervelle. C'est un dégénéré supérieur d'une
intelligence développée, mais avec de profondes lacunes
morales. Il parle couramment plusieurs langues, a publié en
Angleterre un volume de poésies, a exercé successivement les
professions de marchand de vin, d'architecte, de correspon-
dant de journaux anglais en Orient, d'agent du gouverne-
ment anglais en Turquie, etc. 11 a été interné h plusieurs
reprises. Il présente un délire systématisé ambitieux non hal-
lucinatoire, prétend être Tarchiduc d'Esté des cinq étoiles^
allié et héritier de cinq familles souveraines. On constate,
enjoutre, chez lui, des idées hypocondriaques très accusées.
Taille : 171 centimètres ;
Crâne : diamètre antéro-postérieur maximum, 193 milli-
mètres ;
Diamètre transverse maximum, 156 millimètres ;
Diamètre frontal minimum, f26 millimèti*es;
Yeux : inégalité pupillaire ; acuité visuelle, OD.OQ : y^^ijs ;
Implantation vicieuse des dents de la mâchoire inférieure.
Voûte palatine ogivale. Pas d'hypertrophie des amygdales.
Aux pieds existe une anomalie caractérisée par un retrait de
3 centimètres environ du cinquième orteil en arrière du qua-
trième. Rachis normal. Pas de scoliose. Diminution géné-
ralisée de la sensibilité à la douleur. Léger degré de dermo-
graphie. Aucun signe de rachitisme.
La concavité sternale débute au niveau de l'insertion du
quatrième cartilage costal sous forme d'une gouttière, puis
s'accentue davantage pour former un entonnoir dont le
sommet, qui mesure environ 3 centimètres de diamètre, ré-
pond à la jonction du corps du sternum avec l'appendice
xiphoïde.
Il existe une voussure très développée et symétrique de
chaque moitié de la partie inférieure du thorax. La pointe du
cœur est très difficilement perceptible; on aperçoit, cepen-
dant, sur la paroi gauche et inférieure de l'entonnoir, nn sou-
lèvement rythmique de la peau. Le maximum de matité du
cœur correspond à un carré de 4 centimètres de c6té, com-
RAMADIER ET SÉRIEUX. — MALFORMATION DE LA POITRINE. 313
mençant à 35 millimètres de la ligne médiane et s*étendant
du bord supérieur de la troisième côte au bord supérieur de
la quatrième.
Rien d'anormal à Tauscultation.
Diamètre sterno-vertébral à Tunion dn corps du sternum
et de la poignée, 157 millimètres.
Diamètre sterno-vertébral au niveau du fond de Tenton-
noir, 152 millimètres.
Diamètre transverse au niveau du mamelon, 261 milli-
mètres.
Diamètre transverse au niveau de l'entonnoir, S55 milli«
mètres.
Longueur maxima de Tentonnoir, 145 millimètres; lar-
geur, 166 millimètres; profondeur, 32 millimètres.
Distance entre le fond deTentonnoiret le milieu de la ligne
bimamelonnaire, 40 millimètres.
Distance entre le fond de Tentonnoir et Tombilic, 202 mil-
limètres.
Longueur du sternum, 195 millimètres; largeur maxima,
30 millimètres ; appendice xîphoTde rudimentaire.
Circonférence thoracique, 890 millimètres.
Une sœur de M,,, présenterait^ d'après lui, une malformation
de la poitrine identique à la sienne»
Observation III. [Personnelle.) — B..., quarante ans, ai-
teinte d'imbécillité, est internée à l'asile depuis seize ans.
Pas de renseignements sur les antécédents héréditaires. Lan-
gage très imparfait ; la malade parle nègre. Émotivité exces-
sive, irascibilité, qui rendent impossibles des mensurations
complètes.
Poitrine en entonnoir analogue aux cas décrits ci-dessus,
sauf au point de vue de la profondeur maxima qui ne dé-
passe pas 25 millimètres. On constate également, chez cette
malade, une saillie latérale et symétrique du thorax à sa
partie inférieure. Aucun trouble fonctionnel.
Diamètre sterno-vertébral au niveau du sommet do l'enton-
noir, 140 millimètres.
324 SÉANCE DU 7 MAI 1891.
Diamètre aniéro-postérieur thoracique latéral au niveau
du mamelon, 175 millimètres.
Taille, 160 centimètres.
Crâne globuleux à sa partie antérieure ; le front est large,
bombé^ haut {hydrocéphalie).
Diamètre antéro-postérieur maximum, 187 millimètres.
Diamètre transverse maximum, 155 millimètres.
Diamètre frontal minimum, 108 millimètres.
Hauteur du front, 73 millimètres.
Diamètre bizygomatique, 130 millimètres.
Maxillaires volumineux.
Lobule de Toreiile adhérent.
Les mains, qui sont grandes, présentent des malformations
symétriques. Le deuxième métacarpien n'est représenté que
par un osselet de quelques millimètres de longueur avec lequel
s'articule l'index. Celui-ci, considérablement atrophié, est
moins volumineux que le petit doigt (longueur, 67 millimè-
tres). Son extrémité inférieure est à 70 millimètres au-dessus
de l'extrémité inférieure du médius, et à 16 millimètres au-
dessus de l'articulation de la phalange avec la phalangette
de ce dernier doigt. Le petit doigt est, en outre, le siège
d'une malformation décrite par M. Landouzy, sous le nom de
camptodactylie, et considérée par lui comme un signe d*ar-
thritisme.
Du côté gauche, les os de Tavant-bras sont atrophiés
(2i centimètres de longueur au lieu de 26 à droite ; le cubi-
tus est incurvé, sa partie concave est dirigée en avant ; on
constate en outre une hyperostose de Tolécrâne et une cica-
trice consécutive à un abcès.
La malade est sourde. Son acuité visuelle est diminuée :
OD.OG.V = 1/3. Papilles blanchâtres, allongées suivant Taxe
horizontal.
Dentition mauvaise : il ne reste que les incisives et les
canines inférieures, qui sont petites, érodées, écartées les
unes des autres, mal implantées.
Pas de lésions rachitiqnes. Pas de scoliose.
RAMADIER ET SÉRIEUX. — MALFORMATION DE LA POITRINE. 325
Observation IV. {Personnelle.) — Nous avons eu occasion
de voir un nouveau cas de celte malformation chez un sujet
atteint de maladie d'Addison dans le service de M. Raymond.
Il 8*agissait d'un individu exerçant la profession d'homme de
peine, et, comme tous nos malades précédents, ne présen-
tant point de signe de rachitisme, et n'ayant subi aucun
traumatisme thoracique. Il offrait au niveau de la partie
médiane du thorax une large excavation de 2 centimètres,
environ de profondeur. Ce n'était pas, à proprement parler,
un infundibuium comme dans les cas précédents, mais
plutôt une fosse comme dans les cas publiés par Toldt et
Ëbstein.
Ce malade, alcoolique chronique (hyperesthésie plantaire),
d'une intelligence peu développée, était, en outre, porteur
d'autres stigmates physiques de dégénérescence {malforma-
tion crânienne, bec- de-lièvre).
Observation Y. (Communiquée par le docteur Legrain, mé-
decin de la colonie de Yaucluse.) — T...^ neuf ans, imbécil-
lité très accentuée. Père déséquilibré, alcoolique. D'autres
membres de la famille paternelle font des excès de boissons.
Mère débile avec idées de suicide. Le malade est apathique,
habituellement immobile ; il se livre à l'onanisme. Langage
rudlmentaire. Nombreux stigmates physiques de dégénéres-
cence : Crâne informe, aplati dans le sens vei^tical, très asymé»
trique ainsi que la face, strabisme, oreilles mal ourlées, lobules
sessiles, atrésie des fosses nasales, prognathisme, implantation
vicieuse des dents, qui sont en partie crénelées et cariées ;
les arcades dentaires ne se correspondent pas enavant. Les amyg-
dales font défaut. Strume. Cryptorchidie complète. Léger genu
valgum à droite.
Le thorax en entonnoir que présente ce malade est de tout
point conforme à la description que nous avons donnée des
cas précédents. Profondeur maxima, 12 millimètres. Le som-
met de Tentonnoir correspond à la fossette sus-xiphoïdienne;
l'appendice xiphoïde se porte brusquement en avant pour
constituer la paroi inférieure de l'entonnoir.
326 SÉANCE DU 7 MAI 1891.
Le cœur bat avec violence dans le cinquième espace inter-
costal et présente les signes d*ua rétrécissement aortique
avec hypertrophie.
Dans les cas de thorax en entonnoir, la profondeur de i*ex*
£avation est très variable : la plus grande relevée par nous
a été de 55 millimètres, la plus petite de 12 millimètres
(cette dernière chez un enfant). Chez les deux sujets d*Ebstein,
Tentonnoir mesurait, dans un cas, 40 millimètres, dans
l'autre, 72 millimètres de la base au sommet. La première
observation publiée {Gazette des hôpitaux) porte que la pro-
fondeur était de 8 à 9 centimètres.
En général, le sommet de l'entonnoir correspond à l'union
de Tappendice xiphoïde avec le sternum (fossette sus-xipboT-
dienne), quelquefois à Textrémité inférieure du sternum.
il ne nous a pas été possible, pour les cas que nous ve-
nons d'énumérer, d'avoir des renseignements sur la date
d'apparition de la malformation, ce qui permet de supposer
que celle-ci était congénitale ou remontait à la première en-
fance. Dans les observations rassemblées par Ebstein^ le
thorax en entonnoir était congénital deux fois ; chez deux
autres sujets, il s*était montré à deux ans et à sept ans.
Klemperer donne comme congénitale la malformation de ses
trois malades.
Le thorax en entonnoir ne paraît pas entraîner de troubles
fonctionnels sérieux ni pour l'appareil respiratoire, ni pour
l'appareil circulatoire. Dans l'observation de la Gazette des
hôpitaux, on signale bien l'existence d*un double souffle
diastolique^ mais le sujet pouvait marcher, courir, monter
des escaliers, sans trouble aucun de la respiration. Deux de
nos malades sont des hommes très vigoureux dont l'un est
excellent nageur ; les autres ne semblentjamais avoir éprouvé
de gêne attribuable à leur malformation. Le rétrécissement
aorlique constaté chez le malade de l'observation V n'est
évidemment qu'une coexistence, une malformation de plus
à ajouter au tableau déjà si chargé des signes physiques
dégénératifs du malade. Cependant on conçoit que l'excava*
RAMADIER ET SÉRIEUX. •— MALFORMATlOff DE LA POITRINE. 811
tion plus OU moins considérable qui caractérise la poitrine
en entonnoir n'aille pas sans une certaine modifloation dans
les rapports réciproques des viscères thoraoiques. Le cœur,
parfois plus élevé, est habituellement refoulé à gauche et
recouvert par une lame pulmonaire^ ce qui rend difDciie de
préciser la situation de la pointe. Dans un des cas d'Ebstein,
celle-ci battait au niveau de la ligne axillaire gauche, en un
point correspondant au cinquième espace intercostal. Ebs-
tein signale comme un phénomène constant le développe*
ment plus considérable du thorax dans le sens transversal.
Klemperer fait remarquer de même l'augmentation du dia-
mètre transverse. Il 8*agit là d'une compensation du rao*
oouroissement du diamètre antéro^postérieur thoraoique.
D'après les auteurs que nous venons de citer« Taugmenta»
tion du diamètre transverse serait manifeste aux différentes
hauteurs de la poitrine. Yoid, en regard l'un de l'autre, les
chiffres qui représentent le diamètre transverse du thorax
au niveau des mamelons, d'une part chez les sujets à poi*
trine en entonnoir, et de l'autre, chei des individus nor-
maux :
OUatitrê UioraAiquA Diimètrt thOMôiqot
tranBTerse. transvene normal.
Enfant de 9 ans (Hagmann) 22,8 l^,t
Homme de 34 ans (Bggel)* 18,8 26,1
— 20 ans (Flesch) < 28^0 26,1
— 25 ans (Ebstein) 30^0 26,t
Les mensurations prises sur nos deux premiers sujets ne
nous ont point conduits aux mêmes résultats. Nous trouvons,
en effet, les chiffres suivants qui ne s'éloignent pas sensi*
blement des chiffres normaux, variables selon la taille, don-
nés par Sappey :
Diamètre ihoraoiqae Diamètre transtftive
transTcrse. normal moyen.
Observation 1 27,7 27,6
Observation II 26,1 2S,1
1 Eggel, Eine seltmiê JUisihildung des thorax {ArcK Virch,, 1872, Bd. 49).
* Flesch, Ueher eine seltene Misihildung des thorax (Arch, Virch,, 1873,
Bd. 57.)
328 8ÉANGB DU 7 MAI 1891.
En revanche, il existait chez nos malades un développe-
ment exagéré de la partie inférieure de la poitrine formant
une voussure bilatérale de chaque moitié du thorax.
On ne constate pas dans la poitrine en entonnoir un rac-
courcissement anormal du sternum. Wintrich a trouvé, pour
la longueur moyenne du sternum, chez cinquante-neuf indi-
vidus normaux du sexe masculin, le chiffre de 474 millimè-
tres. Luschka donne les chiffres de 180 millimètres à 200 mil-
limètres, Sappey 190 millimètres. Or Flesch, Eggel, ont
trouvé chez leurs sujets à poitrine infundibuliforme les chif-
fres de 170 millimètres et de 163 millimètres (sans Tappen-
dice xiphoîde). Ebstein n'a pas constaté non plus de brièveté
du sternum. Le cas de Hagmann fait seul exception : il
s'agissait d*un enfant de neuf ans dont le sternum, au lieu
de 115 millimètres, chiffre normal à cette période de la vie,
ne mesurait que 7 i millimètres, c'est-à-dire la longueur de
cet os aux premiers jours de la naissance. Dans nos deux
premières observations, nous avons obtenu les chiffres de
210 millimètres et de 195 millimètres. Il n'y a donc pas lieu
d*attribuer la malformation du sternum à un arrêt de déve-
loppement de Tos en longueur.
La mensuration du diamètre sterno-vertébral^ en dehors
même de Tentonnoir, démontre qu'il existe un rétrécisse-
ment de ce diamètre (Hagmann).
La circonférence thoracique maxima n'est point diminuée.
Nous trouvons dans les observations I et II les chiffres de
78 millimètres et de 89 millimètres. Or, Sappey adopte
comme moyenne 80 millimètres à 84 millimètres. Ebstein,
chez les sujets qu'il a étudiés, a trouvé les mesures suivantes
pour la circonférence thoracique : 83,90. D'après lui, les
diamètres thoraciques antéro-postérieurs pris au niveau du
mamelon, ne sont pas modifiés. Eggel a obtenu un résultat
contraire.
Le thorax en entonnoir ne saurait en aucune façon être
mis sur le compte du rachitisme. Comme le dit Tripier ^ à
^ Tripier, article Rachitisme du Dictionnaire de Dechambre.
RAMADIER ET SÉRIEUX. — MALFORMATION DE LA POITRINE. 329
propos du diagnostic des déformations limitées du squelette,
quelle que soit leur ressemblance avec celles du rachitisme,
le fait seul de leur délimitation permet de les exclure. Le
rachitisme frappe en effet le système osseux en son entier
et laisse des traces sur la tête (persistance des fontanelles,
déformation de la voûte crânienne, des maxillaires, anoma-
lies dentaires), le tronc (chapelet rachitique, rétrécisse-
ment du thorax avec double gouttière latérale), l'abdomen
(forme globuleuse) et les membres (nouures articulaires,
courbures des os longs).
Aucun des auteurs qui ont étudié la poitrine en enton-
noir n'ont trouvé chez leurs sujets des signes de rachitisme,
tandis qu'ils ont pu parfois constater chez eux, ainsi que nous
Tavons vérifié sur nos malades, Texistence de malformations
dont la cause doit, croyons-nous, être rapportée à une in-
fluence dégénérative. D'ailleurs les déformations thoraciques
dues au rachitisme réalisent habituellement un type tout
différent de celui que nous avons observé. Le sternum,
au lieu de plonger vers le rachis, proémine fortement en
avant ; il forme ce qu'on a appelé la poitrine en csirène ou
de poulet. Le thorax rachitique, coupé transversalement,
présente l'aspect d'une poire dont la partie efûlée corres-
pondrait au sternum. Dans le thorax en entonnoir, au con-
traire, une section horizontale au niveau du sommet de la
dépression donnerait une courbe rappelant assez bien la
forme d'un rein avec son hlle profondément excavé.
Nous devons encore signaler, parmi les déformations tho-
raciques à différencier du thorax en entonnoir, la poitrine
creuse des tailleurs d'habits qui travaillent assis le corps courbé
en avant. Cette dépression résultant de la déformation de
la totalité du thorax est surtout prononcée au-dessous de
l'appendice xiphoïde.
Les cordonniers présentent également une déformation
thoracique produite par la pression de la forme sur la poi-
trine. Au niveau des articulations chondro-sternales des
sixième, septième et huitième côtes, immédiatement au-
330 PÉANGB DU 7 MAI 1801.
deaaas de Tappendiee xiphofde, existe chez eux. ane dépres-
sion profonde, ciroulaire, régulière, nettement cireonscrite.
Cette dépression est aooompagnée de ealkiiiés qui indiquent
son origine ; elle n'affecte pas la forme en entaimoir et n*en^
traîne pas une déformation des cartilages costaux ^NMBins.
On sait que Y hypm^trophie des amygdales est aceompagate
souvent de déformations du thorax qui ont été étudiées pour
la première fois par Dupuytren (1838) ; cette cause ne saurait
être incriminée chez nos malades dont les amygdales n'étaient
pas hypertrophiées. Au reste^ les déformations dues à oe fac-
teur n'ont rien de commun avec le thorax en entonnoir. C'est
le plus habituellement une projection en avant des cartilages
costaux et du sternum, c^est la poitrine en carône. Dans quel*
ques cas rares, le sternum est creusé d'une gouttière (Balme^),
ou sillonné par une dépression transversale (Lambron^.
Nous ne citerons que pour mémoire les déformations consé-
cutives à des traumaiismet (enfoncement du sternum par un
coup de timon de voiture, par un projectile, etc.). Dana la
plupart des fractures du sternum (efforts musculaires, etc.),
le fragment inférieur est porté en avant. Beauchêne a cité
un cas dans lequel un sujet réussit, par des pressions répé«
tées sur le sternum, à produire la disjonction des deux pre«
mières pièces et à déprimer la seconde. Malgaigne rapporte
le fait d'un myope^ habituellement penché en avant, chez qui
le corps du sternum s'incurva en arrière (Servier)'.
Différentes hypothèses ont été faites pour expliquer le
mode de production du thorax en entonnoir. Plusieurs des
1 Balme, De i* hypertrophie dês amygdales (Tiièse de Paris, 1S88).
* LarobroD, De l'hypertrophie des amygdales et de ses fâcheuses consé"
quenees {Bulletin de F Académie de médecine, iSOi).
* Il est encore une autre déformation acquise qui présente quelquo ana-
logie avec la poitrine en entonnoir : « A une certaine période de la myopathie
atrophique progressive de Tenfance (type Landouzy-DeJerine),on constate,
dit M. Raymond, une aspei curieuse déformation de la poitrine en avant:
de convexe qu'elle est à Tétat normal, la paroi thoracique antérieure de-
vient plane, quelquefois même concave ; le sternum forme alors 4ine sorte
de gouttière dont les parois latérales sont limitées par les cartilages cos-
tani. w (Raymond, Maladies du système nerveuse, Paris, 1S89).
RâMADIER et sérieux. *— MAlFQRHATIOlf PB LA POITRINE. 331
cas ayant été remarqués aasûtôt après la naissaDce, Zucker*
kaQcU admet comme caase de la déformatioa la pressioa du
maxillaire inférieur du fœtus sur le sternum, Schiffer (cité
par Flesch) suppose que Texcavalion du thorax est due à la
longueur anormale des côtes qui refouleraient en arrière le
sternum. Hagmann fait intervenir la pression du talon tVit</ero,
D'autres invoquent Tintervention d'une péricardite, d'une
médiastinite, d'un déplacement congénital du cœur à gauche.
Egge) croit que, par suite des troubles de la nutrition ou du
développement, il se produit une flexibilité anormale du
sternum qui résiste à sa partie supérieure, soutenu qu'il est
par les premières côtes, mais qui, en bas, où les côtes sont
plus longues et plus mobiles, s^exoave à chaque inspiration
sous rinfluence de la pression atmosphérique. Ebstein pense
qu'il s^agit d'un arrêt de développement du sternum qui
s'immobilise en arrière au lieu de se développer et de se
porter en avant.
Nous serions assez disposés à admettre cette dernière opi-
nion. Celle qui se contente de faire intervenir une cause
mécanique ne saurait expliquer le fait de la coexistence
fréquente avec le thorax en entonnoir de malformations
d'autres organes. Deux faits incontestables frappent en effet
i la lecture et à la comparaison des diverses observation«
publiées ; c^est, d'une part, cette coexistence du thorax en
entonnoir avec d'autres anomalies; de l'autre, son apparition
chez des sujets porteurs de tares héréditaires plus ou moins
lourdes, et dont l'état mental est lui*même rarement in-
demne.
Relativement au premier point, nous voyons la poitrine en
entonnoir être accompagnée de syndactylie (Bbstein), d'ab-
sence du cinquième cartilage costal (Ëbstein), de plagiocé-
pbalie, de syndactylie, de vitiligo, de phimosis, d'ichthyose
(observation I) ; d'implantalion vicieuse des dents, de voûle
palatine ogivale, de malformations des orteils(observation II) ;
d'hydrocéphalie, de malformation des doigts, de surdité
(observation III); de malformation crânienne, de bec-de<-
332 8ÉAMGB DU 7 MAI IB9I.
lièvre (observation TV) ; de difformités crâniennes, de stra-
bisme, de prognathisme, d'implantation vicieuse des dents,
de cryptorchidie, de rétrécissement aortique (observation V).
Cette apparition, chez le même individu, de déviations multi-
ples du développement normal ne saurait s'expliquer que
par Texistence d'une cause perturbatrice dont Taction s'est
fait sentir dans le cours de la vie fœtale (développement
congénital de la malformation) ou dans la première enfance.
Or, nous savons que, parmi les plus puissantes des causes qui
peuvent ainsi faire dévier le développement du fœtus ou de
Tenfant, doivent être comptées les tares nerveuses ou psycho-
pathiques, les intoxications des ascendants; puis, en seconde
ligne, viennent les maladies du fœtus, ainsi que celles de la
première et de la deuxième enfance. On ne peut faire que des
hypothèses sur le mécanisme par lequel les atteintes du sys-
tème nerveux des générateurs retentissent sur le développe-
ment physique et psychique des descendants; quoi qu'il en
soit, le fait est indubitable^ et, derrière ces malformations,
on retrouve habituellement les tares que nous venons de
signaler.
Quant aux cas où le thorax en entonnoir ne s'est révélé que
plus tard, ils paraissent dus à l'influence d'une maladie à
localisation cérébrale ayant retenti sur le développement de
la partie inférieure du sternum dont les points d'ossifica-
tion ne se montrent, on le sait, que huit ou dix mois après
la naissance et souvent beaucoup plus tard. (Méningite à
deux ans, suivie de Tapparition de la poitrine en entonnoir,
Ebstein, Épilepsie survenue à sept ans, consécutivement à
une maladie infectieuse, et suivie elle-même de déformation
du sternum, Flesch).
D'ailleurs, Texistence de malformations thoraciques en
général, chez les dégénérés, a été signalée par différents
auteurs : Flesch faisait déjà remarquer la fréquence de Tépi-
lepsie chez les individus porteurs de déformations du thorax.
Bianchi (cité par Lombroso) constate ces anomalies chez
61 pour 100 des criminels. Balme a rencontré de nombreuses
RAMADIER ET SÉRIEUX. — IIALFORMATION DE lA POITRINE. 333
malformations thoraciques chez les arriérés de la colonie
de Vaucluse : poitrines en carène, luxation en arrière de la
pointe du sternum, sternum en gouttière, incurvation totale
du tronc en avant, saillie d^une épaule, etc. Le docteur Ad.
Bloch signale la coexistence^ chez les dégénérés, de déforma-
tion de la cage thoracique avec des malformations crâniennes,
des nodosités digitales, de Thyperlrophie cardiaque S etc.
M. Giraudeau *, dans une étude sur les rapports du rétrécis-
sement mitral congénital et de Thystérie, note, en outre,
chez ses malades, un arrêt de développement de la taille,
une malformation du sternum, un défaut de développement du
système pileux. Cette coexistence avec la névrose convulsive
de ces anomalies diverses ne peut relever que d'une influence
dégénérative.
Pour ce qui est de Tétat mental, on constate aussi, comme
nous le disions tout à Theure, que les individus porteurs de
la poitrine en entonnoir sont souvent aussi mal conformés
au point de vue cérébral qu^au point de vue de leur système
osseux. Ce sont, pour la plupart, des dégénérés délirants ou
non, des débiles, des imbéciles, des idiots, des épileptiques.
« Chez certaines familles, dit Ëichhorst, le thorax en enton-
noir est héréditaire, et, dans ces cas, on a remarqué, à di-
verses reprises, que les autres membres de ces familles et
même les individus atteints de cette anomalie présentaient
des affections psychiques, de Tépilepsie ou d'autres diffor-
mités » . L'auteur donne la photographie d'un garçon de
douze ans, observé à la clinique de Zurich, porteur d'un
thorax infundibuliforme et qui, issu d'une famille où les né-
vroses étaient héréditaires, était lui-même microcéphale et
idiot. Klemperer attache également une grande importance
aux anomalies du système nerveux central. Deux de ses ma-
lades, âgés, l'un de dix-neuf ans, et l'autre de vingt-trois ans,
1 Â. Bloch, /a Forme des doigts et les Nudosilés de Bouchard {Association
française pour l'avancement des sciences, 14 août 1889).
> Rétrécissement mitral et Hystérie chez l'homme {Archives générales de
médecine, novembre 1890).
T. II (4« sérib). %1
334 SÉANCE DU 7 MAI 1891.
sont ëdus te tfbu|p d'titie hérédité psychbpathiqtie t^rofbttdâ^
nlbis jôùitÂteilt cepëhdant dé l'intégrité dé leurs facultés
iiliellt3cluelles. Plusieurs de leurs patents pt^séntaieni iine
malformation identique à lé léûi^; Le iboîslêmé thàliadë, i^hét
lequel IWotndlie eët à soh hiAkittlttâi, éét M aliékid épUé))^
tiqUëi
En ï*ésumé , la coëXistébéë chei les sDjéU ^bftëtlH d\x
thorax en entonnoir d'autres malformations, leui^étatmental,
leurs antécédents héréditaires psychopAthiqued sont autant
de i^isotls qui nous conduisent à ne voir dans la poitriile en
entonnoir qu'iin des nombreux stigmates phystqùeé de la
dé^nérescence, qu'une anomalie de développeUdëhl ëtt mp*
port avec l'hérédité morbide. En admettant Une influeUce
héréditaire dans la genèse de cette déviation dU sqUëlëtte^
nous ne voulons pas affirmer qu'elle soit toujours le résultat
d'une transmission héréditaire similaire, bien (}tte, ikOtts
l'avons vu plus haut^ Klemperer et Eichhorst en aient tité
des cas. Nous entendons l'hérédité dans son acception la
plus iat^', nous parlons, non pas de celle qui se borne à
transmettre intacte telle ou telle particularité d'Une génô*^
ration à l'autre, mais de cette hérédité morbide qâf, de^
venue modificatrice et créatrice, intervient pour eoilftlituet*
de toutes pièces les états dégénératifs, les déviations du type
normal de l'espèce.
Discussion.
M. CXPitAN fAit observer qu'il lui semble que ce tt*est )^
là une attomalie iaussi rare que le dit lé présëntAteUr* It sis
souvietkt d'en avoir observé plusieurs casi Datts un de ees
cas, entre autres, le sujet ne présentait aucun trouble )^y*
chique.
M. Variot dit aussi avoir vu des faits aUalogUes. Il peéfté
qu'il s'agit plutôt là d'une déformation d'origine rachitique.
Il peut exister des déformations rachitiques isolées ; c'est
ainsi que chez les enfants, on peut observer exclusivenlent
des déformations rachitiques des côtes.
YAUVILLÉ. — ATELIER QUATERNAIRE DE TAILLE DE GRÈS. 33S
M. Lagnbau. La poitrine en entonnoir, le Trichterbrust^ dont
ce moulage et ces photographies nous représentent des exem*
pies remarquahlement prononcés, sans être nne malformation
fréquente, ainsi que Tobscrvcnt nos collègues M. Capitan et
M. Yariot, ne parait pas extrêmement rare. Dans un manus«
crit adressé à TAcadémie par M. le médecin major Aubert,
sur la géographie médicale du département de TAin, plu<»
sieurs cas de cette malformation étaient signalés chez des
jeunes gens examinés lors des opérations du recrutement
militaire dans ce déparlement {Bulletin de l'Académie de
médecine^ 14 février 1888, p. 224).
Atelier 4a«tern«lro de taille de grès 4e Preale«*et*Sevee»
eanton de Brnisne» arrondissement de Soissons (A.isne);
PAR M. 0. VAUVILLB.
Dans la séance du 15 mai 1890, j*ai eu l'honneur de vous
présenter des objets recueillis par moi à Tendroit d'un vaste
atelier de grès qui se trouve sur la montagne et la com-
mune de Ghivres ^ (Aisne), à l'altitude de 155 à 158 mètres.
Cette année, ayant continué mes recherches sur les ate-
liers préhistoriques de grès, j'ai pu, en avril dernier, décou-
vrir un nouvel atelier, de même roche, sur la montagne et
le territoire de Presles-et-Boves, canton de Braisne.
Situation. — En arrivant sur la montagne de Présles-et-
Boves, du côté du territoire de Ghassemy, Tendroit où Ton
commence à remarquer des éclats de grès se trouve à en-
viron 200 mètres à Test du Bois de la Voie ', les mêmes
éclats se continuent dans la direction du nord-est, dans le
sens de la longueur, en suivant presque le chemin de tra-
verse de Ghassemy à Presles, ou à peu près en allant vers la
direction des peupliers indiqués sur la carte du ministère
1 Bullelins de la Société d'anthropologie, 1890, p. «02.
* Probablement bois se trouvant sur la voie du ohemin de ChaMcmy.
336 SÉANCE DU 7 MAI 1891.
de la guerre S près la cote à i69 mètres d^altitude. Le sens
de la largeur s*étend au nord et au sud du chemin dont il
vient d*ètre question.
Superficie et altitude du sol où l'on rencontre le plus de grès*
— L*endroit où l'on trouve beaucoup d'éclats et même des
instruments en grès doit comprendre une superficie d'au
moins 6 à 8 hectares. Une grande pièce de terre ensemencée
en seigle m'a empêché de pouvoir fixer approximativement
la surface où ces débris sont fréquents.
L'altitude du sol peut varier, d'après la pente dn terrain,
de 153 à 158 mètres.
Nature du grès. — Le grès qui a été employé provient,
en général, de plaquettes qui variaient de 1 à 5 centimètres
d'épaisseur; il est fortement lustré, quartzeux et à ciment
siliceux.
D'après M. Stanislas Meunier, ce grès renferme des fos-
siles du genre Psammobia, ressemblant beaucoup aux co-
quilles des grès moyens de Beauchamp, à l'étage duquel ils
paraissent se rapporter.
Ce grès paraît être du genre d'un grand nombre de pièces,
de même roche, dites cheiléennes, que l'on trouve dans les
gisements quaternaires des vallées de la Vesle et de la ri-
vière d'Aisne.
Industrie, — Les trente-deux pièces que voici provenant
de Presles-et-Boves, comprennent :
l'' Quatre percuteurs. Ces instruments sont bien différents
de ceux qui ont été généralement employés à l'époque néo-
lithique ; ceux-ci n'ont servi à frapper que d'un côté ; au
contraire, à l'époque de la pierre polie, cet instrument ser-
vait presque toujours sur tous les sens. La même particula-
rité se remarque aussi sur le seul percuteur que j'aie re-
cueilli en ISUO, sur Tatelier de Ghivres ;
2* Deux nucleus ;
3** Des éclats très caractéristiques de taille, dont quelques-
Carte au quatre-viogt-millième.
VAUVILLÉ. — ATEUER QUATERNAIRE DE TAILLE DE GRÈS. 337
uns très minces provenant de plaquettes qui, en raison de
leur faible épaisseur, exigeaient un soin particulier, pour la
taille, afin d'obtenir un instrument aussi fort que possible
avec une plaque aussi faible ;
4® Des fragments de lames très minces ;
5® Un retouchoir ;
6® Enfin deux pièces triangulaires imitant la scie.
Les deux derniers instruments se rapportent à une forme
qui est assez commune dans les gisements quaternaires de
la vallée de l'Aisne^ ils sont même communs à Cœuvres. J*ai
aussi recueilli une pièce du même genre à Tatelier de Gbivres.
Voici, pour les comparer, quelques pièces provenant des
gisements [quaternaires de Limé, 1; de Giry, !2; de Cœu-
vres, 4, et celle de Gbivres.
En plus des trente-deux pièces dont il vient d*ètre ques-
tion^ j'ai remarqué cinq grossières pièces imitant des ébau-
ches d'instruments cbelléens.
Mode de taille. — L'emploi de grès en plaquette avait le
grand avantage de rendre la fabrication beaucoup plus sim-
ple et plus facile que dans les ateliers où Ton se servait de
roches plus épaisses, comme à Gbivres par exemple.
A Presles, il suffisait souvent d'éclater, de chaque côté
de la plaquette, certaines parties pour donner la forme dé*
sirée à Tinstrument que Ion voulait faire.
Cet avantage a été recherché pour d'autres ateliers comme
j'ai eu l'honneur de vous le démontrer dans la séance du
5 février dernier, au sujet de pièces chelléennes du gisement
de Mont-Notre-Dame \ outils qui bien certainement sont
venus d'un autre atelier, et même d'un autre versant de
montagne que ceux de Presles, où le silex d'eau douce en
plaquette était employé.
Origine de l'atelier. — Comme on le voit, les pièces re-
cueillies, à elles seules, ne permettent pas de dater Tatelier
de Presles.
■ Voir Bulletins de la Société d'anthropologie, i%9\^ p. 79.
338 SÉANCE DU 7 MAI i891.
Des déblais faits pour exploiter une carrière de moellons,
située un peu au sud du chemin de Cbassemy à Presles, me
permirent de constater que le limon rouge, déposé aa*d«ssiis
des couches superposées de marne et de oaloaire groasiar,
contient dans toute Tépaisseur du limon, variant de 60 à
80 centimètres, des éclats et des fragments de plaquettes
de grès du même genre que ceux que i'on trouve sur la sur-
face du sol.
Cette constatation permet même de croire que les éclati,
ou débris de fabrication, ont été déposés dans le limon» lors*
que les eaux étaient à ce niveau^ ou lorsqu'elles se seraient
retirées pour revenir ensuite.
Les éclats de grès proviennent donc de roches qui ont été
taillées soit sur place, après divers retraits successifs des
eaux, soit à un niveau un peu supérieur ; dans ce dernier
cas, les eaux auraient roulé, un peu au-dessous du niveau
de l'atelier, les éclats elles instruments que Ton rencontre.
Cette dernière hypothèse n'a rien d'étonnant, car on trouve
aussi dans la partie plus élevée du plateau (altitude 165 à
1G8 mètres) des fragments de grès du môme genre.
Conclusions, — Il est donc permis de conclure que l'atelier
de Preslcs-et-Boves est bien un atelier de l'époque quater-
naire.
La nouvelle découverte de Presles-et-Boves vient |corro-
borer la constatation que j'ai démontrée dans ma notice
sur mes découvertes du gisement quaternaire de Cœuvres
(Aisne), présentée au Congrès international d'anthropologie
et d'archéologie préhistorique de Paris, de 1889.
Les résultats de mes recherches m'ont fait voir que le gi-
sement de Cœuvres n'a pu se produire que lorsque les eaux
étaient au-dessus de l'altitude de 141 mètres. La constata-
tion de Presles-et-Boves indique que les eaux se sont élevées
au-dessus de 153 mètres.
Si on examine ce que donne une courbe de niveau à Tal-
titude de 140 mètres, sur toute la partie de montagne qui
comprend le plateau de Presles-et-Boves, on voit qu'à ce
QAVDIDATURES. 339
niveau il n'émergeait plus qu'une tle tpài irpégulière d'envi-
ron 30 à 32 kilomètres, allant depuis la montagne de Cbas-
lamy jusque tout près du fort de Saint-Tierry ou à Cbenay,
i^ environ 7 kilomètres de Reims. La largeur de pette i)e
était très irréguiière, elle variait de 400 à 2000 mètres.
Que restait-il de terre émergente lorsque les eaux étaient
à 153 mètres d*altitude, si ce n'est plus?
Des hommes de celle époque furent donc contraints de
se réfugier sur cette île, leurs instruments purent se perdre
ou rouler sur les deux versants de la montagne actuelle, soit
dans la direction] de la vallée de la Vesle, vers le sud, soit
sur celle de la rivière d* Aisne, vers le nord, pour aller avec
d'autres instruments abandonnés à des niveaux inférieurs,
après avoir été plus ou moins roulés par les eaux, se déposer
»
dans les fonds de ces vallées où on les trouve maintenant
dans les exploitations ou carrières de silex ou grèves des
dépôts quaternaires.
Dans une prochaine présentation de gisements quater-
naires de TAisne, je pense revenir sur ce sujet et vous dé-
montrer que le gisement de Mont-Notre-Dame et autres
ont été déposés, lorsque les eaux étaient à la même altitude
que celles de l'époque de formation du gisement de Cœu-
vres, et de celles qui ont recouvert successivement ou roulé
les grès de Presles-et-Boves.
Discunfion,
M. Adrien de Mortillet fait remarquer l'importance que
présentent ces trouvailles. Les ateliers de grès sont fort
rares et peu connus ; il y a donc grand intérêt à les signaler
et à les bien étudier.
CANDIDATURES.
M. le docteur Bérbngbr-Féraud, directeur du service de
santé de la marine, présenté par MM. Laborde, Letourneau
et Capitan.
340 SÉANCE DU 21 MAI 1891.
M. E. Roux, capitaine d'infanterie de marine, présenté par
MM. Laborde, Letourneau et Manouvrier.
MM. les docteurs Ramadier et Sérieux, médecins adjoints
des asiles de la Seine, demandent le titre de membre cor-
respondant.
Recherches anthropomélriqaes mnw la eroIsMUiee ;
PAR M. GARLIBR, HKDECm-HAJOR.
Ce travail, communiqué par M. Letourneau, est renvoyé
aux Mémoires de la Société,
La séance esl levée à six heures.
L'un des secrétaires : CAPITAN.
538« SËANCe. - Si mai 1891.
Préflldonee de M. IjABORRE^ présldenl*
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
OUVRAGES OFFERTS.
M. Gabriel de Mortillet. L'envoi des épreuves du cata-
logue à nos collègues de France et de l'étranger a continué
à produire les meilleurs fruits et à enrichir noire biblio-
thèque. Par suite de cet envoi, j'ai Thonneur de présenter à
la Société, au nom de MM.
John Evans SI publioatioDS*
DeJouvencel 16 —
Landrin 3 —
De Loë 10 --
John Lubbock 1 —
Luschan 14 —
Maniegazza 9 —
De Maricourt 1
Mauricet 21 —
Morselli 9 —
De Munck 29 —
OUVRAGES OFFERTS. 341
Nicaise 6 publications.
OUier de Marichard 6 —
PigoriDi 21 —
Pilloy 5 —
De Quatrefages 6 —
Rames 1 —
G. de Saporta %t —
Valdemar Schmidt 3 —
Sébillot 15 —
Total 230 publioations.
Plus un volume du docteur Pommerol, contenant dix-neuf
brochures.
Prestwich (Joseph). On the Age, Formation, and Successive
Dfitt-Stages ofihe Valley of the Darent. Londres, 1891, in-8*,
40 pages et planches.
Larrieu (D' F.). Un essai de calendrier républicain en langue
basque. In-8**, 9 pages.
Peillon (D' Gabriel). Étude historique sur les organes géni-
taux de la femme. Paris, 1891 , grand in-8®, 200 pages^ avec
figures.
MoRENO (F.-P.). Esploracion arqueologica de la provincia de
Catamarca, La Plata, 1891, in-8% 30 pages et planches.
Poirier P'). Topographie cranio-encéphalique; Trépana*
t^ons. Paris, 1891, in -S*", 92 pages et dgures, présenté par
M. Manouvrier.
Beveridge (H.). Annual Address to the Asiatic Society of
Bengale. Calcutta, i891, 52 pages.
' Evans (John). Address of the Society of Antiquaries of
London. Londres, i89l, in 8^*; 20 pages.
Lob (A. de). Rapport snr le Congrès archéologique de France ,
à Brives, 1890. Bruxelles, 1891, in-8% 8 pages.
Mauriget (Alphonse). De l^Usementde Rohan, <e5 35 articles
et leur traduction en vers latins. Vannes, 1891 , in-8®, 16 pages.
MoRSELLi (E.). Mesologia e Socwlogia, 1891, in-8®, 10 pages.
PiGORiNi (L.). Le prime Città delV Italia e i suo t abttatori.
Rome, 1891, in-8'*, 18 pages. — L'Italia settentrionale e cen-
trale nelV Eta delbronzOf 1891, in-8^, 4 pages.
34i SÉANCB DU ai MAI i891.
ScHLiEMANN (D*). Les Dernières Fouilles d'Hissarlik (Troie).
Bruxelles, 1891 , m-8% 22 pages.
Sébillot. Autobibliographie des livre^^ tir(ltge% i part et
articles relatifs aux traditions populaires. Paris, 1891, in-8*,
16 pages.
M. Manouvrier offre à la Société, da U part de Tautenr,
un important mémoire de M. le docteur Poirier, chef des
travaux anatomiques à la Faculté de médecine, sur la topo-
graphie crânio-encéphalique.
PÉRIODIQUES.
Actes du deuxième Congrès d'anthropologie orimVHlk éf
Paris, 1889. Lyon, 1890, grand in-8% UQ pftgei, préswté
par M. Magitot.
Revue de l'hypnotUme (mai 1891). D*^ Pftnl Sepiei|x ; NoU
sur un cas d*automatisaie des centres génitftvix-apiaam^.
Revue scientifique (9 et 16 mai 1891). Xavier de Ricard ; lei
Hollandais dans Tarchipcl Indien. — Azam : les Déftéqui*
libres.
Société d'acclimatation de France {Revue des sciences natu^
relies appliquées, 20 mai 1891). G. d'Orçet ; le Cheval à travers
les âges (suite).
The American Naluralist (mars 1891, n° 291). Henry F^r»
field Osborn : Are Acquired Yarialions Inberited?
Société d'anthropologie de Lyon {Rulletin, 1890, n*» 2), G, de
Hortillat ; las Inondations et le Glaciaire. — Chantre ; Pre-
miers Aperçus sur les peuples de l'Arménie russe. — A. Bri'
hat : Contribution à Tétude des temps préhistoriques de
TAuvergne. — B. Charvet ; Becbercbes sur deux freins de
ohevaux trouvés à Athènes. — Bidault : Note sur les ohjets
en bronze et en fer. — Cb. Debierre ; Uelations de U capa-
cité crânienne, du poids et du volume du cerveau chez
l'homme. -* A. Perrin ; Station da Tâge da la pierre polie.
VAUVIIXÉ. — INSTRUMENTS BB PIERRE. M
COUMUAIICATIONS PU BURGAU,
M. LB PRiisiDBNT annoooe que la neuvièma oonféranoe an*
nuelle transformiste aura lieu le jeudi 28 mai. La eonféren*
oier, M. Fauvelle, traitera du transformisme dans le règne
végétal.
CANDIDATURES.
M. le docteur Carlier, médecin-major, demande le titre
de membre titulaire. Présentateurs : MM. Laborde, Letour-
neau, Collignon, Capitan.
A propos du procès-yerbal.
M. Capitan dit qu'il vient d'observer sur une dame une
malformation du sternum (thorax en entonnoir) des plus
caractéristiques. Cette dame est sourde, mais sa surdité
n'est pas congénitale. Elle a assc? bonne santé ; cependant,
elle est dyspeptique et a eu de la dilatation gastriquei Ella
n'éprouve aucune gène de son anomalie, La dernière pièce
du sternum semblant subluxée en arrière sur la pièce
moyenne s'enfonce brusquement, et, entraînant avec elle
les fausses côtes, produit un enfoncement de 4 à 5 centi-
mètres de profondeur sur une largeur moyenne de 5 à6 cen"
timètres. Les bords, en baut et sur les côtés, sont presque h
pic, tandis qu'en bas, ils sont obliques, et le fond de Texca-
vation gagne insensiblement la surface de la région épigas-
trique. C'est là un très bel exemple do la malformation dont
M. Sérieux a montré un remarquable moulage dans la der-
nière séance.
PRÉSENTATIONS.
Instruments variés provenant des gisements quaternaire^
de Mont -Notre-Dame, Limé et Glry (Aisne);
PAR M. 0. VAUVILLfi.
J'ai l'honneur de présenter à la Société cinquante-trois
pièces, en grès et en silex d'eau douce on marin, provenant
344 SÉANCE DU 31 MAI 1801.
de divers gisements quaternaires du département de TAisne.
1® Mont'Noire-Dame. — Ce gisement, dont je vous ai entre-
tenus dans la séance du 5 février dernier \ est situé au lieu-
dit les HauteS'Bruyhes, à Taltitude d'environ 80 mètres;
il se trouve dans des conditions tout à fait différentes d'alti-
tude, et sous le rapport de la provenance des matériaux et
des instruments déposés, il difTère des autres dépôts dont
il va être question.
Le gisement de Mont-Notre-Dame, variant de 60 centi-
mètres à { mètre d'épaisseur, fournit, dans ses diverses pro-
fondeurs, des instruments variés du genre de ceux-ci :
Pièces dites chelléennes, en silex, de 80 à i 85 millimètres
de longueur, trouvées de 30 centimètres à 1 mètre de pro-
fondeur.
Instruments en grès en forme de disque, de 60 à 420 mil-
limètres de diamètre.
Fragment de percuteur en grès.
Grossier racloir en grès.
Beau racloir* de 83 millimètres de longueur, trouvé à
60 centimètres de profondeur.
Grattoir convexe de 85 millimètres de longueur sur 70 mil-
limètres de largeur, avec belles retouches, provenant de
50 centimètres de profondeur.
Belle pièce plate, de forme trapézoïde, de 140 millimètres
de longueur, 15 millimètres de largeur d'un bout et 80 mil-
limètres de l'autre bout, retouchée régulièrement de chaque
côté. Cette pièce, qui imite bien une scie, a été trouvée à
30 centimètres de profondeur, au même niveau que la plus
grosse pièce chelléenne.
Lame de 75 millimètres de longueur, retouchée flnement.
Fragment de très belle lame en grès, de 82 millimètres de
longueur, ayant été retouchée régulièrement des deux côtés.
Toutes ces pièces variées ont été certainement trouvées
1 Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, vol. II, 4« série, 1891,
p. 79.
* Les instruments dont la roche n*est pas indiquée sont en silex.
YAUVILli. — INSTRUMENTS DE PIERRE. 345
telles qu'elles ont été laissées par les eaux dans un dépôt
qui n*a pas subi de remaniement, chose rendue impossible
par la résistance d'une couche de poudingue ferrugineux
formé dans la couche quaternaire.
2'' Limé, — Ce gisement, qui varie d'une épaisseur de
2 mètres à S"^,30, non compris les terres déposées au-dessus
de la couche quaternaire, se trouve au lieudit le Long'
Bochel, à Taltitude de 53 mètres à 56 mètres ^ Ce dépôt
fournit, mélangés dans ses diverses parties, des instruments
variés du genre de ceux-ci :
Grosses et petites pièces dites chelléennesy en grès et en
silex d'eau douce.
Lames variées en grès et en silex.
Belle lame en grès de 1 53 millimètres de longueur, retou-
chée d'un côté, et ayant, de l'autre côté, un grattoir concave
de 30 millimètres de corde d'arc.
Pièce de forme bizarre, de 80 millimètres de longueur et de
62 millimètres de largeur de base, retouchée régulièrement
des deux côtés. L'un des côtés est de forme concave, l'autre
est convexe ; cette pièce se termine, du bout opposé à la base,
en forme de bec de perroquet imitant un perçoir.
Hacloir de 50 millimètres de longueur sur 26 millimètres
de largeur.
Belle lame en silex de 155 millimètres de longueur, de
forme convexe d'un côté, avec retouches qui font ressem-
bler cette partie à un racloir; Tautre côté, qui est concave,
porte un beau grattoir concave de 32 millimètres de corde
d'arc.
Lame de 90 millimètres de longueur sur 65 millimètres de
largeur et U millimètres d'épaisseur, ayant un beau grat-
toir concave de chaque côté, l'un de 30 millimètres et l'autre
de 35 millimètres de corde d'arc.
Grattoir convexe de 80 millimètres de longueur sur67 mil-
limètres de largeur de partie retouchée.
1 B%Mel%ns d? la Société d^anihropologie de Paris, vol. II, 4« série, 1891,
p. 79.
046 SÉÂNCIS W ti MAI iSQl.
Deux belleé kmes en Bilex très trati8pareot| retoDchées
nnement en forme de scie»
Deux pièces en forme de pointe finement retonchées ; l'one
paraît former racloir d'un côté el scie de l'antre ; Tautre pièce
ressemble h une scie double»
Une ][^olnte en grès de 80 millimètres de iongnenr 8ur
42 millimètres de largeur à la base.
Belle pointe de 120 millimètres de longueur^ 60 millimè-
tres de largeur à la base, grossièrement et régulièrement
retouchée de chaque côté.
Pointe de 78 millimètres de longueur et 50 millimètres de
largeur à la base, finement retouchée sur les côtés. Cette
pièce est du genre de celles de Tépoque dite moMtérienne de
la Vallée de la VéEère.
Pointe de 85 millimètres de longueur et de S5 millimètres
de largeur à la base. Cette pièce> qui est asses bien retouchée,
portC) au-Mdessus de la base, une coche paraissant avoir été
Ikite pour ligaturer la pièce sur un manohe«
Enfin, un instrument de 70 millimètres de longueur^ imi*
tant une pointe. Cette pièce, retouchée sur les deux bords»
sauf la pointe qui est restée brute, peut être prise pour une
scie double.
Quelques pièces du gisement de Limé, qui ont été fortement
roulées par les eaux, paraissent avoir été amenées de loin.
3« CtVy. — Le territoire de cette commune comprend un
certain nombre de carrières où on extrait du silex pour les
chemins vicinaux, et une ballastière importante de la Compa-
gnie du chemin de fer de l'Est, exploitée sur plus de 400 ma*
1res de longueur. Toutes ces exploitations permettent de
découvrir, dans la couche quaternaire qui varie de i",50 à
^"",30 d'épaisseur de dépôt enlevé, des instruments variési
mélangés entre eux du genre de ceux-ci :
Six grosses pièces dites chelléennes^ dont quatre en grès el
deux en silex.
Un instrument en grès en forme de disque, de 10 centi-
mètres de diamètre sur 22 millimètres d'épaisseur.
VAU VILLE. — INSTRUMENTS DE PIERRE. 347
Deux racloiirs doubles de 68 millimètres et 70 millimètres
de ionjgaeut*; Tun eki silex ttoir et Taullre en grèsi
ïrois pièces, dotit une en grès^ imitant la soie^
Une belle pointe en grès de 165 millimètres de longueur»
65 ittillimètres de largeur au milieu et 17 miilimèires d'é-
paisseUii^ daiks la partie U {>lus épaisse.
Ott^ llrèê belle pointe en grès de 60 millimètres de ion-
guôtif) 3l millimètres de largeur et 10 millimètk*e8 d'épai8«>
sëiif à la base.
Uhé t^intiB de 56 millimètres de longueur^ retouchée suf
les bo)*dSk
Enfin une belle pointe de 72 millimètréà de longueur sur
f9 millimètres de largeur à la base ; cette pièce est bien re-
touchée sur les bords, comme celles dites monstériennes.
Les dépôts iur Glry, qui sont à l'altitude d'environ 53 mè-
Ires à 5â mètres, ont été formés très régulièrement, sur plus
de 2 kilomètres de liargeur de la vallée^ près du cohfluent de
la Vesle et de TÀlsnev
On voit très bien, dans les couches régulièrement dépo-
sées, qull n'est pas admissible qu'il y ait eU de remaniement
produit par les eauXi
Faune. — La faune de ces gisements, qui fournissent Hsset
rarement des débris paléontologiques, est représentée par :
Eiephas anilquus^^ elephas prîmigenius, rhinocéros Merckii
OU hemitœchus, cheval, bœuf.
Conclusions^ — Si on examine avec soin Tensemble des
ptèôiès qrii^ je vous at présentées^ dans lesquelles je n'ai mié^
comm^ spécimens, que quelques pièces dites cAelléennes^ qui
sont nombreuses dans les dépôts dont il a été question, on
peut remarquer que :
i^ L'industrie de ces gisements comprend biett tes gros
instruments dits chelléens ;
â"" A l'époque des gros instruments chelléens on se servait
* Association française pour l'avancement des sciences, 9« session,
Éeims, 1B80 ; ^tmmtt quàUviMirA tia CÂitiw, >pKf ^ ^doctéUf AKMi
Wltoiy.
348 SÉANCE DU Si MAI iSOl.
déjà, dans la région de l'Aisne^ d'instruments divers tels qoe:
disques, racloirs de formes variées^ grattoirs concaves et
convexes, scies (?) et des pointes sans retouches ou retouchées
de diverses manières;
3° Si on compare l'ensemble de Tindustrie des cinquante-
trois pièces que voici, on reconnaît très bien qu'elle n*est pas
analogue à l'industrie dite moustérienne^ si bien caractérisée
dans les vallées de la Vézère et de laTardoire, où les instru-
ments typiques sont les pointes et les racloirs qui se ressem-
blent presque tous, ceci contrairement à ce qui a lieu pour
les petits instruments que je vous ai présentés, provenant du
département de l'Aisne.
Vous pouvez, messieurs, comparer les pièces de l'Aisne
avec celles de l'époque moustérienne que je vous présente,
instruments que j'ai recueillis dans la vallée de la Tardoire,
dans la grotte de Rochebertier, commune de Vilhonneur
(Charente), vous verrez qu'elles sont d'une industrie bien
différente de celles de Mont-Notre-Dame, Limé et Ciry.
Je me promets, dans une autre présentation, de vous faire
ressortir Tindustrie presque particulière du beau et riche
gisement quaternaire de Gœuvres (Aisne), dont la faune est
très bien représentée.
Discussion.
M. D^AcY. La très intéressante communication que nous
venons d'entendre confirme entièrement ce que j'ai déjà eu
l'honneur d'exposer plusieurs fois. Précisément, j'ai apporté
aujourd'hui une série de racloirs et de grattoirs qui établit
que ces deux instruments n'ont pas été en usage seulement
depuis l'époque du Moustier, pour les premiers, et depuis
celle de Solutré, pour les seconds, comme le veulent MM. de
Mortillet; mais qu'ils l'ont été, l'un et l'autre, depuis le
moment de l'apparition de l'homme chez nous.
Voici d'abord un grattoir, sur lequel je me permets d'ap-
peler spécialement l'attention. C'est, en quelque sorte, le
frère de celui, si fin et d'une forme si élégante, que M. Vau-
DISCUSSION SUR DES INSTRUMENTS DE PIERRE. 349
ville vient de nous faire voir. Il a été recueilli à Thennes.
Pour bien prouver qu*il n'est pas de l'époque de la pierre
polie, comme on pourrait peut-être le supposer, j'ai apporté
quelques pièces trouvées au môme endroit, dans la terre
végétale, ou à peu près. Celles-ci appartiennent au début de
Tépoque néolithique, àla période campinienne de M. Salmon.
Les autres sont de la véritable époque de la pierre polie. La
différence des patines de ces divers objets et de celle du
grattoir que j'ai présenté d'abord, montrerait clairement,
s'il en était besoin, que ce dernier provient réellement des
alluvions quaternaires. Ces autres grattoirs et ces racloirs
ont été fournis par la même localité.
Ces échantillons viennent du diluvium gris inférieur de
Saint-Acheul \ ceux-ci, du Pecq ; et, parmi ces derniers, voici
un grattoir, que M. de Mortillet ne récusera pas, je pense ; il
Ta fait mouler, et il en a placé la reproduction dans la
vitrine du musée de Saint-Germain consacrée au Pecq.
Enfin, voici trois lots de racloirs et de grattoirs qui ont été
trouvés à Chelles. Le premier provient du pseudo-diluviura
rouge, comme l'indique le cacholong, plus ou moins rous-
sàtre, des silex. Le second a été fourni par ce que j'appelle
les couches moyennes ; les pièces qui le composent sont très
reconnaissables à leur vernis brillant. Enfin, ces derniers
échantillons, aux couleurs sombres ou ternes, reposaient
dans les alluvions de l'étage inférieur.
Je rappellerai que le pseudo-diluvium rouge de Chelles ne
constitue pas une formation spéciale ; qu'il est simplement
le résultat de l'altération des couches supérieures du second
étage; et que les alluvions, que j'appelle moyennes, compo-
sent le reste de ce dernier horizon.
Si maintenant nous examinons ces trois lots de silex, nous
reconnaîtrons qu'ils se composent de racloirs et de grattoirs
parfaitement caractérisés. Ces instruments sont, en quelque
sorte, mieux représentés dans la série de l'étage inférieur
que dans celles, même réunies, de l'étage supérieur. Et, cepen-
dant, en choisissant ces pièces parmi leurs semblables, je
T. II (V sArie). 23
3S0 SÉANCE DU 21 MAI 1891.
n*ai certainement pas arrangé les lots de façon à obtenir
ce résultat; j'ai plutôt, au contraire, exagéré Timportance
relative des deux séries provenant de Tétage supérieur. Mais
je n*insisle pas sur cette particularité; qui n'est peut-être
qu'accidentelle.
Je constate seulement, une fois de plus, quCydèsTépoque,
soit de Saint-Acheul, soit de Ghelles, c'est-à-dire dès le
moment, où, d'après nos connaissances actuelles, il est apparu
chez nous, l'homme possédait un outillage, dans lequel des
racloirs et des grattoirs, retaillés sur une seule face, figuraient
en même temps que les armes et les instruments divers re-
taillés des deux côtés. Aux racloirs et aux grattoirs convexes,
je pourrais ajouter des grattoirs concaves, des scies, des per-
çoirs, des pointes, le tout retaillé toujours d'un seul côté.
Mais je n'ai pas apporté aujourd'hui de spécimens de ces
divers objets. J'ai trouvé que ceux-ci étaient déjà assez
lourds.
D'ailleurs, ce mélange, cette contemporanéité d'instru-
ments appartenant aux deux types, que, pour plus de com-
modité, je désignerai, moi aussi, par les noms consacrés,
mais peu exacts, de chelléen et de moustMen^ ce mélange et
cette contemporanéité sont prouvés par des exemples déplus
en plus nombreux.
Nous venons d'entendre M. Vauvillé, devoir les pièces si
curieuses qu'il a recueillies.
Pour la Dordogne et la Garonne, M. Landesque déclare
qu' (( il est acquis à la science que les instruments dits chel-
léens ou moustériens caractérisent, par leur présence, les pre-
mières couches diluviennes, tant sur les plateaux que dans
les vallées » ; que « Tépoque dite cheliéenne est de trop dans
la classification* ».
Dans le gisement, certainement non remanié, de Curson
(Drôme), dans ce gisement dont on ne parle jamais, les deux
tiers au moins des quartzites qui accompagnaient un sque-
1 Landesque, TerrcUns quaternaires de la Dordogne et de la Garonne,
in Bulletint de la Société gMogique de France^ 3^ série, t XVIU p. 814.
DISCUSSION SUR DES INSTRUMENTS DE PIERRE. 351.
lette, probablement entier, d'éléphant intermédiaire, sont
éclatés d'nn côté et plus ou moins retaillés de Tautre; et cet.
éléphant intermédiaire n'est qu'une variété de Téléphant
antiqae.
Bien plus, à Taubach, près de Weimar, les tufs empâtent
des silex, tous retaillés en forme de couteau ou de pointe du
M oustier, des os striés ou entaillés, pêle-mêle avec des débris
d'animaux, parmi lesquels figurent Téléphant antique et le
rhinocéros de Merck, Des ossements de ces deux espèces por-
tent des traces de brûlure^.
Tout cela me paraît de plus en plus concluant.
M. Gabriel dk Mortillet. Dans Tintéressante communi-
cation que M. Yauvillé vient de nous faire, il parle d'une sta*
tion qui contient des types de diverses époques mêlés en-
semble. M.d'Acy s'est empressé de relever le fait. M. Yauvillé
est trop bon observateur pour que je mette son observation
ea doute. Je dirai même que des faits analogues ont été si-*
gnalés depuis longtemps. Déjà, dans la première édition de
mon Préhistorique (p. i57), en 1883, je signalais, à Pontlevoy
(Loir-et-Cher), le mélange de silex de formes diverses. Mais
ce mélange est accidentel ; ce qui le démontre, c'est que les
objets taillés, bien que formés de la même roche et ayant
subi les mêmes actions atmosphériques, ont une patine dif-
férente suivant leur forme. Tous ceux qui se rapportent aux
types paléolithiques sont plus ou moins recouverts de cacho-
long blanc, tandis que les types néolithiques ont conservé
l'aspect semi-diaphane du silex. Les cacbolonnés, beaucoup
I A. Araelin, Ui glaciers à Cépoquê qualimairê, ia Hivu$ dês questions
scUnti/lques^ Bruxelles, t. XXIX, numéro de janvier 1891, p. 17 et 18.
II cite : Virchow, Verhandt. der Berliner gesellschaft fUr Anthrop,, Eth"
nog.^und UrgeschichUy 1877. Sitiung von ÎO lanuar 1877. — Voa Frilsch,
Zeilsch. fur gesammte Saturwiss, von Giebel. Neu$ Folge, vol. II (54),
p. 461, Berlin, 1875. — Al. Porlis, Ostedogie v. Hhinoceros Merckii. Jàg.
u, diluv, Sàugelhierfauna v, Taubach, bei Weimar, Paleontographica^
Bd. XXV, Cassel, 1878.— H. Pohlig, VorlaUr. Mitth. w. d. PUstocaen,
insbesondere Thuringens {ZeiUch, f. Naturiviss.t Halle, 1885, Bd. LVIIl,
S* 258 ff.)
352 SÉANCB DU 21 MAI 1891.
plus profondément altérés, sont certainement beanconp plus
anciens.
Il ne suffit donc pas de constater qa*il y a mélange, il faut
encore et surtout examiner quelle est la, nature du mélange
et s'assurer avec soin qu*il n*est pas accidentel et postérieur.
Ne voyons-nous pas tous les jours des milieux qui contiens
nent à la fois des instruments en pierre, des instruments en
métal et même des monnaies romaines^ des pièces de
Louis XIV et des sous de la première République. Il ne vient
à personne Tidée d*admettre, pour cela, que tous ces objets
sont de la même époque.
Je vais maintenant répondre à M. d*Acy, mais, avant, je
demande la permission de lui adresser trois questions :
Premihe question, — M. d'Acy, quand il nous parle du
mélange des formes, pourrait-il nous dire dans quelles
proportions il les a rencontrées? Il nous montre aujourd'hui
des grattoirs de Chelles, de Thennes et de Saint-Acheul
combien en a-t-il recueilli dans chacune de ces localités,
comparativement aux coups de poing ou haches amygda*
loïdes ?
Deuxième question. — M. d'Acy a-t-il trouvé lui-même en
place les objets qu'il nous montre ou les a-t-il acquis des
ouvriers ?
Troisième question. — Quand M. d'Acy nous dit que les
objets qu'il montre viennent du même niveau, entend-il de
la même hauteur horizontale dans les carrières ?
M. GoLLiN dit qu'à Chelles les ouvriers ne recueillent guère
les lames et les éclats. Il indique aussi Texistence, à Chelles,
d'un faussaire qui vend aux amateurs des pièces fabriquées
par lui.
Il montre aussi quelques pièces provenant du Ferreux.
M. d'Acy. Je suis très heureux du témoignage de M. Col-
lin. Vous venez de Tentendre dire, lui aussi, que les ouvriers
de Chelles ne recueillent pour ainsi dire pas ce quHls appel-
lent des éclats, c'est-à-dire les silex retaillés d*un seul côté,
lames, racloirs, etc. La raison en est fort simple* Us vendent
DISCUSSION SUR DES INSTRUMENTS DE PIERRE. 383
ces objets quelques sous seulement, et il leur faut une atten-
tion soutenue, même une certaine perte de temps, pour les
reconnaître; tandis qu'ils vendent les pièces retaillées des denx
côtés plusieurs francs, quelquefois fort cher, et que ces
pièces, grâce à leur volame, à leur forme, se découvrent bien
plus facilement que les autres. Il est tout naturel quUls né-
gligent les premières et qu'ils recueillent les secondes avec
grand soin.
Je remercie mon savant collègue de Tavertissement qu'il
veut bien me donner au sujet des pièces fabriquées par un
ouvrier. Je lui avouerai que je me suis aperçu, à mes dépens,
de la fraude, avant qu'il n'ait été à Chelles. Mais, une fois les
silex débarrassés de l'argile, dont leurs fabricants ont grand
soin de les recouvrir, afin de les déguiser — et je ne manque
jamais de les débarbouiller à l'eau très chaude — il faudrait
n'avoir guère d'expérience, pour ne pas reconnaître la super-
cherie; et je serais fort étonné que M. CoIIin eût découvert
quelque pièce fausse, soit parmi celles que j'ai présentées,
soit dans ma collection, qu'il m'a fait l'honneur de venir
voir.
Quant au Ferreux, je ferai remarquera M. Collin que la
faune y est toute différente de celle de Chelles. Lorsque j'ai
visité la collection de M. Eck, elle renfermait du mammouth,
en très grand nombre, mais pas un seul débris d'éléphant
antique.
Je vais essayer maintenant de répondre à M. de Mortillet.
Il nous a parlé de Montguillain, comme offrant un mélange
de pièces d'époques différentes. Je serais curieux, en vérité,
de savoir sur quoi il se base pour établir cette différence
d'époques. Si je ne cite pas Montguillain en faveur de ma
thèse, c'est parce que cette station ne paraît pas fort an-
cienne. De plus, elle n'est datée, que je sache, ni stratigra-
phiquement, ni paléontologiquemenl; et, malgré les accu-
sations de M. de Mortillet, je crois faire attention à la stra-
tigraphie et à la paléontologie autant que qui que ce soit.
C'est même sur elles seules, que je base mes appréciations
354 SÉANCE DU Si MAI 1891.
chronologiques. Je n'attache d'importance aux patines des
silex de Chelles et de Saint-Acheul que, parce que, selon
moi, elles indiquent les couches d*où proviennent ces silex,
et que ces couches sont datées par la stratigraphie et la
paléontologie. Et cette conviction relativement aux rensei-
gnements fournis par les patines, je n'y suis arrivé qu'à la
suite de longues recherches et après avoir contrôlé cent fois,
les uns par les autres, les dires de nombreux ouvriers^ aux-
quels j*ai grand soin de cacher absolument l'importance
que telle ou telle pièce peut acquérir, en raison de son gise-
ment.
M. Ameghino, qui, tout le monde le sait, a beaucoup tra-
vaillé, de ses mainSy à Chelles, avait reconnu, lui aussi, que
les couches d'où provenaient les silex pouvaient être recon-
nues par les colorations de ceux-ci. D'ailleurs, M. de Mortil-
let a dressé, au musée de Saint-Germain, un tableau de la
superposition des patines des silex de Saint-Acheul. l*ou^
quoi la môme chose ne pourrait-elle pas être faîte pour ceux
de Chelles ?
Par niveau, j'entends, comme cela se fait souvent, for-
mation, étage géologique.
M. de Morlillet m'a demandé si j'avais trouvé moi-même
les pièces que j'ai présentées. Je lui ai répondu négativement.
La question qu'il m'a faite, je la lui adresserai, à mon tour,
au sujet des spécimens, d'après lesquels il a établi sa classi-
fication industrielle. Ces spécimens doivent être fort nom-
breux, pour qu'il ait pu en déduire des conclusions générales,
et, qui plus est, négatives sur plusieurs points; et, s'il n'a
pas recueilli tous ces silex de ses mains, comment en sait-il
la provenance exacte, puisqu'il refuse toute créance aux
déclarations des ouvriers? Je le prierai également d'avoir
l'amabilité de m'indiquer les alluvions, dans lesquelles on ne
trouve, (i*îtne façon incontestable, que des instruments chel*
léens. Pour moi, ces alluvions sont uniquement théorique?,
au moins jusqu'à présent.
En tout cas, M. de MortlUetne peut nier que, non seulement
DISCUSSION SUR DES INSTRUMEIVTS DE PIERRE. 355
des racloirs, mais aussi des grattoirs, existent dans Tétagc
inférieur de Saint-Acheul, et, tout au moins, dans les allu*
vions moyennes de Ghelles.
M. de Mortillel prétend que les silex retaillés d*un seul
côté, qui se trouvent dans les assises prétondues chelléennes,
sont de simples déchets de fabrication ; pour faire les coups
de poing^ il fallait bien enlever des éclats. Je répondrai
d'abord qu*il est très possible que des éclats de fabrication
aient été utilisés; qu'il est même fort probable qu'il en aura
été ainsi; mais que, du moment que ces éclats ont été fa-
çonnés, transformés en racloirs ou en grattoirs, peu m'im-
porte leur origine. Quelle qu'elle soit, je suis parfaitement
autorisé à maintenir que les hommes soi-disant Chelléens
avaient des racloirs et des grattoirs retaillés d'un seul côté.
En outre, je ferai remarquer que leurs instruments, ainsi
façonnés, ne sont certainement pas tous des déchets de fabri-
eation utilisés. Les grosses pièces, que voici, ne sont assu-
rément pas des éclats de taille; et, preuve sans réplique,
de véritables nucléus existent dans les couches inférieures de
Chelles, aussi bien qu'à Saint-Acheul. Je ne puis que répéter
que l'on n'a aucun renseignement certain sur l'abondance
relative des différents types dans telle ou telle formation ; et
cela, en raison de la négligence, pour ne pas dire plus,
des ouvriers à recueillir ce qu'ils appellent dédaigneuse-
ment des éclats. Je ne conteste pas que les pièces prétendues
moustériennes ne paraissent moins abondantes à Saint-
Acheul et à Ghelles, que celles dites chelléennes. Je crois
même qu'elles le sont réellement; mais j'ignore complète-
ment dans quelle proportion. Je suis loin d'avoir apporté
tous les grattoirs ou racloirs que je possède.
Je suis très flatté des éloges que M. de Mortillet a de nou-
veau décernés à mes silex. Sans les accepter complètement,
je dirai que^ selon moi, le plus grand mérite de ma collection
est de représenter, plus exactement que d'autres, la véri-
table industrie de Saint-Acheul ou de Ghelles. Gela tient à ce
que j'ai visité les carrières très fréquemment, et pendant de
356 SÉANCE DU 21 MAI 1891.
longues années; et à ce que j'ai eu grand soin de recueillir,
non seulement les belles pièces, mais encore tontes celles,
dont le type, la forme, la destination évidente, pouvaient
offrir quelque intérêt. Il y en a beaucoup de latde$ qui sont
plus curieuses que d'autres, plus jolies. C'est précisément
tout cet ensemble, qui m*a montré ce que j'ai rhonneor
d'exposer.
Enfin, M. de Mortillet affirme que Gurson appartient an
chelléen, par l'industrie aussi bien que par la faune. Com-
ment se fait*il alors qu'un tiers environ seulement des pièces
recueillies dans ce gisement par M. Chantre — ainsi que
notre savant collègue a bien voulu me l'écrire — soit retaUlé
des deux côtés, et qu'il n'y en ait pas une de ce type dans la
douzaine qui appartient au général Nughes?Et ici, la sta-
tistique ne présente pas de causes d'erreur en ma faveur. Au
contraire, les objets, qui ont pu échapper, sont certainement
plutôt moustiériens que chelléens ; mais il ne semble pas y
en avoir eu beaucoup de négligés, en raison de la nature du
gisement. M. de Mortillet dit, il est vrai, que les quartzites
de Curson, retaiilésd'un seul côté, sont desimpies déchets de
fabrication. Singuliers déchets, en vérité! et dont le volume
ne s'accorde guère avec le soin que prenaient les hommes de
ce temps, M. de Mortillet le reconnaît, de choisir des rognons
ou des galets, dont la forme naturelle facilitât et abrégeât le
travail de la taille. En réalité, ce ne sont pas plus des déchets
de fabrication que les grands silex, dits moustériens, de Mon-
tières ou de Levallois.
M. Vauvillé montre une pièce qu'il a recueillie à Ghelles
lui-même. C'est une pointe moustérienne.
M. Gabriel de Mortillet. Je remercie M. d'Acy des ré-
ponses qu'il a bien voulu faire à mes questions. Elles simpli-
fieront beaucoup la discussion.
La curieuse présentation de silex taillés qui vient de nous
être faite par notre collègue, a pour but d'établir que les
formes des instruments en silex n'ont rien de caractéristique;
que ces formes se trouvent associées à tous les niveaux, et
DISCUSSION SUR DES INSTRUMENTS DE PIERRE. 357
qu'elles ne peuvent, par conséquent, servir à distinguer des
époques. En résumé, c'est le renversement complet des
bases généralement adoptées pour la classification du pré-
historique.
Pour établir cette proposition révolutionnaire, M. d*Acy
nous montre des pointes et des radoirs de formes mousté-
riennes ainsi que des grattoirs de forme plus récente encore
trouvés, dit-il, avec les coups de poing caractéristiques du
chelléen. Les objets présentés proviennent surtout de trois
gisements bien connus, qu*on peut dire classiques : Chelles
(Seine et-Marne), Thennes et Saint- Acheul (Somme).
Hais ces objets sont fort peu nombreux. Ils tenaient dans
un petit sac à main, et ils s'étalent à l'aise sur une de nos
étroites tables de la salle des séances, encore sont-ils accom-
pagnés de quelques termes de comparaison. G*est pour cela
que j'ai demandé à M. d'Acy s'ils n'étaient pas, de beaucoup,
moins abondants que le coup de poing type éminemment
chelléen ?
Notre collègue reconnaît qu'effectivement on en recueille
moins, mais, ajoute -t-il, c'est que les ouvriers ne les ramas*
sent pas.
La raison ne me paraît pas bonne, car, dans la même
ville, à Amiens, tandis que les ouvriers n'en ont pas à Saint-
Acheul, ils en possèdent en grand nombre à Montières, gise-
ment plus récent. Les ouvriers les connaissent donc bien.
A Saint-Acheul, dit M. d'Acy, complétant sa démonstra-
tion, les ouvriers récoltent avec soin les coups de poing, qui
sont fort demandés et d'un bon rapport, tandis qu'ils négli-
gent les autres instruments, qui se vendent difficilement et à
bas prix. Cette explication qui, jusqu'à un certain point, peut
avoir quelque apparence de vérité d'une manière générale»
perd toute sa valeur dans la bouche de M. d'Acy. En effet,
notre collègue, pendant nombre d'années, a suivi régulière-
ment les exploitations de Saint-Acheul, les visitant plusieurs
fois par an, connaissant les ouvriers et lesvendeurs, faisantde
nombreux et importants achats, recherchant d'une manière
358 SÉANCE DU 21 MAI 1891.
spéciale les silex taillés autres que les coups de poing, les
ouvriers qui le savaient étaient sûrs de la vente, pourtant il
n'a pu en réunir qu'un très petit nombre proportionnelle-
ment aux coups de poing qui lui sont passés entre les
mains.
Tbennes est plus concluant encore. C'est une exploitation
signalée par M. d*Acy et explorée uniquement par Ini. Il en
a retiré de nombreux et magniOques produits. Mais ce sont
presque exclusivement des coups de poing. Les pointes, les
racloirs et les grattoirs y sont encore bien plus rares, propor-
tionnellement, qu*à Saint-Acheul.
M. d*Acy possède une magnifique collection des alluvions
quaternaires. C'est incontestablement la pins belle non seu-
lement de France, mais encore du monde entier. Eh bien,
dans cette collection, la nombreuse famille des coups de
poing de Chelle, Tbennes et Saint-Acheul, est admirable-
ment représentée par des séries variées et nonJ)reu8es, com-
posées de pièces de choix, triées dans une quantité considé-
rables d'échantillons. Tandis que pointes, racloirs et grattoirs
des mêmes gisements ne figurent relativement qu'en petit
nombre. En outre, là il n'y a pas eu de triage, le collection-
neur a tout pris, tout conservé. C'est ce qui fait que, parmi
les échantillons qu'il vient de nous présenter, s'il en est de bien
caractérisés, d'autres laissent beaucoup à désirer.
Les instruments moustéricns ou même plus récents, pré-
tendus trouvés dans les dépôts chelléens, ne sont donc que
des exceptions. Et c'est bien le cas de répéter ici le dicton
vulgaire : Texceplion confirme la règle.
Ne sommes-nous pas en droit de dire quand même, le
chelléen est caractérisé par le coup de poing, qui est l'ins-
trument le plus volumineux, le plus apparent, le plus typique
et surtout le plus abondant du quaternaire inférieur.
C'est tout comme si, parce qu'il y a des lilas blancs fleu-
rissant en hiver, on chicanait le botaniste disant : le lilas est
une plante qui fleurit au premier printemps et dont les
fleurs sont de couleur lilas.
DISCUSSION SUR DES INSTRUMENTS DE PIERRE. 359
Et puis, les exceptions qui nous sont signalées sont- elles
bien réelles? C'est ce qui m'a fait adresser une seconde ques-
tion à M. d'Acy. En effet, nos récoltes se font la plupart du
temps, je pourrais même dire, pour ce qui concerne les
alluvions quaternaires, presque exclusivement par Tintermé-
diaire des ouvriers. Pouvons-nous, dès lors, compter sur Tin-
dication précise des niveaux. L'ouvrier, qui ne comprend pas
l'importance de cette indication, n'y fait pas attention. Bien
plus, la plupart du temps, il ne peut pas connaître le niveau.
11 abat des tranches verticales, et ce n'est qu'en criblant ce
qui s'est éboulé au fond de la carrière qu'il trouve les objets.
Gomme, dans une carrière, il peut y avoir des niveaux appar-
tenant h des époques diverses, les objets caractéristiques de
chacune d'elles se trouvent naturellement confondus et mé-
langés par suite de la chute de la tranche verticale.
C'est vrai, répond M. d'Acy, mais, grâce h. la patine nous
pouvons reconnaître les niveaux.
Je suis loin de nier l'utilité de l*étude des patines. La meil*
Icare preuve, c'est qu'en répondant à M. Vauvillé, je m'en
suis servi à propos de Pontlevoy, pour prouver que, parfois, on
pouvait, grâce à elle, dans un mélange, distinguer les pièces
paléolithiques des pièces néolithiques. Mais il me semble
que M. d'Acy exagère un peu l'importance de la patine
quand il la présente comme un moyen de reconnaître d'une
manière générale les divers niveaux des alluvions.
Dans une même assise d'alluvions, il peut y avoir des pa-
tines diverses, comme aussi dans une assise contenant des
instruments d'époques diverses il peut n'exister qu'une seule
et même patine. C'est ce qui a lieu à la station de Montguil-
lain (Oise). On y rencontre l'industrie moustérienne com-
plète, avec mélange de pièces plus récentes, entre autres des
grattoirs, et des pièces plus anciennes, coups de poing chel-
léens. Toutes ces pièces ont une même patine très brillante
et très spéciale. Il y a là évidemment mélange d'objets d'é-
poques diverses qui, tous, ont subi une même influence &
laquelle est due la patine toute particulière qui les recouvre
360 . 8ÉANCB DU 21 MAI 1891.
uniformément. Cette patine uniforme est même, dans ce cas,
un grand inconvénient. Elle nous empêche de reconnaître si
les formes diverses caractérisaient des niveaux dUTérents
dans la carrière ou s'il y avait déjà eu mélange antérieur à
la formation du dépôt lui-même.
L*étude de la patine fournit des indications intéressantes
dont il faut tenir compte, mais c'est un caractère de second
ordre auquel il ne faut pas attribuer plus de valeur qu*il n'en
a réellement.
Ma troisième question à M. d'Acy porte sur Tappréciation
des niveaux. Ce n'est pas du niveau actuel, comme beaucoup
sont tentés de le faire, que nous devons nous préoccuper,
mais bien du niveau géologique. Par suite des érosions et
des ravinements dans une même exploitation, le niveau géo«
logique supérieur peut se trouver sur une même horizontale
que le niveau inférieur et même bien au-dessous. C'est ce
qui a lieu à Ghelles fréquemment, comme le prouve les
coupes que j'ai publiées dans le Musée préhistorique.
Les couches anciennes B ont été profondément ravinées
par des eaux postérieures qui ont laissé un dépôt D dans le
ravinement. Ce dépôt postérieur dont les couches sont ar-
quées en fond de bateau, descend beaucoup plus bas dans la
carrière que certaines couches plus anciennes B. Le tout est
surmonté d'une manière assez régulière par une assise de
quaternaire supérieure A. Il y a donc là des représentants
de trois époques quaternaires. Il est tout naturel qu'il puisse
y avoir quelques mélanges dans les instruments en silex qui
proviennent de ce gisement. Mais le chelléen pur se compose
exclusivement des couches B, M. d'Acy nous dit qu'on a re-
cueilli de nombreux éclats dans ces couches B. J'en ai trouvé
moi-même. C'est on ne peut plus naturel. Ces couches B
renferment de nombreux coups de poing, instruments taillés
sur les deux faces. Pour façonner ces instruments, il fallait
d'abord dégrossir un rognon de silex, un caillou roulé ou
un fragment de pierre, puis enlever à cette première ébauche
une série d'éclats. Les éclats doivent donc être beaucoup plus
DISCUSSION SUR DES INSTRUMENTS DE PIERRE. 361
abondants que les coups de poing eux-mêmes, mais ces
éclats sont irréguliers et informes. Qu'on ait utilisé parfois
oes éclats, c*est possible, mais ils n*étaient pas produits dans
une forme et un but donné. La seule chose cherchée était le
coup de poing, (jue, très exceptionnellement, quelques éclats
aient été un peu retouchés, cela a pu arriver, mais c*est si
rare et si mal établi, qu'on peut affirmer avec raison que le
cheiléen ne contient pas d*éclats appropriés en outils. Si
Ton en a trouvé à Ghelles, il faudrait bien établir qu*il n*y a
pas mélange postérieur et surtout actuel. Il serait bon aussi
d'en indiquer le nombre.
Quant à Saint-Acheul, Tassociation de quelques pointes et
racloirs moustériens avec les coups de poing n*a rien de
surprenant, la station de Saint-Acheul étant une station de
transition. M. d*Âcy doit le savoir plus que tout autre, car
ses persévérantes recherches dans les carrières de cette loca-
lité ont grandement contribué à bien constater ce fait.
M. d'Ault du Mesnil, qui, très heureusement, assiste à la
séance d'aujourd'hui, peut en témoigner. C'est lui qui, à
l'exposition de la Société, de l'École et du Laboratoire d'an-
thropologie, a repris et bien établi cette division intermé«
diaire entre le cheiléen et le moustérien.
Outre les trois grandes stations du nord de la France,
Chelles, Thennes et Saint-Acheul, M. d'Acy s'est appuyé sur
deux autres pour démolir la classification actuelle du paléo-
lithique. Ces stations sont celles de Curson (Drôme) et une
autre d'Allemagne.
Je ne parlerai pas de cette deuxième, ne la connaissant
pas. Mais, d'après ce qu'en a dit M. d'Acy, je suis en droit de
me tenir sur mes gardes. D'autant plus en droit que je me
rappelle avoir, au Congrès international d'archéologie et
d'anthropologie préhistoriques de Bruxelles, entendu dire par
un Allemand, qui est pourtant un paléontologue de mérite,
M.Fraas, que l'instrument amygdaloîde de Saint-AcheuJ est
une invention de l'amour-propre français.
Quant à la station de Curson, c'est autre chose. Je puis en
362 SÉANCE DU 21 MAI 1891.
parler. Je la connais. Celte slation, des plus intéressantes, a
été signalée par notre collègue, M. Chantre, secrétaire géné«
rai de la Société d'anthropologie de Lyon. Elle consiste en
dépôts sableux renfermant des quartzites taillés et des osse-
ments d*éléphants.
Les pierres taillées le sont fort grossièrement. Gela tient
beancoup à la nature de la roche. Le quartzite, comme on le
sait, qu*il provienne des Alpes, des Pyrénées ou de Bretagne,
se taille très difficilement, bien plus difficilement que le silex,
voire même que le grès lustré. Malgré cette difficulté de
taille, les instruments finis se rapportent au coup de poing
chelléen. Mais, comme le fait très justement observer
M. d'Acy, les morceaux présentant une face d'éclatement
non retaillée sont plus nombreux que ceux retaillés sur les
deux côtés. C*est tout naturel et tout simple. Les quartzites
retaillés des deux côtés sont les pièces intentionnellement re-
cherchées, tandis que les autres ne sont que les éclats de
fabrication^ les rebuts. Les seuls matériaux à la disposition
de Thomme primitif de Curson étaient des cailloux roulés de
quartzite. Pour fabriquer un coup de poing avec un de ces
cailloux, il fallait dégarnir le pourtour et enlever un certain
nombre d'éclats. Aussi, pour obtenir l'instrument voulu taillé
sur les deux faces, on produisait forcément un certain nombre
d'éclats à face d'éclatement non retaillée. La présence de
ces éclats est si naturelle, si obligatoire même, que nous ne
comprenons pas l'argument que veut en tirer notre collègue.
La faune vient confirmer les déductions tirées de la forme
des instruments. Ces instruments sont associés à de nom-
breux débris de VElephas intermedius de Jourdan. Or, cet
éléphant n'est qu'une simple variété de VElephas antiquus
caractéristique du chelléen ou quaternaire inférieur.
Je maintiens donc plus que jamais l'importance des di-
verses formes d'instruments en silex pour bien caractériser
les époques. En cela, je suis d'accord avec la grande mcyo-
rité des palethnologues. Les pièces présentées par M. d'Acy,
par le manque de précision comme origine, la variété des
DISCUSSION SUR DES INSTRUMENTS DE PIERRE. 363
formes et surtout le petit nombre, ne peuvent ébranler une
conclusion basée sur des milliers d'objets, de types bien ca-
ractérisés rencontrés en place dans des milieux purs de tout
mélange.
Du reste, nos classifications quaternaires ne reposent pas
seulement sur la forme des pierres taillées, mais encore et
surtout sur la stratigraphie et sur la faune. Or, faune, strati-
graphie et pierres taillées concordent parfaitement ensemble.
M. ADRIEN DE MoRTiLLBT fait obscrvcr combien sont grandes
les causes d*erreur dans les sablières.
Si Ton examine d'autres modes de gisement, on ne trouve
plus les mélanges que nous signale M. d'Acy. Dans la grotte
du Moustier, par exemple, on n'a rencontré qu'une seule et
même époque, avec une industrie bien déterminée, compre-
nant des racloirs et des pointes typiques, des éclats innom-
brables avec ou sans retouches et quelques très rares coups
de poing. Antérieurement, à uHe époque intermédiaire entre
le moustérien et le chelléen, on fabriquait, de grands éclats
du type Levallois, qui, retaillés sur les bords, ont fini par
donner naissance au racloir et à la pointe du moustier.
A répoque chelléenne pure^ le coup de poing présente un
profil grossier, des arêtes irrégulières, il est taillé dans un
bloc informe, tandis qu'a l'époque postérieure dite achew-
léenne^ le profil est régulier, la pièce est fabriquée dans un
grand éclat Levallois.
Il y a donc certainement eu une époque où on* ne taillait
que des blocs de silex et non des éclats préalablement dé-
tachés d'un nucléus.
M. Rabot présente des vretsches de rennes en os, reliés par
des cordes et formant ainsi une sorte de bridon. Ces pièces
rappellent, selon ce présentateur, certains bâtons de com-
mandement des cavernes. Elles proviennent des Ostiaks de
rObi.
364 SÉANCE DU 21 MAI i891.
OBJETS OFFERTS.
M. Magitot offre à la Société un volume ayant pour titre :
Actes du deuxième congrès intomational d'anthropologie crimi-
nelle tenu à Paris en i889.
G*est le compte rendu complet des travaux du congrès,
auquel ont pris part un grand nombre de nos collègues et
dont plusieurs d'entre eux faisaient même partie du comité
de publication.
M. Magitot. J*ai l'honneur d'offrir à la Société, de la part
de M. le capitaine Emile Roux, commandant de place à
Bakel (Sénégal), six crânes destinés au musée Broca. Ces
crânes proviennent de Tarmée d'Abmadou et ont été pris
après divers combats.
Ils se décomposent ainsi :
N^ 1. Maure d'environ trente ans, tué à Golmy, près Bakel,
le 19 janvier 1891.
N« 2. Peulh du Yolof, émigrant du Nioro.
N«» 3 et 4. Toucouleurs du Fouta.
No* 5 et 6. Mandingues de Beledougou,
Ces cinq derniers sont âgés d'environ vingt à vingt-cinq
ans et ont été exécutés à Bakel, le 25 janvier i89i.
Ces six crânes, que je me borne à offrir aujourdliui, de la
part de M. Roux, seront sans doute Tobjet de quelques
études et d'une nouvelle communication à la Société.
Inscription trouvée à Drngaestl (Bneovlae) ;
PAU M. BELDICENO.
(Présentée par M. Diamandy).
J'ai l'honneur de présenter, de la part de M. Beldiceno,
Tun des archéologues les plus distingués de Roumanie^ Theu-
reux découvreur de la station préhistorique de Coucouteni,
une inscription qu'il vient de copier sur une pierre gisant sous
des fondements de ruines (village de Dragaesti-Bucovine). Les
BELDICENO. — INSCRIPTION TROUVÉE A DRAGAESTI. 365
dimensions de la pierre sont : 67 centimètres de longueur,
15 centimètres d^épaisseur et 14 centimètres d'épaisseur
dorsale.
Les signes que vous remarquez sur la pierre semblent
être, selon M. Beldiceno, dont je me fais ici le fidèle inter-
prète, des signes, presque des signatures de propriété d'une
peuplade mongolique.
Ces signes existent chez les Ceremis (Tchérémis), Tchin-
vas (Cinvos), les Votée; du gouvernement de Kazan (Russie);
Chez les Kirghiz;
Chez les Kalmouks de l'Astrakhan ;
Les Lapons d'Archangel ;
A Prague (Alsttadt).
Enfin, sur le mur de Servius, à Rome, on a retrouvé cette
signature des ouvriers.
Voilà les renseignements et les termes de comparaisons
donnés par mon ami. Maintenant, si nous voulons pousser
les investigations un peu plus loin, nous ferons remarquer
que l'on a trouvé à Slon (Roumanie) des pierres qui por-
taient des signes semblables.
Il en a été trouvé également sur des murailles germa-
niques, de i 200 ans jusqu'à près de 1 500 ans.
Dans le très intéressant ouvrage de M. Tocilesco, dont
nous venons de nous servir, on peut trouver une mention
très grande de pareilles signatures. Il est évident que l'es-
prit humain a été obligé, à partir d'une certaine époque
de développement, de se servir de signes identiques. En vé-
rité^ ces signatures ne pouvaient dépasser, comme formes,
les multiples résultats obtenus par les mariages des lignes
droites, courbes et brisées. Il serait intéressant de remonter
à la recherche des signatures dans les époques préhisto-
riques. On a, du reste, trouvé^ si j'ai bonne mémoire, sur
plusieurs pierres, des signes dont on ignore l'explication ; ne
serait-ce pas là le commencement informe de l'art d'écrire ?
Je crois qu'il serait désirable que M. Beldiceno continuât
ses recherches à ce sujet et en fit part à la Société.
T. IX (4< sArib). 24
366 8ÉABrCS BU 21 MAI 1891.
•«Ite de 1» illaeaBsioa sur la natalité ea Fraaee ^
M. Jacques Bertii.lon. Je crains fort que les nombreux écri-
vains qui ont agitée dans ces derniers temps, la question de
la dépopulation de la France^ n'aient cédé au désir de ser-
vir les idées qui leur sont particulièrement chères, quelque
rapport que ces idées eussent d'ailleurs avec ce sujet.
La dépopulation de la France a servi de tremplin notam-
ment aux projets suivants^ considérés par leurs partisans
comme des remèdes efficaces contre la dépopulation :
Mesures à prendre contre Tabus du tabac ;
Recherche de la paternilé ;
Admission de Tenfant naturel à succéder sur le même pied
que Tenfant légitime ;
Émancipalion de la femme ;
Rétablissement des tours ;
Mesures à prendre contre la syphilis ;
Mesures à prendre contre l'alcoolisme ;
Mesures à prendre contre la fièvre typhoïde, etc. ;
Vaccine obligatoire ;
Restauration des idées religieuses ;
Suppression des couvents ;
Suppression du divorce ;
Suppression du mariage ;
Lois socialistes, etc., etc.
Il semble, quand on parcourt cette longue liste, que Ton
ne sache à quoi attribuer le mal. Cependant, il n*en est pas
ainsi ; tout le monde connaît sa cause ; tout le monde même
rinvoque et déclare que la restriction volontaire est le fléau
de notre pays ; mais cela dit, chacun s'empresse de monter
* Le discours de M. J. Bertillon n'a pu Ggurer dans la séaaoe où il a été
prononcé, par suite d'un retard dans la remise du manuscrit.
Les cbifTres cités au cours de ce travail sont extraits pour la plupart
du chapitre Démographie, par M. Jacques Bertillon, de V Bncyelopédm d»
l'hygiène, dirigée par M. Jules Roohard (fasc. 1 et S, Paris, ohox Lecros-
nicr, 1889).
DISCUSSION SUR IJl NATALITÉ BN FRANCE. 367
car son dada favori, et de partir en guerre contre le tabac,
oa contre Taicoolisme, ou contre tout autre défaut social, et
de proposer des mesures excellentes, sans doule^ mais qui
n*ont avec le sujet aucun rapport.
Je me propose :
|o De fixer la grandeur du mal et d'en préciser la cause ;
2» De montrer Tinanité parfaite des remèdes qui n*ont pas
pour but de combattre le mal dans ses causes ;
3® D'indiquer dans quelle voie il faut, à mon avis, entrer
délibérément pour sauver la France d'une chute définitive ef
irrémédiable.
I
Il y a cinquante ans, la France et Fensemble des pays qu
forment actuellement Tempire d'Allemagne comptaient une
population sensiblement égale.
Aujourd'hui, la France compte 38 millions d'habitants^ et
TAllemagne 50 millions. Ainsi, en dehors de tonte conquête,
TAllemagne a gagné 12 millions d'habitants, sans compter
4 millions^ d'émigrants environ qu'elle a expédiés aux États-
Unis.
Cette augmentation de la population allemande vient uni-
quement de ce que la natalité allemande est de 37 naissances
annuelles pour \ 000 habitants, tandis que celle de la France
n'est que de 25^ ce qui est le chiffre le plus faible que Ton
rencontre en Europe.
Aujourd'hui, grâce à l'augmentation de la population alle-
mande et à sa plus grande natalité» il y a chaque année en
Allemagne 1800000 naissances, et en France 900000, c'est-
à-dire moitié moins. Donc, dans vingt ans, contre un cons-
crit français, il y aura deux conscrits allemands. Tel est le
danger terrible qui pèse sur notre pays. Et quand je le for-
mule, je n'essaye pas de prédire l'avenir, je ne fa^is aucune
hypothèse, j'exprime un fait dès à présent acquis, et telle-
ment inéluctable qu'il faudrait un miracle inconcevable pour
nous en garantir.
368 SÉANCE DU 21 MAI 1891.
Le danger est très grave assurément, mais fant-il renon-
cer à le combattre ? Faut-il imiter le stupide fataliste qui,
renonçant à lutter contre le torrent qui remporte, se couche
au fond de son canot et attend, les bras croisés, d'être en-
glouti par le gouffre? Non, cette attitude n'est pas digne du
peuple français. Ce que les autres font, il peut le faire comme
eux. Il faut donc étudier le mal qui ronge notre patrie, et le
combattre résolument.
NATALITÉ BT NUPTIALITÉ DBS PRINCIPAUX PATS DE L^EUROPB (1878-1882).
(La période étudiée fst 1865-1870 pour l'Espagne;
1867-1 878 pour /a Ruisie.)
MATALITi. MUrriALlTé.
I — '- Combien da mariagw
Combien de naiisancei r«mk:«n annneli
vivantei a^IS^IVI^ poor 1 W)0 habiUnU
en an an pour •;-.,»»*. ___■ 'S^
non poar i 000 de plas et de tont
en général, mariées, mariées, nabitants. deiSans. éUteîTiU
France 68 115 10,9 24,8 45,4 7,5
Alsace-Lorraine. 94 182 13,1 82,4 86,8 6,4
Belgique 94 184 13,9 29,9 40,0 6,9
Pays-Bas 109 208 6,6 35,6 48,o 7,5
Espagne » » » 8i,0 » . 7,7
IUlie 107 184 16,9 86,3 47,5 7,5
Suisse 83 176 7,4 29,9 38,6 6,9
Allemagne 114 202 20,7 37,7 49,4 7,5
Autriche 112 187 33,0 38,4 50,0 7,8
Hongrie 132 197 25,2 43,5 72,6 9,8
Russie » » » 50,0 » 9,4
Suède 84 160 15,8 29,6 36,9 6,8
Norvège 95 186 14,7 30,9 42,8 6,7
Danemark 94 167 19,2 32,5 47,9 7,6
Angleterre 103 190 10,2 34,0 50,2 7,4
Ecosse 100 205 13,1 33,7 39,6 6,7
Irlande 74 177 3,1 24,9 23,1 4,8
MORTALITÉ COMPARÉE DES PLUS GRANDS PATS DE l'eUROPE.
France Italie Praue Antriohe Angleterre
Ages. 1875-79. 1872-79. 1870.80. 1870-79. 1866-80.
0-1 an 179,8 234,9 222,2 230,2 167,5
1-5 ans 27,5 66,6 40,6 52,8 32,6
5-10 ans...* 6^6 13,4 9^3 14,6 6,9
10-15 ans.... 4,2 6,4 4,1 6,2 4,0
15-20 ans.... 6,0 7,0 4,9 7,2 6,8
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 369
Ages. 1875-79. 197i.79. 1876-80. 1876-70. 1866-80.
France Italie Praase Autriche Angleterre
SO-tSans. .. 8,5 Mi
26-30 ans..., 9,5 9,8 i ' ' *
30-35 ans.... 9,8 10,3 i 10,0 j
35-40 ans.... 10,2 11,9$ * 10,5) *
40-45 ans.... 11,8 18,4 J ^, ^ 13,1 J
13,1
•M 14 7
45-50 ans.... 13,0 16,1 J ' 14,8
50-55 ans.,.. 17,0 21,2 J 17,0 j ^
55-60 ans,... 22,6 27,5 i * 22,5 1 '
60^5 ans.. . . 33,6 41,5 i 32,9 1 ,.
65-70 ans.... 49,6 61,1 | ' 46,2 1 '
70-73 ans. . . . 78,3 96,2 J 65,6 J
75-80 ans.... 117,1 123,4) ^^'^ 92,7 î ^^'^
» 147,8 »
Ensemble., 22,3 30,1 25,9 30,1 22^2
Les chiffres que j'ai cités plus haat sont propres, d'ailleurs,
à nous consoler. II y a cinquante ans, la France et TAlle-
magne étaient également peuplées ; cinquante ans sont peu
de choses dans la vie d'un peuple ; ce que cinquante ans ont
fait contre nous, cinquante ans peuvent le faire en sens
inverse.
La France et rAllemagne sont comme deux familles qui,
également riches au début, auraient placé leurs fonds, Tune
à 2 1/2 pour iOO, l'autre à 3 1/2 pour 100, Si ces deux fa*
milles sont également économes, la seconde^ au bout d'un
demi-siècle, sera beaucoup plus riche que la première, La
déchéance de celle-ci sera-t-elle sans remède? Non. Il lui
suffira de faire, sans tarder, un placement de son argent un
peu plus avantageux.
Les familles françaises ont, en moyenne, trois naissances
vivantes, et les familles allemandes un peu plus de quatre.
Est-il impossible de déterminer les familles françaises à pro«
créer une naissance de plus ?
L'étude de la natalité française montre comment on doit
espérer d'atteindre ce résultat.
La natalité, en France, est d'autant plus faible que le pays
est plus riche. Je ne m'attarderai pas à prouver celte propo-
sition que mon ami M. Chervin vous a très bien démontrée.
370 8ÉANGS DU 21 MAI 1891.
La Normandie, la vallée de la Garonne, pays d'une riehesse
inépuisable, sont les régions les moins fécondes de la Pranoe.
Au contraire, la Bretagne, pays très pauvre, est la seule ré-
gion où la natalité soit suffisante.
Cette vérité peut encore se traduire ainsi : Dans les millêfll
où Ton pense à sa fortune (c^est-'à-dire dans ceux où on en a,
car on ne pense à sa fortune que lorsqu'on en a}, on a pea
d'enfants ; dans les milieux où l'on ne pense pas à sa fortoilt
(parce qu'on n*en a pas), on a un nombre d*enfants stifflsaflt.
Gela se vérifie aussi dans les différents quartiers de Paris*
Dans les faubourgs pauvres, la natalité parisienne se rap-
proche de la natalité allemande. Dans les quartiers riches,
où chacun possède une fortune et entend la conserver, la
natalité est d*une faiblesse invraisemblable.
M. Chervin nous a montré, par des statistiques très ca-
rieuses, que la même loi se vérifie lorsqu'au lieu de consi-
dérer de vastes régions, on en étudie de très restreintes. Il
nous a montré que dans le riche et stérile Lot-et-Garonne
(riche en récoltes, stérile en hommes), les cantons les plus
riches sont ceux où les naissances sont les plus rares, -tandis
que les cantons les plus pauvres ont une natalité moins mi*
ëérable. Ainsi, dans les centres riches, ce sont les plus riches
qui sont les moins féconde.
D'autre part, M. Arsène Dumont a prouvé que dans les
centres pauvres^ ce sont les plus pauvres qui sont les plus
féconds.
D'où vient cette loi si générale — qui se vérifie d^alilenrs
dans d'autres pays que le nôtre ?Paut-îl en accuser les moeurs
prétendues corrompues des riches ? Mais lisez Tétude atta-
chante que M. Arsène Dumont a écrite, par exemple, snr les
îles de Ré et d'Oléron. 11 y peint des populations très douces
dont les seules passions sont la lecture et la danse. La danse,
toujours décente, est la préparation au mariage ; les nais-
sances illégitimes y sont extrêmement rares. On ne peut
ima^ner des mœurs plus douces ni plus honorables. Cepen-
dant, la natalité de ces îles est des plus faibles.
DlSCUSSIOff SUR LA NATALITÉ EN FRANGE. 371
De longs dithyrambes « renouvelés des anciens sur les temps
et les mœurs, sont donc ici hors de saison. Dans les tles de
Ré et d'Oléron, chacun est plus ou moins propriétaire ; cha-
cun a un bien à protéger ; chacun est ambitieux pour ses en-
fants. Et ce sont ces vertus louables qui amènent la dépopu*
lation du pays.
Ce sont donc des préoccupations d'argent qui sont ici
seules en cause. On songe que si l'on a des enfants, il faudra
de Targent pour les élever ; mais surtout il faudra partager
la fortune pour les doter^ et la partager à nouveau lorsqu'ils
hériteront. Conclusion : on évite d'en avoir.
L'homme qui se charge d'une nombreuse famille, non sea*
lement se charge d'un poids très lourd, mais charge aés en-
fants. 11 veut éviter ce double mal, et je me hâte de dire
qu'en bon père de famille, il craint le second plus que le
premier.
Cela est tellement vrai que dès qu'il y a une raison pour
que ces préoccupations disparaissent, aussitôt la natalité se
relève. La thèse toute récente (1890) de M. Lancry en donne
xin bel exemple.
Fort-Mardick (Nord), près Dunkerque, est une commune
constituée par Louis XIY, d'après les principes suivants qui
sont encore en usage aujourd'hui Toute famille nouvelle qui
se constitue» lorsqu'un des conjoints est né dans la commune
et que le mari est inscrit maritime, reçoit en usufruit (en usu-
fruit seulement, là est le point) ââ ares et, en outre^ une plaœ
sur la plage pour la pêche au filet. La commune a reçu de
Louis XIY, en tout, 125 hectares de terre; ce qui n'est pas
distribué en usufruit est loué 5000 francs au profit de la com-
mune. Les ménages concessionnaires « ne peuvent concéder
qu'à leurs enfants seulement les parcelles de terre qu'ils occu-
pent. Dans aucun cas, la parcelle ne pourra être scindée ».
De là résulte qu'elle échappe aux créanciers. Elle ne peut
être ni augmentée ni divisée. Elle est inaliénable, indivisible
et inextensible.
Voilà donc une population passablement aisée et pourtant
372 SÉANCE DU 21 MAI i89i.
étrangère à toute préoccupation d*héritage. On peut dire
qu'elle échappe au Code civil.
Il en résulte que les mariages sont nombreux (en¥iroa
il pour 1000 habitants) et aussi précoces que le permet le
service maritime (âge probable du mariage des hommes,
vingt-quatre ans); les naissances illégitimes sont par consé*
quent très rares (1 sur 60 naissances). Au contraire, la nata-
lité légitime, et c*est là le point important, est extrêmement
élevée ; elle atteint 43 pour 1 000 habitants, c'est-à-dire
qu'elle n'est dépassée en Europe que par la Russie. Mais ce
qui n'arrive pas en Russie, c'est que sur ces 43 enfants nés
vivants, 33 atteignent l'âge de vingt ans*.
Voilà donc un pays dans des conditions démographiques
excellentes ; il est permis de les rattacher à son organisation
si étrange.
M. Afsène Dumont nous a décrit, dans une région de la
France tout à fait différente, un phénomène analogue. Au
Fouesnant (Finistère) existe un usage tout à fait comparable
à celui de Fort-Mardick. Tout homme qui revient du service
militaire va proposer à un propriétaire de lande de lui aban-
donner, pour un temps très long, une parcelle de cette terre
inculte. 11 la défriche, s'y établit, s'y marie et y a beaucoup
d'enfants ; car il n'a aucune inquiétude à avoir pour ses des-
cendants. La lande est immense^ et i) sait qu'eux aussi pour-
ront en cultiver une parcelle; le propriétaire y gagnera
d'avoir, au bout d'un certain temps, un champ de rapport au
lieu d'une terre inculte, et ils auront eu, eux, l'avantage d'y
passer leur vie sans trop de souci.
Ainsi, même en France, dès que disparaît la préoccupation
de la fortune à conserver (c'est-à-dire à ne pas partager), la
natalité prend un essor considérable.
Si c'est en France que cette préoccupation nuit le plus à
la natalité, c'est que la France est, plus qu'aucun autre peut-
1 La population de ForUMardick était, en 1729, de 20i habitants;
en 1851, de 613 habitants ; en 1886, de 1 481 habitants.
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 373
être, un pays de petits propriétaires ; c*est que> plus qu'au-
cun autre, il est prévoyant et économe*
Actuellement, le père de famille est d'autant plus chargé
d'impôts directs et indirects, que sa postérité est plus nom-
breuse. S'il a quelque fortune, il sait que ce bien si pénible-
ment amassé, si péniblement conservé, si difficilement accru,
s'évanouira par division, au lendemain même de sa mort.
Dans son intérêt comme dans celui de sa postérité^ il faut que
celle-ci soit aussi peu nombreuse que possible.
Faites; qu'au contraire il n'ait pas un intérêt majeur à res-
treindre le nombre de ses enfants, et il s'abandonnera sans
regret, comme à Fort-Mardick ou comme au Fouesnant, au
bonheur si naturel et si doux de se voir continué, en quelque
sorte, par une nombreuse famille.
Il
Il me faut à présent examiner les remèdes variés que dif-
férents auteurs ont proposé dans le but d'augmenter la popu-
lation française. On peut les diviser, malgré leur très grande
variété, en quatre catégories, suivant que leurs auteurs
visent :
i** Les réformes sociales diverses ;
2<* L'augmentation du nombre des mariages ;
3» La diminution de la stérilité involontaire (syphilis, alcoo-
lisme, etc.);
4^ La diminution de la mortalité.
J'examinerai successivement chacune de ces catégories.
Examen de réformes sociales diverses proposées dans le but
hypothétique d'élever la natalité. — J'ai beau chercher, je ne
puis trouver le rapport que l'on cherche à établir entre la
recherche de la paternité et l'augmentation de la population.
C'est la natalité légitime que l'on doit chercher à augmenter.
En quoi la recherche de la paternité peut-elle y contribuer?
L'amour de l'équité me rend partisan de la recherche de la
paternité ; mais ce n'est pas une raison pour l'appuyer sur
des arguments entièrement étrangers au sujet. Au surplus,
374 SÉANGB Dtr Si MAI 1891.
je remercie M. Chervin d'avoir rappelé qu'à mon arà la
statistique prouve que la recherche de la paternité n'exerce
sur la natalité illégitime aucune influence.
Il est évident qu'on n'augmenterait en rien (bien tu eoD«
traire) la natalité française, si l'on rendait les droits de l'en-
fant naturel sur l'héritage de ses parents, égaux à ceux des
Bufants légitimes.
Personne n'a jamais indiqué que V émancipation de la femmes
la suppression du divorce, ou au contraire des loti rendant U
divorce plus facile , augmenteraient la natalité. Jamais on n'a
donnée à l'appui de ces fantaisies, une preuve ni un oom-
mencement de preuve. On peut assurément être partisan du
suffrage des femmes, ou de leur éligibilité, on plus simple*
ment encore de Textension des droits civils qui leur sont très
injustement confisqués ; mais, encore une fois, tout cela n'a
aucun rapport avec le sujet qui nous occupe.
Des réformes socialistes ayant pour effet de diminuer la part
du capital pour augmenter d'autant la part du travailleur,
auraient-elles quelque effet sur la natalité? Je ne puis me
prononcer sur cette question, faute d'éléments pour l'étudier.
Cependant, la rémunération du capital n'a cessé de diminuer
depuis le commencement du siècle ; on peut même estimer
qu'elle a diminué de près de moitié, car l'intérêt normal de
l'argent était autrefois de 5 pour 100, et il n'est plus aujour-
d'hui que de 3 pour iOO. Gela n'a pas empêché la natalité de
décroître dans notre pays. Augmenterait-elle si le capital
venait à n'être plus rémunéré du tout ? Je n'ai pas à examiner
cette question difficile et très hypothétique, car, si cela arrive,
ce ne pourra être que dans un avenir extrêmement éloigné.
Or, la lutte suprême, celle à laquelle notre pays doit penser
toujours, aura eu lieu depuis longtemps.
La restauration des idées religieuses ^ si elle était possible,
aurait peut-être quelques effets sur la natalité. En France et
en Belgique, et peut-être dans d'autres pays, les régions les
plus sincèrement catholiques se distinguent par une faible
nuptialité et par une forte natalité ; je ne crois pas que ce
DlSCUSSIOlr 6UR LA NATALITÉ EN FRANGE. 375
•oit une simple coTncidence ; si TÉglise regarde le oélibat
comme un état préférable au mariage, il faut reconnaître
qu'elle condamne la restriction volontaire. Les textes cités
par notrej ami M. Hervé prouvent que l*Église, qui pratique
•i bien l'art des accommodements, sait aussi transiger sur ce
chapitre ; mais les concessions qu'elle fait parfois à regret ne
doivent pas nous faire méconnaître le fond de sa doctrine.
Les études démographiques montrent la grande influence que
la religion a sur les mœurs, et même sur des phénomènes de
pathologie morale (sur la fréquence des suicides, par exem*
pie), et prouvent que les hommes mettent en pratique, plus
qu'on ne pourrait le croire, les prescriptions de leur reli-
{^on ; or, toutes les religions prescrivent à l'homme, plus ou
moins impérativement, d'avoir une postérité aussi nombreuse
que possible. La religion juive, si respectueuse pour les pa*
trlarches qui ont créé le peuple hébreu, fait même espérer
mx% mères fécondes la naissance d'un dieu, et proche, plus
qu'aucune autre peut-être, le devoir d'élever de nombreux
enfants. Ces prescriptions paraissent écoutées, et dans les
pays où les mouvements de population sont étudiés, en dis-
tinguant les cultes^ on remarque que les juifs ont beaucoup
d'enfants, et qu'ils en perdent peu. 11 est donc possible qu'il
existe un rapport entre la natalité et le degré de sincérité des
convictions religieuses. Mais il est manifeste que, quoi qu'on
fasse, on ne pourra pas changer notre siècle^ ni l'empêcher
d'être de plus en plus incrédule. De même que, parlant du
socialisme, je me refusais à chercher un remède trop loin-
tain dans l'avenir, de même je crois impossible de le cher-
cher dans un passé aujourd'hui condamné et à jamais dis-
paru.
Examm êommaire des mesures proposées en vue d'augmenter
le nombre des mariages. — La nuptialité est en France à peu
près ce qu'elle est ailleurs. A vrai dire, elle semble diminuer
depuis quelques années. Cependant ce n'est pas là que le bât
nous blesse. Il est remarquable que l'un des pays de la
France où les mariages sont les plus rares, la Bretagne^ soit
376 SÉANCE DU 21 MAI i89l.
*
aussi un des plus féconds. Il en est de môme en Belgique, où
les Flandres comptent à la fois peu de mariages et un nombre
de naissances assez élevé. Gela montre assez qull n*y a pas
un rapport immédiat et constant entre 1^ nuptialité d*an
pays et sa fécondité. Enfin, le fait que la France présente on
nombre normal de mariage nous indique que là n'est pas la
cause de la dépopulation de la France.
On a proposé, pour augmenter le nombre des mariages,
de simplifier les formalités nécessaires pour le mai*iage. Je crois
ces formalités en effet trop longues, trop nombreuses et trop
coûteuses. Les pays mêmes qui ont fait la sottise de copier
notre Code civil ont pris soin d'en rayer tout ce chapitre, et
ils ont bien fait. Mais on se tromperait fort si Ton croyait
augmenter sensiblement le nombre des mariages en suppri-
mant ces formalités nuisibles. Quand on veut se marier, on
y arrive généralement, malgré les obstacles que le législateur
a maladroitement accumulés. Au besoin^ la chose se termine
par un faux ménage, et la natalité y perd en somme peu de
chose.
On a proposé aussi, pour augmenter les mariages, la sup«
pression violente des couvents. On a bien peu réfléchi avant
de parler ainsi : sait-on de combien de naissances on aurait
chance d'augmenter la natalité? Les couvents renferment
actuellement 64000 femmes environ. Supposons qu'elles
soient aussi disposées que les autres femmes à se marier (ce
qui n'est pas vrai ; car, puisqu'elles se sont retirées au cloître,
c*est que la vie de famille ne les attirait guère) ; un calcul
simple nous montre qu'elles produiraient 4624 naissances
annuelles. Ainsi, il manque à la France 450000 enfants cha-
que année, et on lui en propose 4 ou 5000 au plus. Et cela
au moyen d'une mesure violente, indigne d'un siècle de tolé-
rance !
Examen des mesures ayant pour but de diminuer la stériUté
involontaire. — Et d'abord, celte stérilité involontaire est-elle
aussi fréquente qu'on le prétend. Notre très respecté maître,
M. Jules Rochard, s'est étonné de voir que d'après le recen-
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANGE. 377
sèment de 1886, il y eût 2 millions de familles stériles.
Ce nombre ne paraît pourtant pas exorbitant. On ne peut
le comparer à ses similaires étrangers, car la France est le
senl pays où une recherche de ce genre ait été faite par
recensement. Cependant, d'après différents gynécologistes
(allemands pour la plupart) cités à l'Académie de médecine,
le nombre des familles stériles serait de 16 pour 100. Or, c'est
exactement la proportion observée en France d'après le dé-
nombrement de 1886. Ce qui doit étonner Tobservateur, ce
n'est pas le nombre des familles stériles, c'est le peu de fécon-
dité des familles fécondes.
Voici d'autres chiffres qui montrent que la stérilité absolue
n'est pas cause de l'affaiblissement de la natalité française.
Cette intéressante recherche des familles stériles avait été
faite en 1856, à une époque où la natalité française était un
peu plus élevée qu'à présent ; or, le nombre des familles
fécondes n'a pas diminué pendant cet intervalle de trente
ans ; ce qui a diminué, c'est la fécondité des familles.
France (moins la Seine). Sur 100 familles {époux mariés)^
combien avaient un ou plusieurs enfants et combien n'en avaient
pas?
Avec enfants. Sans enfants.
1856 83.6 16.4
188C 83.2 16.8
Ainsi, la proportion des ménages absolument stériles n'aug-
mente pas en France ; et, en outre, cette proportion paraît
être celle que Ton observe en tous pays. Ce n'est donc pas la
cause de la dépopulation de la France.
J'insisterai à peine sur les remèdes que l'on a proposés pour
combattre cette stérilité soi-disant excessive. Il suffit presque
de les citer pour en voir l'inanité.
On a dit qu'on diminuerait le nombre des femmes stériles
(et surtout des hommes stériles) en combattant l'abus du
tabac. Comme si les Allemands, Anglais, Russes et autres ne
fumaient pas autant et plus que nous!
On a proposé, dans le même but, de combattre la syphilis 1
378 SÉANGS PU 21 MAI 1891,
Même objection. Est-ce que les étrangers ne oonnaissent pas
la syphilis ? Il est très difficile de savoir si elle e$i plus ou
moins répandue en France qu'ailleurs, et il semble (d'après
le nombre des enfants morts de syphilis] qu'elle soit relative*
ment assex répandue à Paris ; mais c'est là une question de
degré. Assurément, la syphilis est une plaie dont il faudrait,
à beaucoup de points de vuC; débarrasser le pays ; mais c'est
ça exagérer singulièrement l'importance que de rattacher
l'existence de cette maladie h la dépopulation de la France.
Enfin, on s'en est pris à l'alcoolisme. Même objection que
précédemment. Cette plaie, sans cesse grandissante, n'est
pas spéciale à la France ; nous savons d'ailleurs en mesurer
l'étendue, et nous savons que la France partage, aveo les
autres peuples latins, le privilège d'avoir peu d*ivrognes.
Hien de mieux que de combattre l'alcoolisme, mais gardons*
nous de croire qu'il ait sur la natalité une influence de quel*
que importance.
Examen de$ mesures proposées en vue (Rabaisser la mortalité.
— Comme la question de la dépopulation de la France a été
surtout discutée par des médecins, c'est à des théories médi*
cales que cette question a surtout servi de tremplin.
Les médecins ont tous raisonné comme s'ils disposaient à
leur gré de la vie humaine. Ce n'est pourtant pas le cas ; il
arrive très rarement, même aux plus habiles d'entre eux,
d'arracher à la mort un homme qu'elle a marqué de son
sceau. Il est très difficile d'empêcher un homme de mourir ;
les plus savants médecins n'y arrivent pas. Tandis qu'il est
très facile de faire naître un homme ; cela est à la portée d'un
dernier manœuvre.
Je ne crois donc pas que les mesures proposées soient effi-
caces ni que, même lorsqu'elles sont efGcaces, elles soient
pratiques. Voyez quelle peine on a à tirer parti, après un siècle
d'expérience, de la vaccine, la seule arme presque infaillible
qu'on ait contre la maladie.
Assurément, un pays a le devoir de se garer, autant que
possible, contre la maladie et contre la mort. 11 faut, dans ce
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 379
but, faire tout le nécessaire! exactement comme on fait tout
le nécessaire pour guérir un malade atteint de pneumonie ou
de toute autre maladie. Mais il ne faut pas non plus se ber-
cer d'illusions, et il faut bien avouer que refficacité de ces
mesures, prises par acquit de conscience, est des plus dou-
teuses. Les déconvenues de Thygiène sont presque aussi nom-
breuses que celles de la médecine.
Passons pourtant en revue les réformes hygiéniques pro-
posées. Nous serons surpris de voir combien peu d'existences
humaines elles sauveraient — même en leur supposant un
plein succès.
Je crois fermement que l'eau est un des véhicules ordi-
naires de la fièvre typhoïde. Un esprit chagrin pourrait dire
qu'il y a vingt ans on croyait non moins fermement à Tin-
fluence de Tencombrement, et, il y a trente ans, à l'influence
des matières en décomposition. Cependant la transmission
de la fièvre typhoïde par leau a été si nettement observée
par M. Brouardel, que je ne crois pas qu'elle soit un leurre. La
conclusion pratique de cette importante découverte est qu'il
faut, autant que possible, boire de l'eau propre. Supposons
que ce soit toujours possible ; supposons, de plus, qu'on ait
dépensé tous les millions nécessaires pour construire les con-
duites nécessaires, et qu'enfin la fièvre typhoïde disparaisse
du territoire français. Combien de vies humaines, après tant
de temps, tant d'efforts et tant de dépenses^ aura-ton sau-
vées ? Seize mille au plus, d'après les évaluations les plus éle-
vées. Ainsi, il manque à la France 450000 naissances an-
nuelles, et on lui ofi're 46000 habitants.
Je ne parlerai pas longuement de la vaccine et revaccine
obligatoires. Excellente mesure assurément, car elle a fait
complètement disparaître la variole de l'Allemagne. Mais
enfin, il ne s'agit que de 3 ou 4000 vies humaines. Au point
de vue humanitaire et sentimental, c'est beaucoup assuré-
ment; mais, au point de vue qui nous intéresse en ce mo-
ment, ce n'est rien.
On a proposé le rétablissement des tours» Quel rapport cela
380 SÉANCE DU 21 MAI 189i.
a-tril avec raccroissement de la population ? Y a-t-il un inté-
rêt social quelconque à conserver, à grands frais, les quelques
centaines d'enfants syphilitiques, scrofuleux et tuberculeux
que Ton y déposerait ? Des considérations multiples me font
désirer le rétablissement des tours ; mais, au point de vue qui
nous occupe^ la chose n'a aucun intérêt.
En somme, de combien les hygiénistes les plus ambitieux
prétendent-ils faire diminuer la mortalité ? De â pour 1 000
seulement, et quand on examine de près leur prétention, on
voit qu'elle est extrêmement exagérée. Admettons-la pourtant,
et voyons combien nous restons loin de compte. Ce qu'il faut
pour donner à notre population l'essor qu'il lui faut, c'est
porter notre natalité de 25 à 37 pour i 000. Au lieu de cela,
les hygiénistes nous promettent (?) d'abaisser la mortalité de
22 à 20 pour i 000. Il n'y a pas compensation. La population
restera encore en déficit (même si ces promesses se réalisent)
de iO existences annuelles pour iOOO habitants.
Je ne crois pas qu'on obtienne ce résultat, même dans l'hy-
pothèse la plus favorable.
Admettons, en effet, que les hygiénistes arrivent à dimi-
nuer la mortalité. Auront-ils contribué, en quoi que ce soit, à
l'accroissement de la population ? Gardons-nous de le croire.
La démographie nous enseigne que cet abaissement de mor-
talité serait suivi, toutes choses égales d'ailleurs, d'un abais-
sement de la natalité. On aura donc une population plus
âgée, plus chétive, mais non pas plus nombreuse.
En effet, une loi générale, et qui ne souffre que de rares
exceptions, veut que les pays où les naissances sont nom-
breuses aient aussi beaucoup de décès, et réciproquement,
ceux qui ont peu de naissances ont généralement peu de
décès. Les deux mouvements de population sont parallèles.
Autrement dit^ lorsque Ton meurt beaucoup, cela fait de
la place, et il y a aussitôt beaucoup de naissances pour com-
bler les vides. Lorsque les décès sont rares, la place manque
pour de nouveaux venus, et ils ne viennent pas.
En Saxe, il y a beaucoup de naissances et de décès. De
DISCUSSION SUR LA NATAUTÉ EN FRANCS. 381
même en Prasse. Au contraire, en Belgique, il y a peu de
naissances et peu de décès. En Suède, au siècle dernier, il y
avait beaucoup de naissances, beaucoup de décès ; petit à
petit, les deux mouvements se sont ralentis ; ils sont faibles
aujourd'hui.
Les statisticiens sont tous d*accord pour reconnaître le
parallélisme des deux mouvements de population. Ils ne dif-
fèrent que sur Texplication à leur donner. Les uns ont voulu
y voir un correctif accordé par la providence à la terrible loi
de Malthus ; assurément, disent>ils, le nombre des places est
limité au banquet de la vie, mais la clémente nature propor-
tionne le nombre des nouveaux venus au nombre des par-*
tants, et diminue ainsi la somme des souffrances de Thuma-
nité.
Je crois, avec beaucoup d'autres, que le fait peut s'expli'-
quer plus simplement: quel que soit Tàge d'un mort, on
s'explique aisément que sa disparition provoque une nouvelle
naissance. Est-ce un enfant? Ses parents éprouvent le besoin
de reporter leur affection sur un être nouveau, et Ton recom-
mence Tenfant perdu. Combien de fois le fait a été observé
dans des pays à parcimonieuse natalité, en Normandie par
exemple. Est-ce un adulte ? Les enfants qu'il était susceptible
d'avoir sont procréés ; et, d'autre part, la place qu'il occu-
pait au soleil est occupée par un autre plus jeune, qui profite
de Toccasion pour se marier et pour avoir à son tour des en-
fants. Est-ce un vieillard ? S'il est pauvre, il constitue pour sa
famille une charge dont elle se trouve allégée, et sa dispari-
tion rend plus aisée Téducation d'un nouvel enfant. S'il est
riche, il laisse un héritage qui permet à ses héritiers de se
marier et d'avoir des enfants. Ainsi, tout décédé, quel que
soit son âge, laisse une place vacante, place aussitôt prise par
de nouvelles naissances.
Ce parallélisme des naissances et des morts est tellement
vrai, que lorsqu'une calamité vient frapper un pays et multi-
plie le nombre des décès, on peut être certain que, l'année
suivante, il y aura compensation, ces nombreux décèn ayant
T. II (4« SÂRIS).
38t SÉANCB DU ii MAI IMil.
appelé derrière eux de nombreuses naissances. En France,
la guerre et la variole élevèrent, en 1871, la mortalité à
35 pour 1000 habitants; l'année suivante, la natalité s*éleTait
à 26.7 (au lieu de 25.5, taux des années antérieures à 1870),
et ce taux, relativement satisfaisant, se maintenait pendant
quatre ans encore. En Prusse, la guerre éleva de même la
natalité à 41.5 pendant trois ans (au lieu de 39, taux des
années antérieures à 1870). Les exemples semblables sont
innombrables. Le plus remarquable est emprunté à la Fin*
lande. Ce pays fut soumis, en 1868, à une effroyable famine,
qui éleva considérablement la mortalité. Les années sui-
vantes furent remarquables par une fécondité extraor-
dinaire *.
Ainsi, il est exact de dire que les décès appellent les nais-
sances. Diminuez les décès, vous diminuez les naissances par
cela même.
On peut comparer une société humaine & un bassin d*une
capacité donnée, et muni d'un flotteur, de façon à le tenir
toujours rempli d*eau. Il y a un robinet d'entrée (c'sst la
natalité et rimmigration) ; mais il ne s'ouvre que dans la me-
sure où est ouvert le robinet de sortie (ce robinet de sortie
c'est la mortalité et l'émigration). Impossible d'ouvrir Tiin
sans ouvrir l'autre.
On peut comparer encore une société humaine à Une forêt
d'une étendue déterminée. 'Dès que le bûcheron fait des clai-
rières dans la forêt, les rejets et les stolons bourgeonnent de
toutes parts, et la forêt se reconstitue, sans qu'on ait à s'oc-
cuper de son peuplement. S'il en est autrement, c'est qu'il y
a quelque vice, quelque germe malfaisant qui contrarie
l'effet bienfaisant de la nature. Il faut alors que le forestier
recherche cette cause de stérilité et la détruise ; qu'il écarte
la dent dévastatrice des chèvres et les autres animaux nui-
sibles qui détruisent les jeunes pousses de sa forêt. Mais que
dire de celui qui, contre un pareil malheur, n'imaginerait
1 Finlande, par Jacques Berlillon (Dictionnaire encyclopédique des *ei99iUt
médicales).
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 383
autre chose que d'écarter la hache du bûcheron et de con^
server ses arbres indéOniment ! Il n'arriverait qu'à vieillir
Inutilement sa futaie, et, finalement, serait vaincu dans cette
lutte contre la mort ; car, la loi des sociétés vivantes, des
forêts comme des nations, c*est le renouvellement perpétuel
des êtres.
L'œuvre impossible tentée par ce forestier ignorant n'est
autre que celle que conseillent des médecins trop conficmts
dans leur art.
La lutte, d'ailleurs, très nécessaire, qu'ils veulent soutenir
contre la mort, pourra, sans doute, conserver un certain
nombre de malheureux dont la mort prématurée doit nous
toucher. Mais elle n*a, au point de vue du chiffre de la popu-
lation, aucune espèce d'intérêt. Outre qu'elle ne peut abaisser
la mortalité que d'une quantité insignifiante, cet abaissement
même de la mortalité ne peut avoir d'autre effet que de
diminuer encore le nombre des naissances.
Ce qu'il faut, c'est combattre le mal dans ses causes.
Ces causes sont connues : c'est la restriction volontaire
causée par des considérations d'argent. C'est donc par des
réformes fiscales très radicales qu'on pourra arriver à modi-
fier l'esprit public.
La justice s'unit à l'intérêt patriotique pour les conseiller.
III
Il faut que le législateur considère le fait d'élever un en^*
faut comme une des formes de l'impôt.
Outre qu'elle est indispensable à la conservation de notre
raecy cette conception répond à l'idée que nous nous faisons
de la justice et de la vérité.
Payer un impôt; c'est s'imposer un sacrifice pécuniaire 6û
faveur des intérêts communs. Or, c'est justement ce que fait
l'homme qui élève une nombreuse famille. Il s'impose un
sacrifice pécuniaire des plus lourds, et ce sacrifice est extrê-
mement nécessaire à l'intérêt général. C'est donc bien oite
forme de l'impAt, la plus lourde et la plus utile de toutes.
384 SÉANCE DU ai MAI 1891.
II est donc juste que celui qui s'impose ce fardeau soit
dégrevé sous une autre forme. Quant à celui qui se dispense
d'élever une famille, il faut, au contraire, qu'il paye l'impôt
en argent puisqu'il ne le paye pas en nature. Qu'on ne dise
pas que je persécute les célibataires et les familles peu nom-
breuses; je ne persécute personne, je laisse chacun libre de
faire ce qu'il veut ; seulement, j'entends que chacun, sous la
forme qu'il préfère, paye à l'État ce qu'il lui doit. J'imite un
propriétaire qui, ne pouvant se faire payer en nature par son
métayer, se ferait payer en argent.
L'idée que j'émets est tellement juste que déjà l'immortelle
Constituante en avait émis le principe. Elle avait promis de
dégrever en partie les familles de plus de trois enfants et de
dégrever davantage encore les familles plus nombreuses. Si
elle n'a pu appliquer ce principe, c'est que les circonstances
terribles qui sont venues traverser son œuvre ne l'ont pas
permis. Depuis que la République a rappelé la France aux
idées de justice et d'équité proclamées par la Révolution,
plusieurs législateurs ont émis des idées analogues. M. Javal
a eu le mérite de poser la question. La loi dite des sept en-
fants est, de l'aveu de son auteur^ insuffisante pour relever
la natalité ; elle ne constitue qu'un premier pas fait dans la
voie du salut. M. Peytral, ancien ministre des finances, et,
plus récemment, M. Maujan, dont le projet a réuni lasigna«
ture de plus d'une centaine de députés, ont accepté le même
principe.
Ce que je reproche à ces propositions, c'est d'être beaucoup
trop timides. Il faut que l'impôt soit distribué de telle sorte
que la fécondité des familles aisées ne soit pas retenue par
des considérations pécuniaires. Les impôts directs doivent
être non pas un peu plus lourds, mais beaucoup plus lourds
pour les familles de moins de trois enfants que pour celles
qui dépassent ce chiffre.
Mais où l'inégalité doit être grande surtout, c'est dans les
impôts de succession, car c'est surtout la perspective de voir
leur héritage divisé après leur mort, qui force les famUles
ÉLECTIONS. 385
françaises à pratiquer ce que les Allemands appellent avec
mépris le Zweikindersystem.
CONCLUSIONS.
La faible natalité de la France l'expose au danger terrible
d'être désarmée contre ses ennemis. Le péril est grave, mais
il n'est pas inéluctable. Il faut combattre le mal promp-
tement.
La mortalité de la France est normale. On ne pourra donc
la diminuer que par une sorte de tour de force sur lequel on
ne peut pas compter.
Au contraire, la natalité de la France est extrêmement
inférieure à celle de tous les autres pays européens. On peut
dire qu'elle est paradoxale. Donc, on peut espérer de la faire
revenir au niveau ordinaire des autres peuples.
Ce qui rend la natalité française si faible, c*est la stérilité
volontaire des familles ayant quelque bien (ces familles sont
exceptionnellement nombreuses en France), parce que ces
familles prévoyantes savent qu'un sûr moyen de conserver
leur bien est|de n'avoir qu'un seul enfant, et qu'inversement,
un sûr moyen de perdre ce bien est d'avoir plus de deux
enfants.
Pour sauver la France du danger qui la presse, il faut que
les lois fiscales et autres soient faites de telle façon que les
familles ayant quelque bien n'aient pas un intérêt évident à
restreindre leur natalité. Il faut, en un mot, que le fait d'éle-
vé?* un nombre suffisant d'enfants (trois au moins) soit consi^
déré comme une forme de V impôt.
ÉLECTIONS.
MM. E. Roux et Bérenger-Féraud sont élus membres titu-
laires.
MM. Ramadier et Sérieux sont élus membres correspon-
dants.
386 { NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
M. Letourneau donne lecture de la moitié d'un trayail de
M. Dumont intitulé : Mémoire sur la natalité dam le canton de
Lillebonhe (Seine- Inférieure) .
La séance est levée à six heures.
Vun des secrétaires : CAPlTAN.
>•••<
539' SÉANCE. — iS mai 1891.
Préaldenee de M. liAOOADE^ préflldemi*
NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE
Des transforiaatloBsi du rèn® ▼égétal ;
par m. fauvklus.
Mesdames et Messieurs,
Jusqu^ici les savants transformistes n'ont eu pour ainsi
dire d'autre but que do préciser Torigina et le mode de
développement du règne animal. Aussi ne se sont-ils
occupés du règne végétal que pour y chercher des preuves
à Tappui de leur doctrine. A l'exemple de Darwin, ils se sont
contentés de montrer que, chez les végétaux, les variations et
l'hérédité, mises à profit par la sélection naturelle ou arti-
ficielle, étaient susceptibles de produire des variétés, des
races et des espèces avec autant de facilité que cbex les
animaux.
Je ne connais, en effet, aucun botaniste qui, suivant la
voie lumineuse ouverte par Hœckel, ait cherché à se rendre
compte du développement phylogénique de l'ensemble des
plantes à l'aide de leur ontogénie contrôlée par la paléonto-
Ipgie. Il est vrai que, jusque vers Je milieu de ce siècle, l'em-
bryogénie des végétaux était restée presque inconnue, et
qu^une obscurité profonde régnait sur leur anatomie et leur
physiologie. Mais depuis moins dejtrente ans des découvertes
FAUVELLH:. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 387
sans nombre ont été faites sur ces différentes parties de la
science botanique, grâce aux perfectionnements du micros-
cope et de sa technique; si bien qu'aujourd'ixui on peut dire
qu'elle remporte sur la zoologie parla netteté et la précision
des détails. En même temps, la paléontologie nous montrait
la succession des flores qui se sent épanouies aux différents
âges de la terre, et nous initiait à toutes les particularités de
l'organisation de végétaux ensevelis depuis des milliers de
siècles dans les entrailles du globe.
Après tant de progrès vraiment surprenants, j'ai pensé
que le moment était venu de rechercher si les quatre grandes
divisions du règne végétal : thallophytes, muscinées, cryp-
togames vasculaires et phanérogames, procédaient les unes
des autres en ligne directe, ou étaient issues parallèlement
de formes primitives spéciales. C^est le résultat de ces re-
cherches que je vais avoir l'honneur de développer devant
vous. Il complétera Texposé de Tétat actuel de la théorie
transformiste qui vous a été fait avec tant de talent par les
huit conférenciers qui m*ont précédé.
Commeles animaux, les végétaux sont diversement répandus
dans les différents milieux de la terre habitable. Ces milieux
sont, dans Tordre de leur apparition durant les périodes
géologiques, Teau salée, Teau douce qui constituent le milieu
liquide, et le milieu aérien qui se subdivise en terrain maré-
cageux imbibé par des nappes d'eau courante ou stagnante,
et en terrain desséché dont la fécondité n'est due qu'à des
pluies plus ou moins abondantes.
Pendant la première partie des temps primaires, le milieu
marin présentait seul le calme nécessaire au développement
des êtres organisés. En effet, les continents étaient alors
ravagés par des pluies torrentielles que le ruissellement
entraînait directement dans les océans. Ce n'est qu'aux
époques silurienne et dévonienne que Peau douce commença
à se collectionner et à imprégner le sol émergé d'une manière
un peu stable. Durant la période carbonifère, les marécages
prédominèrent, et les terrains desséchés commencèrent à
dS8 NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
s'étendre pour prendre une importance considérable pendant
les périodes suivantes, au fur et à mesure que les condensa-
tions atmosphériques perdaient de leur violence primitive.
Aujourd'hui, elles sont très restreintes, et, au centre des
continents, apparaissent de vastes étendues qui en'sont com-
plètement privées ; au seuil de ces déserts la vie disparaît.
En môme temps les régions polaires, qui, primitivement,
recevaient à peu près autant de radiations calorifiques et
lumineuses que le reste de la surface du globe, virent s'éten-
dre progressivement autour d'elles les zones glaciales, par
suite de la concentration lente mais progressive de Tastre
central. La vie recula devant le froid comme devant la
sécheresse.
Ainsi ces modifications graduelles et successives des con-
ditions météorologiques, pendant Timmense durée des temps
géologiques, ont d'abord élargi progressivement Thabilat
des êtres organisés, puis Tout restreint petit h petit anx
limites que nous lui voyons assignées de nos jours.
L'histoire de la terre nous permet donc d'induire légiti-
mement que les végétaux, comme d'ailleurs les animaux,
ont d'abord apparu dans le milieu marin, puis ont pénétré
dans les collections d'eau douce, pour gagner ensuite leurs
rivcspUis ou moins marécageuses, etenfin atteindre les terrains
complètement émergés que les pluies seules arrosent.
Comme ces différenis milieux ont encore leur flore spéciale,
nous sommes sûrs de trouver, dans l'organisation et le déve-
loppement des plantes qui les composent, le secret des trans-
formations qu'elles ont subies à chaque stade pour s'accommo-
der à un nouveau genre de vie. La route que nous avons à
parcourir se trouve donc toute tracée. Vous pourrez la suivre
sur le tableau généalogique que vous avez ici sous les yeux.
I
MILIEU LIQUIDE.
Tous les êtres organisés ont pour point de départ, dans
leur développement ontogénique, une cellule initiale qui,
FAUVELLE. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 389
par des segmentations successives, fînit par produire tous les
éléments de Tindividu adulte. Iln*est donc pas douteux que
le règne animal et le règne végétal aient débuté tous deux
par un individu monocellulaire^ vert chez Tun et incolore
chez Tautre. Mais quel a été le premier en date? Malgré
l'opinion de zoologistes éminents, la préexistence de la cel-
lule verte ne me paraît pas douteuse.
J'ai traité cette question devant la Société d'anthropologie
(séance du 18 mars 1886) et dans la section de botanique de
l'Association française (Congrès de Toulouse, 29 septembre
1887), et je crois avoir établi qu'au début de la vie toute cel-
lule vivante incolore aurait vite succombé par inanition, s*il
n'avait pas existé antérieurement des plantes à chlorophylle
qui, seules, peuvent fabriquer la matière organique dont tout
animal se nourrit. D'ailleurs, il en serait encore de même
aujourd'hui, si, par impossible, ces plantes disparaissaient.
De cette proposition indiscutable, j'ai donc pu légitimement
induire que la cellule verte avait dû apparaître la première,
et que de plus elle avait dû être précédée de la formation de
la chlorophylle, substance chimique bien définie, dont la pré-
sence est indispensable pour la fixation du carbone qui entre
dans la composition de tous les principes organiques immé-
diats. Quant à l'apparition du premier animal monocellu-
laire, elle s'explique facilement par la disparition de cette
chlorophylle, phénomène qui, comme nous le verrons tout
à l'heure, s'est reproduit à différents stades de l'évolution des
végétaux. Les individus ainsi transformés vivent à la ma-
nière des animaux, c'est-à-dire par l'absorption de matières
organiques élaborées en dehors d'eux.
On m'a objecté l'existence de certaines espèces animales
dont la couleur verte est due à la présence de la chloro-
phylle. Rien de plus exact; mais il est démontré aujourd'hui
que cette coloration a pour cause la présence d'algues mo-
nocellulaires qui, intercalées dans les tissus, forment avec ces
animaux, du reste très inférieurs, une espèce de connubium
analogue à celui dont je vous parlerai à propos des lichens.
390 NEUTIÈME CONF£BENC£ TRANSFORMISTE.
Algues marines. — Quelles ont été les premières destinées
de la cellule verte? Est*elle restée pendant un oertain temps
àTétatisolé? Nous ne savons rien de précis à cet égard,
caries premiers végétaux marins qui nous sont signalés par les
paléontologistes sont polycellulaires et déjà volumineiu,
comme ceux que nous constatons aujourd'hui.
Malgré leur diversité apparente, les plantes marines ne
forment qu*un seul groupe, celui des algues. Elles sont corn*
posées de cellules vertes juxtaposées soit en séries linéaires
simples ou ramifiées, soit en lames minces constituées par
une seule assise, soit enfin suivant les trois dimensions, mais
toujours avec une faible épaisseur. Chaque élément est com-
posé, comme dans tous les êtres organisés, d'un noyau
central entouré d'un protoplasroa doué de sensibilité et de
motilitéi au milieu duquel on trouve diversement groupés la
chlorophylle et d'autres composés chimiques qui varient
suivant les espèces. Une enveloppe de cellulose limite chacun
des corps protoplasmique; cependant il arrive quelquefois
qu'aucune cloison ne les sépare et qu'ils se meuvent libro*
ment dans une enveloppe commune.
La solution saline alimentaire et Tacide carbonique pé-
nètrent par endosmose à travers la membrane translucide,
et les radiations solaires transforment cesmalières minérales
en principes organiques qui servent à l'entretien des corps
cellulaires qui vivent ainsi chacun pour son propre compte.
La croissance a lieu par la segmentation des éléments ; elle
est terminale, périphérique ou intercalaire suivant le nombre
et la place de ceux qui y prennent part.
Toutes ces algues sont fixées au sol par des espèces de
crampons formés de cellules semblables aux autres, mais
munies d'une membrane plus épaisse et agglutinante. Il est
aujourd'hui démontré que celles de la mer de Sargasse ont
été arrachées au liltoral par les courants qui les accumulent
ainsi en un certain point de l'Atlantique. Elles y meurent, et
disparaîtraient bientôt sans l'apport continuel qui en est fait.
Ces plantes se reproduisent par des spores agames et par
FAUVELLE. — DES TRANSFORMATIONâ DU RÈGNB VÉGÉTAL. 391
des œufs, résultats de la fusion de spores mâles et de spores
femelles. Tous les détails de ces phénomènes vous sont trop
connuspour que j'y insiste. Je me contente donc d'appeler
tout particulièrement votre attention sur ces deux modes de
reproduction et principalement sur le premier, qui, comme
vous le verrez, se retrouve dans tout le règne végétal, même
chez les phanérogames les plus élevées.
Certains botanistes ont prétendu que la reproduction par
œufs favorisait l'apparition des variations et qu'il y avait
alors une espèce de renouvellement de la plante. Mais cette
hypothèse me parent fort problématique, puisque les spores
agames et sexuées ont la même origine. En tout cas, le mode
de reproduction est tout à fait étranger aux tranformations
auxquelles nous allons assister.
Les algues, ayant besoin des radiations solaires pour vé'^
géter, ne peuvent dépasser certaines profondeurs. Au delà
de 100 mëtres; elles deviennent rares, et à 400 mètres on n'en
trouve plus trace. La végétation marine occupe donc unique-
ment les pentes qui avoisinent le littoral.
Dans ce milieu, en apparence si homogène, on rencontre
de nombreuses causes de variations, qui expliquent la mul-
tiplicité des espèces. En première ligne se place le degré de
salure. Vous connaissez tous les différences que présente
l'aspect de la flore des mers intérieures, suivant que l'apport
des fleuves est supérieur ou inférieur à la quantité de liquide
que la surface laisse évaporer. Le degré de latitude joue ici
un grand rôle. Puis vient la nature du sol ; elle a presque
autant d'influence sur la végétation au fond des mers que
sur les continents. Vous n'hésiterez pas, en effet, à recon-
naître que, malgré la mobilité des molécules liquides, les
solutions salines doivent varier suivant la composition chi-
mique des terrains au contact desquels elles se trouvent, et
vous ne serez pas surpris de voir des algues fixées sur des
CQuches calcaires s'incruster de carbonate de chaux, au point
de revêtir l'aspect de coraux et de madrépores.
Mais toutes ces influences locales ne peuvent rendre
392 NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
compte de la formation des quatre groupes dans lesquels se
divisent les plantes dont nous parlons, savoir : les algues
bleues, les algues vertes, les algues brunes ou jaunâtres et
les algues rouges. L^ordre dans lequel je viens d'énumérer
ces groupes est celui qu'on observe en partant du rivage
pour gagner les plus grandes profondeurs que la végétation
puisse atteindre; si bien que, sur certaines côtes, aux grandes
marées basses, on voit le littoral bordé de quatre zones con-
centriques ayant chacune leur couleur propre. Cette diffé-
renciation doit être attribuée uniquement à la nature et à la
quantité des radiations lumineuses qui pénètrent jusqu'à
chacune des zones.
Toutes ces algues sont pourvues de chlorophylle comme
dans les conditions ordinaires, et les autres teintes sont dues
à des matières colorantes qui masquent plus ou moins la
couleur verte naturelle et en sont les adjuvants. L'action
chlorophyllienne consiste, en effet, comme vous le savez, à
ne laisser pénétrer dans les cellules que les radiations
extrêmes du spectre, et cela dans des proportions définies.
Or, suivant la profondeur de l'eau, ces proportions sont
changées par suite des différences de réfrangibilité des ra-
diations bleues, jaunes et rouges; de là, la nécessité de pré-
sence de matières qui puissent réfléchir les couleurs en excès
et rétablir l'équilibre normal. Ce sont précisément les radia-
tions surabondantes qui donnent naissance à ces substances
réfléchissantes ; si bien que l'existence delà plante est assurée
par les causes mêmes qui devaient la faire disparaître. Les
réactions chimiques qui donnent naissance à ces espèces de
pigments nous sont, il est vrai, encore inconnues ; sans
doute elles sont du même ordre que celles qui produisent la
chlorophylle. Mais quelles qu'elles soient, croyez-le bien,
les choses se passent ainsi parce qu'elles ne peuvent se passer
autrement. Nous pouvons donc induire en toute sûreté que
les transformations des algues vertes en algues bleues, jaune
brun ou rouges sont dues aux différences de réfrangibilité
des radiations du spectre solaire.
FAUVELLE. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 393
Les quatre groupes que nous venons de déterminer sont
d'autant plus avancés dans leur évolution que leur habitat
est plus profond.
L'explication en est facile : les couches superficielles de
Teau, sans cesse mises en mouvement soit par les vents^
soit par les marées, ne permettent pas à la plante d'évoluer
tranquillement, tandis que le calme qui règne dans les
régions profondes, lui laisse le temps d'acquérir tous les
perfectionnements que comporte le milieu. Certainement
on rencontre partout des formes simples, mais elles sont
d'autant plus rares qu'on pénètre plus avant.
Les algues bleues présentent des signes de dégradation
qui, malgré leur infériorité, ne permettent pas de les regarder
comme le type primitif. La plupart sont filamenteuses ; le
noyau de leurs cellules est fractionné au point de disparaître;
les matières colorantes, même la chlorophylle, sont dissoutes
dans le protoplasma; enfin, la reproduction n'a lieu que par
spores agames.
Avec les algues vertes, le type normal reparaît, sans cepen-
dant sortir de l'infériorité.
11 faut pénétrer jusqu'aux alguesbrunes ou jaunâtres pour
trouver des caractères d'élévation bien tranchés. Tels sont
les laminaires géantes qui, avec une apparence foliacée,
peuvent atteindre jusqu'à SÎOO mètres de longueur. Chez
d'autres, les spores agames germent sur la plante mère sous
forme de petites algues à cellules disposées en séries linéaires
plus ou moins ramifiées; après la séparation, chaque branche
donne naissance à une algue nouvelle. Dans la famille des
Fucus, la plus élevée de toutes, certaines espèces revêtent
l'aspect de plantes terrestres avec des simulacres de tiges et
de feuilles. Quelquefois même les spores sexuées naissent sur
des parties ramifiées si finement, qu'on les prendrait, de loin,
pour des branches florales. Enfin, les spores agames qu'on
ne rencontre que dans le voisinage des crampons, ne se
détachent plus du tout et donnent naissance à des individus
nouveaux qui restent unis à celui dont ils sont issus. Ce fait,
394 NEtmËME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
isolé chez les algues marineS; se généralise chez les plantes
terrestres comme nous le verrons plus loin.
Le développement des algues brunes n'ayant pas encore
été suffisamment étudié, on ne peut affirmer que tous les
types "élevés procèdent de types inférieurs. Cependant,
comme lorsque les spores agames germent sur la plante
mère elles donnent d'abord naissance à une [algue filamen-
teuse ramifiée, nous pouvons supposer que ce groupe ne
fait pas exception à la règle générale.
Pour les algues rouges, il n'y a plus de doute, leur onto-
génie est le tableau exact de leur phyliogénie ; la cellule
initiale donne naissance à une algue filiforme sur laquelle
se développe le type de l'espèce. Bien que les individus de ce
groupe soient en général de très petite taille, on y retrouve
tous les perfectionnements que nous avons signalés chez les
algues brunes. De plus, l'œuf au lieu de germer directement,
se subdivise en un certain nombre de spores qui vont au loin
reproduire la plante mère. Comme tous ces caractères d'élé-
vation se retrouvent chez les mousses terrestres, on a cru
voir dans cette ressemblance la preuve d'une étroite parenté;
mais je vous démontrerai qu'il s'agit là d'une simple coïn-
cidence. Du reste, dans certaines espèces, le mécanisme de ia
formation de l'œuf présente beaucoup d'analogie avec ce qui
se passe chez les phanérogames, et, certes, il ne viendra à
l'esprit de personne que ces dernières aient pu avoir pour
ancêtres les algues rouges.
En résumé, cette étude sommaire des végétaux marins
vous a fait voir combien ils sont sensibles aux circonstances
de milieu et vous a démontré que toutes les transformations
qu'ils ont subies n'ont pas eu d'autre origine. Sans sortir de
l'élément liquide, pénétrons maintenant dans les collections
d'eau douce.
Algues dCeau douce. — Ce sont encore des algues que nous
rencontrons dans ce nouveau milieu, et leur groupement est
toujours le même ; mais les proportions ont singulièrement
changé. Les algues bleues et vertes, relativement rares dand
FAUVELLE. — DES THANSFORICATIONS DU tlÊGNE VÉGÉTAL. 395
la mer, prédominent ici, tandis que les brunes et les rouges
ne comptent plus qu'un petit nombre de représentants. Vous
trouvez l'explication toute naturelle de ce changement dans
le peu de profondeur de la plupart de ces collections liquides.
Mais ce qui frappe tout particulièrement l'observateur, c'est
rinfériorité de tous les types; on ne trouve plus, pour ainsi
dire, que la forme filamenteuse.
Il ne pouvait en être autrement, car Tacclimatement dans
ce nouveau milieu, impossible pour les espèces perfectionnées
à la suite d'un long séjour dans la mer, n'était facile que
pour celles dont révolution était peu avancée. C'est ainsi
que, durant les temps géologiques, les modiflcations clima-
iériques importantes ont fait disparaître les animaux qui se
distinguaient par leur organisation élevée. D'autre part, la
durée relativement peu prolongée des collections d'eau douce
et les vicissitudes continuelles auxquelles elles sont soumises
n'ont pas permis à leurs nouveaux hôtes de subir toutes les
améliorations qu'ils comportaient.
Une seule famille des algues vertes d'eau douce, celle des
Charas, présente des complications intéressantes; encore
sont-elles plus apparentes que réelles. En effet, bien que
filamenteuses comme la plupart de leurs congénères, elles
rappellent, par leur port, certaines plantes phanérogames.
Cette ressemblance est due simplement à la disposition des
filaments diversement ramifiés qui les constituent; les uns
s'accolent à l'axe central pour lui former une espèce d'écorce,
les autres se développent en verticilles, comme les feuilles
autour de la tige. Enfin, ce qui ajoute encore à l'illusion,
c'est l'existence de véritables rameaux nés, à l'aisselle des
verticilles, de spores agames restés adhérentes. Ces parti-
cularités, résultats d'une évolution spéciale, ont été observées
isolément chez les algues brunes et rouges, sans qu'on
puisse en tirer d'autre conclusion que celled'une communauté
d'oirgine. Nous devons considérer ces perfectionnements
comme une apogée, car, depuis l'époque triasique, les charas
ne se sont pas sensiblement modifiées.
396 NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORKISTE.
II
MILIEU AÉRIEN.
Algues terrestres, — Étant donné Thabitat normal des al-
gues, vous devez supposer qu'elles ont dû quitter difficile-
ment le milieu liquide pour s'aventurer sur les terres émer-
gées, même les plus humides. Cependant, ce passage a été
exécuté par certaines d'entre elles, naturellement des plus
inférieures. Mais leurs destinées ultérieures ont été bien
différentes comme vous allez le voir. Il va sans dire qu'on
ne compte parmi ces transfuges que des algues ayant fait
un séjour plus ou moins long dans les collections d*eaa
douce, espèce de vestibule par lequel ont passé tous
les êtres organisés pour pouvoir s'engager sur les conti-
nents.
Certaines de ces algues ayant été déposées par le re-
trait des eaux au milieu de débris qui les mettaient à Tabri
de la lumière, perdirent leur chlorophylle, et, se trou-
vant entourées de végétaux en décomposition, en absor-
bèrent les principes immédiats que les radiations solaires
ne leur fabriquaient plus. Elles furent la souche des Cham"
pignons .
Cette origine, bien qu'elle n'ait pas encore été démontrée
par l'expérience, ne me paraît pas cependant sérieusement
discutable. Les champignons présenlent en effet tous les
caractères des algues d'eau douce. Tous sont formés de fila-
ments diversement ramifiés, même lorsqu'ils revêtent cet
aspect parenchymateux auquel le vulgaire réserve le nom de
champignon. Du reste, la perte de la chlorophylle et consécu-
tivement le changement du mode d'alimentation ont été
observés jusque chez les phanérogames sans que leur organi-
sation en ait été sensiblement modifiée.
Telles sont certaines espèces d'Orchidées qui n'en conser*
vent pas moins tous les caractères de la famille.
FAUVELLE. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VKGÉTAL. 397
Je sais bien qu'on a voulu rattacher les champignons aux
monères et aux amibes par les myxomicèles dont les corps
protoplasraiques nus et isolés se meuvent, se nourrissent et
se multiplient à la manière des protozoaires. Mais ces pro-
priétés appartiennent au contenu de toutes les cellules
vivantes du règne végétal; seulement elles y sont masquées
et entravées par la claustration que ces corps protoplas-
miques y subissent. D'ailleurs, ce genre de vie n'est que
momentané ; aussitôt la période végétative terminée, les
mixamibes se juxtaposent, s'enveloppent d'une membrane
de cellulose, et tant que dure la période de reproduction, ils
vivent à la manière de tous les autres champignons.
Un grand nombre de ces plantes sont devenues ultérieure-
ment parasites d'autres êtres organisés ; mais il est toujours
possible de leur faire reprendre leur premier genre de vie
en mettant à leur disposition des matières organiques
appropriées.
D'autres algues incolores, que leurs caractères d'infériorité
rattachent au groupe des bleues, ont aussi survécu à l'émer-
sion. Elles sont connues sous la dénomination générale de
bactéries.
Dans les milieux liquides, où on les trouve encore, elles
vivent aux dépens des principes immédiats des cadavres de
toute espèce d'êtres organisés qu'elles fînissent par ramener
à l'état de matière minérale. Sur le sol émergé, elles con-
tinuent ce rôle; mais elles ont fait, en outre, irruption dans
la matière vivante qu'elles réduisent rapidement à l'état de
cadavre. L'homme et ses animaux domestiques sont les vic-
times de prédilection de ces microbes, et vous savez si les
maladies qu'ils causent sont nombreuses. Nous mourons bien
rarement sans leur intervention.
Je ne m'arrêterai pas à vous exposer leur dissémination,
leur multiplication si rapide et les transformations sans
nombre qu'elles subissent suivant le milieu nutritif dans le-
quel elles végètent. M. le docteur Bordier en a fait brillam-
ment l'exposé, en 1888, dans une conférence remarquable
T. II (4* série). 1^
398 NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
dont le souvenir est encore présent à votre mémoire. Je dirai
seulement que, quelles que soient les conditions favorables,
elles ne sortent pas de leur infériorité. Bactéries elles sont,
bactéries elles restent, de même que les champignons sont
restés champignons malgré les complications apparentes de
leurs organes fructifères.
Un certain nombre d*algues vertes ont pu s'acclimater à la
surface de la terre, restée suffisamment humide, sans perdre
leur chlorophylle. Est-ce parmi elles que nous allons trouver
l'origine des végétaux terrestres ? Espérons-le, car l'horizon
se rétrécit et la doctrine transformiste est ici en jeu.
Il en est parmi elles qui n*ont pu survivre qu'en se désa*
grégeant, et chacune de leurs cellules isolées vit misérable-
ment là où il y a un peu d'humidité. Ce sont elles qui
donnent cet aspect verdâtre aux rochers, aux murs de nos
habitations et aux vieux troncs d'arbres, du côté oîi le vent
chasse habituellement la pluie. Il leur faut si peu de nourri-
ture I
Quelques-unes^ conservant pour les champignons une cer-
taine affinité due à leur communauté d'origine, contractèrent
avec eux des mariages de raison qui profitèrent à chacun
des deux conjoints. Les filaments du champignon enlacent
ces cellules isolées, leur transmettent la solution saline qu'ils
ont puisée sur le suppport et reçoivent en échange la
matière organisablc élaborée par leur chlorophylle. Malgré
leur union intime, ces deux êtres conservent chacun leur
mode particulier de reproduction, si bien qu'on a pu, expéri-
mentalement, rompre ou renouer ces associations ou con-
sortium qui constituent le groupe important des lichens.
Les diverses formes qu'ils revêtent sont dues à l'espèce de
champignon qui entre comme partie intégrante, la cellule
verte restant toujours la même.
A une époque relativement récente, d'autres algues fila-
menteuses, avant toute désagrégation, ont contracté en sor-
tant de l'eau une union analogue avec des plantes terrestres
très élevées. Elles vivent dans leurs espaces intercellulaires,
FAUVELLE. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 399
ne leur empruntant que la solution saline nécessaire à leur
nutrition et à leur reproduction. Telle est, notamment, la
Mycoîdea (apparence de champignon] qui vit dans les feuilles
du camélia. Ce parasitisme est bien moins dangereux pour
la plante hospitalière que celui des champignons qui s'em-
parent de la matière organisable élaborée.
Muscmées, — Arrivé à ce point de mon travail, permettez-
moi de faire appel à toute votre attention ; nous allons
assister à Tapparition des végétaux terrestres. Point n'est
besoin de remonter à travers les temps géologiques jusqu'à
l'époque des premières émersions ; le phénomène s'est per-
pétué jusqu'à nos jours dans tous ses détails, sauf un seul
que je vous indiquerai après la description qui va suivre.
Une spore tombe sur un terrain marécageux dont tous les
interstices sont remplis de collections minuscules d*eau douce.
Une fois en contact avec le liquide qu'elle absorbe, elle
sort de son enveloppe protectrice et donne naissance à une
petite algue verle, le plus souvent filamenteuse et ramifiée,
mais quelquefois lamelleusc et même massive. Celle-ci
végète pendant quelque temps, à la manière de toutes
celles dont nous avons parlé. Mais le liquide interstitiel tend
à disparaître, et vous pouvez croire que c'en est fait de la
jeune plante; rassurez-vous. A ce moment, une ou plusieurs
de ses cellules se segmentent dans un sens opposé à celui
suivi jusqu*alors. Ces deux nouveaux corps protoplasmiques
se multiplient à leur tour et forment une masse embryon-
naire facile à distinguer du reste de l'algue.
Les cellules, en contact avec le sol, perdent leur chloro-
phylle et s'allongent en forme de poils qui pénètrent à une
certaine profondeur dans les interstices remplis d'eau, et y
fixent la plante. Pendant ce temps, les cellules supérieures
restées vertes se multiplient dans le sens de la verticale et,
dans leur marche ascensionnelle, développent dans l'air une
tige plus ou moins cylindrique munie d'appendices foliacés.
L'évaporalion, dont ces organes sont le siège, active l'ab-
sorption par les poils, et la solution saline alimentaire est
400 NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
eatrainée vers les parties les plus élevées. Le courant ascen-
dant continu, qui s'établit ainsi, détruit les corps protoplas-
miques d'une ou plusieurs séries de cellules intérieures et. en
perce même quelquefois les parois ; par cette ébauche de
circulation, le problème de la végétation aérienne se trouve
résolu. La cellule verte n'étant plus en contact avec le liquide
nutritif, c'est celui-ci qui vient la trouver.
La plante dont je viens de décrire le développement est
une muscinée, autrement dit une mousse, le plus inférieur
des végétaux terrestres. C'est de cette manière qu'elle a dû
apparaître pour la première fois, avec cette seule différence
que la spore venait, non d'une autre mousse, mais d'une
algue verte. Ainsi, chez les végétaux comme chez les
animaux, l'ontogénie est le tableau fidèle de la phylogénie.
Comme vous le savez déjà, les muscinées se multiplient
seulement par œuf, et cet œuf se divise en un certain nombre
de spores qui se disséminent. Quant aux spores agames, elles
sont toujours adhérentes et reproduisent la plante mère sous
forme de branches ou rameaux. Cependant, certaines d'entre
elles se détachent après avoir donné naissance à une petite
algue que les anciens botanistes ont appelé /^ro/^a^i^/e, comme
ils ont nommé protonema (premier fil) celle qui naît de la
spore. Mais peu importe les noms, ils ne changent pas la
nature des choses. Le propagule, une fois sur le sol maré-
cageux, se comporte comme l'algue initiale et donne nais-
sance à une ou plusieurs mousses nouvelles.
Si vous vous le rappelez, je vous ai signalé la plupart de
ces caractères comme appartenant aux espèces les plus
élevées des algues rouges. Gomme je vous l'ai dit égale-
ment, certains botanistes ont cru voir, dans cette similitude,
une espèce de filiation entre ces deux groupes. Vous com-
prenez maintenant combien cette opinion est erronée ; il ne
s'opère, dans la nature, jamais de ces changements à vue.
Comment admettre qu'une plante marine, vivant à 50 mètres
de profondeur, ait pu s'acclimater brusquement dans le
milieu aérien, môme sur un terrain marécageux ? Les deux
FAUVELLE. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 401
groupes ont évolué, chacun dans leur sphère spéciale, sur
deux plans dont Tidentité dépend de leur commune origine.
Plusieurs espèces de muscinées, même des plus élevées^
ont fait retour au milieu liquide sans se modifier notable-
ment. Le rôle des poils absorbants^ qui les fixent au sol, a
seulement diminué d'importance, les cellules superficielles
de la tige leur venant en aide dans une certaine mesure, et
conséquemment la force ascensionnelle du liquide nutritif a
perdu de son intensité. Ce retour vers la patrie des ancêtres
s'observe fréquemment chez les êtres organisés ; nous aurons
à le signaler pour les végétaux dont il nous reste à parler, et
vous savez tous que les reptiles, les oiseaux et les mammi-
fères en offrent de nombreux exemples.
Les mousses proprement dites, dont nous avons unique-
ment parlé jusqu'ici, comme toutes les formes compliquées,
n'ont été le point de départ d'aucun autre groupe. Il n'en a
pas été de même du type le plus inférieur dont les diverses
espèces ont été réunies sous le nom d'hépatiques. Elles sont
formées d'une simple lame foliacée, couchée à la surface du
marécage. La face tournée vers le sol présente des poils
absorbants disséminés qui viennent en aide aux premiers
apparus ; la face supérieure est le siège de la reproduction
qui s'opère de la même manière que chez les mousses, la
spore mâle venant trouver, a Taide de ses cils vibratiles, la
spore femelle restée en place. Cela, bien entendu, ne peut
arriver que si, grâce aux circonstances de milieu, une couche
d'eau se trouve étendue sur la plante.
Ce sont ces hépatiques qui sont devenues la souche du
groupe si important des végétaux vasculaires par un méca-
nisme très analogue à celui que je viens de décrire à propos
de l'apparition des rauscinées. Vous allez en juger.
Plantes vasculaires. Cryptogames. — Elles se rencontrent
dans des terrains imbibés d'eau, ou, du moins, qui le sont
à une certaine époque de l'année ; mais leur habitat est,
en général, beaucoup plus découvert que celui des mus-
cinées, et, par conséquent, l'air y est plus sec. Supposons
402 NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
une hépatique égarée dans ce nouveau milieu. Sa face supé-
rieure, soumise à une évaporation rapide, se durcit et prend
Taspect des feuilles ordinaires. Forcément alors les spores
sexuées se développent à la face inférieure, au milieu des
poils, et la fécondation a lieu à la manière accoutumée ;
seulement, dans ces nouvelles conditions, Tœuf, au lieu de
donner naissance à des spores de dissémination, se segmente
en une masse cellulaire qui devient Tembryon d'une nouvelle
plante. Ce sera une cryptogame vasculaire, comme nous le
verrons tout à Theure en en suivant le développement.
Encore aujourd'hui, sous nos yeux, Jes choses se passent
absolument de la même manière ; et ne croyez pas qu'il s*agit
là d'une simple vue de l'esprit. Tous les botanistes sont d*ac-
cord pour reconnaître que le prothalle des fougères et des
prestes est une véritable hépatique, née comme toutes leurs
semblables d*un protonema ou algue Ulamenteuse ; les flgures
qu'ils en donnent ne laissent d'ailleurs aucun doute à cet
égard. Seulement ils constatent cette succession de formes
sans en tirer de conséquence. Mais la signification en est bien
claire pour les zoologistes habitués à voir Tembryologie de
tous les animaux reproduire toutes les phases de leur déve-
loppement phylogénique. Nous sommes donc légitimement
autorisés à induire que les cryptogames vasculaires sont issues
directement des muscinées hépatiques, nées elles-mêmes des
algues vertes inférieures. De plus, nous ne serons pas surpris
si, par suite des progrès de l'évolution, nous voyons les phases
en question se simplifier et même se réduire à des indices.
Revenons maintenant à l'embryon de la cryptogame vas-
culaire contenu dans l'épaisseur des tissus de l'hépatique
mère qui va subvenir à ses premiers besoins. Si vous le com-
parez à Tunique cellule de Talgue, qui donne naissance à la
muscinée, vous ne serez pas surpris de sa puissance végéta-
tive.
On le voit donc enfoncer dans le sol une racine dont les
cellules superficielles se transforment en poils, en même
temps qu'une tige aérienne s'élève et se couvre de feuilles.
FAUVELLE. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 403
L*absorption d'une part et révaporation de l'autre devenant
de plus en plus actives, la progression ascendante du liquide
nutritif s'accentue. Les cellules qu'il traverse perdent non
seulement leurs corps protoplasmiques, mais se perforent
dans le sens du courant et forment de véritables vaisseaux
auxquels la solidification de leurs parois par des matières
incrustantes a fait donner Tépithète de ligneux.
Cette rapidité de la marche ascensionnelle de la solution
saline alimentaire a pour conséquence forcée la fabrication,
par les cellules vertes des feuilles, d'une quantité considérable
de substances organisables. Celles-ci envahissent à leur tour,
mais dans un sens contraire, une série linéaire de cellules
dont elles absorbent les corps protoplasmiques et perforent
d'une multitude de trous les parois qui s'opposent à leur pro-
gression. Ainsi se forment les tubes criblés dits libériens, et
la plante vasculaire est constituée. Je n'insiste pas, sa struc-
ture est connue de tous.
C'est sur les feuilles que naissent les spores qui, tombant
sur le sol humide, donnent naissance à l'algue et à l'hépa-
tique initiales. Chez les presles, ces spores, bien que sem-
blables en apparence, donnent naissance à desprothalJes uni-
sexués; mais grâce au liquide qui imbibe le sol, la fécondation
se fait toujours facilement. C'est le premier pas vers la phané-
rogamie. Cette tendance s'accentue dans les autres familles.
A l'extrémité des tiges, sur des feuilles très réduites de
volume, naissent séparément des microspores mâles et des
macrospores femelles qui produisent des prothalles diffé-
rents. En même temps apparaît l'abréviation des phases onlo-
géniques : d'abord l'algue et l'hépatique diminuent de vo-
lume, puis leur développement devient plus précoce. Ainsi,
chez les sélaginelles, il a lieu dans l'enveloppe même des
spores sexuées, avant leur chute sur le sol. Enfin dans les
salviniées, la fécondation a lieu avant celte chute. Mais là
encore la spore mâle est munie de cils vibratiles et ne peut
atteindre la spore femelle qu'à travers une couche d'eau si
mince qu'elle soit. Ce caractère est donc le seul qui, en der-
404 NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
nier ressort, soit spécial aux cryptogames vasculaires. Il nons
montre que, par leur origine^ elles appartiennent bien réelle-
ment aux terrains marécageux.
Phanérogames. — Il n'en est pas de même dans ce groupe.
Les phases embryonnaires abrégées se passent toujours sur
la plante mère ; aussi les cils vibratiles de la spore mâle ont
disparu et le milieu liquide n'est plus nécessaire pour la fécon-
dation qu'au contraire il entraverait. C'est qu'en effet ces
plantes, quelles qu'aient été leurs destinées ultérieures, se
sont spécifiées sur les terrains desséchés que les eaux pluviales
humectent seules. Le milieu aérien est donc le seul intermé-
diaire possible entre leurs spores sexuées et il faut que l'élé-
ment mâle le traverse pour atteindre l'élément femelle.
Vous connaissez tous la manière dont l'œuf des phanéro-
games est fécondé ; il est donc inutile que je l'expose ici.
Mais, pour que la similitude des organes sexués dans les deux
groupes vasculaires soit rendue bien évidente, il est indispen-
sable de donner aux divers éléments de la fleur les noms usi-
tés dans la description des parties correspondantes chez les
cryptogames.
La fleur représente l'extrémité sporifèrc d'une tige avec ses
feuilles diff'érenciées. L'élamine est la feuille qui porte les
organes mâles ; l'anthère, le raicrosporange et le grain de
pollen, la microspore.
Les feuilles fertiles femelles forment, par leur union, l'en-
semble du pistil, et l'ovule que chacune porte est un niacros-
porange. Parmi les cellules qu'il contient, une seule mérite
le nom de macrosporc : c'est le sac embryonnaire dont le
corps protoplasmique se segmente pour former une hépa-
tique ou prothalle rudimentaire dont une ou plusieurs cel-
lules deviennent des spores femelles.
La microspore ou grain de pollen tombe sur le stigmate
formé par l'union des extrémités effilées des feuilles dites
caf^pellaires. Retenu par une substance gluante, il s'en nourrit
et se segmente en un prolhalle mâle des plus réduits, dont
une cellule (spore mâle) s'allonge en un tube poUinique qui
FAUVELLE. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 405
porte son noyau au contact de la spore femelle pour opérer
la fécondation. L'œuf ainsi formé absorbe le prothalle rudi-
mentairC; en donnant naissance à une masse celluleuse qui
n'est autre que l'embryon. Celui-ci ne se détache pas tout de
suite comme chez les cryptogames, mais seulement après
avoir formé la graine ou plantule, grâce à Talimentation
fournie par les* vaisseaux libériens de la plante mère.
J'espère que cette description vous a démontré clairement
qu'il n'existe aucune lacune entre les deux fractions des
plantes vasculaires et qu'elles ne forment en réalité qu'un
seul groupe.
Les botanistes encore trop peu nombreux qui se sont ral-
liés au transformisme, n'ont pas compris la valeur de cette
transition insensible entre les cryptogames et les phanéro-
games. Us ont cru qu'elle devait se rencontrer d'une part entre
les algues et les muscinées et de l'autre entre ces dernières
et les cryptogames vasculaires. C'est dans cet esprit qu'ils
ont prétendu établir un passage entre les deux premiers
groupes en faisant ressortir les ressemblances qui existent
entre les mousses et les algues rouges les plus élevées. Par
contre ils ont cru trouver la doctrine en défaut par ce fait
que les deux derniers n'ont rien de commun. Il y a là, disent-
ils, un hiatus qu'il est impossible de combler.
Cette erreur d'appréciation prouve simplement leur inex-
périence en fait de transformations. Les transitions insensi-
bles ne peuvent exister qu'entre les espèces voisines d'un
même groupe. Quant à l'origine de ce groupe, on ne peut la
trouver qu'en étudiant le développement onlogénique des
individus qui le constituent, et l'on peut être sûr que cette
étude conduira à une des formes les plus inférieures d'un
groupe ancestral. Cette méthode, qui a fait ses preuves en
zoologie, est la seule réellement scientifique.
Les phanérogames les plus voisines des cryptogames
vasculaires sont les gymnospermes (aujourd'hui à peu près
réduites aux cycadées et aux conifères) dont les feuilles car-
pellaires ne sont pas encore complètement refermées sur les
406 MEUVIÈMB CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
ovules OU macrosporanges. La paléontologie nous montre en
effet qu'elles ont apparu les premières ; ce n'est qu'ultérieu-
rement que se sont constituées les angiospermes par rocclu-
sion hermétique du pistil. Cette subdivision est donc parfai-
tement légitime au point de vue phylogénique.
Dans Tétat actuel de la science, on ne peut en dire autant
de celle qui partage les angiospermes d'après le nombre de
leurs cotylédons. 11 faut remarquer cependant que, parmi les
gymnospermes, les cycadées, qui se rapprochent le plus des
cryptogames^ ont beaucoup d'affinités avec les monocotylé-
donées, tandis que les conifères rappellent davantage les
dicotylédonées.
Gomme les muscinées, le groupe des plantes vasculaires
présente des exemples de retour aux milieux abandonnés par
les ancêtres. Certaines espèces se sont simplement acclima-
tées dans les terrains marécageux ; d'autres se sont aocou-
tumées à vivre dans le milieu liquide lui-même, sans cepen-
dant perdre leurs caractères essentiels de cryptogeunes ou de
phanérogames. D'une manière générale c'est la tige, c'est-
à-dire le système circulatoire, qui présente les signes de dégra-
dation les plus accentués. Ainsi cette tige disparaît presque
complètement dans deux petites plantes nageantes, Vazola
parmi les cryptogames et la lemna ou lentille d'eau parmi
les phanérogames. Toutes deux se multiplient pour ainsi dire
indéfiniment par marcotage naturel avant la production de
leurs spores sexuées et la formation de Tœuf.
Comme il était naturel, toutes ces rétrogradations ont eu
lieu vers les collections d'eau douce. Cependant les naïadées,
famille des monocotylédonées, ont envoyé, après un stage
dans les eaux douces, quelques espèces dans les eaux marines
peu profondes. C'est la seule de tout le groupe vasculaire, et
le fait remonte aux temps tertiaires. 11 y a quelques années,
j'ai été assez heureux pour trouver une naïas absolument
entière dans le calcaire grossier des environs de Bicètre. Elle
est actuellement exposée au Muséum dans la salle des végé-
taux fossiles qui fait suite à la galerie de géologie.
FAUYELLE. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 407
Morphologie des plantes vasculaires, — Comme vous devez
bien le supposer, dans le groupe des végétaux vasculaires on
n'observe jamais la production de spores agames se déta-
chant et allant reproduire au loin la plante d*origino ; elles y
restent attachées d'une manière permanente. Les botanistes
en ont fait une étude spéciale et les désignent sous le nom
de cellules initiales situées au centre du point végétatif;
même ils ont décrit minutieusement tous les détails du cféve-
loppement des branches auxquelles elles donnent naissance.
Cependant aucun d'eux no paraît avoir saisi les rapports qui
existent entre ces cellules et les spores agames du groupe
des algues. Leur homologie n'est pourtant pas discutable ;
toute branche, rameau, ramille ou ramuscule représente
exactement la plante sortie de la graine. Il ne leur manque
que la racine, et encore celle-ci ne leur fait-elle pas défaut,
comme je le démontrerai tout à Theure.
La multiplication de Tespèce, qui est le résultat de la pro-
duction des spores libres, n'est pas moins assurée par celles
qui restent adhérentes. Chaque année, si Ton considère un
arbre à l'état adulte, sur le nombre total de branches pro*
duiteS; on en trouve plus de 40 pour iOO qui sont fertiles,
c'est-à-dire susceptibles de produire un nombre plus ou moins
considérable de graines, et le reste sert à préparer la venue
des rameaux floraux de Tannée suivante.
On peut donc dire que la plupart des plantes vivaces et
un grand nombre de plantes annuelles sont formées par la
réunion d'individus semblables entés les uns sur les autres
et représentent un ensemble analogue à ces groupements
auxquels les zoologistes ont donné le nom de colonies ani-
males^ si bien étudiées dans ces derniers temps. Cette manière
de concevoir le végétal a été exposée pour la première fois,
si je ne me trompe, dans les Éléments de biologie d'Herbert
Spencer. Mais comme le savant anglais a traité cette ques-
tion plutôt en philosophe qu'en naturaliste, ses idées n'ont
guère éveillé l'attention des botanistes. Le livre des colonies
végétales est donc encore à faire.
408 NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
ExceplionDel chez les algues, le phénomène des spores
adhérentes s'est généralisé chez les muscinées pour devenir
constant dans le groupe vasculaire ; mais il se complique ici
d'une singulière façon. La racine, de son côté, donne aussi
naissance à des racines secondaires latérales et terminales,
issues également de spores adhérentes, et cela en proportion
de l'importance des rameaux ; enfin, pour mettre en rapport
les deux ordres de productions nouvelles, la tige double et
triple tous les ans le nombre de ses vaisseaux ligneux et libé-
riens. Certainement il y aurait exagération à prétendre que
tous les rameaux d'un arbre correspondent à un nombre égal
de radicelles et que par conséquent cet arbre doit être regardé
comme la réunion d'autant d'individus fusionnés dans la tige
et ses divisions. Mais il existe certainement une corrélation
entre les extrémités souterraines et aériennes d'une plante
vasculaire. Ainsi les arbres palissés ont leurs racines dirigées
dans le même sens que leurs rameaux; et, lorsqu'une branche
meurt ou paraît atteinte dans sa nutrition, on peut affirmer
que ces accidents sont dus à des altérations d'une partie de
la tige ou d'un groupe de racines ayant la même orientation.
Résumé de l'évolution du règne végétal, — Comme vous avez
pu le voir, mesdames et messieurs, par l'exposé que vous
venez d'entendre et que j'ai cherché à rendre aussi clair que
possible, les grandes transformations des végétaux sont dues
uniquement aux différents milieux qu'ils ont successivement
parcourus. Partis de l'eau salée sous formes d'algues, ils
pénétrèrent dans les collections d'eau douce sans se modifier
sensiblement. De là ils passèrent sur les continents et for-
mèrent dans le milieu aérien trois groupes correspondant
aux degrés d'émert^ion du sol : les muscinées spéciales
aux marécages, les cryptogames vasculaires ayant encore
besoin d'un terrain très humide, du moins pendant la pre-
mière partie de leur développement, enfin les phanérogames
dont Texistencc est sous la dépendance des condensations
pluviales. Comme l'embryogénie nous l'a démontré, ces cinq
groupes n'en forment en réalité que trois : les algues, les
PAUVELLE. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 409
muscinées et les plantes vascalaires, réunis par Tintermé-
diaire des formes les plus inférieures du groupe précédent.
Comme nous Tavons vu également dans chaque groupe,
les diverses circonstances relatives à la nutrition ont créé
des variétés qui se développèrent plus ou moins suivant les
conditions où elles se trouvaient et chacune dans un sens
différent. Elles formèrent ainsi des familles naturelles bien
distinctes, dont les éléments se différencièrent à leur tour
sous rinfluence des mêmes causes, de manière à former des
subdivisions souvent très nombreuses. En étudiant les algues
il est presque toujours facile de remonter à la forme initiale ;
il n'en est déjà plus ainsi pour les muscinées. Mais quand on
aborde les plantes vasculaires, les difficultés sont bien autre-
ment grandes. Ainsi, pour trouver par exemple l'origine d'une
famille de phanérogames angiospermes, il faudrait remonter
jusqu'aux cryptogames vasculaires en passant par les gym-
nospermes. Malgré Ténormité du travail, il ne faut pas déses-
pérer de l'avenir, car jusqu'ici l'attention des savants ne s'est
jamais tournée de ce côté et la paléontologie nous réserve
peut-être bien des surprises.
Quoi qu'il en soit, il n'en est pas moins démontré qu'en
botanique comme en zoologie, Tontogénie est l'image fidèle
delà phylogénie.
III
TABLEAU COMPARATIF DE LA PHYLOGÉNIE DES VÉGÉTAUX
ET DE CELLE DES ANIMAUX.
Maintenant, pour vous faire bien comprendre le caractère
spécial des transformations du règne végétal, il ne me reste
plus qu'à jeter avec vous un coup d'œil comparatif sur celles
que le règne animal a subies dans les mêmes milieux. Les
deux tableaux généalogiques que j'ai fait mettre sous vos yeux
vous permettront de saisir les différences fondamentales qui
distinguent ces deux modes d'évolution.
Les deux règnes^ nés dans le milieu marin, ont pour point
410 NEUVliME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
de départ deux individus monocellulaires absolument iden-
tiques dans leur forme, leur volume, leur organisation et
leurs propriétés. Ces deux souches se distinguent seulement
par la présence ou l'absence de grains de chlorophylle dans
leur protoplasma et consécutivement par leur mode de nutri-
tion.
La cellule végétal verte tire elle-même sa nourriture de la
matière minérale. Le premier résultat de ce travail est la
formation d*une enveloppe membraneuse qui la protège
contre les contacts extérieurs sans entraver Télaboration des
substances organisables, car cette membrane se laisse péné-
trer par les radiations solaires et par la solution saline dans
laquelle elle baigne. Le corps protoplasmique perd seulement
la possibilité de se transporter d'un lieu à un autre, faculté
qui d'ailleurs lui est absolument inutile.
La cellule animale incolore doit au contraire chercher les
éléments nutritifs dans la cellule verte elle-même ou dans
ses débris. Elle procède à cette recherche à l'aide de sa moti-
lité guidée par la sensibilité que n'entrave aucune enveloppe
solide. C'est ainsi que nous la voyons mettre continuellement
en usage ces deux propriétés essentielles des êtres organisés,
tandis qu'en général la cellule végétale ne s'en sert qu'à Tin-
lérieur de sa prison de cellulose.
L'origine de la division des êtres organisés en deux grands
groupes repose donc uniquement sur leur mode d'alimenta-
tion et c'est sous l'influence de la même cause que nous allons
les voir s'éloigner de plus en plus Tun de l'autre au fur et à
mesure de leurs transformations.
La cellule verte, après s'être multipliée par segmentation,
vit bientôt ses descendants se souder en nombre plus ou
moins considérable pour former des corps de forme et de
dimension variables, dont tous les éléments se nourrissaient
de la même manière que leur ancêtre. Il est bien clair que
les plantes ainsi formées pouvaient, sans subir de modifica-
tions profondes, s'étendre et se multiplier sur le sol sous-
marin accessible à une lumière suffisante. Leur couleur, leur
FAUVELLE. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 411
étendue et leur consistance étaient seules susceptibles de
variations. C'est ainsi que les mers n*ont jamais contenu
qu'un seul groupe de végétaux, celui des algues.
Dans ce même milieu, les destinées de la cellule animale
ont été tout autres. Tant qu'elle est restée isolée, elle n'a pas
sensiblement varié. En effet, depuis la monëre au noyau
diffus jusqu'à l'infusoire cilié le plus élevé, il n*y a pas d'autre
différence qu'un classement plus méthodique des éléments
constitutifs.
Mais il est arrivé que dans certaines circonstances les
cellules en se multipliant ne se sont plus séparées, chacune,
cependant, vivant pour son propre compte et, par consé-
quent, devant rester toujours en rapport direct avec le
monde extérieur. 11 en est résulté la formation au milieu
d'elles d'une cavité dite de segmentation. Tant que celle-ci
est restée peu importante, la forme sphérique s'est conservée,
mais lorsqu'elle eut atteint une étendue relativement consi-
dérable^ le peu de consistance de l'édifice amena forcément
l'invagination d'une des moitiés dans Tautre. Telle fut l'ori-
gine de la gastrula, cette forme première de tous les animaux
polycellulaires, depuis l'humble polype jusqu'à l'homme, que
Ton considère leur développement ontogénique ou phylo-
génique.
Les conséquences de cette invagination, je dirai presque
accidentelle, furent immenses. Ce fut d'abord la division du
travail entre les individus cellulaires associés; puis, consé-
cutivement la production d'un phénomène que nous n'avons
observé dans aucun groupe du règne végétal. Je veux parler
de Taccumulation sur certaines cellules constitutives de l'in-
dividu gastrulaire, de chacun des éléments réunis chez les
protozoaires. C'est ainsi que se formèrent les cellules ner-
veuses sensitives et motrices, les cellules contractiles, etc.,
qui, plus tard, se réunirent en centres nerveux, muscles^
membranes sécrétantes, respiratoires et autres. Je n'insiste
pas sur tous ces détails qui vous sont connus, mais j'ai
voulu appeler votre attention sur ce caractère spécial à Tim-
412 NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
mense majorité des animaux et qui suffirait à établir une
différence presque absolue entre les deux règnes.
Les individus gastrulaires se divisèrent immédiatement
en deux groupes, les uns fixés au support par la partie
opposée à la bouche, les autres, libres, restant couchés sur
le sol et prenant immédiatement une symétrie bilatérale par
rapport h Taxe longitudinal du corps.
Gomme les végétaux, les individus de ces deux groupes se ,
reproduisent par œuf, c'esl-à-dire par Tunion de spores
sexuées. Mais, chose à laquelle, certes, on ne se serait pas
attendu, les gastrulaires fixés se reproduisent également
par spores agames adhérentes.
Une ou plusieurs cellules non différenciées de la couche
externe, généralement situées vers la base élargie, se seg-
mentent et donnent naissance à de nouveaux individus abso«
lument semblables au premier. Quelquefois, arrivés à l'état
adulte, ils s'en détachent et vivent alors isolés ; mais le plus
souvent ils restent adhérents et composent avec lui une agglo-
mération de deuxième ordre qui rappelle immédiatement à
votre esprit celle dont je vous signalais tout à l'heure la
production chez les mousses et surtout chez les plantes vas*
culaires.
Tous ces individus soudés entre eux autour de leur auteur
ou le long d'un axe plus ou moins allongé peuvent vivre et
se reproduire chacun pour leur propre compte, ou bien se
partager le travail. Dans ce dernier cas, Findividu central
reste chargé de nourrir la communauté ; ses voisins immé-
diats, doués d'une sensibilité tactile plus prononcée, lui livrent
la proie qu'ils arrêtent au passage ; puis viennent les re-
producteurs; enfin, les plus éloignés, moins bien nourris,
restent à l'état de pointes allongées plus ou moins dures,
absolument comme les épines de nos arbres qui sont aussi
des branches avortées. Tous ces cercles concentriques, en se
rapprochant, peuvent se fusionner si intimement que ce n'est
qu'en suivant leur développement embryogénique qu'on a pu
en faire l'analyse.
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FAUVELLE. — DES TRANSFORMATIOiNS DU RÉGNE VÉGÉTAL. 413
C'est ainsi que se sont formés les spongiaires, les bryo-
zoaires, les polypiers et les échinodermes, seuls groupes
issus de gastrulaires fixés.
Ceux restés libres ont eu une descendance bien autrement
célèbre et cela par ce seul fait qu'ils ont pu se transporter
au loin et chercher leur nourriture là où elle était abondante.
Us ne se reproduisent que par œufs; mais s'ils ne peuvent se
multiplier par spores agames libres ou adhérentes, un autre
phénomène vient y suppléer.
Sous rinfluence de la nutrition, Tanimal s'allonge jusqu'à
une certaine limite, et lorsqu'il Ta atteinte, il se divise en
deux parties par une section tranvcrsalo, donnant ainsi nais-
sance à deux individus absolument semblables. Les exemples
de cette segmentation complète sont aujourd'hui très rares.
Le plus souvent, tous les individus, nés successivement de
cette manière, restent accolés bout à bout en série linéaire,
se partageant le travail qui doit servir à la nutrition et à la
reproduction de ce nouvel agrégat de second ordre, absolu-
ment comme chez les polypes concrescents. Cet être mul-
tiple dans son unité a reçu le nom de ver.
Parmi les vers, les uns ont Tépiderme recouvert d'une
mince membrane de nature cornée (kératine) ; chez d'autres,
cette pellicule est constituée par de la chitine, substance
d'une constitution toute différente. De là, deux subdivisions
importantes.
La première a donné naissance directement aux annélides,
puis aux mollusques par l'intermédiaire des vers tubicoles, et
enfln aux poissons qui se subdivisèrent en osseux et en car-
tilagineux. Les tuniciers eurent la même origine et débutent
encore aujourd'hui à la manière des vertébrés ; mais ils sont
arrêtés dans cette direction par la fixation qui les rapproche
du premier type des animaux gastrulaires.
Dans le milieu marin, les vers à chitine formèrent seulement
les crustacés chez lesquels cette substance est consolidée par
de la matière calcaire.
N'êtes-vous pas frappés de cotte différence considérable
T. Il (4" série). 27
AiA NÈUVIÊKE CONFÉRENCE TRANS^ORMSTE.
entré les formations marines si uniformes du règne végétal
et Celles dn règne animal si maltiples et si vaHées? Gomme
je vous le disais et comme vous le Comprenez vous-mêmes
maintenant, la cause en est uniquement due au tnode d'ali-
mentation. Dans cette fonction Importante, la plante est
absolument passive et n'a qu'à se laisser vivre ; tandis que
ranimai est toujours en quête d'une proie, et suivant la
forme ôt la composition chimique de cette proie, il subit des
modifications correspondantes.
Le passage du milieu marin dans les collections d'eau
douce courantes ou stagnantes s'est effectué, comme ponr
les végétaux, sans transformations fondamentales et ne s'est
traduit que par des variations spécifiques. Tous les groupes
y ont envoyé des colonies plus ou moins nombreuses, sauf
cependant les échinodermes et les tuniciers dont aneane
espèce n'a été signalée jusqu'ici en dehors de la mer. Quoi
qu'il en soit, on peut dire que la faune et laflorcr des eaux
douces sont bien moins riches^ bien moins puissantes que
celles des océans et des mers, totlt en conservant, en géné«
rai, le même aspect. Il n'en est plus de même sur les terrains
émergés.
Les difficultés qu'entraînait le passage du mitien liquide
au milieu aérien n'étaient pas les mêmes pour les animaux
et les végétaux, et, certainement, elles étaient beaucoup
plus grandes pour ces derniers, puisqu'il s'agissait d'amener
le liquide nutritif au contact dé tous les éléments constitutifs
par une circulation qui, depuis longtemps, était établie
chez les animaux, t^our ceux-ci, il fallait simplement mettre
à l'abri de la dessication les surfaces d'absorption de Toxy-
gène. Les gastrulaires libres y parvinrent facilement par
l'invagination de l'appareil respiratoire, restreint, depuis les
premières phases do l'évolution, à certaines parties de la
membrane limitante externe. Les gastrulaires fixés, moins
bîdn préparés à cet effet, restèrent confinés dans le milieu
liquide, hors duquel ils auraient d'ailleurs rencontré bien
d'autres difficultés pour la recherche de leur nourriture. Il
PAUVELLE. — f)ÈS tftAFTS^ORMAWOJfS OU ftÉÔffl tÉGÉTAL. 418
en a été de même, à plas forte foison, des prototoaires.
Parmi les descendants des vers à enveloppe de kératine,
les annélides et les mollusques ne purent envoyer, sur les
terrains émergés, que de petites colonies : les lombrics d'une
part, et de l'autre quelques gastéropodes de petit volume.
Les poissons furent plus heureux. Ainsi, quelques espèces
inférieures du groupe des osseux donnèrent naissance aut
batraciens. Mais leurs œufs, contenant trop peu de matières
nutritives pour amener le petit à la forme adulte, ceux-ci
restèrent toujours tributaires du milieu liquide pendant la
première partie de leur vie. Les poissons cartilagineux^ dont
les œufs étaient beaucoup mieux pourvus, purent seuls fran-
chir d'un bond la limite qui sépare les deux milieux et se
transformer en reptiles. Il se pourrait même que ce groupe,
aujourd'hui exclusivement marin^ n'ait fait aucune station
dans les collections d'eau douce.
Parmi les crustacés issus des vers à chitine, deux ché*
tives espèces, les^ ponrcelets et les cloportes, purent seules
s'aventurer sur la terre. Mais, on vit alors apparaître un
SèCoiid groupe à épiderme chitineux dont on ne trouve
aucune trace dans la mer. Ce sont les articulés trachéens
chez lesquels des tubes rigides ramifiés conduisent l'oxygène
respiratoire directement jusqu'aux éléments anatomiques.
L* embryogénie nous les montre issus de certains vers à obi*'
tine respirant à l'aide de vaisieaut aquifères également
ramifiés jusque dans l'intimité des tissus. La substitution de
l'air à l'eau a été la cause très simple de la transformation.
Tous ces nouveaux hôtes s'arrêtèrent sur les terrains
humides ou marécageux, et la plupart s*y sont maintenus
jusqu^à aujourd'hui. Les seuls animaux organisés pouriivre
sur le sol desséché que les pluies seules arrosant sont les
insectes et lés araignées, c'est^-dire tous les trachéens sanf
les myriapodes, les lézards parmi les feptiles, et les deaoen-
dants directs de ces derniers^ les mammifères et les oiseaux.
L'apparition de ces deux dernières formes est liée à une
circonstance de milieu qui, jusqu'alorv^ n'avait en qu'une
416 NEUVIÈME CONFÉRENCE TRANSFORMISTE.
influence restreinte, mais de laquelle il fallait alors tenir un
compte sérieux. Je veux parler de rabaissement de la tem-
pérature. Tous les animaux dont nous avons parlé jusqu'ici
subissent passivement toutes les vicissitudes de chaud et de
froid et meurent lorsque l'un'ou Tautre devient trop intense.
Les reptiles seuls présentaient une organisation susceptible
d'être modifiée de manière à résister à cette cause redou-
table de destruction. Comme vous le savez, leur cœur n'a
qu'un seul ventricule où se mélangent le sang veineux et le
sang artériel pour être ensuite chassés dans tout l'organisme .
Cette circonstance est très défavorable au maintien d'une
température élevée ; mais, pour remédier à ce grave incon-
vénient, il a suffi d'une cloison verticale qui partagea le ven-
tricule en deux parties, Tune droite et l'autre gauche, celle-
ci ne distribuant à tous les organes que le sang purifié dans
les poumons. Cette cloison, que nous voyons en voie de for-
mation chez les crocodiles, s'est complétée chez les oiseaux
et les mammifères, seuls animaux à température constante,
quelle que soit celle du milieu extérieur.
Les mammifères se trouvèrent immédiatement subdivisés.
Ceux issus des reptiles vivipares devinrent directement pla-
centaires. Dans l'état actuel de la science, il est difficile de
donner les limites exactes de ce groupe. On peut certaine-
ment y faire rentrer les cétacés et les édentés actuels et
fossiles dont les caractères reptiliens sont si évidents, et
môme y joindre les sirenides et les phoques, tous genres
divergents qui embarrassent tant les classificateurs.
Les mammifères, formés par les reptiles ovipares, revê-
tirent d'abord la forme marsupiale dont vous connaissez les
caractères distinctifs et qui, d'après les données paléontolo-
giques que nous possédons, a été l'origine de tous les placen-
taires, saufceuxquejevous citais il n'y a qu'un instant. C'est
ici que se place l'homme, de tous les animaux le plus éloigné
de la cellule incolore qui fut leur point de départ K
* Pour les détails des transformations du règne animal, voir la Physico-
Chimie^ son rôle dans les phénomènes naturels, astronomiques, géolo-
FAUVELLK. — DES TRANSFORMATIONS DU RÈGNE VÉGÉTAL. 447
Résumons, mesdames et messieurs, ce parallèle entre les
deux règnes végétal et animal. Dans le milieu liquide, le
premier no. présente qu'une seule forme, la plus simple ;
Tautrc, nu contraire, y développe tous ses embranchements.
Tous deux, après avoir subi des perles sensibles en traversant
les collections d'eau douce, arrivent bien décimés sur le sol
émergé et ne s'y maintiennent que grâce à un milieu transi-
toire, le marécage. Malgré cette circonstance favorable, les
continents seraient restés à peu près déserts, si, dans chaque
règne, des groupes ne s'étaient montrés mieux armés pour
lutter contre les conditions climatériques défavorables. Ce
sont, d'une part, les mammifères et les oiseaux capables de
lutter contre le froid, et, de l'autre, les plantes vasculairn*?
phanérogames qui défient la sécheresse de la superficie du
sol, en nourrissant elles-mêmes leur progéniture qui, sans
cela, n'eût pu se développer. La phylogénie des végétaux
représente un arbre de haute futaie ; celle des animaux, un
buisson touffu.
En dépit de tous mes efforts, j'ai été bien au-dessous de la
tâche que je m'étais imposée. Mais quelque imparfait qu'ait été
mon langage, il me semble que vous devez être frappés de la
vive lumière que le transformisme projette sur l'histoire des
êtres organisés. Les épaisses ténèbres accumulées pendant
tant de siècles par la superstition et l'ignorance sont
aujourd'hui dissipées. La vérité éclate de toute part. Gloire
donc à notre ï.amarck dont la pensée profonde nous l'a
révélée! Gloire à Darwin qui a compris et développé cette
pensée ! Gloire à tous les savants qui ont continué et com-
plété l'œuvre de ces deux grands génies! Gloire enfin à la
Société d'anthropologie qui, la première de France et même
du monde entier, a arboré le drapeau du transformisme que
rÉcole maintient haut et ferme par son enseignement !
giques et biologiques, p. 324 et suivantes, par M. le docteur Fauvellc
^Bibliothèque des sciences contemporaines, t. XVI, Rein wald, 1889).
418 8ÉANGS w 4 ;uiN 1891.
SIO* SÉANCE. — I JBin 1891,
Présidence de M. lAB^MPig^ présideat*
Le procès-verbal de la demiàre sâaocQ est la at (Mlopt^.
COMMUNICATIONS DU BUREAU.
M- L6 Secrétaire générai^ donne lecture de la circulaire
adressée par M. le ministre des travaux publics aux ingé-
nieurs en chef pour leur recommander d* empêcher la des-
truction des monuments mégalithiques existants encore,
M. PB MoRTiUET fait remarquer que cette circul^e a
été rédigée et envoyée à Tinstigation de la commission des
monuments mégalilhiques, quis^était adressée, à cet effet, au
ministre, M* Yves Guyot, membre de la Société d'anthropo-
logie.
M. Salhon demande la publication de cette çirculaii^e dans
les i9u//tf/mi de la Société, afin de la répandre le plus possible.
M. i^ Président annonce le décès de M. le docteur Bonna-
font. Il exprime les regrets qu'éprouve la Société pour la
perte de ce membre ancien et distingué.
CORRESPONDANCE.
M. DE Nadaillac adresse une lettre demandant que la So-
ciété fasse les démarches nécessaires pour qu'il soit possible
d'étudier et de présenter en séance les deux jeunes ûlles
(monstre double] que Ton exhibe actuellement à Paris.
MM. Issaurat et de Mortillet sont chargés de faire les dé-
marches nécessaires.
M. Gabriel de Mortillet a reçu de Mt Mason une lettre
sur l'union des nègres et des blancs. M. Mason nous ques-
tionne au sujet des éventualités politiques que peut amener
la coexistence, côte à côte et sous les mêmes lois, de deux
races très distinctes ne s'unisçant pas. 11 nous demande, si, à
CUUDZINSKI. — * SUR LB SACRUM D*UN DÉCAPITÉ. 419
notre connaissancei quelqua fait analogue a jamais existé
et quels en ont été les résultats.
Discussion.
M. HovBLACQUE. La question qui nous est posée est d'une
importance considérable, et il nous est impossible d*y ré-
pondre au pied levé, Pour ma part, j'ai cherché en vain des
faits de Tordre dont il s'agit ; mais il est bon, me seipble-
t-ii, de mettre à l'ordre du jour un sujet aussi important à
tous égards.
M. Manouvrier fait observer qu'il est bien difficile à une
société scientifique de résoudre a priori une question de ce
genre. Prédire l'avenir dans un ordre de phénomènes aussi
complexes que les phénomènes sociaux, alors que les simples
pronostics médicaux sont déjà si souvent sujets à caution, ce
n'est pas précisément faire ce qui peut s'appeler œuvre de
science.. Tout en reconnaissant le haut intérêt de la question
qui lui est posée, la Société d'anthropologie ferait peut-être
sagement de répondre que cette question sort de sa compé-
tence, au moins pour le moment*
M. Beauregard dit que, dans FAmérique du Sud, dès les
premiers temps de la conquête, les Indiens recherchaient les
femmes blanches d'Europe^ qu'ils ne négligeaient aucune
occasion de les enlever et de se les approprier.
M. DE MoRTiLLET proposc l'impressiou h ps^rt de cette lettre
et l'envoi aux membres de la Société.
PRÉSENTATIONS.
Snr le saernni d'an déoaplié ;
PAR M. CUUDZINSKI.
J'ai l'honneur de présenter à la Société d'anthropologie le
sacrum d'un assassin décapité k Paris, nommé Kaps. Cette
pièce anatomique prouve que le criminel était bien jeune en-
core, car les vertèbres qui composent son sacrum sont loin
d'être complètement soudées.
420 PÉASCK DU i JUIN 1891.
En effet, les corps de la première vertèbre sacrée et de la
deuxième sont non seulement très distincts, mais encore la
partie antérieure du ménisque intercostal existait encore à
l'état frais. La soudure des corps de la deuxième avec la
troisième vertèbre sacrée est plus avancée, ainsi que les corps
de la Iroisième et de la quatrième vertèbre. Au contraire, les
corps de cette dernière et de la cinquième vertèbre sont à
peine soudées. L'individualité des vertèbres sacrées se re-
marque encore, surtout du côté gauche, dans ces parties qui,
dans les vertèbres des autres régions, constituent les apo-
physes transverses.
Le sacrum de Kaps est assez volumineux, autant large que
loDg ; {17 millimètres dans les deux sens, au maximum.
Mais la partie la plus intéressante de cette pièce anato-
miquc, c'est le canal sacré, qui, étant largement ouvert, n'est
plus un canal, mais une gouttière large et profonde, et
dont la continuité n'est interrompue que par un petit pont
osseux large de 9 millimètres et demi et qu'on remarque au
niveau de la deuxième vertèbre sacrée. Ce pont est constitué
par deux lames osseuses parfaitement séparées l'une de
DISCUSSION SUR UN SACllUM DK DÉCAPITÉ. 421
l'autre sur la ligne médiane. Ces deux lames ne sont autre
chose que l'apophyse épineuse de la deuxième vertèbre sa-
crée fortement atrophiée.
Au niveau de la première vertèbre sacrée, on aperçoit deux
autres lames beaucoup plus fortes que les précédentes, sépa-
rées Tune de Tautre par un intervalle de 5 millimètres. Ces
deux lames sont aussi des parties constituantes de l'apophyse
épineuse de la première vertèbre sacrée. Il faut remarquer
pourtant que ces deux lames varient beaucoup par leur vo-
lume. La lame du côté droit est très forte, a une direction
transversale, tandis que la lame du côté gauche est grêle et
déjetéc en dehors et en arrière.
La largeur de la gouttière sacrée est la suivante : au niveau
de la partie supérieure de la première vertèbre, 28 milli-
mètres ; au niveau de la deuxième, 15 millimètres ; au niveau
de la troisième, 8 millimètres; de la quatrième, 12 milli-
mètres, et entre les deux cornes du sacrum, 18 millimètres.
Enfin, tout à fait en bas et à gauche, on voit, surajoutée
au sacrum primitif, une pièce osseuse en forme d'une corne
recourbée et formant ainsi trois quarts de cercle à peu près,
pour circonscrire le rudiment du cinquième trou sacré.
En présentant cette pièce anatomique, je n'ai nullement la
prétention de rapporter cet arrêt de développement du canal
sacré comme un trait distinctif de Thomme criminel. Mais je
le présente tout simplement d'abord comme une curiosité
anatomique, et puis comme un fait pour la statistique future
des anomalies anatomiques observées chez les assassins.
Il est pourtant utile, à notre avis, de noter que cet arrêt de
développement coïncidait avec l'expression à la fois stupide
et bestiale de l'individu, comme le prouve le masque en
plâtre.
Discussion.
M. Manouvrier. J'ai rencontré sur plusieurs squelettes eu-
ropéens et sur plusieurs squelettes des Nouvelles-Hébrides
une transformation semblable du canal sacré en une goût-
423 SÉANCE DU 4 JUIN 189i.
tière, soit d^ps toute sa longueur, ^oitdans presque toute lia
longueur. Or^ comme je n'ai pas examiné à ce point de vue
un très grand nombre de sacrums, je suis autorisé h croire
que l'anomalie en question u'est pas extrêipemeqt rare. Je
pourrai faire à oa sujet un cooimepoement de statistique.
En attendant, je puis déjà dire que l'aspect brutal du
visage est certainement bien plus fréquent que cette auo*
malie et n a probablernent aucun rapport avec elle. I^s
caractères squelettiques qui contribuent h dPQuer au visage
une expression brutale sont loin d'être dus 4 UU défaut de
développement osseux.
M» CoLLiN présente une série de pièces en silex de Tépoque
néolithique qu'il a recueillies sur le territoire des opmq^uues
de MontreuiUsur-Ëpte, Goppières, Ansicourt (Seine-et-Oise)
et Aveny (Eure).
Cette série de pièces se compose de pics, haches taillées et
polies, flèches, retouchoirs, perçoirs, grattoirs conpava^ et
convexes, nucleus et percuteurs.
Il attire particulièrement Tattention de la Société sur une
de ces pièces appartenant à Tépoque paléolithique et trouvée
à Berthenou ville (Eure).
Il fait aussi remarquer qu'une partie de ces pièces lui a été
confiée par M. Foucard, carrier à Ansicourt (Seine-et-Oise),
qu'il a pu intéresser à ces sortes de recherches. M. Fouc€Lrd
est actuellement possesseur d'une jolie collection de pièces
préhistoriques, représentant tout Toutillage deTépoque néo-
lithique, recueillie dans la contrée qu'il habite.
M. Manouvrier. J'ai Thonneur de présenter à la Société le
deuxième fascicule du tome II du Traité d'anatomie humaine^
publié par notre confrère M. le professeur Testut. Ce fascicule,
de 900 pages, est entièrement consacré à la névrologie. C'est,
je crois, le plus remarquable de tout Touvrage. L'anatomie
descriptive du cerveau humain, des autres centres nerveux
et des nerfs, y est traitée d'une façon beaucoup plus com-
OUVRAGES PÉRIODIQUES. 423
plëte et aussi plus claire que dans les ouvrages similaires. Un
grand nombre de superbes figures (377), très habilement
dessinées d*aprës nature et coloriées, accompagnées d'une
foule de schémas indispensables en pareille matière, rendent
presque facile et attrayante Tétude du système nerveux, qui,
naguère, était décourageante pour les étudiants. Le profes-
seur Testut n*a certainement pas ménagé son temps ni sa
peine pour mettre son livre au courant de la science, et l'édi-
teur, M. Doin, a compris qu'il ne devait rien négliger pour
donner à l'ouvrage une forme digne du fond.
OUVRAGES OFFERTS.
M. Deniker offre à la Société plusieurs de ses travaux im-
primés qui manquaient à la bibliothèque.
Letourneau (Ch.) The Evolution of Marriage and of the Fa-
mily. Londres, 1891, in-8*, 373 pages (traduit du français).
S ANFORD Fleming. Times- Reckoning for the Twentieth Century.
Washington, 4889, in-8», 24 pages.
BuscHAN (Georg). Zur Vorgeschichte der Obstarten der alten
Welt. Berlin, 4891, in-8% 16 pages.
— Zur Kulturgeschichte der Hukenfruchte, Munich, 4891,
in-4*, 4 pages.
Mallery (Garrick). Greeting by Gesture. New-York, 4894,
in-8*, 32 pages.
PÉRIODIQUES.
Société de biologie : Comptes rendus, t. III, n** 48. — Ch. De-
bierre : Sur les anomalies des circonvolutions du cerveau de
l'homme. — Ch. Féré et G. Demantké : Note sur les varia-
tions de la forme du pied sous l'influence du repos, de la
station et de la marche.
Société de géographie : Bulletin, t. XII, 4«' trimestre. —
F. Foureau : Mission au Tademayt. — Ch. Rabot : Explora-
tions dans la Laponie russe ou presqu'île de Kola (1884-
1885). —Henri Coudreau : Note sur cinquante-trois tribus de
Guyane.
424 SÉANCE DU 4 JUIN 1891.
Journal of the anthropological Imtïtute (mai 1891). Lady
Welby:AnApparent Paradox in Mental Evolution. —A. -L.Le-
wis : Exhibition of a Spécimen of the Stonc used by admirai
Tremlett to eut marks of the Granité of which the Breton
Dolmens are formed.
The Canadian Inslitute [Tramac lions) ^ vol. I, n** 2, march
i89i;. A. -G. Morice : The Dene Languages.
The Canadian ImtiUUe [Fourih annual Report 1890-1891).
David Boyle : Archaeological report.
Zeitschrift fur Ethnologie, 1891. Heft IL A. Voss : Die
Steinzeit der Lausilz und ihre Beziehungen zu der Stenzcil
anderer Laînder Europas, insbesondcre die hornfœrmigen
dnrchbohrten Henkel und das Lochornament. Haarzopf aus
ainem rœmischen Bleisarkophag von Coin. Bronzefund von
Tangendorf, West-Priegnilz. Bronzenachgiisse aus den Miin-
cheberger Gussformen. Werk des Hrn. Munro iiber die seeb
auten in Europa. — Blas, R. Virchow : Verzierter Nephrit-
Ring von Erbil Mesopotamien. — Risley, Yirchow : Fœrderung
derEthnologischen Untersuchungen in Indien. — F. Millec-
ker : Ansiedelung der Steinzeit im Gebiete der Stadt Wers-
chelz, Ungarn. — Alte Ansiedelung in der Flur Ludosch bei
Werschetz. — G. Buschan : Zur Vorgeschichte der Obsjlarten
der Alten Welt. — Kramer, R. Virchow : Algorrobe-Kuchen
von Salto, Argentinien. — Mies, Virchow, Fischer, Fritsch :
Diskussion iiber die Amazonen von Dahome : Ilœhenzahl des
Kœrpergewichts der « Amazonen» und Krieger. — Virchow:
Sechsfingrige Hand eincs Antillen-Negers. — E. Seler : Alt-
mexikanischer Federschmuck und militrerisch Rangabzei-
chen. — Uhle : Deutung des in Wien verwahrtcn altmexika-
nischen Federschmucks. Zur mexikanischen Chronologie
mit besonderer Berùcksichtigung des zapotekanischen Ka-
lenders.
Société de géographie belge : Bulletin i891, n** 2. L. Roget:
le District de TArouwirai et Quelle.
DIAMANDY. — SUR LA DÉPOPULATION DE LA FRANCE. 425
ELECTIONS.
M. le docleur Garlier est élu membre titulaire de la Société
par 22 voix sur 22 votants.
COIMMUNICATIONS.
Du rôle de réeonomle soelale dans la qaestloB
de la dépopulation et du repeuplement de la France * i
PAR M. G. DIAMANDT (OE JASSy).
DE l'importance DES LOIS ÉCONOMIQUES
DANS LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES.
11 semblerait audacieux de venir discuter une question
débattue par des savants tels que MM. Fauvelle, Laborde,
Lagneau, Gherviu et autres personnes compétentes dont les
paroles ont du poids. Ce qui me permet de le faire, c'est que
la question a été envisagée uniquement au point de vue mé-
dical ; c'est que personne n'a essayé de voir si des motifs
d'ordre économique n'influeraient pas sur la dépopulation.
Bien plus, quand MM. Fauvelle et A. Bertillon ont rpononcé
le mot de causes c'cunomiques, on s'est récrié, demandant en
quoi Téconoraie était intéressée dans la question, et qu'avait
à voir cette science dans la Société d'anthropologie. En peu
de mots, M. Georges Hervé a répondu à la question, mais
rien qu'en passant, ce qui nous force de revenir sur ce sujet.
Les phénomènes sociologiques se manifestent-ils sponta-
nément, n'ont-ils pas une cause commune, un moteur tout-
puissant qui leur fait prendre différents aspects? Aujourd'hui
que la science est due à l'analyse, aux recherches minutieuses,
on ne peut plus, raisonnablement du moins, soutenir que les
faits sociologiques sont quelque chose de fatal, qu'ils appa-
raissent comme les diables des boîtes à surprises.
^ Résumé succinct d'une communication faite à la Société d'unthropo-
logie.
426 SÉANCE DU 4 JUIN 1891.
Il y a donc une raison, une cause, déterminant un fait
plutôt qu*un autre, un progrès ou un regrès^ une forme de
préférence à une autre. Cette raison, cette cause est laraîson,
la cause économique. En vérité, très souvent ce qui semble
être de la morale pure, n*est|que la manifestation plus ou
moins lointaine, plus ou moins cachée d'une loi économique.
Je vais même plus loin et, à mon humble avis, si vous re-
marquées une uniformité universellement identique dans
révolution sociologique, c*est que les lois économiques sont
les mêmes, n'importe où, podf'Ies milieux sociologiquement
identiques.
Pour appuyer et prouver l'exactitude de cette façon de
voir, je vais vous citer quelques faits sociologiques, tout en
vous priant d'excuser cette digression, que je ne fais,
d'ailleurs, que pour démontrer qu'à la Société d'Anthropo-
logie, on a parfaitement le droit de parler économie. Ainsi,
l'anthropophagie qui avait jadis tout un attirail de culte,
semblerait, de prime abord, une simple question de philo-
sophie, une phase de l'évolution de la morale. Pourtant il n'en
est rien. Les îles océaniennes, par exemple, étaient dépourvues
de mammifères, et peuplées par un grand oiseau, qne les
indigènes appellent moa et qui formait le principal aliment
des sauvages. Dans de nombreux tumulus on a retrouvé des
coquilles d'œufs, des os, de ce gigantesque oiseau {Dinamù
giganteuSy palopteryx nigens^ etc.). Quand le moa disparut, les
indigènes, poussés par les conditions de milieu, devinrent
anthropophages, ils élevèrent même l'anthropophagie au
rang d'une institution religieuse. Mais que sont ces condi-
tions de milieu, sinon des conditions économiques?
Un autre exemple. Aujourd'hui l'Amérique ne cofnpte pluô
dans ses immenses prairies que 1091 bisons, dont SSO seule-
ment sont libres et sauvages, dans un coin perdu des pos-
sessions anglaises^ Les anciens maîtres du sol, les Indiens
1 E. Cartallhac, ExUrmination des bisons en Amérique {la Natun, is^o,
22 novembre, 18* anqée).
DIAMANDY. — SUR LA DÉPOPOLATIOJT DE LA FRANCE. 427
âioux, depuis des siècles chassaient le bison, puis une partie
des Sioux devint stable, passa h Tétat de peuple agricolei
tandis que les autres Sioux continuèrent à courir les prairies.
Depuis la disparition presque totale* du bison, ces malheu-*
réux Indiens se trouvent dans un état de misère vraiment
pitoyable. Poussés par la faim, manquant de leur principale
alimentation, les Sioux se sont révoltés, sont entrés en guerre
ouverte contre legouvelTiement, ont été massacrés et, demain,
de ces Sioux chasseurs il ne restera qu*aile vague légende.
Certains groupes d'Esquimaux tendent à disparaître depuis
que les phoques ont abandonné les côtés peuplées par Ces
Esquimaux.
Tout dernièrement, M. Rabot * hous disait ici'même qu'une
|)artie des Ostiaks (Sibérie) disparaissent depuis que le renne
est devenu rare.
Dans ces trois exemples vous voyez trois peuples : les
Sioux, les Esquimaux et les Ostiaks, s'effaçant peu à peu
de la scène humaine par suite des malheureuses conditions
économiques dans lesquelles ils se sont trouvés.
Dans un autre ordre d'idées, il en est de même des ques-
tions sociologiques telles que l'évolution de la propriété, de la
politique, de la famille, de la morale, des institutions juri-
diques, etc. La propriété individuelle ou collective, le mariage
ou la prostitution, l'altruisme ou Tégolsme, la liberté ou l'es-
clavage, la loi du talion, la guerre, etc., ne sont que la cris-
tallisation palpable des lois économiques et de leurs appli-
cations.
A l'appui de ce que nous avançons, je vais citer un fait
connu de tous. Le christianisme et ses représentants n'ont
pas été persécutés à cause d'un danger moral que pouvait pré-
senter la nouvelle doctrine, mais simplement parce que l'appel
à l'égalité des hommes rendait Tesclavage odieux et impos-
sible. Mais tout le monde ancien, le romain y compris, était
1 Séance de la Société d'anthropologie. Compfe rendu du voyagé fait
en Sibérie chez les Ostiaki.
i^S SÉANCE DU 4 JUIN 1891.
basé sur le principe de Tesclavage. En gens conscients, les
Romains, tolérants en matière de croyance religieuse, furent
intraitables en matière de théorie économique. Ceci est telle-
ment vrai que le monde romain et toute Tancienne société
s'écroulent, disparaissent sous les attaques des doctrines
égalitaires qui, en affranchissant l'esclave, privaient Tanli-
quité de la seule ressource de son existence.
Pour ne pas aller plus loin nous pouvons citer sans insister
la Révolution française et la campagne socialiste actuelle.
Naturellement, la corrélation des lois économiques et des
faits de sociologie est encore mise en doute ou ignorée, car
on écrit l'histoire en abusant des dates et des noms propres
et en oublianCque c'est toujoursl'état économique d'un peuple
qui le pousse à faire ou à éviter la guerre extérieure ou civile,
et non pas le caprice de quelques-uns, dans ces derniers
temps surtout.
Excusez, je vous prie, cette digression, mais je l'ai faite
surtout comme une explication des arguments dont je vais
essayer de me servir dans le cours de ma communication.
EST-IL ou n'EST-IL PAS NÉCESSAIRE DE REPEUPLER LA FRANCE?
Dans la discussion engagée, cette question est naturelle-
ment celle qui vient à l'esprit en premier lieu. Nous allons la
discuter tant au point, de vue des intérêts des classes sociales
de la société actuelle, qu'au point de vue sociologique des
intérêts supérieurs du progrès et de la civilisation. Tout
d'abord, envisageons-la au point de vue des intéressés de la
société actuelle. Qui sont les intéressés? Le capital d'une
part et le travail de l'autre.
Le capital ne trouve pas, au point de vue économique,
d'une nécessité criante la repopulation de la France, sous le
prétexte que l'armée de réserve des travailleurs (ouvriers
sans travail) est déjà suffisamment grande pour n'avoir besoin
d'augmenter l'étendue de la misère, ce qui aboutirait à des
troubles et que, d'autn? part, un pays ne doit avoir une
DIAMANDY. — SUR LA DÉPOPULATION DE LA FRAUCB. 429
population plus grande que ne lui permettent ses moyens de
productions. Au point de vue politique, on demande, au con-
traire, une augmentation de population aussi forte que pos-
sible pour pouvoir opposer à Tennemi, en cas de guerre,
une armée numérique supérieure.
Au point de vue économique, l'argument capitaliste pèche
par la base : la théorie malthusienne est loin d'être exacte,
car les moyens de production augmentent avec le nombre
des consommateurs, donc avec le nombre de la population.
La preuve de ce fait, vous Tavez dans les entreprises d'expé-
ditions hasardées, que les peuples d'Europe font afln de
se créer des débouchés.
Venons à la question politique. En constatant la décrois*
sance de la population française et son infériorité numérique
vis-à-vis de TAllemagne, notre collègue, le docteur A, Ber-
tillon s'exprime ainsi ^ : « Donc, dans vingt ans, contre un
conscrit français, il y aura deux conscrits allemands » ; et
plus loin : a M. Richet avait donc raison de dire que le pro-
blème est un des plus graves qui se puissent trouver, si
grave que toutes les questions politiques ou sociales pâlissent
à côté de celle-là. »
Naturellement, cette considération l'emporte sur la pre-
mière. Dans cette angoisse si éloquemment traduite par
M. Richet, il est à remarquer que l'auteur oublie la chose
suivante : c'est que la question sociale peut, dans un seul
moment, anéantir toute velléité de guerre et que, €dnsi
placée, la question est politique tout aussi bien que sociale.
Voyons si le cri d'épouvante poussé par M. Richet et douleu-
reusement répété par M. Bertillon a vraiment sa rsdson
d'être, et si il y a vraiment une cause sérieuse de terrible in-
quiétude.
Selon les prévisions les plus pessimistes, dans vingt ans,
plus d'une question politique ou sociale sera résolue de
façon que la France démocratique n'ait rien à craindre
1 La Loi dite des stpt enfants {Rêvuê fciènlt/l9«e, 1890, 49 Jaillet).
T. II (4« série). iS
430 SÊANCB DU 4 JUIN 4891.
de Tempire allemand, dont l'existence, en temps que monar*
chie bien entendu, est très critique. Nous ne pouvons pas
nous étendre sur ce sujet, mais quiconque est au courant
des affaires d'Allemagne sait que ce qui en impose à FEarope,
c'est le prestige qui accompagne la victoire, c'est donc la
force armée. Hais il faut tenir compte d*un facteur tout-
puissant aujourd'hui et qui, très fort en Allemagne, rend
la puissance armée énigmatique. Ce facteur est Tannée socia-
liste allemande, contre laquelle, l'autre, celle de la monarchie,
aura peine à lutter sans se jeter sur le dos des ennemis
étrangers.
Point n'est besoin de dire que la France, en tant que pays
décidé à avancer dans la voie de la démocratie sociale, n'a
absolument rien à craindre du socialisme allemand. Rappelez-
vous que, en plein Parlement, le député socialiste Liebknecht
a protesté énergiquement contre Tannexion de l'Alsace à
l'Allemagne.
Examinons la question du repeuplement de la France au
point de vue de l'intérêt du travail.
Voici ce qui m*a été répondu à cette question, par Jules
Guesde, Tune des personnalités les plus marquantes et les
plus dévouées du parti socialiste de France :
<c Oui, je croîs à la nécessité du.repeuplementde la France,
car le levain démocratique est plus fort ici que noUe part
ailleurs. Même en Allemagne, où l'armée socialiste est la
plus nombreuse et la mieux disciplinée, ce levain est moins
fort qu'en France. »
Au point de voe économique, il est clair que les socialistes
demandent la repopulation, car il y aurait une prodoeiion
plus forte, donc un emploi plus général d'ouvriers.
Au point de vue politique, il est évident que le dépeuple-
ment est un mal, car la France est environnée de monarchies,
places fortes de la réaction. Mcds ce point de vue est secon-
daire, car on ne peut repeupler un pays par des effets de
magie, et dans vingt ans, quand ce mouvement pourra donner
des résultats, il sera trop tard.
DIAMANDY. — SÙft lA biPOVVtktiOti t)Ê LA FRANCE. 431
Abstraction faite des intérêts de la classe aisée et de la
classe dépossédée, il nous reste à envisager la question au
point de vue sociologique.
Nons croyons la dépopulation de la France tr6s dangereuse
par le fait que c'est une véritable dépression dans les moyens
de progrès de la société bumaine en général et de la société
française en particulier, société qui représenté un Coeffldient
intelligent, puissant, qui en fait un dés principaux fact6tir!i
de notre civilisation.
Les motifs qui influent négativement ou positivetilënt sur
la question, sont les motifs d'ordre économique, politique,
moral, et les motifs d'ordre physiologique.
De préférence nous nous occuperons des trois premiers
ordres,
MOTIFS d'oUDHE ÉCONOMIQUE.
Il est évident que le sujet dotit nous nous occupotis doit
être envisagé de tous côtés, dans ses détails comthe dans ses
parties essentielles. Étant donnée la petite place que doit
prendre dans les Bulletins mon compte rendu, réduit autant
qu'il m'a été possible de le faire, je me bornerai à tracer en
grands traits la manière suivant laquelle la question de la
dépopulation doit être traitée. Tout d'abord, pour moi, la ques-
tion économique est celle dont il faut s*inquiéter en premier
lieu. Examiner la situation des classes ouvrières agricoles et
industrielles, c'est connaître le mal.
C'est ce que je vais essayer de faire en deux mot^. Eln
suivant révolution subie par la petite propriété individuelle,
depuis la Révolution jusqu'à ce jour, nous constatons, eu
France, un mouvement progressif de centralisation ^ Ce ré-
sultat inattendu du grand mouvement égalitaire est la con-
1 D'après les sUtistiqnes ollloiclles, 95 millions de travailleur, â^t/M-
ployés, etc., n*ont guère pour vivre, eux et leurs familles, qu'une somme
de 6 milliards de francs sur une prodaotioB agricole et industrielle totale
d'une vingtaine de milliarde.
432 SÉANCE DU 4 JUIN 1891.
séquence logique de notre système économique. La bour-
geoisie a pris la place de la noblesse, le prolétariat celui du
servage. Le petit propriétaire manquant de machines et
d'ouliis perfectionnés ne peut supporter la concurrence
étrangère pas plus que celle de son puissant voisin, le grand
propriétaire. Le résultat de cet état de choses est Texpro-
priation du paysan par le grand capital. D'un côté, un individu
possède 50 hectares, iOO et même beaucoup plus; d'un autre
côté, trois individus se disputent un lopin de terre de i hec-
tare et demi. Ces chiffres sont publiés par le ministère de Tagri-
culture. Il y a en France 3 millions de petits propriétaires de
i à 5 hectares qui ne peuvent vivre du produit de leurs champs
et sont pour la plupart ouvriers, manœuvres ^ InutUe de dire
que cette population famélique n'a cure de repeupler la
France. Du reste, même s'ils ont beaucoup d'enfants, les
fièvres, les maladies de toutes sortes se chargent de diminuer
la famille du pauvre. Voilà pour les ouvriers agricoles.
La classe industrielle, pour être plus intelligente, n'en est
pas moins malheureuse. De 1874 à 1887, on ne compte pas
moins de 1 073 grèves. Depuis, leur nombre s'est accru d'une
façon aussi évidente que sensible. Sur ce total de 1073,
750 ont été provoquées par rinsuffisance du salaire, c'est-
à-dire des moyens d'existence; le salaire* était, en 1885,
pour un journalier non nourri, de 3 fr. 15, le minimum
de 2 fr. 63. Notez que le salaire des femmes et des enfants
est du tiers et de la moitié en moins.
Que deviennent ces Français, quand ils chôment forcé-
ment à la suite de la fermeture d'une fabrique? que de-
viennent ces enfants?, Voilà assurément une question dont
la réponse a plus d'un point de connexité avec la question
de la dépopulation.
Il se forme en outre un troisième prolétariat, le prolétariat
intellectuel qui compte des milliers de membres. La préfec-
ture de la Seine a publié un intéressant tableau, navrant de
^ D' Ch. Letourneau, Evolution de la propriété, p. 489.
» Voir Annuaire d*éconùmi$ politique, Maurice B!ock, Salaire, p. M3.
DIAMANDY. — SUR LA DÉPOPULATION DE LA FRANCE. 433
vérité. Il y a 4i places d'instituteurs pour lesquelles sont
inscrites 1 847 personnes. Sur 54 places d'institutrices, on ne
compte pas moins de 7 439 candidats.
C'est le bien-être qui permet la reproduction. On a dit que
le Français n'était pas apte quant à la reproduction. Je suis
d'accord avec le docteur Bordier quant au prolétaire fran^
gais; mais, que ce même Français, bien nourri et moins sur-
mené, serait en état de reproduire, voilà ce dont je suis
convaincu.
D'un côté, les familles riches ne se décident à avoir beaucoup
d'enfants à cause de la diminution du patrimoine ; d'un autre
côté, les pauvres, mal nourris et exténués^ ne sauraient être
de bons reproducteurs. Voilà un état de choses inquiétant
à coup sûr.
D'un côté, une agglomération de grandes richesses en un
petit nombre de mains ; d'un autre côté, une minime partie
de la production destinée aux millions de consommateurs.
Il n'est pas exact de croire que les ouvriers individuellement
ont un intérêt direct dans la reproduction. Les enfants exigent
des frais qu'ils ne peuvent jamais rembourser, car à peine
peuvent-ils travailler, et leurs propres besoins ne peuvent
être satisfaits par le salaire qui leur est dû. Dans notre sys-
tème économique moderne, nul n'a intérêt à voir sa famille
décupler.
MOTIFS d'ordre POLITIQUE,
Il n'y a pas de motif politique proprement dit qui puisse
influencer sur la repopulation de la France, et cela par le fait
que les événements politiques sont dictés par les lois écono-
miques. Pourtant, nous avons fait cette classification des
motifs, non pas à cause d'une distinction marquante entre
les agents influant sur la question, mais simplement pour
mettre un peu d'ordre dans une matière aussi vaste et devant
être contenue dans un cadre aussi restreint que l'est ce
résumé de notre communication.
Si nous jetons un coup d'œil sur l'histoire française, nous
434 iéànge du 4 JUIN 1801.
voyons que, depuis la Révolution jusqu'à 1872, des milliert
et des centainei de milliers d'hommes sont morts sur les
champs de bataille. Rien que pendant la règne de Napo*
léon I*% et pour ne citer qu'une campagne, la campagne de
Russie, SOÛOOO soldats ont péri, Mais ce n'est pas seulement
dans le nombre formidable des morts qu'il faut voir une
oauso de la faiblesse de la natalité actuelle ; il est de notre
devoir de regarder la qualité des morts, tous hommes bien
portants, grands, forts et robustes ; on ne laissait dans les
foyers que les femmes, les enfants, les vieillards et les in-
firmes. Pendant le règne de Napoléon !•', la partie la plus
saine de la nation, l'élément le plus apte à la reproduotion
a été retiré de la circulation sociale par le fait des guerres
incessantes. Ce n'est qu'aujourd'hui que la France se ressent
douloureusement des lauriers obtenus à Austerlitt oii dans
un autre endroit de glorieuse boucherie. Maintenant que
nous n'avons plus de guerre en Europe, nous avons la paix
armée qui retient sous les drapeaux des millions d'hommes
valides, éléments nuls quant aux résultats démographiques,
éléments ruineux si nous envisageons la question économique.
En dehors de ces deux considérations, nous avons à dé*
noncer le faible courant d'émigration. Une hérésie écono-
mique, très accréditée comme beaucoup d'autres, soutient
qu'on doit empêcher le peuple d'un pays d'émigrer, sous
peine de voir un prompt dépeuplement. En premier lieu,
jamais un peuple civilisé, jouissant de certaines libertés,
comme le peuple français, n'émigrerait en masse en pays
étranger. En second lieu, il est à remarquer que l'émigration
n*est pas en raison directe de la misère du surplus ou de la
décroissance de la population. Elle peut l'être, se produire
çn connexité plu& ou moins étroite avec chacun de ces phé-
nomènes, ou les contredire entièrement ^ La preuve évidente
de ces faits^ nous l'avons en Irlande, où l'on émigré malgré
la décroissance de la ^ata^té. En Allemagne, on émigré, et
> Hevue socialiste ^ février 1891 ; Rêvuê des revues, Guillaume Rouanaet,
p. St6.
DIAHANDY. — SUR LA DÉPOPULATION DE LA FRANCE. 435
la natalité est très forte. Des différents ports allemands, il
est sorti, pendant la période de i87i à 1880, 517587 indi-"
vidus, et l'état commercial d'exportation de rAliemagne
dépasse celui de la France de plus d'un milliard.
Cet accroissement de richesse, qu'en grande partie nous
attribuons au courant d'émigration, s'explique par le fait que
les émigrants deviennent, en pays étranger, les véritables
courtiers, les véritables apôtres du commerce national. Je
vais citer un cas. Les Houmains faisant leurs études en France
introduisent, en retournant, le goût français; les jeunes gens
ayant étudié en Allemagne, y viennent avec des goûts alle-
mands, et, par conséquent, créent des débouchés au com-
merce allemand (pour objets de prix égaux).
On a soutenu que les peuples latins étant casaniers, ne se
prêtaient pas à l'émigration. Le démenti de cette supposi-
tion, nous l'avons dans le fait de l'émigration considérable
dos Italiens. Toute chose égale d'ailleurs, il y a fort long-
temps que les populations du midi de la France ont établi
un fort courant d'émigration. Ce qui est vrai et inexplicable,
c'est que les autorités administratives empêchent autant que
possible l'émigration. L'émigration au Brésil est formelle-
ment interdite, et cette mesure a été rappelée aux autorités
maritimes par un ordre émanant du minisire de l'intérieur
daté du 10 septembre 4890.
Envisageons la contre-partie de l'émigration, l'immigra-
tion. Dans l'opinion publique règne à ce sujet deux courants:
Tun favorable, l'autre défavorable à l'immigration. C'est ce
dernier qui l'emporte actuellement, grâce aux conditions de
politique extérieure.
M. le docteur Bertillon disait, dans sa communication ^
que l'on ne doit pas accepter les étrangers, car ils viennent
s'enrichir et repartent pour chez eux.
Il est évident que l'ouvrier italien qui vient en France n'y
vient pas avec l'envie de s'appauvrir ; mais si l'Italien gagne,
1 Séance do la Société, voir les DuUetins,
436 SÉANCE DU 4 JUIN 1894.
c'est qu'il est payé en échange d'un travail quelconque. Il
retourne chez lui avec de l'argent français, dit-on ; mais, pour
vivre, on doit dépenser, et tant qu'il est en France, il doit
dépenser; il n'emporte donc chez lui qu'une infime économie,
si toutefois il l'emporte. Ce qui est certain, c'est que l'ouvrier
étranger ayant résidé dix ans ou vingt ans en France, intro-
duit, en retournant dans son pays, des goûts français. Il
orée un débouché au commerce français.
En ce qui concerne les ouvriers étrangers désirant rester
en France, il est clair que l'argent gagné est dépensé en
France. Reste la question d'un danger politique résultant de
l'invasion des étrangers. Tout d'abord, il incombe au légis-
lateur intelligent de ne pas ouvrir les barrières sans prendre
des mesures efficaces de dénationalisation. Envoyez les Ita-
liens du côté des frontières allemandes ; les Allemands du
côté des Basses-Pyrénées, et ils seront noyés par la force
ethnique de l'élément français. Quant à l'élément étranger
lui-même, il deviendrait français par la force même des
choses. Actuellement, du reste, dans l'armée, les arts et la
presse, un peu partout, on compte bon nombre de gens capa-
bles dont l'origne est étrangère.
Ce qui plus est, c'est que l'étranger devenu citoyen en sa
nouvelle patrie est beaucoup plus chauvin que ses frères
d'autrefois. Les Roumains de Transylvanie n'ont pas d'op-
presseurs plus acharnés que les Roumains madgyarisés. Les
juifs renégats, politiquement et religieusement, sont les
grands persécuteurs de leurs coreligionnaires de jadis. En Alle-
magne, les Français sont bien plus détestés par les Français
germanisés que par les Allemands mêmes. Règle générale,
l'ouvrier qui trouve du bien-être relatif dans une patrie
d'adoption se souvient difficilement du pays d'origine où il
mourait de faim; il n'aime pas sa nouvelle patrie par senti-
ment, mais par intérêt économique qui est, en réalité, le
sentiment dominant.
Il est aisé de voir que ces propositions bien appliquées ne
pourraient donner que de bons résultats.
DIAMANDY. — SUR LA DÉPOPULATION DE LA FRANCE. 437
MOTIFS D ORDRE MORAL.
J'ai souvent entendu dire et même lu que la dépopulation
de la France est due à Tabslention volontaire des femmes.
Il est évident que les femmes du monde, de la grande bour-
geoisie surtout, et les femmes galantes ont très peu ou pas
du tout d'enfants. Mais cet argument n'en est pas un si Ton
considère le fait que l'immense majorité des femmes fran-
çaises ne sont ni des femmes du monde ni des prostituées.
M. A. Dumont * relève le fait que les riches ont moins d'en-
fants que les pauvres. Celte pénurie d'enfants dans la classe
aisée a pour cause le soin d'éviter le partage du patrimoine
par un accroissement de copartageants. Aujourd'hui que
Tétat général des classes est un peu meilleur à ce qu'il était
jadis, on voit le nombre de natalité faiblir. Ceci ne veut pas
dire que, plus un peuple sera aisé, plus sa natalité sera
faible ; cette loi biologique est la conséquence de notre sys-
tème économique actuel; mais dans une société collective ou
même dans une société où l'héritage serait aboli, cette ano-
malie disparaîtrait avec l'individualisme moderne. Yoilà pour-
quoi les riches ont moins d'enfants. Les pauvres sont un peu
moins abstentionnistes, parce qu'il n'y a pas le souci de l'hé-
ritage à laisser en partage, et parce que les classes ouvrières
étant plus dépourvues de plaisir que la classe dominante,
se laissent aller au besoin génésique. Du reste, les unions se
font beaucoup plus librement parmi les ouvriers.
En vérité, sur 809333 naissances, 825473 sont légitimes^
et 73854 naturelles ^ Ces chifTres sont pour Tannée i887.
En 1881, la proportion des naissances naturelles pour 100
était de 7,48 ; actuellement, elle est de 8,30 pour 100.
Incontestablement il y a une tendance très forte vers l'u-
nion monogamique, avec simple consentement^ Tunion libre*
1 Profession et natalité {Revue scientifique, n» 27, 1890).
« Maurice Block, toc» cil.
438 SÉANCE DU 4 JUIN 1891.
Cette forme de mariage est la meilleure, car diminuant Ta-
dultère et la prostitution, la natalité serait plus forte.
D'un autre côté, les mariages d'aujourd'hui ne sont que
des affaires d'argent. Nous recommandons à ce sujet, au lec-
teur, le très intéressant ouvrage de notre collègue le docteur
Letoumeau *.
Quand nous avons prononcé le mot d'union librCy le docteur
Cbervin a protesté. Scientifiquement pourtant, et en allant aux
extrêmes, tant dans le groupe familial animal qu'humain, les
sociétés polygames sont plus nombreuses que les sociétés mo-
nogames. Loin de nousl'idée de propager lapolygamie; Tunion
libre n'est pas de la polygamie. Le résultat de ces modifications
accompagnées de certaines réformes économiques serait la
disparition de la prostitution. N'oublions pas qu'il n'y a pas
de question morale proprement dite, il n'y a que des mani-
festations des lois économiques sous la forme de motif
d'ordre moral. En consultant les chiffres de l'élément absten-
tionniste en France, on trouve un minimum de 1489373,
valeurs mortes quant à la [reproduction (prostituées, infirmes,
religieux, mendiants, détenus, etc.). Aussi, c'est à juste
titre croyons- nous protester contre les mesures platoniques ;
tout ce que Ton fera en ce sens, tant que l'on ne se décidera
pas à aborder la question économique, ne sera qu'une goutte
d'eau douce dans un océan d'épouvantable misère.
MOTIFS d'ordre PHYSIOLOGIQUE.
On a dit à la Société d'anthropologie que le Français était
stérile, et qu'il en fallait prendre son parti.
Pourquoi donc le Français, stérile en France, devient pro-
lifique aux colonies ou même à l'étranger? Naturellement il
y a des peuples qui sont plus prolifiques les uns que les
autres; mais ces dispositions physiologiques peuvent être
amplement modifiées par l'alimentation, le repos, le bien-
^ Evolution du mariage, p. 440.
DIAHANDT. — SUR U DÉPOPULATION DE LA FRANCE. 43 J
être, en un mot par les moyens économiques. Et oette ques*
tion est iuiportante; oar, depuis cette course à la surproduC"
tion, ni les hommes ni les femmes n'ont ni le repos, ni les
moyens nécessaires de pouvoir donner une bonne santé en
héritage à leurs enfants. La conséquence triste en est une
faiblesse de constitution, donc un déséquilibre moral qui
explique le nombre effrayant du déchet de la population fran-
çaise en même temps que le nombre croissant et presque
exclusif des mendiants, voleurs et assassins de quinze h vingt-
quatre ans.
Donner à manger à la masse, c*est relever son moral ; le
blé est bon marché^ il y a décroissance de vols et de crimes ;
le blé est-il cher? augmentation des crimes et des délits. La
question de Talimentation est tellement grave, qu'on a vu
des ouvriers français ne pouvant fournir le mâme ouvrage
que les ouvriers anglais. Pour remédier h cet état de choses,
on a donné aux Français la môme nourriture qu'aux Anglais,
et, en peu de temps, ceux-là devinrent aussi robustes que
leurs compagnons anglais \ Une question de physiologie
pure, c'est la question de la vaccine qui influerait directe-
ment sur la mortalité et indirectement sur la natalité. On a
soutenu que, vacciner tout le monde de force, constitue un
attentat à la liberté. Il est regrettable de voir des arguments
anarchiques invoqués par des gens de sciences.
Quand donc sera venu le moment de comprendre que l'in-
térêt de tous passe avant celui d'un seul? Du reste, chose
stupéfiante, on démolit une maison qui marque mal sur un
boulevard, et l'on trouve la chose naturelle; on veut empê-
cher la contagion d'une maladie, on veut imposer la vaccine
obligatoire, et Ton crie au despotisme; quant aux effets de la
vaccine obligatoire, il serait utile de savoir qu'en Allemagne
la variole a presque disparu. Nous regrettons de ne pouvoir
donner des chiffres nombreux dans notre compte rendu, mais
je renvoie le lecteur à des écrits récents* U en est de même de
1 Antonelli, la Physiologie et la Question sociale (tievue scientifique, 21 fé-
vrier 1891, p. J30).
440 SÉANCE DU 4 JUIN 1891.
la fièvre typhoïde. Depuis que Vienne emploie l'eau de source,
les cas de fièvre typhoïde sont de moins en moins fréquents.
Nous avons déjà cité ailleurs des exemples en ce sens, cueillis
en France même, dans des régiments (Séance S. A.).
Il nous reste à parler du mal des écoles, de Tonanisme.
Toute personne ayant vécu de la vie des internats connaît
la généralité de cette malheureuse habitude. Chaque jour
nous avons devant nos yeux des effondrements de corps ou
d'intelligence dont les causes premières remontent à l'é-
poque lointaine du temps passé au collège. Je crois, avec le
docteur Fauvelle', que la modification du système pédago-
gique est une question d'urgence.
Sans insister outre mesure sur ce sujet, on peut soutenir
avec succès, je crois, que la faiblesse d'esprit et de corps et,
depuis quelque temps, la déviation terrible du sens géné-
sique — déviation devenue tellement générale et publique, que
l'on commence à trouver naturels le sadisme et le saphisme —
sont dues à Tonanisme. Il y a des brasseries à femmes et des
bains où les hommes s'adonnent à tous les vices. Il est évi-
dent que cette déviation des sens est due au trouble des fa-
cultés mentales; quant à ce trouble, nous l'attribuons sans
hésiter à l'onanisme et au surmenage intellectuel. Notre façon
de voir est soutenue par le fait que la déviation du sens gé-
nésique se rencontre fréquemment dans la classe aisée et
point dans les classes ouvrières; c'est surtout la jeunesse des
villes, des internats^ qui souffre de l'onanisme; les jeunes
paysans en sont exempts ou à peu près.
Nous avons montré le mal, essayons de proposer le re-
mède. Comme la question traitée est une question sociolo-
gique, nous allons proposer des remèdes sociologiques.
Considérant que la société individuelle s'oppose à Tac-
croisement de la population, nous préconisons la société
collective. En attendant que l'évolution économique arrive à
1 Séance de la Société d*anlhropoIogie, vuir les Bulletins,
DIAMANDY. — SUR LA DÉPOPULATION DE LA FRANCE. 441
ce terme, voici le petit programme immédiat appelé, selon
nous, à combattre au moins partiellement la décroissance de
la population, sa mortalité, et à relever le chiffre des nais-
sances :
1® Les communes et TÉtat, propriétaires du plus grand
nombre de biens possible ;
2^ Le rachat progressif des grandes propriétés ;
3* Le rachat progressif des fabriques ;
4'' Abolition de tout impôt indirect; établissement de Tim-
pôt progressif ; les revenus ne dépassant pas 3000 francs
exemptés de tout impôt ;
5^ L'hérilage dépassant 100000 francs confisqué au proflt
de la nation ; tout héritage dépassant iOOOO francs imposé
de 30 pour 100 en ligne directe, et de 50 pour 100 en ligne
collatérale ;
G"" Réglementation du travail par les chambres syndicales
ouvrières (minimum du salaire, maximum des heures de
travail) ;
7* Abolition de tout travail de nuit;
8*^ Protection des femmes en grossesse ou accouchées;
9^ Égalité des sexes ;
10^ Encourager Témigration etTimmigration;
li*" Suppression des armées permanentes ; nation armée;
12° Abolition du budget des cultes;
13** Plus de distinction entre Tenfant naturel et Tenfant
légitime ;
14° Les enfants élevés par les communes (nourris, in«
struits, etc.);
i 5° Instruction obligatoire et gratuite ;
16° Mesures sanitaires obligatoires.
Il est possible que ce programme passe aussi pour un peu
radical, mais si le mal est grand, le remède doit être éner-
gique. La question est économico-sociale, et il n'y a pas
d'opération plus douloureuse que les opérations économiques.
L'Kurope entière passe par une crise dont les effets se font de
plus en plus sentir. Quand cette crise aura passé, la dépopu-
449 SÉA1VC8 Dû 18 JUIN 1891.
lation àXïTA vécu. Led propositions que je viens d'exposer ne
seront probablement appliquées qu'à la dernière extrémité,
nous les avons faites sans une illusion, mais simplement
parce qu'elles sont la conséquence scientifiquement sociolo-
gique de notre évolution moderne. En dehors de ce pro-
gramme, je ne vois que des intentions louableSi malheiireii«
sèment d'un résultat douteux.
La séance est levée à cinq heures quarante-cinq minutes.
Vun deê ieerélaifes : CAPltAiV.
tit* SfilNCe. — ISjQln «891.
Présldenee de M* MJkUOWUBWij président*
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
OUVRAGES OFFERTS.
M. Gabriel de Mortillet. Comme publications anciennes
envoyées pour compléter notre bibliothèque, je dois ajouter
de la part de
MM. Garrigou, de Toulouse 58 publioationi.
Lacassagne, de Lyon 10 —
Nicolucci, de Naples 23 —
Jules Péroche, de Lille 7 —
De Rosny, père et fils, Paris * . . 6 —
Strobel, de Parme 1 —
Testut, de Lyon 14 —
Thulié, de Paris .*......... 6 *^
ToUl liO pablioftUonf .
Soit cent vingt publications qui nous manquaient.
M. Daveluy offre à la Société cinq brochures, documents,
statistiques et rapports publiés par la direction des contri-
butions directes et du cadastre, et se rapportant au cadastre,
à la cote foncière en France, etc.
OUVRAGES OFFERTS. 443
M. R. Blanchard offre une brochure sur les parasites des
Anthropoïdes, et donne à ce sujet les explications sni^
vantes :
En raison des étroites affinités anatomiques qui relient les
Anthropoïdes à TBomme, je crois intéressant de faire con*
naître brièvement à la Société le résultat de mes recherches
sur les Helminthes des Anthropoïdes.
Dans une première note S dont j'ai l'honneur d'offrir un
exemplaire à la Société, je décris deux Gcstodes du Chim-
panzé et de rOrang outang; ces Vers appartiennent à un
genre nouveau, que je désigne sous le nom de Bertia, en
souvenir de mon maître Paul Bert, et représentent deux
espèces bien distinctes. Le parasite du Chimpanzé est le
Bertia Sturieri R. Bl., celui de TOrang^oatang est le Bertm
Satyri R. Bl. La diagnosc du genre est la suivante :
a Tète grosse, subsphérique^ sans rostre ni crochets ; ven-
touses elliptiques, disposées en deux paires très distantes
Tune de Tautre. Cou court, presque aussi large que la téta.
Corps formé d'anneaux très nombreux, très courts, larges,
imbriqués. Pores génitaux marginaux, très étroits, alternant
plus ou moins régulièrement d'un anneau à Tautre. Dans
Tanneau mûr, œufs réunis en plusieurs paquets réguliers,
disposés en travers. Oncosphère entourée d*nn appareil piri-
forme. Développement inconnu. »
Parvenu à son entier développement, le Bertia Studeri est
long de i30 millimètres, large de 15 millimètres an maxi-
mum, épais de 2"",5 et compte 418 anneaux.
La tête est subsphérique, prolongée en avant par une
proéminence discoïde très sorbaissée ; sa largeur est de
0"",65, sa longueur de 0—, 61 .
Les ventouses sont longues de 340 à 345 |a, larges de 275
à 280 (A, légèrement obliques d'avant en arrière et de dedans
en dehors, assez profondément creusées dans la tète. Elles
1 H. Blanchard, Sur les helmintUs dit PrhncUts anthropoïdes. Fnmiér$
note : Cesiodes (Mémoires de la Société wol^giqMê de Frmnee, IV, p. 1S««
189) , aveo 4 flguret dans le taie).
444 SÉANCE DU 18 JUIN i89i.
sont réanies deux à deux ; une paire occupe la face dorsale,
Tautre la face ventrale.
Les anneaux sont extrêmement serrés les uns contre les
autres ; même à la partie postérieure du corps, ils demeu-
rent très courts et n'ont pas plus de 0™™,35 de longueur. Ils
vont en s'élargissant progressivement et n'atteignent leur
largeur déDnitive qu'à 45 millimètres environ de rexirémilé
antérieure ; le Yer s'efûle donc en avant d'une façon insen-
sible.
Les pores sexuels sont marginaux, très petits et visibles
seulement à la loupe. Ils alternent très régulièrement d'un
anneau à l'autre, chaque anneau ne présentant jamais qu'un
seul pore.
Dans l'anneau mûr, les œufs sont rassemblés en trente à
trente-cinq paquets polyédriques, de taille très inégale,
séparés les uns des autres par des cloisons de tissu conjonctif
et formant une rangée transversale qui occupe toute la lar-
geur et toute l'épaisseur de l'anneau.
Le système tégumentaire est infiltré d'un grand nombre
de corpuscules calcaires à couches concentriques bien mar-
quées.
L'œuf est entouré de trois enveloppes. Les deux premières,
anhistes et minces, renferment des détritus vitellins et se
plissent fréquemment, de façon à prendre une forme irrégu-
lière ou polyédrique. La troisième enveloppe est épaisse et
résistante, et porte, sur l'un de ses hémisphères, deux grosses
cornes analogues à l'appareil piriforme décrit par Meniez sur
Tœuf des Téniadés des Ruminants. A l'intérieur de cette troi-
sième enveloppe se voit l'embryon hexacanthe, qui la remplit
entièrement.
Le Bertia Satyrt\ dont je n'ai pu étudier qu'un exemplaire
incomplet et sans tête, doit être un Yer d'assez grande dimen«
sion, long de 0",35 à 0'",40 et formé de près de 500 anneaux.
Les pores sexuels sont irrégulièrement alternes. Les œufs ont
la même structure que chez l'espèce précédente et sont dis-
posés de la même façon, avec cette différence toutefois qu'an
OUVRAGES OFFERTS. 44S
certain nombre de compartiments restent vides et que quel-
ques autres sont manifestement en train de se vider.
Grâce à ce phénomène particulier, dont la cause nous
échappe, il se produit dans la portion latérale de Tanneau, du
côté du pore sexuel, une énorme accumulation d'œufs.
Ceux-ci sont entassés dans une cavité qui comprime la poche
du cirre et Tatrophie rapidement. Cette cavité n'a d'autre
paroi que le tissu conjonctif du parenchyme, qu'elle refoule
de toutes parts ; par suite de sa dilatation progressive, elle
soulève la paroi de Tanneau, dans le sens de la moindre
résistance, c'est-à-dire vers le bord latéral, et il en résulte
que celui-ci fait saillie en une sorte de verrue luisante^ à la
surface de laquelle on voit encore le pore sexuel.
Il est très intéressant de rencontrer des Cestodes du môme
genre chez deux Anthropoïdes géographiquement aussi dis-
tincts l'un de l'autre que le Chimpanzé et l'Orang. Les ren-
seignements que j'ai pu recueillir sur les Anthropoïdes qui
les ont fournis, démontrent qu'il ne s'agit dans aucun cas de
Vers contractés en Europe, pendant un séjour dans les ména«
geries. Ces Helminthes appartiennent d'ailleurs à un nouveau
type, auquel on ne peut rapporter aucun des nombreux
Téniadés décrits jusqu'à ce jour. En particulier, ils ne ressem-
blent ni à ceux de l'Homme, ni à ceux des Singes quadru-
pèdes.
En revanche, ils ont des affinités manifestes avec les Ténia-
dés des herbivores, spécialement avec les Moniezia R. Bl.^ avec
les Anoplocephala Em . Bl. , et avec les Piagioixnia Peters ; mais
ils ne peuvent être confondus avec aucun de ceux-ci.
Bien qu'il ne comprenne encore que deux espèces, le genre
Bertia est donc caractéristique des Anthropoïdes, autant que
permettent d'en juger les données actuelles de la science. On
trouvera sans doute de nouveaux représentants de ce genre
chez les autres Anthropoïdes, Gorille et Gibbons.
L'absence de tout Helminthe de ce genre chez les Primates
quadrupèdes, c'est-à-dire chez les Singes proprement ditSi
est un nouvel et puissant argument en faveur des théories
T. Il (4» sArib). S9
446 SÉANCE DU 48 JUIN 1891.
transformistes, d'après lesquelles une large barrière sépare-
rait les Anthropoïdes des Singes.
D'après ces mêmes idées, on devrait s'attendre, en revan*
che, à trouver des Gestodes du genre Berlia chez l'Homme
qui, pour les transformistes, est anatomiquement et physio-
logiquement plus rapproché des Anthropoïdes que ceux-ci
ne le sont eux-mêmes des Singes. Or, cette attente n« se
réalise point; on n'a jamais observé chez THomme aucun
Gestode analogue. Gette constatation peut paraître inattendue;
mais il ne faut pas oublier que l'Homme, en s'élevant au
premier rang de Tanimalité, a changé progressivement de
régime alimentaire et, d'exclusivement frugivore, est devenu
omnivore et surtout Carnivore ; il a perdu de la sorte ses
anciens Helminthes, pour en acquérir de nouveaux.
D*ailleurs, on ne connaît encore que les Helminthes des
races humaines supérieures, spécialement de la race blanche.
La race jaune commence à être un peu connue à ce point de
vue : elle héberge des parasites particuliers, capables, il est
vrai, de se développer aussi chez des individus de race blan-
che, mais dont la cause première réside dans le régime ali-
mentaire. Pour ce même motif et aussi en raison de leur
évolution moins avancée, ou peut donc se demander si des
Gestodes du genre Bertia ne seront pas observés quelque jour
chez les races humaines les plus inférieures.
J'ai l'espoir que les anthropologistes, convaincus de l'in-
térêt des études de ce genre, voudront m'aider à les pour-
suivre, en m'envoyant les parasites de toute nature qu'ils
pourraient rencontrer, aussi bien chez les Anthropoïdes et les
Singes que dans les diverses races humaines.
Discussion.
M. Sanson demande si Ton a observé le mode de dévelop-
pement de ces Helminthes.
M. Blanchard dit que les Helminthes des Anthropoïdes sont
très voisins de ceux des Herbivores et rappelle que le déve-
loppement de ces derniers est totalement inconnu.
OUVRÀfiEi OFRltl. 447
M. L ABORDE fait remarquer rimportance de oe fait que les
Helminthes semblenl être en relation aveo la façon dont se
nourrissent les animaux qui les portent. D'après Mégain, il
ne serait pas nécessaire que le Scolex passât par un autre
organisme pour se transformer en Tœnia. M. J^aborde a prér
sente des Lapins de garenne où Ton pouvait saisir sur placç» (>e
passage du Scolez au Tœnia dans le même aaimal.
M. Blanchard n'admet pas cette évolution sur plaça ; il f a
toujours migration entre deux animaux d'espèee diiférentai
ou pour le moins migration entre deux organes différeiits
d'un seul et même animal. Et encore ne connaît-on actuel-
lement qu'un seul exemple de cette dernière catégorie. Il e3t
présenté par VHymenolepù murina, du Rat : l'œuf avalé par
le Rat éclôt dans l'intestin et livre passage à un embryon qui
pénètre dans les parois intestinales ; là^ il évolue et passe à
l'état larvaire ; la larve tombe enfin dans Tintestin, où elle
devient rapidement un Ver adolte. L'évolution s'est donc
accomplie chez un même hôte, m^is en dQn or^ftpes diffé^
r•nts^
M"^* Clémencb Rover fait observer que len Singes ue nont
pas herbivores; ils sont frugivores ou carnassiers. Jamais les
ancêtres de l'espèce humaine n'ont été barbivorei.
M. Blanchard. Le Tœnia le plus voisin de ceux qu'il a
décrits chez le Chimpanzé et l'Orang a»t un T»nia du Hbino<-
céros.
DuHOUTiER (G.). Le9 Symboles, les Emblèmes et les Accessoires
du culte çhei U$ Annamites (avec dassips). Paris, in-i^''» i89if
Ht pages,
Ministère pes finances (Direction générale de? tontribution^
directes et du cadastre). Notes sur le cadastre $n France et
sur l'impôt foncier et le cadastre à l'étrmg^, par M. Edouard
Arnoux, in.4% i89l, ^16 pages. — Rapport de Mf fiouviert
^ Voir à propos de ces mig^ralions raccourcies : R. Blanchard, Histoire
Sûologigue pi médicale de$ T4niadés du gaore Hym^aoldj^is, Weinland'
Paris, Société d'éditions ilcie^tiafap0,1891.
448 sÉAircB DU 18 juin i89i.
ministre des finances, au président de la République^ et décret
du 30 mai 1891. In-4o, 1891, 12 pages. ^ Documents stalis*
tiques sur le cadastre actuel. 10-4*"^ 1891, 53 pages. -— Rensei^
gnements statistiques relatifs aux mutations foncières. In-4®,
1891, 8 pages. — Projet de programme des travaux de la
commission du cadastre. In-4^, 1891^ 8 pages. (Les cinq bro-
chures précédentes sont offertes par M. Davelut.)
Netht (Jean de). Ballades et Chansons populaires de la Bon-
grie. Paris, 1891, in-12, 164 pages.
Saintenoy (Paul) et Jacques (D' Victor). Congrès archéolo^
gique et historique de Bruxelles, 1891 ; Mémoires, documents^
questionnaire, etc. Bruxelles, 1891, iû-8% 48 pages.
Gedœchtnissfeier fur Heinrich Schliemann im Festsaales des
Berlinischen Rathhauses. Berlin, 1891, in-8o, 32 pages.
Société des sqenges naturelles de l'ouest de la France.
Bulletin, tome I, nM, 1891.
M. Ploik. j'ai l'honneur d'offrir à la Société le travail que
je viens de publier sur le Surnaturel dans les contes populatres^
où je cherche à découvrir Torigine et Texplication de ce sur^
naturel. On semble admettre aujourd'hui que les contes
populaires sont le simple produit de la fantaisie et de Tima-
gination. Je le crois volontiers, si Ton parle seulement des
fables ou apologues, et des récits facétieux. Mais lorsqu'il
s'agit d'histoires qui racontent des faits merveilleux, absur*
des, en dehors non seulement de Tobservation, mais contraires
à toute observation, je pense qu*il faut leur chercher une
explication spéciale. 11 y a encore dans ces contes un décousu,
une absence de logique dans la suite des événements, fort
difficiles à comprendre. Si leb facultés intellectuelles de nos
ancêtres différaient des nôtres en intensité, elles ne diffé-
raient pas en nature. Les conclusions de mon étude sont :
1® qu'il n'y a aucune différence entre les légendes populaires
des Aryens et les mythes de leur polythéisme (j'ai pris pour
exemple le polythéisme hellénique) ; les personnages, les
lieux, les incidents, sont les mêmes ; 2® que l'explication
naturaliste du mythe, proposée il y a déjà longtemps etdéve-
OUVRAGES PÉRIODIQUES. 449
loppée dans mon précédent ouvrage, convient également à
rinterprélation des contes. Tout ceci n*est peut-être pas du
domaine de Tanthropologie, mais la question traitée est inté-
ressante pour rhistoire du développement de nos concep-
tions.
PÉRIODIQUES.
L Anthropologie (1891, n» 3). D' Beddoe et Lecarguet :
Documents sur Tindice nasal du vivant. — G. Paris : les
Ruines tjames de Tra-Keou, province de Quang-nam (Annam).
— Gilbert Lafay : les Ateliers préhistoriques de la Séné-
trières en Maçonnais^ avec figures. — Emile Deschamps :les
Veddas de Geylan et leurs rapports avec les peuples environ-
nants, lesRhodias et les Singbalais (avec figures).
A7*chives de médecine navale et coloniale (1891, n» 6). Df A.
Clarac : Notes sur les chéloïdes observées chez le noir et
principalement de la chéloïde de Toreille.
Société de biologie {Comptes rendus^ tome III, n» 20). Gh.
Féré : Note sur les hallucinations autoscopiques ou spécu-
laires et sur les hallucinations altruistes.
Société d^ ethnographie (Bulletin n** 53). Léon de Rosny :
la Morale du bouddhisme.
Société de géographie [Comptes rendus n« 12). R. Rivière :
les Indiens aux États-Unis et au Ganada. — J. Jacob et
J. Meyer : les Badouj's de Java.
Revue mensuelle de V École d'anthropologie de Paris (1891,
n** 6). — G, Hervé : le Grand Droit de l'abdomen et les Mus-
cles antérieurs du cou.
Union géographique du nord de la France {Bulletin^ 1891,
n° 1). A. Ghelu : Magie et Sorcellerie (étude de mœurs
égyptiennes).
Institut égyptien [Bulletin 1890). Gomte Zaluski: la Pasi-
graphie ou Écriture universelle chez les anciens et les mo-
dernes.
The Asiatic Society of Japan (Transactions , vol. XIX,
V^ part.). — Walther Dening : Mental charasteristics of the
4S6 SÉANCE M iS mn i89i.
japanese. — H. Wigmore i Notes on Land Ten&re and local
itistittitiôns in Old Japatl.
CANBIbATURBSé
M. ScHLEicuER, présenté par MM. Letourneau, Salmon et
Sanson^ demande le titre de tnembre titulaire.
OBJETS OFFERTS.
Mèéês réeoltéea dttiia lea pnlla gifélilaCorl^iiea d*étifiKMIeB
an silex ik Gbamplgnollea (e«ianinne dé 8ériffdfttolBe« cAa*
tmtk da Goadrsy» «rrondUseinent de Beea¥ei«t •Ise) ;
PAR M. JMILB COLLIN.
Depuis ma dernière communication du 6 novembre I89Û,
j'ai eu l'avantage de faire les nouvelles découvertes sui-
vantes :
Quatre cents éclats de silex provenant du puits n* 6 (voir
la photographie n*» 3).
En outre : 1» un grand éclat de i40 millimètres de long
sur 120 millimètres de large, lequel est très bien retouché
sur les côtés, mais seulement vers le tranchant. On y voit
des concavités qui ont pu servir à Temmanchement. L'extré-
mité de la lame, qui va en s'élargissant, lui donne l'aspect
d'une hache ordinaire.
On retrouve du reste, à l'époque du bronze, des formes
analogues. Nous pouvons donc dire ici que, si celte forme
de hache s'est perpétuée jusqu'à ce jour, l'invention en re-
vient aux hommes qui taillaient la pierre ; quant à ceux qui
leur ont succédé, ils n'ont fait que profiter des matières mal-
léables, telles que le bronze, le fer, etc., pour la copier.
S<^ Nous avons aussi une autre lame brisée mesurant 85 mil-
limètres sur 55 millimètres. Cette pièce présente sur les côtés,
ainsi qu*à son extrémité» des retouches qui permettaient de
l'utiliser, comme grattoir.
OBJETS OFFERTS. 4SI
3* Une extrémité de pic en silex mesurant 70 millimètres
de long, qui devait servir à piocher dans la craie.
4* Deux bois de cerfs, dont Tun était très affilé par la main
de rhomme pour servir à extraire probablement les rognons
de silex. L'autre pièce ayant dû beaucoup servir, était très
émoussée ; dans tous les cas, Tune comme l'autre pièce
devaient servir concurremment avec les pics en silex.
5*» Trois fragments d'ébauches mesurant : la première»^
80 millimètres, la seconde, 111 millimètres, et la troisième,
195 millimètres.
6^ Une belle ébauche de hache taillée, mesurant 110 mil»
limètres de long.
7* Une autre, mesurant 135 millimètres, est encore munie
à sa base d'une partie de son cortex laissé intentionnelle-
ment pour maintenir l'instrument dans la main et le manier
commodément.
Il est à remarquer que la plupart des instruments que nous
avons recueillis à la surface de ces puits sont presque tous
pourvus du cortex que nous venons de signaler.
Le sol n'ayant aucune dépression, il était très difficile de
supposer Texistence du puits n** 6 dont nous allons vous
donner la description. La couche de terre végétale ayant
35 centimètres d'épaisseur, nous rencontrons ensuite l'argile
rouge à silex, sur une épaisseur de 2 mètres. L'aspect du
puits commence à se dessiner dans la craie, qui a une épais*
seur de 2 mètres et dans laquelle on rencontre trois bancs
de rognons de silex. Plus bas, nous rencontrons, enfin, un
dernier banc, beaucoup plus épais que les précédents qui
ont environ 20 centimètres d'épaisseur. C'est sur ce lit que
les mineurs se sont arrêtés en profondeur, pour continuer
ensuite leurs recherches horizontalement dans la même
couche supportant les galeries que nous avons fouillées. Ces
galeries sont souterraines et se dirigent dans toutes les direc-
tions ; elles n'ont pas plus de 70 à 80 centimètres de haut sur
80 centimètres à 1 mètre de large.
Ce peu d'espace devait, naturellement, susciter de grandes
452 SÉANCE DU 18 JUIN 4891.
difficultés à rhomme, pour extraire la matière qui devait lui
servir à fabriquer son outillage.
Dans ces galeries, nous avons constaté plusieurs éboule-
ments dans lesquels nous avons recueilli les outils décrits
plus haut.
Pour compléter notre description, nous dirons que le puits
n* 6 avait 90 centimètres de diamètre sur A^^d^ de pro-
fondeur.
Dans les recherches qui ont été faites à ChampignoUes,
MM. Bessin et Fouju ont été assez heureux pour découvrir,
depuis que j'ai cessé les travaux, une corne de cerf travaillée
et analogue aux deux que je vous ai signalées, et qui font
aujourd'hui partie des collections de TËcole d'anthropologie.
Cette corne, trouvée dans une des galeries par MM. Bessin
et Fouju, était en très mauvais état ; mais, grâce au concours
et àThabileté de notre appariteur, M. Félix Flandinette, elle
a été complètement reconstituée ; nous ne saurions lui adres-
ser trop de remerciements.
J'espère, du reste, que cette pièce vous sera incessamment
présentée par M. Bessin, qui doit se la procurer auprès du
propriétaire, M. Lelong.
Nous terminerons cette communication en vous présen-
tant une série de photographies, accompagnées d'un plan
représentant les quatorze puits que nous avons eu l'avantage
de mettre à jour.
Les travaux de Champignolles étant terminés en ce qui me
concerne, j'ai lieu de croire que MM. Bessin et Fouju^ avec
lesquels j'ai été heureux de commencer ces travaux, les con-
tinueront et vous apporteront de nouveaux documents.
Discussion.
M. Bessin. A diverses reprises, M. CoUin, notre collègue, a
présenté à la Société divers objets provenant de Texploita-
tion de silex, récemment découverte à Champignolles.
Ce gisement a été, en effet, l'objel d'activés recherches, qui
DISCUSSION SUR DES OBJETS OFFERTS. 453^
ont amené la découverte de nombreux outils en bois de cerf
et en silex.
Quelques-uns de ces instruments sont remarquables par
leur forme et leur état de conservation parfaite : M. Fouju,
de la Société archéologique d'Eure-et-Loir, possède un pic
en silex travaillé avec une grande perfection. Parmi les nom-
breux échantillons que M, CoUin a mis sous les yeux de la So-
ciété et qu'il a recueillis lui-même sur place, plusieurs ont une
forme spéciale qui rend difficile leur détermination. A noter
également un fragment de bois de cerf, portant de nom-
breuses traces d'incision, que j'ai retiré, au moment de la
découverte^ d'une des excavations visibles alors sur le front
de taille de la carrière de craie.
Il est fâcheux que les progrès de l'exploitation aient fait
disparaître les cinq puits qui avaient fourni tous ces objets,
avant qu'ils aient pu être étudiés minutieusement.
C'est d'autant plus regrettable que deux de ces puits
offraient, dans la disposition des matériaux qui composaient
l'ensemble du remblai, des particularités qui ne se sont pas
présentées depuis. J'ai pu, cependant^ en examiner avec soin
la partie visible et prendre une bonne coupe, qui me per-
mettra de vous en faire connaître la structure intérieure dans
une élude prochaine de l'exploitation.
Mais des fouilles méthodiques seules peuvent donner de
bons résultats.
Aussi c'est avec une grande satisfaction que j'annonce à
la Société, et c'est là d'ailleurs le seul objet de cette note,
que nous avons maintenant^ M. Fouju et moi, toutes les faci-
lités désirables pour étudier ce gisement si intéressant ; le
propriétaire du terrain, M. Lelong, que je suis heureux de
pouvoir remercier ici de sa parfaite obligeance^ nous a donné
gracieusement les autorisations nécessaires.
Neuf puits avec leur système de galeries sont déjà mis à
jour. Ils présentent la plus grande analogie avec ceux de
Nointel (Seine-et-Oise), étudiés et décrits par M. l'abbé Baret,
d'Amblainviile. Ces puits, de 80 centimètres à i mètre de
454 SÉANCE DU 48 JUIN 4891.
diamètre, ont en moyenne une profondeur de 4 mètres, qui
ne peut varier beaucoup, la couche de silex exploitée étant
d'une horizontalité parfaite. Les galeries, très régulières, qui
toutes communiquent avec les puits d*extraction, ont à peine
80 centimètres de hauteur sur 4 mètre de largeur.
Un peu d'attention suffit pour remarquer de nombreuses
traces de coups de pic sur les parois de ces excavations.
Nous n'avons pas encore rencontré de bois de Cerf troués,
comme à Nointel. Pas un fragment de poterie. Pas trace
d'organisme, excepté cependant une petite coquille terrestre
qui vit encore dans la région, et qui a conservé la teinte de
la corne à laquelle elle était attachée.
Quoi qu'il en soit, les résultats obtenus jusqu'à présent
sont encourageants, et je suis heureux de pouvoir assurer la
Société que ce gisement, si important pour le progrès des
sciences préhistoriques, n'était pas abandonné.
M. Capitan. Ayant pu, sous la conduite de MM. Bessin et
Fouju, visiter les puits et ateliers de Champignolles, ramasser
sur place d'abondants échantillons et, d'autre part, étudier
les nombreux spécimens recueillis par M. Collin, j'ai pu faire
les remarques suivantes que je soumets à la Société.
L'industrie de Champignolles est très particulière. On ne
trouve guère dans les puits et les galeries, comme aussi à la
surface du sol aux alentours, que des débris de taille du
silex, des ébauches et des pièces manquées, inachevées ou
brisées, ainsi que Toutillage qui a servi à l'extraction et à la
taille du silex. Au milieu de cette quantité de silex, on peut
arriver à reconnaître quelques types dont la répétition in-
dique nettement qu'ils étaient voulus. Si l'on fait abstraction
des percuteurs parfois assez volumineux et grossiers, et des
éclats de toutes dimensions et de toutes formes, on remarque
d'abord un type fréquent, surtout dans le fond des puits.
C'est un bloc de silex dégrossi à grands coups, de façon à
prendre la forme d'un cube grossier de 10 à 15 centimètres
de hauteur. Un second type, qu'on rencontre surtout aussi
dans les puits, est un bloc également façonné à grands coups.
DISCUSSION SUR DES OBJETS OFFERTS. 458
mais afifeotant une forme ordinairement allongée, bombée
au centre et se rétrécissant un peu aux deux extrémités*
Cette forme n'est pas spéciale à ChampignoUes ; on la re-
trouve également en Dordogne et dons les grands ateliers du
département de la Vienne, aux environs de Goussay et Lei-
gné-ies-Bois, où j'en ai recueilli de nombreux spécimens^
d'ailleurs généralement dédaignés par les amateurs à cause
de leur grossièreté. Tout naturellement il existe des formes
intermédiaires ; elles affectent souvent la forme de disques.
Il semble donc que ces deux types représentent la forme
industrielle que les préhistoriques donnaient au silex au mo-
ment môme de son extraction, constituant ainsi, qu'on nous
permette, Texpression, des sortes de lingots destinés à être
utilisés, façonnés ultérieurement. C'est ainsi que les tailleurs
de pierres à fusil de Meusnes (Cher), dès qu'ils ont extrait de
la craie, par des puits en tous points analogues à ceux des
préhistoriques, les rognons de silex, les dégrossissent et les
préparent avant de les emporter chez eux, oii ils enlèvent
les lames et les passent à leurs femmes qui les brisent et les
retaillent pour faire les pierres à fusil.
On trouve aussi à ChampignoUes de grands éclats plus
ou moins façonnée à grands coups, plats, h peu près rectan-
gulaires, dont une des extrémités, souvent rétrécie intention-
nellement, se prend facilement à la main. C'est aussi un type
qu'on retrouve en Dordogne et dans la Vienne. On peut, en
somme, y voir, avec a>sez de vraisemblance, des outils des-
tinés à enlever les débris de craie détachés par les pics dans
le creusement des puits et galeries, et pouvant même, au
besoin, servir à gratter ou même à creuser la craie.
Les ébauches de hache abondent; elles présentent tous les
états de la taille ; il en est de très grossières, d'autres beau-
coup plus finies. Mais on rencontre très fréquemment des
objets qui semblent absolument être la moitié d'une ébauche
de hache assez plate, façonnée avec soin et brisée par le mi-
lieu. La cassure est, en effet, nette^ le plus souvent non re-
touchée ; l'extrémité est arrondie, les dimensions varient;
456 SÉANCE DU 18 JUIN i89i.
en moyenne, ces pièces ont 8 à 10 centimètres de longueur
sur une largeur à peu près la même. 11 est évident que la
première idée que Texamen de ces silex éveille, c'est celle
d'ébauches de haches brisées pendant leur fabrication et
abandonnées ensuite. On peut songer aussi à des prépara-
lions de nucléi, ainsi que j'en ai parfois rencontré dans les
ateliers de la Vienne ; mais aucune des très nombreuses
pièces que j'ai examinées ne permet d'admettre cette hypo-
thèse. MM. Bessin et Fouju voient là des instruments à creu*
ser, analogues à ceux dont nous parlions ci-dessus.
Avec ces formes assez spéciales, on retrouve beaucoup plus
rarement des pics en silex, soit petits, bien retaillés, repro-
duisant le type auquel M. G. de Mortillet a donné le nom de
retouchoit\ soit assez [volumineux ; des ébauches de haches
assez bien travaillées et très nettes ; des éclats ou des lames
plus ou moins retaillés, façonnés en grattoirs, racloirs ou
couteaux, mais généralement assez grossiers, et tout l'outil-
lage des stations néolithiques. Ënfin^ parfois^ dans les gale-
ries, des grands pics en corne de cerf. MM. Bessin et Fouju
viennent d'en montrer un beau spécimen à la Société, et
M. Collin en a trouvé également un fort joli.
En somme, il existe à Ghampignolles des formes d'objets
en silex correspondant à une industrie particulière, celle de
l'extraction du silex et de la fabrication des pièces ; ces
formes spéciales constituent des types parfaitement nets,
qu'il y a intérêt à nettement séparer des débris de taille et
des déchets de fabrication purement accidentels. Cet outillage
ainsi que nous venons de le voir, n'est d'ailleurs pas spécial
à Ghampignolles. Si^ en effet, on étudie sur place la station
classique de Spiennes, on y retrouve en grande abondance
ces mômes types industriels dont je viens de parler. Les blocs
dégrossis plus ou moins régulièrement cubiques ou sphé-
riques, les blocs ovoïdes, les pics, les grands éclats retaillés
en forme de'sortes de pics plats, enfin, le type qui n'est pro-
bablement qu'une ébauche de hache brisée en deux, tout
cela abonde, absolument identique aux objets similaires de
COLLIN. — TÊTE MOMIFIÉE d'uN INGA. 457
GhampignoUes. Mais à Spiennes, il y a en plus tout Toutillage
industriel de la fabrication des lames, qui manque à Cham-
pignolles, nuclei à tous les états de travail et grandes lames.
Les ateliers de Spiennes sont aussi bien plus considérables.
Mais, en somme, il y a une très grande analogie dans les
procédés et produits de fabrication ; le fait est intéressant à
constater.
M. Adrien de Mortillet rappelle qu'on a retrouvé un
certain nombre de ces carrières. Outre les grandes exploi-
tations de silex de Spiennes, en Belgique, et celles qui ont
été découvertes en Angleterre, on en a signalé, en France, à
Mur-de-Barrez dans l'Aveyron, à Noinlel dans l'Oise, et à
Meudon, Seine-et-Oise. Ces exploitations commencent donc
à être bien connues.
PRÉSENTATION.
Tête momlflée d'un Inea (Pérov) ;
PAR M. B. COIXIN.
J'ai l'honneur de présenter à la Société, au nom de
M. Boubée fils, une tête momifiée, trouvée dans les pampas
et dans les mêmes conditions que les sépultures boliviennes
dont j'ai eu l'occasion de vous parler.
C'est une tête masculine. Le crâne est légèrement dé-
formé. Le front et la nuque ont été peints en rouge.
Cette présentation est motivée parla parfaite conservation
de la chevelure, qui est encore très adhérente. Les cheveux
sont d'une grosseur moyenne, d'un brun rouge. Quelques
cheveux sont décolorés, gris et même blancs. Jusqu'ici, cette
remarque n'avait pas été faite chez les Précolombiens. Chez
les nègres, il n'est pas rare de rencontrer des cheveux gris
et même blancs, comme chez les Européens.
458 8ÉANCB DU 48 JUIN 1891.
COMWUNICATIONS.
Origine des préjagéa popnlalrea sur les eaviee ;
PAR H. G. YARIOT.
C'est une croyance très répandue et très généralement
acceptée que les marques sur la peau, présentées par les
enfants à la naissance, sont duea à TinQuence de rimagina-
tion de la mère pendant la grossesse. Un enfant nait avec un
psevus vasculaire^ c'est une tache de vin, une envie de vin :
s'il s*agit d*un nœvus pigmenlaire plus ou moins foncé, c'est
une envie de café, de chocolat, etc.. En allant plus loin,
dans cette direction, on admet souvent que les difformités
congénitales, portant sur les membres, les malformations
des mains, des pieds, de la tête, se rattachent à de violentes
impressions de la mère, qui auraient eu un contre-coup direct
sur le fœtus.
Cette croyance ancienne s'est traduite dans le langage
populaire par le terme d'envie, qui est employé indistincte-
ment pour désigner la cause et Teffet. La mère a une envie,
l'enfant porte une envie.
Nous avons voulu rechercher quelle était l'origine de ces
préjugés populaires, si profondément enracinés, et nous
avons trouvé qu'elle remontait à la plus haute antiquité.
Une longue tradition a transmis ces erreurs jusqu'à nous.
Les penseurs les plus éminents, à toutes les époques, les
plus grands savants jusqu'à la fin du dix-huitième siècle ont
accepté et propagé les idées qui ont cours actuellement
encore sur ce sujet, aussi bien dans le peuple que parmi les
gens du monde.
Nous empruntons à la thèse de M. le docteur Hugues une
série de citations qui prouvent jusqu'à Tévidence ce que nous
avançons '.
Moïse, dans la Genèse, rapporte l'artifice qui aurait réussi
à Jacob pour avoir des agneaux tachetés.
* Des nœvi pigmentaires. Thèse de Paris, 1890.
VARIOT. — PRÉJUGÉS POPULAIRES SUR LES ENVIES. 459
Laban ayant promis d'abandonner à Jacob tous les agneaux
tachetés qui naîtraient dans ses troupeaux^ ce dernier « pre-
nant donc des branches vertes de peuplier, d amandier et de
platane, il en ôta une partie de Técorce, en sorte que les
endroits d'où Técorce avait été ôtoe parurent blancs, et les
autres auxquels on Tavait laissée, demeurèrent verts ^ ainsi,
ces branches devinrent de diverses couleurs.
u II les mit ensuite dans )es canaux qu'on remplissait
d'eau, afin que lorsque les troupeaux y viendraient boire, ils
eussent ces branches devant les yeux et qu'ils conçussent en
les regardant.
fi Ainsi il arriva que les brebis, étant en chaleur et ayant
conçu, à la vue des branches de diverses couleurs, eurent des
agneaux tachetés de diverses couleurs. »
Voltaire, avec son scepticisme railleur, s'étonnait que les
brebis, qui avaient toujours les yeux fixés sur l'herbe qu'elles
broutaient, ne produisissent pas des agneaux avec une toison
verte.
Il est probable que Jacob n'avait imaginé ce stratagème
que pour masquer des moyens beaucoup plus efficaces,
connus de lui, pour produire, par le croisement, des agneaux
à la robe tachetée. Les éleveurs savent distinguer, à certaines
taches pi^mentaires de la muqueuse de la bouche, les brebis
blanches qui sont aptes à procréer des jeunes dont la robe
sera colorée ^
Dans l'antiquité grecque, nous trouvons dlllustres philo*
sophcs ou savants qui croient fermement que la mère, par
un effort puissant de l'imagination, peut, en quelque sorte,
modeler l'embryon qu'elle a conçu.
Empédocle, d'Agrigente, qui était, d'ailleurs, un partisan
de la métempsycose, o'est-à-dire de la transmigration des
i\mes immatérielles dans d'autres corps que ceux qu'elles
avaient primitivement habités, admettait aussi que des
^ Voir à ce sujet la discussion provoquée à la Société d'anthropologie
par la communication de mes Recherches sur les nmvi pigmentairet cir<-
conscrits et diffus.
4HÛ SÉANCE DU 18 JUIN 4891.
images reçues dans le cerveau d*une femme pouvaient être
transportées sur son fruit. Voici comment Amyot, dans sa
belle traduction des œuvres de Plutarque {Des opinions des
philosophes^ p. 457, ch. xii, liv. Y), nous rapporte Topinion
d'Empédocle : <( Empédocle, tient que par l'imagination de
la femme en la conception, se forment les enfants, car, sou-
vent, des femmes ont été amoureuses d'images et de statues,
et ont enfanté des enfants semblables à icelles. » Dans le
Iraité d'Hippocrate sur la super fétation^, dont l'authenticité
a été très contestée, et qui a été attribué avec beaucoup de
vraisemblance à son gendre Polybe, nous relevons le pas-
sage suivant : « Si les femmes grosses ont un désir de manger
de la terre ou du charbon et qu'elles le satisfassent, les
enfants, lorsqu'ils viennent au jour, montrent sur la tête les
marques de ces substances. »
Il y aurait un rapport direct entre le désir, l'envie propre-
ment dite de la mère et la marque de Tenfant, d'après Hip-
pocrate ou d'après les livres hippocratiques.
Chez les Romains, le préjugé des Grecs se transmet comme
le prouve le texte suivant de Pline : a Les ressemblances du
fœtus tiennent; sans doute, à Timagination sur laquelle on
pense que beaucoup de circonstances fortuites exercent de
l'influence, la vue, Touïe, le souvenir et les images qui frap-
pent au moment de la conception. La pensée même qui
traverse subitement l'esprit de Tun ou de l'autre parent
passe pour déterminer ou altérer la ressemblance. Aussi,
y a-t-il plus de différence chez l'homme que chez les autres
animaux ; la rapidité des pensées, la promptitude de l'esprit
et la variété des dispositions impriment des marques diver-
sifiées ; tandis que les autres animaux ont des esprits immo-
biles^ également uniformes dans chaque espèce et dans
chaque individu de la môme espèce * ».
Galien accueille volontiers l'opinion formulée par Pline,
^ Hippocratis opéra; — de superfetatione.
s C. Piinii Secundi Hutoria mundi; édition de Liltré, 1848, 1. 1, p. 287,
liv. VU.
VARIOT. — PRÉJUGKS POPULAIRES SGR LES ENVIES. 4Gl
car il rapporte, dans un de ses ouvrages, Thistoire suivante^
qu'il semble avoir puisée dans Soranus, qui vivait antérieu-*
rement à lui. « J'ai lu, dit Galien, qu'un homme très laid,
mais riche, désirant avoir un bel enfant, en fit peindre un
très beau et recommanda à sa femme de fixer, au moment
de Tacte vénérien, les yeux sur ce portrait; elle le fit, et,
dirigeant pour ainsi dire tout son esprit et toute son atten-
tion vers cet objet, elle mit au monde un enfant qui ne
ressemblait pas à son père, mais parfaitement au modèle
du tableau ' ».
Plus près de nous, Fernel, médecin du roi Henri II, qu'on
a appelé le Galien mode?*ne, est très affirmatif sur le pouvoir
de l'imagination dans la procréation des enfants : « Je tiens
pour certain^ dit-il, qu'il n'y a que la pensée qui dessine
les figures et qui les modifie' ».
Ambroise Paré reproduit, avec complaisance, dans son
traité Des monstres^ des faits du genre de celui qui suit.
Saint Jean Damascène dit avoir observé une fille velue
comme un ours, parce que sa mère Tavait engendrée, lors-
qu'elle avait sous les yeux la figure d'un saint Jean vêtu
d'une peau avec son poil ^. Ailleurs, Ambroise Paré reconnaît
que l'imagination de la mère peut imprimer des figures
bizarres sur le fœtus, à l'instant de la conception seulement;
mais cette époque passée, il ne peut se persuader que l'ima-
gination ait la moindre influence sur un corps formé.
Tel n'est pas l'avis du célèbre philosophe Descartes, qui
prétend, dans sa Dtoptrique^ « qu'il ne serait pas difficile de
démontrer de quelle manière la figure d'un objet donné est
parfois transmise par les artères d'une femme jusqu'à un
membre quelconque du fœtus qu'elle porte dans son sein, et
y imprime les taches connues sous le nom i'envies^ qui font
l'admiration des savants^ ».
1 Ctottd, Go/ent de theriaca. Ad Pisonem liber.
« Fernel, De hominis procrealione, lib. VII, cap. xii, p. 17i.
5 Ambroise Paré, liv. XXV, Des monstres, ch. ix, p. 1022, in-folio.
Paris, 1614.
^ Reaali Descartes, Prineipia pkUosophica dioplrieœ, oap. v, p. 82.
T. II (4« sifiiB). 30
462 SÉANCE DU 48 JUIN 1891.
A eela, Demangeon a finement répliqué : «Il faut convenir
que Descartes était bien peu communicatif de n'avoir pas
voulu expliquer^ puisqu'il le pouvait facilement, comment
des figures toutes formées par rimagination enfilent les
artères pour gagner le fœtus ou le poussin, où elles arrivent
intactes et sans avoir perdu un seul trait en route, malgré
le tumulte et l'extrême division de la circulation artérielle,
surtout dans le placenta, ôl malgré le petit saut que ces
figures ne manquent pas de faire d'un individu à l'autre, à
cause de l'interruption des vaisseaux conducteurs. »
Montaigne, dans ses Essaii^se fait l'écho des mêmes idées
qui avaient cours de son temps : « Nous voyons, par expé-
rience, que les femmes envoient aux corps des enfants
qu'elles portent dans leur ventre les marques de leurs fan-
taisies, témoin celle qui engendra le maure ; et il fut présenté
à Charles, roi de Bohême et empereur, une fille d'auprès
de Pise, que la mère disait avoir été ainsi conçue à cause
d^une image de saint Jean-Baptiste pendue à son lit^ »
Malebranche cite, avec une naïveté qui fait plus d'honneur
au croyant qu'au philosophe, le fait suivant*. « 11 n'y a pas
un an qu'une femme, ayant considéré avec trop d'attention un
tableau de saint Pie, dont on célébrait la fête de la canonisa*
tion; accoucha d'un enfant qui ressemblait parfaitement à la
représentation de ce saint. 11 avait le visage d'un vieillard,
autant qu'en est capable un enfant qui n'a point de barbe.
Les bras étaient croisés sur la poitrine, les yeux tournés vers
le ciely et il avait très peu de front, parce que Timage de ce
saint, qui était élevée vers la voûte de TéglisC; en regardant
le ciel, n'avait aussi presque point de front ; il avait une
espèce de mitre renversée sur les épaules, avec plusieurs
marques rondes aux endroits où les mitres sont couvertes de
pierreries. Enfin, cet enfant ressemblait fort au tableau sur
lequel sa mère l'avait formé par la force de son imagination.
> Essais de Montaigne, édition in-folio^ liv. I, ch. xx, p. 50. Paris, 1640
* Malebranche, lUcherckêdê la vérité, 1. 1, p. 251, 253.
VARIOT. — PRÉJUGÉS POPULAIRES SUR LES ENVIES. 463
G*est une chose que tout Paris a pu voir aussi bien que
moi, parce qu'on Ta conservé assez longtemps dans de Tea^
prit-de-vin. »
Gérard Van Swieten (le baron), le commentateur de Boerr
haave, ne met pas en doute le pouvoir de rimagination pour
former les envies, comme le prouve la gracieuse histoire que
nous puisons dans ses Commentaires '. m Je vis, un jour, une
jeune fille fort belle venir me consulter pour quelques aoci»
dents nerveux dont elle soufiTrait. Tout en Tinterrogeant,
j^aperçus sur son cou, sons un collier qu'elle portait, une
chenille ; je m'apprêtais déjà à l'en débarrasser au moyen
d*une chiquenaude, quand, souriante, elle me dit: « J^ais-»
<( sez-la, je Tai depuis ma naissance. » Elle m'autorisa grar»
cieuscment à regarder cette marque de plus près. Je vis alors
une chenille possédant les couleurs les plus belles et les plut
variées, et même on apercevait fort nettement des poils ; de
plus, grâce à sa proéminence au-dessus de la peau, on aurait
pris aisément cette marque pour une chenille vivante, et sa
ressemblance était tout aussi frappante qu'un œuf ressemble
à un autre œuf. Cette jeune fille me dit que sa mère lui avait
affirmé qu'étant enceinte d'elle, elle se promenait dans un
jardin, quand une chenille lui tomba d un arbre sur le cou,
et qu'elle avait bien eu de la peine à s'en débarrasser. »
On peut se demander^ avec Demangeon, si Van Swieten,
en cette occasion, n'a pas agi en baron avec sa charmante
visiteuse (venustissima puella)^ et si l'amour n'avait pas un peu
voilé ses yeux de médecin pour lui faire voir une chenille
avec de si jolies couleurs, chenille, du reste, qu'il n'avait pas
vue et qu'il affirme pourtant être ressemblante.
Lavater *, dont les travaux sur la physiognomonie eurent
une si grande faveur et un si grand retentissement au siècle
dernier, définit ainsi les envies : « Les défectuosités ou les
marques que les enfants apportent quelquefois au monde et
< Commentaires sur Htrmann Boerhaave^ 4 vol., 177i, t. III, p. 406.
* Lavater, Essai sur la physiognomonie, t. III, cb. u, p. 161.
464 BÉAIWGEDU 18 JUIN 1891.
qui sont la suite d'une impression forte et subite reçue par
la mère pendant la grossesse. » Puis, plus loin, il ajoute :
« Quant à moi, il me semble que les faits sont trop nombreux
et trop bien prouvés pour qu'un observateur impartial puisse
révoquer en doute l'existence des envies. Je mets volontiers
de côté tout ce que l'imagination y ajoute de faux et d'ab-
surde ; mais combien d'enfants ne voit-on pas qui portent
sur leur corps des figures ou des traits d'animaux^ la couleur
où la forme d'un fruit, ou telle autre marque étrangère ?
Tantôt c'est l'empreinte d'une main sur la même partie que
la femme enceinte a touchée dans un moment de surprise ;
tantôt c'est une aversion insurmontable pour les mêmes
objets qui ont répugné à la mère pendant la grossesse... »
Par conséquent, nous sommes obligés d'admettre pour
vraie une chose qui, en elle-même, est absolument incompré-
hensible *, par conséquent, il est décidé que l'imagination
d'une femme enceinte, excitée par une passion momentanée^
opère sur l'enfant qu elle porte dans son sein.
Dès la fin du dix-huitième siècle et au commencement du
dix-neuvième, un mouvement de réaction positive se produit
contre ces traditions erronées sur la cause des envies. Le
temps des croyances est passé.
Portai \ Jacquin ', Ghaumer rejettent dans le domaine
des fables tous les faits bizarres admis et répétés sans con-
trôle.
Alibert ^ dit à ce sujet : « Tout ce que j'ai pu remarquer à
cet égard, c'est que les altérations morbiûques de la struc-
ture de nos tissus ont lieu principalement chez les personnes
douées d'une constitution lymphatique et scrofulense ; ce
sont des écarts fortuits de la puissance de nutrition. »
* Portai, Considérations sur la nature et Ib traitement des maladies de
fimille et des maladies héréditaires, Paris, 1814, p. 5.
' Jacquifi, Mémoires ou Observations sur les marques ou taches de nais-
sance {Journal de médecine, de chirurgie et de pharmacie, t. XLIV, 1812,
p. 125).
« Alibert, Nosographie naturelle, p. 384 et suiv., t. 1, 1817.
VARIOT. — PRÉJUGÉS POPULAIRES SUR LES ENVIES. 465
Murât ^ formule une opinion qui est bien voisine de celle
que nous-même avons émise en nous appuyant sur nos inves-
tigations microscopiques. « Des recherches exactes, des dis*
sections bien faites ont depuis longtemps appris aux médecins
que ces taches ou marques doivent être considérées comme
une altération du tissu de la peau, produite par quelque ma-
ladie que le fœtus aura éprouvée à une époque plus ou moins
avancée de son développement, o
Demangeon ', avec une rare élévation d'esprit et un sens
critique des plus pénétrants, a beaucoup contribué à dissiper
toutes les superstitions sur les envies qui avaient encore
cours de son temps.
Isid. Geoffroy-Saint-Hilaire^, l'illustre tératologiste, rejette
absolument l'inlluence de Timagination sur les malforma-
tions fœtales ; il cite, à ce propos, une anecdote plaisante, qui
montre jusqu*où la crédulité a pu être poussée. Il s'agit
d'une jeune fille née à Yalenciennes, pendant la Révolution^
en Tan III, et qui portail sur le sein gauche un bonnet de la
liberté. « Il n*y a, ajoute Geoffroy-Saint-Hilaire, rien de
remarquable dans cette anomalie ; mais ce qui Test beau-
coup, c'est que le gouvernement de l'époque crut devoir ré-
compenser, par une pension de 400 francs, la mère assez
heureuse pour avoir donné le jour à une enfant parée, par la
nature elle-même, d'un emblème révolutionnaire. »
Parmi les médecins contemporains, les préjugés sur la
cause des envies s'éteignent graduellement, bien que certains
médecins américains se soient efforcés récemment de rajeu-
nir cette conception si ancienne*.
La phase scientifique dans laquelle nous évoluons ne per-
> Mu rat, Dictionnaire dês sciences médicaUSf article Envie, t. XII^ p. 288,
1815.
* Demangeon, De V imagination considérée dans ses effets directs sur
l'homme et sur les animaux, etc. ; 2« édit. Paris, 1829.
* Isid. Geoffroy Saint- Hiiaire, Histoire générale et particiUière des anO"
maliesde l'organisation de l* homme et des animaux ^ t. I, p. 546.
^ Stedmon, Influence des impressions maternelles comme étiotogie des diffor-
mités {.\ted. Record, janvier 1887).
466 SÉANCE DU 18 JUIN i89i.
met plus de conserver les croyances a priori, G*est par Vob-
servatlon rigoureuse, par l'analyse patiente que se forment
les idées positives. Notre méthode est plus lente, mais aussi
plus sûre.
Est-ce à dire que nos connaissances précises sur la consti*
tution des taches pip^mentaires * et des nœvi vasculaires, que
les travaux dlsidore Geoffroy-Saint-Hilaire et des tératolo-
gistes qui Tont suivi, soient capables de modifier et de ren-
verser une croyance séculaire ?
Cela est peu vraisemblable ; la lumière de la science ne
brille que pour ceux qui ont appris à la distinguer ; elle
n'éclaire que lentement les masses, et il nous semble qu'on
pourrait répéter encore, à ce sujet, ce que Buffon écrivait à
la fin du siècle dernier* : « Il ne faut pas compter qu'on puisse
jamais persuader aux femmes que les marques de leurs en-
fants n'ont aucun rapport avec les envies qu'elles n'ont pu
satisfaire. Je leur ai quelquefois demandé, avant la nais-
sance, quelles étaient les envies qu'elles n'avaient pu satis-
faire et quelles seraient, par conséquent, les marques que
leurs enfants porteraient. Par cette question, j'ai fâché les
gens sans les avoir convaincus. »
Discussion.
M. Bérenger-Féraud rappelle, à ce propos, différentes
croyances populaires sur les envies, en Provence.
M. Letourxeau raconte que TUniversité de Montpellier fut,
au temps jadis, consultée sur le fait d'une femme dont le
mari était absent depuis plusieurs années et qui déclarait
que son enfant était bien de son mari, car elle ne cessait d'y
penser jour et nuit, et qu'ainsi elle était devenue enceinte.
La Faculté déclara qu'en effet l'enfant était bien le fils du
mari de cette femme.
M. Sanson rappelle la vieille histoire de ce bon bourgeois
* Voir notre communication sur les Nœvi pigmentaires circonscrits et
diffus {liuUetins de la Société d'anthrojx^gie, 1889).
« Buffon, Histoire naturelle, t. IV, ch. xi.
OUVRAGES OFFERTS. 467
inquiet de voir sa femme accoucher d'un mulâtre, mais tout
à fait rassuré par Taffirmation do son épouse lui racontant
que seule devait être iacriminée Témolion que lui avait
causée la contemplation du nègre servant d'enseigne à un
horloger du boulevard. Un des élèves de M. Sanson^ peu
convaincu par la bouffonnerie de cette histoire, raconta un
jour gravement qu il connaissait un cas analogue et absolu*
ment démonstratif. Une paysanne, très émue par la contern-
plation de révoque ofliciant, avait accouché d'un enfant dont
les traits étaient très semblables à ceux de Tévêque ! M. San»
son ajoute qu'il n'osa donner à son interlocuteur une inter-
prétation autre et... beaucoup plus naturelle.
M. Trumet de 9*ontarge lit la fin de son mémoire sur les
sépultures puniques de Tunisie.
La séance est levée à six heures.
Uun des secrétaires : CAPITAN-
SU* SfiANCE. — i jaillel 1891.
Préflidenee de M* 1^.% BORDE ^ président*
Le procès-verbal de la dernière si'îance est lu et adopté.
OUVRAGES OFFERTS.
Gapus (G.). Les Kirghiz du Pamir (Association française,
congrès de Limoges, 4890). Paris, 1890, in-8°, 8 pages.
— Promenade hygiénique en Asie centrale (Journal l'Assis-
tance, mai 1891). Paris, 1891, in-4°, 12 pages.
Hamrleton (G.-W.). Pkysical development (Journal Phy-
sique). Londres^ 1891, in-4*, 4 pages.
Metzger (D.). La Vivisection^ ses dangers et ses crimes, Paris,
1891, in.8% 240 pages.
Mies (D'). Die flœhenzahl des Kœrpergeioichts der sogenann-
468 SÉANCE DU 2 JUILLET 1891.
(en Amazonen und Krieger des Kœnigs von Dahome {Verhand-
lungen def* Derliner Anthropologiscken Gesellschaft). Berlin,
1891, in-i% 4 pages.
Ministère des finances (Direction générale des contribu-
tions directes et du cadastre). Recueil de documents législatifs^
projets de loi y règlements, rapports, etc., concernant le cadastre
depuis 1807. — Rapport adressé au ministre des finances sur
les opérations du répartement et du sous-répartanent en 1890
pour 1891, 2 vol. in-4". (Ces deux derniers ouvrages sont
offerts par M. Daveluy.)
PÉRIODIQUES.
Royal Irish Academy {Proceedings) 1891 (vol. I, n» 5).
M. "W. Crofton : Applications of the method of Operative
Symbols.
Cosmos, vol. X (1889-1891), n» Vil. Viaggi di G. Nachtigal
nel Sahara e nel Sudan.
A Jowmal of American ethnology and archeology, vol. I.
J. Walter Fewkes : A few Summer Cérémonials at Zufii Pue-
blo ; — Benjamey Ives Gilman : Zufii mélodies; — J. Walter
Fewkes : Reconnoissance of Ruins in or near the Zufli réser-
vation.
Peahody Muséum of American archeology and ethnology
(Papers), vol. I, n« 3 (1891). Zelia Nuttall : The Atlatl or
Spear-Thrower of the Ancient Mexicans.
The American Anthropologist, vol. IV, n» â (1891). Cyrus
Thomas : The Story of a Mound; or the Shawnees in Preco-
lumbian times; — J. Walter Fewkes : On Zemes from Santo-
Domingo ; — W. Woodville Rockhill : Note on tome of the
Laws, Customs and Superstitions of Korea.
The American Naturaliste vol. XXV, n« 292 (1891). R. W.
Shufeldl : Mortuary Customs of the Navajo Indians.
LAJARD. — LE LANGAGE SIFFLÉ DES CANARIES. 469
CORRESPONDANCE.
M. Garlier dépose, pour le concours du prix Godard, son
mémoire sur la croissance, lu par M. Letourneau dans
ravant-dernière séance.
ÉLECTION.
M. A. ScHLEiCHER est élu membre tilnlaire.
COMMUNICATIONS.
Le langage slIMé des Canaries ;
PAR M. LAJARD.
Les noies que je vais lire se rapportent au langage sifflé
des habitants des îles Canaries. Nous n'avions jusqu'ici sur ce
langage que des renseignements assez vagues. Il paraissait
constituer un système phonétique spécial, sans aucun rap-
port avec les formes actuellement connues; Un séjour récent
dans l'archipel m'a permis de voir qu'il n en était rien et d'en
fixer exactement la nature.
La bibliographie est sommaire.
M. Bouquet de la Grye, envoyé, il y a quelque temps, à
Ténériffe, pour déterminer les coordonnées géographiques
de cette station d'une manière plus précise, a publié, dans
V Annuaire du Bureau des longitudes de 1889, la relation de
son passage aux Canaries et d'une ascension du célèbre pic.
Nous y trouvons signalée l'existence d'un curieux langage
sifflé répandu parmi les habitants et que l'amiral croyait
limité à l'île de la Gomère.
N'étant allé qu'à TénérifTe, où on ne le trouve pas, il
donne les renseignements qu'il tient de quelques personnes,
et, en particulier, du général Carlos de Riveira.
(( Les bergers de Gomera, dit-il, ont un langage sifflé qui
leur vient des Guanches ; les modulations représentent des
idées et des articulations, et les sons qu'ils émettent s'enten-
470 8ÉANCE DU 2 JUILLET 1891.
dent à des distances prodigieuses... J^estime qa*il serait digne
des philologues d'étudier ce langage préhistorique conservé
sar un sommet qui a pu appartenir à Tantique Atlantide. Ne
serait-il point intéressant d'analyser sa formation, de recher-
cher les relations qui l'unissent au vocahulaire guanche, dont
bien des mots ont été conservés, et de pénétrer plus avant
dans le passé de cette race que les chroniqueurs nous repré-
sentent comme belle, vertueuse et pleine de courage? »
Chez les voyageurs, on trouve peu de chose. Ils se bornent
à dire que le sifflet est employé à la Gomère, et que ce genre
de communication est parfait pour permettre certaines con-
versations*.
Samler Brown' ajoute que les montagnards de Ghipude
passent pour les meilleurs siffleurs.
Charles Edwards' raconte que partout où il passait, les
paysans accouraient en foule, connaissant déjà son arrivée,
son but et ses occupations. Les guides avaient répandu
partout ces nouvelles à Taide du sifflet. C'était là, dii*il,
une des choses les plus curieuses que Ton puisse voir.
Le docteur Verneau* décrit la môme impression et la sur-
prise qu'elle lui a causée.
Mon ami et notre confrère, le docteur Chil y Naranjo, di-
recteur du musée de Las Palmas, au cours du récit de ses
fouilles dans les cavernes de l'archipel, montre qu'il a été
en rapport avec des insulaires sachant siffler; mais, occupé do
questions historiijues, il n'a pas porté de ce côté son attention.
Enfin, M. (Juedenfeld, dans un mémoire sur ce sujet, n'est
point parvenu h l'élucider.
Voilà i\ peu près tout ce que nous savions sur cette ques-
tion jusqu'à présent.
A Ténériffe, je n'ai pas trouvé de langage sifflé. J'ai par-
couru l'île en divers sens, chose facile; les montagnards ne
1 Samler Brown, Madêira and thé Canary hlands, London.
« Id.
• Graphie^ etc.
* Cinq ans aux Uet Canaries, 1891. Paris.
LAJAHD. — LE LANOAGB SIFFLÉ DES CANARIES. 471
sifflaient pas. A GuTmar, le curé m'a raconté une expérience
faite par lui quand il habitait la GomèrCy^et en collaboration
avec un officier. Quoique ayant résidé longtemps dans le pays
même, le prêtre n'en entendait pas un mot. Il est vrai de dire
que cet usage est limité aux gens pauvres et aux bergers;
beaucoup d'insulaires de Tarchipel ignorent même son exis-
tence. Le commandant avait mandé auprès de lui un soldat
de son régiment caserne sur la côte opposée en le faisant 8if«
fier par son nom.
Ce simple récit me faisait espérer déjà d'arriver facilement
à bout de la difficulté. Le langage sifflé n'était pas un en-
semble plus ou moins compliqué de signaux, se bornant à
traduire seulement des idées et d'une façon dénuée de tout
rapport avec le langage ordinaire. Il avait, au contraire, à sa
disposition des ressources permettant de suivre une à nne et
d'interpréter à sa manière les syllabes d'un nom propre.
C'était un point capital, et il n'en fallait pas davantage pour
passer de là h l'analyse complète du système.
Je partis alors pour la Gomère. En passant à l'île de Per*,
je vis aussitôt que le domaine du sifûet s'étendait jusque-là.
Plus tard, je n'ai trouvé que peu de différence entre ces deux
îles sous ce rapport. J'ai donc commencé mon étude avec les
Herreflos.
Il suffit, pour avoir la première idée du sifflet, de se pro-
mener au bord des ravins appelés bafTancos, et qui sillonnent
l'île de divers côtés. Le voyageur ne tarde pas à entendre
des bergers qui s'appellent ; souvent son guide se mêle à la
conversation.
Le son est fort et perçant; il arrive à parcourir une grande
distance, l'hiver surtout, en l'absence des alizés. Suivant la
manière dont il est donné, il peut atteindre une portée plus
ou moins grande, comme on le verra plus loin.lM.Verneau l'a
entendu de 3 kilomètres. Les insulaires se sont vantés devant
moi de correspondre avec les navires qui sont au mouillage
A En espagnol ffierro.
47£ SÉANCE DU 2 JUILLET 1891.
près de Gran Reyes. A Las Palmas, plusieurs Herrenos m'ont
assuré que le sifflet pouvait s*entendre à une distance égale à
celle qui existe entre la ville et le port de la Luz. Cette asser-
tion me paraît très exagérée ; il y a là 5 kilomètres et demi.
Le sifflet dépasse donc de beaucoup la portée de la voix.
Les sons courent du grave à Taigu pour redescendre sou-
vent au grave très rapidement à la fin de la phrase et à me-
sure que le souffle s'affaiblit et vient à cesser. Pour une même
phrase, le registre varie avec les personnes, chacune a le
sien propre. Ces particularités s*expliquent très simplement^
comme on le verra plus loin.
Je réunis, pour commencer mon étude> plusieurs Herreûos,
huit ensemble, d'âge divers et de professions différentes,
bergers et boulangers surtout.
Il est facile d'être entendu des Canariens : ils parlent tous
espagnol. Si Ton excepte quelques mots spéciaux à Tarchi-
pel, c'est du castillan. 11 n*est donc pas nécessaire d'apprendre
un dialecte particulier, comme il serait bon dans mainte pro-
vince de la Péninsule. Cet avantage est compensé par un in-
convénient; les voyageurs doivent se mettre en garde contre
lui. Les insulaires répondent généralement oui à toutes les
questions. Soit crainte de désobliger un étranger, soit timi-
dité ou toute autre chose, la négation leur répugne. Cette
étrange politesse est pleine d'écueils. Elle m'a obligé à
prendre la disposition précédente. Si je me permets d'ex-
poser la manière dont j'ai tourné la difficulté, c'est que j'ai
cru être utile en donnant une indication propre à faciliter leur
tâche à ceux qui songeraient à faire une étude analogue.
Après avoir fait siffler mes hommes à leur guise, je leur
proposai quelques mots à reproduire. Je pouvais saisir ainsi
les variations de l'un à Tautre dans la manière d'obtenir les
sons et les modulations. Je profitais de leurs opinions diffé-
rentes au sujet de mes demandes. Il était aisé enfm de tirer
parti de leur émulation.
Ayant trouvé plus tard des ouvriers herrefios à Las Palmas
(l'île de Fer fournit tous les boulangers), il m'a été facile d'en
UJARD. ^'* LE LANGAGE SIFFLÉ DES CANARIES. 473
réunir plusieurs aussi dans la ville, et chacun s'exerçait à
faire mieux que son compagnon, soit pour me montrer les
différentes manières de tirer des sons, soit pour les rendre
plus distincts à Toreille. Il m'arrivait d'obtenir des éclaircis-
sements imprévus, auxquels je n'aurais pas songé. Quelque-
fois les sif fleurs se trouvaient en contradiction entre eux.
C'était un avantage pour saisir les nuances de la prononciation
du même mot d'une bouche à l'autre et de profiter de l'amour-
propre de chacun.
Pig. 1. Fig. 2- Fig. 3. Fig. 4.
Les sons s'obtiennent de diverses façons, le plus souvent
avec Taide de la main. Voici les attitudes les plus fréquentes :
A. Avec une main :
1<^ Et le petit doigt (fig. 1 ). Celui-ci est porté dans la bouche
tout entier et plié sur lui-même, la face palmaire de la main
dirigée en haut, le pouce étendu. Le doigt forme une anse
horizontale qui vient se placer entre les dents. La partie ou-
verte de la courbe est fermée par la langue qui s'appuie en
dessous, laissant seulement au milieu un orifice étroit pour
Téchappcment de l'air. Le petit doigt est fréquemment en
usage dans cette position.
T Avec l'index plié. On se sert également de ce doigt (fig. 2).
Les autres sont trop peu indépendants et se trouvent serrés
les uns sur les autres ; leur emploi est incommode.
3'' Avec l'index étendu (fig. 3). Le bout s'applique sur la
langue, la pulpe en dessous. L'air sort par un léger vide mé-
nagé d'un côté, entre les incisives supérieures, la phalangette,
et la masse de la langue qui ferme le reste.
474 SÉANCE DU 2 JUILLET 4 891 .
A* Avec les deuxième et quatrième doigts. Ils viennent se
toucher par roxtrémité au milieu de la bouche ; le vent trouve
sa voie entre oes doigts et la langue, qui est en dessous. Le
troisième doigt est inutile; il reste en l'air au milieu du visage,
à côté de Taile du nez. C'est la position que j'ai adoptée, trou-
vant plus facile de n'en point changer; elle est répandue
parmi les femmes (flg. 4).
5® Avec le deuxième et le cinquième. Le mécanisme est
identique. Le cinquième doigt prend simplement la place du
précédent. C'est là une manière fort incommode et peu em-
ployée, la bouche est élargie démesurément.
B. Avec les deux mains.
Les procédés se subdivisent ici en deux groupes, selon que
les Canariens emploient un ou plusieurs doigts de chaque
main à la fois.
Fig. 5. Fig. 6.
1° Avec un seul doigt de chaque main. Ils sont étendus^
rectilignes, et forment un an^le plus ou moins aigu. Ce sont
ordinairement les index (fig. 5) ou les petits doigts (f\g, 6).
Les phalangettes se touchent ordinairement par leur face
dorsale ou leur côté externe ; les ongles sont en contact sou-
vent. Les autres doigts servent aussi do la môme façon ; cela
m'a paru plus rare cependant. Une règle générale est d'em-
ployer des doigts de môme nom ; je ne l'ai jamais vue en
défaut. La position par rapport aux ongles offre plus de lati-
tude. On en trouve d'autres de temps en temps.
2° Avec deux doigts de chaque main. Ce sont les deuxième
LAJARD. — LE LANGAGE SIFFLÉ DES CANARIES. 475
et troisième^ tous les deux étendus, allongés (fig. 6) et posés
parallèlement dans la bouche, les ongles en dessus. Ils lais-
sent entre les index une fente étroite. Les quatre doigts se
trouvent ainsi dans un même plan horizontal. La bouche en
est remplie et c'est fort incommode. Les bergers ont recours
à cette extrémité pour obtenir des effets plus intenses, des
appels à grande distance. Cette position ne paraît pas servir
à la conversation^ mais elle est intéressante an point de vue
précédent, donnant le maximum de sonorité possible.
G. KnRn, on peut encore siffler sans le secours des doigts.
La langue se creuse en forme de gouttière, les bords relevés
latéralement, et s'applique ainsi sous les incisives de la mà«
choire supérieure. Sans le sillon médian ainsi formé, la situa-
tion de la langue aurait quelque analogie avec celle nécessitée
par la prononciation du th doux anglais. Chez les Gomériens,
la lèvre supérieure participe, dans une certaine mesure, à ce
travail ; elle s'étire transversalement et s'abaisse jusqu'au
voisinage de Toriflce réservé à la sortie de Tair. Ceci ne
nécessite aucun effort. De légers mouvements musculaires
suffisent, mais le son parait moins fort et moins distinct.
Le procédé s'applique aux faibles distances. Il me semble
moins employé que les précédents.
A part les réserves ci-dessus, ces diverses positions n'ont
aucune influence sur le langage lui-môme. Elles sont indiffé-
rentes. Chacun choisit, dès l'enfance, celle qui lui convient
le mieux et, d'ordinaire, n'en change plus. Ce n'est là, du
reste, qu'une question d'habitude; mes Herreflos les connais*
salent toutes et les essayaient devant moi, mais, entre eux,
ils se servaient chacun de la sienne.
La première chose à faire ensuite était d'examiner la ques-
tion au point de vue musical, hlxiste-t-il un rapport quel-
conque entre ce langage et la musique ? Or, pour un même
mot, l'échelle des notes est parcourue différemment, suivant
la personne qui sifile. L'un commence par un son grave,
monte ensuite, pour redescendre à nouveau ; l'autre choisit
un point de départ beaucoup plus élevé et descend à peu
476 SÉANCE DU i JUILLET 4891.
près au même degré. Chacun se sert d^un registre différeot ;
il y a analogie, mais non identité. Cette observation exclut
toute hypothèse musicale. Un pareil système, en effet, n*est
pas susceptible d'admettre les faits précédents. L'oreille ne
réclamerait, il est vrai, ni la mesure, ni des intervalles sépa-
rés, mais, tout au moins, une manière à peu près égale, pour
les cas identiques^ de courir entre le grave et Taigu. La tona-
lité pourrait changer, mais non les principaux rapports avec
les éléments conslitulifs de la phrase. Rien de semblable ici;
le seul caractère commun est quelquefois la terminaison, et
encore n'est-il pas constant. En second lieu, le sifflet n'a rien
de mélodieux, quoi qu'on en ait dit.
Il fallait donc chercher ailleurs. Existe-t-il un rapport
quelconque entre les sons et les syllabes des noms propres
siffles ? Je demande des prénoms^ les uns courts, ^<^s autres
longs : Juariy Jean; Pedro, Pierre ; Encarnacian^ Incarnation.
Le berger siffle, les sons s'allongent en même temps. On
distingue les articulations qui correspondent exactement aux
syllabes parlées, mais il s'en trouve toujours une de plus que
le nombre.
Juan, deux coups de sifflet : l'un grave, l'autre aigu.
Pedro, trois coups : un grave, deux aigus.
Fortunato^ cinq : un grave, trois aigus et un grave à la fin.
L'explication de cette différence, faite pour tromper tous
les observateurs, est très simple. Le premier sifflement cor-
respond à une longue interjection précédant le nom propre :
c'est un appel. La langue sifflée est faite pour être entendue
de loin, à grande distance. Le début de toute conversation
consiste à héler quelqu'un :
Hé, Joseph I Hé, Dominique I
Voilà la syllabe surnuméraire.
Cette difficulté résolue; il ne fallait plus beaucoup de temps
pour généraliser. Pareille concordance existait entre le sifflet
et tous les mots canariens. Le sifflet les suivait une à une :
la prétendue langue est de l'espagnol sifflé. Le sifflet n'a rien
de spécial ; il ne constitue pas un système distinct du laa-
LAJARD. — LE LANGAGE SIFFLÉ DES CANARIES. 477
gage articulé, comme on le croyait ; c'est simplement un
moyen de porter plus loin la parole.
Le moindre doute h ce sujet est impossible^ quand on en
vient à s'essayer soi-même à cet exercice. Apres deux ou trois
semaines, on siffle. C'est ce qui m'est arrivé à moi-même, sur
le conseil de mes hommes. Ceux-ci me déclarèrent alors
qu'ils n'avaient plus rien à m'apprendre.
Il suffit, en effet, pour faire comme eux, de parler et de
siffler en môme temps. On s'aperçoit, alors, que les muscles,
tout gênés qu'ils sont par la présence des doigts et l'émission
du sifflet, conservent néanmoins une certaine indépendance.
Tout mouvement n'est pas devenu impossible. 11 se produit
certaines contractions, trace de celles qui correspondent aux
mots. Quoique impuissants à les produire, ils modifient suf-
fisamment la note générale pour être sensibles à l'ouïe.
L'oreille du Gomérien saisit au passage ces touches fuyantes
qui se perdent dans la note fondamentale du sifflet, et, sous
ce voile, l'habitude distingue la parole.
M. Quedenfeldt, dans le mémoire cité plus haut*, n'a pas
vu cette facile solution. Après avoir adopté Popinion des
auteurs tels que don Juan Béthencourt' et don Antonio
Manrique', sur le sifflet comme langage articulé, contraire-
ment à celle de M. Joest, et avoir entrevu ses rapports avec
la langue espagnole, il donne une explication erronée de ses
principes. La notation musicale accompagnant les phrases
qu'il a entendues ne correspond à rien de réel. J'ai montré
plus haut comment on ne trouve pas d'intervalles, les sons
passant d'un ton à l'autre par gradations insensibles, et le
tout n'étant que le mélange du langage ordinaire avec le son
du sifflet, servant fl le renforcer au détriment de sa netteté.
C'est un avantage pour un inconvénient, et ce dernier est
si grand, qu'on a peine à se représenter comment les Cana-
riens peuvent entendre le langage à ce point modiflé.
* Zeitschrifl fUr Ethnologie, 1S87.
• lievue des Canaries ^ 8 novembre ISSl.
3 Palria de Madrid, S septembre 1883.
T. ir (4' série). 31
4Î8 sÉANCK nu 2 juillet 1801.
Tel est le mécanisme, 1res simple, du langage sifflé. Nous
avons peine à nous représenter comment les Canariens peu-
vent Tentendre. Mais la prononciation de nos langues euro-
péennes est lissue, elle aussi, de fils très légers. Que d'étude
ne faut-il pas pour arriver à prononcer IV espagnol, le c ita-
lien! Combien y réussissent-ils jamais! Que d'efforts pour
apprécier les imperceptibles différences du w anglais employé
comme consonne ou dans une diphtongue ! Ce sont des
difficultés du môme ordre. Un détail montre qu'on ne doit
pas les exagérer : les chiens reconnaissent leur nom sifflé
avec son timbre, lorsqu'il est donné par leur maître.
Le langage sifflé, cela est évident d'après ce qui précède,
est très difficile à entendre. On parvient, en quelques jours,
à se servir des phrases les plus usuelles, mais il est très long
de les comprendre, quand c'est un autre qui les siffle. Tout
le monde pourra s'exprimer assez vite, à l'aide de ces indi-
cations. On dira : Domingo, venga acà, « Dominique, venez
ici», ou bien : « Attendez-moi, je vais vous trouver », tnais
on aura beaucoup de peine à savoir la réponse. A moins
d'être un auditif parfait, cette éducation de l'ouïe sera pé-
nible.
J'avoue que j'y ai moi-môme peu réussi. Je puism'expri-
mer assez bien dans quelques phrases courtes, et je suis
compris ; mais, pour savoir ce qu'on me dit, c'est plus diffi-
cile. Va ressemble à Vo ; r<? et Vi sont aussi très voisins. Mais
ce qu'il nous faut simplement, c'est connaître le mécanisme,
et ce but est atteint : le langage sifflé des Canaries est de
l'espagnol sifflé.
Une cause d'erreur importante, propre à tromper les obser-
vateurs et à les éloigner momentanément de ces conclu-
sions, m'a arrêté pendant quelque temps. La plupart des
Herrefios, quand on leur demande s'ils pourraient siffler
tout ce qu'ils veulent, répondent que c'est impossible. Leur
interlocuteur pense alors que certains mots manquent au
vocabulaire de ses Canariens et il est porté à déduire de là
l'existence d'une laague particulière ou, toutuu moins, d'un
LAJARI). — Ln LVNGAGG SIFFLÉ DES CANARIES. 479
système de signes spéciaux sans rapports avec le castillan.
Gomment, en effet, expliquer sans cela une semblable lacune
chez des gens parlant Tcspagnol ? La chose est cependant
facile. Le Gomérieny et il est souvent inapte à l'expliquer,
pourrait siffler ces mots très aisément, mais ils ne seraient
probablement pas compris, en raison de la rareté de leur
emploi. Tout repose ici, nous Tavons vu, sur de légères
nuances du sifflet, et une longue pratique est nécessaire pour
les distinguer. Les mots dont il se sert sont, d'ordinaire, les
termes les plus usuels du répertoire de la vie pastorale et
agricole. Les autres viennent rarement sur leurs lèvres et,
étant siffles, ont grande chance de n'être pas entendus. Aussi
mes hommes me dirent-ils qu'ils ne pourraient pas siffler une
page de journal.
Restait à examiner ce langage au point de vue de ses rap*
ports avec les mots guanches que nous possédons. On con^
naît, sur cet idiome, les recherches de Sabin-Berthelot, Hove-
lacque, du général Faidhcrbe, etc. Les dictionnaires de l'îie
de Fer, de Ténériffe, de la Gomère et de la grande Canarie
furent employés à cet efl*et *. Les natifs reconnurent quelques
termes* : c'étaient ceux qui sont encore en usage dans ces
îles. J'ai pu y ajouter les suivants :
Bernegal, cruche de Ténérifl'e ; Fole^ outre à vin ; To/io^
ustensile propre à la fabrication du fromage.
Les autres mots n'étaient pas compris en langage ordinaire
ni en langage sifflé. Malgré les données que nous en avons
tirées, l'étude du sifflet ne fournira donc pas une contribution
sensible à celle de la langue guanche, quoiqu'il ait paru des
mémoires pour le montrer sous un autre jour, y voir un sys-
tème musical et même le proposer à l'adoption générale.
L'aire de distribution du sifflet s'étend à l'île de Fer et à
la Gomère ; c'est là qu'on le trouve «vec son développement.
Ce sont aussi à peu près les plus petites du groupe, en excep-
* Je me suis servi de ceux des Estudios du docteur Chil.
* Ce sont : berote {sempervivens Canariensis), chivato (ohevreat), gtuiigo
(écuelle), guirre (vautour), itkmtê (MO à gofio).
480 SÉA5CE DU i JCILLET 1891.
tant Allegranza et Graziosa, qui méritent simplemeDi le nom
d'îlots. Ténériffe, nous 1 aTons vu, est en dehors. A la Grande
Canarie^ j'en ai trouvé des traces assez vagues.
Dans la visite que le docteur Chil a faite aux grotles de
GuajadequeS dun accès dangereux, un des hommes qui
raccompagnaient m'a paru savoir siffler. C'était un guide
choisi parmi ceux appelés enriscadores *. Après avoir réussi
à pénétrer dans la chambre sépulcrale, « il donna un coup
de sifflet pour avertir ceux qui étaient restés au pied de la
falaise qu'il avait trouvé une momie ». J*ai demandé au doc-
teur si le fait s'était produit plusieurs fois, mais je n*ai pu me
faire une opinion certaine à ce sujet. Dans les villages où
j'ai passé, à Telde, Atalaya, San Mateo, j*ai cherché sans
succès. A Las Palmas, pendant que j*apprenais à siffler, sur
le conseil de mes Herrenos, quand j'essayais de me livrer à
cet exercice en pleine rue, je devenais immédiatement l'objet
de Tattention générale, même dans les quartiers pauvres de
la ville haute, et il m'est arrivé d'entendre la qualiâcation
de medio ioco '.
Les renseignements recueillis sur Palma, Lanzerote et
Fuerteventura ne sont pas favorables à la langue sifflée. Elle
ne paraît constituer un moyen étendu de communication
qu'à l'île de Fer et à la Gomère. La population de ces îles
peut être évaluée à iOOOO habitants.
Le sifflet vient des anciens Canariens, des Guanches. Le
mot de Guanche s'emploie avec des sens assez dÎTers. Les uns
s'en servent comme terme général pour distinguer l'ensemble
de la population sauvage répandue dans les îles Fortunées an
moment de la conquête ; les autres, les seuls habitants de
Ténériffe, et d'autres, avec plus de raison, pour distinguer
une des races de larchipel. Les travaux d'anthropologie et
les mensurations craniologiques ^ nous représentent ces po«
1 Esludios, Grimpeurs,
« Id.
» AmoiUéfou. ' luD*-"»-'^
^ Dr Vcrncau, Rapport iur une mitsion seiettlifiqueé
LAJARD. — LE LANGAGE SIFFLÉ DES CANARIES. 481
pulations comme appartenant à des éléments distincts. Ce
n'est pas le lieu ici d'entrer dans le détail de cette question ;
il suffira de la signaler, à cause de la fréquence avec laquelle
revient ce mot de Guanche quand il s'agit des Canaries et
sans que les auteurs prennent la précaution de préciser ce
qu'ils entendent exactement par ce terme.
Les historiens * sont unanimes à peu près à nous repré-
senter les naturels du pays comme possédant le sifflet; nous
ne le trouvons pas toutefois considéré comme un moyen de
communication; ils n'en ont pas compris le sens.
Le récit des chapelains de Béthencourt contient cependant
une mention particulière au sujet du langage des habitants.
« Ils parlaient, écrivaient Bontier et le Verrier, des bauliè-
vres, ainsi que si fussent sans langue, et, dit-on pardessà
que ung grand prince pour aucun méffait leur fit tailler leur
langue, et, selon la manière de leur parler, on pourrait le
croire. »
Quand Garcia de la Herrera débarqua à Anaza de Bufadero
pour s'emparer do l'île de Ténériffe, en 1470, « les Guanches
se présentèrent armés de grosses lances et de pierres tran-
chantes, donnant de la voix et du sifflet en signal de guerre' » .
Le docteur Chil décrit leur manière de combattre d'après
les vieux auteurs, « dando silbos y gritos ».
« Les sifflements des Guanches partaient de tous côtés, si
terribles que les plus braves étaient émus'. »
Une paraît pas que le sifflet fût limité autrefois à la Gomère
et à l'île de Fer. Le défaut de précision relatif à une époque
étrangère à l'observation scientifique doit obliger à quelques
réserves. Les textes semblent prouver cependant que le sifflet
était en usage à Ténériffe. 11 serait donc en régression aujour-
d'hui, disparaissant avec le genre de vie et les conditions du
milieu qui lui avait donné naissance. Les langues, on le sait,
naissent, s'épanouissent, se transforment et meurent, comme
* Viera y Clavijo, etc.
« Chil, Estudios.
> Bouquet de la Grye, Annuaire du Bureau des hngiludest 1889.
488 8ÉANC6 DU 2 JUILLET i89i,
lei étre9 vivants* Englobé dans la synthèse générale de révo-
lution qui embrasse toute chose, le langage sifflé disparaît
de cette manière. Répandu autrefois dans Tarchipel, il est
confiné aujourd'hui dans deux îles. Tout en se tenant en
garde contre les relations des chroniqueurs, moines ou flibus»
tiers, on doit regarder comme probable qu'il fût là d'un
usage général, à Ténériffe surtout, tout au moins dans une
partie de la population. Deux ou trois races vivaient côte h
côte ; il existait des castes, La race primitive semblait avoir
subi un mouvement de recul vers les îles les plus éloignées
du continent. C^est là qu'on le retrouve aujourd'hui, à la
Gomére et à Tile de Fer. C'est aussi là qu'on a trouvé jus-
qu'ici, dans les recherches craniologiques, le moins d'imnii*
grants sémites.
Le langage sifflé des Canaries n^est pas un fait isolé. Nous
avons vu qu'il n'est pas particulier au point de vue linguis*
tique, car c'est de l'espagnol. Le serait-il davantage dans
^es rapports avec l'ethnologie? Il n'en est rien très probable-
IQA^nt, $1 d'un côté ses relations avec les Guancbes sont évi«-
deutes, il se rencontrOj d'autre part, ailleurs, en différents
endroits, à l'état rudimentaire il est vrai, mais avec le mômo
mécanisme. Je me propose de le démontrer dans la prochaine
séance.
Le langage sifflé peut prêter à un autre rapprochement^ à
mon avis plus important. Là où il se rencontre, il se trouve
admirablement en rapport avec la nature du sol, les hommes
qui le peuplent et leur genre de vie. On connaît les volcans
des Canaries, hautes montagnes, ravins profonds taillés à
pic. Les habitations, le plus souvent, s'accrochent à des sur-a-
plombs, quelquefois simples cavernes ou grottes creusées
dans les tufs ponceux, superposées sur la même paroi abrupte,
avec des sentiers étroits pour unique accès. Il faut se faire
entendre à distance, et rien n'est plus commode que le sifflet.
Pour traverser un barranco, le chemin est long à parcourir.
Le plus souvent il faut de longs détours, on marche pendant
des heures: quelques coups de sifflet suUisent pour çommu-
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FnANCE. 483
niqucr d'un bord à Tautre. Là où les déplacements sont
faciles, le langage sifflé est inutile et il n'existe pas. Aux
Canaries, il peut rendre des services, il s'y montre et persiste,
témoin de Tinfluence du milieu et de Tuniversalité des lois
de la nature.
Enfin, tout en le maintenant dans les limites où nous
l'avons placé, on peut dire qu'il étend, dans une cçrtainc
mesure, la notion du langage. A côté du cri et de la parole,
oq trouve quelque chose de distinct : le sifnet.
Discussion.
M. HovELACQUE fait observer qu'il résulte de cette commu-
nication que le langage sifflé n'a rien de conventionnel. Sous
le sifflement, on retrouve les syllabes mômes de la langue
parlée. On les porte seulement plus loin, à une grande dis-
tance, au détriment toutefois de leur netteté et do leur intel-
ligibilité. Si nous connaissions à Tavance les mots qui vont
être prononcés en sifflant, nous les reconnaîtrions sous leur
forme sifflée. Ce qui permet aux Canariens de comprendre
assez facilement ce langage, c'est qu'il n'est employé que
dans un petit nombre d'occurrences, toujours les mêmes, de
la vie la plus usuelle des montagnards.
SnlCe de la diseassion sur la natalité en Franee.
La théorie de la natalité
et l'ur^enee de la eontrùler par les faits;
PAR &I. ARSÈNE DUUONT.
Les principales explications de l'abaissement de la natalité
française qui ont été avancées jusqu'à ce jour se ramènent
à trois : on en a cherché la cause dans des faits d'ordre éco-
nomique, d'ordre physiologique et d'ordre mental.
Pendant très longtemps, la faiblesse de la natalité et de la
nuptialité a été universellement considérée comme un effet
de la misère. Aujourd'hui et surtout en France, elle paraît
484 SÉANCE DU 2 JUILLET 1891.
plutôt Hée à la possession de la fortune. On admet générale-
ment que, par tout pays, c'est la misère qui est féconde et
la richesse qui est stérile. Toutes les aristocraties se sont
éteintes par suite d'une reproduction insuffisante et^ dans
les grandes villes, ce sont les quartiers opulents qui ont le
moins d'enfants, les quartiers pauvres qui en ont le plus.
A la vérité, les années de disette et de guerre sont habi-
tuellement des années de faible nuptialité et de faible nata-
lité. C'est un fait que l'on peut observer dans tous les grands
États européens. Mais les mariages différés se font une ou
deux années plus tard, et la nuptialité de la décade non plus
que la natalité n'en est pas sensiblement modifiée.
J'ai pu saisir le déterminisme de ces faits dans une collec-
tivité assez restreinte pour être accessible à Tobservalion
directe.
Dans le canton de Fouesnant (Finistère), on dit couram-
ment : « Année de pommes, année de mariages. » Le cidre,
qui est excellent et se vend très cher, est le principal objet
d'exportation de ce pays généralement très pauvre. S'il est
abondant, il a pour effets : aisance, amélioration de Tordi-
naire, gaieté^ confiance dans l'avenir et, finalement, nuptia-
lité élevée ; s'il fait défaut, il s'ensuit : gène, tristesse, isole-
ment et, finalement, rareté des mariages. Cependant, en
dépit de ces modifications annuelles, la nuptialité générale,
prise décade par décade, demeure extrêmement élevée. Une
année malheureuse ne fait que retarder les mariages, qui
deviennent d'autant plus nombreux dès que la prospérité
renaît. Elle agit comme une pierre tombant dans une pièce
d'eau paisible, qui détermine des ondulations à la surface,
mais n'en change pas le niveau.
Le taux général de la nuptialité et de la natalité dépend
de causes qui, elles aussi, sont générales et beaucoup plus
profondes. Nous pouvons, en conséquence, continuer à tenir
pour seul vrai ce fait d'expérience. La misère élève très cer-
tainement la mortalité ; mais ce n'est pas elle qui engendre
rabaissement de la natalité; tout au contraire^ une natalité
DISCUSSIOiN SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 485
élevée coïncide ordinairement avec la misère, une natalité
faible ou médiocre avec la richesse.
Ajoutons, dès maintenant, que la richesse n'agit sur la na-
talité que par l'intermédiaire d'une énorme quantité d'idées,
d'appréciations et de tendances, constituant cet ensemble
complexe que l'on nomme la culture civilisée, et dont l'adop-
tion par une famille est la conséquence habiluelle de son
élévation à la fortune.
Pour M. Fauvelle, la cause de rabaissement de la natalité
est due à l'état physiologique de la population. « C'est, dit-il
avec raison, commettre une erreur que de prétendre que,
dans l'union des sexes, la fécondité est sous la dépendance
absolue de la volonté. Dans l'état d'intégrité physiologique,
qui est celui de la classe ouvrière, calculs et raisonnements
perdent leur pouvoir, les résolutions les mieux arrêtées et
les mieux motivées s'oublient toujours à un moment donné.
Ils n'exercent leur mauvaise influence que parmi la classe
bourgeoise, énervée par une vie artificielle, Tabsence d'ac-
tivité musculaire et la prédominance de l'activité nerveuse.
L'amour pleinement conscient devient analyseur et libertin,
et par suite infécond, quand il lui plaît.
Le travail manuel et l'ignorance, une conscience un peu
somnolente, apparaissent donc à la fois comme la sauvegarde
et l'explication de la fécondité populaire. La richesse, le tra-
vail intellectuel, l'empire sur soi et le pouvoir de gouverner
tous ses actes par sa volonté sont les conditions dans les-
quelles la natalité s'abaisse. Je dis les conditions et non les
causes.
Les pauvres ont des raisons puissantes de vouloir être sté-
riles, et la bourgeoisie semble n'avoir que des raisons moin-
dres. Cependant, ce sont les pauvres qui restent féconds,
parce qu'ils ne font pas ce qu'ils veulent, et c'est la classe
cultivée qui est inféconde, parce qu'elle ne fait communé-
ment que ce qu'elle veut. Qu'en conclure, sinon que c'est la
volonté qui est bien véritablement la cause de l'abaissement
de la natalité, ou, plus exactement encore, les idées qui
486 SÉANCE DU 2 JUILLET 1891.
déterminent la volonté, les circonstances d*ordre mental,
intellectuel, moral et esthétique?
La pauvreté et ses suites babiluelles, ignorance et tra-
vail musculaire, préservent la natalité, comme le froid pré-
serve les viandes de la putréfaction; mais la richesse, le tra*
vail intellectuel et l'empire sur soi ne sont pas plus les causes
de rabaissement de la natalité que la chaleur n'est la cause
de la fermentation. L'élévation de la température n'est que
la condition indispensable et bienfaisante sans laquelle ni la
végétation, ni les ferments utiles, ne se produiraient. De
même, la richesse, Tinstruction, le travail intellectuel, sont
utiles et indispensables au progrès. Nul peuple ne se con-
damnera à perpétuité, dans le but de rester fécond^ à de-
meurer pauvre, ignorant, barbare. Une telle vision a pu
hanter la cervelle des Lyourgues antiques au temps où les
cités demandaient aux philosophes de leur donner des lois^
et elle traversait encore l'imagination de Juvénal ; mais elle
est complètement évanouie aujourd'hui. Il faudra de toute
nécessité trouver quelque autre remède. Il faudra que U
volonté individuelle apprenne à vouloir ce qui est conforme
aux vœux de la nature et au bien de l'espèce, et il faudra,
d'autre part, qu'on mette l'individu dans de telles conditions
qu*il puisse vouloir ainsi sans déployer un héroïsme sur-
humain. 11 faudra parvenir à la détermination rigoureuse,
puis à l'élimination du principe toxique contenu dans la civi-
lisation, principe contenu à la fois dans le catholicisme e1
dans l'hellénisme, d'après lequel l'individu est tout com-
plet qui se suffit à lui-même et qui a pour fin dernière soc
bonheur personnel. A ce principe malfaisant, il faudra qu'on
substitue celui-ci : l'individu n'a pas son but en lui-même i
mais en ce qui vaut mieux que lui-même, la famille, la pa<
trie, la science, forme suprême de Tal truisme.
Cette troisième théorie n'est pas en contradiction avec la
seconde ; rinfluence du milieu externe ou social n'est nulle-
ment exclusive de l'influence du milieu interne ou physiolo-
gique. La natalité résulte bien certainement de deux com<
DISCUSSION sua I«.i NATAUTÉ KN FRANCS. 487
posantes, l'une organique, Tautre collective. Quelle que soU
celle des deux dont on affirme l'action, on ne se trompe
point, et Ton n'aurait tort qu*en refusant de tenir compte da
l'une ou de Tautre. L*6tat physiologique de Tindividu joue
son rôle ; mais la civilisation joue aussi le sien, qui est le plus
important. Il est bien vrai qu'on supposant l'individu doué
d*une résistance suffisante à Tinfluenoe du milieu externe,
celui-ci n*aurait aucune mauvaise conséquence. Mais si ce
milieu pousse énergiquement h la limitation volontaire de la
fécondité, il y aura toujours un grand nombre d'individus
qui la limiteront. Pour qu'un homme soit atteint des fièvres
paludéennes, il faut deux choses : 1^ qu'il soit en état de ré*
ceptivité, c'est-à-dire que rien en lui ne s'oppose à ce qu'il
les contracte ; 2** qu'il existe dans le pays qu'il habite des
miasmes capables de développer les fièvres. Si ces miasmes
existent, il y aura toujours un certain nombre d'individus
qui gagneront les fièvres ; car l'immunité n'est jamais que
l'exception. La réceptivité^ au contraire, pourrait exister
indéfiniment sanç conséquences f&cheuses, si les miasmes
n'existaient pas dans le milieu externe.
A la chaleur du bien-ôtre et grAce à une culture mentale
intense, la civilisation développe l'esprit d'analyse, l'empire
sur soi et le pouvoir de ne faire que ce que Ton veut. Il sera
donc toujours rare, ou du moins exceptionnel, que des époux
très cultivés, même en possession de a leur intégrité phy«
siologique » , y puisent une immunité complète contre les
influences du milieu social qui sont contraires à la natalités
C'est donc ce milieu externe qu'il faut étudier et modifieri
assainir par des lois. La civilisation est bonne dans son en^
semble; mais le principe toxique qu'elle contient doit être
isolé et éliminé. Si difficile que paraisse cette tâchOj elle n'est
pas impossible^ pourvu que le législateur soit assez babilQ
pour donner à la science sociale les moyens de déterminer
avec précision le mal, ses causes et ses remèdes.
Quant & présent, la sociologie n'est pas assez avancée pour
que les nations puissent exercer sur elles-mêmes une telle
■i
488 SÉANCE DU 2 JUILLET 1891.
action modificatrice. Jusqu'ici, toutes les populations richei
sont allées à la corruption, toutes les aristocraties se son!
éteintes par excès des décès sur les naissances, de même qn(
tous les bourgeois pensant noblement et tous les plébéiens
pensant bourgeoisement. Les quelques exceptions qne j'ai
citées ailleurs s'expliquent d'elles-mêmes et, d'ailleurs^ ne
sont que passagères. Au contraire, toutes les nations qui ont
conservé une natalité élevée le doivent à la pauvreté, comme
les viandes gelées doivent leur conservation au froid qui
empêche l'évolution des germes.
Cette assertion veut être expliquée. Il est, en effet, des
villes, des départements, des États, qui sont universellemenl
regardés comme riches et qui, cependant, ont conservé leui
natalité; mais la solution de cette difficulté apparente esl
facile. Il est des pays économiquement riches qui se compor
tent, au point de vue démographique, à peu près comme
s'ils ne contenaient que des pauvres.
En réalité, il n'y a point de circonscription territoriale de
quelque étendue qui n'ait en proportion très variable des
pauvres, des gens aisés et des riches. Au point de vue de la
natalité, ces deux dernières catégories se confondent en une
seule : car les familles aisées aspirent à la condition des fa-
milles riches, les imitent autant qu'elles peuvent dans leurs
manières de sentir, de penser et d'agir; elles n'ont qu'une
aspiration, qui est de monter au même rang, au même genre
et au même degré de culture mentale, et elles ont même na-
t€tlité. Les vrais pauvres, se laissant vivre au jour le jour,
sans entrevoir la possibilité, pour eux ou pour leurs enfants,
de s'élever au sort des classes supérieures, ont d'autres
appréciations sur toutes les choses de la vie, d'autres mœurs,
d'autres goûts. Ils diffèrent autant au point de vue ethno-
graphique qu'au point de vue économique, et ils ont une
natalité élevée.
Mais les habitants riches, même unis à la classe aisée^ ne
forment quelquefois qu'une fraction de la population totale
trop faible pour modifier sérieusement les phénomènes dé-
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 489
mographiqiies. Celle minorité, si elle compte beaucoup de
millionnaires, suffit pour faire considérer le pays comme
riche ; mais elle n'en est pas moins noyée dans la masse
pauvre.
Supposons dans une même circonscription l'existence si-
multanée de deux classes sociales, présentant deux manières
de vivre tranchées et formant une antithèse violente. L'une
de ces classes sera riche ou aisée et très peu féconde : sa
nuptialité sera, par hypothèse, de 6 mariages, et sa nata-
lité de i5 naissances pour 1 000 habitants ; l'autre sera très
pauvre et très féconde, avec une nuptialité de 9 mariages
et une natalité de 45 naissances par 1000 habitants. Ces
chiffres n'ont rien d'invraisemblable. D'une part, en efTet,
on a vu la natalité pour 1 000 s'élever à 49 et 50, en Russie.
En France, j'ai observé un cas de 47 naissances pour 1 000 ha-
bitants, natalité moyenne de sept années, dans la commune
de la Forêt (i 700 habitants), canton de Fouesnant (Finis-
tère), et de nombreux cas de 40 à 45 dans le même canton
et dans celui de Lillebonne (Seine-Inférieure). D'autre part,
il est encore plus facile de trouver en France des popula-
tions ou la natalité descend à 15 naissances pour 1 000 habi-
tants et même au-dessous. C'est le cas des six quartiers de
Paris les moins féconds, où la natalité varie entre 14,4, à
Saint-Thomas-d'Aquin, et 10,3, dans le quartier delà Porte-
Dauphine. J'ai constaté moi-même un cas de natalité de
10 pour i 000 habitants, moyenne de dix ans, dans la com-
mune de Saint-Contest (Calvados). Les communes dans ce
cas doivent être très nombreuses dans l'Eure, l'Orne, le Gers,
étant donnée la natalité moyenne de ces départements.
Dans la circonscription que nous imaginons, supposons que
la fraction de la population riche et stérile forme 1 dixième
de la population totale ; la natalité générale sera encore
de 42 et la nuptialité de 8,7. Si la classe riche ou aisée forme
2 dixièmes de la population totale et la classe pauvre les
8 autres dixièmes, la natalité sera encore de 39 et la nuptia-
lité de 8,4. Si la classe riche forme 3 dixièmes et la classe
490 9^.ANCK DU 2 JUILLET 1891.
pauvre 7 dixièmes de la population totale, la natalité ser
encore de 36 et la nuptialité de 8,i . Avec 4 dixièmes de clafi9«
riche et 6 dixièmes de classe pauvre, la natalité sera de 3i
et la nuptialité de 7,8) etc. On voit que, pour chaque dixièm
de population riche et stérile, la natalité et la nuptialité gé
nérales s'abaisseront, non pas de 1 dixième de leur chifin
total, mais seulement de 1 dixième de la différence exislan
entre le nuptialité et la natalité de la classe riche, d'une part
la nuptialité et la natalité de la classe pauvre, de Tautre. Oi
peut, en conséquence, construire le tableau suivant, conte
nant la natalité et la nuptialité d'une population idéale com
posée de onze mélanges ou types différents des deux classée
l'une riche et l'autre pauvre^
De ta âécroissanee à» la nuptiaUté et de la natalité dans uHê population idia
de 1 000 habitante^ A mêêUre quê M'aoùToU la proportion des habitanls
riches ou aisés.
Numéro
des types
d« population 1
PfoportioB
des riches.
en dixièmes
des panvres.
Nuptialité.
Nat&liié.
10
0
iO
9
45
20
1
9
8,7
42
3»
t
8
8.4
89
4<»
3
7
8,1
30
5»
4
C
7.8
83
6»
5
5
7.5
30
7»
G
4
7,2
27
8*
7
3
6.9
24
90
8
2
6.6
21
lOo
9
1
0,3
18
11»
10
0
G.O
15
Nous avons déjà dit que le premier de nos onze types d
population se trouve réalisé en Russie. Il est certain qu*e
Russie la classe riche ou aisée est noyée dans la masse colo<
saie des paysans à peine émancipés du servage ; et quant à 1
commune de la Forêt, il existe, à la vérité, un petit nombr
de familles riches ou aisées, mais elles ont continué à vivr
et à penser comme les pauvres et, par suite, sont féconde
comme eux.
Le deuxième type se trouve réalisé dans le canlon de Lil
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRAN'CE. ^91
lebonnc, où, sur 14 000 habitants environ, il n'y en a pas
plus de 1 400 qui soient riches ou aisés. Quelle que soit Topu*
lence d'un petit nombre de familles qui fait considérer ce
pays comme riche au point de vue économique, la popula-
tion ne peut se comporter, au point de vue démographique^
autrement qu'une population pauvre.
Le troisième type, comprenant i cinquième de population
riche ou aisée et 4 cinquièmes de population pauvre, corres-
pond assez bien à la Prusse, où la natalité était encore de 39
à 40 il y a douze à quize ans, et au quartier du Père-Lachaise,
à Paris. Il n'est pas impossible que, dans ce quartier, il y ait,
en effet, 4 cinquièmes de prolétaires vivant au jour le jour,
sans espoir de s'élever jamais à une condition supérieure,
préférant Targot au français, tournant résolument le dos à
a civilisation aristocratique et bourgeoise.
Le quatrième type, comprenant 3 dixièmes de population
riche ou aisée et 7 dixièmes de population pauvre, corres»
pond assez bien à l'Angleterre pendant les années 1879-1880
et, chez nous, aux villes de Lille et du Havre, où la natalité
est de 37 et de 35,5, et aux quartiers parisiens du Pont'^de^
Flandre et de la gare d'Orléans.
Le type n® 5, comprenant 2 cinquièmes de population riche
ou aiséfî et 3 cinquièmes de population pauvre vivant au jour
le jour, correspond à la France de 4801-1810, où la natalité
était de 32,9 et la nuptialité de 7,8. Il correspond à peu près,
aujourd'hui, aux quartiers parisiens de Javel, de la Maison-
Blanche et de la Chapelle, où la natalité varie de 32,3
à 32, 7.
Le type n° 6, présentant une moitié de population riche ou
aisée et une moitié de population pauvre, correspond à la
France de 1821-1830, où la natalité était de 30,6. Elle cor-
respond à peu près (1 l'état actuel des villes de Rouen,
d'Amiens et de Marseille.
Le type n" 7, avec 4 dixièmes seulement de pauvres vivant
au jour le jour, correspond à peu près à la France de I8il«
1850 et au Paris actuel.
492 SÉANCE DU 2 JUJLLET 1891.
Le type n** 8, avec 3 dixièmes seulement de pauvres vivant
au jour le jour, correspond à peu près à la France actuelle,
où la natalité était récemment encore de 24 naissances
pour 1000 habitants. Il est à remarquer que ce qu'il y a de
conjectural dans ce parallélisme ne tient nullement à la sta-
tistique humaine, mais seulement à Timperfection de la statis«
tique économique, qui ne nous permet pas d'affirmer avec
certitude qu'il y ait aujourd'hui en France 7 dixièmes d'habi*
tants riches ou aisés, tandis qu'il n'y en avait que 4 dixièmes
au commencement du siècle. Mais tout se passe comme s'il
en était ainsi, et Ton sait que, depuis le commencement du
siècle, les progrès de l'aisance ont été très rapides.
Les trois derniers types de population se rencontreraient,
aisément réalisés à un grand nombre d'exemplaires, dans
nos départements et nos petites villes à natalité faible, qui
ont généralement, on le sait, une très grande majorité d'ha-
bitants aisés ou passant comme tels, vivant en petits rentiers,
restreignant leurs dépenses, atrophiant leurs facultés et se
gardant comme d'un déshonneur de demander à un supplé-
ment de travail un supplément de ressources. La natalité de
ces derniers descend bien au-dessous de 15 ; en réalité, elle
est souvent nulle, et c'est pourquoi, dans des communes et
des quartiers où il existe encore nécessairement quelques
familles fécondes, la natalité peut ne pas dépasser 15 pour
1000 habitants.
Sans doute, ces types idéaux ne se trouvent jamais exac-
tement réalisés. Il y a toujours un certain nombre de familles
riches ou aisées qui ont de nombreux enfants ou une fécon-
dité moyenne. Cependant, d'une façon générale, ils forment
la maquette de la réalité. En effet, s'il existe, entre les plus
pauvres et les plus riches, une infinité de degrés intermé-
diaires et tous occupés, il n^en est pas ainsi lorsqu'il s'agit
de l'aspiration de l'individu vers son développement person-
nel ; il la ressent ou ne la ressent pas et quelquefois c'est sur
les limites mêmes de la pauvreté et de l'aisance qu'il la res-
sent avec le plus de force. Michelet, qui, en fait d'observa*
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 493
tion sociale, a toujours montré une incomparable pénétration,
parce qu'il y mettait une incomparable sympathie, remarque,
à propos de lui-même, u que le plébéien met le but plus haut
que Tétudiant bourgeois » , Le désir de s'élever, pour peu qu'il
ose se produire, est d'autant plus dévorant, par suite, d'an*
tant plus stérilisant, qu'il se produit dans une classe plus
humble. Au contraire, le véritable prolétaire, Touvrier d'usine,
le paysan breton, le marin adonné à la pèche, qui n'ambi«
tionne pour lui et pour ses enfants rien de plus que sa situation
actuelle, reste fécond, car, en toutes circonstances, l'effort
fait par la race vers son développement en nombre est en
raison inverse de l'effort fait par Tindividu vers son déve-
loppement en valeur ou en jouissance.
Si notre natalité est moindre aujourd'hui qu'il y a quatre-*
vingts ans, ce n'est pas, on le sait assez, qu'elle se soit abais-
sée uniformément dans toutes les familles, les nombreuses
familles de sept enfants et plus le prouvent suffisamment;
c'est que le nombre des familles ayant de l'aisance, partici-
pant à la civilisation, entraînées dans le mouvement ascen-
dant de la capillarité sociale, est allé s'accroissant.
D'autre part, notre civilisation n'est pas plus toxique au-
jourd'hui qu'au commencement du siècle ou aux siècles pré-
cédents. « A la cour comme à la ville », sous Louis XIV ou
sous Louis XV, elle était tout aussi stérilisante ; ses principes
d'individualisme à outrance, d'après lesquels l'individu a
son but en soi, ont toujours été les mêmes en Occident, et
toujours elle a tué les classes sociales qu'elle a pénétrées.
Mais, il y a un siècle ou deux, on ne voyait pas encore le
mal qu'elle faisait, parce qu'elle n'atteignait qu'une fraction
numériquement faible de la nation qui, dans son ensemble,
se comportait encore comme une population démographique-
ment pauvre. Si la civilisation est devenue de plus en plus
une cause d'oliganthropie, c'est qu'elle s'est de plus en plus
répandue ; l'aisance s'est vulgarisée, le droit de suffrage et
l'admissibilité de tous les citoyens aux emplois ont fait de
. la France une démocratie ploutocratique. On peut évaluer
T. ti (4« série). 32
4fi4 SÉANCfi DU 2 JUILLET i89i.
qu1ly fëfiie encore 3 dixièmes de prolétaires qui soutiennent
par leur fécondité, le niveau de la natalité générale. Si lei
tueë qui précèdent ont quelque justesse, il est plus que pro
bable qu'avec rextinclion complète de notre quatrième état
la natalité française descendrait à 15 ou 46 naissances poai
1000 habitants.
Bi cette tnanière de concevoir le rapport existant entre h
développement de Faisanœ générale, raccroissement di
nombre des civilisés ou aspirant à la civilisation, et, d*aatn
parti les progrès de Toliganthropie française, était accuséf
d*étre trop hardie ou trop conjecturale, le reproche me pa-
ralU*ait peu grave* Hypothèses et théories sont destinées c
être éprouvées par le contrôle des faits» Il faut les imagine)
avec abondance et les abandonner avec facilité. Leur rôh
est de provoquer à la recherche de faits nouveaux oeux qu
veulent les renverser et oeux qui veulent les défendre ; c'es
là leur principale utilité et leur plus grand méritoi
Toute science, pour se constituer, dit*on, doit passer nôcea
sairement peu* quatre périodeSé
D'abord, c'est une simple collection de faits découvert
par un ou plusieurs chercheurs et assemblés au hasard, sani
une idée générale qui leur sei^ve de lien.
Plus tard, on essaye une théorie de ces faits : c'est um
synthèse provisoire qui doit être très ample, mais qui» for-
cément, reste un peu vague. Elle ne peut devenir scienci
que quand il a été prouvé qu'elle n'est en contradiction ave<
aucun fait et qu'elle s'accorde avec tous.
La troisième phase comporte l'étude détaillée> méthodiqut
et complète de tous les faits pouvant servir à infirmer oi
confirmer les théories mises en avant.
Enfin se forme la synthèse définitive, à la fois très amph
et très précise.
Il semble bien qu'en ce moment ce qui sera un jour h
science de la natalité en est à la seconde de ces quatre pé-
riodes. L'état d'avancement de nos connaissances démogra*
phiques ne permet pas de faire encore autre chose qu'une
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 499
théorie de la natalité. Celle que j'ai essayée ne se donne
elle-même que pour une hypothèse provisoire, en attendant
une connaissance plus complète des faits.
Je voudrais montrer qu'il est urgent de passer au plus vite
de la période des systématisations provisoires dans celle de
rinventaire méthodique et complet des faits relatifs à la nata-
lité. L'abus des théories est un danger pour une science nais-
sante ; comme elles procurent à Tesprit une demi-satisfao-
tion, il est à craindre qu'il ne s'en contente. Alors foisonnent
les appréciations, les considérations, les affirmations plau-
sibles et sans preuve. C'est ce qui est arrivé à l'économie
politique, qui en est demeurée frappée d'arrêt de développe-
ment depuis cinquante ans au moins. Si la stktistique éco-
nomique se fût donné pour tâche l'accumulation des faits
précis, elle eût certes produit moins de volumes, mais beau-
coup plus de vérités.
La statistique humaine est heureusement plus avancée et,
grâce à cet admirable instrument, la science de la population
pourra sortir de la phase des théories en accumulant les faits
qui doivent les juger.
11 est, du reste, heureux qu'il en soit ainsi, car il n*y a pas
un instant à perdre. Le danger que la dépopulation fait cou*
rir à la France est pressant ; c'est une maladie sociale d'au-
tant plus redoutable, qu'elle lue les nations sans faire souf-
rir aucun des individus dont elles se composent, de sorte
qu'elle a beau être depuis longtemps signalée, elle trouve le
public indifférent, quand il n'est pas railleur, tout disposé à
attendre que la France meure pour reconnaître ensuite
qu'elle a été malade. D'autre part, on ne peut songer à
appliquer des remèdes quand on n'est pas d'accord sur les
causes du mal. En pareil cas donc, le devoir qui slmpose,
c'est de l'étudier de beaucoup plus près qu'on ne l'a fait
jusqu'ici.
Il ne faut pas croire que la démographie do la France soit
finie ; elle n'est que commencée. Des milliers de faits de la
plus grande variété, du plus puissant intérêt, restent à con-
496 SÉANCE DU 2 JUILLET 1891.
stater et réservent les surprises les plus imprévues à qui vou-
dra prendre la peine de les découvrir. Mais cette tâche est
énorme, les forces individuelles sont absolument insuffi-
santes pour l'accomplir. Au nom du progrès de la science
sociale, la plus noble de toutes les sciences, au nom du péril
national provenant de la dépopulation croissante, je prie
donc tous ceux qui ont à cœur cette question d'user de toute
l'influence dont ils peuvent disposer pour obtenir que l'État
fasse faire^ dans la France entière, le relevé de la natalité et
des princij)aux faits démographiques concomitants, décade
par décade et commune par commune, depuis le commen-
cement du siècle jusqu'aujourd'hui.
En ce moment même, le ministère du commerce s'occupe
d'organiser un « Office du travail » ayant pour objet « ane
statistique permanente du travail ». On doit voir avec une
joie profonde le gouvernement s'engager dans cette voie. Eu
définissant avec plus de précision le programme de l'Office
du travail, on se convaincra bien vite de son immense éten«
due. Pour fournir les éléments des solutions cherchées aux
problèmes sociaux, il ne faudra rien moins qu'une statistique
économique complète de la France étendue à toutes les in-
dustries, y compris les industries agricoles, à toutes les pro-
fessions, à toutes les sources de revenu de tous les Français
et à la manière de le dépenser. Après la statistique écono-
mique qui, même complète, ne peut donner les éléments
d'une solution, on devra passer à la statistique démogra-
phique ; puis viendra enfin l'enquête ethnographique com-
mune par commune. Un jour, certainement, on en viendra
là. Mais il serait bien à désirer que la statistique démogra-
phique n'attendît pas aussi longtemps et qu'elle fût com-
mencée non postérieurement, mais parallèlement, à la statis-
tique économique. En deux on trois années et pour S millions
environ, ce travail considérable pourrait être fait et publié.
Alors, il serait possible de choisir, pour aller les étudier
sur place, les communes qui présenteraient à son plus haut
degré d'intensité le phénomène spécial que l'on voudrait
DISCUSSION SUR LA NATALITl^ EN FRANCE. 497
observer, par exemple la plus haute ou la plus basse nata-
lité, la plus haute ou la plus basse nuptialité, le plus grand
ou le plus petit nombre de naissances par mariage, la plus
forte ou la plus minime proportion des naissances naturelles.
A vrai dire, le relevé que nous demandons ne donnerait pas
les causes de Tétat actuel de la natalité ; on n'y pourrait
trouver que ce qui y serait, c'est-à-dire Tétat détaillé de la
natalité française. Mais^ sans ce détail, il sera impossible de
faire, sur le déterminisme de ce phénomène, autre chose
que des conjectures. C'est seulement dans les grands Etats,
les grandes villes, les grandes divisions territoriales que la
démographie trouve les faits généraux qui intéressent Tezis-
tence ou la prospérité des peuples ; mais c'est seulement
dans des collectivités très restreintes qu'elle en peut trouver
Texplication, en s'aidant de l'observation directe, car, aban-
donnée à elle-même, elle n'est qu'une simple science de
constatation, comme toute statistique, et se borne à enregis*
trer des faits, sans pouvoir arriver aux causes.
En outre, quand elle s'occupe de populations très nom-
breuses^ de quelque phénomène qu'il s'agisse, elle noie les
maxima et les minima dans une moyenne indistincte, qui
rend à peu près impossible de soupçonner les faits ethno-
graphiques qui engendrent les faits démographiques. Ainsi,
dans la natalité moyenne de la France sont compris des
départements à natalité maximum, où le chiffre des nais-
sances est plus que double de celui des départements à nata-
lité minimum. Si on ne le savait pas, on s'exposerait à aller
chercher, dans le Finistère ou dans le Nord, les causes de
l'affaiblissement de la natalité française, et Ton aurait quelque
peine à les y découvrir.
Mais le département lui-même est encore beaucoup trop
vaste. Il ne se prête pas à l'observation directe ; il contient
toujours des communes qui dépassent de beaucoup la moyenne
départementale et d'autres qui restent beaucoup au-dessous.
Il serait ridicule d'aller à Bréhat chercher les causes de la
fécondité des Gôtes-du-Nord^ ou, dctns le canton d'Isigny,
408 SÉANCE DU â JUILLET 4891.
chercher pourquoi le Calvados est stérile. Il n'y a qu'un parti
qui soit rationnel : c'est de choisir un groupe de colleclivités
assez petites pour qu'on puisse les parcourir à pied en ions
sens, j'entends les diverses communes d'un canton. Par leurs
dissemblances et leurs similitudes, elles donneront lieu à
des comparaisons très suggestives. La commune rurale de
500 à 1500 habitants est celle qui se prête le mieux à une
étude à la fois démographique et ethnographique. Au-dessous
de 500 habitants et surtout de 300, on a beau n'étudier que
des moyennes décennales, les oscillations de la natalité, de
la mortalité et surtout de la nuptialité avertissent, par leur
amplitude exagérée, que les résultats sont influencés par des
causes accidentelles. Au-dessus de i 500 habitants et surtout
de âOOO, la commune ne présente, plus d'homogénéité. Les
faits démographiques y sont toujours faciles à constater ;
mais leur interprétation présente de grandes difficultés et
reste souvent assez incertaine.
Quant aux points sur lesquels doit porter l'attention du
chercheur, comme, en principe, tout peut avoir de l'influence
sur la natalité, il notera tout ce qu'il voit : la géographie, la
géologie et la topographie, l'anthropologie et l'onomatologie,
puis toutes les particularités de l'habitation, du vêtement, de
l'alimentation, du langage, des jeux, des fêtes, qui peuvent
donner une indication de l'état intellectuel, moral et esthé-
tique de la population. Il faut se souvenir que c'est à la
volonté que tient généralement le chiffre de la natalité, et
que la volonté elle-même est déterminée par des idées, des
appréciations sur les choses de la vie, qui sont endémiques
dans un pays. Avec un peu d'habitude, c'est-à-dire après
avoir visité deux ou trois cantons, on arrive assez rapide*
ment à soupçonner le point où doit se trouver le mot de
l'énigme.
Je puis dire qu'en général la question de race est indiffé*
rente â la natalité ; au contraire, la géographie et la topo-
graphie ont un grand intérêt^ car elles déterminent souvent
rimportanoe des agglomérations et la profession des habi*
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANGE. 409
tants; or, leur profession, à son tour, a une relation avec
leur richesse^ leur degré de participation à la civilisatiori
centrale, et finalement avec leur natalité.
La langue a une grande importance. Presque infaillible^
ment, une population qui ne connaît pas le français est
féconde. C'est une marque sûre du peu d'attrait exercé sup
elle par la culture mentale. Un oostame local très partioulier
est, commç le Breton, le Flamand ou le Basque, et pour la
même raison, une présomption de natalité élevée.
La profession a moins d'importance en un sens^ car ello
n'agit que combinée avec d'autres influences. J'ai montré,
ailleurs, comment une simple sabdivision de la profession
de marin se liait à une grande différence de natalité* Las
marins de Groix sont pécheurs et très féconds; ceax de
Bréhat sont marins de la flotte, visent aux grades et aux
emplois, imitent en tout leurs ofUciers de civilisation bour«*
geoise et sont stériles comme eux.
Le régime de la terre exerce une grande influence, bien
que très indirecte» La propriété communale en Russie et
à FoilrMardyck, le domaine congéable à Fouesnant, s'allient
avec une absence presque complète de développement per»
sonnel chez les habitants et, par suite, avec une (inorma
natalité de 40 h 50 pour 1000 habitanU.
La tendance à l'émigration s'allie tantôt avec une natalité
satisfaisante, tantôt avec une natalité très faible» U faut abso^*
lument aller sur place pour se rendre compte des eausas da
ces effets si divers. Dans le cas où ceux qui émigrent sont
des pauvres expulsés par le besoin qui vont exercer au loin
quelque humble travail manuel, la collectivité d'où ils partant
reste féconde (Gôtes-rdu^Nord). Quand au contraire ea sont
les habitants les plus riches ou les plus aisés qui émigrent,
par besoin d'un développement intellectuel ou asthétiqna
plus considérable, ceux qui restent participent da la mèïM
disposition mentale et sont très peu féconds (île da Bi)»
L'idée la plus générale qui résulte dis études da aatta
nature que j'ai pu faire Jusqu'ici est celle-ci : quelqua popu»
SOO SÉANCE DU 2 JUILLET i89l.
lation que Ton considère, toutes les fois que Ton voit un
phénomène économique ou ethnographique varier parallèle-
ment à la natalité, cette variation parallèle tient, non à ce
que le phénomène économique ou ethnographique est la
cause des modifications qui se produisent dans la natalité,
mais à ce qu'il est Tindice de la seule cause véritable, qui
est l'aspiration plus ou moins intense de l'individu vers son
développement personnel, soit en valeur, soit en jouissance.
Cette aspiration, au point de vue psychologique et interne,
peut être, si Ton veut, dénommée ambition. Au point de vue
collectif, elle constitue le phénomène auquel, faute â*une
dénomination antérieurement existante, j'ai donné le nom
de capillarité sociale.
Ce n'est, je le répète, qu'une simple théorie, basée sur une
dizaine d'années d'observations personnelles, c'est-à-dire
sur bien peu de faits en comparaison de la masse énorme de
ceux qui restent à découvrir. L'étude des communes rurales
en offre en quantité illimitée. La mine est d'une richesse
incalculable et encore presque intacte. Il ne faut que des
travailleurs. Que l'initiative individuelle les fournisse donc,
si c'est possible ; sinon, que l'État les subventionne. Ce sera
moins glorieux ; mais l'essentiel est que le travail soit fait et,
d'ailleurs, aucune science, ainsi que le disait Claude Bernard
à propos de la physiologie, « n'a jamais avancé que propor-
tionnellement aux encouragements et aux moyens de travail
que le pouvoir lui a fournis ».
Discussion.
M. Sanson fait observer, à propos de l'opinion émise par
M. Dumont au sujet de l'influence favorable du travail manuel
sur la natalité, que, dans la Charente et la Charente-Inférieure,
il y a des populations qui travaillent beaucoup et néanmoins
leur natalité est très faible, à cause de la restriction voulue
des naissances, l'enfant unique ayant beaucoup d'avantages
financiers. Ce facteur prime donc de beaucoup celui qu'in-
voque M. Dumont.
DISCUSSION SUR LA NATALITÉ EN FRANCE. 501
M. DuMONT répond qu*en effet il en est ainsi dans certains
cas. Par exemple, à l'île de Ré, les femmes travaillent beau-
coup et n'ont cependant qu'une fécondité restreinte ; il n'est
pas rare que de très jeunes ménages attendent une dizaine
d'années avant de se permettre leur premier enfant. Mais il
est à remarquer que, parmi ces populations, le travail mus-
culaire n'est pas tout ; la vie nerveuse et l'activité intellec-
tuelle sont très considérables, ce qui leur rend facile de ne
guère faire que ce qu'elles veulent. Au contraire les nom-
breuses filles-mères du canton dlsigny, dont la vie cérébrale
est nulle, l'alimentation très abondante et le travail muscu-
laire fort considérable, doivent à ces conditions de présenter
souvent, et cela à leur très grand regret, de quatre à six nais-
sances naturelles. Il n'en reste pas moins acquis que la res-
triction de la natalité française est bien réellement un phé-
nomène volontaire ; mais les décisions de la volonté réfléchie
sont combattues sans cesse par des impulsions qui, dans cer-
taines conditions physiologiques, sont à peu près irrésistibles.
M. Sanson croit que le point de vue physiologique de l'in-
fluence du travail sur la diminution de la natalité n'existe
pas. La diminution de la natalité est un phénomène d'ordre
psychologique ; le mobile en est surtout l'amour de la pro-
priété. C'est même pour cela que ce mal est guérissable,
puisqu'il dépend de la législation sur les mariages et les
successions. Il serait, au contraire, incurable si la cause était
physiologique.
M°® Clémence Royer pense, au contraire, que si la cause
du mal réside dans les déterminations de la volonté, il est
beaucoup plus difficile de la faire disparaître. On remédie à
un état pathologique, on modifie un état pathologique ; mais
on ne guérit pas des actes de volonté déterminés par des
motifs, à moins de supprimer ces motifs eux-mêmes. On peut
prévoir que le remède sera extrêmement difficile à trouver;
plus on ira, plus les classes inférieures imiteront les classes
supérieures à cet égard. Il y a là un phénomène d*imitation
qui ne semble nullement devoir diminuer.
SOK 8ÉANCB OU 16 JUILLET i891.
M. Sanson fait observer, néanmoins, que la cause de tout
cela réside dans la législation. Les gens fort riches, comme
ceux qui n*ont rien, ont beaucoup d'enfants. Les gens de
fortune moyenne, au contraire, afin de laisser plus d'argent
h leurs enfants, en diminuent volontairement le nombre.
M. HsRVÊ fait observer que le facteur physiologique ne
peut être mis en cause. La natalité est très faible en Nor-
mandie, et pourtant les Canadiens, qui dérivent des Nor-*
mands, ont une natalité très élevée. Bien plus, en Angleterre,
la natalité est très élevée, et, lorsque les Anglo-Saxons vont
aux États-Unis ou en Australie, leur natalité baisse considô*
rablement et la race diminue. II suffit donc d'un changement
de milieu pour que la force proliQque d'une même population
diminue considérablement.
La séance est levée à cinq heures trois quarts.
L'un des secrétaires : capitan.
W 8Ê4NCE. — l< juillet 1891.
Présidence de M» mJkWéMOyij Tiee-présideat.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
OUVRAGES OFFERTS.
M. Gabriel de Mortillet signale un dernier don se rap-
portant à la publication du catalogue de la bibliothèque.
M. Tingénieur des mines G. Rolland a envoyé onze bro*
chures concernant en grande partie l'Algérie.
IManouvrier (D' L.). Sur un procédé d'analyse du poids céré^
braly in Comptes rendus hebdomadaires des séances de la So-^
ciéié de biologie^ p. 514 et suivantes, numéro du 2 juillet 4891.
GuNNiNGHAM (Prof. D. J.). Thc skeleton of the irish géant
Cornélius Uagrath, in the Transactions of the Royal Irish
Academy, vol. XXIX, part. XVI <i891), in-4« avec planches.
COMMUNICATIONS DU BUREAU. 503
Academy of Science of Saint-Ltmh. The total Eclipse of Ihe
Sun, January 1, 1839. Cambridge 1891, in-4», 39 pages et
planches.
PÉRIODIQUES.
Revue mensuelle de F Ecole d'anthropologie de Paris (15 juîl*
let 1891). Gabriel de Mortillet: Excursions en Belgique. —
André Lefèvre : les Etrusques.
Société d'ethnographie (bulletin), juillet-août 189! . G.Bour-
garel : la Peine de mort à Madagascar.
Société de ^eo^ra/j^ie (bulletin), 1" trimestre 1891. F. Fou-
reau : Mission au Tademayt. — Gh. Rabot : Exploration dans
la Laponie russe ou presqu'île de Kola. — Henri Goudreau :
Notes sur cinquante-trois tribus de Guyane.
Société d'archéologie de Bruxelles (Annales, tome V). E. de
Munck : les Silex mesviniens datent-ils d'une époque anté-
rieure à l'industrie acheuiéenne ? — Baron A. de Lo6 :
les Torabelles des environs de Wavre et de Gourt-Saint*
Etienne'.
The AmefHcan Antiquartan (mai 1891). Stephen D. Peet :
the Migrations of the Mound-Builders (illustrated). —
J.-P. Shreve : The Higher civilisation of the Earlier Mound-
Builders. — Warren K. Moorehead : The Indian Messiah
and the Ghost Dame.
The Amej*ican Naturalist (mars i89i). Henry Pairfîeld
Osborn : Are acquired variations inherited ?
The Journal of anatomy and physiology (juin 1891). Wil-
liam Tumer : Relations of the dentary arcades in the Grania
of Australian Aborigines. — William Tumer : Double right
pariétal Bone in an australian Skuli.
COHMUNICATIONS DU BUREAU.
M. LE Président annonce à la Société que le Comité central
s'est réuni jeudi dernier. Parmi les affaires dont il s'est
occupé, le Comité central a décidé la clôture du cooooora
504 SÉANCE DU 16 JUILLET 1891.
pour le prix Godard et a nommé au scrutin le jury suivan
chargé d*examiner les mémoires présentés : MM. de Mortiile
Manouvrier, Salmon, Sanson^ Lagneau. Le Comité centrai
ensuite entamé la discussion sur la revision du règlemen
Cette discussion a été suspendue, et il a été décidé que ]
projet de la commission chargée de reviser le rëglemei
serait autograpbié, adressé aux membres du Comité centn
qui, après étude de ce document, pourront discuter en toul
connaissance de cause.
CANDIDATURES.
M. DE MoRTiLLET fait un rapport oral sur la candidature c
M. Buschan, savant qui s*e8t spécialement occupé de rorigiu
des plantes cultivées, au titre de membre correspondant. L
commission est sympathique à cette candidature, ma
M. Buschan n*ayant pas fait directement acte de candida
la commission le priera d'adresser une demande qu*el
appuie d^avance.
PRÉSENTATIONS.
Retouches d'an silox.
M. Capitan présente un petit silex qui a été trouvé pi
M. Salmon^ dans le jardin du Palais-Hoyal. C'est une portio
de rognon brisé suivant une surface plane, et mesurai
2 centimètres et demi sur quatre. Sur un des bords, il exisi
sur une longueur de 2 centimètres et demi, huit retoucha
régulières, côte à côte, empiétant de 5 à 7 millimètres si
le dos du silex et complétées, sur les bords, par de petit
retouches moins longues. Ce petit objet peut être compai
aux silex de Thenay, et servir à montrer la différence qu'il
a entre des retouches évidemment volontaires comme celle
ci et des retouches volontaires très discutables et très disci
tées comme celles des silex de Tbenay.
M. Adrien de Mortillet pense au contraire que les silex c
Thenay présentent des retouches très nettes, empiétant tri
REGNAULT. — LE MARIAGE AUX INDES. SOS
régulièrement les unes sur les autres sur un des côtés du
silex, de telle sorte que le fait de la taille intentionnelle est
même plus nettement démontré sur les pièces de Thenay
que sur celle-ci.
M. Gapitan présente, au nom du docteur Baudon, de Mouy
(Oise), quiroCTre à TËcole d'anthropologie, un fémur humain
de très grande taille, trouvé dans le département de TOise.
Ce fémur provient vraisemblablement d*un Gaulois de très
grande taille, un vrai géant. Il sera étudié ultérieurement.
COMMUNICATIONS.
Le insrlsge ««s Indes ;
par m. REGNAULT.
Le caractère le plus frappant du mariage indien est la
rigueur avec laquelle la casle y reste fermée à tout élément
extérieur : qui cohabite hors caste ^ est décasté, ce qui, pour
rindien, entraîne la perte de tout droit civique, de toute aide
sociale. Personne ne veut lui fournir des aliments, sa femme
et ses enfants s*écartent de lui avec effroi ; il est rejeté hors
de l'humanité, seul désormais pour se suffire.
On veut voir là un exemple d'endogamie ; c'est une endo«
gamie de castes, il est vrai ; mais je vais tâcher de prouver
que rinstitulion des castes provoque une véritable exogamie
topographique.
Prenons, comme exemple^ un village. Aux Indes, la popu-
lation est groupée surtout dans de petits villages de deux à
1 a On peut être réintégré dans sa caste pour des fautes peu graves; mais
manger de la vache et cohabiter, pour un brame, avec une paria, sont
des crimes irrémissibles. Car si cette femme était de toute autre caste, je
crois qu'en la répudiant et renonçant aux enfants qu'il aurait eus d'elle,
il pourrait, moyennant beaucoup de puriflcalions et surtout de dépenses,
obtenir ton pardon, t (Abbé Dubois.) On voit qu'il parle ici que de cohabi-
tation, car le mariage est interdit.
506 SÉANCE DU 16 JUILLET 4891.
huit cents habitants ^ Sur ce nombre, on trouve d'ordinair
au moind quatorze à quinze castes, car chaque profession es
le privilège exclusif d'une caste. Pour la vie d'une comma
nauté, il faut plusieurs professions ; de là, nécessairement
plusieurs castes. La division en quatre grandes castes
brames, kchatrias, vaissiahs et soudras, est purement ai
point de vue honorifique.
La caste brame, par exemple, se subdivise en plusieur
autres* ne pouvant contracter de mariages entre elles. ESi
réalité, il y a une multitude de castes. M. Risley, de Calcutta
chargé par le gouvernement anglais d'en faire le relevé, ei
a rempli deux gros volumes, rien que de noms, et il s'ei
crée tous les jours.
Or, chaque caste est rigoureusement fermée pour le ma
riage.
D'autre part, considérons que, dans la majorité des cas
rindien vit et meurt dans son village. A Chandernagor, su
754 conjoints, nous n*en avons trouvé que 83 habitant, a
moment du mariage^ un village autre que celui de naissance
A Oulgate, près de Pondichéry, sur 6340, on en trouve seu
lement 263, et ce nombre devait être encore bien moindr
avant l'ouverture des chemins de fer.
Considérons, en outre, que l'Indien est absolument con
traint de se marier dans sa caste; de tous ces mariages, nou
n'en avons pas relevé un seul entre castes différentes.
Nous en conclurons que si le jeune homme choisissait un
épouse dans son village, il devrait prendre une proche pa
rente. Or sa loi le lui défend.
Mais ici, il faut distinguer entre le Nord et le Sud, où l
loi est différente.
t DansTlDde anglaise, sur (93 429 communes, il y a plus de 240 000 vi
lages ayant moins de 200 habitants, 200000 moins de i 000 (Vivien c
Saint-Martin, Dictionnaire géographique),
* a Dans le sud de l'Inde, dit l'abbé Dubois, ou distingue parmi h
brames trois ou quatre castes principales qui, elles-mêmes, en comptei
au moins vingt chacune. Les lignes de démarcation sont tellement tranchée
KEGNAULT. — Lfi MAHIA6E AUX tNDES. 307
1** Dans le Nord (bassin du Gange, Bénarès), on ne peut se
mûrier jusqu'au qualorzième degré, et au Bengale, une home*
nymie de nom empêche tout mariage, même si Ton ne trouve
aucun degré de parenté.
Il faudra donc chercher femme au dehors, quelquefois
très loin.
Pour y parvenir, il existe chez les Hindous du Nord une
profession spéciale *, dite des ghataks ou marieurs, qui cher-
chent époux aux jeunes filles. Si Taccord est possible, comme
castes, richesses, ce sont eux qui font les premières pro-
positions, vantent les deux partis Tun à Tautre, transmettent
et discutent les exigences relativement aux cadeaux à faire.
Ce n'est qu'après entente préalable que le père du fîancé va
voir la jeune fille, et souvent le mariage est arrêté sans que
les deux conjoints se soient seulement vus.
Voici donc tout un système, castes, lois contre la parentéi
institution des ghataks, bien réellement exogamique. Du
reste, les faits sont en accord avec les institutions sociales.
Pour avoir la preuve directe, matérielle, il fallait prendre
un village, une ville même, et dresser une statistique d'après
le registre des mariages. Mais les Anglais n'enregisti^ent pas
les mariages indigènes ; seuls, dans le Sud, les prêtres catho-
liques tiennent registre pour leurs ouailles.
Dans le Nord, Chandernagor, ville française, est la seule
où existe un registre civil. Son territoire, de 9iO hectares,
est peuplé de ^'^ 550 habitants, divisés en 29 quartiers. Nous
avons relevé la liste des mariages pour les ans 4852, 1860,
i865, 4870, 4875, 1880, 1885, trois mois seulement chaque
année. Sur un total ainsi obtenu de 477 mariages, 339 ont
été faits entre conjoints dont Tun habitait le territoire ftBii*
qu'elles s'opposent à toute espèce de fusion d'une caste k l'autre^ surtout
celle qui pourrait s*opérei* par ie maria^.
c Enfin, il faut remarquer que les signes sur le front sont des signes de
sectes religieuses (Tiohnoulstiee, sÎTâtstes), et qu'on peut M nMrier «otre
ces sectes. » (A/œurs «( /iMlt7ti(iofii éet ftvfU* et f/fNfo.)
^ Au Bengale, c'est une profesaion» A Bénarès, ce n'en eat pat une, mais
ils sont néanmoins monétaireroent rélribnés de leurs peint s.
503 SÉANCE DU iG JUILLET 1891.
çais, l'autre l'anglais ; 93 entre conjoints habitant de
quartiers différents de Chandernagor, et 43 seulement entn
gens du même quartier. Donc, 71 pour lOO de mariages hor
de Chandernagor^.
TABLEAU DE MARIAGES DU REGISTRE DE l'ÉTAT CIVIL DE CUANDBaNAQOS
Années.
1832
1860....,
1865. .• •
1870. ..
1875. ..,
1880. ...
1885. ...
Nombre
des
mariages.
27
31
80
108
99
24
108
Nombre
des fiancés
résidant
au moment
du mariage
en un
autre quartier
que celui
Mariages
entre entre
habitants quartiers dans
entre des territoires diflérents le
castes français de même
de naissance. difTérentes. et anglais. Chandernagor. quartier
Totaux, .. 477
0
1
10
14
16
5
37
83
0
0
0
0
0
0
0
0
20
55
82
77
20
85
339
17
9
19
18
17
1
12
93
10
2
6
8
5
3
11
45
2^ Dans le Sud, la loi diffère : on peut se marier entr
familles consanguines. Les cousins germains de frères n
peuvent jamais se marier entre eux, ni ceux de sœurs; mai
on peut se marier entre cousins germains de frères et d
sœurs. Un oncle peut épouser la fille de sa sœur, mais jamai
celle de son frère. En d'autres termes, on peut s'allier entr
lignes masculine et féminine; mais jamais entre descendant
d'une même ligne masculine ou féminine, fussent-ils de li
dixième génération.
Ce principe est observé dans toutes les castes^ même le
parias. De plus, non seulement on se marie dans sa caste
mais c'est toujours entre vingt ou trente familles que se fon
tous les mariages ; de sorte qu'une jeune fille est, dès son ber
ceau, destinée à un garçon qui peut demeurer des centaine
^ Et comme le garçon va souvent loin prendre femme, par décret pré
sidentiel, dans les établissements français de l'Inde, un délai de trois moi
est accordé^ après la rentrée sur territoire français, pour la déclaratio
du mariage.
HEGNAULT. — LE MAHIAOE AUX INDES. 509
de lieues plus loin. Ce n*est que si les parents de celui-ci la
refusent, qu'elle pourra songer à un autre mariage.
Un archevêque, qui me rapportait ces faits, m'en louait
hautement Tulilité sociale. Jamais, me dit-il, il n'avait vu de
mauvais résultats provenir de ces mariages consanguins.
Et, au contraire, des mariages faits parmi les descendants
d'Européens entre cousins germains de frères ou de sœurs,
malgré son désaveu formel, avaient produit de déplorables
résultats.
Cetlc loi est faite pour favoriser Texogamie. Entrons dans
la vie même de l'Indien. Un jeune homme prend femme, il
l'amène dans la maison de son père, le chef de famille tout-
puissant. Plusieurs frères vivent ainsi sous le môme toit, en
communauté. Leurs enfants grandissent ensemble et se trai-
tent de frères et de sœurs*. La loi les reconnaît comme tels,
en leur interdisant le mariage. Une sœur se marie-t-elle, au
contraire ; elle est emmenée hors du toit paternel, change de
famille, de ville souvent même. Le mariage de ses enfants
avec ceux de son frère respectera le principe d'exogamie
topographique.
Après l'examen des institutions, l'examen des faits montre
si ces institutions ont été considérées sous leur vrai jour. A
Oulgate, commune du territoire de Pondichéry, grâce à
l'obligeance du maire de cette ville, M. Gœblé, j'ai pu faire,
pour dix années consécutives, de 4880 à 1890^ le relevé de
3170 mariages. Sur ce nombre, i56i ont été conclus entre
conjoints de territoire français et anglais; 37:2 entre conjoints
de communes différentes du territoire français <; 553 entre
gens de même commune, mais de village différent, et 684 de
même village.
1 Les enfants de la ligne masculine continuent de génération en géné-
ralion de s'appeler entre eux frère et sœur, fussent-ils de la dixième. Il en
est de même de la ligne féminine.
* Il y a quatre communes dans ce territoire : Pondichéry, Oulgate,
Villenour, Bahour, renfermant ensemble deux cent trente-quatre village»
ou aidées. Le territoire entier t^étend sur 291i2 hectares.
T. i( (40 série). 33
SÉANCE nu 16 JUILLET 1891.
TABU*U DK3
On voit donc que SI pour 100 seulement se sont mariéi
dans le même village et 39 ponr 100 dans la même coinmane
J'ai demandé aux curés de différenles paroisses du sud d(
l'Inde de vouloir bien me faire le mâmc relevé el me donnei
le pourcentage ; car on sait que, chcx lea Indiens catholiques
la division par castes persiste d'une manière absolue. Voie
leurs réponses : dans la paroisse d'Eregaar, sur 1 00 mariages
il y en a 37 dont les conjoints sont du môme village ; à Vi-
riaar, tl; à Tranquebar, 35 ; à Altipatham, 19; à Vadugas-
palty, 35; à Magavnram,13; àTimvcdi(dans leTanjore), 19:
à Kumbac (district de Magavaram), H seulement. Partout le;
mariages entre conjoints de même village sont en minorité.
De grands obstacles s'élevaient contre tout ce système. Les
Indiens en ont triomphé par des dispositions spéciales.
Si les jeunes gens se mariaient lard, comme en Europe,
ils voudraient choisir eux-mêmes et leur choix se porterait
bien certainement sur des personnes de connaissance, au
mépris des distinctions de castes et de parenté. Aussi marie*
t-on les enfants tout jeunes, surtout les filles. Entre sept el
REGNaULT. — LE MARIAGE AUX INDES. 511
neuf ans, le mariage est célébré au domicile de la jeune fille,
avec grand éclat et pendant plusieurs jours, pour bien la
frapper et lui montrer l'importance de cet acte*. A partir de
ce jour, dans le nord de l'Inde*, la jeune fille de bonne fa-
mille ne sort plus ou ne sort que voilée'; elle ne doit plus
voir d'autre homme que son mari. Il ne pourra cependant
remplir ses devoirs conjugaux qu'après l'apparition de la nu-
bililé de sa femme, époque à laquelle celle-ci quittera la fa-
mille paternelle pour entrer dans celle de son mari.
Les Anglais ont mené une vive campagne contre cet usage
qui peut avoir du mauvais, mais a sa raison d'être dans tout
le système social hindou. Enlevez cette pierre à l'édifice, il
s'écroule. Que la fille hindoue s'européanise, qu'elle se marie
tard et fréquente ses voisins, et la caste disparaît.
Un autre point intéressant est celui des kouUines poly-
games du nord de l'Inde. Les Hindous sont de rigoureux mo-
nogames* ; c'est dans le seul cas où ils n'auraient pas d'en-
fant qu'ils peuvent prendre une deuxième femme, mais ce,
avec le consentement de la première, qui, du reste, l'accorde
toujours. Le mariage est de rigueur chez les hommes comme
chez les femmes. Seuls, les Hindous voués à la vie contempla-
tive (fakirs) peuvent s'en dispenser*. Il ne faut donc pas
* Ces fêtes ont été très bien décrites par un Indien, Ship Shunder Bose,
dans Thê Indus as they are,
' Dans le Sud, les femmes sont moins rigoureusement tenues et peuvent
sortir. Une coutume bizarre consiste, quand une jeune fille est nubile, à
faire porter, par le blanchisseur au bout d'une perche, le linge ensanglanté.
Il se rend ainsi chez tous les parents et amis ; c'est le signal d*un festin ;
après quoi, le jeune marié peut prendre possession de sa femme. Un curé
me disait avoir grand*peine à arracher ce préjugé chez ses ouailles qui
n'y voyaient rien d'impudique.
• Une fois par an, jour de grande fête, elle sort voilée pour faire ses
ablutions au Gange même.
♦ On permet aux rois d'avoir juaqu'.-i cinq femmes titrées, mais jamais
plus; encore est-ce regardé comme une infraction aux lois et aux usages.
Les principaux dieux de l'Inde n'eurent qu'une épouse : Bralima, Vichnou,
Si va.
* Hors de Ih, le mariage est de rigueur ; chacun doit 8*aoquitter de la
grande dette, de la dette des ancêtres^ qui consiste à engendrer un fils.
SIS SÉANCE DU 16 JUILLET i80i«
qu'une jeune fllle reste non mariée; c'est là un grand mal-
heur pour une famille. On comprend, en effet, qu'une vieille
fille, pour devenir femme, pourrait se résoudre à violer les
distinctions de castes. Aussi, pour caser les vieilles filles,
existe-t-il, dans chaque caste * une sous-caste « koulUne »
qui a droit à la polygamie. Moyennant un prix débattu, ils
admettent la vieille fille dans leur harem; ce sont les seuls
Indiens qui exigent une dot; il faut bien une compensation.
Ces faits sociaux, mariage de la jeune fille enfant, familles
à privilège de polygamie, profession de marieur, paraissent
monstrueux à l'Européen, qui les considèrent en eux-mêmes.
Si on les relie à toutes les pratiques du mariage, on voit qu'ils
ne sont qu'un développement logique et indispensable de tout
un système social.
Le nouveau point de vue d'exogamie topographique nous
a paru devoir intéresser la science. On connaît les discus-
sions passionnées entre les partisans et les adversaires de la
consanguinité. En introduisant cette notion nouvelle, peut-
être expliquera-t-on des faits en apparence contradictoires.
Les adversaires de la consanguinité blâment, dans ces
mariages, l'union de deux ôlrcs semblables, ce qui exalte les
défauts comme les qualités chez le produit. Or, nous trouvons,
dans le nord de TJnde, une consanguinité de caste qui s'aug-
mente dans le sud de consanguinité de famille, sans que
jamais pourtant, de l'aveu des prêtres, de mauvais résultats
puissent lui être imputés.
Mais deux êlres consanguins sont moins semblables s'ils
vivent dans deux milieux différents que s'ils vivent dans
le même milieu. Car ils y acquièrent des qualités différentes
par adaptation au milieu.
1 A Ceylan^ les règles sont les mêmes. 11 y a aussi des castes, mais bien
moins nombreuses. A Kandy, par exemple, on compterait dix-huit castes
et qui se marie Iiors de sa caste serait rejeté; bien que nous soyons en
pays bouddhique, il est curieux de voir les mômes mœurs persister. De
plus, on peut se marier entre cousins de frères et de sœurs, mais non
entre consanguins de frères, ou entre consanguins de sœurs. Je n'ai point
fait do recherches concernant Texogamic lopographiquc.
DISCUSSION SUR LE MAHIAGE AUX INDES. 513
Or, on sait que, chez le produit, se transmettent non seu-
lement les qualités héréditaires, mais encore les qualités
acquises des ascendants. Je rapprocherai de ce fait, celui
bien connu deszootechnistes, qui recommandent, en quelques
cas, de rafraîchir le sang d'une race créée ou améliorée, par
la consanguinité. « Mais si vous avez deux domaines diffé-
rents, dit Cornevin, dans son Traité de zootechnie générale^
faites deux lots de la même souche et établissez chacun sur
un domaine différent; car le sol et les aliments influencent
l'économie, et une influence parfois très petite suffit pour
établir une différence entre sujets primitivement de même
souche... Le mariage entre ces deux familles' peut suffire
pour remettre les choses en bonne marche. »
Ceci n'est, du reste, qu'une simple esquisse de la question
que je me réserve d'approfondir dans une communication
ultérieure.
Discussion.
M. Sansox fait remarquer que l'argument zootechnique in-
voqué à l'appui de la thèse présentée à la Société n'a point la
valeur qui lui est attribuée. On serait en réalité bien embar-
rassé pour citer un seul exemple authentique du fait avancé.
Il y en a un qui, à première vue, semblerait en faveur de
celle thèse : c'est celui qui s'est passé àGevrolles, dans l'an-
cien troupeau des mérinos soyeux. Ce troupeau avait anté-
rieurement contracté, dans les Vosges, une maladie des arti-
culations qui, malgré les meilleures conditions hygiéniques
dans lesquelles il se trouvait, se perpétuait par la consan-
guinité. On n'a pu la faire cesser qu'en allant chercher à la
souche delà variété, à Mauchamp, des béliers sains. Mais on
voit bien que, dans ce cas, les inconvénients de la consan-
guinité n'ont pas été évités par cela seul que les conjointe
provenaient de lieux divers. Ils l'ont été parce que les mé-
rinos du troupeau de M. Graux, de Mauchamp, étaient restés
sains. Si, au lieu de prendre des béliers à Mauchamp pour
GevroUes, on en avait pris à GevroUes pour Mauchamp, c*est
Sf4 SÉANCE DU IG JUILLET 1891.
le contraire qui serait arrivé. Ces choses apparaissent simple!
et claires dès qu*on envisage la consanguinité comme j'a
depuis longtemps établi qu'elle doit l'être, c'est-à-dire comm<
l'un des modes de l'hérédité. C'est l'hérédité de famille qu
rend la transmission infaillible, pour la raison que, dans c<
cas, il importe peu que le produit hérite de son père ou de se
mère seulement, ou des deux à la fois. Le caractère en ques-
tion existant chez Tun comme chez l'autre, puisque c'esi
un caractère de famille, il se retrouvera toujours dans leui
descendance. C'est pourquoi la consanguinité est égalemeni
puissante pour le bien comme pour le mal. J'ai exprimé a
fait en disant qu'elle élève l'hérédité à sa plus haute puis-
sance. Et c'est celte formule qui l'a, dans le temps, fait rentrei
dans son véritable domaine : celui de l'hérédité. Auparavant,
on lui attribuait une influence mystique, toujours nuisible.
M. Regnault fait remarquer que s'il est évident que lej
ascendants transmettent à leurs enfants leurs qualités oi
leurs défauts héréditaires, ils transmettent aussi leurs qua-
lités ou leurs défauts acquis. Fournier a démontré qu'un père
syphilitique procrée des enfants sains ou syphilitiques sui-
vant qu'il se soigne ou ne se soigne plus. Dans le cas parti-
culier qu'il étudie, M. Regnault pense que ce même mécanisme
i« peut être invoqué ; les procréateurs peuvent avoir acquis, ei
ÏÏ, changeant de milieu, des qualités particulières qu'ils peuven
transmettre à leur progéniture.
M. Sanson. 11 n'y a pas lieu de distinguer entre ce qui i
été hérité et ce qui est acquis, du moment que ce qui es
acquis jouit de même de la puissance héréditaire. On gai
seulement que cette puissance est plus grande pour oe qu
vient de plus loin.
M. Lagneau. Doit-on rapporter à l'exogamie les bons résul
tats démographiques des unions observées dans les Indes ?
A priori, je ne suis pas porté à l'admettre, tout en enga.
géant notre collègue à continuer ses intéressantes recherches
Dans les unions, la consanguinité doit être distinguée di
l'hérédité morbide. Les unions consanguines peuvent être irai
DISCUSSION SUR LG MARIAGE AUX INDES. 515
préjudiciables aux enfants procréés, si les consanguins sont
atteints de maladies héréditaires. Mais, contrairement, la
consanguinité peut être avantageuse si les consanguins nQ
présentent aucune prédisposition morbide.
C'est ce que Périor, notre ancien président, avait parfai-
tement montré en rendant compte d'une thèse de M. Bour-
geois, qui rapportait l'exemple de sa famille saine et vigou-
reuse, quoiqu'elle eût contracté seize unions consanguines
successives, entre cousins, oncles, nièces, etc., mais n'ayant
aucune tare héréditaire*.
Ainsi que je l'ai jadis. rappelé, quoique habitant l'Egypte
durant trois siècles (de 332 à 30 av. J.-C), les Ptolémée,
d'origine grecque, bien que, par raison politique, ils se
mariassent fréquemment entre frères et sœurs, ne paraissent
avoirprésenté aucune dégénérescence physique. La dernière
souveraine de cette famille, Gléopâlre, qui elle-même épousa
ses deux frères, Ptolémée XII et Ptolémée XIII, était encore
remarquablement belle^.
Comme autre exemple des bons résultats anthropologiques
d'une consanguinité moins étroite, entre parents moins rap-
prochés, je rappellerai que M. Auguste Voisin a signalé les
bonnes conditions anthropologiques des habitants du bourg
de Batz, qui depuis des siècles s'unissent presque toujours
entre eux\ M. Rôvillout a également attiré l'attention sur
cette belle population*. Plus récemment, M. le docteur Aubert,
médecin militaire, chargé du recrutement dans le départe-
de la Loire-Inférieure, constatait que, dans le canton du
Croisic, qui comprend le bourg de Batz, où sur 2733 habi-
^ Bourgeois, De Vinfiuence des mariages consanguins sur les générations.
Thèse, Paris, 1859; — Pépier, Influence des mariages consanguins (fititf#-
tins de la Société d'anthropologie, 1. 1, p. 119, 14G, etc., 1860).
s Bulletins de la Société d' anthropologie , t. 111, p. 178. 1862.
8 Auguste Voisin, Contribution à l histoire des mariages entre consan-
guins. Élude sur la commune de Bati {Mémoire de la Société étanthr apologie^
t. 11).
^ Hévillout, Gazelle des fkâpitaux, 13 octobre 1S64| p. 478j et 28 ian-
vier 1865, p. 47.
516 SlilANCG DU 16 JUILLET 1891.
tants, 490 portent le même nom de famille, celui de Lehuédé,
les conscrits se faisaient remarquer par le petit nombre
d'exemptés. Parmi les 45 cantons de ce département, celui
du Croisic ne comptait que 6 exemptés sur 1000, alors que
ceux d'Ancenis et de Loroux en comptaient 142 et 143 sur
1000».
COMMUNICATIONS.
Statues primitives do l'Aveyroii et de THérault.
M. Adrien de Mortillet dit que M. Hcrmet, de Saînt-Affrique,
a trouvé, dans TAveyron, quatre blocs en forme de menhirs
formés de plaquettes de grès de 2 mètres de hauteur et gros-
sièrement façonnées. Ces statues fort rudimentaires, actuelle-
ment dans la cour de révôchô de Rodez, présentent deux
yeux, un baudrier en travers de la poitrine muni dun anneau
vers la partie moyenne, deux bras grossiers, une ceinture et
deux jambes. M. de Mortillet a retrouvé, sur trois menhirs de
l'Hérault, des sculptures analogues. 11 s'agit d'un menhir où
Ton ne voit plus guère que le baudrier, et par derrière, une
trace de ceinture. Sur un autre menhir à quelques kilomè-
tres du précédent, il y a un baudrier bien marqué et des
traces de traits pour les jambes. Un dernier est presque com-
plèlement effacé.
Une des statues de l'Aveyron porte, marqués au-dessus du
baudrier, un arc et deux llèches, le coutelas à l'extrémité du
baudrier et derrière un carquois. Sur un monument, égale-
ment de TAveyron, montrant une femme, on voit figuré très
grossièrement comme un morceau d'étoffe recouvrant la
bouche; il y a aussi deux seins, puis des traits représentant
une robe transparente au bas de laquelle apparaissent deux
pieds rudimentairement indiqués. Il s'agit donc là d'images
présentant un air de famille très net. On en a retrouvé de
très analogues aux environs de Munich et en Transylvanie.
' Aubert, Sur le recrutement dans le département de la Loire-Inférieure-
Rapport de M. G. Lagneau {Bulletin de l'Académie de médecine^ 1 4 décembre
188G, p. 502-307).
I.AJARD. -- RUDIMENTS DE LANGAGE SIFFLÉ A PARIS. 517
Ce sont, avec les pierres de Gollorgues (Gard), les plus an-
ciens spécimens de la statuaire de nos régions.
BadimenlB de langage sifflé A Paris ;
PAR M. LAMRD.
D'une précédente étude sur le langage sifflé dôs îles Cana-
ries*, il résulte que cette forme, loin de constituer un type
aberrant, éloigné de tout système connu, comme on le croyait,
est simplement de l'espagnol sous un aspect particulier. Les
bergers herreflos sifflent le castillan, comme les Guanches
sifflaient leur ancien idiome.
Une pareille constatation le dégage d'un coup de la lin-
guistique. Nous allons voir qu'elle le rend aussi indépendant
de l'ethnographie, et l'offre avec un caractère de généralité
auquel on ne s'attendait pas tout d'abord.
Les autres langues pouvant être sifflées, il serait étonnant
qu'elles ne le fussent pas, et un certain nombre d'observa-
tions montrent qu'il en est réellement ainsi.
Le langage sifflé, en effet, se rencontre en divers endroits,
à l'état très rudimentaire, il est vrai, mais avec les signes
qui le distinguent et le môme mécanisme.
En Amérique, mes recherches n'ont pas été heureuses. Le
colonel Garrick Mallery', dans son étude du langage par
gestes chez les Indiens, ne parle de rien de semblable. Aucune
des six manières de représenter la voix dans la pictographio
du nouveau monde ne le rappelle également.
Durant un séjour en Corse, j'avais constaté déjîl que les
bergers sifflaient avec une grande habileté. 11 y a, sans doute,
là quelque chose d'analogue à ce que nous avons étudié jus-
qu'ici.
Mais le plus singulier est d'en trouver des traces chez les
peuples civilisés actuels et dans les grandes villes. Plus d'un
* Lajard, le Langage sifflé des Canaries (Séance du 2 juillet 1891}.
^ The gesture language {Annual report to Smilhsonian InstUuUon Wash-
inglvn).
318 BËAKCE DU 16 JUIUBT 1891'
lecteur sera surpris en entendant parler do sa |>ré8enc<
Paris.
11 existe, en effet, ici et dans les environs, des rudimei
de langage sifflé qui ont la plus grande analogie avec ce
que nous avons trouvé à l'Île de Fer, avec tout son dévelopi
ment. Il se compose de quelques mots et d'un certain nom!
de signes conventionnels'.
Il n'est pas rare d'entendre le soir dans les rues, et vt
dix ou onze heures, quelques coups de sifflet diverseme
modulés devant la porte des boucheries. Ce sont les condu
leurs de viande qui appellent les débitants. Quelquefois, c't
un nom, un prénom surtout, quand il est court ; plus souve
encore, un sobriquet. On distingue, comme nous avons '
déjà, l'appel qui précède le mot. H est très bref, fait d'u:
seule interjection, destinée à préparer l'attention : « H
Louis ! ..
Le procédé est le même qu'aux Canaries. Les doigts so
portés dans la bouche, par deux. Les positions de la ma
ressemblent à celles que j'ai décrites. U en existe une que
n'ai pas trouvée dans les îles. Elle consiste dans le pinceme
de la icvre inférieure entre le pouce et l'index. Une partie
larité me paraît les diâlinguer : c'est la disposition de
langue. Aux Canaries, l'organe reste au repos dans la m
choire inférieure-, ici, la pointe est relevée, la plupart (
temps, et retournée en arrière ; les doigts s'appliquent desâi
et la maintiennent. Les sons paraissent moins forts et moi
perçants qu'à l'ile de Fer.
L'appel nocturne qu'il nous arrive d'entendre est d'or»3
naire un coup de sifflet conventionnel et spécial à la profe
sion. U sort ainsi du caractère que nous lui avions trou
dans l'archipel. Tel est celui des ouvriers d'un même cor,
de métier. Les charpentiers ont le leur, les maçons aus!
Vous passez devant une maison en construction, donnez l
modulations du couvreur. Au premier appel, l'ouvrier dépo:
' Je dois 1* plupart des r.'nseigneraenla
M. Félix Fl&ndiiietle, et je le prie d'agréei' i
LAJARD. — RUDIldENTS DE LANGAGE SIFFLÉ A PARIS. 519
son outil ; au deuxième, il regarde autour de lui et cherche
des yeux; au troisième, voyant qu*on persiste, il descend.
Nous avons fait cette expérience, ou du moins la première
partie, des fenêtres du laboratoire d'anthropologie ; le signe
était conventionnel, celui des zingueurs. Elle a fort bien
réussi. Chaque corps de métier a ainsi son mot de ralliement,
et c'est la règle pour lui de s'en servir. Il est formé d*un appel
conventionnel ou d*un nom de guerre.
A côté des professions honorables, il en existe une autre,
douée d'un riche vocabulaire : c'est celle des voleurs. Le lan-
gage sifflé est très apprécié de toutes les catégories de bra-
conniers, de maraudeurs, de libérés, etc. La plaine de Saint-
Denis et ses environs, sur un rayon de plusieurs kilomètres,
est le lieu ordinaire de ces échanges de signaux.
Ceux-ci sont conventionnels. On en trouve plusieurs qui
sont choisis de manière à ne pas attirer l'attention. Ils ont
alors des variantes qui s'éloignent du sifflet.
Dans les vols de poulaillers, les complices se tiennent au
courant de ce qui se passe au voisinage à l'aide du chant du
coq. On y distingue la présence du garde champêtre et celle
des gendarmes. Le coq chante plus lentement pour le pre-
mier ; pour les gendarmes, ses éclats sont précipités. S'il
s'arrête brusquement, le danger est tout près.
Les dénicheurs ont leur cri d'alarme particulier, et celui
qui leur sert à annoncer aux amis une aubaine.
Les malfaiteurs portent un nom de guerre. C'est ce nom
qui est sifflé, comme celui des bouchers dans les rues. Ces
sorles de sobriquets sont les seuls mots que les Parisiens aient
à leur disposition. Le système ne va pas plus loin chez nous.
11 ne peut rendre la moindre pensée autrement que par
des signaux de convention. C'est une différence très grande
avec ce que nous avons vu à l'île de Fer ou à la Gomère. Là,
il reproduit tout le langage. Le docteur Yerncau a décrit com-
ment, à son grand étonnement, il se voyait partout entouré
de gens au courant de son voyage, de sa nationalité, de sa
profession. Les bergers avaient reçu ces nouvelles répandues
520 SÉANCE DU 16 JUILLtlT 1891.
par quelques coups de sifflet. A Paris, rien de semblable :
quelques sobriquets, et rien de plus.
Quant aux essais d*application du sifflet dans nos sociétés
civilisées, ils sont tout autres. On connaît les services qu'il
rend dans l'artillerie, la marine, etc. Nous n'y trouvons qu'an
petit nombre de signes conventionnels : pour filer une amarre,
trois petits coups rapides et plusieurs fois répétés ; un seul,
pour dire : assez. Un instrument est toujours nécessaire et
il n'y a, dans ces innovations, pas un seul exemple de repro-
duction d'un mot français.
En résumé, d'après Tensemble de ces faits, le langage
sifflé paraît présenter une distribution très étendue. Il se
rencontrera, sans aucun doute, en beaucoup d'endroits diffé-
rents. Aujourd'hui, il nous suffit d'en avoir découvert quel-
ques rudiments à Paris. Malgré la distance énorme qui sépare
le système complet des Gomériens des simples traces que
nous avons vues dans nos rues, il m'a paru utile de signaler
le côté par lequel on peut les rapprocher, même si la com-
paraison n'a d'autre résultat que d'achever de ruiner les
erreurs accréditées au sujet de celui des Canaries. On re-
marquera aussi le milieu spécial où il végète ici, et certaines
analogies relatives à ceux qui l'emploient dans les condi-
tions et les besoins de la vie,
Vn point de la physiologie du langage ;
PAR M. CH. DU PASQl'lRR.
I
Nous espérons montrer dans ce court travail que tout, dans
l'éducation du langage, se ramène à des fonctions sensorielles
ou motrices, que l'enfant apprend à parler parce que l'on
peut associer chez lui un mouvement déterminé à une sen-
sation objective, et que sa physiologie lui permet de garder
la mémoire de cette association. Rapprocher d*une sensation
fournie par les sens un mouvement d'articulation, tel est le
but que Ton poursuit en apprenant à parier à un enfant. La
nu TASOUlER. — PHY9I0L0GIE DC LANGAGE. b2i
mémoire qui lui permet d'apprendre à parler el à ne plu3
oublier son langage est une mémoire organique ; elle est
pour nous le rappel de la sensation qui naît dans le mouve-
ment d'articulation, cY'st-à-dirc dans le mouvement qui du
fait de Téducation du langage a précisément été associé à la
sensation objective.
Nous croyons ce mode d'éducation du langage parfaitement
physiologique ; bien des faits expérimentaux consignés dans
l'intéressant livre de M. le docteur Ch. Féré : Setisation et
Mouvement, sont des preuves en faveur de la réalité de ce
mécanisme particulier du langage, et la façon dont on apprend
à parler oralement aux sourds-muets en est pour nous une
démonstration.
Nul doute que l'enfant à qui Ton veut apprendre à parler
ne doive posséder la faculté d'apprécier et d'exprimer, c'est-
à-dire des sens intacts et des organes d'expression en parfait
état de fonctionnement. Mais un enfant en possession de ces
deux seules facultés est-il apte dès lors à apprendre à parler?
Saura-t-il parler parce qu'il a des sensations et qu'il peut
articuler un son? Assurément pas. Depuis l'instant où ses
sens lui permettent de saisir les caractères d'un objet, jus-
qu'au jour où oralement il peut traduire son impression, et
désigner cet objet par le signe conventionnel, il s'est accompli
en lui la série des actes intimes qui constituent la véritable
éducation du langage, précisément le travail d'association de
la sensation objective au mouvement d'articulation.
Mais celui-là seul sait parler et peut se faire entendre qui
désigne toujours sans méprise le même objet par le même
mot, le langage n'est compréhensible qu'à cette condition ;
or, par quel moyen l'enfant y parviendra-t-il ? Par sa mémoire,
disent les auteurs... Mais cette mémoire quelle est-elle? Ce
moyen il le possède dans le sens musculaire réparti dans les
organes de l'articulation ; si l'enfant a le sens musculaire, il
sera dorénavant susceptible d'apprendre à parler. Bien
qu'aveugle ou sourd, un individu pourra toujours parler, s'il
possède ce sens ; l'éducation sera plus longue, plus labo-
522 SÉANCE DU IG JUILLET 1891.
rieuse, mais possible. La perte d'un sens comme Touïe, la vue
redorât, le goût, ne devient pas un obstacle à Téducation di
langage, nous ne saurions trop insister sur ce fait, mai
Tabsence du sens musculaire devient un obstacle insurmon
table, il supprime la possibilité d'apprendre à parler. Gràci
à ce sens, nous pouvons apprécier certains caractères de;
objets extérieurs, leur poids notamment; mais ce n'est pai
comme source de sensations qu'il est une condition essen*
tielle du parler, c'est comme mémoire musculaire que soi
rôle, son intervention, est de toute nécessité. Il n'est compa
rable à aucun autre sens, son siège est mal déterminé, i
semble réparti dans tous nos organes, plus spécialement dans
répaisseur de nos masses musculaires, localisé au groupe de
tous les muscles entrant en jeu pour Texécution de tel mou^'
vement, nous avons et gardons ainsi la mémoire de la forme
d'un mouvement : c'est à ce titre, croyons-nous, qu'il esl
plus spécialement réparti dans les muscles de larticulation.
Dans l'exercice de la parole, c'est donc à ce sens, à cette
mémoire musculaire spéciale que l'enfant est redevable de
pouvoir associer la sensation d*un mouvement déterminé à
une sensation objective, d'en saisir le rapport et d'en gardei
la mémoire.
Quand Fhomme voulut exprimer des idées plus nombreuses
et plus complexes, le langage naturel ne lui suffisant plus,
il eut recours à d'autres signes pour compléter ses moyens
d'expression, et créa alors le langage oral, le langage parlé,
où les signes furent des mots, non plus des signes naturels,
mais conventionnels. Ces signes furent oraux et parlés : ils
furent parlés, c'est-à-dire prononcés et articulés, nécessitant
donc des mouvements dans les muscles de rarliculalion,
soit les mouvements de coordination de la parole. C'est là
une grande et précieuse qualité des signes du langage con-
ventionnel, ils exigent dans les muscles de l'articulation des
mouvements dont le sens musculaire peut par conséquent
garder la mémoire. Or, c'est précisément ce mouvement
d'articulation que l'on rapproche de la sensation objective
DU PASQUIER. — PHYSIOLOGIE DU LANGAGE. 523
dans réducation, c'est là le but que l'on poursuit ; c'est tou-
jours à un mouvement d'articulation, de coordination muscu-
laire que la sensation objective et rournie par les sens sera
associée.
Il est un point sur lequel nous voulons encore attirer Tat-
tention. M. Féré a montré qu'il n'y avait point de sensation
consciente et inconsciente qui ne s'accompagnât de mouve-
ment (travail musculaire, augmentation de volume d'un mem-
bre, vascularisation plus grande d'un tissu, capacité respira-
toire amplifiée, activité plus grande des sécrétions) ; mais il
a montré aussi que le mouvement était une conséquence
nécessaire de toute sensation, comme de toute représentation
mentale, que l'image des mots se réveillait dans l'articula-
tion... Nous CI oyons pouvoir dire que ces diverses manifes-
tations objectives d*un mouvement coïncidant avec des
représentations mentales ou des sensations existent de par
le fait de l'éducation du langage, que c'est l'éducation qui a
associé ces mouvements aux sensations objectives, au point
que, dans l'exercice de la parole, il n'y a plus de sensations
ou de représentations mentales sans mouvement. Ces mou-
vements sont des mouvements d'articulation, non pas des
mouvements naturels, mais des mouvements conventionnels
comme les signes eux-mêmes du langage figuré.
Apprendre à parler consiste donc à donner un corps aux
sensations que nous procurent nos sens et notre réflexion
(dans le sens de Locke), à incarner ces impressions, comme
dit M. Falret, dans un signe qui leur corresponde, et qui
nous permette de les communiquer aux autres. Gomment
donc enseignc-t-on un tel langage a l'enfant? Nous sommes
maintenant en mesure de nous en rendre compte.
II
On désigne d'un mot habituellement à l'enfant Tobjet qu'on
lui présente, ou un des caractères dominants de cet objet;
d'un corps froid par exemple, qu'on lui met dans la main,
et qui détermine chez lui une sensation spéciale, on rap-
534 SÉANCE DU iG JUILLET 1S91.
proche le signe froid^ par lequel il exprimera cette sensation.
Comme il a la bonne volonté d'articuler, il s'efforcera de
prononcer le mot froid; il y arrivera peu à peu, et se tiendra
à une prononciation quand par son ouïe il se sera renda
compte de Tidentité de sa prononciation avec celle de son
professeur ; or de la prononciation de ce signe, naît dans sa
langue une sensation musculaire spéciale, celle des mouve-
ments d'articulation du moi froid. Voilà le mouvement associé
à la sensation objective ; la môme sensation s'accompagnera
désormais et toujours du même mouvement, et ce mouve-
ment sera le mouvement d'articulation, et donnera lieu ;i la
sensation de coordination musculaire. Dès lors la mémoire
qui permet à Tenfant de parler et de ne plus oublier son lan-
gage, possède un substratum anatomique facile à défînir.
Nous le répétons, tout mouvement exécuté donne lieu à une
sensation spéciale de coordination dont nous gardons la mé-
moire dans le sens musculaire ; si toute sensation objective
s'accompagne dorénavant, dans le domaine du langage, d*iin
mouvement déterminé d'articulation, ce mouvement donne
lieu à une sensation musculaire de coordination ; c'est dans le
rappel de cette sensation musculaire qu'est toute la mémoire.
Ce mécanisme de la physiologie du langage ne peut pa-
raître étrange quand on s'est pénétré du mode suivant lequel
on apprend à parler oralement aux sourds-muets ; l'éduca-
tion du langage, plus lente, plus laborieuse chez eux, laisse
plus de temps à l'observation, on saisit plus nettement les
étapes successives et le mécanisme de Téducation. La diffi-
culté, tout le labeur de la méthode, consistent à faire naître ici
le mouvement d'articulation. Nous reproduisons maintenant,
en quelques mots, la méthode graphique duc à M. Goguillot.
(Goguillot, Comment on fait parler les sourds-muels, Paris,
Masson, 1889.)
Le maître place sur son palais une forme s'y moulant exac-
tement et recouverte d'un enduit spécial ; il y fait, en pro-*
nonçant une certaine lettre, une empreinte indiquant exacte-
ment les points où sa langue est venue en contact des dents
DU PASQUIER. — PHYSIOLOGIE DU LANGAGE. 325
et du palais. Gctlc empreinte est montrée au jeune sujet et
on Toblige, en l'y aidant manuellement, à donner à sa langue
une position telle, que l'empreinte qu'il produira sur le moule
soit identique à celle de son professeur. 11 peut constater ainsi
par lui-même le plus ou moins de correction du son qu'il
émet, en comparant l'empreinte qu'il a faite sur le moule &
celle qu'on lui donne à imiter. Il sera facile, dès lors, de rap-
procher cette empreinte de la lettre en question qui lui sera
montrée, et ainsi sera associée à la sensation objective la
sensation de coordination musculaire ; le reste est facile à
comprendre. Désormais, la vue seule de cette lettre, s'accom*
pagnant du mouvement de coordination, éveillera en lui la
sensation d'articulation, et le même phénomène aura lieu
toutes les fois qu'il rencontrera cette même lettre.
Nous avons fait remarquer déjà (Du Pasquier et Marie,
Séméiologie nerveuse de la langue, in Progrès médical^ 14 fé-
vrier 1891) que c'est bien à cette mémoire dite musculaire
que Ton s'adresse pour faire parler les sourds-muets par la
méthode graphique. De même, les sourds n'entendent que
parce qu'ils possèdent la mémoire musculaire de la langue ;
ils arrivent à comprendre, s'ils réussissent à reproduire avec
leurs lèvres les mouvements qu'ils voient faire à leur interlo-
cuteur ; ils entendent avec les muscles de l'articulation. Il en
est de même pour certains individus atteints de surdité ver-
bale. Ce sont là des phénomènes de même ordre et ayant
leur raison dans le même mécanisme physiologique.
Mais qu'il nous soit permis de faire encore ici un rappro-
chement.
M. Falret (in les Aliénés et les Asiles d'aliénés, Paris, 4890,
p. 486), dans un chapitre sur la physiologie pathologique
de l'aphasie, compare très justement les mouvements de
coordination de la parole « aux mouvements que nous exé-
cutons, à chaque instant, pour d'autres actes également
compliqués, tels que la station verticalci la marche, ou, par
exemple, l'action de jouer du piano et du violon ; ces actes
sont appris peu à peu par une éducation successive ». Or,
T. n (40 séniE). 34
526 SÉANCE DU 46 JUILLET 489t.
qu'est-ce que cette éducation successive? Comment se fait-
elle ? Au moyen de quelle physiologie ? C'est par une phy-
siologie semblable à celle du langage.
Dans le fait d'apprendre à jouer du violon, la position de
chaque note sur la portée exige une position spéciale des
doigts sur les cordes. Pour un violoniste, la vue seule des
notes fait naître dans le bras, le poignet et les doigts,
la sensation que devra occuper chacune de ces parties sur
son instrument ; Taudition seule d'une note aura Je même
effet. Prenons un autre exemple et voyons comment se fait
l'éducation d'une danse^ delà valse. Le maître définit le pas,
le décompose et le fait exécuter à son élève d'abord sans
musique ; lorsque l'élève possède suffisamment le pas, on le
fait valser sur la musique ; s'il est musicien, il saisit le rythme
de la mesure à trois temps et y adapte le pas de la danse.
Après plusieurs répétitions et maints efforts, supposons Tédu-
cation terminée : dorénavant, sur un air de valse, le jeune
sujet, ayant conservé la sensation musculaire de coordina-
tion des mouvements de la valse, ne dansera qu'une valse,
sans jamais se tromper ni oublier. Combien de danseurs chez
qui le moindre air de valse ne suscite immédiatement cette
sensation du pas de la valse au point que leurs jambes s'agi-
tent et qu'ils ne peuvent rester en place ! Où est Texplication
de ce phénomène, si ce n'est dans ce fait physiologique que
toute sensation ou représentation mentale est susceptible
d'éveiller immédiatement la sensation du mouvement à la-
quelle Tune ou l'autre est associée ? Dans l'éducation de la
danse, à la sensation rythmée de la musique on a associé le
mouvement de valse; dans l'éducation du langage, à la sen-
sation objective, le mouvement d'articulation. La sensation
musculaire de coordination des mouvements de la valse a
persisté dans les muscles des jambes, celle des mouvements
d'articulation des mots dans la langue ; la reproduction de
la sensation première ou son retour dans la représentation
mentale suffit h faire naître celle de coordination muscu-
laire. Toute mémoire est un rappel de sensation ; de fait|
DU PA50UIER. — PUYSIOLOGIE DU LANGAGE. B27
on apprend h parler comme on apprend à valser. Tonte édu-
cation, quelle qu'elle soit, le dressage d*an animal en liberté,
a une raison physiologique identique.
m
Il nous reste encore, pour terminer cette étude, à examiner
la façon dont se complète l'éducation du langage, et la part
de la volonté sur la mémoire des mots.
Et d'abord, comment l'enfant complète-t-il ses moyens
d'expression ? Est-ce par un travail particulier qu'Herbert
Spencer considère comme le germe d'un processus de raison-
nement ? Nous ne le croyons pas.
L'enfant ne peut saisir le caractère individuel des choses,
la marque caractéristique des individus ; il y a chez lui ten-
dance à ne voir que les caractères communs des divers indi-
vidus et objets (Taine, Intelligence, 1. 1, p. 46) ; il ne voit,
des choses et des gens, que les grandes lignes, approxima-
tivement les détails et les nuances, parce que ses sens sont
imparfaits, son jugement rudimentaire. 11 n'est donc rien
d'étonnant à ce que des objets semblables pour lui, dont les
caractères individuels ne lui ont pas été révélés, fassent naître
en lui la sensation musculaire d'articulation d'un mot dont
il faudra restreindre l'extension ; puisque le caractère spéci-
iique lui échappe, qu'il ne saisit que les caractères généraux,
il ne peut qu'employer le terme générique, il ne peut que
généraliser. Pour abréger le temps de l'éducation chez l'en-
fant, il suffit d'étendre son expérience ; et, pour cela, on fixera
son attention, non pas sur les caractères généraux des choses
et des gens, mais bien sur les caractères individuels et les
différences des individus et des objets, en rapprochant du
caractère particulier de chaque chose le terme propre qui
sert à le différencier de l'objet voisin, à le classer individuel-
lement en un mot. *
Ainsi l'enfant désignera du terme générique couteau tout
instrument présentant une lame d'acier articulée à l'une de
ses extrémités, jusqu'au jour où on lui aura fait remarquer
528 SÉA5CE DU i6 JUILLET i89l.
qu'il est des couteaux de taille et d'applications diverses :
de ces caractères nouveaux pour lui, que son discernement
ne lui avait pas permis jusqu'alors de saisir, on rapprochera
les termes canif et bistouri; on aura associé de la sorte à des
caractères objectifs nouveaux et individuels, qui font qn*an
couteau est un canif ou un bistouri, un mouvement d'artica-
lation nouveau. De même, il appellera dorénavant serviette ao
morceau de toile blanc, propre, ne présentant ni trous, ni
déchirures, et chiffon un morceau de toile loqueteux, quand
son expérience lui aura permis de saisir les caractères parti*
culiers et les usages difTérents, en dehors des caractères
communs de ces deux objets. L'éducation du langage se com.
plète à mesure que les abstractions deviennent de plus en
plus nombreuses: l'enfant cesse de généraliser pour abstraire,
et non pas grâce à une faculté spéciale de son entendement,
mais parce que à la caractéristique des individus et des choses,
Téducation a associé un mouvement d'articulation spécial et
nouveau. Comme le dit Thompson (Laws ofThought)^ in livre
Gharlton Bastion, C Homme, t. II, p. 72, « c'est à mesure que
les distinctions entre les relations des objets deviennent pins
nombreuses^ plus compliquées et plus subtiles, que le langage
devient plus analytique » ; le vocabulaire devient de même
plus étendu, les idées plus nombreuses.
Quant à la part de la volonté sur la mémoire des mots, il
est facile de la déterminer. Pour nous rappeler un terme qni
nous échappe nous nous plaçons mentalement dans des con*
ditions aussi identiques que possible à celles où nous étions
placés lors de la première association. Ainsi, supposons que
nous cherchions le nom d'un personnage à qui nons avons
été présenté, comment agirons-nous? Le modèle plus commn*
nément employé, est, ce nous semble, le suivant : nous nons
efforçons de nous rappeler les conditions où nous étions
quand nous avons fait la connaissance dudit personnage ;
nous nous le représentons dans le même milieu, entouré des
mêmes visages ; nous tâchons de nous rappeler ses traits, ses
paroles ; et quand cette image est suffisamment nette, le
DU PASQUIER. — PUYSIOLOGIE DU LANGAGE. 5i9
nom qui nous échappait nous revient subitement en mémoire.
G*est la sensation musculaire qui renaît^ cette sensation de
coordination qui, dans le mouvement d'articulation^ avait été
associée à la sensation visuelle du personnage^ à sa taille, à
son geste, à la couleur de ses cheveux. Il n'est point dans cet
ordre de faits jusqu'aux mêmes positions corporelles qui
n'éveillent secondairement les mêmes mots, les mêmes idées.
Chez un malade de M. le docteurFéré {Noie sur le mécanisme de
quelques néologismes des aliénés in Comptes rendus de la Société
de biologie^ 1891, p. 480), le même état émotionnel (excitation)
était toujours accompagné de l'articulation du même mot.
Par la représentation mentale, en dehors de circonstances
pathologiques spéciales, ne pouvons-nous pas faire renaître
le même état somatique où nous étions placés lors de l'asso-
ciation? Nous le croyons; c'est là même toute la question
du rappel des mots. Le mot renaît subitement ou laborieu-
sement, suivant l'état de fonctionnement de nos cellules céré-
brales; nous pouvons l'avoir sur le bout de la langue^ mais
c'est toujours la sensation musculaire qui renaît à la suite
de la sensation objective, ou dans la représentation mentale ;
nous n'agissons volontairement que sur la seconde, jamais
sur la sensation d'articulation.
Il semble parfois que nous puissions agir directement sur
cette sensation, mais c'est toujours dans des conditions spé-
ciales : c'est dans le cas où la sensation visuelle ou auditive
persiste encore plus ou moins distincte ; nous articulons alors
indistinctement dans le sens de la consonnance du terme qui
nous échappe, et par des tâtonnements successifs nous arri-
vons à faire renaître en entier la sensation d'articulation. Le
mode d'intervention de la volonté n'en a pas moins été le
même; le premier efTort de la volonté a été de nous rappeler
la sensation visuelle ou auditive (dans le cas présent elle
persistait confuse) à laquelle s'associait le mouvement d'articu-
lation ; secondairement, la volonté a agi seulement sur la sen-
sation d'articulation, mais parce que, nous le répétons encore,
la sensation objective avait encore sufiBsamment de netteté.
S30 SÉANCE DU IG JUILLET 181)1.
Nousn'agisaonsTolonLairementque sur le rappel d'une seul
sensation, sur la sensation objective qui renaît dans la repré
sentatioQ mentale, et non sur la sensation d'articulation
celle-ci naît à la suite de la première, nous dirions preaqui
h notre insu, tant ilest vrai que, dans le domaine des fonoUooi
intellectuelles, tout n'est que sensations et monTements
associations diverses, et phénomènes réilexes. Dans c<
domaine de faits dits inlellectueU, comme dans l'accomplisse
ment de nos fonctions vi^gétativcs, notre organisnie n'es
qu'une machine fonctionnant sous des excitations extérieures
Percevoir des sensations et y associer un mouvemen'
d'articulation, ce mode physiologique du langage ren<
compte d'un certain nombre de faits d'histoire et de physio-
logie.
La richesse d'une langue est en raison directe de l'abon-
dance des sensations fournies et perdues. Les langues lei
plus pauvres existent dans les contrées les plus stériles ; It
sauvage n'a besoin que d'un petit nombre de signes poni
distinguer le petit nombre des objets qui frappent habituelle-
ment ses sens (Kicherand, Physiologie, 1. 11, p. 187). L'absence
d'impressions extérieures et l'impossibilité de les percevoir,
explique la pauvreté de la langue et l'infériorité intellectuelle
d'un individu sourd et aveugle; si l'idée n'est qu'une sensa-
tion fixée par un signe, si le mot est aussi nécessaire à Is
pensée que les chiffres au calcul, comme le veut Condillac,
UD domaine immense du monde intellectuel lui est fermé.
Inversement l'abondance et le raffinement des sensations ne
peuvent-ib pas avoir conduit à cette langue qu'a parlée Bau-
delaire, « à ce style ingiinleux, compliqué, savant, plein de
nuances et de recherches... écoutant pour les traduire les
confidences subtiles de la névrose... n (Th. Gautier, préface
aux Fleuri du mal.) Chacune de ces sensations nouvelles de<
mandait à ôtre étiquetée. La même inlerprétalion du langage
semble indiquer encore qu'il faut chercher la cause des alté-
rations du parler chei les idiots el les dégénérés, non pas
dansuQordre défaits purement moral et métaphysique, mais
CORRESPONDANCE. 531
dans un ordre de faits matériels apportant une entrave au
fonctionnement normal des centres nerveux.
Nous regrettons que ces faits, qui comportent tous de plus
amples développements, ne puissent trouver place dans cette
communication.
La séance est levée à cinq heures cinquante minutes.
L'un des secrétaires : C4P1TAN.
5il' SÉANCE. — («' oelobre 1891.
Préflldoiieo de M« SAI^MOM^ Tlee«prëiildeiil«
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
COMMUNICATIONS DU BUREAU.
M. LE Secrétaire général annonce la mort d'un membre
associé étranger de la Société, M. le D' Izydor Koperniçki,
professeur à TAcadémie des sciences de Cracovie.
M. LE Président exprime les vifs regrels que cette perte
fait éprouver à la Société.
correspondance.
M. le Secrétaire général donne lecture du programme du
Congrès des Sociétés savantes pour 1892.
Il donne lecture d'une lettre par laquelle M. P. du GhateU
lier, de Pont-l'Abbé (Finistère), ayant appris que M. de
Mortillet l'a fait inscrire pour le concours du prix Godard,
déclare ne pas avoir Tintention de prendre part à ce con-
cours et demande que son nom soit rayé de la liste des
concurrents.
11 donne ensuite lecture d'une lettre qui lui est adressée
par M. Frédéric Verdier, pasteur à Saint-Dizier (Drôme).
M. Verdier porte à la connaissance de la Société que le
village de Saint-Dizier est bâti sur une nécropole de Tépoque
534 SÉANGB DU i*' OCTOBRE 4891.
Sergi (Guweppe). Crani africani e o^ani ammcani ; consî-
derazioni generali cranioiogiche e antropologwhey în Archivio
per l'antropologia e la etnologia, i89I, Rome, in-8*, 56 pages
et planches. (Ouvrage présenté par M. Manouvrier.)
TiHON (Ferd.^. Exploration des grotUs de la vallée de la
Mehaigne, in Bulletin de la Société d'anthropologie de
BrtixelleSf 1891. In*8^, 44 pages.
PERIODIQUES.
Archives de médecine navale et co/oni'a/e (septembre 1891).
D' G. Guilloteau : Géographie médicale des établissements
français dans Tlnde ; Ghandernagor.
Revue scientifique (15 août et 26 septembre). D' Rollet: Les
Maladies osseuses des grands singes. — M.-C.-V. Riley:
Causes de la variation chez les êtres organisés.
Annales du musée Guimet, tome XVIII. Léon Feer : Ava*
dâna-Çataka: Cent légendes (bouddhiques).
Peabody Muséum {Archœological and ethnological papers)^
vol. I, n"" 2. Albert S. Gatschet : Ihe Karankawa Indians ihe
Goast people of Texas.
Bollettino di Paletnologia italiana {n'^* 1-4, 4891). Parazzi:
Slazione dei Lagazzi tra Vho e S. Lorenzo Guazzone, pro«
vincia di Cremona.
préseistations.
M. Bschenauer expose les rapports qui existent, au point
de vue du but poursuivi, entre la Société d'anthropologie et
la Société d'études philosophiques et sociales dont il est
président. Il engage vivement ses collègues a devenir adhé-
rents de la Société d'études philosophiques et exprime le
vœu que les deux Sociétés s'unissent de plus en plus étroi-
tement.
M\I1TI.1-DURH. — HALFJHKATIONS CONSÉNITALES.
COUUUNlCATIOnS.
Malhrwktiaaa «an|éaltal«a mnlllple» M naa bértdlUlr«a
(Six extrémité» dlcltftlna ■o'BBmérklnB réparlles
•«X 4N«lra MMmhres et bee-de-IIA«ve »lniple)i
PAU M. XAHTIN-DDIlH,
Le nominé B..., Denis-Ernest, âgé de soixante ans, jour-
nalier, entré dans le service de M. le D' Gouraud, à l'hôpital
Cochin, en avril 1891 , est porteur d'une série d'anomalies qui
nous ont semblé présenter quelque intérêt pour les membres
de la Société d'anthropologie.
Ces anomalies consistent en une augmentation du nombre
^
¥ig. i.
des extrémités digitales aux quatre membres : la main droite
a six doigts, la main gauche sept ; le pied droit sept orteils et
le pied gauche six ;^et de plus un bec-de-lièvre simple.
La main droite présente, outre cinq doigta : pouce, index,
médius, annulaire et petit doigt, bien conformés, un sixième
doigt. Il est situé sur le bord cubital, à. égale distance de l'ex-
trémité carpienoe et de l'eiLlrémilé phalangienne da cio-
quièmc métacarpien. Sa forme rappelle celle d'un doigt
53H SÉANCE DU 1" OCTOBRE 1891.
normal, plus petit quo les autres doigts de cette main et
recourbé vers la paume de la main. Il est sans connexion
articulaire avec le cinquième métacarpien et s'insère uni-
quement sur des parties molles. Il se compose de denx articles
munis chacun d'une phalange et est pourvu à son extrémité
d*un ongle bien conformé. Ce doigt ne possède pas de tendon
et n'est au malade qy'un appendice inutile.
La main gauche présente sept doigts. Les quatre doigts
externes : pouce, index, médius, annulaire, sont réguliers. .\
Fig. 3.
Textrémité antérieure du cinquième métacarpien s*articu1ent
à la fois la première phalange du cinquième doigt et une pha-
lange surnuméraire dirigée en dedans suivant un angle obtus
et formant la base commune des sixième et septième doigts.
Le cinquième doigt est bien conformé et présente ses trois
phalanges. La phalange commune aux sixième et septième
doigts est dirigée en dedans à angle obtus. Elle est épaisse
et aplatie. A son extrémité postérieure, elle semble soudée
à la première phalange du cinquième doigt. A son extrémité
antérieure existe une articulation double, à laquelle font
suite deux phalangines placées sur le même plan. Ces deux
MARTIN-DURR. — MALFORMATIONS CONGÉNITALES. 537
phalangines sont recouvertes par un même surtout tégumen-
taire, mais leur séparation est indiquée par un sillon et deux
phalangettes distinctes leur font suite, recouvertes de parties
molles sur lesquelles se trouvent deux ongles parfaitement
distincts. Les deux doigts surnuméraires, recouverts d'un
même surtout tégumentaire, se composent donc d'une pha-
lange commune, de deux phalangines distinctes et paraU
lèles et de deux phalangettes également parallèles et dis^
tinctes, et munies chacune d'un ongle spécial.
Le pied droit possède sept orteils. Il se fait remarquer par
l'élargissement de son extrémité antérieure, d'où la nécessité
pour le malade de porter des souliers spéciaux. Il semble
qu'il existe six extrémités métatarsiennes antérieures. Les
cinq orteils internes sont normaux; l'extrémité antérieure du
gros orteil est seulement déjetée en dehors. Le sixième orteil
est déjeté en dedans et présente ses phalanges et son ongle
bien conformés. Le septième orteil se dirige directement en
dehors comme un ergot. Il a été, pour le porteur, l'occasion
de plusieurs accidents et actuellement il se présente comme
un moignon de 1 centimètre, sur lequel la peau adhère à
l'os. Le malade raconte que ce doigt possédait un ongle direc-
tement dirigé en haut et pour lequel il était nécessaire que
le soulier eût une cupule spéciale. Le sabot d'un cheval lui
écrasa l'extrémité de ce doigt et lui fit ainsi une amputation
partielle.
Le pied gauche, à première vue, semble normal, et il est
nécessaire de compter pour reconnaître l'existence de six or-
teils. Ces six orteils présentent tous une conformation nor-
male^ sont munis de trois phalanges et correspondent à six
extrémités métatarsiennes antérieures.
Enfin, il existe à la lèvre supérieure un bec-de-lièvrd
simple gauche, consistant uniquement en une fissure latérale
de la lèvre, peu étendue et ne remontant pas jusqu'à l'orifice
nasal correspondant.
La multiplicité des malformations, la coïncidence fré-
quente de la polydactylie avec d'autres vices de conforma-
538 SÉANCE nu i" octobre 1891.
tion ont été depuis longtemps signalées. Isidore Geoffroy-
Saint-Hilaire insiste sur la corrélation qui existe entre le
nombre des doigts des membres supérieurs et celui des mem-
bres inférieurs.
Quant à la classification des anomalies que nous présen-
tons, elles offrent ce point commun, d'avoir, aux qnatre
membres, leur siège sur le bord dislal du membre, cabîtai à
la main et péronéen au pied.
Le pied gauche présente Tanomalie qu'Isidore Geoffroy-
Saint-Hilaire a désignée sous le nom d'anomalie par prolon-
gation de la série,
La main droite présente un doigt surnuméraire cubital sans
attache osseuse.
La main gauche et le pied droit possèdent deax doigts so^
numéraires sur le bord distal, et avec attache osseuse, ce qui
est rare (Poiaillon, Dictionnaire Dechambre, article doigt,
page i4i).
L*absence d'hérédité est 1res frappante dans ce cas. Ni le
père ni la mère de cet homme n*ont présenté de malforma-
tion, pas plus que les frères ou sœurs de ses parents. Lui-
même a eu onze enfants, dont aucun n'a été affecté de vice
de conformation, et il a actuellement sept petits* enfants tous
normalement conformés.
Pour le bec-de-lièvre, cette absence d'hérédité est le cas le
plus fréquent. « Les enfants affectés de bec-de-lièvre, dit
Isidore Geoffroy-Saint-Hiiaire ^ naissent presque toujours de
parents bien conformés. La fissure labiale est Tune des ano-
malies qui se transmettent le moins fréquemment par Toie
de génération. »
Mais il n'en est pas de même pour l'hérédité de la poly-
dactylie, qui existe le plus souvent, comme l'ont noté tous
les tératologistes.
^ Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, Histoire générale et particulière des aM-
malies de l' organisation ^ 1832, t. I, p. 583.
G. LAGNEAU. — SUR LA RACE JUIVE ET SA PATHOLOGIE. 539
Sur la race Jalve et sa pathologie ;
PAR M. GUSTAVE LAGNEAU.
Récemment, à TAcadémie de médecine*, à propos d'un
rapport sur la myopie et Tasligmatisme, M. Javal ayant
signalé certaine différence propre aux Israélites, après avoir
montré que les juifs étaient, en général, supérieurs aux
autres habitants par leur natalité illégitime moindre^ leur
nuptialité masculine plus hâtive, leur mortalité inranlile
moindre, leur accroissement de population plus rapide, je
crus devoir rappeler que de nombreux médecins avaient
signalé chez les Israélites la fréquence du diabète, de mala-
dies nerveu3es, de Taliénation mentale, et que quelques
observateurs avaient remarqué leur immunité relative lors
de certaines épidémies. Parmi les plus remarquables immu-
nités morbides dont sembleraient jouir les juifs seraient
celles relatives à la peste, au typhus.
Dans cette discussion, M. Hardy insista sur la gravité de
certaines affections cutanées, entre autres de l'eczéma, chez
les juifs. A ce sujet, je communiquai à l'Académie quelques
observations qui m'avaient été transmises par un de nos cor-
respondants nationaux, M. le docteur Zambaco, de Constan-
tinople, où la lèpre n'atteindrait que les juifs espagnols, mais
ne se montrerait jamais chez les musulmans, les chrétiens et
les juifs karaïtes venus de Crimée.
Ce savant confrère, connu par ses travaux sur la lèpre,
m'écrit en ces termes : « Nous avons ici, à Constantinople,
où j'exerce depuis vingt ans, deux espèces d'israélites, ceux
qui sont venus d'Espagne et qui parlent un idiome espagnol,
et ceux qui disent avoir tiré leur origine de la Crimée^ et qui
sont venus s'établir h Constantinople du temps des empe*
reurs byzantins. Ces derniers diffèrent du tout an tout des
premiers ; c'est une autre race, ils n'ont pas le type juif, ils
> Séance du 8 septembre 1891.
540 SÉANCE DU 4" OCTOBRE 1891.
ne parlent pas l'espagnol; ils n'admettent pas le Talmud;
ils évitent toute relation avec les juifs précédents ; lis ne se
lient pas avec eux et ne s'unissent point conjugalement. Or,
dans nos recherches sur la lèpre en Turquie, je n'ai pas ren-
contré un seul cas de lèpre chez les juifs originaires delà
Crimée, qui s'appellent karaïtes. Elle est très commune, aa
contraire, chez nos juifs indigènes de souche espagnole, on
plutôt qui nous viennent d'Espagne; et chose curieuse,
parmi les Gonstantinopolitains (les habitants originaires de
Constantinople), la lèpre ne se rencontre que chez ces juifs
venant d'Espagne. J'estime à plus de quatre cents les lépreux
ambulants de Constantinople. Tous sont des juifs espagnols
ou sont d'origine étrangère, proviennent des îles Cyclades,
de Candie, de Chypre, d'Anatolie. Seuls les juifs espagnols,
établis ici depuis leur exode d'Espagne, présentent de nom-
breux cas de lèpre. Et notez bien... que ces quatre cents
lépreux ambulants, qui exercent toutes sortes de métiers dans
les divers quartiers de la ville, et qui sont en contact et en
relation permanente avec toute la population, n'ont jamais
transmis la lèpre à un seul Constantinopolitain ; car je n'ai
pu rencontrer, jusqu'à présent, ni un Grec, ni un Arménien,
ni un musulman, ni un Européen constantinopolitain atteint
de lèpre. Je suis donc conduit, forcément, à accuser l'origine
des juifs espagnols comme déterminant la lèpre par hérédité
datant de Moïse... D'où tirent leur première origine les
karaïtes ou Israélites qui sont venus en Orient de la Grimée,
où il y en a encore de nombreux, d'après les renseignements
que j*ai pu avoir? Si les juifs espagnols de Constantinople
sont les seuls Gonstantinopolitains comptant des lépreux, si
leurs coreligionnaires (protestants juifs), habitant Constanti-
nople depuis des siècles, n'ont offert aucun cas de lèpre,
force est d'admettre l'hérédité comme cause de la lèpre chez
les juifs que j'observe. »
Je crois pouvoir expliquer cette différence entre les juifs
espagnols et les juifs karaïtes par leur dualité ethnique : les
juifs espagnols étant de race sémitique ou syro-arabe, les
niscLîîsiox ^vn la race juive et <:a patuologie. 541
juifs karaïles, descendants des anciens Khazars et autres
peuplades de la Russie méridionale, étant des Tatars oïl
Finnois, judaïsés au huitième siècle.
L'intéressante remarque différentielle faite par M. Zam-
baco, à Gonslantinople, entre les juifs espagnols, de race
syro-arabe, parfois lépreux, et les juifs karaïtes originaires
de Crimée, de race tatare ou fînnoise, jamais lépreux, me
semble pouvoir parfaitement s'expliquer par la diversité de
ces deux races*
Discussion.
M. Sanson. Quand on parle des juifs en se plaçant au point
de vue anthropologique, il est nécessaire d'établir une dis-
tinction sur laquelle Tattention a été déjà bien des fois appe-
lée^ mais qu'il faut encore rappeler, puisqu*on l'oublie
toujours. Cette distinction existe, dans la réalité, entre la
notion de religion et celle de race. Tous ceux qui sont de
religion juive n'appartiennent pas à la race israélite. Il A*est
dès lors, pas étonnant que tous les juifs ne soient point de
même type. Pourtant, il n*est nullement douteux que la race
juive existe et que son type soit parfaitement caractérisé par
des traits auxquels il n'est pas possible de se méprendre.
Je voudrais faire une autre remarque. Je ne sais si je me
trompe, mais il me semble bien que la lèpre est aujourd'hui
considérée par les hommes spéciaux comme une affection
parasitaire. S'il en est ainsi, on ne voit pas comment elle
pourrait se transmettre par hérédité. Peut-être dira-t-on que
c'est l'aptitude à la contracter qui est héréditaire. C'est pos-
sible, mais pour que l'observation du correspondant de
M. Lagneau acquît toute sa valeur, il faudrait savoir si les
deux populations juives dont il parle vivent dans des condi-
tions identiques. Il se peut que celle où sévit la lèpre soit
plus misérable que l'autre et croupisse dans la saleté. Alors
on comprendrait que le parasite de la lèpre, ayant été intro-
duit à un moment donné, se soit perpétué dans un milieu de
culture favorable. L'hérédité, en cela, n'aurait rien à voir,
T. Il (4" série). 35
542 S^.ANCE DU i""* OCTOBRE iSOt.
pas plus qa*oii n'en a besoin pour expliquer la présence de
la pomme de terre partout où elle a été cultivée depuis It
fm du siècle dernier.
M. Làgnbau. Ainsi que M. Sanson, je sais que la lèpre est
regardée par certains dermatologistes comme parasitaire on
comme héréditaire, ainsi; d'ailleurs, que la tuberculose.
Mais quelle que soit son ètiologie, cette maladie persiste
parfois fort longtemps parmi les habitants de certains pays,
de certaines races. Il paraît en être ainsi pour les juifs espa-
gnols lépreux de Constantinople, observés par M. Zambaco.
11 paraît également en être ainsi chez quelques habitants du
nord-ouest de Tltalie. Les Longobards ou Lombards, anciens
habitants des pays du Nord (du Danemark), comme les
Norvégiens, encore sujets à la lèpre, lorsqu'ils se portèrent
dans la région septentrionale de l'Italie, depuis appelée Lom*
hardie, passèrent pour y avoir importé la lèpre. En 770, le
pape Etienne ill, voulant empêcher Gharlemagne d'éponser
Berthe, la fille de Didier, roi des Lombards, lui disait qa*il
ne devait pas mésallier le très noble sang des Francs avec
celui de la perfide et très puante nation des Lombards, dont
les lépreux tiraient certainement leur origine «... ac fœten*
iissima Longobardorum gente polluaiur ; guas ieprosorum
genus oriri certum est. n (Epist. IV, Stephani III, dans dom
Bouquet, Recueil des histoires des Gaules, t. V, p. 54â). Or,
c'est dans cette même région de Tltalie que se trouvent en-
core, non seulement le lépreux de la vallée d'Aoste de Xavier
de Maistre, mais aussi les lépreux des environs de Nice, de
Pigna, de Castel-Franco signalés par Fodéré*, et les lépreux
du petit hôpital de Saint-Maurice à San-Remo, étudiés par
Rambaldi, Gibert* et Gillebert d'IIcrcourl'.
M. Hervé. Il est nécessaire de bien établir la différence
« Fodéré, Traité de médecine légale et d'hygiène publi'iue, t. V, p. 3S6.
Pari», 1813. — Voyage aux Alpes-Marifimes, t. II, p. 242, elc, !81|.
* Gibert, Rapport à l'Académie de médecine, 2 octobre 18CS (Amm^ltt
hebdomadaires de médecine, p. 681, 1862).
« Gillebert d'Hercourt, PuUetins de la Société d'anthropologie, 2t a^rie,
t XI, p. 157,1870.
DHCUJiSION SUR LA RACtî JUIVK KT SA PATHOLOGIE. K43
qui existe entre les juifs de race et les individus Judafsés.
II existe entre ces deux catégories d'individus une équivoque
qu'il faut faire disparaître avec soin. Le type juif est des
plus frappants : tète allongée d'avant en arrière ; cheveux
foncés, abondants, souvent ondulés; yeux grandi et vifs;
nez aquilin et fin donnant un profil très accentué ; lèvres as*
sez minces ; visage ovale ; taille peu élevée. Il ne faut pas
confondre avec ce type très remarquable de race flne un
type beaucoup plus grossier qui se rencontre asiei fréquem-
ment chez les juifs allemands, et qui est caractérisé par
une tète arrondie, des cheveux frisés, un nez gros, des ïë-
vres épaisses, des traits sans délicatesse aucune. Ce type n'a
rien de commun avec le vrai type d'origine asiatique.
M. Mahoudeau. Les juifs algériens fournissent un exemple
bien net du résultat que Tisolement, joint aux mariages con*
sanguini, aidé de mœurs spéciales constituant un véritable
milieu, permet d'obtenir dans les races humaines. Quoique
sémites d'origine, au même titre que les Arabes qui les en*
tourent dans les villes du littoral, ces juifs ont revêtu un tel
cachet de parenté que, malgré des différences individuelles
souvent considérables, malgré leur habillement européen, ils
sont facilement reconnaissables à première vue. Il n'en est
pas de même dans le centre de la France où la variété des
types juifs permet difficilement de les reconnaître. Cette
môme difficulté pouvait exister autrefois pour les juifs de
l'Afrique du Nord,peut*être même attelle été pour quelque
chose dans l'obligation qui leur fut imposée, comme dans
bien d'autres endroits, du reste, de porter un costume par-
ticulier ne permettant pas de les confondre avec le reste
de la population. Aujourd'hui, ce costume disparait, et
malgré cela, personne ne s'y trompe, car ils ont acquis des
caraclères qui n'échappent à aucun de ceux qui les ont une
fois connus. C'est, en somme, une expérience de ségrégation
humaine.
M. Lagneau. Plusieurs de nos collègues disent que les
juifs sont parfaitement reconnaissables parmi les autres ha*
544 SÉANCE DU 1^' OCTOBHK i891.
bitaats de divers pays. 11 serait néanmoins intéressant de
préciser la caractéristique ethnique des juifs véritables de
race syro-arabe et des juifs judaïsés de races différentes :
tatare, finnoise, slave ou autre. Les juifs d'Espagne et sur-
tout ceux de Portugal semblent avoir le mieux conservé le
beau type sémitique ou syro-arabe. Quant aux juifs karal-
tes, d* origine tatare ou finnoise, de la Grimée, ainsi que le
dit M. Zambaco, ils en diffèrent complètement. Pareillement,
M. Obédénare, de Bucbarest, assigne aux juifs de Pologne
des caractères très différents de ceux des juifs véritables de
race syro-arabe. Les juifs polonais, dit-il, ont le front étroit
dans le sens transversal, les yeux petits et écartés, bleus oq
gris, le nez épaté et souvent retroussé, les pommettes for-
tement saillantes, les doigts gros et courts, les incurvations
de la colonne vertébrale peu prononcées On se rappelle que
les juifs proprement dits ont de grands yeux noirs, le nez
fin et long, les doigts longs et efQlés, les incurvations de la
colonne vertébrale bien prononcées... Les cheveux de ces
derniers sont frisés ou bouclés ; les cheveux des juifs polo*
nais sont raides, gros et plats ^ d Sous le rapport anthro-
pométrique, on peut rappeler que M. Snigerev et M. Golds-
tein ont remarqué parmi les juifs de Pologne et de Samogitie
le nombre considérable de conscrits exemptés pour insuffi-
sance du périmètre thoracique, et en général pour inap-
titude militaire*.
M'^*' Clémence Uoyer. S'il faut admettre Texistence d'un
type juif présentant partout un certain ensemble de carac-*
tères, il est non moins certain que les juifs de tous les pays
se ressemblent moins entre eux qu'ils ne ressemblent aux
populations qui les environnent, et que ceux du Nord se
distinguent aussi nettement de ceux du Midi que les Ger-
mains se distinguent en moyenne des Latins.
1 ObcdéQarei Danubienns (Région) ; Dictionnaire encyclopédique dit
sciences médicales, p. 567.
> Goldstein, Des circonférences du thorax et de leur rapport avte la taiUn
{Kevue d'anthropoiogief S« Bério, t. VII, p. 473. ntc , IK84).
DISCUSSION SUR LA RACE JUIVE ET SA PATUOLOGIE. o45
Il n'y a pas de race pure. Celle des juifs Test seulement un
peu plus que les autres, parce qu'ayant été partout persé-
cutés et forcés de vivre à part durant de longs siècles, ils
se sont moins mélangés que les autres éléments ethniques
au milieu desquels ils ont vécu durant toute Tère chrétienne.
Mais antérieurement, les juifs étaient peut-être bien moins
caractérisés qu'aujourd'hui. Depuis Tépoque de la destruction
de leurs deux royaumes par les conquérants chaldéens jus-
qu'à la destruction de Jérusalem par Titus, les Juifs, qui
s'étaient répandus dans toute l'Asie occidentale, et dans le
monde latin, s'y étaient profondément pénétrés d'éléments
étrangers. En effet, comme l'a dit M. Hervé, pendant les
derniers siècles avant Tère chrétienne, ils ont fait partout de
nombreux prosélytes. Chaque colonie juive s'est recrutée
chez les populations ambiantes. Celles du nord de la mer
Noire se sont mélangées avec des Slaves, des Cosaques et,
plus tard, avec des populations germaniques, quand leurs
essaims se sont répandus dans l'Europe centrale. Les juifs
polonais, russes et allemands proviennent, en général, de
cette source trèsmélangée. Aussi présentent-ils beaucoup d'in-
dividus blonds, et même en majorité; leur nez, au lieu d'être
aquiiin, est écrasé à la racine et parfois épaté; leur crâne et
leur visage sont moins longs et leur taille est moins haute.
De même, les juifs répandus dans l'empire romain, tout
autour de la Méditerranée, et parmi lesquels se recrutèrent les
premières églises chrétiennes, s'étaient également mélangés
de prosélytes de souche helléno-latine. C'est surtout et peut-
être seulement depuis qu'ils ont été persécutés par les chré-
tiens que leur type s'est caractérisé et fixé, parce que, dès
ce moment, ils ne se sont plus alliés qu'entre eux, par force.
Ainsi ces juifs méridionaux, que l'on pourrait appeler des
juifs latins, ont-ils mieux que les autres les caractères d'une
race pure ; mais elle est devenue pure surtout par sélection
et accumulation de variations successives, plutôt que par un
retour atavique à des caractères anciens. Qu'étaient les juifs
ù Jérusalem au temps de Salomon et de David? Nous l'igno-
546 SÉANCE DU i" OCTOBHli: 1891.
rons absolument. Il est probable qu'ils se distinguaient fort
peu des Phéniciens leurs voisins, et des autres populations
syro-arabes.
Parmi les juifs méridionaux, les juifs portugais ont les
caractères les plus constants, parce qu'ils ont subi plus que
les autres les rigueurs de Tlnquisilion espagnole, après avoir
subi les persécutions des Arabes.
L'Afrique du Nord présente un troisième type de juifs qui
est formé du mélange de colonies juives primitives d'Egypte
et de Carthage avec des éléments indigènes coptes, berbères
et phéniciensi puis avec des colons lalins et grecs, et plus
tai*d avec des Arabes, des Turcs et des Maures. Aussi le type
juif d'Afrique est-il plus franchement sémitique que les
autres et s'est-il rapproché du type arabe, mais avec les carac-
tères inférieurs des races très mélangées d'éléments trop
divers.
£n somme, partout le type juif ne s*est perpétué et n'a
conservé ou même acquis oerlaini caractères distinctifs,
plutôt locaux que généraux, que grâce à Tisolement dans
lequel les haines religieuses des autres races Tont forcé de
vivre.
Il est à croire que, depuis longtemps, il n y aurait plus de
type juif, si les juifs n'avaient pas été partout persécutés. Ce
sont les persécutions qui leur ont permis de perpétuer leurs
caractères acquis et c'est à elles qu'ils doivent aussi les
qualités intellectuelles qui les distinguent et la supériorité
évidente qui les fait réussir mieux que les autres dans toutes
les carrières libérales^ partout où ils sont devenus libres,
sous la protection des lois modernes. Une statistique par
religions de toutes les professions artistiques, littéraires ou
scientifiques montrerait que, dans tous les pays de l'Europe
où leurs droits sont égaux à ceux des autres citoyens, la
proportion des juifs est bien plus grande que dans la masse
de la population en général, et que, dans ces professions, un
nombre relativement considérable de juifs s'élèvent aux
premiers rangs.
DISCUSSION 8UR LA RAGE JUIVE £T 8A PATHOLOGIE. K47
Cette supériorité frappante dans la lutte pour la vie a cer-
tainement été acquise grâce à la sélection sévère que les juifs
ont subie durant deux mille cinq cents ans*
M. Lagnëau. En me voyant rappeler quelques différences
démographiques et pathologiques présentées parles juifs, on
m'a regardé comme leur étant hostile. Contrairement, les
juifs me paraissent avoir de grandes qualités, de grandes'
aptitudes. Je connais peu de gens aussi charitables. La régu-
larité et la continuité de leur travail souvent les mènent à la
fortune ; souvent aussi les conduisent aux positions soienti*
tiques les plus élevées. Je signale les faits différentiels pour
les juifs de race syro-arabe, comme dans d'autres oircon*
stances je l'ai fait pour les Normands de race Scandinave,
pour les Bretons de race celtique. La diversité des religions
a fait trop de mal à Thumanité, en provoquant des guerres
cruelles, des persécutions atroces, pour que je n'évite pas
d*en parler. Je ne m'occupe que de différences ethniques.
M. Chervin croit devoir faire quelques réserves au sujet
des statistiques qui ont été indiquées à l'Académie par
M. Worms.
ce Le dernier recensement de la population juive en France
(mai i891), a dit M. Worms^ indique qu'elle est de
67350 âmes. »
M. Chervin demande à quelles sources ces renseignements
ont été puisés, puisque les feuilles de recensement ne com-
portent pas la déclaration de religion.
M. Lagneau. Ainsi que M. Chervin, je ne sais pas comment
M. Worms a pu connaître le nombre de 43 500 Israélites
existant à Paris ^, car les derniers recensements officiels ne
mentionnent pas les religions* Peut-être ce nombre lui a^t^-il
été fourni par les rabbins ?
Je vois que, dans un article sur le centenaire des juifs,
M. Ph. de Grandlieu s'exprime ainsi : « D'après les statis*
tiques publiées récemtnent, ils (lés Israélites) n'atteignent
1 BuUetin de l'Académie de méétcm, 8 Beptembl^ !S91, p, S88.
548 SÉANCE DU 1®' OCTOBRE 1891.
chez nous (en France) qu'au- chiffre... de 67850, chiffre d'une
rigoureuse exactitude, puisque le recensement officieux a
été dressé paries rabbins^ »
M. Hervé, rappelant une phrase de M. Mahoudeau, dit que
cependant en France, et particulièrement en Alsace où il a
longtemps habité, il lui a toujours été possible de reconnaître
facilement les individus de race juive.
M. Sanson. Les circonstances de ma vie m*ont mis dans le
cas de voir de près beaucoup de juifs. D'abord j'ai habité
l'Alsace où ils sont nombreux, comme on sait. Ensuite^ étant
en mission à l'ancienne frontière d'Allemagne, en 1867 et
1868, pour m'opposer à l'entrée des animaux suspects do
peste bovine, je n'ai eu, durant mon séjour, affaire qu'à eux,
à peu près. On n'ignore pas que, dans ces pays-là, le commerce
du bétail est tout entier entre leurs mains. J'en ai profité,
naturellement, pour les étudier^ au physique comme au
moral. Tous autant que nous sommes ici nous ne laissons
échapper aucune occasion de nous instruire.
Ëh bien, s'il n'est pas douteux que les juifs d'Alsace et
d'Allemagne ne sont point d'un type pur, comme la plupart
de ceux d'Amslerdam, par exemple, que j'ai vus aussi de
près, il n'en est pas moins certain qu'on reconnaît toujours
leur race, tantôt à l'un, tantôt à l'autre de ses traits, domi-
nant dans la physionomie. C'est par là que s'établissent les
ressemblances, dans le sens vulgaire.
Si l'on analyse la figure, caractère par caractère, on trouve
des dissemblances profondes; mais il suffit d'un caractère
commun pour que la notion de ressemblance, à première
vue, s'impose à l'esprit.
En somme, il y a bien un type de race juive qui se ren-
contre complet ou seulement partiel chez tous ceux qui sont
issus de cette race. Il se montre complet chez ceux dont les
ascendants n'ont jamais été mélangés, partiel chez ceux où
il y a eu des mélanges. On ne saurait être surpris de ne le
> Le Figaro, tl septembre 1891, p. 1, col. i.
DISCUSSION SUK L.\ RACE JUIVE ET SA PATHOLOGIE. 549
point trouver chez ceux qui n'ont jamais eu avec les juifs
rien de commun autre que leur religion.
M. Gabriel de Mortillet. Un de nos collègues nous a dit
que les juifs d'Algérie ont un type commun qui les fait facile-
ment reconnaître. Qu'ils se distinguent très bien des Arabes
qui, pourtant, ont, comme eux, une origine sémitique, c'est
très vrai. Mais si, quittant l'Algérie, nous allons tout à côté, à
Tunis, nous trouvons là des juifs également d'origine sémi-
tique, se ressemblant tous entre eux, se différenciant des
Arabes et des juifs algériens. C'est que le genre de vie, les
habitudes, les milieux agissent toujours et partout sur les
populations, les modifiant peu à peu. C'est ce qui fait qu'entre
les juifs d'origine sémitique, bien qu'apparlenantà une seule
et même race, bien qu'ayant le même culte, -les mêmes
mœurs, il se produit des différences, des variétés qui per-
mettent de les différencier par régions.
Quant aux juifs annexés, il est tout naturel qu'ils se rap-
prochent des juifs d'origine. Us ont adopté la môme religion,
le même genre de vie, les mêmes mqeurs; autant de puis-
santes raisons qui les font converger vers le type originel.
C'est encore une influence de milieu. Mais il y a plus : la
communauté de mœurs, d'intérêts, de religion, rapproche
tellement les annexés des juifs d'origine, qu'il y a de nom-
breuses unions ; les sangs se mêlent et les caractères sémi«
tiques finissent par envahir les annexés, qui sont toujours en
minorité.
M. Hervé. L'appréciation du caractère ethnique résulte
d'une impression que nous pouvons considérer comme étant
une impression artistique. Bien souvent les traits qui carac-
térisent le type ne se montrent pas réunis ; mais il est aisé,
pour qui a vécu quelque peu au milieu des juifs, de les re*
connaître toujours, au premier coup d'œil, a tels ou tels de
ces traits.
550 8ÉANCE DU i*" OCTOBRE i89i.
f^aelqnes eonsidérations snr la deaxiéme déelmale
dans les Indiees eranlens et faelanx ;
PAR MM. AZOULAT BT LAlARD.
Dans les mensuralions craniométriques et faciales, on a
pour habitude de n'estimer les longueurs qu à 0"^"|5 près.
Si, par exemple, la longueur est de 121™'°,3, on la considère
comme valant 121 millimètres; si elle est de i2i°"°,d ou
i21»»,4, on écrit 121 °»,5.
On obtient de la sorte un nombre fautif de 0"™,35 en plus
ou en moins au maximum.
Cette approximation est même rare. Dans la pratique, il
est d'usage d'exprimer les mesures de longueur à 1 milli*
mètre près, ce qui donne une erreur maximum en plus ou
en moins de O^^jS.
Les erreurs volontaires ainsi obtenues sont donc de Tordra
de grandeur de celles qu'il est permis de commettre dans les
mensurations.
Nul ne peut contester cette conclusion.
Nous nous proposons de montrer qu'une erreur de 0,05
commise sur un indice ne correspond pas à une modification
de Tun des facteurs qui ont servi à l'établir, égaie ou supé-
rieure à Terreur volontaire commise dans la mensuration.
Nous trouverons même cette modification toujours info*
rieure.
Gomment prend-on un indice?
On divise les deux mesures Tune par Tautre, de façon à
obtenir un quotient que Ton multiplie par 100. C'est ce
quotient centuplé qui s'appelle Vindice^ nombre plus facile &
concevoir et à comparer. •
Il contient deux décimales. Si Ton voulait se contenter de
la première, et tenir compte en même temps de la deuxième,
suivant qu'elle est supérieure ou inférieure à 5, il faudrait
augmenter la première de 1 ou la laisser telle quelle. Cette
AZOULAY ET LAMRD. — LNDICES CRANIENS ET FACUUX. 531
erreur est cent fois plus grande que celle du quotienti
puisqu'il a été multiplié par 100. Donc, les erreurs maxima
dont nous pouvons aflécter un indice et un quotient cent fois
plus petit sont respectivement 0,05 et 0,0005*
Cette erreur de 0^0005 en plus ou en moins dans un quo*
tient modifîera-t-elle considérablement Tun des termes du
rapport lorsqu'on nous donnera l'autre terme et le quotient?
Pour savoir quelle est la modification maximum, rien n'est
plus simple.
La longueur la plus grande que les anthropologistes aient
à rencontrer dans les mesures crâniennes et faciales ne dé-
passe pas 300 millimètres.
Ce sera donc là notre maximum.
Admettons que Ton nous donne le diamètre antéro-posté-
rieur maximum = 300 millimètres et un quotient =3 0,0005*
Pour obtenir le diamètre transverse» il suffira de multiplier
les deux termes donnés Tun par l'autre, ce qui donne 0|1
au produit. Cela revient à dire que le diamètre (transverse)
cherobé est égal à O"*"*,!, valeur qu'il est impossible d'obtenir
dans les mensurations anthropologiques. Cela revient à dire
également que Terreur maximum 0,0005 sur un quotient ou
0,05 sur un indice n'augmente ou ne diminue le numéra-
teur ou dividende que de 0*""^,l. C'est une approximation qui
n'est pas de Tordre de grandeur des erreurs de mensuration,
que nous avons vu être de 0,5 ou 0,25 en plus ou en moins;
elle leur est tout à fait inférieure*
Cette modification apportée au numérateur est bien maxi*
mum^ car plus le dénominateur est inférieur à âOO, plus le
produit de ce dénominateur par 0,0005 est petit, et par con-
séquent plus la modification apportée au numérateur se
trouve faible.
Qu'on nous donne, au contraire, un numérateur et un
quotient pour rechercher un dénominateur, nous aurons
alors à diviser le numérateur par le quotient.
Or, diviser un numérateur par un quotient auquel on
ajoute ou retranche 0^0005, entraîne une variation si mi-
553 SÉANCE DU 1" OCTOBRE 4891.
oime dans la valeur du dénominateur cherché, qu*on peut la
considérer comme entièrement négligeable.
Ce résultat montre que la modification apportée dans une
des mesures, quand on la recherche à Taide de Tautre et du
quotient ± 0,0005, n'atteint jamais plus de G,!- Nous nous
tenons donc ainsi, en nous servant d'indices réduits à
trois figures, toujours de beaucoup au-dessous des erreurs
possibles de mensuration.
Nous avons donc le droit de n'employer qu'une décimale
à rindice, à la condition de tenir compte de la valeur de la
deuxième.
De cette conclusion découlent plusieurs autres. Lorsqu'on
trouve des indices à l'aide du barème, il est plus économique
de n'écrire que trois chiffres, obtenus en forçant ou laissant
intacte la première décimale, suivant que la deuxième est
égale et supérieure ou bien inférieure à 5. En opérant ainsi,
l'addition d'un grand nombre d'indices se trouve abrégée de
plus d'un quart, et, de plus, moins susceptible d'erreurs de
calcul, puisqu'on a supprimé l'addition d'une colonne de
chifTres.
On pourrait croire qu'une addition d'indices à trois figures
donne une somme différente de celle d'une addition de nom-
bres à quatre figures. Il n'en est rien cependant, car on sait
qu'une addition de termes réduits de quatre chiffres à trois
donne une somme d'autant plus approchée que les termes
sont plus nombreux. Or, en anthropologie, c'est ce dernier
cas qui se présente le plus fréquemment, et la moyenne des
indices ne se trouve pas sensiblement altérée.
Si l'on fait usage des tables de logarithmes^ procédé moins
rapide que le barème, on peut agir de même et gagner du
temps.
Par la division arithmétique, il est des modifications dues
à l'emploi de trois chiffres au quotient qui diminuent de près
d'un tiers le temps donné à cette opération fastidieuse et
souvent erronée. Ce gain s'ajoute à celui dont nous avons
parlé plus haut.
UERVK. — LA LKGE.NDE DES BOUCOERIES DE CBAIR DUMAIXE. 553
Enfin, au moyen de la règle à calcul^ on obtient presque
immédiatement les trois figures d*un indice exact.
De ces considérations, il résulte qu'en supprimant la
deuxième décimale dans un indice isolé^
V On enlève à l'indice un peu de la précision illusoire
qu'il paraît donner à ses facteurs ;
2® On rend les opérations plus commodes, moins longues,
moins erronées ;
3" On obtient uae moyenne d'indices à deux ou plusieurs
décimales très voisine de celle que donne le procédé habi-
tuel. Toutes deux sont, du reste, aussi proches de la vérité.
On voudra bien nous pardonner d'aller contre un usage
établi et d'insister sur une idée dont on trouve l'indication
déjà dans Broca. La rigueur mathématique avec laquelle
nous avons cru démontrer qu'il n'y a aucun inconvénient à
supprimer la deuxième décimale et l'intention d'éviter aux
anthropologistes des perles de temps et de la fatigue nous '
feront trouver grâce auprès d'eux.
La légende des boneherlea de ehalr hninaliie ;
PAR M. IIERVB.
(Cette communication a été publiée dans la Hevue de
VÉcole d'anthropologie^ 15 décembre 1891.)
La séance est levée à six heures.
Vun des secrétaires : EDOUARD CUYER.
*%%—
HM SéANCB DU 15 OCTOBRE 1891.
145* SÉANCE. — Il odobre 1891.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
A PROPOS DU PROCES-VERBAL.
M. GLÂMurr Rubbbns dit que c'est par erreur qu'il a indiqué
que les fétiches venant d'Angola ont été donnés à la Société
d'anthropologie par M. Salmon. C'est à l'Ecole d'anthropolo.
gie que ces fétiches ont été offerts.
Sar 1« comialtsAiiee éeu moBQrs «le i'Inile en OceMeiit
aBiérlenremeiit A l'ère chrétienne.
M. DB CuARBNCET demande à répondre quelques mots aux
observations faites par M. OUivier-Beauregard. 11 estiaie
qu'on lui fait dire autre chose que ce qu'il a dit en réalité.
Jamais personne n'a nié que, depuis l'époque d'Alexandre ou
même d'Hérodote, les Grecs n'aient eu quelque connaissance
de rinde et des pratiques religieuses de ses habitants. Il
s'est borné à faire ressortir, sur la remarque qui lui en a été
faite par un savant membre de la Société asiatique, que le
nom de Bouddha ne se trouve mentionné nulle part enOccident
avant le temps de saint Jérôme. Cette omission semble bien
étrange et tendrait à rajeunir les débuts de la période boud-
dhique, peut-être à la reporter après noire ère. On ne sau-
rait attacher aucun crédit à ce que les Hindous nous disent de
la personne et de la vie de Bouddha. L'existence môme de ce
réformateur n'est rien moins que prouvée. Il faut se défier
de tout ce que disent les Orientaux en fait de chronologie».
Nous enverrions une nouvelle preuve dans l'histoiro de Zo-
roastrc et les origines du Zend-Avesla, M. Kossowicz a fait res-
sortir certains points d'identité entre cet ouvrage et la Bible,
notamment en ce qui concerne les mesures de l'arche de Noé
et celles de l'enclos où Yiraa enferma les hommes et ani*
l'iNBE avant L*èRE CHRÉTÎBiyfrE. 555
maux qu'il voulait préserver des rigueurs du grand hiver.
S*il y a eu emprunt, évidemment c'est de la part des Iraniens,
oar les recherches les plus récentes tendent à rajeunir l'é-
poque où fut rédigé VAvesta, En tout cas, on ne saurait le
oroire à beaucoup près aussi ancien que la Genèse,
Nous n'avons pas du tout Tintention ici de faire de la po«
lémique religieuse ou autre, mais seulement de la science
pure. Qu'il nous soit permis, en terminant, d'insister sur le
pan de connaissances réelles qu'avaient les Grecs et les Ro-
mains des religions étrangères. Tout ce qui était barbare
«xcitaitleur dédain, et ils ne se souciaient guère de l'étudier
à fond.
Qu'est-ce que les auteurs classiques nous font connaître
des croyances de l'Inde? Fort peu de chose en réalité; ils ne
savaient même pas les noms des principales divinités de ce
pays. Rien de plus maigre, non plus, que les renseignements
qu'ils nous donnent sur les religions des populations mê-
mes soumises à leur empire, Qaulois» Ibériens, Carthagi-
nois, etc , etc.
Nous aurions bien de la peine à nous figurer qu'il y eAt, à
Alexandrie ou ailleurs, des gens versés dans la théologie
brahmanique, à moins que ce ne fussent des voyageurs de na-
tionalité indienne, attirés par des raisons surtout eommer-
oiale?.
M. OLLiviER-BBAURBaARD. Lcs observations que présente
verbalement M. de Gharenoey n'infirment en rien ce que j'ai
dit(séance du 19 mars 1891, Bulletin de février à avril, p. 190
et suivantes) à propos de la connaissance acquise, dans l'Occi-
dent, antérieurement à Père vulgaire, des moeurs de l'Inde.
Ces mêmes observations de M. de Charencey ne peuvent
détruire ce fait de notoriété sans conteste, que c'est à cette
pléiade d'esprits illuminés que l'on a nommé» les Ph^es de
r Église^ que la catholicité doit les pratiques ritualistiques des
cérémonies intérieures et extérieures du culte chrétien. Et
c'est un fait contre lequel aucune dénégation ne peut préva-
loir; que la venue des Pères de l'Église et leurs enseigne*
556 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 1891.
ments étant d'an et deux siècles postérieurs au troisième
siècle de Tère vulgaire où M. de Gharencey place la connais-
sance acquise, par notre Occident, des pratiques religieuses
de rinde, on peut très sagement penser et dire que les édu-
cateurs jurés des prêtres chrétiens se sont inspirés des pra-
tiques dont ils voyaient et connaissaient les succès journaliers
et antérieurs, quand, d'ailleurs, saint Jérôme les a données
à suivre aux néophytes qull instruisait.
Mais M. de Gharencey a remis une note écrite. Dès que
j'aurai pu lire cette note, et d'ailleurs pour ne pas laisser
s'égarer notre discussion, je ferai à notre collègue une ré-
ponse plus détaillée et plus explicite.
Sar 1a pathologie do la raeo |olvo.
M. Laborde fait remarquer, au sujet de la discussion sur la
pathologie de la race juive, que les mariages consanguins» si
fréquents chez les juifs, peuvent être considérés comme
étant la source des maladies héréditaires.
M. Yariot dit que la consanguinité ne peut, dans ce cas,
avoir une grande importance. Que si dans les petites agglo-
mérations, par exemple dans ceiiains villages de Bretagne,
où les mariages consanguins sont fréquents, les maladies se
perpétuent, il ne saurait en être de même pour les juifs,
ceux-ci constituant une population très étendue et répartie
dans nombre de contrées. En ajoutant à ces considérations
que les juifs sont très migrateurs, il pense que la consangui-
nité ne peut être prise en considération.
M. Sanson dit qu'une statistique seule permettrait de sa-
voir si les mariages consanguins sont plus fréquents chez
les juifs que chez les individus appartenant aux autres reli-
gions, il lui semble difficile sans cela de trancher la question,
car il connaît beaucoup de juifs unis à d'autres familles.
M. Hervé établit une distinction entre la consanguinité de
famille et la consanguinité de race. Pour que la consangui-
nité existe, il suffit que les juifs s'allient entre eux beaucoup
C0N6BKS ARCBÉOLOOIQUE DE FRANCE. 557
plus souvent et depuis plus longtemps qu'ils ne s'allient aux
autres souches.
M. Sanson fait remarquer qu'on n'admet pas deux sortes
de consanguinité, celle de famille et celle de race; la pre-
mière seule existe. S'il en était autrement, nous serions
presque tous consanguins. Cette consanguinité si éloignée
de race est aussi peu admissible que la théorie de Tata-
yisme par laquelle on se préoccupe d'un ancêtre remontant
jusqu^aux temps paléontologiques.
M. Hervé répond que si les mariages juifs n'ont pas lieu
dans la même famille, le résultat n'en est pas moins défavo-
rable au point de vue de Thérédité pathologique^ car les élé«
ments morbides hérités existent pour des causes qui dépen-
dent de la race.
M. Yariot dit que, pour lui aussi, les unions véritablement
consanguines ne résultent pas d'unions entre individus de
même race^ mais uniquement de celles qui ont lieu entre in-
dividus de même famille.
M. G. DE MoRTiLLET indique que la relégation des juifs dans
des quartiers spéciaux a dû, de tout temps, avoir chez eux,
comme conséquence, la réalisation de mariages consanguins.
CORBGSPONDANCE.
M. LE Secriitaire général donne lecture d'une lettre de
M. Niederle, de Prague, lui annonçant l'envoi de la première
livraison d'une revue consacrée à l'anthropologie et à l'ethno-
graphie du peuple tchèque en Bohême, Moravie, Silésie et
Hongrie. Il donne conncdssance du sommaire de cette revue.
M. le PaÉsiDEfCT annonce les dates auxquelles commencent
les cours de l'École d'anthropologie, et lit le programme de
ces cours.
Congrès Arehéologlqoe de Franee*
M. Ollivibr-Beauregard informe la Société que, d'accord
avec la mission qu'il en avait reçue, il a assisté, au nom de
T. II (4^ bérir). 36
5S8 . SÉAIVCE DU 45 OCtOBHE 1891.
la Société d'anthropologie, au Congrès archéologique de
France, qui s'est tenu par journées successives, en juillet
dernier, à Dôle, Salins, Besançon, Montbéliard et Neufchàtel
(Suisse).
L'étape de Montbéliard a été surtout marquée par la course
faite à Màndeure, où sont représentées la préhistoire, Té-
poque gallo-romaine et Farchéologie du moyen âge; à Neuf*
chfttel, les édifices de la ville et les palafittes ont occupé les
membres du Congrès.
Quand viendront les procès-verbaux des excursions et des
séances, M. Ollivier-Beauregard en extraira ce qui pourra le
plus directement intéresser la Société d'anthropologie.
Congrès des orientalistes à EiOndrea.
M. Oluvier-Beauregard. M. Cartailhac a fait ressortir
rimportance anthropologique que pouvait avoir ce congrès^
en définissant et en analysant les constructions cyclopéennes
— qu'il nomme primitives — dont les traces, vigoureuses
encore et nombreuses, s'étendent à travers le monde insu-
laire et péninsulaire de la Méditerranée, depuis TAsie Mi-
neure jusqu'aux îles Baléares, reliant ainsi l'Asie, d'où elles
semblent avoir eu leur point de départ, fi noire monde
occidental.
Une excursion faite à Stonehenge a mis les membres du
Congrès devant cette double enceinte druidique, faite de
pierres debout circulaîrement disposées, et couronnées de
pierres posées à plat et régulièrement arquées en seciions
de cercle à Tintérieur et à l'extérieur.
Cet édifice mégalithique se dresse dans la plaine crayeuse
de Salisbury; les pierres sont de granit; une voie romaine
les avoisine, mais les Romains ne sont pour rien dans la con-
struction du monument de Stonehenge.
Un savant anglais, Stukeley, pense qu'il a été constitué
là où nous le voyons aujourd'hui, 1859 ans avant Tère vul-
gaire, l'année même de la mort de Sarah, la femme du pa«
GOXGnK!^ DK^ ORIKNTaUSTES a londhe?:. 559
triarche Abraham. Le savant chronologiste anglais ne dit
pas que rédifice en question ait été érigé en l'honneur de la
naissance dlsaac, mais il aurait pu le dire avec autant de
vraisemblance que le millésime flxe de la fondation.
M. Claine a exploré ille de Sumatra. Il a eu, grâce à beau-
coup de savoir-faire et de services rendus à deê chefs in-
fluents, la bonne fortune de résider, pendant plusieurs mois,
chez les Batacks-Karo, tribu jusqu'à présent, assure-t-il,
vierge de tout commerce sexuel avec les autres tribus ba-
tacks hybridées du sang européen et malais.
Il a rapporté de son excursion chez cette peuplade de
sang et de mœurs de primitive essence, des collections
d'armes, d'étoffes, de livres et d'objets divers, bien dignes
de la sérieuse attention. Il a eu soin de relever des vues pho-
tographiques de maisons, de marchés et de villages de ces
contrées inexplorées ; il a pu surprendre et photographier
des Individus mâles et femelles de ces Batacks-Karo, de face,
de profil et de dos ; il nous les a montrés par groupes ou
isolés, par là très faciles à étudier, et, par le récit qull a
fait des incidents de son exploration, il a, au plus haut point,
Intéressé les membres du Congrès.
M. Ollivier-Beauregard montre quelques-unes de ces nom-
breuses photographies, et s'appuyant sur Timporlante signi-
fication qu'elles ont au point de vue anthropologique, il insi-
nue que M. Claine pourrait peut-être bien consentir à remettre
en pur don, à la Société d'anthropologie, un album complet
des photographies de son exploration à Sumatra et aux terres
voisines, moyennant son admission comme membre corres-
pondant de la Société.
Et dans ce sens, M. Ollivier-Bcauregard pose la candida-
ture de M. Claine.
Quand paraîtront les Bulletins du Congrès des orientalistes
tenu à Londres en septembre dernier, M. Ollivîer Beauregard
extraira des rapports les parties qui peuvent intéresser la
Société.
M. Ollivier-Beauregard fait don à la Société des ouvrages
860 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 1891.
suivants, et qui lui ont été acquis dans les congrès dont il a
parlé :
i* Congrès provincial des orientalistes français; Egyptologie,
Saint-Étienne, 1875, in-8°, 500 pages;
2« The oriental University Imtitute of Woking ;
3' An Inquiry into the Ethnography of Afghanistan^ by
H. W. Bellow, 1891, in-8% 218 pages.
M. LE Président dit que la candidature de M. Glaine
sera transmise à la Commission des membres correspondants.
Il remercie M. Beauregard, au nom de la Société, pour le
dévouement et la compétence avec lesquels il a rempli sa
mission aux congrès auprès desquels la Société Tavait accré-
dité.
Discussion.
M. Hervé demande des renseignements sur la situation
géographique exacte des Bataks-Karo.
M. Adrien de Mortillet dit que certains bijoux que portent
les Bataks-Karo présentent un très grand intérêt. Il cite par-
ticulièrement les pendants d'oreilles enroulés de spirales qui
sont fixés à la partie supérieure de Toreille. La forme de ces
bijoux ne permet pas, à première vue, de comprendre com-
ment ils peuvent être fixés à la région qui les supporte. 11
démontre qu'en effet la seconde spirale n*est exécutée qu'a-
près introduction dans le cartilage de la tige métallique qui
doit la former.
OUVRAGES OFFERTS.
D' Paul âubry (de Saint-Brieuc). De l'homicide commis par
la femme (broch., 38 pages ; extrait des Archives de tan^
thropoiogie criminelle^ Paris, Masson, 1891). — Ouvrage pré-
senté par M. Manouvrier.
L'auteur s'est proposé :
i® D'exposer les principaux mobiles de Tbomicide chez la
femme ;
OUVRAGES OFFERTS, 561
2<* D'examiner les moyens dont elle se sert pour perpétrer
son crime ;
3** D'étudier le libéricide ou meurtre des enfants par leur
mère ;
4"" De comparer tous les faits cités dans son travail avec
les crimes contre les personnes commis par des femmes dans
le département des Côtes-du-Nord pendant ces vingt-quatre
dernières années.
Manouvrœr (Dr L.). Le$ Aptitudes et les Actes (broch.,
47 pages ; extrait de la Bévue scientifique du ^2 août 1891).
Conférence annuelle Broca^ 29 décembre 1890, déjà publiée
dans les Bulletins de la Société» — L'Atavisme et le Crime
(broch., 16 pages; leçon du cours d'anthropologie physio-
logique de 1891 ; extrait de la Bévue de r École d'anthropolo^'
gie, 15 août 1891). — Etude des crânes et ossements humains
trouvés dans un cimetière de l'époque mérovingienne^ à Andresy
(broch., 15 pages et 2 planches; extrait du Compte-rendu
du Congrès de l'Association française pour l'avancement des
sciences^ 1890).
Raffaello Zampa (Prof^). Crania itaiica vetera. Antichi
resti umani in Italia (broch., 79 pages; extrait dalle Atem.
délia Pont. Accad. dei nuovi Linceij vol. VII). — Sulla etno-
grafia delf Italia (broch., 10 pages). — Ouvrages présentés
par M. Manouvrier.
Baye (J. de). Cimetière de VaH-la-Gravelle (Paris, 1891,
in-8<', 8 pages et planches).
Blasio (Dr Abele de). L'Uomo preistofnco in Italia (Naples,
1891, in-12, 96 pages).
Lagneau (D'). Sur la race juive et sa pathologie (Paris»
1891, in-8% 12 pages).
Société africaine de France^ Bulletin, tome !•', 1891,
n'>»l,2, 3.
Le Peuple tchèque (en tchèque) (Prague, in-8'', avec figures,
1'* livraison).
PoussiÉ (D'). Manuel de conversation en trente langues
(Paris, 1890; in-12, 204 pages).
562 SÉANCE DU 45 OCTOBHE 1891.
M. LE DOCTEUR Poussié. Le livre que j*ai l'honneur de pré-
senter à la Société d'anthropologie est destiné à faciliter les
études de linguistique comparée, et h rendre service à tous
ceux qui voyagent ou résident à l'étranger et sont désireux
de pouvoir converser avec les habitants de chaque pays dans
leur langue. Médecin de la Compagnie des Messageries mari-
limes, chargé de missions en extrême Orient par le ministre
de rinstruction publique, j'ai recueilli, au cours de mes
voyages dans les cinq parties du monde, les éléments essen-
tiels des principales langues universellement reconnues. J'ai
suivi dans ce guide Tordre méthodique que j*avais cru devoir
adopter moi-môme pour Tétude de ces langues. Je donne
sous forme de tableaux synoptiques :
4* L'alphabet avec des notions de prononciation ;
â^ Un résumé succinct de grammaire : déclinaison des noms
et des pronoms, conjugaison des verbes, phrase de syntaxe ;
3** Les noms de nombre ;
4^ Un vocabulaire des 600 principaux termes de la langue ;
5° Un recueil d'une soixantaine de phrases très usuelles ;
Enfin Touvrage est complété par un tableau des monnaies
et des mesures de longueur.
Le classement des langues suit Tordre logique de groupe-
mentautourde la langue mère, et la transcription des langues
orientales est faite d'après une méthode rationnelle. J'ai mis
ensemble les langues latines, germaniques^ slaves, aggluti-
nantes, monosyllabiques, espérant que le linguiste et le voya-
geur y trouveront chacun leur profit. J'ai donc cru faire œuvre
utile en publiant ce manuel qui comble une lacune, car Tessai
n'en avait jamais été tenté auparavant. Fait surtout dans un
but pratique, il a été composé dans le pays même de termes
usuels et indispensables. Du reste, la faveur qui a accueilli
deux éditions successives publiées en une année prouve com-
bien cet ouvrage de vulgarisation r(^pond à un besoin sérieux
de notre époque et aux desiderata de tous ceux qui. linguistes
on voyageurs, visitent Textrême Orient. Je dois remercier
particulièrement mes collègues de la Société d'anthropologie,
ÉLECTION. ."SÔS
MM. les professeurs A. Hovelacque, Julien Vinson, Kerckhoffs,
qui m'ont prêté un concours bienveillant et auxquels je suis
henrenx de pouvoir adresser ici l'expression de toute ma
reconnaissance.
PÉniODiQUKS.
Revue mensuelle de l'Ecole d'anthropologie, n* 8, i 5 août 1 891 .
— L. Manouvrier : l'Atavisme et le Grime. — Adrien de
Mortillet : les Propulseurs à crochets modernes et préhisto-
riques (flg.).
Revue de F hypnotisme, n« 4, octobre 1891 . '— Jean Taroha^
noff : la Lecture des pensées.
Revue scientifique, n» 15, 10 octobre 1891. — A. Dumont :
la Natalité dans les communes rurales en France.
Journal ofanatomy and physiology ^ octobre 1891. «* R. Ha«-
velock-Gharles : Graniometry of some of the Outoaste tribes
of the Penjab. — Paterson : Pectineus muscle and its nenre-
supply. " Montagu Griffln : Some varieties of the last dor-
sal and flrst lumbar nerves. — > William Turner : A pair of
super numerary teeth in the molar région.— Windle : Occu-
rence of an additional phalanx in the human pollex. — War-
drop Griffith : A case of transposition of the thoracic and
abdominal viscera with congénital malformation of Ihe heart
and certain abnormalities of the arlerial and Venons Systems.
CANDIDATUBB.
M. Claine, présenté par MM. Ollivier-Beauregard, Salmon,
Letourneau, Yauvillé, Glément Rubbens, demande le titre
de membre correspondant national.
£LECT10«\.
M. le docteur G. Busghan est élu membre correspondant
étranger.
564 SÉANCE DU 45 OCTOBRE 48U1.
PRÉSENTATIONS.
NoaveAO type d'Iaslrament moostérien t le disqne raeleir.
M.CAPiTAN.Le 15 novembre 1888, je présentais à la Société,
de la part de Fabbé B]anquet, curé d'Étrépagny (Eure), une
série de quelques disques, très certainement moustériens,
qu'il avait découverts au mont Roty,près deSaint-Georges-du-
Vièvre, arrondissement de Pont-Audemer ;Eure). Ces instru-
ments, tous identiques comme travail, présentaient des
particularités qui les distinguaient nettement des types
connus jusqu'alors. En effet, ils avaient une partie de leur
pourtour soigneusement retaillée, comme le sont les grat-
toirs, tandis que le bord opposé à ce tranchant, et qui
répondait au bulbe du grand éclat formant une des faces du
disque, n'était pas retaillé, de façon à pouvoir être tenu faci-
lement à la main. Les retouches du bord présentaient cette
disposition toute spéciale qu'au lieu d'être pratiquées, suivant
l'expression de M. Salmon, sur le dos du disque, comme
cela se voit sur les racloirs et grattoirs, elles existaient sur
le ventre, c'est-à-dire sur la face la moins bombée, celle où
se trouvait le grand éclat qui la constituait en grande partie
(voir les flgures qui accompagnent la note de l'abbé Blan-
quet et que j'ai exécutées d'après les pièces originales).
Cette disposition parut si spéciale et si nette sur la série
des pièces envoyées par M. Blanquet, que MM. de Mortillet,
Salmon, etc., n'hésitèrent pas à admettre ce nouveau type,
pour lequel je proposai la dénomination de disque racloir.
Or ce type qui, alors, paraissait exceptionnel, doit vrai-
semblablement être plus répandu qu'il ne le semblait tout
d'abord. M. Salmon vient, en effet, d'en découvrir, dans
l'Yonne, un très remarquable spécimen un peu plus grand
même que ceux de l'abbé Blanquet et parfaitement retaillé
avec fines retouches ventrales du côté du grand éclat de la
face inférieure. M. Salmon m'a prié de vous le présenter.
En voici également un autre que j'ai trouvé dans les
G. DE MORTILLET. — MOUSTÉRIEN DES ENVIRONS DE MONS. 565
grands ateliers paléolithiques des environs de Leigné-les-Bois
(Vienne). U est identique aux précédents ; la face dorsale est
encore en grande partie recouverte par le cortex ; les re-
touches existent sur la face ventrale qu^occupe l'empreinte
d'un grand éclat et sur le bord opposé au bulbe.
Bien plus, le moulago d'une pièce de la collection de
Munck, provenant des sables mesviniens* (environs de Mons)
présente, nous a fait remarquer M. Salmon, une analogie
avec les pièces que je viens de présenter. M. Salmon nous a
même fait observer (autant qu'on peut le voir sur le mou-
lage) qu'il existe des retailles disposées sur le ventre de
l'instrument tout comme dans le disque-racloir type.
C'est donc là un type que nous retrouvons absolument
identique à lui-même dans trois points de la France, fort
éloignés Tun de l'autre. Nul doute qu'on en signale dans
bien d'autres endroits. Mais> d'ores et déjà, on peut consi-
dérer que c'est bien un type général et qu'il y a lieu de
l'inscrire dans l'outillage, d'ailleurs peu varié, de l'époque
moustérienne, à côté du disque vrai, du racloir et de la pointe.
noastéricn des environ*! de Hons.
M. Gabriel de Mortillet. J'ai Thonneur de présenter à la
Société des moulages que M. de Munck vient d'adresser à
l'Ecole d'anthropologie de Paris. Ces moulages, admirable-
ment exécutés, reproduisent des silex des environs de Mons
(Belgique), faisant partie de la belle et riche collection du
donateur.
Us sont produits comme documents à l'appui d'une dis-
cussion qui divise un certain nombre de palethnologues
belges et de palethnologues français. Je ne reviendrai pas
sur tous les détails de cette discussion, ils ont été exposés
dans la Bévue mensuelle de f Ecole d anthropologie, numéro de
juillet i89l, p. 193. Il suffît de les résumer.
Dans la plaine de Mons, du côté de Saint-Symphorien, de
Spiennes et de Mesvin, le quaternaire se compose^ en allant
de haut en bas :
566 SéANCB DU 15 OCTOBRE 1891.
A. Terre à brique ou limon rouge&tre ;
B. Ergeron, limon semblable au précédent, mais chargé
de calcaire ;
0. Lit de cailloux peu épais, parfois à peine indiqué ;
D. Petit lit tourbeux, sol végétal accidentel ;
Ë. Argile avec sable vert, dépôt fluviatile ;
F. Assise de silex verd&tre.
Cet ensemble, qui constitue le quaternaire local, repose
sur la craie tufeau ou sur la craie à phosphate.
Les deux assises inférieures, silex et argile sableuse, sont
formés des éléments remaniés du landénien, terrain tertiaire
inférieur, produit marin.
Les moulages donnés par M. de Munck a TÉcole sont
deux disques, deux petits coups de poing et une pointe mous-
térienne. Les disques viennent des niveaux E et F ; les coups
de poing, ainsi que la pointe moustérienne, du niveau G.
Incontestablement, il y a beaucoup plus de rudesse et de
grossièreté dans Texéoution des disques que dans celle des
autres pièces. Faut-il en conclure, comme le font certains ob*
servateurs belges, que ce sont des instruments plus anciens,
plus primitifs? Ce n'est point nécessaire, pour deux raisons :
i® Parce que les disques d'une part, et les coups de poing
ainsi que la pointe d autre part sont en matière de qualité
différente. Les disques sont en silex verdâtre de Tassiso F,
silex grossier qui se taille mal. Les coups de poing et la
pointe, au contraire, sont en silex de la craie, matière beau-
coup plus fine et se taillant bien mieux.
^0 Les disques ne sont que de simples nucléus, au moins
dans ce cas ; ce sont donc des objets de rebut, ayant servi à
fournir des éclats. Il est donc tout naturel qu'ils soient taillés
sans soin. Au contraire, les coups de poing et la pointe sont
des instruments fabriqués dans un but déterminé. Aussi
s'est-on appliqué à les façonner le mieux possible. Les ébau-
ches informes qui se rencontrent en si grande abondance
dans le sol du plateau de Spiennes sont encore bien plus
difl'érentes, comme fini, des haches polies ; et pourtant per-
G. DE MOHTILLET. — M0U8TÉHIEN DES ENVJRONS DE MONS. 567
sonne ne met en doute qu'ébauches et haches n'apparlien*
nent h la même époque.
Mais, dit-on, il existe dans le quaternaire une différence
de niveau. Les coups de poing et la pointe proviennent du
lit de gravier G, tandis que les disques se trouvaient dans le
landénien remanié, surtout dans le cailloutis E, qui est bien
inférieur. C'est très vrai ; seulement il s'agit de savoir si G et
F constituent deux étages d'une même maison ou do maisons
bities à des époques différentes. En termes plus scientifiques,
si ces étages appartiennent à une seule et même période géo-
logique ou à deux périodes distinctes?
Les géologues et palethnologues belges, vu la différence
de niveau et la grossièreté de la taille des disques qui se
rencontrent dans Tétage inférieur, considèrent cet étage
comme tout à fait distinct. Et comme ils assimilent lés coups
de poing très finement et régulièrement taillés de l'étage
supérieur aux coups de poing cheliéens qui caractérisent le
quaternaire inférieur en France, ils en déduisent que la
Belgique, aux environs de Mons, possède un quaternaire plus
ancien que le plus ancien quaternaire français.
A cela, les géologues et surtout les palethnologues français
répondent : « Les divers étages du quaternaire de Mons ne
forment que les niveaux différents d'une seule et même
époque. Cette époque, loin d'appartenir au quaternaire infé-
rieur, constitue le quaternaire moyen. En effet, le disque est
un des fossiles industriels qui caractérisent le moustérien
ou quaternaire moyen. Quant aux petits coups de poing,
parfaitement taillés, des environs de Mons, les palethnologues
belges commettent une erreur de détermination. II y a deux
genres de coups de poing :
i^ Les gros et lourds, plus ou moins épais, vigoureux,
taillés à grands coups, qui caractérisent le chelléen;
2* Les petits, plats, plus ou moins légers, taillés avec
soin, élégants, affectant bien plus régulièrement la forme en
amande ; ces coups de poing dégénérés, ou plutôt efféminés,
si je puis m'exprimer ainsi, remontent jusqu'au moustérien
568 SÉANCE DU 15 OCTOBRE i89l.
moyen, et se trouvent en abondance dans le moustérien in-
férieur.
Les Belges ont déterminé comme chelléens les coups de
poing du quaternaire des environs de Mons. C*est une
erreur analogue à celle que commettrait un paléontologue en
prenant une Gryphea cymbium du lias moyen pour une Gry-
phea arcuata du lias inférieur. Je puis affirmer que, parmi
les coups de poing qui m'ont été montrés à Mons etàBruxel-
les, je n'en ai pas reconnu un seul pouvant se rapporter au
cheliéen. Mon fils est du même avis. Tous étaient mousté-
riens ou acheuléens, si vous voulez donner un nom spécial
au moustérien inférieur.
Vous pouvez en juger vous-même par les deux moulages
adressés par M. de Munck qui envoie ces pièces à l'appui de
l'opinion de ses compatriotes. Ce sont bien là des formes
moustériennes.
Voici un original qui m'a été donné à Mesvin même, par
M. Lemonnier, ingénieur des usines Solvay, pour l'École
d'anthropologie. Il est tout aussi caractéristique que les
moulages. Mais plus caractéristique encore, si c'est possible,
est le charmant petit échantillon que je vous présente. 11 a
été rapporté des environs de Mons par M. Gapitan, qui,
comme mon fils et moi, est d'avis que le quaternaire infé-
rieur fait défaut dans la plaine de Mons, et que les étages G,
ainsi que E, F, appartiennent au quaternaire moyen. Le
moulage de la pointe moustérienne envoyé par M. de Munck
vient, du reste, pleinement confirmer cette détermination.
Un cas de malformation coDgénitale et un cas d'anomalie
do pavillon de rorclllc chez des enfants.
M. G. Variot. J'ai l'honneur de présenter et d'offrir à la
Société d'anthropologie deux moulages en plâtre; l'un de
ces moulages reproduit une malformation congénitale unila-
térale de l'oreille gauche chez une petite fille de quatre ans;
l'autre représente les deux pavillons de l'oreille d'un jeune
garçon de trois ans et demi.
G. VARIOT. — MALFORMATION CONGÉNITALE. 569
La petite fille de quatre ans a été observée par nous à
rhôpital Trousseau, dans le courant du mois d'août i89i.
Tout porte à croire que cette enfant est atteinte de syphilis
héréditaire. Sur les jambes, à la face interne des tibias, on
remarque des cicatrices arrondies pigmentées, qui sont vrai-
semblablement des stigmates de gommes syphilitiques ayant
évolué antérieurement. Sur la région frontale du crâne^ au-
dessus de la ligne d'implantation des cheveux, on sent avec
les doigts une dépression de 2 centimètres de diamètre,
comme si la table externe de fos avait été détruite. Le crâne,
cependant, n*a pas Taspect notiforme décrit par Parrot ; les
dents sont saines. Par contre, le foie est développé, déborde
les fausses côtes de deux travers de doigt, et le ventre est dis*
tendu par un épanchement de sérosité abondant.
La malformation de Toreille, qui a attiré nos regards,
n'existe que du côté gauche ; le pavillon de l'oreille droite est
normalement conformé. Le pavillon de l'oreille gauche est
réduit à un véritable petit moignon de 3 centimètres de hau-
teur sur 1 centimètre et demi de largeur. Le fibro-cartilage
est comme recroquevillé. Le pli de l'hélix n'a plus la forme
arrondie en haut et il est fusionné en partie avec le pli de
Tanthélix. A la place du tragus on voit une saillie ; mais la
saillie de Tantitragus manque. Immédiatement en arrière du
tragus, à la place de l'orifice du conduit auditif externe,
s*élève un lobule arrondi, sorte de petit mamelon au-dessus
et en arrière duquel on aperçoit quatre orifices étroits espa-
cés; ce sont des trous borgnes ; car l'introduction d'un stylet
montre qu'ils se terminent tous en cul-de-sac après un trajet
de 2 à 3 millimètres. Le lobule de Toreille est relativement
conservé ; mais sa face interne regarde en dehors à cause de
la rotation et de l'enroulement du fibro-cartilage du pavillon.
Au palper, on constate que, dans ce moignon de pavillon,
persistent des vestiges du fibro-cartilage; la saillie du tragus
offre aussi une consistance fibro-cartilagineuse. L*orifice ex*
terne du conduit auditif est complètement obturé.
Il est bien difficile; à cet ftge, d*explorer convenablement
570 SEANCE DU 15 OCTOBRE 4891.
leâ sensalious auditives. Néanmoins, nous nous sommes as-
suré que l'acuité auditive était conservée du côté droit, du
côté où l*oreiiie est bien conformée. Lorsque le conduit au*
ditif droit est fermé aussi exactement que possible, le (ic tac
de la montre est entendu si Ton applique la montre directe-
ment sur le moignon du pavillon de Toreille gauche, sur la
région temporale et sur Tapophyse mastoTde. On est donc in-
duit à penser que les organes de Toreille moyenne et sur*
tout ceux do Toreille interne n*ont pas subi des altérations
en rapport avec celles du pavillon correspondant.
Quelle est la cause et quel est le mécanisme de cette mal-
formation? La syphilis héréditaire, suffisamment caractérisée
par les lésions de la peau, des os et des viscères doit-elle
être incriminée? Gela est bien douteux. Les nosographes spé-
ciaux ne signalent pas ces malformations du pavillon de
Toreille. D'ailleurs, une gomme aurait pu produire des dé-
sordres circonscrits du côté du conduit auditif; mais com-
ment admettre qu'elle ait pu intéresser le flbrocartilage du
pavillon au point d'en amener la rétraction totale?
L'hypothèse la plus rationnelle est que la partie la plas
saillante périphérique du pavillon aura été actionnée par
une bride amniotique et que le moignon, en se réparant, en
se cicatrisant, aura du même coup, par soudure avec les
parties voisines, oblitéré le conduit auditif*.
Ce mécanisme est celui des amputations congénitales que
nous avons accepté, avec MM. Mathias Duval et Hervé, pour un
enfant hémimèle, dont nous avons présenté antérieurement
le bras et la moelle épinière à la Société d'anthropologie *.
11 serait fort intéressant de connaître l'état exact de la
caisse et de la membrane du tympan derrière la cloison qui
ferme le conduit auditif externe ; si l'état général de l'enfant
* Telle P8t Topinion formulée par M. Magllol au cours de la discnssion
provoquée par ma présentation.
* Cependant M. Hervé pense qu'il pourrait bien s'agir d'un arrêt de
développement du pavillon, car rimperforation du conduit auditif est ua
des accidents ordinaires en pareil cas.
G. VAKIOT.— CAS d'anomalie DU PAVILLON DE L'OREILLE. 571
l6 permet, on so décidera peut-être à pratiquer une fenêtre
arliflcielle dans la région, et en môme temps que Tenfant
récupérera Touïe de ce côté, on pourra examiner dans quelle
mesure les lésions extérieures auront retenti sur Toreille
moyenne ^
Le second moulage montre une légère anomalie symé-»
trique des deux pavillons de l'oreille chez un enfant de trois
ans et demi.
Ce petit garçon présente tous les signes physiques d'une
lésion congénitale du cœur. Son thorax est déformé par une
voussure médiane.
Le sternum et les cartilages costaux, surtout à droite, sont
projetés en avant. Au premier abord, on croirait avoir af-
faire au thorax en carène des rachitiques. Mais, du côté des
membres et de la colonne vertébrale, le squelette n'offre
atioune déformation de rachitisme.
Quand on percute la région voussurée, on constate qu'elle
est mate, et si Ton y applique la main à plat, elle est soulevée
fortement par l'impulsion du cœur hypertrophié. La main
sent aussi un frémissement qui correspond à un souffle sys-
toliquetrès intense, dont le maximum d'intensité s'irradie
dans la direction de l'artère pulmonaire.
Cependant cet enfant n'a pas de cyanose de la face ni des
extrémités ; il n'a pas non plus les déformations des doigts
en rapport avec l'état cyanique. Il n'existe pas de troubles
de la circulation périphérique. Les membres inférieurs ne
sont pas infiltrés et les viscères ne sont pas engorgés. Le seul
trouble fonctionnel évident consiste dans une dyspnée habi-
tuelle lorsque l'enfant fait des mouvements rapides, et dans
des palpitations qui soulèvent la voussure sterno-costale.
L'altération symétrique des pavillons des oreilles ne mérite
pas le nom de déformation, mais plutôt le nom d*anomalie.
Cette anomalie est constituée par une saillie très accentuée
t La suite des BnlMùis contient la relation de l'opération qni a été fkite
par le. docteur Chalellier.
572 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 1891.
du pli dufibro-cartilage qui sert d'origine dans la région de
la conque à la spire de Thélix. A Tétat normal, ce pli se
perd et s'abaisse en s'approchant de Tanthélix, tandis que,
dans ce cas particulier, ce pli garde toute son importance
pour aller se brancher sur Tanthélix ; il forme une sorte de
cloison parallèle qui subdivise la conque proprement dite.
Entre la branche originelle supérieure de l'anthélix et le
pli anormalement développé de Torigine de Thélix se trouve
une cavité rectangulaire assez profonde qui manque dans les
pavillons à type normal. Néanmoins, en examinant un cer*
tain nombre d'oreilles chez des personnes saines, nous avons
remarqué des dispositions des plis qui se rapprochaient un
peu de Tanomalie que nous décrivons.
Cette légère anomalie symétrique des pavillons des oreilles,
qui résulte évidemment d'un plissement irrégulier du grand
fibro-cartilage, mérite d'être relevée, si Ton a égard à la mal-
formation congénitale du cœur, qui se traduit par des signes
certains. Nous avons gardé le souvenir d'un enfant souffrant
d'un rétrécissement de l'artère pulmonaire et qui avait la
luette bifide; d'autres auteurs ont signalé le bec -de-lièvre
ou d'autres monstruosités coïncidant avec des lésions congé-
nitales du cœur. Il sera bon de rechercher aussi à l'avenir si
les anomalies du pavillon de l'oreille ne se rencontrent pas
plus ou moins fréquemment associées aux malformations
du cœur.
Je ne veux d'ailleurs tirer aucune conclusion prématurée
de ces deux faits isolés ; je les livre, à titre de documents, à
ceux de nos collègues qui font une étude spéciale de la mor-
phologie du pavillon de l'oreille.
Discussion.
M. E. GoLLiN. Je présente moi-même à l'oreille droite une
anomalie analogue à celle que M. Yariot vient de montrer.
Mon père la présentait également ainsi que mes cousins ger-
mains, au nombre de sept, ce qui m'a permis, un jour, de
reconnaître un de ces derniers que je n'avais jamais vu.
BOSTËAUX-PARIS. — SÉPULTURE GAULOISE. 573
Cette anomalie figurait au nombre de celles que le docteur
Voisin avait exposées, en 1889, sous forme de moulages et
qu'il rattachait sans doute à Taliénation mentale. M. Magitot,
lui, rattache la même anomalie à la scrofulose héréditaire.
Je crois que Tun et Tautre sont dans l'erreur. Il n'y a pas eu^
en tout cas, un seul scrofuleux ou aliéné dans ma famille, et
si le contraire était vrai, je m^empresserais de Tavouer très
franchement. M. Yariot me semble être plutôt dans le vrai
en attribuant la déformation dont il s'agit à un simple acci-
dent survenu pendant la gestation. Je me livrerai volontiers
à notre habile mouleur, M. F. Flandinette, pour qu'il prenne
le moule de mon oreille anormale et augmente d'une nou-
velle pièce notre coUeclion de moulages.
M. Magitot fait remarquer que, dans un des cas présentés,
une oreille est absolument difforme, réduite à l'état de
moignon, l'autre est normale. L'oreille anormale semble avoir
été altérée par des brides fibreuses comme celles qui se
produisent durant la vie intra-utérine.
L'autre moulage présente des anomalies symétriques très
spéciales et qui semblent plutôt reconnaître une origine hé-
réditaire.
Sur une sépaltare gauloise déeonverte à Cemay-les-Relma ;
PAR M. BOSTRAUX-PARIS.
Le 9 novembre 1890, en sondant le terrain sur l'emplace-
ment du cimetière gaulois des Barmonts (Gernay-les- Reims)
pour voir si je n'avais pas oublié quelque tombe, j'en décou-
vris une que je n'avais pas encore fouillée. Elle avait 70 cen-
timètres de profondeur, 1",70 de longueur, sur 60 centi-
mètres de largeur ; elle était orientée aussi de l'est à l'ouest
et remplie de craie au lieu d'être remplie de terre noire
comme les autres sépultures de ce cimetière. Le squelette,
qui était celui d'un adulte, portait une fibule en fer sur
la poitrine, un bracelet en bronze coulé en anneau et en-
core passé au-dessus du coude du bras gauche; près du
T. II (4' séHiP.). 37
674 s6ancb du 15 octobre 180f,
eeude da bras droit se trouvait un couteau en fer, une pyrite
de fer vulgairement appelée boule de tonnerre^ usée et polie
sur une face par un frottement prolongé, et sur œtte partie
usée se trouvait un nucléus en silex du mont de Berru, et
aux pieds, à droite du squelette» un vase en terre noire de
facture très primitive.
Ce qui m'a surpris, dans cette fouille c'est de reneonirer,
à répoque gauloise, un nucléus en silex sur cette pyrite de
fer dont une face a été usée avec intention. Ces objets au-
raient-ils servi à faire du feu, ou étaient* ce des amulettes
vénérées en souvenir de Tépoque néolithique? Pour avoir
usé de la sorte oette pyrite, il a fallu un frottement inten-
tionnel très prolongé, fait avec un corps plus résistant ; et
oependant cette matière raye le verre. Cette usure ferait
supposer que les Gaulois connaissaient déjà les propriétés
sulfureuses de ce minéral, et s'en seraient servis pour obtenir
facilepient, par le frottement, des étincelles pour allumer
du feu. Le nucléus ne pco'te aucune trace de frottement et ne
parait pas avoir servi à frotter sur la pyrite.
Cette tombe devait être une des plus anciennes de oe
cimetière gaulois, à en juger par la facture de fabrication du
vase et du bracelet en bronze.
Quant aux oàsements du squelette, ils étaient si fragiles
que je n'ai pu en recueillir que quelques fragments. Le crâne
était dolichocéphale.
Essai sur la natalité
clans le eanton de Lllieboane (Seine- Infférieare);
PAR U. ARSÈT^E DUMONT.
Je désirais depuis longtemps observer un échantillon de
population manufacturière afin de pouvoir la comparer aux
populations agricoles ou maritimes que j'avais étudiées les
années précédentes.
D'un autre côté, il me paraissait intéressant de rechercher
pourquoi la Seine-Inférieure était restée féconde bien qu'en-
DUMQNT. •- LA NATAUTÊ DE LILLEBONNE. 576
tourée de départements remarquables par l*abaissement de
leur natalité. Au milieu de la vaste tache oliganthropique
qui s'étend du mont Saint^Michel à la frontière allemande et
dont le centre de dépression existe depuis si longtemps dans
les arrondissements limitrophes de lËure et du Calvados,
pourquoi cette île resiée indemne ? Etait-ce uniquement
l'effet du nombreux prolétariat industriel ou bien la conser-
vation de la fécondité avait-elle lieu également parmi les
populations agricoles et en ce cas pour quelle raison ? Quelle
cause les empêchait de se comporter comme les cultiva-
teurs des départements voisins ?
Enfin, aux termes d'une remarquable étude de M. le doc-
teur Chervin sur la Géographie médicale de la Seine Jnfé-
tHeure\ pendant les vingt années écoulées de 1850 à i869,
près de la moitié des conscrits avaient été trouvés impropres
au service armé. Or, de tous les cantons du département, le
plus maltraité était celui de Lillebonne ; la proportion des
réformés y était de 552 pour 1000 conscrits examinés. Il
pouvait être instructif de savoir si cette morbidité phénomé-
nale s'était maintenue, et, en ce cas, de rechercher à quelle
cause elle était attribuable.
Tels sont les motifs qui m'ont fait choisir, en 1890, le can-
ton de Lillebonne pour sujet de l'enquête que, depuis dix
ans déjà, je poursuis sur l'état de la natalité française.
I
APERÇU GÉRÉRAL DU CANTON.
Le canton de Lillebonne comprend un territoire de
12700 hectares environ, formant l'extrémité sud-est de Tar-
rondissement du Havre. La Seine le limite au midi, séparée
maintenant des anciennes falaises dont jadis elle baignait le
pied par un vaste tapis de prairies et d'herbages qui, comme
* Mémoire* de VÂszockUiim françaitê pour l'avanenMnt dn $tAmc9s^ eon*
grès (le Rouen, 1883.
S76 SÉANCE DU 15 OCTOfiftB 1891 •
le delta du Nil, peuTent èlre appelés un présent du fleuve. II
est coupé en deux par la rivière de Bolbec qui, coulant du
nord au sud, s'est creusé dans Tépaisseur du plateau une
vallée profonde, presque au niveau de la Seine. Entre les
fonds verts abondamment arrosés de sources vives qui con-
stituent le bas pays et les terres sans eau du pays de Gaux,
un étroit rideau de forêts s*étend sans fin comme un ruban,
suivant la pente sinueuse des coteaux. G est de là que le
pays tire son charme, son caractère et sa valeur esthétique.
En arrière des taillis, la plaine labourée s'étend à perte de
vue, tantôt couverte de récoltes, tantôt morne et brûlée par
le soleil. En juillet, les fermes, sous les arbres qui les
cachent, forment des îles quadrangulaires de verdure au
milieu de la mer dorée des céréales parvenues à maturitâ.
Elle se prolonge ainsi pendant de longues lieues et bien au
delà des limites du canton sans autre accident que quelques
villages allongés le long des routes poudreuses.
Si Lillebonne et Bolbec forment des agglomérations plus
importantes, elles le doivent uniquement à la petite rivière
qui les traverse. Nulle part on ne voit mieux la toute-puis-
sante action de la topographie sur le groupement des popu-
lations et sur leurs destinées.
On sait que Lillebonne joua sous les Antonins, comme
Harfleur au moyen âge et le Havre aujourd'hui, le rôle du
grand port indispensable dans Testuaire de la Seine. L*an-
tique Juliobona^ alors capitale des Calètes, eut peut-être
trente mille habitants. En tout cas, son théâtre pouvait con-
venir à une grande ville, et ses thermes revêtus de marbre,
les riches mosaïques de ses palais, ses statues et ses tom-
beaux somptueux témoignent sufûsamment de son impor-
tance.
Si Ton se bornait à parcourir ses rues étroites, de toute
part dominées par de hautes collines, à considérer les deux
ruisseaux qui coulent sous ses fabriques et serpentent dans
ses herbages, une telle fortune paraîtrait sans cause. G*est
de plus loin, des hauteurs de la Trinité du Mont que Ton
DUMONT. — LA NATALITÉ DE ULLEBONNE. 577
penl se rendre compte de la situation telle qu*elle était à
répoqne gallo-romaine.
Il faut se rappeler qu'il y a quarante ans seulement, dans
les grandes marées d'équinoxe, la Seine remontait encore
jusqu'à un kilomètre de Lillebonne. Il y a dix-huit siècles,
quand les cinq kilomètres de prairies qui la séparent aujour-
d'hui du fleuve étaient sous Teau, quand, d'autre part, l'im-
mense étendue du marais Yernier, que l'on aperçoit sur
l'autre rive, n'avait point été comblée par les alluvions, Lille-
bonne, point d'aboutissement de trois vallées, formait le port
naturel du pays de Caux, au fond d'un bassin de plusieurs
lieues carrées, bien abrité contre les vents par les hauteurs
qui s'étendent du cap de Tancarville jusqu'à \d Trinité. La
situation était vraiment admirable. Alors, les galères pou-
vaient avec aisance remonter non seulement jusqu'au port
de Lillebonne, mais plus haut, jusqu'au Yalasse, où leurs
débris ont été retrouvés dans les vases.
A cette époque, la basse Seine, comme aujourd'hui encore
TErdre et la plupart des rivières de la Bretagne, n'avait
point achevé son bassin, n'avait point fini d'acquérir le paral-
lélisme approximatif de ses rives. Celte œuvre géologique,
toute colossale qu'elle soit, a donc été relativement brève.
C'est elle qui ruina Lillebonne ou qui du moins l'empêcha de
se relever de ses ruines après les invasions barbares, comme
plus tard elle a ruiné Harfleur, et comme tôt ou tard elle
forcera le Havre d'établir son port devant Sainte-Adresse.
En quelques-unes de ses parties, elle est même toute récente,
s'est terminée sous les yeux des contemporains, et le pays
lui dut longtemps une redoutable insalubrité qui décima les
populations.
En 1740, les courants maritimes remontant la Seine, ap-
portèrent sur la rive du marais de Watteville une quantité
prodigieuse de vase et de terres d'alluvion, et, paraît-il,
dans le cours de l'année suivante, les fièvres paludéennes
enlevèrent deux cents personnes.
En 1780, sept cents acres de terres d'alluvion s'étaient
578 8ÉAIICB DU 15 OCTOBRE 4891.
amoncelées depuis Téquinoxc de Tautomne précédent jus*
qu'à Téquinoxe du printemps. Quand vint Tété et que le
soleil commença à dessécher ces Tases, il s'en échappa des
miasmes qui produisirent des fièvres terribles à Watteville
et dans les environs. Elles frappèrent d'abord le hameau le
plus bas, le plus voisin des vases émergées, et causèrent dix
décès. A la fin d'août, il y avait deux cents fiévreux ; un mois
plus tard il y en avait cinq cents. Chez beaucoup, la fièvre
se termina par la cachexie, l'hydropisie et, pour quarante,
par la mort.
En 1782, les fièvres reparurent et enlevèrent surtout de»
faucheurs. En quelques années, l'épidémie emporta dans le
pays environnant trois cents personnes.
Nous n'avons point de renseignements aussi précis concer-
nant le canton de Lillebonne, situé sur l'autre rive. On sait
seulement que, depuis un temps immémorial et jusque vers
1830, les fièvres ont été endémiques dans les communes qui
bordent la Seine. Même, depuis lors, elles ont fréquemment
reparu ; car les marais, aujourd'hui complètement émergés
et transformés en pâturages ou en prairies, sont encore inon-
dés pendant deux ou trois jours lors des grandes marées, et
il suffit d'un envasement momentané des canaux d'écoule-
ment pour que les eaux croupissent et répandent des éma-
nations empestées. Habituellement, elles ne sont nuisibles
qu'aux ouvriers employés à la récolte du foin, car aucune
habitation n'existe dans les marais, et tous les villages se
groupent à une lieue au moins de la Seine, au pied de l'an*
cienne falaise du fieuve, comme le village du Hadicatel, ou
plus haut encore sur le plateau.
Là, une autre cause d'insalubrité provient du peu de per-
méabilité des terres, qui les rend fort humides quoique éle-
vées et du manque d'eau de source. La plupart des habi«
tants n'ont, pour faire leur cuisine ou pour laver leur linge,
que l'eau des mares bourbeuses et desséchées en été. Bien
rarement ils ont des citernes et presque jamais des filtres. 11
en résulte beaucoup de maladies d'entrailles. Heureusement
DUMOiNT. — LA NATALITÉ DE LILLEBONNE. 579
bien peu boivent habituellemenl de Teau, les plus pauvreë
ayant presque toujours au moins du petit cidre.
En dépit de ces conditions peu favorables, aggravées en-
core par ]ôs grands vents et les brusques changements de
température auxquels les hauts plateaux de la Seine*Infé-
rieure sont sujets, la mortalité était notablement inférieure
à la moyenne française pendant la première décade du
siècle. Si depuis elle s'est cohsidéfablement aggravée, ce
sera donc parmi les conditions sociales de la période actuelle
qu*il en faudra chercher les causes et non dans les influences
permanentes du sol, du climat ou de la race.
Les habitants du canton, comme en général ceux du
pays de Gaux, appartiennent en grande majorité à la race
blonde, médiocrement dolichocéphale. Us avaient au siècle
dernier une grande réputation de beauté. Lepeoque de la
Clôture les représentait comme robustes, bien constitués,
d'une taille au-dessus de la moyenne. « Dans la classe
aisée, dit-il, ils sont généralement bien de figure, le teint
coloré, courageux et fiers de leur aisance qu'ils avaient
grand soin de ne point cacher, voulant jouir à découvert de
leur prospérité. Les Cauchoises sont généralement d*un beau
sang. Elles sont pour l'ordinaire grandes et bien faites, sur-
tout datis les parages de Bolbec et d'Yvetot, mais la plupart
de celles des autres cantons ont la jambe fort grosse; elles
ont partout un beau teint relevé par des couleurs fines, de la
fraîcheur, de la gorge et de Tembonpoint. Nous pourrions
dire que la dominante de ce pays est la couleur blonde^
même pour Tun et Tautre sexe, si Ton en voulait excepter les
peuples qui habitent les vallées, les marécages et le voisi-^
nage de la Seine. Ceux-là ont, en général^ le teint pâle et un
air trlste<»Lepecque, quoique volontiers optimiste, remarque
d'ailleurs que ces belles Cauchoises ont les tempes tellement
dégarnies qu'on les croirait chauves, et qu'elles ont de fort
mauvaises dents. Enfin la scrofule, le goitre même, n'étaient
pas très rares.
« De Tautre côté de la Seine, ajoutctril, les habitants du
S80 S^.ANCE DU i5 OCTOBRE 1891.
Romois sont plus petits^ moins bien colorés, plus bruns que
ceux de Gaux, plus simples dans leurs mœurs et leurs habi-
tudes, plus adonnés à la culture de la terre et peut-être de
meilleure foi. Le terrain en est beaucoup plus divisé en un
grand nombre de propriétaires. Cependant ils sont moins
riches et moins industrieux que les premiers. »
Ces remarques du médecin de Rouen sont encore vraies
aujourd'hui. La population du pays de Caux et, par consé-
quent, de notre canton, appartient en majorité au type
blond, tournant au châtain plus ou moins foncé chez les
hommes de trente ans. J'ai pu observer à loisir des centaines
d'enfants des écoles réunis pour la distribution des prix. Pas
un seul n'avait les cheveux complètement noirs; plus de la
moitié étaient blonds de seigle ou de blé mûr ; mais une frac*
tion considérable des blonds, la plus grande partie peut-être,
avaient des yeux jaune clair et non bleus, ce qui est fréquent
dans toute la Normandie.
Cependant il existe aussi à Lillebonne une minorité de
Celtes bien caractérisés venus probablement de l'autre rive
de la Seine.
Quelle est l'origine de cette population blonde ? Descend-
elle des envahisseurs de la pierre polie, de ceux du cin-
quième siècle ou de ceux du neuvième ; est-elle galale, ger-
manique ou normande? La question n'est pas facile à
résoudre.
Une remarque importante et facile à faire, c'est que, dans
toute la Normandie, la race blonde ou rousse habite surtout
les terres labourables, telles que le pays de Caux, les plaines
de Caen et de Falaise ; tandis que la race brune habite les
pays de bois et de coteaux, comme le Romois ou le Rocage
normand. Cette distribution géographique des deux races
est en parfait accord avec l'opinion généralement adoptée
d'après laquelle, aux diverses époques, les envahisseurs
auraient pris pour eux les meilleures terres et refoulé la race
vaincue dans les cantons les plus maigres, les plus malsains,
les plus difficiles d'accès.
DUMONT. — LA NATALITÉ DE LILLEBONNE. 581
Elle est par contre tout à fait inconciliable avec la tbès
récemment soutenue dans les savants ouvrages de M. Fuste
de Goulanges, d*après lequel les barbares du cinquième
siècle n'auraient ni exproprié les anciens habitants gallo-
romains, ni refoulé les vaincus dans les terroirs de qualité
inférieure, ni modifié dans une mesure appréciable la pro-
portion des divers éléments ethniques dont se composait
alors la population des Gaules.
Si cette opinion devait prévaloir définitivement, il fau-
drait faire remonter aux lointaines invasions gaéliques ou
descendre jusqu'aux invasions normandes, la cause de la ré-
partition actuelle des races et de la prédominance du type
blond dans les campagnes labourables de la Normandie.
Mais les Northmans eux-mêmes ne paraissent s'être établis
nulle part en masse compacte ; les compagnons de Rollon
étaient peu nombreux ; les bandes qui, sous divers chefs^
avaient ravagé puis soumis le pays, ne paraissent avoir
jamais compté qu'une fraction de Scandinaves ; en tout cas,
on admet généralement qu'ils n avaient point amené de
femmes, et dès la première génération, leurs enfants n'eus-
sent eu que moitié de sang du Nord. Ce serait donc jusque
dans les temps préhistoriques qu'il faudrait chercher l'ori-
gine des populations blondes du pays que nous étudions.
Du reste si ce problème demeure extrêmement intéressant en
lui-même, il n'a toutefois que peu ou point d'importance rela-
tivement à notre objet. Quelle que soit la race et son origine,
elle n'exerce ici, non plus que dans les divers cantons que
j'ai pu visiter jusqu'à ce jour, aucune action sur les phéno-
mènes démographiques, et en particulier sur la natalité. La
morbidité même, sur laquelle elle semblerait a priori avoir
les plus étroites relations, n'en est que faiblement influencée.
En ce qui concerne la carie dentaire, par exemple, on peut
constater, sans sortir de la Normandie, qu'elle est pour le
moins aussi fréquente et aussi précoce dans le Bocage^ parmi
des populations à cheveux très noirs, que dans le pays de
Caux^ et que, par contre, elle est beaucoup moins répandue
S8i SÉANCE DQ 15 OCTOBRE 1891.
parmi les populations du Gotentin) qui sonl un mélange des
deux races.
Un fait qui exerce au contraire la plus grande influence
sur l'état démographique, c'est l'existence des grandes ma-
nufactures au ohef-lieu de canton. Dès le treizième siècle, le
tissage des toiles était une industrie très répandue dans tout
le pays de Caux. Elle s'y est toujours maintenue depuis, en
se modifiant avec le temps. Si Llllebonne a été Tun des
points privilégiés où elle s'est centralisée, elle en est rede-
vable à Texistence de ses deux rivières et à la force motHûe
qu'elles pouvaient fournir.
Nous retrouvons ici Tinfluence décisive, capitale, de la
topographie sur les destinées des populations et sur leur
état démographique. C'est à sa situation que Llllebonne avait
dû son importance à l'époque gallo-romaine, c'est à un autre
accident topographique qu'elle doit d'être aujourd'hui un
centre manufacturier.
En 1780, le coton ne se filait encore qu'à la main; mais,
dès 4787, l'assemblée provinciale avait volé une somme de
100000 francs pour faire fabriquer et distribuer des ma-
chines à filer. On compte qu'alors le territoire entier de la
Seine-Inférieure n'avait pas moins de 190000 fîleuses. Au
mois de mai 1789, le peuple de Rouen se souleva et brisa les
nouveaux métiers dont la concurrence le ruinait, ce qui du
reste n'empêcha nullement leur emploi de se généraliser. Les
premières filatures à moteur hydraulique furent fondées
dès 1792 et 1793, par Defontenay à Louviers, Adeline à Ma-
launay et Lemaître à Llllebonne,
L'antique cité était alors bien déchue; elle se composait
de quelques maisons couvertes en chaume et de quelques
vieilles habitations du quinzième siècle éparses autour des
ruines de son château féodal. Le tout formait une paroisse
d'environ 500 habitants. A partir de ce moment, le dévelop-
pement progressif de l'industrie allait la repeupler.
En 1819, Delahays et Yilllot, dans leur usine du Mesnil-
sous-Lillebonne, petite commune aujourd'hui annexée à la
DUMONT. — LA NATALITÉ DE LILLEBONNE. 583
ville, imprimèrent pour la première fois au cylindre des
ôtoffes à personnages pour ameublement. A cette date, la
prospérité de l'industrie était inouïe : les fabricants de toile
de la Seine-Inférieure avaient fait de tels bénéfices, et par
suite tellement étendu leurs opérations^ qu'ils ne trouvaient
plus assez d'ouvriers dans le département, el qu'ils adopté-*
rent l'usage d'envoyer des matières premières jusque dans
les déparlements de la Somme, de l'Aisne, du Pas-de-Calais
et du Nord.
En 1823, on Comptait dans le groupe industriel formé par
les deux cantons de Lillebonne et de Bolbec trente-trois fa-
briques de toiles peintes^ imprimant annuellement 220000
à 240000 pièces d'étofTe, employant 1400 ouvriers et leur
distribuant en salaires 12 millions par an.
Le casernement des tisseurs a été beaucoup plus tardif que
celui des flleurs. A la fin de ta Restauration et longtemps
après, les premiers, au lieu d'être réunis dans les ateliers de
leurs patrons, travaillaient encore, comme au siècle précé-
dent, chacun chez soi, en famille et à la pièce. Le patron
fournissait le fil et recevait la toile par l'intermédiaire de
courtiers, dénommés porteurs, qui servaient de trait d'union
entre les travailleurs et les employeurs, et qui seuls connais-
saient les uns et les autres.
C'est à l'établissement des filatures hydrauliques qu'est
due la fortune de Lillebonne. Elles avaient tué par la con-
currence les filatures mues par les chevaux dont on avait
essayé pendant quelques années et déterminé un premier
groupement. Quand à son tour, vers les dernières années
de la Restauration, la chute d'eau fut remplacée par la va-
peur, dont le mouvement était plus actif et plus uniforme,
les nouveaux établissements se formèrent aux mêmes lieux
que les anciens, et leur importance, en s*accroissant, amena
un nouvel afflux d'ouvriers.
Plus tard, ce fut l'existence même du centre manufactu-
rier qui détermina l'établissement des tissages à côté des
filatures. Dès lort la concentration de la population indus-
584 SÉANCE DU 15 OCTOBKB 1891.
irielle va s*accentuant rapidement. Dans les deux vallées
qui font leur jonction au pied du château de Lillebonne, de
colossales bâtisses s*élèvent, et bientôt, par les soins et sur le
terrain du patron^ s'édifient ces longs alignements de mai-
sonnettes en brique, toutes semblables entre elles, qui sont
les logements des ouvriers.
Cependant aujourd'hui même, le mouvement de concen-
tration n*est pas terminé. Quoiqu'il n'y ait d'usines dans le
canton qu'à Lîllebonne seulement, un quart ou un cinquième
environ des ouvriers vivant de la grande industrie habi-
tent encore en dehors de la ville, disséminés dans les com-
munes environnantes. Chaque matin, ils font de S à 6 ki-
lomètres pour venir gagner leur journée, et le soir, ils par-
courent la même distance en sens inverse pour retourner
chez eux. D'autre part, il existe encore un très petit nombre
de tisserands à domicile, des vieillards presque tous qui peu-
vent gagner de 50 à 60 centimes par jour en gardant leurs
petits enfants à la maison, tandis que leurs fils et leurs filles
sont au travail.
Il existe aujourd'hui à Lillebonne huit usines dont les pro-
priétaires possèdent également d'autres établissements sem-
blables à Gruchet et à Bolbec, c'est-à-dire à 5 et à 8 kilomè-
tres de distance. Ils se livrent uniquement à la production
du gros fil et des toiles de coton les plus communes, articles
qui ont l'avantage d'être toujours nécessaires et de ne point
subir les caprices de la mode. Leurs bénéfices, et, par suite,
le travail et le salaire des ouvriers en sont d'autant plus
assurés.
Ils passent pour extrêmement riches. On cite telle famille
qui, ayant fondé en 1840 une humble fabrique à moteur
hydraulique, possédait en 1880, aux termes d'un acte au-
thentique, une fortune de quarante millions. Cependant,
d'après l'opinion générale, ce n'est pas la maison la plus
puissante du groupe Lillebonne-Bolbec.
Du reste, il convient d'ajouter que les mêmes raisons qui,
dansl'industrie, permettent l'accumulation rapidede bénéfices
DUMONT. — LA NATALtTÉ DE LlLLEBONNE. 585
prodigieux mènent parfois aussi à des pertes énormes, à la
ruine et au suicide. Il y a douze ans, à Lillebonne même, le
chef d*une importante usine, voyant ses affaires compro-
mises, se tuait ; quelques années après, en 1886, l'usine fer*
malt définitivement ses portes, et 600 ouvriers se trouvaient
du jour au lendemain sans travail et sans pain, réduits à
émigrer au loin vers d'autres centres manufacturiers. Dans
cette profession, en effet, s'il y a gain, le patron seul en pro'
flte; s*il y a ruine, elle atteint Touvrier non moins cruelle-
ment que celui qui remploie.
Au mois d'août dernier, 2251 ouvriers travaillaient aux
usines de Lillebonne. Une trentaine d'ouvriers descendent en
outre aux usines de Gruchet (canton de Bolbec). C'est donc
pour le canton entier 2 280 ouvriers et ouvrières d'usine en-
viron. 11 paraît qu'il y a une vingtaine d'années ce chiffre
était plus considérable, car le perfectionnement des machines
tend à diminuer considérablement la demande de bras.
Quelle que soit Tincertitude des souvenirs des habitants à
cet égard, on peut croire qu'en dépit d'oscillations assez
fortes, le nombre total des ouvriers a été à peu près sta-
tionnaire depuis quarante ou quarante-cinq ans.
Sur les 2251 individus qui travaillent à Lillebonne, 523
sont employés aux filatures, qui constituent le travail le plus
malsain et le plus mal payé; 17i8 sont employés aux diffé-
rents tissages ; 1 042 appartiennent au sexe masculin et
1 209 au sexe féminin. On compte seulement 208 enfants ou
adolescents de douze à seize ans, dont moitié garçons et
moitié filles.
Ce sont donc 2251 paires de bras humains qui, chaque
jour, de six heures du matin à six heures et demie du
soir, vont se constituer les esclaves volontaires des gi-
gantesques machines. La journée de travail est habituelle-
ment de onze heures, exceptionnellement et pour certains
ouvriers seulement, elle peut atteindre douze, treize et même
quatorze heures. Il est juste de dire que toujours l'ouvrier
travaille à ses pièces, un compteur mécanique mesure son
n86 SÉANCE DU 45 OCTOBRE 1894.
travail, et par suite le salaire est proportionné au rende*
ment.
Les salaires, qui ont toujours diminué depuis la fondation
des usines, se sont considérablement abaissés depuis vingt-
cinq et surtout depuis quinze ans. Cependant les femmes
qui gagnent le moins parviennent encore à un salaire de
30 francs par quinzaine, soit 2 fr, 50 par journée ; car la
quinzaine est de douze journées. Le plus souvent elles ga-
gnent 3 francs ou 3 fr. 60. Les tisseuses les plus habiles,
celles qui ont les yeux les plus fins et les doigts les plus
agiles, arrivent à se faire des quinzaines de 45 francs. Il
y a quinze ans, elles gagnaient 80 francs, c'est-à-dire plus
de 6 fr. 50 par journée de travail.
Les hommes les moins payés dans les filatures gagnent
encore 40 francs par quinzaine, Il y a trente ans, ils ga-
gnaient 6 francs par jour.
Les ouvriers les mieux payés sont les ouvriers d*état, me*
nuisiers, serruriers, forgerons. Ils gagnent de 4 fr. i5 à
5 francs par jour. Les encoUeurs^ pour leur rebutante be-
sogne, ont de 5 à 6 francs. Un contremaître enfin est payé
6 francs par jour, soit 72 francs par quinzaine. Dans un tis-
sage, il peut surveiller jusqu'à cent métiers, et vingt tout
au plus dans une filature.
Presque toutes les familles d'ouvriers vivent au jour le
jour, sans économies et à crédit sur la paye de la prochaine
quinzaine. Aussi, en cas de surproduction, les patrons ayant
coutume de réduire non le nombre de leurs ouvriers, mais
celui des journées de travail, il en résulte une gêne cruelle
dans les ménages. Cependant il s'en trouve quelques-uns
qui, plus prévoyants, possèdent, en s'en cachant soigneuse-
ment de peur d'être assi^jettis à la cote personnelle et mobi-
lière, un livret de caisse d'épargne. Un certain nombre ont
même leur maison à eux. Sous ce rapport comme sous tous
les autres, il y a de grandes différences non seulement
suivant les familles^ mais encore suivant les villages.
A la Frênaie, par exemplCi on peut voir de gracieuses
DUMONT. •- LA NATAUTR DE Lîlî-EBONNE. 587
maisons neuves et bien entretenues avec des jardins, des
espaliers et des fleurs, qui sont la propriété d'ouvriers d'u-
sine, et qu'ils ont fait construire sur leurs économies. A la
Trinité- du -Mont, le tableau est moins riant, la plupart des
ouvriers ne sont que des locataires ; cependant là encore, ils
ont des jardins assez grands, de Tair et de l'espace; les plus
mal logés me paraissent être ceux qui habitent Lillebonne
même. Les habitations ouvrières ont été beaucoup amélio-
rées; depuis quelques années on en a beaucoup construit, et
elles ne sont point encore délabrées, mais elles sont trop
étroites, trop serrées les unes contre les autres. Quelle que
bonne volonté que Ton ait, il est difîcile d'être propre quand
on demeure à six ou huit personnes dans deux pièces, avec
quelques mètres carrés de terrain en guise de cour et de
jardin, avec le ruisseau de la rue en avant, une colline en
arrière, et, de chaque côté, une habitation pareille et tout
aussi encombrée. Une vérité que Thygiène fera comprendre
de plus en plus, c'est qu'il faut absolument de l'espace à
l'homme aussi bien pour sa santé et pour son repos, que
pour la dignité de sa vie.
De grands progrès ont été réalisés à Lillebonne depuis
quelques années dans la construction des usines et leur sa-
lubrité, comme d'autre part dans la bonne tenue des rues.
On a construit des trottoirs, on a procuré une eau limpide et
abondante aux habitants. D'ailleurs, en dépit des nombreux
enfants pauvres dont la saleté afflige les regards, la popula-
tion a le goût de la propreté et même de la tenue. Aux instants
de repos, quand les jeunes ouvrières des usines, vêtues de
mousselines claires, les cheveux relevés et très soignés,
jouent et rient entre elles, elles ont moins l'apparence de
paysannes que de demoiselles appartenant à la classe aisée
des villes; le teint pâle et blond est de la plus grande dou-
ceur. Malheureusement les dents noires, les traits impercep-
tiblement tirés même dans les jeunes visages, disent la santé
usée par le travail excessif, le mauvais air, l'atmosphère sur-
chaufTée* De très bonne heure, dès vingt-deux ou vingt-trois
S88 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 1891.
ans et souvent auparavant, la grâce et la légèreté de la jeu-
nesse se sont évanouies ; elles paraissent pesantes et fati-
guées.
C'est le soir, vers 6 heures et demie ou 7 heures, sur les
routes montueuses qui mènent de la vallée de Lillebonne aux
villages situés sur les hauteurs, qu'on peut le mieux observer
les ouvriers des usines. Us marchent par petits groupes,
lourdement, presque toujours muets^ les hommes ont Tair
très calme et mélancolique, le visage maigre et le teint
terreux. Leurs lourds paniers de provisions au bras, ils font
ainsi, soir et matin, par la pluie ou la neige, de 2 à 6 kilo-
mètres. Les visages, malgré la fatigue, annoncent une véri-
table détente, une satisfaction visible de pouvoir enfin res-
pirer Tair pur du soir, loin de l'assourdissement de la
machine. Il n'est pas douteux que, dans la belle saison, ce
supplément d'effort musculaire, au moins quand il n'est pas
trop prolongé, ne soit aussi bienfaisant qu'agréable.
En effet, si certains muscles sont surmenés de travail,
d'autres sont accablés d'inaction. La rapidité, la monotonie,
la continuité d'un petit nombre de mouvements répétés
indéfiniment pendant onze ou douze heures ; l'immobilité
forcée de la plupart des membres, qui serait à elle seule un
supplice ; l'impossibilité de se soustraire à cette besogne
quotidienne, de prendre un jour de congé sans être renvoyé,
font de cette profession la plus épuisante qu'on puisse rêver.
La caserne militaire, qui tue la pensée, l'imagination et jus-
qu'à la mémoire; n'est rien en comparaison de la caserne
industrielle du tissage et surtout de la filature. Je visite un
de ces établissements qui n'est nullement inférieur aux
autres, et je noie un petit fait entre mille que je cite à titre
d'exemple. Un enfant de treize à quatorze ans, suivant le va-
et-vient du métier, a pour fonction d epousseter un rouage.
Son travail consiste à courir continuellement trois pas en
avant et trois pas en arrière, sa brosse tendue, pour écarter
les filaments de coton dont l'air est rempli. Pieds nusel bras
nus, vêtu d'un pantalon de toile et d'une chemise, par
DUMONt. ^ LA NATALITÉ DE LILLEBONNÊ. 589
30 degrés de chaleur, il continue sa danse d'écureuil en
cage. On se prend à espérer que ce mouvement va bientôt
cesser, que c'est une corvée d'un instant ; mais non, il doit
durer. des heures, des journées, des années entières, sans
autre interruption que le temps de prendre la nourriture et
le sommeil indispensables. Toujours et toujours il fera trois
pas de course en avant et trois pas de course en arrière, sans
trêve ni merci, sans arrêt de l'infernale machine. Sysiphe,
avec son rocher, était heureux en comparaison; il pouvait au
moins le prendre où il voulait, le pousser à son gré de
l'épaule ou des reins, soulager un muscle en faisant tra-
vailler Tautre; il avait plus de liberté, d'indépendance dans
ses mouvements. C'est là le côté pénible du travail des ma-
nufactures. Tel ouvrier n'exerce jamais que ses jambes; tel
autre est réduit pour toute sa vie à quelques mouvements
des doigts et de l'avant-bras, ou bien à osciller sans interrup-
tion d'une jambe sur l'autre, le doigt levé, le cou tendu.
Cette absence de variété dans les mouvements est inhérente
à la profession. De là une usure particulière de l'organisme,
un hébétement spécial de Touvrier d'usine. Il faut y joindre
le défaut d'air pur, les odeurs fades de la colle et des huiles
chauffées, la trépidation énervante des planchers.
Beaucoup de jeunes gens venus de l'agriculture n'y résis-
tent pas, perdent d'abord l'appétit, puis le sommeil, et sont
obligés de retourner aux travaux des fermes. Les ouvriers
faits à ce milieu spécial ne se soutiennent eux-mêmes que
grâce à un régime très excitant. Dans cet air fade et sur-
chauffé comme dans les pays intertropicaux, les épices, les
condiments irritants, sont indispensables pour stimuler l'es-
tomac. Aussi consomme- t-on beaucoup de salaisons, de
harengs saurs, de morue, beaucoup de charcuterie à l'ail, de
saucisses, de boudins, de café mélangé d'eau-de-vie.
L*ivrognerie n'est pas très répandue, ou du moins elle n'est
pas tapageuse, et les nombreux débits de Lillebonne sont
médiocrement fréquentés, môme les jours de paye; mais on
y fait acheter l'alcool par les enfants et on le consomme le
T. II (4« séhik). 38
590 SÉANCE DU 45 OCTO&RE 4891.
soir en famille, à des doses soavent étonnantes. L'énergie
faclice qu'il communique est la seule joie de cette existence
sans distractions et sans pensée, sans horizon ni espoir d*un
sort meilleur. Aussi paraît-il à certains ménages pauvret éi
surchargés d*enfants aussi indispensable que le pain lui-
même.
Les ouvriers de Lillebonne n*ont rien de commun atee les
ouvriers d'usine tels qu'on se les figure volontiers d*apiès
les descriptions de M. Denis Poulot. Ils sont paisibles^ sm*
mis, peu ou point frondeurs, généralement respeetuem
envers le clergé et leurs patrons; vont à la messe le ^•
manche, volent pour les candidats conservateurs et ne par>
lent pas argot. Sauf une écbauffourée insignifiante en ISift,
jamais ils n'ont fait de grèves.
Relativement aux mœuri^ il existe un préjugé général
contre eux. Les jeunes filles qui ont travaillé en fabrique le
cachent avec soin quand elles cherchent à entrer comme
domestiques dans les maisons bourgeoises. On prétend
qu'elles ne peuvent rien refuser aux oontremattres. Mais les
préjugés sont souvent injustes, surtout en cette matière. Il
n'y a pas, nous le verrons, plus de naissances naturelles
parmi elles que parmi les jeunes filles occupées à Tagri-
culture dans les diverses communes du canton.
La probité est poussée jusqu'au scrupule. Au milieu des
quartiers populeux, entre des rues fourmillant d'entente
pauvres, de vastes jardins, des vergers, étalent impunément
la séduction de leurs arbres pliant sous les fruits mûrs. Les
haies pourraient ôtre franchies en vingt endroits, les bai^
rières ne ferment souvent ni jour ni nuit et n'ont pas même
de serrures. Les propriétaires m'affirment qu'en cinquante
ans on ne leur a rien pris. Des lapins et des volailles s'aper*
çoivent dans des cabanes formées de vieilles planches et de
branchages à portée de la main. La mauvaise qualité des clô-
tures est ici, comme partout, un excellent indice de l'honnè*
teté universelle.
Cependant il y a beaucoup de misère. Bien que le bureau
DUMOKT. -^ LA NATALITÉ 1)B ULlBBONNE. 801
de bienfaisance distribue des secours à une centaine de
familles ; bien qu*il existe un pelit hôpital et que les patrons
fassent leur possible pour fournir jusqu'à la fin quelque be«
sogne facile aux vieux ouvriers qui se sont usés à leur ier»
vicC) le sort habituel des imprévoyants et des faibles est iii
ce qu*il est dans le reste de la France^ de voir leur vieillesse
abrégée par la souffrance et les privations.
Par contre* les plus résistants ou les plmi avisés parvien-
nent quelquefois à s'élever au-dessus de la condition ou-
vrière; Un très pelit nombre seulement peuvent arriver au
rang de contremaître, car il y a peu de ces places, et l'on
ne peut même penser à entrer dans la classe des patrons^ à
cause des énormes capitaux qui sont indispensables. De c^
cAté donc, Tascension est impossible. Mais ils se jettent à
eôté, deviennent épiciers, petits débitants, logent ou nour*»
rissent quelques ouvriers célibataires, et sonvent^ dtnt œs
professions nouvelles, font quelques économies.
Il n'y a pour ainsi dire point de classe moyenne à LiQe>«
bonne. C'est de Tusine que sont sortis totit le petit eom*
merce et la petite industrie, personnel et capHaox. Dtns
cette catégorie sociale, à peine au-dessus de la précédentej
les enfants sont peut-être un peu plus instruits ; ce qui n'efii«
pêche point que, dans Tensemble de la ville, un tiers des
mariées et un dixième des mariés soient incapablte de
signer leor acte de mariage. La morbidité est aossi très
considérable, ce qoi s'explique pent-'ètre par cette eonsidé^
ration qu'une arrière^bontique obscure dans la vallée n'est
guère plus conforiable qu'une maison ouvrière et que Vmainê
elle-même.
A leur tour, les jeunes gens issus de ces profestiom lee
continuent presque toujours. Les capitaux leuraianqu€ffit pour
ambitionner les professions libérales, et d'Ailleors on n'y
songe point, on n'en a point le goût. Quelqoes-uns sentement
essayent de s y élever en passant par le sénriiiâire. LUIebonde
fournit un grand nombre de recrues au clergé.
Mais au-deHUs de toutes les olesses de la soeiélé, et si
593 SÉANCE DU 45 OCTOBRE 1891.
haut que Ton ne peut songer à y atteindre, brillent les pais-
santes maisons industrielles de qui seules découlent tonte vie
et toute activité. Elles versent annuellement en salaires au
moins i millions et demi, dépensés presque entièrement dans
la petite ville, car c*est là que font à peu près tous leurs
achats les ouvriers mêmes qui demeurent dans les communes
voiiines.
Cette prospérité de Lillebonne est donc assez factice et
précaire, car elle dépend en entier des six ou sept familles
qui possèdent ses usines. Que demain elles se trouvent asseï
riches, emploient leurs capitaux à Tachât de valeurs mobi-
lières et s*en aillent vivre noblement à Paris du revenu de
leurs immenses fortunes ; qu'elles préfèrent pour leurs fils les
professions dites libérales, la vie de salon et de cercle, les
plaisirs de la vie mondaine; que, d'autre part, il ne se irouve
personne d'assez riche ou d'assez hardi pour prendre la suite
de leurs affaires, et les usines ferment, la population ou-
vrière émigré et se disperse^ les débits et les boutiques n'ont
plus de raison d*être, les maisons vides ne trouvent désor-
mais pas plus à se vendre qu'à se louer, et Lillebonne, réduite
à vivre de son marché de bestiaux, n'aurait bientôt plus
que l'importance d'un chef-lieu de canton]de i 500 à 2000 ha-
bitants.
Ce marché est le troisième en importance du départe-
ment; mais il produit peu de ressources pour la ville, car il
n'est que l'occasion d'une excursion rapide pour les vendeurs
comme pour les acquéreurs, qui, étrangers les uns comme
les autres, apportés par un train et remportés par l'autre,
font peu de dépense sur le lieu de leurs transactions. Les
vastes herbages conquis sur la Seine, où sont engraissés les
animaux que Ton y vend, appartiennent presque tous à de
grands propriétaires et à de riches herbagers, qui n'habitent
pas le pays et se contentent de faire surveiller leurs animaux
par quelques gardiens. Ces herbages valent de 1 500 à
2 OOOfrancsi'hectarepourlesalluvionsrécentes, et 3000 francs
environ pour les alluvions anciennes. Mais comme l'industrie
DUMONT. — LA NATALITÉ DE LILLEBONNE. 593
beurriëre, laitière ou fromagère est à peu près inconnue
dans le canton, ils ne fournissent, en somme, presque aucun
travail, et par suite aucun bien-être à la population. Une
partie seulement mise en prairies y contribue dans une cer-
taine mesure par le travail nécessaire à la récolte des foins
et par le droit de vaine pâture réservé sur les secondes
herbes.
La seule branche de Tindustrie agricole qui influe sur le
sort de la population rurale, c'est le labourage. A part les
alluvions dont nous venons de parler, toute la terre est en
labour; elle est de qualité médiocre, surtout dans la région
voisine de Tancienne falaise de la Seine. Elle est divisée en
exploitations de faible étendue, louées à un prix relative-
ment très élevé par des propriétaires habitant an loin à des
fermiers fort pauvres.
Ceux-ci difTèrent beaucoup des fermiers aisés de Tarron-
dissement dTvetot, où la terre est meilleure^ les exploita-
tions plus grandes et la vie plus plantureuse; mais ils dif-
fèrent entièrement des riches cultivateurs des pays d'Auge
et du Bessin. Ce sont presque sans exception d'anciens ma-
nouvriers, qui vivent en manouvriers. Leurs enfants sont
habituellement, comme en Bretagne, leurs seuls domes-
tiques, et s'ils prennent des journaliers en été, ils ne se dis«
tinguent d'eux ni par le vêtement, ni par la nourriture, ni
par le langage, ni par la manière de penser et de sentir.
Ouvriers et maîtres, tous sont également ignorants, mal
nourris et mal vêtus. Les différences, en fait d*aisance et
d'autorité, au lieu de sauter aux yeux, ne se perçoivent qu'à
force d'attention.
La plupart des fermes sont, comme les maisons d'ouvriers,
construites en bois et argile rouge, couvertes en chaume et
souvent tordues, déformées par le temps; les clôtures des
cours, formées de simples levées de terre, laissent passer les
volailles comme elles le veulent, et témoignent qu'ici, comme
parmi la population industrielle, la probité est générale.
Mais les jardins sont négligés, n'ont que de mauvais légumes
504 SÉANCE DU 15 OCTOBRE i8Dl.
et pas de fruiU. Au lieu des oarrioles élégantes et des cabrio-
lets attelés de chevaux de prix qui emportent les grands
agriculteurs du Calvados, ceux-ci u'ont que de grossières
voitures et des tombereaux tirés par de médiocres chevaux
de labour.
Il existe plusieurs bouchers & Lillebonne, mais ils ne tuent
point pour le jour du marché ; le cultivateur n'achète point
de viande fraîche. Sa nourriture est des plus médiocres :
petit cidre, pain de froment, laitage, beurre, légumes, salai*
sons et charcuterie. Il y a soixante^» quinze ans, on oonsom«
mait encore, dans la Seine-Inférieure, beaucoup de pain de
seigle; mais, dès cette époque, l'arrondissement du Havre
faisait exception et n'usait que de froment. D'un autre côté,
on n'y a jamais englouti les énormes quantités de bouillie,
de galettes de sarrasin et de soupes grasses qui formaient
jadis le fond de ralimentation dans les campagnes de la
basse Normandie ; mais on ignore encore plus le pot-au-feu
habituel, Tabondance de viande de boucherie et de volailles
qui sont le régime ordinaire des familles aisées. D*une ma-
nière générale, dans la Seine-Inférieure, la nourriture, non
seulement de la classe agricole ou industrielle mais même
de la bourgeoisie urbaine, est beaucoup moins bonne que
dans le reste de la Normandie. Elle est inférieure à la fois
par la quantité et par la qualité. Dans ce plantureux pays de
Gaux, que Ton se figure de loin le royaume de Tabondance,
c'est disette de tout. A Lillebonne, en particulier, tout est
cher et mauvais; le marché est mal pourvu. On a la campagne
tout autour de soi et la terre ne manque pas; cependant les
légumes viennent du Havre et sont fanés; les poissons,
moules^ crevettes en viennent également et sont avancés.
Les fruits manquent ou ne sont pas mangeables ; quelques
paniers de prunes aigres et petites appartiennent à des va-
riétés antiques qu'on devrait avoir honte de cultiver. Du
reste, non seulement on mange plus mal, mais on mange
moins. Peut-être est-ce à cela que les hommes doivent une
apparence moins robuste qui les rapproche de l'ouvrier de
DUMONT. -«- LA NATALITÉ DE ULLEBONNE. 595
la banlieue de Paris, plus maigre et plus nerveux, beaucoup
moins lourd et moins massif que celui de la basse Normandie
et surtout du Gotentin ?
Les salaires sont médiocres. La journée d'homme, sauf
pendant le mois d'août et la récolte des foins, pour lesquels
le fermier traite à forfait avec un entrepreneur, est de 3 francs
sans la nourriture, ou de I fr. 35 avec la nourriture. Les
femmes sont généralement nourries et gagnent 0 fir. 60* Pour
laver, elles ont de 0 fr. 75 à f franc* Encore, en hiver, le tra-
vail manque-t-il souvent, surtout depuis Tintroduction des
machines à battre. Beaucoup de journaliers ne sont occupés
que deux jours la semaine. Alors le problème est celui-ci :
avec 1 tr. 50, nourrir, vêtir, loger, chauffer et blanchir une
femme avec cinq ou six enfants pendant sept jours, et soi-
même pendant cinq. Ge problème, sur tous les points de la
France, se résout de la même manière : pain sec, eau
claire, haillons sordides, une paillasse et la mendicité. Les
60 francs ou 90 francs réservés sur les gains exceptionnels du
mois d'août servent à payer le loyer de la maison.
Cependant^ il y a moins de mendiants qu*on ne pourrait
8*7 attendre. Quelques communes, grâce aux ressources de
leur bureau de bienfaisance, n'en ont même point du tout.
Cela me paraît tenir à ce que, dans toutes les communes ru-
rales du canton, il y a beaucoup de petits fermiers et une
proportion très faible d'ouvriers. 11 est peu de chaumières
qui n'aient point un peu de terre comme annexe. Malgré
cela, la misère et les privations sont extrêmes, et Ton ne doit
point s'étonner si le personnel des usines trouve aisément à
se recruter parmi la population agricole.
Pour le manouvrier misérable, écrasé par les charges de
famille, l'usine est un refuge toujours ouvert, où il peut jeter
ses enfants arrivés à l'âge de travailler. Pour peu qu'ils y
soient une fois entrés, ils y resteront ou, du moins, n'en sor-
tiront que pour entrer dans une autre ; ils se suffiront à eux-*
mêmes.
Aux enfants des^ familles un peu moins pauvres, l'usine
596 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 1891.
offre encore, du moins, Tappât d'un salaire plus élevé, d'une
nourriture plus substantielle, additionnée d'eau-de-vie et de
café. D'ailleurs, dansTagriculturCyOn ne trouve pas toujours
de place ; à l'usine on en trouve toujours.
Quelle que soit la condition des ouvriers des manufactures,
il est certain qu'ils la trouvent préférable à celle des ouvriers
de l'agriculture, et que ceux-ci ont le plus souvent la même
opinion. On va de l'agriculture vers l'industrie, et jamais le
mouvement inverse ne se produit. Il est presque sans exemple
que des fils ou des filles d'ouvriers d'usine soient retournés
aux travaux des champs. Il y a de cela plusieurs raisons :
i"" les salaires plus élevés ; 2^ la nourriture meilleure ou plus
excitante ; 3^ la sécurité relative à l'égard des chômages;
4° Tattrait du travail en société^ à l'abri de la boue et de la
pluie ; 5** enfin, l'indépendance relative. Beaucoup de carac-
tères préfèrent, pour leur dignité, être au service d'une ma-
chine très exigeante sur la quantité du travail, mais exempte
de caprices, que d'être sous les ordres d'un maître dont les
exigences varient avec l'humeur.
Les petits cultivateurs et, à plus forte raison, ceux qui ont
plus d'aisance, n'envoient pas leurs enfants aux usines. Us
laissent même parfois percer une certaine antipathie contre
la population manufacturière, et sont portés à apprécier sé-
vèrement ses dépenses, sa vie au jour le jour, ses mœurs et
toute sa manière d'être. Cependant eux-mêmes n'aspirent
pas, pour leurs enfants, à une condition supérieure à celle
qu'ils occupent ; ils veulent faire de leurs fils uniquement des
cultivateurs semblables à eux-mêmes. Très ignorants, ils
se soucient peu de Tinstruction et sentent mal Tutilité d'en-
voyer leurs enfants à l'école. Quand l'école était payante, on
pensait que c'était la rétribution scolaire qui les éloignait;
quand elle fut devenue gratuite, ils y allèrent encore moins.
Du reste la population, dans son ensemble, semble avoir
moins de goût encore pour le prêtre que pour l'instituteur.
Dans la plupart des communes, il subsiste encore une faible
minorité de protestants, et comme il arrive généralement en
Dl'MONT. — LA NATALITÉ DE LILLEBONNE. 597
pareil cas, la plus grande partie des habitants n*éprouve,
pour les diverses formes du culte, qu'indifiércnce, scepti-
cisme ou aversion. Gomme les protestants isolés ont une
forte tendance à émigrer vers les villes, comme nombre
d'entre eux épousent des femmes catholiques et font bapti-
ser leurs enfants dans la religion de la mère, comme, enfin»
leur natalité est généralement faible, leur nombre diminue
graduellement dans Tensemble de la France. Nous avons vu
ailleurs qu'il n'en existe plus qu'une trentaine à File de Ré,
où ils étaient nombreux autrefois. Dans plusieurs communes
du canton de Lillebonne, il ont disparu depuis vingt ans;
dans d'autres, ils émigrent. Leur nombre ne reste station-
naire qu'à Saint-Ântoine-la-Forôt et à Lillebonne, où ils ont
deux temples^.
A Lillebonne même, toutes les familles des chefs d'indus-
trie, sauf une, sont protestantes. Beaucoup de contremaîtres
appartiennent à la même religion. Là comme à Bolbec,
comme à Gondé-sur-Noireau et autres centres manufactu-
riers, cette petite minorité exerce, tant à cause de sa fortune
que de sa cohésion, une influence beaucoup plus que pro-
portionnelle à son importance numérique. Mais elle est trop
faible pour avoir un genre à elle, et à plus forte raison pour
l'imposer. Son action, voulue ou non, est toute négative et
parvient seulement à neutraliser, dans une mesure variable,
l'influence catholique.
A l'absence presque complète de la vie intellectuelle se
joint la nullité de la vie esthétique. La coiffure caractérisa
tique du pays de Gaux a disparu depuis près d'un siècle ; le
costume est sans élégance et sans originalité. On est surpris
* Le nombre des protestants augmente à Paris ; mais cela tient à ce
qu'ils y arfluent de tous les points de la province. Comme toujours, cette
émigration centripète est accompagnée d*un abaissement de la natalité.
En 1889, les décès ont dépassé les baptêmes de 1 107, pour une population
totale de 630 000 protestants. D'autre part, les mariages mixtes s* élèvent
dans certaines régions à 70 et même 80 pour 100, et les communions des-
cendent à 5 pour 100. Le protestantisme est en voie de se fondre dans le
catholicisme d'une part et dans ia libre pensée de l'antre.
598 séANXB DU 45 octobre 4891 •
qu*à une distance si faible de deux centres comme Rouen et
lo Havre, Tidéal urbain ait si peu d'attrait pour les imagina-
tions. Non seulement on n*émigre point vers ces deux villes,
mais on y va très peu et Ton n'en imite point les modes. On
ne connaît aucun luxe, aucun plaisir que le cabaret ei quel*
ques vestiges de danses. Ainsi, à Norville, on danse encore
le dimanche et Ton y vient des communes voisines ; à Peti*
ville, il est de tradition que, depuis les rois jusqu'à oama-
val, garçons et filles allument des feux de joie et dansent
autour; mais cela n'intéresse qu'un petit nombre déjeunes
gens. En somme, population très honnête sans doute, mais
aussi très ignorante, très routinière, très arriérée ; activité
musculaire considérable, activité cérébrale presque nulle.
Les quelques exceptions inévitables sont noyées dans la
masse et dépourvues d'importance numérique.
£n possession de ces notions générales sur le canton de
Lillebonne, examinons comment se comportent, au point de
vue de leur activité démographique et principalement de
leur natalité, les diverses communes qui le composent
II
ÉTAT DÉMOGRAPHIQUE.
Le canton de Liliebonne comprend aujourd'hui qnatorse
communes. Au commencement du siècle, il en comptait cinq
de plus qui ont été réunies, dès Tépoque de la Restauration,
aux communes actuelles. Pour la commodité des calculs, et
dans le but d'obtenir des résultats comparables, on les a oon-
sidérées comme annexées, dès 18oi, aux communes dont
elles font aujourd'hui partie.
Les tableaux ci-dessous résument Thistoire de la natalité
dans le canton depuis le commencement du siècle, et celle
des principaux phénomènes démographiques qui l'acoompa*
gnent et sont susceptibles de l'expliquer.
Gomme le point le plus important de cette étude est la
comparaison entre la population agricole et la population in-
DUMONT. -^ LA NATALITÉ DE ULLEBONNE. 590
dusirielle, au lieu de ranger, dans les tableaux numériques,
les communes d*après Tordre alphabétique, qui ne signifie
rient nous les classerons suivant Tordre décroissant de leur
proportion pour 100 de population industrielle* Ce rang est,
d'aiUaurSi assez oonforme à la situation géographique, les
diverses communes envoyant d*autant plus d'ouvriers à Lille-
bonne qu^elles en sont plus rapprochées. Il n*y a d'exception
que pour Mélamare et pour Saint-Antoine^la-Forêt, qui en-
voient quelques ouvriers (cette dernière commune en dépit
du recensement) aux usines de Gruchet*le-Yalasse, dans le
canton de Bolbec.
La commune de Lillebonne occupe^ en tête, une situa-
tion & part, avec 453 personnes seulement vivant de Tagri-
culture. Le recensement ne sépare pas les ouvriers qui
vivent de la petite industrie de ceux qui vivent des ma-
nufactures, et Ton ne peut obtenir le nombre de ceux-ci
que peu* évalualion. Si Ton suppose que les 2 251 ouvriers et
ouvrières qui entrent aux usines fassent vivre 3750 personnes
environ, on arrive, pour toute la population manufacturière,
à un total de 6000 persounes. 11 est probable que ce chiffre
n'est pas beaucoup trop faible, car, dans nombre de familles,
les enfants sont déjà adultes et vont à la fabrique avec le
père et la mère. Mais, en tout cas, il ne semble pas exagéré,
à cause des vieillards et des nombreux enfants en bas âge
qui restent à la maison. Or, les recensements accusent, pour
l'ensemble des neuf communes ayant des ouvriers d'usine,
une population manufacturière totale de 1100 habitants, ce
qui élève à 4900 personnes celles qui résident à Lillebonne
même. Mais la population totale de la ville n'étant que de
6789 habitants^ il ne s'y trou verait que i 900 habitants vivant
de l'agricullore, du petit commerce, de la petite industrie,
des professions libérales et des fonctions publiques, de leurs
pensions ou de leurs revenus. Ce chiffre est évidanmient trop
faible; par suite, le nombre de 4900 pour la population ma-
nufacturière de la ville est exagéré, et une partie de ce chiffre
doit être reportée au compte de la population manufactu-
600 SÉANXE DU 15 OCTOBRE 4891.
rière des communes rurales. La population agricole est donc
vraisemblablement plus mélangée de population industrielle
que ne Tindiquent les recensements. Mais, comme on ne
peut savoir dans quelle commune Tomission a été commise,
on a dû s'en tenir, pour le classement, aux chififres donnés
par le recensement de 1886.
Seule de ces communes, la Trinité-du-Mont possède une
majorité de population manufacturière. Huit autres en ont
une minorité de plus en plus faible. Enfin, il existe dans
Test quatre communes purement agricoles qui, par suite de
leur éloignement, n'envoient aucun de leurs habitants tra-
vailler aux manufactures.
On peut considérer que la population totale du canton se
répartit ainsi par professions : manufactures, 6000 habi-
tants; agriculture, 5000 habitants; autres professions,
3000 habitants.
COMMENTAIRE DES TABLEAUX NUMÉRIQUES.
Homogénéité démographique du canton. — Le premier fait
qui frappe en promenant le regard sur les divers tableaux
qui précèdent, c'est la remarquable homogénéité du canton
au point de vue démographique.
Économiquement, nous avions affaire à deux populations
si différentes que nous avons dû les décrire séparément;
démographiquement, l'unité reparaît. Bien que la vie de
l'ouvrier de manufacture soit profondément différente de
celle de Touvrier agricole, et bien que d'autre part le canton
compte à la fois des communes purement agricoles, une
commune principalement industrielle et des communes
mixtes, dans toutes à la même époque, les mêmes variations
se produisent. Dans le temps, Thomogénéité n'existe pas ;
mais elle n'en est que plus grande dans l'espace. Ainsi, dans
la première décade étudiée, la natalité et la mortalité étaient
beaucoup plus faibles qu'elles ne l'ont été depuis ; mais elles
étaient faibles dans toutes les communes, quelle que fût la
DUMONT. — LA NATALITÉ DE ULLEBONNE. 601
profession des habitants. Âujoard'hui, au contraire, la pro-
portion des naissances et des décès est très élevée ; mais elle
Test encore pareillement dans toutes les communes, quel
que soit le genre de travail qui les fait vivre.
C'est là un fait dont tout esprit habitué à la recherche des
causes en démographie saisira d*abord l'importance ; car il
nous permet d'affirmer, dès à présent et sans plus ample
examen, que ces différences, en apparence si considérables
qui résultent de la profession, ne sont encore que des acci-
dents superficiels, qu'au-dessous peuvent subsister des
similitudes profondes dans toutes les manières de penser et
de sentir, et que c*est à cette profondeur qu'il faut toujours
chercher, si l'on veut trouver les causes véritables qui gou-
vernent Tactivité démographique d'une population. En un
mot, nous voyons dans ce fait la confirmation d'une thèse
que nous avons soutenue ailleurs : les causes des modifi-
cations de la natalité sont d'ordre mental et non d'ordre
économique.
L'an dernier, je constatais une homogénéité encore plus
frappante à la fois dans le temps et dans l'espace, entre les
communes de Saint-Pol-de-Léon, de Belle-Ile-en«Terre et de
Fouesnant, et dans l'étude parue ici même sur ce dernier
canton^ j'avançais que Ton pouvait jusqu'à plus ample in-
formé considérer Thomogénéité démographique comme la
caractéristique des populations arriérées restées pauvres et
fécondes, a 11 est naturel, en effet, que des populations
stationnaires soient toutes arrêtées au même point, et que,
par contre^ des collectivités en marche vers un idéal loin-
tain de valeur ou de jouissances, se trouvent échelonnées
à des étapes différentes sur la route qu'elles parcourent. »
L'exemple du canton de Lillebonne confirme deux fois
cette manière de voir. En effets au commencement du siècle,
la natalité et la mortalité sont faibles, il y a homogénéité
entre les communes. Pendant les quatre décades suivantes,
la natalité et la mortalité s'élèvent; alors les diverses com-
munes se comportent avec indépendance; les unes ont déjà
60à SÊAKCE DU 45 OCTOBHE 4891.
réalisé Taugmentation nouvelle, les autres sont encore restées
à Tanoien chiffre. Enfin, aujourd'hui, la natalité et la mor*
talité sont redevenues stationnaires à un niveau élevé; toutes
les communes semblent n*en former qu'une seule. On peut
dire qu'en Normandie, aussi bien qu'en Bretagne, tous les
cantons où la natalité est en voie de croissance ou de décrois-
sance, ont des communes démographiquement très dissem-
blables, et que, dans les cantons à natalité faible ou élevée,
mais stationnaire, les communes présentent entre elles une
grande homogénéité démographique.
AccrotssemetU de la population. — Le canton de Lillebonne
comptait, il y a un siècle, en 1700, environ 8050 habitants*
Le recensement de 1886 en accusait 14066. La population
s'est donc accrue, entre ces deux dates, de 6000 habitants
à peu pris.
En 1841, elle avait acquis, par un progrès d'nneremai^
quable régularité, la moitié à peu près de cet accroissement
total.
Pendant les quatre premières décades, de 1801 à 1812,
Texcès des naissances sur les décès avait été de 1 434.
Pendant les qnarante-sept années suivantes^ il n'a été
que de S89; mais l'immigration, pendant cette seconde
période, fut beaucoup plus cçnsidérable que pendant la pre«
miëre.
De 1841 au recensement suivant, le progrès fut énorme,
il était dû, pour une faible part, à l'excès des naissances, et,
pour le surplus, à une immigration considérable qui profita
sortent à la commune de Lillebonne. Pendant ces cinq
années, elle vit sa population passer de 3 671 habitants
à 5009. Les autres communes restèrent à peu près station*-
naires.
De 1846 à 1856, au contraire, la population de l'ensemble
du canton ne réalise qn'nn léger progrès, explicable par
l'excès des naissances sur les décès. 11 s'est produit un faible
excès d'émigration. A Lillebonne même, la population subit
un très léger mouvement de recul, bien que le nombre des
DUMOKT. -^ LA NATALITÉ AG LtLLEBONNE. 608
naissances dépasse celui des décès. L'excès d'émigration est
donc encore on peu plus considérable que dans la totalité du
canton.
Pendant les vingt années qui s'écoulent de 1856 à 1876,
la population fléchit asseï sensiblement dans le canton et à
Lillebonne même, quoique un peu moins que dans les autres
communes. Mais, dans les dix dernières années étudiées, le
eantoB entier gagne environ 1 600 habitants, qui profitent
presque exclusivement au chef-lieu. D'autre part, les excé-
dents des décès sur les naissances qui, pendant les deux
décades écoulées de 1862 à 1882, avalent été de 1056, sont
remplacés, pendant les sept dernières années de la période
que nous étudions, par un excès de 842 naissances. Malgré
ee r^our tardif à une situation plus prospère, le progrès de
la population est donc attribuable, pour la plus grande part,
à rimmigration qui lui apporte les habitants des autres can-
tons.
En somme, l'excès des naissances sur les décès, dans tout
le canton, n'a été, en quatre* vingt-sept ans, que de 1 723, et
l'excès de population a été, en cent ans, plus que triple. Lie
canton de Lillebonne est donc un foyer d'appel pour la
population des cantons voisins.
Mais ceci est vrai surtout de la ville elle-même. Tandis
que toutes les communes sont restées à peu près station-
naires, Lillebonne passait, en cent ans^ de 1 503 habitants
(en y comprenant le Mesnii et Saint-Denis) à 6789, gagnant
à elle seule 5386 habitants sur les 6000 dont le canton
entier s'est accru. Gomme l'excès des naissances sur les
décès n'y a été, tout compensé, que de 380 en quatre-ving-
sept ans, on voit que l'immigration est, en définitive, la seule
ou à peu près la seule cause du développement de Lille-
bonne. En grande majorité, ses habitants sont une population
d'aliuvion.
A la Trinité-dtt-Mont et à la Frenaye, les deux communes
rurales qui contiennent la plus forte proportion d'mivriers
de l'industrie, la population s'est accrue assez sensiblement.
604 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 189i.
Dans la première, raugmentation a élé de près de moitié ;
dans la seconde, de plus d'un quart. Dans les deux, ce
résultat ne s*explique qu'en partie par Texcès des naissances
sur les décès ; il est dû principalement, comme pour Lille-
bonne même, à l'excès de l'immigration sur Témigration.
Dans les autres communes, en dépit d'oscillations inévi-
tables, mais passagères, le chiffre de la population a montré,
depuis un siècle, une fixité remarquable. Les excédents de
la natalité ont été généralement nuls ou très faibles, et dans
quelques communes, comme Saint-Nicolas de la Taille oa
Gravenchon, où ils ont été un peu plus considérables, ils ont
été emportés par Témigration.
Natalité. — Le canton de Lillebonne présente le phéno-
mène intéressant d'une natalité qui, au lieu d'être en
décadence, comme dans le reste de la France, a suivi,
depuis le commencement du siècle, une marche ascendante.
Pendant la première décade, elle était, presque sans excep«
tion, faible ou médiocre; pendant la dernière, elle est
partout, sauf dans deux communes, élevée ou très élevée.
Au point de vue patriotique, à la vérité, il n'y a pas à s'en
réjouir, car les excédents des naissances sur les décès étaient
plus considérables au commencement du siècle avec une
natalité faible qu'ils ne l'ont été de 1862 à 188â avec une
natalité forte ; mais au point de vue scientifique, c'est un
phénomène social intéressant à étudier avec détail.
De 1802 à 1812, la natalité descendait à 17,6 à Auberville ;
elle était seulement de 20,7 à Petiville ; dans cinq autres
communes, elle était de moins de 25 ; dans trois autres, de
moins de 26. Elle atteignait, il est vrai, 32,5 à Triquerville ;
mais cette commune n'avait plus que 20,0 naissances pour
1000 habitants, pendant la décade suivante, et ses oscillations
considérables, qui sont l'effet de sa petitesse, ne doivent
point nous préoccuper.
De 1813 à 1822, Lillebonne voit sa natalité s'élever de près
de 10 pour 1000 habitants; elle atteint 34,5. Dès la décade
suivante, elle dépassera 35, et désormais elle oscillera entre
DUMONT. — LA NATALITÉ DE ULLKBONSE. G05
35 et 40, avec une tendance marquée à se rapprocher de ce
dernier chiffre.
Dès cette seconde décade, également, deux communes,
purement agricoles, Norville et Saint-Mauiice-d'Ételan, voient
leur natalité s'élever brusquement. A Saint- Maurice, notam-
ment, elle est de 10,3 pour I 000 habitants, supérieure à ce
qu'elle était pendant la période précédente. Dans toutes les
autres communes, la natalité reste médiocre ou faible, plus
faible même que pendant la première décade.
De 1823 à i832, la natalité maintient son niveau élevé à
Lillebonne et dans les deux communes purement agricoles
que nous avons citées. Elle commence à suivre le même
mouvement ascensionnel à Triquervilleet aussiàGravenchon,
commune presque exclusivement agricole. Dans les autres»
le mouvement ascensionnel est encore faible ou nul.
De 1833 à 1842,laTrinité-du-Mont, xMélamare, Saint-Jean-
de-Folleville, Gravenchon, réalisent un important progrès
de la natalité. Désormais, toutes ces communes dépassent
30 naissances pour 1000 habitants. Saint-Nicolas de la Taille,
Saint-Antoine-la-Forêt dépassent 29. 11 n'y a plus que quatre
communes où la natalité reste faible ou médiocre : la Fre-
naye^ Grandcamp et Auberville, groupées au nord-est de
Lillebonne, Petiville, isolée à Test par Tindustrie spéciale de
ses habitants, plus que par la distance.
Pendant la décade 1843-1852, la natalité subit un mou-
vement de recul assez sensible dans toutes les communes où
son élévation était récente. C'est là un phénomène normal
qui se produit habiluellement en pareil cas. Il vient de ce que
le grand nombre d'enfants nés dans la période antérieure
viennent grossir le diviseur comme partie intégrante de la
population totale, et que, n'ayant point encore atteint Tâge
de la reproduction, ils ne peuvent augmenter le chiffre des
naissances. Toutefois, on doit reconnaître que la valeur
habituelle de cette explication se trouve dans le cas présent
fortement atténuée par ce fait qu'une mortalité énorme a
enlevé une forte partie de ces nouvelles existences et consi-
T. II (4<^ SÉRIE). 39
606 «ëA!fcc hv 45 e€ToiiiE I8M.
dérablement rédilit Feiicès des naissances siil* leê décès.
Pendant la décade suivante, la natalité se relère. Le iliini*
vement ascensionnel général gagne la Frenaye, où là nélAliié
atteint presque 30 pour I COO habitants, sauf à H^lottbef' i f4
pendant les dix années suitanles, probablemetit ta tèrin de
la règle énoncée ci-dessns.
Pendant la décade 1873-1882, la natalité dti ealiliiii est
très élerée. Elle ne reste au-dessous dé 90 qbé ûàÈtÉ êéék
communes ; elle varie de 90 à 35 dans ^ùàïtéi ie 89 i M
dans sept ; enfin, à la Trihité-dn-Mont, elle est ée 44,t.
Pendant les sept dernières années, cette trïoifipllante iiili-
lité se maintient avec des osdilatidhs inéritables, èana dottlé,
tnais sans fléchir dans soh ebsetnblé. Elle atteint, 1 Siiiil-
Maurice, le maximutn aiiqtlel elle soit jamais palréntie dms
le canton, 45,9, et dans quatre àiftfes éoiiittiiines^ elle
dépasse 40. Elle est Taible à Petirille, 21,3 contre Si ,8 pen-
dant la période précédente, oscillatioii coiisidérablé deè à là
petitesse de la commune, où il a suffi que quelques fioAmèi
renoncent au InaHagé pour entraîner iin alTéiMissMMM
considérable de là nuptialité, et, par voie de conséqueMé,
de la natalité. Elle est médiocre, 25,5, à Auberviile.
Si, après avoir examiné les variations de la natalité dttfS
le tempsi on les examine dans Fe^pace, on trouve qëé la
commune où la natalité est la plus élevée, et depuis le plus
longtemps, est Liltebonne. Elle a ce trait en commun àtec
Norville, Saint-Maurice et Or avencboti, communes exelositt^-
ment ou presque exclusivement agricoles.
La commune où la natalité a été de tout temps lé illdillê
élevée est Auberviile. Pendant les trois premières décildéSf
elle était extrêmement faible, au-dessous de 20 ; fieMltiit
le$ deux suivantes, elle était de 21 et 22,2. Le riioiiteiMiii
ascensionnel général s'y est fait sentir néanmoins ; iiiatt 3 à
été à la fois plus tardif et surtout beaucoup plus faible qVUtf-
leurs. La natalité n'a jamais dépassé 27,5.
A Grandcamp et la Frenaye, communes limitro|iheis delà
précédente, la natalité était pareillement faible on nMSMH
pendant leè clHÇ btl sit {ireitlièt^ëâ âécÀdes. Le thotivëifiètit
nscensidhnel rië è'eéi l^rodail que tard ; malâ il ë eié bëad^
coup plus accusé qti'â Àubért llle. On pfètit faire rétflar()tiëf>
dès à présent que dés dûtriiiiùnèâ s*èloigtieni de la l^ëirié, (|tié
là terré jr est tUëilleure qUë âan« le feste dii ëaniôti, âdHdttt
à Auberville, que les cxploitatldtl^ agrlctilëê y ÈOtil f\W
graiidë» et qu'elles paKiëlpent déjà de la tie bëaàedtlp i^lus
aisée de ràrfondissëttiëfit dTtelot.
Nupliûtité, ^ La ndptiillité du eatiton dé LilIébonAe «91
stljettë à dës Oscillations ëohstdérables d'titië èoirifaitifte ft
Tautte et d^ilne décade à la sâlVÀiite. G*ëst là difMt)lëmeflt tin
effet de la petitesse des chiffrer sûr Icitiiiëls dht ^ïSM les
ealcols. bonite, dttHs ce cahtdh, les liiaHages ^è ti'bdTëiii &
ebaqtle aééade trdl§ bu quatre fdis ëUtiroii mditlâ foMh^^Jïk
que les bai§«ànëes où lèd décès,* m né petit s*a(tèndre à
trdtavef bne rinptlallté Ml%û régulière que jneUvëill rèlté lil
natalité ou la mortalité; Cependant on petit éifé qttë là
nuptialité est générulëtnëUt élevée^ oU mèmt ïfh% élèftéë^ et
dépàêSé seUêibleuierlt la mdyènUë française.
H en â été tfe la sbftè presque partout êrt dès lé ttiÊtûW*
cemënt du slëeléj à une époque oit la itatalilé étëlt ëifëOfe
faible. Il en était surtout ainsi dans les ëomtOUnéS etelttsl^
tërHent ilgrieoles. Saitit-Maurice-d'Élelan, remarquable, du
resté, dé tdui letbps par rélétaiiun de Sa nuptialité, ebiflfititllj
peudani les dedx plrémières déeadcs, f 0,2 et i3,tf mciriagcfi
fKiof 1000 ifabitants, Ndrville en eélébfait ll^i^ ll^b« puis
9^5 pendant fa ifblsième décade. Grat éuelioit en préSétttÉU
<0,9 et d,2. Du resté, la même fféqttelfbè des tnariàges 9*db^
âërtalt i la Trinité-^u-Moilt èl à la Fréftftyé^ qui Cbmfptalélrt
alors un nombre OortSidërable de tlSs^élndS trUvaillaUl h dd-
tUtcllé. Oétte dernière èohirbUAe éSt f^iirtiëblièréftlèitt féMar-
qnablë par Télêf ailon et p«f la régttlarité de sa ittf js^ialité
qni, pthéàTtï les rtéuf périodes éttfdiéel^ à atteint 9/0 et h'ést
jamais tombée au dessous de 8. A la Trinité* la Uoptiallté eSt
encore plus considérable. A Lillebonne, elle Fèst un pétf
moins, mais elle s*y maintient cependant eOtfStataméfit au-
608 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 1891.
dessas de la moyenne française. A Grandeamp, au contraire,
la nuptialité s'est montrée d'une façon permanente assez
médiocre. Si, pendant les trois dernières périodes, la nata-
lité, de faible qu'elle était, est devenue très considérable, ce
résultat est attribuable uniquement à raugmentation du
nombre des enfants par mariage.
Fécondité nuptiale. — On sait que la natalité légitime est
le produit de deux facteurs : la nuptialité et le nombre de
naissances pour un mariage. Or, on peut dire que, danf« le
canton de Lillebonne, les variations de la natalité ont été
plutôt le produit du second de ces facteurs que du premier.
Pendant les premières décades du siècle, alors que la na-
talité était faible dans la plupart des communes, elle devait
sa faiblesse au petit nombre des naissances par mariage (de
3,3 à 3 dans sept communes pour la première décade ; de
2,1 à 3 dans huit communes pour la seconde ; de 1 ,8 à 3 dans
cinq communes pendant la troisième).
De même, aujourd'hui que la natalité est très élevée, elle
le doit principalement au progrès de la fécondité nuptiale
qui est devenue partout très considérable. Dans neuf com-
munes^ elle dépasse 4 enfants pour un mariage et dans six
communes elle dépasse o.
A Lillebonne, Télévation de la natalité est le produit d*iine
nuptialité forte combinée avec une fécondité nuptiale qui se
tient depuis soixante-sept ans entre 4,1 et 5,4 naissances
pour un mariage. A Auberville, au contraire, où la natalité
s*est maintenue constamment au-dessous du niveau du can-
ton, on voit qu'il n'y a presque jamais eu qu*un fort petit
nombre de naissances par mariage ; moins de 3 pendant
six périodes et de 3 à 4 pendant les trois autres.
Il n y a que la Frenaye et Saint-Maurice où rélévation de
la nuptialité soit la cause principale du grand nombre des
naissances. Cependant, là comme dans l'ensemble du canton,
le nombre des naissances pour un mariage est encore supé-
rieur à la moyenne française.
Xaissances naturelles, — En calculant le nombre de nais-
DIMONT. — LA NATALITK DE LILLEBO.XNE. 6U9
sances pour un mariage, on n'a pas fait la déduction des
naissances naturelles. Celles-ci sont généralement plus nom-
breuses que la moyenne française et si Ton compare les
deux périodes étudir^es dans le tableau L, elles sont en
progrès.
Dans les communes exclusivement agricoles elles sont très
nombreuses. La fille mère n*y est nullement méprisée; elle
trouve quand même à se marier et souvent à un autre homme
qu'au père de ses enfants. Dans les communes mixtes de
Mélamare, Saint-Antoine et Saint-Jean-de-Folleville, les
naissances naturelles sont encore plus fréquentes ; mais il
paraît, sauf toutefois pour cette dernière commune, qu'elles
ne sont pas le fait des ouvrières d'usine.
A Lillebonne, à la Trinité-du-Mont, à la Frenaye, qui ont
la plus forte proportion de population manufacturière, la
natalité naturelle se rapproche de la moyenne française. On
prétend que souvent les jeunes filles se marient dans un état
de grossesse plus ou moins avancé.
A Auberville, pays de natalité plus faible, les naissances
naturelles sont très rares, moins de 2 pour 100. Grandcamp
qui se rapproche d'Auberville par sa situation géographique
et son économie rurale en est voisine aussi sous ce rapport.
Elle a moins de 6 naissances naturelles pour iOO naissances
de toute nature.
Mortalité. — La mortalité n'est pas étudiée ici pour elle-
mùme. C'est pourquoi elle n*a pas été examinée en détail
par groupes d'âges. Ce travail considérable, intéressant sans
doute pour l'hygiéniste, ne promettait pas de jeter beaucoup
de lumière sur les causes modificatrices de la natalité. Aussi
n'a-t-il été fait que pour les enfants de 0 à 1 an, dont la mor-
talité spéciale exerce une influence directe sur le chiffre des
naissances.
La mortalité était généralement très faible dans le canton
de Lillebonne an commencement du siècle. Elle est allée
croissant comme la natalité jusqu'à ces dernières années,
pendant lesquelles elle a commencé à s'abaisser de nouveau.
61Q i>|S4tfCE DU 15 OGTOI^HE 189i.
Pan^ f^rpit» pommunesy laccrpis^çmept 4p la fnpflalité e^t
PQf^iirîpuF k ^^^^\ d^ H aatalité. Il sembla bie^y pour g«f
qprpoii^nes, qm rélév^tjoi^ d\i çl^jffre de^ décès soit l§ çqr-
^(^gue^pe d^ raugii)6ntat|on du nombre des naisaanca^, quoir
qu'elle n'en soit pas la conséquence immédiate, Tag^rf^vftUpf^
40 la mprtaUté pti^nt postérieura d'ijne décade au prpgi'ës
4e la natalité r
tli^i^ il n'ùn pst pas aipsi partout. A ^llebgpQe, 4u|;>erv[Ue,
Saii^^'Aa^piqe, Qrayencbpn, Télévation de la moralité au|i
imrné4iateni6i)i ri^lévalion 0a 1^ natalité. MaU I*accrp|9si|r
inent de )a mortalité e^t parfqU beaucoup plus sensible que
o^lui d^ 1^ patalité) de sorte que ce dernier phénomène ne
peut tout au plus qu'êtrp invqqqécp|:nfqe cayse p^r^elle du
ppen^ief. A Gran4c§n)p, Télévation 4^ l^ qiortalité précède
iRérne de di^ ans \^ progrès du QQii)t^re da^ ^fiissanpes.
Dans deux con^munes pqrementr agricoles, Nprv)lie ^t
^aint?¥«^nnee, la ^^ort^iité est tf^s élevée d^s le cov^roeq-
cement du siècle, et précède le progrès de la natalité-
Dp (9Q2 à 18ii, fi cojpp^upes s^r U ^YiSfieq| u^^ ffloiia-
Vite ipférieure à 20. A Auberville, elle descendait || iQ,5;
^ )a Trinité, a t^i(>. Dans six coq^^munes dont Lillebonne,
elle variait de 21,9 à 23,9. Elle était donc notahlenaent
au-dessqns de la ^pyeane française ^ cette époqqe. Il n y
avait que trois communes, toutes trois exclusivement agri-
coles, Norvilie, Saint-MaMripe et Triquervili^ où la morta-
lité fût cqnsidérable.
Pendant )a deuxième décade^ la mortalité s accroît légère*
meqt df^os presque toutes les communes, ^lle cont^avie à
être très élevée à Norvilie et à Saint-Maurice; elle compaeoce
à être de 37,3 à UUebonne. Da^s les autres çoif^piunea, e^e
oscille entre iQ,3 et 2q,o.
De 1823 à 1832, elle s'abaisse un peu à Lillebonne, 4 ^^%
et. d^ns la plupart des autres coa^mupes. Mais elle a'àlèye à
28,3 à Gray^^çhoq; cille est de 31,0 ^ Saint-Maurice pi de
4«,3 h liorviUe.
De 1S33 ^ IS4i, elle a'esl cunsid^raNtî qu'^ UUei»(MM^^ et
DUMONT. -* LA NATAUTÉ DE ULLEBONNE. 6tt!
dans la petite commune de Triquerville. Ailleurs, elle oaôillÀ
entre iO et âS, chiffres assez satisfaisants. Norville et Ôaint-^
Maurice sont revenus à des natalités faibles ou moyennes..
De 1843 à 18di, la mortalité continue d*âtre très élevée à
Lillebonne, où elle s'explique en partie par les ravages du
choléra en 1849. Elle est forte à Mélamare et Gravenchou et
ne cessera plus de Têtre jusque aujourd'hui. Ailleurs, elle
varie de 18 à 3tt, Jusque-là, le mal est profond sur quelques
points ; mais il n*est pas très étendu.
A partir de la décade suivante, il en est autrement; il n'y
a plus que trois communes à mortalité moyepne, entre 34, f
et 35,5 ; six autres ont de 37 à 30 décès pour 1000 habitants;
trois en ont de 30 à 35 ; deux en ont 35 et 39,3, chiffre maxi-.
mum de cette époque, qui est atteint par la oommune de
Lillebonne.
Pendant 1^ décade 1863-1873, le mal déjà si grand s'ag-
grave encore. A la Trinité, Norville et Saint-Maurice, la mor-
talité reste au-dessous de 30. Mais dans cinq communes,
elle est de 30 à 35 ; dans quatre elle varie de 35 à 40. Bufln,
à Lillebonne, elle atteint le chiffre effrayant de 47,1 décès
pour 1 000 habitants, bien rarement dépassé en France, mais
qu*expliquent en partie la guerre et le choléra de 1866.
De 1873 à 1883, malgré l'absence de ces deux causes acci-
dentelles, la mortalité du canton s^aggrava encore. Il reste
à la vérité deux communes à mortalité médiocre, Saint-
Maurice avec 33,8 décès pour 1 000 habitants, et Auberville
avec 34. Mais partout ailleurs la mortalité dépasse 30. Dans
trois communes, elle est de 30 à 35 ; dans trois autres, de
35 à 40, et dans six communes, elle varie de 40 à 45,1. Par
la profondeur du mal comme par sa Kénéralisation, cette
décade est la plus mauvaiie du siècle.
Pendant les sept dernières années, la mortalité s'est con-
sidérablement atténuée dans lont le canton ; les chiffres de
35 à 45 qui signalaient la décade précédente ont disparu. La
plus haute mortalité se rencontre à âaiat-Jeande-FoUeville,
qui présente 34>3 décès pour i 000 habitants. La Trinité*
612 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 1891.
du-Mont en accuse 30,4 et Lillebonne seulement d0«2« 11
reste donc seulement trois communes qui en aient plus de 30;
six en ont de 25 à 30 ; trois de 20 à 55, et une 17,1 seule-
ment. L*amélîoration est donc très sensible et la fréquence
des décès moindre qu'on ne Tavait vue depuis plus de trente
années.
D*autre part, tandis que l'excès des naissances sur les dé-
cès de la décade i853-l862 avait été seulement de 147 pour
tout le canton, et que les deux décades 1863-1872 et 1873-
^882 avaient présenté des excédents de 839 et de 2i6 décèsi,
pendant ces sept dernières années au contraire, Texcès des
naissances sur les décès a été de 842, résultat qui n^avait
jamais été obtenu depuis le commencement du siècle.
Nous verrons plus bas que cette heureuse atténuation de
la mortalité coïncide avec une diminution non moins satis-
faisante de la morbidité prodigieuse présentée il y a vingt ou
trente ans par notre canton.
Mortalité infantile. — A quoi tient cet abaissement de la
mortalité? 11 était permis de supposer que, dans un canton
de forte natalité comme celui-ci, où les enfants sont gé-
néralement élevés au biberon et laissés aux soins peu at-
tentifs des nourrices ou des gardes, tandis que les mères sont
à l'usine^ la mortalité infantile devait être considérable et
contribuer pour une forte part à l'élévation de la mortalité
générale. Il était naturel de se demander ensuite si cette
mortalité spéciale n'avait point élé notablement diminuée
pendant ces dernières années par Tappiication de la loi
Roussel, et si ce n'était point aux heureux effets de celte
loi qu'était due l'atténuation récente de la mortalité gé-
nérale.
Pour répondre à ces deux questions, nous avons : !• re-
cherché quelle avait clé la mortalité de 0 à i an d'abord
pendant la période de 4873-1882, ensuite pendant la période
1883-1889 ; 2^ calculé la mortalité infantile spéciale des en-
fants surveillés, afin de pouvoir la comparer à la mortalité
infantile générale.
DUMONT. — LA NATALITÉ DK LILLEBONNE. 6l3
De 1873 à 1882, la mortalité générale des enfants de
0 :\ 1 an a été très élevée.
M. Berlillon père \ qui a étudié la mortalité de la Franco
entière par départements pendant les périodes I8i0-1849,
et 1857-4866, a établi que, pendant la première de ces deux
périodes, la dîme mortuaire de la première année de la vie
avait été pour la France entière de 10 décès pour 100 nais-
sances. Le département de la Seine- Inférieure, l'un des plus
maltraités, dépassait beaucoup cette moyenne ; il perdait
$3,5 enfants pour iOO dans la première année de la vie.
Pendant la seconde période étudiée, la moyenne des décès
deOàl an pour la France entière était de n,8 pour 100 nais-
sances. Le département de la Seine- Inférieure, toujours aussi
défavorablement classé, en comptait 26,4 . Ces chiffres peuvent
nous servir de terme de comparaison pour apprécier ce
qui se passe actuellement à cet égard dans le canton de Lil-
lebonne.
De 1873 à 4882, la ville de Lillebonne comptait, pour
400 naissances, 30,9 décès d*enfants dans lu première année
de la vie. LaTrinité-du-Mont en présentait 34,4; la Frenaye,
32, :2. Ce sont, on s'en souvient, les communes présentant la
plus lorte proportion de population industrielle : Mélamare,
Saint-Jean-de-Folleville , Grandcanip , Saint Nicolas de la
Taille, qui n'ont qu'une moindre fraction d'ouvriers d'usine,
payent aussi une dime mortuaire un peu moindre. Cependant
il est plus que douteux qu'il y ait, entre ces deux ordres
de faits, une relation de cause à effet.
Ce qui porte à le nier, c'est que ces dernières communes
n'ont qu'une faible proportion de leurs habitants qui vivent
des usines. Sain t-Jean-de-Folle ville et Auberville n'en comp-
tent que 15 pour 100; Grandcamp et Saint-Nicolas de la
Taille, 7 pour 100. Il faut bien que les familles travaillant à
l'agriculture aient fourni leur contingent de décès du premier
âge. Cela devient encore plus certain pour Gravenchon qui
1 Atlas de démographie figurée, caries 111 et IV.
614 SB ANGE DU IS OCTOBRE 1891.
n^a que 3 pour iQQ 4e s^s habitants vivant directement ou
indirectement des usines, et qui perd néanmoins le ftlûffre
énorme de ii,9 enfants de Q à 1 an poqr 1^^ naissances.
Enfin Petiville, qui n^avait ai|oun ouvrier aux maqufactiires,
perd néanmoins 31 enfants de 0 à lan tout aussi bien qiie la
Trinité où 73,5 pour lûû des habitants vivent de la gi*i(n4e
industrie.
)l est vrai qu'à Norville et Saint-Maurioe-d'Etelan» com-
munes purement agricoles comi^ie Petiville, la mortalité
infantile est moindre ; pais la raison en est fi^cile à tfQuver :
c'est que lallaiterpent, qui était encore général (i^^^ (oçt
le canton il y a quarante ou cinquante ans, et qni ^epuji
lors a partout été remplacé par le biberon, est encore, dans
ces 46UX communes, pratiqué par la moitié des mères, 0t qu^
les autres tout au moins élèvent elles-mêmes leurs enfants.
Il faut donc se garder d'attribuer an travail des usines la
forte mortalité infantile du canton de Lillebonne.
Au contraire, il est juste d'attribuer pour une f^f-le part
l'élévation de la mortalité générale pendant la décade I8T3-
1882 à l'élévation de la mortalité infantile. Ainsi à Graven*
chon, par exemple, on peut calculer que si la mortalité de
0 à ^ an eût été ramenée à la moyenne française, la mor-
talité générale, au lieu d'avoir été de 45,1 pour 1000 habi-
tants pendant cette décade, eût été d'environ 36. Quelle que
spit l'importance de la réduction opérée, ce nombre de dé-
cès encore très élevé prouve suffisamment que ce n'est pas
seulement le premier âge qui paye à la mort un tribut exagéré.
Pendant les sept années écoulées de 1883 à I8C(9, la
diminution de la mortalité infantile a été générale. Il p*y a
d'exception que pour trois comn^unes où elle s'est légère-
ment accrue. A Lillebonne, elle a diminué de 1,7 décès pour
100 naissances ; dans les autres communes à population
manufacturière, 4^ 5 qu 6 pour 100. A Gravenchoq, )a di?
n)inution a été de 12,7 décès pour i 00 naissances, ce quîfi'f^
pas empêché la mortalité infantile de rester dans cette com-
mune au-dessus de 30 décès pour 100 naissances.
DUMU.NT. — LA NATALITÉ OË {JLLEBONNE. 615
Cette dimiqutipp de la mortalité cbex les epfants dp Q |t i an
n'e«t p^« di^e ^ la Ipj Housspl.
iDette loi a coq^meqcé à être appliquée ^^qs le cantpn )e
7 octobre 1879. Du !«' janvier 1880 au 31 décembre )SSQ»
un nombre total de 900 enfants en nourrice a été squrpis
à la surveillance ; sur ce npipbre, 804 sqnt dpçé4é3. Fen-
dant ces dix années, la n^prtalHé moyenne de ces eptapts
a été de â2,6 pour ^00. Contrairement k ce qpi s'es( pf^sé
dans le reste du déparlement où la mortalité des ppfaqts
surveillés a graduellement décru d*année pn année, daps
notre canton, la mortalité a atteint spn maximaux au milieii
de la décade et ne s*est abaissée que fort peu depuis lors.
La moyenne des cinq dernières années est ménie sensible-
ment plus forte que la moyenne des cinq prepiières.
Il est à remarquer : i* que la mortalité spéçialp 4fl9 PPr
fants surveillés est plus faible que la mortalité inli^ntilp de
0 à I an ; â® qu'un grand nombre 4^ ces enfanta surveillés
sont originaires de Bolbep op de Lillel^onae^ et opt été mis
en nourrice dans les communes rurales du captpn.
De ces deux faits, il résulte h la vérité que le nombre ab-
solu des décès est plus grand dans ces communes qu'il pe
le serait si ces enfants n*y eussent point élé placée en npur-
rioe. Mais la mortalité infantile n'en est ppint grossie ; elle
en est tout au coplraire atténuée dftns une faible mesure.
Il faut dpnç m^ptenir ces popclusipns : la mortalité de
0 à i an est très considérable, elle contribue pour upp large
part à Téiévation fie la mortalité générale ; elle est le fait des
populations agricoles au moins aptant que des populations
industrielles, en dépit du préjugé existant à cef ég^rd dans
le canton ; elle s'est ptténuée depuis sept apnées ; pette at-
ténuation n'est point due à la loi Roussel, elle est très inspf-
tisante pour expliquer la di^pluntiop de la fpprtalité gépé-
raie pendant ces fnêmes sept années, et pm* conséquent e^i
abaissement de la mprt^lité g^péri^le a népessp|ranoent pro-
fité pour la pins grande part aux auLrps àe;es de la vie,
H existe up rapport direct p^ répiproque pptrc 1% mpirtV
616 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 1891.
lité infantile et la natalité. On peut considérer comme i
règle générale que, toutes choses égales d^ailleurs, i
grande mortalité infantile contribue à amener une forte
talité.
C'est un fait généralement connu que, dans les jeni
ménages, un nouveau-né qui vient à disparaître est imi
diatement remplacé. S'il eût vécu, les parents eussent
plus circonspects, et très probablement le remplaçant
fût point né. Le registre des décès compterait cerlainem*
un numisro de moins ; mais il est très vraisemblable que le
gistre des naissances en compterait un de moins aussi. L
des causes de la grande natalité du canton de Lilleboi]
est donc la grande mortalité de 0 à 1 an. Si Ton chercha
évaluer l'énergie de cette cause, on peut dire que, pour
communes où la mortalité infantile est de 30 à 35, la i
talité reçoit de ce chef par contre-coup une augmentati
d'un dixième au plus de son chiffre. 11 faudra donc eh
cher d'autres causes plus actives pour expliquer la prop<
tion élevée des naissances.
Nombre d'enfants vivants par familles. — Le nombre c
enfants par familles résulte de la fécondité qu'elles ont ei
de la mortalité qu'elles ont subie et eufm de la longév
des parents qui assurent la durée et, par conséquent, le no
bre des familles. Le nombre des enfants vivants par famil!
est le produit de ces trois causes combinées en des propc
tions qui peuvent beaucoup varier. La raison principale d'
phénomène de cette catégorie est donc la plupart du tem
très difficile à démêler. Ainsi, par exemple, nous constato
que Gravenchon possède 8,7 pour 100 de ses familles aya
sept enfants ou plus, ce qui est la plus forte proporli
existant dans le canton. Cela peut tenir à ce que Gravench
a eu depuis soixante ans de fortes natalités ; à ce que la me
talité^ toute considérable qu'elle ait été depuis longtem|
et bien qu'elle ait porté en dernier lieu sur les enfants <
premier âge, a cependant respecté plus de familles noi
breuses que dans les autres conununes, et aussi à ce qae
nUMONT. — LA NATALITÉ DE LILLEBONNC 6i7
mort a épargné davantage Tun au moins des parents dans
les familles nombreuses, et a fait moins d*orphelins. Mais si
Ton se demande pourquoi il en a été ainsi à Gravenchon plu-
tôt qu'ailleurs, il est impossible de trouver une réponse.
11 est facile en effet de trouver dans le canton d'autres
communes ayant présenté des natalités aussi élevées pen-
dant une période aussi longue, qui n'ont pas élé plus dimi-
nuées par la mort, et qui cependant n*ont donné lieu qu'à
une faible proportion de familles ayant beaucoup d'enfants.
A la Frenaye, par exemple, plus d'un tiers des familles
n'ont pas d'enfants, près d'un quart n'ont qu'un enfant, et
17 pour 100 seulement ont plus de Irois enfants, et cela bien
que sa natalité soit depuis longtemps considérable, et que sa
mortalité infantile soit très inférieure à celle de Gravenchon.
A Lillebonne, plus de moitié des familles, 52 pour 100, sont
indiquées par le recensement comme ayant 0 ou 1 enfant ;
16,9 pour iOO seulement ont plus de trois enfants. On re-
nonce à expliquer ces variations invraisemblables.
Il n'est pas inutile d'observer que le relevé du nombre des
enfants vivants par familles demande un travail très considé-
rable aux grefûers des mairies, car il ne peut se faire que
sur les bulletins individuels. Dans beaucoup de mairies et
même dans quelques préfectures, on n*a pas compris ce qni
était demandé, on a fait ou complété le relevé sur les listes
nominatives ; enfln, parfois, on n*a fait aucun effort ponr
répondre exactement, de sorte que les indications sur ce
point perdent beaucoup de leur intérêt. Il en est ainsi, du
moins, pour les travaux de détail comme celui-ci ; car oa
sait que l'ordre des départements, classés d'après la propor-
tion des familles nombreuses, n'est point sensiblement
différent de l'ordre que l'on obtient quand on les range
d'après la natalité générale.
Morbidité. — De tout temps, la morbidité de la Seine-
Inférieure, ou du moins des grandes villes, a élé considérable.
Dès 1742, l'intendant de Rouen écrivait au ministre : « J'ai
fait faire l'opération de la levée de la milice dans Rouen...
til8 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 4891.
Tout s'est passé atec la plus grande tfanqtiillUé..; If tille
résistance de la part des garçons. Je n'en ai pas eiiTôjré an
seul en firison. Il y en avait cependant environ 6000 sur les
listes; Mais le déeliet a été considérable^ et d*autani plàs
que je les ai trouvés en général vilains et mal faits: J'en ai
renvoyé plus de 3000, pstce qu'ils n'avaient pas les einq
pieds ^ a
D'aoli'e part^ on sait la mortalité énorme de fioUèti el da
Havre, qu'aucune mesure sàiiitaire n*a pu rameiier à la
Mrmale.
Dans le travail sur la géographie médicale de lé Bélbe-
inférieure, que nous avons déjà cité, M. Cbe^vin a élaMi :
é {• que, dahs ce département et pour la période 1850-1869^
sur 1 000 conscrits eitaminés par lés conseils de rëtisiôn,
471^ pfedque la moitié, étaient réformés confiné atièifcts
d*ané infirmité les rendant impropres au service armé;
2"* que si Ton décompiose ces vingt années en quatre pètiôdêi
quinquennales^ d'atie période à la suivante, le nombre des
infirmités allait toujoars croissant ; S*" enfin, qoe de toiis les
cantons étudiés^ celui de Lillebonne était le pins maltraité,
el que la moyenne des réformés y atteignait le chiffre
énorme de 55i pour i OOO conscrits. » 11 terminait eii conviant
les hommes de science à rechercher les câttses d*as phéno-
mène atfssi déplorable.
Dans le but de répondre à cet appel, j'ai relevé^ potir le
canton de Lillebonne, le nombre dés conscrits et celui déS
réformés pendant les seize années écoulées de l^4# è'est'
à-dire depuis la réorganisatlpn efi'eetive de nêilre aritféè/
jusqu'en I88d. Afin de déterminer, autant qàe possible, dans
quelle mesure l'indnstHe manufacturière pddValIêtre fèndilè
responsable de la morbidité du canton^ conscrits et vëtëHéêê
ont été divisés en trois catégories, selon qu'ils appa^téfMiMt
à la grande indostrie, à i'agricolture, dd à quelqoe autre
profession.
< Lettre âraitfascritede M. de Breleoll {îisepieMTèiiifj^comihxtiftqnie
par M. de Beaurepaire, arobî?Mte de la Seine-InféHeure.
DUMONT. -— LA NATALltÉ DE ULLËftONVE. 019
Les seize années éludiééâ ont été divisées en deax p^ériodes,
l'une de dit années, l'autre de sik, qui présentent entre
elles d'assez notables difTérenôes. Mais ce qui frappe tout
d'abord, c'est que, dans l'uhe ooitime dans Taulre, la propor-
tion des réformés est très inférieure à ce qu'elle était il y a
viUgt-cinq ans. Au lieu de 55,2 réforinés pour iOO conscrits
pendant la période 1865*1 869^ ndUs h*eii trouTotis plud que
33,1, c'est-â-dire fùoins d'un tiers de 1874 à 1883, et 41^9 de
1884 à 1889.
Les conseils de heVisidh se soht-lls motiti*és, de 1874 à 1883,
moins sévères dans le ehoix des bdrumes qu'ils ne l'étaient
avant la guerre? L'hypotbèse n'est pas probable. On sait,
aU cofltraire, qu'ils se soiit tnonlrés plus diffleUes pendant
lès six deruiëres anbées que pendant la dééadë précédente,
et il se peut que ce soit la èanse de la réàuginenlation du
nombre des Mformés. Ce qui tendrait à lé faire peuser^ c'est
que de 1874 à 1883, il y a eu 3,8 réformés sur 100 bcWserits
pour défaut de taille, et 3,1 setllement de 1884 à 1889. 6e
fait est significatif, car la taille n'étant pas ou élaiit beaucoup
moins que la carie dentaire et la faiblesse générale une
affaire d'appréciation, cette légère atténuation spéciale peut
être t*e^àrdé0 comme un indice de l'aibéliorationi eu, en
tout cas, de la non-aggravation de la morbidité. Ge ^ai por-
terait à le penser, c'est qu'elle coïncide avec une notable
diminution de làlnortalité pendant ees mêrties années.
Quant à la grande difl'érénce du nombre des réformés de la
période 18651869 à la période 18741 883, il est asset difficile
d'en trouver la cause. Il est peratla de penser Qu'elle tient,
en partie, aux différence^ d'àppf^iàtiën des conseils de
revision, eii partie aussi à Urié diiiiihutiôfi réelle dé la itiOr-
bidité. Cette diininntion de la morbidité serait èlle-lflêttiè
àltribuabte à l'énorme mortalité génél*alé subie par leeuntoft
de 1863 à I88it. On peut penser que la mortj ayant entre éés
deux dates enlevé les plus faibles et les moins résistants, a
fait, par avaixde, l'iËnvre des conseils de revision.
De 1865-1869 à 1874-1889, c'est surtout sur la fâlblèS^ dé
620 SÉANCE DIT \6 OCTOBRE 1891.
conslilation et sur la carie dentaire qu'a porté la différence.
Pendant la première de ces deux périodes, la faiblesse de
constitution faisait écarter 29,2 conscrits sur 100 ; elle n*eD
fait plus réformer que 7,2 pour 100 pendant la seconde
période, et 13,8 pour 100 de 1883 à 1889.
La carie dentaire, qui entraînait la réforme de 21 ,6 poar
100 des examinés, n'en fait plus réformer que 3,7 pendant
la période 1874-1883, et 3^3 pendant les dernières années.
La fréquence de la hernie a beaucoup moins diminué. De
1865 à 1869, elle rendait impropres au service armé 6,7 cons-
crits sur 100. Elle n*en fait plus réformer que 4,2 de 1874 à
1883, et 4,4 de 1884 à 1889.
Si Ton considère la répartition des réformés entre les
diverses professions, nous voyons que celle qui en fournit le
plus est la profession manufacturière.
Pendant la période 1874-1883, sur 100 conscrits visités
appartenant à cette catégorie, 42,5 sont impropres au service
armé; tandis que sur 100 conscrits appartenant à la profes-
sion agricole, 25,8 seulement sont réformés, et que les autres
professions en fournissent 31,1.
Pendant la période 1884-1889, sur 100 ouvriers des manu-
factures, 51 sont refusés, landis qu'on ne réforme que 40,2
pour 100 des jeunes gens vivant de l'agriculture, et 37,4 de
ceux qui appartiennent aux diverses autres professions.
On voit que c*est toujours la population des usines qui
présente le plus de cas de réforme. Elle doit cette morbidité
supérieure tant aux mauvaises conditions hygiéniques où
elle vit personnellement qu'à l'hérédité, car, nous Tavons dit
plus haut, l'ouvrier d'usine fait de ses enfants des ouvriers
comme lui. 11 paraît, d'autre part, que beaucoup de jeunes
femmes travaillant aux usines ne peuvent, même quand elles
le voudraient, nourrir leurs enfants. Ces pâles sœurs des
conscrits réformés n'ont point de lait.
La population agricole présente une morbidité très infé-
rieure pendant la première période ; mais le rapport lui est
un peu moins favorable pendant la seconde. Au contraire,
DUMONT. — LA NATALITE DE LILLEBONNE. 621
les professions diverses qui fournissaient plus de réformés
que ragricuUure pendant la première période en ont moins
pendant la seconde.
Ce changement pourrait tenir aux meilleures conditions
hygiéniques faites depuis quelques années à la population
de Lillebonne ; car c'est celte commune qui fournit la grande
majorité des conscrits de la petite industrie, du petit com-
merce et de la classe bourgeoise.
Quoi qu'il en soit de ce point secondaire, la conclusion à
retenir c'est que l'existence de la grande industrie dans le
canton de Lillebonne contribuée grossir le chiffre élevé des
reformés, mais qu'elle ne suffit pas à l'expliquer. En effet,
abstraction faite de sa population manufacturière, le canton
de Lillebonne présenterait encore 28,9 réformés pour iOO
visités, pendant les dix premières années, et 38,7 pendant
les six dernières.
On voit qu'une morbidité considérable des jeunes hommes,
une mortalité élevée à tous les âges de la vie s'accordent
parfaitement avec une forte natalité. La pauvreté, ou même
la misère, la maladie, la faiblesse de constitution font dé-
croître, sans doute, la valeur des enfants et leur vitalité,
mais point du tout le nombre des naissances. Pour que la
fécondité de Thomme soit entravée par la famine ou la mi-
sère physiologique, il faut sans doute que ces maux atteignent
une intensité que Ton n*a jamais constatée par l'observation
directe dans la France de notre époque.
C'est sous le seul rapport de la morbidité que la population
industrielle peut être nettement séparée du reste de la popu-
lation.
A tous les autres points de vue de son activité démogra-
phique^ elle est plus ou moins intimement confondue avec
la masse. A Lillebonne même, les recensements ne per-
mettent pas de distinguer ceux qui vivent de la petite indus,
trie de ceux qui vivent de la grande, et pour les autres
communes où il n'y a point ou presque point de petite indus-
trie, les recensements se bornent à indiquer — avec une
T. IT [S'' séniE). iO
6â!2 SÉA?(CE DU 45 OCTOBRE 4891.
exactitude douteuse — le nombre de ceux qui Tiveni de
l'industrie. Sur les registres de ]*élat cWil, leurs naissances,
leurs mariages, leurs décès, sont confondus et leur firéqnenoe
ne peut être calculée séparément.
Malgré ces difficultés, nous avons pu voir par la compa-*
raison de quelques communes oii il n*y a point do tout d*oa-
vriers d*usine, que ni la forte natalité, ni la forte morlaiilé,
ni la forte nuptialité, ni la proportion élevée des naiseaiiees
naturelles et des décès de 0 à 4 an n'étaient particalièraa aax
populations manufacturières. Tous ces phénomènes démo-
graphiques se produisent avec la même intensité, quelquefois
avec une intensité plus grande chez les populations agfi-
coles«
C'est là un fait très important et inattendu dont il fatidin
se souvenir sans cesse dans la recherche des causes«
111
CAUSES DES MODlFlCATIOlfS DE LA NATALITÉ DAII9 L8 CAimKf
DE LILLEBO!fNE.
La première partie de ce travail a exposé Télat général ;
la seconde, l'état démographique du canton de Lîlleboniie.
11 s'agit maintenant de rapprocher ces deux ordres de faits
de manière à mettre en évidence les eauses de la forte nata«
lité que présente aujourd'hui ce canton et des modificaUons
qu'elle a subies avec le temps.
Nous avons vu que, dans toutes nos communes, la naialité
était faible au commencement du siècle et qu'elle est mllée
en progressant jusqu'à Theure actuelle. De la première
décade à la période formée par les sept dernières aDnée8«
Taugmentation a été, dans la plupart des communes^ de
ii>a 45 naissances par an et par 1 000 habitants. Dana telle
commune, elle a dépassé 47, dans telle autre 19, et enGn^ à
Saint-Maurice, elle a atteint â0,3. La natalité a donc aceom«
pli, dans le canton, comme du reste dan» Tensemble da
DUMONT. — tA XATAtlTÉ DE LlUKBONNE. 623
département, une évolulton inverse de oeilé qui s'est pfO'^
duite dans le reste de la France où* depuis qùalre«vingt*dix
ans, la fréquence des naissances a toujours été de plus en
plus faible.
Cet exemple n'est pas unique dads ëon genre. A llle
d'Ouessant' (Finistère), dans le canton d'Isigny (Calvados)^ et
sans doute dans un certain nombre d'autres cantons ou
communes, des faits analogues se sont produits* La natalité^
faible au début du siècle, est devenue forte aujourd'hui, et
cette évolution démographique a été accompagnée d'utie
profonde transformation des mœurs.
Tous les auteurs qui ont parlé des Ouessantins^ il 7 a eiû-
quante ou soixante ans^ les ont représentés oomoie le
modèle des vertus : ordre, propfeté^ probité, politesse, vie
sobre et régulière. Or, en faisant la démographie de leur
île, je m'aperçus qu'au temps où ils avaient toBtet ees
qualités leur natalité était fort médiocre. Aujourd'hui^ le
docteur Boh^^as^ qui leur a consacré une étude spécialOf en
fait un tableau assez sombre. Il les peint notamment domme
abominablement ivrognes, malpropres et insouciante de
Tavenir. Mais leur natalité s'est considérablement relatée.
La proportion des naissances s'est accrue aux dépens, sinoft
de la valeur morale — car la valeur morale d'une population
implique en. soi le Courage à accepter les charges àë la
famille -^ au moins de la moralité négative.
. Dansi le eatiton d'Isigny, dès la fin du dix-huitièifie èiè!$le
et dans la pfediièfe pal'tie du dii^-nenvième^ là natalité éWdt
faible ou très faible. Depuis trente dniiée» environ^ elle s'eit
accrue trè^ notablement^ Mai» e'esi «niquemerit grâce ft la
fécondité des ménages les pluspativree et au progrès eofitinU
des naissances naturelles qui, dans telto colnmune^ atteignent
maintenant tout près de la moitié des naissances totales* En
même temps^ la criminalité, la mendicité^ l'alooolismei ont
pris un développement jadis inconnu. Au contraire, la classe
aisée ou riche n'a pas cessé d*être très inféconde. Le progrès
de la natalité a donc coïncidé avec celui de l'insouciance,
624 SÉANCE DU 15 OCTOBRE 4891.
l'abandon de la TÎe économe et réglée, le mépris des con-
ventions sociales, Tadoplion des mœurs prolétariennes.
Nous allons voir que quelque cliose d'analogue s'est passé
à Lillebonne. On ne peut, toutefois, être aussi afflrmatif sur
ce point qu'il serait désirable ; car il est à peu près impossible
de savoir exactement aujourd'hui quel était l'état économique,
moral, esthétique, intellectuel, de la population du canton
vers i805 ou même vers 1820. Ceux qui vivaient alors sont
morts ou n'ont conservé aucun souvenir précis d'une époque
où ils étaient encore dans la première enfance. Or, sans
renseignements précis sur ces points, les faits démographiques
deviennent impossibles à interpréter. La constatation des
phénomènes démographiques peut se faire à distance ; au
contraire, la recherche des causes exige que Ton voie les
populations dont on s'occupe; elle est incompatible avec
Téloignement dans le temps comme dans l'espace.
Tout ce que j'ai pu apprendre, c'est qu'à cette époque vi-
vaient disséminés dans les villages, sauf Petiville, Saint-Mau*
rice et Triquerville, un nombre très considérable de tisse-
rands travaillant à domicile. Ils étaient sensiblement plus
nombreux que ne sont aujourd'hui les ouvriers d'usine et
formaient par conséquent une part proportionnelle beau-
coup plus grande d'une population qui, le centre iillebonnais
existant à peine, était alors moindre d'un tiers.
A l'époque de Napoléon et des Bourbons comme aujour-
d'hui, l'industrie primait l'agriculture et la faisait négliger.
On se plaignait que, tout à leurs métiers, les habitants de la
Seine-Inférieure eussent des animaux de ferme moins bons
et tirassent de leurs terres des rendements moindres que les
habitants du Calvados. Quelques indices, à la vérité peu
certains, portent à penser que, dans notre canton, il y avait
alors plus de petits propriétaires cultivateurs, qui ont depuis
émigré vers les villes, et dont les lerres sont aujourd'hui
louées à de petits fermiers.
Enfin, dans la commune de Petiville, dont la natalité est
restée basse pendant les cinq premières décades du siècle,
DL'MONT. — LA .NATALITK DE LILLEBO.NNE. 625
il y avail durant toule celte période beaucoup plus d'aisance
qu'aujourd'hui. La Seine n'étant point encore endiguée, les
prairies actuelles formaient d'immenses plaines de vases qui
couvraient et découvraient deux fois par jour, toutes héris-
sées de pieux et de filets. La pêche de la crevette blanche,
du mulet, de la sole, de l'anguille surtout, était extrêmement
fructueuse. Les expéditeurs pour Paris réalisaient souvent
des fortunes de quarante à cinquante mille francs. C'était une
population très aisée, très paisible, mais aussi très peu pro-
lifique. L'industrie de la pêche pratiquée d'une manière
aussi générale était spéciale à cette commune ; il n'y exis-
tait pas de tisserands.
Au contraire, dans plusieurs communes, ils existaient en-
core en grand nombre jusqu'à la fin du règne de Louis-Phi-
lippe. Les quelques survivants de cette génération disparue,
qui ont eux-mêmes travaillé à domicile avant d'aller aux
usines, suffisent pour renseigner sur le genre de vie que les
tisserands menaient alors et sur celui qu'ils avaient eu très
probablement depuis le commencement du siècle.
Le tisserand à domicile travaillait beaucoup, douze ou
treize heures par jour, c'est-à-dire autant que l'ouvrier d'au-
jourd'hui, si l'on ajoute au temps qu'il passe à l'usine celui
qu'il met pour y aller et pour en revenir. 11 ne sortait que le
dimanche, pour aller porter au courtier les étoffes qu'il avait
tissées. Ses gains étaient plus élevés que ne le sont actuelle-
ment les salaires de l'ouvrier d'usine, mais pas plus que
n'étaient encore ces salaires il y a quinze ou vingt ans.
Toutes les différences découlent de ce qu'il vivait chez lui,
y restait nuit et jour, y passait tout son temps, toute son
existence, de ce qu'il vivait isolé au lieu de vivre en trou-
peau.
Un des traits qui caractérisent partout le prolétaire, c'est
son peu d'empressement à payer son logement; volontiers il
déménage en oubliant le propriétaire. Quand je demandais
aux vieillards, en prenant à dessein un air de doute, si ces
tisserands payaient bien leur maison, ils levaient les bras au
(îië sbàmge du 15 OCTOBHE 1891.
cial. a Comment, s'écriaienUiU, payer sa maison! c'était le
premier des soucis. Jusqu'à ce qu'on eût amassé l'argent
nécessaire, on ne dormait pas tranquille. 8i Ton était très
pauvre, on s'entassait plutôt à quatre ménages dans la même
chaumière. Si l'on était un peu plus aisé, on ne peasait qu'à
amasser assez pour en acheter une. •
Le tisserand vivant chez lui était plus sensible au bon ou
au mauvais état du logis; il souffrait davantage d'une porte
mal jointe, d'une table boiteuse, d'une vaisselle insuffisante,
attachait plus de prix à son mobilier, à l'espalier étendu
contre le mur, aux légumes, aux fleurs, aux pommiers du
petit jardin. Tout cela le poussait à l'épargne. N'ayant point
de prétexte pour s'absenter, il ne quittait point son métier
pour aller au cabaret.
D'autre pai t^ il était plus incommodé par les cris, les
pleurs, la saleté des enfants encombrant la pièce unique û&
sa femme et lui devaient travailler tout le jour. Tout s'ao-
cordait donc pour lui conseiller d'en restreindre le nombre :
le caractère craintif de l'homme casanier, Tamour de Tépar-
gne, le besoin du repos.
Ces tisserands si peu féconds n'étaient cependant pas riches.
A vrai dire, ce n'étaient pas même des ouvriers aisés, et ils
ne se garantissaient contre le besoin que par un travail très
régulier. Ce n'étaient donc certainement pas des bourgeois.
Mais, de même que l'ancien régime connaissait des bour-
geois vivant noblement, le régime actuel offre de nonibreux
exemples de pauvres ménages pensant bourgeoisement.
J'ai déjà rencontré le fait chez les petits propriétaires de
Perros-fiuirec et de Rerfot (Côlesdu-Nord) qui, riches de
200 à 400 francs de revenu, restent célibataires par une ter-
reur risible de l'imprévu que le mariage jetterait dans leur
étroite existence, la peur d'être réduits h aller travailler chez
les autres. Je l'ai rencontré encore plus accusé chez quelques
familles pauvres ou presque pauvres de Bréhal, qui imitent
les retraités et pensionnés de la marine d'une condition un
peu plus aisée, comme ceux-ci imitent leur idéal naturel.
DUMONT. — LA NATALITÉ DE LILLEBONNE. 627
leurs officiers de classe et d'éducation bourgeoises. Je Tai
rencontré enfin, encore plus généralisé, dans la pauvre com-
mune des Portes, qui forme l'extrémité nord de Hle de Ré.
La natalité y était énorme jusque vers le milieu du siècle;
elle est tombée depuis lors à un chiffre des plus bas, non par
la diminution du nombre des mariages, mais par Tinfécon-
dité croissante des unions. En cela, ils ont imité les riches
vignerons du sud de Tiie, de Sainte-Marie, du Bois et de la
Couarde, qui sont dévorés par le désir du développement
personnel. Les appréciations de ces derniers se sont répan-
dues chez eux par contagion et, malgré la différence de Tétat
économique, ont influé de la même manière sur la natalité.
Ces phénomènes contemporains font comprendre ceux qui
se sont produits dans le canton de Lillebonne pendant les
premières décades de notre siècle, et tous ensemble ils con-
tribuent à éclairer d'une lumière nouvelle la théorie de la
natalité.
On sait d'une manière générale que, par tout pays, c'est
la pauvreté qui est féconde et la richesse qui est stérile, c'est
une opinion que le langage populaire a formulé par ce dic-
ton : « Au riche les écus, au pauvre les enfants. » On serait
donc tenté, si Ton s'en tenait à une observation très géné-
rale, mais un peu superficielle, de considérer l'infécondité des
familles comme une maladie de classe, sévissant sur la bour-
geoisie, épargnant le peuple, ordinaire au-dessus d'un cer*
tain degré de fortune, inconnue au-dessous. Ce ne serait pas
absolument faux; mais ce serait très inexact. Les exemples
ci-dessus et beaucoup d'autres que Ton pourrait ajouter
forcent à préciser cette conception trop vague. Ils montrent
d'abord que parfois des familles pauvres restreignent, elles
aussi, leur natalité d'une manière exagérée, et, résultat beau-
coup plus important, que la cause pour laquelle elles agis-
sent ainsi est l'adoption d'un ensemble d'appréciations qui,
pour èlre habituelles chez la bourgeoisie, ne lui sont pas
nécessairement limitées. Ces appréciations portent sur le cas
que Ton doit faire de l'épargne, du bien-être, sur la crainte
638 SÉANCE DU 45 OCTOBRE i89i.
de l'avenir et de Timprévu, sur les exigences que l'on doit
avoir en fait de développement personnel.
Elles ont ordinairement pour condition l'ensemble des
circonstances économiques où se trouve une collectivité, une
catégorie sociale quelconque; mais elles peuvent aussi se
propager par contagion, dans des milieux où ces circons-
tances ne se trouvent réalisées que très imparfaitement. In-
versement, ces appréciations contraires à la natalité, en dépit
des circonstances économiques favorables à leur adoption,
n'exercent aucune action nuisible dans certains milieux par
la bonne raison qu'elles n'y existent pas même en germe.
Pour avoir un exemple concret de cette remarque, il suf-
fira de se reporter à ce que je disais Tan dernier de ces
riches cultivateurs de Fouesnant, qui, en dépit de leur for-
tune, ont conservé une fécondité qui n'est en rien inférieure
à celle des familles pauvres.
En nous appuyant sur tous ces faits concordants, nous
pouvons affirmer avec plus de force que jamais une thèse
que nous avons ailleurs amplement développée : la cause de
l'affaiblissement de la natalité en France n'est pas d*ordre
économique; elle n'est pas de nature physiologique, au
moins pour la très grande majorité de la nation; elle est
d'ordre mental ; elle tient à l'énergie plus ou moins grande
du caractère, à l'étal intellectuel, moral, esthétique d'une
population.
Venons à l'état actuel de la natalité dans notre canton.
Avec le casernement progressif des tisserands, des appré-
ciations nouvelles et tout opposées détrônèrent rapidement
les anciennes, et à peine se furent-elles implantées dans une
commune qu'elles y déterminèrent une subite élévation de
la natalité. Aussitôt que le tisserand à domicile disparaît
dans une commune et que l'ouvrier travaillant en fabrique
le remplace, la natalité fait un saut brusque, monte de 6 à
40 naissances pour 1 000 habitants d'une décade à la sui-
vante.
Ce fut dans la commune de Lillebonne que le fait se pro-
DUMONT. — LA NATAUTÉ DE LILLEBONNE. C29
duisil lout d'abord et il devait en être ainsi; car c'est là que le
tisserand à domicile disparut le plus tôt, que l'ouvrier tra-
vaillant en troupe se forma son genre nouveau, ses mœurs,
ses habitudes et ses maximes, puis les imposa autour de lui.
Dans la plupart des communes voisines, le même fait ne se
produisit que vingt ans après; mais là aussi le changement
fut brusque et sans transition. De la troisième décade à la
quatrième, la natalité saute : à la Trinité, de ^6,1 à 33,1 ; h
Mélamare, de 24,6 à 30,7; à Saint-Jean-de-Folleville; do
dl),9 à 30,0; à Saint-Antoine, de 23,3 à 29,4. Dans quelques
communes, le mouvement ascensionnel tarJa un peu plus,
mais fut le même, à la fois brusque et très sensible. Rien de
plus naturel du reste, car la faible natalité des pauvres ne
constitue jamais qu'une exception très rare. Elle résultait
dans notre canton des conditions très particulières dans les-
quelles vivaient les tisserands isolés, poltrons et casaniers.
Eux disparus, l'anomalie cessant, la règle générale recouvra
son empire, la natalité reprit Tessor, comme une brancho
d'arbre que l'un a ployée vers la terre fait ressort et se
relève spontanément avec violence dès qu'on cesse de la
retenir.
En allant vivre de la vie commune de l'usine, l'ouvrier
perdait nécessairement en grande partie le souci de sa mai-
son qu'il n'habitait plus que la nuit, du mobilier dont il se
servait moins, de 1 épargne qu'il avait plus d'occasions de
dissiper. Il devenait plus indifférent au nombre de ses en-
fants qui^ laissés à la garde des voisins ou de leurs aînés, no
pouvaient plus l'incommoder que momentanément. La ces-
sation de l'allaitement maternel, l'adoption générale du
biberon, étaient la conséquence forcée du départ des femmes
pour l'usine, et la mortalité infantile devenait énorme. Or,
nous avons expliqué comment l'enfant mort en bas âge se
trouvant presque toujours bientôt remplacé, la mortalité du
premier âge se trouvait être une nouvelle cause d'accroisse-
ment de la natalité. La même indifférence appelait sans
cesse de nouveaux êtres à la vie et la leur faisait perdre.
630 SÉANCE DU 45 OCTOBRE 1891.
L'ouvrier de Ullebonne est, je le répète, fort différent des
types décrits par « le Sublime » ; cependant il est trèsinsou*
ciant du lendemain. A Graudeamp (canton de Lillebonne),
un vieillard disait à un homme d'une trentaine d'années :
« Tu n'as pas de pain, tu as cinq enfants, ta femme enceinte,
t^ maison pas payée, et tu rentres encore ce soir avec on
litre d*eau*de-vie ; tu mourras de faim. » L'autre répondit en
haussant les épaules : « On n'a encore jamais vu personne
mourir de faim.» Le désarroi de la famille et du ménage
en permanence lui semblait chose normale. Tous sans doute
ne raisonnent pas ainsi; mais beaucoup le font ; beaucoup
vivent au jour le jour et laissent aller leur vie à la dérive,
comme une barque abandonnée qui ne gouverne plus ; quel*
ques-uns, étant célibataires, vivent au restaurant; un bien plus
grand nombre, mariés ou non, vivent à crédit sur la paye de
la prochaine quinzaine ; beaucoup consomment chaque jour,
soit au cabaret, soit plus souvent chez eux, avec leurs femmes
et leurs enfants, d'énormes quantités d'alcool. Il doit arriver
parfois que se mettant au lit dans un élat d'ivresse pronon*
cée, ils n*engendrent que pour le cimetière. Mais ce qui est
certainement fréquent, c'est qu'une dcmi-cbriélô, jointe à
une fatigue complète, leur inspire une profonde indifférence
à l'égard des charges de famille qu'ils se préparent, ou plu*
tôt leur rende totalement impossible d'y songer.
Les hommes qui vivent de la vie iiitellectueile oublient
généralement et bientôt deviennent incapables de se figurer
à quel point le surmenage quotidien des muscles tue l'activité
cérébrale. On l'a remarqué depuis longtemps pour la vie de ca-
serne, on peut le dire avec autant de raison de la vie des grandes
manufactures. Le servage de la machine, comme celui du
régiment, fait de l'homme un automate, éteint l'imagination»
oblitère le souvenir, empêche de penser à autre chose qu'au
présent et à ce qui doit suivre immédiatement, dans un délai
de quelques heures, à la prochaine besogne, au prochain
repas, au retour sous la pluie. La prévoyance à plus longue
échéance qui s'impose par intervalles n'est guère possible
liUMOM'. — LA .\ATAUTK DE LlLLEBONNli:. 631
que ItiÉ jours de repo8 ; encore ne se produira-t-elle que si
les distraclions du cabaret ne viennent point i'empôcber.
Une mesure de Tinaction du cerveau, c*est la profondeur
du sommeil. Tandis que l'homme, accablé de préoccupa-
tions, de luttes morales, d'efforts intellectuels, est sujet à l'in-
somnie et s'éveille au moindre bruit, toutle monde sait à la
campagne que si Ton a nn besoin pressant d'un manouvrier
pendant la nuit, il faut souvent frapper plus d'un quart
d'heure à sa porte avant de réveiller complètement. A Lille-
bonne, une femme racontait en ma présence que, se sentant
près d*accoucher pendant la nuit, elle en avait eu pour plus
d'une heure à réveiller son mari, lui criant de se lever, lui
tiraillant les bras, menaçant de mettre le feu au lit, et lui
dormant toujours. Du reste, elle ne citait le fait qu'incidem-
ment, le trouvant tout naturel : « Cet homme qui avait fait sa
journée, n'est-ce pas... » Par cet exemple, on peut compren-
dre que si, au point de vue économique, l'ouvrier d'usine vit
au jour le jour, au point de vue intellectuel, cela est encore
plus vrai. Des hommes placés dans ces conditions exigent
peu d'eux-mêmes et peu de la vie. Ils s'en remettent au
hasard du soin d'arranger leur destinée et celle des leurs.
Mais les familles vivant de la grande industrie ne forment
pas plus de 6 000 personnes. Un nombre à peine inférieur
vit de l'agriculture. Or, parmi elles, et cela dès le commen-
cement du siècle pour les communes qui n'avaient pas de
tisserands h domicile, la natalité était très élevée. Si nous
recherchons les causes de ce fait, nous trouvons qu'elles sont :
1» l'influence des ouvriers des manufactures ; 2" la pauvreté;
3^ l'ignorance; 4*^ l'absence de tout effort pour s*élever; 5* la
direction particulière que cet effort suivrait nécessairement
dans le cas où une augmentation de bien-être viendrait le
rendre possible et qui détruirait son action stérilisante.
Dans le canton de Lillebonne, la grande industrie prime
tout, petite industrie, petit commerce, agriculture. Il en
était ainsi à l'époque où les tisserands travaillaient chez
eux. 11 en est encore de même aujourd'hui. Les ouvriers
63â SEANCIi) DU 15 OCTOBRE 4891.
d'usine ne forment pas la majorilé de la population dans
Tensemble du canton; mais c'est une minorité très nom-
breuse etil arrive ici comme souvent ailleurs qu'une minorité
compacte impose son genre, ses façons de penser, de sentir
et de vivre, toutes les appréciations intimes qui gouvernent
la conduite à une majorité dispersée et sans cohésion. Ces
appréciations, en effet, ne deviennent contagieuses que quand
elles passent à Tétat de maximes portatives, aisées à retenir
et à répéter.
Mais elles ne se concentrent ainsi en formules que dans
les milieux où elles sont généralement admises el où les
hommes vivent serrés. A ce point de vue, les faoïiJles que
nourrit le travail des usines ont toutes les chances d'imposer
leurs manières de voir à celles qui vivent de la petite indus*
trie ou de Tagriculturc.
Pour les premières, elles imitent l'ouvrier d'usine en tout
et jusque dans son alimentation ; la contagion a été complète.
Pour les secondes, elle l'a été un peu moins. L'ouvrier agri-
cole, le petit fermier, ne sent pas toujours une sympathie
parfaite pour la population manufacturière ; mais vivant
iàolé, timide et volontiers silencieux, il voit son genre propre
humilié et vaincu par Tautre qui s'impose plus fortement,
étant affirmé par des centaines de camarades en communauté
d'idées les uns avec les autres. D'ailleurs, les recensements
qui n'accusent que 1100 personnes vivant des usines en
dehors de Lillebonne et au milieu des cultivateurs pèchent
évidemment par omission, et d'autre part, il y a une quin-
zaine d'années, avant que le perfectionnement des machines
eût réduit la main-d'œuvre, il est certain qu'il y avait un
plus grand nombre d'ouvriers et qu'ils étaient en même
temps plus payés, deux raisons pour que leur influence sur
le reste de la population fût encore plus considérable qu*elle
ne l'est aujourd'hui. Dans ces conditions, il n'est pas douteux
que leur imprévoyance de l'avenir, leur insouciance des
charges de famille, leur facilité à accepter la vie au jour le
jour^et de nombreux enfants n'aient été des sentiments con-
DUMONT. — LA NATALITÉ DE LILLEBONXE. 633
tagîeux pour les familles agricoles aa milieu desquelles ils
vivent dispersés.
A vrai dire, cet exemple n'était probablement point néces-
saire. A Norville et à Saint-Maurice, où il n'y a jamais eu d'ou-
vriers de la grande industrie ; à Gravenchon, où il n'y en a
que fort peu, la natalité n'en a pas moins été très élevée dès
la seconde on la troisième décade de noire siècle. Dans les
autres communes, il eût suffi peut-être que le genre et l'in-
fluence des tisserands à domicile disparussent et il était sans
doute superflu que l'influence contraire des ouvriers casernes
vînt s'y substituer.
La grande cause qui a conservé la fécondité parmi les
cultivateurs ou quil'afait renaître, c'estla pauvreté, l'absence
des richesses qui sont la condition sans laquelle les hommes
ne peuvent avoir d'aspiration vers la civilisation, vers leur
développement en valeur ou en jouissances. Riches ou aisés,
ils eussent méprisé les mœurs et les appréciations de Touvrier
d'usine. S'ils ont pu l'imiter, c'est qu'ils avaient aussi peu
d'épargne et de bien-être.
Presque toute la terre du canton, avons -nous dit, est en
labour, divisée en exploitations de petite ou de moyenne
étendue. Elle est possédée par des propriétaires vivant au
loin dans les villes et cultivée par des fermiers pauvres dont
très peu s'élèvent au-dessus du genre de vie des simples
manouvriers.
On sait qu'en règle générale les petites fermes se louent
toujours à proportion plus cher que les grandes, parce qu'il
y a habituellement plus de fermiers en état de les prendre,
ou, comme on s'exprime sous forme d'adage, « parce qu'il
y a plus de petites bourses que de grosses i>.
Les fermes en labour qui sont petites ou du moins de telle
étendue qu'un homme puisse les faire valoir avec son travail
et celui de sa famille demandent beaucoup moins de capital
d'exploitation que les fermes en herbages et prés où il faut
un nombreux bétail. Ces fermes auront donc plus d'ama-
teurs se faisant concurrence et, par conséquent, toutes pro«
C34 SftANCK DU M OCTOBRE iftffi.
portions gardées, elles se loueront plus cher que les antres.
En troisième lieu, on doit se souvenir que notre canton
se compose presque sans exception de terres d*une qualité
médiocre. Or^ diaprés une enquête publiée par l'Association
normande sur la situation agricole de rarrondissement da
Havre, pour les terres de première qualité, la valeur vénale
de rhectare est de 4000 francs et la valeur locative de
140 francs ; pour les terres de seconde qualité, la valeur
vénale est de 3000 francs et la valeur locative de fSOfranes;
enfin, pour les terres de troisième qualité, la valeuf vénale
est de 2 000 francs et la valeur locative de iOO francs. Plos
la terre est médiocre, plus elle se loue cher relativement.
Ainsi, petite étendue des fermes, culture en labourage,
qualité inférieure du sol^ ces trois conditions se rénnisseot
dans tout notre canton, sauf peut-être Auberville où la terre
est meilleure et les fermes un peu plus grandes, pouf faire
aussi large que possible la part proportionnelle du proprié-
taire et réduire au minimum celle du fermier, le tnallitenir
au plus près de la misère et, en effet, il la côtoie générale*
ment pendant toute son existence.
Presque toujours c'est un ancien domestique ; S 000 on
3000 francs lui suffisent pour prendre une fernne d'une
vingtaine d'hectares sur laquelle il vit comme on simple
manouvrier, élevant ses fils et ses filles comme ceux des
journaliers du voisinage, ne visant à rien de plus qn^àenfirire
ses premiers serviteurs dès qu'ils pourront travailler.
11 les envoie à Técole primaire aussi peu que possible et
ne songe jamais à Tinstruction secondaire dont il ignofejtts*
qu*à l'existence. Ils ne le gênent pas dans sa ferme ! la p\êté
est plus que suffisante pour leurs ébats, la noiirrllUf*e grM*
f^ière pour leurs appétits. Ils lui coûtent fort peu h vêtir el,
de bonne heure, les quelques services qu'ils peuvent rendre
compensent les très faibles dépenses qu'ils occasionnent. 11
n'a donc aucun intérêt à limiter leur nombre et l*oo ne
s'étonne plus que, dans la plupart des communes agricoles,
les familles ayant le pins grand nombre d*eofanls vivants
DUMO.NT. — LA V\TaLITK Î)K LILLKBO.NNE. 635
soient celles des cultivateurs aisés. Dans ces conditions, en
efTel, ils n'ont pas besoin de restreindre leur fécondité; car
ils ne risquent rien à la laisser produire tous ses effets.
Le voulussent-ils, il est fort probable que la majorité au
moins d'entre eux^ les plus pauvres, ne le pourraient point.
Eux aussi, comme les ouvriers des usines, sont vaincus par
le travail monotone et abrutissant. Leur activité cérébrale
est également atteinte par la fatigue musculaire excessive et
régulièrement renouvelée. Tout calcul^ toute pensée d'avenir
leur deviennent tout aussi impossibles, et, chaque soir,
Taccablement causé par une journée de travail rend inca-
pable de songer à autre chose qu'au moment présent.
Cette torpeur intellectuelle est entretenue et rendue invin-
cible par rignorance générale^ l'incuriosité à peu près absolue
à regard des sciences, des arts, de la littérature, des passions
intellectuelles et politiques de leur époque. La civilisation
avec ses merveilles est pour eux non avenue, elle ne pro-
voque ni étonnement, ni désir de voir ; elle les laisse abso-
lument tranquilles, résignés à ne rien connaître et à ne nen
comprendre. Les jeunes gens, à la vérité, commencent à
lire. Dans plusieurs communes, à Grandcamp notamment,
les quelques ouvrages contenus dans les petites bibliothèques
scolairessont lus et relus; mais ce fait n'intéresse que Tavenir
et ne doit pas être compté lorsqu'il s'agit d'expliquer la nata-
lité présente ou celle des dernières décades.
En réalité, on est stupéfait du degré d'ignorance de cette
population. A Lillebonne même, je le répète, jusque dans ces
dernières années, un tiers des femmes, un dixième des
hommes étaient incapables de signer leur acte de mariage.
Beaucoup ne le signaient qu'à gr«nd*peine et c'était li tout
leur savoir. Nulle part les instituteurs n'ont tant de peine à
obtenir que les enfants fréquentent l'école au moins une partie
de l'année. L'été venu, ils ne reparaissent plus. En général,
les maires s'en désintéressent, comme de beaucoup d'antres
points relatifs à l'administration de leurs communes. Jusqu'en
Tannée 1888, les tableaux annuels du mouvement de la popn-
CSG SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1891.
lation n'étaient point rédigés en double, de sorte qu'il n'en
existe aucun cxemj^laire dans les archives communales. De
son côté, le médecin des épidémies notait dans son rapport
pour Tannée 1889 qu'il n avait pu obtenir «aucune communi-
cation de MM. les maires qui lui semblaient très apathiques
au point de vue de l'hygiène publique »,
Par ces traits, le canton d(î Lillci)onne présente une si-' '•
liUide assurément fort inattendue, mais cependant très com«
pléte avec celui de Fouesnant que j'étudiais Tan dernier.
Môme incurie des maires, mr»me ignorance des habitants,
même indifférence au progrès personnel. Au centre de la
Seine-Inférieure, à portée, de Paris, à mi-chemin de deux '
grandes villes comme le Havre et Rouen, l'attraction exercée j
par la vie urbaine, par le luxe, par les plaisirs, par la science, i
l'art, le pouvoir et toutes les gloires de la civilisation est
aussi faible que dans ce canton perdu du Finistère où ne se
parle pas môme le français.
Quelque surprenant que soit le fait, étant donnée la situa*
lion géographique du canton, il est incontestable; l'état de
stagnation est complet dans les esprits, complet dans la popu-
lation. Nous avons constaté combien peu on émigré vers les
villes. Si quelques individus de la classe pauvre vont se placer
au Havre comme domestiques ou comme bonnes, les jeunes
gens de la classe aisée ou riche n'ont aucune tendance
à quitter leur pays natal.
On sait que dans un canton donné, pin» la classe aisée a
de penchant à émigrer vers le.^ villes, plus ceux qui restent
sont stériles. L'étude, parue ici môme sur l'île de Hé, a fourni
l'occasion d'exposer comment ces deux faits démographiques
en apparence tout indépendants, émigration centripète des
plus riches et faiblesse de la natalité, ne sont que deux phé-
nomènes jumeaux produits par un seul et même étal psycho-
logique. Inversement on peut remarquer qu'à Lillebonne
comme à Fouesnant, l'absence d'émigration rurale coïncide
avec une très forte natalité et cela en vertu aussi d'un seul
et môme litat psychologique qui est l'opposé du précédent ;
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nUMO.VT. — LA NATALITÉ DR LTLLEBONNE. 637
rindîrrérencc pour le développement personnel, l'absence de
Ciipillarité sociale dans la population.
D'une pari, la pauvreté s'oppose au progrès des tendances
et des passions fatales h la natalité comme le froid empêche
le développement des microbes qui décomposent les viandes.
Au-dessous de cerlain degré de chaleur, plus de fermentation;
au-dessous de certain dogré d'aisance, plus de capillarité
sociale. Elle ne se produit point, parce que sa condition îu-
dispensablc n'est pas réalisée.
Mais, d'autre part, il y a une cause — une cause véritable
et non phis une condilion — pour qu'elle ne se produise
point : c'est Texislence, au-dessus du cultivateur comme de
l'ouvrier d'usine, d'une classe sociale infiniment au-dessus
(le lui qui Téblouit, mais qui l'écrase et le désespère par
la supériorité de ses capitaux. Tandis qu'en général, l'idéal
secret qui séduit l'imagination du cultivateur français est
la profession libérale, un emploi, une fonction publique
aussi élevée que possible dans la hiérarchie; ici, il en va
tout autrement. Le soleil qui éclipse tout, l'aimant vers
lequel se dirigent toutes les imaginations, c'est la vie du
grand industriel, riche de plusieurs dizaines de millions,
faisant travailler des centaines d'hommes, de femmes et
d'enfants. A rcxtrémité uiême du canton, où Ton est déjà
loin des usines, le magnifique château gothique de Saint-
Maurice d'Etelan, acheté, restauré et encore agrandi par une
puissante famide de manufacturiers, détermine l'orientation
des aspirations.
Lillebonne, le Havre, Rouen, sont des villes de commerce
et d'industrie, comme l'Angleterre, et, comme TAngleterre,
elles ont une forte natalité, oscillant habituellement entre
30 et 35 naissances pour 1000 habitants. Un même état
social entraine un même état psychologique, qui exerce
une même influence sur la fécondité de la population.
Pour celle qui nous occupe, il faut tenir grand compte de
ce que son chef-lieu de canton, son chef-lieu d'arrondisse-
ment, et même son chef-lieu de département, tournent le
T. ir (4*' sÉi'.is). «J
638 SÉANCE nr V) octorrk 4891.
clos h la culture gramnialicule, Ihéologiquo, juridique et lit-
téraire, qui est l'idéal des familles françaises de moyenne
condilion. Le Havre, en particulier, est tout à son commerce,
à ses navires, à la spéculation effrénée. Que sont, au milieu
de ce mouvement, le clergé, la magistrature, le barreau,
l'administration, le corps enseignant, toutes ces institutions
qui pèsent d'un poids si lourd sur la vie des petites sous-
préfectures et de la plupart des préfectures, qui accablent
tout de leur importance, font régner leur genre d'une ma-
nière si tyrannique, en imposent tant au petit bourgeois et
au paysan. Ici, ces puissances sont noyées dans le tour-
billon, annulées^ méprisées; personne no s'en occupe. Leurs
mauvaises tendances ne se propagent point parmi la classe
moyenne, comme cela se produit dans les petites villes.
Aussi cette classe trouvc-t-elle des débouchés dans le com-
merce et Tindustrie, où ils sont en quantité à peu près illi-
mitée, au lieu d'en chercher dans le fonctionnarisme. Elle
s'efforce d'augmenter ses ressources par son activité pour
faire face à des charges de famille qui augmentent, au lieu
de restreindre ses dépenses pour qu'elles restent propor-
tionnées à une fortune modique^ que les préjugés interdisent
d'accroître par le travail. S'il existait à Lillebonne une classe
moyenne, il n'est donc pas douteux qu'elle y restât féconde
comme elle Test au Havre.
Mais elle n'y est presque point représentée ou ne fournit
qu'un chiffre d'habitants démographiquement dépourvu
d'importance. L'ouvrier d'usine, l'ouvrier de la petite indus-
trie, le petit commerçant, l'ouvrier agricole et le fermier peu
aisé forment la presque totalité de la population, dominés
par un très petit nombre de personnes dont plus de la moitié
du canton reçoit son salaire et, directement ou indirectement,
tous ses moyens d'existence. Cette aristocratie est trop au-
dessus du peuple pour qu'il songe un instant à jamais l'éga-
ler. On n'essaye pas d'escalader une muraille quand elle est
trop haute; on se décourage et l'on n'aspire plus qu'à vivre
dans sa condition, sans faire aucun effort pour en sortir.
DIî^CUSSIOX SUR LA NATALITE DK LILLEBONVE. (>39
La féodalité indastriollc joue donc en fait, par rapport à
la capillarité sociale, le rôle d'une féodalité militaire ou
d'une aristocratie de naissance légalement établie. Elle la
désespère, Tempêche de se produire, et partout où celle-ci
n'existe point, quelle que soit d'ailleurs la raison de son
existence, la natalité atteint toujours un chiffre considé-
rable; car une vérité amplement établie ailleurs, c'est que le
développement de la race en nombre est en raison inverse de
l'effort fait par l'individu vers son développement personnel,
bien ou mal entendu, soit en valeur, soit en jouissances. Ce
fait peut sans doute être désormais considéré comme défini-
tivement acquis à la science sociale, et Tétude qui précède
en fournit la complète confirmation.
Discussion.
M. Hervé dit que le travail de M. Dumont complète et
confirme les observations anciennes déjà de Villermé, qui
avait remarqué que la natalité des populations ouvrières
employées aux grandes fabriques était très supérieure à
celle des ouvriers plus aisés travaillant à domicile. A Lille-
bonne, le changement survenu dans le régime du travail a
retenti de la même façon sur le chiffre des naissances. Gom-
ment dès lors se refuser à admettre l'influence des causes
économiques ? On voit, une fois de plus, que partout où
l'épargne devient suffisante, la natalité diminue; qu'elle
s'élève, au contraire, quand se trouvent réunies les conditions
qui engendrent Timprévoyance et le relâchement de la vie
de famille.
M. Lagneau. Ainsi qu'à M. Hervé, il me paraît curieux de
voir M. Dumont constater qu'à Lillebonne, la natalité, jadis
faible, alors que la population était composée principale-
ment de tisserands travaillant chez eux isolément, s'est
beaucoup et rapidement accrue lorsque la population a été
appelée à travailler en commun dans de grands ateliers de
manufactures.
Cette différence dan» la natalité k ces deux époques paraît
640 SÉANCE BV 5 NOVEMBRE 1891.
tenir à ce que le tisserand, travaillant isolément, vivant chez
lui, n*ayant pas à utiliser le travail de jeunes enfants, a
avantage à n'en avoir qu'un petit nombre. Sa femme les
allaite. En travaillant, il économise et espère arriver à l'ai-
sance. Aussi la natalité et la mortalité infantile sont peu
élevées.
Contrairement, l'ouvrier des manufactures, travaillant et
vivant en commun, dépensant avec les camarades une grande
part de ce qu'il gagne, sachant que ses enfants trouveront
toujours à s'occuper comme lui, ne craint pas d'en avoir un
grand nombre. Sa femme, allant comme lui à râtelier, trop
souvent les fait élever au biberon. En travaillant et dépen-
sant au jour le jour, il n'a d'autre objectif que de vivre
comme il a toujours vécu, sans aspirer à une situation plus
aisée. Aussi la natalité et la mortalité infantile sont consi-
dérables.
La séance est levée à six heures.
T^s secrétaires : CUVER et CAPITatv.
546'SEVNCE. — 5 novembre 1891.
PréffideMce de M. LA BOMBE, préuldcat*
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
A propos du procès-verbal.
Age dea conches mesTlnlenaes.
M. Capitan montre à la Société trois pièces provenant des
grands ateliers paléolithiques des environs de Leigné-les-Bois
(Vienne). Ces trois pièces peuvent être rapprochées de celles
que M. Gabriel de Mortillet a présentées dans la dernière
séance, pièces dont M. de Munck a envoyé les moulages à
rEcole d'anthropologie, et qui proviennent des couches mes-
A PROPOS DU PROCÈS- VERBAL. 641
viniennes. Deux de ces pièces sont absolument analogues au
disque de M. de Munck ; la troisième est absolument iden-
tique au grand disque grossier de Mesvin. Or, les pièces de
M. Capitan sont, de par leur gisement, moustériennes ; elles
étaient accompagnées de poinles, de racloirs et de petites
haches plates du type acheuléo-moustérien. Si donc on se
basait sur la morphologie seule, il y aurait là une démons-
tration très nette de ce fait que les formes considérées
comme absolument caractéristiques du mesvinien par nos
collègues belges se rencontrent chez nous dans des stations
moustériennes. Donc, à moins d'admettre une survivance des
formes bien étrange, force est de considérer ces types comme
démonlrant aussi clairement que les racloirs et les pointes
que renferment ces mêmes couches mesviniennes, qu'il
s*agit là d'une industrie qui ne saurait être considérée comme
plus ancienne que notre industrie moustérienne, qu'on se
base sur la morphologie des instruments ou sur la faune.
M. Gabriel de Mortillet fait observer que cette présen-
tation vient à Tappui de ce qu'il a dit dans la dernière
séance. La morphologie prouve donc comme la paléontologie
que les couches mesviniennes doivent être rapportées au
quaternaire moyen. Il y a lieu d insister sur ce fait alors que
nos collègues du département du Nord semblent accepter la
détermination des archéologues belges qui considèrent les
couches mesviniennes comme étant du quaternaire le plus
ancien.
M. Adrien de Mortillet fait remarquer qu'il y a là une
erreur analogue à ce qui se passe en Italie où les paléo-ar-
chéologues ont souvent de la tendance à considérer comme
quaternaire le plus ancien, le quaternaire qu'ils observent
chez eux. Or ce quaternaire est bien le plus ancien qu'ils
aient chez eux, mais ce n'est pas le plus ancien d'une façon
absolue; il correspond, comme en Belgique, au quaternaire
moyen.
642 SÉANCE DU 5 NOVEMBRE 1891.
Adbéslona ft des Consrès.
Le Comité d*organisation du Congrès international des
américanistes de 1892 (!•' au 6 octobre 1892) au couvent de
Santa-Maria de la Rabida (province de Huelva), ayant en-
voyé un programme et un bulletin d'adhésion, M. Salmon
demande que la Société souscrive à ce congrès.
M. Gabriel de Mortillet demande également que la So-
ciété souscrive au Congrès de Moscou, et que ces deux pro-
positions soient renvoyées au Comité central. (Adopté.)
Délégalioii ■aiaaiillqaa.
M. BoRDiER expose que M. Godel» voyageur de la Compa-
gnie française africaine occidentale, désire recevoir de la
Société des instructions en vue de recherches anthropologi-
ques. Il demande, en outre, que la Société veuille bien ac-
corder à ce voyageur une délégation pour un an.
Cette demande est appuyée par MM. Hervé et Uovelacque.
La Société consultée accorde à M. Godel une délégation
scientifique pour l'année 1892.
OUVRAGES OFFERTS.
AuBRY (D^ Paul). La Mortalité et la Mortinatalxté dans le dépar^
tement des Côtes-du-Nord, et plus spécialement dans Varrondis-
sèment de Saint-BvieuCy m Annales d'hygiène publique et de
médecine légale, octobre 1891. Paris, in-8», 28 pages. (Ces
deux brochures, présentées par M. Manouvrier, sont des-
tinées au concours pour le prix Berlillon.)
Baye (J. de). liappotH sur le congrès archéologique et histori-
que de Bruxelles. Paris, 1891, in-S*», 20 pages.
— Sépulture gauloise de Saint-Jean^sur- Tourbe, in Congrès
international d'anthropologie et d'archéologie préhistorique,
Paris, 1891, 8 pages et figures
Bertaux (D'^ a.). VHuméi'us et le Fcmw\ considérés dans
les espèces, dans les races humaines, selon les sexes et selon
OUVRAGES OFFERTS. 643
Vâge. Paris, 1891, in-8', 318 pages et figures (ouvrage pré-
senté par M. Malhias Daval).
Dareste (D' Camille). Recherches sur la production ariifi*
cielle des monstruosités ou Essai de tératogénie expérimentale^
V édit., revue et augmentée. Paris, 1891, grand in 8**, 590 pa«
ges, figures et planches. (Cet ouvrage est présenté par
l'auteur.)
M*GuiRE. The Stone Nommer and iis Various Uses^ in the
American Anthropologist, vol. lY, no A, i 891. Washington»
in-8o, i2 pages et figures.
Manouvrier (D' L.). L* Atavisme et le Crime^ extrait de la
Revue de l'Ecole d'anthropologie (15 août 1891).
Nadaillag (de). Les plus anciens vestiges de V homme en
Amérique^ in Revue des questions scientifiques^ juillet 1 891 •
Bruxelles, in-S'», 54 pages.
Roter (M"" GlAmikcb). Jm. Terre et ses anciens habitants.
Bruxelles, 1891, in-8% 16 pages.
— Les Sciences de la vie. Bruxelles, 1891, in-8», 38 pages.
(Ces deux ouvrages sont présentés par l'auteur.)
Wood-Mason (J). Notes on some objects from a neolithic
settlement at Ranchi, in Journal ofthe Asiatic Society ofBen*
gai, n° 4, 1888. Calcutta, 1889, in-8% 12 pages et figures.
(Ouvrage présenté par M. P. Regnault.)
Société de médecine légale de France {Bulletin, tome XI),
Paris, in-8o.
0. Yauvillé, Notes sur les fouilles et les objets trouvés dans
l'enceinte dite du Camp de Pommiers, près de Soissons (Aisne).
Mémoire sur plusieurs enceintes antiques du département de
l'A isne,
Sénequier (Paul). Saint - Vallier, Qrasse, 1891, in-S**,
86 pages.
M. IssAURAT. J*ai*rhonneur de vous présenter un exem-
plaire de la brochure que M. Sénequier, juge de paix de
Grasse, a publiée Tannée dernière sur Saint-Yallier, un des
chefs-lieux de canton des Alpes-Maritimes.
Plusieurs d'entre vous connaissent M. Sénequier, soit par
644 SÉANCE DU 5 NOVEMBRE 1891.
son travail sur les Anciens Camps retranchés, soit par ses élu-
des sur les Patois de Biot, de Mons, etc., brochures que nous
avons dans notre bibliothèque. Dans sa monographie de
Saint-Vallier, Tauteur remonte aux temps préhistoriques. Il
mentionne les nombreux objets des âges de la pierre et du
bronze trouvés dans cette localité riche en monuments mé*
galithiques, dont notre collègue, M. de Mortillet, a eu occa-
sion de parler, et qui ont été visités, fouillés, décrits par
nombre d'archéologues, M. Sénequier lui-même, M. Bour-
guignut, M. Rivière, etc.
L'époque gallo-romaine est aussi représentée à Saint-
Yallier et dans ses environs par les restes d'enceintes for-
tiflées que Ton nomme dans le pays castellaras. Ces con-
structions grossières ont été, de la part de M. Sénequier,
Tobjet d'études spéciales auxquelles rendait justice M. Char-
les Robert dans la Revue des Sociétés savantes. L auteur
note ensuite les faits les plus remarquables du moyen âge
dont ce village a été le théâtre, pour en arriver aux « droits,
facultés et privilèges » dont jouissaient les seigneurs spi-
rituels et temporels^ aux amendes qu'ils infligeaient,
celle-ci, par exemple, que je cile par curiosité : Hecolligei^e
mère triées per très dies, interdiction que M. Sénequier laisse
au lecteur le soin de traduire, et qui se payait 25 livres. Il
parle assez longuement de la composition du corps munici-
pal^ du conseil général de la commune, des élections et
des luttes diverses que la communauté eut à soutenir contre
le chapitre, les Evoques et autres autorités de ce temps ;
toutes choses très curieuses, très intéressantes et très in-
structives.
11 rappelle l'histoire locale de Saint-Vallier pendant la
Révolution, et il termine par l'énumération de quelques tra-
vaux et créations qui marquent, pour ce pays, les princi-
pales dates de Fépoque contemporaine.
Je voudrais terminer ce très bref et très incomplet compte
rendu en soumettant à votre appréciation une observation,
nn vœu que je vais résumer rapidement, et que m'a suggéré
OUVRAGES OFFBKTS. 645
la lecture de celle brochure plus imporlante an fond qu'il
n'y paraît au premier abord.
Quand on vit quelque temps dans les villages, dans ceux
de nos provinces éloignées surtout, et que 1 on parle avec
les habitants du pays, on est frappé de leur ignorance pro-
fonde de Thistoire, même contemporaine, j'entends This-
toire du peuple en général, et celle de leur propre localité
en particulier. On dirait des éphémères (je parle de la géné-
ralité) qui naissent le malin pour disparaître le soir, ne se
préoccupant que d'une façon très vague, très superficielle,
des événements les plus importants, de leurs causes, de
leurs résultats^ en dehors de ceux bien entendu qui les ont
touchés directement ; n'ayant d'autre soin que de se créer
une progéniture très bornée à laquelle ils laisseront, agrandi
si possible, le champ qu'ils tiennent de leurs parents.
Je crois, comme l'écrivait Michelet en 1846, dans un livre
trop oublié peut-ôtre, que le peuple a, en lui, un b^ésor
qui se nomme la vertu du saa*ifice; rhistoire le démontre,
et nous en avons eu nous-mêmes des preuves récentes. Lors-
qu'on le croit perdu, tué, anéanti, fini, il se relève tout à
coup, et de façon à étonner le monde. Il est bien, selon l'ex-
pression légèrement modifiée de Shakspeare, le soldat de
l'humanité. Nous pouvons nous l'avouer sans être chauvins.
On dit assez de mal de nous à l'extérieur et même à l'inté-
rieur pour que nous n'hésitions pas à dire à notre tour : Oui,
voilà ce que nous sommes ; calomniez tant que vous voudrez,
tes calomnies et les insultes ne fausserontpas l'histoire. Toutes
les voix de l'étranger crient: Guerre! guerre! Toutes les
nôtres répondent : Paix ! paix !
Mais cette vertu dont parle Michelet, et qu'il connaît bien
pour lavoir suivie dans toutes ses manifestations à travers
les temps, le peuple l'a d'instinct. Eh bien, je ne crois pas
qu'elle perdît de sa valeur et de sa force, parce qu'il en au-
rait conscience, parce qu'il en connaîtrait les manifestations
et les effets, parce qu'il n'ignorerait pas l'histoire des grandes
choses qu'elle lui a inspirées et fait exécuter. Je voudrais
646 SÉANCE DU 5 NOVEMBRE 189i.
donc — et c'est là mon observation, et c'est là mon vœu —
je voudrais que des brochures dans le genre de celle de
M. Sénequier, et rappelant ce qui s'est passée ce qui s'est fait
dans chaque village de France, fussent écrites par les hom-
mes compétents de Tendroit ; que les instituteurs en fissent
la lecture et l'explication à leurs élèves, et qu'ils commen-
çassent ainsi l'enseignement de l'histoire pour remonter en-
snite de proche en proche jusqu'aux temps les plus reculés,
comme dans l'étude des cartes géographiques on débute
par le plan de l'école pour en arriver à la mappemonde.
Outre les préjugés et les erreurs, historiques et autres^ que
cet enseignement détruirait, il provoquerait chez les enfants
l'attention la plus soutenue, il exciterait l'intérêt le plus vif
pour ces histoires dont leur pays a été le théâtre, dont les
gens qu'ils connaissent — leurs parents peut-être — ont
été les héros ou les témoins. Ces narrations, ces résurrec-
tions, comme dit notre historien national^ auraient^ par les
conversations du soir, un grand retentissement dans les
familles, et tous ces braves gens de la campagne, dont Tédu-
cation civique est si négligée, prendraient enfin la conscience
d'eux-mêmes, comprendraient ce qu'ils sont, ce qu'ils peu-
vent, ce qu'est la France, le peuple, la Révolution, les efforts,
les sacrifices qu'ont coûtés chacune des libertés, chacun des
droits que nous avons acquis, les luttes qu'il a fallu et qu'il
faut soutenir pour les conserver et les accroître, et alors ils
travailleraient d'une façon intelligente à mettre un terme aux
divisions, aux défaillances, aux croyances erronées qni nous
font si souvent craindre un retour en arrière, une décadence
irrémédiable.
L'idée de la patrie française ainsi enseignée, ainsi com-
prise, deviendrait, je le crois, la meilleure des sauvegardes
contre les malheurs et les dangers qui peuvent nous menacer^
et d'où qu'ils viennent.
Voilà le vœu que je voulais vous communiquer, vœu qui
m'a été inspiré par la lecture du petit opuscule de M. Séne-
•juier, vœu qui sera entendu, je l'espère.
OBJETS OFFERTS. 647
TopiNAHD (D' P.). L Homme dans la nature. Paris, 1891,
in-8', 352 pages et Dgupes.
M. ToPLNARD. Le volume que j'ai Thonneur d'offrir à la
Société n'est pas un livre de vulgarisation, mais une œuvre
personnelle. En 1876, mon premier ouvrage d'anthropologie
reflétait surtout les enseignements de Broca. En 1886, un
second, quoique plus original déjà, s'inspirait encore des
travaux de Broca. Dans celui-ci, je me suis dégagé de toute
influence et me suis efforcé d'être moi-même exclusivement.
11 y a bientôt vingt-cinq ans que je m'occupe uniquement
d'anthropologie; j'ai pensé que j'avais le droit de me pronon-
cer sur beaucoup de questions, notamment sur ce qui touche
le parallèle de l'homme et des animaux, et la place de
l'homme parmi les mammifères.
PÉRIODIQUES.
Archives de médecine navale et coloniale^ octobre 1891.
D''Bonnafy et Mialaret : le Tokelan et la Lèpre aux Iles Fidgi.
Revue scientifique {n«* 16 et 17, 'octobre 1891). Wilson
(Daniel) : Droiterie et Gaucherie. — D»* A, Dumont : la Nata-
lité dans les communes rurales en France.
Ymer Tidskrift, 1891, n*» 1. Klinckov^rstrôm (A.) : Sur
l'emploi probable des outils quaternaires dits bâtons de com^
mandement.
Zeitschrift fur Ethnologie, 189 1 , Heft IV. D»" G. Forstemann,
Zur Maya-Gronologie, avec figure. — D' 0. Schellong :
Beitràge zur Anthropologie der Papua, avec figures.
OBJETS OFFERTS.
Pbolographies de Dahoméens.
M. le docteur Moran présente et offre à la Société, en son
nom et au nom de M. Denis, une série de photographies de
Dahoméens, qu'ils ont exécutées au Jardin d'acclimatation,
grâce à l'appui de la Société.
648 SÉANCE OU 5 NOVEMBRE 1891.
Photographieii de Halaisie, Indo-Chine el C6le da HalAbar.
M. LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL présente un grand albani de
photographies de types humains, objets, habitations, Indo-
Chine, Malaîsie et côte du Malabar, offert parM.Beauregard,
au nom de M. Glaine, ainsi qu^une carte de 1748 de ces
mêmes régions.
PRÉSENTATIONS.
IVéolithiqne de SelBe*et*Ol8e.
M. Gabriel de Mortillet présente de la part de M. Emile
Gallais, instituteur à Saint-Michel-sur-Orge, présent à la
séance, d'intéressants silex néolithiques, provenant de di«
verses localités du département de Seine-et-Oise.
Il fait surtout remarquer un élégant coup de poing, de
dimensions au-dessous de la moyenne, mesurant 105 milli*
mètres sur 75, caractères qui permettent d'attribuer cet in-
strument plutôt à Tacheuléen ou moustérien inférieur qu'au
chelléen. Malgré le soin qui a présidé à sa taille, cette pièce
montre encore quelques traces de croûte vers la base. C'est
évidemment intentionnel, pour qu'on puisse facilement saisir
à la main l'instrument et s'en servir sans se blesser. Trouvé
à la surface du sol, ce coup de poing est recouvert d'une
belle patine blanche des deux côtés. Il provient de Douhans-
Blaru, limite des déparlements de Scine-et Oise et de TEure,
près de Yernon.
La plaine de Blaru a aussi fourni une énorme ébauche,
taillée avec soin, de hache polie. Longueur, 33 centimètres;
largeur variant entre 10 et 8 centimèlres ; épaisseur moyenne,
6 centimètres. Le poids est de 3'',80. Ces fortes proportions
et le fini du travail ont fait croire à quelques personnes
qu'au lieu d'être une simple ébauche de hache^ c'était un
instrument spécial. Cette pièce, évidemment néolithique, est
beaucoup moins patinée que la précédente, bien qu*étant
comme elle en silex de la craie.
eu. FÉRÉ. — DYNAMOMÈTRE MAXILLAIRE. 649
Tigery, confins de la forêt de Sénart, près de Gorbeil, a
fourni une hache polie en silex d'eau douce, mais de dimen-
sions bien moindres. Elle ne mesure que 12 centimètres de
long sur 7 de large. Diminuée par l'usage, qui a forcé de
reaiguiser le tranchant, on a piqué le sommet sur la moitié
de la longueur totale de Tinstrument pour pouvoir le fixer
plus solidement dans un emmanchure. La même localité a
fourni aussi d'autres haches en grès lustré ou en silex d'eau
douce, caractérisé par des grains de chara, le silex de la craie
ne se trouvant pas en place dans la région.
Une dernière pièce, méritant d'être signalée d'une manière
spéciale, est un double tranchet, avec rétrécissement sur le
milieu de la longueur. Il provient de Montreuil-sur-Epte
(Seine- et-Oise), où existe une station néolithique qui s'étend
sur la commune de Berthenonville, de l'autre côté de TEpte
(Eure). Parmi les échantillons de cette station présentés par
M. Gallais, se trouve un autre tranchet de type ordinaire,
assez fort, ayant servi de percuteur. Le tranchant, complè-
tement détruit, est remplacé par les étoilures habituelles des
percuteurs.
M. Gabriel de Mortillet rappelle que M. Gallais a exposé,
en 1889, un remarquable musée pédagogique. Placé dans la
galerie de l'agriculture, il n'a peut-être pas été remarqué
autant qu'il le méritait. Ce musée contenait plusieurs ta-
bleaux de palethnologie. Nous devons chaudement féliciter
M, l'instituteur de Saint-Michel- sur-Orge des efiTorts qu'il
fait pour propager la science, efforts qui, comme nous ve-
nons de le voir, s'étendent au loin et produisent certaine-
ment d'excellents résultats.
Note sur on dynamomèlre maxillaire ;
PAR M. CH. FÉRB.
J'ai fait construire par M. Aubry un dynamomètre destiné
à mesurer l'énergie des muscles élévateurs de la mâchoire
inférieure.
KSO SÉANCE nu 5 novembric 1S91.
Cet instrument, qui peut servir en médecine à l'exploration
des paralysies de ia branche motrice du nerf trijumeau', me
paraît pouvoir èlre utilisé dans les recherches anlbropomé-
triqiies. J'ai déjs pu constater que l'énergie des muscles qui
meuvent la m&choire n'ont aucun rapport nécessaire avec
l'énergie de ceux de l'avant-bras, qui sont l'objet des explo*
rations les plus ordinaires*. Il parait y avoir un rapport entre
l'énergie des muscles de la mastication et le développement
DjQaiDomèlre muilttire.
U U', larriMi giralM d< plomb mpportul !■ pnuiDD de* dsol*.
de la mandibule. C'est ainsi qu'on remarque, en général, nne
grande faiblesse des mouvements chez les individus qui
présentent une apophyse dite lémurienne, coïncidant géné-
ralement, chez l'iiomme, avec un dûveloppemenL défectueux
des dents'. Cette exploration peut présenter quelque ialérêt
chez les criminels.
•hjeta préhlsifti^DCB éxt ■yaare |l>de).
M. le docteur P. Rkgnault offre à l'École d'anthropo-
logie :
< Ch. Féré, Nul» tw l'exploralitm dtt mimvfmiils di qurlqutt muxc'et de
tafac* {Comp/cl reiului dâlaSoeiélé de biologie, 1890, p. 619; 1891, p. 619).
* Ch, Féré, Soi* lur la dynamomilTîi compara d*t fUchùieurt dtt ttoigt*
*t dei fléialturi de ta mdchoire {Compitt rradui de ta SocitU de biologie
11*1, p. 683).
. ' Ch. Frré, ta Épitepiiti et lei êpilfpliquts.' 1S90, ji. JsU.
T.AJARD. — SILEX MOUSTÉRIEXS DE SALIKS-DE-BÉARX. 651
1" Un polissoir qui devait servir à écraser les grains;
2" Une hache.
Ces deux objets paraissent dater de l'époque néolithique.
Ils proviennent de grottes fouillées dans le Mysore (sud de
rinde), et qui ont amené la découverte de grandes quantités
d'objets semblables, actuellement conservés au musée de
Madras.
M. Fauvelle présente des moulages de cerveaux de plu-
sieurs membres de la Société mutuelle d^autopsie. A ce pro-
pos, il fait Thistorique de cette Société.
(La communication de M. Fauvelle sera publiée ultérieu-
rement.)
Silex moaslériena de Salles- de-Béarn ;
PAR M. LAJARD.
Les éclats de silex que j*ai l'honneur de présenter pro-
viennent de Salies-de-Béarn.
Gomme ils ont fait l'objet d'une communication à TAsso-
cialion françaises quelques mots suffiront pour rappeler une
particularité de leur gisement. Celui-ci est constitué par des
graviers, d'une épaisseur d'environ 2 mètres, et dépourvus
de traces d'enfouissement aux points où se sont rencontrées
les pièces. Surmontant, d'une part, des marnes tertiaires
relevées presque verticalement, ils sont eux-mêmes recou-
verts par une mince couche végétale. Ces graviers s'étendent
sur de nombreuses collines à l'altitude moyenne de 60 mètres.
Les éclats se trouvaient à 16, W et 24 mètres au-dessus du lit
du Salies, petite rivière qui coule à quelque distance. Ces
cotes peuvent présenter quelque intérêt en ce qui concerne
le creusement de la vallée; elles ont été prises au niveau à
bulle d'air.
1 Par M. Sallenavei agent voyer à Orthez. Je le prie d'agréer mes remer-
ciements.
6S2
SÉANCE BU 5 NOVEMBnE 4894.
C0I1MU;«1CAT10N$.
[alfomialloB eonf^énltale d« pmvilloa de l'arellle sa«€
ehes na eofanl; Imperformlion da conduit auditif extcri
Tentative opératoire ;
PAR MX. G. VARIOT ET CHATELLIER.
DaDS une précédente communication à la Société d*{
Ihropologie, Tun de nous a décrit d'une manière très préci
avec un moulage en plâtre, l'aspect anormal du pavill
d'une oreille gauche, qui était déformé, recroquevillé
imperforé.
Guidé par des observations antérieures sur rhémimél
M. Yuriot avait admis, d'accord avec Magitot, que la malf
mation du pavillon pourrait bien avoir été consécutive àv
amputation congénitale; la rétraction cicatricielle aui
expliqué la soudure de la peau à lorifice du conduit aud
externe complètement imperforé.
Les explorations que nous avions faites, soit en appliqu;
la montre ou le diapason sur la région du temporal avoi
nant l'oreille gauche, semblaient avoir démontré que la p
ception des vibrations sonores était conservée du côté de
difformité. Ce fait était aussi de nature à faire supposer c
le conduit auditif et Toreille moyenne étaient complè
ment obturés et non pas tolaleraent absents.
Néanmoins, M. Hervé, lors de la présentation de no
pièce, avait fait des réserves sur l'interprétation propoi
par M. Magitot et adoptée par M. Variot; il penchait plu
vers un arrêt de développement que vers une amputatj
congénitale pour rendre compte de la malformation
pavillon.
D'autre part, M. Dareste, l'éminent tératologiste auq
nous demandions son opinion sur ce cas singulier, n<
répondait qu'on avait abusé de l'hypothèse des amputati(
congénitales pour expliquer les monstruosités fœtales et c
VARIOT ET CIlAtELLII^iR. — MALFORMATION CONGÉNITALE. 65S
les arrêts de développement étaient plus fréquents qu'omite
le supposait généralement. ni
Grâce à l'obligeance de M. Cadet de Gassicourt, dans kp
salles duquel se trouve encore la petite fille à l'hôpital Trous-
seau, M. Chatellier a fait une tentative opératoire, qui semble
prouver que nous avions affaire à un arrêt de développa
ment de l'appareil auditif externe et non aux conséquences
d'une amputation congénitale. sr
La mère a consenti à ce que Ton essayât de rendre Touïef li^
son enfant, et le 28 octobre 1891, M. Chatellier procéda.^
l'opération après l'administration du chloroforme. xo
Le nettoyage antiseptique de la région étant achevé, qh
pratique une incision courbe suivant l'insertion postérieure
du pavillon; cette incision commence au-dessus de la plaçj^
où l'on suppose que se trouve le conduit auditif, elle est prq7
longée en bas jusqu'à 1 centimètre au-dessus du lobule dd
l'oreille. ii
Le pavillon est rabattu en avant, ce qui met à nu les plaa9
sous-jacents et spécialement la région où est situé, à Tétat
normal, l'orifice du conduit auditif externe. On décolle les
parties molles, le tissu cellulaire et le périoste; la surfacje
osseuse du temporal peut être directement explorée.
En palpant avec la pulpe de l'index^ on sent une dépres'»^
sion légère qui correspond sans doute, vu sa place, à ce qui
devrait être l'entrée du conduit auditif. Mais cette dépression
n'a que 1 ou 2 millimètres de profondeur sur 4 ou 5 de
diamètre. Dans cette petite cupule, le stylet heurte contrq
un plan très résistant, osseux, sans qu*il soit possible de
pénétrer dans la profondeur par un trajet naturel quel-
conque. Il y a donc un mur osseux qui ne se laisse pas
déprimer, même par une pression forte avec la pointe d'une
spatule.
Devant cet obstacle et dans l'incertitude où Ton est de la
conformation du temporal et notamment delà position qu'oc-
cupe le sinus latéral, nous avons pensé qu'il serait imprudent
et même dangereux de pousser plus loin l'intervention chi-
T. II (4« série). 42
CM SÉANCE DU 5 NOVBMBBE 1891.
dmrgîcale. D'ailleurs noue n'avions plus d'espoir de rendre
Touïe à la malade. La plaie est suturée et Ton applique un
pansement antiseptique.
-'■i Cette tentative opératoire, en mettant à nu l'os temporal,
« permis de constater que i'imperforation du canal auditif
-était à la fois cutanée et osseuse.
fit) Si la difformité du pavillon imperforé, apparente extérieu-
rement, avait reconnu comme cause une amputation congé-
éttale par bride amniotique ou par un autre mécanisme
fticonnu, la soudure, l'occlusion cicatricielle de l'orifice
externe dueonduit auditif aurait simplement fermé Tune des
extrémités du canal osseux préformé.
^' Au moment où le pavillon de l'oreille a déjà un développe-
Hfient suffisant pour offrir une prise à un agent vulnérant
Quelconque, le conduit auditif est modelé, et, après la lésion
congénitale extérieure, il persisterait plus ou moins déformé
derrière le bouchon cutané. Chez notre enfant, au contraire,
f imperforation est non seulement cutanée mais osseuse ; à
^ine y a>t-il une légère dépression à l'endroit où devrait
être placé Toriflce externe du canal auditif. Mais cette dépres-
sion est limitée au fond par un mur osseux très résistant, de
sorte qu'il est impossible de savoir s'il y a même un vestige
profond de conduit auditif.
Nous pouvons donc affirmer que la malformation est impu-
table à un véritable arrêt de développement qui a porté
simultanément sur le conduit auditif et sur le pavillon de
l'oreille, lequel n'a pas pris son épanouissement ordinaire.
Discussion.
M. Hervé, répondant à une observation de M. Magitot,
dit que, dans ce cas, il a pu y avoir développement normal
de l'arc branchial, cartilage de Meckel, tandis qu'il se pro-
duisait une oblitération de la fente sous-jacente, au point
correspondant au conduit auditif.
TERRIER DU CARNE. — GISEMENT CUËLLÉEN. 65S
Glsemenl ehelléen de Im bmllmsiiére de Flinfi-les-lHiireaiiiL
(Seine el-Oise);
PAR M. PfiRRlKR DU CARME.
Entre les gares d'Épone et des Mureaux, à gauche de la
ligne du chemin de fer allant vers Paris et à hauteur de la
borne kilométrique n« 42, la Compagnie de TOuest possède
une vaste ballastière, actuellement exploitée par MM. Bou-
din et 0\
Cette ballastière, située sur la commune de Flins et dis-
tante d'un kilomètre de la Seine, est entièrement formée
d'alluvions quaternaires.
Les couches de sable et de cailloux plongent de haut en
bas et de Test à Touest^ mais d'une façon peu sensible.
L'épaisseur des alluvions quaternaires atteint 7 mètres
environ et se compose de haut en bas de :
I. Terre végélale •...• 0,50
II. Sable rouge et gravier 4),80
III. Cailloux roulés et sable gris avec couches peu
épaisses de sable gris pur • 2,SK0
IV. Sable gris pur mêlé de deux ou (rois couches peu
épaisses de cailloux 1,30
V. Cailloux roulés mêlés de sable gris avec deux ou
trois lits dn sable pur S,30
7,00
La partie inférieure de la couche de cailloux n® 3 est agglo-
mérée par les eaux d'infiltration et forme un poudingue
assez dur, tandis que la partie supérieure de la couche sa-
bleuse n*> 4 se transforme en grès sous la même influence.
Toute Talluvion quaternaire est parsemée çà et là de blocs
de grès et de calcaire grossier éocène provenant de rérosion
des collines qui enserrent le lit de la Seioe. Elle repose direc-
tement sur la craie tendre appartenant à l'étage crétacé.
L'étiage de la Seine, en face de la ballastière, est à l'alti-
tude de i4'",66; le sommet de la ballastière à l'altitude de
29-», 16 et la base à a*9",i6, d'où un écart de T^fiO entre
656 SÉANCE DU 5 NOVËMBItE 1891.
Tétiage de la Seine et le plus bas niveau de la couche qua-
ternaire.
Pensant que cette ballastière pouvait contenir des silex
taillés, je commençai à Pexplorer et, m'étant muni d'une
hache provenant de Saint-Acheul, je la montrai aux ouvriers
en leur demandant s'ils n avaient pas quelquefois trouvé
dans le gravier des pierres semblables. Quelques-uns me
répondirent qu'ils croyaient en effet en avoir rencontré, et
leur ayant demandé de mettre en réserve celles qu'ils pour-
raient trouver par la suite, j'eus le plaisir, à ma seconde
visite, de rapporter deux haches ; puis une troisième fut
extraite devant moi et j'en recueillis depuis quelques autres
et quelques éclats provenant de la taille.
Les silex taillés appartiennent, pour la presque totalité, à
Tépoque chelléenne; les uns affectent la forme en amande,
les autres sont tronqués vers l'extrémité la plus large ;
quelques rares pièces montrent déjà le passage au mous-
térien.
J'ai même recueilli une pointe longue de 9 centimètres,
large de 5 centimètres, absolument plane sur l'une de ses
faces, retaillée sur l'autre, semblable au type moustérien
pur.
Ces objets de pierre sont presque tous en silex; je n'en ai
trouvé que deux en grès dur. Ils présentent tous le poli lui-
sant caractéristique des instruments ayant subi le frottement
du sable. Les arêtes de la plupart d'entre eux sont intactes,
quelques-uns cependant ont été roulés.
Les ossements fossiles que j'ai recueillis dans cette ballas-
tière, et ceux que je dois à l'obligeance de M. Boudin appar-
tiennent à un bovidé, à un cervidé, au cheval, à un grand
félin et à l'éléphant.
Les dents d'éléphant sont de VE.pnmigenius; mais l'épais-
seur des lamelles et la largeur de l'émail indiquent qu'elles
proviennent de la race ancienne.
M. Jordan, de Lyon, a fait de cette race le type de V£. th^
termedius, auquel il a joint VE, antiquus.
CLÉMENT RUBBEiNS, — ANCIEN CIMETIÈRE ET SARCOPHAGES. 657
M. de Mortillet a bien voulu déterminer ces dents, et je
suis heureux de l'en remercier ici.
Le cheval et Téléphant sont abondants dans le gisement
de Flins-les-Mureaux.
Les silex taillés et les ossements fossiles proviennent de la
couche n« 5, et peut-être aussi de la partie inférieure de la
couche sableuse n*^ 4. A ma connaissance, il n'a été recueilli
aucun silex ni ossement à un niveau plus élevé. Du reste,
toute la partie supérieure de la ballastière a été exploitée
depuis longtemps déjà, et Textraction n*est pratiquée actuel-
lement que dans les couches inférieures.
Anelen «Imetière et sareophages
déeooverls aiir la commane de Llnast près de Hoiillbéry
(Seine-el-Oise) ;
PAR M. CLÉMENT RCBBRNS.
Les ouvriers qui font en ce moment les terrassements et
nivellements pour le tracé de la nouvelle voie du tramway à
vapeur qui doit aller de Paris à Arpajon, mirent à découvert,
le 4 octobre dernier, sur la commune de Linas, à l'endroit
dit les Sablons, situé au nord de Téglise, et sur remplace-
ment où doit être la future gare, un cimetière ancien dans
lequel se trouvèrent des cercueils en plâtre et en pierre
tendre.
On ne fut pas surpris dans la localité de cette découverte,
car il y a environ quatorze ans, m'écrit à ce sujet M. Tabbé
Gillet, ancien curé de Linas, qu'à cet endroit, en faisant des
déblaiements de terre, on a découvert et on a brisé avec la
pioche des cercueils en plâtre soudés ensemble et juxtaposés
comme les alvéoles d'une galette de miel. On a achevé le
déblaiement, et Ton n*a plus rien découvert.
Un cultivateur ayant également mis à jour un sarcophage
en plâtre, voulut s'en servir pour ses chevaux, mais le sarco-
phage tomba presque aussitôt en ruines.
Un autre, en creusant un trou pour y planter un arbre.
658 SâANGE DU 5 NOVEMBRE 1891.
mît à découvert un crâne; mais il s'empressa de reboucher
son trou de crainte que cela ne lui portât malheur, et il en
fit un autre plus loin.
Enfin, il est arrivé souvent que Ton a trouvé, à la surface
du sol, des ossements humains. Un ancien de la localité
expliquait le fait en disant que la terre^ continuellement en
travail, rejetait d'elle-même, et comme par accouchement,
ces ossements k la surface. 11 aurait été difficile de le dis-
suader.
Le nombre des cercueils mis à découvert est de neuf, dans
un espace d'environ 20 mètres de long sur 8 de large. Deux
sont en pierre, et les autres en plâtre. Parmi ces cercueils
se trouvaient une certaine quantité de gros clous carrés pro-
venant de cercueils en bois.
Les sarcophages en plâtre ont dû être faits sur place. Gela
se reconnaît à la surface irrégulière des côtés extérieurs, et
aux épaisseurs diverses que ces côtés ont dans leur longueur.
Cette épaisseur est de 6, 7, 8 jusqu'à 13 cenlimètres. Les
sarcophages étaient faits au moment ou presque au moment
de la mise en terre, car on voit, dans Tun, deux creux très
prononcés formés par l'emplacement des épaules, ce qui
prouve que le plâtre était fraîchement gâché et à peine pris
lors de la mise du corps.
Pour les sarcophages en pierre dont voici les dessins, que
M. Debled, ancien maire de Linas, qui les dessinait pour lui,
a bien voulu me donner pour la Société d'anthropologie,
ils sont placés dans la position relative qu'ils occupaient; seu-
lement ils étaient orientés différemment, car tous sans excep-
tion avaient le chevet tourné vers Touest. Il n'y avait ni
symétrie, ni plan adopté pour leur placement.
Tous ces sarcophages étaient vides, et Ton n'y a trouvé
que très peu de chose : un poignard en fer qui est tombé en
poussière, une boucle en bronze avec ardillon plat, un an-
neau en bronze brisé, deux sortes de petits cœurs en bronze,
dont un ayant un anneau soudé sur une face, une clef en
fer tordue, trois petits bronzes romains dont un à l'effigie de
CLÉMENT RUBBENS. — ANC(BN CIMBTIÈRB ET SARCOPHAGES. 91^
Constantin, des luiles romaines ayant 34 centimôtrefl et dam
de long sur 29 centimètres de large jet 4 à 5 centimè^f^
d'épaisseur. Telle est celle ci, qui est en deux morceaiiiM
Toutes celles trouvées jusqu'ici sont brisées, et auront s#rviî
probablement à recouvrir les cercueils. ,1,)
Il n*a été trouvé qu'un seul vase en terre rouge d'une fof (PQ
assez gracieuse et un fragment insignifiant que M, Pbilip|p#|
l'entrepreneur, m'u remis. r. , i >
Pour ce qui est de Tépoque romaine, il a été souMfffA
trouvé des monnaies dans la localité; et quoique la 6tM^>n
des Romains fût située à 8 ou iO kilomètres, ^ Gh&tre,jauif^^
Jourd'bui Arpajon, il est probable qu'ils avaient fait du n^çvç^
L'Héry un point stratégique. Sa situation se recommai^^M^
d'elle-même, car, sur sa bauteur, on domine à 10 lieue».^l/ai
ronde. C'est pourquoi, plus tard, les barons féodaux y p^^n
truisirent cette redoutable forteresse dont on voit encoi^eij^i^^
ruines. , .jup
De quelle époque sont ces sarcophages et ce cimetière ? i
Pendaiit la longue période qui s'est écoulée entre enyi^i^^^
333 et 987, et formant environ six siècles et demi, soi)^ J^ft^
dynasties mérovingienne et carlovingienne, la même ^ço^
d'enterrer les corps et d'orner leurs cercueils se maintint» j
La mise en terre des corps se faisait de plusieurs ^jf)f^«j
nières : , ,,,,i[
Les personnes pauvres étaient le plus souvent enveloppâmes
dans un linceul et déposées telles quelles dans la fosse. ;i :</
Les personnes plus aisées étaient mises dans un cefpu^
en bois dont l'assemblage était fait au moyen de gros;iç}|9i^
carrés; ou bien étaient déposées daps des sarcophagi^s i^P;
plâtre tout unis ou couverts d'emblèmes religieuse. Gouii^^
couvercles pour ces sarcophages, s'ils étaient quelque/S^^'fW
plAtre, on employait également tout ce qui tombait Pfo^uf \%
main : des planches, tuiles, pierres, quelquefois rien d)i|ji#ji^tj
peut-être un peu de paille, pour éviter que la terre ne tQu^bAI
directement le corps. ^ «j [up
Puis, il y avait, pour les riches, les sarcophages en piM^nUi
tt69 SÉANCE DU 5 NOVEMBRE 489i.
è^l'tïurienx de constater que, aune certaine époque de cette
^tiode, s'il y a eu pénurie do pierres, ce n'était pas que
W^èKÀ même de Paris ou des environs ne pût en fournir;
MAis peut-être que des particuliers, par économie, ont voulu
utiliser les pierres des ruines romaines qui se trouvaient sur
léiïfB propriétés. Quoi qullen soit, il existe au musée Carna-
vlilèt deux sarcophages de cette époque, dont Tun a été
creusé dans une colonne cannelée et l'autre dans une borne
AiltMaire romaine.
^'^Pbur la décoration de ces sarcophages : le premier, celui
d6^ gauche, a le panneau du bout, côté de la tête^ orné de
#bi8 croix pattées ; celles de chaque côté ont les branches
^^liàversales moins allongées; celle de droite paraît être pla-
ëéesMr une colonnette en pyramidon. Entre les deux, une
pQ^té surmontée de la troisième croix dont toutes les branches
^â^i'égales ; elle paraît avoir le même support ou appendice
que celle de droite.
Le second a le même panneau du côté de la tête orné de
ti^rls formant des losanges coupés, traversés et séparés par
dés lignes qui lui donnent Taspect des dessins d'un parquet
Se Hongrie.
Les couvercles qui les recouvrent sont presque plats, et
l^angle que forment les lignes qui se réunissent vers le mi-
lieu pour y former une légère crête, est presque nul.
^"Ge' mode de décoration est resté le même pendant la
longue période du quatrième au dixième siècle inclus, quoi-
qWé- ôvec des variantes dans la disposition des dessins, dans
lë nombre des croix pattées, qui est de une, deux ou trois
éUr le chevet, renfermées dans un cercle ou non, sup-
portées sur des colonnettes ou sur des sortes de chevrons
^c*boutés ; quelquefois, dans un cercle, la croix est double
èi formée de huit rayons qui lui donnent l'aspect d'une roue.
D'Àtiires fois il y a une rosace; la croix romaine est assez
Mp0, cependant il sVn trouve un chevet qui en porte, trois
qui le garnissent ; ce n'est qu'après le dixième siècle que,
sur les sarcophages ou sur les pierres tombales, on voit la
CLÉMb.M RUBBENS. — ANCIEN CIMETIÈRE ET SARCOPHAGES. 661
croix romaine en occuper toute la longueur. On voit encore
sur les tombes du dixième siècle et antérieures à cette époque
un arbre placé entre deux croix pattées; dans Tintérieur et
sur les côtés de quelques sarcophages en plâtre se retrou-
vent estampés ces mêmes croix et autres motifs de décora-
tion.
Les dessins au trait varient peu pendant toute cette période ;
ce sont des lignes ondulées, des carrés dont les quatre angles
sont réunis par des lignes formant la croix de Saint-André;
des losanges et quelques autres figures se montrent les
mêmes aux différentes époques.
Pour conclure de Tâge de ces sarcophages après avoir
examiné l'intéressante collection du musée Carnavalet, qui
en a de toutes ces époques, je vis M. Yacquer, Tarchéologue
distingué, sous-conservateur du musée, qui a assisté et fait
faire de nombreuses fouilles sur le sol de Paris, entre autres
celles faites dans la rue Monge, à TAbbaye^ à Tancien cime-
tière Saint- Marcel, etc., et qui est très compétent. Il me dit,
à la première vue des dessins, que ces tombeaux étaient du
dixième siècle, et, pour confirmer son dire, M. Vacquer eut
Textrême obligeance de me faire visiter de nouveau ces sar-
cophages et me faire comparer les diverses époques, en me
donnant des explications qui m'ont confirmé dans mon opi-
nion et me permettent de dire que ces sarcophages appar-
tiennent au dixième siècle, sous la dynastie carlovingienne.
Ce qui distingue cette époque des précédentes, c'est d'abord
la pierre employée, qui est plus blanche et en calcaire
tendre; ensuite, la forme des couvercles, dont l'angle qui
forme la crête est presque nul, puis les reliefs des figures
sculptées sur le chevet de l'un, qui font moins saillie que
dans les époques antérieures.
Quant au cimetière, je crois fermement qu'il est antérieur
à cette époque, car, '.bien certainement, sous le niveau ac-
tuel mis à découvert par les fouilles et dont le déblai a été à
cet endroit de 2 mètres environ, il se trouve d'autres lits de
cercueil. Quelques coups de pioche donnés au delà de ce
66i séANCE DU 5 novembre i891.
niveau ont mis & découvert un nouveau crâne, dont le reste se
trouvait sous le sarcophage portant les croix ; et si, pour une
cause ou pour une autre, de nouvelles fouilles étaient faites,
on retrouverait des sépultures antérieures à celte époque, car
le petit bourg de Linas a dd être occupé de très bonne heure,
peut-être même avant Montihéry. Il possède, en effet, ce qui
est essentiel et de première nécessité pour une station hu-
maine; avec ]e petit cours d'eau qui le traverse, il s'y trouve
des sources abondantes d'une excellente eau, et dont la ville
de Montihéry est encore aujourd'hui tributaire.
Pour les particularités de ces crânes et ossements prove-
nant de ce cimetière, une communication en sera faite à la
Société dans une prochaine séance. Ce que je ^uis dire
maintenant, c'est que ce crâne n« i, avec cet humérus et ce
tibia, appartenaient à une femme et qu'ils ont été extraits
du sarcophage sur lequel sont gravés les losanges.
J'adresse ici mes sincères remerciements à M. Louis Bil-
lema, ingénieur, et à M. Philippe, entrepreneur, pour l'em-
pressement qu'ils ont mis à faciliter mon enquête, ainsi qu'à
M. Debled, ancien maire de Linas, qui m'a donné ces des-
sins^ que j'ai l'honneur d'offrir à la Société, avec différents
autres objets : quatre crânes, une mâchoire complète et plu-
sieurs fragments, un humérus et un tibia, des clous prove-
nant de cercueils en bois, un fragment de sarcophage en
plâtre et une tuile romaine. Ces objets sont offerts à la
Société au nom de ces messieurs et au mien.
Je dois également des remerciements à M. Vacquer, dont
les renseignements m'ont été très utiles pour conclure, et à
M. le docteur Manouvrier, qui a bien voulu se charger de
Texamen des crânes et ossements.
J'ajouterai, en vue des découvertes qui pourraient être
faites ultérieurement, que le présent compte rendu concerne
les fouilles effectuées depuis le .4 octobre, jour de la décou-
verte des premiers sarcophages, jusqu'au 8 du même mois
inclusivement.
MANOUVRIER. — 'nOTB CRANIOMÉTRIQUE. I
Note eraaioniélrlqne fonrnle pur H. HuBonvrler.
Quatre crânes adultes, dont deux masculins et deux fé
nins. Les deux premiers sont réduits à la voûte crânien
L'un des crânes féminins est à peu près complet; Tai
présente une large perte de substance à la région parii
temporale droite et à la région faciale gauche. Les mesu
suivantes ont pu être prises avec exactitude et ont permis
calculer quelques indices :
N« 1. N» 2. N» 3. N» 4.
Cf Cf 9 9(8Ul.iné
Diamètre antéro-postérieur m&x... 198 198 174 175
— mélop. 196 196 177 171
Transversal maximum 149 144 133 1)5
Frontal minimum 100 » 91.5 95
Orbite, hauteur » » 3S 34
— lar«reur » » 87 38
Nez, liauteur » » 50 48
— largeur » » 23 23
Hauteur ophryo-alvéolaire » » » 87
Largeur biiygomalique » » » 135
Indice céphalique 75.2 72.7 77.6 77.1
— orbitaîre « » 97.1 97.4
^ nasal » >i 46.0 47.9
^- facial...,, ,... n n » 69.6
La séance est levée à six heures vingt minutes.
L'un des sêcrélaires : cantan.
664 SÉANCE DU 19 NOVEMBRE 1891.
517* SÊ\!SCe. — i9 DOfembre 1891.
Préflldenee de M* LABORDE^ préaldeni*
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
A propos du procès-Terbal.
DémonstratioB expérimentiile dn langage signaléiique
ehes les fonmis ;
PAR M. LABORDE.
A propos des moyens de communication de la poule avec
ses poussins, qui constituent une sorte de langage phonique
par le cri et Tintonation, je rappellerai le mode de commu-
nication des fourmis entre elles, consistant dans le jeu des
antennes, avec intervention, dans certains cas, de mouve-
ments caractérisés de la tête.
Certains auteurs, même des naturalistes distingués, sont
portés à penser que ce n*est pas un véritable langage, même
un langage signalétique, que se tiennent les fourmis, à Taide
de leurs antennes, notamment lorsque Tune ou plusieurs
d'entre elles viennent avertir leurs compagnes de la décou-
verte d'un bu lin, et se font suivre d'un renfort pour l'aller
chercher ; en ce cas, disent les contradicteurs, l'avertisseuse
apporte d'habitude, entre ses mandibules, un spécimen, dont
elle s'est chargée, du butin en question, une larve, par
exemple, qui est bien vile aperçue par ses compagnes ; en
sorte que la vue jouerait ici, en réalité, le rôle que l'on attri-
bue au jeu des antennes.
A cette objection, on peut d'abord répondre que la fourmi
avertisseuse n'emporte pas toujours avec elle un échantillon
du butin qu'elle a découvert, pour le montrer à ses com-
pagnes ; il arrive fréquemment, en efTet, que les dimensions
et le poids de ce butin ne lui permettent ni de le porter, ni
de le traîner, et c'est alors surtout qu'on la voit, en l'obser-
LABORDE. — LANGAGE SIGNALÉTIQUE CHEZ LES FOURMIS. 665
vant attentivement, courir à la fourmilière et réaliser, auprès
de ses compagnes, avec ses antennes, des attouchements réi-
térés plus ou moins pressants, et d'autant plus insistants
qu'elle les trouve parfois dans un état de torpeur somno-
lente ; il advient même que, dans sa précipitation d'entraî-
ner et de conduire rapidement au lieu désiré le renfort qu*elle
a fini par détacher de la maison, elle le devance de façon à
se laisser perdre de vue et à arriver seule au but, les autres
s'étant égarées en chemin ; car, si elle a pu leur faire com-
prendre qu'elle avait découvert des vivres, il ne paraît pas
qu'il lui soit possible de communiquer les renseignements
nécessaires à l'indication exacte du lieu où se trouve le bu-
tin, et de la direction à suivre pour y arriver ; et alors, il la
faut voir retourner vers les compagnes égarées, et, si elle les
rencontre en route, les taper des antennes et même de la
tète, les pousser et les bousculer, comme pour les faire avan-
cer au gré de ses désirs ; et si elle ne les a pas rencontrées,
car il se peut qu'elles soient retournées à la fourmilière, elle
y accourt de nouveau elle-même, et la mimique antennaire
devient cette fois tellement pressante qu'elle finit par arriver
à ses fins, et par conduire à bon port le peloton entraîné. 11
n'est pas douteux, pour l'observateur attentif et sans parti
priS| que ce résultat ne soit obtenu à la suite d'une commu-
nication et d'une compréhension, qui proviennent essentiel-
lement du jeu des antennes, et qui constituent un vrai lan-
gage signalétique.
J'ai fait, à ce propos — après sir John Lubbock -^ une
expérience qui me paraît démontrer, sans contestation pos-
sible, la réalité du langage antennaire, signalétique, chez la
fourmi en société, et qui répond victorieusement à l'objec-
tion tirée de l'intervention du sens de la vue, dans le cas par-
ticulier de l'annonce d'une découverte. C'est sur la fourmi
noire des prairies que j'ai fait l'observation. Après avoir
choisi, dans une prairie normande, une fourmilière que je
visitais depuis plusieurs jours, pour enétudier les habitudes, et
bien placée pour l'expérience, voici commentée l'ai disposée :
666 BÉAircE DU 49 novembiie 4891.
A une première distance de 50 à 60 centimètres environ
de la fourmilière, sur un layon tracé dans la prairie, formant
un étroit sentier dénudé d'herbe, j*ai placé une mouche com-
mune, vivante et fixée solidement en terre à Taide d'une
épingle ; un peu plus loin, à une seconde distance^ pareille
à peu près à la première, j'ai déposé, après l'avoir tué, un
diptère très commun en Normandie dans les hautes herbes,
au voisinage des ruisseaux, vulgairement appelé le gurbet, et
dont les fourmis m'ont paru friandes ; Tinsecte étant dans
rimpossibilité de se mouvoir, il n'a pas été fixé comme le
précédent.
Au moment où je disposais mon expérience — vers deux
heures de l'après-midi, au mois d'août — la fourmilière
est habituellement au repos, et ce n'est qu'un peu plus tard
que l'activité, surtout l'activité extérieure, recommence. On
voit d'abord quelques excursionnistes isolées s'aventurer dis-
crètement, comme pour explorer les alentours prochains de
rétablissement ; puis elles étendent peu à peu leur rayon de
reconnaissance et s'éloignent dans diverses directions, par-
tant délibérément à la recherche journalière de l'approvision-
nement alimentaire. Le petit layon constituait, je m'en étais
déjà assuré, une voie toute naturelle et habituellement fré-
quentée des excursionnistes, et ils ne tardèrent pas à arriver
à la première victime préparée^ la mouche solidement fixée
en terre. Une première, puis une seconde fourmi se précipi-
tèrent sur la proie découverte, et se mirent immédiatement
en devoir de se l'approprier ; mais, ne pouvant y parvenir,
malgré les plus grands efforts apparents^ Tune d elles, comme
après avoir réfléchi quelques instants et s'être entendue avec
sa compagne, rebroussa incontinent chemin et courut vers la
fourmilière, d'où elle revenait bientôt accompagnée de sept
ou huit compagnes qu'elle conduisait, avec une agitation
visible et force démonstrations, où l'on sentait la préoccupa-
tion de ne pas se voir suivie assez rapidement au gré de ses
désirs. Enfin, le renfort, ainsi rallié et conduit, arriva au but,
auprès de la proie découverte, que la seconde fourmi, notons-
DISCUSSION SUR LE LANGAGB SIONALÉTIOUE. 661
le bien, n'avait pas abandonnée^ comme si elle en avait été
constituée la gardienne. Et alors nous assistâmes au spectacle
curieux du morcellement rapide de la mouche, dépecée et
débitée en autant de morceaux, à peu près, que d'assaillants,
qui chacun emportèrent triomphalement à la fourmilière leur
précieux butin.
Cependant, leur nombre ayant été sans doute plus que suf-
fisant pour accomplir ce travail, deux ou trois s'étaient dé*
tachées du groupe, et, poussant un peu plus loin et dans la
même direction leurs pérégrinations, elles avaient rencontré
le second insecte, celui-là non fixé. Deux fourmis le saisirent
immédiatement et se mirent a même de le traîner ; mais le
fardeau paraissait tellement lourd que c*est à peine si, avec
des efforts inouïs, elles étaient parvenues, en dix minutes, à
le déplacer de 2 centimètres. Alors, de guerre lasse et après
un intermède de repos où les deux assaillants semblèrent
réfléchir et se concerter, Tun d'eux partit du côté de la four-
milière, tandis que Tautre ne quittait pas la proie qu'elle
essayait encore, quoique infructueusement, de déplacer. Bien-
tôt la messagère arrivait avec un renfort nouveau, qu'elle
n*avait pas d'ailleurs tardé à rallier en route, car, à la suite
de la première alerte, un grand nombre d'habitants de la
tribu s'étaient mis en mouvement du côté de la découverte.
L'enlèvement et le transport partiel de la seconde proie
furent, dans ces conditions, l'affaire d'un instant.
Nous avons maintes fois répété l'expérience avec des va-
riantes^ qui n'ont fait que renforcer les résultats, toujours les
mêmes et qui nous semblent décisifs ; car, en pareil cas, on
ne saurait invoquer Tintervention du sens de la vue, comme
signe d'avertissement ; et c'est bien à une véritable commu-
nication par signes extérieurs^ à un réel langage signalétique,
que l'on a affaire.
Discussion.
M. Sanson dit que le fait de la communication des animaux
entre eux est l'évidence même. L'opinion que l'homme est
668 SÉANCE DU 19 NOVEMBRE 1891.
d'essence supérieure, et que seul il peut communiquer avec
ses semblables, est absurde.
Le langage articulé de Thomme n'est que le perfectionne-
.ment extrême des modes de communication usités par tous
les animaux. Incidemment il cite l'exemple des chevaux
d*omnibus conduisant à trois de front les grandes voitures.
Au début, ces chevaux marchaient mal ensemble, se piéti-
naient mutuellement. Rapidement, ils sont arrivés à marcher
parfaitement de concert. Bien plus, on peut souvent observer
que le cheval du milieu semble diriger les deux autres et
leur donne les indications nécessaires pour se diriger, même
en dehors du cocher, au milieu des embarras de voitures.
M. Manouvrier fait remarquer que, d'après robservation de
Lubbock, citée par M. Laborde, le langage des fourmis serait
extrêmement rudimentaire, puisqu'une fourmi ayant trouvé
du butin aurait pu seulement indiquer aux autres le fait de
sa découverte, sans pouvoir leur indiquer où et dans quelle
direction se trouvait le butin.
M. Laborde cite, au contraire, l'exemple des fourmis qui,
lorsqu'elles sucent leurs pucerons, ont une manière spéciale
de les frapper sur le ventre avec leurs antennes, pour les for-
cer à donner leur suc. Ce petit choc ne peut jamais être re-
produit de la même façon en frappant le puceron au moyen
d'un petit fragment de bois ou de paille.
M. Sanson rappelle l'expérience connue d'une abeille qu'on
porte sur une assiette contenant une solution sucrée placée
à 3 ou 400 mètres de sa ruche. Après quelque temps,
l'abeille rentre à la ruche et ramène bientôt tout un nom*
breux groupe d'abeilles qui viennent s'abattre sur l'assiette
de sucre. Il rappelle aussi que lorsqu'une fourmi a découvert
un pot de confiture dans une armoire, on peut être sûr
qu'elle amènera d'autres fourmis partager le butin. 11 y a
donc un mode de communication certain d animal à animal.
M. Laborde dit que si les fourmis ne semblent avoir pour
tout mode de communication que l'attouchement des an-
tennes, les abeilles ont en plus une sorte de petit bruit
OUTRAGES OFFERTS. 66
qu'elles émettent avec les stomates pré-pectoraux et qui
une signification précise, qui semble dire : « Attention, prene
garde. » Les autres abeilles ne s'y trompent pas.
COMMUNICATIONS DU BUREAU.
M. LE Président annonce à la Société que le Comité cen
Irai a arrêté, dans sa dernière séance, la liste des présenti
tions pour le renouvellement du bureau^ liste qui sera im
primée et envoyée à tous les membres titulaires, et su
laquelle la Société sera appelée à se prononcer dans la prc
mière séance de décembre, conformément au règlement.
M. LE Président annonce aussi que M"^® Blin des Cormiei
a fait don à la Société d'une parcelle de terre contenant ur
allée couverte. Le Comité central a accepté ce don au noi
de la Société.
ouvrages offerts.
Lefèvre (André). La Religion^ Paris, i89â, in-i2, 586 page
Lasteyrie (de). Rapport fait au nom de la Commission d
antiquités de la France^ Paris, 1891, in-4**, 34 pages.
MoREAU (Alfred). La Responsabilité médicale, Bruxeile
1891,in-8%68 pages.
M. Deniker fait hommage à la Société, au nom du doctei
Hyades et en son nom^ du dernier volume de la publicatic
des documents scientifiques de la mission du cap Horn, fai
par les ministères de la marine et de Tinstruction publiqu*
Ce volume est intitulé : Mission scientifique du cap Hor,
1882-i883. Tome YII : Anthropologie^ Ethnographie, pi
P. Hyades et J. Deniker. Paris, 1891, i voL in-4» de 42i p^
ges, avec une carte ethnographique et trente-quatre planchi
en photogravure et lithographie.
C'est une monographie complète des Fuégiens et surto
de la tribu Yahgan, habitant au sud du canal du Beagle. 1
volume est divisé en sept chapitres, plus Tintroduction,
bibliographie et l'explication détaillée et raisonnes d
T. Il (4* simi). 43
670 SÉANCE DU 49 NOTEMBBG 1891.
planches. L'introdaction comprend l'histoire des voyagea
chez les Fuégiens, les divisions des habitants des terres magel-
laniques en peuplades, une esquisse rapide du climat, de la
flore et de la faune du pays qu'habitent les Fuégiens. Le
chapitre I est consacré aux caractères anatomiques : étude
détaillée du crâne et du squelette» des muscles (cette der-
nière partie est de M. Testut^ professeur à la Faculté de
médecine de Lyon), etc. Dans le chapitre II, on trouve *des
renseignements sur les caractères morphologiques, basés sur
les mensurations et les observations de plus d'une centaine
d'individus. Les chapitres III, lY et Y sont consacrés aux
caractères physiologiques (fonctions de nutrition» de repro-
duction, etc.]^ pathologiques et psychologiques (sentiments^
expression des émotions, sentiment religieux^ etc.). Un cha-
pitre spécial (Yl) est réservé aux matériaux relatifs à la langue
yahgane (un vocabulaire de plusieurs milliers de mots, etc.).
Enfin la partie ethnographique proprement dite est concen-
trée dans le chapitre YII (mœurs et coutumes : alimentation^
vêtements, coutumes de la famille, etc.). La bibliographie,
aussi complète que peut l'être en général une bibliographie,
renferme l'indication de plus de deux cents ouvrages (depuis
1520 jusqu'à 4890), dans lesquels il est fait mention des Fué-
giens. La carte représente la distribution géographique des
trois tribus des terres magelianiques : Onas (Patagons), Yah-
gans et Âlakaloufs (Fuégiens). Parmi les planches, vingt et
une photogravures représentent les différents types d'hom-
mes, de femmes et d'enfants fuégiens ; huit planches litho-
graphiées donnent les dessins des crânes et squelettes, et
quatre-vingt-cinq autres, des objets ethnographiques.
Outre les renseignements concernant spécialement les Fué-
giens, les anthropologistes trouveront dans cet ouvrage plu-
sieurs données d'un caractère général : comparaison des
mesures sur le vivant et sur le squelette, ou des mesures
prises avec le ruban et avec le compas-glissière, etc. La con-
clusion générale sur les affinités des Fuégiens est celle-ci :
Il faut considérer cette peuplade comme un des rares repré-
E. COLLIN. — PIÈCES GOELLÉENNES ET MOUSTÉRIENNES. 671
dentahis d'une race paléo-américaine, qui occupait jadis lout
le nouveau continent au sud de T Amazone, et dont aujour-
d'hui on ne trouve que les ossements dans les sépultures
anciennes ou des fragments vivants comme les Fuégiens et
les Botocudos, qui se réduisent à quelques centaines d'indi-
vidus. Les Fuégiens notamment vont disparaître sous peu
de la surface de la terre, et c'est autant à cette éventualité
fatale qu'aux particularités mêmes du genre de vie et des
mœurs des Fuégiens, que Fouvrage de MM. Hyades et Déni-
ker doit son caractère de document, qui sera utilement
consulté par tous ceux qui s'intéressent aux peuplades en-
core sauvages et en voie de disparition.
PÉRIODIQUES.
Revue mensuelle de V Ecole â^ anthropologie (IS novembre
4891). Adrien de Mortillet : L'industrie humaine pendant les
temps quaternaires en Italie.
PRK9ENTATIONS.
Pièces chelléenBes et nioastérlennes ;
PAR M. E. COLLIN.
J'ai l'avantage de présenter à la Société deux pièces mous-
tériennes de la sablière de Lesches (Seine-et-Marne) :
1° Un très grand disque en silex meulière et ne mesurant
pas moins de 18 centimètres de diamètre sur 7 centimètres
d'épaisseur. C'est le plus bel échantillon, comme grandeur,
que je connaisse. 11 rappelle ceux de Mesvin (Belgique) ;
2^ Un très beau racloir double mesurant 45 centimètres
de long sur 10 centimètres de large et 3 centimètres et demi
d'épaisseur.
Ces deux échantillons appartiennent à M. Duttenhofer de
Coupvray.
Je présente en outre une pièce chelléenne provenant du
gisement de Chelles et recueillie par M. Régnier, d'Ësbly.
Cette pièce est très remarquable; quoique dépourvue do
672 SÉANCE DU 49 NOVEMBRE 1891.
son extrémité ; mais, à en juger par sa base, il est facile d'y
reconnaître la forme amygdaloïde. Cette base mesure 21 cen-
timètres de long sur iO centimètres de large et a Taspect
d'une énorme flèche avec pédoncule.
Cette pièce est bien le type de l'instrument chelléen, qui
réunit en lui seul tout l'outillage de Tépoque où Thomme
quaternaire Tutilisait pour scier, couper, percer, tailleri
racler, etc.
Il est tout à fait indéniable que Thomme se servait da bois
pour confectionner ses premières armes tels que épieux,
massues, etc. ; il est intéressant de remarquer qu'à cette
époque où Thomme avait peu de moyens d'action, il ait réuni
dans un seul instrument plusieurs outils qu'il confectionnait
à son usage.
Je rappellerai ici l'intéressante communication faite par
M. Chouquet qui, le premier, a remarqué des encoches sur
certains instruments chelléens. {Les Silex taillés de la ballas^
Hère de Chelles, 1883.)
Je présente également deux pièces raoustériennes prove-
nant de la sablière d'Iles-les-Villenoy (Seine-et-Marne), près
d'Esbly. M. Régnier, en bon observateur, y a recueilli :
i® Un très beau retouchoir, à en juger par ses extrémités
émoussées, presque polies ;
2* Un éclat grossier, mais qui est retouché des deux côtés
en racloir. Ce dernier est amalgamé de calcin.
Ce sont les seules pièces moustériennes qui y ont été re-
cueillies jusqu'à ce jour.
De plus, voici deux boulets quartzeux et recouverts en
partie de calcin ; ils mesurent, l'un 9 centimètres et l'autre
10 centimètres de diamètre ; on en a retrouvé séparément
six semblables dans le gravier, à une profondeur de 4 mètres
à 4", 50 de la surface du sol.
Ici, j'appellerai Inattention des paléoethnologues au sujet
du dépôt calcaire qui peut se former très vite, et n'est pas
toujours une preuve de haute ancienneté, comme vous pouvez
en juger non seulement par ces divers objets provenant de la
E. COLLIN. ^ PIÈCES GIIELLÉENNBS ET MOUSTÉRIBNNBS. 673
même sablière et datant d*époques bien différentes, l'un de
répoque moustérienne, Tautre de l'époque romaine.
Pour en citer un autre exemple, je vous montre ces bran-
ches de bois transformées en stalactites et provenant de la
localité voisine, Gagny (Seine-et-Marne), que j'ai recueillies
lors du enrage des eaux, qui se renouvelle du reste chaque
année.
Pour en revenir à ces projectiles qu'on lançait avec l'ona-
gre ou la baliste, ils nous indiquent que nous nous trouvons &
un endroit où l'on a dû se défendre. J'ajoute qu'en poursui-
vant nos recherches et en examinant le terrain, la situation
élevée où nous sommes devait certainement commander la
plaine.
Nos recherches n'ont pas été vaines. Nous avons relevé des
restes de fortifications ou remparts avec fossés tout autour;
ces remparts avaient la forme d'un rectangle et n'avaient pas
moins de 80 mètres de long. Les extrémités se dirigeaient
vers la Marne. Les fossés ont 4 mètres de large sur 3"^,50 à
5 mètres de profondeur; ils sont remplis de détritus de
toutes sortes. Nous y avons recueilli un certain nombre d'os-
sements qui ont été brisés pour en extraire la moelle. 11 y a
du bœuf, du cheval, du cerf et une certcdne quantité de débris
de poterie de toutes sortes que l'on peut évaluer à plusieurs
mètres cubes ; on y récolte des tuiles, des anses d'amphores»
d'innombrables vases, une petite trompette en terre cuite,
ainsi qu'un os percé de plusieurs trous, qui nous fait suppo-
ser que nous nous trouvons là en face d'un autre instrument
de musique, et enfîn un autre débris d'os percé de quatre
trous, qui a pu servir de bracelet.
A proximité de ces fossés, en dehors de l'enceinte, nous re«
marquons plusieurs habitations en forme de cuvettes dans
lesquelles l'on ne rencontre que des cendres; cependant
nous sommes assez heureux pour recueillir un morceau d'une
meule en poudingue, ainsi qu'un polissoir en grès, que j'ai
reconstitué depuis. Ces pièces nous prouvent bien que nous
sommes à l'époque romaine. D'ailleurs, on a trouvé dernière-
674 BÉANCB DU 19 NOVEMBRE i89l.
ment, dans un champ proche de cette sablière, un moyen
bronze de Trajan.
Ces fossés sont à peine à SOO mètres de la Marne, et sont
pour ainsi dire identiques, comme conditions et comme
récolte, à ceux de Saint*Maur-les-Fossés, au sujet desquels
j*ai eu l'avantage de vous faire une communication spéciale.
A la surface du sol, dans la terre labourable que les ter-
rassiers appellent communément la ferrasse, à une profon-
deur variant de 60 à 80 centimètres au plus, nous avons ren-
contré des ossements humains que j*ai conservés d'ailleurs
pour compléter une étude spéciale. Nous avons appris depuis
que l'on en avait déjà trouvé un certain nombre que l'on
peut évaluer à une vingtaine.
Ces squelettes n'avaient aucun mobilier funéraire, si ce
n*est que les uns avaient une grosse pierre au sommet de la
tâte, d'autres à la tête et aux pieds. D'autres avaient une ou
deux pierres de chaque côté du bassin.
Ce mode de sépulture m'a rappelé tout à fait celui que
j -avais déjà rencontré à la ballastière de Ghelles en 1886, et
que j'ai désigné à cette époque (voir les Bulletins) soxi^ le nom
de Mérovingiens de Chelies,
Dans la prochaine séance, messieurs, j'aurai l'avantage de
vous soumettre nos nouvelles investigations qui compléte-
ront, je l'espère, nos recherches à Ghelles et sur les plateaux
environnants.
Discussion.
M. Gabriel de Mortillet. Je suis tout à fait de l'avis de
notre collègue pour ce qui concerne le calcin. Il ne fournit
aucune donnée chronologique. Pour s'en assurer, il suffit de
se rendre compte de son mode de formation. Les ouvriers
des environs de Paris, qui exploitent le sable et le gravier,
donnent le nom de calcin au dépôt calcaire qui encroûte et
soude les divers éléments composant les alluvions. Dans
les alluvions quaternaires, ce dépôt calcaire, en soudant
ensemble de certaines quantités do sable et de gravier,
LAJARD. — FABRICATION DE LA POTERIE AUX CANARIES. 675
forme des lentilles plus ou moins grandes ou des couches
très irrégulières d*un grès ou poudingue grossier. Par exten-
sion, le nom de calcin a été appliqué aux grès et poudingues
ainsi formés. Lorsqu^on Tétudie dans les diverses carrières
des environs de Paris, qu^eiles soient ouvertes dans le qua-
ternaire le plus ancien; à Elephas anliquus^comme àChelleSi
ou dans le quaternaire plus récent à Elepkas primigentui^
comme au Péreux, on le voit occuper divers niveaux. C'est la
meilleure preuve que le calcin est de toutes les époques. 11
se dépose même actuellement sur les objets qui séjournent
un certain temps dans le lit de nos rivières.
M. Adrien de Mortillet fait remarquer qu*en effet la base
de la hache présentée offre deux encoches très nettes. Les
pièces moustériennes sont très remarquables. Le grand disque
si grossier est absolument analogue à ceux du mesviûien.
Quant aux boulets, ils pourraient bien être du moyen âge et
non romains comme le croit M. Gollin,
COMMUNICATIONS.
ProeédéB prlmlliii de fabrlciilloii de la polorle
aux CamirieB;
PAR M. UJARD.
J*ai rhonneur de mettre sous les yeux de mes collègues
une série de vases canariens anciens et modernes, les uns
n'étant pas sans présenter des analogies avec les autres.
Tous ont été fabriqués à la main et par des procédés qui
sont encore assurément ce qu1ls étaient au temps des
Guanches.
Les voyageurs ont signalé dans l'archipel plusieurs en-^
droits où cette industrie persiste encore. J'ai rapporté de
Ténériffe un certain nombre de vases qui ont un caractère
spécial suivant la localité. Nous avons les oUas de la ViUoria
et de Candelaria^ le grand Bernegal orné de dessins en crois-
sants renversés. Il rappelle les vases pointus par le bas des
676 SÉANCE DU 19 NOVEMBRE i89i.
anciens habitants, quoique de dimensions beaucoup plus
fortes, la surface plane de la base est étroite ; il sert à re-
cueillir Teau qui coule des ûltres. La talia d'Atalaya est ven-
true et presque plane à la partie inférieure, comme étaient
les poteries de la Grande Ganarie autrefois et telles qu*on les
voit au musée de las Palmas. Dans cette magnifique coUec-
tioa, en effet, chose digne de remarque, le contraste entre
rindustrie des deux îles est frappant et tout à fait caracté-
ristique. Sur cinq vases trouvés à Ténériffe, aucun n'est
eessile ; de même à Santa-Gruz, dans la série que possède la
galerie de l'institut provincial, c'est la même chose. L^une
des pièces que j'ai rapportées est en tout semblable au type
qui domine à Ténériffe. G'est une panse allongée, ovoïde,
pointue par le bas, éveillant Tidée de la noix de coco. A la
partie supérieure, la pièce a la forme d'un court cylindre
vertical dont la génératrice externe se continue avec la
surface du vase, au-dessus de la bouche.
L'industrie trouvée dans les grottes de la Grande Ganarie,
au contraire, se développe en plusieurs lignes parallèles de
*
formes variées, mais ayant toutes pour caractère commun
celui du fond qui est plat. Sur cent quarante vases, trois seu-
lement font exception. On peut donc dire que ces deux îles
sont parfaitement distinctes au point de vue de l'industrie,
et ce fait est digne de remarque.
Le tostador est un grand plat, échancré d'ordinaire sur un
côté ; il est ainsi du moins à Ténériffe, et sert à la fabrica-
tion du gofio. Placé au-dessus de quelques pierres entre
lesquelles on fait du feu, il reçoit le blé ou le lupin qu'on fait
griller et qu'on remue avec un bâton. Malgré ses grands dia-
mètres et son aspect régulier,il est fabriqué sans l'aide du tour.
Rien n'est plus fréquent que ces exemples d'une industrie
primitive qui persiste aujourd'hui encore. M. de Mortillet a
signalé et décrit ceux de Gasola^ en Italie, où la poterie est
noire. Là, il n'existe même pas de four. L'atelier des Pyré-
nées a été décrit par M. de Quatrefages, mais les procédés
sont loin d'être les mêmes partout»
LAJARD. — FABRICATION DE LA POTERIE AUX CANARIES. 677
Les femmes des douars algériens, qui, du reste, fabriquent
des tostadors à peu près pareils à ceux des îles Canaries, ont
l'habitude de placer * de la graisse dans les pots pendant la
caicînation. Les Indiens du golfe de la Floride modelaient
leurs vases sur des gourdes et des paniers de lianes. On cite
encore, parmi les produits de Tesprit inventif des populations
primitives^ les parois d'argile élevées sur les bords d'une
pierre plate et qui suffisaient à la transformer en vase'.
Les procédés des Américains étaient variés et compre-
naient à la fois les carcasses faites de joncs et même de tissus
et les boudins enroulés, comme il résulte des fouilles des
Big Mounds et des habitations des Cliff Dwelley's.
Enfin, on peut rapprocher les poteries dont parle Diodore,
copiées sur des modèles de terre cuite à Taide de métaux
précieux, et que cite M. de Quatrefages, d'une curieuse por-
celaine japonaise ayant servi à la cérémonie du thé. Cette
tasse est la reproduction exacte et obtenue avec art du vase
primitif en cuir en usage à une époque antérieure. L'ouvrier
a parfaitement rendu la nature. On voit la rondelle de cuir
circulaire incisée régulièrement à l'aide d'un outil tranchant.
Les coupures vont du centre à la périphérie, comme les
rayons d'un cercle. Les segments ont été ramenés ensuite
tous d'un côté pour obtenir la forme creuse, et de petits
rivets assujettissent les morceaux chevauchant les uns sur
les autres. Cette pièce fait partie de la collection du musée
Guimet(n* 535).Ënfln, il n'est pas jusqu'aux crânes humains
qui n'aient servi de modèle quelquefois.
Les Indiens Galibis de la Guyane, d'après l'étude de M. Ca-
pitan, élèvent les parois de leurs vases à l'aide de boudins
arrondis et soudés en forme d'anneau. Le fond se compose
d'un disque horizontal.
Aux Canaries, et en particulier à Atalaya, où j'ai pu suivre
pas à pas la fabrication de la poterie, le boudin est enroulé
en hélice. La femme est à genoux, car ce sont des femmes^
* Suivant M. Verneau.
* A Malashka, Gook ou Quatrefages.
678 BÉANCK DU 19 NOVEMBRE 1891.
aujourd'hui comme autrefois^ qui sont chargées de ce travail
et roule la pâte dans ses deux, mains. Un peu de sable est
étendu à terre pour éviter Tadhérence. L'eau qui sert à pétrir
Targile remplit un trou dans un coin de la grotte. Quelques
familles vivent là, dans ces réduits creusés par les Guaaches
au bord d'un ravin escarpé. A mesure que le boudin s*allonge,
on le courbe et le soude avec les doigts pour le raccorder
au précédent. G*est là en quoi diffère le procédé de celai
décrit par M. Gapitan. Ce raccord s'établit en amincissaot en
biseau le bord inférieur et aussi l'extrémité. Chaque tour de
spire se continue de la sorte avec les autres; c'est un enrou*
lement régulier en spirale.
Le travail s'arrête de temps en temps. La femme fait
tourner le vase légèrement et l'opération continue. La pièce
est saisie des deux mains ; pas de planchette, pas d'ébau-
choir de bois, les doigts seuls font tout. Le vase s^achève par
une friction qui efface les sillons laissés par les boudias à
leur point de contact.
Quand les pots ont été mis à sécher, on les peint à l'aide
d'une substance rouge broyée à la meule à bras. Cette poudre
est d'ordinaire préparée à l'aide d'un tuf ponceux très
rouge, qui se trouve au-dessous des larges coulées de basalte;
sur la nappe mince de contact, le fer a été probablement
suroxydé; il est, en tout cas, devenu ainsi très apparent, La
couleur de ces lames minces est très vive. M. S. Berthelot a
vu employer cette substance à la polychromie des édifices à
las Palmas.
L'opération du brunissage est la plus intéressante. Elle
s'opère àl'aided'un galet de lave, d'une forme généralement
allongée. Le frottement prolongé marque souvent des fa-
cettes sur cet outil. L'échantillon que J'ai pu rapporter est
légèrement courbé en crochet à l'extrémité ; mais ce type
est rare. Il est d'ordinaire aminci et pointu aux deux bouts.
La surface est couverte de fines striations parallèles^ creusées
par les grains de sable mêlés à l'argile de la pâte. Le cro-
chet que nous voyons ici à l'un des bouts pourrait permettre
DISCUSSION SUR LA FABRICATION DE LA POTERIE. 679
de dire que la pièce sert de passage à nos brunissoirs actuels
bien connus et en pierre, quiserventaux doreurs aujourd'hui.
Ce travail du polissage est long ; il sert non seulement à
donner du brillant à la poterie, mais souvent aussi à la dé-
corer par le contraste des tons mats qui sont à côté. Sur
plus d'un vase, on distingue le va-et-vient de la pierre sous
la forme de longs fuseaux légèrement concaves, entremêlés
et très lisses. On la retrouve identique sur beaucoup de po-
teries préhistoriques. La collection de l'École d'anthropologie
possède plusieurs pièces traitées de cette manière. Un pot
moderne de suyatyn^ en particulier, est couvert de raies en-
trecroisées suivant deux directions et réservant des losanges;
il fait partie de la série acquise à Texposition de la section
autrichienne en 1889.
Ce polissage était employé également en Amérique, et il
est probable qu'il a dû précéder en beaucoup d'endroits
l'emploi des vernis métalliques.
L'instrument de pierre qui fournit ce travail constitue le
seul outiliage des insulaires canariens pour la céramique. U
m'a paru mériter une mention particulière, à cause de la
rareté de son emploi et de sa disparition sans doute pro-
chaine.
Discussion.
M. Gabriel de Mortillet. Parmi les poteries récentes de
Ténériffe, que vient de nous montrer M. Lajard, il en est une
qui me paraît des plus intéressantes. C'est iun grand pot
orné au pourtour de petits mamelons. Ces mamelons et
le sommet du vase, jusqu'à l'ouverture, sont colorés en rouge
lustré. Notre collègue nous a parlé d'un badigeonnage à l'ar-
gile colorée. Je crois que c'est insuffisant pour donner une
teinte aussi foncée et aussi nette.
Cette coloration en rouge des terres cuites se retrouve
dans certaines poteries préhistoriques de nos régions. Jfi
serais bien aise de savoir au juste comment les Canariens
actuels l'obtiennent ?
680 SÉANCE DU 19 NOVEMBRE 1891.
N'emploient-ils pas de Tocre, en ayant soin de luslrer la
pàte^ par le frottement, après Tapposition de la couleur ?
M. Lajârd dit que la réponse à la question de M. de Mor-
tillet se trouve dans une partie de son travail, qui n'a pas été
lue en séance. La matière qui sert à la décoration des pote-
ries est recueillie au-dessous des coulées de laves anciennes.
Les tufs, ainsi recouverts, offrent une surface calcinée très
vivement colorée où les Canariennes vont choisir les points
)es plus rouges. Cette substance est ensuite délayée dans
l'urine.
M. Yerneau répond à M. de Mortillet que la substance em*
ployée pour colorer les poteries est certainement de l'ocre,
car il en a rapporté de nombreux échantillons qui ont été
étudiés. Cet ocre se rencontre abondamment sur certains
points des Canaries; par exemple dans le ravin de Tirajana,
où l'on peut le recueillir sans la moindre difOculté. Une fois
délayé dans un mélange d'urine et d'huile de poisson, il est
appliqué sur le vase, dont toutes les parties devant rester
brillantes sont ensuite lustrées par frottement, à l'aide d*une
petite pierre lisse, souvent un simple caillou roulé.
M. Lajard n'ayant parlé que des poteries modernes, il est
bon de dire quelques mots de la fabrication des poteries an-
ciennes. Il est probable que les procédés employés autrefois
étaient les mêmes que ceux d'aujourd'hui. Ce doit être, en
effet, aux anciens insulaires que les habitants modernes ont
emprunté leurs procédés opératoires, car les conquérants du
quinzième siècle connaissaient le tour à potier; s'ils eussent
été les maîtres des céramistes actuels, ceux-ci emploieraient
le tour, et il n'en est rien. En outre, les formes modernes
rappellent parfois exactement les formes anciennes. Enfin,
en fouillant une grotte à San Lorenzo (Grande Canarie),
M. Verneau y a rencontré, à côté de vases, de petites pierres
légèrement poreuses, soigneusement polies sur une face,
dont les pores étaient remplis d'une argile semblable à celle
des vases eux-mêmes; elles ont dû servir à polir la pâte,
comme on le fait encore aujourd'hui.
DISCUSSION SUR LA FABRICATION DE LA POTERIE. 681
Il est commun de rencontrer dans la pâte des vieux vases
de tout petits fragments de roche ou de coquilles destinés
sans doute à en assurer la solidité. Mais les poteries anciennes
étaient néanmoins cuites^ et c'est à tort qu'on a prétendu
qu*elles étaient simplement séchées au soleil. Dans Tile de
Lancerote, M. Yerneau a même vu de véritables petits fours
de potiers; dans Tun d'eux, on a jadis rencontré trois vases
déjà cuits.
Les poteries antérieures à la conquête ont fréquemment le
fond arrondi; il est même tout à fait exceptionnel de voir la
base réellement plane. Dans certaines îies; notamment à la
Grande Canarie, les vases étaient pourvus d'anses perforées
horizontalement, très épaisses au-dessus du trou. Ces anses,
dont la force réside dans la partie supérieure, servaient à
suspendre les poteries, et Ton en arecueilii la preuve directe.
D'ailleurs, la céramique ancienne diffère beaucoup d'une
île à Tautre, et parfois même d'une localité à l'autre de la
même île. Dans ses publications sur les Canaries^ M. Yer-
neau s*est suffisamment appesanti sur ces différences pour
ne plus avoir à y revenir; il a d'autant moins de raisons
d'aborder de nouveau cette question qv'il Ta déjà traitée
devant la Société d'anthropologie.
M. Gapitan indique à la Société les procédés qu'em«
ployaient les femmes galibis, venues il y a quelques années
au Jardin d'acclimatation, pour fabriquer leur poterie. Il
exécute, devant la Société, un petit vase en argile construit,
suivant ces procédés, de la façon suivante : on roule l'argile
sur une planche avec le plat de la main de façon à obtenir
des boudins de 2 à 3 centimètres de diamètre sur une lon-
gueur de 25 à 30 centimètres. Au préalable, on a disposé sur
une planche une petite couche d'argile, régulièrement cir-
culaire, qui formera le fond du vase. On place alors, tout au-
tour de ce fond, un boudin d'argile coupé suivant la dimen-
sion et dont on réunit les deux extrémités. Au-dessus de ce
boudin on en dispose un autre exactement de la môme façon.
Sur celui-ci, un trobième et ainsi de suite jusqu'à ce qu'on
682 SÉANCE DU 19 NOVEMBRE 4891.
soit arrivé à la hauteur voulue. Alors, au moyen du doigt ou
d*un fragment de calebasse, on aplatit ces boudins, les sou-
dant ainsi ensemble et amincissant la paroi jusqu'à Tépais-
seur voulue. Si Ton veut faire une bouteille, on ajoute de
nouveaux boudins de plus en plus étroits, qu*on ajuste de
la même façon. On régularise alors les surfaces interne et
externe du vase, on les lisse et le vase n*a plus qu*à sécher
après avoir été détaché de la planche. Lorsqu'il est assez sec,
on le lustre avec un morceau d*os ou une pierre polie ; on le
teinte avec l'ocre rouge en suspension dans l'eau. On lustre
de nouveau et la poterie est prête à élre cuile.
Les céramistes galibis faisaient cuire leurs vases de la façon
suivante : elles creusaient dans le sol un trou un peu plus
large que les vases qu'elles voulaient cuire; elles le rem-
plissaient de bois et y faisaient un feu vif. Quand il avait
brûlé pendant un certain temps^ elles enlevaient les cendres
et, dans cette sorte de petit four brûlant, elles plaçaient les
vases, puis les recouvraient de branchages et allumaient un
nouveau feu par-dessus le trou. Après quelque temps, elles
laissaient éteindre le feu. H n'y avait plus, après refroidisse-
ment, qu'à retirer ces vases, qui, généralement, n'étaient pas
trop mal cuits.
M. Adrien de Mortillet fait remarquer que, souvent, on
trouve des poteries fabriquées par divers sauvages, qui ont
été ébauchées en superposant^ non pas des anneaux de
terre formés par des boudins, mais bien au moyen d'un seul
boudin très long disposé en hélice. Le procédé paraît donner
plus de solidité que celui que vient de montrer M. Gapitan.
M. Lajard. Je répondrai à M. le docteur Verneau qu'il y
a lieu de distinguer parmi les vases ceux de Ténériffe et
ceux de la Grande Ganarie. M. Verneau pense que les uns et
les autres étaient suspendus. Or, il se trouve que ceux de
Ténériffe, quoique n'étant pas sessiles, sont absolument dé-
pourvus d'oreilles et de trous de suspension, comme il est
facile de le voir dans la collection de l'Institut provincial de
Ténériffe et du musée de las Palmas. Au contraire, ceux de
FÉLIX REGNAULT. — PRÉBENSILITÉ DU PIED. 683
la Grande Canarie, au nombre de cent quarante, sont, à l'ex-
ception de trois, sessiles ; et parmi eux, précisément, se trou-
vent toutes les perforations sur les bords. 11 est donc naturel
de croire que les vases de Ténériffe, à rencontre de ceux de
Tîle voisine, n'étaient pas suspendus. La forme des anses de
ces vases, que j*ai décrite plus haut, appuie encore cette
manière de voir, formées d'un cylindre-axe vertical. Sans
parler des amphores romaines, on sait également que les
grands vases arabes, si communs dans toute TAIgérie et
pointus par le bas, ne sont pas destinés à être suspendus.
Da r61e da pied eemmo ovf«ae prélM«Blle cheB les Hladovt ;
PAR U. PEUX REGNAULT.
Les industries des Hindous mettent en action non seulement
les mains mais les pieds, comme on peut s'en rendre compte
par une promenade dans une rue indigène.
Ce fait a déjà été maintes fois signalé chez les tourneurs
arabes, chez les danseurs de corde japonais, par Luce (Runke
der mench)... et non seulement dans Tindustrie, mais encore
chez les sauvages dans les récits des voyageurs : témoin ces
Abyssins qui, pour Pouchet, tiendraient l'étrier entre le pre-
mier et lesecond orteil, ou ces indigènes delaNouvelle-Guinée
qui, pour d'Alberlis, s^aidaient des doigts de pied dans la
marche, par un mauvais chemin pour s'accrocher aux ra-
cines et aux obstacles... Mais nulle part je n'ai vu signaler
sa constance dans les industries d'un peuple à civilisation
relativement avancée. Je donnerai les exemples du menuisier
qui se sert de son pied comme valet, du cordonnier qui s'en
sert à la place de forme immobile et, en général, de tous
les ciseleurs, découpeurs de métaux... et des bouchers, qui
sont dans l'usage de tenir le couteau entre le premier et le
second orteil, tranchant en bas tandis que, saisissant le mor-
ceau à pleines mains, ils le coupent en l'attirant de bas en
haut; et cet enfant qui, monté à un arbre, prenait point
684 SÉANCE DU 19 NOVEMBRE 1891.
d'appui en tenant une branche entre les deux premiers or-
teils.
Il faut distinguer dans cette faculté la part qui revient :
TA Tarticulation coxo-fémorale qui, par sa laxité, leur
permet de considérer Tattitude accroupie comme une station
de repos ;
S"* Â celle du cou-de-pied très lâche ;
'S"" Mais surtout au premier et au second orteil, formant par
leurs mouvements une véritable pince. J'ai pu me faire
serrer la main par eux, et ils ont une certaine force.
Us ont des mouvements étendus d'abduction, d'adduction,
d'élévation et d'abaissement du gros orteil, mais je n'ai ja-
mais constaté de mouvements d'opposition.
 ce rôle physiologique du pied se rattache une particu-
larité anatomique spéciale : l'écart entre le premier et le
second orteil. Cet écarts sur un pied posé normalement, peut
être considérable et atteindre jusqu'à A9 millimètres comme
chez un Hindou de Trichinopoly. Mais ordinairement, il n'at-
teint pas ce chiffre qui est un maximum.
Si Ton dit au sujet d'écarter son gros orteil sans le secours
des doigts, Técart augmente de 10 à 20 millimètres.
S'il les rapproche souvent, les deux premiers doigts ne
touchent que par leurs extrémités comme une véritable
pince.
Cette disposition anatomique se présente, sans être fré-
quente néanmoins, chez les Bengalis, les Tamouls et les
Cinghalais. Elle doit exister chez bien des peuples sauvages,
quoiqu'on ne l'ait pas encore signalée d'une façon explicite.
Mais je l'ai retrouvée dans des dessins de pieds de Galibis
et de Cinghalais faits par M. Manouvrier; et également sur
Tempreinte d'un pied d'Annamite, prise par Mondière.
Néanmoins, elle n'existait pas sur de nombreux tracés de
Puégiens, d'Âraucans, de Peaux-llouges et d'Arabes, con-
r
serves à l'Ecole d'anthropologie.
Je ne l'ai pas observée chez un ectromèle que j'ai pu exa*
miner à Marseille, en 1889. Je ne l'ai pas non plus retrouvée
msCUSSlON SUR LA PRÉHENSILITK hJJ PIED. 685
en France, ni sur des adultes, ni sur les enfants que j*aî pu
examiner dans les hôpitaux.
Néanmoins, M. de Quatre fages m'a affirmé l'avoir observée
sur un homme d'Arcachon. Cette disposition existerait même,
parait-il, en quelques cas chez les résiniers de ce pays, qui
se servent beaucoup de leurs membres inférieurs pour grim*
per aux arbres.
11 serait intéressant de disséquer un pied offrant cette
structure. Qui sait si l'on ne trouverait pas un élargissement
de la tète du métatarsien et de la surface articulaire corres-
pondante de la première phalange. M. Testut avait signalé
cette disposition sur les métatarsiens du squelette quater-
naire de la Chancelade, et en avait conclu que les races pré-
historiques devaient faire un fréquent emploi de leurs pieds.
Il me reste encore à signaler Tusage d'un patin en bois
bien spécial à Tlnde, et qui tient au pied uniquement par un
piton de bois fixé à ce patin et qu'on met entre le premier et
second orteil.
Cette étude n'est pas aussi opposée à la doctrine darwi-
nienne qu'on pourrait le croire. Il est légitime, lors de l'adap-
tation de l'organe à la fonction, que l'homme qui se sert de
son pied comme organe de la marche ne puisse avoir de
mouvement d'opposition. En effet, un des points d'appui les
plus importants dans la marche est la tète du premier mé-
tatarsien, et il importe que ce point d'appui soit fixe, sinon
la marche s'effectuerait difficile et laborieuse comme chez
les singes. Ceux-ci marchent sur les bords externes de leurs
pieds en s*aidantdes mains. C'est, si je puis m'exprimer ainsi,
un « pied-main » adapté à leur vie dans les forêts. L'homme
qui marche a un pied qui, s'il veut combiner les deux fonc-
tions de la marche et de la préhension, ne pourra jamais
devenir qu'un pied^pmce.
Discussion.
M. Sanson fait remarquer qu'au point de vue de la pré-
hension les jeunes enfants ont la même disposition et la
T. II (4« série). **
686 ttANCC DU iO NOVEMBRE 4894.
même habileté que les Asiatiques. Il y a là simplement une
question d'usage et d'emploi dans un but déterminé.
M. ViNSON dit que cette souplesse des pieds tient à ce que,
chez les Asiatiques, presque toute la journée les pieds sont à
Tair et ne sont pas enveloppés chez eux par la chaussure.
Lui-même étant dans l'Inde à Tàge de dix à treize ans et
marchant souvent pieds nus, arrivait fort bien à ramasser un
objet par terre avec son pied. C'est donc làuneaffaire d'usage
tout simplement.
M. Manouvrier a observé un véritable renversement du
gros orteil en dedans chez un Singhalais ; cet écartement
devait provenir de ce queTindividu saisissait avec son pouce
des objets assez volumineux.
M. Denikgr dit que les Chinois appellent les Annamite;^
giaO'Chi ou orteils bifurques. Les Japonais ont le gros orteil
écarté et leurs chaussettes portent même un diverticule spé-
cial pour le gros orteil. Les négritos des Philippines ont un
écartement énorme du gros orteil, comme on peut le voir
sur les photographies du docteur Montario. Certains artisans
tunisiens se servent de leur pied pour tourner. On pourrait
multiplier les exemples.
Il semble donc qu'il y ait deux conditions nécessaires pour
favoriser Técartemenl de Torteil : il faut que le pied soit ordi-
nairement à nu et qu'il soit employé souvent à des usages
déterminés.
M. Magitot rappelle le travail de M. Gilles de la Tourelte,
dans lequel il indiquait que c'était précisément la fonction
qui faisait la forme.
M. Sanson rappelle qu'il y a normalement entre le gros or-
teil et le second un espace plus considérable qu'entre les
autres doigts. D'ailleurs, on ne voit guère plus en Occident
que chez les tout jeunes enfants le pied normal. 11 est dé-
formé par la chaussure ; dans ces conditions, on com-
prend c|ue les pieds des gons civilisés ne puissent jamais
exécuter des mouvements de préhension. M. Sanson n'ad-
mettra pas la transmission héréditaire de certaines disposi-
niSCUWûN SUR LA PRÉHBNSIUTÉ DU PIFD« 68Y
lions acquises tant qa*on ne lui aura pas présenté de faits
indiscutables.
M. MAifouvaiER dit que les hommes civilisés ont les pieds
très défurméA par les chaut^sures Mais il n^est pas dou-
teux que nous ayons eu jadis la même disposition que celle
des peuples sans chaussures^ c'est-à-dire le parallélisme très
exact du bord interne du pied et du gros orteil. Celle dernière
disposition exisle, d ailleurs, chez les petits enfants n^ayant
pas été cbauseés. D autre part, quand on appuie le pied nu
à terre, le gros orteil a de la leudance à reprendra ee lie dis-
position régulière. Leé Arabes ont la même déviation que
nous, mais ils se servent de sandales et de cbaus^ares en
cuir très hufiisantes pour produire la déformation» Entre le
gros orteil et le deuxième, il y aurait chex nous un espace de
I centimètre environ à la base. On peut rétablir cet esptce
en écartant avt^c la main le gros orteil jusqu'à ce qu'il ait
pris ta direction normale indiquée ci-dessus» à la condition
toutefois d'opérer sur des individus exempts de la déforma-
lion extrême produite souvent par la chaussure. Dans la plu-
part des cas, Técartement des doigts est limité, moins par une
disposition squeletUque que par un rétrécissement de la peau
de l'espace interdigilal, consécutivement au défaut d'usage.
M. Labordb demande à M. Manouvrier s'il ne pourrait pas
donner & la Société quelques indications au point de vue de
la forme normale du pied et des moyens de ne pas TalLérar
par la chaussure.
M. Manouvrier répond qu'il a déjà communiqué oralement,
dans une précédente séance, les résultats de sas rteberehes
sur cette question, et qu'il se propose de rédiger prochaine-
ment sa communication. En ce qui eoncerne les applications
à la chaussure, il ajoute qu'il a fait fabriquer pour lai, con-
formément à ses études, des obausture» de forma vraiment
rationnelle qu'il porte depuis six mois à sa grande Mtii^fuction.
II se fera un plaisir de donner, eu particulier, à ses collègues
qui le désireraient, toutes les indice liona néeessaires pour
obtenir des chaussures aemblablts^
688 SÉANCE DU 49 NOVEMBRE 1891.
M. LE COLONEL DuHOUSSET dit que les enfants et les singes
saisissent les objets en plaçant la pulpe du pouce sur le bord
radial de la première phalange dé Tindex; les femmes mena-
cent avec le poing fermé, le pouce étant placé do cette façon ;
les hommes, au contraire, quand ils ferment le poing, appli-
quent la pulpe du pouce sur la face dorsale des deuxièmes
phalanges de Vindex, du médius et de Tannulaire fortement
fléchis.
M. Sanson dit que les pianistes ont un énorme développe-
ment de la peau entre les doigts et un grand écartement des
doigts, mais ce sont là des particularités individuelles non
transmissibles héréditairement.
M. Laborde croit, au contraire, que la question des trans-
missions héréditaires des difformités acquises n*est pas ju-
gée. Il a obser\*é dans une même famille une transmission
pendant trois générations de la flexion permanente du petit
doigt d*une main. Il peut aussi citer une déformation acquise
du pied qui se transmet depuis plusieurs générations, et si
caractéristique qu*on peut reconnaître ainsi la famille.
M. Magitot dit qu*on peut hériter d'anomalies tératolo-
giques congénitales, mais qu'on ne peut guère admettre la
transmission héréditaire d^une mutilation acquise.
Legros a exécuté un nombre énorme de mutilations sur le
cobaye sans pouvoir réussir à obtenir la transmission hérédi-
taire de ces mutilations. Il y en a encore bien d'autres preu-
ves, la circoncision par exemple, qui n'a pas réduit la lon-
gueur du prépuce chez les juifs.
M. Laborde proteste de nouveau contre cette affirmation si
absolue. La question mérite d'être reprise. Il rappelle aussi
que, par un exercice bien dirigé, on peut arriver à faire exé-
cuter aux pieds les mouvements les plus compliqués. Tel est
le cas célèbre du peintre Ducornet peignant avec les pieds.
M. Capitan. Tel est aussi le cas de ce jeune homme que
j'ai observé et qu'on pouvait voir il y a quelques années dans
tes cirques de Paris. Né sans bras^ son éducation avait été
dirigée de très bonne heure de façon à lui faire acquérir une
DISCUSSION SUH LA PRËUENSILITÊ DU PIED. 680
tresgrandehabiletemanuelledespied8.il était arrivé ainsi
à se servir de ses pieds pour exécuter les choses les plus
délicates, nécessitant les mouvements les plus compliqués les
plus justes et les plus rapides. Il faut dire aussi que rexercice
lui avait donné une souplesse des membres inférieurs en
totalité. C*esl ainsi qu'il jouait très bien du violon, du cornet
à piston avec ses pieds. Il prenait son mouchoir dans sa
poche, se mouchait, ouvrait son étui à tabac, faisait une
cigarette, la fumait, jouait aux cartes, débouchait une bou-
teille avec un tire-bouchon, coupait sa viande, mangeait avec
une fourchette, etc. Tout cela toujours avec les pieds. Ceux-
ci, nullement déformés, étaient bien en éventail, le pouce
largement séparé des autres doigts et très long.
La préhension était exécutée tantôt par la flexion du pouce,
tantôt par le rapprochement du pouce du deuxième orteil,
tantôt par la flexion de tous les orteils et surtout par Tasso^^
dation de tous ces mouvements.
Lorsqu'il voulait exécuter un ensemble de mouvements un
peu compliqués, il s'asseyait sur une chaise, se renversant
assez fortement en arrière, puis il fléchissait les cuisses sur
le bassin et élevait ainsi les pieds à la hauteur de Tabdomen ;
il exécutait alors ses divers mouvements avec une extrême
souplesse et une très grande aisance. Il portait très facile-
ment ainsi les pieds à la tête, se grattait le front et même le
derrière de la tête. C'est en somme là un remarquable
exemple du degré de perfection auquel on peut, par un long
usage et un exercice systématique, faire parvenir des organes
qui ne semblent destinés qu'à remplir normalement des fono*
tions en somme grossières.
M. LE COLONEL DuBOUSSET. Daus la très intéressante com-
munication de M. le docteur Regnault, il a été question des
services qu'on pouvait tirer des membres inférieurs par la
mobilité du gros orteil, comme moyen de préhension. Tout
le monde appréciera ce cas de perfectibilité d*un organe
aussi important que le pied, trouvant surtout son application
chez les peuples qui ne le déforment pas par la chaussure.
600 SÉANCB DU 19 NOVEMBRE i891.
Non geulementt les Asiatiquesi mais des sauvages, comme il
s'en trouve peut-être encore quelques-uns habllant dans les
arbres, font assurément aussi usage de leurs pieds pour
s'aider à montera une certaine hauteur, ou afin do prendre
un point d'appui en pinçant une branche entre le premier
orteil et le second.
J'ai été à même, par un long séjour en Orient, de con^
stater Tutilité que les indigènes tiraient de leurs pieds, bien
exercés, ce dont tous les visiteurs de lexposition dernière
ont pu se copvaincre«
L'idée de la réalisation du travail qu'on lui demande se
comprendra mieux en jetant un regard sur les os du pied,
étant donné que le volumineux premier mélatarsien peut
s'y prêter, agissant par une continuelle pression en dehors
sur la facette supérieure du premier cunéiforme, très incliné
intérieurement, comme pour faciliter son éloignemenl du
second métatarsien ; celui-ci, ainsi que les trois suivants,
tournant leurs bases du côté extérieur pour décrire une
courbe accentuée en sens inverse afin da rejoindre le ouboïde.
En effet, on nous a appris que, chez les Indiens cités, il y
avait un intervalle beaucoup plu< grand entre la base de la
première phalange du gros orteil et la phalange correspondante
de Torteil voisin, que chez les Européens; ceux-ci ayant les
os du métatarse sensiblement parallèles^ disposition que
la chaussure tend encore à augmenter par une pression
soutenue.
On comprendra parfaitement qu'une fois la distance angu-
laire établie, la peau fréquemment sollicitée n'ait plus qu'à
obéir; c'est alors que la partie supérieure de la première
phalange du gros orteil^ inclinée en dedans et facilitant le
retour à l'intérieur de cet organe, agira comme la m&choira
mobile d'un étau.
De même qu'il saisira des objets assez volumineux, le gros
orteil arrivera à un tact parfait. Il y eut des artistes privés
de bras qui gagnaient leur vie en peignant des tableaux ; le
nom de Ducornet est bien connu; il ne se bornait pas à
DISCUSSION SUR LA PRÉBENSILITÉ DU PIED. 691.
manier le pinceau, mais il faisait aussi toutes les petites opé*
rations du mélange des couleurs avec le couteau à palette.
On peut en citer d'autres :je me suis trouvé au musée d'Anvers
avec un dessinateur faisant ainsi de belles copies d œuvres
anciennes. On a vu ou entendu parler de cet industriel qui se
rasait, enfilait des aiguilles et accomplissait des actes d*une
incroyable dextérité avec ses pieds.
Je me souviens d'avoir demandé ici même, au docteur
Manouvrier qui s'était chargé d'étudier anthropologiquement
une série d'Indiens campés, il y a quelques années, au Jardin
d'acclimatation, s'il avait constaté cette facilité qu'avaient
ces indigènes à ramasser des objets par terre sans se baisser,
ayant été témoin fortuit d'une entente du pied et de la main
pour arrivera ce but. Un de ces hommes, voyant sur le sol
une plume, probablement tombée des ornements qui déco-
raient leurs chevelures, la saisit délicatement entre le premier
et le second orteil, la porta à la hauteur de sa main droite
qui la prit, entre le pouce et l'index, sans que le torse flé-
chit; j'ajouterai que cet indigène avait les jambes arquées et
marchait un peu en dedans, comme beaucoup de ses congé-
nères qui tenaient probablement cette courbure des membres
inférieurs de la longue habitude du cheval.
Cette question de perfectibilité des écarts ordinairement
très limités du gros orteil nous parait d'un grand intérêt ;
mais, je crois qu'il est nécessaire, pour les voyageurs appelés
à la conàtateir, de s'attacher surtout à vérifier si l'enfant
montre, dès ses plus jeunes années» une disposition physique
se traduisant par une modification à la direction osseuse du
premier métacarpien porté en dehors, conséquence de l'espa-
cement signalé par M. le docteur Regnaultdans l'Inde, entre
le premier et le deuxième orteil des adultes.
Ce qui m'amène à insister sur cette remarque qui, dûment
justifiée, serait d'une grande importance, c'est que, chez les
Européens, la main, que sa merveilleuse structure rend apte &
toutes les adresses de loucher et de préhension^ eut cependant
besoin d*un apprentissage pour développer ces deux facultés.
692 8ÉANCE DU 19 NOVEMBRE 1891.
Je rappellerai en quelques mots que ce pouce, ayant des
aptitudes si exceptionnelles dans la suite, commencera par
cacher sa phalangette sous les quatre petits doigts fermés
de la main enfantine ; lorsqu'il s'agira de prendre un objet, le
pouce s'étendra, mais il restera encore, pendant longtemps,
comme collé au second métacarpien et appuyé sur la pre-
mière phalange de l'index, la pression s'exerçant entre la face
externe latérale du pouce et Tintérieur des quatre doigts
fléchis. En cela, la jeune main de Tenfant ne diffère pas du
mode de préhension des singes, et cependant^ dans Tespèce
humaine, tout est préparé de longue date pour cette faculté
opposante que n*a pas le pied.
Nous ne serions pas trop éloigné de croire que c'est l'ins-
tinct de la défense qui a suggéré à l'enfant l'opposition la
plus forte du pouce constituant ainsi le poing fermé, c'est-
à-dire sa seconde phalange étreignant fortement le médius
et obtenant la résistance pour frapper. Il n'est pas arrivé à
cela tout de suite, car le premier geste d'attaque a dû se
faire avec les ongles fermés pressant la paume delà main, le
pouce étendu et sortant, en dehors du pli des premières pha-
langes, de toute la longueur de l'ongle; mauvaise disposition
pour se heurter à quelque chose, et que l'action ne tarda pas
à modifier ; rendant plus efficace la défense en protégeant
tout à fait le pouce qui, pressant sur le médius, consolida la
jonction intime de tout le système ; la tête du troisième mé-
tacarpien formant la partie saillante de la courbe offensive
d'un instrument contondant.
Le geste de la menace se traduit, chez l'homme, en pré-
sentant généralement le poing fermé, parce qu'il sait la valeur
de cet acte agressif. La femme, qui a peu l'habitude du pu-
gilat, lorsqu'elle menace, le Tait avec le geste se rapprochant
de celui de l'enfant, les ongles sontenTairet le pouce allongé
en dehors, ce qu'on peut journellement vérifier. Du reste, la
main ne suffisant plus a dû s'armer d'une pierre et alors le
pouce a développé sa qualité d'opposant, ce qu*il manifeste
en fléchissant jusqu'à hauteur de l'intervalle séparant le
DISCUSSION SUR LA PKÉHENSILITË DU PIED. 693
médius et l^annulaire ; position médiane entre les doigts plus
ou moins ouverts, suivant la grosseur de Tobjet saisi.
Je pourrais citer bien d^autres faits, mais cela suffit pour
insister par analogie, sur le besoin de constater si les jeunes
Indiens naissent avec la particularité les rendant aptes à cette
adresse du pied. Chez le gorille^ Téloignement du premier
métatarsien est bien plus grand que Tos correspondant de la
main du même sujet ; ce métatarsien est suivi d'un pouce
beaucoup plus prenant que celui du métacarpien, mais qui
ne sert ordinairement qu'à progresser dans la verdure des
arbres sous laquelle Tanimal s'abrite, comme le perroquet
avec ses doigts opposés deux à deux saisit son perchoir ou
les fruits qu'on lui présente, ou même ainsi que le caméléon
s'installe avec ses doigts séparés en pinces, afin de se bran-
cher pour ses longues stations.
Depuis trente ans que j'ai l'honneur de faire partie delà
Société d'anthropologie, j'ai vu bien souvent se produire cette
question de comparaison, entre la main et le pied humain,
et les extrémités du gorille et du chimpanzé. Broca a con*
staté qu'ils avaient les mêmes extenseurs et les mêmes flé*
chisseurs du pouce que nous, ainsi que huit os seulement
au carpe, les séparant parfaitement de l'orang-outang, du
gibbon et bien entendu des autres primates. Toutes les dis-
cussions sur ce sujet se trouveront facilement, pour ceux que
cela intéresse, dans les Bulletins de fa Sociélé d'anthropologie
de 186*2 à 1870, consignant les savantes communications de
MM. les docteurs Gratiolet, Alix, Pruner-bey, Daily, etc.
Enfin, comme le dernier mot n*a pas été dit sur le sujet
qui nous occupe aujourd'hui, et que la constatation de la
particularité devant résulter, d'une façon apparente au moins
chez l'homme, de la direction angulaire du premier méta-
tarsien par rapport au second, nous conseillerons à l'obser-
vateur de s'en rendre compte par l'empreinte du pied, très
facilement obtenue, et en posant la plante sur un papier
passé préalablement au noir de fumée, dont le fixatif rendra
l'aspect véritable immédiatement indélébile. Sans doute les
694 SÉANCE DU 19 NOYËMBKB 1891.
Indiens dont nous a parléle docteur Regnanlt sont, par l'usage,
très habiles à se servir de leurs orleils; mais il me paraît que
cette dextérité doit surtout venir de rhabilude d'aller pieds
nus ; c est aussi l'avis du voyageur Rousselet, si compétent
pour tout ce q^ui a rapport à Tlnde centrale, Tayant habitée
en observateur érudit pendant plusieurs années ; il m'a affir-
mé que l'Européen, lui-même, vivant au milieu des Asiatiques
et à la façon des indigènes, acquiert un tact assez développé,
à Tendroit des orteils, et qu'il apprend à s'en servir aussi
fréquemment que les Orientaux, n'importe à quelle race ou
caste à laquelle ils appartiennent.
Dans la plupart des professions, l'ouvrier se sert presque
autant du pied que de la main ; nous avons pu le constater
très souvent aussi en Perse pour les petites industries du
bazar, le pied est un aide indispensable au tourneur; le bou-
cher et le ciseleur ne dédaignent pas non plus de le mettre à
contribution.
Journellement on voit, chez les peuplades de l'Inde, les
jaunes filles revenir de la fontaine, ayant sur la tête d'énormes
bassines en cuivre; se tenant droite et la taille cambrée, elles
maintiennent en équilibre, pendant leur marche à petits pas
précifiilés, ce grand poids, la main gauche seulement tou-
chant le récipient. Cependant, malgré celte préoccupation,
et si, dans la poussière fortement sollicitée par ce genre un
peu traînant de progression, la moindre chose brille à terre,
tel minime que soit l'objet, le pied, manœuvrant avec une
adresse remarquable, le saisira entre le gros orteil et le sui*
vant et le portera à la main droite, sans presque arrêter la
marche, et sans compromettre en rien la solidité du fardeau
inquiétant surplombant la tète.
On remarquera aussi que c'est surtout le pied droit qui
opère.
M. Regnault. Je remercie mon confrère de l'appoint qu'il
apporte à la question soulevée dans la dernière séance.
Certes, elle n*est qu'ébauchée et il serait utile de rechercher
cette propriété chex tous les peuples et principalement chez
G0HBE8P0N0ANCE. 695
les peuples sauvages, bien qu'on puisse être assuré déjà
qu'elle n'existe pas chez lous.
A propos de Tusage des patins aux Indes, je ferai remar-
quer leur grande différence avec ceux dont on se sert en
Chine, Japon et Birmanie (voir musée de Cluny). Les patins
sont maintenus par deux lacs qui, d'une part, se fixent entre
le premier et le second orteil et de Tautre, passant sur le dos
du pied, vont en arrière se terminer sur les parties latérales
du patin. C'est ce dernier et non les premier et second orteils
qui maintiennent ici le patin. Ainsi s'explique pourquoi les
Japonais ont des bas avec un compartiment spécial pour le
gros orteil, afin de pouvoir mettre ces patins. Les sandales
antiques se maintenaient de mémo façon.
La séance est levée à six heures vingt minutes.
Vun des secrétairei : CAPITAN.
518* SÉANCE. — 3 décembre «891.
Présldonec de Sf* LAB^HIIE, préitldeiiC.
Le procès-verbal de la dernière séanoe est lu et adopté.
COMMUKICATIONS DU BUREAU.
M. LE Président fait part à la Société des décisions prises
par le Comité central relativement au concours de 1891 pour
le prix Godard.
M. Manouvrccr, rapporteur du jury, donne communication
de son rapport dont les conclusions ont été ratifiées par le
Comité. (Voir la séance solennelle du 10 décembre.)
C0BBE8P0IV0ANCE.
M. LE Secrétaire général communique une lettre adressée
par M. Tilly-Kinafif, qui signale la découverte, à Saint-Quai-
Portrcux (Côtes-du-Nord), d'ossements humains mélangés
696 SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1891.
à des objets paléolithiques^ néolithiqaes, gallo-romains et
même mérovingiens. Il semblerait, d'après ces ossements,
qa*il a existé, dans cette région, une race de petite taille
présentant certains caractères mongoloïdes et ayant dû per^
sister pendant le moyen âge. M. Tiily-Kinaff signale, notam-
ment, diverses particularités observées par lui sur les mandi-
bules. Il demande si la Société ne pourrait pas contribuer
aux fouilles pécuniairement.
M. LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, au sujct de cctlc lettre, rappelle
que, d'après Pruner-Bey, il ne serait pas rare de rencontrer
en Bretagne des types mongoloïdes.
Quant a la question de contribution en argent, elle sera
renvoyée à Texamen du Comité central.
M. LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL dounc ensuite lecture d'une lettre
de M. Gaillard, annonçant Tenvoi d'une communication sur
des recherches faites au Roch*driol, à Quiberon, à la suite de
celles du Gonguel, ainsi que de dessins des objets recueillis.
Ce travail sera publié à la suite de la communication sur le
dolmen du Gonguel.
M. Gabriel de Mortillet annonce que M. Schaaffhausen a
envoyé un grand nombre de ses ouvrages destinés à la biblio-
thèque. Il ajoute que ces ouvrages sont arrivés trop tard pour
être inscrits au catalogue imprimé, mais qu'ils seront annon*
ces dans le Bulletin,
M. de Mortillet fait observer que les envois faits à la Sociélé
ne devraient pas être adressés nominalement aux membres
du Bureau. Afin d'éviter des erreurs et des relards, il serait
préférable de désigner seulement ces membres par leurs
fonctions et non nominalement: M, le Président.,,, M, le
Secrétaire général, etc. Une note à ce sujet pourrait être in-
sérée sur la couverture des Ùulletins, (Adopté.)
CANDIDATURES.
^aïo veuve EuG. Véron, présentée par MM. Letourneau,
Manouvrier et M"« Juglar, demande le titre de membre titu-
laire.
OUVRAGES OFFERTS. 697
M. NoYiKOFF, présenté par MM. Letourneau, Sanson, La-
borde, demande le litre de membre titulaire.
M. Albert ëuoe^ avocat à la cour d'appel, présenté par
MM. Manouvrier, Letourneau et Segalas, demande le titre de
membre titulaire.
ÉLECTIONS POUR LE RENOUVELLEMENT DU BUREAU.
Le dépouillement du scrutin, opéré conformément au règle*
ment, a donné les résultats suivants :
Nombre des volants : 60.
Les membres présentés par le Comité central ont obtenu :
MM. Bordier, 57 suffrages ; Salmon, 54 ; Dareste, 54 ;
Manouvrier, 55 ; Gapitan, 58; Guyer, 56; A. de Mortillet, 58 ;
Issaurat, 59 ; Fauvelle, 58 ; Mathias Duval, 59; Hovelacque,
57 ; Laborde, 59.
En conséquence, le Bureau sera ainsi constitué pour 1892 :
Président : M. Bordier ;
Premier Vice -Président : M. Salmon. — Deuxième Vice-Pré'
si dent : M. Dareste.
Secrétaire générai : M. Letourneau.
Secrétaire général adjoint : M. Manouvrier.
Secrétaires annuels des séances: MM. Gapitan et Guyer.
Conservateur des collections /M. A. de Mortillet.
Archiviste : M. Issaurat.
Trésorier: M. Fauvelle.
Comité de publication : MM. Matbias Duval, Hovelacque et
Laborde.
ouvrages offerts.
ScHAAFFHAUSEN ; Die Kcltcn. — Zur abwehr, Bonn, 1885,
in-8% 4 pages. — Der Neanderthaler Fund^ Bonn, 1888. in-4^,
49 pages. — Die vorgeschichtliche Ansiedelung in Andernach,
Bonn, 1888, in-4*, 42 pages. — L'Homme préhistorique ^ Lia-
bonne, 1880, in-8'*, 10 pages. — Les Indices d'anthropophagie
révélés par les ossements humains découverts dans quelques
608 SKANGS DU 3 DtCCMBRiS 1891.
grottes du Portugal, Liftbonne, 1880, in-8*, 8 pages. — ^oA/en,
Wiesbaden, in-8', 6 pages et figures. — Ueber das mensck-
liche Gfibisty Bonn, in-H**, 20 pages. — Die nchxdel aui dem
Lœsi von Podbada \^inaric in Dœhmen, Bonn, in-8*, IH pages
et figures. — Die antkropolog tschen Sammlungen deutschlands
ein Verzeichnlss des in deulschland Vorhandenen anthropolo-
gischen Materials... etc., ln-4*, 1877. — Die neue Hohlenfund
von Sieeteny Wiesbaden, in-8°, 32 pages. — Ueber den Mens-
cklichen Kieferaus der Schifjka'f^œh'e bei Strambetg in mœh-
rew, Bonn, in-8", 3:2 pages. — Berickl ûher den inlemationalen
Congress fur vargeschichtiiclie Anthropologie undArchœo'ogie in
Pesty Brunschweig, 1877, in-i", iO pages.— Drei Schxdel atis
Rœmergrxbern bei Metz, in 8'», 30 pages. — Der inteniatio^
naler prxhistonsche Congress in Lnsabon am 20 bis 29 sep^
temher 18S0, in-4'*, 20 pages. — Uf^ber John jMbboocK's Dan-
tellung der Urgeschichle, in-4°, 30 pages. — Compte rendu des
ouvrages de M. de Morlillet : le Préhistorique, antiquités de
r homme; Origines de la chasse, de la pêche et de V agriculture ;
I. Chaise, pêche, domestication. — Allgemeine Versammlung der
deutschen anthropologischen GeselUchaft in Karlsruhe, I h85 ;
Stettin, 1886 ; Nûrnberg, 1887 ; Bonn, 188.^; Wien, I8h9;
Munster, 1890. — Ueber ein von der deutschen anthropolo-
gischen gemein Sames verfahren fur die Messung der mensc/iii-
chen Becken, Bonn, ln-8°, 12 pages. — Dahomey-Neger und
Negerinnen, in-8°, 14 pages. — Crânes nèawlerthaloides (en
allemand), Bonn, 1886, in-8°, 8 pages et figures. — Ueber
die anthropologischen Fragen der Gegenwart, 1868, in-8**,
22 pages.
M. Lagneau. Je dépose sur le bureau mon Mémoire sur les
mèf*es délaissées et les maternités-ouvroirs.
Dam ce travail inséré dans le^ Comptes rendus de l* Acadé-
mie des sciences morales et politiques, je cherche à montrer
que, si durant les derniers mois de la gestation et les pre«
miers temps de Tallaitement, les femmes abandonnées de
leurs maris ou de leurs amants étaient admises, à bureau
ouvert et secret, dans des établissements hospitaliers réunis-
COLLIN. — PliCES NéOLITHIQUES ET PALÉOLITHIQUES. 699
sant à Ja fois les avantages des refuges-ouvroirs, des mater-
nilés, des crèches d*allaitement et des asiles secrets, on par*
viendrait, d'une part, à arracher à la mort par misère de
nombreux enfants de mères dépourvues de ressources ; d*autre
part, à arracher à la mort par crime quelques malheureux
enfants, dont Texistence est imputée à honte à leurs infor-
tunées mères.
PÉRIODIQUES.
The Journal ofthe Anthropological Institute ofGreat BrilaiH
and Ireland, novembre I8i^1 . T. G. Pinches : ^/7on Ihe types of
the Early Inhabilants of Uenopotamia,
Twenty -second annual report ofthe State Board of Health of
Massachusetts^ Boston, 1891, in*8*, 590 pages.
PRB8ENTATION8.
Crâne mérovingien.
M. Labordb présente un crâne offert à la Société par H. Gri-
maux, professeur à TËcole polytechnique. Ce crâne, trouvé
H Thiré, en Vendée, a les caractères d'un crâne mérovingien.
Il laisse à MM. Hoveiacque et Hervé Je soin de déterminer
plus exactement ces caractères et déjuger si cette apprécia-
tion est fondée.
M. HovELACQUB répoud, qu'en effet, tout fait croire que ce
crâne est bien mérovingien.
M. Laborde ajoute que M. Grimaux a déterminé l'étymo-
logie du nom de Thiré, de la manière suivante: Theodoria--
cuniy Theodoricum, Theriacum, Thiré. Ces noms ont été relevés
dans les vieux titres, archives de l'état civil du pays.
Pléees néolithiques et paléoliibiqves
de €eupwray et de Jablioes (ëeine«ei-Marne) |
PAR M. ^UILB COtLlir*
Dans une excursion faite en compagnie de MM. Régnier,
d'Ësbly ,et Dutenhoffer, de Gonpvray, Bur les plateaux de
700 SËANCR DU 3 DÉCEKBRË 4891.
Goupvray et de Jablines, nous avons ramassé, à la surface du
sol, un assez grand nombre d'éclats, parmi lesquels des nu-
cléus^ des percuteurs, des disques, et d*aulres éclats avec
retouches, des pointes, des perçoirs, des grattoirs convexes
et des grattoirs concaves.
La présence de ces grattoirs concaves nous porte à croire
qu'il existait, à cet endroit, un atelier spécial pour la confec-
tion de ces outils.
Outre les instruments que nous venons de citer, nous
avons rencontré aussi des haches taillées.
Malgré toute l'attention que nous avons apportée dans nos
recherches, nous n*avons pu recueillir ni tranchât ni pièce
polie. Cependant, nous avons récolté trois pièces dites coups
de poing, de Tépoque chelléenne.
Une de ces pièces est remarquable par la finesse de sa
pointe, ainsi que par le talon, qui en facilitait, pour ainsi
dire, Tempoignement et empêchait ainsi de se blesser la
main. Ces coups de poing sont en silex du calcaire de Brie.
Nous rapprochant de la ligne du chemin de fer de l'Est,
qui sépare en deux la colline, nous remarquons plusieurs
places oix Ton avait certainement fouillé la craie, où de nom-
breux ménilites affleurent la surface du sol ; cette craie est
la couche supérieure du Saint-Ouen.
Les tailleurs de silex n'avaient eu qu'à profiter de la ma-
tière première, qu'ils avaient, pour ainsi dire, sous la main,
au lieu d'avoir recours à des extractions ou à des transports
très pénibles, comme cela s'est produit dans plusieurs autres
contrées.
Maintenant, j'ajoute que, sur les hauteurs de l'endroit, se
trouve une immense tranchée, qui peut avoir environ 80 mè-
tres de long sur 1°,50 de large et 80 centimètres de profon-
deur. C'est en creusant dans cette tranchée que nous avons
rencontré une multitude de petits éclats, indiquant aussi
qu'il y avait là un atelier.
En quittant les Chauds-Soleils, nous nous sommes dirigés
vers Jablines situé plus au nord et également sur un versant.
LAJARD ET REGNAtTtT. — SlTR UN SOUEIETTB d'aCCRÉEN. 701
Nous avons trouvé là les mêmes instruments qu'à Coupvray,
mais on plus grand nombre.
En réponse à la communication de M. Gabriel de Mortillet,
je rappellerai qu'à l'Exposition de 1889, au pavillon de
l'Histoire du travail, j'avais exposé un tableau de pièces
de Tépoque de la Magdelcine et provenant des fouilles faites
à Bruniquel (Tarn-etGaronne), par M. Peocado de Tlsle,
et dans lequel figurait une phalange de renne ayant servi
de sifflet.
COMMUIflCATfOlVS.
Snr nn squelette d*AeeréeB«
oOert ik la Soeiété d'anthropologie;
PAR MM. LAJARD ET RRGNAULT.
La ville d'Accra est située en Guinée, sur la côte d*Or.
En 1889, un imprésario engagea quelques Acoréens pour
les produire en Europe.
Ils furent mesurés et examinés, à leur arrivée, par la So-
ciété d'anthropologie de Bordeaux.
Pendant leur séjour à Marseille, Tnn d'eux mourut de
pneumonie à l'hôtel^Dieu. C'est ce sujet, Canite, Jean, &gô
de trente-deux ans, dont je vous présente aujourd'hui le
squelette.
G^était un bel homme, admirablement conformé, sans par-
ticularités spéciales, sauf que ses testicules n'étaient pas
entièrement descendus dans les bourses, mais étaient restés
à la partie supérieure.
Les muscles n'offraient aucune particularité au point de
vue analomique, malgré les recherches faites avec le concours
de M. le docteur Alezais, chef des travaux anatomiques à
Marseille.
Nous avons pris le cerveau, et il nous offre un grand inté'
rêt ; car nous avons pu obtenir du chef de la bande des ren-
seignements précis sur l'état mental de ce nègre.
Il était sourd-muet de naissance^ mais 11 comprenait au
T. II (4* SÉR»}. 45
70Si 8ÉANCB DU 3 DÉCEMBIiE 4891.
mouvement des lèvres. Taciturne et triste, il restait isolé dans
un coin et passait pour peu intelligent auprès de ses oompa-
gnons. Il était très religieux comme Ty forçait du reste sa
profession de sculpteur de fétiches.
Quand il buvail, il versait toujours un peu de sa boisson
pour ses ancêtres, ce qui excitait Thilarité de ses compagnons.
Or nous trouvons des adhérencèâ de la dure-mère avec les
autres méninges; mais pour le reste, un cerveau normal. El
Tencéphale bien égoutté pesait 1505 grammes!
Du reste le cubage du crâne de 16G0 grammes s'accorde
assez avec ce poids. Ce fait, éloigné de ce qu'on trouve chez
les races noires, montre avec quelle prudence on doit ménager
les conclusions tirées de ce caractère anthropologique. Nous
avons ici le crâne d'un nègre guinéen de race pure et faible
d'intelligence, et son cerveau pèse plus que celui de bien des
gens de notre pays.
• C'est que le poids du cerveau est fonction de plusieurs
causes, entre autres de la force et du poids de l'individu.
On voit encore sur le cerveau desséché le pied de la troi-
sième frontale gauche, pied peu développé, et la branche
ascendante de la scissure de Sylvius n'u qu'une longueur de
8 millimètres. Cette circonvolution est à rapprocher de celle
de la figure 4 (idiot) de l'étude de la circonvolution de Broca,
par M. G. Hervé.
A la hauteur des circonvolutions frontale el pariétale
ascendantes, la première temporale gauche paraît plus petite
et légèrement étranglée par rapport à celle du lobe droit*
L'étude complète et détaillée de ce cerveau reste d'ailleurs
encore à faire. Il n'en est pas de même des mensurations
que nous publions ici :
Crâne,
Diamètre «ntéro-potlérit ur msximuio ISS
transversal maximum 141
Indice céphalique 77,2
DiamèU'e mélopigne 1S4,S
— ssléri^ue ilS
LAJARD ET REGNAULT. — gUR UN SQUELETTE d'aCCRÉEN. 703
Diamètre frontal minimum 08
— > vertical basiio-bregmatique 145
Indice vertical , 79,4
Trou occipital. Longueur 36
— Largeur 3l,b
Indice 87,5
Courbet cranienn$$.
Courbe médiane sous-cérébralc i^
— frontale lia
— pariélnlo 1:10
— occipitale 8up«''rieurc r>0
— cérébelleuse o5
— cérébrale lolale 3n5
— transversale sus- auriculniro 31 K
— horizontale préauriculaire 279
— totale Bi3
Projection antérieure Iû8
— postérieure lOt
Angle basilaire de Broca 35»
— occipital aeo
Face,
Diamètre ophryo-alvéolaire .. 8,3
— bizygomatique 30,5
Indice facial G3,G
Orbite. Hauteur 37
— Largeur 37
ladice iOO
Diamètre bi-orbitaire externe 08
— interorbUnirc 25
Nez. Hauteur 51,5
— Largeur 28
Indice 54,4
Voûte palatine. Longueur 55
— Largeur 38,5
Indice 69,4
Angle facial sous-nasal , 73»
Mandibule.
Poids. 115f
Distance bicondylienne 123
— bigoniaque 92
— mentonnière *.. 46
Hauteur symphysienne 86
~ molaire 28
Longueur de la branche 56
704 SÉANCB DU 3 décbmbre'^4891.
Largeur de la branche 35
Angle mandibulaire 32o
— symphysien 97«
Les sutures sont simples.
Le crâne est en équilibre postérieur.
L'inion est effacé et le centre du pressoir d*Hérophile cor-
respond à une pression légère.
Les diamètres et les courbes ont été pris d'après la mé-
thode de Broca.
Réflexions. —Par son indice céphalique, ce crâne se range
parmi les sous- dolichocéphales.
L'indice vertical est très grand. Il dépasse la moyenne
maximum de cette mesure. Le fait est dû à ce que les fosses
cérébelleuses sont profondes et volumineuses.
Entre les deux incisives supérieures médianes existe un
espace libre de 8 millimètres^ sans qu'il y ait de perle de
dents ; c'est là probablement un caractère ethnique obtenu
artificiellement.
Os longs.
Humeras droit. Longueur 343
— gauche. Longueur 343
Circonférence prise au-dessous de l'insertion du deltoïde.. • 69
Cubitus droit. Longueur 233
— gauche. Longueur 281
Radius droit. Longueur 272
— gauche. Longueur 275
Fémur droit. Longueur oblique 478
— — ^ trochantérienne 453
— — totale 480
Diamètre tranverse 25
— antéro-postêrieur 29
Indice de la piatymérie 86,1
Angle du col avec le corps 131»
Tibia droit. Longueur 418
Diamètre transverse , 28
— antéro-postérieur 37
Indice de la platycnémie. 76,7
Circonférence , 80
Angle de rétroversion » 19©
Péroné droit. Longueur 396
— gaucho. Longueur • • . « « . • 392
DISCUSSION SUR Vîi SQUELETTE d'AGCRÉEN. 705
Les os du squelette sont lourds et l'ossature est forte.
Les mesures que nous donnons peuvent avoir quelque
intérêt, si on les rapproche des proportions et des formes
sculpturales que nous avons observées sur le cadavre.
Discassion.
M. Manouvrier. En faisant son intéressante présentation,
Jtf. Regnault a insisté sur le poids encéphalique assez élevé de
son Accréen. Ce fait n'a rien d'exceptionnel étant donnée la
haute et forte taille du sujet. Dans mon mémoire Sur Vinierpré*
talion de la quantité dam /'enc^/)Aa/6^ j'ai montré la fréquence
des grandes capacités crâniennes chez nos ancêtres de Tépo*
que néolithique et chez les peuples sauvages actuels dont
la stature est supérieure à la nôtre. La moyenne des Polyné*
siens dépasse elle-même un peu celle des Parisiens, et ca
fait est un de ceux qui m'ont permis de démontrer l'influence
considérable de la taille sur le volume du cerveau. Le cas
présenté par M. Regnault n'offre donc rien de particulière'-
ment instructif sous ce rapport.
' D'ailleurs, le sujet en question pouvait fort bien jouir d'une
intelligence égale à celle de ses congénères. Il était taciturne,
d'un caractère un peu sombre et vivait à l'écart ; tout cela
s'explique assez parla surdi-mutité dont il était affecté et dont
nous ignorons la cause. Cela peut aussi nous expliquer pour*
quoi ses compagnons, vraisemblablement superficiels en
matière de psychologie, le tenaient pour inintelligent. Dans
une société civilisée, ce fabricant de fétiches, qui paraissait
ridicule à ses concitoyens parce qu'il faisait des libations
à la façon classique, eût peut-être manifesté d'une façon
plus brillante les qualités intellectuelles qu'il pouvait avoir.
1 Mémoiret de la Société d'anthropologie ^ 2* série, t. III.
106 kÉANCB DU 3 DÉCEMBRE 1891.
Les flèehés empoisonnées dn Sarro (hant Niger).
ftllide el déicrmlnstion expérimentale de l'aeclnil
et de la natare dn poison ;
PAR J.-V. LABORDE ET P. RONDEAU.
On connaît déjà Inintéressante relation, par M. le lieute-
nant de vaisseau Jaime, de son expédition dans le Moninfa-
bougou et le Sarro. Ayant réussi à se mettre en communica-
tion amicale avec le chef du Sarro, qui s'offrait à proléger
lui-même nos envoyés, M. Jaime reçut de lui, entre autres
présents, un carquois et des flèches avec cette déclaration que
tout en n'ayant pas d'armes perfectionnées comme les nôtres,
leurs flèches étaient dangereuses, et ses guerriers très braves ;
que nous pouvions essayer ces flèches avec conflance, ce qui
permettrait déjuger de la véracité de ses paroles.
« Les renseignements, ajoute le lieutenant Jaime, que nous
avons pu réunir sur ces engins, sont forcément incomplets,
car les gens du Sarro seuls empoisonnent leurs flèches el ne
livrent pas volontiers le secret qui fait leur force. D'ailleurs
peu de gens le connaissent, car tous les ans il se fait une
cérémonie à Toccasion de Tempoisonnement des flèches et
des safçaios de guerre que les chofs distribuent à leurs guer-
riers, en cachant à tous la manière d'obtenir le poison.
« Les armes servent surtout pour la guerre et non pour la
chasse, car ces gens sont cultivateurs et pécheurs plutôt que
chasseurs, le gibier étant relativement peu abondant dans le
Sarro où il n'y a pas de grandes forets. Ils ne sont pas agres-
sifs, quoique très braves, et ils usent de ces armes surtout
pour défendre leur territoire contre les raz.zias de leurs puis*
sants ennemis du Segon et du Macina.
« Depuis la prise de Segon, nous nous trouvons les voisins
de celte tribu, et, en novembre 1890, un traité liant ce pays
à la France vient d'être conclu. Nous avons donc lieu de croire
que jamais nos soldats et nos marins ne seront exposes à
être blessés par les flèches de ces noirs ; cependant il est
LABORDE ET RONDEAU. «-» FLtCHSS BMPOISONNÉES. 707
naturel de rechercher les effets du poison dont elles sont
enduites sur l'organisme vivant et, surtout, de connaître les
moyens de sauver le serviteur blessé par l'une d'elles. »
C'est dans ce but que M. le lieutenant Jamais a bien voulu
nous confier ces flèches, dont nous avons fait, pour répondre
de notre mieux à ses désirs, Tétude expérimentale suivante.
I
DESCRIPTION SOMIfAIRE DES FLÈCHES ET DU CARQUOIS
QUI LES CONTIENT.
Bien que d'un intérêt secondaire, le carquois dans lequel
étaient placées les flèches qui vont faire le sujet de cette
élude mérite cependant quelques mots de description.
Il est formé de lamelles de bois juxtaposées et réunies à
quelques centimètres des deux extrémités par un lien circu-
laire en corde grossière, qui fait saillie comme le feraient des
nœuds de bambou sous le cuir épais dont le tout est recou-
vert. Ce cuir d'un seul morceau, très régulièrement cousu
sur toute sa longueur avec un lacet en cuir, forme, également
avec la charpente de bois qu'il recouvre, un tube cylindrique
fermé à Tune de ses extrémités présentant les dimensions sui-
vantes: longueur, 46 centimètres; diamètre, 6 centimètres;
le poids est de 380 grammes. Ce carquois est porté au moyen
de bandes de vieux chiffons formant une bretelle, qui prend
ses points d'attache aux deux liens décrits plus haut.
Les flèches étaient au nombre de dix-sept, présentant plu-
sieurs types reproduits dans la planche ci-jointe. Toutefois
la différence ne porte que sur les pointes, et les corps mômes
des flèches sont tous absolument identiques. Ils sont formés de
tronçons de roseaux longs de 45 centimètres et d'un diamètre
de5à7milUmètres.L'extrômité inférieure présente tout autour
un petit dessin triangulaire et ne se termine pas en encoche, ce
qui pourrait faire supposer que ces flèches sont lancées non
pas a vec Tare mais à lia main. La pointe de fer est tou*
^08 SÉANCE Dtr 3 DÉCEMBRE 1891.
jours fichée dans le roseau et, pour éviter les éclatements qui
pourraient se produire, oo a soin de faire une solide ligature
Fig. 1.
avec du gros III. Celle ligature par les aspérités qu'elle forme
doit aussi avoir pour but de retenir en plus grande quantité
le poison dont ses pointes sont enduites ; c'est du reste à ce
niveau qu'on le retrouve en plus grande quantité.
LABORDE ET RONDEAU. — FLÈCHES EMPOISONNÉES. 700
Quelle que soit la forme des pointes, toutes ces flèches sont
sensiblement de la même longueur (de 52 à 53 centimètres) ;
le poids est aussi très régulièrement égal à moins de i gramme
près entre flèches semblables, et varie entre 13 et 14 grammes,
ce qui fait i gramme d*écart dans Tensemble. On peut juger
par ces quelques détails quel soin méticuleux préside à la
confection de ces armes, que nous allons maintenant étudier
expérimentalement.
II
ÉTUDE EXPÉRIMENTALE.
Tels sont les engins dont il s*agissait de déterminer l'action
nocive, au point de vue du toxique dont ils sont le véhicule.
I. Effets de l'implantation du bout empoisonné de la flèche, —
Dans ce but, et afin de réaliser, autant que possible, les con-
ditions dans lesquelles leurs auteurs en font usage, nous
avons employé, dans nos premiers essais, la flèche elle-même,
c'est-à-dire le bout empoisonné, en Timplantant dans la
cuisse d'un lapin vigoureux, à travers une boutonnière de la
peau.
Ce n'est qu'au bout [et après l'attente d'une heure, environ,
que nous avons vu l'animal être pris tout à coup, presque
sans avertissement et sans prodromes, d'accidents de nature
asphyxique, suivis rapidement, en quelques secondes, de la
suspension des mouvements respiratoires, et de l'arrêt du
cœur à peu près simultané, car il n'offrait plus de contrac-
tions à l'ouverture immédiate du thorax.
Cette première expérience d'essai révélait deux faits
essentiels :
1° Une certaine lenteur dans la production des effets du
poison tel qu'il est présenté à l'absorption, avec le bout de la
flèche qui le contient;
2"* La rapidité, la quasi-instantanéité de ces effets, dès qu'ils
se sont déclarés, et la forme asphyxique des accidents mor-
710 BÉANCB DU 3 DÊCBIIBRB i89t.
tels, tenant à la suspension nettement constatée de la fonction
cardio-respiratoire .
L'expérience répétée, dans les mêmes conditions, snr le
même animal, le lapin, a donné exactement les mêmes ré-
sultats.
Mais il n'en fût pas tout à fait de même sur un petit chien,
du poids de iO kilogrammes, soumis à Texpérience suivante:
Le bout empoisonné d'une flèche, qui avait préalablement
trempé dans Teau, pendant vingt-quatre heures, circonstance
qu'il importe de noter, fut implanté dans la cuisse de Tanimal,
à travers une boutonnière de la peau. L'implantation, faite
doucement et lentement dans la masse musculaire, ne parut
pas, d'après les manifestations de l'animal, être fort doalou«
reusc ; mais, après dix à douze minutes environ, le membre
impliqué s'était allongé en une forte roideur tétanique, qui
témoignait d'une vive douleur locale, également et clairement
manifestée par l'attitude générale^ et les cris plaintifs de
l'animal.
La roideur et la contracture gagnèrent bientôt le membre
postérieur similaire, en sorte que l'animal couché sur le flanc
présentait les deux membres et le train de derrière allongés
et roidis, en une attitude qui semblait exprimer surtout l'ap-
préhension d'un déplacement douloureux.
On sentait en même temps, deux heures environ après le
début de l'expérience, le commencement déjà accusé d'une
tuméfaction de la cuisse qui contenait le bout de flèche.
Cependant, ni au bout de ces deux heures, ni après la troi-
sième, la quatrième, la cinquième, aucun symptôme appré-
ciable d'intoxication générale ne s'étaitmontré ; et, à part l'état
d'impotence, d'ailleurs complet, dans lequel se trouvait l'ani-
mal par suite de la contracture provoquée par l'action locale,
rien de caractéristique ne trahissait l'action générale du
poison.
Laissé en cet état, à la fin de la première journée, l'animal
fut trouvé, le lendemain, dans la [même situation générale.
LABORDB fit RONDEAU. — FLÈCHES EMPOISONNÉES. 71 1
avec ôelle dififérence, toutefois, que la roideur du membre
afFecté était moins marquée, et qu'elle avait totalement dis*
paru chez son congénère, ce qui avait permis au chien de se
déplacer, et de se tenir dans une attitude couchée très voi-
sine de la normale. Mais il était fort affaibli, dans une sorte
de stupeur languissante, incapable de se tenir debout, quand
on Vy incitait, et fléchissant immédiatement sur ses pattes,
n'ayant pris et n'acceptant aucune nourriture ; somnolent et
poussant, de temps en temps, de petits cris plaintifs^ accom-
pagnés d'un peu de salivation. ,
L'examen objectif des mouvements respiratoires ne décelait
rien de caractéristique de ce côté ; une palpation attentive
des battements de la pointe du cœur permettait seulement
de constater un ralentissement et un aCTaiblissement très
notables de ces battements.
La pression de la cuisse ne provoquait presque plus de sen-
sibilité douloureuse, mais montrait une augmentation appré-
ciable, avec difTusion, de la tuméfaction primitivement cons*
tatée au niveau de l'implantation de la flèche.
Afin de hâter une terminaison qui se serait probablement
faite ainsi longtemps attendre, et aussi, nous l'avouons, dans
l'intention d'abréger les souflTrances de l'animal, nous lui
injectâmes sous la peau 2 centimètres cubes de liquide dans
lequel nous avions fait dissoudre, en le laissant au contact
pendant vingt-quatre heures avec un bout de flèche, la sub-
stance toxique. Vers la douzième minute après l'injection,
l'animal est pris d'efforts violents de vomissements, à la suite
desquels il rejette un liquide jaunâtre, bilieux et spumeux.
Tout à coup, dans un de ces efl'orts, il pousse un cri de
détresse, et roule à terre comme sidéré: il était mort.
L'ouverture instantanée de la cavité thoracique montre le
cœur complètement arrêté en syncope terminale : le ventri-
cule gauche est en rétracUon systolique complète, tandis que
le droit est flaccide, mais non dilaté, et contenant une très
petite quantité de sang liquide.
Les poumons sont le siège' d'une congestion généralisée,
712 SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1891.
avec quelques points ecchymoUques, (comme dans les as^
phyxies rapides.
Au point d'implantation de la flèche (cuisse droite) s*est
formé un abcès considérable, avec infiltration séro-sanguine
et purulente ayant disséqué les muscles et attaqué les tissus
dans une grande étendue.
Cette expérience, que nous avons tenu à relater dans tous
ses détails, à cause de la double démonstration qu*elle donne
relativement aux effets du poison, a présenté deux phases
distinctes :
Une première, dans laquelle, consécutivement à Timplan*
tation d'un bout de flèche, il se produit des effets généralisés
peu accusés et d'une grande lenteur, tandis que les effets
locaux sont très accentués et s'expriment en un large foyer de
purulence gangreneuse, qui témoigne d'une forte action irrita-
tive de l'engin toxique. Nul doute qu'en dehors même de toute
action primitivement généralisée, l'animal n'eût succombé
sous l'influence de ce foyer septicémique. En tout cas, il se
trouvait, du fait môme de cet accident local, auquel s'ajou-
taient les effets extrêmement douloureux, réduit à une impo-
tence absolue, et dans ces conditions, la victime qui a reçu
la flèche est certainement et fatalement au pouvoir de celui
qui Ta lancée, en atteignant le but.
D'ailleurs, et bien qu'évidemment atténuée, l'action géné-
rale avait aussi une certaine part dans la faiblesse et l'espèce
d'allanguisseraent de l'animal; mais, en raison sans doute de
la réduction de la quantité du toxique par sa dissolution
préalable dans le liquide où avait trempé pendant quarante-
huit heures le bout empoisonné, et par suite^ en raison d'une
absorption insuffisante, les effets généraux caractéristiques
et mortels de Tintoxication ne s'étaient pas produits.
Ce qui s'est passé dans la seconde phase de l'expérience l'a
bien montré ; car, dès que nous avons introduit dans Torga-
nisme une dose plus que suffisante du toxique, les accidents
se sont déroulés avec une violence et une rapidité extrêmes.
L\BORDE ET RONDEAU/-^ FLÈCHES EMPOISONNÉES. 7i3
présentant les caractères tranchés que nous allons mainte-
nant retracer et fixer, dans les conditions expérimentales
similaires.
II. Effets de Vinjection sous-cutanée du liquide tenant en diss(y
lutîon ou en suspension C enduit du bout de flèche raclé ou trempé
un certain temps. — Pour cette série d'expériences décisives,
comme on va le voir, nous nous sommes servis du liquide
dans lequel nous laissions tremper, durant quarante-huit
heures au moins, le bout empoisonné de la flèche ; c'était
de l'eau distillée^ que nous réduisions à la quantité minimum
nécessaire pour recouvrir toute la partie enduite de substance
toxique, laquelle ne tarda pas à se déposer, de façon à former
une solution noirâtre suffisamment homogène pour être
employée en injection hypodermique, en laissant se poser
les particules en suspension. Voici ce que nous avons expé-
rimentalement observé dans ces conditions:
A. Sur le lapin. — Un centimètre cube du liquide en ques-
tion décanté étant introduit sous la peau d'un lapin vigou-
reux, au bout de cinq à six minutes à peine, juste le temps
d'un commencement d'absorption^ l'animal est pris d'acci-
dents asphyxiques : anhélation^ efforts respiratoires suivis
de tressants convulsifs, dilatation pupillaire, collapsus et
impotence motrice, mort rapide.
Le thorax étant immédiatement ouvert après la cessation
des mouvements respiratoires, nous constatons l'arrêt simul-
tané du cœur en rétraction systolique, surtout du côté du
ventricule gauche, le ventricule droit restant flaccide> mais
à peu près vide. L'excitation mécanique du myocarde pro-
voque à peine quelques trémulations superflcieiles.
B. Sur le cobaye. — Les effets de l'intoxication sonttypiques
sur cet animal très sensible.
Si à un jeune cobaye, du poids moyen de 300 grammes,
on administre en injection hypodermique 1 centimètre cube
714 BÉANCE DU 3 DÉCEMBRE i89i.
du même liquide, Tanimal commence d*abord par pousser de
petits cris plaintifs, témoignage évident de la douleur locale
que lui cause le contact de la liqueur empoisonnée ; puis, il
s'agite et présente les signes d'une très vive excitabilité,
spontanée et réflexe. Bientôt après, il est pris de tremble-
ment musculaire affectant surtout la tête et le cou, dans le
sens latéral, et de spasmes violents, simulant les efforts 4a
vomissement qui, chez cet animal, comme chez les herbi*
vores, se produit difticilement et n*abuutit qu'au rejet df
quelques gouttes de liquide verdàtre. Kn même temps «HPff
viennent des décharges convulsiformes qui projettent vifficoif.
ment en Tair le petit animal ; la respiration s'embarruasa, (g,
dilatation de la pupille est extrême, Tasphyxie est imuilt*
nente ; subitement, en un effort spasmodique ultime, la r^tli
piration s* arrête. .^
. Lecœur^ immédiatement et rapidement mis à décoavectt!
ne présente que quelques trémulations myocardiques ; Tim^
est en demi-diastole, une certaine quantité do sang liquide
et noir (sang asphyxique) remplissant encore Ips cayi^e ▼ÇP*
triculaires.
L'expérience, répétée dans les mêmes conditions, reproduit
constamment le même tableau symptomatique qui, nous le
répétons, peut être considéré comme typique dans l'espèce.
G. lilnfln, sur la grenouille ^ l'analyse expérimentale, avec
l'aide et l'appui de la méthode graphique, nous a donné des
résultats caractéristiques, relativement au mode d'action du
poison.
Ces résultats sont les suivants :
A?rêl cardiaque sysloUque constant et rapide (après la cin-
quième et la sixième minute], clairement démontré par les
tracés cardiographiques dont voici un spécimen.
Excitabilité motrice du nerf parfaitement conservée, de
même que la sensibilité réflexe. — Persistance simultanée
de la contractiJité musculaire.
1
i.¥
LaBOBDB et AOMQUU' — n&COGS KUPOiSONNÉES. 715
Ces résultat!, pour le dire tout da suite, montrent qu'il
s'agit d'une substance dont l'action eit toute différente ds
l'action curarique.
Ce n'est donc pas, noua sommes pleinement autorisés ft
l'atUrmer, à un curare que nom avons affaire.
Mais cette preuve négative ne nom donne pas la vérîlable
FtK- s-
nature et l'origine du poison dont noua venons de détermi-
ner, expérimentalement, la manière d'agir.
Est-il d'origine végétale ou d'origine animale ; ou de Tune
et l'autre à la fois ?
Pour arriver autant gue possible à celle détermination,
nous avons d'abord recherché, avec le plus grand soin, à
l'aide du microscope, dans les particules raclées on en sus-
pension liquide, la présence de cellules animales, et nous
n'avons rien trouvé qui en donn&t l'idée. MM. Mathias Durai
et Helterer ont, avec leur compétence supérieure, confirmé 1«
716 SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE i89t/ i-
résultat de notre examen ; mais ils ont, en outre, cra décon-
vrir la présence d'éléments de nature végétale.
Cette dernière s'accorde avec les présomptions que nous
avaient suggérées les manifestations symptomatiques con-
stantes et typiques de Taction de la substance, présomptions
qui, comme on va le voir, se sont changées, grâce à Tétude
comparative, en une démonstration justifiée.
En effet, nous avions cru déjà apercevoir dans Texpressioa
symptomatique constante de Faction du poison une frappante
analogie avec les symptômes de Tintoxication par le Miro^
phantus et la slrophantine ; en répétant comparativement laii.
mêmes expériences avec cette dernière, nous sommes arrMs
à une reproduction si exacte du tableau symptoniatiq;w. ;
observé à la suite de l'administration du poison des flèoheii- \
dont il s'agit, notamment chez le cobaye, que nous avons pifc'^
nous croire autorisés à déduire la dose approzimaliTe 4|i _
principe actif qai adft intervenir dans nos expériences d*iiyç^ '''^
tion sons-cutanée : soit i demi- milligramme à \ milligrai
Enfin, rétude graphique des modifications du fonctionne*
ment du cœur, arrêt caractéristique en état systolique on da
contraction terminale, sous Tinfinence de la strophantine»
achève la démonstration.
Le tracé ci-après, mis en regard de celui qui précède, ne
saurait laisser le moindre doute à cet égard.
G*cst donc bien un extrait de strophantus ou de plante de
cette espèce botanique qui semble constituer le principe
toxique fondamental de Tenduit recouvrant Textrémilé des
flèches en question.
La netteté des résultats fournis par l'étude comparative,
rapprochés de Texamen microscopique, permet de croire que
cet enduit n'est point mixte, c'est-à-dire un mélange d'un
produit végétal et animal.
Pouvons-nous tirer de l'étude qui précède quelques déduc-
tions pratiques relativement au traitement des accidents
toxiques que nous venons de caractériser ?
LABORDE BT RONDEAU. — FLàCBES EMPOISONNÉES. 717
Le temps dont nous disposions ponr ne point retarder cette
publication ne nous a pas permis de compléter nos recher-
ches expérimentales sur ce point. Mais nous pouvons, d'après
l'observation de certaines particularités et de la marche de
l'intoxication, donner quelques indications qui ne seraient
peut-être pas, au besoin, sans utilité.
t'ig. 3.
Un point important, à ce sujet, c'est la leitlew de l'absor-
ption à la suite de l'implantation du bout de flèche en nalurc
(nous parlons des tlèches déjà anciennes qui sont en notre
possession), et par suite du retard relativement considérable
des effets toxiques généralisés ; exemple, notre chien et nos
lapins. Il en résulte qu'en essayant de retirer immédiatement,
ou le plus vile possible, le bout de flèche — extraction faite,
au besoin, à l'aide d'une opération adjuvante — on peut
mettre la victime à l'abri de l'intoxication générale et mor-
telle. L'opération de l'extraction n'empêche pas, bien entendu,
T. n (f stmi). te
718 SÉANCE DU 3 Décembre: iB9i.
la précaution lutélaire, qui doit toujours être mise en œuvre,
en pareille circonstance, d'une ligature oirculaire au-dessns
de rimplantation de la flèche, surtout si elle a lieu à un
membre ; précaution qui risque d'être plus efficace encore
dans le cas, qui est le cas actuel, de lenteur particulière
d'absorption et d'action du poison.
Pour ce qui est de l'intoxication générale, il faudrait, dans
l'éspèûe, dvoir ratlontiellement eti tue le mécaiilRtné cardio-
t^ftpiratoire de la mort et recourir, s'il était possible, à tous
léB moyens capables de raviret les contMictions du oodur et
la fonction respiratoire : excitants cardiaques inlernes et
externes, et respiration artifloielle simultanée ; mais il y a
malheureusement, dans la pratiquai de grandes difOcultés à
la réalisation de ces moyens, et c'est là que gtt surtout le
tarriblè danger de ceê engins meurtrlem»
Diiottiiiott.
M. DcuoussËt demande si l'on a analysé les effets du
cuirare.
M. Laborde répond que les effets du curare ont été depuis
longtemps très bien étudiés ; il abolit la propriété motrice
du nerf et n'atteint pas la sensibilité.
M. Lagiveâu. Le poison de flèche, si bien étudié par notre
Président, me semble devoir servir plutôt à la guerre qu'à la
chasse; car, d'après ses expériences, quoique très violent, il
mot un assez long temps avant d'agir. L'animal frappé dune
flèche enduite de ce poison aurait le temps de s'éloigner
avant de tomber intoxiqué et de mourir; le chasseur pour-
rait diffuûiement le retrouver.
Dans notre ancienne Europe, on faisait également usage
de poisons de traits pour la chasse et pour la guerre.
Parmi les poisons de chasse, on peut ra[>pel»T celui en
usage chezlos Ccltos, dans notre pays. 11 était assez promple-
Inenl énergique pour tuer le cerf. On en paraissait redouter
l'ingestion, car on excisait promptcmenl la partie blessr?e.
« On rapporte, dit Aristote, que chez les Celtes existe un
DISCUSSION SUR DES FLÈCHES EMPOISONNÉES. 719
poison qu'ils appellent eux-mêmes toxique,,. Lorsqu'ils ont
frappé d'une flèche un cerf ou quelque autre animal, ils cou-
rent promptement exciser la partie blessée, avant que le
poison pénètre, afin que l'animal puisse servir de nourriture
et aussi pour qu'il ne se putréfie pas. »
<^a(yl SkTcapx toÎç KcXtoT; çapjxaxov u-judpx®^^ '^^ xaXôujJLevov uTc'fliu-
Twv ToÇtxov... crav IXa<pov t) àXXo Tt Çûsv TsSeuîjaxjtv, à-iriTpéxovTaç
àx. CTTOucYJî èx':é'(ji.v£iv Tr,i; aapxbç xc TSTpwjAétsv 'jcpb tcu xb <pap[i.axov
BiacOvai oi\K(x [xsv ty); îîps^çopaç Ivsxa, à|i.a S'c'O); [i.f, aa^ 10 Çwsv.
(Âristote, Z>e mirabiliôus auscultât ioniàus^ cap. lxxxyi, t. IV,
p. 88, collection Didot.)
Ce poison paraît avoir été extrait d'une sorte de figuier.
« Dans la Celtique, dit Strabon, croît un arbre semblable
au figuier, dont le fruit est comparable au chapiteau de co-
lonne corinthienne. Ce fruit, incisé, laisse couler un suc mor-
tel, dont on se sert pour enduire les traits. »
'Ev Tfi KsXtixt) çuETat csvèpov ojjloiov ouxfj, xapTicv S'èxçspst Tzapa-
7çXTf;îicv xtcxpivo) KcptvOtcupY*t' lT:',':\txfiAc ô'cuto? à^tVj^iv c-bv Oavi-
ci[ji.ov T,po^ Tàç èxixpicetç twv ^sXwv. (Strabon, Jib IV, cap. iv,
§ 6, collection Didot, p. 165.)
Parmi les poisons de guerre, on peut rappeler celui em-
ployé par les Francs et celui en usage chez les Daces et les
Dalmates. Selon Sulpice Alexandre, cité par Grégoire de
Tours, lorsque, vers 388 après Jésus-Christ, Quintilien, lieu-
tenant de Maxime, franchit le Rhin pour aller combattre
les Francs de la Francia (la Franconie), en Germanie, ils
a se montrèrent en petit nombre, mais placés sur des troncs
d'arbres entassés ; de là, comme du haut de tours, ils lan-
çaient, ainsi qu'auraient pu le faire des machines de guerre,
des tlèchcs trempées dans le suc d'herbes vénéneuses, en
sorte que les blessures qu'elles faisaient, n'eussent- elles
qu'effleuré la peau, et même dans les régions où elles ne sont
pas ordinairement mortelles, donnaient une mort certaine. »
« fJostium rari apparuere, qui conjunctis arborum truncis^
vel concidiùus superslanles, velul a fastigiis lurrium^ sagittas
tormenlorum vitu effudere iniitas herbarum venem's, ut summw
720 SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1891.
cuti^ neque letalibus inflicta iocis vulnera, haud dubiœ mortes
seguet^entur, » (Grégoire de Tours, Hisioria Francorum^ l. II,
cap. IX ; texte et trad. de J. Guadet et Taranne, t. I, p. 148-
150.)
Vers le septième siècle après Jésus-Christ, époque à laquelle
semble avoir vécu Paul d'Égine, ce chirurgien dit que a les
Daces et les Dalmates enduisent les dards avec ce que Ton
appelle Vhelenium et le ninum, substances qui, mises en con-
tact avec le sang des blessés, les tuent, mais qui; mangées
par eux, sont innocentes et ne font aucun mal ».
4>act i\ Tcù; Aiy.a; %ai toùç AaX{jLaTaç -îteptxXacaetv xaîç ixtat
Tb èXévetiv Te xal vivov xaXoujjievov, 5:c6p 6(i.tXr|aav [Jiàv tû aijjLaxi
T(o; TeTpo)ffxoiJLév(i>v àvaipeiv, è^Otôixevov 8à utc'oùtcov d6Xa6ë^ etvai
xai ti.Y;8àv xaxbv Spav. (Paul d'Égine, lib. XXXVUI, texte et tra-
duction de Bréau, p. 347.)
On voit que ces divers poisons passaient pour être préparés
avec des végétaux mal déterminés ou considérés actuellement
comme étant peu vénéneux. Evidemment, leur préparation,
tenue secrète, restait, en partie, ignorée des auteurs qui en
parlent. 11 est toutefois «urieux de voir que ce poison des
Daces et des Dalmates, de même que le curare, très toxique
lorsqu'il pénétrait par blessure, pouvait impunément être
ingéré.
Outre ces végétaux, il faut, d'ailleurs, remarquer que,
pour certains poisons de flèches, on employait le venin de
vipère.
Ovide, exilé sur les bords du Pont-Euxin (la mer Noire),
parle de traits enduits de sang, de fiel ou, plus vraisembla-
blement, de venin de vipère en usage chez des peuples scy-
thiques, en particulier chez les Yaxyx, qui, après avoir habité
auprès du Palus-Méotide (la mer d'Azov), se portèrent vers
rister (le Danube), où se trouve encore, à l'est de Peslh, le
district des lazyges. (Voir Malte-Brun, Abrégé de géographie
universelle^ 4842, p. 316.)
Omnia vipei^co spicuia felle iinunt, (Ovide, les Pontiques^
1. I, lin. Maxime ; coll. Nizard, elDubochet, p. 753.)
MANOUVRIER. — RAPPORT SUR LE PRIX GODARD. 72t
Nec qusB vipereo tella amore madent, {Loc. cit., 1. IV, litt.
Vectuli, p. 813.)
M. Laborde. Malgré la lenteur d'action du poison dont ces
flèches sont revêtues, celles-ci pourraient être utilisées pour
la chasse, car les animaux atteints sont mis assez rapidement
dans un état d*impotence absolue. Il faut aussi tenir compte
de Tancienneté des flèches que nous possédons, car cette
ancienneté peut amoindrir la rapidité des effets de la sub-
stance qui les revêt ; il est possible qu'avec des flèches fraî-
chement préparées on obtiendrait des résultats plus rapides
et plus démonstratifs.
La séance est levée à six heures.
Uun des secrétaires : EDOUARD CUYKR.
SÉANCE 80LE[^NELLe DU 10 DtCEHBRK 1891.
Préflldenee de If* IiAVORVC, président*
Bapport flar le eoneoiirs poar le prix Gedard de 1891 t
PAR H. L. HANOUYRIER ^.
Quatre candidats se sont présentés cette année au concours
pour le prix Godard. Ce sont MM. Telesforo de Aranzadi y
Unamuno, docteur es sciences naturelles et directeur scien-
tifique du musée des sciences naturelles de Madrid ; le doc-
teur Ernest Berchon, ancien médecin principal de première
classe de la marine, à Bordeaux; le docteur Georges Carlier,
. médecin-major au 74* régiment de ligne, à Évreux; le doc-
teur Léo Testut, professeur d*anatomie à la Faculté de mé-
decine de Lyon.
Le jury a eu le plaisir de constater le niveau élevé de ce
concours, auquel n'ont été présentés que des travaux d'une
réelle valeur scientifique.
M. DE Aranzadi a présenté un mémoire imprimé en langue
» Rapporteur du jury, composé en outre de MM. Lagneau, Gabriel de
Mortillet, Salmon et Sanson^ président
7iâ SÉANCE DU 40 DÉCEMBRE 1891.
espagnole et intitulé : Elpueblo euskalduna. Estudio de an-
tropologia vascongada. C'est une étude anthropométrique
sur le peuple basque. Les recherches de Tauteur ont porté
sur deux cent cinquante jeunes soldats provenant en grande
majorité de la province de Quipuzooa. Il a mesuré les prin-
cipaux diamètres de la tête, crâne et face, la taille et la lon-
gueur des membres et de leurs principaux segments ; il a noté
en outre avec soin la couleur des yeux et des cheveux, ainsi
que tous les caractères susceptibles de Téclairer dans la dé-
termination de la caractéristique et de la composition du
peuple basque actuel. Grâceà remploi de ces procédés scien-
tifiques, il a pu poursuivre son étude sans être dominé par
ses sentiments patriotiques ni par les opinions formulées an-
térieurement par les anthropologistes. Ce n'est pas qu'il ait
dédaigné les impressions plus ou moins synthétiques d'après
lesquelles on a coutume de classer les physionomies; mais il
a voulu subordonner ces impressions trop vagues à l'analyse
et à l'observation précise, afin d'en corriger, s'il y avait lieu,
la valeur ethnologique. Les procédés employés ont été ceux
de l'école de Broca.
Recueillies sur deux cent cinquante individus, une soixan-
taine de données numériques constituent déjà un travail très
considérable, mais cependant moins long et en même temps
moins difficile que la mise en œuvre de ces matériaux. Cette
mise en œuvre a été faite par M. de Aranzadi avec le plus
grand soin, avec un tact judicieux et beaucoup de précision.
Après avoir indiqué les moyennes avec les maxima et mi-
nima, il a eu recours aux procédés graphiques et a oonstmit
les courbes binomiales des différents caractères étudiés. Il
a confronté ensuite un certain nombre de caractères les
uns avec les autres au moyen des mêmes procédés et il a
exposé sur des cartes leur répartition géographique. Il a
illustré, en outre, son mémoire de deux planches contenant
vingt-six photographies représentant des spécimens des prin-
cipaux types physionomiques distingués par lui. Enfin l'ou-
vrage est accompagné de onze immenses tableaux hors texte
MANOirVRIER. — RAPPORT SUR LE PRIX GODARD. 723
comprenant, m eœtensa et classées par districts, toutes les
observations faites sur chacun des deux cent cinquante indi-
vidus étudiés. C'est là un luxe qui est loin d'être inutile et
que peu d'auteurs, malheureusement, peuvent se permettre.
Il faut dire que les frais de publication du mémoire de M. de
Aranzadi ont été supportés par la députation provinciale du
GuipuBCoaà laquelle il convient ici d'adresser des félicita-
lions pour avoir si bien fait les choses. L'auteur méritait,
certes, cette distinction, et votre commission, messieurs, vous
propose de lui en conférer une du même genre, en faisant in«
sérer dans le Bulletin de la Société une analyse du mémoire
en question, dont il serait impossible de donner dans le pré*
sent rapport un compte rendu suffisant. La commission prq*
pose, en outre, d'attribuer à Texcellent travail de M. le docteur
de Aranzadi une mention honorable avec médaille de bronze.
M. Bbrghon a présenté une brochure intitulée : Etudeê
paléo-archéofogigues sur tâge du bronxe^ spécialement en Gù
ronde. Ce travail consiste en une revue des faits publiés en
dehors des recherches personnelles de Fauteur et antérieure-
ment à ces recherches au sujet de Tàge du bronze en Gironde.
Il sera complété prochainement par un inventaire critique
très complet de tous les objets de la même période dans
cette région.
Avant que Tàge du bronze fût admis d'une façon rigoureu-
sement scientifique et définitivement plassé comme division
des temps paléo-archéologiques, bien des découvertes im-
portantes se rapportant à cette époque avaient été faites;
bien des travaux intéressants avaient paru sans attirer suffi-
samment l'attention, qui était encore imparfaitement éveillée
et éclairée. M. Bercbon entreprit des investigations à ce
double point de vue et fut assez heurenx pour faire d'impor-
tantes trouvailles, principalement dans les archives manus-
crites de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de
Bordeaux. Il étudie, dans le mémoire qui nous occupe, un
certain nombre de ces documents ignorés, autant, dit-il, pour
724 SÉANCE DU 10 DÉCEMBRE 4891.
fournir un exemple d'encouragement aux travailleurs que
pour faire ressortir Futilité de Férudition on toute étude
vraiment sérieuse.
Ce travail, fort apprécié des membres de la commission les
plus compétents en la matière, se recommande à la Société
non seulement par sa valeur propre, mais encore en ce qu'il
se rattache à toute la longue série des études archéologiques
de l'auteur, études qui ont justement contribué à assurer à
celui-ci l'estime et la réputation dont il jouit auprès de tous
ses confrères en anthropologie. Nous ne devons avoir en vue
ici que le mérite intrinsèque et relatif de Tœuvre présentée
au concours ; mais ce mérite nous semble assez grand pour
qu'une mention honorable avec médaille de bronze soit attri-
buée à M. le docteur Berchon.
M. Testut a présenté un mémoire intitulé : Rechercher
anthropologiques sur le squelette quaternaire de Chancelade. Ce
travail consiste dans une étude à la fois descriptive et rai-
sonnée de l'un des plus anciens squelettes humains que nous
possédions, et qui a été recueilli dans une station indiquée
comme magdalénienne, voisine de Périgueux^ par MM. Hardy
et Féaux, en 1888. Les ossements de cet ancêtre de l'époque
du renne ne pouvaient tomber en de meilleures mains que
celles de notre distingué confrère. Il a apporté dans leur des*
cription les soins les plus attentifs, la précision la plus rigou*
reuse et sa haute compétence anatomique. lilui a fallu sou-
vent se livrer à un travail de patience, soit pour restaurer
les os endommagés, soit pour arriver à tirer parti de ceux qui
étaient incomplets. D a dû aussi pratiquer des mensurations
nombreuses sur un certain nombre de squelettes modernes,
soit pour déterminer les dimensions de tel os brisé ou de telle
région représentée seulement par une partie de ses pièces
osseuses, soit pour établir des comparaisons susceptibles de
nous éclairer dans Imterprétation anatomo-physiologique
de certains caractères du squelette de Chancelade. C'est ainsi
qu'il est arrivé à mesurer, par exemple, la capacité du crâne.
MANOUVRIBR. — RAPPORT SUR LE PRIX GODARD. 725
la longueur du cubitus et du radius, la longueur totale du
pied, etc. La plupart de ces mesures sont justes à 2 ou 3 mil-
limètres près, ce qui est très satisfaisant et bien suffisant
pour le calcul des principaux indices. Il n'en est pas de même,
cependant, en ce qui concerne le calcul des rapports à la
taille; car cette dernière dimension^ évaluée à i™,50 par
l'auteur, d'après les documents en usage à Tépoque où il a
fait son travail, pourrait bien avoir atteint un chiffre beau-
coup plus élevé. D'après les nouveaux documents recueillis
par M. Rollet, et remis en œuvre par nous, cette taille s'élè-
verait, en efiTet, à un chiffre voisin de l^jOO, et probablement
supérieur encore. Dès lors, tous les rapports à la taille se
trouveraient changés considérablement pour le squelette de
Ghancelade.
M. Testut a reconnu, entre autres caractères avantageux,
chez son chasseur magdalénien, une belle conformation crâ-
nienne et un développement musculaire des plus remarqua-
bles. Il range pourtant ce dernier caractère parmi les carac-
tères d'infériorité, et qualifle également d'inférieurs, li'op
arbitrairement à notre avis, divers autres caractères squelet-
tiques certainement liés à la puissance et au travail peut-être
excessif de certains muscles qui, pour être devenus moins
actifs chez nous, n'en sont pas moins bons à conserver et
à cultiver sans préjudice pour notre perfectionnement in-
tellectuel et moral. Il note, en outre, comme caractère d'in-
fériorité, Técartement considérable du gros orteil et du pre-
mier métatarsien, écartement qui prouve que l'homme de
Ghancelade marchait pieds nus ou, du moins, qu'il n'avait
pas encore subi, sous l'influence de la chaussure, notre ridi-
cule déformation du pied, que nous aurions tort de prendre
pour un caractère de supériorité.
Recherchant les affinités ethniques qui pourraient être in-
diquées par les caractères du squelette, l'auteur apporte
divers arguments anatomiques en faveur de cette hypothèse
que les Esquimaux actuels seraient les descendants de tro-
glodytes quaternaires émigrés vers les régions polaires à la
736 SÉANCE DU iO DÉCEMBRE 1891.
suite du renne, leur gibier favori. Il reconnaît, d'autre part,
la ressemblance frappante qui existe sous certains rapports
entre les crânes de Cro-Magnon et celui de Ghancelade^ et il
admet volontiers une parenté entre les deux races.
Nous ne nous étendrons pas davantage sur Texoellente
étude présentée par Téminent professeur de Lyon. Nous en
avons dit assez pour en montrer le haut intérêt et la savante
conduite.
Déjà, en 1888, M. Testut fut lauréat de notre Société, qui
lui décerna le prix Broca. La commission est d'avis que le
nouveau travail présenté est également digne d'une distinc-
tion, et propose de lui attribuer une mention honorable avec
médaille de bronze,
M. Garlier a présenté deux mémoires manuscrits.
Le premier et le plus important de ces deux mémoires est
intitulé : Recherches anthropométriques sur la croissance.
Influence de l'hygiène et des exercices physiques.
Ces recherches ont été faites pendant cinq années consé-
cutives dans l'école d'enfants de troupe de Montreuil, à la-
quelle Tauteur était attaché comme médecin militaire. On
sait que la croissance a été l'objet d'un grand nombre de
travaux plus ou moins importants qui ont porté sur des
séries d'enfants ou jeunes gens des deux sexes et de différents
âges. On est ainsi arrivé à des données précieuses sur la
marche de la croissance et sur les influences de diverses
sortes qu'elle subit, mais on a rarement pu suivre les mômes
enfants pendant une période assez longue de leur vie, de
sorte que Ton n'a guère pu saisir que les effets des grandes
influences générales, effets parvenant à émerger en quelque
sorte, grâce à la méthode des moyennes, au milieu de la
multitude des causes de variation qui se masquent ou se font
mutuellement équilibre dans les résultats numériques obtenus
sur des groupes d'individus. Beaucoup d'influences seraient
plus facilement et plus sûrement mises en évidence au moyen
de l'observation d'un nombre relativement très petit de
MANOUVRIER. — RAPPORT SUR LE PRIX GODARD. 727
sujets suivis depuis leur naissance jusqu'à Tàge adulte. Mais
on conçoit que Les observations de ce genre soient rarement
possibles. C'est si vrai, que la science n'en possède encore
qu'une seule : celle du jeune Guéneau de Montbeliard, faite
par son père et publiée par BnlTon.
M. le docteur Garlier n'a pas comblé complètement celte
lacune, car il n'a pu suivre le développement des sujets
observés par lui que pendant deux, trois, quatre ou cinq
années consécutives et seulement depuis Tâge de treize à
dix -huit ans. Mais c'est déjà beaucoup d'avoir mesuré pen-
dant cinq ans, tous les six mois, plusieurs centaines de jeunes
gens tous bien constitués, soumis à des conditions de miliea
parfaitement uniformes et excellentes sous le rapport de
l'habillement^ du logement, de la nourriture, des soins de
propreté, des exercices de toutes sortes et notamment de la
gymnastique enseignée et pratiquée au maximum dans
Técole militaire de Montreuil. On conçoit que des observations
faites dans des conditions aussi favorables aient une valeur
toute particulière; aussi doit-on savoir gré à M. le docteur
Garlier de n'avoir pas laissé échapper une si belle occasion
de rendre service à l'anthropologie. Aux données recueillies
par lui à Montreuil, il a pu joindre les résultats analogues et
inédits obtenus par son collègue, M. le docteur Labroue, à
l'Ecole militaire de Saint-Hippolyte. Ges derniers ont été,
bien entendu, exposés séparément.
Les caractères étudiés n'ont pas été nombreux. M. Garlier
n'a mesuré que la taille, le poids et le périmètre thoracique;
il a noté, en outre, pour chaque sujet, à chaque examen,
l'état de la vision, les troubles morbides et quelques autres
renseignements qui peuvent avoir une grande valeur dans
les observations individuelles. Toutes les mesures ont été
prises avec beaucoup de soin et chaque sujet possède sa
feuille particulière sur laquelle sont inscrits tous les chiffres
qui le concernent pendant la durée totale de son séjour à
l'école.
Dans le mémoire qu'il nous a présenté, M. Garlier a fait
728 SÉANCE DU \0 DÉCEMBRE <89î.
nn exposé raisonné de la marche moyenne de la croissance
indiquée par des tableaux résumant 10497 mensurations.
Ces tableaux, au nombre de seize, peuvent être classés en
plusieurs groupes. Les premiers indiquent, pour les divers
âges, les moyennes de la taille, du poids et de la circonférence
thoracique, les moyennes des accroissements annuels par
semestres d'été et semestres d'hiver, enfin les moyennes
des rapports du périmètre thoracique et du poids à la taille.
D'autres tableaux indiquent la répartition de ces mêmes
mesures ou rapports, mis en séries. Enfin, trois grands
tableaux indiquent la marche moyenne de la croissance chez
les élèves arrivés à l'école aux divers âges et examinés en*
suite tous les six mois jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Tons
ces tableaux sont très correctement dressés et renferment,
sous forme de chiffres, toutes les diverses conclusions de
l'auteur. Ces conclusions sont rapprochées, dans le texte du
mémoire, des résultats publiés par les auteurs qui se sont
occupés de la question. La plupart de ces résultats se
trouvent confirmés et démontrés à nouveau^ ce qui, pour
certains d'entre eux, était loin d'être superflu. M. Cartier
s'est attaché, notamment, à faire ressortir l'influence de
l'hygiène et des exercices gymnastiques sur la croissance,
l'influence des saisons et celle des maladies fébriles. Il a
étudié aussi les rapports de la croissance avec la puberté ;
il a comparé entre elles les courbes de croissance de la taille,
du poids du corps et du périmètre thoracique ; il a examiné
ces diverses courbes au point de vue du rythme de l'accrois-
sement. Ce sont là des recherches d'un intérêt considérable
et qui ne saurait être méconnu. Nous ne reproduirons pas,
afin d'être bref, les conclusions de l'auteur dont le travail
doit être prochainement publié m extenso dans les Mémoires
de la Société. Aussi bien ne s'agit-il ici que de mettre en
évidence la valeur de son mémoire.
Il nous sera permis d'ajouter, dans ce but, que M. le doc-
teur Carlier n'a pas encore tiré de ses recherches tout le
parti possible. Il existe une série de questions dont l'intérêt
MANOUVRIER. — RAPPORT SUR LE PRIX GODARD. 729
ne lui échappera pas et qui peuvent recevoir d'une nouvelle
mise en œuvre des cliiffres déjà recueiiis par lui une cer-
taine lumière. Il a classé ses sujets d'après leur âge, mais il
serait possible de les classer d*après leur taille soit au
moment de leur arrivée à Técole soit au moment de leur
sortie. On pourrait encore ordonner les séries d'après le péri-
mètre thoracique^ le produit des deux diamètres céphaliques,
ou le poids du corps^ etc. Il serait aussi très intéressant
d'étudier comparativement la croissance sur des groupes
d'élèves formés d'après la valeur intellectuelle ou d'autres
qualités physiologiques telles que l'adresse, l'agilité, l'acti-
vité, etc., appréciées au moyen des notes obtenues à l'école.
Enfm, s'il est logique de s'attacher tout d'abord aux moyennes
qui représentent les faits généraux, il ne faut pas oublier que
beaucoup de faits des plus intéressants se trouvent noyés
dans les moyennes et pourraient ressortir grâce à un examen
judicieux d'un certain nombre de cas individuels, car c'est
en ceci, en somme, que gît l'intérêt tout spécial des observa-
tions faites, comme celles de M. Garlier, non pas sur des
séries de jeunes gens d'âges divers, mais bien sur des sujets
suivis un à un pendant plusieurs années consécutives. Nous
faisons ces remarques à la fois pour engager l'auteur à re-
mettre ses chiffres sur le métier afin d'en extraire des résultats
nouveaux, et pour montrer toute la portée des recherches
qu'il a faites. C'est en considérant l'étendue de cette portée,
en même temps que la longue durée du travail dont nous
venons d'indiquer les autres mérites, que la commission du
concours pour le prix Godard a proposé unanimement à la
Société d'anthropologie de décerner le prix à M. le docteur
Garlier.
Il nous reste à parler du second mémoire présenté par cet
auteur et intitulé : De la taille dans l'arrondissement d'Eoreux.
Sans avoir une valeur aussi grande que celle du précédent,
c'est encore un bon travail. M. Garlier y étudie, d'après
les documents fournis par le recrutement militaire de-
puis 1872 jusqu'à 1890, la taille et l'aptitude au service dans
730 HUITIÈME CONFÉRENCE BROCA.
chacun des cantons de Tarrondissement d'Ëvreux et dans la
ville d'Evreux. Il donne aussi une intéressante statistique de
la taille suivant Thabitat à la ville et à la campagne et sui-
vant la profession. Les conclusions générales ne nous
apprennentrien de bien nouveau, mais elles corroborent utile-
ment des faits plus ou moins connus d^ailleurs. Les tableaux
qui accompagnent le texte constitueront des documents à
consulter, et la publication prochaine des conclusions de ce
travail dans les Bulletins de la Société nous, dispense d'en
faire ici une analyse plus complète. Peut-être pourrait-on
reprocher au s^econd manuscrit de M. le docteur Cartier
quelques longueurs, mais il n'en reste pas moins vrai que c'est
une excellente étude à ajouter à la liste déjà longue, et trop
courte pourtant, des travaux anlhropologiques dus aux mé-
decins militaires.
M. LE Président annonce que les conclusions de ce rapport
ont été soumises à la Société et ratifiées par le Comité cen-
tral. Il proclame en conséquence les résultats du concours,
puis il donne la parole à M. le docleur Dareste.
HUITIEME CONFÉRENCE BROCA
La lératoj^éiiie expérimentale ;
PAU M. CAMILLE DARESfE.
11 y a trente-deux ans, le 19 mai 1859, dix-huit médecins,
répondant à Tappel de Broca, se réunissaient dans cette salle,
qui n'était alors qu'une mansarde de l'École pratique, pour
fonder une association ayant pour but Tétude de Thistoîre
naturelle de l'homme. TeJs furent les humbles débuts de la
Société d'anthropologie, qui compte aujourd'hui ses adhé-
rents par centaines, non seulement à Paris et en France, mais
en Europe et dans le monde entier. Pendant la période de
temps qui s'est écoulée depuis cette date, double de ce que
Tacite appelle grande mortalis œvi spatimn^ p^resque tous les
DARESTE. — LA TÉRATOGÉNIB EXPÉRIMENTALE. 731
fondateurs ont disparu. 11 n'en reste plus que quatre : firown-
Séquard, Delasiauve» Verneuil, et celui qui prend aujour-
d'hui la parole devant vous, désigné, par un vote unanime
de ia Société» pour être^ cette année, Tolrateur de la confé-
rence Broca.
J'ai accepté cette tâcher non sans effroi, mais avec empres-
sement. C'était, pour moi, Toocasion d'exposer devant un
auditoire compétent les principaux résultats de recherches
que j'ai entreprises, il y a une quarantaine d'années, sur la
production artificielle des monstruosités, recherches qui m'ont
donné les éléments d'une branche entièrement nouvelle de
la biologie, la tératogénie expérimentale. C'était aussi l'occa-
sion de répondre à un reproche, très amical d'iailleurs, que
plusieurs de mes collègues m'ont parfois adressé, le reproche
d'indifférence à l'égard d'une Société dans la paternité de la-
quelle j'ai le droit de revendiquer ma part. Il est certain que
j'ai pris rarement la parole devant vous. Mais ce n'était pas
indifférence. Mes recherches sur la tératogénie absorbaient
toutes mes pensées; je ne voulais pas m'en laisser distraire
par d*autres études plus spécialement anthropologiques. Or,
je tiens à vous prouver que je n'ai jamais perdu de vue le
but que nous poursuivons tous, et que j'ai servi notre Société,
bien que d'une manière indirecte, en créant, par la produc-
tion des monstres, des méthodes expérimentales pour étu-
dier la variabilité de l'organisation animale, et réunir les
éléments des gmnds problèmes de l'anthropologie et de là
zoologie.
La question fondamentale de l'anthropologie, celle qui do-
mine toutes les autres, est la question de l'origine des formes
diverses que présente le genre humain. Sont-elles primitives
ou dérivent-elles d'une forme antérieure unique? Cette ques-
tion n'est elle-même qu'une partie d'une question bien autre-
ment vaste, puisqu'elle s'adresse à tous les êtres vivants :
celle de l'origine des formes innombrables sous lesquelles la
vie s'est manifestée à la surface de la terre, aux diverses pé-
riodes de son histoire.
732 HUITIÈME CONFÉRENCE BROGA.
Vous savez combien ces questions ont préoccupé la Société
depuis sa fondation. Vous n'avez pas oublié les discussions
qu'elles ont soulevées, les discours toujours instructifs et
souvent éloquents dans lesquels beaucoup de nos collègues
nous ont exposé leurs idées. Pour ma part, j'ai constamment
suivi ces débats avec le plus vif intérêt ; mais je dois dire que
je serais tenté de les considérer comme prématurés, si je ne
savais que c'est le propre de l'intelligence humaine de cher-
cher toujours à combler par l'hypothèse les lacunes de la
science positive. J'ai la conviction que si le problème nous est
abordable, il ne peut l'ôtre que par l'étude de la variabilité
des êtres vivants et par la connaissance des causes qui la
mettent en jeu, des lois qui la régissent, des limites dans les-
quelles elle est contenue. Plus la science acquerra de notions
précises sur ce point, plus elle s'approchera de la solution
de ce problème des origines qui domine la biologie tout en-
tière, mais qui n'en peut être que le point d'arrivée.
Qu'est-ce que la variabilité?
Les espèces, quel que soit d'ailleurs le sens que l'on doive
donner à ce mot, sont des collections d'individus qui pos-
sèdent et se transmettent, par voie de génération, un en-
semble de caractères ou ce que l'on appelle un type. Or^ il
arrive parfois, bien que très rarement, que, dans certains in-
dividus d'une espèce, un ou même plusieurs caractères puis-
sent manquer et être remplacés par des caractères nouveaux.
Telle est l'origine des variétés. Lorsque les variétés ne sont
pas incompatibles avec la vie indépendante et avec la repro-
duction, elles se perpétuent souvent par hérédité, et devien-
nent le point de départ des races.
Cette propriété de varier que possède le type spéciQque
est beaucoup plus considérable qu'on ne serait tout d'abord
tenté de le croire. La disparition d'un nombre plus ou moins
considérable de caractères et leur remplacement par des ca-
ractères nouveaux peuvent effacer plusou moins complètement
le type, et même, dans certidns cas, le faire disparaître. La
déviation du type spéciflque devient alors la monstruosité*
DAHESTE. — LA TÉRATOGKNIE EXPÉRIMENTALE. 733
Ici quelques explications sont nécessaires. Les monstruo-
sités ont été considérées longtemps comme étrangères à
l'ordre naturel et, par conséquent, à la science. Quand
on a commencé à les étudier scientifîquement, on les a
considérées — et cette opinion est encore aujourd'hui gé-
nérale — comme des maladies de l'embryon. En réalité,
les monstruosités sont des déviations du type spécifique
produites, comme les variétés elles-mêmes, par des mo-
difications de l'évolution. Les variétés les plus légères,
comme les monstruosités les plus graves, sont des faits de
même nature, et qui présentent eulement des différences de
degré.
L'étude des déviations du type spécifique, ou, comme on
les appelle aussi, des anomalies de C organisation, doit être
évidemment le point de départ de toutes les recherches sur
l'origine des formes vivantes. Mais, dans la nature, ces faits
sont relativement rares; et leur apparition, tout à fait acci-
dentelle, ne nous donne, le plus ordinairement, aucune indi-
cation sur les causes qui les produisent.
Les anomalies de l'organisation ne nous donneraient donc
que des notions incomplètes et insufiisantes, si nous nous
contentions, comme on Ta fait jusqu'à présent, d'attendre
leur apparition. Mais au lieu de nous borner à l'observation
simple, nous devons nous adresser à l'observation provoquée,
c'est-à-dire à l'expérimentation. L'observation simple ne
donne que les réalités actuelles. Au contraire, l'expérimen-
tation, dont le principe est qu'il est au pouvoir de l'homme
de produire artificiellement tout ce qui est ou peut être pro-
duit par l'action des causes naturelles, a devant elle un champ
illimité, le domaine entier du possible. En outre, elle met
Texpérimenlateur en présence des causes réelles des phéno-
mènes, puisqu'il ne peut les faire apparaître que par l'emploi
de ces causes.
J'ai donc pensé que la méthode expérimentale pourrait
suppléer à l'insuffisance de l'observation, en provoquant la
variation de l'organisme animal.
T. II (4« série). 47
734 HUITIÈME GORFÉRBNGE BROCA.
Il fallait pour cela changer la direction de révolution du
geroie fécondé.
La direction de révolution résulte de la combinaison de
deux éléments : la constitution initiale du germe avec toutes
les tendances héréditaires qu'il tient de ses procréateurs;
l'action du monde extérieur qui provoque révolution du
germe et la formation de Tembryon.
Cette action du monde extérieur n'est pas immédiatement
visible dans révolution des germes des animaux vivipares,
puisqu'elle ne peut les atteindre que par l'intermédiaire de
l'organisme maternel. Elle est, au contraire, complètement
évidente chez les animaux ovipares. Prenons l'exemple le plus
connu. Le germe contenu dans l'œuf de la poule reste dans
un état de vie latente jusqu'au moment où on le soumet à
l'incubation. Or, l'action de la poule couveuse n'a rien de
mystérieux^ comme on serait tout d'abord tenté de le croire.
Elle ne produit l'évolution du germe que par réchauffement
de Tœuf. Ge qui le prouve, c'est la possibilité de remplacer la
poule par l'incubation artificielle, dont l'emploi, vous le savez,
remonte à une antiquité très reculée.
Il était donc tout naturel de chercher à modifier l'évolu-
tion de l'embryon de la poule, en modifiant les conditions
physiques qui la produisent. Ge fut la pensée du plus grand
naturaliste de notre siècle, Geoffroy Saint-Hilaire. Il soumit
des œufs à l'incubation naturelle et à l'incubation artificielle,
dans des conditions qu'il supposait devoir modifier l'état
normal, et il rencontra plusieurs fois des individus mons-
trueux. Mais il n'alla pas plus loin, et il ne pouvait pas aller
plus loin. A l'époque déjà ancienne où il faisait ses expé-
riences (1820-1826), les appareils d'incubation artificielle
étaient très imparfaits et ne se prêtaient pas à l'expérimenta-
tion scientifique. D'autre part, l'évolution normale de l'em-
bryon de poule était à peine connue. Le premier ouvrage qui
l'ait fait connaître d'une manière un peu complète est le
livre de Baer, publié en 1828.
' Geoffroy Saint-Uilaire n'avait donc fait qu'ouvrir la voie.
DARESTEi, — lA TÉRATOGÉNIB EXPÉRIMENTALE. 735
Mais les difficultés qu41 avait rencontrées ont aujourd'hui
disparu. Les apparàls d'incubation artificielle sont devenus
des appareils scientifiques, marchant avec la plus grande
précision. L'embryogénie du poulet est aujourd'hui presque
entièrement connue. Il était donc possible d'aborder la téra«>
togénie expérimentale.
C'est ce que j'ai fait. Je suis arrivé, après d'innombrables
tâtonnements, à déterminer les conditions physiologiques et
physiques de l'évolution normale et de révolution anormale
des poulets ^. Gela m'a permis de produire des milliers de
^ monstres que j'ai pu étudier aux diverses époques de la vie
embryonnaire. C'est un travail que personne n'avait fait avant
moi, que personne n'aurait pu faire. J'ai constaté ainsi les
conditions générales de la formation des monstres et les con-
ditions spéciales de la formation de chaque type particulier
de la monstruosité. Il est donc sorti de mes recherches une
embryogénie tératologique entièrement fondée sur l'obsef'^
vation directe des faits, et qui doit, par conséquent, prendre
place à la suite de l'embryogénie normale, comme un corn*
plément nécessaire.
Et la tératogénie, ainsi constituée, a une portée bien plus
grande qu'on ne le croirait tout d'abord. En effet, presque
tous les types tératologiques que j'ai constatés chez la poule
se rattachent à des types tératologiques déjà observés et dé*
* On m'a demandé, après ma conférence, quels sont les procédés dont
je me sers pour produire les monstres ? Je n'aurais pu les indiquer san»
donner à ma conférence une étendue excessive. Mais, pour répondre aux
questions qui m'ont été faites i\ ce sujet, j'indiquerai brièvement les con-
ditions qui m*ont fait obtenir des faits tératologiques. J'ai obtenu des
monstres lorsque je faisais couver des œufs pq^jdus depuis longtemps, ou
soumis à des secousses pendant la période qui sépare la ponte de la mise
en incubation. J'en ai obtenu également par remploi de températures un
peu supérieures on un peu inférieures à celles qui donnent l'évolution nor-
male ; par l'échauffement inégal de l'œuf; par le vernissage partiel de la
coquille. J'ai décrit tous ces procédés en détail dans un livre que j'ai
publié récomment sous ce titre : Recherches sur la production ariificieUe
des monstruosités ou Suais de tératogénie expérimentale, S« édit. (Librairie
Heinwald.)
736 HUITIÈME CONFÉRENCE BROCA.
crits chez les mammifères et chez Thomme. Ce fait, qaî peat
paraître étrange au premier abord, s*explique de la manière
la plus simple par Tunité de type des animaux vertébrés.
Chez tous ces animaux, les embryons ont au début une forme
commune et traversent plusieurs formes communes avant
d*aboutir aux formes diverses qui caractérisent les différentes
classes. Or, il résulte de cette communauté des formes pri-
mitives que, chez tous, révolution peut être modifiée de la
môme manière, et produire, par conséquent, les mômes
types tératologiques. La tératogénie de la poule, telle que je
Tai constituée, donne donc la tératogénie des mammifères et
de rhomme, et, très probablement, la tératogénie de tout
Tembranchement des animaux vertébrés.
Les faits que j*ai découverts en suivant cette voie sont tel-
lement nombreux qu'il me faudrait une série de leçons pour
vous en faire une exposition complète. Je dois donc me bor-
ner à vous montrer les conditions générales de la production
des monstres et à faire Tapplication de ces notions à la genèse
de quelques types particuliers.
L*embryon, à son débuts n'est constitué que par des cel-
lules homogènes, et ce n'est que plus tard qu'apparaissent
les éléments histologiques définitifs. En d'autres termes, la
forme se constitue avant la structure, condition nécessaire
du fonctionnement physiologique. 11 en résulte que les or-
ganes se produisent de toutes pièces dans des masses cellu-
laires affectant leur forme générale et leur servant, pour
ainsi dire, d'ébauche. Les organes tératologiques se produi-
sent de la même manière dans des masses cellulaires dont la
forme a été modifiée par une cause tératogénique. C'est donc
pendant la première période de la vie embryonnaire que Ton
doit chercher le fait initial de chaque monstruosité, fait ini-
tial qui consiste le plus souvent, tantôt dans un arrêt de dé-
veloppement, tantôt dans l'union des parties similaires. Ces
faits avaient été entrevus par les Geoffroy Saint-Hiiaire;
mais, faute de connaissances embryogéniques suffisantes, ils
n'avaient pu s'en rendre exactement compte, ni comprendre
DARESTE. — LA TÉRAT0GÉN1E EXPÉRIMENTALE. 737
leur très grande généralité. Aujourd'hui tout s*explique, par
mes observations, de la manière la plus complète, si Ion fait
intervenir, dans la question de l'origine des monstres, les
caractères anatomiques et physiologiques de la première pé-
riode de la vie embryonnaire.
A rétat normal, les organes apparaissent les uns après les
autres dans la masse cellulaire primitive ; ils traversent une
série de formes successives, avant de s'arrêter dans leur
forme défînitive. Or un organe peut ne pas se former^ ou bien
il peut s'arrêter définitivement dans Tune quelconque des
formes qu'il traverse. L'arrêt se manifeste alors par l'appa-
rition des éléments histologiques défînitifs avant que l'organe
ait atteint sa forme dernière. Tel est l'arrêt de développement,
qui consiste essentiellement dans la permanence de certains
états embryonnaires. 11 se produit beaucoup plus fréquem-
ment qu'on serait tenté de le croire. £n effet, j'ai constaté
qu'il s'adresse aux annexes de l'embryon comme à l'embryon
lui-même.
J'ai vu, par exemple, que l'amnios, arrêté dans son dé-
veloppement, comprime l'embryon dans une étendue plus
ou moins grande, et que cette compression, gênant l'évo-
lution, amène la production d'un certain nombre d'anoma-
lies. C'est ainsi que l'arrêt de développement de l'embryon
ou de ses annexes est le fait initial de la plupart des mon-
struosités simples.
Lorsque, pendant la première période de la vie, deux
parties similaires de l'embryon sont juxtaposées, elles s'unis-
sent en formant les deux moitiés d'un organe unique. Tel est
le cas de la plupart des organes qui occupent le plan médian
de l'embryon. Cela se produit également dans révolution
anormale lorsqu'une cause quelconque met en contact deux
parties similaires séparées dans l'évolution normale. L'union
des parties similaires ne joue dans la formation des monstres
simples qu'un rôle assez restreint et toujours consécutif à un
arrêt de développement. Mais elle régit entièrement la for-
mation des monstres doubles, ceux dont l'organisation est
738 HUITIÈME CONFÉRENCE BROCA.
constituée par la fusion, en nombre plus ou nioins grand,
des éléments de deux individus.
Je ne vous parlerai pas ici des monstres doubles que je n'ai
pas produits et que je ne pouvais pas produire. Ces monstres
résultent d'un état particulier du germe, produit antérieure-
ment à la ponte, et donnant lieu à deux corps embryonnaires
distincts qui s'Unissent et se fusionnent plus ou moins com-
plètement pendant Tévolutioui Cette théorie n'est générale-
ment pas acceptée. Beaucoup de physiologistes considèrent
les monstres doubles comme résultant de la division partielle
d'un embryon primitivement simple. Mais s'il en était ainsi,
on pourrait les produire artificiellement, ce qui ne m'est
jamais arrivé. J'ai pu cependant, par suite de hasards heu-
reux, rencontrer plusieurs fois des monstres doubles en voie
de formation, et faire connaître la genèse d'un certain nombre
de leurs types. J'ai exposé ces faits devant la Société, en 1 873,
au cours d'une discussion qui n'a peut-être pas été oubliée.
Ainsi toutes les monstruosités, les monstruosités simples
comme les monstruosités doubles, apparaissent d'emblée
avec tous leurs caractères tératologiques dans des ébauches
cellulaires préparées d'avance par la cause tératogénique. 11
me reste à vous en donner la preuve par Texamen de la ge-
nèse d'un certain nombre de types spéciaux.
Je ne puis évidemment pas passer en revue tous les types
tératologiques que j*ai produits ; je dois donc me contenter
de vous faire connaître la genèse de plusieurs d'entre eux.
Je choisirai, parmi ces types, ceux qui présentent les par-
tîculantés les plus remarquables, comme le spina bifida, la
cyclopie, Texencéphalie, l'ectromélie et la symélie.
La fissure spinale ou le spina bifida a été considérée, jus-
qu'à nos jours, comme une maladie de l'embryon. Dans cette
anomalie, les deux moitiés de Tare vertébral supérieur sont
écartées l'une de l'autre, et l'intervalle qui les sépare est oc-
cupé par une tumeur pleine de liquide. L'origine patholo-
gique de cette monstruosité paraissait évidente. La moeUe
épinière, dans sa région postérieure, aurait été distendue par
DABESTE. — LA TÉRATOOÉNIE EXPÉRIMENTALE. 730
une hydropisie partielle, et la tumeur ainsi formée aurait
violemment écarté les deux moitiés de Tare vertébral.
Les choses se passent tout autrement.
La moelle épinière, produite par ce que Ton appelle la
lame médullaire^ apparaît d*abord sous la forme d'une goût*
Premier état de la goattièro médullaire.
«5-
CfCt»
ent/
État pins avancé de la goaltière.
CiCL
ent
Tube médullaire remplaçant la goattière.
Fig. 1, 2 et 3. » Coupes représentant la formation de la gouttière
et dn tube médullaire.
Lettr^'s commune» : te, eotoderme on épiderme ; mé», mésoderme ; ent^ entoderme ;
c. d.f corde dornale ; t. m., tube médullaire; /. d., lames dorsales; /. /., lames
latérales.
tière, dont les parois se continuent avec la lame qui formera
Tépiderme. Puis les bords de la gouttière se rapprochent l'un
de l'autre et finissent par se réunir en formant un tube. Ce
tube, que Ton appelle le tube médullaire, se détache et s'écarte
de la lame épidermique. L'intervalle ainsi formé ne tarde pas
à se remplir par le prolongement des lames dorsales qui for-
maient les bords de la gouttière et qui, s*unissant au-dessus
du tube médullaire, constituent l'arc vertébral ; tel est l'état
normal (fig. i, 2 et 3).
Supposons maintenant que la gouttière médullaire s'ar-
740 IIIIITIÈME CONFÉRENCE BROCA.
rête dans son évolution, en un point quelconque de son par-
cours, généralement à son extrémité postérieure ; elle reste
alors béante et conserve sa continuité avec Tépiderme. Dans
ces conditions, les lames dorsales ne peuvent se réunir, et
s'ossifient isolément des deux côtés de la gouttière. Telle est
Torigine du spina bifida ; je l'ai constatée plusieurs fois sur
des embryons de poule ; je Tai constatée également sur un
très jeune embryon humain qui m'avait été remis par notre
ancien collègue, M. Ernest Martin
(fig. ^).
Il y a des cas, peu nombreux
il est vrai, dans lesquels ranomalie
ne va pas plus loin. Le plus ordi-
nairement, il existe une tumeur ;
mais celte tumeur résulte non d'une
hydropisie de la moelle, comme on
le croit généralement, mais de l'ac-
v\.r A IT^k i cumulation, au-dessous de la moelle
tig. 4. — Embryon humain avec '
spina bifida, do M. E. Martin, et daus Ics méningcs, du liquide
fl, pariio médiane do la gouttière céphalo-rachidicn. Elle u'cst donc
médullaire ; 6. 6 , parties laté- ^
tt'^'*'^'- qu'un fait accessoire fréquent, il est
vrai, mais non nécessaire, consécutif à l'arrêt de développe-
ment partiel de la moelle.
La cyclopie est une monstruosité très curieuse. Les êtres
qui en sont aftectés ont un œil unique situé sur la ligne mé-
diane de la face. Parfois il existe deux yeux beaucoup plus
rapprochés que dans l'état normal, tantôt enfermés dans une
orbite unique et tantôt ayant chacun son orbite. Cette mons-
truosité reproduit exactement la conformation des cyclopes
de lu fable ; on peut donc penser qu'elle a été l'origine de
cette conception mythologique. Je crois, pour ma part, que
l'homme n'invente pas et qu'il prend toujours les éléments
de ses conceptions dans l'observation de la réalité.
Voici ce que mes observations m'ont appris sur sa genèse.
Les yeux, ou plus exactement les rétines, se forment dans
une partie des parois de la vésicule cérébrale antérieure,
DARESTE. — LA TÉRATOGÉNIE EXPÉRIMENTALE.
741
celle qui deviendra plus tard la vésicule du troisième ventri-
cule. Cette vésicule, qui se produit par un évasement de
Textrémitô antérieure de la gouttière médullaire, reste ou-
verte pendant un temps assez long, et en même temps elle
s'élargit de plus en plus dans le sens transversal. Il en
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résulte que les parties des parois qui deviendront les rétines
sont d'abord juxtaposées des deux côtés de la ligne médiane,
puis qu'elles s'écartent peu à peu Tune de l'autre pour venir
occuper les deux extrémités opposées des bords de la vési-
cule. La fermeture de la gouttière ne se produit que lorsque
la vésicule a atteint ses dimensions définitives dans le sens
transversal (fig. 5, 6 et 7).
742 OUITIÈMK CONFÉRENCE BROCA.
Supposons que la fermeture de la gouttière se fasse d*une
manière préoooe; les parties rétiniennes des parois, qui étaient
juxtaposées, s'uniront Tune à Tautre. Ainsi se formera sur la
ligne médiane une vésicule optique unique, tandis que, dans
révolution normale, les deux vésicules optiques, éloignées
Tune de l'autre, se constitueront isolément. On voit donc
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comment, dans le second ras, les yeux se produiront d'em-
blée comme deux organes isolés, tandis que, dans le pre-
mier, il se constituera un œil unique, tantôt complètement
simple et tantôt présentant en plus ou moins grand nombre
les éléments des deux yeux.
DARESTE. — LA TKRATOGÉNIE EXPÉRIMENTALE. 743
L'union des parties rétiniennes de la paroi de la vésicule
antérieure en avant de la têle est elle-même le point de
départ d*un fait anatomique très important, le défaut de
formation des hémisphères cérébraux. Dans révolution nor-
male, lorsque les yeux s'écartent de la ligne médiane, Tin-
tervalle qui les sépare est occupé par deux nouveaux replis
de la paroi de la vésicule, replis qui sont le point de départ
dune nouvelle vésicule cérébrale, la vésicule des hémi-
sphères. Il est évident que rien de pareil ne peut se produire
dans la cyclopie.
On rencontre fréquemment, chez les cyclopes, une petite
F. OP.
— /-.._M.S.
-vCl.-.M.Ï.
Fig. S. — Tôte d'ctnbryon avec oyclopie inoomplète.
F. CL., fossette oUactive ; F. OP., F. OP., fostetlM optiques ;
M. s., mâchoire supérieure ; tâ.l,, mâchoire inférieure ; F. B., fente buccale.
trompe située au-dessus de l'œil unique. Cette trompe est
l'appareil olfactif. Dans révolution normale, cet appareil est
constitué, au début, en avant des yeux, par deux petites fos-
settes comparables aux cavités olfactives des poissons et
n'ayant, comme elles, aucune communication avec la cavité
buccale, à laquelle elles ne s'unissent que plus tard. Dans la
cyclopie, l'unité de l'œil entraine la formation d'une cavité
olfactive unique, cavité qui ne peut se mettre en communi-
cation avec la cavité buccale. Lorsque les parois de cette
cavité se prolongent en avant, elles forment une petite
trompe (flg. 8).
La fermeture précoce de la vésicule cérébrale antérieure
est-elle le fait initial de la cyclopie ? J'ai lieu de croire qu'elle
résulte elle-môme d'un autre fait antérieur, une pression
714 UUlTtliHB COHFÉaERCE BROCA.
exercée par la partie antérieure de ramnios arrêté dans son
développement ; mais je n'ai pu, jusqu'à présent, m'en assu-
rer d'une manière certaine. 11 existe, au contraire, un certain
nombre de monstruosités dans lesquelles l'arr&t de dévelop-
pement total ou partiel de l'amnios joue un râle tout à fait
évident. Je vous le montrerai par quelques exemples.
Telles sont les exencéphalies, dans lesquelles l'encéphale
parait être, partiellement ou totalement, en dehors du
crâne [fig. 9). On les considère généralement comme des
DARE8TE. — LA TÉRATOGÉNIE EXPÉRIMENTALE. 745
hernies de Tencéphale qui, dilaté par uae hydropisie, aurait
violemment écarté les deux moitiés de la voûte du crâne.
Mes recherches m'ont prouvé que la genèse de Texencéphalie
est toute différente. Quand l'amnios est arrêté dans son dé-
veloppement, la partie de cette membrane qui recouvre la
tête et que Ton appelle le capuchon céphalique peut manquer,
ou bien elle peut rester appliquée contre la tête de Tem-
bryon. La tête se comprime alors, soit contre la coquille de
Tœuf, soit contre Tamnios. Cette pression produit alors une
déformation remarquable des vésicules céphaliques. Leurs
parties supérieures sont aplaties et débordent de tous côtés
Fig. 10. — Formation de l'cxencéphalie.
Schéma représentant la conpe d'ano Tésicnle encéphalique comprimée par Tamniot.
a, amnios ; b, partie sanérieare de la Tésicnle comprimée et simolani une hernie ;
c, partie iniérieare ae la vésicule qui n'a pas subi l'action de la compression.
les parties inférieures, dont elles sont séparées par un sillon.
Dans ces. conditions, elles paraissent être en dehors du
crâne, mais ce n'est qu'une apparence. Le crâne les enve-
loppe complètement ; niais^ dans toute sa partie supérieure,
il est frappé d'arrêt de développement et conserve son carac-
tère primitif de crâne membraneux. Il ne se développe com-
plètement que dans la partie inférieure, celle qui est située
au-dessous du sillon ; c*est là que s'arrête l'ossification
(flg. iO).
Lorsque la partie postérieure de l'amnios, celle que l'on
appelle le capuchon caudalj est arrêtée dans son développe-
ment, elle comprime les membres postérieurs et gêne leur
évolution. Ces membres sont alors frappés d'arrêt de déve-
loppement. Ainsi 86 forment les diverses ectromélies carac-
746 iiumËKE: gohfbrence broca.
térisées par l'absence d'une partie pins ou moins coDsidéi-able
des luembrea. Dans d'autres cas, les membres complètement
développés, mais soumis à la pression de l'amnios, ne peu-
vent s'accroître qu'en éprouvant des déviations dans diffé-
rents sens. Telle est l'origine des déviations congénitales des
membres, et particulièrement du pied bot.
L'une des monstruosités les plus remarquables des mem-
bres inférieurs est la symélie. Le membre inférieur est unl-
Fig. II. — P>rtl< pMUriSDM du Mirpi d'an lUDiiiIra lymilien en Toïn d« rormalioa.
(d'aprii nilurc).
C, cttur; K.A, M. A, membres i>ntcrienr>: M. P. M. P. membnt poslcrioan
rcnisnéi; A.unDJm; C. C, eapnchuD oindiil. ,
que, mais il contient, en nombre plus ou moios grand, ie^
éléments de deux membres. En outre, tous les éléments de
ce membre, uoiqnc en apparence, sont renversés. Les parties
qui, dans l'état normal, sont à l'extérieur, sont ici à l'inté-
rienr; et de même les parties qui, dans l'étal normal, sont
à l'inlérieur, sont ici à l'extérieur. Le talon est en avant, les
orteils sont en arrière.
La genèse de ces monstruosités est restée incompréhen-
sible jusqu'à mes expériences. Or j'ai vu que l'arrôl de dé-
veloppement du capuchon caudal, empêchant des deux cdtés
également l'accroissement normal des membres, les force à
DAHËSTE* — LA TÉRATOGÉNIE EXPÉRIMENTALE.
747
se renverser au-dessus de la face dorsale de Tembryon. 11$
vont à la rencontre Fun de Tautre et s^unîssent par leurs
Fig. 12. — Orophalocéphalio aven deux oœurt séparés.
bords externes, devenus internes. 11 y a là une application
remarquable de la loi d'union des parties similaires (fig. ii.
Fig. 13. — Omphaloccpbalie avec un cœur unique.
Tous les types téralologiques dont je viens de vous faire
connaître la genè86> bien qu'observés sur des embryons de
748
UUITlkMË CONFÉRENCE BROCA.
poule, se rattachent à des types déjà décrits chez les mam-
mifères ou l'espèce humaine. Ce fait, bien que très général,
n'est pas cependant universel. J'ai rencontré assez souvent
une monstruosité qui n'appartient à aucun type déjà connu,
et que j'ai désignée sous le nom d'omphalocéphalie ou de
hernie ombilicale de la lêle. C^est le fait le plus curieux et le
plus inattendu que j'aie rencontré dans mes recherches. Je
dois y insister avec quelques détails.
Dans les monstres omphalocéphales,la tête, plus ou moins
Fig. 14. — Omphalocéphalid avec un cœar uniqne,
mais présentant des traces de dualité.
Lettres coromanes : t, tête: c.,c, cœurs ; /. /, lames antérieure» du feuillet Tascalaire.
arrêtée dans son développement, paraît sortir par l'ouverture
ombilicale, et le cœur, au lieu d'occuper sa place ordinaire
dans le thorax, est à nu sur le dos de l'embryon, exacte-
ment — qu'on me passe la comparaison — comme la hotte
sur le dos d'un chiffonnier (fig. 42, 13 et 44).
J'ai découvert cette monstruosité dès le début de mes
études ; mais, pendant longtemps, je n'ai pu [me rendre
compte de son mode de formation. L'évolution normale, telle
qu'on la connaissait alors, ne me donnait aucun moyen
d'expliquer le changement de position si curieux que pré-
sente le cœur. Il m'a fallu, pour y parvenir, reprendre, dans
DAHESTE. — LA TÉRATOGÉNIB EXPÉRIMENTALE. 749
son ensemble, Tétude de la formation de cet organe, ainsi
que celle du feuillet vasculaire, et réunir les éléments d'un
chapitre entièrement nouveau d'embryogénie normale.
J'avais rencontré plusieurs fois chez des embryons mon-
strueux Texislence de deux cœurs distincts. Cetle dualité
s'était même présentée assez fréquemment dans les ompha-
locéphales.
Je ne pouvais évidemment l'expliquer que de deux ma-
nières : ou bien le cœur, simple à son origine, se serait par-
tagé en deux; ou bien il existerait primitivement deux cœurs
qui, dans l'état normal, s'uniraient pour former un cœur
unique, mais qui, dans certains cas, resteraient séparés. La
dualité du cœur serait donc la permanence d'un état em-
bryonnaire ; en d'autres termes, un arrêt de développement.
Mais, à l'époque déjà ancienne où j'observais les omphalo-
céphales, on ignorait le mode de formation du cœur que Pon
décrivait partout comme étant simple dès son origine, et
comme formant un vaisseau unique et contractile situé sur
la ligne médiane, dans un écartement des parois du pharynx
que l'on désigne sous le nom de chambre cardiaque.
Il fallait donc reprendre la question. Or j'ai constaté que
cet étal du cœur n'est point son étal primitif, et que cet
organe se constitue à une certaine époque de la vie embryon-
naire par Tunion de deux blastèmes cellulaires qui viennent
à la rencontre l'un de l'autre dans la chambre cardiaque, en
s'unissant de manière à former un cœur unique (fig. iSj. Si
cette union ne se fait pas, les blastèmes cellulaires se déve-
loppent isolément et forment deux cœurs distincts.
La dualité primitive du cœur, que j'ai découverte en 1866, a
étédepuiscetteépoque retrouvée chez un mammifère, le lapin,
et chez plusieurs espèces de poissons; on peut donc supposer
qu'elle existe chez tous les animaux vertébrés. Vous voyez
comment la téralogénie est elle-même une cause de progrès
pour l'embryogénie normale.
Le cœur unique de la plupart des omphalocéphales devait
donc résulter, comme celui des embryons normaux, de la
T. Il (4« SÂRIB). k^
160 HUITIKKB CONFfiBENCB BBOGA.
fbsioii de deux blastëmes cardiaques primitivement distincts.
Mais il restait à comprendre comment ces deux hlastèmes
venaient s'unir au-dessus de la lête. J'y suis arrivé en ob-
servant le mode de Tormation de la partie antérieure du
fenillel vasculaire.
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Quand on étudie l'embryon aux troisième et quatrième
jours de l'évolution, on le voit entouré de tous c6tés par no
réseau vasculaire qui forme le premier appareil circulatoire.
Ce réseau vasculaire a pour siège une membrane particu-
lière quo l'un désigne sous le nom de feuilUl vasculaire.
A l'époque où j'ai découvert la dualité primitive du cœur,
on croyait que le feuillet vasculaire coasUtuait dès son ori-
DAHE5TB. — U TfeHATMfcKlB ESPÉRI MENTALE. 'ftl
gine un Aerolfl dont l'embryon OMUpernU un de» diatoëtreai
Or j'ai coûslaté qu'an d4but le segment antArieur dn cercle
n'existe pas, el que le feuillet sb termine en avant par une
ligne à peu près droite, présentant sealement h son miliea
nne petite éminenoe, la tële de l'embryon (fig. 16 et 17).
PoU OD voit ce bord anlénear émettre dea dcBX cdtâa de la
752 HUITIÈME CONFÉRENCE BROGA.
tète deux prolongements qui s* étendent en avant et au-des-
sous de la tête, et viennent s*unir Tun à Tautre sur la ligue
médiane, de manière à compléter le cercle.
Dans les omphalocéphales, la tète frappée d*arrèt de dé-
veloppement, et dépourvue de pharynx, s'infléchit de haut
en bas en pénétrant dans l'intervalle que présentent, au
début, les deux lames antérieures du feuillet vasculaire. Les
deux blastèmes cardiaques qui se produisent à la naissance
de ces deux lames, et qui sont ainsi placés des deux côtés de
la tète, viennent alors se rencontrer au-dessus, et non au-
dessous d'elle, comme c'est le cas dans révolution normale.
Il se produit alors un cœur unique quand les deux prolonge-
ments antérieurs du feuillet vasculaire sont venus se réunir,
et deux cœurs quand ces prolongements restent écartés.
Ainsi se constitue le type si curieux, si étrange, de Tom-
phalocéphalie, dont Texplication ne peut présenter aujour-
d'hui aucune difficulté, puisqu'elle résulte d'un très grand
nombre d'observations qui me l'ont montrée à ses différents
états. Il me reste seulement à savoir pourquoi ce type ne
s'est rencontré que chez les oiseaux seuls, tandis que per-
sonne ne Ta encore observé chez les mammifères ou chez
l'homme, dont la tératologie est si bien connue.
Je pourrais multiplier ces exemples, mais je ne veux pas
abuser plus longtemps de votre patience. Je dois seulement
ajouter que j'ai conservé un certain nombre des monstres
ainsi obtenus, et que j'en ai formé une collection actuelle-
ment unique au monde. Je me ferai toujours un plaisir de la
mettre sous les yeux de tous ceux qui désireront la visiter.
Ils y verront des exemples de ces milliers d'êtres que j'ai fait
sortir du domaine du possible pour les introduire dans le
monde réel ; et ils pourront comprendre le pouvoir de Texpé-
rlmentation pour mettre enjeu la variabilité de l'organisation
animale.
On me demandera sans doute pourquoi je n'ai pas été plus
loin, pourquoi je n'ai pas cherché à produire des anomalies
légères, compatibles avec la vie et la reproduction, et pon*
DARESTE. — - LA TÉRATOGI^NIE EXPÉRIMENTALE. 753
vant devenir le point de départ de races. Je suis convaincu
que cela est possible et que j'ai produit plusieurs fois de sem-
blaltles faits. Mais je n'ai pas poursuivi cette partie de mes
expériences, parce qu*elles comportent une cause d*erreur
que je ne suis pas actuellement en mesure d*éliminer. L'espèce
de la poule a tellement varié depuis sa domestication que
Tapparition d'un caractère nouveau ne pourrait être certaine
qu'autant que Ton connaîtrait exactement les caractères du
coq et de la poule qui ont procréé le germe. En d'autres
termes, il me faudrait joindre une basse-cour à mon labora-
toire. Tant que cette condition ne sera pas réalisée, les
expériences sur la production des variétés ne donneront que
des résultats incertains. Ou bien il faudrait mettre en expé-
rience les œufs d'une espèce n'ayant encore que peu varié,
la pintade, par exemple. Mais le petit nombre d'œufs que
produit cet oiseau serait un grand obstacle à l'exécution des
expériences.
Les détails dans lesquels je viens d'entrer vous convain-
cront sans doute que j'ai poussé mes expériences aussi loin
que je pouvais le faire, et que j'ai constitué la tératogénie
de la poule sur la base désormais inébranlable de l'observa-
tion directe.
J'aurais voulu faire plus. Mes expériences n'ont porté que
sur une seule espèce. Or toutes les espèces ovipares doivent
avoir leur tératogénie. Il faudrait déterminer pour chacune
d'elles tes conditions de l'évolution normale et faire con-
naître toutes les déviations du type spécifique qu'elles peu-
vent présenter. Il y a là un domaine scientifique immense,
complètement inexploré, et, par conséquent, une riche mois-
son de découvertes à faire.
Cette pensée m'a suivi, je pourrais dire m'a poursuivi,
pendant toutes mes expériences. J*ai cherché plusieurs fois
à la réaliser, mais j'ai toujours dû reculer devant des impos-
sibilités matérielles. Ceux d'entre vous qui me feront l'hon-
neur de venir à mon laboratoire pour visiter ma collection
pourront se rendre compte de l'insuffisance des moyens de
754 nUlTlÈMS CONFERENCE BROCA.
travail dont j'ai pu disposer et des difficultés de toute sorte
qui ont toujours ralenti mes travaux^ bien qu'elles ne les
aient jamais arrêtés. N^ayant déjà qu'une installation Hrès
défectueuse pour mes expériences sur la poule, je ne pouvais
guère songer h établir des installations nouvelles pour mettre
d'autres espèces en expérience, Il n'est pas probable que je
sois jamais dans des conditions plus favorables, d'autant plus
que j'ai atteint un &ge qui ne me permet plus, oomme disait
l^a Fontaine,
Le long espoir et les vaites pensées.
Pans ces conditions, et lorsque je ne puis plus compter
sur beaucoup d'années de travail effectif, tout oa que je puis
faire, c'est d'engager ceux qui viendront après moi et qui,
plus favorisés, pourront disposer de moyens d'étude qui
m'ont toujours fait défaut, h continuer mon œuvre en Téten*
dant à toutes les espèces qu'ils pourront mettre en expé«
rienoe, C'est là, j'en suis convaincu, qu'est l'avenir de la
zoologie et, par conséquent, de l'anthropologie elle-même,
Assurément de pareilles études seront longues, pénibles,
dispendieuses ; mais elles conduiront certainement ceux qui
auront le courage de les entreprendre, et qui ne se laisseront
rebuter par aucun obstacle, à des découvertes inattendues,
qui répandront de vives clartés sur la question si obscure de
Vorigiqe des formes vivantes. Qu'il me. soit permis de leur
rappeler cette phrase que Darwin écrivait, il y a dix-buit an»,
dans un de ses célèbres ouvrages : l^s expériences de Af , Ca-
mille Dareste sont pleines de promesses pour Papefiir, Ces pa«
rôles m'ont toujours encouragé dans la lutte que j'ai dA
soutenir contre les sentiments d'indifférence ou d'iqcréduUté,
et parfois même d'hostilité, qui ont pendapt longtemps
accueilli mes travaux. Je ne puis que faire des vœux pour
qu'elles encouragent également mes successeurs dans la
science.
POISONS DES FLÈCBGS. 755
519* SfiANCB. — 17 décembre 1891.
Préaldenee de M* ItAVORHE^ préfllde«l«
Lo procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
A propos du procès* verbal.
M. E. Rivière. A propos de la très intéressante communi-
cation de notre cher président, M. le docteur Laborde, sur
les poisons des flèches, je demande la permission de rappeler
la découverte faite par le docteur Jules Crevaux, il y a une
douzaine d'années, au cours d'un de ses voyages dans Tinté-
rieur de la Guyane, du Strychnos, auquel Tun des curares de
TAmazone doit ses propriétés toxiques.
En effet, ainsi que je Tai publié en 1881, dans la Gazette
des hôpitaux, la question de la fabrication de ce curare, dont
les indigènes se servent pour empoisonner leurs armes, na-
guère encore un mystère, a été complètement élucidée par
Jules Crevaux, au point de vue botanique et géographique.
Comme je l'ai raconté dans la notice que j'ai consacrée au
courageux explorateur de la Guyane, le tenant de sa bouche
même, c'est grâce à l'influence d'un collier de verroterie sur
une jeune Indienne Roucouyenne qui se laissa séduira -^ W
tout bien tout honneur — et entraîner au milieu des bQÎ9t
pour la montrer à notre ami Crevaux, que celui-ci pf^rvint à
connaîtra la plaqte dont ces peuplades extraient Iç sue pour
la préparation de leur curare, Ainsi^ les Indiens du haqt
Aiqazonc emploient le Strychnos Castelneana^ ceux de la
Guyane le Strychnos Crevauxi décrit pjy MM. Plancho^ et
Bâillon, et ceux de l'Orénoque, le Strychnos toxifera *.
D'autre part, je rappellerai aussi qu'aux Nouvelles-
Hébrides les pointes de flèches sont presque toujours en^
duites d'une pâle formée avec de la terre prise spécialement
t £• Rivière, iVo^to» $ur JuUs Crevf^uap (Gai9tl$ dps MpitauXt 1881).
756 SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE I89f.
dans des trous creusés au bord de la mer par des crabes et
pétrie avec le suc d'une euphorbe extrêmement vénéneuse.
Aussi les blessures faites par les armes empoisonnées des
Néo-Hébridais sont-elles des plus dangereuses, voire même,
le plus souvent, assez rapidement mortelles. Ainsi que
M. François, maître de conférences à la Faculté des sciences
de Rennes, me l'a raconté, il y a quelques mois, à son retour
de la mission scientifique dont il avait été chargé par le
ministère de l'instruction publique, aux Nouvelles-Hébrides,
les individus frappés par une de ces flèches succombent en
présentant des accidents tétaniques.
J'ajouterai, comme je le disais ces jours derniers à M. le
docteur Laborde, que, pour se préserver de toutes piqûres
dans le maniement de leurs armes, les indigènes ont le soin
soit d'cncapuchonner chaque pointe de flèche Ou de sagaie
d'un bout de roseau, soit d'envelopper un certain nombre
de flèches dans une feuille de Pandanus roulée en forme de
carquois*.
M. Laborde rappelle à ce propos les recherches de Crevaux
qui ont flxé la composition du curare.
CORRESPONDANCE.
M"" veuve Delehaye adresse une lettre à la Société lui
rappelant que la somme de 1 000 francs, léguée par son
mari, est à sa disposition chez son notaire. M® Berson,
4, avenue de l'Opéra.
M. Salmox propose d'adresser une lettre de remerciements
à M"* Delehaye, en lui faisant remarquer que la Société
attend l'autorisation du conseil d'État pour pouvoir toucher
cette somme.
Le j>résident du conseil municipal adresse à la Société
les remerciements du conseil pour l'envoi du masque de
Mirabeau. Ce ma:?que est destiné au musée Carnavalet.
^ E. Kivièri>, les Souvelles-Hébrides {Revue scienli/iqtie, io iu'iWei \H9\).
TESTUT. — NOTE SUR UN CAS DE MAMELLE CRURALE. 757
OUVRAGES OFFERTS.
Hû (Gustave). La Doctrine de révolution et le Régne végétal.
Paris, 1891, in-4', 5 pages.
LissAUER (D' A.). A/MerM'ïmer dei* Bronzezeit in der Pro-
vintz westpreussen, Danizlg^ 189i, in-4**, 30 pages.
ÉLECTIONS.
La Société a nommé) par 26 voix sur 26 votanlS) membres
titulaires : M"" veuve Eugène Véron, M. Novikoff, M. Albert
Eudes.
objets offerts.
M. Emmanuel Ostrowsky, étudiant en médecine, offre à la
Société une série de pièces céramiques, objets en silex et en
bronze, trouvés dans des fouilles en Russie.
COMMUNICATIONS.
Note sur un e«s de mamelle ernraie observé ehez la femme ;
PAR M. L. TESTUT.
(Présentée par M. Mathias Duval.)
J'ai observé, en 1885, sur la cuisse droite d'une femme qui
avait accouché à la Maternité de Bordeaux, une mamelle
surnuméraire dont j'indiquerai tout d'abord la situation, la
forme et les rapports.
Elle occupait la face antéro-interne de la cuisse droite et
était située exactement à 65 millimètres au-dessous du pli
de l'aine, sur le trajet d'une verticale passant par l'épine du
pubis. Au point de vue de sa confl^ration extérieure, elle
était constituée par un mamelon de forme conique, qui me-
surait 12 millimètres de la base au sommet. Tout autour de
lui, la peau était soulevée par une masse arrondie, globu-
leuse, qui ét€dt le corps de la glande elle-même. Cette petite
masse glandulaire était peu apparente à Tœil en raison de ^es
758 SÉANCE ou 17 DÉCEMBRE 1891.
faibles dimensions ; mais elle était très perceptible au toucher
et, par ses contours irrégulièrement bosselés^ par sa consis-
tance à la fois molle et résistante^ elle rappelait exactement
une mamelle normale.
Du reste, cette mamelle rudimentaire était placée immé-
diatement au-dessous de la peau. Elle glissait avec la plus
grande facilité sur Taponévrose sous-jacente et faisait corps
au contraire avec le mamelon, ci-dessus décrit, qui la sur-
montait et la continuait.
Le sommet du mamelon présentait un petit sillon qui se
dirigeait transversalement de dehors en dedans. Tout super*
ficiel à sa partie externe, il se creusait progressivement en
allant en dedans et se terminait à son extrémité interne par
un petit pertuis circulaire, qui était vraisemblablement Tori-
fice de son canal excréteur.
La peau qui recouvrait le mamelon et sa glande se distin-
guait de la peau des régions voisines par sa coloration plu?
foncée. On apercevait même, çà et là, un certain nombre de
petites taches pigmentaires.
La femme porteuse de Tanomalie que je viens de décrire
avait quarante et un ans à l'époque où je Tai examinée. Elle
ne présentait aucune autre malformation. Les deux mamelles
pectorales étaient normalement constituées, bien que la
droite fût manifestement plus développée que la gauche. J'ai
appris d'elle qu'elle avait ignoré jusqu'à l'âge de vingt ans
l'existence de sa mamelle crurale. Ce n*estqu'à cette époque
qu'elle s'en était aperçue et cela (je répète textuellement ses
paroles) parce quelle la gênait pour la marche à Vépoque des
règles. Elle m*a bien spécifié, et à mon tour j'insiste sur ce
point, que cette gêne n'était pas continuelle mais seulement
temporaire ; elle apparaissait en même temps que récoule-r
ment menstruel, durait autant que durait l'ôcoulement luir
même et disparaissait avec lui. Pendant les règles, en effet,
la mamelle surnuméraire augmentait de volume, en même
temps qu'elle devenait plus dure et plus douloureuse au tqu*
cher.
LAFAY. — GISEMENTS PRÉHISTORIQUES DE MAÇON. 759
Je doit ajouter que cette femme a eu cinq grossesses. A
cbaouue d'elles, les deux mamelles pectorales augmentaient
de volume, selon la règle, et il en était de même de la
mamelle crurale. Dans les derniers mois de la grossesse, la
marche n'était possible qu*à la condition d'écarter fortement
les cuisses pour éviter les frottements, qui étaient alors très
douloureux. Je n'ai pu savoir au juste si le petit pertuis que
j^ai signalé plus haut sur le sommet du mamelon avait laissé
écouler du lait. Tout ce que je puis dire, c'est qu'à Tépoque
où j'ai fait l'examen, le pertuis en question ne présentait
aucun suintement, alors même qu'on pressait de bas en
haut la glande et son mamelon pour en obasser le contenu,
La femme, du reste, n'était pas nourrice, et plusieurs mois
s'étaient déji^ écoulés depuis son dernier accouchement.
M. Sanson fait observer que ces anomalies sont bien con-
nues. La glande mammaire n'est en somme qu'une glande
sébacée plus complexe ; il n'est donc pas difflcile de com-
prendre qu'une mamelle supplémentaire puisse se développer
par une différenciation spéciale d'un groupe de glandes
sébacées.
Sar qaelqnes BO«¥eaax gisements préhistorlqaes
des environs de MAeon ;
PAR H. G. LAFAT.
l'atelier chelléen du bois de naisse.
J'ai fait paraître dernièrement une élude sur )e$ ^telifir^
préhistoriques de la Sénétrièreren -Maçonnais. Ces ateli^rç^
copiprepaient, p^tre plusieurs gisepaents disséminés de grç^t-
toirs et d'éclats appartenant à l'époque robei^hausienne, un
centre d^ fabnçfttiqq d'instf uiï^eqts quaternaire^ (éppq^e
chelléenne (^§ M, (]e MQrtillet).
Ce dernier centre de fçibrication, situé ^an^lelebin quitter-
760 SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE 1891.
naire, sur un petit plateau, m'avait fourni une centaine de
coups de poing chelléens environ, parfaitement finis et intacts,
et un grand nombre d'ébauchés, d^inachevés ou de cassés pen-
dant la taille, tous fortement cacholonnés à cause de leur
longue exposition à l'air libre.
J'avais également recueilli un certain nombre de pièces
appartenant à la même époque dans le banc supérieur de
l'argile à silex qui artleure sur les talus formant la lisière du
bois de Naisse, et comme les traces de fabrication me parais-
saient devenir très abondantes à mesure que je me rappro-
chais de ce dernier bois qui limite à l'ouest la Sénétrière,
j'avais émis Topinion qu'il devait receler des ateliers plus
importants dont la Sénétrière n'était pour ainsi dire que la
succursale. Une circonstance imprévue est venue confirmer
cette opinion. Une carrière d'argile à silex existe dans le bois
de Naisse, au voisinage même de la Sénétrière. Cette carrière,
abandonnée depuis plusieurs années, vient d'être de nouveau
remise en exploitation.
Ayant eu l'idée dernièrement de chercher, parmi les débris
qui composaient les talus de déblais rejetés autour de la car-
rière, ainsi que parmi ceux provenant des éboulements, qui
avaient été assez considérables par suite de la rigueur de
l'hiver, je constatai que ces débris étaient composés d'une
multitude d'éclats de silex dont chacun, pour ainsi-dire, por-
tait les traces non équivoques de retouches intentionnelles, et
je pus recueillir, après quelques recherches parmi ces débris,
un grand nombre d'instruments appartenant à l'époque chel-
léenne.
Ayant examiné en outre les nouvelles tranchées pratiquées
dans la carrière, je remarquai que, sur une épaisseur de deux
à trois mètres, le banc supérieur de l'argile à silex, qui offrait
des traces évidentes de stratification, était uniquement com-
posé des résidus de fabrication provenant de la confection
des instruments chelléens, et j'extrayai moi-même de ce der-
nier banc plusieurs pièces des plus caractérisées.
Je me dispenserai de faire ici la description des spécimens
LAFAY. — GISEMENTS PRÉUISTORIQUËS DE MAÇON. 761
que m'a fournis lacarrière du bois de Naisse; je renverrai) pour
cette description, à Tétude des ateliers de la Sénétriëre dont
j'ai parlé précédemment. Je ferai seulement remarquer que
tous les instruments du bois de Naisse, étant extraits récem*
ment de la couche qui les renferme, ne sont recouverts
d'aucune patine.
L*nn d'eux cependant mérite d'être signalé; arrondi au
sommet, tandis que la base est retaillée en forme de biseau,
ce qui prouve la multiplicité des emplois auxquels il était
destiné, ses bords latéraux, légèrement arqués, sont encore
recouverts d'une portion de la croûte provenant du rognon
de silex qui a servi à le fabriquer. Il peut donc être saisi très
facilement à la main sans se blesser.
De tout ce qui précède, on peut tirer les conclusions sui-
vantes :
1<> Un atelier chelléen, dont l'exploitation n'a mis sans doute
qu'une faible partie à découvert, existe dans le bois de Naisse;
â*» Cet atelier, comme celui de Charbonnières décrit par
de Ferry, est au cœur même de l'argile à silex, et les premiers
hommes ont débité leurs instruments sur place ;
3"* Le banc supérieur de l'argile à silex est le véritable gise-
ment des instruments quaternaires en Maçonnais.
Je n'ai pas l'intention d^étudier ici la nature et la formation
de cette argile. Je rappellerai seulement qu'on désigne sous
ce nom, aux environs de Mâcon, des masses incohérentes de
sables et d'argiles bigarrés terminées par une couche à silex
qui porte des traces évidentes de stratification. Cette dernière
couche, remaniée, sans aucun doute, à l'époque quaternaire,
est surmontée elle-même d'une zone à grains de fer à laquelle
on a donné le nom de lehm ferrugineux. Les instruments
qu*on y recueille sont contemporains de ce dernier banc et
l'homme a dû faire son apparition dans notre contrée au
moment de sa formation. On peut donc^ en quelque sorte,
assimiler ce mode de gisement à ceux des alluvions classiques
de la Somme et de la Seine.
76i SÉANCE DU 17 DÊGEMRRfi 1891.
NOUVEAU CENTRE DE FABRICATION GHELLÉBNNB A CHARBONNIÈRES.
La commune de Charbonnières a été, à Tépoque chelléenne,
le centre d'une active fabrication, et cette localité peut être
considérée comme le véritable lieu d'approvisionnement des
ateliers et stations du Maçonnais. Deux causes ont contribué
surtout à y attirer les fabricants, d'abord le grand dévelop-
pement de la formation des argiles tertiaires à silex, et en-
suite la bonne qualité du silex. A Charbonnières, en effet, on
trouve des blocs de silex dont les dimensions dépassent de
beaucoup ceux des autres localités, et tandis qu'à la Grisière
et à Saint-Sorlîn, par exemple, le silex contient de nombreuses
cavernosités qui nuisent à la taille, à Charbonnières, au con-
traire, la pâte plus une et plus homogène peut fournir des
éclats beaucoup plus propres à la confection de beaux instru-
ments.
M. de Ferry a signalé à la Salle et à Charbonnières, sur la
rive gauche du ruisseau qui forme la limite de ces deux
communes, la présence d'un important atelier chelléen.
Mais cet atelier n'est pas le seul qui existe à Charbonnières
et le silex de cette dernière localité a été utilisé partout où
il existait par les hommes de Tépoque chelléenne. En effet,
j'ai ramassé autour des carrières à Touest de Charbonnières,
ouvertes dans le bois du Parc, des coups de poing et des
ébauches du même instrument, dont le nombre en cet endroit
nous prouve assurément que là existait un atelier de cette
dernière époque. Parmi ces coups de poing, j*ai également
recueilli une belle pointe moustérienne.
l'atelier MOUSTÉRIEN du bois de la ROCHE A VERCHIZEUIL.
M. de Ferry a signalé à Verchizeuil, commune de Vené,
sur le versant nord du bois de Malessard. non loin d*un petit
ruisseau, la présence d'un atelier qui lui a fourni plusieurs
instruments appartenant aux époques chelléenne et mousté^
rienne. Je n'ai pu retrouver remplacement de cet atelier que
LaFAY. — GISEMENTS PHÉUISTOHIQUES DE MAÇON. 763
des cultures intensives ont sans cloute fait disparaître. Mais
cette région a dû alimenter plusieurs fabriques, car, chaque
fois que s'opèrent des défrichements, on peut constater de
nouvelles traces de fabrication.
Un déboisement partiel, pratiqué en vue d'établir une car-
rière de silex pour Tempierrement des routes sur le versant
sud du bois de la Roche à Verchizeuil, m'a révélé Texistence
d'un nouveau gisement.
Lorsque j'ai visité cette carrière pour la première fois, j'ai
été frappé de la multitude de débris de taille qui s'offrait à
mes regards, et bientôt je pus me rendre compte que j'avais
affaire à un atelier de l'époque quaternaire. Depuis j'ai sou-
vent exploré le versant du bois de la Roche avec l'aide d'un
habile auxiliaire, le sieur Canne, qui m'a accompagné la
pioche à la main, et j'ai constaté que ce dernier bois recelait
dans son sous-sol des traces nombreuses du séjour des pre-
miers hommes pendant une grande partie du quaternaire,
mais principalement à l'époque moustérienne. En effet, dans
ce curieux gisement, les instruments taillés sur les deux faces
sont rares, tandis que ceux taillés sur une seule face abondent.
De plus, on trouve également un grand nombre d'éclats, en
général assez larges, la plupart retouchés en forme de scie;
les pointes et les racloirs n'y sont pas rares. J'y ai recueilli
également quelques grattoirs grossiers dont un concave. Tous
ces faits nous indiquent suffisamment que nous sommes en
présence d'un atelier de l'époque moustérienne.
l'atelier robenhausien des varennes.
J'ai découvert dernièrement, aux portes mêmes de notre
ville, un nouvel atelier de l'époque robenhausienne.
Cet atelier est situé à 2 kilomètres au nord de Mâcon,
aux bords de la Saône, dans les terres situées entre la rive
droite de cette rivière et la route nationale n« 6. On peut
suivre ses traces dans les champs cultivés, depuis les pre-
mières maisons du pelit hameau « des Varennes», commune
764 SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE 189 f •
de Sancé, jusqu'en face rextrémité sud de Tîle Saint-Jean.
Cependant les débris de taille sont plus abondants au voisi-
nage d*un emprunt de terrain que l'on peut considérer comme
occupant le centre de râtelier.
Lorsqu*on arrive en cet endroit, on est frappé de la quan-
tité considérable de fragments de silex qui surgissent de toute
part à la surface du sol, et Ton ne peut faire un seul pas sans
rencontrer des agglomérations de silex ouvrés consistant en
percuteurs, nucléus et grattoirs, accompagnés d'une multi-
tude d'éclats. Ces derniers ont tous été débités en vue de fa-
briquer des grattoirs, car ils sont tous courts et épais. Quel-
ques-uns mêmes pourraient être utilisés sans retouches, ce
qui dénote un but déterminé et en même temps une grande
habileté de la part des fabricants. Nous sommes donc en pré-
sence d'un nouvel atelier de grattoirs de l'époque robenhau-
sienne.
Ces grattoirs ont tous le faciès de ceux que nous avons ré-
coltés précédemment à la Sénétrière et à Marcueil. Leur taille
varie de 5 centimètres à 12 centimètres. Le silex qui a servi
à les fabriquer a une teinte cendrée et provient des gisements
considérables de la colline de la Grisière qui, à vol d'oiseau,
ne sont guère situés à plus de 2 ou H kilomètres de distance.
Parmi ces grattoirs, nous avons également recueilli quelques
perçoirs et deux hachettes polies en roches étrangères à la
contrée.
La présence de cet atelier, en cet endroit, est un fait inté-
ressant, car il nous indique que les habitants de l'époque
robenhausienne apportaient les matériaux nécessaires à la
confection de leurs instruments à proximité de leurs campe-
ments et y établissaient des ateliers.
Nous savons, en efTet, que les hommes de cette époque ont
fréquenté assidûment les bords de la Saône par les nom-
breux vestiges de leur industrie disséminés aujourd'hui dans
les gisements archéologiques des berges de cette rivière.
LAFAY. — GISEMENTS PRÉHISTORIQUES DE MAÇON. 765
NOUVEL ATELIER DE GRATTOIRS ROBENHAUSIENS A CHARBONNIÈRES.
Les fabriques de Charbonnières-en-Mâconnais ont été très
bien décrites et étudiées par M. de Ferry. Il a reconnu l'exis-
tence de plusieurs manufactures. Ce sont, d'une part, un ate-
lier d'instruments hache ttif ormes appartenant à la période
quaternaire (chelléen), d'autre part, un atelier d'éclats accom-
pagnés de leurs nucléus ; enfin il a considéré la partie la plus
au nord des fabriques comme un atelier épuisé à l'époque de
la pierre polie.
Dans la description des instruments provenant du premier
atelier, il distingue : les têtes de lance, les hachettes casse-
tête, les casse-léte à crosse, les hachettes proprement dites,
les disques, les pointes dites du moustier, les racloirs, les
couteaux retaillés et les cureurs-perçoirs.
Il est aisé de reconnaître, dans cette désignation, les trois
instruments caractéristiques des époques chelléenne et mous-
térienne : le coup de poing, le racloir et la pointe. Nous n'in-
sisterons pas sur la division des coups de poing en têtes de
lance, hachettes, casse-tête, etc., division qui nous paraît
peut-être un peu subtile, nous ferons seulement remarquer
que l'auteur rapporte, mais à tort, à Tépoque chelléenne des
instruments d'une époque beaucoup plus récente. C'est ainsi
qu'il signale comme très rares des grattoirs qu'il a recueillis
en compagnie de coups de poing et qu'il considère comme
contemporains de ces mêmes coups de poing.
Ce qui a échappé à cet archéologue, c'est le mélange, mé-
lange inévitable dans tout gisement de la surface du sol.
Dès mes premières recherches à Charbonnières, j'ai égale-
ment récollé un certain nombre de grattoirs associés aux
produits de l'industrie chelléenne. Ma pensée fut que ces in-
struments appartenaient à l'époque robenliausienne et avaient
été taillés parles hommes do cette dernière époque qui avaient
établi un atelier d'éclats à Charbonnières, et je pensai avoir
affaire à des instruments isolés de la surface du sol. Mais
T. II (4« SÉRIE). 49
766 SiANGB DU il DGCBMBRB 1801.
ayant, depuis, dans de nouvelles excursions aux ateliers de
Charbonnières» récolté encore un certain nombre de ces in-
struments, je conçus Tidée qu'un atelier de grattoirs roben-
hausiens devait avoir existé en cet endroit.
Ayant alors étendu le cercle de mes investigations, je re-
marquai bientôt qu'à mesure que je me rapprochais de la
partie sud-est des ateliers situés vers Tancien lit du raisseau
le Biétors, qui forme en cet endroit un petit vallonnement, ces
grattoirs devenaient plus abondants, et je Ais convaincu que
l'atelier devait exister dans cette direction.
Mes prévisions ne furent pas déçues. En effets à l'automne
dernier, je constatai, sur le sommet du petit plateau situé
entre le lit de Tancien ruisseau et le château, Texistenoe d*Qn
atelier de grattoirs de Tépoque robenhausienne.
Cet atelier, qui ne mesure pas moins de I kilomètre de lon-
gueur environ, m'a fourni une série très importante de grat-
toirs robenbansiens (30O environ). Au milieu de ces grattoirs
se trouvait une petite hachette polie en jadéîte.
Nous avons donc à Charbonnières, comme à la Sénétrière,
trois ateliers : le premier de coups de poing chelléens, le se-
cond d'éclats et le troisième de grattoirs, ces deux derniers
robenhausiens. Ce qui prouve encore une fois de plus que
les mômes matériaux aux mêmes époques ont été utilisés par
les premiers hommes.
Habitation eonatruite Méolithl^ue Bar le territoire
lie Nenvllie^lès-Meppe ;
PAR H. 0. VAUVILLÉ.
M. le ministre de nnsiruction publique ayant accordé nne
allocation spéciale dans le but de faire les fouilles nécessaires
pour déterminer l'époque de formation de phisieui-s enceintes
antiques du département de la Seine -Inférieure, j*ai pu
entreprendre en 1891 les travaux pour ces recherches.
La belle et intéressante enceinte de plus de 55 hectares,
située sur le bord des falaises de la MaiMhe» svr les territoires
VAUTILLÉ. — HABIT ATlOIf NÉOUTBIQUE. 767
de NeoviUe-los'Dieppe et de Bracqaemont, canton de Dieppe^
«1 été la première fouillée ^
Les fouilles faites dans cette enceinte, nommée Cité de
Limesâ'aprèa le cadastre de Neuville, et Camp de César d'afrè»
celui de Bracquemont, m'ont fait découvrir une habitation
de l'époque néolithique, d'une construction très intéresïMinte,
qu'il me paraît utile de vous signaler*
Il existe dans l'enceinte, sur la partie de 11^,93 qui se
trouve au-dessus de Puys, sur le territoire de Neuville, des
petits tertres qui sont presque en ligne ; ils ont encore de
l«,50 à â mètres de hauteur au-dessus du niveau du sol
naturel ; leur base varie de iO à 13 mètres dans la direction
de Test à Tonest, et de 4",80 à 6"^IOde largeur dans le sens
de la longueur de la ligne des tertres qui se dirige du sud
au nord. Ces tertres ont été placés les uns contre les autres^
sauf ceux des bouts des divers groupes dont il va être ques-
tion. Ces monticules forment trois groupes bien distincts:
le premier au sud comprend oeuf tertres encore bien appa*
rents, ils sont à peu près en ligne droite; le deuxièmes se
compose de huit buttes, il est sépare du premier pdf on petit
espace ou passage, ce groupe a été établi en formant une
ligne brisée; le troisième groupe, le plus au nord, est séparé
du deuxième par une longueur d'environ 10 mètres, il devait
comprendre neuf tertres, avec ceux qui ont déjà été fouillés^
cette partie forme une ligne à peu près droite avec le premier
groupe.
M. Féret ayant fouillé deux de ces tertres en 1825, Tnn ad
sud du premier groupe et Vanirc au nord du troisième
groupe, pensa devoir attribuer ces parties à des (ombelles *.
M. Féret découvrit dans l'intérieur de ces tertres des pote-
* Une prochaine eommrunication sur ks fouilles sera faite aa Comité
des travaux historiques et scientifiques. — Le compte rendu drtallié sera
publié dans le BfdkUn ou les Mémoires de ta Sociéié des antiquaires de
France,
* Mémoirfs de la Sociéié libre d'émukUion de AotMi?, séance du ^/oro 1825^
par M. Hyacinthe Langlois.
768 SÉANCE DU 47 DÉCEMBRE 1894.
ries très grossières, des coquilles de moules, deux pointes
de fer, le tout recueilli dans une terre mélangée avec des
cendres, du charbon, des débris de vases et d*omements\
et en plus une faune composée de chien ou renard^ sanglier,
cerf ou grand chevreuil, ruminant du genre mouton, vache
et loup.
M. Michel Hardy fouilla en 4874 deux autres monticules.
Le premier qu'il a fouillé est celui qui est le deuxième en par-
tant du nord du troisième groupe', Tautre est le septième
du premier groupe en partant du sud^.
M. Hardy dit qu'il constata dans le premier les couches
suivantes en partant du haut :
« 4* Terre végétale pleine de cailloux et fortement tassée;
« 2*^ Une argile sablonneuse, teintée en roux par les oxydes
de fer et mêlée de nombreux silex ;
« 3** Une terre grisâtre presque dépourvue de silex... Cette
troisième couche présentait de nombreuses particules gri-
sâtres, d'autres complètement noires, charbonneuses et
d'une grande ténuité... »
M. Hardy dit ensuite : « Nous signalerons cependant une
particularité digne de remarque. A la base de la couche n"* 2,
nous avons rencontré en certains endroits des amas de silex
de moyenne grosseur, enchevêtrés avec un certain art et
dans un but déterminé, on ne peut en disconvenir. Ces
pierres superposées ou appuyées les unes contre les autres,
avaient déjà été remarquées par M. Féret*. Nous croyons
qu'elles étaient destinées à consolider l'amoncellement des
terres, en leur servant de point d'appui et en s'opposant à
leur glissement. »
^ Mémoires de la Sociëlé des antiquaires de Normandie, volume de 1826,
p. 31 et 52, par M. Férct.
« Bulletin de la Commission des antiquités de la Seine- Inférieure, l. 1 1 1, 187 i,
p. 314 Pi 315, par M. Hardy.
» HuU^iindelo <"u'nmts\fon des antiquités d- la Seine-lnfi'rieure^i. 111, 1874,
p. ;U7 «i 318, par M. Hardy.
* AI' moires delà Soci'^té des antiquaires de Sotmandie^ volume de 1S26,
p. 57, Recherches sur le camp de César, par M. Féret.
VAUVILLÉ. — HABITATION NÉOLITHIQUE. 769
Ce terlre, d*aprës M. Hardy, contenait dans la couche n*^ 3
du charbon de bois, quelques fragments de poteries primi-
tives et un foyer d*un diamètre de 80 à 95 centimètres, sur
une profondeur de 25 centimètres au centre ^
Dans les terres charbonneuses du foyer on retira une dent
de cervidé, de nombreux débris céramiques, un petit objet
en forme de clou en fer dont la tête, de 25 millimètres de
diamètre, était recouverte d*une lame de bronze, et un petit
couteau en silex de 59 millimètres de longueur.
Le deuxième tertre fouillé par M, Hardy fit découvrir de
nombreux charbons de bois et quelques poteries présentant
les mêmes caractères que celles provenant de la première
fouille.
M. Hardy conclut en rejetant Topinion de tombelle de
M. Féret, et en se rangeant à celle de Tabbé de Fontenu qui^
dans les tertres qui nous occupent, voyait les débris d'un
ancien mur.
Ces divergences d'opinions sur l'origine des monticules
nous engagèrent à faire exécuter des fouilles.
L'irrégularité du groupe du milieu, formant une ligne
brisée contrairement aux autres groupes qui forment une
ligne droite sur Tensemble des tertres, nous décida de
fouiller Tun d'eux. Le troisième, en partant du passage
existant au nord, fut choisi comme étant plus large que les
autres; il avait dans la direction du nord au sud 6*", 10 ; les
voisins varient entre 4",80 et 5",40 de largeur dans le même
sens.
Une large tranchée ouverte au milieu du tertre, dans la
direction du nord au sud, fît voir que cette partie se com-
posait, en partant du haut, de :
!• Une couche de terre végétale de 10 centimètres d'épais-
seur, mélangée de nombreux silex;
2° Une couche de terre rouge très argileuse paraissant
avoir été mastiquée avec de très nombreux silex bruts; cette
* Bulletin de la Commission des antiquités de la Seine-Inférieure, volume
de 1874, p. 316, par M. Michel Hardy.
770 BÉANCI DU 47 DÉCEMBRE 1891.
partie de 1 maire d'épaifiseur, vers le sommet du tertre,
paraissait avoir subi comme un écrasement, mais malgré
oeia la pioche avait peine à entrer dans cette espèce de béton.
Dans cette partie on découvrit :
A 60 centimètres de profondeur, une dent de bœuf et une
poterie grossière ; à 65 centimètres de profondeur, deux gros-
sières poteries comme la précédente ; à 90 centimètres de
profondeur, I grattoir concave en silex.
a"" A la profondeur de {"^,10 du sommet du tertre, la terre
était presque noire ; les silox bruts devinrent très rares ; on
vit alors beaucoup de parties charbonneuses provenant de
bois, des cendres, des poteries grossières, du même genre
que celles trouvées dans la couche précédente.
Les poteries de la couche n"* 2, d'une très belle conserva-
tion, produite par le milieu dans lequel elles se trouvaient,
quoique de même pâte et du même genre de fabrication que
celles de la couche n"* 3, contrastaient avec ces dernières,
qui» étant dans un milieu très humide, paraissaient être en
pâte n'ayant aucune résistance.
La fouille de la couche n^ 3 fit voir que la partie de terre
noire avec des débris de poteries, des cendres et des char-
bons de bois, se continuait sur 80 centimètres d'épaisseur,
pour se terminer au niveau du sol naturel du plateau.
La tranchée ayant été creusée et dégagée jusqu'au niveau
du sol naturel, il a été facile do faire ensuite une excavation
de chaque côté pour explorer et ^constater la forme laissée
par la couche n'' 3. La partie de cette couche était ronde
sur un diamètre de 3"',40 à la base; le tour était garni de
silex mastiqués avec de la terre rouge, de manière à se
rétrécir en montant ; ceci a même été continué pour la partie
du numéro 3.
Le dégagement de la troisième couche, fait sous les parties
de la couche n? 2 restées en place à Test et à l'ouest de la
première fouille, chose rendue facile par la forte résistance
des silex mastiqués en forme voûtée, ne permet pas de douter
que cette construction ait été faite pour servir d'habitation.
VAUTILLÉ, — HABITATION NÉOLITHIQUE. 771
Dans toute l'épaisseur de la troisième couche, on a trouvé
des charbons de bois, des cendres, des poteries grossières de
diverses épaisseurs^ des débris d'ossements; le tout décom-
posé dans un milieu extrêmement humide, ce qui n*a per*
mis de conserver qu*une partie de dent de bœuf, un certain
nombre de fragments de poteries, qui ont été séchées et
passées ensuite au silicate de potasse pour les durcir, et
enfin, trente^cinq silex taillés qui furent recueillis à divers
niveaux.
Voici un certain nombre de fragments de poteries et des
silex taillés trouvés dans cette habitation* Parmi les silex^
on remarque :
Nucléus • 1
Éclats ^nombreux) dont 4 conservés.
Genre de racloir 2
Grattoirs convexes 7
Grattoirs concaves.. . . * S
Pièces retouchées en forme de scie 7
Lames et autres pièces 10
Base de pointe de 35 millimètres de larg^eur. . . . i
Les résultats des fouilles du tertre, faites en 1891, sont tels
qu'il est permis d affirmer que c'est bien là les restes d*une
habilation construite et habitée à Tépoque néolithique.
Les poteries trouvées dans la maçonnerie et celles recueil-
lies dans Tinlérieur de rhabitation avec les instruments en
silex en sont une preuve certaine.
Cette habitation, d'une construction extrêmement inté-
ressante, établie en forme de voûte, avec des silex bruts,
ayant été soigneusement placés avec mortier en terre rouge
argileuse, s'est écrasée avec le temps.
Déjà MM. Féret et Hardy, à la suite des fouilles faites sur
les tertres des groupes du nord et du sud, avaient observé,
comme je l'ai fait remarquer précédemment, qu'ils avaient
0 rencontré en différents endroits des amas de silex de
moyenne grosseur, enchevêtrés avec un certain art et dans
un but déterminé I). Ces pierres, superposées ou appuyées
les unes contre les autres, d'après M. Hardy, a étaient des-
772 SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE 1891.
tinées à consolider ramoncellement des terres en leur servant
de point d^appui et en s'opposant à leur glissement. »
Les fouilles récentes et celles de MM. Féret et Hardy vien-
nent se corroborer et prouver que les tertres sont, pour ceux
fouillés, d'anciennes habitations écroulées par le temps, les-
quelles ont été élevées à diverses époques, mais dans les
mêmes conditions de construction.
MM. Féret et Hardy ont recueilli, avec les poteries des ha-
bitations, que l'un prétendait être des tombelies et Tautre un
ancien mur (dans lequel ce dernier aurait trouvé un foyer,
des poteries, etc.), des objets en bronze et en fer, qui indi-
quent une époque plus récente que celle de l'habitation
fouillée dernièrement.
Les fouilles de MM. Féret et Hardy ayant été faites sur les
groupes de tertres du nord et du sud, établis à peu près en
ligne droite, Thabitaiion néolithique faisant, au contraire,
partie du groupe du milieu formant une ligne brisée, il est
donc certain que ce genre de construction d'habitation a
commencé sur le groupe du milieu à Tépoque néolithique où
l'on a placé les habitations en ligne brisée, et que le même
mode de construction s'est continué jusqu'à l'époque du
fer, époque à laquelle les groupes du nord et du sud ont été
établis en ligne droite.
Ce genre d'habitation, dont il est impossible maintenant
de fixer la hauteur intérieure de Torigine, était très solide
en raison de l'épaisseur du mur du tour, qui, pour celle de
6» 40 2™ 40
l'époque néolithique, était d'environ — ^ ~ =1",83
z
de largeur, et de sa construction voûtée. Elle pouvait résis-
ter aux intempéries et même aux grands vents, qui sont si à
redouter sur les falaises ; l'entrée était à l'est, c'est-à-dire du
côté opposé aux grands vents. Par l'emploi de la terre argi-
leuse, en guise de mortier, celte construction était imper-
méable; pour ce motif, elle devait être beaucoup plus saine
que les habitations creusées simplement dans le sol.
L'habitation fouillée en 1^91 nous donne un renseignement
LETOURNEAU. — LA CHARTE DE l'iLE d'uOEDIC. 773
très intéressant sur l'architecture de Tépoque néolithique,
art que Ton pensait n'avoir servi, à cette époque, que pour
élever des monuments funéraires et des menhirs ou pierres
levées, tandis qu'il servait déjà pour les constructions d'habi-
tations.
La eharte de l'Ile d'HœdIc * ;
PAR M. CH. LBTOURNEAU.
Messieurs, il y a quelques années, à Toccasion d'une lettre
de notre collègue M. Lombard, je vous ai entretenu du clan
primitif.que l'on trouve à l'origine de toutes les civilisations.
Dans les pays celtiques, le clan communautaire, mais de
moins en moins, a persisté jusqu'à une époque relativement
récente, et il n'a disparu qu'en laissant derrière lui nombre
de survivances. De ces survivances, la plus curieuse est
certainement l'organisation sociale des îlots d'Hœdic et
d'Houat, sur les côtes du Morbihan. Ces petites sociétés, si
archaïques, ont déjà donné lieu à diverses relations et mé-
moires. Ici même, notre collègue M. A. Dumont nous en a
fait connaître la démographie. Depuis longtemps, on savait
que ces derniers restes des anciens clans celtiques avaient
une loi écrite, une constitution, une charte; mais personne
n'avait pu se procurer cette pièce intéressante. Un journal
de Vannes, rAvenh* du Morbihan^ vient enfin de publier la
ChaiHe de Hle d'Hœdic. Ce document ayant un certain in-
térêt pour la sociologie, vous serez sûrement heureux d'en
entendre la lecture et de le voir publier dans nos Bulletins.
CDARTE LOCALE EN TRENTE-DEUX ARTICLES.
Art. 1". — De l'Eglise, — Le profit de la cantine se verse,
ainsi que tout ce qui revient à l'Eglise, dans le trésor qui est
au presbytère, à la seule disposition du curé. De ce trésor
on tire ce qui est nécessaire pour l'entretien de l'église et
du presbytère; on prête, sans intérêt, des grosses (avances
* Avenir du Morbihan^ numéros des 9, 13^ 16, 18 septembre 1891.
774 SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE 4891.
en argent) aux chaloupes de l'île, et de Targent aux parti-
culiers dans leur extrême nécessité. C'est le recteur (curé)
qui tient note des dépenses, nomme les notables, règle ou
dirige tout ce c[ui regarde le bien général spirituel et tem-
porel, qui prête et qui fait payer ou rendre, et ne rend
compte qu'à sa conscience. Les deux époques oii il peut
retirer ce qu'il a à créance sont : le carême, la fin de la pêche
de la sardine, et lorsqu'on paye les travaux établis dans l'île,
époque où les Hœdicais ont de l'argent entre les mains. C'est
aussi alors qu'il perçoit les impositions.
Art. 2. — Droits du recteur. — Le recteur a sa part du
jonc que Ton coupe dans l'étang. Chaque famille est tenue
de lui donner un minot (40 litres) de farine chaque année.
Chaque famille doit lui envoyer deux faix de tablier de
paille de froment. On lui donne en général son lotis (sa part)
dans un partage public. Les habitants sont tenus de faire
tout ce qui regarde les grandes besognes du presbytère ou
du recteur, c'est-à-dire les corvées. Quand on coupe la fou-
gère publique, il peut envoyer une personne pour couper sa
part. Le reste du fossé, qui n'est à aucun habitant, est au
recteur. Il en est de même d'une terre à l'ouest, nommée
var plat agoac (plateau humide); mais pour cela il doit une
messe, tel qu'il est marqué au missel en son lieu. Lorsqu'un
recteur est changé, il doit laisser 12 minots à son remplaçant,
ainsi que tout ce qui reste encore en terre.
Art. 3. — De la chaloupe du recteur. — L'île doit au rec-
teur un bateau assez fort pour son service d'été. Ce bateau
est entièrement à sa disposition. Personne ne doit s'en servir
sans la permission du recteur, permission qu'il ne faut
accorder que le plus rarement possible, car on est en général
très peu soigneux pour ce qui n'est pas personnel. L'entretien
du bateau est à la charge de l'église, qui fournil un franc par
jour pour chaque marin, quand on est en voyage, à moins
que le recteur ne nourrisse lui-même son équipage.
Art. 4. — Du garde-chasse. — Le devoir du garde est
d'empêcher principalement les étrangers de faire tort à quel-
LETOURNBAU. — LA CDARTE DE L ILB D HOEDIC. 775
que Hœdic€Lis. Il peut et doit quelquefois les arrêter, ou leur
enlever quelque objet de grande valeur, pour les forcer à le
suivre chez le recteur, qui jugera consciencieusement la chose.
La chose enlevée ne sera jamais rendue, qu'autant que le
délinquant aura payé 1 franc et réparé le tort, s'il y en a. Il
les empêchera d'emporter de la fougère, de chasser à plus
de 150 mètres de la pleine mer haute... S'il rencontre un
habitant de l'île à faire le même tort, il se conduira à son
égard comme avec un étranger. Il n'inquiétera personne avec
armes à la distance marquée de la pleine mer, ni dans aucun
chemin public; mais ses droits s'étendent partout ailleurs.
Art. 5. — Du garde champêtre. — Le garde champêtre
a 50 francs sur le trésor de l'église. Son office est de rendre
compte au recteur des bestiaux qui passent dans les contrées
ensemencées, dans l'étang enclos, et des murs qui ne sont
pas en bon état. La loi à ce sujet est ainsi conçue : «Toutes
les bêtes à cornes, qui passent dans les contrées ensemencées
ou jardins clos, payent 5 sous à l'église, de même que les
cochons qui doivent être muselés; et pour un cheval on paye
10 sous. Si celui à qui appartient la bête paye avant le
dimanche suivant, son nom restera dans l'oubli; sinon, on le
publie au prône de la grand'messe, et le recteur marque la
somme due au registre des dettes. » L'office de garde cham-
pêtre commence chaque année un mois après que les terres
ont été ensemencées; il continue jusqu'à ce que la dernière
charretée de blé soit sortie du champ. Le recteur avertit au
prône de la grand'messe quand l'office de garde champêtre
commence. Pour s'acquitter de son devoir, il est obligé de
faire partout deux visites par jour.
Art. 6. — Des notables, — 11 y a douze notables, qui sont
choisis parmi les plus anciens et les raisonnables de l'île. Si
quelqu'un d'entre eux s'avisait de faire la mauvaise tête, le
recteur pourrait le mettre de côté et en nommer un autre.
Quand le recteur désire faire quelque chose pour le bien des
habitants, comme faire réparer les chemins, faire travailler
sur les chaussées, faire réparer les murs, etc., il convoque le
776 SÉANCE DIT 17 DÉCEMBRE 1891.
conseil des notables, s'il le croit à propos, et délibère a?ec
eux.
Art. 7. — Z?e l'école. — L'école commence à 8 heures le
matin, et à i heure de l'après-midi. La classe doit durer deux
heures. Tous les enfants, depuis Tâge de sept ans jusqu'à leur
première communion, sont obligés d'y assister, sous peine
d'être mal notés, chaque classe manquée; il en est de même
si rélève n'y entre qu'un quart d'heure après que la classe
est sonnée. Personne n'a le droit de se mêler de l'école que
la maîtresse et le recteur ^ A 7 heures du soir en hiver et à
8 heures en été, la même cloche sonne pour la fermeture de
la cantine, et le commencement de la prière, qui se fait
publiquement à la maison d'école par le recteur. Elle con-
siste en la prière du soir ordinaire, trois couplets de can-
tiques et la lecture de deux pages, suivie des Acies^ de
l' Angélus et Sub tuum prœsidium.
Art. 8. — De la cantine, — Le cantinier, ou la cantînière,
devra être la personne la plus intègre de l'île; elle est sou-
mise aux ordres du recteur. Si le cantinier ne fait pas son
devoir, le recteur peut le casser, et nommer un autre à sa
place. — Le recteur peut augmenter le prix du vin. — Le
cantinier a 6 francs par barrique pour sa peine.
(Autrefois, on donnait du vin à crédit, on marquait avec un
morceau de craie les chopines que l'on buvait ; mais comme
les Hœdicais ne se mettaient pas beaucoup en peine de payer
ce qu'ils devaient, et qu'ils* devenaient par ce moyen grands
buveurs, le recteur s'est vu forcé d'abattre le crédit. Ainsi
Crédit est mort pour la cantine d'Hœdic. 11 a d'abord défendu
aux Hœdicais de se présentera la cantine sans argent, et au
cantinier de ne rien donner à crédit, leur en faisant un cas
de conscience ; pour s'assurer si le cantinier était fîdèle à son
devoir, il l'oblige à venir compter au presbytère l'argent
qu'il a reçu.)
ï II s'agissait (i'mie école bretonne qui a disparu. Il existe aujourd'hui
dans chaque île une école privée congréganiste pour les filles, et une
école publique laïque pour les garçons.
LETOURNEAU. — LA CHARTE DE l'iLE d'hOEDIC. 777
Le recteur met de côté Tachât du vin et met le proût dans
le trésor de Téglise. On ne peut faire venir du vin en gros
dans nie sans la permission du recteur. Si cependant le
contraire arrivait, le recteur le ferait mettre à la cantine pour
être vendu au profit de l'église, en remboursant seulement
au réfractaire le prix qu'il a payé pour sa boisson.
Le recteur doit être très sévère, afin que la cantinière ne
donne jamais de boisson à crédit, même pour Tespace d'un
quart d'heure, autrement il se glisserait dans l'île des dé-
sordres irrémédiables; il doit être sourd à toutes espèces
d'excuses ou d'observations que l'on en apporte. La canti-
nière doit toujours fermer la porte de la cave sur elle et ne
l'ouvrir à personne pour y boire ; Tautre appartement est à
ce destiné*.
Chacun des marins qui forment l'équipage, lors d'un envoi
frauduleux plus haut mentionné, est marqué sur le registre
des dettes pour une somme de 3 francs. La cloche de l'école,
quand elle sonne pour la prière du soir, indique aussi le
moment où la cantinière doit fermer sa porte.
Art. 9. — De la boutique ou magasin, — Lorsque la maî-
tresse d'école arrivera à Hœdic, elle sera installée dans la
boutique dont elle sera chargée^. Le recteur doit veiller, de
peur de graves inconvénients, à ce que personne ne commu-
nique avec elle de quelque manière que ce soit, sans sa per-
mission. C'est le recteur qui s'occupera, à défaut de suffisance
de la maîtresse d'école, de faire venir les marchandises, de
faire les payements de la boutique, dont la moitié du profit
1 La cantine est un rez-de-chaussée assez vasle, divisé ea deux pièces
par une cloison. La première est garnie de bancs et de tables; c'est celle
où l*on consomme. La deuxième sert de cave ou cellier ; c'est celle où se
tient la cantinière. Une porto coupée à hauteur d'appui les sépare. La
cantinière ne peut servir plus d'une cliopinea à la fois » au même client.
KIIh ne vient jamais dans la [)ièc«' où se Ueimeiit les coiisommaleurs,
* La bnuttque nu mayastn, avec le bureau de tabac (et aussi la can~
tine^ 1890) est tenue à itœdic par des religieuses (filles de Jésus do Ker-
maria};tout le monde s'y approvisionnet Les sœurs tiennent également
une école privée et une pharmacie.
778 SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE 1891.
appartiendra au trésor de Téglise (le reste est pour la fîlle);
de procurer à la nécessité dans le ménage de la fille, mais,
autant que possible, aux dépens de ses revenus. Si le bureau
de tabac est établi et qu*une autre personne que ta maltresse
d*éeole en soit chargée, il serait bon qu'elles partageassent
leurs bénéfices, comme sœurs, et se remplaçassent même à
récole, au besoin.
Art. 10. — De t étang. — Lorsqu'on a enclos le grand
étang S on avait partagé remplacement du fossé en lots,
selon le nombre des familles, en commençant auprès du pont.
A chaque lot on plaça un numéro et ensuite on alla au près*
bytère tirer au sort. Chaque famille a élevé sa lotie de fossé
selon son numéro. Elle est obligée de le tenir en bon état
sous peine d'amende. Lesdits numéros se trouvent sur un
registre à ce destiné. Ils appartiennent à chaque famille en
propre, et chaque part a une marque distinctive. Chaque
famille a son lot égal du jonc qui pousse dans Tétang, et est
tenue d'y travailler en conscience, sous peine d'être exclue
du partage. 11 a été arrêté qu'une personne seulement de
chaque famille pourra couper de Therbe dans Tétang, mais
à trois pas des fossés, et cessera de le faire quand le recteur
l'aura annoncé.
Art. il. — La fougère, — Personne ne doit toucher à la
fougère publique qu'après la pèche de la sardine, et lorsque
le recteur l'aura publié; il en est de même des champs en
second lieu ensemencés, pour obvier aux rapines. Quand le
recteur a publié de couper la fougère, un de chaque maison
peut y aller quand il lui plaira.
Les champs ne peuvent être libres, tant qu'il y aura un
sillon à moissonner.
Art. 12. — L" île aux Chevaux, — L'île aux Chevaux, au-
trement nommée le Mal vaut, appartient aux deux îles de
1 louât et Hœdic. Les recteurs doivent faire observer stric-
tement rordonnancc que le maire du «Palais» en Belle-Isle-
» Par un muret, ou talus, que parlout, en Bpetiifne,on nppeïlt on fossé.
LETOURNEAU. — LA CDARTE DE L'iLE d'uCEDIC. 779
en-Mer a donnée sur cet article, savoir: que, dorénavant,
chaque île y coupera Therbe alternativement.
Art. 13. — Du sei. — Le recteur envoie, au mois de juillet,
la chaloupe de corvée, pour chercher les 1 500 kilogrammes
de se), en franchise, accordés par le gouvernement. Il a soin
de le faire porter, par une personne de chaque ménage, du
port au magasin, de le faire distribuer ensuite par une per-
sonne sûre en donnant le poids de 6 kilogrammes, ou
f 2 livres moins un quart, à chaque habitant grand ou petit.
On retire ce quart; autrement, Véglise, qui fait Tavance pour
Tachât, y perdrait par le déchet. 11 doit payer le kilogramme
d'après le prix qu'aura coûté le sel en argent comptant; il
ne Taurait peut-être jamais autrement.
Art. 14. — Des lots du champ de COuesf. — Chaque lotie
de terrain ou de fossé du champ de TOuest appartient à une
famille d'Hœdic, selon le numéro indiqué.
Art. 15. — De la chasse. — La chasse est libre en toute
saison pour les Hœdicais, à moins que le recteur juge autre-
ment pour des raisons légitimes. Les étrangers ne peuvent
chasser dans l'île qu'avec rautorisation du recteur de Ten-
droit, qui pourra leur faire payer \ franc par jour, pour
chaque fusil, au profit de Tile.
Art. 16. — Des voleurs, — Celui qui sera convaincu de
vol paye, pour la plus petite chose, 1 franc pour l'église^ et
cette amende augmentera cependant à mesure des dommages.
Si un étranger s'avisait de transgresser les règlements du pays,
les habitants pourraient se faire justice en.\-mêmes, d'après
l'avis du recteur.
Art. 17. — Des terres communes. — Lorsque quelqu'un
veut avoir quelque terre commune en propre, le recteur
prend l'avis des notables pour savoir s'il n'y a pas d'incon-
vénient à la vendre. On l'achète au profit de l'église, à 15 cen-
times le pied carré pour les gens de l'île, et à 25 centimes
pour les étrangers. Pour l'aisance, on ne doit permettre de
bâtir qu*à 18 pieds d'une autre maison, par où il ne passe
pas de charrettes, et à ^2, où il doit en passer.
LETOURNEAU. — LA CUARTE DE L*1LE d'uOEDIC. 781
Nos gens sont plus portés à leurs propres intérêts qu'à ceux
de l'église; si Ton se mettait à compléter leur grosse tous les
ans, il leur en faudrait donner tous les ans de nouvelles,
et ils épuiseraient le trésor dans peu de temps. On prête les
grosses sans intérêts; il est cependant raisonnable que les
commerçants témoignent leur reconnaissance au trésor de
Téglise. Il faut compter la grosse, quand elle sort du trésor et
quand elle y rentre. Elle doit toujours être complète, ou en
numéraire de 2000 francs dans la bourse à ce destinée, ou
devant Têtre avec ce que les chaloupes en ont pris.
Art. 22. — Du four, — Les habitants de Tîle sont par-
tagés par sections, qui sont tenues de chauffer le four cha-
cune à son tour. Si Tun des membres de la section ne coo-
pérait pas au chauffement, le recteur le condamnerait publi-
quement à une amende de 1 franc chaque fois, ou Tempé-
cherait de cuire dans l'île. Pour obvier à de bien graves
désordres, on a nommé un certain nombre de chauffeurs, à
qui personne n'a droit de commander en ce qui regarde le
four. C'est à eux de décider combien de tourtes doivent être
cuites dans le four, quand le four est chaud, quand on doit
mettre les pains, quand on doit les retirer. Les gâteaux sont
défendus.
Art. 23. — Règlement du meunier, — Le conseil réuni au
presbytère (6 janvier 1882), a arrêté comme il suit, en ce qui
regarde le meunier : 1° on lui accorde lous les ans 300 francs ;
2** un champ ayant 60 pas de long sur 30 de large ; 3*^ il pourra
s'approvisionner du continent par les bateaux qui seront de
corvée pour le recteur; 4" il aura, pour une vache, droit aux
avantages communs.
Les habitants s'engagent vis-à-vis de lui, aux conditions
ci-dessus mentionnées^ pendant neuf ans, et le meunier, de
son côté, s'engage aux promesses suivantes : 1® il accepte
une ferme de neuf ans ; 2"^ il fera dans le moulin les petites
réparations qui sont à sa portée, et ne lui occasionnant pas
de frais pécuniaires ; 3° il donnera au pays toutes les mou-
tures.
T. II (4« série). 50
LETOURNEAU. — LA CHARTE DE L*1LE D UOEDIC. 7«3
s'absente sans permbsion du catéchisme, autrement tout sera
bientôt à la débauche. Celui qui n'est pas marqué sur la liste
de ceux qni ont fait leur troisième communion, doit être
contraint de se faire instruire à la confirmation ou au mariage.
Art. 29. — Des défenses, — 11 n'est permis à aucune fille
qui n'a point atteint l'âge de trente ans de sortir de l'île sans
la permission de son recteur, et avec des raisons graves ;
autrement, elle serait bientôt gâtée.
La défense d'avoir des chiens dans l'île doit êlre maintenue,
si le recteur veut s'épargner bien des désagréments. — Pour
la modestie, on a défendu aux filles d'être sans piécette (ba-
vette) au tablier; et comme elles sont très volages et pleines
d*amour-propre, il est nécessaire de les conduire très sérieu-
sement.
Art. 30 à 32. — Modèles de demandes ^ certificats ou permis
pour transports^ embarquements ^ débarquements, mandats qui
devaient être rédigés par le recteur,
ADDITIONS.
En 1877, le recteur convoqua le conseil des anciens pour
rechercher les modifications qu'il convenait d'apporter à ce
règlement.
Voici la délibération qui fut rédigée à cette occasion :
« L'an mil huit cent soixante-dix-sept, le quatorzième jour
du mois de janvier, le deuxième dimanche de l'Epiphanie,
le conseil des anciens de l'île d'Uœdic, composé de douze
membres, s'est réuni dans la salle du presbytère, sous la
présidence de M. le recteur.
a M. le recteur a exposé en quelques mots, en ouvrant la
séance, l'objet de la convocation du conseil.
« Le conseil, après mûre délibération, a affirmé l'obser-
vation exacte de l'ancien règlement, en le déclarant véritable,
ntile, nécessaire, et ayant force de loi pour tous les habitants
de l'île. Seulement le conseil, dans un but économique, vou-
drait régler le traitement des divers employés. »
Art. 1*'. — Jusqu'ici les deux cantinières avaient chacune
REGNAULT. — LA RELIGION BÉGULNE. 783
Discussion.
M. Variot a visité cette île peuplée de trois cent soixante
habitants ; elle est fort insalubre (malaria), à cause de l'étang
qui est conservé précieusement, car il est rempli de joncs et
ceux-ci, avec la bouse desséchée, constituent le seul combus-
tible du pays. M. Variot dit qu'on vend fort bien à la cantine
du vin à crédit ; mais on ne vend pas d'aliments à crédit.
L'alcoolisme est fréquent dans l'île. La cantine est un moyen
de drainer l'argent de ces pauvres pêcheurs qui ne pèchent
guère que pour 60 ou 80 000 francs par an. Aussi le poste
de curé de ces îles est-il fort recherché.
M*^* Clémence Royer dit que les jésuites avaient établi en
grand au Paraguay une constitution très analogue ; c'était,
par avance, la réalisation du phalanstère de Fourier.
M. Letourneau dit qu'en effet il y a de l'analogie entre
l'organisation sociale de l'île d'Hœdic et celle appliquée au
Paraguay par les jésuites. Or, au Paraguay, les jésuites n'ont
fait qu'appliquer une organisation déjà existante dans le
pays, organisation fort rudimentaire, souvent appliquée par
des populations primitives ; c'est le communisme primitif.
Les Celtes avaient une organisation analogue. Il est possible
aussi qu'à l'île d'Hœdic l'organisation soit antérieure à la
venue des prêtres; qu'elle soit primitive.
La religion bëffulne;
PAR M. LB DOCTEUR F. REGNAULT.
Après publication, dans les Bulletins de la Société, de ma
brochure sur les béguins (séance du 2 octobre J890), j'en-
voyai quelques exemplaires aux principaux membres de cette
religion, leur demandant de rectifier ce qu'ils trouveraient
d'inexact.
J'ai eu le bonheur de vérifier ainsi la justesse de mes asser-
tions, spécialement pour la partie dogmatique où j'avais
gardé une certaine réserve.
780 SÉANCE DU 47 DÉCEMBRE 4891.
Indépendamment de cette confirmation, j'ai obtenu quel-
ques nouveaux détails qui compléteront heureusement mes
recherches.
Les béguins ne savent eux-mêmes d*où leur vient ce nom.
Autrefois, dans le Forez, à Pouilly, à MarceliF, on les appe-
lait les bleus, peut-être par allusion à leurs opinions politi-
ques. La meilleure explication est donc celle que ai 'a donnée
une béguine, à savoir que leurs ennemis les regardaient
comme entêtés, embéguinés, et leur ont, à ce titre, donné ce
nom. On sait, en effet, que le mot de béguin signifiait, aux
treizième et quatorzième siècles, coiffe. Or, on connaît bien
les expressions « être coiffé de quelqu'un » ou « avoir un
béguin pour quelqu'un ». Déjà l'expression de béguin, ou
bégbard, avait été employée aux treizième et quatorzième
siècles pour une secte religieuse. Dans les deux cas, à cinq
siècles de dislance, l'appellation n'aurait-elle pas été donnée
à titre d*enlêté pour une idée religieuse ?
Tous les dogmes des béguins reposent sur les prophéties
des inspirées. On sait le rôle qu'a joué rhystérie dans This-
toire des religions. (Chez les Grecs, la Pythie ; chez les Juifs,
Marie la prophétesse, sœur d'Aaron, dans VExode^ et Déborah
dans les Juges.)V\\xs tard enOn, Josiasfit consulter la bouche
de TEternel par la prophétesse Hilda.
Ici, il n'est pas moindre.
Les inspirées avaient les mains raides et étendues, une
figure transformée, la voix même avait changé ; on sentait
que ce n*était pas elles qui parlaient par leur bouche, mais
l'Esprit. L'inspirée de 4855, sur laquelle nous reviendrons,
luttait contre cet esprit et disait d'abord : « Je ne veux pas
parler, » mais bientôt parlait plusieurs heures d'abondance.
Les fidèles transcrivaient leurs paroles, qui forment d'abon-
dants manuscrits, dont aucun n'est imprimé. On les a divisés
en trois périodes :
1° Ancienne œuvre, de 1750 à 4799. Ce sont les paroles
des agitées, inspirées et convulsionnaires, qui annonçaient
Tarrivée du prophète Élie. Ces œuvres sont d'une extrême
RBGNAULT. — LA RELIGIOW BÉGUINE. 787
abondance. Elles pesaient, quand il s'agit de les faire expé-
dier par chemin de fer, 650 kilogrammes.
2* Une œuvre d'une inspirée, en trente-sept volumes (de
1799 à 1810).
3* Enfin, nouvelle œuvre d'une inspirée, en sept volumes
(de J 865 ai 857).
Ces livres sont absolument secrets ; il est interdit de les
montrer au profane. Au contraire, les discours et les actes de
Digonnet sont publics ; il a même recommandé à un de ses
disciples de les faire imprimer.
Dans leurs réunions, ce sont les œuvres des inspirées,
qu'avec la Bible de Sacy, lisent les béguins. D'elles sont tirés
tous les dogmes dont j'ai parlé.
De plus, dans ces mêmes réunions, les béguins chantent
des cantiques :
i^ Gallicans anciens (seulement deux ou trois);
2^ Jansénistes et béguins, en bien plus grand nombre.
Jamais, dans leurs réunions, ils n'ont éteint les lumières.
Mais au moment de la prière, qui se faisait à la un, les assis-
tants étant à genoux dans le plus profond recueillement,
pour Taugmenter encore, on baissait un peu la lumière de la
lampe. C'est ce qui a donné naissance à toutes les calomnies.
Croyance aux prédications des inspirées, tel est donc le
premier point établi.
Ajoutez-y l'attente d'un nouveau Messie, d'une incarna-
tion du Saint-Esprit, et vous aurez tout le béguinisme.
Une première incarnation se fit dans la femme d'un ex-
curé, Claude Bonjour. C'est comme une réminiscence de l'in-
carnation de Jésus-Christ.
L'enfant fit des miracles. Un jour, il ressuscita un de ses
camarades noyé, en lui disant simplement : « Lève-toi. » Les
béguins croient absolument à ce miracle.
L'enfant, lui, n'y croyait point et préféra le rôle d'un
simple et heureux bourgeois à celui de prophète.
Alors le Saint-Esprit, pour accomplir sa mission, entra
dans le corps d'un vieillard, Digonnet.
788 SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE 4891.
Né à Tence, le 22 juillet 1780, Digonnet eut, en 1836, une
vision par laquelle, comme il Ta expliqué aux béguins, il fut
« cy concy », c'est son expression, ou consacré. Il quitta sa
famille et mena une vie errante, cherchant son peuple ; do-
mestique ou valet de ferme de côté et d'autre, sans jamais
s'attacher à personne ; regardant comme un devoir de quitter
ses maîtres sitôt que sa bonne conduite lui valait d*être traité
avec douceur.
Ses actes prouvaient bien sa manie religieuse. Voulant,
comme le Christ, faire pénitence, il passa quarante jours
dans un bois où il jeûna, ne vivant que d'herbages et de ra-
cines, et ne voyant personne. Dans le même ordre d'idées, il
garda sa chemise jusqu'à ce qu'elle tombât d'usure sur son
corps.
C'est dans cet état, couvert de vermine, qu'après onze an-
nées de recherches, il fit sa première apparition à Saint-Jean,
en 1846.
Il parlait des heures entières sur des sujets religieux ;
mais n'était pas inspiré. C'était un maniaque religieux, non
un hystérique.
Les béguins l'écoutèrent ; mais, avant de le croire, ils de-
mandèrent avis à leur inspirée qui résidait à Paris.
Ainsi le Christ fut reconnu comme le Messie par la prophé-
tesse Anne qui, « âgée de quatre-vingt-quatre ans, ne quit-
tait point le Temple, servant Dieu nuit et jour dans le jeûne*
et dans la prière ». (Evangile selon saint Luc, chap. II, § 36
à 40.)
L'inspirée béguine fit de même pour Digonnet dans une
révélation, et, dès lors, on le regarda comme le prophète
Ëlie. Il portait le Saint-Esprit avec lui et devait accomplir
sa mission et son sacrifice^ comme le Christ avait fait les
siens, chacun conformément aux mœurs du temps : pour l'un,
la croix ; pour l'autre, la prison.
A partir de ce jour, les béguins ne le laissèrent manquer
de rien ; il fut bien vêtu, bien chaussé et bien nourri. Même
au temps de son internement à l'asile d'aliénés, on payait un
REGNAULT. — LA RELIGION BÉGUINE. 789
restaurateur pour sa pension. Il n'avait donc aucun besoin
de prendre l'argent des fidèles, comme on l'en accuse.
Bien au contraire, il faisait mettre celui qu'on lui donnait
à la caisse des pauvres. Jamais il ne vendit de places au para-
dis ; il disait simplement :
« Mes amis, soyez vertueux au plus possible, car ceux qui
ne seraient pas vertueux, je ne pourrais pas les emmener vers
le Père. Il me dirait : « Qu'est-ce que tu amènes là, c'est de
la « canaille I » El je fâcherais le Père. Je crains le Père, mes
amis ; il est bien bon, mais il est bien juste. »
Ces paroles montrent l'état d'esprit de Digonnet, tout im-
bibé de la lecture de la Bible.
On ne l'adorait pas. Il s'y refusait, disant : « Ne m'adorez
pas, vous feriez une idoje, je ne suis qu'un homme comme
vous, je ne suis pas plus que vous, mais je porte l'Esprit, et,
quand je vous parle, c'est l'Esprit qui vous parle. )>
Aussi reconnaissait-on en lui une incarnation du Saint-
Esprit.
J'ai vu comme en-tête d'un manuscrit béguin :
Paroles de notre bon Père Jean-Baptiste Digonnet^ notre
grand prophète^ incarnation du Saint-Esprit sur la terre, notre
Dieu même.
Ce qui nous montre bien l'évolution de l'idée en matière
de théisme. On croit d'abord au prophète, on le regarde
comme ayant TespriL de Dieu, puis comme incarnation même
de Dieu, et on finit par en faire un dieu.
Nul doute qu'au bout de quelques générations, si cette re-
ligion s'était répandue, on eût établi un culte à Digonnet.
Il ne fit que confirmer leurs dogmes, en leur disant : a Vous
êtes bien, restez comme vous êtes, je ne viens rien vous
changer. »
Mais il prophétisait, comme autrefois les prophètes d'Is-
raël, annonçant des révolutions, de grandes guerres et dé-
sastres, enfin des fléaux dans les récoltes et dans Tair.
Quand on ne précise pas la date, il est facile que des pro-
phéties vagues se réalisent, et un grand pays ne peut vivre
790 BÊANCB DU 17 DÉCEMBRE 1891.
uû long laps de temps sans quelques-unes de ces calamités.
Aussi les béguins croient-ils qu'il prophétisa :
La révolution de 18i8 ;
La guerre de 1870 ;
Le phylloxéra.
Point bien curieux et qui montre comment les fldëles pré-
cisent plus tard et adaptent aux événements les prophéties
vagues et indéterminées des fondateurs de religion.
Du reste, toutes les Gévennes et le Dauphiné sont une terre
classique pour les prophètes. Au moment de la guerre des
camisards^ plus de cinq à six cents personnes furent prises
du mal prophétique. ^En 1681-1689, dit Brugeis dans son
Histoire du fanatisme,) Et il y avait trois cents prophètes sur
les douze cents enfermés du château de Perpignan.
Digonnet mort en 1857, les fidèles ne se rendirent que deux
fois au Puy pour sinformer.
En 1863, ils partirent pour Texhumer et lui donner une
sépulture digne de lui. Le préfet accorda d'abord Tautorisa-
tion, puis se ravisant, il les somma de quitter le pays.
Les béguins croient que c'est parce que le médecin avait
gardé la tète de Digonnet. Le fait est possible, mais le doc-
teur Badoz, à qui j'ai écrit, m'a affirmé ne point l'avoir en sa
possession.
Depuis, les béguins ne sont plus retournés au Puy.
Digonnet n'introduisit que quelques changements dans les
rites. Le cordonnet et la ganse qu'il ordonna de porter^ éta«
blis en mars 1847, furent supprimés à Paris et en partie à
Saint- Jean, vers la fin de l'année 1856, sur l'ordre d'une ins*
pirée. Seuls, quelques obstinés ont refusé de le quitter.
Enfin, il existait au Mans et à Nantes^ et existe encore à
Pontoise et à Ghâteau-du-Loir, quelques béguins jansénistes
qui n'ont pas reconnu Digonnet.
Après la mort de Digonnet, les fidèles attendaient la venue
d'un nouveau Messie. Leur espérance parut se réaliser en
1835, en la personne d'un nommé Jean Ponti, dit dan Gri-
gnaski^ ex-curé du Piémont.
REGNA ULT. — LA RELIGION BÉGULNE. 79i
Une inspirée lui dit qu'il était Jésus-Christ ; il le crut et se
mit à prêcher en ce sens, ce qui lui valut sept ans de forte-
resse. La preuve de sa divinité était que son sang ne se coa-
gulait pas après une saignée.
Un béguin, qui vivait à Turin, alla le visiter, fit imprimer
ses discours, le nourrit dans sa forteresse et le recommanda
à ses amis de Paris.
Don Grignaski, à sa sortie de prison, vint à Paris, et une
inspirée reconnut qu'il possédait une portion du grand Esprit.
Les béguins subvinrent à ses besoins.
Il resta quelque temps à Paris^ puis vécut à Lausanne, tou-
jours chez des béguins ; il y fit imprimer à dix mille exem-
plaires un livre intitulé : la Deuxième Venue cfÉlie, qui se
vendit au poids du papier, puis disparut.
Mais la même inspirée continua à prophétiser, de 1855 à
1857, et le recueil de ses prophéties forme la dernière œuvre.
Depuis lors, les béguins patientent et attendent le Messie.
Ils sont décriés, tournés en ridicule^ et c'est pour cela qu*ils
n'aiment point parler de leur religion et cherchent encore
moins à faire des prosélytes.
Ces tentatives avortées pour fonder une religion précisent
bien la façon dont s'établissent de nouvelles croyances. Elles
ont toujours pour appui la foi de Thomme au merveilleux.
Les phénomènes hystériques ont une grande part pour frap-
per sa crédulité. Qu'un maniaque religieux se présente ; s'il
est aussi homme de génie et que les temps soient favorables,
que les peuples soient lassés des exactions de leur clergé,
que la multiplicité des dogmes, qui vont toujours s'accumu-
lant, épouvante l'esprit, et que le progrès toujours grandis-
sant ne puisse plus s'accommoder de l'ancienne religion qui
la gêne comme un vêtement trop étroit ; alors, on aura les
Bouddha, les Jésus, les Mahomet.
Sinon, ce ne sera qu'un pauvre maniaque dont les paroles
auront peu d'écho, et qui finira misérablement.
792 8ÉANXE DU 17 DÉCEMBRE 1891.
Discussion.
M. EscuENAUER dit que, pour lui, il n'y a aucun rapport
entre le jansénisme et le béguinisme, Torigine de celui-ci
remontant au moyen âge.
M. DuHOUssETdit qu'en 1847 il a fait la statuette deDigonnet.
Cet individu avait Tair d*un paysan madré, était habillé
comme les paysans du Forez, et n'avait guère dMnflaence à
ce moment ; on parlait de lui, mais comme d'un sujet un peu
fou. Il ne paraissait guère en passe d'être un chef de religion.
M. Sanson dit que ce terme de béguin veut dire celui qui
suit une religion; il pouvait donc s'appliquer aux jansénistes,
car les béguins ne sont que des jansénistes dégénérés, qui ont
seulement considéré Digonnet comme leur prophète.
M. Regnault fait remarquer qu'il est très certain que le
béguinisme dérive du jansénisme, il en a donné des preuves
très nettes dans son premier mémoire sur le béguinisme.
M. EscDENAUER dit qu'll ne voit au contraire pas de relation
entre la doctrine très élevée des jansénistes et Tensemble de
croyance grossier qui constitue le béguinisme.
M"* Clémence Royer demande comment il s'est fait que la
doctrine janséniste, si élevée, a pu dévier au point de devenir
le béguinisme, une secte très dégénérée.
M. Regnault répond que c'est précisément une règle géné-
rale de l'évolution religieuse. Tout d'abord la doctrine très
pure a été professée par des gens fort distingués, puis elle
est devenue le culte des gens peu intelligents, qui l'ont
abaissée à leur niveau et en ont fait un ensemble de doc-
trines enfantines ou ridicules.
Anomalies du eontnrier (sartorins) ;
PAR M. LE DOUBLE.
Absence. — Elle a été notée sans détail par Meckel, le
célèbre professeur de Halle (Meckel, Manuel (tanatomie^
t. Il, 203).
LE DOUBLE. — ANOMALIES DU COUTURIER (SARTORIUS). 793
Duplicité, — Deux cas peuvent se présenter :
Premier cas. — Il y a deux couturiers, indépendants dans
toute leur longueur.
Deuxième cas. — Le couturier normal est renforcé par un
faisceau musculaire supérieur ou inférieur qui se confond
avec lui dans un point quelconque de son trajet.
Dans le premier cas, on peut également observer deux
variétés.
A. Dans la première variété, les deux muscles distincts sont
insérés, l'un à côté de Tautre, en haut, à l'épine iliaque anté-
rieure et supérieure ou dans son voisinage ; en bas, à la
partie interne de l'extrémité supérieure du tibia. Des dispo-
sitions de ce genre ont été signalées par Otto-Rosenmuller^
Gantzer*, Sommering.
En 1881, mon aide d'anatomie, M. le docteur Thierry,
aujourd'hui chirurgien adjoint de l'Hôpital général, m'a
montré cette malformation sur une vieille femme aliénée. A
ce propos, il m'a remis quelques lignes que je copie textuel-
lement :
« Muscle couturier accessoire, long, étroit, suivant le
trajet du couturier normal et étendu de la partie moyenne
du bord antérieur de Tos iliaque à la face interne du tibia. —
Fournit un tendon propre à la patte d'oie. »
B. Dans la seconde variété, le couturier supplémentaire,
situé en dedans ou en dehors du couturier bien conformé,
se fixe en haut, à l'épine iliaque antérieure et inférieure, ou
à proximité de cette épine et en bas sur le fémur (Meckel)',
ou sur la paroi antérieure du canal de Hunter (Macalister,
communication écrite), ou sur la partie interne de la capsule
du genou, ou sur le tendon du muscle normal (Huber) *. De
toutes ces dernières anomalies, la plus fréquente est celle
qui consiste dans l'insertion du couturier accessoire à la
^ Rosenmuller, loc. cit., p. 7.
* GaDtzer, ioc. ct7., p. 14.
' Meckel, foc. cit.
^ Huber, Acta helvetica, volume X, p. 114.
794 SÉANCE DU 4? DÉCBMBkE 189t.
partie interne de la capsule du genou. Elle a été rencontrée
une fois, en 4866, par Bergeron * ; deux fois par M. le pro-
fesseur Macalister, de Cambridge, dont une fois, en 1879, à
Trinity collège Dublin, sur un nègre (communication orale).
Je suis heureux de posséder deux moulages de cette malfor-
mation, pris Tun en 4822^ sur un homme, Tautre, en 1824,
sur une femme.
Déplus, j'ai observé antérieurement, en 4878, sur un indi-
vidu de cinquante-deux ans, deux couturiers, dont l'un, le
plus interne^ se perdait à mi-cuisse sur Taponévrose d'enve-
loppe du vaste interne.
Dans les cas de duplicité du couturier due à un faisceau
surajouté, ce faisceau peut venir en haut : (a) de l'échan-
crure qui est placée au-dessous de Tépine iliaque antéro-
supérieure (incisure-semilunaire) ; [b) de Tépine iliaque
antéro-inférieure (Macalister).
M. G. S. Brock a publié, en 1879, dans le Journal danaio-
mie et de physiologie^ Tobservation d'un couturier à deux
têtes, disséqué à TUniversité d'Edimbourg. Le muscle coutu-
rier, conforme à la description classique dans sa partie infé-
rieure, se divisait en haut, dit M. Brock, en deux faisceaux;
l'un d'eux {faisceau exteime) venait se fixer, comme le tendon
du muscle normal, sur l'épine iliaque antéro-supérieure ;
l'autre {faisceau interne ou accessoire) s'en écartait dès le tiers
inférieur de la cuisse, gagnait le côté interne du psoas ilia-
que et venait se terminer sur l'éminence ilio-pectinée, entre
ce dernier muscle et le pectine ^
Un de mes élèves, M. Bourgougnon, a découvert exactement
la même disposition, en 4883, sur la femme Lb..., aliénée
démente. En plus d'un dessin au trait, voici la note qu*il
m'a donnée à cette époque :
tt Muscle satellite du couturier, allongé, très grêle (la partie
la plus volumineuse n'atteint pas la grosseur du petit doigt) ;
1 Bergeron, BuUelin de la Société anatomique, 18C6, p. 2.
* Brockf A Iwo heads Sartorius [Journalofanalomy anàphysiology^MlS,
p. 578).
LE DOUBLE. — ANOMALIES DU COUtUR[ER (SARTORlUs). 705
accompagne le muscle couturier dans toute son étendue,
excepté à la partie supérieure.
(( Insertions : en haut, en arrière de Téchancrure ilio-peoti-
née^ par un tendon très étroit et très mince. En bas, le tendon
se confond avec celui du couturier et contribue à former la
patte d*oie. »
Lorsque le couturier est bifide inférieurement, le chef sur-
numéraire peut émaner: {a] de l'aponévrose fémorale ; (b) de
la portion interne de la capsule du genou; {c) du fémur, au
niveau ou un peu au-dessous du condyle interne.
Au mois de février 1883^ M. le professeur Testut, de Lyon,
a observé le fait suivant : le couturier se détachait en haut
de répine iliaque antéro-supérieure par un tendon unique,
large de i centimètre. Les faisceaux charnus qui faisaient
suite à ce tendon constituaient un corps musculaire aplati^
large de 35 millimètres, lequel ne tardait pas à se diviser en
deux faisceaux distincts: i^ Tan^meur, également rubané et
large de i centimètre environ^ se portait de haut en bas et
de dehors en dedans, se séparait nettement du faisceau pos-
térieur, au niveau du condyle interne, et se terminait sur la
portion de Taponévrose fémorale qui recouvre cette tubéro-
sité osseuse ; 2° quant au faisceau postérieur, il continuait le
trajet du muscle normal et venait s'insérer sous l'extrémité
supérieure du tibia, où il contribuait à former sa patte d'oie.
Horner a décrit un cas similaire ^
L'année dernière , j'ai trouvé sur un enfant , mort de
méningite, le couturier droit et le couturier gauche cons-
titués, chacun, par deux lames contractiles unies supérieure-
ment et inférieurement.
Le 25 janvier de cette aonée, M. Sabathé, un de nos étu-
diants, a mis à découvert sur la cuisse droite de la nommée
Bl. Agnès, décédée à Tâge de trente-huit ans, à Tasile des
aliénés de Tours^ un couturier analogue au précédent. Très
élargi à sa partie moyenne, ce couturier se divisait, à deux
^ Horner, U>c. ciL, p. 448.
796 SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE 4891.
travers du doigt an-dessous de rarticulation fémord-tibiale,
en deux chefs qui se réunissaient, un peu au-dessus de Tin- ï
sertion Ubiale,à un tendon commun pour la patte d*oie. Cette
bifurcation, qui n*exîstait, je le répète, qu*à droite, mesurait
6 centimètres environ ; le chef antérieur avait à peu près
i centimètre de largeur et le chef postérieur 3 centimètres.
Mon prosecteur, M. Barnsby^ a moulé cette pièce que je tous
présente.
Variation dans le volume. — Borner Ta vu beaucoup plus
large chez un nègre. J*ai constaté ce même fait, il y a deux
ans, sur une Angolaise. Chacun des deux couturiers, droit et
gauche, avait certainement un volume double de leur volume
habituel.
Variation dans la direction, — Quain * a signalé un cas où
le couturier croisait la cuisse plus en travers que d'or-
dinaire.
Variation dans la st7mcture, — Kelch et Hyrtl l'ont ren-
contré avec une intersection tendineuse centrale. M. le pro-
fesseur Macalister m'a assuré qu'une fois il a vu ce tendon
intermédiaire, d'un pouce et demi de long, adhérant très
fortement à l'aponévrose du triceps crural.
Variation dans les insertions. — Ainsi que divers anato-
mistes, j'ai disséqué des couturiers dont les fibres prenaient
des insertions plus ou moins étendues sur l'arcade fémorale
ou ligament deFallope. Toutefois je n'ai jamais noté, comme
M. le professeur Macalister, Vinsertion supérieure du coutu-
rier à l'aponévrose du fascia lata, ou à l'aponévrose crurale.
De même que son faisceau inférieur anormal, le couturier
unique peut se terminer : [a) sur l'aponévrose fémorale ; [b]
sur la portion interne de la capsule du genou sur le fémur, aa
niveau et un peu au-dessus du condyle interne. Haller affirme
l'avoir vu aller se fixer au ligament rotulien {ligamentwn
patellx).
Connexion plus intime avec les muscles voisins. — Dans un
' JUyologie comparée des membres, Lbèsc de Monlpeliier, 1878, p. 37.
LE DOUBLE. — ANOMALIES DU COUTURIER (SARTORIUS). 797
cas M., le professeur Macalister a dissocié des fibres profondes
de ce muscle, qui venaient du fascia lata.
Anaiomiè comparée. — L'histoire du couturier, dans la série
animale, est des plus remarquables et mérite, pour être com-
prise, d'être mûrement étudiée.
(( Il existe dans les anoures, dit M. Lannegrâce ^ un muscle
assez puissant que j'ai désigné sous le nom de pubio-tibial
antérieur; ce pubio-tibial relie une épine du pubis placée
immédiatement au-dessus de l'articulation coxo-fémorale, à
la tubérosité antérieure du tibia; le tendon inférieur de ce
muscle se fusionne avec celui de l'iléo-tibial (portion aponé-
vrotique du grand fessier et tenseur du fascia lata réunis) et
renforce en avant la capsule du genou. »
Dans les chéioniens et les lacertiliens, ce muscle pubio-tibial
antérieur conserve sa puissance et son rôle extenseur, et, a
priori, on serait tenté de le considérer comme le droit anté-
rieur de la cuisse.
Mais, dans les oiseaux, on le voit devenir excessivement
grêle, et glisser, par son tendon inférieur, vers la face internd
de l'articulation fémoro-tibiale, tout en conservant ses atta-
ches supérieures à l'épine du pubis, au-dessus de l'aceta-
bulum.
Dans les mammifhes, il ne se fixe plus au pubis. Chez les
ongulés et les rongeurs, il apparaît sous la forme d*une bande
longue, étroite, insérée, en haut, par une lame conjonctive
nacrée sur la face inférieure du fascia iliaca, et en bas, par
une autre aponévrose sur le ligament rolulien interne et la face
interne de la jambe. Chez les carnassiers, il s'insère supérieu-
rement à l'angle externe de l'iléon, et se divise généralement,
inférieurement, en deux branches, dont l'antérieure se rend
à la face intérieure du genou, tout comme chez les oiseaux,
tandis que la postérieure se confond avec le droit interne.
Dans diverses espèces, il y a deux branches à son origine.
Tune partant de l'épine iliaque, l'autre de Tarcade crurale.
1 Myoiogie comparée des membres, thèse de Montpellier, 1878, p* 87.
T. If (4« SiRIB). &l
LE DOUBLE. — ANOMALIES DU COUTURIER (SARTORIUS). 799.
mifères. Dans le loris^ il est presque le plus fort muscle de
la cuisse, en même temps qu'il est plus court que les fléchis-
seurs et les extenseurs. Cette brièveté, jointe à une disposi-
tion spéciale des autres fléchisseurs, fait que la jambe de ces
quadrumanes est toujours fléchie et tournée en dedans ^ Le
coatiy le raton, V ornithorynque, le fourmilier ont un couturier
très large.
Le couturier de la marmotte descend de Tarcade crurale.
M. Galton nous apprend que, chez \^ Ifastfpus sexcinctus, le
couturier est un muscle très petit, provenant de la partie
externe du tendon du petit psoas, à un demi-pouce au-dessus
de Tinsertion de ce dernier, et se perd dans le fascia aponé-
vrolique qui couvre la face interne du genou et dé la jambe.
11 semblerait, dit Tanatomistc anglais, ôtre, chez les animaux
de Tordre auquel appartient le Dasypm sexcinctus, une
espèce de tensor fasctas femoris internus *.
Suivant le même savant 5*, le couturier de VOrycteropus
capensis s'étendrait de l'éminence ilio-pectinée, et se termi-
nerait à la fois sur l'aponévrose du muscle droit externe et sur
celle du droit antérieur. Une planche de l'atlas de Cuvier
confirme cette description* d'après M. Humphry ; cependant,
le couturier de VOrycteropm capensis n'aurait aucune con-
nexion avec l'iléum, et émanerait des dernières côtes <^.
A l'abattoir de Tours, j'ai constaté que, chez le bœuf, le
couturier avait deux branches à son origine : l'une s'insérant
sur l'épine iliaque, l'autre sur l'arcade crurale.
Selon Meckel *, le couturier ne viendrait pas de l'iléon dans
l'ai, mais seulement de la région inférieure de l'aponévrose
du grand oblique de l'abdomen. Non loin de son origine, il
« Meckel, toc. ci/., t. VI, p. 400.
* Qallon, The Muscles of thé fore and hind Umbs in Dasypui ssxeincius
(Redd june, 4lh., 1808, p. 553).
> Galton. The Myology ofîhe upper and lasser extremilees of îh$ Orycte^
ropus capensis ^ juin 1868, p. 593.
^ Guyier-Laurillard, op. cit., pi. 253 et 256, flg. 4.
* Profetsor Humphry, (oc. e(( , p. 811.
* Meckel, loc. et/., p. 399.
ARMAND VIRÉ. — LA VALLÉB DU LUNAIN. 801
la longueur du ligament rotulien, par une large aponévrose et
par quelques fibres musculaires sur le tendon d'insertion du
droit intime. Chez le chimpanzé^ Tanatomiste lyonnais a vu
également ce muscle prendre ses points d'attache sur la
rotule par les fibres supérieures, et, par les fibres inférieures,
sur le tibia, en même temps que l'aponévrose jambière ^
Discussion.
M. Sanson proteste contre ce terme d'anomalie qui impli-
querait que Ion connaît toutes les lois, ce qui n'est pas
exact. Il serait bien préférable de dire variété. Resterait à
étudier la signification de ces variétés dans les divers cas.
M. Mathias Duval et M"« Clémence Royer acceptent ab-
solument Tobservation de M. Sanson. M"* Clémence Royer
fait même remarquer que le terme d'anomalie semblerait im-
pliquer que l'espèce est fixe.
M. Le Double. —Les observations de mes savants collègues
sont très judicieuses. Je les accepte entièrement, et pour ma
part, si je me suis servi jusqu'à ce jour du terme anomalie^
c'est pour me conformera l'usage. En disant variété^ on laisse
entière la question de fixité de l'espèce, et cela est plus sage,
je crois, à tous égards.
Les stations et les ateliers de polissage néolithiques de la
vallée da Lunain et le régime des eaax * l'époque de la
pierre polie ;
PAR H. ARMAND VIBB.
(Communiqué par M. Adrien de Morlillet.)
1
LES STATIONS.
A 400 kilomètres au sud-est de Paris, dans les départe-
ments de Seine-et-Marne et de l'Yonne, est une petite vallée
peu connue et qui mériterait d'être visitée avec soin. Elle est
> Testât, loc. cit., p. G06.
803 SÉANCE DU 47 DÉCEMBRE i89i.
arrosée par ud affluent du Loing, le Lunain, qui, après t'ètre
perdu d'abord dans une suite de gouffres, reparaît après
12 ou 15 kilomètres de parcours souterrain.
Plusieurs des plateaux qui la bordent portent des stations
préhistoriques où nous avons ramassé près de quatre mille
silex taillés, et qui nous ont fourni roccasion défaire quelques
remarques intéressantes.
La première de ces stations est située vers la source de la
rivière, au Bac, près de Montacher (Yonne).
Les autres s'échelonnent entre Yaux-sur-Lunaia et Nan-
teau, sur une longueur de 12 kilomètres.
Chacune d'elles occupe l'extrémité d'une espèce de cap
aigu ou arrondi bordé par la vallée du Lunain et un vallon
secondaire.
Quelques-unes d'entre elles occupent les bords d*aa vallon
secondaire qui part du village de Paley et s'enfonce à 4 kilo-
mètres dans le plateau, et dans lequel se trouvent actuelle-
ment deux petites sources.
Groupées tout au bord du plateau comme le prouvent les
amas de silex qui ne se rencontrent plus dès que l'on a fait
200 mètres dans Tintérieur, les hultes devaient former des
villages peu considérables.
Ces stations appartiennent surloutà la période néolithique;
néanmoins, on y trouve des objets appartenant à des types
et à une industrie antérieurs.
Je citerai notamment cinq pièces ayant exactement la
forme de celles de la fin du cbellcen, des burins semblables
aux burins magdaléniens.
La station la plus intéressante est située aux portes du
village de Lorrez-lc-Bocage (Seine-et-Marne), au lieudit les
Pierrières, Profondément découpé en cet endroit, le plateau
envoie en avant une petite presqu'île bordée de pentes assez
raides; le Lunain coule tout au pied, et h peu de distance
sortent de terre des sources d'une limpidité et d'une trans-
parence excoplionnclles. Grâce à ces avantages, cette cité
paraît s'être mieux développée que toutes ses voisines, et
ARMAND VIRÉ. -^ LA VALLBE DU LUNAIN. 803
être devenue un centre important. G*est la seule dans laquelle
j'aie constaté la présence d'un atelier de tailleurs de silex.
Une dizaine de percuteurs, ronds ou allongés, plusieurs cen-
taines de nucléus, des tranchets de toutes tailles, une petite
soie, de longs éclats dits couteaux, et de nombreux fragments
de rebut, le tout en silex de craie, tels sont les vénérables
témoins de l'existence de cet atelier primitif.
Non contents de répandre les produits de leur fabrication,
les habitants de ce bourg durent se livrer à un véritable
commerce d'échange, avec des peuplades fort éloignées. En
effet, à cette station des Pierrières ont été trouvées une
hache en diorite et une plaquette de syénite triangulaire de
44 millimètres de hauteur, de 33 millimètres de base et de
5 millimètres d^épaisseur maximum, et qui a pu servir de
flèche. J'y ai ramassé aussi une belle hachette taillée et
ayant subi un commencement de polissage, et qui est faite
non de silex de craie, mais de silex de l'étage des meu-
lières, qui ne se trouve pas du tout dans la vallée duLunain.
Parmi les objets remarquables trouvés dans ces staliouH,
je citerai :
i<^ Deux haches dont l'un des côtés, au lieu d'avoir été
abattu en biseau, forme une surface plane. D'après la forme
des éclats enlevés, les ouvriers paraissent avoir pris cette
surface plane comme point de départ de la taille.
2"" Une cinquantaine de petites hachettes de 5 à 8 centi-
mètres de long, 3 centimètres de large et 2 centimètres
d'épaisseur, taillées avec grand soin ; ce sont peut-être des
haches funéraires, ou des haches votives consacrées aux divi'
nités de ces premiers âges.
3^ Trois silex en forme de crochet, dont la courbure a
peut-être été obtenue par hasard, mais qui paraissent avoir
été retouchés ensuite pour être utilisés comme crochets;
le plus gros a 91 millimètres de longueur, 69 millimètres
de largeur maximum et :29 millimètres d'épaisseur. Un peu
au-dessus du point où le croc se sépare en deux branches,
l'une d'elles porte un petit étranglement demi-naturel,
804 SÉANCE DU 47 DÉCEMBRE 1891.
demi-tAillé, et qui pouvait assurer la stabilité de la sus-
pension.
Le second a 49 millimètres de long, 23 millimètres de
largeur maximum et 6 millimètres d'épaisseur.
Le troisième n'a que 22 millimètres de long, 12 millimètres
de large et 3°»", 5 d'épaisseqr.
4*^ Une série de grattoirs généralementà peu près qaudran-
gulaires, sur Tun des côtés desquels ont été ménagées des
encoches qui paraissent avoir été faites en vue d'une desti-
nation spéciale.
5*" Quelques flèches barbelées à pédoncules en amandes
trouvées à la station des Pierrières.
6"* Environ soixante-dix grattoirs néolithiques dont le plus
beau spécimen a été trouvé au pied du menhir de la Pierre-
Fitte.
7*^ Enfm, un grattoir d*une forme peu ordinaire, et des
haches dont il sera question un peu plus loin.
Tous ces silex, ainsi qu'un certain nombre de fragments
de poterie rougeàtre ou noirâtre, grossière, pleine de gravier
et dépourvue d'ornements, ont été trouvés à la surface du
sol, dans la terre végétale des champs cultivés. Dans toutes
les tranchées et les carrières que j'ai pu observer, TenfouissC'
ment des silex ne dépasse pas 20 centimètres. Une seule
tranchée fait exception jusqu'ici ; mais c'est certainement un
pur accident, provenant d'un remaniement du sol par les
hommes, car au même niveau que les silex et même au-des-
sous, j'y ai trouvé des fragments de poterie romaine bien
caractérisés.
Certains silex n'ont pas de patine. D'autres sont profondé-
ment altérés et leur couleur varie du blanc éclatant au blanc
bleuté, et du rose tendre au jaune foncé, suivant que les
p èces ont séjourné sur l'argile ou sur le sable.
ARMAND VIRÉ. — LA VALLÉE DU LUNAIN. 805
II
LES ATELIERS DE POLISSAGE.
Plusieurs de ces stations, dans le cours moyen de la rivière
et sur la rive droite, sont situées au milieu d'un banc de
sable et de grès tertiaire qui se rattache à celui de Fon-
tainebleau et de Nemours. Gomme le grès dur est une excel-
lente matière pour polir le silex, il était assez naturel de
penser qu'aux temps néolithiques, plusieurs de ces rochers
avaient servi au polissage des haches.
Jusqu'ici un seul était connu ; les gens du pays rappellent
la Rocke-aU' Diable y et M. Doigneau Ta très bien décrit et
dessiné dans son intéressant ouvrage sur Nemours et ses
environs.
Nous venons d'en trouver quinze autres, jusqu'ici entière-
ment inconnus, ce qui constitue, avec les polissoirs du gué
de Beaumoulin, près de Nemours, un des groupements les plus
remarquables.
Un seul de ces polissoirs est situé dans la vallée, comme la
Roche-au-Diable, tous les autres étant sur le plateau au bord
de la vallée. Huit d'entre eux sont en grès dur, à grain fin et
serré (oliquart) bien plus propre au polissage que le grès
tendre ordinaire. Les deux autres n'ont servi que fort peu et
ne portent qu'une seule rainure.
Les deux premiers sont situés près des Gros-Ormes, sur le
territoire de la commune de Lorrez-le-Bocage au-dessus de
la route des Gros-Ormes à la Croix-Blanche, à environ
800 mètres de Timportante station des Pierrières, dont ils
sont séparés par un ravin.
On les trouve assez difficilement, entourés qu'ils sont par
d'autres rochers en nombre assez considérable ; le premier,
au milieu des champs et près d'une vigne, entre un bois de
sapins et un bois de chênes et de bouleaux, au pied d'un
petit noyer, le second dans le bois de chênes.
Tout au bord du plateau dit la montagne Sainte^Anne^
806 gÉANCB DU 17 DÉCEMBRE 1801.
climat des sablières^ ils dominent le versant est d'un ravin
encaissé en forme d^amphithéâtre, situé à angle droit de la
vallée du Lunain, et d'où la vue est assez agréable.
Le premier est un rocher de grès lustré, presque tous ceux
qui Tentourent étant en grès tendre.
Il a la forme d'un ellipsoïde irrégulier, dont le grand axe
a 1">,60y le petit 1 mètre et qui s'élève au-dessus du sol de
70 centimètres environ.
Une seule rainure était apparente; mais après avoir enlevé
la terre et la mousse qui couvraient le reste du rocher, nous
en avons compté neuf, qui sont de deux sortes : cinq pro-
duites par le plat des haches et quatre produites par le frotte-
ment des côtés. Les premières sont en forme de cuvettes
allongées, dont les dimensions sont : 24 centimètres sur
12 centimètres; 24 centimètres sur 8 centimètres; 22 centi-
mètres sur 13 centimètres; 20 centimètres sur 9 centimètres
et 18 centimètres sur 8 centimètres.
Les quatre autres ont une forme beaucoup plus allongée
et ressemblent à de longs fuseaux. Leurs dimensions sont :
35 centimètres sur 5 centimètres; 26 centimètres sur 8 centi-
mètres ; 24 centimètres sur 8 centimètres ; 25 centimètres
sur 6 centimètres.
La surface des unes et des autres est d'un poli absolument
parfait, et leur profondeur varie de 2 à 5 centimètres.
Le troisième polissoir, situé sur le territoire de Paley et
derrière le moulin des Templiers et de VUôpUaly se trouve
dans le prolongement de la façade est du moulin, au-dessus
de la route de Lorrez à Nemours, au bord d'un bois de
sapins.
C'est un rocher degrés, de 2 mètres sur 1°,40 et de OOeen*
timètres de hauteur au-dessus du sol, qui porte :
1° Quatre rainures produites par le frottement des côtés
des haches, dont les dimensions sont : 49 centimètres sur
45 millimètres et 43 millimètres de profondeur ; 35 centi-
mètres sur 4 centimètres et 23 millimètres de profondeur;
30 centimètres sur 5 centimètres et 1 centimètre de ^ofon-
ARMAND VIR6. -<*- LA VAIrLBE DU LUNAIN. 807
deur ; â5 centimètres sur 14 millimètres et 1 centimàtre de
profondeur ;
2^ Deux rainures en forme de cuvette, dont les dimensions
sont : 27 centimètres sur 11 centimètres et 3 centimètres de
profondeur; 37 centimètres sur 13 centimètres et 2 centi-
mètres de profondeur ;
3^ Enfin, une surface plane de 35 centimètres sur 14 centi-t
mètres.
Le Lunain passe à 80 mètres de là, et il est fort probable
que les polisseurs de silex de cet endroit allaient chercher à
la rivière Teau nécessaire à leur industrie; car nous avons
trouvé au pied de ce rocher, dans le sol nouvellement remué,
trois fragments de poterie néolithique, l'un noir, les deux
autres rouges, à pâte grossière, mal cuite et remplie de
gravier.
Depuis notre départ du pays^ on nous a signalé cinq autres
polissoirs sur la pente qui domine celui-ci; nous ne les fai-
sons pas entrer en ligne de compte, car nous ne les avons pas
encore vérifiés.
Les six polissoirs suivants sont situés entre Téniùres et la
Noue-Blondeau, au bord du plateau, à Tendroit le plus joli
et le plus pittoresque des bords du Lunain; le paysage, à
cet endroit, semble être resté à peu près tel qu'il était il y a
quelques milliers d'années, alors que les peuples néolithiques
Toccupaient, que de patients ouvriers polissaient le silex, et
que de hardis chasseurs se livraient à la poursuite du gibier
sur les plateaux du Lunain.
Au premier plan^ on aperçoit dos friches semées de blocs
de grès aux formes bizarres, couvertes de mousse et de lichen,
entourées ^de genévriers ou de jeunes sapins. En amont, on
voit les coteaux boisés de Paley, de la Cave-aux-Fées
(temple romain), de Préau, de la montagne Sainte-Anne,
tandis qu'au fond de la vallée, les vertes prairies alternent
avec les bouquets de bois et les longs peupliers ; en aval, les
collines de Nanteau et, à Thorizon, les rochers de Nemours
estompés par la brume.
ARMAND VIRÉ. — LA VALLÉE DU LUNAIN. 809
et la sixième, à peu près perpendiculaire à la direction des
cinq autres, a servi à polir le plat des haches.
Après avoir fait 865 pas sur le chemin, puis 12 pas à
gauche dans le bois, on trouve un polissoir tout à fait ana-
logue au précédent, avec cette seule différence que Ja surface
plane est un peu plus petite (45 centimètres sur 30 centi-
mètres) et est très inclinée sur l'horizon.
Enfin, il existe un dernier polissoir, également près de la
Noue-Blondeau, sur le territoire de la commune de Nantcau,
canton de Nemours, à 150 mètres environ du beau menhir
de la Pierre-Fitte.
Ce polissoir est un grès de 2™, 50 de long, de 2 mètres de
large et i°^,i 5 de haut, sur lequel on remarque une surface
plane et polie de 70 centimètres sur 30 centimètres dans
ses plus grandes dimensions.
Tout au pied, j'ai ramassé une moitié de hache bien tra-
vaillée et dont le polissage n'est pas achevé.
Telle est cette belle réunion de polissoirs, ce véritable
atelier de polissage, qui se développe en trois groupes sur
une longueur de 2 500 mètres et qui a servi certainement à
polir presque toutes les haches recueillies dans le voisinage
et dans toutes les stations d'amont, qui sont complètement
dépourvues de rochers propres à cet usage.
Sur le rocher, on remarque de place en place des traces de
frottement, tout aussi nettes, mais bien moins développées
que les rainures principales. Le second, situé à l'entrée du
bois, à 165 mètres au nord du premier, également en grès
dur, des mêmes dimensions, mais s'éievant un peu moins
au-dessus du sol (40 centimètres), ne porte qu'une seule rai-
nure plate de 21 centimètres sur 9 centimètres, dans le pro-
longement de laquelle se voit une petite surface de frotte-
ment de 5 centimètres sur 4 centimètres.
Les objets les plus remarquables que nous ayons trouvés
aux environs de ces deux polissoirs, station de la montagne
Sainte-Ânne, sont un beau percuteur en silex, très dense,
à peu près sphérique, et de 7 centimètres de diamètre ; un
810 SÉANCE DU 47 DéceiifiAE 4891.
grattoir de 44 millimètres sur 67 millimètres en silex gris
bleu, à patine d'un blanc bleuâtre, d'une forme peu com-
mune, pentagonal, tranchant d'un seul côté, tandis que les
côtés opposés, formant dos, sont épais de9 à 4â millimètres;
une hachette ou lame de casse-tète, taillée à grands éclats,
de 0 centimètres de longueur, 43 millimètres de largeur et
27 millimètres d'épaisseur ; une fine hachette de silex gris
jaune, incomplètement polie, de 9 centimètres de longueur,
3 centimètres de largeur et 1 centimètre d'épaisseur ; nne
magnifique hache en grès lustré, la seule pièce de grès bien
caractérisée que nous possédions, complètement polie, in-
tacte, à section d'un ovale parfait de 105 millimètres de lon-
gueur, 47 millimètres de largeur et 27 millimètres d'épais-
seur ; enfin, beaucoup de fragments de haches polies.
m
LE RÉGUfE DES EAUX.
Nous nous sommes demandé pourquoi la grande majorité
de ces polissoirs se trouvait sur la colline et non dans la val-
lée, oîi il semble tout d*abord qu'il eût été plus naturel d'éta-
blir les ateliers ; car il faut beaucoup d'eau pour polir le silex,
et dans la vallée on eût trouvé des rochers en quantité suffi-
sante, et beaucoup d'eau h la rivière.
Était-ce donc que les crues du Lunain rendaient la vallée
inhabitable au moins à une certaine époque de Tannée?
Nous ne le pensons pas, du moins pour la période néo*
lithique, et nous avons tout lieu de croire, au contraire,
que les crues du Lunain étaient moins fortes qu'à l'heure
actuelle.
Et en effet, les plateaux aujourd'hui dénudés par la cul-
ture étaient couverts de forêts ; au lieu de s'écouler tout d'un
coup dans le fond de la vallée en causant des débordements
au printemps et laissant en été la rivière presque à sec, les
eaux provenant des grandes pluies et de la fonte des neiges
s'emmagasinaient dans la mousse et les racines des arbres,
ARMAND VmÊ. — LA VALLÉE DU LUNAIN. 8il
puis filtraient peu à peu dans le sol en formant des sources
nombreuses et intarissables.
Et ceci n'est pas une simple hypothèse ; car, sans parler des
deux minces sources qui ont peine à sortir des pentes de Té-
nières, et de celle qui humecte le plateau de Vaupsulseau^
voici que, sur le plateau même de la Noue-Blondeau, nous ve-
nons de constater les traces d'une ancienne source quater-
naire qui a couléjusqu'aux temps historiques, mais qui a depuis
longtemps disparu, et n'a laissé aucun souvenir dans le pays.
Nous avons trouvé là une couche de tuf évidemment d'ori-
gine fontigénique, quaternaire à la base, récente à la surface,
consistant en une couche de calcaire tendre, blanc ou jau-
nâtre, qui a empâté tous les débris du sol : des fragments de
calcaire de Château-Landon blanc ou noir^ du quartz, de la
boue, du sable, et plus tard de petits morceaux de charbon
et des débris de terre culte (brique ou poterie, il est difficile
de préciser à cause du peu de volume des fragments trouvés
jusqu'ici). Enfin, de place en place, on trouve des couches de
feuilles d'arbres, de menus branchages, d'herbes et de gra-
minées.
Beaucoup de végétaux n*ont pas été simplement incrustés
dans le tuf, mais ont subi une véritable pétrification, se sont
transformés en carbonate de chaux, tout en conservant leur
forme et parfois, leurs couleurs, tandis que d'autres fragments
sont simplement carbonisés et môme encore moins décom-
posés.
Il est donc incontestable qu'il existait là une ou plusieurs
sources, contemporaines des hommes de la pierre polie, et il
est raisonnable de penser que c'est de là, plutôt que de la ri-
vière, que les polisseurs de silex tiraient l'eau nécessaire à
leur industrie.
Dès lors il n'est pas étonnant qu'ils aient établi leurs cam-
pements et leurs ateliers sur les plateaux bordés de deux ou
de trois côtés par des pentes très raides«et dans une position
bien plus facile à défendre que la plaine contre les surprises
de leurs ennemis, hommes ou bêtes sauvages.
312 SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE 4801.
IV
UNE CARRIÈRE DE SILEX PRÊUISTORIQUE.
Dans la vallée du Loing, entre Nemours et Souppes, sur la
rive droite et près du moulin de Portonville, se trouve une
carrière de craie dont la partie supérieure a été remaniée sur
une épaisseur de i mètre à 1"^,80. Le banc horizontal de silex
que Ton retrouve en place à quelques mètres de là, dans la
partie non remaniée, a disparu à cet endroit.
Cette couche supérieure contient une très grande quantité
d'éclats tranchants de silex, qui présentent tous les oarac^
tères de la taille intentionnelle, notamment des bulbes de
percussion bien caractérisés. Mais aucun de ceux que j'ai ra-
massés ne présente la forme d'un instrument quelconque ;
ces silex paraissent être des déchets de taille, et les trois ou
quatre instruments caractérisés qu'on y a trouvés paraissent
être inachevés.
Mélangés à ces silex, on trouve des bois de cerf, des frag-
ments de poterie et quelques charbons.
Enfin, comme fossiles de notre époque et intimement mé^
langés à ces débris J'ai recueilli d'assez nombreux spécimens
de Cyclostoma elegans, Hélix nemoralisy H, hispidia, H, />«/-
chella^ Clamilia,.,y Pupa,,.^ toutes espèces terrestres.
Voici ce que dit à ce sujet M. Doigneau dans son très inté-
ressant ouvrage sur les environs de Nemours :
« Lorsque le Loing coulait à 14 ou 15 mètres au-dessus de
son niveau actuel, et lorsque les eaux s'étendant d'une col-
line à l'autre ravinaient profondément la craie, une famille
de l'âge de la pierre était installée sur la berge de la rive
droite, à 200 mètres en aval du moulin de Portonville.
« Dès 1808, nous avions reconnu, avec M. de Montmahon,
que ce terrain d*alluvion contenait, avec des bois de cerf, des
fragments de poterie, et nous y avions trouvé une hache non
polie et d'une forme ancienne.
« J'ai pu recueillir depuis^ au fur et à mesure des déblais,
ARMAND VIRÉ. — LA VALLÉE DV LUNAIN. 813
dlfTérenls objets qui paraissent avoir fait partie du mobilier
d'une habitation primitive : deux nouvelles hachettes d'une
forme particulière et 1res grossièrement éclatée, un. percu-
teur, des grattoirs, des nucleus ayant un aspect singulier
qu'on ne remarque pas ailleurs, différents fragments de bois
de cerf, dont un ayant encore à la base une partie de la ra-
cine indiquait que l'animal avait été tué, tandis que les autres
couronnes se sont détachées naturellement de la tète. Un
autre, portant la trace du feu, avait été coupé comme on
pouvait le faire avec une scie en silex. Des fragments de vases
en terre cuite et des charbons étaient engagés dans la boue
durcie de Talluvion.
« Ces objets, ainsi enfouis pêle-mêle, paraissent avoir été
précipités ensemble dans la rivière, d'un point de la berge
où ils étaient réunis. Mais ces lieux ont subi de tels change-
ments, celte ancienne berge est aujourd'hui tellement inclinée
et élevée, qu'on ne conçoit pas où a pu être installée cette
habitation. »
Je ne puis guère partager Topinion de M. Doigneau et voir
ici un produit alluvial. Une première objection s'offre tout
de suite, lorsqu'on examine les différentes coupes de collines
faites en amont et en aval de Portonville. En effet, sauf en
face de Cercanceaux où il y a peut-être une exploitation an-
cienne analogue à celle de Portonville, nulle part nous ne
rencontrons de silex taillés ni de remaniements violents de la
craie. La couche supérieure de la craie a un faciès tout diffé«
rent^ et résulte du phénomène général de dissolution lente
par les eaux pluviales chargées d'acide carbonique, et les lits
de silex encore en place témoignent de la lenteur de cette
dissolution.
Or une masse d'eau torrentueuse assez puissante pour pro-
duire une alluvion telle que celle qui nous occupe eût certes
laissé des traces du même genre tout le long de la vallée.
D'ailleurs, à l'époque néolithique (et ce gisement est net-
tement néolithique comme l'indiquent les poteries et les
haches)^ le régime des eaux de cette contrée était assez voi-
T. II (4« série). 52
814 SÉANCE DU n DÉCEMBRE i89l.
sin du régime actuel, comme j'ai cherché à le démontrer
dans la troisième partie de celte note.
Si le Loing avait, à cette époque^ miné lentement et insensi-
blement le pied de cette colline, qui se serait enfln écroulée,
il aurait certes remanié aussi tons ces matériaux, y aurait
produit une stratiflcation sinon bien horizontale et régalière,
du moins continue, et de plus aurait mélangé à la craie et
aux silex les débris du terrain supérieur (galets et pou-
dingues de l'argile plastique, calcaire lacustre inférieur,
sables et grès de Fontainebleau que l'on voit nettement su-
perposés dans cette colline).
Or, outre les silex, la poterie, les bois de cerf et les fossiles
de notre époque, on ne trouve absolument que la craie pure
et quelques veinules d'argile et sable, dont la présence va
nous être expliquée.
Il y a bien une stratiGcation, ou plutôt des stratifications.
Mais ce sont des séries de stratifications partielles, petites,
brisées, et orientées dans tous les sens, la plupart très incli-
nées, et dont Torigine ne peut être cherchée dans Inaction
des eaux.
Cette action écartée, il ne me paraît rester qu*ane seolc
explication plausible, qui rende compte de toutes les parti-
cularités présentées par cette carrière.
C'est l'exploitation de la craie par les peuples néolithiques
pour en tirer le silex, et cela, non par des puits, comme h
Nointel, mais à ciel ouvert.
Que devaitil résulter d'une pareille exploitation ?
A mesure que les carriers tiraient la craie, ils rejettaient
derrière eux les produits non utilisés, ce qui produisait des
tas irréguliers, s'augmentant sans cesse de nouvelles couches;
mais ces couches devaient être inclinées les unes sur les
autres, dirigées dans tous les sens, et composées de frag-
ments de toutes tailles et de toutes formes, plus ou moins
anguleux, et c'est précisément ce que Ton observe en cet
endroit.
Les silex extraits étaient sans doute dégrossis sur place,
ARMAND VIRÉ. — LÀ VaLLSe ttj LUNAIN. SiS
«
Cdr les petits fragments anguleux, tranchants, en forme de
lames plus ou moins courtes sont souvent réunis par tas volu-
mineux, presque sans interposition de craie, comme si, à me-
sure que Ton extrayait les rognons de silex, on les apportait
à uh ouvrier spécialement chargé de les dégrossir et aux
pieds duquel s'entassaient les déchets provenant de cette
opération.
Les blocs ainsi préparés étaient alors emportés h Tatelier,
peut-être à la station du Beauregard, très voisine de cet en-
droit, et la seule où M. Doigneau ait constaté la présence
d'un atelier bien caractérisé.
Les fragments de bois de cerf servaient sans doute d'outils
ou d'emmanchure aux outils, leur présence ayant été cons-
tatée partout oh Ton a reconnu ded exploitations de silex à
l'époque néolithique.
Quant aux fragments de poterie et aux charbons, leur pré-
sence est tout expliquée par celle des ouvriers qui s'en ser-
vaient sur place pour cuire ou réchauffer leur nourriture.
Et en effet, en même temps que la poterie, on trouve quan-
tité de silex éclatés et rougis par le feu ; et j'ai pn constater
que les quelques charbons que l'on ramasse de place en place
sont {iresque toujours au voisinage ou au contact de ces silex
brûléSj ce qui semble bien indiquer la présence des foyers
en te lieu même et exclure toute idée de remaniement posté-
rieur à leur existence. Car comment admettre que le charbon
et le silex, de densité si différente, eussent été entraînés par
les eaux avec la même vitesse pour se retrouver ainsi côte à
côte au bout de leur voyage?
Suvvenait-il un chômage, an abandon momentané de tout
ou partie de la carrière pendant quelques années ou même
quelques mois, aussitôt les vents et les pluies apportaient de
la poussière, du sable, de l'argile et Thérbe se mettait à pous-
ser, et les mollusques aimant rhumidité des carrières arri-
vaient, ce qui explique du même coup la présence des vei-
nules d'argile et de terre végétale, et des coquilles d'hélices,
cyclostomes, etc.
816 SÉANCE DU i7 DÉCEMBRE 1891.
Comme on le voit, les moindres particularités de ce dépôt
sont expliquées par cette hypothèse, tandis qu'en admettant
la première, on se heurte à des impossibilités matérielles.
Il y a donc tout lieu de croire que nous sommes en présence
d*une exploitation préhistorique des plus intéressantes et
précieuse pour l'ethnographie néolithique, en ce sens qu*elle
est peut-être la seule qui ait été signalée dans ces conditions.
Discussion.
M* Ck)LLiN dit que ce gisement ressemble absolument à
celui de Coupvray.
M. Dessln dit qu'en effet il y a là une grande analogie avec
ce quHl a observé dans le gisement de Campigneulles.
M. Vau VILLE serait plutôt porté à admettre qu'il s*agit là
d'érosions remontant à Tépoque quaternaire, et que les silex
ramassés, souvent agglomérés par un vrai calcin, pourraient
bien être do la même époque.
MM. Adrien de Mortillet et Collln n'admettent pas cette
manière de voir. Le calcin est un dépôt formé par la préci-
pitation du carbonate de chaux, enlevé à la craie par les
eaux chargées d'acide carbonique. C'est un phénomène
banal qu'on peut même observer de nos jours. Suivant toutes
vraisemblances, il s agit bien là d'excavations anciennes.
M. Viré, l'auteur de la découverte, qui connaît bien le
pays, dit qu'en effet il est impossible que ces couches remon-
tent à l'époque quaternaire, les conditions stratigraphiques
ne permettant pas de soutenir cette hypothèse.
La séance est levée à six heures vingt minutes.
L'un des secrétaires : C4l^lTAll«
>—*
TABLE DES DONS
A LA SOCIÉTÉ ET A l'ÉCOLE d'aNTHROPOLOGIE.
Dons a la Société, 7, 8, 17, 78,
128, 129, 130, \3\, 146, 147,
186, 187, 201, 236, 254, 256,
258, 276, 277, 301, 302, 340,
341, 342, 364, 423, 442, 443,
447, 448, 458, 467, 4ô8, 502,
532, 533, 534, 558, 559, 560,
561, 563, 642, 643, 647, 648,
669, 696, 697, 698, 699, 701.
Dons a l'Ecole, 22, 84, 238, 504,
554, 565, 650.
AcY (d*), 532.
Aubry(D' p.), 301, 559,642.
Barthélémy (F.), 146, 147.
Baudoin (Dr Marcel), 532.
Baudon (D»), 504.
Baye (Joseph de), 146, 301, 560,
642.
Beadregard (OUivier), 17, 558.
Belldcci (Giuseppe), 146.
Bertaux (D'A.), 642.
Beveridge(H.), 341.
Blanchard (D' Raphaël), 443.
Blasio (D' Abele de), 186, 532,
580.
Bleicher (D'),146, 147.
Bogdanow, 301.
Borsari (Ferdinando), 147.
Buschan (D' g.), 7, 1 47, 423, 532.
Capus (G.), 277, 407.
Charencey (H. de), 78, 130.
Chatellier (P. du), 7, 146.
Claine, 563, 648.
CoLLiN (E.), 22, 238, 276, 450.
CoMOY (D'), 236.
COSSERAT, 276.
CuNNiNGHAM (prof. D. J.), 502.
Dareste (D' Camille), 643.
D A VELU Y, 442.
Delehaye (Jules-Alexandrc-Napo-
léon), 254.
Deniker, 423, 669.
Denis, 647.
Diamandy, 84.
DuMONT (Arsène), 186.
Dl-moutier (G.), 447.
Evans (John), 340, 341.
Falsan, 302.
Fauvelle (D'), 129.
Fischer, 302.
Gadeau de Kerville (Henri), 7.
Garrigou, 302, 442.
Gosselet, 128.
Grimaux, 699.
Hambleton (G.-W.), 467.
Heger (Franz), 78.
Hervé (D'), 236.
HOERNES (D' M.), 301.
HouzÈ(D'E.), 186, 302, 532.
Hyades (D'), 669.
Jacques (D^ Victor), 448.
JouvENCEL (de), 340.
Julien (Alexis), 256.
Lacassagne, 302, 442.
Lagnkau (D'), 560, 698.
L\jard, 701.
818
TABLE DES DONS.
Lalot^ 258.
Landbin, 340.
Larrieu (D'F.),341.
Lasteyrie (de), 669.
Lefèvre (André), 277^ (169.
Legrain, 201.
Letourneau« iSi, 4M.
Leudet (D' E.), 533.
Los (de), 340, 341.
LuBBOCK (John), 340.
LUSCHAN, 340.
BIacé, 22.
Magitot (D'), 364.
Mallsrt (Garrick), 423.
Manouvru5r(D' L.),5Q9,56D^ Q43.
Mantegazza, 340.
Mabghesbtti (D' Carlo), 7.
Marighard (Ollier de), 341.
Maricourt (de), 340.
Martin (D' E.), 533.
Mauricet, 340, 341 .
Metzgbr (D.), 467.
M'Guire, 643.
Mies (D'), 17, 147, 467.
MiNGAUD (Gallien), 533.
MiNGAzziNi (D' G.), 532.
Ministère des finances, 447, 468.
Ministère des travaux publics,
236.
Moran (D'), 647.
Moreau (Alfred), 669.
Moreno(F.-P.), 341.
MoRSELLi, 340,341.
Mortillet (G. de), 7, 128.
Munck (de), 340, 565.
Musée Guimet, 129.
Nadaillag (de), 301, 643.
Netuy (Jean de), 448.
Neugebauer (D' Franz-Ludwig), 8.
NicAisE, 341.
NicoLUCCi, 442, 532.
NiEDERLE (Lubor), 301 y 559.
Peillon (D' Gabriel), 341.
PÈRocHE (Jules), 442, 532.
PlGORlNI, 341 .
PiLLoy, 341 .
Ploix, 448.
PomiER(D'), 341.
Pommerol(D'), 341.
Pocsâit(D'), 66i.
Prestwich (Joseph), 341.
QuATREPAGEs (de), 341 .
Rames (J.-B.), 341.
RjGNAULT (D'), 650, 701.
RiCGARDi (Paolo), 186.
Rolland (G.), 502.
RosNY (de), 442.
Rothschild (Alphonse de), 22.
Roux (le capitaine Emile), 364.
RoYER (Clémence), 643.
Saintenoy (Paul), 448.
Salmon (Philippe), 532, 554.
Sanford Fleming, 423.
Saporta(G. de), 341.
Sciiaaffhausen, 696, 697, 698.
Schubmann (D^), 342.
Schmidt (Valdemar), 341.
Sebillot (P.), 341.
Senequier (Paul), 643.
Sergi (Giuseppe), 534.
Société de médecine légale de
France, 642.
Strobel, 442.
Terry (James), 147.
Testut (D'), 442.
Thulié (DO, 186,442.
TiHON (Ferd.), 534.
TopiNARD (D^ p.), 647.
Tourtoulon (Ch. de), 130.
Tremlett, 131.
\j, S. GBOLOGICAL SURYEY (depavt-
ment of the interior), 130.
Vauvillé (0.). 186, 187, 643.
Verneau (D»), 8, 78.
Wood-Mason (J.), G43.
Zampa (Raffaello), 559.
TABLE DES TRAVAUX ORIGINAUX
ET
DES PRINCIPALES COMMUNICATIONS
AZOULAY et LAJARD. — Quolquea considérationa sur la denxiéme
déelmale dans les Indlees crâniens
et faeianx, 550.
DEAUREGARD (Ollivier). — La jasilee et les trlban«nx d«iiB Tan-
elenne Egypte, 86.
— Uu ofllee religieax bouddhique A
rarlH, 183.
BÉl^ENGER-FÉaAUO. — Contribution à Tétiidc des vestiges des
pratiqnes rellglenses de ranllqallé
chez les Provençaux de nos jours, 305.
BËRTILLON (Jacques). — Sur la nalaillé en Franee, 306.
R0STEAUX-PARI6. — Sur une sépullare gauloise découverte ù Cer»
naj-ies-Relms, 573.
CAPITAN. — Nouveau type d'Instramont moustéricn, le disque ra-
ciolr, 564.
— (Voir MÉNARD.)
GHATELUER. - (Voir VARIOT.)
CIIERVIN. — Nombre des enfants par ramllie étudié par arrondis-
sement, canton et commune dans le Lot»et-Garonnet
42.
DALEAU (François). — Rég^argltatlon maternelle chczj des
ehienneSf 120.
DARESTE (Camille). » La tératogénle expérimentale (huitième
conférence Broca), 730.
DIAMANDY (G.) (de Jassy). — Du rôle de Téconomie sociale dans
la question de la dépopulation et du
repeuplement de la France, 425.
DUMONT (Arsène). — La théorie de la natalité et lurgence de la
contrôler par les faits, 483.
— Essai sur la natalité dans lo cautou de Lille-
bonne (Seiuc-Inf»*rienre\ 57 i.
DU PASQUIER (Gh.) — De la flxité do l'espère ; résultat dos deux
facteurs de révolution : la variabilité et la
loi de rhérédlté fixe, 203.
— Un point de la physiologie du langage, 520.
8â0 TRAVAUX ORIGINAUX ET PRINCIPALES COMMUNICATIONS.
FÂUVELLE. — Des transformations du règne végétal (Deuvième
conférence transformiBle), 386.
LABORDE (J.-V). — Démonstration expérimentale du langage sU
gnaiétiqne chez les fourmis* 664.
LABOUDE et RONDEAU (P.). — Les llèehes empoisonnées daSnrro
(hant Niger). Ëtnde et détermi-
nation expérimentale de Inetlon
et de la nature da pelson^ 706.
LAFAX (G.)* -* Sur quelques nouveaux gisemenla préblstorlqnes
des environs de HAeon, 759.
LAGNEAU (Gustave). — Sur la raee Juive et sa pathologie, 539.
LAJARD. — Le langage sifflé des Canaries^ 469.
— Rudiments de langage sifflé à Paris, 517.
— Procédés primitifs de ffnbrieatlon de la poterie aux
€anarles, 675.
— (Voir AZOULAY.)
LAJARD et REGNAULT. — Sur un s^nelette d'Aecréen, 701.
LE DOUBLE (A.) — Hnscles présternanx, 150.
— Anomalies du couturier (sartorius), 79i.
LETOURNEAU (Ch.). — La charte de nie d*Hœdle, 773.
MANOUVRIER (L.). >- Rapport sur le concours pour le prix
Godard, 721.
51ARCAN0 (G.).— Ethnographie précolombienne du Venesnela.
Note sur les Cnleas et les Timotes, 218.
MARTIN'DURR. — HalformaUons congénitales mnltlplea et non
héréditaires (six extrémités digitales sur-
numéraires réparties aux quatre membresetbee-
de-llévre simple, 585.
MAURICËT (de Vannes). — État comparatif de la statistique de la
délimitation de la langue française
et de la langue bretonne dans le
département du Uorblhan (1 800-1 sTS),
312.
MÉNARD et CAPITAN. — Sur un disque percé* ou anneau en
pierre, néolithique, 138.
MOUTiLLET (Adrien de). — Statues primitives de rAveyron et
de rHérault, 516.
PEUllIËR DU CARNE. ~ Gisement chelléen de Fllns-Ies-Hu-
reaux (Seine-et-Oise), 655.
RAMADIER (J.) et SÉRIEUX (Paul). — Note sur cinq cao de malfor-
mation spéciale de lu poi-
trine (thorax en entonnoir].
Contribution à réluile de^
stigmates physiques de dé-
générescence, 318.
REGNAULT (F.). - La religion béguine, 785.
— Le marlpge aux Indes, 505.
TRAVAUX ORIGINAUX ET PRINCIPALES COMMUNICATIONS. 8il
REGNÂULT (F.)- — Da rôle da pied comme organe préhensile
chez les HIndonSf 683.
— (Voir LAJARD.)
RONDEAU. - (Voir LABOUDE.)
RUBBENS (Clément). — Bvolntlon religiente au Congo, 259.
^- Ancien elmetlère et sareopbages décou-
verts sur la commune de LInns près de
Moutlhéry (Seine-et-Oise), 657.
SÉRIEUX. — (Voir RAMADIËR.)
TESTUT (L.). — Note sur un cas de mamelle ernrale observée chei
la femme, 757.
VARIOT (G.). — Origine des préjugés populaires sur les envies, 458.
— Un cas de malformailon congénitale et un eas
d'anomalie du pavillon de l'oreille chez des en-
fants, 568.
VARIOT et CHATELLIER. — malformation congénitale du pa-
villon de rorellle gauche chez un
enfant; imperforation du conduit au-
ditif externe. Tentative opératoire, 652.
VAU VILLE (Octave). — Atelier quaternaire de taille de grés de
Presles-et-Boves , canton de Braisne,
arrondissement de Soissons (Aisne), 335.
— Instruments chelléens du dépôt quater-
naire de Uont-liDtre-Dame (Aisne), 79.
— Ateliers préhistoriques de taille de silex
de l'eneelnte de LIereonrt et d*Eron-
delle (Somme), 173.
— Instruments variés provenant des gise-
ments quaternaires de Hont-Notre-
Dame* Limé et Giry (Aisne), 343.
~ Habitation construite néolithique sur le
territoire de Ncnvlllc- lés-Dieppe* 766.
VIRÉ (Armand). — Les stations et les ateliers de polissage néoli-
thiques de la vallée du Lunain et le régime des
eaux à Tépoque de la pierre polle« 801.
ZELLE (L.-J.j, — Les Orange-Koeboes, 25.
— Les Maporais, 214.
TABLE DES AUTEURS
Acy (d'), 129, 274, 276, 348, 352.
Azoulay, 550.
Beauregard (Ollivier), 12, 17, 34,
85, 86, 122, 142,183, 190, 419, 555,
558.
Beldiceno, 864.
BéreQger-Féraud,305,310,312, 466.
Beriillon, 120.
Bessin (F.), U2, 452.
Blanchard (R.), 453.
Bonnemère, 132, 273.
Bosteaux-Paris, 573.
Capitan, 83, 132, 138, 334, 343, 454,
504, 505, 564.
Cartier, 345.
Charencey (de), 85,145, 554.
Chervin, 42, 229, 547.
Chudzinski, 419.
CoUin (E.), 10, 22, 149, 274, 276, 352,
422, 450. 457, 568, 671,699.
Daleau (François), 120.
Dareste (Camille), 730.
Debierre (Ch.), 16.
Deniker, 279, 669, 686.
Diamandy (G.), de Jassy, 84, 183,
294, 425.
Duhousset (colonel), 274, 688, 689,
792.
Dumont (Arsène), 386, 483, 500,501,
574.
Du Pasquier (Ch.), 203, 520.
Duval (Mathias), 256, 801.
Eschenauer, 35, 40, 283, 792.
Fauvelle, 16, 20, 36, 40, 198, 222,
277, 279, 317, 386, 640, 651, 681,
688.
Féré (Ch.), 649.
Hervé, 12, 36, 37, 40, 86, 114, 115,
173, 202, 248, 250, 257, 279, 283,
294, 419, 502, 542, 548, 549, 553,
556, 557, 560, 639, 65i.
Hovelacque, 1, 35, 200, 247, 317,
419, 483.
Julien (Alexis), 257.
Laborde,4, 113, 114, 664, 668, 687,
688, 689,699, 706, 718.
Lafay(G.), 759.
Lagneau, 35, 39, 41, 115, 294, 835,
513, 539, 542, 547, 556, 639, 698,
718.
Lajard,469, 517,550,651,675,680,
682, 701.
Le Double (A.), 151, 154; 173, 792.
Legrain,85, 86, 110, 201, 202, 278,
303, 304.
Letourneau, 41, 145, 312, 466, 773,
785.
Magitot, 573, 686, 688.
Manoudeau, 542.
Manouvrier, 225. 248, 258, 419, 421,
422,608, 686,687, 705, 721.
Marcauo (G.), 238.
Martin Durr, 535.
Mason, 418.
Mauricet (de Vannes), 312, 419.
Ménard, 138.
Mortillet (Adrien de), 11, 24, 84, 85,
86,129, 131, -142, 182, 185,202,
S73, 339, 363, 457, 505, 516, 5G0,
641, 675, 682.
Mortillet tGabrielde),12, 24, 83, 84,
128, 129, 138, 145, 202, 275, 279,
310, 316, 351, 356, 418, 419, 549,
565, 641, 648, 674,679.
Perrier du Carne, 655.
Poussié, 562.
Rabot, 144, 145, 363.
Ramadier (J.), 317.
Raymond (Paul), 279.
Regnault(Félix), 503, 683, 694, 701,
785.
Rivière (E.), 755.
Rondeau (R.J, 706.
Royer (M"» Cl.), 114, 120, 249, 251,
501, 544, 785,792, 801.
Rubbcns (Clément), 259, 657.
Sanson, 115, 138, 190,250,274,278,
283, 466, 501, 502, 513,514, 541,
549, 556, 557, 667, 668, 685, 688,
759, 792,801.
Sénequier, 643.
Sérieux (Paul), 317.
Testut (L.), 757.
Tilly KinalT, 695.
824 TABLE DES AUTEURS.
Tremblelt, 131. Verdier (Frédéric), 531.
Trumet de Fontarce, 467. Verneau, 11, 182, 680.
Variot, 111, 115, 834, 458, 556^ 557, Vinson, 86, 202, 254, GS6.
568, 652, 785. Viré (Armand), 801.
Vauyilié (0.), 79, 173, 183, 187, 835, Zaborowski, 34, 35, 87, 138, 1 45.
343, 356^ 766. Zelle (L. J.), 25, 214.
TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABÉTIQUE
des niAtlèreB ronteanes dans ce volnme;
Par M. DuREAU.
Abeilles. Langage signalétique des
—, 668,
Âca'éen. Squelette d' —, 701.
Adultère chez les OraDgs-Koeboes,
28.
AoB DE LA PIERRE POLIE. Régime des
eaux à Tépoque de V —, 801.
Age du bronze. Études sur 1'— en
Gironde, 723.
Alignement d'Epagny (Aisne), 187.
Allemagne. Natalité et nuptialité
en — de 1878 à 1882, 368.
Alsace-Lorraine. Natalité et nup-
tialité en—, 36S.
Américains. Les nremiers — ve-
naient de Touestae l'Europe, 247,
251 ; race dolichocéphale très
ancienne, 248; les — brachy-
céphales proviennent de l'Asie
centrale, 248.
Amérique. A vu les ancêtres de
riiomme, 251 ; Tapparition de
l'homme en — ne peut être ad-
mise, 250 ; la race de Canstadt
s'est étendue d'Europe en— car
les terres polaires, 249 ; analogies
{>rofondes des races indigènes de
* — et des races quaternaires
européennes, 249.
Ândresy (Seine-et-Oise). Sépultures
mérovingiennes d' —, 276.
Angletet^e. Natalité, nuptialité et
mortalité en —, 368.
Anomalies de Torganisation, 733
(voyez Monstruosités) ; — du
muscle couturier, 792 ; — ou va-
riétés, 801.
i47i^icour/(Seine-et-Oise).Silex néo-
lithique de —, 422.
Anthropoïdes. Recherches sur les'
helminthes des —, 443.
Anthropophagie chez les Battas et
les Aztèques, 29; existe parfois
chez les peuplades civilisées, 29j
r — n'est pas primitive, 34.
Ardèche. Silex préhistoriaues des
grottes de Y —, 279; dolmens
e r —, 282.
Armes du Haut-Congo, 10; — des
Vaporais, 220.
Art des Goths en Occident. De
rinfluence de F —, 301.
Asie. Tombes musulmanes de V —,
277.
Ateliers préhistoriques de taille
du silex de Tenceinte de Lier*
court et d'Erondelle (Somme),
173; — quaternaire de taille de
grès à Presles*et-Boves (Aisne),
335.
Autriche. Natalité, nuptialité et
mortalité en —, 368.
Aveny (Eure). Silex trouvés à —,
422.
Aztèques. Anthropophagie chez les
—, 29.
Bankanais. Type et nonrriture des
—, 216 ; — sont les habitants les
plus paisibles de IaMaIaisie,220.
Basque. Étude anthropométrique
sur le peuple —, 722.
Bataks - Kuro . Renseignements
ethnographiques sur les —, 559.
Datons de commandement des Os-
tiaks de TObi, 368.
Battas. Sont anthropophages, 29.
Bec-de-lièvre simple, 535.
Bépuins. Sur les — et la religion
béguine, 785.
Belgique. Natalité et nuptialité en
-,368.
Berthenonville (Eure). Silex trouvés
à-, 422.
Bijoux trouvés dans la sépulture
de la reine Aah-Hotep, 88.
8i6
TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABÉTIQUE
Blancs, Importance politique de
rimion des nègres et des— , AÏS.
Honnafont, Sa mort, 418.
Boucheries de chair humaine. Lé-
gende des — , 553.
Bouddha. Office religieux bouddhi-
que célébré à Parie, 189.
Brahmanes. Vie des — , 194.
Bretagne, Monuments mégalithi-
ques de — , 131.
Breton. Délimitations de la lan-
gue bretonne dans le Morbihan
(1800-1 878), 313.
Bronze. Études paléo-archéologi-
ques sur l'âge du — en Gironde,
723.
Bttcoutwe. Inscription trouvée à—,
364.
Burrero (Venezuela). Crânes de —,
243.
Camp db César (Seine-Inférieure),
767.
Camp de Limbs (Seine-Inférieure),
767.
GéRAiiiQUB des Cordillères du Ve-
nezuela, 241.
Cérémonies funèbres chez les
Orangs-Koebocs, 3î.
Cemay-iès-Reims, Sépulture gau-
loise de — . 573.
Cerveau. Relations du poids et du
Tolume du — avec la capacité
crânienne chez l'homme. 16 ;
moulages de — de la Société
mutuelle d'autopsie, 65t.
Champignolles ^Oise). Silex et os-
sements d'animaux trouvés à—,
450.
Chancêlade, Recherches anthropo*
logiques sur le squelette quater-
naire de —, 724.
Charbonnières ( Saône - et - Loire) .
Silex robenhansiens de —, 765.
Charte de l'Ile d'Hœdic (Morbi-
han), 773.
Chasse chez les Ostiaks, 144; —
chez les Maporais, 219.
Chassey, Camp de —, 181.
Chalelet (Aisne). Fouilles de —.187.
Chelles. Des faux instruments de
silex de —, 852.
Chibchasi Dolichoeéphalie des crA-
nés —, 246.
Chienne. Ilegurgitation matemello
chez les —, 120.
Chitome. Grand fétiche au Congo,
262.
Cimetières superposés delà plaine
Saint-Manr, 23 ; — de Linas
(Seine-et-Oise), 657.
Ciry (Aisne). Instruments en silex
et en grès de —, 346.
Clan primitif se trouve à rorigine
de toutes les civilisations, 773.
Cœur. Dualité primitive do — , 749.
CoMMBRCB chezles Orangs-Koeboes,
29.
Conférence transformiste (Neu-
vième), 386.
Congo, Mode de ▼engeance chez
les peuplades de l'est du haut—,
11 ; armes du haut — , 11 ; révo-
lution religieuse au — , 259 ; fé-
tiches, 259.
Congrès anthropologique de Mos-
cou, 642.
Congrès ARCHÉOLOGiQUF. de France,
557.
CoNGR&s DB^ ORiBNTALtSTBS. Ses-
sion de Londres, 558.
Congrès international des auâ-
RiCANiSTBS. Session de 1892, 642.
Consanguinité. Effets de la — , 512,
513, 514; de la — ches les juifs,
556.
Conseil municipal de Paris. Com-
plément de son allocation pour
tes dépensescollectives de l'école,
do laboratoire et de la Société
d'anthropologie h rExposition
universelle de 1 889, 257.
Contes populaires. Le snroatarel
dans les —, 448.
Coppf^e9(Seine-et-Oise}. Silex néo-
lithiques recueillis à —, 422.
Costumes suédois dans rantiqnîté,
17.
Coup de poing en silex est Fanc^-
tre des|instrum en ts^en pierre, 1 29.
Couteaux de sagripice des peu-
plades de Test du haut Congo,
11; peuvent être des armes de
jet, il.
Craniolooib. Relations de la capa-
cité du crâne avec le poids et le
volume du cerveau chez l'homme,
16 ; crAnes i de la plaine Saint-
Maur, 2<; — du Morvan, 238;
— de Mucuchies et de Boirero
(Venezuela), 242, 348 ;— de Peahl,
de Touconleurs et de Mandin-
Eues, 864; — du cimetière de
inas. près Mootlhérj (Seine-et-
Oise), 668; — mérovingieu de
Thiré (Vendée), 699; — de fklù
speUfa, 24 ; — fossile de bovidé,
277.
Croissance. Reeberches anthropo-
métriques sur la —, 3*0, îfti.
Cuicas, indiens de Borrero, 944,
245.
DES MATIÈRES.
837
CuitLtRB trouvée en Bessarabie j8 4;
la — était inconnue des Romains,
84 ; — néolithique en terre cuite
provenant de la grotte Vermont,
13t; —à manche du camp de
Chassey et des habitations la-
custres, 131 ; —trouvée en Chine,
en Amérique, 184 ; — romaine,
carlovingienne des treizième et
dix-septième siècles, i8î ; —
kabvle, 133, 136, 138 ; —de Tlnde,
de chine, en pointe du Japon,
138, 136 ; — en argent du moyen
âge, 184;deCaranâa(Aisne),135;
— en pointe, de Perse, 137; —
de forme arrondie, en Suisse,
138 ; — emboîtées, provenant de
Bassora ou de Bombay, 190.
cultb des fontaines, 809.
Culte du phallus, 269.
Curare. Le — abolit la motilité,
non la sensibilité, 718
Curson (Drôme). Gisement de —,
351.
Cyclopie, 740,
Dahoméens. Photographies de — ,
647.
Danemark. Natalité et nuptialité
en — de 1878 à 1882, 368.
Danse chei les Ostiaks, 148.
Delehaye, Décès de M. —, 17;
legs de M. -, 254.
Disque. Des divinités hindoues, 142;
—percé en pierre de l'époque néo-
litniaue, 188 ; — percS en pierre
de Saint-Gervais-lus-Trois-Glo -
chers (Vienne), 138; — son usage
était sans doute un emblème ou
une arme de Jet, 140, 142; ou uu
bracelet, 140; ou un instrument
de musique, 141 ; — de la Non-
velle-Guinée, des Touaregs, 140 ;
— de TAfrique centrale, 141;
— racloir, nouveau type d'ins-
trument mouslérien. 564.
Doigts. Extrémités digitales surnu-
méraires, 535.
Dolmens de l'Ardèche, 282.
Dons à TÉcole d'anthropologie et à
la Société d'anthropologie (voyez
ces mots).
DouanS'Blanc (8eine-et-01se). Silex
de —, 648.
Dynamomètre maxillaire, 649.
Eaux. Régime des — à Tépoque
de la pierre polie, 810.
Ecole d anthropologie. Dons :
crflnee recueillis dans les ter-
rains de la plaine Saint-Maur,
2i : cuillère trouvée ëtl Bessa-
rabie, 84 ; crAnes du JMorvan,
238; poisson empaillé du genre
Chimère, 238 ; complément de
Tallocation du Conseil munici-
pal de Paris pour TExposition
universelle, 257 ; crâne de bo-
vidé, 277 ; fœtus humain recou-
vert galvaniquement d'une cou*
che de cuivre, 304 ; fémur humain
trouvé dans l'Oise, 503 ; fétiches
d'Angola^ 554 ; moulages de silex,
565 : objets préhistoriques du
Mysore (Inde), 650. — Cfours de
r— , 557.
Ecosse, Natalité et nuptialité en —
de 1878 à 1882, 868.
Egypte, Culte du dieu Set proscrit
en — au temps de la conquête
persane, 88 ; justice et tribunaux
dans l'ancienne —, 86.
Embryon. Constitution de T— , 736.
Enceinte druidique de Stonehenge,
558.
Envies. Origine des préjugés popu-
laires sur les —, 458.
Ëpagny (Aisne). Alignement d' —,
187.
Brondelle, Ateliers préhistoriques
d' —, 173 ; habitation néolithique
d' — , 178; instruments en silex
d' — , 175; instruments en os
d' —, 176 ; poteries d' —, 176.
Espagne, Natalité etnuptialité en —
de 1865 à 1870,368.
Espèce. Fixité de V —, 203 ; est le
résultat des deux facteurs de
révolution, la variabilité et la loi
de l'hérédité fixe, 203; modes
d'apparition des nouvelles —,
204 ; les — sont fixes, 211 ; des—,
732.
Esquimaux. Disparition des— ,427.
Eterpigny, Hache de l'époque néo-
lithique trouvée à —, 2oi.
Burop9, Accroissement de la popu-
lation dans les divers Etats de
r — , 36; natalité, nuptialité et
mortalité des divers pays de 1*—,
368.
Évolution. Le» facteurs de l' — ,
203 : interprétation de 1* — ,218 ;
de r— du germe fécondé, 784 ;
— normale et anormale des pou-
lets, 735.
Bvretix. Sur la taille dans Tarron-
dissement d'— , 729.
EXENCiPHALIES, 744.
Exercices physiques. Des —, 726.
ExoGAMiE. Bons résultats de T—
aux Indes, 514.
8^8
TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABÉTIQUE
Exposition des collections rappor-
tées de Madagascar par le doc-
teur C. Catat^214.
Frlis sPBLiEA. Cr&ne de —, 24.
Fétiches au Congo, 259; attribu-
tions des divers —, 263; consé-
cration d'un —,265; cornes—,
271; leur signiQcation, 271, 274.
Flèches empoisonnées du Sarro
(haut Niger), 706; — usitées chez
les Celtes et les Francs, 718.
FlinS'leS' Mur eaux (Seine-et-Oise).
Silex et ossements fossiles de—,
655.
Fort'Mardick (Nord). Répartition
en usufruit des hiens commu-
naux il —, 371.
Fouesnant (Finistère). Cession à
titre temporaire de landes in-
cultes en usage à —, 372.
Fourmis. Langage signalétique
chez les —, 664.
Français. Délimitation de lalangue
française dans le Morbihan (1800-
4878), 312.
France. Faible accroissement de la
population en —, 12; n'est pas
dû à rÉglise catholique, qui pres-
crit la plus grande propagation
de l'espèce humaine, 17; non-
restriction dans les mariages, 36;
influence de la religion sur Taug-
mentation de la population, 39;
influence du célibat religieux,
39; influence du partage des
biens, 41 ; mortalité dans les hô-
pitaux d'enfants à Paris, 1 1 1 ;
mortalité infantile plus faible
en — que dans les autres pays,
114; influence de Thygiène et de
l'assistance publique sur l'ac-
croissement de la population
en —, 77, 441 ; sur la natalité
en — , 144 ; le ralentissement de
l'accroissement a pour cause la
diminution volontaire de la na-
talité, 222, 229, 286, 385; impor-
tance de l'éducation pour le dé-
veloppement physique, 224, 227 ;
la question de la natalité est
d'ordre purement physiologique,
229 ; valeur réelle de la recherche
de la paternité sur le nombre
des naissances, 230, 296; opinion
contraire, 373 : impuissance des
réformes fiscales, 231 ; influence
des mesures restrictives, 283; di-
minution du coefficient d'accrois-
sement de la population depuis
le commencement du siècle, 284;
nécessité de rendre libre la dis-
position des biens, 289, 300, 372 ;
influence de l'instruction gratuite
à tous les degrés, 293, 299, 441;
influence de ralcooUsme, 295;
de la mortalité infantile, 295 ; de
la durée du service militaire,
296; modification de la loi des
successions, 293, 300 ; natalité,
nuptialité et mortalité de la —,
868 ; valeur des idées religieuses,
374 ; influence de la suppression
des couvents, 376; la stérilité,
l'abus du tabac, l'alcoolisme ne
sont pas les causes de la faible
natalité de la —, 378 ; les mala-
dies nonpius, 879; une meilleure
distribution des impôts est le
meilleur moyen d'augmenter l'ac-
croissement de la population,
384 ; du rôle de Téconomie so-
ciale dans la question de la dé-
population de la —, 425; l'aug-
mentation des biens communaux,
la réforme des impôts, la régle-
mentation du travail, régalité
des sexes, la suppression des ar-
mées, 441 ; le mobile de la dimi-
nution de la natalité en — est
Tamour de la propriété, 501; pro-
Sortion des enfants par famille
ans le Lot-et-Garonne, 42; po-
pulation juive en —, 547 ; popu-
lation de Lot-et-Garonne, dé-
mographie, 598; population de
Lillebonne, démog[raphie, 574.
Fi/^^i>7t«. Ethnographie aes— , 669.
Galibis. Procédés de fabrication de
la poterie par les femmes^ 681.
Ghataks ou marieurs^ profession
rétribuée aux Indes, 507.
Gironde. Etudes paléo-archéologi-
ques sur l'âge du bronze en —
723.
Goths. De l'influence de Tart des —
en Occident. 301.
Grossesse. Influence de rimagina-
tion de la mère pendant la —,
458.
Grottes de Vermont, 131 ; — de
la zone des Cordillères, 241;
— du Burrero, 243; — de TAr-
dèche, 279.
Guanches. Usage du langage sifflé
chez les —, 480.
Guarcmis appelés séfnHes améri"
cains, 249.
Habitations. Influence de Texiguité
des logements sur la mortalité
nies MATIblMES.
829
inlaiilil.', 114. Ils. i:>0; — néoli-
lliique d'Eronfiello, 17H: — cou-
:5trnit»^ néolithique de Neuvillc-
lcs-l)ieppe, 767 ; — des Maponiis,
"ilO; -- des Or.infçs-Koeboei?, 20.
IlK[.MiNTur.s desauthropoid*«s. 44:i.
ilKiŒDiTK fixe est un dos facteurs
de révolution, iO.'i ; inllnencede
licrrftios se servent «lu lan;^<i{4«*
H nié. 'i71.
Hindous, Du rôle du pied eomnic
organe préhensile chez les — ,
683; — sont monogames, sauf
en cas «le stérilité de la feniuu?.
511.
Hindoustan. Vêtement des petites
tilh's (Ih r — jusiiu'u huit ans,
86.
Homme. Relation du volume et du
poids du cerveau avec la capacité
iranienne, 10; l'apparition de
r— en Amérique ne peut être
admise, 250 : les ancêtres de l'-
ont vécu en Amérique, 251.
Hongrie. Natalité nt nuptialité en —
dé 1878 à 188:*, 368.
HÔPITAUX. Mortalité dans l»*rf -
des «'ufanls de Paris.lll.
Hygiknk. Influence de 1'--, 7i6.
Hypnotisme. De ia suggestion hy|)-
notique, 258.
Idoles trouvées «lans l»'s grottes
des Cordillères, tM.
Ile d'Hœdic (Morbihan i. Charte de
I' ^ 773^
lie Ténéri/J'e. Poteries de V —, 6.S-2.
//e-? Canaries. Langage sifflé aux —,
/|69; procédés primitifs de fabri-
cation de la pot«'rie aux — , 675.
Iles-les-ViUcno'/ (Seine-et-Marne).
Silex d' — , 673.
iLLKGiTiMiTi':. luflutîncc de P— sur
la mortalité, lUJ.
Imagination. lnflu«ince dtî V — de
la mère pendant la grossesse,
458.
Immersion de la statue d'un saint
eu Provence, 305, et dans leConi-
tat, 311, peut être une cérémonie
analogue au l)aptême, H 12.
Inca. Tète momifiée d'un — , 457.
fndfi. Relation* <ie 1'— avec TOcci-
dent sont bien antérieures an
troisième siècle de notre ère, 190 ;
mariage aux — , 505; Ghataks on
marieurs, 507; système des cas-
tes, 505 ; connaissance des mœurs
de r - en Occident a vaut l'ère
chrétienne, 554.
T. H (4" sêhik).
Iniucks crAniens et faciaux. Sur la
deuxième décimale dans les — ,
550.
Inschu'tion trouvée à Dragaesti
(nucovine\ 36'..
lNSTuuMnNT.s dc l'époque chcl-
léenne,,79. 83: — en silex trou-
vés à Krondelle (Somme), 175;
— en os, 176; — magdalénien en
os terminé par un crochet, arme
<Ie jet, 185;— néolithi(|ues de
.Montières. près Amiens. 274.
Irlande, Natalité et nuptialité en —
de 1878 à 1882, 368.
Italie, Natalité, nuptialité et mor-
talité en —, 368.
Jatiline.^ (Seine-et-Marne), 699.
Jtiifs. Sur la race juive et sa patho-
logie, 539 ; des types —, 542; il
n'y a pas de race juive pure, 545;
qualités des —, 547; population
des — en France, 547; consan-
guinité chez les —, 556.
Justice. La — dans l'ancienne
Egypte, 86.
Khétas. Le dieu Setchez les -, 123.
KopERNiCKi. Sa mort, 531.
Langage. Un point de la physiolo-
gie du —, 520 ; l'enseignement
du—, 523; part de la volonté
sur la mémoire des mots, .527;
le — sifflé aux lies Canaries, 469 ;
est de l'espagnol sifflé, 479: -•
des Guanches, 480; du —sifflé a
Paris, 517; — desMaporais,221 ;
— des Orangs-Koeboes, 26, 33 ;
- signalétique chez les fourmis,
664 ; — des abeilles, 668.
La Roche au Diable. Polissoir près
Nemours (Seine-et-Marne), 805.
Le Bac (Yonne). Amas de silex
du—, 802.
Leigné-les-Bois [\icuini) . Uïsqne ra-
cioir de —, 56î; âge des couches
mesvinienues de — , 640.
LèPRR chez certains juifs, 539 ; —
est une afl'ection parasitaire, 54 ! .
Lesches , Seine-et-Marne^. Silex des
époques chelléenne et mousté-
rienne, 671.
Les Pierri^res (Sein e-et- .Marne). Si-
lex des —, 802.
Les Varennes (Saùne-et-Loire). Si-
lex robenhausieus des --, 763.
Licourt. Silex taillés de —, 202.
Liercourt, Ateliers préhistoriques
de —, 173.
Lillebonne 'Seiae-Inférieurc'. Nuta-
53
830
TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABÉTIOt'K
lité de —, 574 ; population de —,
579, 582 ; sou origine, 5«0 ; mœurs,
590; habitations, 591 ; ignorance,
596; honnêteté, 598; démo-
ffraphie de —, 598 ; accroisse-
ment de la natalité. 604, 622;
nuptialité élevée, 607 ; mortalité,
609; fécondité, 616, 633 ; morbi-
dité, 610.
Limé {Âièue), luslrumeuts ou gns
et en silex de —, 345.
Linas, près Montlhéry (Seine-et-
Oise). Cimetière de —, 657.
Linguistique. Statistique de la dé-
limitation de la langue française
et de la langue bretonne dans le
département du Morbihan (IHOO-
1878), 3J2; langage sifflé au.\ iles
Canaries, 469; a Paris, 517; ma-
nuel de conversation en trente
langues, 56! ; langue des Mapo-
raiSyiil ; — des Orangs-Koeboes,
26, 83; — desOstiaks, 144.
Liturgie romaine et liturgie boud-
dhique, 190.
Lot-et-Garonne (France). Natalitt'*
dans le département de —, 42;
les parties les plus riches du —
ont moins d'eniauts que les par-
ties pauvres, 74.
Lunain, Stations et ateliers de po-
lissage de la vallée du —, 801.
Mains. Doigts des — des pianistes,
688; — des enfants, 088, 692.
Malformations congénitales mul-
tiples et non héréditaires, 535 ;
extrémités digitales surnumé-
raires, 535 ; bec-de-lièvre simple,
537; — du pavillon de l'oreille,
568 ; — de la poitrine (thorax en
entonnoir), 818.
Mamelle surnuméraire crurale
chez une femme do Bordeaux,
757.
Mapor{i\e de Banka), 215.
Maporais seraient les descendants
de réqui{)age d'une jonque co-
chinchinoise,2i5; type des— ,216;
nourriture des— ,216; sont peu
sensibles à la douleur physique,
216; ont le sens olfactif peu dé-
veloppé, 217 ; vêtements, ne con-
naissent pas la danse, aiment
leurs enfants, ont le respect des
vieillards, ne paraissent pns
avoir de culte religieux, ont une
certaine idée d'un génie bien-
faisant ou malfaisant, 217; les^
n'ont qu'une femme, et procè-
dent par l'enlèvement, 218; ils
mangent du porc et sont poor
cela méprisés; ils ue connaissent
que la chasse, la pèche et la cul-
ture des ladaugs (rizières nou
irrigables', 219; armes des — ,
220; habitations, meubles des—,
220; langue numérotée des —,
221.
Mariage aux Indes, 505; — f>ar
achat chez les Ostiaks. 145: —
chez les Orangs-Koeboes, 30.
Maternitâs-ouvroirs (Des). 117.
xMbnuir de Doingt, SOI, 301.
MésATicéPRALiE ne constitue pas
une race spéciale, mais le mé-
lange de deux types, 210.
Miubux. Influence des —, 205;
uniformité des —, î07.
Mirabeau. Masque de — , 756.
Mœurs. Connaissance des — de
rinde en Occident avant l'ère
chrétienne^ 554; — des Orangs-
Koeboes, 35; <-* des Maporais, 215.
Monogamie chez les Hindous, 511;
sauf en cas de stérilité de la
femme, 511.
Mons. Disques de la plaine de »,
560.
Monstruosités. Production artifi-
cielle des —, 741 ; sont des dé-
viations du type spécifique, 738;
procédés pour produire les --,
735.
Montières (Somme). Instruments
néolithiques de — , 275.
Mont' Notre- Dame (Aisne). Dépôt
quaternaire de —, 79; instru-
ments en pierre de l'époque cîiol-
léenne, 79, 83; instruments en
grès et en silex de — , 344.
Mont-Roly (Eure). Disques racloirs
trouvés à —, 564.
Montreuil-suv-Epte (Seine-et-Oise,.
Silex néolithiques recueillis à—,
422 ; silex de — . 649.
Monuments néolithiques de Bre-
tagne. Dessins de — , 131 ; — mé-
galithiques : circulaire du minis-
tre des travaux publics, pour
empêcher leur destruction, 41s:
— mégalithique de Stoneh»nige,
558.
•Mortalité des plus grands pays
de l'Europe, 368; — des popu-
lations ouvrières d»*8 fabriques
supérieure à celle des ouvriers
travaillant à douiicile, <î,i'J.
Mo^Tan. CrAnes du - , 23».
Mucuchies. Crâne trouvé à — , 241 ;
Indiens précolombiens. 244,24.5;
•lolicliocéphalie des crÀnes, 24t;.'
DES MATIKRES.
831
Muscles présternaux, 130; — épi-
trochléo "cpAuien, 134; existe chez
lin grand nombre d'animaux,
104; unomoiics du — couturi<'r
ou variétés, 79i. sOl; anatomie
comparée du — couturier, 797.
Mysore (Inde). Objets préhistori-
ques du—, 650.
Natalité des divers pays de l'Eu-
rope, 3t)8.
Néchologie. mm. Delehaye, 17; Bon-
nafout, 418; Kopcruicki, SlU.
Nègres. Impoitance politique de
l'union des — et des blaucs, 418.
NeuvilMeS'Dieppe. Habitation con-
struito néolithique de —, 706.
Sorvèf/e. Natalité et nuptialité eu
— lie t87.S à 188i, 368.
Nubilité. Fête en usage chez les
Hindous, 511.
Nuptialité des divers pays «le
l'Europe, 3Ȕ8.
Ompiialockphalks, 748.
Orangs-Gougous, i3; langue, sys-
tème pileux «les —, 26.
Orangs-Koehaes ou Orangs-Koubous
25 ; langue des —, 26, 33 : outils
en pierre des — , 27; armes eu
fer des — , 27, 31 ; commerce, par
échanjçe, usité chez les — , 28;
type des — , 28 ; habitations de?»
—, 29; vêtements, nourriture,
mariaîje des—, 30, 31; adultère,
éducation d»'s enfants, idées re-
ligieuses, 31 : cérémonies funè-
bres, 32; maladies. 32, 33 ; leur
origine, 33 ; taille des —, 28, 35.
Oreille. .Malformations du pavil-
lon de r— , 508, 372.
Orgemont (Butte d*)(Seine-et-Oise),
149; ossemfnt-» quaternaires de
la -, 149.
Ossements quaternaires delà butte
d Orgemont (Seiue-et-Oise], 149;
— d«^ l'époque mérovingienne,
des sépultures d'Andresy (Seine-
et-Oise, 276; — fossiles* trouvés
à Flins-les-Mureaux, 633; — hu-
mains trouvés à Saint-Quay, près
Portroux ^CAtes-du-Nord), 695.
O^^ioA-^ (Sibérie). Disparition des — ,
427 ; — de l'Obi, bAtoiis de com-
mandement des —, 363; — de
rOural et de l'Obi, 144; langue
différente des —, 144; propriété,
chasse, pèche, mariage par achat
chez l«'s —, 14 4; danse des — ,
145; tombes des —, 143; atte-
lage d»*s rennes, 1 45.
Papier. Spécimen de — indieD,
86.
Paris. Mortalité dans les hôpitaux
«renfauts à - > 11 1 ; langage sifflé
à —, 517.
Patines. Utilité de l'étude des —,
353, 359.
Pays-Bas. Natalité et nuptialité
(ians les —, 368.
Pi-'iCHE. De la — chez les Ostiaks,
143; — chi'z les .Maporais, J19.
Pied. Rôle du ^ comme organe
préhensiii> chez les Hindous et les
Européens, 683, 689* disposi-
tion anatomiqne spéciale au—,
684; souplesse du — chez les en-
fants, 68G, 688 ; orteil écarté du
— chez les Singhalais, Chinois,
Annamites et antres^ 686. 691 ;
le - des hommes civilisés est
déformé par la chaussure : moyen
d'éviter ces inconvénients, 687;
orteil du — des singes, 688.
Pierre de Gargantua, 201. (V.
.Menhir de Doingt.
Poison de flèches empoisonnées en
usage au Sarro (haut Niger), 706;
est un extrait de strophantus on
de plante de cette espèce, 716;
détermination du — des flèches
du Sarro (haut Niger), 706.
Poitrine. Malformation de la —
(thorax en entonnoir), 318; n'est
pas due au rachitisme, 328 ; opi*
nion contraire, 334 : déformation
de la — chez les tailleurs d'habits
et les cordonniers, 329.
Pôles. Déplacement cycliqae des
—, 252.
PoLissoiRS néolithiques de la vallée
du Lu nain. 805.
Pommiers (Aisne). Fouilles de ~
187 ; renferme bien renceinte de
Noviodusiuiu, 187.
PontUvoy (Loir-et-Cher). Mélange
de silex de formes différentes, est
un mélange accidentel, 851.
Population. Accroissement de la —
dans les divers pays de l'Europe,
36.
Poterie. Procédés primitifs de fa-
brication de la — aux lies Cana-
ries, 675; cette fabrication est
fait<^ par les femmes. 677; pro-
cédés des femmes galinis, 681 ; ~
i\v l'Ile Ténériffe, 682 ; — trouvées
à Erondelle 'Somme), 176 ; —
gauloises de Saint-Thomas (Ais-
ne), 177.
Poulets. Conditions de l'évolution
anormale des —, 785.
8ai
TABLE AXALYTIOITE ET ALTHABETIôirE
pRKJUOés POPULAIRES. Urigio»-- d»r=>
— ?iir le» eu vif:?', i5*.
p r en Ui-el' Bores Aisne. Atelier qua-
ternaire de taille de grès à—, 3^5.
Priiue, Natalité, nuptialité et mor-
talité en —, 36«.
Puits préhistorique? d'extraction
du silex à ChampignoUes (Oise),
450, 452.
Quiévy, près Solesme? ;Nord , 15K.
Race<. Ne ?ont que des produit.-:
arlificieU, iud: ne sont pas des
eftpéces en voie de formation, 211.
RÉGuiiGiTATioN maternelle chez les
chiennes, 120.
Religion. Idées religieuses des
Orangs-Koeboes, i\ ; la — catho-
lique prêche la non-restriction
de» enfants, 36 ; office religieux
bouddhique célébré à Paris, 183;
évolution religieuse au Congo,
259: la — béguine, 785.
Bomains. Ne connaissaient ni la
cuillère ni la fourchette, mais le
couteau avec un godet, 84.
Hu^tie. Natalité et nuptialité en —
de i867 à 1878, 368.
Sacrifices humains. Trace de — à
une époque relativement peu an-
cienne eu Suède, 17.
Sacrum d'un décapité, 419.
Saint ' Aithin - Jouxte - Boul/enf/
(Seine-Inférieure), station préhis-
torique de —, 303.
Saint (J lui y prés PorLrieux (Côles-
du-Nord;. Silex et ossements
humains trouvés à - , 695.
Saint-Cliristojihe (Vienne). Disque
en pierre de —, 138.
Saint-Dizier (Drômej. Ville bâtie
sur une nécropole de l'époque
larnaudienue. 532.
Saint - Go'vais-les - Trois - Clochers
^Vienne). 'Uisnue eu pierre de l'é-
poque néolitliique trouvé à —,
J38.
Saint-Maur. Cimetières superposés
de la plaine --, 23.
Snint-T/iomas fAisne). Fouilles de
—, 187; poteries gauloises de — ,
177.
Saint - Vallirr (A Ipes - Maritimes) .
Histoire de —, i)43.
Saiifs-de-ltéarn. Silex de —, 651.
Sahcopiiagks de Linas, prés Mont-
lliéry fSeiiie-ei-f)ise), (;:i7.
Sarro (liant Nig«M). Flèches emj)oi-
ï^onnées du —, 707.
chelléen d-? — , 759.
Sépulture de la rein^e^ A4b-H«:*(rp.
inventaire des bijo**x îî»aTr*
dans la ^ , %< : — -l'AiiirrfT
Seine-et-Oi*^'. ?T6 : — pïmi^^ae*
de ia Tunisie, 4»>7; — exiiioist
de Cemay-lès-Reints, 57*.
Set. Image du dirra — niû-iifirr-.
85 ; le cultf de — proscrit rn
Egypte an temps de la oon-^aêl?
persan»*, 85 ; — t-st 1 txpress.oo
du mal. tii: ciilt*» de — dans
l'ancieune Egypte, 122, lîT ; —
mauvais diabl»; en Egypte devenu
bouchez les K hélas. tÎ3 : le mvthe
de — relève de la lé^zeuiJe à'^Hï-
ris, 127.
Silex taillé de Quiévy, prés Soit-s-
mes (Nord,, liS: — s^ tenaient
à la main. d'antr<:s. non li9;
ateliers de taille de — de IVn-
ceinte deLiercourl et d'Erondelle
(Somme}, 173 ; — taillés de Li-
court. de Villers-Carboonel et
d'Eterpiçny, 20i ; — préhisto-
riques des grottes de FArdè-
che, 2T9 ; — de Saint-Aubin-
Jouxle-Boulleng (Seine-Inférieu-
re), 303 ; — des gisements qua-
ternaires de Mont-Notre-Dame,
Limé et Ciry (Aisne'. 3 43; — trou-
vés dans les dépôts chelléens. ne
sont que des exceptions, 358 ; —
retaillés d'un seul côté, sont de
simples déchets de fabrication,
355 ; les formes des instruments
eu — se trouvent associés à tous
les niveaux et ne peuvent dis-
tinguer des époques et opinion
contraire, 357. 36i ; les — de
l'époque néolithique recueillis à
Berlbenouville et Aveny {Eure;,
et dans diverses localités de
Seine-et-Oise, 4ii
trouvés
dans la sépulture gîiuloise de
Cernay-lès-Reims. 573 ; — trou-
vés à 'Champignolles(Oise}, 450 ;
— néolithiques de Seine-et-Oise,
048 ; — du Mysore (Inde). 650 ;
— de Salies-de-Béarn, 651 ; —
trouvés à Flius-les-Mureaux, 655;
— de Lesches (Seine-et-Marne),
671 ; — d'Iles-lès-Villenoy (Seine-
et-Marne), 67£;— trouvés à Saiut-
Quay près Portrieux (Cùtes-du-
Nord), 695; — deCoupray (Seine-
et-Marne), 699 ; — de la Séué-
tière en Maçonnais. 759 ; — nious-
tériens du bois de la lloche a
Verchizeuil, 763 ; - robenUau-
DES MATIKRES.
833
siens des Varonnos, 7t;3 ; - do
Charbonuièrey, 7t»5; — du Bac
(Yonne), 80i; — des Pic^rrières
(Seine-et-Marne), Soi;— trouvés
à Neuville-lès-Dieppe, 771 ; sur
les retouches d'un —, 504.
SiN<îES. Pied des —, (iSs.
Sioux. Disparition des — , 427.
SOCIÊTK d'anthropologie DE PaIUS.
statuts, 1 ; règlement, v ; règle-
ment du prix (jrodard, xv ; rapport
sur le concours du prix Godard,
721 ; règlr-ment du prix Broca,
XVI ; règlement du prix Bertdlon,
XVII ; liste générale des prési-
dents de la — , xviii ; secrétiire
général de 1851) à ISSU, Bureau
de 1891, xviii ; comité central,
anciens présidents membres du
comité, commission de publica-
tion, comité contentieux, xix ;
liste des membres de la — ; mem-
bres honoraires, membres titu-
laires, XX ; membres titulaires
résidants à l'étranger et dans les
départements autres que ceux
de Seine et Seiue-et-Oise, xxxi ;
membres associés étrangers ,
XXXVI ; correspondants nationaux
xxxix ; correspondants étraii-
{lers, xLi ; Sociétés savantes avec
lesipielles la — échange directe-
ment ses publications, xlvi ;
échange par l'intermédiaire du
ministère de l'instruction publi-
que, xLviii ; installation du bu-
reau de 1891, 1 ; élections de
M.M. (iiirnier, 10 ; A. Ponchon,
79 : Charles du Pasquier, 149 ;
K. Roux, BérengerFérnud, 385 ;
Carlier, 425 ; Schleicher, 4C9 ;
Mme Eugène Véron, M.M. Novi-
kotr, Albert Endes, 75 (membres
titulaires); de MM. Ramadier et
Sérieux , 385 (correspondants
nationaux] ; de MM. S. Tremlett,
Léo Stanton-Rowe, 1 49 ; (J. Bus-
chan, 503 (corresjKmdants étran-
gers).Neuvième conférence trans-
formiste, 3Sfî ; huitième confé-
rence Broca, 730 ; élection du
bureau de lS9i et de la commis-
sion de publication, 697 ; rapport
sur les finances de la — ,20; com-
mission des finances, 25; rapport
de la commission, 142; commis-
sion des échanges. 17 ; commis-
sion des collections, des archives
et de la bibliothèque, 25; rapport
de la commission de l'inventaire,
198; legs fait à la — ,parM. Dele-
haye, 254 ; complément de l'allo-
cation du conseil uninicipal de
Paris pour TExposition univer-
selle de 1889, 257. Dons : objet»
provenant du Vjaiezuela, 238 ;
ossements des sépultures d'An-
dresy, 270 ; six crdnes, de Maure,
de p. uhl, de Toucouleurs et de
Mandingues, 364 ; moulage de
malformations du pavillon de
l'oreille, 563 ; photographies de
Dahoméens, 6^; album de pho-
tographies concernant la Malai-
sie, rindo-Chine et la côte du .Ma-
labar, (»'i8; parcdle de terre
contenant une allée couverte,
669 ; — crAne mérovingien, 699;
— squelette d'Accrécn, 701; série
de pièces de céramique, objets
en silex et en bronze, trouvés en
Russie, 759.
Société d'études philosophiques et
sociales, 534.
Société mutuelle (Vautopsie^ 651.
Spina hifida, 738,
Squelktte d'Accréen, 702; — qua-
ternaire de Chancelade, recher^
ches anthropologiques sur le —,
724.
Statues primitives de rAveyron et
de l'Hérault, 516.
Stehnum. .Malformation du— (tho-
rax en entonnoir), 318, 343.
Stonehenge. Enceinte druidique de
m. •• 4»
— , ooo.
Strychnos. Sert à empoisonner les
flèches à la Guyane, 755.
Suède. Trace de sacrifices humains
à une époque relativement peu
ancienne en — , 17; natalité et
nuptialité en— de 1878 à 1882,
368.
Suédois. Costumes — dans l'anti-
(juité, 17 ; couteaux des matelots
— ont la môme forme que les
couteaux antiques, 17.
Suisse. Natalité et nuptialité en —
de 1878 à 1882, 368.
Sumatra (Ile de). Ethnographie
de —, 559.
Système nerveux. Loi de position
des centres nerveux, 256,
Taille. Détermination de la —
d'après les os longs des mem-
bres, 221 ; sur la— dans l'arron-
dissement d'Evreux, 720 ; —
des Orangs-Koeboes, 28, 35.
Tauhach (près Weimar). Silex re-
taillés mélangés avec des débris
d'animaux : l'éléphant antique
834 TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
et le rhinocôros de Merck, 351.
Température. Changement» de —,
533.
Tinài/fe (Ile). Poteries de l'-,682.
TÊRATOGÉNiE (la) expérimentale,
731.
Tête momifiée d'un Inca (Pérou>,
457.
rAiW (Vendée). CrAne mérovingien
de —, «99.
Thorax. Dn — en entonnoir (mal-
formation), 318.
Tigery (Seine-et-Oise). Silex de—,
649.
Titnotes, â44, â45 ; dolichocéphalic
des cnines— , ï47.
Tombeaux. Jugement des violateurs
de — dans I ancienne Kg^'ple.l'i;
tombes musulmanes <lè l'Asii',
i77.
Transformisme. Les transforma-
tions du règne végétal, 386.
Tribunaux dauslaucienne Egypte,
86.
Tunisie, Sépultures puniques de la
-, 469.
Tijpe. Du — spécifique, 732; la dé-
viation du — spécifique devient
la monstruosité, 732.
Variabiutè de la matière vivaotr-.
205 ; qu'est-ce que la — ? 782 ; —
est un des facteurs de révointiou,
203.
Variétés et races ne sont que de?
espèces en voie de formation,
205 ; origine des —, 732 : rom-
meut elles devinrent le poiutde
départ des races, 732.
Vtneztieia . Ethnographi*.^ précolom-
bienne du — , tiH; plaques de
parure, 239 ; céramique et idoles,
241.
Verchezeuil (SaAue-et-Loire). Silex
moustériens de — , 763.
Vermont (Grotte de), 131.
Vêtement des petites fillf s de l'Hîn-
doustun an-dessons de huit aué.
8G; — des Maponiis, 217; - d-?
OrangS'Koeboes, 30.
ViciiNOU. Statuette de —, 254,
ViiierS'Carhonnei (Sonimt*). Silex
de— ,202.
Ymare, Dolmen d* — , 304.
WouMRRA (d'Australie) pour lan-
cer les sagaies, 197.
PA-.IS. — TYPOGRAPIIIF A IIFNNUYFR, nVF DATîCFT, 7.
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3 9016 03108 8886
1994
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