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Full text of "Bulletin de la Société d'archéologie, sciences, lettres et arts du département de Seine-et-Marne"

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BULLETIN 


DE  LA 


SOCIÉTÉ   D'ARCHÉOLOGIE 

SCIENCES,  LETTRES  ET  ARTS 
DU    DÉPARTEMENT    DE    SEINE-ET-MARNE. 


A  Meaux,  chez  liE  BliOIVDEIi,  libraire  de  la  Société. 


A  Paris,  chez  Auguste  AUBRY,  16,  rue  Dauphine. 


A  Melun,  chez  M""^  V<=  THUVIEN,  libraire. 

A  CouLOMMiERS,  chcz  BRODARD,  libraire. 

A  Fontainebleau,  chez  LACODRE,  libraire. 

A  Provins,  chez  LE  HÉRICIIÉ,  imprimeur-libraire. 


BULLETIN 


DE   LA 


SOCIÉTÉ  D'ARCHÉOLOGIE 


■,-;-^'&  Kê^^ch 


SCIENCES,  LETTRES  ET  ARTS 

DU  DÉPARTEiMENT  DE  SEINE-ET-MARNE 

Fondée  à  MELUN,  le  16  mai  1864 


TROISIEME     AIVIVEE 


COf 


MEAUX 


TYPOGRAPHIE    DE   J.    CARRO 

l.tlIPniMBlJR      DU      BlILLETlrV      OU      LA      KOl'IRTK 


1866 


SOCIETE   D'ARCHÉOLOGIE 

SCIENCES,  LETTRES  ET  ARTS  DU  DÉPARTEMENT  DE  SEINE-ET-MARNE 


COMPOSITION  DES  BUREAUX  POUR  1866  ET  1867. 


BUREAU  CENTRAL. 

Présid'  de  la  Société  :  M.  Ad.  Le  Doulcet  M''  de  Pontécoulant. 
Vice-Président  de  la  Société  :  M.  A.  Carro. 
Vice-Président  honoraire  :  M.  F.  Bourquelot. 
Secrétaire-général  :  M.  Th.  Lhuillier. 
Trésorier  général  :  M.  Courtois. 
Archiviste  de  la  Société  :  M.  Lemaire. 

COMITÉ    CENTRAL 

{Composé  de  MM.  les  Présidents  et  des  délégués  des  Sections,  il  se  réunit  sur  la 
convocation  du  Président  toutes  les  fois  que  le  besoin  l'exige) 

MEMBRES   DU    COMITÉ. 

MM.  Ad.  Le  Doulcet  M''  de  Pontécoulant.  —  A.  Carro.  — 
A.  Dauvergne. —  J.  David. —  LeV'-''  de  Ponton  d'Amécourt. 

—  F.  Lajoye.  —  Le  C"  B.  d'Hargourt.  —  Courtois.  —  Le- 
maire. —  Lhuillier.  —  Bavard.  — Thibault.  —  de  Colombel. 

—  PoYEz.  —  F.  Bourquelot. 

COMMISSION    DES    FINANCES 

{Réunion  semestrielle  au  domicile  du  Trésorier  général) 

MM.  Eymard.  —  Cauthion.  —  de  Corny. 

COMMISSION    DU    BULLETIN 

MM.  le  G"'  de  Champagny.  —  Brunet  de  Presle.  —  Le  V'^  de 
Ponton  d'Amécourt.  —  Le  C"=  de  Fontaine  de  Resbecq.  — 
Le  C'°  de  Circourt. 


—   VI 


BUREAUX  DES  SECTIONS. 

SECTION    DE   COULOMMIERS 

(Réunion  trimestrielle   de  la  Section,  sur   convocation  de  son  Président). 

Président:  M.Anatole  Dauvergne.  —  Vice-Président:  M.  Prê- 
chez. —  Délégué  :  M.  A.  Bayard.  —  1" Secrétaire-Trésorier  : 
M.  F.  Ogier  de  Baulny.  —  2'  Secrétaire  :  M.  P.  Lefèvre. 

SECTION   DE    FONTAINEBLEAU 

{La  Section  se  réunit  mensuellement  le  dernier  lundi  du  mois.) 

Président:  M.  J.  David.  —  1" Vice-Président  :  M.  A.  Tabouret. 
—  2"  Vice-Président  :  M.  Gauthion.  —  Délégué  :  M.  Thibault. 
1"  Secrétaire  :  M.  Gaultron.  —  2*  Secrétaire  :  M.  Maxime 
Beauvillers.  —  Archiviste  :  M.  Ghennevière.  —  Tréso- 
rier :  N. 

SECTION    DE    MEAUX 

{Réunion  tous  les  deux  mois,  le  premier  lundi  du  mois) 

Président  :  M.  le  V'^  de  Ponton  d'Amécourt.  —  Vice-Président  : 
M.  l'abbé  Denis.  —  Délégué  :  M.  de  Golombel.  —  Secrétaire  : 
M.  l'abbé  Petithomme.  —  Archiviste  :  M.  Lefebvre-Thié- 
bault.  —  Trésorier  :  M.  Le  Blondel. 

SECTION    DE    MELUN 

{Réunion  mensuelle,  le  premier  dimanche  de  chaque  mois) 

Président  :  M.  F.  Lajoye.  —  Vice-Président  :  M.  Labiche.  — 
Délégué  :  M.  Poyez.  —  1"  Secrétaire  :  M.  G.  Leroy.  — 2°  Se- 
crétaire :  M.  Lhuillier. —  Trésorier  :  M.  Gourtois. 

SECTION    DE    PROVINS 

{Réunion  tous   les  trois  mois,  sur  convocation  de  son  Président) 

Président  :  M.  le  G'"  B.  d'Harcourt.  —  Vice-Président  :  M.  J. 
Michelin.  —  Délégué:  M.  F.  Bourquelot.  — Archivislc- 
Gonservateur  :  M.  E.  Bourquelot.  —  Secrétaire-Trésorier  : 
M.  Aug.  Lenoir. 


—   VII   — 


LISTE    ALPHABÉTIQUE 


DES 


MEMRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  D'ARCHÉOLOGIE 

SCIENCES,    LETTRES   ET   AUTS. 


Messieurs  (1) 

F  Armaillé  (comte  d'),  propriétaire,  au  château  de  La  Rivière, 
commune  de  Thomery;  à  Paris,  rue  de  la  Pépinière,  104. 

P      Arnoul  (Auguste),  propriétaire,  à  Maison-Rouge. 

M     Auberge  (Victor),  propriétaire,  h  Melun. 

M  Aude,  conseiller  d'arrondissement,  maire,  à  Chaumes,  ou  à 
Paris,  rue  Duphot,  15. 

Mx  Avène  de  Fontaine  (baron  d'),  maire  de  Yillemareuil,  pré- 
sident de  la  Société  d'horticulture  de  Meaux,  au  château 
de  Brinches,  par  Trilport  (Seine-et-Marne);  à  Paris,  rue 
Notre-Dame-de-Grâce,  5. 

G  Avène  de  Fontaine  (le  vicomte  d')  propriétaire,  à  Gou- 
lommiers. 

M  Ballu,  docteur  en  médecine,  secrétaire  de  la  Société  d'agri- 
culture, à  Melun. 

M     Bancel  fils,  docteur  en  médecine,  à  Melun. 

G  Barbier  (L.),  conservateur  et  administrateur  de  la  Bi- 
bliothèque du  Louvre,  à  Paris,  boulevard  Saint-Michel,  95. 

F    'Bardot,  chef  d'institution,  à  Nemours. 

M  Bareiller  (P.),  propriétaire,  ù,  Boissise-le-Roi,  par  Pon- 
thierry. 

Mx  Barigny  (Arsène),  architecte,  à  Meaux. 

F  Baude,  propriétaire,  à  Fontainebleau,  et  à  Paris,  15,  place 
de  la  Madeleine. 

G      Baulny  (Fernand  Ogier  de),  propriétaire,  à  Coulommiers. 

G  Baulny  (Gaston  Ogier  de),  propriétaire,  h  Coulommiers,  et 
à  Paris,  rue  Gasimir-Périer,  2. 

(1)  Les  lettres  qui  précédent  les   noms   indiquent   les  sections  dont  les  membres 
font  partie.  G,  Coulommiers;  F,  Fontainebleau;  Mx,  Meaui;  M,  Melun;  P,  Provins. 


—   VIII   — 

G  Bayard  (Adolphe),  maire  de  Maisoncelles,  par  Grécy  (Seine- 
et-Marne),  et  h  Paris,  rue  Neuve-des-Mathurins,  108. 

M  Beauverger  (le  baron  de),  député  de  Seine-et-Marne  au 
Corps  législatif,  membre  du  Conseil  général,  à  Chevry- 
Cossigny,  par  Brie-Comte-Robert  (Seine-et-Marne),  et  à 
Paris,  rue  Saint-Georges,  "2  bis. 

F  Beauvillieus  (Maxime),  membre  de  plusieurs  Sociétés  sa- 
vantes, à  Fontainebleau. 

Mx  Bécheret,  curé  de  Monthyon,  par  Meaux. 

F  Bellom,  ingénieur  des  ponts  et  chaussées  et  conseiller  mu- 
nicipal, à  Fontainebleau. 

M  Bernardin  (Camille),  secrétaire-général  des  Sociétés  d'horti- 
culture de  Goulommiers,  Melun-Fontainebleau,  avocat,  h 
Brie-Comte-Robert. 

M  Béthisy  (marquis  de),  ancien  pair  de  France,  maire  de 
Mormant,  rue  de  l'Université,  53,  à  Paris,  et  au  château 
de  Bressoy,  par  Mormant  (Seine-et-Marne). 

P.  Béville  (le  général  baron  Yvelin  de),  aide-de-camp  de 
l'Empereur  ,  membre  du  Conseil  général  de  Seine-et- 
Marne,  à  Cerneux  et  à  Paris,  rue  de  la  Pépinière,  73. 

P      Blanc,  notaire,  maire  de  Bray-sur-Seine. 

Mx  Blavette  (de),  au  château  de  Montceaux,  par  Trilport,  et  ù 
Paris,  32,  rue  Bellechasse. 

F  Blondeau,  notaire,  membre  du  conseil  d'arrondissement,  à 
Voulx,  canton  de  Lorroz-Ie-Bocage. 

M  Blot,  artiste  sculpteur,  membre  de  plusieurs  Sociétés  sa- 
vantes, à  Boulogne-sur-Mer  (Pas-de-Calais). 

P  BoBY  de  la  Chapelle,  ancien  préfet,  membre  du  Conseil 
général,  fi  Provins. 

M  Bonnel'il  (le  comte  de),  membre  de  la  Société  française  d'Ar- 
chéologie, au  château  de  Montjay,  commune  de  Bombon, 
par  Mormant  et  à  Paris,  rue  SainL-Guillaume,  3J. 

G  Bouilli':  (le  comte  de),  propriétaire,  au  château  de  Uam- 
martin-sur-Tigeaux,  par  Mortcerf. 

F      BouiLLY,  juge  d'instruction,  à  Fontainebleau. 

P      BouRGEAT,  avoué  honoraire,  maire  de  Provins. 

Mx  Bourgeois,  h  La  Ferté-sous-.Jouarro. 

F      Bourges  (Ernest),  imprimeur,  à  Fontainebleau. 

P  BouHQUELOT  (  Félix  ) ,  professeur  h  l'École  des  Chartes, 
membre  do  la  Société  des  Antiquaires  de  France,  membre 
du  Comité  des  travaux  historiques  et  des  Sociétés  savantes 


—    IX   — 

au  ministère  de  l'instruction  publique;  h  Paris,  rue  du 
Helder,  12,  et  à  Provins. 

P  BouRQUELOT  (Emile),  adjoint  au  maire  et  bibliothécaire  de 
la  ville,  à  Provins. 

F  Bouthillier-Chavigny  (V^  de),  président  du  tribunal  de 
Fontainebleau. 

P      Breville  (Onfroy  de),  sous-préfet  à  Provins. 

G  Bruère,  ingénieur  civil,  à  Goulommiers,  et  à  Signy-le-Grand 
(Ardennes). 

P  Brl'net  de  Presle,  membre  de  l'Institut,  professeur  à 
l'École  des  Langues  orientales,  à  Paris,  rue  des  Saints- 
Pères,  61,  et  à  Parouzeau,  commune  de  Vimpelles,  par 
Donncmarie  (Seine-et-Marne). 

Mx  Burdel,  ancien  notaire,  à  Lagny. 

P      Burin,  instituteur,  à  Saint-Just,  par  Nangis. 

G  Garbonnier,  Juge  d'instruction  h  Goulommiers  et  proprié- 
taire, au  château  du  Rû  à  Aulnoy. 

Mx  Garro  (A.),  bibliothécaire  de  la  ville  de  Meaux,  corres- 
pondant du  ministère  de  l'instruction  publique  pour  les 
travaux  historiques  et  de  la  Société  des  Antiquaires  de 
France,  à  Meaux. 

Mx  Garro  (Jules),  imprimeur,  à  Meaux. 

P      Gattet,  propriétaire,  à  Provins. 

F      Gauthion,  avoué,  adjoint  au  maire,  à  Fontainebleau. 

Mx  Gavé,  propriétaire,  au  château  de  Gondé-Sainte-Libiaire,  par 
Gouilly. 

P  Gave  (Honoré),  fondé  de  pouvoirs  de  la  Recette  particulière 
de  Provins. 

Mx  Gère  (P.),  ancien  préfet,  directeur  de  la  colonie  de  Mon- 
tevrain,  à  Montevrain,  par  Lagny;  à  Paris,  rue  de  Riche- 
lieu, 79. 

M  Ghampagny  (le  comte  de),  à  Trois-Moulins,  par  Melun,  et  à 
Paris,  rue  Saint-Dominique,  46. 

M  Ghapu  (Henri),  artiste  sculpteur,  1"  grand  Prix  de  Rome, 
à  Paris,  rue  Saint-Germain-des-Prés,  13. 

G  Charnacé  (baron  Paul  de),  conseiller  à  la  Gour  impériale  de 
Paris,  rueGharles  V,  15,  et  au  château  d' Aulnoy,  par  Gou- 
lommiers. 

Mx  Charriou,  instituteur,  à  Monthyon. 

Mx  Chasles  (Philarète),  professeur  au  Collège  de  France,  à 
Isles-les-Villenoy;  à  Paris,  à  la  bibliothèque  Mazarine. 


—   X   — 

P      Chaubard,  docteur  en  médecine,  président  de  l'Association 
médicale  de  l'arrondissement  de  Provins,  à  Donnemarie. 

C      Chemin,  maire,  à  Saints,  par  Coulommiers. 

F      Chexnevière,  bibliothécaire  de  la  ville,  h  Fontainebleau. 

Mx  GiNOT  (Amynthe),  propriétaire,  au  Faubourg,  commune  de 
Saint-Martin-les-Voulangis,  par  Grécy. 

F  CiRGOURT  (comte  Arthur  de),  propriétaire,  à  Fontainebleau  ; 
à  Paris,  rue  Godot  de  Mauroy,  33. 

F  Claverie,  membre  du  conseil  d'arrondissement,  à  Fontai- 
nebleau . 

Mx  Cochet,  imprimeur-libraire,  à  Meaux. 

Mx  CoLOMBEL  (A.  de),  membre  du  conseil  d'arrondissement,  h 
Annet-sur-Marne,  par  Glaye-Souilly. 

Mx  CoNTESSE,  propriélaire,  à  Villenoy,  par  Meaux;  à  Paris,  rue 
Saintonge,  61. 

F  CoRNY  (Ethis  de),  receveur  particulier  des  finances,  à  Fon- 
tainebleau. 

M     GosTEAU,  notaire,  à  Melun. 

M    GoTELLE  (Amant),  artiste  peintre,  à  Melun. 

G  Gourgy  (le  comte  de),  conseiller-général,  maire  de  Nesles,  au 
château  de  La  Fortelle,  par  Rozoy;  à  Paris,  rue  Gasimir- 
Périer,  25. 

M     Courtois,  adjoint  au  maire,  directeur-fondateur  du  Musée, 
à  Melun. 

G      Grévot,  notaire  et  maire,  à  La  Ferté-Gaucher. 

M  Damour  (Léon),  attaché  au  Cabinet  du  Ministre  de  l'inté- 
rieur, à  Paris,  rue  La  Bruyère,  8. 

M     Dardenne  fils,  avocat,  à  Melun. 

M     Darnay,  photographe,  h  Melun. 

G  Uauvergne  (Anatole),  peintre  d'histoire.  Officier  d'académie, 
membre  non  résidant  du  Comité  impérial  des  travaux 
historiques  et  des  Sociétés  savantes,  conservateur  honoraire 
de  la  bibliothèque  de  Coulommiers,  à  Coulommiers. 

F  David  (Etienne),  ancien  ministre  plénipotentiaire,  membre  de 
la  Société  franc.  d'Archéologie,  à  Paris,  rue  de  l'Oratoire,  7. 

P      David  (Jules),  inspecteur  des  ports,  à  Fontainebleau. 

Mx  Dkcoeur,  propriétaire,  à  Lagny. 

M     Decouude,  artiste  peintre,  à  Melun.  • 

M     Df;GOUT  (l'abbé  J.),  aumônier  de  l'Hôtel-Dicu,  à  Melun. 

M  DicLAGOURTiE,  ancien  avoué,  conseiller  d'arrondissement,  à 
la  Planche,  commune  de  Perthes,  par  Ghailly-en-Bière. 

6' 


—   XI   — 

F      Delacroix-Frainville,  propr.,  à  Bois-le-Roi,  près  Melun. 
M     Delaforge  (l'abbc  E.),  desservant  la  commune  de  Perthes, 

par  Chailly-en-Bière  (Seine-et-Marne). 
C     De  La  Tasse,  propriétaire,  maire  de  Faremoutier,  canton  de 

Rozoy. 
C      Delbet  (Ernest),  docteur  en  médecine,  à  La  Ferté-Gaucher, 
C      Delbet  (Jules),  docteur  en  médecine,  à   Paris,  5,  rue  des 

Beaux-Arts. 
P      Delettre,  propriétaire,  à  Donnemarie-en-Montois. 
P      Delondre  (Paul),  maire  de  La  Ghapelle-Saint-Sulpice,  par 

Provins. 
F      Demarsy  ,    archiviste-paléographe ,   membre   de  la  Société 

française  d'Archéologie,  conservateur  du  Musée  de  Gom- 

piègne,  à  Compiègne;  à  Paris,  rue  de  Tournon,  12. 
F      Denecourt,  propriétaire,  à  Fontainebleau. 
Mx  Denis  (l'abbé  F. -A.),  chanoine  de  la  cathédrale  à  Meaux. 
M     Despatys  (Octave),  vice-président  du  tribunal  civil,  à  Melun. 
G      Despommiers  (Pierre),  membre  du  Gonseil  général,  à  Gou- 

lommiers;  à  Paris,  rue  St-Dominique-St-Germain,  55. 
M     Desprez  (Ed.),  docteur  en  droit,  à  Melun. 
F      Domet,  sous-inspecteur   des  domaines  et  des  forêts  de  la 

Gouronne,  à  Fontainebleau. 
M     DoRLiN,  licencié  ès-sciences,  chef  d'institution,  à  Melun. 
F      DoRLY,  propriétaire  à  Fontainebleau,  et  à  Paris,  boulevard 

Beaumarchais,  70. 
F      DoRVET,  secrétaire  de  la  sous-préfecture,  à  Fontainebleau. 
G      DouMERG  (Auguste),  directeur  de  la  papeterie  du  Marais,  par 

La  Ferté-Gaucher. 
M     Drouyn  DE  LHUYs(Son  Exe),  sénateur,  ministre  des  Affaires 

étrangères,  à  Paris,  au  Ministère  des  Affaires  étrangères. 
F      Dufay   (Auguste),    membre  du   conseil   d'arrondissement, 

maire  de  Souppes. 
Mx  Dufràigne,  docteur  en  médecine,  à  Meaux. 
F      Dumesnil  (Edouard),  propriétaire,  à  Nemours. 
F      Dupont-White,    économiste,    à    Paris,   rue   d'Angoulême- 

Saint-Honoré,  11. 
P      DuRVELLE,  curé  de  Vimpelle,  par  Donneraarie. 
M     Dussouy,  inspecteur  d'académie,  à  Annecy  (Haute-Savoie). 
F      Elias,  colonel,  commandant  militaire  en  second  du  palais  de 

Fontainebleau. 


—   XII    — 

M  Erceville  (le  comte  Gabriel  d"),  membre  de  la  Société  fran- 
çaise d'archéologie, maire  de  Machault  au  château  de  Gha- 
puis,  par  Le  Ghâtelet-en-Brie,  et  à  Paris,  rue  de  Grenelle- 
Saint-Germain,  11. 

F  Erceville  (comte  Ernest  d'),  maire  de  Vuîaines-sur-Seine, 
par  Fontainebleau  ,  et  à  Paris,  rue  Sainte-Catherine- 
d'Enfer,  1. 

Mx  EscuDiER  (Léon),  propriétaire  à  Villenoy,  par  Mcaux,  et  à 
Paris,  rue  de  Choiseul,  21. 

M  Eymard,  chef  de  division  à  la  Préfecture  de  Seine-et-Marne, 
à  Melun. 

M  FiCHOT,  dessinateur,  membre  de  plusieurs  Sociétés  savantes, 
à  Melun,  et  à  Paris,  39,  rue  de  Sèvres. 

G      Flamand,  propriétaire,  à  Rebais. 

P      Fleurnoy,  curé-doyen  de  Donnemarie. 

M  Fontaine  (de  Melun),  avocat  à  la  Cour  impériale  de  Paris, 
rue  des  Deux-Portes,  1. 

M     Forgemol,  docteur  en  médecine,  à  Tournan. 

F      Fourneret,  docteur  en  médecine,  à  Fontainebleau. 

M  FouRNiALS,  Officier  de  l'instruction  publique,  principal  du 
Gollége,  à  Melun. 

P  Fourtier  (Alphonse),  chef  de  bureau  au  ministère  des 
finances,  à  Paris,  rue  de  Berlin. 

M  Fraguier  (le  marquis  de),  maire  du  Mée,  au  château  du  Mée, 
par  Melun. 

P  Fresne  (de),  au  château  de  la  Boulaye,  commune  de  Glos- 
Fontaine,  par  Nangis,  et  à  Paris,  rue  Bellechasse,  15. 

M  Fréteau  de  Pény  (Héracle),  maire  de  Vaux-le-Pénil ,  à 
Vaux-le-Pénil,  par  Melun,  ou  à  Paris  rue  Neuve-des-Ma- 
thurins,  24. 

M  Fréteau  de  Pény  (le  baron) ,  conseiller  référendaire  hono- 
raire à  la  Cour  des  Comptes,  à  Vaux-le-Pénil,  par  Melun, 
et  à  Paris,  rue  de  Verneuil,  -47. 

M     Fuser  (Jules),  licencié  en  droit,  à  Melun. 

M     Gabry,  manufacturier,  aux  Fourneaux,  par  Melun. 

F      Garceau,  ingénieur  de  la  navigation,  à  Melun. 

M  Gareau  (Eugène)  ,  ancien  député ,  membre  du  Conseil-géné- 
ral, à  Paris,  rue  Duphot,  1-4. 

M     Gassies,  artiste-peintre,  à  Barbizon  (Chailly-en-Bière). 

M     Gaucher  instituteur-archiviste,  à  Champdouil,  par  Guignes. 

M     Gaudard,  premier  adjoint  au  maire  de  McIun. 


—    XIII    — 

F  Gaultron  (Hippolyte),  propriétaire  à  Fontainebleau,  et  à 
Paris,  passage  Saulnier,  1. 

F      Gaultry  (Paul),  notaire  à  Fontainebleau. 

M     GiLLET  DE  Kerveguen  (Henri),  docteur  en  médecine,  à  Melun. 

F  GiLLET  DE  Kerveguen  (l'abbé) ,  aumônier  de  l'hospice ,  h 
Fontainebleau. 

Mx  GiLQuiN,  négociant  en  meules,  à  La  Ferté-sous-Jouarre. 

Mx  GiNOux  de  Lacoche  (de),  conservateur  dos  hypothèques,  prési- 
dent de  la  Société  musicale  et  YittévaireV Orphéon,  àMeaux. 

M  GoDiN  (Auguste),  fabricant  d'ébénisterie  artistique,  à  Paris  , 
rue  de  Harlay  (au  Marais),  7. 

M     GoDiN  (Eugène),  sculpteur,  h  Paris,  rue  Lallier,  6. 

F      GoLDSCHMiDT,  astrouome  et  peintre,  à  Fontainebleau. 

M     Goujon,  curé  de  Ghampeaux,  par  Guignes-Rabutin. 

F  GuÉRiN,  maire  de  la  ville  de  Fontainebleau,  membre  du 
Conseil  général,  à  Fontainebleau,  et  à  Paris,  rue  Laroche- 
foucault,  6-i. 

F      GuiBOURG,  sous-préfet,  à  Fontainebleau. 

Mx  GuiLLON  des  Brûlons,  propriétaire,  à  Lagny. 

P  Harcourt  (comte  Bernard  d')  ,  ancien  ministre  plénipoten- 
tiaire, à  Melz,  par  Nogent-sur-Seine  (Aube),  o  ,  rue  Van- 
neau, à  Paris. 

P  Haussonville  (le  comte  d'),  ancien  député  ,  à  Gurcy-le-Cha- 
tel,  par  Donnemarie  (Seine-et-Marne) ,  et  à  Paris,  rue  Saint- 
Dominique  ,  101. 

P  Haut  (Marc  de),  avocat,  président  de  la  Société  d'Agriculture 
de  Provins,  président  du  Comice  agricole  de  l'arrondisse- 
ment, à  Sigy;  à  Paris,  rue  de  Grenelle-Saint-Germain,  26. 

M  Hautôme,  officier  de  l'instruction  publique,  inspecteur  de 
l'Académie  de  Paris,  à  Melun. 

M  Hennecart,  maire  de  Tournan,  ou  à  Paris,  rue  de  l'Univer- 
sité, 69. 

M     Hérisé,  imprimeur,  à  Melun, 

G  Hoffmann  ,  docteur  en  médecine,  propriétaire  du  domaine 
de  Courdoux,  à  Courpalay. 

M  Hottinguer,  à  Lésigny,  par  Brie-Comte-Robert,  et  à  Paris, 
rue  Lafitte,  17. 

C      Huguenot  (l'abbé),  curé  de  Voinsles,  par  Rozôy. 

F     Husson  (le  général),  sénateur,  à  Fontainebleau. 

P  Husson,  propriétaire,  à  Preuilly,  près  Donnemarie,  et  à 
Paris,  rue  Saint-Honoré,  191. 


—   XIV   — 

F      Jacquemin,  fabricant  de  porcelaines  d'art,  à  Fontainebleau; 

à  Paris,  rue  Paradis-Poissonnière,  52. 
C      JossEAU,  député  de  Seine-et-Marne  au  Corps  législatif,  avocat 

à  la  Cour  impériale  de  Paris,  Président  de  la  Société  d'hor- 
ticulture de  Goulommiers,  maire   de  Mortcerf,    canton  de 

Rozoy,  et  à  Paris,  rueSt-Honoré,  245. 
M     Kerchoff,  professeur  de  langues  vivantes,  à  Melun. 
M     Labiche  père,  propriétaire,  à  Melun. 
Mx  Labour,  secrétaire  particulier  du  Ministre  de  la  Justice, 

maire  de  Saint-Pathus,  canton  de  Dammartin,  et  à  Paris, 

rue  Taitbout,  9. 
M     La  Chavignerie  (E.  Bellier  de),  employé  honoraire  à  la  Bi- 
bliothèque impériale,  16,  rue  de  Rennes,  à  Paris. 
Mx  Lafontaine  (Achille),  à  Lagny. 
F      Lagatinerie  (le  baron  de),  commissaire  général  de  la  marine, 

propriétaire  à  Fontainebleau. 
M     Laine  (Victor),  artiste  peintre,  à  Barbizon,  par  Ghailly-en- 

Bierre. 
M     Lajoye  (Félix),  maire,  conseiller  d'arrondissement,  membre 

de  la  Société  géologique   de  France^  à  Saveteux,   par  Le 

Ghàtelet. 
Mx  Larabit,  sénateur,  ancien  député  de  l'Yonne,  à  Luzancy,  par 

Saâcy  (Seine-et-Marne),  et  à  Paris,  rue  BellecUasse,  21. 
M     Lassus  Saint-Geniès  (le  baron  de),  préfet  du  département  de 

Seine-et-Marne,  à  Melun. 
C      Lasteyrie  (le  comte  Jules  de),  propriétaire  au  château  de  La 

Grange-en-Brie  (Gourpalay),  par  Rozoy;   h   Paris,    rue 

d'Anjou-Saint-Honoré. 
M     Latour,  receveur  municipal  à  Melun. 
F      Laurencel  (de),  propriétaire  à  Fontainebleau. 
Mx  Laurent,  conducteur  des  ponts  et  chaussées,  à  La  Ferté- 

Jouarre. 
M     Laurent-Thomas,  maire  de  Saint-Germain-lès-Gouilly. 
M     Lavalette  (Vicomte  de),  propriétaire  et  ancien  rédacteur  en 

chef  de  l'Écho  du  Moyide  savant^  à  Paris,  quai  des  Géles- 

tins,  6,. 
F      Lebeuf  de  Mongermont  ,  membre  du  Gonseil  général  et 

maire  de  Montereau,  à  Montereau-Faut-Yonne,  et  i\  Paris, 

place  Vendôme,  12. 
Mx  Le  Blondel,  libraire  à  Meaux. 
M     Le  Brasseur,  propriétaire  à  Melun. 


—   XV   — 

P  Lebrun,  sénateur,  membre  de  l'Académie  l'rançaise,  à  Pro- 
vins, et  à  Paris,  rue  de  Beaune,  d. 

F  Lecat,  ancien  président  du  Tribunal  de  Commerce,  conseiller 
d'arrondissement,  adjoint  au  maire  de  Montereau-Faut- 
Yonne. 

M  Léchopié  (Hippolyte),  ancien  magistrat,  à  Ablon  (Seinc-et- 
Oise),  et  à  Paris,  place  de  la  Madeleine,  19. 

Mx  Lefebvre-Thiébault,  négociant  à  Meaux. 

C      Lefèvre  (P.),  cultivateur  aux  Aulnois,  commune  de  Saints. 

M     Lefèvre,  architecte,  à  Brie-Comte-Robert. 

M  Leguay  (Louis),  architecte  expert,  membre  de  la  Société  d'An- 
thropologie de  Paris  et  du  Comité  d'Archéologie  de  Sentis, 
président  de  la  Société  d'Archéologie  parisienne,  à  Paris, 
rue  de  la  Sainte-Chapelle,  3. 

P      Le  Hérighé,  imprimeur  à  Provins. 

F      LELom,  artiste  graveur,  à  Fontainebleau. 

C      Leloup,  architecte,  à  La  Houssaye. 

M     Leloutre  (Eugène),  rentier,  à  Melun. 

M  LEMAmE,  archiviste  du  département  de  Seine-et-Marne,  à 
Melun.  ■ 

P  Lenoir  (Auguste),  conducteur  des  ponts-et-chaussées,  chef  de 
bureau,  à  Provins. 

P     Lepage  (Napoléon),  avoué  à  Fontainebleau. 

P  Lépinois  (E.  de),  conservateur  des  hypothèques,  à  Clermont 
(Oise)  ,  associé-correspondant  de  la  Société  des  Antiquaires 
de  France. 

M  Leroy  (Gabriel) ,  archiviste  de  la  ville  de  Melun  ,  correspon- 
dant de  la  Société  archéologique  de  Sens,  à  Melun. 

Mx  Le  Roy,  olficier  d'académie,  docteur  en  médecine,  à  Meaux. 

M  Lhuillier  (Théophile),  secrétaire-greffier  du  Conseil  de  pré- 
fecture de  Seine-et-Marne,  à  Melun. 

M  Liabastres,  directeur  de  la  Maison  centrale  de  détention,  à 
Melun. 

C  LiÉBERT  (E.),  archiviste;  au  château  de  La  Grange-on-Brie 
(Courpalay),  par  Rozoy. 

G      LiÉNART,  ingénieur  civil,  à  Mortcerf.  canton  de  Rozoy. 

G  LiÉNARD  (Eug.),  percepteur  des  contributions  à  Saint-Ouen- 
les-Rebais,  par  Rebais. 

F      LiTZELMANN  (Léou),  professcur  à  Paris,  Avenue  d'Antin,  1. 

M     LouvioT,  photographe  à  Melun. 

F      Maloisel,  docteur  en  médecine,  à  Fontainebleau. 


—   XVI   — 

G      Marc  (Edmond),  propriétaire,  à  Goulommiers. 
G      Marceron,  lieutenant  de  la  gendarmerie,  à  Goulommiers. 
G      Marigot,  notaire,  à  Rozoy-en-Brie. 

F     Marin-Darbel,  propriétaire  et  conseiller  municipal,  à  Fon- 
tainebleau. 
F      Masson,  juge  suppléant  à  Fontainebleau. 
F     Matignon,  propriétaire,  à  Fontainebleau. 
Mx  Maury  (Alfred),  membre  de  l'Institut,  professeur  au  Collège 

de  France,   à  Paris,   au    pavillon  de  l'Institut,  rue   de 

Seine,  1. 
G      Maussion  (Ludovic  de),  maire  de  Goulommiers. 
G      Maussion  (Anatole  de),  propriétaire  à  Coulommiors. 
P     MicHAUD,  conseiller  d'arrondissement,  à  Provins,  et  rue  de 

de  Glichy,  9,  à  Paris. 
P      Michelin  (Jules),  propriétaire  à  Provins. 
M     Michelin  (Henri),  imprimeur,  à  Melun. 
Mx  MoRLOT,  architecte  de  la  ville  de  Meaux. 
P      MouLENQ,  docteur  en  médecine,  à  Donnemarie. 
G      MoussiN,  imprimeur  à  Goulommiers. 

Mx  Moustier  (le  comte  Audéric  de),  membre  du  Conseil  géné- 
ral, à  La  Ghapelle-sur-Crécy,  par  Crécy-en-Brie,  et  à  Paris 

rue  de  Grenelle-Saint-Germain,  83. 
F      Multigné,  propriétaire,  à  Fontainebleau. 
G      MuN  (marquis  de),  propriétaire  au  château  deliumigny,  par 

Mortcerf,  et  à  Paris,  rue  la  Ville-l'Evèque,  27. 
F      Neuflieux  (de  Mory  comte  de),  inspecteur  des  domaines 

et  des  forets  de  la  Couronne  h  Fontainebleau. 
M     Neveux  (le  baron),  ancien  préfet,  h  Tilly-Saint-Fargeau,  par 

Ponthierry. 
P      NoAS  (de),  propriétaire  au  château  do  la  Boullaye,  commune 

de  Clos- Fontaine,  par  Nangis,  et  à  Paris,  rue  Royale-Saint- 

Honoré,  8.       ' 
P      Opoix  (Félix),  membre  du  Conseil  général,  ;\  Donnemarie. 
G      OiiioLi,  ancien  sous-directeur  de  la  papeterie  du  Marais,  h 
F      Ortmans,  artiste  peintre,  à  Fontainebleau. 

Pontcharrc  (Isère). 
F      Parvenchère,  notaire,  suppb'ant  du  juge  de  paix,  à  ]^]gre- 

ville. 
M     Peiueu    (J.-A.-N.),  ex-médecin  en  chef  de  riiôtel  impérial 

des  Invalides,  Président  de  la  Société  d'Anthropologie  de 


—   XVII  — 

Paris,  correspondant  de  l'Institut  d'Egypte,  etc.,  à  Paris, 
rue  de  Grenelle-Saint-Germain,  22. 

Mx  Petithomme  (l'abbé),  curé  de  Villenoy,  près  Meaux. 

Mx  Plée  (Henri),  peintre-verrier,  à  Meaux. 

G  Plessier  (Victor),  ancien  notaire,  propriétaire  à  La  Ferté- 
Gaucher. 

F  PoLiGNAC  (Comte  de),  général,  commandant  militaire  du 
palais  de  Fontainebleau. 

Mx  PoNTÉcouLANT  (Ad.  Le  Doulcet ,  marquIs  de),  officier  d'a- 
cadémie, membre  de  plusieurs  Sociétés  savantes,  rue  de 
Paris,  170,  à  Vincennes. 

Mx  Ponton  d'Amécourt  (le  vicomte  de),  maire  de  Trilport, 
associé  correspondant  de  la  Société  des  Antiquaires  de 
France,  président  de  la  Société  française  de  Numismatique 
et  d'Arctiéologie,  président  de  la  Société  aérostatique,  à 
Paris,  36 ,  rue  de  Lille. 

M  Poyez,  avoué,  maire  de  la  ville  de  Melun,  membre  du  Conseil 
général,  à  Melun. 

C  Preschez  (Eugène) ,  ancien  notaire,  propriétaire,  à  Paris, 
rue  du  Mont-Thabor,  5,  et  à  Coulommiers. 

P      Presle,  architecte  de  la  ville,  à  Provins. 

M  Prévost,  secrétaire  perpétuel  de  la  Société  d'Agriculture  de 
Melun,  bibliothécaire  de  la  ville,  à  Melun. 

M     Prieur,  artiste  peintre,  à  Barbizon,  par  Ghailly-en-Bière. 

P      PuYO,  curé-doyen  de  Villiers-Saint-Georges. 

M     Quesvers  fils,  agréé  à  Montereau. 

F      Ratier,  magistrat  honoraire,  à  Fay,  près  Nemours. 

G  Resbecq  (le  comte  Eugène  de  Fontaine  de),  sous-chef  du  ca- 
binet du  Ministre  de  l'Instruction  publique,  membre  de  la 
Société  française  d'Archéologie  ,  à  Paris  ,  passage  Sta- 
nislas, 3,  et  à  Coulommiers. 

F      Riche,  propriétaire,  à  Vulaines-sur-Seine,  par  Fontainebleau. 

Mx  RiDAN,  propriétaire,  à  Villenoy. 

M     RoBLiN,  pharmacien,  à  Brie-Comte-Robert. 

F  RoNsiN,  entrepreneur,  membre  du  Conseil  municipal,  à  Fon- 
tainebleau. 

F      Rouillé  d"Orfeuil  (le  comte),  propriétaire,  h  Fontainebleau. 

M  Roussel,  docteur  en  médecine,  à  Paris,  26,  rue  des  Fossés- 
Saint- Jacques. 

F     Roux,  notaire,  à  Nemours, 


—    XVIII   — 

M     Roy,  conducteur  des  ponts  et  chaussées,  à  Melun. 

F      Saint-Marcel,  artiste  peintre,  à  Fcntainebleau. 

M     Saint-Paul  (P.-L.  de),  avocat,  membre  de  la  Société  française 

d'Archéologie,   à   Rubelles,   par   Melun,  et  à  Paris,  rue 

d'Aguesseau,  l. 
F      Sambucy,  propriétaire  à  Fontainebleau. 
Mx  Savard  fils ,  architecte,  inspecteur  diocésain,  à  Meaux. 
M     ScHREUDER,  Capitaine  retraité  des  sapeurs-pompiers  militaires 

de  la  ville  de  Paris  ;  président  honoraire  de  la  Société  des 

anciens  élèves  de  l'École  impériale  des  Arts  et  Métiers,  à 

Vaux-le-Pénil,  par  Melun. 
G      Séguin,  docteur  en  médecine,  à  La  Ferté-Gaucher,  et  h  Paris, 

rue  de  Seine,  68. 
F      Ségur  (comte   Louis   de),   membre  du  Conseil   général,   à 

Lorrez-le-Bocage,et  à  Paris,  rue  de  la  Pépinière,  100. 
M     Senèque,  architecte  du  département  de  Seine-et-Marne,  à 

Melun. 
M     Sertier,  adjoint  au  maire  de  Dammarie-les-Lys,  par  Melun, 
M     SoLLiER,  vérificateur  des  domaines  à  Melun. 
M     SouGiT  père,  notaire  honoraire,  à  Milly  (Seine-el-Oise). 
F      Tabouret,  docteur  en  médecine,  à  Fontainebleau. 
P      Teyssier  des  Farges,  maire  de  Pecy,  membre  du  Conseil 

d'arrondissement,   au  château  de  Beaulieu ,  commune  de 

Pecy,  par  Jouy-le-Châtel,  et  à  Paris,  rue  de  Berlin,  14. 
P      Teyssier  des  Farges  (Georges),  au  château  de  Beaulieu, 

commune  de  Pecy,  par  Jouy-le-Ghâtel,  et  à  Paris,  rue  de 

Berlin,  14. 
F      Thibault,  officier  de  l'instruction  publique,  propriétaire,  à 

Fontainebleau. 
Mx  Thiébaut  (Adolphe),  propriétaire  au  château  de  Brou,  et  à 

Paris,  rue  Paradis-Poissonnière,  26. 
Mx  Torchet  ,    inspecteur  des  Orphéons  de  Seine-et-Marne ,  à 

Meaux. 
Mx  Torchet  (l'abbé),  curé  de  Chclles. 
M     ToREL,  médecin  h  Brie-comlc-Robert. 
M     Trémisot,  bibliothécaire-adjoint,  à  Melun. 
Mx  Troublé,  trésorier  du  bureau  de  Bienfaisance,  à  Meaux. 
M     Valmer,  (vicomte  de).  Président    honoraire  de  la  Société 

protectrice  des  animaux,  maire  h  Fontaine-le-Port,  par  Le 

Châtelet,  à  Paris,  rue  Saint-Guillaume,  14. 
G      VARENNEs(le  marquis  Eugène  de  Goddes  de),  propriétaire,  à 


—   XIX   — 

Coulommiers,  et  à  Paris,  avenue  de  la  Reinc-Horîcnse,  9. 

Mx  Vernois,  membre  de  l'Académie  impériale  de  Médecine, 
médecin  de  S.  M.  l'Empereur,  au  château  du  Vivier, 
maire  de  la  commune  de  Goutevroult,  par  Crécy,  et  à 
Paris,  rue  d'Isly,  17. 

Mx  Véron  (Léon),  clerc  de  notaire,  à  Nanteuil-sur-Marne,  par 
Saâcy. 

Mx  Vesseron  fds,  architecte,  à  Meaux. 

M  ViLLEMESSANT  (H.  de),  homme  de  lettres,  à  Saint- Port,  ar- 
rondissement de  Melun,  et  à  Paris,  21,  boulevard  Mont- 
martre. 


—    XX   — 


LISTE  DES  MEMBRES  CORRESPONDANTS. 


Messieurs, 

Barthélémy  (Anatole  de),  membre  de  la  Société  des  Antiquaires 
^e  France  et  de  la  Commission  de  Topographie  des  Gaules ,  à 
Paris,  rue  d'Anjou-Saint-Honoré  ,  9. 

Bertrand  (Alexandre) ,  id.  —  à  Paris,  rue  des  Mathurins-Saint- 
Jacques, 11. 

Bréan,  ingénieur,  membre  de  plusieurs  Sociétés  savantes,  à 
Gien  (Loiret). 

Broca,  professeur  à  l'école  de  médecine,  secrétaire  de  la  Société 
d'anthropologie,  à  Paris,  1,  rue  des  Saints-Pères. 

Canéto,  vicaire  général  du  diocèse  d'Auch,  directeur  de  la  revue 
archéologique  de  Gascogne. 

Gamusat  DR  Vauxgourdon,  membre  de  la  Société  française  d'Ar- 
chéologie et  de  la  Société  académique  de  l'Aube,  à  Troyes. 

Garlier  (l'abbé),  président  de  la  Société  archéologique  de  Sens. 

Gaumont  (le  vicomte  de),  membre  correspondant  de  l'Institut, 
directeur  de  l'Institut  de  Provinces  et  de  la  Société  française 
d'Archéologie  ,  à  Gaen. 

Ghabouillet,  conservateur-directeur  du  cabinet  des  médailles  à 
la  Bibliothèque  impériale ,  secrétaire  du  Gomité  des  travaux 
historiques,  rue  Boursault,  n°  22,  à  Paris. 

Ghalle  ,  président  de  la  Société  des  Sciences  do  l'Yonne ,  à 
Auxerre. 

Gharma,  secrétaire  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Normandie, 
à  Gaen. 

Ghalvet,  docteur-médecin,  25,  rue  des  Gravilliers,  Paris. 

Glairefond  (Marins),  ancien  élève  de  l'école  des  Ghartos,  négo- 
ciant, membre  de  plusieurs  Sociétés  savantes  ,  à  Moulins,  et  à 
Paris,  chez  M.  Glairefond,  27,  rue  des  Vieux-Augustins. 

Gochet  (l'abbé),  correspondant  de  l'Inslitut,  membre;  non  rési- 
dant du  Gomité  des  travaux  historiques,  inspecteur  des  monu- 
ments historiques  de  la  Seine-Inférieure,  correspondant  de  la 
Société  des  Antiquaires  de  France,  etc.,  h  Dieppe. 

Qotteau,  Juge  au  tribunal  d'Auxerre,  membre  de  la  Société  des 


—    XXI    — 

sciences  historiques  de  l'Yonne  et  de  la  Société  française  d'ar- 
chéologie. 

CouRMONT  (H),  directeur  de  l'administration  des  Beaux-Arts  au 
ministère  de  la  maison  de  l'Empereur,  h  Paris,  rue  de  Berlin  , 
n°  28, 

Dubois  (A),  chef  de  bureau  ?i  la  mairie  d'Amiens,  membre  de  la 
Société  d'émulation  d'Abbcville,  et  à  Paris,  chez  M.  Grand- 
homme,  1  bis,  rue  Scribe. 

Du  Mesnil,  chef  de  division  au  Ministère  de  l'Instruction  publique. 

Durand  (  Hyppolite  )  ,  architecte  du  'gouvernement  et  des  édi- 
fices diocésains,  correspondant  du  ministère  de  l'Instruction 
publique,  à  Tarbes,  et  à  Paris,  chez  M.  Durand,  avenue  Vic- 
toria, 5. 

DuRUY  (Son  Ex.  Victor),  Ministre  de  l'Instruction  publique. 

DuRUY  (Anatole),  chef  du  cabinet  du  Ministre  de  l'Instruction 
publique. 

DusEVEL,  membre  non  résidant  du  Comité  impérial  des  travaux 
historiques,  inspecteur  des  monuments  historiques  du  départe- 
ment de  la  Somme,  correspondant  de  la  Société  des  Antiquaires 
de  France,  de  l'Académie  d'archéologie  de  Belgique,  etc.,  à 
Doullens,  et  à  Paris,  rue  Notre-Dame-des-Ghamps,  30. 

EiCHHOFF,  correspondant  de  l'Institut,  inspecteur  honoraire  de 
l'Université,  à  Paris,  rue  Monsieur-Ie-Prince,  38. 

GiRARDOT  (baron  Auguste  de),  secrétaire  général  de  la  Préfecture 
de  la  Loire -Inférieure,  membre  non  résidant  du  Gomité  des 
travaux  historiques  et  des  sociétés  savantes,  correspondant  de  la 
Société  des  Antiquaires  de  France,  à  Nantes,  et  à  Paris  ,  chez 
M.  Sensier,  rue  Neuve-Fontaine-Saint- Georges,  6. 

Kastner  (Georges),  membre  de  l'Institut,  et  de  l'Académie  des 
Beaux-Arts  de  Berlin,  rue  Boursault,  14,  à  Paris. 

Laisné  (Gharles),  architecte  du  gouvernement,  professeur  à  l'é- 
cole des  Beaux-Arts,  10,  rue  Fontaine-Saint-Georges,  à  Paris. 

Lance  (Adolphe),  architecte  du  gouvernement,  chargé  des  diocèses 
de  Soissons  et  de  Sens,  membre  du  Gomité  des  travaux  histo- 
riques, etc.,  7,  rue  Laval,  à  Paris. 

LoNGPÉRiER  (Adrien  de),  membre  de  l'Institut  et  conservateur  du 
Musée  des  Antiques,  au  Louvre,  rue  de  Londres,  30,  à  Paris. 

Maître  (Jules),  inspecteur  de  l'administration  des  postes,  cité 
Gaillard,  6,  à  Paris. 

Millet,  architecte  du  gouvernement  et  des  monuments  histori- 
ques, 103,  rue  Saint-Lazare,  h  Paris. 


—   XXII     — 

MiMEY,  architecte  des  monuments  historiques  de  Seine-et-Marne, 
à  Paris,  rue  Blanche,  40. 

Paillard  (Alphonse),  préfet  du  département  du  Pas-de-Calais,  à 
Arras. 

PoNTÉcouLANT  (le  comte  Roger  de),  attaché  au  cabinet  du  Mi- 
nistre des  affaires  étrangères,  à  Paris,  rue  Basse-du-Rempart, 
n"  44  bis. 

Servaux  (Eugène),  officier  de  l'Instruction  publique,  chef  du  bu- 
reau des  travaux  historiques  et  des  Sociétés  savantes,  au  Minis- 
tère de  l'Instruction  publique,  41,  rue  du  Rocher,  à  Paris. 

SiRAUDiN,  vérificateur  des  poids  et  mesures,  à  Bayeux. 

Taillandier,  conseiller  à  la  Cour  de  cassation,  rue  de  l'Univer- 
sité, 8,  à  Paris. 

Travers  professeur  honoraire  de  la  Faculté  et  secrétaire  de  l'A- 
cadémie impériale  de  Caen. 

ViOLLET-le-Duc,  inspecteur  général  des  édifices  diocésains,  rue  de 
Laval  prolongée,  à  Paris. 


LISTE  DES  SOCIÉTÉS  CORRESPONDAISTES. 


1.  La  Société  d'Anthropologie  de  Paris. 

2.  Le  Comité  Archéologique  do  Senlis  (Oise). 

3.  La  Société  française  d'Archéologie,  à  Caen. 

4.  Le  Comité  Impérial  des  travaux  historiques,  au  Ministère  de 

l'Instruction  publique. 

5.  La    Société    Archéologique    de    l'arrondissement  d'Avesnes 

(Nord). 

6.  La  Société  Impériale  des  Antiquaires  de  France,  h  Paris. 

7.  La  Société  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts  de  Poligny  (Jura). 

8.  L'Académie  Impériale  des  Sciences,  Inscriptions  et  Belles- 

Lettres  de  Toulouse. 

9.  La  Société  Eduenne  d'Autun. 

10.  La  Société  des  Antiquaires  de  Picardie,  à  Amiens. 
il.  La  Société  des  Antiquaires  de  Normandie,  à  Caen. 
12.  La  Commission  départementale  des  antiquités  de  la  Seine-In- 
férieure, ii  Rouen. 


—    XXIII    — 

13.  La  Société  Académique  des  Sciences,  Arts,  Belles -Lettres  et 

Agriculture  de  Saint-Quentin. 
1-4.  La  Société  Académique  de  Maine-et-Loire,  à  Angers. 
1S.  La  Société  Archéologique  du  Vendômois,  à  Vendôme. 
J6.  L'Académie  Impériale  des  Sciences,  Arts  et  Belles-Lettres  de 

Caen. 

17.  La  Société  Archéologique  d'Eure-et-Loir,  à  Chartres. 

18.  La  Société  d'Archéologie  et  d'Histoire  de  la  Moselle  h  Metz. 

19.  La  Société  Archéologique  de  l'Orléanais,  à  Orléans. 

20.  La  Société  d'études  d'Avallon  (Yonne). 

21.  La  Société  libre  d'Agriculture,  Sciences,  Arts  et  Belles-Lettres 

de  l'Eure,  à  Evreux. 

22.  Le  Comité  flamand  de  France,  à  Lille. 

23.  La  Société  d'Agriculture  et  la  Commission  d'Archéologie  et 

des  Sciences  historiques  de  la  Haute-Saône,  h  Vesoul. 

24.  La  Société  Impériale  archéologique  du  Midi  de  la  France,  à 

Toulouse. 

25.  La  Société  Philomatique  de  Verdun  (Meuse). 

26.  La  Société   Française  de  numismatique  et   d'archéologie,  à 

Paris. 

27.  La  Société  parisienne  d'Archéologie  et  d'Histoire,  à  Paris. 

28.  La  Société  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts  de  Meaux. 

29.  La  Société  littéraire  et  musicale  de  Meaux. 

30.  L'Académie  Impériale  des  Sciences,  Belles-Lettres  et  Arts  de 

Rouen. 
3) .  La  Société  pour  la  conservation  des  monuments  historiques 
d'Alsace,  à  Strasbourg. 

32.  La  Société  littéraire  de  Strasbourg. 

33.  La  Société  d'Agriculture  de  Melun. 

34.  La  Société  libre  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts  de  Provins. 

35.  La  Société  d'Agriculture  de  Coulommiers. 

36.  La  Société  académique  de  Brest. 

37.  La  Société  spéciale  des  Sciences,  des  Lettres  et  des  Arts  de 

Fontainebleau. 

38.  La  Société  Historique  et  Archéologique  de  Château-Thierry 

(Aisne). 

39.  La  Société  des  Sciences  de  l'Yonne,  à  Auxerre. 

40.  La  Société  Historique  et  Archéologique  de  Langres  (Haute- 

Marne). 

41.  La  Société  des  Antiquaires  de  la  Morinie,  à  Saint-Omer. 


—   XXIV   •— 

42.  La  Commission  Archéologique  du  département  de  la  Gôte- 

d'Or,  à  Dijon. 

43.  La  Société  Archéologique,  Scientifique  et  Littéraire  de  Béziers 

(Hérault). 

44.  La  Société  Archéologique  de  Rambouillet  (Seine-et-Oise). 

45.  La  Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest  à  Poitiers. 

46.  La  Commission  des  monuments  et  documents  historique  et 

des  bâtiments  civils  de  la  Gironde,  à  Bordeaux. 

47.  Le  Comité  Archéologique  de  Noyon  (Oise). 

48.  La  Société  Archéologique    de  la  province   de   Constantine 

(Algérie). 

49.  La  Société  d'Histoire  et  d'Archéologie  de  la  Maurienne  (Sa- 

voie). 

50.  La  Société  Archéologique  de  l'arrondissement  de  Boulogne- 

sur-Mer. 
oL  La  Société  Archéologique  de  Sens  (Yonne). 

52.  La  Société  Havraise  d'études  diverses,  au  Havre. 

53.  La  Société  Archéologique  et  Historique  du  Limousin,  à  Li- 

moges. * 

54.  La  Société  du  Berry,  à  Paris,  rue  Bergère,  20. 

55.  La  Société   Littéraire,   Archéologique  et    Artistique   d'Api 

(Vau  cluse). 

56.  L'Académie  Impériale  des  Sciences,  Belles-Lettres  et  Arts  de 

Savoie  à  Chambéry. 

57.  La  Société  protectrice  des  animaux,  à  Paris,  rue  de  Lille,  n°  34. 

58.  La  Société  Savoisienne  d'Histoire  et  d'Archéologie  de  Cham- 

béry (Savoie). 

59.  La  Société  d'Agriculture,  Industrie,  Sciences  et  Arts,  du  dé- 

partement de  la  Lozère,  à  Mende. 

60.  L'Académie  Delphinale,  à  Grenoble. 

(H.  La  Société  d'émulation  des  Vosges,  h  Epinal. 

62.  La  Société   des   Sciences,   Agriculture  et  Belles- Lettres  de 

Tarn-et-Garonne,  à  Montauban. 

63.  L'Académie  de  la  Rochelle. 


SOCIÉTÉ  D'ARCHÉOLOGIE 

SCIEÎ^CES,   LETTRES  ET  AllTS 

DU  DÉPARTEMENT  DE  SEINE-ET-MARNE. 


PROCÈS-VERBAUX   DE   LA   SOCIÉTÉ. 


SÉANCE  GÉNÉRALE  ET  PUBLIQUE 

TENUE     A    FONTAINEBLEAU    LE    15    OCTOBRE    1865. 


La  Société  d'Archéologie,  Sciences,  Lettres  et  Arts  du  dépar- 
tement de  Seine-et-Marne  se  réunit  en  Assemblée  générale,  à 
Fontainebleau,  le  15  octobre  1865.  A  midi  et  demi,  la  belle  salle 
des  Élections,  place  Damesme,  est  remplie  d'invités,  parmi  les- 
quels on  remarque  beaucoup  de  dames. 

Les  Sociétaires,  régulièrement  convoqués,  prennent  place  sur 
l'estrade. 

Sont  présents  : 

MM.  le  marquis  Ad.  de  Pontécoulant  ,  président  de  la 
Société;  Anatole  Dauvergne,  président  de  la  Section  de  Cou- 
lommiers;  A.  Carro,  président  de  la  Section  de  Meaux;  Eugène 
Grésy,  président  de  la  Section  de  Melun;  le  comte  B.  d'Harcourt, 
président  de  la  Section  de  Provins  ;  le  comte  de  CmcouRT  et  Gla- 
VERiE,  vice-présidents  de  la  Section  de  Fontainebleau;  Th.  Lhuil- 
lier,  secrétaire-général  de  la  Société;  Lemaire,  archiviste  de  la 

1 


9 


Société;  Auberge  (Section  de  Melun);  baron  Ed.  deBeauverger 
(Section de  Melun);  Bourges  (Section  de  Fontainebleau);  Bréan 
(membre  correspondant);  J.  Garro  (Section  de  Meaux);  Ghapu 
(Section  de  Melun);  Ghennevière  (Section  de  Fontainebleau); 
Delacroix-Prainville  (Section  de  Fontainebleau);  E.  Delbet 
(Section  de  Goulommiers)  ;  DeneCourt  (Section  de  Fontainebleau); 
P.  Domet  (Section  de  Fontainebleau);  Dorly  (Section  de  Fon- 
tainebleau); Dorvet  (Section  de  Fontainebleau);  le  comte  Ernest 
d'Ercevilli:  (Section  de  Fontainebleau);  Eymard  (Section  de 
Melun);  Fontaine  (Section  de  Melun);  Gaultron  (Section  de 
Fontainebleau);  Gabry  (Section  de  Melun);  le  docteur  Gillet 
(Section  de  Melun);  Golschmidt  (Section  de  Fontainebleau); 
Huguenet  (Section  de  Fontainebleau);  Labiche  (Section  de  Me- 
lun); Latour  (Section  de  Melun);  Louis  Légua  y  (Section  de 
Melun)  ;  Leroy  (Section  de  Melun)  ;  Jules  Michelin  (Section  de 
Provins)  ;  Multigné  (Section  de  Fontainebleau)  ;  V.  Plessier 
(Seclion  de  Goulommiers);  le  vicomte  de  Ponton  d'Amécourt 
(Section  de  Meaux)  ;  Quesvers  (Section  de  Melun)  ;  Ronsin 
(Section  de  Fontainebleau)  ;  Saint-Marcel  père  (Section  de  Fon- 
tainebleau) ;  SoLLiER  (Section  de  Melun)  ;  Tabouret  (Section  de 
Fontainebleau);  Thibault  (Section  de  Fontainebleau);  Thixus 
(Section  de  Fontainebleau);  Torchet  (Section  de  Meaux),  et 
autres  qui  ont  oublié  de  signer  la  feuille  de  présence. 

M.  le  marquis  de  Pontécoulant  a  annoncé  qu'un  certain 
nombre  de  membres  lui  avaient  exprimé  leurs  regrets  de  ne 
pouvoir  assister  à  la  séance  ,  notamment  Leurs  Excellences 
MM.  Drouyn  de  Lhuys  et  Duruy;  —  MM.  le  baron  de  Lassus- 
Saint-Geniès,  préfet  de  Seine-et-Marne;  Guibourg,  sous-préfet 
de  Fontainebleau;  Josseau,  député;  Félix  et  Emile  Bourquelot, 
J.  David;  Despommiers,  le  comte  de  Resbecq,  le  marquis  de 
Varennes,  Lud.  de  Maussion,  Liénart,  Leloup,  Edmond 
Marc,  Eichhoff,  Liabastres,  Gourtois  ,  Beauvilliers,  le 
colonel  Elias,  le  général  de  Salignac-Fénelon,  Gamille  Ber- 
nardin, DucRocQ,  Lecat,  Bareiller,  Le  Blondel,  Dardenne, 
Gaucher,  etc. 

M.  le  Président,  après  avoir  remercié  l'Autorité  municipale  de 
la  ville  de  Fontainebleau  de  sa  gracieuse  hospitalité,  a  prononcé 
les  paroles  suivantes  : 

«  Je  suis  heureux.  Mesdames  et  Messieurs,  d'ouvrir  cette  séance 
par  un  remercîment   que  j'adresse  à  vous  tous,  qui  avez   bien 


—  3  — 

voulu  vous  rendre  à  notre  invitation  et  nous  honorer  par  votre 
présence.  Ce  remercîment,  Mesdames,  vous  est  d'autant  plus  ac- 
quis, que  les  séances  des  Sociétés  savantes  n'ont  pas  pour  habitude 
de  passer  pour  fort  amusantes.  Cependant,  notre  Société  ose 
espérer  que,  par  le  choix  qu'elle  a  fait  dans  les  nombreux  manus- 
crits qui  lui  ont  été  remis,  et  grâce  au  talent  des  artistes  dis- 
tingués qui  veulent  bien  nous  prêter  leur  concours,  elle  vous 
fera  passer  quelques  moments  agréables,  et  vous  prouvera  que 
souvent,  les  Sociétés  savantes,  en  fait  de  plaisir,  valent  mieux  que 
leur  réputation. 

J'accorderais  à  l'instant  même  la  parole  à  un  de  mes  confrères, 
s'il  ne  me  fallait  adresser  quelques  communications  aux  membres 
de  la  Société. 

Mes  chers  et  honorés  confrères,  la  distribution  des  lieux  met 
votre  président  dans  une  embarrassante  position,  celle  d'être 
impoli  envers  la  moitié  de  la  Société,  ou  d'être  inconvenant  à  votre 
égard.  Je  regrette  beaucoup  de  n'être  pas  à  deux  faces,  comme 
Janus;  mais  vous  apprécierez,  j'en  suis  certain,  les  difficultés  de 
ma  position,  et  me  pardonnerez  de  vous  parler  le  dos  tourné. 

La  Société  se  trouve  dans  une  situation  prospère  :  elle  a  su 
conquérir  l'estime  de  tout  le  monde,  et  le  nombre  de  ses  membres 
augmente  chaque  jour  :  il  est  aujourd'hui  de  deux  cent  quatre- 
vingt-quinze,  y  compris  trente  membres  correspondants  choisis 
dans  les  sommités  de  la  science.  Des  Sociétés  savantes  au  nombre 
de  cinquante  ont  demandé  à  nous  être  affiliées. 

Il  fut  un  moment  où  l'on  nous  avait  fait  craindre  une  dimi- 
nution dans  la  Section  de  Fontainebleau  :  c'est  à  tort  ;  car,  comme 
il  est  d'usage  parmi  les  gens  bien  élevés,  on  ne  quitte  point 
une  société  où  l'on  a  été  reçu  avec  bienveillance,  sans  en  prendre 
congé,  et  c'est  avec  bonheur  que  je  vous  annonce  que  nous  n'avons, 
jusqu'à  ce  jour,  à  regretter  aucune  démission.  Ce  bonheur,  vous 
le  partagez  avec  moi,  j'en  suis  certain  :  entre  gens  de  savoir  et 
d'étude,  si  on  se  réunit  avec  charme,  on  se  sépare  toujours  avec 
peine. 

M.  le  Ministre  de  l'instruction  publique,  appréciant  l'impor- 
tance de  nos  travaux,  a  bien  voulu.  Messieurs,  nous  accorder  un 
subside  sur  les  fonds  de  son  prochain  budget. 

Notre  Bulletin  semestriel  vous  serait  déjà  distribué,  car  il  est 
imprimé;  mais  son  apparition  a  été  retardée  par  le  tirage  de  nom- 
breuses gravures,  représentant  les  objets  trouvés  dans  les  fouilles 
opérées  dernièrement  à  Melun.  Je  ne  vous  donnerai  pas  le  détail 


de  ces  fouilles,  vous  les  trouverez  au  Bulletin,  dans  un  excellent 
travail  de  notre  confrère  M.  Leroy. 

Nous  aurions  voulu  vous  faire  part  du  résultat  de  l'excursion 
archéologique  entreprise  par  quelques  membres  de  la  Société, 
dans  l'arrondissement  de  Meaux;  mais  celui  d'entre  nous  qui  a 
été  chargé  de  ce  travail,  atteint  par  un  de  ces  malheurs  qui  para- 
lysent momentanément  toutes  les  facultés  humaines,  la  maladie 
et  la  mort  d'un  enfant,  n'a  pu  terminer  son  rapport,  ce  que  nous 
regrettons  ;  mais  il  paraîtra  au  Bulletin  et  sera  lu,  je  n'en  doute 
pas,  -avec  intérêt. 

Cependant,  je  ne  puis  résister  au  désir  que  j'éprouve  de  vous 
signaler  un  fait  qui  m'a  frappé  plus  que  toutes  les  merveilles  que 
nous  avons  admirées  pendant  notre  course  artistique.  C'est  la 
mise  en  pratique  d'une  idée  qui  peut,  si  elle  est  suivie,  avoir  pour 
ce  département  d'immenses  résultats.  Cette  idée  est  bien  simple  ; 
mais  les  idées  simples-  ne  viennent  pour  l'ordinaire  qu'aux  gens 
d'esprit;  ne  soyons  donc  pas  étonnés  si  elle  a  été  conçue  par 
■  notre  honorable  confrère,  M.  le  comte  de  Moustier.  Cette  idée 
est  d'avoir  fait  inscrire  sur  les  parois  des  murs  de  la  sacristie  de 
l'église  de  sa  résidence,  les  fastes  de  ce  monument.  Vous  figurez- 
vous.  Messieurs,  cette  idée  généralement  adoptée  dans  les  églises 
ol  dans  les  écoles?  A  force  de  voir  et  de  lire  ces  inscriptions  dès 
leur  enfance,  tous  les  habitants  connaîtraient  l'histoire  de  leur 
commune,  et  leur  relevé  fournirait  l'histoire  murale  du  départe- 
ment. 

Notre  honorable  confrère  M.  Teyssier  des  Farges,  pour  aider 
la  Société  dans  ses  recherches,  a  fait  fouiller  à  ses  frais  deux 
des  anciens  puits  qui  existent  à  Châteaubleau  ;  il  a  confié  la 
direction  de  ce  travail  ù,  M.  Burin,  l'instituteur  de  SainL-Just, 
notre  confrère  si  honorablement  connu  de  la  Société  entière.  Le 
premier  de  ces  puits  a  fourni,  au  milieu  d'une  vase  noirâtre 
mêlée  de  débris  d'ossements,  un  grand  nombre  de  moules  à 
monnaies,  en  terre  réfractaire,  tous  du  m"  siècle,  et  entr'autres 
deux  moules  renfermant  encore  la  pièce  qui  y  était  coulée.  Cette 
découverte  donnera  lieu  à  un  travail  que  nous  promet  M.  Burin. 
En  attendant,  Messieurs,  remercions  M.  Teyssier  des  Farges, 
de  sa  bienveillante  initiative. 

Je  vous  disais  tout  h  l'heure  que  le  nombre  des  membres  était 
près  de  293.  Ce  chiffre,  vrai  il  y  a  quelques  jours,  ne  l'est  plus 
aujourd'hui;  car  la  mort  est  venue  exercer  chez  nous  ses  impi- 
toyables ravages  et  nous  a  enlevé  quatre  de  nos  membres,  dont 


je  crois  devoir,  selon  l'usage  établi  dans  toutes  les  Sociétés 
savantes,  vous  rappeler  ici  le  souvenir. 

En  juin  dernier,  la  Société  perdait,  à  Beton-Bazoches,  un 
de  ses  membres  fondateurs,  M.  Farabeuf,  géomètre  instruit , 
modeste  et  laborieux.  Fatigue  d'un  long  travail  d'arpentage  à 
travers  champs,  M.  Farabeuf,  rentrant  cliez  lui,  sCndormit  en 
lisant  auprès  de  son  foyer  :  une  étincelle  mit  le  feu  à  ses  vête- 
ments, et  ses  jambes  furent  profondément  attaquées  et  excoriées. 
Malgré  des  brûlures  affreuses,  il  se  remit  sur  pied.  Le  repos 
était  nécessaire  pour  son  rétablissement  parfait;  mais  ayant  une 
famille  à  soutenir,  une  femme  enceinte  et  un  enfant  en  bas  âge, 
il  se  remit  au  travail,  malgré  l'avis  contraire  des  médecins  :  les 
plaies  mal  cicatrisées  se  rouvrirent,  le  mal  empira,  la  gangrène 
fit  son  apparition,  et  le  malade  mourut  à  l'âge  de  39  ans,  dans 
d'atroces  douleurs. 

Le  mercredi  16  août,  étant  h  Meaux,  à  la  distribution  des  prix 
d'une  pension  de  demoiselles,  M.  Gal-Ladevèze,  pasteur  de  l'Église 
protestante  et  Président  du  Consistoire,  vint  prendre  place  à  côté 
de  moi  et  me  demanda  si  je  ne  dirais  pas  quelques  mots.  Sur  ma 
réponse  négative,  il  me  quitta  bientôt  pour  visiter  un  autre  éta- 
blissement oti  il  était  également  attendu;  je  le  revis  encore  le 
soir,  au  départ  du  chemin  de  fer  :  il  me  serra  la  main,  et  une 
heure  après  il  avait  cessé  d'exister. 

M.  Gal-Ladevèze  était  un  homme  de  bien,  fervent,  peut-être 
trop  fervent,  si  la  ferveur  n'était  le  résultat  d'une  forte  croyance  ; 
il  était  justement  estimé.  Pendant  un  ministère  de  33  ans,  son 
zèle,  son  activité,  ne  se  sont  jamais  refroidis.  Il  a  gouverné  son 
église  avec  tant  de  tact,  avec  tant  de  prudence,  que  les  deux 
communions  qui  journellement  se  coudoient,  se  sont  mutuelle- 
ment estimées  et  considérées. 

La  bienfaisance  était  une  des  grandes  vertus  de  notre  confrère  : 
il  ne  savait  refuser  à  qui  lui  demandait;  ce  fut  à  ce  point  qu'un 
jour,  devant  se  rendre  à  une  cérémonie,  son  domestique  chercha 
vainement  un  vêtement  indispensable  que  le  tailleur  lui  avait 
apporté  la  veille.  N'en  trouvant  qu'un  vieux,  tout  délabré,  il 
vint  le  demander  à  son  maître.  —  Ne  le  cherchez  pas,  dit  Gal- 
Ladevèze,  un  malheureux  est  venu  vers  moi,  m'a  fait  voir  sa 
misère;  je  lui  ai  donné  le  vêtement  neuf  :  si  je  lui  avais  donné  le 
vieux,  il  serait  revenu  dès  le  lendemain. 

La  Société  n'avait.  Messieurs,  qu'un  seul  membre  à  La  Ferté- 
sous-Jouarre  :  la  mort  l'a  frappé  dans  la  force  de  l'âge,  59  ans. 


—  6  — 

M.  Calland  était  un  philanthrophe  de  l'école  de  Fourier  et  de 
Saint-Simon.  Il  voulait,  il  rêvait,  pardonnez-naoi  le  mot,  le  soula- 
gement de  nos  maux  durant  notre  passage  sur  cette  terre  :  il 
cherchait  à  adoucir  les  fatigues  du  voyage.  Victor  Calland  fut  un 
homme  de  cœur,  un  homme  d'esprit;  il  a  pu  se  tromper,  s'égarer 
dans  les  moyens  h  employer,  mais  le  but  qu'il  cherchait  à  atteindre 
était  religieux,  bon,  moral,  puisque  ce  but  était  le  bien-être 
de  l-'humanité.  Il  est  mort  à  la  suite  d'une  grande  contention 
d'esprit,  estimé  de  tout  le  monde  et  regretté  de  ceux  qui  le 
connurent. 

Le  dernier  qui  nous  quitta  fut  Albert  Decombes,  dont  la  vie 
s'éteignit  à  Fontainebleau,  à  l'âge  de  78  ans,  dans  le  mois  d'août 
dernier. 

M.  Albert  était  un  ancien  pensionnaire  de  l'Académie  impé- 
riale de  musique,  où  il  fut  longtemps  admiré.  M.  Albert  n'était 
pas  un  danseur  dans  la  vulgarité  du  mot  :  M.  Albert  était  artiste, 
homme  de  savoir  et  de  talent.  Pour  M.  Albert,  la  danse  était  un 
art  qu'il  considérait  comme  annexe  de  la  peinture  et  de  la  sculp- 
ture. C'était  pour  lui  la  mise  en  action  de  la  beauté  des  formes,  de 
l'élégance  des  gestes,  de  la  noblesse  des  poses.  L'étude  attentive 
de  l'art  grec  lui  fournissait  ses  modèles.  Les  différents  sujets  de, 
ballets  qu'il  eût  à  composer  ne  furent  pour  lui  que  des  cadres  dans 
lesquels  il  sût  introduire  le  fruit  de  ses  méditations  et  de  ses 
études.  M.  Albert,  Messieurs,  était  éminemment  artiste,  il  unis- 
sait te  goût  au  savoir  et  l'esprit  à  l'amabilité.  Il  avait  la  passion 
des  belles  et  vieilles  choses,  savait  les  collectionner  avec  goût  et 
discernement.  La  collection  d'antiquités  dont  il  s'est  défait  quel- 
ques années  avant  sa  mort,  était  fort  renommée.  J'ajouterai  que 
l\L  Albert  fut  encore  plus  aimé  de  ses  amis  qu'il  ne  fut  admiré 
du  public.  Que  puis-je  dire  de  plus  en  l'honneur  de  son  carac- 
tère? 

Voilà  les  pertes  regrettables  que  la  Société  vient  d'éprouver  : 
elle  a  perdu  un  prédicateur,  un  philanthrope,  un  artiste  et  un  ma- 
thématicien. Tous,  dans  le  rôle  qui  leur  était  réservé  sur  cette 
terre,  cherchaient  ;\  nous  faire  comprendre,  les  uns  par  la  parole 
les  grandes  vertus  morales,  les  autres  certaines  idées  par  la  mani- 
festation de  formes  et  de  certains  signes  extérieurs. 

Le  monde  entier.  Messieurs,  est  un  grand  théâtre  où  nous  nous 
exerçons  sans  cesse,  par  la  volonté  de  Dieu,  à  démêler,  sous  des 
symboles  matériels,  des  idées  morales.  Adressons  donc  un  dernier 
adieu.   Messieurs,  à  nr^s  regrettes   confrères.  Il   ne  faut  pas  que 


l'homme  juste,  que  l'homme  de  savoir  que  nous  admettons  parmi 
nous  puisse  quitter  ce  monde  sans  qu'une  parole  de  souvenir  soit 
dite  en  votre  nom  par  celui  qui  a  l'honneur  de  se  trouver  à  votre 
tête. 

Je  termine,  Messieurs,  comme  j'avais  commencé,  par  un  re- 
mercîment  que  j'adresse,  au  nom  de  la  Société,  à  M.  le  baron  de 
Beauverger,  le  député  du  département. 

Si  on  est  sûr  de  le  voir  aux  premiers  rangs  quand  il  y  a  un  in- 
cendie à  comprimer,  un  désastre  à  réparer,  une  palme  ou  un  bien- 
fait à  répandre,  il  nous  prouve,  par  sa  présence  en  ces  lieux,  qu'il 
sait  accorder  également  sa  sympathie  et  son  intérêt  à  toutes  les 
institutions  qui,  comme  la  nôtre,  s'occupent  de  sciences,  de  lettres 
et  d'art. 

La  Société  remercie  également  MM.  les  membres  de  la  Section 
de  Fontainebleau  de  la  peine  qu'ils  se  sont  donnée  pour  accomplir 
la  mission  qui  leur  avait  été  confiée,  et  elle  me  charge  de  les  com- 
plimenter sur  la  parfaite  organisation  de  cette  séance.  » 

Après  cette  improvisation  vivement  applaudie  ,  la  parole  est 
donnée  à  M.  le  docteur  Tabouret  (section  de  Fontainebleau),  qui 
lit,  sur  l'usage  et  l'historique  des  cloches,  quelques  pages  d'un 
travail  relatif  à  celles  de  l'arrondissement  de  Fontainebleau. 

M.  Eugène  Grésy,  président  de  la  section  de  Melun,  dans  une 
notice  descriptive,  avec  dessins  à  l'appui,  signale  un  retable  sculpté 
au  xvi^  siècle  par  Jacques  Ségogne,  artiste  natif  de  Recloses,  et 
qui  existe  à  peu  près  ignoré  dans  l'église  de  ce  village,  près  La 
Ghapelle-la-Reine. 

Sous  le  titre  sans  prétention  de  Causerie  sur  Poinsinet,  M.  Ga- 
briel Leroy  (section  de  Melun)  rappelle,  à  grands  traits ,  le  souve- 
nir de  cet  écrivain  dramatique,  originaire  de  Fontainebleau,  et  qui 
se  fit  une  assez  singulière  réputation  au  dernier  siècle. 

M.  Labiche  père  (section  de  Melun)  dit  trois  poésies,  deux  fa- 
bles :  la  Rose  et  la  jeune  fille;  le  fabuliste  et  Jean  Lapin,  et  une  poé- 
sie légère  intitulée  le  Myosotis. 

Le  secrétaire-général  de  la  Société,  M.  Th.  Lhuillier,  lit  une 
étude  sur  une  famille  de  peintres,  valets  de  chambre  du  Roi,  — 
Ambroise  Dubois,  ses  fils  et  petits-fils,  —  qui  se  succédèrent  à 
Fontainebleau  depuis  la  fin  du  xvf  siècle  jusque  vers  le  milieu  du 
xviii%  et  s'y  distinguèrent  non  moins  par  leur  honorable  carac- 
tère que  par  l'habileté  de  leur  pinceau. 

En  l'absence  et  au  nom  de  M.   Léon   Escudier  (Section  de 


—  8  — 

Meaux),  M.  A.  Carro  communique  un  charmant  travail  intitulé  : 
DE  Paris  a  Fontainebleau,  souvenirs  et  impressions. 

M.  Gaultron  (Section  de  Fontainebleau)  traite  ensuite  de  la  gra- 
vure^ au  point  de  vue  des  œuvres  de  l'Ecole,  dite  de  Fontainebleau. 

La  parole  est  demandée  par  M.  Fontaine  (de  Melun),  qui,  sous 
le  titre  de  Promenade  de  Melun  à  Fontainebleau,  lit  un  article  non 
inscrit  à  l'ordre  du  jour. 

M.  Carro,  président  de  la  Section  de  Meaux,  entre  dans  de  cu- 
rieux détails  d'observation,  à  propos  des  grottes  aux  fées  de  La 
Ferté-Gaucher  et  de  Grouy-sur-Ourcq. 

Puis,  M.  ToRCHET  (Section  de  Meaux)  termine  la  série  des  lec- 
tures par  des  recherches  et  des  considérations  sur  la  musique  des 
Francs,  à  l'époque  mérovingienne. 

M.  le  président  exprime  à  l'Assemblée  ses  regrets  de  ne  pou- 
voir entendre,  en  raison  de  l'heure  avancée,  deux  notices  inté- 
ressantes portées  à  l'ordre  du  jour  de  la  séance  :  les  Capitaineries 
des  Chasses,  par  M.  Domët,  et  le  Pignon  de  Sainte-Aubierge,par 
M.  V.  Plessier. 

La  musique  a  alterné  avec  les  lectures  :  Mlle  Gonnet,  habile 
élève  d'Allart,  MM.  Hollebeck,  Robyn,  Gary,  lauréat  du  Con- 
servatoire, et  M.  Baumann,  pianiste  distingué,  ont  prêté  à  cette 
séance  tout  le  charme  de  leurs  talents. 

Avant  la  fin  de  la  séance  qui  est  levée  à  quatre  heures  et  demie, 
M.  le  baron  de  Beau  verger  annonce  au  Président  qu'il  a  l'intention 
d'offrir  une  médaille  d'or  et  un  sujet  de  concours  à  la  Société. 
En  effet,  dès  le  lendemain  M.  le  marquis  de  Pontécoulant  recevait 
la  lettre  ci-après  : 

Bue,  le  16  octobre  1865. 

«  Mon  cher  et  honorable  Président, 

»  Je  veux  d'abord  vous  remercier  de  votre  bon  accueil  et  de  tout 
»  le  plaisir  que  m'a  fait  notre  intéressante  séance.  Notre  Société 
»  a  déjà  toute  la  vie  et  les  éléments  de  succès  d'une  vieille  institu- 
))  tion,  et  cela  grâce  à  vos  efforts  et  au  zèle  de  tous  nos  confrères. 
»  Comme  je  vous  le  disais  l'autre  jour,  je  voudrais  bien  n'être  pas 
»  seul  oisif  dans  une  ruche  si  industrieuse. 

»  Vous  m'avez  assuré.  Monsieur  et  cher  Président,  que  la  So- 
»  ciété  voudrait  bien  agréer,  d'un  de  ses  membres  dévoués,  un 
))  sujet  de  concours  et  une  médaille. 


-   9  — 

»  Voici  d'abord  le  sujet  que  je  me  permettrais  de  vous  offrir  : 

»  Recherches  historiques  sur  l'agriculture  et  la  condition  des  popu- 
))  lations  rurales,  dans  les  contrées  correspondant  au  département  de 
»  Seine-et-Marne,  aux  XVII"  et  XVII I^  siècles. 

»  Comparaison  avec  l'époque  actuelle. 

»  Le  prix  serait  une  médaille  d'or  de  200  francs.  Il  serait  donné 
»  dans  une  séance  générale,  à  Melun  ou  à  Fontainebleau,  au 
n  plus  tôt  une  année  après  l'ouverture  du  concours,  et  plus  tard  si 
»  les  mémoires  envoyés  n'avaient  pas  paru  suffisants. 

»  Veuillez,  Monsieur  et  cher  Président,  faire  part  aux  Sections 
»  de  la  Société,  dans  leur  plus  prochaine  réunion,  du  désir  que 
n  j'ai  l'honneur  de  vous  exprimer,  et  que  vous  avez  déjà  vous- 
»  même  si  généreusement  encouragé. 

»  Permettez-moi  en  même  temps  de  vous  renouveler  l'expres- 
»  sion  de  mes  sentiments  bien  sincères  de  considération  et  de 
»  dévouement. 

i)  Baron  de  Beauverger.  » 


—  10  — 


PROCÈS-VERBAUX  DES  SECTIONS. 


SECTION   DE  COULOMMIERS. 


SÉANCE  DU  12  NOVEMBRE  1865. 
Présidence    de    M.    Anatole    DAUVERGNE. 

M.  le  Président  invite  les  membres  de  la  Section  à  procéder  à 
l'élection  de  trois  candidats  inscrits  depuis  longtemps  : 

1°  M.  le  eomte  de  Gourcy,  président  de  la  hîociété  d'agriculture 
de  Rozoy,  comice  de  Goulommiers,  présenté  par  le  bureau  de  la 
Société  ; 

2°  M.  Flamand,  propriétaire  à  Rebais  ; 

3"  M.  Pierre  Lelêvre,  aux  Aulnois,  commune  de  Saints; 

Ces  deux  derniers,  proposés  par  MM.  Chemin  et  Anatole  Dau- 
vergne. 

Ces  membres  nouveaux  sont  admis  à  l'unanimité  des  suffrages, 
et  M.  Pierre  Lefèvre  est  invité  à  prendre  part  aux  travaux  de  la 
Section. 

M.  le  Président  fait  ensuite  plusieurs  communications  qui  in- 
téressent la  Société  d'archéologie. 

Il  annonce  la  proposition  faite  le  16  octobre  dernier  par  M.  le 
baron  de  Beauverger,  député,  d'un  sujet  de  concours  et  d'une 
médaille  d'or  de  200  fr  .comme  prix  accordé  à  l'auteur  du  mémoire 
couronné  par  la  Société  dans  une  séance  générale,  à  Melun  ou  à 
Fontainebleau,  sur  ce  sujet  : 

«  Recherches  historiques  sur  l' agriculture  et  la  condition  des  popu- 
lations rurales,  dans  les  conti^ées  correspjondant  au  département  de 
Seine-et-Marne,  aux  XV 11"  et  XVI II"  siècles.  —  Comparaison  avec 
V époque  actuelle.  » 

La  proposition  de  M- le  baron  de  Beauverger,  accueillie  avec  les 
plus  vifs  sentiments  de  gratitude  par  la  Section,  est  renvoyée  à 
l'approbation  du  Comité  central. 

Dans   la  séance  du   29  janvier   1805,    M.  le   Président  avait 


—  H  — 

appelé  l'attention  de  la  Section  sur  une  proposition  faite  par  M.  Ed. 
Desprez,  relative  à  la  création  d'un  Répertoire  et  d'une  carte  archéo- 
logiques pour  le  département  de  Seine-et-Marne^  proposition  accueillie 
par  la  section  de  Melun. 

M.  Anatole  Dauvergne  fait  remarquer  que  si  les  de-ax  excursions 
entreprises  par  la  Société  en  septembre  1864  et  en  juillet  dernier, 
dans  les  arrondissements  de  Provins  et  de  Meaux,  ont  fourni  aux 
membres  qui  en  faisaient  partie  l'occasion  de  se  rencontrer,  de 
se  connaître,  de  s'apprécier,  et  d'établir  entr'eux  des  relations  de 
sympathie  et  même  d'amitié ,  elles  n'ont  point  jusqu'ici  été  la 
cause  d'études  sérieuses  sur  les  monuments  visités.  Les  plus 
étranges  méprises  ont  eu  lieu ,  notamment  à  Jouarre 

Avant  d'entreprendre  un  travail  de  cette  importance  et  qui 
exige  une  grande  variété  de  connaissances,  il  serait  urgent  de  pou- 
voir constater  l'aptitude  des  travailleurs.  En  méconnaissant  cette 
première  condition  de  l'œuvre  réclamée  par  M.  E.  Desprez,  on 
tomberait  facilement  dans  une  confusion  regrettable.  Ce  qu'il  con- 
vient de  faire,  a  priori,  c'est  un  questionnaire  spécial  adressé  à 
tous  les  membres  de  la  Société  d'archéologie  de  Seine-et-Marne  (I). 
Quand  il  sera  rempli,  transcrit  et  classé,  la  besogne  sera  à  peine 
ébauchée.  On  peut  s'en  convaincre  en  voyant  avec  quelle  lenteur, 
nécessaire  et  impossible  à  éviter,  le  Comité  impérial  des  travaux 
historiques  poursuit  la  publication  des  répertoires  archéologiques 
des  départements. 

La  Section  accepte  les  observations  de  M.  le  Président,  et  de- 
mande leur  insertion  au  procès-verbal. 

Le  Président  appel  le  l'attention  de  la  Section  sur  l'ancienne  église 
des  Bénédictins  de  La  Celle-en-Brie  qui  a  été  vendue  récemment 
avec  d'autres  immeubles  à  M.  Théodore  Louis,  ancien  arpenteur 
à  La  Celle.  On  assure  que  l'acquéreur  se  propose  de  faire  dispa- 
raître totalement  les  derniers  débris  de  ce  monument,  qui  peut 
être  considéré  comme  l'élément  le  plus  pittoresque  de  notre  vallée 
du  Morin.  Cette  destruction  serait  certainement  regrettable;  les 
efforts  de  la  Section  doivent  tendre  à  l'ajourner,  afin  de  pouvoir 
présenter  l'an  prochain  aux  excursionnistes  de  la  Société  d'ar- 
chéologie, ce  spécimen  de  l'architecture  bénédictine  dans  nos  con- 
trées. M.  Anatole  Dauvergne  insiste  particulièrement  pour  la  con- 
servation d'un  fragment  de  tombe  de  la  fin  du  xiii^  siècle,  mutilée 

(1)  Ce  questionnaire  a  été  envoyé  à  MJl.  les  Instituteurs,  et  plusieurs  d'entre  eux 
ont  déjà  fait  parvenir  leurs  réponses. 


-  12- 

depuis  longtemps,  qu'il  croit  être  celle  de  Gautier,  prieur  de  La 
Celle,  qui  reconstruisit  l'église  et  mourut  en  1278. 

M.  le  Président  demande  à  la  Section  de  ne  négliger  aucun 
moyen  pour  sauver  ce  débris  intéressant,  sans  valeur  vénale,  sans 
utilité,  et  qui  figurerait  avec  honneur  dans  le  Musée  de  notre  arron- 
dissement. 

La  Section  approuve  ces  conclusions  et  plusieurs  membres  se 
proposent  d'intervenir  officiellement  pour  la  conservation  de  cette 
tombe. 

M.  le  Président  entretient  ensuite  la  Section  des  fouilles  en- 
treprises dans  le  courant  de  l'été  dernier,  sur  la  place  Notre-Dame 
à  Melun,  au  moyen  des  fonds  alloués  par  la  commission  de  la  To- 
pographie des  Gaules  et  par  le  Conseil  municipal  de  Melun. 

Les  cippes  ou  autels  votifs,  rencontrés  à  Melun,  sont  extrême- 
ment curieux;  on  y  voit  représentés  en  bas-relief:  Vénus,  Hercule, 
Apollon,  qui,  malgré  leur  état  fruste,  témoignent  d'un  art  avancé 
et  certainement  supérieur  aux  sculptures,  du  même  âge,  décou- 
vertes dans  l'Allier  par  feu  E.  Tudotet  M.  Esmormot,  et  dans  la 
Haute-Loire  par  M.  Auguste  Aymard. 

Notre  collègue  M.  Gabriel  Leroy,  secrétaire  de  la  Section  de 
Melun,  a  suivi  ces  fouilles  avec  une  grande  attention  et  les  a  dé- 
crites. C'est  aussi  à  son  dévouement  et  à  son  intelligence ,  ainsi 
qu'au  zèle'de  M.  Courtois,  directeur,  ou  plutôt  fondateur  du  Mu- 
sée de  Melun,  que  l'on  doit  le  classement  des  monuments,  prove- 
nant de  ces  fouilles,  dans  une  galerie  de  l'Hôtel-de-Villc  qui  suffit 
à  peine  à  les  contenir. 

Le  Président  met  sous  les  yeux  des  membres  présents  deux 
photographies,  représentant  l'état  de  ces  fouilles  au  mois  de  Juillet 
dernier,  avec  une  note  explicative,  en  indiquant  qu'il  avait  semblé 
opportun  à  la  commission  dos  fouilles  qu'un  souvenir  de  cette 
exploration  fut  conservé  dans  les  archives  de  chaque  Section  de  la 
Société  d'archéologie. 

A  ce  propos,  un  membre  demande  où  sera  placé  le  dépôl  des 
archives  de  la  Section  de  Goulommiers. 

M.  Ludovic  de  Maussion,  maire  de  Coulommiers,  répond  qu'un 
casier  spécial  de  la  bibliothèque  peut  être  affecté  à  ce  dépôt,  dont 
la  surveillance  appartiendrait  à  M.  Anatole  Dauvergne.  conserva- 
teur honoraire  de  la  bibliothèque  publique  et  à  M.  le  secrétaire  de 
la  Section  d'archéologie. 

M.  Chemin  lit  ensuite  une  note  sur  la  découverte  d'une  inscrip- 
tion trouvée  dans  la  ferme  de  la  Boisserotte,  ancienne  commune 


—  13  — 

de  La  Boissière  et  de  Saints  aujourd'hui,  contenant  le  texte  d'une 
fondation  faite  à  la  fin  du  xvii"  siècle,  dans  l'église  de  Saint- 
Étienne  de  Touquin,  par  Jean  Gharlier,  marchan(|.en  draps,  or  et 
soye,  et  Catherine  Ghauchet,  sa  femme,  à  la  charge  de  dire  des 
messes,  etc.,  etc.  Ce  document  qui  n'est  pas  dépourvu  d'intérêt 
sera  envoyé  au  Comité  central. 

M.  Victor  Plessier  donne  lecture  d'un  mémoire,  intitulé  :  le  Pi- 
gnon de  Sainte-Aubierge,  travail  intéressant  qui  ouvre  de  nouvelles 
perspectives  à  l'étude  du  curieux  monolithe  resté  debout  au  milieu 
de  l'ancien  étang  de  Maillard.  —  Les  théories  de  M.  Plessier  sont 
tout  à  ftiit  nouvelles  et  en  contradiction  complète  avec  tous  les  do- 
cuments publiés  à  l'occasion  de  ce  monument,  dont  l'origine  n'est 
'pas  suffisamment  établie.  La  Section  témoigne  à  M.  Plessier 
tout  rintérêt  qu'elle  prend  à  des  recherches  aussi  consciencieuse- 
ment poursuivies.  Elle  émet  encore  le  vœu,  que  lors  delà  réunion 
générale  qui  aura  lieu  à  Coulommiers  au  mois  d'octobre  1866,  le 
pignon  de  Sainte-x\ubierge  devienne  le  but  d'une  excursion  sé- 
rieuse des  membres  de  la  Société  d'archéologie. 

Le  président  donne  lecture  d'une  étude  archéologique  de  l'ancienne 
Commanderie  de  Chevru^  dépendance  de  l'ordre  de  Malte,  située  dans 
le  canton  de  La  Ferté-Gaucher,  pour  faire  suite  à  la  notice  qu'il  a 
publiée  en  1853,  dans  le  tome  II  du  Bulletin  du  Comité  de  la  langue^ 
de  l'histoire  et  des  arts  de  la  France^  sur  la  Commanderie  de  l'Hôpi- 
tal sur  Coulommiers.  Il  résulte  des  observations  de  M.  Anatole 
Dauvergne  que  les  deux  établissements  sont  presque  identiques, 
et  que  les  proportions  des  chapelles  ne  diffèrent  que  d'une  façon 
presque  inappréciable.  L'auteur,  dans  ces  pages  rapides,  signale 
une  découverte  dont  il  a  donné,  en  temps  utile,  communication  au 
Gouvernement,  celle  du  mobilier  qui  avait  servi  à  Louis  XVI  et  à 
sa  famille  pendant  leur  détention  à  la  tour  du  Temple.  Ce  précieux 
dépôt  est  à  peu  près  ignoré  dans  notre  arrondissement.  En  ter- 
minant, il  réclame  l'attention  de  la  Section  sur  un  débris  de  dalle 
funéraire,  gisant  dans  les  fumiers  de  la  ferme  de  la  Commanderie 
et  qui  paraît  appartenir  à  la  tombe,  décrite  par  le  P.  Anselme, 
dans  son  Histoire  chronologique  delà  maison  de  France,  d'Arnoald  de 
Vesemalle,  Chevalier  de  l'Ordre  de  la  Milice  du  Temple,  Souverain 
maître  d'hôtel  de  Philippe-le-Hardi,  mort  le  14  août  1291,  et  pa- 
rent du  Roi  par  sa  femme  Alix^  fille  de  Henry  I",  duc  de  Bra- 
bant  et  de  Mahaut  de  Boulogne. 

«  Si  cette  tombe,  —  ajoute  M.  Anatole  Dauvergne,   —  est, 
»  comme  j'incline  à  le  croire,  celle  de  l'illustre  Templier,  ne  pen- 


—  14  — 

»  serez-vous  pas,  Messieurs,  que  ceux  des  membres  de  notre  Sec- 

))  tion  qui  peuvent  être  en  relations  d'tiabitudes  ou  d'afTection  avec 

«  le  propriétaire  actuel  de  la  Gommanderie  de  Chevru,  seraient 

»  bien  inspirés  en  sollicitant  de  sa  bienveillance  le  don  de  ce  frag- 

»  ment  oublié,  à  notre  Musée  qui  doit  devenir,  selon  le  vœu  de 

»  notre  Société  d'archéologie,  le  dépôt  de  tous  les  éléments  histo- 

')  riques  rencontrés  sur  le  sol  de  notre  arrondissement?  » 
Cette  proposition  est  adoptée. 


SECTION   DE  FONTAINEBLEAU. 


SÉANCE  DU  7  AOUT  1865. 
Présidence  de  M.  J.  DA  VID. 

M.  le  Président  fait  aux  membres  présents  diverses  com- 
munications d'intérêt  particulier  à  la  Section.  Il  lit  ensuite  une 
notice  sur  Champollion  jeune,  dont  la  première  partie  a  pu  seule 
être  achevée  avant  la  fin  de  la  séance.  11  montre  d'abord  avec  quel 
goût  inné  pour  la  science,  Champollion  s'enquit  des  études  linguis- 
tiques les  plus  difficiles;  l'Arabe,  l'Hébreu,  le  Chinois,  ne  sont  que 
les  prolégomènes  de  ses  études.  Frappé  de  l'ancienneté  des  races, 
il  se  propose  de  pénétrer  les  secrets  de  l'ancienne  Egypte.  Pendant 
six  ans  il  cherche  le  problème  si  ardu  de  la  lecture  des  hiérogly- 
phes. Sa  première  découverte  est  de  prouver  que  la  seule  langue 
actuelle  qui  pouvait  descendre  des  anciens  Égyptiens  est  le  Copte, 
il  approfondit  cette  langue,  en  fait  une  grammaire  et  un  diction- 
naire. Aussi,  après  avoir  erré  et  recommencé  ses  études  dans  une 
nouvelle  voie,  il  reconnaît  qu'il  y  a  dans  les  inscriptions  de  l'an- 
cienne Egypte  trois  espèces  de  signes  qui  sont  les  figuratifs,  les 
symboliques,  les  phonétiques.  Les  signes  figuratifs  reproduisaient 
les  formes.  Les  symboliques,  une  idée  métaphysique  par  l'image 
d'un  objet  physique  :  ainsi  l'abeille  était  le  signe  symbolique  de 
l'idée  de  roi  ;  les  bras  élevés,  l'idée  d'offrande  ;  un  vase  d'où  l'eau 
s'épand  l'idée  de  libation;  les  signes  phonétiques  exprimaient  les 


sons  de  la  langue  parlée,  et  cette  langue  est  le  Copte.  Cette  décou- 
verte fut  contestée;  GhampoUion  la  défend  et  persuade  ses  adver- 
saires. Il  obtient  une  mission,  —  malheureusement,  l'ardeur  qu'il 
met  à  copier  les  inscriptions  si  nombreuses  des  Temples  usent 
ses  forces;  il  meurt  à  40  ans,  laissant  une  œuvre  incomplète,  sans 
doute,  mais  ayant  créé  une  école  que  M.  J.  David  doit  traiter 
dans  une  prochaine  séance. 


SÉANCE  DU  25  SEPTEMBRE  1865.     * 
Présidence  de  M.  J.  DA  VID.     - 

M.  le  marquis  de  Pontécoulant,  président  delà  Société,  annonce 
à  la  section  de  Fontainebleau  que  la  commission  de  lecture  s'est 
réunie  pour  recevoir  les  mémoires  envoyés  pour  la  Séance  semes- 
trielle et  générale  qui  se  tiendra  le  15  octobre,  à  Fontainebleau. 

M.  J.  David  lit  la  suite  de  son  travail  sur  GhampoUion  jeune;  il 
regrette  que  M.  Letronne  ait  remplacé  directement  GhampoUion 
dans  sa  chaire  d'archéologie  comparée.  M.  Letronne  ne  connais- 
sait les  Égyptiens  que  par  les  Grecs,  et  malgré  sa  science  incon- 
testable, il  rectifie,  critique,  épure  les  traditions,  mais  il  ne  fît 
pas  faire  un  pas  à  la  science  des  hiéroglyphes.  AI.  Lenormand 
s'occupe  plus  d'histoire  que  de  linguistique.  Enfin,  M.  le  vicomte 
de  Rougé  qui  a  adopté  le  système  de  GhampoUion  rend  aux 
études  leur  valeur  et  leur  spécialité.  La  découverte  de  Gham- 
poUion ne  court  plus  risque  d'être  négligée  et  la  science  française 
est  l'égale  des  excursions  allemandes  et  anglaises.  En  analysant 
ainsi  les  recherches  consciencieuses  des  égyptologues  modernes, 
M.  David  termine  la  seconde  partie  de  son  œuvre. 

Après  cette  lecture,  M.  Gaultron,  secrétaire,  rappelle  qu'à  la 
séance  du  31  octobre  dernier,  il  a  sollicité  l'appui  de  la  Section  pour 
la  conservation  au  Château  d'une  collection  de  gravures,  aujour- 
d'hui dispersées,  connues  sous  le  nom  d'Ecole  de  Fontainebleau, 
l'assemblée  a  décidé  qu'il  serait  dressé  un  mémoire  à  cet  effet, 
qui  en  fixerait  les  recherches,  les  traces  et  presque  la  nomen- 
clature. 

A  la  suite  des  renseignements  recueillis  par  lui,  il  communique 
à  l'assemblée  son  travail  et  "soumet  à  l'approbation  la  demande 
que  la  Section,  appuyée  par  le  Comité  central  de  la  Société,  veut 


—  16  — 

adresser  au  Ministre  de  la  maison  de  l'Empereur.  Cette  com- 
munication reçoit  l'approbation  des  membres  présents,  et  après 
quelques  considérations  émises  sur  le  passage  des  maîtres  italiens 
à  travers  l'École  française  du  xvi«  siècle,  M.  de  Pontécoulant 
recommande  cette  lecture  pour  la  séance  générale  du  15  octobre, 
ce  qui  est  adopté. 


SÉANCE  DU  30  OCTOBRE  1865. 
Présidence  de  M.  J.  DA  VID. 

Sur  la  demande  de  plusieurs  membres,  la  Section  a  décidé  que 
la  réunion  générale  tenue  le  15  octobre  à  Fontainebleau,  serait 
mentionnée  au  procès-verbal  ,  ainsi  que  le  compte-rendu  du  se- 
crétaire-général de  la  Société,  aussitôt  qu'il  sera  communiqué. 

"Il  est  donné  connaissance  d'un  projet  de  lettre  adressée  à  M.  le 
Ministre  des  Beaux-Arts,  dans  laquelle  la  section  de  Fontainebleau 
demande  la  réunion  dans  une  salle  du  château,  de  la  collection 
des  gravures  dites  :  Ecole  de  Fontainebleau  ;  ce  projet  reçoit  la  si- 
gnature de  tous  les  membres  présents. 

Le  Président  communique  à  la  Section  une  lettre  de  M.  le  baron 
de  Beauverger,  offrant  un  prix  pour  le  meilleur  mémoire  sur  la 
question  :  Recherches  historiques  sur  V agriculture,  etc. ,  etc.  Cette 
offre  est  acceptée  et  l'assemblée  charge  le  Président  de  témoi- 
gner à  M.  de  Beauverger  toute  sa  gratitude. 

M.  Tabouret  lit  la  seconde  partie  do  V Historique  des  cloches  du 
canton  de  Fontainebleau.  Ce  travail  est  écouté  avec  d'autant  plus 
d'intérêt  que  les  parrains  et  marraines  de  ces  cloches  sont  de 
hauts  personnage^* existant  encore  dans  notre  localité,  ou  dont  le 
souvenir  n'est  point  effacé  dans  les  traditions  de  la  contrée. 

M.  Domet  fait  part  d'un  travail  savamment  étudié  sur  les 
Capitaineries  des  chasses,  et  dont  la  lecture  n'avait  pu  avoir  lieu 
dans  l'assemblée  générale,  faute  de  temps.  Cette  page  d'histoire 
habilement  tracée  a  été  jugée  par  l'assemblée  digne  de  figurer  au 
bulletin. 


—  17  — 

SÉANCE  DU  27  NOVEMBRE  1863. 
Présidence  de  M.  J.  DA  VID. 

M.  Tabouret  lit  la  première  partie  d'un  Essai  sur  Lavater, 
l'auteur  de  la  science  physiognomonique,  considéré  à  ce  point  de 
vue  philosophique  que,  chez  les  hommes  de  génie,  on  trouve  sou- 
vent un  grain  de  folie. 

Cette  thèse,  aux  yeux  de  quelques  membres,  a  semblé  présenter 
un  côté  paradoxal,  et  a  soulevé  quelques  objections  contre  les- 
quelles l'auteur  n'a  point  protesté,  mais  qu'il  accepte  sous  toute 
réserve. 

M.  David  continue  la  communication  de  son  Etude  sur  la  vie  de 
Champollion  jeune.  Chaque  époque  est  l'objet,  de  la  part  de  l'auteur, 
d'une  judicieuse  analyse  qui  complète  les  recherches  de  Champol- 
lion et  fait  de  ce  travail  consciencieux,  étayé  par  les  découvertes 
les  plus  récentes  de  la  science  hiéroglyphique  une  œuvre  nouvelle. 


SÉANCE    DU    29    JANVIER    1866. 
Présidence  de  M.  J.  DA  VID. 

M.  le  marquis  de  Pontécoulant,  président  de  la  Société  et  du 
Comité  central,  assiste  à  la  séance. 
Sont  présents  : 

MM.  J.  David,  Tabouret,  Thibault,  Marin-Darbel,  Fourneret, 
l'abbé  Gillet,  Chennevière,  Beauvilliers,  Cauthion,  Darridan,  Elias 
(11  membres.) 

Le  procès-verbal  de  la  dernière  séance  est  lu  et  adopté  sans 
observation. 

M.  le  président  communique  à  l'assemblée  une  circulaire  éma- 
nant du  Ministère  de  l'Instruction  publique,  relative  à  l'admission 
et  à  la  longueur  des  Mémoires  destinés  à  être  lus  à  la  Sorbonne. 

Dans  une  seconde  lettre  adressée  par  le  Président  de  la  Société, 
M.  l'Archiviste  de  la  Section  est  invité  à  faire  parvenir  au  Co- 
mité central  l'inventaire  de  tous  les  objets  donnés  à  la  Section, 
livres,  médailles  o\i  autres  dons  faits  par  les  membres  de  la  Société, 
ou  par  des  personnes  étrangères.  Cet  inventaire  portera  les  numé- 
ros d'ordre  sous  lesquels  les  objets  sont  catalogués  aux  archives. 
Cette  pièce  doit  figurer  au  prochain  bulletin. 

2 


—  18  — 

Plusieurs  membres  signalent  l'opportunité  d'un  Musée  dans 
lequel  on  réunirait  tous  les  objets  curieux  que  peut  fournir  la  lo- 
calité. Cette  proposition,  favorable  aux  études  archéologiques, 
reçoit  l'approbation  de  l'Assemblée ,  bien  qu'on  ne  puisse  aujour- 
d'hui, faute  de  local,  prévoir  l'époque  oh  l'on  donnera  suite  à  un 
projet  si  utile. 

La  commission  de  la  Topographie  des  Gaules  a  adressé  à  la 
Section,  par  l'intermédiaire  du  Président  de  la  Société,  une  feuille 
dessinée  des  haches  en  bronze.  Le  but  de  cet  envoi  est  de  provo- 
quer les  observations  des  archéologues,  et  d'arriver  au  moyen 
d'établir  une  bonne  classification  des  haches,  suivant  leurs  formes 
et  leurs  rapports. 

La  Section  de  Fontainebleau  a  vu ,  avec  regret ,  imprimé  à  la 
tête  du  deuxième  bulletin ,  un  manifeste  rappelant  sans  motif  les 
débats  qui  ont  eu  lieu  autrefois  entre  le  Comité  central  et  la  So- 
ciété spéciale  des  lettres,  sciences  et  arts  de  Fontainebleau. 
M.  J.  David,  Président  de  la  Section,  personnellement  en  cause, 
s'en  est  justement  ému,  et  demande  à  la  Section  d'archéologie  de 
Fontainebleau  un  avis  motivé,  déclarant  qu'il  serait  dans  la  né- 
cessité de  donner  sa  démission  s'il  pouvait  prévoir  que  sa  conduite, 
dans  cette  circonstance  ,  pût  être  blâmée  par  les  membres  de  la 
Section  qu'il  représente. 

Le  Président  de  la  Société,  présent  à  la  séance,  donne  des 
explications  qui  atténuent  la  valeur  de  cette  insertion  et  ne  lui 
laissent  que  la  portée  d'un  simple  procès -verbal  et  n'ayant,  qu'à 
ce  titre,  joui  du  droit  d'impression  dans  le  bulletin. 

Par  suite  de  ces  explications,  la  Section  de  Fontainebleau  refuse 
^la  démission  de  son  président,  et  elle  espère  que  cette  insertion  ne 
nuira  en  aucune  façon  à  la  bonne  entente  des  deux  Sociétés. 

Cet  incident  terminé,  M.  Beauvilliers  donne  lecture  de  la  pre- 
mière partie  du  compte- rendu  de  la  deuxième  excursion  archéo- 
logique, dans  le  département.  Il  nous  introduit  dans  le  magnifique 
château  de  Ferriôres,  fait  l'histoire  de  cette  célèbre  résidence,  et 
nous  fait  apprécier,  en  véritable  connaisseur,  tous  les  chefs- 
d'œuvre  que  le  propriétaire  actuel  y  a  réunis. 

L'ordre  du  jour  épuisé,  la  séance  est  levée  à  quatre  heures. 


—  19  — 


SECTION  DE  WIEAUX. 


SÉANCE  DU  27  JUILLET  1865. 
Présidence  de  M.  CARRO  père. 

Le  Président  dépose  sur  le  bureau  les  ouvrages  suivants,  offerts 
par  leurs  auteurs  : 

Notice  sur  une  inscription  découverte  dans  le  Novarrais,  par 
M.  Alfred  Maury  ; — Essai  sur  les  sanctuaires  primitifs,  par  M.  Ch. 
Toubin,  de  Salins  ; — Épreuves  photographiques  de  vues  des  fouilles 
laites  dans  les  substructions  Gallo-Romaines  de  Melun,  avec  une 
notice  descriptive,  par  M.  G.  Leroy,  de  Melun  ;  —  Mémoire  sur 
les  monuments  primitifs,  par  M.  Carro  père. 

Des  remercîments  ont  été  votés  au  sujet  de  ces  dons. 

Il  est  donné  à  l'assemblée  lecture  d'une  lettre  de  M.  de  Ponté- 
coulant,  Président  de  la  Société,  invitant  la  Section  à  s'entendre 
avec  la  Société  d'Agriculture  pour  faire  en  commun,  l'hiver  pro- 
chain, les  cours  publics  suivants  :  —  Cours  sommaire  d'Histoire 
locale;  —  Cours  de  Géographie  locale;  —  d'Hygiène  populaire;  — 
d'Astronomie  ;  —  de  Littérature  élémentaire.^ 

Une  commission  est  nommée  pour  l'organisation  de  ces  confé- 
rences ;  elle  se  compose  de  MM.  Carro  père,  le  docteur  Le  Roy, 
de  Colombel,  Torchet  et  Lespermont. 

MM.  Cinot  et  Petithomme  ajoutent  à  la  proposition  qui  pré- 
cède, celle  qu'il  soit  fait  dans  le  sein  de  la  Société  une  conférence 
sur  l'archéologie  ;  un  des  membres  traiterait  pendant  une  demi- 
heure  une  question  archéologique  élémentaire. 

Cette  proposition  a  été  prise  en  grande  considération  et  il  sera 
avisé  à  sa  mise  en  exécution. 

n  est  proposé  également  que  deux  médailles  d'argent,  petit  mo- 
dule, pour  l'enseignement  de  l'histoire,  en  seconde  et  en  troisième, 
dans  le  collège  de  Meaux,  soient  ajoutées  à  la  médaille  déjà  attri- 
buée par  la  Société  à  la  classe  de  rhétorique. 

Cette  proposition  sera  l'objet  d'une  discussion  ultérieure. 

L'assemblée  a  entendu  avec  intérêt  les  deux  lectures  suivantes  : 

Une  très-curieuse  et  consciencieuse  étude  de  M.  l'abbé  Bêche- 


—  20  — 


ret,  curé  de  Monthyon,  sur  le  Plessis-VEvêque,  origine^  étymologie, 
souvenirs  historiques,  description  de  belles  pierres  tumulaires,  etc. 
Puis,  la  suite  du  très-remarquable  travail  de  M.  Torchet,  sur 
V  Histoire  de  la  musique  chez  les  Francs. 


SÉANCE  DU  2  OCTOBRE  1863. 
Présidence  de  M.  GARRO  père, 

M.  Lefebvre-Thiébault  présente  à  la  Société  divers  objets  re- 
cueillis à  Meaux,  dans  les  portions  du  lit  de  la  Marne,  laissées  à 
découvert  par  les  basses  eaux  actuelles  :  on  y  remarque  la  repré- 
sentation en  plomb  d'un  petit  soufflet,  symbole  du  souffle  de  l'es- 
prit divin,  avec  inscription  en  lettres  gothiques;  un  méreau  ou  je- 
ton de  présence  du  chapitre  de  la  cathédrale,  et  une  médaille  en 
bronze  de  Roveca,  divinité  qui  paraît  avoir  été  la  personnification 
de  la  rivière  d'Ourcq. 

La  Société  reçoit  avec  un  vif  intérêt  les  communications  sui- 
vantes : 

Des  photographies  de  la  section  de  Melun,  représentant  les  nou- 
velles découvertes  (bas-reliefs)  faites  dans  les  fouilles  de  Melun. 

De  M.  Plicque,  maire  de  Vignely,  des  fragments  nombreux  et 
divers  de  forme,  d'un  collier  d'ivoire  qui  entourait  le  cou  d'un 
squelette  trouvé  dernièrement  à  60  ou  70  centimètres  sous  terre,  à 
500  mètres  environ  de  Vignely,  tout  près  du  chemin  qui  conduit  de 
ce  village  à  Isles-les-Villenoy;  des  débris  d'ossements  du  squelette 
et  un  échantillon  de  la  terre  qui  le  recelait  sont  joints  à  cet  envoi. 
Le  Président  donne  lecture  de  deux  lettres  de  M.  Plicque,  conte- 
nant quelques  détails  sur  les  circonstances  de  la  découverte. 

A  cette  occasion,  M.  le  docteur  Le  Roy  demande  que  l'on  ajoute 
au  questionnaire  destiné  à  MM.  les  instituteurs,  la  recommanda- 
tion de  sauvegarder,  autant  que  possible,  dans  des  fouilles  analo- 
gues, les  ossements  de  la  tête  qui  peuvent  seuls  fournir  les  indica- 
tions sur  les  diverses  races. 

M.  de  Blavette,  propriétaire  du  domaine  de  Montceaux,  pré- 
sente des  pièces  de  monnaie  et  médailles  de  Henry  IV,  du  duc  de 
Mantoue,  de  Louis  XIV,  et  un  sceau  en  cuivre,  trouvés  dans  l'en- 
ceinte de  l'ancien  château  de  Catherine  de  Médicis  et  de  Gabrielle. 

M.  Andrieux,  surveillant  général  au  collège  de  Meaux,  présente 


—  21  — 

une  petite  statuette  en  bronze,  d'un  fort  bon  style,  d'environ  sept 
centimètres  de  hauteur,  représentant  ou  la  Sainte-Vierge  ou  une 
sainte,  trouvée  presque  à  fleur  de  terre,  auprès  de  Mauriac  (Can- 
tal), dans  le  voisinage  d'un  dolmen. 

M.  de  Blavette  veut  bien  offrir  à  la  section  le  sceau  ou  cachet 
dont  il  est  fait  mention  ci-dessus;  M.  Andrieux  offre  également  sa 
statuette  ;  des  remercîments  unanimes  sont  votés  à  ce  sujet,  ainsi 
qu'à  M.  Plicque. 

Le  Président  rend  un  juste  hommage  de  regrets  à  la  mémoire 
de  MM.  Ladevèze  et  Galland,  membres  de  la  Section,  récemment 
décédés,  et  la  séance  se  termine  par  les  lectures  que  font 
MM.  Torchet,  de  la  portion  de  son  Traité  de  l'ancienne  musique 
qui  concerne  les  Mérovingiens,  et  Garro  père,  d'une  notice  sur  les 
Grottes  aux  Fées,  et  notamment  sur  celles  de  La  Ferté-Gaucher  et 
Crouy-sur-Ourcq. 


SÉANGE  DU  4  DÉCEMBRE  1865. 
Présidence  de  M.  CARRO  père. 

A  l'ouverture  de  la  séance,  M.  Gavé  dépose  sur  le  bureau  les 
objets  suivants  :  1°  Un  bloc  assez  considérable  d'une  substance 
noire,  trouvé  au  fond  du  Grand-Morin,  à  peu  de  distance  de  sa 
réunion  avec  la  Marne;  cette  substance  qui,  bien  qu'un  peu  alté- 
rée, paraît  avoir  beaucoup  d'analogie  avec  le  caoutchouc,  sera  ana- 
lysée ;  2°  Une  géode,  ou  peut-être  un  ossement  fossile  trouvé  en 
Berry,  dans  une  masse  de  granit  ferrugineux,  dont  un  fragment 
l'accompagne.  Cet  objet,  surtout,  pourra  être  l'occasion  d'une  très- 
sérieuse  étude. 

Le  Président  donne  un  rapide  aperçu  de  la  séance  générale  de 
la  Société,  tenue  à  Fontainebleau  le  15  octobre;  puis,  il  fait  con- 
naître la  lettre  qu'il  a  adressée  au  Ministre  de  l'Instruction  pu- 
blique, afin  d'obtenir  les  autorisations  nécessaires  pour  les  confé- 
rences à  faire  cet  hiver  à  Meaux.  Les  autorisations  demandées  sont 
au  nombre  de  cinq,  indépendamment  de  celle  qui  a  été  accordée 
particulièrement  à  M.  de  Pontécoulant. 

L'assemblée  entend  la  lecture  d'une  Note  de  M.  Lefebvre-Thié- 
bault,  sur  des  sceaux  des  XV^  et  XVIP  siècles,  de  la  famille  Gosset, 
de  Meaux,   contenant  de  curieux  détails  biographiques  sur  deux 


—  22  — 

membres  de  cette  famille  qui  eut  longtemps  une  certaine  notoriété 
dans  la  ville. 

M.  Torchet  lit  un  Mémoire  historique  et  critique,  fruit  de  sa- 
vantes recherches,  et  rapportant  des  faits  intéressants  et  peu  con- 
nus sur  la  légende  de  Sainte-Cécile,  comme  patronne  des  musiciens. 

Le  Président  donne  lecture  d'une  notice,  accompagnée  de  des- 
sins, sur  quelques  Facéties  artistiques  du  moyen-âge.  Il  n'est  ques- 
tion là,  bien  entendu,  que  des  facéties  acceptables,  à  l'exclusion 
de  tant  de  productions  trop  libres  que  nous  ont  laissées  les  artistes 
de  cette  époque. 

Le  Président  invite  ceux  de  ses  collègues  qui  se  proposeraient 
de  prendre  part  aux  lectures  qui  se  font  dans  la  réunion  des  mem- 
bres des  Sociétés  savantes  à  la  Sorbonne,  pendant  les  vacances  de 
Pâques ,  à  vouloir  bien  lui  adresser  leurs  manuscrits,  en  sorte 
qu'il  puisse  les  transmettre  avant  la  fin  de  février. 

Sont  nommés  membres  titulaires ,  MM.  Philarète  Ghasles, 
d'Isles-lès-Villenoy;  Ri  dan,  de  Villenoy;  Plée,  Morlot,  deMcaux; 
Adolphe Thiébault,  propriétaire  au  château  de  Brou,  et  Gharriou, 
instituteur  à  Monthyon. 


SÉANCE  DU  o  FÉVRIER  1866. 
Présidence  de  M.  CARRO  père. 

Le  Président  donne  lecture  de  deux  lettres  de  M.  l'inspecteur 
d'Académie  Hautome  et  du  Président  de  la  Société,  transmettant 
les  instructions  ministérielles  relatives  à  la  prochaine  réunion  des 
délégués  des  Sociétés  savantes  à  la  Sorbonne  les  4,  5,  6  et  7  avril 
1866,  et  aux  lectures  qui  pourront  y  être  faites.  Les  mémoires 
préparés  pour  être  lus  en  cette  circonstance  devront  être  agréés 
par  la  Société  à  laquelle  appartient  leur  auteur,  et  transmis  avant 
le  10  mars. 

L'assemblée  décide,  à  cette  occasion,  que  sa  prochaine  séance 
qui  devait  avoir  lieu  le  premier  lundi  d'avril,  sera  avancée  d'un 
mois  et  fixée  au  lundi  5  mars,  afin  que  les  mémoires  qui  seraient 
destinés  aux  lectures  de  la  Sorbonne  puissent  lui  être  communi- 
qués en  temps  utile. 

La  discussion  s'ouvre  sur  un  projet  de  circulaire  proposé  par 
M.  Lefebvre,  pour  prier  MM.  les  maires  et  les  curés  de  vouloir 


—  23  — 

bien  informer  la  Société  des  découvertes  qui  pourraient  être  faites 
dans  leurs  localités,  d'objets  ayant  un  intérêt  historique  ou  scien- 
tifique. Il  est  convenu  que  des  détails  explicatifs  seront  ajoutés  à 
ce  premier  projet. 

M.  de  Ginoux  lit  une  Notice  sur  une  monnaie  de  Sedan  (un 
double)  trouvée  dans  la  carrière  de  sable  exploitée  à  Meaux  par 
M.  Faron  Plicque. 

Aux  détails  relatifs  à  la  pièce,  M.  de  Ginoux  joint  quelques  no- 
tions historiques  sur  l'époque  à  laquelle  elle  appartient. 

Il  en  est  de  même  d'une  Notice  de  M.  Lefebvre,  sur  un  beau 
vase  de  faïence,  qui  a  appartenu  à  l'abbaye  de  Ghelles,  au  temps 
de  l'abbesse  Marie  d'Orléans,  fille  du  Régent.  M.  Lefebvre  remet, 
en  outre,  à  la  Société,  de  la  part  de  M.  Duvoir  père,  deux  mé- 
dailles de  bronze,  antiques,  trouvées  dans  le  jardin  de  sa  pro- 
priété, faubourg  Gornillon,  à  Meaux. 

Un  fer  de  pertuisane  du  xvi'^  siècle,  très-bien  conservé,  est  éga- 
lement offert  de  la  part  de  M.  André,  qui  l'a  trouvé  dans  la  terre 
de  son  jardin,  rue  Jablinot,  dans  le  voisinage  et  à  l'intérieur  des 
anciennes  fortifications  du  marché. 

Le  Président  dépose  aussi,  de  la  part  de  M.  Sterlin,  maître  d'é- 
tude au  collège,  une  médaille  portant  l'effigie  de  saint  Marcel, 
pape,  et  celle  de  Notre-Dame  de  Valladolid,  médaille  de  pèlerinage 
trouvée  dans  la  cour  du  collège  de  Meaux  qui  fut  autrefois  un 
couvent  d'Ursulines  ;  puis,  encore  14  médailles  ou  monnaies  de 
cuivrC;,  données  par  M.  Lespermont.  Quelques-unes  sont  étran- 
gères, russes,  italiennes,  américaines,  etc.;  parmi  les  françaises 
se  trouve  un  double  tournois  de  Louis  XIII  (1617),  parfaitement 
conservé, 

M.  l'abbé  Denis  lit  un  Mémoire  historique  et  archéologique  sur 
d' anciennes  peintures  murales  qui  décoraient  la  chapelle  de  Notre-Dame 
du  Chevet,  maintenant  en  voie  de  reconstruction,  dans  la  cathédrale 
de  Meaux.  La  description  et  les  détails  que  l'on  doit  à  M.  Denis 
conserveront  du  moins  le  souvenir  de  ces  peintures,  qui  n'étaient 
pas  sans  mérite. 

M.  le  docteur  Le  Roy  donne,  à  propos  d'un  incident  de  la  der- 
nière séance,  quelques  détails  sur  Tindividualité  et  les  œuvres  du 
Corrége. 

L'assemblée  entend  la  lecture  que  fait  M.  Torchet,  d'un  récit 
tiré  d'une  ancienne  et  fort  singulière  légende  sur  le  goût  de  la  mu- 
sique inspiré  à  Charlemagne  par  un  talisman,  à  une  époque  oh  l'on 
croyait  très- volontiers  aux  vertus  d'objets  matériels  et  inertes. 


—  24  — 

La  séance  est  terminée  par  quelques  explications  que  donne 
le  Président  sur  les  objets  apportés  par  M.  Gavé  à  la  séance 
de  décembre.  La  substance  ayant  l'apparence  de  caoutchouc  est, 
en  effet,  un  fragment  d'une  sorte  de  pain  ou  bloc  de  caoutchouc, 
comme  il  en  est  envoyé  des  pays  de  production,  et  qui  doit  pro- 
venir de  quelqu'une  des  fabriques  établies  autrefois  sur  le  Morin. 
L'objet,  paraissant  un  ossement  ou  pied  d'enfant  fossile,  est  une 
très-curieuse  géode  formée,  suivant  l'explication  donnée  par 
M.  Frédéric  Lhuile  ,  de  couches  concentriques  de  fer  oxydé 
hydraté,  ocreux,  hématite,  tapissée  à  l'intérieur  de  stalactites  re- 
couvertes de  fer  spathique. 

Le  Président  expose  aussi  des  pierres  provenant  de  l'enceinte,  à 
murailles  vitrifiées,  de  Peran  (Côtes  du  Nord),  dont  il  a  été  ques- 
tion dans  une  conférence  publique  du  soir. 


SECTION  DE   lYIELUN. 


SÉANCE  DU  9  JUILLET  1865. 
Présidence  de  M.  GRÈS  Y. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance,  lu  par  le  secrétaire, 
est  adopté  sans  observation. 

Il  est  procédé  au  dépouillement  de  la  correspondance. 

M.  le  baron  de  Lassus  Saint-Geniès,  préfet  du  département  de 
Seine-et-Marne,  annonce  qu'il  accorde  une  subvention  de  100  francs 
pour  aider  au  payement  des  fouilles  de  la  place  Notre-Dame  de 
Melun. 

M.  Anatole  de  Barthélémy,  secrétaire  de  la  Commission  de  la 
Topographie  des  Gaules,  annonce  également  que  cette  Commission 
a  voté  un  nouveau  crédit  de  200  fr.  pour  la  môme  cause. 

Des  remercîments  sont  votés  à  M.  le  baron  de  Lassus  Saint- 
Geniès  et  à  la  Commission  de  la  Topographie  des  Gaules. 

MM.  Prévost  et  Bernardin,  présentent  pour  être  nommé  mem- 
bre de  la  Société,  M.  Roblin,  pharmacien  à  Brie-Gomte-Robert. 
La  section  décide  qu'il  sera  statué  sur  cette  proposition  par  un 
vote  dans  la  prochaine  séance. 


—  25  — 

Il  est  voté  ensuite  sur  l'admission  de  M.  Henri  Chapu,  du  Mée, 
statuaire,  demeurant  à  Paris,  rue  de  Lille,  n°  92. 

M.  Chapu,  ayant  réuni  l'unanimité  des  suffrages,  son  admis- 
sion sera  proposée  au  Comité  central  de  la  Société. 

La  parole  est  accordée  à  M.  Leroy,  qui  donne  lecture  de  la  suite 
de  son  Rapport  sur  les  fouilles  de  la  place  Notre-Dame. 

A  la  suite  de  cette  lecture  et  sur  la  proposition  du  bureau  de  la 
Société,  les  membres  présents  votent  à  l'unanimité  une  subven- 
tion de  dOO  francs,  à  prendre  sur  les  fonds  de  la  Section,  pour  ai- 
der au  payement  des  frais  de  ces  fouilles. 

Il  est  ensuite  donné  lecture  des  travaux  suivants  : 

Par  M.  Lhuillier,  Dépouillement  sommaire  de  quelques  ouvrages 
offerts  a  la  Société. 

Par  le  secrétaire,  au  nom  de  M.  Bernardin,  Les  foires  de  Brie- 
comte-Robert. 

Par  M.  G.  Leroy,  Une  visite  à  Saint-Loup-de-Naud. 

Et  par  M.  Labiche,  Isis  à  Melun. 

La  section  décide  le  renvoi  de  ces  travaux  au  Comité  central. 


SÉANCE  DU  13  AOUT  1865. 
Présidence  de  M.  GRÉS  Y. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance,  lu  par  le  secrétaire, 
est  adopté  sans  observation. 

M.  le  Président  après  avoir  annoncé  que  S.  E.  le  Ministre 
de  l'Instruction  publique  accorde  à  la  Société  une  subvention  de 
350  francs,  dépose  sur  le,  bureau  un  exemplaire  d'une  :  «  Etude 
»  historique  et  paléographique  sur  le  rouleau  mortuaire  de  Guillaume 
))  des  Barres,  comte  de  Roche fort^  grand  sénéchcd du  roi  Philippe-Au- 
»  gusfe,  décédé  au  couvent  de  Fontaine-les-Nonains ,  près  Meaux,  le  22 
»  mars  1233  »,  dont  il  est  l'auteur. 

M.  le  Président  annonce  qu'il  y  a  lieu  de  voter  sur  la  demande 
d'admission  de  M.  Robjin,  pharmacien  à  Brie-comte-Robert. 

L'admission  de  M.  Roblin  est  votée  et  sera  soumise  à  l'appro- 
bation du  Comité  central. 

Sur  la  proposition  de  MM.  les  membres  du  bureau,  sont  pré- 
sentés au  Comité  central  comme  membres  correspondants,  M.  Si- 
raudin  (de  Melun),  vérificateur  des  poids  et  mesures,  membre  de 
la  Société  des  sciences  et  belles-lettres  de  Bayeux  (Calvados),  rési- 


—  26  — 

danten  cette  ville,  et  M.  Dubois,  secrétaire  de  la  mairie  d'Amiens 
(Somme). 

Il  est  domié  lecture  des  travaux  suivants  : 

Par  M.  Lhuillier,  Note  bibliographique  sur  quelques  ouvrages  of- 
ferts par  M.  Dubois,  secrétaire  de  la  mairie  d'Amiens. 

Par  M.  Leroy,  Notice  sur  les  épidémies  melunaises  pendant  le 
moyen-âge;  Note  sur  une  villa  antique  près  de  Melun,  et  sur  des  po- 
tiers gallo-romains. 

Par  M.  Labiche,  deux  pièces  de  poésies  intitulées  :  La  petite  fille 
et  les  deux  roses;  Ne  troublons  pas  nos  jeux. 

Et  par  M.  Grésy,  Iconographie  de  Saint-Loup,  empruntée,  suivant 
la  légende,  à  l'art  local. 

M.  le  comte  de  Bonneuil  fait  observer  qu'en  1849  il  a  publié, 
dans  le  Bulletin  monumental  de  M.  de  Caumont,  une  notice  sur  l'an- 
cien prieuré  de  Saint-Loup-de-Naud,  près  Provins.  Il  pense  que  le 
sujet,  sculpté  sur  le  portail  de  cet  édifice  et  qui  représente  un  per- 
sonnage couvert  d'un^  cloche,  dans  l'attitude  de  l'humiliation,  se 
rapporte  à  l'envoyé  du  roi  Glotaire,  restituant  les  cloches  de  la  ca- 
thédrale de  Sens,  et  faisant  amende  honorable  à  Saint-Loup. 

M.  Grésy  répond,  qu'en  effet,  cette  interprétation,  qui  diffère 
de  la  sienne,  peut  également  être  admise. 


SÉANCE   DU   3  SEPTEMBRE    1865. 
Présidence  de  M.  GRÉSY. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance ,  lu  par  le  Secrétaire , 
est  adopté  sans  observation. 

M.  le  Président  communique  les  lettres  de  remercîments  adres- 
sés par  MM.  Siraudin  et  Dubois,  à  l'occasion  du  titre  de  membre 
correspondant,  qui  leur  a  été  décerné  par  la  section  do  Melun, 
dans  sa  dernière  séance,  et  que  le  Comité  central  a  conlirmé. 

M.  Roujou  dépose  sur  le  bureau  l'ouvrage  suivant,  dont  il  fait 
hommage  à  la  Société  :  Recherches  sur  l'âge  de  pierre  quaternaire 
dans  les  environs  de  Paris ,  suivies  de  quelques  observations  sur  l'an- 
cienneté de  l'homme. 

Il  est  donné  lecture,  savoir  : 

Par  M.  Lcmairc  :  de  la  Roue herie-j urée  à  Coulommiers ,  au  xv' 
siècle. 


—  27  — 

Par  M.  Lhuillier,  au  nom  de  M.  SoUîer  :  d'une  Notice  sur  l'ancien 
couvent  de  Moret.  M.  Grésy  fait  observer,  à  ce  sujet,  qu'il  possède 
un  portrait  de  la  religieuse  dite  la  Négresse  de  Moret ,  d'après 
l'original  conservé  à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève  de  Paris. 
Il  offre  de  le  communiquer  à  l'une  des  prochaines  séances  de  la 
Section. 

Par  M.  G.  Leroy,  d'une  notice  intitulée  :  Melun  sous  Henri  IV, 
(1390-1610.) 

Par  M.  Labiche,  d'une  fable  ayant  pour  titre  :  V Esprit  fort  et  le 
Croyant. 

Et  par  M.  Lhuillier  :  de  VEtat  du  domaine  de  Crécy-en-Brie  au 
XVII®  siècle. 

Tous  ces  travaux,  à  l'exception  de  la  Notice  sur  Grécy ,  par 
M.  Lhuillier,  qui  déclare  la  réserver  pour  une  publication  parti- 
culière ,  sont  renvoyés  au  Comité  central,  pour  être  insérés  dans 
le  Bulletin. 

M.  le  Président  annonce  qu'en  raison  de  la  séance  générale  de 
la  Société,  fixée  au  13  octobre  prochain,  la  Section  ne  se  réunira 
pas  avant  le  premier  dimanche  de  novembre. 


SÉANCE  DU  5  NOVEMBRE  1863. 
Présidence  de  M.   H.  FRÈTE  AU  de  PÉNY. 

En  l'absence  du  Président  empêché,  le  fauteuil  est  occupé  par 
le  Vice-Président  de  la  Section. 

Le  procès-verbal  de  la  dernière  séance  est  adopté  sans  obser- 
vation. 

Il  est  donné  lecture  d'une  lettre  de  M.  le  baron  de  Beauverger 
au  Président  de  la  Société,  par  laquelle  M.  de  Beauverger  fait 
savoir  qu'il  est  dans  l'intention  d'offrir  à  la  Société  une  médaille 
d'or  de  200  fr.  pour  le  meilleur  Mémoire  sur  l'historique  de 
l'Agriculture  dans  Seine-et-Marne,  qui  serait  mis  au  concours. 

La  section  accepte  avec  reconnaissance  la  proposition  de  M.  de 
Beauverger. 

Des  demandes  d'admission ,  comme  membres  titulaires ,  sont 
formées  par  M.  Auguste  Godin,  fabricant  d'ébénisterie  artistique, 
demeurant  à  Paris,  rue  du  Harlay ,  7,  et  M.  Eugène  Godin, 
statuaire,  demeurant  aussi   à   Paris,  rue  Lallier,   6,    tous  deux 


—  28  — 

présentés  par  M.  le  docteur  Gillet  et  M.  l'abbé  Dégoût.  Une 
semblable  demande  est  faite  par  M.  Darnay,  photographe  à  Me- 
lun,  présenté  par  MM.  Courtois  et  Leroy.  Il  sera  statué  dans  la 
prochaine  séance. 

M.  Leroy  donne  lecture  d'une  note  sur  la  situation  financière 
des  fouilles  exécutées  sur  la  place  Notre-Dame  de  Melun ,  dans  le 
cours  de  l'été  dernier. 

La  Section  décide  que  le  reliquat  actif  constaté  par  cette  note, 
restera  déposé  entre  les  mains  du  trésorier  de  la  Société,  pour 
recevoir  la  destination  qui  sera  indiquée  ultérieurement.  Elle 
autorise  le  Bureau  à  faire  les  démarches  nécessaires ,  auprès  de 
l'Administration  municipale  de  la  ville  de  Melun,  pour  la  clôture 
de  la  galerie  oh  sont  déposées  les  antiquités  provenant  de  ces 
fouilles. 

M.  Lhuillier  lit,  au  nom  de  M.  Bréan,  membre  correspondant, 
le  compte  -  rendu  de  découvertes  archéologiques  qu'il  a  faites  à 
Gien  en  1865.  —  Remercîments  à  M.  Bréan,  et  dépôt  de  son 
travail  dans  les  Archives  de  la  Société. 

Il  est  successivement  donné  lecture  des  travaux  suivants ,  sa- 
voir : 

Par  M.  Lemaire  :  Notes  sur  la  fondation  des  Célestins  de  la  Sainte- 
Trinité  de  Marcoussis. 

Par  M.  Labiche  :  VAne  de  la  reine  Berthe,  fable. 

Et  par  M.  G.  Leroy  :  Les  Archers  et  les  Arquebusiers  de  Melun. 

Renvoi  au  Comité  central. 

M.  le  docteur  Gillet  communique  une  médaille  de  Faustinc  et 
deux  petits  vases  funéraires  en  terre,  trouvés  avec  plusieurs 
crânes  et  ossements  dans  la  plaine  de  la  Varenne  de  Melun  ,  sur 
l'emplacement  de  l'ancienne  nécropole  de  Melodunum. 

Le  Secrétaire  est  invité  à  prendre  note  de  cette  communication, 
pour  servir  à  la  rédaction  du  Dictionnaire  Archéologique  de  Seine- 
et-Marne. 


SÉANCE   DU  3   DÉCEMBRE    1865. 
Présidence  de  M.  GRÉS  Y. 

Le  procès- verbal  de  la  dernière  séance  est  adopté  sans  observation. 
Il  est  donné  connaissance  de  sujets  de  concours  scientifiques  et 
littéraires,  avec  prix  offerts  par  la  Société  académique  de  Brest. 


—  29  — 

Des  documents  adressés  par  MM.  le  comte  de  Létouville  et 
Liébert  sont  renvoyés  à  la  Commission  du  Dictionnaire  Archéolo- 
gique de  Seine-et-Marne. 

L'admission  de  :  1°  M.  Auguste  Godin ,  fabricant  d'ébénisterie 
artistique,  demeurant  à  Paris,  rue  du  Harlay,  7  ;  2°  de  M.  Eugène 
Godin ,  statuaire ,  demeurant  à  Paris ,  rue  Lallier,  6  ;  3°  et  de 
M.  Darnay,  photographe  à  Melun  ,  est  mise  aux  voix  et  adoptée. 

Ces  admissions  seront  soumises  au  Comité  central. 

II  sera  statué  ultérieurement  sur  une  demande  d'admission 
formée  par  M.  Blot,  artiste  à  Boulogne-sur-Mer  (Pas-de-Calais.) 

Il  est  successivement  donné  lecture  des  travaux  suivants  : 

Par  M.  Sollier  :  Le  couvent  de  Moref. 

Par  M.  Labiche  :  Le  berger  et  le  lion ,  fable. 

Et  par  \l.  Gaucher  :  Note  sur  le  sceau  des  comtes  de  Varax ,  sei- 
gneurs de  Nanteuil-sur- Marne. 

M.  Grésy  présente  le  fac-similé  du  portrait  de  la  religieuse  dite 
la  Négresse  de  Moret,  dont  l'original  existe  à  la  bibliothèque  Sainte- 
Geneviève  de  Paris. 

M.  G.  Leroy  annonce  qu'il  vient  d'être  trouvé  dans  l'église  St- 
Aspais  de  Melun,  une  pierre  tumulaire  du  xiv^  siècle,  qui  paraît 
provenir  de  l' Hôtel-Dieu  Saint- Jacques  de  la  même  ville. 

M.  Grésy  annonce  aussi  que  M.  Carro,  président  de  la  section 
de  Meaux,  a  signalé  à  la  Société  des  Antiquaires  de  France  la 
découverte  d'une  sépulture  très-ancienne  faite  à  Vignely,  près 
Meaux.  On  y  a  recueilli  des  fragments  d'os  formant  un  chapelet. 


SÉAiNCE  DU  7  JANVIER  1866. 
Présidence  de  M.  GRÉSY. 

La  séance  est  ouverte  à  une  heure. 

Le  procès- verbal  de  la  précédente  séance  est  adopté  sans  obser- 
vation. 

Une  demande  d'admission,  comme  membre  titulaire,  faite  par 
M.  Hérisé,  imprimeur  à  Melun,  est  présentée  par  MM.  Lhuillier 
et  Leroy. 

Il  est  successivement  donné  lecture  des  travaux  suivants  : 

Par  M.  Lemaire,  Note  sur  d'anciens  tombeaux  découverts  récem- 
ment dans  la  cour  d^ honneur  de  la  préfecture. 


—  30  — 

Par  M.  Lhuillier,  Compte-rendu  de  plusieurs  ouvrages  offerts  à  la 
Société. 

Par  M.  Labiche,  la  Colombe  infidèle^  fable. 

Par  M.  Gaucher,  Note  concernant  le  fabuliste  Lafontaine;  —  Indi- 
cation des  antiquités  et  curiosités  de  la  commune  de  Champdeuil  et  des 
environs. 

Tous  ces  travaux  sont  renvoyés  au  Comité  central. 

Sur  la  proposition  de  M.  Courtois,  des  remercîments  sont  votés 
à  M.  le  Préfet  de  Seine-et-Marne,  pour  le  dépôt  au  Musée  de 
Melun,  des  objets  dont  il  est  question  dans  la  notice  de 
M.  Lemaire. 

M.  Leroy  annonce  que  des  chapiteaux,  trouves  dans  l'intérieur 
d'un  mur  de  l'ancienne  église  Saint-Ambroise  de  Melun,  ont  été 
également  déposés  au  Musée. 

M.  Grésy  rend  compte  de  la  vente,  à  l'hôtel  des  commissaires- 
priseurs  de  Paris,  d'un  tableau  original  concernant  le  souvenir  de 
l'apparition  du  grand  veneur  à  Henri  IV,  dans  la  forêt  de  Fontai- 
nebleau. 

M.  Schreuder  signale,  comme  pouvant  être  utilisé  pour  le  bul- 
letin de  la  Société,  le  procédé  de  gravure  dû  à  feu  M.  Duloz,  mem- 
bre de  la  Société  des  anciens  élèves  des  écoles  d'arts  et  métiers.  Ce 
procédé  donne  des  résultats  satisfaisants  et  peu  coûteux. 

M.  Courtois  présente  différentes  monnaies  anciennes  et  mo- 
dernes, trouvées  à  Réau  et  données  par  M.  Rousseau  au  Musée 
de  Melun. 

M.  Lemaire  présente  également  une  monnaie  d'argent  à  l'effigie 
de  Henri  II  [,  trouvée  dans  une  vigne  à  Ghartrettes. 


SÉANCE  DU  11  FÉVRIER  1866. 
Présidence  de  M.  G  If  ES  Y. 

La  séance  est  ouverte  à  une  heure. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  adopté. 

Dépouillement  de  la  correspondance  :  S.  E.  M.  Drouyn  de 
Lhuys,  MM.  Gaudard,  de  May  et  Qucsvers  expriment  leurs  re- 
grets de  ne  pouvoir  se  trouver  à  la  séance  de  ce  jour.  Lecture  est 
donnée  d'une  circulaire  de  S.  E.  le  Ministre  de  l'Instruction 
publique,  relative  à  la  réunion  des  Sociétés  savantes,  h  la  Sor- 
honne,  on  avril  prochain.  —  Indication  d'ouvrages,  de  fac-similé 


—  31  — 

d'autographes  et  d'assignats  offerts  à  la  Société  par  M.  le  baron 
de  Girardot,  membre  correspondant.  —  Concours  ouverts  par  la 
Société  d'Apt  en  1866.  —  Accusés  de  réception  du  bulletin  par 
la  Société  des  antiquaires  de  Normandie,  la  Société  archéologique 
d'Avesnes  et  l'Académie  impériale  de  Savoie. 

L'admission,  comme  membres  titulaires,  de  M.  Hérisé,  impri- 
meuf  à  Melun,  présenté  par  MM.  Lhuillier  et  Leroy,  et  de 
M.  Blot,  statuaire  à  Boulogne-sur-Mer,  présenté  par  MM.  Cour- 
tois et  Leroy,  est  adoptée  à  l'unanimité.  Cette  admission  sera  sou- 
mise au  Comité  central. 

Une  proposition  tendant  à  l'admission  de  dames,  soulève  une 
question  de  principes,  dont  la  solution  est  renvoyée  au  Comité 
central  et,  s'il  y  a  lieu,  à  l'Assemblée  générale  de  la  Société. 

Il  est  donné  lecture  des  travaux  suivants  : 

Par  M.  Lhuillier,  La  succession  de  l'abbé  Seguy. 

Par  M.  Labiche,  le  Renard  et  VOie^  fable. 

Par  M.  Grésy,  Note  sur  des  méraux  de  Suint-Père  de  Melun,  et 
delà  collégiale  de  Champeaux. 

Renvoi  au  Comité  central. 


SECTION  DE  PROVINS. 


SÉANCE  DTJ  29  AOUT  1865. 
Présidence  de   M.   le  comte   d'HARCOURT. 

La  Section  de  Provins  s'est  réunie  à  l'hôtel-de- ville,  salle  de  la 
Bibliothèque. 

Le  secrétaire  donne  lecture  du  procès-verbal  de  la  dernière 
séance. 

Le  Président  invite  la  Section  à  délibérer  sur  l'admission, 
dans  la  Société,  de  cinq  nouveaux  membres  : 

M.  Arnoul,  propriétaire  à  Maisonrouge; 

M.  De  Béviile,  général,  aide-de-camp  de  TEmpereur,  proprié- 
taire à  Cerneux; 

M.  De  Bréville,  sous-préfet  de  Provins; 

M.  Cave,  caissier  de  la  Recette  particulière  de  Provins; 


—  32  — 

M.  Michaux  (Louis),  propriétaire  à  Provins. 

Après  cette  opération  et  conformément  aux  statuts  de  la  Société 
et  au  règlement  de  la  Section ,  la  nomination  des  nouveaux 
membres  admis  sera  soumise  à  l'approbation  du  Comité  central. 

Plusieurs  communications  sont  ensuite  faites  par  M.  de  Ponté- 
coulant  : 

i°  Sur  des  fouilles  entreprises  au  tumulus  de  Mirevault,  par 
M.  Profit,  cultivateur,  et  sur  un  cachet  trouvé  dans  ces  fouilles, 
et  offert  à  la  Section  de  Provins  par  jNI.  Profit; 

2°  Sur  la  carte  des  Gaules,  dont  un  exemplaire  sera  prochaine- 
ment adressé  à  la  Section  de  Provins,  qui  sera  chargée  de  com- 
pléter cette  carte,  en  ce  qui  concerne  la  région  comprise  dans 
l'arrondissement  de  Provins. 

3°  Sur  les  dalles  tumulaires  existant  dans  l'église  de  Pécy,  et 
que  M.  Des  Farges  déclare  avoir  le  projet  de  faire  relever  et 
sceller  verticalement,  le  long  des  murs  de  l'église,  afin  d'en  assurer 
la  conservation. 

M.  Jules  Michelin  donne  quelques  renseignements  sur  une 
pierre  de  lance  trouvée  à  Septveilles,  dans  une  carrière,  et  offerte 
au  musée  de  la  Bibliothèque  de  Provins. 

M.  Félix  Bourquelot  lit  un  travail  sur  les  monnaies  provinoises 
connues  sous  le  nom  de  im^es  provinoises  ou  de  sous  provinois  du 
Sénat,  et  qui  ont  eu  cours  en  Italie,  du  xii'=  au  xv^  siècles. 

M.  de  Pontécoulant  entretient  ensuite  la  Section  du  projet  d'or- 
ganisation des  cours  et  conférences  publiques  du  soir,  pendant 
l'hiver  prochain.  Il  annonce  qu'il  prêtera  son  concours  à  la 
Section  de  Provins  en  venant  faire  lui-même  plusieurs  lectures. 
Après  une  discussion  à  laquelle  prennent  part  tous  les  membres 
présents,  la  Section  décide  qu'elle  examinera  à  nouveau  ce  projet, 
qu'il  n'a  point  été  possible  de  mettre  à  exécution  pour  l'hiver  de 
1864-1863. 


TRAVAUX. 


COMPTE-RENDU  D'UNE  EXCURSION  ARCHÉOLOGIQUE 

DANS  L'ARRONDISSEMEINT  DE  MEADX, 

PAR  M.   MAXIME  BEAUVILLIERS, 
Membre   fondateur   (itcetion    de  Fontainebleau). 


Messieurs  et  chers  Confrères, 

Appelé  par  le  Bureau  de  la  Société  à  l'honneur  de  vous  faire 
le  récit  de  l'excursion  archéologique  des  18  et  -19  juillet  1865,  dans 
l'arrondissement  de  Meaux,  je  rencontre,  dès  le  début, deux  écueils 
qu'il  me  faut  éviter  à  tout  prix. 

A  leur  point  de  vue  particulier,  les  journaux  des  cinq  arron- 
dissements de  Seine-et-Marne  ont  déjà  publié  séparément  des 
comptes-rendus,  signés  de  ceux  que  nous  pouvons  ranger,  avec 
juste  raison,  parmi  les  confrères  les  plus  laborieux  et  les  plus  zélés 
de  notre  Compagnie.  —  Enfin,  bien  du  temps  déjà  s'est  écoulé 
depuis  la  rencontre  dos  quarante  Sociétaires  qui  se  réunirent, 
l'été  dernier,  au  village  de  Ferrières. 

Aussi ,  malgré  son  insuffisance  ,  votre  rapporteur  ose  compter 
d'avance,  Messieurs,  sur  votre  bienveillante  indulgence.  Cédant 
donc  de  préférence  à  certains  penchants  historiques  et  littéraires  , 
et  plutôt  touriste  et  chroniqueur  que  monographe  architectonique 
et  sculptural ,  nous  nous  proposons  de  renfermer  ce  travail  dans 
d'étroites  limites. 

Avant  de  résumer  l'emploi  de  ces  heures  si  rapidement  écoulées 
et  si  délicieusement  remplies,  nous  ne  pouvons  résister  au  plaisir 
de  retracer  le  curieux  et  piquant  tableau,  présenté  parla  caravane 
au  moment  de  son  arrivée  à  Ferrières  ,  lieu  fixé  pour  le  rendez- 
vous  général. 

3 


—  34  — 

Sur  la  place  du  bourg  de  Perrières,  avec  une  précision  toute 
mathématique,  près  de  la  porte  de  la  modeste  auberge  où  se  trou- 
vait préparé  le  déjeuner,  débouchèrent  et  s'arrêtèrent  en  même 
temps,  les  voitures  amenant  les  divers  Sociétaires,  appartenant 
aux  cinq  Sections  du  département. 

Là,  se  trouvèrent  réunis  près  de  40  excursionnistes,  sous  la 
présidence  de  M.  le  marquis  de  Pontécoulant,  et  sous  celles  de 
MM.  Garro  père,  Eugène  Grésy,  Anatole  Dauvergne,  présidents 
de  Sections.  M.  Félix  Bourquelot,  vice-président  de  la  Société, 
obligé  de  prendre  part  aux  examens  annuels  de  l'École  des  Char- 
tes, s'était  fait  excuser,  ainsi  que  M.  Jules  David,  président  de  la 
Section  de  Fontainebleau,  retenu  par  ses  fonctions  administratives. 

1"    JOURNÉE.    —    18    JUILLET    1865. 

ÉGLISE  ET  CHATEAU  DE  DERRIÈRES. 

Suivant  l'expression  pittoresque  de  nos  voisins  d'Outre-Manche, 
le  château  de  Ferrières  était  the  qveal  ^attraction  de  la  journée,  mais 
la  jolie  petite  église  du  lieu,. naguère  si  délabrée,  aujourd'hui  en 
cours  de  réparation,  dut  avoir  le  pas  sur  la  splendide  habitation 
du  Roi  de  la  Finance. 

Placée  sous  le  vocable  de  saint  Rémi ,  archevêque  de  Reims , 
construite  aux  xiii^  et  xiv^  siècles,  ornée  de  vitraux  de  la  même 
époque,  l'église  de  Ferrières  est  regardée  généralement  comme 
l'un  des  édifices  les  plus  complets  de  la  Brie  champenoise. 

Nous  y  avons  remarqué  plusieurs  dalles  tumulaires  fort  intéres- 
santes, que  nous  espérons  bien  voir  relever  prochainement  le  long 
des  parois  de  l'église,  afin  d'éviter  leur  totale  destruction. 

Deux  choses  méritent  d'attirer  l'attention  du  visiteur^  à  son  en- 
trée dans  la  chapelle  de  la  Vierge  :  d'abord  une  épitaphe ,  puis  un 
tableau  représentant  Marie  soutenant  l'Enfant-Jésus.  L'épi taphe 
est  celle  de  Léonard  de  Goulas,  qui  mourut  à  Paris  le  19  juillet  16G1, 
seigneur  châtelain  de  Ferrières,  et  secrétaire  des  commandements 
de  S.  A.  R.  Mg'  Gaston  de  France,  duc  d'Orléans.  Ce  ne  dut  pas 
être,  signalons-le  en  passant,  une  vaine  sinécure  que  l'emploi  du 
seigneur  de  Goulas.  Avec  ses  trames  continuelles,  conspirateur  et 
dupé  tour  à  tour,  Gaston  du!  donner  de  la  tablature  à  tous  ses 
secrétaires,  et  surtout  ù,  M.  de  Goulas. 

Les  annalistes  sont  loin  d'être  d'accord  sur  l'origine  du  tableau 


—  35  — 

ornant  la  chapelle  de  la  Vierge.  Les  uns  veulent  simplement  qu'il 
ait  été  offert  par  M.  Racine  de  Jonquoy,  trésorier-général  des  ponts- 
et-chaussées,  qui  posséda  la  seigneurie  de  Ferrières  vers  1737  ; 
d'autres  prétendent  qu'il  est  l'œuvre  de  cet  ancien  seigneur. 

Château  de  Ferrières. 

Par  un  de  ces  privilèges  qui  demeurent  acquis  à  la  province  de 
la  Brie  meldoise,  presque  tous  les  lieux  de  cette  contrée  rappel- 
lent des  noms  célèbres  ,  des  événements  mémorables  ,  de  grandes 
illustrations  de  race.  —  Dût-elle,  comme  on  l'en  a  accusée  dédai- 
gneusement quelquefois,  ne  ramasser  que  les  miettes  de  l'histoire^ 
l'archéologie  provinciale  s'estime  encore  heureuse  de  pouvoir 
rattacher  à  l'histoire  générale  de  notre  pays ,  le  récit  des  événe- 
ments qui  se  sont  accomplis  à  l'ombre  de  ces  forteresses  du  temps 
passé,  derrière  ces  antiques  et  imposants  manoirs. 

Ne  nous  hâtons  donc  pas  de  dire  que  l'Archéologie  n'avait  rien 
à  constater  à  Ferrières.  L'habitation  du  banquier  des  têtes  cou- 
ronnées, comme  on  l'a  surnommé,  est,  il  est  vrai,  toute  moderne, 
mais  le  village  de  Ferrières  est  souvent  cité  dans  nos  vieilles 
chroniques. 

Dans  la  généalogie  des  grands  officiers  de  la  Couronne,  figure 
un  des  anciens  seigneurs  de  Ferrières ,  Raoul  ou  Radulfe ,  qui 
donna  vers  1150,  au  prieuré  de  Gournay ,  une  dîme  lui  appar- 
tenant. —  En  compulsant  les  annales  de  la  maison  de  Montmo- 
rency, on  voit  qu'en  1366,  il  fut  fait  hommage  du  fief  de  Ferrières- 
en-Brie ,  au  seigneur  de  Montmorency,  comme  ayant  le  bail  de 
damoiselle  Philippe  de  Montmorency.    ~ 

Aux  xvi''  et  xvn'  siècles,  la  terre  de  Ferrières  fut  possédée  par 
divers  représentants  des  deux  familles  parlementaires  de  Marillac 
et  de  La  Briffe.  Pierre-Armand  de  La  Briffe,  procureur-général 
au  parlement  de  Paris,  mort  en  1700,  obtint  du  roi  Louis  XIV 
l'érection  de  la  seigneurie  de  Ferrières  en  marquisat. 

Louis  Bossuet,  maître  des  requêtes,  neveu  de  Bossuet ,  évêque 
de  Meaux,  épousa  la  fille  de  ce  La  Briffe  le  22  février  1700.  La  voix 
du  grand  orateur  sacré  se  fit  entendre  plus  d'une  fois  sous  les 
voûtes  de  l'église  de  Ferrières.  L'abbé  Ledieu,  chanoine,  secrétaire 
de  Bossuet,  sous  la  date  du  26  septembre  1702 ,  a  consacré  dans 
son  Journal  quelques  lignes  à  l'ancien  château. 

0  La  maison  est  à  l'antique,  dit-il,  mais  grande  et  logeable,  avec 
»  une  galerie  raisonnable  et  de  beaux  fossés  à  sec  bien  revêtus. 


—  36  — 

»  Toute  la  vue  est  sur  un  étang  et  sur  le  parc,  grand  et  spacieux, 
»  bien  planté  tout  autour  de  l'étang.  Les  allées  y  sont  belles  ;  la 
»  chapelle  est  très-propre ,  bien  ornée  et  bien  placée  pour  la  dé- 
»  cence  et  la  commodité.  » 

Le  domaine  de  Ferrières  appartient  depuis  plus  de  30  ans  à 
M.  le  baron  James  de  Rothschild.  Il  a  été  acquis  par  lui  des 
héritiers  de  Pouché,  duc  d'Otrante,  moyennant  2,600,000  fr.  Con- 
sidérablement agrandi  et  augmenté  depuis,  il  comprend  aujour- 
d'hui plus  de  1500  hectares. 

Dans  un  siècle  un  peu  trop  enclin  à  croire  à  l'infaillibilité  du 
pouvoir  de  l'or,  pourquoi  ne  signalerions-nous  pas  un  l'ait  étrange 
et  piquant  à  la  fois?  —  Gomme  un  simple  métayer  villageois, 
M.  de  Rothschild  est  assujetti  aux  servitudes  de  la  propriété  ru- 
rale. Au  beau  milieu  de  son  vaste  domaine,  se  trouve  une  gênante 
enclave  de  six  hectares  ,  qui  coupe  une  superbe  avenue  et  dont  il 
ne  p'ut  faire  l'acquisition.  Grande  leçon  morale,  bien  faite  pour 
démontrer  hautement  qu'il  n'est  pas  de  puissance  vraiment  abso- 
lue sur  la  terre  ! 

Constatons  encore  une  particularité  digne  de  remarque.  Les 
deux  royautés  financières  de  notre  époque  se  touchent  h  la  ville 
comme  à  la  campagne.  Si  Ferrières  appartient  aux  Rothschild,  les 
fr"^res  Péreire  possèdent  les  terres  contiguës  d'Armainvilliers.  Les 
deux  puissances  rivales  et  presque  parallèles  da  marché  Européen, 
semblent  donc  destinées  à  vivre  côte  à  côte,  à  se  rencontrer  et  à  se 
heurterpartout,  aussi  bien  sur  le  théâlre  de  leurs  opérations  indus- 
trielles,que  dans  les  loisirs  de  leur  villégiature. 

Personne  n'avait  encore  été  autorisé  à  prendre,  même  sur  un 
album ,  l'esquisse  du  château  tout  nouvellement  construit  de 
Ferrières,  avant  la  visite  de  l'Empereur  qui  eut  lieu  le  16  dé- 
cembre 1862.  Avec  les  trésors  dépensés  par  M.  de  Rothschild 
pour  la  réparation  de  l'ancien  château  et  l'édification  du  nouveau, 
la  France  eût  pu  être  dotée  d'un  chef-d'œuvre  do  plus.  Mais  cons- 
truit dans  un  genre  bâtard,  le  château  do  Ferrières,  à  l'extérieur, 
manque,  il  faut  bien  le  dire,  de  style  et  de  véritable  grandeur.  On 
reconnaît,  dans  l'œuvre  de  l'anglais  Paxton,  de  nombreuses  rémi- 
niscences de  Ghambord  et  de  Ghenonceaux;  mais  que  n'a-t-il  égale- 
ment emprunt  ('■  la  majesté  et  l'élégance  architecturales  de  ces 
deux  palais  jumeaux  des  bords  de  la  Loire  ! 

Admirablement  dessiné,  mais  complètement  dépourvu  d'acci- 
dents de  terrain  ,  et  privé  de  perspectives ,  le  parc  de  Ferrières 
ressemble  fort  au  bois  de  Boulogne  et  au  pré  Gatelan.  Les  bassins 


—  37  — 

sont  immenses  et  bien  empoissonnés ,  mais  les  eaux ,  comme  à 
Trianon,  manquent  de  cette  limpidité  sans  égale  qU'e  possèdent 
celles  de  Fontainebleau.  —  Notre  attention  s'est  également  portée 
sur  le  Sequoïagtgontea ,  planté  dans  le  parc  par  l'Empereur,  sui- 
vant la  coutume  allemande,  en  souvenir  de  sa  visite.  Cet  arbre 
exotique  a  déjà  pris  un  développemient  rercarquable. 

Si  la  demeure  de  M.  de  Rothschild  ressemble  à  une  moderne 
et  somptueuse  villa ,  transportée  des  Champs-Elysées  dans  les 
plaines  de  la  Brie;  si  la  construction  extérieure  du  palais  de  Fer- 
rières  donne  quelque  prise  à  la  critique,  on  est  forcé  d'admirer  sans 
restriction  le  bon  goût  et  la  richesse  de  la  décoration  intérieure. 

Un  escalier  à  double  révolution  conduit  dans  le  Hall.  Cette  im- 
mense pièce  occupe  le  milieu  du  château,  en  prend  toute  la  hau- 
teur, et  se  trouve  fermée  h  20  mètres  du  sol,  par  une  toiture  vi- 
trée, éclairée  le  soir  par  1,150  becs  de  gaz  comme  le  Théâtre- Ly- 
rique. Par  sa  disposition,  le  Hall  rappelle  l'immense  salle  des 
gardes,  dans  laquelle  se  déroule  l'incomparable  escalier  à  double 
vis  et  en  forme  de  tire-bourre  du  palais  de  Chambord. 

Autour  du  Hall  rayonne  une  suite  d'appartements  qui  n'en  sont 
séparés  que  par  une  charmante  galerie.  Tout  est  admirablement 
combiné  pour  le  comfort  et  la  commodité  des  possesseurs  et  des 
hôtes  de  cette  princière  demeure.  Par  un  véritable  raffinement  de 
prévoyance,  qu'on  ne  saurait  trop  apprécier  dans  la  saison  d'au- 
tomne, outre  les  escaliers  de  service,  il  existe  un  escalier  spécial, 
ménagé  pour  les  chasseurs,  afin  de  ne  pas  troubler  le  sommeil  des 
autres  invités,  par  le  bruit  de  leur  départ  matinal. 

La  plume  se  refuse  à  décrire  toutes  les  raretés  artistiques,  ren- 
fermées dans  ce  véritable  musée  qu'on  appelle  le  Hall,  oîi  règne 
beaucoup  de  profusion  unie  à  quelque  peu  de  confusion.  Nous  ne 
pouvons  que  citer,  h  la  hâte,  un  splendide  fauteuil  bysantin,  des 
toiles  de  Joseph  Vernet,  de  Velasquez,  du  Guide,  de  Van  Dyck, 
du  Giorgone,  de  Van  Mole,  des  tapisseries  de  haute  lice,  et  enfin 
une  bibliothèque  de  8,000  volumes  environ. 

Dans  le  salon  de  famille,  est  exposé  le  trône  de  l'Empereur  de 
Chine,  qu'un  membre  de  la  maison  de  Rothschild  a  rapporté  de 
Pékin.  Une  riche  étofie  orientale  couvre  cette  espèce  de  lit' de  re- 
pos, surmonté  du  dragon  à  cinq  griffes.  C'est  dans  le  petit  salon 
particulier  de  M.  de  Rothschild,  orné  de  tapisseries  des  Gobelins, 
faites  sur  les  dessins  de  Boucher  ((  qu'au  milieu  de  la  charmante 
»  journée  du  16  décembre,  »  l'Empereur  s'est  retiré  pour  prendre 
une  demi-heure  de  repos  et  expédier  ses  dépêches. 


—  38  — 

La  chambre  à  coucher  possède  plusieurs  merveilles  picturales 
anciennes,  au  milieu  desquelles  on  aperçoit,  non  sans  quelqu'éton- 
nement,  l'un  des  chefs-d'œuvre  de  Roqueplan  :  u  Rousseau  con- 
duisant par  la  bride  la  monture  des  demoiselles  de  Galley  et  de 
Graffenried,  et  les  aidant  à  traverser  un  ruisseau.  » 

Ce  charmant  épisode  des  Confessions  si  délicieusement  interprété 
par  l'élégant  pinceau  du  peintre  français,  fait  regretter  plus  vive- 
ment encore  l'absence  du  tableau  du  même  artiste,  faisant  pen- 
dant et  qui  représente  Jean  Jacques  monté  dans  l'arbre,  lançant 
des  cerises  dans...  le  tablier  de  ces  rieuses  et  aimables  jeunes 
filles. 

Le  fumoir  tout  tapissé  en  cuir  de  Russie,  couleur  tabac,  avec 
ses  fresques  d'Eugène  Lami,  la  petite  salle  à  manger  avec  ses  ani- 
maux de  Philippe-Rousseau,  mériteraient  une  description  détail- 
lée, mais  pour  laquelle  le  temps  nous  manque. 

A  l'extrémité  du  salon,  se  trouve  un  petit  oratoire  Israélite  ; 
tout  y  est  simple  et  de  bon  goût.  Cette  simplicité  plaît  au  milieu 
du  luxe  des  autres  pièces;  elle  repose  l'âme  et  l'esprit,  et  invite 
à  la  méditation. 

Dans  la  salle  à  manger,  pour  la  plus  grande  facilité  du  service, 
des  crédences  sont  établies  sur  toutes  les  faces  de  l'appartement, 
orné  de  solives  apparentes  et  peintes,  rappelant  la  belle  salle  des 
gardes  de  Fontainebleau. 

C'est  ici  l'occasion,  après  cette  halte  à  Ferrières,  de  dire  un  mot 
des  débuts  de  la  fortune  des  Rothschild,  et  des  causes  de  la  juste 
et  universelle  considération  qui  entoure,  depuis  trois  quarts  de 
siècle,  ces  Rois  de  la  Finance.  —  En  1793,  Meyer  Rothschild,  ban- 
quier à  Francfort,  fut  choisi  comme  dépositaire  de  l'immense  for- 
tune du  Landgrave  de  Hesse-Cassel.  Plein  de  confiance,  le  prince 
ne  voulut  pas  accepter  le  reçu  de  son  banquier.  Peu  de  temps 
après,  Meyer  Rothschild  perdit  une  grande  partie  de  sa  fortune 
dans  le  pillage  de  sa  maison,  mais  il  fut  assez  heureux  pour  sau- 
ver le  dépôt  du  prince,  et  le  faire  valoir  dans  de  fructueuses  opé- 
rations financières.  Au  retour  des  années  paisibles,  il  le  restitua 
fidèlement  au  Landgrave,  avec  les  intérêts  accumulés.  Telle  est  l'o- 
rigine de  la  royale  clientèle  et  do  l'immense  crédit  des  Rothschild. 

De  pareils  traits  sont  d'incontestables  et  solides  titres  -de  no- 
blesse pour  cette  maison,  dont  le  prestige  et  la  puissance  se  sont 
encore  accrus  avec  les  années.  Ce  sont  là,  sans  contredit,  les  plus 
beaux  fleurons  de  la  couronne  de  ces  hauts  barons  de  la  Finance. 


—  39  — 

E..%GI1Y. 

Mais  le  temps  qui  nous  presse,  nous  force  de  quitter  ce  lieu  en- 
chanté, et  de  gagner  Lagny.  Station  intermédiaire  entre  Ferrières 
et  Meaux,  Lagny,  par  lessouvenirs  historiques  et  littéraires  qu'elle 
rappelle^  se  recommandait  à  l'attention  d'rno  Société  qui  compte 
parmi  ses  membres  plusieurs  lauréats  des  concours  académiques 
et  littéraires.  —  Dans  ses  recherches,  Pasquier  constate  qu'une 
institution  pareille  à  celle  des  Jeux  floraux  de  Toulouse,  existait 
déjà  de  son  temps  à  Lagny,  et  que  chaque  année  des  récompenses 
y  étaient  décernées  aux  fêtes  de  la  Pentecôte.  Lagny  a  donné 
le  jour  à  un  littérateur  du  commencement  du  xiii*  siècle  :  Geof- 
froy de  Leigny  ou  de  Lagny,  généralement  regardé  comme  le 
continuateur  du  Roman  de  la  charrette  ou  de  Lancelot,  commencé 
par  Chrestien,  de  Troyes.  —  Une  autre  illustration  de  Lagny,  fut 
le  chancelier  de  France,  Pierre  d'Orgemont,  mort  en  1389. 

Le  remarquable  cartulaire  de  Lagny,  formé  pendant  le  règne  de 
François  I"  et  conservé  à  la  Bibliothèque  impériale,  est  l'œuvre 
de  Nicolas  Vincelot  de  Lagny,  procureur  fiscal  sous  l'abbé  Fran- 
çois de  Clermont,  cardinal-archevêque  d'Auch. 

Suger,  le  savant  abbé  de  Saint-Denys,  ministre  de  Louis  VII, 
rapporte  qae  Lagny  était  le  centre  d'opérations  commerciales  fort 
importantes,  et  que  les  églises  pauvres  y  engageaient  leur  argen- 
terie. 

Le  vieux  monastère  de  Saint-Furcy  fondé,  suivant  la  tradition, 
par  Saint-Furcy,  gentilhomme  irlandais,  est  aujourd'hui  complè- 
tement délaissé  et  converti  (ô  profanation  !)  en  écuries  et  en  maga- 
sins. —  De  ce  couvent,  véritable  et  vénérable  pépinière  de  saints 
et  de  doctes  bénédictins,  il  ne  reste  plus  qu'une  seule  arche  en 
plein  cintre.     • 

L'Église  paroissiale  de  Lagny,  bâtie  en  1017,  brûlée  et  recons- 
truite en  1206,  restaurée  au  xvi''  siècle,  est  remarquable  par  un 
large  et  profond  iriforium^  ouvert  et  semi-circulaire,  qui  contourne 
l'abside.  Deux  personnes  de  front  peuvent  circuler  librement  dans 
ces  tribunes  hautes. 

A  Lagny,  la  caravane  abandonna  les  voitures  pour  se  rendre  di- 
rectement à  Meaux,  par  la  voie  ferrée.  Dès  son  arrivée  dans  cette 
ville,   elle  s'empressa  de  se  diriger  vers  la  Cathédrale,  pour  en 


—  40  — 

admirer  les  beautés.  Il  était  alors  environ  sept  heures  du  soir. 
Eclairée  comme  nous  l'avons  vue  au  déclin  du  jour  par  les  feux 
du  soleil  couchant,  la  façade  de  la  vieille  basilique  nous  sembla 
revêtir  alors  un  double  et  incontestable  caractère  de  majesté  et  de 
grandeur. 

Le  tympan  du  portail  du  milieu  de  la  façade  principale  est  orné 
de  ces  sculptures  symboliques,  si  familières  aux  architectes  du 
moyen-âge.  On  donne  à  cette  page  sculpturale  une  interprétation, 
que  nous  rapportons  sans  prétendre  en  garantir  l'exactitude. 

«  A  droite,  l'enfer  est  indiqué  par  des  flammes;  à  gauche,  le  pa- 
radis est  tiguré  par  des  saints  placés  dans  leurs  niches.  Un 
homme,  couronne  en  tête,  Philippe-le-Bel,  semble  vouloir  se  diri- 
ger résolument  vers  le  paradis,  mais  un  ange  le  retient  sévère- 
ment par  le  bras,  et  l'empêche  d'aller  plus  loin.  Sa  femme,  Jeanne 
de  Navarre,  qui  dota  si  généreusement  la  cathédrale  de  Meaux, 
intercède  auprès  de  Saint-Pierre,  armé  de  son  énorme  clef,  et  sem- 
ble demander  grâce  en  faveur  du  roi  faux-monnayeur.  » 

La  physionomie,  à  la  fois  rébarbative  et  paterne  du  gardien  du 
paradis,  reflète  spirituellement  ses  irrésolutions.  Lorsque  l'œil  se 
détache  de  cette  œuvre  sculpturale,  on  demeure  presque  convaincu 
que  les  grâces  éloquemment  suppliantes  de  la  reine  Jeanne,  ne  tar- 
deront pas  à  vaincre  la  résistance  du  prince  des  Apôtres. 

Dans  son  Histoire  de  Meaux,  notre  confrère  M.  Carro  a  repro- 
duit cet  ingénieux  commentaire  de  la  principale  voussure  de  la 
cathédrale,  emprunté  à  feu  M.  Letronne,  membre  de  l'Institut. 

Détruite  par  les  Normands,  recontruite  par  Gautier  l"  dit  le 
Sage,  évêque  de  Meaux,  la  cathédrale  renferme  des  beautés  de 
premier  ordre.  On  remarque  tout  d'abord  la  hauteur,  la  délica- 
tesse du  sanctuaire,  et  surtout  l'abside  qui  s'élève  brillante  de 
grâce,  de  légèreté  et  d'harmonie  dans  une  atmosphère  paisible  et 
lumineuse,  tamisée  par  des  vitraux  du  plus  pur  style  flamboyant. 

Si  l'on  en  croit  la  tradition,  la  tête  couronnée  placée  dans  le 
rond-point  du  chœur,  serait  celle  de  Jeanne  de  Navarre,  qui  con- 
sacra des  sommes  considérables  pour  la  construction  des  voûtes  du 
rond-point  et  de  la  flèche. 

Le  nom  de  Bossuet,  on  peut  le  dire,  est  inséparablement  lié  à 
l'évôché  de  Meaux,  dont  il  est  l'honneur  et  la  gh^re  impérissables. 
—  Dès  qu'on  pénètre  sous  les  voûtes  de  la  vieille  cathédrale,  les 
yeux  se  portent  instantanément  sur  cette  chaire  dont  il  a  franchi 
tant  de  fois  les  degrés,  pour  l'illustrer  à  jamais.  L'un  des  pan- 
neaux porte  encore  la  date  de  1618.  Pendant  près  de  20  ans,  du 


—  41  — 

haut  de  cette  tribune  catholique,  a  retenti  la  voix  éloquente  du  plus 
puissant  de  nos  orateurs  sacrés. 

On  aime  à  se  représenter  Bossuet  dans  cette  chaire,  l'œil  en  feu, 
le  front  inspiré,  les  mains  étendues  sur  la  foule  qu'il  tenait  hale- 
tante et  suspendue  aux  mâles  accents  de  son  génie.  Sous  cette 
froide  statue  de  marbre,  tristement  reléguée  dans  une  nef  latérale, 
sous  cette  physionomie  placide  et  reposée,  nous  reconnaissons  dif- 
ficilement le  grand  évêque,  à  la  parole  tonnante  et  majestueuse.  Il 
n'a,  certes,  pas  été  heureusement  inspiré,  l'artiste  qui  nous  a  re- 
présenté l'auteur  des  Oraisons  funèbres  assis,  et  non  debout  dans 
la  chaire  où  nul  ne  l'a  surpassé  depuis.  Le  sculpteur  nous  a,  peut- 
être,  donné  l'image  exacte  de  l'écrivain  méditant  le  Discours  sur 
'histoire  universelle,  mais  à  coup  sûr,  nous  eussions  préféré  l'ora- 
teur sacré. 

La  mémoire  du  riche  et  libéral  bourgeois  Jean  Rose,  véritable 
Petit  Manteau  bleu  du  moyen-âge,  s'est  conservée  depuis  cinq  siè- 
cles, avec  une  vénération  non  interrompue,  parmi  la  population 
Meldoise.  Cédant  à  la  générosité  de  son  cœur,  et  tout  en  faisant 
le  commerce  du  blé,  Jean  Rose  achetait  un  peu  plus  cher  que  les 
autres  en  temps  de  baisse,  et  la  hausse  venue,  il  vidait  ses  greniers 
sur  place,  à  un  prix  moins  élevé  que  le  cours.  Il  fonda,  en  1336,  un 
hôpital  pour  23  pauvres  aveugles  et  pour  10  jeunes  enfants  qu'il 
fit  instruireà  ses  frais,  y  joignit  12  lits  pour  les  pauvres  sans  asile, 
établit  deux  religieux  pour  desservir  l'hôpital  converti,  dès  1647, 
en  chapelle  pour  le  Séminaire. 

La  pierre  tombale  de  Jean  Rose  a  été  relevée  récemment,  et  en- 
castrée dans  le  mur  d'une  des  chapelles  du  bas-côté  de  droite  delà 
cathédrale.  Cette  dalle  est  remarquable  par  d'élégantes  ornemen- 
tations du  xiv'^  siècle  et  des  incrustations  en  marbre  blanc;  deux 
personnages  y  sont  figurés  côte  à  côte.  L'inscription  indique  que 
Jean  Rose  mourut  en  1364,  et  sa  femme  en  1328,  bien  avant  la 
fondation  de  son  hôpital. 

Il  était  huit  heures  du  soir,  lorsque  nous  quittâmes  la  cathé- 
drale et  le  chapitre.  Nous  ne  pûmes  que  parcourir  à  la  hâte  les  di- 
verses pièces  de  l'appartement,  oii  l'un  de  nos  plus  dévoués  con- 
frères, M.  Lefebvre-Thiébault,  a  su  réunir  une  intéressante  et 
nombreuse  collection  de  médailles,  colliers,  bagues,  fibules, 
faïences,  tableaux,  etc.,  etc. 

Nous  aurions  désiré  visiter  le  palais  épiscopal  et  le  fameux  ca- 
binet de  Bossuet,  mais  nous  craignîmes  d'être  indiscrets,  vu  l'heure 
tardive.  Nous  apprîmes  le  lendemain,  que  notre  docte  et  pieux 


—  42  — 

Évêque,  monseigneur  Allou,  comptait  sur  notre  visite,  et  eût 
voulu  être  notre  Cicérone,  dans  les  jardins  qui  abritèrent  le  grand 
orateur  chrétien. 

Un  souper  confortable  et  fraternel  termina  la  journée,  et  réunit 
toute  la  caravane. 

DEUXIÈME  JOURNEE.  —  19  JUILLET  1865. 

ÇUI]«CY,  —  COIIII.E.Y. 

Les  programmes  les  plus  complets  ont  toujours  quelques  fis- 
sures par  où  l'imprévu  fait  brèche.  Aussi,  la  nécessité  de  parcou- 
rir un  trop  grand  nombre  de  localités  dans  la  même  journée,  nous 
força-t-elle  d'opérer  quelques  éliminations  dans  notre  itinéraire. 

Bien  que  composée,  comme  eût  dit  Rabelais  «  de  gens  studieux, 
»  grands  amateurs  de  pérégrinités  et  singularités  de  la  Brie  cham- 
))  penoise,  »  l'escouade  archéologique  fut  obligée  (qu'on  nous  par- 
donne ce  néologisme),  de  «  brûler  »  dans  la  première  journée, 
plusieurs  stations  intermédiaires,  telles  que  :  Villeneuve-le-Comfe^ 
Bussy-Saint-Georges,  Guermanies,  S aint-Thibaut-des- Vignes,  et  dans 
la  seconde  Pierre^Levée  et  Montceaux. 

Après  avoir  franchi  les  faubourgs  de  Meaux,  et  gravi  le  coteau 
qui  sépare  Nanteuil  de  Mareuil,  notre  première  visite  fut  pour  le 
village  de  Quincy,  déjà  mentionné  dans  une  vieille  charte  octroyée 
par  le  roi  Saint-Louis.  Quincy  est  célèbre  par  l'héroïque  résis- 
tance que  les  Réformés  de  ce  bourg  opposèrent,  dans  l'intérieur 
de  l'église,  à  deux  mille  Ligueurs.  Irrités  de  la  vigoureuse  défense 
des  habitants,  retirés  sur  les  voûtes  de  l'église  qu'ils  avaient  per- 
cées de  meurtrières,  les  Ligueurs  mirent  le  feu  aux  bancs,  aux 
coffres  de  l'édifice,  et  une  centaine  de  protestants  périrent  étouffés 
dans  les  flammes. 

Reconstruite  à  l'époque  de  la  Renaissance,  l'église  de  Quincy 
possède  encore  deux  arcs-doubleaux  du  xni"  siècle.  Son  lutrin 
en  fer  est  très-remarquable  comme  travail  de  serrurerie. 

Au-delà  de  Quincy,  au  bord  de  la  vallée  du  Grand-Morin,  sont 
assis  les  deux  villages  voisins  de  Saint-Germain  et  de  Couilly, 
séparés  seulement  par  un  pont  jeté  sur  la  rivière.  Après  avoir 
fait  une  halte  de  quelques  instants  chez  M.  Laurent-Thomas, 
qui  voulut  bien  nous  souhaiter  la  bienvenue  dans  le  pays,  après 
un  coup-d'œil  rapide  à  la  chapelle  vicariale  do  Saint-Germain, 
nous  dûmes  visiter  avec  plus  d'attention  la  jolie  et  très-élégante 


—  43  — 

église  de  Couilly,  qui  mériterait  à  juste  titre  d'être  classée  parmi 
les  monuments  historiques. 

Signalons  en  passant  une  des  particularités  saillantes  de  cet 
édifice  :  la  clef  de  voûte  de  l'église,  divisée  en  six  branches, 
est  d'une  seule  pièce.  Chaque  branche  est  terminée  par  une  cor- 
niche délicatement  sculptée  et  ornée  de  diverses  figurines.  Le 
chœur,  bien  disposé,  est  précédé  de  plusieurs  colonnettes,  reliées 
entr'elles,  surplombant  des  piliers  cylindriques.  Le  pilier  à  droite 
du  chœur  porte  le  millésime  de  'lo42.  On  voit  dans  une  des  nefs 
l'épitaphe  de  Guillaume  Poulain,  chapelain  de  l'Annonciation  de 
Meaux,  natif  de  Couilly,  et  décédé  en  1509. 

Quelques  annalistes  attribuent  à  Lebrun  une  peinture,  assez 
bien  conservée,  représentant  un  épisode  connu  de  la  vie  de  sainte 
Elisabeth  :  la  sainte  rêve  qu'elle  est  fiancée  au  Divin  Sauveur  ; 
l'Enfant  Jésus  est  dans  les  bras  de  la  Vierge  et  passe  un 
anneau  au  doigt  d'Elisabeth.  Ce  tableau,  ainsi  qu'une  jolie  statue 
en  marbre  blanc  de  la  Vierge,  proviennent  des  libéralités  des 
anciennes  abbesses  de  Pont-aux-Dames.  Par  ses  proportions, 
cette  statue  rappelle  le  bijou  sculptural  de  Saint- Ayoul,  de  Pro- 
vins, mais  il  y  a  moins  de  naturel  et  plus  de  mièvrerie  dans  la 
pose  de  la  Vierge  de  Couilly. 

L'abbaye  de  Pont-aux-Dames,  située  jadis  près  de  Couilly, 
n'existe  plus.  Ce  fut  là  que  Louis  XVI,  dès  son  avènement  au 
trône,  relégua  momentanément  la  comtesse  Du  Barry. 

La  sacristie  de  Couilly  renferme  aussi  un  fort  curieux  chapier, 
donné  par  M""^  Lefèvre  d'Ormesson,  qui  fut  consacrée  abbesse 
de  Pont-aux-Dames  par  Bossuet. 

Au  moment  de  quitter  Couilly,  nous  fûmes  rejoints  par  M.  le 
comte  Audéric  de  Moustier,  qui  vint  à  notre  rencontre,  et  s'as- 
socia dès  ce  moment  à  toutes  les  explorations  archéologiques  de  la 
seconde  journée.  Ce  confrère,  si  gracieusement  secondé  par  M"*^  la 
comtesse  de  Aloustier,  qui  devait  nous  offrir  une  hospitalité  aussi 
affable  que  courtoise  au  château  de  Villegodet,  avait  hâte  de  nous 
faire  les  honneurs  de  La  Chapelle-sur-Crécy,  regardée  comme  la 
plus  jolie  église  du  diocèse,  après  la  cathédrale  de  Meaux. 

CRÉtY.  —  LA  C'uapklm:-sur-c:rÉ€y. 

L'heure  nous  pressant,  il  fallut  traverser  promptement  la  petite 
ville  de  Crécy,  digne  pourtant  d'un  examen  plus  attentif  et  plus 
prolongé.  Ce  fut  à  regret  que  nous  nous  contentâmes  d'entrevoir  la 


_  44  — 

vieille  muraille,  fermant  l'antique  cité  jadis  si  bien  fortifiée  et 
flanquée  de  nombreuses  tours. 

Cette  ville,  fière  d'avoir  eu  pour  l'un  de  ses  premiers  seigneurs 
le  vieux  favori  de  Hugues  Gapet,  Bouchard,  comte  de  Melun  et 
de  Gorbeil,  mort  en  1012,  n'a  pas  même  aujourd'hui  de  faubourg, 
ni  de  jardins.  Le  territoire  de  Grécy,  le  plus  petit  du  départe- 
ment, est  tellement  étroit  que,  pour  établir  un  cimetière,  la  ville 
a  été  obligée  d'acquérir  un  terrain  situé  sur  une  commune  limi- 
trophe. 

Crécy  s'honore,  ajuste  titre,  d'avoir  donné  naissance  au  savant 
mathématicien  Camus,  admis  à  l'Académie  des  Sciences  dès  l'âge 
de  vingt-huit  ans,  et  mort  le  4  mai  1768. 

L'église  de  La  Chapelle-sur-Crécy  est  digne  de  sa  réputation; 
l'extérieur  en  est  majestueux ,  et  l'intérieur  vraiment  ravissant. 
On  comprend,  en  la  visitant,  la  faveur  toute  particulière  dont  elle 
a  été  l'objet  de  la  part  de  Sa  Sainteté  Pie  IX  qui,  dès  1857,  lui  a 
accordé  un  autel  privilégié.  Elle  est  malheureusement  fort  en- 
terrée, le  sol  ayant  été  exhaussé  de  dix  pieds.  Le  chœur,  éclairé 
par  trois  étages  de  fenêtres  superposées,  conserve  le  caractère  de 
l'architecture  de  la  fin  du  xiii"  siècle.  Le  large  et  profond  triforium 
de  l'abside  forme  une  véritable  tribune. 

Près  du  baptistère,  qui  porte  le  millésime  de  1531,  on  remarque 
une  statue  du  xv'^  ou  du  xvi^  siècle,  représentant  le  Père  Eternel, 
coiffé  de  la  tiare,  et  supportant  .Jésus-Christ,  crucifié,  sur  ses 
mains.  L'église  de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  à  Paris,  possède 
une  statue  exactement  semblable  à  celle  de  La  Chapelle-sur-Crécy. 

M.  le  comte  Audéric  de  Moustier.  auteur  d'un  Voyage  dans 
V Asie-Mineure  et  dans  la  Phénicie^  frère  de  notre  ambassadeur 
près  la  Porte-Ottomane,  a  pris  l'initiative  d'une  utile  et  heureuse 
innovation,  dont  nous  ne  saurions  trop  recommander  l'adoption 
dans  toutes  les  paroisses.  Sur  les  murs  intérieurs  de  la  sacristie 
sont  tracés,  en  lettres  saillantes,  les  fastes  de  l'église  de  La  Cha- 
pelle, avec  rénumération  sommaire  des  diverses  phases  de  l'his- 
toire de  cet  édifice. 

On  peut  parcourir  en  quelques  secondes  ces  archives  authen- 
tiques et  facilement  accessibles  pour  tous.  Une  mélhode  aussi 
simple  et  aussi  ingénieuse,  si  elle  était  mise  en  pratique  à  la  fois 
dans  nos  églises  et  dans  nos  mairies  communales,  faciliterait  et 
mettrait  à  la  portée  du  plus  grand  nombre  la  connaissance  exacte 
et  succincte  des  faits  civils  et  religieux,  intéressant  l'histoire  parti- 
culière de  chaque  localité.  C'est  là  une  de  ces  mesures  efficaces 


—  45  — 

et  importantes,  'qu'on  ne  saurait  signaler  avec  trop  d'insistance 
à  la  vigilante  attention  de  Leurs  Excellences  les  Ministres  de 
l'intérieur,  de  l'instruction  publique  et  des  cultes. 

Les  archives  départementales  de  Seine-et-Marne  sont  également 
redevables  à  M.  le  comte  de  Moustier  de  les  avoir  généreusepient 
enrichies  de  pièces  et  de  titres,  concernant  le  comté  de  Grécy  et 
le  château  de  La  Chapelle.  Il  serait  fort  à  désirer  que  l'exemple  de 
notre  confrère  fût  suivi  par  les  nombreux  détenteurs  d'archives 
provinciales;  les  documents  relatifs  aux  divers  fiefs  seigneuriaux 
pourraient  être  alors  consultés  avec  fruit  par  ceux  qui  se  livrent 
aux  études  historiques. 

Au  seuil  de  son  château,  et  avant  de  s'adjoindre  pour  le  reste 
de  la  journée  à  notre  groupe  archéologique,  M.  le  comte  de 
Moustier  a  bien  voulu,  en  des  termes  empreints  de  courtoisie  et 
d'une  spirituelle  modestie,  attribuer  uniquement  à  la  remarquable 
église  de  La  Chapelle  ce  qu'il  a  appelé  la  bonne  fortune  d'avoir  pu 
accueillir  (comme  convives)  les  excursionnistes  du  19  juillet. 

Un  parc  heureusement  accidenté,  coupé  par  de  délicieux  om- 
brages, une  galerie  historique  de  portraits  de  famille,  remontant 
jusqu'au  xiir  siècle,  auraient  dû  nous  retenir  plus  longtemps  à 
La  Chapelle-sur-Crécy .  Nous  ne  pûmes  ni  les  traverser,  ni  les 
parcourir,  pressés  que  nous  étions  d'arriver  à  Maisoncelles  et  à 
Jouarre. 

L'église  nouvellement  restaurée  de  Maisoncelles,  avec  les  deux 
élégants  petits  clochers  qui  la  surmontent,  était  indiquée  comme 
la  première  étape  de  notre  après-midi.  Notre  confrère,  maire  et 
châtelain  de  la  commune,  M.  Bayard,  a  présidé,  avec  le  goût  et 
le  dévouement  qu'on  lui  connaît,  à  la  consolidation  extérieure  do 
cet  édifice.  M.  Bayard,  rivalisant  de  prévenance  avec  son  col- 
lègue de  La  Chapelle,  avait  tout  préparé  pour  une  seconde  et  cor- 
diale réception  ;  mais  nous  ne  pûmes  que  nous  asseoir  à  sa  table, 
sans  y  faire  honneur. 

A  la  suite  de  fouilles  pratiquées  récemment  dans  son  parc, 
M.  Bayard  a  trouvé,  enfouis  au  pied 'd'une  croix,  plusieurs  bas- 
reliefs,  qu'il  a  fait  placer  dans  l'église,  à  droite  et  à  gauche  de 
l'autel  de  la  Vierge.  Ces  remarquables  sculptures  sur  pierre 
représentent  l'Annonciation  et  l'adoration  des  Mages  et  l'entrée 
de  Jésus  à  Jérusalem. 


—  46  — 

M.  Anatole  Dauvergne  pense  que  ces  bas-reliefs  ont  pu  orner, 
autre  fois,  le  rétable  de  Montgodejroy.  Il  les  regarde  comme  un 
des  plus  beaux  spécimens  de  la  sculpture  du  mh''  siècle. 

Sur  une  pierre  commémorative,  placée  à  gauche  de  la  chaire, 
se  lit  l'inscription  suivante  :  ((  Cy  gist  messire  Christophe  de 
»  Hidricam,  vivant  chevalier  s'' de  Maisoncelles,  Saint-Gorge-les- 
»  Rocher  en  Toureine  et  autres  lieux,  décédé  le  7  aoiit  1639,  le 
»  63^  de  son  âge,  qui  a  été  ynumé  dans  cette  église,  à  la  diligence 
))  de  dame  Marte  de  Bonneval,  son  épouse.  » 

L'église  de  Maisoncelles  possède  plusieurs  statues  en  bois  du 
moyrn-àge  :  un  saint  Denis  portant  sa  tête,  et  une  sainte  Elisa- 
beth, dont  la  tête  est  ornée  d'une  couronne  en  ter  battu. 

Nous  voici  arrivés  à  Jouarre.  Nous  renvoyons,  pour  les  détails 
sur  l'église  et  sur  les  célèbres  cryptes,  à  l'excellente  et  complète 
notice  faite  en  collaboration  par  nos  confrères,  MM.  Bourquelot 
et  Dauvergne. 

L'église  paroissiale  de  Jouarre  a  été  reconstruite  dans  le  courant 
du  xv^  siècle.  Toute  la  légende  de  sainte  Madeleine  est  repré- 
sentée sur  un  vitrail  du  chœur,  peint  suivant  le  style  de  la 
Renaissance.  Le  long  de  l'un  des  piliers  octogones  du  chœur  se 
trouve  adossé  un  joli  bas-relief  en  albâtre,  peu  remarqué  pour- 
tant, et  représentant  le  crucifiement  du  Christ.  Le  trésor  de 
l'église,  entr'autres  richesses,  renferme  un  beau  reliquaire  et  le 
crâne  entier  de  saint  Potentien. 

L'église  de  Jouarre  possède  encore  les  huit  châsses  déposées 
jadis  dans  l'Abbaye,  et  contenant  les  reliques  de  sainte  Ebré- 
gésiile,  saint  Prix  et  saint  Hilaire,  sainte  Pélagie,  sainte  Julie, 
saint  Potentien,  les  saintes  Abbesses,  saint  Valérien,  saint  Clau- 
dien. 

Il  appartenait  à  nos  confrères,  M.  Dauvergne  et  M.  l'abbé 
Denis ,  l'érudit  et  bienveillant  chanoine  de  la  Cathédrale,  de  nous 
exposer  ex  pi'ofesso  toutes  les  raretés  antiques,  toutes  les  merveilles 
artistiques  des  deux  célèbres  cryptes  deJouarre^,  dont  la  première 
est  ornée  de  chapiteaux  en  marbre  excavé,  ravagé  par  seize  ou  dix- 
sept  siècles,  et  des  colonnes  romaines,  galbées,  renflées  par  le  bas, 
surmontées  du  nénuphar,  symbole  de  la  chasteté.  Le  tombeau  de 
sainte  Théodechildc,  est  le  plus  ancien  peut-être  de  toute  la  France. 

La  seconde  crypte,  construite  aux  dixième  et  onzième  siècles, 
en  exhaussement  de  la  première,  offre  moins  d'intérêt  et  n'en 
forme  en  réalité  qu'une  seule  avec  celle-ci.  Une  des  différences 
consiste  dans  le  style  des  colonnes  à  peine  dégrossies  ;  elles  sont 


-    47  — 

surmontées  du  symbole  de  la  charité,  c'est-à-dire  de  colombes 
buvant  dans  un  vase. 

L'ancien  cimetière ,  communiquant  avec  cette  nécropole ,  sera 
prochainement  converti  en  un  square,  au  milieu  duquel  s'élève 
une  belle  croix  monolithe  du  xiii^  siècle.  Il  faut  traverser  le  cime- 
tière pour  se  rendre  à  la  chapelle,  récemment  reconstruite,  des 
Bénédictines,  et  dans  laquelle  nous  fûmes  introduits  par  M.  l'abbé 
Pleurnoy,  grand-vicaire  du  Diocèse.  Les  stalles  des  religieuses,  le 
nouveau  trône  del'abbesse  supérieure,  témoignent  du  soin  qui  pré- 
side à  l'ornementation  du  couvent  actuel. 

Plusieurs  essais  ont  été  tentés  pour  déchiffrer  exactement  les 
inscriptions  du  tombeau  de  Théodechilde.  D'après  MM.  Dauver- 
gne  et  Bourquelot,  il  faudrait  lire  sur  le  côté  droit  du  tombeau  : 

Hoc  membra.  post.  ultima.  teguntur.  fata  sepulcro  beatœ  (  Theo- 
diecheldis  intemeratœ  virginis  génère  nobilis  meretis)  fulgem  slrinua. 
moribus.  flagravit  in  Deo  flammam. 

Et  sur  le  côté  gauche,  beaucoup  plus  endommagé  ; 

Cenubii  hujus  mater  sacratas  Deo  Vir  {gines  sumen)  tes  oleum  cum 
lampadibus  prudent  {i  invitât)  sponso  filias  occurri.  rex.  pius.  has 
dernum  exultât  par  [adisi  in  gloria.) 

Plusieurs  savants  ecclésiastiques  qui  nous  accompagnaient  à 
Jouarre,  ont  fait  imprimer  une  nouvelle  interprétation  de  ces  in- 
scriptions, qu'ils  ont  communiquée  à  tous  les  excursionnistes,  et 
que  nous  reproduisons  également  : 

A  parte  meridianâ. 
\  hoc.   membra.   post.    ultima.    teguntur.   fata.  sepulchro.    beatœ 
Tlieodlecheldis.  intemeratœ.  virginis.  génère,  nobilis.  meretis.  fulgens. 
strinua. moribus.  flagravit  in  dogmata  aima. 
A  parte  septentrionali. 
Cenubii.  hvjus  mater,  sacratas.  D.  ô.   Vir  gines  sumenles.  oleum. 
cum.  lampadibus.  prudentes,  docuit  sponso  filias  occurrire.  x  p.  m 
hcec  demû         exultât  par adisi.  triumpho. 

Cette  seconde  traduction  que ,  dans  notre  impartialité ,  nous 
avons  cru  devoir  citer  textuellement ,  tout  en  nous  abstenant  de 
nous  prononcer  entre  l'une  et  l'autre  ,  diffère  assez  sensiblement 
de  la  première. 


—  48  — 

Une  pensée  naît  inévitablement  dans  l'esprit ,  à  la  vue  des  élé- 
gantes basiliques  ,  des  gigantesques  constructions  élevées  par  nos 
pères,  durant  le  cours  du  moyen-âge  ;  aussi ,  ne  peut-on  s'empê- 
cher de  reconnaître  que  cette  époque  ,  si  décriée  de  nos  jours  ,  n'a 
pas  été  sans  profit  pour  la  culture  des  arts  et  pour  la  grandeur  du 
monde.  On  se  rappelle  alors  ce  cri  si  éloquent  et  si  vrai ,  inspiré 
naguère  à  l'un  des  habitants  de  Fontainebleau  ,  l'illustre  poète 
Auguste  Barbier,  en  contemplant  les  ruines  de  Larchant  : 

Nous  n'avons  pas  surpassé  jusqu'ici 

Ces  trois  sublimités  des  choses  idéales , 

Le  livre  de  Gerson,  Dante  et  les  Cathédrales. 

Mais  revenons  au  couvent  de  Jouarre  ,  dont  nous  nous  sommes 
écarté  un  moment.  C'est  ici  que  doit  prendre  place  un  des  épisodes 
les  plus  intéressants  de  ces  deux  journées.  Sous  les  voiites  méro- 
vingiennes de  la  crypte  de  Jouarre,  nous  était  réservée  la  surprise 
d'une  apparition  non  moins  agréable  qu'inattendue.  Tout  un 
essaim  des  dames  les  plus  élégantes  et  les  plus  distinguées  de 
Coulommiers,  vint  se  mêler  inopinément  à  la  caravane,  et  prendre 
part  à  nos  explorations. 

Narrateur  trop  véridique ,  peut-être ,  pourquoi  n'avouerions- 
nous  pas  qu'en  présence  du  groupe  gracieux,  qui  venait  renforcer 
notre  bataillon  d'archéologues,  l'attention  des  touristes  {'ut  légè- 
rement divisée?  —  On  délaissa  bien  un  peu  la  tombe  de  la  très- 
sainte  et  vénérée  abbesse  Théodcchilde. —  Tout  en  lui  pardonnant 
d'avance  et  bien  volontiers  ce  blasphème  ,  nous  avons  entendu  le 
plus  courtois  et  le  plus  gentilhomme  des  antiquaires  ,  mieux  dis- 
posé alors  au  madrigal  qu'à  l'archéologie,  établir  un  parallèle  peu 
édifiant  et  peu  flatteur  entre  cette  science  qu'il  appelait  :  u  l'amour 
des  vieilles  choses  »,  et  la  néologie  qu'il  définissait  d'une  fa(,'on 
aussi  spirituelle  que  galante  «  l'étude  de  la  jeunesse  et  de  la 
beauté.  » 

Tiiii.i*onT. 

Une  pluie  battante,  survenue  intempestivement  entre  Jouarre 
et  Trilport,  nous  empêcha  d'admirer  à  notre  aise  le  coteau  de 
La  Ferté-Sûus-Jouarre,  justement  réputé  comme  l'un  des  beaux 
points  de  vue  de  la  Brie  meldoise. 

N'oublions  pas  de  relever  une  erreur  biographique  trop  long- 


—  49  — 

temps  accréditée.  On  avait  cru  à  tort,  jusqu'à  nos  jours,  que  la 
marquise  de  Pompadour  était  née  à  La  Perté-sous-Jouarre  en  1722. 
Un  des  chercheurs  les  plus  persévérants  de  notre  Société,  M.  Th. 
Lhuillier,  en  compulsant  les  registres  de  la  paroisse  St-Eustache, 
a  acquis  la  preuve  certaine  que  madame  de  Pompadour  est  née  à 
Paris,  le  29  décembre  1721.  Son  père,  François  Poisson,  était 
écuyer  de  S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans,  et  son  parrain  fut  Jean  Paris 
de  Montmartel ,  écuyer,  conseiller-secrétaire  du  Roy,  maison, 
couronne  de  France  et  de  ses  finances. 

Il  nous  a  été  donné,  au  château  de  Trilport,  où  s'est  terminée 
notre  excursion,  d'admirer  chez  notre  confrère  M.  le  vicomte  de 
Ponton  d'Amécourt,  maire  de  la  commune,  une  rare  et  riche  col- 
lection numismatique.  Parmi  les  exemplaires  de  haute  rareté  qui 
ont  passé  sous  nos  yeux ,  citons  le  splendide  et  unique  médaillon 
de  Constantin,  qui  permet  de  rétablir  la.porta  inclyta  de  Trêves.  — 
L'art  grec,  l'art  macédonien,  l'art  égyptien,  l'art  romain,  repré- 
sentés par  des  types  en  or  les  plus  irréprochables,  par  des  têtes  de 
collection,  nous  conduisent  à  travers  l'histoire,  jusqu'à  l'époque  mé- 
rovingienne. C'est  encoreM.  d'Amécourt  qui  possède,  presqueà 
lui  seul,  les  témoins  delà  dynastie  carlovingienne.  La  Gaule  étale 
toutes  les  phases  de  son  monnayage  :  1500  monuments,  la  plupart 
en  or,  classés  par  provinces  et  par  cités  épiscopales,  nous  révèlent 
toute  la  géographie  politique  de  la  France  du  vu"  siècle.  Que  dire 
des  séries  relatives  à  notre  histoire  nationale?  —  Cette  collection 
offre  une  des  plus  riches  séries  de  monnaies  royales  en  or,  depuis 
le  moyen-âge  jusqu'à  l'époque  contemporaine.  Qu'il  nous  suffise  , 
pour  donner  une  idée  des  trésors  numismatiquesde  notre  confrère, 
d'indiquer  le  prix  d'achat  d'une  de  ses  pièces  capitales  :  —  un 
Clovis  II,  frappé  à  Orléans ,  a  été  acquis,  par  lui,  au  prix  de 
1650  francs. 

Avant  de  clore  cette  lecture,  nous  tenons  à  consigner,  dans  nos 
annales,  l'expression  de  la  gratitude  de  toute  la  caravane  excur- 
sionniste. Que  M.  le  comte  et  Mme  la  comtesse  de  Moustier,  que 
M.  Bayard,  que  M.  et  Mme  Laurent-Thomas,  que  M.  le  vicomte  et 
Mme  la  vicomtesse  de  Ponton  d'Amécourt,  reçoivent  nos  publics 
remercîments  pour  leur  réception  si  large  et  si  hospitalière,  pour 
l'accueil  si  intime  et  si  cordial  dont  ils  nous  ont  entourés  pendant 
les  haltes  charmantes,  faites  successivement  à  Saint-Germain-lès- 
Gouilly,  à  La  Chapelle-sur-Crécy,  à  Maisoncelles  et  à  Trilpori. 

En  terminant  notre  relation  ,  nécessairement  incomplète,  de  la 
seconde  excursion  de  la  Société  archéologique  de  Seine-et-Marne , 

4 


—  50  — 

qui  compte  à  peine  18  mois  d'existence,  nous  ne  pouvons  nous 
défendre  d'une  dernière  réflexion  qui  nous  est  suggérée  par  l'in- 
fluence réelle  que  se  sont  déjà  acquise  nos  Sociétés  provinciales. 
Ce  serait ,  à  coup  sûr,  un  objet  d'étude  fort  intéressant  par  lui- 
même,  que  de  rechercher  le  nombre  et  la  nature  de  tous  les  tra- 
vaux utiles  et  sérieux  que  nos  Compagnies  savantes  ont  déjà 
enfantés,  provoqués,  encouragés  et  couronnés. 

Combien ,  parmi  ces  mémoires  ou  ces  thèses  modestes ,  récom- 
pensés uniquement  par  des  médailles  ou  de  simples  mentions 
honorables,  ont  servi  de  piédestal  à  des  monuments  plus  élevés , 
et  sont  devenus,  par  une  habile  transformation  ,  de  prôcieux  trai- 
tés, de  bons  livres  et  d'excellents  ouvrages  !  Tout  borné  qu'il  soit, 
notre  but,  si  nous  savons  l'atteindre,  est  encore  assez  étendu. 
Sachons  donc,  chers  Confrères ,  choisir  un  sujet  assez  restreint 
quant  aux  développements  qu'il  exigera  ;  suffisamment  vaste  , 
pour  que  les  questions  particulières  qu'il  renferme  se  rattachent 
aux  principes  généraux  de  l'art,  de  l'histoire  ,  de  la  littérature  et 
de  la  philosophie.  Etudions,  marquons  dans  ce  sujet  des  points 
jusqu'alors  inaperçus  ;  éclairons  d'une  lumière  nouvelle  ceux  que 
nos  devanciers  ont  déjà  découverts  ;  marchons ,  à  travers  une 
discussion  méthodique,  à  une  conclusion  nette  et  précise,  qui 
grossisse ,  ne  fût-ce  que  d'une  obole  ,  le  trésor  de  la  science.  A  ce 
compte  ,  nous  aurons  accompli  la  mission  à  laquelle  peut  raison- 
nablement prétendre  une  Société  départementale ,  et  notre  ambi- 
tion devra  être  légitimement  satisfaite. 

Mais  je  me  hâte  de  finir  ,  chers  Confrères,  et  de  céder  la  parole 
à  des  voix  plus  autorisées  que  la  mienne.  Je  suis  plus  avide  et 
plus  impatient  que  vous-mêmes  encore,  s'il  est  possible,  d'écouter 
nos  maîtres  en  l'art  de  penser,  de  parler  et  d'écrire. 


51 


CHAMPOLLION  JEUNE 

PAR   M.  JULES  DAVID, 
Président  et  membre  fondateur   (  Seetîoa  de  S^ontainefolca»  ). 


Au  moment  où  l'un  des  plus  grands  événements  de  ce  siècle  se 
prépare,  où  les  eaux  de  la  Méditerranée  vont  se  confondre  avec 
celles  de  la  Mer-Rouge,  il  n'est  pas  indiiTérent  de  rappeler  que 
c'est  à  deux  français  que  l'Egypte  devra,  à  la  fois,  et  les  preuves 
de  son  éclat  primordial,  eL  les  chances  de  sa  prospérité  future. 
Laissons  à  M.  Ferdinand  de  Lesseps  l'honneur  d'achever  son 
œuvre,  avant  de  l'apprécier  à  sa  haute  valeur  ,  et  contentons-nous 
aujourd'hui  d'examiner  les  travaux  de  son  véritable  prédécesseur, 
de  l'initiateur  patient  et  perspicace  de  cette  célèbre  contrée,  du 
savant  qui  vint  après  le  héros,  de  celui  qui  conquit  des  annales  à 
l'histoire,  comme  Napoléon  4"  avait  conquis,  trente  ans  plus  tôt, 
une  terre  illustre  à  la  France. 

Il  est  rare  de  rencontrer  chez  un  philologue  ce  feu  sacré  qui 
enflamme  l'imagination,  cet  esprit  de  divination  qui  ouvre  de 
nouvelles  et  profondes  perspectives  à  travers  les  âges,  au  delà 
des  temps  connus  et  des  idées  acquises.  11  en  fut  un,  pourtant, 
qui,  par  une  merveilleuse  découverte,  rendit  aux  ancêtres  du 
monde  leur  part  de  jloire,  contestée  parfois,  mystérieuse  tou- 
jours, et  qui  réalisa  le  rêve  historique  que  Bossuet  avait  fait  ; 
est-il  besoin  de  nommer  Ghampollion  jeune?  Né  à  Figeac,  dé- 
partement du  Lot,  le  24  décembre  4790,  son  origine  n'en  était 
pas  moins  du  Dauphiné  plutôt  que  du  Quercy,  car  sa  famille 
venait  de  Grenoble  et  devait  y  retourner.  A  l'époque  de  sa  jeu- 
nesse, l'enseignement  public  n'était  plus  qu'une  des  épaves  du 
naufrage  révolutionnaire,  et  l'on  ne  rencontrait  que  bien  diffici- 
lement l'instruction  et  surtout  la  science.  Mais  un  père  patient, 
éclairé,  et  un  ecclésiastique  dépossédé  de  sa  chaire,  firent  peut-être 
plus  vite  et  mieux  la  première  éducation  de  Ghampollion  que  la 
banale  épellation  d'une  école.  Aussi,  dès  l'âge  de  neuf  ans,  quand 
il  quitta  Figeac  pour  Grenoble,  connaissait-il  les  classiques  grecs 


—  52  — 

et  latins,  et  meublait-il  sa  mémoire  des  imaginations  d'Homère 
et  de  Virgile,  plutôt  que  de  celles  de  Perrault  et  de  Florian. 

On  dirait  qu'à  la  façon  des  grands  hommes  orientaux,  il  fut 
prédestiné  à  l'œuvre  qui  l'a  immortalisé.  Dès  son  jeune  âge,  en 
effet,  il  montra  une  rare  aptitude  aux  recherches  historiques,  et 
une  curiosité  d'imagination  qui  aidait  singulièrement  sa  mémoire. 
A  mesure  qu'il  lisait  dans  Plutarque  un  règne  de  roi  ou  la  vie 
d'un  grand  homme,  il  prenait  un  carton,  dessinait  à  sa  manière, 
et  comme  il  se  les  figurait,  les  traits  de  celui  dont  les  actes  l'a- 
vaient frappé,  et  derrière  ce  portrait  de  fantaisie  il  inscrivait  deux 
dates,  celle  de  la  naissance  et  celle  de  la  mort.  Ces  cartons  juvé- 
niles furent  plus  tard  si  nombreux  et  si  bien  classés  qu'ils  ser- 
virent com.me  seules  notes  aux  premières  leçons,  dans  la  chaire 
d'histoire,  du  professeur  à  la  faculté  de  Grenoble.  Ce  charmant 
enfant,  dont  les  récréations  étaient  des  études,  qui  jouait  avec  la 
science  jusqu'à  ce  qu'il  la  dominât,  et  qui,  un  jour,  voyant  pour  la 
première  fois  des  caractères  chinois,  les  déchiffrait  avec  ardeur  et 
prétendait,  par  leur  moyen,  parvenir  à  lire  les  hiéroglyphes,  cet 
enfant  si  laborieux  eut,  du  reste,  le  bonheur  de  rencontrer  dans 
sa  famille  une  affection  profonde,  un  appui  dévoué  et  un  aide 
efficace  dans  le  frère  qui  le  précédait  de  dix  ans  dans  la  vie.  Ce 
frère  aine,  déjà  établi  à  Grenoble,  possesseur  d'une  bibliothèque, 
mieux  choisie  que  considérable,  vivait  sans  cesse  avec  lui,  l'aidait 
dans  ses  recherches,  l'excitait  dans  ses  travaux,,  et  s'efforçait  de  lui 
procurer  tous  les  livres,  tous  les  manuscrits,  tous  les  textes  dont  il 
avait  besoin.  C'est  ainsi  qu'après  avoir  étudié  à  Paris  de  1807  à  1809 
les  langues  orientales,  et  particulièrement  le  copte,  Champollion 
jeune  put  achever  et  imprimer  dans  une  ville  de  province  les  deux 
premiers  volumes  de  son  Egypte  sons  les  Pharaons,  ouvrage  prodi- 
gieux pour  l'âge  de  l'auteur,  et  dont  Pontanes  écrivait  :  «  Ce  livre, 
»  si  plein  d'érudition,  ne  pourrait  avoir  aux  yeux  les  plus  prévenus, 
»  qu'un  seul  défaut,  l'âge  de  l'auteur  ;  mais  on  aime  à  se  le  rap- 
»  peler  pour  trouver  encore  dans  cette  œuvre  un  mérite  de  plus.  » 
Et  Fontanes  avait  raison,  car  la  partie  géographique,  seule  pu- 
bliée, résume  si  bien  les  notions  acquises,  critique  avec  tant  de 
sens  les  dénominations  grecques  et  romaines  ,  choisit  ses  sources 
coptes  avec  tant  de  sagacité,  décrit  si  exactement  les  lieux,  qu'elle 
a  servi  depuis  un  demi-siècle  aux  savants  comme  aux  voyageurs, 
et  que  tous  en  ont  répété  les  détails  depuis  Wilkinson  et  Lepsius 
jusqu'à  MM.  Ampère  et  Barthélémy  Saint-Hilaire. 

Lorsqu'à  l'âge  de  19  ans,  grâce  à  ses  études  déjà  brillantes  et 


—  33  — 

fructueuses ,  Champollion  jeune  fut  nommé  professeur-adjoint 
d  histoire  à  la  faculté  de  Grenoble,  il  trouva  dans  cette  ville 
comme  premier  magistrat  l'illustre  Fourier,  ce  savant  encyclo- 
pédique, tout  enthousiasmé  encore  de  son  voyage  en  Egypte,  pé- 
nétré de  la  grandeur  des  ruines  qu'il  venait  de  parcourir ,  ayant 
la  conscience  d'une  civilisation  primordiale  qu'il  avait  devinée 
sans  la  connaître.  Quels  conseils  une  intelligence,  si  admirable- 
ment conformée,  ne  donna-t-elle  pas  à  ce  jeune  professeur,  qui 
avait  si  judicieusement  choisi  sa  voie  à  travers  les  siècles!  De 
quelles  confidences  le  secrétaire  perpétuel  de  l'Institut  d'Egypte 
ne  l'honora-t-il  pas  pour  renforcer  sa  vocation  littéraire?  Quels 
matériaux  ne  lui  confia-t-il  pas  pour  éveiller  sa  pensée?  Quel 
élan  enfin  n'imprima-t-il  pas,  par  ses  encouragements,  par  ses 
conversations,  à  cet  esprit  né  chercheur,  et  qui  ne  pouvait  se  con- 
tenter ni  d'une  renommée  banale,  ni  d'une  gloire  facile?  Le  sa- 
vant généralisateur  avait  deviné  juste  en  comptant  sur  son  pro- 
tégé ;  et  peut-être  Fourier  fut-il  aussi  pour  quelque  chose  dans  le 
choix  définitif  de  la  contrée  dont  Champollion  jeune  devait  nous 
révéler  les  annales  incomprises. 

En  1815,  la  faculté  des  lettres  de  Grenoble  fut  supprimée,  et  le 
jeune  professeur  d'histoire ,  loin  de  se  plaindre  de  cette  perte 
d'une  fonction  honorable,  mais  qui  pour  lui  ne  pouvait  que  le  dis- 
traire de  ses  études  spéciales,  s'absorba  tout  entier  dans  son 
Egypte  bien-aimée.  Dès  lors  la  carrière  scientifique  de  Champol- 
lion était  définitivement  fixée,  et  elle  fut  suivie  par  lui  avec  cette 
résolution  ferme,  cette  ardeur  raisonnée,  cette  rare  perspicacité, 
qui  allaient  le  faire  peu  à  peu  pénétrer  les  arcanes  les  plus  secrets 
de  la  nation  la  plus  ignorée.  Une  de  ses  intuitions  les  plus  sagaces 
fut  de  prévoir  tout  de  suite  que  l'étude  du  copte,  cette  langue  des 
descendants  directs  des  peuples  pharaoniques,  devait  être  la  route 
la  plus  sûre  pour  atteindre  son  but,  et  comme  sa  première  étape; 
contrairement  à  Vossius  et  au  père  Hardoin,  qui  nièrent  l'identité 
du  copte  et  de  l'ancien  égyptien,  Champollion  l'affirma,  s'y  mit 
tout  entier,  et  pour  s'assurer  des  instruments  d'exploration  aussi 
exacts  que  surs,  il  refondit  la  grammaire  de  cet  idiome,  et  en 
composa  un  dictionnaire,  accessoires  pleins  d'intérêt  et  d'impor- 
tance dans  son  œuvre.  Mais  ne  voulant  pas,  comme  tant  d'autres, 
borner  à  une  syntaxe  et  à  un  lexique,  le  commencement  de  ses 
travaux ,  il  entreprit  en  même  temps  le  tableau  général  de 
l'Egypte,  dont  nous  avons  parlé,  et  dont  malheureusement  il  n'a 
eu  le  temps  de  publier  que  la  partie  géographique.  Puis,  tout  en 


—  54  — 

SB  rendant  un  compte  sévère  des  versions  admises  sur  le  grand 
peuple  dont  il  voulait  approfondir  les  destinées,  tout  en  contrô- 
lant les  récits  sincères  d'Hérodote  avec  les  amplitications  roma- 
nesques de  Diodore  de  Sicile,  le  trait  de  lumière  jeté  par  Clément 
d'Alexandrie  sur  les  trois  sortes  d'écritures  égyptiennes  avec  les 
critiques  modernes,  mais  infécondes  encore,  des  Deguignes  et  des 
S.  -de  Sacy,  il  ne  manquait  pas  non  plus  d'aller  en  avant  et  de  ré- 
pondre avec  persévérance  à  son  pressentiment  de  découverte.  Lui 
aussi,  il  étudiait  la  célèbre  pierre  de  Rosette,  à  l'inscription  en 
trois  caractères,  le  grec,  l'hiéroglyphique,  et  le  troisième  indéchif- 
frable, et  dont  Thomas  Young  avait  tenté  des  interprétations, 
reconnues  tour  à  tour  erronées  ou  douteuses.  Lui  aussi,  il  se 
trompa,  se  rectifia,  fit  plusieurs  fois  fausse  route;  et  ce  ne  fut 
qu'après  douze  ans  d'un  travail  assidu ,  réfléchi,  comparatif  et 
créateur  à  la  fois,  qu'il  parvint  en  1822  à  cette  vérité  tant  cher- 
chée, et  qu'il  en  développa  toutes  les  merveilles  dans  sa  lettre  à 
M.  Dacier. 

La  grande  découverte  âe  Ghampollion  jeune  a  été  de  discerner 
la  composition  mixte  des  inscriptions  égyptiennes,  et  leur  système 
graphique,  combiné,  comme  leur  système  religieux,  au  moyen 
de  la  triade.  Il  existe,  en  effet,  trois  caractères  différents  et  mé- 
langés dans  l'écriture  hiéroglyphique,  le  signe-figure,  le  signe- 
symbole,  le  signe-son  ;  ainsi,  peindre  un  homme  pour  indiquer 
l'homme,  c'est  le  signe  figuratif;  représenter  un  lion  pour  donner 
l'idée  de  la  force,  c'est  le  signe  symbolique  ;  enfin  former  un  trait 
pour  rappeler  un  son  de  la  langue  parlée,  c'est  le  signe  phonétique. 
Que  ce  dernier,  le  seul  employé  par  les  autres  nations,  soit  un 
progrès  de  l'esprit  humain,  cela  ne  fait  aucun  doute;  mais  que, 
par  suite  du  respect  des  traditions,  les  deux  premiers,  qui  sont  les 
rudiments  de  l'autre,  aient  été  conservés  et  gravés  à  toute  époque 
sur  les  monuments  religieux,  et  mêlés  pour  les  légendes  royales 
à  cette  écriture  phonétique,  dérivée  des  signes  figuratifs,  n'est-ce 
pas  là  le  problème  qui  fut  si  longtemps  insoluble,  et  que  seul  un 
savant  inspiré  pouvait  deviner  à  force  d'études  et  de  méditations? 
Honneur  donc  à  cette  découverte,  qui,  une  fois  faite,  permit  à  son 
auteur  de  reconnaître  huit-cents  figures  dans  l'écriture  primitive, 
puis  l'abréviation  de  ces  figures  dans  l'écriture  hiératique,  enfin 
le  mélange  de  ces  figures  abrégées  avec  des  traits  formant  de 
véritables  lettres  dans  l'écriture  démotique.  Cette  dernière  fut 
réservée  tout  d'abord  pour  les  besoins  ordinaires,  contrats,  lettres 
d'affaires,  comptes  de  commerce,  tandis  que  les  premières  plus 


—  .  3  — 

picturales  et  plus  nobles,  restaient  employées  dans  le  style  lapi- 
daire. Ainsi  trois  écritures,  la  première  figurative,  la  seconde 
abréviatrice  de  la  première,  la  troisième,  abrégé  encore  de  la  se- 
conde, et  procédant  des  deux  autres  en  leur  empruntant  une  figure 
comme  valeur  de  lettre  :  cette  combinaison  logique,  quoique  en 
dehors  des  formes  graphiques  des  autres  nations,  avait  été  cause 
des  erreurs  des  premiers  philologues,  Champollion  seul  ne  s'y 
trompa  point. 

Une  fois  maître  de  cette  découverte  philologique,  véritable 
lampe  merveilleuse  sous  les  rayons  de  laquelle  il  lira  couramment 
dans  les  ténèbres  de  la  tradition,  il  ne  se  croise  pas  les  bras^  il  ne 
se  repose  pas,  comme  tant  d'autres,  après  son  vaillant  effort;  bien 
au  contraire,  plein  d'une  ardeur  nouvelle ,  tempérée  par  la  plus 
sûre  des  critiques,  il  perfectionne  tous  les  jours  sa  découverte,  il 
accumule  ses  observations,  il  classe  les  huit-cents  signes  qu'il  a 
reconnus,  il  forme  son  alphabet  phonétique,  et  a  bientôt  épuisé 
tout  ce  que  les  musées  de  notre  pays  pouvaient  offrir  à  sa  péné- 
tration infatigable.  Or,  à  cette  époque,  au  refus  du  gouvernement 
français,  le  gouvernement  sarde  avait  acquis  de  M.  Drovetti, 
ancien  consul  général  à  Alexandrie,  une  collection  inappréciable  de 
restes  égyptiens,  cénotaphes,  momies,  statues,  inscriptions,  papy- 
rus. Quelle  mine  de  découvertes  pour  Champollion,  quelle  heureuse 
préparation  au  voyage  oriental  qu'il  méditait  !  Il  sollicita  et  obtint, 
en  1824,  une  mission  en  Italie,  pour  y  continuer  ses  recherches 
et  se  dirigea  tout  d'abord  sur  Turin,  sans  négliger  ni  Rome,  ni 
Naples  ;  car  tous  les  pays  civilisés  et  tous  les  gouvernements 
avaient  été  curieux  de  rassembler  des  débris  d'une  des  civilisations 
primordiales,  quoique  chacun  ne  vit  que  des  énigmes  dans  ses 
inscriptions  et  que  des  dessins  bizarres  dans  ses  écritures.  Du 
reste,  toutes  ces  études  diverses,  tous  ces  matériaux  dispersés, 
toutes  ces  lectures  disparates,  ne  furent  réellement  que  les  prolé- 
gomènes des  démonstrations  que  Champollion  se  préparait  à  accu- 
muler en  faveur  de  son  système.  Il  lui  fallait  l'Orient,  il  lui  fallait 
cette  Egypte  qu'il  découvrit,  ainsi  que  Colomb  l'Amérique.  Mais 
comme  le  hardi  navigateur  génois,  il  ne  recueillit  pas  tout  d'abord 
les  sarcasmes  des  grands  et  le  refus  des  princes;  tout  au  contraire, 
on  doit  cette  justice  à  Charles  X  et  à  son  digne  représentant, 
M.  de  Blacas,  qu'ils  acquirent,  en  1826,  sur  ses  instances,  lacollec- 
tion  Sait,  et  la  convertirent  en  musée  égyptien  dont  il  fut  nommé 
le  conservateur;  puis,  qu'ils  préparèrent  et  décrétèrent  à  son  pro- 
fit, en  1828,  une  sorte  de  nouvelle  expédition  d'Egypte,  véritable 


—  56  — 

corollaire  ou  plutôt  couronnement  de  la  première,  au  point  de  vue 
de  la  science.  C'était  là,  en  effet,  que  Champollion  devait  perfec- 
tionner son  œuvre  et  préciser  ses  découvertes,  et  les  lettres  qu'il 
adressa  à  son  frère,  à  Paris,  pendant  deux  ans,  au  fur  et  à  mesure 
de  sa  marche  initiatrice,  ont  eu  un  tel  retentissement  et  conser- 
vent une  telle  importance  que  nous  croyons  devoir  en  analyser  les 
principaux  faits,  pour  démontrer  qu'elles  sont  le  véritable  et  seul 
principe  de  ce  que  nous  savons  encore  sur  la  patrie  des  Pharaons. 
Avant  Champollion,  l'antique  Egypte  était  pour  nous  un  sphynx, 
ses  habitants  ne  nous  apparaissaient  que  comme  un  peuple  de 
statues,  statues  jadis  animées  sans  doute,  mais  roides,  compassées, 
aux  gestes  rectangulaires,  à  la  démarche  automatique;  grâce  à  lui 
nous  avons  reconnu  une  grande  nation  dans  les  épitaphes  de  ces 
nécropoles  creusées  dans  des  montagnes,  un  grand  art  sous  ces 
forêts  de  colonnes,  un  grand  sens  dans  ses  inscriptions  naguère 
indéchiffrables,  et  toute  une  civilisation  s'est  dégagée  peu  à  peu  de 
l'inconnu  :  la  langue  découverte,  le  peuple  fut  retrouvé.  - 

IL 

Champollion  avait  ce  style  ferme,  sobre  et  net,  qui  est  indispen- 
sable à  ces  penseurs  qui  vont  de  la  réflexion  à  la  découverte,  de  la 
méditation  à  la  certitude.  Rien  d'orné,  rien  de  trop;  il  grave  sa 
pensée  en  résumant  ses  recherches,  ou  il  avance  vers  les  arcanes 
de  la  science  de  ce  pas  leste  et  vif  qui  caractérise  les  trouveurs. 
Ses  premières  lettres  de  Sicile  sont  d'une  excellente  et  charmante 
érudition  classique.  Il  regrette  de  ne  pas  voir  les  temples  d'Agri- 
gente,  et  caractérise  en  quelques  mots  justes  et  sentis  les  côtes  qu'il 
rase:  c'est  l'éducation  classique  se  développant  avec  grâce  et 
naturel,  éducation  préparatoire,  si  nécessaire  pour  comprendre  le 
grand,  et  juger  les  aïeux  par  les  fils,  l'extrême  antiquité  par  les 
civilisations  moyennes.  Mais  le  voilà  qui  aborde  à  Alexandrie,  et 
son  enthousiasme  éclate  avec  la  naïveté  des  grands  esprits;  il 
baise,  en  débarquant,  le  sol  égyptien,  ce  sol  de  ses  rêves  comme 
de  ses  études,  ce  sol  dont  il  pénétra  les  mystères,  et  dont  il  nous 
eut  dévoilé  l'histoire  la  plus  immémoriale,  s'il  eut  vécut  la  vie 
d'un  de  Sacy  ou  d'un  Daunou. 

Dès  Saïs,  il  est  stupéfait  de  la  grandeur  égyptienne  par  l'aspect 
de  ses  nécropoles  :  ces  bouches  béantes  et  sombres  du  royaume 
des  morts,  ces  ténèbres  habitées  par  un  i)Puple  de  momies,  ces 
grottes  immenses,  et  qui  furent  trop  étroites  encore  pour  loger 


—  57  — 

les  nombreuses  générations  d'une  race  archiséculaire,  ces  mon- 
tagnes creusées  en  longueur  et  en  largeur  pour  y  faire  tenir  des 
millions  de  créatures,  ces  étages  d'ossements,  ces  puits  où  l'on 
entassait  le  trop  plein  des  cadavres;  et  parmi  ces  aspects  terri- 
fiants, sous  ces  dômes  noirs  et  étouffés,  ces  représentations  de 
l'existence  active  et  en  plein  air,  ces  scènes  peintes  de  la  vie 
rurale  ou  militaire,  cette  histoire  écrite  de  tous  ces  mouvements 
dans  cette  immobilité;  quel  spectacle  pour  un  savant  enthou- 
siaste, qui,  le  premier,  ne  se  contentait  pas  d'admirer  des  ta- 
bleaux, mais  allait  en  lire  les  exergues  et  en  surprendre  les 
secrets  !  Aussi,  Champollion  ne  laisse-t-il  rien  sans  l'étudier,  et 
observe-t-il  à  la  fois  dans  les  grottes  sépulcrales  les  traces  des 
princes  et  celles  des  gens  de  métiers  et  d'arts,  et  découvre-t-il  des 
peintures  relatives  à  la  vie  civile  et  à  la  classe  militaire.  Rien  de 
plus  merveilleux,  d'ailleurs,  que  ces  hypogées  qui  contiennent 
des  dessins  de  toutes  les  conditions  humaines,  preuves  que  l'art 
égyptien  n'était  pas  si  raide  et  sans  mouvements  que  le  prétend 
le  commun  des  observateurs;  tout  au  contraire,  dans  le  portrait 
des  guerriers,  on  rencontre  des  poses  très- variées  et  comme  un 
système  de  gymnastique  militaire;  puis  des  dessins  zoologiques 
fort  exacts  et  supérieurement  exécutés,  poissons,  oiseaux,  quadru- 
pèdes. Ces  derniers  arrivent  même  à  une  ressemblance  si  par- 
faite, que  lorsqu'ils  furent  soumis  à  l'illustre  Cuvier,  notre  grand 
naturaliste  n'hésita  pas  un  instant  à  inscrire  sous  l'image  égyp- 
tienne le  nom  de  chaque  animal  qu'elle  représentait.  Les  diffé- 
rentes découvertes  de  Champollion  à  Saïs  et  à  Beni-Hassan, 
révèlent  déjà  toute  une  civilisation. 

Plus  loin,  Champollion  s'extasie  devant  les  temples  de  Den- 
derah,  en  admire  l'architecture,  mais  critique  les  bas-reliefs,  art 
en  décadence,  la  sculpture  s'étant  dégradée  avant  l'architecture 
sous  Cléopâtre.  A  Thèbes,  l'enthousiasme  redouble,  il  restitue  à 
Rhamsès-Meïamoun  le  tombeau  prétendu  d'Osymandyas;  il  cons- 
tate un  édifice  de  l'Ethiopien  Tharaca,  un  petit  palais  de  Touth- 
mès  III,  enfin  le  colossal  palais  de  Rhamsès-Meïamoun;  puis  les 
tombes,  creusées  au  ciseau  dans  la  montagne,  des  rois  de  Thèbes 
des  xviii%  xix*^  et  xx^  dynasties.  Le  palais  principal  de  Louqsor, 
aux  deux  obélisques  de  granit  rose  et  aux  quatre  Colosses,  c'est 
encore  du  Rhamsès;  les  autres  parties  sont  de  Mandouaï-Horus 
et  Aménophis-Memnon,  plus  des  additions  de  Sabacon;  enfin, 
Karnac,  le  chef-d'œuvre  de  la  contrée,  a  une  salle  de  cent  qua- 
rante colonnes,  et  contient  des  bas-reliefs  représentant  toutes  les 


—  58  — 

victoires  égyptiennes.  Quant  aux  temples  dlbsamboul,  ils  datent 
aussi  du  temps  de  Rhamsès-le-Grand,  et  leurs  magnifiques  co- 
losses sont  des  portraits  du  prince  et  de  sa  femme  Nofré-Ari,  sur- 
nommée Ahmosis  (née  de  la  Lune). 

Ce  n'est  pas  de  la  présomption,  c'est  la  confiance  de  la  con- 
viction, c'est  la  certitude  d'un  travail  approfondi,  c'est  ce  senti- 
ment de  force  et  de  conscience  qui  s'exprime  à  la  fin  de  la  lettre 
que  Ghampollion  adresse  à  M.  Dacier.  D'un  bras  aussi  intelligent 
qu'audacieux,  il  a  soulevé  le  voile  de  l'Isis  mystérieuse;  mais  la 
mort  jalouse  a  bien  vite  séché  cette  main  hardie  qui  s'apprêtait  à 
dévoiler  des  secrets  séculaires.  Néanmoins,  tant  qu'il  vit,  il  espère; 
il  sent  que,  grâce  à  lui,  les  Egyptiens  feront  à  l'avenir  dans  l'his- 
toire plus  belle  figure  que  par  le  passé.  Il  déduit  du  respect  des 
femmes  le  degré  de  civilisation,  en  voyant  la  femme  du  gouver- 
neur des  terres  méridionales  arrivant  devant  Pharaon  après  son 
mari,  et  avant  les  autres  officiers  de  la  province.  Il  découvre 
que  Sésostris  avait  un  lion  apprivoisé,  qui  combattait  avec  lui,  et 
que  Rhamsès  est  un  nom  patronymique  de  Rha-msès  (l'esprit  du 
Soleil).  On  saisit  à  merveille  la  logique  de  ses  déductions  qui,  de 
découvertes  en  découvertes,  de  comparaisons  en  comparaisons, 
restitue  à  la  vérité  son  flambeau.  Gomme  il  a  voulu  tout  d'abord 
prendre  une  idée  générale  du  pays  et  parcourir  l'ensemble  de  ces 
textes  de  pierre  qu'il  va  déchiffrer  pour  la  première  fois,  il  pousse 
jusqu'à  la  seconde  cataracte,  et  énumère  en  passant  les  merveilles 
qu'il  étudie.  Il  trouve  le  prototype  de  la  colonne  dorique  dans  le 
temple  d'Amada,  du  temps  de  Moeris;  il  ne  croit  pas,  lui,  à  l'im- 
mobilité de  l'art  égyptien  ;  il  y  discerne,  au  contraire,  des  diffé- 
rences sensibles,  une  apogée  et  une  décadence.  Mais  voyez  comme 
Ig,  vérité  a  de  peine  à  percer  :  M.  Barthélémy  Saint-Hilaire  écrit 
encore  en  1860  :  L'art  immobile  des  Egyptiens.  Il  constate  aussi 
un  temple  élevé  par  l'Ethiopien  Erkamen,  après  la  conquête  de 
Cambyse,  et  l'indépendance  reconquise  de  la  Nubie;  ces  Ethio- 
piens, ainsi  que  lesLagides,  ont  refait  les  monuments  détruits  par 
les  Perses.  G'est  donc  souvent  une  seconde  édition  de  temples, 
moins  celui  d'Amada,  qui  est  resté  primitif  et  pur. 

Véritable  voyageur  scientifique  ,  Ghampollion  rectifie  ses  idées 
^  mesure  qu'il  avance  ,  qu'il  observe  :  il  reconnaît  la  triade 
d'Ammon-Ra  ,  de  Mouth  et  de  Kons  ,  et  sa  manifestation  sur  la 
terre,  par  Ilorus,  Isis  et  Malouli.  Tous  les  autres  dieux  étaient 
des  dieux  intermédiaires,  sorte  de  patrons  de  certains  pays,  adorés 
spécialement  dans  certaines  villes,  mais  reconnus  par  toutes;  et 


—  59  — 

cette  mythologie  ne  s'est  altérée  ni  modifiée  depuis  les  temps  les 
plus  anciens  Jusqu'à  l'établissement  du  Christianisme  en  Egypte. 
A  Silsilis,  il  constate  que  des  montagnes  de  grès ,  profondément 
fouillées  par  les  architectes  égyptiens  ,  l'ont  été  à  partir  d'Horus  , 
le  conquérant  de  l'Ethiopie ,  et  que  ce  grès  très-beau  servit  h 
élever  le  Rhamesseum  et  les  autres  palais  de  Rhamsès-le-Grand. 
Il  critique  le  temple  d'Edfou ,  du  temps  des  Ptolémées,  décadence 
de  l'art,  qui  remplace  par  la  profusion  des  ornements ,  la  simpli- 
cité et  la  sobriété  grandioses  de  l'architecture  pharaonique.  Du 
temple  d'Edfou,  passez  au  temple  d'Esnèh  ,  construit  sous  les  em- 
pereurs romains,  et  qu'on  croyait  si  ancien,  et  ce  n'est  plus  qu'un 
papillotage  insupportable ,  un  bavardage  de  pierres  insipide  au 
lieu  de  l'éloquence  antique.  Il  trouve  enfin  à  Eléthya  une  nomen- 
clature des  rois  de  la  xviii^  dynastie  sur  un  tombeau,  qui  confirme 
la  science  et  peut  servir  de  supplément  à  la  table  d'Abydos. 

De  retour  à  Thèbes  ,  il  prouve  de  nouveau  par  les  inscriptions 
qu'il  traduit ,  que  ce  fut  Aménophis-Memnon ,  de  la  xviu''  dynas- 
tie, qui  a  fait  élever  une  partie  des  palais  de  Louqsor.  Mais  à 
Louqsor  il  y  a  deux  régimes  de  palais,  ceux  d'Aménophi?  et  ceux 
de  Rhamsès-le-Grand  ;  et  voilà  pourquoi  ces  deux  constructions 
ïie  sont  pas  au  même  alignement;  excellente  remarque  ,  ainsi  que 
celle  relative  aux  inscriptions  qui  couvrent  les  obélisques  :  loin 
d'être  ,  en  effet ,  des  mystères  astrologiques  ou  religieux  ,  les  in- 
scriptions des  obélisques  ne  sont,  en  réalité,  que  des  dédicaces 
explicatives  de  l'objet  des  édifices.  Partout,  dans  son  exploration 
si  intelligente  ,  Ghampollion  distingue  parfaitement  les  âges  d'ar- 
chitecture, reconnaît  les  restaurations ,  les  apprécie  et  les  classe  ; 
c'est  là  de  la  véritable  archéologie.  Ainsi ,  outre  les  deux  grands 
groupes  de  monuments  d'Aménophis  et  de  Rhamsès-le-Grand,  il 
constate,  à  Thèbes,  une  porte  refaite  par  l'éthiopien  Sabacon,  chef 
de  la  xxiv^  dynastie  ,  et  une  autre  restauration  de  Ptolémée-Phi- 
lopator.  Se  retrouver  ainsi  dans  ces  forêts  de  pierres ,  devenues 
confuses  par  le  temps ,  inextricables  pour  une  science  vulgaire , 
est  à  la  fois  une  preuve  d'un  grand  sens  et  d'une  étiidç  métho- 
dique supérieure. 

Mais  si  les  restes  colossaux  des  palais  pharaoniques  sont  sen- 
sibles aux  yeux  les  plus  ignorants ,  quelle  autre  série  d'observa- 
tions et  de  réflexions  n'offrent  pas,  à  l'initié,  les  hypogées  de  Içi 
vallée  de  Biban-El-Moulouk  ;  là  existent  seize  tombeaux  qui  con- 
tiennent, dans  leur  intérieur,  tout  un  résumé  de  la  philosophie 
égyptienne.  C'est  d'abord  la  destinée  terrestre  et  ultérieure  çly 


—  60  — 

roi-soleil ,  son  passage  dans  le  jour  (sur  la  terre) ,  son  coucher 
(sa  mort),  sa  traversée  dans  les  mondes  fantastiques  qui  séparent 
les  deux  existences,  le  monde  des  peines  et  le  monde  des  récom- 
penses, précédé  du  jugement  des  âmes;  puis  un  enfer,  avec  le 
paradis  sur  l'autre  face  ,  enfer  digne  de  Dante  par  la  variété  des 
supplices  et  leur  rigueur  symbolique:  ici,  des  processions  de  corps 
sans  tête;  là,  des  files  de  pendus  les  pieds  en  l'air;  plus  loin,  des 
vases  oh  brûlent  éternellement  des  cœurs  et  des  éventails ,  l'é- 
ventail est  l'image  du  bonheur ,  ingénieux  emblème  sous  un  ciel 
de  feu,  dans  un  air  embrasé.  D'autre  part,  c'est  le  voyage  céleste 
du  Pharaon,  dans  une  barque,  sur  l'éther,  le  fleuve  céleste,  divisé 
en  autant  de  bassins  qu'il  y  a  d'heures  du  jour.  Plus  loin,  la  salle 
du  jugement,  avec  Osiris  pour  président  et  42  assesseurs  ,  chacun 
répondant  affirmativement  ou  négativement  sur  42  vices,  dont  ils 
sont  chargés  de  faire  la  recherche,  l'instruction  et  le  rapport.  Puis 
des  salles  de  symboles,  d'astronomie,  d'astrologie,  do  théologie 
et  de  mysticités.  Il  y  a  là  une  science  que  Ghampollion  aurait 
complètement  détaillée,  si  la  mort  ne  l'avait  arrêté  brusquement. 

Partant  ensuite  de  l'explication  de  ces  sculptures  poétiques,  il 
rectifie  l'opinion  qu'on  avait  que  les  types  figurés  des  peuples  di- 
vers, dans  les  tombeaux ,  étaient  ceux  de  nations  vaincues  ;  ce 
ne  sont  que  les  divers  habitants  de  la  terre  éclairée  par  le  soleil , 
ce  n'est  que  l'indication  des  quatre  parties  du  monde  d'après 
l'ethnographie  égyptienne ,  consistant  en  l'Egypte ,  à  elle  seule 
partie  du  monde,  séjour  de  la  race  par  excellence;  puis  viennent 
l'asiatique,  le  nègre  et  l'européen,  tous  difTérenciés  par  la  phy- 
sionomie. Ensuite  il  découvre,  dans  le  tombeau  de  Rhamsès- 
Meïamoun,  des  salles  ornées  de  sculptures  industrielles,  pour  ainsi 
dire  ,  l'une  de  l'art  de  l'ébénisterie ,  l'autre  de  la  fabrication 
des  armes ,  une  autre  des  barques  et  canges  royales ,  puis  des 
produits  des  saisons,  puis  des  joueurs  de  harpe.  Ghampollion, 
riche  de  toute  sa  science ,  ne  fait  qu'esquisser  tous  ses  aperçus 
si  lucides,  toutes  ses  présomptions  si  acceptables  :  c'est  avec  le 
Kasch  sévère  de  l'égyptien  qu'il  écrit,  plutôt  qu'avec  le  Kalem 
fleuri  de  l'asiatique. 

Mais  c'est  surtout  le  Rhamesseum  qui  devient  pour  Gham- 
pollion le  texte  sculptural  le  plus  fécond.  Tl  y  voit  l'histoire  des 
conquêtes  de  Sésostris,  et  la  preuve  écrite  de  la  grandeur  de  ses 
institutions;  puis,  la  salle  des  panégyries,  ces  assemblées  géné- 
rales des  peuples  égyptiens;  puis,  d'autres  tableaux  de  victoires 
contre   les  tfchito   (Bactricns);    puis,   des   solennités  religieuses' 


—  61  — 

pleines  de  promesses  de  prospérité,  dons  gracieux  des  dieux  pro- 
tecteurs du  héros;  puis,  l'investiture  suprême  par  la  faulx  des 
batailles,  l'arme  invincible  par  excellence  ;  enfin,  une  galerie  de 
portraits  des  vingt-trois  fils  du  roi,  tous  pourvus  d'une  charge 
près  de  sa  personne,  porteurs  d'éventails  dans  les  cérémonies, 
commandants  de  troupes  pendant  la  guerre.  Ce  fut  le  treizième, 
Ménéphtha,  qui  lui  succéda. 

Après  ces  salles  publiques,  viennent  les  appartements  parti- 
culiers, ornés  de  tableaux,  où  des  Dieux  inférieurs  adorent  Am- 
mon-Ra  et  lui  recommandent  leur  chorRhamsès;  enfin,  la  biblio- 
thèque indiquée  par  les  portraits  sculptés  de  Thoth  à  tête  d'Ibis, 
l'inventeur  de  l'écriture,  et  de  la  déesse  Saf,  la  dame  des  lettres, 
la  Clémence  Isaure  des  Égyptiens. 

Après  le  dépouillement  du  Rhamesseum,  il  passe  au  nord,  au 
fond  d'une  vallée,  où  les  restes  d'un  temple  peu  exploré  l'amènent 
à  reconnaître  et  à  attester  l'existence  des  ruines  pharaoniques, 
avant  Thoutmès  III,  et  à  établir  les  premiers  princes  de  la 
xvni^  dynastie.  C'est  ainsi  que  par  la  comparaison  des  monu- 
ments, l'explication  des  sculptures  et  la  lecture  des  hiéroglyphes, 
il  en  arrive  à  dévoiler  le  secret  des  temps,  à  discerner  des  régences, 
des  règnes  de  princesses,  et  même,  par  certains  martelages 
constatés,  à  caractériser  les  tentatives  d'usurpation  d'une  sorte 
de  maire  des  palais  pharaoniques,  tyran  obscur,  dont  ses  con- 
temporains ont  cherché  à  effacer  toute  trace,  et  dont  l'œil  de  la 
science  pénètre  et  découvre  l'infamie  pour  la  faire  maudire  par 
l'histoire,  à  trente  siècles  de  distance. 

'L'Aménophium,  ce  magnifique  temple,  qui  n'est  autre  que  le 
Memnonium  des  Grecs,  est  rendu  à  son  véritable  objet,  et  ses 
statues  sont  déclarées,  non  celles  du  dieu  Memnon,  mais  celles 
du  roi  et  de  la  reine.  Il  détruit  aussi  la  croyance  à  un  temple 
d'Isis,  derrière  l'Aménophium,  et  l'explique  par  le  culte  d'Hathôr 
et  de  Thmeï  réunies,  c'est-à-dire  Vénus  et  Thémis.  Enfin,  il  lave 
de  l'accusation  barbare  de  sacrifices  humains  les  sculptures  du 
temple  le  plus  antique  de  Médinet-Habou,  celui  qui  contient 
plusieurs  représentations  des  victoires  de  Rhamsès-Meïamoun, 
vainqueur  de  tant  de  peuples  du  Nord  et  du  midi,  qu'on  prétend 
reconnaître  jusqu'à  des  Hindous  dans  la  physionomie  des  prison- 
niers que  le  roi  traîne  derrière  lui.  C'est  peut-être  là,  du  reste, 
un  des  plus  splendides  monuments  du  beau  siècle  de  l'art  égyptien  ; 
hauteur  des  colonnes,  vaste  étendue  des  salles,  perfection  des 
sculptures,  grands  tableaux  de  batailles,  d'investitures  et  de  piété, 


—  6î2  — 

éclat  des  peintures,  richesse  des  ornements,  vérité  des  types  re- 
présentés, développement  des  inscriptions,  tout  concourt  à  faire 
de  ces  ruines  le  spécimen  le  plus  grandiose  de  la  plus  gigantesque 
puissance. 

Ironique  effet  du  temps  !  Le  peuple  qui,  peut-être,  s'était  le 
plus  préoccupé  de  la  postérité,  qui,  pour  elle  sans  doute,  avait 
écrit  sur  tous  ses  murs  le  nom  de  ses  rois,  le  progrès  de  ses  con- 
quêtes, le  nombre  de  ses  exploits,  les  attributs  de  ses  dieux;  qui 
avait  reproduit  à  l'infini  les  images  de  ses  chefs;  qui  les  avait 
sculptés  dans  le  marbre  de  ses  temples,  dans  la  pierre  de  ses 
palais;  qui  les  avait  expliqués  par  une  écriture  à  la  fois  populaire 
et  hiératique;  le  plus  soigneux  de  sa  renommée,  le  plus  jaloux  de 
sa  prépotence,  ce  peuple  fut  ignoré  par  ses  descendants  immé- 
diats, calomnié  par  ceux -qui  lui  empruntaient  sa  civilisation  et 
ses  arts,  et  il  fallut,  après  plus  de  quarante  siècles,  qu'un  homme 
de  science  enthousiaste  et  d'esprit  inventif  retrouvât,  sous  les 
ruines  de  la  nature  et  de  la  barbarie,  les  titres  de  sa  gloire  et  les 
preuves  de  sa  grandeur  1  La  haine  des  vainqueurs,  l'antagonisme 
des  races  firent  plus  encore;,  il  est  vrai,  que  la  marée  montante 
des  alluvions  et  les  tempêtes  répétées  de  sable.  Ghampollion  voit 
partout  les  traces  de  destructions  systématiques  et  successives  ; 
les  Perses  d'abord,  les  Arabes  ensuite,  s'épuisèrent  à  détruire, 
comme  les  Égyptiens  à  élever.  Le  fanatisme  religieux  rasa  sans 
pitié,  autour  de  Thèbes,  la  Thoph  vénérée  des  prêtres  et  des  rois, 
sur  l'une  et  l'autre  rive  du  Nil:  ici,  les  temples  des  deux  Rhamsès 
et  le  palais  élégant  de  Kourna,  attribué  à  Ménéphtha  1";  là,  les 
gigantesques  monuments  de  Karnac  et  de  Louqsor,  les  chefs- 
d'œuvres  d'un  art  et  d'une  civilisation  qui  précédèrent  et  dépas- 
sèrent un  moment  toutes  les  autres.  Aussi,  quelle  dispersion  sur 
le  sol,  que  de  bris  de  statues,  que  de  morcellements  de  colonnes, 
que  de  martelages  d'inscriptions,  et  quelle  intelligence  ne  faut-il 
pas  pour  reconnaître  et  classer  ces  prodigieuses  ruines!  L'archéo- 
logie moderne  y  travaille  depuis  trente  ans  avec  une  ardeur  crois- 
sante; mais  aussi,  la  découverte  d'un  seul  homme  en  avait  dévoilé 
le  mystère,  et,  en  pénétrant  le  système  des  écritures  hiérogli- 
phiquos,  il  avait  trouvé  le  mot  de  l'énigme  des  siècles. 

Le  sens  poétique  est  indépendant  du  mode  qu'on  emploie  dans 
l'expression  de  lu  pensée  :  Bossuet  est  poëte  dans  ses  sermons, 
Pourier  dans  ses  dissertations  scientifiques ,  Arago  dans  ses 
calculs,  Ghampollion  dans  ses  recherches.  Si  nous  osions  donc 
soumettre  à  l'analyse  l'esprit  de  Ghampollion,  il  ne  nous  serait 


—  63  — 

pas  difficile  d'y  rencontrer  les  plus  hautes  qualités  :  le  sens  poéti- 
que, source  de  l'inspiration,  l'enthousiasme,  ce  feu  sacré  qui  entre- 
tient la  persévérance,  la  conscience,  qui  est  la  vertu  du  vrai  savant, 
l'ordre ,  preuve  d'une  grande  valeur  intellectuelle ,  la  foi  dans 
l'ensemble  de  son  œuvre,  le  doute  dans  le  détail,  en  un  mot  tout 
ce  qui  constitue  cette  aptitude  à  la  patience,  qu'on  a  décoré  d'un 
si  beau  nom,  le  génie.  Mais  le  temps  a  manqué  à  Champollion 
pour  son  œuvre,  et  Dieu  lui  compta  les  jours,  si  la  postérité  ne  lui 
compte  pas  la  gloire. 

III. 

A  son  retour  en  France  ses  lettres  d'Egypte,  publiées  dans  le 
Moniteu7\  et  dont  nous  avons  cherché  à  donner  une  idée,  avaient 
excité  l'attention  de  toute  l'Europe  savante  et  provoqué  l'intérêt 
de  tous  les  esprits  sérieux.  L'académie  des  Inscriptions  et  Belles- 
lettres,  qui,  selon  l'expression  de  son  secrétaire  perpétuel,  M.  Sil- 
vestre  de  Sacy,  s'étonnait  de  ne  point  le  compter  encore  dans  ses  rangs, 
le  reçut  membre  le  7  mai  1830;  et  le  gouvernement  lui  maintint 
la  conservation  du  musée  Égyptien,  qu'il  avait  créé,  pour  ainsi 
dire,  en  le  faisant  acquérir,  en  le  classant  si  intelligemment,  et 
en  le  dotant  d'une  de  ses  pièces  les  plus  belles  et  les  plus  curieuses, 
un  sarcophage  en  basalte  vert.  Puis,  malgré  une  révolution  qui 
interrompit  brusquement  l'exécution  de  ses  plans,  sa  découverte 
était  si  importante  qu'elle  résista  aux  préoccupations  publiques, 
et  fut  adoptée  par  le  gouvernement  de  Juillet.  Champollion  trouva 
dans  le  nouveau  ministre  de  l'instruction  publique  un  digne  pro- 
tecteur et  un  sérieux  appui,  et  c'est  pour  le  premier  denos  égypto- 
logues  que  M.  Guizot  institua  au  Collège  de  France  la  chaire 
d'archéologie  égyptienne.  Malheureusement,  c'en  était  déjà  fait 
des  forces  et  de  la  santé  de  notre  grand  découvreur  ;  son  voyage 
si  laborieux ,  ses  travaux  si  répétés ,  ses  longues  stations  sous  un 
soleil  de  feu,  les  ardeurs  de  son  cerveau,  les  préoccupations  de 
son  esprit  avaient  brûlé  son  sang  et  épuisé  sa  vie  ;  et  comme 
Le  Tasse  au  Capitole,  Champollion  n'apparut  au  Collège  de  France 
que  pour  y  mourir. 

Ainsi  s'éteignit  à  quarante-un  ans,  le  4  mars  1832,  le  corps 
épuisé,  la  tête  pleine  de  projets  et  de  pensées,  celui  qui  venait  de 
créer  une  nouvelle  science  historique,  la  lecture  des  hiéroglyphes. 
Il  laisait  une  veuve  désolée,  une  fille  orpheline,  une  famille  dans 
les  larmes;  car  à  sa  science  profonde  il  joignait  le  caractère  le  plus 


—   64  — 

affable  et  les  vertus  les  plus  douces.  Son  frère  aîné  lui  survivait, 
dépositaire  de  ses  œuvres,  gardien  de  sa  renommée,  collaborateur 
de  cœur  et  d'esprit  à  la  fois,  qui,  avec  une  abnégation  bien  rare, 
s'était  complètement  dévoué  à  lui,  et  qui,  malgré  un  précoce  suc- 
cès, une  médaille  conquise  à  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles 
lettres,  ne  travaillait  plus  que  pour  son  illustre  cadet.  Ce  dernier 
l'eut  associé  à  sa  gloire,  s'il  eut  vécu  plus  longtemps.  Et  néan- 
moins quelques  savants  égarés  et  quelques  envieux  de  renommée 
l'attaquèrent;  mais  Dacier  l'avait  encouragé,  Silvestre  de  Sacy 
prononça  son  éloge,  Arago  lui  rendit  Justice,  l'explorateur  anglais 
de  Sait,  d'abord  son  adversaire,  finit  par  devenir  son  disciple, 
l'illustre  allemand  Niebuhr  le  glorifia,  Letronne  |Ie  défendit,  et 
J.-J.  Ampère,  avec  ce  style  attrayant  qu'on  lui  sait,  ce  don  de  plaire 
à  chacun  et  de  mettre  à  la  portée  de  tous  les  recherches  îles  plus 
abstruses,  écrivit  sur  lui  cette  belle  page  que  nous  ne  (résistons 
pas  au  plaisir  de  répéter  ici,  quelque  tort  qu'elle  puisse  faire  à  nos 

appréciations  sans  autorité  et  sans  nom  :    «  Oui,  la' lumière 

1)  des  hiéroglyphes,  oui,  la  main  inspirée  deChampolIionaallumé 
»  un  flambeau  dont  l'éclat  toujours  plus  vif,  percera  de  ses  rayons 
n  la  nuit  séculaire  d'oii  ce  flambeau  a  été  tiré  !  La  gloire  de 
»  Champollion  est  déjà  l'une  des  plus  éminentes  gloires  de  l'éru- 
»  dition  française  ;  elle  grandira  par  tous  les  travaux  que  suscitera 
»  la  découverte  de  ce  grand  homme,  et  qui  seront  un  hommage  h 
»  son  génie.  Aujourd'hui  la  méthode  de  Champollion  a  conquis 
))  le  monde  savant;  l'Angleterre,  l'Italie,  l'Allemagne,  TAmé- 
»  rique,  laproclament  ;  la  France  pourrait-elle  ne  pas  l'honorer?  Et 
I)  la  vraie  manière  de  l'honorer,  n'est-ce  pas  de  la  continuer  ? 
»  Par  une  inintelligence  qui  serait  de  l'injustice  et  de  l'ingrati- 
1)  tude,  la  France  voudrait-elle  nier  un  des  plus  beaux  titres  d'hon- 
»  neur  qu'elle  ait  reçu  du  siècle  où  nous  vivons?  Non,  il  n'en  sera 
»  point  ainsi.  Et  si  d'incroyables  aberrations  prétendaient  faire 
1)  rebrousser  chemin  à  la  science,  découvrir  ce  qui  a  été  trouvé, 
»  chercher  dans  le  pays  des  rêves  ce  que  le  génie  a  placé  dans  la 
»  sphère  des  réalités,  j'opposerais  à  cet  aveuglement  la  voix  de 
»  l'Europe  savante,  l'autoriléde  l'Académie  des  Inscriptions  et  les 
»  travaux  de  plusieurs  de  ses  membres.  » 

Pourtant,  par  une  fatalité  déplorable,  la  fin  hâtive  de  Cham- 
pollion, en  laissant  son  œuvre  incomplète,  et  son  enseignement 
interrompu,  sembla  compromettre  pour  un  temps  sa  mémorable 
découverte.  Avant  sa  mi&sion  en  Egypte  ,  il  n'avait  pas  eu  le 
temps  de  former  des  élèves,  et  ses  collaborateurs  français  étaient 


—  Go- 
des dessinateurs  plutôt  que  des  savants  ,  sauf  Nestor  Lhôte  et 
Charles  Lenormant,  trop  jeunes,  d'ailleurs,  pour  prétendre  à  lui 
succéder.  Quant  à  la  commission  toscane,  annexée  à  celle  dont  il 
était  le  chef,  elle  ne  se  composait  comme  érudits  que  d'un  pré- 
somptueux, Rossellini,  et  d'un  traître  ,  Salvolini.  Le  présomp- 
tueux lit  beaucoup  de  brait  et  assez  peu  de  besogne  ;  le  traître 
vola  son  maître  au  lit  de  mort,  pour  s'attribuer  plus  tard  la 
science  qu'il  avait  dérobée.  Il  fallut  attendre  le  prussien  Lepsius 
pour  perfectionner  le  déchiffrement  hiéroglyphique,  et  l'anglais 
Birch  pour  entreprendre  la  traduction  des  grandes  inscriptions 
historiques.  Puis ,  cette  chaire  d'archéologie ,  si  longtemps  va- 
cante, ne  fut  remplie  après  Ghampollion,  que  par  un  savant  in- 
génieux et  fécond,  mais  dont  la  spécialité  philologique  était  le 
grec  et  non  le  copte,  et  dont  les  précédents  travaux  se  rappor- 
taient aux  traditions  helléniques  et  non  égyptiennes.  Aussi,  que 
fitLetronne?  Il  étudia  l'Egypte  par  l'intermédiaire  de  ses  plus 
illustres  conquérants  ;  il  élucida  l'histoire  des  Lagides,  restaura 
telles  inscriptions,  rectifia  telles  autres,  et  mit  fin,  avec  sa  clair- 
voyance et  sa  perspicacité  ordinaires,  à  deux  préjugés  ridicules  : 
l'âge  fabuleux  des  zodiaques  ramené  au  temps  de  la  domination 
romaine,  les  causes  toutes  matérielles  des  sons  que  rendait  la 
statue  dite  de  Memnon,  laquelle  statue,  on  le  sait  maintenant, 
n'est  point  celle  d'un  dieu,  mais  celle  d'un  homme,  et  laquelle 
vibrait  mais  ne  parlait  pas.  Tel  fut  l'enseignement  du  judi- 
cieux Letronne;  c'était  là  dégager  et  préparer  le  terrain  des 
égyptologues,  mais  non  continuer  directement  Ghampollion. 

Qu'était  devenue  cette  grammaire  égyptienne,  œuvre  de  pré- 
dilection de  Ghampollion,  qu'il  s'était  hâté  d'achever  à  la  fin  de 
4831,  et  qu'il  avait  remise  à  son  frère  aîné  quelques  jours  avant 
sa  mort,  en  lui  disant  :  «  voici  ma  carte  de  visite  à  la  postérité  »  ? 
On  ne  s'occupait  donc  plus  d'hiéroglyphes?  Si,  on  s'en  occu- 
pait ;  on  les  étudiait  avec  conscience ,  mais  on  les  méditait 
dans  l'ombre  :  les  uns  avec  une  ardeur  qui  bientôt  devait  se  dé- 
tourner vers  de  plus  neuves  investigations,  comme  MM.  de 
Saulcy  et  Brunet  de  Presle,  les  autres  dans  un  but  historique  ou 
descriptif,  comme  MM.  Ampère  et  Th.  Devéria,  d'autres  enfin 
dans  un  but  plus  spécial,  plus  direct,  et  temporairement  plus 
utile,  comme  MM.  Aug.  Mariette,  Ghabas,  de  Horrack,  Th. 
Henri  Martin.  Pour  de  tels  élèves,  si  sérieux,  si  résolus,  si  ca- 
pables, il  fallait  un  maître  qui  joignit  une  érudition  étendue  à 
une  connaissance  toute  particulière  de  la  grande  découverte  phi- 

3 


—  66  — 

lologique,  l'autorité  critique  à  la  persévérance  de  travail,  le  goût 
à  l'esprit,  le  style  à  la  pensée.  Ces  hautes  qualités  M.  de  Rougé 
les  possède,  et  nous  n'avons  pu  qu'applaudir  à  sa  nomination  à  la 
chaire  de  Ghampollion.  On  lui  devait  déjà  une  étude  sur  une  stèle 
Egyptienne,  œuvre  de  science  si  avancée,  publication  si  impor- 
iante  qu'elle  suffit  pour  lui  mériter  un  fauteuil  à  l'Institut  ;  puis 
des  études  sur  le  Rituel  funéraire  des  anciens  Egyptiens^  oti  la  nou- 
veauté des  faits  et  l'intérêt  de  la  dissertation  dénonçaient  un  sa- 
vant capable  de  lutter  avec  la  patience  des  allemands,  la  perspi- 
cacité des  anglais,  la  fougue  studieuse  des  italiens,  et  de  main- 
tenir la  France  à  la  tête  des  nations  qui  s'adonnent  à  l'Egypto- 
logie;  enfin  des  notions  instructives,  et  des  rapports  que  lui  seul 
alors  pouvait  écrire.  Aussi,  lorsque  le  19  avril  1860,  il  ouvrit  son 
cours  au  Collège  de  France,  une  élite  d'auditeurs,  avides  de  renouer 
la  chaîne  des  temps,  afflua  à  sa  première  leçon.  Il  remplaçait  di- 
rectement Charles  Lenormant,  homme  d'un  savoir  incontestable, 
d'un  talent  aussi  distingué  que  brillant,  mais  dont  l'esprit  ency- 
clopédique, avait  trop  erré  de  sujets  en  sujets,  de  connaissances 
en  connaissances,  d'opinions  en  opinions,  et  pour  qui  l'Egypte 
n'était  qu'un  épisode  dans  son  existence  scientifique,  qu'un  cha- 
pitre dans  ses  études  générales.  Contrairement  à  Charles  Lenor- 
mant, M.  de  Rougé  semble  vouloir  se  renfermer  dans  l'Egypte, 
bien  suffisante  pour  occuper  et  remplir  toute  une  vie.  Nous  l'en 
félicitons  sincèrement,  comme  aussi,  après  son  excellent  résumé 
des  travaux  de  ses  prédécesseurs  et  de  l'importance  de  l'Egypto- 
logie,  d'avoir  renfermé  son  cours  dans  un  cercle  tout  philologique. 
Qu'il  fasse  des  élèves  dans  sa  chaire  et  réserve  pour  le  cabinet  ses 
études  approfondies  et  variées,  desquelles  nous  pouvons  espérer 
un  jour  une  Chrestomathie  égyptienne,  et  tout  le  monde  continuera 
à  l'applaudir. 

En  résumé,  que  savions-nous  sur  l'antique  Egypte  il  y  a  un 
siècle?  Nous  n'en  connaissions  que  les  apparences,  et  les  conjec- 
tures grecques  et  romaines.  La  Bible  ne  nous  offrait  que  quelques 
jalons  pour  nous  aventurer  dans  ce  désert  des  siècles.  Selon  n'en 
avait  rapporté  que  des  inspirations.  Moïse  que  des  anathèmes.  Si 
Josèphey  avait  vécu,  c'était  chez  des  conquérants  temporaires,  les 
Hyksos;  si  Cambyse  y  avait  passé,  c'était  pour  y  porter  le  ravage 
et  la  destruction  ;  si  Alexandre  y  avait  laissé  une  colonie,  c'était 
pour  la  transformer  en  l'assimilant  à  l'esprit  hellénique;  si  les 
Romains  l'avaient  conquise,  il  était  trop  tard  pour  l'étudier  avec 
fruit  et  en  pénétrer  les  secrets.  Le  consciencieux  Hérodote  en  avait 


—  67  — 

raconté  quelques  traditions  grandioses;  le  romanesque  Diodore  de 
Sicile  quelques  usages  curieux;  le  sage  Plutarque  ne  nous  avait 
laissé  que  quelques  détails  sur  sa  Théodicée.  Un  seul  homme  du 
pays,  un  seul  membre  de  ses  collèges  de  prêtres,  inquiets  de  leur 
destinée  et  jaloux  de  leur  science,  Manéthon,  avait  parlé,  mais 
son  œuvre  perdue  et  que  des  extraits  contradictoires  nous  ont  à 
peine  conservée,  ne  nous  relate  que  des  noms  propres  de  rois,  que 
des  listes  dynastiques.  Telles  sont  les  sources  maigres  et  avares 
dont  les  historiens  modernes  devaient  se  contenter.  Aussi,  sauf 
Bossuet,  qui  pressentit  sa  grandeur  et  qui  la  prit  comme  type  du 
gouvernement-modèle  auquel  il  incitait  le  fils  de  Louis  XIV, 
l'histoire  de  l'antique  Egypte,  répétée  sans  critique,  présumée 
sans  vérité,  ou  calomniée  sans  justice,  fatigua  les  lecteurs  et  dé- 
couragea les  écrivains.  Voltaire  s'en  moqua  avec  grâce,  mais  sans 
bonne  foi  ;  Volney  n'y  chercha  qu'un  texte  à  déclamations  ;  et  les 
savants  de  cette  mémorable  expédition,  conçue  par  un  homme  de 
génie  et  exécutée  par  des  héros,  nous  laissèrent  d'admirables  des- 
sins de  ruines,  mais  sans  pouvoir  ni  en  deviner  les  âges,  ni  en 
déterminer  l'emploi,  ni  en  déchiffrer  les  écritures  sculpturales. 

Enfin  Ghampollion  vint,  et  cette  étude  des  hiéroglyphes,  qui 
avait  provoqué  tant  de  chimères,  devint  réelle  et  féconde.  Il  classa 
les  temples  de  l'énigmatique  contrée,  leur  restitua  des  dates  cer- 
taines, expliqua  leurs  tableaux,  lut  les  noms  de  leurs  princes, 
rendit  leur  valeur  aux  listes  de  Manéthon,  et  pénétra  les  rites, 
les  coutumes,  les  mœurs  du  grand  peuple,  dont  les  monuments 
sublimes  protestaient  contre  l'oubli  des  siècles.  Ce  que  la 
brièveté  de  sa  vie  empêcha  Ghampollion  d'amener  à  terme,  car  il 
avait  tout  projeté  et  tout  entrepris ,  d'autres  plus  heureux  le 
firent  :  Bunsen  rendit  à  l'antique  Egypte  son  rôle  dans  l'histoire 
du  monde,  Birch  rendit  sa  gloire  à  Touthmès  III,  l'un  de  ses  con- 
quérants, Wilkinson  résuma  ses  mœurs,  Brugsch  reconstitua  sa 
géographie,  Leemans  décrivit  ses  monuments,  M.  Brunet  de 
Presle  rectifia  sa  chronologie,  M.  Chabas  retrouva  sa  morale,  en 
nous  traduisant  des  extraits  du  livre  de  préceptes  dû  à  Phthah- 
Hotep,  contemporain  d'Abraham,  M.  de  Rougé  enfin  retrouva  sa 
poésie,  en  nous  faisant  connaître  le  poème  de  Pen-ta-our,  qui  chante 
les  exploits  de  Rhamsès-le-Grand,  le  Sésostris  classique.  D'un 
autre  côté  les  explorations  et  les  fouilles  se  continuaient  avec  une 
ardeur  et  une  sagacité  croissante  :  outre  celles  de  Lepsius  et  de 
Wyse,  M.  Aug.  Mariette,  qui  resta  tout  d'abord  quatre  ans  en 
Egypte,  obtint  à  force  de  persévérance  et  de  tact  les  résultats  les 


-    68  — 

plus  précieux  :  le  déblayement  du  Sérapeum  de  Memphis  qui  nous 
confirma  le  culte  d'Apis,  celui  du  Sphinx-Colosse  de  Gisèh,  qui 
n'est  autre  chose  qu'un  rocher  taillé  sur  place,  et  qui  date  de  cette 
quatrième  dynastie  à  laquelle  nous  devons  les  Pyramides  ;  enfin 
l'emplacement  reconnu  d'Avaris,  la  dernière  ville  du  Delta  habitée 
par  les  pasteurs,  et  d'où  Amosis  de  Thèbes  les  chassa  pour  tou- 
jours, en  permettant  ainsi  à  la  XVUP  dynastie,  la  plus  célèbre 
peut-être,  de  poursuivre  sans  obstacles  intérieurs  ses  glorieuses 
destinées.  Certes,  voilà  d'excellents  travaux,  et  il  suffit  de  les  pour- 
suivre avec  zèle  pour  régénérer  l'histoire  égyptienne,  et  justifier 
une  fois  de  plus  le  mot  si  juste  et  si  vrai  :  Ex  Oriente  lux. 


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LE  PIGNON  DE  SxilNTE-AUBIERGE, 

PAR    M.    VICTOR  PLESSIER, 
Membre  fondateur  (Section  de  Coulommlcrs.) 


C'est  SOUS  ce  nom  que  l'on  désigne,  à  cause  de  sa  forme,  un 
immense  bloc  de  grès  qui  se  voit  à  Beautheil,  dans  l'arrondisse- 
ment de  Coulommiers,  entre  l'Yères  et  l'Aubetin,  sur  le  point 
culminant  du  plateau  qui  sépare  ces  deux  rivières.  11  est  à  cent 
mètres  environ  de  la  digue  du  vaste  étang  des  Rigauds  et  au 
sommet  de  celui  de  Pierrefitte.  Sa  hauteur  est  de  3  mètres  50  cen- 
timètres au-dessus  du  sol  ;  son  épaisseur  ne  dépasse  pas  30  cen- 
timètres. Large  de  2  mètres  23  centimètres  à  sa  base,  il  va  s'étré- 
cissant  peu  à  peu  et  se  termine  en  pointe.  Il  fait  face  au  soleil  de 
dix  heures  et  s'incline  légèrement  devant  l'astre  qui  l'inonde  de 
ses  rayons.  On  remarque  à  80  centimètres  de  terre  sur  la  grande 
face  exposée  au  sud-est,  une  rainure  peu  profonde  de  3  centi- 
mètres de  largeur  qui  s'étend  horizontalement  d'un  bord  à 
l'autre. 

Il  n'est  fait  mention  de  ce  monolithe  ni  dans  l'histoire  du  dé- 
partement de  Seine-et-Marne  par  le  docteur  Pascal,  ni  dans  les 
essais  historiques  de  M.  Michelin.  Le  seul  ouvrage,  à  ma  con- 
naissance ,  où  il  en  soit  parlé  ,  est  l'intéressante  histoire  de 
l'abbaye  de  Faremoutiers,  par  M.  Eugène  de  Resbecq,  un  des 
membres  distingués  de  notre  Société.  «  Il  existe ,  dit-il,  dans  le 
champ  de  Pierrefitte,  appartenant  h  M.  le  Vicomte  Pinon,  un 
espèce  de  menhir  sur  lequel  on  raconte  une  légende.  » 

Cette  pierre,  dont  la  pose  est  antérieure  à  notre  ère,  appartient 
aux  monuments  primitifs.  Elle  est  de  celles  que  l'on  appelle  drui- 
diques. La  caste  sacrée  de  Gaule  ,  dit  M.  Henri  Martin,  absorbée 
dans  une  sombre  adoration  de  la  nature,  ne  voulut  pas  d'autres 
temples  que  ses  forêts  saintes  et  ne  marqua  pas  son  passage  sur 
la  terre  par  la  création  d'une  architecture  religieuse.  Ses  cons- 
tructions ne  sont  que  de  simples  pierres  brutes,  d'énormes  blocs 
dressés  et  fichés  en   terre ,   isolément  ou  en  longues  avenues 


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{peulwen,  menhir),  rangés  en  cercle  ou  en  ellipse  [cromlech) ,  rap- 
prochés ou  réunis  par  une  ou  plusieurs  autres  grandes  pierres 
plates  posées  horizontalement  [dolmen).  Les  menhirs ,  espèces 
d'obélisques  grossiers,  sont  nommés  dans  nos  campagnes  pierres- 
fittes,  pier?'es-lcvées,  pierres- fichées,  etc. 

Les  preuves  du  caractère  monumental  de  cette  roche  abondent. 
Plantée  debout  dans  un  terrain  sans  aspérité  et  mollement  ondulé, 
elle  se  distingue  par  un  cachet  spécial  et  grandiose  des  pierres  de 
la  contrée  que,  dans  leur  état  naturel,  on  trouve  couchées  et  recou- 
vertes par  la  terre  végétale.  Ce  contraste  témoigne  de  l'interven- 
tion humaine.  En  un  temps  éloigné  de  notre  civilisation,  il  fallut 
déployer  beaucoup  d'art  et  de  force  pour  dresser  sur  sa  tranche 
un  bloc  dont  le  poids,  en  y  comprenant  la  partie  enfoncée,  ne 
peut  être  moindre  de  30  mille  kilogrammes.  Aussi  les  voyageurs 
qui  parcourent  les  chemins  voisins  du  champ  où  il  se  fait  remar- 
quer, sollicités  par  son  aspect  extraordinaire,  s'en  approchent, 
et  plusieurs,  s'en  faisant  un  passeport  pour  la  postérité,  ont  eu  la 
patience  d'y  graver  leurs  noms.  On  m'a  assuré  qu'un  certain 
nombre  de  personnes  vont  s'agenouiller  devant  ce  monument  et 
y  récitent  des  prières. 

Une  autre  preuve,  indépendante  des  conditions  physiques  du 
menhir,  consiste  dans  le  nom  que  lui  a  emprunté  la  contrée.  La 
terre  oii  il  se  dresse,  l'un  des  étangs  qui  l'avoisinent,  les  bois  de 
chênes  qui  l'entourent,  s'appellent  le  champ,  l'étang  et  les  bois  de 
Pierrefitte  (petra  fixa),  dénomination  usitée  dans  nos  campagnes, 
comme  l'a  constaté  M.  Henri  Martin,  pour  la  désignation  des 
Menhirs.  Il  est  donc  vrai  de  dire  que  le  doute  n'est  pas  possible 
puisque  la  chose  frappe  notre  vue,  et  le  nom,  qui  la  caractérise, 
nos  oreilles. 

La  légende  fournit  une  nouvelle  preuve,  quoique  sa  tendance 
soit  de  rapporter  au  christianisme  une  œuvre  qui  l'a  précédé.  — 
Saintc-Flodobertc ,  ayant  achevé  sa  chapelle  d'Amillis,  voulut 
offrir  à  sa  sœur  Sainte-Aubiergo  qui  construisait  la  sienne  à 
Saint-Augustin  une  pierre  propre  à  constituer  l'un  des  pignons  de 
l'édifice.  Elle  la  lui  portait  sur  l'épaule,  lorsqu'à  mi-chemin  les 
deux  sœurs  se  rencontrèrent.  Gomme  Sainte-Aubierge  lui  apprit 
qu'elle  avait  également  terminé  son  oratoire,  elle  laissa  tomber  la 
pierre  devenue  inutile  qui,  do  son  propre  poids,  entra  en  terre  et 
y  demeura  debout.  Cette  tradition,  suivant  l'usage  ,  fait  une  large 
part  au  surnaturel.  Ici  le  transport  et  l'érection  de  la  roche  sont  le 
fait  d'une  religieuse  qui  la  laisse  tomber  en  chemin.  Ailleurs,  c'est 


—  71  — 

le  travail  d'une  fée  accompli  dans  des  conditions  analogues.  Ailleurs 
encore  c'est  le  diable  qui,  effrayé  à  la  vue  de  la  vierge,  abandonne 
la  pierre  qu'il  portait.  Un  digne  ecclésiastique  me  faisait  remar- 
quer que  la  légende  est  nécessairement  apocryphe  puisqu'elle  pré- 
sente Sainte-Flodoberte  et  Sainte-Aubierge  comme  sœurs  et  con- 
temporaines, tandis  qu'elles  ont  vécu  à  cent  ans  l'une  de  l'autre. 
Mais  peut-être  sous  sa  forme  naïve  et  merveilleuse,  est-elle  plus 
près  de  la  vérité  qu'on  n'est  disposé  h  le  croire.  Je  m'explique. 

Ces  noms  d'Aubierge  et  de  Flodoberte  ,  en  même  temps  qu'ils 
désignent  les  deux  saintes  femmes ,  sont  aussi  les  dénominations 
géographiques  par  lesquelles  on  indique  les  lieux  de  deux  anti- 
ques pèlerinages  à  Saint-Augustin  et  à  Amillis,  comme  les  vieilles 
cartes  de  France  en  font  foi.  Là,  sont  des  sources  jouissant  de  la 
réputation  de  rendre  la  santé  aux  malades.  A  côté,  s'élèvent  des 
chapelles.  Quelle  est  l'origine  de  ces  noms?  Sont-ils  antérieurs  à 
l'existence  des  saintes?  Viennent-ils  d'elles?  Ou  les  ont-elles  re- 
çus des  institutions  que  leur  piété  sut  détacher  d'un  ancien  culte 
pour  les  ranger  sous  la  protection  de  la  religion  chrétienne? 

Aubierge  ou  auberge  se  disait  en  celtique  par  deux  mots  :  al 
berga  ;  l'un,  article ,  l'autre,  substantif,  dont  le  sens  pur  de  toute  idée 
mercantile  se  traduit  par  le  refuge,  l'habitation,  la  maison.  Rien 
déplus  facile  à  suivre  que  la  transformation  d'al  berga  en  auberge. 
Al  a  fait  au  par  le  changement  si  commun  de  i  en  u.  Ber  est  une 
syllabe,  qui  s'est  conservée  intacte.  Et  la  terminaison  sonore  ga 
s'est  adoucie.  Selon  la  loi  générale  de  notre  langue,  on  a  laissé 
tomber  l'a  pour  faire  place  à  l'e  muet.  C'est  ainsi  qu'on  a  obtenu 
Auberge.  Entre  ce  mot  et  Aubierge,  toute  la  différence  gît  dans  l'e, 
qui ,  absent  dans  auberge  s'est  introduit  dans  aubierge.  Mais  la 
même  diversité  se  retrouve  trop  fréquemment  dans  des  mots  ayant 
un  même  radical  pour  s'y  arrêter.  Il  suffit  de  citer  miel  et  mé- 
lasse, bénéfice  et  bienfait.  Il  est  si  vrai  qu'on  ne  doit  attacher 
aucune  importance  à  Vi  que,  quoique  la  prononciation  la  plus 
usitée  maintenant  soit  Aubierge,  on  a  dit  autrefois,  et  on  dit  encore 
indifféremment  Ethelberge  et  Aubierge ,  ainsi  qu'on  le  voit  dans 
V Histoire  de  l'abbaye  de  Faremo7i(ie?'s,  par  M.  E.  de  Resbecq  et 
V Histoire  du  département  de  Seine-et-Marne,  par  le  docteur  Pascal. 

Frodobert  ou  Frodoberg,  Flobert  ou  Floberg,  Flaubert  et 
Flauberg  font  aussi  les  formes  diverses  d'un  même  mot  (l).  Les 
radicaux  sont  Fro  et  berg  ;   on  a  fait  flo  par  la  conversion  usitée 

(1)  Dictionnaire  français  de  Trévoux  au  mol  frodberf,  et  dict.  latin  v.flodobertus. 


—  72  — 

de  r  en  /.  La  variante  orthographique  berg  ou  hert  n'est  sen- 
sible, dans  la  prononciation,  qu'au  féminin,  bert  faisant  berte, 
et  berg  berge.  Gomme  déjà  nous  avons  donné  le  sens  de  ce 
dernier  monosyllabe,  il  ne  nous  reste  plus,  pour  achever  la  tra- 
duction de  Flodoberte,  qu'à  expliquer  flod.  Ce  radical,  sous  ces 
diverses  formes  :  froc,  flot  ou  flod,  signifie  source. 

Aubierge  désigne,  d'une  manière  indéterminée,  un  refuge,  une 
maison,  et  flod  est  un  préfixe  qui  confère  à  floberte  ou  floberge  le 
sens  de  refuge  ou  maison  de  la  fontaine.  Ce  sont  là,  indubitable- 
ment, les  noms  d'une  chose,  d'un  édifice.  La  fréquentation  des 
sources  engagea  nos  premiers  pères  à  y  établir  un  abri  pour  pro- 
téger les  visiteurs  contre  les  incommodités  du  temps.  Mais  com- 
ment ces  noms  devinrent-ils  ceux  de  deux  saintes  femmes  ? 

Les  Gaulois  adoraient  les  sources  et  les  autres  puissances  de  la 
nature,  que  le  druidisme  déifia.  L'espérance  de  guérison  qui  con^ 
duit  encore  aujourd'hui  de  rares  malades  vers  les  eaux  autrefois 
réputées  salutaires,  est  un  vestige  de  la  superstition  de  nos  aïeux. 
Le  christianisme  est  contraire  à  ces  croyances  d'origine  essentiel- 
lement panthéiste.  Mais  pour  se  propager,  les  théories  les  plus 
pures  ont  dû  partout  et  toujours  transiger  avec  les  préjugés  enra- 
cinés. La  disparition  de  vieilles  erreurs  accréditées  pendant  de 
longs  siècles,  exige  un  grand  progrès  dans  le  développement  des 
lumières  et  ne  s'opère  que  par  le  renouvellement  de  plusieurs  gé- 
nérations. Mais  les  âmes  ferventes  qui  introduisirent  et  propa- 
gèrent en  France  la  religion  chrétienne,  durent  commencer  par 
détrôner  les  faux  dieux,  en  substituant  les  autels  catholiques  aux 
établissements  du  paganisme.  Inspirées  par  un  pieux  zèle,  deux 
femmes  dévouées  à  Dieu  parvinrent,  sans  doute,  à  renverser  l'o- 
pinion qui  attribuait  la  vertu  imaginaire  des  deux  sources  à  l'in- 
fluence des  pratiques  druidiques,  et  elles  curent  l'immense  hon- 
neur de  faire  passer  ces  fontaines  dans  les  possessions  du  christia- 
nisme. Faut-il  donc  s'étonner  que  l'Église  reconnaissante  d'une 
pareille  œuvre  et  vraisemblablement  des  conversions  opérées  dans 
les  populations  d'alentour,  ait  voulu  perpétuer  le  souvenir  de  ces 
faits  glorieux  en  sanctiOant  et  les  deux  dignes  femmes  et  le 
théâtre  de  leur  illustration?  Pourquoi  se  refuserait-on  à  admettre 
que,  par  un  usage  qui  n'a  pas  encore  complètement  disparu  de  nos 
mœurs,  les  deux  saintes  soient  connues  sous  le  nom  des  lieux  dont 
la  chrétienté  leur  doit  la  conquête?  (1). 

(1)  On  semble  d'autant  mieux  autorisé  à  voir  dan?  Flobert  un  nom  de  lieu,  qu'il 


—  73  — 

Ainsi  interprétée,  la  légende  dont  notre  pierre  a  fourni  le  sujet 
est  en  harmonie  avec  l'histoire,  puisqu'elle  assigne  une  origine 
commune  et  contemporaine  à  l'érection  du  menhir  et  aux  pèleri- 
nages d'Amillis  et  de  Saint-Augustin.  L'établissement  d'églises, 
de  chapelles,  de  croix,  dans  les  endroits  consacrés  au  paganisme 
celtique,  est  un  fait  commun  :  «  Sur  les  ruines  du  vieux  monde 
payen,  dit  M.  de  Golombel,  se  sont  épanouis  de  toutes  parts,  sous 
forme  de  pieuses  fondations  chrétiennes,  les  germes  du  monde 
nouveau.  » 

Mais  j'abandonne  la  légende  pour  entrer  dans  un  autre  ordre 
d'idées.  Quelle  est  la  situation  géographique  du  menhir?  Est-il  pos- 
sible d'asseoir  quelques  conjectures  sur  les  causes  de  son  érection? 

Posé  sur  le  faîte  du  plateau  qui  fait  la  séparation  de  l'Yères  et 
de  l'Aubetin,  il  marque  le  partage  des  eaux  de  la  Brie,  entre  la 
Marne  et  la  Seine,  l'Yères  se  jetant  immédiatement  dans  le 
fleuve,  et  l'Aubetin  se  perdant  dans  le  Grand-Morin,  tributaire  de 
la  Marne.  Il  occupe  le  centre  même  du  plateau  de  la  Brie,  puis- 
qu'il se  trouve  à  distance  presqu'égale  des  deux  grands  cours  d'eau 
qui  la  bordent,  l'un  au  sud  et  l'autre  au  nord,  et  aussi  à  distance 
égale  d'Alfort,  qui  est  à  la  limite  occidentale  de  cette  ancienne 
province,  et  d'Allemand  h  l'orient  sur  le  sommet  de  la  colline  for- 
mée par  le  terrain  tertiaire,  au  pied  de  laquelle  se  développe  la 
plaine  basse  et  crayeuse  de  la  Champagne.  L'Yères,  dont  le  versant 
septentrional  est  couronné  par  le  menhir,  fit  la  délimitation  du 
territoire  des  Senons  et  de  celui  des  Meldes,  démarcation  d'autant 
plus  importante  que  ceux-là  faisaient  partie  de  la  grande  famille 
des  Galls,  qui  occupèrent  primitivement  la  Brie,  et  que  ceux-ci 
appartenaient  à  la  branche  des  Kimris  qui  n'y  arrivèrent  que  cinq 
ou  six  siècles  avant  notre  ère.  Cependant,  il  ne  me  paraît  pas  qu'on 
doive  en  induire  que  ce  monolithe  ait  jamais  servi  de  limite. 

Mais  en  considérant  attentivement  le  menhir,  plusieurs  corré- 
lations m'ont  paru  le  rattacher  à  l'étang  des  Rigauds  et  à  celui  de 
Pierrefitte. 

La  chaussée  de  ces  étangs  est  revêtue  d'un  appareil  en  grès,  de 
la  même  nature  que  ce  monolithe.  En  mentionnant  cette  analogie, 
je  ne  me  dissimule  pas  que,  pouvant  provenir  uniquement  des 
conditions  minéralogiques  de  la  contrée  ,  elle  serait  sans  valeur  si 
elle  était  isolée. 

a  ét(j  employé  dans  ce  sens,  au  siècle   dernier,   par  un   habitant  de  Couloramiers, 
qui  ajoutait  à  son  nom  de  famille  le  litre  de  marquis  de  Montflobert. 


—  74  — 

Mais,  par  une  coïncidence  très-digne  d'attention  ,  le  pignon  de 
Sainte-Aubierge  occupe  précisément  le  point  où  les  axes  longitu- 
dinaux des  deux  étangs  viennent  se  couper  à  angle  droit.  L'axe 
de  l'Etang  des  Rigauds,  dont  la  nappe  d'eau  occupait  le  couron- 
nement du  vallon,  s'abaisse  perpendiculairement  sur  les  larges 
laces  du  menhir.  Par  contre  ,  celui  de  l'étang  de  Pierrefltte  ,  posé 
sur  le  versant  septentrional,  s'aligne  avec  le  profil  de  la  pierre. 
Sur  la  colline  opposée  fut  un  troisième  étang ,  appelé  l'Étang 
Neuf,  d'une  date  relativement  récente,  comme  l'indique  son  nom. 
Cette  disposition  géométrique  de  la  roche,  en  harmonie  avec  les 
axes  des  deux  étangs  qui  l'avoisinent,  est-elle  un  accident  fortuit? 
ou  plutôt  n'est-elle  pas  le  résultat  d'une  savante  combinaison? 

Ce  menhir  offre  une  autre  particularité  dont  l'importance  res- 
sort suffisamment  de  ce  fait  qu'on  n'en  connaît  pas  d'autre  exemple. 
Je  veux  parler  de  la  rainure  horizontale ,  faite  évidemment  de 
main  d'homme,  allant  d'un  bord  à  l'autre  sur  la  face  qui  regarde 
l'Étang  des  Rigauds.  J'ai  constaté,  ^  l'aide  d'un  niveau,  que  la 
crête  de  la  digue  de  cet  étang  surmonte  de  0°"  80  la  hauteur 
de  cette  marque.  Or,  la  différence  représente  l'intervalle  toujours 
réservé  entre  le  niveau  de  la  nappe  d'eau  et  le  sommet  de  la 
chaussée.  N'est- on  pas  autorisé  à  en  induire  que  cette  ligne  ré- 
sume les  travaux  de  nivellement  opérés  pour  l'établissement  des 
étangs,  et  est  le  repère  du  déversoir  réglementaire  assurant  l'éva- 
cuation du  trop-plein  de  l'étang  supérieur  et  l'alimentation  de 
l'étang  inférieur?  Il  n'y  a  pas  d'autre  explication  possible  de  cette 
barre. 

L'inclinaison  du  menhir  n'est  pas  non  plus  indifférente  :  cette 
inclinaison,  déterminée  par  un  Cl  à-plomb,  de  0'"55  pour  toute 
la  hauteur  de  la  pierre,  correspond  au  mouvement  de  retraite, 
autrement  dire,  à  la  pente  du  revêtement  de  la  paroi  intérieure 
des  digues. 

A  ces  rapports,  on  peut  encore  ajouter  qu'il  est  probable  que  la 
pierre  de  forme  triangulaire  a  été  choisie  intentionnellement  pour 
représenter  la  configuration  superficielle  de  l'Étang  des  Rigauds  , 
avec  laquelle  elle  est  d'une  ressemblance  remarquable. 

Un  tel  concours  de  circonstances  n'est-il  pas  concluant?  Toutes 
les  indications  qu'il  était  utile  d'exposer  au  point  central  des  tra- 
vaux pour. guider  les  constructeurs,  no  s'y  trouveraient-elles  ras- 
semblées que  par  l'effet  du  hasard?  Identité  de  matière  entre  le 
monolithe  et  le  revêtement  des  digues  !  Concordance  des  faces  et 
du  profil  de  la  pierre  avec  les  axes  des  deux  étangs!  Correspon- 


—  75  — 

dance  entre  la  rainure  et  le  déversoir!  Autre  rapport,  entre  l'in- 
clinaison du  monolittie  et  la  pente  intérieure  des  digues!  Enfin, 
la  forme  de  la  pierre  figurant  la  nappe  d'eau  de  l'étang  principal  ! 
Je  ne  puis  croire  que  toutes  ces  choses  soient  sans  signification. 

Ici  se  présente  une  question  archéologique  :  Est-il  vraisem- 
blable que  les  étangs  des  Rigauds  et  de  Pierrefitte  soient,  comme 
l'érection  de  la  Pierre,  un  travail  gaulois?  Je  n'ai  pu  me  pro- 
curer aucun  renseignement  sur  l'origine  de  la  construction  des 
étangs,  dont  l'historique  est  encore  à  faire,  s'il  n'a  pas  échappé  à 
mes  recherches.  Loin  de  rien  affirmer  sur  ce  point  obscur,  je  me 
borne  à  rappeler  que  les  Gaulois,  devenus  sédentaires,  se  sont 
livrés  à  l'agriculture,  ont  fait  usage  de  marne  pour  l'amende- 
ment des  terres,  ont  élevé  des  villes  et  créé  des  fortifications. 
L'établissement  d'une  digue  ne  dépassait  donc  pas  les  limites  de 
leur  industrie.  Il  semble  qu'ils  aient  dû  s'adonner  à  l'éducation 
des  poissons,  dont  ils  faisaient  une  ample  consommation,  au 
rapport  de  Posidonius,  qui  s'assit  souvent  à  leurs  tables,  de  même 
qu'ils  se  livraient  à  l'élève  du  bétail.  On  peut  croire  aussi  que  la 
chose  n'est  pas  moins  ancienne  que  le  mot  :  Etang  se  disait,  en 
latin,  stagmim,  et  en  celte,  sfanc,  stancq. 

J'ai  cru  obéir  aux  incitations  de  notre  Société  en  vous  entretenant 
d'un  antique  monument,  à  peu  près  inconnu  en  dehors  de  la  loca- 
lité qui  le  possède.  Si  incertaines  que  soient  les  conjectures  que 
j'ai  exposées,  j'ai  cru  convenable  de  vous  les  soumettre  :  la  multi- 
plicité des  observations  peut  seule  dévoiler  la  connaissance  des 
faits  que  cachent,  à  nos  yeux,  les  ténèbres  des  siècles  anté-histo- 
riques . 


—  77  — 
ESSAI 

SUR  L'HISTOIRE  DE  Lk  MUSIQUE  DES  FRANCS 

(ÉPOQUE  MÉROVINGIENNE). 

PAR  M.  TORCHET , 
Membre  fondateur  (Slectlon  de  Meaux). 


Dans  quelques-unes  de  nos  réunions  intimes  et  particulières, 
j'ai  eu  l'honneur,  Messieurs,  d'entretenir  plusieurs  de  nos  col- 
lègues de  la  Section  de  Meaux,  d'un  sujet  que  l'on  traite  rare- 
ment dans  les  Sociétés  archéologiques.  Quoi  de  plus  intéressant 
cependant,  quand  il  s'agit  de  la  recherche  des  origines,  que  de 
s'occuper  de  celle  de  l'art  musical,  cette  langue  divine  des  sons? 

Toutes  les  muses  d'ailleurs  ne  sont-elles  pas  sœurs? 

Il  n'y  a  dans  les  arts  qu'une  famille  où  tout  se  tient,  où  les  con- 
trastes eux-mêmes  se  rapprochent  par  de  mystérieuses  relations 
dont  l'œil  clairvoyant  trouve  le  fil. 

«  La  musique  est  une  architecture  de  sons,  et  l'architecture  une 
musique  de  pierres,  »  s'écriait  Novalis,  une  des  plus  nobles  intel- 
ligences que  les  temps  modernes  aient  produites,  et  il  ajoutait  : 
M  la  sculpture  est  la  l'orme  fixe;  la  musique,  la  forme  fluide. 
Entre  la  sculpture  et  la  musique,  entre  la  forme  fixe  et  la  forme 
fluide,  la  peinture  sert  de  transition.  » 

Il  se  peut  que  je  me  trompe;  mais  on  ne  saurait,  à  mon  sens, 
rien  écrire  de  si  vrai,  de  si  juste,  de  si  définitif,  sur  la  nature  élé- 
mentaire des  beaux-arts,  sur  cette  consanguinité  virtuelle  qui  les 
unit  et  les  enchaîne.  Plastique,  musique  et  poésie;  tels  sont  les 
éléments  que  des  circonstances  passagères  seules  divisent,  et  qui, 
tôt  ou  tard  se  rejoignent. 

Assurément,  c'était  un  véritable  Athénien  celui  qui  prétendait 
qu'on  ne  devait  jamais  assister  sans  musique  au  spectacle  d'un 
chef-d'œuvre  de  l'art  plastique  ;  comme  aussi,  d'autre  part,  il 
fallait  se  garder  d'entendre  une  symphonie,  si  ce  n'était  au  sein 
d'une  harmonieuse  et  royale  architecture. 


—  78  — 

Je  ne  me  le  dissimule  pas,  Messieurs,  elle  est  rude  et  difficile 
pour  moi,  qui  dans  le  temple  de  la  science,  ne  devrais  être  qu'un 
écouteur  aux  jiortes^  la  tâche  que  j'ai  entreprise  de  décrire  l'histoire 
de  la  musique  des  races  anciennes  qui  se  sont  agglomérées  et  fixées 
sur  le  sol  que  nous  habitons. 

Déjà,  dans  une  autre  enceinte  et  à  huis-clos,  j'ai  essayé  de  tracer 
successivement  le  tableau  de  la  musique  des  Gaulois,  des  Gallo- 
Romains,  des  premiers  chrétiens  et  des  Francs,  à,  l'époque  de 
leurs  invasions.  Mon  intention  aujourd'hui  est  de  jeter  un  coup- 
d'œil  rapide  sur  la  situation  de  l'art  musical  pendant  la  période 
Mérovingienne. 

En  continuant  mon  travail  devant  un  auditoire  tout  à  la  fois 
aussi  brillant  et  aussi  gracieux,  j'éprouve  deux  sentiments  bien 
opposés.  D'abord,  celui  bien  naturel  de  mon  insuffisance,  puis, 
la  conviction  d'être  utile  en  cherchant  à  élucider  des  faits  qui 
ne  sont  point  assez  connus  et  à  répandre  dans  l'art  musical  un 
peu  de  lumière  historique,  flambeau  nécessaire  pour  en  embras- 
ser l'ensemble. 

J'abrite  ces  timides  et  faibles  essais  littéraires  sous  mon  pro- 
fond amour  de  l'art  à  la  propagation  duquel  j'ai  consacré  mon 
existence,  encouragé  et  enhardi  d'ailleurs  par  l'ardente  initiative 
de  notre  docte  et  dévoué  président,  qui  a  fait  appel  à  la  bonne 
volonté  de  tous  et  qui  désire  que  chacun,  dans  la  mesure  de  ses 
forces  et  de  ses  capacités,  contribue  au  succès  de  l'œuvre  entre- 
prise. 

Le  cinquième  siècle,  Messieurs,  est  certainement  remarquable 
parmi  les  autres  siècles.  Sa  physionomie,  sa  couleur  sont  dis- 
tinctes. Son  histoire  est  comme  le  dernier  acte  de  ce  drame  inti- 
tulé :  Décadence  du  monde  Romain,  dont  les  scènes  se  sont  dé- 
roulées pendant  plus  de  quatre  cents  ans  et  qui  a  pour  dénoue- 
ment, l'an  476,  la  chute  de  l'empire  d'Occident. 

Mais  un  fait  que  le  génie  de  Leibnitz  et  que  de  nombreux  tra- 
vaux historiques  ont  prouvé  jusqu'à  l'évidence  :  c'est  qu'il  n'y  a 
jamais  de  solution  de  continuité  dans  la  vie  de  l'humanité  !  «Dieu, 
dit  Ghâteaubriant,  qui,  d'une  main  abaissait  l'Empire  Romain, 
élevait  de  l'autre  l'Empire  Français.  Augustule  déposait  le  dia- 
dème l'an  476  de  J.-G.,  et  l'an  481,  Glovis  couronné  de  sa  longue 
chevelure,  régnait  sur  ses  compagnons.  » 

Le  dernier  des  Romains  avait  été  Aétius,  vainqueur  d'Attila  et 
de  ses  hordes  barbares.  Après  lui,  les  torrents  que  vit  rouler  l'Em- 
pire d'Occident  étaient  comme  les  fleuves  qui,   descendant   des 


—  79  — 

Alpes  et  se  dirigeant  vers  des  mers  opposées,  avaient  soudain,  dé- 
tournant leurs  cours,  fondu  ù  flots  communs  sur  celte  riche  et 
fertile  contrée.  Tout  avait  péri  dans  leurs  dévastations  et  la  fuite 
avait  été  le  seul  moyen  de  salut  pour  les  artistes  et  les  savants. 

Gonstantinople ,  Athènes,  Alexandrie ,  leur  avaient  offert  des 
asiles  restés  paisibles  jusque-là.  Heureusement  pour  l'humanité, 
ils  avaient  pu  y  reprendre  en  sécurité  le  cours  de  leurs  travaux. 
Voilà  ce  qui  nous  explique  la  rapide  décadence  delà  musique  dans 
l'Occident  à  une  époque  oîi  le  même  art  était  encore  cultivé  avec 
succès  par  les  Grecs. 

Le  plain-chant  ecclésiastique,  formé  des  débris  de  la  musique 
grecque,  dont  on  avait  été  obligé  de  simplifier  le  système  pour 
l'accommoder  aux  besoins  et  à  l'inexpérience  des  fidèles  ;  le  plain- 
chant,  cet  assemblage  d'antiques  mélopées  sans  rythme,  sans 
modulation  et  sans  tonalité  précise,  le  plain-chant  enfin,  dont 
l'altération  devait  donner  plus  tard  le  Jour  à  un  art  nouveau,  comme 
les  langues  modernes  naquirent  de  la  corruption  de  la  syntaxe 
latine  et  de  l'instinct  des  peuples;  le  plain-chant  formait  toute  la 
science  musicale  de  nos  pères  à  cette  époque  fatale  où,  la  lu- 
mière intellectuelle  se  trouvant  éteinte  devant  le  souffle  barbare, 
d'épaisses  ténèbres  paraissaient  devoir  envelopper  pour  longtemps 
l'Europe  occidentale. 

N'oublions  pas.  Messieurs,  que  si  un  peu  de  vie  artistique  a  pu 
se  conserver  au  milieu  du  chaos  qu'amena  cette  irruption  des 
peuplades  du  Nord  sur  le  Midi,  c'est  à  l'Église  que  nous  le 
devons.  A  cette  époque,  toutes  les  cathédrales  avaient  une  école 
qu'on  appelait  école  épiscopale.  C'était  une  sorte  de  séminaire  où 
les  clercs  étaient  formés,  sans  qu'on  empêchât  les  laïques  de  par- 
ticiper aux  leçons  qu'on  y  donnait.  Là  s'enseignait  ce  qu'on 
nommait  les  sept  arts  libéraux,  c'est-à-dire  la  Grammaire,  la  Dia- 
lectique, la  Rhétorique,  la  Géométrie,  l'Astrologie,  l'Arithmétique 
et  la  Musique.  Nous  verrons  plus  tard  comment  Charlemagne 
recueillera  ces  rares  étincelles  pour  ranimer  le  foyer  des  beaux- 
arts,  presque  éteint  dans  ces  siècles  de  douleur  et  de  désolation. 

Clovis,  le  fier  sycambre,  le  guerrier  terrible  qui,  la  framée  à  la 
main,  abattait  la  tête  de  ses  ennemis  vaincus,  et  mutilait  les  monu- 
ments de  la  civilisation  romaine,  Clovis,  ce  type  de  l'héroïsme 
brutal,  n'était  cependant  pas  toujours  insensible  aux  charmes  que 
produisent  les  arts  sur  les  cœurs  les  plus  farouches. 

Vous  vous  rappelez  la  cérémonie  de  son  baptême;  c'était  la 
veille  de  Noël  de  l'année  49G. 


—  80  — 

La  solennité  eut  lieu  à  Reiras,  et  tout  ce  que  la  civilisation 
romaine  fournissait  encore  de  brillant  fut  déployé  avec  profusion 
pour  orner  le  triomphe  des  évêques.  Les  rues  étaient  décorées  de 
tapisseries;  des  voiles  de  diverses  couleurs,  tendus  d'un  toit  à 
l'autre,  interceptaient,  comme  aux  jeux  du  cirque,  l'éclat  du 
jour;  de  joyeuses  fanfares,  de  pieux  cantiques  retentissaient  dans 
les  airs.  Le  pavé  était  jonché  de  fleurs,  et  des  parfums  brûlaient 
en  abondance.  L'évêque  de  Reims  marchait,  en  habit  doré,  à  côté 
du  roi  de  France,  qu'il  appelait  son  fils  spirituel. 

«  —  Patron,  lui  dit  celui-ci,  émerveillé  de  tant  de  pompe, 
n'est-ce  pas  là  ce  royaume  du  ciel  où  tu  as  promis  de  me  con- 
duire? » 

L'école  romaine  brillait,  à  cette  époque,  d'un  assez  vif  éclat. 
Désireux  d'égaler  la  magnificence  de  Théodoric,  roi  des  Ostro- 
goths,  Glovis  le  pria  de  lui  envoyer  un  musicien  qui  sût  parfai- 
tement chanter  et  jouer  des  instruments.  C'est  ainsi  que  le  chantre 
Acorède,  désigné  par  le  savant  et  infortuné  Boëce,  vint  à  la  cour 
de  France. 

Sous  la  direction  de  ce  maître  habile,  les  prêtres  et  les  chan- 
teurs de  Clovis  commencèrent  à  chanter  plus  agréablement  et 
«  ayant  appris  à  jouer  des  instruments,  ce  grand  monarque,  dit 
Diipeyrat,  s'en  servit  pour  le  service  divin;  ce  qui  a  continué  sous 
ses  successeurs  et  jusqu'au  déclin  de  sa  lignée,  que  la  musique  a 
toujours  été  en  usage  à  la  cour  de  nos  premiers  rois.  »  Ainsi,  nous 
trouvons  dès  le  début  de  la  monarchie  française,  un  corps  de  mu- 
siciens régulièrement  organisé,  placé  sous  la  direction  d'un  chef 
habile,  possédant  ses  statuts,  ses  règlements,  sa  hiérarchie,  et 
chargé  de  la  double  mission  d'embellir  de  ses  chants  les  solen- 
nités religieuses,  et  d'amuser  les  loisirs  du  roi  et  de  ses  courtisans. 

Les  enfants  de  Glovis  suivirent  son  exemple,  et  Thierry  I",  roi 
d'Austrasie,  eut  comme  son  père,  des  prêtres  musiciens  attachés 
à  son  service.  Dans  un  voyage  qu'il  fit  en  Auvergne,  accompagné 
de  la  reine,  il  découvrit  le  jeune  Gall  dans  un  monastère  où  l'on 
venait  de  toutes  parts  admirer  sa  belle  voix.  Quelques  mois  suffi- 
rent pour  compléter  l'éducation  du  jeune  chanteur,  et  son  début 
à  la  cour  produisit  un  effet  merveilleux.  Gall  fut  dès  lors  dans  les 
bonnes  grâces  du  roi,  et  quelques  années  après,  lorsque  (Juin tien 
fat  mort,  Thierry  nomma  son  protégé  au  siège  épiscopal  de  Gler- 
mont.  Il  y  est  mort  en  554,  ses  vertus  le  lirent  canoniser  et  Saint- 
Gall  est  compté  parmi  les  patrons  des  musiciens. 

Fortunat,  tout  h.  la  fois  pontife  et  poète,   chapelain   de  Sainte- 


—  81  — 

Radegonde,  femme  de  Clolaire  P%  et  auteur  de  plusieurs  hymnes 
adoptées  dans  les  offices,  parmi  lesquelles  on  cite  le  Vexilla  régis 
prodeimt,  nous  parle  avec  détail  des  cérémonies  de  l'église  de  Paris 
dans  un  éloge  qu'il  fait  de  Saint-Germain  et  de  son  clergé. 

Déjà,  à  cette  époque,  les  chants  sacrés  étaient  accompagnés  des 
flûtes,  des  trompettes  et  de  plusieurs  autres  instruments,  comme 
l'attestent  les  distiques  que  nous  devons  à  la  muse  de  cet  évêque, 
l'un  des  meilleurs  poètes  de  vi"  siècle  : 

Hinc  puer  exiguis  attemperat  organa  cannis, 
Inde  senex  largam  ructat  ab  ore  tubam. 
Cymbalicœ  voces  calamis  miscentur  acutis, 
Disparibusque  tropis  fislula  dulce  .fonat, 
Tympana  rnuca  senum  puerilis  tibia  mulcet 
Atque  hominum  reparant  verba  canora  lyrarn. 

Grégoire  de  Tours  rapporte  un  fait  qui,  dans  ces  temps  bar- 
bares, semble  empreint  d'une  couleur  pittoresque. 

L'inhumation  de  la  reine  Glotilde,  dit-il,  se  fît  avec  un  chœur 
nombreux  de  psalmodistes,  C'î<m  îna^no^srt//e«//o,  ses  restes  mor- 
tels furent  transportés  de  Tours  à  Paris,  et  le  convoi  était  accom- 
pagné de  plusieurs  prêtres  qui  chantaient  par  les  chemins. 

La  psalmodie  formait  donc  à  cette  époque  une  des  parties  les 
plus  importantes  de  l'office  liturgique.  La  traduction  des  psaumes 
de  l'hébreu  en  grec,  et  du  grec  en  latin,  a  dû  nécessairement  faire 
subir  à  la  mélodie  des  altérations  inévitables.  Il  faut  que  ce  chant 
antique  ait  une  puissance  bien  merveilleuse  pour  avoir  conservé, 
à  travers  cette  transmission  par  les  manuscrits  et  la  tradition 
orale,  des  Juifs  aux  fidèles  de  l'Orient,  de  ceux-ci  aux  églises  de 
Milan  et  de  Rome,  une  telle  beauté,  une  telle  influence  sur  l'es- 
prit, le  cœur  et  l'imagination. 

De  nos  jours  encore,  lorsque  des  psaumes  sont  bien  chantés  par 
le  chœur  et  par  le  peuple,  avec  les  ressources  vocales  d'une  maî- 
trise bien  dirigée,  il  en  résulte  l'effet  le  plus  grandiose  que  la  mu- 
sique puisse  produire.  Je  regrette  de  ne  pouvoir  vous  faire  con- 
naître ici  quelques-unes  des  nombreuses  instructions  prescrites 
par  le  manuscrit  du  monastère  de  Saint-Gall,  relativement  à  la 
précision  qu'on  exigeait  dans  la  psalmodie  au  ix*  siècle  :  elles  vous 
prouveraient  que  nos  aïeux  attachaient  plus  d'importance  que  nous 
à  la  bonne  exécution  de  ces  mélodies  antiques. 

Si  jamais  vos  loisirs  vous  permettent  de  voyager  sur  la  ligne  de 
l'Est,  entre  Paris  et  Strasbourg,   lorsque  vous  serez  arrivés  au 

U 


—  82  — 

bourg  de  Chelles,  arrêtez  vos  yeux  sur  la  vaste  plaine  de  verdure 
qui  s'étend  à  gauche,  vers  l'antique  villa  des  rois  mérovingiens  ; 
vos  regards  découvriront  un  petit  monument  de  pierre,  fragment 
d'une  ancienne  croix  qui  mérite  de  fixer  l'attention  des  archéo- 
logues. Un  savant  mémoire  lu,  il  y  a  quelques  années,  à  la  Sor- 
bonne,  par  l'auteur  érudit  de  l'histoire  de  la  ville  de  Meaux,  récit 
que  corrobore  l'autorité  de  la  tradition,  en  fait  remonter  la  base  à 
cette  époque,  berceau  de  notre  histoire. 

Cette  colonne  rappelle  un  souvenir,  celui  deChilpéric  I",  assas- 
siné à  cette  place  même  en  584.  Cet  homme,  espèce  de  Néron 
sauvage,  fut  cependant  le  premier  prince  Franc  qui  cultiva 
les  lettres.  C'était  un  composé  bizarre  de  barbarie  atroce  et  de 
civilisation  corrompue  et  mal  comprise.  Il  se  piquait  de  savoir 
la  musique  aussi  bien  que  la  poésie.  Mais  sa  Muse  boiteuse  blesse 
à  la  fois  la  mesure  et  l'harmonie.  Il  traita  des  questions  de  théolo- 
gie, rédigea  sur  la  Trinité  un  ouvrage  absurde,  et  composa  des 
hymnes  et  des  messes,  dont  la  critique  qu'en  a  faite  Grégoire  de 
Tours  ne  doit  pas  nous  faire  regretter  la  perte,  nlia  opuscula  com- 
posuit,  hymnos  el  missas  quœ  nullo  modo  recipi  possunt. 

Vers  ce  temps,  c'est-à-dire  h  la  fin  du  vi''  siècle,  Gontram ,  le 
meilleur  des  quatre  fils  de  Lothaire  I",  rendait  le  dernier  soupir. 
Il  fut  sans  doute  regretté  de  ses  sujets,  car  il  est  connu  dans  l'his- 
toire, sous  le  nom  du  bon  Gontram.  Ce  prince,  mis  par  quelques 
auteurs  au  nombre  des  saints,  était  si  passionné  pour  la  musi- 
que qu'il  ne  pouvait  prendre  ses  repas  sans  entendre  exécuter, 
avec  beaucoup  de  perfection ,  les  psaumes  et  répons  de  l'office 
divin. 

Un  séjour  que  Gontram,  roi  de  Bourgogne,  fit  à  Orléans,  nous 
permet  déjuger  de  son  goût  mélomane. 

«  A  son  arrivée ,  dit  le  chroniqueur ,  une  foule  de  peuple  de 
toutes  les  races  vient  à  sa  rencontre  avec  des  enseignes  et  des  dra- 
peaux, en  chantant  ses  louanges.  Bientôt ,  sa  faveur  est  grande 
auprès  des  habitants,  car  il  va  dans  leurs  maisons  lorsqu'ils  l'in- 
vitent, et  accepte  les  repas  qu'ils  lui  offrent.  Il  en  reçoit  beaucoup 
de  présents,  et  sa  bienfaisante  libéralité  les  leur  rend  avec  abon- 
dance. Grégoire  ,  évoque  de  Tours,  se  trouvant  à  Orléans  ,  Gon- 
tram se  présente  au  logis.  L'évêque  se  lève  joyeux,  va  au-devant 
du  roi,  et  après  lui  avoir  fait  l'oraison,  lui  présente  les  Eulogies 
de  saint  Martin ,  c'est-à-dire  le  pain  bénit,  Gontram  entre  avec 
bonté,  boit  un  coup,  invite  l'évoque  et  ses  prêtres  à  sa  table,  et 
s'en  va  joyeux.  » 


—  83  — 

«  Pour  égayer  le  festin,  ajoute  Grégoire ,  le  roi  commanda  que 
»  je  fisse  chanter  mon  diacre  qui,  le  jour  précédent ,  avait  chanté 
»  les  psaumes  et  répons  à  la  Messe.  Il  voulut,  de  plus,  que  tous 
»  les  prêtres  qui  étaient  présents  ,  chantassent  aussi  devant  lui , 
»  selon  l'ordre  et  le  rang  que  je  leur  prescrirais.  Tous  ayant  donc 
»  été  disposés  par  moi,  chacun  se  mit  à  chanter,  comme  il  put, 
«  un  répons.  « 

Avec  un  goût  aussi  prononcé  pour  le  chant,  il  est  très-probable 
que  ce  roi  musicien  mêlait  volontiers  sa  voix  à  celle  de  ses  clercs. 
Je  n'affirmerais  même  pas  que  le  bon  monarque  n'ait  souvent  lui- 
même  donné  l'intonation  ou  dirigé  l'exécution  de  cette  société  cho- 
rale de  date  peu  récente. 

Clotaire  II,  orphelin  à  l'âge  de  six  mois,  fils  d'une  mère  accusée 
et  mal  justifiée  de  la  mort  de  son  époux,  possesseur  peu  assuré 
du  plus  petit  royaume  de  France  ,  envié  et  toujours  attaqué  par 
ses  plus  proches  parents,  devint  roi  par  la  méchanceté  imprudente 
de  sa  tante  Brunehaut,  et  réunit  sous  son  sceptre  toute  la  mo- 
narchie française. 

«  Les  Saxons  s'étant  révoltés,  dit  un  chroniqueur,  il  les  dompta 
si  pleinement  par  les  armes,  qu'il  fit  périr  tous  les  mâles  de  cette 
race,  dont  la  taille  surpassait  la  longueur  de  son  épée.  Il  voulait 
que  le  souvenir  toujours  vivant  de  cette  immortelle  épée,  étouffât 
l'audace  de  leurs  enfants. 

Un  chant  de  triomphe,  en  vers  monorimes  ,  destiné  à  célébrer 
cette  victoire  de  Clotaire ,  nous  a  été  conservé  dans  une  vie  de 
saint  Faron ,  évêque  de  Meaux,  attribué  à  Hildegaire ,  autre 
évêque  de  la  même  ville,  sous  Gharles-le-Ghauve.  On  y  exalte  la 
charité  de  saint  Faron,  qui  sauva  de  la  mort  les  députés  vaincus. 
Il  ne  reste  de  ce  chant  que  les  deux  couplets  suivants,  dont  voici 
la  traduction. 

I 

«  Chantons  Clotaire ,  le  roi  des  Francs ,  qui  alla  combattre  la 
»  nation  saxonne.  Les  députés  saxons  auraient  été  traités  sévère- 
»  ment,  si  Faron,  de  nation  bourguignonne,  n'eût  intercédé  pour 
»  eux. 

Il 

»  A  l'arrivée  des  Ambassadeurs  en  France ,  où    Faron   était 


—  84  — 

»  prince,  Dieu  leur  inspira  de  passer  par  la  ville  de  Meaux ,  pour 
»  les  sauver  de  la  mort  que  leur  roi  leur  préparait.  » 

I 

De  Clotaria  est  canere,  rege  Francorum, 

Qui  ivit  pugnare  cum  génie  Snxonum 

Quuni  graviter  jirovenissct  rnissis  Saxo?mm 

Si  non  fuisset  inclitus  Faro  de  gente  Burgundionum. 

II 

Quando  veniunt  in  terram  Francorum, 
Faro  ubi  erat  princeps,  missi  Saxonum 
Lutinctu  Dei  transeunt  per  urbeni  Meldorum, 
Ne  interficiantur  a  rege  Francorum. 

Sidoine-Apollinaire  qui ,  dans  une  de  ses  lettres,  reproduit  les 
fragments  de  celte  chanson  ,  nous  apprend  qu'elle  l'ut  chantée  à 
pleine  voix,  magna  vociferatione,  dans  tout  le  royaume. 

Le  biographe  de  samt  Faron ,  parlant  de  cette  bataille,  atteste 
la  même  chose.  On  composa,  sur  cette  victoire,  dit-il ,  un  chant 
populaire  qui,  à  cause  de  sa  rusticité,  volait  de  bouche  en  bouche 
jusqu'au  fond  des  campagnes,  où  tout  le  monde  le  chantait,  même 
les  femmes  qui  le  disaient  en  formant  des  rondes  et  en  battant 
des  mains. 

En  général,  l'air  de  toute  chanson  avait,  à  cette  époque,  une 
affinité  complète  avec  les  hymnes  religieux.  C'étaient  des  mélodies 
prises  du  chant  grégorien,  auxquelles  on  adaptait  des  paroles  en 
langue  vulgaire. 

Dans  les  premiers  temps  de  la  conversion  des  Gaules  ,  on  eut 
soin  d'opposer  aux  hymnes  druidiques  les  invocations  du  nouveau 
culte. 

Redites  avant  ou  après  la  bataille,  celles-ci  prenaient  souvent  le 
caractère  des  chansons  militaires.  Le  Franc,  converti,  marchait 
contre  les  Sarrazins  du  Midi  et  contre  les  païens  du  Nord,  en  ré- 
pétant pour  cris  d'armes,  un  Alkluia,  un  A'ijrie  eleison  ou  un 
Gloria  in  excelsis. 

Les  plus  hauts  dignitaires  de  l'Église,  souvent  présents  au  mi- 
lieu des  troupes,  et  quelquefois  exerçant  eux-mêmes  le  métier  des 
armes,  devaient  naturellement  encourager  ces  pieuses  tendances, 
qui  répondaient  au  caractère  auguste  dont  ils  étaient  revêtus. 

Dagûbert  naquit  dilettante.  Sans  doute,  vous  n'attendez  pas  de 


—  Hb  — 

moi,  Messieurs,  que  sur  la  foi  de  je  ne  sais  quel  historien,  je  vous 
donne  de  véridiques  détails  sur  l'origine  de  cette  ballade  burlesque 
qui  a  transformé  le  premier  ministre  de  Dagobert  en  valet  de 
chambre  toujours  occupé  à  surveiller  la  garde-robe  de  son  maître 
et  h  réparer  le  désordre  de  sa  toilette  ,  même  dans  les  usages  les 
plus  familiers  de  la  vie.  Cette  cantilène  de  carrefour,  variée  sur 
tous  les  tons  et  ajustée  sur  une  fanfare  de  cors  qui,  probablement, 
a  plus  d'une  fois  lacéré  votre  nerf  auditif ,  n'a  que  trop  accrédité, 
sinon  justifié,  la  maladresse  de  ce  monarque  Franc. 

Dagobert  avait  une  immense  renommée  dans  l'Occident.  Sa 
cour  fastueuse,  les  hommes  illustres,  comme  saint  Ouen  et  saint 
Éloi  qu'il  avait  pour  ministres,  les  abbayes  qu'il  fit  construire, 
les  lois  Salique  et  Ripuaire  qu'il  lit  rédiger,  font,  de  son  règne,  la 
période  la  plus  brillante  de  l'histoire  des  Neustriens.  Les  Francs 
semblaient  avoir  remplacé  les  Romains  dans  l'Occident;  aucun 
peuple  ne  pouvait  lutter  de  puissance  et  de  gloire  avec  eux. 

Ce  prince,  dont  Grégoire  de  Tours  se  dispense  de  nommer  les 
maîtresses,  parce  que,  dit-il,  elles  sont  en  trop  grand  nombre, 
savait  merveilleusement  allier  la  galanterie  aux  pratiques  exté- 
rieures de  la  piété, 

A  l'église,  si  je  m'en  rapporte  h  l'étymologie  de  son  nom  ,  qui , 
selon  quelques  auteurs  ,  signifie  chantre  héroïque  ,  il  mariait  ad- 
mirablement bien  sa  voix  à  celle  des  clercs  et  des  prêtres;  nul  ne 
chantait  avec  plus  de  ferveur  et  de  dévotion  un  verset  ou  un  ré- 
pons de  l'office. 

Dans  son  palais ,  où  il  avait  conservé  l'usage  du  triclinium 
romain,  des  bains  parfumés  et  des  moelleux  tapis  de  l'Orient,  il 
vivait  couronné  de  fleurs  au  milieu  des  poètes  et  des  parasites  qui 
égayaient  ses  repas;  nul  ne  le  surpassait  en  amabilité  auprès  des 
dames  ;  aussi  sa  mollesse  l'avait-elle  fait  surnommer  le  Salomon 
de  la  France. 

Un  jour,  il  se  rend  à  l'abbaye  de  Romilly  pour  y  remplir  ses 
devoirs  religieux.  Tout  à  coup,  il  entend  sortir  du  sanctuaire  une 
harmonie  semblable  au  chœur  des  esprits  célestes.  Dagobert,  h 
genoux  et  en  prières ,  se  lève  ;  il  s'avance  vers  le  lieu  d'où  s'é- 
chappe ce  merveilleux  concert.  Un  timbre  ravissant,  délicieux,  a 
soudain  frappé  son  oreille  et  fait  tressaillir  son  cœur.  Son  ardente 
imagination  transforme,  poétise,  embellit  des  formes  les  plus 
séduisantes  l'âme  d'où  s'exhale  une  si  tendre  mélodie.  Il  voit  l'a- 
nalogie la  plus  frappante  entre  deux  beaux  yeux  noirs  et  deux 
tierces  mineures  tendrement  soupirées  par  la  virtuose  dont  le  chant 


—  8G  — 

suave  vient  de  percer  son  cœur.  Dagobert  est  ivre  de  bonheur. 

Après  l'office,  il  sonne  à  la  grille  du  monastère.  Les  deux  bat- 
tants de  la  porte  s'ouvrent  devant  Je  roi  des  Francs.  Paré  de  la 
longue  chevelure  qui  distingue  sa  puissance  ,  et  revêtu  d'un  vête- 
ment d'écarlate  que  recouvre  la  pourpre  consulaire  qui  lui  a  été 
envoyée  de  Gonstantinople ,  l'illustre  monarque  se  présente  à 
l'abbesse.  Il  passe  en  revue  les  recluses,  et  bientôt  sa  sympathie  a 
reconnu  celle  dont  les  accents  mélodieux  ont  fait  vibrer  les  cordes 
de  son  cœur. 

Dagobert  n'avait  pas  été  l'objet  d'une  illusion.  La  beauté  de 
Nantilde  égalait  ses  talents  et  ses  grâces.  C'était  le  plus  admirable 
ensemble  de  distinction  et  de  poésie,  que  l'imagination  puisse  rêver. 

Protecteur  des  arts,  le  prince  s'oppose  à  ce  qu'un  si  riche  trésor 
reste  plus  longtemps  enfoui  dans  la  solitude  d'un  cloître.  Il  a 
bientôt  déclaré  sa  passion  à  la  jeune  professe.  Nantilde,  les  yeux 
baissés,  prononce  à  peine  quelques  mots  confus;  elle  tremble  ,  de 
grosses  larmes  roulent  comme  des  perles  brillantes  le  long  de  ses 
joues  virginales.  Elle  éprouve  des  sentiments  inconnus;  une 
émotion  nouvelle  l'agile;  Dagobert  a  îail  miroiter  à  ses  yeux 
l'éclat  des  diamants,  le  scintillement  des  pierreries  ;  il  lui  a  offert 
son  trône  et  sa  main.  C'en  est  fait  !  la  séduisante  religieuse  est 
vaincue;  elle  voit  avec  plaisir  l'hymen  qui  va  lui  donner  le  titre 
de  reine  et,  sans  délai,  elle  sacrifie  l'asile  de  l'innocence  et  de  la 
prière  à  l'atmosphère  embaumée  de  la  cour  ;  elle  consent  à  échan- 
ger le  voile  de  la  vierge  contre  les  insignes  de  la  royauté. 

Cependant  une  difficulté  se  présente.  Dagobert  était  marié.  No 
croyez  pas,  Messieurs,  que  cet  obstacle  puisse  comprimer  la 
passion  du  roi  et  éteindre  la  flamme  qui  le  consume.  Il  est  tout- 
puissant;  il  a  toujours  fermement  tenu  le  sceptre  royal. —  Sa 
venue,  dit  Frédegaire ,  frappait  de  terreur  les  évêques  et  les 
grands.  —  Sa  volonté  saura  bien  rompre  le  lien  qui  l'unit  à  la 
reine  Gomatrude. 

Son  mariage  est  cassé,  annulé,  et  de  nouvelles  noces  sont  cé- 
lébrées avec  beaucoup  de  magnificence  et  d'appareil.  Tous  les 
Leudes  de  la  Neustrie  sont  convoqués.  Rangés  en  demi-cercle,  ils 
tirent  tous  à  la  fois  leurs  épées  ,  et  les  brandissant  en  l'air,  pré- 
sentent leurs  hommages  à  la  nouvelle  reine. 

Heureuse  et  fière  de  sa  position,  Nantilde  devint  encore  plus 
belli!  ;  elle  porta  avec  dignité  le  poids  de  la  conronno;  elle  resta 
grande  ri;iiie  sans  cesser  d'être  une  musicienne  émineiile,  une 
virtuose  de  cette  époque. 


—  87  — 

Admirez  ici  l'influence  magique  de  la  musique.  Toute  une 
population  est  en  émoi.  Les  grands  s'agitent,  les  prélats  s'assem- 
blent; une  jeune  religieuse  renonce  aux  vœux  éternels  qu'elle  a 
prononcés  aux  pieds  des  autels;  un  roi  devient  parjure,  il  viole  la 
loi  de  l'indissolubilité  du  mariage;  et  pourquoi  tout  ce  mouve- 
ment, toute  cette  agitation?  pour  quelques  sons  plus  ou  moins 
mélodieux,  pour  quelques  notes  plus  ou  moins  suaves  échappées  de 
la  poitrine  d'une  jeune  fille;  —  qui  sait?  peut-être  pour  un  verset 
du  magnificat^  soupiré  sur  un  mode  plus  ou  moins  passionné. 

En  vérité,  on  chercherait  vainement  dans  l'histoire  des  arts  un 
fait  plus  extraordinaire.  Pour  moi,  je  ne  doute  pas  que  cet  épisode, 
traité  par  une  plume  habile,  ne  soit  de  nature  à  balancer  le  succès 
de  la  scène  du  couvent  du  Domino  noi7\ 

Après  cette  digression  que  j'ai  crue  nécessaire  pour  vous  faire 
apprécier  le  règne  de  Dagobert  sous  un  point  de  vue  différent  de 
celui  que  nous  offre  la  grotesque  chanson  qui  a  bercé  notre  en- 
fance, j'arrive  tout  naturellement  et  sans  transition,  à  son  mi- 
nistre Éloi. 

Saint  Éloi,  lui  aussi,  devait  aimer  les  arts  avec  passion,  car  il 
nous  reste  de  lui  des  chefs-d'œuvre  en  orfèvrerie  qui  excitent  en- 
core aujourd'hui  l'admiration  des  antiquaires.  La  vie  du  ce  saint 
fait  mention  d'un  chantre  de  Clotaire  II,  nommé  Maurin,  que  les 
applaudissements  de  la  Cour  avaient  rendu  vain  et pi^ésomptucux . 

Nous  voici  arrivés  à  la  période  des  rois  que  l'histoire  a  flétris 
du  nom  de  rois  fainéants.  Malgré  leur  faiblesse,  et  peut-être  même 
à  cause  de  cette  faiblesse,  ils  excitent  votre  compassion.  Pauvres 
rois!  du  bouclier  sur  lequel  on  les  élevait  jadis,  onlesajctés  dans 
un  fourgon  traîné  par  des  bœufs;  désormais,  retenus  dans  le  fond 
de  leur  palais  transformé  en  monastère,  ils  sont  là  comme  de 
pauvres  fleurs  privées  d'air  et  des  rayons  du  soleil.  Vous  les  voyez 
pâles  et  tremblants,  accablés  qu'ils  sont  par  le  poids  de  la  lourde 
couronne  que  leur  a  léguée  Glovis.  Enfants,  ils  montent  sur  le 
trône,  et  enfants  ils  en  descendent  dans  la  tombe.  A  les  voir  ainsi, 
il  semble,  hélas  !  que  le  manteau  bleu-saphir  des  Francs,  qui 
couvre  leurs  épaules,  doive  bientôt  leur  servir  de  linceul. 

Thierry  III  fut  l'un  de  ces  princes  infortunés.  Le  moine  An- 
grade,  dans  la  vie  de  saint  Ansbert,  rapporte  que  ce  roi  avait  des 
chantres  et  des  joueurs  de  toutes  sortes  d'instruments  de  musique. 
Leurs  concerls  ravissaient  tellement  le  saint,  alors  chancelier  de 
Thierry  qu'il  s'écriait,  dans  son  enthousiasme  religieux  et  mu- 
sical : 


—  88  — 

«  0  mon  Dieu,  si  vous  donnez  aux  mortels  une  industrie  ca- 
»  pable  d'élever  ainsi  nos  âmes  jusqu'à  vous,  que  sera-ce  d'en- 
»  tendre  dans  le  ciel  le  cantique  éternel  des  anges  et  des  saints?  » 

Sous  le  règne  de  ces  rois  dégénérés,  la  musique  qui,  je  dois  le 
dire,  a  été  surtout  et  presqu'exclusivement  liturgique  sous  la  pé- 
riode mérovingienne,  la  musique  dut  nécessairement  s'engourdir 
dans  la  mollesse  et  l'oiseveté,  car  les  arts  reflètent  exactement  le 
milieu  prédominant  des  mœurs  d'une  époque  historique.  Tantôt 
religieuse,  guerrière,  dramatique,  l'expression  musicale  revêt,  à 
chaque  siècle,  la  forme,  je  dirais  presque  le  costume  de  la  société 
où  elle  se  produit.  C'est  ainsi  que  l'archéologie  de  la  musique  doit 
devenir  tôt  ou  tard  l'auxiliaire  de  l'histoire  générale.  Mais  bientôt 
les  maires  du  palais  s'emparaient  du  pouvoir  qui  allait  les  élever 
sur  le  trône,  et  on  pressentait  déjà  dans  Charles-Martel  le  digne 
précurseur  de  Charlemagne,  le  puissant  monarque  qui  devait 
bientôt  jeter  les  premières  bases  de  l'université. 

Ce  prince  voulut  que  la  musique  fût  enseignée  dans  les  écoles 
qu'il  avait  établies,  comme  on  le  voit  au  livre  I"  des  Capitulaires  : 

Carolus  constiluit  in  singulis  monasteriis  et  episcopiis  scholas  esse, 
ubi  ingenuoruin  et  servorum  filii  grammaticam ,  musicam  et  arithme- 
ticam  docerentur. 

Charles  établit  dans  chaque  monastère  et  dans  chaque  ville 
épiscopale  des  écoles  où  l'on  enseignait  la  grammaire,  la  musique 
et  l'arithmétique  aux  enfants  des  hommes  libres  et  des  serfs. 

Puisse,  Messieurs,  cet  article  des  Capitulaires,  qui  date  de  800 
et  qui,  après  plus  de  dix  siècles,  vient  d'être  remis  en  vigueur  par 
S.  Exe.  le  grand-maître  de  l'université,  ne  pas  de  nouveau  rester 
lettre  morte  dans  les  archives  du  conseil  impérial  de  l'instruction 
publique. 

La  musique  parle  à  l'âme,  comme  le  dessin  parle  aux  yeux  et 
les  langues  à  TespriL  :  ne  scindons  pas  deschosessi  bien  faites  pour 
se  compléter  par  leur  ensemble.  Rien  n'est  isolé,  tout  s'enchaîne 
et  s'unit  dans  la  vaste  synthèse  des  connaissances  humaines.  L'en- 
seignement de  l'art  musical  mérite  tout  notre  intérêt.  C'est  à  nous 
à  le  relever  à  sa  véritable  hauteur,  à  la  hauteur  de  renseignement 
scientifique. 


—  89 


DE  PARIS   k  FONTAINEBLEAU, 

PAR    M.    LÉON    ESCUDIEll, 
Membre  fondateur  (Section  de  Mcanx). 


I 

C'était  autrefois  à  petites  journées  qu'on  faisait  le  voyage  de 
Paris  à  Fontainebleau,  parfois  le  sac  au  dos,  en  touriste  avide  de 
souvenirs  historiques,  s'arrêtant  à  chaque  village  et  à  chaque 
bourgade,  consultant  sa  mémoire  et  visitant  les  monuments  qui 
s'alignent,  comme  des  jalons,  le  long  de  la  route  menant  de  la 
capitale  h  cette  résidence  royale  qu'un  étranger  appela  avec  raison 
un  rendez-vous  de  châteaux. 

Nous  avons  changé  tout  cela;  nous  ne  voyageons  plus  mainte- 
nant, nous  arrivons.  Entraînés  par  une  chaudière  quigaloppe  sur 
des  rainures,  nous  supprimons  le  temps  et  les  distances  ;  mais 
combien  d'intéressants  souvenirs  nous  chassons  ainsi  de  notre  mé- 
moire! Ce  qui  était  un  plaisir  est  devenu  une  affaire,  et  les  affaires 
s'accomodent médiocrement  delà  poésie  des  souvenirs. 

Vite,  l'heure  sonne,  le  monstre  fait  entendre  sa  bruyante  respi- 
ration, impatient  de  remorquer  la  cargaison  humaine  qu'on  attèle 
à  sa  suite.  En  route  pour  Fontainebleau!  Le  signal  est  donné, 
la  machine  s'ébranle,  elle  court,  elle  vole,  elle  nous  emporte.  Tout 
semble  fuir  sur  son  passage,  les  arbres  et  les  maisons,  les  coteaux 
et  les  villages. 

Voici  Gonflans,  au  confluent  de  la  Seine  et  de  la  Marne,  et  son 
château  que  François  de  Harlay  bâtit  vers  la  fm  du  xvii''  siècle  ; 
la  populace  déchaînée  en  1831  le  saccagea  impitoyablement  en 
haine  du  prélat  qui  l'occupait.  Et  voici  Charenton-le-Pont,  cette 
sentinelle  avancée  de  Paris,  qui  a  toujours  jeté  le  cri  d'alarme 
quand  l'étranger  a  voulu  s'approcher  de  la  capitale  et  toujours  en 
a  arrêté  la  marche,  ne  fut-ce  qu'un  instant.  C'est  ici   que  la   belle 


—  90  — 

Gabrielle  reçut  dans  sa  demeure,  située  alors  à  l'endroit  même  oh. 
se  trouve  aujourd'hui  la  mairie,  son  auguste  et  volage  adorateur. 
Plus  loin,  c'est  Maisons-Alfort,  tout  peuplé  du  souvenir  de 
Diane  de  Poitiers,  que  nous  retrouverons  plus  tard  à  Fontainebleau. 
Qui  aurait  pa  prévoir  qu'elle  serait  un  jour  habitée  par  Maxi- 
milien  Robespierre!  Plus  loin  encore  c'est  Ivry-sur-Seine,  qui 
était  déjà  debout  au  ix"  siècle,  et  qui  garde  encore  intacte  l'habi- 
tation dans  laquelle  mourut  la  femme  de  Philippe-Égalité. 

On  s'arrête  un  instant:  c'est  déjà  Villeneuve-Saint-Georges  ; 
son  nom  est  devenu  une  antiphrase  :  Villeneuve  est  un  village  qui 
remontealaplushautcantiquite.il  fut  rudement  éprouvé  pen- 
dant les  luttes  de  la  ligue.  A  Tendroit  môme  où  la  locomotive  s'est 
arrêtée,  était  le  pont  que  Turenne  enleva  au  duc  de  Lorraine. 

En  marche  de  nouveau  !  Nous  voyons  derrière  nous  Crosnes, 
où  naquit  l'auteur  des  Épîtres  et  des  Satires,  de  l'Art  poétique  et 
du  Lutrin. 

Ce  domaine  qui  disparaît  à  notre  gauche  est  celui  de  Gros- 
Bois.  Un  Valois,  digne  aïeul  de  cette  misérable  intrigante  qui  se 
fit  appeler  comtesse  de  Lamothe,  et  qui  doit  sa  triste  célébrité  à 
l'affaire  du  collier  de  la  reine,  en  avait  fait  un  atelier  de  faux- 
monnayeurs.  Si  nous  pouvions  nous  arrêter,  nous  irions  visiter  ce 
joli  manoir  qu'on  nomme  le  château  de  La  Grange  et  dont  la  gra- 
cieuse Al""^  Favart  fut  priée  de  faire  les  honneurs,  auprès  de  son 
illustre  persécuteur  le  maréchal  Maurice  de  Saxe,  sans  que  la 
belle  cantatrice  consentit  jamais  à  oublier  son  mari,  le  fondateur 
de  rOpéra-Gomique ,  —  le  pauvre  Favart  qui  l'adorait,  et  encore 
moins  à  trahir  ses  devoirs  d'épouse.  Mais  la  vapeur  ne  permet 
pas  ces  retours  vers  le  passé.  Elle  nous  entraîne.  Laissons  nos  re- 
grets au  château  de  La  Grange,  et  traversons  la  vallée  d'IIyères 
qui  s'ouvre  à  nos  pieds. 

Quels  souvenirs  à  la  fois  terribles  et  intéressants  n'éveille-t-clle 
pas,  cette  riante  vallée?  C'est  ici  où  les  guerres  de  la  Fronde  furent 
plus  sanglantes  et  plus  acharnées  ;  c'est  ici  qu'elles  s'éteignirent 
après  avoir  si  cruellement  déchiré  la  France  ;  c'est  dans  la  vallée 
d'IIyères  que  Turenne  força  le  duc  de  Lorraine  à  livrer  son  pont 
de  bateaux  et  à  quitter  le  royaume  avant  que  Condé  pût  venir  à 
son  secours. 

l'jicoro  quelques  inslanis  d'arrêt,  Nnus  sommes  à  Montgeron, 


—  Ul  — 

le  bourg  tout  émuillé  do  castcls  et  de  manoirs.  Le  parc  du  dernier 
de  ces  châteaux  touche  à  la  Ibrôt  de  Senart,  où  la  fille  Poisson , 
qui  devait  changer  son  nom  roturier  contre  celui  de  Le  Normand 
d'Etiolés,  et  y  ajouter  plus  tard  le  titre  de  marquise  de  Pompa- 
dour,  sut  attirer  les  regards  de  Louis  XV. 

Étrange  et  fatal  jeu  de  l'amour  et  du  hasard  !  Voilà  une  femme 
qui,  née  dans  les  rangs  les  plus  obscurs,  devint  presque  reine  de 
France  et  plus  que  reine.  Par  contre,  une  autre  femme,  née  riche 
et  noble,  mais  qui,  par  une  suite  singulière  d'événements,  se  croyait 
la  fille  d'un  ouvrier,  refusa  d'épouser  un  patricien,  un  ambassa- 
deur, le  général  comte  Dupont-Ghaumont,  qu'elle  aimait  et  dont 
elle  était  adorée,  et  mourut  de  douleur,  si  cruel  était  le  sacrifice 
qu'elle  s'imposa.  On  voit  encore,  non  loin  de  l'obélisque  de  Se- 
nart, la  tour  qui  perpétue  le  souvenir  de  la  noble  et  infortunée 
Thérésia,  et  sur  laquelle  est  incrusté  son  nom  en  lettres  d'or. ..  On 
sait  comment  mourut  la  Pompadour! 

Mais  voici  Brunoy,  la  halte  oii  les  voyageurs  d'autrefois  pas- 
saient inévitablement  la  nuit  avant  de  reprendre  le  chemin  qui 
conduit  h  Fontainebleau. 

On  ne  saurait  s'empêcher  de  ressentir  un  sentiment  de  tristesse 
et  de  patriotisme  froissé,  quand  on  songe  que  le  titre  de  marquis 
de  Brunoy  fut  conféré  par  décret  de  Louis  XVIII  au  général  duc 
de  Wellington,  après  la  bataille  de  Waterloo  !  Par  bonheur,  le 
titre  s'éteignit  avec  la  vie  du  titulaire  anglais. 

Un  autre  marquis  de  Brunoy,  —  un  fou  et  un  dissipateur,  celui- 
Ici,  —  le  célèbre  Armand  de  Montmartel,  qui  entra  dans  le  monde 
par  une  porte  dorée  en  héritant  de  vingt  millions,  trouva  le  moyen 
de  laisser  plus  de  six  millions  de  dettes,  quand  il  mourut  renfermé 
dans  un  cloitre  sous  le  coup  d'une  lettre  de  cachet.  Tout  Brunoy 
fut  en  deuil  :  ce  qui  n'étonnera  pas,  si  l'on  sait  qu'une  seule  pro- 
cession de  la  Fête-Dieu  coûta  à  ce  prodigue  Épulon  la  somme  de 
deux  cent  mille  livres  ! 

Talma ,  l'illustre  comédien  ,  lui  aussi  devait  faire  des  folies  à 
Brunoy,  mais  autrement  modestes  que  celles  d'Armand  de  Mont- 
martel.  11  y  habitait  la  maison  du  complice  d'Ankarstrœin,  le 
meurtrier  de  Gustave  III;  devenu  propriétaire  d'un  terrain,  il 
y  fît  construire  une  villa  charmante,  puis  il  acheta  le  terrain 
vis-à-vis  de  l'autre  côté  delà  rue,  fit  abattre  la  jolie  maison  de 
campagne  fraîchement  bâtie  et  la  fit  reconstruire  sur  le  nouvel 
emplacement. 


.    —  9i  — 

Passons  Bussy,  et  avant  d'arrivor  à  Quincy,  où  l'on  doit  voir 
encore  la  maison ,  sinon  le  moulin  de  Michaud ,  le  naïf  hôte  de 
Henri  IV  ;  saluons  Jarcy  ou  Gercy,  où  est  la  tombe  de  Lusignan  , 
et  qui  était  la  demeure  de  Boïeldieu.  C'est  à  Gercy  qu'il  écrivit  la 
Dame  Blanche^  œuvre  acclamée  pendant  plus  de  mille  représenta- 
tions, et  toujours  fraîche  et  jeune  comme  si  elle  datait  de  la  veille  ! 
On  sait  avec  quel  enthousiasme  fut  accueillie  la  partition  que 
Boïeldieu  apporta  modestement,  sous  son  bras,  do  Gercy  à  la  salle 
Favart.  On  sait  de  quels  applaudissements  unanimes  fut  salué  ce 
pas  de  géant  fait  dans  l'art,  cette  orchestration  tout  à  la  ibis  sa- 
vante et  limpide  qui  se  pose  entre  Mehul  et  Rossini ,  ce  mouve- 
ment, cette  vivacité  musicale,  ce  souffle  large  et  sonore  qui 
traverse  l'œuvre  tout  entière,  cet  écrin  étincelant  de  joyaux 
mélodiques,  cette  soudure  d'or,  pour  me  servir  de  l'heureuse 
expression  d'un  critique,  cette  soudure  d'or  entre  le  passé  et  l'a- 
venir de  rOpéra-Comique. 

On  sait  aussi  avec  quelle  modestie  et  avec  quelle  délicatesse  de 
sentiments,  Boïeldieu  accepta  les  manifestations  de  l'enthousiasme 
général  et  repoussa  le  parallèle  que  les  partisans  de  l'ancien  ré- 
gime musical  firent  en  défaveur  de  Rossini.  —  «  Quoi  qu'on  dise 
»  ou  que  l'on  fasse,  répondit  Boïeldieu,  je  ne  prends  des  compli- 
»  ments  que  l'on  m'adresse  que  la  part  qui  m(^  revient.  On  ne 
»  peut  toucher  à  celle  que  l'Europe  a  faite  à  Rossini,  sans  donner 
»  une  preuve  d'ingratitude  ou  de  mauvaise  foi.  »  Voilà  comme 
un  esprit  élevé  et  un  caractère  droit  faisaient  justice  de  ce  trou- 
peau de  flagorneurs  qui  ne  trouvent  d'autre  moyen,  pour  exalter 
un  homme  de  génie,  qu'en  cherchant  à  dénigrer  ses  émules  ! 

Mais  pendant  que  je  m'arrêtais  au  souvenir  de  ce  chef-d'œuvre 
de  l'art  musical,  qu'on  appelle  la  Dame  Blanche,  nous  avons  passé 
le  village  do  Quincy,  celui  de  Gombs-la- Ville  avec  son  pont  du 
Diable,  et  Lieusaint,où  fut  assassiné  le  Courrier  de  Lyon  en  1796. 
Infortuné  Lesurques,  tu  portas  la  tète  sur  l'échafaud  ,  innocente 
victime  d'une  erreur  judiciaire,  et  ton  procès  n'a  pas  encore  été 
révisé!...  qu'importe!  ta  mémoire  est  depuis  longtemps  réhabi- 
litée et  ton  nom  s'accouple  désormais  à  celui  de  Calas,  martyr 
comme  toi  ! 

Nous  franchissons  le  plateau  de  la  Bric,  nous  passons  la  Seine 
sur  un  pont  d'une  hardiesse  prodigieuse,  et  nous  sommes  à  Mc- 
lun  ,  la  ville  aux  brillants  souvenirs.  Le  train  ne  s'y  arrête  que 
trois  minutes.  Dérision!  Mais  l'imagination  le  dislance;  elle  ne 


—  93  — 

s'arrête  pas  une  seconde,  la  iblle  da  logis  !  Elle  évoque  ,  en  quel- 
ques instants,  toute  l'histoire  de  l'ancienne  ville  d'Isis,  de  Melo- 
dunum,  comme  la  nomme  César  dans  ses  Commentaires  ;  rappelle 
le  siège  qu'y  établit  Childéric  et  l'horrible  carnage  qu'il  fit  de  la 
garnison  de  Gillon,  le  patrice  romain;  le  combat  à  outrance,  dit 
jugement  de  Dieu  ,  soutenu  sous  Louis-le-Bègue ,  pour  le  pape 
Engelbert  contre  Contran,  pour  défendre  la  comtesse  du  Gàtinais, 
injustement  accusée  de  meurtre  et  d'adultère;  les  ravages  que  les 
Normands  firent  de  la  ville  dans  la  seconde  moitié  du  neuvième 
siècle;  le  siège  que  Robert,  fils  d'Hugues  Capet,  vint  y  mettre  à 
la  dernière  année  du  siècle  suivant;  les  embellissements  qu'il  fit  à 
Melun,  sa  résidence  favorite  et  le  lieu  de  sa  mort;  la  guerre  civile 
qui  suivit  ;  l'avènement  de  Louis-le-Jeune  ;  l'académie  qu'y  fonda 
Abeilard;  l'installation  d'une  cour  de  Justice  sous  Philippe-Au- 
guste; l'invasion  des  Anglais  qui  occupèrent  la  ville  et  y  restèrent 
jusqu'à  ce  que  Duguesclin  vint  les -en  chasser;  mais  ils  se  vengèrent 
sur  le  prince  de  Barbazan  et  sur  cinq  ou  six-cents  des  principaux 
habitants  de  la  ville,  qui  furent  vengés  à  leur  tour  par  l'expulsion 
définitive  des  Anglais  sous  Charles  VII... 

Mais  avant  même  que  la  mémoire  ait  pu  s'échelonner  et  rap- 
peler les  prodiges  de  valeur  de  Henri  IV,  lors  des  guerres  de  la 
ligue,  et  les  épreuves  qu'eut  à  subir  Melun,  à  l'époque  de  la 
Fronde,  la  locomotive  a  quitté  Melun,  a  dépassé  Bois-le-Roi 
qu'on  voit  h  gauche,  dominant  la  ligne  ferrée,  et  voici  qu'elle  s'en- 
ferme dans  les  ombres  de  la  forêt  tant  de  fois  séculaire. 

Nous  sommes  h  Fontainebleau. 

Que  nous  reste-t-il  de  ce  rapide  parcours?  De  magnifiques  points 
de  vue  si  tôt  disparus  qu'aperçus,  d'intéressants  souvenirs  si  tôt 
effacés  qu'éveillés  pour  faire  place  à  d'autres  souvenirs,  refoulés  à 
leur  tour  dès  qu'un  nouveau  site,  un  château,  un  village  se  pré- 
sentaient et  s'enfuyaient. 

Mais  la  station  est  de  nature  à  nous  indemniser  de  tout  ce  que 
la  précipitation  du  voyage  nous  a  fait  regretter. 

Entrons  au  château. 

FONTAINEBLEAU. 

II 

Fontainebleau,  le  plus  beau  et  le  plus  riche  fleuron  du  diadème 


—  94  — 

de  la  France,  toute  notre  histoire  est  gravée  sur  les  pierres  de  ton 
magnifique  palais  dont  chacune  est  un  monument  !  Le  poète, 
l'artiste,  le  philosophe,  Thomme  d'état,  l'écrivain,  tous  y  trouvent 
à  s'inspirer  ou  à  méditer.  But  d'un  incessant  et  éternel  pèlerinage, 
on  te  cherche  avec  avidité,  on  te  visite  avec  admiration,  on  te 
quitte  avec  le  plus  profond  regret,  le  désir  ardent  d'y  revenir  au 
plus  tôt,  le  cœur  plein  d'émotions,  la  mémoire  pleine  de  souve- 
nirs ! 

Tout  a  retenti  dans  ton  auguste  enceinte  :  joyeux  propos,  aveux 
passionnés,  mélodieux  accords,  chants  d'amour,  hymnes  de  vic- 
toire, cris  de  détresse,  paroles  d'adieu,  sanglots  déchirants,  éclats 
de  rire,  longs  gémissements.  Tu  as  été  tout  à  la  fois  fier  donjon, 
palais  de  délices,  séjour  de  rois,  prison  de  pape,  salle  de  confé- 
rences, rendez-vous  de  chasse,  musée,  boudoir,  théâtre,  tout! 

On  averse  bien  des  larmes  entre  tes  murs,  on  y  a  versé  du 
sang! 

Chaque  dynastie  et  chaque  roi  y  ont  laissé  leur  trace,  depuis 
Louis  VII,  qui  datait  une  de  ses  chartes  de  Fontene-Bleaudi, 
nnno  domini  1169,  jusqu'à  Napoléon  qui  data  de  Fontainebleau  sa 
double  abdication.  La  royauté  et  la  beauté  —  cette  royauté  de  la 
femme,  —  l'art  et  la  poésie,  la  magniOcence  et  l'hospitalité,  la 
gloire  et  l'amour,  le  mystère  et  la  douleur,  ont  tous  collaboré 
pour  rendre  imposante,  splendidc  et  intéressante  cette  superbe 
résidence. 

Les  souverains  d'abord,  —  Philippe-Auguste  en  tête,  qui  l'habita 
longuement.  Viennent  ensuite,  Louis  IX,  le  monarque  croisé, 
le  saint  roi  qui  vint  y  mériter  le  céleste  bonheur  en  faisant  celui 
de  ses  sujets  sur  la  terre  ;  il  y  fit  bâtir  un  hôpital.  On  le  reconnaît 
bien  là!  Philippe-le-Bel  qui  y  naquit  et  y  mourut.  Celui-là  com- 
prenait tout  autrement  le  triomphe  de  notre  religion;  il  croyait 
l'exalter  et  l'assurer  en  persécutant  les  juifs  et  en  faisant  brûler 
les  Templiers.  Ses  successeurs,  qui,  Charles  VII  notamment, 
ajoutèrent  de  nouvelles  constructions  au  château  favori  de  leurs 
augustes  ancêtres.  Louis  XI  qui  n'y  devait  pas  regretter  son  sé- 
jour du  Plessis-lès-Tours  et  qui  y  ajouta  une  bibliothèque. 
Louis  XII  qui  fit  transporter  à  Blois  tous  les  volumes  que  son 
prédécesseur  avait  choisis  pour  le  palais  de  Fontainebleau,  Blois 
étant  devenu  résidence  royale  et  siège  du  gouvernement.  Fran- 
çois I'"'  qui  y  établit  une  bibliothèqur*  enrichie  de  précieux  ma- 
nuscrits et  y  appela  les  artistes  dont  il  fut  le  Mécène  et  fanii  ; 


—  95  — 

il  y  donna  hospitalité  à  Charles-Quint  en  échange  de  la  prison  que 
l'Empereur  lui  avait  donnée  à  Madrid.   Henri  II   qui  continua 
l'œuvre  de  son  père  et  prodigua  les  peintures  et  les   riches  orne- 
mentations à  la  salle  que  la  postérité  a  connue  sous   son  nom. 
François  II,  qui  fut  baptisé  dans  la  chapelle   de   Fontainebleau 
ainsi  qu'Elizabeth  de  France  devenue,  plus  tard,  femme  de  Phi- 
lippe II  et  reine  d'Espagne.  Charles  IX,  qui  marqua  son  séjour 
dans  le  château  royal  par  une  foule  d'embellissements  dus  prin- 
cipalement   au    pinceau    et    au    ciseau    des    meilleurs    artistes. 
Henri  III,  son  frère,  roi  de  Pologne,  qui  lui  succéda  et  qui  na- 
quit à  Fontainebleau  ;  Henri  IV,  qui  oubliait  les  fatigues  du  camp 
aux  pieds  delà  belle  Gabrielle  d'Estrées,  et  qui,  plus  tard,  n'était 
l'énergique  opposition   de  Sully,  y  eût  épousé   Henriette  d'En- 
tragues  pour  se  consoler  delà  mort  de  Gabrielle.  Mais  on  sait  que 
ce  roi  galant  savait  mener  de  front  les  affaires  de  la  France  et  les 
siennes,  la  guerre  et  l'amour;   il  agrandit  considérablement  le 
domaine  royal  de  Fontainebleau,  en  y  ajoutant  les  constructions 
et  la  cour  des  offices  et  en  y  annexant  la  seigneurie  du  Mont- 
ceau.  Pourquoi  faut-il  que  l'arrestation  et  l'exécution  du   maré- 
chal de  Biron  viennent  mettre  une  tache  à  la  page  de  son  séjour  à 
Fontainebleau!  Louis  XIII  qui,  y  naquit  et  fut  baptisé  dans  cette 
chapelle  que  plus  tard   il   devait   décorer  splendidement.   Etant 
encore  dauphin,  il  y  lava  pour   la  première   fois   les  pieds  aux 
pauvres,  usant  ainsi  d'un  privilège  qui  était  réservé  aux  rois. 
Le  château  royal  lui   doit  aussi  le  grand  escalier  de  la  cour  du 
Cheval-Blanc.  Louis  XIV,  qui  devait  y  signer,  hélas!  la  révoca- 
tion de  l'édit  de  Nantes.  Louis  XV,  qui  épousa  dans  la  chapelle 
du  palais  Marie  Leczinska.  Louis  XVI,  qui  se  borna  à  visiter 
Fontainebleau ,   sans    montrer   pour    cette    résidence   royale    la 
même  prédilection  que  ses  prédécesseurs.  Napoléon  I",  qui  y  dé- 
pensa six  millions  ;  qui  y  fit  entendre  pour  la  première  fois  le 
mot  de  divorce  à  Joséphine;  qui  y  amena  l'année  suivante  l'impé- 
ratrice Marie-Louise  ;  qui  y  signa  le  décret  ordonnant   de  brûler 
toutes  les  marchandises  anglaises  ;  qui  y  tint  prisonnier  le  pape 
Pie  VII,  et  qui,  enfin,  après  avoir  abdiqué  en  faveur  de  son  fils 
et  de  sa  femme  régente,  se  résigna  à  l'abdication  complète.  Les 
adieux  à  la  garde  sont  gravés  dans  tous  les  esprits.  Un  an  plus  tard, 
il  passa  en  revue  dans  la  même  cour  du  Cheval-Blanc  ces  mômes 
débris  de  l'armée  auxquels  il  avait  fait  de  si    touchants  adieux. 
C'était  la  dernière   fois  qu'il   devait  revoir   Fontainebleau.  Son 
nouveau  règne  ne  durera  que  cent  jours  ;  son  voyage  ne  s'arrêtera 


—  96  — 

que  sur  un  rocher  de  l'Atlantique  !  Louis  XVIII,  qui  ne  vint 
qu'une  ibis  à  Fontainebleau  pour  le  mariage  de  son  neveu  le  duc 
de  Berry  ;  Charles  X  qui  y  vint  chasser  tous  les  ans  ;  Louis-Phi- 
lippe qui  fit  faire  des  travaux  importants  et  qui  voulut  qu'on  y 
célébrât  en  1837,  le  mariage  de  son  fils,  le  duc  d'Orléans,  avec  la 
princesse  Hélène  de  Mecklembourg;  il  faillit  y  être  victime  de 
l'attentat  deLecomte.  Enfin,  Napoléon  III  qui  a  tiré  Fontainebleau 
de  l'oubli  dans  lequel  l'avait  plongé  la  restauration. 
Voilà  pour  les  monarques  français. 

Et  voici  maintenant  pour  les  augustes  hôtes  étrangers. 
î  On  y  a  vu  Charles- Quint  s'arrêter  et  traverser  la  France 
pour  aller  mettre  à  la  raison  les  révoltés  de  Gand.  Il  fut  reçu 
à  la  lisière  de  la  forêt  par  une  troupe  de  divinités  champêtres 
et,  arrivé  à  l'avenue  qui  porte  le  nom  de  Maintenon,  il  y  trouva 
François  I"  qui  lui  donna  l'accolade  ;  puis  ce  furent  des  fêtes 
splendides  dgnt  la  duchesse  d'Étampes  faisait  les  honneurs.  Dans 
un  moment  d'abandon,  le  roi  qui  causait  avec  la  favorite  s'adres- 
sant  soudain  à  Charles-Quint  lui  dit  :  «  Savez-vous  ce  qu'elle  me 
conseille?  De  vous  retenir  prisonnier. 

1)  —  Si  le  conseil  est  bon,  mon  frère,  il  faut  le  suivre,  répondit 
l'empereur  en  souriant.  » 

Seulement,  comme  avant  de  se  mettre  à  table,  la  duchesse  pré- 
senta à  l'auguste  hôte  de  Fontainebleau  une  aiguière  d'argent 
pour  qu'il  y  trempât  les  doigts,  Charles-Quint  y  laissa  tomber, 
comme  par  mégarde  une  magnifique  bague  à  laquelle  brillait  un 
diamant  de  valeur.  «  Je  vois,  dit-il ,  qu'elle  veut  changer  de 
maître,  »  et  il  pria  la  duchesse  de  l'accepter  en  souvenir  de  lui.  La 
favorite  accepta  et  n'eut  garde  de  renouveler  à  son  royal  amant  le 
conseil  qu'elle  venait  de  lui  donner. 

Qui  sait,  n'était  cet  acte  de  magnificence  politiquç,  ce  que  se- 
raient devenues  les  destinées  de  l'empire,  voire  celles  de  la 
France  ! 

En  1064,  Henriette  de  France,  l'épouse  de  l'infortuné  Charles  I" 
d'Angleterre,  vint  habiter  Fontainebleau,  et  le  cardinal  jMazarin 
n'était  pas  homme  h  rendre  moins  cruelle  sa  peine  par  un  séjour 
plus  confortable. 

Un  demi-siècle  plus  tard,  Charles  Stuart,  chassé  de  son  royaume, 
trouva  un  refuge  dans  le  château  de  Fontainebleau. 


—  97  — 

Dans  l'intervalle,  en  1637,  Christine  de  Suède,  qui  avait  ab- 
diqué trois  ans  auparavant,  fut  invitée  par  Louis  XIV  à  résider  à 
Fontainebleau.  Elle  devait  ensanglanter  ce  château  par  l'assas- 
sinat de  Monaldeschi.  Il  fut  frappé  à  Textrémité  de  la  galerie  des 
Cerfs,  qui  était  au  rez-de-chaussée  sous  celle  de  Diane,  et  dont  le 
nom  lui  venait  d'une  quantité  considérable  des  plus  grands  bois 
de  cerfs  que  Henri  IV  y  avait  fait  placer  avec  symétrie. 

Le  czar  Pierre-le-Grand  vint  passer  h.  Fontainebleau  ,  au  mois 
de  mai  de  l'année  1770. 

En  1808,  Charles  IV,  roi  d'Espagne,  y  fut  détenu  pendant 
vingt-quatre  jours. 

Le  Pontife  Pie  VII,  enlevé  du  palais  du  Quirinal,  trois  ans  au- 
paravant, arriva  au  château  le  19  juin  1812,  ne  reçut  la  visite  de 
l'Empereur  qu'au  mois  de  janvier  suivant,  et  resta  à  Fontaine- 
bleau jusqu'au  24  juin  1814. 

Sous  la  Restauration,  on  vit  dans  cette  résidence  royale  le  duc 
de  Glocester,  le  prince  Frédéric-Auguste,  qui  devint  après  roi  de 
Saxe,  François  I",  roi  des  Deux-Siciles ,  son  frère  le  prince  de 
Salerne,  Marie-Christine  d'Espagne,  etc. 

Les  favorites ,  qui  ont  habité  le  palais  de  Fontainebleau ,  sont 
innombrables.  Nous  avons  nommé  la  duchesse  d'Etampes ,  Ga- 
brielle  d'Estrées,  Henriette  d'Entragues.  Ajoutons  la  comtesse 
de  Chateaubriand,  conviée  à  Fontainebleau  lorsque  François  l", 
déclarant  qu'une  cour  sans  dames  ressemblait  à  un  printemps  sans 
roses,  invita  toutes  les  jeunes  châtelaines  du  temps  aux  fêtes  de 
Fontainebleau;  Diane  de  Poitiers,  dont  le  souvenir  est  si  perpétué 
dans  ces  royales  résidences;  Marie  Touchet ,  la  belle  orléanaise 
qui  voulut  le  cœur,  non  la  puissance  de  son  royal  ami  Charles  IX, 
et  qui  le  garda  tant  qu'il  vécut;  mademoiselle  de  La  Vallière  e/ 
iutti  quanti. 

Quant  aux  artistes,  le  Primatice  en  tête;  quant  aux  musiciens  , 
à  commencer  par  l'auteur  du  Devin  du  Village,  qu'on  joua  à  Fon- 
tainebleau; quant  aux  poètes  et  aux  écrivains  célèbres:  il  suffit  de 
rappeler  que  ce  château  fut  habité  par  François  P',  par  Louis  XIV 
et  par  Napoléon ,  pour  comprendre  qu'il   serait  aussi  long  que 

7 


—  98  — 

difficile  d'énumérer  toutes  les  étoiles  de  l'immense  et  lumineuse 
pleïade  qui  gravita,  pendant  trois  périodes  successives ,  autour  de 
ces  trois  soleils. 

III 

Tout  parle  à  l'imagination  dans  cet  édifice  splendide  sur  lequel 
chaque  siècle  a  laissé  son  empreinte  et  chaque  souverain  son  nom. 
Tout  y  réveille  un  souvenir,  depuis  l'armure  de  François  P'' jus- 
qu'à la  table  sur  laquelle  Napoléon  signa  l'acte  d'abdication  !  Ici , 
les  voûtes  de  ces  salles  retentirent  des  accords  joyeux  d'une  fête 
éblouissante;  là,  de  ces  balcons,  une  cour  brillante  assista  à  des 
joutes  et  à  des  tournois;  plus  loin,  dans  ce  pavillon,  on  tint  la 
fameuse  conférence  à  laquelle  vinrent  prendre  place  les  plus  sa- 
vants et  les  plus  illustres  représentants  de  l'Église  romaine  et  de 
l'Église  réformée  ;  plus  loin  encore ,  on  vous  montre  le  corridor 
où  fut  décidé  le  sort  du  malheureux  maréchal  de  Biron  qui, 
pressé  pendant  toute  une  journée  de  faire  l'aveu  des  intrigues 
dont  Henri  IV  s'occupait,  et  n'ayant  rien  voulu  révéler,  fut  en- 
voyé à  Paris,  jugé  sommairement,  condamné  et  exécuté  aux  flam- 
beaux dans  la  cour  de  la  Bastille. 

Ces  chiffres  entrelacés  rappellent  les  amours  de  la  belle  Diane 
de  Poitiers,  dont  l'irrésistible  influence  s'étendit  du  rogne  de 
François  I*""  à  celui  de  Henri  II ,  et  qui  contrebalança ,  sous  le  roi- 
chevalier,  la  puissance  de  la  duchesse  d'Étampes,  opposant  religion 
à  religion,  politique  à  politique.  Elles  personnifiaient  même,  dit 
un  historien,  deux  doctrines  artistiques  et  littéraires,  car  sur  ce 
terrain  aussi  elles  luttaient  à  armes  égales ,  l'une  plus  jeune , 
l'autre  plus  séduisante;  l'une  encore  aimée  du  roi  régnant,  l'autre 
déjà  aimée  de  l'héritier  présomptif;  l'une  dominant  le  père,  l'autre 
gouvernant  le  fils.  Xie  Primatice  et  Jean  Goujon  nous  ont  laissé, 
tous  deux  ,  le  portrait  de  cette  fille  du  seigneur  de  Meudon,  qui 
avait  nom  Anne  de  Pisseleu  et  qui  fut,  plus  tard,  la  duchesse 
d'Etampes.  L'un  a  immortalisé  ses  traits  sur  la  toile,  l'autre  dans 
le  marbre. 

Elle  sut  s'entourer  de  poètes  et  de  savants.  Elle  protégea  Rabe- 
lais, qu'elle  fit  nommer  curé  de  Meudon,  et  Clément  Marot,  à  qui 
elle  fit  traduire  en  vers  les  psaumes.  Elle  sut  consoler  François  1" 
de  toutes  les  misères  qu'il  eut  à  subir  et  de  tous  les  revers  qu'es- 
suya le  royaume  ;  le  monarque  oublia  à  ses  pieds  la  défaite  de 


—  99  — 

Pavie,  ]a  trahison  du  connétable ,  les  ennuis  de  l'exil  et  de  la 
captivité  ,  les  sacrifices  que  lui  avait  coulés  sa  rançon,  tout,  jus- 
qu'au départ  de  ses  deux  fils  livrés  à  l'empereur  Charles-Quint,  à 
titre  d'otages,  pour  l'exécution  du  traité  de  Madrid. 

Gomme  sa  fière  rivale  en  puissance  et  en  beauté  ,  Diane  de  Poi- 
tiers, fille  du  seigneur  de  Saint- Yallier,  posa  devant  le  Primatice 
et  devant  Jean  Goujon.  Le  marbre  et  la  toile  témoignent  de  la 
grâce  naïve  et  de  la  beauté  rayonnante  d'une  toute  jeune  femme  , 
et  cependant  elle  avait  dix-neuf  ans  de  plus  que  le  prince  qu'elle 
savait  captiver.  La  liaison  de  François  I"  avec  la  duchesse  d'É- 
tampes  avait  duré  sans  trouble  pendant  vingt-et-un  ans.  Henri  II 
aima  pendant  trente  ans  la  même  femme ,  Diane  de  Poitiers , 
d'une  passion  sincère,  d'une  inaltérable  tendresse.  Ces  deux  favo- 
rites semblent  démentir  ces  vers  d'une  adorable  insouciance  que 
François  I"  traça  sur  la  vitre  de  la  pointe  diamantée  de  sa 
bague  : 

(1  Souvent  femme  varie 
»  Bien  fol  est  qui  s'y  fie.  » 

C'est  au  château  de  Fontainebleau  que  le  passage,  dans  ce 
monde,  des  deux  puissantes  favorites  se  révèle  d'une  façon  plus 
durable.  Il  est  vrai  qu'on  pourrait  d'ailleurs  écrire  l'histoire  de 
Fontainebleau,  rien  qu'en  écrivant  la  vie  des  royales  favorites,  de- 
puis Agnès  Sorel,  la  poétique  et  chevaleresque  amie  de  Charles  VII , 
jusqu'à  la  frivole  et  énervante  marquise  de  Pompadour,  cette 
reine  de  boudoir,  qui  ne  laissa  derrière  elle  aucun  regret.  Cap 
Versailles  ne  date  réellement  par  sa  splendeur  que  de  Louis  XIV, 
tandis  que  Fontainebleau  remonte  jusqu'à  Louis  VII.  Qu'on  cal- 
cule le  nombre  de  reines  de  la  main  gauche  qui  se  sont  succédées  ! 
Et  combien  d'entr'elles  ont  eu  assez  de  pouvoir,  assez  d'influence, 
sinon  pour  gouverner  la  France,  du  moins  pour  engager  les  rois 
qui  en  étaient  épris  à  des  actes  qui,  sans  elles,  n'eussent  probable- 
ment pas  été  accomplis!  Sans  Agnès  Sorel,  sans  son  vigoureux  ap- 
pel au  patriotisme  et  à  la  chevalerie,  Charles  VII  n'eutpoint  quitté 
ses  chasses  et  ses  jardins  et  n'eut  pas  expulsé  les  anglais  de  son 
royaume;  sans  M°"=  de  Maintenon,  Louis  XIV  n'eut  peut-être  pas 
eu  la  triste  énergie  de  signer  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes 
qui  causa  tant  de  larmes  et  de  sang  à  la  France.  Et  nous  ne  pre- 
nons que  les  points  presque  les  plus  éloignés  de  l'histoire  des  favo- 
rites. Entre  le  3  novembre  1437,  jour  de  l'entrée  solennelle  de 


—  100  — 

Charles  VII  dans  sa  capitale,  et  le  22  octobre  1685,  date  de  la  si- 
gnature au  château  de  Fontainebleau  de  la  funeste  révocation  de 
l'Édit  de  Nantes,  il  y  a  près  de  deux  siècles  et  demi  ! 

Que  d'artistes  ont  prêté  leur  concours  à  l'embellissement  de 
cette  résidence  !  L'escalier  dit  du  fer-à-cheval ,  dont  la  double 
rampe  de  degrés  est  l'œuvre  de  Lemercier.  Les  quatre  anges  en 
bronze  de  la  chapelle  de  la  Trinité  et  les  statues  de  Gharlemagne 
et  de  Saint-Louis,  sont  de  Germain  Pilon.  La  galerie  des  fresques, 
aux  sujets  allégoriques ,  est  due  au  pinceau  délicat  d'Ambroise 
Dubois;  celles  de  la  galerie  de  François  I'',  sont  l'œuvre  du  Rosso 
et  du  Primatice. 

La  salle  du  Trône  est  ornée  d'un  portrait  de  Louis  XIII,  par 
Philippe  de  Champagne.  Les  deux  statues  de  la  Force  et  de  la 
Paix,  qu'on  admire  à  la  salle  des  gardes,  ont  été  sculptées  par 
Francarville.  L'énumération  serait  longue,  des  chefs-d'œuvre 
comme  des  souverains. 


IV 


Et  quel  jardin  enchanté  !  Le  parterre  fut  dessiné  par  Le  Nôtre. 
Quels  délicieux  ombrages  dans  le  parc,  traversé  par  un  magnifique 
canal  !  l'étang  est  un  petit  lac. 

Mais  si  intelligent,  si  habile  que  soit  le  travail  de  l'art,  il  est 
forcé  de  céder  à  l'œuvre  bien  autrement  imposante  de  la  nature. 
La  forêt  est  là  pour  le  constater.  Le  bourgeois  de  Paris  ne  connaît 
généralement  l'opulente  forêt  de  Fontainebleau  que  par  les  ta- 
bleaux et  les  études  que  messieurs  les  paysagistes  envoient  régu- 
lièrement, chaque  année,  au  salon  de  l'exposition.  D'habitude, 
ce  sont  les  mêmes  chênes,  les  mêmes  motifs,  les  mêmes  points  de 
vue.  Le  paysage  est,  il  faut  l'avouer,  singulièrement  routinier.  Il 
s'inspire  quelque  peu  de  Panurge.  On  ne  dirait  pas,  à  voir  les  toiles 
des  artistes  qui  font  le  pèlerinage  annuel  de  Fontainebleau,  on  ne 
dirait  pas  que  cette  forêt  est  si  vaste,  si  riche,  si  accidentée.  Et, 
cependant,  la  nature  l'a  généreusement  douée.  Le  paysage  abrupt 
et  sauvage  de  Salvator  Rosa  y  alterne  avec  le  paysage  majes- 
tueux et  calme  de  Claude  Lorrain.  Brilly  y  donne  la  main  au 
Poussin.  Roches,  ravins,  plaines,  vallées,  arbres  séculaires, 
sites  pittoresques,  clairières,  sinuosités,  lumière,  ombre,  mys- 
tère,  tout  s'y  trouve.  Un  peut  dire  qu'ici  la  nature  s'est  faite 


—  101  — 

artiste,  ou,  comme  dit  Le  Tasse  en  parlant   des  Jardins  d'Ar- 
mide  :  a  Elle  imite,  en  jouant,  sa  propre  imitatrice.  » 

«  L'imitatrice  sua,  scherzando,  imita.  » 

Quels  plus  agréables  points  de  vue  et  quels  sites  plus  pittores- 
ques, chacun  dans  son  genre,  que  les  Plâtrières,  le  mont  d'Assy,  le 
nid  de  l'Aigle,  la  vallée  de  la  Sole,  le  rocher  des  Deux-Sœurs  avec 
sa  roche  cristallisée,  la  gorge  et  le  vallon  d'Aprcmont,  d'une  pro- 
fondeur si  mystérieuse?  Et  la  caverne  des  Brigands,  aujourd'hui 
si  sûre;  et  l'Ermitage  de  Franchard,  avec  sa  roche  qui  pleure,  et 
la  gorge  du  Houx,  et  la  croix  du  Grand-veneur,  avec  sa  sombre 
légende,  qu'on  dirait  éclose  dans  la  Forêt-Noire! 

Quelle  est  la  forêt  au  monde  qui  réunisse  la  magnifique  prome- 
nade de  la  Reine,  le  rocher  d'Avon,  la  gorge  aux  Loups,  la  mare 
aux  Évées,  le  rocher  des  Marsouins,  celui  des  Écureuils,  la  grotte 
de  Georgine,  la  roche  de  Léviathan  et  celle  du  Diable  ? 

Non,  jamais  plus  magnifique  château  ne  fut  enchâssé  dans  une 
plus  riche  parure  naturelle! 

Et  Napoléon  I"  avait  bien  raison  de  dire  à  Sainte-Hélène,  en 
parlant  de  Fontainebleau  : 

((  —  Voilà  la  vraie  demeure  des  rois,  la  maison  des  siècles; 
»  peut-être  n'est-ce  pas  rigoureusement  un  palais  d'architecte, 
»  mais  c'est  assurément  un  lieu  d'habitation  bien  calculé  et  parfai- 
»  tement  convenable.  C'est  ce  qu'il  y  a  sans  doute  de  plus  com- 
»  mode,  de  plus  heureusement  situé  en  Europe  pour  un  souve- 

»  rain Fontainebleau  est  en  même  temps  la  situation  politique 

»  et  militaire  la  plus  convenable.  » 

Pourquoi  maintenant  cette  forêt,  qui  ne  mesure  pas  beaucoup 
moins  de  vingt  mille  hectares  de  superficie  et  près  de  cinquante 
kilomètres  de  pourtour  —  la  distance  qui  est  entre  Paris  et  Fon- 
tainebleau! —  pourquoi,  dis-je,  cette  forêt  était-elle  dans  l'ori- 
gine appelée  la  forêt  de  Bierre,  ou  Bierra?. On  a  prétendu,  il  est 
vrai,  que  Bierra  était  un  guerrier  normand,  surnommé  Côte-de- 
Fer,  qui  en  843  s'arrêta  en  cet  endroit  avec  son  corps  d'armée, 
après  y  avoir  commis  d'effroyables  ravages.  Les  anciens  guerriers 
normands  sont  très-commodes  pour  les  étymologistes.  Il  est  moins 
commode,  pour  ces  derniers,  de  fournir  des  preuves  de  leurs 
assertions  le  plus  souvent  hypothétiques. 

Mais  je  m'adresse  ici  à  une  réunion  de  savants  et  d'archéo- 


—  102  — 

logues.  Je  prends  la  liberté  de  poser  la  question  au  sujet  du  vieux 
nom  de  la  forêt  de  Fontainebleau.  Plus  heureux  que  moi  et  plus 
à  môme  de  la  résoudre,  ils  seront  assez  aimables  pour  me  rensei- 
gner, comme  ils  ont  été  assez  indulgents  pour  m'écouter. 


—  103  — 


DE  LA  GMYURE, 

ÉCOLE  DITE  DE  FONTAINEBLEAU  (1), 

PAR    M.    II.    GÂULTRON, 
Secrétaire  et  membre  fondateur  (Section  de  Fontaineblean  ). 


Messieurs, 

Dans  les  chefs-d'œuvre  de  la  gravure,  il  est  une  collection  éparse 
connue  sous  le  nom  d'École  dite  de  Fontainebleau. 

Cette  collection  est  en  partie  le  travail  des  maîtres  peintres, 
sculpteurs,  architectes,  qui  ont  orné  le  château  de  Fontainebleau, 
et  dont  les  disciples  ont  gardé  et  continué  le  caractère. 

Ces  gravures  offrent  les  plus  grandes  qualités  souvent  de  style, 
toujours  d'élévation  dans  la  composition;  elles  sont  la  plupart  au- 
jourd'hui le  souvenir  d'oeuvres  disparues,  telles  que  la  galerie 
d'Ulysse,  celle  des  Cerfs,  le  pavillon  de  Pomone,  la  chambre 
d'Alexandre  et  tant  d'autres;  les  unes  appartiennent  à  des  graveurs 
connus  par  leurs  noms  et  par  leurs  chiffres,  les  autres  sont  des 
pièces  anonymes  qui  ne  laissent  aucun  doute  sur  le  genre,  le  goût 
de  cette  époque,  et  cataloguées  sous  ce  titre. 

La  Société  d'archéologie,  section  de  Fontainebleau,  sur  les  ins- 
tances d'un  de  ses  membres,  a  pensé  qu'elle  pouvait  mettre  res- 
pectueusement sous  les  yeux  de  Sa  Majesté  le  projet  de  la 
conservation  de  cette  précieuse  collection,  que. le  château  si  riche 
en  souvenirs  historiques  pourrait  la  recevoir  et  que  les  maîtres 
qui  ont  concouru  aux  splendeurs  de  cette  demeure,  à  ses  travaux 
perdus  aujourd'hui,  y  trouveraient  un  refuge  et  une  nouvelle  illus- 
tration. 

A  cet  effet,  elle  a  demandé  l'appui  de  M.  le  ministre  de  la  mai- 
son de  l'Empereur,  et  s'autorisant  des  écrits  des  commentateurs 
des  peintres-graveurs,  elle  a  pris  la  liberté,  dans  un  mémoire- 
appendice,  de  lui  en  montrer  les  indications  déjà  connues  pour  la 
forme. 

(1)  Lu  en  Séance  générale,  à  Fontainebleau,  le  15  octobre  1865. 


—  lOi  — 

Les  noms  des  italiens,  Messieurs,  qui  ont  décoré  le  château  de 
Fontainebleau,  sont  la  plupart  fameux.  Ils  sont  nombreux,  aussi 
le  temps  ici  ne  nous  permet  pas  d'en  énumérer  les  titres.  Les  gra- 
veurs contemporains  qui  nousont  conservé,  parles  estampes,  leurs 
magnifiques  travaux,  et  pour  lesquels  nous  désirons  aujourd'hui 
une  conservation  durable,  sont  aussi  dignes  de  notre  admiration. 
Mais  à  la  suite  des  recherches  que  nous  avons  faites  pour  leur 
donner  une  conservation  durable,  il  nous  a  semblé  qu'il  n'était  pas 
sans  intérêt  d'y  ajouter  devant  vous  quelques  mots,  sans  nuire 
toutefois  à  leur  consécration. 

Tout  en  rendant  justice  à  l'éclat  que  cette  génération  d'artistes 
en  tous  genres  a  montré,  on  a  beaucoup  exagéré  les  bienfaits  de 
l'influence  italienne  sur  les  travaux  de  nos  peintres  et  de  nos 
sculpteurs  ;  on  a  oublié  que  le  xvV  siècle,  chez  nous,  portait  déjà 
l'empreinte  de  notre  nationalité. 

Si  la  renaissance  italienne  est  venue  créer  dans  notre  pays  un 
art  de  tradition,  un  art  renouvelé  du  paganisme,  qui  tranchait 
complètement  avec  le  moyen-âge  chrétien  et  gothique,  et  qui  com- 
mença une  phase  nouvelle,  l'art  français,  en  perdant  un  moment 
son  originalité  pour  obéir  à  l'impulsion  des  italiens,  devait  se  con- 
tinuer et  se  reconnaître  dans  les  Glouët  et  Jean  Cousin. 

Les  hommes  qui  apparurent  ici  et  qui  couvrirent  nos  murs,  il 
faut  le  dire,  n'appartiennent  pas  à  la  grande  famille  des  maîtres. 
Us  gardent  sans  doute  quelque  chose  des  traits  disLinctifs  de  la 
race,  une  certaine  noblesse  naturelle,  une  véritable  aisance  dans 
les  allures,  et  dans  la  physionomie  du  talent,  mais  cette  aisance 
semble  moins  procéder  d'un  fond  de  vigueur  morale  que  d'un 
contentement  de  soi-même  ;  cette  expression  de  noblesse  s'exagère 
trop  et  dégénère  en  ostentation.  Chez  elle,  rien  ne  subsiste  de  la 
grâce  persuasive,  de  la  sérénité,  pourrait-on  dire,  avec  laquelle  les 
artistes  italiens  de  la  belle  époque,  et  Raphaël,  mieux  que  tout 
autre,  instruisaient  la  pensée  et  les  yeux  de  la  l'ouïe. 

A  voir  ces  œuvres  pompeusement  futiles,  ces  œuvres  composées 
au  hasard  de  l'heure  présente,  on  croirait  que  la  peinture  n'a 
d'autre  principe  que  la  fantaisie,  d'autre  lin  que  l'étalage  de  la  fa- 
cilité, et  que  l'office  du  peintre  est  de  nous  montrer  non  pas  ce 
qu'il  a  senti  en  face  de  la  nature,  mais  ce  qu'il  lui  aplû  d'imaginer 
en  dehors  d'elle.  Et  cependant,  malgré  la  manière  conventionnelle, 
malgré  les  caractères  outrés,  les  jactances  fréquentes  du  style,  les 
incorrections,  les  injures  h  la  vérité,  au  goût,  il  est  impossible  de 
ne  pas  admettre  l'abondance  des  idées  pittoresques,  de  ne  pas  être 


—  105  — 

frappé  de  l'harmonie  somptueuse  et  facile  qui  relie,  les  unes  aux 
autres,  les  diverses  parties  de  si  grands  travaux.  Ces  hommes  mé- 
ritent donc  qu'on  honore  en  eux  les  derniers  représentants,  les  der- 
nières gloires  de  l'art  italien. 

Le  Primatice  entre  tous  est  un  grand  talent,  une  intelligence 
puissante,  c'est  un  artiste  par  l'abondance  des  idées,  par  la  har- 
diesse de  sa  mise  en  œuvre,  par  l'habileté  de  sa  pratique.  Si  l'on 
blâme  l'excès  de  cette  habileté,  si  le  maître  a  mésusé  des  dons 
reçus,  toujours  est-il  que  ne  cède  pas  qui  veut  à  de  pareils  entraî- 
nements, et  que  pour  dépenser  avec  cette  prodigalité,  il  faut  avant 
tout  être  en  fonds  de  richesses. 

Mais  en  imposant  le  spectacle  d'œuvres  à  la  Michel-Ange,  en 
faussant  le  goût  de  l'École  française,  ils  ont  dû  devenir  antipa- 
thiques aux  inclinations,  aux  habitudes,  au  génie  même  de  l'art 
national.  Ils  ont  méprisé  la  manière  un  peu  minutieuse,  mais  pro- 
fondément sincère,  de  nos  vieux  imagiers,  le  sentiment  judicieux 
de  nos  vieux  pourtraitistes,  comme  on  les  appelait,  l'expres- 
sion d'exactitude  qui  caractérisait  déjà  l'art  français,  et  qui,  s'af- 
firmant  de  plus  en  plus,  malgré  leurs  bruyants  succès,  devait  dans 
le  siècle  suivant  se  formuler  avec  une  autorité  supérieure  sous  le 
pinceau  de  Lesueur  et  de  Nicolas  Poussin. 

On  a  donc  exagéré  cette  influence  ;  en  les  appelant  en  France,  on 
a  eu  le  tort,  ajouterai-je,  de  délaisser  les  gens  dont  les  ayeux 
avaient,  entr'autres  œuvres  méritoires,  sculpté  les  figures  des 
porches  de  la  cathédrale  de  Chartres,  peint  les  plus  belles  ver- 
rières que  l'on  connaisse  aujourd'hui,  enrichi  de  miniatures 
exquises  les  pages  des  chroniques  et  des  missels. 

Oh  sont,  en  effet,  les  signes  évidents  de  progrès,  les  preuves  de 
l'action  salutaire  exercée  par  eux,  les  trouve-t-on  dans  les  pein- 
tures refroidies  qui  suivirent,  de  Toussaint  Dubreuil,  d'Amboise 
Dubois,  de  Fréminet?  dans  ces  contrefaçons  d'un  art  dont  les 
qualités  principales  sont  la  verve  et  la  facilité?  Est-il  juste  de  rap- 
porter aux  maîtres  de  Fontainebleau  les  progrès  qui  s'accom- 
plirent plus  tard?  Ces  progrès,  au  contraire,  ne  deviennent  sérieux" 
qu'à  partir  du  moment  oii  les  peintres  français  répudient  les 
exemples  qu'on  leur  avait  imposés  d'abord.  Les  traces  s'en  arrêtent 
et  ne  se  voient  plus  dans  les  travaux  qui  se  sont  succédés  depuis 
le  xvii'^  siècle  jusqu'à  nos  jours.  La  manière  italienne  n'a  pas, 
dans  l'histoire  de  la  peinture  française,  le  caractère  et  les  consé- 
quences d'une  révolution,  elle  y  fut  unç  exception. 

Nos  peintres,  quoi  qu'en  aient  dit  les  descendants  du  Rosso  et 


—  i06  — 

du  Primatice,  sont  de  race  libre,  et  s'il  fallait  leur  assigner  une 
origine,  on  la  chercherait  dansl'art  des  Van-Eyckctdes  Memling. 

Dans  le  domaine  de  la  statuaire  et  de  Tarchitecture,  il  faut  le 
reconnaître,  l'influence  italienne  a  été  plus  positive  et  plus  heu- 
reuse. L'art  national  a  gagné  en  correction,  en  élégance,  par  l'in- 
troduction des  ordres  antiques  et  du  style  italien  dans  les  formes 
architectoniques.  Les  disciples  sont  devenus  des  maîtres,  —  tels 
Philibert  de  Lorme,  Pierre  Lescot,  Jean  Goujon. 

En  restaurant  leurs  œuvres  à  peu  près  efTacées,  notre  pays  rend 
à  l'art  un  véritable  hommage,  et  à  ces  étrangers  qui  ont  illustré 
notre  cité.  Nous  y  ajoutons  le  désir  d'en  voir  conserver  les  traces 
par  le  recueillement  de  leurs  travaux  gravés,  mais  aussi  nous  de- 
vons affirmer,  à  l'honneur  du  génie  français,  qu'ils  n'ont  eu  chez 
nous  qu'un  glorieux  et  isolé  passage  ;  néanmoins,  la  collection  qui 
les  rappelle  et  qui  nous  occupe  doit  présenter  encore  et  toujours 
le  plus  grand  intérêt. 


—  107 


ÉTUDE   D'ARCHÉOLOGIE   CYNÉGÉTIQUE. 


DES  CAPITAINERIES  DES  CHASSES 

DU    DÉPARTEMENT    DE    SEINE-ET-MARNE, 

PAR   M.    DOMET, 
Membre  fondateur  (Section   de  Fontainebleau). 


Avant  la  révolution  de  1789  ,  parmi  les  nombreuses  charges, 
parfois  au  moins  inutiles,  qui,  achetées  à  beaux  deniers  comptants, 
se  transmettaient  de  père  en  fils  comme  un  héritage,  une  des  plus 
recherchées,  des  plus  importantes,  surtout  dans  les  environs  de 
Paris,  était  sans  contredit  celle  de  Capitaine  des  chasses.  Le  rôle 
de  celui-ci,  ses  fonctions,  ses  privilèges  sont  à  peu  près  ignorés 
de  tout  le  monde  aujourd'hui;  le  nom  seul  est  resté  dans  la  so- 
ciété actuelle,  mais  ne  s'applique  plus  qu'à  une  charge  de  cour 
presque  honorifique.  Peut-être  quelque  chasseur,  ami  des  choses 
du  passé,  nous  pardonnera-t-il  de  faire  revivre  ces  personnages 
d'autrefois,  et  de  raconter  ce  que  nous  savons  des  Capitaineries 
établies  dans  les  pays  qui  forment  maintenant  le  département  de 
Seine-et-Marne. 

Pour  bien  comprendre  cette  institution,  il  est  utile  de  remonter 
plus  haut  que  les  temps  qui  l'on  vu  naître,  et  de  passer  rapide- 
ment en  revue  les  principales  ordonnances  qui,  dès  le  principe, 
ont  régi  la  chasse  en  France. 

Les  Romains  pensaient  que  les  animaux  sauvages,  n'ayant  pas 
de  maître,  appartenaient  au  premier  qui  s'en  emparait.  La  consé- 
quence de  leur  maxime ,  qu'ils  importèrent  avec  eux  dans  les 
Gaules,  était  la  faculté  pour  chacun  de  chasser  en  tous  lieux, 
même  sur  le  fond  d'autrui.  Ce  principe  est  encore  dominant  dans 
beaucoup  de  pays  du  midi,  notamment  en  Italie. 

Les  chefs  Francs  étaient  trop  chasseurs,  et  par  conséquent  trop 
jaloux  pour  s'accommoder  de  cette  sorte  de  communisme  cynégé- 
tique. Cependant  le  gibier  se  rencontrait  encore  abondant  dans  le 


—  108  — 

pays  qu'ils  venaient  de  conquérir,  et  ils  se  bornèrent  longtemps 
à  interdire  la  chasse  sur  leurs  domaines  propres. 

Plus  tard  la  féodalité  s'établit,  et  la  chasse  devint,  un  droit 
féodal  appartenant  aux  seuls  seigneurs  de  fiefs.  Un  arrêt  de 
Philippe-Auguste,  du  1"  mai  1:^10,  le  déclara  personnel ,  et  dé- 
fendit de  le  céder  ou  l'affermer.  Un  arrêt  de  Philippe-le-Long  ,  de 
1318,  interdit  aux  vilains  de  l'exercer,  et  les  empêcha  même  de  se 
servir  de  furons  et  rezeuls  {rezeul,  de  reticulum,  petit  ret,  bourse)^ 
quoique  ce  genre  de  chasse  ait  été  flétri  du  nom  de  cuisinière  par 
les  anciens  règlements. 

Cependant  le  pouvoir  royal  commençait  à  s'affermir  en  France, 
et  cette  longue  lutte  qui  ne  devait  finir  qu'à  Louis  XIV,  se  pour- 
suivait entre  le  souverain  et  ses  vassaux.  Un  des  droits  les  plus 
disputés  était  encore  celui  de  la  chasse.  La  maxime  des  Romains 
fut  remise  en  honneur,  avec  un  léger  changement  ;  les  légistes 
enseignaient:  que  les  animaux  sauvages,  n'ayant  point  de  maître, 
appartenaient  non  pas  au  premier  qui  s'en  emparait,  mais  au  roi; 
que  le  droit  de  les  tuer  et  de  se  les  approprier  faisait  partie  des 
attributions  de  celui-ci,  et  que  les  seigneurs  n'en  jouissaient  que 
comme  simples  concessionnaires.  Conformément  à  ce  principe,  on 
inséra  dans  les  ordonnances  une  clause  qui  permettait  aux  nobles 
de  chasser  sur  leurs  propres  terres.  Comme  ce  qu'on  permet  peut, 
le  lendemain,  être  défendu,  un  roi  se  trouva,  Louis  XI,  qui  in- 
terdit la  chasse  à  tous,  nobles  comme  vilains,  mais  il  rencontra 
une  opposition  désespérée,  et  dut,  malgré  le  déploiement  d'une 
sévérité  inouie,  renoncer  à  ce  projet  qui  fut,  suivant  les  chroni- 
queurs du  temps,  une  des  principales  causes  de  la  guerre  du  Bien 
public. 

François  I"  reprit  l'œuvre  de  Louis  XI  d'une  façon  moins  ra- 
dicale, mais  plus  durable;  il  ne  s'appropria  la  chasse  que  sur  cer- 
taines surfaces  déterminées;  pour  la  garder  il  commit  des  officiers 
appelés  Capitaines  des  chasses  du  roi,  d'où  le  nom  de  Capitainerie 
donné  aux  réserves  royales.  Cette  spoliation  du  droit  ancien  des 
possesseurs  de  fiefs  se  reproduisit  bientôt  sur  presque  tous  les 
points  de  la  Franco,  non-seulcmcnl  an  profit  du  souverain,  mais 
aussi  des  princes  apanagistes  dans  leurs  domaines,  et  même  de 
quelques  gouverneurs  de  villes  autour  de  leurs  murailles.  Seules 
les  provinces  du  midi  avaient  été  trop  pénétrées  par  la  civilisation 
romaine  pour  supporter  patiemment  un  régime  si  contraire  à 
leurs  mœurs,  cl  la  Guienne,  la  Gascogne,  le  Dauphiné,  la  Pro- 
vence et  le  Languedoc  n'eurent  jamais  de  Capitaineries;  bien  plus, 


—  109  — 

dans  ce  dernier  pays,  Louis  XII  dut,  par  des  lettres-patentes,  de 
octobre  1501,  confirmées  de  règne  en  règne,  permettre  aux  rotu- 
riers de  chasser  librement,  sauf  les  grosses  bêtes,  lièvres,  perdrix, 
faisans  et  hérons. 

Dans  l'enceinte  des  Capitaineries  on  se  borna  d'abord  à  confis- 
quer le  droit  de  chasse  aux  propriétaires,  puis,  petit  à  petit,  on 
leur  imposa,  pour  la  conservation  du  gibier  qu'ils  ne  devaient  pas 
tuer,  des  mesures  vexatoires,  souvent  même  onéreuses.  Nous 
allons  en  passer  les  principales  en  revue  :  Henri  IV,  par  une  or- 
donnance de  juin  1601  ,  défendit  de  chasser  le  menu-gibier,  à 
moins  d'une  lieue  des  réserves ,  et  les  sangliers ,  chevreuils, 
daims,  lièvres  et  perdrix  à  moins  de  trois  lieues  ;  puis,  de  mener 
dans  l'étendue  des  Capitaineries,  aucun  chien  qui  ne  fut  en  laisse 
ou  qui  n'eut  un  billet  au  cou,  ou  une  jambe  rompue;  les  chiens 
des  bergers  ne  devaient  être  lâchés  qu'au  moment  du  besoin  , 
pour  la  conduite  des  troupeaux.  Une  autre  ordonnance  de  juillet 
1607,  prohiba  le  port  de  toute  arme  à  feu,  pour  quelque  raison 
que  ce  fut,  sous  peine  de  dix  livres  d'amende.  Louis  XIV,  par 
une  ordonnance  du  7  décembre  1660,  défendit  de  laisser  aucun 
échalas  dans  les  vignes,  une  fois  les  feuilles  tombées.  Par  une 
autre,  en  date  du  9  août  1666,  il  enjoignit  aux  propriétaires  et 
fermiers  de  ficher  en  terre  cinq  épines  par  arpent ,  dans  les  huit 
jours  qui  suivaient  la  récolte,  à  peine  de  dix  livres  d'amende  par 
épine  manquante.  Les  bergers  étaient  tenus,  pour  repiquer  con- 
venablement celles  qu'arracheraient  leurs  bestiaux ,  de  ne  jamais 
sortir  sans  s'être  munis  d'une  cheville  en  fer.  La  même  loi  dé- 
fendit, à  peine  d'amende  arbitraire,  d'établir  aucun  mur  ou  fossé, 
aucune  haie  ou  barrière  sans  permission  expresse,  de  couper  ou 
arracher  les  chaumes  avant  le  1"  octobre  ;  de  faire  exploiter  les 
taillis,  couper,  faucher  ou  arracher  de  l'herbe  dans  les  champs 
avant  le  jour  de.  saint  Jean-Baptiste.  C'est  à  grand  peine  qu'on 
obtint,  plus  tard,  la  permission  d'échardonner,  après  une  visite 
du  garde  du  canton.  Un  règlement  du  17  octobre  1707  soumit  à 
toutes  ces  prescriptions  les  parcs  et  jardins  enclos  de  murs  ;  les 
Capitaines  pouvaient  se  les  faire  ouvrir  et  y  chasser  quand  bon 
leur  semblait.  Sous  Louis  XV,  un  arrêt  du  conseil  du  6  sep- 
tembre 1735  ordonna  que  visite  serait  faite  des  chemins  à  con- 
server ;  que  les  propriétaires  ou  fermiers  seraient  tenus  de  creu- 
ser, le  long  de  ceux-ci,  des  fossés  de  trois  pieds  de  largeur  sur 
deux  pieds  de  profondeur,  en  observant  de  cinquante  toises  en 
cinquante  toises  des  passages  de  quatre  pieds  ;  et  de  détruire  et 


—  110  — 

labourer  tous  les  autres.  Le  propriétaire ,  son  fermier  ou  son  ber- 
ger, purent  seuls  passer  hors  des  routes  ordinaires. 

Les  délits  de  chasse  étaient  punis,  dans  l'étendue  des  Capitaine- 
ries, des  mêmes  peines  que  dans  le  domaine  propre  du  roi.  Fran- 
çois I"  réunit  ces  dernières  en  un  code  complet,  par  son  ordonnance 
de  mars  1513  :  les  chasseurs  ou  receleurs  de  grosses  bêtes  étaient 
condamnés  à  une  amende  de  deux  cent  cinquante  livres  tournois, 
—  au  fouet,  et  au  bannissement  à  quinze  lieues,  pour  la  première 
récidive  ;  aux  galères  pour  la  deuxième;  et  à  mort  en  cas  dïnfrac- 
tion  de  bans.  S'il  ne  s'agissait  que  de  menu  gibier,  les  délinquants 
étaient  punis  d'une  amende  de  vingt  livres  ;  puis  du  fouet,  sous  la 
custode  jusqu'à  effusion  de  sang;  et  du  fouet  suivi  de  bannisse- 
ment à  quinze  lieues,  s'il  y  avait  récidive.  Toutefois  il  est  à  croire 
que  ces  prescriptions  ne  reçurent  pas  une  application  immédiate , 
et  que,  pendant  quelques  années  encore,  les  peines  continuèrent 
à  être  infligées  au  bon  plaisir  du  magistrat,  comme  il  en  avait 
été  jusque  là,  car  un  jugement  de  la  Table  de  marbre  de  Paris, 
de  mars  1517,  condamna  Robin  Durandon,  pour  avoir  chassé 
dans  la  forêt  de  Bierre,  à  faire  amende  honorable  à  genoux,  en 
chemise,  tête  et  pieds  nus,  avec  une  torche  ardentée  à  la  main,  et 
à  40  livres  d'amende.  Quoi  qu'il  en  soit  le  seul  changement  impor- 
tant qui  survint  dans  cette  pénalité,  jusqu'à  la  révolution  ,  n'eut 
lieu  que  sous  Louis  XIV  qui,  par  sa  célèbre  ordonnance  d'août 
1669,  abolit  absolument  la  peine  de  mort  pour  délit  de  chasse. 

Grâce  à  toutes  ces  mesures  la  chasse  devait  être  fort  belle  dans 
les  plaisirs  du  roi,  comme  on  disait  alors;  mais  celui-ci  n'en  pro- 
fitait que  dans  un  petit  nombre  de  Capitaineries  dites  royales  et 
situées  aux  environs  de  Paris  ;  partout  ailleurs,  c'étaient  les  heu- 
reux Capitaines  qui  seuls  en  usaient,  et  même  quelquefois  abu- 
saient;  s'il  faut  en  croire  mainte  réclamation  de  ce  temps-là.  Tout 
chasseur  comprendra  combien  devaient  être  nombreuses  et  pres- 
santes les  sollicitations  qui  assiégeaint  les  souverains  pour  obtenir 
la  création  de  nouvelles  Capitaineries  :  favoris,  grands  seigneurs, 
princes  du  sang  même,  c'était  à  qui  achèterait  de  ces  charges  qui 
conféraient,  d'une  manière  absolue,  la  jouissance  de  réserves  si 
étendues  et  si  giboyeuses,  tout  en  donnant  en  même  temps  une 
grande  considération.  Aussi  les  Capitaineries  se  multiplièrent  à 
un  tel  point  qu'au  commencement  du  règne  de  Louis  XIV  il  y 
en  avait  plus  de  cent  en  France.  L'édit  de  mars  1515  décida  en 
principe  leur  création  ;  mais  ce  ne  fut  qu'en  1334  que  la  première 
fut  établie  à  Fontainebleau,  au  dire  du  père  Dan. 


—  m  — 

Capitainerie  de  Fontainebleau.  —  Nous  n'avons  pu  nous  procurer 
cette  ordonnance  de  François  I";  mais  il  en  existe  une  de 
Henri  ÏI,  du  10  janvier  1549,  qui  la  reproduit  exactement.  Elle 
donne  seulement  l'énumération  des  principales  localités  qui  sont 
comprises  dans  la  Capitainerie,  sans  indiquer  les  limites  de  cette 
dernière;  ce  sont  les  buissons  qui  sont  près  de  Moret,  ceux  de 
Barbeau  et  de  Molesmes,  du  seigneur  de  Boulas,  des  dames  de  la 
Voye,  du  seigneur  de  la  Vo  de  Malvoisines  du  commandeur  de 
Beauvoir,  du  seigneur  de  Bouron,  de  Thousée,  de  la  Ghenaye, 
Estrange-le-Beau  et  Bouvillon  ,  ceux  de  Fretoiseau  et  du  mo- 
nastère de  Fontainebleau,  les  bois  Boutez,  celui  du  Milieux,  celui 
de  Lige,  la  Forêt  de  la  Reine,  les  taillis  du  Tirant,  Motz,  Gomery 
et  le  buisson  des  Rougères.  Le  roi,  quoique  se  réservant  la  chasse 
dans  tous  ces  lieux,  permet  aux  propriétaires  gentilshommes  d'y 
courre  le  lièvre  et  d'y  voler  la  perdrix,  en  personne,  sur  leurs 
terres,  hors  des  bois  et  buissons,  et  excepté  toutefois  dans  les  sa- 
blons de  Moret,  les  plaines,  vignes  et  sablons  de  Bouron,  les 
plaines  de  Laque-Fontaine  jusqu'à  Melun  et  Ghavois,  où  toute 
chasse  est  absolument  interdite,  sous  peine  de  100  livres  parisis 
d'amende  et  de  confiscation  des  engins,  chiens,  etc.  Il  est  dé- 
fendu, dans  l'étendue  de  la  Capitainerie  à  tout  propriétaire  de  bois 
taillis  de  les  couper  au-dessous  de  huit  ans  ;  François  1"  exigeait 
qu'ils  aient  dix  ans.  Cette  mesure,  prise  dans  le  principe  pour 
créer  des  demeures  au  gibier,  fut  plus  tard  étendue  à  toute  la 
France,  par  deux  ordonnances  de  Charles  IX,  de  septembre  1563 
et  août  1573,  dans  l'intérêt  de  la  conservation  des  bois  qu'épui- 
saient des  révolutions  trop  courtes.  François  P"",  qui  affectionnait 
particulièrement  Fontainebleau  ,  où  il  venait  très-souvent ,  ne 
trouvant  pas  sa  forêt  de  Bierre  suffisamment  gardée^  avait,  par 
ordonnances  d'avril  1532  et  août  1534,  créé,  pour  la  surveiller 
spécialement,  elle  et  ses  dépendances,  un  Grand-maître  des  eaux 
et  forêts  qui  s'appelait  aussi  le  grand  forestier  ;  cette  fonction  et 
la  Capitainerie  des  chasses  furent  réunies  à  la  charge  de  concierge 
du  palais,  beaucoup  plus  importante  alors  qu'elle  ne  le  fut  depuis. 
Le  concierge  s'appela  bientôt  gouverneur;  la  Grande -maîtrise, 
étendue  à  toute  F  Ile-de-France  ,  fut  transportée  à  Paris  sous 
Henri  IV,  et  remplacée  à  Fontainebleau  par  une  maîtrise  particu- 
lière pour  le  bailliage  de  Melun  ;  mais,  malgré  ces  changements 
de  noms,  la  même  personne  continua  à  être  investie  des  trois 
places  et  l'était  encore  à  la  révolution. 

Jusqu'en  1538  les  officiers  forestiers  connaissaient  seuls  des 


—  112  — 

faits  de  chasse  ;  ils  se  réunissaient  de  temps  en  temps  en  tribunal 
par  devant  lequel  l'un  d'eux  et  le  procureur  du  roi  poursuivaient 
les  délinquants;  par  une  déclaration  du  12  décembre  1538,  Fran- 
çois I"  voulut  leur  enlever  cette  juridiction,  pour  la  donner  au 
prévôt  des  maréchaux ,'  mais  la  maréchaussée  prenait  la  loi  îi  la 
lettre  et  infligeait  consciencieusement  aux  délinquants  les  peines 
encourues  ;  or,  comme  on  a  pu  lo  voir,  elles  étaient  vraiment  dra- 
coniennes, et  il  fallait  user  de  grands  ménagements  dans  leur  ap- 
plication, aussi,  devant  la  réprobation  universelle,  une  ordon- 
nance d'avril  1345  rendit-elle  aux  forestiers  le  pouvoir  déjuger  les 
faits  de  chasse.  Par  déclaration  du  20  janvier  1398,  Henri  IV  le 
donna,  dans  l'étendue  des  Capitaineries,  aux  Capitaines  et  à  leurs 
lieutenants,  mais  sans  qu'ils  puissent  condamner  à  plus  de  qua- 
rante livres  d'amende  ;  dans  les  causes  plus  importantes  ,  les 
accusés  devaient,  après  instruction  sommaire,  être  renvoyés  par- 
devant  les  maîtres  particuliers.  Deux  ans  après,  une  ordonnance  de 
janvier  1600  supprima  cette  restriction  pour  les  deux  Capitaineries 
de  Fontainebleau  et  Saint-Germain ,  lieux  où  le  roi  habitait  le 
plus  souvent,  et  donna  l'instruction  et  le  jugement  de  tous  les 
procès  de  chasse  aux  officiers  de  robe  longue,  c'est-à-dire  qui 
avaient  pris  leurs  grades.  On  pouvait  en  appeler  au  Parlement  des 
décisions  de  ce  tribunal  spécial  ;  presque  tous  les  conseillers 
avaient  des  maisons  de  campagne  aux  environs  de  Paris,  ils 
étaient  donc  frappés  directement  par  les  lois  si  dures  des  Capi- 
taineries, et  ils  en  entravaient  l'exécution,  le  plus  possible,  en 
acquittant  tous  les  prévenus.  Louis  XIII ,  par  une  ordonnance  du 
20  mai  1618,  attribua  alors  au  grand  conseil  l'appel  des  fails  de 
chasse  dans  les  Capitaineries  du  Louvre,  de  Saint-Germain,  de 
Versailles  et  de  Fontainebleau  ;  Messieurs  du  grand  Conseil  sui- 
vant les  même  errements,  Louis  XIV  le  donna  au  Conseil  d'État 
pac  une  déclaration  du  9  mai  1656. 

Le  père  Dan  nous  apprend  que ,  vers  la  fin  du  règne  de 
Louis  XIII,  le  Capitaine  des  chasses  avait  sous  ses  ordres  :  un 
lieutenant  à  Fontainebleau  et  un  autre  au  Chàtelet-en-Brie,  dix 
gardes  spéciaux  pour  la  forêt  et  vingt  pour  les  environs,  dont  la 
moitié  était  à  cheval.  Une  déclaration  royale  du  16  décembre  1598 
leur  avait  accordé,  à  tous,  l'exemption  des  tailles  et  impôts  de  la 
ville;  d(;  plus  ils  étaient  chauffés  :  le  Capitaine,  tant  en  cette 
qualité  qu'en  celle  de  gouverneur  de  Fontainebleau,  recevait 
soixante  cordes  de  bois  d'officier,  c'est-à-dire  ayant  huit  pieds  de 
couche  sur  quatre  de  hauteur  et  quatre  de  longueur  de  bûches, 


—  H.i  ~ 

les  lieutenants  et  lu  premier  des  gardes  avaient  droit  h  dix  cordes, 
et  les  autres  gardes  h  trois;  la  plupart  de  ces  prérogatives  étaient 
loin  d'être  concédées  à  titre  gratuit;  les  charges  de  capitaine, 
comme  presque  toutes  les  places  en  France  depuis  Henri  II, 
étaient  des  offices  vénaux;  aussi,  quand  la  célèbre  ordonnance 
de  1669  eut  détendu  absolument  toute  délivrance  de  bois  de  chauf- 
fage, on  dut  rembourser  la  valeur  de  celui-ci  aux  officiers  des 
chasses;  des  arrêts  du  conseil  en  fixèrent  le  prix  général,  par 
corde,  du  capital  de  six  livres  de  rente.  Le  capitaine  de  Fontai- 
nebleau avait  la  jouissance  de  deux  garennes,  dans  la  forêt,  afler- 
mées  moyennant  treize  cents  livres  :  celle  de  la  Queue-de-Fontaine 
et  celle  de  Grosbois  ;  il  faisait  de  plus  exploiter,  h  son  profit,  les 
taillis  de  cette  dernière,  et  depuis  l'achat  effectué  par  Henri  IV 
en  1609,  ceux  de  la  butte  du  Montceau;  ces  coupes  rapportaient 
encore  de  six  cents  à  sept  cents  livres  par  an.  L'act  )  de  réforma- 
tion de  la  forêt  de  Bierre,  de  1664,  prescrivit  la  rachat  de  toutes 
ces  prérogatives. 

En  1623  Louis  XIII  donna  à  son  capitaine,  qui  était  alors  M.  le 
baron  de  Persan,  et  aux  successeurs  de  celui-ci,  la  maison  ainsi 
qu(3  les  revenus  dépendant  de  la  terre  du  Montceau.  Louis  XV  y 
ajouta,  par  arrêt  du  conseil  du  30  mai  1721  en  faveur  de  M.  de 
Montmorin  Saint-Hérem,  les  cens,  rentes,  grains  et  argent,  droits 
seigneuriaux  et  féodaux,  et  autres  généralement  quelconques  de 
la  seigneurie ,  le  to^ut  estimé  environ  sept  cent  quarante  livres,  à 
charge  de  payer  aux  Mathurins  de  Fontainebleau  une  rente  an- 
nuelle de  trois  cent  vingt  livres  douze  sous  six  deniers,  représen- 
tant la  valeur  des  droits  seigneuriaux  qui  leur  avaient  été  aban- 
donnés en  1612,  de  trois  muids  et  demi  de  blé  et  de  deux  poules 
qui  leur  avaient  été  accordés  sur  ce  domaine  en  1610.  Le  capi- 
taine prétendit  que  parmi  les  droits  qui  lui  étaient  concédés  se 
trouvaient  compris  ceux  de  langayage  des  porcs,  poids  le  roi,  me- 
sure, roulage,  minage  du  marché  de  Fontainebleau,  ainsi  que 
ceux  de  labellionage  de  ladite  ville  ;  le  contrôleur  général  du  do- 
maine le  lui  contesta,  et  un  procès  eut  lieu,  sur  lequel  intervint 
le  28  novembre  1724  un  arrêt  du  conseil  qui,  sans  juger  au  fond, 
accorda  à  M.  de  Saint-Hérem  et  à  ses  successeurs  ce  qu'il  récla- 
mait. 

Louis  XIV  payait  au  capitaine  de  Fontainebleau  une  pension 
de  six  mille  livres  ;  elle  fut  réduite  à  trois  mille  à  la  mort  de 
François-Gaspard  de  Montmorin,  en  1701,  puis  reportée  à  six 
mille   livres.    Sous  Louis  XV,  le  capitaine  se  faisait  donner, 

8 


—  lu  — 

sans  aucun  titre,  un  boisseau  d'avoine  par  chaque  tête  de  bétail 

qui  allait  en  pâture  dans  laforôt;  il  exigeait  aussi  une  somme 

d'argent  des  carriers  qui  travaillaient. 

M.  Duvaucel,  grand  maître  de  l'Ile-de-France,  chargé  en  1750 

de  la  réformation  de  la  forêt  de  Bierre,  s'éleva  avec  force  contre 
ces  abus ,  mais  rien  ne  prouve  qu'il  soit  parvenu  à  les  faire 
cesser. 

Il  y  avait  beaucoup  de  vague  dans  renonciation  primitive  des 
limites  de  la  Capitainerie  de  Fontainebleau;  ce  fut  l'usage,  à  dé- 
faut de  titre  bien  clair,  qui  les  fixa  pendant  longtemps;  les  offi- 
ciers avaient  pris  l'habitude  de  défendre  la  chasse  jusqu'à  cer- 
taines limites,  et  personne  ne  réclamait  contre  une  aussi  ancienne 
coutume,  mais  il  se  trouva  des  capitaines  qui  négligèrent  de  faire 
garder  la  même  étendue  que  leurs  prédécesseurs,  et  quand  on 
voulut  revenir  aux   anciens  errements  ,  des   contestations   sur- 
girent;   on  dut  marquer  les  circonscriptions  par  des  bornes,   de 
manière  à  ne  plus  laisser  de  doute.  Il  en  fut  ainsi  pour  la  plupart 
des  Capitaineries.  Un  édit  de  Louis  XIV,  en  date  de  novembre 
1687,  régla  rigoureusement  l'étendue  de  celle  de  Fontainebleau, 
et  défendit  absolument  à  tous  seigneurs,  gentilshommes,  hauts- 
justiciers  et  autres,  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils  fussent, 
de  chasser  ni  faire  chasser  sur  le  territoire  compris  entre  les  li- 
mites suivantes  :  le  ruisseau  de  Trois- Moulins  de  Melun  à  Fon- 
tenailles  et  à  LaChapelle-Rablais,  de  La  Chapelle,  par  les  grands 
chemins,  à  Gurcy,  à  Forges  et  à  Montereau-laut-Yonne,  de  là  à 
Dormeil,  Nanteau,  Nonville,  Grez,  La  Chapellc-la-Reine,  Feuil- 
lard,  Noisy  et  Milly,  puis  le  ruisseau  de  l'École  jusqu'à  Pon- 
thierry,  et  la  Seine  jusqu'à  Melun.  Un  arrêt  du  conseil  du  9  no- 
vembre 1698  précisa  encore  plus  ces  limites;  il  indiqua  qu'elles 
devaient  passer,  en  partant  de  La  Chapelle-RablaiSj  par  le  Petit- 
Villeneuve,  les  Bordes,  Villeneuve-le-Comte  jusqu'à  Gurcy,  puis 
de  Gurcy  à  Montigny,  et  le  long  des  bois  de  Montigny  et  Gou- 
tençon  par  les  grands  chemins,  jusqu'à  Forges.  Enfin  un  autre 
arrêt  du  conseil ,  du  20  décembre  1700,  réduisit  un  peu  cette 
étendue  en  rectifiant  la  ligne  de  La  Ghapelle-Kablais  à  Forges,  et 
en  laissant  Gurcy  en  dehors.  La  Capitainerie  garda  ces  dernières 
limites  jusqu'à  la  Révolution. 

On  cite  parmi  les  capitaines  des  chasses  de  Fontainebleau  : 
MM.  Daugas,  de  Miraumont,  de  Vitry,  du  Hallier,  do  Persan, 
Jean  de  Souvré  marquis  de  Courtenvaux,  qui  avait  la  place  en 
1634,  Mich(;l  Sublet  marquis  d'Heudicourt,  qui  troqua  sa  charge 


contre  celle  de  grand  loiiveLicr,  en  1G55,  avec  François-Gaspard 
de  Montmorin  marquis  de  Saint-Hérem  ;  ces  ibnctions  restèrent 
dans  la  famille  de  Montmorin  jusqu'à  la  Révolution  :  à  François 
Gaspard  succéda,  en  nOl,  Charles  François,  puis  à  ce  dernier, 
en  1722,  Jean  Baptiste,  et  enfin  à  Jean-Baptiste,  Louis-Victoire 
Luce,  qui  fut  massacré  le  2  septembre  1792,  à  la  prison  de  la 
Conciergerie.  Saint-Simon   parle   quelque   part    dans    ses   mé- 
moires de  Madame  de  Montmorin,  la  femme  du  premier  capitaine 
des  chasses  de  ce  nom,  et  la  tourne  un  peu  en  ridicule;  il  raconte, 
entr'autres  choses,  qu'elle  avait  grand'peur  de  l'orage,  et  qu'au 
premier  coup  de  tonnerre  elle  faisait  monter  tous  ses  gens  sur  son 
lit,  et  se  glissait  bien  vite  dessous,  espérant  ainsi  échapper  à  la 
foudre.  Elle  aimait  à  se  baigner  dans  la  Seine,  à  Valvins ,  et 
quand  l'eau  était  trop  froide,  elle  en  faisait  bouillir  quantité  et 
verser  dans  la  rivière  afin  de  réchauffer  celle-ci. 

Capitainerie  de  Corbeil.  —  Après  la  capitainerie  de  Fontaine- 
bleau, la  plus  ancienne  de  Seine-et-Marne  et  probablement  de 
toute  la  France,  fut  celle  de  Corbeil,  fondée  par  lettres  patentes 
du  10  février  1538.  On  en  confia,  dans  le  principe,  la  surveillance 
au  gruyer  de  Senart  et  Rougeau  ,  c'est-à-dire  au  forestier  chargé 
de  la  direction  des  bois  royaux  de  ces  deux  localités  ;  ce  n'est 
qu'au  commencement  du  règne  de  Louis  XIV  qu'un  capitaine 
spécial  fut  institué. 

Aux  dates  près,  les  histoires  de  toutes  les  Capitaineries  se  res- 
semblent fort  ;  les  limites  ne  furent  pas  tout  d'abord  indiquées 
beaucoup  plus  clairement  à  Corbeil  qu'à  Fontainebleau  ;  elles 
suivaient  la  Seine,  disent  les  lettres  patentes  de  fondation,  des 
ponts  de  Melun  à  celui  de  Charenton,  et  devaient  comprendre  les 
lieux  et  endroits  environnés  des  rivières  de  Seine  et  de  Marne, 
puis  aussi  depuis  Corbeil  jusqu'à  deux  lieues  tirant  vers  Fontai- 
nebleau et  Montléry,  ainsi  que  ladite  étendue  se  pourrait  le  plus 
aisément  prendre  et  régler.  Gomme  à  Fontainebleau,  il  était  dé- 
fendu aux  propriétaires  de  bois  taillis  de  les  exploiter  avant  l'âge  de 
dix  ans. 

Henri  II,  par  lettres  patentes  du  10  janvier  1349.  confirma  celles 
de  son  père  ;  mais  il  n'empêcha  la  chasse  d'une  manière  absolue 
que  sur  le  territoire  compris  entre  la  Seine  et  le  grand  chemin 
allant  de  Villeneuve-Saint-Georges  à  Melun  ;  partout  ailleurs  les 
propriétaires  gentilshommes  pouvaient  courre  le  lièvre  ou  voler 
la  perdrix,  en  personne,  et  hors  des  bois  et  buissons.  Tout  con- 
trevenant était  puni  d'une  amende  de  cent  livres  parisis.  L'âge 


—   110  ~ 

auquel  les  taillis  des  particuliers  devraient  être  coupés  fut  abaissé 
de  dix  à  huit  ans  ;  les  châtaigniers  destinés  à  faire  des  cercles  ne 
furent  pas  compris  dans  ces  prescriptions.  Une  déclaration  de 
Henri  III,  du  2  mai  1580,  renouvela  simplement  les  défenses  ci- 
dessus. 

Henry  IV,  le  5  février  1599,  exempta  les  officiers  et  gardes  de 
la  Capitainerie  de  Gorbeil  du  paiement  de  toutes  tailles,  comme  il 
venait  de  le  faire,  l'année  précédente,  pour  celle  de  Fontainebleau. 
Louis  XIII  confirma  ces  exemptions  par  lettres  patentes  du  12  dé- 
cembre ICI  3. 

Il  n'y  avait  pas  de  résidence  royale  dans  la  Capitainerie  de  Gor- 
beil ;  aussi  les  souverains  y  chassaient  peu  et  elle  fut  toujours 
bien  moins  importante  que  sa  voisine,  de  beaucoup  la  plus  consi- 
dérable du  département.  Sous  Louis  XIII,  en  1634,  on  n'y 
comptait  que  cinq  gardes.  Les  officiers  de  robe  longue  n'y  eurent 
l'instruction  et  le  jugement  de  tous  les  procès  qu'en  décembre  1G62. 
Louis  XIV  diminua  beaucoup  son  étendue  par  une  déclaration  du 
3  mai  1694  ;  il  lui  donna  pour  limites,  sur  la  rive  droite  de  la 
Seine  :  la  Marne,  de  Charenton  au  ruisseau  de  Morbras,  ce  dernier 
jusqu'à  Sucy,  puis  une  ligne  passant  par  Boissy,  Villecresne, 
Villemenu,  Coulaville  (pour  Combs-la  ville),  IMoissy-Cramayel, 
Plessis-Picard,  Pouilly-le-Fort  et  les  portes  de  Melun,  c'est-à- 
dire  à  peu  près  la  grande  route  qui  va  de  l'embouchure  de  la 
Marne  à  Brie-Comte-Robert  et  à  Melun.  Sur  la  rive  gauche  n'é- 
taient plus  compris  dans  la  Capitainerie  que  les  territoires 
d'Essonne,  de  Saint-Jean-en-l'Isle  et  d'Evry-sur-Seine.  Les  sei- 
gneurs justiciers  pouvaient  chasser  librement,  en  personne,  dans 
l'étendue  de  leur  haute  justice,  sauf  dans  les  bois  et  buissons  du 
Grand  et  Petit-Sénart  et  de  Rougeau,  et  aussi  entre  la  Seine,  de- 
puis Villeneuve-Saint-Georges  jusqu'au  pont  de  Charenton,  la 
Marne,  le  ruisseau  de  Morbras,  Sucy,  Boissy  et  Villeneuve,  par 
les  grands  chemins. 

La  grueric,  puis  Capitainerie  de  Gorbeil,  appartint  très-long- 
temps à  divers  membres  de  la  famille  de  Neuville,  seigneurs  de 
Villeroy  ;  ils  la  possédaient  en  1580  et  en  1G9-4. 

Capitainerie  de  Livry  et  Bondij.  Nous  ne  connaissons  pas  la  date 
de  la  création  de  cette  Capitainerie  ;  elle  existait  déjà  depuis  plu- 
sieurs années,  quand  Louis  XIII,  ayant  appris  qu'un  cerf  avait  été 
tué  dans  la  forêt  de  Livry,  rappela,  par  une  ordonnance  du 
27  janvier  1619,  que  la  chasse  était  «absolument  défendue  dans  les 
bois  de  Groslay,  Gouldray,  Buisson-Saint-Martin,  Buisson-Saint- 


_    117   — 

Denis,  Garenne-du-Tremblay,  Bois-le-Vicomlc,  Bousure,  Ville- 
parisiSj  Momy,  Mullct,  Glaye,  Villevaiidé,  Montjai,  Saint-Martin, 
Ciiiâlis,  Pomponne,  Forêts,  Brou,  Bois-d'Tzanc,  Montguichet, 
Avon,  Montercau,  Neuilly  et  les  plaines  enclavées  trois  lieues  es 
environ.  » 

Le  règlement  des  tailles  de  janvier  1634  affranchit  les  olïïciers 
de  tout  impôt,  et  fixa  le  nombre  des  gardes  à  huit. 

Louis  XIV,  par  une  ordonnance  du  22  mars  1659,  confirma  les 
défenses  qu'avait  éditées  son  père,  puis,  par  une  déclaration  du 
31  octobre  1663,  donna  aux  officiers  de  cette  Capitainerie  l'ins- 
truction et  le  Jugement  des  procès  de  chasse,  en  leur  accordant  de 
prononcer  sans  appel  dans  les  affaires  qui  n'entraînaient  pas  une 
condamnation  supérieure  à  quatre-vingts  livres  d'amende. 

Les  trois  Capitaineries  de  Livry,  de  Vincennes  et  du  bois  de 
Boulogne  se  touchaient  vers  Le  Bourget,  et  des  contestations  s'é- 
levèrent entre  les  officiers  au  sujet  des  limites  ;  il  intervint,  le 
5  juillet  1682,  un  règlement  qui  déclarait  neutre  le  terrain  situé 
entre  Le  Bourget  et  la  Marne,  sur  mille  cinq  cents  pas  de  large. 
Une  déclaration  du  10  octobre  1700  arrêta  définitivement  les  li- 
mites de  la  Capitainerie  de  Livry  et  Bondy  :  elles  partaient  de 
Lagny,  suivaient  la  Marne  jusqu'à  Annet,  un  ruisseau  traversant 
Claye,  Gressy,  Compans,  l'étang  de  Thieux,  Villeneuve-sous- 
Dammartin,  puis  une  ligne  passant  par  Mauregard,  Louvres, 
Gonesse,  Pont-lblon,  Le  Bourget,  Drancy,  Petit-Drancy,  Bau- 
bigny,  Noisy-le-Sec,  Rosny,  Péray,  et  enfin  la  Marne  jusqu'à 
Lagny. 

Louis  XV,  par  édit  de  Juin  1761,  supprima  la  Capitainerie  de 
Livry,  réunit  à  celle  de  Vincennes  à  peu  près  la  partie  située  en 
dehors  du  département  actuel  de  Seine-et-Marne,  et  rendit  sur  le 
reste  la  chasse  aux  propriétaires  des  fiefs. 

Les  seigneurs  de  Livry  furent  en  possession  presqu'exclusive 
de  la  Capitainerie  de  Livry  et  Bondy;  pourtant,  en  1639,  c'était 
un  sieur  Dechampré-Ménardeau  qui  en  était  titulaire. 

Capitainerie  de  Montceaux  et  Varenne  de  Meaux.  Elle  en  forma, 
dans  le  principe,  deux  bien  distinctes;  la  date  de  leur  création  ne 
nous  est  pas  connue,  elles  existaient  en  163i,  car  le  règlement  du 
mois  de  janvier  de  cette  année-là,  qui  exempte  de  toute  taille  les 
officiers  des  chasses  de  Livry  et  Bondy,  accorde  les  m^êmes  privi- 
lèges à  ceux  des  Capitaineries  de  la  Varenne  de  Meaux  et  de 
Montceaux.  Il  fixe  le  nombre  des  gardes  à  douze  pour  la  première 
et  à  cinq  pour  la  deuxième. 


-  118  - 

Une  ordonnance  du  20  octobre  1666  rappelle  que  les  limites  de 
cette  dernière  s'étendaient  à  deux  lieues  en  tous  sens,  à  compter 
du  pied  du  château  de  Montceaux,  et  M.  de  Barillon,  commissaire 
départi  en  la  généralité  de  Paris,  qui  venait  de  terminer  la  rélbr- 
mation  de  la  forêt  de  Bierre,  fut  chargé  de  les  marquer  sur  les 
lieux. 

La  célèbre  ordonnance  de  1669  donna  l'instruction  et  le  juge- 
ment des  procès  de  chasse,  sans  distinction,  aux  officiers  de  robe 
longue  de  ces  deux  Capitaineries,  comme  elle  le  fit,  du  reste,  pour 
toutes  les  autres  oii  une  loi  spéciale  n'était  pas  encore  intervenue. 

M.  le  marquis  de  Vitry,  qui  était  titulaire  de  la  Capitainerie  de 
la  Varenne  de  IMeaux,  s'étant  démis  de  sa  charge,  Louis  XIV,  par 
lettres  de  provision  du  19  avril  1670,  la  donna  à  M.  le  duc  de 
Gesvres,  déjà  capitaine  de  Montceaux.  Un  édit  de  septembre  1691 
réunit  définitivement  les  deux  Capitaineries,  supprima  le  lieu- 
tenant et  cinq  gardes  à  pied  de  la  Varenne  de  Meaux. 

Louis  XIV  rappela,  le  18  octobre  1714,  que  cette  dernière  Capi- 
tainerie devait  avoir  cinq  quarts  de  lieue  en  tous  sens  ;  mais  à  la 
suite  de  diverses  contestations,  une  déclaration  royale  du  24  jan- 
vier 1718  spécifia,  pour  la  première  fois,  les  limites  des  deux 
Capitaineries  réunies  :  celle  de  Montceaux  était  comprise  entre  le 
chemin  qui,  depuis  la  Marne  à  Mareuil,  conduit  à  la  Grange- 
Dumont,  et  de  là  au  grand  chemin  de  Meaux  à  Crécy,  ce  grand 
chemin  jusqu'au  rû  de  Ségy  ;  le  rû  jusqu'au  chemin  de  Meaux  à 
Coulommiers,  celui-ci  passant  par  Sancy  et  Maisoncelles,  jusqu'à 
une  demi-lieue  plus  lom  que  ce  village,  une  ligne  allant  gagner  la 
chaussée  de  l'Étang-de-Saint-Denis,  traversant  Signy-Signets,  la 
Marne  au  bac  de  Fay,  et  allant  joindre  le  grand  chemin  de  la 
Ferté-sous-Jouarrc  à  Lizy  ;  ce  chemin  jusqu'au  pont  de  Lizy,  la 
rivière  de  TOurcq,  puis  celle  de  la  Marne  jusqu'à  Mareuil.  La 
Capitainerie  de  la  Varenne  de  Meaux  était  bornée  par  une  ligne 
partant  de  la  Marne  au  ruisseau  ditBrasset  de  Saint-Faron,  allant 
à'Crépy,  puis  revenant  joindre  la  Marne  au  moulin  de  Poincy,  par 
les  hauteurs. 

A  ces  quatre  Capitaineries  existant  dans  le  département  de 
Seine-et-Marne,  et  qui  en  couvraient  plus  de  la  moitié,  il  faut 
ajouter  celle  de  Nemours,  une  des  douze  de  l'apanage  du  duc 
d'Orléans.  Le  seul  privilège  que  conférait  l'érection  de  ces  derniers 
consistait  en  une  permission  de  chasser  sur  les  terres  qui  y  étaient 
comprises,  sans  que  le  di'dil  en  lût  cnlcvr'  aux  possesseurs  des 
fiefs.  Du  resteja  Capitiuurrjc  de  Nemours,  dont  IV'Ienduerut  fixée 


—    !11)  — 

par  un  règlement  du  15  septembre  1677,  fut  supprimée  en  même 
temps  qu'un  grand  nombre  d'autres,  par  déclaration  du  12  oc- 
tobre 1699. 

Les  Capitaineries  étaient  fort  impopulaires  en  France.  Ce  qui 
excitait  le  plus  de  plaintes,  ce  n'était  pas  la  confiscation  du  droit 
de  chasse  à  la  classe  restreinte  des  possesseurs  de  fiefs  :  cela  ne 
touchait  pas  beaucoup  la  masse  de  la  population  qui,  dans  aucun 
cas,  ainsi  que  l'avons  dit,  ne  jouissait  de  ce  privilège;  mais  c'était 
l'énorme  quantité  de  gibier  que  les  capitaines  entretenaient,  au 
grand  préjudice  de  l'agriculture.  L'ordonnance  de  1669  avait 
essayé  de  remédier  à  ce  mal,  au  moins  partiellement  ;  elle  avait 
prescrit  aux  officiers  des  chasses,  sous  peine  de  500  livres  d'a- 
mende et  de  suspension,  de  faire  fouiller  et  renverser  tous  les 
terriers,  dans  les  forêts  du  roi.  En  cas  d'inexécution  de  cet  ordre 
les  officiers  des  maîtrises  devaient  y  pourvoir.  Mais  la  chasse  aux 
lapins  a  bien  des  attraits  !  les  capitaines  étaient,  d'ailleurs,  des 
personnes  de  la  première  qualité  aux  volontés  desquelles  on  ne 
s'opposait  guère,  et  malgré  les  réclamations  de  tous  paysans  et 
forestiers,  l'ordonnance  resta  lettre-morte.  Plus  tard,  sous 
Louis  XVI,  un  arrêt  du  Conseil  du  6  janvier  1776  permet  aux 
propriétaires  de  détruire  eux-mêmes  les  lapins  dans  les  bois  d'une 
contenance  inférieure  à  cent  arpents,  et  partout  ailleurs,  même 
dans  les  bois  du  roi,  après  s'être  muni  d'un  certificat  de  l'inten- 
dant constatant  que  des  dommages  avaient  eu  lieu  ;  le  produit  de 
la  chasse  devait  être  remis  aux  gardes  de  la  Capitainerie.  Mais 
tant  de  restrictions  furent  apportées  à  cette  autorisation,  il  fallut 
remplir  un  tel  nombre  de  formalités  pour  en  jouir,  que  l'arrêt 
devint  à  peu  près  inapplicable.  En  1789,  le  21  mars,  l'assemblée 
des  trois  ordres  des  bailliages  de  Melun  et  Moretcrut  devoir 
adresser  au  roi  un  mémoire  spécial  pour  demander  la  diminution 
des  bêtes  rousses  et  noires,  ainsi  que  du  menu  gibier,  et  la  des- 
truction totale  des  lapins.  Le  civisme  était  alors  de  mode,  et  le 
capitaine  des  chasses  de  Fontainebleau,  M.  de  Montmorin,  con- 
sentit à  la  proscription  de  cette  vermine  des  bois,  selon  l'expres- 
sion pittoresque  de  M.  le  grand-maître  Duvaucel.  Une  lettre, 
conservée  aux  archives  du  département,  montre  qu'il  croyait 
agir  avec  une  certaine  grandeur  d'âme  :  il  était  membre  de  l'as- 
semblée ;  ses  collègues,  craignant  qu'il  ne  vît  une  personnalité 
dans  leur  résolution,  étaient  fort  embarrassés  ;  enfin,  un  jour,  il 
s'absenta  et  aussitôt  on  rédigea  et  envoya,  séance  tenante,  le  mé- 
moire en  question.  A  son  retour,  M.  de  Montmorin  apprit  ce  qui 


—   120  — 

s'était  passé;  il  écrivit  à  l'assemblée  pour  se  plaindre  qu'on  Tait 
cru  incapable  de  se  sacrifier  pour  ses  semblables  :  «  Le  titre  qui  a 
»  pu  m'adraettre  ici,  dit-il,  est  celui  de  citoyen,  et  je  ne  me  ren- 
»  drais  pas  digne  de  porter  ce  nom  si  l'intérêt  personnel  pouvait, 

))  un  moment,  m'aveugler  sur  le  bonheur  de  tous Me  per- 

»  mettriez-vous  de  mettre  sor.s  Vos  yeux  un  trait  arrivé  à  un  de 
»  mes  ancêtres?  Un  Montmorin,  gouverneur  d'Auvergne,  reçut 
»  l'ordre  de  Charles  IX  de  faire  exécuter  le  massacre  delà  Saint- 
»  Barthélémy  dans  son  gouvernement  ;  il  répondit  au  roi  :  Sù^e, 
»  j'aurais  cru  mal  servir  Votre  Majesté  de  lui  obéir  ;  elle  a  été  trompée, 
»  je  suis  prêt  à  donner  ma  tête,  mais  jamais  je  ne  serai  l'instrument 

»  du  malheur  de  mes  concitoyens Il  fut  donc  assez  heureux,  en 

))  exposant  sa  tête,  de  sauver  ses  concitoyens.  Combien  petit  est 
))  mon  sacrifice,  en  comparaison  de  celui  qu'il  a  dû  faire,  et  avec 
))  quel  plaisir  je  ferai  tous  ceux  qui  pourront  contribuer  au 
»  bonheur  de  nos  concitoyens  !  » 

La  haine  que  l'on  portait  au  système  des  Capitaineries  avait  en- 
core pour  cause  les  nombreuses  vexations,  aggravées  par  les  abus 
qui  s'étaient  introduits,  que  devaient  supporter  les  propriétaires  et 
leurs  fermiers.  Un  mémoire,  dressé  en  mars  1789  par  le  clergé 
des  bailliages  de  Melun  et  Moret,  pour  être  joint  au  cahier  du 
député  aux  états  généraux,  reproduisit  les  griefs  de  tous  ;  il  se 
trouve  aux  archives  départementales,  et  nous  en  devons  la  con- 
naissance, ainsi  que  celle  delà  lettre  de  M.  Montmorin  que  nous 
venons  de  citer,  à  l'obligeance  gracieuse  de  M.  Lemaire.  Voici  un 
extrait  de  cette  pièce,  rédigée  par  un  sieur  Gaucher,  chapelain  de 
la  collégiale  de  Milly  :  «  La  Capitainerie  de  Fontainebleau,  sans 
»  parler  des  autres,  est  une  cause  de  dépopulation  ;  toutes  les 
))  paroisses  qui  se  trouvent  enclavées  dans  l'extension  qu'on  lui  a 
»  donnée,  en  fournissent  une  preuve  évidente.  Les  remises  mul- 
))  tipliécs  établies  dans  toutes  les  paroisses,  au  milieu  des  terres 
»  cultivées,  et  choisies  de  meilleure  qualité,  privent  le  cultivateur 
))  du  fond  que  l'on  n'a  point  payé.  La  construction  et  l'entretien 
»  des  murs  et  treillages  ruinent  les  paroisses  ;  les  frais  en  montent 
»  dans  certaines,  telles  que  celle  de  Chailly  et  autres,  de  vingt  à 
»  soixante  mille  francs.  Les  habitants  sont  obligés  de  faire  garder 
1)  pour  éloigner  les  fauves  pendant  la  nuit;  d'après  calcul  fait,  les 
»  gages  qu'on  donne  à  cffs  gardes  font  un  état  do  dix  mille  livres. 
»  Les  gardes  enlèvent  les  épines  dans  les  champs  de  leurs  enne- 
»  mis  et  leur  dressent  le  lendemain  dos  procès-verbaux.  Les 
»  gardes  se  livrent  d'ailleurs  à  d'aulrcs  concussions.  Hvemple  : 


—  1:21  — 

))  les  habitants  du  La  Chapelle- Gauthier  prirent  des  i'usils  pour 
»  accompagner  le  Saint-Sacrement,  le  jour  de  la  Fête-Dieu  ;  ils 
»  furent  attaqués  par  les  gardes,  un  d'eux  a  été  assigné  et  con- 
»  damné  par  le  tribunal  de  la  Capitainerie  h  dix  écus  d'amende. 
»  Les  officiers  vendent  le  droit  de  chasse  à  diverses  personnes, 
»  sur  des  terres  où,  faute  de  chemins,  le  roi  ne  peut  Jamais  aller 
»  chasser  de  Fontainebleau,  savoir:  Courance,  Milly,  Villecerf, 
»  qui  sont  inabordables  aux  voitures  et  aux  chevaux.  » 

Les  capitaineries  disparurent  sous  le  premier  souffle  révolu- 
tionnaire ;  une  loi  du  H  août  1789,  complétée  par  une  autre  du 
30  avril  de  Tannée  suivante,  les  supprima,  déclara  que  chacun 
avait  le  droit  de  chasser  chez  lui,  et  recommanda  au  roi  de  gra- 
cier ceux  qui  étaient  aux  galères,  bannis  ou  en  prison  pour  con- 
travention aux  anciens  règlements.  Toute  trace  du  passé  ne  fut 
cependant  pas  effacée  .  et  un  paragraphe  de  la  nouvelle  loi  attri- 
bua exclusivement  au  souverain  la  chasse  sur  les  enclaves  parti- 
culières situées  au  milieu  des  forêts  dont  la  jouissance  lui  était 
abandonnée.  Les  propriétaires  des  districts  de  Melun  et  de  Ne- 
mours tirent  une  pétition  h  l'assemblée  constituante  contre  cette 
restriction  au  droit  commun,  si  récemment  proclamé.  Sur  ces 
entrefaites  Louis  XVI  ayant  écrit  à  l'assemblée,  Is  27  août  1790  : 
»>  qu'il  tenait  surtout  à  ne  jouir  d'aucun  plaisir  qui  pût  être  oné- 
»  rcux  à  quelqu'un  de  ses  sujets,  »  celle-ci,  par  un  décret  du 
14  septembre  suivant,  ne  maintint  les  réserves  précédentes  que 
sur  les  propriétés  enclavées  dans  un  certain  nombre  de  parcs  à 
enclore  de  murs  aux  frais  de  la  liste  civile;  encore  la  chasse  n'é- 
tait-elle défendue  aux  possesseurs  que  les  jours  oii  le  roi  pren- 
drait en  personne  cet  exercice  ,  ce  qui  devait  être  signifié  la  veille 
avant  midi.  C'était  d'un  excès  tomber  dans  l'autre  ;  du  moins 
c'est  ce  que  pensa  Louis  XVI  qui  ne  sanctionna  pas  le  décret,  et 
fît  aussitôt  vendre  ses  équipages.  Il  ne  fut  plus  question  des 
chasses  de  Sa  Majesté.  Plus  tard,  quand  un  sénatus-consulte  du 
30  janvier  1810  désigna  les  forêts  qui  devaient  faire  partie  de  la 
dotation  de  la  couronne,  on  se  retrouva  sous  l'empire  de  la  loi  du 
3  avril,  et  les  propriétaires  des  enclaves  durent  se  résoudre  à  ne 
pas  jouir  de  leur  chasse.  Des  arrêts  de  la  cour  de  cassation  des 

2  juin  181-4  et  31  mai  1822  maintinrent  cette  jurisprudence,  qui 
cessa' d'être  appliquée  en   i830.  La  loi,  encore  en  vigueur,  du 

3  mai  1844  effaça  enfin  de  nos  codes  ces  restes  d'une  législation 
d'un  autre  âge,  que  bien  peu  de  chasseurs  de  notre  époque  démo- 
cratique seraient,  je  crois,  disposés  à  subir. 


LISTE  DES  PrBLICATIONS 

OFFERTES 
A  LA  SOCIÉTÉ  DEPUIS  L'IMPRESSION  DU  DERNIER  BULLETIN. 


§  1".  Par  le  Ministère  de  l'Instruction  publique: 

RcTiic  des  Sociétés  savantes  des  départements  (4^  série)  ;  Paris,  Imprimerie  im- 
périale ;  mars  1865,  mars  1866,  9  livraisons  in-8". 

Diistribiition  des  récompenses  accordées  aux  Sociétés  savantes  le  22  avril  1865, 
à  la  Sorbonne  ;  Paris,  Imprimerie  impériale,  1865,  in-S". 

Rapport  fait  à  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  ,  au  nom  de  la  Com- 
mission des  Antiquités  de  la  France,  par  M.  B.  Hauréau  (7  juillet  1855);  Paris, 
in-4°  . 

Projet  de  classification  des  poignards  et  épées  en  bronze;  Paris,  Didier,  186G, 
in-8°  avec  planches  (Extrait  de  la  Revue  archéologique).  —  Tirage  à  part  pour  la 
Commission  de  la  topographie  des  Gaules.) 

Projet  de  classification  des  haches  celtiques,  avec  planches  (Extrait  de  la  Revue 
archéologique). 

Mémoires  lus  à  la  Sorbonne,  dans  les  séances  extraordinaires  du  Comité  impérial 
des  travaux  historiques,  en  avril  186S.  —  Histoire,  philologie  et  sciences  mo- 
rales ;  Archéologie.  Paris,  Imprimerie  impériale,  2  vol.  in-S"  de  926  pages  el 
401  pages,  et  planches. 

§  2^  Par  les  Sociétés  correspondantes  : 

Bulictin  de  la  Société  académique  de  Brest;  tome  111,  1862-1863.  Brest,   1865, 

1  vol.  in-S";  —  tome  IV  (1"  liv.)  1865,  200  pages  in-S". 
niémoires  de  la  Société  Impériale  des  Antiquaires  de  France,  pour  1864;  Paris, 

Lahure,  1865,  un  volume  in -8". 
Uiilletin  de  la  Société   Impériale  des   Antiquaires  de  France,    1865,  4  livraisons 

trimestrielles,  in-8°. 
lUéiiioire»  de   la   Société  d'émulation  du   Doubs,    pour  1864  ;   Besançon,  1865, 

in-S". 
Annale.s  de  la  Société  historique  et  archéologique  de  Château-Thierry   (Aisne)  ; 

1"  fascicule,  1864,  in-8<»  de  32  pages;  —  2<=  fascicule,  1865,  in-S"  de  70  pages. 
Bulletin  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Picardie;  1865,  no^  1,  2,  3,  4  (189  p.); 

Amiens,  Lemer,  in-S»;  —  1866,  n"  1,  46  pages  iii-S". 
Bulletin  de  la   Société   archéologique,  scientifique  et  littéraire  de   Béziers   (Hé- 

raiill);  2'^  livraison  du  tome  III,  2^  série  ;  —  1865,  in-8''  de  32  pages. 
Bulletin  de  la  Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest,  à  Poitiers;  1"^'  et  2*  trimestres 

de  1865,  iu-8»  de  159  pages  et  12  plauclies;—  3''  el  4=  trimestre  ISG.'),  iii-S»  de 

90  pages;  —  \''  trimestre  1866,  de  43  jiage.s 


—   Î2i  — 

Compte-roniln  des  travaux  de  la  Commission  des  monuments  et  documf.Mits  iiislo- 
riques  de  la  Gironde;  1862-1864.  Paris,  Didron,  1865,  in-S"  de  136  pages. 

Bnlletin  du  Comité  archéologique  deNoyon;  1863,  une  livraison,  in-S". 

Hecacil  de  notices  et  mémoires  de  la  Société  Archéologique  de  la  province  de 
Constantine,  1864  etlSUo;  Constantine,  2  volumes  in-8o. 

Travaux  de  la  Société  d'Histoire  et  d'Archéologie  de  la  Maurienne,  à  Saint-Jean 
de  Maurienne;  Chambéry,  Puthod,  1865,  in-S". 

Kcciieil  des  travaux  de  la  Société  liljre  d'Agriculture,  Sciences,  Arts  et  Belles- 
Lettres  de  l'Eure,  années  1862-1863.  Evreux,  1863,  in-8°  de  840  pages. 

Bulletin  de  la  Société  des  Sciences  de  l'Yonne  à  Auxerre  ;  année  1865  ;  l«r  tri- 
mestre, sciences  physiques  et  naturelles,  1  vol.  in-8°  de  283  —  XXH^  pages  et 
planches;  2'=  trimestre.  Sciences  historiques,  1  volume  in-8"  de  273 — XLVIll  pages 
et  planches;  3^  trim.,  Sciences  historiques  et  naturelles,  80  pages  et  planches. 

Annales  de  la  Société  musicale  et  littéraire  de  Meaux,  l'Orphéon;  Meaux,  Co- 
chet, 1864,  1863,  1866,  4  fascicules,  in-8". 

JMéuioIres  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Normandie;  Caen,  septembre  1865; 
3e  volume  de  la  3^  série,  tome  XXIII;  in-4°  de  530  pages. 

Recueil  des  publications  de  la  Société  havraise  d'études  diverses,  année  18G3  ; 
Le  Havre,  1864,  in-S"  de  475  pages. 

Mémoires  de  l'Académie  impériale  des  Sciences,  Inscriplions  et  Belles-Lettres 
de  To)ilouse;  6^^  série,  tome  3  ;  Toulouse,  1865  iu-S»  de  540  pages. 

Bailcîlndela  Société  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts  de  Poligny  (Jura)  ;  6"  année 
1865,  nos  8,  9  et  10,  in-8.;  7*^  année  1866,  nos  {^  2,  3,  in-S". 

Uulietin  du  Comité  flamand  de  France;  tome  HI,  n°s  1  à  18,  de  janvier  1863  à 
décembre  1863,  17  cahiers  in-B»  ;  tome  l'\^,  n"  1  (1"  trimestre  1866,  in-8o  de 
48  pages. 

Annales  du  Comité  flamand  de  France,  tome  VH,  1863-1864;  Dunkerque,  Bac- 
quet,  in-S»  de  466  pages  et  planches. 

Coniptc-rcndu  des  travaux  de  la  Société  du  Berry,  à  Paris,  11^  année;  Paris, 
Chaix,  1865,  grand   in-8o  de  632  pages. 

niéiaoires  de  l'Académie  impériale  des  Sciences,  Belles-Lettres  et  Arts  de  Savoie; 
2c  série,  tomes  Vil  et  "VIII;  Chambéry,  18G4,  2  vol.  in-S». 

Bulletin  de  la  Société  d'études  d'Avallon;  7^  année,  1865;  Avallon,  Odobé,  in-S" 
de  215  pages. 

Bulletin  de  la  Société  académique  de  Boulogne-sur-Mer,  1864-1865,  4  fascicules 
in-8";  1866,  n»  1  de  20  pages  in-S". 

IMémoires  de  la  Société  archéologique  d'Avesnes  (Nord)  ;  tome  II,  Avesncs,  Pou- 
let, 18GG,  in-S»  de  V — 20  pages  et  planches. 

Bulletin  de  la  Société  pour  la  conservation  des  monuments  historiques  d'Alsace; 
■IS6i-18G5,  2<=  série,  2«  liv.  ;  Strasbourg,  in  4°  et  planches. 

Bulletin  de  la  Société  archéologique  du  Vcndomois,  4"=  année,  'N'endùme,  1865, 
in-S»  de  276  pages. 

.'saéuioircs  de  la  Société  impériale  archéologique  du  midi  de  la  France;  tome  8 
(5"^  série),  1<^  et  8«  liv.;  Toulouse,  1866,  in-4o  de  XI-65  pages. 

Bulletin  de  la  Société  prolectrice  des  animaux;  Paris,  lévrier  18U6,  in-S"  de 
32  ])ages. 

niéntoircN  ri  documents  publiés  par  la  Société  Savoisienne  d'Histoire  cl  d'Ar- 
ciiéolngic;  lomelX;  Chambéry,  1865,  in-S»  de  443  pages. 

Annales  de  la  Société  littéraire,  scienlilique  et  artistique  d'Ajit  (Vauclii.-c;  : 
2»  année,  1864-()5  ;  1  fascicule  de  128  p.Trcs  iii-S". 


—  125  — 

MénioircH  de  la  Société  académique  de  Maine-et-Loiie,  17»  volume;  travaux  di- 
vers; Angers,  18G5,  in-8ode270  pages;  18<=  volume;  sciences  physiques  et  natu- 
relles; 1865,  in-8»  de  203  pages. 

Hiillctiii  de  la  Société  archéologique  et  historiqiîc  du  Limousin;  tome  XV;  Li- 
moges, 1865,  in-8o  de  96  pages. 

liCs  registres  consulaires  de  la  ville  de  Limoges ,  publiés  par  la  Société  du  Li- 
mousin ;  12  feuilles  in-8°  (à  continuer). 

Bulletin  de  la  Société  d'Agriculture,  Industrie,  Sciences  et  Arts  de  la  Lozère; 
Mende,  janvier  et  février  1866,  in-S"  de  80  pages. 

Bulletin  de  l'Académie  Delphinale,  année  1865,  3^  série,  1er  yqI.  ;  Grenoble, 
in-S»  de  XLiII-459  pages. 

Comptes-rendus  et  mémoires  du  Comité  archéologique  de  Senlis,  année  1865  ; 
Senlis,  Duriez,  in-S"  de  75  et  300  pages. 

Bulletin  de  la  Société  d'Anthropologie  de  Paris  (juillet-décembre  1865);  Paris, 
in-8°  de  la  page  481  à  la  page  775. 

Mémoires  d'histoire  naturelle;  tome  2.  —  Catalogue  des  lépidoptères  du  dépar- 
ment  de  Saône-et-Loire,  par  M.  Constant.  (Publication  de  la  Société  Eduenne). 
Autun,  1866,  grand  in  8°  de  368  pages. 

§  3°.  Par  les  sociétaires  et  par  divers  : 

Ktndc  historique  et  paléographique  du  rouleau  mortuaire  de  Guillaume  des  Barres, 

etc.,  par  M.  Eugène  Grésy;  1865,  in-folio  avec  planche.  —  Hommage  de  l'auteur. 
IVotice  sur  une  inscription  découverte  dans  le  Novarrais,  par  M.  Alfred  Maury,  de 

l'Institut.  —  Hommage  de  l'auteur  [conservé  à  la  section  de  Meaux.) 
Essai  sur  les  sanctuaires  primitifs,  par  M.  Charles  ïoubin,  in-8"  —  Hommage  de 

l'auteur  {conservé  à  la  section  de  Meaux). 
Mémoire  sur  les  monuments  primitifs,  par  M.  Carro;  in-S". — Hommage  de  l'auteur 

[conservé  à  la  section  de  Meaux). 
I-e  Culicc  de  Chelles,  par  M.  Eugène  Grésy,  broch.  in-8°  et  planches. —  Hommage 

de  l'auteur  [conservé  à  la  Section  de  Fontainebleau), 
Gerbes   glanées,  poésies   par  M.   Julien   Travers  (de  Caen)  ;  Bavius  et  Mévius  ; 

vie   de  Richard  Lenoir;  biographie  de  Jean    Simer;  biographie  de  Louis  Dubois; 

bréviaire  de  Huet;  toast  au    banquet  de  Dives  ;  par  M.  Julien  Travers.   —  Hom- 
mage de  l'auteur  [conservé  à  la  section  de  Fontainebleau). 
Asphaltes  etc.,  par  M.  Huguenet.  —  [Conservé à  la  section  de  Fontainebleau). 
JVotes  sur  les  silex,  et  sur  l'ancien  hôtel  de  ville  d'Amiens,  par  M.  A.  Dubois,  chef 

de  bureau  à  la  mairie  de  cette  ville;  in-12. 
La  I^igue,   documents  relatifs  à  la  Picardie,  d'après  les  registres  de  l'échevinage 

d'Amiens,  par  le  même;  1859,  in-8. 
Justice  et   bourreaux,  à  Amiens;  XV"  et  XVl^  siècles;  par  le  même;   in-8°  de 

32  pages. 
Ei'œuvro  de  Blasset,  célèbre  sculpteur  Amiénois,  par  le  même;  1862,  in-8»  de  M2 

pages,  portrait  et  autogr.  —  Hoimnage  de  l'auteur. 
Rechcrclies  sur  l'âge  de  pierre  quaternaire  dans  les  environs  de  Paris,  suivies  de 

quelques  observations  sur  l'ancienneté  de  l'homme,  par  M.  Anatole  Roujou;  Paris, 

1865,  in-8<'de46  pages.  —  Hommage  de  l'auteur. 
Inventaire  des  archives  anciennes  de  l'hotel-Dieu  de  Sens;   in-4°  de  17  pages  à 

2  colonnes. 


—  126  — 

Hecuoil  de  Charles,  el  pièces  relatives  au  prieuré  Notre-Dame  des  Moulineaux  et 

ù  la  chitellenie  de  Poigny,  par  M.  Auguste  Moulié,  correspondant  du  ministère, 

secrétaire  de  la   Société  archéologique   de   Rambouillet;    Paris,    Didot,    1846, 

grand  in-4°. 
Introduction  au  recueil  précédent,  par  le  même  ;  Paris,  Didol,  1847,  gr.  in-4o  de 

125  pages  et  pi.  —  Hommage  de  l'auteur. 
Kotîcc  sur  les  comtes  de  Joigny,  par  M.  l'abbé    Carlier,   président   de   la   Société 

Archéologique  de  Sens;  18G4,  in-S»  de  23  p.  —  Uommcuje  de  l'auteur. 
E,e  Gallicanisuio  et  l'Ultramoutanisme  au  raoyea-àge,  par  le  même;  Sens,  1864, 

in-8°  de  23  p.  —  Hommage  de  l'auteur. 
De  rArchitccturc  en  province,  par    M.    Victor    Calland,  élève  de  l'Kcole    des 

Beaux-Arts;  Soissons,  Arnoult  fils,  in-S"  de  15  p. 
De  l'Avcnîp  du  monde,  par  le  même;  Sens,  Billot,  1842,  in-8"  de  IG  p. 
Congres  du  département    de  Seine-et-Marne,    pour    l'étude   et   l'application    des 

questions  sociales,  par  le  même;  projet  et  statuts;   18i8,  in-8»  de  11  p. 
Fondement  de  la  science  sociale,  par  le  même;  Paris,  1848,  in-8"  de  31  p. 
Revue  du  Socialisme   chrétien,   par    le  même  ;  7   livraisons,   de  janvier  à  juillet 

1850,  in-S"  de  16  p.  chacune. 
Palais  de  famille,  projet  d'un  établissement  social  à  Beausite,  près  Jouarre;  pros- 
pectus in-4<'. 
ISupiiresMion  des  loyers  par  l'élévation  des  locataires  au  droit  de  propriété,  par  le 

même;  Paris,  Ledoyen,  1857,  in-18  de  G4  p. 
Régénération  de  la  vie  sociale   par   l'institution  du    palais   de   famille,    par    le 

même;  3^  édition,' Paris,  1858,  in-18  de  64  p. 
l»e  la  Science  sociale  au  point  de  vue  catholique,  réponse  aux  politiques  du  jour, 

par  le  même;  Paris,  Dubuisson,  1859,  in-S"  de  32  p. 
li'union  sociale  catholique,  projet  de  compagnie  générale  de  fondation  des  associa- 
tion civiles,  industrielles,  agricoles,  etc.  ;  18G0,  1/4  de  feuille. 
Fondation  d'un  institut  libre    des  hautes  sciences  sociales,  etc.  ;  par  une  réunion 

de  catholiques  ;  La  Ferté-sous-Jouarre,  1862,  in-S°  de  16  p. 
Congrès  international  tenu  à  Bruxelles  le  22  septembre  1862.   Discours    prononcé 

dans  la  section  de  législature  comparée,  par  M.  Victor  Calland,  ingénieur;    in-4'' 
Fondation  d'un  établissement  de  retraite  pour  la  vieillesse  dans    le   département 

de  Seine-et-Marne,  par  le  même;  Meaux,  Cochet,  in-S"  de  15  p. 
l*ro|(osi(ion  à  JIM.  les  capitalistes,   médecins,   directeurs  d'institutions   et   chefs 

d'industrie  à  Paris,  par  le  même  ;   Meaux,    in-4°. 

Hommage  de  il/™e  veuve  Calland,  de  Jouarre. 
Journal  historique  de  Jean   Patte,    bourgeois   d'Amiens   (1587-1617),    publié   par 

M.  J.  Garnier,    secrétaire-perpétuel  de  la    Société   des   antiquaires  de  Picardie; 

Amiens,  1863,  in-S»  de  194  p.  —  Hommage  de  M.  Garnier. 
La  Catliédralc  de  Bourges,  description    historique  et  arciiéologique,  par  MM.  le 

baron  de  Girardot  et  H.  Durand;  Moulins,  Desroziers,  1849,  in-12  de  238  p. 
Mystère    des    actes    des    apôtres,    représenté    à    Bourges   en   avril  153G,  publié 

d'après  le  manuscrit  original,  par  M.  le  baron  A.  de   Girardot,  correspondant  des 

comités  historiques  ;  Paris,  Didron,  1854,  in-4°. 

»es  Administrations  départementales,  électives  et  collectives,  parle  même;  Paris 

Guillaumin,  1857,  iii-8". 
Les  Ministres  de  la   République  français",  Roland  et  M™e  Roland,  par  le  même; 

Paris,  Guillaumin,  18G0,  in-8"  de  2C7  p. 


—    1^7  — 

Rapport  de  M.  Desplanque,  archiviste  de  Lille,  sur  une  communication  de  docu- 
ments faite  à  la  commission  historique  du  Nord,  in-8"  de  19  p. 

Hommage  de  M.  le  baron  de  Girardot. 

Catalugiic  des  Inscriptions  du  Musée  gallo-romain  de  Sens,    par    M.    G.  Julliot 
secrétaire  de  la  Société  archéologique  de  Sens  et  conservateur  du  musée  ;  Sens, 
Ducliemin,  in-8ode  40  p.  —  Offert  par  l'auteur. 

€an.<«crie   sur   Poinsinet,    par    M.  G.   Leroy;    Fontainebleau,    Bourges,     1866 
in-8»  de  8  p. 

Antitgnités  gallo-romaines  delà  place  Notre-Dame  de  Melun,  par  M.  G.  Leroy; 
Meaux,  1866,  in-80  et  pi.  —  Offert  par  l'auteur. 

tes  Maoïial)^,  extrait  d'une  histoire  de  la  poésie  orientale,  par  M.  Jules  David 
(Extrait  de  l'annuaire  de  l'institut  des  provinces,  pour  1865)  ;  Caen,  Le  Biauc- 
Hardel,  1864,  in-8»  de  28  p. 

Raynoiiarcl,  sa  vie  et  ses  œuvres,  par  le  même  ;  (Extrait  des  Mémoires  de  l'Aca- 
démie des  Sciences,  Arts  et  Belles-Lettres  de  Caen);  Caen,  1865,  in-8°  de  46  p. 
—  Hommage  de  l'auteur. 

Rapport  au  ministre  sur  les  recherches  archéologiques  faites  en  1865,  à  Gien-le- 
Vieux,  par  M.  A.  Bréan,  membre  correspondant;  manuscrit  avec  plans  et  un 
album  de  photographies.  —  Hommage  de  l'auteur. 

Etude  archéologique  et  historique  sur  l'Afrique  française,  par  M.  A.  de  Crozant- 
Bridier;  Toulouse,  1865,  in-8°  de  16  p.  —  Hommage  de  l'auteur. 

Examen  des  avantages  attachés  à  l'étude  des  langues  classiques,  par  M.  Siraudin, 
de  la  Société  des  Sciences  et  Belles-Lettres  de  Bayeux  (Membre  correspondant)  ; 
Melun,  1850,  in-8"  de  32  p.  —  Hommage  de  l'auteur. 

Essai  sur  les  croisements  Ethniques,  par  M.  J.  A.  N.  Périer,  médecin  en  chef  de 
l'hôtel  des  Invalides  (Membre  correspondant);  Paris,  1865,  in-80  de  112  p.  (Ex- 
trait du  bulletin  de  la  Société  d'Anthropologie.  —  Hommage  de  l'auteur. 

Annuaire  des  Sociétés  savantes  de  la  France  et  de  l'étranger,  par  M.  le  comte 
Achmet  d'Héricourt  ;  4  livraisons,  in-80.  —  Acquisition  de  la  Société. 

I¥ouvche  méthode  éclectique  de  sténographie,  par  M.  Hippolyte  Léchopié, 
(Membre  correspondant)  ;  Paris,  Rigaud,  in-8"  de  32  p.  et  pi.  —  Hommage  de 
l'auteur. 

Rcelicrehes  sur  la  maison  où  naquit  Du  Gange,  à  Amiens,  par  M.  A.  Dubois, 
membre  correspondant;  Amiens,  in-80  de  8  p.  (Extrait  du  bulletin  de  la  Société 
des  antiquaires  de  Picardie).  —  Hommage  de  l'auteur. 


—  129  — 
NOTE 

SUR  UNE  VILLA  ANTIQUE  PRÈS  DE  MELUN 

ET  sua  DES  rOTIERS  GALLO-P.OMAINS. 

f 

4 

PAU    SI.     G.    LEROY, 
Membre  fondateur  (Section  d©  jlIcIuaB). 


Dans  un  agréable  vallon  situé  à  l'ouest  de  Melun  coule  un  ruis- 
seau dont  les  eaux,  après  quelques  détours,  viennent  se  perdre 
dans  la  Seine  au  bas  de  la  montagne  du  Mée.  La  principale  des 
sources  qui  lui  donne  naissance  s'appelle  la  Fontaine-la-Reine,  nom 
qui, s'il  faut  croire  certaine  tradition  populaire  (1),  tire  son  origine 
de  la  prédilection  d'une  reine  capétienne  pour  ce  site.  Quoi  qu'il  en 
soit,  l'existence  de  la  Fontaine-la-Reine  remonte  à  une  haute  anti- 
quité, et  de  tout  temps  l'aspect  pittoresque  de  ce  vallon  et  de  ses 
coteaux  fixa  l'attention  des  populations  locales. 

Sur  le  plateau  qui  domine  la  source,  s'élevait,  au  commence- 
ment du  siècle  actuel,  un  monticule  factice,  formé  de  débris  de 
murs  écroulés,  sur  lequel  croissaient  à  l'envi  les  épines  et  les 
ronces.  Quelles  avaient  été  cas  constructions,  et  à  quelle  cause 
pouvait-on  en 'attribuer  la  destruction?  Nul  ne  pouvait  le  dire.  Les 
habitants  du  Mée,  des  Fourneaux  et  de  Saint-Barthélémy  ne 
conservaient  aucune  tradition  qui  put  servir  à  baser  la  moindre 
supposition. 

Il  y  a  une  trentaine  d'années  environ,  un  jardinier-maraîcher 
commença  le  défrichement  du  monticule  dont  les  dernières  ondu- 
lations finissaient  à  la  Fontalne-la-Reine,  et  le  mot  de  l'énigme 
devint  moins  obscur.  Les  fouilles  auxquelles  il  procéda  lui  firent 


(1)  Cette  tradilinn  subsiste  chez  tous  les  vieiHatds  de  la  localité.  Notre  honoré 
confrère  M.  Labiche,  qui  a  toujours  habité  le  quartier  Saint-Barthélémy,  se  rap- 
pelle l'avoir  entendu  raconter  il  y  a  une  soixantaine  d'années,  par  des  personnes 
qui  étaient  alors  extrêmement  âgées.  Je  ne  pense  pas,  malgré  l'orthographe  de  cer- 
taines chartes  du  moyen-âge,  que  le  surnom  de  cette  source  vienne  de  Raine,  Rai- 
nette, Rana,  petite  grenouille  terrestre.  Du  reste,  la  municipalité  melunaise  a  suivi 
la  tradition  en  adoptant  le  nom  de  Rue  de  la  Foulaine-ia-Reine. 

9 


—  130  — 

découvrirent  d'énormes  pans  de  murs,  de  larges  tuiles  à  rebords, 
une  grande  quantité  de  poteries  et  beaucoup  de  petits  objets  en  fer, 
en  bronze  et  en  cuivre  dont  il  ne  fit  aucun  cas.  Peut-être  les  ma- 
tières précieuses,  s'il  s'en  rencontra,  sont-elles  venues  s'engloutir 
dans  le  creuset  des  orfèvres  de  Melun.  Ce  qu'il  prisa  le  plus,  m'a- 
t-il  dit,  furent  les  pierres  qui  lui  servirent  à  bâtir  sa  maison. 

Les  choses  étaient  en  cet  état,  lorsqu'il  y  a  une  dizaine  d'années, 
un  amateur  distingué,  M.  Jacob  Desmalters,  dont  le  nom  est  ho- 
norablement connu  dans  l'industrie  artistique,  commença  sur  son 
terrain  des  travaux  analogues  à  ceux  de  son  voisin  le  maraîcher. 
A  peine  les  terrassiers  eurent-ils  fait  quelques  déblais,  que  M.  Ja- 
cob reconnut  la  nature  de  la  ruine  qu"il  explorait.  Le  monticule 
de  la  Fontaine-la-Reine  n'était  rien  moins  que  les  restes  d'une  villa 
antique,  dont  la  destruction  fut  consommée  par  les  invasions  du 
V^  siècle,  ou  peut-être,  avec  plus  de  vraisemblance,  par  les  hordes 
normandes  dans  la  période  carlovingienne. 

En  première  ligne  des  charmes  offerts  par  l'étude  de  l'antiquité, 
on  doit  placer  les  émotions  d'une  fouille.  Quoi  de  plus  attrayant, 
en  effet,  que  d'interroger  le  sol  sur  l'histoire  des  siècles  écoulés  et 
de  lui  arracher  ses  secrets?  Quelquefois,  après  avoir  rêvé  l'inconnu, 
après  avoir  goûté  en  expectative  des  joies  indicibles,  l'archéologue 
voit  s'anéantir  son  rêve  et  s'effacer  ses  illusions.  Mais  aussi,  lors- 
que par  une  bonne  fortune,  dont  les  exemples  ne  sont  pas  rares, 
il  découvre  une  mine  féconde,  sa  jouissance  est  grande  et  sa  ré- 
compense bien  douce.  Alors,  il  n'est  plus  soumis  aux  caprices  du 
hasard,  il  marche  avec  certitude,  et,  à  l'exemple  de  ces  géologues 
qui  pressentent  des  eaux  abondantes  dans  un  endroit  aride,  il 
prévoit  ce  que  l'outil  de  l'ouvrier  va  mettre  au  jour,  et,  s'il  en  était 
requis,  il  décrirait  l'objet.  C'est  une  fouille  de  cette  nature  que 
M.  Jacob  Desmalters  a  eu  le  bonheur  de  suivre,  et  dont  il  a  bien 
voulu  me  raconter  les  péripéties. 

Il  constata  l'existence  de  murs  occupant  une  étendue  de  plu- 
sieurs ares,  d'un  hypocauste  régnant  sou&  la  construction,  de 
fourneaux  et  de  vestiges  de  bains.  L'intérieur  des  appartements 
était  décoré  do  peintures  murales  variées  dans  chaque  pièce.  A  en 
juger  par  ces  apparences,  c'était  une  habitation  somptueuse  et 
importante  que  celle  qui  s'élevait  sur  les  hauteurs  de  la  Fonlaine- 
la-Reine,  au  temps  oii  la  Gaule  était  soumise  h  la  domination 
Romaine. 

Les  différents  objets  recueillis  par  M.  Jacob  sont  des  plus  inté- 
ressants, et  annoncent  également  le  rang  occupé  dans  l'ordre  so- 


—  m  — 

cial  par  les  possesseurs  de  cette  demeure  champêtre.  On  a  pu  les 
voir  sous  les  vitrines  de  notre  exposition  des  Beaux-Arts,  aux 
mois  de  mai  et  juin  -1864.  Lé  catalogue  dressé  à  cette  occa- 
sion, les  a,  le  premier,  signalé  aux  antiquaires  et  aux  ama- 
teurs. C'est  d'abord  un  dauphin  en  bronze  d'un  bon  style  et 
assez  bien  exécuté.  Ses  dimensions  indiquent  qu'il  pouvait  être 
fixé  sur  une  porte  ou  servir  à  la  décoration  d'une  salle  de  bains. 
Puis,  viennent  des  bijoux  antiques,  émaillés  en  taille  d'épargne, 
des  fibules  en  cuivre  et  en  bronze,  et  un  petit  nécessaire  de  toi- 
lette, qui  prouve  le  raffinement  des  gallo-romains  dans  le  soin  de 
leurs  personnes.  La  pince  à  épiler,  la  lame  pour  les  ongles,  le 
cure-dents,  le  cure-oreilles,  couverts  de  ciselures,  s'y  trouvent 
réunis.  C'est,  à  ma  connaissance,  le  premier  objet  de  cette  nature 
qui  ait  été  trouvé  dans  notre  région. 

Avec  ces  spécimens  de  l'orféverie  antique  se  trouvait  une  grande 
quantité  de  poteries  de  luxe,  en  terre  dite  de  Samos,  recouvertes 
d'un  vernis  éclatant  et  décorées  de  scènes  de  chasse,  de  nymphes, 
de  génies,  de  rinceaux  de  feuillages  et  d'ornements  courants  d'un 
grand  goût  artistique.  Il  s'y  rencontra  aussi  un  vase  en  jade  taillé 
à  facettes,  des  poteries  communes  et  des  fragments  de  vases  striés, 
en  terre  rougeâtre,  imitation  grossière  des  poteries  de  Samos.  Ces 
vases,  qu'on  attribue  aux  premiers  temps  de  la  monarchie  franque. 
peuvent  fixer  sur  l'époque  à  laquelle  fut  détruite  la  villa  de  la 
Fontaine-la-Reine,  destruction  que  des  parties  de  murs  calcinés 
font  attribuer  à  un  violent  incendie.  On  peut  croire  que  cette  ha- 
bitation partagea  le  sort  de  Melodunum,  lors  des  invasions  nor- 
mandes, en  854,  888  et  909. 

Les  poteries  conservées  par  M.  Jacob  Desmalters  ont  en  outre 
un  autre  intérêt.  Les  noms  et  les  marques  dont  elles  sont  revêtues 
ont  une  importance  qui  n'échappe  à  personne.  Des  archéologues 
émérites,  Gori  dans  son  Recueil  d'inscriptions  et  Dagin court  dans 
son  travail  sur  les  Antiquités  en  terre  cuite,  nous  apprennent  que 
les  lois  de  l'ancienne  Rome  contraignaient  les  artistes  cérames  à 
marquer  leurs  produits,  pour  en  garantir  la  bonne  exécution,  et 
peut-être  aussi  pour  en  assurer  le  droit  de  reproduction.  Ces  lois 
furent  observées  dans  la  Gaule,  du  moins  pour  la  poterie  de  luxe. 
Or,  n'y  a-t-il  pas  pour  nous  un  charme  puissant  à  relever,  après 
un  silence  de  plus  de  douze  siècles,  le  nom  des  fabricants  dont  les 
œuvres  étaient  en  usage  dans  nos  localités?  La  curiosité  ne  doit 
pas  servir  de  guide  dans  cette  recherche;  une  plus  haute  pensée 
doit  y  présider.  C'est  une  étincelle  qu'il  convient  de  faire  jaillir  du 


—  132  — 

milieu  des  ténèbres  :  et  vous  savez,  Messieurs,  que  l'étincelle  pro- 
duit le  rayon  et  le  rayon  la  lumière. 

Les  potiers  de  l'antiquité  avaient  coutume  d'abréger  les  mots  de 
leurs  légendes.  Une  grande  diversité  règne  dans  ces  abréviations; 
cependant  il  en  est  plusieurs  qu'on  rencontre  très-fréquemment  et 
qui  apparaissent  toujours  à  peu  près  de  la  môme  manière.  Ainsi 
M  ou  MA  placés  à  la  suite  d'un  nom  expriment  Manu  et  suivant 
Brongniart  Magnario  (1)  PIC,  FictiUs,  GP  Curavit  Facere  et  0  ou 
OP  Officina.  Nous  avons  ici  de  nombreux  exemples  de  ce  dernier 
cas  : 

0  SEVRI 
.   OFLICINIVA 
OFPRIMI 
OFRVFNI 

La  première  de  ces  marques  nous  montre  l'P  de  l'abréviation 
Officina  insérée  dans  la  lettre  0,  ce  qui  est  assez  rare  (2). 

La  deuxième  offre  à  la  fin  les  lettres  VA  accolées  (3),  abrévia- 
tion du  prénom  du  tabricani. 

Les  autres  noms  que  j'ai  relevés  sur  les  poteries  de  la  Pontaine- 
la-Reine  sont  les  suivants  : 

LOGIRNI 

FELIX 

OFVI ....  (Le  reste  nous  manque.) 

Peut-être  est-ce  Vidicvs,  ViUanos,  Viry,  Virthus  ou  F/V/ï  qui  sont 
autant  de  noms  de  potiers  gallo-romains,  trouvés  en  diirérentes 
parties  de  la  Prance. 

AEROF  (Saxofœre  officina?) 

AR  . . . .  (Arcanus,  Ardici,  Arici?) 

ORPia:  (it)-Marcatùr,  Mercator,  Nestor,  Pastor? 

.  .  lA  (Maïa.  Midia?) 

EN 

EVNV 
OPAO  .... 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  quatorze  fragments  de  poteries, 

(1)  Traité  des  arts  céramiques. 

(2)  Ld  typographie  n'a  pas  permis  de  reproduire  cotte  particularité.  Il  aurait 
fallu  un  type  spécial. 

(;5)  Môme  objcrvalion. 


—  133  — 

portant  des  noms  de  fabricants  différents,  ont  été  recueillis  par 
M.  Jacob  Desmalters  dans  les  fouilles  qu'il  a  pratiquées  h  laFon- 
taine-la-Reine.  Six  de  ces  noms  seulement  sont  complets  ou  peu- 
vent être  restitués  avec  certitude  ;  les  autres  ne  donnent  lieu  qu'à 
des  conjectures. 

La  plaine  de  la  Varenne  de  Melun,  où  la  ville  s'étendit  après  le 
passage  de  César,  et  dans  laquelle  on  rencontre  de  nombreux  dé- 
bris céramiques,  est  loin  de  présenter  autant  de  documents  sur  les 
potiers  de  l'époque  ;  bien  peu  d'ailleurs  ont  été  constatés. 

Notre  honoré  confrère,  M.  le  docteur  Gillet,  a  soumis  à  nos 
séances  deux  anses  d'amphores  portant  ces  noms  : 
GAPIIOF  (Gapii  Officina). 
SAXOFERRE  0  (Officina). 

Un  autre  de  nos  confrères,   M.  Gabry,  vient  de  gratifier   le 
Musée  de  Melun  d'une  coupe  en  poterie  de  Samos,  portant  ce  nom  : 
FELIXF  (ecit). 

Enfin,  j'ai  trouvé  dans  un  terrain  de  la  rue  de  Dammaric,  le 
fond  d'un  vase  sur  lequel  est  gravé  OFNI,  probablement  Officina 
Nimi,  nom  de  potier  qu'on  rencontre  dans  plusieurs  localités. 

Pour  compléter  cette  nomenclature  d'artistes  céramiques,  dont 
les  produits  subsistent  dans  le  pays  Melunais,  il  me  reste  à  citer 
le  nom  de  LIBERIVS  gravé  dans  un  vase  en  terre  de  Samos, 
trouvé  à  Vosves,  commune  de  Dammarie-les-Lys.  Le  Musée  de 
Melun,  auquel  il  appartient,  en  doit  la  possession  à  la  libéralité 
gracieuse  de  notre  honoré  confrère,  M.  Gabry. 

Les  noms  de  potiers  catalogués  jusqu'à  ce  jour  sont  très-nom- 
breux. Plusieurs  antiquaires  se  sont  appliqués  à  les  recueillir,  et 
un  d'entre  eux,  M.  de  Longpérier,  membre  de  l'Institut,  en  a 
dressé  une  liste  de  plus  de  3,000.  Il  n'est  guère  possible  après  une 
telle  publicité,  de  pouvoir  signaler  des  noms  inédits,  car  les  mêmes 
marques  et  noms  de  fabricants  se  retrouvent  dans  toutes  les  parties 
de  la  France.  G'est  ainsi  que  dans  la  nomenclature  ci-dessus,  les 
noms  de  SEVERVS,  LIGINVS,  PRIMVS  et  SAXOFERRE  ont 
été  constatés  sur  des  poteries  gallo-romaines  du  Bourbonnais  (1). 
Quant  aux  autres,  peut-être  font-ils  partie  des  listes  de  M.  de 
Longpérier,  qu'il  ne  m'a  pas  été  possible  de  consulter.  Si,  par 
hasard,  ils  étaient  nouveaux  et  particuliers  à  notre  pays,  je  serais 
heureux  de  leur  avoir  consacré  ce  faible  souvenir,  et  d'avoir  pu 
les  rattacher  ainsi,  à  l'histoire  de  l'industrie  manufacturière  de 
Seine-et-Marne. 

(1)  Tudûre.  Figurines  Gauloises. 


—  135  — 

COMPTE-RENDU  DES  TRiYAUX 

DE   LA 

SOCIÉTÉ  D'ARCHÉOLOGIE,  SCIENCES,  LETTRES  ET  ARTS 

du  département  de  Seine-et-Marne 

Pendant  sa  deuxième  année  d'existence, 

PAR  M.  TII.  LIIUILLIER, 
fS^cci'ûtairc-géncral    de    la    l§oeictc 


Mesdames,  Messieurs  et  chers  Confrères, 

Avant  d'aborder  le  compte-rendu  annuel  des  travaux  de  la  So- 
ciété d'Archéologie,  Sciences,  Lettres  et  Arts  de  Seine-et-Marne, 
qu'il  me  soit  permis  de  remercier  mes  confrères  de  la  bienveillante 
sympathie  dont  ils  viennent  de  me  donner  une  nouvelle  preuve. 
Nommé  secrétaire-général  pour  la  seconde  fois,  je  m'efforcerai  de 
justifier  cette  marque  de  confiance  en  continuant  à  travailler  à  la 
prospérité  d'une  Société  capable  maintenant  de  rendre  des  services 
et  qui  prend  chaque  jour  de  nouveaux  développements. 

Notre  association  compte  deux  années  d'existence,  pendant  les- 
quelles elle  a  obtenu  —  je  ne  dirai  pas  des  succès,  le  mot  se- 
rait trop  prétentieux,  —  mais  les  encouragements  les  plus  flatteurs. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  rappeler  qu'en  1866,  elle  est  du  petit 
nombre  de  celles  qui  reçoivent  des  allocations  du  ministère  de 
l'Instruction  publique  ;  c'est  un  honneur  que  vous  savez  appré- 
cier. 

Depuis  un  an,  elle  a  conquis  37  membres  correspondants.  Cin- 
quante-huit Sociétés  savantes  échangent  avec  nous  leurs  publica- 
tions, et  plusieurs  de  ces  appels  de  confraternité  émanent  des  points 
extrêmes  de  l'empire  :  de  Brest  et  de  Toulouse,  de  Dunkerque  et 
de  Béziers,  de  Strasbourg  et  de  ConsLantine... 

Trente  nouveaux  membres  titulaires  sont  venus  accroître  la 
force  des  diverses  sections.  Nous  avons  éprouvé  aussi,  il  est  vrai, 
des  pertes  sensibles,  pour  lesquelles  notre  digne  Président  a  voulu 
exprimer  lui-même  publiquement  les  regrets  de  tous. 

Peut-être,  disons-le,  serions-nous  plus  nombreux  encore  si  le 


—  136  — 

titre  de  notre  Société  n'effrayait,  bien  à  tort,  des  personnes  ins- 
truites, qui  se  recommandent  dans  les  lettres  et  dans  les  arts,  mais 
trop  modestes,  et  qui  ne  se  croient  aucune  aptitude  pour  Tarchéo- 
logie. 

Le  champ  de  l'archéologie  pourtant  est  vaste,  et  parmi  les 
sciences  auxquelles  l'isolement  des  petites  localités  permet  de  s'ap- 
pliquer, en  est-il  qui  offre  plus  de  facilités,  plus  de  satisfactions 
légitimes;  où  les  découvertes,  oii  les  services  soient  plus  à  la  por- 
tée de  tous? 

Un  de  nos  confrères  l'a  dit.  Messieurs  :  a  En  archéologie,  avec 
des  notions  élémentaires  et  un  coup  de  pioche  heureux,  on  peut 
prétendre  à  quelques-uns  de  ces  succès  de  la  presse  et  de  l'opinion 
qu'ambitionnent  longtemps  les  littérateurs  et  les  artistes.  » 

Cette  science,  compagne  fidèle  de  l'histoire,  cultivée  avec  ardeur, 
avec  désintéressement,  avec  succès, s'est  heureusement  répandue; 
ses  progrès  ont  été  rapides,  et  elle  est  devenue  une  nécessité  de 
notre  époque.  La  tendance  des  études,  la  sévérité  de  la  critique 
historique,  veulent  qu'on  ne  se  contente  plus  d'ingénieuses  conjec- 
tures, qu'on  n'adopte  plus  sans  examen  la  parole  même  des  grands 
penseurs  et  des  plus  sérieux  historiens  ;  il  faut  justifier  ses  idées, 
aujourd'hui,  autrement  que  sur  des  récits;  il  faut  s'appuyer  de 
preuves  puisées  aux  sources,  connaître  les  monuments  qui  servent 
à  contrôler  le  passé  ei> contribuent  à  assigner  aux  faits  leur  véri- 
table caractère. 

Pour  les  membres  qui  n'écrivent  point,  —  un  rôle  non  moins 
actif  leur  est  réservé  dans  les  Sociétés  archéologiques,  et  leur  con- 
cours n'est  pas  moins  précieux. 

Dès  1830,  M.  Guizot,  dans  une  circulaire  ministérielle,  recom- 
mandait la  création  de  sociétés  savantes  dans  les  provinces  :  «  les 
((  monuments  et  les  antiquités,  disait-il,  doivent  être  mis  à  l'abri 
«  de  la  dégradation;  il  est  bon  qu'on  le  sache  partout,  et  que  d;ins 
((  les  villages  même  on  veille  par  amour  de  l'art  à  leur  conserva- 
((  tion.  » 

De  nombreuses  associations  ont  vu  le  jour  depuis  cette  époque, 
et  leurs  efforts  assurément  ont  rendu  de  véritables  services;  ces 
Sociétés  ont  signalé  des  antiquités  inconnues,  sauvé  de  précieuses 
ruines,  contribué  à  la  restauration  de  superbes  édifices,  agrandi 
le  domaine  de  l'histoire  et  de  la  science;  mais,  hélas!  que  le  bien 
marche  lentement!  et  qu'il  reste  encore  h  faire  pour  répandre  le 
goût  du  beau,  pour  l'aire  respecter  dans  nos  campagnes  les  an- 
tiquités et  les  monuments /)rtr  amour  de  Vart!... 


—  137  — 

C'est  là,  en  effet,  Messieurs,  un  des  résultats  auxquels  doivent 
tendre  les  institutions  comme  la  nôtre.  11  leur  appartient  d'exhu- 
mer de  l'oubli  les  vestiges  du  passé  ;  de  sauver,  de  décrire,  d'étu- 
dier les  objets  d'art  ou  les  titres  dispersés  au  souffle  des  événe- 
ments et  qui  sont  trop  souvent  détruits  par  ignorance  ;  mais  il 
faut  aussi  inspirer  le  respect  de  ces  antiquités  locales,  et  faire  com- 
prendre, selon  l'expression  de  S.  Ex.  M.  Diiruy,  «  ce  qu'il  y  a  de 
((  religieux  dans  ce  culte  rendu  par  la  science  à  la  mémoire  des 
«  ancêtres.  »  Cette  utile  mission,  la  Société  de  Seine-et-Marne  la 
remplit  à  chaque  instant,  grâce  à  ses  nombreux  représentants  sur 
les  divers  points  de  la  Brie,  que  leur  goût,  leur  aptitude  et  leur 
devoir  portent  vers  ce  but. 

Si  les  cinq  Sections  ont  payé  largement,  durant  l'année  qui  vient 
de  s'écouler,  leur  tribut,  aux  séances  particulières  et  générales, 
par  la  lecture  de  mémoires  importants,  elles  n'ont  pas  moins  heu- 
reusement contribué  à  la  conservation  de  monuments  épigraphi- 
ques,  d'objets  curieux,  de  documents  intéressants  pour  l'histoire 
locale,  et  —  dans  leur  sphère  modeste  —  pour  la  science  et  pour 
les  arts. 

Le  second  volume  du  Bulletin  de  la  Société,  publié  il  y  a  quel- 
ques mois,  atteste  à  la  fois  cette  activité  des  Sections,  la  variété  et 
—  nous  pouvons  le  dire  —  la  solidité  de  leurs  travaux. 

Nous  allons  passer  rapidement  en  revue-  la  part  que  chacun  à 
prise  à  l'œuvre  commune,  depuis  notre  précédent  compte-renda. 

La  Section  de  Coulommiers,  dans  ses  séances  trimestrielles,  a 
entendu  des  lectures  pleines  d'intérêt,  notamment  de  M.  Anatole 
Dauvergne,  président,  et  de  AL  Victor  Plessier. 

L'ancienne  Commanderie  de  Chevru,  appartenant  tour-à-tour 
aux  Templiers  et  à  l'Urdre  de  Malte,  a  fourni  à  M.  Dauvergne  le 
sujet  d'une  notice  historique  et  archéologique  marquée  au  coin 
d'une  érudition  curieuse  et  sûre. 

M.  Plessier,  après  avoir  exposé,  dans  sa  SectionetàlaSorbonne 
en  I860,  des  idées  neuves  sur  la  formation  du  plateau  et  des  val- 
lées de  la  Brie,  a  décrit,  dans  deux  éludes  courtes  mais  très-subs- 
tantielles, les  pierres  celtiques  de  Saint-Brice,  canton  de  Provins, 
et  de  l'étang  de  Maillard,  près  de  Beautheil. 

Depuis,  le  même  sociétaire  a  présenté  une  notice  sur  Bossuet, 
parrain  dans  l'église  de  Bannost. 

Plusieurs  découvertes  ont  été  signalées  par  MM.  Dauvergne  et 
Chemin;  un  obituaire  de  Saint-Barthélemy-en-Beaulicu,  manus- 


—  138  — 

crit  du  XVI*  siècle,  a  été  communiqué  par  M.  Flamand;  des  mé- 
dailles, une  hache  celtique,  des  matrices  de  monnaie  romaine,  un 
marbre  tumulaire,  etc.,  ont  été  offerts  par  MM.  Teyssier  des 
Farges,  Plessier,  le  comte  de  Courcy  et  Cinot. 

A  Fontainebleau^  o\i  nous  a  réunis  la  séance  générale  d'octobre 
1865,  les  travaux  de  la  Section  présentent  une  agréable  variété  :  à 
côté  d'une  remarquable  étude  de  M.  Jules  David, président, sur  la 
vie  et  les  travaux  du  célèbre  orientaliste  Ghampollion  le  jeune,  se 
placent  des  mémoires  habilement  traités  par  M.  le  docteur  Tabou- 
ret sur  Lavater,  sur  les  mariages  arabes  et  sur  les  cloches  des  en- 
virons de  Fontainebleau  ;  —  par  M.  Domet,  sur  les  Capitaineries 
des  Chasses  ;  —  par  M.  Gaultron  sur  la  gravure,  au  point  de  vue 
des  œuvres  de  l'école  dite  de  Fontainebleau. 

M.  Maxime  Beauvilliers,  outre  une  étude  bibliographique  sur  la 
Bible  de  l'humanité,  de  MicheleL,  a  fait  un  rapport  détaillé  sur  la 
seconde  excursion  archéologique  de  la  Société. 

Enfin,  M.  Etienne  David  nousconduit  en  Amérique,  et  raconte, 
dans  un  style  vif  et  imagé,  un  bel  épisode  de  la  vie  du  général 
Paëz. 

Dans  cette  Section,  comme  à  Melun,  les  séances  sont  mensuelles 
et  elles  se  trouvent  parfois  remplies  de  communications  orales 
qui  provoquent,  entre  quelques  membres,  cet  échange  d'idées  et 
de  souvenirs,  ces  éclaircissements,  si  souvent  utiles  et  profitables 
à  l'instruction  de  tous. 

Nous  arrivons  à  la  Section  de  DJeaux,  dont  nous  avons  constaté 
déjà,  il  y  a  un  an,  la  vie  active  et  laborieuse. 

M.  A.Carro,  président,  a  lu  à  la  séance  générale  de  Provins  un 
charmant  travail  intitulé  :  La  Ferté-Milon  et  Racine;  tout  récem- 
ment, il  a  communiqué  dans  sa  Section  un  mémoire  sur  l'institu- 
tion des  Chevaliers  de  l'Arc;  ces  deux  notices  ont  obtenu  les 
honneurs  de  la  Sorbonne,  en  1860  et  en  18G6. 

On  doit  encore  à  M.  Carro,  indépendamment  d'une  étude  sur 
les  Grottes  dites  des  Fées  à  Crouy  et  à  La  Ferté-Gaucher,  une 
notice  sur  quelques  facéties  artistiques  du  moyen-âge,  le  récit 
d'une  visite  aux  ruines  du  château  de  Boissy  et  à  l'église  de  Forfry 
et  d'une  autre  excursion  à  Oissery,  motivée  par  la  découverte 
récente  de  sépultures  du  ni'=  siècle  au  bord  d'une  ancienne  voie 
romaine. 


—  i39  — 

M.  le  docteur  Le  Roy  a  étudié  avec  beaucoup  de  soin  des  osse- 
ments fossiles  trouvés  dans  une  carrière  de  sable. 

La  Section  a  entendu  un  rapport  de  M.  de  Golombel  sur  le 
projet  d'établissement  d'un  Musée  à  Mcaux,  et  une  monographie 
de  la  commune  du  Plessis-l'Evêque,  pleine  "de  recherches  sérieuses, 
par  M.  l'abbé  Bécheret. 

M.  le  vicomte  d'Amécourt  a  examiné,  en  numismate  émérite, 
une  médaille  mérovingienne  en  or  frappée  à  Lieusaint;  M.  de 
Ginoux.  une  monnaie  de  Sedan  trouvée  à  Meaux,  et  M.  Lefebvre- 
Thiébault  de  nombreux  et  très-curieux  spécimens  numismatiques. 
M.  Lefebvre  a  fait  aussi  d'intéressantes  communications  au  sujet 
de  deux  sceaux  de  la  famille  Cosset,  et  sur  un  vase  en  faïence  aux 
armes  de  la  fille  du  Régent,  abbesse  de  Chelles. 

Une  esquisse  pittoresque  de  M.  Léon  Escudicr,  intitulée  :  de 
Paris  à  Fontainebleau  à  vol  d'oiseau,  a  été  applaudie  à  la  séance 
générale  de  Fontainebleau. 

Les  sujets  abordés  par  M.  Torchet  :  l'histoire  do  la  musique  des 
Francs,  la  légende  relative .  au  goût  de  Charlcmagne  pour  la 
musique,  et  la  légende  de  Ste-Cécile,  ont  été  traités  avec  un  rare 
esprit  d'investigation  :  vous  entendrez  tout  à  l'heare  sa  notice  sur 
un  concours  musical  au  temps  de  Louis  XIV  et  de  Bossuet. 

Le  savant  historiographe  du  diocèse,  M.  J'abbé  Denis,  s'est 
occupé  des  anciennes  peintures  murales  qui  décoraient  la  chapelle 
du  Chevet  dans  la  cathédrale  de  Meaux  :  vous  allez  entendre  éga- 
lement la  lecture  de  ce  travail. 

Enfin  M.  Tnbbé  Petithomme  a  bien  voulu  se  charger  de  rendre 
compte  de  la  brochure  de  M.  Plessier  sur  la  formation  du  plaleau 
de  la  Brie. 

De  nombreuses  communications  d'objets  de  curiosité  ou  d'an- 
tiquité ont  encore  été  faites  à  la  Section  de  Meaux  par  MM. 
Lefebvre,  Demarsy,  de  Blavette,  le  docteur  Le  Roy,  Lespermont 
et  Muret,  sociétaires;  ainsi  que  par  MM.  Rondel,  Carre, 
Desgeans,  Plicque,  Andrieux,  Sterlin,  Duvoir,  André,  Mavré, 
Moquet,  Benoist,  Houzelot  et  Haran,  tous  étrangers  à  la  Société. 

Les  travaux  de  la  Section  de  Melun  n'ont  pas  été  moins  abon- 
dants. 

AL  Eugène  Grésy  qui  alors,  la  présidait,  a  communiqué  un 
mémoire  sur  le  fief  et  hôtel  Lecocq,  à  Melun,  logis  des  ducs  de 
Longueville,  qu'il  a  lu  aussi  à  la  Sorbonne  ;  de  savantes  notices, 
accompagnées  de  dessins,  sur  les  sculptures  légendaires  du  portail 


—  140  — 

de  St-Loup-de-Naud  ;  snr  un  rétable  du  XVIP  siècle,  sculpté  par 
Jacques  Ségogne,  de  Recloses  ;  sur  des  méreaux  de  l'abbaye  de 
St-Père  de  Melun  et  du  chcipître  de  Champeaux.Onlui  doit  égcde- 
inent  un  appendice  à  la  biographie,  déjà  publiée  dans  les  Archives 
de  l'Ai't  Français^  par  M.  Taillandier,  l'un  de  nos  membres  corres- 
pondants, de  Daniel  Gittard,  célèbre  architecte  du  siècle  de 
Louis  XIV,  originaire  de  Blandy. 

M.  Louis  Leguay  a  traité  des  monuments  dits  druidiques  et  des 
sépultures  de  Maintenon  (Eure-et-Loir);  il  a  lu  à  la  séance  publique 
de  Provins  ainsi  qu'à  la  Sorbonne,  une  note  sur  une  pierre  à 
polir  les  silex,  trouvée  en  septembre  1800  à  la  Varenne-SL-Hilaire, 
près  Paris. 

M.  Anatole  Roujou  a  entretenu  aussi  la  section  de  Melun,  des 
silex  taillés  trouvés  dans  le  diluvium  des  environs  de  la  capitale. 

Nous  avons  tous  gardé  bon  souvenir  de  la  lecture  qu'à  faite  à 
Provins  M.  Bréan,  membre  correspondant,  sur  les  Gaulois  primi- 
tifs; depuis,  M.  Brcan  nous  a  gratifiés  d'un  remarquable  rapport, 
accompagné  de  dessins,  plans  et  photographies,  offrant  le  résultat 
des  fouilles  archéologiques  qu'il  a  opérées  en  J 865,  aidé  parle 
ministère  de  l'instruction  publique,  sur  l'emplacement  de  Gien-le- 
Vieux  (Loiret). 

M.  Paul  Quesvers  a  recherché  l'étymologie  du  nom  de  Montereau. 

Des  documents  nouveaux  ou  peu  connus  ont  permis  à  M. 
Lemaire  de  communiquer  un  ancien  inventaire  de  la  fabrique  de 
Brie-Comte-Robert  et  de  retracer  la  fondation  des  Célestins  de 
Marcoussis.  M.  Lemaire  a  signalé  la  découverte,  en  novembre 
dernier,  de  deux  cercueils  de  pierre,  d'un  anneau  abbatial  et  de 
poteries  du  moyen-âge,  à  Melun,  dans  la  cour  d'honneur  de  la 
préfecture,  ancien  couvent  de  Bénédictins. 

Un  autographe  de  St-Vincent-de-Paul,  conservé  à  Brie-Comte- 
Robcrt,  a  fourni  à  M.  Camille  Bernardin,  l'occasion  d'une  étude 
sur  la  confrérie  de  charité  qui  a  existé  dans  cette  ville,  de  1631  à 
Ja  Révolution.  M.  Bernardin  a  donné  aussi  une  notice  sur  les 
foires  de  Brie-Comtc-Robert. 

M.  Sollier  a  communiqué  deux  mémoires,  l'un  sur  une  lettre 
autographf;,  écrite  par  Colbert  à  Mazarin  dans  des  circonstances 
tout  particulières;  l'autre  à  propos  de  l'nncicn  couvent  de 
Moret  et  de  la  célèbre  Mouresse  de  ce  monastère,  qui  a  toujours 
passé  pour  fille  de  Louis  XIV  ;  ce  dernier  travail,  plein  de  recher- 
ches et  de  détails  curieux,  a  été  lu  récemment  à  la  Sorbonne  et  a 
mérité  à  Fauteur  les  approbations  les  plus  flatteuses. 


—  141  — 

M.  G.  Leroy,  outre  un  excellent  rapport  sur  les  fouilles  exé- 
cutées à  Melun  en  1865,  s'est  occupé  des  épidémies  qui  ont  affligé 
cette  localité  à  diverses  époques  ;  il  a  restitué  les  détails  d'une  lete 
officielle  sous  Louis  XV,  les  noms  des  potiers  de  Melodunum 
connus  d'après  les  vases  et  les  fragments  de  poteries  recueillis 
tant  au  Musée  départemental  que  par  des  amateurs  ;  il  a  esquissé 
une  visite  h  Saint-Loup-de-Naud  et  retracé  l'historique  de  la  com- 
pagnie d'arquebusiers  de  Melun  et  le  tableau  de  cette  ville  au 
temps  d'Henri  IV.  Dans  la  séance  générale  de  Fontainebleau,  au 
mois  d'octobre  dernier,  M.  Leroy  a  fait  une  causerie  biographique 
sur  le  littérateur  Poinsinet,  qui  a  été  imprimée  à  part. 

M.  Labiche  a  donné  lecture  d'une  fantaisie  mythologique  sur  le 
culte  traditionnel  d'Isis  à  Melun,  et  d'un  certain  nombre  de  fables 
et  de  poésies  inédites,  empreintes  de  naturel  et  d'élégance. 

Votre  secrétaire  général,  Messieurs,  a  présenté  à  la  Section  de 
Melun,  l'état  du  comté  de  Grécy-en-Brie  au  XVIP  siècle,  mettant 
en  regard  des  charges  qui  pesaient  sur  ce  domaine  royal  engagé, 
les  droits  seigneuriaux,  les  prérogatives  et  les  revenus  qui  en 
constituaient  alors  toute  l'importance.  Jl  a  retracé  l'érection  de 
Fontainebleau  en  paroisse  par  Louis  XIV,  et  essayé  de  raviver  le 
souvenir  d'une  famille  de  peintres ,  valets  de  chambre  du  roi 
(Ambr-oise  Dubois  et  ses  fils).  Une  autre  notice  a  été  consacrée  à 
la  mémoire  de  l'abbé  Seguy,  académicien  aujourd'hui  peu  tîonnu, 
mort  chanoine  de  Meaux  en  1761,  et  qui  laissa  sa  modeste  succes- 
sion à  l'hôpital  général  de  cette  ville. 

En  rendant  compte  de  diverses  publications  offertes  à  la  Société, 
votre  secrétaire  a  dû  s'attacher  surtout  à  faire  ressortir  ce  qui  pré- 
sentait, pour  notre  pays,  un  intérêt  particulier. 

Enfin,  diverses  communications  d'objets  antiques  ou  intéres- 
sants, de  médailles,  de  sceaux,  de  poteries  romaines  ou  gauloises, 
ont  été  faites  à  la  Section  de  Melun  par  MM.  Courtois,  les 
docteurs  Gillet  etBallu,  La  Joye,  Grésy,  Latour,  Leraaire,  Sollier, 
Leroy,  Gaucher  et  Laffiley. 

C'est  à  Provins  que  la  Société  s'est  assemblée  en  séance  générale 
au  mois  de  mai  1865.  Nos  confrères  n'ont  pas  oublié  le  discours 
prononcé  dans  la  circonstance  par  M.  le  comte  d'Harcourt  qui 
avait  pris  pour  sujet  Hégésippe  Moreau,  le  poète  de  la  Voulzie; 
ni  les  lectures  de  M.  Félix  Bourquelot,  sur  le  sentiment  de  la 
nature  au  moyen-âge^  de  M.  l'abbé  Puyo  sur  les  pierres  druidi- 
ques branlantes,  de  M.  Jules  Michelin  sur  la  tour  du  bourreau 


—  142  — 

de  Provins,  excellentes  études  dans  des  genres  bien  différents. 

Depuis,  M.  Félix  Bourquelot  a  savamment  traité  des  livres 
provinoises  ou  sous  du  sénat,  qui  eurent  cours  en  Italie  du  XIP 
au  XV°  siècle. 

D'autres  communications  étaient  soumises  en  même  temps  à 
cette  Section  par  M.  le  marquis  de  Pontécoulant  sur  des  recherches 
pratiquées  sur  une  des  buttes  de  Mirvault  et  dans  les  puits  de 
Châteaubleau,  par  MAI.  Teyssier  des  Farges  et  Burin;  en- 
trautres objets  mis  au  jour  par  la  dernière  de  ces  fouilles,  nous 
avons  cité  déjà  de  nombreux  moules  monétaires  gallo-romains. 

Grâce  encore  au  concours  éclairé  et  généreux  de  AI.  Teyssier 
des  Farges,  de  belles  tombes  seront  prochainement  relevées  dans 
l'église  de  Pecy  et  préservées  ainsi  de  la  destruction. 

Enfin  des  monnaies,  trouvées  à  Soignolles  et  à  Vimpelles,  ont 
été  adressées  à  la  Section  de  Provins  par  des  personnes  étrangères 
à  la  Société. 

Ce  n'est  pas  tout.  Alessieurs,  que  ce  contingent  de  travaux  des 
Sections;  mais  je  ne  vous  redirai  pas  après  M.  G.  Leroy,  dont  le 
rapport  a  été  inséré  au  Bulletin,  le  résultat  des  fouilles  archéolo- 
giques entreprises,  l'été  dernier,  sur  la  place  Notre-Dame  de 
Alelun,  à  l'aide  des  subventions  de  la  Commission  de  topographie 
des  Gcfules,  du  Conseil  municipal,  de  Al.  le  préfet,  de  la  Section 
de  Melun  et  aussi  de  quelques  souscriptions  particulières.  Je 
dois  cependant  mentionner  avec  quel  soin,  avez  quel  zèle,  cette 
laborieuse  exploration  a  été  dirigée  et  suivie  par  une  commission, 
dont  AI.  Leroy,  ses  collègues  lui  rendent  cette  justice,  était 
la  cheville  ouvrière  :  les  fouilles  ont  coûté  800  fr.,  et  elles  ont 
été  pendant  deux  mois  un  travail  de  tous  les  instants. 

D'importants  fragments  antiques  précieusement  recueillis  : 
autels,  cippcs,  tombeaux,  inscriptions,  céramique,  numisma- 
tique, enrichissent  aujourd'hui  le  musée  de  Melun. 

Dans  le  cours  de  l'été  dernier  aussi,  une  seconde  excursion  à 
laquelle  40  sociétaires  ont  pris  part,  a  été  organisée  dans  l'arron- 
dissement de  Meaux. 

En  deux  jours  on  a  visité,  un  peu  trop  rapidement  peut-être, 
Ferrières  et  son  château  princier,  Lagny,  Meaux,  Quincy,  Gouilly, 
Crécy,  La  Chapelle,  Maisoncelles,  Jouarre  et  sa  crypte  antique, 
puis  Trilport. 

Notre  confrère,  M.  Maxime  Beauvilliers,  dans  son  rapport  lu  iV 


—  143  — 

la  section  de  Fontainebleau,  s'est  chargé  de  consigner  tout  l'intérêt 
de  cette  exploration  artistique,  de  démontrer  son  utilité,  ses  résul- 
tats, et  de  dire  avec  quelle  rare  courtoisie  la  caravane  a  été 
accueillie  sur  son  passage. 

Le  programme  de  la  Société  ne  s'étend  pas  seulement  aux 
excursions  scientifiques,  aux  fouilles  archéologiques  et  à  la  publi- 
cation de  son  Bulletin  :  l'article  2  des  statuts  comprend  encore 
l'ouverture  de  concours  et  la  distribution  de  prix  sur  des 
sujets  archéologiques  ou  historiques  relatifs  au  pays  que  nous 
habitons. 

Déjà  des  médailles  d'honneur  ont  été  décernées  en  dSGo  aux 
lauréats  des  premiers  prix  d'histoire  de  France,  dans  la  classe 
la  plus  élevée  des  trois  collèges  de  Melun,  Meaux  et  Provins. 

Des  récompenses  seront  également  acquises  aux  personnes  qui 
auront  fourni  les  renseignements  les  plus  utiles  pour  la  rédac- 
tion d'un  dictionnaire  historique  et  archéologique  de  Seine-et- 
Marne. 

Mais  jusque-là  le  vœu  de  nos  statuts,  sur  ce  point,  ne  se  trou- 
vaitpas  complètement  rempli.  Aujourd'hui,  grâce  à  la  libéralité 
d'un  de  nos  honorables  confrères,  de  M.  le  baron  de  Beauverger, 
député,  la  Société  est  en  mesure  d'ouvrir  un  véritable  concours. 

L'auteur  des  meilleures  «  Recherches  historiques  sur  l'agricul- 
ture et  les  conditions  des  populations  rurales,  dans  les  contrées 
correspondant  au  département  de  Seine-et-Marne,  aux  xvii"  et 
xvni'^  siècles,  »  recevra  une  médaille  d'or  de  200  fr.  dans  la  séance 
publique  qui  nous  réunira  à  Melun,  au  mois  de  mai  1867. 

Enfin,  Messieurs,  puis-je  passer  sous  silence  les  Conférences 
publiques  du  soir  ? 

Sans  prendre  dans  les  Sections  le  patronage  direct'de  ces  Con- 
férences, dont  les  bienfaits  tendent  à  se  répandre  de  toutes  parts  , 
la  Société  d'Archéologie  a  eu  l'avantage  de  voir  son  Président , 
récemment  nommé  officier  d'Académie ,  entreprendre  à  la  fois 
durant  l'hiver  dernier ,  et  partout  avec  un  égal  succès,  des  cau- 
series populaires  sur  l'Astronomie,  dans  les  villes  de  Melun,  de 
Meaux,  de  Fontainebleau  et  de  Provins. 

Plusieurs  de  nos  Confrères,  bien  inspirés,  ont  suivi  l'impulsion 
donnée  par  M.  le  marquis  de  Pontécoulant;  nous  citerons  dans 
cette  ville  de  Meaux  ,  M.  Carro;  à  Fontainebleau  ,  M.  le  docteur 
Tabouret;  à  Provins,  M.  le  comte  d'Harcourt;  à  Donnemarie, 


—  IM  — 

M.  Delcttre;  à  Saints,  MM.  Chemin  et  Lefèvre;  à  La  Ferté-Gau- 
cher,  M.  Plessier.  Et  partout,  le  choix  des  sujets,  la  manière  dont 
ils  ont  été  traités,  ont  justifié  le  succès  des  Conférences  populaires, 
tout  en  faisant  honneur  aux  personnes  instruites  qui  y  ont  pris 
part. 

S'il  est  permis,  en  terminant,  de  jeter  un  coup-d'œil  sur  notre 
lendemain  : 

Une  troisième  excursion  archéologique  se  prépare  dans  l'ar- 
rondissement de  Coulommiers; 

Un  troisième  Bulletin  est  sous  presse,  et  quelques-unes  des 
lectures  que  vous  allez  entendre  seront  les  prémisses  d'un  qua- 
trième volume  déjà  riche  de  promesses. 

La  Société  se  propose  aussi  de  participer  à  l'Exposition  univer- 
selle de  1867  et  d'y  apporter  sa  pierre  à  ce  superbe  édifice  de 
l'histoire  du  travail.  Pour  y  parvenir,  les  mesures  préalables  ont 
été  prises  et  une  commission,  constituée  dans  ce  but,  étudiera  en 
même  temps  l'ensemble  de  l'exposition  aux  divers  points  de  vue 
scientifique,  archéologique  et  artistique. 

Tel  est,  Messieurs,  le  résumé  sommaire,  incomplet  malgré 
son  étendue,  de  vos  principaux  travaux  pendant  une  seule  année. 

Permettez-moi  d'espérer  .que  ce  zèle,  qui  peut  étonner,  ne  se 
démentira  pas.  Un  petit  nombre  seulement  d'entre  nous  ont  pris 
jusqu'ici  une  part  active  aux  travaux,  aux  lectures  :  chacun  tiendra 
à  honneur  d'y  concourir  selon  ses  aptitudes. 

La  scène  sans  doute  est  étroite  pour  les  esprits  supérieurs, 
poiir  les  hommes  éminents  qui  nous  honorent  de  leur  confrater- 
nité ;  mais,  Ci'mme  l'a  dit  M.  le  comte  de  Portails  dans  une  disser- 
tation sur  l'utilité  des  académies  de  province  :  «Tout  ce  qu'on 
fait  pour  la  petite  patrie,  tourne  au  profit  et  à  l'avantage  de  la 
grande.  )>  • 

Enfin,  Messieurs,  s'il  nous  ett  indispensable  pour  continuer  à 
progresser,  de  compter  sur  l'activité  des  sociétaires,  nous  n'avons 
pas  moins  besoin  da  la  sympathie  et  du  concours  de  tous  nos 
concitoyens,  des  lumières  de  tous  les  hommes  éclairés;  leurs 
efforts  en  se  joignant  aux  nôtres,  augmenteront  l'importance  et 
l'intérêt  des  travaux  des  Sections. 

C'est  ainsi  que  la  Société  ne  cessera  de  mériter  les  approbations 
flatteuses  qu'elle  a  obtenues,  et  les  encouragements  que  lui  a 
donnés  en  particulier  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique. 

Déjà  d'utiles  communications  ont  été  faites  dans  les  Sections, 
par  des  personnes  étrangères  ù  nos  rangs  ;  on  a  offert  à  la  Société 


—  145  — 

des  objets  antiques  qui,  naguère,  eussent  été  brisés  ou  perdus  par 
une  ignorante  insouciance  ;  on  a  signalé  avec  empressement  des 
découvertes  de  quelque  valeur;  aujourd'hui  encore,  la  présence 
dans  cette  enceinte  d'un  public  nombreux  et  distingué,  prouve 
qu'au  detiors  on  n'est  pas  indifférent  aux  efforts  de  la  Société 
Archéologique.  Nous  constatons  avec  bonheur  ces  témoignages 
d'intérêt  qui  méritent  toute  notre  gratitude,  parce  que  nous  les 
considérons  comme  un  véritable  progrès  accompli  et  qu'ils  sont, 
—  il  faut  le  reconnaître,  —  autant  de  gages  précieux  pour 
l'avenir. 


10 


147 


POÉSIES 

PAR    31.    LABICHE, 
Membre  fondateur  (Vlco-I»résidcnt  de  la  Section  de  Mclun). 


LE  MYOSOTIS     . 

OU    NE  M'OUBLIEZ  PAS. 
POÉSIE    LÉGÈRE. 

Petite  fleur,  simple  et  modeste, 
Sois  heureuse  de  ton  destin: 
N'as-tu  pas  la  couleur  céleste 
De  l'air  azuré  du  matin? 
Quand  d'un  beau  jour  paraît  l'aurore, 
Ne  reçois-tu  pas  ses  doux  pleurs? 
Et  le  rayon,  si  frais  encore, 
Qui  vient  ranimer  tes  couleurs? 

Quand  le  soleil,  les  vents,  l'orage, 
Froissent  l'espoir  des  laboureurs,. 
Petite,  tu  braves  l'outrage 
Qui  vient  flétrir  tes  grandes  sœurs. 
Lorsque  tout  dort  dans  la  nuit  sombre 
Et  que  rien  n'en  trouble  le  cours. 
Si  le  ver-luisant  chasse  l'ombre, 
C'est  pour  éclairer  tes  amours. 

Près  de  toi,  quand  sur  la  verdure 
Viennent  soupirer  deux  amants, 
Tu  peux  entendre  le  mumure 
De  leurs  voix  et  de  leurs  serments: 
Petite  fleur,  reste  muette. 
Si  tu  disais  le  nom  si  doux 


—  148  — 

Que  redit  ma  bouche  indiscrète, 
Tu  me  ferais  trop  de  jaloux. 

L'oiseau  frileux  qui  fuit  la  France, 
Le  guerrier  par  le  1er  atteint. 
Les  amants  qu'afflige  l'absence. 
Et  la  vieillesse  qui  s'éteint. 
Tout  dit  ton  nom  sur  cette  terre; 
Nul  ne  s'en  va,  loin  ou  là-bas, 
Sans  soupirer  avec  mystère 
Ces  doux  mots:  ne  m'oubliez  pas. 


LA  ROSE  ET  LA  JEUNE  FILLE. 

FABLE. 

J'attendais  le  rayon  qui  devait  m'entr'ouvrir, 
Quand,  ce  matin,  tombaient  les  larmes  de  l'aurore; 

Il  a  brillé  ce  soleil  qui  dévore, 
Et  tu  daignes,  ce  soir,  à  peine  me  cueillir! 
Un  seul  jour  a  suffi  pour  faner  ma  corolle 
Qui  va  se  disperser  par  le  souffle  d'Éole. 
Mais  à  toi,  jeune  fille,  il  faut  bien  moins  encor 
Pour  flétrir  tes  beaux  jours  et  désoler  ta  vie  : 
Un  seul  mot  prononcé  par  la  haine  ou  l'envie, 

Fût-ce  une  calomnie. 
Et  te  voilà  perdue!  et  ni  le  rang,  ni  l'or 
Ne  peuvent  t'abriter  d'une  pareille  atteinte; 
Il  te  faut,  avec  l'air,  en  respirer  la  crainte. 
Contre  la  voix  du  mal  Dieu  même  ne  peut  rien  ; 
Elle  est  comme  le  flot  qui  monte  et  nous  inonde. 
Fuis'donc,  si  tu  le  peux,  et  le  bruit  et  le  monde, 
De  la  réserve  en  tout  adopte  le  lien  ; 
Sois  comme  la  rosée  une  amante  de  l'ombre, 
Si  ta  pudeur  préfère  au  soleil  un  jour  sombre, 

Enfant,  tu  t'en  trouveras  bien; 
Car,  tu  le  vois,  lien  non  t  à  peu  de  chose 
Le  renom  d'une  femme  et  l'éclat  d'une  rose. 


BULLETIN 


DE  LA 


SOCIÉTÉ  D'ARCHÉOLOGIE     ' 


SCIENCES.  LETTRES  ET  ARTS 
nu    DÉPARTEMENT    DE    SEINE-ET-MAIINE. 


A  Meaux.  chez  liE  Bl-OWMEIi,  libraire  de  la  Société. 


A  Paris,  chez  Auguste  AUBRY,  1(3,  rue  Dauphine. 


A  Melun,  chez  M""'  V"  THUVIEN,  libraire. 

A  CouLOMMiERS,  chc'z  BRODARD,  libraire. 

.\  Fontainebleau,  chez  LAGODRE,  libraire. 

A  Provins,  chez  LE  HERICHÉ,  iraprimour-libraire. 


BULLETIN 


DE    LA 


SOCIÉTÉ  D'ARCHÉOLOGIE 


SCIENCES,  LETTRES  ET  ARTS 


DU  DÉPARTEMENT  DE  SEINE-ET-MARNE 


Fondée  à  MELUN,  le  16  mai  1864 


9  i;  A  T  R  B  E IV9  13     A  IV IV  £  K 


M  EAUX 

TYPOGRAPHIE    DE   J.    CARRO 

IMfSt?-»:  F.UI8       nu      BLXI.ETII\'      UE      I,»      .«iOClÉTii 


18(37 


SOCIÉTÉ   D'ARCHÉOLOGIE 

SCIENCES,  LETTRES  ET  ARTS 

DU  DÉPARTEMENT  DE  SEINE-ET-MARNE. 


PROCÈS-VERBAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ, 


SÉANCE  GÉNÉRALE  ET  PUBLIQUE 

TENUE  A  MEAUX  LE  21  MAI  1866. 


La  Société  d'Archéologie,  Sciences,  Lettres  et  Arts  de  Seine-et- 
Marne  tient  sa  première  réunion  générale  de  l'année  J866  le 
vingt-un  mai,  dans  la  ville  de  Meaux. 

Sont  présents  :  MM.  le  marquis  Ad.  de  Pontécoulant,  prési- 
dent; Félix  Bourquelot,  vice-président  sortant;  A.  Carro  père, 
vice-président;  Anatole  Dauvergne,  le  vicomte  de  Ponton  d'Amé- 
court,  Félix  Lajoye  et  le  comte  B.  d'Harcourt,  présidents  de  Sec- 
tions; Th.  Lhuillier,  secrétaire-général;  Courtois,  trésorier;  Le- 
maire,  archiviste  ;  Gauthion,  vice-président  de  la  Section  de  Fon- 
tainebleau ;  l'abbé  Denis,  vice-président  de  la  Section  de  A^Ieaux; 
le  comte  Eug.  de  Fontaine  deResbecq,  membre  delà  Commission 
du  bulletin  ;  Eymard ,  membre  de  la  Commission  des  finances  ; 
de  Colombel,  délégué  delà  Section  de  Meaux;  Maxime  Beauvil- 
]iers,  de  Fontainebleau;  l'abbé  Bécheret,  curé  de  Monthyon  ; 
Jules  Carro,  de  Meaux  ;  Paul  Cère,  de  Lagny  ;  Amynthe  Cinot, 
de  Saint-Martin-lès-Voulangis  ;  Cochet,  de  Meaux  ;  Decœur,  de 

1 


Lagny  ;  Charles  Ficliot,  de  Melun  ;  de  Ginoux,  de  Meaux  ; 
Eug.  Godin,  de  Melun  ;  Laurent-Thomas,  de  Saint-Germain- 
lès-Gouilly  ;  Latour,  de  Melun  ;  Le  Blondel,  de  Meaux  ;  Louis 
Leguay,  de  Melun  ;  docteur  Le  Roy,  de  Meaux  ;  Léon  Litzel- 
mann,  de  Fontainebleau  ;  Morlot,  de  Meaux;  l'abbé  Petithomme, 
curé  de  Villcnoy  ;  Victor  Plessier,  de  La  Ferté-Gaucher  ;  l'abbé 
Torchet,  de  Chelles  ;  Torchet,  de  Meaux  ;  Troublé,  de  Meaux,  et 
autres  qui  ont  omis  de  signer  la  feuille  de  présence. 

Ont  exprimé  leurs  regrets  de  ne  pouvoir  assister  à  la  séance  : 
LL.  EE.  MM.  Duruy,  ministre  de  l'instruction  publique,  etDrouyn 
de  Lhuys,  ministre  des  affaires  étrangères;  M.  le  baron  deLassus 
Saint-Geniès,  préfet  de  Seine-et-Marne  ;  MM.  le  baron  de  Beau- 
verger  et  Josseau,  députés  ;  Jules  David,  président  de  la  Section 
de  Fontainebleau,  l'abbé  Gillet,  le  comte  Jules  de  Lasteyrie, 
Bourges,  Bayard,  G.  Leroy,  Sénèque  et  Sollier. 

L'ordre  du  jour  divise  la  Séance  en  deux  parties  :  séance  admi- 
nistrative et  lectures  publiques. 

SÉANCE  ADMINISTRATIVE  : 

A  une  heure,  les  Sociétaires  sont  réunis  dans  la  principale  salle 
do  la  bibliothèque  publique,  h  l'Hôtel-de- Ville.  Après  diverses 
communications  par  le  Président  de  la  Société,  le  Secrétaire-gé- 
néral rend  compte  du  résultat  des  élections  qui  ont  eu  lieu  les 
G  et  7  mai  1866,  pour  le  renouvellement  du  Bureau  central  ;  il 
donne  lecture  de  la  protestation  d'un  membre  de  la  Section  de 
Meaux,  contre  de  prétendues  irrégularités  commises  lors  de  ces 
élections,  protestation  h  laquelle  se  sont  associés  plusieurs  autres 
membres  de  la  môme  Section.  Il  est  également  donné  lecture  de 
diverses  pièces  relatives  à  cet  incident,  notamment  du  procès-ver- 
bal des  opérations  qui  ont  eu  lieu  dans  la  Section  de  Meaux.  A  la 
suite  de  quelques  explications,  il  est  décidé,  par  acclamation, 
qu'aucun  article  du  règlement  n'ayant  été  violé,  il  n'y  avait  pas 
lieu  à  protestation,  et  il  est  passé  à  l'ordre  du  jour. 

M.  Courtois,  trésorier,  a  la  parole  pour  rendre  compte  de  l'état 
financier  de  la  Société  au  1"  janvier  1866.  On  entend  avec  in- 
térêt la  lecture  du  travail  de  M.  Courtois  (  voir  ci-après),  qui  est 
approuvé;  sur  la  proposition  du  Président,  des  remercîments 
sont  unanimement  votés  au  Trésorier,  tant  pour  sa  gestion  intel- 
ligente que  pour  ses  avances  gratuites. 

Le  Présidunt  entretient  lu  Société  du  rapport  do  la  commission 


—  3  — 

nommée  à  la  dernicro  séance  du  Comité  central  alin  de  déterminer 
les  bases  du  concours  ouvert  pour  iSQl,  grâce  à  la  munificence  de 
M.  le  baron  de  Beauverger,  député,  membre  de  la  Section  de 
Melun,  sur  cette  question  :  Recherches  historiques  sur  l'agriculture 
et  la  condition  des  populations  rurales  dans  les  contrées  correspondant 
au  département  de  Seine-et-Marne,  auxxYîi^  et  xviii''  siècles.  —  Com- 
paraison avec  répoque  actuelle. 

Le  programme  de  ce  concours,  dont  les  conditions  générales 
sont  d'ailleurs  réglées  par  les  statuts,  est  distribué  aux  membres 
présents. 

En  raison  de  l'heure  fixée  pour  la  séance  publique,  la  séance 
administrative,  suspendue  à  deux  heures,  est  reprise  à  cinq  heures 
du  soir.  On  entend  alors  un  rapport  de  M.  Félix  Bourquelot,  au 
nom  d'une  commission  chargée  d'examiner  la  demande  de  modi- 
fication de  l'art.  80  du  règlement  de  la  Société.  Après  un  débat,  du- 
quel il  ressort  qu'il  convient,  avant  de  rien  modifier  aux  statuts 
en  assemblée  générale,  de  consulter  préalablement  chaque  Sec- 
tion, les  opinions  sont  divisées  lorsqu'il  s'agit  de  décider  si  l'on 
prendra  pour  base  de  la  majorité  le  nombre  des  membres  qui 
auront  exprimé  un  avis,  ou  le  nombre  des  Sections  elles-mêmes  ; 
l'assemblée  décide  le  renvoi  à  la  commission  et  la  question  est 
ajournée. 

M.  Félix  Bourquelot  qui,  pour  des  raisons  de  santé,  a  décliné 
l'honneur  de  sa  réélection  aux  fonctions  de  vice-président  de  la 
Société,  est  nommé,  par  acclamation,  vice-président  honoraire. 

Le  Président  de  la  Société  fait  ensuite  observer  que  quatre 
membres  seulement  ayant  obtenu  la  majorité  des  suffrages  dans 
les  Sections,  pour  la  composition  de  la  Commission  du  bulletin, 
lors  de  la  dernière  élection,  et  les  votes  s'étant  divisés  pour  un  der- 
nier membre  à  élire,  il  y  a  lieu  de  procéder  en  assemblée  générale 
à  la  nomination  de  ce  cinquième  membre.  M.  le  comte  de  Cir- 
court,  de  Fontainebleau,  qui  avait  réuni  le  plus  grand  nombre 
de  suffrages  au  premier  tour,  est  élu  par  acclamation.  Le  Prési- 
dent propose  à  l'assemblée  de  laisser  à  l'avenir  à  chaque  Section 
la  nomination  d'un  membre  pour  la  Commission  du  bulletin. 
Cette  proposition  est  adoptée. 

Un  amendement  à  l'art.  4"  des  statuts,  proposé  par  plusieurs 
Sections,  pour  l'admission  des  dames  s'occupant  sérieusement  des 
lettres,  de  sciences  ou  d'arts,  et  renvoyé  par  le  Comité  central  à  la 
décision  de  la  Société,  en  assemblée  générale,  est  mis  en  délibéra- 
tion. Après  une  discussion  à  laquelle  prennent  part  MM.  le  docteur 


Le  Roy,  Torchet,  l'abbé  Petithomme,  Plessier,  Courtois,  le  vicomte 
d'Amécourt  et  quelques  autres  membres,  l'assemblée  décide  qu'il 
y  a  lieu,  non  de  modifier  à  cet  égard,  l'art  l"des  statuts,  mais  seu- 
lement d'interpréter  l'expression  hommes  d'études.  Par  un  vote  au 
scrutin  secret,  la  Société  déclare  que  le  sens  le  plus  large  doit  être 
donné  à  ce  mot,  laissant,  bien  entendu,  à  chaque  Section  le  soin 
déjuger  de  l'opportunité  d'admission  et  d'apprécier  les  titres  des 
dames,  lors  de  la  présentation  des  candidatures.  | 

A  six  heures  et  demie,  la  séance  est  levée. 

SÉANCE  PUBLIQUE  : 

A  deux  heures,  le  grand  salon  de  l'Hôtel-de-Ville,  gracieuse- 
ment mis,  par  l'autorité  municipale,  à  la  disposition  delà  Société, 
est  rempli  d'invités  parmi  lesquels  les  dames  sont  en  grand 
nombre.  Le  Bureau  et  les  membres  de  la  Société  prennent  leurs 
places  sur  une  estrade  disposée  à  cet  effet.  A  côté  de  M.  le  mar- 
quis de  Pontécoulant,  Président,  se  trouve  M.  de  Marcilly,  sous- 
préfet  de  l'arrondissement  de  Meaux. 

La  musique  du  régiment  des  Lanciers  de  la  Garde,  sous  l'habile 
direction  de  M.  Hippolyte  Martin,  annonce  l'ouverture  de  la 
séance  en  exécutant  un  morceau  d'Auber. 

Les  membres  nouvellement  élus  pour  former  le  Bureau  central 
de  la  Société,  du  mois  de  mai  -18G6  au  mois  de  mai  1867,  sont  ins- 
tallés dans  l'ordre  suivant  : 

Président  :  M.  le  marquis  Ad.  de  Pontécoulant  ; 
Vice-président:  M.  A.  Carro,  père; 
Secrétaire-général  :  M.  Th.  Lhuillier  ; 
Trésorier:  M.  Courtois; 
Archiviste:  M.  Lemaire. 

Membres  de  la  Commission  du  Bulletin  : 

MM.  Brunet  de  Presle,  de  l'Institut; 
Le  comte  P.  de  Ghampagny  ; 
Le  comte  Eug.  de  Fontaine  de  Resbecq  ; 
Le  vicomte  de  Ponton  d'Amécourt. 

Membres  de  la  Commission  des  Finances: 

MM.  Eymard, 
Cautiiion, 
de  Gorny 


M.  Maxime  Beanvilliurs,  l'un  des  Secrétaires  do  la  Section  de 
Fontainebleau,  adresse  au  Président  les  paroles  suivantes,  au  sujet 
de  la  médaille  d'or  qu'ont  voulu  lui  offrir  les  auditeurs  de  ses 
conférences  pendant  l'hiver  dernier,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de 
Sociétaires  : 

«  Monsieur  le  Marquis, 

»  En  m'accordant  pour  un  moment  la  parole,  permettez-moi, 
dès  l'ouverture  de  cette  séance,  de  vous  féliciter  de  votre  réélec- 
tion. 

»  Par  la  confirmation  de  vos  pouvoirs,  cher  Président  et  ami, 
la  Société  d'Archéologie  de  Seine-et-Marne,  a  voulu  vous  donner 
une  preuve  toute  particulière  de  son  dévouement  et  de  son  affec- 
tion. 

»  Aujourd'hui,  vous  allez  recevoir,  en  séance  solennelle,  la  mé- 
daille qui  vous  est  offerte  à  titre  de  reconnaissance,  tant  par  divers 
membres  de  la  Société  que  vous  avez  si  puissamment  contribué  à 
fonder  et  à  consolider,  que  par  les  auditeurs  des  conférences  gra- 
tuites, faites  et  multipliées  par  vous  aux  diverses  extrémités  du 
département. 

»  Vous  aviez  cru  devoir  réserver  à  l'initiateur  d'une  souscription 
dont  le  succès  a  dépassé  toutes  ses  espérances,  la  satisfaction  de 
vous  remettre  lui-même  cette  médaille. 

»  Laissez-moi,  Monsieur  le  Marquis,  décliner  cet  honneur.  Je 
ne  suis  que  l'un  des  producteurs  et  l'un  des  travailleurs  les  plus 
zélés  de  notre  Compagnie.  Il  me  manque,  sinon  l'âge,  du  moins 
l'autorité  nécessaire  en  pareille  circonstance. 

»  Je  prie  donc,  au  nom  de  tous  les  souscripteurs,  M.  le  Sous- 
préfet  de  l'arrondissement  de  Meaux  de  vous  faire  la  remise  de 
cette  médaille  qui  rappellera  les  incontestables  services  rendus 
par  vous  à  la  science  archéologique  et  à  l'œuvre  des  conférences 
publiques. 

»  Fidèle  observateur  des  traditions  de  votre  famille,  vous  aurez 
un  souvenir  de  plus  à  inscrire  dans  les  annales  de  votre  vieille 
maison,  qui  a  toujours  tenu  à  honneur  de  se  distinguer  doublement 
par  la  plume  et  par  l'épée.  » 

En  recevant  des  mains  de  M.  le  Sous-préfet  la  médaille  qui  lui 
est  offerte,  M.  le  Marquis  de  Pontécoulant  a  remercié  à  peu  près 
en  ces  termes  : 

((  Les  expressions   me   font   défaut  pour  vous  dire  les  senti- 


ments  de  gratitudo  que  j'éprouve  au  témoignage  d'intérêt  que 
vous  me  présentez  au  nom  de  mes  confrères  et  de  mes  auditeurs 
et  qui  gagne  encore  à  m'être  transmis  par  M.  le  Sous-préfet. 

»  Mais  je  me  demande  ce  que  représente  ce  témoignage?  Ce  ne 
peut  être  un  encouragement,  à  mon  âge  on  n'en  reçoit  plus.  Ce 
n'est  pas  non  plus  le  prix  de  mon  savoir,  car  je  reconnais  mon 
incapacité  ;  je  ne  puis  donc  voir,  dans  ce  don,  qu'une  fleur  que 
l'on  veut  bien  placer  par  anticipation  sur  mon  tombeau.  Je  vous 
avoue,  Messieurs,  que  je  suis  fort  heureux  de  ne  pas  laisser  à  mes 
héritiers,  le  soin  de  vous  en  remercier.  » 

Puis  il  a  prononcé  le  discours  suivant  : 

((  Permettez-moi ,  Messieurs,  en  ouvrant  cette  séance ,  de  vous 
exprimer  combien  je  suis  fier,  combien  je  me  sens  touché  delà 
marque  d'estime  que  vous  voulez  bien  me  donner  en  m'appelant, 
pour  la  seconde  fois,  h  l'honneur  de  présider  la  Société  d'Archéo- 
logie, Sciences,  Lettres  et  Arts  de  Seine-et-Marne. 

»  Je  profite  de  cette  occasion  qui  réunit  des  représentants  de 
toutes  les  Sections,  pour  les  prier  d'offrir  à  mes  confrères  mes 
bien  vifs  remercîments.  Le  passé,  Messieurs,  répond  de  l'avenir  : 
j'ai  fait  pour  la  Société  et  pour  les  Conférences  tout  ce  que  j'ai 
pu,  et  je  n'ai  qu'un  regret,  c'est  celui  de  n'avoir  pu  faire  davan- 
tage. 

»  J'aurais  dû,  peut-être,  avoir  conscience  de  ma  faiblesse  et  dé- 
cliner l'insigne  honneur  que  vous  me  décernez  aujourd'hui;  s'il  n'en 
a  pas  été  ainsi,  c'est  que,  je  vous  l'avoue.  Messieurs,  votre  choix  a 
été  pour  moi  si  flatteur  que  j'ai  cédé,  malgré  la  profonde  conviction 
de  mon  insuffisance,  à  l'orgueil  de  vous  diriger  encore  et  de  vous 
maintenir  dans  la  voie  que  vous  avez  d('jà  si  dignement  parcou- 
rue, espérant,  en  déployant  le  môme  zèle  et  le  même  dévouement 
que  pur  le  passé,  me  rendre  digne  de  votre  honorable  confiance. 
Ce  qui  m'a  encouragé  dans  cette  détermination,  c'est  la  pensée 
que  vous  aussi.  Messieurs,  quand  vous  avez  daigné  jeter,  pour  la 
seconde  fois,  les  yeux  siu^  moi  et  oublier  en  ma  llivinu'  le  nom  de 
tant  d'hommes  éruditsqui  brillent  dans  vos  rangs,  que  vous  aussi, 
dis-je,  avez  dû  croire  que  l'amour  de  la  science  et  qu'un  dévoue- 
ment sans  borne  àla  prospérité  de  notre  jeune  association  pouvaient 
tenir  lieu  de  savoir.  Telles  sont,  mes  chers  Confrères,  les  considé- 
i-ations  qui  m'ont  encouragé  à  accepter  l'honneur  que  vous  voulez 
bien  me  faire;  ce  sont  elles  encore  qui  me  soutiendront  dans  le 


cours  de  mes  fonctions  et  qui,  en  me  rappelant  les  conditions  de 
votre  confiance,  me  retraceront  sans  cesse  l'étendue  de  mes 
devoirs. 

»  Ces  devoirs  pourront  parfois  devenir  difficiles,  fatigants,  pé- 
nibles même,  mais  veuillez  en  être  persuadés,  jamais  votre  Prési- 
dent ne  faillira  à  leur  exigence.  Et  d'ailleurs,  pour  m'aider  à 
remplir  les  obligations  qui  me  sont  imposées,  j'ai  près  de  moi 
votre  Comité  central  dont  tous  les  membres  sont  connus  de  chacun 
de  vous,  par  leur  mérite  éminent  et  par  un  zèle  ardent  et  éprouvé. 

»  Comptant  donc  sur  le  concours  de  leurs  lumières  et  m'appuyant 
sur  leur  expérience  et  leurs  conseils,  je  me  sentirai  plus  fort  pour 
la  tâche  qui  m'est  confiée.  Assuré  d'avance  de  votre  indulgence 
et  de  vos  amitiés,  j'espère  pouvoir  atteindre  avec  vous  le  but  si 
noble,  si  élevé,  que  vous  avez  eu  en  vue  en  fondant,  il  y  a  deux 
ans,  la  Société  d'Archéologie,  Sciences,  Lettres  et  Arts  du  dépar- 
tement. 

»  Puisque  votre  pensée,  mes  chers  Confrères,  se  trouve  reportée 
vers  le  principe  et  le  but  de  notre  association,  permettez-moi  de 
m'y  arrêter  un  instant  pour  examiner  et  définir  en  quelques  mots, 
en  présence  de  ces  honorables  auditeurs  qui  ne  les  connaissent  pas 
encore  ,  la  portée  et  l'utilité  des  travaux  qui  sont  l'objet  de  vos 
études  et  de  vos  méditations. 

»  Je  ne  m'arrêterai  pas  ici,  croyez-le  bien,  à  vous  signaler  les 
avantages  sans  nombre  qui  s'attachent  à  l'existence  des  associations 
scientifiques  ou  littéraires,  car  ces  avantages  ne  sont  contestés  que 
par  quelques  esprits  chagrins,  qui  n'aperçoivent  jamais,  même 
dans  les  beaux  ouvrages  de  l'homme  ou  de  la  nature,  que  les 
taches,  que  les  erreurs  ou  les  imperfections,  comme  si  l'imperfec- 
tion et  l'erreur  n'étaient  pas  inhérentes  à  tout  ce  qui  est  l'homme 
ou  tient  de  l'homme.  L'histoire  des  principaux  corps  savants  et 
l'exposition  des  services  qu'ils  ont  rendus,  fourniraient  une  foule 
d'arguments  à  opposer  à  leurs  détracteurs.  Mais  la  meilleure 
réponse  à  faire  à  ceux  qui  nient  le  mouvement,  c'est  de  marcher 
devant  eux  :  c'est  celle  que,  depuis  des  siècles,  l'humanité  fait  à 
ceux  qui  contestent  le  progrès;  c'est  celle-là  aussi,  Messieurs,  que 
vous  préférez  :  c'est  par  vos  travaux  que  vous  répondez  à  ceux  qui 
semblent  douter  de  vos  aptitudes. 

«D'ailleurs,  en  dehors  de  tous  les  arguments  tirés  de  l'histoire 
des  sciences,  il  est  un  fait  bien  remarquable,  fait  qui  caractérise 
spécialement  notre  époque  et  qui  conclut  d'une  manière  décisive 
en  faveur  de  ces  institutions;  c'est  cette  tendance  d'association  qui 


—  8  — 

éclate  aujourd'hui  chez  tous  les  peuples  civilisés,  et  qui  se  mani- 
feste aussi  bien  dans  le  domaine  du  travail  matériel  que  dans  celui 
du  travail  purement  intellectuel.  Partout,  en  effet,  on  voit  s'élever 
de  pareilles  associations  et  leurs  relations  se  multiplier  en  raison 
du  progrès  des  sciences  et  des  arts.  Cette  tendance  ne  serait- 
elle  qu'une  espèce  de  hasard,  de  caprice,  un  de  ces  phénomiènes 
passagers  qui  ne  tiennent  à  rien,  ni  dans  le  passé,  ni  dans  l'ave- 
nir, que  la  mode  a  fait  naître  et  qui  disparaissent  avec  elle? 
Je  ne  saurais  admettre  cette  idée,  et  je  crois  au  contraire  que  ce 
fait  constitue  un  dss  mouvements  les  plus  rationels  de  l'activité 
humaine. 

»  A  mesure  qu'une  science  va  s'étendant,  se  divisant  et  se  subdi- 
visant, il  devient  toujours  plus  difficile  et  bientôt  même  impossible 
pour  l'individu  d'embrasser,  par  sa  seule  intelligence,  toutes  ses 
ramifications.  Alors,  chacun  de  ses  rameaux  vigoureux  devient 
l'objet  de  méditations  particulières  et  d'études  spéciales.  Mais 
le  besoin  de  réunion  se  fait  sentir;  le  travail  commun,  le  tra- 
vail social  devient  une  nécessité  pour  refaire,  pour  reconstruire, 
en  quelque  sorte,  le  grand  corps  de  la  science,  décomposé  par 
l'analyse  individuelle.  C'est  ainsi,  qu'il  me  soit  permis  de  faire  ici 
ce  rapprochement ,  que  dans  l'ordre  scientifique  et  littéraire 
comme  dans  l'ordre  industriel,  les  progrès  même  de  la  civilisa- 
tion, ramènent  aujourd'hui  l'humanité  à  cette  loi  conservatrice 
d'association,  si  puissante  au  moyen-âge  et  dont  elle  semblait  s'être 
momentanément  séparée. 

»  Vous  n'avez  donc  fait,  mes  chers  Confrères,  qu'obéir  à  un 
grand  besoin  de  notre  époque,  quand  vous  avez  résolu  de  mettre 
en  commun  vos  efforts  et  vos  lumières,  de  rapprocher  vos  intelli- 
gences et  vos  cœurs  pour  l'étude  de  ces  lettres  que  vous  aimez  tous 
avec  ardeur;  de  ces  arts  que  la  plupart  d'entre  vous  pratiquent 
avec  succès;  de  l'archéologie,  cette  belle  et  vaste  science  que  vous 
cultivez  avec  tant  d'intérêt. 

»  Vous  avez  donc  rendu,  Messieurs,  un  service  signalé  au  dé- 
partement, le  jour  où  vous  avez  fait  appel  h  tous  ces  hommes  labo- 
rieux qui  fouillent  avec  ardeur  les  décombres  épars  sur  le  sol,  qui 
secouent  la  poussière  des  archives  pour  y  rencontrer  les  traces  du 
passé,  pour  en  rechercher  les  débris  et  réédifier  pour  ainsi  dire 
les  monuments  des  temps  qui  ne  sont  plus,  pour  raviver  de  leur 
talent  les  souvenirs  fastes  ou  néfastes  des  siècles  qui  nous  ont  pré- 
cédés 
»  L'histoire,  Messieurs,  vous  aura  de  grandes  obligations,  car 


—  9  — 

c'est  surtout  pour  elle  que  vous  travaillez,  que  vous  recueillez, 
que  vous  préparez  ces  précieux  matériaux  qu'elle  recevra  de  vos 
mains,  contrôlés,  éprouvés  par  une  sage  critique.  Aussi,  pour  satis- 
faire à  cette  partie  de  votre  mission,  vous  portez  vos  regards  scru- 
tateurs surtout  ce  qui  se  rattache  au  passé  si  intéressant  de  notre 
département  :  histoire,  coutumes,  légendes,  proverbes,  poésie,  chants, 
tableaux,  monuments,  inscriptions,  tombeaux,  etc.  :  tout  est  de  votre 
domaine  et  subit  vos  investigations. 

»  Mais  ce  qui  vous  distingue  surtout,  Messiours,  des  autres 
sociétés  savantes  et  littéraires  créées  dans  ce  département,  c'est 
votre  ardeur  à  seconder,  à  encourager  cette  réaction  moderne  de 
respect  et  de  vénération  [;our  ce  qui  vient  de  nos  ancêtres,  réaction 
généreuse  qui  fait  honneur  à  l'esprit  réparateur  de  notre  époque, 
mais  qu'il  ne  faut  pas  laisser  livrée  à  elle-même,  car  elle  a  besoin 
d'être  sans  cesse  éclairée  et  dirigée. 

»  Ce  respect  des  choses  belles  et  saintes,  que  notre  Société  est 
appelée  à  inspirer,  fera  que  l'on  ne  verra  plus,  comme  nous  en 
avons  été  souvent  témoins,  fouler  aux  pieds  les  restes  d'un  grand 
homme,  ou  briser,  pour  en  faire  des  dalles,  la  pierre  de  son  tom- 
beau. Eclairée  par  vos  travaux,  par  vos  instructions,  par  vos  con- 
seils, la  génération  nouvelle,  animée  du  véritable  amour  du  pro- 
grès, jettera  un  regard  en  arrière.  Elle  comprendra  que  nos 
ancêtres  ont  fait  de  grandes  et  belles  choses  dont  il  importe  de 
garder  la  mémoire.  Elle  comprendra  également  que  tout  ne  doit 
pas  tomber  sous  la  pioche  du  démolisseur.  Cette  génération  sen- 
tira qu'elle  doit  à  un  passé  glorieux  les  mêmes  respects  qu'elle 
demandera  un  jour,  du  fond  de  son  sépulcre,  à  ses  arrière-neveux. 
Elle  saura  surtout  que  si  c'est  un  devoir  pour  l'humanité  d'élever 
de  nouveaux  temples,  c'est  un  devoir  également  pour  elle  de  sou- 
tenir ceux  qui  sont  encore  debout  et  d'en  étayer  les  colonnes 
prêtes  à  s'écrouler. 

»  Par  votre  aide,  enfin,  mes  chers  Confrères,  l'esprit  de  nos 
campagnes  se  formera,  se  développera,  s'agrandira  en  raison  de 
l'estime  que  le  peuple  saura  accorder  et  conserver  pour  ce  qu'il  y 
a  de  beau  dans  le  passé,  pour  tout  ce  qui  a  distingué  les  nations 
précédemment  établies  sur  le  sol  natal. 

»  Vous  aurez  donc  des  droits  à  la  reconnaissance  du  mora- 
liste comme  à  celle  du  savant.  Et  cette  étude  si  consciencieuse 
de  nos  vieux  temples,  à  laquelle  vous  vous  livrez  avec  tant  d'ar- 
deur, ne  sera  puS  un  moindre  titre  aux  yeux  du  pays  et  surtout 
à  ccQX  des  amis  des  arts,  car  l'art,  dans  le  département  de  Seine- 


—  10  — 

et-Marne,  est  essentiellement  religieux;  ses  plus  beaux  monu- 
ments sont  l'expression  d'une  pensée  pieuse,  la  matérialisation 
imposante  d'une  aspiration  de  l'homme  vers  la  divinité;  et, 
vous  le  savez,  par  le  style  comme  par  la  pensée,  l'art  religieux 
sera  toujours  le  type  le  plus  noble  et  le  plus  pur  de  la  véritable 
grandeur. 

»  Ainsi  donc  :  du  point  de  vue  artistique  et  monumental  comme 
du  point  de  vue  historique,  vos  travaux  sont  avant  tout  la  réalisa- 
tion d'une  pensée  morale  et  généreuse;  puissent-ils  devenir  un 
jour  un  monument  dont  aient  à  s'enorgueillir  la  science  et  le  pays! 

»  Vous  le  voyez,  chers  Confrères,  votre  mission  est  grande  et 
belle.  En  vous  l'imposant,  vous  avez  eu  la  conscience  de  vos  forces 
et  le  sentiment  du  bien  que  vous  êtes  appelés  à  produire.  De 
toutes  parts  ont  éclaté  les  plus  vives  sympathies  pour  vos  efforts. 
Vous  voyez  à  chacune  de  nos  réunions  les  hommes  les  plus  émi- 
nents  par  leurs  noms,  par  leur  savoir,  par  leurs  talents,  par  leur 
position,  répondre  avec  empressement  à  votre  appel  et  s'associer  à 
vos  travaux;  qu'ils  reçoivent  les  remercîments  de  la  Société  pour 
l'honneur  qu'ils  lui  font  de  vouloir  bien  assister  aujourd'hui  à  cette 
séance. 

»  Vous  avez  décidé.  Messieurs,  qu'un  Répertoire  historique  et 
archéologique  du  département  serait  dressé  et  rédigé  par  les  soins 
de  la  Société.  Pour  obtenir  sur  chaque  commune  le  plus  de  rensei- 
gnements possible,  vous  vous  êtes  adressés  à  différentes  personnes 
et  particulièrement  à  MM.  les  instituteurs,  en  leur  faisant  par- 
venir un  questionnaire.  Afin  d'exciter  leur  zèle  à  y  répondre,  un 
membre  de  la  Société  a  offert  une  médaille  d'or  et  une  de  vermeil 
pour  récompenser  les  auteurs  des  deux  meilleurs  travaux.  Ces 
prix  devaient  être  distribués  dans  cette  séance,  mais  le  petit  nom- 
bre de  questionnaires  retournés  jusqu'à  présent  force  la  Société  à 
reculer  d'une  année  le  terme  d'abord  fixé.  Voulant  cependant  re- 
connaître le  zèle  des  premiers  travailleurs,  la  Société,  tout  en 
réservant  leurs  droits  au  concours  ouvert,  croit  devoir  offrir 
une  médaille  d"encouragemont  à  MM.  le  corale  de  Lélourville, 
maire  de  Pontault;  Giot,  cultivateur  à  Chevry-Gossigny  ;  Droui- 
ncau,  de  Lizy-sur-Ourcq  ;  lladidcau,  instituteur  à  Saint-Martin- 
en-Bierre;  Lhioreau,  instituteur  à,  Moisenay;  Gouère,  instituteur 
à  Gretz  ;  Sarazin,  instituteur  au  Plessis-'Placy;  Dubois,  insti- 
tuteur à  Coulommes;  Leclcre,  instituteur  à  Augers;  Boutillier, 
instituteur  à  Guérard;  Flon,  instituteur  aux  Chapelles-Bourbon, 
et  Baussant,  instituteur  h  La  Chapelle-Iger. 


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»  Au  dehors,  Messieurs,  votre  voix  a  été  entendue,  vos  travaux, 
vos  recherches  ont  eu  du  retentissement;  déjà  on  vient  de  diffé- 
rents côtés  vous  signaler  des  épaves  ignorées  ou  retrouvées.  Ces 
témoignages  d'intérêt,  ce  recours  à  votre  savoir  sont  la  meilleure 
preuve  que  vous  avez  été  compris  et  que  l'on  a  confiance  en  vos 
lumières.  La  Société  doit  et  adresse  des  remercîments  à  toutes  les 
personnes  qui  lui  ont  donné  preuve  de  bon  vouloir  par  lears  inté- 
ressantes communications;  la  liste,  en  tête  de  laquelle  figure 
M.  le  baron  de  Lassus  St-Geniès,  qui  porte  à  la  Société  un  vif  in- 
térêt, serait  trop  longue  à  citer  (1). 

»  Votre  début,  Messieurs,  est  trop  heureux,  la  route  h  parcourir 
est  trop  belle  et  votre  dévouement  trop  réel,  trop  sincère,  pour 
n'être  pas  certain  des  brillantes  destinées  que  l'avenir  réserve  à 
notre  jeune  association.  Mais  n'oublions  pas  qu'en  toute  chose,  ici- 
bas,  le  travail  est  la  première,  la  plus  rigoureuse  condition  de 
l'existence  et  du  succès.  Travaillons  donc,  et  surtout  ne  remettons 
que  le  plus  rarement  possible  au  lendemain  ce  que  nous  voudrions 
faire  aujourd'hui;  songeons  sans  cesse  que  le  temps  et  la  mort 
nous  talonnent. 

))Je  suis  fâché.  Messieurs,  de  vous  rappeler  dans  ce  jour  mémo- 
rable pour  vous,  des  idées  tristes,  et  de  remplir  ici  l'emploi  de  cet 
esclave  romain  qui,  accompagnant  le  char  du  triomphateur,  lui 
criait  de  temps  à  autre  :  Souviens-toi  que  tu  es  homme!  Mais  c'est 
un  devoir  pour  moi  de  vous  signaler  les  pertes  éprouvées  par  la 
Société. 

»  La  section  de  Coulommiers  a  fait  une  perte  regrettable  dans 
la  personne  de  M.  Montagne,  membre  de  l'Institut,  et  dans  celle 
de  M.  Mauger,  juge  de  paix. 

»  La  mort  est  venue  frapper  à  Fontainebleau,  M.  Colbrandt. 

»  Meaux  et  Melun  n'ont  heureusement  aucun  membre  à  regretter. 

))  Mais  de  toutes  nos  sections  la  plus  éprouvée  est  celle  de  Pro- 
vins, qui  a  perdu  cinq  de  ses  membres  dans  l'espace  de  six  mois  : 
M.  Meunier,  maire  de  Provins;  M.  Marin,  architecte  de  la  même 
ville;  M.  le  comte  de  Saint-Chamans,  M.  Muret  et  M.  V.  Juin. 

»  Je  viens  de  vous  rappeler  les  personnes  qui  ne  sont  plus,  don- 
nons-leur un  souvenir  et  un  regret,  car  elles  furent  des  premières 
à  venir  prendre  place  dans  nos  rangs.  Plusieurs  d'entre  elles 
avaient  promis,  avaient  annoncé  des  travaux  à  leurs  Sections,  et 


(1)  Voir  le  compte-rendu  des  travaux,  lu    par  le   Secrétaire-général   à   la  séance 
publique  de  Meaux,  et  inséré  ci-après. 


—  12  — 

leurs  papiers  prouvent  que  leurs  promesses  n'étaient  pas  vaines; 
elles  avaient  déjà  ensemencé  le  champ,  elles  se  préparaient  à  en 
réunir  les  fruits  quand  la  mort,  cette  moissonneuse  aveugle,  im- 
pitoyable, est  venue  enlever  à  la  fois  le  laboureur  et  sa  récolte. 

»  Un  de  nos  éminents  confrères  manque  aujourd'hui  au  ren- 
dez-vous, c'est  la  première  fois  que  nous  nous  trouvons  privés 
de  sa  présence.  Il  avait  trouvé,  vous  le  savez,  dans  ses  travaux 
scientifiques  leurs  récompenses  naturelles  :  au  dedans  la  paix  de 
l'âme,  au  dehors  la  considération  jointe  à  la  renommée.  Mais 
Dieu  lui  avait  réservé  une  bien  douloureuse  épreuve,  la  mort 
d'un  fils  à  peine  âgé  de  dix-neuf  ans,  qui,  pour  la  bonté,  la  mo- 
destie et  le  savoir,  marchait  à  grands  pas  sur  les  traces  de  son 
père.  Je  crois  devoir  témoigner  publiquement,  au  nom  de  la 
Société,  à  Monsieur  Brunet  de  Presle,  notre  estimé  confrère,  la 
part  que  nous  prenons  tous  à  la  perte  qu'il  vient  d'éprouver,  ainsi 
que  nos  vifs  regrets  au  souvenir  de  cette  jeune  vie  qui  vient  de 
s'éteindre  tout  h  coup  au  milieu  des  plus  belles  espérances,  sans 
avoir  encore  engagé  le  combat  ni  subi  aucun  mécompte. 

')  Vous  avez  été  étonnés  sans  doute,  mes  chers  Confrères,  de 
voir  la  seconde  place  du  Bureau  de  la  Société  occupée  aujourd'hui 
par  une  autre  personne  que  celle  que  vous  étiez  habitués  à  y  aper- 
cevoir depuis  sa  création.  Notre  honorable  confrère  M.  Félix  Bour- 
quelot,  par  des  raisons  de  santé  seulement,  a  refusé  toute  espèce 
de  candidature.  S'il  abandonne  les  fonctions  de  la  vice-présidence, 
M.  Félix  Bourquelot  nous  a  promis  du  moins  de  nous  continuer 
ses  bienveillants  conseils  et  de  nous  faire  participer  à  ses  précieux 
travaux.  Nous  avons  respecté  les  désirs  de  notre  confrère  ;  nous 
n'avons  pas  voulu  que  la  santé  de  M.  Bourquelot  eût  à  souffrir  des 
exigences  de  notre  Société,  car  c'eût  été  faire  un  vol  à  la  science 
qu'il  sait  enrichir  chaque  jour.  Nous  devons  des  remercîments  à 
notre  honorable  Confrère  pour  les  soins  et  tout  le  temps  qu'il  a 
consacrés  à  l'organisation  de  la  Société  dont  il  a  été  un  des  douze 
premiers  créateurs,  et  pour  tous  les  conseils  dont  il  a  constam- 
ment entouré  votre  Président.  C'est  une  dette,  Messieurs,  que 
nous  avons  contractée  envers  M.  Bourquelot,  et  comme  les  dettes 
de  reconnaissance  sont  les  plus  sacrées,  je  demande  que  pour  y 
satisfaire  nous  proclamions,  séance  tenante,  M.  Félix  Bourquelot 
vice-président  honoraire  de  la  Société  (1). 


(1)  Cette  nomination  a  été  ralifiée  par  l'acclamation  unanime  do  tous  les  membre? 
présents,  à  la  séance  administrative. 


—  i3  — 

»  Nos  dettes  et  de  reconnaissance  et  de  souvenirs  acquittées,  je 
termine  en  vous  disant  :  je  compte  sur  vous,  mes  chers  Confrères, 
et  veuillez  compter  sur  moi.  Je  suis  trop  fier  de  vos  suffrages  pour 
ne  pas  consacrer  avec  zèle  et  avec  bonheur  tout  ce  qu'il  peut  y 
avoir  en  moi  de  force  et  de  dévouement,  à  la  réalisation  de  nos 
communes  espérances.  Ma  récompense  sera  bien  douce  si  je  puis 
dire  en  me  joignant  à  vous,  mes  chers  Confrères  :  Nous  aussi, 
nous  avons  coopéré  aux  progrès  des  sciences,  aux  progrès  des 
lettres  et  des  arts;  nous  aussi  avons  été  utiles  à  nos  concitoyens, 
et  nous  aussi,  nous  avons  contribué  à  la  gloire  du  département.» 

Après  ce  discours  couvert  d'applaudissements,  le  Secrétaire- 
général  rend  compte  des  travaux  de  la  Société  pendant  l'année 
1865-1866;  en  résumant  l'œuvre  commune,  il  démontre  l'activité 
des  Sections,  activité  féconde  qui  peut  étonner  chez  quelques-unes, 
et  qui  pourtant,  il  faut  l'espérer,  ne  se  démentira  pas  dans  l'a- 
venir. 

M.  Lhuillier  proclame  aussi  les  noms  des  douze  personnes  étran- 
gères à  la  Société,  qui  ont  fourni  jusqu'à  présent  les  renseigne- 
ments écrits  les  plus  utiles  sur  diverses  communes,  en  réponse 
au  questionnaire  répandu  pour  parvenir  à  la  rédaction  d'un  Ré- 
pertoire historique  et  archéologique  de  Seine-et-Marne.  Un  Socié- 
taire ayant  voulu,  pour  encourager  ces  communications,  en  dehors 
du  concours  ouvert  pour  le  même  objet  jusqu'au  mois  de  mai  1867, 
que  des  médailles  de  remercîment  fussent  décernées  dès  à  présent 
aux  douze  auteurs  de  ces  premiers  renseignements,  elles  sont 
acquises  h  MM.  le  comte  de  Létourville,  maire  de  Pontault  ; 
Drouineau,  propriétaire  à  Lizy  ;  Giot,  cultivateur  à  Ghevry- 
Cossigny  ;  Gouère,  instituteur  à  Gretz  ;  Lhioreau,  instituteur  à 
Moisenay;  Radideau,  instituteur  à  Saint-Martin-en-Bierre;  Flon, 
instituteur  aux  Chapelles-Bourbon  ;  Boutillier,  instituteur  à 
Guérard  ;  Baussant,  instituteur  à  La  Chapelle-Iger  ;  Leclère, 
instituteur  à  Angers  ;  Sarazin,  instituteur  au  Plessis-Placy,  et 
Dubois,  instituteur  à  Coulorames. 

Plusieurs  médailles  sont  décernées  immédiatement  à  celles  de 
ces  personjies  qui  assistent  à  la  séance  ;  les  autres  seront  remises 
par  les  soins  des  Présidents  de  Sections. 

M.  Carro,  vice-président  de  la  Société,  prononce  quelques  pa- 
roles pour  encourager  les  communications  archéologiques  et  pour 
démontrer  tout  l'intérêt  que  peuvent  offrir  parfois  les  plus  mo- 
destes renseignements.  Il  cite,  h  ce  propos,  le  précieux  collier 


—  \l  _ 

antique,  signalé  par  M.  Plicque,  maire  de  Vigncly,  et  qui,  formé 
de  simples  fragments  de  coquillages,  n'en  excite  pas  moins  en  ce 
moment  l'intérêt  des  plus  savants  archéologues. 

La  parole  est  accordée  ensuite  à  M.  Max.  Beauvilliers  (de  la 
Section  de  Fontainebleau),  qui  lit  une  notice  sur  des  autographes 
de  Henri  IV  et  de  Louis  XIV,  conservés  aux  archives  de  l'hôpital 
du  Mont-Perreux  à  Fontainebleau  ;  il  expose  la  cause  première 
de  la  faveur  dont  jouît  autrefois  la  famille  de  Béringhein,  et  re- 
lève, d'après  l'un  de  ces  autographes,  une  erreur  reproduite  dans 
diverses  monographies,  au  sujet  du  fondateur  de  l'hôpital  du 
Mont-Perreux. 

M.  Garro,  —  au  nom  de  M.  Domet,  membre  de  la  Section  de  Fon- 
tainebleau, qui  n'a  pu  se  rendre  à  la  réunion,  —  donne  lecture 
d'un  mémoire  historique  sur  les  Capitaineries  des  chasses. 

Dans  une  notice  sur  un  Concours  musical  au  xvii°  siècle, 
M.  Torchet,  de  Meaux,  présente  le  résultat  de  curieuses  re- 
cherches au  sujet  de  deux  maîtres  de  chapelle  de  cette  ville,  con- 
temporains de  Louis  XIV  et  de  Bossuet. 

M.  Victor  Plessier  (de  la  Section  de  Coulommiers),  dans  une 
étude  archéologique,  a  fait  connaître,  avec  les  légendes  qui  s'y 
rattachent,  une  pierre  celtique  située  près  de  Beautheil,  et  connue 
dans  le  pays  sous  le  nom  de  Pignon  de  Saînte-Aubierge. 

Enfin,  M.  l'abbé  Denis  (de  la  Section  de  Meaux)  rappelle 
d'intéressantes  peintures  décoratives,  qui  ornaient  l'ancienne  cha- 
pelle Notre-Dame-du-Chevet,  dans  la  Cathédrale  de  Meaux,  au- 
jourd'hui reconstruite. 

Avec  ces  lectures,  vivement  applaudies,  a  alterné  l'excellente 
exécution  de  morceaux  de  musique  qui  n'ont  pas  peu  contribué 
au  charme  de  la  séance.  Un  air  varié  de  Bériot  et  un  Concerto  de 
Vieutemps  ont  été  rendus  avec  un  talent  remarquable,  sur  le 
violon,  par  M.  Lamoury.  M.  Perrier,  ténor-solo  de  l'église  Saint- 
Eustache  de  Paris,  a  délicieusement  interprété  deux  mélodies  de 
Quidant  et  de  Gounod  {Ma  barque  et  le  Vallon).  Des  artistes  et 
amateurs  émérites  ont  accompagné  la  1'''=  partie  du  Concerto  en  la 
mineur,  de  Hummel,  pour  piano,  qui  a  été  parfaitement  exécutée 
par  Mme  Jules  Garro.  Enfin,  un  air  varié,  par  un  habile  clari- 
nettiste des  Lanciers  de  la  Garde,  M.  Gibert,  a  fort  agréablement 
terminé  la  série  des  lectures  et  des  morceaux  de  musique. 

M.  le  président  ayant  exprimé  les  remercîments  de  la  Société 
aux  artistes  et  aux  auditeurs,  la  Séance  est  levée  à  ciiKi  heures. 


—   15  — 


COMITÉ  CENTRAL. 


EXTRAIT  DU  PROCÈS-VERBAL  DE  LA  SÉANCE  DU  16  AVRIL  1866. 
Présidence  de  M.  BOURQUELOT,  vice-président. 


La  Commission  nommée  par  le  Comité  central,  pour  étudier  le 
meilleur  mode  à  suivre  dans  la  distribution  des  médailles  d'encou- 
ragement à  l'étude  de  l'Histoire  nationale,  s'est  réunie,  à  une 
heure  après  midi,  sous  la  présidence  de  M.  Bourquelot. 

Étaient  présents  : 

MM.  Bayard,  Fournials,  Hautôme,  vicomte  de  Ponton  d'Amé- 
court,  Thibault;  M.  Brunet  de  Presle  s'est  excusé  par  une  lettre 
de  ne  pouvoir  pas  assister  à  la  séance.  M.  Lhuillier  s'est  égale- 
ment excusé. 

M.  le  Président  donne  lecture  d'une  lettre  de  M.  Fournials, 
principal  du  collège  de  Melun,  dans  laquelle  il  demande  que  la 
médaille  attribuée  à  chaque  collège  par  la  Société  d'Archéologie, 
Sciences,  Lettres  et  Arts,  ne  soit  pas  réservée  pour  le  cours  d'his- 
toire de  la  classe  la  plus  avancée,  mais  qu'elle  soit  accordée  au 
cours  dans  lequel  les  élèves  se  seront  le  plus  distingués  par  leur 
zèle  et  leurs  progrès. 

Après  délibération,  et  considérant  surtout  qu'il  serait  assez 
difficile  de  comparer  d'une  manière  exacte  les  résultats  de  cours 
dont  les  programmes  ne  sont  pas  les  mêmes,  et  qui  sont  faits 
souvent  par  divers  professeurs,  la  Commission  est  d'avis  que 
la  médaille,  comme  l'année  dernière,  soit  décernée  à  l'élève  qui 
aura  obtenu  le  prix  d'histoire  dans  la  classe  la  plus  avancée. 

M,  le  Président  de  la  Société  d'Archéologie  ayant  fait  pressen- 
tir que  les  ressources  pourraient  ne  pas  permettre  de  continuer 
d'accorder  tous  les  ans  une  médaille  à  chaque  collège,  exprime 
l'avis  que  la  Société  pourrait  se  borner  à  une  seule  médaille, 
donnée  successivement  à  chacun  d'eux;  la  Commission  est  una- 
nime pour  prier  M.  le  Président  de  prendre  des  mesures  afin  de 
continuer  le  don  annuel  d'une  médaille  par  collège,  dùt-on,  par 
économie,  substituer  L;  bronze  à  l'argent. 


—  IG  — 


PROCÈS-YERBAUX  DES  SECTIONS, 


SECTION  DE  CQULOMMIERS. 


SÉANCE  DU  25  FÉVRIER  1866. 
Présidence  de  M.  Anatole  DAUVERGNE. 


L'an  1866,  le  dimanche  25  février,  à  deux  heures  et  demie,  la 
Section  de  Coulommiers  de  la  Société  archéogique  de  Seine-et- 
Marne,  se  réunit  dans  une  des  salles  de  l'Hôtel-de-ville,  en  con- 
formité de  l'article  4  de  son  règlement,  sous  la  présidence  de 
M.  Anatole  Dauvergne.  Sont  présents  :  MM.  Josseau,  député; 
Despommiers,  membre  du  conseil  général;  Ludovic  de  Maussion, 
maire  de  Coulommiers;  Ad.  Bayard,  maire  de  Maisoncelles; 
Chemin,  maire  de  Saints;  le  marquis  de  Varennes;  Edmond 
Marc;  Liénard,  de  Mortcerf  ;  V.  Plessier,  de  La  Ferté-Gaucher; 
Flamand,  de  Rebais;  P.  Lefèvre,  des  Aulnois;  Fernand  Ogier 
de  Baulny,  vice-secrétaire,  qui  tient  la  plume  en  l'absence  de 
M.  Adam,  empêché  pour  cause  de  maladie. 

Après  l'adoption  du  procès-verbal  de  la  précédente  séance,  M.  le 
président  donne  lecture  de  la  correspondance.  Deux  membres  de 
la  Section  donnent  leur  démission  :  M.  Manger,  juge  de  paix  du 
canton  de  Coulommiers,  se  regardant  comme  un  membre  inutile; 
M.  Mie,  purement  et  simplement,  sans  indiquer  la  cause  de  sa 
démission.  Ces  deux  démissions  sont  acceptées.  —  M.  Leloup,  de 
La  Houssaye,  adresse  au  président  et  aux  membres  de  la  Section 
une  longue  lettre  pour  réclamer  contre  un  article  des  statuts  que 
la  Section  n'a  pas  mission  do  modifier. 

M.  le  comte  de  Courcy,  président  de  la  Société  d'agriculture  et 
membre  de  la  Section,  on  adressant  ses  excuses  de  ne  pouvoir  as- 
sister à  la  séance,  a  bien  voulu  joindre  à  sa  lettre  plusieurs  mé- 
dailles et  monnaies  qui  seront  déposées  au  musée  de  l'arrondisse- 
ment :  1°  Unécud'orde  François  1",  à  la  Salamandre;  2"  un  franc 


—  17    - 

d'argent  de  Henri  III;  3"  un  gros  sol  parisis  ;  4°  un  denier 
d'Edouard  d'Angleterre,  Givitas  London;  5"  un  Gordien  III  en 
argent;  6°  un  beau  bronze  de  Domitien;  —  ces  deux  dernières 
trouvées  à  Ostie,  près  de  Rome.  Les  autres  ont  été  rencontrées 
dans  des  démolitions  à  Nesles-la-Gilberde,  près  de  Rozoy.  M.  le 
Président  est  invité  à  adresser  à  M.  de  Courcy  l'expression  de  la 
gratitude  de  la  Section ,  à  l'occasion  de  cet  envoi  intéressant. 

M.  V.  Plessier  dépose  sur  le  bureau  pour  le  musée  de  Goulom- 
miers  :  i°  un  fragment  de  flèche  ou  de  couteau  celtique  en  silex; 
2"  une  monnaie  d'argent  de  Gordien  III  et  deux  moules  en  terre 
de  pièces  romaines,  provenant  des  fouilles  faites  dans  plusieurs 
puits  de  Châteaubleau,  sous  la  direction  de  M.  Burin,  instituteur 
à  Saint-Just,  et  aux  frais  de  M.  Teyssier  des  Farges,  membre  de 
la  Société  d'archéologie  (section  de  Provins).  Ces  objets  précieux 
intéressent  vivement  la  Section,  qui  félicite  M.  V.  Plessier  d'a- 
voir bien  voulu  les  lui  faire  connaître. 

M.  le  Président  annonce  que  M.  Teyssier  des  Farges  est  dans 
l'intention  d'offrir  à  chaque  Section  de  la  Société  d'archéologie 
un  certain  nombre  de  ces  moules.  Au  mois  de  septembre  1866 
de  nouvelles  fouilles  doivent  être  entreprises  dans  les  puits  de 
Châteaubleau  en  présence  de  plusieurs  niembres  de  la  Société 
d'archéologie,  et  il  est  permis  d'espérer  de  nouvelles  découvertes 
sur  ce  territoire  déjà  si  fécond. 

M.  Flamand,  de  Rebais,  communique  un  manuscrit  en  par- 
chemin découvert  dans  la  commune  de  Saint- Barthélémy- en 
Beaulieu.  C'est  un  obituaire  ou  nécrologe  datant  de  la  fin  du 
xvi^  siècle.  Ce  registre  sera  examiné  par  M.  Anatole  Dauvergne. 

Il  est  procédé  à  l'élection  de  deux  membres  présentés  par 
MM.  Despomraiers,le  marquis  de  Varennes  et  Anatole  Dauvergne  : 
MM.  Eugène  Liénard,  percepteur  des  contributions  directes  à 
Saint-Ouen,  canton  de  Rebais,  et  Eugène  Liébert,  archiviste  au 
château  de  La  Grange-Bléneau,  canton  de  Rozoy.  Leur  admission 
est  prononcée  à  l'unanimité  des  membres  présents  ,  moins  une 
voix. 

M.  Brayer,  instituteur  communal  à  Boissy-le-Ghâtel ,  envoie  à 
la  Section  pour  la  collection  d'autographes  de  la  Bibliothèque  pu- 
blique de  Goulommiers,  un  brevet  sur  parchemin  donné  à  U7i  (aille- 
basse  de  sa  musique  par  Philippe  d'Orléans,  frère  de  Louis  XIV. 
Ce  document  est  curieux  à  plus  d'un  titre.  Des  remercîments  se- 
ront adressés  à  M.  Brayer,  qui  se  montre  l'un  de  nos  plus  zélés 
correspondants. 

2 


—   18  — 

Dans  l'une  de  ses  dernières  séances,  plusieurs  membres  de  la 
Section  de  Melun  ont  présenté  ,  pour  faire  partie  de  la  Société 
d'archéologie,  des  dames  ayant  acquis  une  certaine  notoriété  dans 
les  sciences  ou  dans  les  arts.  Après  discussion,  la  proposition  a 
été  renvoyée  au  Comité  central  pour  l'interprétation  de  l'article  l*"" 
des  statuts  généraux,  mais  le  Comité  central  n'avait  pas  cette  com- 
pétence :  la  Section  de  Coulommiers  consultée,  repousse  à  l'una- 
nimité des  membres  présents  la  proposition  qui  lui  est  soumise. 

M.  Victor  Plessier  lit  une  note  intitulée  :  Bossue^  parrain  d 
Bannost.  Ce  travail  est  renvoyé  à  la  Commission  du  bulletin. 

Il  est  ensuite  donné  lecture  de  trois  notices,  ou  plutôt  de  ré- 
ponses au  questionnaire  adressé  à  tous  les  instituteurs  du  dépar- 
tement, sur  l'histoire  des  communes  auxquelles  ils  sont  attachés. 
MM.  Boutillier ,  de  Guérard  ;  Pion,  des  Chapelles-Bourbon,  et 
Beaussant ,  de  La  Chapelle-Iger,  ont  produit  des  renseignements 
intéresssants  qui  apporteront  un  secours  des  plus  utiles  à  la  com- 
position du  Dictionnaire  historique  et  archéologique  de  notre  dé- 
partement. La  Section  n'ayant,  pour  le  présent,  aucun  moyen 
de  récompenser  le  zèle  de  ces  honorables  correspondants ,  prie 
M.  le  Président  de  leur  adresser  des  félicitations,  avec  mention 
spéciale  du  procès-verbal  de  la  séance. 

M.  le  marquis  de  Varennes  propose  l'acquisition  par  la  Section 
d'une  carte  de  l'arrondissement  de  Coulommmiers  (celle  dite  du 
dépôt  de  la  Guerre),  destinée  à  noter  les  objets  d'art  ou  d'anti- 
quité découverts  sur  le  territoire.  En  fixant  ainsi  et  de  la  ma- 
nière la  plus  certaine  les  lieux  ,  les  circonstances  particulières  à 
chaque  trouvaille ,  on  éviterait  bien  des  erreurs  aux  archéologues 
futurs ,  et  l'on  rendrait  plus  faciles  les  recherches  de  monuments 
appartenant  à  une  même  région.  Une  entière  adhésion  est  donnée 
à  cette  proposition  qui  sera  communiquée  aux  autres  Sections  de 
la  Société  d'archéologie. 

M.  le  Président  fait  remarquer  qu'il  n'a  reçu  aucun  renseigne- 
ment à  propos  de  la  conservation  d'une  dalle  tumulaire  existant 
dans  l'ancienne  commanderie  de  Chevru.  Il  déplore  la  destruction 
des  ruines  de  La  Celle  (Église  du  Prieuré)  aujourd'hui  définitive. 
On  ne  verra  plus  désormais  qu'un  monceau  de  décombres  qui 
disparaîtra  à  son  tour.  Du  fragment  de  tombe  que  plusieurs 
membres  de  la  Section  espéraient  conserver  ,  on  a  réclamé 
500  francs.  La  valeur  vénale  de  cette  pierre  était  de  15  francs 
tout  au  plus;  il  n'y  avait  point  à  insister,  is'éanmoins,  ce  souvenir 
ne  serj  •pas  tout  à  fuit  perdu  ;  un  estampage  complet  est  déposé 


—  19  — 

au  musée  de  Goulommiers ,  et  il  suffit  ù  l'étude  de  ce  qui  reste 
de  l'inscription. 

En  revanche,  M.  le  Président  se  complaît  à  signaler  h  la  Section 
un  acte  gracieux  d'un  membre  de  la  section  de  Meaux,  M.  Cinot, 
propriétaire  à  Crécy.  M.  Cinot,  voulant  être  agréable  à  la  ville  de 
Goulommiers^  a  adressé  à  M.  Anatole  Dauvergne  une  dalle  de 
marbre  noir  et  de  provenance  inconnue,  trouvée  h  Crécy,  et  sur 
laquelle  on  avait  lu  le  nom  de  Longueville.  Un  estampage  de 
l'inscription  a  démontré  l'inexactitude  de  cette  lecture.  Il  s'agit 
d'un  chevalier  de  Longvillies  de  Poincy,  dont  la  famille,  origi- 
naire du  Ponthieu,  posséda  la  terre  de  Poincy.  aux  environs  de 
Meaux.  D'après  les  renseignements  fournis  à  M.  Anatole  Dau- 
vergne par  le  savant  historiographe  du  diocèse  de  Meaux,  M.  l'abbé 
Denis,  plusieurs  personnages  du  nom  de  Poincy  ont  figuré,  au 
siècle  dernier,  parmi  les  chevaliers  de  Malte  et  les  gouverneurs 
des  possessions  françaises  aux  Antilles  et  en  Amérique  ;  l'une  des 
femmes  aurait  .donné  naissance  à  l'impératrice  Marie-Françoise- 
Joséphine  Tascher  de  la  Pagerie,  première  femme  de  Napoléon  P^ 
Le  fait  mérite  d'être  étudié.  Ce  marbre  sera  offert  pour  la  collec- 
tion de  l'hôtel  de  Gluny  ;  un  estampage  en  restera  déposé  aux 
archives  de  la  Section  de  Coulômmiers. 

La  séance  est  levée  à  quatre  heures  et  demie. 


SÉANCE  DU  LUNDI  7  MAI  1866. 
Présidence  de  M.  Anatole  DAUVERGNE. 

L'an  1866,  le  lundi  7  mai,  à  deux  heures  et  demie,  la  Section  de 
Coulômmiers  de  la  Société  d'Archéologie  de  Seine-et-Marne 
s'est  réunie  en  l'une  des  salles  de  l'hôtel-de-ville,  en  conformité  de 
l'article  4  du  règlement  de  cette  Section,  sous  la  présidence  de 
M.  Anatole  Dauvergne.  Étaient  présents  :  MM.  Chemin,  maire 
de  Saints  ;  Edmond  Marc,  de  Coulômmiers  ;  V.  Plessier,  de  La 
Ferté-Gaucher  ;  Maricot,  notaire  à  Rozoy ,  le  docteur  Ernest 
Delbet,  de  La  Ferté-Gaucher;  Fernand  Ogier  de  Baulny,  secré- 
taire-adjoint. S'étaient  fait  excuser  :  MM.  Ludovic  de  Maussion, 
le  comte  Jules  de  Lasteyrie  et  Eugène  Liébert. 

Le  secrétaire-adjoint  donne  lecture  à  la  Section,  du  procès- 


—  20  — 

verbal  de  la  dernière  séance,  qui  est  adopté  sans  discussion,  et  de 
plusieurs  lettres  adressées  à  M.  le  Président  : 

\°  Par  M.  l'abbé  Huguenot,  curé  de  Voinsles,  demandant  que, 
lors  de  l'excursion  prochaine  de  la  Société,  une  visite  soit  faite 
aux  églises  de  Rozoy,  Voinsles,  Nesles  et  Bernay.  Renvoi  de  cette 
demande  à  la  Commission  spéciale  chargée  d'organiser  cette  pro- 
menade archéologique  ; 

2"  Par  M.  le  comte  Jules  de  Lasteyrie,  insistant  dans  les  termes 
les  plus  gracieux  pour  la  Société,  afin  d'ofîrir  la  visite  au  château 
de  la  Grange  et  le  déjeûner,  demandant  la  permission,  dans  le 
cas  où  les  membres  de  la  Société  ne  déjeûneraient  pas  à  la 
Grange,  de  les  suivre  où  ils  iraient  pour  passer  quelque  temps 
avec  eux.  Renvoi  à  la  Commission  de  l'excursion,  et  vifs  remer- 
cîments  à  M.  de  Lasteyrie; 

3°  Par  M.  Adam,  secrétaire-trésorier  de  la  Section,  annonçant 
que  son  état  de  maladie  ne  lui  permet  pas  de  continuer  ses  fonc- 
tions, avec  prière  de  pourvoir  à  son  remplacement.  La  Section 
demande  à  M.  le  Président  de  transmettre  à  AI.  Adam,  dont  le 
dévouement  est  bien  connu,  l'expression  de  ses  regrets  et  de  ses 
sympathies. 

M.  Plessier  lit  une  note  intitulée  :  Bossuet  parrain  de  la  grosse 
cloche  de  Saint-Martin-des-Champs  et  de  celle  de  La  Ferté-Gaucher 
(fragment  de  Souvenirs  inédits  de  Bossuet  dans  les  paroisses  de  la 
conférence  de  La  Ferté-Gaucher).  Ce  travail  consciencieux,  que  la 
Commission  du  bulletin  devra  apprécier,  constate  principalement 
les  relations  qui  ont  existé  entre  l'évoque  de  Meaux  et  la  famille 
du  chancelier  Michel  Letellier.  M.  Plessier  termine  ainsi  sa 
notice  : 

{(  En  présentant  dans  leur  ordre  chronologique  les  faits  connus 
»  de  la  liaison  qui  a  existé  entre  les  Letellier  et  Bossuet,  notre 
»  but  a  été  d'abord  de  faire  ressortir  les  changements  survenus 
»  dans  leurs  relations.  Ensuite,  nous  avons  espéré  attacher  i\  des 
»  événements  de  localité  l'importance  qui  leur  appartient  réelle- 
»  ment,  lorsqu'ils  jettent  quelque  lumière  sur  une  vie  qui  est  du 
»  domaine  de  l'histoire. 

»  Les  deux  cloches  n'existent  plus  :  celle  de  La  Ferté-Gaucher 
»  a  péri  en  1734,  d'un  coup  de  foudre  qui  renversa  le  clocher;  on 
»  ignore  quel  a  été  le  sort  de  celle  de  Saint-Martin,  d 

M,  Chemin  lit  ensuite  une  note  sur  les  sépultures  trouvées  près 
du  hameau  d'Épieds,  commune  de  Saints.  Six  squelettes  ont  été 
rencontrés  dans  lu  tranchiM.'  laite  pour  rétublii'  lu  chemin   vicin.il 


—  21  — 

qui  conduit  d'Épieds  au  hameau  des  Courrois.  Tous  (étaient  placés 
dans  une  môme  direction,  la  tête  regardant  le  levant,  vers  lequel 
sont  tournés  les  pieds.  L'état  fruste  des  ossements,  complètement 
desséchés,  ne  permet  pas  de  croire  à  un  cimetière  improvisé,  soit 
lors  de  l'invasion  de  1814,  soit  pendant  les  guerres  du  xiv"  et  du 
xv*"  siècles,  dites  des  Lorrains.  Mais  aucun  objet  trouvé  dans 
le  sol  n'autorisait  à  déterminer  l'âge  de  ces  sépultures.  En 
fouillant,  le  28  avril  1866,  de  concert  avec  M.  Anatole  Dauvergne, 
quelques  parties  inexplorées  de  la  berge  d'un  champ  de  luzerne, 
M.  Chemin  a  rencontré  de  nombreux  fragments  de  tuiles  plates 
et  à  rebords,  de  fabrication  ancienne.  Plus  de  doute,  ces  sépul- 
tures sont  antiques.  Le  champ  est  situé  sur  le  sommet  du 
plateau,  à  trois  cents  mètres  environ  du  chemin  paré  qui  va 
de  Chailly  à  Pommeuse.  Mais  quel  était  l'établissement,  villa  ou 
poste  militaire,  qui  longeait  presque  la  voie  ancienne?  C'est  ce 
qu'il  sera  peut-être  permis  de  connaître  quand,  à  l'automne 
prochain ,  on  pourra  entreprendre  des  fouilles  régulières.  La 
Section  félicite  M.  Chemin  et  demande  le  dépôt  de  sa  note  aux 
archives,  en  attendant  qu'il  puisse  la  compléter  par  de  nouveaux 
renseignements. 

M.  le  Président  fait  un  rapport  verbal  sur  le  Martyrologe  ou 
Obituaire  de  la  paroisse  de  Saint-Barthélemy-en-BeauIieu,  pré- 
senté à  la  Section  par  M.  Flamand,  de  Rebais. 

C'est  un  manuscrit,  sur  parchemin  in-8°,  contenant  90  feuillets, 
qui  ne  mentionne  aucun  acte  antérieur  à  1595  et  s'arrête  au  com- 
mencement du  xviii'^  siècle.  Ce  nécrologe,  toujours  intéressant 
pour  l'histoire  des  communes,  présente  à  la  marge  gauche,  à  côté 
des  chiffres,  tracés  en  vermillon  de  mauvaise  qualité,  des  lettres 
majuscules  ornées,  dessinées  à  l'encre,  qui  semblent  appartenir  à 
une  époque  antérieure.  Ces  lettres,  barbares  comme  celles  des 
manuscrits  des  ix*  et  x''  siècles,  sont  remplies  de  figures  gro- 
tesques, plus  ou  moins  coiffées,  la  bouche  ouverte,  montrant  les 
dents  et  tirant  la  langue.  Il  est  prorbable  que  le  calligraphe-dessi- 
nateur  s'est  inspiré  de  modèles  plus  anciens,  qu'il  a  interprétés 
avec  un  sentiment  personnel. 

MM.  Ernest  Delbet  et  Victor  Plessier  font  remarquer  que  les 
Obituaires  manuscrits  peuvent  provenir  d'une  fabrication  spé- 
ciale, d'une  industrie  organisée  pour  fournir  ces  registres,  en 
quelque  sorte  obligatoires.  Leur  similitude ,  malgré  quelques 
variantes,  autorise  cette  supposition;  il  est  peu  probable  que 
chaque  église  ait  possédé  un  calligraphe  ecclésiastique  ou  laïque 


—  22  — 

capable  d'exécutei'  ce  travail,  qui  n'est  point  dépourvu  d'art. 

Cette  hypothèse  est  confirmée  par  l'examen  d'un  registre  de 
même  nature,  adressé  par  M.  Carbonnier,  ancien  maire  d'Aulnoy 
et  membre  de  la  Section,  qui  présente  des  chiffres  semblables  à 
ceux  de  l'Obituaire  de  Saint-Barthélémy.  Les  lettres  majuscules 
sont  plus  simples  dans  le  Martirologe  de  l'église  parrochialle  de 
Nostre-Dame  d'Aulnoy^  au  diocèse  de  Meaux.  Également  en  par- 
chemin, il  contient  44  feuillets  de  0"3o  de  hauteur,  et  de  0"  23  en 
largeur.  La  plus  amcienne  mention  porte  la  date  de  1446;  toutes 
celles  qui  y  ont  été  inscrites  au  xvi"  siècle  sont  de  la  même  main, 
et  le  formulaire  ne  varie  pas  : 

«  Nous  ferons  le  service  de  feu  Jehan qui  a  laissé  à  la 

»  fabrique  et  marguilerie  de  céant solz  de  rente  à  prendre  etc. 

))  à  la  charge  que  les  marguiliers  feront  faire,  direct  célébrer,  cha- 
))  cun  an,  en  ladicte  église  une  messe  (basse  ou  haulte),  et  pour 
»  offrir  pain,  vin,  chandelle,  pour  le  salut  et  remède  de  l'âme 
»   dudict  defPunct,  etc.  » 

Parmi  les  donateurs,  on^ trouve  :  Bernard  Dernier^  tabellion  à 
Coulommiers,  en  1447;  Jehan  Chabert ,  en  1519;  Jean  Bobé  ^ 
marchand  à  Coulommiers,  en  1333. 

Le  résumé  des  revenus  de  l'église  d'Aulnoy  constate  qu'elle 
possédait  au  milieu  du  siècle  dernier  :  1°  22  arpents  20  perches 
de  terres  labourables;  2°  6  arpents  2  perches  de  pré;  3°  une 
masure,  un  jardin  et  une  partie  de  pré  ;  4"  un  muid  plus  un  septier 
de  froment  ;  et  3°  56  livres  18  sols  de  rente. 

M.  Anatole  Dauvergne  présente  à  la  Section  :  1°  trois  monnaies 
romaines  en  potin  offertes  au  musée  de  Coulommiers,  par  M.  Fré- 
noy,  instituteur  communal  à  Neufmoutier  ;  2°  une  carte  de  l'élec- 
tion de  Coulommiers  au  xvni'^  siècle,  donnée  par  M.  Achille  Viré, 
clerc  d'avoué  à  Coulommiers.  Un  gisement  considérable  de  mé- 
dailles, qu'on  évalue  à  plus  de  quinze  cents  pièces,  a  été  rencontré 
sur  le  territoire  de  la  commune  de  Neufmoutier.  Remercîments 
à  M.  Frénoy  qui  promet  un  envoi  plus  considérable  de  ces  mon- 
naies; 

M.  Dauvergne  communique  les  plans,  coupes  et  élévation 
de  ranci(mne  église  priorale  des  Bénédictins  de  La  Celle,  exécutés 
ï)ar  M.  Achille  Viré  avec  un  dévouement  des  plus  louables.  Ce 
travail,  composé  de  douze  feuilles,  devient  précieux  pour  l'Iiistoire 
du  monument,  totalement  détruit  aujourd'hui.  La  Section  prie 
AL  le  Président  de  féliciter  vivement  M.  Viré  pour  cette  très-inté- 
ressante communication. 


—  sa- 
line commission  chargée  d'étudier  le  programme  de  l'excur- 
sion archéologique  proposée  pour  le  mois  de  juin  prochain  est 
nommée;  elle  se  compose  de  MM.  Victor  Plessier ,  président, 
et  le  docteur  Ernest  Delbet,  pour  le  canton  de  La  Ferté-Gaucher; 
Flamand  pour  celui  de  Rebais  ;  Maricot  et  Liébert  pour  celui 
deRozoy,  et  pour  la  ville  de  Goulommiers  ,  de  MM.  Anatole 
Dauvergne  et  Fernand  Ogier  de  Baulny. 

Il  est  ensuite  procédé  à  l'élection  des  membres  du  bureau  central 
de  la  Société  d'archéologie,  ainsi  qu'à  l'élection  des  membres  du 
bureau  de  la  Section  de  Goulommiers,  dont  les  résultats  seront 
proclamés  à  la  réunion  générale  qui  se  tiendra  à  Meaux,  le 
21  mai  1866. 

La  séance  est  levée  à  cinq  heures  un  quart. 


SECTION   DE  FONTfllNEBLERU. 


SÉANGE  DU  26  FEVRIER  1866. 
Présidence  de  M,  Jules  1)A  VI D. 

La  séance  est  ouverte  à  2  heures. 

Sont  présents  : 

MM.  David,  Multigné,  Gillet,  Beauvilliers,  le  comte  d'Erceville, 
Marin-Darbel,  Tabouret,  Bourges  et  Ronsin. 

Le  procès-verbal  de  la  dernière  séance  est  adopté  sans  observa- 
tion. 

M.  le  Président  fait  à  l'assemblée  plusieurs  communications  ; 

Il  rappelle  que  dans  la  séance  du  10  juin  1865,  la  Section  de 
Fontainebleau,  comme  toutes  les  autres  Sections,  avait  décidé  qu'on 
ferait  parvenir  à  MM.  les  curés  et  les  instituteurs  de  l'arrondis- 
sement, un  questionnaire  archéologique  pouvant  les  mettre  à 
même  de  fournir  des  renseignements  sur  les  richesses  archéolo- 
giques que  leur  offriraient  les  différentes  localités  qu'ils  habitent. 

Jusqu'ici  aucune  réponse  n'est  parvenue  au  bureau  de  la  Section 
qui  a  lieu  de  s'en  étonner;  après  examen,  il  est  reconnu  que  le 
Gomité  central  ne  s'étant  point  expliqué  sur  les  moyens  d'exécu- 
tion, et  n'ayant  pas  dit  à  quelle  source  financière  devaient  iiicom- 


bep  les  frais  d'impression  de  ce  questionnaire  archéologique,  qu'il 
était  nécessaire  d'adresser  à  toutes  nos  communes,  il  en  est  ré- 
sulté que  l'invitation  du  Comité  central  n'avait  point  eu  de  suite, 
et,  par  conséquent,   était  restée  sans  effet. 

Reste  donc  à  prendre  des  informations  nouvelles  pour  réaliser 
le  projet  relatif  au  dictionnaire  archéologique  du  département  (1). 

M.  David  donne  lecture  d'une  lettre  du  Président  de  la 
Société  et  du  Comité  central,  demandant  l'avis  des  Sections,  sur  la 
possibilité  d'admettre  comme  membres  titulaires  les  dames  qui  sol- 
liciteront leur  entrée  dans  la  Société  archéologique.  Si  les  Sections 
répondent  affirmativement,  il  serait  important  de  modifier  l'ar- 
ticle premier  de  nos  statuts  généraux  qui,  sans  l'interdire  absolu- 
ment, ne  se  prononce  pas  assez  en  faveur  de  cette  admission.  Dix 
signatures  étant  nécessaires  pour  apporter  des  modifications  aux 
articles  du  règlement,  la  question  est  mise  en  délibération. 

M.  le  Président  expose  que  les  antécédents  ne  sont  point  à  créer 
en  pareille  matière,  que  les  Jeux  floraux,  la  Société  des  Arcades 
de  Rome,  la  Société  philotechniquC;,  comptent  un  grand  nombre  de 
dames  dans  leurs  rangs.  Il  est  vrai  que  dans  ces  Sociétés,  les  dames 
n'ont  titre  que  de  membres  auditeurs  et  prennent  quelquefois  un 
nom  d'homme,  sous  lequel  elles  sont  inscrites  au  rôle  des  sociétaires; 
mais  l'on  peut,  cependant,  se  départir  de  cette  coutume,  et 
d'ailleurs,  ajoute  M.  David,  ce  détail,  sur  lequel  nous  ne  sommes 
point  appelés  à  nous  prononcer,  relève  du  mode  administratif  qui 
pourra  être  ultérieurement  mis  en  œuvre. 

Le  Président  pense  qu'admettre  les  dames  dans  nos  assemblées 
est  un  heureux  moyen  de  donner  de  la  publicité  à  des  ouvrages 
de  mérite,  qui  trouveraient  avec  avantage  leur  insertion  dans  nos 
Bulletins  semestriels. 

Cette  exposition  a  rallié  tous  les  avis  de  l'assemblée,  qui  a  voté 
à  la  presque  unanimité  l'admission  des  dames  dans  le  sein  de  notre 
Société  Archéologique. 

La  Section  fera  parvenir  au  Comité  central  les  dix  signatures 
nécessaires  à  la  modification  de  l'article  premier  du  règlement 
général. 

La  parole  est  donnée  à  M.  Beauvilliors  qui  lit  la  deuxième  partie 
de  son  rapport  sur  l'excursion  archéologique   dans   l'arrondisse- 

(1)  La  Section  ignorait  sans  (Joule  qu'an  moment  oii  son  Président  réclamait, 
1200  exemplaires  du  questionnaire  avaient  été  distribués  depuis  plusieurs  mois,  par 
les  soins  du  Secrétaire  général  de  la  Société. 


—  25  — 

ment  deMeaux.  Ce  récit,  auquel  M.  Beauvilliers  mAlc  Thistoire 
et  la  chronique,  offre  un  intérêt  plus  marqué  qu'un  simple  contre- 
rendu  ;  dans  chaque  localité,  il  exhume  les  chartes,  les  coutumes, 
les  épisodes  qui  se  rattachent  aux  gloires  de  la  contrée,  leurs  ri- 
chesses architecturales  et  artistiques  sont  exposées  par  une  main 
habile,  par  un  esprit  dont  la  charmante  érudition  a  mis  tout  à 
profit  dans  cette  rapide  excursion. 

Un  des  membres  de  l'assemblée,  M.  Ronsin,  annonce  qu'il 
se  propose  de  soumettre  à  la  Section  dans  la  séance  prochaine, 
une  lettre  autographe  de  Louis  XIV. 

Il  signale,    dans   une   habitation    de  Fontainebleau,  un  petit 

monument  archéologique  décoré  d'une  fort  belle  salamandre, 

et  demande  qu'une  commission  soit  nommée  pour   aller  étudier 

sur  place  quelques  précieuses  œuvres   d'art  dans    la    ville   de 

Fontainebleau. 

L'ordre  du  jour  épuisé,  la  séance  est  levée  à  quatre  heures. 


SÉANCE  DU  26  MARS  1866. 
Présidence  de  M.  Jules  DA  VID. 

M.  le  Président  nomme  une  commission  pour  étudier  les  restes 
d'architecture  qui  se  trouvent  dans  une  ancienne  maison  de  Fon- 
tainebleau. 

M.  Lepage,  avoué  à  Fontainebleau,  est  présenté  comme  membre 
titulaire. 

MM.  Cauthion  et  Lepage  mettent  sous  les  yeux  de  l'assemblée 
une  copie  de  documents  originaux  qui  se  trouvent  classés  aux 
archives  de  Melun  et  établissent  d'une  manière  certaine  la 
date  à  laquelle  le  bourg  de  Fontainebleau  fut  érigé  en  paroisse. 
Ces  pièces  sont  au  nombre  de  trois  (J)  :  1°  Copie  d'une  informa- 
tion ou  enquête  de  commodo  et  incommodo  datée  du  18  mars  1662  ; 
2°  Procès-verbal  où  sont  inscrites  les  délimitations  devant  cons- 
tituer la  nouvelle  paroisse;  3°  Lettre  de  la  main  de  Louis  XIV 
du  18  novembre  1661,  établissant  pour  le  bourg  de  Fontainebleau 
le  droit  de  se  séparer  de  la  commune   d'Avon   et  de  s'ériger  en 

(i)  Elles  ont  déjà  tait  l'objet  d'une  notice  lue  par  le  Secrétaire  général  à  la 
séance  publique  de  Provins  et  insérée  au  2^  vol.  du  Bulletin;  —  1805,  p.  d09. 


—  26  — 

paroisse.  6,000  livres  prises  sur  le  revenu  de  la  ferme  lui  sont 
assurées  pour  les  nouveaux  besoins  de  la  cure. 

M.  Jacquemin  demande  la  création  d'un  musée  archéologique 
local.  Une  commission  est  nommée  pour  faire  la  recherche  des 
richesses  à  l'aide  desquelles  on  pourrait  commencer  la  réalisation 
de  ce  projet. 

M.  le  Président  rend  compte  de  la  dernière  session  du  Comité 
central  dans  laquelle  plusieurs  affaires  d'intérêt  général  ont  été 
traitées  ; 

La  question  de  l'envoi  du  questionnaire  aux  instituteurs  et  aux 
curés  dans  le  but  des  recherches  archéologiques  reste  à  l'ordre  du 
jour. 

Indication  de  l'élection  des  bureaux  respectifs  des  Sections  ;  — 
l'assemblée  générale  de  Meauxest  fixée  au  21  mai. 


SÉANCE  DU  30  AVRIL  1866. 
Présidence  de  M.  Jules  DA  VID. 

Lettre  de  M.  le  M'^  de  Pontécoulant,  président  de  la  Société, 
qui  annonce  la  prorogation  d'une  année  pour  le  concours  ouvert 
pour  le  dictionnaire  historique  et  archéologique. 

MM.  le  comte  d'Armaillé,  Dumesnil  et  Lepage  présentés  dans 
les  séances  précédentes  sont  admis  membres  titulaires. 

Offre  faite  par  MM.  Uumesnil  et  Leroy  de  deux  notices;  la  pre- 
mière, sur  la  restauration  intérieure  de  l'église  de  Nemours  ;  la 
seconde,  Causerie  sur  Poinsinet. 

M.  Beauvilliers,  désigné  comme  rapporteur  de  la  commission 
nommée  pour  les  recherches  archéologiques,  s'excuse  de  ne  pou- 
voir communiquer  son  travail,  divers  renseignements  essentiels 
lui  manquent  el  des  indications  nouvelles  lui  sont  annoncées. 

Il  est  donné  avis  des  élections  prochaines  pour  le  Comité  central. 

M.  le  président  donne  lecture  de  la  circulaire  indiquant  le  plan 
de  classement  des  œuvres  caractérisant  diverses  époques  de  l'His- 
toire du  travail  que  la  commission  impériale  se  propose  d'adopter 
pour  l'Exposition  de  18()7. 

M.  .Iules  David  termine  sa  lecture  sur  Champollion  jeune, 
après  l'avoir  fait  précéder  d'un  résumé  oral  de  la  vie,  des  études, 
des  voyages  et  de  l'immortelle  découverte  du  grand  égyptologue. 
Cette  dernière  partie  de  l'œuvre  du  Président  ne  peut  paraître 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  parce  que,  étant  un  aperçu  de  l'his- 


—  27  — 

toire  et  des  mœurs  de  l'Egypte  d'après  Champollion,  c'est  plutôt 
une  esquisse  qu'un  travail  complet  et  que  cet  appendice  doit  être 
de  la  part  de  l'auteur  l'occasion  de  nouvelles  recherches. 


SÉANCE   DU   28   MAI    1866. 
Présidence  de  M.  Jules  DA  VLD. 

M.  le  Président  fait  part  à  l'assemblée  des  votes  émis  pour 
l'élection  des  membres  du  Comité  central  et  de  ceux  émis  pour 
l'élection  des  membres  du  bureau  de  la  Section.  Il  communique 
une  lettre  de  M.  le  M''  de  Pontécoulant  qui  exprime  à  la  Section  ses 
remercîments  pour  l'unanimité  des  votes  qui  lui  ont  été  accordés, 
et  qui  annonce  que  l'admission  des  femmes  est  désormais  auto- 
risée au  sein  de  la  Société.  —  Rapports  des  commissions  :  la  pre- 
mière, pour  la  création  d'un  musée  archéologique;  il  est  décidé 
qu'il  sera  demandé  plus  tard  au  conseil  municipal  un  local  appro- 
prié à  cet  effet.  La  deuxième,  ayant  pour  objet  une  recherche 
archéologique  dans  la  ville  de  Fontainebleau.  11  est  convenu  que 
MM.  les  membres  de  cette  dernière  commission  se  réuniront  le 
lundi  4  Juin. 

M.  Thibault,  délégué  près  le  Comité  central,  rend  compte  de  la 
décision  prise  pour  continuer  le  don  annuel  d'une  médaille,  par 
collège,  à  l'élève  qui  aura  obtenu  le  prix  d'histoire  dans  la  classe 
la  plus  élevée;  l'assemblée  y  Joint  son  adhésion,  mais  pour  l'année 
courante;  elle  pense  que  cet  encouragement  de  la  Société  ne  peut 
devenir  une  fondation,  se  réserve  de  le  juger  à  nouveau  et  même 
d'en  ajourner  l'emploi 

M.  Beauvilliers,  présent  à  la  séance  générale  de  Meaux,  par  un 
compte-rendu  très-succint,  fait  connaître  aux  membres  qui  n'ont 
pu  y  assister  tout  l'intérêt  de  cette  séance. 

Don  de  médailles  par  M.  le  docteur  Le  Boyer,  de  Misy. 


SEANCE  DU  25  JUIN  1866. 
Présidence  de  M.  Jules  DA  VI D. 

En  réponse  aux  préoccupations  de  la  Section  relativement  au 
questionnaire  dont  aucun  exemplaire  n'aété  retourné  au  Président, 
M.  le  Président  général  annonce  à  la  Section  qu'il  va  le  faire 
imprimer  et  distribuer  à  nouveau.  Une  commission  sera  nommée 
pour  rendre  compte  des  réponses  et  distribuer  des  récompenses. 


—  28  — 

Les  médailles  offertes  à  la  Section  seront  soumises  à  l'examen  de 
M.  le  vicomte  de  Ponton  d'Amécourt,  numismate  distingué  de  la 
Société  de  Seine-et-Marne. 

M.  Beauvilliers  lit  la  première  partie  de  son  travail  sur  les  curio- 
sités archéologiques  renfermées  dans  plusieurs  maisons  de  Fon- 
tainebleau. 

Il  a  signalé  et  décrit  en  détail  les  sculptures  existant  sur  trois 
gresseries  remarquables  exposées  dans  le  mur  d'un  bâtiment  de 
l'habitation  de  M.  Bordereau,  rue  des  Sablons,  n°  M.  Ces  gres- 
series sont  placées  paralhMement  à  une  hauteur  égale.  Chaque 
chapiteau  formé  par  des  cariatides  ou  génies  ailés  dont  les  queues 
se  réunissent  et  se  confondent  pour  figurer  le  croissant  de  Diane 
de  Poitiers.  Le  soubassement  du  chapiteau  de  gauche  est  supporté 
par  une  tête  de  satyre  barbu  à  oreilles  pointues,  le  pendant  figuré 
par  une  tête  de  femmo.  TIno  sorte  d'écharpc  est  nouée  au-dessus 
des  oreilles.  Suivant  la  loi  des  contrastes,  les  figurines  surmontant 
la  tête  du  satyre  sont  du  sexe  féminin,  celles  au-dessus  de  la  tête 
de  la  nymphe  sont  du  sexe  masculin.     . 

Au-dessus,  encastrée  dans  la  muraille,  une  salamandre  aussi 
en  gresserie,  parfaitement  conservée,  diffère  du  type  le  plus  fré- 
quemment adopté  à  Fontainebleau.  —  Au  lieu  de  vomir  des 
flammes  au-dessus  de  sa  tête,  elle  les  lance  sous  son  ventre.  La 
vigueur  de  la  sculpture  et  Tanatomie  fermement  prononcée 
de  sa  forme,  les  nervures  profondément  fouillées  assignent  une 
valeur  artistique  à  cette  salamandre. 

M.  Beauvilliers  n'a  pas  cherché  à  découvrir  un  sens  caché  à  la 
position  de  cette  sculpture,  il  a  pensé  que  les  artistes  qui  ont  en- 
richi les  palais  de  Ghambord  et  de  Fontainebleau,  ont  surtoutobéi 
au  caprice  et  à  la  fantaisie. 

La  majorité  de  la  commission  a  partagé  l'avis  de  M.  Beau- 
villiers: elle  a  pensé  que  ces  morceaux  ont  été  rapportés  dans  la 
maison  de  M.  Bordereau  par  suitedo  démolitions  faites  au  château. 
Rien  n'indique  dans  la  construction  de  la  maison  ni  dans  les 
titres  de  propriété,  que  cette  habitation  ait  eu  jadis  une  destina- 
tion seigneuriale  ou  religieuse. 

Le  rapporteur  émet  le  vœu  que  les  sculptures  soient  modelées 
en  plâtre  ou  photographiées.  L'assemblée  vote  l'envoi  de  ce  rap- 
port au  Comité  central. 

M.  Paul  Domet  commence  la  lecture  d'un  travail  sur  la  forêt 
de  Fontainebleau  ;  cette  œuvre  qui  captive  l'attention  de  l'assem- 
blée sera  continuée. 


—  29  — 

SÉANCE  DU  30  JUILLET  186G. 

Présidence  de  M.  Jules  DA  VID. 

M.  le  comte  d'Armaillé  offre  à  la  Société  l'Histoire  des  poteries, 
faïences  et  porcelaines  de  M.  Marryat,  traduite  de  l'anglais  par 
MM.  d'Armaillé  et  Salvitat,  préface  de  M.  Riocreux,  conserva- 
teur du  Musée  de  Sèvres,  2  beaux  vol.  in-S",  ornés  de  plus  de 
600  gravures  et  monogrammes. 

MM.  Bourges  et  Tabouret  présentent,  comme  membre  titu- 
laire, M.  Peyre,  ministre  protestant  à  Fontainebleau,  qui  est 
admis  à  l'unanimité. 

M.  Beauvilliers  donne  lecture  de  la  deuxième  partie  de  son 
rapport  arcliéologique  local.  Il  rend  compte  de  la  visite  faite  par 
la  Commission  dans  la  maison  de  M.  Pauly,  rue  de  France,  83, 
où  elle  a  constaté  des  boiseries  dans  le  goût  Louis  XV,  ornés  de 
camayeux,  attributs,  fleurs  et  oiseaux,  œuvres  dis  élèves  de  Bou- 
cher qui  peignit,  au  château,  les  peintures  et  décorations  de  la 
chambre,  aujourd'hui,  du  conseil.  Il  cite  l'ancien  hôtel  de  la 
Coudre,  aujourd'hui  converti  en  brasserie,  ancienne  demeure  du 
grand  écuyer  de  France,  de  plusieurs  amiraux,  du  grand  faucon- 
nier, et  réuni  en  1791  au  domaine  de  la  Couronne.  Il  décrit  la 
porte  principale  ornée  de  sculptures  en  gresserie  ;  la  maison  du 
sieur  Ladmirault,  située  impasse  d'Avon,  qui  possède,  à  l'inté- 
rieur, des  rinceaux  et  des  sculptures  sur  bois  dans  le  style 
Louis  XV. 

«  Messieurs,  dit  le  Président,  vous  venez  d'approuver  l'excel- 
»  lent  rapport  de  M.  Maxime  Beauvilliers,  l'un  de  nos  plus  zélés 
»  confrères.  Vous  vous  souvenez  aussi  avec  quel  soin,  avec  quelle 
»  conscience  il  vous  a  analysé,  il  y  a  un  mois,  la  pièce  principale 
»  de  nos  explorations  locales  :  les  cariatides  et  la  salamandre  de 
»  la  rue  des  Sablons. 

»  Cette  salamandre  est.  en  effet,  travaillée  avec  un  goût  et 
»  rendue  avec  une  vigueur  qui  révèlent  la  main  d'un  artiste. 
n  Quant  aux  cariatides,  elles  nous  semblent  d'un  mérite  différent. 
»  Celle  à  figure  masculine  a  de  l'énergie,  du  caractère,  un  style 
»  accentué;  celle  à  figure  de  femme,  au  contraire,  est  un  peu 
»  molle,  commune  et  sans  originalité  évidente.  M.  Beauvilliers 
»  nous  a  paru  un  peu  indulgent  à  ce  sujet. 

»  Vous  avez  écouté,  aujourd'hui,  avec  non  moins  d'intérêt,  son 
»  appréciation  de  l'appartement  Pompadour  de  M.  Pauly,  et  ses 


—  30  — 

»  recherches  sur  les  traces  encore  existantes  de  quelques  maisons 
»  seigneuriales,  dans  notre  ville  si  peu  riche  en  antiquités. 

»  11  n'a  rien  laissé  passer  inaperçu,  il  n"a  rien  dédaigné.  Mais 
»  tous  ces  restes  ont-ils  une  valeur  réelle,  en  face  de  ce  colossal 
»  Musée  que  nous  offre  le  Palais  impérial  de  Fontainebleau,  com- 
n  posé  de  trois  châteaux  différents  d'époque ,  de  style  et  d'his- 
»  toire? 

»  Est-il  permis  de  s'arrêter  ici  à  quelques  gresseries  égarées  en 
»  ville  et  probablement  détournées  de  leur  centre  somptueux? 
»  Assurément  non,  au  point  de  vue  des  touristes;  mais  l'archéo- 
»  logue  est  plus  curieux  que  le  touriste,  plus  consciencieux  sur 
»  tout,  et  son  devoir  est  de  ne  laisser  rien  oublier,  de  ne  rien 
»  négliger  de  ce  qui  peut  fixer  un  point  de  l'histoire  de  l'art  ou  de 
»  celle  des  empires. 

»  C'est  à  ce  titrs  que  je  réclame  de  votre  satisfaction,  d'abord, 
))  un  vote  de  remercîments  pour  le  travail  distingué  de  l'un  de 
»  vos  secrétaires  ;  ensuite,  l'expression  de  votre  vote  unanime,  je 
»  l'espère,  pour  que  cette  seconde  partie,  aussi  bien  rendue  que 
»  sagement  pensée,  soit  recommandée,  comme  la  première,  au 
»  Comité  central,  pour  être  insérée  dans  un  prochain  Bulletin  de 
))  la  Société  d'Archéologie  de  Seine-et-Marne. 

»  Je  demanderai  aussi,  avant  de  finir,  à  M.  Beauvilliers ,  de 
»  mentionner,  chez  M,  Pauly,  la  reproduction  en  plâtre  de  la 
))  belle  madone,  attribuée  à  Benvenuto  Cellini.  Cette  madone  est 
»  la  vraie  Pan-Aya  du  culte  grec,  la  toute-sainte,  la  Vierge  au 
1)  diadème,  aux  tresses  somptueuses  et  h  la  robe  brillante;  elle  est 
»  riche  dans  ses  atours,  magnifique  dans  ses  vêtements,  et  elle 
))  semblerait  coquette,  n'était  sa  dignité  grave,  sa  grâce  divine  et 
»  son  amour  maternel.  Elle  ne  s'enquiert,  en  effet,  ni  de  l'or  qui 
I)  l'entoure,  ni  des  pierres  précieuses  qui  la  couvrent.  Elle  ne  voit 
»  que  son  bmnbino  sacré,  et  songe  plutôt  au  ciel  qu'à  la  terre,  h 
»  l'apothéose  qu'au  Calvaire.  » 

Il  est  décidé  que  cet  intéressant  rapport  sera  recommandé  au 
Comité  central  pour  être  inséré  dans  le  bulletin  de  la  Société. 

M.  Paul  Domet  continue  la  lecture  de  son  travail  sur  la  forêt 
de  Fontainebleau.  Il  en  raconte  les  origines,  comme  domaine  royal. 
Selon  lui,  les  premières  acquisitions  faites  au  pays  de  Bière  pour 
les  rois  de  France  remontent  à  Robert  le  Pieux,  et  le  domaine  de 
Fontainebleau  fut  bientôt,  à  2,000  arpents  près,  constitué  comme 
il  est  de  nos  jours.  Saint-Louis  en  aliéna  une  assez  notable 
partie  :  près  de  2,o00  arpents  furent  donnés  par  ce  roi  à  l'abbaye 


—  31  — 

du  Lys  et  surtout  aux  Trinitaires  de  Fontainebleau.  La  contenance 
de  la  forêt  resta  à  peu  près  la  même  pendant  bien  longtemps.  En 
1664,  M.  Barillon  D'Amoncourt  en  fit,  pour  la  première  fois, 
une  délimitation  générale  et  un  bornage.  Louis  XIV  décida  en 
principe  et  commença  le  rachat  des  terres  concédées  par  Saint- 
Louis;  mais  ce  n'est  que  sous  Louis  XV  qu'elles  furent  toutes 
réunies  au  domaine  ;  le  prince  fit  faire  en  1750  par  M.  Duvaucel 
un  nouveau  bornage  de  la  forêt  et  en  fît  lever  un  plan  exact:  la 
contenance  fut  trouvée  de  près  de  33,000  arpents. 

A  la  révolution,  le  domaine  s'accrut  de  divers  bois  appartenant 
à  l'ancien  clergé.  Napoléon  P''  fit  quelques  acquisitions,  ainsi  que 
Charles  X  et  Louis  Philippe,  dès  lors  l'étendue  n'a  plus  sensible- 
ment changé  :  elle  est  actuellement  en  chiffres  ronds  de  17,000  hec- 
tares. 

Il  a  été,  après  cette  lecture,  exprimé  à  M.  Domet  le  désir  de 
voir  cet  intéressant  travail  accueilli  par  le  Bulletin  de  la  Société, 
mais  M.  Domet,  dont  l'intention  est  d'en  faire  une  publication 
particulière,  a  vivement  remercié  la  Section. 


SECTION  DE  MEAUX. 


SÉANCE   DU   9  AVRIL   1866. 
Présidence  de  M.  CARRO  père. 

Le  Président  dépose  sur  le  bureau  les  objets  suivants  offerts  à  la 
Société  : 

1°  Un  tronçon  d'épée  avec  la  poignée,  trouvé  dans  un  terrain 
à  200  mètres  au  nord  de  l'hospice  de  Meaux  et  donné  par  M.  le 
docteur  Houzelot.  Cette  épée  dont  la  date  a  été  d'abord  controver- 
sée, a  été  rapprochée  d'un  fragment  semblable  trouvé  dans  la  terre 
auprès  d'Epernay,  et  se  rapportant  au  siège  de  cette  ville  par 
Henri  IV  ;  l'analogie  est  d'une  parfaite  évidence.  L'épée  de  Meaux 
peut  donc  être  considérée  comme  un  témoin  des  guerres  de  la 
Ligue; 

2°  Deux  pièces  de  monnaie  et  un  ornement  indéterminé  en 
bronze,  provenant  des  sépultures  Gallo-Romaines  d'Oissery; 


—  32  — 

3°  Un  cachet  ou  sceau  trouvé  à  Montceaux,  dans  la  propriété  de 
M.  Mavré  qui  en  avait  déjà  envoyé  des  empreintes; 

4°  Des  monnaies,  étrangères  pour  la  plupart,  rencontrées  dans 
le  lit  de  la  Marne  à  La  Ferté-sous-Jouarre,  et  envoyées  par 
M.  l'ingénieur  Moquet; 

5°  L'empreinte  sur  papier,  d'une  belle  pierre  tumulaire  de  l'é- 
glise d'Oissery,  prise  avec  beaucoup  de  soin  par  M.  Benoist, 
instituteur  de  la  commune. 

11  est  donné  lecture  :  d'une  lettre  de  M.  Numa  Lafontaine,  de 
Lagny,  qui  souscrit  au  nom  de  M""''  veuve  Lafontaine  et  de  ses 
fils,  à  la  médaille  offerte  à  M.  de  Pontécoulant,  voulant  ainsi,  en 
mémoire  du  vénérable  M.  Lafontaine  père,  témoigner  de  l'affection 
qu'il  portait  à  la  Société  d'Archéologie  dont  il  était  l'un  des  mem- 
bres fondateurs; 

D'une  autre  lettre  de  M.  le  comte  de  Jaucourt  prenant  part  à  la 
même  souscription  ; 

Et  enfin,  d'une  lettre  dans  laquelle  le  secrétaire  de  la  Société 
française  de  numismatique  constate  l'intérêt  que  lui  a  inspiré, 
ainsi  qu'à  d'autres  archéologues,  le  cabinet  de  médailles  et  d'objets 
antiques  de  notre  confrère  M.  Lefcbvre-Thiébault. 

On  procède  à  la  nomination  d'une  commission  qui  sera  chargée 
de  l'organisation  de  la  séance  publique  que  la  Société  tiendra  à 
Meaux,  le  lundi  21  mai;  cette  commission  se  compose  de  MM.  Le- 
febvre,  Jules  Carro,  Torchet,  Le  Blondel,  docteur  Leroy,  Morlot, 
Troublé,  Plée  et  l'abbé  Denis. 

L'assemblée  entend  ensuite  la  lecture  : 

D'une  curieuse  notice  de  M.  Torchet,  sur  un  Concours  musical 
au  xviii'=  siècle,  sous  Louis  XIV  et  Bossuet,  concours  auquel 
prirent  part  deux  maîtres  de  chapelle  de  la  cathédrale  de  Meaux; 

De  notes  sur  une  excursion  à  Oissery,  par  M.  Carro,  président; 

Et  des  réponses  au  questionnaire,  envoyées  par  M.  Sarazin,  ins- 
ti  tuteur  du  Plessy-Placy,  etM. Dubois,  instituteur  de  Coulommes. 

Des  remercîments  sont  unanimement  votés  aux  personnes  aux- 
quelles on  doit  les  dons  mentionnés  précédemment,  à  colles  qui 
ont  fourni  les  intéressants  documents  contenus  dans  les  réponses 
au  questionnaire,  ainsi  qu'à  MM.  Ilaran  et  Delamarre  fils, 
d'Oissery. 

L'assemblée  s'associe  à  l'intérêt  déjà  témoigné  par  la  Société 
d'agriculture  au  Concours  d'orphéons  qui  aura  lieu  le  13  mai 
à  Lagny,  en  votant  ainsi  que  cette  Société,  une  médaille  de  ver- 
meil qui  sera  attribuée  à  l'un  des  Orphéons  de  l'arrondissement. 


—  33  — 

SÉANCE  DU  7   MAI  186G. 
Présidence  de  AI.  CARRO  père. 

Cette  séance  n'a  pour  objet  que  le  vote  relatif  à  l'élection  du 
Comité  central,  élection  dont  le  résultat  général  sera  proclamé 
dans  la  séance  publique  du  21  mai. 


SÉANCE  DU  9  MAT  1866. 
Présidence  de  M.  CARRO  père. 

La  séance  est  employée  au  dépouillement  des  bulletins  cachetés 
reçus  dans  le  cours  de  la  semaine,  pour  le  renouvellement  du 
bureau  de  la  Section.  Ce  dépouillement  a  donné  les  résultats 
suivants  : 

Président  M.  le  V"'  de  Ponton  d'Amécourt. 

Vice-président    M.  l'abbé  Denis. 

Délégué        -  M.  DE  COLOMBEL. 

Secrétaire  M.  l'abbé  Petithomme. 

Archiviste  M.  Lefebvre-Thiébault. 

Trésorier  M.  Le  Blondel. 


SÉANCE  DU  2  JUILLET  4866. 

Présidence  de  M.  l'abbé  DENIS,  vice-président. 

M.  de  Pontécoulant,  président  de  la  Société,  procède  à  l'instal- 
lation du  bureau  de  la  Section  ;  au  regret  de  tous  ses  collègues, 
M.  de  Ponton  d'Amécourt,  nouveau  président,  retenu  par  une 
indisposition,  ne  peut  assister  h  la  séance. 

L'assemblée  entend  la  lecture  d'une  lettre  de  M.  le  Surinten- 
dant des  Beaux-Arts,  relative  aux  objets  d'antiquité  à  présenter 
pour  l'Exposition  universelle  de  1867,  et  d'une  lettre  de  M.  Burdel,* 
de  Lagny,  accompagnant  l'envoi  de  quelques  médailles  romaines 
de  l'empire,  trouvées  à  Neufmoutiers,  canton  de  Rozoy. 

Des  remercîments  sont  votés  à  M.  Burdel.  Il  en  est  de  même 
cl  propos  de  la  copie  d'une  inscription  trouvée  lors  de  la  restaura- 
tion du  pont  de  Chelles,  copie  transmise  par  M.  Desgeans, 
conducteur  des  ponts  et  chaussées ,  ainsi  que  pour  une  médaille 

3 


—  34  — 

de  Pic  IX  portant  la  date  du  22  mars  1848,  et  une  pièce  d'ar- 
gent, de  Louis  XV,  très-bien  conservée,  données  par  M.  Lesper- 
mont. 

M.  l'abbé  Denis,  vice-président,  communique  diverses  pièces 
de  monnaie,  une  petite  cuiller  à  encens  du  xiv*  siècle  et  un  frag- 
ment de  parchemin  contenant  un  acte  de  i3oO,  trouvés  dans  les 
combles  de  l'église  de  May,  où  ils  avaient  sans  doute  été  caches 
dans  les  temps  de  troubles. 

M.  Le  Blondel  présente  de  la  part  de  M.  Alphonse  Langlois,  de 
Saône-et-Loire ,  qui  en  fait  hommage  à  la  Société,  deux  volumes 
ayant  pour  titre  :  Études  topographiques ,  historiques,  hygiéniques, 
morales,  sur  le  canton  de  Bourbon-Lancy.  Des  remercîments  sont 
votés  ù  M.  Langlois. 

L'assemblée  entend  avec  intérêt  un  compte-rendu  par  M.  l'abbé 
Petithomme,  delà  première  journée  de  l'excursion  archéologique 
dans  l'arrondissement  de  Goulommiers.  L'insertion  complète  de 
cette  relation  au  registre  des  procès-verbaux  est  unanimement 
votée  par  les  membres  présents  qui  regrettent  que  M.  Petithomme 
n'ait  pu  assister  à  la  seconde  journée. 

On  entend  encore  une  savante  et  très-complète  notice  historique 
et  archéologique  sur  la  commune  de  Germigny-sous-Goulombs,  par 
M.  l'abbé  Bécheret,  et  le  compte  de  gestion  rendu,  comme  tréso- 
rier, par  M.  Le  Blondel:  ce  compte  est  présenté  avec  une  clarté 
qui  vaut  à  M.  Le  Blondel  les  félicitations  dé  ses  collègues. 


SÉANCE  DU  6  AOUT  18G6. 

Présidence  de  M.  l'abbé  DENIS,  vice-président. 

M.  d'Amécourt,  président,  retenu  par  une  indisposition,  lait 
offrir  à  la  Section,  une  gravure  de  4728,  représentant  la  façade, 
les  autels  latéraux  et  la  principale  entrée  du  chœur  de  la  cathé- 
drale de  Meaux.  Il  prie  le  vice-président  de  vouloir  bien  donner 
lecture  d'une  notice,  accompagnée  de  dessins,  sur  une  pierre 
lumulaire  de  l'église  de  Vinantes,  du  commencement  du  xiv''  siècle, 
par  M.  Ch.  Marcilly.  Cette  lecture  présente  un  haut  intérêt  his- 
tori([ue.  L'auteur  ayant  rencontré  sur  cette  pierre  le  nom  de  Raoul 
Maufillâtre,  et  l'indication  suivante,  xxxvii,  terminaison  d'une 
date,  conclut  après  une  discussion  savante  que  Raoul  Maulillâtre 


—  35  — 

de  Vinantes,  décédé  l'an  1337,  est  l'un  des  derniers  représentants 
de  l'ancienne  famille  de  ce  nom  qui  a  dû  s'éteindre  vers  la  (in  du 
xiv*^  siècle;  cette  famille  n'a  aucun  rapport  avec  les  Malfilàtre 
de  Normandie. 

M.Carro  rend  compte  delà  séance  tenue  à  Paris  le  2  août,  par 
la  commission  nommée  pour  organiser  l'exposition,  en  1867,  des 
œuvres  caractérisant  les  diverses  époques  de  l'histoire  du  travail. 
Il  donne  lecture  d'une  circulaire  qui  sera  adressée  aux  princi- 
paux habitants  de  Seine-et-Marne,  pour  leur  faire  part  de  l'or- 
ganisation de  cette  exposition,  avec  prière  d'indiquer  à  l'un  des 
Présidents  de  Sections  la  nature  des  objets  qu'ils  seraient  dans 
l'intention  d'y  faire  figurer. 

M.  l'abbé  Bécheret  continue  et  achève  la  lecture  de  sa  notice 
historique  et  archéologique  sur  la  commune  de  Germigny-sous- 
Goulombs.  MM.  Torchet  et  le  docteur  Leroy  émettent  l'avis  qu'il 
soit  fait  par  l'auteur  un  résumé  de  cette  notice  pour  le  bulletin. 

Une  belle  photographie  de  l'église  de  La  Ghapelle-sur-Crécy  est 
présentée  au  nom  de  M.  le  comte  de  Moustier,  à  qui  des  remercî- 
ments  sont  votés.  Le  secrétaire  est  chargé  de  lui  en  faire  part. 

M.  l'abbé  Denis  donne  des  notes  détaillées  sur  des  pièces  de 
monnaies  trouvées  dans  l'église  de   May-en-Multien. 

M.  Ginot  dépose  sur  le  bureau  deux  planchettes  en  chêne 
peint,  provenant  d'un  ancien  couvent,  et  portant  un  mono- 
gramme qui  doit  dater  du  commencement  du  xviii'=  siècle. 

Sont  admis  comme  membres  titulaires  : 

MM.  L.  Vesseron,  de  Meaux;  l'abbé  Ravaux  (Pierre-Joseph), 
professeur  de  sciences  au  petit  Séminaire  de  Meaux  ;  Burdel,  de 
Lagny;  Thoumy,  vérificateur  en  bâtiments  à  la  La  Ferté-sous- 
Jouarre,  et  Bourgoin  Alphonse,  de  la  même  ville. 


SÉANGE  DU  3  SEPTEMBRE  1866. 

Présidence  de  M.  le  vicomte  de  PONTON  d'A3IÉ COURT. 

M.  le  vicomte  de  Ponton  d'Amécourt,  président,  fait  hommage 
à  la  Section  de  trois  exemplaires  de  l'annuaire  de  la  Société 
française  de  numismatique  et  d'archéologie;  il  ofi're  aussi  une 
Veue  de  la  ville  et  vieulx  marché  de  Meaux,  par  Ghastillon,  de  1600 
à  1610.  Gette  gravure  donne  une  idée  complète  de  la  ville  à  cette 


—  36  — 

époque,  avec  ses  fortifications  et  la  porte  monumentale  qui  défen- 
dait l'entrée  du  Marché. 

M.  Lefebvre - Thiébault  communique  une  pièce  de  monnaie 
trouvée  par  M.  Ghéron,  iérblantier  à  Meaux,  qui  en  fait  don  à  la 
Société.  C'est  un  blanc  de  Jean-sans-Peur ,  duc  de  Bourgogne, 
poignardé  le  10  septembre  1419,  à  Montereau  (Seine-et-Marne). 

Le  secrétaire  donne  lecture  d'une  notice  archéologique  sur  l'é- 
glise de  Couilly  et  sur  les  anciens  remparts  de  cette  commune, 
par  M.  Quéru,  instituteur.  Des  félicitations  unanimes  ont  accueilli 
ce  travail. 

La  Société  entend  ensuite  une  première  lecture  d'un  travail 
de  M.  le  curé  de  Chelles,  sur  le  trésor  de  son  église.  L'auteur 
fait  une  description  scientifique  des  châsses  qui  sont  au  nombre 
de  dix  et  donne  des  notes  pleines  d'intérêt  sur  les  reliques  :  osse- 
ments, linges,  authentiques  et  étiquettes  an  iennes.  Ce  chapitre 
,est  terminé  par  une  exposition  pleine  de  détails  utiles  à  connaître 
au  sujet  du  calice  de  saint  Éloi  et  des  sandales  dites  de  sainte 
Bathilde,  qui  sont  conservées  dans  un  coffret  dépourvu  d'au- 
thentique. 

Sur  la  demande  de  plusieurs  membres  de  la  Section,  il  est  décidé 
qu'à  l'avenir  les  réunions  auront  lieu  tous  les  mois. 

M.  Laurent  (Léon-Anatole),  conducteur  des  ponts  et  chaussées, 
est  admis  à  l'unanimité  comme  membre  titulaire  ;  —  renvoi  au 
Comité  central. 

A  l'issue  de  la  séance,  M.  le  Président  a  invité  les  membres 
présents  à  visiter  les  ateliers  de  peinture  sur  verre  de  M.  Plée, 
leur  collègue.  Parmi  les  travaux  en  cours  d'exécution,  on  a  sur- 
tout remarqué  une  Verrière  avec  sujet,  destinée  à  l'église  de  Fon- 
tenay-Trésigny. 


SÉANCE  DU  1"  OCTOBRE  18GC. 
Présidence  de   M.    l'abbé   DENIS,    vice-président. 

M.  l'abbé  Denis  ouvre  la  correspondance  par  une  lettre  de  M.  le 
vicomte  de  Ponton  d'Amécourt,  président,  qui  remercie  M.  Le- 
febvre de  l'hommage  de  sa  notice  sur  les  méreaux  de  la  ville  de 
Meaux  ,  et  demande  que  cette  notice  soit  envoyée  à  la  commis- 
sion du  bulletin. 


—  '61  — 

M.  le  marquis  de  Pontécoulant,  président  général,  communique 
deux  circulaires  relatives  :  l'une,  au  Congrès  archéologique  inter- 
national d'Anvers  qui  se  tiendra  l'an  prochain;  l'autre  au  Congrès 
archéologique  de  France  qui  aura  lieu,  à  Nice,  dans  le  courant  de 
janvier.  Il  annonce  aussi  que  la  deuxième  réunion  générale  de  la 
Société,  pour  i8G6,  aura  lieu  le  dimanche  21  octobre,  à  Goulom- 
miers. 

Le  Président  de  la  Section  nomme  une  commission  chargée 
d'étudier  les  fouilles  qu'il  serait  utile  de  faire  sur  le  territoire  de 
Meaux,  dans  l'intérêt  de  la  science.  Sont  désignés  pour  en  faire 
partie  :  MAI.  Carro  père,  le  docteur  Le  Roy,  Lefebvre,  Morlot 
et  Laurent  (Léon). 

M.  l'abbé  Torchet,  curé  de  Chelles,  fait  hommage  de  la  notice 
historique  qu'il  a  publiée  sur  Luzancy.  Il  continue  sa  lecture 
sur  les  reliques  de  Chelles.  Après  la  partie  descriptive  ou  pure- 
ment archéologique  qui  avait  fait  l'olijet  d'une  première  partie, 
lue  à  la  séance  précédente,  il  restait  à  envisager  les  reliques  sous 
le  rapport  historique.  L'auteur  le  fait  dans  son  deuxième  cha- 
pitre ,  en  notant  jusqu'aux  moindres  événements  qui  s'y  rat- 
tachent ,  depuis  la  mort  des  personnages  auxquels  elles  ont 
appartenu  jusqu'à  nos  jours. 

Une  trouvaille  d'environ  douze  cents  médailles  et  de  divers  ins- 
truments ayant  été  faite  dernièrement  à  Guiry  (Aisne),  Al.  Le- 
febvre, archiviste,  vrai  sauveteur  d'antiquités,  n'a  pas  manqué  de 
s'y  rendre;  il  a  voulu  recueillir  quelques  épaves  de  cette  décou- 
verte, et  cent  soixante-quinze  médailles  romaines  forment  son  bu- 
tin. Ce  sont  des  petits  bronzes  et  des  cuivres  purs.  Le  plus  grand 
nombre  ,  dit  M.  Lefebvre  dans  son  rapport  ,  appartiennent  à 
Posthume  qui  se  fit  nommer  Empereur  par  ses  légions  l'an  237 
de  J.-C.  Il  signale  une  médaille  très-rare  de  Lselien  ,  un  des 
lieutenants  de  Posthume,  qui  prit  la  pourpre  à  Alayence.  Elle 
porte  pour  légende  :  Imp.C.  Lœlianus  aug. 

Vient  ensuite  la  liste  des  tètes  qui  se  trouvaient  avec  celles  de 
Posthume;  M.  Lefebvre  en  compte  treize. 

L'enfouissement  de  ces  monnaies  a  dû  avoir  lieu  vers  l'an  270, 
sous  Quintille,  frère  de  Claude  le  Gothique,  c'est-à-dire  à  l'époque 
connue  sous  le  nom  des  Trente  Tyrans,  bien  qu'en  réalité  il  n'y  en 
eût  jamais  que  dix-neuf  ou  vingt. 

M.  le  docteur  Le  Roy  dépose  sur  le  bureau  des  ossements 
trouvés  dans  une  carrière  à  Villenoy  et  lit  une  note  à  ce  sujet. 
Ce  sont  des  tibias  de  rongeurs,  le  radius  d"un  ruminant  de  la 


—  38  — 

taille  et  de  la  famille  des  chevreuils,  un  cubitus  très-remarquable 
dont  les  apophyses  énormes  dénotent  un  animal  analogue  aux 
taureaux  ou  buffles  de  l'époque  actuelle,  mais  plus  grand  et  plus 
fort.  Ces  ossements  qui  gisaient  dans  le  sous-sol  du  calcaire  la- 
custre inférieur,  remontent  à  une  haute  antiquité. 

Dix-sept  moules  de  monnaies,  en  terre  cuite,  provenant  des  puits 
(inépuisables)  do  Ghuteaubleau  ,  sont  offerts  à  la  Section  par 
M.  Teyssier  des  Parges;  deux  de  ces  moules  renferment  encore 
la  pièce  qui  a  été  coulée. 

M.  l'abbé  Bécheret  enrichit  les  archives  d'une  lettre  autographe 
de  Volncy,  et  de  quatre  lettres  de  M.  de  Monthyon,  de  la  part  de 
M.  Gredelue,  de  Saint-Soupplets.  On  ne  saurait  trop  recommander 
la  recherche  et  la  conservation  de  ces  sortes  de  pièces.  Combien 
de  manuscrits  qui  sont  détruits  chaque  jour,  et  qui,  cependant, 
fourniraient  des  renseignements  utiles  pour  redresser  des  erreurs 
ou  confirmer  l'histoire.  —  Remercîments  à  M.  Gredelue. 

La  prochaine  séance  est  fixée  au  lundi  5  novembre. 


SÉANCE  DU  5  NOVEMBRE  1866. 
Présidence  de   M.    le  vicomte  de   PONTON   d'AMÉCOURT. 

Dès  l'ouverture  de  la  séance,  l'attention  des  membres  se  porte 
sur  un  vieux  cahier  manuscrit,  le  plus  ancien  registre  des  actes  de 
l'état  civil  de  Villemareuil,  communiqué  par  M.  le  baron  d'Avène. 
On  trouve  dans  ce  registre,  entre  autres  pièces  intéressantes, 
l'acte  du  baptême  de  Marie-Marguerite  de  Lorraine,  8  août  IGol, 
fille  du  duc  d'Elbœuf,  alors  seigneur  de  Villemareuil,  et  les  si- 
gnatures de  plusieurs  personnages  de  la  famille. 

M.  Gabriel  Leroy,  membre  fondateur,  secrétaire  de  la  Section 
de  Melun,  l'ail  don  d'une  brochure  ayant  pour  titre  :  Le  retour  de 
Mars,  comédie  en  un  acte  et  en  vers,  1746,  par  Sauvé  de  la  Noue, 
poète  dramatique  né  h  Meaux. 

M.  Andrieux,  prolusseur  au  collège  de  Meaux,  offre  deux  sta- 
tuettes en  cuivre. 

La  Société  reçoit  ensuite  les  communications  suivantes  : 

Par  M.  Lelcbvre-Tliiébault,  d'une  pièce  d'or  françaises  de  l'é- 
poque mérovingienne;,  sur  laquelh;  on  lit  :  Parmusciv.  Arnoaldus  ; 

Par  le  secrétaire,  de  trois  monnaies  romaines  de  l'empereur 
Gonst;iiilin-]e-Grand,  .'{()(i  à  .'{.'{7. 


—  39  — 

M.  Torchet,  inspecteur  des  orphéons  du  département,  donne 
lecture  d'un  travail  sur  l'Histoire  de  la  musique  des  Francs,  — 
époque  Carlovingienne,  VJI"  siècle,  Maires  du  Palais,  Pépin-le-Bref. 

M.  Bouvier,  pasteur  protestant  de  Meaux ,  présenté  par 
MM.  Le  Blondol  et  Morlot,  est  admis  eu  qualité  de  membre  ti- 
tulaire, par  la  Section  ;  son  admission  sera  proposée  au  Comité 
central. 

Le  Président  exprime  le  désir  de  voir  s'élever  dans  les  villes  ou 
villages  de  notre  département  les  statues  des  principaux  per- 
sonnages qui  les  ont  illustrés;  on  pourrait  au  moins,  ainsi  qu'il 
est  pratiqué  dans  beaucoup  d'endroits,  établir  des  inscriptions  sur 
les  maisons  où  ils  ont  vécu.  Cette  heureuse  idée  ne  peut  manquer 
de  porter  ses  l'ruits. 


SECTION  DE   lYlELUN. 


SÉANCE  DU  DIMANCHE  M  MARS  1866. 
Présidence  de  M.  GRÉ  S  Y.  • 

La  séance  est  ouverte  à  une  heure. 

Sont  présents  :  MM.  Auberge,  Ballu,  Courtois,  Desprez, 
comte  d'Erceville,  Eymard,  Gaucher,  docteur  Gillet,  Hautôme, 
Hérisé,  Labiche,  Leroy,  Liabastrss,  Latour,  Lhuillier  et  Sollier. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  adopté. 

Dépouillemenl  de  la  correspondance  :  M.  le  marquis  de  Béthisy 
exprime  ses  regrets  de  ne  pouvoir  assister  à  la  séance.  —  Accus'; 
de  réception  du  Bulletin  par  la  Société  des  Antiquaires  de  Pi- 
cardie.—  Hommage  à  la  Société  par  M.  Siraudin,  membrecorres- 
pondant,  d'une  brochure  intitulée  :  Examen  des  avantages  attaches 
à  r étude  des  langues  classiques  ;  1850,  in-8°  de  32  pages. 

Des  demandes  d'admission,  comme  membres  titulaires,  sont 
faites  par  M.  Gassies,  artiste  peintre  à  Barbizon,  présenté  par 
MM.  Courtois  et  Leroy,  et  par  M.  Dorlin,  licencié  ès-sciencfs, 
chef  d^institution  à  Melun,  présenté  par  MM.  Courtois  et  Cotelle. 

Le  Secrétaire  signale  à  la  Section  les  documents  qui  lui  ont 
été  adressés  pour  servir  à  la  rédaction  du  Dictionnaire  archéolo- 


—  40  — 

gique  de  Seine-et-Marne,  par  les  personnes  ci-après  nommées  : 
MM.   Radideau,  instituteur  à  Saint-Martin-en-Bierre, 
Giot,  cultivateur  à  Ghevry-Gossigny, 
Le  comte  de  Létourville,  maire  de  Pontault, 
Lhioreau,  instituteur  à  Moisenay, 
Gouôre,  instituteur  à  Gretz, 

Des  remercîments  sont  votés  à  ces  correspondants,  et  leurs 
communications  renvoyées  à  la  commission  du  Dictionnaire. 

M.  le  Président  annonce  que,  dans  sa  dernière  séance  tenue 
à  Paris  le  8  mars  courant,  le  Gomité  central  de  la  Société  a  voté, 
aune  grande  majorité,  le  principe  d'admission  des  dames,  et  ren- 
voyé à  la  prochaine  Assemblée  générale  le  vote  de  la  modification 
qu'il  convient  d'apporter  aux  statuts,  en  vue  de  cette  admission. 

M.  Sollier  donne  une  nouvelle  lecture  de  sa  Notice  sur  l'ancien 
couvent  de  Moret  et  la  religieuse  connue  sous  le  nom  de  négresse  de 
Aforet,  notice  qu'il  se  propose  de  lire  aux  réunions  de  la  Sorbonne 
au  mois  d'avril  prochain. 

Conformément  aux  instructions  de  S.  E.  le  Ministre  de  l'Ins- 
truction publique,  la  Section,  par  un  vote  au  bulletin  secret  et  à 
l'unanimité  de  quinze  voix,  autorise  la  lecture  en  Sorbonne. 

M.  G.  Leroy  lit  un  mémoire  intitulé  :  Le  Commerce  et  l'Indus- 
trie à  Melun  avant  1789. 

M.  Labiche  donne  lecture  d'une  fable  qui  a  pour  titre  : 
Le  Chien  de  l'Aveugle^  et  d'une  poésie  intitulée  :  Sur  la  liose. 

La  séance  est  levée  à  trois  heures. 


Nota.  —  H  n'y  a  pas  eu  de  séance  au  mois  d'avril,  eu  raison  de  la  réunion  des 
Sociétés  savantes  à  la  Sorbonne, 


SÉANCE  DU  5  MAI  18(56. 
Présidence  de  M.   SCHREUDER,  doyen  d'dyc. 

La  séance  est  ouverte  à  une  heure. 

Sont  présents  :  MM.  BuUu  ,  Gosteau  ,  Cotolle  ,  Courtois  , 
Desprez,  F]ymard ,  Fournials,  marquis  de  Fraguicr,  Fuser, 
Gaudard,  Gillct,  Ilautômc,  Ilérisé,  Labiche,  Lalour,  Lcmaire, 
Leroy,  Lhuillier,  de  May,  Poyez;  Sertier  et  Sollier. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  adopté. 


—  41  — 

Le  secrétaire  donne  lecture  de  ]a  correspondance,  comprenant 
notamment  deux  lettres  de  MM.  Grcsy  et  H.  Fréteau  de  Pény, 
par  lesquelles  ces  Sociétaires  font  savoir  qu'ils  donnent  leur 
démission  :  le  premier  de  membre  de  la  Société,  et  le  second  de 
vice-président  de  la  Section  de  Melun.  Il  est  également  lu  une 
lettre  de  M.  E.  Lefèvre,  de  Brie-Comte-Robert,  qui  s'excuse  de 
ne  pouvoir  assister  à  la  séance  de  ce  jour,  et  une  circulaire  de  la 
Société  de  l'Aveyron,  relative  à  la  publication  de  la  correspon- 
dance'inédite  de  Monteil,  décédé  à  Gély,  canton-sud  de  Melun,  le 
20  février  1850. 

La  démission  de  MM.  Grésy  et  Héracle  Fréteau  de  Pény  donne 
lieu  à  des  explications,  à  la  suite  desquelles  la  Section  décide,  à 
l'unanimité,  qu'il  sera  écrit  à  ces  honorables  membres,  pour  les 
informer  du  regret  que  leur  détermination  fait  éprouver  à  tous 
les  Sociétaires  présents.  La  Section  de  Melun  ne  saurait  oublier 
qu'elle  doit  sa  prospérité  actuelle  au  dévouement  et  à  l'érudition 
de  ses  anciens  président  et  vice-président.  Le  secrétaire  est  chargé 
du  soin  de  faire  parvenir  cette  décision  à  MM.  Grésy  et  Fréteau 
de  Pény. 

Il  est  ensuite  procédé  : 

Premièrement,  —  au  vote  pour  l'élection  du  Bureau  de  la 
Section  pendant  l'année  1866-1867. 

Deuxièmement,  —  et  à  deux  autres  votes  sur  la  proposition 
d'admission  de  M.  Gassies,  artiste  peintre  à  Barbizon,  présenté 
par  MM.  Courtois  et  Leroy;  et  de  M.  Dorlin,  chef  d'institution, 
licenciées-sciences  à  Melun,  présenté  par  MM.  Courtois  et  Cotelle. 

Ces  opérations  donnent  les  résultats  suivants  : 

Renouvellem^t  du  Bureau. 

Votants,  23.  —  Majorité  absolue  :  12. 

Président  :  MM.  Félix  La  Joye,  17  voix  ;  —  Çirésy,  2;  —  Gillet, 
2  ;   —  De  Bonneuil,  1  ;  —  De  Champagny,  1 .  * 

Vice- Président  :  MM. Labiche,  17  voix;  —  Latour,  2  ;  —La  Joye, 
2;  —  H.  Fréteau  de  Pény,  1  ;  —  Lemaire,  1. 

Délégué  au  Comité  central  :  MM.  Poyez,  19  voix;  —  SoUier,  3; 
—  De  Bonneuil,  1. 

Secrétaire  .•  M.  G.  Leroy,  22  voix. 

Secrétaire-adjoint  :  M.  Lhuillier,  22  voix. 

MM,  La  Joye,  Labiche,  Poyez,  Leroy  et  Lhuillier  ayant  obtenu 
la  mnjorito  absolue  des  suffrages  exprimés  ,  sont  proclamés 
membres  du  Bureau  de  la  Section  de  Melun,  pour  l'année  1866- 
1867,  dans  l'ordre  suivant  : 


—  42  — 

Président  :  M.  Félix  Lajoye. 

Vice-Présidsnt  ;  M.  Labiche. 

Délégué  au  Comité  central  :  M.  Poyez. 

Secrétaire  :  M-  G.  Leroy. 

Secrétaire-adjoint  :  M.  Lhuillier. 

Admission  de  AL  Gassies  :  VoLants,  19.  —  Majorité  absolue, 
10.  —  Pour  l'admission,  19. 

L'admission  de  M.  Gassies  sera  soumise  au  Comité  central. 

Admission  de  M.  Dorlin  :  Votants,  19.  — Majorité  absolue,  10. 
—  Pour  l'admission,  19. 

L'admission  de  M.  Dorlin  sera  également  soumise  au  Comité 
central. 

Une  demande  d'admission  est  faite  par  M.  Adrien  Delacourtic, 
ancien  avoué  à  Paris,  membre  du  Conseil  d'arrondissement  de 
Melun,  demeurant  à  La  Planche,  commune  de  Perthes;  ses  pré- 
sentateurs sont  MM.  l'abbé  Delaforge  et  G.  Leroy.  La  Section 
décide  qu'il  sera  statué  sur  cette  demande  dans  la  prochaine 
séance,  conformément  au  règlement. 

Il  est  ensuite  donné  lecture  des  travaux  suivants  .• 

Par  M.  Sollier  :  —  L'Ancienne  auberge  de  la  Belle-Image,  à 
Moret. 

Par  M.  Lemaire  :  —  Notice  historique  et  topo  graphique  sur  V  ab- 
baye de  Barbeau. 

Et  par  M.  Labiche  :  —  Les  deux  Mariés,  fable. 

Ces  travaux,  accueillis  avec  un  vif  intérêt,  sont  renvoyés  au 
Comité  central,  pour  être  soumis  à  la  Commission  do  lecture,  et, 
s'il  y  a  lien,  insérés  dans  IcBulletin  de  la  Société. 

Attendu  la  prochaine  réunion  générale,  f[ui  d«it  êtn^  tenue  à 
Moaux,  la  Section  de  Melun  ne  se  réunira  pas  au  mois  de  Juin. 

La  séance  est  levée  à  quatre  heures. 


SÉANCE  DU  1"^  JUILLET  186(3. 
Prôsidmcc  de  M.  LAJOYE. 

La  séance  est  ouverte  à  une  tiouro. 

Sont   présents  :    MM.    J^a.Joye,  Courtois,   DL'cuiirbi!,   hurliii, 
Eyniard,  Gillet,  Labiche,  Lemaire,  Lhuillier  et  G.  Leroy. 
M.  La  Joye  prend  la  parole  cl  s'exprime  en  ces  termes  : 


—  43  — 

Messieurs, 
((  Permettez-moi  de  vous  adresser  tous  mes  remerciments  de 
))  m'avoir  nommé  Président  de  Section  dans  notre  Société  d'Ar- 
n  chéologie.  Je  ne  puis  me  dissimuler  que  ce  ne  sont  pas  mes 
»  mérites  qui  m'ont  valu  cette  très-honorable  distinction  ;  ce  n'est 
»  donc  qu'à  votre  bienveillance  que  je  dois  cette  haute  fortune,  je 
»  n'en  sens  que  davantage  le  prix.  Mais  pourquoi  faut-il  qu'au 
»  milieu  de  mes  joies  viennent  se  mêler  de  cruels  regrets?  Pour- 
»  quoi  faut-il  que  je  ne  doive  qu'à  l'abstention  de  notre  collègue, 
»  M.  Grésy,  de  me  voir  assis  dans  ce  ftiuteuil?  Hélas!  Messieurs, 
»  nous  avons  perdu  un  des  plus  beaux  fleurons  de  notre  couronne. 
»  Espérons  tous  que  nous  verrons  rentrer  dans  nos  rangs  ce 
»  membre  si  distingué. 

»  Veuillez  agréer,  de  nouveau,  l'hommage  de  ma  reconnais- 
))  sance.  » 

Le  Secrétaire  donne  lecture  du  procès-verbal  de  la  précédente 
séance,  qui  est  adopté  sans  observation. 

Il  procède  ensuite  au  dépouillement  de  la  correspondance  : 
M.  le  marquis  de  Béthisy  exprime  ses  regrets  de  ne  pouvoir 
assister  à  la  séance  de  ce  jour,  et  M.  le  comte  d'Erceville,  membre 
de  la  Société,  adresse  une  Note  détaillée  sur  Vhistoinque  et  les  anti- 
quités de  la  commune  de  Machault,  qu'il  habite  et  dont  il  est  maire. 
Cette  Note  est  renvoyée  à  la  Commission  du  Dictionnaire  archéo- 
logique, et  des  remerciments  sont  votés  à  M.  le  comte  d'Erceville. 

Lecture  est  donnée  de  la  circulaire  relative  au  concours  ouvert, 
par  la  Société,  pour  le  prix  de  200  francs,  institué  par  M.  le  baron 
de  Beauverger,  en  faveur  de  l'auteur  du  meilleur  mémoire  sur 
le  sujet  suivant  :  Recherches  historiques  sur  V agricultur^e  et  la 
condition  des  populations  rurales,  dans  les  contrées  correspondant  au 
département  de  Seine-et-Marne,  aux  xvii''  et  xyiii*^  siècles.  —  Compa- 
raison avec  l'époque  actuelle.  Des  exemplaires  de  cette  circulaire 
sont  remis  aux  membres  présents,  qui  sont  invités  à  prendre  part 
à  ce  concours. 

Le  scrutin  ouvert  pour  l'admission,  comme  membre  titulaire,  de 
M.  Adrien  Delacourtie,  ancien  avoué  à  Paris,  conseiller  d'arron- 
dissement, demeurant  au  château  de  La  Planche,  commune  do 
Perthes,  dont  les  présentateurs  sont  MM.  Delaforge  et  Leroy, 
donne  le  résultat  suivant  : 

Votants,  9.  —  Majorité  absolue,  5.  —  Pour  Tadmission,  9. 

L'admission  de  M.  Delacourtie  sera  soumise  au  Comité  central. 

Une  demande  d'admission,  comme  membre  titulaire,  est  faite 


—  44  — 

par  M.  Kerckhoffs,  professeur  de  langues  vivantes  au  collège  de 
Melun.  Ses  présentateurs  sont  MM.  Fournials  et  Decourbe.  Le 
vote  sur  cette  demande  aura  lieu  à  la  prochaine  séance. 

M.  Courtois  présente  un  rapport  sur  Fétat  des  finances  de  la 
section.de  Melun  pendant  l'exercice  de  1865. 

Il  résulte  de  ce  rapport  que  les  recettes  se  sont 
élevées  à :216fr,  » 

Et  les  dépenses  h 208      50 

En  sorte  qu'il  y  a  un  excédant  de  recettes  de     .     ,  7     50 

Lequel  figurera  à  l'actif  du  compte  de  1866. 

Les  conclusions  du  rapport  de  AL  Courtois  sont  adoptées,  et,  h 
l'unanimité,  des  remercîments  lui  sont  votés  pour  les  soins  et  le 
dévouement  qu'il  apporte  dans  l'accomplissement  de  la  mission 
dont  il  a  bien  voulu  se  charger. 

M.  Lhuillier  fait  un  compte-rendu  de  différents  ouvrages  offerts 
à  la  Société  par  des  compagnies  correspondantes,  et  d'une  publi- 
cation récente  de  M.  Liébert,  membre  titulaire  de  la  Société 
de  Seine-et-Marne,  publication  qui  a  pour  titre  :  le  ChôAeau  de  La 
Gram/e. 

M.  Labiche  lit  deux  fables  intitulées  :  La  Fleur  cl  l'Abeille,  le 
Rossignol  et  l'Oiseleur. 

M.  La  Joye  donne  lecture  d'une  étude  historique,  statistique  et 
topographique  sur  Le  Châtelet-en-Brie. 

Toutes  ces  communications  sont  renvoyées  au  Comité  central. 

Enfin  M.  G.  Leroy,  fait  hommage  à  la  Société  et  aux  membres 
présents,  des  publications  suivantes  dont  il  est  l'auteur  : 

»  liapports  présentés  ci  la  Société  d'Archéologie  de  Seine-et-Marne, 
sur  les  fouilles  exécutées  sur  la  place  Notre-Dame  de  Melun  en  1865. 
Broch.  in-8°  de  30  pages  avec  planches;  Meaux,  imp.  .1.  Garro. 

»  Causerie  sur  Poinsinet;  mémoire  lu  à  la  séance  générale  de 
Fontainebleau  en  octobre  1865.  Opuscule  in-12  de  8  pages.  Fon- 
tainebleau, imp.  Bourges. 

1)  IJ effroyable  assassinat,  commis  à  Sermaisc,  commune  de  Dois-le- 
Roi,  par  la  bande  des  Chauffeurs,  en  germinal  an  IV.  Broch.  iu-S" 
de  8  pages,  Melun,  imp.  Hérisé. 

»  Notice  sur  les  épidémies  qui  ont  sévi  éi  Melun  Broch.  in-8''  de 
24  pages,  Melun,  imp.  Michelin. 

La  séance  est  levée  à  4  heures. 


—  45  — 

SÉANCE  DU  U  AOUT  1860. 

Présidence  de  M.  LAJOYE. 

La  séance  est  ouverte  à  3  heures. 

Sont  présents  MM.  La  Joye,  Decourbe,  Dorlin,  Hérisé,  Labiche, 
Lemaire,  Lhuillier,  Schreuder,  Sollier  et  Leroy. 

Le  procès- verbal  de  la  séance  précédente  est  adopté. 

Le  Secrétaire  donne  lecture  de  la  correspondance  : 

M.  Hennecart  exprime  ses  regrets  de  ne  pouvoir  assiste'r  à  la 
séance  de  ce  jour.  Le  secrétaire  général  du  Congrès  archéologique 
de  France  annonce  que  la  34"  session  de  ce  Congrès  aura  lieu  l'hiver 
prochain  à  Nice,  dans  le  courant  de  janvier,  en  même  temps  que 
la  5°  session  des  Assises  scientifiques  de  la  Provence.  M.  Burin, 
membre  de  la  Société,  instituteur  à  Saint-Just,  canton  de  Nangis, 
envoie  à  la  Section  de  Melun,  des  moules  ayant  servi  à  la  fabri- 
cation de  médailles  romaines,  trouvés  à  Châteaubleau,  dans  des 
fouilles  faites  par  les  soins  de  M.  Teyssier  des  Farges,  membre  de 
la  Société. 

La  Section  de  Melun  exprime  ses  remercîments  à  MM.  Teyssier 
des  Farges  et  Burin;  elle  arrête,  conformément  au  désir  des  do- 
nateurs, que  ces  moules  seront  déposés  au  musée. 

Il  est  également  donné  lecture  d'une  note  adressée  par  M.  Lhio- 
reau,  instituteur  à  Moisenay,  dans  le  but  de  compléter  les  rensei- 
gnements qu'il  a  déjà  envoyés  pour  servir  à  la  publication  du 
Dictionnaire  archéologique  de  Seine-et-Marne.  La  Section,  remer- 
ciant de  nouveau  M.  Lhioreau,  renvoie  sa  seconde  note  à  la 
commission  du  Dictionnaire. 

A  ce  sujet,  M.  le  Président  entre  dans  certains  détails  histori- 
ques et  archéologiques  sur  la  commune  de  Moisenay,  voisine  de 
celle  qu'il  habite,  et  qu'il  connaît  particulièrement. 

Il  est  ensuite  procédé  au  vote  sur  l'admission  de  M.  Kerckhoffs, 
professeur  de  langues  vivantes  au  collège  de  Melun,  dont  les  pré- 
sentateurs sont  MM.  Fournials  et  Decourbe. 

Ce  scrutin  donne  les  résultats  suivants  : 

Votants  10  ;  —  pour  l'admission  10. 

M.  Kerckhoffs  ayant  réuni  l'unanimité  des  votes  exprimés,  son 
admission  sera  soumise  au  Comité  central,  conformément  aux 
statuts. 

M.  Leroy  annonce  que  la  commission  nommée  au  sein  de  la 
Société,  pour  prendre  part  à  l'organisation  de  l'exposition   de 


—  46  — 

l'Histoire  du  Travail,  à  l'Exposition  universelle  de  1867,  s'est 
réunie  le  2  août  courant.  Il  a  été  pris  différentes  mesures  pré- 
paratoires en  vue  de' cette  organisation.  La  Commission  a  égale- 
ment décidé  qu'une  demande  serait  faite  à  chacune  des  Sections 
pour  contribuer,  à  raison  d'un  franc  sur  la  part  leur  revenant 
dans  la  cotisation  de  chaque  membre,  aux  frais  que  cette  exposi- 
tion pourra  entraîner. 

M.  le  Président,  prenant  en  considération  le  nombre  restreint  des 
sociéiiaires  présents  à  la  séance  de  ce  jour,  plusieurs  autres 
réunions  coïncidant  avec  cette  séance,  propose  de  renvoyer  le  vote 
demandé  à  la  plus  prochaine  réunion  de  la  Section  de  Melun,  où 
il  espère  qu'un  plus  grand  nombre  de  sociétaires  assisteront.  La 
proposition  est  unanimement  adoptée. 

Ensuite,  M.  le  Président  communique  une  note  relative  à  la 
découverte  d'un  cercueil  en  plomb  renfermant  un  squelette,  sur 
l'emplacement  de  l'ancienne  chapelle  du  château  de  La  Borde,  com- 
mune deChâtillon,  canton  du  Châtelet. 

M.  Labiche  donne  lecture  d'une  fable  ayant  pour  titre  :  Le  bû- 
chc?'on  et  les  deux  cognées. 

M.  Leroy  fait  hommage  à  la  Société  et  aux  membres  présents 
de  deux  brochures  intitulées  :  Les  arcJiers  et  les  arquebusiers  de 
Melmi,  in-8°  de  20  pages.  Melun,  imp.  Michelin.  —  3Ielun  sous 
Henri  IV,  1590-1610,  in-8°  de  30  pages.  Melun,  imp.  Hérisé. 

Attendu  l'heure  avancée,  les  autres  communications  inscrites  à 
l'ordre  du  jour  sont  renvoyées  à  la  prochaine  séance. 

Avant  de  se  séparer,  la  Section  décide  qu'en  raison  des  vacaaces 
et  de  l'absence  d'un  certain  nombre  de  ses  membres ,  elle  ne  se 
réunira  pas  au  mois  de  septembre. 

La  séance  est  levée  à  quatre  heures  et  demie. 


SEANCE  DU  7  OCTOBRE  1866. 
Présidence  de  M.  LAJOYE. 

La  séance  est  ouverte  à  1  heure. 

Sont  présents  :  MM.  La  Joye,  Auberge,  Ballu,  Dardenne,  Do- 
courbe,  Eymard,  Fontaine,  Gaucher,  Gaudard,  Gillet,  Kerkliolfs, 
Labiche,  Latour,  Lemaire,  Lhuillier,  Schreuder,  Sertier,  Sollier 
et  Leroy. 


—  47  — 

Après  lecture  du  procès-verbal  de  la  précédente  séance,  ce  prô- 
cès-verbal  est  adopté. 

Dépouillement  de  la  correspondance  :  —  MM.  le  marquis  de 
Béthisy,  Dorlin  et  Qucsvcrs  expriment  leurs  regrets  de  ne  pouvoir 
assister  à  la  réunion  de  ce  jour.  —  M.  le  marquis  de  Pontécoulant, 
président  de  la  Société,  annonce  que  l'Assemblée  générale  doit 
avoir  lieu  à  Goulommiers  ,  le  21  octobre  courant.  M.  le  comte 
d'Harcourt,  président  de  la  Section  de  Provins,  annonce  que  cette 
Section  a  voté  un  franc  sur  la  cotisation  de  chacun  de  ses  membres, 
pour  subvenir  aux  irais  qu'entraînera  la  participation  de  la  Société 
dans  l'organisation  de  l'Exposition  des  œuvres  caractérisant  les 
différentes  époques  de  l'Histoire  du  Travail,  à  Paris,  en  1867. 
M.  Garnier,  membre  de  la  Société,  envoie  la  liste  des  objets  qu'il 
se  propose  de  faire  figurer  à  cette  exposition.  —  Indication  des 
sujets  mis  au  concours  pour  l'année  1867 ,  par  la  Société  acadé- 
mique de  Saint-Quentin. 

Après  délibération ,  la  Section  de  Melun  vote  à  l'unanimité  le 
prélèvement  d'un  franc  sur  la  portion  qui  lui  est  attribuée  dans 
la  cotisation  de  chacun  de  ses  membres  ,  pour  subvenir  aux  frais 
d'organisation  de  l'Exposition  concernant  l'Histoire  du  Travail, 
dont  il  vient  d'être  parlé. 

Il  est  ensuite  donné  lecture  des  travaux  ci-après  : 

Par  M.  Kerkhoffs,  —  Rapports  entre  les  idées  religieuses  et  l'art 
monumental  ; 

Par  M.  Sùllier,  —  Notice  sur  la  maladrerie  de  Moret; 

Par  M.  Lhuillier,  —  La  nourrice  de  Louis  XIV  et  le  père  nourri- 
cier de  Louis  XVI,  esquisses  biographiques  ; 

Et  par  M.  Gaucher,  —  Notes  sur  plusieurs  objets  antiques 
trouvés  à  Drachy  ,  hameau  dépendant  autrefois  de  Nanteuil-sur- 
Marne.  ' 

Ces  mémoires  sont  renvoyés  au  Comité  central. 

M.  Lhuillier  dépose  sur  le  bureau  : 

1°  Une  notice  sur  les  jetons  et  méreaux  inédits  de  la  ville  de 
Meaux,  par  M.  Lefebvre,  membre  de  la  Société,  qui  en  fait  hom- 
mage à  la  Section  de  Melun. 

2°  Un  titre  original  de  1432,  concernant  l'église  collégiale  de  La 
Chapelle-sur-Crécy ,  dans  lequel  il  est  fait  mention  de  Denis  de 
Chailly,  bailli  de  Meaux  et  de  Crécy.  La  Section,  à  laquelle  ce 
titre  est  donné  par  M.  Cinot,  membre  de  la  Société,  décide  qu'il 
sera- remis  aux  archives  départementales,  où  sont  conservées  un 


—  48  — 

grand  nombre  de  pièces  originales  du  même  temps  ou  de  même 
nature. 

3°  Le  moulage  en  plâtre  d'un  médaillon  antique,  trouvé  sur  le 
bord  de  la  voie  Gallo-Romaine  de  Bibracte  à  Genabum.  Cet  objet 
qui  est  offert  à  la  Société  par  M.  Bréan,  membre  correspondant  ;\ 
Gien,  sera  déposé  au  musée  de  Melun. 

Des  remercîments  sont  adressés  à  MM.  Lefebvre,  Cinot  et 
Bréan. 

M.  G.  Leroy  dépose  également  sur  le  bureau  : 
1°  Une  monnaie  romaine  remarquable  par  sa  conservation  et  sa 
patine,  à  l'effigie  de  Julia  Domna,  femme  de  Septime-Sévère, 
morte  en  l'an  217.  Cette  monnaie  a  été  trouvée  à  Machault, 
canton  du  Ghâtelet,  au  lieu  dit  le  Camp  de  César^  par  M.  Richard, 
cultivateur,  qui  en  a  fait  don  au  musée  de  Melun. 

20  Des  moules  en  terre  cuite  pour  la  fabrication  des  monnaies,  à 
l'effigie  de  Gordien,  Philippe,  Posthume,  etc.  trouvés  à  Ghâteau- 
bleau,  canton  de  Nangls,  et  donnés  à  la  Section  de  Melun  par 
MM.  Teyssier  des  Farges  et  Burin,  ainsi  qu'il  a  été  annoncé  à  la 
précédente  séance. 

3°  Le  croquis  géométrique  d'une  cave  du  xiii''  siècle,  située  à 
Melun,  rue  du  Pour,  sous  une  maison  qui  vient  d'être  mise  à  l'ali- 
gnement, opération  qui  a  fait  perdre  à  la  cave  en  question  ses  pro- 
portions et  son  caractère.  M.  Leroy  explique  que  de  semblables 
substructions,  également  remarquables  et  datant  aussi  des  xii'^  et 
xiii'^  siècles,  existent  à  Melun  dans  les  rues  des  Nonettes,  d'Abei- 
lard,  de  Saint-Aspais,  de  l'Hôtel-de-Ville,  de  la  Juiverie,  Neuve 
et  du  Presbytère.  Les  plus  curieuses  sont  celles  des  maisons  n°  14 
de  la  rue  Saint-Aspais  et  n°  12  de  la  place  de  Pointe.  Cette  partie 
de  la  communication  de  M.  Leroy  est  renvoyée  à  la  Commission 
du  Dictionnaire  archéologique  de  Seine-et-Marne.  , 

L'ordre  du  jour  étant  épuisé,  la  séance  est  levée  à  trois  heures. 


—  49  — 


SECTION  DE  PROVINS. 


SÉANCE  DU  14  MAI  i866. 

Présidence   de   M.   Jules  MICHELIN,   vice-président. 

L'an  mil  huit  cent  soixante-six,  le  quatorze  mai,  à  deux  heures, 

La  Société  d'archéologie.  Section   de  Provins,  se    réunit    nu 

lieu  ordinaire  de  ses  séances,  à  l'Hôtel-de- Ville  de  Provins,  sous 

la  présidence  de  M.  Jules  Michelin,  vice-président  de  la  Section. 

Sont  présents  :  MM.  J.    Michelin,    Husson,   E.    Bourquelot, 

A.  Arnoul,  Moulenq,  Le  Hériché  et  A.  Lenoir,  secrétaire. 

M.  le  comte  d'Harcourt,  retenu  par  une  indisposition,  a 
informé  par  lettre  M.  le  Vice-Président  qu'il  ne  pourrait  assister 
à  la  réunion. 

Le  Secrétaire  donne  lecture  du  procès-verbal  de  la  dernière 
séance. 

Il  est  ensuite  procédé  au  dépouillement  des    votes  adressés 
pour  l'élection  des  membres  devant    composer  en  1866-67  le 
bureau  de  la  Section  ; 
Ont  pris  part  au  vote  : 

MM.  Moulenq,  Michelin,  comte  d'Harcourt,  Husson,  Puyo, 
Durvelle ,  P.  Bourquelot,  Fourtier,  Bourgeat,  Boby  de  La 
Chapelle,  E.  Bourquelot,  Delettre,  Chaubart,  De  Haut,  Burin, 
Le  Hériché,  Blanc,  Arnoul,  Auguste  Lenoir  et  Presles  :  —  20 
votants. 

Les  voix  se  sont  réparties  comme  il  suit  : 

Président,         MM.  le  comte  d'Harcourt,  19  voix. 

Brunet  de  Presle,  1 

Vice-Président,  Jules  Michelin,  19 

Délégué,  Félix  Bourquelot,        18 

Teyssier  des  Farges,     1 
Conservateur-archiviste,  E.  Bourquelot,  19 

Secrétaire-trésorier,  Auguste  Lenoir,  19 

MM.  Jules  Michelin  et  E.  Bourquelot  ont  ensuite  présenté  une 
demande  d'admission  dans  la  Société  d'archéologie,  Section  de 
Provins,  formée  par  M.  E.  de  Lépinois,  auteur  de  plusieurs  ou- 

4 


—  50  — 

vrages  d'archéologie  et  conservateur  des  hypothèques  à  Glermont 
(Oise). 

La  Section,  consultée,  a  été  d'avis  à  l'unanimité  que  cette 
admission  l'ut  prononcée  par  le  Comité  central  de  la  Société. 

M.  le  Vice-Président  a  donné  lecture  d'une  communication  de 
M.  Puyo,  curé-doyen  de  Villiers-Saint-Georges,  membre  de  la 
Section,  relative  aux  antiquités  récemment  découvertes  à  Augers; 
puis  il  a  donné  la  parole  à  M.  Auguste  Lenoir,  qui  a  lu  une 
notice  sur  Durand  de  Villegagnon,  provinois. 

La  séance  est  levée  à  5  heures. 


SÉANCE  DU  18  OCTOBRE  1866. 
Présidence   de  M.  le   comte  B.  d'HARCOURT. 

Sont  présents  :  MM.  d'Harcourt,  Jules  Michelin,  Boby  de  La 
Chapelle,  Brunet  de  Presle,  Puyo  et  Aug.  Lenoir,  secrétaire. 

Le  Secrétaire-trésorier  présente  la  situation  financière  de  la 
Section  pour  l'année  1863.  Cette  situation  se  résout  par  une  encaisse 
de  52  francs,  qui  devra  s'augmenter  du  quart  des  cotisations  res- 
tant encore  à  toucher,  soit  pour  8  cotisations  24  francs,  ce  qui 
portera  l'encaisse  totale  à  76  francs. 

Le  compte  du  trésorier  est  adopté  et  joint  au  registre  des  déli- 
bérations. 

M.  le  Président  donne  lecture  d'une  lettre  de  M.  le  Secrétaire 
de  la  Commission  pour  l'Exposition  universelle  de  1867,  et  sou- 
met au  vote  des  membres  présents  le  prélèvement  d'un  franc  sur  la 
portion  attribuée  à  la  Section  dans  la  cotisation  annuelle  de  chaque 
membre  pour  1866.  Ce  prélèvement  a  pour  but  la  coopération  de 
la  Section  dans  les  frais  qu'entraînera,  pour  la  Société,  la  réunion 
de  curiosités  archéologiques  répandues  dans  le  département  et 
pouvant  figurer  à  l'exposition  des  œuvres  caractérisant  les  diverses 
"époques  de  l'Histoire  du  Travail. 

La  proposition  est  adoptée  à  l'unanimité  de  tous  les  membres 
présents. 

M.  le  Président  présente  ensuite  de  M.  Victor  Arnoul,  comme 
membre  titulaire  de  la  Section  de  Provins. 

Les  Sociétaires  proposent  cette  admission  à  l'adoption  du  Co- 
mité central. 

M.  le  comte  d'Harcourt  expose  qu'on  pourrait  appliquer  aux 


—  ol   — 

monuments  do  l'arrondissement  de  Provins  une  mesure  qui,  dans 
d'autres  localités  a  donné  de  bons  résultats.  Cette  mesure  consiste- 
rait à  placer  sur  les  principaux  monuments  des  plaques,  où  seraient 
gravées  une  date  et  une  mention  sommaire  indiquant  l'origine  et 
la  destination  primitive  de  l'édifice.  Ce  serait  une  sorte  d'instruc- 
tion primaire  archéologique,  à  l'aide  de  laquelle  on  porterait  à  la 
connaissance  de  tous  des  notions  claires  et  précises  sur  les  monu- 
ments qui  ne  rappellent,  chez  le  plus  grand  nombre,  que  des  sou- 
venirs assez  confus.  Ces  plaques  pourraient  aussi  être  regardées 
comme  un  porte-respect,  et  défendraient  moralement  les  édifices 
contre  les  libertés  que  des  voisins  sont  trop  souvent  disposés  à 
prendre  vis-à-vis  des  vieilles  ruines.  On  les  défendrait  en  même 
temps  contre  les  erreurs  et  les  hyperboles  des  cicérones,  qui  sont 
loin  de  puiser  toujours  à  bonne  source  les  récits  et  les  descriptions 
qu'ils  font  aux  voyageurs. 

Après  une  discussion  à  laquelle  tous  les  membres  présents 
prennent  part,  la  mesure  proposée  par  M.  le  comte  d'Harcourt 
est  adoptée  en  principe. 

Rien  n'étant  plus  à  l'ordre  du  jour,  la  séance  est  levée. 


TRAVAUX. 


DEUXIÈME  COMPTE-KENDU  ANNUEL  DU  TRÉSORIER 

PAR   M.  COURTOIS, 

Membre  fondateur  (Section  de  Mclan),  Trésorier  central  de  la  Société. 


Messieurs  et  très-chers  Confrères, 

Honoré  de  Balzac  a  dit  quelque  part  :  «  L'avarice  commence  où 
))  la  pauvreté  cesse.  »  Si  cela  est  vrai,  rassurez-vous;  ce  n'est  pas 
encore  cette  année  que  nous  pourrons  être  atteints  de  ce  vilain 
défaut,  s'il  a  réellement  pour  cause  unique  h  possession.  Mais,  à 
mon  sens,  le  grand  écrivain  s'est  trompé;  son  aphorisme  paraît 
plus  profond  qu'il  n'est  juste,  Dieu  merci,  car  il  ne  peint  qu'une 
exception,  — les  Harpagons;  et  malgré  la  forme  rapide  et  incisive 
de  sa  sentence,  elle  porte  à  faux.  Loin  d'être  l'avarice,  l'ordre  et 
l'économie  sont  presque  des  vertus,  au  moins  des  qualités,  et  sans 
leur  pratique  la  pauvreté  ne  cesse  guère  ou  revient  bien  vite  ;  c'est 
là  une  vérité  presque  banale.  Et  peut-être,  Messieurs  et  honorés 
Confrères,  trouverez -vous  assez  naturel  que  votre  trésorier  ne 
puisse  prendre  pour  modèle  cet  homme  de  génie  qui,  dans  un 
jour  de  bonne  humeur,  sans  doute,  et  probablement  pour  résumer 
son  système  personnel  d'économie  fmancière,  disait  si  plaisam- 
ment que  s"il  avait  un  sou  à  lui  il  le  ferait  encadrer. 

Cela  dit,  voyons,  pour  la  seconde  fois,  quel  est  l'état  de  nos 
finances  et  tâchons  de  tirer  de  cet  examen  un  profit  pour  l'ave- 
nir, en  dépit  du  moraliste,  comme  d'aucuns  nomment  aujourd'hui 
l'illustre  auteur  de  la  Comédie  humaine. 

C'est  une  tâche  assez  ingrate  que  celle  qui  consiste  h.  manier  des 
chiffres,  car  les  chiffres  sont  tellement  ennuyeux  qu'ils  déteignent 
toujours  un  peu  sur  les  doigts  qui  les  touchent.  Mais,  vous  le 
savez  mieux  que  moi,   Messieurs,  il  n'est  pas  donné  à  tout  le 

monde  d'aller  à  Gorinthe sur  les  ailes  de  la  poésie  ou  par  les 

sentiers  plus  ou  moins  pénétrables  de  l'archéologie  :  les  Muses 
n'ont  de  sourires  que  pour  leurs  adorateurs;  les  sphinx  de  muettes 


—  54  — 

révélations  que  pour  les  pionniers  de  la  science  qui  savent  les  in- 
terroger et  leur  arracher  leurs  secrets... 

Votre  indulgence,  Messieurs  et  honorés  Confrères,  m'est  donc 
nécessaire  plus  qu'à  tout  autre,  et  j'ai  le  ferme  espoir  que  vous 
voudrez  bien  me  l'accorder. 

Ainsi  que  vous  allez  bientôt  en  être  convaincus,  ce  n'était  pas 
sans  de  justes  appréhensions  que,  déjà  l'an  passé,  je  prêchais 
l'ordre  et  l'économie  comme  cela  incombe  rigoureusement  à  ma 
fonction,  — j'allais  dire  à  mon  personnage;  —  car,  s'il  vous  en 
souvient,  notre  premier  exercice  se  soldait  en  prc'y/szon,  non  par  un 
excédant  de  recettes,  mais  par  un  petit  déficit  qui  s'est  accru 
quelque  peu,  sans  que  cela  ait  pris  une  importance  sérieuse.  Ce 
petit  déficit  avait  d'ailleurs  son  explication,  son  excuse  même, 
—  presque  sa  raison  d'être, —  dans  la  nécessité  où  nous  avions  été 
de  faire  supporter  par  la  seule  première  année  les  frais  d'organi- 
sation de  notre  Société,  alors  que,  d'autre  part,  le  nombre  de  nos 
sociétaires  ne  pouvait,  au  début,  égaler  celui  que  l'avenir  devait 
légitimement  nous  promettre,  et  alors  aussi  qu'aucune  allocation 
officielle  n'avait  même  pu  encore  être  sollicitée. 

Or,  cette  année-ci,  c'est-à-dire  durant  l'exercice  1865,  nous 
n'avons  plus  eu  de  frais  de  premier  établissement,  le  nombre  de 
nos  adhérents  a  augmenté,  — justifiant  ainsi  nos  espérances,  — 
et  cependant,  malgré  ces  circonstances  favorables,  au  lieu  de  com- 
bler le  déficit  du  premier  exercice,  nous  l'avons  élevé  ! 

D'oîi  cela  provient-il? 

C'est  ce  que  j'ai  la  mission  de  vous  faire  connaître,  et  pour  vous 
fixer  sur  l'état  véritable  de  nos  finances  d'une  manière  à  la  fois 
aussi  complote  et  aussi  succincte  qu'il  me  paraît  utile  de  le  faire, 
permettez-moi,  Messieurs  et  honorés  Confrères,  non  de  repro- 
duire simplement  nos  recettes  et  dépenses,  jour  par  jour,  dans  un 
relevé  où  seraient  confondus  et  noyés,  pour  ainsi  dire,  les  résultats 
généraux  et  les  causes,  —  qu'il  importe  surtout  de  connaître,  — 
mais,  en  quelque  sorte,  de  disséquer  mon  compte,  —  si  vous  voulez 
bien  me  passer  la  métaphore,  —  et  de  vous  en  soumettre  la  subs- 
tance. La  seule  balance  de  la  situation  à  ce  jour  nous  parlera  déjà 
assez  éloqucmment  par  elle-même,  et  nous  n'aurons  plus  alors 
qu'à  la  commenter,  —  qu'à  l'expliquer,  —  qu'à  nous  en  souvenir 
surtout. 

situation  de  la  cnisi^o  ji  eo  Jour  SI  mal  1800. 

DÉPENSES. 

Lus  dépenses  effectives  acquittées  depuis  le  premier  compte 


—  55  — 

jusqu'à  ce  jour  pour  différents  exercices  s'élèvent  à  la  somme 
de 3,870  f.  » 

RECETTES. 

Tandis  que  les  recettes,  effectives  aussi,  opérées 
sur  les  mêmes  exercices  depuis  la  même  époque,  ne 
s'élèvent  qu'à 3,601     70 

D'où  il  résulte  une  avance  de  la  part  du  trésorier 
central  de. 268    30 


Somme  absolument  conforme  à  la  balance  de  ses  écritures. 

Cette  première  indication  est  déjà  fort  utile,  je  pense,  puis- 
qu'elle donne  un  renseignement  précieux  :  l'état  de  la  caisse,  — 
moyen  de  contrôle  de  tout  compte  et  base  de  tout  budget,  —  mais 
elle  serait  insuffisante  à  cause  de  son  laconisme,  et  il  me  paraît 
nécessaire  de  vous  présenter  une  situation  raisonnée  qui  per- 
mettra d'apprécier  facilement,  je  l'espère,  les  résultats  de  chaque 
exercice  en  particulier,  en  même  temps  qu'elle  fera  connaître  la 
nature  des  dépenses  auxquelles  la  Société  a  eu  à  faire  face  et  les 
ressources  dont  elle  a  pu  disposer  pour  y  satisfaire  jusqu'à  due 
concurrence.  Due  concunrence,  vous  le  comprenez.  Messieurs  et 
honorés  Confrères,  vous  ferait  suffisamment  pressentir  un  déficit 
si  je  ne  venais  déjà  de  vous  l'annoncer  positivement;  mais  n'anti- 
cipons pas  sur  l'ordre  de  ce  travail. 

Les  dépenses  faites  postérieurement  au  premier  compte,  —  et 
que  je  place  ici  les  premières  parce  qu'elles  sont  supérieures 
aux  recettes,  —  les  dépenses,  vous  l'avez  vu,  se  sont  élevées  jus- 
qu'à ce  jour  à  3,870  francs,  et  les  recettes  à*3,601  fr.  70  c.  ;  mais 
ce  n'est  pas  assez  de  le  dire,  il  faut  le  jjustifîer,  et  sans  vouloir 
entrer  ici  dans  des  détails  qui  ne  me  paraissent  pas  indispensables, 
il  est  bon,  je  crois,  de  vous  indiquer  sommairement  en  quoi  ont 
consisté  ces  dépenses  et  ces  recettes. 

Indication  soninialre  des  ISépcnscs. 

Elles  se  composent  d'abord  des  frais  d'impression  du  Bulletin 
de  1864,  de  factures  payées  à  M™"  Thuvien,  libraire  à  Melun,  et 
à  MM.  Massue,  marchand  de  papier,  et  Berthault,  imprimeur- 
graveur  à  Paris;  de  deux  autres  petites  factures  payées  à  des  per- 
sonnes de  Paris,  enfin  de  reliquats  de  frais  du  premier  exercice 
réclamés  par  les  Sections  de  Goulommiers,  Fontainebleau  et 
Meaux,  le  tout  applicable  à  l'exercice  de  1864,  et  non  payé  lors 
du  premier  compte-rendu  faute  de  production  des  factures  jusque 


—  56  — 

là;  ensemble l,428f.3o 

2°  des  frais  du  Bulletin  de  1865,  y  compris  dessins, 
gravure,  etc.,  suivant  état  que  j'ai  l'honneur  de  vous 
mettre  sous  les  yeux,  ci 1,836     32 

3°  de  déboursés  faits  pour  les  séances  générales 
de  Provins  et  Fontainebleau,  montant  à 299     15 

4°  des  frais  de  correspondance  pour  1865,  qui  se 
sont  élevés,  savoir  : 

Ceux  de  M.  le  Secrétaire  général,  à      82  f.  05  1 

Et  ceux  de  votre  Trésorier  central  à       4    25  f  °^''      ^^    ^^ 

5°  de  pareilles  dépenses  s'appliquant  à  1866.     .     .  28    45 

6°  de  la  faible  somme  de  36  fr.  43  qui,  avec 
230  fr.  figurant  au  premier  compte-rendu  comme  dé- 
penses s'appliquant  à  1865,  a  suffi  à  faire  face  aux 
frais  de  correspondance  et  autres  de  M.  le  Prési- 
dent, ci 36    43 

7°  Enfin  de  pareilles  dépenses  à  celles  du  n°  6  s'ap- 
pliquant à  1866 .^         155 

Somme  égale  aux  dépenses  générales  ci-  dessus  an- 
noncées, comme  ayant  été  faites  depuis  le  premier 
compte 3,870      » 

Indication  sommaire  des  Roecttes. 

1°  Balance  du  premier  compte  du  Trésorier  cen- 
tral          8i3f.^io 

2"  Encaissement  de  8  cotisations  de  l'exercice  1864 
sur  les  16  qui  restaient  à  recouvrer,  savoir  : 

Section  de  Goulommiers-,     4  \ 

—  Fontainebleau,    2  >  ensemble  8  à  12  f.  96       » 

—  Molun,  2  ) 

3"  Petit  solde  du  compte  de  1864  du  Trésorier  de 
Goulommiers 1     35 

4°  Encaissement  de  227  cotisations,  à  9  fr.  l'une, 
sur  l'exercice  de  1865,  et  dont  .je  donnerai  plus  loin 
le  détail 2,043      » 

5°  Recettes  de  13  droits  de  diplômes  ?i  6  fr.,  dont 
5  par  le  Trésorier  central  et  8  par  M.  le  Trésorier  de 
Provins 78      » 

6°  Vente  de  3  Bulletins  par  le  Trésorier  central.  .  7    50 

A  reporter 3,069     70 


—  57  — 

Report 3,069  70 

7°  Allocation  ministérielle  pour  1863 3oO  >• 

8°  Versement  de  M.  le  Trésorier  de  Fontainebleau 

à  compte  sur  le  même  exercice 182  » 

Somme  égale  au  chiffre  ci-dessus  annoncé  pour  les 
recettes  générales  faites  depuis  le  premier  compte.  3,601  70 
.  Les  recettes  et  les  dépenses  ainsi  connues,  il  me  semble,  pour  être 
logique,  qu'il  y  a  lieu  tout  d'abord  d'en  extraire  les  éléments  pro- 
pres à  établir  les  résultats  définitifs  de  notre  premier  exercice,  — 
résultats  que  nous  n'avions  pu  qu'entrevoir  lors  du  premier  compte, 
attendu  que  certaines  recettes  et  dépenses  restant  alors  à  faire  ne 
pouvaient  être  appréciées  d'une  manière  défmitivc  à  cette  époque, 
faute  de  documents  précis. 

Apnrcnicnt  do  Texercicc  fS04. 

Ainsi  qu'on  le  voit  dans  mon  premier  compte-rendu  (page  33  du 
Bulletin  de  la  2°  année),  le  déficit  prévu  approximativement  pour 
l'exercice  1864  devait  être  d'environ  123  fr.  60.  Ce  chiffre,  par 
suite  d'une  petite  erreur  de  1  fr.  produite  dans  la  dernière  sous- 
traction et  passée  inaperçue  parce  que,  s'agissant  de  prévisions, 
il  n'y  avait  pas  le  contrôle  du  fait,  —  ce  chiffre  doit  être  ramené 
à 124  f.  60 

Mais,  les  dépenses  payées  depuis  cette  époque  —  et 
qui  soldent,  je  l'espère,  le  débit  de  cet  exercice,  —  se 
sont  élevées  (voir  le  4"  art.  des  dépenses  générales 
ci-dessus)  à l,428f.33 

Et  comme  elles  n'avaient  été  prévues 
provisoirement  que  pour 1,318    43 

Il  est  résulté  de  ce  chef  un  excédant  de 
dépenses  de 109    90 

D'autre  part,  au  disponible  alors  en 
caisse,  et  qui  était  de  843  fr.  83  (voir  le  1" 
article  des  recettes  ci-dessus),  j'avais  cru 
pouvoir  ajouter  l'encaissement  probable  de 
10  cotisations  sur  les  16  restant  à  recou- 
vrer de  cet  exercice.  Or,  il  n'en  est  encore 
rentré  que  8,  ce  qui  fait,  pour  les  deux 
cotisations  non  encaissées,  un  déficit  sur 
les  prévisions  de. 24      » 

Et  nous  donne  un  mécompte  de  .     .     .        133    90        133     90 
qui,  ajoutés  au  déficit  prévu,  élèvent  le  déficit  défini- 
tif de  1864  à  .     . 258    50 


—  58  — 

En  termes  plus  généraux,  aux  dépenses  déjà  acquittées  lors  du 
premier  compte-rendu  et  qui  se  montaient  à  .     .     .        1,749  f.  15 

Moins  le  retranchement    qui  a    été  fait   de  la 
somme  s'appliquant  à  l'exercice  1865,  soit    .     .     .  230      » 

Ce  qui  les  réduisait  en  réalité  pour  1864  à  .     .     .        1,519    15 
Il  y  a  lieu  d'ajouter  les  dépenses  payées  depuis 
pour  complément  de  cet  exercice  et  portées  ci-dessus 
pour 1,428     35 

Ce  qui  élève  les  dépenses  de  l'exercice  1864  à.     .        2,947     50 

Tandis  que,  aux  recettes  qui  s'élevaient  h  la  même 
époque,  à 2,593  f.  » 

Il  n'y  a  lieu  d'ajouter  que  l'encaisse- 
ment de  8  cotisations  à  12  fr.  l'une,  soit.         96      » 

Ce  qui  porte  les  recettes  du  même 

exercice  à 2,689      »  ci.  2,689      » 

Et  donne  bien  un  déficit  semblable  à  celui  sus- 


indiqué  pour  1864  de 258    50 

Ce  point  ainsi  acquis  et  contrôlé,  voyons  quelles  sont,  parmi  les 
recettes  et  les  dépenses  générales,  celles  qui  s'appliquent  à  l'exer- 
cice 1865,  et  quel  est  le  résultat  provisoire  de  cet  exercice. 

EXERCICE   1865. 

DÉPENSES. 

Les  dépenses  s'appliquant  à  cet  exercice  sont  : 

1°  Les  frais  du  deuxième  Bulletin,  imprimeur,  graveur,  etc., 
portés  sous  le  n°  2  du  chapitre  intitulé  :  Indication  sommaire  des 
dcpenses,  soit 1,836  f.  32 

2°  Les  frais  des  séances  générales  de  Provins  et  ~ 
Fontainebleau 299     15 

3°  Les  frais  de  correspondance  et  autres  de  M.  le 
Président,  savoir  : 

Ceux  portés  au  premier  compte,  mais  s'appliquant 
à  1865 230f.    » 

Et   le  complément  porté    au    présent 
compte,  soit 36    43 

Ensemble 266    43  266    43 

4°  Enfin,  les  frais  de  correspondance  de  M.  le  Se- 
crétaire général  el  du  Trésorier  central,  soit.     .     .  S6    30 
Ce  qui  porte  les  dépenses  applicables  à  l'exercice 

1865  à 2,488    20 


—  39  — 

RECETTES. 

Les  recettes,  également  applicables  à  l'exercice  1865,  se  compo- 
sent : 

1°  De  l'encaissement  de  227  cotisations  sur  cet  exercice,  à  9  fr. 
l'une,  déduction  laite  du  quart  alloué  aux  Sections,  soit    2,043  f.   » 
{Je  donnerai  plus  loin  le  relevé  par  Section  de  ces  encais- 
sements.) 

2°  Du  coût  de  13  diplômes,  à  6  fr 78      » 

3°  Et  de  la  vente  de  3  Bulletins,  à  2  fr.  50.     .     .     .  7    50 

Ce  qui  porte  le  total  des  recettes  applicables  à  1865 
à  f r 2,128    50 

BALANCE. 

Les  dépenses  de  l'exercice  1865  étant  de    ...     .  2,488  20 

Et  les  recettes  seulement  de 2,128  50 

Il  en  résulte  que  cet  exercice  se  solde,  quant  à  pré- 
sent, par  un  déficit  de 359  70 

Pour  abréger  autant  que  cela  est  possible  ce  travail,  forcément 
un  peu  long  à  cause  de  la  nécessité  —  qui  n'existait  pas  lors  de 
mon  premier  compte-rendu  —  d'apurer  notre  premier  exercice 
et  de  vous  présenter  séparément  le  résultat  définitif  de  cet  exercice 
(1864)  et  le  résultat  provisoire  de  1865;  pour  abréger,  dis-je,  je 
supprime  ici  un  tableau  que  j'avais  dressé  et  dans  lequel,  —  après 
avoir  retiré  des  recettes  et  dépenses  générales  tout  ce  qui  s'appli- 
quait aux  exercices  1864  et  1866,  — j'arrivais  à  donner,  par  ce 
simple  procédé,  la  preuve  absolue,  incontestable^  de  l'exactitude 
du  compte  ci-dessus  pour  l'exercice  de  1865. 

Mais  chacun  pourra  suppléer  à  l'absence  de  ce  tableau  en  se  re- 
portant aux  chapitres  intitulés  :  Indication  sommaire  des  dépenses, — 
indication  sommaire  des  recettes,  —  et  en  y  voyant  que  les  articles  de 
recettes  et  dépenses  relevés  ci-dessus  pour  l'exercice  1865,  sont 
bien  les  seuls  articles  qui  ont  dû  être  extraits  de  ces  chapitres 
pour  former  le  compte  de  cet  exercice. 

Néanmoins,  pour  être  aussi  clair  et  aussi  complet  qu'il  me  semble 
qu'on  puisse  l'être  lorsqu'il  s'agit  d'une  comptabilité  de  la  nature 
nécessairement  un  peu  compliquée  de  la  nôtre,  —  par  suite  de 
réparpillement  obligé  des  éléments  de  cette  comptabilité,  — -  il  ne 
sera  peut-être  pas  inutile  de  vous  faire  connaître  le  nombre  de  nos 
sociétaires  pendant  l'année   1865;   le  chiffre  des  encaissements 


—  60  — 


opérés  sur  cet  exercice  dans  chacune  des  Sections;  enfin,  d'addi- 
tionner les  déficits  de  nos  deux  premiers  exercices  et  de  vous  indi- 
quer comment,  d'après  mes  appréciations,  ils  pourront  se  modifier 
et  s'atténuer. 

Ce  qui  va  suivre  étant  comme  le  couronnement  de  ce  qui  précède, 
j'estime,  dès  lors,  que  ce  ne  sera  pas  la  partie  de  mon  travail  qui 
offrira  le  moins  d'intérêt,  et  je  vous  prie  en  conséquence,  Mes- 
sieurs et  honorés  Confrères,  de  vouloir  bien  me  continuer  quelques 
instants  encore  votre  bienveillante  attention. 

Slclcvé  eoniparatif  du  noiubre  dos  Slociétaircs  en  1S04  et  1N05^  du 
chiffre  do  coti.^sitlons  cucais>sces  Ji  ce  jour  dans  chacune  des  tUce- 
lions,  et  de  colles  restant  &  rocouvrer. 


SECTIONS   DE 


Goulommiers.. 

Aieaux 

Melun 

['"ontainebleau 
Provins 

Totaux.... 


en  1864 


37 
42 
80 
81 
23 


263 


BRE 

2 

o 

t—t 

.s 

£-<  o 

■<*    50 

BRES 

^2 

--^^^^  ~""\ 

a  a 

t-i   a; 

<5 

en  1865 

P 

< 

44 

7 

48 

6 

82 

2 

81 

0 

39 

16 

294 

31 

COTISATIONS 

DE 

l'exercice  1865 


en- 
caissées 

27 
42* 
71 
00 

27 


997 


à  re- 
couvrer 


17 
6 
H 
21 
12 


67 


Observations 


*dont  une  par 

le  trésorier 

central. 


11  résulte,  comme  on  le  voit,  de  cet  état,  que  le  nombre  de  nos 
sociétaires,  qui  était  en  1804  do  263,  s'est  élevé  en  1865  h  294,  ce 
qui  a  donné  une  augmentation  de  31  membres  pour  la  deuxième 
année;  et  que,  ainsi  que  cela  est  établi  dans  mon  compte,  227  co- 
tisations de  cet  exercice  ont  été  encaissées  jusqu'à  ce  jour;  il  reste 
donc,  pour  compléter  le  chiffre  de  294  membres,  67  cotisations  ?i 
recevoir  ou  h  passer  en  non-valeur.  67  cotisations  en  retard  sur 
294  !  c'est  beaucoup;  la  première  année  les  encaissements  s'étaient 


—  61  — 

mieux  faits  :  247  cotisations  avaient  été  encaissées  sur  263  au  mo- 
ment du  compte-rendu,  et  sur  les  d6  qui  étaient  restées  en  souf- 
france 8  ont  été  encaissées  depuis.  Nous  verrons  tout  à  l'heure 
quelle  est  la  cause  principale  de  cet  arriéré,  relativement  impor- 
tant, de  67  cotisations  sur  notre  deuxième  exercice,  et  ce  qu'il  y 
a  à  en  attendre. 

Ces  renseignements.  Messieurs  et  honorés  Confrères,  vous 
étaient,  je  crois,  indispensables  à  connaître  à  plus  d'un  titre,  et  ils 
vont  me  servir  à  vous  fixer  d'une  manière  aussi  approximative  que 
possible  sur  le  résultat  final  de  nos  deux  premiers  exercices. 

Résultats  réunis  des  exercices  1S64  et  1965. 

On  peut,  je  pense,  regarder  aujourd'hui  comme  n'étant  plus 
susceptible  de  modifications  —  au  moins  de  modifications  sé- 
rieuses —  le  déficit  de  l'exercice  1864  qui,  comme  l'on  s'en  sou- 
vient,  est  de 258  f.  50 

En  y  ajoutant  provisoirement,  pour  son  chiff're  ac- 
tuel, celui  de  1865  susceptible,  lui,  de  modifications, 
et  qui  est  de 359    70 

On  trouve  que  notre  déficit  à  ce  jour,  bien  et  dû- 
ment établi,  est  de 6Ï8    20 

Mais,  dès  à  présent,  il  est  tardivement  réclamé  sur 
cet  exercice  :  par  M.  Michelin,  imprimeur,  une  note 
de 18f.50 

EtparM'^'^Thuvien,   lithogr.,  unenote  de    16    40 

Ensemble 34    90  ci.    34    90 

Ce  qui,  à  supposer  qu'il  ne  soit  plus  présenté  aucun 
mémoire  s'appliquant  à  1865,  élèvera  le  déficit  des 
deux  premiers  excercices  à 653     10 

Mais  il  semble  'que  nous  pouvons  légitime- 
ment espérer  recouvrer  encore  un  certain  nombre 
des  cotisations  arriérées  de  l'exercice  1865,  et  en  les 
portant  seulement  à  27,  à  9  fr.  l'une,  cela  nous  don- 
nera un  chiffre  de  recettes  nouvelles  de 243      » 

Ce  qui  pourra  réduire  notre  déficit  à  environ  (1),     .        410    10 


(1)  Malheureusement  quelques  efforts  qu'ait  faits  votre  trésorier  pour  présenter  un 

résultat  à  peu  près  définitif,  surtout  pour  l'exercii^e  18Gi,  et  alors  qu'il  croyait  y  être 
arrivé,  il  a  le  regret  d'annoncer  que  pendant  l'impression    du  présent   rapport,  plu- 


—  62  — 

Ainsi,  Messieurs  et  honorés  Confrères,  comme  j'ai  eu  l'honneur 
de  vous  le  dire  en  commençant,  au  lieu  de  combler  le  déficit  de 
notre  premier  exercice  nous  l'avons  augmenté,  mais  d'un  chifTre 
heureusemeut  peu  important,  en  résumé;  et  au  besoin,  pour  l'at- 
ténuer et  môme  pour  l'efTacer  presque  entièrement,  nous  avons 
dès  h.  présent  en  caisse  une  recette  nouvelle  de  350  fr,,  montant  de 
l'allocation  généreuse  de  S.  Exe.  M.  le  Ministre  de  l'Instruction 
publique. 

Voilà  les  faits;  voyons  maintenant  les  causes  : 

Trois  causes  principales  ont  concouru  à  céer  le  déficit  signalé  : 

En  première  ligne,  il  faut  placer  les  frais  imprévus  et  relative- 
ment considérables  de  dessins  et  gravure  pour  le  Bulletin  de  la 
seconde  année. 

En  second  lieu,  les  frais  également  imprévus  des  deux  séances 
générales  de  Provins  et  Fontainebleau  en  1865,  qui  se  sont  élevés 
à  près  de  300  fr.  —  Pour  ordre,  celle  de  Melun,  en  1864,  n'avait 
rien  coûté  ou  à  peu  près. 

Enfin,  l'irrécouvrabilité  presque  certaine  d'environ  40  cotisa- 
tions sur  l'exercice  de  1865,  chiffre  énorme  comparé  à  celui  de 
l'exercice  1864  qui  n'a  été  en  définitive  que  de  8  seulement. 

Cette  importante  non-valeur  provient  pour  la  moitié  environ  de  la 
Section  de  Fontainebleau.  C'est  un  gros  mécompte  qui  devait  être 
assez  imprévu  aussi,  attendu  que  si  nous  n'avions  rien  fait  pour 
attirer  à  nous  ces  membres  déserteurs,  nous  avons  tous  la  con- 
science d'avoir  moins  fait  encore,  —  si  cela  est  possible,  —  pour 
les  éloigner. 

Et  à  cet  égard,  Messieurs  et  honorés  Confrères,  veuillez  me  per- 
mettre une  réflexion  qui  a  dû  vous  venir  à  l'esprit  comme  à  moi, 
et  cette  réflexion  est  celle-ci  :  on  se  demande  quelles  ont  bien  pu 
être  les  bonnes  raisons  qu'ont  dû  avoir  des  gens  sérieux  entrés 
dans  une  société  dont  le  programme  leur  était  connu,  pour  n'y  rester 
que  ce  que  durent  les  roses? 

Certes,  nul  plus  que  moi  ne  respecte  la  liberté  d'autrui,  et  je  ne 
crois  pas  mériter  d'être  traité  d'incendiaire  en  faisant  cette  ré- 
flexion. La  question  qui  en  résulte  peut  avoir  son  importance 
pour  l'avenir,  et  le  jour  où  l'on  retouchera  aux  statuts,  peut-être 
verra-t-on  s'il  n'est  pas  nécessaire  d'imposer  un  minimum  quel- 
sieurs  réclamations  tardives,  montant  à  plus  de  400  fr.,  lui  ont  éli  laites;  de 
sorte  que  notre  déficit  dépassera  800  fr.  C'est  beaucoup;  espérons  du  moins  que  ce 
sera  le  dernier  chiffre  de  notre  mécompte. 


-■  G3    - 

conque  de  durée  d'engagement?  Des  souscripteurs,  qui  ont  brigué 
l'honneur  de  figurer  sur  nos  premières  listes,  ont  trouvé  des  pré- 
textes pour  ne  pas  même  payer  leur  première  cotisation;  de  sorte 
qu'ils  auront  été  sociétaires  sans  jamais  avoir  payé  un  centime. 
Gela  n'est  pas  très-exemplaire,  car  le  plus  impérieux  de  tous  les 
devoirs  est  de  satisfaire  à  ses  engagements. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Messieurs  et  honorés  Confrères,  je  crois  être 
l'écho  de  vos  sentiments  en  disant  que,  comme  moi,  vous  regret- 
terez ceux  qui  nous  abandonnent,  moins  pour  le  tort  matériel 
qu'ils  causent  à  la  Société,  que  pour  le  tort  moral  que  leur  départ 
pouvait  lui  faire,  —  et  que  vous  les  regretterez  surtout  pour  eux- 
mêmes. 

Ce  petit  devoir  confraternel  rempli,  laissez-moi  revenir,  en  ter- 
minant, aux  considérations  par  lesquelles' j'ai  commencé: 

En  dépit  de  M.  de  Balzac,  l'ordre  et  l'économie  sont  nécessaires 
dans  toutes  les  conditions,  et,  dans  notre  situation  présente,  ils  sont 
indispensables  absolument  ;  aussi,  pour  mon  compte,  je  vous  prie 
de  croire  que  je  ne  me  départirai  pas  de  ces  principes  salutaires. 

Le  mal  est  heureusement  insignifiant  et  il  faut  non-seulement 
nous  appliquer  à  empêcher  qu'il  augmente,  mais  encore  à  le 
réparer. 

—  «  Ne  pouvait-on  le  prévoir,  le  prévenir  ?  »  diront  d'aucuns. 
Gela  était  difficile,  pour  ne  pas  dire  tout  à  fait  impossible,  avec 

notre  mode  de  procéder. 

—  «  Au  moins  l'expérience  nous  profitera-t-elle  ? 

Il  faut  l'espérer  quoique,  malgré  l'expérience,  on  fasse  encore 
chaque  jour  des  écoles  en  toute  matière. 

—  H  Mais  ne  pourrait-on,  par  un  budget  préparé  à  l'avance, 
régler  nos  recettes  et  nos  dépenses?  » 

C'est  là  où  gît  le  mal,  peut-être  aussi  le  remède,  —  le  poison  et 
l'antidote.  Pour  les  Recettes^  la  difficulté  est  grande,  car  c'est 
l'imprévu  presqu'absolu,  puisqu'elles  dépendent  non-seulement 
du  nombre  fluctuatif  des  membres  de  la  Société,  mais  encore  de 
la  rentrée  des  cotisations;  cependant  on  pourrait  peut-être  essayer 
de  résoudre  cette  première  difficulté  en  exigeant  rigoureusement, 
d'une  part,  conformément  aux  statuts,  le  versement  de  toute  coti- 
sation due  pour  l'année  commencée  avant  la  démission;  et  d'autre 
part,  en  ne  faisant  pas  de  dépenses  sérieuses  avant  l'entier  encais- 
sement des  cotisations.  Mais  ces  mesures  sont-elles  possibles  en 
pratique?  Je  n'oserais  l'affirmer. 

Pour  les  Dépenses ,    la  difficulté  est  peut-être  moins  grande  : 


—  64  — 

réduire  le  plus  possible  les  dépenses  générales,  et  ne  mettre  à  exé- 
cution tel  ou  tel  projet  qu'après  s'être  assuré  à  la  fois  et  de  la  dé- 
pense qu'il  doit  entraîner  pour  la  Société,  et  de  l'état  au  moins 
probable  de  nos  ressources. 

Gela  est  très-désirable,  et  d'ailleurs  il  faut  de  toute  nécessité 
qu'il  en  soit  ainsi  :  car  aucune  Société,  aucun  trésorier  ne  pour- 
raient continuer  une  existence  ou  des  fonction^  alors  que  les 
budgets  annuels  se  solderaient  constamment  par  des  déficits. 

((  Nous  avons  une  Commission  des  finances,  »  dira-t-on?  Oui, 
mais  par  suite  de  la  forme  fédérative  de  notre  Société  et  du  choix 
fait  dans  plusieurs  arrondissements  des  membres  de  cette  Com- 
mission, peut-elle,  en  pratique,  fonctionner  d'une  manière  utile? 
la  meilleure  réponse  c'est  qu'elle  n'a  pas  fonctionné  jusqu'ici,  et 
fonctionnât-elle,  qu'il  est  douteux  qu'elle  puisse  faire  mieux  ou 
moins  mal ,  si  l'on  veut,  que  ce  qui  a  été  fait. 

Le  Président  et  le  Trésorier  sont  donc,  par  la  force  des  choses, 
—  et  encore  le  Trésorier  très-secondairement,  —  amenés  à  avoir 
seuls  la  lourde  responsabilité  des  finances.  La  sollicitude  toujours 
si  vive  de  notre  aimé  et  honorable  Président,  son  zèle  véritable- 
ment infatigable  pour  les  intérêts  de  la  Société;  et.  Je  crois  pou- 
voir le  dire,  l'ordre  et  la  vigilance  de  votre  Trésorier  central,  et 
l'obligation  pour  lui  d'aligner,  comme  on  dit  en  matière  de  comp- 
tabilité, garantissent  autant  que  possible  la  Société  de  tout  mé- 
compte sérieux. 

Il  va  de  soi  que  je  tiens  à  la  disposition  de  mes  honorables  col- 
lègues de  la  Commission  des  finances  et  de  tous  les  membres  de  la 
Société,  la  justification  de  tous  les  articles  de  recettes  et  dépenses 
figurant  au  présent  compte-rendu. 

Je  vous  devais.  Messieurs  et  honorés  Confrères,  ces  détails,  — 
un  peu  longs  peut-être,  —  non  pour  vous  seuls,  mais  aussi  pour 
la  Société  qui  a  bien  voulu  me  confier  l'honneur  périlleux  de 
veiller  à  sa  prospérité  financière,  et  j'aurai  accompli  l'une  "des  par- 
ties essentielles  de  ma  tâche  si  j'ai  réussi  à  porter  la  lumière  dans 
vos  esprits. 


—  (io  — 

ICONOGRAPHIE   DE   SAINT-LOUP 

EMPRUNTÉE  PKINCIPALEMEiNT    AUX   MONUMENTS    DE    L'aKT   LOCAL, 


PAU    M.    ELG.    Cil  ES  Y, 


Ancien  membre  fondateur  (SecJ5«n  de  i%il«>liiia). 


Saint  Loup  ou  saint  Leu  {Lujms)T\é,  suivant  la  légende,  de  race 
royale  à  Orléans,  vers  573,  fut  élu  archevêque  de  Sens  en  609  et 
mourut  en  623.Saiete  se  célèbre  le  ■l'^''  septembre,  et  sa  translation 
le  23  avril.  Son  culte  était  très  en  honneur  dans  la  Brie,  et,  pour 
preuve  de  cette  popularité,  nous  nous  contenterons  de  donner  la 
liste  des  églises  qui  lui  sont  consacrées  dans  Seine-et-Marne. 
Bellot,  Bransles,  Chatenoy,  Ghenoise,  Gourquetaine,  Grôpoil , 
Grisy-sur-Seine,  Le  Vaudoué,  Luzancy,  Neufmoutiers,  prèsRozoy, 
Nonville,  Planoy,  Rouilly,  Saint-Loup-de-Naud,  SamoisetTigeaux 
l'invoquaient  comme  premier  patron. 

A  Melun,  la  riche  corporation  des  bouchers  s'était  aussi  rangée 
sous  son  patronage  et  c'était  justice,  puisque  c'est  dans  cette  ville 
que  la  légende  place  un  de  ses  plus  éclatants  miracles.  On  voit 
encore  dans  l'église  Saint- Aspais  l'élégante  chapelle  et  la  splendide 
verrière  que  les  bouchers  firent  élever  en  son  honneur.  Nous  avons 
même  la  date  de  l'année  à  laquelle  la  corporation  en  fit  les  frais,  par 
l'inscription  placée  à  la  naissance  de  l'ogive  :  ranMXV''XVII  ay  esté 
faicte  {des)  deniei^s  de  la  côfrarie  S.  Loup.  Au  sommet  de  l'ogive 
brillent  les  insignes  de  l'état  :  un  couperet,  un  couteau  de  boucher 
et  le  fusil  à  aiguiser.  Au  bas  de  la  verrière,  à  droite,  on  remarque 
un  élégant  cartouche  rehaussé  d'arabesques  où  l'explication  des  trois 
scènes  représentées  se  trouve  ainsi  résumée  :  Comment  S.  Loup 
fut  consacré,  puis  fut  chassé.  Le  panneau  supérieur  donne  l'intronisa- 
tion de  saint  Loup.  A  genoux,  les  mains  jointes,  il  vient  de  recevoir 
la  croix  primatiale  à  double  trayerse  ,  à  laquelle  lui  donnait  droit 
le  titre  de  primat  des  Gaules;  c'est  le  moment  où  les  deux  évèques 
qui  l'assistent  lui  posent  la  mître  sur  la  tête,  en  présence  d'un  car- 
dinal :  sur  le  devant  de  la  scène,  dans  les  compartiments  voisins, 
six  diacres  et   sous-diacres  en  dalmaliquc  l'ont  l'oltice  de  clercs 


—  66  — 

servants  et  complètent  le  cérémonial  en  portant  des  chandeliers. 

D'après  la  légende  dorée,  «  pour  ce  que  saint  Loup  n'avait  donné 
nul  don  à  Parulf,  sénéchal  envoyé  à  Sens,  celui-ci  le  diffama,  si 
que  le  roi  Glotaire  l'envoya  en  exil.  »  Dans  le  panneau  suivant, 
le  prélat  est  accompagné  d'un  concours  de  peuple  qui  manifeste 
ses  regrets,  mais  il  jette  son  anneau  épiscopal  dans  les  fossés  de 
la  ville  en  déclarant  qu'il  ne  reviendrait  que  quand  on  l'aurait 
retrouvé.  En  effet,  peu  de  temps  avant  son  retour,  fut  péché  à 
Samois,  près  de  Alelun ,  un  barbeau  dans  le  corps  duquel  fut 
trouvé  l'anneau  du  Saint,  anneau  qu'on  montre  encore  dans  le  tré- 
sor de  la  cathédrale.  Papirius-Masson  a  même  trouvé  une  autre 
version  :  ce  ne  serait,  selon  lui,  que  du  règne  de  Louis  VII  qu'au- 
rait été  péché  le  barbeau,  et  l'édification  de  l'abbaye  de  ce  nom 
aurait  été  entreprise  avec  le  prix  de.  la  pierre  précieuse.  On  raconte 
de  S.  Grat,  treizième  évêque  de  Ghâlons-sur-Saône,  une  légende 
absolument  semblable  :  ayant  été  attardé  pour  dire  sa  messe,  le 
saint  prélat,  dans  son  humilité,  se  crut  indigne  de  continuer 
l'exercice  du  sacerdoce,  il  jeta  donc  son  anneau  pastoral  dans  la 
Saône  et  alla  s'enfouir  dans  la  retraite  avec  sa  sainte  mère  ;  il  y 
avait  sept  ans  qu'un  pieux  ecclésiastique  leur  apportait  leur  nour- 
riture quotidienne,  lorsqu'un  jour  le  fidèle  serviteur  acheta  un 
poisson  qui  avait  l'anneau  pastoral  de  S.  Grat  dans  le  gosier.  On 
répand  la  nouvelle  de  ce  miracle  dans  la  ville;  aussitôt  chacun 
s'émeut,  la  multitude  se  dirige  vers  la  demeure  du  prélat,  l'ar- 
rache de  sa  cellule  et  le  ramène  en  triomphe  à  la  cathédrale. 
M.  Maury,  dans  ses  études  légendaires,  cite  plusieurs  affabula- 
tions du  môme  genre  :  dans  les  récits  arabes  un  poisson  rapporta 
à  Salomon  un  anneau  magique  qu'il  avait  perdu.  Dans  la  légende 
écossaise  sur  la  vie  de  saint  Kentigern,  une  femme  laissa  tomber 
son  anneau  dans  un  fleuve  pour  justifier  son  innocence  aux  yeux 
de  son  époux  jaloux  et,  par  l'intercession  du  saint,  un  poisson  le 
rapporta  du  fond  des  eaux. 

Mais  revenons  h  notre  vitrail  de  l'église  Saint-Aspais.  Au  troi- 
sième panneau,  S.  Loup,  précédé  d'un  clerc,  qui  porte  la  croix 
primatiale,  s'avance  sur  le  pont  de  Melun,  étend  sa  main  bénis- 
sante vers  le  château  et  arrête  l'incendie  qui  allait  le  dévorer.  Un 
détail  curieux,  c'est  qu'on  reconnaît  dans  le  pinceau  du  peintre 
verrier  l'intention  de  retracer  notre  château  du  moyen-âge,  avec 
son  donjon  ,  ses  tourelles,  ses  courtines  et  môme  les  contreforts 
de  la  double  enceinte  qui  le  protégeait  contre  les  inondations  de 
la  Seine. 


—  67  — 

Quoique  la  légende  de  S.  Loup  n'ait  rien  de  commun  avec 
celle  de  saint  Gilles,  leur  culte  est  presque  toujours  associé  parce 
que  leur  fête  tombe  le  même  jour  ;  aussi  le  saint  solitaire  figure-t- 
il  sur  la  verrière  de  Saint-Aspais  et  la  biche  qui  est  son  attribut 
ordinaire  forme  pendant  à  l'autre  extrémité  du  vitrail. 

Dans  l'église  de  Grisy,  près  de  Montereau,  le  rétable  est  occupé 
par  une  peinture  du  xvn^  siècle  représentant  S.  Loup  arrêtant 
l'incendie  deMelun. 

Autrefois  à  Châlons-sur-Saône,  c'était  la  coutume  lors  des  incen- 
dies, de  baigner  le  chef  de  S.  Loup  dans  deux  tonneaux  de  vin 
et  d'eau  qu'on  jetait  sur  le  feu.  Après  cette  cérémonie,  ceux  qui 
apportaient  la  précieuse  relique  faisaient  un  tour  en  procession 
près  du  lieu  embrasé,  mais  pendant  tout  le  temps  que  la  relique 
était  absente  de  l'abbaye,  il  fallait  qu'un  des  échevins  y  restât  en 
otage. 

Dans  sa  Vie  des  Saints  illustrée,  un  habile  graveur  de  Louis  XIV, 
Sébastien  Leclercq,  a  représenté  le  même  épisode   de  la  vie  de 
S.  Loup.  Aussi,  lorsqu'après  la  séance  générale  tenue  à  Provins, 
plusieurs  membres  de  notre  Société  proposèrent  une  excursion  à 
l'église  de  Saint-Loup-de-Naud,  j'avoue  que  l'espoir  d'y  découvrir 
le  miracle  de  Melun  exécuté  par  un  tailleur  de  pierres  vives  du 
douzième  siècle,  avait  pour  moi  un  bien  puissant  attrait.  Toutefois 
je  n'avais  pas  oublié  que  deux  de  nos  savants  confrères,  MM.  Félix 
Bourquelot  (1)  et  Pichot  (2),  avaient  déjà  (Jonné  en  grande  partie 
l'explication  des  sculptures  légendaires  du  portail  ;  après  d'aussi 
habiles  explorateurs,  je  ne  pouvais  donc  compter  que  sur  un  gla- 
nage  bien   chétif.  Le   porche   de  S.  Loup-de-Naud  est  aussi 
muet  que  la  légende  dorée  sur   l'anneau   pastoral  et    l'incendie 
de  Melun  ;  j'en  dois  conclure  que  ces  épisodes  de  la  vie  du  saint 
prélat  sont  des  interpolations  dans  sa  légende,  qui  pourraient  bien 
ne  dater  que  du  xiv®  ou  du  xv''  siècle.  En  compensation,  l'archi- 
volte du  portail  de  Saint-Loup-de-Naud  nous  offre  vingt-six  sujets 
de  sa  vie  légendaire.  Le  plus  excentrique  et  le  plus  original  est 
évidemment  celui  qui  représente  un  personnage  à  genoux  affublé 
d'une  cloche  en  guise  de  chemise  ;   l'anse  et  le  cerveau   de  la 
cloche  se  détachent  merveilleusement  de  ses  parois  et  semblent 
former  nimbe  au-dessus  de  la  tête  du  suppliant  ;  on  y  remarque 
encore,   fixés,  le  marteau  du  timbre  et  la   corde  de  rappel  de 

(1)  Bibliothèque  de  l'école  des  Charte?,,  T.  If,  ?,''  livraison. 

(2)  Les  Monuments  de  Seine-et-Marne,  p.  139. 


—  H8  — 

l'horloge.  On  ne  pouvait  rendre  d'une  façon  plus  ingénieuse  et 
plus  conforme  aux  lois  de  l'acoustique  le  miracle  d'une  cloche 
qui  change  de  son. 


Voici  comment  le  rapporte  la  légende  dorée  :  «  Le  roy  dotai re 
«  ouyt  que  les  cloches  de  S.  Etienne  avoient  merveilleuse  doul- 
«  ceur  en  leur  son,*si  envoya  dire  qu'elles  fussent  apportées 
«  à  Paris  afin  qu'il  le  ouyst  sonner  et  il  despleut  au  benoist  sainct 
«  Loup  ,  et  si  comme  ilz  furent  dehors  de  la  cite  ils  perdirent  la 
«  doulceur  de  leur  son  et  quand  le  roy  ouyt,  il  commanda  qu'elles 
«  fussent  restituées,  et  tantost  que  elles  furent  à  sept  lieues  de  la 
«  ville  ilz  sonnèrent  leur  son  arrière,  ce  sainct  Loup  alla  à  l'en- 
((  contre  et  reçut  à  grand  honneur  ce  qu'il  avoit  perdu  dolent.  » 

Le  nimbe  bizarre  dont  la  tête  du  personnage  est  décorée 
m'avait  fait  supposer  d'abord  que  c'était  le  saint  lui-même  invo- 
quant la  puissance  divine  pour  obtenir  ce  phénomène  d'acous- 
tique, mais  je  me  range  tout  à  fait  de  l'avis  de  notre  savant 
confrère,  M.  le  comte  de  Bonneuil  (1)  qui  y  reconnaît  l'envoyé 
du  roi  Glotaire  rapportant  la  cloche  à  Sens,  en  faisant  en  quelque 

(1)  En  1850,  flans  un  congrès  de  la  Société  française,  M.  le  comte  de  Bonneuil  a 
donné  de  vive  vnix  une  notice  sur  le  portail  de  Saint-Loiip-ile-Naud,  et  il  est  re- 
grettable que  le  Uultelin  inoinancntal  n'ait  jm  iiu'lmi  faire  simplement  mention 
(no  3,  XVI l»  vol.  p..  160.) 


—  69  — 

sorte  amende  honorable  pour  le  rapt  commis  par  son  maître.  En 
effet,  le  personnage  est  à  genoux  dans  une  attitude  qui  exprime 
plutôt  l'humiliation  et  l'affaissement,  et  ce  qui  est  encore  plus 
concluant,  c'est  qu'il  est  en  costume  séculier  :  avec  les  grègues 
collantes. 

L'exorcisme  du  démon  que  le  saint  tient  emprisonné  dans  un 
vase  à  boire  pendant  toute  une  nuit,  pour  avoir  voulu  le  tenter 
par  la  soif,  donne  une  idée  piquante  des  naïvetés  superstitieuses  de 
l'époque  ;  mais  notre  siècle  est-il  bien  sûr  d'être  moins  simple, 
et,  par  exemple,  combien  voyons-nous  de  pauvres  d'esprit  porter 
leur  argent  aux  somnambules  ? 

Parmi  les  sujets  qui  n'ont  pas  encore  été  expliqués,  je  crois 
pouvoir  désigner  avec  une  certaine  assurance  celui  qui  occupe  le 
sommet  de  l'ogive  :  le  saint  voyageant  à  cheval  se  penche  sur  sa 
selle  pour  écouter  les  voix  des  anges  qui  chantent  l'oraison  domi- 
nicale (1);  ceux-ci,  portés  sur  un  nuage,  tiennent  ensemble  un 
philactère  à  la  main  comme  des  musiciens  qui  exécuteraient  un 
motet. 

Pour  ne  pas  troubler  la  symétrie  architecturale,  les  comparti- 
ments sont,  en  général ,  divisés  à  peu  près  également  et  il  en  ré- 
sulte forcément  une  certaine  obscurité  dans  les  compositions.  En 
effet,  l'artiste  a  pu  être  quelquefois  obligé  de  rejeter  dans  un  com- 
partiment voisin  les  personnages  qui  concourent  à  une  seule  et 
même  scène  et  la  complètent  ;  ainsi ,  dans  la  délivrance  des  pri- 
sonniers liés  et  garottés,  ils  sont  tenus  en  laisse  par  un  geôlier  qui 
occupe  une  case  supérieure.  Les  portes  de  l'église  Saint-Aignan 
d'Orléans  s'ouvrent  d'elles-mêmes  à  la  prière  du  saint  qui  tombe  à 
genoux  dans  une  autre  bande  parallèle;  le  musicien  qui  joue  de 
la  viole  me  paraît  fêter  la  réconciliation  du  roi  Clotaire  et  de  S. 
Loup  qui  occupent  une  division  inférieure.  A  côté  de  deux  femmes 
qui  s'embrassent,  figureraient  les  deux  clercs  qui  les  regardent  avec 
des  yeux  de  concupiscence,  mais  qui,  par  la  prière  du  saint  prélat, 
obtiennent  de  résister  h  la  tentation.  Du  reste  ,  le  dessin  que 
M.  Fichot  a  donné  de  ce  portail- dans  ses  JMonununts  de  Seine-et- 
Marne,  est  im  chef-d'œuvre  d'exactitude  si  consciencieuse  que  l'on 
peut  y  étudier  tous  les  détails  de  la  sculpture  avec  autant  de  con- 
fiance que  sur  le  monument  même. 

La  représentation  la  plus  capitale  est  celle  qui  figure  debout  et 
de  grandeur  naturelle  sur  le  pilier  d'estanfiche,  le  prélat,  revêtu 

(1)  Orationem  dominicam  nh  angelis  decantari  audit  (Acti  SS.  apud  Boll). 


—  70  — 

de  ses  habits  pontificaux,  crosse  et  mitre,  foulant  aux  pieds  deux 
dragons  qu'on  chercherait  vainement  dans  la  légende  ;  évidemment 
c'est  ici  remblôme  de  ses  victoires  remportées  sur  le  paganisme, 
car  l'évangélisation  paraît  résumer  la  somme  capitale  de  la  vie  de 
S.  Loup,  et  il  faut  se  rappeler  que,  dans  la  zoologie  mystique, 
le  dragon  est  la  personnification  du  démon.  Ne   sont-ce  pas  les 
mêmes  traditions  qui  ont  fait  représenter  S.  Loup  foulant  aux 
pieds  un  lion,  conformément  au  passage  de  l'Écriturea  conculcabis 
leonem  et  draconem  »  ?  C'est  ainsi  que  nous  le  voyons  sur  deux 
enseignes  de  pèlerinage  en  plomb  provenant  d'Esserant  ,   près 
Sentis,  et  remontant  au  xv"  siècle  (1).  Le  prélat,  revêtu  delacha- 
sublc  et  la  tète  mitrée,  tient  à  la  main  sa  croix  de  primat  des 
Gaules,  mais  à  une  seule  traverse.  A  ses  côtés  sont  h  genoux  deux 
petits  pèlerins,  probablement  des  enfants,  car  on  invoquait  spé- 
cialement S.  Loup  pour  les  convulsions,   l'épilepsie,  et  la  peur 
qui  dispose  souvent  les  enfants  à  ces  deux  terribles  maladies.  Il 
ne  serait  donc  pas  impossible  que  la  crédulité  naïve  de  nos  mères 
ait  attribué  ce  mérite  à  S.  Loup  sur  la  foi  de  son  nom.  Les 
évangiles  des  quenouilles  allaient  jusqu'à  prétendre  qu'il  faut  préa- 
lablement faire  son  offrande  à  S.  Loup,    si  l'on   veut  manger 
impunément  d'un  animal  étranglé  par  un  loup;  néanmoins,  l'ex- 
plication  que  donne  M.  le  président  de  la  Société  académique  de 
Beauvais  du  lion    de  S.  Leu  d'Esserant ,    me   semble  bien  ha- 
sardée ;  M.  Danjou  le  prend  pour  un  rébus  picard,  la  dégénéres- 
cence d'un  loup  {leu  en  patois),  par  allusion  au  nom  du  saint. 

Il  existait  autrefois  à  Vernelle,  dans  le  canton  de  Brie-Gomte- 
Robcrt,  une  chapi'lle  dédiée  à  S.  Leu,  où  avaient  lieu  de  nom- 
breux pèlerinages  pour  la  guérison  des  convulsions  des  enfants. 
La  tradition  locale  était  que  le  saint  archevêque  de  Sens,  au  retour 
de  son  exil  en  Etrurie,  avait  passé  par  Paris  pour  guérir  le  roi 
qui  l'y  avait  mandé,  et  qu'en  se  dirigeant  vers  Sens  le  couvent  de 
Vernelle  était  le  premier  endroit  oii  il  s'était  arrêté  pour  passer  la 
nuit.  Depuis  ki  réunion  de  ce  prieuré  ù  Tabbayc  d'Hivernaux, 
cette  chapelle  a  été  transférée  dans  Téglise  d'Evry-les-Ghâteaux, 
où  l'on  conserve  sur  l'autel  une  statuette  du  saint  pouvant  remonter 
au  XV"  siècle,  mais  tellement  fruste  et  mutilée  qu'elleest  dépourvue 
d'intérêt.  Les  pèlerinages  s'y  continuent  encore  de  nos  Jours  et, 
selon  une  ancienne  pratique,  chaque  mère  qui  vient  invoquer  le 

(1)  V.  CollectvM  de  plombs  historiés  trouvés  dans  lu  Seine,  par  M.  A.  Forgeais. 
2«  série,  p.  IRR. 


—  71  — 

saint  ne  manque  pas  de  lui  offrir  un  éohcveau  de  fi]  qu'elle  lui 
passe  au  cou . 

Enfin,  la  cathédrale  de  Sens  garde  dans  son  trésor  un  des  types 
les  plus  précieux  des  peignes  mérovingiens  au  vii°  siècle.  Ce 
peigne  en  ivoire  est  à  deux  fins ,  c'est-à-dire  qu'un  côté  a  de  fortes 
dents  pour  démêler  et  l'autre  de  plus  fines;  c'est  à  peu  près  ce  que 
notre  docte  correspondant,  M.  l'abbé  Cochet,  a  observé  dans  les 
tombeaux  mérovingiens  .d'Envermeu,  mais  celui  de  Sens  est  orné 
d'une  garniture  de  cuivre  et  rehaussé  de  deux  lions  affrontés  qui 
s'élancent  sur  une  tête  de  bouc  et  semblent  révéler  un  sens  moral 
sous  leur  signification  symbolique.  Une  inscription  du  xiii*  siècle 
porte  :  Pectensoncti Lupi,  et  témoigne  de  l'antiquité  de  la  tradition 
qui  attribue  l'objet  au  saint  évêque.  On  ajoute  que  le  vénérable 
pontife  s'en  servait  dans  les  ordinations,  lorsqu'il  consacrait  à 
Dieu  quelque  représentant  de  cette  race  chevelue.  Tout  le  monde 
sait  qu'alors  le  signe  de  l'entrée  dans  l'église  était  la  déposition  de 
la  chevelure  :  «  comaque  capiiis  déposifâ  monachus  facius  est  »  est-il 
dit  de  Gamardus,  seigneur  de  Villy-sur-Yère  qui,  au  vii^  siècle, 
se  plaça,  sous  la  conduite  de  S.  Wandrille,  dans  le  monastère 
de  Fontenelle  (1),  et  lorsqu'en  6-40,  S.  Eloi  fut  ordonné  malgré  lui, 
son  illustre  biographe  a  soin  de  l'appeler  a  invitum  detonsum.  »  (2) 
Dans  ces  données,  la  relique,  qui  n'éveille  aux  yeux  du  vulgaire 
que  l'idée  d'un  objet  de  toilette  assez  prosaïque,  revêt  réellement 
un  caractère  sacré  et  doit  prend  rang  parmi  les  insignes  de  la 
prélature  mérovingienne.  « 

(1)  Gallia  Christiana,  T.  XII,  p.  161.  — La  Normundie  souterraine,  par  l'abbé 
Cochet,  p.  255. 

(2)  Vie  de  S.  Eloi,  par  S.  Ouen. 


—  73  — 

LES  CLOCHES 

DE  L'ARRONDISSEMENT  DE  FONTAINEBLEAU, 

PAU    M.    A.    TABOURET, 
Membre  fondateur    (Section  de  Fontainebleau). 


Qui  n'entend  qu'une  cloche,  n'entend  qu'un  son;  or,  j"fii  l'inten- 
tion de  vous  faire  entendre  le  son  de  toutes  les  cloches  de  l'arron- 
dissement de  Fontainebleau,  ou  plutôt  de  vous  tracer  l'historique 
de  ces  êtres,  je  dirais  presque  animés,  qui  sont  les  compagnes  insé- 
parables de  notre  existence. 

Si  par  leur  ding,  ding,  din,  dong,  comme  le  dit  notre  sublime 
chansonnier,  les  cloches  aiment  à  fêter  un  baptême,  elles  ne  refusent 
point  de  s'associer  à  notre  deuil  le  jour  où.  le  créateur  a  prononcé 
pour  quelqu'un  de  nous  l'arrêt  qui  le  rappelle  à  lui  ;  elles  s'attris- 
tent avec  ceux  qui  restent,  elles  pleurent,  elles  se  lamentent  avec 
eux. 

Un  de  nos  écrivains  les  plus  harmonieux  du  siècle,  Chateau- 
briand, n'a-t-il  pas  dit  :  les  cloches  sont  des  voix  placées  entre  le 
ciel  et  la  terre  ?  Si  nos  belles  églises,  nos  immenses  cathédrales 
attestent  la  vigueur  du  génie  chrétien,  les  cloches,  ces  courriers 
célestes,  sont  destinées  à  le  proclamer.  Elles  parlent  au  cœur  de 
l'homme  avec  cette  puissance  magique  dont  l'écho  sans  cesse  nous 
poursuit.  Pour  l'exilé  sur  la  terre  étrangère,  c'est  le  clocher  de 
son  village  qui  vient  le  plus  souvent  se  dresser  dans  le  mirage  des 
souvenirs  de  la  patrie  absente;  c'est  qu'aussi  le  clocher  de  son  vil- 
lage lui  rappelle  les  beaux  jours  de  ses  premières  années,  ses 
parents,  ses  amis,  toutes  ses  joies  perdues.  Voix  de  la  cité  popu- 
leuse, leur  son  anime  aussi  la  solitude  de  nos  plus  humbles  cam- 
pagnes; elles  régnent  en  un  mot  en  souveraines  sur  tout  l'empire 
du  monde  civilisé,  car  pendant  qu'autrefois  le  beffroi  de  î'hôtel-de- 
ville  de  Paris  retentissait  pendant  trois  jours  et  trois  nuits  à  la  nais- 
sance du  Dauphin  de  France,  pendant  qu'aujourd'hui  les  cloches 
de  Notre-Dame,  semêlantan  bruit  du  canon,  aflirment  ladurée  de 
la  dynastie  impériale,  pendant  que  la  cloche  du  Capitole  par  sef^ 


—  74  — 

longs  mugissements  annonce  l'exaltation  ou  la  mort  du  saint  Pon- 
tife, la  cloche  du  plus  petit  de  nos  hameaux  prévient  aussi  qu'un 
bras  de  plus  est  donné  h  la  terre,  ou  qu'un  bras  vient  de  lui  être 
retiré. 

Les  cloches  sont  habituellement  lessymboles  de  paix  et  d'actions 
de  grâce,  mais  malheureusement  aussi  elles  ont  servi  de  signal  au 
fanatisme  et  aux  cruautés  :  c'est  au  son  des  cloches  de  Palerme 
qu'en  1282  périssaient  les  Français  le  jour  des  Vêpres  Siciliennes, 
c'est  au  son  de  la  cloche  de  St-Germain  l'Auxerrois  que  les  massa- 
cres de  la  St-Barthélemy  étaient  annoncés  à  la  cité  parisienne. 
De  nos  jours  elles  sonnent  parfois  les  révolutions  et  les  incendies, 
hélas  !  elles  ne  chôment  pas  souvent. 

J'aurais  pu  laisser  parler  les  cloches  elles-mêmes,  car  vous 
n'ignorez  pas  qu'elles  parlent,  qu'elles  babillent  volontiers;  comme 
nous  elles  ont  reçu  le  baptême,  on  a  prononcé  aussi  pour  elles  le 
mot  éphetà  (  ouvre-toi  )  et  en  leur  accordant  le  droit  de  parler,  on 
leur  en  a  sans  doute  inspiré  le  désir.  Cependant  elles  ont  besoin 
d'un  intermédiaire  pour  vous  raconter  aujourd'hui  les  fêtes  qui 
ont  présidé  à  leurs  destinées.  Elles  m'ont  chargé  de  ce  soin  dont 
je  m'acquitte  d'autant  plus  volontiers  qu'il  y  a  toujours  eu  entre 
les  cloches  et  moi  une  parfaite  harmonie.  Je  n'ose  vous  en  dire  la 
raison,  la  gravité  d'une  séance  archéologique  m'interdit  cette  petite 
excursion  dans  le  domaine  de  ma  personnalité  :  si  je  le  faisais,  vous 
me  croiriez  plus  babillard  que  le  plus  échevelé  des  carillons. 

Lex  cloches  chez  différents  peuples. 

En  vous  parlant  de  mon  amour  pour  les  cloches,  j'ai  bien  peur 
de  faire  mon  procès,  car  l'auteur  du  traité  des  superstitions  (  J.  B. 
Thiers,  curé  de  Vibraye)  prononce  formellement  cet  arrêt:  la  ca- 
naille aime  le  son  des  cloches.  Et  malheureusement,  si  nousconsul- 
tonsl'histoire,  nous  sommes  forcés  d'admettre  cetteautrcconclusion: 
plus  un  peuple  est  policé,  moins  il  aime  le  son  des  cloches.  Les 
Grecs  avaient  peu  ou  point  de  cloches,  les  Romains  ne  connais- 
saient point  les  grosses  cloches,  les  Italiens  en  général  n'en  ont 
que  de  fort  petites;  mais,  par  contre,  les  Allemands  et  les  Flamands 
n'en  ont  que  de  très -grosses  et  en  fort  grand  nombre.  En  Russie 
c'est  un  véritable  luxe  de  cloches,  et  tout  le  monde  a  entendu  parler 
de  la  fameuse  cloche  du  Kremlin  sous  laquelle  vingt  personnes 
pouvaient  tenir  parfaitement  fi  l'aise.  En  France,  ce paysde  liberté, 
nous  donnons  asiliî  h  toutes  les  fantaisies  du  gennn 


—  7o  — 

Un  peiiplo,  le  peuple  Chinois  se  signale,  non  par  le  volume  exces- 
sif de  ses  cloches,  mais  par  la  prodigalité  de  ses  clochettes;  on 
pourrait  avec  difficulté  compter  le  nombre  de  celles  appendues 
aux  tours  polygonales  d'un  temple  chinois.  Cet  excès  ne  prouve 
certes  pas  que  le  peuple  Chinois  soit  un  peuple  grossier,  mais  il  nous 
laisse  à  penser  que,  malgré  la  civilisation  avancée  qu'on  invoque  en 
faveur  des  Chinois,  ce  peuple  est  resté  un  peuple  d'enfants.  Le 
cadeau  le  plus  apprécié  que  puisse  faire  chez  nous  une  nourrice  à 
son  poupart  est  encore  un  petit  chapeau  chinois  orné  de  mille  clo- 
chettes. 

Chez  les  Arabes,  ce  peuple  grave  et  silencieux,  les  cloches  ont 
été  absolument  proscrites.  La  voix  du  muezzin  est  seule  chargée 
d'appeler  du  haut  du  minaret  les  fidèles  croyants  à  la  prière.  Le 
calme  et  le  silence  des  villes  orientales  permettent  seuls  à  leur  in- 
vocation rhythmée  de  se  faire  entendre  au  loin  à  toutes  les  heures 
prescrites  par  le  Koran. 

Effet  des  cloches  chez  les  gem  du  monde. 

Dans  le  monde,  les  gens  grossiers  aiment  à  sonner  les  cloches,  les 
fous  sont  fous  de  cloches,  mais  leur  son  importune  les  gens  spiri- 
tuels, ils  prétendent  que  cela  leur  casse  la  tête.  Louis  XV  rési- 
dant à  Choisy-le-Roi,  dont  il  avait  fait  son  habitation  privilégiée, 
ordonna  que  dans  la  construction  de  la  nouvelle  Eglise,  le  clocher 
fût  moins  élevé  que  les  combles  afin  de  n'être  point  abasourdi  par 
le  son  des  cloches.  Qui  de  nous  n'a  point  tressailli  une  fois  au 
moins  au  tintement  métallique,  inopportun,  de  la  sonnette  de  la 
rue  ?  Plus  d'un  de  nous  a  regretté  qu'on  ait  mis  fin  à  la  dynastie 
des  marteaux  dont  le  son  grave  et  prolongé,  donne  le  temps  à  la 
réflexion,  et,  certes,  est  bien  moins  impératif  que  le  son  aigu  de  la 
sonnette  qui  semble  vous  dire  qu'elle  veut  être  obéie  à  l'instant. 
Aussi  la  sonnette  pour  nos  usages  domestiques  est  presque  une 
invention  récente.  Elle  devait  naître  sous  le  règne  de  celui  qui 
disait:  l'État  c'est  moi.  Le  duc  de  St-Simon  prétend  que  ce  petit 
tintinnabulum  fut  créé  pour  éviter  à  lafière  madame  de  Maintenon 
de  se  déranger  trop  souvent,  alors  qu'elle  n'était  encore  que  dame 
de  compagnie  dans  une  opulente  maison  de  Paris. 

Effet  des  cloches  5w?*  les  animaux. 

Les  animaux  eux-mêmes  sont  désagréablement  irapn'ssionnés 


_  76  — 

par  le  son  des  cloches.  A  part  maître  baudet  qui  chemine  insou- 
ciant et  rêveur  avec  une  lourde  clochette  très-près  de  ses  longues 
oreilles,  à  part  la  génisse  qui  reste  indifférente  au  milieu  du  pâtu- 
rage au  son  argentin  de  sa  clochette  et  de  celles  de  ses  compagnes, 
la  plupart  de  nos  animaux  domestiques  supportent  impatiemment 
ce  bruit  douloureux  à  leur  tympan:  le  chien  mêle  son  hurlement 
lugubre  au  glas  funéraire  de  la  paroisse  voisine,  ainsi  que  le  con- 
firme St-Amund,  l'auteur  de  Moyse  sauvé. 

Le  clocheteur  des  trépassés, 

Sonnant  de  rue  en  rue, 

De  frayeur  rend  les  cœurs  glacés, 

Bien  que  le  corps  en  sue  : 

Et  mille  chiens,  oyant  sa  triste  voix, 

Lui  répondent  à  longs  abois. 

Les  oiseaux  voyageurs  fuient  de  toute  la  rapidité  de  leurs  ailes  les 
vibrations  des  cloches  qui  se  font  entendre  sous  eux  au  moment 
de  leur  passage  :  et  si  vous  me  permettiez  de  prendre  un  exemple 
qui  sent  un  peu  son  bas  lieu,  je  vous  dirais  que  l'on  raconte  dans 
une  chronique  de  la  mère  Michel,  que  son  chat  devint  toi  par  la 
malice  d'une  voisine  qui  attacha  un  grelot  au  col  de  la  pauvre  bête. 

Cloches  au  moyen-âge. 

Dans  le  moyen-âge  on  chéinssait  fort  les  cloches,  nos  églises  ne 
se  contentaient  point  d'une  seule,  il  leur  en  fallait  au  moins  deux; 
quelques  églises  abbatiales  en  comptaient  jusqu'à  sept  :  nombre 
très  en  honneur  dès  la  plus  haute  antiquité,  mais  de  plus  consacré 
dans  la  religion  de  Moïse  comme  dans  les  rites  du  christianisme. 
Maintes  bonnes  âmes  de  cette  époque  envoyaient  une  partie  de 
leur  argenterie  pour  contribuer  à  la  fonte  des  cloches,  excès  de  dé- 
votion qui,  au  temps  où  nous  sommes,  trouverait  très-peu  d'imita- 
teurs. 

Au  règne  des  sept  cloches,  M.  l'abbé  de  St-Séverin  se  rendait  à 
sa  paroisse  avec  son  vassal  et  deux  serfs.  Le  premier  tenait  un 
beau  faucon  sur  le  poing,  les  deux  autres  menaient  en  laisse  deux 
superbfîs  lévriers.  En  ce  temps  là  M.  l'abbé  marchait  l'égal  du 
grand  seigneur. 

Au  règne  des  sept  cloches,  messire  Jehan  et  tous  les  clercs  de  la 
basoche,  au  son  de  toutes  les  cloches,  se  promenaient  le  dimanche 
dans  les  rues  de  Paris,  en   chantant  les  psaumes  de  David.  En 


—  77  — 

certaines  occasions  Messieurs  du  Ghâtelet  mêlaient  au  son  des 
cloches  le  bruit  de  leur  musique  guerrière;  musiciens  et  écoliers 
se  groupaient  ensemble,  le  jour  de  la  monstre  pour  taire  célébrer 
une  messe  solennelle  à  la  cathédrale  de  Paris.  Ce  jour-là,  bien  cer- 
tainement, Quasimodo  se  tenait  dans  la  tour  du  sud  et  ne  manquait 
pas  de  donner  à  la  maîtresse  cloche  ses  plus  étonnantes  vibrations. 
A  cet  appel  tous  répondaient,  car  au  moyen  âge  il  existait  entre  les 
cloches  et  les  hommes  un  lien  religieux,  politique  et  social. 

Un  pouvait  dire  à  cette  époque  que  l'Église  était  un  monument 
national.  Dans  ces  jours  de  misère^  c'était  le  seul  bâtiment  dans 
lequel  toutes  les  classes  de  la  nation  se  trouvaient  réunies  ;  le  seul 
oii  chaque  homme  oubliait  son  intériorité  sociale  relative,  le  seul 
bâtiment  qui  sous  ses  ombres  majestueuses  laissait  entrevoir  au 
cœur  de  l'homme  le  symbole  de  l'égalité. 

Aussi  nos  immenses  cathédrales  d'alors ,  ces  édifices  élevés 
à  la  foi  religieuse,  politique  et  sociale,  semblent  impérissables. 
Vainement  la  hache  des  révolutions,  plus  terrible  que  la  fureur 
des  guerres  religieuses,  s'est  heurtée  contre  la  cité  du  peuple. 
Les  cathédrales  ont  résisté  à  tous  ces  outrages  et  leurs  clochers 
nous  répètent  encore  que  la  cité  du  peuple  est  la  cité  de  Dieu. 
Nos  tours  gothiques,  de  leur  sublime  hauteur,  jettent  un  défi 
au  temps  et  à  la  main  des  hommes.  L'Église  était  si  bien  alors 
la  maison  du  peuple,  que  les  jeux,  les  divertissements  n'étaient 
point,  à  certains  jours,  proscrits  de  son  enceinte.  Le  sacré  s'y  mê- 
lait parfois  au  profane.  Ai-je  besoin  de  vous  rappeler  la  fête  de 
l'âne,  celle  des  fous,  —  qui  ne  furent  interdites  qu'à  la  fin  du 
xv^  siècle  ;  le  jeu  de  la  pelotte  ou  du  ballon,  qui  jusqu'en  1338 
faisait  dans  l'église  même  les  délices  du  peuple  et  de  messieurs 
les  chanoines  de  la  cathédrale  d'Auxerre  ? 

Autorité  des  cloches. 

En  ce  temps-là  les  cloches  jouissaient  de  la  plus  grande  autorité. 
Leur  voix  était  écoutée  avec  le  plus  grand  respect.  Sous  Louis  VII 
voulait-on  mettre  fin  à  quelque  perturbation  publique,  on  sonnait 
les  cloches  et  notamment  la  cloche  du  chœur  de  Notre-Dame,  la 
cloche  en  colère  {campana  irata).  Voulait-on  tirer  justice  de  quel- 
que méfait  public,  on  faisait  cesser  tout  service  divin,  mais  ce  qu'il 
y  avait  de  plus  sensible  au  cœur  du  peuple,  c'est  qu'on  interdisait 
la  sonnerie  des  cloches.  Les  seigneurs  souverains  enlevaient  les 
cloches  aux  villes  rebelles  :  c'est  ainsi  que  vers  1530  les  Bordelais, 


—  78  — 

les  habitants  de  Montpellier,  ceux  de  Marennes,  lurent  privés  de 
leurs  cloches  pour  avoir  refusé  de  payer  l'impôt  de  la  gabelle.  Heu- 
reux et  soulagé  d'un  grand  poids  était  le  peuple  quand  enfin,  le  soir 
arrivé,  il  entendait  le  couvre-feu, 

La  cloche  de  la  Sorbonne 

Qui  toujours  à  neuf  heures  sonne.    (Villon) 

Origine  des  cloches. 

Les  cloches  datent  de  loin  ;  sans  parler  de  Moïse,  des  Grecs  et 
des  Romains,  arrivons  de  suite  à  l'an  604  oîi,  de  par  le  pape  Sébas- 
tien, l'usage  des  cloches  fut  prescrit  dans  toutes  les  églises  pour  an- 
noncer le  service  divin.  Elles  avaient  déjà  une  certaine  importance, 
car  si  nous  nous  en  rapportons  au  dire  de  plusieurs  historiens  qui 
racontent  tous  de  la  même  façon  la  même  anecdote,  l'air  "était  si 
vivement  ébranlé  par  les  vibrations  terribles  des  cloches  de  Sens, 
qu'elles  mirent  en  fuite  toute  l'armée  de  Glotaire  II. 

Au  temps  des  premiers  chrétiens,  quand, pour  fuir  la  persécution, 
le  culte  cherchait  un  asile  dans  les  catacombes  de  Rome,  ou  quand 
au  IP  siècle  il  venait  cacher  la  profondeur  de  ses  mystères  dans 
les  premières  cryptes  de  la  Gaule,  l'usage  des  cloches  eût  été  un 
véritable  danger.  Les  réunions  se  faisaient  au  moyen  d'une  trom- 
pette, dont  les  accents  mystérieux  étaient  seuls  connus  des  fidèles; 
plus  tard  on  se  servit  d'une  crécelle,  qu'un  cursor  ou  courrier  fai- 
sait vivement  tourner  en  passant  devant  chaque  maison,  ou  bien 
d'un  marteau  frappant  sur  une  plaque  de  bois  comme  cela  se  pra- 
tique encore  pendant  la  semaine  sainte  aux  offices  des  ténèbres. 

Origine  du  carillon. 

Il  est  à  présumer  que  les  premières  cloches  furent  petites  et  ti- 
mides, car  les  premiers  tintinnabula  employés  au  service  divin 
étaient  tenus  à  la  main  par  un  moine  ou  par  un  clerc,  qui  les  faisait 
tinter  h.  la  porte  du  temple  ou  du  haut  d'une  plate-forme.  Mais 
elles  ne  tardèrent  point  à  croître  en  force  et  en  volume,  et  nous 
voyons  le  bon  roi  Robert  qui  aimait  tant  à  faire  des  dons  gracieux  à 
ses  églises,  en  donner  une  à  Orléans,  qui  pesait  2,000  livres.  Nous 
sommes  encore  loin  du  fameux  bourdon  de  Notre-Dame  dont  Louis 
XIV et  Marie-Thérèse  furent  parrains  en  1GS4,  et  qui  pesait  32  mil- 
liers de  livres,  sans  le  battant  qui  à  lui  seul  pesait  OGO  livres. 

A  l'époque  du  roi  Robert,  la  cloche  n'a  qu'un  son,  qu'il  soit  bon 


—  79  — 

ou  mauvais,  peu  importe,  pourvu  qu'il  soit  fort.  Une  cloche,  deux 
cloches,  sept  cloches  avaient  un  son  quelconque  dont  la  force  cons- 
tatait seule  la  valeur.  Vous  comprenez  qu'on  ne  put  pas  longtemps 
se  contenter  de  cela,  le  goût  vint  en  sonnant.  On  imagina  donc  de 
faire  deux  cloches  d'une  proportion  d'alliage  différente,  de  manière 
à  produire  deux  intonations,  l'une  grave,  l'autre  aiguë.  Dès  lors 
l'harmonie  dans  la  cloche  fut  créée.  On  ne  s'arrêta  pas  à  ce  premier 
essai;  on  fondit  bientôt  pour  le  même  édifice  un  plus  grand  nom- 
bre de  cloches  d'alliages  variés,  que  l'on  combina  suivant  une 
proportion  arrêtée  et  que  l'on  disposa  en  table  d'harmonie  :  nous 
possédions  le  carillon. 

On  pourra  désormais  servir  tout  le  monde  à  sa  guise,  et  alors  les 
gens  d'esprit  aimeront  les  cloches  tout  comme  les  autres  :  à  votre 
tristesse  on  servira  du  faux  bourdon,  à  la  naissance  de  vos  enfants, 
au  mariage  de  votre  fille,  on  vous  offrira  une  très-jolie  cantate, 
seulement  il  faudra  dans  ce  cas  mettre  votre  bourse  en  harmonie 
avec  la  sonate  du  carillon.  Vous  pourrez  donc,  à  coup  sûr,  revêtir 
vos  habits  de  fête  ou  de  deuil,  et  suivant  les  modulations  diffé- 
rentes de  la  cloche,  prendre  en  sortant  de  chez  vous  l'air  de 
figure  qui  conviendra  à  la  circonstance. 

Le  carillon  est  une  très-jolie  invention,  et  dès  sa  nais- 
sance il  arriva  à  une  perfection  presque  complète.  Il  consiste  en 
une  collection  de  cloches  accordées  de  manière  à  former  une  échelle 
chromatique  d'environ  deux  octaves  ou  même  trois.  On  les  accorde 
en  limant  les  timbres,  en  les  amincissant  sur  le  tour.  Ainsi  dispo- 
sés, ces  timbres  sont  mis  en  vibration  au  moyen  de  ressorts  mus 
par  un  double  clavier.  Le  premier  de  ces  claviers  servira  à  jouer 
les  notes  intermédiaires  en  frappant  les  touches  avec  le  poing, 
tandis  que  l'autre  clavier  placé  plus  bas  donnera  les  notes  graves 
et  se  jouera  avec  les  pieds. 

Je  vous  ai  dit  que  le  goût  vint  en  sonnant,  il  vint  également  en 
carillonnant.  On  ne  se  contenta  plus  de  ce  premier  carillon  qui 
laissait  une  trop  large  part  à  la  plus  ou  moins  grande  habileté  de 
l'artiste  carillonneur,  on  voulut  un  carillon  qui  fit  entendre  sous 
la  main  la  moins  expérimentée  une  multitude  d'airs  tout  faits. 
Dans  le  nouveau  carillon,  les  marteaux  frappants  sont  mis  en  ac- 
tion par  des  pointes  métalliques  fixées  à  une  roue,  comme  cela 
se  passe  dans  une  vielle  ou  un  orgue  de  barbarie,  et  alors  on  put 
faire  entendre  tous  les  airs  à  la  mode  sur  toutes  les  variations 
connues. 

Dans  le  clocher  d'Anvers  on  voit  un  carillon  qui  se  compose  de 


—  80  — 

99  cloches;  pourquoi  pas  100?  Messieurs  les  musiciens  nous  le 
diront.  Le  son  de  ces  cloches  de  différentes  grosseurs  donne  toutes 
les  gammes  à  plusieurs  octaves.  La  tour  du  Kremlin  possédait, 
dit-on,  avant  son  incendie,  le  carillon  le  plus  formidable.  Citons 
les  carillons  d'Amsterdam,  de  Mons,  de  Malines,  de  St-Omer  et, 
pour  mémoire,  celui  de  la  Samaritaine  près  du  Pont-Neuf  à  Paris. 

Le  carillon  se  permet  un  grand  nombre  de  fantaisies  qui  n'iraient 
pas  bien  aux  allures  de  nos  grosses  cloches;  quelquefois,  il  chante 
sans  retenue,  il  se  croit  tout  permis,  et  souvent  il  a  fallu  mettre 
arrêt  à  sa  verve  qui  s'égare  volontiers  dans  les  airs  des  plus  nou- 
veaux comme  des  plus  anciens  opéras,  sans  tenir  compte  du  lieu 
ni  des  circonstances. 

Ce  môme  mécanisme  de  la  serinette  fut  adopté  pour  certaines 
horloges  et  chaque  division  de  l'heure  fut  accompagnée  d'un  air  de 
musique.  De  plus,  on  voulut  y  joindre  un  appareil  scénique,  ce  qui 
donna  naissance  aux  jacquemards,  cette  personnification  du  temps 
qui, avec  son  marteau, vient  frapper  l'airain  sonore  et  nous  annonce 
que  «  le  temps  passe  et  qu'il  ne  faut  point  laisser  écouler  sans  pro- 
fit l'heure  présente.  »  Dans  quelques  Jacquemards,  chefs-d'œuvre 
de  mécanique  du  moyen-âge,  à  l'heure  de  midi,  Saint-Pierre  avec 
tous  les  apôtres  viennent  processionnellement  frapper  douze  fois  le 
timbre  de  l'horloge,  la  Vierge  se  présente  à  son  tour  et  sonne 
l'heure  de  l'Angélus.  Dans  le  nord,  cette  petite  représentation  a  son 
cercle  d'habitués  comme  le  canon  du  Palais-Royal  à  Paris. 

Les  sonneurs  de  cloches. 

Autrefois,  n'étnit  pas  qui  voulait  sonneur  de  cloches;  dans  les 
premiers  temps  de  l'Eglise,  il  fallait  certaine  condition  pour  rem- 
plir cet  emploi  :  n'être  point  souillé  de  péché.  Ce  soin  était  donc 
confié  à  des  religieux,  h  un  diacre,  à  un  sous-diacre  ou  h  une  cor- 
poration de  marguilliers.  Cet  office  était  complètement  interdit 
aux  femmes,  — la  raison  en  est  simple,  je  pense,  c'est  que  considé- 
rant leur  force  relative,  on  craignait  de  les  fatiguer.  Aujourd'hui 
tout  le  monde  peut  prétendre  à  l'honneur  de  sonner  les  cloches  et 
personne  n'ignore  le  dicton: 

a  Pour  être  bon  sonneur  de  cloches 
u  11  faut  être  bon  videur  de  brocs. 

Plusieurs  ordonnances  réglaient  les  diverses  manières  de  sonner 


—  81  — 

les  cloches;  sonner  les  cloches  était  souvent  même  une  redevance, 
une  servitude  imposée.  C'est  ainsi  que  le  curé  de  St-Remy,  h 
Meaux,  était  dans  l'obligation  de  venir  en  personne  dans  cer- 
taines occasions,  sonner  les  cloches  de  la  cathédrale  de  Meaux 
et  témoigner  ainsi  la  servilité  de  l'église  St-Remy  à  la  dite 
cathédrale. 

Pour  parler  des  cloches,  il  faut  les  décrire;  une  description 
technique  n'est  point  toujours  chose  amusante,  mais  ici  je  parle 
d'un  objet  connu  de  tous,  et  si  vous  voulez  porter  vos  regards  sur 
la  clochette  officielle  de  M.  le  président,  vous  pourrez  facilement 
suivre  sans  grand  ennui  la  description  que  je  vais  en  faire. 

La  cloche  offre  à  considérer: 

1"  La  patte  ou  bord  inférieur,  ce  bord  qu'on  amincit  quand  on 
veut  la  disposer  pour  les  variations  du  carillon  ; 

2°  La  panse,  partie  la  plus  épaisse,  contre  laquelle  frappe  le  bat- 
tant; 

3''  Les  saussures,  partie  moyenne,  de  forme  cylindrique; 

4°  La  gorge  ou  la  fourniture,  passage  entre  les  saussures  et  la 
panse  ; 

5°  Le  vase,  partie  supérieure  à  peu  près  cylindrique,  entre  les 
saussures  et  le  cerveau  ; 

6°  Le  cerveau,  calotte  supérieure  où  le  battant  est  suspendu  ; 

1°  Enfin  le  battant,  en  forme  de  poire  alongée,  terminé  par  un 
appendice  ou  poids  destiné  à  lui  donner  la  volée. 

La  cloche  par  sa  forme,  dit  l'auteur  du  Symbolisme  des  cloches, 
est  une  véritable  merveille  de  l'art.  Elle  possède  à  la  fois  l;i 
pureté  des  lignes,  la  juste  mesure  des  proportions,  la  précision 
des  notes  et  la  justesse  des  accords.  En  effet,  cette  forme  elle-mêmtj 
est  une  particularité,  constituant  un  type  unique,  différant  à  tous 
égards  de  toutes  les  formes  connues,  et  qui  n'a  d'autre  déno- 
mination que  son  type  même:  en  forme  de  cloche. 

Fonte  des  cloches. 

Les  cloches  se  fondent  aujourd'hui  dans  des  ateliers  dont  l'en- 
trée est  généralement  interdite  au  public.  Autrefois  c'était  l'occa- 
sion d'une  grande  solennité.  On  procédait  en  plein  jour  à  cette 
opération,  que  l'on  pratiquait  dans  un  fossé  près  de  l'Eglise 
à  laquelle  la  cloche  était  destinée.  Une  foule  nombreuse  faisait 
cercle  autour  des  ouvriers  de  l'art;  les  moines  étaient  les  fondeurs 
privilégiés  de  cette  époque.  Le  nom  du  moine  Tanchon  est  par- 

6 


—  H"!  — 

venu  jusqu'à  notre  époque  :  il  passait  pour  le  plus  habile  fondeur 
de  cloches.  Plus  près  de  nous  on  cite  comme  très-habile  fondeur 
Jean  Jouvente  qui  fondit,  en  iSTl,  la  cloche  qui  donna  le  signal 
de  la  St-Barthélemy. 

Au  moment  de  la  fonte  d'une  cloche,  les  poitrines  des  specta- 
teurs sont  haletantes;  la  fonte  va-t-elle  réussir?  sous  quelle  forme 
va  sortir  de  sa  chrysalide  cet  être  si  impatiemment  attendu?  Voilà 
les  préoccupations  de  cette  immense  assemblée,  muette  tant  elle  est 
religieusement  attentive.  Si  l'épreuve  ne  réussit  pas,  le  désespoir 
pénètre  dans  tous  les  cœurs,  le  deuil  est  sur  tous  les  visages,  on 
présage  quelque  grand  malheur,  on  se  i;etire  en  silence;  mais  si 
l'épreuve  est  bonne,  entendez  les  vivats,  les  cris  de  joie  et  d'en- 
thousiasme. 

Composition  des  cloches. 

Le  bronze  n'est  pas  la  seule  matière  qui  entre  dans  la  composi- 
tion des  cloches,  les  métaux  les  plus  précieux,  l'or,  l'argent  en 
font  très  souvent  partie.  En  Russie,  dans  ce  pays  ami  des  cloches, 
un  ancien  usage  est  encore  en  pratique  aujourd'hui.  Quand  on 
doit  fondre  une  cloche,  les  habitants  sont  convoqués  à  l'œuvre 
sainte.  Trois  vases  sont  déposés  près  du  lieu  consacré  et  destinés 
à  recevoir  les  offrandes  en  métaux  de  tous  ceux  qui  veulent  par- 
ticiper à  la  confection  de  la  cloche.  Personne  ne  manque  guère 
à  une  convocation  de  cette  nature  ;  les  hommes,  les  femmes,  les 
enfants  viennent  y  jeter  leurs  bijoux,  —  bagues,  colliers,  brace- 
lets, —  soit  en  or,  soit  en  argent,  soit  en  cuivre.  Le  zèle  n'a  beso'n 
que  d'être  ralenti,  car  il  est  rare  que  les  offrandes  volontaires  ne 
dépassent  point  le  poids  désiré  et  l'on  se  trouve  souvent  dans 
l'obligation  de  faire  de  nombreuses  restitutions. 

'Noms  donnes  aux  cloches. 

Quand  cette  belle  vierge  sort  de  son  creuset,  elle  porte  pres- 
que toujours  sa  légende  d'invocation,  son  nom  et  l'inscriplion  du 
jour  de  sa  naissance.  Ce  que  je  regrette  c'est  que  belle  comme 
elle  est,  on  ne  lui  donne  pas  toujours  un  nom  de  femme,  qui 
va  si  bien  pourtant  avec  sa  belle  forme  crinolinée,  avec  ses  allures 
de  fille  de  l'air  qui  peut  faire  entendre  sa  voix  à  140  mètres  di; 
hauteur.  Aussi  quelle  surprise,  queldésappoinlemontquandon  vient 
à  lire  sur  les  restes  de  la  superbe  cloche  de  Moissac  cette  appel- 


—  8.']  — 

lation  faite  par  elle-même  :  je  me  nomme  Paul  (  Paulus  vocor)  !  A  la 
bonne  heure,  madame  la  cloche  delà  cathédrale  de  Paris,  on  vous 
nomme  Jacqueline,  c'est-à-dire  la  diligente,  la  bonne  ménagère, 
toujours  levée  avant  que  le  soleil  ne  vous  surprenne. 

Ornements  des  cloches. 

Les  cloches,  ne  vous  en  étonnez  pas,  les  cloches  suivent  la  mode; 
celles  du  XVIIP  siècle  sont  entourées  de  fanfreluches,  leur  dur 
habit  est  orné  de  fleurs  et  de  rinceaux,  elles  portent  des  sceaux, 
des  armoiries,  elles  se  font  aussi  coquettes  qu'elles  peuvent. 

Baptême  des  cloches. 

Avant  que  notre  belle  châtelaine  quitte  la  terre  et  monte  dans  son 
sublime  donjon,  elle  reçoit  la  consécration  religieuse,  on  célèbr.' 
son  baptême.  La  bénédiction  des  cloches  est  certainement  fort  an 
cienne,  il  faudrait,  je  crois,  la  faire  remonter  à  la  pr>^mière  clochi- 
de  nos  églises.  Cependant  c'est  seulement  du  pape  Jean  XIII  (972 
que  datent  les  édits  qui  en  règlent  le  cérémonial. 

Le  baptême  des  cloches  ne  fut  pas  toujours  chose  acceptée  ;  au 
plaid  tenu  par  Charlemagne  en  mars  789,  le  grand  roi  siégeant 
comme  chef  de  l'Eglise,  comme  évêque  des  évêques,  défendit  plu- 
sieurs superstitions,  entre  autres  le  baptême  des  cloches  (H.  A'Iar- 
tin).  Il  s'opposait  à  ce  que  l'on  conférât  à  un  vil  métal  un  sacre- 
ment qui  doit  racheter  tout  être  chrétien  du  péché  originel. 

Toutefois,  le  parrain  et  la  marraine  choisis,  on  procède  h  la 
bénédiction.  La  cloche  est  suspendue  à  un  échafaudage  improvisé, 
l'église  est  parée  comme  au  jour  de  ses  plus  belles  solennités.  Les 
armoiries  des  grands  dignitaires  du  clergé  décorent  les  piliers  de  la 
nef  et  du  chœur,  on  ressuscite  les  écussons  des  hauts  et  puissants 
barons  et  chevaliers  qui  ont  illustre  la  contrée.  Les  parois  du  temple 
sacré  sont  revêtues  de  leurs  plus  riches  et  de  leurs  plus  brillantes 
tapisseries;  c'est  jour  solennel.  L'époque  où  pour  cause  d'utilité 
publique  on  est  venu  deshériter  nos  églises  de  leurs  voix  d'airain, 
est  un  jour  de  deuil  encore  présent  aujourd'hui  au  souvenir  du 
clergé  de  France,  et  la  bénédiction  d'une  nouvelle  cloche  nous 
représente,  en  quelque  sorte,  le  retour  de  l'en^mt  prodigue  qui 
vient  frapper  au  seuil  de  la  maison. 

La  cloche  est  couronnée  par  un  dais  formé  de  dentelles  du  plus 
haut  prix,  qui  retombent  en  magnifiques  flots  jusqu'au  dessous 
du  limbe  et  lui  constituent  une  véritable  robe  de  baptême;  l'ar- 
chevêque impose  ses  mains  sacrées  sur  le  bronze,  récite  les  prières 


—  84  — 

d'usage  et  de  &es  doigts  enduits  de  l'huile  sainte,  trace  plusieurs 
signes  de  croix  en  prononçant  les  noms  que  lui  ont  donné  le  par- 
rain et  la  marraine.  Trois  beaux  rubans  sont  fixés  au  battant  de 
la  cloche,  un  pour  le  haut  dignitaire  officiant,  les  deux  autres  sont 
confiés  aux  mains  du  parrain  et  de  la  marraine.  Ces  rubans  met- 
tent alternativement  en  mouvement  le  battant  de  la  cloche  et  sont, 
pour  ainsi  dire,  les  traits  d'union  qui,  parleur  tintement  distinctif, 
établissent  un  langage  intime  entre  l'Eglise  et  la  cloche  répondant 
ainsi  elle-même.  Suivent  les  trois  aspersions  en  dedans  et  en  de- 
hors et  le  reste  du  cérémonial  usité. 

Le  choix  du  parrain  et  de  la  marraine  est  chose  très-importante. 
Il  faut  des  représentants  dignes  du  glorieux  enfant  ;  à  ces  filles 
de  haut  parage,  il  faut  des  têtes  couronnées  ou  au  moins  des  têtes 
ducales,  c'est  Louis  XIV  et  Marie-Thérèse  qui  sont  les  parrain 
et  marraine  du  bourdon  de  Notre-Dame,  fondu  en  1684.  De  nos 
jours,  il  faut  l'avouer,  elles  sont  descendues  quelque  peu  de  cette 
haute  parenté;  quelques  préfets,  quelques  maires,  quelques  con- 
seillers municipaux  participent  à  cet  honneur.  Malgré  ce  petit 
échec  porté  à  leur  amour-propre,  elles  n'en  sonnent  pas  moins 
dans  la  circonstance  à  double  carillon. 

J'ai  dit  en  commençant  que  j'avais  l'intention  de  vous  faire  en- 
tendre le  son  de  toutes  les  cloches  de  l'arrondissement  de  Fontai- 
nebleau. Combien  y  en  a  t-il?  Je  vais  vous  le  dire,  —  approximati- 
vement du  moins.  Il  y  a  dans  l'arrondissement  de  Fontainebleau 
sept  cantons,  autant  qu'il  y  avait  de  cloches  dans  certaines  abbayes 
du  moyen-âge.  Ces  sept  cantons  comportent  cent-trois  communes: 
or,  en  mettant  seulement  une  cloche  dans  chaque  commune,  c'est 
donc  la  description  de  cent-trois  cloches  que  je  vous  dois.  C'est 
beaucoup,  et  si  j'étais  homme  de  parole  je  vous  paierais  aujour- 
d'hui madette  mtégralement.  Mais,  comme  le  dit  le  bon  Virgile  : 
haiidùjnara  malt,  miseris  succwTere  disco.  Ce  qui  veut  dire  que  cela 
vous  fatiguerait,  et  moi  également.  Aussi  je  ne  me  propose  aujour- 
d'hui de  vous  parler  que  des  cloches  du  canton  de  Fontainebleau. 
Nous  n'avons  donc  que  six  communes  à  parcourir,  Fontainebleau, 
Avon,Samoreau,  Vulaines,  Samois  et  Bois-lc-Roi.  Nous  commen- 
cerons notre  petite  excursion  par  Fontainebleau  ;  à  tout  seigneur 
tout  honneur. 

FO.\'TAII¥EBLE.4U. 

L'édification  de  l'église  Saint -Louis  par  le  roi  Louis  Xlfl 
marque  une  période  entièrement  nouvelle  pour  la  ville  de  Fontai- 


—   85  — 

nebleau.  Le  simple  rendez-vous  de  chasse  de  Louis-lc-Jeunc  est 
devenu  un  magnifique  chcâteau^;  le  clocher  de  l'église  parois- 
siale a  groupé  autour  de  lui  les  rangs  pressés  d'une  population 
industrieuse  ;  les  modestes  habitations  des  gardes-chasse  ont  fait 
place  à  des  bâtiments  réguliers,  à  des  rues  parfaitement  alignées, 
en  un  mot  Fontainebleau  est  devenu  une  des  plus  élégantes 
et  plus  jolies  villes  de  la  contrée.  Ville  au  parfum  aristocra- 
tique, séjour  privilégié  de  la  cour,  rendez-vous  des  nobles  étran- 
gers. 

Mais  ne  perdons  point  de  vue  notre  clocher.  Quel  destin  ont 
subi  les  cloches  qui,  les  premières,  glorifièrent  l'église  de  Saint- 
Louis?  Je  ne  vous  en  dirai  rien,  car  dans  les  archives  de  la  localité 
qu'il  m'a  été  possible  de  consulter,  je  n'en  ai  rencontré  aucune 
trace.  Il  faut  que  nous  arrivions  jusqu'au  26  octobre  1745  pour 
assister  à  la  bénédiction  des  quatre  nouvelles  cloches  auxquelles 
Louis  XV  et  la  reine  voulurent  bien  donner  leur  nom. 

«  Lazare- Joseph-Buisson,  —  dit  le  procès-verbal  conservé  h  la 
«  mairie,  —  étant  curé  de  la  paroisse  royale  de  St-Louis  de  Fontai- 
«  nebleau,  Jean-Louis  Marrier,  lieutenant  de  la  maîtrise  des  eaux 
«  et  forêts,  Pierre-Nicolas  Guyon,  receveur  de  la  capitationdu  dit 
«  Fontainebleau,  Louis-Gratien  Aubinaut,  vitrier  des  bâtiments 
«  du  roi,  étant  marguilliers  en  charge  de  la  dite  paroisse  ; 

«  Gejourd'hui,  mardi  26  octobrel745,  ont  été  bénites  dans  la  nef 
«  les  quatre  cloches  de  la  dite  église  par  raessire  Jean-Joseph 
(c  Languet,  archevêque  de  Sens.  Les  quatre  cloches  ont  été  nom- 
«  mées  : 

«  La  1'°  Louise-Marie,  par  le  roy  et  la  reyne  présents, 

«  La  2°  Louise-Anne-Henriette,  aussi  par  le  roy  avec  Madame, 
<(  présents. 

«  La  3"  Marie-Thérèse  par  monsieur  le  Dauphin  et  madame  la 
«  Dauphine,  présents. 

«  La  ¥  Louise-Marie-Adélaïde  ,  aussi  par  monsieur  le  Dauphin 
«  avec  madame  Adélaïde,  présents. 

Tous  ont  signé: 

Louis, 

Marie, 

Louis, 

Marie-Thérèse  , 

'  Henriette,  Anne, 
et  nous  Joseph,  archevêque  de  Sens, 

Marrier,  Guyon,  Aubinaut,  Euisson,  curé. 


—  86  — 

Que  sont  devenues  ces  belles  cloches?  Je  dis  belles,  si  je  m'en 
rapporte  à  la  haute  parenté  qui  assista  à  leur  entrée  dans  le  monde. 
Ont-elles  subi  le  sort  des  persécutions  auxquelles  les  cloches  elles- 
mêmes  ont  payé  un  large  tribut?  Il  est  probable  que,  comme  un 
très-grand  nombre  de  leurs  compagnes,  elles  furent  transformées 
en  canons  de  bronze,  alors  que  la  patrie  faisait  canon  de  tout  pour 
repousser  l'invasion  étrangère.  Nous  aurions  peut-être  pu  le  savoir, 
si  nous  avions  eu  à  notre  disposition  un  précieux  document  qu'on 
nous  a  dit  avoir  existé  dans  les  archives  de  la  préfecture  et  por- 
tant pour  titre:  Inventaire  de  la  paroisse  de  Fontainebleau  fait  en 
1793. 

De  nouvelles  cloches  vinrent  occuper  leur  place  au  moment  où 
nos  églises  furent  rendues  au  culte  religieux.  Mais  la  même  obscu- 
rité règne  sur  la  période  de  temps  qui  s'écoula  du  Concordat  jus- 
qu'en 1827,  époque  qui  donna  naissance  aux  trois  Jolies  cloches 
que  nous  possédons  aujourd'hui,  et  dont  voici  la  description. 

Au  dessous  du  niveau  de  la  panse,  on  lit  surchacune  d'elles  en 
lettres  majuscules  ;  Osinond,  fondeur  du  roi,  m'a  faile  à  Paris  pour 
l'exposition  de  1827. 

La  première  de  ces  trois  cloches,  la  plus  forte,  mesure  90  centi- 
mètres de  diamètre  ;  elle  porte  sur  le  vase,  au  dessous  de  son  cer- 
veau, une  inscription  tracée  à  l'anglaise  ainsi  conçue  :  «  le  20  X'"'" 
1827  ¥  année  du  règne  de  Charles  X.  Charlotte-Marie-Thérèse 
a  été  baptisée,  ayant  le  roi  pour  parrain  et  madame  la  Dauphine 
pour  marraine,  représentés  par  M.  le  comte  et  madame  la  com- 
tesse de  Polignac.  » 

Des  ornements  très- variés  décorent  la  surface  de  cette  première 
cloche;  comme  servant  de  trait  à  l'inscription  dont  nous  venons 
de  parler,  se  dessine  un  charmant  cordon  enguirlandé,  interrompu 
par  quatre  embrasses  pendantes  et  recevant  dans  la  concavité  de 
ses  courbes  des  portraits  alternés  du  parrain  et  de  la  marraine. 
Sur  un  des  côtés  de  la  surface  comprenant  les  saussures  et  la  gorge, 
on  voit  la  vierge  Marie  couronnée  d'un  diadème  et  tenant  sur  les 
bras  l'enfant  Jésus  :  deux  anges  sont  près  d'elle. 

Sur  l'autre  côté  se  dresse  un  Christ  en  croix.  Ces  ornements 
sont  en  relief  et  quatre  grandes  iïeurs  de  lys  occupent  l'espace 
restant  entre  les  deux  tableaux  religieux.  En  bas,  au-dessus  de  la 
patte,  règne  un  cordon  ou  cable  circulaire. 

La  deuxième  cloche,  d'un  moindre  diamètre, —  80  centimètres  — 
porte  pour  inscription  au-dessous  de  son  cerveau:  ((le  26  mars, 
moi,  Julie-Nicole,  ai  eu  pour  marraine  la  Ville  de  Fontainebleau, 


—  87  — 

représentée  par  M.  Charles-Nicolas,  baron  do  FAriiiina,  cciiycr, 
maire  conservateur,  chevalier  de  la  Légion-d'honneur,  et  par 
madame  Marie  Julie.  » 

Sous  cette  inscription  une  guirlande  circule  ornée  de  lys  et  riche- 
ment ouvragée.  Sur  les  côtés  de  la  cloche,  un  Christ  est  avec  une 
Madeleine,  accostée  d'une  femme  à  tête  couronnée,  et  d'une  seconde 
tête  d'altesse  royale.  Deux  grosses  fleurs  de  lys  complètent  cette 
décoration  du  milieu.  A  l'opposé  du  Christ,  la  Vierge  couronnée 
de  fleurs  do  lys,  entre  deux  vases  de  fleurs;  un  cordon  de  perles 
termine  la  basa  de  la  cloche. 

Sur  la  troisième  cloche,  la  plus  petite,  —  70  centimètres  de  dia- 
mètre,—  nous  lisons  :  (cmoi,  Anne-Caroline,  ai  eu  pour  marraine 
la  ville  de  Fontainebleau,  représentée  par  Charles  Le  Dreux,  pre- 
mier adjoint  au  maire,  et  par  madame  Lemoine,  Anne-Caroline.» 

Un  cordon  de  perles  remplace  la  guirlande  des  deux  premières 
cloches  ;  plus  bas,  un  Christ  accosté  de  deux  écussons  fleurdelysés; 
taisant  face  au  Christ,  la  vierge  Marie;  un  cordon  de  perles 
métalliques  couronne  la  patte  ou  extrémité  inférieure  de  la  cloche. 

1827  est  une  date  récente,  et  cependant  aucune  trace  de  procès- 
verbal  de  la  bénédiction  de  ces  trois  cloches  n'existe  dans  les 
archives  de  la  paroisse.  Les  recherches  faites  par  l'estimable 
M.  l'abbé  Boutroy  n'ont  pu  me  donner  satisfaction  à  cet  égard. 
Malheureusement  cette  lacune  regrettable  se  renouvellera  pour 
la  plupart  des  cloches  du  canton  dont  nous  nous  occupons; 'elle 
est  regrettable  à  tous  égards,  car  sans  ces  documents ,  notre 
étude  doit  rester  évidemment  incomplète.  Notre  seule  ressource 
est  d'aborder  résolument  le  clocher.  Mais  aborder  une  cloche,  par- 
venir jusqu'à  son  cerveau  pour  en  déchiffrer  l'inscription  est, 
!a  plupart  du  temps,  chose  presque  impossible.  Tout  au  plus 
si,  par  suite  de  la  disposition  des  lieux  ,  il  nous  est  permis  d'ap- 
procher du  bord  inférieur  de  la  cloche.  Tenter  une  ascension 
au-delà  et,  comme  me  le  conseillait  certain  sonneur  émérite,  mon- 
ter à  cheval  sur  une  première  cloche  pour  lire  l'inscription  delà 
seconde,  ne  serait  pas  toujours  considéré  sans  danger  par  un  plus 
habile  gymnasiarquo  que  moi.  Que  notre  bon  vouloir,  tout  im- 
puissant qu'il  est,  me  serve  d'excuse,  si  je  ne  dis  que  ce  que  je  puis 
vuii'. 

ATOUÎ. 

En  bonne  justice,  j'aurais  dû  commencer  mes  entretiens  par  la 


—  88  -- 

cloche  d'Avon,  car  Avon  fut  le  berceau  de  Fontainebleau  jusqu'au 
milieu  du  xvii°  siècle.  Cette  petite  église  avait  ouvert  son  asile  sacré 
aux  premières  populations  qui  vinrent  se  grouper  autour  du  prieuré; 
Fontainebleau  n'est  en  réalité  qu'une  émigration  brillante  d'Avon, 
mais  qui,  comme  bien  des  filles  de  notre  époque,  est  parvenue 
bientôt  à  éclipser  sa  mère. 

L'église  d'Avon  porte  encore,  dans  presque  tout  son  ensemble, 
les  traces  accusées  de  l'architecture  romane.  Si  j'avais  trouvé  là 
par  hasard  une  cloche  d'une  époque  voisine  du  ix'=  ou  du  x^  siècle, 
je  n'en  aurais  point  été  étonné,  je  m'en  serais  réjoui  ;  mais  non, 
celles  qui  auraient  pu  porter  une  pareille  date  ont  été  enlevées, 
détruites,  que  sais-je?  Nous  avons  tant  perdu  de  choses  depuis 
quelque  temps  que  chacun  est  maintenant  préoccupé  de  rétablir 
l'inventaire  du  passé. 

Le  clocher  d'Avon  n'a  pas  toujours  été  réduit  à  la  seule  cloche 
qu'il  possède  aujourd'hui  ;  la  disposition  des  lieux  indique 
clairement  qu'il  y  avait  là ,  dans  les  temps  de  la  splendeur 
paroissiale  d'Avon,  trois  cloches,  peut-être  quatre,  parlant  toutes 
ensemble ,  et  il  me  semblait  de  la  place  où  j'étais ,  ces  jours 
derniers  dans  le  clocher ,  apercevoir  l'heureux  carillonneur  les 
mettant  toutes  quatre  en  joyeuse  harmonie.  L'unique  cloche  que 
je  vois  n'a  probablement  aucun  souvenir  de  celles  qui  l'ont  de- 
vancée, car  l'inscription  gravée  autour  de  son  cerveau  porte  : 
«  fut  donnée  en  1611  par  Louis  de  Bourbon  XIII,  roy  de  France 
et  de  Navarre,  fils  de  Henri-le-Grand.  »  Au  niveau  des  saus- 
sures  se  présente  une  croix  à  pied  dont  les  ornements  en  rinceaux 
sont  délicatement  travaillés.  L'inscription  que  je  donne,  je  no  la 
donne  point  complète,  elle  possède  encore,  sans  doute,  d'autres 
ornements,  mais  hélas  !  malgré  quelques  essais  de  gymnastique, 
j'e  n'ai  pu  me  mettre  directement  en  rapport  avec  elle.  Heureux 
cependant,  puisque  j'ai  pu  surprendre  un  secret  que  beaucoup 
d'autres  qu'elles  cherchent  à  cacher,  —  la  date  de  sa  naissance.  Il  me 
restait  un  moyen,  c'était  d'aller  arracher  ces  mystères  aux  archives 
municipales.  Ici  encore  ce  document  nous  a  manqué.  Une  main 
curieuse,  trop  curieuse  pour  ne  point  lui  donner  une  autre  épi- 
Ihète,  a  déchiré  et  emporté  le  feuillet  du  IGll  qui  concerne  la 
cloche  de  l'église  d'Avon.  Il  faut  donc  nous  contenter  de  ce  que 
rapporte  la  tradition  :  son  diamètre  dépasse  un  mètre,  elle  pèse 
OjoOO  livres;  quand  le  son  qu'elle  projette  dans  les  airs  est  distinc- 
tement entendu  de  l'endroit  oîi  nous  sommes,  il  est  d'un  favo- 
r.ibl'!  augure,  il  nous  promet  beau  temps.  Kilo  nous  l'envoie  en 


—  89  — 

souvenir  sans  doute  de   ses  anciennes  relations  de   famille  avec 
la  ville  de  Fontainebleau. 

tSAMOHEAlC. 

La  cloche  de  Samoreau,  —  l'unique  cloche  de  cette  commune  a 
perdu  tous  ses  papiers  de  famille.  Ni  les  archives  de  la  mairie,  ni 
celles  de  la  cure  ne  possèdent  les  titres  de  son  passé,  mais  heureu- 
sement elle  porte  encore  sur  elle  la  date  de  sa  noble  antiquité. 

Son  inscription  en  belles  lettres  gothiques  nous  dit  :  «  L'an  mille 
cinq  cent,  je  fus  faicte  h  Samoisseau,  en  Brie  et  je  fus  nommée 
Marie.  »  —  Tout  le  pays  sur  la  rive  droite  de  la  Seine  faisait  proba- 
blement à  cette  époque  partie  de  la  Brie  —Au-dessous  do  l'inscrip- 
tion existent  deux  monogrammes  :  Jésus  Christus  ;  Ave  Maria.  Elle 
n'a  point  d'autres  décorations  qu'une  croix  à  pied  sans  ornement. 
Elle  est  modeste  et  coquette  à  la  fois;  son  tintement  argentin 
est  frais  et  juvénile,  on  la  dirait  d'origine  italienne.  Son  diamètre 
n'excède  pas  65  centimètres. 

Le  jour  où  elle  a  conquis  sa  place  dans  le  monde  des  harmonies 
religieuses^  elle  a  sans  doute  été  appelée  à  jouer  un  rôle  plus 
^'b^illant  que  celui  auquel  elle  est  réduite  aujourd'hui.  La  petite 
église  de  Samoreau,  à  la  nef  romane,  était  une  dépendance  de  l'an- 
cienne abbaye  de  Samoreau,  qui  faisait  autrefois  partie  du  do- 
maine des  religieux  de  Saint-Gerraain-des-Prés.  Son  clocher, 
vu  du  pont  de  Valvins,  se  détache  admirablement  au  milieu  d'un 
bouquet  de  verdure  qui,  par  sa  position  pittoresque,  nous  offre 
l'aspect  d'un  oasis  flottant  dans  une  des  courbes  de  la  Seine. 

Un  artiste  de  notre  localité,  M.  Splindler  ,  vient  de  faire  don  à 
cette  modeste  cure  d'un  tableau  représentant  Jésus-Christ  remet- 
tant les  clefs  du  paradis  à  saint  Pierre,  tableau  que  les  amateurs 
sont  venus  plusieurs  fois  admirer  à  Fontainebleau  dans  l'atelier 
du  maître. 

Le  parrain  et  la  marraine  de  la  cloche  ne  nous  sont  point 
révélés,  mais  il  est  certain  que  cette  charmante  cloche  fut  assistée 
à  son  baptême  par  quelque  grand  seigneur  du  lieu ,  peut-être 
par  Son  Éminence  le  cardinal  d'Amboise,  peut-être  même  par 
Louis  XII  en  personne.  Ne  lui  faisons  pas  l'injure  de  croire  qu'on 
avait  dérogé  à  son  égard  aux  coutumes  si  fort  en  usage  à  ces 
époques  de  royale  mémoire. 


—  90 


vuLAfiXEg-sra-SESJïE. 


La  commune  de  Vulaines  possède  une  toute  petite  église  qui 
possède  une  toute  petite  cloche  ;  l'une  et  l'autre  sont  très-intéres- 
santes. L'église  était  primitivement,  à  n'en  pas  douter,  une  cha- 
pelle de  construction  romane,  dépendante  d'un  prieuré.  Au  temps 
des  guerres  de  religion,  elle  fut  en  grande  partie  détruite,  car  la 
nef  a  subi  des  reconstructions  qui  appartiennent  au  commence- 
ment du  xv°  siècle.  Les  arceaux  qui  parcourent  la  voûte  viennent 
au  centre  se  terminer  en  cul-de-lampe^  portant  un  écusson  chargé 
d'une  croix  à  pied,  de  deux  bâtons  et  de  trois  merlettes,  2  et  1.  Le 
badigeon  laissant  peu  distincts  les  ornements  que  je  décris,  je  ne 
veux  pas  en  garantir  l'exactitude. 

Avant  de  monter  au  clocher ,  permettez-moi  de  signaler 
comme  ornement  de  cette  petite  église  une  peinture  sur  bois  qui 
a  au  moins  quelque  mérite  de  composition  :  dans  une  prairie,  la 
Vierge  assise  porte  sur  ses  genoux  l'enfant  Jésus,  un  autre  enfant, 
saint  Jean  probablement,  vient  vers  lui  et  cherche  à  l'amuser  en 
lui  présentant  des  fleurs  des  champs.  Trois  anges  aux  ailes  dé- 
ployées prennent  leurs  ébats  au  milieu  des  herbages,  un  d'eux, 
plein  de  grâce,  chevauche  sur  un  mouton.  Cette  petite  composition 
qui  n'a  point  de  signature,  figure  tout  un  panneau  à  la  manière  de 
Boucher. 

Nous  avons  dit  que  la  cloche  est  fort  petite,  elle  ne  mesure 
guère  que  55  centimètres.  Sa  surface  nous  montre  une  croix  aux 
bras  fleurdelysés,  une  troisième  fleur  de  lys  couronne  le  sommet 
de  la  croix.  D'autres  ornements  doivent  exister  sur  le  côté 
opposé.  Sa  position  ne  nous  permet  ni  de  les  découvrir ,  ni 
de  lire  complètement  l'inscription;  mais  grâce  à  l'obligeance  de 
M.  le  comte  d'Ercevillc,  maire  de  la  commune,  qui  a  bien  voulu 
en  relever  la  lettre  au  moment  où  la  cloche  fut  descendue  en  1849, 
nous  possédons  eji  entier  son  état-civil. 

«En  1692,  dit-elle  elle-même,  j'ai  estébéniste  par  messire  Claude 
Pierron,  vicaire  perpétuel  de  Saint-Étienne  de  Bourges,  curé  de 
Vulaines,  et  nommée  Marguerite  par  messire  Edouard  do  Pous- 
scmote  de  l'Estoilc,  chevalier,  sire  et  comte  de  Graville,  baron 
d'tiéricy,  conseiller  du  roy  en  ses  conseils,  président  en  sa  cour 
des  aides;  la  marraine  dame  Marguerite  Martincau,  épouse  de 
messire  Louis  de  la  Grange-Trianon,  seigneur  de  Nandy,  ancien 
président  des  requcstes».  Plus  bas  :  «François  Moreau  m'a  fait». 


—  91  — 

Un  mot  cffcicc  «....  an  do  Viilaincs.  Piurro  Garnier,  marguillicr.» 
Une  seconde  croix  termine  l'inscription. 

L'intérieur  d'un  clocher  n'est  point,  en  général,  la  partie  la  plus 
soignée  d'une  église,  experto  crede  Roherto.  L'édilité  locale  et  spé- 
ciale n'y  fait  que  de  rares  visites,  les  sonneurs  n'ont  pas  tous  le 
feu  sacré  de  Quasimodo  et  ne  surveillent  point  assez  les  accidents 
que  doivent,  à  la  longue,  déterminer  les  vibrations  répétées  des 
cloches.  Il  en  était  ainsi  au  mois  d'août  1849  pour  la  cloche  de 
Vulaines,  qui,  par  les  soins  vigilants  de  M.  le  comte  d'Erceville, 
fut  descendue  le  6  août  ;  la  charpente  fut  réparée,  et  le  29  du 
même  mois  la  cloche  alla  reprendre  possession  de  sa  demeure 
aérienne. 

SAIIIOII>i. 

La  commune  de  Samois,  dont  l'église  romane,  quant  à  sa  con- 
struction primitive,  vient  d'être  restaurée  avec  une  si  louable  in- 
telligence par  M.  Mollet,  curé  de  la  paroisse,  possède  à  elle 
seule  trois  cloches  ;  il  paraît  que  c'est  le  moins  qu'elle  puisse  avoir 
pour  répondre,  si  ce  n'est  aux  besoins  du  service,  au  moins  aux 
goûts  de  la  population  qui  est  demeurée,  à  n'en  pas  douter,  très- 
sensible  aux  vibrations  de  cette  triple  harmonie. 

La  première  de  ces  cloches  date  de  l'époque  de  notre  grande 
régénération  sociale.  Le  9  décembre  1789,  elle  prenait  possession 
du  clocher  de  Samois  qu'elle  n'a  pas  quitté  depuis.  Fille  d'une 
époque  qui  fermait  la  barrière  aux  abus  du  privilège ,  elle  n'a 
pas  cependant  subi  le  sort  de  beaucoup  de  ses  voisines;  et  si, 
pour  un  temps  donné,  elle  est  restée  muette  pendant  cette  période 
où  tout  se  taisait,  oîi  tout  faisait  silence  pour  écouter  la  voix  tou- 
jours tumultueuse  d'unesouveraineté  nouvelle, — celle  du  peuple, — 
elle  a,  sitôt  qu'elle  a  pu,  repris  la  parole,  et  les  jours  de  grande  fête, 
de  grand  émoi  ou  de  grands  désastres  elle  lance,  à  cris  répétés, 
les  vibrations  sonores  de  son  fa  naturel.  Elle  pèse,  dit-on,  sans 
son  battant,  650  à  700  kilogrammes;  nous  avons  trouvé  dans  les 
archives  de  la  commune  toutes  les  pièces  qui  établissent  son 
identité. 

Marie,  tel  est  le  nom  qui  lui  fut  donné  à  son  baptême,  est 
parfaitement  apparentée.  Son  parrain  et  sa  marraine  sont  de  qua- 
lité; c'est,  d'un  côté,  messire  Philippe  Dufresne,  aumônier  du  roi, 
ministre  de  la  maison  des  chanoines  réguliers  de  la  Trinité  de 
Fontainebleau;  de  l'autre,  Marie-Anne  Bobusse,  veuve  de  messire 


—  92  — 

de  Moransel ,  écuyer ,  ancien  contrôleur  des  bâtiments  du 
roi. 

Elle  reçut  le  baptême  des  mains  de  messire  Nègre,  prieur-curé 
de  Samois,  au  milieu  d'une  nombreuse  assemblée  dans  laquelle 
figurèrent  les  desservants  de  toutes  les  paroisses  environnantes  : 
Messires  Protat,  curé  d'Héricy,  Jean-Baptiste  Roux,  prieur  de 
Barbeau  ;  Vallin  de  Surge,  curé  de  Sumoreau  ;  Dessepart,  desser- 
vant d'Avon;  Etienne  Pastoris,  prieur-curé  de  Saint-Ambroise 
de  Melun;  à  ceux-ci  étaient  venus  se  joindre  les  autorités  admi- 
nistratives, messire  Oudot,  procureur  du  roi,  et  d'autres  fonction- 
naires éminents  de  la  province. 

Elle  est  restée  longtemps  seule  en  sa  vieille  tour  carrée,  et  très- 
tard  elle  dut  subir  le  voisinage  des  deux  sœurs  cadettes.  Ce  fut 
seulement  le  18  octobre  1857  qu'on  échelonna  sous  elle  les 
deux  nouvelles  arrivantes;  je  ne  sais  si  cette  manière  de  super- 
poser l'une  sur  l'autre  les  trois  cloches  ,  doit  ou  peut  contribuer  à 
l'harmonie  de  chacune  d'elles,  si  le  son  de  la  cloche  inférieure  est 
renforcé,  ou  diminué,  ou  perverti  parcelle  qui  la  domine? — Ques- 
tion musicale  sur  laquelle  je  me  déclare  incompétent. 

Toutes  deux  arrivaient  le  même  jour  des  ateliers  de  M.  Le 
Gousset,  fondeur  à  Metz.  Toutes  deux  le  même  jour  reçurent  la 
bénédiction,  à  la  fête  de  Saint-Luc.  L'une  donne  le  fa  ,  l'autre 
le  sol  et  elles  sont  parfaitement  concordantes.  Leur  différence 
en  poids  est  minime.  La  première,  qui  mesure  un  mètre  cinq  cen- 
timètres de  diamètre,  pèse  491  kilogrammes  avec  son  battant.  La 
seconde  n'offre  que  90  centimètres  de  diamètre  et  pèse  seulement 
337  kilogrammes.  Les  noms  des  parrain  et  marraine  ainsi  qne  la 
date  du  baptême  sont  inscrits  à  la  base  de  leur  cerveau  ;  sur  le 
côté  de  l'une  d'elles,  la  moins  considérable,  existe  un  bas-relief  de 
12  à  15  centimètres  de  longueur  artistement  exécuté,  qui  repré- 
sente la  Cène  du  Christ  à  la  manière  de  Léonard  de  Vinci.  Elle 
porte,  sans  doute,  d'autres  ornements,  mais  la  position  difficile, 
■  nécessaire  pour  s'en  assurer,  ne  nous  a  point  permis  de  le  cons- 
tater. 

Ce  qui  particulièrement  caractérise  les  nouvelles  cloches  de  Sa- 
mois et  leur  donne  une  importante  valeur  locale,  c'est  que  toutes 
deux  furent  fondues  aux  frais  de  quelques  habitants  du  pays.  La 
première  a  été  payée  des  deniers  de  feu  Laurent  Jumeau,  ancien 
passeur,  marinier  à  Samois;  trois  personnes  ont  contribué  h.  la 
solde  de  la  seconde,  MM.  Jacques-Abraham  Brou,  serrurier;  Mi- 
chel Petit,  vigneron,  et  Jacques  Mollet,  curé  desservant  de  Samois. 


—  93  — 

A  la  vue  de  cette  offrande  qui,  en  général,  ne  sort  pas 
du  rang  moyen  de  la  société,  ne  vous  semble-t-il  pas  que  nous 
sommes  revenus  au  temps  de  cette  foi  robuste  où  chacun  portait 
ha  pierre  à  la  construction  de  l'édifice  sacré? 

Si  un  simple  ouvrier,  le  passeur  Jumeau,  a  fait  h  lui  seul  les 
frais  de  Tune  des  deux  cloches,  un  prince  et  une  princesse  ont 
voulu  la  baptiser.  Les  noms  d'Anne  et  de  Nicolas  sont  ceux  donnés 
le  jour  du  baptême  par  le  prince  et  la  princesse  russes  Trowbetzkoï, 
propriétaires  du  château  de  Belle-Fontaine^  voisin  de  Samois. 

L'autre  cloche  n'a  point  eu  la  faveur  de  se  voir  des  princes  pour 
parrain  et  marraine;  Marie-Charlotte  fut  assistée  pendant  la  pieuse 
cérémonie  par  la  première  autorité  locale,  M .  Charles  Fleury ,  maire 
de  Samois,  et  par  madame  Florentine  Brou,  née  Aliène. 

Le  ministre  du  culte,  fut  par  délégation  de  monseigneur  l'évêque 
de  Meaux,  M.  Charpentier,  archiprêtre,  chanoine  honoraire  et  curé 
de  Fontainebleau,  auquel  sont  venus  prêter  leur  concours  MM.  Ca- 
valier, GilletdeKervéguen,  GlésetCahès,  — des  noms  bien  connus 
de  nous. 

Cloche  de  Bois-le-Roi,  cloche  dévastée,  portant  les  traces  de  la 
persécution  ou,  du  moins,  d'une  émigration  pendant  laquelle  elle 
aura  beaucoup  souffert,  et  aura  été  mise  tellement  à  l'étroit  dans 
sa  cachette  ,  qu'elle  n'a  pu  être  ramenée  au  grand  jour  en 
son  entier. 

Ce  n'est  pas  le  seul  exemple  d'émigration,  d'emprisonnement, 
que  nous  pourrions  présenter  ;  une  cloche  d'un  arrondisse- 
ment voisin  a  passé  le  temps  de  la  Terreur  sous  les  eaux  de  la 
Seine.  Quand  les  temps  plus  heureux  reparurent ,  ceux  qui  lui 
avaient  choisi  cet  asile  la  ramenèrent  en  triomphe,  mais  elle 
avait  tant  souffert  que  sa  voix,  par  suite  d'une  fêlure  irréparable, 
n'a  jamais  reconquis  la  pureté  de  son  timbre. 

La  cloche  de  Bois-le-Roi  a  éprouvé  sur  sa  patte,  ou  bord  infé- 
rieur, plusieurs  pertes  de  substance  considérables;  le  large  cordon 
qui  couronne  le  limbe,  sur  lequel  sans-doute  étaient  inscrits  le 
nom  du  fondeur  et  le  lieu  de  sa  provenance,  est  presque  totalement 
effacé;  le  Christ  et  la  Vierge  qui,  de  chaque  côté,  ornaient  sa  sur- 
face, ne  présentent  plus  qu'un  relief  indistinct;  à  peine  aperçoit-on 
les  fleurs  de  lys  qui  enchatonnaient  les  bras  et  l'extrémité  supé- 
rieure de  la  croix  du  Christ. 


—  94  — 

Aussi,  n'est-ce  pa  sans  hésitation  que  je  donne  comme  lui  appar- 
tenant l'extrait  de  baptême  relevé  dans  les  actes  de  la  paroisse. 

((  Ce  jourd'hui,  21  décembre  1790,  la  seconde  cloche  de  cette 
église  a  été  bénite  par  nous  prêtre,  curé  de  cette  paroisse,  et  nom- 
mée Louise-Marie,  parmessire  Louis-Victor-HippolyteLuce,  comte 
de  Mont-morin,  maire  de  Fontainebleau,  maître  particulier  des 
eaux  et  forêts,  colonel  du  régiment  de  Flandre  etc. ,  et  Louise- 
Angélique-Jean-BapListe  Dezonance  de  Grigny,  femme  de  François 
Menon,  comte  de  Menon,  maréchal  des  camps  et  armées  du  roi, 
commandant  de  l'ordre  de  Saint-Lazare,  parrain  et  marraine  ;  les- 
quels n'ayant  pu  se  trouver  à  la  bénédiction  de  ladite  cloche,  ont 
été  représentés  par  messire  François-Pierre  Gillet  de  La  Renom- 
mière,  chevalier  de  Saint-Louis,  major  d'infanterie,  commandant 
en  second  de  la  garde  nationale  de  Fontainebleau  et  lieutenant  des 
chasses,  qui  a  répondu  au  nom  de  messire  de  Mont-morin,  et 
par  M"^  Anne-Geneviôve-Pétronille  de  La  Renommière,  sa  fille, 
qui  a  répondu  au  nom  de  madame  de  Menon. 

((  La  dite  bénédiction  faite  en  présence  du  plus  grand  nombre  des 
habitants  de  la  paroisse  et  nommément  de  MM.  Gaspard-François 
Gobaut ,  électeur  ;  Adrien-Claude  Girardot,  commandant  de  la 
garde  nationale  de  ladite  paroisse;  Joseph  Gonin,  maire  de  cette 
paroisse;  Sébastien  Dagneau,  marguillier  ;  Jean  Varly,  officier 
municipal;  Augustin  Lcfèvre,  greffier  de  la  municipalité,  qui  ont 
signé  ainsi  que  M.  et  M""  de  La  Renommière  ,  représentant  M.  lu 
parrain  et  M"""  la  marraine  de  ladite  cloche,  et  MM.  les  curés  de 
Chartrettes  et  de  Samois. 

((  Signé  :  Gillet  de  La  Renommière;  Pétronille  de  La  Renommière; 
Girardot;  Gobaut;  Gouin  :  CahouëL,  curé  de  Chartrettes;  Nègre, 
prieur  de  Samois,  et  Aide,  curé  de  Bois-le-Roi.  » 

Tels  sont,  messieurs,  les  renseignements  que  j'ai  pu  me  pro- 
curer sur  les  cloches  de  Fontainebleau.  Je  ne  suis  pas  le  dernier 
h.  m'apercevoir  combien  ils  s'éloignent  de  la  précision  que  réclame 
toute  étude  archéologique  ;  l'étude  des  cloches  demande  bien 
d'autres  appréciations.  Un  intérêt  plus  précieux  que  celui  que  je 
vous  ai  exposé,  consisLerail  iï  envisager  les  cloches  au  point  de 
vue  de  leur  métallurgie,  de  leur  harmonie  musicale.  D'autres  le 
feront  mieux  que  Je  ne  pourrais  le  faire  sans  doute.  Sachez-moi 
gré  seulement  aujourd'hui  d'être  monté  aussi  haut  que  j'ai 
pu  monter. 


—  95 


NOTICE  HISTORIQUE  ET  DESCRIPTIVE 

Sur  d'anciennes  peintures  de  la  chapelle  Notre-Dame-du-Chevet,  dans  la  Cathédrale 

de  Meaux, 

Découvertes  en  septembre  1863. 

PAR      M.      l'abbé      F.  -a.    DENIS, 
Membre  fondateur  (Section  de  Kleaiix). 


Les  travaux  entrepris  pour  la  restauration  des  chapelles  absi- 
dales  de  notre  cathédrale  depuis  le  mois  de  juillet  1857,  ont  mis  à 
jour  d'anciennes  peintures  cachées  sous  un  enduit  de  plâtre  ou 
sous  des  boiseries.  Déjà,  le  Journal  de  Seine-et-Marne  a  entretenu 
ses  lecteurs  du  sujet  de  celles  qui  ornaient  les  deux  chapelles 
du  nord,  et  également,  mais  avec  plus  de  détails,  de  celles  des 
chapelles  du  midi  (1).  Quant  à  la  chapelle  centrale,  autrement 
dite  Notre-Dame-du-Chevet,  nous  ne  voyons  pas  que  les  fresques 
dont  elle  était  primitivement  décorée,  et  qui  n'ont  été  mises  en 
lumière  qu'en  septembre  1863  ,  aient  été  signalées  à  l'attention 
publique.  Je  sais  qu'elles  ont  excité*  l'intérêt  de  plusieurs  amateurs 
distingués  ;  mais  jusqu'ici,  elles  n'ont  pas  été  décrites.  Elles  le 
méritaient  cependant.  Une  partie  même  eut  dû  être  relevée  et  re- 
produite, sinon  par  la  peinture  au  moins  par  un  dessin  quel- 
conque. Elles  étaient  plus  anciennes  que  celles  des  autres  cha- 
pelles, leur  exécution  avait  été  beaucoup  mieux  soignée,  et  enfin 
nous  avons  des  renseignements  précis  sur  leur  époque.  Les  anna- 
listes Janvier  et  Rochard  (2),  dans  leurs  manuscrits,  aussi  bien 
que  Dom  Duplessis  (3),  dans  son  histoire  imprimée,  ont  men- 
tionné ces  fresques.  L'ensemble  des  onze  tableaux,  ou  environ, 
qu'elles  comprenaient  formait  un  tout  complet,  une  sorte  de  gra- 
cieux poëme,  destiné  à  rappeler  les  premiers  traits,  les  premiers 
mystères  de  la  vie  de  Marie.  Il  est  vrai  qu'une  grande  partie  de 

(1)  Voir  l'article  du  n"  du  3  août  1861,  intitulé  :  Travaux  de  la  Cathédrale. 
(2'>  Claude  Rochard,  Mémoires  'sur  l'Histoire  et   les  antiquités  de  la    ville  de 
Meaux,  tome  1.  p.  53. 
(3)  Uoin  Toussaint  Duplessis,  Histoire  de  l'Église    de  Meaux,  tome   I,    p.   303 


—  OG  — 

ce  beau  travail  avait  été  profondément  altérée.  Toutefois,  les  mor- 
ceaux qui  en  étaient  restés  laissaient  deviner  ce  qu'il  devait  être 
dans  son  état  primitif,  et  même  deux  dessins  pouvaient  être  étu- 
diés dans  la  plupart  de  leurs  détails.  Tout  annonçait  l'œuvre 
d'un  artiste  éminent  de  la  fin  du  xv^  siècle. 

Il  fallait  se  hâter,  pour  saisir  l'ensemble  de  ces  peintures  et  en 
étudier  les  parties  encore  conservées.  Cachées  sous  de  grandes 
boiseries,  le  défaut  d'air  avait  maintenu  les  murailles  dans  un  état 
constant  d'humidité;  mais  bientôt  la  chaleur  extérieure  et  la  pous- 
sière allaient  les  envahir  :  puis  le  marteau  en  faisait  disparaître 
la  plus  grande  partie. 

La  chapelle  de  la  Sainte-Vierge  forme  le  sommet  du  plan  de  la 
cathédrale  et  elle  est  nommée,  pour  cette  raison,  la  chapelle  du 
Chevet.  Elle  présente  le  même  genre  de  construction  et  la  même 
dimension  que  les  autres  chapelles,  dont  deux  sont  situées  à  sa 
droite  et  deux  à  sagauche;  celles-ci,  avec  elle,  constituent  la  grande 
abside  du  monument.  On  peut  considérer  chacune  d'elles  comme 
une  petite  abside,  ou  absidiole.  Leur  plan  est  très-simple  : 
quatorze  arcatures  saillantes  terminées  en  haut  par  une  pointe 
ogivale  se  détachent  sur  le  soubassement  de  la  muraille  et  y 
régnent  circulairement,  suivant  le  dessin  que  présente  la  construc- 
tion ;  elles  sont  réunies  deux  à  deux  entre  huit  colonnettcs  assez 
grosses,  qui  profilent  depuis  le  sol  de  la  chapelle  jusqu'au  rond 
point  de  la  voûte.  C'est  ainsi  que  ces  arcades  géminées  corres- 
pondent aux  doubles  lancettes  des  cinq    verrières  et  des  deux 

fausses  verrières  qui  les  surmontent.  Tout  ce  travail  architec- 

* 

tural  est  de  la  fin  du  xiii"  siècle  ou  du  commencement  du  xiv**  (1). 
La  double  arcade  placée  près  de  l'autel,  du  côté  de  l'épitre,  avait 
été  disposée  pour  servir  de  piscine.  Elle  offrait,  il  est  vrai,  la 
même  construction  que  les  autres  :  mais  tout  en  conservant 
par  devant  la  forme  géminée,  on  avait  creuse  dans  le  mur  une 
arcade  unique  qui  présentait  une  certaine  profondeur.  Cette  dis- 
position ménagée  dans  un  but  d'utilité  était  assez  ingénieuse. 
Les  arcades  qui  avoisinent  l'autel  de  Saint-Eloi,  près  la  petite 
porte,  sont  une  imitation  de  ce  genre  de  travail,  avec  cette  dif- 
férence que  la  piscine  est  double.  Plus  tard  ,  sans  doute  au 
xvii*^  siècle,  lors  de  la  première  restauration  des  ornements  de 


(1)  Co  ne  fut  que  dans  le  courant  du  xiV  siècle  que  les  architectes  donnèrent 
plus  de  pruibudeur  à  la  chapelle  qui  formait  le  chevet  des  églises.  Nous  en  avons 
un  exemple  à  Nangis. 


—  1)7   — 

cette  chapelle ,  on  trouva  que  cette  arcade  intérieure  était  trop 
vaste  ;  elle  fut  réduite  aux  proportions  d'une  seule  arcade  exté- 
rieure, celle  de  droite  (1);  en  même  temps,  le  niveau  du  sol 
ayant  été  probablement  exhaussé,  la  pierre  qui  servait  d'appui  et 
qui  avait  été  creusée  au  milieu,  en  forme  de  vase  quadrilobe,  avec 
conduit  pour  l'écoulement  des  eaux,  dut  s'élever  davantage.  Il 
était  facile  de  remarquer  tout  au  bas  de  l'arcade  en  question,  une 
rigole  taillée  dans  une  pierre  ;  cette  rigole  correspondait  au  con- 
duit dont  nous  parlons  ;  l'eau  se  perdait  sous  le  dallage. 

Dans  la  double  arcade  qui  suivait  celle-ci,  vers  la  gauche,  au 
fond  de  îa  chapelle,  la  colonnette  du  milieu  avait  disparu,  aussi 
bien  qu'un  des  côtés  de  l'ogive  qui  la  surmontait.  Dans  quel  but 
avait  été  opérée  cette  destruction,  cette  sorte  de  vandalisme,  pour- 
rait-on dire  ?  Le  voici  :  au  siècle  dernier  ,  quand  la  chapelle  reçut 
ces  grandes  boiseries  de  salon  que  nous  avons  vu  régner  jusqu'en 
1863,  on  avait  pratiqué  un  escalier  secret  en  forme  d'échelle  de 
moulin  pour  parvenir  jusqu'à  l'extrémité  supérieure  du  rétable, 
c'est-à-dire  jusqu'à  la  niche  qui  renfermait  la  chasse  de  Saint- 
Fiacre.  Cette  niche,  très-élevée,  servait,  comme  on  a  pu  le  remar- 
quer, de  couronnement  à  tout  cet  édifice  de  boiseries. 

Il  faut  encore  signaler  la  disparition  de  deux  fûts  ou  colon- 
nettes  à  la  deuxième  arcade  du  côté  nord.  Les  autres  détails  d'ar- 
chitecture de  cette  chapelle  n'étaient  point  endommagés.  Nous 
avons  remarqué  plusieurs  chapiteaux  dont  la  peinture  était  d'une 
conservation  parfaite. 

Or  les  tableaux  qui  vont  nous  occuper,  se  suivaient  en  allant  de 
gauche  à  droite  sur  la  muraille  semi-circulaire  jusqu'à  la  piscine  : 
il  y  avait  probablement  un  sujet  distinct  pour  chaque  arcade  qui 
était  peinte  de  haut  en  bas.  Les  colonnettes  et  les  ogives  qu'elles 
supportaient  étaient  également  décorées.  Ainsi,  les  fûts  étaient 
marqués  d'un  rouge  foncé  ;  aux  bases  et  aux  chapiteaux  on  avait 
appliqué  une  dorure  sur  un  fond  de  vermillon.  Entre  les  ogives, 
sous  le  bizeau  saillant  du  bas  des  fenêtres,  étaient  peintes  des  dra- 
peries fleuronnées.  Cette  sorte  de  dessin  servait  d'encadrement 
aux  divers  sujets,  ainsi  qu'une  bordure  de  teinte  un  peu  foncée 
qui  figurait  au  bas  des  arcatures.  Seule,  la  double  arcade  servant 
de  piscine  et  qui^  comme  nous  l'avons  dit,  était  placée,  la  seconde, 
du  côté  sud,  ne  portait  la  marque  d'aucune  couleur. 

(1)  Ce  changement  tenait  à  la  nouvelle   rubrique  adoptée  depuis  cette  époque: 

e  prêtre  n'alla  plus  comme  autreTois,  après  la  cù.uuiunionj  se  laver  les  mains    dans 
a  piscine. 

7 


—  98  — 

De  temps  immémorial,  ]e  vocable  principal  de  notre  chapelle  (J) 
était  la  Conception  de  la  sainte  Vierge  ;  aussi  le  sujet  des  compo- 
sitions est  emprunté  à  la  première  partie  de  la  vie  de  Marie.  Oh 
était  placé  le  sujet  dominant,  celui  qui  rappelait  le  mystère  de  la 
Conception?  c'est  ce  qu'il  a  été  difficile  de  découvrir,  d'autant 
plus  que  les  deux  arcades  du  fond  étaient  entièrement  effacées. 

La  première  arcade  du  côté  septentrional  de  la  chapelle  laissait 
voir  encore  quelques  traits  d'un  personnage  que  nous  n'avons  pu 
déterminer  ;  il  portait  un  vêtement  de  couleur  verte.  Le  sol  sur 
lequel  posaient  ses  pieds  était  formé  par  un  grand  nombre  de  pe- 
tits carrés  inscrits  dans  un  autre  plus  grand  de  même  forme,  mais 
d'une  seule  pièce.  Au  bas  paraissait  une  légende,  composée  de 
deux  vers  en  minuscules  gothiques;  il  n'a  été  possible  de  lire  que 
ces  mots  : 

Cy  est....  de  Joachim. 
Marie  sa  fille 

Peut-être  le  personnage  en  question  était-il  saint  Joachim,  père 
de  la  Sainte-Vierge. 

L'arcade  suivante  porte  aussi  la  trace  d'une  légende,  mais  rien 
n'a  pu  être  déchiffré. 

Dans  la  cinquième  ,  figure  un  personnage  portant  un  nimbe 
rouge  :  le  fond  du  tableau  est  vert. 

La  sixième  était  assez  bien  conservée  ;  l'archange  Gabriel  nimbé  de 
rouge  avec  des  ailes  bleues,  est  à  gauche  et  se  présente  à  la  Sainte 
Vierge  qui  est  h  droite.  Celle-ci  se  tient  à  genoux  dans  une  attitude 
d'étonnement;  elle  a  le  nimbe  rouge  et  le  manteau  bleu.  Entre 
les  deux  personnages  s'élève  en  flottant  une  banderolle  de  couleur 
blanche,  sur  laquelle  sont  écrits  ces  mots  :  Ave  Maria,  Dniis  tecum. 
Plus  haut  dans  l'ogive  do  l'arcade,  le  soleil  placé  un  peu  à  gauche 
étincelle  de  feux,  au  milieu  d'un  ciel  rouge. 

Examinons  présentement  la  dernière  arcade,  celle  qui  est  à  l'en- 
trée du  côté  sud  de  la  chapelle. 

Quoique  cette  arcade  soit  encore  conservée,  puisqu'elle  est 
placée  au-dessous  de  la  lausse  fenêtre  et  qu'elle  appartienne  ?i  la 
muraille  qui  n'était  pas  sujette  à  une  reconstruction  ,  néanmoins 

(1)  C'était  bien  le  titre  de  !a  première  chapellenie  :  il  y  avait  encore  deux  autres 
bcinTices  affectes  à  l'autiil  di;  celle  chapelle  :  tous  deux  étaient  sous  le  vocable  de 
la  décollation  de  Saint-Jean-Baptisto. 


—  99  — 

depuis  deux  ans  et  demi  qu'elle  a  été  découverte,  les  couleurs 
semblent  avoir  disparu  ;  c'est  à  peine  si  l'on  peut  encore  recon- 
naître l'ensemble  de  la  scène.  Mais  au  moment  de  l'enlèvement 
des  boiseries ,   il  était  bien  facile  d'en    saisir  presque    tous  les 
moindres  détails.  Nous  nous  plaisons  h  décrire  ce  tableau  ;  on 
comprendra  plus  loin  qu'il  mérite  de  l'intérêt  à  plus  d'un  titre  : 
Il  s'agit  de  l'Adoration  des  rois  Mages  :  la  sainte  Vierge  est 
assise  sur  un  trône  ;  elle  porte  sur  les  épaules  un  ample  manteau 
bleu  avec  des  galons  d'or  et  sur  la  tête  une  couronne  nimbée.  Sur  le 
bras    gauche  elle  tient  l'enfant   Jésus ,  également  couronné  et 
nimbé.  Ici,  le  nimbe  est  crucifère;  c'est  l'attribut  distinctif  du 
Dieu-Rédempteur.  Jésus  plonge  les  deux  mains  dans  un  vase  d'or 
à  pied;  ce  vase  a  la  forme  d'un  large  calice  ou  ciboire  orné,  sur  la 
coupe  et  sur  le  pied^,  de  longues  saillies  ou  côtes  perpendiculaires. 
Ce  genre  de  décoration  indique  bien  le  style  du  xiv^  siècle.  Les 
pièces  d'or  qui  remplissent  le  vase  sont  placées  sur  champ.  Le 
Mage  qui  offre  ce  présent  est  à  genoux  ;  il  a  déposé  sa  couronne, 
il  est  revêtu  d'un  manteau  rouge  avec  de  larges  bandes  ou  orfrois 
tissus  d'or  et  sur  lequel  se  jouent  de  gracieuses  volutes  ou  enrou- 
lements plus  ou  moins  fortement  nuancés. 

Les  deux  autres  Mages,  debout  à  la  droite  du  premier  et  plus 
jeunes  que  lui,  sont  d'une  belle  taille.  Ils  sont  couverts  de  riches 
vêtements  relevés  par  une  ceinture  ;  leurs  têtes  portent  des  cou- 
ronnes de  haute  forme  et  pointues  à  leur  extrémité  supérieure  ;  à 
ces  divers  traits,  on  reconnaît  des  princes  orientaux.  Les  vases 
qu'ils  portent  à  la  main  sont  fermés  et  de  plus  petite  dimension 
que  celui  qui  renferme  l'offrande  de  l'or  :  cependant,  ils  sont  de 
même  style.  Au  fond  du  tableau  apparaît  la  tête  de  différents  per- 
sonnages ;  ils  prennent  part  à  cette  scène  dont  le  dessin  est  si  bien 
touché  et  dont  l'ensemble  est  si  gracieux.  Des  feuilles  vertes  de 
palmier  sont  jonchées  sur  le  sol  au  pied  des  adorateurs. 

Le  ton  des  couleurs,  le  mouvement  donné  aux  principaux  ac- 
teurs de  cette  scène,  la  dignité  imprimée  sur  les  traits  de  la  sainte 
Vierge,  la  grâce  et  la  joie  qui  respirent  dans  le  Dieu-enfant,  tout 
révèle  le  travail  soigné  en  môme  temps  que  la  touche  d'an  artiste 
éminent. 

Mais  c'est  le  portrait  du  premier  Mage,  de  celui  qui  fait  Tof- 
frande  de  l'or  que  l'artiste  s'est  appliqué  à  représenter  ;  c'est  ce 
personnage  qui  semble  avoir  été  l'objet  d'une  étude  spéciale.  Ce 
Mage  est  plus  âgé  que  ses  compagnons.  Ses  joues  sont  colorées, 
son  œil  bleu  est  à  la  fois  doux  et  animé  ;  son  front  est  entièrement 


_  100  — 

chauve;  ses  traits  sont  empreints  d'une  grande  finesse;  il  porte 
une  longue  barbe  de  couleur  blonde  ;  c'est  un  peu  le  portrait  de 
saint  François  de  Sales,  sauf  que  le  front  est  moins  élevé  et^iuele 
menton  est  moins  large  ;  toute  cette  figure  d'un  personnage  qui 
agit  et  semble  parler  en  même  temps  est  vraiment  bien  touchée. 

Je  ne  crois  pas  me  tromper  en  découvrant,  dans  ce  premier 
Mage,  l'évêque  de  Meaux  (l-4o8-'1473),  Jean  du  Drac  qui  fit  exé- 
cuter les  peintures  de  cette  chapelle.  Voici  les  motifs  qui  semblent 
autoriser  cette  opinion  ;  c'est  d'abord  le  soin  particulier  avec 
lequel  ce  tableau  a  été  exécuté.  Si  nous  établissons  une  compa- 
raison entre  celui-ci  et  tout  ce  qui  nous  a  été  conservé  des  autres, 
nous  devons  reconnaître  que  l'adoration  des  Mages  présente 
une  facture  plus  soignée  ;  l'attention  de  l'artiste  s'est  portée 
spécialement  sur  jle  premier  Mage  et  le  vêtement  qu'il  porte  est 
évidemment  une  chape  d'église.  De  plus,  l'emplacement  adopté 
pour  cette  peinture  qui  se  trouvait,  la  première  à  l'entrée  de  la 
chapelle,  du  côté  droit,  n'avait-il  pas  été  choisi  avec  intention  ? 
Car  en  observant  l'ordre  de  la  galerie,  on  remarque  que  ces 
tableaux  se  suivaient  en  commençant  par  la  gauche  ;  c'était 
d'ailleurs  l'ordre  naturel.  Or,  ici  se  présente  une  inversion. 
L'arcade  qui  précède  et  dont  nous  n'avons  pas  encore  parlé 
contient  des  armoiries  et  une  légende,  qui  sont  là  comme  une 
suite,  comme  une  dépendance  du  tableau  de  l'Adoration  des 
Mages  et  qui  sont  destinées  à  le  compléter.  Le  premier  Mage 
étant  à  genoux  tourné  vers  l'orient,  il  en  résulte  que  les  armoi- 
ries qui  figurent  dans  l'arcade  suivante  sont  devant  lui  et  à  ses 
pieds  et  qu'elles  servent  à  le  désigner  personnellement.  Ce  rap- 
prochement est  d'une  grande  valeur  ;  c'est  un  indice  qui  fournit 
un  degré  puissant  de  présomption,  nous  pourrions  dire  de  certi- 
tude en  faveur  de  notre  sentiment.  Ces  armoiries  étaient  écar- 
telées  au  premier  et  au  quatrième  des  du  Drac,  d'or  au  dragon 
de  sinople,  au  deuxième  et  troisième  des  vicomtes  d'Aï  ;  on  ne 
distinguait  que  la  couleur  de  ce  dernier  écu;  il  est  de  sinople. 
Jacqueline  ou  Jacquette  d'Aï,  dernière  héritière  des  vicomtes  de 
ce  nom  était  mère  de  l'évoque  de  Meaux. 

Une  légende  était  placée  au-dessus  des  armoiries,  nous  n'avons 
pu  lire  que  le  mot  terra,  à  la  fin  d'une  ligne  et  les  mots  per  quem 
meruitau.  commencement  de  la  ligne  suivante,  tout  le  reste  avait 
disparu. 

Jean  Meunier,  prédécesseur  de  Jean  du  Drac  (14-47-1458),  sur 
le  siège  de  Meaux  avait  doté  la  cathédrale  de  riches  tapisseries 


—  101  — 

de  Flandre.  Sur  l'une  des  pièces  était  représenté  le  couronnement 
de  la  Vierge  par  Dieu  le  père  et  Dieu  le  fils  ,  au  milieu  d'un 
groupe  d'anges.  Au  bas,  figurait  le  prélat  à  genoux  et  les  mains 
jointes  ;  à  ses  pieds  Técusson  de  ses  armoiries.  N'est -il  pas  per- 
mis de  croire  que  du  Drac  ait  voulu  être  représenté  mais  d'une 
façon  plus  discrète  et  plus  délicate  dans  ces  peintures  dues  à  sa 
pieuse  libéralité ,  ou  mieux,  n'est-ce  pas  là  le  caprice  intéressé 
d'un  artiste  qui  voulait  laisser  un  hommage  à  l'évèque  en  perpé- 
tuant son  souvenir  ?  Cette  idée  de  représenter  un  donateur  sous  la 
transparence  d'un  personnage  biblique  qui  offre  des  présents  à 
Dieu,  ne  s'est-elle  pas  souvent  rencontrée  à  l'époque  dont  nous 
parlons.  Avouons  qu'aucune  scène  de  l'histoire  évangéliquo  ne 
pouvait  se  prêter  plus  heureusement  à  la  flatterie  ingénieuse  du 
peintre. 

Il  faut  reconnaître  qu'aucun  autre  de  nos  anciens  prélats 
n'eut  peut-être  autant  de  droits  que  Jean  du  Drac  à  vivre  dans  la 
mémoire  de  la  postérité;  il  compte  parmi  les  bienfaiteurs  insignes 
de  notre  belle  cathédrale  (1).  Héritier  de  grands  biens,  entre 
autres  de  la  seigneurie  de  Glaye  dont  il  rebâtit  le  château,  il  s'ap- 
pliqua ,  comme  ses  prédécesseurs  et  dans  des  conditions  plus 
larges,  à  réparer  les  désastres  que  la  funeste  invasion  des  Anglais 
avait  causés  à  la  cathédrale.  On  lui  doit  la  restauration  des  piliers 
de  la  grande  nef.  Sur  l'un  de  ces  piliers  sont  sculptés  deux  dra- 
gons grimpants  ;  il  fit  poursuivre  activement  les  travaux  de  la 
grande  tour.  Mais  la  chapelle  du  Chevet,  Notre-Dame  de  la  Con- 
ception fut  l'objet  privilégié  de  sa  dévotion  et  de  sa  munificence. 
Un  titre  bénéficiai  de  chapelain  fut  fondé  par  lui  pour  y  célé- 
brer la  messe  non  pas  tous  les  jours ,  comme  le  dit  Dom  du 
Plessis  (2),  mais  tous  les  lundis  de  l'année  :  c'était  pour  le  repos 
de  son  âme;  il  y  fut  inhumé  suivant  le  désir  exprimé  dans  son 
testament. 

Les  travaux  que  l'on  vient  d'exécuter  pour  la  reprise  des  fonda- 
tions de  cette  chapelle  ont  amené  la  découverte  de  trois  tombes 
maçonnées;  on  a  recueilli,  auprès  des  squelettes,  différents  vases, 
tels  qu'on  en  plaçait  encore  au  xv''  siècle  dans  les  cercueils  ;  ils 
étaient,  suivant  l'usage,  remplis  de  charbons;  mais  aucun  orne- 
ment, aucun  attribut  n'a  pu  faire  distinguer  le  corps  de  l'évêquc 


(1)  Voir  Dûin  du  Plessis,   Histoire    de  l'église  de    Mcaux.    tome    I.  i 
l'Essai  historique  et  archéologique    sur  Pecy,  p.  93  et  G4, 

(2)  Voir  l'endroit  cité  plus  haut. 


—  102  — 

Jean  du  Drac.  On  n'a  pas  reconnu  davantage  celui  d'un  célèbre 
chanoine,  Juste  Tenelle,  mort  dans  le  siècle  suivant.  Montaigne, 
dans  le  Journal  de  son  Voyage,  raconte  qu'en  passant  à  Meaux,  il 
visita  ce  personnage ,  l'un  des  plus  savants  hellénistes  de  son 
temps.  Il  avait  été  envoyé  en  Orient,  par  François  I",  et  il  en  rap- 
porta un  grand  nombre  de  manuscrits  grecs. 

On  demandera  peut-être  à  quelle  époque  furent  endommagées 
ces  riches  peintures  dont  nous  venons  de  parler? 

Les  divers  historiens  de  notre  ville  nous  racontent  que 
l'année  1562  ,  le  25  juin,  la  cathédrale  fut  pillée  par  les  Réformés 
et  livrée  à  une  complète  dévastation.  Un  grand  nombre  d'objets 
d'art  et  d'ornements  précieux  périrent  dans  le  désastre  ;  il  fallut 
plus  d'un  siècle  pour  en  effacer  les  traces. 

En  l'année  1661,  Dominique  de  Ligny,  évêque  de  Meaux  s'oc- 
cupa de  décorer  la  chapelle  du  Chevet  (1);  mais  ce  fut  sous  l'in- 
fluence des  idées  artistiques  qui  régnaient  à  cette  époque.  Le  se- 
cret de  la  peinture  cultivée  au  xv^  siècle,  était  perdu  comme  celui 
de  l'architecture  ogivale.  Au  reste,  cette  restauration  paraît  avoir 
été  entreprise  dans  des  proportions  assez  restreintes.  Un  tableau 
de  l'Annonciation,  copié  de  Stella  (2),  d'autres  disent  de  Se- 
nelle  (3),  et  que  l'on  conserve  à  la  cathédrale,  est  signalé  comme 
l'ornement  principal  qui  figura  dans  la  chapelle.  Il  était  réservé 
au  siècle  suivant  (1755),  de  lui  donner  une  décoration  plus  com- 
plète et  plus  grandiose.  Celle-ci,  opérée  à  grands  frais,  devait  en- 
core moins  s'harmoniser  avec  le  style  de  l'édifice.  Le  sol  de  la  cha- 
pelle fut  exhaussé;  de  grandes  boiseries  de  salon  couvrirent  toutes 
les  murailles  jusqu'à  la  naissance  des  verrières,  et  un  immense 
rétable  se  dressa  en  pyramide  derrière  l'autel  (4).  11  fallait  donc 
qu'une  reconstruction  de  la  chapelle  fît  tomber  toutes  ces  boiseries 
et  nous  révélât,  au  moins  durant  quelque  jours,  des  fragments  de 
peintures  si  dignes  d'intérêt. 


(1)  Voir  Dom  du  Plessis,  Histoire  de  l'église  de  Meaux,  tome  1.  p.  305. 

(2)  Idem,  au  même  endroit. 

(3)  Voir  Rochard,  Mémoires  citô  plus  haut  tome  I.  p.  68. 

(4)  En  Ijlàmant  cette  ornementation  de  la  chapelle,  exécutée,  il  y  a  un  siècle, 
nous  ne  la  considérons  qu'au  point  de  vue  de  l'architecture  de  notre  cathédrale.  Re- 
lativement à  son  époque,  c'était  une  œuvre  assez  remarquable  :  elle  avait  l'avan- 
tage de  s'accorder  avec  les  autres  décorations  du  même  genre,  alors  multipliées 
dans  cet  édifice.  La  niclie,  qui  reniermait  la  belle  statue  de  marbre  d'une  vîergo- 
mère  dominait  le  maltre-autel  de  façon  à  être  aperçue  toute  entière  du  fond  de 
l'église. 


—  103    - 

Qu'il  me  soit  permis,  en  finissant,  de  formuler  une  expression 
d'espérance.  Déjà  uîie  intéressante  restauration  rend  à  nos  cha- 
pelles absidales  toute  la  beauté  de  l'architecture  primitive,  toute 
la  perfection  de  ses  détails.  De  riches  et  gracieuses  verrières  s'a- 
joutent à  des  travaux  habilement  conduits, 

Pourquoi  la  peinture  ne  viendrait-elle  pas  compléter  cette  sorte 
de  résurrection?  Pourquoi  des  fresques  ne  reproduiraient-elles 
pas,  dans  les  nouvelles  arcades,  les  traits  historiques,  les  mystères 
qui" figuraient,  si  à  propos,  dans  les  anciennes. 

Tant  de  patientes  recherches  ont  été  faites  de  nos  jours  pour 
retrouver  et  reproduire  les  œuvres  du  moyen-âge  !  Bien  des  fois 
déjà  ont  été  signalées  les  formes  diverses  sous  lesquelles  plusieurs 
artistes  anciens  traduisaient  les  histoires  sacrées.  Le  sujet  des 
mystères  de  la  Sainte  Vierge 'est  un  de  ceux  qui  furent  le  mieux 
étudié  et  le  plus  pieusement  retracé  au  temps  que  nous  rappelons. 
On  le  voyait  sculpté  aux  portes  des  cathédrales,  peint  aux  verrières 
des  fenêtres,  brodées  sur  les  tapisseries  et  les  ornements  d'église 
avec  les  variantes  que  le  génie,  propre  à  chaque  artiste,  savait  lui 
inspirer. 

Permettez-moi,  Messieurs,  d'ajouter  encore  un  mot.  Et  si  le 
vœu  que  j'émets  parvient  à  se  réaliser,  il  serait  encore  permis  au 
généreux  donateur  de  ces  tableaux  futurs,  quand  même  il  ne  se- 
rait pas  évêque  de  Meaux,  de  laisser  reproduire  son  portrait  sous 
la  figure  d'un  Mage  adorateur  ou  de  tout  autre  personnage  secon- 
daire soit  de  l'Ancien,  soit  du  Nouveau  Testament. 


NOTE  SUPPLÉMENTAIRE 

Au  Mémoire  Historique  et  Archéologique  sur  les  peintures  de  la  chapelle  Nolre- 
Dame-du-Chevet  dans  la  Cathédrale  de  Meaux. 

Vous  voudrez  bien.  Messieurs,  me  permettre  d'ajouter  un  mot 
au  mémoire  qui  vous  a  été  communiqué  à  la  séance  du  mois  de 
février  dernier.  Depuis  cette  époque,  me  trouvant  un  jour  à 
Paris,  j'allai  voir  chez  M.  Gurmer,  le  célèbre  libraire-éditeur  de 
livres  illustrés  :  Les  Heures  demaistre  Etienne  Chevallier^  qui  sont 
en  voie  de  publication.  Rien  de  plus  frais,  de  plus  pur,  de  plus 
splendide  que  ces  miniatures  coloriées  du  xV-'  siècle,  qui  sont 


—  104  — 

l'œuvre  d'un  grand  artiste,  d'un  peintre  français.  Ces  riches  des- 
sins appartiennent  à  la  même  époque  que  les  belles  peintures 
que  nous  regrettons.  Le  sujet  de  l'Adoration  des  Mages,  l'un  de 
ceux  qui  ont  paru,  est  d'une  noble  et  magnifique  conception.  De 
nombreux  personnages  figurent  dans  cette  scène  et  y  sont  grou- 
pés avec  art.  On  est  saisi  à  la  fois  et  de  l'éclat  du  coloris  et  du 
mouvement  donné  à  chacun  des  personnages.  Ici  le  principal 
adorateur,  celui  qui  présente  l'offrande  de  l'or  n'est  pas  même 
transparent  :  c'est  un  grand  seigneur  magnifiquement  habillé  h 
la  manière  de  son  époque  :  vêtements  courts  et  étroits.  Ne  devrait- 
on  pas  trouver  dans  ce  fait  une  nouvelle  preuve,  propre  à  faire 
reconnaître  l'évêque  Jean  du  Drac  dans  les  peintures  de  notre 
cathédrale.  Mais  alors  se  présente  une  autre  question  :  à  quel  ar- 
tiste devons-nous  attribuer  ces  peintures?  Sur  la  fin  du  règne  de 
Charles  VII  et  au  commencement  de  celui  de  Louis  XI,  il  n'est 
possible  de  distinguer  que  quatre  peintres  dont  les  noms  aient 
laissé  quelque  célébrité.  Guillaume  Jossequi  travailla  au  Louvre; 
Nicolas  Pion,  à  Saint-Germain-des-Prés  ;  Philippe  de  Foncières 
et  Jehan  Foucquet.  Ce  dernier,  né  à  Tours,  avait  étudié  à  Rome 
dans  sa  jeunesse.  Actif  et  laborieux,  il  put  dans  le  cours  d'une 
longue  vie  produire  un  grand  nombre  d'œuvres  remarquables. 
Sonnom  jusqu'à  nos  jours  était  à  peine  connu.  C'est  grâces  à  de 
patientes  recherches  que  l'on  a  découvert  qu'il  était  patronné  par 
Etienne  Chevalier,  de  Melun,  trésorier  général  de  France  sous 
Charles  VII  et  Louis  XI  et  favori  du  premier  de  ces  rois.  Fouc- 
quet composa  pour  ce  personnage  le  beau  livre  d'Heures  que  notre 
siècle  devait  voir  publier.  Louis  XI  le  nomma  son  peintre  en  titre 
d'office.  «  Le  premier,  dit  M.  Ch.  Louandre,  auquel  nous  em- 
))  pruntons  ces  détails,  il  forma  une  véritable  école,  et  en  mou- 
»  rant  il  laissa  deux  fils  qui  s'adonnèrent  également  à  la  pein- 
»  ture.  » 

C'est  à  Jehan  Foucquet  qu'il  faut  attribuer  deux  beaux  tableaux 
placés  autrefois  derrière  le  chœur  de  l'église  collégiale  de  Notre- 
Dame  de  Melun.  Aucun  doute  ne  peut  s'élever  désormais  à  ce 
sujet.  Or,  no  serait-il  pas  permis  d'attribuer  à  ce  grand  maître 
ou  du  moins  à  son  école  les  fresques  de  la  chapelle  du  chevet  de 
notre  cathédrale.  Voilà  l'hypothèse  que  je  me  permets  do  formuler , 
en  désirant  que  le  temps  et  les  heureuses  investigations  laites  par 
des  hommes  habiles  lui  donnent  de  la  n'alité. 


—  105  — 

UNE  FAMILLE  DE  PEINTRES  DU  ROI 

A   FONTAINEBLEAU. 

LES  DUBOIS  (XVI%  XVIP  ET  XVIIP  SIÈCLES) 

PAR    M.    TH.    LHUILLIER, 
Membre  fondateur  (  Section  de  llelun  )  Secrétaire  général. 


L 

Après  les  célébrités  italiennes  attirées  chez  nous  sous  le  règne 
de  François  P'',  et  qui  commencèrent  la  transformation  du  château 
de  Fontainebleau  ;  après  Léonard  de  Vinci ,  Andréa  del  Sarto, 
Serlio  de  Bologne,  Le  Rosso,  Nicolo  dell'  Abbate,  Le  Primatice, 
une  colonie  de  peintres  français,  admirateurs  de  cette  belle  époque, 
voulut  aussi  concourir  à  l'exécution  de  travaux  si  heureusement 
entrepris.  Roger  deRogery,  Bunel,  Jean  de  Brie,  Blin  de  Fonte- 
nay,  Martin  Fréminet,  Dubreuil,  Lérambert,  Toussaint  Dumée, 
Vernausal,  Maugras,  s'y  succédant  presque  tous  de  père  en  fils, 
avaient  créé  à  Fontainebleau,  du  temps  de  Henri  IV,  une  seconde 
époque  de  peinture  toute  dilférenLe,  il  est  vrai,  de  la  première  et 
qui  resta  loin  derrière  elle. 

Tandis  que  Dubreuil  et  Fréminet  se  plaçaient  à  la  tête  de  cette 
école  française,  Ambroise  Dubois,  suivi  par  Jean  de  Hoëy  et  Paul 
Bril,  importait  au  milieu  d'eux  l'école  flamande  et  dotait  Fontaine- 
bleau de  remarquables  productions. 

Dubois,  originaire  d'Anvers,  devint  dans  sa  nouvelle  patrie  la 
tige  d'une  famille  heureusement  douée,  chez  laquelle  les  traditions 
d'honneur  et  de  loyauté  devaient  marcher  de  pair  avec  les  saines 
traditions  artistiques;  cette  famille,  alliée  aux  Fréminet,  aux 
Dupont  de  Gompiègne,  aiix  Dupont  de  Vieaxpont,  s'est  perpétuée, 
et  sa  descendance,  si  nous  sommes  bien  informés,  n'est  pas  éteinte 
autour  de  nous  (1). 

(1)  Les  principales  alliances  de  la  famille  Dubois  et  son  ancienneté  à  Fontaine- 
bleau se  trouvent  ronslatées  dans  une  inscription  tumulaire  du  cimetière  de  la  pa- 
roisse, rapportée  déjà  par  M.  l'abbé  Tisserand  ;  elle  est  ainsi  conçue  :  «  Ici,  près  de 


—  106  — 
IL 

La  naissance  d'Ambroi'se  Dubois  remonte  à  l'année  1543,  puis- 
qu'il avait  23  ans,  en  1368,  lorsqu'il  arriva  h  Paris.  On  ignore 
quel  avait  été  son  maître,  mais  déjà  le  jeune  artiste  possédait  un 
véritable  talent;  un  gracieux  portrait  de  femme,  dit-on,  le  fit 
apprécier  en  haut  lieu  et  lui  valut  l'honneur  de  travailler  au 
Louvre. 

Vers  1378,  il  épousa  la  fille  d'un  peintre  médiocre,  maintenant 
oublié,  Charles  de  Maugras,  également  occupé  lui-même  tantôt 
aux  travaux  de  Fontainebleau,  tantôt  à  ceux  du  Louvre. 

Ce  n'est  que  douze  ans  plus  tard,  vers  1390,  que  Henri  IV  ap- 
pela Ambroise  Dubois  h  Fontainebleau  (1). 

Le  moment  était  favorable.  Considérés  et  bien  traités  par  le  roi 
qui  aimait  leur  caractère,  les  artistes  le  sont  aussi  au  dehors  ;  ils 
s'identifient  à  cette  somptueuse  demeure  que  leur  talent  enrichit, 
ils  s'y  plaisent,  et,  renonçant  à  une  vie  en  quelque  sorte  nomade, 
ils  se  fixent  ici  d'une  manière  définitive.  La  plupart  d'entre  eux 
avaient  tout  à  gagner  à  se  faire  mieux  connaître,  dans  cette  exis- 
tence solitaire  et  laborieuse.  Les  familles  distinguées  de  la  ville 
les  recherchent  et  s'honorent  de  les  admettre  dans  leur  société; 
les  gens  titrés,  les  officiers  de  la  garde  du  roi,  le  prévôt  de  Fon- 
tainebleau les  choisissent  pour  tenir  leurs  enfants  sur  les  fonts  de 
baptême;  on  donne  de  préférence  h  ces  enfants  les  noms  des  maî- 
tres en  vogue  :  Roger,  Martin,  Claude,  Toussaint,  Ambroise; 
puis,  ces  fils  de  famille  s'unissent  aux  filles  des  peintres,  des  sculp- 
teurs, des  architectes,  des  jardiniers-ingénieurs  du  roi. 

Leur  bonne  renommée  les  fait  accueillir  avec  non  moins  de  fa- 
veur dans  les  paroisses  du  voisinage  ;  les  peintres  et  les  tailleurs 


son  père  Antoine  Dupont  de  Compiègne,  de  sa  mère  Louise  Dubois  de  Fréminet, 
de  son  frère  Henri  Dupont  de  Compiès'ne,  de  sa  sœur  et  de  ses  autres  parents,  re- 
pose le  corps  d'Af,4aé  Dupont  de  Compiègne,  noble  rejeton  d'une  famille  qui  édifie 
notre  ville  depuis  350  ans  par  sa  fidélité  à  Dieu  et  au  roi.  —  Deion  timere  regern 
honorifxcnte.  » 

Les  Dubois  se  sont  distingués  par  leur  générosité  envers  l'Iiospice  de  Fontaine- 
bleau. En  1724,  madame  Jean  Dubois,  née  Tiron,  donnait  3,000  livres  à  cet  éta- 
lilissement,  et  tout  récemment  encore,  en  1839,  madame  de  Lagorsse,  née  Dubois 
d'Arneuville,  laissait  117,000  fr.  pour  fonder  à  l'hospice  un  service  de  maternité, 
à  charge  d'une  pension  vi.igère  envers  madame  de  Maugras. 

(1)  Il  fut  installé  dans  U-  pavillon  situé  à  l'angle  nord  de  la  cour  des  cuisines,  au 
deuxième  étage. 


—  107  — 

d'images,  —  comme  l'a  remarqué  M.  l'abbé  Tisserand  (1),  — 
ornent  les  petits  châteaux,  à  temps  perdu,  ou  décorent  les  églises 
de  villages  en  dînant  joyeusement  avec  le  curé. 

C'est  ainsi  que  le  château  de  Fleury-en-Bierre,  bâti  par  Pierre 
Lescot,  fut  enrichi  de  peintures  du  Primatice;  que,  plus  tard,  Fré- 
rainet  exerça  son  pinceau  à  Saint-Ange,  à  Barbeau ,  et  qu'Am= 
broise  Dubois  ébaucha  dans  la  modeste  église  de  Saint-Martin-en- 
Bierre  des  fresques  aujourd'hui  perdues  par  l'humidité  et  le 
mauvais  état  de  l'édifice. 

En  1595,  à  la  naissance  de  son  fils  Jean,  Dubois  prend  sur  les 
registres  paroissiaux  d'Avon  la  qualité  de  peinlre  du  ro«,  et  dans  les 
années  suivantes  celles  de  'peintre  ordinaire  et  de  maître  peintre 
pour  Sa  Majesté  en  son  château  de  Fontainebleau. 

En  1599  et  1600  c'est  à  Paris  qu'il  exerce  son  pinceau. 

«  Grand  travailleur,  sans  ambition  et  gagnant  peu,  »  d'après  les 
notes  d'un  de  ses  confrères,  Ambroise  obtint  pourtant,  en  1601, 
des  lettres  de  naturalité  avec  le  titre  de  valet  de  chambre  du  roi. 
Ce  fut  pour  lui  l'occasion  de  redoubler  d'ardeur.  Sa  position  s'était 
améliorée  :  on  le  traite  alors  de  noble  homme,  et  ses  gages  s'élè- 
vent à  une  centaine  de  livres  tournois  par  année  (2). 

Cinq  ans  plus  tard,  Marie  de  Médicis  devait  aussi  se  l'attacher 
plus  particulièrement ,  car  il  prend  la  qualification  de  maître 
peintre  pour  la  reine,  et  pendant  la  régence  de  cette  princesse  elle 
l'occupe  au  Luxembourg,  ensuite  au  Louvre  pour  la  décoration 
de  la  salle  dite  des  sept  cheminées  ;  puis,  avec  Bunel,  Duméc  et 
Gabriel  Honnet,  aux  travaux  de  la  petite  galerie  brûlée  en  1660. 

Dubois  revint  mourir  à  Fontainebleau  ,  où  il  se  sentait  plus  à 
l'aise  que  dans  la  capitale.  Il  succomba  à  la  tâche  le  29  janvier  1614, 
au  moment  où  son  chevalet  venait  de  recevoir  une-troisième  toile 
pour  la  chapelle  haute.  11  avait  71  ans.  On  lui  fit  l'honneur  de 
l'inhumer  dans  l'église  paroissiale  d'Avon  (3),  où  sa  tombe  existe 
toujours  au  pied  du  sanctuaire,  côté  droit. 


(1)  Auteur  d'un  bon  travail  .sur  les  curieux  registres  paroissiaux  d'Avon  et  de 
Fontainebleau  ("Bull,  des  Comités  histor.  1834). 

(2)  Les  finances  royales  étaient  en  fort  mauvais  état.  Fréminet,  «  premier  peintre 
du  roi,  »  ne  recevait  aussi  que  100  livres  tournois  ;  encore  les  Comptes  des  Bâti- 
ments royaux,  fiour  1609,  portent  ils  en  regard  de  ce  chiffre:  «  N'a  pu  être  payé 
fdulte  de  fonds.  » 

En  revanche,  on  allait  le  nommer  chevalier  de  Saint-Michel. 

Quelques  aniiOes  plus  tard,  les  artistes  furent  mieux  rétribués. 

(.3)  Le  château  de  Fontainebleau  dépendait  alors  de  la  paroisse  d'Avon. 


—  108  — 

Les  écrivains,  assez  rares  d'ailleurs,  qui  ont  signalé  cet  artiste, 
ne  sont  pas  d'accord  sur  la  date  de  sa  mort,  que  la  pierre  tumu- 
laire  elle-même  donne  d'une  manière  inexacte. 

L'épitaphe,  dont  l'erreur  s'explique  sans  doute  par  l'époque 
tardive  de  son  érection,  est  ainsi  conçue  : 

Ci-gist.  honorable,  homme,  feu  Ambroise. 
Dubois,  natif.  d'Anvers,  en  Braban. 

vivant  valet,  de.  chambre,  et 
paintre.  ordinaire,  dv.  Roy.  Leqvel. 
est.  deccédé.  le  XXVII"""  décembre  MVIXV. 
Priez.  Diev.  povr.  son.  âme. 

Les  registres  de  l'état-civil  d'Avon,  qui  ont  levé  le  doute  et  per- 
mis de  rectifier  cette  date  fautive  (1),  témoignent  aussi  de  la  haute 
estime  dont  le  peintre  était  entouré,  en  constatant  qu'il  fui  tour  à 
tour  parrain  d'une  quinzaine  d'enfants  de  1596  h  1607. 

Sans  approcher  de  la  perfection  des  grands  maîtres,  Dubois  et 
Fréminet  dépassèrent  tous  leurs  compagnons  de  travail  et  nul  de 
leurs  élèves  ne  songea  à  les  échpser;  leurs  successeurs,  au  con- 
traire, selon  de  Piles,  laissèrent  tomber  la  peinture  française  dans 
un  goût  flide,  qui  dura  jusqu'au  moment  où  Blanchard  et  Vouet 
revinrent  d'Italie. 

On  a  dit  avec  raison  que  Ambroise  Dubois,  appelé  ici  quelques 
années  avant  Fréminet,  avait  été  le  véritable  fondateur  de  l'École 
de  Fontainebleau,  de  cette  école  laborieuse  où,  durant  une  certaine 
période  et  non  sans  quelques  succès,  les  leçons  des  maîtres  italiens 
furent  mises  en  pratique.  Parmi  ses  élèves,  ceux  qui  lui  firent 
le  plus  d'honneur  sont  ses  deux  fils  Jean  et  Louis,  —  son  neveu 
Paul  Dubois  —  Maugras,  parent  de  sa  femme,  —  et  un  flamand 


(1)  A  ce  sujet,  j'ai  un  fait  rcgretlabie  à  signaler.  J'avais  pris  note  depuis  plu- 
sieurs années  de  la  véritable  date  du  décos  d'x\mb.  Dubois,  et  passant  récemment 
à  Avon,  je  voulus  contrôler  mon  renseignement  à  la  mairie.  Les  registres  étaient 
en  meilleur  état  que  je  ne  les  avais  vus  autrefois  :  ils  étaient  reliés,  —  pas  toujours, 
il  est  vrai,  dans  un  ordri'  parlait;  mais,  fatalement,  le  feuillet  dont  j'avais  besoin, 
contenant  des  décès  de  1613-1614,  avait  été  coupé  et  enlevé! 

La  mention  du  décès  de  Dubois,  mailrc  peintre  de  la  reine,  à  la  dale  du  29  janv. 
1614,  a  été  vue  aussi  et  heureusement  relevée,  il  y  a  une  douzaine  d'années,  par 
M.  l'abbé  Tisserand.  (Bull,  des  Comités  histor.  1854). 

On  a  peine  à  concevoir  ce?  actes  de  vandalisme. 


—  109  — 

nommé  Nivet.  Antoine,  son  troisième  fils  (1),  également  peintre 
d'histoire,  n'eut  qu'un  talent  très-médiocre. 

Les  œuvres  d'Ambroise  Dubois,  autrefois  nombreuses  à  Fon- 
tainebleau, sont  devenues  rares  :  ce  qu'il  en  reste,  pourtant,  per- 
met d'apprécier  sa  couleur  transparente,  son  dessin  rond,  mais 
bien  accentué.  Gomme  tous  les  flamands  du  xvi'^  siècle ,  selon 
M.  Ch.  Blanc  (2),  dans  son  Histoire  des  Peintres,  c'est  un  flamand 
croisé  d'italien,  d'une  abondance  de  verve,  d'une  facilité  pittoresque, 
qui  laissent  à  désirer  plus  d'expression  et  de  chaleur.  Sa  compo- 
sition est  sage,  mais  dénuée  de  mouvement  ;  sa  couleur  pâle  n'est 
pas  toujours  harmonieuse;  ses  figures  ni  longues  ni  courtes,  n'ont 
ni  le  caractère  de  l'élégance  ni  celui  de  la  force.  Pourtant  les  con- 
naisseurs s'accordent  à  lui  reconnaître  une  touche  large  et  spiri- 
tuelle, et  M.  Blanc  lui-même  proclame  que  ses  figures  de  femmes, 
peintes  avec  douceur  et  d'un  ton  efTumé,  semblent  annoncer 
Lesueur. 

La  galerie  de  Diane,  qui  passait  pour  son  chef-d'œuvre,  a  malheu- 
reusement été  détruite  depuis  plus  de  50  ans.  A  côté  de  sujets  allé- 
goriques, peu  édifiants  sans  doute,  mais  bien  traités,  qui  célébraient 
les  amours  d'Henri  IV  et  de  Gabrielle  d'Estrées  sous  les  traits  de 
Diane,  se  trouvaient  23  grands  tableaux  consacrés  aux  victoires  du 
roi.  En  1840,  on  est  parvenu  à  en  replacer  des  fragments  dans  la 
galerie  des  fresques,  et  en  1858  MM.  Gatteaux  et  V.  Baltard  ont 
publié  à  grands  frais  une  suite  de  gravures,  imprimées  en  rouge, 
reproduisant  sur  les  dessins  de  l'architecte  Gh.  Percier,  l'œuvre 
capitale  de  Dubois  (3). 

A  l'extrémité  de  la  célèbre  galerie  d'Ulysse,  il  avait  peint  la 
reddition  d'Amiens  en  1597  ;  on  lui  devait  plusieurs  sujets  tirés  de 
l'histoire  d'Adam  et  d'Eve,  exécutés  dans  un  appartement  situé  au 
rez-de-chaussée,  sous  celui  de  Monsieur. 

Lorsque,  après  la  visite  de  don  Pèdre  de  Tolède,  ambassadeur 
d'Espagne,  le  Béarnais  résolut  de  loger  la  divinité  aussi  dignement 
que  les  hommes^  Ambroise  Dubois  et  Fréminet  chargés  de  créer 
la  chapelle  de  la  Trinité,  firent  preuve  d'un  grand  talent;  aussi 
les  mêmes  artistes  eurent-ils  aussitôt,  avec  Paul  Bril,  la  mission 


(1)  Né  à  Fontainebleau  le  5  décembre   1605.    Son   parrain   fut   Gracieux  Jamin, 
concierge  du  château. 

(2)  Hist.  des  peintres,   école  française  ;  appendice.  Paris,  veuve  Renouard,  in-f». 

(3)  Galerie  de  In  Reine,  dite  de  Diane,  à  Fontainebleau,  peinte  par  Ami).  Dubois 
en  iCm,  sous  Henri  IV ;  Paris,  Gatteaux  et  Baltard,  1858,  in-f». 


—  MO  — 

do  décorer  la  salle  dite  des  Nobles ,  chambre  ovale  où  naquit 
Louis  XIII.  Si  l'on  se  reporte  à  cette  époque  de  dégénérescence 
pour  les  arts,  on  ne  s'étonne  guère  de  n'y  point  retrouver  l'éclatant 
appareil,  les  grâces,  l'élégance,  le  goût  de  la  Renaissance;  il  ne 
faut  pas  s'étonner  davantage  si  les  peintres,  au  lieu  do  choisir  les 
épisodes  d'un  poème  d'Homère  pour  décorer  le  salon  des  Nobles, 
s'inspirent  des  aventures  de  Théagène  et  Ghariclée,  roman  que  la 
traduction  de  Jacques  Amyot  avait  seule  pu  mettre  un  instant  à  la 
mode. 

C'est  également  là  que  Dubois  a  peirït  Louis  XIII  enfiint,  à  che- 
val sur  un  dauphin. 

Enfin,  le  maître  peintre  de  la  reine  avait  orné  encore,  avec  un 
goût  parfait,  une  volière  construite  au  fond  du  jardin  de  l'Oran- 
gerie, qu'un  incendie  détruisit  à  la  fm  du  xviii*  siècle. 

On  possède  un  portrait  de  Dubois  ;  d'après  un  usage  ancien  et 
presque  constant,  le  peintre  s'est  représenté  dans  son  quinzième 
tableau  du  salon  des  Nobles  [Uiiion  de  Théagène  et  Chcmclée),  au- 
jourd'hui transporté  dans  la  salle  dite  de  saint  Louis;  il  est  vêtu 
d'une  robe  rouge  et  placé  entre  Sully  et  le  financier  Zaraet.  C'était 
selon  la  tradition,  un  homme  de  médiocre  stature,  vif,  ardent 
laborieux  ;  son  portrait  nous  l'offre  tel  :  on  reconnaît  ce  caractère 
à  l'accentuation  des  traits,  à  l'expression  de  la  physionomie;  on 
devine  les  qualités  du  peintre  dans  cette  tête  de  quasi-vieillard 
fièrement  posée,  à  la  barbe  rousse,  au  regard  pénétrant. 


Presque  tout  ce  qu'il  avait  produit  disparut  peu  à  peu.  A  peine 


—  111  — 

retrouve-t-on  de  cet  excellent  artiste  quelques  peintures  dans 
la  chapelle  haute  de  Saint-Saturnin,  des  fragments  de  l'histoire 
de  Tancrède  et  de  Clorinde,  dans  les  anciens  appartements  du  roi 
et  de  la  reine,  et  une  suite  de  tableaux  restant  des  aventures  de 
Théagène  etChariclée,  dont  le  Louvre  conserve  aussi  un  panneau  : 
Chariclée  subissant  répreuve  du  feu. 

III. 

Ambroise  Dubois  avait  eu  cinq  enfants,  dont  deux  filles  Elisa- 
beth et  Marie  (1). 

Dès  le  15  mai  1596,  on  le  voit  marier  sa  fille  aînée,  à  Fontaine- 
bleau (2).  Jean,  son  premier  fils,  né  et  ondoyé  le  10  janvier  de 
l'année  précédente,  paraît  n'avoir  été  baptisé  que  le  26  février  1604 
dans  la  chapelle  royale;  il  eut  pour  parrain  le  peintre  flamand 
Jean  de  Hoëy,  ami  de  la  famille  et  beau-père  de  Préminet. 

Il  était  jeune  encore  lorsque  son  père  mourut,  mais  formé  à 
bonne  école,  il  faisait  preuve  déjà  d'un  talent  distingué. 

Sa  mère,  qui  avait  conservé  en  survivance  l'entretien  des  pein- 
tures d'Ambroise  Dubois,  abandonna  cette  charge  à  Jean  Dubois, 
en  1615  ,  avec  les  1,200  livres  qu'elle  rapportait.  Celui-ci  avait 
alors  20  ans;  il  épousa  aussitôt  Marie  Outrebon,  fille  d'un  jardi- 
nier valet  de  chambre  du  roi  (3),  et  se  mit  au  travail  avec  non 
moins  de  succès  que  d'ardeur. 

En  1635,  Claude  de  Hoëy  fils,  qui  avait  l'entretien  des  pein- 


(1)  Une  tradition  populaire  qui,  Jit-on,  s'est  perpétuée  à  Fontainebleau,  attribue 
4  Amb.  Dubois  trois  filles,  qui  seraient  nées,  auraient  vécu  et  seraient  mortes  cé- 
libataires dans  une  petite  rue,  en  face  de  la  Cour  des  Offices.  On  aurait,  en  leur 
lionneur,  donné  à  cette  rue  le  nom  des  Trois-Pucel/es,  changé  en  1839  en  celui  de 
Montébello.  Mais  c'est  évidemment  là  une  tradition  fort  hasardée. 

Nous  n'avons  retrouvé  la  trace  que  de  deux  filles  du  peintre,  lesquelles,  étant  les 
aînées,  ne  paraissent  pas  avoir  vu  le  jour  à  Fontainebleau.  Si  elles  y  étaient  nées, 
c'eût  été,  comme  deux  de  leurs  frères,  au  château,  dans  le  pavillon  de  la  Cour  des 
Offices,  où  Ambroise  Dubois  avait  son  logement. 

Les  registres  paroissiaux  prouvent  d'ailleurs  que  la  première  se  maria  dès   159G. 

La  qualification  de  demoiselle  qu'on  donnait  alors  aux  personnes  de  qualité  et 
qui  leur  est  donnée  dans  des  actes  de  baptême  des  28  novembre,  21  avril  1(J2G, 
9  mars  1636,  etc.,  aura  aidé  peut-être  à  la  piquante  explication  du  nom  de  la  rue 
des  Trois-Pucelles. 

Nous  croyons  qu'il  en  faut  chercher  une  autre. 

(2)  Reg.  d'Avon.  —  M.  l'abbé  Tisserand;  publications  des  Comités  hist.,  18')4. 

(3)  Marié  à  Atine  de  Hoëy,  lille  de  Jean,  et  tœur  de  Claude  et  de  Fraugoise, 
femme  de  Fréminet. 


—  il2  — 

tures  et  vieux  tableaux  des  salles,  galeries  et  cabinets  de  Fon- 
tainebleau ,  avec  1,200  livres  d'appointements  ,  se  démit  de 
ses  fonctions;  Louis  XIII,  pour  récompenser  le  zèle  de  Jean 
Dubois,  le  gratifia  par  brevet  du  26  décembre  1635,  de  l'emploi 
qui  devenait  ainsi  vacant.  Neuf  ans  plus  tard,  nous  ne  savons  pour 
quelle  cause,  on  lui  enlève  l'entretien  de  toutes  les  peintures  qui  ne 
sont  pas  dues  à  son  père,  et  ses  émoluments  se  trouvent  réduits  à 
1,000  livres  (26  octobre  1644).  Puis,  le  14  juillet  1651,  non-seu- 
lement, on  rétablit  l'état  ancien  des  choses,  mais  encore  Jean  Du- 
bois, sur  la  démission  de  son  frère  Louis,  est  chargé  d'entretenir 
les  peintures  de  Préminet,  dans  la  chapelle  de  la  Trinité,  avec 
200  livres  de  gages.  Il  est,  en  outre,  pourvu  de  la  conciergerie 
des  écuries  de  la  reine. 

Cet  artiste  termina  sa  carrière  en  1679,  sans  avoir  jamais  quitté 
sa  ville  natale,  et  l'abbé  Guilbert,  dans  sa  Description  de  Fontaine- 
bleau, rend  de  lui  cet  honorable  témoignage  que  Jean  Dubois,  aussi 
modeste  qu'habile,  se  montra  parfait  imitateur  de  la  probité  et  du 
pinceau  de  son  père. 

Il  avait  décoré  rappartement  de  la  reine,  mais  on  cite  plutôt  de 
lui,  comme  d'une  composition  parfaite,  la  Nativité  dans  la  chapelle 
haute  et  une  Descente  de  Croix  sur  l'autel  de  la  chapelle  de  la 
Trinité. 

Dans  la  salle  du  Trône,  Louis  XIV  lui  avait  fait  remplacer  le 
portrait  de  Louis  XIII  par  Flore  et  Zéphyre,  que  l'Empire  enleva 
pour  faire  place  au  portrait  de  Napoléon;  sous  la  Restauration,  on 
y  mit  Louis  XV;  enfin,  Louis-Philippe  eut  l'heureuse  idée  d'y 
restituer  l'œuvre  de  Philippe  de  Champagne. 

Jean  Dubois  a  laissé  deux  fils,  Jean  et  Louis,  peintres  du  roi. 

IV. 

Le  second  fils  d'Ambroise,  Louis  Dubois,  après  avoir  été  un 
de  ses  meilleurs  élèves,  se  fit  peu  remarquer  par  ses  productions. 
En  1644,  on  l'avait  néanmoins  chargé,  comme  nous  l'avons  dit,  de 
l'entretien  des  œuvres  de  Fréminet;  il  était  déjà  qualifié  alors  de 
l)eintre  valet  de  chambre  de  Sa  Majesté. 

Au  décès  de  Louis  Fréminet  fils,  en  1651   (1),  Louis  Dubois 

(1)  C'est  à  tort  que  M.  Villot  (notice  sur  les  tableaux  du  Louvre),  à  qui  nous^ 
empruntons  quelques  détails,  dit  que  Fréminet  fils  était  frère  de  mère  de  Louis 
Dubois. 


—  413  — 

ayant  obtenu  la  pension  de  2,000  livres  dont  ce  dernier  .jouissait, 
se  démit,  en  faveur  de  son  frère  aîné,  de  l'entretien  de  la  chapelle 
de  la  Trinité. 

Il  est  mort  sans  postérité  quelques  années  après. 

Ses  neveux  Jean  et  Louis,  puis  ses  petits-neveux,  conservèrent  les 
revenus  et  les  titres  de  Louis  Dubois  jusqu'au  milieu  du  xviii' siècle, 
tout  en  cumulant  les  fonctions  que  Arabroise  avaient  précédem- 
ment remplies. 

Je^n  (2^  du  nom) ,  né  en  1640  (1) ,  valet  de  chambre  du  roi  et 
concierge  des  écuries  de  la  reine,  figure  sur  l'état  des  officiers  du 
château  de  Fontainebleau  pour  la  survivance  de  l'entretien  des 
peintures,  et  les  Comptes  des  bâtiments  pour  1673  font  connaître 
les  charges  de  son  emploi,  dont  le  traitement  était  réduit  à  600 
livres  : 

((  A  Jehan  Dubois,  peintre,  ayant  le  soin  et  nettoyement  des 
»  peintures,  tant  à  fresques  qu'à  huisles,  anciennes  et  modernes, 
))  des  salles,  galeries,  etc.,  la  somme  de  600  livres  pour  ses  ap- 
»  pointemens  de  1673,  à  la  charge  de  rétablir  ceux  qui  sont  gastés, 
»  nettoyer  les  bordures  des  tableaux  et  de  fournir  le  bois,  charbon 
»  et  fagots  pour  brûler  esdittes  salles,  galeries,  chambres,  etc., 
»  pour  la  conservation  d'iceux...  » 

Louis,  né  le  4  avril  1646  (2),  se  fit  moins  remarquer,  mais  il  eut 
lui-même  un  fils  que  mit  en  relief  une  certaine  habileté  ;  celui-ci,  né 
en  1673,  est  mort  peintre  ordinaire  du  roi  et  concierge  de  la  Cour 
des  Fontaines  le  12  avril  1702,  laissant  un  héritier  de  son  nom  et 
de  son  talent. 

V. 

A  l'époque  des  Dubois  et  à  coté  d'eux,  florissaient  à  Fontaine- 
bleau plusieurs  autres  familles  d'artistes,  originaires  de  la  localité. 

Sans  qu'aucun  membre  de  ces  familles,  peut-être,  n'ait  brillé  du 
plus  vif  éclat,  quelques-uns  ont  acquis  un  mérite  relatif  et  joui 
d'une  réputation  honorable,  dont  le  souvenir  local,  aussi  bien  que 
celui  des  Dubois,  doit  être  soigneusement  conservé. 

Gomme  l'exprimait  récemment  M.  Amédée  Thierry  (3)  :   «C'est 


(1)  Baptisé  seulement  le  18  mai  1645  ;  mort  en  1694. 

(2)  Baptisé  le  16  au  château;    parrain,  Louis  Dubois,   son  oncle;    marraine.  Ga- 
brielle  Tabouret,  femme  de  Claude  de  Hoëy.  Marié  en  1671  à  Xainte  Jamiu. 

(3)  Compte-rendu  à  la  Sorbonne,  1864. 

8 


—   Mi  — 

»  une  des  meilleures  missions  des  Sociétés  savantes  de  la  province, 
»  que  de  conserver  le  patriotisme  des  gloires  locales  et  d'en  raviver 
»  le  souvenir  quand  il  menace  de  s'éteindre.  »  Nous  savons  tous 
que  le  nom  des  artistes  de  premier  ordre  ne  s'efface  pas  ;  c'est 
donc  aux  talents  secondaires ,  dont  la  renommée  est  toute  locale, 
qu'il  nous  faut  d'abord  songer. 

Ne  dédaignons  pas  ces  humbles  réputations  dans  la  carrière 
difficile  des  arts;  loin  de  les  repousser  ne  doit-on  pas,  au  con- 
traire, publier  ces  exemples  d'enfants  de  modeste  condition,  se 
complaisant  dans  la  vue  du  beau,  se  formant  le  goût  et  l'esprit 
devant  ces  galeries  superbes,  alors  en  cours  d'exécution  ;  quittant 
les  jeux  de  leur  âge  pour  aider  les  maîtres  à  broyer  des  couleurs  ; 
puis,  entraînés  par  un  irrésistible  courant,  embrassant  avec  réso- 
lution cette  rude  carrière  où  les  guidaient,  en  les  encourageant, 
les  Rosso,  les  Primatice,  les  Fréminet,  dont  ils  devaient  un  jour, 
bien  qu'à  distance,  continuer  l'œuvre?... 

Mais  nous  ne  pouvions  songer  à  étendre  davantage  cette  étude; 
laissons-en  le  soin  à  de  plus  habiles  (1). 

La  Section  de  Fontainebleau  est  nombreuse;  nous  y  comptons  de 
vrais  amis  des  arts ,  habiles  à  bien  dire  ;  ils  aborderont,  espérons-le, 
le  sujet  que  nous  n'avons  fait  qu'indiquer,  et  grâce  à  leur  talent, 
la  réputation  des  Dubois,  des  Voltigean,  des  Nivelon,  des  Bouzé, 
des  Desbouts,  des  Jamin,  des  Lefèvre,  sera  mieux  connue,  appré- 
ciée, popularisée,  et  leur  nom  pour  quelques-uns,  peut-être,  sauvé 
de  l'oubli. 


(1)  Cette  notice  a  été  lue  à  la  séance  publique   de  Fontainebleau,  le  15  octobre 
18G5. 


Mo 


LES  GROTTES  DES  FÉES 


LA  FERTÉ-GAUGHER  —  GROUY-SUR-UURGQ 

PAR    31.    A.    CARRO, 

Membre  fondateur  (^ecîSom  de  Idéaux)  Vice-Président  de  la  Société. 


A  quatre  ou  cinq  kilomètres  à  l'orient  de  la  jolie  petite  ville  de 
La  Ferté-Gaucher,  sur  le  territoire  de  la  commune  de  La  Gha- 
pelle-Véronges,  se  trouve  un  vallon  resserré,  ombreux  et  solitaire, 
où  coule  le  Grand-Morin,  qui  malgré  son  nom,  tout  relatif  et 
nullement  prétentieux,  n'est  guère  là  qu'un  simple  ruisseau.  La 
rive  droite  du  cours  d'eau  est  dominée  par  le  flanc  boisé  du 
coteau,  que  surmontent  des  bancs  de  rochers  abrupts  d'une  cin- 
quantaine de  mètres  de  hauteur. 

Ges  rochers  sont  bien  plus  qu'un  accident  pittoresque  dans  un 
séduisant  paysage  ;  ils  ont  une  importance  spéciale  par  leur  noto- 
riété bien  méritée. 

Dans  leurs  anfractuosités  se  trouvent  quatre  grottes  ,  dont  trois 
n'ont  qu'une  importance  secondaire,  mais  une  autre  assez  grande, 
et  réceptacle  fort  habitable,  a  été  réellement  habitée.  On  l'appelle 
la  Pierre,  ou  la  Grotte  aux  Fées. 

Les  documents  qui  se  rattachent  à  cette  dénomination  et  à  la 
tradition  qui  la  concerne,  sont  en  général  si  peu  répandus  que  j'ai 
pensé  qu'il  pourrait  ne  pas  être  sans  quelque  intérêt  d'en  faire  le 
sujet  d'une  notice. 

Vous  vous  doutez  bien  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  de  fées  contempo- 
raines de  Peau -d'âne  et  de  Gendrillon ,  nous  allons  remonter 
beaucoup  plus  loin.  Permettez-moi  de  vous  conduire  rapidement, 
par  la  pensée,  au-delà  de  nos  temps  historiques. 

Nous  ne  limitons  plus  notre  histoire  nationale  aux  Druides  ;  on 
sait  que  leurs  doctrines,  et  leur  culte  ne  nous  furent  apportés  de 
l'Asie  occidentale  que  vers  l'an  580 avant  J.-G.,  par  Esus,  person- 
nage demi-historique,  demi-légendaire,  qui  semble  avoir,  comme 
Mahomet,  réuni  les  divers  caractères  de  chef  militaire  et  de  légis- 
lateur politique  et  religieux. 


—  Ht)  — 

Or,  avant  l'invasion  d'Esus  et  des  Kimris,  c'est  le  nom  donné  à 
ses  compagnons,  avant,  par  conséquent,  l'introduction  d'une  doc- 
trine qui  enseignait  un  Dieu  suprême,  souverain  créateur  de  toutes 
choses,  les  populations  qui  habitaient  déjà  le  sol  sur  lequel  nous 
vivons  aujourd'hui,  adoraient  les  fleuves,  les  lacs,  les  fontaines, 
les  pierres,  les  montagnes,  les  forêts  (1),  sans  représentation  ma- 
térielle toutefois  de  la  divinité,  sans  idoles  en  un  mot.  Elles  sym- 
bolisaient seulement  ces  objets  par  l'imagination,  leur  donnaient 
ainsi  des  formes  humaines  et  vivantes,  et  celles  de  ces  formes 
entre  autres  qui  représentaient  une  essence  féminine,  ont  trans- 
mis un  souvenir  jusqu'à  nos  temps  :  ce  sont  les  Fées,  qui,  après 
avoir  été  des  objets  d'adoration  pour  nos  pères,  ont  quelquefois 
efTrayé,  mais  souvent  aussi  amusé  leurs  petits-enfants. 

Le  nom  de  fée  ne  remonte  pas,  il  est  vrai,  à  cette  époque,  il  ne 
nous  a  pas  été  transmis  d'une  langue  que  nous  ne  connaissons 
plus,  il  est  un  peu  plus  moderne,  nous  y  reviendrons. 

La  notion  des  êtres  fantastiques  qu'il  personnifie  est,  au  reste, 
fort  répandue  sur  toute  l'étendue  de  la  France  et  même  de  l'Eu- 
rope. Ainsi  on  compte  quantité  de  localités  où  se  irouveni  la  Pi'etTe 
aux  Fées,  la  Grotte  des  Fées,  la  Combe  c'est-à-dire  la  vallée  des 
fées,  etc.,  (2),  ou  des  noms  analogues  suivant  le  patois  ou  suivant 
la  langue.  On  a  même  applique  improprement  le  nom  de  pierres 
des  fées  à  quelques  grossiers  monuments  primitifs,  ouvrages  de 
l'homme,  et  qui  n'étaient  que  des  sépultures,  mais  les  grottes  des 
fées  proprement  dites,  sont  des  antres  ou  cavernes  dans  les  ro- 
chers aux  flancs  de  certains  vallons.  Telle  est,  nous  venons  de  le 
voir,  la  pierre  aux  fées  de  la  Ferté-Gaucher,  telle  est  une  autre 
qui,  dans  notre  contrée  aussi,  avoisine  la  ville  de  Grouy-sur- 
Ourcq  ;  telle  en  est  peut-être,  une  encore  dans  la  vallée  de  Mcun, 
commune  d'Achcres  au  sud  de  la  forêt  de  Fontainebleau;  telles 
sont,  enfin  sur  des  points  forts  distants,  plusieurs  grottes  que  j'ai 
visitées  ou  dont  j'ai  pu  lire  la  description. 

La  grotte  de  Crouy  n'a  pas  conservé  le  caractère  sauvage  et 
mystérieux  que  l'on  remarque  à  celle  de  La  Ferté-Gaucher.  Le 
vallon  qui  avoisine  Crouy,  couvert  de  bois  autrefois,  est  dénudé 
maintenant;  le  roc  est  moins  âpre  et  abrupt  qu'aux  rives  du 
Grand-Morin,  mais  l'analogie  n'en  est  pas  moins  évidente,  indé- 
pendamment du  nom  transmis  par  la  tradition. 


(1)  Alfred  Maury,  Les  Fées  du  moyen-âge,  pafre  4. 

(2)  Comba,  locus  déclivis  in  vullem  désinem.  Ducange. 


__  117  — 

«  Les  antres  furent  les  premier.^  temples  »  dit  avec  raison 
M.  Gh.  Toubin,  auteur  d'un  remarquable  £ssai  sur  les  sanctuaires 
primitifs;  là,  en  effet,  séparé  des  objets  extérieurs,  plongé  dans 
l'obscurité  ou  ne  percevant  qu'une  lueur  incertaine,  l'homme  si 
faible  en  face  des  roches  gigantesques  qui  l'entouraient  devait 
éprouver  un  sentiment  de  frayeur  religieuse  ou  du  moins  de  re- 
cueillement; il  devait  être  atterré  ou  s'exalter,  suivant  ses  disposi- 
tions ou  les  enseignements  reçus. 

Le  druidisme  ne  détruisit  pas  entièrement  le  premier  culte  de 
nos  ancêtres,  il  se  combina  seulement  avec  lui.  M.  Maury  dans 
sa  savante  étude  intitulée  :  Les  Fées  du  moyen-âge,  en  donne  de 
nombreuses  preuves.  La  divinité  eut  alors  des  prêtres  et  des  prê- 
tresses. Les  druides  ne  construisaient  pas  de  temples,  les  bois 
leur  en  tenaient  lieu',  et  surtout  dans  les  bois  beaucoup  plus  éten- 
dus alors  sur  notre  territoire  qu'aujourd'hui,  les  parties  les  plus 
sauvages,  les  plus  empreintes  d'un  solennel  isolement  et  par  con- 
séquent les  vallons  et  les  rochers.  C'était  dans  ces  retraites 
sombres,  dans  ces  bois  sacrés  que  se  tenaient  leurs  réunions  et  se 
célébraient  leurs  mystères.  Plusieurs  d'entre  eux  ainsi  que  des 
druidesses  y  faisaient  leur  constante  demeure. 

Les  druidesses  furent  naturellement  les  intermédiaires  des  divi- 
nités féminines,  elles  parlèrent  en  leur  nom;  en  leur  nom  elles 
annoncèrent  l'avenir,  les  destinées,  fata,  radical  latin  dont  est 
venu  d'abord  le  mot  fafuœ,  puis  le  nom  de  fée,  remplaçant  leur 
ancien  nom  de  vala  (d'oîi  véléda,  voluspa). 

Les  vêtements  des  druides  étaient  blancs,  et  les  druidesses 
étaient  revêtues  de  robes  blanches.  Elles  durent  bien  souvent  dans 
l'ombre  des  forêts,  dans  l'obscurité  des  cavernes,  s'offrir  comme 
une  apparition  vaporeuse,  aérienne,  insaisissable;  la  divinité  et  la 
prêtresse  durent  se  confondre  dans  l'imagination,  et  les  fatidiques 
dames  blanches  devinrent  les  objets  d'une  vénération  crain- 
tive. 

Les  rapprochements  que  je  pourrais  faire  ici  entre  les  fées  et  les 
druidesses  nous  entraîneraient  bien  trop  loin,  on  peut  les  suivre 
avec  intérêt  dans  l'ouvrage  que  j'ai  cité  plus  haut  de  notre  honoré 
confrère  M.  Alfred  Maury. 

Un  jour  vint  où  l'adversité  atteignit  les  fées  elles-mêmes,  à  la 
suite  de  l'invasion  des  Romains  :  Rome  jalouse  les  proscrivit  avec 
les  druidesses.  La  persécution  de  Claude  continuée  par  ses  succes- 
seurs (période  de  40  ans  environ),  pesa  cruellement  sur  elles,  et 
les  grottes  cachées  au  fond  des  sombres  vallées  servirent  de  re- 


—  118  — 

traite  aux  prêtresses,  protégées  encore  par  la  crainte  superstitieuse 
ou  l'affection  des  populations. 

Lechritianisme  vainqueur  du  druidisme  amoindrit  surtout  l'au- 
torité morale  des  fées  sans  toutefois  pouvoir  en  dissiper  le  souve- 
nir. Les  chrétiens  leur  firent  mauvaise  réputation.  Au  lieu  de 
l'épithète  de  6o>ines  qui  était  originairement  leur  titre  attributif 
ord'maire,  les  Bonnes  mères,  les  Bonnes  dames  (1),  on  vit  figurer 
dans  les  récits,  dans  les  légendes,  les  méchantes  fées,  les  fées  en- 
vieuses, les  fées  vindicatives;  on  les  fit  vieillir,  on  en  fit  des  sor- 
cières. La  dame  blanche  apparut  encore,  mnis  le  plus  ordinaire- 
ment pour  annoncer  un  malheur  ou  comme  un  signal  de  mort. 
C'est  ainsi  que  les  fées,  sauf  pourtant  quelques  figures  gracieuses, 
Urgande,  Viviane,  Morgane,  Urgèle,  Melusine,  etc.,  ont  passé  à 
travers  tout  le  moyen-âge,  figurant  dans  les  fabliaux  et  les  récits 
émouvants  de  la  veillée,  défrayant  les  poètes,  les  conteurs,  et  en- 
fin il  faut  bien  le  dire,  les  mères  et  les  nourrices.  Longtenips  encore 
cependant  on  les  prit  au  sérieux  .  on  a  célébré  jusque  dans  le  xvii" 
siècle  à  l'église  de  Poissy  une  messe  pour  préserver  le  pays  de  la 
colère  des  mauvaises  fées,  et  des  pièces  du  procès  de  Jeanne-d'Arc 
constatent  que  tous  les  ans  le  curé  de  Donremy  allait  chanter 
l'évangile  près  de  l'arbre  des  fées,  pour  les  chasser  {^2). 

Des  traces,  sinon  d'habitation,  du  moins  de  fréquentation  et  de 
séjour  se  remarquent  fort  bien  dans  la  grotte  de  Crouy  ;  la  roche 
étant  peu  résistante  aux  instruments  tranchants,  il  semble  qu'on  a 
cherché  à  arrondir  les  voûtes  ;  on  peut  y  distinguer  môme  des  in- 
dices do  nervures  et  d'ornementation.  Est-ce  le  travail  de  quelque 
solitaire,  ou  le  produit  du  loisir  de  quelque  pâtre  du  xiii"  siècle  gar- 
dant ou  censé  garder  son  troupeau  dans  la  vallée;  ou  bien  encore 
n'aurait-on  point  établi  ou  tenté  d'établir  en  ce  lieu  un  oratoire, 
une  sorte  de  petite  chapelle  pour  le  purifier  et  le  sanctifier?  Un 
exemple  fort  notable  de  ces  sanctifications  se  trouve  précisément 
dons  le  voisinage,  c'est  No(re-Dame-du-Ch:ne,  ancien  but  d'un  pè- 
lerinage qui  y  avait  détermine  la  fondation  d'un  couvent.  La  sta- 
tuette de  Notre-Dame  consacrait  au  culte  chrétien  un  de  ces  arbres 
auxquels  jusqu'au  temps  deCharlemagne,  suivant  les  capitulairos, 
un  reste  de  super;;tition  paycnne  venait  encor.>  offrir  des  luminaires 
et  apporter  des  offrandes. 

Nous  ne  sommes  réduits  ici  qu'à  des   conjectures;    mai^3  nous 


(1)  Ali'.  Maury^  Les  Fc'es  du  Moijen-Ag",  pp.  10  et  35. 
(2j  1(1.,  i^  -62. 


—  119  — 

savons  avec  certitude  que  la  grotte  de  La  Ferté-Gaucher  a  été  ha- 
bitée, elle  l'a  surtout  été  de  nos  jours;  cela  remonte  à  trente  et 
quelques  années  seulement,  et  déjà  l'individu  qui  y  fit  sa  demeure 
prend  dans  la  contrée  les  proportions  d'un  personnage  légendaire 
sous  le  nom  de  l'ermite  de  la  grotte  ;  il  est  vrai  que  c'était  un 
étranger,  un  Italien,  et  déplus  un  octogénaire. 

Au  risque  d'irrévérence  envers  la  légende,  je  vais  donner  sur 
l'habitant  quasi-mystérieux  de  la  Pierre  aux  fées,  quelques  détails 
authentiques  ;  je  les  tiens  de  l'obligeance  de  notre  confrère 
M.  Plessier  qui  habite  La  Ferté-Gaucher,  et  en  compagnie  duquel 
j'ai  visité  la  grotte. 

Michel  Théard,  né  à  Monclia,  dans  la  république  de  Gènes, 
habita  la  grotte  aux  fées  une  dixaine  d'années.  Ce  n'était  point  un 
ermite  dans  le  sens  religieux  ordinairement  reçu  de  ce  mot,  il 
était  marié,  il  l'avait  même  été  cinq  fois.  Il  est  vrai  que  s'étant 
marié  pour  la  première  fois  à  l'âge  de  cinquante  ans,  il  n'avait 
épousé  successivement  que  des  femmes  de  plus  en  plus  âgées  qui 
n'avaient  pu  le  suivre  dans  sa  carrière  de  longévité.  Lors  de  son 
dernier  mariage  il  avait  78  ans. 

On  ne  sait  pas  bien  par  quelles  circonstances  il  avait  été  amené 
à  La  Ferté-Gaucher  où  avait  eu  lieu  son  premier  mariage,  c'était 
sans  doute  à  la  suite  de  nos  premières  campagnes  en  Italie.  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  était  resté,  tant  à  La  Ferté  que  dans  le  voisinage 
et  notamment  à  La  Chapelle- V oronges,  travaillant  comme  simple 
journalier,  se  faisant  aimer  par  son  obligeance  et  la  douceur  de 
son  caractère. 

"Il  avait  souvent  fréquenté  les  bois  et  les  champs  avoisinant  la 
Pierre  aux  fées,  qui  n'avait  plus  rien  d'extraordinaire  ni  de  redou- 
table pour  lui,  aussi  obtint-il  de  s'y  loger,  sans  doute  par  écono- 
mie de  loyer.  Quand  l'âge  ne  lui  permit  plus  de  travailler  bien 
fructueusement,  il  ne  fut  pas  abandonné,  nombre  de  gens  des  en- 
virons et  même  de  la  ville  qui  prenaient  plaisir  à  le  visiter,  le  se- 
couraient de  leurs  dons;  il  avait  d'ailleurs  une  petite  cloche  qui 
lui  servait  à  se  rappeler  à  leur  souvenir.  Il  mourut  paisiblement 
dans  sa  grotte,  le  20  août  1832,  âgé  de  85  ans. 

J'ajouterai  ici  l'indication  d'un  curieux  rapprochement  que  m'a 
communiqué  notre  confrère  le  docteur  Delbet,  propriétaire  de  la 
grotte  aux  fées,  qui  a  pendant  plusieurs  mois  parcouru  la  Palestine  ; 
c'est  que  la  grotte  de  La  Ferté-Gaucher  présente  une  très-grande 
similitude  d'aspect  intérieur  avec  celle  d'OdoUam  oii  se  retira  pen- 


—  120  — 

dant  que] que  temps  David  fuyant  la  colère  de  Saûl.  Celle  d'Odollam 
est  seulement  trois  ou  quatre  fois  plus  grandr. 

Notre  vieil  ermite  avait  exécuté  dans  sa  retraite  solitaire  quel- 
ques travaux  de  clôture  et  d'appropriation  qui  ont  à  peu  près  dis- 
paru depuis.  On  n'y  voit  plus  qu'un  petit  fragment  de  mur,  les 
parois  cyclopéennes  et  tourmentées  du  roc,  et  l'ouverture  par  la- 
quelle, comme  entourée  d'un  cadre  sombre,  apparaît  mélancolique 
et  presque  solennelle  encore  la  vallée  qu'elle  domine.  A  cela  se 
,ioint  le  souvenir,  distant  déjà  de  plus  de  deux  mille  ans,  des  rites 
mystiques  qu'elle  a  vu  s'accomplir. 

Un  dernier  mot,  à  l'adresse  de  la  légende.  Michel  Théard  fut 
d'abord  appelé  le  père  Génois  du  nom  de  son  pays;  puis,  par  cor- 
ruption, il  ne  fut  plus  connu  que  sous  le  nom  du  père  Chinois.  Si 
mon  humble  notice  ne  survit  pas,  rien  ne  s'oppose  à  ce  qu'il  ne 
soit  bientôt  avéré  comme  tradition,  qu'un  habitant  de  la  Chine 
était  venu  chercher  une  retraite  dans  les  rochers  du  Grand- 
Morin. 


—  121  — 

L'ANCIENNE  AUBEROE  DE  LA  BELLE-IMAGE 

A  MORET, 

PAR    M.    SOLLIER, 
Membre  fondateur  (  Section  do  Mclun  ). 


La  petite  ville  de  Moret,  dont  l'origine  remonte  à  une  haute 
antiquité,  est  riche  de  souvenirs  historiques.  Ses  anciens  monu- 
ments, qui  presque  tous  ne  sont  plus  aujourd'hui  que  des  ruines, 
sont  néanmoins  un  précieux  sujet  d'études  pour  ceux  qui  s'occu- 
pent de  recherches  archéologiques.  Dans  les  premiers  siècles  de  la 
monarchie  française,  cette  ville  et  les  villages  qui  l'entourent  ont 
dû  à  leur  position  topographique  d'avoir  été  le  théâtre  de  laits 
mémorables,  et  la  guerre  y  a  laissé,  à  plusieurs  reprises,  des 
marques  de  son  funeste  passage.  A  une  époque  plus  rapprochée  de 
la  nôtre,  l'inutilité  de  ses  fortifications  et,  plus  encore,  la  prospé- 
rité croissante  de  Fontainebleau  diminuèrent  son  importance  et 
la  reléguèrent  au  second  plan.  Toutefois,  elle  ne  tomba  pas  dans 
une  complète  obscurité  :  le  voisinage  de  l'une  des  plus  splendides 
résidences  de  nos  souverains,  la  proximité  de  la  belle  foret  de 
Bière  et  les  sites  charmants  et  pittoresques  qui  environnent  la 
campagne  de  Moret,  lui  ont  conservé  jusqu'à  nos  jours  la  faveur 
d'être  visitée  par  d'illustres  personnages,  parmi  lesquels  on  compte 
des  rois  et  des  reines  de  France. 

L'histoire  de  cette  petite  ville  ne  serait  donc  pas  sans  intérêt, 
car  le  souvenir  du  passé  est  gravé,  pour  ainsi  dire,  sur  chacun  de 
ses  vieux  édifices  et  même  sur  quelques-unes  de  ses  modestes 
habitations. 

Je  n'ai  pas  l'intention  d'entreprendre  en  ce  moment  cette  his- 
toire. Ce  serait  un  trop  long  travail  pour  qu'il  me  soit  possible  de 
le  mener  à  bonne  fin.  Mais,  comme  les  recherches  auxquelles  je 
me  suis  livré  m'ont  déjà  fourni  quelques  renseignements  utiles 
sur  plusieurs  des  anciennes  maisons  de  Moret ,  je  vous  deman- 
derai, au  fur  et  à  mesure  que  j'aurai  pu  les  compléter,  la  permis- 
sion de  vous  les  communiquer  sous  forme  de  petites  mono- 
graphies. 

Celle  que  je  viens  vous  présenter  aujourd'hui  a  pour  objet  une 
maison  située  dans  la  principale  rue  de  Moret,  en  face  de  l'iiôtel- 
de-ville.  C'était,  il  y  a  quarante  ans  environ,  une  vieille  auberge 


i-)o   

noire  et  enfumée  qui  avait  pour  enseigne  une  grossière  peinture 
représentant  la  sainte  Vierge,  avec  cette  inscription  :  A  la  belle 
image.  Je  ne  vous  ferai  pas  la  description  de  cette  hôtellerie,  qui  a 
disparu  pour  faire  place  à  une  belle  habitation  bourgeoise  et  qui, 
d'ailleurs,  ne  mériterait  pas  de  fixer  l'attention  ,  si  elle  n'avait  eu 
l'honneur,  à  des  époques  et  dans  des  circonstances  bien  différentes, 
d'abriter  pendant  la  nuit  deux  hommes  diversement  illustres,  tous 
deux  bannis,  tous  deux  revenant  de  l'exil  :  Voltaire,  à  son  retour 
de  Ferney,  et  Napoléon  T",  à  son  retour  de  l'île  d'Elbe. 

Dans  sa  retraite  de  Ferney,  Voltaire  jouissait  d'une  immense 
célébrité.  L'Europe  était  remplie  de  son  nom  et  de  ses  écrits. 
Autour  de  lui,  florissait  une  population  de  douze  cents  personnes 
qu'il  avait  attirées  dans  sa  terre  et  qui  le  chérissaient  en  recon- 
naissance de  ses  bienfaits  et  de  sa  générosité.  Placé  au  milieu  d'un 
paysage  majestueux  et  enchanteur,  son  château  réunissait  tous  les 
avantages  de  la  solitude  et  de  la  société,  et  il  en  avait  fait,  à  pro- 
prement parler,  lô  centre  du  monde  littéraire  et  du  monde  savant. 
Mais  ni  l'éclat  de  sa  brillante  renommée,  ni  les  charmes  de  sa 
résidence,  ni  les  agréments  d'une  existence  paisible  et  animée  tout 
à  la  fois  ne  suffisaient  à  remplir  son  cœur  toujours  avide  de  gloire, 
et  ne  pouvaient  satisfaire  l'activité  juvénile  qu'il  avait  conservée 
malgré  son  grand  âge  et  ses  infirmités. 

Le  patriarche  de  Ferney  voulait  revoir  Paris  et,  bien  que  l'ordre 
qui  lui  en  interdisait  le  séjour  n'eût  pas  été  levé,  il  conçut  le  projet 
d'y  revenir  pour  faire  représenter  sa  tragédie  d'Irène. 

Ce  fut  le  5  février  1778,  au  plus  fort  de  l'hiver,  que  Voltaire, 
âgé  de  84  ans,  partit  de  Ferney  en  compagnie  de  son  secrétaire 
Wagnière.  11  traversa  Dijon ,  et  arriva  le  8  au  soir ,  à  Joigny, 
où  il  passa  la  nuit.  Le  9,  vers  un  lieu  voisin  de  ceux  qu'on 
appelle  Le  Colombier  et  Le  Vaustin,  sur  le  territoire  de  Varennes, 
à  une  lieue  et  demie  de  Moret,  l'essieu  de  son  carrosse  se  rompit.  11 
fallut  envoyer  chercher  à  laville  les  secours  nécessaires  pour  le  répa- 
rer. Heureusement,  le  marquis  de  Villette(l)  était  venu  au-devant 
de  Voltaire  jusqu'à  Moret  etl'y  attendait  depuis  la  veille.  A  la  nou- 
velle de  l'accident,  il  va  chercher  l'illustre  vieillard  et  l'amène  dans 
son  propre  carrosse  à  l'auberge  de  la  belle  image.  Il  était  alors 
cinq  heures  du  soir.  La  population  de  Moret,  avertie  de  son  ar- 
rivée, se  pressait  a;!X  abords  de  l'hôtellerie  pour  apercevoir  les 
traits  de  l'auteur  de  le  //mmc^t'.  Le  voyageur,  souffrant  et  fatigué, 

(1)  Voltaire  considérait  le  marquis  de  Viiictte  comme  son  tils.  Il  l'avait  marié  à 
IM""  d»i  Varicourt,  qu'il  nommait  te//e  et  bonne. 


—  123  — 

dut  se  soustraire  à  l'ovation  villageoise,  prélude  de  l'accueil  en- 
thousiaste que  lui  réservait  Paris.  Il  ne  voulut  recevoir  personne, 
et  il  passa  la  soirée  avec  son  secrétaire  et  le  marquis  de  Villette(i). 
Quel  fut  le  sujet  de  leur  conversation  ?  Nul  ne  le  sait.  Mais  il  est 
probable  que  Voltaire,  se  rappelant  les  premières  années  de  sa 
jeunesse,  leur  parla  des  voyages  qu'il  avait  faits  à  Moret  plus  de 
soixante  années  auparavant,  alors  qu'il  recevait,  au  château  de 
Saint-Ange,  la  gracieuse  hospitalité  de  M.  de  Gaumartin,  marquis 
de  Saint-Ange,  comte  de  Moret  et  intendant  des  finances  (2).  Que 
d'événements  depuis  lors  avaient  rempli  cette  vie  laborieuse  et 
agitée!  Que  d'œuvres  impérissables  avaient  suivi  le  célèbre  poème 
épique  composé  par  le  jeune  Arouet  (3)  sur  les  bords  de  la  rivière 
d'Orvanne!  Tous  ces  souvenirs,  en  reportant  son  esprit  aux  débuts 
de  sa  longue  et  orageuse  carrière,  n'ont-ils  pas  impressionné  vive- 
ment le  poète-philosophe;  et,  le  lendemain,  lorsqu'à  neuf  heures  du 
matin, il  quitta  Moret,  ne  dut-il  pas  laisser  tomber  un  regard  d'adieu 
et  de  regret  sur  ce  pays,  qui  avait  été  le  témoin  de  ses  plus  pures 
inspirations  poétiques  et  qu'il  traversait  pour  la  dernière  fois? 

Ce  serait  sortir  de  mon  sujet  que  de  raconter  la  suite  du  voyage 
de  Voltaire,  son  arrivée  à  Paris,  l'ovation  dont  il  fut  l'objet  de  la 
part  du  peuple,  de  la  cour  et  de  l'Académie  elle-même,  et  sa  mort 
arrivée  le  30  mai  1778.  Qu'il  me  suffise  d'avoir  appelé  l'attention 
sur  la  petite  auberge  qui  avait  abrité  l'un  des  plus  grands  génies 
littéraires  du  dix-huitième  siècle  et  oià,  trente-sept  ans  plus  tard, 
le  plus  grand  génie  guerrier  des  temps  modernes  vint  chercher 
l'hospitalité. 

On  sait  que  Napoléon  partit  de  Vile  d'Elbe  sur  le  navire  l'In- 
conskmt,  le  26  février,  à  huit  heures  du  soir;  qu'il  aborda  au  golfe 
Juan  le  1"  mars;  qu'après  avoir  traversé  Grenoble,  Lyon  et 
Auxerre ,  entraînant  avec  lui  toutes  les  troupes  échelonnées  sur 
son  passage  ou  envoyées  pour  le  combattre ,  il  arriva  le  19  au  soir  à 
Moret  avec  un  corps  d'armée  composé  de  quatre  divisions  ;  qu'il  y 

(1)  Tous  ces  détails  sont  de  la  plus  grande  exactitude.  Je  les  tiens  de  M.  Che- 
vreauj  vieillard  instruit  et  intelligent,  mort  il  y  a  quelques  années,  qui  avait,  à 
l'âge  de  dix  ans  assisté  à  l'arrivée  de  Voltaire  à  Moret.  Sa  mémoire  était  très-fidèle; 
car  il  se  rappelait  jusqu'aux  noms  des  deux  postillons  jui  conduisaient  le  carrosse 
du  voyageur  et  qui  s'appelaient  Courcelle  et  Floucaud. 

(2)  Voir  la  remarquable  notice  do  M.  Lljuillier  sur  le  cbàleau  de  Saint-Ange, 
insérée  dans  le  premier  bulletin  de  la  Société,  page  203. 

(y)  Arouet  (François Marie),  ajouta  le  nom  de  Voltaire  à  son  nom  de  Cmiille  au 
mois  de  novemi;re  171^.  Il  avait    alors  2'i  nnsetileini. 


—  124  — 

passa  une  partie  de  la  nuit  en  attendant  le  retour  des  grand'gardes 
qui  avaient  été  expédiées  en  éclaireurs  pour  sonder  la  forêt  ;  qu'il 
arriva  le  20,  à  quatre  heures  du  matin,  à  Fontainebleau  et  que  le 
soir  même,  après  une  marche  triomphale  que  la  postérité  regar- 
dera comme  un  des  prodiges  les  plus  étonnants  de  l'histoire,  il  fit 
son  entrée  dans  la  capitale  du  royaume,  redevenue  par  sa  seule 
présence  la  capitale  de  l'empire. 

A  Moret,  où  il  ne  séjourna  qu'environ  six  heures,  l'Empereur 
vint  s'intaller,  avec  son  état-major,  dans  un  corps  de  logis  qui 
dépendait  de  l'ancienne  auberge  de  la  belle  image ,  et  il  y  occupa 
une  modeste  chambre,  préparée  à  la  hâte,  dans  laquelle  il  consacra 
plus  de  temps  au  travail  qu'au  sommeil,  et  qu'il  quitta  bien  avant 
le  jour. 

Cette  chambre  existe  encore  telle  qu'elle  était  à  cette  époque. 
Les  travaux  de  construction  de  la  maison  qui  remplace  aujourd'hui 
l'auberge,  ne  l'ont  pas  atteinte  et  le  propriétaire,  M.  Clément,  a 
conservé  les  objets  dont  Napoléon  a  fait  usage ,  notamment  un 
beau  saladier  en  porcelaine  qui,  par  une  méprise  du  grand  homme, 
a  reçu,  en  cette  nuit  mémorable,  une  destination  tout  à  fait  étran- 
gère à  ses  ordinaires  attributions. 

Il  y  a  dix  ans  environ,  M.  Desmarets,  maire  de  Moret,  a  fait 
placer  au-dessous  de  l'unique  fenêtre  qui  éclaire  sur  la  grande  rue 
la  chambre  où  a  couché  l'Empereur,  une  plaque  en  marbre  noir, 
sur  laquelle  est  gravée  en  lettres  d'or  l'inscription  suivante  : 
«  Napoléon  I",  au  retour  de  l'île  d'Elbe,  a  passé  dans  cette 
»  chambre  la  nuit  du  19  au  20  mars  1815.  » 

Pour  terminer  l'historique  de  l'auberge  de  la  belle  image,  j'ajou- 
terai que,  lors  de  sa  démolition,  on  a  trouvé  dans  les  terres  que 
recouvrait  le  pavé  de  la  cour  ,  un  certain  nombre  de  monnaies 
romaines  à  l'effigie  des  empereurs  Vespasien,  Trajan  et  Marc- 
Aurèle.  Je  n'en  concluerai  pas  que  l'hôtellerie  remontait  au  temps 
des  Césars  et  des  Antonins;  je  tiens  à  constater  seulement  que 
les  Romains  ont  laissé  sur  son  emplacement,  comme  en  plusieurs 
autres  endroits  de  la  ville,  des  traces  de  leur  passage. 

Je  vous  demande  pardon  de  vous  avoir  entretenu  d'un  sujet  de 
si  peu  d'importance.  Mais,  comme  l'histoire  locale  me  paraît  avoir 
pour  principal  objet  d'enregistrer  les  faits  particuliers  que  dé- 
daigne l'histoire  générale,  j'ai  pensé  qu'il  n'était  pas  sans  quelque 
intérêt  de  conserver  le  souvenir  du  court  séjour  que  firent  à  Moret 
Voltaire  et  Napoléon. 


PL.I 


JDevareime. 


DALLE    FUNERAIRE  A   SAINT-LOUP-DE-NAUD. 


!2o 


UNE  VISITE  A  SAINT-LOUP-DE-NAUD. 

PAR  M.   G.  LEROY, 
Membre  fondateur  (Section  de  Meliin). 


Au  lendemain  de  la  séance  générale  de  la  Société  d'Archéologie 
de  Seine-et-Marne,  tenue  à  Provins  le  25  mai  1863,  plusieurs 
Sociétaires,  qui  y  avaient  assisté,  se  dirigeaient  vers  Saint- Loup- 
de-Naud  (1).  Sous  l'émotion  que  leur  avaient  inspirée  les  curio- 
sités archéologiques  de  l'ancienne  capitale  des  comtes  de  Cham- 
pagne ,  ils  pouvaient  croire  qu'ils  étaient  au  terme  de  leurs 
admirations;  il  n'en  était  rien.  L'édifice  qu'ils  se  proposaient  de 
visiter  soutint  aisément  le  rapprochement  avec  les  monuments 
provinois  qu'ils  venaient  de  quitter.  Favorablement  disposés, 
d'ailleurs,  par  l'agrément  des  sites  qu'ils  traversèrent  pédes- 
trement,  pour  se  rendre  de  la  station  de  Longaeville  au  lieu  de 
leur  excursion,  ils  ne  purent  retenir  un  cri  d'enthousiasme, 
lorsque  le  portail  de  Saint-Loup  apparut  devant  eux.  Il  n'y  eut 
qu'une  voix  pour  en  proclamer' la  beauté,  pour  en  exalter  le  triple 
caractère,  artistique,  hiératique  et  mystique;  pour  en  louer  la 
conservation,  fait  rare  dans  notre  pays,  que  tant  de  guerres  ont 
dévasté. 

L'architecture  intérieure  de  l'église  répond  au  portail.  Tout 
y  est  beau,  complet  et  harmonieux.  Le  style  du  xi"  siècle  s'y 
montre  dans  son  impostante  sévérité,  accolé  au  style  plus  élégant 
du  siècle  suivant,  qui  employa,  concurremment  et  avec  bonheur, 
le  plein-cintre  et  l'ogive. 

La  description  de  l'église  de  Saint- Loup  demande  une  mono- 
graphie spéciale  et  de  laborieuses  études.  Deux  de  nos  confrères, 
MM.  Félix  Bourquelot  et  Fichot,  ont  abordé  ce  sujet  et  l'ont 
traité  avec  le  talent  et  le  savoir  qui  les  caractérisent  (2).  Après 
avoir  trouvé  les  historiens  qui  ne  pouvaient  lui  faire  défaut,  ce 
monument  ne  saurait  être  privé,  non  plus,  des  réparations  dont 

(1)  C'étaient  MM.  Beauvilliers,  Carro,  Courtois,  Grésy,  Lhuillier  et  G.  Leroy. 

(2)  Notice  sur  l'ancien  prieuré  de  Saint-Loup-de-Naud,  avec  pièces  justificatives, 
par  M.  Félix  Bourquelol  ;  Bibliothèque  de  l'école  des  Chartes.  —  Les  Monuments 
de  Seine-et-Marne,  par  MM.  Fichot  et  Aufauvre. 


—  mi  — 

il  a  tant  besoin,  pour  l'arracher  à  une  ruine  imminente.  Si  le 
portai],  si  l'extérieur  tiennent  les  promesses  de  leur  renommée  ; 
si  les  troubles  du  moyen -âge  ont  épargné  ce  que  les  générations 
contemporaines  des  premiers  Capétiens  ont  élevé,  le  temps,  qui 
ne  respecte  rien,  se  montre  plein  de  menaces.  Une  humidité  cons- 
tante et  un  défaut  presque  absolu  de  réparations,  mettent  en  péril 
la  partie  orientale  de  la  construction.  Les  voûtes  et  les  arcades 
sont  étayées,  en  prévision  d'une  chute  prochaine;  le  culte  n'est 
plus  exercé  que  dans  les  travées  voisines  du  porche.  Le  bon  aspect 
des  murs  extérieurs  et  du  portail,  la  solidité  du  clocher  roman  et 
des  absides  trinitaires  font  naître  des  espérances  qui  s'éva- 
nouissent en  franchissant  le  seuil.  Un  sentiment  de  tristesse 
succède  à  la  satisfaction  qui  semblait  réservée.  Mais,  en  présence 
de  ce  délabrement,  on  aime  à  penser  que  l'Administration  supé- 
rieure, qui  déjà  s'est  chargée  de  la  conservation  du  portail,  en  le 
classant  parmi  les  monuments  historiques,  étendra  sa  sollicitude 
à  l'église  entière,  qui  la  mérite  au  même  titre.  L'urgence  de  cette 
mesure  est  grande,  si  l'on  veut  éviter  des  ruines  plus  fâcheuses, 
qui  pourraient  être  irrémédiables. 

Sous  l'influence  de  ces  réflexions,  les  Archéologues,  qui  visi- 
taient Saint-Loup,  le  26  mai  dernier,  se  dédommageaient,  par 
l'examen  des  détails  de  l'édifice,  de  la  privation  d'un  aspect  d'en- 
semble plein  de  grandeur  et  d'harmonie,  et  de  l'absence  d'une 
élégante  perspective  rompue  par  des  cloisons  et  des  étais.  Ils 
admiraient  ici  de  charmantes  colonnettes  géminées  du  xn"  siècle, 
supportant  les  voûtes  de  la  salle  des  cathécumènes;  plus  loin,  une 
délicate  menuiserie,  véritable  dentelle,  dont  le  coquet  agencement 
le  dispute  au  fini.  Ils  s'essayaient  à  déchiffrer  le  sens  caché  des 
sculptures,  ou  bien  à  lire  les  pierres  funéraires  dont  le  sol  est 
parsemé. 

Au  milieu  de  leurs  recherches  et  de  leurs  attrayantes  surprises, 
une  pierre  du  dallage,  placée  dans  le  côté  droit  du  transept,  attira 
leur  commune  attention.  Ce  n'était  pas  la  tombe  d'un  moine  ou 
d'un  prieur  de  Saint-Loup;  encore  moins  celle  d'un  haut  et 
puissant  seigneur;  elle  ne  présentait  pas  cette  imagerie  splendide 
qui  excite,  à  bon  droit,  l'intérêt  des  amateurs.  Aucun  nom, 
aucune  légende  n'y  étaient  inscrits,  mais  trois  signes  y  étaient 
gravés.  Et  il  suffit  de  ces  signes  pour  mériter  à  la  modeste  pierre 
l'attention  recueillie  de  nos  Archéologues,  Quel  était  donc  ce 
mystère,  quels  étaient  ces  caractères,  ces  hiéroglyphes,  dont  le 
mutisme  avait  tant  d'éloquence  ? 


!0 


-J.t 


Dans  cette  dalle ,  ornée  d'une  croix  trilobée  de  la  fin  du 
XTi''  siècle,  d'un  marteau  et  d'une  équerre,  il  était  impossible  de 
méconnaître  la  sépulture  d'un  architecte,  d'un  maître  de  l'œuvre 
ou  appareilleur,  —  comme  on  voudra  le  qualifier,  —  qui  concourut 
à  la  construction  de  l'église,  et  dont  le  nom,  par  un  profond  sen- 
timent d'humilité,  s'est  englouti,  avec  son  talent,  dans  le  silence 
de  la  tombe  (i).  Et,  dès  lors,  comment  rester  impassible  devant 
une  si  grande  abnégation,  que  rehausse  surtout  l'importance  de 
l'édifice  oh  elle  se  produit?  Un  religieux  artiste  du  moyen-âge  put 
seul  accomplir  ce  sacrifice.  Ce  qui  confirme  cette  opinion,  ce  sont 
les  prescriptions  de  l'ordre  de  Saint-Benoist ,  auxquelles  était 
soumis  le  prieuré  de  Saint-Loup.  Le  fondateur  de  cet  ordre 
célèbre  avait  fait,  de  l'humilité,  la  première,  et,  pour  ainsi  dire,  la 
seule  recommandation  de  sa  règle  aux  moines  qui  cultivaient  les 
arts.  —  a  S'il  y  a  des  artistes  dans  le  monastère,  avait-il  dit,  qu'en 
»  toute  humilité  et  révérence  ils  exercent  leur  art,  si  l'abbé  le 
»  permet.  Que  si  quelqu'un  d'eux  s'enorgueillit  pour  la  science  de 
»  son  art,  parce  qu'il  lui  semble  être  de  quelque  utilité  au  monas- 
»  tère,  qu'il  soit  arraché  à  sa  pratique,  et  qu'il  n'y  revienne  qu'a- 
»  près  l'ordre  de  l'abbé.  » 

Il  semble  qu'on  ne  pouvait  exiger  plus  d'humilité  et  d'obéis- 
sance de  la  part  de  subordonnés;  mais,  chose  remarquable,  les 
disciples  s'astreignirent  plus  rigoureusement  encore  aux  instruc- 
tions du  maître.  La  tombe  de  l'architecte  de  Saint-Loup  en  est  un 
éclatant  exemple.  L'auteur  d'une  œuvre,  qui  est  une  étincelle  de 
génie,  ne  réclama  rien  autre  chose  pour  la  décoration  de  sa  sépul- 
ture, que  la  croix  au  pied  de  laquelle  il  cherchait  ses  inspirations, 
que  le  marteau  et  l'équerre  qui  lui  servaient  à  les  traduire.  Son 
nom  peut  demeurer  ignoré.  Qu'ajouterait-il  au  monument  où 
rayonne  son  talent,  et  qu'en  résulterait-il  de  plus  pour  sa  gloire  ? 
Ce  qui  vaut  mieux  qu'un  nom,  c'est  l'œuvre  elle-même,  et  ici,  elle 
subsiste  intacte,  pure,  belle  et  grande,  comme  l'artiste  la  conçut, 
telle  qu'il  l'exécuta.  Le  mystère  qui  environne  ce  nom  offre,  au 
contraire,  certain  attrait  qui  pique  la  curiosité,  intrigue  et  invite 
à  pénétrer  davantage  dans  la  personnalité  de  celui  qui  le  fait 
naître.  L'imagination  fait  revivre  le  moine  artiste,  dont  l'unique 


(1)  Dans  son  Traité  d'architecture  monaâtique,  M.  Albert  Lenoir  cite  l'exemple 
«l'une  tombe  sans  légende,  trouvée  dans  les  catacombes  de  Rome,  sur  laquelle  se 
trouvaient  gravés  un  marteau,  une  équerre,  un  ciseau,  etc.  Il  n'hésite  pas  a  y 
reconnaître  la  sépulture  d'un  architecte. 


—   128  — 

préoccupation  fat  d'entrevoir  un  rayon  de  la  véritable  beauté, 
dont  la  pensée  lut  une  contemplation,  l'œuvre  une  formule  de  foi. 
Une  pompeuse  inscription  n'aurait  pas  le  pouvoir  des  signes  que, 
dans  sa  modestie,  et  pour  seule  oraison  funèbre,  il  fit  graver  sur 
sa  dalle  funéraire  ! 


129 


COMPTE -RENDU 

Des  dépenses  occnsionnées  par  les  fouille  ;  de  la  place  Notre-Dame  de  Melun, 

PAR   M.  G.   LEROY, 
Membre  fondateur  («îicction  de  Meliin). 


Messieurs, 

La  Commission  que  vous  avez  nommée  le  4  septembre  1864, 
pour  diriger  les  fouilles  de  la  place  Notre-Dame,  vous  a  rendu 
compte,  par  mon  intermédiaire,  des  résultats  archéologiques  de  sa 
mission,  dans  la  séance  du  9  juillet  1863  (1).  Aujourd'hui,  chargé 
par  elle  de  l'honneur  de  vous  entretenir  de  la  situation  financière 
de  ses  opérations,  je  viens  m'acquitter  de  ce  soin. 

Pour  commencer  les  fouilles,  votre  Commission  disposait  d'une 
somme  de  600  francs,  fournie  moitié  par  la  Commission  de  la 
Topographie  des  Gaules,  instituée  près  le  Ministère  de  l'Instruc- 
tion publique ,  et  moitié  par  le  Conseil  municipal  de  la  ville  de 
Melun  en  1864.  La  difflculté  des  travaux  ne  tarda  pas  à  absorber 
cette  ressource;  c'était  avec  le  plus  profond  regret  que  votre  com- 
mission se  voyait  forcée  d'interrompre  son  entreprise,  et  cela  au 
moment  même  où  les  découvertes  de  chaque  jour  devenaient  des 
plus  précieuses.  Elle  intéressa  de  nouveau  à  sa  cause  la  Commis- 
sion delà  Topographie  des  Gaules  et  le  Conseil  municipal  de  notre 
ville  provoqua  une  souscription  entre  les  membres  de  la  Société, 
obtint  une  allocation  de  M.  le  PréleL,  et  vous  voulûtes  bien  aussi 
accorder  une  pareille  allocation  sur  les  fonds  réservés  à  la  Section 
de  Melun.  Une  nouvelle  somme  de  700  francs,  ainsi  réunie,  per- 
mit de  mener  à  bonne  fin.  des  fouilles  véritablement  exception- 
nelles par  les  difficultés  qu'elles  présentaient  et  l'importance  de 
leurs  résultats.  Les  travaux ,  auxquels  quatre  ouvriers  ont  été 
occupés  chaque  jour,  ont  duré  près  de  trois  mois.  lisent  nécessité 


(1)  Voir  le  Bulletin  de  la  SociéU;,  année  1868. 

9 


—  130  — 

l'emploi  de  la  mine,  l'intervention  de  charpentiers  ,  de  maçons  et 
maintes  fournitures  d'un  prix  élevé.  Mais  je  me  hâte  d'ajouter 
que  les  prévisions  n'ont  pas  été  dépassées,  et  que  nos  comptes  pré- 
sentent un  exédant  actif. 

Notre  honoré  confrère,  M.  Latour,  receveur  municipal  de  la 
ville  de  Melun,  a  été  constitué  dépositaire  d'une  somme  de  800 
francs  composée  : 

1°  Des  300  francs  accordés  par  MM.  les  Membres  de 
la  Commission  de  la  Topographie  des  Gaules  en  1864.     .      300''    » 

2"  De  pareille  somme  votée  par  le  Conseil  municipal 
de  Melun,  dans  la  môme  année 300    » 

3°  De  100  francs  votés  par  le  même  Conseil,  le  13  juin 
dernier 100     » 

4°  Et  de  semblable  somme  allouée  le  24  juillet  aussi 
dernier,  par  M.  le  Préfet  de  Seine-et-Marne.     ...       100     » 

Ensemble      800    » 

M.  LaLour  a  payé  : 

Au  sieur  Mauraud  ,  chargé  des  travaux  de  terrassement ,  de 
ceux  de  charpente  et  de  dilférentes  fournitures  : 

Le  6  juillet,  pour  journées  d'ouvriers,  en  deux  man- 
dats   384^  04 

Le  même  jour,  pour  poudre  de  mine 'J  G5 

Le  8  ,  pour  journées  de  charpentiers ,    réparations 

d'outils  et  fournitures 74  65 

Le  42  août,  pour  journées  de  terrassiers.     .     .'     .     .  293  12 

Et  le  même  jour ,  pour  fournitures  diverses     .     .     .  37  94 

Total  égal      800     » 

Le  compte  de  M.  Latour  se  trouve  ainsi  complètement  soldé,  et 
nous  n'avons  plus  qu'à  remercier  notre  excellent  confrère  de  son 
empressement  à  faciliter  la  tâche  de  la  Commission. 

Notre  autre  confrère,  M.  Courtois,  trésorier  central  de  la  So- 
ciété, n'a  pas  craint  d'ajouter  au  labeur  des  nombreuses  fonctions 
dont  il  est  chargé,  le  surcroît  d'un  nouveau  compte  spécial  aux 
Ibuilles.  Avec  sa  bienveillance  et  son  empressement  habituels,  il 
s'est  fait  aussi  le  trésorier  de  votre  commission. 

Ses  recettes,  faites  ou  à  laire,  consistent  dans  : 

1"  100  francs   alloués  par    la  Section  de  Melun,  le  9  juillet 


—  131    - 

dernier iOÙ^  » 

2°  200  francs  accordés  de  nouveau  par  la  Commission 
de  ]a  Topographie  des  Gaules.     ........      200    » 

3°  Et  semblable  somme  à  laquelle  s'est  élevé  le  mon- 
tant de  la  souscription  ouverte  entre  les  membres  de  la 
Société     .     .     • 200     .. 


Ensemble      500^   » 

M.  Courtois  a  payé  : 

1°  Le  22  juillet  pour  fournitures  diverses, 
photographies  de  l'aspect  des  fouilles,  impres- 
sions de  circulaires,  affranchissements,  répa- 
rations de  poteries  et  gratifications  aux  ou- 
vriers             83^  65 

2°  Le  5  août,  au  sieur  Mauraud,  pour  solde 
de  journées  et  fournitures .      157  13 

3°  Le  16  du  même  mois,  au  sieur  Lucas, 
maître  maçon,  pour  journées  et  fournitures     .        45     » 

4°  Le  25  septembre,  à  M.  Louviot ,  pour 
photographie  des  principales  antiquités.     .     .        30     » 

5"  Et  à  M.  Decourbe  ,  pour  dessins  qui 
ont  été  gravés  et  figurent  au  Bulletin  de  1865        40    » 

Total  des  dépenses       355^78      355^  78 

Il  restera  donc  disponible,  sur  la  somme 
encaissée  par  M.  Courtois 144^  22 

Cette  somme  recevra  la  disposition  que  vous  jugerez  h  propos. 

En  terminant,  permettez-moi,  messieurs,  de  vous  soumettre 
quelques  réflexions. 

La  conservation  de  nos  antiquités  est  de  la  plus  haute  impor- 
tance. Il  est  urgent  de  les  mettre  à  l'abri  du  contact  du  public  et 
de  leur  épargner  toute  dégradation  qui  serait  une  perte  irrémé- 
diable pour  l'histoire  et  la  science.  Ce  ne  sont  pas  seulement  des 
pierres  qui  sont  réunies  sous  les  galeries  de  l' Ho  tel-de-ville,  c'est 
une  longue  suite  d'annales,  c'est  l'histoire,  jusqu'alors  inconnue 
de  notre  cité  pendant  les  quatre  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne. 
Qu'on  juge  après  cela  du  soin  que  leur  conservation  réclame  !  La 
ville  de  Melun  en  doit  être  aussi  fière  que  de  ses  vieilles  traditions 
de  gloire  et  de  patriotisme.  Or,  une  lettre  effacée  dans  une  inscrip- 
tion, la  mutilation  d'une  sculpture  peuvent  altérer,  détruire  même 


—  132  — 

la  preuve  de  faits  et  de  déductions  qui  constituent  ces  annales  et 
cette  page  historique. 

Je  n'ai  pas  besoin  d'insister  davantage  ;  vous  partagez,  Mes- 
sieurs, toute  ma  conviction  et.  comme  moi  ,  vous  reconnaissez 
qu'il  est  indispensable  d'élever  une  légère  barrière  entre  les  dé- 
bris des  édifices  de  Melodunum  et  le  public  du  xix*'  siècle  ,  — 
public  dont  je  ne  voudrais  pas  mal  parler  ,  —  mais  qui,  dans  son 
indifférence  ou  dans  sa  légèreté,  pourrait  bien  ne  pas  avoir  pour 
ces  contemporains  d'un  autre  âge  tout  le  respect  auquel  ils  ont 
droit.  Ai-je  besoin  d'ajouter  que  parmi  lui  sont  les  enfants,  sou- 
vent portés  au  malin  plaisir  de  détruire. 

Notre  Société  réunit,  en  un  nombre  qui  l'honore,  des  membres 
du  Conseil  municipal  de  Melun.  Leur  concours  a  lieu  de  me  ras- 
surer sur  le  sort  de  nos  antiquités.  Leur  dévouement  aux  intérêts 
de  la  cité,  leur  patriotisme  et  leurs  lumières  me  donnent  le  ferme 
espoir  qu'ils  voudront  bien  se  faire,  au  sein  du  Conseil,  les  avocats 
de  la  conservation  des  souvenirs  de  Melodunum^  et  qu'ils  l'assure- 
ront en  y  associant  tous  leurs  collègues. 

Après  la  lecture  de  ce  rapport,  la  Section  décide  que  «  le  reli- 
»  quat  actif  qui  s'y  trouve  constaté,  restera  déposé  entre  les  mains 
»  de  M.  Courtois,  trésorier  de  la  Société,  pour  recevoir  la  desti- 
»  nation  qui  sera  indiquée  ultérieurement.  Elle  maniiéste  le  désir 
»  que  ce  nouveau  travail  de  M.  Leroy,  sur  les  fouilles  de  la  place 
»  Notre-Dame  de  Melun,  figure  au  Bulletin  et,  à  cet  effet,  elle  en 
»  ordonne  le  renvoi  au  Comité  central.  » 


—  133  - 

NOTICE  SUR  UN  DOUBLE  DENIER  DE  SEDAN, 

TROUVÉ  DANS  LES  ENVIROiNS  MEAUX, 

PAR    M.     DE    GINOUX 
Membre   fondateur  (  Section   de   nieaux  ). 


Des  ouvriers  employés  à  l'exploitation  d'une  sablonnière,  ont 
trouvé,  en  décembre  -1860,  dans  la  Varenne  de  Meaux,  une  pièce 
de  monnaie  ancienne  qui,  bien  qu'ayant  au  premier  aspect,  l'ap- 
parence de  l'or,  était,  en  réalité,  de  cuivre.  Sa  valeur  intrinsèque 
est  donc  tout  à  fait  nulle,  mais  il  n'en  est  pas  absolu  ment  de  même 
de  sa  valeur  historique.  C'est  du  moins  ce  que  font  penser  les 
détails  qui  suivent. 

Cette  pièce  qui  est  du  module  et  de  l'épaisseur  d'une  pièce  de 
dix  francs  de  notre  monnaie  d'or,  et  sur  laquelle  sont  inscrits, 
au  revers,  les  mots  :  ((  double  de  Sedan,  »  est  un  double  denier 
de  la  petite  principauté  indépendante  qui  a  porté  le  nom  de  cette 
ville.  On  y  voit  en  outre  distinctement  trois  fleurs  de  lys  héral- 
diques, une  tour  surmontée  d'une  autre  fleur  de  lys  de  moindre 
dimension,  et  deux  croissants. 

La  face  représente  la  tête  d'un  personnage  que  désigne  claire- 
ment la  légende  suivante  : 

F.  M.  D.  L.  TOVR.  DVC-  D.  BOVILLOiN. 

Indication  qu'on  peut  considérer  comme  très-précise,  les  La 
Tour  d'Auvergne  ayant  été  ducs  de  Bouillon  et  princes  de  Sedan. 

L'époque  où  la  pièce  dont  il  s'agit  a  été  frappée,  resterait  incer- 
taine, aucun  millésime  n'y  étant  inscrit,  si  l'histoire  ne  suppléait 
à  cette  insuffisance  et  si  elle  n'enseignait  qu'il  a  existé  un  duc  de 
Bouillon  du  nom  de  Frédéric-Maurice. 

Henri  de  la  Tour  d'Auvergne,  vicomte  de  Turennu,  père  de 
Frédéric-Maurice,  avait  acquis  tout  à  la  fois  le  duché  de  Bouillon 
et  la  principauté  de  Sedan  par  son  mariage  (1591)  avec  Charlotte 
de  la  Murck,  lille  de  Henri  Robert  de  la  Marck,  duc  de  Bouillon. 
Mais  les  titres  que  cette  union  lui  avait  conférés,  et  que  le  testa- 


—  134  — 

ment  de  la  duchesse,  morte  en  1594,  avait  confirmés,  ne  devaient 
pas  appartenir  longtemps  à  sa  famille.  Frédéric-Maurice  qui 
trempa  dans  la  conjuration  de  Cinq-Mars,  en  fut  puni,  dès  1642, 
par  la  réunion  à  la  France  de  la  principauté  dont  la  mort  de  son 
père  l'avait  investi  en  1623.  C'est  donc  entre  cette  mort  du  pre- 
mier prince  de  Sedan,  de  la  maison  de  la  Tour  d'Auvergne,  et  la 
déchéance  de  son  fils,  c'est-à-dire  entre  1623  et  1642,  qu'il  faut 
placer  la  date  à  laquelle  fut  frappée  la  pièce  de  monnaie  qui  nous 
occupe. 

Le  châtiment  infligé  au  duc  de  Bouillon  n'eut  pas  du  reste 
grande  efficacité.  On  le  voit  en  effet  devenir  bientôt  l'âme  du 
parti  de  la  Fronde  que  le  maréchal  de  Turenne,  son  frère,  devait 
embrasser  à  son  tour. 

La  présence  d'un  double  de  Sedan  dans  un  lieu  voisin  de  Meaux, 
semble  naturellement  expliquée  par  les  troubles  auxquels  le  duc 
de  Bouillon  lut  mêlé.  Les  Espagnols  qui  envahirent  la  France  à 
l'appel  des  chefs  de  la  Fronde,  ravagèrent  particulièrement  le  pays 
meldois,  et  il  est  permis  de  penser  que  la  principauté  de  Sedan 
leur  fournit  son  contingent  de  soldats. 

Quand  au  double  lui-même,  on  peut  le  considérer  comme  un 
objet  relativement  assez  rare,  le  duc  de  Bouillon  Frédéric-Maurice 
n'ayant  pu,  en  vingt  ans  au  plus,  en  frapper  qu'un  nombre  très- 
limité.  Mais  il  est  précieux  à  un  autre  titre  encore. 

On  sait  que  le  droit  de  battre  monnaie  était  un  attribut  essentiel 
et  presqu'exclusif  de  la  royauté.  Los  seigneurs  féodaux,  les  arche- 
vêques, les  évêques,  les  principaux  barons,  en  fabriquèrent  dans 
leurs  terres  au  mojen-âge  ;  mais  le  pouvoir  royal  ayant  absorbé 
peu  à  peu  ces  petites  souverainetés,  le  droit  de  battre  monnaie 
finit  par  se  concentrer  dans  la  main  du  chef  de  l'état.  On  peut 
donc  admettre  avec  raison  que  la  principauté  de  Sedan  a  fourni 
l'un  des  derniers  exemples  de  l'exercice  de  ce  privilège. 


—  136  — 


CONSTÂNTINOPLE , 

FRA(ÎMEKT   D'UN  JOUKNAL   DE   VOYAGE    EN    ITALIE,  EN    (il'.EGE 
ET   EN  TUUQUIE,    EN    1861    (1), 

PAR  M.   FÉLIX  nOLRQUELOT 
Membre   foticlateur  (Section  de  Provins). 


Samedi  24  rmtd.  —  Le  Jour  commence  à  paraître;  notre  navire  à 
vapeur,  le  Phnse,  quittant  les  Dardanelles,  entre  et  s'avance  fière- 
ment dans  les  eaux  du  Bosphore  de  Thrace.  Nous  voguons  au 
milieu  d'un  long  canal,  limité  à  droite  par  la  côte  d'Asie,  qui 
porte  les  mosquées,  les  habitations  et  le  cimetière  de  Scutari,  à 
gauche  par  la  côte  d'Europe,  sur  laquelle  s'échelonnent  en  amphi- 
théâtre la  ville  de  Constantinople  proprement  dite,  et,  au-delà  du 
goMe  étroit  et  profond  de  la  Corne  d'Or,  les  quartiers  de  Galata  et 
de  Péra.  Une  vapeur  assez  intense  voile,  dans  les  premiers  mo- 
ments, quelques  lignes  du  tableau  mouvant  qui  s'offre  à  nos  yeux; 
mais  le  soleil,  en  se  levant  dans  un  ciel  d'azur,  dissipe  peu  à  peu 
la  brume  matinale  et  fait  resplendir  tous  les  objets  d'un  éclat  in- 
fini. Des  murailles  garnies  de  tours  crénelées,  qui  semblent  sor- 
tir du  sein  des  flot^ ,  des  collines  couvertes  de  maisons  aux  cou- 
leurs vives,  aux  fenêtres  treillissées  ,  de  longues  suites  de  palais  ; 
des  dômes  resplendissants,  des  minarets  dont  les  colonnes  sveltes 
et  gracieuses  montent  vers  le  ciel  comme  la  prière  du  croyant, 
une  multitude  de  jardins  dont  la  verdure  s'éparpille  entre  les 
murs  et  les  toits,  en  formant  les  contrastes  les  plus  inattendus, 
une  incroyable  variété  de  tons  et  d'aspects,  un  ensemble  magni- 
fique et  des  détails  enchanteurs,  voilà  ce  qui  m'a  frappé  dans  un 
rapide  coup  d'œil  jeté  avec  ime  curiosité  avide  sur  la  ville  des 
sultans.  Que  l'on  ajoute  les  eaux  transparentes  et  pailletées  du 
Bosphore,  les  navires  rangés  comme  une  armée  dans  l'échancrure 
qui  forme  l'entrée  de  la  Corne  d'Or,  les  caïqs,  bateaux  longs, 
légers,  élégants,  qui  passent  avec  la  vitesse  de  l'oiseau,  manœu- 

(1)  D'autres  fragments  de  ce  voyage  o.ii  pnru  dans  les  Nouvelles  annales  des 
votj(i<je%  (septembre  1863),  et  dan.<  les  M é m  •ires  de  la  Société  des  antiquaires  de 
France. 


—  136  — 

vrés  par  de  robustes  rameurs,  une  Inmicrc  éclatante,  un  ciel  du 
bleu  le  plus  pur,  et  l'on  comprendra  le  sentiment  de  plaisir  et 
d'admiration  que  le  voyageur  éprouve  quand  il  visite  ces  lieux 
pour  la  première  fois  :  C'est  comme  un  doux  rêve.  La  baie  de 
Naples,  dont  cependant  l'efTet  saisit  si  vivement  l'imagination, 
doit,  ce  me  semble,  céder  la  palme  de  la  beauté  ;  elle  est,  selon 
moi,  acquise  au  Bosphore. 

Constantinople,  la  ville  de  Constantin,  que  les  turcs  appellent 
htamhoul  ou  Stamboul,  par  corruption  des  mots  grecs  zlç  ttjv  toXiv 
(à  la  ville),  portait,  comme  on  sait,  primitivement  le  nom  de  By- 
sance.  Fondée  au  vii'^  siècle  avant  J.-C,  elle  pnssa  des  mains  des 
Grecs  dans  celles  des  Perses,  auxquels  les  Grecs  la  reprirent.  Après 
avoir  été  déclarée  ville  libre  parles  Romains,  elle  fut  réduite  par  Ves- 
pasienà  la  condition  de  province  romaine,  et  Constantin  le  Grand,' 
l'érigeant  en  capitale,  la  combla  de  faveurs  et  l'embellit,  de  somp- 
tueux éditices.  Elle  vit  décliner  sa  prospérité  sous  le  gouvernement 
des  empereurs  d'Orient  ;  conquise  par  les  Croisés  en  1203  et  1204, 
elle  retomba,  en  1261,  au  pouvoir  de  Michel  VIII  Paléologue,  qui 
y  rétablit  le  siège  de  l'empire  grec.  Enfin,  en  1453,  elle  devint  la 
proie  des  Turcs  ,  commandés  par  le  sultan  Mahomet  II,  et  depuis 
lors,  elle  sert  de  capitale  à  la  monarchie  Ottomane. 

Constantinople  se  compose  de  trois  parties  distinctes  :  1°  Stam- 
boul, sur  un  sol  triangulaire,  limité  de  deux  côtés  par  les  eaux 
du  Bosphore  et  de  la  Corne  d'Or,  fermé  du  troisième  par  une 
muraille  fortifiée,  et  contenant  le  palais  du  sérail,  les  mosquées 
de  Sainte  Sophie,  d'Ahmed,  de  Nouri-Osmani,  la  Suleimanié,  le 
Mohamadié,  etc,  les  bazars,  l'ancien  hippodrome;  — 2°  sur  la 
rive  opposée  de  la  Corne  d'Or  et  au  bor;l  du  Bosphore,  les  villes 
de  Féru  et  de  Galata,  peuplées  en  partie  d'Européens,  les  villages 
et  les  résidences  impériales  deTop-Hané,  de  Foundouklu  ,  de 
Bechik-Tasch,  d'Orta-Kcuï,  ctc  ;  —  3"  en  Asie,  sur  la  rive  Orien- 
tale du  Bosphore,  la  ville  deScutari,  qui  occupe  la  base,  les  flancs 
et  le  sommet  d'une  colline  assez  proéminente. 

Nous  voici  au  port!  La  douane  visite  nos  elï'els,  qu'une  barque 
(le  caïq  ne  convient  pas  pour  de  lourdes  charges),  transporte 
vers  la  côte  d'Asie.  C'est  là,  dans  le  quartier  élevé  et  bien  aéré  de 
Baglar-Bachtchi,  que  nous  devons  trouver  l'hospitalité  dans  une 
famille  amie.  Notre  barque,  après  un  assez  long  dctoui',  qui  lui 
permet  d'éviter  la  violence  des  coûtants,  nous  dépose  à  l'échelle  de 
Scu tari,  espèce  de  plancher  avancé,  près  duquel  peuvent  se  ran- 
ger les  embarcations. 


—  137  — 

Une  vaste  placo  est  ouverte  devant  nous.  A  gauche  on  remarqu(î 
un  café,  aux  abords  duquel  de  nombreux  fumeurs,  assis  sur  des 
bancs,  hument  tranquillement  la  vapeur  odorante  du  tabac  ;  un 
peu  au-delà,  entre  des  touffes  de  verdure,  se  dresse  le  minaret, 
s'arrondissent  la  coupole  et  les  dômes  en  plomb  de  la  mosquée  do 
Buyuk-Djumi  ;  au  centre,  s'élève  une  jolie  fontaine  de  marbre 
blanc,  peinte,  dorée,  ornée  d'arabesques  et  d'inscriptions  en  re- 
lief, et  couverte  d'un  toit  en  auvent.  La  place,  qui  sert  de  mar- 
ché, est  pleine  de  monde  ;  des  fruits  et  des  légumes  de  toute  sorte 
sont  déposés  sur  le  sol  ou  sur  des  étaux  en  bois.  Une  foule 
d'hommes  aux  costumes  variés  et  pittoresques,  des  voitures  ba- 
riolées de  couleurs  voyantes,  des  chevaux,  des  porteurs  chargés 
de  fardeaux,  s'agitent  autour  des  marchands;  un  murmure 
étrange  sort  des  groupes.  Co  ne  sont  plus  nos  vêtements,  nos 
mœurs,  notre  langage;  la  vie  orientale  apparaît  dans  toute  son 
originalité. 

Le  fils  de  nos  hôtes,  qui  nous  avait  rejoints  et  accompagnés  de- 
puis les  Dardanelles,  nous  fît  monter  dans  un  talika  (sorte  de 
fiacre),  qui  devait  nous  conduire  àBaglar-Bachtchi,  tandis  que  les 
bagages,  confiés  à  des  portefaix  ou  hammals,  partaient  de  leur  côté. 
Notre  talika,  point  en  rouge,  décoré  de  fleurs  et  d'ornements  d'or, 
est  surmonté  d'un  toit  qu'encadre  une  petite  tenture  rouge.  La 
caisse,  dépourvue  de  portières,  est  presque  complètement  ouverte 
sur  le  devant  et  sur  les  côtés,  et  on  entre  avec  assez  de  peine  par 
une  échancrure  pratiquée  entre  les  banquettes.  Je  ne  raconterai 
point  notre  voyage  à  travers  des  chemins  montueux  et  mal  pavés; 
il  suffit  de  dire  qu'il  se  termina  sans  accident,  sinon  sans  se- 
cousses, et  qu'en  arrivant,  nous  fûmes  reçus  avec  beaucoup  d'em- 
pressement et  de  grâce  par  les  amis  qui  nous  attendaient, 

La  maison  dans  laquelle  nous  entrions  peut  servir  de  type  aux 
habitations  des  gens  aisés  dans  ce  pays.  Elle  est  construite  en 
bois,  et  se  compose  d'un  rez-de-chaussée  et  de  deux  étages.  La  plus 
grande  partie  du  rez-de-chaussée  est  occupée  par  une  vaste  salle, 
qu'une  cloison  basse  et  percée  de  deux  petites  portes  termine  du 
côté  de  la  rue,  en  formant  vestibule.  Un  épais  badigeon  couvre  les 
murs;  une  fontaine  en  marbreblanc  se  montre  entre  un  double 
escalier  orné  de  colonnes  qui  mène  à  fétage  supérieur.  Cet  étage 
prolongé  en  appentis,  est  close  par  des  vitrages  qui  s'ouvrent  au 
besoin  pour  laisser  arriver  l'air  {;ur  qui  circule  ici  en  abondance, 
tandis  qu'on  se  ;'r>rantit  du  soleil  au  moyen  de  volets.  Une  anti- 
chambre nue,  un  salon  entouré  de  divans  et  de  banquettes,  deux 


—  138  — 

chambres  sanscheminccs,  une  fontaine  remplissent  en  entier  cette 
partie  de  la  maison.  La  disposition  du  second  étage  est  à  peu  près  ' 
la  même.  Il  y  a  un  jardin,  mais  petit  et  mal  tenu. 

Après  le  repas,  nous  sommes  allés  nous  promener  hors  de  le 
ville.  Des  jardins  et  des  villas  bo-rdent  les  chemins.  La  végétation 
n'a  plus  la  vigueur  exhubérante  qu'on  admire  à  Messine  et  à 
Malte.  Grâce  à  la  position  élevée,  et  au  voisinage  de  la  Mer-Noire, 
la  chaleur  est  tempérée  par  une  brise  continuelle,  et  le  ton  de  la 
verdure,  l'aspect  des  arbres  planlés  sur  les  routes,  rappellent 
presque  nos  contrées  occidentales.  Nous  avons  rencontré  plusieurs 
grandes  voitures  ou  arabas,  dans  lesquelles  étaient  entassées  des 
femmes  voilées,  comme  doivent  l'être  toutes  les  Mahométanes. 
Mais  le  diable  ne  perd  pas  grand'chose  h  ces  précautions  inventées 
par  la  jalousie  masculine.  Le  voile  est  plus  ou  moins  transparent, 
plus  ou  moins  serré;  d'ailleurs  l'œil  se  voit,  l'œil  brille  d'un  éclat 
très-vif  dans  ce  cadre  de  mousseline.  Les  voyageuses  chantaient 
une  cantilène  assez  monotone ,  que  j'ai  vainement  cherché  à 
retenir. 

Un  marchand  s'arrête  devant  nous;  il  dresse  une  petite  table 
qu'il  porte  avec  lui  ;  il  étale  avec  prestesse  une  boutique  à  compar- 
timents, qui  renferme  des  bombons  et  des  conlitures;  il  nous  vend 
moyennant  quelques  paras  (três-faible  monnaie)  des  morceaux 
blancs  ou  roses  de  Rahat  Loucoumia,  sorte  de  pâte  parfumée  et 
molle,  composée  de  sucre  et  d'amidon,  puis  il  continue  sa 
marche. 

En  rentrant  à  la  maison,  j'ai  contemplé  la  vue  qui  de  ses  fenê- 
tres, s'offre  aux  regards  ;  elle  est  immense  et  magnifique.  D'un 
côté,  on  découvre  des  campagnes  verdoyantes,  lamer  de  Marmara 
et  les  îles  des  Princes,  qui  ressemblent  à  de  grands  navires  se 
reposant  sur  les  flots  ;  de  l'autre,  l'œil  parcourt  Sculari  dans  tous 
ses  détails,  passe  sur  le  Grand  champ  des  morts,  sur  les  belles 
eaux  du  Bosphore,  et  s'arrête  avec  admiration  sur  les  lignes  gra- 
cieusement indécises  de  Gonstantinople. 

Dmianche,  25  (loîit.  —  Ges  dames  sont  allées  chercher  l'office 
divin  dans  la  chapelle  catholique  de  iScutari.  J'ai  traversé  avec 
elles  plusieurs  rues,  dont  toutes  les  maisons  présentent  des  espèces 
de  miradores  en  saillie,  disposés  les  uns  au-dessus  des  autres,  et 
produisant,  sous  leurs  formes  diverses,  des  effets  très-originaux. 
La  chapelle  catholique  n'a  rien  de  remarquable.  L'église  armé- 
nienne grégorienne  ou  schismatique,  qui  s'élève  à  peu  de  distance, 
mérite  d'avantage  d'attirer  l'attention.  G'est  un  édifice  assez  élé- 


—  139  — 

gant,  avec  un  vestibule  et  une  net  surmontée  d'une  petite  coupole. 
Les  hommes  seuls  peuvent  pénétrer  dans  le  temple  proprement 
dit;  les  femmes  se  tiennent  dans  des  tribunes.  Les  fidèles,  pour 
la  plupart,  croient  devoir,  avant  d'entrer  dans  la  nef,  se  dépouiller 
de  leurs  souliers,  et  ils  les  déposent  les  uns  sur  les  autres  dans  le 
vestibule  où  ils  forment  une  assez  étrange  montagne.  Quelques- 
uns  sont  assis  les  jambes  croisées,  à  la  façon  orientale;  d'autres 
s'agenouillent  ;  d'autres  enfin  restent  debout.  A  certains  moments 
de  l'office,  on  baise  la  terre  plusieurs  fois.  Près  de  l'entrée, 
dans  un  petit  pavillon,  orné  d'une  image  de  la  vierge  (la  Pana- 
ghia,  comme  les  grecs  l'appellent)  se  vendent  des  cierges  qu'un 
sacristain  allume  à  mesure  qu'ils  ont  été  payés,  et  qu'il  place 
devant  la  représentation  sacrée  ;  cette  pratique  ne  diffère  pas  de 
celle  qui  a  lieu  dans  nos  églises  catholiques.  J'ai  suivi  avec  une 
curiosité  attentive  toutes  les  cérémonies  de  l'office;  un  voile  tendu 
devant  l'autel,  en  cache  la  plus  grande  partie.  De  temps  en  temps 
le  voile  est  levé  et  l'on  peut  contempler  le  prêtre  revêtu  d'un 
brillant  costume.  Un  chant  d'une  facture  assez  originale  se  fait 
entendre,  accompagné  à  certains  passages  par  une  sorte  de  vielle. 
Une  cour,  un  jardin  planté  d'arbres  et  quelques  bâtiments  forment 
l'entourage  de  l'église.  L'office  terminé,  j'ai  vu  défiler  les  fidèles 
retournant  à  leurs  demeures.  Les  Arméniennes,  comme  les  femmes 
musulmanes  ont  le  visage  en  partie  couvert  par  le  féredgé,  sorte 
de  manteau  à  capuchon,  sans  manches,  en  laine  ou  en  soie,  teint 
de  couleurs  plus  ou  moins  voyantes,  qui  porte  sur  les  épaules  et 
dessine  les  formes  du  corps. 

Quelques  lecteurs  vont  peut-être  s'étonner.  Quoi  !  à  Gonstanti- 
nople,  chez  les  turcs,  des  églises  chrétiennes  et  catholiques,  oh 
l'on  peut  aller  librement  chanter  et  accomplir  les  devoirs  du  culte? 
—  Sans  doute,  et  chez  nous,  qui  nous  croyons  si  avancés,  l'esprit 
de  liberté  n'a  rien  fait  de  plus. 

Dans  la  journée,  nous  nous  sommes  rendus  au  cimetière  maho- 
métan,  ou  au  Grand  champ  des  morts  de  Scutari.  En  suivant  pour 
y  arriver  la  rue  principale  de  Balglar-Bachtchi,  on  passe  près  d'une 
fontaine  circulaire,  qui  dépend  de  la  mosquée  voisine.  Un  banc, 
abrité  par  les  rebords  avancés  du  toit,  règne  autour  de  l'édifice, 
et  des  tasses  attachées  aux  pierres  par  des  chaînettes,  permettent 
aux  fidèles  de  faire  leurs  ablutions  et  aux  passants  d'étancher  leur 
soif.  Un  peu  plus  loin,  s'élève  un  corps  dj  garde  d'architecture 
classique,  qui  jure  avec  tout  l'entourage;  devant  la  porte  sta- 
tionnent des  soldats  que  le  pantalon  étroit  et  la  redingotte  bleu- 


—  140  — 

foncé  dont  on  les  afTiibli.',  ivndent  singulirToment  mesquins  et  dis- 
gracieux. 

Le  Grand  champ  des  morts  deScutari  occupe  un  terrain  inégal, 
de  plus  d'une  lieue  de  longueur,  coupé  par  plusieurs  allées  et  om- 
bragé par  un  bois  de  cyprès.  La  renommée  de  ce  cimetière  est 
immense  en  orient;  le  rôle  important  qu'a  joué  la  ville  de  Scutari 
dans  le  développement  do  l'islamisme,  l'idée,  assez  répandue  chez 
les  turcs  que  leur  nation  sera  un  jour  chassée  d'Europe,  lui  donnent 
un  caractère  particulièrement  respectable  et  l'ont  fait  choisir  pour 
lieu  de  repos  par  une  foule  de  grands  personnages.  Les  cyprès 
peuplés  de  colombes,  qui  se  dressent  à  peu  de  distance  les  uns  des 
autres  et  balancent  doucement  dans  les  airs  leurstiges  vêtues  d'un 
sombre  feuillage,  ont  un  aspect  à  la  fois  triste  et  imposant.  Le 
système  des  monuments  funéraires  est  fort  simple  et  ne  fournit 
guère  à  l'art  l'occasion  de  se  produire.  Ils  consistent  pour  la  plu- 
part en  tables  de  pierre  ou  de  marbre  plus  ou  moins  inr'linées,  et 
en  colonnes  surmontées  de  la  figure  d'un  turban  ou  d'un  fez.  Des 
épitaphes,  des  versets  du  coran,  des  emblèmes,  palmiers,  rosiers, 
paniers  pleins  de  fruits  ou  de  fleurs,  raisins,  figues,  grenades  ou- 
vertes, sont  gravés  sur  plusieurs  monuments.  Les  tombes  de 
femme  se  distinguent  par  la  forme  anguleuse  et  effilée  de  leur 
sommet.  Quelques  turbés  aux  arcades  moresques,  quelques  sépul- 
cres de  famille  entourés  de  grilles  dorées,  sortent  de  la  foule;  un 
dôme,  soutenu  par  six  colonnes  de  marbre,  abrite  le  cheval  préféré 
du  sultan  Mahmoud. 

Aucun  soin  du  reste  ne  préside  à  l'entretien  et  à  la  conservation 
des  tombeaux;  une  partie  d'entre  eux  est  brisée,  et  les  pierr.  s  jon- 
chent le  sol  sans  que  personne  semble  s'en  inquiéter.  On  marche 
sans  scrupule  sur  les  sépultures,  le  pied  s'enfonce  parfois  jusqu'aux 
cadavres  mis  à  nu  par  des  éboulements,  et  le  cimetière  sert  au 
public  de  lieu  de  promenade  et  de  récréation.  Des  cafés  sont  éta- 
blis jusque  dans  l'enceinte  réservée  aux  morts,  et  les  pierres  des 
tombeaux  y  servent  de  bancs  pour  les  fumeurs.  Les  choses  se  pas- 
sent de  la  même  manière  dans  tous  les  cimetières  musulmans.  J'en 
exprimais  un  douloureux  étonnement.  Je  comprends,  disais-je, 
qu'on  travaille,  ([ii'un  s(,'  promène,  qu'un  s'amuse  même  au  milieu 
(lu  flomaiiic  (le  lii  nmi'l  :  cela  p(.'ut  tenir  à  des  idées  philosophiqut.'S 
très-respectables,  et  no  dénoter  auciinc  intention  profanatrice. 
Mais  il  y  a  dans  la  disposition  même  des  cimetières  mahométans, 
dans  le  soin  que  l'on  a  d'y  planter  des  arbres  funèbres,  dans  l'habi- 
tude où   l'on   est   de  consacrer  des  monuments  aux  morts,  une 


—  iU  — 

contradiclion  Ilagranleavec  la  négligence  et  l'abandcn  flans  lesquels 
sont  laissés  les  tombeaux.  —  On  m'a  répondu  que  cette  négligence 
est  un  effet  de  l'indifférence  générale  des  Orientaux,  qui  s'abstien- 
nent même  de  réparer  leurs  maisons  croulantes,  et  de  leurs  idées 
sur  la  mort.  Pour  eux,  le  regret  causé  par  le  trépas  de  ceux  qu'on 
a  connus  et  aimés  a  une  forme  très-différente  de  celui  que  nous 
éprouvons.  Les  premiers  cris  poussés,  les  premiers  devoirs  rem- 
plis, tout  est  fini,  et  le  mieux  est  d'oublier. 

Lundi  26  aoid,  —  Notre  journée  devait  être  consacrée  à  la  visite 
des  quartiers  de  Galata,  de  Péra  et  d'Orta-Keuï.  Nous  quittâmes  la 
maison  dans  la  matinée,  et  nous  descendîmes  vers  la  mer,  en  tra- 
versant Scutari  et  en  passant  par  le  quartier  qu'habitent  les  bohé- 
miens ou  tsingari.  Ces  pauvres  gens,  qui  se  distinguent  par  le  ton 
olivâtre  de  leur  teint  et  par  l'extrême  vivacité  de  leurs  yeux,  sont 
vêtus  de  la  manière  la  plus  misérable;  on  les  voit,  sur  le  devant  de 
leurs  portes  ou  dans  l'intérieur  des  maisons  largement  ouvertes, 
travailler  le  fer  ou  tresser  des  paniers.  Plus  loin,  sur  notre  route, 
des  cris  déchirants  sortirent  tout-à-coup  d'une  maison  fermée  avec 
le  plus  grand  soin  ;  quelqu'un  venait  d'y  mourir,  et  la  douleur 
était  bruyante.  Une  femme  arriva,  criant  elle-même  de  toutes  ses 
forces.  La  porte  s'ouvrit  pour  la  laisser  entrer  eL  se  referma  aussi- 
tôt. Enfin,  nous  parvînmes  à  la  place  dont  j'ai  déjà  parlé  et  nous 
gagnâmes  l'embarcadère  avec  l'intention  de  prendre  un  des  ba- 
teaux à  vapeur-omnibus,  qui  font  le  trajet  de  Scutari  à  Stam- 
boul. 

Après  que  nous  eûmes  acquitté  le  prix  du  passage,  on  nous  par- 
qua dans  une  petite  salle  grillée  distincte  de  celle  qui  renfermait 
les  femmes  turques,  et  il  fallut  attendre  dans  ce  triste  réduit 
l'arrivée  du  pyroscaphe.  Il  vint  enfin;  on  ouvrit  la  porte  desortie, 
la  foule  se  précipita  sur  le  pont  et  chacun  s'y  casa  comme  il  put. 
Il  n'y  a  aucune  distinction  de  places.  Des  bancs  et  de  détestables 
tabourets  s'offrent  aux  plus  agiles  ;  les  autres  se  tiennent  debout , 
s'asseoient  par  terre,  sur  les  auvents  de  la  machine,  sur  les  corda- 
ges, partout  oïl  ils  le  peuvent.  Les  femmes  turques  ont  une  chambre 
réservée,  où  elles  s'entassent  avec  leurs  enfants.  Le  navire  part, 
chacun  allume  son  chibouque  ou  sa  cigarette,  et,  au  bout  de  vingt 
minutes,  nous  entrons  dans  la  Corne  d'Or  et  l'on  nous  dépose  sur 
le  pont  qui  réunit  Stamboul  aux  faubourgs  de  Galata  et  de  Péra. 
Ce  pont,  construit  sur  bateaux,  formé  de  planches  mal  jointes, 
présente  deux  élévations  fort  incommodes  aux  endroits  où  il  a  fallu 
réserver  de  hautes  arches  pour  l'introduction  des  bâtiments  dans 


—  J42  — 

l'intérieur  de  la  Gorne-d'Or.  Ces  parties  peuvent  au  besoin  se  sé- 
parer de  la  masse  et  laisser  aux  navires  un  libre  passage.  La  circu- 
lation sur  le  pont  est  des  plus  actives.  Voyageurs  et  promeneurs  à 
pied,  à  cheval  ou  à  âne,  en  calèche  ou  en  araba,  hommes,  femmes, 
porteurs  de  fardeaux,  tous  les  costumes,  toutes  les  religions,  toutes 
les  races,  toutes  les  conditions  sociales  s'y  rencontrent,  s'y  pressent 
et  s'y  bousculent.  C'est  un  va-et-vient  singulier,  un  bruit  de  pas 
sans  relâche,  un  bourdonnement  continuel  de  voix  diverses  ;  on 
est  tout  h  la  fois  étourdi  et  ébloui. 

Suivons  du  côté  opposé  à  Stamboul  l'espèce  de  trottoir  réservé 
aux  piétons,  qu'une  traverse  de  bois  disposée  sur  toute  la  longueur 
du  pont  sépare  de  la  voie  dans  laquelle  se  meuvent  les  voitures, 
les  bêtes  de  somme  et  les  autres  gros  animaux.  Nous  voici  dans  le 
faubourg  de  Galata,  qui  occupe  sur  la  côte  septentrionale  de 
la  Corne-d'Or  une  colline  de  forme  conique.  Du  point  où  dé- 
bouche le  pont,  partent  plusieurs  rues,  les  unes  suivant  le  rivage 
du  Bosphore,  les  autres  s'élevant  vers  Péra.  Galata  est  le  princi- 
pal séjour  des  Francs  ;  il  a  été,  depuis  l'an  1216,  le  siège  d'une 
colonie  de  Génois  presque  indépendante,  souvent  redoutable  aux 
empereurs,  et  qui  ne  perdit  son  individualité  qu'après  la  conquête 
de  Mahomet  II.  Là,  se  trouvent  les  comptoirs  des  plus  riches  né- 
gociants, les  bureaux-des  bateaux  à  vapeur,  des  messageries  fran- 
çaises et  du  Lloyd  autrichien,  la  douane,  la  police,  etc.  On  y  re 
marque  l'église  de  Saint-Georges,  de  jolies  fontaines  turques,  et 
la  tour  ronde  bâtie  au  xin''  siècle  par  les  Génois,  qui  porte  le  nom 
de  Tour  de  Golata,  et  qui  domine  d'une  façon  très-pittoresque  tous 
les  édifices  du  faubourg.  La  partie  inférieure  et  la  grande  rue 
montante  de  Galata,  que  bordent  de  nombreuses  boutiques  de 
fruitiers,  de  tailleurs  et  quelques  cafés,  ont  presque  autant  d'ani- 
mation que  le  pont.  Une  multitude  de  gens  affairés  y  afflue  ;  les 
porteurs  de  fardeaux  se  font  faire  place  en  poussant  leur  cri  signi- 
ficatif :  garda,  garda!  des  marchands  ambulants  offrent  de  tous 
côtés  aux  passants  de  la  limonade,  des  glaces  ou  doulourma,c[  sur- 
tout de  l'eau  fraîche,  qui  se  vend  ici  comme  une  denrée  rare.  Les 
costumes  de  Toccident  dominent  sur  ceux  de  l'orient;  la  forme  des 
maisons,  la  disposition  des  boutiques,  la  langue  dans  laquelle  sont 
écvxies  les  enseignes  {à  la  ville  de  Troges,  par  exemple),  les  noms 
des  marchands  rappellent  l'Europe,  mais  d'une  manière  presque 
toujours  abâtardie.  Le  caractère  national,  qui,  pour  le  voyageur, 
entoure  d'un  si  vif  intérêt  le  pays  qu'il  visite,  a  disparu,  sans  être 
remplacé  par  la   propreté,  par  l'élégance  de  nos  grandes  villes. 


—  14;}  — 

Le  iaubourgde  Galata,  comme  celui  de  Pcra,  n'est  qirun  ramas- 
sis informe  de  toutes  les  nations. 

Péra,  bâti  sur  les  hauteurs  qui  dominent  Foundouklu,  Top- 
Hané  et  Galata,  est  séparé  de  ce  dernier  faubourg  par  une  mu- 
raille percée  de  portes  et  ayant  pour  limites  deux  cimetières, 
le  Grand  et  le  Petit  champ  des  morts.  C'est  un  quartier  en  partie 
renouvelé,  par  suite  de  l'incendie  effroyable  de  1831  et  de  celui  de 
1853  ;  les  rues  ont  sur  celles  de  Stamboul  l'avantage  de  porter  des 
noms  et  d'être  éclairées  au  gaz.  L'ambassade  de  France,  installée 
en  vertu  du  traité  qui  fut  conclu  en  1535  entre  le  roi  François  I" 
et  le  Sultan,  les  ambassades  d'Angleterre,  de  Russie,  d'Autriche, 
et  les  autres  légations  étrangères,  ont  leurs  sièges  dans  le  fau- 
bourg de  Péra  ;  elles  y  forment  des  espèces  de  gouvernements 
particuliers,  avec  des  cours  de  justice  et  des  institutions  protec- 
trices pour  les  nationaux.  Péra  renferme  en  outre,  les  bureaux 
des  consulats,  la  poste  aux  lettres,  les  théâtres,  les  principaux 
hôtels  dans  lesquels  peuvent  se  loger  les  Européens,  etc.  On  y 
prend  d'assez  bonnes  glaces,  soit  dans  les  cafés,  soit  chez  les  con- 
fiseurs. 

Nous  avons  fait  avec  nos  hôtes  une  visite  dans  une  maison  de 
Péra  oîi  l'on  parlait  grec  et  un  peu  italien.  On  nous  y  a  offert,  se- 
lon l'usage,  des  rafraîchissements  consistant  en  confitures  accom- 
pagnées d'eau  fraîche.  Le  pot  de  confitures,  les  cuillers,  les  verres 
d'eau,  sont  disposés  sur  un  plateau  de  grande  dimension  que  le 
porteur  présente  successivement  aux  assistants,  et  chacun  puise  à 
son  t(3ur  une  part  de  confitures.  Nous  sommes  ensuite  redescen- 
dus, en  traversant  Galata,  au  pont,  où  nous  avons  trouvé  avec 
quelque  peine,  parmi  les  nombreux  bâtiments  qui  font  le  service 
du  Bosphore,  celui  qui  pouvait  nous  transporter  au  village  d"Orta- 
Keuï.  La  disposition  est  la  même  que  celle  du  vapeur  que  nous 
avions  pris  le  matin,  sauf  l'addition  d'une  tente  grossière  qui  ne 
nous  abrite  du  soleil  qu'à  la  condition  de  nous  étouffer.  J'y  re- 
trouve la  cloison  en  planches  percée  de  jalousies,  qui  protège  les 
femmes  turques  et  arméniennes  et  un  public  mélangé,  dans  lequel 
on  remarque  plusieurs  officiers  de  l'armée  du  sultan,  que  la 
redingotte  et  le  pantalon  européens  habillent  décidément  fort  mal. 

Le  nom  d"Orta-Keuï,  première  station  des  bateaux  à  vapeur  du 
Bosphore,  veut  dire  village  du  milieu.  Une  mosquée  nouvelle,  qui 
ne  manque  pas  d'élégance,  forme  le  principal  ornement  du  lieu. 
C'est  à  Orta-Keuï  que  devait  s'élever  un  magnifique  palais  des- 
tiné à  la  sultane  Faihmé,  l'une  des  filles  d-'Abdul-Medjid  ;  mais 


—  144  — 

l'édifice  commencé  a  été  abandonné  iaute  d'argent,  et  il  n'en  reste 
qu'un  jardin,  qui  s'étend  depuis  la  côte  Jusque  sur  la  hauteur  qui  la 
domine.  Nous  sommes  entrés  dans  la  maison,  maintenant  inhabi- 
tée, de  nos  hôtes,  maison  tout  à  jour,  comme  celle  de  Baglar- 
Bachcthi,  entourée  de  terrasses  et  embellie  de  fontaines.  On  nous  a 
introduits  dans  les  jardins  de  Fathmé  ;  ils  sont  remarquables  par 
des  serres  étendues  et  bien  fournies,  par  de  belles  eaux,  enfermées 
dans  des  bassins  de  marbre,  par  des  arbres  agréables  et  des  fleurs 
brillantes,  et,  dans  la  partie  élevée,  par  de  frais  ombrages  et  une 
admirable  vue  du  Bosphore. 

Quand  nous  regagnâmes  le  quai  d'Orta-Keuï ,  les  .bateliers 
vinrent  en  foule  nous  offrir  leurs  services.  Nous  arrêtâmes  im 
caïq  à  deux  paires  de  rames  et  nous  partîmes.  J'ai  déjà  dit 
quelques  mots  de  la  rapidité  de  ces  bateaux  longs,  légers,  élé- 
gants, qui  peuvent  lutter  avantageusement  avec  les  gondoles  de 
Venise.  Il  est  nécessaire  d'y  entrer  avec  précaution  et  de  s'y  tenir 
presque  sans  mouvement,  sous  peine  de  chavirer.  On  s'assied  au 
fond  de  la  barque  sur  un  coussin,  les  jambes  allongées  ou  croisées, 
et  l'on  se  fie  à  la  vigueur  et  à  l'habileté  des  caïqdgis,  qui  sont  en 
réalité  très-grandes.  Le  passage  des  bateaux  à  vapeur  qui  soulève 
de  hautes  vagues,  imprime  aux  caïqs  des  mouvements  violents  et 
parfois  dangereux. 

Nous  avons  abordé  sur  la  côte  d'Asie,  h  Beyler-Bey,  village  où 
se  trouvent  une  mosquée  et  un  grand  palais  en  bois  construit  par 
Mahmoud  II.  Après  avoir  gravi,  à  pied,  dans  un  chemin  poudreux, 
bordé  de  deux  hautes  murailles,  la  montagne  qui  domine  Beyler- 
Bey,  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  de  rencontrer  untalika,  dont 
le  cocher,  moyennant  cinq  piastres  (environ  15  sous),  nous  a  ra- 
menés chez  nous  à  la  nuit  tombante. 

Mardi,  27  septembre.  —  Le  canon  avait  annoncé  depuis  le  matin 
des  régates  qui  devaient  avoir  lieu  dans  les  eaux  de  Gadi-Keuï, 
village  bâti  sur  la  côte  d'Asie,  au  point  où  la  mer  de  Marmara,  se 
rétrécissant,  change  son  nom  en  celui  de  Bosphore.  C'était  une 
excellentf  occasion  pour  faire  connaissance  avec  les  populations  de 
l'Orient,  et  nos  aimables  hôtes  voulurent  nous  conduire  à  Cadi- 
Keuï.  Une  voiture  retenue  d'avance  vint  vers  midi,  nous  prendre 
à  la  maison.  Rien  de  plus  brillant,  de  plus  gai  que  notre  talika, 
peint  en  rouge  de  feu,  et  relevé  de  dessins  dorés.  Nous  y  entrâmes 
au  nombre  de  quatre,  et  après  avoir  traversé  la  grande  rue  do 
Baglar-Bachtchi  et  le  Grand  champ  des  morts,  nous  gagnâmes  le 
bord  de  la  mer.  Là,  le  chemin  devint  assez  difficile.  Il  est  bordé 


—  14o  — 

d'un  côté  par  une  ligne  de  murailles;  de  l'autre,  au  contraire,  il 
est  tout  à  fait  découvert,  et,  sur  une  longueur  assez  considérable, 
les  eaux  l'envahissent  et  le  couvrent  entièrement.  Le  cheval  et  la 
voiture  qui  nous  portaient  furent  obligés  de  marcher  pendant  près 
de  dix  minutes  dans  la  mer,  dont  les  flots  venaient  battre  les  ro- 
chers entassés  au  pied  du  mur.  Heureusement,  un  calme  parfait 
régnait  sur  l'onde  aplanie,  et  nous  avions,  pour  nous  donner  con- 
fiance, la  vue  de  plusieurs  voitures  qui  faisaient  devant  nous  sans 
accident  un  semblable  trajet.  Enfin  nous  parvînmes  nous  mêmes 
sur  un  sol  plus  élevé  et  à  sec.  A  quelque  distance  de  la  route,  sont 
établies  dans  l'eau  des  cabanes  destinées  aux  bains  de  mer;  on  y 
parvient  par  de  longues  chaussées  en  planches  plus  ou  moins  mo- 
biles. En  continuant  notre  chemin,  nous  rencontrâmes  des  bandes 
de  Circassiens  et  de  Circassiennes  qui  se  rendaient  à  la  fête;  les 
hommes  étaient  reconnaissables  à  leurs  longs  bonnets  feutrés. 

Le  village  de  Gadi-Keuï  (village  du  juge)  a  de  très-nobles  origi- 
nes. Il  occupe  l'emplacement  de  l'antique  ville  de  Ghalcédoine,  qui, 
dit-on,  fut  fondée  plusieurs  années  avant  Bysance.  C'est  là  qu'eut 
lieu  le  fameux  concile  œcuménique  qui  condamna  les  doctrines 
d'Eutychès.  Les  turcs  détruisirent  Ghalcédoine  de  fond  en  comble. 
Mais  Gadi-Keuï,  dans  l'agréable  position  qu'il  occupe,  avec  son 
port,  ses  cafés  au  bord  de  la  mer,  ses  élégantes  villas,  est  encore 
un  lieu  plein  d'attrait.  Aujourd'hui,  la  place  du  village  est  animée 
par  un  grand  concours  d'étrangers  et  surtout  d'Européens ,  de 
Grecs  et  d'Arméniens.  Pour  ces  derniers,  c'est  la  fête  de  la  Vierge, 
les  autres  viennent  jouir  du  spectacle  recherché  des  régates. 

Les  maisons  de  plaisance  que  possède  Gadi-Keuï  méritenE  d'être 
signalées.  Gelle  de  M.  Ignace  Gorpi,  riche  négociant  auquel  notre 
hôtesse  nous  a  présentés,  m'a  paru  surtout  remarquable.  Elle  est 
précédée  d'un  petit  jardin  bien  dessiné,  et  s'annonce  par  un  porti- 
que à  colonnes;  on  entre  ensuite  dans  une  immense  salle,  séparée 
par  des  vitraux  d'un  second  salon  qui  a  vue  sur  la  mer.  De  ce  côté 
s'étend  un  large  balcon,  d'ovi  l'œil,  après  s'être  promené  sur  d'au- 
tres jardins  pleins  de  verdure,  rencontre  l'azur  étincelant  des  flots 
et,  dans  le  lointain,  Stamboul,  avec  ses  mosquées,  le  dôme  et  les 
minarets  de  Ste-Sophie.  En  ce  moment,  la  mer  est  sillonnée  par 
une  multitude  de  barques,  de  caïqs,  de  bateaux  à  vapeur,  de  bâti- 
ments à  voiles,  qui  sont  venus  pour  assister  ou  pour  prendre  part 
à  la  lutte,  et  leur  réunion  ajoute  à  l'imposante  grandeur  du  tableau 
le  charme  du  mouvement  et  de  la  vie. 

Après  avoir  pris  les  rafraîchissements  qui  nous  ont  été  offerts 

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et  fumé  le  tabac  tin  et  doré  qu'on  nous  a  apporté  dans  des  coupes 
persanes,  nous  avons  quitté  la  compagnie  pour  nous  diriger  vers 
le  point  d'oîi  l'on  pouvait  le  mieux  voir  les  régates.  Le  chemin 
contourne  la  montagne  presque  à  pic  que  baigne  la  mer;  il  est 
abrité  de  place  en  place  par  d'énormes  térébynthes.  C'est  là  que  se 
presse  la  foule  des  curieux;  quelques  talikas  gravissent  pénible- 
ment la  côte  ou  stationnent  sur  le  bord  du  chemin;  chacun  attend 
avec  impatience  le  moment  où  les  courses  vont  commencer. 

Ce  moment  est  venu  ;  un  grand  mouvement  se  manifeste  parmi 
les  embarcations  ;  la  musique  militaire  fait  entendre  ses  fanfares 

joyeuses;  on  va  partir,  on  part Mais,  ô  fortune  contraire!  Tout 

à  coup,  le  vent  se  met  à  soufler  avec  violence,  la  mer  grossit,  la 
pluie  tombe  en  abondance,  dissipe  les  spectateurs  et  interrompt  la 
course.  Quant  à  nous,  nous  nous  hâtons  de  regagner  la  maison 
hospitalière  qui  nous  a  déjà  reçus. 

Quand  cette  pluie  malencontreuse,  gui  avait  mis  fin  à  la  fête, 
eut  cessé,  nous  remontâmes  en  voiture  et  nous  allâmes  visiter  l'é- 
glise inachevée  et  le  palais  que  M.  Brunnoni,  archevêque  catho- 
lique de  Constantinople,  a  fait  élever  à  Cadi-Keuï,  au  moyen  des 
aumônes  des  fidèles.  Ce  sont  de  fort  laides  constructions  ,  et  l'on 
accuse  le  prélat  d'avoir,  en  cette  affaire,  consulté  plutôt  ses  intérêts 
personnels  que  ceux  de  la  religion.  Je  me  borne  à  mentionner  la 
petite  chapelle  que  l'on  montre  à  Cadi-Keuï  comme  ayant  fait  par- 
tie de  la  basilique  de  Ste-Euphémie  et  servi  aux  séances  du  con- 
cile; cette  tradition  est  tout  à  fait  inacceptable. 

En  route  maintenant  pour  Phanar-Bachtchi,  petit  cap  du  voisi- 
nage, dont  la  disposition  est  fort  pittoresque!  Nous  traversons  une 
campagne  d'un  aspect  singulier,  des  marais  peuplés  de  hautes 
touffes  de  jonc,  un  long  canal  dans  lequel  pénètrent  les  eaux  de  la 
mer,  et  tout  un  pays  tristement  étrange  où  se  montrent  de  loin  en 
loin  quelques  pauvres  maisons.  Enfin,  nous  parvenons  à  la  langue 
déterre  étroite  et  allongée  qui  forme  la  pointe  ou  le  cap  de  Phanar- 
Bachtchi.  La  voiture  s'arrête  et  nous  descendons  près  d'une  plate- 
forme à  laquelle  conduisent  de  plusieurs  côtés  des  escaliers  de  six 
à  sept  marches.  Des  platanes  énormes  croissent  dans  cette  enceinte 
et  l'abritent  de  leurs  feuilles  découpées.  Un  bassin  carré  est  creusé 
au. centre  et  reçoit  les  eaux  vives  que  lui  verse  par  quatre  goulots 
de  bronze  une  petite  fontaine  en  marbre.  A  côté  s'élève  un  café. 
Cet  ensemble  est  délicieux  d'ombre,  de  fraîcheur  et  de  poésie. 
C'est  là  que  se  donnent  rendez- vous  la  plupart  des  gens  venus  à 
Phanar-Bachtchi  pour  y  jouir  dos  plaisirs  de  la  promenade.  Les 


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uns  se  tiennent  accroupis  au  bord  du  bassin,  avec  un  contentement 
calme,  qui  n'a  besoin  que  d'air  pur,  de  soleil  et  de  verdure;  d'au- 
tres entourent  de  petites  tables  oîi  on  leur  sert  des  rafraîchisse- 
ments. Les  chevaux  des  voitures  qui  ont  laissé  leurs  habitants  sur 
la  plage  viennent  se  désaltérer  successivement  à  la  fontaine.  A 
Tune  des  extrémités  de  la  plate-forme,  des  bateleurs  juifs  font  la 
parade,  environnés  d'un  cercle  de  spectateurs  qui  les  regardent  et 
les  écoutent  avec  une  attention  avide,  peinte  sur  leurs  visages. 
L'un  des  bateleurs  est  vieux  et  tient  à  la  main  un  tambour  de  bas- 
que qu'il  fait  de  temps  en  temps  résonner;  l'autre,  tout  jeune  est 
armé  d'une  batte,  dont  il  frappe  son  compagnon  sur  les  joues  et 
sur  le  dos.  Je  ne  puis  rien  entendre  au  dialogue,  mais  je  vois  l'as- 
sistance rire  aux  éclats,  comme  chez  nous,  des  coups  de  batte  que 
reçoit  le  vieillard. 

Nous  quittons  la  plate-forme,  pour  parcourir  la  plaine  de  Pha- 
nar-Bachtchi,  et  nous  y  trouvons  des  aspects  qui  se  diversifient  à 
mesure  que  nous  avançons.  Le  cap,  qui  s'allonge,  comme  je  l'ai  dit, 
en  une  étroite  langue  de  terre,  porte  à  son  extrémité  un  phare  au- 
quel il  doit  son  nom.  Le  sol  uni,  semé  de  gazon,  offre  en  même 
temps  sur  trois  côtés,  la  vue,  toujours  séduisante  de  la  mer.  En  se 
plaçant  près  du  phare,  on  découvre  en  face  de  soi  l'entrée  du  Bos- 
phore de  Thrace;  un  peu  à  droite,  paraissent  derrière  le  canal 
d'azur  dont  les  eaux  baignent  leurs  pieds,  les  merveilleuses  collines 
sur  lesquelles  s'étend  la  ville  de  Stamboul;  à  gauche  sont  la  mer 
de  Marmara  et  les  îles  des  Princes.  La  plaine  est  plantée  de  cyprès 
et  de  térébynthes,  qui  lui  donnent  de  l'ombre,  sans  cacher  tout-à- 
fait  le  ciel;  les  cyprès,  aux  troncs  élancés,  aussi  droits,  aussi  hauts 
que  des  mâts  de  navires,  aux  touffes  d'une  couleur  sombre  ;  les 
térébynthes,  aux  masses  larges  et  puissantes,  aux  feuilles  d'un  ton 
clair  et  tendre,  mélangent  de  la  manière  la  plus  harmonieuse  leurs 
lignes  et  leur  verdure.  Vers  le  centre,  s'élève  un  édicule  sépulcral, 
un  Coubé,  dont  les  murs  dorés  par  le  temps,  dont  les  coupoles 
arrondies  se  couronnent  joyeusement  de  feuillage.  Dans  cet  Eden, 
la  foule  prend  ses  ébats.  De  petites  cuisines  sont  établies  en  plein 
air  ;  un  brave  homme  fait  tourner  au-dessus  d'un  brasier  pétillant 
une  brochette  en  fer  qui  tient  enfilés  d'appétissants  morceaux  de 
mouton;  c'est  ce  que  l'on  appelle  kebab,  mets  très-friand  et  très 
prisé  des  Orientaux.  Ici  on  se  promène,  là  on  se  repose  doucement 
sur  l'herbe,  on  fait  le  kief,  pour  me  servir  d'une  expression  habi- 
tuelle en  ce  pays.  Les  Arméniens  figurent  en  majorité  à  Phanar- 
Bachtchi  ;  la  fête  du  jour  est  chez  eux  en  grand  honneur,  et  ils 


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cherchent  à  égayer  leur  loisir.  Les  femmes,  vêtues  de  pantalons 
larges,  couvertes  du  féredgé  aux  couleurs  voyantes,  des  broderies 
d'or  dans  les  cheveux,  sont  nonchalemment  assises  ou  couchées 
sous  les  arbres.  Des  musiciens,  jouant  de  la  mandoline,  du  violon 
et  de  divers  autres  instruments,  prennent  place  à  côté  des  groupes 
et  font  entendre  des  airs  du  pays. 

L'originalité  et  le  charme  du  spectacle  qu'offrait  en  ce  moment 
le  cap  de  Phanar-Bachtchi  a  produit  en  moi  une  très-vive  impres- 
sion. La  nature  et  la  vie  orientale  s'y  présentaient  ensemble  dans 
leur  plus  doux  éclat.  Ces  flots  bleus  et  tranquilles,  cette  terre 
ombreuse,  ces  scènes  de  plaisir,  d'une  animation  tempérée,  cette 
harmonie  errante  formaient  un  ensemble  si  gracieux,  si  reposant 
que  j'avais  peine  à  m'en  arracher  :  Il  semblait  qu'on  respirait  le 
bonheur.  Enfin,  nous  rejoignîmes  notre  talika ,  arrêté  près  de  la 
fontaine  et  nous  nous  remîmes  en  route  pour  Baglar-Bachtchi,  où 
nous  étions  avant  la  tombée  de  la  nuit. 

Jeudi  28  août.  —  Je  n'ai  rien  dit  encore  des  chiens,  que  l'on  ren- 
contre à  chaque  pas  dans  les  rues  de  Constantinople  et  de  Scutari. 
Leur  nombre  est  en  effet  très-considérable.  Entourés  d'une  sorte 
de  respect  de  la  part  des  musulmans,  ils  vivent  et  dorment  en 
public,  sans  attaquer  les  passants  et  sans  que  personne  songe  à  les 
inquiéter.  Les  chiens  de  Constantinople  et  de  Scutari,  jaunes, 
noirs  ou  blancs,  au  poil  raz,  au  naseau  allongé,  sont  d'une  laide 
apparence.  Ils  se  repaissent  d'ordures  jetées  ou  laissées  sur  la  voie 
publique,  dont  ils  sont  en  quelque  sorte  les  balayeurs.  Au  besoin, 
les  mosquées  et  les  dévots  musulmans  prennent  soin  de  leur  nour- 
riture. Devant  beaucoup  de  maisons,  il  y  a  des  vases  plus  ou  moins 
élégants,  que  l'on  tient  remplis  d'eau  à  leur  intention.  Ces  pré- 
cautions, l'état  de  liberté  dans  lequel  elle  vit  font  que  les  cas  de 
rage  sont  extrêmement  rares  dans  la  population  canine.  Ceux  qui 
ont  été  observés  en  ces  derniers  temps,  ont  eu  lieu  dans  les  quar- 
tiers chrétiens,  où  l'on  a  beaucoup  moins  de  soin  des  chiens  que 
dans  les  quartiers  musulmans.  Lors  de  la  guerre  de  Crimée,  plu- 
sieurs de  ces  animaux  ont  été  détruits  à  Galata  et  à  Péra. 

Je  suis  allé  visiter  le  cimetière  arménien  de  Scutari.  Il  est  situé 
dans  la  circonscription  de  Baglar-Bachichi.  C'est  un  vaste  terrain, 
en  partie  découvert,  en  partie  abrité  par  des  arbres.  Les  monu- 
ments funéraires  s'y  montrent  beaucoup  moins  pressés  que  dans 
les  cimetières  turcs.  La  forme  des  tombes  est  très-simple.  Elles 
consistent  généralement  en  do  grandes  tables  de  pierre  ou  de 
marbre,  posées  à  plat  sur  le  sol,  et  portant  quelques  gravures  ou 


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reliefs  qui  représentent  les  insignes  ou  les  instruments  de  travail 
du  défunt,  et  des  inscriptions  en  langue  arménienne,  qui  relatent 
son  nom,  la  date  de  sa  mort,  etc.  Les  tombeaux  les  plus  considé- 
rables et  les  plus  ornés  ont  la  iorme  d"un  grand  cotfre  avec  des 
moulures.  Chez  les  Arméniens,  comme  dans  les  cimetières  musul- 
mans, des  cafés  sont  installés  au  milieu  des  sépulcres.  On  s'assied, 
on  se  couche,  on  fume  sur  les  mausolées;  les  chevaux  paissent 
librement  entre  les  tombes.  Au  moment  oùje  suis  arrivé,  on  venait 
de  terminer  un  enterrement;  il  y  a\ait  grand  concours  de  monde. 
Les  quatre  papas  qui  avaient  présidé  à  la  cérémonie,  après  avoir 
ôté  les  insignes  particuliers  de  leur  ministère,  se  dirigèrent  vers 
le  café,  et  y  prirent  place  sur  une  plate-forme  qui  y  est  attenante. 
Les  assistants  vinrent  ensuite  se  ranger  autour  d'eux,  on  apporta 
des  tchibouques  et  chacun  se  mit  à  fumer. 

Je  renouvellerai,  à  propos  du  cimetière  arménien  de  Scutari, 
une  observation  déjà  émise  plus  haut  :  c'est  que,  dans  l'empire 
Ottoman,  dont  les  populations  manifestent  encore  de  temps  en 
temps  un  extrême  fanatisme,  la  liberté  religieuse,  quant  à  l'exer- 
cice des  cultes  étrangers,  est  légalement  très-grande.  A  côté  de 
la  mosquée  musulmane  s'élèvent  l'église  grecque ,  la  synagogue 
Israélite  ,  l'église  arménienne  et  l'église  latine.  Chaque  religion 
a  ses  cérémonies  publiques,  son  cimetière  spécial,  ses  assemblées 
délibérantes,  et  se  livre  aux  pratiques  qu'elle  préfère,  sans  que 
les  musulmans  ou  l'administration  paraissent  y  mettre  des  obs- 
tacles. 11  y  a,  au  point  de  vue  religieux  deux  sortes  d'Arméniens  : 
les  Arméniens  schi?matiques,  qui  refusent  de  croire  à  la  double 
nature  de  Jésus-Christ,  à  la  procession  du  Saint-Esprit  ex  paire ^ 
au  purgatoire,  à  la  suprématie  de  l'évêque  de  Rome,  etc;  les  Ar- 
méniens unis  ou  catholiques,  qui  se  reconnaissent  dépendants  du 
pape  et  dont  les  doctrines  ne  ditfèrent  que  par  quelques  détails 
de  celles  de  l'église  catholique.  L'appel  à  la  prière  se  fait  pour 
les  Arméniens  par  des  espèces  de  hérauts,  qui  chantent  le  matin 
dans  les  rues  un  air  doux,  un  peu  plaintif  et  assez  semblable  à 
celui  dont  le  muezzin  se  sert  pour  chanter  Allah!  du  haut  des 
minarets.  Ce  chant  me  réveille  chaque  jour  en  passant  dans  la 
grande  rue  de  Baglar-Bachtchi.  Le  chanteur  frappe  de  temps  en 
temps  le  pavé  avec  un  bâton  armé  de  fer. 

Jeudi,  29  août.  —  Il  s'agissait  de  faire  connaissance  avec  les 
bazars  de  Constantinople,  que  les  turcs  appellent  tsarsi  ou  tchar- 
chi.  Le  bazar  ,  dans  les  villes  d'Orient,  est  une  espèce  d'exposition 
permanente  des  denrées  du  pays  et   des  produits  des  industries 


—  loO  — 

locales  ;  c'est  un  marché  général,  où  se  vendent  des  objets  de 
toute  sorte,  depuis  ceux  dont  la  valeur  est  la  moins  élevée, 
jusqu'aux  étoffes,  aux  bijoux,  aux  diamants  les  plus  précieux.  Des 
magasins  ou  khans  particuliers  sont  seulement  réservés  à  la  vente 
en  gros  des  marchandises  venues  des  pays  étrangers.  Les  bazars 
de  Gonstantinople  jouissent  d'une  renommée  universelle,  soit  à 
cause  de  leur  étendue,  soit  à  raison  des  richesses  qu'ils  ren- 
ferment. Le  grand  bazar  s'ouvre  le  matin  vers  neuf  heures,  et  se 
ferme  au  moment  du  coucher  du  soleil. 

Le  bateau  à  vapeur  qui  traverse  le  Bosphore  nous  a  déposés 
sur  le  pont  de  Galata.  Après  nous  être  réunis  à  une  dame  qui 
s'était  chargée  de  nous  servir  de  guide,  nous  sommes  entrés  dans 
Stamboul  par  la  porte  de  fer  qui  termine  le  pont  de  ce  côté,  et  lais- 
sant à  gauche  la  mosquée  nouvelle  ou  Yéni-Djami ,  nous  nous 
sommes  engagés  dans  des  rues  montantes,  irrégulières,  mal  pavées 
et  encombrées  de  gens  à  pied,  de  chevaux,  d'ânes  et  de  voitures. 

Les  charrettes  ne  sont  guère  employées  ici  au  transport  des  far- 
deaux. Les  objets  les  plus  pesants  sont  transportés  parles  hommes 
ou  par  les  bêtes  de  somme.  Les  hainmah  ou  portefaix  sont  ordi- 
nairement des  turcs  robustes  et  bien  bâtis;  leurs  jambes  nues 
laissent  voir  des  muscles  énormes.  lisse  servent,  pour  tenir  les 
fardeaux  en  équilibre,  d'un  appareil  fort  ingénieux.  C'est  une  sorte 
de  boîte  dont  l'extrémité  inférieure  est  beaucoup  plus  épaisse  que 
la  partie  supérieure,  et  qui  se  place  sur  le  dos,  accrochée  aux 
épaules  par  des  courroies  solides.  Pour  peu  que  le  hammal  se  pen- 
che en  avant,  la  surface  de  l'appareil  devenant  horizontale,  il  peut, 
sans  fatigue  manœuvrer  les  plus  lourdes  charges.  Je  suis  disposée 
croire  que  cette  méthode  est  plus  avantageuse  que  colle  des  cro- 
chets verticaux  dont  usent  nos  portefaix.  D'autres  porteurs,  réu- 
nis en  troupes  de  deux,  quatre,  six,  huit  personnes,  suspendent  les 
objets  à  de  longues  perches  qu'ils  appuyent  sur  leurs  épaules.  Le 
bois,  les  pierres,  les  poutres,  etc.,  sont  attachés  sur  le  dos  des 
chevaux  et  des  ânes,  qui  souvent  les  traînent  ;\  travers  les  rues  en 
mettant  en  [jéril  la  vie  des  passants. 

Nous  voici  arrivés  au  Khan  des  Egyptiens  ou  au  bazar  des 
drogues.  C'est  une  longue  galerie  couverte  et  mal  éclairée,  dans 
laquelle  sont  réunies  les  couleurs,  les  matières  appartenant  à  la 
chimie  et  à  la  pharmacie,  les  parfums,  les  objets  servant  à  la  cui- 
sine, les  épiccs,  etc.  Les  marchands  sont  accroupis  dans  leurs 
cases  particulières  entre  les  sacs  et  les  paquets,  et  le  public  circule 
au  milieu  de  la  galerie,  comme  dans  un  passage. 


~  loi   — 

En  dehors  du  Khan  des  Egyptiens,  dans  la  rue  qui  communique 
avec  lui,  se  trouve  un  restaurant  (qu'on  me  passe  le  mot),  renommé 
pour  la  confection  du  kebab  et  où  nous  sommes  entrés.  Nous  nous 
trouvons  dans  une  petite  salle  voûtée  en  berceau  et  ornée  de  quel- 
ques arabesques  ;  la  moitié  de  cette  salle  est  occupée  par  un  plan- 
cher élevé  de  deux  ou  trois  pieds,  et  séparée  de  la  rue  par  un 
grillage;  dans  la  partie  basse,  réservée  pour  la  cuisine  et  où  tra- 
vaillent les  cuisiniers,  sont  la  cheminée,  la  tablette  sur  laquelle 
s'étale  la  pâte  du  pain  et  l'étalage  de  la  boutique,  avec  le  pot  de 
basilic,  qui  forme  l'ornement  obligé  d'une  fenêtre  en  orient.  Nous 
montons  sur  l'esplanade  qui  sert  de  salle  à  manger  ;  on  nous 
apporte  d'abord  (nous  étions  six)  plusieurs  de  ces  détestables  ta- 
bourets, si  communs  ici,  dont  le  fond  très-bas  est  dépassé  par  la 
saillie  des  montants,  et  un  énorme  plateau,  qui  prend  lui-même 
place  au  milieu  de  nous  sur  un  tabouret  ;  Puis  on  se  met  à  fabri- 
quer le  mets  qui  nous  est  destiné,  c'est-à-dire  le  fameux  kebab. 
Bientôt  le  plat  tout  brûlant  est  déposé  sur  le  plateau  que  nous 
entourons.  C'est  un  composé  de  petits  morceaux  de  mouton  em- 
brochés et  cuits  sur  le  gril,  et  de  lames  à  demi  grillées  d'un  pain 
azyme  que  la  graisse  ruisselante  du  mouton  imbibe  et  colore.  Des 
verdures  d'oignon  sont  servies  à  part  sur  des  soucoupes,  et  chacun 
est  libre  d'en  assaisonner  sa  portion.  Point  d'assiettes,  du  reste, 
et,  pour  me  servir  d'une  expression  un  peu  triviale,  on  pêche  au 
plat.  Les  verres  sont  rares  ;  l'eau,  la  seule  boisson  qui  soit  per- 
mise aux  musulmans,  se  distribue  dans  une  grande  cruche  d'étain, 
qui  passe  à  la  ronde.  Comme  chrétiens  nous  pûmes  rougir  notre 
eau  avec  du  vin  de  Bordeaux  que  notre  compagne  avait  eu  l'atten- 
tion d'apporter.  Le  kebab  fut  mangé  de  bon  appétit  ;  c'est  un  mets 
très-bon  et  très-friand.  Mais  les  six  portions  qu'on  nous  avait 
préparées  étaient  beaucoup  trop  abondantes  pour  nos  estomacs,  et 
nous  en  laissâmes  plus  de  la  moitié  au  grand  déplaisir  des  prépa- 
rateurs. —  Ne  l'avez-vous  pas  trouvé  bon,  nous  disaient-ils  tris- 
tement?—  Nous  les  rassurâmes  de  notre  mieux,  et,  ayant  payé 
notre  écot,  nous  sortîmes  accompagnés  de  leurs  salutations  et  de 
leurs  souhaits. 

Après  avoir  traversé  le  khan  des  Persans,  qui  peut  contenir  un 
nombre  considérable  de  marchands,  nous  avons  pénétré  dans  l'une 
des  mille  galeries  du  grand  bazar.  La  plupart  d'entre  elles  sont 
surmontées  de  voûtes  et  éclairées  par  de  petites  fenêtres  percées 
au  sommet  ;  quelques-unes  ont  d'élégantes  arcades,  soutenues  par 
des  colonnes;  il  y  a  des  fontaines  pour  les  ablutions,  et  où  l'on 


—  do2  — 

peut  se  désaltérer.  Les  diverses  parties  du  bazar  appartiennent  à 
des  époques  différentes  et  se  distinguent  par  des  caractères  parti- 
culiers d'architecture.  Les  rues  se  multiplient  à  l'infini  et  forment 
un  vaste  labyrinthe  oij,  sans  une  grande  habitude,  on  a  peine  h  se 
retrouver.  Dans  les  parties  anciennes,  les  boutiques  ne  consistent 
guère  qu'en  une  élévation  en  planches  sur  laquelle  se  tient  le  mar- 
chand, et  en  une  série  de  rayons  qui  portent  les  marchandises.  Sur 
certains  points,  des  chambres  intérieures  communiquent  avec  la 
boutique  et  servent  au  dépôt  des  objets  les  plus  précieux.  Tels  sont 
les  magasins  d'un  marchand  arménien,  appelle  Ludovic,  auquel 
M.  Théophile  Gauthier  a  donné  une  certaine  célébrité,  en  parlantde 
luidanssa  remarquable  description  deConstantinople.  Ludovic  pos- 
sède en  effet  une  belle  collection  de  curiosités,  et  il  les  montre  facile- 
ment ;  mais  son  principal  mérite  m'a  paru  être  de  vendre  beaucoup 
plus  cher  que  les  autres.  Les  diverses  boutiques  placées  à  une 
même  hauteur,  ne  sont  séparées  les  unes  des  autres  que  par  une 
barrière  très-peu  apparente.  Cependant,  et  quoique  la  réunion  des 
articles  semblables  dans  des  quartiers  particuliers  doive  faire  naitre 
de  continuelles  occasions  de  rivalité,  je  n'ai  vu  aucune  dispute,  je 
n'ai  entendu  aucun  mot  désobligeant  échangé  entre  les  voisins,  au 
moment  où  l'acheteur  passait  d'une  boutique  à  une  autre.  Le  mar- 
chand abandonné  remettait  tranquillement  en  ordre  les  objets  qu'il 
avait  étalés,  et  attendait  qu'on  revint  à  lui  pour  proposer  un  prix 
inférieur.  Il  faut  dire  que,  depuis  quelques  années,  l'habitude  de 
surtaire  s'est  introduite  dans  le  commerce  turc  ;  pour  ne  point  être 
trompé,  il  faut  offrir  au  vendeur  le  tiers  seulement  du  prix  qu'il  a 
demandé.  Les  boutiques  du  bazar  et  en  général  les  boutiques  tur- 
ques sont  tenues  par  des  hommes.  La  femme,  ici,  n'occupe  aucune 
place  ni  dans  la  vie  religieuse,  ni  dans  la  vie  civile,  elle  est  l'épouse 
et  la  mère  de  famille,  voilà  tout.  Sa  présence  dans  une  boutique, 
le  contact  néce.-isaire  qu'elle  y  aurait  avec  les  hommes,  répugnent 
à  la  rigidité  musulmane. 

En  parcourant  les  galeries  anciennes  du  bazar  par  lesquelles 
notre  tournée  avait  commencé,  nous  avions  fait  quelques  acquisi- 
tions. Nous  avions  obtenu  pour  des  prix  peu  élevés,  des  draps 
brodés,  dont  les  dessins  sont  si  originaux  et  si  éclatants,  des  fichus 
de  tête  ou  de  cou  {kalem/dars),  qui  sont  peints  à  la  main  et  dont  le 
tissu  est  si  moelleux  et  si  léger,  etc.  Nous  passâmes  aux  galeries 
modernes.  Celles-ci  sont  disposées  à  l'Européenne  et  beaucoup  plus 
commodes  que  les  autres.  Là  se  trouve  une  boutique,  remplie  de 
riches  étoffes  de  soies,  dans  laquelle  le  sultan  vient  quelquefois 


—  153  — 

s'asseoir  pendant  le  temps  du  Baïram;  un  canapé  et  quelques  meu- 
bles y  sont  installés  à  demeure,  attendant  la  présence  du  souverain. 
Le  bazar  des  armes,  qui  occupe  le  centre  du  tsarsi  est  extrême- 
ment curieux;  on  doit  s'abstenir  d'y  fumer.  Lesjoaillierssont  relé- 
gués dans  de  misérables  boutiques,  dont  quelques-unes  renferment 
d'immenses  richesses.  Les  bijoux  qui  ne  sont  pas  déposés  dans  des 
coffres  sont  étalés  dans  de  petites  cages  de  verre  dont  la  transpa- 
rence permet  à  l'observateur  de  se  faire  une  idée  de  l'état  de  l'art 
de  la, joaillerie  et  de  la  bijouterie  chez  les  Orientaux, 

Près  du  bazar,  se  voit  la  mosquée  de  Bajazet.  Cet  édifice,  qui 
donne  sur  une  vaste  place,  est  réputé  la  plus  élégante  mosquée  de 
Constantinople.il  est  flanqué  de  deux  minarets  à  une  seule  galerie. 
Deux  cours  s'ouvrent  à  l'intérieur  ;  la  seconde  se  recommande  par 
une  jolie  fontaine  et  par  un  portique  ogival  en  marbre  blanc  et 
rouge,  que  soutiennent  des  colonnes  en  marbre  précieux,  à  chapi- 
teaux en  ruche  de  miel.  De  beaux  arbres  ombragent  cette  cour; 
ils  sont  peuplés  d'une  multitude  de  pigeons,  que  l'on  entretient  au 
moyen  d'une  dotation  spéciale,  et  qui  descendent,  dit  la  tradition, 
de  deux  ramiers  que  Bajazet  donna  à  la  mosquée  après  les  avoir 
achetés  d'un  pauvre  homme  auquel  il  faisait  l'aumône. 

Des  alentours  du  Bajazidié,  on  aperçoit  les  bâtiments  du  Seras- 
kierat,  ministère  de  la  guerre,  et  la  tour  qui  les  surmonte;  c'est  le 
point  le  plus  élevé  de  Constantinople.  Deux  portes  donnent  entrée 
dans  la  cour  du  Seraskierat:  l'une  du  côté  du  nord,  l'autre  en  face 
de  la  mosquée  de  Bajazet.  Près  de  cette  dernière,  est  ménagée  une 
loge  grillée  dans  laquelle  se  place  le  sultan  pendant  les  fêtes  qui 
terminent  le  Rhamazan. 

En  repassant  par  une  des  rués  qui  avoisinent  le  bazar,  nous 
avons  eu  la  curiosité  d'entrer  dans  une  boutique  où  se  fait  ce  qu'on 
nomme  le  Mouchalébi.  C'est  un  composé  de  lait,  de  poitrine  de 
poulet  hachée  et  de  sucre,  que  l'on  saupoudre  de  canelle  au  moment 
de  le  manger.  Le  prix  de  cette  friandise  assez  agréable  est  des  plus 
minimes. 

Vendredi  30  août.  —  Constantinople  a  ses  derviches  tourneurs, 
Scutari,  ses  derviches  hurleurs.  Jongleurs  ou  illuminés,  trompeurs 
ou  convaincus,  ces  espèces  de  moines  musulmans  sont  très-intéres- 
sants à  observer.  Par  une  disposition  contraire  à  celles  qui  distin- 
guent les  institutions  religieuses  des  mahométans,  les  derviches 
permettent  aux  giaours  de  pénétrer  dans  leurs  tékics  et  les  laissent 
volontiers  assister  à  leurs  exercices,  pourvu  qu'ils  aient  soin  de  se 
déchausser.  Les  derviches  hurleurs  de  Scutari  sont  visibles   le 


—  154  — 

vendredi  de  chaque  semaine.  Je  cherchai  leur  tékié  ;  mais  de  mau- 
vaises indications  et  mon  ignorance  de  la  langue  turque  m'empê- 
chèrent de  le  découvrir,  ce  que  je  regrettai  vivement. 

Ayant  manqué  le  spectacle  des  derviches  hurleurs,  je  résolus  de 
visiter  mieux  que  je  ne  l'avais  fait  jusqu'alors  quelques  quartiers 
de  Scu tari.  Les  fontaines  sont  ici  très-nombreuses;  elles  varient 
de  forme,  de  dimension  et  d'importance.  Quelques-unes  ne  consis- 
tent qu'en  de  simples  plaques  de  marbre  blanc,  encastrées  dans 
les  murs  des  maisons  particulières,  avec  des  inscriptions  en  relief 
et  de  petits  robinets  de  cuivre;  d'autres  se  distinguent  par  des 
colonnettes,  des  toits  cannelés,  des  bassins  et  des  arabesques  ; 
d'autres  enfin  sont  isolées  et  forment  des  monuments  compliqués 
et  élégants.  L'activité  des  rues  principales  de  Scu  tari,  surtout  aux 
environs  de  la  plage  est  toujours  très-grande.  J'ai  revu  la  mosquée 
de  Bujuk-Djami,  devant  laquelle  plusieurs  bons  musulmans  fai- 
saient leurs  ablutions,  et  dont  l'intérieur  était  occupé  par  d'autres 
fidèles  en  prières,  et  par  des  derviches  couchés  et  endormis.  A 
peu  de  distance  s'élève  la  mosquée  de  la  sultane  Validé,  avec  deux 
minarets  à  double  galerie,  un  portique  ogival  soutenu  par  des 
colonnes  arrondies,  et  le  tarbé  ou  tombeau  de  la  fondatrice  surmonté 
d'une  grille  de  1er  en  forme  de  dôme. 

Arrivé  sur  la  grande  place,  je  m'assis  devant  le  café  dont  il  a 
déjà  été  question  et  je  demandai  du  café  et  un  narghilé.  En  Orient, 
le  café  se  prépare  tout  autrement  que  chez  nous.  Réduit  en  poudre 
impalpable,  on  le  fait  cuire  en  quelque  sorte  dans  l'eau  poussée 
jusqu'à  l'ébulition,  et  on  sert  tout  ensemble  la  liqueur  et  le  marc 
dans  une  petite  tasse  en  porcelaine,  qui  se  porte  sur  un  godet  à 
pied  en  métal  auquel  on  donne  le  nom  de  zarf.  Il  y  a  de  ces 
godets  en  filigranes  d'argent  inscrusté  d'or,  mêlé  de  pierreries  et 
de  perles,  dont  le  travail  charmant  fait  honneur  à  l'industrie  de 
ces  contrées.  Quant  au  narghilé,  c'est  une  pipe  perfectionnée, 
consistant  en  un  vase  en  partie  rempli  d'eau,  un  fourneau  à  tabac 
qui  communique  avec  l'eau  par  un  tube  de  verre,  et  un  long  ser- 
penteau aboutissant  à  la  partie  vide  du  vase  et  terminé  par  un 
bouquin.  Le  tabac  dont  on  se  sert  pour  ces  sortes  de  pipes,  le 
lomfjc'ld  ,  est  l'objet  d'une  préparation  particulière,  et  l'aspira- 
tion qu'en  fait  le  fumeur,  diifé rente  de  celle  qui  a  lieu  pour  le 
tchibouk,  ofl're  quelque  difficulté  à  un  commençant.  Mon  inexpé- 
rience à  cet  égard  et  ma  maladresse  à  tenir  le  zarf  et  à  avaler  un 
café  bourbeux  auquel  je  n'étais  pas  accoutumé  devaient  être  assez 
ridicules.  Chez  nous,  les  habitués,  tournés  de  mon  côté,  m'auraient 


1U  u 
00    — 

considéré  avec  une  curiosité  étonnée  et  auraient  au  moins  laissé 
éciiapper  un  sourire.  Ici,  le  respect  de  la  liberté  que  chacun  veut 
pour  soi  et  entend  laisser  aux  autres  est  bien  plus  étendu.  Six  ou 
huit  individus  étaient  installés  autour  de  moi  ;  pas  un  ne  se  déran- 
gea, ne  porta  ses  regards  de  mon  côté  et  ne  parut  s'apercevoir  de 
mon  embarras.  Un  fait  du  même  genre  m'avait  déjà  frappé  quelques 
jours  auparavant.  Nous  étions,  au  nombre  de  trois  ou  quatre,  dans 
une  boutique  de  fruitier  pour  acheter  du  raisin;  un  musulman 
était  assis  sur  les  planches  en  bois  de  l'étalage  et  lisait  le  Koran. 
Notre  arrivée  ne  lui  fit  pas  faire  un  mouvement;  il  ne  leva  pas  les 
yeux,  il  n'interrompit  pas  sa  lecture.  Quelque  temps  se  passa 
pendant  que  nous  arrêtions  notre  choix  et  que  nous  convenions  du 
prix.  Notre  homme  n'avait  pas  bougé  ;  ce  fut  seulement  lorsque 
la  lecture  fut  terminée  qu'il  posa  avec  calme  son  livre  à  côté  de  lui 
et  qu'il  parut  rentrer  dans  les  conditions  ordinaires  de  la  vie. 

Tandis  qu'en  observant  je  prenais  lentement  mon  café,  et  que 
j'essayais  de  fumer  le  narghilé  dont  j'avais  voulu  prendre  le  plaisir, 
un  mouvement  inusité  se  manifesta  sur  la  place.  Les  soldats  du 
corps  de  garde  s'agitaient;  des  chevaux  préparés  d'avance  sem- 
blaient attendre,  et  des  curieux  en  assez  grand  nombre  se  pres- 
saient du  côté  de  la  plage.  Au  bout  de  quelque  temps,  on  vit 
arriver  des  navires  à  voiles,  qui  amenaient  au  port  un  bataillon  de 
zouaves  ottomans.  Cette  troupe,  dont  le  costume  est  imité  de  celui 
de  nos  zouaves,  se  rangea  sur  la  place,  fut  passée  en  revue  par  ses 
chefs,  et  se  dirigea,  musique  en  tête,  vers  sa  caserne.  Les  soldats 
paraissaient  embarrassés  de  leurs  nouveaux  uniformes;  ils  mar- 
chaient dans  un  ordre  satisfaisant,  mais  ils  tenaient  fort  mal  leurs 
carabines.  Les  autres  militaires  qui  portaient  l'ancien  costume, 
regardaient  les  nouveaux  venus  avec  envie;  ils  annonçaient  à  ceux 
qui  les  voulaient  écouter  que,  sous  l'influence  du  nouveau  sultan 
Abdul-Azis,  toute  l'armée  turque  allait  quitter  le  pantalon  et  la 
redingote  que  Mahmoud  avait  adoptés  comme  un  signe  de  la  part 
prise  par  ses  sujets  aux  bienfaits  de  la  civilisation  européenne. 

Cet  Abdul-Azis,  que  nos  journaux  ont  tant  prôné,  doit-il,  comme 
on  l'a  cru  dans  les  premiers  temps  de  son  règne,  changer  la  face 
de  l'empire  Turc?  D"après  ce  que  j'ai  vu  et  ce  que  j'ai  entendu  dire, 
il  n'y  a  rien  de  s  ,'mblable  à  espérer.  Le  nouveau  souverain  paraît 
plus  disposé  que  son  prédécesseur,  Abdul-Medjid,  à  favoriser  les 
vieilles  routines,  à  maintenir  les  anciennes  barrières.  Quanta  la 
durée  même  de  la  monarchie  Ottomane,  la  guerre  de  Crimée  l'a- 
t-elle  assurée  pour  longtemps  ?  Je  ne  le  crois  pas.  Il  y  a  en  Turquie 


—  156  — 

des  éléments  de  dissolution  qui  n'ont  pas  cessé,  qui  necessent 
pas  d'agir,  et  qui  doivent  fatalement  lui  donner  le  coup  de  la  mort. 
Ceux  qui  rêvent  la  conservation  de  l'état  de  choses  fondé  par 
Mahomet  IT,  le  soutiennent  au  moyen  des  arguments  que 
voici  :  Au  dehors,  la  plupart  des  puissances  Européennes 
sont  intéressées  au  maintien  de  l'empire  Turc  ;  cet  empire 
ue  peut  être  partagé,  parceque  Gonstantinople  est  un  point 
unique  au  monde,  et  que  les  gouvernements  occidentaux  ne  con- 
sentiront jamais  à  ce  qu'il  reste  aux  mains  de  l'un  d'entre-eux.  — 
Au  dedans,  les  chrétiens  sont  nombreux,  il  est  vrai,  plus  nom- 
breux que  les  musulmans,  mais  très-divisés  et  leurs  diverses  frac- 
tions grecque,  catholique,  arméno-grégorienne  ,  arméno-catho- 
lique,  préfèrent  les  turcs  aux  dissidents.  De  plus  les  turcs  font 
des  progrès  constants;  ils  sont  lents,  sans  doute,  mais  ils  sont 
réels.  Le  sort  des  chrétiens  a  été  sensiblement  amélioré,  et,  par 
l'exclusion  du  service  militaire,  il  est  devenu  au  point  de  vue  des 
charges  publiques,  meilleur  que  celui  des  musulmans.  D'autre 
part,  les  chrétiens  sont  entrés  dans  la  vie  politique  et  l'on  peut 
citer  parmi  les  hauts  fonctionnaires  :  Callimaki  ,  Vogoridès , 
Davoud-Oghlou,  etc.  Enfin  le  régime  des  impôts  a  été  considéra- 
blement perfectionné.  On  n'exige  plus  d'un  pacha,  avant  qu'il 
parte  pour  son  gouvernement,  le  versement  d'une  somme  des.inée 
à  entrer  dans  le  trésor,  et  dont  le  gouverneur  se  recouvre  ensuite 
en  pressurant  ses  administrés.  L'impôt  est  perçu  au  nom  de  l'E- 
tat ;  les  pachas  sont  payés  par  l'Etat.  Les  douanes  même  ne  sont 
plus  affermées.  Il  faut  aussi  reconnaître  que,  pour  récompenser  les 
services  rendus,  les  sultans  montrent  une  générosité  qui  tend  à 
multiplier  ces  services;  elle  est  poussée,  suivant  quelques  per- 
sonnes, jusqu'à  la  prodigalité.  Voilà  certes  d'assez  bonnes  rai- 
sons; mais 

Samedi  31  août.  —  Le  Bosphore,  que  l'on  regarde  comme  ayant 
été  ouvert  par  un  tremblement  de  terre,  ibrmie  un  canal  dont  la 
longueur  est  d'environ  vingt-sept  kilomètres,  et  dont  la  largeur 
varie  de  cent  cinquante  à  trois  cent  mètres.  Les  sinuosités  de 
ses  rives  sont  disposées  en  une  série  de  bassins  dans  lesquels  le 
courant  venant  de  la  Mer-Noire  fait  des  zig-zag  très-prononcés. 
Des  souvenirs  mythologiques  cl  historiques  s'atttachcnt  au  détroit 
du  Bos;»hore.  Son  nom  Bo/jç  n^çoc,  passage  du  Bœuf,  vient,  dit-on, 
de  ce  que  la  vache  lole  traversa  h  la  nage.  Ses  eaux  ont  porté  les 
vaisseaux  des  Argonautes,  It.'s  Hottes  de  Darius,  des  Turcs,  des 
Croisés. 


—  io7  — 

Je  connaissais  les  rives  du  Bosphore  qui  s'étendent  de  la  mer 
^8  Marmara  à  la  Corne  d'Or,  d'un  côté,  et  de  l'autre,  àScutari.  11 
merestait  à  visiter  les  côtes  européenne  et  asiatiquejusqu'à  l'entrée 
de  la  Mer-Noire,  qui  passent  pour  un  des  endroits  les  plus  char- 
mants que  l'on  puisse  admirer.  Cette  visite  est  très-facile,  à  l'aire,  et 
■desbateaux  à  vapeur  parcourent  plusieurs  fois  par  jour  le  canal,  en 
s'arrêtant  aux  points  les  plus  importants  pour  déposer  ou  prendre 
les  voyageurs.  Un  caïq  nous  ayant  transportés  à  bord  de  l'un  de 
ces  bâtiments,  nous  partîmes  du  j  ont  de  Galata,  par  un  temps 
magnifique,  et  nous  pûmes  contempler  à  loisir  le  panorama  qui 
se  déroulait  successivement  devant  nos  yeux.  Je  ne  dirai  que  quelques 
mots  de  cette  ravissante  promenade.  Depuis  Top-Hané,  oii  l'on 
stationne  en  sortant  de  la  Corne  d'Or,  jusqu'à  l'entrée  de  la  Mer- 
Noire,  la  rive  européenne,  formée  d'un  sol  déclive  et  verdoyant, 
présente  une  suite  variée  et  pittoresque  de  maisons  aux  vives  cou- 
leurs, de  cafés  dont  les  terrasses  s'avancent  dans  la  mer,  de 
palais  élégants,  de  jardins,  de  kiosques,  de  places  ombragées 
où  se  presse  une  foule  bigarrée,  d'anses  heureusement  découpées 
dans  lesquelles  s'abritent  les  navires,  de  cimetières  avec  leurs 
cyprès,  etc.  L'intérêt  ne  cesse  pas  pendant  un  seul  instant,  et 
après  avoir  vu,  on  voudrait  arrêter  le  navire  qui  passe,  pour  voir 
plus  longtemps  encore.  Voici  la  mosquée  de  Top-Hané;  voici  celle 
d'Orta-Keuï,  avec  ses  deux  minarets  et  sa  jolie  coupole;  voici  Ar- 
naout-Keuï,  habité  par  des  Grecs,  Bebek,  l'antique  Ghelee,  dont  la 
disposition  autour  d'une  baie  arrondie  a  tant  de  prestige,  Rou- 
meli-Hissar,  château,  tours  et  murailles  à  créneaux,  bâtis  par 
Mahomet  II  en  1-451 ,  Balta-Liman,  Stenia,  Therapia,  où  s'élèvent 
les  maisons  de  campagne  des  ambassadeurs  de  France  et  d'Angle- 
terre, et  enfm  Bujuk-Déré,  dont  le  quai  est  à  certains  jours  un 
lieu  de  promenade  très-fréquenté. 

C'est  à  peu  de  distance  de  Bujuk-Déré,  au  cap  de  Mézar,  que  le 
Bosphore  se  termine  en  un  canal  très-étroit,  qui  le  fait  communi- 
quer avec  la  Mer-Noire.  Notre  bâtiment  change  de  direction,  et 
bientôt  nous  nous  trouvons  à  portée  de  la  côte  asiatique.  Elle  est 
moins  peuplée  que  la  côte  européenne,  mais  elle  a  aussi  des  aspects 
pleins  d'originalité  et  d'attrait.  On  y  remarque  le  mont  du  Géant, 
la  plus  haute  montagne  de  ces  parages,  un  joli  kiosque  construit 
par  le  dernier  sultan,  la  magnifique  plaine  de  Beykoz,  le  vieux 
château  d'Anatoli-Hissar,  dont  il  ne  reste  que  quelques  tours  à 
demi-ruinées,  Chamlidgé,  sur  une  pointe  pittoresque  du  même 
nom,  la  belle  prairie  et  le  palais  impérial  des  Eaux-Douces  d'Asie, 


—  158  — 

Kandili,  Kouléli  et  Beyler-Bey.  Enfin  nous  arrivons  à  Scutari, 
enchantés  de  tant  de  merveilles. 

Dimanche  i''^  septembre.  —  J'ai  eu  ce  matin  l'occasion  d'observer 
dans  tous  leurs  détails  les  cérémonies  d'un  enterrement  arménien. 
Il  s'agissait  d'une  jeune  fille.  On  apporta  la  défunte  sur  un  bran- 
ard  où  elle  était  couchée  le  visage  découvert  et  paré  d'ornements 
d'or.  En  avant  du  cortège,  marchaient  cinq  ministres  ou  prêtres, 
ayant  des  vêtements  noirs  sur  lesquels  des  croix  blanches  étaient 
tracées  à  l'endroit  de  la  poitrine  et  des  épaules,  et  des  bonnets  assez 
semblables  aux  toques  de  nos  avocats.  En  même  temps  des  ma- 
nœuvres étaient  occupés  à  creuser  une  fosse,  qui  resta  très  peu 
profonde.  Le  corps  fut  laissé  quelque  temps  de  côté  et  un  des 
assistants  se  mit  à  coudre  autour  de  lui  un  linceul,  en  s'abritant 
derrière  une  espèce  de  voile  rouge  qui  le  dérobait  en  partie  aux 
regards.  Enfin,  on  prit  le  cadavre,  on  le  plaça  dans  la  fosse,  dont 
la  terre  avait  été  préalablement  bénie,  et  chacun  des  assistants  se 
hâta  de  jeter  sur  lui  un  morceau  de  la  terre  environnante.  Puis, 
les  fossoyeurs  achevèrent  de  remplir  la  fosse;  on  distribua  des 
verres,  de  la  liqueur  alcoolique  appelée  raki  et  des  bonbons,  les 
prêtres  dépouillèrent  leurs  ornements  sacerdotaux  et  l'on  se  retira. 
Bientôt  après  l'assistance  se  trouva  réunie  presque  en  entier  devant 
un  café  voisin,  établi  dans  l'enceinte  même  du  cimetière,  un  cercle 
fut  formé,  dans  lequel  figuraient  le  frère  de  la  défunte,  les  prêtres 
et  les  invités  ;  on  but  et  on  fuma  en  commun;  enfin,  la  foule  se 
dispersa,  et  le  cimetière  reprit  son  silence  et  sa  solitude. 

La  chaleur  diminue  ;  il  est  cinq  heures.  Partons  pour  chercher 
sur  un  sommet  élevé  une  vue  que  l'on  dit  admirable.  La  montagne 
qu'il  s'agit  de  franchir,  et  que  l'on  désigne  sous  le  nom  de  Grand- 
Ghamlidgé,  doit  être  la  même  que  celle  que  MM.  Joannect  Isam- 
bert  appellent  mont  BouUjourlou  dans  leur  Itinéraire  de  l'Orient^  si 
utile  aux  voyageurs.  Nous  suivons,  pour  nous  y  rendre,  la  rue 
principale  de  Baglar-Bachtchi  dans  le  sens  opposé  au  Grand 
champ  des  morts,  en  laissant  à  gauche  le  cimetière  arménien,  et 
à  droite  un  café  ou  casino,  d'où  s'échappe  le  bruit  d'une  musique 
joyeuse.  Cette  musique  se  fait  entendre  le  dimanche  pendant  toute 
la  journée;  les  airs  qui  se  succèdent  à  peu  d'intervalle  viennent 
indubitablement  d'Europe,  et  l'on  peut,  en  les  entendant,  se  figu- 
rer un  de  nos  cafés-concerts.  La  musique,  et  ce  genre  de  musique 
en  particulier  sont-ils  donc  une  des  voies  par  lesquelles  lu  civili- 
sation européenne  doit  s'introduire  en  Orient? 

Nous  voici  sur  une  grande  route,  bordée  de  villas,  parmi  les- 


—  159  — 

quelles  on  m'a  montré  celle  de  Véli-Pacha,  l'ancien  gouverneur  de 
l'île  de  Crète,   l'ambassadeur  de  la  Porte  à  Paris.   Cette  suite 
d'habilations  forme  une  partie  du  village  de  Topanel-Oghlou.  On 
commence  ensuite  à  monter  par  une  pente  douce,  et  après  avoir 
côtoyé  un  cimetière  musulman  aussi  négligé  que  les  autres,  on 
s'élève  dans  un  chemin  en  zig-zag,  pratiqué  le  plus  agréablement 
du  monde  parmi  les  bosquets  et  les  vignes.  Cette  pente  est  un^v^é- 
ritable  jardin.  Nous  ne  sommes  pas  les  seuls  du  reste  qui  fassions 
l'ascencion  du  Chamlidgé.  Outre   les   piétons,  on  rencontre  des 
cavaliers,  des  promeneurs  en  voiture;  les  uns  remplissant  d'élé- 
gants et  légers  talikas,  les  autres  sont  entassés  dans  des  arabas  de 
forme  archaïque.  L'araba  est  d'ordinaire  traîné  par  des  bœufs;  c'est 
une  longue  voiture  (je  pourrais  dire  un  charriot)  portée  par  des  roues 
massives,  couverte  d'un  toit  en  berceau,  avec  franges  rouges  à 
l'entour,  enfin  presque  totalement  ouverte  au  fond  et  sur  les  côtés. 
Les  banquettes  sont  disposées  dans  le  sens  de  la  longueur.  La  sus- 
pension consiste  en  quatre  pivots  de  bois  établis  sur  un  brancart, 
qui  lui  même  repose  sur  le  moyeu  des    roues.   Les  bœufs  sont 
tenus  en  éveil  par  le  mouvement  d'une  série  de  fils  de  laine  sus- 
pendus au-dessus  du  cou  par  une  tige  de  bois  ou  de  fer  recourbée 
en  arrière,  qui  s'attache  sur  le  sommet  de  la  tête  de  l'animal. 
Des  troupes  de  femmes  sont  accumulées  dans  les  arabas  qui 
passent  près  de  nous  ;  on  les  voit  s'agiter,  on  les  entend  chanter 
et  rire,  tandis  que  le  char  s'avance  avec  une  lenteur  magistrale, 
et  il  ne  semble  pas  vraiment  qu'elles  se  trouvent  trop  malheu- 
reuses de  leur  isolement  et  de  leur  servitude.  En   ce  pays  d'ail- 
leurs, on  est  très-souvent  en  fêtes  ;  les  musulmans  se  reposent  et 
s'amusent  le  vendredi,  les  chrétiens  le  dimanche.  Ces  jours-là,  on 
fait  des  promenades  aux  environs  de  la  ville  ;  on  va  se  divertir, 
manger  dans  la  campagne,  sur  l'herbe,  dans  les  endroits  les  plus 
agréables  et  les  plus  pittoresques.  Les  habitudes  des  Orientaux  à 
cet  égard  manifestent  un  sentiment  vif  des  beautés  de  la  nature; 
je  l'avais  déjà  remarqué  à   Phanar-Bachtchi,  je  le  constatai   de 
nouveau  au  Grand-Chamlidgé. 

Au  bout  d'une  assez  longue  marche,  nous  arrivâmes  près  d'un 
café  construit  sur  une  esplanade  bien  unie  et  ombragé  d'arbres 
magnifiques.  De  ce  point,  où  s'arrêtent  nécessairement  les  voi- 
tures, on  a  déjà  une  perspective  très-étendue  et  très-belle.  Mais 
on  gagne  encore  en  montant  davantage.  Nous  nous  remîmes  à 
marcher  sur  un  terrain  rocheux,  abrupte,  et  où  verdissent  seule- 
ment quelques  touffes  massives  de  plantes  odorantes  et  épineuses. 


—  160  — 

Au  moment  où  nous  atteignîmes  le  sommet  de  la  montagne,  sur 
lequel  quelques  bouquets  de  hêtres  et  de  pins  parasols  dressent 
leurs  vigoureuses  silhouettes,  le  soleil  se  couchait,  nous  le 
voyions  descendre  lentement,  rouge,  large  et  majestueux,  vers  les 
hauteurs  qui  bornent  l'horizon  du  coté  de  Gonstanlinople.  C'était 
un  spectacle  d'une  singulière  magnificence.  A  notre  droite,  se 
découpaient  le  sol  accidenté  de  la  côte  d'Asie,  et  pardessus  tout,  la 
cîme  du  mont  Géant  ;  une  suite  de  collines  verdoyantes  de  l'as- 
pect le  plus  animé  et  le  plus  riant  s'abaissait  doucement  vers  les 
flots,  et  les  eaux  du  Bosphore,  colorées  par  les  derniers  feux  du 
jour,  circulaient,  comme  un  grand  fleuve,  dans  les  profondeurs  de 
la  vallée  ;  en  face  de  nous,  paraissaient  Gonstantinople,  ses  dômes, 
ses  minarets,  son  port  peuplé  de  mâts  et  dévoiles;  à  gauche  enfin, 
s'étendait  la  mer  de  Marmara,  entrecoupé  par  son  gracieux  archi- 
pel d'îles  montueuses. 

Lundi,  2  septembre.  —  Pour  un  étranger,  ignorant  la  langue 
usuelle,  il  est  assez  difficile  de  se  diriger  seul  dans  Stamboul.  Il 
a  affaire  à  un  sol  inégal,  à  un  dédale  infini  de  rues  irrégulières 
qui  se  croisent  dans  tous  les  sens,  et  aucun  écriteau,  aucune  déno- 
mination ne  permettent  de  les  reconnaître.  Je  m'adressai  donc  à 
un  de  pes  guides,  ordinairement  Israélites,  qui  abondent  à  la  tête 
du  pont  de  Galata,  et  il  se  chargea  de  me  donner  les  indications 
nécessaires  pour  retrouver  les  principaux  monuments  qui  restent 
des  temps  antiques.  Après  avoir  traversé  le  bazar,  j'arrivai  près 
d'une  colonne  de  bronze  qu'on  nomme  la  colonne  murée  et  qui 
est  aujourd'hui  enfermée  dans  les  murs  d'un  jardin  particulier. 
Elle  a,  dit-on,  été  apportée  de  Rome  par  Gonstanlin-le-Grand.  La 
foudre  a  renversé  la  statue  d'Apollon,  qui  surmontait  son  chapi- 
teau. Plus  loin,  je  vis  le  turbé  du  suUan  Mahmoud,  édifice  de 
style  moderne,  travaillé  avec  soin,  et  décoré  de  pilastres  ioniques; 
il  renferme  à  la  l'ois  les  restes  de  Mahmoud,  do  la  sultane  Va- 
lidé, et  ceux  des  enfants  du  Sultan.  —  Un  peu  plus  loin  encore, 
on  me  signala  la  citerne  des  mille  colonnes,  qui  s'annonce  aux  alen- 
tours par  plusieurs  effondrements  de  voûtes,  restés  sans  aucune 
réparation.  Elle  esta  sec;  des  cordiers  exercent  leur  industrie 
dans  ses  profondeurs,  qu'éclairent  avec  peine  quelques  rayons  de 
soleil.  Les  colonnes  très-allongées  sur  lesquelles  porte  une  série 
encore  assez  bien  conservés  d'arceaux  en  briques  et  en  pierres, 
sont  au  nombre,  non  pas  de  mille,  mais  de  deux  cent  vingt-quatre, 
ce  qui  est  déjà  considérable.  Vers  la  base,  il  y  a  un  renflement 
très-prononcé,  dont  la  destination  paraît  être  de  diminuer  pour 


—  161  —  , 

l'œil  l'effet  désagréable  que  produit  la  maigreur  des  colonnes. 
Les  chapiteaux  en  marbre  sont  assez  grossièrement  sculptés. 
Gonstantinople  possède  plusieurs  autres  citernes  du  même  genre 
qui  ont  été  construites  par  les  Empereurs. 

De  là,  je  me  suis  rendu  à  la  place  de  VAi-meïdan  (place  des  che- 
vaux), qui  est  l'ancien  hippodrome  de  Bysance,  et  qui  a  conservé 
du  passé  divers  monuments  remarquables.  L'hippodrome,  fondit 
par  Septime  Sévère  et  terminé  par  Gonstantin-le-Grand,  était 
divisé  par  un  petit    mur  ou  spina  qui  marquait  l'axe  du   cir- 
que; des  gradins  le  dominaient  sur  les  grands  côtés;  il  était  en- 
touré dôcolonnes  et  orné  de  statues  et  de  figures  en  marbre  ou  en 
bronze,  parmi  lesquelles  on  remarquait  les  fameux   chevaux  de 
Lisippe  qui   sont  aujourd'hui  à    Saint-Marc  de   Venise.   L'At- 
meïdan  est    une  place    assez  régulière,  en  fonme   de  rectangle, 
dont  un  des  grands  côtés  est  limité  par  la  grille  qui  ferme  le  jar- 
din de  la  mosquée  d'Achmet.  Les  beaux  arbres  de  ce  jardin,  les 
arceaux  et  les  dômes  de  la    mosquée  donnent  un  grand  charme 
à  cette  partie  de  la  place.  Un  peu    plus    loin,  dans  un  enfon- 
cement ombragé  par  un  énorme    platane,   se  tient  un   marché 
oîi  la  foule  afflue;  les   dômes  et  les  minarets  de  Sainte-Sophie 
dominent  l'ensemble.  Sur  l'un  des  petits  côtés  se  voient  les  restes 
d'une  mosquée  en  ruines  ;  les  autres  côtés  sont  bornés  par  des 
maisons  de  médiocre  apparence.   La  ligne  médiane,   celle  de  la 
Spina,  est  occupée  par  deux  obélisques  et  une  colonne  de  bronze. 
Le  sol  s'est  considérablement  exhaussé,  et  les  bases  des  monu- 
ments, que  l'on  a  déblayées  depuis  peu,  se  trouvent  maintenant 
dans  des  espèces  de  puits  qu'il  a  fallu  entourer  de  grilles. 

L'obélisque  de  Constantin,  qu'on  appelle  aussi  la  pyramide  mu- 
rée, indiquait  jadis  la  limite  de  l'hippodrome.  Il  est  formé  d'un 
assemblage  de  grandes  pierres  régulièrement  taillées,  qui  reposent 
sur  un  piédestal 'de  marbre.  Ces  pierres,  autrefois  revêtues  de 
plaques  de  bronze  qui  ont  complètement  disparu,  sont  profondé- 
ment rongées  par  le  temps  et  disjointes  pour  la  plupart;  la  partie 
supérieure  n'est  plus  d'aplomb  et  menace  ruine.  La  tradition  et 
une  inscription  grecque  gravée  sur  le  piédestal  attribuent  la  répa- 
ration de  ce  monument  à  Constantin  Porphyrogénète,  dont  le  nom 
lui  est  resté. 

A  quelque  distance^  se  voit  une  petite  colonne  en  bronze  connue 
sous  le  nom  de  colonne  serpentine.  Elle  a  la  forme  de  trois  serpents 
enroulés,  dont  les  anneaux,  d'un  très-petit  diamètre  à  la  base,  où 
leurs  queues  se  dessinent,  augmentent  successivement  de  gros- 

11 


^  162  — 

seur,  puis  finissent  par  diminuer.  La  partie  supérieure,  qui  de- 
vait comprendre  les  têtes,  est  brisée,  et  la  hauteur  actuelle  de  la 
colonne  n'est  plus  que  de  cinq  mètres  quarante-cinq  centimètres. 
Elle  repose  sur  un  socle  de  granit,  qui  est  enfoncé  dans  le  sol  à 
plus  de  deux  mètres.  Il  n'y  a  pas  longtemps  que  des  travaux  in- 
telligents ont  dégagé  la  portion  du  monument  enfouie  dans  la 
terre,  et  ont  permis  de  l'étudier. 

La  colonne  serpentine  est  un  des  plus  précieux  restes  de  l'anti- 
quité que  nous  possédions.  Placée  primitivement  |dans  le  temple 
de  Delphes,  elle  y  soutenait  le  trépied  d'or  consacré  par  les  Grecs 
à  Apollon  après  la  bataille  de  Platée.  Constantin-le-Grand  la  trans- 
porta dans  l'hyppodrôme  de  Bysancc.  Sur  les  orbes  inférieurs 
formés  par  les  serpents,  on  distingue  encore  l'inscription  en  carac- 
tères et  en  dialecte  doriques  que  les  Lacédémoniens  y  firent  graver, 
et  qui,  conformément  au  récit  de  Thucydide,  donne  les  noms  des 
cités  grecques  dont  les  guerriers  mirent  en  déroute  l'armée  de 
Mardonius.  Des  versions  très -diverses  ont  été  mises  en  avant 
pour  expliquer  la  disparition  de  la  partie  supérieure  de  la  colonne 
serpentine  et  la  destruction  des  têtes  des  serpents.  On  raconte 
entre  autres  que  Mahomet  II,  entrant  vainqueur  à  Constanti- 
nople,  et  voulant  donner  une  preuve  de  son  adresse,  coupa  une 
des  têtes  avec  sonépée;  les  deux  autres  auraient  été  détachées  par 
des  voleurs,  mais  beaucoup  plus  tard. 

L'obélisque  de  Théodose,  monolithe  en  granit  rose,  dressé  à 
environ  cinquante  mètres  au  nord  de  celui  de  Constantin,  toujours 
sur  la  ligne  de  la  Spina,  est  élevé  d'une  trentaine  de  mètres 
et  s'appuie  sur  quatre  socles  ou  pieds  en  bronze,  qui  reposent 
eux-mêmes  sur  un  piédestal  de  marbre  blanc.  Des  hiéroglyphes 
sont  gravés  sur  les  quatre  laces  du  monument;  le  piédestal  est 
orné  de  bas-reliefs,  qui  représentent  l'empereur,  sa  cour,  des  am- 
bassadeurs étrangers  qui  viennent  lui  rendre  hommage,  des  fêtes 
publiques,  et  les  opérations  au  moyen  desquelles  l'obélisque  a  été 
élevé.  Certains  détails  sont  extrêmement  curieux.  Deux  inscrip- 
tions se  lisent  sur  les  faces  est  et  ouest,  l'une  en  latin,  l'autre  en 
grec.  Elles  mentionnent  toutes  deux  l'empereur  Théodosc  comme 
ayant  ordonné,  et  Proclus  comme  ayant  surveillé  l'éreclion  de 
l'obélisque. 

La  mosquée  de  Sainte-Sophie  est  très-voisine  de  l'At-Meïdan. 
Je  dirigeai  mes  pas  vers  cet  édifice,  qui,  chacun  le  sait,  est  un 
des  plus  anciens  monuments  du  Christianisme.  Construite  en 
825,  par  Constantin,  en  l'honneur  de  la  sagesse  divine,   agrandie 


—  163  — 

par  Constance,  incendiée  deux  fois  en  404  et  en  532,  elle  flit  rebâ- 
tie par  Justinien  avec  la  plus  grande  magnificence.  Les  meilleurs 
architectes  du  temps  furent  chargés  de  la  direction  des  travaux  ; 
on  employa  les  marbres  les  plus  précieux,  les  colonnes  les  plus 
belles  qu'on  pût  trouver  el  qu'on  enleva  pour  la  plupart  aux 
temples  du  paganisme  ;  la  peinture,  la  dorure,  l'art  de  la  mo- 
saïque furent  mis  à  contribution  ;  enfin,  on  accamula  dans  l'église 
nouvelle,  les  vases,  les  croix,  les  candélabres,  pour  lesquels  furent 
prodigués  l'or,  l'argent,  les  diamants,  les  pierres  dures  et  les 
perles.  La  basilique  de  Sainte-Sophie  fut  achevée  en  548.  Les 
Turcs  maîtres  de  Constantinople,  la  convertirent  en  mosquée  et 
l'augmentèrent  successivement  de  quatre  minarets  et  de  plusieurs 
constructions  qu'ils  exécutèrent,  soit  pour  l'appliquer  au  culte 
musulman,  soit  pour  la  consolider. 

Ces  constructions  empêchent  de  retrouver  aujourd'hui  du  de- 
hors le  plan  primitif  de  la  basilique  de  Sainte-Sophie,  que  nous 
connaissons  par  Procope,  par  Paul  le  Silentiaire  et  par  un  ano- 
nyme du  xi^  siècle.  Quatre  minarets  très-élevés,  une  coupole  d'une 
grandeur  extraordinaire  (35  mètres  de  diamètre),  entourée  h  sa 
base  d'une  couronne  de  fenêtres  cintrées  et  soutenue  par  des  murs 
aux  assises  alternativement  blanches  et  roses,  deux  demi-cou- 
poles à  l'orient  et  à  l'occident,  voilà  les  principales  parties  qui  se 
distinguent  au  premier  abord.  On  remarque  en  outre  une  belle 
porte,  ornée  de  colonnes  en  marbre  et  en  porphyre,  d'autres 
portes  plus  ou  moins  soignées,  des  turbés,  des  bains,  une  fontaine 
pour  les  ablutions,  dont  la  forme,  l'ornementation  et  les  dorures 
produisent  un  effet  très-agréable. 

Il  me  restait  à  voir  l'intérieur  de  Sainte-Sophie.  Or,  on  sait  que 
l'entrée  des  mosquées  est  interdite  aux  giaours,  et  qu'il  faut  pour 
l'obtenir  un  firman  de  Sultan  qai  se  paie  fort  cher.  Dans  les  hô- 
tels, les  voyageurs  se  procurent  assez  aisément  des  permissions 
de  ce  genre,  dont  le  prix,  partagé  entre  un  grand  nombre  de  per- 
sonnes, finit  par  devenir  fort  minime.  Mais  l'étranger,  logé  chez 
des  particuliers  n'a  pas  les  mêmes  ressources  ;  il  est  obligé  de 
faire  diverses  démarches,  de  s'adresser  à  l'ambassadeur  de  sa 
nation,  et  de  supporter  la  totalité  des  droits.  Je  tenais  fort  à  éviter 
tous  ces  ennuis.  J'eus  recours  à  mon  guide  juif,  et  je  lui  deman- 
dai si,  moyennant  une  somme  qui  m'avait  paru  raisonnable,  la 
visite  de  Sainte-Sophie  ne  me  serait  pas  possible.  Il  me  quitta 
pour  s'en  informer,  et  revint  bientôt  me  dire  que,  pour  la  somme 
annoncée  (15  francs  ou  150  piastres),  un  de  ses  amis,  ce  jour-là 


—  164  — 

de  service,  se  faisait  fort  de  m'introduire  dans  la  mosquée.  Tout 
fut  ainsi  convenu,  et,  lorsque  je  me  présentai,  je  ne  rencontrai 
aucun  obstacle;  seulement,  comme  c'était  le  moment  de  la  prière, 
je  dus  m'abstenir  d'entrer  dans  la  partie  réservée  aux  dévotions 
des  tidèles,  et  me  contenter  de  tout  voir  par  les  galeries  qui  en- 
tourent le  temple. 

Une  rampe  tournante  en  pente  douce  m'a  conduit  sous  les 
voûtes  de  ces  galeries  ;  au-dessous  de  moi,  j'avais  le  sol  de  la 
mosquée,  couvert  de  tapis  et  peuplé  de  dévots  agenouillés;  au- 
dessus,  la  grande  coupole  et  les  arcs  au  nombre  de  quatre  sur  les- 
quels elle  repose,  et  presque  au  même  niveau  les  deux  demi-cou- 
poles orientale  et  occidentale.  L'effet  général  est  des  plus  sai- 
sissants. Grandeur  des  proportions,  hardiesse,  légèreté  des  voûtes 
et  des  arceaux,  heureuse  disposition  des  fenêtres  et  des  colon- 
nades, tout  concourt  à  former  un  ensemble  qu'on  ne  retrouve  pas 
ailleurs,  et  qui  dépasse  en  beauté  Saint-Pierre-de-Rome.  Voici  les 
principales  dispositions  :  la  basilique  proprement  dite,  précédée 
par  une  cour  rectangulaire  à  portiques  dont  il  ne  reste  que  des  ves- 
tiges informes,  et  par  un  double  vestibule,  est  divisée  en  trois 
parties  :  la  nef,  surmontée  par  la  grande  coupole  et  par  les  deux 
demi-coupoles,  qui  lui  donnent  une  forme  ovoïde,  —  et  deux 
galeries  latérales  ou  bas-côtés.  Les  arcs  de  la  grande  coupole  sont 
soutenus  par  quatre  énormes  piliers  ;  au  nord  et  au  midi,  l'espace 
est  rempli  par  un  mur  percé  de  plusieurs  étages  de  fenêtres  et 
orné  de  colonnades  ;  au  levant  et  au  couchant,  des  hémisphères 
plus  petits,  viennent  prénétrer  les  demi-coupoles.  Trois  absides 
s'ouvrent  autour  de  l'hémicycle  que  recouvre  la  grande  demi-cou- 
polo  orientale. 

La  basilique  de  Sainte-Sophie  était  toute  revêtue  de  plaques  de 
marbre  précieux  et  de  mosaïques  qui  représentaient  des  sujets  re- 
ligieux et  les  figures  de  Justinien  et  de  sa  femme  Théodora.  Une 
grande  inscription  en  lettres  enclavées  courait  autour  de  la  cou- 
pole et  faisait  connaître  les  noms  des  fondateurs.  Les  principes  de 
la  religion  musulmane  en  matière  d'images,  ont  obligé  les  sultans 
h  cacher  les  magnificences  de  cette  décoration  ;  on  a  recouvert  les 
mosaïques  d'un  badigeon  qui  en  laisse  apercevoir  seulement  quel- 
ques traces.  Les  gardions  recueillent  les  petits  cubes  de  verre  doré 
ou  de  marbre  qui  tombent  des  murailles  ou  des  voûtes,  ils  aident 
même  probablement  au  besoin  à  les  faire  tomber,  et  ils  les  mettent 
presque  de  force  dans  les  mains  des  visiteurs,  qui  donnent  de  l'ar- 
gent en  retour.  D'immenses  disques  verts,  portant  des  versets  du 


—  165  — 

Koran,  écrits  en  lettres  d'or,  sont  pendus  aux  murailles.  Les  gale- 
ries supérieures,  avec  leurs  colonnes  en  marbre  vert,  à  chapiteaux 
blancs  et  noirs,  avec  leurs  voûtes  heureusement  ordonnées,  avec 
leurs  fenêtres  à  plein  cintre,  ont  un  très-bel  aspect.  J'ai  distingué 
sur  le  sol  de  la  mosquée  deux  urnes  colossales  en  albâtre,  le  mih- 
rab,  indiquant  la  direction  de  la  Mecque  et  qui  ne  se  trouve  pas 
au  centre  de  l'édifice,  la  chaire  élégamment  découpée,  dans  la- 
quelle se  fait  tous  les  vendredis  la  lecture  du  Koran,  et  la  loge  du 
sultan,  avec  une  grille  en  fer  doré. 

En  rentrant,  après    avoir  vu   aux  alentours    du  palais  de  la 
Sublime-Porte  les  apprêts  que  l'on  faisait  pour  la  réception  du 
vice^roi  d'Egypte  en  ce  moment  à  Gonstantinople,  j'ai  trouvé  à  la 
maison  un  médecin  arménien  dont  les  récits  donnaient  une  idée 
intéressante  de  l'état  actuel  de  la  liberté  religieuse  en  Turquie, 
(i  Le  patriarche  arménien  de  Jérusalem  vient  de  mourir,  disait-il; 
or  une  constitution  solennelle,  un  règlement  adopté  l'an  dernier 
veut  que,  lors  du  décès  d'un  patriarche,  le  nouveau  titulaire  soit 
élu  par  des  représentants  des  populations  arméniennes  de  l'empire 
Ottoman,  sur  la  présentation  du  clergé  local.  Cette  fois  le  clergé 
de  Jérusalem  prétendait  faire  l'élection,  et  il  avait  pour  cela  de- 
mandé l'agrément  du  patriarche  de  Gonstantinople,  qui  n'avait  pas 
manqué  de  consentir.  Sur  ce,  grande  émotion.  Les  Arméniens  de 
Gonstantinople  et  des  provinces  se  sont  réunis  au  nombre  de  plu- 
sieurs mille  personnes  pour  protester  contre  la  violation  de  la 
loi.  Le  ministre  de  la  police  a  cru  devoir  intervenir,   et,   ayant 
pénétré  incognito  dans  la  salle  des  délibérations,  il  a  pris  part  au 
débat,  et  s'est  trouvé  interpellé  assez  vivement  par  un  des  princi- 
paux délégués.  —  Vous  ne  savez  pas,  s'écria  alors  le  ministre,  à 
qui  vous  vous  adressez.  —  Je  le  sais,  répondit  son  interlocuteur; 
je  sais  que  vous  êtes  rauchir  et  ministre  delà  police;    mais  vous- 
même,  savez-vous  qui  je  suis?  Je  ne  vois  en  rien  à  quel  titre  vous 
êtes  ici.  Nous  délibérons  d'affaires  religieuses,  auxquelles  vous 
n'avez  en  rien  à   vous  mêler.  Moi,  je  représente  mes  co-réli- 
gionnaires,  et  j'agis  ici  en  vertu  de  mon  mandat  et  de  mon  droit. 
Le  ministre  a  du  céder;  le  patriarche  a  été  obligé  d'adhérer  aux 
décisions  de  l'assemblée  et  d'approuver   l'élection  faite,   autre- 
ment, il   lui  eût  fallu   donner  sa  démission.  » 

Mardis  3  septembre. —  Nous  partons  en  voiture  pour  une  excur- 
sion au  petit  Ghamlidgé.  On  suit  d'abord  la  même  route  que  pour 
aller  au  grand  Ghamlidgé,  puis  on  tourne  à  droite,  et  l'on  monte 
par  des  chemins  bordés  de  haies  et  d'arbres,  sinueux,  ombreux, 


—  IC6  — 

variés,  et  qui  laissent  de  temps  en  temps,  par  échappées,  paraître 
les  horizons  bleus  de  la  mer.  Après  une  marche  enchante- 
resse, on  parvient  à  une  esplanade,  qui  marque  le  point  où  s'ar- 
rêtent les  voitures.  C'est  un  lieu  de  rendez-vous,  admirablement 
disposé  pour  la  vue,  et  au  milieu  duquel  s'élève  un  magnifique 
pin  parasol.  Au  moment  où  nous  arrivions,  cinq  ou  six  Turcs 
étaient  occupés  à  faire  leur  prière;  ils  étaient  rangés  en  ligne, 
les  pieds  déchaussés,  sur  un  tapis  tourné  comms  eux  vers  la 
Mecque.  Mon  attention  tout  entière  se  porta  de  leur  côté  :  ils 
multipliaient  leurs  génuflexions,  ils  baisaient  la  terre,  ils  ac- 
complissaient les  pratiques  voulues  avec  une  dignité,  une  placi- 
dité, une  indifférence  de  ce  qui  se  passait  autour  d'eux,  un  oubli 
des  regards  des  autres  qui  me  parurent  à  la  fois  touchants  et 
admirables.  Je  ne  pus  m'empêcher  de  remarquer  que  ces 
hommes,  dont  nous  traitons  les  croyances  avec  un  si  profond 
dédain,  montrent  dans  la  manifestation  de  leurs  sentiments  re- 
ligieux un  sérieux,  un  air  de  conviction  qui  manquent  à  beaucoup 
de  chrétiens. 

Il  restait  à  faire  une  ascension  assez  rude  pour  parvenir  au  som- 
met du  petit  Ghamlidgé.  A  la  différence  de  l'autre  pointe  mon- 
tueuse  que  j'avais  visitée  quelques  jours  auparavant,  le  Bosphore 
ne  fait  pas  partie  de  la  perspective  que  celle-ci  présente;  mais,  du 
côté  opposé,  la  vue,  plus  complète,  est  vraiment  splendide.  La 
mer  de  Marmara,  les  îles  des  Princes,  les  montagnes  et  les  plaines 
d'Asie  forment  un  tableau  admirable,  surtout  au  coucher  du  so- 
leil; étendue,  lignes,  couleur,  tout  y  est. 

Mercredi^  4  septembre.  —  Un  caïq,  dans  lequel  nous  sommes 
montés,  h  défaut  du  bateau  à  vapeur  déjà  parti,  nous  a  déposés  à 
l'échelle  de  Top-Iiané.  Top-Hané  (maison  du  canon)  tire  son  nom 
de  la  fonderie  de  canons  et  des  établissements  d'artillerie  qui  s'y 
trouvent.  J'ai  déjà  signalé  la  mosquée  de  ce  village;  sa  fontaine 
mérite  une  attention  toute  particulière.  C'est  un  édifice  quadran- 
gulaire,  orné  sur  toutes  ses  faces  d'inscriptions  et  d'arabesques,  et 
qui  peut  passer  pour  une  des  plus  gracieuses  productions  de  l'art 
turc. 

De  Top-Hané,  nons  nous  sommes  dirigés  vers  Péra,  et  particu- 
lièrement vers  le  quartier  des  postes  étrangères.  Ayant  trouvé  la 
poste  française  fermée,  je  m'adressai  à  la  poste  autrichienne  pour 
aflVanchir  des  lettres  et  pour  changer  du  papier-monnaie.  Ce  pa- 
pier remplace  aujourd'hui  presqu»,' exclusivement  à  Conslantinoplc 
les  espèces  métalliques.  L'unité  monétaire  est   la  piastre,   dont 


—   167  — 

la  valeur,  après  avoir  été  de  huit  francs  an  xiv'=  siècle,  est 
descendue  à  quatre  sous  de  notre  monnaie  ;  la  piastre  se  divise 
en  40  paras  et  même  en  une  monnaie  plus  petite.  La  piastre  est 
en  argent.  Au-dessus  d'elle,  il  y  a  l'écu  d'argent,  ou  Medjidieh 
(20 piastres),  la  demi-livre  d'or,  Ellilik  (50  piastres)  et  la  livre 
d'or,  Juslik  (100  piastres).  Les  espèces  en  papier  s'appellent 
Caïmés.  Il  y  a  des  caïmés  de  10  piastres,  de  20  piastres  et  au- 
dessus.  La  valeur  du  papier  monnaie  est  très-inférieure  à  celle 
de  la  monnaie  réelle.  Ainsi,  la  piastre  argent  étant,  comme  je 
l'ai  dit,  à  peu  près  égale  à  4  sous,  un  caïmé  de  20  piastres 
devrait  équivaloir  à  4  francs  et  il  passe  pour  2  francs  seulement  ou 
2  fr.  50  centimes.  La  piastre  papier  est  donc  d'environ  12  centimes; 
ce  taux  varie  du  reste  d'un  jour  à  l'autre. 

La  création  du  papier  monnaie,  montre  dans  quel  état  déplo- 
rable se  trouvent  les  finances  de  la  Turquie.  Cette  pénurie  du  tré- 
sor est  une  des  plaies  les  plus  vives  de  l'empire  Ottoman.  Depuis 
plusieurs  années,  le  gouvernement  fait  des  efforts  louables  pour 
remettre  de  l'ordre  dans  les  finances  et  pour  rétablir  l'équilibre 
entre  les  recettes  et  les  dépenses.  Jusqu'à  présent,  rien  n'a  réussi. 
L'impôt  est  loin  de  rendre  ce  qu'il  devrait  produire  dans  un  état 
aussi  vaste  et  aussi  riche  que  la  Turquie.  La  corruption  infecte 
les  services  de  l'Etat.  Le  gouvernement,  pour  répondre  aux  né- 
cessités journalières,  se  voit  forcé  de  recourir  à  des  emprunts  rui- 
neux. Pendant  que  j'étais  à  Constantinople,  il  a  fait  un  appel  de 
numéraire,  en  donnant  du  papier  pour  de  l'argent  et  en  s'enga- 
geant  à  rembourser  dans  un  certain  nombre  d'années  les  caïmés 
au  taux  de  la  piastre  réelle.  Mon  hôte,  qui  croit  à  la  durée  de 
l'empire  Ottoman  a  pris  des  titres  de  cet  emprunt  et  m'engageait  à 
suivre  son  exemple  ;  j'ai  jugé  prudent  de  m'abstenir. 

En  parcourant  de  nouveau  la  grande  rue  de  Péra,  je  l'ai  trouvée 
moins  déplaisante  que  lors  de  ma  première  visite.  Elle  manque  de 
caractère,  voilà  son  principal  défaut.  Les  rues  latérales  ont  des 
plaques  sur  lesquelles  leurs  noms  sont  inscrits,  ce  qui,  ainsi  qu'on 
l'a  vu,  n'existe  pas  à  Stamboul.  La  grande  rue  de  Péra  mène  à  un 
cimetière  musulman  qu'on  appelle  le  Petit  champ  des  morts ^  ou 
simplement  le  petit  champ.  Il  est,  comme  les  autres,  ombragé  de 
cyprès,  rempli  de  tombes  plus  ou  moins  en  ruine,  percé  de 
quelques  chemins  que  bordent  des  débris  tumulaires,  et  il  sert  de 
lieu  de  promenade.  Un  café  nommé  Bella-vista,  s'élève  à  son  extré- 
mité. Ce  qui  le  distingue,  c'est  sa  situation.  Etabli  sur  un  grand 
espace  de  terrain  qui  s'étend  de  la  Corne  d'Or  au  sommet  de  la 


>»  168  — 

colline  de  Péra,  il  offre  de  ses  parties  élevées,  un  admirable  spec- 
tacle. Le  Bosphore,  jusqu'aux  Eaux  douces  d'Asie,  Stamboul,  ses 
onduleuses  déclivités,  sa  verdure,  ses  édifices,  se  déroulent  aux 
regards  avec  une  variété  d'aspects,  une  richesse  de  couleurs,  qui 
jettent  l'esprit  dans  l'enthousiasme. 

Sur  le  bateau  à  vapeur,  encombré  de  monde,  qui  m'a  ramené  à 
Scutari,  j'ai  pu  observer,  avec  soin,  le  costume  des  femmes 
turques,  et  il  m'a  paru  peu  gracieux.  Les  bottines  jaunes  des 
dames,  leurs  pantoufles  traînantes,  cachent  le  bas  de  la  jambe  et 
l'attache  du  pied,  et  donnent  à  la  démarche  un  air,  non-seulement 
de  nonchalance,  mais  de  gaucherie;  le  téredjé  enveloppe  leurs 
épaules  et  leurs  corps,  sans  même  indiquer  les  contours  do  la 
gorge  et  les  lignes  de  la  taille  ;  le  voile  blanc  qui  couvre  leur  tôle, 
supprime  pour  l'œil  les  trésors  de  la  chevelure,  et  ne  laisse  voir 
que  le  nez  et  une  partie  des  yeux.  La  jalousie  des  Ottomans  a  dis- 
posé les  choses  avec  un  art  implacable,  et  l'on  se  demande 
qui  pourrait  devenir  amoureux  de  leurs  épouses  sous  les  cou- 
vertures qu'ils  ont  inventées  pour  dissimuler  les  charmes  fémi- 
nins. Il  paraît,  pourtant  qu'à  travers  ces  obstacles  le  cœur  devine, 
et  deviner  est  une  grande  chose  dans  les  afïaires  d'amour  ;  mais 
que  d'erreurs  et  de  déceptions?  Gomme  compensation,  les  belles 
musulmanes,  au  tsarsi,  dans  les  promenades  publiques,  se  décou- 
vrent, dit-on,  assez  volontiers  et  laissent  voir  bien  des  choses, 
sous  prétexte  que  le  vent,  le  mouvement  ont  dérangé  leurféredgé; 
de  plus,   le  voile  qui  encadre  leur  visage  est  souvent  léger  et 

presque  transparent.  En  somme J'aime  mieux  le  vêtement  de 

nos  parisiennes. 

Jeud)^  5  septembre.  —  Nous  sommes  allés  visiter  avec  nos  hôtes 
une  famille  grecque  dont  l'habitation  est  située  à  peu  de  distance 
de  la  nôtre.  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  l'on  nous  a  offert  des 
confitures  et  du  café  ;  c'est  l'indispensable  de  la  politesse  orientale. 
J'ai  retrouvé  dans  la  maison  où  nous  étions  la  disposition  carac- 
téristique que  j'ai  précédemmiMit  signalée  :  la  substitution 
presque  complète  pour  les  salons  et  les  chambres  d'habitation  des 
vitrages  aux  murailles.  Le  constructeur  est  obligé  de  réserver  nu 
côté  pour  les  coinmunications  avec  le  reste  de  la  maison  ;  mais  il 
s'en  tient  là,  et  il  use  de  tous  les  moyens,  il  profite  do  toutes  les 
circonstances  pour  se  mettre,  autant  que;  possible,  dans  l'air  et  dans 
la  lumière.  Il  pare,  au  moyen  des  volets,  aux  inconvénients  do  la 
chaleur;  mais  le  soir,  lorsqu'aïuivi;  uni;  douce  fraîcheur,  le  divan 
se  trouve,  pour  ainsi  dire,  au  milieu  de  la  campagne,  on  peut 


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voir  la  nature  sous  tous  ses  aspects  et  dans  toutes  ses  splendeurs. 
D'ici,  particulièrement,  le  panorama  est  magnifique  :  Cadi-Kenï, 
Phanar-Bachtchi,  la  mer  de  Marmara  et  les  îles  des  Princes,  d'un 
côté,  de  l'autre  les  pointes  du  grand  et  du  petit  Gharalidgé , 
forment  le  paysage  le  plus  grandiose  et  le  plus  heureusement  ac- 
cidenté. Pour  nous,  les  splendeurs  du  ciel  s'ajoutent  aux  beautés 
de  la  terre  et  des  flots  ;  le  disque  enflammé  du  soleil  descend  vers 
l'horizon  et  se  cache  derrière  les  montagnes  lointaines,  en  laissant' 
de  tous  côtés  les  traces  lumineuses  et  décroissantes  de  son  pas- 
sage; l'air  a  une  telle  transparence,  qu'éclairées  par  les  reflets  du 
soleil  disparu,  les  lignes  conservent  toute  leur  pureté,  les  détails 
toute  leur  importance.  Le  ciel  prend  successivement  et  par  gra- 
dations ménagées ,  des  tons  d'un  rouge  éblouissant ,  d'un  rose 
tendre,  des  nuances  Jaunâtres,  violacées  dont  la  variété,  dont  la 
finesse  feraient  le  désespoir  du  peintre  et  du  poète.  Pour  rendre 
de  telles  merveilles,  nos  moyens  sont  impuissants  ;  heureux  ceux 
dont  l'œil  a  pu  les  contempler  ! 

L'instituteur  des  enfants  du  maître  de  la  maison,  M.  Baphiadès 
a  eu  l'aimable  pensée  de  me  faire  présent  d'une  sorte  de  calen- 
drier de  sa  façon,  rédigé  en  langue  grecque  et  imprimé  à  Constan- 
tinople.  C'est  un  recueil  intéressant,  qui  contient  des  détails  très- 
divers,  des  poésies,  une  chronologie  des  sultans,  des  fragments 
d'histoire  et  d'économie,  des  correspondances  entre  le  sultan  So- 
liman, le  roi  François  I"  et  le  schah  de  Perse.  L'ouvrage,  intitulé 
Xçovoç,  ^(jLspoXoytov  Tou  sSou?  186i2,  est  enrichi  de  plusieurs  gravures  sur 
bois,  représentant  des  figures  d'empereurs  grecs  et  de  sultans. 

Vendredi  6  septembre.—  Il  était  plus  de  deux  heures  quand  nous 
partîmes,  ma  femme  et  moi,  pour  les  eaux  douces  d'Asie,  dans  un 
joli  talika,  rouge  et  doré,  qu'on  avait  retenu  pour  nous  moyen- 
nant 70  piastres.  Nous  avons  passé,  en  sortant  de  Baglar-Bacthchi, 
à  côté  d'un  cimetière  juif,  qui  occupe  le  versant  et  le  sommet  de 
deux  collines.  Les  tombes  sont  plates,  sauf  quelques  unes,  dont  la 
dalle  principale  est  surmontée  d'une  longue  pierre  hexagone* 
L'aspect  de  ce  grand  espace  dépourvu  de  verdure,  où  les  enfants 
d'Israël  trouvent  un  abri  tranquille,  après  les  déboires  de  la  vie, 
m'a  vivement  impressionné.  Pour  ceux  qui  ne  savent  pas  que  la 
liberté  des  cultes  existe'en  Turquie,  il  montre  au  moins  qu'ici  la 
mort  assure  le  respect  aux  liommos,  même  quand  ils  n'ont  pas 
pratiqué  la  religion  de  l'état.  De  là,  nous  sommes  descendus  au 
village  de  Beyler-Bey,  par  une  pente  longue  et  très-rapifle.  L'a- 
rabadgi,  dans  les  moments  difficiles,  quittait  son  siège  placé  très- 


—   170  — 

bas,  et  prenait  le  cheval  parla  bride,  ou,  de  côte  et  à  distance,  par 
les  rênes  plus  ou  moins  allongées.  C'était  un  grec  fort  habile  dans 
l'art  de  conduire.  Après  avoir  traversé  Beyler-Bey,  nous  nous 
sommes  trouvés  dans  des  campagnes  agréablement  accidentées  et 
entrecoupées  de  charmantes  villas.  Parfois,  le  chemin  passe  au 
bord  de  la  mer,  et  alors  la  vue,  en  s'étendant  sur  le  côté  Européen 
du  Bosphore,  rencontre  des  effets  splendides.  Mais  presque  ]a- 
■  mais  on  ne  se  trouve  sur  un  sol  uni  et  régulièrement  aplati  ;  ce 
ne  sont  que  rudes  montées  et  rapides  descentes.  Dans  les  villages, 
le  chemin  qui  les  traverse  est  pavé,  mais  si  mal  pavé  que,  quoique 
la  voiture  soit  bien  suspendue,  la  caisse  éprouve  des  cahots 
effroyables  et  semble  à  chaque  instant  prête  à  se  briser.  Plusieurs 
fois,  ma  tête  brusquement  soulevée  a  heurté  les  ais  de  notre  plafond  ; 
heureusement  l'une  et  les  autres  ont  résisté  au  choc.  Dans  beaucoup 
d'endroits,  la  route  est  tellement  étroite,  que  deux  voitures  seraient 
incapables  de  passer  de  front.  Malgré  ces  difficultés,  le  cocher  fait 
courir  vivement  son  cheval,  descend  d'un  saut  leste,  quand  il  le 
faut,  soutient  au  besoin  la  voiture  avec  la  main,  si  elle  penche 
trop  de  côté  ou  en  avant,  et  quand  on  n'aurait  pas  les  distractions 
que  donnent  la  beauté  de  la  nature  et  la  variété  des  jardins  et  des 
habitations,  on  ne  songerait  pas  à  craindre  de  verser.  A  un  en- 
droit que  l'arabadgi  a  appelé  Our-Bachtchi ,  on  remarque  une 
vaste  esplanade,  plantée  de  grands  et  beaux  arbres,  et  qui  sert,  à 
juste  titre,  de  lieu  de  promenade  et  de  rendez-vous  de  plaisir. 

Nous  avons  traversé  Kandili,  long  village  où  les  aspérités  de  la 
route  ont  rendu  plus  violentes  encore  qu'auparavant  les  secousses 
dont  nous  étions  victimes,  et  après  avoir  suivi  pendant  quelque 
temps  la  rive  du  Bosphore  d'où  l'on  aperçoit  sur  la  côte  opposée 
le  château-fort  de  Roumelie-Hissar,  nous  avons  franchi  sur  un 
pont  de  bois  le  Gueuk-Sou,  ou  ruisseau  céleste,  dont  les  eaux  se 
jettent  près  de  là  dans  la  mer,  et  nous  sommes  parvenus  à  la  fa- 
meuse plaine  des  Eaux  douces.  Cette  plaine  est  bornée  d'un  côté 
parles  ilôts  du  Bosphore;  du  côté  opposé,  s'élève  une  ligne  de 
collines  assez  arides;  à  gauche  paraît  le  château  d'Anatolic-Hissar; 
à  droite  la  vue  se  porte  sur  le  kiosque^  artistement  disposé  du 
sultan.  Quelques  arbres,  malheureusement  trop  rares,  jettent  de 
l'ombre  dans  la  prairie. 

C'était  un  vendredi,  jour  de  fête  musulmane  et  adopté  pour  les 
promenades  élégantes  dans  ce  lieu.  Une  longue  suite  de  voitures, 
de  toutes  formes  et  de  toutes  couleurs,  circulait  lentement  dans 
la  plaine  des  Eaux  douces.  Les_femmes  turques,  dans  leurs  toi- 


—  ni  — 

Jettes  les  plus  brillantes  ,  enveloppées  de  fercdgés  en  soi(!  aux 
nuances  vives,  parées  de  diamants,  étalaient,  aux  regards  le  plus 
qu'elles  pouvaient  de  leurs  charmes.  Les  marchands  de  bonbons  et 
de  Rachat-Loucoum  dressaient  au  milieu  des  groupes  de  curieux 
les  petites  tables  rondes  qu'ils  portent  toujours  avec  eux,  tandis 
que  les  marchands  d'eau  fraîche  promenaient,  en  criant ,  leurs 
cruches  et  le  verre  unique  que  remplissait,  à  chaque  instant,  la 
liqueur  simple  et  bienfaisante  que  les  Turcs  aiment  encore,  quoi' 
qu'on  en  dise.  Des  troupes  de  musiciens  s'efforçaient  d'attirer  la 
foule  autour  d'eux  et  de  recueillir  quelques  paras.  Les  alentours 
du  palais  étaient  particulièrement  animés. 

Ce  palais  est  un  édifice  quadrangulaire,  dont  la  mer  baigne  un 
des  côtés,  et  qu'entoure  une  grille  fermée  par  des  portes  monu- 
mentales. Il  ne  manque  pas  d'élégance,  mais  il  pêche  par  l'excès 
des  ornements;  pas  une  pierre  ne  paraît  au  dehors,  qui  ne  soit 
découpée  ou  sculptée.  Par  un  heureux  hasard,  le  nouveau  sultan, 
Abd-ul-Azis,  était  venu  passer  quelques  heures  dans  son  kiosque 
des  Eaux  douces.  Nous  le  vîmes,  assis  près  d'une  fenêtre  qui  don- 
nait sur  la  plaine,  regardant  le  spectacle  qui  s'étalait  à  ses  pieds 
et  causant  avec  ses  familiers.  Son  visage  paraissait  beau  et  régu- 
lier ;  on  distinguait  la  barbe  noire  qui  l'encadre  et  qu'il  ne  laisse 
croître  que  depuis  qu'il  est  sur  le  trône.  Soncaïq,  très-svelte,  em- 
belli d'ornements  d'or  et  d'argent,  stationnait  devant  la  porte  du 
palais  qui  donne  sur  la  mer,  tandis  que  les  caïqs  des  grands  qui 
l'accompagnaient,  étaient  mouillés  à  l'embouchure  du  Gueuk-Sou. 
Les  caïcqdgis  du  prince,  mêlés  à  la  foule,  se  distinguaient  par 
leurs  costumes  blancs  et  leurs  belles  chemises  de  soie.  Du  reste, 
la  présence  du  sultan  ne  paraissait  pas  émouvoir  les  assistants  ; 
chacun  se  promenait  paisiblement  sans  paraître  s'apercevoir  qu'il 
était  là. 

Beaucoup  de  femmes  se  tenaient  assises  ou  plutôt  accroupies 
près  de  la  grille  du  palais,  de  façon  à  suivre  le  défilé  des  voitures; 
d'autres  étaient  réunies  aux  abords  d'une  fontaine  voisine,  dont 
les  murailles  et  la  toiture  les  abritaient  du  soleil.  Quant  à  nous, 
nous  parcourions  la  plaine,  examinant  avec  des  yeux  curieux  les 
types  variés  qui  s'offraient  à  nous,  lorsque  des  soldats,  dans  leur 
affreux  costume  européen  bâtard,  nous  abordèrent,  et,  autant  que 
nous  pûmes  comprendre,  non  par  leui  s  mots  turcs,  mais  par  leurs 
gestes,  ils  nous  enjoignirent  de  ne  pas  passer  ensemble  sur  tels 
ou  tels  points  de  la  promenade.  En  effet ,  la  séparation  des 
hommes  et  des  femmes  est  devenue  plus  rigoureuse  depuis  l'avè- 


—  172  — 

nement  du  sultan  actuel  ;  telle  partie  de  la  plaine  était  réservée 
aux  dames,  telle  autre  aux  hommes ,  et  les  deux  personnes  de 
notre  couple  devaient  prendre  la  route  que  son  sexe  marquait  à 
chacune  d'elles.  Pour  échapper  à  cette  importune  formalité , 
comme  il  ne  nous  restait  plus  rien  à  visiter,  nous  prîmes  le  parti 
de  remonter  dans  notre  voiture,  d'où  nous  pouvions  jouir,  tant 
que  nous  voulions,  de  la  vue  générale  de  la  plaine  et  des  prome- 
neurs. La  foule  commençait  à  s'éclaircir;  nous  nous  remimes  en 
route  et  nous  gagnâmes,  à  travers  une  campagne  délicieuse,  un 
autre  lieu  de  promenade,  désert  ce  jour  là,  qui  porte  le  nom  de  : 
Les  Grandes  Eaux-douces.  C'est  encore  une  plaine,  entourée  de  la 
manière  la  plus  heureuse ,  que  le  voisinage  du  Gueuk-Sou , 
l'abondance  des  grands  arbres ,  la  vue  du  château  d'Anatolie- 
Hissar,  enfin  la  disposition  du  site  nous  font  préférer  aux  Eaux- 
douces. 

Après  une  courte  pause,  nous  nous  engageâmes  de  nouveau  dans 
le  chemin  que  nous  avions  suivi  le  matin,  et  nous  rencontrâmes 
sur  ses  bords  un  grand  nombre  de  femmes  en  habits  de  fête,  qui 
regardaient,  assises  et  conversant  les  unes  avec  les  autres,  passer 
les  promeneurs  et  les  voitures  ;  à  sept  heures,  nous  étions  rentrés 
dans  la  maison  hospitalière  de  Bagiar-Bachtchi. 

Samedi,  7  septembre.  —  Le  moment  de  quitter  Constantinople 
pour  continuer  notre  voyage  approchait  ;  il  fallait  arrêter  notre 
passage  sur  un  bâtiment  allant  à  Smyrne  et  remplir  les  formali- 
tés du  passeport.  Je  ne  donnerai  pas  le  détail  de  mes  ennuis  ;  je 
dirai  seulement  qu'à  la  police  turque  (iman  odassi),  on  a  refusé, 
sous  prétexte  de  manque  de  monnaie,  de  recevoir  mes  caïmés,  qui 
sont  le  papier  légal,  et  que  je  n'ai  pas  trouvé  au  consulat  de 
France  toute  l'obligeance  et  même  toute  l'urbanité  qu'un  français 
a  droit  d'attendre  des  agents  de  son  pays. 

Les  affaires  terminées  à  Galata  et  à  Péra,  je  me  dirigeai  vers 
Stamboul,  avec  l'intention  de  prendre  connaissance  des  murailles 
fortifiées  qui  l'entourent.  Eu  partant  du  pont  de  Galata,  et  en 
suivant  le  rivage  de  la  Gorne-d'Or,  on  trouve  ces  murailles  éta- 
blies dans  la  môme  direction,  à  quelque  distance  de  la  mer. 
Des  maisons  ont  été  bâties,  des  rues  ont  été  disposées  sur  le  sol 
inoccupé.  En  certains  endroits,  le  mur,  avec  ses  tours  carrées, 
forme  un  des  côtés  de  la  rue  ;  ailleurs,  il  est  enclavé  dans  les  mai- 
sons et  l'on  ne  peut  voir  que  les  créneaux  au-dessus  des  toits  ou 
des  pans  à  demi-ruinés.  On  rencontre  de  ces  habitations,  qui 
sont  placées,  comme  des  nids  sur  le  taîtc  do  la  muraille;   leurs 


—  173  — 

fenêtres  vitrées  et  ornées  de  moucharabis,  les  plantes  ver- 
doyantes qui  les  entourent,  et  retombent  en  longues  guirlandes 
jusqu'au  sol  inférieur,  offrent  des  échappées  fraîches  et  pitto- 
resques au  possible.  A  mesure  que  l'on  s'éloigne  du  pont  de 
Galata,  les  tours  deviennent  plus  multipliées  ;  de  place  en  place, 
la  construction  est  uniquement  en  pierres,  mais  presque  toujours 
elle  est  en  pierres  mêlées  de  briques.  J'ai  rencontré  plusieurs 
portes  ;  Zindar-Kapou,  Odoun-Kapou,  Oun-Kapoussi,  Djoubath- 
Kapou,  léni-Kapou,  etc.  ;  elles  ne  se  distinguent  par  aucune 
particularité  remarquable. 

En  marchant  ainsi  au  pied  des  murailles,  j'avais  d'abord  tra- 
versé des  marchés  couverts  où  abondent  les  carpouses,  des  rues 
vivantes  et  très-fréquentées,  où  fonctionnent  des  marbriers  en 
grand  nombre,  puis  d'énormes  chantiers  de  bois;  j'avais  passé 
le  point  où  le  pont  de  Mahmoud,  aujourd'hui  incendié,  reliait 
jadis  le  Petit  champ  des  morts  de  Galata  à  Stamboul  ;  enfin,  fran- 
chissant le  quartier  du  Phanar,  j'avais  atteint  l'endroit  où  le  mur 
quitte  la  ligne  de  la  Corne-d'Or,  pour  aller  joindre  les  rives  de  la 
mer  de  Marmara.  Le  quartier  du  Phanar,  ainsi  nommé,  dit-on, 
parce  qu'il  fut  fortifié  à  la  lueur  des  flambeaux,  est  habité  par  les 
Grecs  et  renferme  l'église  patriarcale  et  plusieurs  autreséglises  du 
rite  grec.  La  rue  principale,  mal  pavée  et  presque  déserte,  est 
assez  large  et  bordée  de  jolies  maisons  en  pierre,  de  forme  mau- 
resque. 

L'heure  déjà  avancée  me  força  de  quitter  pour  ce  jour-là  la 
visite  des  murailles  de  Stamboul.  J'étais  rentré  à  Baglar-Bacht- 
chi,  il  faisait  nuit  noire,  lorsque  tout  à  coup  le  canon  gronde. 
Qu'annonce  ce  bruit  sinistre?  J'apprends  que  c'est  un  incendie. 
Le  feu  a  pris  à  Beschik-Tacsh  ;  nous  voyons  de  nos  fenêtres,  sur 
l'autre  rive  du  Bosphore  les  rouges  lueurs  des  flammes.  A 
ceux  qui  n'ont  été  avertis  ni  par  le  son  du  canon  ni  par  la  vue  de 
l'incendie,  l'autorité  musulmane  envoie  un  autre  appel  ;  des  agents 
spéciaux  sont  chargés  d'éveiller  l'attention  du  public  et  de  requé- 
rir les  secours.  L'un  d'eux  parcourt  la  grande  rue  de  Baglar- 
Bachtchi  ;  de  distance  en  distance,  il  frappe  avec  un  bâton  armé  de 
fer  les  pierres  du  chemin,  en  criant  d'une  voix  grave  ces  mots 
dont  il  traîne  longuement  la  dernière  syllabe  :  langhin-  Var^  Bes- 
chick-Tasch!  Notre  émotion  fut  vive;  on  sait  ce  que  sont  les  in- 
cendies dans  une  ville  de  bois  comme  Gonstantinople,  et  nos  hôtes 
ont  leur  maison  de  ville  à  peu  de  distance  des  quartiers  atteints. 
Heureusement,  au  bout  de  peu  de  temps,  la  lueur  du  feu  a  cessé 


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de  briller,  et  nous  apprenons  que  tout  est  fini  ;  une  maison  ou 
deux  seulement  ont  péri. 

Dimanche,  8  septembre.  —  La  promenade  des  Eaux-Douces 
d'Europe  est  avec  celle  des  Eaux- Douces  d'Asie,  une  des  plus 
aimées  de  la  société  élégante  de  Constantinople.  Elle  a  lieu  le 
dimanche,  mais  elle  ne  dure  que  pendant  une  partie  de  l'année. 
Nous  nous  trouvions  au  jour  consacré,  et  quoique  la  saison  ne  fût 
pas  celle  que  choisit  la  foule,  nous  résolûmes  de  faire  notre  visite 
aux  Eaux-Douces  d'Europe.  Un  cafetier  de  Scutari,  gros  turc  un 
peu  lettré,  que  l'on  décore  à  cause  de  cela  du  titre  d'Effendi,  et 
auquel  nos  hôtes  avaient  rendu  quelques  services,  s'était  chargé 
de  nous  arrêter  d'avance  un  caïq  à  deux  paires  de  rames.  Nous 
trouvâmes  en  effet  un  caïq  élégant  et  sculpté  avec  soin,  qui  nous 
attendait  à  l'échelle  de  Scutari  ;  il  était  gouverné  par  deux  musul- 
mans de  bonne  mine,  l'un  jeune,  l'autre  vieux  et  à  barbe  blanche, 
qui  savaient  leur  métier,  sans  posséder  peut-être  la  vivacité  et 
l'énergie  ordinaire  des  caïqdgis.  Pendant  qu'ils  se  tenaient,  les 
rames  en  main,  sur  le  plancher  qui  doit  les  porter,  nous  nous 
installâmes,  un  de  nos  amis  ,  ma  femme  et  moi,  dans  l'espace 
étroit  qui  nous  était  réservé,  et  où  nous  nous  rangeâmes  de 
notre  mieux,  les  jambes  étendues  et  le  dos  appuyé  sur  les  parois. 
Le  soleil  brillant  et  chaud,  —  soleil  d'Orient  bien  caractérisé,  — 
nous  forçait  de  nous  abriter  sous  un  de  ces  parapluies  blancs, 
dont  on  aime  à  se  servir  dans  le  pays. 

Nous  traversâmes  le  Bosphore,  et  entrant  dans  la  Corne-d'Or 
par  une  des  arches  du  pont  de  Galata,  nous  avançâmes  dans 
le  canal  de  plus  en  plus  étroit,  ayant  à  notre  gauche  Stamboul  et 
particulièrement  le  quartier  du  Phanar,  et  à  droite  Galata,  Péra 
et  le  Grand  champ  des  morts.  Le  second  pont,  dévoré  par  un  in- 
cendie, n'existe  plus  qu'en  partie.  Après  l'avoir  franchi,  on  passe 
à  côté  du  quartier  des  Juifs,  de  l'École  de  médecine,  de  l'Arsenal 
et  du  Kiosque  impérial  qui  tient  à  cet  établissement.  La  colline 
de  Péra,  du  côté  qui  regarde  la  Corne-d'Or,  est  loin  d'avoir  un 
aspect  aussi  agréable  que  la  côte  où  Stamboul  est  assis.  On  n'y 
rencontre  presque  plus  de  jardins,  à  cause  de  la  cherté  dos  ter- 
rains, et,  pour  l'œil,  ce  n'est  plus  guère  qu'une  masse  informe  de 
toits  aplatis. 

Le  lit  du  canal  se  resserre;  on  voit  les  murs  de  Stamboul 
s'éloigner  en  tournant  des  bords  de  la  mer  et  monter  sui-  la  col- 
line; les  arbres  se  multiplient  entre  les  villas,  et  l'on  Unit  par 
arriver  au  point  où  le  Barbizôs  se  jette  dans  la  Corne-d'Or.  C'est 


—   175  — 

là  que,  sur  la  droite,  on  distingue  la  jolie  mosquée  d'Eyoub,  avec 
ses  minarets  élancés,  son  dôme  de  métal  reluisant  au  soleil,  ses 
petites  coupoles  et  sa  verdure  merveilleusement  entremêlées. 
L'ensemble  est  charmant.  On  pénètre  dans  la  rivière,  dont  le  lit 
est  encore  assez  important,  et  la  vallée  commence  à  se  dessiner, 
faiblement  dominée  par  des  hauteurs  pelées  et  sans  arbres.  Des 
joncs  d'un  vert  tendre  parsèment  le  bord.  La  rivière  devient 
de  moins  en  moins  large,  et  la  plaine,  s'étendant  peu  à  peu,  se 
peuple  avec  beaucoup  d'agrément  de  grands  saules  et  de  magni- 
fiques térébynthes.  Bientôt  notre  caïq  est  obligé  de  s'arrêter  ;  des 
soldats  turcs  s'occupent  à  faire  et  à  défaire  un  pont  de  bateaux 
sur  le  Barbizès,  et  interceptent  le  passage.  Nous  abordons  et  nous 
continuons  notre  route,  en  suivant  à  pied  la  rive.  Tout  à  coup, 
des  clochettes  retentissent;  une  caravane  de  chameaux  qui  était  en 
repos  se  lève  et  se  met  lentement  en  marche.  C'étaient  les  pre- 
miers chameaux  que  j'eusse  vus  en  Orient.  Un  âne  chemine  en 
avant,  portant  avec  une  certaine  dignité  l'homme  conducteur  de 
la  bande  ;  puis  viennent  sept  chameaux  attachés  par  une  corde 
les  uns  aux  autres  ;  un  second  âne  ferme  la  marche. 

En  avançant  nous-mêmes  dans  la  campagne  que  sillonne  le 
Barbizès,  nous  percevons  les  variétés  et  comme  les  nuances  d'un 
même  paysage  ;  c'est  toujours  la  plaine  unie  dont  les  ardeurs  de 
l'été  ont  jauni  l'herbe,  les  douces  montagnes  qui  la  séparent  du 
ciel,  la  rivière  ondulant  en  mille  gracieux  détours  les  saules,  et  les 
térébynthes,  qui  semblent  disposés  pour  un  paysage  de  conven- 
tion, et  au-dessus  de  tout  cela  une  mer  d'azur,  d'oti  coulent  des 
torrents  d'une  incomparable  lumière.  Ajoutez  des  ponts  en  bois, 
des  compagnies  de  promeneurs  mangeant  à  l'ombre  ou  jouant, 
courant  et  se  poursuivant  sur  l'herbe,  des  petites  cuisines  établies 
dans  le  creux  des  arbres  ou  bâties  en  terre  et  dans  lesquelles  se 
fabriquent  le  kébab  et  le  café,  quelques  marchands  d'eau  fraîche, 
et  des  débitants  de  Loucoum,  portant  leurs  balances,  leur  petite 
table  ronde  et  leurs  bonbons  en  étalage,  des  bateleurs  juifs  par- 
venant avec  leurs  farces  grossières,  à  attirer  autour  d'eux  un 
cercle  de  curieux;  ajoutez  encore  au  bord  de  la  rivière  un 
kiosque  impérial,  aujourd'hui  abandonné,  mais  dont  les  ponts, 
les  édifices,  les  jardins  s'harmonisent  bien  avec  la  nature  envi- 
ronnante, et  vous  pourrez  peut-être  vous  faire  quelque  idée  de  la 
délicieuse  sensation  que  j'ai  éprouvée  en  contemplant  ces  lieux 
enchanteurs.  Avec  presque  rien,  le  tableau  est  rempli  sans  être 
confus  ;  on  le  voit,  on  en  jouit,  sans  avoir  la  peine  de  le  regarder, 


—  176  — 

il  vous  environne,  il  vous  saisit  doucement,  comme  un  rêve  de 
bonheur.  En  d'autres  temps  de  l'année,  la  plaine  des  Eaux 
Douces  est  plus  animée  et  plus  bruyante;  une  foule  variée  s'y 
presse  et  s'y  coudoie  ;  les  caïqs  couvrent  la  rivière,  les  talikas, 
les  arabas  traînés  par  des  bœufs  circulent  ou  attendent;  les  femmes 
émaillent  la  prairie  des  milles  couleurs  de  leurs  féredgés,  et  ce  coin 
du  monde  devient  un  lieu  de  plaisir  et  de  bruit.  Je  ne  regrette  pas 
de  l'avoir  vu  dans  son  calme  naturel. 

Nous  visitâmes  le  palais  du  sultan.  Les  portes  des  cours  et  des 
jardins  étaient  ouvertes  et  nous  pûmes  nous  y  promener  à  notre 
aise.  C'est,  ou  plutôt  c'était,  une  très-agréable  habitation.  Des  pa- 
villons h  colonnes  de  marbre,  à  toitures  moresques,  sont  disposés 
sur  les  bords  du  Barbizès;  des  cascades  ont  été  ménagées  dans  un 
canal  aujourd'hui  presque  sans  eau,  et  où  l'on  ne  peut  plus  que 
les  imaginer;  les  jardins  négligés  abondent  en  verdure.  Dans  un 
espace  découvert  s'élève  un  grand  kiosque  arrondi  ;  en  mettant 
l'œil  dans  les  intervalles  de  l'étoffe  qui  sert  seule  à  le  fermer,  on 
aperçoit  les  colonnes  dorées  de  l'intérieur,  les  divans  et  les  canapés 
oh  le  maître  se  reposait  en  fumant.  Près  de  là  sont  dressées  des 
tables  de  marbre  sur  lesquelles  on  a  tracé  en  lettres  d'or  des  ver- 
sets du  Koran,  pour  la  prière  du  sultan,  une  estrade  demi-circu- 
laire à  trois  marches,  qui  lui  servait  à  monter  à  cheval.  De  là,  et 
des  balcons  du  palais  principal,  la  vue  s'étend,  en  une  longue  allée 
d'eau  et  de  verdure  jusqu'au  village  des  Eaux-Douces,  dont  les 
maisons  blanches  brillent  dans  le  lointain  sur  le  versant  de  la  col- 
line opposée. 

Pendant  la  promenade,  nos  caïqgis  étaient  venus  nous  rejoin- 
dre; nous  remontâmes  en  bateau,  après  qu'ils  eurent  pris  le  café 
et  mangé  des  carpouses,  et  nous  descendîmes  la  rivière,  en  passant 
près  d'un  autre  palais  impérial.  La  solitude  était  devenue  presque 
complète,  et  nous  distinguâmes  seulement  dans  la  plaine  une  autre 
compagnie  de  chameaux,  les  uns  debout,  les  autres  reposés  sur  leurs 
genoux.  Le  soleil  se  couchait,  lorsque  nous  arrivâmes  à  la  hauteur 
d'Eyoub  et  je  pus  admirer  encore  une  fois,  sous  l'influence  d'une 
autre  lumière,  l'heureuse  disposition  de  ce  lieu.  A  quelque  dis- 
tance, sur  un  bateau,  un  musulman  faisait  sa  prière:  je  le  regardai 
avec  la  sympathie  que  j'avais  ressentie  déjà  en  semblable  occasion. 
Quelle  est  cette  prière,  que  disait  dans  son  cœur  le  batelier  soli- 
taire? Elle  doit  être  simple  et  belle,  elle  doit  exprimer  avec  force 
une  idée  profondément  religieuse,  puisqu'elle  inspire  à  ceux  qui 
la  répètent  un  recueillement  si  absolu,  puisqu'elle  élève  h  une  si 


~-  17;  — 

noble  hauteur  Tesprit  des  petits  comme  celui  des  grands.  Le  voya- 
geur Pococke  raconte  qu'une  dispute  s'étant  élevée  entre  les 
Maures  qui  étaient  sur  son  navire,  et  leur  chef  s'étant  aperçu 
qu'ils  allaient  en  venir  aux  coups,  il  entonna  une  litanie  mahomé- 
tanc  à  laquelle  ils  répondirent,  et  tout  fut  apaisé.  (1)  Chez  les 
musulmans,  aujourd'hui  encore,  les  incrédules  et  les  négligents 
font  exception. 

Nous  voici  rentrés  dans  la  Corne  cVOr;  le  soleil,  descendu  der- 
rière l'horizon,  n'a  plus  laissé  dans  le  ciel  qu'une  lumière  douce 
et  légèrement  dorée,  sur  laquelle  les  édifices  et  les  arbres  de  Stam- 
boul forment  une  silhouette  originale,  tandis  que,  sur  la  rive 
opposée,  les  collines  de  Galata  et  de  Péra  en  sont  encore  illumi- 
nées. Un  aqueduc  antique  et  à  demi-ruiné,  dont  les  arceaux 
dominent  les  maisons  du  Phanar,  produit  surtout  un  admirable 
effet.  Du  côté  de  Galata,  dans  la  cour  d'une  caserne  turque,  nous 
voyons  des  soldats  nègres,  dansant  éperdument  au  son  continu  du 
tambourin,  et  des  rondes  fantastiques  se  dessinent  dans  la  pénom- 
bre, comme  une  protestation  vivante  de  la  gai  té  contre  les  exi- 
gences de  la  discipline.  De  nombreux  caïqs  filent  dans  le  canal; 
ils  ramènent  dans  leur  quartier,  fort  considérable,  des  familles 
juives,  qui  se  sont  un  instant  mêlées  aux  plaisirs  de  la  foule.  J'ai 
pu  observer  en  cette  occasion  l'habileté  des  caïqdgis,  qui,  dans 
une  course  à  toutes  rames,  lancés  les  uns  sur  les  autres,  par- 
viennent à  s'avertir,  à  se  tourner  et  à  s'éviter.  On  tremble,  ils 
vont  se  couper  en  deux;  le  temps  de  lever  les  yeux,  on  les  trouve 
rangés  et  passant  tranquillement  à  côté  les  uns  des  autres. 

La  nuit  arrive,  avec  un  rayon  de  lune  qui  l'éclairé  faiblement. 
Nous  franchissons  le  pont  de  Galata,  et  les  courants  nous,  forcent 
à  faire  un  détour  considérable  pour  regagner  l'échelle  de  Scutari. 
Les  bateliers  nous  déposent  sur  la  rive,  contents  de  50  piastres 
que  nous  leur  donnons,  au  lieu  de  40  qui  étaient  convenues.  La 
montée  jusqu'à  Baglar-Bachtchi  était  assez  difficile,  dans  les  rues 
mal  pavées,  peuplées  de  chiens  et  dépourvues  de  tout  éclairage. 
Heureusement  nous  rencontrons  le  cafetier  Suleyman-Effendi  à 
cheval,  et  cet  honnête  homme,  qui  nous  attendait,  voulut  absolu- 
ment que  nous  prissions  son  talika  pour  retourner  chez  nous. 

Lundis  9  septembre.  —  Il  me  restait  à  voir  plusieurs  monuments 
de  Stamboul,  les  colonnes  de  Alarcien  et  d'Arcadius,  l'aqueduc  de 
Valens,  une  partie  des  murailles,  diverses  mosquées,   etc.  Mais, 


(1)  Description  de  l'Orient,  T.  IV,  p.  218. 

12 


—  ilH  — 

dans  le  peu  de  temps  dont  Je  pouvais  disposer,  m'était-il  permis  de 
prétendre  à  ne  rien  laisser  inobservé'?  Je  résolus  de  parcourir 
la  ville,  en  m'arrêtant  à  tous  les  points  qui  me  sembleraient 
mériter  quelque  attention. 

Le  premier  édifice  qui  se  présente  à  moi  est  la  mosquée  de  la 
sultane  Validé,  ou  Yéni-Djami,  qui  a  été  bâtie  pour  la  mère  du 
sultan  Mahomet  IV.  Cette  mosquée  se  distingue  par  deux  mina- 
rets à  trois  galeries,  un  dôme  flanqué  de  quatre  demi-coupoles  et 
de  plusieurs  petits  dômes,  et  une  double  galerie  extérieure  à  co- 
lonnes de  marbre  et  à  arceaux  moresques.  Un  portique  carré,  in- 
terrompu par  deux  portes  opposées,  environne  la  cour.  Sous  les 
voûtes  de  ce  portique,  plusieurs  familles  ont  établi  leur  domicile  ; 
on  y  voit  des  lits,  des  couvertures  entassées,  des  femmes  cou- 
chées. Plus  loin,  une  sorte  d'assemblée  solennelle  paraît  se  tenir. 
Un  vieux  musulman,  de  belle  et  noble  apparence,  au  visage  doux 
et  bienveillant,  est  assis  à  genoux  et  appuyé  contre  une  colonne. 
Une  douzaine  de  personnages  l'entourent  et  s'asseyent  comme  lui; 
puis  arrive  un  nouvel  assistant,  qui  lui  donne  une  double  accolade. 
Alors,  le  vieillard  prend  la  parole  et  prononce  un  long  discours  ; 
les  autres  parlent  après  lui  chacun  à  leur  tour.  Qu'était-ce  que 
cette  assemblée  et  quels  en  étaient  les  membres?  Je  ne  pus  me 
livrer  qu'à  des  conjectures. 

Autour  de  la  mosquée  de  Yéni-Djami,  est  établi  un  marché  oti 
règne  une  grande  animation.  On  y  voit  étalés  des  assortiments 
nombreux  de  vêtements  tout  faits,  les  uns  légers,  les  autres 
épais  et  fourrés,  des  pardessus,  des  objets  de  coutellerie,  dont  la 
plus  grande  partie  m'a  paru  venir  de  France  et  d'Angleterre,  des 
armes,  des  poignards  damasquinés,  de  la  feronnerie,  des  étoffes, 
du  savon,  etc.  Parmi  les  boutiques  de  ce  marché,  il  y  a  des  bou- 
cheries, des  rôtisseries  oti  opèrent  des  faiseurs  de  kébab,  etc. 

En  quittant  ce  quartier,  je  me  suis  dirigé  vers  le  sérail  (palais), 
qui  occupe  la  rive  la  plus  occidentale  de  Stamboul  et  l'emplace- 
ment de  l'Acropole  de  l'antique  Bysance.  Construit  par  Maho- 
met II,  affecté  d'abord  à  la  résidence  des  femmes  des  sultans 
morts,  habité  ensuite  par  les  sultans  eux-mêmes,  qui  laissèrent 
pour  s'y  installer  l'Eski-Serail  (aujourd'hui  le  Seras  kiérat),  le 
sérail  a  repris  sa  destination  primitive,  quand  Abdul-Medjïd  s'est 
transporté  au  palais  de  Dolma-Bachtchi.  Il  est  entouré  de  toutes 
parts  de  murailles  crénelées,  et  flanqué  de  tours,  qui,  du  côté  de 
la  mer,  se  confondent  avec  les  murs  de  la  ville.  Cette  vaste  en- 
ceinte présente  à  peu  près  la  forme  d'un  œuf  dont  on  aurait  coupé 


-   i7l) 


irrégulièrement  une  des  extrémités  ;  l'autre  extrémité  est  ce  cap 
célèbre  que  l'on  désigne  sous  le  nom  de  Pointe-du-Sérail.  Elle 
comprend  une  multitude  de  bâtiments,  de  portes,  de  cours,  de 
jardins,  une  haute  tour  carrée,  l'ancienne  église  de  Sainte-Irène, 
bâtie  par  Constantin  et  transformée  en  arsenal,  le  palais  propre- 
ment dit  du  sultan,  les  écuries,  le  pavillon  des  eunuques  noirs, 
la  caserne  des  bostandgis,  les  cuisines,  avec  leurs  petits  dômes 
surmontés  de  longues  cheminées,  de  nombreux  kiosques,  entre 
autres  ceux  du  harem,  la  colonne  de  Théodose,  en  granit  noir, 
couronnée  d'un  chapiteau  corinthien,  la  colonne  de  Gul-Hané,  la 
porte  Auguste  ou  Bab-Humaioun,  en  marbre  blanc  avec  des  co- 
lonnes de  vert  antique,  la  charmante  fontaine  d'Ahmet  III,  et 
quelques  constructions  faites  lors  de  la  guerre  de  Crimée. 

Je  n'ai  vu  le  sérail  qu'en  passant  ;  certaines  parties  sont  ouvertes 
au  public,  dans  d'autres  on  ne  pénètre  qu'avec  un  fîrman  et  d'autres 
sont  tout  à  fait  fermées.  Les  jardins,  peuplés  d'arbres  séculaires 
(fui  y  croissent  en  liberté  et  y  répand£nt  un  délicieux  ombrage, 
ont  un  singulier  attrait;  les  édifices,  élevés  sans  ordre,  n'offrent 
rien  de  bien  remarquable  que  leurs  couleurs  variées  et  les  gril- 
lages de  leurs  fenêtres.  Mais  la  position  est  admirable,  et  elle 
montre  une  fois  de  plus  chez  le  peuple  Turc,  l'instinct  des  beaux 
sites  que  j'avais  déjà  observé  et  qui  avait  frappé  également 
M.   de  Lamartine. 

Après  avoir  passé  près  de  Sainte-Sophie  et  traversé  l'At-Meï- 
dan,  dont  les  monuments  demandent  une  longue  étude,  j'ai  re- 
joint les  murailles  de  Stamboul,  dans  lesquelles  on  retrouve  en- 
core, mais  plus  rarement  que  sur  les  rives  de  la  Corne-d'Or,  la 
disposition  des  grandes  pierres  entremêlées  de  briques.  Dans 
cette  partie  de  la  ville,  que  baigne  la  mer  de  Marmara,  le  mouve- 
ment ordinaire  d'une  grande  capitale  a  tout  à  fait  disparu. 
Quelques  jardins,  dont  la  verdure  monte  au-dessus  de  leur  clô- 
ture, d'immenses  terrains  vagues,  qui  semblent  avoir  été  dévas- 
tés par  le  feu,  quelques  pauvres  habitations  et  une  jolie  petite 
mosquée,  voilà  ce  que  j'y  ai  rencontré.  Les  rues,  au  moment  où 
je  les  parcourais,  c'est-à-dire  vers  trois  heures,  étaient  absolu- 
ment désertes  ;  on  entendait  dans  les  intérieurs  quelques  bruits 
d'enfants  qui  jouaient;  mais  à  l'extérieur,  rien  ne  paraissait. 
Point  de  boutiques,  point  d'ateliers  de  travail.  Les  femmes 
étaient  enfermées,  les  hommes  avaient  quitté  la  maison. 

Mon  retour  ne  s'est  pas  accompli  sans  difficulté.  Après  avoir 
une  première  fois  perdu" mon  chemin,  j'étais  parvenu  à  gagner 


—   180  — 

la  belle  mosquée  Osmanié,  puis  celle  de  Bajazet  et  enfin  le  grand 
bazar.  Mais  là,  dans  le  dédale  des  rues  qui  s'y  croisent ,  mon 
embarras  recommença.  Je  voulus  interroger,  en  me  servant  tour  à 
tour  du  grec,  du  français  et  de  l'italien  ;  on  ne  m'entendit  pas 
ou  on  eut  l'air  de  ne  pas  m'entendre.  Les  derniers  marchands 
auxquels  je  m'adressai  parurent  se  méprendre  sur  le  sens  de  mes 
questions  et  refusèrent  durement  de  me  répondre.  La  nuit  appro- 
chait, ma  perplexité  devenait  pénible.  Enfin,  par  bonheur,  en 
marchant  au  hasard,  je  me  trouvai  hors  du  tsarsi  dans  une  rue 
que  je  connaissais,  et  je  pus  arriver  au  bateau  à  vapeur  qui  me 
ramena  à  Scutari. 

Mercredi,  \i  septembre.  — C'était  le  jour  fixé  pour  le  départ; 
nous  'avons  fait  nos  remercîments  et  nos  adieux  aux  bons  amis 
qui  avaient  exercé  l'hospitalité  envers  nous  avec  tant  de  grâce,  et 
un  caïq  nous  a  transportés,  nous  et  nos  bagages,  de  l'échelle 
de  Scutari  sur  le  pont  de  l'Europa,  bâtiment  à  vapeur  du  Lloyd 
autrichien,  en  destination  pour  Smyrne. 

Nous  voici  en  marche.  Encore  quelques  regards  sur  cette  con- 
trée qu'il  faut  quitter  et  que  j'ai  trop  peu  vue  !  Une  terre,  cour- 
bée en  un  immense  demi-cercle,  se  penche  doucement  vers  les 
eaux  azurées  du  Bosphore  ;  cette  terre,  qui  porte  la  vieille  By- 
sance,  la  ville  des  empereurs  et  des  sultans,  n'a  point  d'égale  au 
monde  pour  la  grandeur  pittoresque,  pour  la  brillante  variété  des 
tableaux  offerts  à  ceux  qui  la  contemplent.  Soit  qu'à  la  naissance 
du  jour,  elle  sorte  des  vapeurs  transparentes  du  matin,  soit  que 
le  soir,  le  soleil  la  colore  amoureusement  de  ses  derniers  feux, 
Constantinople  est  toujours  belle  et  séduisante.  On  ne  peut  la  voir 
sans  être  charmé.  J'ai  cherché  à  rendre  de  mon  mieux  l'impres- 
sion qu'elle  a  produite  en  moi  au  moment  où,  du  haut  du  pont  du 
Phase,  je  l'apercevais  pour  la  première  fois  ;  plume  impuissante  ! 
Je  sens  combien  elle  a  trahi  mes  efforts.  Que  dirai-je  aujourd'hui? 
Comment  peindrai-je  cette  fois  Constantinople?  Vanter  la  magie 
des  couleurs,  dont  l'éclat  est  à  la  fois  si  vif  et  si  doux,  la  souplesse 
des  lignes,  le  mélange  heureux  des  arbres  et  des  habitations,  la 
disposition  originale  desédifîces,  dômes  étincelants,  tours  superbes, 
minarets  élancés,  le  jeu  harmonieux  de  la  lumière  et  de  l'ombre 
sur  tous  les  objets,  est-ce  faire  passer  dans  l'esprit  des  autres 
l'enthousiasme  que  ces  merveilles  inspirent  quand  on  les  voit? 
Ne  vaut-il  pas  mieux  se  contenter  des  jouissances  d'une  admira- 
tion muette  ! 

Cependant  le  navire  s'éloigne,   les  objets  diminuent  et  Cons- 


—  181  — 

tantinople  s'efface  peu  à  peu  ;  ce  sont  tour  à  tour  de  nouveaux 
aspects,  de  nouveaux  tons,  beaux  et  saisissants  encore.  Puis,  tout 
se  fond,  et  les  minarets  se  distinguent  seuls,  laissant  une  ligne 
blanche  dans  la  pénombre  bleuâtre  qui  environne  les  rives  du 
Bosphore.  Enfin,  on  cesse  de  percevoir  les  lignes  et  les  couleurs  ; 

le  soleil  se  couche  dans  les  splendeurs  de  l'horizon Constan- 

tinople  n'est  plus  pour  moi  qu'un  souvenir. 


—  183  — 

LES  SOCIÉTÉS  PROVINCIALES 

DE  BRIE  ET  DE  CHAMPAGNE  AU  DIX -HUITIÈME  SIÈCLE. 

PAR  M.   LE  COMTE  B.  d'hARCOURT, 
Membre  fondateur  (  Section    «le    Provins.  ) 


Messieurs,  les  Sociétés  qui  s'occupent,  soit  d'archéologie,  soit 
de  lettres,  soit  de  sciences,  ont,  comme  les  individus,  des  devoirs 
vis-à-vis  de  leurs  ascendants;  et  parmi  ces  devoirs  vous  trouverez 
peut-être  qu'on  doit  ranger  celui  de  mentionner  quelquefois  leur 
nom,  d'évoquer  leur  souvenir,  de  rappeler  leur  existence.  Les 
sociétés  qui  se  fondent  de  nos  jours  ont  quelque  intérêt  à  jeter,  de 
temps  à  autre,  un  regard  sur  les  associations  qui  les  ont  pré- 
cédées, qui  ont  vécu  et  fonctionné  dans  la  même  région,  à  une 
autre  époque.  Mon  désir  est  de  vous  parler  un  instant  des  sociétés 
provinciales  de  Brie  et  de  Champagne,  au  xv!!!""  siècle.  Je  serai, 
sur  ce  sujet,  aussi  bref  que  je  le  pourrai;  car  je  me  ferais  et  vous 
me  feriez  un  reproche  d'employer,  à  vous  parler  des  sociétaires 
d'autrefois,  une  partie  notable  du  temps  qui  sera  si  utilement 
consacré  à  entendre  les  intéressants  travaux  des  sociétaires  d'au- 
jourd'hui. 

Il  y  a  peu  de  chose  à  dire  des  sociétés  champenoises,  au  com- 
mencement du  xviii"  siècle;  soit  que  le  mouvement  de  l'opinion 
publique  ne  se  dirigeât  pas  de  ce  côté,  soit  que  ses  manifestations 
rencontrassent  des  obstacles,  on  n'aperçoit  pas  du  tout,  dans  les 
premières  années  du  xviii''  siècle,  cette  tendance  à  se  réunir,  à 
s'entretenir  en  commun  des  questions  générales,  qui  devient  si 
marquée  un  peu  plus  tard.  La  grande  atïliire  locale,  qui  passionna 
les  esprits  pendant  cette  première  période,  fut  la  querelle  des  vins 
de  Champagne  et  des  vins  de  Bourgogne.  Ce  débat,  qui  donna 
lieu  à  une  polémique  si  vive,  avait  eu,  à  son  origine,  des  propor- 
tions restreintes  :  Deux  jeunes  étudiants,  originaires  de  la  Bour- 
gogne, ayant  à  soutenir  leur  thèse  devant  la  Faculté  de  médecine 
de  Paris,  embarrassés  peut-être  de  choisir  un  sujbt,  et  ne  se  dou- 
tant pas  de  l'orage  qu'ils  allaient  soulever,  attribuèrent  au  vin  de 
Champagne  de  graves  défauts,  au  point  de  vue  hygiénique.  Suivant 
eux,  ce  vin  attaquait  les  nerfs,  donnait  naissance  aux  affections 


—  184  — 

goutteuses,  et  c'était  avec  grande  raison  que  Fagon,  premier  mé- 
decin de  Louis  XIV,  lui  en  avait  interdit  l'usage.  Cette  thèse  eut 
du  retentissement  et  ne  tarda  pas  à  être  connue  à  Reims,  où  elle 
produisit  l'impression  la  plus  lâcheuse.  Plusieurs  habitants  de  la 
ville  s'associèrent  pour  relever  le  gant  par  une  publication,  qui 
eut  lieu  en  1700. 

Malheureusement,  ils  n'eurent  point  la  sagesse  de  rester  sur  le 
terrain  de  la  défense;  ils  prirent  aigrement  l'offensive,  prodi- 
guèrent le  mépris  au  vin  de  Bourgogne,  et  lui  rendirent  outrage 
pour  outrage.  Une  étourderie  déjeune  homme  mettait  ainsi  deux 
provinces  aux  prises.  Les  Bourguignons  répliquèrent,  et  ne  se 
firent  pas  faute  d'employer  des  arguments  blessants  :  a  Le  vin  de 
Champagne,  disaient-ils,  est  faible,  mou,  aqueux,  et  manque  de 
cette  qualité  qu'on  nomme  générosité;  il  ne  doit  sa  réputalion 
qu'aux  m'nistres  Letellier  et  Colbert,  qui,  ayant  des  propriétés 
près  de  Reims  et  voulant  en  accroître  le  revenu,  avaient  vanté 
outre  mesure  les  produits  qui  en  sortaient.  »  Les  Champenois, 
dans  un  nouveau  factum,  soutinrent  que  ni  Letellier,  ni  Colbert 
n'avaient  jamais  possédé  de  vignobles  en  Champagne;  que  la  célé- 
brité de  leurs  crûs  était  bien  antérieure  à  ces  deux  ministres; 
qu'à  la  vérité,  les  personnes  qui  accompagnaient  Louis  XIV  à  son 
sacre,  ayant  eu  occasion  de  boire  du  vin  des  environs  de  Reims, 
en  parlèrent  plus  tard  avec  éloge,  et  contribuèrent  à  en  répandre 
le  goût,  mais  que  le  vin  de  Champagne  devait  sa  renommée  à  ses 
mérites,  et  non  point  à  la  faveur. 

Tout  cela  fut  dit  avec  une  extrême  animation,  en  prose  et  en 
vers,  en  français  et  en  latin.  Pour  assigner  le  rang  des  vins,  on 
versa  des  flots  d'encre.  Les  journaux  de  l'époque  se  posèrent  en 
champions  de  l'un  ou  de  l'autre  des  deux  adversaires,  et  mirent  h 
défendre  leurs  clients  une  ardeur  qu'ils  ne  pouvaient  déployer  en 
d'autres  matières. 

Imprimeurs  et  journalistes  étaient  astreints,  par  la  législation 
du  temps,  à  des  règlements  sévères;  les  peines  corporelles,  et 
même  la  pendaison,  étaient  prononcées  contre  ceux  qui  conlre- 
veuaient  aux  édits  défendant  de  rien  publier  sans  être  spécialement 
autorisé  à  cet  effet.  Mais,  quand  les  vins  de  Champagne  et  de 
Bourgogne  étaient  seuls  en  cause,  on  laissait  une  grande  latitude 
aux  écrivains,  lesquels  étaient  charmés  de  trouver  un  sujet  qui 
intéressait  tout  le  monde  et  qui  ne  portait  ombrage  h  personne. 

A  mesure  qu'on  avance  dans  le  xviii"  siècle,  la  situation  se  pré- 
sente sous  un  nouvel  aspect;  les  lois  restent  les  mômes,  mais  elles 


—  185  — 

sont  modifiées  parles  mœurs;  les  intérêts  purement  locaux  ne 
prennent  plus,  dans  les  préoccupations  de  chacun,  une  place 
exclusive.  Les  réunions,  les  associations  de  toute  sorte  deviennent 
un  des  besoins  de  la  province;  elles  s'établissent  avec  l'assenti- 
ment et  le  concours  du  gouvernement.  Tout  le  monde  était  frappé 
des  avantages  que  présentait  la  création,  sur  un  grand  nombre  de 
points,  de  centres  intellectuels  oii  l'on  put  échanger  et  mûrir  ses 
idées,  se  connaître,  s'encourager  et  s'éclairer  mutuellement.  On 
comprenait  que  faute  de  cette  excitation  salutaire,  beaucoup  de 
bons  esprits  restaient  ignorés  et  inutiles,  semblables  à  ces  tisons 
épars  dans  un  foyer,  qui  s'éteignent  si  on  les  laisse  isolés,  et  qui 
projettent  la  chaleur  et  l'éclat  si  on  les  rapproche. 

Le  laps  de  temps  qui  s'est  écoulé  de  1750  à  1789,  est  peut-être 
la  période  la  plus  brillante  des  sociétés  provinciales.  On  y  agitait  les 
sujets  les  plus  élevés  et  les  plus  délicats;  ainsi,  l'Académie  de  Ghâ- 
lons- sur-Marne,  qui  était  une  des  plus  marquantes,  mettait  au 
concours,  ou  faisait  discuter  dans  son  sein,  les  questions  suivantes: 
Quel  est  le  meilleur  système  d'éducation  pour  l'ensemble  de  la  na- 
tion? —  Quelles  sont  les  lois  pénales  les  plus  efficaces  pour  conte- 
nir et  réprimer  le  crime,  en  ménageant  l'honneur  et  la  liberté  des 
citoyens?  ~  Quels  perfectionnements  pouvaient  être  apportés  au 
mode  d'administration  de  la  Champagne?  —  Quels  seraient  les 
moyens  les  plus  propres  à  y  créer  de  nouvelles  routes,  en  amé- 
liorant la  condition  des  travailleurs?  —  Un  ingénieur  des  ponts 
et  chaussées,  M.  Viallet,    développait,  devant  ses  collègues  de 
l'Académie  châlonnaise,  un  plan  pour  établir  dans  le  royaume 
une  seule  mesure  et  un  seul  poids.  — Un  médecin  distingué,  le 
docteur  Gellé,  se  livrait  à  des  études  comparatives  pleines  d'in- 
térêt, sur  la  proportion  dans  laquelle  la  population  s'accroissait. 
On  voit  que  l'Académie  de  Ghâlons  ne  craignait  pas  d'aborder  les 
sujets  les  plus  vastes  et  les  plus  variés.  D'autres  sociétés  spécia- 
lisaient leurs  efforts  et  s'occupaient,  les  unes  de  beaux-arts,  les 
autres  de  sciences;  à  Reims,  deux  sociétés  s'étaient  fondées,  vers 
1750.  Jean  Hélard  était  à  la  tête  d'une  Académie  de  peinture  et  de 
sculpture.  Dans  la  même  ville,  une  association,  qui  portait  le  nom 
de  Société  d'émulation,  se  réunissait  au  couvent  des  Augustins  ; 
on  y  entendait,  non-seulement  des  habitants  de  la  localité,  mais 
des  savants  venus  du  dehors.  Le  célèbre  physicien   Pilatre  de 
Rosier  et  l'abbé  Nollet,  dont  les  leçons  et  les  ouvrages  scienti- 
fiques avaient  alors  une  .grande  réputation,  y  firent  ce  qu'on 
appellerait  aujourd'hui  des  conférences.  L'agriculture  eut  aussi  sa 
part  dans  le  mouvement  qui  portait  les  hommes  du  xviii''  siècle 


—  186  — 

à  mettre  leurs  observations  et  leurs  connaissances  en  commun, 
pour  les  rendre  plus  fécondes.  Les  comices  agricoles  ont  com- 
mencé à  fonctionner,  dans  la  région  qui  nous  entoure,  dès  1761. 

C'est  au  commencement  de  cette  année  que  se  fonda  une  asso- 
ciation appelée  Société  royale  d'agriculture,  dont  le  ressort  s'éten- 
dait sur  toute  la  généralité  de  Paris;  elle  se  divisa  en  sections, 
dont  l'une  comprenait  la  Brie  et  avait  son  siège  à  Meaux.  On 
trouve,  dans  ses  procès-verbaux,  le  reflet  des  discussions  très- 
animées  auxquelles  l'état  de  l'agriculture  et  la  législation  des 
céréales  donnèrent  lieu  à  cette  époque.  Tout  ce  qui  se  rapportait 
aux  conditions  de  production  de  la  terre  était  alors  l'objet  d'une 
sorte  d'enquête  permanente.  Le  recueil  des  procès-verbaux  dont 
je  parle,  contient  un  questionnaire  en  54  articles,  destiné  à  faire 
connaître  la  situation  et  les  besoins  de  la  population  rurale. 

La  Société  royale  d'agriculture  ne  se  contentait  pas  de  discuter; 
elle  agissait  et  subventionnait.  Des  prix  étaient  donnés  par  elle  à 
ceux  qui  obtenaient  la  récolte^  de  froment  la  plus  abondante,  sur 
un  terrain  de  cinq  arpents,  entièrement  travaillé  à  la  charrue;  elle 
distribuait  des  semences,  donnait  de  la  publicité  à  tout  ce  qui  pou- 
vait intéresser  les  habitants  des  campagnes,  et  cherchait  à  propa- 
ger les  meilleures  méthodes  de  culture,  à  l'aide  d'encouragements 
pécuniaires  qui  représentaient  une  somme  considérable. 

En  dehors  de  ces  associations,  il  y  en  avait  encore  d'autres  dont 
l'importance  était  moindre  et  dont  je  ne  parle  pas,  parce  qu'il 
faudrait  entrer  dans  des  explications  assez  longues,  pour  montrer 
l(îs  tendances  qui  se  cachaient  parfois  sous  des  dénominations 
excentri(iues  et  sous  des  apparences  un  peu  frivoles.  Les  limites 
de  temps  dans  lesquelles  je  dois  me  renfermer,  et  que  j'espère 
n'avoir  pas  dépassées,  m'ont  obligé  à  indiquer  seulement  les  prin- 
cipales sociétés  qui  ont  existé  dans  la  Brie  et  dans  la  Champagne, 
au  xviii"  siècle.  J'ai  cru  qu'une  mention,  môme  sommaire  et  in- 
complète de  ces  so^iétés,  ne  serait  pas  jugée  inopportune  dans  une 
réunion  de  personnes  habitant  le  même  sol,  continuant  la  même 
œuvre,  faisant  des  choses  d'autrefois  une  de  ses  préoccupations 
principales,  acceptant  l'héritage  de  ses  devanciers  pour- le  trans- 
mettn!,  accru  et  amélioré,  à  ses  successeurs.  Il  semble,  en  effet, 
qu'aux  sociétés  comme  celle  qui  tient  aujourd'hui  sa  séance  à 
Coulommiers,  on  pourrait  appliquer  avec  justesse  cette  pensée 
d'un  ancien  poète  :  «  Tout  ce  qui  prend  ses  racines  dans  le  passé  a 
pour  feuillage  l'avenir.  » 


—  187  — 

UN  CONCOURS  MUSICAL  AU  XVIP  SIÈCLE. 

DEUX  MAITRES  DE  CHAPELLE  DE  L'ÉGLISE  CATHÉDRALE  DE  MEAUX 

SOUS    LOUIS    XIV   ET   BOSSUET. 

PAR    M.    TORCIIET  , 
Membre   fondateur  (  Section   de   Meaux  ). 


Lorsqu'on  lit  les  chroniques  du  temps  de  Louis  XIV,  on  est 
surpris  qu'elles  ne  le  montrent  pas  comme  un  grand  homme.  Jamais 
prince,  en  effet,  n'excita  autant  de  haines  jalouses;  peu  de  rois 
eurent  à  lutter,  au  dehors,  contre  des  ennemis  aussi  acharnés  ;  au 
dedans,  contre  tant  d'erreurs  et  de  préjugés. 

Et  cependant,  quel  siècle  plus  glorieux  étonnera  les  races  fu- 
tures? Quel  règne  a  répandu  autour  de  lui  une  auréole  plus  lumi- 
neuse de  gloire  et  de  majesté?  Paris  est  le  centre  des  lettres  : 
Racine,  Molière,  Bossuet,  Fénelon,  Mansard,  Le  Nôtre,  semblent 
s'être  donné  rendez-vous,  pour  créer  ce  siècle  grand,  ce  siècle 
illustre  entre  tous. 

La  plus  grande  gloire  de  Louis  XIV,  sans  contredit,  c'est  d'a- 
voir excité,  dirigé  le  mouvement  des  arts,  qui  prirent  un  si  grand 
essor  sous  son  règne,  et  de  s'être  montré,  à  part  quelques  rares 
exceptions,  généreux,  prodigue  même,  envers  les  hommes  d'élite 
qui  les  cultivaient.  La  musique  et  les  musiciens  furent  surtout,  de 
sa  part,  l'objet  d'une  protection  spéciale. 

Transportez-vous,  par  la  pensée,  en  l'année  1683.  Déjà,  à  cette 
époque,  un  événement  remarquable  s'était  accompli.  Le  premier 
parmi  tous  les  rois,  Louis  XIV  avait  pris  sous  sa  protection  le 
spectacle  nommé  opéra,  h  la  splendeur  duquel  devaient  concourir 
tous  les  beaux-arts,  mais  seulement  pour  faire  cortège  à  la  mu- 
sique, qu'on  entourait  ainsi  à  son  berceau  de  luxe  et  d'éclat,  comme 
un  enfant  d'un  sang  royal. 

A  cette  époque,  Lulli  tenait  en  France  le  sceptre  de  l'art. 

Amené  de  Florence  à  Paris  [;ar  le  chevalier  de  Guise,  Lulli 
avait  préludé  à  sa  brillante  carrière  de  compositeur  dramatique, 
par  un  modeste  emploi  de  marmiton,  dans  les  cuisines  de  M'""  de 
Montpensier.  Bientôt  le  Florentin  a  déserté  les  fourneaux;  il  s'est 


—  188  — 

élancé  dans  la  grande  bande  des  violons  du  roi,  et  c'est  à  lui  qu'on 
s'adresse  pour  composer  la  musique  des  divertissements  de  la 
cour,  divertissements  où  figuraient  les  plus  grands  personnages 
de  France,  et  dans  lesquels  Louis  XIV  lui-même  ne  dédaignait 
pas  de  déployer  les  grâces  de  sa  personne. 

Autour  de  Lulli,  dominateur  jaloux,  on  voyait  un  groupe  assez 
nombreux  de  bons  musiciens,  que  son  humeur  envieuse  savait  tenir 
à  distance. 

C'était  l'abbé  Henry  Dumont,  sous-maître  de  chapelle  du  roi, 
excellent  compositeur  et  organiste,  qui,  par  un  scrupule  religieux, 
et  pour  obéir  aux  décisions  du  concile  de  Trente,  refusa  longtemps, 
malgré  le  désir  de  Louis  XIV  et  les  conseils  de  l'archevêque  de 
Paris,  Mgr  de  Harlay,  d'ajouter  à  ses  motets  des  accompagne- 
ments d'orchestre.  Sa  messe  en  plain-chant,  si  bien  connue  sous 
le  nom  de  messe  de  Dumont,  est  encore,  de  nos  jours,  appréciée 
et  entendue  avec  plaisir,  au  milieu  des  pompes  du  culte  catho- 
lique. 

C'était  Michel  de  Lalande,  auteur  de  motets  estimés,  qui,  refusé 
par  Lulli  comme  violoniste,  de  dépit  brisa  son  instrument  et  re- 
tourna à  l'étude  de  la  composition. 

C'étaient  encore  Guillaume  Minoret,  Marc-Antoine  Charpentier, 
Loulié,  professeur  et  théoricien,  premier  inventeur  du  métro- 
nome. Marchand,  Couperin,  et  d'autres  que  je  m'abstiens  de 
nommer. 

Il  n'est  pas.  Messieurs,  que  vous  ne  vous  rappeliez  ces  vers  de 
Boileau  : 

Mùlii'u'e,  avec  Tartufe^  y  doit  jouer  sou  rôle; 

Kl  Lambert,  qui  plus  est,  m'a  douné  sa  parole. 

C'est  tout  dire,  en  un  mot,  et  vous  le  connaissez. 

—  Quoi  !  Lambert?  —  Oui,  Lambert  :  à  demain.  —  C'est  assez. 

Vous  VOUS  demandez  quel  était  ce  Lambert,  dont  le  donneur  de 
festins  faisait  en  ti^cvoir  la  présence  comme  une  bonne  fortune,  que 
n'égalait  pas  même  celle  de  Molière?  Lambert  était  le  musicien 
par  excellence,  sous  Louis  XIII  et  sous  Louis  XIV.  Il  chantait, 
jouait  du  luLli,  du  Ihéorbe  et  du  clavecin  et,  déplus,  composait 
de  fort  jolis  airs.  Jamais  artiste  ne  fut  plus  à  la  mode;  de  la  place 
Royale  à  la  rue  Saint-Denis,  dans  les  salons  de  la  noblesse  comme 
dans  ceux  delà  finance  et  de  la  ])ourgcoisie,  on  se  disputait  la  faveur 
de  le  posséder;  il  était  l'âme  des  fêli.'S  et  dos  réimions  inlimos. 


—  189  —     . 

Partout  on  l'invitait,  mais  ne  l'obtenait  pas  qui  voulait;  le  qui 
plus  est  des  vers  de  Boileau  en  fournit  la  preuve. 

Quand  La  Fontaine  veut  donner  une  idée  de  la  perlection  du 
chant,  dans  sa  fable  le  Lion,  le  Singe  et  les  deux  Anes,  il  dit  : 
((  Vous  surpassez  Lambert.  » 

Tel  était  ce  Michel  Lambert  dont  le  nom,  comme  celui  de  Phi  • 
lidor,  fut  porté  par  une  famille  nombreuse  d'artistes.  Parmi  eux, 
je  ne  saurais  ici  passer  sous  silence  Charles  Lambert,  professeur 
de  piano  au  Conservatoire,  dont  le  gendre,  Théodore  Labarre, 
peut  compter  parmi  les  illustrations  musicales  de  notre  époque, 
et  dont  la  fille,  Honorine  Lambert,  soutient  encore  aujourd'hui, 
dans  notre  ville  de  Meaux,  l'honneur  musical  attaché  à  ce  nom 
célèbre  parmi  les  musiciens. 

Transportez- vous  par  la  pensée,  vous  disais-je,  à  cette  année 
digne  d'être  mentionnée  dans  les  annales  de  la  musique.  Louis  XTV 
proiite  des  loisirs  que  lui  laissent  ses  gigantesques  entreprises, 
ses  travaux  d'administration  intérieure  et  les  intrigues  du  palais, 
pour  régénérer  la  musique  de  sa  chapelle. 

Pour  y  parvenir  plus  promptement ,    les  abbés   Dumont  et 

Robert,  après  avoir  été  récompensés  de  leurs  services,  sont  mis 

à  la  retraite;  et,  malgré  le  préjugé  de  cette  époque,  qui  réprouvait 

l'usage  des  violons  dans  les  églises,  l'orchestre  est  définitivement 

introduit  dans  la  musique  sacrée. 

Lulli,  surintendant  de  la  musique  du  roi,  propose  alors  de  par- 
tager le  service  de  la  chapelle  par  quartiers;  lisait  que  l'ennui 
naquit  un  jour  de  l'uniformité  :  il  veut  que  l'introduction  d'un  plus 
grand  nombre  de  compositeurs  donne  plus  de  variété  au  genre  de 
musique  que  la  cour  entendra  dans  le  temple  saint. 

Le  roi  décide  donc  qu'il  soit  ouvert  un  grand  concours  musical, 
auquel  pourront  prendre  part  tous  les  musiciens  du  royaume. 
Tous  devront  faire  chanter  des  motets,  pour  que  l'on  puisse 
plus  facilement  juger  quels  sont  ceux  qui  sont  capables  de  pos- 
séder, non-seulement  les  deux  nouvelles  charges,  mais  encore  les 
deux  anciennes,  remplies  jusqu'à  ce  jour  par  les  deux  sous-maîtres 
de  la  chapelle  royale,  vieux  et  malades. 

Voilà,  Messieurs,  l'idée  principe  des  concours,  l'origine  de  ces 
tournois  pacifiques  qui,  dans  notre  siècle,  excitent  une  si  puissante 
et  si  heureuse  émulation  parmi  tous  les  artistes. 

De  toutes  parts  on  répondit  à,  l'appel  du  roi.  Les  direc- 
teurs des  maîtrises,  les  chapelains  des  cathédrales  se  préparèrent 
à  la  lutte.   Des  artistes  de  premier  ordre,  des  virtuoses  distin- 


—  m)  — 

gués,  des  chanteurs  émérites  se  disposèrent  à  entrer-  dans  la  lice. 

Trente-six  concurrents  se  présentèrent  ,  parmi  lesquels  oj^ 
remarquait  Lorenzani,  Nivers,  Fossard,  Mignon,  Dcsmarets, 
Lesueur. 

C'est  que  tous  désiraient  s'attacher  au  grand  roi  par  le  triple 
lien  de  l'intérêt^  de  la  reconnaissance  et  de  leur  propre  gloire. 

Où,  en  effet,  auraient-ils  trouvé  un  patronage  plus  intelligent, 
plus  généreux  et  plus  noble?  On  auraient-ils  rencontré  un  auditoire 
plus  capable  d'apprécier  leurs  talents  que  cette  cour  si  brillante, 
si  spirituelle,  si  passionnée  pour  tout  ce  qui  était  grand  et  beau? 

Aussi,  la  lutte  fut  vive  et  acharnée,  le  prix  disputé  avec 
ardeur. 

Parmi  tous  ceux  qui  s'étaient  distingués  le  plus  par  leur  mérite, 
huit  musiciens  avaient  été  surtout  jugés  dignes  de  la  haute  mission 
qui  devait -leur  être  confiée.  Louis  XIV  voulut, — usage  qui  se 
pratique  encore  de  nos  jours,  pour  le  concours  du  prix  de  Rome, 
—  qu'on  enfermât  ceux  qui  devaient  entrer  dans  la  lice,  chacun 
séparément,  pour  composer  la  musique  du  psaume  Beati  quorum. 
Conformément  à  cet  ordre,  les  huit  concurrents  furent  gardés 
dans  une  maison,  les  portes  closes,  et  traités  pendant  six  jours 
aux  dépens  du  roi,  sans  communiquer  avec  personne.  Chacun 
travailla  de  son  mieux  sur  le  thème  donné,  et  l'émulation  fut  telle 
qu'elle  donna  à  leur  œuvre,  si  l'on  s'en  rapporte  au  verdict  du 
jury,  uns  parfaite  égalité  de  mérite. 

Un  semblable  jugement  vous  étonne.  Messieurs.  Il  prouve  en 
effet,  jusqu'à  l'évidence,  que  les  appréciations  des  jurés  ne  furent 
pas  sérieuses;  nous  ne  saurions  admettre  que  huit  compositions^ 
sur  un  même  sujet,  pussent  présenter  une  entière  similitude  de 
valeur. 

Sur  les  huit  rivaux,  quatre  candidats  étaient  principalement 
recommandés  à  la  bienveillance  de  Louis  XIV. 

Minoret  avait  un  puissant  protecteur  dans  l'archevêque  de 
Reims,  Charles-Maurice  Letellier,  premier  pair  ecclésiastique  de 
•  France,  et  maître  de  chapelle  en  titre  du  roi. 

De  son  côté,  Luîli,  tout  puissant  auprès  de  Louis  XIV,  recom- 
mandait fortement  son  élève  Colasse. 

La  musique  du  disciple  ne  faisait  pas  beaucoup  d'honneur  au 
maître,  témoin  cette  épigramme  faite  sur  un  opéra  dû  à  la  colla- 
boration de  Gampistron  et  Colasse  : 

Entre  Gampistron  et  Colasse, 
Grand  débat  s'émeat  au  Parnasse, 


—   I!)l    — 

Sur  ce  que  l'opéra  n'a  pas  un  sort  heureux. 
De  son  mauvais  succès  nul  ne  se  croit  coupable; 
L'un  dit  que  la  musique  est  plate  et  misérable. 
L'autre  que  la  conduite  et  les  vers  sont  affreux; 
Et  le  grand  Apollon,  toujours  juge  équitable, 
Trouve  qu'ils  ont  raison  tous  deux. 

Un  troisième  prétendant  à  la  place  en  litige  mérite  de  fixer 
notre  attention.  C'est  l'abbé  Goupillet ,  le  directeur  de  notre 
maîtrise,  le  maître  de  musique  de  l'église  de  Meaux.  L'abbé  Gou- 
pillet ne  s'était  pas  encore  fait  connaître  par  quelque  œuvre  im- 
portante; jusqu'alors,  il  était  resté  inconnu.  Toutefois,  s'il  n'était 
pas  un  musicien  fort  habile,  du  moins  passa-t-il,  dans  cette  cir- 
constance solennelle,  pour  un  habile  homme,  car  il  parvint,  à 
force  de  sollicitations  et  d'intrigues,  à  se  faire  un  parti  puissant  à 
Versailles.  Notre  maître  de  chapelle,  dont  on  ne  saurait  cependant 
contester  le  zèle  intelligent,  zèle  qu'il  déployait  dans  la  majesté 
des  offices  de  l'église  épiscopale,  se  trouvait  aidé  et  encouragé  par 
Bossuet. 

Vous  savez,  Messieurs,  que  la  manière  de  vivre  du  grand 
évêque  de  Meaux,  dans  sa  famille  et  avec  ses  amis,  était  toujours 
noble  et  amicale  ;  toujours  il  recherchait  les  occasions  de  rendre 
service  à  ceux  de  ses  gens  qui  lui  étaient  attachés.  C'était  à  ses 
témoignages  et  à  son  crédit  qu'un  grand  nombre  d'entre  eux 
étaient  redevables  des  places  honorables  qu'ils  remplissaient  à 
Paris  et  à  la  cour. 

«  On  croit,  disait  le  vertueux  prélat,  que  je  ne  pense  qu'à  mes 
livres;  voyez  si  ce  que  je  viens  de  faire  pour  tel  et  tel  n'est  pas 
convenable.  »  Aussi,  la  reconnaissance  se  réunissait-elle  à  tous 
les  sentiments  d'estime  et  d'admiration  qu'il  commandait  à  ceux 
qui  l'approchaient. 

Goupillet  profita  de  cette  bienveillance  naturelle  de  son  évêque, 
pour  se  faire  appuyer  par  lui  auprès  de  la  Daupliine,  dont  il  était 
le  premier  aumônier.  Il  était  encore  recommandé  par  l'abbé 
Robert,  qui  se  retirait  delà  maîtrise  de  Paris,  et  qui  avait  supplié 
le  roi  de  vouloir  bien  agréer  son  protégé. 

Lesueur  ,  maître  de  musique  de  Notre  -  Dame  de  Rouen, 
figurait  aussi  parmi  les  concurrents  à  la  place  de  maître  de  cha- 
pelle du  roi.  Musicien  d'un  génie  fécond,  nourri  de  fortes  études, 
cet  artiste  réunissait  toutes  les  conditions  de  mérite  et  de  capacité 
désirable-.  Mais  comme  il  ne  comptait,  parmi  les  hommes  in- 
fluents de  l'époque,  aucun  personnage  qui  se  chargeât  d'appuyer 


—  192  — 

chaudement  sa  candidature,  il  avait  désiré  se  faire  connaître, 
avant  d'aborder  le  concours,  par  une  œuvre  sérieuse  et  de  haute 
portée.  Il  avait  donc  fait  exécuter  un  de  ses  motets  à  la  messe 
du  roi  :  c'était  le  psaume  lxx. 

Au  septième  verset,  cadent  à  latere  tuo  (vos  ennemis  tomberont 
à  votre  gauche),  Lesueur,  pour  se  conformer  au  goût  du  temps, 
avait  joué  sur  le  mot  cadent,  en  faisant  descendre  tour  à  tour 
chaque  partie  sur  une  roulade,  qui  se  terminait  au  grave,  afin 
d'imiter  la  chute  d'un  homme  roulant  du  haut  d'une  montagne. 
Le  roi  el  toute  sa  cour  écoutaient  le  motet  avec  une  grande 
attention,  lorsqu'un  plaisant,  frappé  de  l'effet  de  cette  combinaison 
musicale,  s'écria  :  «  En  voilà  un  à  bas^  qui  ne  se  relèvera  pas  !  » 
Cette  plaisanterie  avait  fait  fortune,  tout  le  monde  avait  ri  aux 
éclats,  et  le  roi  avait  partagé  l'hilarité  générale. 

Cependant  Louis  XIV  se  rappelant  qu'il  était  dans  le  temple  du 
seigneur  avait  réprimé  cette  saillie  de  gaité  ;  le  motet  continuait, 
le  silence  s'était  rétabli. 

Au  dixième  verset  Et  flagellmn  non  appropinquabit  (et  le  fouet 
ne  vous  atteindra  pas).  Lesueur  qui  ne  s'était  pas  mis  au-dessus 
de  toutes  les  puérilités  scholastiques,  avait  trouvé  un  nouvel  effet 
au  mot  flagellmn  (fouet),  en  imitant  le  bruit,  long,  aigu,  sifflant 
des  fouets  et  des  disciplines.  «  Oh  !  dit  un  autre  plaisant^,  depuis 
que  ces  gens-là  se  fouettent  ils  doivent  être  tout  en  sang.»  Un 
rire  homérique  avait  agité  l'assemblée  et  le  motet  s'était  trouvé 
étouffé  sous  une  grêle  de  bons  mots  et  d'épigrammes.  Malgré 
son  mérite  éminent,  Lesueur  avait  dû  renoncer  aux  espérances 
qu'il  avait  conçues.  Ses  rêves  d'avenir  s'étaient  évanouis  sous 
d'inintelligents  et  vulgaires  sarcasmes. 

Le  service  de  la  chapelle  royale  fut  donc  reparti  entre  Goupillet, 
Golasse,  Minoret  et  Lalande,  qui  ne  devait  cette  position  qu'à  son 
talent  et  à  la  haute  opinion  que  Louis  XIV  en  avait  conçu. 

Le  quartier  de  janvier  avait  été  confié  au  maître  de  chapelle  de 
notre  cathédrale;  celui  d'avril  à  Lalande;  celui  de  juillet  à  Colasse, 
et  le  quartier  d'octobre  était  échu  à  Minoret.  Mais  le  protégé  de 
Bossuet  se  trouva  fort  embarrassé  pour  se  maintenir  dignement 
au  poste  qui  lui  avait  été  assigné  ;  car,  il  faut  bien  le  dire,  s'il 
l'avait  brigué,  c'était  plutôt  par  vanité  que  par  envie  et  espérance 
de  l'obtenir,  ses  motets  n'avaient  pas  toujours  le  bonheur  de  plaire 
aux  oreilles  des  seigneurs  et  des  dames  de  la  cour.  Toujours  sa 
présence  à  la  chapel'e  était  accueillie  avec  les  préventions  les 
plus  hostiles. 


—  493  — 

Une  certaine  année,  le  quartier  du  pauvre  musicien  allait  com- 
mencer. «  En  voilà  pour  trois  mois  de  supplice,  disait  M.  de 
Noailles,  qui  avait  confié  l'éducation  musicale  de  ses  filles  à  La- 
lande.  »  Vraiment,  répondait  la  marquise  de  Nangis,  le  quartier 
de  Goupillet  devrait  venir  en  carême  ;  le  chapelain  de  l'église  de 
Meaux  infligerait  une  pénitence  salutaire  à  nos  oreilles.  M.  Bos- 
suet,  ajoutait  la  maréchale  d'Estrées  a  eu  une  malheureuse  dis- 
traction, il  a  placé  son  protégé  dans  le  sanctuaire  et  lui  a  donné 
le  bâton  de  mesure  ;  mais  c'était  à  la  porte  de  l'église  qu'il  fallait 
laisser  Goupillet  en  lui  mettant  un  goupillon  à  la  main. 

Telles  étaient,  Messieurs,  les  épithètespeu  flatteuses  qui  accom- 
pagnaient l'arrivée  de  notre  maître  de  chapelle  à  la  cour  de  Versailles. 
Cependant  le  quartier  de  janvier  s'ouvrit,  et  au  lieu  de  lourdes 
et  monotones  mélodies  auxquelles  on  s'attendait ,  on  fut  tout  sur- 
pris d'entendre  un  motet  plein  d'éclat  et  de  vigueur  sur  le  psaume 
dominus  regnavit,  exsultet  terra.  Le  roi  était  ravi,  transporté,  et  tous 
les  seigneurs  de  la  cour,  vrais  moutons  de  Panurge,  conformant 
leur  physionomie  sur  celle  du  monarque,  lui  disaient  du  regard 
qu'ils  éprouvaient  une  admiration  au  moins  égale  à  la  sienne. 

Contre  l'attente  générale,  et  en  dépit  des  sarcasmes,  Goupillet 
eut  un  vrai  triomphe.  Chacun  manisfestait  sa  surprise  et  son 
étonnement.  Larochefoucault  rencontrant  Bossuet  dans  une  gale- 
rie de  Versailles,  lui  dit  :  «  Par  Dieu.  Monsieur,  j'étais  bien  sûr 
que  vous  ne  pouviez  mettre  la  main  sur  un  homme  médiocre,  et 
que  le  talent  du  directeur  de  votre  maîtrise  se  révélerait  tôt  ou 
tard.  »  Bossuet  s'inclina  et  passa  sans  mot  dire. 

D'où  venait  donc  ce  changement,  cette  métamorphose  subite 
dans  l'appréciation  du  talent  musical  de  l'abbé  Goupillet  ;  c'est 
que  notre  musicien  pour  faire  honneur  à  sa  réputation  et  ne  pas 
compromettre  l'évêque  de  Meaux,  à  qui  il  était  redevable  de  sa 
position,  avait  eu  recours,  moyennant  finance,  à  Desmarets 
ieune  artiste  d'un  mérite  réel,  mais  pauvre  et  inconnu.  Desma- 
rets composait  la  musique,  et  Goupillet  la  faisait  exécuter,  comme 
si  lui-même  fût  l'auteur  des  mélodies  qu'il  achetait  à  un  prix  dé- 
battu à  l'avance. 

C'est  ainsi  que  Goupillet  brilla  pendant  douze  ans  dans  son 
emploi,  et  parvint  à  fermer  la  bouche  à  ses  détracteurs.  Mais  à  la 
fin,  soit  malice,  soit  besoin,  Desmarets  voyant  le  succès  de  ses 
compositions,  révéla  le  secret  et  confia  à  plusieurs  personnes  le 
mystère  du  nouveau  talent  musical  du  maître  de  chapelle. 
Informé  de  cette  supercherie,  Louis  XIV  fit  venir  le  protégé  de 

13 


—  194  — 

Bossuet,  et  lui  demanda  si  les  motets  qu'il  faisait  exécuter  lui  ap- 
partenaient :  «  Assurément,  Sire,  répondit  le  maître  de  chapelle, 
ils  sont  à  moi,  au  même  titre  que  les  sermons  de  l'abbé  Roquette 
sont  à  lui. 

On  dit  que  l'abbé  Roquette 
Prêche  les  sermons  d'autrui, 
Moi  qui  sais  qu'il  les  achète, 
Je  soutiens  qu'ils  sont  à  lui.  » 

Un  sourire  effleura  les  lèvres  du  monarque.  —  Et,  dit  le  roi, 
avez-vous  payé  le  prix  convenu  pour  ces  motets? —  Sire,  j'ai  rem- 
pli mes  engagements  avec  une  scrupuleuse  exactitude. 

Louis  XIV  indigné,  fît  défendre  à  Desmarets  de  paraître  de- 
vant lui,  et  obligea  Goupillet  à  donner  sa  démission. 

Pour  achever  l'histoire  de  notre  maître  de  chapelle,  il  me  reste 
à  vous  dire  que  le  roi,  en  lui  accordant  sa  retraite,  ajouta  un  cano- 
nicat  à  un  bénéfice  dont  il  jouissait,  de  sorte  que  les  dernières 
années  de  notre  bon  abbé  s'écoulèrent  fort  paisiblement  au  milieu 
des  douceurs  d'une  honnête  aisance  et  des  marques  d'estime  et 
d'affection  de  tous  ses  amis  de  la  ville  de  Meaux. 

S'il  est  des  artistes  qui,  comme  l'abbé  Goupillet,  ne  recherchent 
que  le  bruit  et  l'éclat;  il  en  est  d'autres  aussi.  Messieurs,  dont  la 
vie,  fort  occupée,  s'écoule  dans  un  tel  calme,  —  dont,  malgré  le  ta- 
lent,  la  personnalité  s'efface  derrière  une  sorte  de  renoncement  si 
absolu  à  toute  pensée  d'ambition  et  de  vanité,  —  que  n'étaient  leurs 
œuvres  et  les  souvenirs  qu'ils  ont  laissés ,  il  serait  impossible  de 
reconstituer  leur  existence  ,  de  retrouver  leur  passage  en  ce 
monde. 

Tel  fût  le  second  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale  de  Meaux, 
dont  il  me  reste  à  vous  ^entretenir  en  peu  de  mots. 

Sébastien  de  Brossard,  né  en  IGGO,  fut  d'abord  prébende,  dé- 
puté du  grand  chœur,  et  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale  de 
Strasbourg.  Je  ne  saurais  vous  nommer  ni  la  ville,  ni  le  collège 
où  il  fît  ses  études  littéraires  et  musicales;  mais  le  style  de  ses 
compositions  nous  porte  à  croire  que  ce  fut  à  Paris,  ou  dans 
quelque  ville  de  l'ancienne  France,  car  son  harmonie  rappelle 
exactement  celle  des  musiciens  français  de  cette  époque. 

Il  est  incontestable  aussi  que  Brossard  s'est  rendu,  jeune  encore, 
en  Alsace,  car  la  facilité  avec  laquelle  il  écrivit  et  parla  l'Alle- 
mand, prouve  qu'il  apprit  cette  langue  de  bonne  heure.  Il  fut  or- 
donné prêtre,  aussitôt  qu'il  (;ut  atteint  l'ùge  fixé   par  les  canons. 


—  195  — 

Dès  lors,  il  ne  cessa  de  remplir,  avec  la  plus  scrupuleuse  exac- 
titude, les  nouveaux  devoirs  de  sa  profession.  Sa  conduite,  comme 
homme,  comme  artiste,  comme  prêtre,  fut  toujours  recomman- 
dable. 

En  1698,  Brossard  s'était  déjà  fait  connaître  par  plusieurs  com- 
positions, dans  le  style  religieux,  le  seul  qu'il  ait  jamais  cultivé. 
Ces  premiers  travaux  furent  si  bien  accueillis  à  Strasbourg,  et 
excitèrent,  parmi  le  monde  musical ,  une  telle  admiration ,  que 
la  place  de  directeur  de  la  chapelle  de  la  cathédrale  de  Meaux  étant 
devenue  vacante,  il  y  fut  élu  d'un  commun  avis. 

A  l'époque  où  vivait  Brossard,  les  livres  intéressants  et  instruc- 
tifs sur  la  musique  n'existaient  nulle  part  en  France.  Il  est  le  pre- 
mier musicien  de  mérite  qui  ait  abordé  l'étude  de  l'art,  par  ses 
trois  principaux  aspects  :  par  la  théorie  des  principes,  par  l'his- 
toire de  ses  transformations,  par  la  biographie  des  artistes  et  des 
savants  qui  ont  contribué  à  étendre  la  limite  et  la  puissance  de 
l'art  musical. 

Sans  méconnaître  la  valeur  des  nombreuses  compositions  reli- 
gieuses qui  sont  dues  à  la  plume  infatigable  de  Sébastien  de  Bros- 
sard, je  dois  reconnaître  que  c'est  dans  son  Dictionnaire  de 
musique  qu'il  a  concentré  tous  ses  efforts. 

La  première  édition  de  cet  ouvrage,  qui  a  paru  en  1703,  ren- 
ferme une  dédicace,  adressée  à  l'évêque  de  Meaux,  à  Bossuet. 
Bossuet,  alors  âgé  de  75  ans,  un  an  seulement  avant  sa  mort,  ne 
dédaignait  pas  d'accepter  l'hommage  du  principal  maître  de  mu- 
sique du  diocèse  qu'il  administrait  depuis  vingt-deux  ans. 

Cette  adresse  du  grand  chapelain  de  notre  cathédrale  à  son 
évêque,  nous  prouve.  Messieurs,  que  Bossuet  n'était  pas  insen- 
sible aux  charmes  de  la  musique.  Rien,  dit  Gicéron,  n'est  plus 
près  de  notre  âme  que  la  musique.  Et  quelle  âme  que  celle  de 
Bossuet  !  Cette  épître  dédicatoire,  dont  la  brièveté  du  temps  qui 
m'est  donné  m'empêche  de  vous  citer  le  texte,  nous  montre  encore 
le  zèle  du  grand  évêque  à  s'acquitter,  avec  scrupule,  de  toutes  ses 
fonctions  épiscopales. 

((  Jamais,  dit  l'historien  de  sa  vie,  aucune  affaire,  de  quelque 
nature  qu'elle  fût ,  jamais  aucune  considération  de  bienséance 
n'empêcha  le  vertueux  prélat  de  se  rendre  à  Meaux,  aux  approches 
des  fêtes  solennelles.  Il  ne  crut  pas  même  que  ses  fonctions  de  pre- 
mier aumônier  de  madame  la  Dauphine  fussent  une  excuse  suffi- 
sante, pour  le  dispenser  d'une  obligation  qu'il  regardait  comme 
le  premier  de  ses  devoirs.  » 


—  196  — 

((  Bossuet,  ajoute-t-il,  avait  même  rempli,  avec  une  telle  assi- 
duité, cette  loi  qu'il  s'était  faite,  qu'après  sa  mort,  le  chapitre  de 
sa  cathédrale,  dans  un  procès  qu'il  eut  avec  son  neveu,  au  sujet 
des  réparations  de  l'église,  fit  entrer  les  réparations  des  orne- 
ments dans  l'état  de  ses  réclamations.  » 

Le  chapitre  représenta  alors  «que  feu  M.  de  Meaux  avait  usé 
les  ornements  les  plus  riches  de  son  église,  en  officiant  lui-même, 
aux  dix-sept  fêtes  solennelles  de  chaque  année,  »  et  demandait,  en 
conséquence,  cinq  mille  livres  d'indemnité. 

Brossard  fut  le  premier  en  France  qui,  comme  je  vous  l'ai  dit, 
s'occupa  de  la  littérature  de  la  musique,  et  en  fit  une  étude 
sérieuse  et  profonde.  Jean-Jacques  Rousseau  qui  a  censuré,  avec 
amertume,  son  travail,  en  a  tiré  tout  ce  qu'il  dit  sur  la  musique 
des  anciens  et  celle  du  moyen-âge. 

A  l'exemple  des  artistes  savants,  notre  maître  de  chapelle  n'a- 
vait d'autre  richesse,  d'autre  capital  que  sa  bibliothèque.  Elle  se 
composait  de  quantité  d'ouvrages  précieux  sur  la  théorie,  l'his- 
toire et  la  pratique  de  l'art  musical. 

Elle  renfermait  une  collection  de  manuscrits,  d'œuvres  im- 
portantes disséminées  de  toutes  parts,  que  cinquante  années  de 
patientes  recherches  n'avaient  pas  encore  rendue  complète.  Plus 
tard,  il  en  fit  don  à  Louis  XIV  qui,  en  l'acceptant,  fit  remettre  à 
Brossard  le  brevet  d'une  pension  de  douze  cents  francs  sur  un  bé- 
néfice, et  lui  en  accorda  un  autre,  de  même  somme,  sur  le  trésor 
royal. 

Un  repos  de  vingt-six  années  suivit  la  publication  du  Diction- 
naire de  musique  de  Brossard;  et,  circonstance  singulière,  il  pa- 
raît que  dans  ce  long  espace  de  temps,  le  maître  de  chapelle  de 
notre  cathédrale  écrivit  peu  de  musique  pour  l'église.  Ce  ne  fut 
que  peu  de  temps  avant  sa  mort,  et  lorsqu'il  touchait  à  sa  70°  an- 
née, qu'il  sembla  se  réveiller  d'un  long  sommeil,  par  la  publica- 
tion d'une  brochure  écrite  à  l'occasion  du  système  de  notation  de 
Demotz.  —  Il  mourut  à  Meaux,  le  10  août  4730,  et  fut  inhumé 
dans  la  cathédrale. 

Je  regrette.  Messieurs,  de  ne  pouvoir  vous  donner  lecture  de 
son  acte  mortuaire.  Ce  document  nous  manque.  Les  registres  de 
la  paroisse  de  Saint-Étienne  n'existent  dans  les  archives  de  notre 
ville  qu'à  partir  de  1737,  tandis  que  ceux  des  autres  paroisses 
datent  du  xvi"  siècle. 

Vous  pouvez  voir  sa  pierre  tumulairc:  clic  est  placée  dans  la  nef 
latérale  de  notre  cathédrale,  à  gauche,  vis-à-vis  la  chaire,  entre  le 


—  197  — 

premier  et  le  second  pilier.  Elle  porte  cette  simple  inscription  : 
Ci-gît  Messire,  Sébastien  de  Brossard,  prêtre  du  diocèse  du  Mans, 
chanoine  de  cette  église,  décédé  le  10  août  1730. 

En  parcourant  les  œuvres  diverses  de  la  collection  gigantesque 
que  Brossard  avait  entreprise,  et  dont  les  matériaux  gisent  au- 
jourd'hui dans  la  poussière  de  la  Bibliothèque  Impériale,  en  me- 
surant d'un  regard  la  richesse  de  ces  débris  précieux,  on  admire, 
comme  le  dit  si  bien  l'illustre  Halévy,  dans  la  préface  du  Dic- 
tionnaire de  musique  de  notre  confrère  M.  Léon  Escudier,  on 
admire  les  transformations  successives  de  l'art  musical,  de  cet 
art  toujours  le  même  et  pourtant  toujours  jeune,  renaissant  de 
lui-même  à  l'instant  qu'il  vieillit,  qui  descend  jusqu'au  peuple 
en  restant  un  mystère:  semblable  à  ces  fleuves  bienfaisants  qui 
coulent  à  pleins  bords,  et  dont  on  ignore  les  sources  cachées  ;  de 
cet  art  qui  éveille  au  fond  de  l'âme  la  prière  pour  la  porter  au 
ciel,  et  qui  est,  pour  ceux  qui  le  cultivent,  un  bonheur  de  plus 
dans  les  jours  heureux,  une  consolation  suprême  dans  la  douleur. 


—  199  — 

LE  COMMERCE  ET  L'INDUSTRIE  A  MELUN 

AVANT  1789, 

PAR   M.  G.   LEROY, 
Membre  fondateur  (!§ection  de  Melun). 


Antérieurement  à  la  révolution,  la  ville  de  Melun  n'avait 
qu'une  importance  commerciale  et  industrielle  très-secondaire  ; 
tout  concourait  cependant  à  lui  assurer  une  prospérité  qui  lui  fut 
toujours  inconnue  :  entourée  des  plaines  fertiles  de  la  Brie,  tra- 
versée par  la  Seine,  voisine  de  forêts  qui  auraient  pu  alimenter 
les  fourneaux  de  nombreuses  usines,  assise  sur  un  sol  qui  offre 
des  ressources  à  l'art  céramique,  tous  ces  dons  semblent  avoir  été 
méconnus,  ou  s'ils  ont  été  mis  en  œuvre,  ce  fut  avec  une  telle  ré- 
serve qu'il  n'en  reste,  pour  ainsi  dire,  aucun  témoignage. 

L'industrie  locale  se  bornait  aux  nécessités  premières.  En  effet, 
les  anciens  terriers,  sur  lesquels  figure  la  propriété  foncière  de 
notre  cité,  en  montrent  les  possesseurs  uniformément  livrés  à  un 
commerce  de  détail  ou  è  des  travaux  manuels  sans  importance. 

Différentes  causes  engendraient  cet  état  de  choses.  La  principale 
fut  la  protection  insuffisante  de  l'autorité  royale,  détournée  peut- 
être  de  ses  desseins  à  ce  sujet,  par  les  luttes  et  les  difficultés  de 
toute  nature  qui  s'opposèrent  longtemps  à  l'affermissement  de  sa 
puissance.  D'autre  part,  la  condition  même  du  régime  féodal  sur 
nos  territoires,  où  se  heurtaient  les  intérêts  de  la  royauté,  de  la 
noblesse,  du  clergé  et  du  peuple,  constituait  un  obstacle  dont  le 
temps  seul  pouvait  avoir  raison.  D'ailleurs,  les  possesseurs  de  fiefs, 
au  cas  011  ils  l'eussent  voulu,  manquaient  des  moyens  propres  à 
favoriser  les  transactions  et  la  création  d'établissements  indus- 
triels. Quels  eussent  été  les  résultats  de  franchises  accordées  aux 
habitants  d'une  petite  ville  ou  d'une  seigneurie  de  village,  par 
exemple,  si  les  pays  voisins  restaient  soumis  à  un  asservissement 
complet?  Là,  où  le  commerce  et  l'industrie  prirent  le  plus  d'ex- 
tension, le  sol  appartenait  à  de  grands  feudataires,  dont  l'autorité 
réelle  ou  morale  s'étendait  au  loin  ;  ou  bien  ce  fut  au  sein  de  villes 
populeuses  s'administrant  elles-mêmes.  Ce  qui  se  passait,  dès  les 
premiers  Capétiens,   dans  les  vastes  domaines  des  comtes  de 


—  200  — 

Champagne  et  de  Brie ,  et  dans  les  villes  de  la  Flandre  en  est  une 
preuve  manifeste. 

Melun  n'était  pas  dans  ces  conditions.  Ville  du  domaine  royal, 
elle  était  absorbée  par  le  voisinage  de  Paris  et  des  autres  cités  im- 
portantes, également  comprises  dans  l'apanage  des  rois  de  France. 
Vainement,  le  moyen-âge  tenta  d'y  fonder  quelques  établisse- 
ments, des  foires  et  des  marchés  ,  leur  existence  ne  put  résister 
aux  difficultés  qui  surgirent  autour  d'eux. 

Aussi,  en  essayant  de  savoir  ce  que  fut  l'industrie  Melunaise 
aux  siècles  écoulés,  la  tâche  devient  aussi  modeste  que  le  sujet 
lui-même. 

Dès  le  XI""  siècle,  les  marchands  qui  fréquentaient  ordinaire- 
ment les  marchés  de  Melun,  étaient  en  butte  à  de  nombreuses 
exactions.  Les  droits  légitimement  dus,  les  amendes  encourues 
pour  délits  ou  contraventions  étaient  perçus  d'une  manière  inique 
et  selon  l'arbitraire  de  ceux  qui  exerçaient  l'autorité.  11  ne  fallut 
rien  moins  que  l'intervention  du  roi  de  France  pour  mettre  fin 
aux  abus.  Une  charte  accordée  par  Louis-le-Gros  en  1178,  fournit 
de  précieux  renseignements  sur  l'état  du  commerce  en  ces  temps 
éloignés.  Elle  détermine  les  devoirs  réciproques  des  acheteurs  cl 
des  vendeurs,  le  mode  de  régler  leurs  différends,  les  droits  qu'ils 
devaient  acquitter;  enfin,  elle  atteste  l'existence  du  fameux  coche, 
ce  primitif  véhicule  de  nos  ancêtres  à  jamais  détrôné  par  la  va- 
peur, et  dont  il  ne  reste  plus  qu'un  vague  souvenir.  Voici  la  te- 
neur de  ce  document,  que  l'analyse  pourrait  dénaturer  :  (1). 


(1)  Le  texte  original  est  ainsi  conçu  : 

In  nomine  sanctee  et  individuae  Trinitatis,  amen.Ludovicus,  Dei  gratia  Francorum 
rex,  providentes  animœ  nostraj  saluti  et  subjcctorum  nobis  attendentes  utilitatem, 
pravas  consuetudines  quœ  Meledunij  diebus  nostris,  per  avariliaiii  servientium  nos- 
trorum  nobis  ignorantibus  fuerant  introductse  duximus  reprobandas.  Recepto  itaque 
hominum  antiquorum  juramento  et  testimonio,  statuimus  ne  homines  in  clauso  et 
foro  Meleduni  manenles  extra  clausum  vel  forum  placilandum  trahantur,  sed  ibi 
placitent  et  ibi  bella  consumment,  etforifacta  de  LX  solidis  ad  V  solides  et  de  V  so- 
lidis  ad  XII  denarios  redigantur,  et  districtum  majoris  ad  quatuor  denarios.  Si  ta- 
men  homines  de  clauso  vel  foro  ad  presens  ioriiactum  intercepti  fuerinl,  in  die 
mercûti  placitabunt  et  emendabunt  sicut  aiii  homines  de  Castro  vendentes  acrumen 
in  foro.  Si  in  viga  vendiderint,  pro  viga  I  denarium  dabunt,  quotquot  oneris  vigc 
fucrint  parti  cipes.  Si  vero  in  terra  vendiderint,  pro  unoquoque  acervo  unam  picta- 
vinam  dabunt.  Preco  nullam  vioienliam  faciet  venditoribus,  sed  ei  semper  aliquid 
dabitur  secundum  voluntatem  venditoris.  Venditori  vigarum,  absente  emptore,  et 
emptori  absente  vendilore,  teloneum  suum  reddere  licebit  :  Corpora  hominum  pro 


—  201  — 

»  Au  nom  de  la  Sainte  et  indivisible  Trinité,  Amen.  Louis,  par 
»  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  France,  voulant  pourvoir  à  notre  salut, 
»  et  au  bien  de  nos  sujets,  nous  avons  cru  devoir  réprouver  d'in- 
))  justes  coutumes  introduites  à  Melun,  de  notre  temps  et  à  notre 
»  insu,  par  nos  gens  de  justice.  C'est  pourquoi,  ayant  reçu  le  ser- 
»  ment  et  le  témoignag'  d'hommes  anciens,  nous  avons  réglé  que 
»  les  habitants  du  Clos  et  Marché  de  Melun  ne  soient  point  con- 
»  traints  de  plaider  hors  desdits  clos  et  marché,  mais  qu'ils  y 
»  plaident  et  vident  leurs  différents;  que  les  amendes  soient  ré- 
))  duites  de  soixante  sols  à  cinq  sols,  et  de  cinq  sols  à  douze  de- 
n  niers,  et  l'honoraire  du  juge  à  quatre  deniers.  Si  cependant 
»  des  habitants  du  Clos  ou  Marché  étaient  pris  en  flagrant  délit 
»  un  jour  de  marché,  ils  seront  traduits  et  jugés  comme  les  habi- 


debito  aliquo  non  capientur,  nisi  primo  eis  terra  nostra  vetita  fuerit.  Qui  si  post 
prohibitionem  ex  parte  nostra  factam  in  terra  nostra  inventi  fuerint,  capi  eos  licebit 
Baccus  Meled'jni  applicans  pro  rivagio  I  denarium  tantum  dabit  et  quotcumque  mer- 
caturas  déférât,  nihil  amplius  capietur;  et  cochetus  similiter  I  obolium.  Mercatores 
euntes  ad  nundinas,  dato  pedagrio  in  eundo,  infra  quindecim  redeuntes  nihil  dabunt. 
Sua  autem  soia  manu  poterit  mercator  probare  quod  infra  quindecim  redierit,  si 
inde  fuerit  requisitus.  Navis  ducens  mercenium  per  arcum  pontis,  quotquot  fuerint 
mercenii  participes,  non  dabit  bonitatem  ultra  quinque  solidos,  et  tantum  semel  in 
anno.  Pro  fructu  vero  vel  pro  alia  mercantura  consuetudinem  debente  nuUa  bonitas 
prestabitur.  Quid  ad  prepositum  clamorem  fecerit  pro  aliquo  forifacto,  si  clamor  re- 
ceperit  emendationem  ab  eo  de  quo  clamorem  fecit,  nuUam  ipse  clamator  inde  fa- 
ciet  preposito  emendationem.  Nullus  émet  vinum  Meleduni  ad  revendendum  in  eadem 
villa,  nullus  pisces Meleduni  vel  in  totabauliva  emel  ad  revendendum.  Omnes  mensurée 
Meleduni  ad  mensuram  regiam  formabuntur  (1).  Haec  omnia  ut  perpetuam  obtineant 
firmitatem,  presens  scriptum  sigilli  nostri  auctoritate  ac  regii  nominis  caractère  fe- 
cimus  confîrmare.  ActumParisiis,  anno  ab  incarnatione  Domini  millésime  centesimo 
.sepluagesimo  octavo,  astantibus  in  palatio  nostro,  quorum  nomina  supposita  sunt  et 
signa.  Signum  comitis  Theobaldi,  dapiferi  nostri.  Signum  Guidonis,  buticularii. 
Signum  Raginaldi,  camerarii.  Signum  Radulphi,  constabularii. 

(Copie  du  xvi^  siècle.  Archives  municipales;  Série  DD.) 
Cette  charte  fut  confirmée  par  différents  rois,  notamment  par  Louis   Xll,  en  dé- 
cembre 1512. 


(1)  Voici  quelles  étaient  ces  mesures  et  leur  capacité:  Meleduncm.  —  Modins  bladi 
Paris  valet  I  modium,  III  minellos,  I  boissellum  Meleduni  ;  et  de  illis  boissellis,  IIIl  faciunt 
minellum  ;  et  XII  sextaria  faciunt  modium  Meleduni. 

Mûdius  avene  Paris  valet  I  modium,  I  minellum,  I  boissellum  meleduni;  et  de  illis  boissel- 
lis, septem  faciuBt  minellum;  et  XII  sextaria  avene  faciunt  modium  ibi. 

Modius  vini  Meleduni  valet  XXI  sextaria,  III  cbopinas  Paris. 

«  Des  poids  et  mesures  au  xive  siècle,  »  par  M.  E.  Boutaric,  Revue  des  Sociétés  savantes. 
2e  série.  Tome  3.  1860,  1er  semestre,  page  328. 

Parmi  les  autres  localité-  des  arrondissements  de  Melun  et  Fontainebleau  qui  avaient  leurs 
mesures  particulières,  on  peut  citer  Flagy,  Lorrez-le-Bocage,  Grèx,  La  Chapelle-la-Reine, 
Moret,  Samoi»,  etc. 


—  202  — 

»  tants  du  quartier  du  Château  vendeurs  de  légumes  au  mar- 
))  ché.  S'ils  vendent  en  voiture,  ils  donneront  un  denier  par  voi- 
))  ture,  quel  que  soit  le  nombre  de  ceux  qui  en  auront  fait  le 
»  chargement.  S'ils  vendent  par  terre,  ils  donneront  une  poitevine 
»  (ou  pi  te)  par  tas.  Le  crieur  ne  fera  pas  violence  au  vendeur, 
»  mais  il  sera  toujours  donné  quelque  chose  selon  la  volonté  du 
»  vendeur.  Le  vendeur  à  la  voiture,  en  l'absence  de  l'acheteur,  ou 
»  l'acheteur  en  l'absence  du  vendeur,  pourra  payer  le  droit.  L'ar- 
»  restation  des  débiteurs  ne  pourra  avoir  lieu,  sans  qu'auparavant 
»  notre  terre  leur  soit  interdite.  Si,  après  défense  de  notre  part, 
»  des  délinquants  sont  trouvés  sur  notre  terre,  il  sera  permis  de 
))  les  arrêter.  Le  bateau  qui  amarrera  à  Melun  au  bord  de  la  ri- 
»  vière,  ne  donnera  qu'un  denier,  et  quelles  que  soient  les  mar- 
))  chandises  qu'il  porte,  on  ne  prendra  rien  de  plus.  Le  coche 
)>  donnera  aussi  une  obole.  Les  marchands  qui  iront  aux  foires 
»  et  qui  auront  acquitté  le  péage  en  allant ,  ne  donneront  rien 
»  s'ils  repassent  dans  les  quinze  jours.  Le  marchand  pourra 
«  prouver,  simplement  en  levant  la  main,  qu'il  est  revenu  dans 
^»  les  quinze  jours,  s'il  en  est  requis.  Le  bateau  qui  passera  des 
))  marchandises  sous  le  pont,  quel  que  soit  le  nombre  des  expé- 
»  diteurs,  ne  donnera  pas  plus  de  cinq  sols,  et  seulement  une  fois 
»  l'an.  Quant  aux  fruits  et  autres  marchandises  sujettes  à  cou- 
))  tume,  on  ne  payera  rien.  Si  quelqu'un  défère  un  délit  au  Pré- 
))  vôt,  et  qu'il  obtienne  ensuite  satisfaction  amiable  de  celui  contre 
»  qui  il  a  réclamé,  il  n'aura  pas  à  payer  l'amende  pour  plainte 
n  mal  fondée.  Nul  n'achètera  de  vin  à  Melun  pour  le  re  - 
»  vendre  en  la  môme  ville.  Nul  n'achètera  de  poisson  à  Melun  ou 
n  dans  toute  la  banlieue  pour  le  revendre.  Les  mesures  de 
»  Melun  seront  réglées  sur  la  mesure  du  Roi.  Afin  de  rendre 
1)  stable  à  toujours  ce  que  dessus,  nous  avons  fait  confirmer 
»  la  préeente  charte  de  l'autorité  do  notre  sceau  et  du  signe 
»  de  notre  nom  royal.  Fait  à  Paris,  l'an  de  l'Incarnation  du  Sei- 
»  gneur  MCLXXVIll,  en  présence,  dans  notre  palais,  de  ceux 
')  dont  les  noms  et  les  signatures  sont  ci-dessous.  —  Sceau  du 
»  comte  Thibault,  maître  d'hôtel.  S.  de  Guy,  bouteiller.  S.  de 
»  Regnault,  chambellan.  S.  de  Raoul,  connétable.  » 

Louis-le-Gros  autorisa  aussi  les  chanoines  de  la  collégiale 
Notre-Dame  de  Melun  à  tenir  dans  la  ville,  quatre  foires  franches 
aux  fôtes  de  la  Vierge,  2  février,  25  mars,  45  août  et  8  septembre 
de  chaque  année.  II  déTendit  h  ses  officiers  et  sergents  d'y  faire 
aucun  exploit  de  justice,  ni  d'y  réclamer  aucune  prestation,  re- 


—  203  — 

devance  ou  coutume  (1).  Dès  lors,  les  chanoines  n'avaient  plus 
rien  à  envier  aux  moines  de  l'abbaye  du  Mont  Saint- Père,  qui,  de- 
puis un  temps  immémorial,  avait  le  monopole  d'une  foire  ouverte 
au  mois  d'août  dans  le  faubourg  Saint-Barthélémy,  foire  très-fré- 
quentée,  et  dont  ils  tiraient  grand  profit  (2). 

En  accordant  ces  insignes  privilèges,  Louis  VI  était  vivement 
pénétré  du  bien-être  des  habitants  de  ses  domaines.  Malheureu- 
sement, ses  efforts,  qui  tendaient  à  convertir  la  royauté  en  une 
véritable  magistrature  publique  devaient  demeurer  sans  résultat. 

A  la  faveur  des  prérogatives  qui  venaient  de  lui  être  octroyées, 
le  commerce  de  Melun  se  ranima.  Sans  dépasser  la  sphère  mo- 
deste dans  laquelle  il  gravitait,  il  put  s'exercer  avec  sécurité  et 
assurer  à  ceux  qui  s'y  livraient  une  juste  rémunération  de  leurs 
labeurs.  Il  n'en  fut  pas  longtemps  ainsi;  l'ordre  social  était  trop 
souvent  ébranlé  pour  qu'un  jour  pût  répondre  de  son  lendemain. 
Sous  les  règnes  qui  suivirent,  à  peine  peut-on  citer  le  nom  de 
quelques  monarques  sincèrement  dévoués  à  la  prospérité  pu- 
blique. Un  d'entre  eux,  qui  s'y  montra  plus  favorable, Charles IV, 
créa,  en  1322,  la  foire  de  Blandy,  se  tenant  le  jour  de  Saint-Ma- 
thieu, 21  septembre,  et  fréquentée  de  nos  jours  encore  par  les 
marchands  de  la  ville  de  Melun  (3).  Déjà  Philippe-le-Long  y 
avait  permis  l'établissement  d'un  marché  le  jeudi  de  chaque 
semaine  (4).  Ces  institutions  étaient  dues  au  crédit  des  vicomtes 
de  Melun,  hôtes  habituels  du  manoir  de  Blandy. 

Les  guerres  des  xiv''  et  xv*"  siècles  furent,  pour  notre  pays,  la 
cause  des  plus  cruelles  calamités  qu'il  ait  jamais  éprouvées.  Les 
abus,  les  impôts  onéreux,  l'altération  des  monnaies,  le  pillage  des 
gens  de  guerre  furent  autant  de  fléaux  qui  ruinèrent  les  popula- 
tions et  tarirent  ia  source  de  leur  industrie.  L'ennemi  mettait  le 
comble  à  ces  maux  en  élevant  outre  mesure  les  droits  perçus  dans 
les  lieux  soumis  à  son  autorité.  «  C'est  ainsi,  rapporte  Rouillard, 
»  qu'en  l'an  1339,  alors  que  les  Anglois  et  les  Navarrois  occu- 
»  paient  le  château  de  Melun,  de  toutes  marchandises  qui  pas- 
»  soient  sous  la  maîtresse  arche  du  pont,  on  levoit  d'excessifs  et 


(1)  Notes  et  documents  recueillis  au  xviii'=  siècle,  par  M.  Gauthier,  sur  la  collé- 
giale Notre-Dame  de  Melun  (Archives  municipales),  —  Histoire  de  N.-D.,  par 
M.  Bernard  de  La  Fortelle,  page  6,  —  Rouillard,  Histoire  de  Melun,  pp.  286,  287. 

(2)  Notes  de  M.  Gauthier.    ' 

(3)  Histoire  du  ctiâleau  et  dU  bourg  de  Blmdy-les-Tours,  par  M.  Taillandier, 
un  vol.  in-S",  1854,  page  34. 

(4)  Histoire  de  Blandy,  page  33. 


—  204  — 

»  d'estranges  subsides  :  savoir,  dechaqne  tonneau  de  vin  six  escus 
))  d'or,  de  chasque  muid  de  bled  deux  escuz,  de  ce  qu'ils  appe- 
))  loient  couple  de  foin  huict  escuz,  d'un  millier  de  co Itérez  un 
»  escu  d'or,  et  des  autres  denrées  mesme  levée  ou  à  l'équipol- 
»  lence.  (l)  »  On  était  loin,  comme  on  voit,  des  cinq  sols  perçus 
en  vertu  de  la  charte  de  1178. 

Le  règne  de  Charles  V  mit  trêve  à  l'épuisement  général.  Des 
règlements  dus  à  ce  prince  remédièrent  momentanément  à  ces 
maux,  et  le  commerce  fleurit  jusqu'au  jour  oîi,  sous  Charles  VI 
et  Charles  VII,  il  retomba  dans  un  affreux  marasme.  De  cette 
époque,  date  l'anéantissement  complet  des  fameuses  foires  de 
Champagne  et  de  Brie.  La  foire  de  Blandy,  qui;,  grâce  à  la  pro- 
tection des  seigneurs  du  lieu,  avait  pris  une  extension  considé- 
rable, fut  également  interrompue.  Les  marchands  n'osaient  plus 
confier  aux  hasards  et  aux  périls  des  grands  chemins,  leur  fortune 
et  leur  existence.  «  Ce  n'était  partout,  dit  un  chroniqueur  con- 
temporain, que  pilleries,  voleries  et  meurtres.  Les  habitants  des 
campagnes,  complètement  ruinées,  ne  fréquentaient  plus  les  mar- 
chés. »  Une  ordonnance  rendue  par  Charles  VI,  en  1392,  pour  le 
rétablissement  de  la  foire  de  Blandy,  confirme  ce  dire  :  «  Par  le 
»  fait  des  guerres  et  mortalités  qui  depuis  ont  été  partout  nostre 
»  royaume,  mesmement  environ  ladite  ville  de  Blandy,  le  peuple 
»  et  les  marchands  avoient  délaissez  de  fréquenter  icelle  foire  et 
»  marché,  tellement  qu'ils  en  étoient  et  sont  de  tout  adnihi- 
»  lez.  (2)» 

Les  pertes  occasionnées  par  des  troubles  aussi  profonds  sont 
longues  à  se  réparer,  quels  que  soient,  d'ailleurs,  les  éléments  na- 
turels de  richesse  et  de  bien-être  d'un  pays.  Il  peut  subvenir 
promptement  aux  nécessités  les  plus  impérieuses,  mais  les  bases 
sur  lesquelles  s'appuient  le  commerce  et  l'industrie  sont  pour  long- 
temps altérées.  Les  efforts  de  Louis  XI,  tendant  à  favoriser  les 
transactions,  à  leur  donner  plus  d'importance  et  à  rétablir  le  crédit 
public,  n'eurent  que  des  résultats  incomplets  :  au  temps  seul  ap- 
partenait cette  consécration. 

La  foire  du  Mont-Saint-Père  de  Melun,  qui  avait  cessé  d'être 
fréquentée  pendant  les  troubles,  notamment  à  l'époque  du  siège 
de  la  ville  en  1420,  ne  put  jamais  être  rétablie,  malgré  les  efforts 


{1}  Histoire  de  la  ville  de  Melun,  par  Sébastien  Rouillard  ;  Paris^  un  vol.  in-4", 
1628,  page  455. 
(2)  Histoire  de  Blandy,  page  202. 


—  205  — 

des  religieux.  Quant  aux  réunions  commereiales  des  fêtes  de  la 
Vierge,  elles  étaient  abolies  depuis  le  rachat  que  Philippe-le-Bel 
en  avait  fait  des  chanoines  de  Notre-Dame,  en  l'an  1308  {i). 

La  suppression  de  ces  grands  marchés,  oii  s'accomplissaient 
encore  quelques  transactions,  eut  un  fâcheux  contre-coup  sur 
l'industrie  locale.  Si  l'on  consulte  les  doléances  présentées  par  les 
habitants,  à  différentes  époques,  pour  obtenir  l'abaissement  de  la 
taille,  on  y  lit  uniformément  :  «  Que  le  pays  est  pauvre;  que  le  com- 
merce est  nu]  ;  qu'il  est  ruiné  de  longue  date  par  les  guerres ,  les 
pillages  des  hommes  d'armes,  par  les  mauvaises  années,  et  que 
chacun  y  est  dans  une  profonde  détresse  (2).  »  —  En  tenant  compte 
de  l'exagération  de  ces  plaintes,  il  demeure  certain  que  la  plupart 
d'entre  elles  étaient  fondées. 

Les  impressions  personnelles  de  Claude  Haton,  qui  certes  n'écri- 
vait pas  de  parti  pris,  sont  un  tableau  exact  de  la  triste  situation 
de  la  Brie  durant  le  xvi^  siècle  (3).  On  s'explique  par  son  récit  le 
découragement  des  populations  et  le  délaissement  du  commerce  et 
de  rindustrie. 

Après  avoir  présenté  en  termes  généraux  ce  que  pouvait  être 
l'état  commercial  de  la  ville  de  Melun  au  moyen-âge,  je  pas- 
serai aux  détails  que  me  fournissent  les  documents  de  nos  ar- 
chives. 

Les  rues  de  notre  cité  ,  aujourd'hui  larges  et  belles,  garnies  de 
brillants  magasins  et  de  luxueuses  boutiques  ,  présentaient  un 
autre  aspect  à  quelques  siècles  de  nous  ,  et  même  à  un  intervalle 
moins  éloigné.  Sur  l'emplacement  des  maisons  à  triple  étage,  qui 
font  l'ornement  de  la  voie  publique,  s'élevaient  alors  de  chétives 
constructions  en  pans  de  bois,  surmontées  de  pignons  aigus  et 
ouvrant  sur  la  rue  les  fenêtres  borgnes  de  leurs  boutiques  basses, 
étroites  et  obscures.  Dans  ces  boutiques,  dont  des  spécimens  ont 
survécu  jusqu'en  ces  derniers  temps,  trafiquaient  les  marchands 
du  lieu.  Le  luxe  y  était  inconnu,  tout  y  respirait  une  simplicité 
primitive,  et  c'est  à  peine  si,  le  soir  venu,  une  chandelle  fumeuse 
répandait  sa  lueur  incertaine  sur  le  comptoir  de  l'établissement. 

Veut-on  savoir  quels  en  étaient  les  possesseurs  et  quel  genre  de 


(1)  Notes  Gauthier.  —  Histoire  de  Notre-Dame  de  Melun,  page  16. 

(2)  Archives  municipales  de  Melun.  Pièces  diverses,  série  CC.  —  Voir  aussi  les 
documents  concernant  les  Elections.  Archives  départementales  de  Seine-et-Marne. 

(3)  Mémoires  de  Claude  Haton,  curé  du  Mériot,  près  Provins,  publiés  par  M.  Félix 
Bourquelot,  sous  les  auspices  du  ministère  de  l'instruction  publique.  2  vol.  in-4o. 


—  206  — 

commerce  s'y  pratiquait?  Des  terriers  et  d'anciens  comptes  vont 
nous  l'apprendre  (1): 

Nous  sommes  à  la  fin  du  xiv®  siècle,  sous  le  règne  de  Charles  VI. 
Les  possesseurs  de  la  maison  faisant  le  coing  du  Martroy  et  de  la 
Grand'Rue,  attenant  le  cimetière  de  l'Ostel-Dieu-Saint-Jacques, 
sont  les  hoirs  feu  Jehan  Tuleu  (2).  A  la  suite,  en  remontant  vers 
la  porte  tirant  sur  la  Brie,  vient  la  maison  de  Pierre  Maillart  le  dra- 
pier. Chez  lui,  deux  aulnes  et  demi  de  camelot,  propres  à  vestir 
une  servante,  valent  à  raison  de  x  sous  l'aulne,  xxv  sols.  Viennent 
les  deux  maisons  et  la  granche  de  Jehan  le  Maignen  ,  puis  la  de- 
meure de  Hanri  le  chandelier,  qui  vend  la  livre  de  chandelle  xii  de- 
niers. Suit  Robin  Liboire,  oillier,  chez  lequel  la  chopine  d'huile 
vaut  également  xii  deniers.  En  continuant,  se  trouvent  la  maison 
de  VAsne  Rayé^  appartenant  à  Pierre  Lemaistre;  celle  de  Philippe 
la  Richère,  l'ostel  de  Jehan  Pichars,  sergent;  la  maison  du  Gros- 
Towmois;  la  demeure  d'Estienne  Chiquausts,  cousturier,  qui  prend 
pour  façonner  cotte,  chaperon  et  chausses  m  sous,  y  compris  le  fil, 
etc.  etc.  Chez  Drion  Daniel,  boucher,  qui  habite  la  Gerclerie,  un 
collet  de  veau  se  paie  xii  deniers ,  un  demi-quartier  de  mouton 
XVI  deniers,  et  un  porcel  gras  à  faire  lard  xxvi  sols  parisis  (3). 

Dans  la  grand'rue  Saint-Aspais ,  sont  des  boutiques  d'aussi 
mince  apparence,  où  se  fait  un  commerce  également  modeste,  sous 
les  enseignes  du  Cygne  couronné^  du  Prescheur,  du  Dieu  d'Amour, 
du  Griffon,  du  Gantelet,  de /'A  (9 /e,  des  Troys  Pucelles,  du  Singe  vo-t, 
des  Marmousets,  des  Trois  Piliers,  etc.  (4). 

D'autres  rues  possèdent  aussi  quelques  boutiques  ,  mais  en 
moins  grand  nombre.  La  magistrature  et  la  bourgeoisie  habitent 
les  ostels  des  rues  Jehan  Chastelain  ,  de  la  Juiverie  et  de  la  Frap- 
perie  (5). 

A  l'encoignure  de  la  rue  Saint-Aspais  et  du  Martroy  ,  s'élèvent 


(1)  Archives  départementales  de  Seine-et-Marne,  de  l'Hôtel-de-Ville  et  de  l'Hôtel- 
Dieu  de  Melun,  etc. 

(2)  Comptes  dcrHôtel-Dieu  Saint-Jacques  de  Melun,  pour  l'année  1389,  série  E, 
12.  —  Inventaire  des  titres,  pièces  et  chartes  de  l'Ilùlel-Dieu  de  Melun,  dressé  par 
l'auteur,  1  vol.  manuscrit  de  100  pages.  1865. 

(3)  Tous  ces  renseignements  sont  tirés  du  compte  de  1389.  Vide  suprn. 

(4)  Terriers  de  Carrois  (vicomte  de  Melun)  et  de  l'abbaye  du  Mont-Saint-Pùre. 
(Archives  départementales  de  Seine-et-Marne). 

(5)  En  ces  dernières  années,  on  voyait  encore  dans  ces  rues  de  vieilles  maisons, 
les  plus  importantes  du  vieux  Melun,  (pii  ont  disparu  dans  les  alignements  ou  que 
les  haljitudes  moilerne»  ont  tout  à  fait  trani'urmées. 


—  207  — 

les  petites  halles,  dont  la  propriété  appartient  à  l'abbé  de  Saint- 
Père,  en  vertu  de  privilèges  remontant  à  l'an  1141,  confirmés  par 
lettres  royales  de  février  1322.  Les  bouchers  paient  annuellement 
pour  droit  d'étal  40  livres  (l). 

Les  grandes  halles,  qui  appartiennent  au  roi,  sont  à  l'encoi- 
gnure de  la  rue  Aulain,  proche  le  Ghastelet;  à  certains  jours,  on 
y  vend  la  chair,  le  poisson  frais,  la  marée  et  autres  denrées  (2). 
Un  demy  baril  de  harengs  salés  vaut  m  francs  iv  sols,  un  chapon 
et  deux  poussins  iv  sols,  etc.  (3). 

En  face  les  halles,  la  rue  de  la  Pescherie  est  habitée  par  les 
pêcheurs  et  les  potiers  de  terre.  Aux  maîtres  pêcheurs  de  Melun 
appartient,  en  vertu  d'une  concession  royale,  le  privilège  de  pêcher 
dans  la  rivière  de  Seine,  depuis  le  lieu  de  la  Pierre  de  Seine,  près 
Montereau ,  jusqu'à  celui  appelé  l'Ecole  attenant  Saint-Assise; 
mais  ils  doivent  se  rendre  en  personne,  aux  grands  jours  tenus  à 
Fontainebleau  par  le  maître  particulier  des  eaux  et  forêts,  pour 
lui  payer  x  sols  parisis  (4).  Par  un  contrat  qui  rappelle  celui 
d'Esaii  avec  Jacob,  l'abbé  de  Saint-Père,  possesseur  d'un  droit  de 
pêche  sous  le  Pont-aux-Fruits,  le  cédait  aux  pêcheurs  de  Melun 
pour  deux  plats  de  poisson  (5). 

Le  four  banal  de  la  paroisse  Saint-Aspais  est  également  situé 
dans  la  grande  rue,  presque  en  face  la  rue  aux  Fromages  ou  du 
Sonneur.  La  cuisson  d'une  mine  de  blé  coûte  vi  deniers  (6). 

Après  avoir  dépassé  la  voûte  du  Ghastelet,  et  en  s'engageant  sur 
le  Pont-aux-Fruits,  se  trouve,  à  droite,  la  poterne  des  Plastriers, 
donnant  dans  le  quartier  appelé  Trou  de  Chiau,  autrement  dit 
Trou  de  Chaux.  Là,  existent  plusieurs  fours  à  cuire  la  pierre  à 
chaux,  et  aussi  loin  que  le  regard  peut  s'étendre,  on  voit  sur  la 
rive  droite  de  la  Seine  ,  en  tirant  vers  Paris  ,  nombre  d'éta- 
blissements semblables  qui  écoulent  leurs  produits  dans  la  capi- 
tale, 011  la  chaux  de  Melun  et  des  Fourneaux  jouit  d'une  réputation 
méritée  (7).  Tous  les  marchés  de  construction  passés  à  cette 


(1)  Archives  départementales.  Fonds  de  Saint-Père. 

(2)  Archives  départementales.  Domaine  royal. 

(3)  Compte  de  1389.  Hôtel-Dieu  Saiut-Jacqnes.  Vide  supra. 

(4)  Lettres  patentes  pour  les  maîtres-pêcheurs  de  Melun,  antérieures  au  xiv^  siècle, 
confirmées  par  Henri  IV  le  7  septembre  1593,  et  par  Louis  XIV  en  décembre  1669. 
—  (Archives  municipales.  Communautés  d'arts  et  métiers.  Série  HH.) 

(5)  Archives  départementales.  Fonds  de  Saint-Père.  Inventaire  des  titres  de  l'abbaye. 

(6)  Compte  de  1389. 

(7)  Ces  fours  ont  été  en  activité  jusqu'en   ces  derniers  temps.    L'exploitation  de 


—  208  — 

époque,  contiennent  l'obligation  pour  le  maître  maçon  de  n'em- 
ployer que  de  la  chaux  de  Melun  (1). 

Les  moulins  faisant  de  blé  farine,  surchargeant  autrefois  les  ar- 
ches du  Pont-aux-Fruits,  ont  disparu  depuis  que  l'abbé  de  Saint- 
Père  les  a  cédés  à  Philippe-Auguste  en  1210  (2). 

La  paroisse  Saint-Etienne,  ce  berceau  de  Melun,  forme  une 
cité  particulière,  distincte  des  autres  parties  de  la  ville.  Elle  pos- 
sède des  fortifications  qu'entoure  la  Seine,  une  collégiale,  un 
Hôtel-Dieu,  un  prieuré,  et  à  l'occident  s'élève  le  château  des  rois 
de  France  sous  les  tours  duquel  tant  de  prouesses  et  de  hauts  faits 
se  sont  accomplis.  Le  four  banal  de  la  paroisse  est  placé  dans 
la  rue  du  Four  ;  il  appartient  à  l'Hôtel-Dieu  Saint-Nicolas  qui  en 
tire  grand  profit  (3).  Dans  la  grande  rue^  s'exerce  le  commerce  du 
quartier,  commerce  sans  importance,  adonné  seulement  aux  prin- 
cipaux objets  de  consommation  qui  se  vendent  aux  enseignes  du 
Compas,  du  Pot  d'œillet,  etc.  Près  du  Château  sont  les  ostelleries 
du  Lion-Ancré,  de  la  Bastille,  où  s'arrêtent  les  voyageurs  du 
coche  (4). 

Sur  la  Seine,  près  du  prieuré  Saint-Sauveur,  est  le  moulin  de 
ce  nom,  servant  au  foulage  des  draps  (5)  ;  non  loin,  existe  la  ruelle 
des  Etuves,  où  des  bains  chauds  sont  préparés  à  toute  heure  du 
jour.  Quatre  moulins  à  farine,  appartenant  aux  établissements 
religieux  de  la  localité,  encombrent  le  pont  qui  unit  l'île  Saint- 
Etienne  à  la  paroisse  Saint-Ambroise  (6). 

L'industrie  principale  de  cette  dernière  partie  de  la  ville  con- 
siste dans  les  tanneries  de  la  rue  de  la  Rose,  à  laquelle  ce  nom  a 
été  donné,  par  ironie  sans  doute,  pour  la  mauvaise  odeur  qu'elle 
exhale  en  tout  temps.  Plusieurs  hôtelleries  et  quelques  boutiques 
complètent  le  commerce  du  quartier.  Dans  l'origine,  avant  la 
venue  des  Anglais,  le  prieur  de  Saint-Sauveur  avait  droit  d'étal 

carrières  de  chaux  est  encore  une  industrie  locale.  (Voir  ma  notice  :  Recherches  sur 
l'industrie  des  provinces.  La  chaux  de  Melun.  M^  inédit.) 

(1)  Les  monuments  de  Seine-et-Marne,  par  MM.  Aufauvre  etFichot.  1  vol  in-folio. 
Paris,  1858.  Paj^'e  8. 

(2)  Trésor  des  Chartes,  par  M.  Teulet.  Tome  1er,  page  349.  —  Archives  impé- 
riales, J.  158,  (Melun  1,  n"  2). 

(3)  Archives  de  l'Hùtel-Dii-u  de  Melun.  Fonds  de  Saint-Nicolas. 

(4)  Anciens  terriers  de  la  collégiale  Notre-Uarae.  Arciiives  de  la  préfecture  de 
Seine-et-Marne. 

(5)  Notes  Gauthier.  Prieuré  de  Saint-Sauveur  de  Melun.  Archives  municipales. 
(G)  Topographie  ancienne  de  la  ville  de  Melun.  Plans  conservés  auï  archives  mu- 
nicipales. 


—  209  — 

sur  la  place  des   Mailletz,  au   bout  du   PonL-aux-Monlins  {\). 

Enfin,  en  citant  les  tanneries  du  pont  d'Alemont,  le  moulin  de 
Poignet,  faisant  de  blé  farine,  les  fours  à  tuiles  et  à  chaux,  et  les 
nombreuses  boulangeries  du  faubourg  Saint-Liesne  (2),  on  aura 
un  aperçu  de  ce  qu'étaient  le  commerce  et  l'industrie  de  Melun  au 
moyen-âge.  La  ville  possédant  à  peine  trois  mille  habitants,  les 
transactions  devaient  y  être  fort  restreintes,  car  les  relations 
commerciales,  sauf  l'exportation  des  cuirs  et  de  la  chaux,  étaient 
entièrement  locales. 

On  serait  dans  une  erreur  étrange,  en  pensant  que  les  mar- 
chands que  nous  avons  entrevus  exercent  librement  leur  modeste 
négoce.  Il  n'en  est  rien.  Les  règlements  et  les  ordonnances  pres- 
crivent les  droits  et  les  devoirs  de  chacun,  et  malheur  à  celui  qui 
s'en  écarte,  caria  corporation  rivale,  scrupuleusement  conserva- 
trice de  ses  privilèges,  recourt  volontiers  à  la  justice  pour  les  sau- 
vegarder. Le  serrurier  fabrique-t-il  un  clou,  procès  de  la  part  des 
cloutiers  ;  le  chapelier  vend-il  un  bonnet,  procès  des  bonnetiers, 
et  de  même  entre  les  cordonniers  et  les  savetiers,  les  bouchers  et 
les  charcutiers,  les  pâtissiers  et  les  rôtisseurs,  les  barbiers  chi- 
rurgiens et  les  simples  barbiers,  les  apothicaires  et  les  dro- 
guistes, etc.  (3). 

Le  roi,  le  vicomte  de  Melun,  et  d'autres  seigneurs,  sont  pos- 
sesseurs de  droits  sur  certaines  corporations  de  la  ville.  Au  roi  et 
au  vicomte,  les  boulangers,  cuisant  à  l'intérieur  des  vieux  murs, 
doivent  six  sols  parisis,  et  un  pain  la  veille  de  Toussaint  ;  les  pâ- 
tissiers une  poitevine  ou  un  gâteau  ;  les  cordonniers  seize  deniers 
parisis  ;  les  merciers  une  redevance  en  nature  ;  les  mégissiers  ou 
corroyeurs  deux  lanières  ;  les  tonneliers  besongnant  de  leur  métier 
sur  le  pavé  de  Melun,  demi-corvée,  et  les  bouchers  neuf  deniers. 
Il  n'est  jusqu'à  un  métier  infâme  qui  ne  soit  lui-même  taxé.  Chaque 
fille  d'amour,  venant  de  nouveau  à  Melun,  doit  au  vicomte  quatre 
deniers  parisis  ou  l'estendue.  Enfin  des  droits  de  péage  sont  exi- 
gés sur  toutes  les  marchandises  qui  passent  dans  la  ville  (4). 

(1)  Notes  Gauthier.  Prieuré  de  Saint-Sauveur. 

(2)  En  1356,  il  n'y  avait  pas  moins  de  quatorze  boulangers  dans  le  faubourg 
Saint-Liesne.  (Ordonnances  des  rois  de  France,  tome  IV,  page  592).  On  doit  croire 
qu'ils  expédiaient  leurs  produits  à  Paris,  comme  un  grand  nombre  de  boulangers 
des  environs  de  la  capitale.  Autrement,  la  population  ne  leur  eût  assuré  qu'un 
faible  débit. 

(3)  Les  archives  du  greffe  du  bailliage  en  fournissent  la  preuve. 

(4)  Titres  et  pièces  de  la  vicomte  et  du  domaine  de  Melun.  (Archives  de  la  pré- 
fecture). 

14 


—  210  — 

Après  cette  visite  dans  les  quartiers  commerçants  du  vieux 
Melun,  je  reprendrai  au  point  où  je  l'ai  laissé,  l'historique  de 
l'industrie  locale. 

Les  anciennes  administrations  municipales  ont  souvent  tenté 
d'encourager  les  transactions  commerciales  et  de  faciliter  leur  dé- 
veloppement. Pour  atteindre  ce  but,  elles  mirent  en  œuvre  leur 
crédit,  et  en  des  circonstances  fréquentes,  elles  furent  aux  prises 
avec  les  officiers  qui  percevaient  les  droits  de  minage,  jaugeage 
rouage,  forage,  tonlieu,  étalonnage,  banalité,  coutumes,  etc.  La 
communauté  des  habitants  ne  craignit  pas  d'engager  des  procès 
onéreux,  que  les  formes  et  les  lenteurs  de  la  procédure  perpétuaient 
à  loisir. 

L'ouverture  d'un  grand  centre  de  réunion,  pour  raviver  le  com- 
merce de  la  ville,  fut  longtemps  le  désir  de  l'édilité.  Mais,  outre 
les  temps  peu  favorables  pour  réussir  dans  ces  projets,  il  fallait 
aussi  compter  avec  les  résistances  des  localités  voisines,  dotées  de 
semblables  institutions.  Jusqu'à  la  fin  du  xvi^  siècle,  Melun  fut 
privé  de  cet  avantage,  et  peut-être  n'en  dut-elle  la  possession  ulté- 
rieure qu'à  l'anarchie  qui  s'introduisit  alors  dans  l'administration 
du  royaume. 

En  1588,  au  plus  fort  de  la  Ligue,  Melun,  resté  fidèle  à 
Henri  III,  obtint  de  ce  prince  des  lettres  ainsi  conçues,  datées  du 
mois  de  juillet  et  du  24  novembre  (1). 

«  En  considération  du  fidèle  debvoir  rendu  par  les  habitants  de 
»  Melun  en  la  conservation  et  défense  de  la  dicte  ville  contre  ceux 
»  qui,  au  préjudice  de  nostre  autorité  l'auroient  peu  de  jours  au- 
»  paravant  assiégée  et  tenté  de  la  forcer  et  ester  de  nostre  pou- 
»  voir  et  obéissance,  leur  accordons  une  foire  franche  par  chascun 
»  an  pour  estre  commune  à  toutes  les  paroisses  indifl'éremment 
»  tant  de  nostre  dicte  ville  que  faubourgs  d'icelle,  durant  quatre 
»  jours  entiers,  le  premier  d'iceux  commençant  le  premier  jour  de 
n  lundi  eschéant  immédiatement  après  le  jour  et  feste  de  Tous- 
»  sainctz,  et  finissant  au  vendredy  ensuivant,  pendant  lesquelz 
»  jours  tous  marchands  et  autres  pourront  trafficqucr,  aller,  sé- 
»  journer  et  retourner,  vendre,  acheter,  permuter  et  troquer  li- 
»  brement  et  franchement  toutes  sortes  de  marchandises  et  den- 
»  rées  non  prohibées,  etc.  » 

La  continuation  des  troubles  et  leur  accroissement  ne  permirent 

(1)  Archives  municipales.  Foires  et  Marchés.  Série  H.  H. 


—  2H   — 

pas  aux  Melunai3  de  jouir  de  ces  privilèges.  On  connaît  les  maux 
qui  les  accablèrent  à  l'occasion  du  retour  des  Ligueurs  au  cona- 
mencement  de  l'année  1389,  et  de  la  prise  de  la  ville  par  Henri  IV, 
en  avril  1390.  La  paroisse  Saint-Aspais,  emportée  d'assaut,  fut 
mise  à  sac  par  les  vainqueurs.  Au  mois  de  septembre  suivant,  les 
faubourgs  furent  incendiés  et  détruits  de  fond  en  comble  (1).  Le 
commerce,  cruellement  éprouvé,  sortit  difficilement  de  cette  crise, 
malgré  les  ordonnances  rendues  par  Henri  IV,  en  faveur  de  plu- 
sieurs corporations  de  la  ville  et  la  sollicitude  de  son  administra- 
tion pour  les  intérêts  industriels.  Ce  fut  seulement  après  la  red- 
dition de  la  capitale  et  des  principales  villes  des  environs  de  Paris, 
que  la  population  Melunaise  put  véritablement  jouir  de  quelque 
repos  et  se  livrer  avec  sécurité  aux  opérations  du  négoce. 

En  1397,  des  gentilshommes  obtinrent  l'autorisation  de  créer  h. 
Melun  une  manufacture  de  verrerie,  qui  semble  être  restée  à  l'état 
de  projet  (2).  Nulle  part,  dans  les  archives  locales  et  dans  les 
nombreux  documents  que  j'ai  compulsés,  je  n'ai  trouvé  trace  de 
sa  réalisation.  L'établissement  analogue,  qui  existait  autrefois  dans 
les  bâtiments  occupés  par  le  magasin  des  fourrages  militaires, 
remontait  seulement  aux  premières  années  de  la  Révolution. 

Encouragés  par  les  intentions  royales,  les  habitants  de  Melun 
sollicitèrent  la  confirmation  des  franchises  qu'ils  devaient  à  la 
libéralité  de  Henri  III,  faveur  qui  leur  fut  accordée  par  lettres 
données  à  Fontainebleau  au  mois  de  novembre  1602,  registrées 
en  la  cour  des  aydes  le  27  octobre  de  l'année  suivante  (3)  : 

«  Pour  la  considération  du  voisinage  de  la  ville  et  de  nostre 
»  chasteau  et  maison  de  Fontainebleau,  y  est-il  dit,  désirant  à 
»  ceste  occasion  voir  la  ville  de  Melun  améliorée  et  accomodée  de 
»  marchandises,  vivres  et  autres  commodités  pour  l'usage  de 
«  nostre  cour  et  ensuites  fois  pour  s'en  ayder  ou  prévaloir  pendant 
»  le  passage  fréquent,  commun  et  ordinaire  que  nous  faisons  en 
»  icelle,  allant  ou  retournant  de  nostre  dicte  maison,  soict  au 
»  séjour  que  nous  faisons  audict  Fontainebleau  ;  estant  pour  ce 
a  mesme  subject  raisonnable  de  remettre  les  habitants  des  dom- 
»  mages  et  récompenser  de  ce  qu'ils  souffrent  d'incommoditez  de 


(1)  Voir  ma  publication  :  Melun  sous  Henri  IV   1590-1610.  —  .Melun,  Imp.    Hé- 
rhé,  1866;  broch.  in-g"  de  30  pages. 

(2)  Henri  Martin,  Histoire  de  France.  —  Bulletin  des    Comités    historiques,   pu- 
blié sous  les  auspices  du  .Ministère  de  l'instruction  publique. 

(3)  Archives  municipales.  Foires  et  Marchés,  série  H.  H. 


—  212  — 

»  nostre  dicte  cour,  et  ensuite  pendant  le  séjour,  notamment 
»  depuis  quelque  temps,  du  logement  du  régiment  de  nos  gardes, 
»  nous,  pour  ces  causes,  leur  octroyons,  etc.  » 

Il  ressort  de  cet  acte  que  la  présence  de  la  cour  dans  une  loca- 
lité n'entraînait  pas  de  grands  avantages,  puisque  l'octroi  d'un 
privilège  devenait  plus  tard  la  compensation  des  inconvénients 
qui  en  résultaient. 

La  nouvelle  foire  n'eut  pas  le  succès  qu'il  était  possible  d'en  espé- 
rer. Sa  tenue  coïncidait  presque  avec  le  11  novembre,  jour  de 
Saint-Martin,  qui  est,  dans  nos  environs,  l'époque  du  paiement 
des  fermages,  des  rentes,  du  renouvellement  des  baux,  du  louage 
des  domestiques,  et  dès  lors  un  jour  généralement  consacré  aux 
transactions  commerciales  et  agricoles.  Cette  circonstance  semblait 
devoir  contribuer  à  sa  prospérité  ;  cependant  il  n'en  fut  pas  ainsi. 
Des  villes  peu  éloignées,  de  simples  villages  même,  possédaient, 
de  temps  immémorial,  des  réunions  analogues  que  les  populations 
avaient  l'habitude  de  fréquenter.  Il  est  difficile  de  changer  les 
usages  profondément  enracinés  chez  les  habitants  des  campagnes. 
Aussi,  la  foire  de  Melun,  désertée  par  les  acheteurs,  fut  bientôt 
abandonnée  par  les  vendeurs.  Après  avoir  végété  pendant  quelques 
années,  elle  tomba  tout  à  fait  en  désuétude.  Vainement,  à  plu- 
sieurs époques,  on  tenta  de  la  rétablir.  Reconstituée  de  nos  jours, 
sa  plus  grande  importance  consiste  dans  la  vente  des  vins,  qui  ne 
donnaient  lieu  jadis  qu'à  des  affaires  restreintes. 

Au  commencement  du  règne  de  Louis  XIV,  la  ville  de  Melun 
était  extrêmement  affaiblie  ;  la  peste  et  la  lamine  (1)  l'avaient  vi- 
sitée différentes  fois,  et  son  commerce  était  nul  ;  les  troubles  de 
la  Fronde  y  avaient  eu  un  douloureux  retentissement  dont  le 
con Ire-coup  se  fît  sentir  durant  de  longues  années.  Les  habitants 
se  trouvaient  dans  l'impossibilité  de  subsister,  et  encore  moins  de 
subvenir  aux  contributions ,  tailles  et  charges  qu'on  exigeait 
d'eux.  Ce  fut  dans  ces  circonstances  que  le  maire,  les  échevins  et 
les  principaux  citoyens  représentèrent  au  roi  (2)  ;  «  que  leur 
»  ville  est  située  en  bon  pays,  sur  la  rivière  de  Seine;  qu'es  en- 
»  virons  sont  plusieurs  autres  villes,  boUrgs  et  villages  fertiles  et 
»  abondants  en  grains,  denrées  et  bestiaux  ;  et  qu'il  y  a  un  pont 
»  qui  est  le  plus  fréquent  passage  du  pays,  par  lequel  on  com- 

(i)  Voir  ma  notice  intitulée  :  Les  épidémies  delaville  de  Melun.  Broch.  in-S"  de 
24  pages.  Melun,  Michelin,  18G6. 

(2)  Requête  pour  l'établissement  d'un  marché  franc  à  Melun.  Foires  et  Marchés. 
(Archives  municipales,  série  II.  H.) 


—  213  — 

»  munique  avec  les  villes  et  provinces  circonvoisines.  »  —  S'ap- 
puyant  sur  ces  motifs,  ils  demandaient  la  création  d'un  marché 
franc  pour  faciliter  le  rétablissement  du  commerce.  Leur  démarche 
fut  couronnée  de  succès.  Dos  lettres  datées  à  Paris  du  mois  de 
septembre  1655,  signées  Louis,  et  sur  le  reply  de  Guénégaud, 
portent  ce  qui  suit  (1)  :  —  «  Créons  et  érigeons  en  nostre  dite 
»  ville  de  Melun  un  marché  franc  tous  les  premiers  jeudis  de 
»  chascun  mois  de  l'année,  pour  y  estre  tenu,  gardé  et  observé 
»  perpétuellement  et  à  toujours,  auquel  jour  de  marché  nous 
»  voulons  que  tous  marchands  français,  étrangers  et  autres  per- 
I)  sonnes  puissent  aller,  venir,  séjourner,  vendre,  acheter,  tro- 
»  quer  et  échanger  toutes  marchandises  licites  et  permises,  bœufs, 
»  moutons,  porcs  et  autres  bestiaux  avec  toutes  franchises,  pri- 
»  viléges ,  exemptions  généralement  quelconques  ,  dont  ils 
»  jouissent  aux  autres  marchés-francs,  etc.  » 

En  accordant  ces  franchises,  le  roi  n'avait  pas  songé  à  son  fer- 
mier des  aides,  dont  les  droits  allaient  éprouver  un  notable  préju- 
dice. Le  marché  fut  tenu  quelques  fois,  est-il  dit  dans  un  mé- 
moire daté  du  15  novembre  1690  (2).  Mais  les  marchands  forains, 
qui  s'y  trouvaient  avec  leurs  bestiaux  et  marchandises,  en  furent 
détournés  par  cette  seule  raison  que  le  préposé  des  aides  préten- 
dait y  percevoir  les  huitième  et  vingtième  sols  par  livre.  Le  pro- 
cès qui  s'en  suivit  ayant  donné  gain  de  cause  au  fermier,  par  arrêt 
du  16  août  1672,  le  marché  fut  délaissé.  Aux  symptômes  de  pros- 
périté qu'on  signalait  dans  la  ville,  succédèrent  le  décourage- 
ment et  la  gêne.  Des  magasins  se  fermèrent,  des  maisons  furent 
abandonnées  et  tombèrent  en  ruines,  faute  d'être  habitées  ou 
louées.  Ces  faits  n'ont  rien  d'exagéré.  Ils  sont  consignés  dans  le 
mémoire  déjà  cité,  qui  fut  dressé  pour  obtenir  l'exécution  des 
franchises.  —  (c  Le  marché-franc  subsistant,  y  est-il  dit,  c'est  le 
»  seul  et  unique  moyen  de  restablir  cette  pauvre  ville  de  Melun, 
»  et  de  faire  revenir  les  citoyens  habiter  ou  louer  leurs  maisons, 
»  et  d'y  rétablir  le  commerce,  par  le  moïen  duquel  un  chascun 
))  des  pauvres  habitants  taschera  de  trouver  sa  subsistance  et  les 
»  moyens  de  contribuer  au  soulagement  du  roy  pour  les  affaires 
»  de  son  estât.  » 

La  cause  était  défmitivement  perdue.  Les  efforts  des  magistrats 
municipaux  restèrent  sans  résultat.  Il  faudrait  entrer  dans    de 

(1)  Requête  pour  l'établissement  d'un  marché  iranc  à  Melun.  Foires  et  Marchés. 
(Archives  municipales,  série  H.  H.) 

(2)  Archives  municipales.  Série  H,  H.  Note  écrite  de  la  main  de  M.  Guibert, 
échevin  et  notaire  royal  à    Melun. 


—  214  — 

trop  longs  détails  pour  rappeler  les  débats  qui  eurent  lieu  à  cette 
occasion  et  les  difficultés  qui  se  produisirent  entre  le  lieutenant- 
général  du  bailliage  et  les  officiers  de  l'hôtel-de-ville.  Faut- il  le  dire, 
des  intérêts  personnels,  auxquels  on  sacrifiait  ceux  des  habitants, 
étaient  en  jeu.  Si  l'on  doit  croire  le  maire  et  les  échevins,  la  tenue 
du  marché  rencontrait  une  si  vive  opposition  de  la  part  du  lieu- 
tenant-général par  le  motif  que  ce  magistrat  craignait  un  notable 
préjudice  «  pour  le  grand  commerce  et  négoce  qu'il  faisait  de 
»  grains,  vins  et  autres  marchandises.  »  C'est  là  tout  le  secret 
de  l'affaire. 

Sous  le  règne  presque  séculaire  de  Louis  XIV,  les  intérêts 
commerciaux  furent-ils  toujours  protégés  et  encouragés?  Devant 
des  iaits  de  la  nature  de  ceux  qui  précèdent,  peut-être  est-il  per- 
mis d'en  douter.  On  se  confirme  encore  dans  cette  idée  en  scru- 
tant l'esprit  et  la  lettre  des  instructions  données  par  Golbert  en 
1669,  sur  le  fait  de  la  confection  des  étoffes  et  de  leur  vente  en 
détail.  Il  existe  aux  archives  municipales  de  Melun  un  volumi- 
neux dossier  concernant  la  mise  en  pratique  de  ces  instructions, 
dossier  dont  l'étude  engendre  une  douloureuse  surprise  (1).  Les 
réclamations  des  intéressés,  leurs  protestations  contre  les  exi- 
gences nouvelles,  contre  la  surveillance  vexatoire  et  abusive  à 
laquelle  ils  étaient  soumis,  attestent  le  préjudice  et  les  difficultés 
qu'elles  leur  causaient.  Certes,  les  marchands  de  Melun  sont 
gens  pacifiques  ;  et  quand  on  les  voit  protester  avec  véhémence 
contre  les  instructions  du  ministre,  refuser  les  jurandes  qu'on 
veut  leur  imposer  ou  ne  les  accepter  que  dans  la  crainte  de 
perdre  leurs  maîtrises,  évidemment  on  peut  croire  que  les  inté- 
rêts de  leur  modeste  commerce  se  trouvaient  gravement  compro- 
mis. Les  visites  domiciliaires  auxquels  les  drapiers  furent  sou- 
mis, la  vérification  obligée  de  leurs  marchandises,  le  poinçonnage 
de  chaque  pièce  d'étoffe  à  l'hôt'-l-de-ville — qualifié,  pour  ce  motif, 
du  nom  de  manufacture,  —  les  nombreux  arrêts,  rendus  à  cette 
occasion,  n'étaient-ce  pas  autant  de  sujets  d'effroi  pour  les  inof- 
fensifs négociants?  Ces  craintes  étaient  fondées.  Un  arrêt  du 
Conseil  d'État,  du  24  décembre  1670,  déterminait  les  pénalités 
encourues  pour  contraventions.  (2)  Un  fabricant  mettait-il  à  ses 
produits  une  trame  de  plus  ou  de  moins,  la  pièce  défectueuse, 
après  avoir  été  attachée  sous  un  écriteau  racontant  !o  méfait  aux 
passants,  était  coupée,  déchirée,  brûlée  ou  confisquée.  Ceci  était 


(1)  Archives  mrinicipalcs.  —  Usines  et  Manulactures,  série  H.  H. 

(2)  Arrcst  du  Conseil  d'Es'al,  qui  ordonne   des  peines    contre  les  marchands  et 


—  215  — 

pour  la  première  fois.  En  cas  de  récidive,  le  marchand  montait  en 
personne  au  pilori  et  prenait  place  à  côté  de  l'étoffe  incriminée. 
Voilà  les  faits  qui  justifient  l'émotion  des  drapiers  et  des  merciers 
melunais,  émotion  commune  à  tous  leurs  confrères  du  royaume. 
Gomme  il  était  à  peu  près  impossible  d'exécuter  à  la  lettre  le 
règlement  du  ministre  de  Louis  XIV,  la  crainte  du  pilori  restait 
véritablement  sérieuse. 

Il  est  encore  d'autres  causes  qui  s'opposaient  à  la  prospérité  du 
commerce.  Je  pourrais  les  citer,  mais  à  quoi  bon?  Ne  sait-on  pas 
que  les  maîtrises  constituaient  un  monopole  étrangement  exclu- 
sif; que  la  création  de  nouveaux  offices,  de  tout  nom,  de  tout 
genre,  véritables  sinécures  ou  taxes  déguisées,  affaiblissaient  à 
l'infini  les  corporations  d'arts  et  métiers  qui,  à  leur  tour,  se  dé- 
dommageaient sur  leur  clientèle?  Tous  ces  faits  sont  de  l'histoire, 
et  en  interrogeant  le  passé  commercial  de  notre  cité ,  il  était  diffi- 
cile de  les  laisser  entièrement  dans  l'ombre.  Il  est  vrai  que  si  les 
règlements  ministériels  gênèrent  plus  d'une  fois  la  liberté  du 
commerce,  l'élan  qu'ils  communiquèrent  au  travail  et  à  la  pro- 
duction compensèrent  peut-être  les  fautes  qu'il  est  possible  de 
leur  reprocher.  Golbert,  en  voulant  fonder  l'industrie  en  France, 
oublia  trop  que  les  moyens  d'y  parvenir  sont  la  protection  et  la 
liberté. 

De  nouvelles  tentatives  furent  faites  au  commencement  du 
xvm^  siècle,  pour  raviver  les  affaires  dans  la  ville  de  Melun.  Les 
essais  infructueux  des  officiers  municipaux  les  avaient  sans 
doute  découragés,  car  cette  fois,  ce  fut  un  seigneur  des  environs 
qui  prit  l'initiative.  Des  lettres-patentes  données  par  le  roi,  à  Ver- 
sailles, au  mois  de  janvier  1701,àmessire  Henri-Charles  de  Beau- 
manoir,  marquis  de  Lavardin,  lieutenant-général  des  armées  de 
Sa  Majesté,  seigneur  de  Vaux-à-Pénil,  de  Saint-Liesne-lez-Melun 
et  autres  lieux,  autorisèrent  la  création,  au  faubourg  Saint-Liesne, 
de  deux  foires  annuelles,  les  jours  Saint-Jean-Baptiste  et  Saint- 
Martin  d'hiver,  et  d'un  marché-franc  le  dernier  jeudi  de  chaque 
mois  (1).  Malheureusement,  les  mêmes  difficultés  qui  s'étaient 
déjà  produites  s'opposèrent  encore  à  la  réussite  de  ce  nouvel  essai. 


ouvriers  qui  fabriquent  et  exposent  en  vente  des  marchandises  défectueuses  et  non 
conformes  aux  règlemens,  du  24  décembre  1670.  —  A  Paris,  chez  F.  Muguet, 
imprimeur  du  Roy,  rue  delà  Harpe,  à  l'adoration  des  trois  Roys,  MDCLXXI.  De 
l'exprès  commandement  de  Sa  Majesté.  —  (Archives  municipales.  Usines  et  Manu- 
factures, série  H.  H. 

(1)  Archives  départementales  de  Seine-et-Marne.  Registres  de  l'Election;  série  C. 


—  216  — 

D'ailleurs,  le  marquis  de  Lavardin  mourut  sur  ces  entrefaites,  et 
ses  héritiers  ne  semblent  pas  avoir  eu  la  même  prédilection  pour 
les  habitants  de  son  domaine.  La  Saint-Jean-Baptiste  et  la  Saint- 
Martin  restèrent  ce  qu'elles  étaient  de  longue  date,  c'est-à-dire  des 
réunions  ou  fêtes  fréquentées  par  les  habitants  des  campagnes, 
notamment  par  les  domestiques  qui  s'y  louaient  pour  les  travaux 
des  fermes. 

En  compensation,  il  était  d'au  1res  lieux  de  réunion  qui  pre- 
naient plus  d'extension.  Les  affaires  y  devenaient  de  plus  en 
plus  considérables.  Je  veux  parler  des  marchés  d'approvision- 
nement de  la  ville.  De  temps  immémorial  ,  ils  se  tenaient  , 
comme  aujourd'hui  encore,  les  mercredi,  vendredi  et  samedi  de 
chaque  semaine.  Abondamment  fournis  de  denrées  apportées  par 
les  paysans  des  environs,  il  s'y  faisait  un  grand  trafic. 

Depuis  l'abandon  du  marché  du  faubourg  des  Carmes,  dans  le 
cours  du  xv""  siècle,  et  avant  1737,  époque  de  la  création  de  la 
place  Saint-Jean,  le  marché  se  tenait  dans  les  rues  du  quartier 
Saint-Aspais.  Le  beurre,  les  œufs,  la  volaille  se  trouvaient  dans 
la  rue  de  Boissettes;  la  viande  dans  la  rue  du  Miroir  et  du  Son- 
neur; les  légumes  dans  la  rue  de  la  Savaterie  (Jacques  Amyot)  ;  la 
marée  dans  la  rue  de  la  Frapperie  (du  Presbytère)  ;  et  la  lingerie, 
la  quincaillerie  et  autres  marchandises  dans  la  rue  aux  Oignons 
(de  l'hôtel-de- ville)  (1).  Si  l'on  se  représente  le  peu  de  largeur 
des  rues  en  ce  temps,  on  jugera  de  l'encombrement  et  du  dé- 
sordre qui  devaient  y  régner  les  jours  de  marché.  Cependant,  per- 
sonne ne  s'en  plaignait;  au  contraire,  à  différentes  reprises,  après 
qu'il  eut  été  transféré  sur  la  place  Saint-Jean,  les  habitants  de- 
mandèrent et  obtinrent  le  rétablissement  de  leur  marché  dans 
les  rues,  tel  qu'il  était  autrefois. 

Pendant  la  durée  éphémère  des  marchés-francs,  la  rue  aux  Oi- 
gnons servait  d'étape  aux  vins.  —  11  n'est  pas  de  produit,  dont, 
alors,  la  vente  soulevait  de  plus  vives  contestations.  Aux  xiv'^  et 
xv'=  siècles,  les  cabaretiers  et  les  habitants  se  trouvaient  aux  prises 
avec  les  seigneurs  qui  jouissaient  du  droit  di;  forage,  de  courte- 
pinte,  etc;  plus  tard,  ce  fut  avec  les  commis  des  aides.  Que  de 
fois,  l'élection  de  Melun  fut  saisie  d'aflaires  de  cette  nature!  Tan- 
tôt c'étaient  des  luttes  entre  les  commis  et  les  habitants,  des  rixes 
oii  le  sang  coulait;  d'autres  fois,  c'étaient  un  échange  de  grosses 
injures,  des  accusations  calomnieuses  frappant  tout  le  monde  in- 
distinctement, jusqu'à  des  prêtres  de  campagne  inculpés,  bien  à 

(l)  Registres  des  délibérations  municipales  de  Melim.  xvii'^  ot  xviii*  siècles;  série 
B.  B. 


—  217  — 

tort,  sans  doute,  de  vendre  vin  à  faux  bouchon.  Que  de  scènes  ri- 
dicules ou  burlesques  s'en  suivaient,  témoin  comme  en  1695 
lorsque  deux  commis  des  aydes,  pénétrant  dans  l'auditoire  de  l'É- 
lection de  Melun,  racontèrent  l'aggression  dont  ils  avaient  été  vic- 
times de  la  part  d'un  hôtelier  de  Saint-Liesne  et  de  sa  femme  qui 
s'étaient  rués  sur  eux  à  coups  de  pieds  et  à  coups  de  poings  «  leur 
»  avaient  arraché  leurs  perruques,  les  avaient  rompues  en  pièces 
»  et  jetées  dans  la  rue,  avec  le  registre  portatif  (1).»  Que  résulte- 
t-il  de  ces  faits,  sinon  la  preuve  de  l'élévation  des  droits  et  des  en- 
traves apportées  à  la  liberté  du  commerce. 

D'autres  difficultés  entre  les  corporations  elles-mêmes  se  pro- 
duisaient jusque  sur  les  places  publiques,  et  cela  au  grand  désa- 
vantage des  consommateurs.  Ainsi,  les  boulangers  et  les  charcu- 
tiers de  village,  qui  n'avaient  pas  satisfait  aux  règlements  sur  la 
maîtrise,  ne  pouvaient  étaler  dans  les  marchés  des  villes.  Plusieurs 
fois,  pour  ce  fait,  le  prévôt  de  Melun  les  menaça  de  saisir  leurs 
marchandises.  Il  leur  reconnaissait  seulement  le  droit  de  vendre 
aux  portes  de  la  ville,  mais  sans  pouvoir  franchir  l'enceinte  for- 
tifiée. Les  officiers  municipaux  protestaient,  en  alléguant  notam- 
ment, comme  ils  le  firent  le  30  janvier  1672,  que  c'était  aller  contre 
la  liberté  publique  et  le  soulagement  de  la  garnison;  que  la  con- 
currence des  marchands  forains  produisait  une  diminution  no- 
table sur  les  denrées,  etc.  (2).  Le  prévôt,  sans  tenir  compte  de  ces 
dires  philanthropiques  passait  outre  et  chassait  les  marchands. 
Ainsi  le  voulaient  les  ordonnances  sur  les  maîtrises.  Le  droit  de 
travailler  et  de  contribuer  au  bien-être  de  son  semblable,  consti- 
tuait un  privilège.  —  Le  plus  important  des  anciens  marchés  heb- 
domadaires de  Melun,  était  le  marché  aux  grains,  se  tenant  le  sa- 
medi sur  la  place  du  Martroy,  dans  la  seigneurie  des  moines  de 
Saint-Père.  Au  temps  où  la  vente  sur  échantillon  était  inconnue, 
la  place  était  toujours  abondamment  garnie.  Les  droits  déminage 
et  jaugeage  constituaient  un  profit  du  Trésor  royal.  Les  bénédic- 
tins de  Saint-Père  possédaient  le  tonlieu,  c'est-à-dire  le  droit  de 
place.  A  l'Hôtel-Dieu  Saint-Jacques  appartenait  le  minage  des 
grains  mis  en  vente  devant  l'entrée  de  l'établissement  (3).  Aux 
jours  de  marché,  on  voyait  circuler  dans  la  foule  un  homme  à 
mine  sinistre  ,  dont  chacun  s'écartait  précipitamment.  C'était 
l'exécuteur  des  sentences  crimmelles  du  bailliage  de  Melun,  qui 

(1)  Archives  départementales.  Registres  de  l'Election,  C.  123. 

(2)  Archives  municipales.    Foires  et  marchés,  série  H.  H. 

(3)  Archives  départementales  de  Seine-et-Marne.   Fonds   des  Saint-Pères.  —  Ar- 
chives de  l'Hôtel-Dieu  de  Melun.  Fonds  de  Saint-Jacques.  A.  10. 


—  218  — 

prélevait  les  droits  attachés  à  son  lugubre  métier.  Il  prenait  une 
cuillerée  de  menu  grain  sur  le  contenu  de  chaque  sac.  Mais  la 
cuillère  étant  devenue  démesurément  grande,  les  contribuables 
réclamèrent,  et,  de  là,  plaid  et  procès  au  Présidial  qui  en  régla  les 
dimensions  (1). 

On  manque  de  renseignements  exacts  sur  la  quantité  de  blé 
figurant  ordinairement  au  marché.  On  sait  seulement  que  l'appro- 
visionnement actuel  est  inférieur  à  celui  du  temps  passé,  alors 
que  les  fermiers  de  la  Brie  se  livraient  exclusivement  à  la  culture 
du  blé ,  et  qu'ils  ignoraient  la  vente  en  poche.  Et  cependant , 
la  production  des  céréales  n'était  pas  aussi  considérable  qu'à  pré- 
sent; car  on  ne  saurait  l'oublier,  à  cette  époque  de  tailles,  de  taxes 
et  de  dons  gratuits,  le  jour  où  le  gouvernenient  élevait  l'impôt, 
la  culture  cessait  dans  les  territoires  de  médiocre  qualité  (2). 

Malgré  les  obstacles  qui  pesaient  sur  le  commerce  au  milieu  du 
XVIII*  siècle,  les  grands  établissements  industriels  tendaient  à  se 
multiplier.  Aux  premières  années  du  règne  de  Louis  XVI,  une  fi- 
lature de  coton  fut  fondée  à  Melun,  dans  une  maison  de  la  rue  de 
l'Hôtel-de-Ville,  et  transférée  presqu'aussitôt  dans  le  faubourg 
Saint-Liesne,  par  un  nommé  Perrenod,  d'origine  suisse.  Cet  éta- 
blissement, modeste  à  son  début,  prit  en  peu  de  temps  une  cer- 
taine importance,  sous  la  direction  des  sieurs  Hurel  et  Beaufrère, 
qui  succédèrent  à  Perrenod.  11  en  fut  de  même  d'une  autre  manu- 
facture, fondée  en  prairial  an  X,  par  le  sieur  de  Surmont.  En 
1817,  ces  deux  établissements,  qui  auraient  pu  devenir  d'un  grand 
profit  pour  la  ville,  n'occupaient  pas  moins  de  cinq  cent  trente-trois 
ouvriers.  Des  circonstances  particulières,  qu'il  ne  m'appartient  pas 
d'apprécier  ici,  en  amenèrent  la  suppression  vers  1830  (3). 

Déjà,  plusieurs  années  avant,  la  manufacture  de  verrerie  établie 
à  Saint-Ambroise,  et  dans  laquelle,  sous  le  premier  Empire,  cent 
soixante-quinze  personnes  étaient  employées,  avait  également  pris 
fin. 

En  1769,  une  fonderie  de  suif,  pour  la  fabrication  de  chandelles, 
qui  existe  encore  aujourd'hui,  avait  été  créée  dans  la  paroisse 
Saint-Ambroise. 

Ces  différents  créations  ou  tentatives,  émanant  d'hommes  com- 
pétents, sont  une  preuve  des  ressources  particulières  que  notre 


(1)  Archives  municipales.  Police  et,  règlements  des  marchés. 

(2)  Mémoires  sur  la  Généralité    do  Paris.    2  vol.    in-4o.    Manuscrits,   donués  au 
Musée  de  Melun,  par  M.  Larné,  ancien  adjoint  au  maire  de  celle  ville. 

(3)  Archives  municipales.  II.  II. 


—  219  — 

pays  offrait  à  l'industrie  manufacturière.  Si  la  réussite  leur  lit 
défaut,  c'est  moins  à  l'élément  local  qu'on  doit  l'attribuer  qu'aux 
lois  et  règlements  anti-protectionistes  au  quels  les  nouveaux  éta- 
blissements se  trouvèrent  soumis. 

Pour  clore  ce  tableau  du  commerce  et  de  l'industrie  locale,  avant 
la  Révolution,  j'emprunterai  les  citations  suivantes  au  cahier  de 
doléances,  rédigé  par  les  habitant'^,  de  Melun,  en  1789  (1).  Ce  sera 
la  conclusion  du  sujet  que  j'ai  voulu  traiter  : 

«  La  communauté  des  habitants  de  Melun  enjoint  à  son  député 
de  demander  : 

((  Que  pour  la  facilité  du  commerce,  de  province  à  province,  il 
ne  soit  plus  admis  dans  tout  le  royaume  qu'un  seul  poids  et  qu'une 
seule  mesure. 

«  Que  pour  la  liberté  de  ce  même  commerce,  de  quelque  nature 
qu'il  soit,  les  douanes  intérieures  soient  reculées  jusque  sur  les 
frontières. 

La  facilité  des  communications  aurait  pu  contribuer  à  la  pros- 
périté commerciale.  Malheureusement  le  pouvoir  s'en  montrant  peu 
soucieux,  apportait  la  même  incurie  dans  la  création  des  routes  et 
dans  leur  entretien.  Jusqu'au  xviii''  siècle,  les  environs  de  Melun 
furent  privés  de  chemins  facilement  carrossables  (2).  Le  coche, 
mentionné  dans  la  charte  accordée  par  Louis-le-Gros  en  1176,  de- 
meura jusqu'à  nos  jours  le  véhicule  le  plus  usité  pour  le  transport 
des  voyageurs  et  des  marchandises.  Sous  Louis  XV,  il  en  passait 
six,  à  Melun,  par  semaine;  un  d'entre  eux  desservait  spécialement 
cette  ville,  et  les  autres  avaient  pour  destination  Nogent-sur- 
Seine^  Sens,  Montargis,  Auxerre  et  Montereau.  Le  •coche  de 
Melun,  partant  pour  Paris  le  lundi  et  revenant  le  vendredi,  ac- 
complissait la  route  en  un  jour  en  été,  et  en  un  jour  et  demi  en 
hiver,  si  toutefois  des  accidents,  assez  fréquents,  ne  venaient  pas 
s'y  opposer.  Les  tarifs  furent  souvent  modifiés.  Avant  1642,  le 
prix  du  transport  de  Melun  à  Paris  était  de  dix  sols  pour  l'aller 
et  de  vingt  sols  pour  le  retour  (3).  Comme  toutes  choses  suscep- 
tibles de  lucre,  le  coche  constitua  un  monopole  transmis  à  prix 
d'argent  ou  gracieusement.  C'est  ainsi  que  Louis  XIII,  Louis  XIV 
et  Louis  XV  investirent  MM.  de  La  Grange-Leroy,  Fouquet  et 
de  Caumartin,  de  l'exploitation  du  coche  de  Melun,  exploitation 


(1)  Archives  départementales.  B.  136. 

(2)  Registre  des  déli.jcratious  municipales  de  Melun.  xvii«  et  XYiii»  siècle. 

(3)  Idem.  —  Voir  aussi  la  liasse  intitulée:  Coches  d'eau.    Série  H.  H. 


—  220  — 

qu'ils  transmirent  à  des  fermiers  rançonnant  à  plaisir  les  voya- 
geurs et  les  marchandises.  Il  en  résultait  procès  sur  procès,  sen- 
tences et  arrêts,  tournant  presque  toujours  au  préjudice  des  po- 
pulations (1), 

Le  coche  n'eût  jamais  de  concurrence  sérieuse  ;  le  monopole  et 
le  mauvais  état  des  chemins  ne  le  permettaient  pas.  On  en 
trouve  la  preuve  dans  une  requête  présentée  au  Conseil  d'État, 
par  les  habitants  de  Melun,  en  1701;,  pour  le  maintien  du  passage, 
dans  leur  ville,  des  messageries  de  Fontainebleau  à  Paris,  itiné- 
raire qui  avait  été  abandonné  par  le  défaut  d'entretien  de  la  route 
dans  la  plaine  de  Villeneuve.  Ils  demandaient  aussi  que  le  prix  de 
trente-cinq  sols  pour  chaque  personne  allant  de  Melun  à  Paris,  et 
de  quarante-cinq  sols  pour  le  retour,  fut  scrupuleusement  ob- 
servé (2). 

La  construction  de  la  route  de  Paris  à  Lyon,  par  Melun,  en 
1753,  fut  très-profitable  au  commerce  de  notre  ville.  Des  hôtelle- 
ries s'ouvrirent  de  tous  côtés,  notamment  sur  la  place  du  marché 
au  blé,  oh  avaient  lieu  les  relais,  et  leur  prospérité  s'augmenta 
dans  la  suite  par  la  suppression  du  privilège  des  postes  et  des 
messageries. 

((  Que  les  privilèges  des  postes  et  messageries  soient  supprimés, 
de  manière  à  ne  plus  gêner  la  liberté  des  routes  et  interdire  aux 
citoyens  les  moyens  de  voiturer  et  voyager  qu'il  leur  plaira  choisir. 

«  Que  toutes  les  entraves  qui  s'opposent  au  progrès  de  l'in- 
dustrie, nuisent  à  la  liberté  des  arts  et  métiers,  et  à  celles  du 
commerce,  soient  détruites. 

«  Enfin,  indépendamment  de  ces  principaux  objets,  qui  forment 
la  matière  des  voeux  et  doléances  de  l'Assemblée  de  la  ville  de  Melun, 
il  en  est  de  particuliers  à  chaque  corps  et  corporation  dont  il  serait 
à  désirer  que  la  Nation  assemblée  put  s'occuper;  car  il  n'est  pres- 
que point  de  citoyen  qui  ne  gémisse  sous  le  poids  des  maux  atta- 
chés à  chaque  lieu,  à  chaque  état,  à  chaqup  profession.  » 

Tous  ces  vœux  reçurent  leur  sanction.  Et  maintenant,  le  com- 
merce et  l'industrie,  sincèrement  protégés,  libres  d'entraves,  s'a- 
vancent sagement  et  résolument  dans  la  voie  de  l'avenir,  dans  la 
voie  du  progrès  ! 

(1)  Archives  départementales.  Titres  et  pièces  de  la  Vicomte  de  Melun.  —  Ar- 
chives municipales.  Coche.i  d'enu.  si'rie  H.  H. 

(2)  Registres  des  délibérations  municipales.  Série  B.  B. 


—  221   — 


NOTES  SUR  LES  ANTIQUITÉS  DE  CHAMPDEUIL 


ET  SUR 


UN  SCEAU  DU  COMTE  DE  VARAX, 

SEIGNEUR    UE   NANTEUIL-SUR-MARNE    AU    XVH"   SIÈCLE, 

Qui  a  servi  pour  la  juridiction  seigneuriale  de  Nanteuil  jusqu'à  la  suppression  de 

ces  juridictions. 

PAR   M.    GAUCHER, 

Membre  fondateur  (  SectioM  de  Meaux,  et  momentanément  de  celle  de  Illelun.) 


M.  Gaucher,  membre  fondateur  de  la  Société  d'archéologie, 
lettres,  sciences  et  arts  du  département  de  Seine-et-Marne,  rési- 
dant présentementà  Champdeuil,  a  signalé  à  la  Section  de  Melun  : 

1°  Quatre  médaillons  en  marbre  formant,  à  ce  qu'il  paraît,  avec 
les  huit  que  possède  l'église  Saint-Aspais  de  Melun,  —  deux  au 
nouvel  autel  de  la  Vierge  et  les  six  autres  à  gauche  de  la  porte  de 
la  sacristie,  —  la  collection  des  apôtres  qui  décorait  autrefois 
l'église  de  Champdeuil  ; 

2°  Au  bas  du  chœur  de  cette  église,  une  pierre  tombale  qui  re- 
couvre la  sépulture,  en  cet  endroit,  d'une  dame  du  lieu  ; 

3°  Trois  dalles,  dont  deux  servent  de  margelle  au  puits  de  la 
maison  d'école  ;  la  troisième,  brisée  exprès,  pave  l'entrée  d'une 
porte  de  cette  maison.  Une  quatrième  a  dû  exister. 

Ces  dalles  se  trouvaient  au  pied  d'une  pyramide  élevée,  par  les 
habitants,  sur  la  place  publique,  lors  de  la  première  République; 
sur  chacune  d'elles,  se  lisent  des  paroles  dictées  par  les  idées 
exaltées  de  l'époque. 

4°  Enfin,  une  pierre  tombale,  peut-être  déjà  connue,  a  été  trou- 
vée il  y  a  cinq  ans  environ,  lors  du  déblai  des  restes  de  la  chapelle 
de  l'ancienne  paroisse  de  Ghampigny-en-Brie. 

Elle  rappelle  une  dame  inhumée  en  cet  e  droit. 
.   Brisée  en  quatre  morceaux  épars  et  laissée  aux  injures  du  temps, 


—  222  — 

cette  pierre,  sans  aucun  doute,  va  bientôt  disparaître.  Ne  convien- 
drait-il pas  de  relever  l'inscription  qu'elle  contient,  et  de  la  faire 
placer  en  un  lieu  convenable  ? 


SCEAU  DU  COMTE  DE  VARAX. 


De  gueule  à  la  fasce  d'or,  accompagné  de  irais  étoiles  d'argent  : 
deux  en  chef  et  une  en  pointe. 

En  vous  communiquant  ce  sceau  sans  légende,  Messieurs,  ma 
démarche  serait,  je  crois,  bien  infructueuse  si  je  ne  venais  en 
même  temps  vous  donner  la  preuve  de  son  authenticité. 

Avant  qu'il  me  fût  remis ,  j'avais  déjà  ,  lors  de  la  recons- 
truction du  mur  latéral  de  face  gauche  de  l'église  de  Nanteuil, 
en  1857,  et  après  l'enlèvement  des  lambris  du  chœur,  calqué, 
assez  difficilement  sur  l'ancienne  muraille  à  peine  enduite,  des 
armoiries  peintes  entre  deux  piliers  au  milieu  d'une  litre  ou  cein- 
ture funèbre.  Ces  armoiries  que  n'avait  pu  atteindre,  en  1840,  la 
brosse  du  badigeonneur,  dans  l'appropriation  intérieure  de  l'é- 
difice, me  donnèrent  l'e-poir  de  reconnaître  un  jour  le  seignenr 
Patron  ou  Haut-Justicier,  pour  lequel  l'église  avait  pris  le  deuil  à 
son  décès. 

Je  crois  devoir  vous  décrire  ces  armoiries  qui  ne  diffèrent 
d'avec  le  sceau  que  par  une  palme  entre  la  couronne  et  l'écu. 

Ecu,  hauteur  21  ceniimètres  largeur  17  eMo  centimètres  : 

Palmes  vertes,  nouées  avec  un  cordon  ou  ?'uban  rouge. 

Couronne  d'or. 

Déjà  aussi  dans  les  milliers  de  titres  que  j'avais  compulsés  pour 
établir  l'ancien  ordre  de  choses  relatif  au  petit  bourg  de  Nan- 
teuil, j'avais  trouvé  une  mention  me  faisant  connaître  qu'une 
apposition  de  scellés  avait  été  faite  le  12  mai  1772,  «  aux  armes 
»  de  M"  le  comte  do  Varax,   ancien  seigneur  dudit  Nanteuil, 


—  223  — 

»  pour  le  défaut  du  cachet  aux  armes  de  Monseigneur  le  duc  de 
»  Montmorency,  seigneur  actuel  du  lieu.  » 

Les  armoiries  de  l'église,  le  sceau  et  la  mention  qui  précède,  ne 
m'avaient  encore  indiqué  positivement  à  quel  seigneur  de  Nanteuil 
ces  armes  pouvaient  appartenir.  En  toutes  choses,  et  en  archéologie 
surtout,  il  faut  de  la  patience  ;  le  temps  permet  tout.  Une  pièce, 
revêtue  d'un  sceau  me  fut  remise  un  jour  où  je  m'y  attendais  le 
moins,  et  en  fin  de  cette  pièce,  je  pus  lire  : 

((  Nous  soussigné,  François  Royne,  bailli  de  la  chastellenie  de 
»  Nanteuil-sur-Marne,  pour  Monseig"^  le  comte  de  Varax,  sei- 
»  gneur  chastelain  dud.  lieu,  certifions,  etc.,  etc.,  —  en  foy  de 
))  quoy  nous  avons  signé  et  fait  apposer  le  cachet  des  armes 
»  dudit  sei-ineur,  ce  septiesme  jour  de  mai  vj"  quatre-vingt- 
»  seize  (1696).  » 

Venaient  ensuite  la  signature  du  bailli  et  le  sceau  en  cire 
rouge  dont  l'empreinte  entre  parfaitement  dans  celui  qui  fait 
l'objet  de  ma  communication.  J'avais  reconnu  que  ce  cachet  et 
les  armoiries  peintes  sur  les  murs  de  l'église  étaient  sinon  de 
Pierre  Pérachon,  tout  au  moins  de  Louis-Alexandre  Pérachon, 
son  fils,  tous  deux  comtes  de  Varax,  seigneurs  de  Nanteuil-sur- 
Marne  dans  la  deuxième  moitié  du  xvii^  siècle,  comme  on  va  le 
voir  ci-après. 

Cette  pièce  est  déposée  aux  archives  municipales  de  Nan- 
teuil. 

liCs  comtes  de  Varax,  seigneurs  de  IVantenil. 

<(  Le  29  aoust  \  670,  M'^  Pierre  Pérachon,  seigneur  de  Sainct- 
))  Maurice  et  autres  places,  con*""  du  Roi  en  ses  conseilz  et  secré- 
»  taire  de  Sa  Majesté,  maison  et  couronne  de  France  et  de  ses 
»  finances  (en  1677,  marquis  de  Varambon  et  de  Treffort,  comte  de 
»  Varax,  puis,  en  1681,  baron  de  LoyeetdeChâtillon),  acquiert  la 
»  terre  et  seigneurye  de  Nanteuil,  seize  sur  la  rivière  de  Marne, 
»  de  M''^  Léon  Potier,  duc  de  Gesvres,  héritier  par  bénéfice  d'in- 
»  ventaire  de  deffunt  M'''^  René  Potier,  pair  de  France,  son  père.  » 
(Archives  départementales  de  Seine-et-Marne,  E.  796). 

a  Le  31  mars  1689,  M"'  Louis-Alexandre  Pérachon,  comte  de 
»  Varax,  marquis  de  Treffort,  seigneur  de  Nanteuil-sur-Marne, 
»  fils  et  héritier  du  précédent,  rend  foi  et  hommage  aux  adminis- 
»  trateurs  de  l'Hôtel-Dieu  Saint-Gervais  de  Soissons,  à  cause  du 


—  224  — 

»  droit  de  dîmes  réservé  dans  la  vente  laite  en  1600,  de  cette 
»  seigneurie,  par  les  administrateurs,  à  Louis  Potier  de  Tresmes, 
»  duc  de  Gesvres,  père  de  René,  précédemment  dénommé.  » 
(Archives  dudit  Hôtel-Dieu). 

Cette  seigneurie  appartint  ensuite  en  descendance  collatérale  à 
la  même  famille  jusqu'en  1766. 


—  225 


LA  SUCCESSION  DE  L'ABBÉ  SEGUY, 

PAR    M.    TH.    LHUILLIER, 
Membre  fondateur  (Section  de  Alclun  ),  Secrétaire  général. 


Joseph  Seguy,  l'un  des  quarante  de  l'Académie  française  au 
xviii^  siècle,  bien  que  né  dans  la  ville  de  Rodez  n'est  pas  tout  à 
fait  étranger  à  notre  pays.  Il  a  été  chanoine  de  la  cathédrale  de 
Meaux,  et,  comme  son  compatriote  Alexis  Monteil,  c'est  dans  la 
Brie  qu'il  termina  sa  carrière. 

La  communication  de  quelques  documents  inédits  qui  se  rat- 
tachent à  la  mort  et  à  la  succession  de  cet  académicien,  n'est  donc 
pas  déplacée  ici. 

Sans  essayer  de  surfaire  la  réputation  de  l'abbé  Seguy,  on  peut 
dire  qu'il  réussit  dans  la  poésie  et  dans  l'éloquence.  Dès  sa  jeu- 
nesse, le  poète  remportait  à  diverses  reprises  les  couronnes  acadé- 
miques, en  même  temps  que  l'orateur  sacré  prêchait  avec  distinc- 
tion au  milieu  de  la  capitale  et  à  la  Cour  (1).  Dans  ses  panégyriques, 
dans  l'Éloge  de  Louis  XIV,  dans  les  Oraisons  funèbres  de  la  reine 
de  Sardaigne,  du  maréchal  de  Villars  et  du  cardinal  de  Bissy,  il 
faut  reconnaître  de  la  noblesse,  de  l'onction,  du  pathétique,  joints  à 
une  grande  pureté  de  style  ;  mais  on  y  chercherait  en  vain  ces  su- 
blimes peintures,  ces  traits  de  génie,  ces  véritables  beautés  qu'on 
admire  dans  Massillon  ou  dans  Bossuet.  Un  biographe  a  dit,  avec 
raison,  que  Joseph  Seguy  était  fait  pour  suivre  les  sentiers  battus, 
et  non  pour  se  tracer  une  carrière  nouvelle. 

Elu  membre  de  l'Académie  à  trente-neuf  ans  (2),  en  remplace- 
ment de  Jacques  Adam  (de  Vendôme)  oublié  aujourd'hui,  les 
épigrammes  ne  firent  pas  défaut  au  triomphe  du  jeune  abbé, 


(1)  Seguy  avait  prononcé,  en  1729,  le  panégyrique  de  Saint-Louis,  devant  l'Aca- 
démie Française,  et  s'en  était  acquitté  avec  un  talent  si  remarquable  que  cette 
compagnie  avait  demandé  et  obtenu  pour  lui  du  cardinal  Fleury,  alors  premier  mi- 
nistre, l'abbaye  de  Genlis,  au  diocèse  de  Noyon.  —  Lorsqu'il  publia  ses  Panégyriques 
des  Saints,  en  1736,  il  se  qualifia  de  prédicateur  du  Roy. 

(2)  Son  discours  de  réception  et  la  réponse  de  l'abbé  de  Rothelin,  directeur  de 
l'Académie,  prononcés  le  15  mars  1730,  se  trouvent  au  5»  vol.  du  Recueil  des  Ha- 
rangues, etc.,  p.  182. 

15 


—  226  — 

presque  inconnu  la  veille,  que  quelques  amis  officieux  avaient 
pour  ainsi  dire  obligé  à  faire  les  visites  d'usage.  On  lui  contesta 
même  la  paternité  de  son  Panégyrique  de  Saint-Louis,  qui  fut  at- 
tribué à  tort  à  Lamotte  ;  Seguy  se  contenta,  pour  toute  réponse, 
de  produire,  dans  la  suite,  de  nouveaux  discours  d'un  mérite  su- 
périeur au  premier.  Le  triolet  lancé  par  Piron,  le  lendemain  de 
l'élection,  est  le  seul  quolibet  dont  on  se  souvienne  : 


»  Grâce  à  Monsieur  l'abbé  Segui,. 
Messieurs,  vous  revoilà  quarante. 
On  dit  vous  faites  aussi 
Grâce  à  Monsieur  l'abbé  ^egui. 
Par  la  mort  de  je  ne  sais  qui, 
Vous  n'étiez  plus  que  neuf  et  trente  : 
Grâce  à  Monsieur  l'abbé  Segui, 
Messieurs,  vous  revoilà  quarante.  » 


Maintenant  aussi,  il  faut  l'avouer,  le  nom  de  Seguy,  comme  le 
nom  d'Adam  (de  Vendôme),  compte  parmi  ceux  des  immortels 
qu'on  connaît  le  moins. 

Le  digne  ecclésiastique  occupa  pourtant  pendant  vingt-cinq  ans 
le  fauteuil  de  Racan»,  de  La  Bruyère  et  de  l'abbé  Fleury.  Pendant 
quelque  temps,  il  assista  régulièrement  aux  séances  et  partagea 
avec  zèle  les  travaux  de  l'Académie  ;  puis  il  vint  dans  la  Brie, 
d'où  il  se  contenta  de  surveiller  la  publication  de  ses  ouvrages. 
A  la  mort  du  cardinal  de  Bissy,  évêque  de  Meaux,  qui  l'avait 
attiré  dans  cette  ville,  Seguy  prononça  l'oraison  funèbre  du  défunt, 
dans  sa  cathédrale,  le  5  décembre  1737  ;  il  renonça  aussitôt 
après  à  la  prédication  (1). 

C'était  d'ailleurs  un  homme  extrêmement  modeste.  Cherchant 
plus  à  se  faire  oublier  du  public  qu'à  briller,  il  était  venu  h  Meaux 
cacher  le  peu  de  gloire  qu'il  avait  acquis.  Aussi  y  vécut-il  retiré, 
dans  la  compagnie  d'une  de  ses  sœurs  qui,  restée  célibataire,  s'é- 
tait faite  sa  gouvernante  (2). 

L'abbé  Séguy  ne  possédait  aucune  fortune  personnelle,  toutefois 
l'abbaye  de  Sainte-Elisabeth  de  Genlis,  qu'il  tenait  en  commande 


(d)  Préface  des  Sermons  pour  les  principaux  jours  de  carême;  Paris,  Prault, 
1744,  in-12. 

(2)  Ils  habitaient  ensemble  une  maison  canoniale,  rue  Sainl-Maiir,  qui  provenait 
de  M.  Pastel  et  que  le  chapitre  affermait  moyennant  260  livres.  Elle  a  été  habitée 
successivement  ensuite  par  MM.  Collier  de  la  Marlière,   et  Mannoury  chanoines. 


—  227  — 

dans  ]e  diocèse  de  Noyon,  certains  droits  sur  le  séminaire  de 
Saint-Magloire  (?)  et  les  revenus  de  son  canonicat,  l'avaient  mis 
au-dessus  du  besoin,  et  lui  permettaient  toujours  de  soulager  dis- 
crètement quelque  infortune  autour  de  lui. 

Au  mois  de  janvier  1761,  voyant  sa  santé  altérée,  accablé  de 
douleurs  et  d'infirmités,  le  digne  chanoine  fit  son  testament  et  y 
joignit  des  observations  qui  prouvent  l'ordre  et  le  soin  qu'il  appor- 
tait à  régler  ses  affaires  d'intérêt.  Il  mourut,  en  effet,  le  18  mars 
suivant,  à  soixante-quatre  ans,  et  on  l'enterra  dans  la  cathé- 
drale (1). 

Joseph  Seguy,  qui  remplissait  avec  une  édifiante  assiduité  ses 
devoirs  de  chanoine  (2),  passait  à  Meaux  pour  un  homme  simple, 
pieux  et  bienfaisant  ;  cette  réputation  ne  devait  pas  se  démentir.  A 
l'ouverture  de  son  testament  olographe,  déposé  chez  M''  Dela- 
granche,  notaire  à  Meaux,  on  apprit  que  le  défunt  avait  disposé 
de  sa  modeste  succession  en  faveur  des  pauvres  :  l'hôpital  de  cette 
ville  était  institué  son  légataire  universel. 

Les  héritiers  présomptifs,  néanmoins,  —  deux  frères  et  deux 
sœurs,  —  avaient  dû  être  appelés  :  c'étaient  Antoinette  Seguy,  do- 
miciliée à  Meaux;  Anne  Seguy,  qui  habitait  Rodez  ;  un  frère,  se- 
crétaire du  maréchal  de  Broglie  (3),  et  Namas  Seguy,  procureur 
domanial  de  S.  A.  S.  le  duc  d'Orléans,  à  Aiguesperse.  Tous  étaient 
dans  une  certaine  aisance  ;  le  dernier  seul  souleva  des  difficultés 
pour  l'exécution  du  testament,  et  ce  ne  fut  pas  avant  l'année 
1766  (4)  que  l'hôpital  de  Meaux  obtint  la  délivrance  du  legs  fait 
à  son  profit. 

Ce  legs,  consistant  en  deniers  comptants,  produisit  net  une  somme 
de  cinq  raille  quatre-vingt-quatre  livres,  dix-neuf  sols,  neuf  deniers. 

Avant  de  rapporter  l'acte  de  baptême,  le  texte  du  testament  et 
l'acte  d'inhumation  de  l'abbé  Seguy,  ainsi  qu'un  résumé  du  compte 
rendu  aux  administrateurs  de  l'hôpital,  en  1776  (5),  ajoutons  que 
sa  succession  à  l'Académie  française  fut  recueillie  par  un  grand 
seigneur,  le  prince  de  Rohan-Guémenée,  coadjuteur  de  Strasbourg, 


(1)  Personne  n'a  cité  cette  tombe,  en  décrivant  la  Cathédrale  de  Meaux. 

(2)  Voir  le  discours  du  duc  de  Nivernois,  en  réponse  au  duc  de  Rohan,  pro- 
noncé à  l'Académie  Française,  en  1761  (tome  VI,  p.  515  d\i  Recueil  des  harangues). 

(3)  Georges,  sans  doute,  né  à  Rodez  le  16  janvier  1688,  qui  était  lié  avec  Jean- 
Baptiste  Rousseau  et  qui  donna  en  1743  une  édition  de  ses  œuvres  (Didot,  3  vol.  in-4° 
et  4  vol.  in-12.) 

(4)  21  avril  1766,  sentence  du  bailliage  de  Meaux. 

(5)  Archives  de  l'Hôpital  Général  de  Meaux. 


—  228  — 

qui  possédait  dans  la  Brie  les  terres  de  Coupvray,  Montry,  Ma- 
gny-le-Hongre,etc.Commechanoine'deMeaux,i'abbéSeguyeutpour 
successeur  M.  de  Villedon,  et  son  bénéfice  de  Sainte-Elisabeth  de 
Genlis  passa  aux  mains  de  messire  Henri-Ignace  de  Chaumont  de 
La  Galezière,  lequel,  contrairement  à  l'exemple  de  Namas  Seguy, 
s'empressa  de  donner  décharge  des  grosses  réparations  de  son 
abbaye,  qui  pouvaient  être  mises  à  la  charge  de  l'hôpital  de 
Meaux. 

I 

naissance  do   l'abbé  Seguy. 

Extrait  des  registres  de  la  paroisse  Notre-Dame  de  Rodez  (ca- 
thédrale) ;  registre  n"  8;  année  1697  (1). 

«  Joseph  Seguy,  fils  du  sieur  Pierre  (marchand)  et  à  demoiselle 
Anthoinette  Drulhe,  né  le  19"  mars,  baptisé  le21^  Parrain,  Georges 
Drulhe,  —  marraine,  Catherine  Drulhe,  présents  comme  dessus.  » 

«  Fontanon,  vicaire.  » 

II 

Testament  olographe  de  l'abbé  Seguy  {déposé  chez  M"  Delagrange, 
notaire  à  Meaux ^  le  19  mars  1761). 

«  Voicy  mon  testament  que  je  mets  sous  la  protection  de  M.  le 
Procureur  Général  du  Parlement  de  Paris. 

«  Je  fais  mon  légataire  universel  l'Hôpital  général  de  Meaux,  et 
je  fais  M.  Cannelle,  procureur  du  Roy  au  Présidial  dudit  Meaux, 
mon  exécuteur  testamentaire,  en  chargeant  ledit  Hôpital  général 
de  Meaux  de  faire  présent  à  mon  dit  sieur  Cannelle,  de  la  pendule 
de  la  chambre  oti  je  couche,  si  ledit  sieur  parvient  par  tous  ses 
soins,  à  faire  exécuter  mon  présent  testament  dans  toute  sa  teneur. 

«  Item  je  prie  ledit  Hôpital  général  de  AJeaux  de  laisser  à  ma  sœur 
Antoinette  Seguy,  qui  demeure  avec  moy,  mon  portrait,  et  du 
reste,  je  déclare  devant  Dieu  que  ledit  hôpital  ne  peut,  en  qualité 
de  mon  légataire  universel,  rien  prétendre  sur  les  meubles  de 
l'appartement  de  ma  ditte  sœur,  lesquels  appartiennent  à  elle  ©n 


(1)  Cet  acte  permet  de  rectifier  les  dates  fautives  indiquées   dans   toutes   es  ûio- 
graphies  antérieures. 


—  229  — 

propre,  en  vertu  de  l'échange  que  je  fis  avec  elle  desdits  meubles 
avec  ceux  qu'elle  apporta  de  Sainte-Marie,  sur  lesquels  je  n'avois 
rien  à  prétendre,  mais  dont  je  me  suis  accomodé  en  conséquence 
de  l'accord  fait  entre  nous  deux,  dont  elle  a  copie  signée  d'elle  et 
de  moy.  Fait  avec  toute  la  réflexion  dont  je  suis  capable,  lu  et  relu 
à  Meaux,  ce  trois  janvier  mil  sept  cent  soixante-un. 

((  (Signé)  L'abbé  Seguy.  » 
III 

«  Instruction  au  sujet  de  mon  Testament,  pour  ceux  qui  pour- 
roient  prétendre  y  avoir  quelque  intérest  pour  ou  contre.  Je  laisse 
une  succession  qui  ne  peut  consister  qu'en  meubles,  m'étant  fait 
un  principe,  depuis  que  je  suis  au-dessus  de  mes  affaires,  de  ne 
me  réserver  qu'une  certaine  somme  pour  la  dépense  journalière 
de  ma  maison,  somme  qui  était  épuisée  au  bout  de  chaque  trois 
mois  et  remplacée  par  une  pareille,  ce  qui  ne  manque  jamais, 
moyennant  l'exactitude  avec  laquelle  je  suis  payé  tous  les  quartiers 
et  les  mesures  que  j'ai  prises. 

«  Je  proteste  devant  Dieu  que  je  ne  dois  rien  à  personne,  hors 
au  Chapitre  (1),  à  qui  il  n'est  pas  possible  à  un  chanoine  de  ne  pas 
devoir,  à  moins  qu'il  n'ay  fmy  son  année  canoniale,  et  qu'il  n'ait 
point  d'absence  à  payer.  Les  dépenses  trop  considérables  que  j'ay 
faittes  dans  ma  maison  ont  été  payées  à  mesure,  ainsy  ni  maçon 
ni  menuisier,  ni  vitrier,  ni  tel  ouvrier  que  ce  soit,  n'ont  pas  un  sol 
à  demander  à  ma  succession.  Tous  les  lambris  et  boiseries  que  j'ay 
fait  faire  dans  ma  maison,  je  les  reconnois  appartenir  à  la  ditte  mai- 
son, suivant  qu'il  est  convenu  entre  le  Chapitre  et  moy,  en  ce  que 
ledit  Chapitre  a  bien  voulu  m'accorder  pour  laditte  maison.  Mon 
successeur  dans  mon  abbaye  (2)  n'aura  rien  à  prétendre  sur  ma 
succession,  vu  que  depuis  trente  ans  et  plus  que  je  jouis  de  ce 
bénéfice,  les  religieux,  toujours  mes  fermiers,  se  sont  chargés,  par 
tous  les  baux  passés  entre  eux  et  moy,  de  toutes  les  réparations 
grosses  et  menues  des  fermes,  de  payer  toutes  les  impositions 
actuelles  et  à  venir,  d'acquitter  toutes  les  charges  prévues  et  im- 
prévues, et  de  me  payer  tous  les  ans,  par  quartier,  deux  raille 
livres,  même  en  cas  de  non-dépouillement  de  grains.  Mon  succes- 
seur ne  voulant  pas  connaître  tout  cela,  ne  manquera  pas  de  faire 

(1)  Saint-Etienne  de  Meaux. 

(2)  Sainte  Elisabeth  de  (îenlis,  Ordre  de  Prémontré  réformé. 


—  230  — 

faire  une  saisie  sur  ma  succession,  mais  ce  sera  à  mon  exécuteur 
testamentaire  à  mettre  les  religieux  en  cause  et  obtenir  mainlevée 
de  laditte  saisie.  Je  le  conjure,  luy  et  tous  les  amis  des  pauvres, 
d'emploier  leur  zèle  et  leur  crédit  pour  garantir  ma  ditte  succession 
de  toutte  déprédation,  en  faveur  des  pauvres  à  qui  elle  est  destinée. 
«  Fait  à  Meaux,  ce  dix-huit  février  mil  sept  cent  soixante-un. 

Signé  :  l'abbé  Seguy. 

a  A  l'égard  de  mes  meubles,  mes  domestiques  sçavent  que  je  n'ay 
en  argenterie  que  six  couverts,  une  cuillère  à  soupe  et  deux  cuil- 
lères à  ragoût  ;  ma  sœur,  quand  je  donne  à  manger,  me  prête  les 
six  siens,  qu'elle  fit  faire  longtemps  avant  qu'elle  vint  chez  moy, 
et  qu'elle  fît  marquer  à  ses  armes  ;  n'ayant  pas  actuellement  de 
garçon  domestique,  je  ne  dois  que  les  gages  de  ma  cuisinière  qui 
est  depuis  environ  sept  à  huit  mois  à  mon  service,  sur  le  pied  de 
vingt  écus  de  gages,  ceux  de  la  femme  de  chambre  de  ma  sœur  ne 
me  regardent  point.  J'ai  neuf  paires  de  draps  de  maître,  environ 
huit  ou  neuf  de  domestique,  cent  soixante  et  quelques  serviettes, 
et  le  linge  de  ma  cuisine.  A  l'égard  de  mes  autres  meubles,  comme 
ils  sont  en  place,  c'en  est  un  mémoire  qui  se  montre  aux  yeux.  Je 
n'ay  point  fait  de  catalogue  de  mes  livres. 

A  l'égard  de  mes  papiers  (je  ne  parle  pas  de  mes  écrits)  (1), 
qu'on  ne  soit  pas  surpris  qu'il  en  manque  plusieurs,  ils  ont  été 

(1)  La  liste  des  écrits  publiés  par  l'abbé  Seguy,  peut  être  dressée  ainsi  : 

1"  Poésies,  2  vol.  iii-12. 

2°  Sermon  prononcé  aux  nouveaux  convertis,  en  1732,  in-8"  (reproduit  dans  ses 
sermons  pour  les  principaux  jours  de  Carême. 

3°  Panégyrique  des  Saints,  1734-1736,  2  vol.  in-12. 

4°  Oraison  funèbre  du  maréchal  de  Villars,  1736,  in-4''. 

5°  Discours  de  réception  à  l'Académie  Française,  1736,  in-i". 

6"  Discours  académiques  et  poésies,  La  Haye,  Néauhne,   1736,  in-12. 

7°  Oraison  funèbre  de....  Henry  de  Thiard  de  Bissy,  cardinal  et  évêque  de 
Meaux,  prononcé  dans  l'église  cathédrale  de  Meaux,  le  5  décembre  1737;  —  Paris, 
Prault  père,  1737,  in-4». 

8"  Sermons  pour  les  principaux  jours  de  carême  ;  Paris,  Prault,  1744,  in-12 
de  670  pages. 

9»  Oraison  funèbre  d'Elisabeth  de  Lorraine,  reine  de  Sardaigne,  1745,  in-4°. 

lO»  Nouvel  essai  de  poésies  sacrées;  1756,  in-12. 

On  lui  attribue  aussi,  en  collaboration  'avec  l'abbé  Trublet,  la  2«  édition  de 
l'Introduction  à  la  'connaissance  de  l'esprit  humain,  de  Vauvenargues  ;  Pari», 
Briasson,  1746-1747.  —  Barrois  aine,  1781, 1    vol.  in-12. 

Notre  savant  compatriote,  le  bibliographe  Barbier  (de  Coulommiers), attribue  encore 
à  l'abbé  Séguy,  mais  d'une  façon  douteuse,  la  traduction  de  deux  livres  de  Saint- 
Augustin. 


—  231  — 

perdus  dans  mes  divers  déménagements  par  l'étourderie  de  gens 
que  j'ay  employez,  car  quel  intérêt  auraient-ils  pu  avoir  de  le  faire 
par  malice. 
A  Meaux,  les  .jour  et  an  que  cy-devant. 

L'abbé  Seguy. 

IV 

Décès  de  l'abbé  I§iega7. 

{Extrait  du  registre  des  sépultures  faites  en  l'église  cathédrale  de 
Meaux,  année  1761.) 

Cejourd'huyjeudy  dix-neuf  mars  1761,  par  M*"  Philippe  Pidoux 
prêtre  licencié  en  Théologie  de  la  maison  et  Société  Royalle  de 
Navarre,  Doyen  et  Chanoine  de  l'Église  Cathédrale  de  Saint- 
Étienne  de  Meaux,  député  de  Messieurs  du  Chapitre  de  la  même 
Église,  a  été  inhumé  sur  les  six  heures  et  demie  du  soir,  dans  la- 
ditte  Église  Cathédrale,  dans  le  premier  bas-côté  du  parvis  des 
Lions,  entre  les  deux  premiers  pilliers  vis-à-vis  la  Chaire,  le  corps 
de  Messire  Joseph  Seguy,  prêtre  du  diocèse  de  Rhodez,  abbé  de 
Sainte-Elisabeth  de  Genlis,  diocèse  de  Noyon,  chanoine  de  laditte 
Église  Cathédrale  de  Meaux,  et  l'un  des  Quarante  de  l'Académie 
françoise,  décédé  le  jour  d'hier  sur  les  quatre  heures  et  demie  du 
soir,  âgé  de  soixante-un  ans  (1),  en  présence  de  MM.  Philippe- 
Louis  Durel,  conseiller  du  Roy,  lieutenant  particulier  criminel 
aux  baSge  et  siège  présidial  de  Meaux,  MM.  Claude-Charles  Ca- 
nelle,  conseiller  du  Roy  et  son  procureur  auxdits  baâge  et  siège 
présidial  de  Meaux,  et  encore  en  présence  de  M*''  Pierre-Ézéchiel 
Le  Vasseur  de  Rocher,  Jacques-Nicolas  Desmiés,  prêtres  grands- 
chapelains,  hauts- vicaires,  M"  François  Scellier,  prêtre,  et  Claude 
Denis  Plaisir,  clerc  tonsuré,  marguillers  de  laditt'.'  Église  Cathé- 
drale, témoins  à  ce  requis,  demeurans  à  Meaux,  qui  ont  signé  avec 
mondit  sieur  Pidoux,  doyen. 

(Signé)  Durel,  Ganelle,  Desmiés,  Plaisir,  Levasseur,  Scellier, 
Levasseur  et  Pidoux,  doyen. 


compte  de  la  ^accession  Meguy. 

Il  résulte  du  compte  rendu  en  1766  aux  administrateurs  de  l'hô- 
(1)  C'est  une  erreur;  le  défunt  avait  64  ans,  moins up  jour. 


—  232  — 

pital  général  de  Meaux,  que  la  succession  de  M.  l'abbé  Seguy,  s'est 
liquidée  comme  il  suit: 

ACTIF. 

1°  Prix  de  la  vente  des  meubles  et  effets  mis  sous  les  scellés  h 
Meaux 6,033  liv.  14  s.  6  d. 

2°  Prix  de  la  vaisselle  d'argent.     .     .     . 

3°  Billet  Gherrier 

4°  Billet  de  partition  du  Chapitre.     .     , 

S'*  Montant  de  la  vente  des  meubles  trou- 
vés sous  les  scellés  apposés  au  séminaire  de 
Saint-Magloire,  suivant  procès-verbal  du 
6  février  1762.     .     .     .       1,208  1.10  s. 

6°  Et  de  l'argenterie.         239  »  10  »  6d. 


369 

19 

» 

227 

10 

» 

100 

» 

)) 

1,448  liv.       6d.       1,448         n       6  d. 
Total  de  l'actif 8,179  liv.  4  s. 

PASSIF. 

Sur  cette  somme  on  a  payé  : 

A  Meaux, 

Pour  capitation,  garde  des  scellés,  frais 
de  JLisiice  et  d'inhumation,  frais  de  der- 
nière maladie,  etc.  .     .       2,15()  1.  3  s.  9  d. 

Un  an  des  gages  de 
Marie-Louise  Colnoy , 
domestique    ....  (30  »      » 

Une  tombe  de  mar- 
bre blanc  (mémoire  de 
.1.  F.  Tretté).     ...  75  »      » 


2,291  1.  8  s, 

,  Od. 

AuséminairedeSainL- 

Magloire, 

Pour  frais  de  Justice. 

.587      3 

6  d. 

Pour  frais  d'économat 

au  compl.ibk;  .... 

598     i 

» 

Total  des  dépenses. 

3,4761.11s. 

3d. 

Excéd  i 

ant  de  raclii". 

1,476         11        3  d 


4,702  liv.  12  s.  9  d. 


—  233  — 

Report     .     .     .      4,7021iv.  12  s.  9d. 


11  faut  encore  ajouter  :  les  fruits  et  re- 
venus de  l'abbaye  de  Genlis  jusqu'au  18 
mars  1761,  date  du  décès  de  l'abbé  Se- 
guy 433 1.6  s.  7  d. 

Déduisant  :  les  deux  sols 
pour  livre,  attribués  à  l'é- 
conome   .     43  1.  6  s.  7  d. 

Et  pour 
les  frais  de 
saisies-ar- 
rêts entre 
les  mains 
des  fer- 
miers ,     .      7     13    » 


oOl.  17  s.  7d.         50     17 


Reste.     .      382 1.    7  s.     »  382 

Il  est  donc  entré  net  dans  la  caisse  de  l'hô- 


pital général  de  Meaux    5,0841iv.  19  s.  9  d. 


235 


NOTES  SUR  LA  FONDATION  DES  CÉLESTINS 

DE  LA  SAINTE -TRINITÉ  DE  MARCOUSSIS, 

PAR    M.    LEBIAIRE, 
Membre  fondateur  (Section  de  nielun.) 


L'établissement  religieux  dont  je  vais  m'occuper  n'a  pas  appar- 
tenu à  notre  département,  c'est  vrai  ;  mais  comme  il  s'y  rattache 
par  ses  possessions  les  plus  considérables,  j'ai  pensé  qu'il  ne 
serait  pas  sans  intérêt  de  rappeler  l'érection  d'un  monastère  doté 
d'une  manière  splendide,  dès  son  origine,  par  une  de  ces  familles 
qui  avaient  su  conquérir  une  large  place  dans  le  pays  et  qui, 
encore  aujourd'hui,  peut  être  considérée  à  bon  droit  comme  une 
des  plus  honorables  de  France,  par  ses  vertus,  sa  piété  éclairée 
et  sa  bienfaisance  inépuisable  connue  de  tous  les  malheureux. 

Je  dois  le  dire,  c'est  cette  dotation  même,  et  surtout  la  descrip- 
tion des  joyaux  et  des  reliquaires  donnés  par  les  fondateurs,  qui 
ont  éveillé  en  moi  le  désir  de  les  faire  connaître, 

Marcoussis,  où  Jehan ;,  seigneur  du  lieu  et  de  Montagu  ou 
Montaigu  (hameau  de  la  commune  de  Ghampbourcy,  entre  Saint- 
Germain  et  Poissy),  édifia  le  monastère  qu'il  destinait  aux  Céles- 
tins,  est  un  village  de  l'Ile-de-France.  Il  paraît  avoir  été  fondé 
en  l'an  661  par  Saint- Wandrille,  qui  y  fit  bâtir  une  église.  Un 
château-fort  construit  vers  la  fin  du  xiv^  siècle,  existait  à  Mar- 
coussis ;  il  a  été  démoli  en  1807,  sans  doute  par  les  sieurs  Joseph 
Boutron  et  Jean  Donnât,  qui  s'en  étaient  rendus  acquéreurs  le 
28  prairial  an  VI. 

Ce  château  passait  pour  une  des  plus  fortes  places  du  royaume. 
L'entrée  était  couverte  par  un  ouvrage  avancé  dans  lequel  on  pé- 
nétrait par  deux  ponts-levis.  Après  avoir  traversé  une  première 
cour  on  arrivait  au  château  par  un  autre  pont-levis  jeté  sur  un 
fossé  large  de  20  mètres.  La  forme  générale  de  l'édifice  était  celle 
d'un  parallélogramme  d'environ  55  mètres  de  longueur  sur  30  de 
largeur,  dont  les  angles  et  les  côtés  étaient  défendus  par  dix  tours 
de  grandes  dimensions,  y  compris  celles  qui  flanquaient  l'entrée 
formant  donjon,  et  plus  rapprochées  entr'elles  que  les  deux  du 
côté  opposé.  (Planche  II,  fig.  A). 


—  236  — 

Avant  de  parier  des  Célestins  de  Marcousis  et  de  leur  fonda- 
teur, qu'il  me  soit  permis  de  dire  quelques  mots  sur  la  création  de 
l'ordre,  qui  du  reste  n'était  qu'une  branche  de  celui  des  Bernar- 
dins ou  Bénédictins  réformés. 

«  Les  Célestins  ont  pris  leur  nom  du  pape  Gélestin  V,  qui  avant 
»  son  avènement  au  siège  pontifical,  et  connu  alors  sous  le  nom 
»  de  Pierre  de  Mouron,  établit  une  congrégation  de  religieux  ré- 
»  formés  de  l'ordre  de  Saint-Bernard.  Cette  congrégation  date  de 
»  l'an  1244  ;  elle  fut  approuvée  en  1264  par  Urbain  IV,  et  confir- 
»  mée  10  ans  après  par  Grégoire  X,  au  deuxième  concile  général 
»  de  Lyon.  D'Italie,  les  Célestins  passèrent  en  France  l'an  1300. 
»  Le  chef  de  l'ordre  fut  établi  à  Paris  en  1318.  Vingt-trois  monas- 
»  tères  en  dépendaient  ;  ils  étaient  gouvernés  par  un  provincial 
»  élu  tous  les  trois  ans,  et  qui  avait  titre  et  pouvoir  de  général.  » 
(Dubreuil.  Antiquités  de  Paris. 

Les  Célestins  de  Paris  furent  fondés  par  Pierre  Martel,  bour- 
geois de  cette  ville  ;  ils  jouissaient  des  mêmes  droits  et  privi- 
lèges que  les  secrétaires  du  roi.  L'origine  de  ces  droits  vient 
de  ce  que  Robert  de  Jussi,  reçu  novice  dans  le  monastère  du 
Mont-de-Ghartres,  et  ayant  quitté  l'habit  avant  de  faire  profes- 
sion, s'attacha  au  service  du  roi  Philippe  de  Valois,  et  fut  du 
nombre  des  conseillers -secrétaires  de  ce  prince.  L'affection 
qu'il  avait  pour  l'ordre  le  porta  à  proposer  dans  une  assem- 
blée des  secrétaires  du  roi  d'ériger  une  confrérie  dans  l'église  des 
Célestins  de  Paris.  La  proposition  fut  acceptée,  et,  pour  donner 
moyen  aux  religieux  de  subsister  parce  qu'ils  n'étaient  pas  riches 
en  ce  temps-là,  ils  leur  accordèrent  tous  les  mois,  chacun  4  sols 
parisis  sur  l'émolument  de  la  bourse.  Depuis  ce  temps,  Charles, 
dauphin  de  France,  régent  du  royaume  pendant  la  détention  du 
roi  Jean,  son  père,  leur  donna  une  bourse  semblable  à  celle  de 
chaque  secrétaire  du  roi.  {Histoire  des  ordres  monastiques.  —  Tome 
VI,  pages  189-190). 

Marcoussis  est  une  commune  de  1,350  habitants;  elle  fait  par- 
tie de  l'arrondissement  de  Rambouillet  (Seine-et-Oise).  —  Le 
monastère  établi  en  ce  lieu  doit  sa  fondation,  ainsi  que  je  l'ai  dit 
plus  haut,  à  Jehan  de  Montagu  (1),  vidame  de  Laon,  seigneur  de 
Montagu,  près  Poissy,  de  Marcoussis,  du  Bois-Malesherbes,  de 
Tournenfuye,  chevalier,  chambellan  du  roi  Charles  V,  souverain 

1)  Ses  armes  sont  :  D'argent  à  la  croix  d'azi^r,  cantûniiée  de  quatre  aigles  de 
sable. 


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.  .    Il  iiii'''i|i  P'iiir  i 


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—  2.37  -- 

maître  de  l'hôtel  du  roi  Charles  VI,  et  surintendant  des  finances 
du  royaume. 

Jehan  de  Montagu  fut  aimé  de  ces  deux  souverains  :  le  dernier 
lui  donna  les  maisons  de  Massonvilliers  et  de  Pranconville,  près 
Chartres.  Il  acquit  en  1390  le  vidaraé  de  Laon,  en  échange  de  la 
terre  de  Ver,  et  fnt  capitaine  du  château  de  la  Bastille.  Au  mois 
de  mai  1401,  le  roi  lui  fit  don  de  l'hôtel  de  Chanteloup  avec  ses 
dépendances,  pour  l'unir  à  la  châtellenie  de  Marcoussis  qu'il  avait 
acquise;  c'est  deux  ans  après  qu'il  le  pourvut  de  la  charge  de 
souverain  grand  maître  de  son  hôtel. 

A  Jehan  de  Montagu  succéda,  comme  dame  de  Marcoussis, 
Elisabeth,  sa  fille  aînée,  veuve  de  Jehan  VI,  comte  de  Roucy  ; 
elle  mourut  en  octobre  1429,  à  Lyon,  d'où  son  corps  fut  porté 
aux  Célestins  fondés  par  son  père. 

On  voit  ensuite,  comme  seigneur  de  Marcoussis,  Jehan  Mallet, 
cinquième  du  nom,  sire,  de  Graville,  fauconnier,  panetier  et 
maître  des  arbalétriers  de  France,  qui  eut  pour  deuxième  femme 
Jacqueline  de  Montagu,  veuve  de  Jehan  de  Craon,  seigneur  de 
Montbazon  et  de  Moncontour  en  1346. 

Une  troisième  fille  de  Jehan  de  Montagu,  nommé  Jehanne, 
épousa  en  1417  Jacques  de  Bourbon,  deuxième  du  nom,  chevalier, 
baron  de  Thury,  qui  se  destinait  d'abord  à  l'état  ecclésiastique  et 
abandonna  ensuite  ses  bénéfices.  Il  prit  le  parti  de  Charles  de 
France,  dauphin  de  Viennois,  régent  du  royaume,  qui  lui  don- 
nait 100  francs  par  mois  pour  être  en  sa  compagnie.  Jehanne  de 
Montagu  mourut  à  Valère  en  Touraine,  dans  le  mois  de  sep- 
tembre 1420,  âgée  de  vingt- trois  ans;  son  corps  fut  aussi  apporté 
à  Marcoussis,  oii  il  a  été  inhumé  le  J5  mars  1468. 

Les  seigneuries  de  Montagu  et  de  Marcoussis  passèrent  par 
alliance  dans  la  famille  de  Balzac. 

Jehan  de  Montagu,  ainsi  qu'il  le  dit  dans  son  acte  de  donation, 
était  fils  de  Girard,  seigneur  du  même  lieu,  secrétaire  du  roi, 
trésorier  de  ses  chartes,  et  de  Bicète  de  Cassinel,  laquelle  était 
vraisemblablement  nièce  de  Ferry  Cassinel,  archevêque,  duc  de 
Reims,  pair  de  France,  seigneur  de  Marcoussis,  par  suite  de 
l'échange  qu'il  avait  fait  avec  le  roi,  de  sa  terre  de  Galargues, 
contre  le  châtel  maison  forte  de  Marcoussis  et  la  maison  de  La 
Ronce,  en  la  châtellenie  de  Montlhéry,  par  acte  du  9  février  1386. 
Avant  de  fonder  le  monastère  dont  il  s'agit,  Jehan  de  Montagu 
achetait  de  Gontier  Col,  trésorier  de  France,  pour  les  donner  en 
toute  propriété  aux  religieux  qu'il  patronnait,   les   seigneuries, 


—  238  — 

terres,  prés,  bois,  étangs,  cens,  rentes,  etc.,  d'Ozouer-le-Voulgis, 
de  Garigny  et  de  Retal,  ainsi  que  les  manoirs,  granges,  écuries  et 
autres  bâtiments  en  dépendant. 

Je  n'ai  pu  découvrir  de  qui  Gontier  Col  tenait  les  domaines 
achetés  de  lui  par  Jehan  de  Montagu,  ni  les  noms  de  ses  pré- 
décesseurs, à  moins  pourtant  que  le  premier  n'ait  été  aux 
droits  de  Jehan  de  L'Hôpital,  seigneur  de  Montignon,  àquiOzouer 
aurait  appartenu.  Celui-ci  a  été  naturalisé  par  lettres  du  26 
septembre  1349.  Le  régent  du  royaume,  depuis  Charles  V,  lui' 
avait  donné  au  mois  d'octobre  1348,  en  échange  d'une  rente  de 
200  livres  qu'il  avait  à  prendre  sur  le  trésor,  la  terre  et  seigneurie 
des  Allueux  en  Palluel,  mouvant  du  château  de  Crèvecœur-en- 
Brie.  —  (En  1416,  un  François  de  L'Hôpital  était  gouverneur  de 
ce  château).  On  croit  savoir  aussi  qu'en  1206,  dame  Jude  de 
Cresne  devait  être  en  possession  de  la  terre  d'Ozouer-le-Voulgis, 
dont  elle  détachait  une  pièce  de  bois  contenant  439  arpents  (185 
hectares  32  ares),  pour  la  donner  aux  habitants,  à  la  charge  «  de 
))  4  deniers  parisis  de  cens,  réduits  du  denier  parisis,  et  d'un 
»  pain  par  chacun  particulier  habitant,  feu  et  ménage,  pour  la 
»  reconnaissance  de  leur  droit  d'usage,  »  suivant  le  titre-nouvel, 
qu'ils  en  ont  fourni  devant  Sureau,  notaire  audit  Ozouer,  le  21 
juin  1S82,  duquel  il  résulte  que  la  communauté  du  lieu  aurait  été 
en  possession  de  ces  usages  depuis  trois  ou  quatre  cents  ans  envi- 
ron ;  ((  confessent  aussi  lesdits  habitants  que  de  tout  tems  les 
»  seigneurs  Célestins,  leurs  officiers  et  justiciers  audit  Ozouer, 
»  ont  eu,  et  comme  ils  ont  encore  de  présent,  la  connaissance  de 
»  toutes  forfaitures,  crimes  et  délits  qui  se  sont  commis  et  com- 
1)  mettent  es  dits  bois  des  usages  par  quelconques  personnes  et 
»  pour  quelque  cas  que  ce  soit.  » 

Si  tous,  nous  ne  connaissons  pas  Ozouer-le-Voulgis  et  Rétal, 
au  moins  leurs  noms  ne  nous  sont  pas  étrangers. 

Ozouer  dépendait  delà  province  de  l'Ile-de-France  ;  il  resssor- 
tissait  aux  bailliage,  présidial,  grenier  à  sel  et  élection  de  Melun  ; 
il  dépendait  du  doyenné  de  Melun.  D'après  un  pouillé  du  dio- 
cèse de  Sens  transcrit  en  1717,  le  revenu  de  la  cure  d'Ozouer  était 
de  900  livres,  elle  payait  49  livres  de  décimes  ordinaires  et  70 
livres  de  décimes  extraordinaires;  l'archevêque  de  Sens  en  était 
collatcur,  la  paroisse  a  pour  patron  Saint-Martin. 

Suivant  une  déclaration  de  M.  François  Marchand,  curé  du 
lieu,  faite  devant  le  directoire  du  district  de  Melun,  le  revenu  de 
son  bénéfice  aurait  été  pour  :  le  pnesbytère,  cour  et  jardin,  100  li- 


—  239  — 

vres;  dîmes  des  grains  de  toute  nature,  4,500  livres;  menues  et 
vertes  dîmes,  agneaux,  vin  et  filasse,  400  livres;  21  arpents  de 
terre  estimés  devoir  rapporter  918  livres  15  sous;  autres  revenus, 
745  livres  ;  soit  au  total  6,663  livres  15  sous,  sur  lesquels  il  y  au- 
rait eu  à  déduire  pour  charges  et  frais  de  perception, 2,653  livres; 
mais,  attendu  que  la  déclaration  du  titulaire  de  ce  bénéfice  n'a  pas 
été  reconnue  exacte  dans  toutes  ses  parties,  l'administration,  par 
son  arrêté  du  16  avril  1791,  a  fixé  le  revenu  de  la  cure  d'Ozouer  à 
4,177  livres  2  sous;  les  charges  à  738  livres  au  lieu  de  2,653  livres, 
et  le  traitement  à  allouer  à  M.  Marchand  à  2,688  livres  11  sous 
3  deniers. 

Aujourd'hui,  Ozouer-le-Voulgis  est  une  commune  de  835  habi- 
tants (recensement  de  1866)  ;  cette  commune  fait  partie  du  canton 
et  de  la  justice  de  paix  de  Tournan,  arrondissement  de  Melun.En 
1790,  la  population  était  de  750  âmes;  elle  a  été  en  1846,  de  912. 

Si  l'on  s'en  rapporte  à  Sébastien  Rouillard,  Ozouer  viendrait  du 
mot  oratoire.  Tout  en  n'admettant  les  étymologies  qu'avec  une 
grande  réserve,  je  ne  crois  cependant  pas  inutile  de  citer  notre 
vieux  chroniqueur,  qui,  tout  en  remontant  aux  Romains,  aux 
Grecs  et  souvent  même  par  delà  le  déluge,  n'est  pas  toujours  à  dé- 
daigner. Voici  comment  il  s'exprime  en  son  Histo're  de  Melun, 
§  2'=  de  la  page  376  :  «  Et  d'autant  qu'es  mêmes  archives  (de  l'ab- 
»  baye  du  .Tard),  en  un  aultre  tiltre  d'icelle  année  1220,  est  faict 
1)  récit  de  Hugues  de  Voulgis,  chevalier,  et  de  son  oratoire,  vul- 
))  gai  rement  nommé  Osouër-le- Voulgis.  le  veux  dire  pour  l'expli- 
»  cation  de  ce  mot  Usouër,  que  c'est  un  terme  corrompu,  selon  la 
»  prononciation  brioise,  coustumière  de  mettre  un  S  pour  un  R, 
»  àl'opposite  du  prouerbe  Eretriensiwn  Rho\  et  ainsi  fault  dire 
»  Orouer,  qui  est  la  vieille  diction  traduicte  du  mot  latin  Ora- 
»  torium,  tourné  par  les  modernes  en  Oratoire  ;  et  en  ce  sens 
»  OsoYER -LE- Voulgis  veult  signifier  l'Orouer  ou  Oratoire  du  che- 
»  valier  et  seigneur  de  Voulgis.  » 

Le  manoir  ou  hôtel  seigneurial  d'Ozouer,  ainsi  que  les  bâtiments 
de  la  ferme  donnés  aux  Célestins  de  Marcoussis,  enveloppaient  en 
partie  l'église  paroissiale,  ainsi  qu'on  le  voit  encore  aujourd'hui. 

En  ce  qui  concerne  les  droits  politiques  d'Ozôuer-le- Voulgis,  il 
est  à  remarquer  que  les  habitants  n'auraient  pas  été  représentés  à 
la  rédaction  de  la  coutume  de  Melun  en  1560.  On  ne  trouve  au 
procès- verbal  que  le  nom  de  maître  Guillaume  Le  Lièvre,  leur 
curé,  qui  était  là  évidemment  comme  membre  du  Clergé,  et  non 
pour  le  Tiers-État. 


—  i40  — 

Kn.  IG14,  lors  de  la  convocation  des  États-Généraux  du  royaume 
sous  Louis  XIII,  encore  enfant,  ces  mêmes  habitants  comparais- 
saient à  l'assemblée  du  bailliage  de  Melun,  par  leur  syndic  pour 
le  Tiers;  le  curé  s'y  trouvait  aussi. 

En  1789,  l'assemblée  tenue  dans  la  paroisse,  pour  la  nomination 
des  députés  qui  devaient  comparaître  à  l'assemblée  générale  des 
bailliages  royaux  de  Melun  et  Moret,  convoquée  le  5  mars,  élisait 
pour  ses  représentants,  les  sieurs  Pierre  Chevalier  et  Jean-Louis 
Belesme,  tous  deux  vignerons  à  Ozouer. 

Garigny,  situé  sur  le  territoire  de  la  même  commune  devait 
être  un  hameau  avec  manoir  féodal,  à  environ  500  mètres  de  l'é- 
glise paroissiale.  Les  fondations  de  bâtiments  que  l'on  rencontre 
encore  en  fouillant  le  terrain  attestent  suffisamment  que  cet  en- 
droit a  été  habité;  mais  à  quelle  époque  peut-on  faire  remonter  sa 
destruction?  il  n'est  pas  facile  de  le  dire,  car  rien  dans  nos  anciens 
documents  ne  vient  nous  révéler  le  fait.  Toutefois,  il  est  certain 
que  Garigny  existait  encore  en  1406,  puisque  Jehan  de  Montagu 
en  faisait  don  au  monastère  qu'il  venait  de  fonder  ;  or,  nous  savons 
tous  que,  de  1420  à  1430,  la  Brie  et  le  Gâtinais  furent  ravagés, 
saccagés  et  brûlés  par  les  Anglais.  On  peut  donc,  sans  crainte  de 
trop  se  tromper,  reporter  à  la  fin  de  cette  période  décennale,  la  dis- 
parition du  manoir  de  Garigny  et  des  autres  habitations  dont  il 
devait  être  accompagné. 

Quant  à  Retal,  c'est  un  hameau  de  la  commune  de  Liverdy, 
appartenant  aussi  au  canton  de  Tournan.  Il  est  situé  à  2,700 
mètres  en  ligne  droite  d'Ozouer-le-Voulgis,  dans  la  direction  du 
N.-E.  Sa  population,  en  1866,  était  de  88  habitants. 

Il  y  aurait  encore  beaucoup  à  dire,  sans  doute,  sur  le  sujet  que 
j'ai  essayé  d'esquisser,  mais  le  temps  et  les  moyens  de  recherches 
m'ayant  fait  défaut,  je  passerai  de  suite  à  l'acte  d'acquisition  des 
terres  et  seigneuries  indiquées  plus  haut,  et  à  la  fondation  du 
monastère  de  Marcoussis. 

Cependant,  je  demanderai  encore  la  permission  de  faire  une  re- 
marqua avant  d'aller  plus  loin  :  c'est  que  les  600  livres  parisis  de 
rente,  dont  nous  allons  voir  doter  ce  monastère,  formeraient  aujour- 
d'hui une  somme  bien  considérable,  car  en  1405,  le  marc  d'or 
était  évalué  68  livres  15  sous,  et  aujourd'hui  il  vaut  en  métal 
monnayé  environ  734  francs ,  ce  qui  fait  plus  que  décupler  la 
somme.  Si,  en  outre,  on  considère  la  valeur  des  terres  aux  deux 
époques,  on  trouvera  une  bien  autre  différence.  En  effet,  Jehan  de 
Montagu  donnait  au  monastère  qu'il  fondait,  sans  y  comprendre 


—  ^4.1   — 

la  valeur  des  édifices  en  construction,  ni  les  bâtiments,  maisons  et 
manoirs  de  ses  seigneuries,  environ  930  arpents  d'héritages  prove- 
nant de  la  vente  que  venait  de  lui  faire  Gontier  Col,  moyennant 
6,200  écus  d'or  de  22  sous  6  deniers  chacun.  Porter  la  valeur  de 
tous  ces  biens  à  un  million  de  notre  monnaie  actuelle  ne  paraîtra 
sans  doute  pas  exagéré  (1),  et  comme  lesjCélestins  de  Marcoussis 
ne  devaient  pas  être  plus  de  treize,  le  prieur  compris,  on  voit  que 
ces  bons  religieux  pouvaient  vivre  sans  préoccupation  du  lende- 
main, et  que  ceux  qui,  pour  l'amour  de  Dieu,  pouvaient  faire  un 
tel  sacrifice  devaient  posséder  une  fortune  véritablement  colossale 
pour  l'époque. 

(l)  Les  fermes  d'Ozouer-le-Voulgis  et  de  Rétal,  terres^  prés  et  bois  en  dépendant, 
ainsi  que  le  bois  des  Seigneurs,  vendus  les  18  avril  et  20  août  1791,  28  juillet  1808 
et  10  décembre  1818,  en  exécution  des  lois  sur  les  biens  nationaux,  ont  rapporté  à 
l'État  plus  de  375,000  fr.  ce  qui  est  déjà  quelque  chose;  mais  tout  le  monde  sait 
que  la  vente  de  ces  biens  a  été  loin  d'atteindre  leur  valeur  réelle,  et  que  depuis 
les  époques  que  je  viens  de  citer,  les  biens  ruraux  ont  singulièrement  augmenté  de 
prix;  ce  qui,  joint  à  la  dépréciation  des  métaux,  vient  encore  ajouter  à  mes  appré- 
ciations. 


Vente  par  Gontier  Col,  trésorier  de  France,  à  Jehan,  seigneur  de  Montagu, 
vidame  de  Loannais,  de  la  seigneurie,  château,  tours,  maisons,  tille  et  terre 
d'Ozouer-le-Voclgis. 

A  tous  ceulx  qui  ces  présentes  lettres  verront,  Guillaume,  seigneur  de  Tignon- 
uille,  chevalier,  conseiller,  chambellan  du  Roy  nostre  Sire,  et  garde  de  la  prévôté 
de  Paris,  Salut.  Sçauoir  faisons  que  par  deuant  Jehan  de  La  Motte,  et  Jehan  Closier, 
clercs  nolaires-jurés  du  Roy,  nostre  Seigneur,  établi  au  Chastelet  de  Paris,  fut  pré- 
sent en  sa  personne  honorable  homme  et  saige  maistre  Gontier  Col,  trésorier  de 
France,  et  afferma  en  bonne  véritté  en  la  présence  desdicts  notaires  comme  en  ju- 
gement pardeuant  nous,  que  de  son  conquest  par  luy  faict  il  auoit,  joissoit  et  paisi- 
blement, possédoit,  et  que  à  luy  seul  et  pour  le  tout,  et  non  à  aultres,  sans  débats, 
contredicts  ou  empeschements  aulcuns,  compectoient  et  apartenoient,  compectent  et 
apartiennent  les  chastel,  chaslellenie,  maisons,  tour,  manoirs,  hostels,  reuenus,  cens, 
rentes,  prés,  bois  et  aultres  possessions  qui  s'ensuiuent  : 

Et  premièrement.  Le  cha.-tel,  chasiellenie,  tour,  maisons,  ville  et  seigneurie 
d'Ozouer-le-Vougis  assis  au  pays  de  Brie,  auquel  chastel  et  chaslellenie  sont  et 
appartiennent  les  choses  quy  s'ensuiuent:  C'est  assauouir  une  maison  assise  auprès 
ladicte  tour  en  laquelle  demeure  le  fermier  et  y  a  bonne  cave  et  bon  four. 

Item.  Une  chambre  assise  deuant  le  puis   estant  en  la  cour  dudict  chastel. 

Item.  Une  bonne  granche  couuerte  de  thuile,  à  mectre  et  hesbergier  deulx  cens 
muidz  de  grain. 

Item.  Au  bout  de  ladicte  grange  par   deuers  l'esglise,  a  bonne   maison   couuerte 

16 


—  242  — 

de  thuile,  ea  laquelle  a  deulx  estables  à  niectre  pourceaulx  et  deux  géliniers  très- 
beaulx. 

Ite77i.  Au  bout  de  ladicte  granche  à  bonnes  estables  toutes  neufues  pour  raectre 
chevaulx,  dedans  la  basse-cour. 

liem.  Hors  la  closture  de  ladicte  basse-cour,  à  belles  bergeries  pour  mectre  grand' 
foison  de  besles  à  laine,  à  corne  et  demourance  pour  le  fermier,  couuerte  de  chaulmes. 

Item.  Une  maison  ainsi  comme  elle  se  comporte,  assise  en  ladicte  ville  d'Ozouër, 
qui  est  esclieuë  au  seigneur,  en  laquelle  a  très  bel  jardin  garni  d'harbres  portans. 

Item.  Cent  et  douze  arpens  de  fleur  de  terre  à  fourment. 

Ite77i,  Vingt  arpens  d'aultres  terres  ou  enuiron,  dont  une  partie  est  baillée  à  cens, 
et  l'aultre  non. 

Item.  Onze  arpens  et  demy  de  préz  ou  enuiron,   dont  une   pièce   est   baillée   au 
fermier,  et  l'autre  est  retenue  pour  les  cheuaulx  du  seigneur. 
.  Item.  Le  jour  Sainct  Remy,  chacun  an,  enuiron  20  livres  parisis  de  menus  cens, 
portans  lods,  ventes,  saisines,  et  amendes  qui  se  perçoiuent  aussi  à  l'huis  de  la  tour. 

Item.  Le  jour  de  la  Sainct  Andry,  enuiron  seize  sous  ung  denier-maille  parisis 
de  menus  cens,  portans  lods,  ventes,  saisines  et  amendes  qui  se  perçoiuent  aussi  à 
l'huis  de  ladicte  tour. 

Item.  Le  lendemain  de  Noël,  chascun  doict  rente,  qui  doibuent  ledict  cens,  cinq 
gelines,  quatre  chappons  et  trois  septiers  d'avoine. 

Item.  Les  champarts  de  toutes  les  terres  à  champarts  estantes  autour  des  bois  des 
Usaiges,  ainsi  comme  on  a  accoustumé  les  cueillir. 

Item.  Le  jour  de  Nostre-Dame,  en  mars  et  le  jeudy  absolu,  4  sous  ung  denier 
tournois  de  menus  cens. 

Item.  Le  jour  de  la  Sainct  Jehan-Baptiste,  18  sous  6  deniers  parisis  de  menus 
cens. 

Item.  Environ  cent  coruées  que  d'été  que  d'hiver,  ou  se  le  seigneur  n'a  à  faire 
des  personnes,  chacune  doibt  2  sous  parisis  pour  la  cornée. 

Item.  Four  banier  en  ladicte  ville  ou  toutes  les  hostes  dudict  seigneur  sont  tenues 
de  cuyre  et  payer  6  deniers  parisis  pour  seplier,  communs  ans. 

Item.  A  ledict  seigneur,  en  ladicte  ville  d'Ozouër  et  appartenances,  toute  justice 
haulte,  moyenne  et  basse,  aulne,  mesure,  eschantillon  et  voyrie.  Et  tout  homme 
qui  mène  charrette  on  cheuaulx  par  les  bleds  ou  hors  la  voye  publique,  doibt 
7  sous  6  deniers  parisis  d'amende  au  seigneur,  pour  chacune  beste  ;  et  est  amoi- 
sonnée  la  justice,  sans  espaues  ni  forfaictures. 

Item.  tJne  place  à  molin  à  eaue,  au  dessus  de  la  fontaine. 

Item.  La  rivière  d'Hyères  au  lieudicl  Préfontaine,  laquelle  appartient  toute  au 
seigneur  et  non  à  aultre,  ni  aultry  n'y  peult  peschier. 

Item.  La  seigneurie,  tiers  et  dangier  de  365  arpents  de  bois  en  une  pièce  appelée 
les  Bois  des  Usaires  (usages)  d'Ozouër,  esquels  bois  à  très  bel  meirien  pour  mai- 
sonner,  et  esquels  aulcuns  des  hommes  et  hôstes  du  seigneur  ont  accoustumé  d'auoir 
leur  usaige  pour  eux  chauffer  et  édiffier  en  la  terre  dudict  seigneur  et  non  ailleurs, 
et  se  aiilcuns  dcsilicts  usaigiers  en  couppoit  ou  l'aisoit  coupper  pour  aullre  cause 
ou  vendoit  aulcune  pièce  dudict  bois,  il  forferoit  son  usaige  et  l'amenderoit  à  la 
voulenté  du  seigneur  ;  et  se  aulcnn  aullre  que  desdicts  usaigiers  y  estoit  trouué 
couppant  ou  emporlant  bois  (juelqu'il  soit  esdits  usaires,  il  forfaict  la  charrette  et 
3heuaulx,  les  coiigiiées  ou  serpes  et  amende  volontaire  audict  seigneur. 

Item.  Y  a  et  appartiennent  les  fiefs  cy-après  declairés  que  tiennent  les  personnes 
cy-après  nommées  : 

Et  premièrement,  Jacqueline,  femme  feu  Liénart  Lescuyer,  tient  un  fief  auquel 


—  M'a  — 

fief  à  vignes,  terres,  prés,  censives  et  aultres  choses,  et  le  tient  à  présent  Girardin 
de  Luxembour,  fauconnier,  demeurant  à  Braye-Conte-Robert,  à  cause  d'elle. 

Item.  Les  Loirs  et  ayans  cau^es  de  feu  messire  Gilles  Le  Gallois  en  tiennent  un 
fief,  et  le  tient  à  présent  Pierre  de  Beaumont,  à  cause  de  madame  sa  femme. 
Item,  u'icelluy  fiei  sont  tenus  trois  arrière-fiefs  que  tiennent  personnes. 
Item.  Simon  Marin  tient  ung  fief. 
Item.  D'icelluy  fief  est  tenu  un  arrière-fief. 
Item.  Ledict  Simon  Morin  tient  ung  aultre  fief. 

Item.  Messire  Guillaume  de  Harcourt,  tient  ung  fief,  à  cause  de  madame  sa  femme. 
Item.  Madame  jehanne  de  Marigny,  dame  du  Puiset  et  d'Audrezel,  tient  ung  fief. 
Item.  Jehan  Le  Bougueneau,  tient  ung  fief. 

Item.  Simon  Moreau,  sergent  à  cheval  au  bailliage  de  Meleun,  tient  un  fief  que 
Agnès,  femme  de  Simon  Barneau  souloit  tenir. 
Item.  Jehan  de  Villiers  tient  pareillement  ung  fief. 
Item.  Gilet  Poquet  tient  ung  iief. 

Item.  Jehanne  de  La  Granche,  jadis   femme  feu   Jehan  de  la  Granche,   écuyer, 
tient  un  fief. 

Item,  Deulx  fiefs,  qui  estoient  tenuz  dudict  Gilet  Poquet,  en  arrière-fief  d'Orouer, 
et  à  présent  sont  en  plein  fief  pour  certain  conquest  pieça  faict  par  Jehan  de  L'Hos- 
pital  et  sa  femme. 
Item.  Maistre  Jehan  Audreguel  tient  ung  fief. 
Item.  Maistre  Guy  de  Cosme,  tient  un  fief. 

Item.  Les  hoirs  ou   ayans  causes  de  feu  messire  Jehan  Le  Mercier,  tiennent  ung 
fief. 
Item.  Les  hoirs  ou  ayans  causes  de  feu  Denisol  Langlois,  tiennent  ung  fief. 
Item.  Ledict  maistre  Guy  de  Cosme  tient  ung  fief  qui  fust  Jehan  Le  Fébure. 
Item   Messire  Jehan  de  Fèvre,  chevalier,  maistre  d'Ostel  de  la  Royne,   tient  un 
fief. 
Item.  Les  hoirs  feu  messire  Jehan  Le  Viconte,  chevalier,  tiennent  ung  fief. 
Item.  Madame  Ysaheau  La  Girarde,  dame  de  Garigny,  tient  ung  fief. 
Tout  ce  qui  dict  est,  tenu  et  mouvant  en  fief,  du  Roy  notre  sire,  a  une  seule  foy 
et  horrfmaige,  à  cause  de  son  chastel  de  Meleun. 

Item.  Une  pièce  de  bois  assise  près  de  ladicte  ville  d'Orouer,  nommée  les  Bois 
du  Brûlis,  contenants  huict  vingts  et  dix  arpens  ou  environ,  tenant  d'une  part  aux 
chanoines  du  Vivier  en  Brie,  et  d'autre  part  à  Jehan  de  Gragy,  et  sont  tous  en 
coupe. 

Item.  Une  aultre  pièce  de  bois,  nommée  les  bois  de  Gragy,  contenante  quarante 
quatre  arpens  ou  environ,  tenant  d'une  part  aux  bois  qui  furent  Liénard  de  Landes, 
et  d'aultre  part  ausdicts  bois,  du  Brûlis. 

Item.  Deulx  aultres  pièces  de  bois  contenante  chascunes  vingt-quatre  arpens,  et  sont 
tous  lesdicts  bois  en  coupes  et  tenus  des  seigneurs  ou  seigneur  qui  se  peut  mouvoir. 
Item.  S'ensuict  la  desclairation  des  bois  de  l'isle,  assis  près  dudict  lieu  d'Orouer, 
contenaus  six  vingts  et  dix  arpens  ou  environ,  et  sont  en  coupes. 

Item.  A  èsdicts  bois  de  l'isle,  justice  moyenne  et  basse,  et  plusieurs  nobles  fiefs 
tenus  à  cause  de  la  seigneurie  desdicts  bois  desquels  la  desclairation  est  telle  : 

Et  premièrement.  Messire  Jehan  de  Montanglaust,    tient  son   haut  ostel   de  Vi- 
gnoUes,  si  comme  il  se  comporte,  ensemble  les  jarains  et  vignes,   terres  et  aultres 
choses. 
Item.  A  auxdiots  bois,  justice  moyenne  et  basse,  jusqu'à  60  sols  1  denier. 
Item.  Ledict  chevalier  tient   ung  aultre  fief  à  cause  desdicts  bois,  c'est  asscavoir 


—  244  — 

sa  basse  maison  que  il  a  à  VignoUes,  appellée  le  bas  Ostel ,    ensemble  les  vignes 
terres  et  aultres  choses  appartenantes  à  icelluy  ostel. 
Item.  Dudict  fiefs  sont  tenuz  sept  arrière-fiefs. 

Item.  La  femme  feu  maistre  Jehan  Gouin,  tient  ung  fief  desdicts  bois  de  l'isle, 
séant  au  Putoy. 

Item.  Messire  Loys  de  Villiers,  seigneur  de  Neufmoustiers^  tient  ung  fief  à  La 
Chapelle-Houyes. 

Tout  ce  que  dict  est,  tenu  en  fief  à  une  seule  foy  et  hommaige  du  Roy  nostre 
Sire,  à  cause  de  son  chastel  de  Tournan. 

Item.  L'ostel,  terre,  s^eigneurie  et  appartenances  de  Retalles,  assises  en  Brie,  au- 
quel ostel  et  seigneurie  appendent  et  appartiennent  les  héritaiges,  reuenus  et  pos- 
cesbious  cy-après  déclairés. 

Et  premièrement.  Ung  ostel  ainsy  comme  il  se  comporte,  clos  de  murs  ou  il  y  a 
plusieurs  salles,  chambres,  four  et  aultres  hébergemens. 

Item.  Près  d'icelluy  ostel  a  bonne  granche  et  estables  couuertes  de  thuile. 

Item.  Derrière  ledict  hostel  et  joignant  des  murs,  quatre  arpens  de  bois  qui  ont 
vingt  aus. 

Item.  Devers  Liverdis  à  environ  vingt  arpents  de  bois  appelés  le  Buisson  Menes- 
sier,  lesquels  sont  en  coupe. 

Itein.  Quatrevingt  arpens  de  terres  labourables  appartenant  audict  hostel. 

Item.  Cinq  arpens  de  pré  appartenans  à  iceluy  hostel  de  Retalles. 

Item.  Au  plus  près  dudict  hostel,  à  un  pièce  de  bois  contenant  cinquante  arpens 
qui  furent  Jehan  de  La  Folie,  tenant  aux  usaiges  de  Chastres,  et  sont  tous  bons  à 
coupper. 

Item.  Neuf  solz  parisis  de  menus  cens  appartenans  audict  hostel  de  Retalles;  les- 
quels se  payent  chacun  an  le  jour  de  la  Sainct  Rémy,  portans  lods,  ventes,  saisines 
et  amandes. 

Item.  Au  près  des  murs  dudict  hostel  a  ung  étang  tout  refait  de  neuf,  contenant 
environ  4  arpens  d'eau  et  est  bien  peuplé. 

Item.  A  audict  lieu  justice  moyenne  et  basse. 

Item.  S'ensuivent  plusieurs  fiefs  appelés  les  fiefs  de  Combreux,  appartenant  audict 
lieu  de  Retalles.  Et  premièrement,  y  a  dix  arpents  ou  environ  de  bois  qui  sont  en 
coupe,  et  sont  vendus  quatre  escus  l'arpent^  et  sera  la  moitié  de  la  vente  et  du  paye- 
ment, passé  à  Noël  prochainement  venant. 

Item.  Guillaume  Le  Harle,  escuyer,  tient  ung  fief  à  cause  de  Combreux. 

Item.  Jehan  Robin,  demeurant  audict  Combreux,  tient  ung  fief. 

Item.  Guillaume  Poulet,  demeurant  à  Liverdis,  tient  ung  fief. 

Item.  Jehan  Berthault,  demeurant  à  Villegenard,  en  tient  ung  fief. 

Item.  Jehan  Le  Vasseur,  demeurant  à  Combreux,  tient  ung  fief. 

Item.  Pierre  Héron,  demeurant  à  Combreux,  tient  ung  fief. 

Item.  Denisot  Le  Roy,  tient  ung  fief. 

Item.  Les  hoirs  et  ayans  causes  de  feu  Jehan  de  Henery  en  tiennent  ung  fief,  et 
c'est  a-sçavoir  que  le  seigneur  de  Retalles  est  tenu  de  comparoir  par  procureur 
souffi:amment  fondé,  aux  assises  de  Tournant,  toutes  fois  que  elles  tiennent. 

Tout  ce  que  dict  est  tenu  et  mouvant  en  fief  du  Roy  nostre  Sire,  à  cause  de  sou 
chastel  de  Tournant. 

Item.  S'en  suivent  aultres  bois  joignant  desdicts  bois  de  Hetalles,  appartenans  à 
ce  lieu,  tous  en  une  pièce  contenante  cent  neuf  arpens,  que  le  seigneur  de  Retalles 
ja  pièça,  a  acheptée  de  Guichart  de  La  Folie,  qui  sont  bons  à  coupper,  tenuz  en  lief 
du  seigneur  de  Raineuille. 


—  245  — 

Item.  Au  plus  près  d'icelle  pièce,  a  une  aullre  pièce  de  buis  conteuaate  cinquante 
arpens,  laquelle  ledict  seigneur  ja  pièça  a  acheplée  de  feu  Liénart  de  Landres  et  de 
ses  enfans,  tenue  en  fief  de  madame  Isabeau  La  Girrarde,  dame  de  Garigny. 

Item.  Une  aultre  pièce  de  bois  appellée  le  bois  des  usaires  (usages),  contenante 
quatrevingt  dix  arpens  que  ledict  seigneur  à  ja  pièça  acheptée  dudict  de  Landres  et 
ses  enfans,  tenue  en  fief  des  religieux  Chartreux  de  Paris,  à  cause  de  leur  justice  de 
Soulère  (Solers);  et  afferma  (affirma)  en  outre  ledict  mai-tre  Confier  Col,  que  les 
héritaiges  reuenus  et  pocessions  dessus  désignés  n'étoient,  ne  (ni)  ne  sont  obligés, 
affermés  ne  hypotecqués  enuers  quelconques  personnes  que  ce  soit  ou  peust  estre. 

Lesqnieux  seigneuries,  terres,  héritaiges,  cens,  reuenus  et  pocessions  dessus  dé- 
clairés,  et  généralement  toutes  les  terres  et  aultres  héritaiges,  reuenus,  cens,  rentes, 
prés,  bois,  aulnois,  fiefs  et  arrière-fiefs,  appartenances  et  deppendances  des  lieux 
d'Orouër,  de  Relaies,  en  quelques  lieux  qu'ils  soient  scitués  et  assis  sans  aulcune 
chose  en  rescruer  ou  retenir.  Icelluy  maislre  Gontier,  de  son  bon  gré  et  Youlenté, 
propre  mouvement  et  certaine  science,  sans  aulcune  force;  erreur  contrainte  ou  dé- 
céuance,  mais  pour  son  cler  et  évident  prouffit,  et  ces  choses  en  mieux  réformer,  si 
comme  il  disoit,  reconnut  et  confessa  avoir  vendu,  quictté,  cédé,  transporté  et  dé- 
laissé, et  par  la  teneur  de  ces  présentes  lettres,  vend,  quictte,  cedde,  transporte  et 
délaisse  dès  maintenant  à  toujours,  perpétuellement  et  héritablement  sans  intencion 
de  jamais  rappeler,  ne  uenir  en  contre,  a  promis,  et  encore  promect  garendir, 
déliurer  et  deffendre  enuers  et  contre  tous,  de  tous  troubles,  dettes  et  aultres  obli- 
gations, hypothèques,  seruitudes,  dons,  douaires,  transports  et  contre-pièges,  en- 
gagements et  de  tous  aultres  empeschemens  quelconques,  toutefois  et  quantes  que 
mestier  en  sera,  à  noble  et  puissant  seigneur,  monseigneur  Jehan,  seigneur  de 
Montagu,  vidame  de  Lannois  (Laonnais),  cheualier,  conseiller  et  souverain  maistre 
d'hostel  du  Roy,  nostre  dict  seigneur,  achepteur  pour  luy,  ses  hoirs,  et  pour  ceulx 
qui  de  luy  auront  cause  au  temps  aduenir.  Ceste  vente  faicte  pour  le  prix  et  somme 
de  6,200  escus  d'or  de  22  sols  6  deniers  tournois  pièce,  que  ledict  vendeur  en  confessa 
auoir  eus  et  receus  dudict  achepteur,  franc  et  quiclte,  icelluy  vendeur,  et  dont  il 
se  tient  pour  content  et  bien  payez,  et  en  quitta  et  quitte,  clama  bonnement,  pure- 
ment et  absolument  à  tousiours,  sans  rappel,  ledict  achepteur,  ses  hoirs  et  aians 
causes  et  tous  aultres,  à  qui  quittances  en  pouuoit  appartenir.  Et  d'iceux  héritaiges, 
reuenus  et  pocessions  dessus  desclairés,  ainsi  vendus  comme  dict  est  ;  icelluy  ven- 
deur se  dessaisi  et  deuesti  ès-mains  desdicts  notaires,  comme  en  la  nostre  souue- 
raine,  pour  le  Roy,  nostre  seigneur,  en  voulant  et  consentant  que  par  le  bail  et 
ostancion  de  ces  présentes  lettres  ledict  achepteur  ou  son  procureur  pour  lui,  en 
feust  et  soit  mis  en  pocessioo  et  saisine,  foy,  hommaige  ou  souffrance,  par  tout  et 
où  il  appartiendra.  Et  d'abondant  pour  luy,  démettre  de  la  foy,  hommaige,  poces- 
sion  et  sa'sine,  en  quoy  il  étoit  des  choses  dessus  dictes,  icelluy  vendeur  fit,  or- 
donna, constitua  el  establit  ses  procureurs  généraux,  et  certains  messages  spéciaux, 
Gilol  de  Pont-de-Pierre,  Estienne  de  La  Croix,  Jehan  de  Sainct-Mesmes  et  Robin 
Auuré,  et  le  porteur  de  ces  présentes,  et  chacun  de  eux  par  soy  et  pour  le  tout; 
portant  ces  lecttres,  ausquels  il  donna  et  octroya  plain  pouvoir,  auctorité  et  mande- 
ment spécial  de  ce  faire  et  tout  ce  que  au  cas  appartiendra,  promettant  ledict  ven- 
deur, par  son  serment,  et  par  la  foy  de  son  corps  pour  ce  baillée  corporellement  es 
mains  desdicts  notaires,  la  vente,  quittance,  transport  et  choses  dessus  dictes,  à 
auoir  agréables,  et  tenir  fermes  et  stables  à  tousiours,  sans  aller  faire  dire  ou  venir 
en  contre  par  luy,  ne  par  aultre  ouuertemeat  ou  eu  appert  par  voye  d'erreur,  d'i- 
gnorance, art,  engin,  cautelle  ou  déceuame,  ne  par  qnelqu'aultre  voyes,  causes  ou 
raisons  que  ce  soit  ou  peust  estre.  Et  rendre  ou   payer  à  plain  et  sans   plaid,   tous 


—  246  — 

coux,  fraix,  mises^  dépens,  dommaiges,  journées  et  intérests  qui  faictz  seroienl  par 
deffaux  de  ce  que  dict  est,  non  tenu  en  terme  et  non  accomply.  Obligeant  quand 
ad  ce  ledict  vendeur  luy,  tous  ses  biens  et  les  biens  de  ses  hoirs,  meubles  et  im- 
meubles, présens  et  adueuir  qu'il  soumit  à  justicier,  vendre,  exploicter  par  nous, 
nos  successeurs  préuost  de  Paris  et  par  toutes  aultres  justices  et  juridictions  où  ils 
seront  et  pourront  estre  trouués.  Renonçant  en  ce  faict  expressément,  icelluy  ven- 
deur par  sesdicls  sermens  es  foy  dessus  dicts,  à  toutes  exceptions  de  déception,  à 
toutes  barres,  cautelles,  cauillations,  raisons,  deffenses  et  oppositions  à  action  ea 
faict,  à  condition  sans  cause  ou  de  non  juste  et  indue  cause;  à  convention  de  lieu 
et  de  juge,  à  tout  ayde  de  faict  et  de  droit  escript  et  non  escript,  canon  et  ciuil,  à 
l'exception  de  ladicte  somme  de  six  mille  deux  cens  escus  d'or,  non  auoir  eue  et 
receue  comme  dict  est,  à  la  déception  d'oultre  la  mbitié  de  juste  prix;  à  tous  pri- 
uiléges,  grâces,  respits,  lecllres  d'estat,  dispensalions  et  absolutions  quelconques 
données  ou  à  donner,  impestrées  ou  à  impestrer  de  quelque  prince  ou  prélat  que  ce 
soit  où  puisse  être,  et  a  tout  ce  généralement  qui  aider  et  valoir  en  pourroit  à  dire, 
venir  ou  opposer  à  ces  lecttres,  et  les  choses  contenues  en  icelles,  et  au  droict  di- 
sant générale  renonciation  non  valoir.  En  témoing  de  ce  nous,  à  la  relation  des- 
dicts  notaires,  auous  mis  à  ces  lecttres  le  t^ceau  de  ladicte  preuosté  de  Paris,  qui 
furent  passées  et  accordées  doubles,  l'an  de  grâce  rail  quatre  cent  cinq,  le  samedy 
sixiesme  jour  du  mois  de  mars.  Signé  Closier  et  de  La  Mothe,  auec paraphe. 

Collationné  à  l'original  en  parchemin  ;  ce  fait,  à  l'instant  rendu,  par  les  con- 
seillers du  Roy,  notaires  au  chaslelet  de  Paris,  soussignez;  cejourd'hui  dixième  mars 
mil  sept  cent  trente  huit.  Signé  :  Dulion  et  Lemoine. 

Fondation  du  monastère  des  Célestins  de  la  Sainte-Trinité  de  Marcoussis,  par 
Jehan,  seigneur  de  Montagu  et  de  Marcoussis,  vidame  de  Laonnais,  et  Jac- 
queline DE  La  Grange,  sa  femme  (1). 

A  tous  ceulx  qui  ces  lettres  verront,  Guillaume,  seigneur  de  Tignonuille,  cheual- 
lier,  conseiller,  chambellan  du  Roy  nostre  Sire,  et  garde  de  la  prevosté  de  Paris, 
Salut.  Sauoir  faisons  que  par  deuant  Jehan  Closier  et  Andry  Lépreux,  clercs,  no- 
taires du  Roy,  nostre  Sire,  au  Chastelet  de  Paris,  furent  présens  nobles  et  puis- 
santes personnes  monseigneur  Jehan,  seigneur  de  Montagu  et  de  Marcoussis,  vidame 
de  Laonnais,  cheuallier,  conseiller  et  souuerain  maisire  d'oslel  du  Roy,  nostre  dict 
seigneur,  et  madame  Jacqueline  de  La  Grange,  sa  femme,  à  laquelle  ledict  seigneur 
son  mary  donna  et  octroya,  et  elle  print  et  receu  en  elle  agréablement  plain  pouuoir, 
licence  et  auctorilé  de  faire,  passer  et  accorder  d'elle  avecques  liiy,  ce  que  s'cnsuict  : 
lesquels  seigneur  et  dame  meus  de  deuotion,  considérans  que  le  pellérinaige  et  les 
biens  temporels  et  mondains  de  cette  vie  transitoire  sont  ordonnés  de  Dieu  qui  tous 
biens  a  prestes,  rérnémorans  et  aussy  considérans  les  très  grands  biens  et  honneurs 
que  ils  ont  eus  et  receus  du  Roy  Charles  et  de  la  royne  Jehanne  de  Bourbon,  der- 
nièrement trespassés,  dont  Dieu  ayt  les  âmes  ;  du  roy  Charles,  nostre  seigneur,  et 
de  la  royne  Isabelle  de  Bauière,  qui  à  présent  sont,  et  de  toute  la  très  noble  lignée 
et  Maison  do  France,  et  en  l'oniieur,  loange  et  réuérance  de  Dieu  le  père,  le  fils  et 
le  Sainct-Esprit,  ungDieu  vraye  et  Samcte  Trinité,  et  delà  glorieuse  vierge  Marye, 
nostre  dame,  sa  mère;  de  messieurs  Sainct  Jchan-Raptiste  et  éunngéliste,  et  de 
monsieur  Sainct  Jacques,  grant  et  petit  apostrcs,  et  de  tous  les   benoists  saiucts  et 

i\)  Une  information   de  (îoninioili)  et  inconiinoflo  sur  cotli;  tondation  a  eu  lieu  le  jeudi  17  no- 
veiubru  1107,  par  Hugues  Gunigant  cl  Nicolas  Despre/.,  conniiis  à  cet  ellet. 


—  247  ' 

sainctes  de  Paradis,  et  pour  auoir  messes,  prières  et  aultres  biens  espirituels  perpé- 
tuellement pour  lesdicts  roys  Charles  et  la  Royne  derrenièrement  trespassés  ;   pour 
le  roy  Charles,  nostre  Sire,  leur  fils,  et  pour  ladicte  Royne,  qui  à  présent  sont  nos 
seigneur  et  dame;  leurs  enfans;  les  roys  Loys  de  France  et  de  Nauarre;  M?''  le  duc 
de  Bourgogne,  Ms^  le  duc  de  Berry,  Ms^  le  duc  d'Orléans,  et  pour  tous  nos  aultres 
seigneurs  et  dames  de  France;  pour  le  salut  des  âmes  de  leurs  nobles  personnages, 
Ms""  Girard,  seigneur  de  Montagu,  et  de  madame   Bicete   de   Cassinel,   sa   femme, 
père  et  mère   dudict  messire  Jehan,  seigneur  de  Montagu  ;   de  feu    noble   homme 
Mgr  Etienne,  seigneur  de  La  Grange,  et  de  madame  Marie  Dubois,  sa  femme,  père 
et  mère  de  ladicte  madame  Jacqueline  ;   pour   icelluy  seigneur  de  Montagu,    grant 
maistre  d'ostel  du  Roy,  nostre  dict   seigneur;   de   ladicte   madame  Jacqueline,   sa 
femme,  et  leurs  enfans  ;  pour  réuérens  pères  en  Dieu,  Ms'  l'éveque  de  Chartres  et 
Ms''  l'éveque  de  Poictiers,  frères   dudict   seigneur,  et  pour  tous   les   aultres   frères 
et    sœurs,     parens    et    amis,    prédécesseurs    et   successeurs  ;     et     pour    la    très 
grant    et     singulière    amour,     deuocion    et    affection   que     lesdicts    seigneur    et 
dame   au  aient  et   ont   enuers  la  saincte  et   dénote  ordre  de  M'   Sainct  Benoist, 
selon   les   statuts    de    Ms':   Sainct-Père    Célestin,    et    en    accroissement    et  aug- 
mentacion  du  seruice   diuin,  et  affin  que  lesdicts  roy   Charles  et  la  Royne  derre- 
nièrement  trespassés,  le  roy   Charles,   nostre  sire,  et   la  Royne  qui  à  présent  sont 
nos  seigneur  et  dame,  leurs  enfants,  lesdicts  roys  Loys  et  de  Navarre,  Ms''  le   duc 
de  Berry,  Ms^  le  duc  d'Orléans,  Ms"^  le  duc  de  Bourgogne  et  nos  aultres  seigneurs 
et  dames  de  France  ;  lesdicts  Me's  de  Montagu  et  de  Marcoussis,  madame  Jacqueline, 
sa  femme;  leurs  enfans  et  leurs  frères  et  tous  leurs  prédécesseurs  et  successeurs  soient 
toujours  plus  accueillis  et  accompagnés  et  participans  en  toutes  les  messes,  prières, 
oraisons  et  biens  spirituels  qui  ont  esté   et   seront  faictes  par  les   religieux  dudict 
ordre,  ont  voulu,  ordonné  et  disposé  lesdicts   seigneur   et  dame  de  Montagu  et  de 
Marcoussis,   et   par   cest  présentes  veulent,  ordonnent  et  disposent,  a   l'ayde   de 
Dieu,  ung   monastère,   esglise  et  habitacions  conuenables  pour  ung  couuent  d'ung 
prieur  et  de  douze  relligieux  dudict  ordre  des  Célestins,  esfrefaict,  construict,  eddiffié 
et  estably  à  l'onneur  et  an  tiltre  de  la  benoiste  et  glorieuse  Trinité,  au  lieu  et  place 
ja  commencée  et  eddiffié  audict   lieu  de  Marcoussis,   assis  près   du  chastel  et  parc 
dudict  lieu  ;  lequel  lieu  et  place  grant  et  souffisant,  auecques   les   choses   cy-après 
desclairées.   Iceux   seigneur  et  dame  de  Montagu  et  de  Marcoussis  pour  ces  causes 
ont    donné,   quicté,   ceddé   et  transporté  à  tousiours,   perpétuellement   à  Dieu,  à 
Saincte  Esglise,  audict  ordre,  relligion,  au  prouincial  d'icelle  et  aux  prieur  et  frères 
qui  seront  mis  et  ordonnés  par  ledict  ordre  et  relligion  audict   lieu,  pour  estre   par 
iceulx   relligieux   et  leurs   successeurs,   tenus,   habités  et  possédés  perpétuellement 
comme   amortis,   pour  eulx  demeurer,   habiter  et  perpétue llement   faire  le  seruice 
diuin.  Et  pour  la  sustencion  d'iceulx  prieur  et  douze  relligieux,  leurs  oblats  et  ser- 
uiteurs  et  aultres  personnes  que  Dieu  y  amènera,  leur  ont  donné   et  donnent  par 
ces  présentes,  à  tousiours  perpétuellement,   iceulx  seigneur  et  dame  de  Montagu  et 
de  Marcoussis,  six  cens  liures  parisis  de  rente  annuelle  et  perpétuelle,  toutes  amor- 
ties du  Roy,  nostre  dict  seigneur,  et  de  tous  aultres   seigneurs  à  qui   ce   pourroit 
toucher  et  appartenir  en  quelque   manière   que   ce   soit^    assis    es   lieux   qui   s'en- 
suiuent  (1).  C'est  assauoir  la  tour,  hostel,  maisons,    manoir   d'Orouer-le-Bougj',   de 
Gariguy  et  de  Rétalles  en  Brie,  auecques  toutes  les  terres,  prés,  bois,  viuiers,  cens, 
rentes,  fiefs,  arrière-fiefs,  issues,  reuenus,  seigneuries,  héritages  et  possessions,   et 
toutes  les   appartenances  et  appenddances  d'iceulx  lieux,   plus  à  plein   contenus   et 

(i)  Cet  amortissement  est  du  16  juin  110", 


—  248  — 

desclairés  es  lecttre?  et  tiltres  des  acquisitions  d'iceulx  lieux,  faictes  par  lesdicts 
seigneur  et  dame,  lesquelles  choses  dessus  dictes,  lesdicts  fondeurs  ou  baillé,  donné 
et  assis  à  ladicte  fondation  et  relligieux  en  prix,  -valleur  et  estimacion  de  deux  cens 
et  quatrevingt  liures  parisis  de  rente  annuelle  et  perpétuelle  en  leur  donnant 
et  transportant  toutes  les  issues  et  reuenus  des  choses  dessus  dictes  echeues  depuis 
l'acquisition  d'icelles. 

Item.  L'hostel,  manoir,  pressoir,  maisons  et  habitacions  auecques  toutes  les  terres, 
prés,  bois,  vjgnes,  cens,  rentes,  fiefs,  arrière-fiefs,  issues  et  reuenus,  justices,  sei- 
gneuries, héritaiges  et  possessions  de  Villesauuaige  et  de  la  ville  de  Saclais,  en 
Beausse,  auecques  toutes  les  appartenances  et  appendances  d'icelles  villes,  sans  rien 
excepter,  plus  à  plain  desclairés  es  lecttres  et  tiltres  des  acquisions  d'iceulx  lieux, 
lesquels  lieux  baillés  lesdicts  fondeurs  ont  baillés  et  baillent  à  ladicte  fondation  et 
relligieux,  en  prix,  valleur  et  estimacion  de  deulx  cens  quaraaie  livres  parisis  de 
renie,  et  le  surplus  qui  reste  desdicts  six  cens  liures  parisis  de  rente,  montant  icelluy 
surplus  quatrevingt  liures  parisis  de  rente,  sera  prins,  baillé  et  assigné  à  ladicte 
fondation  et  relligieux  es  droicture  et  bois  de  Fouchainville,  et  es  bois  d'abondant 
et  es  aultres  terres,  bois,  cens,  rentes,  héritaiges  et  possessions  sans  labour,  que  les- 
dicts fondeurs  ont  audict  lien,  au  plus  près  de  ladicte  ville  de  Fouchainville  qui 
seront  desclairés  plus  à  plain  en  l'assiette  qui  en  sera  faicte.  Lesquelles  six  cens 
liures  parisis  de  rente  seront  cueillies,  leuées,  receues,  conuertis  et  employées  es 
liures  utenciles,  et  aultres  utilités  dudict  monastère,  par  ledict  provincial,  leur  pro- 
cureur des  Célestins  de  Paris  et  leurs  députés,  selon  leur  ordonnance  et  discrétion, 
jusqu'à  ce  que  lesdicts  prieur  et  relligieux  soient  mis  audict  monastère  pour  faire 
l'office  diuin. 

Item.  Lesdicts  fondeurs  ont  voulu  et  ordonné,  veulent  et  ordonnent  que  ledict 
monastère,  esglise,  eddiffices  et  clostures  d'icelluy  soient  faicts  et  parfaicts  bien  et 
pouffisamment,  et  selon  qu'ils  sont  commencés,  et  que  icelluy  monastère  soit  bien 
et  souffisamment  libre  de  liures  d'esglise  et  d'auctres  liures  de  théologie  et  des 
saincts  docteurs,  conuenables  audict  ordre  et  soulfisamment  garny  de  vestemens  et 
ornemens,  calices  et  joyaulx  d'esglise,  et  aultres  meubles  nécessaires  et  utiles  anx- 
dicts  relligieux  et  monastère,  et  aux  office  d'icelluy,  et  tellement  que  bien  et  conue- 
nablement  lesdicts  relligieux  puissent  demeurer  audict  monastère,  faire  l'office  diuin 
et  garder  leur  relligion.  Et  pour  ce  desja,  lesdicts  fondeurs  entre  les  aultres  choses 
ont  donné  et  donnent  auxdits  relligieux  et  fondation,  une  notable  croix  d'or,  en 
laquelle  sont  les  imaiges  du  Cruxifils,  de  Nostre-Dame  et  de  Sainct  Jehan  ;  une 
grant  quantité  de  la  vraie  croix,  une  des  espines  de  la  saincte  couronne  de  Nostre 
Seigneur  Jésus-Christ;  et  en  un  grant  pied  d'argent  porl.mt icellc,  sont  les  imaiges 
prians  desdicts  fondeurs  et  deux  angelos  teaans  un  tableau  auquel  sont  plusieurs 
sainctes  relliques  ;  lesquelles  relliques  desdicts  fondeurs  affermèrent  (affirmèrent) 
auoir  eues  et  esté  prinses  en  la  présence  dudict  seigneur  de  Montagu  et  de  Mar- 
coussis,  des  sainctes  relliques  de  la  saincte  chapelle  du  palais  du  Roy,  nostre  sire; 
de  laquelle  croix  tous  les  imaiges  sont  d'or,  et  en  icelle  a  grant  quantité  de  plusieurs 
diuerses  pierres  précieuses. 

Item.  Ont  donné  et  donnent,  lesdicts  fondeurs  à  iceulx  relligieux  et  fondation, 
ung  iraaige  d'or  de  M''  Sainct  Jehan-Baptiste  tenant  ung  des  dens  dudict  M'  Sainct 
Jehan,  que  ledict  M8'  le  duc  de  Berry  a  donné  et  affermé  audict  seigneur  de  Mar- 
coussis,  auoir  esté  prins  au  chii  f  de  Mf  Sainct  Jehan-Baptiste,  eslaiiL  en  l'esglise 
de  M"'  Sainct  Jehan  d'Angéiy. 

Item.  Ung  aultrc  imaige  d'or  de  M^  Sainct  Anininr.  tçiKiiil  un  gr:int  os  du  bras 
de  M''  Sainct    Antoine,   que    h'dict    fondenr  a  ini  pai-  le  moyen  du  J{oy,  nostre  dict 


—  249  — 

seigneur^  et  estoit  suuffisaînment  informé  que  icelluy  os  feiist  piéça  donné  par  les 
relligieux  de  Sainct  Antoine  de  Viennois  à  ung  de  W.M.  les  ducs  de  Bourbon,  pour 
rémunération  d'ung  très  grant  seruice  que  il  auoit  faict  auxdicts  relligieux  de  Sainct 
Antoine  de  Viennois,  et  à  leur  esglise.  Et  parmy  ce,  lesdicts  relligieux,  prieur  et 
couuent  qui  seront  mis,  rendus  et  ordonnés  audict  monastère  et  esglise  dudict  lieu 
de  MarcouEsis  et  leurs  successeurs,  seront  tenus  de  faire  le  seruice  diuin  de  jour  et 
de  nuict,  aux  heures  ad  ce  ordonnées  et  accoustumées,-  et  tel  que  à  l'ordre  et  relli- 
gion  desdicts  célestins  appartient  à  faire,  et  par  chacun  an,  durans  les  vies  d'iceulx 
fondeurs,  seront  tenus  iceulx' relligieux  et  leurs  successeurs,  faire  deulx  seruices  so- 
lempnels  du  Sainct  Esprit,  à  tels  jours  comme  iceulx  fondeurs  feurent  n'^s,  et  après 
leurs  trespassemens  seront  aussy  tenus  iceux  relligieux  et  leurs  successeurs,  faire 
deulx  aubis  et  anniuersaires  solempnels  chacun  an,  perpétuellement  pour  le  salut 
des  âmes  des  Roy,  Royne,  leurs  enfans  et  seigneurs  dessus  nommées,  et  aultres 
seigneurs  et  dames  de  France,  et  desdicts  fondeurs,  messeigneurs  les  éuesques  des- 
sus dicts,  leurs  frères,  et  de  leursdicts  feux  pères  et  mères  et  aultres  parens  et  amis, 
prédécesseurs  et  successeurs,  à  telles  journées  comme  lesdicts  fondeurs  yront  de  vie 
à  trespassement;  et  afin  de, mémoire  perpétuelle  de  toutes  les  choses  dessus  dictes, 
seront  tenus  iceulx  relligieux  et  leurs  successeurs  de  les  escrire  et  enregistrer  en 
ung  liure  de  martirologe  qui  sera  faict  pour  l'esglise  et  mouastère  dudict  lieu  de 
Marcoussis,  et  promistrent  lesdicts  fondeurs  et  chacun  de  eulx  par  leurs  successeurs 
et  par  la  foy  de  son  corps  pour  ce  baillée  corporellement  es  rnains  desdites  notaires, 
auoir  agréables  et  tenu  ferme  et  estables  à  tousiours,  ceste  présente  fondation,  dé- 
vocion  et  ordonnance,  et  toutes  les  choses  en  ces  lecttres  contenues  et  escriptes, 
sans'aller,  venir,  faire  ou  dire  contre  par  voye  d'erreur,  d'ignorance,  de  décévance 
ne  autrement,  comment  que  ce  soit  ou  peust  estre,  et  rendre  et  payer  à  plain  tous 
coust,  mises,  deppens  et  intérests  qui  faicts  et  soutenus  seroient,  en  défauts  de  ce 
que  dict  est  non  accomply,  obligeant  quant  ad  ce,  lesdicts  fondeurs,  tousle'irs  biens  et 
les  biens  de  leurs  hoirs,  meubles  et  immeubles  présens  et  avenir,  que  ils  soubmistrent 
quant  ad  ce,  à  la  juridiction  et  contraincte  de  la  prevosté  de  Paris,  et  de  toutes 
aultres  justices  soubs  qui  juridiction  ils  seront  et  pourront  estre  trouvés.  Et  renon- 
cèrent iceulx  fondeurs,  par  leurs  dicts  sermens  et  foy,  à  toutes  exceptions,  décep- 
tions, oppositions,  priuiléges,  lecttres,  impeltrations,  dispensations,  absolutions,  rai- 
sons et  défenses  à  action  sans  cause  ou  de  non,  juste  et  indue  cause,  et  généralement 
à  toutes  aultres  choses  quelconques,  qui  tant  de  faict  comme  de  droit  de  us,  de 
coustumes  ou  aultrement  aidier  et  valoir  leur  pourroient  aduenir,  faire  ou  dire 
contre  ces  lectres,  et  au  droict  disant  générale  renonciation  non  valoir  ;  en  tesmoing 
de  ce,  nous  à  la  relation  desdicts  notaires,  auons  mis  le  scel  de  la  preuosté  de  Pa- 
ris, passées  et  accordées  le  vendredy  vingtuniesme  jour  de  may,  l'an  mil  quatre 
cens  et  six.  Signé  :  A.  Lépreux,  auec  paraffe.  Et  sur  le  reply  est  escript  :  Veu  le 
brief  et  arrest  du  passement  de  cest  présentes  lecttres  qui  de  prime  face  apert  estre 
signé  des  saings  manuels  de  Andry  Lépreux,  notaire  du  Roy,  nostre  sire,  au  Chas- 
telet  de  Paris,  et  feu  Jehan  Closier,  en  son  viuant  aussy  notaire  dudict  Chastelet; 
et  après  ce  que  paur  Jehan  du  Conseil  et  de  Jacques  de  Rouen,  notaires  aussy  d'i- 
celluy  Chastelet,  nous  a  esté  affermé  les  saings  manuels  suscripls  audict  brief  estre 
les  propres  saings  desdicts  Andry  et  feu  Jehan  Closier,  nous  auons  ordonné  que  les- 
dictes  lecttres  seront  scellées  du  scel  de  la  preuosté  de  Paris,  nonobstant  que  ledict 
feu  Closier  soit  allé  de  vie  à  trespassement  auant  le  grossement  d'icelles  lecttres. 
Faict  par  maistre  Pierre  Leroy,  lieutenant,  le  raardy  vingtdeuixiesme  jour  d'apuril 
l'an  mil  quatre  cent  et  dix.  Signé  :  Doubsire,  auec  parafîe. 

CoUationné  à  l'original  en  parchemin  :    ce   fait  à  l'instant    rendu,    par   les   cou- 


—  250  — 

seillers  du  Roy,  notaires  au  Chàtelet  de   Paris,  soussij-'-nés.   Cejourd'liui   dix^.   mars 
1738. 

Signé  :  Dulion  et;Lemoine. 

Nous  venons  de  voir  Jehan  de  Montagu  recommander  aux 
prières  des  religieux  qu'il  établissait  sur  ses  domaines,  le  Roi  de 
Navarre,  les  ducs  de  Bourgogne,  de  Berry  et  d'Orléans,  ces  der- 
niers, princes  du  sang,  oncles  du  roi  Charles  VI.  Voici  comment 
ils  l'en  récompensèrent  :  le  7  août  1409,  ils  le  firent  arrêter  par 
Pierre  Des  Essarts,  prévôt  de  Paris,  et  lui  firent  trancher  la  tête 
le  i7  du  même  mois.  Son  corps,  attaché  au  gibet  de  Montfaucon, 
en  fut  retiré  le  28  septembre  1412  et  transporté  au  monastère 
qu'il  avait  commencé  à  faire  édifier  dès  1404,  où  il  fut  enterré 
avec  honneur.  (Toutes  les  histoires  de  France.) 


251  — 


ANTIQriTÉS  LOCilLES. 

COMPTE-RENDU  D'UNE  EXPLORATION  ARCHÉOLOGIQUE,  DANS  LA 
VILLE  DE  FONTAINEBLEAU, 

PAR    M.    MAXI3IE     BEAUVILLIERS, 
Membre  fondateur   (  iSection  de  Fontainebleau  ). 


«  L'étude  que  nous  avons  l'honneur  de  vous  communiquer, 
»  Messieurs,  a  été  provoquée  par  un  de  nos  collègues,  M.  Ron- 
n  sin.  Sur  sa  proposition,  une  commission  fut  choisie  dans  le  sein 
n  de  la  Section  de  Fontainebleau,  pour  visiter  plusieurs  habitations 
»  de  la  ville,  signalées  à  l'attention  de  la  Société. 

»  Elle  était  composée  de  MM.  J.  David,  président;  Max.  Beau- 
»  villiers,  rapporteur;  Jacquemin,  Ronsin  et  Gaultron. 

»  A  cette  commission  ,  s'étaient  adjoints  volontairement  , 
»  MM.  Goldschmidt,  Tabouret  et  Saint-Marcel. 

»  C'est  le  résultat  des  diverses  explorations  de  la  commission, 
»  que  votre  rapporteur  vient  vous  faire  connaître  aujourd'hui.  » 

§1". 
Maison  de  la  rne  des  !S»abIons. 

Sur  le  derrière  de  cette  maison,  du  côté  du  jardin,  le  long  d'un 
grand  bâtiment  faisant  retour  sur  l'habitation  principale,  l'on  re- 
marque trois  mascarons  en  gresserie  sculptée,  deux  chapiteaux  et 
une  salamandre,  encastrés  dans  le  mur,  rappelant  par  le  faire  et 
par  le  style,  les  œuvres  des  artistes  qui  concoururent  à  l'érection 
et  à  l'embellissement  de  la  partie  du  palais  de  Fontainebleau, 
construite  pendant  la  période  de  la  Renaissance. 

Avant  dépasser  à  l'examen  et  à  la  description  détaillés  des  cha- 
piteaux et  de  la  salamandre  de  la  rue  des  Sablons,  nous  aborde- 
rons et  nous  essaierons  de  résoudre  une  question  que  se  pose 
involontairement  celui  qui  visite  la  maison  de  M.  Bordereau. 

Ces  sculptures  ont-elles  toujours  fait  partie  de  cette  propriété, 
ou  bien,  ont-elles  été  rapportées  et  encastrées  dans  le  mur? 

Plusieurs  membres  ont  pensé  que  ces  gresseries  faisaient  corps 


—  2o2  — 

avec  le  bâtiment,  dont  elles  décorent  la  façade,  et  qu'elles  lui 
avaient  toujours  appartenu.  Ils  se  sont  fondés  pour  appuyer  cette 
opinion  sur  ce  qu'à  l'intérieur  de  la  pièce,  une  porte,  siîpprimée 
depuis,  affecte  la  forme  d'un  plein  cintre. 

Poursuivant  plus  avant  leurs  hypothèses,  et  examinant  avec 
soin  la  disposition  de  la  construction  oblongue  et  étroite  apparte- 
nant à  M.  Bordereau,  ces  mêmes  membres  se  sont  demandé  si  ce 
bâtiment  n'aurait  pas  été  jadis  le  promenoir  couvert,  le  cloître  en 
un  mot,  des  religieux  Trinitaires  ou  Mathurinsdo  Fontainebleau. 

La  majorité  de  votre  commission  ne  l'a  pas  pensé.  D'ailleurs, 
les  religieux  Trinitaires  ou  Mathurins  de  Fontainebleau,  ainsi  que 
votre  rapporteur  en  a  acquis  la  preuve,  en  consultant  le  P.  Guil- 
bert  et  les  autres  annalistes,  furent  constamment  logés  dans  les 
dépendances  de  la  demeure  royale. 

Par  sa  charte  de  juillet  1^39,  datée  de  Fontainebleau,  le  saint 
roi  Louis  IX  «  donne  en  perpétuelle  aumône  »  aux  frères  de 
l'ordre  de  la  Sainte-Trinité  et  des  captifs,  «  la  maison  et  pour- 
pris  »  dépendant  de  son  palais,  dans  lesquels  demeurait  son  cha- 
pelain, ((  pour  bâtir  et  fonder  en  la  même  maison  et  pourpris, 
une  chapelle  en  l'honneur  de  la  Sainte-Trinité,  un  hôpital  pour 
les  pauvres  malades  qui  y  viendront,  ou  y  seront  apportés  des 
lieux  voisins  déserts  et  arides,  qui  de  circum  adj àcentibus  locis  de- 
sertis  et  aridis  confluant  \  —  et  pour  y  bâtir  des  offices  et  autres 
logements  à  la  communauté  et  aux  religieux  qui  y  demeureront 
pour  y  faire  le  service  divin.  » 

Plus  tard,  en  1529,  François  I"  reprit  aux  Trinitaires  les  bâti- 
ments de  leur  couvent,  pour  créer  la  cour  du  Cheval-Blanc,  le 
jardin  des  Pins,  le  Grand-Etang,  la  cour  des  Fontaines,  les  écu- 
ries de  la  Reine,  le  Mail,  etc.,  etc.  Il  les  établit  alors  dans  un  pa- 
villon du  château,  ayant  vue  sur  les  fossés.  Les  Trinitaires  ont 
changé  plusieurs  fois  de  dénomination.  Cet  ordre  fondé  en  H98, 
ne  fut  approuvé  par  le  pape  Innocent  III  qu'en  1209.  Appelés 
d'abord  Trinitaires,  ces  religieux  furent  longtemps  désignés  sous 
le  nom  de  Frères-aux-Anes  ;  cette  qualification,  dit  Mézeray,  leur 
fut  donnée,  parce  que  suivant  les  statuts  de  leur  ordre,  ils  devaient 
uniquement  se  servir  de  bêtes  asines  pour  leurs  montures.  De- 
puis, on  les  a  plus  fréquemment  nommés  Mathurins,  parce  qu'à 
Paris  ils  étaient  établis  dans  une  chapelle  consacrée  à  Saint-Ma- 
thurin,  qu'on  invoque  pour  la  folie,  attendu  que  matto  en  italien, 
signifie  fou.  (V.  P.  Guilbcrl,  tome  T",  p.  51.) 

Enfin,  en  dernier  lieu,  Louis  XIV  relégua  les  Trinitaires  (1660) 


—  253  — 

dans  un  bâtiment  situé  sur  la  rue  des   Bons- Enfants,  toujours 
comme  on  le  voit,  à  proximité  de  la  demeure  royale. 

Aucun  doute  n'est  donc  possible  sur  l'emplacement  de  l'an- 
cienne habitation  des  religieux  de  Fontainebleau  qui  fut  constam- 
ment fixée,  soit  en  dedans,  soit  près  du  palais  du  souverain,  et 
non  dans  la  rue  des  Sablons. 

Aussi,  nous  a-t-il  semblé  plus  supposable  que  les  pierres  for- 
mant le  plein  cintre,  avaient  dû,  ainsi  que  les  trois  mascarons, 
être  rapportés  après  coup  dans  la  rue  des  Sablons. 

Un  moment ,  l'un  de  nous  a  cru  que  cette  maison  avait  été 
jadis  possédée  par  un  jardinier  du  roi  (Varin),  et  l'on  se  serait 
ainsi  expliqué  l'existence  de  cesgresseries  qui  lui  auraient  été  concé- 
dées ou  vendues  par  le  domaine  royal.  L'examen  des  titres  de  pro- 
priété fait  disparaître  également  cette  supposition.  La  famille  Va- 
rin descend  bien  du  jardinier  du  roi,  mais  l'immeuble  vendu  à 
M.  Bordereau  est  un  propre  de  Mme  veuve  Varin,  née  Fricault, 
encore  vivante,  et  provient  des  ancêtres  de  cette  dame. 

Votre  rapporteur,  Messieurs,  a  profité  de  l'autorisation  écrite 
qui  lui  avait  été  donnée  par  M.  Bordereau,  pour  compulser  les 
anciens  titres  relatifs  à  sa  maison.  Il  s'est  rendu  dans  les  trois 
études  de  notaires  de  Fontainebleau,  et  là,  il  a  acquis  la  preuve 
que  le  bâtiment  faisant  retour  sur  le  jardin,  est  désigné  sous  le 
nom  de  bûcher  ou  d'écurie.  Rien  n'indique  que  cette  construction 
ait  eu  autrefois  un  caractère  religieux  ou  seigneurial. 

Enfin,  pour  la  propriété  antérieure,  il  est  référé  à  un  contrat 
passé  devant  M®  Vergue,  notaire  à  Paris,  le  7  janvier  i773. 

Toutes  ces  considérations  réunies,  semblent  donc  nous  autoriser 
plutôt  à  croire  que  les  deux  chapiteaux,  la  salamandre  et  les 
pierres  formant  plein  cintre,  ont  été  rapportés  dans  la  maison  de 
la  rue  des  Sablons,  par  suite  de  démolitions  faites  au  palais  de 
Fontainebleau.  Quoiqu'il  en  soit,  ces  sculptures  méritent  une  des- 
cription détaillée  à  laquelle  nous  allons  procéder. 

Voici  comment  se  présentent  ces  gresseries  :  —  Elles  sont  pla- 
cées parallèlement,  à  une  hauteur  égale,  et  font  face  au  couchant. 
Chaque  chapiteau  est  formé  par  deux  génies  ailés,  dont  les  queues 
se  réunissent  et  se  confondent,  pour  figurer  le  croissant  de  Diane 
de  Poitiers,  vu  de  face.  Cette  disposition  symétrique  assigne  une 
date  certaine  à  ces  sculptures  qui  sont  contemporaines  du  règne 
de  Henri  IL 

Le  soubassement,  en  terme  pratique  le  culot  du  chapiteau  de 
gauche,  est  supporté  par  une  tête  de  satyre  barbu,  à  oreilles  poin- 


—  254  — 

tues.  Sur  le  culot  de  droite,  formant  pendant,  est  figurée  une  tête 
de  femme  dont  le  pur  profil  est  découpé  avec  grâce.  Une  cravate 
ou  sorte  d'écharpe  est  nouée  au-dessus  de  ses  oreilles. 

Pour  se  conformer  à  la  loi  des  contrastes  —  toujours  si  habile- 
ment observée  dans  les  arts,  —  les  figurines  surmontant  la  tête 
du  satyre  barbu  sont  du  sexe  féminin,  tandis  que  celles  enlaçant 
la  tête  de  la  nymphe,  sont  du  sexe  masculin. 

A  égale  distance  des  deux  chapiteaux,  et  au-dessus  d'eux,  se 
trouve  pareillement  encastrée  dans  le  même  mur,  une  très-belle 
salamandre  en  gresserie,  parfaitement  conservée.  Cette  salamandre 
diffère  essentiellement  du  type  le  plus  ordinairement  adopté  à 
Fontainebleau,  tt  en  particulier  de  celle  des  bains.  Elle  est  tour- 
née en  sens  contraire  ;  au  lieu  de  vomir  des  flammes  au-dessus  de 
sa  tête,  elle  les  lance  sous  son  ventre.  Enfin,  elle  n'est  pas  entourée 
de  deux  cornes  d'abondance,  mais  bien  de  deux  cordons  princiers, 
semblant  indiquer,  suivant  la  très-ingénieuse  explication  de 
M.  Jacquemin,  l'alliance  de  Charles  d'Orléans,  comte  d'Angou- 
lême,  avec  Louise  de  Savoie,  sa  femme,  mère  de  François  P'. 

Enfin,  la  vigueur  de  la  sculpture,  l'anatomie  fermement  pronon- 
cée des  formes,  la  netteté  du  dessin,  les  nervures  profondément 
fouillées,  assignent  une  véritable  valeur  artistique  à  cette  sala- 
mandre, et  révèlent  la  main  d'un  maître. 

La  commission  s'est  demandé  d'abord,  si  la  position  bizarre  de 
cette  salamandre  n'avait  pas  sa  raison  d'être.  En  présence  d'avis 
différents,  votre  rapporteur  a  dû  non-seulement  recueillir»  ses 
souvenirs  personnels,  mais  il  a  voulu  revoir,  il  y  a  quelques  jours, 
la  galerie  de  François  I"  au  palais  de  Fontainebleau,  et  consulter 
le  doctus  doctorum^  l'auteur  le  plus  compétent  en  matière  de  bla- 
son, le  savant  P.  Ménestrier. 

A  Chambord,  —  cet  Alhaml^ra  français  des  bords  de  la  Loire, 
improvisé  d'un  coup  de  baguette  par  François  1",  et  que  nous 
avons  visité  en  détail,  —  le  plafond  de  la  salle  des  gardes  est  formé 
de  cinq  cents  caissons,  renfermant  autant  de  salamandres,  toutes 
dans  des  positions  différentes. 

Ici,  à  Fontainebleau,  dans  notre  galerie  de  François  I",  règne 
également  une  infinie  variété  de  salamandres,  très-diversetnent 
disposées.  Les  unes  sont  accroupies,  d'autres  sont  debout,  comme 
des  carpes  sortant  hors  de  l'eau.  On  courrait  peut-être  le  risque 
de  tomber  dans  la  subtilité,  en  voulant  expliquer  systématique- 
ment chaque  position,  pour  y  découvrir  un  sens  caché,  et  lui 
assigner  une  signification  précise. 


—  ÎJ55  — 

Pour  notre  part,  nous  inclinons  h  croire  qu'en  cela,  le  sculpteur 
a  simplement  obéi  à  sa  fantaisie.  Et  quel  art  fut  jamais  plus  fan- 
taisiste, plus  capricieux  et  plus  créateur  que  celui  de  la  Renais- 
sance ! 

A  l'appui  de  notre  opinion,  nous  invoquerons  au  besoin  l'auto- 
rité de  l'auteur  de  la  Méthode  raisonnée  du  blason,  le  P.  Ménes- 
trier.  Dans  ce  livre,  dédié  aux  trente-deux  chanoines  de  l'église 
de  Lyon,  qu'il  appelle  la  véritable  pierre  d3  touche  du  blason 
(d'après  les  lettres-patentes  de  nos  rois  et  les  bulles  des  papes,  il 
fallait  être  gentilhomme  pour  faire  partie  du  chapitre  de  Lyon) , 
—  dans  ce  livre,  disons-nous,  le  P.  Ménestrier  a  essayé  de  traiter 
d'une  manière  géométrique  pour  ainsi  dire,  des  usages  et  des 
règles  suivis  en  matière  de  blason. 

A  la  fin  de  son  travail,  le  plus  complet  en  ce  genre,  le  savant 
écrivain  héraldique  avoue  avec  la  plus  modeste  et  la  plus  noble 
franchise,  que  toutes  les  inventions  de  l'esprit  humain  et  en  par- 
ticulier celle  du  blason,  infiniment  casuelles  par  leur  nature,  sont 
encore  plus  dépendantes  du  caprice  que  d'un  profond  raisonnement. 

Après  cet  aveu,  échappé  à  la  plume  du  P.  Ménestrier,  il  a  sem- 
blé à  votre  rapporteur  que  toute  explication  prolongée  serait 
superflue,  et  qu'il  n'avait  plus  qu'à  s'incliner  et  à  rendre  les 
armes. 

Avant  de  quitter  l'habitation  de  M.  Bordereau,  la  commission 
a  remarqué  dans  une  pièce  abandonnée  (le  bûcher  de  la  maison), 
un  chapiteau  en  gresserie,  style  Louis  XIII,  d'un  genre  composite, 
et  non  sans  mérite. 

Il  ne  reste  plus.  Messieurs,  à  votre  rapporteur  qu'à  vous  sou- 
mettre une  proposition  que  vous  aurez  à  examiner,  et  sur  laquelle 
il  appelle  votre  attention. 

La  ville  de  Fontainebleau,  étant  destinée,  dans  un  avenir  plus 
ou  moins  éloigné,  à  être  dotée  d'un  Musée  municipal,  ne  serait-il 
pas  convenable,  utile  même,  dès  à  présent,  de  faire  photographier 
les  sculptures  en  question?  La  dépense,  peu  considérable  d'ail- 
leurs, serait  prélevée  sur  le  quart  des  cotisations  afférentes  à  la 
section  de  Fontainebleau.  Nous  pourrions  ainsi  réunir  successive- 
ment dans  un  album  toutes  les  curiosités  de  la  ville.  Notre  Société 
qui  recherche  les  débris  du  passé,  qui  remet  en  honneur  tout  ce 
qui  a  brillé,  fera,  nous  l'espérons,  bon  accueil  à  notre  proposition. 
Nous  réservons  pour  la  seconde  partie  de  notre  rapport,  le  récit 
delà  continuation  de  cette  excursion  artistique  dans  les  différents 
quartiers  de  la  ville  de  Fontainebleau. 


—  256  — 

§  n- 

Maison  do  la  rue  de  France,  n»  M3. 

L'accueil  sympathique  fait  à  la  première  partie  du  travail  de 
votre  rapporteur,  l'a  engagé  à  compléter  la  relation  des  visites 
effectuées  par  la  commission  dans  les  diverses  habitations  signalées 
à  son  examen. 

Nous  continuerons  cette  revue  rapide  et  sommaire,  par  la  mai- 
son située  rue  de  France,  n°  83,  appartenant  à  M.  Alexandre 
Pauly,  ancien  architecte  de  la  ville  de  Fontainebleau.  Le  rez- 
de-chaussée  de  la  maison  qu'il  habite  depuis  plus  de  cinquante 
ans,  mérite  une  mention  toute  particulière.  Les  pièces  éclairées 
sur  la  rue  de  France,  sont  garnies  de  boiseries  ornées  de  camaïeux, 
de  fleurs,  d'oiseaux  et  d'attributs  variés. 

Ces  peintures  sur  bois,  d'un  faire  incontestablement  adroit  et 
facile,  remontent,  suivant  M.  Pauly,  à  l'époque  de  la  création  du 
magnifique  appartement  à  pans  coupés,  connu  dans  le  Château 
sous  le  nom  de  salon  de  famille  ou  de  chambre  du  conseil  des 
ministres. 

Boucher,  —  qui  revit  tout  entier  dans  cette  pirce,  l'une  des 
plus  belles  du  palais,  —  a  jeté  sur  ces  boiseries  toutes  les  mer- 
veilles et  les  mièvreries  à  la  fois  sentimentales  et  galantes  de  sa 
palette.  Il  est  de  tradition  que  les  figures,  les  tableaux  allégo- 
riques seulement,  sont  l'œuvre  de  Boucher;  quant  aux  fleurs, 
aux  encadrements  des  frises,  ils  furent  exécutés  par  les  nombreux 
élèves  que  le  maître  avait  amenés  à  Fontainebleau.  Ce  sont,  pa- 
raît-il, ces  mêmes  artistes,  collaborateurs  de  Boucher,  qui  ont 
travaillé  à  la  décoration  intérieure  de  la  maison  de  M.  Pauly, 
dont  la  chambre  à  coucher  est  du  plus  pur  style  rococo,  à  ce 
point  qu'en  y  entrant,  on  se  croirait  transporté  à  cent  ans  en  ar- 
rière. 

L'alcôve,  en  boiserie  peinte,  avec  ses  deux  petites  portes  de  dé- 
gagement, décrit  une  courbe  vraiment  originale  et  des  plus  gra- 
cieusement ondulées. 

On  remarque  dans  la  salle  à  manger  la  figure  historique  de 
Lucrèce^  par  le  Guide.  L'épouse  de  CoUaiin^  celle  qui  inspira  une 
si  vive  passion  à  Sextus  Tarquin,  est  représentée  en  pied.  Debout, 
armée  d'un  poignard,  elle  est  prête  à  se  percer  le  sein. 

Plusieurs  membres  de  la  Section  de  Fontainebleau,  peintres 
eux-mêmes,  notre  illustre  et  regretté  Ilerraann  Goldschmidt,  et 


—  257  — 

MM.  Saint-Marcel  et  Gaultron,  dont  la  compétence  ne  saurait 
être  mise  en  cloute,  tout  en  appréciait  les  qualités  picturales  de 
Guido  Rhéni,  dit  le  Guide,  pensent  que  d'inhabiles  restaurations 
ont  été  faites  sur  ce  tableau.  Certaines  parties  sont  d'une  exécu- 
tion un  peu  lâchée,  qui  dénotent  une  des  œuvres  de  la  vieillesse 
du  peintre.  Elève  des  Carrache,  le  Guide  a  laissé  un  grand  nombre 
de  tableaux  d'un  pinceau  léger  et  coulant,  d'une  touche  gracieuse 
et  spirituelle.  Il  excelle  par  la  franchise  des  carnations,  franchise 
telle  qu'on  croirait  voir  réellement  le  sang  circuler.  Le  Guide  alliait 
surtout  la  douceur  à  la  force.  Il  mourut  en  1641.  Ses  dernières 
productions,  plus  hâtives  que  soignées,  se  ressentent  des  agita- 
tions et  du  désordre  de  son  existence.  Joueur  elfréné,  il  s'aban- 
donnait à  tous  les  écarts  et  à  toutes  les  négligences  de  l'improvi- 
sation. Aussi,  les  œuvres  de  la  fin  de  sa  vie  sont-elles  d'un  mérite 
bien  inférieur  à  celles  de  ses  débuts. 

Le  tableau  de  M.  Pauly,  vendu  à  la  révolution  de  93,  provient 
du  palais  de  Fontainebleau.  Il  a  été  gravé  par  Dupuis,  et  on  peut 
voir  cette  gravure  au  cabinet  des  estampes  de  la  Bibliothèque  im- 
périale, à  Paris. 

Grâce  à  un  précieux  album,  possédé  par  M.  Pauly,  il  a  été  ré- 
servé à  votre  Commission,  de  retrouver  la  reproduction  par  la  gra- 
vure des  cinquante-huit  tableaux  de  la  galerie  d'Ulysse,  ce(te  mer- 
veille  des  merveilles  de  Fontainebleau,  dit  le  père  Dan,  longue  de 
quatre  cents  pieds,  et  retraçant  toutes  les  aventures  de  l'époux 
de  Pénélope. 

Un  véhément  écrivain,  qui  a  longtemps  habité  Fontainebleau, 
dans  ce  style  chaleureux  —  un  peu  haut  en  couleur  —  qui  lui  est 
propre,  a  flétri  avec  une  juste  indignation  le  vandalisme  de 
Louis  XV,  qui,  trouvant  trop  étroites  les  portes  de  la  galerie 
d'Ulysse,  détruisit  impitoyablement  les  peintures  du  Primatice, 
pour  livrer  passage  aux  paniers  de  la  marquise  de  Pompadour! 

Il  faut  lire  dans  un  des  témoins  du  temps,  le  comte  Algarotti, 
le  récit  de  cette  dévastation  inqualifiable  du  roi  de  France,  qui 
excita  un  folle  général  dans  l'Europe  artiste  et  lettrée. 

«  J'ai  revu  encore  une  fois,  à  Fontainebleau,  dit  Algarotti,  les 
»  admirables  peintures  du  Primatice  et  de  Nicolo.  Elles  avaient 
»  encore  la  fraîcheur,  le  relief  et  la  force  de  coloris  qu'elles  possé- 
»  daient  quand  Vasari  les  décrivait;  elles  étaient  toujours  aussi 
»  dignes  d'être  recouvertes  de  riches  rideaux  (cortinnagi),  comme 
»  le  voulait  Verdriani  au  siècle  passé. 

»  Les  aventures  d'Ulysse,  racontées  par  Homère,  étaient  le 

17 


—  258  — 

»  sujet  de  ces  peintures.  Je  ne  puis  exprimer  le  plaisir  quej'é- 
»  prouvai  à  admirer  cette  poésie  visible.  Cependant,  si  j'eusse 
))  tardé  de  quelques  heures,  c'en  était  fait,  et  j'aurais  à  jamais  à 
»  en  déplorer  la  perte.  Les  maçons  étaient  déjà  sur  le  toit  de  la 
»  galerie  qu'ils  démolissaient. 

»  Les  débris  de  la  voûte  du  monument  tombaient  sur  nos  tôtes, 
»  et  il  fallut  supplier  les  ouvriers  de  suspendre  un  moment  leur 
))  dévastation,  pour  nous  procurer  le  plaisir  de  contempler  une 
»  dernière  fois  le  chien  fidèle,  qui  flatte  et  reconnaît  son  vieux 
»  maître;  de  voir  Ulysse,  qui,  ayant  tendu  son  arc  puissant,  défie 
»  les  efféminés  prétendants  à  la  main  de  Pénélope,  et  tant  d'autres 
»  miracles  si  vrais  de  cette  haute  peinture, 

Antiphatem  Scyllamque  et  cum  cyclope  Charybdim. 

»  Encore,  si  l'on  avait,  ajoute  Algarotti,  chargé  quelque  artiste 
»  habile  de  dessiner  fidèlement  et  de  graver  ces  peintures,  avant 
»  de  les  détruire!  Mais,  en  France,  personne  n'a  copié  Primatice 
))  etNicolo!  Ainsi,  quelques  jours  avaient  vu  détruire  à  jamais 
»  l'admirable  travail,  qui  a  coûté  de  si  longues  années  à  ces 
»  grands  peintres,  émules  d'Homère,  et  que  François  P''  avait 
»  attirés  d'Italie,  pour  illustrer  son  règne  !  » 

Algarotti  s'est  heureusement  trompé.  Messieurs.  L'œuvre  des 
grands  maîtres  bolonais  n'a  pas  disparu  tout  entière.  Le  burin 
l'a  sauvée  de  l'oubli.  Ce  sont  ces  gravures  qui  ont  passé  sous  les 
yeux  de  la  Commission,  dans  le  cabinet  de  M.  Pauly,  et  qui  lui 
ont  procuré  le  plaisir  indicible  de  reconstruire,  par  la  pensée, 
l'épopée  picturale  du  Primatice,  et  de  contempler,  durant  une 
heure,  les  différents  épisodes  de  l'Odyssée. 

Vous  excuserez,  Messieurs,  cette  courte  digression;  mais  en 
traversant  la  ville  de  Fontainebleau,  et  en  visitant  les  collections 
qu'elle  renferme,  il  était  difficile  de  ne  pas  saluer  au  passage 
notre  admirable  palais,  et  d'cnlr'ouvrir,  de  temps  à  autre,  les 
portes  de  ses  immenses  et  splcndides  galeries. 

Entr'autres  pièces  intéressantes,  la  collection  de  M.  Pauly  ren- 
ferme encore  des  marbres,  des  bronzes,  un  atlas  contenant  les 
ruines  de  Pompeï,  et  le  recueil  des  édifices  anciens  et  modernes. 
—  Dans  l'intérêt  de  l'art,  il  serait  vivement  à  désirer  qu'on  pût 
empêcher,  un  jour,  la  dispersion  de  ces  objets,  provenant  pour 
la  plupart  du  château,  et  qui  auraient  leur  place  marquée  d'a- 
vance dans  le  musée  municipal  à  créer  à  Fontainebleau. 


—  259  —     • 

Cette  exploration  a  permis  à  la  Commission  que  vous  avez 
choisie,  Messieurs,  de  retrouver,  dans  la  maison  de  M.  Pauly, 
l'une  des  rares  épreuves  moulées  de  la  belle  Madone,  attribuée  à 
Benvenuto  Cellini.  L'original  en  bronze  de  ce  chef-d'œuvre  fut 
découvert,  il  y  a  seize  an-,  par  M.  Blouet,  architecte  en  chef  du 
palais  de  Fontainebleau,  d'une  façon  singulière  et  bien  inattenduti,. 
C'est  à  l'obligeance  de  notre  confrère,  M.  Jacquemin ,  que  nous 
devons  la  communication  des  détails  intéressants  qui  vont  suivre, 
et  dont  l'exactitude  ne  saurait  être  contestée. 

La  Madone  (particularité  étrange  et  pourtant  vraie,  à  constater 
dans  les  annales  d'une  société  savante!)  la  Madone,  disons-nous, 
servait  de  dalle  dans  une  pièce  du  château,  renfermant  les  ins- 
truments aratoires.  Toute  la  partie  en  bas-relief  était  cachée  et 
retournée  en  terre.  Après  avoir  nettoyé  le  médaillon,  on  l'enleva, 
on  le  passa  au  sulfate  de  cuivre,  et  on  reconnut  l'œuvre  attri- 
buée à  Cellini.  —  M.  Blouet  en  commanda  trois  épreuves.  C'est 
l'un  de  ces  plâtres,  moulés  par  M.  Jacquemin,  artiste  porcelainier, 
que  la  Commission  a  pu  voir  en  parcourant  la  collection  de 
M.  Pauly. 

Hôtel  de  la  Coudre. 

Une  autre  habitation  avait  été  comprise  parmi  celles  que  devait 
visiter  votre  Commission  ;  c'est  V Hôtel  de  la  Coudre^  ainsi  nommé 
parf^e  qu'il  y  avait  là,  autrefois,  une  grande  quantité  de  coudriers. 
Convertie  aujourd'hui  en  brasserie ,  cette  maison  était  jadis, 
suivant  le  père  Dan,  l'hôtel  du  grand  écuyer  de  France,  Ce  logis 
consistait  alors  en  une  cour  spacieuse,  avec  un  grand  clos  ou 
verger,  tenant  au  parc  du  château  de  Fontainebleau. 

L'hôtel  de  la  Coudre,  complètement  transformé  et  singulière- 
ment déchu  de  sa  splendeur  première,  offre  actuellement  un  in- 
térêt assez  médiocre,  sous  le  rapport  architectural.  Il  faut  néan- 
moins citer  une  fenêtre  bouchée,  du  côté  du  jardin,  et  dont  le 
menuiserie  est  ornée  de  losanges  et  d'étoiles  entaillés  dans  le  bois. 

Enfin,  la  porte  intérieure,  ouvrant  sur  la  grande  cour,  ne 
manque  pas  d'élégance  et  de  caractère.  Entourée  de  pilastres  en 
grès,  elle  est  surmontée  d'un  linteau  en  gresserie,  sur  lequel  est 
gravé  un  blason,  accompagné  à  droite  et  à  gauche  de  deux  ancres 
marines.  Ici  se  pose  une  double  question  :  Faut-il  voir  un  cor- 
dage s'enroulant  autour  des  ancres,  ou  bien  un  ;i9  barré,  pareil  à 
celui  figurant  l'anagramme  de  la  famille  d'Estrées? 


—  260  — 

Il  y  aurait  matière  à  une  dissertation  assez  intéressante,  pour 
qui  voudrait  expliquer  le  sens  de  cette  devise.  Les  anciens  chro- 
niqueurs de  Fontainebleau  rapportent  que  l'hôtel  de  la  Coudre 
fut  successivement  le  logis  du  grand  écuyer  de  France,  la  maison 
de  plaisance  d'un  amiral,  et  qu'enfin,  vers  le  milieu  du  xviii^  siècle, 
il  était  compris  dans  les  dépendances  de  la  vénerie  du  roi,  et  ser- 
vait d'habitation  principale  au  grand  fauconnier  de  la  Couronne, 
qui  continua  d'y  résider  jurqu'en  4791. 

On  peut  donc  se  demander  si  c'est  un  membre  de  la  famille 
d'Estrées,  ou  bien  Henri  IV,  qui  a  fait  graver  ce  chiffre.  L'une  et 
l'autre  thèse  semblent  pouvoir  se  soutenir. 

Le  logis  de  la  Coudre  a  peut-être  appartenu  momentanément  à 
la  famille  d'Estrées.  Les  ancres  marines  sculptées  au  linteau  de 
la  porte  rendent  assez  plausible  cette  supposition,  puisqu'il  est 
constaté  que  l'hôtel  de  la  Coudre  fut,  à  un  temps  donné,  la 
maison  de  plaisance  d'un  marin,  et  que,  d'ailleurs,  les  d'Estrées 
comptent,  dans  leur  maison,  plusieurs  amiraux  distingués ,  sa 
voir  : 

1°  Jean,  comte  d'Estrées,  fait  vice-amiral  en  1670,  puis  ma- 
réchal, qui  s'illustra  dans  la  marine,  sous  Louis  .XIV,  battit 
l'amiral  hollandais  Binkes,  à  Tabago,  en  4677,  et  reprit  cette  île 
aux  Hollandais  ; 

2°  Son  fils,  Victor-Marie  d'Estrées,  qui  commanda  les  armées 
navales  réunies  de  Louis  XIV  et  de  Philippe  V,  en  1703,  et  con- 
tribua puissamment  à  assurer  la  couronne  d'Espagne  au  petit-fils 
du  grand  roi. 

Par  le  rapprochement  des  dates,  cette  seconde  opinion  a  tout 
autant  les  apparences  de  la  vraisemblance  que  la  première,  car 
c'est  à  la  fin  du  xvi'' siècle  et  au  commencement  du  xvii%  que 
l'hôtel  de  la  Coudre  était  la  résidence  affectée  au  grand  écuyer  de 
France  et  ce  n'est  qu'après  être  passé  dans  les  mains  d'un  amiral, 
qu'il  devint  en  dernier  lieu  ,  vers  la  deuxième  moitié  du 
xvnf  siècle,  une  dépendance  de  la  vénerie  du  roi  et  le  séjour  du 
grand  fauconnier. 

En  troisième  lieu,  sur  la  fin  du  xvi"  siècle,  l'hôtel  de  la  Coudre 
ayant  déjà  fait  partie  du  domaine  royal,  et  ayant  ét4  destiné  alors 
à  loger  le  grand  écuyer,  il  se  pourrait  que  Henri  IV  eût  fait 
sculpter  son  chiffre  ou  celui  de  sa  maîtresse  (le  même,  suivant 
plusieurs  auteurs  d'une  compétence  irrécusable),  qu'il  a  gravé 
ouvertement  dans  toutes  ses  résidences  favorites  et  dans  Ir-nrs 
annexes,  à  Saint-Germain,  i\  Fontainebleau,  au  Louvre. 


—  261   — 

En  effet,  des  écrivains  distingués,  des  spécialistes,  qui  semblent 
avoir  épuisé  à  fond  cette  matière,  et  que  nous  citerons  plus  loin, 
se  sont  demandé  si  1'^  barré,  au  lieu  d'être  exclusivement  le 
chiffre  de  la  famille  d'Estrées,  n'avait  pas  aussi  appartenu  aux 
Bourbons  de  Navarre. 

En  présence  de  trois  hypothèses,  pouvant  donner  lieu  à  des 
interprétations  aussi  variées  que  vraisemblables,  votre  rapporteur, 
Messieurs,  a  cru  devoir  se  dispenser  d'adopter  une  conclusion 
précise.  Il  laisse  à  ceux  de  nos  confrères  les  plus  doctes  et  les  plus 
autorisés  le  choix  d'une  solution  formelle,  et  le  soin  de  trancher 
cette  complexe  et  délicate  question.  Toutefois,  il  a  tenu  à  vous 
indiquer  les  sources  diverses  auxquelles  il  a  puisé,  pour  essayer 
d'étayer  les  diverses  opinions  qu'il  soumet  à  votre  appréciation, 

M.  Labarte  assure  que  1'^  barré  est  la  première  lettre  de  la 
devise  de  la  maison  de  Navarre  :  Spes.  Il  démontre,  en  outre,  et 
fournit  la  preuve  que,  neuf  ^ns  avant  la  naissance  de  Gabrielle 
d'Estrées,  Jeanne  d"Albretet  son  fils,  alors  âgé  de  douze  ans,  pla- 
çaient déjà  VS  barré  dans  les  jetons  qu'ils  faisaient  frapper  comme 
souverains  de  Navarre.  D"où  cette  conséquence  assez  naturelle, 
que  Henri  IV,  devenu  roi  de  France,  a  pu  conserver  cette  devise 
et  la  répéter  sur  les  monuments  royaux. 

Un  autre  écrivain,  Etienne  Tabourot,  sieur  des  Accords,  au 
chapitre  de  ses  Bigarrures,  intitulé  les  Rébus  de  Picardie,  explique 
que  VS  fermé  d'un  trait  signifiait  :  fermesse,  vieux  mot  français 
synonyme  de  fermeté. 

La  légende  du  jeton  d'Anne  d'Albret,  donne  beaucoup  de  vrai- 
semblance à  l'explication  de  l'ingénieux  écrivain.  On  sait  de  quelle 
fermeté  fit  toujours  preuve  la  reine  de  Navarre,  et  il  est  tout  na- 
turel que  ses  enfants  aient  conservé  sa  devise. 

IMaitiuu  Laïuirault. 

Nous  achèverons  cette  promenade  à  travers-  les  rues  de  Fontai- 
nebleau, par  une  petite  station  dans  la  maisun  Lamirault,  située 
impasse  d'Avon.  Cette  propriété  était  occupée  anciennement  par 
un  fonctionnaire  du  Palais. 

Les  linteaux  des  deux  portes  extérieure  et  intérieure,  sont  sur- 
montés des  deux  initiales  M  et  B  ;  sculptures  sur  bois  de  l'époque 
de  Louis  XIV,  soleil  placé  au  milieu  d'un  carquois  :  tels  sont  les 
ornements  de  la  porte  d'entrée. 

A  l'intérieur,  on  distingue  des  panneaux  en  bois  sculpté  au-des- 


__  262  — 

sus  des  portes  et  des  cheminées.  Les  panneaux  sont  couverts  de 
frises  et  de  rinceaux.  Deux  surtout,  ont  une  certaine  valeur  artis- 
tique. Sur  i'un  sont  figurées  deux  syrènes  pareilles  au  sphinx  du 
tableau  de  Gustave  Moreau.  L'autre  représente  deux  jolies  têtes 
de  femmes,  terminées  par  des  croupes  de  lionnes.  Elles  semblent 
supporter  un  grand  vase,  rempli  de  fleurs. 

En  face,  sont  placés  six  panneaux  sculptés,  dont  trois  repré- 
sentent un  flambeau  soutenu  par  des  rinceaux.  Sur  les  trois  autres, 
courent  et  s'enroulent  gracieusement  des  guirlandes  de  fleurs  en- 
rubannées. 

Un  peu  plus  loin,  on  remarque  un  grand  trumeau  rectangulaire, 
couronné  par  une  corniche  très-finement  sculptée;  ce  trumeau, 
entouré  de  fleurs  délicatement  fouillées,  paraît  avoir  été  enlevé 
d'une  ancienne  glace  qu'il  a  dû  primitivement  encadrer. 

Tous  ces  ornements  qui  décèlent  la  légèreté  de  main  d'un  habile 
menuisier,  d'un  véritable  sculpteur  sur  bois,  ont  été  encastrés  et 
rapportés  dans  les  chambres  de  la  maison  Lamirault,  et  doivent 
provenir  d'une  résidence  seigneuriale  ou  princière. 

En  terminant,  permettez-nous  d'espérer  que  cette  petite  étude 
d'archéologie  purement  locale  n'aura  pas  été  sans  quelque  utilité, 
si  notre  exemple  suscite  des  imitateurs  dans  les  autres  sections  du 
département,  et  surtout  si  nous  parvenons  à  éveiller  l'intérêt  des 
vrais  amis  de  l'étude,  par  la  mise  en  lumière  de  certaines  œuvres 
d'art,  peu  connues  jusqu'ici,  et  renfermées  dans  plusieurs  maisons 
de  Fontainebleau. 


—  263  — 


BOSSUET  PARRAIN  A  BANNOST, 

(  Fragments  de  souvenirs  inédits  de  Bossuet  dans  les  paroisses  de  la  Conférence  de 

La  Ferté-Gaucher  ), 

PAR   M.    VICTOR  PLESSIER, 
Membre  fondateur  (Section  do  Conlommicrs.) 


Le  grand  évêque  de  Meaux,  heureux  d'avoir  reçu  l'abjuration 
d'un  homme  remarquable  par  ses  connaissances  anatomiques, 
voulut  qu'il  portât  ses  noms;  comme  le  montre  une  attestation 
écrite  et  signée  de  sa  main,  sur  le  premier  feuillet  d'un  exemplaire 
de  son  catéchisme,  dont  il  lui  fit  présent  :  «  M.  Winslou,  ayant 
»  déjà  le  nom  de  Jacques,  qui  est  l'un  des  miens,  je  lui  ai  donné, 
»  en  le  confirmant,  celui  de  Bénigne,  que  je  porte  aussi.  Et  je  lui 
»  ai  donné  ce  témoignage  le  M  octobre  1699.  (Signé)  Jacques- 
»  Bénigne,  évêque  de  Meaux.  »  —  Un  fait  analogue  s'était  passé 
trois  ans  auparavant,  dans  un  petit  village  du  diocèse  de  Meaux, 
au  milieu  de  circonstances  bien  autrement  intéressantes.  Bossuet 
ne  s'y  trouve  pas  en  présence  d'un  personnage  célèbre  par  son 
nom,  sa  fortune  ou  ses  travaux.  Sa  sollicitude  pastorale  s'étendit 
sur  une  pauvre  créature  abandonnée  de  sa  famille,  dont  l'origine 
est  encore  un  mystère,  et  qui  dut  à  la  charité  publique  la  conser- 
vation de  ses  jours.  C'est  une  touchante  histoire,  que  chacun  peut 
lire  sur  le  registre  de  baptêmes,  mariages  et  sipultures  de  la  com- 
mune de  Bannost. 

«  Ce  quatorzième  juin  mille  (sic)  six  cent  quatre-vingt-seize, 
»  monseigneur  l'évêque  de  Meaux  étant  ici  on  visite,  je  lui  pré- 
»  sentay  un  enfant  qu'on  avait  exposé,  il  y  a  deux  ans,  ou  environ, 
))  pendant  la  méchante  année,  dans  notre  paroisse,  à  l'âge  d'en- 
»  viron  cinq  ans,  en  ayant  sept  (aujourd'hui).  Après  mondit 
»  seigneur,  le  trouvant  fort  instruit,  l'a  coniSrmé  et  lui  a  donné 
»  son  nom  de  Bénigne,  disant  hautement  qu'il  le  prenait  pour 
»  son  tilleul  ;  je  l'ai  surnommé  Hobat,  d'un  nom  catalan  qui  veut 
»  dire  trouvé;   en  foy  de  quoi  j'ai  signé,  avec   M.  Adrien  de 


»  —  264  — 

»  Warel,  diacre,  de  présent  h  Bannost,  Jean  Biffé,  maître  d'es- 
»  cole,  et  M.  Jacques  Deshayes.  prêtre- vicaire  de  Bannost. 

n  (  Signé  :  )  de  Warel,  Biffé,  Deshayes,  prêtre,  (et)  Châ- 
»  PERON  DE  Saint-André  (celui-ci  curé  de  Bannost).  » 

A  la  marge  de  cet  acte  est  Ime  mention  également  authentique, 
qui  relate  plusieurs  circonstances  qui  y  avaient  été  omises  ou  n'y 
étaient  indiquées  que  vaguement. 

((  On  l'avait  exposé  le  jour  des  Gendres  mil  six  cent  quatre- 
»  vingt-quinze,  et  Charles  Foucault  l'a  retiré  chez  lui  jusqu'au 
»  jour  de  l'Ascension  1696.  Je  l'ai  pris  dans  ma  maison.  Il  avait 
»  quelque  marque  ,  qui  m'a  empêché  de  le  baptiser  ,  mais  je  ne 
»  me  souviens  plus  quelle  elle  était. 

»  (  Signé  :  )Ghaperon  de  Saint-André,  curé  de  Bannost.  » 

Est-ce  bien  la  méchante  année,  autrement  dire  la  mauvaise  ré- 
colte qui  força  les  parents  de  cette  pauvre  petite  créature  à  faire 
violence  aux  plus  puissants  liens  de  la  nature  pour  se  séparer  si 
cruellement  d'elle?  A  côté  de  cette  hypothèse  indiquée  par  le  curé 
de  Bannost,  il  s'en  présente  une  autre  plus  vraisemblable.  Aux 
cendres,  la  saison  de  la  faim  et  du  froid  a  fait  place  au  travail  ré- 
munérateur et  à  l'espérance  de  la  prochaine  moisson.  Au  lieu  d'at- 
tribuer à  la  misère  l'exposition  de  l'enfant,  ne  serait-il  pas  plus 
exact  d'y  voir  un  effet  des  persécutions,  dont  l'intolérance  reli- 
gieuse affligea  la  France  à  la  fin  du  dix-septième  siècle?  Un  prêtre 
a  pu  juger  convenable  de  couvrir  d'un  voile  circonspect  les  maux 
nés  des  contraintes  exercées  contre  les  protestants  pour  les  faire 
rentrer  dans  le  giron  de  l'Eglise  catholique.  Les  faits  omis  et  les 
renseignements  contenus  dans  l'acte  insérés  sur  les  registres  de  la 
paroisse  de  Bannost  nous  éclairent  également.  D'abord  ,  l'enfant 
qui  n'avait  pas  moins  de  cinq  ans  et  huit  mois  lors  de  son  exposi- 
tion, avec  son  intelligence  précoce,  devait  connaître  et  dire  son 
nom  de  famille.  Cependant  l'acte  ne  le  mentionne  pas.  Si  l'abbé 
l'eut  demandé  sans  pouvoir  l'obtenir,  il  n'eut  pas  manqué  de  cons- 
tater l'impuissance  de  ses  investigations  :  un  point  aussi  capital 
ne  peut  être  l'objet  d'un  oubli.  Ensuite,  la  marque  qui  ap[)arût 
comme  un  obstacle  au  baptême,  devait  servir  à  établir  l'identité  de 
l'enfant  et  permettre  à  ses  parents  de  le  réclamer.  Elle  a  aussi 
une  importance  qu'on  ne  peut  se  dissimuler.  Et  le  curé  dit  négli- 
gemment qu'il  ne  se  souvient  plus  quelle  elle  était.  Elle  a  donc 
été  détruite.  Tout  indice  d'origine  a  disparu;  toute  trace  pouvant 


—  265  — 

conduire  à  la  reconnaissance  est  effacée.  C'est  qu'à  cette  époque  un 
Taux  zèie  n'iiésitait  pas  à  sacrifier  la  famille  à  la  religion.  Enfin, 
par  contre,  le  soin  de  noter  que  l'enfant  avait  accompli  sa  sep- 
tième année,  n'est  pas,  comme  on  pourrait  le  croire  à  première 
vue,  une  mention  indifférente.  Par  là,  se  trouve  observée  une  con- 
dition de  la  validité  des  abjurations,  selon  la  loi  alors  en  vigueur. 
Nul  doute  qu'il  ne  soit  dérisoire  d'admettre  que  des  enfants  si 
jeunes  sont  aptes  à  faire  choix  d'une  religion,  à  s'affranchir  de 
l'autorité  paternelle  et  à  lui  imposer  des  lois  ;  néanmoins,  en  1682, 
il  fut  permis  à  ceux  dont  les  parents  n'étaient  pas  catholiques  de 
changer  de  religion,  de  quitter  leurs  parents  et  d'exiger  des  pen- 
sions alimentaires,  dès  l'âge  de  sept  ans.  Personne  n'ignore  que 
la  force  armée,  avec  toutes  ses  violences  et  ses  horreurs,  fut  em- 
ployée à  la  conversion  des  hérétiques.  Le  souvenir  sanglant  des 
dragonnades  fait  frémir.  Il  fallait  mourir ,  fuir  ou  abjurer.  Et, 
chose  à  peine  croyable,  la  loi,  élaborant  un  monstrueux  système 
de  persécutions,  édictait  des  peines  contre  les  fugitifs. 

Des  esprits  éminents  ont  pourtant  applaudi  à  ces  rigueurs  qu'il 
eut  été  dangereux  de  critiquer  !  Bossuet  reconnaissait  aux  princes 
le  droit  de  forcer  leurs  sujets  errants  au  vrai  culte  par  des  lois  pé- 
nales. Ce  grand-théologien  avouait  qu'une  telle  doctrine  devait  passer 
pour  constante  dans  l'Eglise  qui,  non  seulement,  avait  suivi,  mais 
encore  demandé  de  semblables  ordonnances.  Il  invoquait,  comme 
des  précédents,  les  cruautés  dont  furent  victimes  les  Donatistes  et 
les  AlbigQois.  Il  proclamait,  pour  la  pousser  au  plus  loin,  la  doc- 
trine de  la  contrainte.  Et  spécialement,  en  ce  qui  concerne  les  en- 
fants de  protestants,  faute  par  leurs  parents  de  les  envoyer  aux 
écoles  catholiques ,  les  seules  restées  ouvertes ,  il  voulait  qu'on 
cherchât  les  moyens  de  les  leur  ôter.  Ce  vœu  qu'il  exprimait  dans 
une  lettre  du  15  juin  1698,  devint  l'une  des  dispositions  impéra- 
tives  de  la  loi  du  13  décembre  suivant.  Sa  logique  inexorable  ne 
fléchissait  pas  devant  l'application  dans  son  propre  diocèse.  Il 
mandait  au  comte  de  Pontchartrain  que,  de  quatre  demoiselles  de 
Ghalendos,  il  était  nécessaire  de  faire  renfermer  les  deux  cadettes, 
et  voulait  qu'on  usât  de  la  même  sévérité  à  l'égard  de  deux  demoi- 
selles de  Neuville  et  de  deux  autres  demoiselles  de  Maulien. 

On  tomberait  dans  une  criante  injustice  si,  se  détachant  de  l'es- 
prit du  temps,  on  voulait  apprécier  la  conduite  de  l'abbé  de  Saint- 
André,  au  point  de  vue  du  respect  de  la  famille  et  de  la  liberté  de 
conscience  ou  de  la  simple  tolérance  religieuse.  Ces  considérations 
n'avaient  pas  de  prise  sur  lui.  11  partageait  avec  une  sécurité 


—  266  — 

aveugle  les  opinions  absolues  de  Bossuet  et  se  faisait  honneur  de 
contribuer,  dans  la  mesure  de  ses  forces,  à  l'établissement  de  l'u- 
nité de  culte.  Il  n'est  donné  qu'à  peu  d'hommes  de  s'élever  au- 
dessus  de  leur  siècle^  et  de  devancer  le  jugement  de  la  postérité  : 
Bossuet  lui-même,  avec  tout  son  génie,  n'a  pas  eu  ce  mérite.  Ce 
qui  s'est  passé  au  sujet  de  l'enfant  abandonné  à  Bannost  se  res- 
sent des  préoccupations  dominantes  de  l'époque.  En  lui  donnant 
une  place  à  son  foyer  et  en  lui  procurant  les  choses  nécessaires  à 
la  vie,  le  brave  Foucault  obéit  aux  inspirations  de  la  charité  hu- 
maine, sentiment  admirable  dans  tous  les  pays  et  dans  tous  leâ 
temps.  L'abbé  de  Saint-André  a  continué  la  bonne  œuvre  de  son 
paroissien,  mais  avec  la  pensée  d'opérer  la  conversion  du  pauvre 
enfant.  Il  a  eu  en  vue  le  bien  de  l'âme,  non  moins  que  la  protection 
du  corps.  Bossuet  ne  fut  pas  insensible  non  plus  au  malheur  de  la 
faible  créature  qu'il  rangea  parmi  les  fidèles  et  releva  de  la  dégra- 
dation morale  de  l'exposition,  en  lui  donnant  son  nom.  Même 
ainsi  vue,  l'action  de  chacun  est  honorable. 

Il  nous  semble  voir  l'illustre  prélat  remplissant  son  sacré  mi- 
nistère, revêtu  de  ses  ornements  pontificaux,  assisté  de  son  clergé 
et  entouré  cle  la  foule  recueillie  des  fidèles,  que  l'étroite  église  de 
village  a  peine  à  contenir.  Le  pauvre  enfant,  guidé  par  le  pieux 
curé,  se  prosterne  à  ses  pieds.  Foucault,  mêlé  à  ses  compatriotes, 
suit  l'enfant  des  yeux  et  attend  anxieusement  ce  qui  doit  arriver. 
L'évêque,  ayant  invoqué  le  Christ,  étend  sa  main  sur  l'enfant,  en 
signe  de  protection,  et  s'écrie  à  haute  voix,  de  façon  à  être  entendu 
de  tous  :  «  Qu'il  soit  mon  filleul;  je  le  nomme  Bénigne!  »  puis  il 
le  confirme.  Et  le  peuple  édifié,  explique  la  conduite  de  son  émi- 
nent  pasteur,  par  ces  paroles  du  Fils  de  Marie  :  «  Laissez  venir  à 
moi  les  petits  enfants.  » 

Qu'arriva-t-il  de  Bénigne  Hobat?  Après  sa  confirmation,  on  ne 
le  voit  plus  figurer  sur  les  registres  de  la  paroisse  de  Bannost.  La 
marque  dont  on  le  revêtit  pour  l'exposer,  indique  que  la  séparation, 
commandée  par  d'impérieuses  circonstances,  ne  devait  être  que 
temporaire.  Il  est  permis  de  penser  qu'il  rentra  dans  sa  famille. 
L'abbé  de  Saint-André  devint,  sous  l'épiscopat  de  Bossuet,  prieur 
de  Varreddes,  près  Meaux,  et  plus  tard  vicaire-général  et  archi- 
diacre de  Brie.  Il  eut  l'estime,  la  conQance  et  l'amitié  de  l'illustre 
évoque,  l'assista  dans  la  maladie  qui  termina  ses  jours,  reçut  ses 
derniers  soupirs  et  eut  le  triste  honneur  de  lui  fermer  les  yeux. 
L'historien  de  Bossuet  montre,  au  jour  de  sa  mort,  h  côté  de 
l'abbé  do  Saint-André,  le  savant  Winslou,  faisant  l'ouverture  de 


—  267  — 

son  corps,  pour  connaître  la  nature  du  mal  qui  mit  fin  à  sa  glo- 
rieuse carrière. 

Le  touchant  épisode  que  je  viens  de  faire  connaître,  accompli 
sans  ostentation  dans  un  petit  village,  oh  il  est  demeuré  inaperçu 
pendant  près  de  deux  siècles,  suffirait  à  prouver  que  l'homme  qui 
immortalisa,  par  son  éloquence,  les  grands  personnages  dont  il  fit 
les  oraisons  funèbres,  savait  aussi  compatir  aux  souffrances  des 
plus  humbles  créatures  et  les  entourer  de  son  bienveillant  patro- 
nage. Le  génie  serait  incomplet  s'il  n'était  soutenu  et  inspiré  par 
le  cœur. 


—  269  — 

NOTE 

SLTi  DES  SÉPULTURES  TROUVÉES  PRÈS  UU   HAMEAU  D'EPfEDS, 

Commune  de  SAINTS,  canton  de  Coulommiers, 

PAK    M.    CHEMIN, 
Membre  fondateur  (Section  de  Coulommiers). 


L'an  dernier  (1865),  en  faisant  pratiquer  une  tranchée  par  les  can- 
tonniers de  la  commune,  sur  le  bord  d'un  champ  de  luzerne,  pour 
rétablir  le  chemin  qui  va,  du  raidi  au  nord,  d'Epieds  au  hameau 
des  Courrois,  la  pioche  des  ouvriers  rencontra  à  une  profondeur 
de  40  centimètres  au  plus,  cinq  squelettes  humains,  dont  trois 
regardaient  le  ciel  et  les  deux  autres  étaient  tournés  vers  le  sol. 
Quelques  débris  de  ruminants  existaient  encore  dans  la  terre. 

L'état  fruste  des  ossements  complètement  desséchés  ne  pou- 
vait faire  croire  à  quelque  cimetière  improvisé,  lors  des  guerres 
des  XIV''  et  xv'^  siècles,  que  nos  campagnards  les  plus  anciens 
désignent  encore  par  les  guerres  des  LorTuins  ;  pas  davantage,  il 
n'était  possible  d'admettre  des  inhumations  isolées  à  l'époque  de 
l'invasion  de  1814.  Mais  à  quel  temps  faire  remonter  ces  sépul- 
tures, aucun  témoignage  ne  venant  à  l'appui  d'une  hypothèse 
quelconque? 

D'ailleurs,  j'étais  pris  au  dépourvu;  j'ignorais  l'importance  des 
plus  petits  détails  dans  ces  sortes  d'opérations,  et  nécessairement 
j'ai  dû  négliger  l'observation  et  la  conservation  des  débris,  en  ap- 
parence insignifiants,  et  qui.  plus  tard,  deviennent  des  preuves 
pour  la  science. 

J'ai  invité  M.  Anatole  Dauvergne,  notre  Président  de  Section, 
à  venir  visiter  le  territoire  et  m'éclairer  de  son  expérience  pour  de 
nouvelles  recherches.  Longtemps  empêché  par  un  état  maladif  et 
par  la  mauvaise  saison,  il  a  eu  l'obligeance  de  se  rendre  à  mon 
désir  le  samedi  28  avril  1866. 

Quelques  coups  de  pioche  nous  firent  d'abord  découvrir,  dans 
la  berge  occidentale  du  chemin,  un  nouveau  squelette.  —  Les 
tibias  et  péronés  avaient  été  détruits  dans  la  première  fouille, 
mais  les  deux  fémurs  complets  et  rattachés  encore  aux  os  iliaques, 
témoignaient  suffisamment  de  la  position  occupée  par  le  cadavre. 


—  270  — 

c'est-à-dire  la  tête  regardant  le  levant  vers  lequel  sont  tournés 
les  pieds.  Les  squelettes  précédemment  rencontrés  avaient  une 
direction  identique,  et  ce  seul  fait  prouve  que  nous  n'étions  pas 
en  présence  d'inhumations  précipitées,  mais  d'un  cimetière  régu- 
lièrement disposé.  —  Toutefois,  aucun  objet  ne  venait  révéler 
l'âge  de  ces  sépultures.  M.  Anatole  Dauvergne,  remarquant  dans 
la  chaussée  des  morceaux  de  tuiles  plates  d'une  forme  vulgaire,  et 
qui  pouvaient  provenir  du  hameau  d'Epieds,  distant  de  230  mètres 
environ,  insista  pour  connaître  les  fragments  semblables  rencon- 
trés lors  de  la  première  fouille.  On  creusa  sous  la  berge  et  il  re- 
connut immédiatement  dans  les  débris  exhumés  des  tuiles  plates 
et  à  rebords  de  l'époque  gallo-romaine  et  qu'il  n'est  besoin  de 
décrire  tant  ils  sont  communs  sur  tout  le  sol  de  la  France. 

Plus  de  doute  désormais,  ce  dépôt  funéraire  est  antérieur  à  l'in- 
vasion et  au  Moyen-âge,  il  est  gallo-romain  ou  franc  ;  probable- 
ment du  iv''  au  vi^  siècles. 

Nos  conjectures  s'arrêtent  là;  et  en  vérité,  il  est  difficile  d'aller 
plus  loin  pour  le  moment. 

Renseigné  sur  la  valeur  de  ce  gisement,  nous  ne  le  perdrons 
pas  de  vue.  Après  le  détrichement  prochain  du  champ  de  luzerne 
qui  recouvre  ces  alignements  funéraires,  nous  ferons  de  nouvelles 
tranchées  en  diagonale  qui  nous  perm.ettront  d'en  constater  l'éten- 
due et  de  trouver  peut-être  les  traces  d'un  établissement  des  con- 
quérants de  la  Gaule.  Rien  de  plus  probable  en  effet  ;  c'est  ici  le 
point  culminant  de  tout  le  plateau  entre  les  vallons  du  Morin  et 
de  l'Aubetin;  à  trois  cents  mètres  environ  passe  le  Chemin  paré^ 
qui,  après  avoir  traversé  la  route  départementale  n"  1,  à  la  limite 
des  communes  de  Saints,  Mourouxet  Goulommiers,  se  dirige  vers 
Pommeuse. 

Un  cimetière  ne  peut  s'expliquer  sans  habitant^.  Or,  on  peut 
conjecturer  que  sur  ce  point  élevé,  au  milieu  d'une  vaste  plaine, 
à  quelques  pas  de  la  voie  publique,  existait  une  construction  ;  lar 
quelle?  nous  le  saurons  sans  doute,  —  villa  de  plaisance  ou  poste 
d'observation  correspondant  à  ceux  des  plateaux  d'Aulnoy  ou  de 
Doue. 

11  y  a  quelques  années,  cet  emplacement  était  recouvert  par  de 
vieux  toquards  qui  ont  sans  doute  protégé  le  sol.  Il  est  évident 
qu'il  n'a  point  été  remué,  et  c'est  ce  qui  nous  donne  l'espérance  de 
pouvoir  l'interroger  avec  la  certitude  d'y  trouver  la  vérité. 


—  UTI- 
LES RELIQUES 

DE  L'ABBx\YE  DE  KOTRE-DAME  DE   CHELLES, 

PAR  M.    l'aBIîÉ  TORCIIET, 
Membre   fondateur  (  Section   de   Meaux  ). 


Le  bourg  de  Ghelles  est  plein  de  souvenirs  historiques;  mais  les 
pierres  qui  parlent,  comme  disent  les  Arabes  du  désert,  ont  été 
dispersées  par  la  tempête  du  siècle  dernier. 

Son  palais  royal,  ses  églises,  ses  chapelles,  ses  cloîtres,  tout  a 
disparu  sous  le  marteau  de  la  démolition.  Il  ne  reste  plus  pierre 
sur  pierre.  L'archéologie  n'a  que  des  souvenirs  à  évoquer. 

Cependant,  la  religion  a  su  sauver  du  désastre  général  un  trésor, 
qui  n'est  peut-être  pas  moins  précieux  pour  la  science  que  pour  la 
foi  :  les  reliques  de  l'abbaye. 

Pendant  la  tourmente  révolutionnaire,  au  moment  du  pillage 
du  monastère,  les  habitants  de  Ghelles,  ayant  appris  qu'on  Jetait 
au  vent  leurs  reliques  sacrées,  accoururent  enfouie  à  l'église  abba- 
tiale, réclamant  à  grands  cris  ces  précieux  objets,  derniers  restes 
du  culte  de  leurs  aïeux. 

Il  fallut  bien  céder.  En  un  instant,  les  coffrets,  dépouillés  de 
l'or,  de  l'argent,  des  pierreries,  qui  n'en  étaient  que  les  splendides 
accessoires,  étaient  chargés  sur  les  épaules  robustes  de  nos  braves 
Ghellois.  On  les  porta  en  triomphe,  à  travers  les  rues,  comme  au- 
trefois aux  beaux  jours  de  la  procession  de  la  fête,  et  on  les  dé- 
posa dans  l'église  paroissiale  de  Saint-André  (1). 

Gette  église,  la  seule  qui  nous  reste,  a  servi  tour  à  tour  de 
grenier  à  foin  et  de  club  pour  les  assemblées  républicaines.  Il  fut 
permis  d'en  renverser  la  croix  et  d'en  briser  les  autels,  mais 
malheur  à  qui  eût  osé  porter  une  main  sacrilège  sur  les  châsses. 
La  vindicte  publique  lui  eût  aussitôt  infligé  un  juste  châtiment. 

(l)  Il  y  avait  autrefois  à  Chellts  trois  églises  principales  :  1»  Notre-Dame,  à 
l'abbaye;  2°  Saint-Andréj  église  paroissiale  du  pays;  3°  Saint-Georges,  divisée  en 
deux  parties  :  l'une,  comprenant  l'abside  et  le  chœur,  était  réservée  aux  religieux 
bénédictins  qui  desservaient  l'abbaye;  et  l'autre,  comprenant  la  nef  et  les  bas  côtés, 
servait  de  paroisse  aux  officiers  et  domestiques  du  monastère. 


272  

C'est  ainsi  que  Saint- André,  autrefois  l'humble  vassale  de 
Notre-Dame,  s'enrichit  des  dépouilles  opimes  de  son  infortunée 
suzeraine. 

Un  ancien  inventaire  des  reliques  de  l'abbaye,  tiré  d'un  plus 
ancien  manuscrit  de  la  maison,  nous  a  conservé  la  nomenclature 
de  tous  les  ossements  et  autres  objets  sacrés  qui  se  trouvaient 
dans  le  trésor  abbatial.  On  y  compte  plus  de  cent  cinquante  ar- 
ticles. 

Malheureusement,  une  grande  partie  de  ces  reliques  avaient 
été  profanées  quand  les  pieux  Ghellois  vinrent  en  arrêter  le  pil- 
lage. 

Je  ne  parlerai  que  de  celles  qui  nous  sont  restées,  et  que  nous 

conservons  dans  onze  reliquaires. 

Je  partagerai  mon  travail  en  deux  articles.  Le  premier  sera 
consacré  à  la  partie  descriptive  des  châsses,  telles  qu'elles  sont 
actuellement;  la  seconde  à  la  partie  historique  qui  se  rattache  au 
culte  de  ces  reliques. 

I.  Description  des  Chasses. 

iSaintc   Bathildc. 

Le  reliquaire  de  sainte  Bathilde,  autrefois  le  plus  beau  de  tous 
par  son  travail,  et  le  plus  riche  par  sa  matière,  n'offre  plus  rien 
aujourd'hui  d'intéressant,  ni  comme  sculpture,  ni  comme  anti- 
quité. 

C'est  un  coffre  de  bois  doré,  en  forme  de  tombeau,  avec  quelques 
ornements  d'une  date  toute  récente. 

Il  renferme  une  caisse  de  chêne,  scellée  du  sceau  de  Mgr  Allou,  < 
qui  en  fit  l'ouverture  le  13  juillet  1853.  On  voit  encore,  dans  un 
état  parfait  de  conservation,  les  restes  d'anciens  cachets  en  cire 
rouge.  Ils  sont,  les  uns  aux  armes  du  monastère  do  Gh(^lles,  et  les 
autres  aux  armes  de  l'abbesse  Louise-Adélaïde  d'Orléans. 

Cette  caisse  contient  : 

1°  Le  corps  de  sainte  Bathildc,  en  sa  plus  grande  partie. 

2°  Une  petite  boîte  scellée,  dans  laquelle  se  trouve  un  paquet 
considérable  de  soie  couleur  olive,  et  de  linges  que  l'on  peut  con- 
sidérer comme  le  premier  suaire  de  la  sainte.  On  y  voit,  en  effet,, 
sur  un  morceau  d'étoffe,  un  parchemin  portant  ces  mots,  en  vieux 
caractères  : 

((  Suaire  de  saincte  Baplhilde,  royne  de  France^  fondatrice  de  Vah- 
»   baye  de  Chelles.  n 


—  273  — 

3"  Un  paquet  de  linge  et  d'étoffe,  tombant  en  poussière  par 
suite  de  vétusté,  avec  cette  inscription  sur  parchemin,  en  écriture 
très-ancienne  : 

«  Hœc  sunt  linta  in  quibus  fuit  reconditum  sanctissimum  corpus  Beatœ 

»  Baptildis  Reginœ  cîim involutum  anno  Domini  millesimo 

»  Quingentesimo  quadragesimo  quarto,  vicesimâ  nona  mensis  Januarii.  » 

4°  Trois  procès- verbaux  : 

Le  premier,  assez  grand  de  forme,  porte,  en  latin,  deux  écri- 
tures différentes;  il  constate  que  le  corps  de  sainte  Bathilde  a 
été  transféré  dans  une  nouvelle  châsse,  d'abord  le  29  janvier 
de  la  susdite  année  1544,  sous  le  règne  de  François  P"",  et  sous 
l'épiscopat  du  cardinal  Jean  du  Bellay,  évêque  de  Paris;  et  en- 
suite l'an  '163o,  le  30  janvier,  par  Jacques  Gharton,  grand  péni- 
tencier de  Paris,  sous  l'épiscopat  de  Jean-François  de  Gondy, 
archevêque  de  Paris. 

Le  deuxième  est  un  acte  assez  long,  relatif  à  l'ouverture 
de  cette  même  châsse,  le  2  août  1731,  par  M.  Daniel-Joseph  de 
Gosnac,  prêtre,  docteur  en  théologie  de  la  faculté  de  Paris,  vicaire- 
général  de  Mgr  de  Vintimille,  archevêque  de  Paris,  en  présence 
des  religieux  bénédictins  et  de  toute  la  communauté,  à  l'effet  d'en 
extraire  une  partie  d'ossement,  pour  ]V[°"=  Louise-Adélaïde  d'Or- 
léans, abbesse  de  Ghelles,  qui  s'était  alors  retirée  au  prieuré  de 
Tresnel,  à  Paris. 

Le  troisième  atteste  la  dernière  ouverture  qui  en  fut  faite  par 
Mgr  Allou,  évêque  de  Meaux,  le  13  juillet  1833. 

L'ancien  inventaire  des  reliques  constatait  que  l'on  conservait, 
de  plus,  dans  le  trésor,  la  crosse  de  sainte  Bathilde  et  la  verge 
miraculeuse  dont  elle  se  servit  pour  faire  jaillir  l'eau  de  la  fon- 
taine de  Ghelles. 

§iainte    Bertille. 

Le  reliquaire  de  sainte  Bertille  est,  en  tout,  semblable  à  celui 
de  sainte  Bathilde. 

Il  renferme  également  une  caisse  en  chêne  renversée  sur  le  côté, 
et  sur  laquelle  on  voit  les  débris  de  mêmes  cachets. 

Dans  cette  caisse  se  trouvent  : 

1°  Une  étoffe  de  soie  blanche  enveloppant  le  chef  de  la  sainte. 

2°  Une  étoffe  de  même  couleur,  avec  une  grande  quantité  d'os- 
sements de  la  môme  sainte. 

18 


—  21i  — 

3°  Plusieurs  linges,  dont  l'un  renferme  des  étoffes  de  soie  tom- 
bant en  poussière,  et  qui  paraissent  avoir  été  le  suaire  de  sainte 
Bertille  ou  avoir  servi  d'enveloppe  à  ses  reliques. 

4°  Deux  authentiques  : 

Le  premier,  marqué  du  sceau  de  l'abbaye  et  de  celui  de  Louise- 
Adélaïde  d'Orléans,  fait  mention  de  la  translation  du  chef  de 
sainte  Bertille,  d'un  buste  d'argent  où  il  était,  en  un  chef  de  ver- 
meil, le  18  novembre  1721,  en  présence  de  la  princesse-abbesse, 
par  dom  Eloi  Ledoux,  prieur  de  Sainte-Croix. 

Le  deuxième  est  une  reconnaissance  des  dites  reliques,  par 
Mgr  Allou,  évêque  de  Meaux,  le  13  juillet  1853. 

Saint  Eloi  et  saint  Cîenès. 

Les  reliques  de  saint  Eloi  et  de  saint  Genès  sont  enfermées 
dans  une  même  châsse.  C'est  un  gracieux  édicule  en  bois  argenté. 

Sur  les  deux  faces  de  devant  et  de  derrière,  on  voit  deux  niches 
cintrées,  dans  lesquelles  sont  deux  petites  statuettes  de  saintes, 
couvertes  d'un  voile.  Sur  les  deux  faces  de  côté,  on  voit  également 
deux  niches  semblables  aux  précédentes,  avec  la  statuette  de  saint 
Roch  dans  l'une,  et  dans  l'autre  celle  de  saint  Louis,  roi  de 
France.  Chacune  de  ces  niches  est  surmontée  d'un  fronton  cintré, 
aux  armes  de  Louise-Adélaïde  d'Orléans,  et  reposant  sur  deux  co- 
lonnes d'ordre  ionique. 

Le  couvercle  est  en  forme  de  toiture  arrondie,  surmonté  d'une 
petite  coupole,  avec  sa  lanterne,  et  d'une  croix. 

Ce  reliquaire  renferme  : 

1°  Un  morceau  d'étoffe  contenant  un  nombre  considérable  d'os- 
sements, reconnus  comme  appartenant  au  corps  de  saint  Genès, 
archevêque  de  Lyon  et  aumônier  de  sainte  Balhildc. 

2°  Un  linge  dans  lequel  est  enveloppé  un  parchemin,  avec  ces 
mots  en  écriture  assez  ancienne  : 

«  C'est  ici  un  linge  que  ton  a  tiré  du  reliquaire  de  saint  Genès.  » 

3°  Quatre  authentiques  : 

Sur  le  premier  on  relate,  en  deux  écritures  différentes,  deux 
translations  des  dites  reliques  :  l'une  en  1544,  sous  l'épiscopat  de 
François  du  Bellay,  évêque  de  Paris,  et  l'autre  en  1621,  par 
Philippe  de  Corpéan,  évoque  de  Nantes,  sous  l'abbesse  Marie  de 
Lorraine. 

Le  deuxième,  en  parchemin  comme  le  premier,  constate  égale- 


—  :^/o  — 

ment  deux  autres  translations  en  des  châsses  plus  riches;  l'une, 
au  recto,  est  de  1665,  l'autre,  au  verso,  est  de  1720. 

Le  troisième,  en  papier,  est  du  12  juin  1855,  par  Mgr  Allou, 
évêque  de  Meaux. 

Le  quatrième,  du  28  février  1857,  par  M.  Josse,  vicaire-général 
du  diocèse. 

4°  Le  chef  de  saint  Genès,  quant  à  la  partie  supérieure  du 
crâne.  Il  était  autrefois  renfermé  dans  un  buste  d'évêque,  donné, 
en  1651,  par  sœur  Marguerite  Bazin. 

5°  Le  chef  de  saint  Eloi,  avec  un  parchemin  sur  lequel  on  lit  : 

((  Hoc  est  caput  sancti  Eligii  épiscopi  Noviomensis.  » 

Ce  chef  était  également,  avant  la  révolution,  enfermé  dans  un 
buste  d'argent,  d'après  l'attestation  d'anciennes  religieuses  du  mo- 
nastère, et  comme  le  constate  aussi  l'histoire  manuscrite  de  l'ab- 
baye de  Chelles. 

Sainte  Radegonde. 

Cette  châsse  est  en  forme  de  tombeau,  de  bois  argenté. 

Sur  les  quatre  faces  sont  sculptées  douze  statuettes  de  saintes, 
parmi  lesquelles  j'ai  distingué  sainte  Catherine,  avec  sa  roue,  et 
sainte  Bathilde  instruisant  sainte  Radegonde.  Elles  sont  placées 
dans  des  arcades  cintrées,  reposant  sur  des  colonnes  enrichies  de 
différentes  sculptures. 

La  châsse  renferme  les  ossements  de  sainte  Radegonde,  filleule 
de  sainte  Bathilde,  comme  le  prouvent  cinq  authentiques  contenus 
dans  le  reliquaire. 

Le  premier  est  de  1544,  le  deuxième  de  1621  et  le  troisième  de 
1635,  sous  les  épiscopats  précités.  Au  verso  de  ce  dernier  se 
trouve  le  quatrième,  qui  est  de  1720,  sous  M"""  d'Orléans,  à  qui, 
sans  doute,  on  doit  le  reliquaire,  quoique,  cependant,  je  n'aie  pas 
remarqué  ses  armes. 

Enfin,  le  cinquième  est  du  12  juin  1855. 

s.  jS.  Florus,  Fabricianus,  Florentinns,  martyrs. 

Ce  reliquaire  est  semblable  au  précédent,  les  statuettes  excep- 
tées, qui  représentent  des  saints,  parmi  lesquels  j'ai  distingué 
saint  André,  avec  sa  croix,  et  saint  Jean,  tenant  un  calice  sur- 
monté du  serpent. 

Il  renferme  : 

1°  Dans  une  petite  boîte,  trois  ossements  avec  les  étiquettes  : 


—  276  — 

S.  Florus,  m.  S.  Fabricius,  m.  S.  Florentinus,  m.,  et  un  authen- 
tique en  parchemin,  daté  du  20  décembre  1690.  François  Nicolini, 
archevêque  de  Rhodes  et  nonce  près  du  roi  de  France,  y  cons- 
tate que  ces  reliques  proviennent  du  cimetière  Saint-Prétextat,  à 
Rome. 

2°  Un  grand  sac  de  soie  rose,  marqué  des  sceaux  de  l'abbaye  et 
d'une  abbesse  de  Chelles,  portant  l'inscription  suivante  sur  un 
linge  blanc  : 

((  Reliques  de  plusieurs  Saints.  » 

Ces  ossements  ne  sont  pas  accompagnés  d'authentiques.  Ils 
proviennent  sans  doute  du  trésor  de  l'abbaye,  et  ils  auront  été 
sauvés  par  les  religieuses  ou  par  les  habitants  de  Chelles,  au  mo- 
ment du  pillage. 

3°  Une  seconde  boîte  couverte,  par-dessous^,  en  velours  violet, 
et  en  drap  d'argent  sur  les  côtés.  Elle  est  fermée,  par-dessus, 
d'une  glace,  à  travers  laquelle  on  distingue  deux  étoffes.  Sur  la 
première  on  lit,  en  caractères  anciens,  ces  mots  : 

«  Cest  du  manteau  de  Notre-Dame.  » 
Et  sur  la  seconde  : 

((  Cfest  la  faille  ISotre-Da^ne.  » 
J'ai  trouvé  la  première  citation  dans  l'inventaire  du  trésor. 
4"  Un  linge  blanc  enveloppant  un  grand  nombre  d'ossements, 
avec  l'inscription  suivante  : 

((  Reliques  de  divers  saints  dont  on  ne  connaît  pas  le  nom,  et  auxquelles 

»  on  a  apposé  le  sceau  épiscopal  pour  remplacer  ceux  de  l'abbaye, 

»  qui  y  étaient  auparavant.  )) 

Les  sceaux, se  trouvent  sur  la  première  enveloppe. 
6»  Un  procès-verbal  de  1855. 

Saint  Bénigne  et  saint  Constance. 

Ce  reliquaire  n'offre  rien  d'intéressant  par  sa  forme.  Il  ren- 
ferme les  ossements  de  saint  Bénigne  et  de  saint  Constance, 
martyrs,  trouvés  dans  le  cimetière  Saint-Calépode,  à  Rome. 

Il  contient  trois  authentiques  : 

Le  premier,  en  date  du  5  septembre  1691,  constate  que  ces  os- 
sements ont  été  donnés  à  Jean  Vivant,  évoque  in  partibus  de 
Parcs  ; 


—  277  — 

Le  second,  en  date  du  U  iiovombro  17i8,  est  une  note  de  M.  As- 
seline,  religieux  bénédictin,  curé  de  Saint-Georges,  par  laquelle 
ce  dernier  atteste  avoir  reçu  ces  reliques  de  la  soeur  du  même 
prélat  ; 

Le  troisième  est  de  1835. 

Les  reliques  contenues  dans  ces  deux  dernières  châsses  ne  sont 
mentionnées  ni  dans  l'inventaire  du  trésor,  ni  dans  l'histoire  ma- 
nuscrite de  l'abbaye.  Je  serais  assez  porté  à  croire  qu'elles  appar- 
tenaient à  l'église  Saint-Georges. 

(Saint  Rocli. 

La  châsse  de  saint  Roch  est  en  forme  de  petit  tombeau,  avec 
glaces.  Elle  est  d'un  style  tout  récent. 

Elle  renferme  un  ossement  du  saint,  avec  deux  authentiques  : 

Le  premier  est  de  Mgr  Sibour,  archevêque  de  Paris,  en  date 
du  6  août  1830, 

Le  second,  de  Mgr  Allou,  23  juin  1851. 

Nous  verrons,  dans  la  partie  historique,  comment  cette  relique, 
dépouillée  de  son  ancien  authentique,  a  été  apportée  à  Ghelles  en 
l'année  1629. 

Chefs  de  sainte  Bathilde  et  de  sainte  Bertille. 

Ces  chefs  ne  sont  que  des  imitations  des  anciens  chefs  de  ver- 
meil, qui  contenaient  les  têtes  de  sainte  Bathilde  et  de  sainte  Ber- 
tille. 

Ils  sont  en  bois  doré,  de  date  récente,  et  reposent  sur  d'anciens 
socles  de  bois  noir. 

On  voit,  incrustés  à  l'intérieur  de  ces  socles,  des  médaillons  en 
cuivre  repoussé,  renfermant  divers  ossements  de  saints,  avec  des 
étiquettes  très-anciennes. 

Ces  ossements  ont  été  extraits  du  trésor  abbatial,  mais  ils  sont 
dépourvus  d'authentiques. 

Nous  verrons,  dans  la  partie  historique  de  cette  notice,  com- 
ment ces  médaillons  remontent  probablement  à  l'année  1687. 

Tous  les  renseignements  qui  précèdent  ont  été  puisés  aux  ar- 
chives de  l'évêché  de  Meaux,  où  se  trouve  une  copie  de  tous 
les  authentiques  et  des  procès-verbaux  sur  l'état  des  rehques. 
Ces  procès-verbaux  constatent  encore  l'existence  de  deux  autres 
reliquaires  précieux  :  l'un  contient  une  parcelle  du  bois  de  la  vraie 
Croix,  et  l'autre  deux  parcelles  des  corps  de  saint  Pierre  et  de 


—  278  — 

saint  André.  Ces  reliques  ne  provenant  pas  du  trésor  de  l'abbaye, 
je  n'en  dirai  rien. 

liCS  Sandales  lîe'rholles. 

La  description  scientifique  et  l'époque  de  l'origine  des  sandales 
de  Ghelles  forment,  assurément,  la  partie  la  plus  embarrassante 
de  ma  tâche;  mais,  heureusement,  elle  m'a  été  bien  simplifiée  par 
la  savante  et  consciencieuse  dissertation  qu'a  faite,  à  ce  sujet, 
l'un  des  plus  éminents  antiquaires  du  département,  notre  ancien 
collègue,  M.Grésy,  deMelun.  [Revue  archéologique  ;  —  IS''  année). 

Je  veux  me  borner  à  l'analyser  en  conservant,  autant  que  pos- 
sible, ses  propres  expressions. 

Le  petit  coffret  qui  renferme  les  sandales  était,  autrefois,  exposé 
à  la  vénération  des  fidèles,  sur  l'autel  de  Saint-Roch;  mais, 
comme  il  ne  contient  aucun  authentique,  il  a  dû  être  enlevé. 

Ce  reliquaire  est  en  forme  de  pupitre. 

«  Ses  dimensions  donnent  0,27  c.  de  longueur,  sur  0,19  c.  de 
largeur.  Sa  hauteur  est  de  0,06  c.  à  la  face  antérieure,  et  de  0,10  c. 
à  la  partie  postérieure.  Le  couvercle  à  charnière  présente,  par 
conséquent,  un  plan  incliné,  garni  d'un  verre  dormant,  qui  in- 
dique que  sa  destination  était  d'être  placé  sur  un  autel,  et  de  faci- 
liter aux  pèlerins  la  vue  des  reliques  qu'il  recouvre. 

»  L'ornementation  extérieure  accuse  l'époque  de  Louis  XIIL 
Comme  les  glaces  de  toilette  du  temps,  ce  reliquaire  est  en  bois 
noir,  orné  de  cuivres  repoussés  qui  représentent,  au  milieu  d'ara- 
besques, des  roses,  des  lys,  symboles  des  vertus  évangéliques,  et 
sur  la  surface  antérieure,  les  initiales  S.  B.  séparées  par  le  mono- 
gramme de  Jésus  J  H  S.  » 

Il  renferme  trois  sandales;  l'ornementation  de  Tune  diffère  de 
celle  des  deux  autres. 

«  Toutes  trois  sont  en  cordonnet  noir,  maroquiné  à  l'intérieur. 

))  Celle  qui  est  dépareillée  a  l'empeigne  découpée  au  sommet, 
en  forme  de  petite  mitre  à  fanons  pendants. 

»  Sur  les  côtés,  deux  courroies  taillées  dans  la  même  pièce, 
sont  dirigées  de  façon  î\  se  croiser  sur  le  coude-pied  et  à  être 
fixées  dans  deux  oreillettes  opposées.  Les  festons  qui  les  décorent 
sont  exécutés  au  point  refendu  ou  de  chaînette,  avec  des  soies  de 
quatre  couleurs  :  blanc,  vermillon,  vert  olive  et  ocre  jaune 

»  Le  galbe  de  ces  chaussures  est  élégant  et  noble;  leurs  quar- 
tiers élevés  et  leur  pointe  obtuse  rappellent  la  coupe  de  la  sandale 
du  pape  Martin  \"  ((549-651) 


—  279  — 

»  Il  est  à  remarquer  que  la  languette  de  cordonnet  qui  l'orme 
la  semelle  est  très-étroite,  sans  renfort  et  aussi  souple  que  les 
autres  pièces;  par  conséquent  le  pied  portait,  en  grande  partie, 
sur  l'empeigne  et  le  quartier.  Cependant,  on  n'y  remarque  aucune 
trace  de  frottement.  On  serait  donc  induit  à  croire  que  c'étaient 
des  sandales  de  cérémonie 

»  Leur  longueur  est  de  0,28  c.  pour  celle  qui  est  dépareillée,  et 
de  0,27  pour  les  deux  autres.  Leur  grosseur,  mesurée  à  l'orteil, 
donne  0,25  c.  de  circonférence.  » 

Ces  dimensions  appartiennent  plutôt  à  un  pied  d'homme  qu'à 
un  pied  de  femme. 

En  examinant  les  ornements  de  la  sandale  unique,  on  y  dé- 
couvre de  l'analogie,  pour  la  gamme  et  la  combinaison  des  cou- 
leurs, avec  les  encadrements  du  paralytique  du  cimetière  de  Sainte- 
Agnès,  dans  les  peintures  murales  des  catacombes  de  Rome,  et, 
pour  le  style  de  la  composition,  avec  les  arabesques  du  cimetière 
de  Saint-Priscile  et  les  ornements  d'un  ascolium  au  cimetière 
Saint-Prétextat. 

Quant  aux  deux  autres,  les  découpures  bordées  de  fils  poly- 
chromes et  enlevées  de  toute  l'épaisseur  du  cuir  sur  un  champ  de 
dorures,  sont  tout  à  fait  semblables  aux  fleurons  qu'on  trouve, 
les  uns,  dans  l'évangéliaire  du  prince  de  Radziwil,  manuscrit  du 
viif  siècle,  et  l'autre  dans  les  encadrements  qui  ornent  les  homé- 
lies de  Saint-Grégoire-de-Nazianze,  manuscrit  du  ix^  siècle. 

Mais  quelle  est  l'origine  de  ces  sandales  ? 

M.  Grésy,  après  avoir  examiné  tous  les  documents  qui  se  rat- 
tachent à  cette  question,  semble  d'abord  porté  à  croire  qu'elles 
appartiendraient  à  Sainte-Bathilde  ;  le  reliquaire  marqué  aux 
sigles  de  la  sainte,  le  don  de  l'un  de  ses  souliers  fait  à  l'abbaye  de 
Corbie,  d'après  Mabillon,  Lebœuf  et  l'inventaire  du  trésor  de  ce 
monastère,  —  ce  qui  explique  l'absence  d'une  sandale, —  enfin  la 
tradition  populaire,  qui  attribue  ces  sandales  à  sainte  Bathilde, 
sont  autant  de  raisons  qui  paraissent  ne  laisser  aucun  doute  à  ce 
sujet.  Cependant,  si  l'on  considère  les  dimensions  masculines  de 
ces  chaussures,  le  silence  de  la  Gallia  christiana  et  de  l'histoire 
manuscrite  du  monastère  sur  le  présent  fait  à  Corbie,  et  rapporté 
par  les  auteurs  précités,  enfin,  si  nous  ajoutons  à  ces  raisons 
que  l'inventaire  du  trésor  de  Chelles  ne  fait  nullement  mention 
de  ces  souliers,  tandis  qu'au  contraire  il  cite  sept  chaussures  ayant 
appartenu  à  différents  saints  et  saintes,  et  entre  autres  deux 
paires  aux  Saints  Apôtres,  on  sera  forcé  d'avouer  qu'il  serait  bien 
téméraire  de  se  prononcer  sur  cette  question. 


—  280  — 

Aussi,  M.  Grésy  laisse  ((  à  de  plus  habiles  le  mérite  d'assigner 
à  ces  sandales  historiques  une  date  certaine.  » 

Pour  moi ,  je  ne  saurais  entrer  dans  la  discussion  ;  j'aime 
mieux  terminer  avec  notre  savant  antiquaire,  en  rappelant  une 
pieuse  pensée  qu'il  exprime  ainsi  :  «  Ces  monuments  doivent  exci- 
ter tout  notre  intérêt,  en  songeant  que  depuis  tant  de  siècles,  ils 
ont  attiré  la  vénération  de  nos  pères  à  des  titres  si  différents  ; 
symbolisant,  par  un  sublime  contraste,  tantôt  l'humilité  humaine 
élevée  à  la  plus  haute  mission  du  christianisme,  tantôt  les  gran- 
deurs de  la  terre  descendues  à  la  condition  chrétienne  la  plus 
basse,  ces  deux  termes  extrêmes  de  l'enseignement  divin. 

«  Deposuit  patentes  de  sede  et  exaltavit  humiles.  » 
II.  Culte  rendu  aux  Reliques. 

L'Archéologie  doit  professer,  à  un  degré  éminent,  le  culte  des 
reliques.  Si  les  tombeaux  des  Romains  ou  des  Gaulois  intéressent 
vivement  cette  science,  serait-elle  indifférente  à  ceux  d'une  reine 
des  Francs,  à  ceux  d'illustres  prélats  et  de  saintes  filles  qui  ont 
illustré  la  nation  aux  premiers  siècles  de  son  berceau  ? 

D'autres  ont  raconté  l'histoire  de  leurs  vertus  et  de  leurs  bien- 
laits,  pendant  leur  vie  mortelle;  j'ai  pensé  qu'il  ne  manquerait 
peut-être  pas  d'intérêt  de  raconter  l'histoire  de  leur  culte,  depuis 
leur  mort  jusqu'à  nous. 

I. 

Baihilde^  appelée  aussi  Beaupteur  ou  Beauclour,  issue  d'une 
noble  famille  de  Saxons,  après  avoir  passé  les  premières  années 
de  sa  vie  dans  l'esclavage,  monta  sur  le  trône  des  Francs  à  la 
droite  de  Clotaire  II,  son  époux.  Restée  veuve  avec  trois  enfants 
en  bas-âge,  elle  dut  prendre  en  main  la  régence  du  royaume, 
et  s'acquitta  de  sa  charge  avec  toute  l'habileté  d'une  grande  reine 
et  la  sagesse  d'une  grande  sainte. 

Elle  eut  pour  conseiller  à  la  cour  un  prélat  qui  présente  une  des 
plus  belles  figures  de  son  siècle  :  Saint-Eloi  qui  mourut  le  •l'-"''  dé- 
cembre 653. 

Saint-Ouen  nous  rapporte  qu'iï  lu  nouvelle  de  sa  mort,  on  vit 
arriver  à  Noyon,  sa  ville  épiscopale,  la  reine  Batliilde  avec  ses 
■  fils,  les  grands  du  royaume  et  une  nombreuse  suite. 


—  281    - 

«  La  reine,  dit-il,  entra  dans  la  ville  en  toute  hâte,  pleurant  et 
»  gémissant  de  ce  qu'elle  n'avait  pu  le  voir  encore  avant  sa  mort, 
»  et  lorsqu'elle  fut  restée  longtemps  prosternée  devant  le  cercueil 
»  et  qu'elle  eut  prié  avec  sanglots,  elle  ordonna  de  préparer  tout 
»  pour  que  le  corps  du  saint  fût  transporté  dans  son  monastère  de 
»  Ghelles  ;  mais  lorsqu'on  vint  pour  enlever  le  cercueil,  on  ne  put 

»  le  remuer  tant  il  était  pesant La  reine  s'approcha  aussi, 

»  voulant  en  faire  l'épreuve  par  elle-même,  mais  ce  fut  comme 
»  si  elle  eut  tenté  de  soulever  une  montagne  énorme  et  elle  ne  put 
»  venir  à  bout  de  le  remuer » 

Bathilde,  reconnaissant  à  ce  signe  la  volonté  de  Dieu  et  le  désir 
du  saint  de  rester  parmi  ses  enfants,  renonça  à  son  projet  et  «aus- 
»  sitôt  qu'elle  eut  pris  cette  détermination,  on  essaya  de  nouveau 
»  de  soulever  le  cercueil  qui  devint  si  léger  que  deux  hommes 
»  pouvaient  le  porter  facilement.  »  (Trad.  delà  vie  de  Saint-Eloi, 
par  Saint-Ouen,  par  Ch.  Barthélémy,  p.  256). 

Si  le  monastère  de  Ghelles  n'a  pas  eu  l'honneur  de  donner  la 
sépulture  aux  restes  de  Saint-Eloi,  il  a  pu  du  moins,  dans  la  suite 
des  temps,  obtenir  le  chef  àe,  ce  grand  évêqae,  et  conserver  comme 
souvenir  un  missel,  une  bible  et  un  beau  calice  qui  avaient  appar- 
tenu à  ce  saint  prélat. 

«  On  donne  à  ce  calice  le  nom  de  Saint-Eloi,  dit  l'abbé  Lebœuf, 
»  soit  qu'il  ait  été  fait  par  lui,  lorsqu'il  exerçait  l'orfèvrerie, 
))  comme  le  croit  Du  Breul  (L.  IV,  sur  Ghelles),  ou  qu'il  lui  ait 
»  servi  dans  les  saints  mystères  depuis  qu'il  fut  évêque.  La 
»  coupe  est  d'or  émaillé,  elle  a  près  d'un  demi-pied  de  profondeur 
»  et  presque  autant  de  diamètre.  Le  pied  est  beaucoup  plus  petit. 
»  Dom  Martène  (Voy.  littér.)  croit  que  ce  calice  a  été  donné  au 
»  monastère  par  sainte  Bathilde,  qu'il  servait  pour  les  jours  de 
))  communion  sous  les  deux  espèces  (ce  qui  est  cause  qu'il  est  si 
»  profond),  et  qu'on  l'appelle  le  calice  Saint-Eloi,  parce  que  ce  saint 
»  s'en  était  servi.  La  patène  d'or  fut  fondue  il  y  a  plus  de  trois 
»  cents  ans  pour  faire  la  châsse  de  Sainte-Eathilde.  » 

Lecointe  dit  de  ce  calice  :  «  Il  est  d'or  très-pur;  sa  coupe  est 
»  ornée  au  bord  extérieur  et  même  au  bord  inférieur  d'une  rangée 

»  de  perles  et  pierreries ce  calice  fut  donné  par  la  reine  Ba- 

»  thilde,  en  souvenir  et  comme  gage  précieux  aux  religieux  de 
»  Ghelles.  »  (Ann.  Eccl.,  T.  III.  p.  491.) 

Democharès,  qui  avait  remarqué  la  vénérable  antiquité  de  ce 
calice  et  sa  forme  rare,  en  a  donné  un  dessin  aussi  exact  que  pos- 
sible dans  sa  panoplie  sacerdotale.  (Livre  TU,  ch,  VIL  PI.  I). 


—  282  — 

C'est  tout  ce  qui  nous  reste  de  ce  précieux  objet. 

Une  année  environ  s'était  écoulée  depuis  la  mort  de  saint  Eloi, 
lorsque  Bathilde  renonçant  à  toutes  les  grandeurs  du  monde, 
quitta  la  cour  pour  le  cloître.  Elle  avait  eu  sur  le  trône  pour  au- 
mônier saint  Genès,  archevêque  de  Lyon,  elle  le  conserva  encore 
pour  conseiller  dans  son  monastère  de  Chelles. 

On  pense  que  saint  Genès  y  termina  ses  jours  vers  l'an  678  et 
qu'il  y  fut  enterré.  Une  seule  chose  est  certaine,  c'est  que  l'ab- 
baye a  toujours  été  dépositaire  de  sa  dépouille  mortelle. 

Sainte  Bathilde  ne  tarda  pas  à  le  suivre  dans  la  tombe. 

Atteinte  de  la  maladie  qui  devait  l'enlever  à  la  terre,  en  même 
temps  que  sa  petite  filleule  Radegonde,  qu'elle  élevait  à  ses  côtés 
avec  toute  la  tendresse  d'une  mère,  a  cette  pitoyable  reine,  dit 
»  un  vieil  auteur  d'une  Vie  des  saints,  s'imaginant  que  cette  petite 
»  fille  serait  mieux  en  paradis,  elle  fit  prière  à  N.  S.  de  la  retirer 
»  à  luy,  et  que  devant  que  de  mourir  elle  la  pût  consigner  au 
»  tombeau  et  lavoir  parmi  le  chœur  des  vierges.  11  plust  à  Dieu 
»  d'enterriner  sa  requestre,  car  cette  fille  rendit  l'esprit  bientôt 
»  après  dans  le  sein  royal  de  la  bienheureuse  Bapthilde.  » 

Quelques  heures  plus  tard  la  pieuse  reine  expirait  elle-même 
entre  les  bras  de  sainte  Bertille  qu'elle  avait  placée  à  la  tête  du 
monastère  (680). 

«  A  l'instant,  continue  notre  historien,  il  s'épandit  une  grande 
»  lumière  par  toute  sa  chambre,  avec  une  splendeur  si  éclatante 
»  qu'il  semblait  que  le  paradis  y  fut.  Devant  son  trespas,  elle 
»  avait  prié  l'abbesse  que  l'on  celât  sa  mort  à  tous  le  monde,  hor- 
»  mis  aux  prestres  qui  seroient  nécessaires  pour  la  cérémonie  de 
»  son  enterrement  ;  en  outre,  que  l'on  ne  s'amarât  point  tant  à  se 
»  plaindre  de  sa  mort,  mais  qu'on  s'arrestât  à  prier  Dieu  pour 
»  elle,  qu'on  l'enterrât  le  plus  simplement  que  faire  se  pourrait, 
»  comme  la  plus  petite  religieuse  du  couvent.  Go  qui  lui  fut  pro- 
»  mis  et  accordé.  » 

Le  corps  de  la  sainte  fut  enfermé  dans  un  cercueil  de  pierres 
avec  celui  de  la  petite  Radegonde,  et  après  les  prières  de  l'église, 
il  fut  mis  en  terre  sainte,  sans  aucune  pompe  extérieure,  dans 
l'église  de  Sainte-Croix  que  la  reine  elle-même  avait  fait  construire 
à  la  place  de  celle  de  Saint-Georges,  érigée  primitivement  par 
sainte  Clotildeà  l'origine  du  monastère. 

L'abbesse  Bertille,  après  avoir  ainsi  accompli  scrupuleusement 
les  dernières  volontés  de  celle  qui  avait  été  sa  reine  et  sa  fille  en 
Dieu,  continua  de  gouverner  l'abbaye  avec  la  sagesse  la  plus  re- 


—  283  — 

marquable  et  les  exemples  d'une  sainteté  éprouvée.  Elle  parvint 
à  une  vieillesse  avancée,  malgré  ses  jeûnes  et  ses  austérités,  et 
rendit  son  âme  à  Dieu,  le  5  novembre  vers  l'an  702  ou  704.  Son 
corps  fut  embaumé  et  placé  à  côté  de  celui  de  sainte  Bathilde,  dans 
l'église  abbatiale. 


II. 


Ces  tombes  devaient  devenir  glorieuses  plus  tard  par  les  trans- 
lations solennelles  des  corps  saints  qu'elles  renfermaient. 

Au  commencement  de  l'année  833,  l'empereur  Louis-le-Débon- 
naire,  se  rendant  du  Mans  à  Aix-la-Chapelle,  passa  par  Chelles, 
où  il  rendit  visite  à  l'abbesse  Helwide,  veuve  de  Wolsus,  duc  de 
Bavière,  et  mère  de  sa  seconde  femme,  l'impératrice  Judith. 

C'est  à  cette  occasion  que  le  religieux  empereur  s'informa  plus 
particulièrement  des  vertus  et  de  la  sainteté  de  Bathilde,  s'en  fit 
lire  la  vie  et  visita  son  tombeau. 

Ce  tombeau  demeurait  ignoré  sous  la  petite  église  de  Sainte- 
Croix,  à  côté  de  la  belle  et  vaste  église  romane  que  l'abbesse 
Gisèle,  sœur  de  Gharlemagne,  avait  fait  bâtir  sous  le  vocable  de 
Sainte-Marie  ou  de  Notre-Dame  de  Chelles. 

Louis-le-Débonnaire,  touché  de  vénération  pour  la  mémoire  de 
la  sainte  reine,  donna  des  ordres  afin  que  l'on  procédât  immédiate- 
ment à  la  translation  du  corps  sacré  dans  la  grande  église. 

Helwide  accueillit  la  volonté  du  prince,  et  fit  tout  disposer 
pour  cette  cérémonie. 

Erkenrad,  évêque  de  Paris,  accompagné  d'un  grand  nombre 
d'évêques  et  de  seigneurs,  se  rendit  à  Chelles  où  l'attendaient  une 
foule  de  prêtres,  de  vierges  et  de  saintes  veuves. 

La  cérémonie  avait  été  fixé  au  17  mars. 

a  On  tira  et  on  ouvrit  le  corps  sur  le  pavé,  dit  l'auteur  cité  plus 
))  haut,  et  on  le  trouva,  après  avoir  été  cent  cinquante  ans  dans  la 
»  terre,  aussi  entier  et  aussi  beau  comme  s'il  fut  m.ort  ce  même 
))  jour-là.  Le  bruit  de  ce  miracle  étant  venu  à  Paris,  tous  les  Pari- 
»  siens,  même  toute  la  Cour  y  coururent  avec  des  dévotions  et  des 
;>  acclamations  sans  pareilles.  » 

Deux  paralytiques  lurent  guéris  en  présence  du  corps  sacré  :  une 
religieuse  «  qui  était  percluse  de  tous  ses  membres  depuis  long- 
»  temps,  »  et  «  un  n  immé  Baudran  qui  n'avait  jamais  eu  l'usage 
')  de  ses  jambes  et  qui  ne  marchait  que  sur  les  genoux.  » 


—  284  — 

Le  vénérable  corps  ayant  été  transporté  en  triomphe  dans  la 
nouvelle  église  fut  déposé  derrière  l'autel  ;  il  y  demeura  jusqu'au 
XI*  siècle,  époque  à  laquelle  la  sainte  fut  canonisée  par  Nicolas  II. 

L'évêque  Erkenrad,  voyant  Hehvide,  inquiète  de  caque  l'on  fe- 
rait de  la  pierre  qui  avait  servi  de  cercueil  à  la  sainte,  lui  persuada 
de  la  laisser  dans  le  lieu  de  sa  première  sépulture,  avec  le  corps  de 
sainte  Radegonde  qui  n'en  fut  enlevé  que  plus  tard. 

Depuis,  cette  pierre  resta  toujours  dans  Sainte-Croix.  On  la 
voyait  encore  au  siècle  dernier,  dans  une  petite  crypte  placée  au- 
dessous  du  chœur  des  religieux  bénédictins.    . 

Pour  en  conserver  la  mémoire  et  lui  rendre  le  respect  qui  lui 
était  dû,  on  avait  placé  sur  la  muraille  extérieure  donnant  dans  la 
rue  Saint-Georges,  une  inscription  datée  de  l'an  1690,  qui  aver- 
tissait les  passants  du  lieu  de  la  sépulture  de  la  patronne  de  Ghelles, 
et  qui  les  engageait  à  la  révérer. 

Les  pèlerins  descendaient  dans  la  crypte  pour  y  faire  leur  prière; 
des  vieillards  m'ont  raconté  ce  souvenir  de  leur  enfance. 

Cependant,  le  tombeau  de  sainte  Bertille  n'était  pas  moins  cé- 
lèbre et  les  prodiges  qui  s'y  étaient  accomplis  demandaient  égale- 
ment une  translation  solennelle. 

Cette  cérémonie  eut  lieu  par  les  soins  de  l'abbesse  Marie  de 
Duny. 

«  L'an  mil  cent  quatre  vingts  et  cinq,  en  ce  temps  a  esté  faicte 
»  la  translation  de  madame  sainte  Bertille.  »  (Cartulaire  de  Chelles, 
1"  vol.  ad  calcem). 

Un  acte  authentique  du  temps  nous  apprend  que  cette  transla- 
tion eut  lieu  le  sixième  des  calendes  de  mai,  c'est-à-dire  le  26  avril 
de  cette  année  H85,  sous  le  roi  Philippe-Auguste  et  sous  l'évêque 
Maurice  de  Sully,  qui  présida  à  la  cérémonie. 

Tous  les  peuples  des  environs  accoururent  ;  on  fit  l'ouverture 
du  sépulcre,  les  ossements  sacrés  furent  recueillis  avec  soin  et 
placés,  ainsi  que  les  habits  de  la  sainte  presque  réduits  en  pous- 
sière, dans  une  châsse  de  bois.  On  transporta  solennellement  cette 
châsse  dans  la  grande  église,  où  on  la  déposa  à  côté  de  celle  de 
sainte  Bathilde. 

III. 

Les  vénérables  reliques  de  Chelles  eurent  bien  des  vicissitudes 
à  subir  pendant  le  moyen-âge. 

Au   XIII''   siècle,    un   violent  incendie  ayant  détruit   l'abbaye, 


—  285  — 

elles  furent,  avec  la  permission  de  l'ordinaire ,  portées  dans 
divers  pays  pour  solliciter  plus  efficacement  l'aumône  des  fidèles 
en  laveur  d'un  monastère  si  cruellement  affligé. 

A  la  fin  du  xiv'=  siècle  et  au  commencement  du  xv%  durant  la 
guerre  des  Anglais,  les  religieuses,  afin  de  se  mettre  à  l'abri  des 
insultes  des  soldats,  se  retirèrent  plusieurs  fois  à  Paris  emportant 
avec  elles  leur  pieux  trésor;  mais,  à  leur  retour,  ne  trouvant  plus 
qu'un  monastère  dévasté,  elles  furent  obligées  de  vendre  l'or,  l'ar- 
gent, les  pierreries  et  leurs  châsses  pour  subvenir  aux  premiers 
besoins  de  l'abbaye. 

«  En  ce  temps,  par  fortune  de  grosses  guerres  et  grande  néces- 
»  site,  feut  vendu  la  couverture  du  Messel  Saint-Éloi,  six  calices, 
»  deux  chandeliers  d'argent,  la  croix  Saint-Éloi,  trois  petites 
»  croix  et  une  grande  d'or.  Et  en  ce  temps,  estoient  les  devent  et 
»  derrière  la  châsse  madame  saincte  Beaulteur  d'or  massif,  le  tout 

»  fut  prins  pour  vivre et  pour  icelles  guerres  allèrent  les  reli- 

»  gieuses  à  Paris  à  leur  maison  du  Mouton.  »  (Gart.  P''  vol.) 

Cette  maison  ou  ostel  du  Mouton  était  la  maison  de  refuge  du 
monastère.  Aux  mauvais  jours,  les  religieuses  y  transportaient 
leurs  reliques,  leurs  chartes,  leurs  vases  sacrés,  tous  les  objets  pré- 
cieux, et  ellesy  trouvaient  pouç  elles-mêmes  une  protection  assurée 
contre  les  troubles  si  fréquents  de  cette  époque. 

L'hôtel  de  Ghelles,  qui  a  conservé  ce  nom  jusqu'à  nos  jours, 
était  situé  dans  la  rue  dite  Jean-Pain-MoUet.  Cette  rue  et  l'hôtel 
viennent  de  disparaître  sous  le  marteau  de  la  démolition. 

Outre  les  guerres  qui  se  prolongèrent  pendant  une  grande  partie 
du  xv"  siècle,  le  monastère  eut  encore  à  supporter  les  malheur^ 
d'un  nouvel  incendie.  Mais  la  paix  ayant  été  rendue  à  la  France 
et  à  l'Église,  l'abbaye  de  Chelles  qui,  l'une  des  premières,  avait 
embrassé  la  réforme  monastique,  retrouva  bientôt  son  ancienne 
splendeur. 

C'est  vers  cette  époque  qu'il  faut  placer  la  première  translation 
du  chef  de  sainte  Bathilde  en  un  reliquaire  particulier;  celle  du 
chef  de  sainte  Bertille  eut  lieu  quelque  temps  après  par  les 
soins  de  Marie  de  Reilhac  (1507-1510),  à  qui  l'on  devait  les  belles 
stalles  du  chœur  des  Dames  et  le  buste  d'argent  de  la  première 
abbesse  du  monastère,  tout  enrichi  de  pierreries. 

Quelques  années  plus  tard,  une  grâce  du  ciel  attirait  un  nouvel 
honneur  pour  nos  saints  patrons.  En  voici  l'occasion  : 

François  I"  était  en  guerre  avec  Charles-Quint.  Les  ennemis 
vainqueurs  avaient  refoulé  nos  troupes  jusqu'aux  portes  de  Paris; 


—  286  — 

l'armée  française  campa  dans  les  vastes  prairies  situées  entre 
Ghelles  et  Gournay. 

La  princesse  Renée  de  Bourbon  était  alors  abbesse  de  Ghelles. 
Nommée  par  le  roi,  d'après  le  nouveau  concordat  de  Léon  X,  elle 
avait  laissé  l'administration  de  son  abbaye,  avec  le  titre  de  vicaire 
perpétuelle,  à  Jacqueline  Amignon,  Alarmée  du  voisinage  des 
soldats,  celle-ci  résolut  de  se  retirer  h  Paris  avec  toute  la  com- 
munauté. 

Les  religieuses,  au  nombre  de  soixante-seize,  partirent  le  9  no- 
vembre 1543  priant  Dieu,  par  l'intercession  des  saints  patrons,  de 
veiller  pendant  cet  exil  sur  l'enceinte  abandonnée  de  leur  Jéru- 
salem terrestre. 

Leurs  vœux  furent  exaucés,  et  onze  jours  plus  tard  la  commu- 
nauté rentrait  à  Ghelles. 

L'église,  le  cloître,  le  bourg,  tout  avait  été  respecté. 

Gette  protection  divine  appelait  un  acte  solennel  de  reconnais- 
sance. 

La  mère  vicaire  perpétuelle  ne  crut  pas  pouvoir  mieux  s'en  ac- 
quitter qu'en  offrant  à  l'église  de  nouvelles  châsses. 

Les  anciennes,  en  eiïet,  étaient  dans  le  plus  pitoyable  état. 

(c  Elles  estoient  toutes  rompues  et  despéceuz,  de  tous  costés 
»  étang  peu  de  pierreriez  qui  estoient  à  l'entour,  la  plupart 
»  estoient  cheuttes  et  perdues  longtemps  avoient.  Le  résidu  a  faict 
»  mectre  à  l'ungne  les  liouze  Apostres,  et  à  l'aultre  douze  belles 
))  vierges,  qui  accompagnent  la  châsse  madame  Saincte  Bertille, 
»  tant  le  dessus  que  les  costez.  Le  tout  est  doré  et  peint  ê  huile  et 
»  la  démontrance  fort  belle.  Pareillement  a  faict  faire  notre  dicte 
»  bonne  mère  la  châsse  de  Monsieur  Sainct  Genès,  archevesque 
»  de  Lyon  et  grand  aulmoniez  de  la  Saincte  Royne  Beaulteur  nre 
»  bône  mère  et  fondatrice,  aussy  la  châsse  de  la  filiole  de  la  sus- 
»  dicte  Saincte  Royne,  nômée  la  Petite  Beaulteur,  agéedeseptans 
»  qt  elle  décéda  de  ce  ciècle.  Les  quelles  deux  châsses  estoient  au- 
»  paravanlt  faictes  de  bois  sans  nulle  painture  et  estoient  fort 
»  vieilles  et  rompues  de  tous  costez  et  le  bois  tout  pourry,  et  en 
»  plusieurs  endroicts  mengé  de  vers,  la  quelle  elle  a  faict  faire  de 
»  bo  bois  et  fort  belle  painture  painte  c  huillc  tant  le  dessus  q  les 
»  costez,  et  au  devant  et  derrière  a  faict  mectre  la  représentation 
»  du  dict  sainct  et  de  la  saincte,  et  en  la  cinquième  châsse  qui  est 
»  de  cuivre,  ou  estoit  auparavant  le  corps  de  Madame  Saincte 
»  Beaulteur,  a  faict  racoustrer  et  mectre  dedans  plusieurs  sanc- 
»   luaires,  ossements,  raachounpps,  cheveulz  avec  plusieurs  testez 


—  287  — 

))  et  vêtements  de  aulcuns  saincts  qui  ont  été  trouvez  en  une  châsse 
»  de  bois  fort  meschant. 

»  Et  en  toutes  les  chassez  a  faict  faire  un  escript  et  mis  dedans, 
»  p  ]e  quel  est  desclairés  l'an  et  jour  quelles  furent  faictes  et  posez 
»  au  lieu  oii  elles  sont....  etn'estabjouter  la  joie  si  grande  q  eurent 
»  toute  la  dévote  assistance  veoir  les  saincts  corps  de  leur  tant 
»  bone  mère  et  fondatrice  la  b^royne  Beaulteur....»  (Gart.  l"vol.) 

On  rapporte  que  les  nouvelles  châsses  étaient  enrichies  de  pierres 
précieuses,  qu'on  y  voyait  des  agathes  d'une  beauté  remarquable  sur 
lesquelles  le  caprice  de  la  nature  avait  admirablement  représenté 
des  monstres  marins  ;  on  ajoute  aussi  que  certaines  personnes,  à 
qui  on  en  avait  confié  la  garde,  n'en  connaissant  ni  le  prix,  ni  la 
rareté,  les  vendirent  à  des  marchands,  et  qu'au  siècle  dernier  elles 
se  trouvaient  dans  le  cabinet  du  roi. 

C'était  alors  le  temps  de  nos  malheureuses  guerres  de  religion  ; 
les  calvinistes,  à  qui  l'archéologie  doit  assurément  peu  de  recon- 
naissance, mutilaient  nos  belles  églises  gothiques,  brisaient  nos 
statues  des  saints  et  jetaient  au  vent  leurs  reliques  profanées.  Le 
monastère  de  Ghelles  fut  épargné.  En  réparation  de  ces  sacrilèges, 
Jacqueline  pensa  à  perpétuer  le  souvenir  de  la  translation  des  re- 
liques, par  une  procession  solennelle  ;  elle  en  ouvrit  son  cœur  à 
l'évêque  de  Paris,  qui  approuva  sa  pieuse  pensée  et  fixa  la  fête 
au  premier  dimanche  après  le  onze  juillet. 

Telle  est  l'origine  de  notre  fête  des  reliques. 

Mais  ce  qui  contribua  davantage  à  rendre  la  procession  plus 
mémorable,  ce  fut  une  guérison  miraculeuse  qui  arriva  cent  ans 
plus  tard,  à  pareil  jour. 

Une  maladie  aussi  singulière  qu'affligeante  désolait  la  commu- 
nauté et  le  bourg.  Les  personnes  qu'elle  attaquait  tombaient  dans 
une  sorte  de  convulsions  qui  leur  fesaient  faire  des  bonds  et  des 
chutes  extrêmes,  a  Ces  accès  étaient  si  violents,  dit  un  manuscrit 
du  temps,  et  si  extraordinaires,  que  les  médecins  n'en  pouvaient 
découvrir  la  cause.  » 

La  princesse  Marie-Henriette  de  Bourbon,  fille  naturelle  de 
Henri  IV,  et  jeune  abbesse  de  vingt  ans,  mourut  de  cette  épidémie  ; 
six  religieuses  en  étaient  encore  atteintes  quand  Madeleine  de  La 
Porte,  parente  du  cardinal  de  Richelieu,  récemment  élue  abbesse, 
tenta  un  effort  suprême  auprès  du  Ciel. 

Le  13  juillet  1631,  jour  de  la  fête  des  reliques,  elle  fit  ouvrir  la 
châsse  de  sainte  Bathilde,  par  le  prieur  de  Sainte  Croix,  qui  en 
tira  un  ossement  et  le  présenta  à  baiser  aux  malades. 


Les  six  religieuses  lurent  aussitôt  guéries  ;  alors  la  confiance  fut 
sans  borne,  on  trempa  les  reliques  dans  un  bassin  d'eau,  on  porta 
cette  eau  aux  malades  du  bourg,  qui  reçurent  également  le  bien- 
fait attendu.  Dans  la  même  circonstance,  une  femme  nommée 
Desgrés,  paralytique  depuis  plusieurs  années,  recouvra  l'usage  de 
ses  membres,  comme  huit-cents  ans  auparavant  le  paralytique 
Baudran  avait  marché  sur  le  tombeau  de  sainte  Bathilde. 

Par  ordonnance  du  30  juillet  1632  l'archevêque  de  Paris,  Jean- 
François  de  Gondy,  reconnut  la  vérité  du  fait  après  toutes,  les 
informations  d'usage. 

Madame  de  La  Porte  voulut  se  montrer  reconnaissante  envers 
la  sainte  patronne.  Elle  fit  exécuter,  sur  un  beau  plan,  ce  riche 
reliquaire  de  sainte  Bathilde  dont  le  travail  le  disputait  en  beauté 
à  la  richesse  de  la  matière.  Il  était  d'argent  massif,  pesait  cent 
soixante-huit  marcs,  cinq  gros,  deux  onces  et  avait  coûté  sept  mille 
soixante-quatre  livres,  somme  très-élevée  pour  l'époque. 

La  cérémonie  de  la  nouvelle  translation  fut  faite  le  30  janvier 
1635  ;  on  en  profita  pour  extraire  trois  ossements  de  la  sainte  :  le 
premier  pour  l'archevêque  de  Paris  qui  l'avait  demandé,  le 
deuxième  pour  l'abbaye  de  Fontevrault  et  le  troisième  pour 
l'abbaye  de  Notre-Dame  de  Soissons. 


IV. 


Plusieurs  années  après.  Madame  de  La  Porte  fit  un  semblable 
présent,  mais  plus  considérable,  à  l'abbaye  de  Gorbie,  en  Picardie, 
qui  devait  également  sa  fondation  à  la  piété  de  sainte  Bathilde. 

Sur  les  instances  de  dom  Mathieu  Jouaust,  ancien  prieur  de 
Sainte-Groix  et  alors  prieur  de  Gorbie,  l'abbesse  fit  extraire  du 
chef  d'argent  de  la  sainte,  la  moitié  de  la  mâchoire  supérieure 
du  côté  droit  à  laquelle  tenaient  encore  deux  dents,  et  l'offrit  à 
l'abbaye  de  Gorbie  dont  le  cardinal  Mazarin  était  abbé. 

La  réception  de  la  relique  fut  splcndide.G'était  le  17  mars  1647, 
jour  anniversaire  de  la  première  translation  du  corps  sacré.  La 
fête  dura  deux  jours. 

On  avait  fait  venir  toutes  les  plus  riches  tapisseries  de  la 
province  pour  décorer  l'église  abbatiale ,  le  trône  destiné  au 
reliquaire,  ainsi  que  les  rues  de  la  ville  par  où  devait  passer  la 
procession. 

Des  arcs  de  triomphe,  des  tableaux,  des  écussons  aux  armes  de 


—  ^89  — 

France  et  du  cardinal  de  Mazarin,  des  devises,  des  pièces  de  poésie, 
des  reposoirs  ornaient  les  maisons  et  les  places  publiques.  Amiens, 
Péronne,  Montdidier,  Roye,  toute  la  Picardie  était  là  avec  sa 
noblesse,  sa  maréchaussée,  sa  milice  et  son  artillerie. 

La  procession  fut  splendide.  Elle  était  ouverte  par  une  troupe  nom- 
breuse de  tambours,  de  musiciens,  de  porte-enseignes  habillés  en 
anges  ;  ensuite  apparaissait  la  châsse  portée  triomphalement  par 
des  lévites,  au  milieu  dim  bataillon  déjeunes  hommes  magnifique- 
ment armés  et  équipés  ;  enfin  cent  prêtres,  revêtus  de  la  chape 
et  tenant  un  cierge  à  la  main,  terminaient  ce  majestueux  cortège. 

La  fête  recommença  le  soir,  il  y  eut  de  brillantes  illuminations, 
des  feux  de  joie,  des  concerts  de  hautbois  et  de  violon:  et,  pendant 
une  partie  de  la  nuit,  les  pièces  de  l'artillerie  du  Fort  mêlèrent 
leur  voix  solennelle  aux  gais  carillons  de  toutes  les  cloches  de  la 
ville. 

La  cérémonie  se  termina  le  lendemain  par  une  messe  en  musique, 
le  panégyrique  de  la  sainte,  le  Te  Deum  et  le  chant  de  YExaudiat 
pour  la  prospérité  et  la  gloire  de  la  France. 

La  relique  fut  enfin  déposée  dans  le  trésor  de  Pabbaye.  Voici 
dans  quels  termes  l'inventaire  de  ce  monastère  dressé  en  1757  en 
fait  mention  : 

0  Celle  à  gauche  (une  grande  figure  en  argent),  représentant 
')  sainte  Bathilde,  reine  de  France  et  fondatrice  de  cette  abbaye. 
I)  Elle  parait  sous  la  figure  d'une  religieuse,  la  tête  couverte  d'un 
»  voile  et  d'une  couronne  royale.  Au  bas  sont  renfermés,  sous  un 
»  cristal,  une  partie  de  la  mâchoire  supérieure,  deux  dents,  un  voile 
»  et  un  soulier  de  la  sainte.  » 

La  relation  d'une  fête  aussi  belle  en  l'honneur  de  la  patronne 
de  GheUes  combla  de  joie  et  les  religieuses  du  monastère  et  les 
habitans  du  bourg.  M'"'^  De  la  Porte,  à  la  solennité  des  reliques 
suivantes,  fit  transporter  la  châsse  de  Sainte  Bathilde  de  la  sacristie, 
où  elle  était  déposée,  sur  un  piédestal  au  haut  de  la  grande  grille 
du  chœur;  ce  fut  l'archevêque  de  Bourges,  M.  Dardivilliers,  qui 
présida  à  la  cérémonie  et  administra  le  sacrement  de  confirmation. 

Après  tous  ces  honneurs  rendus  à  sainte  Bathilde,  l'abbesse 
voulut  encore  s'occuper  des  autres  reliquaires.  Elle  commença  par 
ceux  de  sainte  Bertille  et  de  saint  Genès. 

La  châsse  de  sainte  Bertille  qui  était  due  à  Jaquelin  Ami  gnon, 
était  partie  d'argent  et  partie  de  bois  doré;  la  nouvelle  fut  d'ar- 
gent massif,  comme  celle  de  sainte  Bathilde.  mais  seulement  du 
prix  de  trois  cents  livres. 

19 


—  290  — 

Celle  de  saint  Genès,  qui  avait  été  renouvelée  postérieurement 
par  Marie  de  Lorraine,  était  en  bois  ;  la  nouvelle  fut  partie  de 
bois  et  partie  d'argent. 

L'archevêque  d'Auch  fit  cette  translation.  La  cérémonie 
fut  une  des  plus  pompeuses  que  l'on  ait  vues  jusqu'alors,  mais 
ce  qui  en  rehaussa  davantage  la  solennité,  ce  fut  la  voix,  si  cé- 
lèbre depuis,  qui  prononça  le  panégyrique  de  sainte  Bertille. 

Bossuet,  alors  âgé  de  38  ans,  avait  déjà  conquis  sa  renommée 
de  grand  orateur.  C'était  le  22  juillet  1663,  fête  de  sainte  Made- 
leine ;  «  le  sermon,  dit  un  manuscrit  du  temps ,  fut  des  plus  élo- 
»  quents  et  des  plus  ingénieux,  ayant  meslé  avec  une  adresse 
»  pleine  d'esprit  les  plus  beaux  endroits  de  la  vie  des  deux  saintes. 
»  Il  fut  admiré  de  tout  son  auditoire,  a 

Ce  panégyrique  n'a  pas  été  conservé. 

Plus  tard,  Bossuet  étant  évêque  à  Meaux,  prêcha  une  seconde 
fois  à  Ghelles,  à  la  profession  de  M^^^  de  Roussille,  sœur  de  l'ab- 
besse  Catherine  de  l'Escoraille  de  Roussille.  Bourdaloue  avait 
prêché  sa  prise  d'habit  l'année  précédente.  (1684-16So). 

Le  zèle  que  Madeleine  de- la  Porte  manifestait,  pour  la  gloire 
des  saints  patrons,  fut  partagé  par  plusieurs  des  religieuses.  On 
doit  à  la  libéralité  de  ces  dernières  le  chef  de  vermeil  de  sainte 
Bathilde,  celui  de  saint  Genès,  un  reliquaire  de  sainte  Bertille,  en 
forme  de  bras,  et  plusieurs  autres  présents  considérables. 

Je  dois  citer  ici  la  belle  relique  de  saint  Roch  que  nous  possé- 
dons encore  aujourd'hui. 

Elle  avait  été  offerte,  le  13  janvier  1629,  par  le  Sénat  de  Venise 
à  la  reine  mère,  Marie  de  Médicis.  L'acte  de  donation,  dont  nous 
possédons  une  copie,  est  daté  du  palais  ducal,  sous  les  sceaux  de. 
saint  Marc,  du  collège  de  saint  Roch  et  de  M.  d'Avaux,  ambassa- 
deur de  France. 

La  reine  conserva  religieusement  la  relique  dans  sa  chapelle 
pendant  toute  sa  vie;  à  sa  mort,  M.  Penny,  ayant  reçu  l'of- 
fice d'inventorier  les  meubles  de  la  reine,  l'accepta  comme  gratifi- 
cation, et  la  remit,  avec  le  reliquaire  et  son  authentique,  entre  les 
mains  de  M"^  Hotman  de  Pontenay,  son  épouse  en  secondes 
noces. 

Cette  dame  en  ilL  elle-même  présent  à  notre  abbaye,  oii  étaient 
ses  trois  lilles  Louise,  Jeanne  et  Elisabeth  Hotman,  le  21  juin  1067. 

Le  fléau  de  la  peste,  qui  décimait  alors  tous  les  pays  voisins , 
amena  une  grande  foule  de  pèlerins  aux  pieds  de  la  sainte  Relique; 
mais  ce  qui   contribua  davantage  à  augmenter  la  dévotion  envers 


—  291  — 

saint  Roch  fat  ]a  pr(5servation  entière  du  bourg  et  de  l'abbaye. 
Une  confrérie  en  l'honneur  du  Saint  fut  érigée  canoniquement 
à  Ghelles ,  avec  la  permission  de  l'Archevêque  de  Paris  et  l'appro- 
bation du  pape  Clément  X,  le  2  août  1672. 

Le  pèlerinage  fut  fixé  au  lundi  de  la  Pentecôte,  avec  une  grande 
procession  à  laquelle,  d'après  les  mémoires  du  temps,  assistait 
«  un  concours  prodigieux  do  peuple.  » 

Pendant  neuf  jours,  on  faisait  chaque  soir  un  grand  feu  en 
l'honneur  de  saint  Roch ,  avec  des  prières  spéciales  contre  les  ma- 
ladies et  la  peste.  M""*  de  Brissac  supprima  plus  tard  le  feu  en 
faveur  des  pauvres,  mais  conserva  les  prières  que  l'on  récitait 
dans  la  suite,  les  neuf  jours  durant,  à  la  fin  des  vêpres. 

Il  ne  reste  plus  aujourd'hui,  de  cette  dévotion,  que  la  messe  de 
saint  Roch  chantée  le  16  août,  jour  de  la  fête,  à  laquelle,  d'après 
une  ancienne  coutume;,  les  fidèles,  et  spécialement  tous  les  en- 
fants viennent  faire  bénir,  par  centaines,  des  petites  couronnes  de 
pain. 

M""^  l'abbesse  de  Faremoutiers,  avec  l'autorisation  de  Bossuet, 
enrichit  à  son  tour  le  trésor  de  Ghelles,  d'une  relique  de  sainte 
Fare.  M™"  de  Roussille  la  fit  enfermer  dans  un  buste  de  vermeil 
pour  lequel  l'orfèvre  avait  déployé  un  rare  talent.  Le  socle  conte- 
nait trois  médaillons  avec  des  reliques  de  plusieurs  saints.  La  cé- 
rémonie de  la  translation  fut  telle  que  «  depuis  longtemps  on 
»  n'avait  vu  à  Ghelles  une  solennité  si  auguste.  » 

M"""  de  Roussille  fit  faire  ensuite  un  travail  absolument  sem- 
blable pour  le  chef  de  saint  Eloi. 

Le  crâne  du  saint  fut  trouvé  intact,  et  la  mâchoire  avait  encore 
deux  dents.  L'une  d'elles  fut  envoyée  à  Noyon  pour  l'abbaye  de 
Saint-Eloi,  qui  ne  possédait  aucun  reste  de  son  patron. 

Un  autre  socle,  également  en  très-mauvais  état,  celui  du  chef 
de  sainte  Bathilde,  fut  aussi  entouré  et  enrichi  de  trois  médaillons 
aux  armes  de  M"'"  De  la  Porte,  de  JV!""*  de  Brissac  et  de  M'"^  de 
Roussille. 

Les  socles  qui  supportent  actuellement  les  bustes  de  sainte 
Bathilde  et  de  sainte  Bertille,  renferment  aussi  plusieurs  médail- 
lons. L'origine  de  ces  derniers  remonte  assurément  à  la  même 
époque.  Ils  sont  en  cuivre  repoussé,  du  xvn®  siècle,  et  contiennent 
encore  une  partie  de  leurs  reliques  attachées  sur  une  étoffe  avec 
des  étiquettes  très-anciennes,  mais  sans  authentique. 
Tout  ceci  se  passait  en  1687  et  en  1688. 


—  292  — 
V. 

En  1711,  M""'  de  Villars  fit  descendre  ]a  châsse  de  sainte  Ba- 
thilde  pour  y  ajouter  quelques  ornements  et  les  faire  repeindre. 

M.  de  Boissieux,  évêque  de  Saint-Brieuc,  fut  prié  de  présider  à 
la  cérémonie.  A  la  procession  autour  du  cloître,  on  voyait  deux 
jeunes  princesses,  encore  enfants,  soutenir  avec  piété  la  sainte 
relique  portée  par  deux  religieux.  C'étaient  les  princesses  d'Or- 
léans :  Louise-Adélaïde  de  Chartres  et  Charlotte-Aglaé  de  Val- 
lois.  Louis  XIV,  plein  d'estime  pour  l'abbesse  de  Chelles,  avait 
permis  au  duc  et  à  la  duchesse  d'Orléans  de  confier  l'éducation  de 
leurs  enfants  aux  soins  intelligents  et  maternels  de  madame  de 
Villars.  Elles  reçurent  dans  l'église  de  l'abbaye  le  sacrement  de 
confirmation,  et  mademoiselle  de  Chartres  eut  lebonheur  d'y  faire 
sa  première  communion  et  sa  profession  religieuse. 

Lorsqu'elle  fut  nommée  abbesse,  elle  voulut,  comme  celles  qui 
l'avaient  précédée,  signaler  sa  piété  aux  saints  patrons  du  monas- 
tère. 

A  cette  fin,  elle  fit  faire,  en  1720,  un  chef  de  vermeil  pour  sainte 
Bertille,  des  châsses  nouvelles  pour  saint  Genès,  sainte  Rade- 
gonde,  et  probablement  aussi  pour  les  martyrs  Florus,  Fabricia- 
nus  et  Florentinus,  dont  le  reliquaire  est  absolument  semblable  à 
celui  de  sainte  Radegonde. 

S'étant  retirée  au  prieuré  de  Tresnel  à  Paris,  M™^  d'Orléans  de- 
manda, comme  souvenir  de  son  abbaye,  une  relique  de  sainte  Ba- 
thilde.  La  communauté  se  rendit  à  sa  demande.  L'abbé  de  Cosnac 
fut  chargé  d'en  venir  faire  la  translation,  le  2  août  1731.  Cette  cé- 
rémonie faillit  être  l'occasion  d'une  émeute.  Les  habitants,  s'étant 
faussement  persuadés  qu'il  s'agissait  d'enlever  la  châsse,  environ- 
nèrent l'église  en  poussant  de  grands  cris,  il  fallut  fermer  toutes 
les  portes,  et  la  foule  ne  se  dissipa  que  lorsqu'elle  fut  assurée  que 
le  précieux  trésor  ne  serait  pas  enlevé. 

Cette  relique  est  actuellement  conservée  dans  l'église  cathédrale 
de  M  eaux. 

Depuis  cette  époque,  il  n'est  plus  fait  mention  de  l'ouverture  des 
châsses  jusqu'à  l'année  1820,  lorsque  M.  Pruneau,  de  si  digne 
mémoire,  etalors  directeur  du  petit  séminaire  de  Ghaage,  reçut 
de   M.  de  Cosnac  la  mission   de  vérifier  les  reliques  du  diocèse. 

En  18o3  et  1855,  Monseigneur  Allou  en  fit  par  lui-même  une 
nouvelle  reconnaissance  à  Chelles.  Il  déposa  dans  les  châsses  un 


—  293  — 

dernier  procès-verbal  par  lequel  il  constate  avoir  extrait  quelques 
portions  d'ossements  de  sainte  Bathilde  et  de  sainte  Bertille  qui 
lurent  envoyées  ,  sur  leurs  demandes  réitérées,  au  Sacriste  de 
Pie  IX  et  à  M'"^  l'abbesse  de  Jouarre. 

Enfin,  une  dernière  ouverture  de  la  châsse  de  saint  Genès  a  été 
faite  en  1857,  par  M.  Josse,  vicaire  général  du  diocèse,  à  l'efTet 
d'en  extraire  un  tibia  que  monseigneur  Allou,  se  rendant  à  Rome, 
offrit  lui-même  à  Son  Éminence  le  cardinal  de  Bonald  pour  son 
église  métropolitaine  de  Lyon. 

Corpora  ipsorum  in  pace  sepulfa  sunt,  et  nomen  eorum  vivit  in  gene- 
rationem  et  generationem.  Eccles.  44. 


—  293  — 

L'ART  MO^iUMENTAL 

DANS  SES  RAPPORTS  AVEC  LES  IDÉES   RELIGIEUSES, 

PAR    M.    AUG.    KERCKIIOFFS, 
Membre  titulaire  (Section  de  Melnn). 


•  IN  ANTIQUIS  EST   SAPIENTIA. 

L'homme  se  révèle  dans  ce  qu'il  est,  comme  dans  ce  qu'il  fait  ; 
en  d'autres  termes ,  l'intelligence  humaine  se  manifeste  dans  les 
formes  du  langage,  comme  dans  les  produits  des  arts.  Etudiées  à 
un  point  de  vue  philosophique,  la  linguistique  ou  la  science  du 
langage,  et  l'architecture  ou  l'art  monumental,  viennent  en  aide 
aux  traditions,  suppléent  aux  données  historiques  et  peuvent, 
parfois  même,  en  leur  absence  complète,  nous  faire  suivre  la 
marche  et  le  développement  intellectuels  des  grandes  familles 
humaines. 

La  linguistique  nous  fait,  en  quelque  sorte,  assister  aux  premiers 
bégaiements  de  nos  pères,  et  déroule  à  nos  yeux,  comme  un  véné- 
rable parchemin,  l'histoire  de  ces  longues  années  d'enfance  où  fut 
plongée  l'humanité  (1),  La  simple  décomposition  ou  analyse  des 
mots  nous  montre  l'homme,  aux  premiers  âges  du  monde,  ne 
sentant,  ne  comprenant  que  la  matière,  puis  s'élevant  lentement, 
au  moyen  de  la  matière,  jusqu'aux  plus  hautes  conceptions  méta- 
physiques. Durant  ce  long  et  laborieux  enfantement,  le  langage 
naissant  a  reçu  de  chaque  âge  successif  une  empreinte  caracté- 
ristique, que  le  scalpel  du  linguiste  retrouve  sans  difficulté.  C'est 
ainsi  que  la  science  du  langage  a  pu  compléler  les  données  tradi- 
tionnelles sur  l'origine,  la  vie  de  certains  peuples  ,  et  même  pour 
quelques-uns  d'entre  eux,  comme  pour  les  anciennes  peuplades 


(1)  Ainsi  que  j'ai  eu  occasion  de  !e  développer  ailleurs,  le  langage  n'est  ni  un 
don  de  Dieu,  en  ce  sens  que  l'homme  l'aurait  reçu  tout  fait  des  mains  du  créateur 
(de  Bonald,  Origine  du  Langage),  ni  une  invention  humaine  et  réfléchie,  comme 
le  prétendaient  les  philosophes  du  xviii<^  siècle  (Coudillac,  Maupertuis,  Condorcet, 
etc.)  ;  c'est  un  fruit  de  la  spontanéité^  agissant  sans  conscience  d'elle-même,  comme 
sous  l'impulsion  vivante  de  la  divinité  (Grimm,  Uirspriing  der  Spracfie  ;  Renan, 
Origine  du  langage). 


~  296  — 

noires  de  l'Egypte,  elle  a  suppléé  à  l'ubsenee  de  toute  tradition. 
((  L'érudition  moderne,  a  dit  avec  justesse  M.  Villemain,  est 
venue,  après  quatre  raille  ans,  renouer  entre  des  peuples  éteints 
le  lien  qu'ils  n'avaient  pas  aperçu  eux-mêmes,  durant  leur  passage 
sur  la  terre.  » 

En  dehors  du  langage,  tout  ce  qui  émane  de  l'homme  est  l'œuvre 
de  ses  mains,  mais  le  flambeau  de  son  intelligence  les  a  dirigées, 
et  celle-ci  s'y  retrouve  toute  entière.  On  peut  donc,  avec  non  moins 
de  vérité,  affirmer  de  l'art  monumental  ce  que  je  viens  de  dire 
pour  les  sociétés  anciennes,  de  la  grammaire  comparée,  à  savoir 
que  ses  produits  nous  ouvrent  un  nouveau  livre  d'histoire,  où  se 
trouve  retracé  le  développement  des  idées  politiques,  sociales  et 
religieuses  des  sociétés  modernes. 

Lorsque  nous  lisons  les  Védas  ou  les  chants  d'Homère,  nous 
aurions  tort  de  n'y  voir  que  l'œuvre  de  tel  ou  tel  Brahmane,  et 
les  rêves  du  plus  grand  des  poètes  ;  non ,  c'est  l'ouvrage  de  dix 
générations  successives  ,  qu'a  vues  naître  l'antique  sol  de  l'Inde  ; 
c'est  la  Grèce  entière,  qui  nous  révèle  ses  mœurs  et  sa  religion,  et 
les  chantres  immortels,  qui  nous  en  ont  conservé  le  souvenir,  n'ont 
fait  que  traduire,  dans  un  langage  à  la  fois  noble  et  sublime,  les 
idées  et  les  croyances  qui  germaient,  confuses,  dans  l'esprit  de 
toute  la  nation.  De  même,  lorsque  nous  admirons  un  chef-d'œuvre 
d'architecture,  nous  ne  devons  pas  nous  figurer,  avec  le  vulgaire, 
que  le  plan  en  est  sorti  tout  fait  de  la  tête  de  quelque  grand 
artiste,  comme  Minerve  du  cerveau  de  Jupiter;  toute  une  civilisa- 
tion, avec  ses  mœurs  et  ses  coutumes,  se  dresse  devant  nous,  dans 
le  monument  qui  frappe  notre  admiration,  el  le  plan  général  en 
germait  depuis  longtemps  dans  le  cerveau  de  tout  un  peuple, 
lorsque  l'effort  d'un  génie  l'en  fit  sortir. 

«  Rien  dans  l'architecture,  ou  presque  rien,  dit  un  savant  cri- 
tique, ne  dépend  du  caprice  des  individus.  Elle  croît  aussi  fatale- 
ment que  les  végétaux,  et  ses  formes,  ses  caractères  sont  le  pro- 
duit manifeste,  inévitable  des  grandes  influences,  de  l'esprit 
général  qui  animent  une  civilisation  après  l'avoir  enfantée.  » 

Le  génie  dans  les  arts,  comme  dans  la  littérature,  se  borne  à 
idéaliser  ce  que  fait  et  ce  que  pense  tout  ]e  monde,  et  en  ce  sens 
on  peut  dire,  en  toute  vérité,  que  le  grand  poète,  comme  le  grand 
architecte,  c'est  l'homme  dont  le  cœur  bat  à  l'unisson  avec  les 
idées  de  son  siècle  et  de  son  pays. 

L'art,  ainsi  envisagé,  prend  une  signification  plus  profonde,  une 
plus  haute  importance  :  la  lumière  qu'il  reçoit  des  faits,  des  insti- 


—  297  — 

tutions,  des  doctrines,  il  la  leur  renvoie  et  les  éclaire  à  son  tour. 
On  comprend  mieux  la  vie  des  anciens,  quand  on  voit  leurs 
temples,  leurs  statues ,  leurs  amphithéâtres ,  leurs  charmantes 
poteries,  leurs  ingénieuses  sépultures;  on  comprend  mieux  le 
moyen-âge,  quand  on  voit  les  cathédrales,  les  oratoires  où  priaient 
nos  aïeux,  les  châteaux  oii  s'enfermaient  les  barons,  les  splendides 
hôtels  qu'ils  se  construisaient  dans  les  villes,  les  cloîtres  silen- 
cieux des  monastères,  les  élégantes  demeures  des  riches  bour- 
geois (1). 

Nous  allons  examiner  rapidement,  dans  les  pages  qui  suivent ,  l'in- 
fluence des  religions  ou  desidéesreligieusessur  l'art  monumental. 

L'art  de  construire  étant  un  des  premiers  produits  de  l'industrie 
humaine,  et  les  croyances  religieuses  un  des  premiers  résultats  du 
développement  intellectuel  des  peuples,  cette  influence  a  dû  se 
manifester  dès  les  premiers  temps  de  l'humanité.  Elle  a  même  pu 
agir  avec  d'autant  plus  de  facilité  qu'à  l'origine  des  sociétés,  la 
caste  des  prêtres  est,  en  quelque  sorte,  seule  dépositaire  de  la 
science ,  et  tient  à  la  fois  dans  ses  mains ,  en  les  confondant 
presque  toujours,  l'autorité  spirituelle  ei  l'autorité  temporelle! 

Il  s'en  suit,  et  c'est  là  le  point  principal  de  ma  thèse,  que  dans 
chaque  contrée  l'art  monumental  a  reçu  des  dogmes  religieux,  et 
cela  dès  son  berceau,  un  cachet  particulier,  qu'il  a  porté  avec  lui, 
à  travers  toutes  les  phases  de  son  développement. 

L'histoire  de  l'art  chez  les  différents  peuples  est  là  pour  nous 
montrer,  dès  les  temps  les  plus  reculés  ,  cette  union  intime  entre 
l'art  et  les  croyances  religieuses. 

Ainsi ,  chez  les  anciens  peuples  de  l'Orient,  les  inspirations  de 
l'art ,  toujours  dominées  par  des  superstitions  grossières ,  ont 
créé  des  œuvres,  parfois  solides  et  colossales,  maistoujours  impar- 
faites. Au  lieu  de  prendre  l'homme  pour  t^^e  de  la  beauté,  ils 
l'ont  cherché  dans  des  créatures  immondes  et  des  idoles  gros- 
sières. 

La  religion  des  Assyriens  attribuait  la  source  des  sciences  à  un 
monstre  moitié  homme,  moitié  poisson;  aussi  les  découvertes 
faites  dans  ces  derniers  temps  dans  les  ruines  de  Babylone  et  de 
Ninive,  présentent,  à  chaque  pas ,  cet  accouplement  étrange  de 
figures  moitié  hommes,  moitié  lions  et  taureaux. 

Chez  les  Egyptiens,  le  culte  ayant  eu  pour  objet  les  nom- 
breuses variétés  du  fétichisme  et  les  animaux  les  plus  immondes  , 

(1)  Alfred  Michiels,  i'ArJtitecture  et  la  Peinture. 


—  sos- 
ie génie  n'a  pu  trouver  à  cette  source  impure  que  des  inspira- 
tions dignes  d'elles.  Le  peuple  entier,  guidé  par  la  caste  des 
prêtres,  qui  exploitait  ce  culte,  n'avait  d'admiration  que  pour  les 
images  fidèles  de  ses  idoles,  et  les  artistes  se  trouvaient  condamnés 
à  servir  d'interprètes  à  des  superstitions  dont  la  plupart  des 
peuplespayens  rougissaient.  Lesplus  beaux  templesdel'Hindoustan 
sont  eux-mêmes  creusés  dans  le  roc,  comme  les  demeures  souter- 
raines les  plus  primitives  ;  les  ministres  du  culte  semblent  n'avoir 
eu  qu'un  but,  celui  d'entourer  leurs  temples  de  remparts  impéné- 
trables ;  ils  n'ont  pas  demandé  à  la  technique  d'aller  au-delà.  Les 
souverains  ont  suivi  l'exemple  des  pontifes,  et  ont  donné  à  leurs 
palais  le  même  caractère  qu'aux  temples  de  leurs  dieux,  a  A  voir 
ces  masses  lourdes ,  carrées,  inaccessibles ,  on  dirait,  pour  me 
servir  des  paroles  d'Un  écrivain  distingué,  d'immenses  coffres- 
forts  en  pierre,  destinés  à  receler  les  fantômes  de  la  religion  et  du 
pouvoir.  Frapper  l'imagination  par  une  sorte  de  grandeur  mysté- 
rieuse, c'était  chez  ces  peuples  arriver  à  la  perfection.  » 

Le  génie  de  la  religion  grecque,  au  contraire,  a  donné  au  génie 
de  l'art  les  plus  nobles  inspirations.  La  parenté  de  la  race  hu- 
maine avec  les  dieux  étant  le  fondement  du  culte,  le  génie  de  l'art 
a  été  conduit  à  prendre  pour  type  des  rois  des  cieux  celui  dont 
ceux-ci  avaient,  eux-mêmes,  fait  le  roi  de  la  terre  (1),  et  c'est  ainsi 
que,  loin  d'être  un  obstacle  au  développement  de  l'esthétique, 
comme  chez  les  autres  peuples  du  paganisme,  l'union  de  l'art 
aux  croyances  religieuses  a  été  chez  les  Grecs  la  source  des  plus 
belles  conceptions.  (2). 

(1)  L'opinion  de  l'église  primitive  d'après  laquelle  Jésus-Christs'était  présenté  sous 
une  apparence  matériellement  laide^  opinion  fondée  sur  un  passage  d'Isaïe  (cap.  LUI, 
V.2),  a  exercé  l'influence  la  plus  pernicieuse  sur  les  produits  de  la  statuaire,  pendant 
toute  la  durée  du  moyen-âge;  les  artistes  chrétiens  ont  cru  devoir  dédaigner  les  beautés 
des  formes,  et  ils  ont  pris  les  types  de  leur  figure  dans  la  nature.  Leurs  saints  sont 
tantôt  représentés  avec  des  figures  soufl"r  intes  étiolées  et  languissantes,  tantôt  ce 
sont  de  gros  bourgeois  vulgaires,  bien  nourris  et  bien  joufflus.  Ce  n'est  qu'à  l'épo- 
que de  la  renaissance  que  fut  repris  le  culte  de  la  forme,  et  qu'on  revint  à  la  tra- 
dition qui  représentait  le  Christ  comme  le  plus  beau  entre  les  hommes. 

(2)  De  Valmy,  Le  génie  des  peuples  dans  les  arts. 

On  a  souvent  parlé  d'un  art  particulier  au  peuple  juif;  mais  suivant  les  auteurs 
les  plus  récents,  les  Hébreux,  comme  M.  de  Saulcy  l'avoue  lui-même,  n'ont  vécu 
que  d'emprunts  faits  à  l'art  Egyptien  et  Assyrien,  pendant  leur  captivité  en 
Egypte  et  à  Babylone.  Cette  indigence  ties  juifs,  au  point  de  vue  de  l'art  s'explique 
aisément  :  d'une  part,  leur  vie  a  été  long  temps  nomade,  et  ils  ont  été  successi- 
vement esclaves  en  Egypte  et  captifs  à  Babylone  ;  d'autre  part,  on  peut  ajouter 
qu'ils    n'ont   jamais   été  pari'ailemeut  indépendants,  au   sein  même   de  cette  terre 


-   299  — 

Les  premiers  monuments,  ou  pour  mieux  dire  les  premières 
constructions ,  auxquelles  l'industrie  et  la  religion  des  peuples 
primitifs  aient  voulu  assurer  une  certaine  durée,  ont  été  évidem- 
ment les  tombeaux.  L'autel  et  le  temple  sont  d'une  date  compara- 
tivement beaucoup  plus  récente  ;  encore  faut-il  prendre  ces  der- 
nières expressions  dans  le  sens  large  de  monuments  destinés  à  un 
culte  quelconque.  La  croyance  à  des  êtres  invisibles  ,  supérieurs  , 
gouvernant  et  dirigeant  le  monde,  est  une  conception  métaphy- 
sique, qui  suppose  une  civilisation  assez  avancée,  et  qui  n'a  pu  se 
produire  que  dans  une  société  parvenue  à  un  certain  degré  de 
développement  intellectuel.  Le  culte  des  hommes  et  des  bienfai- 
teurs de  rhumanité,  a  dû  précéder  celui  des  esprits  et  des  dieux. 

Il  est  naturel  de  penser  que,  dès  les  premiers  jours  de  l'huma- 
nité, alors  que  les  hommes  n'avaient  encore  d'autres  demeures 
que  les  grottes  et  les  cavernes,  le  corps  du  chef  de  la  famille  ou 
de  la  tribu,  qui  venait  de  quitter  la  terre,  ne  fut  pas  abandonné 
au  milieu  des  champs,  mais  qu'il  fut  déposé,  avec  un  respect  tout 
religieux,  dans  quelque  endroit  écarté  et  solitaire  de  la  grotte  ou 
de  la  vallée,  ou  sur  le  sommet  de  la  colline,  et  que  pour  rappeler 
le  lieu,  011  gisait  sa  dépouille  mortelle  et  la  rendre  inviolable  à  la 
voracité  des  bêtes  fauves,  on  le  couvrît  d'un  monceau  de  pierres  (1). 

L'étude  des  tombeaux  inspire  un  intérêt  d'autant  plus  grand 
qu'on  croit  les  considérer  comme  la  première  manifestation  du 
sentiment  religieux,  et  qu'ils  nous  fournissent  les  plus  anciens 
renseignements  sur  l'existence  des  races  qui  nous  ont  précédés. 
Pour  l'historien,  comme  pour  le  philosophe,  le  tombeau  est,  aux 
temps  anté-historiques,  ce  qu'est  le  temple  aux  époques  de  civili- 
sation. 

Les  plus  anciens  tombeaux  qui  nous  aient  été  conservés,  ou  dont 
l'histoire  fasse  mention,  sont  des  tertres  ou  monticules  factices, 

de  Chanaan,  qui  était  leur  patrie  promise.  Les  traces  du  fameux  temple  de  Salo- 
mon,  construit  à  l'époque  de  leur  puissance,  sont  si  incertaines,  et  les  descriptions 
des  auteurs,  si  contradictoires,  qu'il  serait  bien  difficile  d'accorder  à  ce  monument 
l'admiration    qu'on  trouve  consignée  dans  des  traditions  plus  pieuses  qu'esthétiques. 

(1)  Les  Perses  n'enterraient  pas  leurs  morts,  mais  ils  les  exposaient  aux  animaux 
carnassiers.  Les  rois  ne  subissaient  pas  cette  dernière  loi  :  il  n'était  permis  ni  de  les 
enterrer,  ni  de  les  brûler,  de  crainte  de  souiller  la  terre  et  le  feu,  que  Zoroastre 
veut  que  l'on  conserve  éternellement  pur.  C'est  pourquoi  on  les  enfermait  dans  des 
sépulcres  de  pierre. 

Les  Guèbres,  adonnés  encore  au  magisme,  abandonnent  leurs  morts,  sur  des 
tours  élevées,  à  la  voracité  des  oiseaux  de  proie.  —  Batissier,  Histoire  de  l'art  mo- 
numental. 


—  300  — 

affectant  une  forme  pyramidale  ou  conique.  Ces  tumulus  se  re- 
trouvent en  assez  grand  nombre  sur  notre  sol,  le  plus  souvent  au 
milieu  des  plaines  ou  sur  le  sqmmet  des  collines;  il  y  en  a  qui  s'é- 
lèvent à  une  hauteur  de  soixante  mètres  ;  celui  de  Cumiac,  par 
exemple,  a  trente-deux  mètres  (1).  Plusieurs  paraissent  remonter 
à  une  antiquité  très-reculée,  et  des  archéologues  ne  craignent 
pas  d'affirmer  qu'il  faut  en  attribuer  l'érection  à  des  peuples,  dont 
la  présence  sur  notre  sol  a  précédé  de  longues  années  celle  des 
Celtes  ou  Gaulois. 

A  l'intérieur  des  plus  anciens  tumulus,  on  trouve,  et  cela  en 
quantités  souvent  très-considérables,  les  premiers  ustensiles  fa- 
briqués par  les  hommes,  tels  que  les  couteaux  et  les  haches  en 
pierre  ou  silex  ;  ceux  d'une  date  plus  récente  renferment  des  bs 
sculptés  ou  gravés,  des  poteries  et  quelquefois  des  objets  en  bronze 
ou  en  fer  (2) . 

Ces  objets,  dit  M.  Leguay,  dans  un  article  très-intéressant  sur 
les  anciennes  sépultures,  ont  une  attribution  votive,  «  ils  repré- 
sentent, pour  cette  époque,  les  couronnes  d'immortelles  qu'au- 
jourd'hui encore  nous  déposons  sur  les  tombes  de  nos  parents  et 

de  nos  amis A  quelque  époque  que  ce  soit,  à  quelque  degré  de 

civilisation  qu'il  soit  arrivé,  l'homme  éprouve  le  besoin  de  témoi- 
gner ses  regrets,  et  si,  aujourd'hui,  un  -peu  d'argent  suffit  pour 
exprimer  les  nôtres,  à  ces  époques  éloignées,  chacun  façonnait  son 
offrande,  taillait  son  silex,  et  le  portait  lui-même  (3).  » 


(1)  Les  tumulus  sont  appelés  en  latin  :  mercuriales,  mercurii  acervi;  en  Irlande, 
terpen;en  Éco?.se,mo}it-moth;  en  Angleterre,  barroivs  ;  aux  États-Unis,  grave-hills; 
en  France,  gals-gals,  malles,  mottes,  huttes,  tombelles,  monts-joie,  combels, 
puys-jolys,  ^nurgeis,  etc. 

Il  est  reconnu  aujourd'hui  que  tous  les  tumulus  n'ont  pas  servi  de  tombeaux  : 
quelques-uns  ont  eu  un  but  militaire  et  paraissent  avoir  fait  partie  d'un  camp,  ou 
d'un  de  ces  oppida,  dans  lesquels  se  réfugiaient  les  populations,  à  l'approche  de 
1  ennemi  (Magasin  pittoresque;  année  1839);  d'autres  ont  tenu  lieu  de  bornes 
ainsi  que  nous  le  voyons  dans  un  ouvrage  du  x)i<-'  siècle  [ArJierii  Spicilegium, 
T.  III),  où  il  est  dit  à  propos  d'un  traité  passé  entre  Alaric  et  Childéric  :  duos 
globos  terrœ  elevaverunt  quos  utriusque  fines  constituerunt.  Hérodote  (Lib.  IV, 
C.  81),  dit  aussi  que  Darius  voulant  laisser  un  souvenir  de  sou  passage  dans  le 
pays  des  Odryses,  désigna  à  l'armée  un  espace  de  terrain,  où  chaque  soldat  devait 
déposer  une  pierre  en  passant.  Pouqueville  [Voyage  en  Grèce)  nous  apprend  que 
les  Grecs  et  les  Arabes  ont  conservé  jusqu'à  nos  jours  l'habitude  d'élever  un  tas  de 
pierre,  dans  les  lieux  qu'ils  veulent  dévouer  aux  génies  infernaux. 

(2)  Voy.  Legrand  d'Aussy,  Sépultures  nationales 
(3;  Bulletin  de  la  Société  d'Archéologie,  1"  année. 


—  301  — 

En  Amérique  et  surtout  aux  États-Unis,  ces  tumulus  se  rencon- 
trent par  milliers  :  les  plus  grands  ont  jusqu'à  trente  mètres  de 
haut,  et  les  plus  petits  n'ont  pas  moins  de  six  mètres  de  hauteur 
sur  trente  mètres  de  diamètre  à  leur  base.  Ils  renferment  des 
squelettes  d'Indiens,  du  charbon,  des  urnes,  des  haches  et  des  pi- 
lons en  pierre  (1).  ^ 

Gicéron  (de  Leg.,  Lib.  II)  nous  rapporte  qu'au  temps  de  Gé- 
crops,  les  Athéniens  enterraient  également  leurs  morts  sous  des 
monceaux  de  terre;  ce  mode  d'inhumation  paraît  même  avoir  été 
en  usage  chez  la  plupart  des  peuples  de  la  Grèce  et  de  l'Asie-Mi- 
neure.  Les  tombeaux  des  Amazones,  des  Phrygiens,  d'OEnomaus, 
d'Iphitus,  de  Tityus,  etc.,  affectent  cette  forme  tumulaire.  Le  tom- 
beau de  Patrocle  (Illiade  xxni),  élevé  par  Achille  sous  les  murs  de 
Troie,  était  un  véritable  tumulus;  Hérodote  et  Gtésias  nous  repré- 
sentent les  monuments  funéraires,  élevés  en  l'honneur  de  Ninus  et 
de  Sardanapale,  comme  des  éminences pyramidales;  c'était  un  im- 
mense tumulus  que  l'on  construisit  à  Allyates,  père  de  Grésus 
(Hérodote,  Lib.  I,  cap.  xxviii)  ;  Tacite  (Annal.,  Lib.  I)  nous  rap- 
porte que  Germanicus  renferma  dans  un  tumulus  les  ossements 
blanchis  des  légions  de  Varus,  qui  gisaient  dans  les  forêts  de  la 
Germanie.  ^ 

Il  n'y  a  presque  pas  de  pays  où  l'on  n'ait  constaté  la  présence 
de  ces  collines  funéraires  :  on  en  trouve  en  Angleterre,  en  Es- 
pagne, en  Portugal,  en  Allemagne,  en  Suède,  sur  les  rives  du 
Volga  et  de  l'Oural  ;  Spartmann  (2)  en  a  vu  chez  les  Gaffres,  et 
Barow  (3)  en  a  même  rencontré  chez  les  Hottentots. 

Au  fur  et  à  mesure  que  les  sciences  et  les  arts  ont  fait  des  pro- 
grès, ces  monuments  primitifs  ont  cédé  la  place  à  des  construc- 
tions, sinon  plus  grandioses  et  plus  durables,  du  moins  plus  inté- 
ressants au  point  de  vue  de  l'art,  et  l'ancien  monceau  de  pierres 
est  devenu  le  riche  tombeau  des  Mausole  et  des  Porsenna  ! 

En  dehors  des  monuments  funéraires  que  nous  venons  de  men- 
tionner, et  qui  sont  généralement  des  tombeaux  isolés,  nous  avons 
à  parler  des  lieux  de  sépulture  communs. 

Ges  endroits,  chez  les  anciens  peuples,  étaient  très-vastes  et 
l'objet  d'une  vénération  religieuse  toute  particulière,  hes  nécropoles, 

(1)  Voy.  Dayies  and  Squiers,  Ancient  monuments  of  the  Valley  of  Mississipi. 

(2)  Voyage  au  cap  de  Bonne-Espérance ,  t.  III. 

(3)  Voyage  dans  la  partie  méridionale  de  l'Afrique,  t.  1. 


—  302  — 

ainsi  qu'on  les  a  appelées,  avaient  quelquefois  l'étendue  d'une  ville 
entière,  comme  quelques-unes  de  l'Asie-Mineure  et  de  l'Egypte. 
M.  Batissier  rapporte  que  l'on  voit  dans  les  nécropoles  de  Sais, 
dans  la  Ba'sse-Égypte,  des  puits  perpendiculaires  qui  commu- 
niquent à  des  galeries  souterraines,  au  sein  desquelles  sont  en- 
tassés des  monceaux  de  momies,  tout  un  peuple  de  morts.  Les 
restes  de  ces  nécropoles  sont  couverts  de  débris  de  poteries  et  de 
fragments  de  figurines  funéraires,  et  présentent  des  masses  énormes 
de  plus  de  80  pieds  de  haut,  semblables  à  des  collines  bouleversées 
par  un  tremblement  de  terre. 

Les  nécropoles  les  plus  remarquables  de  l'antiquité  sont  celles 
qu'on  a  taillées  dans  le  flanc  des  rochers,  et  auxquelles  on  a  plus 
particulièrement  donné  le  nom  d'hypogées.  Ce  sont  généralement 
d'immenses  souterrains  dont  l'entrée  est  annoncée  par  une  façade, 
taillée  verticalement  dans  le  rocher  ;  ils  sont  divisés  intérieure- 
ment en  compartiments,  ou  chambres  sépulcrales  destinées  à  rece- 
voir les  sarcophages  ;  telles  sont  celles  qui  se  voient  encore  aujour- 
d'hui dans  l'ancienne  Lycie  (1)  et  dans  les  provinces  étrusques  (2). 

Les  hypogées  les  plus  considérables  et  les  plus  richement  déco- 
rées qu'on  connaisse,  sont  celles  de  la  Nubie.  On  peut  les  regarder 
comme  le  dépôt  de  toutes  les  connaissances  de  l'antiquité  égyp- 
tienne. 

Dans  les  grandes  pièces,  où  sont  placés  les  sarcophages  de  granit, 
renfermant  les  dépouilles  mortelles  des  personnages  défunts,  on 
trouve  toutes  espèces  d'objets  précieux,  qui  avaient  appartenu  aux 
morts  pendant  leur  vie.  On  y  voit  une  multitude  de  tableaux 
sculptés,  dont  les  uns  représentent  des  mythes  funéraires,  les 
autres  des  scènes  domestiques  ;  ceux-ci  ont  trait  à  l'astronomie, 
ceux-là  aux  sciences  et  aux  arts.  Les  plus  belles  hypogées  sont  si- 
tuées dans  la  vallée  de  Biban-el-Molouck  ;  elles  renferment  les  tom- 
beaux de  rois  appartenant  à  la  xviii%  xix'^  et  xx*  dynastie  (3). 

Les  monuments  sacrés  qui  nous  restent  des  plus  anciens  peuples 
ne  sont  souvent  autre  chose  qu'un  développement  de  ces  premières 
constructions  sépulcrales  dont  nous  venons  de  parler  :  les 
SloupaSj  que  l'on  trouve  répandus  dans  les  diverses  contrées 


(1)  Voy.  FellowSj  A7i  accouut  of  dis  coveries  in  Lycin. 

(2;  Grifi,  Monuru.  antic.  di  Cere^ 

(3)  Voy.  Batiâàier,  Histoire  d<i  l'art  monumental. 


—  303  — 

de  l'Inde  (1),  les  dagobas  de  l'île  de  Ceylan  (2),  les  nur-hagsde  l'île 
deSardaigne  (3),  les  téocallis  du  Mexique  (4),  etc.,  sont  de  véri- 
tables monuments  funéraires,  destinés,  soità  recevoir  des  reliques 
vénérées,  soit  à  servir  de  lieux  de  sépulture.  Les  pyramides  de 
l'Egypte  elles-mêmes  ,  ces  monuments  gigantesques  ,  à  la  cons- 
truction desquels  un  peuple  entier  travailla  pendant  vingt  ans, 
ne  sont  qu'un  immense  tombeau,  dans  lequel  viennent  se  résu- 
mer toutes  les  croyances  philosophiques  et  religieuses  de  l'empire 
des  Pharaons. 

«  Il  existe,  dit  Chateaubriand,  un  pays  sur  la  terre,  qui  doit  une 
partie  de  sa  célébrité  à  ses  tombeaux.  Voyez-vous  un  obélisque, 
c'est  un  tombeau;  les  débris  d'une  colonne,  c'est  un  tombeau, 
une  cave  souterraine,  c'est  encore  un  tombeau.  Et  lorsque  la  lune, 
se  levant  derrière  la  grande  pyramide,  vient  à  paraître  sur  le 
sommet  de  ce  sépulcre  immense,  vous  croyez  apercevoir  le  phare 
même  de  la  mort,  et  errer  véritablement  sur  le  rivage,  où  jadis  le 
nautonier  des  enfers  passait  les  ombres.  »  Ajoutons  avecdeLam- 
menais  que  pour  ce  peuple,  «  l'existence  commence  au  tombeau  ; 
ce  qui  précède  n'est  qu'une  ombre^  une  fugitive  image.  Ainsi,  ses 


(1)  Les  Topes  ou  Stoupas  peuvent  affecter  dÏTerses  formes:  souvent  ce  ne  sont 
que  de  simples  tertres  ou  tumulus,  d'autres  fois  ce  sont  des  tours  rondes  ou  carrées, 
couvertes  par  des  toits  ou  par  des  coupoles  sphériques.  On  les  trouve  placés  sur 
des  collines  ou  sur  des  monticules  factices,  entourés  d'une  enceinte  carrée  de  mu- 
railles. Le  plus  remarquable  est  celui  de  Jlanikyala,  qui  a  24  mètres  de  hauteur  et 
95  mètres  de  circonférence.  Voy.  Ritter,  Die  Stupas  etc. 

(2)  Les  Dagobas  ont  la  plus  grande  ressemblance  avec  les  Stoupas;  ce  sont 
comme  eus,  ou  des  constructions  à  coupoles,  ou  des  espèces  de  tumulus,  en  forme 
de  cône,  composés  d'un  monceau  de  terre  recouvert  d'un  mur  en  briques  ou  en 
pierres,  avec  espace  libre  à  l'intérieur,  destiné  à  recevoir  des  reliques.  Le  grand 
Dagoba  de  Mahintala  est  dit  avoir  été  bâti  sur  un  cheveu  qui  poussa  sur  l'œil 
gauche  de  Bouddha.  Voy.  Transactions  of  the  Roy.  Ascat.  Soc.  t.  IIL 

(3)  Les  Nur-hags  sont  des  constructions  ayant  généralement  la  forme  d'un  cône 
tronqué,  faites  avec  des  pierres  brutes  ou  taillées.  On  en  compte  plus  de  trois  mille 
en  Sardaigne.  Aristote  et  Diodore  de  Sicile  en  ont  eu  connaissance.  Petit-Radel 
(notice  sur  les  Nur-hags  de  Sardaigne),  les  attribue  aus  Tyrrhéniens  établis  en 
Italie,  vers  l'an  1370,  avant  J.-C.  ;  Arri  {Lettera  intorno  aiNur-hag),  les  croit  d'o- 
rigine Phénicienne. 

Les  Talayots,  que  l'on  trouve  dans  les  îles  Baléares  et  les  tours  dites  des  Pietés, 
dans  les  îles  de  Shetland^  semblent  avoir  eu  la  même  destination  religieuse  et  être 
le  produit  de  la  même  civilisation. 

(i'j  Les  Te'ocallis  sont  les  édifices  les  plus  anciens,  et  les  plus  nombreux  du 
Mexique:  ce  sont  des  espèces  de  temples  pyramidaux,  à  l'intérieur  desquels  on 
pratiquait  des  chambres  sépulcrales,  dans  lesquelles  était  renfermée  la  dépouille 
des  rois  et  des  princes.  Voy.  de  Huniboldt,  Vues  des  Cordillières,  etc. 


—  304  — 

conceptions  religieuses  et  philosophiques,  ses  dogmes,  en  un  mot, 

venant  aboutir  à  ce  grand  mystère  de  la  mort,  son  temple  a  été 
un  sépulcre.  » 


Le  temple  a  été  le  premier  monument  artistique  que  la  main 
de  l'homme  ait  élevé  :  en  effet,  il  faut  autre  chose  dûns  la  cons- 
truction d'un  édifice  religieux  que  le  travail  du  maçon  ou  l'ou- 
vrage du  charpentier;  il  faut  l'inspiration  de  Tartiste,  qui  sache 
idéaliser  les  formes  grossières  du  monument  prototype,  et  donner 
une  expression  matérielle  à  des  idées  abstraites  et  à  des  concep- 
tions métaphysiques.  Car,  sacbons-le  bien,  l'architecture  ne  doit 
être,  comme  on  l'a  dit  si  souvent  des  arts  en  général,  «  que  la 
forme  extérieure  des  idées,  que  l'expression  du  dogme  religieux.  » 

L'homme,  a  l'habitude  de  se  faire  une  idée  de  la  divinité 
d'après  celle  qu'il  a  de  lui-même  et  les  premiers  monuments 
qu'il  lui  a  construits,  n'ont  été  qu'un  développement  de  sa  propre 
demeure. 

Les  temples  souterrains  de  l'Hindoustan  et  de  la  Nubie, 
taillés  dans  les  rochers,  rappellent  parfaitement  les  cavernes  ou  les 
grottes  qui  servirent  de  refuge  aux  peuples  troglodytes  (1)  ;  les 
temples  Chinois  et  Japonais  ont  une  ressemblance  frappante  avec 
les  tentes  qui  abritent  les  tribus  nomades  de  l'Asie  (2),  tandis  que 


(1)  Le  temple,  taillé  dans  le  roc,  le  plus  remarquable  de  l'Hindoustan  est,  sans 
contredit,  le  Kiiïlaça  ;  il  fait  partie  du  groupe  d'Ellora,  et  peut  être  considéré 
comme  le  panthéon  des  divinités  indiennes  :  toutes  ses  parties,  travaillées  de  main 
d'homme,  forment  unseul  et  même  bloc. 

On  connaît  actuellement  quarante  groupes  de  ces  temples,  et  l'on  suppose  que  le 
nombre  en  atteint  le  ciiiffre  de  mille;  la  plupart  se  trouvent  dans  la  présidence  de 
Bombay.  Voy.  James  Fergussou,  Illustrations  of  the  Rock-cut  temples  of  India. 

(2)  Cette  idée  a  été  très-bien  développée  par  Hope  [History  of  ardiitecture)  : 
«  Ces  nombreux  piliers  de  bois,  dit-il,  sans  bases  et  sans  chapiteaux,  qui  supportent 
le  plafond  des  édifices,  représentent  les  pieux  primitifs  ;  les  toits,  qui,  de  ces  pilliers 
semblent  projeter  au  loin  leur  dos  et  leurs  côtes,  en  conservant  la  forme  convexe, 
sont  les  peaux  et  les  étoffes  pliantes  étendues  sur  les  cordes  et  les  bambous.  Dans 
les  pointes  recourbées,  qui  frangent  ces  toits,  nous  voyons  les  crochets  qui  retenaient 
les  peaux  déployées;  enfin,  dans  l'étendue,  le  peu  de  hauteur  et  l'agglomération  des 
différentes  part'es,  nous  reconnaissons  les  formes  et  le  caractère  distinclif  des 
habitations  de  ces  pasteurs  dont  les  Chinois  sont  descendus.  Les  maisons  chinoises 
semblent  attachées  à  des  pieux  qui,  plantés  en  terre,  auraient  fini  par  y  prendre 
racine  et  par  s'immobiliser.  » 


—  305  — 

la  cabane,  habitation  des  psuples  voués  à  la  culture  du  sol ,  a 
servi  évidemment  de  prototype  aux  chefs-d'œuvre  de  l'architec- 
ture grecque.  En  effet,  les  colonnes,  qui  entourent  le  temple  grec, 
rappellent  les  pieux  ou  poteaux  qui  ont  dû  soutenir  la  cabane  pri- 
mitive; le  piédestal  nous  représente  le  tas  de  pierres  qui  en  en- 
tourait la  base  pour  les  affermir  en  terre  ;  le  fût  c'est  la  partie 
libre  des  pieux,  et  le  chapiteau  indique  la  place  ,  oiî  des  liens  ve- 
naient les  attacher  aux  poutres  transversales  qui  en  reliaient  les 
parties  supérieures,  et  qui  sont  elles-mêmes  représentées  par  la.  frise 
et  Varchitrave  ;  enfin  la  corniche  figure  les  extrémités  saillantes  des 
■  planches  qui  recouvraient  la  cabane  et  lui  servaient  de  toiture. 
Cette  idée  nous  est  d'ailleurs  confirmée  par  un  passage  de  Pau- 
sanias,  oîi  nous  voyons  que  le  premier  temple  de  Delphes  ressem- 
blait à  une  hutte  faite  avec  des  branches  de  laurier  (1). 

Arrêtons-nous  un  instant  à  l'architecture  grecque. 

L'étude  de  l'art  grec  nous  présente,  en  effet,  un  intérêt  tout 
particulier  ;  non-seulement  il  s'est  élevé  à  une  hauteur  à  laquelle 
nul  autre  peuple  n'a  jamais  su  atteindre,  mais  encore  il  a  exercé 
une  influence  sensible  sur  toutes  les  constructions  de  l'Asie , 
et  de  l'Afrique  (2),  influence  tantôt  dénaturée  par  le  génie  capri- 
cieux de  l'Asie,  lorsqu'il  conservait  encore  son  autorité,  comme 
au  temps  de  Sémiramis  et  de  Sardanapale,  tantôt  ramenée  à  une 
application  plus  fidèle  et  plus  intelligente,  à  l'époque,  où  la  civili- 
sation de  l'Occident  avait  pénétré  en  Orient.  Ce  fut  la  Grèce,  vaincue 
et  devenue  province  romaine,  qui  subjugua  Rome  triomphante, 
et  enseigna  les  arts  aux  habitants  encore  incultes  du  Latium  : 

Grœcia  capta  ferum  victorem  cepit,  et  artes 
Intulit  agresti  Latio 

Ainsi  grâce  au  concours  des  Romains,  grâce  à  leur  puissance, 

(1)  Ou  trouve  aujourd'hui  dans  la  Lycie,  et  principalement  dans  la  nécropole  de 
Phellus,  des  tombeaux  creusés  dans  le  flanc  des  rochers^  qui  présentent,  dans  leur 
ensemble,  une  imitation  évidente  des  huttes  en  bois  (voy.  Ch.  Fellows,  An  account 
of  discorin  Lycia).  On  sait  également  que  ce  qui  caractérise  les  temples  bouddhiques 
les  plus  anciens,  c'est  qu'à  l'intérieur  on  a  reproduit  dans  la  pierre  la  disposition 
des  charpentes  d'édifices  construits  en  bois. 

(2)  Un  fait  important,  récemment  constaté  par  les  archéologues,  ferait  même  sup- 
poser que  sous  la  dix-huilième  dynastie,  1650  ans  avant  J.-C,  les  Grecs  étaient 
déjà  très-policés  aux  yeux  des  Egyptiens  ;  car  le  groupe  d'hiéroglyphes,  qui  désigne 
les  Grecs  dans  les  monuments  de  Ptolémée,  n'est  qu'une  reproduction  fidèle  de  celui 
qui  se  trouvait  déjà  sur  des  monuments  de  l'époque  de  Sésostris. 

20 


—  306  — 

aux  richesses  dont  ils  pouvaient  disposer  et  aux  grands  maîtres 
accourus  de  la  Grèce  pour  la  seconder,  l'architecture  grecque 
put  continuer  son  œuvre  de  propagation  et  eut  bientôt  acquis  un 
développement  prodigieux. 

On  retrouve  le  souvenir  des  procédés  et  des  formes  helléniques, 
jusque  dans  les  anciens  temples  du  Mexique.  Il  parait  même  in- 
contestable aujourd'hui  que  l'Hindoustan,  le  berceau  de  l'ancien 
monde  a  reçu  des  leçons  de  la  patrie  d'Homère  dans  les  arts,  les 
sciences  et  les  lettres.  Ce  sont  les  historiens  hindous  eux-mêmes, 
qui  en  ont  rendu  témoignage  dans  les  écrits  les  plus  récemment 
découverts. 

Ainsi,  tandis  que  les  autres  peuples  de  l'antiquité  ne  sortaient 
de  chez  eux  que  pour  aller  établir  par  la  violence  une  domination 
ignorante ,  imposer  quelque  nouvelle  religion  et  changer  les 
hommes  en  esclaves  ,  les  Grecs  ne  franchissaient  leurs  frontières 
que  pour  répandre  partout  les  bienfaits  de  la  civilisation,  et  pour 
faire  au  loin  des  citoyens  libres  et  des  artistes  éclairés.  «  Pendant 
plus  de  quinze  siècles,  dit  M.  de  Valmy ,  cette  propagande  a  été 
constante  dans  sa  générosité  ;  elle  a  conquis  peu  à  peu  le  monde 
aux  arts  de  la  paix ,  au  goût  des  belles-lettres  et  à  l'esprit  de  tolé- 
rance, et,  par  cette  grande  victoire  de  la  civilisation,  elle  a  éman- 
cipé d'une  tutelle  stérile  et  tyrannique  tous  les  peuples  qu'elle  a 
visités.  »  (1). 

Si  nous  voulons  étudier  les  monuments  grecs  dans  leurs  rap- 
ports avec  les  croyances  religieuses,  nous  ne  devons  point  perdre 
de  vue  que  le  paganisme  était  une  religion  extérieure  :  les  céré- 
monies du  culte  avaient  lieu  en  plein  air,  on  immolait  les  vic- 
times, à  l'ombre  des  bois  sacrés  qui  entouraient  les  sanctuaires  ; 
aussi  la  décoration  des  temples  était-elle,  en  quelque  sorte,  toute 
extérieure. 

Les  longues  files  de  colonnes,  qui  ornent  les  nefs  de  nos  églises 
chrétiennes,  se  trouvaient ,  chez  les  Grecs ,  portées  au  dehors  ; 
leurs  statues  ,  leurs  bas-reliefs  ornaient  principalement  les  murs 
extérieurs.  De  là  vient  que  les  ruines  de  leurs  temples  présentent  à 
l'œil  ébloui  du  voyageur  quelque  chose  de  majestueux  et  de  gran- 
diose que  le  monument,  dans  sa  forme  primitive,  était,  peut-être, 
loin  de  posséder.  Car ,  remarquons-le  bien ,  à  l'exception  de 
quelques  monuments  religieux  qui  avaient  certainement  un  carac- 
tère imposant  et  solennel,  les  temples  grecs  manquaient  générale- 

(1)  De  ValmVj  Le  génie  des  peuples  dans  les  arts. 


—  307  — 

ment  de  grandeur,  cet  important  élément  de  la  beauté  en  archi- 
tecture. La  cathédrale  de  Notre-Dame  de  Paris  pourrait  contenir 
plusieurs  fois  le  temple  de  Minerve,  sur  l'Acropole  d'Athènes,  et 
l'église  de  la  Madeleine  est  un  colosse,  h.  côté  du  Parthénon  (1). 
Dans  beaucoup  de  leurs  sanctuaires ,  dix  personnes  eussent  été 
gênées,  et,  comme  le  dit  May,  «  le  prêtre  et  l'idole  y  disparaissaient 
dans  la  fumée  d'un  grain  d'encens.  » 

Que  ceci  ne  nous  surprenne  pas  :  l'idée  que  les  anciens  se  fai- 
saient de  leurs  dieux,  auxquels  ils  n'attribuaient  qu'une  puissance 
limitée,  et  tous  les  vices  des  hommes,  ainsi  que  les  étroites  limites, 
de  leur  propre  pays,  ne  pouvaient  guère  faire  naître  en  eux  des 
conceptions  grandioses  et  colossales. 

Ajoutons  que  les  beaux-arts,  chez  les  Grecs,  n'avaient  point  ce 
caractère  exclusivement  religieux  que  nous  leur  trouvons,  chez  les 
peuples  mystiques  de  l'Orient  ;  ils  offrent  à  la  fois  une  institution 
sociale  et  religieuse  ;  le  temple  grec  était  même  moins  le 
sanctuaire  des  croyances  du  peuple  que  celui  de  ses  arts  et  de  ses 
illustrations  nationales  ;  c'était  un  véritable  musée.  On  y  renfer- 
mait les  actes  importants  de  l'état,  les  traités  de  paix  et  même  les 
trésors  publics  (2).  On  y  voyait,  au  dire  de  Pausanias,  outre  les 
autels  et  les  statues  des  divinités,  les  chefs-d'œuvre  de  peinture 
des  artistes  grecs,  les  portraits  peints  sur  bouclier  des  grands  ci- 
toyens qui  avaient  illustré  leur  pays,  des  vases,  des  armes,  des 
vêtements,  suspendus  aux  voûtes  et  aux  parois  des  murs,  et  dé- 
diés, en  mémoire  d'un  grand  événement,  à  la  divinité  du  lieu  ; 


(1)  Le  plan  de  la  cathédrale  de  Paris  offre  les  dimensions  suivantes:  longueur 
totale  dans  œuvre  :  130  mètres  :  longueur  du  transsept,  48  mètres  ;  hauteur  des 
voûtes  ,35  mètres  ;  hauteur  des  tours  68  mètres.  On  y  compte  5  nefs,  37  chapelles 
3  rosaces  de  plus  de  13  mètres  chacune,  113  fenêtres,  75  colonnes  ou  piliers  isolés, 
et  297  colonnes,  y  compris  les  colonnes  engagées  et  les  colon  nettes.  On  entre  par 
6  portes,  et  un  escalier  de  380  degrés  conduit  à  la  plate-forme  des  toars.  (L'abbé 
Bourassé,  Les  plus  belles  églises  du  monde.) 

Le  Parthénon,  bâti  par  les  architectes  Jctinus  et  Callicrates  sous  le  direction  de 
Phidias,  avait  79  mètres  de  long,  sur  34  de  larg.  et  22  de  haut. 

(2)  L'usage  de  conserver  dans  les  temples  les  archives  de  la  nation  et  tout  ce  qui 
à  rapport  à  l'organisation  sociale,  a  été  emprunté  par  les  Grecs  aux  peuples  de 
l'Asie,  comme  on  peut  le  voir  par  la  description  que  donne  Hérodote  (L.  L  C. 
xxviii)  du  temple  de  Belus  à  Babylone.  Ce  temple  de  Belus  n'est  autre  chose  que 
le  célèbre  édifice  connu  dans  la  Bible,  sous  le  nom  de  Jour  de  Babel.  D'après 
M.  Oppert,  qui  s'est  livré  à  d'activés  recherches  à  ce  sujet,  on  trouverait  les  ruines 
de  la  fameuse  tour,  à  9  kilomètres  S.  0.  de  Hillah,  sur  l'emplacement  de  la  vieille 
ville  Chaldéenne  de  Borsippa  ;  ce  dernier  nom  signifie  également  confusion  des 
langues. 


—  308  — 

enfin  les  trônes,  les  sièges  votifs,  les  trépieds,  les  candélabres  for- 
maient une  partie  importante  de  l'ameublement.  Dans  plusieurs 
temples  on  voyait  même  des  statues  équestres,  des  chevaux,  des 
bœufs,  des  chars,  le  tout  en  bronze,  enfin  des  lits  sur  lesquels 
les  prêtres  couchaient  les  statues  des  dieux  dans  les  pompes  sa- 
crées. 

Les  Romains  qui  s'étaient  approprié  tous  les  arts  des  Grecs,  et 
même  leurs  dieux,  adoptèrent  également  les  formes  architecto- 
niques  de  leurs  temples  ;  ils  n'y  introduisirent  qu'une  légère  mo-' 
dification,  caractérisée  par  l'emploi  de  la  voûte   et  de  l'arcade. 
«  Mais  comme  de  plus  grandes  ressources  leur  suggérèrent  de 
plus  grands  dessins,  ils  accrurent  le's  édifices  en  largeur  et  en 
hauteur  :   les   entreprises,  qu'Athènes   et    Lacédémone   eussent 
jugées  colossales,  paraissaient  mesquines  aux  maîtres  du  monde.  » 
La  société  romaine,  a  dit  un  philosophe,  se  retrouve  avec  ses 
caractères  dans  les  productions  de  l'art.  Les  arcs  de  triomphe  (1), 
élevés  jusqu'au  fond   des  plus  lointaines  provinces,  les  magni- 
fiques   colonnes   d'Antonin  et  de  Trajan,   les  palais  même   des 
gardes  prétoriennes,  près  de  quelques  demeures  impériales,  rap- 
pellent et  l'esprit  martial,  la  fierté  et  la  gloire  du  peuple  qui  sou- 
mit tous  les  autres  peuples.  Ces  monuments,  les  premiers  surtout, 
sont  purement  romains.  On  croit  voir,  en  les  contemplant,  les 
nations  se  courber  pour  passer  sous  ces  voûtes  ornées  de  leurs  dé- 
pouilles (2). 

Ce  fut  sous  le  règne  d'Auguste  et  sous  celui  des  Flaviens  et  des 
Antonins  que  l'art  romain  produisit  ses  plus  beaux  chefs-d'œuvre  : 
sous  leur  règne  le  sol  de  l'Italie  se  surchargea,  pour  ainsi  dire^  de 
théâtres,  d'arènes,  de  thermes,  de  portiques,  de  môles  et  somp- 
tueuses villas. 

Seulement,  n'oublions  pas  que  chez  les  Romains,  l'art  est  essen- 
tiellement municipal  ;  chez  eux,  il  n'est  plus  une  sorte  d'article  de 
foi,  une  croyance,  comme  chez  les  peuples  de  l'Orient,  ou  une 
institution  sociale  et  religieuse,  comme  chez  les  grecs  ;  c'est, 
comme  dit  de  Mercey,  u  un  moyen  de  domination,  un  auxiliaire 
du  pouvoir  dont  les  productions  tendent  à  rehausser  la  splendeur; 

(1)  Le  plus  beau  monument  de  ce  genre  qui  nous  reste  de  la  domination  ro- 
maine est  l'Arc  d'Oranrje.  Cet  arc  a  22  mètres  de  hauteur  sur  21  mètres  de  lar- 
geur ;  c'est  un  des  plus  grands  arcs  que  nous  ait  légués  l'antiquité,  mais  il  est  loin 
davoir  les  dimensions  de  l'Arc  de  l'Etoile  qui  à  49  mètres  de  hauteur,  44  de  lai- 
geur  et  22  d'épaisseur. 

(2)  De  Lamennais^  E^qui^se  d'une  /Jdlosophie. 


—  309  —         , 

c'est  surtout  un  nouveau  moyen  de  plaisir  (1).  »  Aussi  les  temples 
romains  n'avaient  rien  de  solennel  et  de  majestueux  :  c'étaient 
moins  des  édifices  religieux  que  des  monuments  élevés  à  l'orgueil 
et  à  la  vanité.  Les  architectes  appelés  à  élever  des  palais  pour 
des  empereurs  livrés  à  toutes  les  débauches,  et  pour  des  dieux  que 
la  corruption  avait  souillés,  ne  pouvaient  pas  s'inspirer  aux  nobles 
sentiments  de  l'amour  de  la  patrie,  de  la  gloire  et  de  la  religion, 
qui  animaient  tous  les  citoyens,  dans  les  plus  petites  villes  de  la 
Grèce  (2). 


Nous  passons  maintenant  à  l'architecture  chrétienne  et  nous 
allons  voir  quelle  magique  influence  peut  exercer  sur  les  arts, 
une  religion  qui  sait  s'emparer  des  âmes  et  exciter  l'enthousiasme 
religieux,  et  comment,  grâce  à  des  artistes  pleins  de  foi  et  de 
piété,  son  temple  a  pu  devenir  l'expression  de  ses  dogmes  (3). 

Pendant  les  premiers  siècles  du  christianisme ,  la  haine  des 
empereurs  romains  ne  permit  guère  aux  chrétiens  d'avoir  des 
lieux  publics  de  réunion.  Pour  se  soustraire  à  la  rage  de  leurs 
persécuteurs  ils  se  réunirent  dans  les  arenariœ,  ou  galeries  sou- 
terraines, creusées  pour  l'extraction  de  la  pouzzolane,  auxquelles 
on  a  donné  le  nom  de  catacombes.  C'est  là  qu'ils  inhumèrent  égale- 
ment les  martyrs  et  tous  ceux  qui  appartenaient  à  la  communion 


(1)  De  Mercey,  Études  sur  les  Beaux-Arts. 

(2)  Le  premier  temple  de  marbre  ne  fut  élevé  que  147  ans  avant  J.-C,  par  Mé- 
tellus  le  Macédonien;  la  première  basilique  ne  fut  achevée  que  184  ans  avant  J.-C, 
par  Porcins  Cato;  le  premier  palais  de  marbre  fut  bâti  par  Lucius  Crassus,  en  l'an 
104  avant  J.-C. 

(3)  Voici  un  tableau  indiquant  avec  leurs  époques  les  différents  styles  d'architec- 
ture, qui  ont  régné  en  France,  depuis  l'époque  Gallo-Roiaaiue  jusqu'à  la  Renais- 
sance : 

Style  latin 

Style  roman 

Style  roman o-ogi val  ou  de  tran- 
sition   

Style  primaire  ou  à  lancette.  . 
Style  secondaire  ou  rayonnant. 
Style  tertiaire  ou  flamboyant  . 


Architecture 

à 
plein-cintre. 


Architecture 

à 

ogive. 

Architecture 

de  la 
Renaissance. 


du  iv«  au  xie  siècle. 

xie  siècle  et  l^e  moitié  du  xii^. 
2^  moitié  du  xii<=  siècle. 


xiii^  siècle, 
xiv^  siècle. 
xye  siècle  et  xvis  (1"  moitié). 


Depuis  la  1'^  moitié  du  xvie  siècle. 


—  310  — 

chrétienne.  Mais  sous  le  règne  d'Hadrien,  les  persécutions  ces- 
sèrent (1),  et  la  nouvelle  religion  étendit  si  rapidement  ses  con- 
quêtes que,  dès  le  m®  siècle,  les  chrétiens  formaient,  dans  Rome, 
un  peuple  entier;  suivant  Optât  (2),  on  y  comptait  déjà  plus  de 
quarante  églises. 

Dès  qu'il  fut  permis  aux  chrétiens  de  célébrer  leurs  mystères 
au  grand  jour,  ils  cherchèrent,  parmi  les  monuments  qui  les  en- 
touraient, un  genre  de  construction  qu'ils  pussent  adapter  à  leur 
culte.  Les  basiliques  parurent  s'y  prêter  mieux  que  tous  les  autres 
monuments  de  l'architecture  gréco-romaine. 

Les  basiliques  servaient  à  la  fois  de  tribunaux  et  de  bourses  de' 
commerce.  On  s'y  réunissait  pour  parler  d'affaires,  pour  étaler 
et  vendre  ses  marchandises,  comme  dans  nos  halles  ou  nos  ba- 
zars. 

A  l'intérieur,  deux  rangs  parallèles  de  colonnes  ou  de  pilastres 
divisaient  l'édifice  en  trois  parties  inégales,  dans  le  sens  de  la 
longueur.  La  galerie  centrale  était  la  plus  large  et  la  plus  élevée  ; 
elle  était  occupée  en  partie  par  les  marchands,  les  plaideurs,  les 
avocats,  et  en  partie  par  le  peuple.  Les  plaideurs  et  les  curieux 
se  plaçaient  aussi,  à  droite  et  à  gauche,  dans  les  deux  ailes  laté- 
rales. 

A  l'extrémité  de  ces  trois  galeries,  il  y  avait  un  espace  peu 
profond  qui ,  comme  dans  nos  tribunaux  actuels ,  était  réservé 
exclusivement  aux  avocats,  aux  greffiers  et  aux  autres  officiers  de 
justice,  et  qui  se  terminait  par  un  enfoncement  semi-circulaire, 
placé  vis-à-vis  de  la  galerie  centrale.  C'était  au  milieu  de  cet  hé- 
micycle que  s'asseyait  le  président  ou  premier  juge,  ayant  à  ses 
côtés  les  juges  assesseurs. 

Les  basiliques  une  fois  transformées  en  églises,  il  ne  fut  pas 
difficile  d'adapter  les  cérémonies  religieuses  à  la  disposition  du 
local. 

L'évêque  ou  le  prêtre  qui  officiait,  entouré  des  prêtres  assis- 
tants, se  plaça  au  fond  de  l'hémicycle,  appelé  tribune,  où  siégeaient 
.auparavant  les  juges  sur  un  siège,  cathedra^  ordinairement  en 
marbre,  et  qui  s'élevait  au-dessus  des  bancs  en  pierre,  adossés  à 
l'abside  et  destinés  aux  autres  prêtres  :  de  là,  il  dominait  et  pré- 
sidait l'assemblée.  L'espace  réservé  aux  avocats,    enlre  l'hémi- 


(i)  Ce  fut.  après  avoir  lu  l'apologie  rie  saint  Quarlrat^  que  l'empereur  permit  aux 
chrétiens  de  se  réunir  dans  de  petits  édifices  qui  prirent  le  nom  d'IIadriances. 
(2)  Contrai  Parmcnl,  ï\b.  1. 


—  311  — 

cycle  et  les  nefs,  devint  une  enceinte  privilégiée  pour  les  chantres 
et  autres  ecclésiastiques;  il  prit  le  nom  de  chœur \  l'autel  fut 
placé  à  peu  près  entre  le  chœur  et  le  presbyterium,  ou  tribune. 
Les  galeries  ou  nefs  des  basiliques  furent  occupées  par  les  fidèles; 
le  côté  droit  était  celui  des  hommes,  et  le  gauche  celui  des 
femmes  (1). 

Après  avoir  fait  usage  des  basiliques  romaines,  les  chrétiens 
en  élevèrent  eux-mêmes.  Pour  rappeler  le  temps  des  persécutions, 
où  les  fidèles  célébraient  les  mystères  dans  les  catacombes,  sur 
les  tombeaux  des  martyrs,  à  la  sombre  lueur  des  lampes,  on 
creusa  sous  l'autel  un  caveau,  oh  furent  déposés  les  restes  des 
chrétiens  morts  en  odeur  de  sainteté;  des  lampes  et  des  cierges 
brûlaient  autour.  Pour  rappeler  les  catacombes  elles-mêmes,  on 
construisit,  sous  le  chœur,  des  crypte^  ou  églises  souterraines. 
Bientôt  l'espace  entre  l'abside  et  les  nefs  s'allongea  pour  former 
le  transsept,  et  le  plan  du  nouvel  édifice  prit  la  forme  de  la  croix, 
sur  laquelle  était  mort  le  Christ;  enfin,  trois  portes  donnèrent 
accès  aux  trois  nefs,  des  rosaces  furent  ouvertes  dans  la  grande 
nef  et  le  transsept,  et  les  parties  essentielles  du  temple  catholique 
étaient  trouvées. 

C'est  l'avènement  de  Constantin,  converti  à  la  religion  nouvelle, 
qu'on  peut  considérer  comme  le  point  de  départ  d'un  art  chrétien. 
Grâce  à  son  ardeur,  de  nombreuses  églises  s'élevèrent  bientôt 
dans  tout  l'empire  romain;  son  zèle  pour  le  christianisme  alla 
même  si  loin,  qu'il  ordonna  de  démolir  tous  les  temples  de  l'an- 
cien culte  (2).  «  Pendant  plus  d'un  siècle,  dit  un  chroniqueur, 
l'univers  retentit  du  bruit  des  marteaux,  qui  renversaient  les 
chefs-d'œuvre  des  Scopas,  des  Polyclète  et  des  Gallimaque.  Enfin, 
l'ardeur  fut  si  vive ,  que  les  barbares,  dans  leurs  irruptions 
dévastatrices,  trouvèrent  la  besogne  de  destruction  presque  ache- 
vée (3).  )) 

C'est  à  l'occasion  de  la  construction  de  Sainte-Sophie,  de  Cons- 
tantinople,  par  Constantin,  que  l'on  résolut  d'abandonner  défini- 
tivement le  plan  des  basiliques  payennes,  et  d'en  remplacer  le 
parallélogramme  par  la  forme  de  la  croix  grecque,  symbole  uni- 

(1)  De  Caumont,  Abécédaire  d'archéologie. 

(2)  Eusèbe  ,  Hist.  eccles.  et  de  vita  Constantini. 

Cette  allégation  d'Eusèbe  doit  surtout  s'appliquer  au  paganisme  en  Orient;  car 
il  est  établi  que,  les  monuments  antiques  furent  assez  respectés  en  Italie,  jusqu'au 
règne  de  Théodose.  Voy.  Beugnot,  Chute  du  Paganisme. 

(3)  Libanius,  Orat.  10,  in  Juli.  necem. 


—  312  — 

versel  du  culte  chrétien  des  premiers  siècles.  Justinien  la  fît  re- 
bâtir avec  le  luxe,  la  richesse  et  la  solidité  qui  convenaient  h  la 
métropole  d'un  grand  empire;  et  depuis,  la  forme  de  l'église,  le 
caractère  des  ornements,  le  luxe  de  la  décoration  et  des  peintures 
sont  devenus  le  type  de  l'architecture  chrétienne  en  Orient. 

Ce  style,  auquel  on  a  donné  le  nom  de  byzantin^  n'était  qu'une 
forme  corrompue  du  style  grec  :  la  superstition,  le  bigotisme  et 
l'idolâtrie  des  chrétiens  du  Bas-Empire  avaient  affaibli  le  génie 
des  artistes,  que  la  décadence  de  l'art  payen  avait  déjà  égarés,  et 
la  nouvelle  église  fut,  au  point  de  vue  de  l'esthétique,  une  vio- 
lation flagrante  des  règles  de  l'art  antique,  violation  que  la  ri- 
chesse des  ornements  et  la  grandeur  imposante  de  l'ensemble 
peuvent  un  instant  faire  oublier,  mais  qu'elles  ne  sauraient  com- 
plètement cacher. 

Introduit  chez  les  Moscovites  par  les  apôtres  grecs,  le  style 
byzantin  s'est  conservé  jusqu'à  nos  jours  en  Russie,  sans  modifi- 
cations considérables. 

Il  a  été  également  adopté  par  les  sectateurs  de  Mahomet;  avec 
eux  il  s'est  répandu  en  Perse,  dans  l'Inde  et  enfin  en  Espagne,  où, 
sous  le  nom  de  style  mauresque,  il  a  produit  le  palais  de  l'Al- 
hambra,  une  des  merveilles  du  monde. 

Malheureusement  la  religion  musulmane,  en  interdisant  la 
représentation  de  la  figure  humaine  dans  ses  temples,  a  isolé  le 
génie  de  l'une  de  ses  sources  les  plus  fécondes,  et  a  conduit  l'art 
oriental  à  chercher  la  richesse  et  la  vie  dans  le  luxe  de  la  déco- 
ration, qui  ne  peut  éblouir  que  les  regards  des  peuples  en  déca- 
dence ou  ignorants  des  vrais  principes  du  beau. 

Si  nous  tournons  nos  regards  vers  l'Occident,  et  en  particulier 
vers  nos  contrées,  et  que  nous  nous  reportions  au  iv"  siècle, 
nous  trouvons  l'architecture  en  proie  aux  innovations  :  elle 
tente  péniblement  de  se  débarrasser  des  traditions  du  passé, 
et  cherche  au  hasard  des  combinaisons  appropriées  aux  besoins 
d'un  culte  nouveau,  d'une  société  moralement  transformée,  mais 
dont  la  forme  extérieure  est  encore  toute  payenne. 

Nous  n'avons  que  des  renseignements  très-vagues  et  peu 
intéressants  sur  l'histoire  de  l'art,  depuis  le  iv°  siècle  jusqu'au 
X''  siècle.  Il  ne  paraît  pas  que,  pendant  cette  longue  période,  on 
ait  rien  fondé  de  bien  grandiose,  ni  de  bien  durable.  La  pratique 
de  l'art  romain  était  tombée  dans  une  si  complète  décadence, 
qu'on  ne  trouvait  memu  plus  de  sculpteurs  pour  décorer  les  édi- 
fices publics.  On  comprend,  en  effet,  que  les  arts  n'aient  pu  pros- 


—  313  — 

pérer  au  milieu  des  luttes  religieuses,  clos  guerres  intestines  et 
des  nombreuses  invasions,  qui  remplissent  l'histoire  des  premiers 
siècles  de  la  monarchie  française  (1). 

L'idée  chrétienne,  cependant,  s'affermit,  mais  ce  fut  plutôt  une 
réaction  contre  les  croyances  du  passé  qu'un  véritable  progrès  (2). 
Celui-ci  ne  se  manifeste  qu'avec  le  règne  de  Gharlemagne  :  ce 
grand  prince  releva  non-seulement  les  lettres  et  les  arts,  mais  il 
déracina  les  idées  et  les  superstitions  payennes;  avec  lui,  l'art 
commence  à  s'affranchir  des  traditions  antiques  et  à  devenir 
chrétien. 

C'est  grâce  aux  relations  que  ce  prince  put  établir  avec  l'empire 
d'Orient,  et  aux  architectes  appelés  de  Constantinople,  que  nous 
devons  les  premières  coupoles  byzantines.  Mais  l'Occident 
était  trop  pauvre,  et  le  caractère  de  ses  habitants  était  encore 
trop  barbare,  au  ix''  siècle,  pour  adopter  généralement  le  style 
pompeux  de  Sainte-Sophie  dans  la  construction  de  ses  églises. 
C'est  en  vain  que  Charles-le-Chauve  appela,  à  son  tour,  des  ar- 
tistes grecs,  pour  achever  la  régénération  des  arts  commencée  par 
Charlemagne;  ses  efforts  restèrent  impuissants,  et  l'empire  re- 
tomba bientôt  dans  la  plus  complète  barbarie. 

Le  x^  siècle  nous  offre  le  tableau  de  la  plus  affreuse  misère 
physique  et  morale.  «  Il  semble,  comme  le  dit  M.  Duruy,  que  la 
mort  physique  va  s'emparer  du  monde,  que  la  mort  intellectuelle 
a  déjà  presque  entièrement  conquis;  lui-même  croit  qu'il  va 
périr.  L'an  1000,  auquel  une  croyance  religieuse  avait  assigné  la 
fin  du  monde,  approche;  on  ne  bâtit  plus,  on  ne  répare  plus,  on 
donne  au  clergé  ses  terres,  ses  maisons,  mundifine  appropinquante , 
parce  que  la  fin  du  monde  approche.  » 

Enfin^  avec  le  commencement  du  xi^  siècle,  le  monde  se  ré- 

(1)  Batissier,  Histoire  de  l'art  monumental. 

L'ignorance  de  l'art  de  bâtir  était  même  devenue  si  grande  qu'on  ne  savait  plus, 
pour  ainsi  dire,  construire  les  v.ùtes.  Quand  elles  existent,  il  est  très  probable  qu'elles 
ont  été  faites  après  coup,  et  qu'elles  sont  plus  récentes  que  le  reste  de  l'édifice. 

(2)  Dans  son  zèle  contre  les  restes  de  l'idolâtrie  le  clergé  du  vi^  siècle  y  comprit 
même  l'élégance  du  langage.  Le  pape  Saint-Grégoire-le-Grand,  apprenant  que 
Didier,  évêque  de  Vienne,  donnait  des  leçons  de  grammaire,  lui  écrit  :  «  On  me 
rapporte  une  chose  que  je  ne  puis  répéter  sans  honte  :  On  dit  que  ta  Fraternité 
explique  la  grammaire....  Nous  en  sommes  affligés,  car  les  louanges  de  Jupiter  ne 
peuvent  tenir  dans  une  seule  et  même  bouche  avec  celle  de  Jésus-Christ....  Quant  à 
moi,  je  n'évite  pas  le  désordre  du  barbarisme;  je  dédaigne  d'observer  les  cas  des 
prépositions;  car  je  regarderais  comme  une  iniquité  de  plier  la  parole  divine  sous 
les  lois  du  grammairien  Donat.  »  Voy.  Demogeot,  Hist.  de  la  litiér.  franc. 


—  314  — 

veille.  L'humanité  ressaisit  avec  bonheur  une  vie  qu'elle  s'était 
crue  si  près  de  perdre.  Elle  se  remit  à  travailler,  à  bâtir;  dans  sa 
reconnaissance  pour  ce  Dieu,  qui  prolongeait  ses  jours,  elle  lui 
éleva,  de  tous  côtés,  de  nouveaux  temples  (1).  «  On  eût  dit,  sui- 
vant l'expression  d'un  chroniqueur  contemporain,  que  le  monde 
dépouillait  tout  à  coup  sa  vieillesse,  et  se  revêtait  tout  entier  d'une 
blanche  robe  d'églises  (2).  » 

La  plus  haute  expression  de  l'art  chrétien  d'Occident  ,  au 
xii^  siècle,  et  la  plus  noble  formule  du  style  roman  est,  sans  con- 
tredit, Saint-Saturnin,  de  Toulouse;  de  même  que  Sainte-Sophie 
est  la  plus  haute  expression  de  l'art  chrétien  d'Orient ,  au 
VI®  siècle.  «  Mais  Sainte-Sophie  est  l'œuvre  suprême  d'une  civili- 
sation qui  se  précipitait  vers  la  décadence,  tandis  que  Saint-Sa- 
turnin est  l'expression  d'un  retour  aux  grands  principes  de 
l'art.  » 

L'enthousiasme  extraordinaire,  qui  avait  marqué  les  premières 
années  du  xf  siècle,  continua  d'animer  les  esprits  jusqu'à  la  fin 
du  xiii'=  siècle  (3).  Alors   apparaît   l'époque  la  plus  remarquable 


(1)  En  huit  siècles  1108  églises  seulement  avaient  été  bâties  en  France  ;  326 
s'élèvent  au  xie  siècle,  et  702  au  xii^. 

(2)  «  Erat  enim  instar  ac  si  muncUis  ipse,  excutiendo  semet,  rejecta  vetustate, 
passim  caudidam   ecclesiarum  vestem  indueret.j)  Glaber,  Lib.  III,  4. 

(3)  Non  contents  de  contribuer  par  des  offrandes  à  la  construction  des  nouvelles 
églises,  les  fidèles  se  réunissaient  en  congrégations,  accouraient  en  foule  dans  les 
lieux,  où  l'on  en  élevait,  pour  prendre  part  aux  travaux  les  plus  pénibles.  Souvent 
même  la  nuit  n'interrompait  pas  les  travaux,  et  Haimon,  abbé  de  St-Pierre-sur- 
Dive,  rapporte  dansune  lettre  écrite,  en  H45,  qu'on  allumait  des  cierges  sur  les 
chariots  autour  des  églises  en  construction,  et  qu'on  travaillait  en  chantant  des 
hymnes  et  des  cantiques. 

Ainsi  les  chroniques  rapportent  que  pendant  treize  ans  plus  de  cent  mille  per- 
sonnes, excitées  par  la  piété,  furent  employées  journellement  à  la  construction  de 
la  cathédrale  do  Strasbourg;  des  indulgences,  du  pain  et  quelques  racines  étaient 
leur  unique  salaire  (Voy.  Grandidier,  Essai  historique  sur  lu  cathédrale  de 
Strasbourg) . 

Mais  ce  furent  les  corporations  ou  associations  des  francs- maçons  qui  rendirent 
les  plus  grands  services  dans  la  construction  des  nouvelles  cathédrales.  Quoique 
les  maçons  français  fussent  associés  entre  eux,  comme  les  membres  des  autres 
corps  de  méliers,  les  véritables  corporations  des  francs-maçons  nous  sont  venues 
de  l'Italie,  où  elles  jouissaient  dès  le  vm*  siècle,  de  privilèges  exclusifs.  Les  mem- 
bres n'étaient  initiés  au  secret  du  grand  art  de  bàlir,  qu'après  s'être  ^onmisàun 
noviciat,  à  des  épreuves,  et  s'être  engagés  à  un  silence  absolu  :  après  avoir  passé  par 
les  divers  degrés  d'apprentissage,  ils  étaient  reçus  maîtres  et  avaient  droit  d'exercer, 
partout  et  pour  leur  propre  compte,  leur  profession.  Les  souverains,  dans  chaque 
royaume,  accordèrent  des  privilèges  aux  confréries  de  fraucs-maçons,  et  les  papes 


—  313  — 

du  moyen-âge,  pour  l'architecture  religieuse.  Les  croisades  avaient 
donné  une  nouvelle  impulsion  à  l'esprit  religieux  et  chevaleresque 
des  peuples,  et  la  foi,  ravivée  par  je  ne  sais  quel  souffle  poétique, 
se  montrait  capable  de  produire  les  plus  grandes  merveilles.  <(  Le 
génie  irançais,  pour  me  servir  des  paroles  de  M.  Duruy,  versait  à 
tous  les  pays  voisins  comme  un  flot  de  grande  poésie,  et,  sans  les 
guerres  qui  vont  venir,  c'est  du  xiii^  siècle  qu'on  aurait  daté  la 
Renaissance.  »  L'architecture  romane  était  abandonnée,  et  les 
traditions  du  polythéisme  n'asservissant  plus  l'imagination  des 
artistes,  le  catholicisme  entra  en  possession  de  l'architecture  qui 
lui  était  propre,  architecture  jusqu'alors  inconnue  et  toute  chré- 
tienne d'expression,  c'est-à-dire  de  l'architecture  gothique  ou  ogi- 
vale. 

Pour  comprendre  l'architecture  gothique,  il  faut  nous  rappeler 
ce  que  j'ai  dit  en  commençant,  que,  dans  tous  les  siècles,  les 
croyances  religieuses  ont  puissamment  influé  sur  les  caractères  de 
l'architecture.  Ainsi,  chez  les  Grecs  et  les  Romains,  la  religion 
toute  matérielle,  on  pourrait  dire  toute  naturelle,  a  produit  et  de- 
vait produire  une  architecture  basée  sur  des  proportions,  qui  ne 
dépassaient  pas  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  le  bon  goût  ;  l'en- 
semble des  parties  devait  montrer  cette  grâce,  cette  élégante  sim- 
plicité, et  en  même  temps  cette  richesse,  que  nous  admirons  dans 
les  édifices  des  anciens,  parce  que  l'imagination  était  fixée  sur  des 
choses  naturelles,  et  que  le  type  du  vrai  beau,  par  rapport  à  eux, 
ne  sortait  pas  de  la  nature  physique  ;  ils  visaient  à  la  beauté  ab- 
solue. 

La  forme  est  donc  tout  dans  l'architecture  antique  ;  dans  l'ar- 
chitecture ogivale,  il  faut  voir  avant  tout  la  pensée  :  <(  le  gothique 
veut  rivaliser  avec  l'élan  mystique  des  âmes  et  s'élancer  vers  le 
ciel,  au  risque  d'en  tomber.  »  Aussi,  si  nous  comparons  les  temples 


les  leur  garantirent  pour  les  pays  catholiques,  où  ils  allaient  traTailler.  Tous  les 
frères  étaient  liés  entre  eux  par  un  contrat  solidaire  d'hospitalité,  de  secours  et  de 
bons  offices,  ce  qui  leur  permettait  de  faire,  à  peu  de  frais  et  en  sûreté,  les  plus 
longs  voyages. 

l^orsque  les  progrès  des  connaissances  humaines  eurent  divulgué  les  procédés, 
longtemps  tenus  secrets,  de  l'art  de  bâtir,  les  sociétés  maçonniques  cessèrent  d'avoir 
leur  but  et  leur  utilité,  mais  elles  continuèrent  d'exister  sous  une  autre  forme,  et, 
gardant  ponr  base  le  principe  de  la  fraternité,  elles  perpétuèrent^  par  des  noms 
et  des  signes  symboliques  (le  tablier  de  peau,  la  truelle,  l'équerre,  le  compas),  le 
souvenir  de  ce  qu'elles  avaient  été. — Cf.  Renouvier  et  Ricard,  Des  maîtres  de  pierre 
et  autres  artistes  gothiques  de  Montpellier. 


—  316  — 

de  la  Grèce  aux  belles  cathédrales  du  moyen-âge,  nous  ne  pouvons 
nous  empêcher  d'accorder  la  préférence  à  ces  dernières;  non  pas 
que  nous  croyons  l'art  chrétien  supérieur  à  l'art  payen,  c'est  une 
question  jugée  depuis  longtemps  ,  mais  nous  trouvons  dans 
les  monuments  du  moyen-âge  une  expression  de  grandeur 
qu'on  chercherait  vainement  ailleurs,  et  qui  tient  à  l'essence 
même  de  la  religion  qui  les  a  inspirés.  L'architecture  gothique 
respire  la  majesté  et  l'austérité  du  dogme  chrétien,  et  Michiels  a 
pu  dire,  en  toute  vérité,  que  «  l'expression  de  ses  formes  appartient 
au  genre  sublime  et  dépasse  la  portée  des  âmes  vulgaires.  » 

Qu'on  compare  un  instant  sans  prévention,  comme  sans  parti 
pris,  l'église  de  la  Madeleine,  qui  est  un  véritable  temple  de  Min 
nerve,  à  la  cathédrale  de  Notre-Dame,  et  l'on  sera  forcé  de  recon- 
naître toute  la  justesse  de  notre  assertion. 

Dès  qu'on  a  franchi  le  seuil  d'une  cathédrale  et  qu'on  pénètre 
dans  ces  froides  enceintes,  oii  règne  la  poésie  du  silence  et  du  re- 
pos, on  est  saisi  d'un  sentiment  éminemment  religieux.  A  la  vue 
de  ces  pierres  sépulcrales  dont  sont  pavées  les  nefs,  de  ces  tom- 
beaux qui  se  dressent  dans  les  murs  latéraux,  de  ces  images  du 
Christ  expirant  sur  la  croix,  la  pensée  se  reporte  involontairement 
sur  la  durée  éphémère  de  la  vie,  et  les  regards  se  tournent  vers 
l'éternité.  Et  lorsque  nous  parcourons  ensuite  ces  longues  nefs, 
dont  l'extrémité  semble  échapper  à  nos  yeux,  et  que  nous  exami- 
nons ces  murs  aériens,  sur  lesquels  sont  semées  mille  découpures 
et  élégantes  broderies,  ces  gracieuses  colonettes,  qui  s'élancent  d'un 
seul  jet  du  sol  vers  les  cieux,  et  ces  voûtes  gigantesques  et  élevées, 
où  semblent  flotter  les  esprits  célestes,  une  tristesse  calme  et  poé- 
tique s'empare  de  notre  âme,  et  semble  vouloir  la  détacher  de  ce 
monde  pour  la  transporter  dans  les  abîmes  de  l'infini. 

Le  xiii^  siècle,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  a  été  le  beau  temps 
de  l'architecture  gothique.  «  C'est  alors  que  se  sont  élevées  ces 
montagnes  de  pierres  ciselées  àjour,  ces  cathédrales  de  Paris,  de 
Rouen,  d'Amiens,  de  Chartres,  de  Reims,  de  Bourges,  de  Stras- 
bourg, et  tant  d'autres  chefs-d'œuvre,  où  se  montrent  toutes  les 
hardiesses  de  la  pensée,  toute  l'élévation,  toute  la  ferveur  du  sen- 
timent religieux.  » 

Dès  le  XIV''  siècle,  une  décadence  se  manifeste  dans  l'architec- 
ture. Le  désir  d'innover,  de  faire  mieux,  qui  se  révélait  dans 
l'ordre  religieux  et  moral,  comme  dans  l'ordre  politique  et  litté- 
raire, poussait  vers  la  richesse  et  l'hyperbole,  et  les  qualités  se 
changèrent  en  défauts. 


—  317  — 

Enfin  au  xv*^  siècle,  le  moyen-âge  s'écroule,  et  c'en  est  fait  de 
l'architecture  religieuse:  en  cherchant  la  beauté  dans  la  décoration 
de  luxe  et  la  profusion  des  ornements,  elle  perd  complètement  son 
caractère  grave  et  sévère  ;  elle  semble  avoir  oublié  le  sens  des  vieux 
symboles.  Les  écussons  de  la  noblesse  s'étalent  maintenant  aux 
endroits  les  plus  apparents,  comme  au  sommet  du  pignon  et  dans 
le  tympan  des  portes.  Les  vitraux,  à  leur  tour,  se  chargent  d'ar- 
moiries, de  portraits,  d'arbres  généalogiques,  d'inscriptions  vani- 
teuses, en  un  mot,  la  foi  s'attiédit  et  a  l'homme  atteint,  par  le 
doute,  comme  le  dit  un  écrivain,  ne  songe  plus  à  faire  à  ses 
croyances  un  abri  immortel.  » 

Cette  architecture  du  moyen-âge  était  née  avec  le  christianisme 
et  avait  grandi  avec  lui  ;  n'ayant  demandé  ses  inspirations  qu'à  la 
religion,  elle  était  devenue  l'expression  Adèle  des  idées  du  temps. 
Dans  les  cathédrales  gothiques,  on  voit,  en  effet,  à  côté  des  pa- 
raboles de  l'Apocalypse,  des  légendes  du  déluge,  de  Job  et  de  Jo- 
seph, les  animaux  fantastiques,  les  créatures  bizarres,  les  basilics, 
les  chouettes,  tous  souvenirs  confus  des  superstitions  qui  s'étaient 
mêlées  aux  premières  croyances  chrétiennes.  Aussi  l'art  gothique, 
comme  le  dit  de  Valney  né  en  même  temps  que  ces  idées,  ne  pou- 
vait être  et  n'a  été  que  transitoire. 

Nous  avons  parlé  de  l'architecture  gothique,  au  point  de  vue  du 
sentiment  religieux  ;  si  nous  la  considérons  au  point  de  vue  de 
l'esthétique,  nous  y  trouvons  à  chaque  pas  les  infractions  les  plus 
graves  aux  principes  de  l'art.  «  L'architecture  gothique,  dit 
M.  Viollet-le-Duc,  pleine  de  jeunesse  et  de  force  dans  les  pre- 
mières années   du  règne  de  saint  Louis,  commençait  à  tomber 

dans  l'abus  en  1260 Les  membres  de  l'architecture  s'amaigris- 

sant,  la  sculpture  se  complaît  dans  l'exécution  des  infiniment 
petits,  le  sentiment  de  la  vraie  grandeur  se  perd,  on  veut  étonner 
par  la  hardiesse,  par  l'apparence  de  la  légèreté  et  de  la  finesse  (1).  » 

«  Connaissez-vous  l'architecture  de  nos  vieilles  églises  qu'on 
nomme  gothiques?  dit  Fénélon.  N'avez-vous  pas  remarqué  ces 
roses  ces  points,  ces  petits  ornements  coupés  et  sans  dessin  suivi, 
enfin  tous  ces  colifichets  dont  elle  est  fleurie  ?  Voilà  en  architec- 
ture ce  que  les  antithèses  et  les  autres  jeux  de  mots  sont  en  élo- 
quence. L'architecture  grecque  est  bien  plus  simple.  Elle  n'admet 
que  des  ornements  majestueux  et  naturels  :  on  n'y  voit  rien  que 
de  grand,  de  proportionné,  de  mis  en  place » 

(1)  ViûUet-le-Duc.  Dictionnaire  de  /'architecture  française. 


—  318  — 

Perçant  partout  les  murailles,  dit  à  son  tour  Mérimée,  les  archi- 
tectes gothiques  voulurent  forcer  le  spectateur  à  l'étonnement,  et 
le  raisonnement  seul  peut  lui  faire  croire  à  la  solidité  des  masses  sus- 
pendues au-dessus  de  sa  tète.  Pourtant  il  fallut  bien  songer  à  cette 
solidité,  et  pour  soutenir  en  l'air  des  voûtes,  à  une  prodigieuse  hau- 
teur, on  dut  augmenter  successivement  les  contre-forts,  il  fallut 
étayerde  tous  côtés,  par  des  arcs-boutants,  ces  masses  pyramidales, 
qui  menaçaient  le  ciel  et  les  habitants  de  la  terre.  Si,  en  entrant  dans 
une  église  gothique,  nous  admirons  la  hardiesse  des  voûtes,  l'élance- 
cement  des  colonnes,  en  en  mot,  sa  fabrique  toute  aérienne,  on 
éprouve,  en  la  contemplant  de  loin,  le  sentiment  pénible  qu'excite 
la  vue  d'une  ruine  chancelante  et  soutenue  par  des  étais....  «  Tous 
ces  ars-boutants  extérieurs  qui,  avec  tant  de  légèreté  et  de  har- 
diesse, viennent  détruire  la  poussée  des  voûtes,  sont  d'un  pauvre 
effet,  malgré  ce  qu'ils  ont  de  rationnel,  parce  qu'ils  ne  se  rattachent 
pas  suffisamment  à  l'édifice,  ils  l'embarrassent,  ils  en  masquent 
les  lignes  principales,  et  ils  semblent  des  hors-d'œuvres,  appelés 
après  coup  à  donner  à  la  construction  une  stabilité  qu'elle  aurait 
dû  avoir  par  elle-même.  » 

Les  artistes  du  moyen-âge  croyaient  que  la  règle  était  un 
obstacle  au  progrès  et  à  Tinspiration,  et  que  les  intelligences  su- 
périeures pouvaient  être  paralysées  par  des  principes  sévères 
et  monotones  ;  ils  se  sont  donc  donné,  dans  le  domaine  de 
l'art,  une  liberté  d'autant  plus  grande  que  dans  celui  du  dogme 
ils  n'en  pouvaient  avoir  aucune,  et  c'est  ainsi  qu'en  n'admettant 
d'autre  règle  que  celle  du  caprice  et  de  la  fantaisie,  ils  ont 
entraîné  l'architecture  dans  une  voie  où  elle  s'est  fatalement 
perdue. 


Avec  le  xvi®  siècle,  l'aurore  d'une  vie  nouvelle  apparaît  à  l'hori- 
zon :  ((  l'humanité,  àlaquelle,  l'Évangile  a  enseigné  de  nouvelles  ver- 
tus va  entrer  en  possession  de  l'héritage  du  paganisme  et  réunir 
dans  un  vaste  lit  les  flots  épars  de  la  tradition.  »  Une  régénération, 
qu'on  a  appelée  Va.  Renaissance,  se  produit  dans  toutes  les  classes  de 
la  société,  aussi  bien  parmi  les  artistes  que  parmi  les  théologiens, 
en  architecture  comme  en  religion. 

En  môme  temps  que  les  idées  superstitieuses  du  passé  sont 
abandonnées,  et  qu'on  en  vient  à  un  sentiment  religieux  plus  rai- 
sonné,  le  génie  de  l'art  se  reporte  vers  les  beaux   modèles   de 


—  319  — 

l'antiquité,  et  l'art  de  construire  va  être  basé  désormais  sur  les  saines 
traditions  des  Grecs  et  des  Romains;  les  artistes  se  dégagent  des 
étroites  entraves,  dans  lesquelles  les  avaient  trop  longtemps  retenus 
des  idées  religieuses  qui  proscrivaient  toute  beauté  corporelle, 
comme  entachée  d'impureté  payenne,  et  qui  n'ofTraient  à  leur  gé- 
nie d'autres  sujets  d'étude  que  les  images  d'un  âpre  ascétisme, 
de  scènes  de  douleurs,  de  pénitence,  oii  le  cilice  et  le  suaire  affligent 
la  vue  et  attristent  l'esprit  :  ils  reviennent  au  culte  de  la  forme  et 
abandonnent  le  type  de  la  nature  souffrante  et  languissante,  que 
représentaient  les  figures  gothiques,  pour  les  remplacer  par  des 
images  fidèles  de  la  nature  humaine.  «  Il  se  fait,  comme  dit  de 
Lammenais,  une  alliance  entre  l'art  antique  et  l'art  chrétien.  » 

De  plus,  la  vie  civile  se  sépare  complètement  de  la  vie  religieuse; 
et  l'art,  après  avoir  passé  par  l'état  théologique  à  l'état  métaphy- 
sique, va  devenir  positif  et  pratique,  indépendant,  en  un  mot,  et 
si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  va  vivre  de  sa  propre  vie  ! 

La  rénovation,  que  la  Renaissance  a  introduite  dans  l'art  monu- 
mental, consiste  moins  dans  la  copie  ou  dans  l'imitation  des  monu- 
ments des  anciens,  que  dans  l'adoption  des  règles,  qui  avaient  di- 
rigé ceux-ci  dans  la  construction  de  leurs  immortels  chefs-d'œuvre, 
règles  exposées  par  Vitruve,  et  basées  sur  l'essence  même  du  beau, 
c'est-à-dire  sur  l'harmonie  et  la  proportion  (1). 

Ce  n'est  pas  ici  l'endroit  de  nous  demander  ce  que  c'est  que  le 
beau^  sur  quelle  théorie  il  s'appuie  ;  constatons  simplement  qu'en 
architecture,  il  ne  saurait  reposer  sur  d'autre  principe  que  sur  les 
proportions  données  aux  divers  éléments  et  sur  l'harmonie  de  ces 
éléments  entre  eux. 

Par  quels  procédés  les  Grecs  sont-ils  parvenus  à  en  fixer  les 
principes  et  les  règles  ? 

Par  un  seul  :  en  s'inspirant  des  modèles  les  plus  parfaits  donnés 
par  la  nature.  C'est  ainsi  que  d'abord  ils  composèrent  le  type  de 
la  beauté  humaine,  en  réunissant  dans  une  figure  les  proportions 
les  plus  parfaites,  données  par  la  nature  à  leur  race,  c'est-à-dire 
en  réunissant  l'harmonie  à  la  vérité.  Ces  proportions  une  fois 
établies,  ils   s'en  sont  servis  pour  fixer  celles   qu'il  convenait 


(i)  Aristote  s'exprime  ainsi  :  «  Les  iormes  essentielles  du  beau  sont  l'ordre^  la 
symétrie,  la  détermination,  la  limitation  :  dire  beauté,  c'est  dire  grandeur  et  ordre.» 

«  Rien  n'est  beau  sans  harmonie,  dit  Platon  :  en  toutes  choses  la  mesure  et 
l'harmonie  doivent  être  réunies  pour  constituer  la  beauté  absolue.  »  [Pliilèbe.)  Voyez 
Ch.  L'évêque,  La  science  du  beau  : 


—  320  — 

de    donner  aux  parties   essentielles   de  leurs   monuments   (1). 

Ils  ont  ainsi  formulé  le  type  de  la  beauté  dans  l'art  de  construire 
et  en  ont  déterminé  les  principes  et  les  règles  avec  une  précision, 
pour  ainsi  dire  mathématique,  afin  que  le  caprice  ne  vînt  pas, 
comme  chez  les  autres  peuples,  altérer  les  proportions  que  l'étude, 
l'expérience  et  le  génie  de  leurs  plus  grands  maîtres  avaient  adoptées, 
comme  les  plus  parfaites.  C'est  donc  en  basant  la  théorie  de  l'art 
sur  les  règles  d'harmonie  et  de  proportion  que  Dieu  a  mises  dans 
ses  œuvres,  que  l'art  grec  est  devenu  la  plus  haute  expression  de 
l'intelligence  humaine  ;  c'est  en  suivant  ces  mêmes  principes,  en 
s'inspirant  à  la  même  source  sacrée,  que  l'art  moderne  va  enfanter 
ses  merveilles  (2). 

La  Renaissance  a  été  inaugurée  en  Italie,  dès  la  fin  du  xiv®  siècle, 
par  Brunelleschi  dans  la  construction  du  dôme  de  Florence.  L'ar- 
chitecte a  emprunté  au  temple  grec  ses  lignes  élégantes,  en 
conservant  la  variété  des  ornements  délicats  du  style  ogival,  et  en 
substituant  aux  formes  légères  et  sveltes  des  flèches  gothiques  la 
large  voûte  latine. 

Introduite  en  France,  sous  le  règne  de  François  I",  la  Renais- 
sance s'est  montrée  dans  tout  son  éclat,  sous  le  règne  de  Louis  XIV 
et  de  Louis  XVI  ;  c'est  alors  qu'ont  été  élevés  le  palais  de  Ver- 
sailles, le  dôme  des  Invalides,  le  Palais-Royal,  le  Panthéon,  le 
Val-de-Gràce  et  tant  d'autres  chefs-d'œuvre  qui,  grâce  à  une 
application  large  et  bien  entendue  des  règles  de  l'art  antique,  ont 
mérité  toute  l'admiration  de  la  postérité. 

Mais  le  plus  beau  chef-d'œuvre  de  l'art  moderne  et  l'église  la 
plus  grandiose  et  la  plus  parfaite  du  monde,  c'est,  sans  contredit, 
la  basilique  de  Saint-Pierre,  de  Rome  (3). 

Presque  toutes  les  églises  du  xvii''  et  du  xviii^  siècle  l'ont  prise 


(1)  Vitruve  rappelle  la  tradition  sur  la  formation  primitive  des  ordres  dans  les 
termes  suivants  : 

«  Comme  ils  ne  savaient  pas  bien  quelle  proportion  il  fallait  donner  aux  colonnes 
qu'ils  voulaient  mettre  à  ce  temple;  ils  cherchèrent  le  moyen  de  les  faire  assez 
fortes  pour  soutenir  le  faix  de  l'édifice  et  de  les  rendre  agréables  à  la  vue.  Pour 
cela  ils  prirent  la  mesure  du  pied  d'un  homme,  qui  est  la  sixième  partie  de  s% 
hauteur,  sur  laquelle  mesure  ils  formèrent  leur  colonne,  en  sorte  qu'à  proportion 
de  cette  mesure  qu'ils  donnèrent  à  la  grosseur  de  la  tige  de  la  colonne,  ils  la  firent 
six  fois  aussi  haute,  en  comprenant  le  chapiteau,  et  ainsi  la  colonne  (dorique)  fut 
premièrement  mise  dans  les  édifices,  ayant  la  proportion,  la  force  et  la  beauté  du 
corps  de  l'homme.  »  (Traduction  Perrault,  éd.  1G84.) 

(2)  De  Valmr,  Le  génie  rfe?  peuples  dam  les  arts. 

(3)  Fondée  sur  les  plans  de  Bramante,  elle  a  été  en  grande  partie  achevée  par 


/ 

—  321   — 

pour  modèle,  c'est-à-dire  ont  admis  la  l'orme  de  la  croix  latine, 
la  net  séparée  des  bas-côtés  par  des  pilastres  supportant  un  enta- 
blement, la  voûte  en  berceau  avec  pénétrations  pour  l'introduction 
du  Jour,  et  une  chapelle  à  chacune  des  extrémités  du  transsept. 

Mais  la  plupart  de  ces  églises  ont  les  défauts  de  leur  modèle, 
sans  en  posséder  les  qualités  :  si  les  cathédrales  gothiques  violaient 
les  règles  de  l'art,  elles  possédaient,  en  retour,  une  expression 
frappante  de  grandeur  et  de  majesté,  tandis  que  celles-ci  n'ont  ni 
valeur  artistique  ni  caractère  religieux  ;  «  la  grandeur  maté- 
rielle et  la  grandeur  morale,  —  pour  me  servir  des  paroles  de 
M.  Léonce  Reynaud,  — y  manquent  également.  »  On  dirait  que  le 
souffle  de  l'indifférence  et  de  l'incrédulité  a  glacé  le  génie  des  ar- 
tistes qui  les  ont  élevées. 

C'est  donc  dans  les  palais,  les  hôtels-de-ville,  les  demeures  privées, 
plutôt  que  dans  les  monuments  religieux,  qu'il  faut  chercher  les 
merveilles  de  la  Renaissance.  C'est  là,  sur  les  façades  fleuronnées, 
dans  les  escaliers,  les  galeries,  le  Couronnement  des  toitures,  qu'elle 
s'épanouit  dans  toute  sa  richesse. 


Aujourd'hui  les  idées  religieuses  s'affaiblissent,  les  plus  saintes 
croyances  comme  les  principes  les  plus  sacrés  sont  ébranlés,  l'art 
lui-même  semble  revenir  sur  ses  pas;  le  génie  impétueux  et  irré- 
fléchi du  xix"  siècle,  établissant  son  empire  sur  les  esprits,  a  inau- 
guré une  ère  de  doute  et  d'indécision  dans  les  arts,  comme  dans 
les  lettres  et  la  politique,  et  cela  au  moment,  où  un  nouvel  avenir 
plein  d'espérance  paraissait  s'ouvrir  pour  l'art  monumental. 

Cependant  nous  ne  désespérons  point  des  destinées  de  l'architec- 
ture. 

Quoique  la  théorie  de  l'art  ne  soit  plus  londée  sur  aucune  re- 
ligion, et  qu'aucun  souffle  divin  ne  vienne  l'animer  ;^  malgré  les 
clameurs,  qui  s'élèvent  de  tous  côtés  contre  l'impuissance  dont 
notre  génie  national  serait  à  jamais  frappé,  il  me  semble,  —  et  je 
voudrais  ne  pas  être  seul  de  cet  avis,  —  il  me  semble  que  notre 
siècle  porte  en  lui-même  les  germes  d'un  brillant  avenir  ! 

Michel-Ange.  On  a  évalué  à  environ  300  millions  de  francs  les  sommes  dépensées 
à  sa  construction.  En  voici  les  principales  dimensions  : 

Longueur  extérieure,  219  mètres.  —  Longueur  intérieure,  188  ra.  —  Longueur 
du  transsept,  lo4  m.  —  Largeur  intérieure  de  la  nef,  27  m.  —  Hauteur  de  la 
voùle,  48  m.  —  Hauteur  totale,  136  m. 

21 


—  322  — 

L'art^  il  est  vrai ,  traverse  un  moment  des  plus  critiques  :  une 
liberté,  sans  principes  et  sans  règle,  a  enfanté  dans  le  domaine  des 
arts  une  licence,  qui  se  traduit  quelquefois  en  véritable  anarchie  ; 
mais  dans  un  siècle,  dont  le  souffle  prodigieux  bouleverse  l'œuvre 
de  cinquante  générations,  renverse  à  la  fois  les  idées  et  ceux  qui 
les  représentent ,  et  ébranle  le  monde  entier ,  l'instabilité  des 
théories,  comme  l'absence  des  principes,  est  une  fatalité  du  mo- 
ment. 

N'est-ce  pas  la  marche  trop  rapide  du  progrès  lui-même,  qui 
donne  comme  le  vertige  à  l'artiste,  et  entraîne  momentanément  le 
génie  vers  le  nouveau  et  l'inconnu,  sans  lui  laisser  le  temps  de 
s'arrêter  et  de  se  reconnaître  ? 

L'accroissement  même  de  la  prospérité  publique,  qui  facilite 
à  toutes  les  classes  de  la  société  l'acquisition  des  richesses,  devient 
un  danger  pour  l'art,  en  permettant  aux  dépositaires  des  biens 
de  la  fortune,  qu'aucune  tradition  n'a  pu  éclairer ,  de  distribuer 
leurs  largesses  sans  discernement,  et  de  soutenir  par  leurs  faveurs 
des  productions,  qui  n'ont  d'autre  mérite  que  celui  de  flatter  des 
instincts  vulgaires  et  des  goûts  dépravés. 

Mais  un  siècle,  où  les  plus  touchants  dévouements,  et  cela  de- 
puis les  marches  du  trône,  jusqu'aux  rangs  les  plus  humbles  de 
la  société,  deviennent  des  vertus  ordinaires  ;  un  siècle,  où,  du  cœur 
des  masses  s'élèvent  les  plus  nobles  aspirations  pour  la  liberté, 
où  le  sentiment  de  la  dignité  humaine  a  atteint  toute  sa  délica- 
tesse et  fait  éclore  les  plus  généreux  élans,  un  tel  siècle,  et  c'est  le 
nôtre,  ne  saurait  inaugurer  une  époque  de  décadence  ;  il  a  le  sen- 
timent du  beau,  parce  qu'il  a  celui  du  vrai  et  du  juste^,  et  si,  dans 
le  domaine  des  arts,  il  paraît  un  instant  arrêté  dans  son  développe- 
ment, c'est  qu'il  lui  faut  du  temps  pour  se  recueillir,  c'est  que 
tout  sentiment,  avant  de  pouvoir  se  traduire  au  dehors  et  -être 
formulé  par  l'esprit,  a  besoin  de  germer  et  de  prendre  racine  dans 
le  cœur. 

D'ailleurs,  un  heureux  concours  de  circonstances  s'apprête  au- 
jourd'hui à  favoriser  le  développement  des  beaux-arts  :  les  pro- 
grès des  sciences  et  de  l'industrie,  le  développement  de  l'instruc- 
tion et  du  bien-être  général,  enfin  une  ère  de  calme  et  de  sage 
liberté,  que  rien  ne  semble  devoir  de  sitôt  troubler. 

Et  quelle  voie  suivra  l'art  architectural  dans  cet  avenir  qu'il  me 
semble  entrevoir? 

Pera-t-il  retour  au  style  gothique? 

Non;  élevés  dans  un  style,  auquel  font  défaut  les  règles  et  les 


—  323  — 

principes,  les  monuments  du  moyen-âge  n'ont  dû  leur  hauteur  qu'à 
l'inspiration  des  corporations  religieuses  et  municipales  ;  l'art  ne 
saurait  reproduire,  à  une  époque  d'indifférence,  les  chefs-d'œuvre 
que  le  génie  de  la  foi  a  seul  été  capable  d'inspirer. 

Louons  les  églises  gothiques,  élevées  au  xiv"  et  au  xv^  siècle, 
d'avoir  répondu  au  caractère  religieux  d'une  époque,  oià  le  culte 
chrétien  s'était  identifié  à  des  tendances  mystiques  et  trop  exclu- 
sives ;  mais  ne  craignons  pas  de  dire  que  le  caractère  trop  clé- 
rical du  style  gothique  ne  répond  plus  au  caractère  humanitaire 
du  christianisme,  et  ne  convient  pas  à.  une  époque  de  civilisation 
avancée.  Ne  voyons-nous  pas,  d'ailleurs,  une  démonstration  de 
cette  vérité  dans  l'impuissance,  où  sont  aujourd'hui  des  architectes 
d'un  talent  considérable,  de  créer  un  monument  gothique  d'une 
valeur  réelle  ?  Leurs  églises  ne  sont-elles  pas  restées  au-dessous 
des  églises  du  moyen-âge,  et  leurs  édifices  les  plus  simples  ne 
sont-ils  pas  tombés  à  un  degré  de  médiocrité  qui  frappe  tous  les 
yeux  (1)  ? 

Peut-être  l'art  cherchera-t-il  à  associer  le  style  grec  au  style 
gothique  ! 

Ceci  nous  le  croyons  encore  moins  :  ce  serait  renouveler 
l'erreur  des  premiers  temps  delà  Renaissance  et  produire  un  style 
hétérogène,  renversant  tous  les  principes  de  la  science.  Un  style 
est  un  tout  homogène  dont  les  proportions  sont  calculées  pour 
harmoniser  les  différentes  parties  d'une  construction. 

Non,  l'architecture  reviendra  nécessairement  aux  principes  de 
l'antiquité.'  Mais  hâtons-nous  d'ajouter  que  ce  n'est  pas  à  dire 
que  l'art  moderne  devra  imiter  l'art  antique  dans  ses  expressions 
diverses,  et  copier  servilement  les  monuments  qu'il  nous  a  laissés  : 
ce  serait  prendre  ces  monuments  pour  l'art  lui-même,  tandis  qu'ils 
ne  sont  que  l'expression  donnée  à  l'art  parles  anciens,  pour  répon- 
dre aux  exigences  de  leur  culte  et  de  leur  civilisation.  Cet  art  n'est 
ni  un  temple,  ni  un  atrium,  ni  une  basilique,  il  consiste,  comme 
le  dit  très-bien  M.  de  Valmy,  dans  les  éléments  qui  composent  ces 
édifices,  et  dans  les  règles  qui  permettent  d'en  assembler  les  par- 
ties, de  manière  à  former  un  tout  harmonieux  et  régulier. 

C'est  à  la  sage  et  intelligente  application  de  ces  règles  que  nous 
devons  les  immortels  chefs-d'œuvre  des  Pierre  Lescot,  des  Phili- 
bert Delorme,  des  Perrault  et  des  Mansart.  Ces  artistes  nous  ont 
montré  que  l'art  grec  est  parfaitement  applicable  à  nos  mœurs  , 

(1)  De  Valmy.  Le  génie  du  peuple  dans  les  arts. 


—  324  — 

à  nos  besoins,   à  notre  climat  et  à  notre  civilisation  chrétienne. 

«  Quel  faux  orgueil  pourrait  d'ailleurs  nous  interdire  de  prendre, 
pour  guide  du  progrès  de 'l'art  moderne,  le  code  esthétique  du 
peuple  qui  a  été  le  plus  grand  dans  l'art  de  construire,  non  moins 
que  dans  les  sciences,  les  lettres  et  toutes  les  branches  du  savoir?... 
Les  Romains,  libres  de  choisir  entre  toutes  les  théories  du  monde, 
dont  ils  étaient  les  maîtres,  n'ont-ils  pas  dédaigné  l'art  des  Baby- 
loniens et  des  Egyptiens,  malgré  la  grandeur  de  leurs  œuvres, 
et  adopté  la  théorie  que  le  génie  de  la  Grèce  avait  créée  pour  les 
arts  et  les  lettres?  Quel  aveuglement  pourrait  nous  égarer,  quand 
nous  voyons  la  peinture  et  la  sculpture  se  régénérer  en  puisant 
à  cette  source?  Quel  préjugé  national  pourrait  nous  condamner 
aujourd'hui  à  répudier  un  legs  de  l'antiquité,  si  heureusement  re- 
cueilli par  les  grands  hommes  des  siècles  de  Léon  X  et  de 
Louis  XIV?  Les  œuvres,  accomplies  depuis  trois  siècles  par  les 
plus  grands  artistes  de  la  France  et  de  l'Italie,  ont-elles  cessé 
d'être  françaises  ou  italiennes,  parce  qu'elles  doivent  leur  perfec- 
tion aux  traditions  des  écoles  de  Rome  et  d'Athènes?  Le  domaine 
de  l'art  n'est-il  donc  pas  la  patrie  commune  de  tous  les  peuples 
civilisés,  et  ses  trésors  le  véritable  fonds  commun  de  tous  les  âges 
et  de  toutes  les  nations  ?»   (1) 

Nous  avons  la  ferme  conviction  que  notre  siècle,  comprenant 
sa  mission,  entrera  dans  la  voie  qui  s'ouvre  devant  lui,  et  que  nos 
arrière-neveux  le  marqueront  dans  l'histoire  des  Beaux-Arts 
comme  l'époque  la  plus  glorieuse  de  l'humanité. 

Sachons  donc  attendre,  et,  tout  en  saluant  de  nos  vœux  l'astre 
qui  brille  à  l'horizon  du  monde  moderne,  tournons  nos  regards 
vers  le  passé,  et  répétons  ce  vieil  adage,  si  plein  de  vérité  et  qui 
résume  toute  notre  thèse  : 

IN  ANTIQUIS  EST  SAPIENTIA. 

'■» 

(1)  De  Valmy,  loc.  cit. 


325 


L'ANCIENNE  LÉPROSERIE  DE  MORET, 

PAR    M.    SOLLIER, 
Membre  fondateur  ($$ec(ion  de  Melun.) 


A  un  kilomètre  de  Moret,  sur  le  bord  de  la  route  de  Montereau, 
on  voyait  encore,  il  y  a  vingt  ans,  les  ruines  pittoresques  d'une 
construction  qui  avait  dû  être  assez  importante,  mais  dont  il  ne 
restait  plus  debout  que  les  murailles  et  la  voûte  à  moitié  dégra- 
dées d'une  antique  chapelle. 

Placée  au  pied  d'une  colline,  dans  une  situation  des  plus  sa- 
lubres  et  des  plus  agréables,  cette  Chapelle  n'était  cependant  fré- 
quentée depuis  longues  années  que  par  les  bergers  et  les  labou- 
reurs^ qui  venaient  y  chercher  un  abri  contre  les  ardeurs  du 
soleil  ou  un  refuge  pendant  l'orage,  et,  quelquefois  aussi,  par 
des  troupes  de  bohémiens,  qui  y  faisaient  une  halte  pour  quelques 
jours  et  en  prenaient  possession  comme  de  la  maison  du  bon 
Dieu. 

Aujourd'hui,  sur  ce  lieu  naguère  désert  et  abandonné,  s'élèvent 
des  maisons  d'habitation  qui  en  ont  complètement  changé  l'aspect 
et  lui  ont  enlevé  ce  charme  indéfinissable  et  ce  cachet  d'antiquité 
si  chers  aux  poètes  et  aux  amateurs  des  vieux  souvenirs.  Les 
pierres,  qui  gisaient  çà  et  là  sur  le  sol,  ont  été  enlevées,  ainsi  que 
le  lierre  et  les  ronces  qui  serpentaient  alentour.  La  chapelle  existe 
encore,  il  est  vrai  ;  mais  elle  a  disparu  du  paysage  et  elle  est 
comme  enchâssée  dans  les  dépendances  symétriques  d'une  maison 
bourgeoise. 

En  un  mot,  il  n'y  a  plus  de  traces  extérieures  de  ces  vénérables 
bâtiments,  dont  la  construction  remonte  à  plus  de  sept  cents  ans, 
et  le  souvenir  même  de  leur  existence  s'effacerait  bientôt  si  la 
colline  n'avait  pas  conservé  son  ancien  nom  de  montagne  de 
Saint-Lazare. 

On  sait  que  l'ordre  de  chevalerie  de  Saint- Jean  de  Jérusalem, 
fut  créé  en  Palestine,  vers  l'an  1104,  par  quelques  nobles  français, 
pour  défendre  les  saints  lieux,  protéger  les  pèlerins  et  soigner  les 
malades.  Quelques  années  après  sa  fondation,  une  scission  se  pro- 
duisit dans  l'ordre  de  Saint-Jean,  et  plusieurs  des  chevaliers  s'en 


—  326  — 

séparèrent  pour  former  une  association  spéciale,  sous  l'invocation 
de  Saint-Lazare,  nommé  vulgairement  Saint-Ladre,  patron  des 
pauvres  et  des  souffreteux.  Ils  se  vouèrent  spécialement  au  soula- 
gement des  lépreux,  et,  dans  ce  saint  ministère,  ils  se  signalèrent 
par  un  dévouement  et  une  abnégation  sans  bornes. 

Pendant  ce  temps-là,  des  débris  des  croisades,  échappés  au  fer 
des  Sarrazins  et  aux  mille  autres  dangers  de  ces  lointaines  expédi- 
tions, avaient  importé  d'Orient  en  Occident  l'affreuse  maladie  de 
la  lèpre,  et  le  fléau  commençait  à  étendre  sur  la  France  ses  ter- 
ribles ravages.  Le  roi  Louis-le-jeune,  qui  avait  apprécié  dans  la 
Palestine  les  services  des  chevaliers  de  Saint-Lazare,  en  emm.ena 
un  grand  nombre  avec  lui  lors  de  son  retour  dans  son  royaume, 
et  il  leur  confia  la  noble  et  périlleuse  mission  de  combattre  les 
progrès  de  la  maladie.  Par  lettres-patentes  datées  de  1154,  il  leur 
fit  donation  de  son  château  de  Boigny,  près  d'Orléans,  où  ils  éta- 
blirent le  siège  et  le  chef-lieu  de  leur  ordre.  Grâce  aux  libéralités 
du  roi,  les  frères  hospitaliers  de  Saint-Lazare  fondèrent  dans  l'Ile- 
de-France,  l'Orléanais  et  le  Gâtinais,  plusieurs  de  ces  petits 
hôpitaux  qui  ont  reçu  le  nom  de  léproserie  ou  de  maladrerie,  et 
dans  lesquels  les  malheureuses  victimes  de  la  contagion,  exclues 
du  sein  des  villes  et  se  traînant  sur  les  chemins  et  dans  les  cam- 
pagnes, trouvèrent  un  refuge  et  tous  les  secours  de  la  charité 
chrétienne  (1).  Des  états  du  roi  de  France,  l'institution  des  mai- 
sons de  Saint-Lazare  se  répandit  promptement  dans  les  autres', 
parties  de  l'ancienne  Gaule  et  gagna  bienLoL  l'Europe  entière.  Si 
l'on  en  croit  Mathieu  Paris,  historien  normand  du  xiii'^  siècle,  il 
existait  de  son  temps  dix-neuf  mille  ladreries  dans  la  chrétienté. 


(1)  L'inventaire  des  archives  de  Seine-et-Marne  (vol.  2,  série  H.  et  supplément) 
contient  la  mention  de  titres  et  documents  coucernant  trente-cinq  maladrerics  qui 
existaient  autrefois  sur  le  territoireconipris  dans  la  circonscription  de  ce  deiartement. 
Ces  maladreries  sont  celles  de  Chailly,  Rebais  et  Rozoy,  pour  l'arrondissement  de 
Cou/ommiers ;  Courbelon,  Courbuisson,  Fossard,  Giez^  Moret,  Nemours,  Pontraut- 
lès-Château-Landon,  Samois,  Vernou  et  Voulx,  pour  l'arrondissement  de  Fon- 
tainebleau; Champs,  Coulombs,  Coupvray,  Crécy,  Dammarlin-en-Gi  ële,  Lizy-sur- 
Ourcq,  May-en-Multien,  Meaux,  Mitry,  Oissery,  Pomponne,  Ru-de-Veroust,  à 
Jouarre,  Sablonnières  et  Vendrest,  pour  l'arrondissement  de  Meaux  ;  Champeaux 
et  Melun,  pour  l'arrondissement  de  Me/un;  Dray-sur-Seine,  Close-Barbe,  à  Provins, 
Donnemarie,  Montigny-Lencoup,  Nangis  et  Villiers,  pour  l'arrondissement  de 
Provins.  Cette  nomenclature  est  évidemment  incomplète,  surtout  en  ce  qui  con- 
cerne les  arrondissements  de  Melun  et  de  Coulommiers.  Il  paraît  certain  qu'un 
assez  grand  nombre  de  maladreries  ont  disparu  aux  quinzième  et  seizième  siècles, 
sans  qu'il  soit  resté  dans  nos  archives  publiques  de  traces  de  leur  existence. 


—  327  — 

Quelque  exagéré  que  ce  nombre  puisse  paraître,  il  est  certain  que 
l'ordre  de  Saint-Lazare  prit  en  peu  de  temps  un  accroissement 
prodigieux  et  devint  l'un  des  plus  riches  et  des  plus  importants 
de  l'Europe.  Louis  VIII,  dans  son  testament  fait  en  1225,  légua 
cent  sols  (  environ  225  francs  de  notre  monnaie  )  à  chacune  des 
deux  mille  léproseries  de  son  royaume,  et  Saint-Louis,  après  la 
cinquième  croisade,  prit  de  sages  mesures  dans  le  but  d'accroître 
leurs  ressources  et  d'en  régulariser  l'emploi. 

En  1490,  les  propriétés  de  l'ordre  de  Saint-Lazare  étaient  si  con- 
sidérables qu'elles  excitèrent  la  jalousie  et  la  convoitise  des  cheva- 
liers de  Saint-Jean  de  Jérusalem.  Ceux-ci,  déjà  enrichis  d'une  par- 
tie des  dépouilles  des  Templiers  (en  1312),  eurent  encore  assez 
d'influence  pour  faire  prononcer  par  le  pape  Innocent  VIII  la 
suppression  à  leur  profit  de  l'ordre  des  chevaliers  de  Saint-Lazare. 
Mais  la  bulle  du  pape  ne  fQt  pas  exécutée  en  France,  et  ces  frères 
hospitaliers,  qui  y  avaient  rendu  et  y  rendaient  encore  de  si  grands 
services,  conservèrent  comme  auparavant  leur  nom,  leur  grand- 
maître  et  l'administration  de  leurs  biens. 

Cet  état  de  prospérité  s'accrut  encore  sous  Henri  IV  par  la  réu- 
nion à  l'ordre  de  Saint-Lazare  de  celui  de  Notre-Dame-du-Mont- 
Carmel;  mais  l'objet  de  l'institution  primitive  s'était  sensiblement 
modifié  et  les  anciennes  maladreries  tendaient  à  disparaître  avec 
les  causes  qui  leur  avaient  donné  naissance. 

N'ayant  à  m'occuper  que  de  la  léproserie  de  Moret,  je  laisserai 
de  côté  la  suite  de  l'histoire  de  l'ordre  qui  l'a  fondé,  et  je  me  bor- 
nerai à  consigner  ici  le  résultat  des  recherches  que  j'ai  faites  pour 
jeter  quelques  lueurs  sur  le  passé  de  ces  tristes  ruines,  usées  par 
le  contact  de  tant  de  générations  et  menacées  aujourd'hui  d'un 
éternel  oubli. 

Il  est  difficile  d'indiquer  d'une  manière  précise  la  date  de  la  fon- 
dation de  l'hôpital  des  lépreux  établi  près  de  Moret,  à  peu  de  dis- 
tance du  lieu  où  se  trouvait  la  croix  de  pierre  qui  marquait  la 
limite  séparative  des  possessions  du  roi  de  France  et  du  duc  de 
Bourgogne.  Cependant,  il  est  probable  que  cet  hôpital  fût  bâti 
un  des  premiers.  Au  temps  où  Louis-le-jeune  donnait  aux  cheva- 
liers de  Saint-Lazare  son  château  de  Boigny,  en  1154,  il  faisait 
édifier  l'église  de  Moret  (1)  et  il  mettait  la  dernière  main  à  la 
construction  du  puissant  manoir  dont  il  ne  reste  de  nos  jours  que 
l'imposante  tour  carrée  qui  domine  la  ville.  Si,  comme  le  dit  dom 

(l)  J'ai  trouvé  la  date  de  1134  gravée  sur  une  des  gargouilles  de  l'église. 


—  328 

Morin,  le  roi  Louis-le- Piteux  prenait  ses  ébats  à  Morei  et  s'y  plaisait 
grandeiïient,  il  est  à  supposer  qu'il  aura  voulu  dpter  ce  pays  qu'il 
affectionnait,  d'un  de  ces  précieux  établissements  qui  apportaient 
tout  à  la  fois  des  soulagements  aux  lépreux  et  une  garantie  de  sé- 
curité pour  les  populations  environnantes. 

On  peut  donc  selon  toute  vraisemblance  admettre  que  l'hôpital 
de  Saint-Lazare  a  été  édifié  de  1154  à  1160.  A  en  juger  par  ses 
derniers  vestiges  et  d'après  les  souvenirs  laissés  par  la  tradition, 
cet  hôpital  occupait  une  assez  grande  étendue  de  terrain.  Outre 
les  pièces  nécessaires  pour  le  service  de  l'infirmerie  et  le  logement 
des  frères  hospitaliers,  les  bâtiments  comprenaient  une  petite 
chapelle,  oii  les  religieux  et  les  malades  assistaient  aux  offices 
divins. 

En  1373  ,  un  ecclésiastique  du  nom  de  Jacques  Faleus  était 
attaché  au  service  de  cette  chapelle.  C'était,  suivant  nos  anciens 
documents  judiciaires,  un  homme  vicieux  et  débauché.  Accusé 
par  le  bruit  public  de  vols  et  d'actes  d'immoralité,  il  fut  arrêté  et 
mis  en  prison  par  ordre  du  prévôt  de  Moret.  Son  procès  s'instrui- 
sit et  lorsque,  traduit  devant  ses  juges,  il  se  vit  accablé  sous  le 
poids  des  preuves  de  sa  culpabilité,  il  prit  le  parti  de  décliner  la 
compétence  de  la  justice  laïque,  en  invoquant  son  privilège  de 
cléricature  et  en  demandant  à  être  renvoyé  devant  l'archevêque  de 
Sens  ou  son  officiai.  Le  prévôt  rejeta  le  déclinatoire  et  condamna 
le  coupable  à  être  pendu  et  étranglé  jusqu'à  ce  que  mort  s'en  suivit. 
Cette  sentence  fut  exécutée,  toutefois  après  que  la  tête  du  con- 
damné eût  été  recouverte  d'un  voile  noir,  afin  de  cacher  aux  yeux 
du  public  la  tonsure  oU;,  comme  on  disait  à  cette  époque,  la  cou- 
ronne cléricale. 

Malgré  cette  singulière  précaution,  le  clergé  n'en  considéra 
pas  moins  la  décision  du  prévôt  de  Moret,  comme  un  excès  de 
pouvoir  et  un  abus  de  juridiction,  et  l'archevêque  de  Sens  se  pour- 
vut devant  le  parlement  de  Paris  pour  obtenir  la  réparation  de 
l'insulte  faite  aux  droits  et  aux  privilèges  de  l'église. 

Le  prévôt  avait  peut-être  quelques  bonnes  raisons  à  opposer  à 
la  plainte  de  l'archevêque  et  il  est  à  croire  qu'il  ne  manqua  pas 
de  les  invoquer  pour  justifier  sa  conduite.  Malheureusement  pour 
lui,  les  éditset  ordonnances  étaient  formels  «t  les  peines,  en  pareil 
cas,  étaient  d'une  extrême  sévérité. 

Après  de  longs  débats,  le  parlement  rendit  un  arrêt  par  lequel 
le  prévôt  de  Moret  et  ses  officiers  lurent  condamnés  à  faire  dé- 
pendre par  le  bourreau  le  corps  du  supplicié,  à  le  faire  conduire  à 


—  320  — 

la  porte  de  l'église  cathédrale  de  Sens,  à  s'y  trouver  en  personnes 
avec  des  torches  ardentes  en  leurs  mains  et  à  dire,  nu-tête  et  h 
genoux,  ces  mots  :  «  Voici  le  corps  de  défunt  Jacques  Faleus,  que 
»  nous,  par  inadvertance,  avons  fait  pendre  et  mourir;  lequel 
»  corps  nous  rendons  à  vous  et  à  l'église,  parce  que  ledit  Jacques, 
»  au  moment  de  sa  mort,  portait  la  tonsure  cléricale.  »  L'arrêt 
contient,  en  outre,  condamnation  du  prévôt  à  payer,  à  titre 
d'amende,  cent  livres  à  l'archevêque  et  pareille  somme  au  roi  (1). 

Ainsi,  le  roi  et  l'archevêque  durent  être  satisfaits.  Mais  l'infor- 
tuné prévôt  ne  le  fut  guère;  car  l'arrêt  du  parlement  fut  exécuté 
dans  toute  sa  rigueur  et  le  clergé  déploya  même  dans  la  cérémo- 
nie expiatoire  une  solennité  extraordinaire  qui  prouva  qu'à  ses 
yeux  la  réparation  n'était  pas  excessive  eu  égard  à  la  gravité  de 
l'offense. 

Au  jour  et  à  l'heure  fixés,  au  moment  où,  pour  obéir  aux  dis- 
positions de  la  sentence,  le  prévôt  et  ses  officiers  se  présentèrent 
à  la  porte  de  la  cathédrale  de  Sens,  tous  les  cierges  des  autels 
étaient  éteints,  les  calices  et  les  objets  sacrés  couverts  en  signe  de 
tristesse  et  de  calamité.  Puis,  quand  le  magistrat  civil,  nu-tête  et 
à  genoux,  eût  récité  les  paroles  sacramentelles  dictées  par  le  parle- 
ment et  que  toutes  les  autres  formalités  de  l'amende  honorable 
furent  accomplies ,  les  cierges  se  rallumèrent  comme  par  enchan- 
tement, les  vases  sacrés  reparurent  au  grand  jour,  et  un  cantique 
d'actions  de  grâce  fut  chanté  solennellement,  en  présence  d'un 
concours  immense  de  populations. 

Tel  est  le  seul  souvenir  authentique  qui  se  rattache  à  la  mala- 
drerie  de  Moret,  dans  les  premiers  siècles  qui  ont  suivi  l'époque  de 
sa  fondation.  Certes,  il  eut  mieux  valu  qu'un  tel  scandale  fut  épar- 
gné au  modeste  et  pieux  établissement,  et  que  le  nom  de  Jacques 
Faleus  n'eut  pas  acquis  une  aussi  triste  notoriété.  Mais  l'histoire 
nous  prouve  que,  depuis  les  temps  les  plus  reculés,  le  vice  et  le 
crime  mènent  plutôt  à  la  célébrité  que  la  vertu,  et  c'est  pourquoi 
le  nom  de  Jacques  Faleus  est  parvenu  jusqu'à  nous,  tandis  que 
nous  ne  connaissons  aucun  de  ces  dignes  chevaliers  de  Saint-La- 
zare dont  l'existence  toute  entière  a  été  consacrée  au  service  des 
pauvres  et  des  lépreux  ! 

Jusqu'en  1609,  on  ne  trouve  ni  dans  les  documents  historiques, 
ni  dans  les  archives  publiques,  rien  d'intéressant  sur  la  maladrerie 
de  Moret.  Mais,  le  14  septembre  1609,  M''  Ragousseau,  notaire, 

(1)  Registres  criminels,  manuscrits  du  Parlement,  fol.  434. 


—  330  — 

reçut  la  déclaration  des  biens  qui  en  dépendaient  alors,  et  cette 
déclaration  fut  faite  par  M.  Bellamy,  maître  cordonnier,  commis- 
saire établi  par  justice  au  régime  et  gouvernement  du  revenu 
temporel  de  la  maison  de  Saint-Lazare.  Cet  acte  fait  connaître  que 
les  ressources  de  cette  maison  comprenaient  ((  quelques  droits  de 
»  menu  cens,  plus  le  revenu  de  six  arpents  de  terre  et  pré  ès-envi- 
»  rons  de  Moret,  affermés  seize  livres  par  an,  et  le  droit  de 
»  prendre  et  percevoir  sur  le  domaine  de  Melun,  la  quantité  de 
»  onze  setiers  de  blé  méteil,  mesure  racle  dudit  Melun.  »  Il  cons- 
tate aussi  que,  dès  avant  cette  époque,  les  propriétés  de  la  mala- 
drerie  de  Moret  avaient  cessé  d'être  administrées  par  les  religieux 
de  Saint-Lazare,  sans  doute  à  la  suite  des  mesures  prises  par 
Charles  IX,  Henri  III  et  Henri  IV  (1),  pour  la  réformation  des  hô- 
pitaux, aumôneries,  maladreries,  hôtels-Dieu  et  autres  lieux 
pitoyables  du  royaume,  mesures  qui  furent  depuis  conlirmées  et 
complétées  par  des  lettres-patentes  de  Louis  XIII,  du  4  octobre 
1612. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  ce  petit  hôpital,  avec  une 
aussi  faible  dotation,  ne  pouvait  avoir  désormais  qu'une  existence 
précaire  et  sans  grande  utilité;  en  effet,  les  dons  et  les  au- 
mônes, qui  constituaient  autrefois  sa  principale  richesse,  ne  de- 
vaient pas  se  renouveler,  dès  lors  que,  le  fléau  de  la  lèpre  ayant 
perdu  son  intensité  et  son  caractère  épidémique,  la  générosité  pu- 
blique n'était  plus  stimulée  au  même  degré  par  les  élans  de  la 
charité  ou  par  la  crainte  de  la  contagion.  Il  existait,  d'ailleurs, 
dans  la  ville  même  de  Moret,  un  Hôtel-Dieu  fondé  au  xii''  siècle  (2), 
qui,  bien  que  peu  spacieux  et  médiocrement  rente,  suffisait  àpour- 
voir  en  temps  ordinaire  aux  besoins  des  malades  et  des  vieillards 
indigents  de  la  ville. 


(1)  Voir  notamment,  les  articles  65  et  66  des  édits  de  Blois  du  mois  de  mai 
1579.  L'article  65  dispose  qu'attendu  les  plaintes  auxquelles  a  donné  lieu  la  mauvaise 
administration  des  hôpitaux  et  maladreries  du  royaume,  «  ne  pourront  désormais 
«  être  établis  commissaires  au  rég-ime  et  gouvernement  des  fruits  et  revenus  des 
ii  dits  maladreries  et  hôpitaux,  autres  que  simples  bourgeois,  marchands  ou  labou- 
«  reurs,  et  non  personnes  ecclésiastiques,  gentilshommes,  archers,  ofliciers  publics, 
«  leurs  serviteurs  ou  personnes  par  eux  interposées.» 

(2)  L'holel-Uieu  de  Moret  n'a  de  remarquable,  en  fait  d'architecture,  qu'une 
porte  ogivale  du  douzième  siècle.  Son  retenu  actuel  est  d'environ  deux  mille  francs, 
indépendamment  du  produit  de  la  veute  du  sucre  d'orge  fabriqué  par  les  religieuses, 
produit  qui  s'élève  à  plus  de  dix-huit  cents  francs  par  an.  Les  archives  de  cet  éta- 
blissement ne  contiennent  aucun  document  antérieur  au  dix-septième  siècle. 


—  331  — 

Cependant,  la  maladrerie  de  Moret  subsista  encore  plus  de 
quatre-vingts  ans  (1).  Ce  ne  l'ut  qu'au  mois  de  mars  1693,  qu'un 
édit  de  Louis  XIV,  abrogeant  un  précédent  édit  du  mois  de  dé- 
cembre 1672,  par  lequel  les  biens  des  maladreries  avaient  été  ren- 
dus aux  ordres  de  Saint-Lazare  et  de  Notre-Dame  du  Mont-Car- 
mel,  leur  retira  définitivement  la  possession  de  ces  biens  et  les 
attribua  aux  hôpitaux  et  hôtels-Dieu  les  plus  voisins,  sous  la 
condition  d'en  supporter  les  charges,  telles  que  fondations  et  ser- 
vices religieux. 

Cet  édit  ayant  été  exécuté  en  faveur  de  l'hôtel-Dieu  de  Moret, 
en  vertu  d'un  arrêt  du  Conseil  d'État  du  15  avril  1695,  et  de 
lettres-patentes  du  roi,  du  mois  de  mai  1697,  l'hospice  fut  mis  en 
possession  des  biens  de  la  maladrerie  supprimée,  lesquels,  d'après 
un  procès-verbal  d'enquête  des  29  et  30  octobre  1699,  conservé 
dans  les  archives  de  l'hôtel-Dieu,  comprenaient,  outre  les  bâti- 
ments et  la  chapelle,  sept  arpents  et  demi  de  terre  et  pré  aux  envi- 
rons de  Moret,  affermés  vingt-deux  livres  par  an,  et  une  redevance 
de  deux  muids  de  blé,  évalués  cent  cinquante  livres,  à  la  charge 
du  domaine  de  Melun.  Le  même  procès-verbal  fait  connaître  que 
les  charges  de  cet  abandon  consistaient  dans  l'acquis  d'une  fonda- 
tion de  douze  messes  par  an  et  dans  l'obligation  d'entretenir  la 
chapelle  qui  était  alors  en  très-mauvais  état.  Il  y  est  mentionné, 
en  outre,  que  l'hôtel-Dieu  possédait  auparavant  quatre  cent  cin- 
quante livres  de  rentes,  sur  lesquelles  se  prélevaient  quarante 
livres  pour  le  traitement  du  chapelain  et  cent  livres  pour  les  gages 
de  la  gardienne  et  concierge  de  l'hôpital  ;  de  sorte  qu'après  ces 
deux  prélèvements,  il  ne  restait  qu'une  bien  faible  somme  pour 
parer  aux  frais  de  l'entretien  des  bâtiments  et  du  traitement  des 
malades.  Mais  il  faut  considérer  qu'en  ce  temps-là,  les  dépenses  de 
cette  nature  étaient  bien  moindres  qu'elles  ne  le  sont  aujourd'hui; 
car  il  est  constaté  dans  une  délibération  remontant  à  l'année 
1708  (2),  que  l'indemnité  allouée  à  la  concierge  pour  prix  de  la 
nourriture  de  chaque  malade  admis  dans  la  maison,  ne  s'élevait 


(1)  Le  seul  document  de  quelque  intérêt  trouvé  dans  les  archives  des  notaires  con- 
cernant cette  période  de  tempS;  est  un  acte  passé  devant  M"  Lecoq,  notaire  à  Moret, 
le  13  novemljre  1668,  constatant  la  prise  de  possession  de  la  maladrerie  par  Edme 
Montcourt,  marchand  à  Moret,  en  vertu  des  lettres  de  provision  données  par  le  Roi 
le  9  du  même  mois,  sur  la  nomination  et  présentation  du  cardinal  Barberin,  grand- 
aumônier  de  France. 

(2)  Inventaire  des  archives  de  Seine-et-Marne,  vol.  2,  supplément  à  la  lettre  H, 
page  26. 


—  332  — 

qu'à  quatre  sous  par  jour  et  qu'elle  lut  à  cette  époque  portée  à  sept 
sous,  attendu  le  renchérissement  des  denrées. 

Après  sa  réunion  à  l'hospice  de  Moret,  la  maladrerie  fut  entiè- 
rement abandonnée  et  les  bâtiments  ne  tardèrent  pas  à  tomber  en 
ruine.  Toutefois  la  chapelle  fut  réparée  et  entretenue  jusqu'au 
moment  de  la  révolution.  En  1793,  elle  partagea  le  sort  de  la  plu- 
part des  monuments  religieux,  elle  fut  complètement  dévastée  et 
dépouillée  de  ses  ornements  sacrés.  Puis  le  temps  continua  l'œuvre 
de  destruction  commencée  par  la  main  des  hommes  ;  les  murs  se 
dégradèrent  peu  à  peu  ;  la  voûte  s'écroula  en  partie  et  il  ne  resta 
bientôt  que  le  triste  squelette  de  ce  petit  édifice  auquel  se  ratta- 
chait, depuis  plus  de  sept  siècles,  le  lugubre  souvenir  des  infortu- 
nés qui  l'avaient  rempli  de  leurs  prières  et  de  leurs  gémissements. 

Enfin,  les  restes  de  la  chapelle  et  le  terrain  environnant  ont  été 
vendus  par  la  commission  de  l'hospice  le  15  juin  1834,  et,  depuis, 
sur  son  emplacement  s'est  élevée  une  habitation  bourgeoise,  au 
milieu  de  laquelle  la  respectable  raine,  dissimulée  aux  regards 
du  public,  est  renfermée  et  conservée  comme  l'est  un  objet  de 
curiosité  dans  le  cabinet  d'un  antiquaire. 


—  333  — 

LA  VENDANGE  DRINE, 

RÉTABLE    DU    XVP    SIÈCLE,    SCULPTÉ    PAR   JACQUES    SÉGOGNE, 

Dans  l'église  de  Recloses,  près  Fontainebleau, 

PAR    M.    EUG.    GRÉSY, 
Ancien  membre  fondateur  (!l»ection  de  Slcliin). 


En  entrant  ici,  sur  cette  terre  classique  des  arts,  il  m'a  semblé 
que  je  ne  saurais  mieux  captiver  votre  bienveillante  attention 
qu'en  vous  parlant  d'art  et  en  vous  révélant  l'existence  d'un  ar- 
tiste ignoré  jusqu'ici  dans  le  pays  qui  l'a  vu  naître.  Il  est  vrai  que 
Jacques  Ségogne,  de  Recloses,  sculpteur  et  miniaturiste  du 
xvi''  siècle,  est  venu  à  une  époque  où  Fontainebleau  ne  prêtait  son 
soleil  qu'aux  artistes  italiens.  L'école  de  la  Renaissance  n'avait 
d'enthousiasme  que  pour  les  monuments  de  l'antiquité  et  son  ci- 
seau comme  ses  pinceaux  étaient  tout  au  service  de  la  mytho- 
logie païenne.  J.  Ségogne,  au  contraire,  artiste  éminemment 
français,  éminemment  chrétien  et  ne  demandant  ses  inspirations 
qu'à  la  Bible  ou  aux  pieuses  légendes  ,  confiait  à  une  modeste 
église  de  campagne ,  qui  nous  ies  a  conservés  ,  les  curieux 
spécimens  de  son  œuvre. 

Les  bas-reliefs  en  chêne  sculpté  que  nous  allons  essayer  de  dé- 
crire, portent  chacun  à  leur  revers  un  numéro  d'ordre  avec  nom, 
prénom  de  l'artiste  et  la  date  de  1351.  A  quelle  époque  a-t-on  con- 
signé cette  mention  ?  Le  style  de  l'écriture  ne  permet  pas  de  la  re- 
culer au-delà  du  xviii^  siècle  ;  d'ailleurs  qu'elle  soit  ou  non  con- 
forme à  une  tradition  locale,  nous  n'aurons  pas  de  peine  à  démon- 
trer qu'elle  est  erronée,  toutefois  la  précision  de  la  date  me  porte 
plutôt  à  croire  qu'elle  a  été  recueillie  dans  quelque  document  con- 
temporain, et  qu'à  la  lecture  on  aura  confondu  le  o  avec  le  3,  deux 
chiffres  qu'un  œil  inexercé  peut  facilement  prendre  l'un  pour  l'autre 
dans  les  manuscrits  du  seizième  siècle.  La  véritable  date  à  réta- 
blir serait,  selon  nous,  1531.  Un  des  sujets  traités  par  l'imagier 
d'après  la  vie  de  saint  Eloy,  ne  nous  permet  aucun  doute  sur  ce 
point,  c'est  celui  où  Ségogne  nous  représente  le  saint  rapportant  à 
Ghlotaire  la  commande  qu'il  en  avait  reçue;  en  efTet,  le  roi  Méro- 


—  334  — 

vingien  y  porte  le  costume  et  la  coiffure  caractéristiques  de 
Louis  XII,  la  longue  houppelande  et  le  chapel  à  visière  avec  la 
couronne  fleurdelisée  passée  autour  de  la  forme.  Dans  ce  bas-re- 
lief aussi  remarquable  par  l'élégance  de  la  composition  que  par  la 
correction  du  dessin  et  le  jet  libre  des  draperies,  le  ciseau  de 
J.  Ségogne  a  suivi  pas  à  pas  le  texte  de  saint  Ouen  :  Ghlo- 
taire  avait  remis  à  saint  Eloy  tout  l'or  nécessaire  pour  exécuter 
une  «  sella  regia^  »  mais  son  orfèvre  fît  preuve  d'autant  de  probité 
que  d'habileté  en  lui  rapportant  deux  trônes  au  lieu  d'un  ;  seule- 
ment l'artiste  adoptant  une  traduction  trop  littérale  du  latin,  in- 
terprétation dont  on  a  fait  justice  au  xvn^  siècle,  a  naïvement  re- 
produit ici  deux  selles  de  cheval. 

Sur  son  second  bas-relief,  figure  sainte  Aure  à  la  porte  du  mo- 
nastère dont  elle  était  abbesse  et  que  saint  Eloy  avait  fondé,  à 
Paris,  dans  son  propre  logis  ;  aussi  sur  le  môme  bloc  de  bois  voit- 
on  sculptée  d'une  façon  très-pittoresque,  la  forge  du  célèbre  or- 
fèvre avec  son  soufflet  à  plusieurs  vents,  le  foyer  incandescent  ; 
au-dessous,  le  cendrier,  l'enclume,  le  marteau  à  terre  et  jusqu'à 
l'auge  ou  réservoir  destiné  à  tremper  les  pièces  forgées  ;  sainte 
Aure  semble  regarder  avec  inquiétude  ;  le  troisième  épisode  qui 
nous  offre  l'incendie  de  l'église  Saint- Martial  à  Paris,  miraculeu- 
sement arrêté  par  saint  Eloy,  fondateur  de  cette  église  (1). 

Il  nous  a  paru  indispensable  de  donner,  tout  d'abord,  l'explica- 
tion de  ces  trois  premiers  groupes ,  car  leurs  numéros  d'ordre 
tendent  à  les  faire  confondre  avec  les  sujets  qui  vont  suivre,  bien 
qu'ils  se  rapportent  à  une  légende  tout  à  fait  distincte.  Mais  le  ré- 
table le  plus  curieux,  dont  J.  Ségogne  ait  doté  l'église  de  son 
pays ,  est  certainement  la  Vendange  divine ,  composée  de  six 
groupes  en  bois  de  chêne  sculpté,  représentation  allégorique  pro- 
bablement unique  dans  son  genre,  car  jusqu'ici  on  ne  connaissait 
que  trois  verrières  inspirées  du  môme  sujet  qu'on  désigne  aussi 
sous  le  nom  de  pressoir  mystique.  Ce  mystérieux  emblème  qui 
avait  trait  à  la  passion,  à  l'elfusion  du  sang  de  J.-G.  et  à  l'institu- 
tion eucharistique,  avait  été  suggéré  aux  artistes  du  moyen-âge, 
par  la  célèbre  prophétie  d'Isaïe,  ch.  lxiii,  v.  3.  «  Torcular  calcavi 
solus  et  de  gcntibus  non  est  vir  mecum,  »  «  j'étais  seul  à  fouler 
au  pressoir  et  nul  ne  m'a  prêté  son  bras.  »  La  figure  du  sang  de 


(1)  Dans  le  poëme  des  Miracles  de  Saint-Eloi,  publié  par  M.  Peigné-Delacourt, 
est  reproduite  une  miniature  qui  a  beaucoup  d'aaalogie  avec  cette  sculpture  do  J. 
Ségogne,  chap.  XVI,  p.  41. 


PL. m 


cliiioar.  -par  Coruturu , 


E  QrcsydeJ^ 
J^a  Peruicnce    cL   l  Eicchurtshe. 


Itnp  II 


mn  Lemercier  ei  C^Pans 


—  335  — 

la  vigne  dont  parle  déjà  la  Genèse  (1),  rapprochée  du  sacrifice  de 
la  nouvelle  alliance,  le  Cantique  des  cantiques  (2)  confirmé  par 
les  paroles  que  saint  Jean  met  dans  la  bouche  du  Sauveur  (3), 
n'avaient  pu  échapper  aux  pères  de  l'église  ni  à  tous  les  anciens 
commentateurs. 

Or,  voici  l'ordre  dans  lequel  ces  sculptures  devraient  être  réta- 
blies, leur  sens  anagogique  est  sublime  et  mérite  d'être  livré  aux 
pieuses  méditations  des  fidèles.  Il  est  à  déplorer  qu'on  les  dérobe 
presqu'entièrement  à  la  vue,  pour  les  employer  en  guise  de  socle, 
à  soutenir  une  grande  vierge  en  plâtre  moderne  qui  est  loin  d'a- 
voir leur  valeur  artistique  : 

En  haut,  sur  le  planje  plus  éloigné,  les  patriarches  et  les  pro- 
phètes de  l'ancienne  loi  se  livrent  à  la  culture  de  la  vigne  qu'ils 
taillent  et  labourent.  A  la  suite,  se  placent  les  apôtres  (figures  de 
même  dimension  qui  doivent,  par  conséquent,  occuper  le  même 
plan),  iis  font  la  vendange  ,  l'un,  courbé  sous  la  hotte  de  vendan- 
geur, et  deux  autres  portant  une  benne  suspendue  par  les  anses  à 
un  levier  qui  s'appuie  sur  leurs  épaules. 

Le  sujet  à  mettre  au-dessous,  toujours  suivant  les  lois  de  la 
perspective,  est  le  baquet  ou  chariot  chargé  de  la  vendange  mys- 
tique ettrainépar  les  figures  symboliques  des  quatre  évangélistes. 
Le  lion,  le  bœuf  et  l'aigle  forment  l'attelage,  et  l'homme  ailé  fait  les 
fonctions  de  guide.  Ensuite,  doit  être  présenté  le  sujet  principal  : 
J.-G.  couronné  d'épine  et  étendu  dans  le  pressoir  d'où  s'échappe 
son  sang  qui  est  recueilli  dans  un  baquet  et  mis  dans  des  ton- 
neaux. Derrière  le  pressoir  on  remarque  la  tour,  les  ceps  et  la 
haie  vive  si  clairement  décrits  par  le  prophète  ef  que  le  Sauveur 
rappelle  dans  sa-  parabole  des  vignerons  (4).  Dans  l'espace  resté 
vide,  de  chaque  côté  de  la  tour,  J.  Ségogne  a  même  peint, 
avec  autant  de  finesse  que  de  correction,  deux  lamentables  épi- 
sodes de  cette  parabole  :  le  domestique  du  maître  et  son  fils  lui- 
même  sont  successivement  lapidés,  assommés  et  mis  à  mort  par  les 


(1)  Lavabit  in  vino  stolara  suara  et  in  sanguine  uvse  pallium  suum.  Genèse,  XLIX, 
H. 

(2)  Dilectus  meus  mihii,  in  vineis  Engaddi,  Gant.  1-13. 

(3)  Ego  sum  vitis  Yeraet  pater  meus  agricola... 
Ego  sum  vitis  et  vos  palmites,  S.  Joh.  XY ,  1  et  5. 

(4)  Plautavit  (vineam)  electam  et  cedificavit  turrim  in  medio  ejus  et  torcular  ex- 
truiit  in  eâ.,  [saie  V.  2. 

Plantavit  vineam   et   sepem  circumdedit  ei  et  fodit  in  eà  torcular  et  œdificavit 
turrim.  S.  Matth.  XXI,  33. 


—  336  — 

infidèles  colons  dans  la  cour  de  la  métairie.  Ces  spirituelles  petites 
miniatures  peintes  à  l'huile  ont  beaucoup  souffert,  brutalisées  par 
une  main  ignorante  et  vandale. 

Les  deux  derniers  sujets  sont  la  vivante  image  des  sacrements 
qui  dérivent  des  symboles  précédents.  La  pénitence  est  mise  en 
scène  par  un  prêtre  assis  devant  l'autel  et  donnant  l'absolution  à 
un  personnage  à  genoux  devant  lui;  Sur  le  seuil  de  l'église  s'ar- 
rête, par  discrétion  sans  doute  ,  un  voyageur  qui  semble  se  dispo- 
ser à  comparaître  au  même  tribunal.  Un  détail  assez  curieux  à 
noter,  c'est  que  l'autel  est  disposé  selon  l'antique  liturgie  :  au  fond 
s'élève  un  diptyque  sur  les  volets  duquel  on  distingue,  à  la  loupe, 
le  sacrifice  d'Abel  et  par  opposition  celui  de  Caïn  ;  de  chaque  côté 
sont  tirés  les  rideaux,  appelés  custodes,  pour  voiler  le  mystérieux 
sacrifice. 

Enfin,  sur  le  pendant,  la  scène  se  passe  sur  une  place  publique  : 
un  prêtre,  précédé  d'un  officier  d'église,  porte  le  ciboire  et  vient 
d'administrer  le  saint  viatique.  Quatre  passants  tombent  à  genoux 
et  font  acte  d'adoration.  Un  bourgeois  à  sa  fenêtre  porte  la  main  à 
son  bonnet  pour  se  découvrir. 

A  Paris ,  c'est  aux  verrières  de  l'ancien  charnier  de  l'église 
Saint-Etienne-du-Mont,  que  la  symbolique  de  la  Vendange  divine 
a  reçu  son  développement  le  plus  complet;  là,  elle  a  eu  le  privilège 
d'exercer  le  pinceau  d'un  verrier  assez  célèbre  au  x\if  siècle.  On 
pourrait  même  reprocher  à  Nicolas  Pinaigrier  d'avoir  poussé  un 
peu  loin  ses  raffinements  allégoriques,  mais  suivant  les  conjec- 
tures très-fondées  de  Levieil,  il  n'a  fait  que  reproduire  les  cartons 
de  son  aïeul  Robert  Pinaigrier  qui  avaient  été  déjà  exécutés  à 
Chartres  en  1527  :  ainsi,  outre  tous  les  épisodes  que  nous  venons 
de  signaler  à  Recloses  et  qui  sont  très-légèrement  modifiés,  il  nous 
montre  saint  Pierre  foulant  la  vendange  dans  la  cuve  ;  il  fait 
figurer,  au  premier  plan,  les  princes  de  l'église  et  les  rois  de  la 
terre  remplissant  les  fonctions  de  véritables  tonneliers  mystiques  : 
des  papes,  des  cardinaux ,  des  archevêques  et  des  évêques  revêtus 
de  leurs  plus  riches  insignes,  pressant  les  grappes  dans  leurs 
mains,  transvasent  le  vin  du  pressoir  divin  dans  des  baquets,  l'en- 
tonnent dans  les  futailles  et  descendent  les  pièces  dans  le  cellier. 
Il  n'est  pas  jusqu'au  roi  de  France,  reconnaissable  à  son  manteau 
fleurdelisé,  qui  ne  vienne  h.  leur  aide,  pour  manœuvrer  l'espèce 
d'échelle  servant  de  traîneau,  que  les  gens  du  métier  appellent 
le  poulain,  tandis  qu'un  pape  et  un  cardinal  s'efforcent  de  filer  le 
câble  et  de  l'enrouler.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  piquant,  c'est  qu'à  en 


PL, .  N 


s^Èi^mm 


dttlay.  ^oj-  Conj-iiz^t-s 


.e    SaaiL  ViaJioux- 


Jmp  LanerctiT  el  Cf Paris 


—  .'^37    - 

croire  Sauvai,  tous  ces  personnages  n'étaient  pas  points  de  caprice  ; 
sur  la  verrière  originale  de  Robert  Pinaigrier,  on  reconnaissait 
les  portraits  de  Paul  III,  du  cardinal  de  Châtillon,  et  même  celui 
de  François  1".  Tout  porte  à  croire  que,  dans  la  copie  faite  en 
1622,  suivant  l'étiquettu  habituelle,  le  petit-fils  aura  substitué  à 
cette  dernière  figure,  celle  de  Louis  XIII.  Malheureusement  la 
tête  est  détruite  ,  je  l'ai  restaurée  tant  bien  que  mal  dans  le  dessin 
que  j'ai  l'honneur  défaire  passer  sous  les  yeux  de  la  Société,  et  je 
m'étonne  qu'il  soit  resté  jusqu'ici  inédit.  La  particularité  la  plus 
intéressante  dans  ce  vitrail  symbolique,  c'est  que  sous  chaque  épi- 
sode le  verrier  a  pris  soin  d'inscrire  des  quatrains  qui  en  font  bien 
comprendre  le  sens  dogmatique  et  moral. 

La  banderole  près  des  vignerons  porte  : 

Les  anciens  patriarches  qui  le  futur  ont  sceu 
Pour  leur  salut  ne  fu  à  cultiver  la  vigne. 

Le  chariot  traîné  par  les  animaux  symboliques  est  ainsi  désigné  : 

Tous  les  cantons  de  ce  large  uniuers 
En  ont  gusté  par  les  éuangélistes 
Edifiés  ont  esté  les  peruers 
Laissant  d'Adam  les  anciennes  pistes. 

Au-dessous  du  pressoir  on  lit  : 

Ce  pressoir  fut  la  uénérable  croix 
Ou  le  sang  fu  le  nectar  de  la  vie. 
Quel  sang  celuy  par  qui  le  roy  des  rois 
Rachepta  l'homme  et  sa  race  asseruie 
Dans  des  vaisseaux  en  réserue  il  fut  mis 
Par  les  docteurs  de  l'église  pour  estre 
Le  sauveraent  de  nos  péchez  commis 
Mesme  de  ceux  qu'on  a  uenant  à  naître. 

Sous  l'autel  où  l'on  donne  la  communion  est  inscrit  ce  quatrain  : 

Tous  vrais  chrestiens  ledoiuent  receuoir 
Auec  respect  des  prebtres  de  l'église 
Mais  il  conuient  premièrement  auoir 
L'âme  contriste  et  la  coulpe  remise. 

Au  bas  du  cellier  un  philaitère  porte  cette  inscription  : 

Papes,  prélats,  princes,  rois,  empereurs, 

22 


—  338  — 

L'ont  au  cellier  mis  auec  réuérence 

Ce  vin  de  uie  efface  les  erreurs 

Et  donne  à  l'âme  une  saincte  espérance. 

Enfin,    dans  un  riche   cartouclie   sont  encadrés  six  vers  qui 
résument  ainsi  le  sens  anagogique  de  la  composition  générale  : 

Heureux  homme  chrestien,  si  fermement  tu  crois 
Que  Dieu  pour  te  sauuer  à  souffert  à  la  croix, 
Et  que  les  sacrements  retenus  à  l'église 
De  son  sang  précieux  ont  eu  commencement  : 
Qu'en  les  bien  receuant  toute  offense  est  remise, 
Et  qu'on  ne  peut  sans  eux  auoir  son  sauuement. 

In  te  domine  speravi  non  confundar  inœternum.  Psal.  30. 
Non  nobis  Domine  non  nobis  sed  nominituo  da  gloriam.  Psal.  113. 


On  ne  s'étonnera  pas  d'apprendre  que  la  commande  de  cette  ver- 
rière avait  été  faite  par  un  riche  commerçant  en  vins,  Jean  Le  Juge, 
marguiller  de  Saint-Étienne-du-Mont.  En  effet,  un  tel  sujet  de- 
vait être  cher  à  l 'amour-propre  de  toute  la  corporation,  aussi  Sau- 
vai rapporte-t-il  que  les  marchands  de  vins  de  Paris  s'empressèrent 
d'adopter,  pour  en  orner  leur  chapelle  patronale,  ce  symbole  qui 
sanctifiait  si  poétiquement  les  attributs  de  leur  métier, 

A  l'église  Sainte-Foy  de  Couches,  près  Évreux,  le  vitrail  de  la 
chapelle  de  la  Vierge  représente  aussi  l'allégorie  du  divin  pressoir 
avec  le  passage  d'Isaïe,  pour  tout  commentaire  :  Torcular  calcavi 
solus.  Les  ouvriers  qui  travaillent  à  la  vigne  figurent  d'un  côté,  et 
de  l'autre  les  donateurs  de  la  verrière. 

A  la  cathédrale  de  Troyes,  le  même  symbole  exprimé  avec  en- 
core plus  de  concision  est  de  la  main  d'un  célèbre  verrier  du  pays, 
Linard  Gonthier;  il  est  remarquable  par  la  beauté  des  draperies  et 
la  vivacité  du  coloris  :  entre  les  donateurs,  on  voit  Jésus-Christ 
couché  sur  le  pressoir,  dont  la  croix  forme  la  table  de  pression.  Le 
sang  du  Rédempteur  jaillit  de  sa  plaie  et  est  recueilli  dans  un  ca- 
lice d'or  qui  rappelle  la  légende  de  saint  Graal,  et  de  son  corps  naît 
un  cep  de  vigne,  dont  les  différents  rameaux  se  terminent  par  des 
calices  de  fleurs,  portant  chacun  une  figure  d'apôtre  représentée 
à  mi-corps  avec  ses  attributs. 

Cette  représentation  mystique  paraît  avoir  continué  d'être  en 
vogue  au  xvii*  siècle,  car  elle  a  été  plusieurs  fois  traitée  par  le 
burin  du  graveur  Wierix,  en  ajoutant  certains  détails  que  lui  à 
suggérés  le  spiritualisme  allemand;  ainsi,  il  fait  tourner  la  vis  du 


—  339  — 

pressoir  par  le  Père  éternel,  tandis  que  le  Saint-Esprit  (sous  la 
figunj  d'une  colombe)  se  pose  sur  l'extrémité  de  la  croix;  ailleurs, 
il  fait  courber  le  Sauveur,  portant  sa  croix,  sous  la  force  motrice 
du  pressoir  auquel  sont  suspendus  tous  les  instruments  de  la  pas- 
sion. 

La  plus  ancienne  image  que  je  connaisse  de  Jésus-Christ  sous  le 
pressoir  se  trouve  dans  la  belle  bible  historiale  de  la  Bibliothèque 
impériale  (1)  ;  elle  ne  me  paraît  pas  remonter  au-delà  du  xv*  siè- 
cle, elle  sert  de  type  au  psaume  Asaph,  et  le  texte  nous  apprend  un 
curieux  détail  de  liturgie,  c'est  qu'on  en  chantait  les  versets  en 
septembre  dans  les  pressoirs,  en  s'accompagnant  de  l'instrument 
qui  est  dit  Haguitit:  «pour  Dieu  loer  do  l'abondance  des  fruicts  et 

»  Dieu  qui  estoit  espraint  es  pressouers Aussi,  les  bons  Gres- 

))  tiens  chantent  et  loent  Dieu  en  saincte  esglise  du  fruict  de  son 
n  précieus  corps  et  du  vin  de  son  précieus  sang,  mais  les  pêcheurs 
))  sont,  de  Dieu,  punis.  » 

Si  la  renommée  distraite  a  dédaigné  de  retenir  l'humble  nom  du 
sculpteur,  le  pays  natal  de  Ségogne  a  été  plus  hospitalier  et  moins 
ingrat  :  il  a  pris  soin  de  le  recueillir  en  le  perpétuant  dans  sa  des- 
cendance. Il  existe,  en  effet,  à  Recloses,  encore  aujourd'hui,  plu- 
sieurs personnes  du  nom  de  l'artiste,  et,  suivant  toute  probabilité, 
ce  sont  les  rejetons  directs  d'une  rnême  lignée. 

Puisse  cette  rapide  esquisse  tomber  sous  leurs  yeux,  les  édifier 
sur  la  valeur  artistique  de  leur  ancêtre,  et  les  engager  à  faire  mieux 
respecter  désormais  une  œuvre  qui  n'est  pas  seulement  un  monu- 
ment cher  à  la  piété,  mais  encore  un  précieux  titre  de  famille  ! 

(1)  Fonds  français,  F.  166,  sous  le  n»  6,829.  P.  123,  v». 


—  341  — 

LA  BOUCHERIE-JUREE  A  COULOMMIEKS 

EN  1503, 

PAR    M.    LEMAIRE, 
Membre   fondateur  (  !icction   de   aielun  ). 


Appelé,  par  décision  ministérielle,  à  classer  et  à  inventorier  les 
archives  hospitalières  du  département,  à  l'exception  de  celles  de 
Provins,  j'ai  rencontré  dans  ces  opérations  diverses  pièces  histo- 
riques qui  ne  manquent  pas  d'intérêt  ;  tel  est  un  règlement  im- 
posé en  1503,  par  le  bailli  de  Coulommiers,  aux  bouchers  de  cette 
ville. 

Sans  être,  quand  même,  l'ami  du  bon  vieux  temps,  on  ne  peut 
méconnaître  la  sagesse  des  moyens  adoptés  dans  beaucoup  de  cir- 
constances pour  le  bien  public,  notamment  pour  la  police  des 
villes.  Si  nous  consultons  nos  vieilles  annales,  nous  y  trouvons 
l'indication  de  certaines  mesures  de  salubrité  qui  font  honneur  à 
ceux  qui  les  ont  prescrites  ;  et  sans  aller  plus  loin  on  peut  prendre 
pour  exemple  la  coutume  de  Melun,  rédigée  en  1560  par  trois 
hommes  éminents  (1). 

On  trouve  au  titre  xxv  des  règlements  qui  prescrivent,  en  ces 
termes,  l'usase  d'élever  certains  animaux:  <(  Art.  cccxxxix.  — 
)  N'est  permis  nourrir  en  la  ville  bestes  de  la  qualité  marquée,  — 
)  N'est  loisible  aux  habitants  de  la  ville  de  Melun,  tenir  et  nourrir 
)  dans  icelle,  bestes  à  laine,  oies  et  canes,  sur  poine  de  confiscation 
')  desdictes  bestes  et  d'amende  arbitraire.  —  Xvi.  ccgxli.  —  Dé- 
')  fenses  de  nourrir  'pigeons  ni  lapins  dans  Mtiun.  Nul  ne  peut 
nourrir  pigeons  pattes  et  non  pattes,  ne  pareillement  avoir  cla- 
piers à  connils  (lapins).  —  Art.  cccxlii.  —  Défenses  d'élever  des 
porcs  dans  Melun.  Aussi  nul  ne  peut  nourrir  porcs  dedans  la- 
dicte  ville,  ne  sur  les  grands  chemins  passans  des  faulxbourgs 
d'icelle,  sur  peine  de  confiscation  desdicts  porcs,  et  d'amende 


(1)  Christophe  de  Thou,  président,  Barthélémy  Faye  et  Jacques  Viole,  con- 
seillers au  Parlement  de  Paris,  commis  à  cet  effet  par  le  roi  François  II,  suivant 
1- ttres  patentes  du  24  juillet  1559,  données  eu  conséquence  de  celles  de  Henri  H 
du  12  février  1558. 


—  342  — 

arbitraire  :  à  cette  fin  seront  tenus  les  propriétaires  des  lieux 
èsquels  à  présent  y  a  toits  à  pourceaux^  de  les  appropriera  autre 
usage.  —  Art.  cccliii.  —  Concernant  les  immondices  ou  ordures. 
)  Si  aucun  est  trouué  portant,  jettant,  ou  auoir  porté  et  jette  im- 
mondices ou  ordures  deuant  la  maison  d'autrui,  places  ou  rues 
vides,  ou  près  des  portes  de  ladictc  ville,  ou  dedans  les  fossés 
)  d'icelle,  et  aussi  près  les  églises  et  autres  lieux  publics,  doit  être 
)  la  première  fois  condamné  en  dix  sols  parisis  d'amende  ;  pour 
)  la  seconde  en  vingt  sols  parisis,  et  pour  la  tierce  en  soixante 
sols  parisis  ;  et  s'il  est  coustumier  de  ce  faire  sera  puni  corpo- 
rellement,  etc.  » 
Je  ne  me  ferai  pas  le  panégyriste  des  menaces  souvent  réitérées 
d'amendes  arbitraires,  ni  des  peines  corporelles,  mais  on  ne  peut 
nier  l'opportunité  de  ces  mesures  de  police  sanitaire,  surtout  à  une 
époque  oii  les  villes,  vieilles  comme  la  nôtre,  étaient  resserrées 
entre  de  hautes  murailles,  et  percées  de  rues,  la  plupart  étroites 
et  tortueuses. 

Il  faudrait  remonter  aux  Romains  pour  trouver  les  premières  lois 
qui  obligent  les  bouchers  à  prendre  soin  de  leurs  tueries  et  de  leurs 
étaux.  En  France,  et  surtout  pour  Paris,  les  édits,  ordonnances, 
déclarations,  statuts  et  règlements  sont  si  nombreux  qu'il  y  aurait 
présomption  de  ma  part  à  vouloir  les  citer. 

Du  reste.  Messieurs,  que  les  premiers  mot^  placés  en  tête  de 
ce  mince  travail  ne  vous  effrayent  pas  ;  je  ne  viens  point,  et  pour 
cause,  vous  offrir  l'historique  des  maîtrises  et  jurandes.  D'autres 
ont  traité  cette  matière  si  controversée,  avec  une  autorité  telle,  que 
je  ne  voudrais  pas  même  tenter  de  l'analyser. 

Avant  de  donner  lecture  du  document  qui  suit,  je  vous  deman- 
derai la  permission,  puisqu'il  s'agit  de  boucherie,  de  rappeler  que 
celle  dite  de  Carême,  n'appartenait  pas,  comme  on  pourrait  le 
croire,  plutôt  h  un  établissement  qu'à  un  autre.  Dans  presque 
toutes  les  villes  où  il  y  avait  un  Hôtel-Dieu,  le  droit  de  vendre  de 
la  viande  en  temps  de  jeûne  lui  était  réservé;  si  ce  droit  n'était 
pas  exploité  directement  par  les  maîtres  et  gouverneurs  des 
lieux  hospitaliers,  il  était  adjugé  au  plus  offrant,  à  condition 
par  celui-ci  do  livrer  la  viande  destinée  aux  malades,  à  peu 
près  h  moitié  prix  de  celui  auquel  le  public  pouvait  l'obtenir, 
sur  le  vu,  toutefois,  d'un  certificat  de  médecin  ou  du  curé  de  la 
paroisse. 

Cette  digression  terminée,  je  passe  au  règlement  donné  par  le 
bailli  de  Coulommiers. 


i 


—  343  — 

«  A  tous  ceulx  qui  ces  présentes  lectres  verrons,  Jehan  Gallope, 
licencié  es  loix  et  décretz,  aduocat  en  Parlement  et  bailly  de  la 
ville  et  chastellenye  de  Coulommiers  estant  en  la  main  du  Roy 
nostre  Sire,  par  le  déceps  de  feu  M^''  le  duc  de  Nemours,  per  de 
France,  salut.  Savoir  faisons  que  pour  le  bien,  prouffict  et  utilité 
de  la  chose  publique,  et  pour  obuier  aux  grandes  faultes,  frauldes 
et  abuz  qui  se  peuuent  faire,  commectre  et  perpectrer  par  chacun 
jour  sur  le  faict  et  mestier  de  Boucherie  en  ladicte  ville  de  Cou- 
lommiers. Si  nous,  par  délibération  du  Conseil,  avons  faict,  jnsti- 
tué,  ordonné  et  estably  ;  faisons,  ordonnons,  jnstituons  et  esta- 
blissons  sur  ledict  mestier,  les  ordonnances  qui  s'ensuivent. 

»  Article  I".  —  Et  premièrement  que  il  y  a  Boucherie-jurée 
audict  Coulommiers,  tellement  privillégiée  que  nul  n'y  doit  ou 
peult  vendre  chair,  s'il  n'est  juré  pardeuant  la  Justice  dudict  lieu  ; 
le  maistre  boucher  de  la  Boucherie,  présent  et  appelé,  lequeJ  le 
affermera  (affirmera)  estre  expert  et  soLiffisant  ad  ce,  et  qu'il  n'ayt 
faict  son  chef-d'œuvre  en  la  forme  et  manière  accoustumées,  sur 
peine  de  (iO  sols  tournois  d'amende  pour  la  première  foys,  et  de 
contiscation  de  la  chair  qu'il  auroit  tuée  ;  et  pour  la  seconde  foys 
d'amende  arbitraire  à  la  discrétion  de  justice,  sinon  qu'il  exersast 
ledict  mestier  soubz  l'un  des  maistres. 

»  Article  IL  —  Item^  et  ne  pourront  aucuns  estre  maistres 
bouchers-jurez,  ne  estre  receuz  à  vendre  chair  en  ladicte  Bou- 
cherie, s'ils  ne  sont  fils  de  maistres  bouchers-jurez  audict  lieu,  ou 
qu'ils  n'ayent  esté  apprentiz  et  aprins  ledict  mestier  de  boucherie 
audict  Coulommiers,  en  l'hostel  des  maistres  ou  de  l'un  d'iceulx, 
par  l'espace  de  quatre  ans,  et  seront  tenus  païer,  lesdicts  appren- 
tiz, à  l'entrée  de  leur  apprentissaige,  chacun  cinq  solz  tournois  à 
la  Torche  (1),  et  dix  solz  tournois  aux  maistres  jurez  dudict 
mestier. 

»  Article  IIT.  —  Item,  et  après  que  aulcun  desdicts  apprentiz 
aura  aprins  ledict  mestier  et  acheué  son  apprentissaige,  se  il  veult 
estre  maistre-juré-passé  en  ladicte  ville,  il  sera  tenu  faire  son  chef- 
d'oeuvre  bien  et  convenablement  au  dict  des  maistres  bouchers- 
jurez,  ou  de  deulx  d'entre  eulx,  esleuz  par  les  aultres,  et  païer  la 
somme  de  60  solz  tournois  à  ladicte  Torche,  auec  troys  disners  et 
ung  soupper,  pour  son  pas,  en  la  manière  accoustumée  ;  et  s'il  est 
fils  de  maistre,  il  ne  paiera  que  ung  disner  pour  son  pasté,  et 
trente  solz  tournois  à  ladicte  Torche,  en  faisant  chef-d'œuvre 

(1)  Ancienne  fondation  pieuse  faite  en   l'église  Saint-Denis  de  Coulommiers. 


—  344  — 

comme  les  aultres,  et  en  ce  faisant  lisseront  receuz  maistres  dudict 
mestier,  en  faisant  le  serment  par  deuant  nous,  ou  nostre  lieute- 
nant, et  en  affermant  (affirmant)  par  ledict  maistre  boucher  qu'ils 
sont  souffîsans  ad  ce. 

»  Article  IV.  —  Item^  et  s'aucun  s'efforce  faire  le  contraire,  et 
que  il  s'efforce  vendre  en  ladicte  ville  s'il  n'est  maistre-juré,  il 
l'amendera  de  60  solz  tournois,  et  si,  sera  la  chair  par  lui  exposée 
en  vente,  confisquée. 

»  Article  V.  —  Item,  lesdicts bouchers-jurez  d'icelle  Boucherie, 
ne  pourront  tuer  aucunes  bestes  pour  exposer  en  vente,  s'elles  ne 
sont  convenables  et  seines,  pour  vendre  en  icelle  Boucherie,  en 
peine,  s'elle  est  trouuée  aultre  par  la  justice  ou  par  le  maistre 
boucher,  quant  elle  sera  ainsy  en  vente. en  icelle  Boucherie,  de 
perdre  la  chair  et  de  lajecter  en  la  rivière,  et  de  païer  l'amende  ar- 
bitraire à  la  Justice  dudict  lieu. 

»  Article  VI.  — Item,  lesdicts  bouchers  ne  pourront  vendre, 
détailler,  ne  mectre  en  vente  leur  chair  quand  ils  l'auront  apportée 
à  la  Boucherie,  jusques  ad  ce  que  elle  soit  visitée  par  ledict  maistre 
boucher-juré,  et  qu'il  ayt  donné  congié  de  la  vendre,  sur  peine 
d'amende,  sans  ce  que  lesdicts  bouchers  soient  tenus  appeler  la 
Justice  se  elle  n'y  va  de  sa  voulenté. 

»  Article  VII.  —  Item,  et  ne  pourront  lesdicts  bouchers  vendre 
ne  exposer  en  vente,  en  icelle  Boucherie,  aulcune  beste  fyeuse  ou 
qui  ayt  bosse  ou  apostume,  en  peine  d'en  estre  pugniz  par  Justice, 
et  que  la  chair  qui  sera  trouuée  telle,  soitarse  etbrullée  publicque- 
ment,  et  se  ne  pourront  vendre  chair  de  porc  nourrye  en  l'ostel 
(maison)  de  barbier  ne  d'uillier  ;  ne  aultre  chair  quelle  qu'elle  soit, 
nourrye  par  personne  ladre,  sur  pein»  de  perdition  de  la  chair  et 
d'amende  arbitraire. 

»  Article  VIII.  —  Item,  aussy  ne  pourront  ou  deuront  vendre 
chair  qui  ayt  esté  tenue  ou  entamée  de  loups  ne  aullres  bestes,  se 
premièrement  elle  n'est  senée  (saignée  ?)  et  guarye,  sans  congié  et 
auctorité  de  justice,  sur  peine  d'amende. 

»  Article  IX.  —  Item,  aussy  ne  pourront iceux  bouchers,  expo- 
ser en  vente  en  icelle  Boucherie,  aucune  chair  s'elle  n'est  abatue  ou 
tuée  dedans  les  quatre  portes  d'icelle  ville. 

»  Article  X.  —  Item,  que  nul  no  pourra  tuer  ne  vendre  au- 
cuns veaulx  en  jcelle  Boucherie,  s'ilz  n'ont  trois  sepmaines  acom- 
plif.'s,  et  qu'ilz  ayent  loy  et  gresse  compétant.  Et  sy  no  pourront 
vendre  moutons  coullars  depuis  la  Magdcleine  jusques  à  la  ^'ainct- 
Alartin  d'iuer,  sur  peine  de  ladicte  amende. 


—  345  — 

»  Article  XT.  —  Item,  aussy  ne  pourront  vendre  ne  exposer  en 
vente  en  icelle  Boucherie,  aucune  chair  de  porc  surseine,  mais  la 
pourront  bien  vendre  hors  icelle,  en  signiffîant  par  eulx,  qu'elle 
est  surseinée  ;  et  si  ne  pourront  vendre  chairs  s'elles  n'ont  loix 
compectans,  le  tout  sur  peine  de  60  sols  tournois  d'amende  ;  aussy 
ne  pourront  vendre  ne  exposer  en  vente  chair  soufflée,  ne  emplye 
de  vent,  ne  chair  chaulde,  se  en  ce  cas  il  n'y  a  nécessité  de  chair, 
et  qu'il  n'y  ayt  aultre  chair  froide  en  ladicte  Boucherie. 

»  Article  XTI.  —  Item,  aulcuns  des  habitans  ne  tauerniers  de 
ladicte  ville  de  Goulommiers  ne  pourront,  ne  deuront  tuer  chair  pour 
vendre  en  leurs  hostelz,  ne  autres  en  icelle  ville,  exempté  à  la  foire 
dudict  Goulommiers,  séant  audit  lieu  le  jour  Saint-Denis,  en  oc- 
tobre :  qu'ilz  ne  pourront  tuer  et  vendre,  ladicte  foire  durant,  de- 
puis la  veille  d'icelle  foire,  heure  de  midy,  jusques  au  lendemain 
de  ladicte  foire,  heure  de  midy,  qui  sont  deux  jours  entiers,  et  non 
autre  temps.  Auquel  cas  lesdicts  habitans  seront  tenus  faire  visiter 
leurs  bestes  et  chair  qu'ils  vouldront  tuer  et  vendre  en  icelle  foire, 
par  ledict  maistre  boucher,  sur  peine  d'en  estre  pugniz  à  la  discré- 
tion de  Justice. 

»  Article  XIII.  —  Item^  ledict  maistre  boucher,  à  cause  de  la 
charge  qu'il  a  de  faire  icelles  visitations,  a  privilège  de  visiter  le 
poisson  de  eaue  doulce,  mort  et  marée  qui  se  expose  en  vente  au- 
dict  Goulommiers,  et  ne  pourra  aucun  vendre  poisson  de  eaue 
doulce,  mort  ou  marée  audict  lieu,  qu'il  ne  soit  visité  par  le 
maistre  boucher,  sur  peine  de  l'amende,  et  si  est  franc  et  exempt 
de  tonlieu,  de  minaige  et  de  aller  à  la  justice  s'il  ne  lui  plaist, 
pourueu  que  s'il  faict  faulte  à  ladicte  Visitation,  il  en  sera  pugny 
d'amende,  à  la  discrétion  de  justice,  en  le  payant  de  ses  droiz  de 
Visitation. 

»  Article..XIV.  —  Item,  en  gardant  et  obseruant  les  chose^ 
dessus  dictes,  par  ledict  maistre  boucher,  et  autres  bouchers-jurés 
d'icelle  ville,  ils  sont  et  seront  tenuz  et  abstrainz  de  tenir  ladicte 
Boucherie  fournie  de  chair,  par  chacun  jour  que  l'on  mangera 
chair  jusques  à  l'heure  de  quatre  heures  après  midy,  depuis 
Pasques  jusques  à  la  Sainct-Rémy,  et  depuis  la  Sainct-Rémy  jus- 
ques à  Pasques,  à  l'heure  de  trois  heures,  sur  peine  d'amende, 
excepté  es  jours  de  dimanche  comme  cy  après  sera  faict  mention, 
et  es  jours  dont  on  ne  mangera  point  de  chair  les  lendemain  aus- 
quelz  jours  ils  ne  seront  tenuz  fournir  que  jusques  à  troys  heures 
après  midy  par  tout  ledict  temps,  et  pourront,  lesdicts  bouchers, 
saller  la  chair  qui  leur  demeurera  du  jeudy  et  autres  jours,  et 


—  346  — 

icelle  chair  sallée  rapporter  à  la  Boucherie  et  exposer  en  vente  auec 
leur  chair  fresche,  en  déclairant  par  eulx  icelle  chair  estre  sallée, 
et  seront  tenuz  fournir  souffisammcnt  ladicte  Boucherie  de  chair 
fresche,  et  au  cas  qu'ilz  rapporteront  chairs  sallées  en  ladicte  Bou- 
cherie, pour  vendre  se  elles  sont  trouuées  infaictes  et  pugnaises, 
non  dignes  de  vendre,  celluy  ou  ceulx  qui  telles  chairs  rapporte- 
ront, l'amenderons  de  60  sols  tournois. 

»  Article  XV.  —  Item,  et  ne  pourront  doresnauent  lesdicts 
maistres  bouchers,  et  ne  seront  tenuz  aussy  fournir  ladicte  Bou- 
cherie es  jours  de  dimanche  et  festes  sollempnelles,  depuis  le  ma- 
tin jusques  au  premier  coup  de  la  grant'messe  paroissiale  d'icelle 
ville,  que  jncontinant  ilz  seront  tenuz  oster  leurs  chairs  et  fermer 
leurs  estaulx,  sur  peine  de  60  sols  tournois  d'amende,  et  sans 
estaller  lesdicts  jours  autrement  que  dessus. 

»  Article  XVI.  —  /fem,  que  lesdicts  bouchers  seront  tenuz  de 
escorcher  les  bestes  par  eulx  tuées  sans  faire  cousteleure  es  cuyrs 
et  peaulx,  et  au  cas  qu'ilz  y  feront  cousteleure,  celluy  qui  fera 
icelle  cousteleure,  sera  tenu  pour  chacune,  en  deulx  deniers  tour- 
nois d'amende  pour  les  plaintifs  qui  en  seront  venus. 

»  Article  XVII.  —  Item,  lesdicts  bouchers  ne  pourront  ou 
devront  estre  communs  ensemble  à  une  beste  aumaille,  fors  seul- 
lement  que  deulx  d'iceulx  bouchers  si  ceste  beste  ne  vault  plus  de 
100  solz  tournois,  et  se  ne  pourront  estre  que  deulx  à  ung  pour- 
ceau, mouton  ou  veau,  et  non  plus;  mais iceulx bouchers  pourront 
estre  quatre  à  une  aumaille  le  mercredy  etlejeudy,  et  autres  jours 
dont  le  lendemain  on  ne  mange  point  de  chair,  et  laquelle  chair 
par  eulx  exposée  en  vente  en  ladicte  Boucherie,  ils  pourront  vendre 
si  longuement  et  tandis  qu'elle  sera  bonne,  digne  de  vendre  et 
menger  à  corps  humain,  sans  ce  qu'ils  soient  tenus  en  demander 
congé  à  justice,  et  aussy  s'ils  en  exposent  en  vente  qu'elle  ne  soit 
fresche,  indigne  de  vendre  et  qu'elle  soit  infaictc,  celui  qui  telle 
chair  aura  exposée  en  vente,  l'amendera  d'amende  à  la  discrétion 
de  justice,  et  si,  sera  jectée  en  la  rivière. 

»  Article  XVIII.  —  Item,  auons  ordonné  et  ordonnons  que 
quant  il  viendra  multitude  de  gens  en  ladicte  ville  de  Coulom- 
miers,  en  temps  qu'il  n'est  point  de  pélerinaige,  et  arrive  ù  heure 
de  deux  ou  trois  heures  après  midy,  au  cas  que  lesdicts  survenans 
leueront  toute  la  chair  de  ladicte  Boucherie  promptement,  en  ce 
cas  lesdicts  bouchers  ne  seront  tenuz  d'amende,  mais  seront  tenuz 
de  aller  tuer  de  la  chair  fresche  le  plus  tost  et  dilligcmmcnt  que 
faire  le  pourront. 


—  347  — 

»  Article  XIX.  —  Item,  et  si  seront  teniiz  jceulx  bouchers, 
toutes  et  quantes  fois  qu'ils  partiront  de  ladicte  Boucherie,  et  n'au- 
ront point  de  chair  et  qu'ils  fermeront  leur  estai,  de  retourner  et 
renverser  la  planche  de  leur  estai  sur  laquelle  ils  détaillent  leur 
chair,  en  peine  de  3  sols  neuf  deniers  tournois  d'amende,  ou  la 
ratisser  pour  obuier  aux  inconvénients  qui  s'en  pourroient  ensuir, 
ou  couurir  ladicte  planche  d'une  esselle  cheuillée  aux  deux  bouts, 
aussy  grande  comme  l'autre. 

»  Article  XX.  —  Item,  et  pour  lesquelles  ordonnances  tenir, 
entretenir  et  accomplir  de  point  en  point,  selon  leur  forme  et  te- 
neur, auons  faict  évocquer  et  appeler  par  deuant  nous  tous  les 
maistres  bouchers  de  ladicte  ville  de  Coulommiers,  auxquels  et  à 
chacun  d'eulx,  auons  fait  commandement  et  injonction  de  par 
ledict  seigneur  et  nous,  que  lesdictes  institutions  et  ordonnances 
ils  entretiennent  bien  et  dueument  sans  les  enfraindre,  selon  leur 
forme  et  teneur,  et  sur  les  peines  contenues  en  icelles.  Entesmoing 
de  ce,  nous  auons  scellé  ces  présentes  du  scel  et  contre  scel  dudict 
bailliage  de  Coulommiers,  estant  de  présent  en  la  main  du  Roy 
nostre  sire,  par  le  déceps  de  feu  monseigneur  le  duc  de  Nemours, 
que  Dieu  absoillc,  qui  furent  faictes  et  données  es  assizes  par  nous 
tenues  audict  lieu,  le  vingt  sixiesme  jour  de  janvier,  l'an  mil  cinq 
cens  et  troys.  Signé  :  Feullet.  » 


3iî) 


NOTICE  SUR  LA  COMMUNE  DE  PLESSIS-L'EVÊQUE, 

Canton  de  Dammartin,  arrondissement  de  Meaux, 

(Seine-et-Marne), 

PAR  M.    l'abbé  DÉCHERET, 
Membre  fondateur  (SectBon  rie  Meaux). 


Je  désire,  Messieurs,  en  esquissant  le  site  du  village  nommé  le 
Plessis-l'Evêque,  en  racontant  ce  que  j'ai  pu  savoir  de  ses  vieux 
souvenirs,  appeler  particulièrement  votre  attention  sur  deux  ma- 
gnifiques pierres  tombales  qui  décorent  actuellement  le  pavé  de 
son  église.  Bientôt,  je  l'espère,  des  dalles  les  remplaceront,  et  on 
verra,  adossées  aux  murs  intérieurs,  ces  pierres  restaurées  qui  fi- 
gureront avec  honneur,  transmettant  aux  siècles  futurs  quelques 
traits  saillants  d'une  histoire  locale  des  siècles  passés. 

J'émettrai  un  regret  que  tous,  Messieurs,  nous  sentons  vive- 
ment, c'est  que  les  archives  de  nos  paroisses  n'aient  pas,  en  géné- 
ral, une  plus  haute  antiquité  ;  la  plupart  ne  remontent  pas  au-delà 
du  milieu  du  xvii*^  siècle.  L'histoire  générale  n'a  pu  tenir  compte 
des  petits  faits  locaux  ;  son  allure  serait  trop  retardée  ;  elle  ne 
signale  dans  son  ensemble  que  l'action  perpétuelle  de  la  Provi- 
dence dirigeant  les  événements  humains,  comme  l'a  si  bien  fait 
notre  immortel  Bossuet ,  elle  suit  les  grandes  lignes  et  n'enregistre 
que  les  faits  de  premier  ordre. 

De  là  résulte  pour  l'annaliste  une  grande  difficulté,  s'il  veut  dé- 
crire la  naissance,  les  progrès,  les  faits  et  gestes  des  différents 
groupes  d'habitations  qui  forment  nos  villages  actuels. 

Un  mot  d'abord  sur  le  nom  de  Plessis-l'Évêque  et  son  étymo- 
logie. 

I 

Arrivés  à  l'entrée  du  village  de  ce  nom,  si  vos  regards  se 
portent  vers  les  différents  points  de  l'horizon ,  vous  ne  pouvez 
vous  défendre,  d'une  agréable  surprise.  Au  nord,  et  à  une 
distance  très-rapprochée ,  on  remarque,  se  dessinant  dans  un 
riche  vallon,  la  ferme  de  Ghambrefontaine,  qui  ne  conserve  plus 


--  330  — 

de  son  ancienne  splendeur,  comme  abbaye,  que  de  très-faibles 
vestiges  dans  quelques  murailles  d'enceinte,  où  l'ogive  apparaît 
encore.  11  est  vrai  qu'une  maison  nouvellement  construite,  co- 
quette, grandiose,  où  l'utile  est  mêlé  à  l'agréable,  semble  faire 
renaître  de  ses  cendres  cette  demeure  autrefois  religieuse  et  agri- 
cole. Mais  du  plan  de  la  maison  abbatiale  primitive,  il  ne  reste 
absolument  rien.  Des  vignes  plantées  sur  le  coteau,  et  probable- 
ment sur  les  ruines  de  l'ancien  monastère,  de  grands  bois,  des 
terres  cultivées  terminent  de  ce  côté  l'horizon.  On  voit  aa  nord- 
est  se  dresser  sur  la  cime  d'une  montagne,  le  village  de  Monthyon, 
dont  le  nom  rappelle  un  souvenir  de  bienfaisance  ;  au  sud-est, 
celui  d'Iverny,  riche  de  culture,  que  traverse  une  belle  route  se 
dirigeant  vers  l'antique  et  illustre  Juilly  ;  au  sud,  le  hameau  de 
La  Baste  et  le  Plessis-aux-Bois  qui  naguères  encore  possédait  un 
château  splendide,  avec  parc  princier,  dont  les  murs  d'enceinte 
sont  toujours  debout.  Vous  apercevez  entin  à  l'ouest,  suspendu  à 
mi-côte,  le  village  de  Montgé,  ayant  à  ses  pieds  celui  de  Cuisy. 
Or,  en  présence  de  ces  charmants  points  de  vue,  ne  faut-il  pas 
louer  les  premiers  fondateurs  du  Plessis-l'Évêque  de  l'heureux 
emplacement  qu'ils  ont  choisi  pour  créer  un  village,  et  ne  trouvez- 
vous  pas  que  sa  situation  topographique  explique  facilement  l'éty- 
mologie  du  nom  qu'ils  lui  ont  donné?  Pour  moi,  cela  ne  fait  au- 
cun doute. 

Le  mot  deplessis,  plexetum,  dans  son  acception  étymologique 
primitive,  signifiait  un  espace  de  terrain  fermé  de  haies  vives. 
Plus  tard,  il  désigna  une  maison  de  plaisance.  Le  nom  en  est  resté, 
dit  l'auteur  d'un  savant  dictionnaire,  à  plusieurs  terres  seigneu- 
riales et  à  plusieurs  pays.  Ainsi,  dans  notre  département,  le  Ples- 
sis-aux-Bois ,  le  Plessis-feu-Aussous,  le  Plessis-Placy,  rappellent 
trois  centres  de  population,  trois  villages,  remontant  incontesta- 
blement h  une  haute  antiquité. 

Primitivement  le  Plessis-l'Èvêque  portait  le  nom  de  Plexetum. 
Un  peu  plus  tard  il  prit  celui  de  Plassetum^  comme  on  le  voit  dans 
un  acte  passé  au  mois  d'août  H95.  Ansoldus  de  Plasseto  (Anseau  du 
Plessis)  assistait  comme  témoin  à  la  donation  (1)  de  20  arpents  de 
terre  situés  aux  plâtrières  de  Montbulun  (aujourd'hui  Montbou- 
lon),  que  fit  Barthélémy  de  Monthyon  à  l'abbaye  de  Chambrefon- 
taine.  Dans  d'autres  actes  de  la  môme  époque,  on  lit  Pleizelum 
^    simplement,  et  Pleizetum  domini  Gillonis.  C'est  ainsi  que  ce  village 

(1)  D.  T.  Duplessis.  Hist.  de  Meaux;  pièces  justifie.  CCCXXXVI. 


—  351  — 

est  désigné  au  Nécrologe  de  Charab refontaine,  décembre  1223. 
Plus  tard,  on  écrivit  Plesseiimi,  et  encore Plexetumepiscopi,  suivant 
la  première  dénomination  ;  c'était  en  1363. 

Depuis  cette  époque,  le  village  garda  le  nom  de  Plessis-l'Evêque. 
Il  le  perdit  un  instant  pendant  nos  troubles  civils,  alors  qu'on 
proscrivait  tout  souvenir  de  religion,  de  monarchie  et  de  féodalité; 
on  l'appela,  comme  autrefois,  le  Plessis-Gilon,  mais  bientôt  il  re- 
prit celui  que  plusieurs  siècles  déjà  lui  avaient  consacré. 

Ce  qui  n'est  pas  douteux,  c'est  que  ce  village  tira  son  nom  de  la 
demeure  seigneuriale,  du  lieu  de  plaisance  où  elle  fut  bâtie  et  au- 
tour de  laquelle  vinrent  se  grouper  diverses  habitations. 

Mais  quel  emplacement  occupait  cette  demeure?  C'est  une  ques- 
tion difficile  à  résoudre.  Aucun  vestige  apparent  ne  l'indique, 
et  les  documents  à  cet  égard  font  défaut.  On  sait  néanmoins  que 
presque  toujours  le  manoir  seigneurial  était  proche  de  l'église  du 
village.  De  cette  induction  générale  ne  serait-il  pas  permis  de  con- 
clure que  la  ferme  principale  *du  Plessis-l'Évêque,  située  à  une 
très-faible  distance  de  l'église,  aura  été  primitivement  la  demeure 
■du  seigneur  féodal?  Nombre  de  faits  analogues  nous  autorisent 
dans  cette  conjecture. 

II 

Seigneurs  du  Plessis-l'Evêque. 

Anseau  (Ansoldus)  dont  j'ai  parlé  plus  haut,  est  le  plus  ancien 
seigneur  qui  soit  connu.  Était-il  parent  ou  allié  de  la  famille  de 
Guisy,  dont  plusieurs  enfants  portèrent  le  titre  de  seigneurs  du 
Plessis?  Etait-il  étranger  à  cette  famille  ?  A-t-il  vendu  ou  donné 
sa  terre?  Aucun  renseignement  n'a  pu  nous  mettre  à  même  de 
trancher  cette  question. 

Toujours  est-il  que  dès  l'année  1230  on  voit  figurer,  comme 
seigneur  du  Plessis,  Gilles,  troisiènie  fils  de  Milon  de  Guisy  et 
d'Agnès,  son  épouse. 

Ge  personnage,  qui  avait  le  titre  de  chevalier,  parmi  les  legs 
indiqués  dans  son  testament  du  mois  d'octobre  1238,  laissa 
XX  sous  (solides)  au  curé  du  Plessis  (1)  qu'il  désigne  par  ces  mots, 
wesbytero  meo  de  Plesseto,  —  et  à  sa  chapellenie  capellaniœ  meœ  de 
Plesseto,  sa  part  d'un  pré  qu'il  avait  échangé. 

(1)  Hist.  de  l'égl.  de  Meaux.  —  Pièce  justif.  CCCXXV- 


—  352  — 

Cette  chapellenie,  dont  il  vient  d'être  question,  avait  été  fondée 
dans  l'église  du  Plessis  sous  le  titre  de  Saint-Nicolas.  Plus  tard,  au 
mois  de  juillet  1239,  le  chevalier  Ancel  de  Guisy,  frère  de  Gilles, 
au  moment  de  son  départ  pour  la  terre  sainte,  mentionna,  dans  son 
testament,  le  don  d'un  arpent  de  terre  en  faveur  du  chapelain  du 
Plessis-Gilon,  pour  la  célébration  future  de  son  anniversaire  (1). 

Il  est  à  croire  que  Gilles,  dont  l'épouse  s'appelait  Marguerite, 
ne  laissa  pas  d'héritiers  directs,  puisque  Aléaume  (Alernus),  son 
frère,  huitième  fils  de  Milon  de  Guisy,  lui  succéda  dans  la  posses- 
sion du  domaine  du  Plessis-l'Évêque,  vers  l'année  1255.  Ce  per- 
sonnage, entré  dans  l'état  ecclésiastique,  ne  quitta  la  dignité  de 
chantre  de  la  cathédrale  que  pour  monter  sur  le  siège  épiscopal  de 
Meaux.  Successeur  de  Pierre  de  Guisy,  son  frère,  il  gouverna 
pendant  douze  ans  l'église  confiée  à  ses  soins  et  mourut  le  13  oc- 
tobre 1267.  C'est  alors  que  le  village  du  Plessis-Gilon  prit  le  nom 
de  Plessis-l'Évêque,  qui  lui  resta. ^ 

On  ignore  qui,  après  la  mort  d' Aléaume,  porta  le  titre  de  sei- 
gneur du  Plessis.  Pendant  un  laps  de  temps  d'une  centaine 
d'années,  il  est  impossible,  faute  de  documents,  d'établir  la  liste 
de  ces  personnages. 

Au  siècle  suivant,  un  ecclésiastique,  d'abord  archidiacre,  puis 
évêque  de  Meaux  le  3  décembre  1378,  Guillaume  de  Dormans, 
fils  de  Guillaume  de  Dormans,  chancelier  de  France,  et  de  Jeanne 
Baude,  dame  de  Silly,  possédait,  entr'autres  domaines,  celui  du 
Plessis-l'Évêque.  Il  était  seigneur  de  Dormans ,  de  Lizy,  de 
.Montceaux,  de  Goussainville ,  du  Plessis-l'Évêque  et  de  Da- 
mery.  Ce  prélat  fut  transféré  à  l'archevêché  de  Sens  et  mourut 
en  1404. 

Pendant  son  épiscopat  sur  le  siège  de  Meaux,  il  eut  pour  vicaire 
général  Simon  du  Plessis,  qui  tint  en  cette  qualité  le  synode  dans 
l'église  cathédrale  le  21  septembre  1385.  Simon  du  Plessis  était 
en  même  temps  abbé  de  Châage,  et  l'auteur  de  V Histoire  de  l'église 
de  Meaux,  dit  qu'il  a  été  l'un  des  plus  recommandablcs  d'entre  ceux 
qui  ont  gouverné  cette  abbaye.  On  le  loue  surtout  d'avoir  relevé 
à  grands  frais  les  bâtiments  du  monastère. 

Simon  avait  pour  frère  Jean  du  Plessis,  à  la  fois  chanoine  de 
Meaux  et  d'Arras.  Celui-ci,  par  acte  testamentaire  du  25  jan- 
vier 1394,  légua  à  l'abbé  de  Châage  un  gobelet  d'argent,  en  môme 
temps  qu'il  faisait  don  à  l'église  cathédrale  de  ses  deux  bréviaires, 

(1)  Hist.  de  régi,  de  Meaux.  Pièce  juslif.  CCCXXIX. 


—  353  — 

«  qui  seront,  dit-il,  enchaînés  à  mes  frais,  auprès  de  la  stalle  que 
((  j'occupe  au  chœur  (1).  » 

Ces  deux  personnages,  que  l'on  peut  croire  originaires  du  Ples- 
sis-l'Évêque,  ne  pourraient-ils  pas  être  considérés  comme  des  ar- 
rière-neveux de  l'évêque  Aléaume  ?  Certainement  ils  n'étaient  pas 
en  possession  de  la  seigneurie  du  Plessis,  domaine  de  Guillaume 
de  Dormans,  mais  ils  pouvaient  appartenir  à  une  famille  distin- 
guée de  ce  village. 

Le  Collège  de  Beauvais  est  indiqué  comme  seigneur  du  Ples- 
sis-l'Évêque,  en  1756,  dans  un  ouvrage  intitulé  :  Généralité  de  Paris^ 
imprimé  à  cette  époque. 

A  mon  grand  regret,  je  dois  clore  cette  liste  des  seigneurs  du 
Plessis-l'Évêque  en  nommant  le  marquis  du  Coudray,  qui,  le 
dernier,  porta  ce  titre.  Ce  seigneur  avait  été  créé  lieutenant  géné- 
ral des  armées  du  Roi  le  1"  mars  1780. 

Depuis  la  loi  qui  anéantit  l'ordre  de  la  noblesse,  avec  ses  droits 
et  ses  privilèges,  il  n'y  eut  plus  que  des  propriétaires  possesseurs 
des  domaines  autrefois  appelés  seigneuries. 

La  propriété  principale  du  Plessis-l'Évêque  ne  sortit  point  de  la 
famille  qui  la  possédait  avant  la  révolution.  M.  Hilaire  Rouillé, 
marquis  de  Boissy  du  Coudray,  posséda  cette  terre.  Après  la 
mort  de  madame  la  marquise,  elle  échutà  mademoiselle  de  Boissy, 
qui  devint  marquise  d'Aubusson.  Elle  est  maintenant  la  propriété 
des  héritiers  de  madame  la  princesse  de  Beauvau,  née  d'Aubusson. 

IIL 

Église.  —  Pierres  tombales. 

Le  village  du  Plessis-l'Evêque,  aujourd'hui  du  canton  de  Dam- 
martin,  arrondissement  de  Meaux,  appartenait  autrefois  à  la  géné- 
ralité de  Paris,  à  l'élection  et  au  bailliage  de  Meaux;  sa  population 
n'a  jamais  été  bien  importante  (2). 

(1)  Hist.  de  régi,  de  Meaux.  Pièce  justif.  DX. 

(2)'  Suivant  un  document  de  nos  archives  départementales,  la  situation  de  cette 
paroisse,  établie  en  1771,  donnait  comme  chiffre  de  la  population  50  feux,  environ 
200  âmes.  D'après  la  statistique  moderne,  en  1806  on  comptait  184  habitants,  202 
en  1845,  et  au  dernier  recensement  146  habitants  seulement. 

Le  territoire  comportait  en  1771,  1,042  arpents.  On  y  exploitait  deux  plàtrières  ; 
une  ferme  appartenant  au  seigneur  (c'étaient  alors  MM.  du  collège  de  Beauvais), 
une  autre  ferme,  propriété  de  l'abbaye  de  Chambrefontaine  ;  puis  une  petite  dixme 

23 


—  354  — 

C'était  et  c'est  encore  une  paroisse  du  diocèse  de  Meaux  et  de 
l'archidiaconé  de  France.  Elle  avait  autrefois  pour  annexe  le  Ples- 
sis-aux-Bois,  appelé  primitivement  le  Plessis-Pomponne,  Plexetum- 
Pomponiœ  en  1363,  et  avant  Plexetum-Domini-Bugonis,  J223. 

La  chapelle  de  cette  annexe  et  celle  fondée  dans  l'église  du 
Plessis-l'Evêque  étaient  desservies  par  un  vicaire  qui  jouissait  de 
ce  double  bénéfice.  Le  Plessis-Pomponne  fut  érigé  en  cure  sous 
le  pontificat  de  Bossuet,  en  1685.  Cette  église,  celle  du  Plessis- 
l'Evêque  et  de  la  chapelle  Saint-Nicolas,  étaient  à  la  présentation 
du  prieur  de  Sainte-Céline  de  Meaux. 

Sur  le  revenu  de  la  cure  du  Plessis-l'Evêque  qui  était  de  500 
livres,  le  curé  payait  à  l'état  le  décime  d'impôt  qui  s'élevait  à  16 
livres  12  sous.  Le  chapelain  de  Saint-Nicolas  était  taxé  à  36  sous. 

L'aspect  extérieur  de  l'église,  dans  son  ensemble,  ne  présente 
absolument  rien  de  remarquable.  Ce  n'est  pas  un  monument  à 
signaler  par  son  architecture;  la  construction  est  toute  simple  (1). 

Le  clocher  forme  avant-corps.  Quatre  arcades  à  jour  supportaient 
autrefois  toute  la  masse  ;  ces  arcades  étaient  légèrement  ogivales. 
Depuis  la  restauration  générale  de  l'église  et  la  restauration  par- 
tielle du  clocher  en  1859,  deux  de  ces  arcades  ont  été  complète- 
ment bouchées.  Des  deux  autres,  celle  qui  donne  entrée  au  portail 
a  été  rebâtie  avec  une  ogive  mieux  dessinée  ;  l'autre,  qui  donne 
entrée  dans  l'église,  a  conservé  son  ancien  style. 

La  cloche  est  d'un  poids  assez  faible  ;  elle  m'a  paru  peser  envi- 
ron 150  kilogrammes.  C'est  peut-être  l'une  des  plus  anciennes 
du  diocèse.  Elle  a  pour  seule  épigraphe,  ces  mots  :  «  Je  svis 
»  nommée  Marie  et  fuct  faicte  l'an  1596.  » 


de  la  cure.  En  1744,  la  taille  fixe  de  la  paroisse  était  de   2,100    livres;  en  1770, 
elle  était  de  2,620  livres. 

Le  territoire  actuel,  d'après  la  matrice  cadastrale,  ne  comporte  plus  que  384 
hectares  en  exploitation.  Le  domaine  de  cette  commune  est  purement  agricole.  On 
y  compte  35  maisons,  2  fermes,  le  chiffre  des  contributions  s'élève  à  4,193  francs. 

(1)  D'importantes  réparations  ont  été  faites  à  la  nef  en  1773,  et  pour  les  payer 
on  fit  une  imposition  de  1,875  livres  15  sous,  dont  les  5;6  grevèrent  les  biens- 
fonds  de  la  paroisse,  et  le  1/6  les  taillahles  et  cotes  d'office,  suivant  l'arrêt  du 
Conseil  d'Etat  du  3  novembre  1772  et  l'ordonnance  de  Mgr  l'intendant  du  23  dé- 
cembre 1772. 

Denis-Pierre  Dubourg,  arpenteur  royal,  et  Jean-Pierre  Dubourg,  clerc  paroissial, 
lurent  chargés  de  la  répartition  au  marc  la  livre. 

Parmi  les  imposés  de  biens-fonds,  figure  le  marquis  du  Coudray,  comme  sei- 
gneur du  Plessis-l'Evêque.  11  paraît  certain  que  c'est  dans  l'année  1772  ou  en  1773 
qu'il  acquit  de  MM.  du  collège  de  Beauvais  le  domaine  du  Plessis-  l'Évêque. 


—  355  — 

Il  faut  descendre  deux  marches  pour  entrer  sous  le  portail  et 
une  autre  marche  pour  pénétrer  dans  l'église. 

Comme  style  architectural,  l'intérieur  n'offre  rien  que  de 
simple.  Une  seule  nef  sans  abside,  avec  un  collatéral  :  telle  est 
l'église,  éclairée  par  sept  fenêtres  qui  ne  présentent  de  nos  jours 
aucun  caractère.  Cet  édilice  mesure  en  longueur  16  mètres  30  cen- 
timètres, et  en  largeur  9  mètres  10  centimètres. 

Le  sanctuaire  consiste  en  une  seule  travée  ;  il  est  pourvu  d'une 
voûte  ogivale  de  construction  récente,  les  arceaux  reposent  sur 
des  piliers.  Le  chœur,  la  nef  et  son  collatéral  sont  plafonnés  avec 
poutres  apparentes  et  forment  trois  travées.  Tout  l'édifice  à  l'inté- 
rieur est  soutenu  par  quatre  piliers  cylindriques. 

On  voit  dans  le  chœur  six  stalles  en  vieux  bois  de  chêne,  qui 
m'ont  paru  fort  anciennes  et  présenter  quelque  intérêt.  Chacune 
des  miséricordes  est  ornementée.  Sur  la  première  de  droite  sont 
sculptées  des  armes  épiscopales  ;  une  crosse  domine  l'écusson,  sur 
le  champ  duquel  est  un  gland  couronné  ;  sur  la  seconde  est  une 
fleur  de  lys;  sur  la  troisième,  un  cœur  transpercé. 

A  gauche,  sur  la  miséricorde  de  la  première  stalle  est  sculptée 
une  levrette  ;  sur  la  seconde,  une  guirlande.  La  troisième  stalle 
n'a  pour  siège  qu'une  simple  planche. 

Le  pavé  de  l'église,  dans  le  sanctuaire  et  dans  le  chœur,  est 
composé  de  dalles  carrées  dont  un  grand  nombre  sont  verdâtres  et 
mangées  par  l'humidité.  C'est  au  pied  du  sanctuaire  et  au  milieu 
de  ces  dalles  que  se  trouvent  les  belles  pierres  dont  j'ai  à  vous 
faire  la  description. 

PREMIÈRE  PIERRE. 

Sur  la  plus  ancienne  figurent  deux  personnages  couchés  et  les 
mains  jointes.  Celui  de  droite  est  un  chevalier  avec  armure  de 
mailles,  visible  au  bas  du  cou,  aux  bras  et  aux  pieds.  Le  reste  du 
corps  est  couvert  d'une  cotte  d'armes  descendant  jusqu'à  mi- 
jambes.  Au-dessous  des  mains  nues  se  voit  la  garde  de  son  épée, 
que  recouvre  son  écu  suspendu  par  deux  courroies.  Les  pieds 
reposent  sur  un  chien  couché.  La  tête  est  couverte  d'un  casque 
sans  cimier,  portant  au  milieu  une  croix  tréflée  aux  deux  bras 
et  pointue  aux  deux  autres  extrémités.  Sur  la  visière  abaissée  sont 
pratiquées  quatorze  ouvertures  linéaires  formant  trois  lignes  su- 
perposées. 

Le  deuxième  personnage  est  une  dame  dont  la  tête  est  couverte 


—  356  — 

d'un  voile.  Son  manteau  descendant  jusqu'à  terre  est  relevé  du 
côté  droit  jusqu'à  la  hauteur  du  genou  par  un  pli  formant  dra- 
perie sous  le  coude.  La  robe  qu'il  recouvre  en  partie  est  très- 
longue;  elle  a  des  manches  étroites,  fermées  au  poignet.  A  gauche 
apparaît  la  doublure  du  manteau. 

Au-dessus  des  deux  personnages  est  un  double  dais  formé  de 
deux  ogives  trilobées,  surmontées  de  frontons  garnis  de  crochets 
avec  fleurons.  Au  tympan  se  dessine  un  trèfle  à  lobes  aigus.  De 
chaque  côté  des  frontons  on  voit  trois  anges.  Celui  du  milieu  de- 
bout et  la  tête  nimbée  tient  de  chaque  main  étendue  une  couronne 
au-dessus  des  deux  défunts.  Les  deux  anges  qui  sont  à  droite  et  à 
gauche,  également  nimbés,  agitent  un  encensoir  qui  paraît  sus- 
pendu au  sommet  des  ogives. 

On  lit  en  majuscules  gothiques  autour  de  cette  pierre  qui  a  2 
mètres  33  centimètres  de  longueur  sur  1  mètre  10  centimètres  de 
largeur  : 

(c  f  Ici.  gist.  feu.  Mesire.  Ancel.  de  la  Pierre,  qui.  trespassa. 
en.  l'an.  de.  grâce.  MGGXXIX.  (1229).  Ci.  gist.  feu.  Madame. 
Isabel.  sa.  femme,  qui.  trespassa.  en.  l'an.  de.  grâce.  MCCXX  IIL 
(1223?).  Priez,  pour.  les.  âmes.  deus.  Amen,  n 

Quant  à  cette  dernière  date  on  ne  peut  lire  d'une  manière  cer- 
taine que  MCG.  Viennent  ensuite  deux  XX,  puis  un  espace  illisible 
et  trois  unités. 

DEUXIÈME  PIERRE. 

Le  personnage  principal  représente  une  dame,  les  mains  jointes, 
portant  une  robe  dont  les  manches  ouvertes  et  élargies  laissent 
les  deux  tiers  de  l'avant-bras  à  découvert.  Au  bras  gauche  pend 
un  chapelet.  La  tête  est  voilée  avec  guimpe.  Sous  ses  pieds  sont 
deux  chiens,  symbole  de  la  fidélité. 

Au-dessus  des  épaules  et  de  chaque  côté  des  hanches  se  trouvent 
placés  quatre  écussons,  à  l'épaule  droite  et  au  côté  gauche  orlés  au 
lion  grimpant  ;  à  l'épaule  gauche  et  au  côté  droit  on  distingue  une 
bande. 

La  dame  est  encadrée  ans  une  ogive  trilobée  avec  crochets  et 
fleurons  au  milieu,  et  accompagnée  de  chaque  côté  de  contreforts 
à  quatre  étages.  Ces  contreforts  sont  ornés  d'ogives  avec  frontons 
aigus  et  terminés  par  trois  clochetons  garnis  de  crochets. 

Au-dessus  de  l'ogive  principale  règne  une  galerie  divisée  en  cinq 
ogives.  Dans  celle  du  milieu,  qui  est  trilobée,  on  voit  la  Sainte- 


—  357  — 

Vierge  assise  avec  F  Enfant-Jésus.  Dans  les  quatre  autres  surmon- 
tées de  frontons  aigus  avec  trèfles  au  tympan,  et  accompagnées  de 
clochetons,  se  trouvent  représentés  quatre  anges.  Ceux  des  extré- 
mités, debout,  portent  un  flambeau  avec  un  cierge  allumé.  Des 
deux  autres,  celui  de  droite  est  à  genoux  les  mains  jointes,  et  celui 
de  gauche  assis  tient  un  livre  ouvert  sur  ses  genoux. 

Cette  pierre,  bien  conservée,  mesure  2  mètres  25  cent,  de  lon- 
gueur sur  1  mètre  65  de  largeur.  On  lit  autour  également  en  ma- 
juscules gothiques  :  ^ 

«  t  Ici.  gist.  Denmoiselle.  Jeanne,  de.  la.  Pierre,  iadis.  famme. 
Pierre,  de.  Fresnoy.  escuier.  q.  trespassa.  l'an.  M. CGC. XXX. 
(1330)  le.  jour.  de.  feste.  Saint.  Martin,  diver.  Priez,  p^  l'âme, 
de.  lui.  que.  Diev.  Li.  face,  pardon.  Amen. 


Outre  ces  deux  magnifiques  pierres  tombales,  on  voit  encore 
deux  fragments  séparés  d'une  troisième  pierre.  L'un  des  deux 
fragments  est  incomplet. 

Sur  la  plus  grande  portion  est  représenté  un  chevalier  armé  de 
brassards  et  de  cuissards. 

En  réunissant  ce  qui  restede  l'inscription  sur  les  deux  fragments 

on  lit  seulement  ces  mots  ;  «  de chlr.  qui.  trespassa.  en. 

))  l'an.  de.  grâce.    MGGGXXIII.   lundi Rémi,   uniesme. 

n  d'octembre.  » 


Qu'étaient  ces  personnages  dont  l'existence  au  Plessis-l'Evêque, 
pendant  le  xiii®  et  le  xiv®  siècle,  se  trouve  attestée  par  les  pierres 
qui  recouvrent  leurs  cendres?  —  Une  tradition  populaire  vient 
ici  élucider  la  question;  elle  est  corroborée  par  des  faits  irrécu- 
sables. 

Parmi  les  lieux  dits  qui  désignent  les  diverses  parties  du  terri- 
toire du  Plessis-l'Evêque,  il  en  est  un  qui  porte  le  nom  de  Jar- 
din de  la  Pierre.  A  l'entrée  de  ce  terrain  est  un  fossé  destiné  à  re- 
cevoir les  égouts  des  terres  ;  il  traverse  la  route,  et  le  ponceau  qui 
y  est  construit  porte  le  nom  de  Pont  de  la  Pierre. 

De  plus,  si  l'on  examine  la  configuration  de  ce  terrain,  on  ne 
peut  s'empêcher  de  reconnaître  l'emplacement  naturel  d'anciennes 
constructions.  D'ailleurs,  à  diverses  époques  en  travaillant  le  sol 


—  358  — 

on  a  mis  à  jour  des  pierres  d'assises  qui  indiquent  suffisamment 
l'emplacement  de  l'ancien  manoir. 

C'était  là  certainement  que  résidaient  les  seigneurs  de  la  Pierre. 
Ce  fief,  cette  habitation  féodale  touchait  au  village  du  côté  de  l'est. 
Le  souvenir  s'en  est  perpétué  et  ici  la  tradition  populaire  me  pa- 
raît offrir  une  présomption  respectable. 

Outre  les  seigneurs  de  la  Pierre  dont  il  a  été  précédemment 
question,  il  en  est  un  qui  vivait  au  commencement  du  xiv"  siècle  ; 
il  portait  le  nom  d'Adams  de  la  Pierre.  Dans  un  Jugement  rendu 
le  16  avril  1311,  par  le  connétable  de  France  Gaucher  de  Châtil- 
lon,  Adams  de  la  Pierre  se  porta  avec  d'autres  chevaliers  des  envi- 
rons de  Meaux,  caution  de  certains  personnages  de  sa  qualité  qui 
avaient  été  accusés  d'avoir  blessé  un  chanoine  et  tué  son  clerc,  au 
moment  où  ceux-ci  se  rendaient  à  l'office  de  la  cathédrale.  [Extrait 
des  lettres  adressées  aux  auteurs  de  la  nouvelle  Gaule  chrétienne  et  à 
Dont  Toussaint  du  Plessis,  par  Gh.  J.  Thomé,  chanoine  de  Meaux. 
—  Paris,  1748.) 

Comment  disparut  le  fief  de  la  Pierre,  et  à  quelle  époque,  Je 
n'ai  point  à  le  dire,  la  question  me  paraît  insoluble  et  Ton  ne  sau- 
rait à  cet  égard  former  la  plus  simple  conjecture. 


—  359  — 

LE  FOYER  D'UNE  CHEMINÉE, 

PAR    M.    CHEMIN, 
Membre  fondateur  (§iection  de  Coulommiers). 


Le  fo^er  d'une  cheminée,  dans  une  des  pièces  de  la  ferme  de  la 
Boisserotte  (ancienne  commune  de  LaBoissière,  aujourd'hui  réunie 
à  celle  de  Saints),  est  formé  d'une  pierre  quicontientle  texte  d'une 
fondation  faite  à  la  fin  du  xvii''  siècle,  par  Jean  Charlier^  marchand 
en  draps,  or  et  soie,  et  Catherine  Ghauchet,  sa  femme,  dans  l'é- 
glise de  Saint-É tienne  de  Touquin,  de  messes  et  saluts  «  pour  le 
»  repos  des  âmes  desdits  sieur  et  dame  Charlier,  moyennant  le 
»  don  d'un  demi  arpent  de  pré,  et  un  ornement  complet  de  damas 
»  blanc  à  fleur  d'or,  »  ainsi  qu'il  est  exprimé  dans  le  contrat  de 
cette  fondation  passé  devant  Monbelot,  substitut  du  tabellion  de 
Tournan,  établi  à  Touquin,  les  14  juillet  1686  et  2  mars  1687. 

Cette  pierre  existait-elle  dans  l'église  de  La  Boissière,  démolie 
depuis  longtemps,  ou  dans  celle  de  Touquin?  Nous  n'avons  pu  le 
savoir. 

Ce  document  n'a  pas  une  grande  importance  historique,  mais 
rapproché  de  l'acte  dont  il  fait  mention,  il  n'est  point  sans  intérêt 
pour  la  paroisse  de  Touquin  et  pour  celle,  aujourd'hui  disparue, 
de  La  Boissière. 

Peut-être  aussi  ce  document  se  rattache-t-il  à  une  chapelle  de  l'é- 
glise de  Touquin,  sous  le  titre  de  la  Magdeleine,  détruite  en  1687. 

D.  0. M. 

((  Les  Marguilliers  présents  et  à  venir  de  cette  Église  et  Pa- 
))  roisse  de  Saint-Étienne  de  Touquin  en  Brie,  sont  obligés  de 
»  faire  dire,  chanter  et  célébrer  à  perpétuité  et  à  toujours  au 
»  chœur  de  ladicte  Église  le  jour  et  fête  de  Pasques,  sur  les  cinq 
))  à  six  heures  du  soir,  un  salue  solennel  pour  le  repos  des  âmes 
»  de  défunts  sieur  Jean  Charlier,  marchand  en  draps,  or  et  soyc, 
»  et  Catherine  Chauchet,  sa  femme^  auquel  sera  chanté  le  répons 
»   Christum  t^egem,  la  prose  Victimœ paschali,  Magnificat,  l'antienne 


—  360  — 

»  du  jour  de  Pasques;  ensuitte  sera  faicle  la  procession,  en  chan- 

»  tant  les  litanies  et  l'antienne  Regina  cœli,  devant  l'autel  de  la 

»  Saincte  Vierge,  sur  laquelle  seront  exposés,  pendant  ledict  Sa- 

»  lut,  quatre  cierges  d'un  quarteron  chacun,  puis  sera  chanté  le 

))  psaume  Exaudiat,   Domine^  salvum  fac  regem,  le  De  profundis 

»  et  oraisons,  et  en  fin  d'iceluy  salut  seront  distribués  aux  parents 

»  desdicts  Charlier  et  sa  feme,  et  autres  qui  assisteront  au  salut, 

»  deux  livres  de  bougie  blanche  des  trente  à  la  livre,  pour  laquelle 

»  présenté  fondaôn  a  été  donné  à  la  d"  œuvre   et  fabrique,  un 

»  demy  arpent  de  prez  et  ornement  complet  de  damas  blanc  à  fleur 

»  d'or,  ainsy  que  plus  au  long  est  contenu  au  contrat  de  la  d^  fon- 

»  dation,  passé  devant  Monbelot,  substitud  du  tabellion (l)de 

))  Tournan,  establys  à  Touquin  en  Brie,  les  14  juillet  1686  et 

»  2e  mars  1687. 

»  Requiescant  in  pace.  » 

La  pierre  portant  cette  inscription  est  cassée  en  plusieurs  mor- 
ceaux, deux  mots  sont  illisibles. 

(1)  Cinq  lettres  effacées,  qu'on  peut  supposer  former  le  mot  royal. 


^//^/"■l.caitgjar' 


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—  361  — 

NOTE   SUR  D'ANCIENS  TOMBEAUX 

DÉCOUVERTS  A  MELUN  DANS  LA  COUR  D'HONNEUR  DE  LA  PREFECTURE, 

en  Décembre  1865, 

PAR    M.    LEMAIRE, 
iMembre  fondateur    (iSection  do  Hclun  ). 


L'ancienneté,  on  peut  même  dire  l'antiquité  de  la  ville  de  Me- 
lun,  ne  se  discute  plus  :  les  preuves  abondent  tellement  qu'il  est 
superflu  d'en  rechercher  de  nouvelles.  Si  nous  n'avions  pas  sous 
les  yeux  de  nombreux  restes  de  monuments,  les  débris  humains 
trouvés  en  tant  d'endroits  suffiraient  seuls  d'arguments  incon- 
testables, car  le  sol  de  notre  ville  peut  être  considéré  comme  un 
vaste  cimetière  ;  en  effet,  partout  où  l'on  creuse,  on  retrouve  les 
ossements  de  ceux  qui  nous  ont  précédé. 

Dernièrement  encore  (du  5  au  8  décembre  1865),  en  pratiquant 
un  trou  dans  la  principale  cour  de  la  préfecture,  pour  remplacer 
un  arbre,  on  a  mis  à  découvert  deux  tombeaux  en  pierre.  M.  le 
préfet  informé  du  fait,  prescrivit  leur  extraction.  Le  premier, 
amené  à  l'hôtel-de-ville,  pour  y  être  conservé  avec  d'autres  mo- 
numents de  l'espèce  précédemment  recueillis,  renfermait  le  sque- 
lette d'un  personnage  qui  a  pu  être  l'un  des  abbés  des  Béné- 
dictins du  M  ont-Saint-Père,  si  l'on  en  juge  d'après  un  anneau 
en  cuivre  trouvé  dans  le  tombeau  même,  avec  la  phalange  du 
doigt  qui  le  portait.  Cet  anneau  paraît  avoir  reçu  une  légère 
dorure,  peut-être  afin  d'éviter  l'oxidation  qui  aurait  pu  se  dé- 
poser sur  les  parties  de  la  main  en  contact  immédiat  avec  lui. 

Pour  savoir  si  les  abbés  réguliers  avaient  le  droit  de  porter 
un  anneau,  j'ai  feuilleté  le  petit  nombre  d'ouvrages  dont  je  dis- 
pose ;  mes  investigations  étaient  restées  vaines,  lorsque,  en  con- 
sultant le  dictionnaire  de  Furetière,  à  l'article  abbé,  voici  ce  que 
je  trouvai  :  «  les  abbés  mitres  sont  ceux  qui  ont  droit  de  porter 
))  les  ornements  épiscopaux,  comme  la  mitre,  les  sandales,  les 
»  gants.  Vanneau  et  la  crosse  ;  et  pour  les  distinguer  des  évoques, 
»  Clément  IV  ordonna  que  les  abbés  exempts  porteraient  des 


—  362  — 

»  mitres  brodées  (1) ,  mais  sans  pierreries  et  sans  lames  d'or  et 
»  d'argent;  et  les  non-exempts  des  mitres  blanches  unies.  » 

Plusieurs  personnes  m'avaient  affirmé  qu'en  effet  les  abbés 
réguliers  portaient  l'anneau;  parmi  ces  personnes,  je  citerai 
M.  l'abbé  Dégoût  et  M.  le  marquis  de  Pontécoulant.  D'après  le 
digne  et  infatigable  président  de  notre  Société,  ces  abbés  ne  pou- 
vaient porter  qu'un  anneau  de  cuivre  :  ce  que  viendrait  confirmer 
la  découverte  faisant  en  partie  l'objet  de  cette  note. 

Je  consens  volontiers  à  me  ranger  à  cette  opinion,  pourtant 
je  ne  puis  m'empêcher  de  faire  une  remarque  :  je  demanderai 
si  ces  hommes  admis  dans  les  grandes  assemblées  du  clergé 
(synodes,  conciles,  etc.),  vêtus  comme  les  prélats,  portant  la  crosse 
comme  eux,  et  élevant  la  prétention  de  coiffer  une  mitre  sem- 
blable à  la  leur;  je  demanderai^  dis-je,  si  ces  hommes  se  rési- 
gnaient véritablement  à  orner  leur  doigt  d'un  simple  anneau  de 
cuivre?  J'ajouterai  que  l'anneau  dont  il  s'agit  ici,  ne  contient  sur 
son  chaton  aucune  empreinte,  aucun  signe  distinctif,  et  qu'il  n'a 
dû  être  porté  que  pendant  un  court  laps  de  temps,  par  la  raison 
que  les  arêtes  existant  à  la  réunion  de  ce  chaton  avec  l'anneau 
lui-même,  sont  encore  très-vives. 

Je  reviens  au  premier  des  tombeaux  cités  plus  haut  :  il  mesure 
en  longueur  2  m.  10  c.  ;  en  largeur,  à  la  tête,  75  c,  aux  pieds, 
46  c,  et  en  hauteur  extérieure,  45  c. 

Suivant  M.  Andoque,  commis  de  M.  Senèque,  architecte  du 
département,  ce  tombeau  serait  en  pierre  statuaire  provenant  des 
carrières  de  Château-Gaillard  en  Poitou.  On  n'y  remarque,  comme 
signe  décoratif,  qu'une  simple  croix  grecque  indiquée  extérieure- 
ment à  la  tête  par  un  trait  f .  Il  était  sans  couvercle,  ainsi  que  le 
second,  et  renfermait,  outre  l'anneau  dont  j'ai  parlé,  plusieurs 
vases  d'une  terre  assez  grossière  et  de  forme  sans  élégance,  rem- 
plis de  charbon  destiné  à  brûler  l'encens  qnc  l'on  y  mettait  pour 
combattre  les  mauvaises  odeurs.  Le  charbon  contenu  dans  les 
vases  que  j'ai  l'honneur  de  présenter  à  la  Société,  paraît  s'être 
éteint  aussitôt  après  y  avoir  été  introduit,  ces  vases  (placés  entre- 
les  jambes  du  squelette  qu'ils  accompagnaient),  n'ayant  pas  comme 
beaucoup  d'autres  trouvés  dans  des  circonstances  identiques,  de 
trous  ni  de  fentes  longitudinales  pour  faciliter  la  circulation  de 
l'air  et  accélérer  la  combustion. 

Les  plus  petits  de  ces  vases  ont  été  trouvés  en  pleine  terre, 

(1)  Brodés  en  or,  d'après  l'Encyclopédie  du  xviii*  siècle. 


—  363  — 

avant  la  découverte  des  premiers  ;  ils  contenaient  également 
quelques  charbons. 

Je  laisse  à  d'autres,  plus  versés  que  moi  en  ces  matières,  le 
soin  de  déterminer  l'époque  à  laquelle  peuvent  appartenir  les 
objets  dont  je  viens  de  parler,  ce  qui  du  reste  ne  paraît  pas  facile, 
car  d'après  M.  de  Gaumont,  le  savant  antiquaire  de  la  Normandie, 
dans  son  Abécédaire  d'archéologie,  le  même  genre  d'inhumation 
se  serait  continué  du  xi^  au  xvi"  siècle  ;  il  pourrait  même  remonter 
au-delà,  sans  parler  des  époques  gallo-romaine  et  mérovingienne. 
Quant  au  second  tombeau  trouvé  dans  la  cour  de  la  préfecture,  il 
contenait  aussi  un  squelette  entier,  mais  sans  aucun  autre  objet. 
Ce  tombeau,  qui  paraissait  intact  après  avoir  été  dégagé,  est 
tombé  en  morceaux  aux  premiers  efforts  faits  pour  le  sortir  de 
terre. 

Les  cercueils  en  pierre  étaient  d'un  usage  si  général,  et  leur 
nombre  si  considérable,  que  le  savant  archéologue  cité  plus  haut, 
parle  de  cimetières  ruraux  en  Poitou,  en  Saintonge  et  en  Cham- 
pagne, où  l'on  en  compte  jusqu'à  20,000,  ce  qui  laisse  supposer 
une  période  d'inhumation,  dans  les  mêmes  lieux,  d'autant  plus 
longue  que  l'on  trouve  souvent  plusieurs  squelettes  dans  le  même 
cercueil.  (Archéologie  religieuse,  page 223.) 

L'endroit  où  ont  été  découverts  les  tombeaux  dont  je  m'occupe, 
a  bien  évidemment  servi  de  cimetière  aux  religieux  de  l'abbaye  du 
Mont-Saint-Père,  depuis  le  vi^  siècle  jusqu'au  25  août  1792,  date 
de  la  suppression  générale  des  ordres  monastiques,  puisqu'il  y 
a  quelques  années  déjà  d'autres  tombeaux  ont  été  trouvés  au 
même  lieu. 

La  forme  des  tombes  démontre  que  ce  cimetière  n'a  été  établi 
que  postérieurement  à  la  destruction  du  monastère  par  les  Nor- 
mands, et  après  sa  reconstruction  ordonnée  par  Hugues  Capet, 
suivant  une  charte  donnée  à  Gompiègne,  le  26  septembre  991,  rap- 
portée par  Sébastien  Rouillard.  (Histoire  de  Melun,  pages  234  et 
suivantes.) 

D'un  autre  côté,  il  y  a  lieu  de  supposer  que  ces  tombeaux  sont 
antérieurs  au  xvi^  siècle.  L'abbaye  des  Bénédictins  ayant  été  une 
seconde  fois  détruite  à  peu  près  complètement  au  mois  de  septembre 
1590,  de  nouveaux  édifices  vinrent  remplacer  ceux  que  l'incendie 
avait  anéantis,  et  l'on  doit  croire  que  si  le  cimetière  avait  encore 
servi  aux  inhumations  à  cette  dernière  époque,  les  Bénédictins 
l'auraient  respecté  en  procédant  à  la  reconstruction   de  leur  mo- 


—  364  — 

nastère,  et  qu'ils  n'auraient  pas  établi  en  un  lieu  consacré  par  la 
religion  leur  basse-cour,  avec  bergeries,  pressoirs  et  divers  autres 
bâtiments  de  service. 

(  Voir  le  plan  ci-joint,  représentant  V abbaye  comme  elle  était  encore  en 

18J8). 


—  365  — 

NOTE  SUR  UN  VASE 

PROVENANT  DE   L'ABBAYE   DE   GHELLES 

PAR   M.    LEFEBVRE-THIÉBAULT  , 
Membre   fondateur  (Section  de  lUeaux 


Le  vase  que  je  viens  de  déposer  sur  le  bureau  faisait  partie 
d'une  officine  de  pharmacie,  il  est  en  faïence  et  décoré  en  camaïeu 
bleu. 

Tous  les  pots  et  vases  qui  ornaient  les  pharmacies,  au  siècle 
dernier,  et  au  commencement  de  celui-ci,  étaient  en  faïence  de 
Rouen,  de  Nevers,  etc.  Le  musée  de  Sèvres  en  possède  d'italiens, 
de  franco-italiens,  de  flamands ,  d'espagnols,  et,  entr'autres,  un 
pareil  à  celui  que  je  vous  présente;  ils  étaient,  à  ce  qu'il  paraît, 
fabriqués  dans  tous  les  grands  centres  où  se  faisait  la  faïence. 

Ils  avaient  tous  des  formes  différentes  :  les  uns  sont  avec  goulot, 
pour  verser  le  liquide,  ce  sont  les  plus  communs  ;  généralement 
l'inscription  est  imprimée  dessus,  tandis  que  sur  les  autres  on  a 
laissé  un  espace  blanc  pour  y  mettre  une  étiquette. 

L'hospice  de  Meaux  conserve  encore  dans  sa  pha^^-^'aoïe  huit  ou 
dix  de  ces  vases  en  faïence,  avec  un  décor  bleu  -  Inns  sont  variés 
de  forme.  Il  y  avait  aussi,  il  y  a  quelques  années,  dans  le  même 
établissement  deux  aiguières  en  faïence  de  Nevers,  décorées  en 
camaïeu  bleu  ;  sur  leurs  pannes  on  voit  des  paysages  qui  sont 
fins  de  décor;  elles  ont  été  données  à  un  amateur  de  notre  ville. 

La  porcelaine  opaque  et  la  porcelaine  ont  remplacé  la  faïence  de 
nos  ayeux  ;  a-t-on  gagné  au  change,  je  ne  le  crois  pas  ;  en  re- 
vanche, les  amateurs  ont  formé  de  riches  collections. 

La  plus  belle  collection  est,  sans  contredit,  celle  de  la  manufac- 
ture de  Sèvres,  où  l'on  voit  des  faïences  de  toutes  les  fabriques  ; 
on  en  voit  aussi  de  belles  au  musée  de  Cluny,  et  nous  connaissons 
à  Paris  plusieurs  amateurs  qui  en  ont  d'importantes  suites. 

Nous  avions  cru  que  notre  vase  était  en  faïence  de  Rouen,  mais 
le  savant  conservateur  du  musée  de  Sèvres,  M.  de  Riocreux,  à 
qui  nous  l'avons  fait  voir,  l'attribue  à  l'école  de  Rouen,  et  ajoute 
qu'il  a  été  fabriqué  à  Paris,  chez  Digne,  rue  de  la  Roquette,  au- 
quel a  succédé  un  nommé  Tricatelle,   puis  un  sieur  Gauthier. 

Ce  vase  est  du  xvni°  siècle,  et  ce  qui  doit  le  rendre  plus  inté- 


—  366  — 

ressant  pour  nous,  c'est  qu'il  a  fait  partie  de  l'officine  de  l'an- 
cienne abbaye  royale  de  Ghelles. 

Vous  voyez  sur  sa  panse  l'écusson  en  losange  aux  armes  d'Or- 
léans :  ordinairement  les  abbesses  portaient  l'écu  en  losange, 
entouré  d'un  chapelet,  la  crosse  posée  en  pal  derrière  l'écu,  timbré 
de  la  couronne  de  leur  noblesse.  Sous  l'écusson  il  a  été  ménagé  un 
espace  blanc  pour  mettre  une  étiquette  de  la  substance  que  le  vase 
devait  contenir. 

Ces  armoiries,  dont  le  lambel  n'est  pas  bien  marqué,  appar- 
tiennent à  Marie-Adélaïde  d'Orléans,  fille  du  duc  d'Orléans,  régent 
sous  la  minorité  de  Louis  XV;  elle  prit  l'habit  de  religieuse  le 
30  mars  1717,  et  vécut,  les  uns  disent  six  ans,  et  les  autres  seize, 
dans  cette  retraite;  elle  est  morte  au Trainel,  à  Paris,  le  16  février 
1743. 

On  trouve,  dans  l'extrait  de  la  correspondance  d'Élisabeth- 
Charlotte,  duchesse  d'Orléans,  qui  était  grand'mère  de  Marie- 
Adélaïde,  le  portrait  de  cette  princesse  : 

Après  avoir  vanté  sa  beauté,  parlé  de  ses  talents  pour  la  mu- 
sique et  pour  la  danse,  elle  ajoute  :  «  Elle  persista  dans  son  projet 
»  de  se  faire  religieuse,  il  me  semble  qu'elle  convient  mieux  au 

»  monde mais  c'est  une  folie  qui  s'est  plantée  dans  sa  tête; 

»  elle  a  pourtant  des  goûts  de  vrai  garçon  :  elle  aime  les  chiens, 
»  les  chevaux,  les  cavalcades  ;  toute  la  journée  elle  manie  la 
»  poudre,  fait  des  fusées  et  d'autres  feux  d'artifices  ;  elle  a  une 
»  paire  de  pistolets  avec  lesquels  elle  tire  sans  cesse.  Elle  n'a  peur 
»  de  rien  au  monde,  elle  n'aime  rien  de  ce  qui  plaît  aux  femmes, 
»  voilà  pourquoi  je  ne  saurais  imaginer  qu'elle  soit  bonne  reli- 
»  gieuse.  » 

On  lui  fit  faire,  en  1718,  ses  vœux  à  Ghelles,  dans  le  dessein  de 
l'élever  à  la  dignité  d'abbesse,  mais  Agnès  de  Villars  en  était 
pourvue;  on  déposséda  celle-ci  en  lui  donnant  une  pension  de 
8,000  livres,  et  en  1719  la  jeune  princesse  entra  en  possession  de 
l'abbaye  de  Ghelles. 

Madame  de  Sévigné  rapporte,  dans  une  de  ses  lettres  :  a  qu'une 
»  sœur  de  Mlle  de  Fontanges  ayant  été  nommée  abbesse  de 
»  Ghelles,  la  cérémonie  de  son  sacre  fut  faite  en  très-grande 
»  pompe,  les  tentures  de  la  couronne,  les  diamants,  la  musique, 
»  les  parfums,  et  surtout  le  nombre  des  évoques  qui  y  officiaient, 
»  surprirent  tellement  une  femme  do  province,  qu'elle  s'écria, 
»  dans  l'ivresse  de  l'admiration  :  a  G'est  ici  un  Paradis....!  »  «  Eh 
»  non,  madame,  lui  dit-on,  il  n'y  aurait  pas  tant  d'évôques.  » 


—  367  — 


BOSSUET    PARRAIN    DES    GROSSES    CLOCHES 


DE 


SAINT-MARTIN- DES-CHAMPS  ET  DE  LA  FERTÉ-GAUCHER, 

FRAGMENTS 

de  souvenirs  inédits  de  Bossuet,  dans  les  paroisses  de  la  Conférence  de  La  Ferlé-Gaucher 

PAR  M.    VICTOR  PLESSIER, 
Membre  fondateur  (Section  de  Coulonimlers.) 


Bossuet  donna  deux  fois  la  confirmation  dans  l'église  Saint- 
Romain  de  La  Ferté-Gaucher,  en  1683  et  1692.  Les  registres  de 
l'état  civil  de  la  paroisse  n'en  font  nulle  niention  ;  mais  les  traces 
de  la  présence  de  l'illustre  prélat  à  La  Ferté-Gaucher  se  trouvent 
dans  divers  autres  actes ,  auxquels  il  a  concouru ,  intéressant  soit 
l'hôtel-Dieu,  soit  l'école  gratuite  des  filles  charitables.  Une  note 
inscrite  sur  les  registres  de  Ghartronges,  contient  aussi  la  liste 
des  enfants  qui  furent  confirmés  à  La  Ferté-Gaucher,  en  1692. 

Il  fut  parrain  de  la  plus  grosse  des  trois  cloches  de  Saint-Mar- 
tin-des-Ghamps,  le  15  novembre  1694.  L'acte  de  bénédiction, 
porté  sur  les  registres  de  l'état  civil,  dit  qu'elle  a  été  nommée 
Marie-Jacques-Bénigne-Elisabeth,  par  illustrissime  et  révéren- 
dissime  seigneur  Jacques-Bénigne  Bossuet,  conseiller  du  roi  en 
son  conseil,  évêque  de  Meaux,  et  par  haute  et  puissante  dame 
Elisabeth  Herpin,  femme  ou  plutôt  veuve  de  messire  Michel 
Le  Tellier,  vivant  chancelier  de  France,  et  seigneur  châtelain  de 
La  Ferté-Gaucher  et  de  plusieurs  autres  lieux.  Toutefois,  ni  Bos- 
suet ni  madame  la  Ghancelière  ne  comparurent  en  personne  au 
baptême.  Ils  furent  représentés  savoir  :  «  ledit  seigneur  évêque,  par 
M.  Nicolas  Gaudron,  prêtre,  prieur  et  curé  de  La  Ferté-Gaucher, 
et  ladite  dame  par  Claude  Lirot,  femme  de  François  Honnet,  pro- 
cureur de  madite  dame,  fondés  à  cet  effet  des  procurations  desdits 
seigneur  et  dame.»  Si  les  pouvoirs  avaient  été  annexés  au  registre, 
la  commune  posséderait  un  autographe  de  Bossuet  ou  tout  au 
moins  sa  signature. 

Il  fut  également  parrain,  et  Madame  Le  Tellier  marraine  de  la 


—  368  — 

grosse  cloche  de  La  Ferté-Gaucher,  le  15  novembre  1694  ;  l'acte 
énonce  qu'elle  a  été  bénite  sous  le  nom  de  la  glorieuse  vierge 
Marie  et  de  sainte  Elisabeth.  Les  principaux  titres  de  Bossuet  y 
sont  pompeusement  rappelés  :  son  parrain,  est-il  écrit,  est  Mgr 
l'illustrissime  et  révérendissime  Jacques-Bénigne  Bossuet,  évêque 
de  Meaux,  ci-devant  précepteur  de  Mgr  le  Dauphin,  premier  au- 
mônier de  M'"'^  la  Dauphine,  conseiller  du  roi  en  ses  Conseils,  et 
ordinaire  en  son  Conseil  d'Etat,  protecteur  des  droits  de  l'univer- 
sité de  Paris,  prieur  de  la  maison  de  Navarre,  etc.,  représenté  par 
M.  Claude-Alexandre Bouré,  curé  de  Saint-Remy  de  la  Vanne;  la 
marraine,  haute  et  puissante  dame  Elisabeth^  Herpin  ,  veuve  de 
haut  et  puissant  seigneur  messire  Michel  Le  Tellier,  en  son  vi- 
vant chancelier  et  garde  des  sceaux  de  France,  commandeur  des 
ordres  du  roi,  seigneur  de  La  Ferté-Gaucher  et  de  plusieurs 
autres  lieux,  représentée  par  M"^  Claude  Lirot,  femme  de 
M.  François  Honnet,  procureur  fiscal  de  ladite  dame.  Les  procu- 
rations n'ont  pas  été  non  plus  jointes  au  registre. 

Ce  fait  commun  aux  deux  cloches  qu'elles  étaient  dans  l'étendue 
du  diocèse  de  Meaux,  dont  Bossuet  était  l'évêque,  et  de  la  seigneurie 
de  La  Ferté-Gaucher,  qui  appartenait  à  la  veuve  de  Le  Tellier,  ne 
suffit  pas  pour  expliquer  le  concours  de  ces  deux  grands  noms  aux 
deux  baptêmes.  L'évêque  et  la  dame  n'étaient  pas  nécessairement 
parrain  et  marraine  de  toutes  les  grosses  cloches  de  la  circonscrip- 
tion diocésaine  et  seigneuriale.  D'autres  circonstances  qui  occu- 
pent une  place  importante  dans  la  vie  de  Bossuet,  ont  amené  cette 
double  affinité  spirituelle  :  ce  sont  les  relations  nombreuses  qui 
ont  existé  entre  le  grand  évêque  de  Meaux  et  la  famille  du  chan- 
celier. Il  n'est  peut-être  pas  sans  intérêt  d'observer  les  modifica- 
tions qu'elles  ont  éprouvées ,  et  dont  la  trace  se  retrouve  jusque 
dans  les  deux  actes  de  bénédiction  de  cloches  que  nous  venons  de 
relater. 

Il  faut  remonter  à  1661  pour  trouver  l'origine  des  rapports  de 
Bossuet  avec  les  Le  Tellier.  En  cette  année,  un  fils  de  Michel  Le 
Tellier,  Charles-Maurice,  alors  âgé  de  vingt  ans,  qui  fut  plus  tard 
coadjuteur,  puis  archevêque  de  Reims,  donna  à  Bossuet  une  preuve 
de  dévouement.  Celui-ci  avait  trente-et-un  ans  et  prêchait  déjà  à 
Paris,  où  l'avaient  fait  appeler  les  succès  qu'il  avait  obtenus  à 
Metz,  dans  une  population  partagée  entre  le  catholicisme  et  le  pro- 
testantisme, par  des  prédications  où  se  révélèrent  dans  un  grand 
éclat,  l'immensité  de  ses  connaissances  théologiques,  l'ardeur  en- 
traînante de  son  prosél^'tisme  et  les  mâles  beautés  do  son  éloquence. 


—  369  — 

M.  de  Bédacier^  évêque  d'Auguste,  qui  avait  su  l'apprécier,  rési- 
gna en  sa  faveur  le  prieuré  de  Gassicourt  près  Mantes.  Mais 
certaines  conditions,  exigées  pour  la  validité  de  la  transmission  de 
ce  bénéfice,  n'étaient  pas  entièrement  accomplies  à  la  mort  du  ré- 
signant; les  droits  de  Bossuet  furent  contestés.  Toutefois,  grâce  à 
l'intervention  de  Charles-Maurice  Le  Tellier,  un  autre  bénéfice 
fut  mis  à  la  disposition  du  compétiteur  de  Bossuet.  La  difficulté 
se  trouva  ainsi  résolue  à  la  satisfaction  commune  des  intéressés. 
Pour  apprécier  la  valeur  de  ce  service,  il  suffit  de  savoir  que  Bossuet 
posséda  le  prieuré  de  Gassicourt,  d'un  revenu  de  6,000  fr.,  pen- 
dant plus  de  quarante  ans. 

La  recommandation  de  Charles-Maurice  Le  Tellier  valut  à 
Bossuet  la  bienveillance  et  l'appui  du  chancelier  qui  ne  fit  pas  tou- 
jours un  aussi  bon  usage  de  son  crédit.  Michel  Le  Tellier  doit  être 
mis  au  rang  des  promoteurs  de  l'élévation  de  Bossuet  :  il  fut  l'un 
des  premiers  à  faire  entendre  à  l'oreille  de  Louis  XIV  le  nom  du 
protégé  de  son  fils.  Les  sermons  de  Bossuet  à  la  cour  apprirent 
ensuite  au  Roi  les  avantages  qu'il  était  possible  de  tirer  de 
son  prodigieux  talent.  Son  génie  se  complaisait  à  proclamer 
l'alliance  de  l'église  et  de  l'état,  et  à  montrer  en  Dieu  le  fondateur 
de  la  monarchie  et  dans  le  prince  le  protecteur  né  de  la  religion. 

Lorsqu'après  dix  ans  de  glorieuses  prédications  dans  les  églises 
de  Paris,  Bossuet  fut  nommé  évêque  de  Condom,  Charles-Maurice 
Le  Tellier,  devenu  co-adjuteur  de  l'église  de  Reims,  eut  l'honneur 
de  le  consacrer.  Cette  cérémonie  s'accomplit  avec  une  solennité 
extraordinaire  le  21  septembre  1670,  dans  l'église  des  Gordeliers 
de  la  ville  de  Pontoise,  où  se  tenait  une  assemblée  du  clergé  de 
France.  On  ne  peut  s'empêcher  toutefois  de  remarquer  que  des 
deux  prélats,  le  plus  jeune  et  le  plus  éminent  dans  la  hiérarchie 
devait  à  sa  naissance  la  dignité  dont  il  était  revêtu,  et  que  le  très- 
modeste  évêché  confié  à  l'autre,  n'était  qu'une  faible  récompense 
de  ses  rares  mérites. 

A  la  mort  de  Michel  Le  Tellier,  Bossuet  plein  de  reconnaissance 
honora  sa  mémoire  en  prononçant  son  oraison  funèbre  dans  l'église 
paroissiale  de  Saint-Gervais  le  25  juin  1685,  et  en  officiant  à  l'église 
de  l'hôtel  des  Invalides  le  22  mars  1686,  jour  où  Fléchierfit  à  son 
tour  le  panégyrique  du  chancelier. 

L'ordre  chronologique  des  faits  place  ici  la  bénédiction  delà  grosse 
cloche  de  Saint-Martin  et  de  celle  de  La  Ferté-Gaucher.  On  voit 
par  ce  qui  précède  que  la  double  affinité  spirituelle  qui  se  forma 
entre  Bossuet  et  la  veuve  de  Le  Tellier,  est  une  suite  des  longs  ser- 

24 


—  370  — 

vices  échangés  entre  lui  et  la  iamille  du  chancelier.  Mais  le  carac- 
tère de  ces  rapports  devait  s'altérer;  ainsi  le  voulait  logiquement, 
en  dehors  de  toute  autre  cause,  la  disparité  des  conditions.  En 
comparant  entr'eux  les  actes  de  bénédiction  des  deux  cloches,  que 
sépare  un  intervalle  de  trois  années,  il  semble  que  déjà  se  montre 
le  germe  de  certaines  dissensions.  La  plus  ancienne  des  deux 
cloches  fut  nommée  Marie-Jacques-Bénigne-Elisabeth  ;  après 
le  nom  de  la  vierge  viennent  les  deux  noms  patronymiques  de 
Bossuet,  précédant  celui  de  Madame  Le  Tellier,  —  tandis  que  la 
cloche  baptisée  en  dernier  lieu  n'a  d'autres  noms  que  Marie- 
Elisabeth;  c'est-à-dire  que  l'on  conféra  à  celle-ci,  religieusement 
et  respectueusement  le  nom  de  la  vierge  et  celui  de  la  marraine, 
en  négligeant  ceux  du  parrain.  Cette  omission  si  choquante  est 
un  signe  de  la  déchéance  que  subit  Bossuet  dans  l'affection  des 
Le  Tellier.  Les  rapports  sans  être  rompus  se  modifient;  le 
vieux  chancelier  n'est  plus.  Le  souvenir  du  grand  Louvois 
s'efface  avec  le  temps  !  Les  Le  Tellier  déclinent.  D'une  autre 
part,  le  protégé  a  grandi;  il  fait  ombrage.  On  juge  opportun  de 
lui  faire  sentir  par  la  disparition  de  son  nom  que  les  inégalités 
sociales  ressortant  de  la  difTérence  des  extractions  ne  s'équilibrent 
pas  par  les  talents  personnels. 

Ce  changement  dans  la  disposition  de  la  famille  Le  Tellier  à 
l'égard  de  Bossuet,  se  montra  un  peu  plus  tard  ouvertement  dans 
une  circonstance  mémorable.  Je  veux  parler  de  l'assemblée  du 
clergé  qui  se  tint  à  Saint-Germain-en-Laye  en  1700.  La  précédente 
assemblée  avait  prescrit  de  nommer  à  la  présidence  des  arche- 
vêques et  des  évêques  en  nombre  égal.  Cette  règle  était  observée 
depuis  plus  d'un  siècle.  Bossuet,  le  doyen  des  évêques  de  la  réunion 
semblait  désigné  pour  la  présidence  par  son  âge  comme  par  ses 
talents.  Il  prit  la  parole  pour  montrer  qu'il  serait  d'un  dangereux 
exemple  de  voir  les  évêques  perdre  un  droit  consacré  par  l'usage 
et  justifié  par  des  titres  incontestables.  Mais  l'archevêque  de 
Reims,  Le  Tellier,  et  l'abbé  Louvois,  son  neveu,  pesèrent  de 
toutes  leurs  forces  sur  les  députés  pour  les  décider  à  n'accorder 
la  présidence  qu'à  des  archevêques.  Il  fut  indubitable  qu'ils  avaient 
en  vue  l'élimination  de  Bossuet.  Ils  réussirent.  L'assemblée  arrêta 
qu'elle  ne  nommerait  que  deux  archevêques  présidents.  Cette  dis- 
grâce à  laquelle  l'évêque  de  Mcaux  se  résigna  dignement,  fut 
moins  un  effet  de  l'envie  excitée  par  la  grandeur  de  son  génie,  que 
de  l'humilité  d'une  naissance  bourgeoise.  Telle  était  sa  supériorité 
intellectuelle  qu'au  sentiment  de  tous,  elle  le  plaçait  hors  ligne, 


—  371  — 

mais  aux  yeux  des  nobles  personnages  dont  la  majorité  de  l'assem- 
blée se  composait,  c'était  chose  à  peu  près  indifférente  que  le  titre 
d'archevêque  ou  d'évêque  :  la  faveur  en  disposait  souvent  en  ce 
temps  d'inégalités  sociales,  la  distinction  de  race  était  la  chose 
essentielle  à  maintenir  ;  l'élévation  de  la  noblesse  au-dessus  de  la 
plèbe  était  le  principe  indispensable  à  respecter.  Quel  nom  plus 
roturier  que  celui  de  Bossuet  ?  son  étymologie  rappelle  le  travail 
forcé  du  joug  :  Bos  Sueius.  Les  nobles  eussent  cru  s'abaisser  en 
honorant  de  la  présidence  un  plébéien.  Cette  interprétation  de 
leur  conduite  est  si  vraie  que  dans  les  assemblées  qui  suivirent,  le 
partage  de  la  présidence  entre  les  archevêques  et  les  évêques  fut 
rétabli.  Mais  lors  de  ces  retours  à  la  règle,  Bossuet  n'existait  plus. 

D'Alembert,  dans  son  éloge,  a  rappelé  que  l'illustre  évêque  de 
Meaux ,  présentant  un  jour  le  père  Mabillon  à  Louis  XIV ,  le 

désigna  comme  le  religieux  le  plus  savant  de  son  royaume 

ajoutez  :  et  le  plus  modeste,  dit  l'archevêque  de  Reims,  qui  pré- 
tendait faire  une  épigramme  contre  Bossuet.  Si  l'évêque  de  Meaux 
eut  été  d'une  famille  patricienne,  Le  Tellier  ne  se  fut  pas  permis 
cette  offense,  surtout  en  présence  du  roi. 

Il  existe  dans  les  événements  humains  un  enchaînement  qui  les 
relie  les  uns  aux  autres  si  étroitement  qu'on  ne  peut  les  apprécier 
en  les  isolant.  La  bénédiction  des  grosses  cloches  de  La  Ferté- 
Gaucher  et  de  Saint-Martin-des-Ghamps,  n'est  pas  seulement  un 
fait  intéressant  pour  ces  deux  communes  ;  elle  divise,  si  je  ne 
m'abuse,  en  deux  phases  bien  distinctes,  les  relations  de  Bossuet 
avec  les  Le  Tellier.  La  première  partie,  toute  d'aménité,  est  cou- 
ronnée par  le  baptême  de  la  cloche  de  Saint-Martin,  où  les  noms 
patronymiques  de  Bossuet  et  de  la  veuve  de  Le  Tellier,  sont 
associés  honorablement.  Le  baptême  postérieur  de  la  cloche  de 
La  Ferté-Gaucher,  décèle  le  commencement  de  la  seconde  période, 
d'un  esprit  opposé,  en  laissant  tomber  dédaigneusement  les  pré- 
noms de  Bossuet,  devant  celui  de  la  marraine  demeuré  debout. 

En  présentant  dans  leur  ordre  chronologique  les  faits  connus  de 
la  liaison  qui  a  existé  entre  les  Le  Tellier  et  Bossuet,  notre  but  a 
*été  d'abord  de  faire  ressortir  les  changements  survenus  dans  leurs 
relations.  Ensuite  nous  avons  espéré  attacher  à  des  événements  de 
localité  l'importance  qui  leur  appartient  réellement,  à  cause  des 
lumières  qu'ils  jettent  sur  une  vie  qui  est  du  domaine  de  l'histoire. 

Les  deux  cloches  n'existent  plus.  Celle  de  La  Ferté-Gaucher  a 
péri  en  1734,  d'un  coup  de  foudre  qui  renversa  le  clocher.  On 
ignore  quel  a  été  le  sort  de  celle  de  Saint-Martin. 


—  373  — 

JEANNE  D'ARC  A  MELUN. 

PAR   M.  G.   LEROY, 
Membre  fondateur  ($$ection  de  nielun.) 


Le  18  novembre  1420,  la  ville  de  Melun,  réduite  à  la  dernière 
extrémité,  ouvrit  ses  portes  aux  Anglais,  qui  la  tenaient  assiégée 
depuis  cinq  mois  (J).  Les  glorieux  faits  d'armes  et  les  actes  de  dé- 
sintéressement qui  s'étaient  succédés  durant  les  longs  jours  du 
siège,  ne  purent  empêcher  ce  fatal  dénouement  (2).  Ce  que  le 
nombre  des  assaillants  et  l'énergie  de  leur  attaque  avaient  été  im- 
puissants à  faire,  la  famine  le  réalisait. 

Neuf  années  d'oppression  et  de  souffrance  s'écoulèrent  avant  que 
Melun  pût  reconquérir  son  i-ndépendance. 

Alors.  Jeanne  d'Arc  apparut ,  donnant  l'essor  aux  sentiments 
d'amour  de  la  patrie,  de  haine  et  de  vengeance  contre  la  domina- 
tion anglaise,  de  dévouement  à  la  cause  royale  qui  subsistaient 
partout.  Souvenir  infiniment  précreux,  dont  nous  devons  nous 
enorgueillir,  comme  de  tout  ce  qui  rappelle  l'héroïne  qui  porta 
si  bien  l'épée  de  la  France,  son  nom  se  rattache  intimement  à  la 
délivrance  de  Melun.  Mais  hélas!  combien  sont  légères  les  traces 
qu'elle  a  laissées  sur  notre  sol,  les  preuves  de  ses  exploits  sous 
nos  murs?  J'essaierai  cependant  de  les  raviver,  pour  associer  sa 
glorieuse  mémoire  aux  traditions  de  la  ville  qui  nous  est  si  chère  : 

La  levée  du  siège  d'Orléans,  et  le  sacre  de  Charles  VII  à 
Reims,  avaient  suscité  une  explosion  de  patriotisme,  sans  autre 
précédent  en  France  que  l'enthousiasme  des  Croisades.  L'Ile-de- 
France  s'était  soulevée  (3),  mais  plusieurs  de  ses  villes,  fortement 


(1)  Monstrelet.  Juvénal-des-Ursins.  Rouillard.  De  Sismondi,  etc. 

(2)  On  peut  voir,  pour  le  récit  du  siège,  la  ciironique  de  Jehan  Juvénal-des-Ur- 
sins. Les  archives  municipales  de  Melun  possèdent  plusieurs  documents  qui  s'y  rat- 
tachent aussi,  notamment  l'obligation  par  les  principaux  bourgeois  d'entretenir  et 
solder  les  hommes  d'armes  du  capitaine  de  Barbazan;  le  dépôt,  en  garantie  d'un 
semblable  engagement,  des  vases  précieux  de  l'église  Saint-Aspais  de  Melun,  de 
la  collép'iale  de  Cham peaux,  etc. 

(3;  De  Sismondi.  Précis  de  l'Hàtoire  des  Français,  tome  II,  page  74. 


—  374  — 

gardées,  avaient  dû  rester  étrangères  au  mouvement,  et  de  ce 
nombre  était  Melun,  dont  la  situation  excitait  au  plus  haut  degré 
toutes  les  préoccupations  des  Anglais.  En  ce  temps,  où  l'approvi- 
sionnement de  Paris  se  faisait  par  eau,  la  possession  d'une  ville 
fortifiée,  commandant  la  navigation  de  la  Seine,  avait  son  impor- 
tance. Aussi,  la  garnison  y  était-elle  nombreuse  (i). 

Une  autre  circonstance  empêcha  les  Melunais  d'imiter  les  habi- 
tants des  villes  voisines  dans  leur  tentative  d'expulser  les  étran- 
gers :  —  Au  moment  même  où  se  déclarait  cet  élan  de  patrio- 
tisme, c'est-à-dire  vers  le  mois  d'août  1429,  le  duc  de  Betdfort 
traversait  Melun,  à  la  tête  de  10  h  12,000  combattants,  pour  se 
porter  à  la  rencontre  de  Charles  VII,  qui  était  à  Provins.  Le  mo- 
narque s'avança  lui-même  jusqu'à  la  Motte-Nangis.  Mais,  ne 
jugeant  pas  prudent  d'engager  la  bataille,  le  duc,  au  rapport  d'un 
chroniqueur  contemporain,  <(  ne  l'alla  pas  trouver  et  revint  à  Pa- 
ris avec  son  ost  (2).  »  Ce  corps  d'armée  passant  et  séjournant 
dans  nos  murs,  à  deux  reprises  différentes,  fut  la  cause  princi- 
pale qui  contint  les  habitants  sous  le  joug  des  Anglais.  Néan- 
moins, la  haine  qu'ils  leur  portaient  et  leurs  sentiments  patrio- 
tiques, étaient  trop  vifs  pour  que,  six  mois  plus  tard,  ils  laissassent 
échapper  l'occasion  qui  s'offrit  à  eux.  Animés  d'ailleurs  ,de  l'ins- 
piration produite  par  le  nom  et  les  exploits  de  la  Pucelle,  ils 
avaient  à  cœur  de  participer  au  mouvement  général. 

Vers  la  fête  de  Pâques  1429  (1430,  suivant  la  chronologie  ac- 
tuelle), la  garnison  de  Melun,  composée  de  «  tout  grand  nombre 
de  gens,  »  dit  Alain  Chartier,  qui  nous  a  conservé  ces  détails,  était 
commandée  par  Dreux  de  Humicres,  au  nom  de  Jean  de  Luxem- 
bourg, gouverneur  et  capitaine  du  château,  celui-là  môme  qui 
s'empara  de  Jeanne  d'Arc,  à  Compicgne,  et  la  vendit  aux  Anglais. 
Les  vivres  commençant  à  manquer,  ou  peut-être  dans  le  but  de 
ravitailler  Paris,  la  garnison,  ne  laissant  au  château  qu'une  di- 
zaine de  personnes,  quitta  la  ville  pour  se  diriger  vers  Yèvre, 
bourgade  du  Gâtinais,  où  elle  savait  devoir  trouver  des  bes- 
tiaux (3). 

Dans  de  telles  circonstances,  en  confiant  le  soin  de  sa  garde 


(1)  Alain  Chartier.  —  Sébastien  Rouillard.  Histoire  de  Melun,  page  561. 

(2)  Perceval  de  Caf^ny.  Mémoires  sur  Jeanne  d'Arc,  i)ui)liés  par  M.  Quichcral. 
Tome  IV,  page  78.  —  Notre  savant  confrère,  M.  F.  Bourquelot,  rapporte  également 
ces  détails  dans  son  Histoire  de  Provins,  tome  11,  pages  80  à  84. 

(3)  Rouillard,  page  561, 


—  375  — 

personnelle  h  une  population  si  désireuse  de  recouvrer  ga  liberté, 
les  Anglais  commettaient  une  imprudence  qu'ils  eurent  sans  doute 
lieu  de  regretter.  On  doit  croire  qu'ils  ne  l'ignoraient  pas,  car, 
avant  leur  départ,  ils  usèrent  de  ruse  pour  déterminer  les  habi- 
tants à  faire  bonne  garde,  et  surtout  pour  les  mettre  en  suspicion 
contrôles  troupes  de  Charles  Vil,  ou  les  bandes  d'aventuriers  qui 
tenaient  la  campagne.  Ils  publièrent  qu'à  Pontoise  «  y  avoient 
»  grand  foison  de  gens  d'armes  Picards,  qui  prétendaient  venir 
»  en  garnison  à  Melun,  et  vouloient  estre  maistres  des  gens  où 
»  ils  se  trouvaient  dans  les  villes,  si  disoient  qu'ils  n'y  entreroient 
n  ja  (1).  »  Cet  épou vantail  demeura  sans  effet. 

Après  le  départ  des  troupes,  les  Melunais  n'eurent  rien  déplus 
pressé  que  de  s'emparer  des  clés  de  la  ville,  de  fermer  les  portes, 
et  d'envoyer  «  promptement  quérir  le  capitaine  de  Samois,  le 
))  commandeur  de  Giresme,  et  Messire  Denis  de  Ghailly,  qui  se 
»  boutèrent  en  la  ville  et  en  l'isle  du  Ghastel  (2). 

A  leur  retour,  les  Anglais  trouvant  les  ponts-levis  dressés,  les 
portes  closes  et  les  remparts  défendus  par  une  garnison  nombreuse 
et  aguerrie,  jugèrent  prudent  de  se  retirer  à  Gorbeil,  qui  était 
encore  soumis  à  leur  domination.  La  nouvelle  de  ces  événements 
se  répandant  au  loin,  ce  les  gens  du  roy  vinrent  au  siège  de  toutes 
parts,  »  rapporte  Alain  Ghartier,  dont  je  continue  à  citer  les 
propres  termes,  «  et  ceux  de  Gorbeil  descendirent  par  la  rivière, 
»  pour  y  cuider  entrer.  Et  quand  ils  sçurent  que  la  bataille  estoit 
n  en  l'isle  du  Ghastel,  ils  s'en  retournèrent  (3).  » 

Ce  fut  dans  ces  entrefaites  que  Jeanne  d'Arc  vint  à  Melun. 
Malgré  le  silence  de  Ghartier,  il  reste  constant  que  l'héroïne  fai- 
sait partie  des  gens  du  roy  qui  vinrent  au  siège  de  toutes  parts,  peut- 
être  même  des  premières  troupes  amenées  par  Nicolas  de  Giresme, 
et  Denis  de  Ghailly,  tous  deux  compagnons  d'armes  de  la  Pucelle, 

(1)  Alain  Chartier.  Rouillard. 

(2)  Idem.  —  Monstrelel  rapporte  ainsi  ce  fait  :  «  Durant  ces  tribulations  (vers 
Pâques  1430),  se  rendirent  en  l'obéissance  du  roy  Charles,  la  ville  et  chasteau  de 
Melun,  laquelle  par  avant  avoit  été  baillée  en  garde  au  seigneur  de  Ilumières,  qui, 
pour  l'entretennement  d'icelle,  y  avoit  constitué  aucuns  de  ses  frères  à  certain 
nombre  de  gens  d'armes;  lesquels,  par  les  habitants  de  ladite  ville,  en  furent  dé- 
boutés et  mis  dehorsj  dont  ledit  roy  Charles  et  ceux  de  son  parti  furent  moult 
joyeux,  pourtant  que  par  le  moyen  d'icelle,  ils  pouvoient  par  là  passer  à  leur  plaisir 
par  la  rivière  de  Seine;  et  avecque  ce  étoit  située  et  assise  au  plus  fort  lieu  de  tout 
le  pays  environ.  » 

{Chroniques  d'Enguerrand  de  MonMrelet.  Édition  Buclion,  tome  V,  page  283). 

(3)  Idem. 


—  376  — 

dans  ses  principales  entreprises  (1).  Voici,  en  effet,  plusieurs  té- 
moignages de  ce  point  si  intéressant  pour  notre  histoire  locale  : 

«  Après  la  prise  de  Ghinon,  en  1429,  dit  un  auteur  allemand 
qui  écrivit  d'après  les  chroniques  contemporaines,  Jehanne  se 
rendit  en  toute  hâte  vers  la  forteresse  de  Melun,  que  les  Anglais 
assiégeaient  avec  de  grandes  forces  et  qu'elle  parvint  à  déga- 
ger (2).  »  N'est-ce  pas  là  une  corrélation  des  faits  rappelés  par 
Ghartier? 

M.  de  Barante,  n'est  pas  moins  explicite  dans  son  Histoire  des 
ducs  de  Bourgogne  :  —  ((  Le  roi,  dit-il,  envoya  toutes  ses  forces 
vers  Paris  :  la  Pucelle  s'y  rendit  aussi.  Son  avis  était  qu'on  ne 
pouvait  trouver  la  paix  qu'au  bout  de  la  lance.  Dès  que  Jeanne  et 
les  secours  qu'elle  amenait  furent  arrivés,  tout  commença  à  pros- 
pérer mieux  encore  pour  les  Français.  La  garnison  anglaise  de 
Gorbeil,  et  les  gens  venus  de  Paris,  furent  repoussés  devant  Melun 
qu'ils  voulaient  reprendre  (3).  » 

Du  8  au  15  avril  1430,  dit  encore  un  autre  historien,  Jeanne 
combattait  pour  notre  cité,  qui,  grâce  à  la  courageuse  jeune  lille, 
demeura  sous  l'obéissance  du  roi  de  France  (4). 

Evidemment,  les  Anglais  ainsi  expulsés  de  Melun  tentèrent  d'y 
rentrer.  Peine  inutile,  la  présence  de  Jeanne  d'Arc,  inspirant  l'en- 
thousiasme de  ceux  qui  l'entouraient,  et  la  terreur  aux  ennemis, 
suffit  pour  déjouer  leurs  efforts. 

Sans  autres  preuves  que  les  précédentes,  la  certitude  de  la 
venue  de  la  Pucelle  demeurerait  acquise  à  nos  chroniques.  Mais 
Jeanne  elle-même  nous  fournit  un  document  bien  autrement  pré- 
cieux, en  ce  sens,  qu'outre  une  indication  précise,  il  est  particu- 
lièrement empreint  du  merveilleux  qui  fait  le  véritable  caractère 
de  sa  mission. 

Dans  son  interrogatoire  du  10  mars  1430  (1431),  le  premier  qui 
l'ut  tenu  dans  sa  prison,  on  lit  ce  passage  ainsi  rapporté  par 
M.  Quicherat  : 


(1)  Voir  :  Le  rncit  du  siège  par  un  hourgeoit  d' Orlp'nn<i ;  les  «lociiments  publiés 
par  MM.  Quicherut,  Micfiaud,  Poujoulat,  Guida  Gœrres,  Michelel,  etc.,  etc. 

(2)  Guulo  Gœrres.  Vie  de  Jehanne  d'Arc,  d'après  les  chroniques  contemporaines. 
Traduction  de  M.  L.  Bore.  Paris,  Didot,  1843,  page  284. 

(3)  Histoire  des  ducs  de  Bourgogne  de  la  maison  de  Valois.  Tome  III,  page  389. 

(4)  Histoire  de  Charles  VII,  roi  de  France,  et  de  son  époque,  \)a.v  M.  A.  Vallet 
(de  Viriville),  tome  11,  page  141.  —  M.  Vallet  cite  pour  preuves  de  son  dire  :  — 
Procès,  I,  H5.  Cagny,  ibidem,  IV,  32.  Chasiclain,  ibidem,  page  441.  J.  Chartier, 
iii-lG.  1,  120,  i2'6  et  suiv.  Monslrelei,  chapitres  81,  84. 


—  377  — 

((  Interroguée  s'ello  iisL  celte  saillie  du  commandement  de  sa 
»  voix  :  respond  que  en  la  sepmaine  de  Pasques  dernièrement 
»  passé,  elle  estant  sur  les  fossés  de  Meleun,  luy  fut  dit  par  ses  vois, 
»  cest  assavoir,  sainte  Katherine  et  sainte  Marguerite  qu'elle 
»  seroit  prinse  avant  qu'il  fust  la  Saint-Jehan,  et  que  ainsi  l'aillait 
»  qu'il  fust  fait,  et  qu'elle  ne  sesbahist,  et  print  tout  en  gré,  et 
»  que  Dieu  lui  aideroit.  » 

«  Interroguée  se,  depuis  ce  lieu  de  Meleun,  luy  fut  point  dit 
»  par  ses  dictes  vois  qu'elle  seroit  prinse  :  respond  que  ouil,  par 
»  plusieurs  fois  et  comme  tous  les  jours  (1).  » 

Cette  vision  de  Jeanne  est  une  des  phases  les  plus  importantes 
de  sa  rapide  et  touchante  carrière.  A  partir  de  ce  jour,  sa  con- 
fiance dans  sa  mission  disparaît  ;  elle  doute  de  l'avenir  et  ressent 
déjà  les  atteintes  du  découragement.  —  a  Depuis  ce  qu'elle  olse 
»  révélation  à  Melun  qu'elle  seroit  prinse,  dit-elle  dans  une  autre 
»  séance  de  son  interrogatoire  (2),  elle  se  rapporta  le  plus  du  faict 
»  de  la  guerre  à  la  volonté  des  capitaines,  et  toutefois  ne  leur  di- 
»  soit  poin'  qu'elle  avait  révélation  de  être  prinse.  » 

Qu'il  y  a  loin  de  cette  sombre  destinée  pi^edite  à  Melun,  aux 
rayonnantes  apparitions  sous  l'arbre  des  Fées  de  Donremy  !  C'est 
entre  ces  deux  époques  —  par  la  date  si  proche  et  par  le  contraste 
si  éloigné  —  qu'il  faut  placer  la  plus  belle  partie  d'une  admirable 
légende  qui  est  cependant  une  incontestable  histoire.  Dans  la  vie 
de  Jeanne  d'Arc,  Donremy  et  Melun  sont  des  points  extrêmes 
fixés  à  l'enthousiasme,  comme  Compiègne  et  Rouen  sont  des 
termes  qu'on  dirait  marqués  par  la  fatalité.  Triste  prérogative, 
Melun  vit  briller  un  dernier  reflet  de  l'inspiration  guerrière,  qui 
devait  faire  éclore  la  pensée  de  la  patrie  ! 

Jeanne  d'Arc  prise,  tout  retombe,  pour  quelque  temps  encore, 

(1)  M.CCCC.XXX-X.  Martii.  Prima  vice  in  carcere  : 

«  Interrogata  utrum  fecit  illam  salitionem  (sa  tentative  d'évasion  à  Compiègne) 
»  de  prfficepto  vocis  suœ  :  Respondit  quod,  in  septimana  Pascliali  novissime  preete, 
»  rita,  ipsa  existente  supi^a  foisata  villœ  Meleduni,  fuit  eidera  dictum  per  voces 
»  suas,  videlicet,  per  voces  sanctarum  Katharina  et  Margaretee,  quod  ipsa  caperetur 
»  antequam  esset  festum  Beati  Jjhannis,  et  quod  ita  opportebat  fieri;  et  quod  inde 
»  non  obstupesceret  sed  acciperet  gratanter,  et  quod  Deus  adjuvaret  eam. 

»  Interrogata  an,  depost  iilum  locum  de  Meleduno,  fuerit  dictuuine  sibi  per  voces 
»  suas  prœdictas  quod  ipsa  caperetur  :  re&pondit  quod  sic,  multoliens  et  quasi  quo- 

»  tidie 

»  Quicherat.  Procès  de  Jeanne  d'Arc.  Tome  I,  pages  114  et  115.  » 

(2)  Notice  sur  Jecume  d'Arc.  Nouvelle  collection  des  mémoires  pour  servir  à 
l'Histoire  de  France,  par  Michaud  et  Poujoulat.  Tome  III,  page  29. 


—  378  — 

dans  la  langueur  et  !e  découragement.  Les  Anglais  s'emparent  de 
nouveau  de  notre  cité,  qui  ne  peut  les  chasser  définitivement 
qu'en  juillet  1435,  alors  que  Charles  VII,  reprenant  l'œuvre  de  la 
vierge  lorraine,  fondait  l'unité  nationale. 

Ainsi  se  résume,  d'après  les  documents  connus,  la  participation 
de  la  Pucelle  d'Orléans,  à  la  délivrance  de  Melun. 

En  terminant  ces  recherches,  me  sera-t-il  permis  d'espérer  que 
le  souvenir  de  la  sainte  et  héroïque  jeune  fille  nous  sera  restitué  et 
conservé?  Que  la  Municipalité  veuille,  et  quelque  chose  sera  fait 
en  mémoire  de  Jeanne  d'Arc.  Son  nom,  qui  pourrait  être  gravé 
sur  les  murs  qu'elle  défendit,  donnerait  à  Melun  ce  qui  peut- 
être  lui  fait  défaut,  un  peu  d'amour,  un  peu  d'orgueil  du  sol,  de 
ses  traditions,  de  ses  souvenirs.  Profit,  justice,  reconnaissance, 
telles  seraient  la  vertu  et  l'expression  de  cet  acte  ! 


379  — 


ACCORD  ET  DÉLAISSEMENT 

DE    PLUSIEURS   IMMEUBLES    PAR    MADAME    FOUQUET,    A  DES 
CRÉANCIERS  PRIVILÉGIÉS. 

COMMUNICATION    DE    M.    FÉLIX    LAJOYE, 

Membre  fondateur  (  i§ectiora  de  ]llelun  ). 


La  pièce  que  j'ai  l'honneur  de  mettre  sous  vos  yeux ,  donne 
des  renseignements  sur  les  dépenses  faites  par  M.  Pouquet,  lors 
de  la  construction  de  son  château  de  Vaux  :  J'ai  pensé  que  ce 
contrat  pouvait  vous  offrir  quelque  intérêt  et  que  l'on  pouvait  vous 
le  faire  connaître  :  il  désigne  aussi  quelques  œuvres  qui  sont  dues 
à  ses  entrepreneurs. 

Ce  titre  notarié  est  fort  long  :  il  contient  six  rôles  minutés  :  la 
lecture  qui  en  serait  faite  vous  serait  fastidieuse;  j'ai  cru  devoir 
l'abréger  le  plus  possible  en  en  conservant  la  substance  et  en  sup- 
primant les  interminables  circonlocutions  de  la  pratique. 

Je  hasarderai  quelques  observations  sur  l'appréciation  qui  me 
paraît  paradoxale,  au  sujet  d'un  écrit  attribué  au  surintendant  et 
qui  ne  doit  pas  lui  être  donné. 

La  gérance  des  biens  de  M.  Fouquet,  avait  été  attribuée  à 
M™^  Fouquet,  non  commune  en  biens  avec  son  mari  :  mais 
M.  Salverte,  maître  des  requêtes  au  Conseil  d'État,  et  intendant 
de  la  finance  du  roi,  à  Soissons,  avait  été  désigné  pour  être  son 
conseil  et  son  procureur  fondé. 

Toutes  les  opérations  financières  et  contractuelles  sont  donc 
faites  et  autorisées  par  lui. 

Voici  l'accord  dont  il  est  question  : 

Par  arrêté  de  la  chambre  de  justice  du  19  mai  1673,  les  créan- 
ciers de  M.  Fouquet,  délaissent  à  M™"  Fouquet,  les  vicomtes  de 
Melun  et  de  Vaux,  et  plusieurs  autres  terres  et  seigneuries,  pour 
la  somme  de  1 ,250  mille  francs,  sous  la  promesse  qu'elle  fait  de 
payer  dans  un  délai  de  dix  années,  les  créanciers  privilégiés,  tou- 
tefois après  une  liquidation  contradictoire  entre  elle  et  eux,  si 


—  380  — 

mieux  n'aiment  ceux-ci,  prendre  dès  h  présent,  des  terres  ou  héri- 
tages en  paiement  et  de  gré  à  gré. 

Par  suite  de  cet  accord  et  promesse,  M.  Bergeron,  entrepreneur 
des  bâtiments  du  roi,  en  son  nom  et  comme  se  portant  fort  des 
héritiers  de  feu  Villedot,  pour  être  payés  d'une  somme  de 
49,671  francs,  à  eux  adjugée  par  la  chambre  de  justice  du  19  jan- 
vier 1669,  déclare  qu'ils  usent  du  droit  d'option  et  qu'ils  pren- 
dront des  terres  au  prorata  de  leur  dû,  il  offre  d'en  convenir  avec 
ladite  dame  Fouquet. 

Cette  dame  confesse  qu'il  est  dû  la  somme  de  49,671  livres, 
mais  qu'il  convient  d'en  déduire:  l"les  sommes  données  à-compte 
depuis  la  détention  de  M.  Fouquet;  2°  le  prix  et  estimation  du 
pavé  de  marbre  du  salon  et  celui  du  pavé  en  pierre  de  Gaen 
vestibule  du  château  de  A'aux,  lesquels  pavés  restaient  à  faire 
audit  château  et  que  lesdits  Bergeron  et  feu  Villedot  s'étaient 
obligés  de  confectionner  suivant  l'acte  passé  devant  Bruneau  et 
Coussinet,  le  25  février  1661  ;  et  enfin,  qu'il  doit  être  déduit  et 
compensé  au  sieur  Bergeron,  les  dommages  et  intérêts  résultants 
de  plusieurs  poutres  cassées,  plafonds  ruinés  et  autres  défectuo- 
sités, qui  sont  dans  la  construction  dudit  château  de  Vaux,  et  que 
lesdits  Bergeron  et  Villedot  sont  tenus  de  garantir  par  l'acte  du 
25  février  1661;  que  ces 'déductions  faites,  ladite  dame  déclare 
n'avoir  moyen  de  s'empêcher  de  payer  le  surplus  de  ce  qui  se 
trouverait  dû  par  privilège. 

Pour  se  conformer  à  la  demande  de  garantie  formulée  par 
i|y[me  Fouquet,  le  sieur  Bergeron  en  son  nom  et  en  celui  des  héri- 
tiers Villedot,  s'engage  à  parfaire  les  pavés  de  marbre  et  de  pierre 
de  Caen,  du  château,  et  modère  à  41,749  livres  tournois,  la  de- 
mande qu'ils  avaient  introduite  de  49,671  livres  :  la  modération 
devra  porter  d'abord  sur  les  intérêts  qui  sont  exigibles  par  arrêt 
de  la  chambre  de  justice,  depuis  le  21  mai  1663,  c'est-à-dire  depuis 
six  années. 

Ceci  posé  et  arrêté,  M.  Bergeron  en  son  nom  et  en  celui  des 
héritiers  Villedot,  opte  pour  pouvoir  prendre  des  biens  terriens  au 
lieu  de  numéraire,  et,  d'un  commun  accord  il  lui  est  cédé,  trans- 
porté et  délaissé  par  M.  de  Salvertc,  procureur  fondé  de  M"""  Fou- 
quet, les  immeubles  suivants ,  savoir  : 

1"  La  ferme  des  Hautes-Loges,  à  Andrezel,  avec  ses  bâtiments, 
jardins  et  terres  labourables,  contenant  220  arpents  ou  plus. 
2°  La  terre  et  seigneurie  de  Bouy-le-Neuf,  située  paroisse  de 


;j.si  — 


Brinon-l'Archevêque,  en  Champagne,  consistant  en  château,  parc, 
maisons,  granges,  cour  et  228  arpents  de  terre  labourable,  bois  et 
garenne,  cens,  droits  seigneuriaux  de  haute,  moyenne  et  basse 
justice  et  droits  de  rivière. 

3°  La  Ferme  des  Grandes-Maisons,  sise  en  la  paroisse  du  Ghâ- 
telet,  bâtiments  d'exploitation  et  200  arpents  de  terre  ou  plus. 

4°  La  ferme  de  Saveteux,  même  paroisse,  avec  maison  manable, 
bâtiments  d'exploitation  et  les  bois  qui  en  dépendent. 

Ce  qui  lui  est  consenti  par  M.  de  Salverte  et  M™  Pouquet 
audit  nom  et  enregistré  par  la  chambre  de  justice. 

Une  note  intéressante  est  jointe  à  ces  comptes  :  c'est  une  quit- 
tance ainsi  conçue  : 

Reçu  de  M.  de  la  Planche,  trésorier  des  bâtiments  du  roi,  neuf 
mille  huit  cent  vingt-huit  livres,  pour  le  prix  détroit  cent  soixante- 
quatre  demi-muids  de  terre  de  Hollande,  qui  ont  été  portés  du 
château  de  Vaux  aux  châteaux  de  Versailles,  pour  le  service  de  sa 
majesté  (janvier  1669). 

J'ai  essayé  d'estimer  la  différence  de  valeur  qui  existe  mainte- 
nant entre  ces  immeubles  et  celle  qu'ils  avaient  le  19  mai  1673. 
Voici  par  approximation,  le  résultat  que  l'on  peut  fixer  : 

1°  La  ferme  des  Hautes-Loges 230,000  fr. 

2°  La  seigneurie  de  Bouy-le-Neuf  :  elle  a  perdu  ses 
droits  seigneuriaux  qui  lui  donnaient  de  l'impor- 
tance alors 60,000    » 

3°  La  ferme  des  Grandes-Maisons  ;  elle  vient  d'être 
vendue 140,000    » 

4°  La  ferme  et  les  bois  de  Saveteux  achetés  en  1720 
neuf  mille  francs  (1) 100,000    » 

550,000  fr- 

Ces  biens  ont  été  délaissés  par  M."^"  Pouquet,  pour 
quarante-et-un  mille  sept  cent  quarante-neuf  francs, 
ci 41,749    » 

Mais  la  valeur  du  marc  d'argent  ayant  doublé  et  plus,  depuis 
1673,  cette  somme  peut  être  portée  à  140  mille  francs  de  nos 
jours. 

(1)  Suivant  contrat  passé  le  8  avril  1632,  avec  J.-F.  de  Gondy,  oncle  du  cardi- 
nal de  Retz,  et  premier  archevêque  de  Paris,  Louis  XIII,  achète  le  vieux  château 
de  Versailles,  qu'Albert  de  Gondy  avait  acquis  des  Lomenie,  moyennant  soixante 
mille  livres  en  pièce  de  16  sols,  qui  équivalent  à  137  uiilli;  francs  de  nos  jours. 


—  382  — 


Il  y  aurait  donc  une  plus-Viilue,  par  approximation  actuelle,  de 
'40O  mille  francs  en\iron. 


On  voit  par  le  détail  de  ce  délaissement  et  les  délais  mis  à  payer 
les  intérêts  des  sommes  dues,  le  peu  d'ordre  qui  existait  dans  la 
comptabilité  particulière  du  surintendant  ;  le  prix  d'acquisition  des 
immeubles  qui  lui  appartiennent  n'est  pas  encore  soldé  et  il  est 
redu  sur  chacun  d'eux  :  la  même  négligence  existe  de  la  part  des 
fermiers  dans  le  paiement  des  fermages,  et  cependant  il  écrit  à 
Pélisson,  je  suis  sur  mon  quatorzième  million.  La  construction  du 
château  continuait  toujours. 

Lorsque  Ton  examine  la  beauté  de  cette  habitation  et  lorsque 
l'on  réfléchit  à  la  valeur  des  monnaies  à  cette  époque,  l'on  eSt  ef- 
fîrayé  de  la  dépense  qu'il  a  fallu  faire  pour  terminer  cette  magni- 
fique construction  :  l'on  se  demande  s'il  n'est  pas  juste  de  croire 
que  la  fortune  publique  en  a  fait  les  freds. 

Si  l'on  considère  aussi  les  richesses  amassées  par  Richelieu  et 
par  Mazarin,  et  laissées  à  leur  famille,  il  est  facile  de  se  convaincre, 
que  ^L  Fouquet  n'avait  fait  que  ce  qu'avaient  fait  ses  prédéces- 
seurs; seulement,  il  n'eut  ni  le  génie,  ni  la  fermeté  de  caractère 
de  Richelieu,  ni  l'astucieuse  habilité  de  Mazarin  ;  ensuite,  le 
temps  avait  marché,  l'ordre  s'était  rétabli  à  peu  près  partout  et 
ce  que  les  premiers  ministres  avaient  pu  faire  impunément  dans 
ces  époques  de  trouble,  ne  pouvait  plus  s'exécuter  impunément 
alors;  en  outre,  il  n'y  avait  pas  chez  M.  Fouquet,  la  forte  étoffe 
de  ses  prédécesseurs  :  il  ne  put  maîtriser  les  événements  que  son 
manque  de  politique  avait  souvent  fait  naître  et  qu'il  ne  sut  pas 
conjurer.  Puis,  il  n'eut  pas  à  faire  à  un  roi  timide  et  indécis 
comme  Louis  XIIL  II  se  heurta  tout  d'abord  à  Louis  XIV,  qui 
eut  plus  que  tout  autre  souverain  le  sentiment  de  l'autorité  et  de  sa 
dignité,  qui  voulait  être  roi  par  lui-même  et  qui  a  été  roi  soixante 
ans. 

Le  surintendant  n'était  cependant  pas  un  homme  ordinaire  : 
les  historiens  et  les  chroniqueurs  lui  accordent  de  brillantes  qua- 
lités :  aux  agréments  du  corps,  il  joignait,  disent-ils,  les  charmes 
de  l'esprit,  il  était  l'égal  du  roi  pour  les  grâces  et  la  distinction  : 
sa  générosité  était  sans  bornes,  mais  le  faste  de  ses  prodigalités  et 
ses  téméraires  amours  causèrent  promptement  sa  ruine. 


—  383  —  • 

Au  mois  de  septembre  1661,  le  roi  fit  un  voyage  h  Nantes: 
M"^^  de  la  Vallière,  Golbert  et  Pouquet  l'accompagnaient.  Louis 
XIV  avait  cru  s'apercevoir  que  le  surintendant  avait  attiré  sur 
lui  l'attention  de  M"°  de  la  Vallière  :  sa  perte  fut  résolue:  à  l'ar- 
rivée à  Nantes,  le  capitaine  d'Artagnan  l'arrêta  au  nom  du  roi. 
Il  fut  transporté  au  mois  d'octobre  à  Amboise,  puis  de  là  à  Vin- 
cennes,  où  son  procès  fut  instruit  par  des  commissaires.  L'instruc- 
tion de  ce  procès  dura  longtemps.  Il  fut  condamné  à  un  banisse- 
ment  perpétuel  qui  fut  commué  en  un  emprisonnement  aussi  per- 
pétuel, pour  crime  de  péculat.  Il  ne  revit  plus  son  château  de 
Vaux. 

Le  chapitre  que  le  président  Hénault  consacre  à  ce  fameux  pro- 
cès, jette  une  vive  lumière  sur  cette  condamnation,  qui  eut  un 
grand  retentissement;  il  prouve  que  si  M.  Fouquet  eut  des  torts, 
il  fut  sacrifié  aussi  à  l'implacable  haine  et  à  l'ambition  de  Golbert: 

Le  roi,  dit  ce  judicieux  historien,  «  fit  arrêter  à  Nantes,  le  5 
»  septembre  1661,  M.  Fouquet,  surintendant  des  finances,  qui 
»  s'était  défait  fort  imprudemment  de  sa  charge  de  procureur  géné- 
»  rai  au  parlement  de  Paris  ;  de  tant  d'amis,  Pélisson  fut  presque 
»  le  seul  qui  lui  resta  fidèle.  Il  fut  condamné  par  des  commis- 
»  saires  à  un  bannissement  perpétuel,  qui,  pour  des  raisons  d'Etat, 
»  fut  changé  en  une  prison  pareillement  perpétuelle  :  ce  fut  dans 
»  la  citadelle  de  Pignerol  qu'il  fut  enfermé  et  il  y  mourut  en  1680, 
»  âgé  de  63  ans. 

»  M.  d'Ormesson,  conseiller  d'Etat,  rapporteur  au  procès, 
»  résista  avec  fermeté  aux  ministres  qui  voulaient  le  faire  périr  : 
»  M.  Fouquet,  père  du  surintendant,  s'était  fait  le  même  hon- 
»  neur  dans  de  pareilles  circonstances  :  M.  Fouquet,  eut  pour 
»  avocat  Le  Vayer  de  Varigny,  qui  composa  à  cet  effet  un  traité 
))  sur  le  péculat. 

»  M.  Golbert  était  ami  de  M"''  de  Ghevreuse,  qui  lui  servit 
»  beaucoup  à  déterminer  la  reine-mère  à  abandonner  M.  Fouquet. 
»  Golbert  succéda  au  surintendant  dans  sa  charge  de  contrôleur 
»  général,  et  il  entra  au  conseil.  Golbert  acheta  aussi  la  charge  de 
»  Duplessis-Guénégaud,  qui  ayant  été  compris  dans  la  chambre 
»  de  justice,  alors  établie  contre  tous  ceux  qui  avaient  eu  quelque 
»  part  aux  finances,  y  fut  dépouillé  de  la  plus  grande  partie  de 
»  ses  biens  et  obligé  de  vendre  sa  charge.  » 

Depuis  longtemps,  Golbert  poursuivait  de  sa  haine  implacable 
le  surintendant  Fouquet  :  le  délicieux  petit  cabinet  de  Vaux,  qui 
prend  ses  jours  sur  les  jardins,  représente  au  milieu  de  peintures 


—  381  — 

de  treilles  et  de  feuillages,  la  couleuvre  (Goluber),  armes  parlantes 
de  M.  Golbert,  poursuivant  l'écureuil  de  Fouquet. 

Je  vais  essayer  ici  de  discuter  le  singulier  plan  de  révolte  et 
l'appel  à  la  guerre  civile,  attribué  à  M.  Fouquet. 

Le  projet  de  défense  conçu  et  rédigé  par  Fouquet,  pour  le  cas  ovi 
on  tenterait  de  l'arrêter  a  été  apprécié  en  ces  termes  :  «  ce  projet, 
»  loin  d'être  vague  et  inoffensif,  comme  l'ont  pensé  beaucoup 
))  d'historiens  qui  en  ont  parlé  sans  le  connaître  _  est  un  plan  de 
»  révolte  à  main  armée,  follement,  mais  nettement  combiné.  Ce 
»  n'était  rien  moins  que  la  guerre  civile.  » 

Cette  manière  de  voir  appelle  forcément  la  discussion  et  le  con- 
trôle. 

Avant  que  les  historiens  s'occupassent  de  ce  projet  de  défense, 
les  commissaires,  c'est-à-dire  les  juges  d'un  tribunal  exceptionnel, 
s'en  étaient  occupés,  eux  ;  ils  avaient  dirigé,  ces  ennemis  mortels 
de  Fouquet,  toute  la  procédure,  consulté,  fouillé,  discuté,  tous  les 
papiers  du  surintendant  aussitôt  son  arrrestation,  et  il  est  bien  évi- 
dent qu'un  pareil  écrit  et  de  pareils  juges  auraient  promptement 
alors  mené  Fouquet  au  fatal  billot. 

Gomment,  en  outre^  le  surintendant  pouvait-il  croire  qu'il  atté- 
nuerait ses  torts  s'il  en  avait,  en  excitant  à  la  guerre  civile.  Il  s'en 
donnait,  au  contraire,  et  des  plus  sérieusement  graves. 

Gomment  croire  aussi  que  beaucoup  d'écrivains  qui  se  sont 
occupés  de  M.  Fouquet  aient  parlé  de  ce  projet  sans  le  connaître, 
et  que  d'autres,  l'ayant  lu,  aient  pu  le  regarder  comme  vague, 
lorsqu'il  est  nettement  combiné,  et  que  d'autres  encore  considèrent 
comme  inoffensif  un  plan  de  révolte  à  main  armée  n'étant  rien 
moins  que  la  guerre  ci'Wle. 

Gomment  ne  vient-il  pas,  sur  le  champ,  à  l'esprit,  que  cet  écrit 
est  apocryphe,  et  que  pendant  la  longue  instruction  du  procès,  les 
impitoyables  juges,  nommés  par  les  ennemis  de  Fouquet,  ont, 
pour  les  besoins  de  leur  cause,  admis  dans  le  dossier,  un  écrit 
compromettant,  qui  ne  viendrait  pas  de  l'accusé,  «  pour  essayer, 
comme  dit  le  président  Hénault,  de  le  faire  périr  (1).  » 

Ce  fait  de  supposition  d'un  écrit  compromettant  était  venu  à 
l'esprit  d'une  personne  qui  devait  s'y  connaître  :  c'est  La  Fontaine 
qui  rapporte  le  fait  en  ces  termes  : 


(1)  La  Chambre  de  justice  ne  prit  pas  en  considûration  cette  accusation  d'excita- 
tion à  la  guerre  civile,  puisqu'il  n'y  eut  condaïuualiou  que  pour  lo  crime  de  pé' 
culat. 


—  385  — 

«  Jannart  (Jean  Jeannart),  c'était  son  oncle,  Conseiller  du  Roi, 
»  substitut  du  Procureur  général  au  parlement  de  Paris,  avait  sol- 
»  licite  le  périlleux  honneur  d'assister  de  ses  conseils  madame  Fou- 
»  quet,  qui  poursuivait  alors  le  redressement  d'abus  commis  dans 
))  l'inventaire  des  papiers  de  son  mari.  »  Golbert,  qui  regardait 
comme  son  ennemi  personnel  quiconque  portait  intérêt  à  Fouquet, 
obtint  aussitôt  une  lettre  de  cachet  qui  exilait  Jannart  à  Limoges, 
et  La  Fontaine  voulut  partager  l'honorable  exil  de  son  oncle. 

Le  projet  de  révolte  armée,  qui  n'était  rien  qu'une  excitation  à 
la  guerre  civile,  était  peut-être  un  des  abus  commis  dans  les  pa- 
piers du  surintendant,  et  dont  Mme  Fouquet  demandait  le  redres- 
sement. 

Le  surintendant,  qui  avait  vu  sous  ses  yeux  périr  ses  amis  et 
d'illustres  contemporains,  devait  savoir  quels  étaient  les  dangers 
de  la  guerre  civile,  et  que  même  en  méprisant  ces  dangers  il  fallait 
s'appuyer,  soit  du  parti  de  la  noblesse,  soit  sur  le  peuple,  dont  le 
parlement  était  la  manifestation. 

Mais  qu'était  donc  la  noblesse  sous  le  roi  Louis  XTIT  ?  elle  avait 
voulu  conspirer,  Richelieu  y  avait  mis  promptement  bon  ordre. 

Monsieur,  frère  du  roi,  trois  fois  engagé  dans  des  révoltes  fac- 
tieuses, avait  été  forcé  de  quitter  trois  fois  le  sol  de  sa  patrie. 
Chalais,  compromis  à  son  tour,  avait  été  décapité  en  1626. 
La  Reine  mère,  mêlée  à  toutes  ses  brigues,  est  obligée  de  se  réfu- 
gier à  Bruxelles.  Après  avoir  erré  onze  ans,  tant  en  Flandre  qu'en 
Angleterre,  elle  meurt  le  3  juillet  1642,  à  Cologne,  dans  un  grenier. 
Le  10  mai  1632,  le  maréchal  de  Marillac,  jugé  par  des  commis- 
saires, est  décapité. 

Le  30  octobre  de  la  même  année,  Henry  de  Montmorency,  duc, 
pair  et  maréchal  de  France,  a  la  tête  tranchée,  à  Toulouse,  à  l'âge 
de  37  ans. 

Le  comte  de  Moret,  fils  naturel  de  Henry  IV,  et  de  la  demoiselle 
de  Beuil,  disparait  au  combat  de  Castelnaudary  ;  on  dit  qu'il  est 
allé  se  faire  ermite. 

Cinq-Mars  et  de  Thou  sont  condamnés  à  mort,  l'un  pour  avoir 
conspiré  contre  le  roi,  et  l'autre  pour  n'avoir  pas  révélé  le  complot. 
La  Fronde,  malgré  les  noms  du  grand  Condé  et  de  Turenne, 
finit  par  le  ridicule  :  elle  est  tuée  par  des  couplets. 

Il  est  probable  que  M.  Fouquet  n'avait  pas  oublié  tous  ses  sup- 
plices. 

Le  Parlement  n'offrait  pas  plus  de  sécurité  et  d'appui  aux  cons- 
pirateurs que  la  noblesse  elle-même  ;  le  surintendant  aurait  pu 

25 


—  386  — 

.compter  sur  le  Parlement  de  Paris,  dont  il  était  procureur  géné- 
ral, mais  il  venait  de  vendre  sa  charge  à  prix  d'argent. 

Il  est  vrai  que  cette  Compagnie  s'était  quelquefois  montrée  très- 
arrogante  envers  Tautorité  royale.  C'était  pendant  des  minoritées 
ou  sous  des  rois  débonnaires.  Mais  lorsque  vint  un  roi  jeune,  qui 
entrait,  au  retour  de  la  chasse,  en  la  grand'-chambre  du  parle- 
ment, botté,  éperonné  et  le  fouet  à  la  main,  et  qui  disait  à  ses 
sujets  :  «  l'État,  c'est  moi,  »  il  ne  restait  plus  aux  mutins  qu'une 
chose  à  faire  :  c'était  d'obéir  et  de  se  taire. 

En  1639,  le  roi  allait  avoir  sur  pied  six  grandes  armées,  ce  n'é- 
tait pas  le  moment  de  conspirer. 

Louis  XIV  ne  fut  pas,  au  reste,  le  seul  souverain  qui  ai  fait 
sentir  au  parlement  la  pesanteur  de  son  sceptre  (l). 

On  lit  dans  le  recueil  d'Isambert,  tome  XII,  le  récit  suivant,  re- 
produit dans  l'histoire  des  résidences  royales  de  la  Loire.  On  va 
voir  avec  quelle  hauteur  superbe  et  dédaigneuse  les  rois  traitaient 
ces  magistrats  si  fiers  de  leurs  prérogatives. 

H  II  s'agissait  de  faire  ratifier  et  enregistrer,  par  le  Parlement, 
la  pragmatique  sanction  (2)  ;  celui-ci  mettait  beaucoup  de  lenteur  à 
cette  opération,  qu'il  accueillait  avec  regret  ;  enfin,  il  se  décida  à 
envoyer  deux  de  ses  membres,  Lyonne  et  Verjus,  porter  ses  re- 
montrances au  roi  François  I",  qui  était  avec  la  Cour  au  château 
d'Amboise. 

»  Ils  arrivèrent  le  14  janvier  1518. 

»  Le  roi  les  tint  six  semaines  sans  les  recevoir;  enfin,  le  18  fé- 
vrier, il  les  fit  appeler  à  l'issue  de  son  dîner,  et  après  leur  avoir 
prêté  quelque  attention  :  «  N'avez- vous,  leur  dit-i],  que  cela  à  me 
»  dire?  mon  chancefier  m'a  dit  mieux  et  plus  bref;  il  n'y  a  qu'un 
»  roi  en  France  ;  ce  que  j'ai  fait  en  Italie,  on  ne  le  défera  pas  ici  ; 
»  je  ne  souffrirai  pas  qu'il  s'établisse  dans  mon  royaume  un  sénat 
»  comme  à  Venise. 

»  Je  ne  veux  plus  d'ecclésiastiques  dans  le  parlem.ent  (les  con- 
»  seillers  clercs)  :  ces  gens  s'imaginent  qu'à  cause  de  leurs  immu- 
»  nités  l'on  ne  pourrait  pas  leur  couper  la  tête. 


(1)  Ce  roi,  qui  frappait  souvent  fort,  savait  aussi,  frapper  juste  :  témoinla  décla- 
ration de  1682,  qui  consacra  la  victoire  de  l'autorité  administrative  sur  l'autorité 
ecclésiastique,  et  confirma  les  propositions  de  la  Sorbonne  de  1663. 

(2)  Quelle  singulière  affaire  que  cette  pragmatique  sanction  !  La  conclusion  en  est 
encore  plus  bizarre  :  les  rôles  s'intervertissent  :  le  pape,  seigneur  spirituel,  prend  le 
temporel,  et  le  roi,  seigneur  temporel,  prend  le  spirituel. 


—  387  — 

»  Portez  mes  ordres  au  Parlement,  et  partez  demain  au  lever 
»  du  soleil.  » 

»  La  Loire  avait  débordé  et  les  chemins  étaient  devenus  impra- 
ticables ;  les  conseillers  firent  demander  un  sursis. 

»  Si  demain,  dit  François,  avant  six  heures,  ils  ne  sont  pas 
»  partis,  je  les  ferai  prendre  et  jeter  dans  un  cul  de  basse  fosse.  » 

En  résumé,  il  est  avéré  qu'aux  temps  où  vivait  M.  Fouquet,  on 
n'était  plus  à  cette  époque  où  les  Guises  pouvaient  espérer  renver- 
ser la  dynastie  des  Valois,  et  monter  sur  le  trône  à  leur  lieu  et 
place  :  La  Ligue,  que  dirigeait  la  maison  de  Lorraine,  n'avait  pas 
d'autres  motifs  ;  mais  tous  dangers  pour  la  stabilité  du  trône  de 
Louis  XIV  et  de  sa  dynastie  s'étaient  évanouis  depuis  longtemps. 
Tout  se  bornait  alors  à  de  misérables  intrigues  pour  supplanter 
la  favorite  ou  le  ministre  du  jour. 

En  outre,  les  mœurs  douces,  faciles  et  élégantes  du  surinten- 
dant, 'la  légèreté  et  la  frivolité  de  son  existence  ;  le  dévoûment  que 
lui  témoignèrent  madame  de  Sévigné  et  madame  de  Maintenon 
elle-même  ;  l'amitié  si  touchante  de  Lafontaine  et  de  Pelisson  ; 
l'intérêt  qui  s'attacha  malgré  tout  à  son  nom  ;  les  triomphes  que  lui 
prodiguaient  les  populations  des  pays  qu'il  traversa,  lorsqu'on  le 
transféra  àPignerol,  la  restitution  de  ses  biens,  les  hautes  dignités 
de  l'État  dont  ses  fils  et  petits-fils  furent  revêtus,  ne  légitiment 
pas  de  si  grandes  accusations. 

En  digne  commis  de  Mazarin,  qui  touchait  sans  contrôle  les  re- 
venus de  l'État  et  en  rendait  seulement  quelque  chose  au  roi  son 
maître,  M.  Fouquet,  qui  le  remplaça,  dilapida  le  trésor  public  ;  il 
fut,  c'est  très-possible,  l'amant  imprudent  de  la  maîtresse  du  roi, 
mais  il  est  peu  probable  qu'il  ait  légué,  par  testament,  à  ses 
compatriotes,  les  horreurs  de  la  guerre  civile,  et  le  renversement 
de  la  dynastie  de  Louis  XIV. 


—  389  — 

NOTES  SUR  CRÈVECOEUR  ET  BECOISEAU, 

PAR  M.  LEMAIRE, 
Membre  titulaire  (S»oction  de  Meliin). 


Il  existe,  dans  notre  antique  pays  de  Brie,  une  petite  localité 
bien  humble,  bien  modeste,  qui  se  dérobe  à  tous  les  regards  en  se 
cachant  au  milieu  des  bois  et  des  broussailles,  dont  elle  semble 
s'être  fait  un  nid. 

Ce  tout  petit  endroit  est  le  village  de  Grèvecœur,  l'une  des  nom- 
breuses communes  du  canton  de  Rozoy  ;  il  se  trouve  à  l'entrée  de 
la  forêt  de  Grécy,  dans  l'un  de  ses  angles  de  la  partie  sud.  Il  doit 
être  fort  ancien,  car  on  trouve  dans  le  recueil  des  Olim  (anciens 
registres  du  parlement  de  Paris)  une  démonstration  ou  aveu  fait 
en  1270,  par  les  gens  du  roi  de  Navarre,  comte  de  Champagne  et 
de  Brie,  portant  :  «  Ne  monstrèrent  pas  les  gens  li  roi  de  Navarre, 
»  Crécy  ne  la  chastelerie,  ne  les  fores  de  Crèvecœur,  qui  sont  de  la 
»  chastelerie,  lesquiex  choses  sont  totes  d'où  fié  le  devant  dit  roi 
»  de  Navarre.  » 

Crèvecœur  possède,  d'après  l'arpentage  fait  en  1787,  en  vertu 
d'une  ordonnance  de  l'intendant  de  la  Généralité  de  Paris,  un  ter- 
ritoire de  2,521  arpents  34  perches  à  18  pieds  4  pouces  pour  perche, 
ou  1,7S0  arpents  35  perches,  mesure  de  roi,  et  suivant  le  cadastre 
exécuté  en  1831,  919  hectares. 

Sa  population  n'a  jamais  dû  être  bien  considérable,  si  l'on  en 
juge  par  le  peu  d'étendue  du  village,  et  cette  population  semble 
s'amoindrir  encore  à  chaque  période  quinquennale  du  recense- 
ment. Si  elle  paraît  vouloir  se  relever  un  peu,  on  la  voit  s'abaisser 
de  suite.  En  effet,  d'après  le  recensement  prescrit  par  le  décret  du 
22  floréal  an  II  (11  mai  1794),  pour  ia  formation  d'un  livre  de  la 
bienfaisance  nationale,  Crèvecœur  possédait  189  habitants  ;  en 
1819,  201  ;  en  1825,  205  ;  en  1831,  200;  en  1836,  232;  en  1841, 
230;  en  1846,  171  ;  en  1851,  156;  en  1856,  148;  en  1861,  161; 
enfin  le  dernier  recensement  porte  147  seulement,  dont  99  pour 
le  chef-lieu  de  la  commune,  et  le  surplus  pour  les  hameaux,  fermes 
ou  maisons  isolées  qui  en  dépendent. 

Grèvecœur  relevait  et  relève  encore  du  diocèse  de  Meaux,  la  cure 


—  390  — 

était  à  la  collection  de  l'évêque ,  et  l'église  avait  pour  patron  saint 
Jean-Baptiste. 

La  paroisse  ressortissait  h  la  généralité  de  Paris,  élection  et 
subdélégation  de  Rozoy;  grenier  à  sel  de  Pontenay,  maîtrise  des 
eaux  et  forêts  de  Grécy,  comme  dépendant  du  comté  de  ce  nom, 
qui  appartenait  au  roi  et  suivait  tout  naturellement  le  sort  du  do- 
maine principal,  c'est-à-dire  que  si  Grécy  était  cédé  à  titre  d'enga- 
gement ,  Grèvecœur  l'était  aussi,  et  par  conséquent  rentrait  dans 
la  main  du  roi  lorsqu'il  y  avait  lieu  à  retrait  aux  termes  des  con- 
trats d'engagements.  La  seigneurie  avait  droit  de  haute,  moyenne 
et  basse  justice.  Le  roi  était  représenté  par  un  prévôt  dont  il  se 
réservait  la  nomination,  et  qui  se  trouvait  indépendant  du  bailli 
de  Meaux,  dont  la  juridiction  s'étendait  cependant  fort  loin,  puis- 
qu'elle comprenait  Provins,  Bray  et  Montereau. 

Le  droit  de  censive  se  percevait  à  raison  de  6  deniers  tournois 
par  arpent.  Le  roi  avait,  en  outre,  un  droit  de  bourgeoisie  et  un 
droit  de  feu  applicables  à  certaines  maisons  seulement.  On  trouve, 
dans  un  compte  de  recettes  et  dépenses  rendu  en  16^0,  par  Péron 
Ghalemot,  receveur  du  domaine  de  Grécy,  que  les  censitaires  de  la 
seigneurie  de  Grèvecœur  étaient  au  nombre  de  29  résidants,  plus 
le  curé  et  les  marguilliers  représentant  la  fabrique  de  l'église  pa- 
roissiale, et  21  habitant  Maries  et  La  Houssaye.  Parmi  les  rési- 
dants, quatre  occupaient  Grosbois,  et  un  seul  Gourtesoupe. 

Si  l'on  compte  cinq  personnes  par  famille,  on  aura  146  habi- 
tants, plus  le  curi',  ce  qui  forme  juste  la  population  actuelle.  Les 
redevances  payées  au  seigneur  s'élevaient,  en  totalité,  d'après  le 
compte  de  l'année  1620,  à  168  sols  7  deniers. 

Parmi  les  censitaires  de  la  seigneurie  on  ne  voit  guère,  en  1620, 
comme  notable  habitant,  que  «  messire  Gharles  Deraonceau,  che- 
))  valier,  seigneur  de  Visines,  possesseur  d'un  logis  qui  consiste 
»  en  deux  corps  d'hôtel,  écuries,  bergeries,  granges,  ostables, 
))  haulte  et  basse  cours  ;  le  tout  clos  et  fermé  de  murailles  et  de 
»  deux  grandes  portes,  y  ayant  quatre  tours  aux  quatre  coins  des- 
»  dits  logis  ;  avec  les  jardins  clos  de  murailles,  de  hayes  vives  et 
»  d'un  fossé,  formant  en  fonds  de  terre  trois  arpents  ou  environ  ; 
»  tenant  la  totalité  d'une  part  à  la  rue  qui  conduit  à  Rozoy, 
»  d'autre  part  à  la  rue  de  La  Houssaye,  d'un  bout  à  la  même 
)»  rue,  et  par  derrière  aux  terres  labourables  du  déclarant  (1).  » 
Plus  loin  on  trouve,  comme  riverain  des  héritages  du  M.  Demon- 

(1)  L'haliitalion  décrite  dans  ce  paragraphe  n'existe  plus.  Voir  le  plan  cadastral. 


•—  391  — 

ceau,  Nicolas  Séguier,  correcteur  eu  la  Chambre  des  Comptes. 

Au  mois  de  mai  1704,  une  autre  notabilité,  messire  Gaston  de 
La  Framboisière,  sieur  de  Saveilly,  est  mort  à  Crèvecœur  où  il 
demeurait. 

Le  curé  recevait  du  roi  ou  du  seigneur  engagiste  de  Crécy,  h 
titre  de  fief  et  aumône,  une  rente  de  4  muids  4  setiers  de  grain 
sur  le  moulin  de  Prémol,  paroisse  de  Guérard  (1). 

J'ai  comparé  les  noms  des  familles  qui  habitaient  Crèvecœur  en 
1620,  avec  ceux  inscrits  aux  états  de  sections  établis  en  1831,  et 
j'ai  pu  me  rendre  compte  qu'un  seul  de  ces  noms  se  retrouve  dans 
les  deux  documents  consultés  :  c'est  celui  de  Ledoux,  qui  est  inscrit 
en  tête  des  censitaires  de  la  seigneurie. 

Ainsi,  en  211  ans,  à  l'exception  d'un  seul,  tous  les  noms  du  lieu 
ont  disparu. 

Si  la  pauvre  petite  bourgade  qui  m'occupe  est  sans  importance 
et  oubliée  depuis  plus  de  400  ans,  il  n'en  a  pas  toujours  été  ainsi  : 
elle  a  dû  voir  s'accomplir  de  terribles  exploits  guerriers,  tant  de 
la  part  des  troupes  commises  à  sa  garde,  que  de  celles  intéressées 
à  sa  destruction. 

En  effet,  elle  s'abritait  à  l'ombre  d'une  de  ces  nombreuses 
maisons  fortes,  répandues  non-seulement  dans  nos  plaines,  mais 
jusque  sur  les  lisières  de  nos  forêts.  Que  de  peines  et  de  misères 
n'ont  pas  eu  à  souffrir  les  malheureux  habitants  pendant  les 
sièges  mis  devant  les  châteaux  sous  la  protection  desquels  ils 
étaient  venus  se  réfugier  !  Qui  pourrait  dire  aujourd'hui  combien 
de  fois  la  population  de  Crèvecœur  a  dû  être  détruite  entièrement, 
depuis  la  fondation  de  sa  forteresse  jusqu'à  sa  destruction,  re- 
montant à  l'époque  où  les  Anglais  venaient  de  porter,  pour  la 
dernière  foiS;,  le  fer  et  la  flamme  dans  nos  contrées,  c'est-à-dire  de 
1430  à  1436.  Epoque  néfaste  s'il  en  fût,  car  il  arrivait  souvent  que 
des  commissaires  royaux  envoyés  dans  la  Brie  et  dans  le  Gâtinais, 
pour  y  faire  certaines  enquêtes,  ne  trouvaient  plus  dans  les  lieux 
qu'ils  avaient  à  explorer,  aucun  habitant  pour  obtenir  les  rensei- 
gnements dont  ils  avaient  besoin  ;  sans  parler  des  guerres  san- 
glantes suscitées  plus  tard  par  les  Valois,  sous  prétextes  d'exter- 
mination des  réformés,  qui,  à  l'occasion,  le  leur  rendaient  bien. 
Ainsi  pendant  cinquante  ans  encore  les  pays  qui  nous  environnent 

(1)  La  mesure  en  grain  du  domaine  de  Crécy  avait  pour  unité  le  muid  équivalant 
à  12  setiers  et  2  mines;.la  mine  valait  2  ininots;  le  minot,  2  bicbels  uu  iioisseaux; 
ce  dernier  était  de  6  pintes  1;2,  soit  10  litres  739  millièmes. 


--  392  ~ 

ont  été  sillonnés  par  les  troupes  royales,  par  celles  des  princes, 
misérables  ambitieux  qui  n'avaient  qu'un  but,  celui  de  s'emparer 
du  trône,  et  encore  par  les  mercenaires  que  les  partis  belligérents 
appelaient  à  leur  aide  pour  ravager  plus  sûrement  les  provinces 
qu'ils  parcouraient  en  tous  sens  et  presque  sans  interruption. 

Les  restes  considérables  du  château  de  Crèvecœur,  font  con- 
cevoir, sans  peine,  quel  acharnement  défenseurs  et  assaillants  de- 
vaient apporter  dans  la  défense  et  dans  l'attaque. 

Ce  château  se  compose  encore  maintenant  d'un  énorme  massif 
de  maçonnerie,  d'environ  55  mètres  de  longueur  sur  une  largeur 
moyenne  de  47  mètres,  défendu  par  des  tours  placées  aux  angles. 

Autour  de  ce  massif  semble  avoir  régné  un  chemin  de  ronde, 
ensuite  duquel  était,  sans  doute,  une  muraille  appuyée  aussi  sur 
des  tours.  Venait  enfin  un  tossé  rempli  d'eau,  large  et  profond, 
qu'il  fallait  combler  et  franchir  pour  arriver  au  pied  du  premier 
mur.  Si  j'osais  avancer  ici  une  hypothèse,  je  dirais  qu'à  une  dis- 
tance qui  varie  d'environ  25  à  60  mètres  de  ce  fossé,  on  devait  en 
trouver  un  autre  enveloppant  le  tout,  et  qui  pouvait  servir  à  la 
défense  des  tronpes  campées  près  du  château  pour  le  couvrir  ; 
mais  il  est  positif  qu'une  seconde  enceinte,  sinon  une  troisième, 
garantissait  le  village  lui-même,  et  sa  petite  église  située  au  nord 
du  château,  en  face  du  pont-levis,  tout  près  du  dernier  fossé  qu'on 
distingue  encore  parfaitement  dans  presque  toute  son  étendue. 

On  ne  se  douterait  guère,  en  voyant  ces  ruines,  qu'elles  ont 
servi  de  résidence  royale  ;  pourtant  il  en  est  ainsi,  car  on  lit  dans 
le  recueil  des  ordonnances  des  rois  de  France,  qu'en  avril  1349, 
Philippe  VI,  étant  à  Crèvecœur  en  Brie,  signe  des  lettres  patentes 
ordonnant  que  l'abbaye  de  Saint-Mesmin  (Loiret),  placée  sous  la 
sauvegarde  royale,  aura  le  bailli  de  Chartres  pour  gardien. 

En  septembre  1219,  Hugues  de  Châtillon  rendait  foi  et  hom- 
mage pour  les  forteresses  de  Crécy,  Crèvecœur,  Moressart  et 
Villeneuve-le-Comte  dépendant  de  sa  châLellcnie  de  Crécy ,  ù, 
Blanche,  comtesse  de  Troj'es,  femme  de  Thibault  V  et  mère  de 
Thibault  VI,  le  posthume  ou  le  chansonnier,  devenu  roi  de  Na- 
varre du  chef  de  sa  mère. 

C'est  ce  même  Hugues  de  Châtillon  et  Guy,  son  frère,  qui,  par 
un  acte  daté  de  Crécy,  en  mars  1220  (1221),  ont  fondé  la  chapelle 
du  château  do  Crèvecœur.  Ils  la  dotèrent  de  diverses  rentes  en 
nature  h  prendre  dans  leur  mensc  de  Crécy,  d'un  arpcnl  de  vigne 
au  territoire  de  Crèvecœur  et  de  quelque  argent,  monnaie  de  Pro- 
vins. 


PL.  VU. 


Plan  d\i  village  et  du  Château  de  Crevec<cur  en    Brie, 


J-Bevarenne 


JmpXemercier  &  C^.Pâns 


—  393  — 

Après  1340.  Crécy,  Goulommiers,  Becoiseau  et  le  lieu  dont  je 
m'occupe,  passèrent  à  Blanche,  fille  de  Charles  IV  le  Bel,  et  de 
Jeanne,  fille  de  Louis  de  France,  comte  d'Evreux, —  née  le  1"  avril 
1328,  deux  mois  après  la  mort  de  son  père,  et  mariée  le  13  jan- 
vier 1345,  à  Philippe  de  France,  duc  d'Orléans,  fils  puîné  de 
Philippe  de  Valois  et  de  Jeanne^  fille  de  Robert  II,  duc  de  Bour- 
gogne. 

Jeanne  d'Evreux  ne  conservait  plus,  sur  ces  domaines,  que  la 
jurée,  droit  que  payaient  annuellement  à  leurs  seigneurs,  les 
bourgeois,  pour  cause  d'affranchissement,  afin  d'obtenir  justice  en 
cas  de  procès. 

Le  25  janvier  1367,  le  duc  d'Orléans  consentit  à  la  donation  que 
sa  femme  voulait  faire  au  roi  Charles  V,  de  ses  terres  de  Crécy, 
Goulommiers  et  Crèvecœur  (1).  Cette  donation  a  été  réalisée  le 
jeudi  3  juillet  1371. 

A  diverses  époques  on  a  trouvé,  soit  sur  le  massif  ou  motte  du 
château  de  Crèvecœur,  soit  aux  abords,  une  masse  considérable 
d'étriers,  des  ustensiles  de  cuisine  et  un  vase  en  bronze  qui  sert, 
depuis  longues  années,  de  bénitier  portatif. 

Je  dois  ces  derniers  renseignements  à  M.  Ledoux,  maire  de  la 
commune  pendant  plus  de  trente  ans. 

J'ajouterai,  d'après  cet  estimable  fonctionnaire,  que  le  château 
se  ramifiait  à  celui  de  la  Malmaison,  au  territoire  de  Guérard,  par 
un  souterrain  dont  l'une  des  ouvertures  serait  sous  l'église  de 
Crèvecœur.  M.  Ledoux  m'a  affirmé  être  descendu  à  l'âge  de  douze 
à  treize  ans  dans  ce  souterrain ,  mais  qu'ayant  rencontré  des 
obstacles  causés  sans  doute  par  un  éboulement,  et  saisi  d'ail- 
leurs par  une  panique  puérile,  il  s'était  hâté  de  remonter  au  grand 
jour. 

Pour  moi,  je  ne  crois  guère  à  ces  ramifications  de  château  à 
château,  attendu  que  si  l'on  s'en  rapportait  aux  traditions,  il  n'y 
aurait  pas  eu  deux  forteresses  voisines  qui  ne  fussent  dans  le 
même  cas;  je  suis  convaincu  que  si,  contre  toute  vraisemblance, 
Crèvecœur  était  relié  de  la  sorte  à  un  château  du  voisinage,  ce  se- 
rait plutôt  à  celui  de  Becoiseau,  situé  au  bas  du  village  de  Mort- 
cerf,  autrefois  Moressart,  qu'à  celui  de  la  Malmaison. 


(1)  Des  titres  relatifs  au  comté  de  Crécy  et  aux  terres  de  sa  dépendance,  existent 
aux  archives  de  l'Empire,  sous  h'n  cotes  P.  20,  27  à  29,  91,  204  et  2,198.  On  y  trouve 
notamment  des  procès-verbaux  du  xvi^  siècle,  portant  estimation    de  tous   les  bien 
de  la  chàtellenie. 


—  394  — 

Si  on  m'en  demandait  la  raison  je  répondrais  :  Crèvecœur  est 
plus  près  de  Becoiseau  que  de  la  Malmaison,  et  d'ailleurs  j'ai 
remarqué  à  Becoiseau,  des  détails  de  construction  parfaitement 
identiques  à  ceux  que  je  venais  d'observer  à  Crèvecœur.  Ces  dé- 
tails consistent  dans  la  forme  de  certaines  voûtes  très-basses, 
très-rapprochées  l'une  de  l'autre  et  donnant  (dans  le  dernier  lieu 
au  moins)  sur  une  galerie  de  même  hauteur  également  voûtée. 

Quant  à  déterminer  l'usage  de  ces  voûtes,  je  ne  l'essaierai 
point,  tout  en  regrettant  de  ne  pouvoir  pas  même  établir  de  con- 
jectures à  ce  sujet. 

J'ai  avancé  plus  haut  que  la  destruction  du  château  dont  je 
m'occupe,  devait  être  attribuée  aux  Anglais,  voici  sur  quoi  je  me 
fonde  :  j°  à  l'époque  de  leur  invasion,  le  château  était  assez  im- 
portant pour  que  la  garde  en  soit  confiée  à  des  hommes  de  valeur; 
on  remarque  parmi  les  anciens  gouverneurs  :  Robert  de  Ver- 
sailles, capitaine-iliàtelain  de  Crèvecœur-en-Brie ^  remplacé  le  11  no- 
vembre 1415,  par  Eustache  de  Gaucourt,  dit  Tassin,  seigneur  de 
Viry,  chambellan  du  roi,  grand  fauconnier  de  France,  mort 
en  1415;  —  François  de  L'Hôpital,  seigneur  de  Soisy-aux-Loges, 
vulgairement  Choisy(l),  remplacé  le  10  octobre  1416,  par  Jacques 
Lempereur,  écuyer,  auquel  succéda,  le  29  juillet  1418,  Guillaume 
d'Orgemont,  trésorier  des  guerres  et  conseiller  au  grand  Conseil, 
seigneur  de  Méry-sur-Oise,  mort  en  1421,  et  qui  a  été  enterré 
dans  l'église  des  Augustins  de  Pomponne. 

Il  est  regretter  que  cette  liste  n'ait  pu  être  continuée  jusqu'en 
1430,  époque  présumée  de  la  ruine  de  Crèvecœur. 

2°  Dans  un  extrait  des  comptes  du  domaine  de  Crécy,  on  lit  ce 
qui  suit  :  «  Des  cens  en  grains  dus  chacun  an  à  Crèvecœur,  au 
»  jour  saint  Martin  d'hiver,  qui  souloient  valoir  6  setiers  de  blé, 
»  néant,  parce  que  longtemps  y  a  que  le  chastel  et  la  ville  de  Crè- 
»  vocœur  sont  en  ruines  et  de  nulle  valeur,  et  n'y  demeure  per- 
»  sonne,  comme  appert  par  semblable  partie  de  comptes  précé- 
»  dents,  et  par  le  premier  article  du  cahier  de  non-valeurs  audit 


(1)  Ce  François  de  L'Hôpital  était  le  second  fils  de  Jeiian  de  L'Hôpital,  clerc  des 
arbalétriers,  seif^neiir  de  Matignon  et  d'Ozouer-le-Yoïilgis,  naturalisé  par  lettres  du 
26  seplepibre  1349.  H  obtint  de  Charles  V,  alors  régent  du  royannie,  au  mois  d'août 
1358,  la  terre  et  seigneurie  des  Alleux  eu  Pallnel  (Picardie),  mouvant  du  cluiteau  de 
Crèvecœur  en  Brie,  en  échange  d'une  rente  de  200  livres  à  prendre  sur  le  Trésor 
royal.  —  Le  capitaine  de  Crèvecœur  recevait  pour  ses  gages  annuels  100  livres  tour- 
nois. Celui  de  Crécy  ne  touchait  que  50  livres.  (Ordonnance  de  Charles  VI,  sur  la 
police  du  royaume.  Paris,  25  mai  1413). 


—  395  — 

))  Crécy,  rendu  sur  le  compte  de  l'année  finie  à  la  Magdeleine 
»  4487.  »  Cette  note  ou  son  équivalent,  se  trouve  reproduite  dans 
le  compte  de  1610,  cité  plus  haut. 

Si  en  l-i87,  il  y  avait  déjà  longtemps  que  Grèvecœur  était  ruiné, 
il  n'y  a  rien  d'exagéré  à  faire  remonter  sa  destruction  à  l'année  1430. 

Si  la  France  a  été  constamment  agitée  depuis  l'expulsion  des 
Anglais  jusqu'à  la  mort,  arrivée  en  1461,  de  celui  qui  laissa 
lâchement  assassiner  l'héroïne  de  Domremy,  plus  tard  et  pendant 
tout  le  règne  de  Louis  XI  son  fils,  d'astucieuse  mémoire,  — 
nous  ne  voyons  pas  que  la  Brie  ait  été  en  proie  à  de  nouvelles  dé- 
vastations, comme  le  midi  et  le  centre  de  la  France,  la  Norman- 
die, la  Flandre,  la  Picardie,  la  Bourgogne,  le  Gâtinais  et  même 
le  Hurepoix  ,  c'est-à-dire  toutes  les  provinces  qui  nous  entourent. 
On  peut  donc  encore  conjecturer  de  là,  sans  crainte  de  se  tromper, 
que  Grèvecœur  a  bien  été  ruiné  par  les  troupes  anglaises,  et  que 
depuis  leur  retraite  (1453)  jusqu'à  ce  jour,  la  forteresse  dont  je 
viens  de  m'occuper  ne  fit  que  dépérir,  d'autant  que  ses  murs 
servent  de  carrière  pour  les  nouvelles  constructions  du  pays , 
constructions  assez  rares  du  reste. 

En  1831,  le  cadastre  de  Grèvecœur  a  été  opéré;  le  château  et  ses 
fossés  inscrits  sous  les  numéros  277  et  278  de  la  section  B,  appar- 
tenaient au  sieur  Armand  Beaudoin,  cultivateur.  Gomment  cette 
partie  du  domaine  royal  est-elle  passée  aux  mains  d'un  particulier? 
Rien  ne  l'indique.  En  effet,  les  restes  de  ce  château  n'ont  pas  été 
vendus  nationalement,  et  lorsque  le  6  floréal  an  XI,  le  Commis- 
saire nommé  par  le  Préfet  de  Seine-et-Marne  s'est  présenté  dans 
la  commune,  à  l'effet  de  procéder  à  l'estimation  des  propriétés  na- 
tionales à  vendre,  l'adjoint  au  maire,  en  l'absence  de  celui-ci,  a 
déclaré  qu'il  n'y  avait  dans  la  localité  aucun  bien  tombant  sous 
l'application  de  la  loi.  Gela  laisse  supposer  avec  quelque  raison 
que  le  vieux  château  de  Grèvecœur  a  dû  être  vendu  par  le  comte 
d'Eu  (1),  échangiste  du  comté  de  Grécy,  contre  la  principauté  de 

(1)  Louis-Charles  de  Bourbon,  comte  d'Eu,  né  le  15  octobre  1701,  mort  le  13 
juillet  1773,  était  fils  de  Louis-Auguste  de  Bourbon,  duc  du  Maine,  prince  légitimé 
de  France,  né  à  Versailles  le  31  mars  1670,  mort  le  14  mai  1736.  Ce  dernier  était 
le  second  fils  de  Louis  XIV  et  de  Mme  de  Montespau. 

Le  comte  d'Ru,  après  avoir  été  autorisé  à  porter  le  surnom  de  Bourbon  (janvier 
1680),  fut  déclaré  prince  souverain  de  Bombes,  avec  tous  les  anciens  privilèges 
attachés  à  la  terre.  (Février  1681.) 

Lorsque  Mlle  de  Montpensier  négocia  la  mise  en  liberté  de  Lauzun,  elle  dut,  entre 
autres  conditions  qui  lui  furent  imposées,  faire  l'abaïuion  au  duc  du  Maine,  du 
comté  d'Eu  et  de  la  principauté  de  Dombes,  valant  ensemble  200,000  livres  de  rente. 


—  396  — 

Dombes  (1762),  ou  par  le  duc  de  Penthièvre  (t),  son  cousin-ger- 
main et  son  héritier. 

Le  territoire  de  Grèvecœur  comprenait  ,  outre  la  seigneurie 
principale  :  1°  le  fief  de  Baloquin,  appartenant  en  1665  à  dame 
Marie  d'Anneau,  veuve  de  noble  homme  Etienne  Stample,  méde- 
cin ordinaire  de  feu  S.  A.  R.  (frère  du  Roi?)  ;  2°  le  fief  de  Beau- 
regard,  comprenant  le  château  de  ce  nom,  possédé  en  1560  par 
Jean  Vinchet,  secrétaire  du  Roi;  en  1595-1604,  par  demoiselle 
Antoinette  d'Aumale,  veuve  d'Antoine  de  Ligny,  premier  écuyer 
du  prince  de  Gondé,  et  en  1665,  par  messire  Pierre  Poncher, 
écuyer,  tous  qualifiés  sieurs  de  Beauregard. 

J'ai  prononcé  le  nom  de  Becoiseau  :  je  demanderai  la  permis- 
sion d'ajouter  ici  les  renseignements  recueillis  sur  cette  ancienne 
demeure  féodale,  devenue  la  propriété  de  l'un  de  nos  honorables 
députés,  M.  J.-B.  Josseau,  qui  s'est  créé  une  habitation  remar- 
quable et  de  très-beaux  jardins  sur  des  ruines,  tout  en  donnant 
à  ces  superbes  restes  un  aspect  des  plus  pittoresques. 

Voici  ce  que  j'écrivais  dans  le  cours  de  l'année  dernière  : 

((  Le  château  de  Becoiseau  est  très-probablement  (avec  celui  de 
Grèvecœur)  l'un  des  plus  anciens  de  la  Brie,  bien  que  sa  cons- 
truction soit  attribuée  à  la  reine  Blanche,  mère  de  Louis  IX.  » 

«  Ce  qui  paraît  positif,  c'est  que  Becoiseau  appartenait  aux 
comtes  de  Grécy  des  la  plus  haute  origine,  et  que  ces  comtes 
étant  seigneurs  de  Moressart  ou  Mortcerf,  il  est  présumable  que 
ce  sont  eux  qui  firent  édifier  le  château  et  la  chapelle  de  Notre- 
Dame  de  Lorette  en  dépendant,  dont  ils  restèrent  toujours  col- 
lateurs.  Ges  fondations  peuvent  remonter  au-delà  du  xiii''  siècle, 
car  un  titre  de  l'an  1217  lait  mention  de  cette  chapelle,  sous  le 
nom  de  chapelle  de  Mortcerf,  —  localité  qui  venait  d'être  érigée 
en  paroisse.  » 

«  Dom  Toussaint  Du  Plessis,  le  savant  bénédictin,  dit  dans  son 
histoire  de  l'église  do  Meaux,  tome  I",  page  267  :  —  «  A  Mores- 
»  sart,  il  y  a,  au  château  royal  de  Bec-Oiseau  qui  tombe  on  ruines, 
))  la  chapelle  Notre-Dame  de  Lorette  à  la  nomination  du  Roi.  » 
Gette  chapelle,  d'un  très-modique  revenu,  fut  unie  par  décret  de 
l'évoque  de  Meaux  (Mgr  de  La  Roche  de  Fontenille),  en  date  du 


(1)  Louis-Jean-Marie  de  Bourbon,  duc  de  Penthièvre,  dernier  héritier  des  fils  de 
Louis  XIV,  légitimés  de  France,  est  né  à  Rambouillet  le  16  novembre  1725.  Il  était 
issu  du  mariage  du  comte  de  Toulouse  et  de  Mme  Marie-Victoire-Sophie  de 
Noailles,  avant  veuve  de  M.  de  Goudrin. 


—  397  — 

2  janvier  1732,  aux  prébendes  de  l'église  collégiale  Saint-Georges 
de  Grécy.  » 

«  Il  est  donc  à  présumer  que  Becoiseau  eut  pour  possesseurs  et 
pour  hôtes  les  mêmes  comtes  que  le  château  de  Grécy.  Gomme  ce- 
lui-ci. il  devint  château  royal  par  suite  du  mariage  de  Jeanne  de 
Navarre  avec  Philippe  IV  (le  Bel).  D'après  l'abbé  Lebœuf,  ce  roi, 
au  retour  d'un  voyage  en  Ghampagne,  s'arrêta  pendant  quatre 
jours  (du  dimanche  47  au  mercredi  20  novembre  1308),  à  son 
château  de  Becoisea.u{Becum-Avis);  le  22  du  même  mois  on  le  ren- 
contre au  château  du  Vivier,  près  Ghaumes.  Gharles-le-Bel,  au 
mois  d'août  1326,  —  Philippe  VI  de  Valois,  le  30  août  1330 
et  au  mois  de  juin  1341,  ainsi  que  Jeanne  d'Évreux,  veuve  de 
Gharles  IV,  de  1338  à  1349,  datent  de  Becoiseau  {Becoisellum  villa 
regia  in  sylva  Grisiasensi  in  pagus  Briegio)  plusieurs  lettres,  titres 
ou  ordonnances  qu'on  retrouve,  en  partie,  dans  la  collection  des 
ordonnances  des  rois  de  France.  » 

((  Le  roi  Jean  II  (le  Bon),  était  à  Becoiseau  au  mois  de  janvier 
13S0;  c'est  de  cette  résidence  qu'il  rendit,  le  21  du  même  mois, 
son  ordonnance  sur  les  monnaies,  et  d'où  il  alla  visiter  le  seigneur 
d' Aigrefin  ou  des  Aigrefins,  dans  la  forêt  de  Grécy,  au  territoire 
de  Neufmoutiers,  à  une  lieue  de  Becoiseau.  » 

«  En  1645,  par  lettres  patentes  du  12  janvier,  le  domaine  de 
Grécy  (et  sans  doute  ses  dépendances)  fut  donné  par  Louis  XI  à 
Antoine  de  Ghabannes,  comte  de  Dammartin,  qui,  en  1428,  avait 
partagé  les  exploits  de  Jeanne  Darc.  A  la  mort  du  comte  de  Dam- 
martin, Grécy  fit  retour  à  la  Gouronne,  et  depuis  il  fut  presque 
toujours  tenu  à  titre  d'engagement  jusqu'à  l'époque  où  le  roi 
Louis  XV  en  fit  l'échange  avec  le  comte  d'Eu,  contre  sa  princi- 
pauté de  Dombes,  par  acte  du  19  mars  1762. 

»  Dans  la  nuit  du  4  au  5  janvier  1594,  le  sieur  de  Maulny  qui 
»  avait  autrefois  servi  le  Roi,  et  qui,  depuis  peu,  avait  pris  parti 
»  pour  les  ligueurs,  s'empara  du  château  de  Becoiseau,  sur  la  pa- 
»  roisse  de  Mauressart  (1).  d 

«  Au  xv!!!*^  siècle,  ce  château,  alors  démantelé,  une  ferme  qui 
s'y  trouvait  jointe  et  un  étang  qui  en  dépendait,  étaient  loués  par 
le  seigneur  engagiste  du  comté  de  Grécy  à  divers  particuliers  de 
Mortcerf. 

')  Avant  cette  époque  le  revenu  était  de  nulle  valeur,  ainsi  qu'on 

(1)  Toussaint  Du  Plessis.  Histoire  de  l'église  de  Meaux;  tome  I,  page  417, 
§  CXXXVlllj  d'après  le  manuscrit  de  Lenfant,  déposé  actuellement  à  la  bibliothèque 
publique  de  Meaux. 


—  398  — 

le  peut  voir  par  un  compte  du  domaine  de  Grécy,  portant  :  «  Ter- 
))  rages  de  Bec,  échéant  le  jour  Saint-Martin,  mais  non  perçus  de 
))  longtemps,  les  biens  sur  lesquels  ils  étaient  dus  étant  en  haut 
»  bois.  » 

«  Becoiseau  avait  été  érigé  en  capitainerie  suivant  ce  qui  résulte 
d'une  déclaration  fournie  au  terrier  de  l'église  Saint-Pierre  de  Pro- 
vins, par  «  Gaspard  Boutonnet,  garde  à  cheval  des  plaisirs  du  Roi 
»  en  sa  capitainerie  de  Becoiseau,  paroisse  de  Mortcerf,  demeu- 
»  rant  à  Chenoise,  détenteur  d'une  portion  de  la  maison  oii  pend 
»  pour  enseigne  l' Image  Saint-Pierre,  sise  en  la  rue  du  Murot 
»  (1)  »  —  (1662-1666.) 

En  réponse  à  une  question  de  M.  Josseau,  j'ajoutais  : 

«  Quant  aux  souterrains  qui  auraient  joint  Becoiseau  à  d'autres 
forts,  notamment  à  la  Malmaison  et  à  Crèvecœur,  la  tradition  en 
fait  mention  comme  de  chose  certaine  (2).  (Voir  ce  qui  a  été  dit  à 
ce  sujet,  page  393). 

»  Pour  s'assurer  d'un  fait  qui  n'est  pas  sans  intérêt  pour  l'his- 
toire locale,  il  serait  à  désirer  qu'on  pratiquât  vers  le  nord,  une 
tranchée  parallèle  et  au-delà  du  fossé  d'enceinte  de  Crèvecœur.  » 

Si  le  résultat  était  satisfaisant,  on  pourrait  alors  chercher  à  re- 
connaître, autant  que  possible,  la  direction  du  ou  des  souterrains, 
et  au  moyen  de  sondages  faits  de  distances  à  autres,  on  arriverait 
à  se  guider  d'une  manière  à  peu  près  certaine. 

Le  domaine  de  Becoiseau  a  été  vendu  en  exécution  des  lois 
sur  les  biens  devenus  nationaux.  Adjugé  le  4  messidor  an  VI 
(22  juin  1798),  au  citoyen  Pierre-Honoré  Barbereau,  homme  de 
loi,  demeurant  à  Melun,  celui-ci  en  a  fait  déclaration  de  command 
au  profit  du  citoyen  Jean-Baptiste  Beaujot,  chaufournier  à  Mort- 
cerf.  Le  montant  de  l'adjudication  était  de  310,000  fr.  sur  la  mise 
à  prix  de  13,563  fr.  75  c.  et  après  estimation  s'élevant  à  40,012 
livres  10  sous.  (3) 

Ce  domaine  appartenait  au  moment  de  la  vente  faite  au  nom  de 
la  République,  par  l'administration  du  département  de  Seine-et- 
Marne,  à  madame  Louise-Marie- Adélaïde  de  Bourbon-Penthièvre, 
veuve  de  Louis-Philippe-Joseph  d'Orléans,  duc  d'Orléans,  (Phi- 
lippe-Egahté)  déportée  conformément  à  la  loi  du  19  fructidor 
an  VL 

(1)  Archives  de  Seine-et-Marne,  série  G,  w"  33G,  fol.  78,  v°. 

(2)  M.  le  docteur  Robillard,  dans  sa  notice  sur  Crécy,  écrite  en  1852,  dit  avoir 
parcouru  la  partie  accessible  du  souterrain  qui  reliait  Crèvecœur  à  Becoiseau. 

(3)  Archives  départementale»,  acte  numéroté  65  F.  2. 


—  399  — 

La  désignation  suivante,  extraite  du  procès-verbal  d'expertise, 
pourra  donner  une  faible  idée  de  l'importance  qu'a  eue  la  for- 
teresse de  Becoiseau  : 

Art.  i.  — A  l'entrée  de  la  cour,  à  droite  du  couchant,  est  une 
tour  de  24  pieds  de  diamètre  sur  30  de  hauteur,  sans  plancher  ni 
couverture. 

Art.  2.  —  Attenant  la  dite  tour  est  un  grand  corps  de  logis  de 
80  pieds  de  long,  24  pieds  de  costière  et  25  pieds  de  large  dans 
œuvre;  les  pignons  en  costière  ont  3  pieds  1/2  d'épaisse;ir. 

Art.  3.  —  A  gauche  de  l'entrée  de  la  dite  cour  m\  une  tour  pa- 
rallèle à  la  précédente,  étant  dans  son  entier,  avec  créneaux  et  cou- 
verte. Elle  a  48  pieds  de  hauteur.  Un  escalier  pratiqué  dans  l'inté- 
rieur dessert  les  chambres  et  greniers  d'un  corps  de  logis  y  tenant. 

Art.  4.  —  Sur  la  ligne  de  l'article  2,  sont  d'anciens  vestiges  de 
bâtiments  d'une  longueur  de  956  pieds,  dont  les  murailles  de  6 
pieds  de  hauteur,  servent  de  clôture  à  un  jardin  potager. 

Art.  5. — Attenant  l'article  ci-dessus,  est  un  pignon  dans  tout 
son  entier,  d'environ  48  pieds  de  hauteur,  sur  30  de  face  et  3  1/2 
d'épaisseur,  contre  lequel  est  adossé  un  bâtiment  servant  de 
grange. 

Art.  6.  —  Tenant  à  cette  grange  sont  des  anciens  vestiges  de 
costières  d'un  grand  corps  de  logis,  bordant  au  midi  un  ancien 
fossé,  du  septentrion  la  cour,  du  levant  un  ancien  pignon  existant 
dans  toute  sa  hauteur. 

Art.  7.  —  Près  d'iceux  et  séparé  par  un  ancien  fossé  sont  des 
vestiges  de  bâtiments  faisant  face  au  levant  et  au  midi ,  contenant 
48  pieds  de  long,  28  de  large,  et  24  de  hauteur,  sur  3  pieds  1/2 
d'épaisseur. 

Art.  8.  —  Attenant,  et  du  côté  du  nord,  il  existe  une  pointe  de 
pignon  dans  laquelle  sont  3  ouvertures  d'une  porte  cintrée,  et  2  fe- 
nêtres également  cintrées.  Ce  pignon  est  d'une  hauteur  de  48  à  50 
pieds,  il  a  23  pieds  de  face  et  3  pieds  1/2  d'épaisseur,  avec  une  tour 
de  même  hauteur  y  tenant ,  et  ayant  14  à  15  pieds  de  diamètre, 
etc.  (1) 

L'enclos  de  Becoiseau  avec  l'emplacement  des  bâtiments,  anciens 
vestiges,  fossés  et  cours,  contient  13  arpents  73  perches  à  la  me- 
sure de  18  pieds  pour  perche  et  100  perches  pour  arpent,  soit  en 
mesures  nouvelles  4  hectares  70  ares. 

(1)  La  simple  inspection  de  ces  restes  fait  reconnaître  qu'ils  ont  appartenu  à  la 
chapelle  du  château. 


—  401    — 

ICONOGRAPHIE  DE  BRIE-COMTE-ROBERT 

ET    DES    LOCALITÉS     VOISINES, 

PAU  M.   CAMILLE   BERNARDIN, 
Membre  fondateur  (Section  do  Mclun). 


Cemmunication  faite  à  la  Section  de  Melnn,  de  Portraits,  Vues,  Flans, 

Dessins,  Armoiries, 
reoueillis  sur  la  ville  de  Brle-Comte-Robert  et  ses  anciennes  mouvances  féodales. 


i.  Costume  des  filles  de  la  Croix  de  Brie-Comte-Robert. 

2.  Gravure  concernant  la  Confrérie  du  Saint-Sacrement,  établie 
en  l'église  Saint-Étienne  de  Brie.  —  La  planche  a  été  gravée 
en  4766  des  deniers  de  cette  Confrérie. 

3.  Gravure  représentant  le  baron  de  Besenval  conduit  dans  le 
vieux  château-fort  de  Brie-Comte-Robert,  le  10  août  1789. 

4.  Reproduction  de  la  gravure  représentant  une  vue  de  la  tour 
Saint-Jean  du  vieux  château  de  Brie-Comte-Robert  (1835). 

5.  Reproduction  au  crayon  de  deux  ogives  de  l'ancienne  cha- 
pelle Saint-Éloi  de  l'Hôtel- Dieu  de  Brie-Comte-Robert  (monument 
historique). 

6.  Dessins  au  crayon  représentant  Louis,  duc  d'Orléans,  comte 
d'Angoulême,  Jean  d'Orléans,  comte  d'Angoulême,  et  Philippe 
Chabot,  amiral  de  France,  tous  trois  seigneurs  de  Brie. 

7.  Reproduction  à  l'encre  des  ciselures ,  figurées  au  fond  de 
deux  plats  en  étain,  appartenant  à  la  compagnie  des  arquebusiers 
de  Brie-Comte-Robert  en  1719  et  1722. 

8.  Esquisse  de  la  maladrerie  de  Saint-Lazare  de  Brie-Comte- 
Robert. 

9.  Dessin  au  crayon  représentant  une  tour  de  l'ancien  château 
deTournan. 

10.  Plan  et  devis  de  la  porte  de  ville  de  Brie,  dite  du  beau 
Guillaume,  1776. 

11.  Plans  relatifs  à  la  grande  route  de  Provins,  traversant  la 
ville  de  Brie,  1730. 

26 


—  -402     • 

12.  Élévation  de  l'ancienne  chapelle  Saint-Éloi  de  l'Hôtel-Dieu 
de  Brie-Gomte-Robert,  1715. 

13.  Plan  de  la  propriété  des  religieux  Minimes  de  Brie,  1779. 

14.  Plan  concernant  la  grange  dixmeresse  de  Brie-Gomte-Ro- 
bert (sans  date). 

15.  Élévation  de  la  propriété  des  Carmes  déchaussés  à  Brie- 
Gomte-Robert  (sans  date). 

16.  Plan  de  la  seigneurie  de  Goubert  et  la  Grange-Leroy. 

17.  Plan  de  Grisy,  le  Ménil,  Meunière,  Villemain,  Gherelle  et 
la  Blanchardière. 

18.  Plans  des  fiefs  de  Villiers,  Servolles,  les  Quins  et  Villepa- 
tour. 

19.  Plans  des  fiels  de  Gourquetaine  et  Montgazon. 

20.  Plans  des  fiefs  de  Montétis,  les  Agneaux  et  la  Grande- 
Romaine. 

21.  Plans  des  fiefs  deLésigny,  Perrolles,  la  Jonchère,  SousGar- 
rière,  Villarceaux,  Maison-Blanche,  la  Petite-Romaine,  et  des 
ruines  de  la  Ménagerie. 

22.  Plan  de  l'ancien  château  de  Brie,  en  1810. 

23.  Plan  général  de  la  ville  do  Brie,  antérieur  à  1789. 

24.  Plan  du  moulin  seigneurial  de  Gornillau,  en  1736. 

25.  Plan  du  3  brumaire  an  V,  indiquant  les  portes  fortifiées  de 
la  ville  de  Brie. 

26.  Plan  du  grand  moulin  banal  de  Brie,  1736. 

27.  Plan  de  Ghamprose,  levé  en  1756,  par  Ghaillou,  géographe 
du  Roi. 

28.  Plan  de  la  Queue,  par  le  même  (sans  date). 

29.  Plan  du  manoir  do  Mandegris-Uieuleman  et  du  moulin  de 
Mandegris. 

30.  Plan  de  Grisy,  la  Blanchardière  et  Gherelle,  1738. 

31 .  Plan  du  bois  du  parc  de  Brie,  oîi  sont  indiqués  la  ruine  de  la 
chapelle  de  Braye  et  les  fiefs  de  la  Borde,  Gossigny  et  la  chapelle 
Saint-Martin. 

32.  Plan  de  la  seigneurie  de  Lésigny,  château  et  parc,  1784. 

33.  Élévation  de  la  ferme  seigneuriale  de  Ghevry ,  1746 
(4 -feuilles). 

34.  Plan  de  la  seigneurie  de  Sansalle,  par  Ghaillou,  1762. 

35.  Plan  du  Ménil,  par  Ghaillou,  en  1762. 

36.  Plan,  sans  date,  de  Maries,  où  sont  indiquées  les  fortifica- 
tions et  les  portes  Saint-Roch,  Saint-Pierre,  Saint-Germain. 

37.  Plan  du  moulin  seigneurial  de  Ghevry,  en  1771. 


—  i03  — 

38.  Plan  do  la  iDaison  seigneuriale  de  Helle-Assise  (Villemo- 
neux,  commune  de  Brie)  1707,  où  sont  indiqués  les  fiefs  Mélian, 
de  la  Polie,  et  la  Ghapelle-Saint-Martin. 

39.  Fac-similé  d'une  plaque  en  cuivre,  trouvée  sur  la  tombe  de 
messire  Gaspard  Donneau  de  Vizé,  colonel  de  cavalerie  et  lieute- 
nant des  gardes  du  Roi,  décédé  à  Paris  le  8  octobre  1673,  et 
inhumé  dans  l'église  des  Minimes  de  Brie. 

40.  Pac-simile  d'une  plaque  en  cuivre,  trouvée  sur  une  boîte  en 
plomb  dans  l'église  des  Minimes  de  Brie,  et  renfermant  le  cœur 
de  François-Marie  de  Lhôpital,  duc  de  Vitry,  fondateur  de  cette 
maison,  décédé  en  1G79,  à  l'âge  de  57  ans.  Au  revers  de  cette 
plaque,  il  y  a  une  pleureuse  assez  bien  gravée. 

41.  Fac-similé  d'une  plaque  en  cuivre,  trouvée  dans  l'église  des 
Minimes  de  Brie,  sur  une  boîte  en  plomb  renfermant  le  cœur  de 
maître  André  de  Païot,  seigneur  de  Plovis  et  Gordon,  etc.,  décédé 
le  vingt-troisième  jour  de  septembre  1661,  âgé  de  37  ans. 

42.  Fac-similé  d'une  plaque  en  cuivre,  trouvée  au  même  en- 
droit, sur  une  boîte  en  plomb  renfermant  le  cœur  de  la  femme  du 
seigneur  ci-dessus  (sans  date). 

43.  Fac-similé  d'une  pierre  tombale,  trouvée  dans  la  chapelle 
Saint-Éloi  de  l'Hôtel-Dieu  de  Brie,  sur  le  cercueil  de  sœur  Anthoi- 
nette  du  Terte,  religieuse  pendant  quarante-deux  ans  en  cet  Hôtel- 
Dieu,  et  qui  mourût  le  19  mai  loo7.  —  La  religieuse  est  sculptée 
au  bas  de  cette  pierre. 

44.  Fac-similé  de  l'encadrement  qui  entoure  l'authentique  des 
reliques  de  sainte  Irénée  et  saint  Rufin,  provenant  de  l'église  des 
Minimes  de  Brie. 

45.  Plan  géométrique  de  l'église  de  Brie-Gomte-Robert,  avant 
la  révolution  (sans  date)  ;  les  chapelles  latérales  y  sont  indiquées 
sous  leurs  vocables.  (Monuments  historiques.) 

46.  Fac-similé  de  la  première  pierre  posée  lors  de  la  construc- 
tion de  l'ancienne  église  de  Grégy,  en  1540;  sur  cette  pierre  sont 
gravés  soixante-quatre  vers  français  (sans  signature). 

47.  Quarante  et  un  sceaux ,  concernant  la  ville  de  Brie-Gomte- 
Robert,  la  Société  populaire,  le  Gomité  révolutionnaire  de  cette 
ville,  etc. 

48.  Plans  de  la  terre  de  la  Heuse,  1770. 

49.  Plan  de  la  seigneurie  de  Vaulouis,  appartenant  aux  Garmes 
de  Brie,   dressé  par  Mahau,  en  1760. 

50.  Plan  de  Ghevry,  en  1737,  avec  légende  indiquant  le  nom 
des  habitants  à  cette  époque. 


—  404  — 

51.  Plan  de  Grisy,  en  1762,  dressé  par  Chaillou,  où  sont  indi- 
qués les  fiefs  et  arrière-fiefs. 

32.  Plan  de  Lésigny,  en  1738,  avec  légende  contenant  le  nom 
des  habitants  à  cette  époque. 

53.  Plan  de  la  fontaine  de  l'ancien  château  de  Brie,  1811. 

54.  Fac-similé  d'une  pierre  tombale ,  placée  par  les  soins  de 
M.  Camille  Bernardin  dans  l'église  de  Brie  ;  sur  un  côté  de  la 
pierre,  sont  représentés  un  prêtre  et  ses  assistants,  et,  au-dessous, 
la  date  du  décès  de  Pierre  Germain,  bourgeois  et  marchand,  de 
Braye-Comte-Robert ,  décédé  le  dimanche  d'après  la  mi-août 
1419.  —  De  l'autre  côté  de  la  pierre,  sont  représentées  plusieurs 
femmes,  avec  l'indication  (sans  date)  que  cette  épitaphe  a  été 
faite  antérieurement  au  décès  de  Marguerite,  femme  dudit  Pierre 
Germain. 

53.  Plan  du  bois  du  parc  de  Brie,  mai  1666. —  La  ville  de  Brie, 
son  château,  ses  fortifications,  etc.,  y  sont  figurés  en  arrachement 
et  en  élévation,  ainsi  que  plusieurs  autres  fiefs  et  seigneuries. 

56.  Fac-similé  de  dessins  et  légendes ,  d'après  les  anciens 
registres  de  la  Confrérie  des  vignerons,  dite  de  Saint-Vincent  de 
Brie-Comte-Robert. 

57.  Plan  géométrique  des  ruines  de  la  porte  de  la  petite  tour 
carrée  de  l'ancien  château  royal  de  Brie-Comte-Robert. 

58.  Trois  écussons,  représentant  les  armes  de  la  ville  de  Brie, 
d'après  trois  auteurs  différents. 

59.  Les  armes  authentiques  de  la  ville  de  Brie,  dessinées  d'a- 
près celles  qui  sont  figurées  sur  le  contre-scel  de  la  prévôté  de 
Braye,  pendant  au  bas  d'un  parchemin  de  1428. 

60.  Quarante-sept  écussons,  portant  les  armoiries  de  tous  les 
seigneurs  et  dames  de  Brie-Comle-Robert  qui  se  sont  succédé, 
sans  interruption,  dans  la  seigneurie  de  Brie-Comte-Robert,  de- 
puis 11 00  jusqu'en  1789. 

61.  Soixante-dix-huit  écussons,  portant  les  armes  d'autant  de 
seigneurs  qui  devaient  au  comte  de  Brie  foi  et  hommage,  aveu  et 
dénombrement  à  cause  de  leurs  seigneuries,  relevant  de  ce  do- 
maine en  plein  fief  ou  arrière-fief. 

62.  Plan  de  la  ville,  du  château  et  des  seigneuries  de  Brie- 
Comte-Robert,  dressé  par  Desquinemarre,  en  1736,  avec  légende 
rapportant  les  noms  de  tous  les  propriétaires  de  cette  époque. 

03.  Portrait  du  duc  de  Penthièvre,  dernier  seigneur  de  Brie, 
commencé  par  Fessard  cl  terminé  par  Aug.  de  Saint-Aubin. 


—  403  — 

NOTE  BIBLIOGRAPHIQUE 

SUR  QUELQUES  PUBLICATIONS  OFFERTES  PAR  M.  DUBOIS  (d'Amiens). 


Ayant  eu  l'occasion  d'entrer  en  relation  avec  M.  A.  Dubois,  chef 
de  bureau  à  la  mairie  d'Amiens  et  membre  de  la  Société  d'ému- 
lation d'Abbeville,  j'ai  été  chargé  d'offrir  en  son  nom  à  la  Société 
d'archéologie  de  Seine-et-Marne  diverses  brochures  dont  il  est 
l'auteur. 

Permettez-moi  de  vous  entretenir  un  instant  de  ces  publications, 
qu'aussitôt  leur  réception  j'ai  lues  avec  intérêt. 

Je  ne  mentionnerai  que  pour  mémoire  deux  notes  très-courtes, 
sur  la  formation  des  silex  et  sur  l'ancien  hôtel-de- ville  d'Amiens, 
afin  d'arriver  à  trois  opuscules  plus  importants. 

Le  premier,  sous  le  titre  de  la  Ligue  (104  p.  in-S"),  est  le  résul- 
tat d'une  étude  sérieuse  des  registres  de  l'échevinage,  conservés  à 
la  mairie  d'Amiens.  Le  récit  des  événements  et  les  réflexions  de 
l'auteur  laissent  presque  toute  la  place  à  des  renseignements  au- 
thentiques et  inédits,  extraits  de  ces  précieux  registres. 

La  première  assemblée  de  protestants  dans  la  ville  d'Amiens 
eut  lieu  le  8  mars  1360;  c'est  là  le  point  de  départ  des  recherches 
de  M.  Dubois,  qui  les  poursuit  avec  soin,  relevant  nombre  de 
faits  intéressants,  jusqu'à  l'entrée  de  Henri  IV  dans  cette  ville,  le 
18  août  1594.  Repoussés,  maltraités,  persécutés,  les  quatre-vingts 
religionnaires  de  1360  fir3nt,  paraît-il,  tant  d'adeptes,  qu'en  1367 
les  trois  quarts  de  la  population  amiénoise  suivait  la  religion  ré- 
formée. L'époque  de  la  Ligue  n'est  donc  pas  moins  féconde  en 
événements  locaux  dans  la  capitale  de  la  Picardie  que  dans  notre 
pays  meldois. 

Dans  sa  seconde  brochure,  M.  Dubois  publie  de  curieuses  re- 
cherches sur  la  justice  et  les  bourreaux  de  la  même  ville,  aux  xv" 
et  XVI''  siècles  ;  les  citations,  également  puisées  aux  sources  au- 
thentiques, donnent  l'idée  la  plus  exacte  du  sujet.  On  sait  déjà 
ce  qu'était  alors  et  comment  s'exécutait  la  justice  à  Amiens 
comme  ailleurs;  néanmoins,  M.  Dubois  a  mis  en  relief  de  nou- 
velles particularités.  Là,  toutes  les  juridictions,  —  police,  justice 
civile,  justice  criminelle,  étaient  réunies  dans  les  mains  de  l'ad- 
ministration municipale,  qui  s'attribuait  la   meilleure  part  des 


—   406  — 

amendes,  laissant  au  roi  une  sorte  de  décime.  On  voit  le  gibet 
dressé  pour  vol,  tandis  que  l'homicide  n'est  le  plus  souvent  con- 
damné qu'à  l'amende  ;  on  retrouve  la  condamnation  à  mort  de 
bestiaux  accusés  de  meurtre,  le  brûlement  de  livres  censurés,  l'ex- 
position au  pilori,  par  la  main  du  bourreau,  de  tuiles  mauvaises 
et  de  fausse  qualité.  Mais,  plus  loin,  nous  apprenons  qu'en  1442, 
on  pousse  la  cruauté  jusqu'à  enterrer  une  fille  toute  vive  pour  ses 
démérites;  qu'on  punit  de  verges  ceux  qui  sont  atteints  du  mal 
Mgr  Saint-Jean-Daptiste  ou  qui  contrefont  le  malade  de  molvais  mal. 
L'adultère  est  tenu  de  faire  amende  honorable,  le  cierge  à  la  main; 
une  tentative  de  viol  équivaut  à  un  souffleté!  entraîne  une  amende 
de  vingt  sols. 

La  superstition,  comme  on  saiL,  tenait  sa  large  place  dans  la 
décision  des  juges;  des  malheureux  sont  brûlés  vifs  comme 
blasphémateurs,  et  l'on  condamne,  en  1466,  Jehan  Lefebvre  à 
être  pendu  et  étranglé  pour  un  simple  larcin,  commis  le  jour  du 
bnoit  vendredi  que  N.  S.  J.-C.  mourût  pour  V humain  lignage.  Un 
siècle  plus  tard,  en  1S74,  une  marchande  paie  cinq  sols  d'amende 
pour  exposer  en  vente  des  fromages  ayant  la  forme  à' angelots. 

Le  bourreau  d'Amiens  était  un  personnage  ;  il  se  qualifiait  d'of- 
ficier de  la  Haute  Justice  et  n'avait  pas  seulement  dans  ses  attri- 
butions l'exécution  des  sentences  criminelles;  il  tenait  encore  cer- 
taines charges,  jouissait  de  toutes  exemptions  et  percevait  des 
droits  qui  n'étaient  pas  sans  importance.  Outre  son  traitement 
fixe,  par  exemple,  il  touchait  des  émoluments  pour  chaque  exécu- 
tion, avait  le  privilège  de  tenir  brelans  et  de  dixmer  sur  les  filles 
de  joie,  dont  il  conservait  toujours  la  direction;  il  percevait  aussi 
unepellée  de  sel  sur  chaque  bateau  abordant  au  quai,  une  pellée 
de  charbon  sur  chaque  voiture,  etc.  Maintes  fois  on  tenta  de  por- 
ter atteinte  aux  immunités  du  bourreau,  mais  des  délibérations  et 
des  arrêts  y  mirent  bon  ordre;  et,  lorsque  la  ville  voulut  appor- 
ter, au  XVI''  siècle,  des  réformes  sur  les  droits  de  ce  fonctionnaire, 
elle  fut  contrainte  pour  le  conserver  dans  son  emploi  de  lui  accor- 
der des  gratifications  à  toutes  les  bonnes  fêtes,  des  rémunérations 
et  compensations  exceptionnelles,  de  pourvoir  à  son  logement,  à 
son  chauffage  d'hiver,  etc. 

Enfm  ,  la  troisième  publication,  dont  j'ai  entrepris  de  vous 
rendre  compte,  est  une  étude  biographique  et  artistique  sur  Nico- 
las Blasset,  sculpteur  amiénois  (1660-16o9),  et  sur  sa  famille. 

Cette  notice,  accompagnée  d'un  portrait,  d'une  fouille  d'auto- 
graphes et  de  pièces  justificatives,  est  habilement  étudiée;  on  sent, 


~  407  — 

h  la  lecture,  qu'elle  est  d'un  compatriote,  recherchant  avec  plaisir 
tout  ce  qui  fait  honorer  la  mémoire  d'une  illustration  locale,  fouil- 
lant tour  à  tour  les  papiers  de  famille,  les  actes  de  l'état-civil  et 
les  minutes  de  notaires,  lorsqu'ils  peuvent  fournir  d'utiles  rensei- 
gnements. Mais  c'est  moins  à  ce  point  de  vue  que  je  dois  m'é- 
tendre  ici  sur  une  biographie  picarde,  qu'à  cause  d'une  particu- 
larité qu'elle  présente  et  qui  nous  intéresse  plus  directement.  La 
famille  Blasset  (d'Amiens)  ou  Blassel,  comme  le  préfère  M.  Du- 
bois, a  fourni  plusieurs  artistes  de  talent  dans  le  cours  des  xvi'  et 
xvir  siècles;  il  dit  un  mot  de  chacun  ;  sur  l'un  d'eux,  Pierre  Blas- 
set, né  le  12  janvier  1610,  —  le  plus  jeune  de  sept  enfants,  et 
cousin  seulement  de  Nicolas,  sculpteur  ordinaire  du  roi,  —  l'au- 
teur a  rencontré  fort  peu  de  renseignements  dans  le  cours  de  ses 
recherches.  Pourtant,  Pierre  Blasset  a  joui  d'une  certaine  réputa- 
tion. Il  est  vrai  qu'ayant  quitté  sa  patrie  vers  l'âge  de  trente  ans, 
il  a  dû  y  laisser  peu  de  traces  et  qu'il  n'y  revînt  pas  ;  à  peine  con- 
naît-on de  lui  quelques  sculptures  exécutées  dans  l'église  de 
Montdidier,  en  1641  et  1642. 

De  notre  côté,  nous  le  retrouvons  dans  la  Brie;  il  a  longtemps 
travaillé  à  Provins,  et  il  y  termina  même  sa  carrière. 

Lors  de  la  dernière  réunion  générale  de  la  Société,  nous  avons 
pu  admirer,  en  compagnie  de  plusieurs  confrères  qui,  assurément, 
en  ont  conservé  bon  souvenir,  le  rétable  d'autel,  les  boiseries 
sculptées  et  le  délicieux  tabernacle  de  l'église  Saint-Ayoul  de 
Provins  :  ils  sont  l'œuvre  de  Pierre  Blasset,  qui  les  avait  exécutés 
pour  l'église  des  religieux  Cordeliers  de  la  même  ville. 

Le  25  janvier  1663,  quand  Blasset  mourut,  on  l'inhuma  auprès 
de  ses  sculptures,  chez  les  Cordeliers,  ainsi  que  ses  deux  filles, 
mortesjeunes,  lesquelles,  suivant  la  tradition,  l'avaient  aidé  dans 
ses  travaux  les  plus  délicats. 

A  la  suppression  des  couvents,  les  sculptures  des  Cordeliers, 
heureusement  préservées  de  la  destruction,  ont  été  transportées  à 
Saint-Ayoul,  où  le  rétable  se  trouve,  il  est  vrai,  trop  à  l'étroit  et 
un  peu  défiguré.  La  sépulture  de  l'artiste  ne  quitta  pas  son  œuvre  : 
elle  a  été  aussi  apportée  dans  le  chœur  de  l'église  Saint-Ayoul,  et 
sur  une  dalle  carrée,  fort  modeste,  on  lit  l'inscription  suivante, 
déjà  signalée  par  notre  savant  vice-président,  dans  son  histoire 
de  Provins  : 

«  Cy  gist  honorable  honime  P.  Blasset,  natif  de  la  ville  d'Amiens, 
»  en  son  vivant  sculpteur  en  bois,  pierre  et  marbre,  qui  peu  de 
»  temps  auparavant  son  décez  a  faict  tous  ces  beaux  ouvrages  que 


)) 


—  408  — 

»  voyez  en  cette  église,  et  en  d'autres  lieux.  Ensuite,  N.  Seigneur 
1)  l'ayant  appelé  en  l'aage  de  51  ans,  le  25  janvier  1663,  p.  le 
1)  récompenser  de  la  félicité  des  bienheureux,  vu  les  soins  qu'il 
»  avait  apportés  pendant  le  cours  de  sa  vie  à  la  décoration  de  ses 
»  temples,  je  vous  supplie,  passant,  en  considérant  tous  ces  beaux 
édiffices  d'avoir  mémoire  de  lui  en  vos  prières,  au  moins  de  luy 
»  dire  un 

»  Resquiescat  in  pace. 

»   EtgissentaussyMagdeleine  et  Marie-Agnès  Blasset,  ses  filles. 
»  Fait  par- Pierre  Godot,  son  apprenti,  n 

L'auteur  des  boiseries  provinoises,  presque  inconnu  à  Amiens 
sa  patrie,  était  doué  d'un  talent  consommé,  qui  eût  mérité  dans 
le  livre  de  M.  Dubois,  une  mention  honorable  toute  spéciale;  son 
rétable  de  Saint- Ayoul  est  majestueux,  le  tabernacle  plein  d'élé- 
gance, de  délicatesse,  de  fini  ;  enfin,  les  boiseries  voisines  repré- 
sentant les  scènes  de  la  Bible,  témoignent  d'un  artiste  de  goût, 
qui  ne  manquait  ni  de  génie,  ni  d'originalité. 

Maintenant  qu'il  lui  est  signalé  plus  amplement,  M.  Dubois, 
dans  une  seconde  édition,  rendra  certainement  hommage  au  ta- 
lent de  Pierre  Blasset,  comme  il  l'a  si  heureusement  fait  pour 
d'autres  artistes  de  la  même  famille. 

Je  ne  doute  pas,  Messieurs,  que  l'envoi  gracieux  de  M.  Dubois, 
ne  soit  favorablement  accueilli  par  vous,  le  genre  de  ses  études 
rentrant  tout  à  fait  dans  notre  cadre. 

Avant  de  remercier  l'auteur,  qu'il  me  soit  permis  devons  pro- 
poser de  déférer  à  cet  ami  de  l'histoire  provinciale,  à  ce  chercheur 
consciencieux,  le  titre  de  correspondant  de  la  société  d'Archéologie 
de  Seine-et-Marne,  —  comme  le  Comité  central  l'a  fait  pour  un 
certain  nombre  d'érudits  et  d'archéologues  recommandables  par 
leurs  travaux. 

Si  vous  partagez  mon  estime  pour  les  publications  dont  je  vous 

ai  entretenus,  et  si  vous  appuyez  ma  proposition,  la  nomination  de 

M.  Dubois  —  pour  laquelle  rien  dans  nos  statuts  n'entraîne  des 

délais   nécessaires  lorsqu'il  s'agit  de  membres  titulaires  —  sera 

immédiatement  soumise  au  Comité  central  qui,  je  n'en  doute  pas, 

ratifiera  votre  décision  (1). 

Th.  Lhuillier. 
Melun,  13  août  1865. 

(l)  Cette  proposition  a  été  accueilliu  à  l'iiuuiiimilé  et  M.  Dubois  iiniiimé  iiieiiilne 
correspondant. 


—  409   — 

CAUSERIE  ARCHEOLOGIQUE  ET  LITTÉRAIRE 

SUR    LE    VERCINGÉTORIX, 
Poème  de  M.  BRÉAN, 

PAR  M.   MAXIME  BEAUVILLIERS, 
Membre  fondateur   (  Section  de  Fontainebleau  ). 


Bien  qu'elle  ne  compte  encore  que  deux  années  d'existence , 
notre  jeune  Société  archéologique  de  Seine-et-Marne,  s'est  déjà 
enrichie  d'un  certain  nombre  d'ouvrages  et  de  brochures  qui  lui 
ont  été  offerts  par  divers  membres  et  correspondants. 

Analyser,  critiquer  même  au  besoin,  d'une  façon  aussi  cons- 
ciencieuse que  courtoise,  les  œuvres  qui  nous  sont  adressées  par 
les  auteurs  ;  ce  sera  d'abord  un  moyen,  pour  ainsi  dire,  d'inven- 
torier notre  bibliothèque,  en  même  temps  qu'une  occasion  toute 
trouvée,  d'acquitter  une  dette  de  reconnaissance  envers  nos  dona- 
teurs. 

L'examen  attentif  et  sérieux  des  oijvrages  qui  garnissent  déjà 
les  modestes  rayons  de  nos  archives,  aura  cet  utile  avantage 
d'encourager  et  de  susciter  de  nouvelles  libéralités. 

Divers  motifs  m'ont  porté  à  choisir  de  préférence,  pour  but  de 
cette  causerie,  le  Vercingétorix  de  M.  Bréan,  correspondant  de 
notre  Société  ;  l'ingénieur  Giennois,  malgré  la  distance  qui  le  sé- 
pare de  nous,  a  déjà  pris  part  à  nos  travaux  et  a  lu  à  la  séance 
générale  de  Provins  une  étude  savante  sur  la  Gaule. 

Fouilles,  poèmes,  brochures,  tous  les  travaux  de  M.  Bréan  ont 
eu,  pour  but  unique  depuis  quatre  ans,  de  retrouver  l'emplace- 
ment du  Genabum  gaulois. 

«  N'aimer,  en  littérature,  qu'à  s'occuper  uniquement  du  pré- 
sent et  du  livre  du  jour,  c'est  aimer  la  mode;  c'est  suivre  et  cou- 
rir le  succès,  ce  n'est  pas  chérir  les  lettres  elles-mêmes.  Mais 
aussi  que  de  conditions  pour  se  reporter  à  loOO  ou  1000  ans  en  ar- 
rière !  Il  faut  tout  d'abord  se  recueillir  et  s'isoler  de  la  vie  pré- 
sente, puis  s'imposer  quelques  heures  de  retraite,  de  demi-ombre 
et  de  silence.  N'allez  pas,  à  vos  jours  de  communion  littéraire  avec 
l'antiquité,  lire  tous  les  journaux  du  matin!  » 


—  4i0  — 

Ces  sages  et  ingénieux  prétextes  d'un  sagace  et  spirituel  cri- 
tique, nous  sont  revenus  à  la  mémoire  en  jetant  les  yeux  sur 
l'ouvrage  de  M.  Bréan. 

Avouons-le  sans  détour,  ce  titre  de  Vercingétorix,  il  y  a  trente 
ans,  au  temps  où  brillait,  de  tout  son  éclat,  le  grand  drame  du 
moyen-âge,  eût  peut-être  étonné  la  critique  et  les  spectateurs. 

Actuellement,,  un  pareil  sujet  serait,  ce  semble,  plus  facile- 
ment accepté  du  public,  grâce  au  récent  décret  sur  la  liberté  des 
théâtres,  qui  a  inauguré  une  nouvelle  ère  pour  la  littérature  dra- 
matique, et  grâce,  surtout,  à  une  haute  influence  qui  a  su  diriger 
l'attention  de  savans  sur  l'époque  Césarienne. 

Si  l'on  veut  apprécier  avec  équité  l'œuvre  de  notre  confrère,  il 
convient,  nous  le  croyons,  de  se  retremper  par  la  pensée  dans  le 
milieu  historique  où  il  s'est  momentanément  placé.  L'admirable 
traduction  de  la  vie  de  César  de  Plutarque,  par  le  naïf  et  excellent 
Jacques  Amyot,  est  une  indispensable  préparation,  pour  asseoir 
un  jugement  définitif  sur  le  poème  de  M.  Bréan.  C'est  une  lecture 
préliminaire  que  l'on  peut  indiquer  aux  lettrés  et  aux  airieux  de 
notre  Société. 

Sans  grandes  complications  scéniques,  le  drame  de  M.  Bréan 
est  simplement  et  convenablement  agencé.  Le  premier  acte  se 
passe  en  forêt,  chez  les  Carnutes.  Un  otage,  un  chef  gaulois, 
Accon,  vient  d'être  assassiné  par  les  Romains.  Les  dévoués  com- 
pagnons d'armes  de  ce  guerrier  regretté,  déplorent  sa  perte,  quand 
survient  Vercingétorix.  Il  annonce  que  l'heure  de  la  délivrance 
est  venue  ; 

Si  vous  voulez  ma  vie, 

Pour  vous  sauver;  mon  sang,  pour  venger  la  patrie, 

Je  les  offre  avec  joie 

Je  veux  sauver  la  Gaule,  et  mourir  avec  vous? 

A  la  voix  de  Vercingétorix,  la  douleur  des  gaulois  s'apaise,  leur 
patriotisme  se  réveille  : 

Lui  seul  peut  nous  sauver  de  César  et  de  Rome, 

s'écrient-ils.  D'un  commun  accord,  le  commandement  suprême, 
(lia  super-intendance  générale  de  la  guerre,  »  suivant  l'ingénieuse 
expression  d' Amyot,  sont  confiés  à  Vercingétorix. 

Le  vieux  Camulogône  lui-même,  qui  semblait,  au  premier 
abord,  inquiet  et  jaloux  de  la  gloire  naissante  de  son  rival,  se  ré- 


—  4Ji  — 

concilie  avec  le  Jeune  Arverne,  et  lui  promet  la  main  de  sa  fille 
Gamma.  C'est  ainsi  que  le  drame  s'engage. 

Au  second  acte,  l'auteur  place  le  lieu  de  l'action  à  Genabura. 
Le  poète  fait  alors  place  à  l'archéologie,  et  c'est  à  ce  point  de  vue 
également,  que  son  œuvre  a  droit  à  notre  intérêt. 

Nous  sommes  dans  la  maison  d'un  jeune  et  élégant  patricien, 
le  romain  Cita,  séducteur  de  Gamma,  la  fiancée  de  Vercingétorix; 
le  tricliniu7n  est  richement  éclairé,  les  esclaves  achèvent  les  pré- 
paratifs d'un  festin  somptueux. 

Ici,  M.  Bréan  a  prodigué  la  couleur  locale,  et  nous  a  révélé 
toute  sa  réelle  érudition.  Rien  ne  manque  au  banquet.  Les  tables 
sont  garnies  de  murènes  que  l'on  engraisse  avec  du  son  gaulois, 
de  vin  de  Lesbos  que  l'on  vieillit  au  feu.  L'auteur  n'a  point 
oublié  le  piment  de  Narba,  les  vases  à  l'eau  de  rose  pour  les  ablu- 
tions. 

Et  le  linge  frangé  pour  essuyer  les  taehes. 

La  minutieuse  exactitude  de  la  mise  en  scène  rend  l'illusion 
complète,  et  l'on  pourrait  se  croire  transporté  à  dix-neuf  siècles 
en  arrière. 

Mais  l'infortunée  Gamma  va  bientôt  devenir  mère,  et  déjà  l'indo- 
lent et  blasé  chevalier  romain  paraît  indifférent  aux  charmes  de  sa 
belle  esclave.  Sourd  aux  prières  de  sa  maîtresse.  Cita  veut  la  sa- 
crifier et  la  jeter  en  pâture  à  son  lion  noir.  Irrité  par  la  lâcheté  de 
son  rival,  le  glorieux  vaincu  d'Alise  s'apprête  à  venger  son  amante. 
Sur  un  signe  de  Gamma,  le  bras  déjà  levé  de  Vercingétorix  re- 
tombe, et  Camulogène  immole  le  séducteur  de  sa  fille. 

M.  Bréan,  qui  s'était  scrupuleusement  conformé  à  la  vérité  his- 
torique pendant  tout  le  cours  de  sa  pièce,  a  cru  devoir  s'en  écarter 
au  dénouement.  On  sait  qu'après  six  ans  de  captivité,  Vercingé- 
torix fut  étranglé  dans  un  cachot.  L'auteur  a  préféré  nous  intro- 
duire au  milieu  d'un  amphitéâtre  romain,  garni  de  spectateurs. 
Vercingétorix,  Gamma  et  Camulogène,  qui  se  tiennent  étroitement 
embrassés,  sont  conduits  dans  l'arène ,  et,  sur  un  signe  de  César, 
ils  meurent  dévorés  par  les  lions. 

Amené,  comme  il  le  dit  dans  sa  préface,  par  de  précédentes 
études,  à  rechercher  tous  les  faits  contemporains  de  Vercingétorix, 
M.  Bréan  s'est  épris  d'un  rétrospectif  et  très-légitime  enthou- 
siasme pour  le  défenseur  des  villes  de  Bourges  et  de  Glermont  ; 
mais  ne  peut-on  pas  se  demander,  en  retour,  si  le  poète  n'a  pas  été 


—  412  — 

un  peu  trop  sévère  pour  Jules  César,  et  s'il  a  toujours  complète- 
ment rendu  justice  à  cet  incomparable  capitaine,  qui,  suivant  Plu- 
tarque,  «  se  trouva  en  cinquante  batailles  rangées,  toujours  plus 
»  faible  en  nombre,  jamais  vaincu,  toujours  vainqueur,  et  qui  en 
))  moins  de  dix  ans  que  dura  la  guerre  des  Gaules,  força  huit  cents 
n  villes  et  subjugua  300  nations?  »  D'ailleurs, 

Pour  les  héros  et  nous  il  est  des  poids  divers  ! 

Cette  belle  pensée  de  Lamartine  peut  s'appliquer  aussi  bien  à 
César  qu'à  Napoléon  I".  Nous  aurions  voulu  que  le  poète-archéo- 
logue oubliât  ses  griefs  contre  le  général  romain  pour  se  rappeler 
le  grand  historien  auquel  nous  devons  les  Connnentaires,  ce  livre 
écrit  d'un  style  si  pur,  nous  dit  l'illustre  Melunais,  dans  son  gra- 
cieux langage,  «  que  les  Muses  bien  peignées  ne  voudraient  ni 
«  ne  pourraient  parler  plus  exquisement.  » 

L'épreuve  de  la  représentation,  si  elle  doit  avoir  lieu,  démon- 
trera la  nécessité  de  plusieurs  coupures.  Ceci  nous  rappelle  un  aveu 
que  nous  faisait  un  jour  un  homme  d'esprit,  en  nous  offrant  son 
livre,  dans  lequel  il  indiquait  lui-même  des  corrections  indispen- 
sables :  «  La  première  édition,  disait-il,  devrait  toujours  n'être 
que  la  seconde.  »  Tous  ceux  qui  manient  la  plume  reconnaîtront 
combien  est  profondément  vrai,  le  mot  de  notre  correspondant. 

En  résumé,  la  muse  de  M.  Bréan  nous  paraît  plus  portée  à 
exprimer  la  tendresse  des  sentiments  que  l'énergie  des  passions. 
On  rencontre  d'heureuses  inspirations  dans  les  scènes  d'amour. 
Le  dialogue  est  naturel  et  bien  coupé.  Son  vers  iacile,  trop  facile 
parfois,  devra  se  prêter  aisément  à  la  récitation  théâtrale. 


—  413  — 
SUR  LA  FORMATION  SIMULTANÉE 

DU  PLATEAL'  ET  DES  VALLÉES  DE  LA  BRIE, 

Par  M.  Victor  PLESSIER;  Provins,  Lebeau,  1864,  m-8°  de  43  pages. 

COMPTE-RENDU  PAR  M.  l'aRRÉ  PETITHOMMË, 
Membre  fondateur  (Secrétaire  de  la  fiicction  de  Meaux). 


M.  PJessier  expose  avec  beaucoup  de  méthode,  dans  un  style  à 
la  fois  agréable  et  sérieux,  le  mode  de  formation  du  plateau  et  des 
vallées  de  la  Brie. 

Sa  théorie  consiste  à  expliquer  la  formation  du  plateau  de  la 
Brie  par  le  flux  et  le  reflux  de  la  mer,  et  celle  des  vallées  par  les 
mêmes  causes,  modifiées  sous  la  puissance  des  cours  d'eau  pré- 
existants. 

Une  description  topographique  place  tout  de  suite  le  lecteur  sur 
un  terrain  connu.  Prenant  possession  de  la  crête  qui  sépare  la  Brie 
de  la  Champagne,  et  forme  la  limite  extrême  du  bassin  géologique 
de  Paris,  entre  Montereau-faut-Yonne  et  Épernay,  il  embrasse 
ensemble  les  7,000  kilomètres  carrés  que  mesure  sa  superficie. 
L'auteur  divise  cet  immense  losange  en  sections  et  fait  remarquer 
que  les  altitudes  des  divers  sommets  de  la  ligne  de  partage  des 
eaux,  sur  la  rive  droite  delà  Seine  dans  la  Brie,  s'élèvent  graduel- 
lement de  l'ouest  à  l'est  ;  et  pareillement,  que  celles  de  la  rive 
gauche  de  la  Marne  présentent  une  progression  régulière  de  l'oc- 
cident vers  l'orient. 

En  conséquence  de  cette  loi,  il  établit  mathématiquement  le 
degré  métrique  d'élévation  des  points  culminants,  selon  la  longi- 
tude et  la  latitude. 

Les  collines  ont  généralement  une  double  pente,  dont  l'une  per- 
pendiculaire au  cours  d'eau  est  fortement  accusée,  l'autre,  longitu- 
dinale, est  moins  sensible.  Or,  il  résulte  de  ces  judicieuses  obser- 
vations des  appréciations  intéressantes  sur  la  formation  du  plateau 
et  des  vallées  de  la  Brie,  et  la  préexistence  des  cours  d'eau. 

(i  Le  plateau  s'est  formé  graduellement,  de  bas  en  haut,  par 
l'accumulation  lente  et  successive  des  matériaux  qui  le  constituent; 
le  flux  et  le  reflux  de  la  mer  ont  été  les  artisans  de  l'œuvre.   Venu 


—   414  — 

de  l'ouest  par  la  Seine  et  ses  affluents,  dans  le  sens  opposé  à  la 
double  inclinaison  du  plateau,  le  flot  s'est  étendu  aussi  loin  que  le 
poussa  la  force  d'expansion.  Il  s'est  élevé  sur  son  propre  travail 
par  la  puissance  de  la  marée.  Mais  chaque  rivière  a  maintenu  son 
cours,  en  expulsant  les  matières  qui  lui  eussent  fait  obstacle,  et  a 
ouvert  ainsi  la  vallée.  » 

Dans  ce  résumé  gît  tout  le  système  de  l'auteur.  Sa  théorie 
explicative  de  la  formation  du  plateau  est  fondée  sur  la  progression 
des  altitudes,  et  il  explique,  par  des  études  savantes  d'hydrogra- 
phie locale,  la  préexistence  des  cours  d'eau,  la  formation  des  vallées 
et  les  sinuosités  des  rivières.  Pourquoi  ici  ces  vastes  varennes? 
Pourquoi  cette  colline  qui  se  dresse  comme  un  mur  le  long  du 
courant,  tandis  que  sa  parallèle  correspondante  en  est  tant  éloi- 
gnée? Quelle  puissance  a  élevé  ce  contrefort  du  terrain  crétacé  qui 
porte  le  vieux  Provins,  aussi  bien  que  ces  coteaux  gracieux  et 
hardis  qui  l'entourent  comme  une  garde  d'honneur? 

Qui  donc  a  jeté  cette  butte  de  Doue,  découverte  de  tous  côtés, 
et  cette  autre  isolée  dans  la  plaine  deLumigny?  L'auteur  donne 
sur  toutes  ces  questions  des  développements  scientifiques,  des  so- 
lutions raisonnées. 

En  terminant,  il  repousse  le  système  de  formation  des  vallées 
par  érosion,  et  soutient  que  l'inclinaison  du  plateau  est  indépen- 
dante de  tout  soulèvement. 

M.  Plessiera  vraiment  rendu  attrayante  l'étude  des  phénomènes 
de  l'écorce  terrestre  de  notre  sol.  Il  sera  suivi  sans  doute  dans  la 
voie  qu'il  a  ouverte,  et  les  matériaux  scientifiques  s'accumulant, 
finiront  par  former  un  jour  la  carte  géologique  de  la  Brie,  qui  figu- 
rera très-bien  dans  nos  annales,  à  côté  de  la  carte  archéologique  de 
Seine-et-Marne. 


413 


CO:\IPTE-I\ENDU 

DES  PUBLICATIONS  DE  QUELQUES  SOCIETES  CORRESPONDANTES  (1  ). 


NOTES   BIBLIOGRAPHIQUES    ET   BIOGRAPHIQUES. 


Messieurs  et  chers  Confrères, 

Depuis  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  entretenir,  il  y  a  plusieurs 
mois,  des  ouvrages  offerts  à  la  Société  d'Archéologie  de  Seine-et- 
Marne,  de  nouvelles  compagnies  savantes  sont  entrées  en  corres- 
pondance avec  nous,  elles  sont  aujourd'hui  au  nombre  de  cin- 
quante. C'est  des  publications  que  plusieurs  d'entr'elles  nous  ont 
adressées  dont  je  vais  essayer  de  vous  rendre  compte. 

Ces  résumés  succincts,  consacrés  par  l'usage  dans  la  plupart  des 
associations  du  genre  de  la  nôtre,  ont  pour  objet  de  faire  connaître 
à  tous  la  direction  des  travaux  dans  les  autres  sociétés,  les  branches 
de  la  science  le  plus  en  honneur  chez  elles,  et  de  permettre  à  cha- 
cun de  consulter,  à  coup  sûr,  les  mémoires  qui  traitent  de  sujets 
selon  ses  goûts  ou  ses  besoins. 

J'espère,  Messieurs,  qu'en  raison  de  l'avantage,  sinon  de  l'inté- 
rêt, que  présentent  toujours  de  tels  résumés,  vous  ne  les  trouverez 
pas  déplacés  dans  nos  séances  particulières ,  et  que  plusieurs 
d'entre  vous  voudront  bien  suivre  mon  modeste  exemple,  et,  plus 
habiles,  se  charger  de  rendre  compte,  dans  une  prochaine  séance 
de  quelques  ouvrages  importants  qui  nous  ont  été  offerts. 

I 

La  Société  archéologique  de  la  province  de  Constantine  (Algérie) 
nous  a  fait  parvenir  ses  publications  de  1864  et  de  186o,  2  vol.  in-S" 
de  près  de  300  pages,  avec  planches. 

L'Afrique  septentrionale  est  très-féconde  en  monuments  an- 
tiques ;  aussi  les  mémoires  de  cette  Société  offrent-ils  un  intérêt 
particulier  pour  les  archéologues. 

Dans  le  volume  de  1864,  M.  Péraud,  interprète  de  l'armée,  a 

(1)  Lu  à  la  Section  de  Melun  au  mois  de  janvier  1866. 


—  416  — 

décrit  de  nombreux  monuments  algériens,  tout  h  fait  analogues  aux 
monuments  celtiques  de  nos  contrées:  des  cromlechs,  des  dolmens 
et  des  menhirs.  M.  le  commandant  Payen  a  signalé  des  inscrip- 
tions et  surtout  des  débris  hydrauliques  dont  le  travail  atteste  le 
séjour  des  Romains:  ce  sont  des  ruines  de  barrages,  de  canaux, 
de  travaux  d'assainissement  et  d'irrigation. 

Une  notice  intéressante  aussi,  est  celle  de  M.  Péraud,  sur  les 
Oulad-ald-en-Nour,  grande  tribu  de  la  province  de  Constantine, 
qui  compte  plus  de  20,000  âmes,  et  s'étend  dans  les  hautes  plaines 
entre  cette  ville  et  Sétif. 

Le  recueil  de  1865  renferme  de  nouvelles  indications  sur  des  ves- 
tiges de  l'aqueduc  romain  venant  de  Toudja  à  Bougie,  et  sur  di- 
vers autres  ouvrages  hydrauliques,  par  un  officier  de  tirailleurs, 
M.  Mélix;  une  notice  de  M.  Féraud,  sur  l'expédition  du  comte 
O'Reilly  contre  Alger,  en  1775  ;  diverses  notes  sur  des  fouilles,  sur 
des  inscriptions  arabes  et  romaines,  sur  des  inscriptions  funé- 
raires, etc. 

II 

La  Société  Eduenne  d'Autun  remonte  à  1836  ;  elle  a  consacré 
une  large  part  de  ses  ressources  à  l'impression  d'ouvrages  inédits, 
intéressant  l'histoire  du  pays  ;  elle  a  publié  aussi  des  annales  en 
1836-37,  18-44,  1845,  1853-57,  1860-62  et  1862-1864.  C'est  ce  der- 
nier volume  d'annales  qui  nous  a  été  offert  (in-8"  de  406  p.  et  pi.) 

M.  Am.  Thierry,  dans  son  rapport  lu  à  la  Sorbonne  en  1864, 
constatait  que  l'histoire  et  l'archéologie  locales  sont  menées  de  front 
à  Autun,  mais  on  peut  remarquer  que,  dans  cette  savante  Compa- 
gnie, les  antiquités  ecclésiastiques  forment  la  plus  large  part  des 
travaux.  Les  sujets  y  sont  ordinairement  bien  traités  et  les  mé- 
moires présentent  un  véritable  intérêt. 

Après  la  relation  (extraite  d'un  manuscrit  conservé  autrefois  au 
couvent  de  Château-Chinon)  d'un  mirach;  qui  a  guéri  une  fille 
possédée,  à  Quémigny-sur-Seine,  le  18  décembre  1698,  se  trouve 
une  étude  remarquable  sur  Jehan  de  Vesvres,  poète  latin  etérudit 
du  xvi^  siècle,  par  M.  de  Fontenay,  secrétaire  de  la  Société;  des 
notices  sur  les  maladies  épidémiques  qui  ont  affligé  Autun  depuis 
le  xvi"  siècle,  par  M.  le  d''  Guyton,  et  sur  la  correspondance  litté- 
raire de  Bénigne  Germain,  par  M.  do  Charmasse. 

A  côté  de  nombreuses  notes  sur  des  découvertes  d'inscriptions 
et  de  poteries  antiques,  à  propos  de  nouvelles  armoiries  sur  unsar- 


—  417  — 

cophage  du  musée  d'Autun,  sur  les  tombeaux  de  Morlet  (Saône-et- 
Loire),  sont  publiées  des  lettres  inédites  du  savant  abbé  Lebeuf, 
un  mémoire  du  même  auteur  sur  l'introduction  d'un  faux  culte 
dans  le  bréviaire  d'Autun  ;  deux  lettres  adressées  en  lo2o  par 
Jean  Munier,  avocat,  auteur  de  mémoires  historiques  sur  cette 
ville,  à  André  Duchesne,  historiographe  du  roi. 

Citons  encore  deux  articles,  l'un  biographique  sur  Jules  Carion, 
naturaliste,  par  M.  J.  Berger,  et  l'autre  bibliographique,  surSaint- 
Symphorien  et  son  culte,  par  M.  de  Charmasse. 

La  Société  Eduenne  a  annoncé,  en  outre,  à  notre  président,  l'en- 
voi prochain  de  trois  ouvrages  importants  publiés  par  ses  soins  : 

\°  Traduction  des  discours  d'Eumène,  par  MM.  l'abbé  Lan- 
driot  et  l'abbé  Rochet,  avec  le  texte,  des  notes  critiques  et  philoso- 
phiques, etc.  ;  Autun,  1854,  gr.  in-S"  ; 

2°  Étude  historique  sur  la  mission,  les  actes  et  le  culte  de  Saint- 
Bénigne,  apôtre  de  la  Bourgogne,  et  sur  l'origine  des  églises  de 
Dijon,  d'Autun  et  de  Langres,  par  M.  l'abbé  Bougaud;  Autun, 
1859,  gr.  in-8°; 

S"  Cartulaire  de  l'église  d'Autun,  par  M.  A.  de  Charmasse; 
1865,  in-4°  de  416  pages. 

III 

La  Normandie  est  riche  de  sociétés  savantes,  les  études  y  sont 
en  haute  estime,  et,  comme  l'a  encore  fait  remarquer  M.  Amédée 
Thierry,  si  les  travaux  historiques  fleurissent  dans  cette  grande  et 
belle  province,  si  la  Normandie  possède  beaucoup  de  savants  et 
produit  de  bons  livres,  c'est  qu'une  population  éclairée  s'y  inté- 
resse, c'est  que  les  pouvoirs  publics  s'empressent  de  donner  aux 
savants  une  sympathie,  à  la  publication  des  livres  une  assistance 
dont  les  uns  et  les  autres  ont  toujours  besoin. 

La  Commission  départementale  des  antiquités  de  la  Seine-Infé- 
rieure, avec  laquelle  nous  sommes  entrés  en  relations,  a  été  créée 
en  1818  par  un  préfet  longtemps  regretté,  M.  le  comte  de  Kerga- 
riou.  C'est  l'une  des  plus  anciennes  associations  scientifiques  de 
France,  pour  les  recherches  archéologiques  et  la  conservation  des 
édifices. 

Ses  archives  possèdent  des  documents  précieux,  la  plupart  iné- 
dits. La  Normandie  monumentale  lui  doit  beaucoup  :  elle  a  sauvé 
du  péril  bon  nombre  de  monuments  et  contribué  à  leur  restaura- 
tion. Mais  elle  a  peu  publié  jusqu'ici.  Le  volum.e  qm-  nous  avons 

27 


—  418  — 

sous  les  yeux  forme  le  recueil  des  procès-verbaux  des  séances,  de- 
puis 1818  jusqu'en  1848  (tome  P''),  que  la  Commission  a  fait  im- 
primer l'année  dernière. 

Nous  nous  bornerons  à  signaler  cet  intéressant  répertoire,  ne 
pouvant  songer  à  l'analyser  ;  il  ne  se  compose  lui-même  que  d'a- 
nalyses, dont  la  table  des  matières  ne  tient  pas  moins  de  cinquante 
pages  in-8°. 

Notons  cependant  une  date  en  passant,  que  nous  y  avons  relevée 
avec  plaisir  :  c'est  le  premier  pas  archéologique  fait  en  1834,  par 
un  des  plus  célèbres  antiquaires  de  notre  temps,  M.  l'abbé  Cochet, 
alors  séminariste  d'Étretat,  —  qui  ne  s'est  pas  arrêté  depuis  sur 
le  chemin  de  la  science,  et  que  la  Société  de  Seine-et-Marne  a 
l'honneur  de  compter  au  nombre  de  ses  correspondants. 


IV 


—  Académie  impériale  des  Sciences,  Arts  et  Belles-Lettres  de 
Caen;  in-8°  de  536  pages,  1865.  — 

Dans  le  volume  de  mémoires  que  vient  de  publier  cette  Académie 
et  qu'elle  nous  a  adressé,  la  littérature  tient  la  place  d'honneur. 
Nous  avons  pu  remarquer  aussi  que  les  membres  correspondants 
ont  produit  un  contingent  essentiel  pour  cette  publication. 

Quelques  savantes  études,  comme  celles  de  M.  Girault,  sur  la 
recherche  d'une  orbite  au  moyen  d'observations  géocentriques,  ou 
la  relation,  par  M.  Bichner,  du  voyage  arctique  du  d""  Berna,  re- 
présentent les  sciences.  L'histoire  de  la  province  ne  figure  \h  que 
par  une  bonne  étude  de  M.  E.  des  Essarts  sur  le  siège d'Honfteur, 
au  moment  de  la  Ligue.  Puis  viennent  les  belles-lettres,  qui 
tiennent  une  large  part  dans  le  bulletin,  et  y  sont  d'ailleurs  di- 
gnement représentées. 

M.  Caillemer,  membre  correspondant,  a  fourni  une  étude  sur 
le  jurisconsulte  Antoine  de  Govéa;  M.  A.  Joly,  des  réflexions  sur 
la  tragédie  au  xvii^  siècle,  à  propos  de  Corneille,  et  une  savante 
appréciation  d'Antoine  de  Montchrétien,  poète  et  économiste  nor- 
mand ;  on  doit  à  M.  Sorbier,  membre  correspondant,  des  pensées 
et  réilexions  morales  ;  à  M.  de  RobilJard  de  Beaurepaire,  membre 
correspondant,  une  étude  sur  les  satires  de  Sonnet  de  Gourval, 
poète  virois  du  xvii^  siècle^  etc. 

Des  souvenirs  littéraires,  par  M.  Théry,  recteur  de  l'Académie 
de  Caen,  donnent  des  détails  pleins  d'intérêt  sur  Lacretelle,  An- 


—  419  — 

drieux,  Picard,  Raynoiiard,  etc.  Un  élégant  tribut  est  payé  h  la 
poésie  par  Mme  Lucie  Gouëfûn;,  et  par  MM.  Julien  Travers  et 
Collas. 

N'omettons  pas  de  mentionner  un  compte-rendu  des  travaux  de 
l'Académie,  par  M.  Travers,  secrétaire  perpétuel,  et  les  rapports 
de  MM.  Maurière  et  Joly,  au  sujet  de  deux  concours  ouverts 
en  1865,  l'un  sur  le  rôle  des  feuilles  dans  la  végétation  des 
plantes  (prix  de  3,000  fr.),  et  l'autre  sur  Jean  Marot,  poète  nor- 
mand, père  de  Clément  Marot  (prix  de  500  fr.) 


V 


On  sait  que  Toulouse  aussi,  est  un  ardent  foyer  d'études  au 
milieu  duquel  son  Académie  impériale  des  Sciences,  Inscriptions 
et-  Belles-Lettres,  occupe  une  place  honorable.  Les  mémoires  de 
1864  (vol.  in-8''  de  475  p.)  forment  le  tome  II  de  la  vi'' série  de  ses 
publications. 

Ici,  le  domaine  est  partagé  franchement.  La  classe  des  sciences 
a  produit  des  travaux  sérieux  :  sur  la  théorie  de  la  génération  mo- 
dulaire et  ombilicale  des  surfaces  du  second  ordre,  par  M.  Tillol  ; 
sur  une  herborisation  à  Muret,  sur  les  eaux  potables  de  la  Haute- 
Garonne,  par  MM.  Filhol,  Desbarreaux  et  Lecassin,  sur  les  eaux 
thermales  de  Luchon,  sur  les  eaux  limoneuses  de  la  Garonne,  sur 
le  mode  de  formation  du  calcaire  et  de  la  dolomie  ;  sur  les  marais 
souterrains,  sur  le  mécanisme  de  l'audition,  etc.  etc. 

La  classe  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  nous  offre,  sous  ce 
titre  :  Un  Dieu  de  trop  dans  la  mythologie  des  Pyrénées,  une  notice 
intéressante  de  M.  Barry,  sur  un  hôtel  romain  dédié  à  un  pré- 
tendu dieu  Etéïoi  ;  M.  Astre  a  retracé  l'historique  de  l'ancienne 
Bourse  de  Toulouse,  en  rappelant  ses  attributions;  M.  Deval aîné, 
correspondant,  a  fait  des  recherches  historiques  et  archéologiques 
sur  la  commune  de  Montricour  (Mont-Rude)  ;  M.  Waïsse,  une 
étude  pleine  d'intérêt,  sur  le  philosophe  Lucilio  Vanini  (1585-1 6i9)  ; 
M.  Hamel,  un  mémoire  sur  les  origines  de  l'histoire  en  Grèce, 
et  M.  Baudouin,  une  introduction  de  l'histoire  de  France  au 
xi^  siècle. 

Ce  volume  contient  encore  des  notes  sur  quelques  découvertes 
d'antiquités,  deux  discours  des  présidents,  des  rapports  sur  le 
grand  prix  de  1864  (sciences),  par  M.  Filhol ,  et  sur  les  médailles 
d'encouragement  pour  l'étude  de  l'histoire  et  de  l'archéologie  lo- 


—  420  — 

cales,  par  M.  Baudouin,  ainsi  qu'un  résumé  des  procès-verbaux 
des  séances. 

Ces  travaux,  on  le  voit,  sont  importants,  et  le  président,  —  le 
savant  M.  Filhol,  de  l'École  de  Médecine  de  Toulouse,  —  nous  ap- 
prend que  le  recueil  ne  contient  pas,  à  beaucoup  près,  tout  ce  que 
l'Académie  a  produit  de  bon  et  d'utile  :  des  mémoires  importants, 
que  l'insuffisance  des  ressources  n'a  pas  permis  de  faire  entrer 
dans  les  publications  de  la  compagnie  savante,  ont  dû  paraître 
dans  divers  journaux. 

VI 

La  Société  archéologique  du  Vendômois  date  seulement  du 
mois  de  janvier  4861  ;  elle  a  grossi  peu  à  peu,  mais,  comme  l'in- 
dique son  titre,  son  domaine  ne  s'étend  guère  au-delà  de  Ven- 
dôme et  des  environs,  et  son  budget  n'est  pas  gros.  Néanmoins  elle 
a  publié  trois  petits  volumes  in-S",  qui  attestent  des  travailleurs 
sérieux  et  l'ont  avantageusement  placée.  Le  second  volume  (année 
1863)  est  épuisé;  il  n'a  pu,  conséquemmcnt,  nous  être  adressé; 
nous  avons  reçu  les  deux  autres.  On  assiste  d'abord  à  l'organisation 
de  la  Société  et  à  la  formation,  dont  elle  s'est  aussitôt  occupée,  de 
collections  comprenant  les  gravures,  la  numismatique  et  l'histoire 
naturelle.  Jeune  encore,  la  Société  Vendômoise  a  visité  Pezou,  —  le 
Belfogium  des  romains,  —et  Thoré,  où  elle  a  constaté  l'existence 
de  curieux  puits  funéraires;  elle  a  fait  exécuter  des  fouilles  ùTour- 
telines,  commune  de  Naveil;  enfin,  en  1864,  elle  signalait  à  la 
Sorbonne  la  découverte  du  théâtre  d'Areines,  et  recevait  du  minis- 
tère une  subvention  de  400  fr. 

M.  Launay,  secrétaire,  a  fait  un  rapport  sur  le  cimetière  gallo- 
romain  de  Pezou,  et  M.  Bouchet  est  entré  dans  quelques  détails 
sur  les  sépultures  anciennes.  M.  Achille  Lacroix  après  avoir  pro- 
posé la  rédaction  d'une  biographie  Vendômoise,  a  écrit,  pour 
donner  l'exemple,  la  vie  de  Maillé-Beuchart,  et  M.  Jeannotes- 
Bozérain  la  biographie  de  Ronsard.  M.  l'abbé  Tremblay  a  signalé 
la  découverte  d'un  monument  gallo-romain  entre  Landes  et  La- 
côme.  Des  notions  géologiques,  par  M.  Pilly;  des  études  de  nu- 
mismatique par  M.  Chautard,  un  résumé  météorologique  de  l'an- 
née 1867  par  M.  G.  Boutrais,  des  poésies  de  MM.  Ch.  Chautard 
et  Richard  de  La  Hautière,  varient  agréablement  les  travaux  et 
ont  dû  offrir  un  puissant  attrait  aux  réunions. 

M.  le  comte  Lacroix  de  Rochanib(iau  a  communiqué  l'extrait 


.—  421   — 

d'un  procès-verbal  de  translation  de  reliques ,  à  Vendôme ,  ce 
procès-verbal  conservé  à  la  bibliothèque  impériale,  est  relatif  aux 
reliques  de  saint  Candide,  saint  Donat,  saint  Boniface,  saint 
Didier  ,  saint  Benoist  et  sainte  Victoire,  tous  martyrs. 

Un  sujet  des  plus  intéressants  et  dont  on  s'est  beaucoup  occupé 
depuis  quelques  années,  les  silex  taillés  anté-diluviens  et  celtiques, 
ont  été  étudiés  par  M.  le  marquis  de  Nadaillac  et  par  M.  l'abbé 
Bourgeois,  qui  a  offert,  au  musée  Vendômois,  des  instruments  de 
pierre  provenant  du  Grand  Pressigny. 

Le  fief  de  Villeprouvaire  a  été,  de  la  part  de  M.  de  Trémaull, 
l'objet  de  recherches  dont  il  donne  le  résultat;  c'est  une  suite  des 
seigneurs  depuis  la  fin  du  xiv*^  siècle. 

M.  de  Déservillers  a  lu  une  vie  d'Hiklebert,  évêque  du  Mans 
au  xi^  siècle,  natif  de  Lavardin,  et  M.  de  Pétigny  fils,  un  mé- 
moire posthume  de  M.  de  Pétigny  père  (de  l'Institut),  sur  les  mo- 
numents celtiques  du  Vendômois.  A  propos  de  la  géographie  an- 
cienne. M.  Maréchal-Duplessis  a  communiqué  une  dissertation 
dialoguée  entre  Mercator  et  Hipparque ,  à  laquelle  se  trouvent 
jointes  deux  planches  de  mappemondes 'et  planistères  selon  Mer- 
cator ,  selon  tlipparque  (dont  le  système  est  modifié)  ,  et  selon 
M.  Babinet.  —  M.  Neilz,  cultivateur,  a  donné  sur  Beaufou  une 
notice  contenant  de  judicieuses  observations  sur  le  lieu  où  la  ba- 
taille de  Freteval  fut  livrée  en  H9-4. 

La  partie  bibliographique  a  également  sa  place  dans  ce  volume 
elle  comprend  le  compte-rendu  d'une  brochure  de  M.  Laudau, 
curé  de  Chousy,  sur  Notre-Dame  de  Villethiou,  au  diocèse  de 
Blois;  un  rapport  de  M.  Ch.  Bouclot,  sur  un  mémoire  géolo- 
gique et  historique  de  M.  de  Meckenheim  relatif  à  la  commune  de 
Ghauvigny,  —  et  un  autre  rapport  de  trois  sociétaires  sur  la  mo- 
nographie de  la  commune  de  Thoré,  par  M.  de  Rochambeau. 


VII 


La  Société  académique  de  BouIogne-sur-Mer,  fondée  en  1864 
et  dont  les  statuts  se  rapprochent  beaucoup  des  nôtres,  n'étend 
guère  l'admission  de  ses  membres  et  le  cercle  de  ses  travaux  au- 
delà  de  l'arrondissement  de  Boulogne.  Subventionnée  dès  son 
début  par  l'administration  municipale  et  par  le  conseil  général  du 
Pas-de-Galais,  cette  compagnie  a  pu  ouvrir  en  ISGo  un  concours 
où  la  science,  l'histoire  et  la  poésie  ont  été  admises.    Elle  n'a 


—  422  -- 

encore  imprimé ,  outre  son  règlement,  que  quatre  fascicules  pro- 
duisant 7'2  pages. 

Nous  citerons,  dans  ce  recueil,  plusieurs  communications  de 
M.  l'abbé  Haigneré,  secrétaire-général  :  sa  notice  sur  M.  Bou- 
chard-Chantereaux  et  sa  note  sur  une  inscription  romaine,  dé- 
couverte à  Boulogne,  transmise  à  la  Société  des  Antiquaires  de 
France,  et  dont  l'interprétation,  la  lecture  même  est  encore  fort 
douteuse. 

Un  autre  membre  titulaire,  M.  Hamy,  a  communiqué  deux  en- 
seignes de  pèlerinage  ;  l'une  d'elle  prouve,  une  fois  de  plus,  com- 
bien était  répandue  la  dévotion  au  patron  de  la  Brie  et  comment 
étaient  fréquentés  de  toutes  parts  les  célèbres  pèlerinages  au  tom- 
beau de  saint  Fiacre,  près  Meaux.  M.  Arthur  Forgeais,  dans  sa 
belle  collection  de  plombs  historiés  trouvés  dans  la  Seine,  a  pu- 
blié en  1863,  dix-huit  enseignes  de  saint  Fiacre,  parmi  lesquelles 
n'est  pas  décrite  l'enseigne  qui  vient  d'être  trouvée  à  Boulogne. 
Celle-ci,  attribuée  au  xv^  siècle,  est  en  étain,  carrée,  à  sommet 
triangulaire,  avec  quatre  anneaux  ou  bélières  pour  l'attacher  aux 
vêtements  ;  dans  le  champ  on  voit  saint  Faron  en  habits  épisco- 
paux,  crosse  à  senestre  et  mitre  ;  à  droite,  saint  Fiacre  vêtu  de 
l'habit  monastique  et  portant  la  bêche  traditionnelle  ;  à  gauche,  la 
Becnaude  qui  accuse  l'anachorète  de  sortilège  ;  on  lit  autour  de 
l'enseigne  la  légende  :  S.  FIACRE.  S.  FARON  HOVOPDEE. 

VIII 

Une  autre  société  nouvelle,  notre  voisine,  la  Société  Historique 
et  Archéologique  de  Château-Thierry,  créée  au  mois  de  septembre 
18G4,  nous  a  envoyé  le  premier  fascicule  de  ses  publications,  — 
32  pages  in-8°.  Ce  sont  les  procès-verbaux  des  séances  d'organisa- 
tion et  d'installation,  son  règlement,  des  rapports,  etc.  Dans  ce 
bagage  préliminaire,  nous  avons  rencontré  un  nom  nouveau  se 
rattachant  à  notre  biographie  départementale. 

Pierre-Faron  Hébert,  né  h  Meaux  au  milieu  du  xviii"  siècle,  a 
été  d'abord  curé  de  Mandres,  au  diocèse  deToul.  Lorsque  la  révo- 
lution éclata,  il  dut  se  réfugier  à  Château-Thierry,  chez  M.  Hou- 
det,  son  parent,  dont  le  fils  était  député  de  Meaux. 

L'ubbé  Hébert  était  un  homme  modeste  etdechétive  apparence, 
mais  instruit,  studieux,  lettré,  savant  même;  c'était  aussi  un 
homme  vertueux  ;  il  paraît  qu'une  brochure  sévère  qu'il  publia 
contre  l'usure,  lui  attira  assez  de  désagréments  pour  n'être  pas 


—  423  — 

compris,  en  1802,  dans  la  partie  active  des  prêtres  du  diocèse.  La 
sévérité  de  ses  principes  avait  déplu.  Ce  n'est  qu'en  mai  1807  qu'il 
fut  nommé  curé  de  Lucy-le-Bocage  ;  il  a  restauré  à  ses  frais  l'église 
de  sa  paroisse,  il  a  répandu  autour  de  lui  d'abondantes  et  discrètes 
aumônes,  et  s'est  livré  à  l'étude  jusqu'à  son  dernier  jour,  le  21  mai 
1818. 

A  Lucy-le-Bocage,  la  mémoire  de  l'abbé  Hébert  est  toujours  vé- 
nérée. Il  a  laissé,  comme  fruit  de  ses  loisirs,  deux  gros  volumes  de 
mémoires  pour  servir  à  l'histoire  de  Château-Thierry  (in-4''  de 
plus  de  600  pages  chacun).  Ce  manuscrit  existe  en  double,  à  la  bi- 
bliothèque du  séminaire  de  Soissons  et  à  la  cure  de  Château- 
Thierry  ;  ((  c'est,  dit  M.  l'abbé  Goumain,  secrétaire,  une  œuvre 
»  curieuse,  intéressante,  bien  pensée,  pleine  de  faits  inédits,  et 
»  qui  appelle  un  éditeur.  Un  livre  de  ce  mérite  ne  doit  pas  rester 
»  ignoré.  » 

IX 

Les  bulletins  de  la  Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest,  pour  les 
deux  premiers  trimestres  de  1865,  nous  sont  également  parvenus. 
Nous  n'avons  pas  besoin  de  rappeler  l'importance,  justement  ac- 
quise par  cette  Compagnie,  <(  qui  domine  le  mouvement  intellec- 
»  tuel,  non-seulement  en  Poitou,  mais  dans  les  provinces  environ- 
»  nantes,  quoique  dans  cette  région  chaque  département  ait  son 
»  centre  scientifique  particulier,  et  souvent  plusieurs.  » 

Outre  les  procès-verbaux  des  séances  mensuelles,  elle  a  fait  im- 
primer au^  commencement  de  cette  année  :  l'inventaire  de  seize 
chartes  du  xii''  siècle,  relatives  à  l'abbaye  de  Pontevrault,  travail 
dû  à  M.  Paul  de  Fleury  ;  des  notes  communiquées  par  MM.  de 
Longuemar  et  Ménard,  sur  l'enlèvement  des  mosaïques  et  la  ques- 
tion deVascia;  des  renseignements  donnés  par  M.  Mai^ry,  sur 
Bertrand  Ogeron  de  La  Brouère,  réformateur  des  flibustiers  de 
Saint-Domingue,  au  xv!!*"  siècle;  et  enfin,  une  notice  généalo- 
gique sur  la  maison  du  Plessis-Richelieu,  par  M.  Martineau. 

Ce  dernier  travail  est  fort  étendu,  plein  d'excellentes  recherches, 
mais  nous  devons  le  signaler  particulièrement  à  cause  des  rensei- 
gnements qui  s'y  rencontrent  sur  une  famille  dont  le  souvenir 
n'est  pas  étranger  à  la  Brie. 

On  ignore  assez  généralem.ent  que  c'est  grâce  au  médecin  de 
Charles  IX,  que  le  grand-père  du  futur  cardinal  de  Richelieu,  — 
Louis  du  Plessis,  —  fit  recevoir  son  fils  François,  enfant  du  roi. 


—  424     - 

< 

De  ce  jour,  la  famille  du  Plessis  eut  un  pied  à  la  cour.  Le  méde- 
cin du  roi  était  François  Pidoux,  de  bonne  noblesse,  et  poitevin 
comme  les  du  Plessis.  Cette  famille  Pidoux,  en  effet,  originaire 
des  environs  de  Ghàtellerault,  a  joui,  auprès  des  derniers  Valois, 
d'une  influence  à  laquelle  plusieurs  de  leurs  compatriotes  durent 
en  grande  partie  la  leur.  M.  Martineau  démontre  le  fait  qu'il 
avance,  par  le  passage  suivant  d'un  mémoire  manuscrit  dressé 
au  xvii'  siècle,  pour  prouver  l'anoblissement  des  Pidoux,  sous 
Henri  II  ;  ce  manuscrit  appartient  aujourd'hui  à  M.  Pidoux,  de 
Secondigny  (Deux-Sèvres)  : 

«  M.  François  Pidoux,  médecin  du  roy,  estoit  en  la  faveur  de 
»  la  reine  Catherine,  pour  raison  de  sa  science  et  expérience  et 
»  habileté,  ce  qui  lui  occasionna  souventes  foys  servir  les  gens  de 
»  son  pays  ;  M.  du  Plessis,  père  du  père  de  M.  le  cardinal  de  Ri- 
»  chelieu,  s'ayda  de  cette  faveur  par  la  femme  d'iceluy  ^^idoux,  fit 
»  nourrir  un  sien  fils  enfant  du  roy,  et  le  mit  en  chemin  de  la  for- 
»   tune,  lequel  fils  fut  père  de  M.  le  cardinal  et  prévôt  de  l'hostel.  » 

François  Pidoux,  médecin  recommandable  par  son  savoir,  mou- 
rut doyen  de  la  faculté  de  Poitiers,  en  1577.  Son  fils  Jean  devint  à 
son  tour  médecin  de  Henri  IV,  après  avoir  accompagné  Henri  III 
en  Pologne. 

Plusieurs  membres  de  cette  famille  occupèrent  d'honorables  po- 
sitions :  Pierre  fut  trésorier  de  France,  maire  de  Poitiers  de  1581 
à  1615,  et  mourut  à  quatre-vingt-six  ans,  le  8  mars  1036  ;  Jean 
était  maire  en  1618;  un  autre  Jean  Pidoux,  médecin,  fut  maire  en 
1631  (Voir  le  journal  de  Guillaume  et  Michel  Leriche,  p.  338, 
182  ;  voir  Dreux  du  Radier,  etc.l 

Un  membre  de  la  famille  Pidoux,  nommé  Jean,  vint,  dans  le 
cours  du  xvi'^  siècle,  s'établir  à  Coulommiers.  François,  son  fils, 
bailli  de  cette  ville,  eut  deux  enfants  :  Valentin,  qui  lui  succéda 
dans  sa  charge  en  1014,  et  Françoise,  qui  épousa  d'abord  un  nommé 
Le  Jay,  puis  Charles  de  La  Fontaine,  et  fut  la  mère  de  notre  im- 
mortel fabuliste. 

En  1687,  Henri  Pidoux,  de  Coulommiers,  se  qualifiait  seigneur 
de  Montangios  et  des  fiefs  de  La  Forte-Maison,  de  Bois-Tocquin  et 
de  Francheville-en-Brie. 

Enfin  cette  branche  de  la  famille  a  fourni  une  prieure  au  couvent 
de  bénédictines  de  Moret,  —en  1754  un  prieur  à  Saintc-Foy  de 
Coulommiers,  — et  à  l'église  de  Meaux  des  chanoines  et  un  doyen. 


—  425  — 
X. 

Je  ne  terminerai  pas  cette  communication,  sans  vous  signaler 
l'hommage  que  vient  de  l'aire  à  la  Société  M.  J.  Garnier,  secrétaire 
perpétuel  de  la  Société  des  antiquaires  de  Picardie,  du  Journat  de 
Jehan  Patte,  bourgeois  d'Amiens,  qu'il  a  publié  il  y  a  deux  ans 
(1  vol.  in-8°,  de  194  pages). 

Ce  journal,  rappelle  les  mémoires  de  Claude  Haton,  publiés 
par  notre  savant  vice-président  M.  Félix  Bourquelot  ;  il  date  de 
la  même  époque  et  donne,  pour  la  Picardie,  des  détails  sur  les 
mêmes  événements  que  notait  le  curé  du  Mériot  pour  la  Cham- 
pagne et  la  Brie. 

Jehan  Patte,  qui  vivait  au  temps  de  la  Ligue,  raconte  les  faits 
avec  exactitude,  avec  liberté  et  indépendance.  Dans  une  position 
extrêmement  modeste  (il  avait  été  journalier  jusqu'à  22  ans),  il  a 
laissé  de  curieux  mémoires  sans  prétention;  son  style  souvent  in- 
correct, est  simple  et  clair,  son  récit  parsemé  d'épisodes  anecdo- 
tiques  est  intéressant  :  comme  l'a  pensé  M.  Garnier,  la  chronique 
de  Jehan  Patte  a  une  valeur  sérieuse. 

Le  bourgeois  d'Amiens  cite  parfois  des  faits  qui  se  rattachent 
moins  étroitement  à  son  pays,  et,  dans  sonjournal,  nous  trouvons 
à  glaner  pour  la  Brie  : 

Page  60,  février  1590 ((Durantce  temps,  dit-il,  M.  leducdu 

Maine  estoit  à  Meaulx,  qui  attendoit  le  duc  de  Palme  (Alexandre 
Farnèse),  qui  foisoit  une  grosse  armée  pour  venir  lever  le  siège  de 
Paris;  celui-cy  y  arriva  le  2P  jour  d'aoust,  avec  une  belle  harmée, 
et  y  avoit  la  plus  grande  partie  des  princes  d'Espagne.  Entr'aultres, 
il  y  avoit  le  prince  de  Palme  (Parme),  le  prince  de  Cimay,  fils  du 
duc  d'Ascot,  chef  de  la  chevalerie,  le  marquis  de  Renty,  chef  de 
l'infanterie,  M.  de  la  Motte  et  M.  de  Cogny,  qui  estoient  raares- 
chal-des-camps,  M.  de  Monsdragon,  gouverneur  de  la  citadelle 
d'Amiens,  etc.  ;  ils  firent  la  monstre  générale  autour  de  Mieaulx, 
là  oii  on  admirait  la  belle  harmée,  et  les  aiant  mis  en  ordre, 
prindrent  Laigny,  en  passant  d'assault,  où  il  y  eut  grand  nombre 
de  gens  du  roi  tués  ;  de  là,  on  fut  droit  sur  Paris » 

Plus  loin,  —  à  la  fin  de  janvier  1594,  —  a  le  roy  estoit  devant 
»  La  Ferté-Milon,  l'ayant  siégée,  mais  M.  de  Guise  avec  lecomte 
»  Charles,  espagnol,  le  fit  lever  sur  le  commencement  de  lévrier, 
»  et  se  retira  à  Meaulx.  n 

On  y  trouve  aussi  le  récit  de  la  mort,  à  Doullens,  du  duc  de 
Nevers,  M.  de  Longueville,  seigneur  de  Gouiommiers. 


—  126  — 

Enfin,  Jehan  Patte  raconte  encore  «  que  le  jeudi  14  septembre 
»  1606  on  a  baptisé,  à  Fontainebleau,  Mgr  le  Dauphin  et  ses  deux 
»  sœurSj  encores  qu'on  eût  l'aict  dès  longtemps  grand  appareil  de 
))  magnificence  à  Paris,  mais  à  cause  de  la  grande  maladye  de 
»  pestilence  survenue  en  cette  ville,  on  fut  contraint  à  tout  faire  à 
»  Fontainebleau.  » 

Th.  L. 


—  4;J7  — 

FABLES 

PAR    M.     LABICHE, 
Membre  fondateur  (Section  de  Meliin). 


LA  PLEUR  ET  L'ABEILLE. 

Dès  que  paraît  l'aurore, 
Abeille,  je  te  vois  ; 
Tu  viens,  puis  tu  t'en  vas,  puis  tu  reviens  encore, 
Et  te  reposes  chaque  fois 
Sur  ma  corolle  parfumée. 
L'amitié  nous  unit  ;  dis-le  moi,  suis-je  aimée? 
Mais  las  !  pourquoi 
Ne  suis-je  comme  toi 
La  fille  de  Zéphyre? 
Pourquoi  ne  puis-je  errer  dans  le  céleste  empire? 
Je  suivrais  ton  vol,  car  je  crains 

L'inconstance. 
Déjà  plus  longue  est  ton  absence, 
Plus  tiède  est  ton  ardeur  ; 
Mais  ton  aile  frémit,  tu  vas  fuir,  et  peut-être 
Ne  te  verrai-je  plus  dans  ces  lieux  reparaître, 

0  douleur  ! 
Et  pourtant,  doux  abri,  nectar  de  mon  calice, 
Rien  ne  t'est  refusé  ; 
Tu  pars  !  reviendras-tu?  dis-le  sans  artifice. 

—  Que  veux-tu,  pauvre  fleur,  ton  miel  est  épuisé. 

Que  de  gens  imitent  l'abeille. 
En  rencontre  pareille. 


—  428  — 
•LE  ROSSIGNOL  ET  L'OTSELEUR. 

Habitant  d'un  riant  bocage, 
Un  rossignol,  la  nuit,  le  jour, 
Chantait  son  tendre  et  chaste  amour. 
Pris  aux  lacs,  il  fut  mis  en  cage, 
Et  plus  ne  soupirait  sa  voix. 

Pourquoi  tes  chants,  comme  autrefois, 
Ne  se  feraient-ils  plus  entendre. 

Lui  disait  l'oiseleur, 
Pour  toi  je  ne  cesse  de  prendre 
Des  soins  pleins  de  douceur  : 
Gage  dorée,  onde  nouvelle  et  pure. 

Délicieuse  nourriture. 
Dis-le,  manque-t-il  à  tes  vœux 
Quelque  chose  pour  être  heureux  ? 

Hélas  !  lui  répondit  la  douce  créature, 
Il  est  vrai  que  pour  moi  grande  est  votre  bonté; 
Mais  pour  qui  sent  le  prix  des  dons  de  la  nature, 
Il  n'est  pas  de  bonheur  dans  la  captivité. 
Rien  ne  vaut  notre  liberté. 


LE  FABULISTE  ET  JEAN  LAPIN. 

Des  hommes  sérieux,  on  peut  bien  le  prédire, 
Il  en  viendra  toujours  assez 
Pour  diriger  notre  navire, 
Au  travers  des  périls,  sur  sa  route,  pressés  ; 
Quant  au  commun  de  l'équipage, 
Est-ce  un  mal  s'il  n'est  sage 
Et  s'il  flotte  en  aveugle  au  gré  de  ses  désirs, 
Et  même  sur  l'écueil  s'il  rêve  les  plaisirs? 
Je  dirai  non,  c'est  ma  croyance  ; 
Tout  bien  considén'',  vive  l'imprévoyance! 
Mais  je  ne  prétends  point 
Faire  au  Lu  ri  lé  sur  ce  point  ; 


—  429  — 

En  cela,  s'il  vous  plait,  écoutez  bien  mon  maître, 

Vous  le  croirez  peut-être. 
Mon  ami  Jean  Lapin,  maintenant  à  nous  deux  : 
La  nature  à  mon  sens  te  fit  de  bonne  étoffe. 
Je  te  tiens  pour  un  sage  et  profond  philosophe  ; 
Causons  un  peu,  si  tu  le  veux, 
Des  appréhensions  qui  tourmentent  la  vie, 
Eclaire-nous,  je  t'en  convie  : 
J'aime  l'ombrage  et  le  calme  des  bois, 
Et  dans   la  solitude, 

Plus  d'une  fois 
Tu  m'as  servi  d'étude  ; 
Tu  pourrais  bien,  avec  raison, 
Du  chasseur  redouter  l'adresse  : 
Il  va  sur  toi  lancer  une  foudre  traîtresse. 
Tu  folâtres  encore  et  broute  le  gazon 
Sans  nulle  inquiétude  ; 
On  dirait  que  le  sort. 
Adoucissant  pour  toi  notre  instant  le  plus  rude. 
Veut  qu'en  jouant  tu  reçoives  la  mort. 
La  belette 
Est  là  qui  te  guette. 
Tu  devrais  y  songer  ; 
Car  pour  toi  ce  danger, 
Auprès  ou  loin  de  ta  demeure. 
Se  présente  à  toute  heure  ! 
Mais  bah  !  tu  ne  crois  au  péril 
Que  si  l'oreille  ou  l'œil  t'indique  sa  présence  ; 
Sans  encombre  pour  toi  ce  moment  passe-t-il, 
Tu  reprends  aussitôt  ta  gaie  indifférence. 
Et  te  voilà,  comme  devant. 

Cherchant,  flairant,  broutant 
L'herbe  tendre  et  fleurie 
Qu'au  bord  du  bois  nourrit  quelque  prairie. 

—  Eh  !  me  réplique  Jean  Lapin, 
Quand  la  crainte  ou  l'effroi  m'attristerait  sans  cesse 
Cela  changerait-il  les  arrêts  du  destin  ? 
Vous,  humains  inquiets,  qu'aucun  instant  ne  laisse 

Dans  un  véritable  repos. 
Que  la  peur  du  trépas  l'ait  trembler  jusqu'aux  os. 
Qui  prévoyez  ceci,  redoutez  telle  chose, 


—  430  — 

Qui  pleurez  aujourd'hui  pour  les  maux  de  demain, 

Même  pour  l'incertain, 

Et  qui,  de  tout  enfin. 

Allez  cherchant  la  cause. 
En  êtes-vous,  dites-moi,  plus  heureux  ? 
Vos  plaintes  et  vos  pleurs  me  disent  le  contraire. 
Eh  !  que  serait-ce  donc,  si  le  vouloir  des  cieux 

Ne  vous  faisait  prudent  mystère 
De  l'heure  oh.  doit  sur  vous  s'étendre  un  peu  de  terre? 
Mais  ce  serait  vraiment,  pour  vous,  cent  l'ois  mourir. 

Mon  ami  Jean  Lapin,  je  savais,  pour  finir. 
Que  ta  leçon  ne  pouvait  qu'être  bonne  ; 
Pour  le  moins  qu'on  raisonne, 
Et  qu'à  sonder  la  vie  on  ne  soit  pas  buté, 
On  voit  qu'approfondir  tout  effet  redouté 
Ne  nous  donne  que  triste  et  chagrine  science  : 
Et  qu'au  rebours,  l'imprévoyance 
Est  la  mère  de  la  gaîté. 


—  431  — 

BROCHURES 

OFFE»\TES  A  LA  SOCIETE    D'ARCHÉOLOGIE   DE  SEINE-ET-MARNE  (1), 
Far  M.  6.  LEROT^  membre  titulaire. 


Recherches  sur  la  maison  patrimoniale  de  Jacques  Amyot,  par  G.  Leroy.  Melun, 

imp.  Michelin,  1837,  in-S"  de  12  pages  avec  plan. 
Essai    biographique    sur    Sébastien    Rouillard,  avocat   au   parlement  de  Paris, 

historien  de  Melun,  par  le  même.  Imp.  Michelin,  1860,  in-8°  de  16  pages. 
nrérlcault  Destouches,  membre  de  l'Académie  française,  gouverneur  des  ville 

et  château  de  Melun,  par  le  même.  Paris,  Dumoulin,  1862,  in-8°  de  30  pages. 
IWotrc-»anie  de  Pringy,  son  culte  et  sa  légende,  par  le  même.  Paris,  Dumou- 
lin, 1862,  in-8o  de  11  pages,  sur  papier  vergé. 
Excursions  historiques  et  archéologiques  au  pays  de  Bierre,  par  le  même.  Melun, 

imp.  Michelin,  1862,  in-8"  de  46  pages,  sur  papier  vergé. 
Relation  des  miracles  opérés  par  les  reliques  conservées  à  Brie-Comte-Robert  au 

XV«  siècle,  publication  du  même  auteur.  Melun,  imp.  Michelin,  1862,  in-8°  de 

11  pages. 
li'effroyable  assassinat  commis  à  Sermaise,  commune  de  Bois-le-Roy,  par  la  bande 

des  chauffeurs,  le  17  germinal  an  IV.  Melun,  imp.  Hérisé,  1866,  in-8°  de  10 

pages. 
nfoticc  sur  les  épidémies  qui  ont  sévi  à  Melun,  par  le  même.  Imp.  Michelin,  1866, 

in-8°  de  24  pages. 
liCs  Archers  et  les  Arquebusiers  de  Melun,  par  le  même.  Melun,  imp.  Michelin, 

1866,  in  8»  de  21  pages. 
Molnn  sous  Henri  IV,  1590-1610,  par  le  même.  Imp.  Hérisé,  1866,  in-8o  de 

30  pages. 
Une  excursion  à  Chaumes-en-Brîe,  par  le  même.  Imp,  Hérisé,  1867,  in-8°  de 

20  pages. 

(1)  Voirie  1er  fascicule,  page  123,  pour  les  autres  publications  offertes  à  la  Société  en  1866. 


—  432  — 


EMATA 


p.  273  ligne  U 
36 
2Zi 
30 
1 
37 
28 


au  lieu  de  linta, 
—  corpéan, 


le  nom,  — 

cordonnet,      — 
id.  — 

aux  religieux,— 
s'amarât,         — 


lisez  :        lintea. 

—  Cospéan. 

—  les  noms, 
cordouan. 

id. 
aux  religieuses, 
s'amusât. 


21.  Le  relevé  du  cartulaire  doit  être  rétabli  de  la  manière 


P.  27Zi  — 
P.  276  — 
P.  278  — 
P.  279  — 
P.  281  — 
P.  282  — 
P.  285     — 

suivante  : 

^<  Elles  étaient  toutes  rompues  et  despécées  de  tous  costez,  et  ung 
«  peu  de  pierreriez  qui  estoient  à  Tentour,  la  plupart  estoient  cheuttes 
«  et  perdues  longtemps  avoient.  Le  résidu  a  faict  mectre  aulx  dictes 
«  chassez  et  a  faict  faire  le  devant  et  derrière  d'argent,  où  est  la  repré- 
«  sentation  des  dictes  Sainctes  fort  belle,  et  aulx  deux  costez  a  faict 
«  mectre  à  l'ugne  les  douze  Apostres,  et  à  Taultre  douze  belles  viergeS:  etc.  » 
P.  288  ligne  21,  au  lieu  de  Notre-Dame-de-Soissons,  lisez  :  Notre-Dame- 

de-Sens. 


TAELE  DES  MATIÈRES. 


SÉANCE  générale  et  publique  tenue  à  Meaux 

COMITÉ  CENTRAL.—  Extrait  du  procès-verbal  de  la  séance  du  16  avri 

PROCÈS-VERBAUX  des  sections  de  Coulommiers 

—  —  Fontainebleau 

—  —  Meaux     .    . 

—  —  Melun     .    . 

—  —  Provins  .     . 


1  1866 


Pages 
1 

15 

16 
23 
31 
39 
49 


TRAVAUX. 

COMPTE-RENDU  annuel  du  Trésorier  général,  par  M.  Courtois   ....        53 

ICONOGRAPHIE  DE  SAINT-LOUP,  empruntée  principalement  aux   monu- 
ments de  l'art  local,  par  M.  Grésy 65 

LES  CLOCHES  de    l'arrondissement  de  Fontainebleau,  par  M.  Tabouret    .        73 

NOTICE  historique  et  descriptive   sur  d'anciennes  peintures   de   la  chapelle 

Notre-Dame-du-Chevet,  dans  la  cathédrale  de  Meaux,  par  M.  l'abbé  Denis.  95 
UNE  FAMILLE  DE  PEINTRES  DU   ROI   à  Fontainebleau.  —  Les  Dubois 

(xvie,  xviie  et  xviii«  siècles),  par  M.  Th.  Lhuillier 105 

LES  GROTTES  DES  FÉES.  —La  Ferlé-Gaucher  -  Crouy-sur-Ourcq,    par 

M.  A.  Carro 115 

L'ANCIENNE  AUBERGE  DE  LA  BELLE-IMAGE,  à  Moret,  par  M.  Sollier.  121 

UNE  VISITE  A  SAIN'r'LOUP-DE-NAUD,  par  M.  G.  Leroy 125 

COMPTE-RENDU  des  dépenses  occasionnées   par   les  fouilles   de   la  place 

Notre-Dame  de  Melun,  par  M,  G.Leroy 129 

NOTICE  sur  un  double  denier  de  Sedan,  trouvé  dans  les  environs  de  Meaux, 

par  M.  DE  Gisoux 133 

CONSTANTINOPLE,    fragment   d'un    journal    de    voyage    en    Italie,    en 
Grèce  et  en  Turquie,  en  1861,  par  M.  Félix  Bourquelot 135 

LES  SOCIÉTÉS  PROVINCIALES  de  Brie  et  de-Champagne,'au  xvine  siècle, 
par   M.  le  comte  d'HARCOURi 183 

UN  CONCOURS  MUSICAL  AU   XVII^  SIÈCLE;  deux  maîtres   de  chapelle 

de  l'église  cathédrale  de  ]Meaux,  sous  Louis  XiV  etBossuet,  par  M.  Torchet.       187 
LE  COMMERCE  ET  L'INDUSTRIE  A  MELUN  avant  1789,  par  M.  G.  Leroy.      199 
NOTES  sur  les  antiquités  de  Champdeuil,  et  sur  un  sceau  du  comte  de  Varax, 
seigneur  de  Nanteuil-sur-Marne  au  XVIll^  siècle,  par  M.  Gaucher  .     .     .      221 


—  434  — 

LA  SUCCESSIOxN  DE  L'ABBP:  SEGUY,  parM.  Th.  Lhuillier 225 

NOTES  sur  la  fondation  des   CiHeslins  de  la  Sainte-Trinité  de    Marcoussis, 
par  M.  Lemaire 235 

ANTIQUITÉS    LOCALES.  —  Compte-rendu  dune  exploration  archéologique 
dans  la  ville  de  Fontainebleau,  par  M.   Beauvilliers 251 

BOSSUET  PARRAIN  A  BANNOST,  fragment  de  souvenirs  inédits  de  Bossuet 

dans  les  paroisses  de  la  confrérie  de  La  Ferté-Gaucher,  parM.  V.  Plessier.  263 

NOTE  sur  des  sépultures  trouvées  près  du  hameau  d'Epieds,  par  31.  Chemin.  269 

LES  RELIQUES  de  l'abbaye  de  Notre-Damede  Chelles,  par  M.  labbé  Torchet.  271 

L'ART  MONUMENTAL    dan?  ses   rapports  avec  les  idées   religieuses,  par 
M.  Kerckhoffs 295 

L'ANCIENNE  LÉPROSERIE  DE  MORET,  par  M.  Sollier 225 

LA  VENDANGE  DIVINE,  rétable  du  XVl^  siècle  sculpté  par  Jacques  Ségogne, 

dans  l'église  de  Recloses  près  Fontainebleau,  par  M.  Eug.  Grést.     .     .     .  333 

LA  BOUCHERIE  JURÉE  A  COULOMMIERS  EN  1503,  par  M.  Lem.ure  .     .  341 

NOTICE  sur  la  commune  du  Plessis-l'Évêque,  par  M.  l'abbé  Bécheret.     .     .  349 

LE  FOYER  D'UNE  CHEMINÉE,  par  M.  Chemin 359 

NOTE  sur  d'anciens  tombeaux  découverts  à  Melun,  dans  la  cour  d"honneur 
de  la  Préfecture,  par  M.  Lemaire 361 

NOTE  sur  un  vase  proveuanl  de  l'abbaye  de  Chelles,  parM.  Lefebvre-Thiérault.      365 

BOSSUET  parrain  des  grosses    cloches    de    Saint-Martin-des-Champs   et  de 
La  Ferté-Gaucher,  par  M.  V.  Plessier 367 

JEANNE  DARC  A  MELUN,  par  M.  Leroy 373 

ACCORJ»  ET  DÉLAISSEMENT  de  plusieurs  immeubles  par  M-neye  Fouquet 
à  des  créanciers  privilégiés;  communication  de  M.  Félix  La.ioye.     .     .     .      379 

NOTES  sur  Crèvecœur  et  Becoiseau,  par  M.  Lemaire .'Î89 

ICONOGRAPHIE    de    Brie-Comte-Robert    et    des    localités   voisines,    par 
M.  Camille  Bernardin 401 

NOTE  BIBLIOGRAPHIQUE  sur  quelques  publications  offertes  par  M.  Dubois 
(d'Amiens),  par  M.  Th.  Lhuillier 40.'} 

CAUSERIE   archéologique  et  littéraire    sur    le    Vercingétorix,   poème   de 
M.  Bréan,  par  M.  Maxime  Bealvilmers 409 

SUR  LA  FORMATION  SIMULTANÉE  du  plateau  et  des  vallées  de  la  Brie, 
par  M.  V.  Plessier;  compte-rendu  par  M.  l'abbé  Petitiiomme 413 

COMPTE-RENDU   des  publications  de  quelques  Sociétés  correspondantes, 
par  M.  Th.  Luuillier 445 

FABLES,  par  M.  Labiche  : 

La  Fleur  et  l'Abeille, 427 

Le  Rossignol  et  l'Oiseleur 428 

Le  Fabuliste  et  Jean  Lapiu 428 

BROCHURES  offertes  à  la  Société  par  M.    Leroy 431 

ERRATA  .     .     .  • 4.32 


ETTYCE 


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ER  LIBRARY