BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ D'ARCHÉOLOGIE
SCIENCES, LETTRES ET ARTS
DU DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-MARNE.
A Meaux, chez liE BliOIVDEIi, libraire de la Société.
A Paris, chez Auguste AUBRY, 16, rue Dauphine.
A Melun, chez M""^ V<= THUVIEN, libraire.
A CouLOMMiERS, chcz BRODARD, libraire.
A Fontainebleau, chez LACODRE, libraire.
A Provins, chez LE HÉRICIIÉ, imprimeur-libraire.
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ D'ARCHÉOLOGIE
■,-;-^'& Kê^^ch
SCIENCES, LETTRES ET ARTS
DU DÉPARTEiMENT DE SEINE-ET-MARNE
Fondée à MELUN, le 16 mai 1864
TROISIEME AIVIVEE
COf
MEAUX
TYPOGRAPHIE DE J. CARRO
l.tlIPniMBlJR DU BlILLETlrV OU LA KOl'IRTK
1866
SOCIETE D'ARCHÉOLOGIE
SCIENCES, LETTRES ET ARTS DU DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-MARNE
COMPOSITION DES BUREAUX POUR 1866 ET 1867.
BUREAU CENTRAL.
Présid' de la Société : M. Ad. Le Doulcet M'' de Pontécoulant.
Vice-Président de la Société : M. A. Carro.
Vice-Président honoraire : M. F. Bourquelot.
Secrétaire-général : M. Th. Lhuillier.
Trésorier général : M. Courtois.
Archiviste de la Société : M. Lemaire.
COMITÉ CENTRAL
{Composé de MM. les Présidents et des délégués des Sections, il se réunit sur la
convocation du Président toutes les fois que le besoin l'exige)
MEMBRES DU COMITÉ.
MM. Ad. Le Doulcet M'' de Pontécoulant. — A. Carro. —
A. Dauvergne. — J. David. — LeV'-'' de Ponton d'Amécourt.
— F. Lajoye. — Le C" B. d'Hargourt. — Courtois. — Le-
maire. — Lhuillier. — Bavard. — Thibault. — de Colombel.
— PoYEz. — F. Bourquelot.
COMMISSION DES FINANCES
{Réunion semestrielle au domicile du Trésorier général)
MM. Eymard. — Cauthion. — de Corny.
COMMISSION DU BULLETIN
MM. le G"' de Champagny. — Brunet de Presle. — Le V'^ de
Ponton d'Amécourt. — Le C"= de Fontaine de Resbecq. —
Le C'° de Circourt.
— VI
BUREAUX DES SECTIONS.
SECTION DE COULOMMIERS
(Réunion trimestrielle de la Section, sur convocation de son Président).
Président: M.Anatole Dauvergne. — Vice-Président: M. Prê-
chez. — Délégué : M. A. Bayard. — 1" Secrétaire-Trésorier :
M. F. Ogier de Baulny. — 2' Secrétaire : M. P. Lefèvre.
SECTION DE FONTAINEBLEAU
{La Section se réunit mensuellement le dernier lundi du mois.)
Président: M. J. David. — 1" Vice-Président : M. A. Tabouret.
— 2" Vice-Président : M. Gauthion. — Délégué : M. Thibault.
1" Secrétaire : M. Gaultron. — 2* Secrétaire : M. Maxime
Beauvillers. — Archiviste : M. Ghennevière. — Tréso-
rier : N.
SECTION DE MEAUX
{Réunion tous les deux mois, le premier lundi du mois)
Président : M. le V'^ de Ponton d'Amécourt. — Vice-Président :
M. l'abbé Denis. — Délégué : M. de Golombel. — Secrétaire :
M. l'abbé Petithomme. — Archiviste : M. Lefebvre-Thié-
bault. — Trésorier : M. Le Blondel.
SECTION DE MELUN
{Réunion mensuelle, le premier dimanche de chaque mois)
Président : M. F. Lajoye. — Vice-Président : M. Labiche. —
Délégué : M. Poyez. — 1" Secrétaire : M. G. Leroy. — 2° Se-
crétaire : M. Lhuillier. — Trésorier : M. Gourtois.
SECTION DE PROVINS
{Réunion tous les trois mois, sur convocation de son Président)
Président : M. le G'" B. d'Harcourt. — Vice-Président : M. J.
Michelin. — Délégué: M. F. Bourquelot. — Archivislc-
Gonservateur : M. E. Bourquelot. — Secrétaire-Trésorier :
M. Aug. Lenoir.
— VII —
LISTE ALPHABÉTIQUE
DES
MEMRES DE LA SOCIÉTÉ D'ARCHÉOLOGIE
SCIENCES, LETTRES ET AUTS.
Messieurs (1)
F Armaillé (comte d'), propriétaire, au château de La Rivière,
commune de Thomery; à Paris, rue de la Pépinière, 104.
P Arnoul (Auguste), propriétaire, à Maison-Rouge.
M Auberge (Victor), propriétaire, h Melun.
M Aude, conseiller d'arrondissement, maire, à Chaumes, ou à
Paris, rue Duphot, 15.
Mx Avène de Fontaine (baron d'), maire de Yillemareuil, pré-
sident de la Société d'horticulture de Meaux, au château
de Brinches, par Trilport (Seine-et-Marne); à Paris, rue
Notre-Dame-de-Grâce, 5.
G Avène de Fontaine (le vicomte d') propriétaire, à Gou-
lommiers.
M Ballu, docteur en médecine, secrétaire de la Société d'agri-
culture, à Melun.
M Bancel fils, docteur en médecine, à Melun.
G Barbier (L.), conservateur et administrateur de la Bi-
bliothèque du Louvre, à Paris, boulevard Saint-Michel, 95.
F 'Bardot, chef d'institution, à Nemours.
M Bareiller (P.), propriétaire, ù, Boissise-le-Roi, par Pon-
thierry.
Mx Barigny (Arsène), architecte, à Meaux.
F Baude, propriétaire, à Fontainebleau, et à Paris, 15, place
de la Madeleine.
G Baulny (Fernand Ogier de), propriétaire, à Coulommiers.
G Baulny (Gaston Ogier de), propriétaire, h Coulommiers, et
à Paris, rue Gasimir-Périer, 2.
(1) Les lettres qui précédent les noms indiquent les sections dont les membres
font partie. G, Coulommiers; F, Fontainebleau; Mx, Meaui; M, Melun; P, Provins.
— VIII —
G Bayard (Adolphe), maire de Maisoncelles, par Grécy (Seine-
et-Marne), et h Paris, rue Neuve-des-Mathurins, 108.
M Beauverger (le baron de), député de Seine-et-Marne au
Corps législatif, membre du Conseil général, à Chevry-
Cossigny, par Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne), et à
Paris, rue Saint-Georges, "2 bis.
F Beauvillieus (Maxime), membre de plusieurs Sociétés sa-
vantes, à Fontainebleau.
Mx Bécheret, curé de Monthyon, par Meaux.
F Bellom, ingénieur des ponts et chaussées et conseiller mu-
nicipal, à Fontainebleau.
M Bernardin (Camille), secrétaire-général des Sociétés d'horti-
culture de Goulommiers, Melun-Fontainebleau, avocat, h
Brie-Comte-Robert.
M Béthisy (marquis de), ancien pair de France, maire de
Mormant, rue de l'Université, 53, à Paris, et au château
de Bressoy, par Mormant (Seine-et-Marne).
P. Béville (le général baron Yvelin de), aide-de-camp de
l'Empereur , membre du Conseil général de Seine-et-
Marne, à Cerneux et à Paris, rue de la Pépinière, 73.
P Blanc, notaire, maire de Bray-sur-Seine.
Mx Blavette (de), au château de Montceaux, par Trilport, et ù
Paris, 32, rue Bellechasse.
F Blondeau, notaire, membre du conseil d'arrondissement, à
Voulx, canton de Lorroz-Ie-Bocage.
M Blot, artiste sculpteur, membre de plusieurs Sociétés sa-
vantes, à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais).
P BoBY de la Chapelle, ancien préfet, membre du Conseil
général, fi Provins.
M Bonnel'il (le comte de), membre de la Société française d'Ar-
chéologie, au château de Montjay, commune de Bombon,
par Mormant et à Paris, rue SainL-Guillaume, 3J.
G Bouilli': (le comte de), propriétaire, au château de Uam-
martin-sur-Tigeaux, par Mortcerf.
F BouiLLY, juge d'instruction, à Fontainebleau.
P BouRGEAT, avoué honoraire, maire de Provins.
Mx Bourgeois, h La Ferté-sous-.Jouarro.
F Bourges (Ernest), imprimeur, à Fontainebleau.
P BouHQUELOT ( Félix ) , professeur h l'École des Chartes,
membre do la Société des Antiquaires de France, membre
du Comité des travaux historiques et des Sociétés savantes
— IX —
au ministère de l'instruction publique; h Paris, rue du
Helder, 12, et à Provins.
P BouRQUELOT (Emile), adjoint au maire et bibliothécaire de
la ville, à Provins.
F Bouthillier-Chavigny (V^ de), président du tribunal de
Fontainebleau.
P Breville (Onfroy de), sous-préfet à Provins.
G Bruère, ingénieur civil, à Goulommiers, et à Signy-le-Grand
(Ardennes).
P Brl'net de Presle, membre de l'Institut, professeur à
l'École des Langues orientales, à Paris, rue des Saints-
Pères, 61, et à Parouzeau, commune de Vimpelles, par
Donncmarie (Seine-et-Marne).
Mx Burdel, ancien notaire, à Lagny.
P Burin, instituteur, à Saint-Just, par Nangis.
G Garbonnier, Juge d'instruction h Goulommiers et proprié-
taire, au château du Rû à Aulnoy.
Mx Garro (A.), bibliothécaire de la ville de Meaux, corres-
pondant du ministère de l'instruction publique pour les
travaux historiques et de la Société des Antiquaires de
France, à Meaux.
Mx Garro (Jules), imprimeur, à Meaux.
P Gattet, propriétaire, à Provins.
F Gauthion, avoué, adjoint au maire, à Fontainebleau.
Mx Gavé, propriétaire, au château de Gondé-Sainte-Libiaire, par
Gouilly.
P Gave (Honoré), fondé de pouvoirs de la Recette particulière
de Provins.
Mx Gère (P.), ancien préfet, directeur de la colonie de Mon-
tevrain, à Montevrain, par Lagny; à Paris, rue de Riche-
lieu, 79.
M Ghampagny (le comte de), à Trois-Moulins, par Melun, et à
Paris, rue Saint-Dominique, 46.
M Ghapu (Henri), artiste sculpteur, 1" grand Prix de Rome,
à Paris, rue Saint-Germain-des-Prés, 13.
G Charnacé (baron Paul de), conseiller à la Gour impériale de
Paris, rueGharles V, 15, et au château d' Aulnoy, par Gou-
lommiers.
Mx Charriou, instituteur, à Monthyon.
Mx Chasles (Philarète), professeur au Collège de France, à
Isles-les-Villenoy; à Paris, à la bibliothèque Mazarine.
— X —
P Chaubard, docteur en médecine, président de l'Association
médicale de l'arrondissement de Provins, à Donnemarie.
C Chemin, maire, à Saints, par Coulommiers.
F Chexnevière, bibliothécaire de la ville, h Fontainebleau.
Mx GiNOT (Amynthe), propriétaire, au Faubourg, commune de
Saint-Martin-les-Voulangis, par Grécy.
F CiRGOURT (comte Arthur de), propriétaire, à Fontainebleau ;
à Paris, rue Godot de Mauroy, 33.
F Claverie, membre du conseil d'arrondissement, à Fontai-
nebleau .
Mx Cochet, imprimeur-libraire, à Meaux.
Mx CoLOMBEL (A. de), membre du conseil d'arrondissement, h
Annet-sur-Marne, par Glaye-Souilly.
Mx CoNTESSE, propriélaire, à Villenoy, par Meaux; à Paris, rue
Saintonge, 61.
F CoRNY (Ethis de), receveur particulier des finances, à Fon-
tainebleau.
M GosTEAU, notaire, à Melun.
M GoTELLE (Amant), artiste peintre, à Melun.
G Gourgy (le comte de), conseiller-général, maire de Nesles, au
château de La Fortelle, par Rozoy; à Paris, rue Gasimir-
Périer, 25.
M Courtois, adjoint au maire, directeur-fondateur du Musée,
à Melun.
G Grévot, notaire et maire, à La Ferté-Gaucher.
M Damour (Léon), attaché au Cabinet du Ministre de l'inté-
rieur, à Paris, rue La Bruyère, 8.
M Dardenne fils, avocat, à Melun.
M Darnay, photographe, h Melun.
G Uauvergne (Anatole), peintre d'histoire. Officier d'académie,
membre non résidant du Comité impérial des travaux
historiques et des Sociétés savantes, conservateur honoraire
de la bibliothèque de Coulommiers, à Coulommiers.
F David (Etienne), ancien ministre plénipotentiaire, membre de
la Société franc. d'Archéologie, à Paris, rue de l'Oratoire, 7.
P David (Jules), inspecteur des ports, à Fontainebleau.
Mx Dkcoeur, propriétaire, à Lagny.
M Decouude, artiste peintre, à Melun. •
M Df;GOUT (l'abbé J.), aumônier de l'Hôtel-Dicu, à Melun.
M DicLAGOURTiE, ancien avoué, conseiller d'arrondissement, à
la Planche, commune de Perthes, par Ghailly-en-Bière.
6'
— XI —
F Delacroix-Frainville, propr., à Bois-le-Roi, près Melun.
M Delaforge (l'abbc E.), desservant la commune de Perthes,
par Chailly-en-Bière (Seine-et-Marne).
C De La Tasse, propriétaire, maire de Faremoutier, canton de
Rozoy.
C Delbet (Ernest), docteur en médecine, à La Ferté-Gaucher,
C Delbet (Jules), docteur en médecine, à Paris, 5, rue des
Beaux-Arts.
P Delettre, propriétaire, à Donnemarie-en-Montois.
P Delondre (Paul), maire de La Ghapelle-Saint-Sulpice, par
Provins.
F Demarsy , archiviste-paléographe , membre de la Société
française d'Archéologie, conservateur du Musée de Gom-
piègne, à Compiègne; à Paris, rue de Tournon, 12.
F Denecourt, propriétaire, à Fontainebleau.
Mx Denis (l'abbé F. -A.), chanoine de la cathédrale à Meaux.
M Despatys (Octave), vice-président du tribunal civil, à Melun.
G Despommiers (Pierre), membre du Gonseil général, à Gou-
lommiers; à Paris, rue St-Dominique-St-Germain, 55.
M Desprez (Ed.), docteur en droit, à Melun.
F Domet, sous-inspecteur des domaines et des forêts de la
Gouronne, à Fontainebleau.
M DoRLiN, licencié ès-sciences, chef d'institution, à Melun.
F DoRLY, propriétaire à Fontainebleau, et à Paris, boulevard
Beaumarchais, 70.
F DoRVET, secrétaire de la sous-préfecture, à Fontainebleau.
G DouMERG (Auguste), directeur de la papeterie du Marais, par
La Ferté-Gaucher.
M Drouyn DE LHUYs(Son Exe), sénateur, ministre des Affaires
étrangères, à Paris, au Ministère des Affaires étrangères.
F Dufay (Auguste), membre du conseil d'arrondissement,
maire de Souppes.
Mx Dufràigne, docteur en médecine, à Meaux.
F Dumesnil (Edouard), propriétaire, à Nemours.
F Dupont-White, économiste, à Paris, rue d'Angoulême-
Saint-Honoré, 11.
P DuRVELLE, curé de Vimpelle, par Donneraarie.
M Dussouy, inspecteur d'académie, à Annecy (Haute-Savoie).
F Elias, colonel, commandant militaire en second du palais de
Fontainebleau.
— XII —
M Erceville (le comte Gabriel d"), membre de la Société fran-
çaise d'archéologie, maire de Machault au château de Gha-
puis, par Le Ghâtelet-en-Brie, et à Paris, rue de Grenelle-
Saint-Germain, 11.
F Erceville (comte Ernest d'), maire de Vuîaines-sur-Seine,
par Fontainebleau , et à Paris, rue Sainte-Catherine-
d'Enfer, 1.
Mx EscuDiER (Léon), propriétaire à Villenoy, par Mcaux, et à
Paris, rue de Choiseul, 21.
M Eymard, chef de division à la Préfecture de Seine-et-Marne,
à Melun.
M FiCHOT, dessinateur, membre de plusieurs Sociétés savantes,
à Melun, et à Paris, 39, rue de Sèvres.
G Flamand, propriétaire, à Rebais.
P Fleurnoy, curé-doyen de Donnemarie.
M Fontaine (de Melun), avocat à la Cour impériale de Paris,
rue des Deux-Portes, 1.
M Forgemol, docteur en médecine, à Tournan.
F Fourneret, docteur en médecine, à Fontainebleau.
M FouRNiALS, Officier de l'instruction publique, principal du
Gollége, à Melun.
P Fourtier (Alphonse), chef de bureau au ministère des
finances, à Paris, rue de Berlin.
M Fraguier (le marquis de), maire du Mée, au château du Mée,
par Melun.
P Fresne (de), au château de la Boulaye, commune de Glos-
Fontaine, par Nangis, et à Paris, rue Bellechasse, 15.
M Fréteau de Pény (Héracle), maire de Vaux-le-Pénil , à
Vaux-le-Pénil, par Melun, ou à Paris rue Neuve-des-Ma-
thurins, 24.
M Fréteau de Pény (le baron) , conseiller référendaire hono-
raire à la Cour des Comptes, à Vaux-le-Pénil, par Melun,
et à Paris, rue de Verneuil, -47.
M Fuser (Jules), licencié en droit, à Melun.
M Gabry, manufacturier, aux Fourneaux, par Melun.
F Garceau, ingénieur de la navigation, à Melun.
M Gareau (Eugène) , ancien député , membre du Conseil-géné-
ral, à Paris, rue Duphot, 1-4.
M Gassies, artiste-peintre, à Barbizon (Chailly-en-Bière).
M Gaucher instituteur-archiviste, à Champdouil, par Guignes.
M Gaudard, premier adjoint au maire de McIun.
— XIII —
F Gaultron (Hippolyte), propriétaire à Fontainebleau, et à
Paris, passage Saulnier, 1.
F Gaultry (Paul), notaire à Fontainebleau.
M GiLLET DE Kerveguen (Henri), docteur en médecine, à Melun.
F GiLLET DE Kerveguen (l'abbé) , aumônier de l'hospice , h
Fontainebleau.
Mx GiLQuiN, négociant en meules, à La Ferté-sous-Jouarre.
Mx GiNOux de Lacoche (de), conservateur dos hypothèques, prési-
dent de la Société musicale et YittévaireV Orphéon, àMeaux.
M GoDiN (Auguste), fabricant d'ébénisterie artistique, à Paris ,
rue de Harlay (au Marais), 7.
M GoDiN (Eugène), sculpteur, h Paris, rue Lallier, 6.
F GoLDSCHMiDT, astrouome et peintre, à Fontainebleau.
M Goujon, curé de Ghampeaux, par Guignes-Rabutin.
F GuÉRiN, maire de la ville de Fontainebleau, membre du
Conseil général, à Fontainebleau, et à Paris, rue Laroche-
foucault, 6-i.
F GuiBOURG, sous-préfet, à Fontainebleau.
Mx GuiLLON des Brûlons, propriétaire, à Lagny.
P Harcourt (comte Bernard d') , ancien ministre plénipoten-
tiaire, à Melz, par Nogent-sur-Seine (Aube), o , rue Van-
neau, à Paris.
P Haussonville (le comte d'), ancien député , à Gurcy-le-Cha-
tel, par Donnemarie (Seine-et-Marne) , et à Paris, rue Saint-
Dominique , 101.
P Haut (Marc de), avocat, président de la Société d'Agriculture
de Provins, président du Comice agricole de l'arrondisse-
ment, à Sigy; à Paris, rue de Grenelle-Saint-Germain, 26.
M Hautôme, officier de l'instruction publique, inspecteur de
l'Académie de Paris, à Melun.
M Hennecart, maire de Tournan, ou à Paris, rue de l'Univer-
sité, 69.
M Hérisé, imprimeur, à Melun,
G Hoffmann , docteur en médecine, propriétaire du domaine
de Courdoux, à Courpalay.
M Hottinguer, à Lésigny, par Brie-Comte-Robert, et à Paris,
rue Lafitte, 17.
C Huguenot (l'abbé), curé de Voinsles, par Rozôy.
F Husson (le général), sénateur, à Fontainebleau.
P Husson, propriétaire, à Preuilly, près Donnemarie, et à
Paris, rue Saint-Honoré, 191.
— XIV —
F Jacquemin, fabricant de porcelaines d'art, à Fontainebleau;
à Paris, rue Paradis-Poissonnière, 52.
C JossEAU, député de Seine-et-Marne au Corps législatif, avocat
à la Cour impériale de Paris, Président de la Société d'hor-
ticulture de Goulommiers, maire de Mortcerf, canton de
Rozoy, et à Paris, rueSt-Honoré, 245.
M Kerchoff, professeur de langues vivantes, à Melun.
M Labiche père, propriétaire, à Melun.
Mx Labour, secrétaire particulier du Ministre de la Justice,
maire de Saint-Pathus, canton de Dammartin, et à Paris,
rue Taitbout, 9.
M La Chavignerie (E. Bellier de), employé honoraire à la Bi-
bliothèque impériale, 16, rue de Rennes, à Paris.
Mx Lafontaine (Achille), à Lagny.
F Lagatinerie (le baron de), commissaire général de la marine,
propriétaire à Fontainebleau.
M Laine (Victor), artiste peintre, à Barbizon, par Ghailly-en-
Bierre.
M Lajoye (Félix), maire, conseiller d'arrondissement, membre
de la Société géologique de France^ à Saveteux, par Le
Ghàtelet.
Mx Larabit, sénateur, ancien député de l'Yonne, à Luzancy, par
Saâcy (Seine-et-Marne), et à Paris, rue BellecUasse, 21.
M Lassus Saint-Geniès (le baron de), préfet du département de
Seine-et-Marne, à Melun.
C Lasteyrie (le comte Jules de), propriétaire au château de La
Grange-en-Brie (Gourpalay), par Rozoy; h Paris, rue
d'Anjou-Saint-Honoré.
M Latour, receveur municipal à Melun.
F Laurencel (de), propriétaire à Fontainebleau.
Mx Laurent, conducteur des ponts et chaussées, à La Ferté-
Jouarre.
M Laurent-Thomas, maire de Saint-Germain-lès-Gouilly.
M Lavalette (Vicomte de), propriétaire et ancien rédacteur en
chef de l'Écho du Moyide savant^ à Paris, quai des Géles-
tins, 6,.
F Lebeuf de Mongermont , membre du Gonseil général et
maire de Montereau, à Montereau-Faut-Yonne, et i\ Paris,
place Vendôme, 12.
Mx Le Blondel, libraire à Meaux.
M Le Brasseur, propriétaire à Melun.
— XV —
P Lebrun, sénateur, membre de l'Académie l'rançaise, à Pro-
vins, et à Paris, rue de Beaune, d.
F Lecat, ancien président du Tribunal de Commerce, conseiller
d'arrondissement, adjoint au maire de Montereau-Faut-
Yonne.
M Léchopié (Hippolyte), ancien magistrat, à Ablon (Seinc-et-
Oise), et à Paris, place de la Madeleine, 19.
Mx Lefebvre-Thiébault, négociant à Meaux.
C Lefèvre (P.), cultivateur aux Aulnois, commune de Saints.
M Lefèvre, architecte, à Brie-Comte-Robert.
M Leguay (Louis), architecte expert, membre de la Société d'An-
thropologie de Paris et du Comité d'Archéologie de Sentis,
président de la Société d'Archéologie parisienne, à Paris,
rue de la Sainte-Chapelle, 3.
P Le Hérighé, imprimeur à Provins.
F LELom, artiste graveur, à Fontainebleau.
C Leloup, architecte, à La Houssaye.
M Leloutre (Eugène), rentier, à Melun.
M LEMAmE, archiviste du département de Seine-et-Marne, à
Melun. ■
P Lenoir (Auguste), conducteur des ponts-et-chaussées, chef de
bureau, à Provins.
P Lepage (Napoléon), avoué à Fontainebleau.
P Lépinois (E. de), conservateur des hypothèques, à Clermont
(Oise) , associé-correspondant de la Société des Antiquaires
de France.
M Leroy (Gabriel) , archiviste de la ville de Melun , correspon-
dant de la Société archéologique de Sens, à Melun.
Mx Le Roy, olficier d'académie, docteur en médecine, à Meaux.
M Lhuillier (Théophile), secrétaire-greffier du Conseil de pré-
fecture de Seine-et-Marne, à Melun.
M Liabastres, directeur de la Maison centrale de détention, à
Melun.
C LiÉBERT (E.), archiviste; au château de La Grange-on-Brie
(Courpalay), par Rozoy.
G LiÉNART, ingénieur civil, à Mortcerf. canton de Rozoy.
G LiÉNARD (Eug.), percepteur des contributions à Saint-Ouen-
les-Rebais, par Rebais.
F LiTZELMANN (Léou), professcur à Paris, Avenue d'Antin, 1.
M LouvioT, photographe à Melun.
F Maloisel, docteur en médecine, à Fontainebleau.
— XVI —
G Marc (Edmond), propriétaire, à Goulommiers.
G Marceron, lieutenant de la gendarmerie, à Goulommiers.
G Marigot, notaire, à Rozoy-en-Brie.
F Marin-Darbel, propriétaire et conseiller municipal, à Fon-
tainebleau.
F Masson, juge suppléant à Fontainebleau.
F Matignon, propriétaire, à Fontainebleau.
Mx Maury (Alfred), membre de l'Institut, professeur au Collège
de France, à Paris, au pavillon de l'Institut, rue de
Seine, 1.
G Maussion (Ludovic de), maire de Goulommiers.
G Maussion (Anatole de), propriétaire à Coulommiors.
P MicHAUD, conseiller d'arrondissement, à Provins, et rue de
de Glichy, 9, à Paris.
P Michelin (Jules), propriétaire à Provins.
M Michelin (Henri), imprimeur, à Melun.
Mx MoRLOT, architecte de la ville de Meaux.
P MouLENQ, docteur en médecine, à Donnemarie.
G MoussiN, imprimeur à Goulommiers.
Mx Moustier (le comte Audéric de), membre du Conseil géné-
ral, à La Ghapelle-sur-Crécy, par Crécy-en-Brie, et à Paris
rue de Grenelle-Saint-Germain, 83.
F Multigné, propriétaire, à Fontainebleau.
G MuN (marquis de), propriétaire au château deliumigny, par
Mortcerf, et à Paris, rue la Ville-l'Evèque, 27.
F Neuflieux (de Mory comte de), inspecteur des domaines
et des forets de la Couronne h Fontainebleau.
M Neveux (le baron), ancien préfet, h Tilly-Saint-Fargeau, par
Ponthierry.
P NoAS (de), propriétaire au château do la Boullaye, commune
de Clos- Fontaine, par Nangis, et à Paris, rue Royale-Saint-
Honoré, 8. '
P Opoix (Félix), membre du Conseil général, ;\ Donnemarie.
G OiiioLi, ancien sous-directeur de la papeterie du Marais, h
F Ortmans, artiste peintre, à Fontainebleau.
Pontcharrc (Isère).
F Parvenchère, notaire, suppb'ant du juge de paix, à ]^]gre-
ville.
M Peiueu (J.-A.-N.), ex-médecin en chef de riiôtel impérial
des Invalides, Président de la Société d'Anthropologie de
— XVII —
Paris, correspondant de l'Institut d'Egypte, etc., à Paris,
rue de Grenelle-Saint-Germain, 22.
Mx Petithomme (l'abbé), curé de Villenoy, près Meaux.
Mx Plée (Henri), peintre-verrier, à Meaux.
G Plessier (Victor), ancien notaire, propriétaire à La Ferté-
Gaucher.
F PoLiGNAC (Comte de), général, commandant militaire du
palais de Fontainebleau.
Mx PoNTÉcouLANT (Ad. Le Doulcet , marquIs de), officier d'a-
cadémie, membre de plusieurs Sociétés savantes, rue de
Paris, 170, à Vincennes.
Mx Ponton d'Amécourt (le vicomte de), maire de Trilport,
associé correspondant de la Société des Antiquaires de
France, président de la Société française de Numismatique
et d'Arctiéologie, président de la Société aérostatique, à
Paris, 36 , rue de Lille.
M Poyez, avoué, maire de la ville de Melun, membre du Conseil
général, à Melun.
C Preschez (Eugène) , ancien notaire, propriétaire, à Paris,
rue du Mont-Thabor, 5, et à Coulommiers.
P Presle, architecte de la ville, à Provins.
M Prévost, secrétaire perpétuel de la Société d'Agriculture de
Melun, bibliothécaire de la ville, à Melun.
M Prieur, artiste peintre, à Barbizon, par Ghailly-en-Bière.
P PuYO, curé-doyen de Villiers-Saint-Georges.
M Quesvers fils, agréé à Montereau.
F Ratier, magistrat honoraire, à Fay, près Nemours.
G Resbecq (le comte Eugène de Fontaine de), sous-chef du ca-
binet du Ministre de l'Instruction publique, membre de la
Société française d'Archéologie , à Paris , passage Sta-
nislas, 3, et à Coulommiers.
F Riche, propriétaire, à Vulaines-sur-Seine, par Fontainebleau.
Mx RiDAN, propriétaire, à Villenoy.
M RoBLiN, pharmacien, à Brie-Comte-Robert.
F RoNsiN, entrepreneur, membre du Conseil municipal, à Fon-
tainebleau.
F Rouillé d"Orfeuil (le comte), propriétaire, h Fontainebleau.
M Roussel, docteur en médecine, à Paris, 26, rue des Fossés-
Saint- Jacques.
F Roux, notaire, à Nemours,
— XVIII —
M Roy, conducteur des ponts et chaussées, à Melun.
F Saint-Marcel, artiste peintre, à Fcntainebleau.
M Saint-Paul (P.-L. de), avocat, membre de la Société française
d'Archéologie, à Rubelles, par Melun, et à Paris, rue
d'Aguesseau, l.
F Sambucy, propriétaire à Fontainebleau.
Mx Savard fils , architecte, inspecteur diocésain, à Meaux.
M ScHREUDER, Capitaine retraité des sapeurs-pompiers militaires
de la ville de Paris ; président honoraire de la Société des
anciens élèves de l'École impériale des Arts et Métiers, à
Vaux-le-Pénil, par Melun.
G Séguin, docteur en médecine, à La Ferté-Gaucher, et h Paris,
rue de Seine, 68.
F Ségur (comte Louis de), membre du Conseil général, à
Lorrez-le-Bocage,et à Paris, rue de la Pépinière, 100.
M Senèque, architecte du département de Seine-et-Marne, à
Melun.
M Sertier, adjoint au maire de Dammarie-les-Lys, par Melun,
M SoLLiER, vérificateur des domaines à Melun.
M SouGiT père, notaire honoraire, à Milly (Seine-el-Oise).
F Tabouret, docteur en médecine, à Fontainebleau.
P Teyssier des Farges, maire de Pecy, membre du Conseil
d'arrondissement, au château de Beaulieu , commune de
Pecy, par Jouy-le-Châtel, et à Paris, rue de Berlin, 14.
P Teyssier des Farges (Georges), au château de Beaulieu,
commune de Pecy, par Jouy-le-Ghâtel, et à Paris, rue de
Berlin, 14.
F Thibault, officier de l'instruction publique, propriétaire, à
Fontainebleau.
Mx Thiébaut (Adolphe), propriétaire au château de Brou, et à
Paris, rue Paradis-Poissonnière, 26.
Mx Torchet , inspecteur des Orphéons de Seine-et-Marne , à
Meaux.
Mx Torchet (l'abbé), curé de Chclles.
M ToREL, médecin h Brie-comlc-Robert.
M Trémisot, bibliothécaire-adjoint, à Melun.
Mx Troublé, trésorier du bureau de Bienfaisance, à Meaux.
M Valmer, (vicomte de). Président honoraire de la Société
protectrice des animaux, maire h Fontaine-le-Port, par Le
Châtelet, à Paris, rue Saint-Guillaume, 14.
G VARENNEs(le marquis Eugène de Goddes de), propriétaire, à
— XIX —
Coulommiers, et à Paris, avenue de la Reinc-Horîcnse, 9.
Mx Vernois, membre de l'Académie impériale de Médecine,
médecin de S. M. l'Empereur, au château du Vivier,
maire de la commune de Goutevroult, par Crécy, et à
Paris, rue d'Isly, 17.
Mx Véron (Léon), clerc de notaire, à Nanteuil-sur-Marne, par
Saâcy.
Mx Vesseron fds, architecte, à Meaux.
M ViLLEMESSANT (H. de), homme de lettres, à Saint- Port, ar-
rondissement de Melun, et à Paris, 21, boulevard Mont-
martre.
— XX —
LISTE DES MEMBRES CORRESPONDANTS.
Messieurs,
Barthélémy (Anatole de), membre de la Société des Antiquaires
^e France et de la Commission de Topographie des Gaules , à
Paris, rue d'Anjou-Saint-Honoré , 9.
Bertrand (Alexandre) , id. — à Paris, rue des Mathurins-Saint-
Jacques, 11.
Bréan, ingénieur, membre de plusieurs Sociétés savantes, à
Gien (Loiret).
Broca, professeur à l'école de médecine, secrétaire de la Société
d'anthropologie, à Paris, 1, rue des Saints-Pères.
Canéto, vicaire général du diocèse d'Auch, directeur de la revue
archéologique de Gascogne.
Gamusat DR Vauxgourdon, membre de la Société française d'Ar-
chéologie et de la Société académique de l'Aube, à Troyes.
Garlier (l'abbé), président de la Société archéologique de Sens.
Gaumont (le vicomte de), membre correspondant de l'Institut,
directeur de l'Institut de Provinces et de la Société française
d'Archéologie , à Gaen.
Ghabouillet, conservateur-directeur du cabinet des médailles à
la Bibliothèque impériale , secrétaire du Gomité des travaux
historiques, rue Boursault, n° 22, à Paris.
Ghalle , président de la Société des Sciences do l'Yonne , à
Auxerre.
Gharma, secrétaire de la Société des Antiquaires de Normandie,
à Gaen.
Ghalvet, docteur-médecin, 25, rue des Gravilliers, Paris.
Glairefond (Marins), ancien élève de l'école des Ghartos, négo-
ciant, membre de plusieurs Sociétés savantes , à Moulins, et à
Paris, chez M. Glairefond, 27, rue des Vieux-Augustins.
Gochet (l'abbé), correspondant de l'Inslitut, membre; non rési-
dant du Gomité des travaux historiques, inspecteur des monu-
ments historiques de la Seine-Inférieure, correspondant de la
Société des Antiquaires de France, etc., h Dieppe.
Qotteau, Juge au tribunal d'Auxerre, membre de la Société des
— XXI —
sciences historiques de l'Yonne et de la Société française d'ar-
chéologie.
CouRMONT (H), directeur de l'administration des Beaux-Arts au
ministère de la maison de l'Empereur, h Paris, rue de Berlin ,
n° 28,
Dubois (A), chef de bureau ?i la mairie d'Amiens, membre de la
Société d'émulation d'Abbcville, et à Paris, chez M. Grand-
homme, 1 bis, rue Scribe.
Du Mesnil, chef de division au Ministère de l'Instruction publique.
Durand ( Hyppolite ) , architecte du 'gouvernement et des édi-
fices diocésains, correspondant du ministère de l'Instruction
publique, à Tarbes, et à Paris, chez M. Durand, avenue Vic-
toria, 5.
DuRUY (Son Ex. Victor), Ministre de l'Instruction publique.
DuRUY (Anatole), chef du cabinet du Ministre de l'Instruction
publique.
DusEVEL, membre non résidant du Comité impérial des travaux
historiques, inspecteur des monuments historiques du départe-
ment de la Somme, correspondant de la Société des Antiquaires
de France, de l'Académie d'archéologie de Belgique, etc., à
Doullens, et à Paris, rue Notre-Dame-des-Ghamps, 30.
EiCHHOFF, correspondant de l'Institut, inspecteur honoraire de
l'Université, à Paris, rue Monsieur-Ie-Prince, 38.
GiRARDOT (baron Auguste de), secrétaire général de la Préfecture
de la Loire -Inférieure, membre non résidant du Gomité des
travaux historiques et des sociétés savantes, correspondant de la
Société des Antiquaires de France, à Nantes, et à Paris , chez
M. Sensier, rue Neuve-Fontaine-Saint- Georges, 6.
Kastner (Georges), membre de l'Institut, et de l'Académie des
Beaux-Arts de Berlin, rue Boursault, 14, à Paris.
Laisné (Gharles), architecte du gouvernement, professeur à l'é-
cole des Beaux-Arts, 10, rue Fontaine-Saint-Georges, à Paris.
Lance (Adolphe), architecte du gouvernement, chargé des diocèses
de Soissons et de Sens, membre du Gomité des travaux histo-
riques, etc., 7, rue Laval, à Paris.
LoNGPÉRiER (Adrien de), membre de l'Institut et conservateur du
Musée des Antiques, au Louvre, rue de Londres, 30, à Paris.
Maître (Jules), inspecteur de l'administration des postes, cité
Gaillard, 6, à Paris.
Millet, architecte du gouvernement et des monuments histori-
ques, 103, rue Saint-Lazare, h Paris.
— XXII —
MiMEY, architecte des monuments historiques de Seine-et-Marne,
à Paris, rue Blanche, 40.
Paillard (Alphonse), préfet du département du Pas-de-Calais, à
Arras.
PoNTÉcouLANT (le comte Roger de), attaché au cabinet du Mi-
nistre des affaires étrangères, à Paris, rue Basse-du-Rempart,
n" 44 bis.
Servaux (Eugène), officier de l'Instruction publique, chef du bu-
reau des travaux historiques et des Sociétés savantes, au Minis-
tère de l'Instruction publique, 41, rue du Rocher, à Paris.
SiRAUDiN, vérificateur des poids et mesures, à Bayeux.
Taillandier, conseiller à la Cour de cassation, rue de l'Univer-
sité, 8, à Paris.
Travers professeur honoraire de la Faculté et secrétaire de l'A-
cadémie impériale de Caen.
ViOLLET-le-Duc, inspecteur général des édifices diocésains, rue de
Laval prolongée, à Paris.
LISTE DES SOCIÉTÉS CORRESPONDAISTES.
1. La Société d'Anthropologie de Paris.
2. Le Comité Archéologique do Senlis (Oise).
3. La Société française d'Archéologie, à Caen.
4. Le Comité Impérial des travaux historiques, au Ministère de
l'Instruction publique.
5. La Société Archéologique de l'arrondissement d'Avesnes
(Nord).
6. La Société Impériale des Antiquaires de France, h Paris.
7. La Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Poligny (Jura).
8. L'Académie Impériale des Sciences, Inscriptions et Belles-
Lettres de Toulouse.
9. La Société Eduenne d'Autun.
10. La Société des Antiquaires de Picardie, à Amiens.
il. La Société des Antiquaires de Normandie, à Caen.
12. La Commission départementale des antiquités de la Seine-In-
férieure, ii Rouen.
— XXIII —
13. La Société Académique des Sciences, Arts, Belles -Lettres et
Agriculture de Saint-Quentin.
1-4. La Société Académique de Maine-et-Loire, à Angers.
1S. La Société Archéologique du Vendômois, à Vendôme.
J6. L'Académie Impériale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de
Caen.
17. La Société Archéologique d'Eure-et-Loir, à Chartres.
18. La Société d'Archéologie et d'Histoire de la Moselle h Metz.
19. La Société Archéologique de l'Orléanais, à Orléans.
20. La Société d'études d'Avallon (Yonne).
21. La Société libre d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres
de l'Eure, à Evreux.
22. Le Comité flamand de France, à Lille.
23. La Société d'Agriculture et la Commission d'Archéologie et
des Sciences historiques de la Haute-Saône, h Vesoul.
24. La Société Impériale archéologique du Midi de la France, à
Toulouse.
25. La Société Philomatique de Verdun (Meuse).
26. La Société Française de numismatique et d'archéologie, à
Paris.
27. La Société parisienne d'Archéologie et d'Histoire, à Paris.
28. La Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Meaux.
29. La Société littéraire et musicale de Meaux.
30. L'Académie Impériale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de
Rouen.
3) . La Société pour la conservation des monuments historiques
d'Alsace, à Strasbourg.
32. La Société littéraire de Strasbourg.
33. La Société d'Agriculture de Melun.
34. La Société libre d'Agriculture, Sciences et Arts de Provins.
35. La Société d'Agriculture de Coulommiers.
36. La Société académique de Brest.
37. La Société spéciale des Sciences, des Lettres et des Arts de
Fontainebleau.
38. La Société Historique et Archéologique de Château-Thierry
(Aisne).
39. La Société des Sciences de l'Yonne, à Auxerre.
40. La Société Historique et Archéologique de Langres (Haute-
Marne).
41. La Société des Antiquaires de la Morinie, à Saint-Omer.
— XXIV •—
42. La Commission Archéologique du département de la Gôte-
d'Or, à Dijon.
43. La Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers
(Hérault).
44. La Société Archéologique de Rambouillet (Seine-et-Oise).
45. La Société des Antiquaires de l'Ouest à Poitiers.
46. La Commission des monuments et documents historique et
des bâtiments civils de la Gironde, à Bordeaux.
47. Le Comité Archéologique de Noyon (Oise).
48. La Société Archéologique de la province de Constantine
(Algérie).
49. La Société d'Histoire et d'Archéologie de la Maurienne (Sa-
voie).
50. La Société Archéologique de l'arrondissement de Boulogne-
sur-Mer.
oL La Société Archéologique de Sens (Yonne).
52. La Société Havraise d'études diverses, au Havre.
53. La Société Archéologique et Historique du Limousin, à Li-
moges. *
54. La Société du Berry, à Paris, rue Bergère, 20.
55. La Société Littéraire, Archéologique et Artistique d'Api
(Vau cluse).
56. L'Académie Impériale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de
Savoie à Chambéry.
57. La Société protectrice des animaux, à Paris, rue de Lille, n° 34.
58. La Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéologie de Cham-
béry (Savoie).
59. La Société d'Agriculture, Industrie, Sciences et Arts, du dé-
partement de la Lozère, à Mende.
60. L'Académie Delphinale, à Grenoble.
(H. La Société d'émulation des Vosges, h Epinal.
62. La Société des Sciences, Agriculture et Belles- Lettres de
Tarn-et-Garonne, à Montauban.
63. L'Académie de la Rochelle.
SOCIÉTÉ D'ARCHÉOLOGIE
SCIEÎ^CES, LETTRES ET AllTS
DU DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-MARNE.
PROCÈS-VERBAUX DE LA SOCIÉTÉ.
SÉANCE GÉNÉRALE ET PUBLIQUE
TENUE A FONTAINEBLEAU LE 15 OCTOBRE 1865.
La Société d'Archéologie, Sciences, Lettres et Arts du dépar-
tement de Seine-et-Marne se réunit en Assemblée générale, à
Fontainebleau, le 15 octobre 1865. A midi et demi, la belle salle
des Élections, place Damesme, est remplie d'invités, parmi les-
quels on remarque beaucoup de dames.
Les Sociétaires, régulièrement convoqués, prennent place sur
l'estrade.
Sont présents :
MM. le marquis Ad. de Pontécoulant , président de la
Société; Anatole Dauvergne, président de la Section de Cou-
lommiers; A. Carro, président de la Section de Meaux; Eugène
Grésy, président de la Section de Melun; le comte B. d'Harcourt,
président de la Section de Provins ; le comte de CmcouRT et Gla-
VERiE, vice-présidents de la Section de Fontainebleau; Th. Lhuil-
lier, secrétaire-général de la Société; Lemaire, archiviste de la
1
9
Société; Auberge (Section de Melun); baron Ed. deBeauverger
(Section de Melun); Bourges (Section de Fontainebleau); Bréan
(membre correspondant); J. Garro (Section de Meaux); Ghapu
(Section de Melun); Ghennevière (Section de Fontainebleau);
Delacroix-Prainville (Section de Fontainebleau); E. Delbet
(Section de Goulommiers) ; DeneCourt (Section de Fontainebleau);
P. Domet (Section de Fontainebleau); Dorly (Section de Fon-
tainebleau); Dorvet (Section de Fontainebleau); le comte Ernest
d'Ercevilli: (Section de Fontainebleau); Eymard (Section de
Melun); Fontaine (Section de Melun); Gaultron (Section de
Fontainebleau); Gabry (Section de Melun); le docteur Gillet
(Section de Melun); Golschmidt (Section de Fontainebleau);
Huguenet (Section de Fontainebleau); Labiche (Section de Me-
lun); Latour (Section de Melun); Louis Légua y (Section de
Melun) ; Leroy (Section de Melun) ; Jules Michelin (Section de
Provins) ; Multigné (Section de Fontainebleau) ; V. Plessier
(Seclion de Goulommiers); le vicomte de Ponton d'Amécourt
(Section de Meaux) ; Quesvers (Section de Melun) ; Ronsin
(Section de Fontainebleau) ; Saint-Marcel père (Section de Fon-
tainebleau) ; SoLLiER (Section de Melun) ; Tabouret (Section de
Fontainebleau); Thibault (Section de Fontainebleau); Thixus
(Section de Fontainebleau); Torchet (Section de Meaux), et
autres qui ont oublié de signer la feuille de présence.
M. le marquis de Pontécoulant a annoncé qu'un certain
nombre de membres lui avaient exprimé leurs regrets de ne
pouvoir assister à la séance , notamment Leurs Excellences
MM. Drouyn de Lhuys et Duruy; — MM. le baron de Lassus-
Saint-Geniès, préfet de Seine-et-Marne; Guibourg, sous-préfet
de Fontainebleau; Josseau, député; Félix et Emile Bourquelot,
J. David; Despommiers, le comte de Resbecq, le marquis de
Varennes, Lud. de Maussion, Liénart, Leloup, Edmond
Marc, Eichhoff, Liabastres, Gourtois , Beauvilliers, le
colonel Elias, le général de Salignac-Fénelon, Gamille Ber-
nardin, DucRocQ, Lecat, Bareiller, Le Blondel, Dardenne,
Gaucher, etc.
M. le Président, après avoir remercié l'Autorité municipale de
la ville de Fontainebleau de sa gracieuse hospitalité, a prononcé
les paroles suivantes :
« Je suis heureux. Mesdames et Messieurs, d'ouvrir cette séance
par un remercîment que j'adresse à vous tous, qui avez bien
— 3 —
voulu vous rendre à notre invitation et nous honorer par votre
présence. Ce remercîment, Mesdames, vous est d'autant plus ac-
quis, que les séances des Sociétés savantes n'ont pas pour habitude
de passer pour fort amusantes. Cependant, notre Société ose
espérer que, par le choix qu'elle a fait dans les nombreux manus-
crits qui lui ont été remis, et grâce au talent des artistes dis-
tingués qui veulent bien nous prêter leur concours, elle vous
fera passer quelques moments agréables, et vous prouvera que
souvent, les Sociétés savantes, en fait de plaisir, valent mieux que
leur réputation.
J'accorderais à l'instant même la parole à un de mes confrères,
s'il ne me fallait adresser quelques communications aux membres
de la Société.
Mes chers et honorés confrères, la distribution des lieux met
votre président dans une embarrassante position, celle d'être
impoli envers la moitié de la Société, ou d'être inconvenant à votre
égard. Je regrette beaucoup de n'être pas à deux faces, comme
Janus; mais vous apprécierez, j'en suis certain, les difficultés de
ma position, et me pardonnerez de vous parler le dos tourné.
La Société se trouve dans une situation prospère : elle a su
conquérir l'estime de tout le monde, et le nombre de ses membres
augmente chaque jour : il est aujourd'hui de deux cent quatre-
vingt-quinze, y compris trente membres correspondants choisis
dans les sommités de la science. Des Sociétés savantes au nombre
de cinquante ont demandé à nous être affiliées.
Il fut un moment où l'on nous avait fait craindre une dimi-
nution dans la Section de Fontainebleau : c'est à tort ; car, comme
il est d'usage parmi les gens bien élevés, on ne quitte point
une société où l'on a été reçu avec bienveillance, sans en prendre
congé, et c'est avec bonheur que je vous annonce que nous n'avons,
jusqu'à ce jour, à regretter aucune démission. Ce bonheur, vous
le partagez avec moi, j'en suis certain : entre gens de savoir et
d'étude, si on se réunit avec charme, on se sépare toujours avec
peine.
M. le Ministre de l'instruction publique, appréciant l'impor-
tance de nos travaux, a bien voulu. Messieurs, nous accorder un
subside sur les fonds de son prochain budget.
Notre Bulletin semestriel vous serait déjà distribué, car il est
imprimé; mais son apparition a été retardée par le tirage de nom-
breuses gravures, représentant les objets trouvés dans les fouilles
opérées dernièrement à Melun. Je ne vous donnerai pas le détail
de ces fouilles, vous les trouverez au Bulletin, dans un excellent
travail de notre confrère M. Leroy.
Nous aurions voulu vous faire part du résultat de l'excursion
archéologique entreprise par quelques membres de la Société,
dans l'arrondissement de Meaux; mais celui d'entre nous qui a
été chargé de ce travail, atteint par un de ces malheurs qui para-
lysent momentanément toutes les facultés humaines, la maladie
et la mort d'un enfant, n'a pu terminer son rapport, ce que nous
regrettons ; mais il paraîtra au Bulletin et sera lu, je n'en doute
pas, -avec intérêt.
Cependant, je ne puis résister au désir que j'éprouve de vous
signaler un fait qui m'a frappé plus que toutes les merveilles que
nous avons admirées pendant notre course artistique. C'est la
mise en pratique d'une idée qui peut, si elle est suivie, avoir pour
ce département d'immenses résultats. Cette idée est bien simple ;
mais les idées simples- ne viennent pour l'ordinaire qu'aux gens
d'esprit; ne soyons donc pas étonnés si elle a été conçue par
■ notre honorable confrère, M. le comte de Moustier. Cette idée
est d'avoir fait inscrire sur les parois des murs de la sacristie de
l'église de sa résidence, les fastes de ce monument. Vous figurez-
vous. Messieurs, cette idée généralement adoptée dans les églises
ol dans les écoles? A force de voir et de lire ces inscriptions dès
leur enfance, tous les habitants connaîtraient l'histoire de leur
commune, et leur relevé fournirait l'histoire murale du départe-
ment.
Notre honorable confrère M. Teyssier des Farges, pour aider
la Société dans ses recherches, a fait fouiller à ses frais deux
des anciens puits qui existent à Châteaubleau ; il a confié la
direction de ce travail ù, M. Burin, l'instituteur de SainL-Just,
notre confrère si honorablement connu de la Société entière. Le
premier de ces puits a fourni, au milieu d'une vase noirâtre
mêlée de débris d'ossements, un grand nombre de moules à
monnaies, en terre réfractaire, tous du m" siècle, et entr'autres
deux moules renfermant encore la pièce qui y était coulée. Cette
découverte donnera lieu à un travail que nous promet M. Burin.
En attendant, Messieurs, remercions M. Teyssier des Farges,
de sa bienveillante initiative.
Je vous disais tout h l'heure que le nombre des membres était
près de 293. Ce chiffre, vrai il y a quelques jours, ne l'est plus
aujourd'hui; car la mort est venue exercer chez nous ses impi-
toyables ravages et nous a enlevé quatre de nos membres, dont
je crois devoir, selon l'usage établi dans toutes les Sociétés
savantes, vous rappeler ici le souvenir.
En juin dernier, la Société perdait, à Beton-Bazoches, un
de ses membres fondateurs, M. Farabeuf, géomètre instruit ,
modeste et laborieux. Fatigue d'un long travail d'arpentage à
travers champs, M. Farabeuf, rentrant cliez lui, sCndormit en
lisant auprès de son foyer : une étincelle mit le feu à ses vête-
ments, et ses jambes furent profondément attaquées et excoriées.
Malgré des brûlures affreuses, il se remit sur pied. Le repos
était nécessaire pour son rétablissement parfait; mais ayant une
famille à soutenir, une femme enceinte et un enfant en bas âge,
il se remit au travail, malgré l'avis contraire des médecins : les
plaies mal cicatrisées se rouvrirent, le mal empira, la gangrène
fit son apparition, et le malade mourut à l'âge de 39 ans, dans
d'atroces douleurs.
Le mercredi 16 août, étant h Meaux, à la distribution des prix
d'une pension de demoiselles, M. Gal-Ladevèze, pasteur de l'Église
protestante et Président du Consistoire, vint prendre place à côté
de moi et me demanda si je ne dirais pas quelques mots. Sur ma
réponse négative, il me quitta bientôt pour visiter un autre éta-
blissement oti il était également attendu; je le revis encore le
soir, au départ du chemin de fer : il me serra la main, et une
heure après il avait cessé d'exister.
M. Gal-Ladevèze était un homme de bien, fervent, peut-être
trop fervent, si la ferveur n'était le résultat d'une forte croyance ;
il était justement estimé. Pendant un ministère de 33 ans, son
zèle, son activité, ne se sont jamais refroidis. Il a gouverné son
église avec tant de tact, avec tant de prudence, que les deux
communions qui journellement se coudoient, se sont mutuelle-
ment estimées et considérées.
La bienfaisance était une des grandes vertus de notre confrère :
il ne savait refuser à qui lui demandait; ce fut à ce point qu'un
jour, devant se rendre à une cérémonie, son domestique chercha
vainement un vêtement indispensable que le tailleur lui avait
apporté la veille. N'en trouvant qu'un vieux, tout délabré, il
vint le demander à son maître. — Ne le cherchez pas, dit Gal-
Ladevèze, un malheureux est venu vers moi, m'a fait voir sa
misère; je lui ai donné le vêtement neuf : si je lui avais donné le
vieux, il serait revenu dès le lendemain.
La Société n'avait. Messieurs, qu'un seul membre à La Ferté-
sous-Jouarre : la mort l'a frappé dans la force de l'âge, 59 ans.
— 6 —
M. Calland était un philanthrophe de l'école de Fourier et de
Saint-Simon. Il voulait, il rêvait, pardonnez-naoi le mot, le soula-
gement de nos maux durant notre passage sur cette terre : il
cherchait à adoucir les fatigues du voyage. Victor Calland fut un
homme de cœur, un homme d'esprit; il a pu se tromper, s'égarer
dans les moyens h employer, mais le but qu'il cherchait à atteindre
était religieux, bon, moral, puisque ce but était le bien-être
de l-'humanité. Il est mort à la suite d'une grande contention
d'esprit, estimé de tout le monde et regretté de ceux qui le
connurent.
Le dernier qui nous quitta fut Albert Decombes, dont la vie
s'éteignit à Fontainebleau, à l'âge de 78 ans, dans le mois d'août
dernier.
M. Albert était un ancien pensionnaire de l'Académie impé-
riale de musique, où il fut longtemps admiré. M. Albert n'était
pas un danseur dans la vulgarité du mot : M. Albert était artiste,
homme de savoir et de talent. Pour M. Albert, la danse était un
art qu'il considérait comme annexe de la peinture et de la sculp-
ture. C'était pour lui la mise en action de la beauté des formes, de
l'élégance des gestes, de la noblesse des poses. L'étude attentive
de l'art grec lui fournissait ses modèles. Les différents sujets de,
ballets qu'il eût à composer ne furent pour lui que des cadres dans
lesquels il sût introduire le fruit de ses méditations et de ses
études. M. Albert, Messieurs, était éminemment artiste, il unis-
sait te goût au savoir et l'esprit à l'amabilité. Il avait la passion
des belles et vieilles choses, savait les collectionner avec goût et
discernement. La collection d'antiquités dont il s'est défait quel-
ques années avant sa mort, était fort renommée. J'ajouterai que
l\L Albert fut encore plus aimé de ses amis qu'il ne fut admiré
du public. Que puis-je dire de plus en l'honneur de son carac-
tère?
Voilà les pertes regrettables que la Société vient d'éprouver :
elle a perdu un prédicateur, un philanthrope, un artiste et un ma-
thématicien. Tous, dans le rôle qui leur était réservé sur cette
terre, cherchaient ;\ nous faire comprendre, les uns par la parole
les grandes vertus morales, les autres certaines idées par la mani-
festation de formes et de certains signes extérieurs.
Le monde entier. Messieurs, est un grand théâtre où nous nous
exerçons sans cesse, par la volonté de Dieu, à démêler, sous des
symboles matériels, des idées morales. Adressons donc un dernier
adieu. Messieurs, à nr^s regrettes confrères. Il ne faut pas que
l'homme juste, que l'homme de savoir que nous admettons parmi
nous puisse quitter ce monde sans qu'une parole de souvenir soit
dite en votre nom par celui qui a l'honneur de se trouver à votre
tête.
Je termine, Messieurs, comme j'avais commencé, par un re-
mercîment que j'adresse, au nom de la Société, à M. le baron de
Beauverger, le député du département.
Si on est sûr de le voir aux premiers rangs quand il y a un in-
cendie à comprimer, un désastre à réparer, une palme ou un bien-
fait à répandre, il nous prouve, par sa présence en ces lieux, qu'il
sait accorder également sa sympathie et son intérêt à toutes les
institutions qui, comme la nôtre, s'occupent de sciences, de lettres
et d'art.
La Société remercie également MM. les membres de la Section
de Fontainebleau de la peine qu'ils se sont donnée pour accomplir
la mission qui leur avait été confiée, et elle me charge de les com-
plimenter sur la parfaite organisation de cette séance. »
Après cette improvisation vivement applaudie , la parole est
donnée à M. le docteur Tabouret (section de Fontainebleau), qui
lit, sur l'usage et l'historique des cloches, quelques pages d'un
travail relatif à celles de l'arrondissement de Fontainebleau.
M. Eugène Grésy, président de la section de Melun, dans une
notice descriptive, avec dessins à l'appui, signale un retable sculpté
au xvi^ siècle par Jacques Ségogne, artiste natif de Recloses, et
qui existe à peu près ignoré dans l'église de ce village, près La
Ghapelle-la-Reine.
Sous le titre sans prétention de Causerie sur Poinsinet, M. Ga-
briel Leroy (section de Melun) rappelle, à grands traits , le souve-
nir de cet écrivain dramatique, originaire de Fontainebleau, et qui
se fit une assez singulière réputation au dernier siècle.
M. Labiche père (section de Melun) dit trois poésies, deux fa-
bles : la Rose et la jeune fille; le fabuliste et Jean Lapin, et une poé-
sie légère intitulée le Myosotis.
Le secrétaire-général de la Société, M. Th. Lhuillier, lit une
étude sur une famille de peintres, valets de chambre du Roi, —
Ambroise Dubois, ses fils et petits-fils, — qui se succédèrent à
Fontainebleau depuis la fin du xvf siècle jusque vers le milieu du
xviii% et s'y distinguèrent non moins par leur honorable carac-
tère que par l'habileté de leur pinceau.
En l'absence et au nom de M. Léon Escudier (Section de
— 8 —
Meaux), M. A. Carro communique un charmant travail intitulé :
DE Paris a Fontainebleau, souvenirs et impressions.
M. Gaultron (Section de Fontainebleau) traite ensuite de la gra-
vure^ au point de vue des œuvres de l'Ecole, dite de Fontainebleau.
La parole est demandée par M. Fontaine (de Melun), qui, sous
le titre de Promenade de Melun à Fontainebleau, lit un article non
inscrit à l'ordre du jour.
M. Carro, président de la Section de Meaux, entre dans de cu-
rieux détails d'observation, à propos des grottes aux fées de La
Ferté-Gaucher et de Grouy-sur-Ourcq.
Puis, M. ToRCHET (Section de Meaux) termine la série des lec-
tures par des recherches et des considérations sur la musique des
Francs, à l'époque mérovingienne.
M. le président exprime à l'Assemblée ses regrets de ne pou-
voir entendre, en raison de l'heure avancée, deux notices inté-
ressantes portées à l'ordre du jour de la séance : les Capitaineries
des Chasses, par M. Domët, et le Pignon de Sainte-Aubierge,par
M. V. Plessier.
La musique a alterné avec les lectures : Mlle Gonnet, habile
élève d'Allart, MM. Hollebeck, Robyn, Gary, lauréat du Con-
servatoire, et M. Baumann, pianiste distingué, ont prêté à cette
séance tout le charme de leurs talents.
Avant la fin de la séance qui est levée à quatre heures et demie,
M. le baron de Beau verger annonce au Président qu'il a l'intention
d'offrir une médaille d'or et un sujet de concours à la Société.
En effet, dès le lendemain M. le marquis de Pontécoulant recevait
la lettre ci-après :
Bue, le 16 octobre 1865.
« Mon cher et honorable Président,
» Je veux d'abord vous remercier de votre bon accueil et de tout
» le plaisir que m'a fait notre intéressante séance. Notre Société
» a déjà toute la vie et les éléments de succès d'une vieille institu-
)) tion, et cela grâce à vos efforts et au zèle de tous nos confrères.
» Comme je vous le disais l'autre jour, je voudrais bien n'être pas
» seul oisif dans une ruche si industrieuse.
» Vous m'avez assuré. Monsieur et cher Président, que la So-
» ciété voudrait bien agréer, d'un de ses membres dévoués, un
)) sujet de concours et une médaille.
- 9 —
» Voici d'abord le sujet que je me permettrais de vous offrir :
» Recherches historiques sur l'agriculture et la condition des popu-
)) lations rurales, dans les contrées correspondant au département de
» Seine-et-Marne, aux XVII" et XVII I^ siècles.
» Comparaison avec l'époque actuelle.
» Le prix serait une médaille d'or de 200 francs. Il serait donné
» dans une séance générale, à Melun ou à Fontainebleau, au
n plus tôt une année après l'ouverture du concours, et plus tard si
» les mémoires envoyés n'avaient pas paru suffisants.
» Veuillez, Monsieur et cher Président, faire part aux Sections
» de la Société, dans leur plus prochaine réunion, du désir que
n j'ai l'honneur de vous exprimer, et que vous avez déjà vous-
» même si généreusement encouragé.
» Permettez-moi en même temps de vous renouveler l'expres-
» sion de mes sentiments bien sincères de considération et de
» dévouement.
i) Baron de Beauverger. »
— 10 —
PROCÈS-VERBAUX DES SECTIONS.
SECTION DE COULOMMIERS.
SÉANCE DU 12 NOVEMBRE 1865.
Présidence de M. Anatole DAUVERGNE.
M. le Président invite les membres de la Section à procéder à
l'élection de trois candidats inscrits depuis longtemps :
1° M. le eomte de Gourcy, président de la hîociété d'agriculture
de Rozoy, comice de Goulommiers, présenté par le bureau de la
Société ;
2° M. Flamand, propriétaire à Rebais ;
3" M. Pierre Lelêvre, aux Aulnois, commune de Saints;
Ces deux derniers, proposés par MM. Chemin et Anatole Dau-
vergne.
Ces membres nouveaux sont admis à l'unanimité des suffrages,
et M. Pierre Lefèvre est invité à prendre part aux travaux de la
Section.
M. le Président fait ensuite plusieurs communications qui in-
téressent la Société d'archéologie.
Il annonce la proposition faite le 16 octobre dernier par M. le
baron de Beauverger, député, d'un sujet de concours et d'une
médaille d'or de 200 fr .comme prix accordé à l'auteur du mémoire
couronné par la Société dans une séance générale, à Melun ou à
Fontainebleau, sur ce sujet :
« Recherches historiques sur l' agriculture et la condition des popu-
lations rurales, dans les conti^ées correspjondant au département de
Seine-et-Marne, aux XV 11" et XVI II" siècles. — Comparaison avec
V époque actuelle. »
La proposition de M- le baron de Beauverger, accueillie avec les
plus vifs sentiments de gratitude par la Section, est renvoyée à
l'approbation du Comité central.
Dans la séance du 29 janvier 1805, M. le Président avait
— H —
appelé l'attention de la Section sur une proposition faite par M. Ed.
Desprez, relative à la création d'un Répertoire et d'une carte archéo-
logiques pour le département de Seine-et-Marne^ proposition accueillie
par la section de Melun.
M. Anatole Dauvergne fait remarquer que si les de-ax excursions
entreprises par la Société en septembre 1864 et en juillet dernier,
dans les arrondissements de Provins et de Meaux, ont fourni aux
membres qui en faisaient partie l'occasion de se rencontrer, de
se connaître, de s'apprécier, et d'établir entr'eux des relations de
sympathie et même d'amitié , elles n'ont point jusqu'ici été la
cause d'études sérieuses sur les monuments visités. Les plus
étranges méprises ont eu lieu , notamment à Jouarre
Avant d'entreprendre un travail de cette importance et qui
exige une grande variété de connaissances, il serait urgent de pou-
voir constater l'aptitude des travailleurs. En méconnaissant cette
première condition de l'œuvre réclamée par M. E. Desprez, on
tomberait facilement dans une confusion regrettable. Ce qu'il con-
vient de faire, a priori, c'est un questionnaire spécial adressé à
tous les membres de la Société d'archéologie de Seine-et-Marne (I).
Quand il sera rempli, transcrit et classé, la besogne sera à peine
ébauchée. On peut s'en convaincre en voyant avec quelle lenteur,
nécessaire et impossible à éviter, le Comité impérial des travaux
historiques poursuit la publication des répertoires archéologiques
des départements.
La Section accepte les observations de M. le Président, et de-
mande leur insertion au procès-verbal.
Le Président appel le l'attention de la Section sur l'ancienne église
des Bénédictins de La Celle-en-Brie qui a été vendue récemment
avec d'autres immeubles à M. Théodore Louis, ancien arpenteur
à La Celle. On assure que l'acquéreur se propose de faire dispa-
raître totalement les derniers débris de ce monument, qui peut
être considéré comme l'élément le plus pittoresque de notre vallée
du Morin. Cette destruction serait certainement regrettable; les
efforts de la Section doivent tendre à l'ajourner, afin de pouvoir
présenter l'an prochain aux excursionnistes de la Société d'ar-
chéologie, ce spécimen de l'architecture bénédictine dans nos con-
trées. M. Anatole Dauvergne insiste particulièrement pour la con-
servation d'un fragment de tombe de la fin du xiii^ siècle, mutilée
(1) Ce questionnaire a été envoyé à MJl. les Instituteurs, et plusieurs d'entre eux
ont déjà fait parvenir leurs réponses.
- 12-
depuis longtemps, qu'il croit être celle de Gautier, prieur de La
Celle, qui reconstruisit l'église et mourut en 1278.
M. le Président demande à la Section de ne négliger aucun
moyen pour sauver ce débris intéressant, sans valeur vénale, sans
utilité, et qui figurerait avec honneur dans le Musée de notre arron-
dissement.
La Section approuve ces conclusions et plusieurs membres se
proposent d'intervenir officiellement pour la conservation de cette
tombe.
M. le Président entretient ensuite la Section des fouilles en-
treprises dans le courant de l'été dernier, sur la place Notre-Dame
à Melun, au moyen des fonds alloués par la commission de la To-
pographie des Gaules et par le Conseil municipal de Melun.
Les cippes ou autels votifs, rencontrés à Melun, sont extrême-
ment curieux; on y voit représentés en bas-relief: Vénus, Hercule,
Apollon, qui, malgré leur état fruste, témoignent d'un art avancé
et certainement supérieur aux sculptures, du même âge, décou-
vertes dans l'Allier par feu E. Tudotet M. Esmormot, et dans la
Haute-Loire par M. Auguste Aymard.
Notre collègue M. Gabriel Leroy, secrétaire de la Section de
Melun, a suivi ces fouilles avec une grande attention et les a dé-
crites. C'est aussi à son dévouement et à son intelligence , ainsi
qu'au zèle'de M. Courtois, directeur, ou plutôt fondateur du Mu-
sée de Melun, que l'on doit le classement des monuments, prove-
nant de ces fouilles, dans une galerie de l'Hôtel-de-Villc qui suffit
à peine à les contenir.
Le Président met sous les yeux des membres présents deux
photographies, représentant l'état de ces fouilles au mois de Juillet
dernier, avec une note explicative, en indiquant qu'il avait semblé
opportun à la commission dos fouilles qu'un souvenir de cette
exploration fut conservé dans les archives de chaque Section de la
Société d'archéologie.
A ce propos, un membre demande où sera placé le dépôl des
archives de la Section de Goulommiers.
M. Ludovic de Maussion, maire de Coulommiers, répond qu'un
casier spécial de la bibliothèque peut être affecté à ce dépôt, dont
la surveillance appartiendrait à M. Anatole Dauvergne. conserva-
teur honoraire de la bibliothèque publique et à M. le secrétaire de
la Section d'archéologie.
M. Chemin lit ensuite une note sur la découverte d'une inscrip-
tion trouvée dans la ferme de la Boisserotte, ancienne commune
— 13 —
de La Boissière et de Saints aujourd'hui, contenant le texte d'une
fondation faite à la fin du xvii" siècle, dans l'église de Saint-
Étienne de Touquin, par Jean Gharlier, marchan(|.en draps, or et
soye, et Catherine Ghauchet, sa femme, à la charge de dire des
messes, etc., etc. Ce document qui n'est pas dépourvu d'intérêt
sera envoyé au Comité central.
M. Victor Plessier donne lecture d'un mémoire, intitulé : le Pi-
gnon de Sainte-Aubierge, travail intéressant qui ouvre de nouvelles
perspectives à l'étude du curieux monolithe resté debout au milieu
de l'ancien étang de Maillard. — Les théories de M. Plessier sont
tout à ftiit nouvelles et en contradiction complète avec tous les do-
cuments publiés à l'occasion de ce monument, dont l'origine n'est
'pas suffisamment établie. La Section témoigne à M. Plessier
tout rintérêt qu'elle prend à des recherches aussi consciencieuse-
ment poursuivies. Elle émet encore le vœu, que lors delà réunion
générale qui aura lieu à Coulommiers au mois d'octobre 1866, le
pignon de Sainte-x\ubierge devienne le but d'une excursion sé-
rieuse des membres de la Société d'archéologie.
Le président donne lecture d'une étude archéologique de l'ancienne
Commanderie de Chevru^ dépendance de l'ordre de Malte, située dans
le canton de La Ferté-Gaucher, pour faire suite à la notice qu'il a
publiée en 1853, dans le tome II du Bulletin du Comité de la langue^
de l'histoire et des arts de la France^ sur la Commanderie de l'Hôpi-
tal sur Coulommiers. Il résulte des observations de M. Anatole
Dauvergne que les deux établissements sont presque identiques,
et que les proportions des chapelles ne diffèrent que d'une façon
presque inappréciable. L'auteur, dans ces pages rapides, signale
une découverte dont il a donné, en temps utile, communication au
Gouvernement, celle du mobilier qui avait servi à Louis XVI et à
sa famille pendant leur détention à la tour du Temple. Ce précieux
dépôt est à peu près ignoré dans notre arrondissement. En ter-
minant, il réclame l'attention de la Section sur un débris de dalle
funéraire, gisant dans les fumiers de la ferme de la Commanderie
et qui paraît appartenir à la tombe, décrite par le P. Anselme,
dans son Histoire chronologique delà maison de France, d'Arnoald de
Vesemalle, Chevalier de l'Ordre de la Milice du Temple, Souverain
maître d'hôtel de Philippe-le-Hardi, mort le 14 août 1291, et pa-
rent du Roi par sa femme Alix^ fille de Henry I", duc de Bra-
bant et de Mahaut de Boulogne.
« Si cette tombe, — ajoute M. Anatole Dauvergne, — est,
» comme j'incline à le croire, celle de l'illustre Templier, ne pen-
— 14 —
» serez-vous pas, Messieurs, que ceux des membres de notre Sec-
)) tion qui peuvent être en relations d'tiabitudes ou d'afTection avec
« le propriétaire actuel de la Gommanderie de Chevru, seraient
» bien inspirés en sollicitant de sa bienveillance le don de ce frag-
» ment oublié, à notre Musée qui doit devenir, selon le vœu de
» notre Société d'archéologie, le dépôt de tous les éléments histo-
') riques rencontrés sur le sol de notre arrondissement? »
Cette proposition est adoptée.
SECTION DE FONTAINEBLEAU.
SÉANCE DU 7 AOUT 1865.
Présidence de M. J. DA VID.
M. le Président fait aux membres présents diverses com-
munications d'intérêt particulier à la Section. Il lit ensuite une
notice sur Champollion jeune, dont la première partie a pu seule
être achevée avant la fin de la séance. 11 montre d'abord avec quel
goût inné pour la science, Champollion s'enquit des études linguis-
tiques les plus difficiles; l'Arabe, l'Hébreu, le Chinois, ne sont que
les prolégomènes de ses études. Frappé de l'ancienneté des races,
il se propose de pénétrer les secrets de l'ancienne Egypte. Pendant
six ans il cherche le problème si ardu de la lecture des hiérogly-
phes. Sa première découverte est de prouver que la seule langue
actuelle qui pouvait descendre des anciens Égyptiens est le Copte,
il approfondit cette langue, en fait une grammaire et un diction-
naire. Aussi, après avoir erré et recommencé ses études dans une
nouvelle voie, il reconnaît qu'il y a dans les inscriptions de l'an-
cienne Egypte trois espèces de signes qui sont les figuratifs, les
symboliques, les phonétiques. Les signes figuratifs reproduisaient
les formes. Les symboliques, une idée métaphysique par l'image
d'un objet physique : ainsi l'abeille était le signe symbolique de
l'idée de roi ; les bras élevés, l'idée d'offrande ; un vase d'où l'eau
s'épand l'idée de libation; les signes phonétiques exprimaient les
sons de la langue parlée, et cette langue est le Copte. Cette décou-
verte fut contestée; GhampoUion la défend et persuade ses adver-
saires. Il obtient une mission, — malheureusement, l'ardeur qu'il
met à copier les inscriptions si nombreuses des Temples usent
ses forces; il meurt à 40 ans, laissant une œuvre incomplète, sans
doute, mais ayant créé une école que M. J. David doit traiter
dans une prochaine séance.
SÉANCE DU 25 SEPTEMBRE 1865. *
Présidence de M. J. DA VID. -
M. le marquis de Pontécoulant, président delà Société, annonce
à la section de Fontainebleau que la commission de lecture s'est
réunie pour recevoir les mémoires envoyés pour la Séance semes-
trielle et générale qui se tiendra le 15 octobre, à Fontainebleau.
M. J. David lit la suite de son travail sur GhampoUion jeune; il
regrette que M. Letronne ait remplacé directement GhampoUion
dans sa chaire d'archéologie comparée. M. Letronne ne connais-
sait les Égyptiens que par les Grecs, et malgré sa science incon-
testable, il rectifie, critique, épure les traditions, mais il ne fît
pas faire un pas à la science des hiéroglyphes. AI. Lenormand
s'occupe plus d'histoire que de linguistique. Enfin, M. le vicomte
de Rougé qui a adopté le système de GhampoUion rend aux
études leur valeur et leur spécialité. La découverte de Gham-
poUion ne court plus risque d'être négligée et la science française
est l'égale des excursions allemandes et anglaises. En analysant
ainsi les recherches consciencieuses des égyptologues modernes,
M. David termine la seconde partie de son œuvre.
Après cette lecture, M. Gaultron, secrétaire, rappelle qu'à la
séance du 31 octobre dernier, il a sollicité l'appui de la Section pour
la conservation au Château d'une collection de gravures, aujour-
d'hui dispersées, connues sous le nom d'Ecole de Fontainebleau,
l'assemblée a décidé qu'il serait dressé un mémoire à cet effet,
qui en fixerait les recherches, les traces et presque la nomen-
clature.
A la suite des renseignements recueillis par lui, il communique
à l'assemblée son travail et "soumet à l'approbation la demande
que la Section, appuyée par le Comité central de la Société, veut
— 16 —
adresser au Ministre de la maison de l'Empereur. Cette com-
munication reçoit l'approbation des membres présents, et après
quelques considérations émises sur le passage des maîtres italiens
à travers l'École française du xvi« siècle, M. de Pontécoulant
recommande cette lecture pour la séance générale du 15 octobre,
ce qui est adopté.
SÉANCE DU 30 OCTOBRE 1865.
Présidence de M. J. DA VID.
Sur la demande de plusieurs membres, la Section a décidé que
la réunion générale tenue le 15 octobre à Fontainebleau, serait
mentionnée au procès-verbal , ainsi que le compte-rendu du se-
crétaire-général de la Société, aussitôt qu'il sera communiqué.
"Il est donné connaissance d'un projet de lettre adressée à M. le
Ministre des Beaux-Arts, dans laquelle la section de Fontainebleau
demande la réunion dans une salle du château, de la collection
des gravures dites : Ecole de Fontainebleau ; ce projet reçoit la si-
gnature de tous les membres présents.
Le Président communique à la Section une lettre de M. le baron
de Beauverger, offrant un prix pour le meilleur mémoire sur la
question : Recherches historiques sur V agriculture, etc. , etc. Cette
offre est acceptée et l'assemblée charge le Président de témoi-
gner à M. de Beauverger toute sa gratitude.
M. Tabouret lit la seconde partie do V Historique des cloches du
canton de Fontainebleau. Ce travail est écouté avec d'autant plus
d'intérêt que les parrains et marraines de ces cloches sont de
hauts personnage^* existant encore dans notre localité, ou dont le
souvenir n'est point effacé dans les traditions de la contrée.
M. Domet fait part d'un travail savamment étudié sur les
Capitaineries des chasses, et dont la lecture n'avait pu avoir lieu
dans l'assemblée générale, faute de temps. Cette page d'histoire
habilement tracée a été jugée par l'assemblée digne de figurer au
bulletin.
— 17 —
SÉANCE DU 27 NOVEMBRE 1863.
Présidence de M. J. DA VID.
M. Tabouret lit la première partie d'un Essai sur Lavater,
l'auteur de la science physiognomonique, considéré à ce point de
vue philosophique que, chez les hommes de génie, on trouve sou-
vent un grain de folie.
Cette thèse, aux yeux de quelques membres, a semblé présenter
un côté paradoxal, et a soulevé quelques objections contre les-
quelles l'auteur n'a point protesté, mais qu'il accepte sous toute
réserve.
M. David continue la communication de son Etude sur la vie de
Champollion jeune. Chaque époque est l'objet, de la part de l'auteur,
d'une judicieuse analyse qui complète les recherches de Champol-
lion et fait de ce travail consciencieux, étayé par les découvertes
les plus récentes de la science hiéroglyphique une œuvre nouvelle.
SÉANCE DU 29 JANVIER 1866.
Présidence de M. J. DA VID.
M. le marquis de Pontécoulant, président de la Société et du
Comité central, assiste à la séance.
Sont présents :
MM. J. David, Tabouret, Thibault, Marin-Darbel, Fourneret,
l'abbé Gillet, Chennevière, Beauvilliers, Cauthion, Darridan, Elias
(11 membres.)
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté sans
observation.
M. le président communique à l'assemblée une circulaire éma-
nant du Ministère de l'Instruction publique, relative à l'admission
et à la longueur des Mémoires destinés à être lus à la Sorbonne.
Dans une seconde lettre adressée par le Président de la Société,
M. l'Archiviste de la Section est invité à faire parvenir au Co-
mité central l'inventaire de tous les objets donnés à la Section,
livres, médailles o\i autres dons faits par les membres de la Société,
ou par des personnes étrangères. Cet inventaire portera les numé-
ros d'ordre sous lesquels les objets sont catalogués aux archives.
Cette pièce doit figurer au prochain bulletin.
2
— 18 —
Plusieurs membres signalent l'opportunité d'un Musée dans
lequel on réunirait tous les objets curieux que peut fournir la lo-
calité. Cette proposition, favorable aux études archéologiques,
reçoit l'approbation de l'Assemblée , bien qu'on ne puisse aujour-
d'hui, faute de local, prévoir l'époque oh l'on donnera suite à un
projet si utile.
La commission de la Topographie des Gaules a adressé à la
Section, par l'intermédiaire du Président de la Société, une feuille
dessinée des haches en bronze. Le but de cet envoi est de provo-
quer les observations des archéologues, et d'arriver au moyen
d'établir une bonne classification des haches, suivant leurs formes
et leurs rapports.
La Section de Fontainebleau a vu , avec regret , imprimé à la
tête du deuxième bulletin , un manifeste rappelant sans motif les
débats qui ont eu lieu autrefois entre le Comité central et la So-
ciété spéciale des lettres, sciences et arts de Fontainebleau.
M. J. David, Président de la Section, personnellement en cause,
s'en est justement ému, et demande à la Section d'archéologie de
Fontainebleau un avis motivé, déclarant qu'il serait dans la né-
cessité de donner sa démission s'il pouvait prévoir que sa conduite,
dans cette circonstance , pût être blâmée par les membres de la
Section qu'il représente.
Le Président de la Société, présent à la séance, donne des
explications qui atténuent la valeur de cette insertion et ne lui
laissent que la portée d'un simple procès -verbal et n'ayant, qu'à
ce titre, joui du droit d'impression dans le bulletin.
Par suite de ces explications, la Section de Fontainebleau refuse
^la démission de son président, et elle espère que cette insertion ne
nuira en aucune façon à la bonne entente des deux Sociétés.
Cet incident terminé, M. Beauvilliers donne lecture de la pre-
mière partie du compte- rendu de la deuxième excursion archéo-
logique, dans le département. Il nous introduit dans le magnifique
château de Ferriôres, fait l'histoire de cette célèbre résidence, et
nous fait apprécier, en véritable connaisseur, tous les chefs-
d'œuvre que le propriétaire actuel y a réunis.
L'ordre du jour épuisé, la séance est levée à quatre heures.
— 19 —
SECTION DE WIEAUX.
SÉANCE DU 27 JUILLET 1865.
Présidence de M. CARRO père.
Le Président dépose sur le bureau les ouvrages suivants, offerts
par leurs auteurs :
Notice sur une inscription découverte dans le Novarrais, par
M. Alfred Maury ; — Essai sur les sanctuaires primitifs, par M. Ch.
Toubin, de Salins ; — Épreuves photographiques de vues des fouilles
laites dans les substructions Gallo-Romaines de Melun, avec une
notice descriptive, par M. G. Leroy, de Melun ; — Mémoire sur
les monuments primitifs, par M. Carro père.
Des remercîments ont été votés au sujet de ces dons.
Il est donné à l'assemblée lecture d'une lettre de M. de Ponté-
coulant, Président de la Société, invitant la Section à s'entendre
avec la Société d'Agriculture pour faire en commun, l'hiver pro-
chain, les cours publics suivants : — Cours sommaire d'Histoire
locale; — Cours de Géographie locale; — d'Hygiène populaire; —
d'Astronomie ; — de Littérature élémentaire.^
Une commission est nommée pour l'organisation de ces confé-
rences ; elle se compose de MM. Carro père, le docteur Le Roy,
de Colombel, Torchet et Lespermont.
MM. Cinot et Petithomme ajoutent à la proposition qui pré-
cède, celle qu'il soit fait dans le sein de la Société une conférence
sur l'archéologie ; un des membres traiterait pendant une demi-
heure une question archéologique élémentaire.
Cette proposition a été prise en grande considération et il sera
avisé à sa mise en exécution.
n est proposé également que deux médailles d'argent, petit mo-
dule, pour l'enseignement de l'histoire, en seconde et en troisième,
dans le collège de Meaux, soient ajoutées à la médaille déjà attri-
buée par la Société à la classe de rhétorique.
Cette proposition sera l'objet d'une discussion ultérieure.
L'assemblée a entendu avec intérêt les deux lectures suivantes :
Une très-curieuse et consciencieuse étude de M. l'abbé Bêche-
— 20 —
ret, curé de Monthyon, sur le Plessis-VEvêque, origine^ étymologie,
souvenirs historiques, description de belles pierres tumulaires, etc.
Puis, la suite du très-remarquable travail de M. Torchet, sur
V Histoire de la musique chez les Francs.
SÉANCE DU 2 OCTOBRE 1863.
Présidence de M. GARRO père,
M. Lefebvre-Thiébault présente à la Société divers objets re-
cueillis à Meaux, dans les portions du lit de la Marne, laissées à
découvert par les basses eaux actuelles : on y remarque la repré-
sentation en plomb d'un petit soufflet, symbole du souffle de l'es-
prit divin, avec inscription en lettres gothiques; un méreau ou je-
ton de présence du chapitre de la cathédrale, et une médaille en
bronze de Roveca, divinité qui paraît avoir été la personnification
de la rivière d'Ourcq.
La Société reçoit avec un vif intérêt les communications sui-
vantes :
Des photographies de la section de Melun, représentant les nou-
velles découvertes (bas-reliefs) faites dans les fouilles de Melun.
De M. Plicque, maire de Vignely, des fragments nombreux et
divers de forme, d'un collier d'ivoire qui entourait le cou d'un
squelette trouvé dernièrement à 60 ou 70 centimètres sous terre, à
500 mètres environ de Vignely, tout près du chemin qui conduit de
ce village à Isles-les-Villenoy; des débris d'ossements du squelette
et un échantillon de la terre qui le recelait sont joints à cet envoi.
Le Président donne lecture de deux lettres de M. Plicque, conte-
nant quelques détails sur les circonstances de la découverte.
A cette occasion, M. le docteur Le Roy demande que l'on ajoute
au questionnaire destiné à MM. les instituteurs, la recommanda-
tion de sauvegarder, autant que possible, dans des fouilles analo-
gues, les ossements de la tête qui peuvent seuls fournir les indica-
tions sur les diverses races.
M. de Blavette, propriétaire du domaine de Montceaux, pré-
sente des pièces de monnaie et médailles de Henry IV, du duc de
Mantoue, de Louis XIV, et un sceau en cuivre, trouvés dans l'en-
ceinte de l'ancien château de Catherine de Médicis et de Gabrielle.
M. Andrieux, surveillant général au collège de Meaux, présente
— 21 —
une petite statuette en bronze, d'un fort bon style, d'environ sept
centimètres de hauteur, représentant ou la Sainte-Vierge ou une
sainte, trouvée presque à fleur de terre, auprès de Mauriac (Can-
tal), dans le voisinage d'un dolmen.
M. de Blavette veut bien offrir à la section le sceau ou cachet
dont il est fait mention ci-dessus; M. Andrieux offre également sa
statuette ; des remercîments unanimes sont votés à ce sujet, ainsi
qu'à M. Plicque.
Le Président rend un juste hommage de regrets à la mémoire
de MM. Ladevèze et Galland, membres de la Section, récemment
décédés, et la séance se termine par les lectures que font
MM. Torchet, de la portion de son Traité de l'ancienne musique
qui concerne les Mérovingiens, et Garro père, d'une notice sur les
Grottes aux Fées, et notamment sur celles de La Ferté-Gaucher et
Crouy-sur-Ourcq.
SÉANGE DU 4 DÉCEMBRE 1865.
Présidence de M. CARRO père.
A l'ouverture de la séance, M. Gavé dépose sur le bureau les
objets suivants : 1° Un bloc assez considérable d'une substance
noire, trouvé au fond du Grand-Morin, à peu de distance de sa
réunion avec la Marne; cette substance qui, bien qu'un peu alté-
rée, paraît avoir beaucoup d'analogie avec le caoutchouc, sera ana-
lysée ; 2° Une géode, ou peut-être un ossement fossile trouvé en
Berry, dans une masse de granit ferrugineux, dont un fragment
l'accompagne. Cet objet, surtout, pourra être l'occasion d'une très-
sérieuse étude.
Le Président donne un rapide aperçu de la séance générale de
la Société, tenue à Fontainebleau le 15 octobre; puis, il fait con-
naître la lettre qu'il a adressée au Ministre de l'Instruction pu-
blique, afin d'obtenir les autorisations nécessaires pour les confé-
rences à faire cet hiver à Meaux. Les autorisations demandées sont
au nombre de cinq, indépendamment de celle qui a été accordée
particulièrement à M. de Pontécoulant.
L'assemblée entend la lecture d'une Note de M. Lefebvre-Thié-
bault, sur des sceaux des XV^ et XVIP siècles, de la famille Gosset,
de Meaux, contenant de curieux détails biographiques sur deux
— 22 —
membres de cette famille qui eut longtemps une certaine notoriété
dans la ville.
M. Torchet lit un Mémoire historique et critique, fruit de sa-
vantes recherches, et rapportant des faits intéressants et peu con-
nus sur la légende de Sainte-Cécile, comme patronne des musiciens.
Le Président donne lecture d'une notice, accompagnée de des-
sins, sur quelques Facéties artistiques du moyen-âge. Il n'est ques-
tion là, bien entendu, que des facéties acceptables, à l'exclusion
de tant de productions trop libres que nous ont laissées les artistes
de cette époque.
Le Président invite ceux de ses collègues qui se proposeraient
de prendre part aux lectures qui se font dans la réunion des mem-
bres des Sociétés savantes à la Sorbonne, pendant les vacances de
Pâques , à vouloir bien lui adresser leurs manuscrits, en sorte
qu'il puisse les transmettre avant la fin de février.
Sont nommés membres titulaires , MM. Philarète Ghasles,
d'Isles-lès-Villenoy; Ri dan, de Villenoy; Plée, Morlot, deMcaux;
Adolphe Thiébault, propriétaire au château de Brou, et Gharriou,
instituteur à Monthyon.
SÉANCE DU o FÉVRIER 1866.
Présidence de M. CARRO père.
Le Président donne lecture de deux lettres de M. l'inspecteur
d'Académie Hautome et du Président de la Société, transmettant
les instructions ministérielles relatives à la prochaine réunion des
délégués des Sociétés savantes à la Sorbonne les 4, 5, 6 et 7 avril
1866, et aux lectures qui pourront y être faites. Les mémoires
préparés pour être lus en cette circonstance devront être agréés
par la Société à laquelle appartient leur auteur, et transmis avant
le 10 mars.
L'assemblée décide, à cette occasion, que sa prochaine séance
qui devait avoir lieu le premier lundi d'avril, sera avancée d'un
mois et fixée au lundi 5 mars, afin que les mémoires qui seraient
destinés aux lectures de la Sorbonne puissent lui être communi-
qués en temps utile.
La discussion s'ouvre sur un projet de circulaire proposé par
M. Lefebvre, pour prier MM. les maires et les curés de vouloir
— 23 —
bien informer la Société des découvertes qui pourraient être faites
dans leurs localités, d'objets ayant un intérêt historique ou scien-
tifique. Il est convenu que des détails explicatifs seront ajoutés à
ce premier projet.
M. de Ginoux lit une Notice sur une monnaie de Sedan (un
double) trouvée dans la carrière de sable exploitée à Meaux par
M. Faron Plicque.
Aux détails relatifs à la pièce, M. de Ginoux joint quelques no-
tions historiques sur l'époque à laquelle elle appartient.
Il en est de même d'une Notice de M. Lefebvre, sur un beau
vase de faïence, qui a appartenu à l'abbaye de Ghelles, au temps
de l'abbesse Marie d'Orléans, fille du Régent. M. Lefebvre remet,
en outre, à la Société, de la part de M. Duvoir père, deux mé-
dailles de bronze, antiques, trouvées dans le jardin de sa pro-
priété, faubourg Gornillon, à Meaux.
Un fer de pertuisane du xvi'^ siècle, très-bien conservé, est éga-
lement offert de la part de M. André, qui l'a trouvé dans la terre
de son jardin, rue Jablinot, dans le voisinage et à l'intérieur des
anciennes fortifications du marché.
Le Président dépose aussi, de la part de M. Sterlin, maître d'é-
tude au collège, une médaille portant l'effigie de saint Marcel,
pape, et celle de Notre-Dame de Valladolid, médaille de pèlerinage
trouvée dans la cour du collège de Meaux qui fut autrefois un
couvent d'Ursulines ; puis, encore 14 médailles ou monnaies de
cuivrC;, données par M. Lespermont. Quelques-unes sont étran-
gères, russes, italiennes, américaines, etc.; parmi les françaises
se trouve un double tournois de Louis XIII (1617), parfaitement
conservé,
M. l'abbé Denis lit un Mémoire historique et archéologique sur
d' anciennes peintures murales qui décoraient la chapelle de Notre-Dame
du Chevet, maintenant en voie de reconstruction, dans la cathédrale
de Meaux. La description et les détails que l'on doit à M. Denis
conserveront du moins le souvenir de ces peintures, qui n'étaient
pas sans mérite.
M. le docteur Le Roy donne, à propos d'un incident de la der-
nière séance, quelques détails sur Tindividualité et les œuvres du
Corrége.
L'assemblée entend la lecture que fait M. Torchet, d'un récit
tiré d'une ancienne et fort singulière légende sur le goût de la mu-
sique inspiré à Charlemagne par un talisman, à une époque oh l'on
croyait très- volontiers aux vertus d'objets matériels et inertes.
— 24 —
La séance est terminée par quelques explications que donne
le Président sur les objets apportés par M. Gavé à la séance
de décembre. La substance ayant l'apparence de caoutchouc est,
en effet, un fragment d'une sorte de pain ou bloc de caoutchouc,
comme il en est envoyé des pays de production, et qui doit pro-
venir de quelqu'une des fabriques établies autrefois sur le Morin.
L'objet, paraissant un ossement ou pied d'enfant fossile, est une
très-curieuse géode formée, suivant l'explication donnée par
M. Frédéric Lhuile , de couches concentriques de fer oxydé
hydraté, ocreux, hématite, tapissée à l'intérieur de stalactites re-
couvertes de fer spathique.
Le Président expose aussi des pierres provenant de l'enceinte, à
murailles vitrifiées, de Peran (Côtes du Nord), dont il a été ques-
tion dans une conférence publique du soir.
SECTION DE lYIELUN.
SÉANCE DU 9 JUILLET 1865.
Présidence de M. GRÈS Y.
Le procès-verbal de la précédente séance, lu par le secrétaire,
est adopté sans observation.
Il est procédé au dépouillement de la correspondance.
M. le baron de Lassus Saint-Geniès, préfet du département de
Seine-et-Marne, annonce qu'il accorde une subvention de 100 francs
pour aider au payement des fouilles de la place Notre-Dame de
Melun.
M. Anatole de Barthélémy, secrétaire de la Commission de la
Topographie des Gaules, annonce également que cette Commission
a voté un nouveau crédit de 200 fr. pour la môme cause.
Des remercîments sont votés à M. le baron de Lassus Saint-
Geniès et à la Commission de la Topographie des Gaules.
MM. Prévost et Bernardin, présentent pour être nommé mem-
bre de la Société, M. Roblin, pharmacien à Brie-Gomte-Robert.
La section décide qu'il sera statué sur cette proposition par un
vote dans la prochaine séance.
— 25 —
Il est voté ensuite sur l'admission de M. Henri Chapu, du Mée,
statuaire, demeurant à Paris, rue de Lille, n° 92.
M. Chapu, ayant réuni l'unanimité des suffrages, son admis-
sion sera proposée au Comité central de la Société.
La parole est accordée à M. Leroy, qui donne lecture de la suite
de son Rapport sur les fouilles de la place Notre-Dame.
A la suite de cette lecture et sur la proposition du bureau de la
Société, les membres présents votent à l'unanimité une subven-
tion de dOO francs, à prendre sur les fonds de la Section, pour ai-
der au payement des frais de ces fouilles.
Il est ensuite donné lecture des travaux suivants :
Par M. Lhuillier, Dépouillement sommaire de quelques ouvrages
offerts a la Société.
Par le secrétaire, au nom de M. Bernardin, Les foires de Brie-
comte-Robert.
Par M. G. Leroy, Une visite à Saint-Loup-de-Naud.
Et par M. Labiche, Isis à Melun.
La section décide le renvoi de ces travaux au Comité central.
SÉANCE DU 13 AOUT 1865.
Présidence de M. GRÉS Y.
Le procès-verbal de la précédente séance, lu par le secrétaire,
est adopté sans observation.
M. le Président après avoir annoncé que S. E. le Ministre
de l'Instruction publique accorde à la Société une subvention de
350 francs, dépose sur le, bureau un exemplaire d'une : « Etude
» historique et paléographique sur le rouleau mortuaire de Guillaume
)) des Barres, comte de Roche fort^ grand sénéchcd du roi Philippe-Au-
» gusfe, décédé au couvent de Fontaine-les-Nonains , près Meaux, le 22
» mars 1233 », dont il est l'auteur.
M. le Président annonce qu'il y a lieu de voter sur la demande
d'admission de M. Robjin, pharmacien à Brie-comte-Robert.
L'admission de M. Roblin est votée et sera soumise à l'appro-
bation du Comité central.
Sur la proposition de MM. les membres du bureau, sont pré-
sentés au Comité central comme membres correspondants, M. Si-
raudin (de Melun), vérificateur des poids et mesures, membre de
la Société des sciences et belles-lettres de Bayeux (Calvados), rési-
— 26 —
danten cette ville, et M. Dubois, secrétaire de la mairie d'Amiens
(Somme).
Il est domié lecture des travaux suivants :
Par M. Lhuillier, Note bibliographique sur quelques ouvrages of-
ferts par M. Dubois, secrétaire de la mairie d'Amiens.
Par M. Leroy, Notice sur les épidémies melunaises pendant le
moyen-âge; Note sur une villa antique près de Melun, et sur des po-
tiers gallo-romains.
Par M. Labiche, deux pièces de poésies intitulées : La petite fille
et les deux roses; Ne troublons pas nos jeux.
Et par M. Grésy, Iconographie de Saint-Loup, empruntée, suivant
la légende, à l'art local.
M. le comte de Bonneuil fait observer qu'en 1849 il a publié,
dans le Bulletin monumental de M. de Caumont, une notice sur l'an-
cien prieuré de Saint-Loup-de-Naud, près Provins. Il pense que le
sujet, sculpté sur le portail de cet édifice et qui représente un per-
sonnage couvert d'un^ cloche, dans l'attitude de l'humiliation, se
rapporte à l'envoyé du roi Glotaire, restituant les cloches de la ca-
thédrale de Sens, et faisant amende honorable à Saint-Loup.
M. Grésy répond, qu'en effet, cette interprétation, qui diffère
de la sienne, peut également être admise.
SÉANCE DU 3 SEPTEMBRE 1865.
Présidence de M. GRÉSY.
Le procès-verbal de la précédente séance , lu par le Secrétaire ,
est adopté sans observation.
M. le Président communique les lettres de remercîments adres-
sés par MM. Siraudin et Dubois, à l'occasion du titre de membre
correspondant, qui leur a été décerné par la section do Melun,
dans sa dernière séance, et que le Comité central a conlirmé.
M. Roujou dépose sur le bureau l'ouvrage suivant, dont il fait
hommage à la Société : Recherches sur l'âge de pierre quaternaire
dans les environs de Paris , suivies de quelques observations sur l'an-
cienneté de l'homme.
Il est donné lecture, savoir :
Par M. Lcmairc : de la Roue herie-j urée à Coulommiers , au xv'
siècle.
— 27 —
Par M. Lhuillier, au nom de M. SoUîer : d'une Notice sur l'ancien
couvent de Moret. M. Grésy fait observer, à ce sujet, qu'il possède
un portrait de la religieuse dite la Négresse de Moret , d'après
l'original conservé à la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris.
Il offre de le communiquer à l'une des prochaines séances de la
Section.
Par M. G. Leroy, d'une notice intitulée : Melun sous Henri IV,
(1390-1610.)
Par M. Labiche, d'une fable ayant pour titre : V Esprit fort et le
Croyant.
Et par M. Lhuillier : de VEtat du domaine de Crécy-en-Brie au
XVII® siècle.
Tous ces travaux, à l'exception de la Notice sur Grécy , par
M. Lhuillier, qui déclare la réserver pour une publication parti-
culière , sont renvoyés au Comité central, pour être insérés dans
le Bulletin.
M. le Président annonce qu'en raison de la séance générale de
la Société, fixée au 13 octobre prochain, la Section ne se réunira
pas avant le premier dimanche de novembre.
SÉANCE DU 5 NOVEMBRE 1863.
Présidence de M. H. FRÈTE AU de PÉNY.
En l'absence du Président empêché, le fauteuil est occupé par
le Vice-Président de la Section.
Le procès-verbal de la dernière séance est adopté sans obser-
vation.
Il est donné lecture d'une lettre de M. le baron de Beauverger
au Président de la Société, par laquelle M. de Beauverger fait
savoir qu'il est dans l'intention d'offrir à la Société une médaille
d'or de 200 fr. pour le meilleur Mémoire sur l'historique de
l'Agriculture dans Seine-et-Marne, qui serait mis au concours.
La section accepte avec reconnaissance la proposition de M. de
Beauverger.
Des demandes d'admission , comme membres titulaires , sont
formées par M. Auguste Godin, fabricant d'ébénisterie artistique,
demeurant à Paris, rue du Harlay , 7, et M. Eugène Godin,
statuaire, demeurant aussi à Paris, rue Lallier, 6, tous deux
— 28 —
présentés par M. le docteur Gillet et M. l'abbé Dégoût. Une
semblable demande est faite par M. Darnay, photographe à Me-
lun, présenté par MM. Courtois et Leroy. Il sera statué dans la
prochaine séance.
M. Leroy donne lecture d'une note sur la situation financière
des fouilles exécutées sur la place Notre-Dame de Melun , dans le
cours de l'été dernier.
La Section décide que le reliquat actif constaté par cette note,
restera déposé entre les mains du trésorier de la Société, pour
recevoir la destination qui sera indiquée ultérieurement. Elle
autorise le Bureau à faire les démarches nécessaires , auprès de
l'Administration municipale de la ville de Melun, pour la clôture
de la galerie oh sont déposées les antiquités provenant de ces
fouilles.
M. Lhuillier lit, au nom de M. Bréan, membre correspondant,
le compte - rendu de découvertes archéologiques qu'il a faites à
Gien en 1865. — Remercîments à M. Bréan, et dépôt de son
travail dans les Archives de la Société.
Il est successivement donné lecture des travaux suivants , sa-
voir :
Par M. Lemaire : Notes sur la fondation des Célestins de la Sainte-
Trinité de Marcoussis.
Par M. Labiche : VAne de la reine Berthe, fable.
Et par M. G. Leroy : Les Archers et les Arquebusiers de Melun.
Renvoi au Comité central.
M. le docteur Gillet communique une médaille de Faustinc et
deux petits vases funéraires en terre, trouvés avec plusieurs
crânes et ossements dans la plaine de la Varenne de Melun , sur
l'emplacement de l'ancienne nécropole de Melodunum.
Le Secrétaire est invité à prendre note de cette communication,
pour servir à la rédaction du Dictionnaire Archéologique de Seine-
et-Marne.
SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1865.
Présidence de M. GRÉS Y.
Le procès- verbal de la dernière séance est adopté sans observation.
Il est donné connaissance de sujets de concours scientifiques et
littéraires, avec prix offerts par la Société académique de Brest.
— 29 —
Des documents adressés par MM. le comte de Létouville et
Liébert sont renvoyés à la Commission du Dictionnaire Archéolo-
gique de Seine-et-Marne.
L'admission de : 1° M. Auguste Godin , fabricant d'ébénisterie
artistique, demeurant à Paris, rue du Harlay, 7 ; 2° de M. Eugène
Godin , statuaire , demeurant à Paris , rue Lallier, 6 ; 3° et de
M. Darnay, photographe à Melun , est mise aux voix et adoptée.
Ces admissions seront soumises au Comité central.
II sera statué ultérieurement sur une demande d'admission
formée par M. Blot, artiste à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais.)
Il est successivement donné lecture des travaux suivants :
Par M. Sollier : Le couvent de Moref.
Par M. Labiche : Le berger et le lion , fable.
Et par \l. Gaucher : Note sur le sceau des comtes de Varax , sei-
gneurs de Nanteuil-sur- Marne.
M. Grésy présente le fac-similé du portrait de la religieuse dite
la Négresse de Moret, dont l'original existe à la bibliothèque Sainte-
Geneviève de Paris.
M. G. Leroy annonce qu'il vient d'être trouvé dans l'église St-
Aspais de Melun, une pierre tumulaire du xiv^ siècle, qui paraît
provenir de l' Hôtel-Dieu Saint- Jacques de la même ville.
M. Grésy annonce aussi que M. Carro, président de la section
de Meaux, a signalé à la Société des Antiquaires de France la
découverte d'une sépulture très-ancienne faite à Vignely, près
Meaux. On y a recueilli des fragments d'os formant un chapelet.
SÉAiNCE DU 7 JANVIER 1866.
Présidence de M. GRÉSY.
La séance est ouverte à une heure.
Le procès- verbal de la précédente séance est adopté sans obser-
vation.
Une demande d'admission, comme membre titulaire, faite par
M. Hérisé, imprimeur à Melun, est présentée par MM. Lhuillier
et Leroy.
Il est successivement donné lecture des travaux suivants :
Par M. Lemaire, Note sur d'anciens tombeaux découverts récem-
ment dans la cour d^ honneur de la préfecture.
— 30 —
Par M. Lhuillier, Compte-rendu de plusieurs ouvrages offerts à la
Société.
Par M. Labiche, la Colombe infidèle^ fable.
Par M. Gaucher, Note concernant le fabuliste Lafontaine; — Indi-
cation des antiquités et curiosités de la commune de Champdeuil et des
environs.
Tous ces travaux sont renvoyés au Comité central.
Sur la proposition de M. Courtois, des remercîments sont votés
à M. le Préfet de Seine-et-Marne, pour le dépôt au Musée de
Melun, des objets dont il est question dans la notice de
M. Lemaire.
M. Leroy annonce que des chapiteaux, trouves dans l'intérieur
d'un mur de l'ancienne église Saint-Ambroise de Melun, ont été
également déposés au Musée.
M. Grésy rend compte de la vente, à l'hôtel des commissaires-
priseurs de Paris, d'un tableau original concernant le souvenir de
l'apparition du grand veneur à Henri IV, dans la forêt de Fontai-
nebleau.
M. Schreuder signale, comme pouvant être utilisé pour le bul-
letin de la Société, le procédé de gravure dû à feu M. Duloz, mem-
bre de la Société des anciens élèves des écoles d'arts et métiers. Ce
procédé donne des résultats satisfaisants et peu coûteux.
M. Courtois présente différentes monnaies anciennes et mo-
dernes, trouvées à Réau et données par M. Rousseau au Musée
de Melun.
M. Lemaire présente également une monnaie d'argent à l'effigie
de Henri II [, trouvée dans une vigne à Ghartrettes.
SÉANCE DU 11 FÉVRIER 1866.
Présidence de M. G If ES Y.
La séance est ouverte à une heure.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
Dépouillement de la correspondance : S. E. M. Drouyn de
Lhuys, MM. Gaudard, de May et Qucsvers expriment leurs re-
grets de ne pouvoir se trouver à la séance de ce jour. Lecture est
donnée d'une circulaire de S. E. le Ministre de l'Instruction
publique, relative à la réunion des Sociétés savantes, h la Sor-
honne, on avril prochain. — Indication d'ouvrages, de fac-similé
— 31 —
d'autographes et d'assignats offerts à la Société par M. le baron
de Girardot, membre correspondant. — Concours ouverts par la
Société d'Apt en 1866. — Accusés de réception du bulletin par
la Société des antiquaires de Normandie, la Société archéologique
d'Avesnes et l'Académie impériale de Savoie.
L'admission, comme membres titulaires, de M. Hérisé, impri-
meuf à Melun, présenté par MM. Lhuillier et Leroy, et de
M. Blot, statuaire à Boulogne-sur-Mer, présenté par MM. Cour-
tois et Leroy, est adoptée à l'unanimité. Cette admission sera sou-
mise au Comité central.
Une proposition tendant à l'admission de dames, soulève une
question de principes, dont la solution est renvoyée au Comité
central et, s'il y a lieu, à l'Assemblée générale de la Société.
Il est donné lecture des travaux suivants :
Par M. Lhuillier, La succession de l'abbé Seguy.
Par M. Labiche, le Renard et VOie^ fable.
Par M. Grésy, Note sur des méraux de Suint-Père de Melun, et
delà collégiale de Champeaux.
Renvoi au Comité central.
SECTION DE PROVINS.
SÉANCE DTJ 29 AOUT 1865.
Présidence de M. le comte d'HARCOURT.
La Section de Provins s'est réunie à l'hôtel-de- ville, salle de la
Bibliothèque.
Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la dernière
séance.
Le Président invite la Section à délibérer sur l'admission,
dans la Société, de cinq nouveaux membres :
M. Arnoul, propriétaire à Maisonrouge;
M. De Béviile, général, aide-de-camp de TEmpereur, proprié-
taire à Cerneux;
M. De Bréville, sous-préfet de Provins;
M. Cave, caissier de la Recette particulière de Provins;
— 32 —
M. Michaux (Louis), propriétaire à Provins.
Après cette opération et conformément aux statuts de la Société
et au règlement de la Section , la nomination des nouveaux
membres admis sera soumise à l'approbation du Comité central.
Plusieurs communications sont ensuite faites par M. de Ponté-
coulant :
i° Sur des fouilles entreprises au tumulus de Mirevault, par
M. Profit, cultivateur, et sur un cachet trouvé dans ces fouilles,
et offert à la Section de Provins par jNI. Profit;
2° Sur la carte des Gaules, dont un exemplaire sera prochaine-
ment adressé à la Section de Provins, qui sera chargée de com-
pléter cette carte, en ce qui concerne la région comprise dans
l'arrondissement de Provins.
3° Sur les dalles tumulaires existant dans l'église de Pécy, et
que M. Des Farges déclare avoir le projet de faire relever et
sceller verticalement, le long des murs de l'église, afin d'en assurer
la conservation.
M. Jules Michelin donne quelques renseignements sur une
pierre de lance trouvée à Septveilles, dans une carrière, et offerte
au musée de la Bibliothèque de Provins.
M. Félix Bourquelot lit un travail sur les monnaies provinoises
connues sous le nom de im^es provinoises ou de sous provinois du
Sénat, et qui ont eu cours en Italie, du xii'= au xv^ siècles.
M. de Pontécoulant entretient ensuite la Section du projet d'or-
ganisation des cours et conférences publiques du soir, pendant
l'hiver prochain. Il annonce qu'il prêtera son concours à la
Section de Provins en venant faire lui-même plusieurs lectures.
Après une discussion à laquelle prennent part tous les membres
présents, la Section décide qu'elle examinera à nouveau ce projet,
qu'il n'a point été possible de mettre à exécution pour l'hiver de
1864-1863.
TRAVAUX.
COMPTE-RENDU D'UNE EXCURSION ARCHÉOLOGIQUE
DANS L'ARRONDISSEMEINT DE MEADX,
PAR M. MAXIME BEAUVILLIERS,
Membre fondateur (itcetion de Fontainebleau).
Messieurs et chers Confrères,
Appelé par le Bureau de la Société à l'honneur de vous faire
le récit de l'excursion archéologique des 18 et -19 juillet 1865, dans
l'arrondissement de Meaux, je rencontre, dès le début, deux écueils
qu'il me faut éviter à tout prix.
A leur point de vue particulier, les journaux des cinq arron-
dissements de Seine-et-Marne ont déjà publié séparément des
comptes-rendus, signés de ceux que nous pouvons ranger, avec
juste raison, parmi les confrères les plus laborieux et les plus zélés
de notre Compagnie. — Enfin, bien du temps déjà s'est écoulé
depuis la rencontre dos quarante Sociétaires qui se réunirent,
l'été dernier, au village de Ferrières.
Aussi , malgré son insuffisance , votre rapporteur ose compter
d'avance, Messieurs, sur votre bienveillante indulgence. Cédant
donc de préférence à certains penchants historiques et littéraires ,
et plutôt touriste et chroniqueur que monographe architectonique
et sculptural , nous nous proposons de renfermer ce travail dans
d'étroites limites.
Avant de résumer l'emploi de ces heures si rapidement écoulées
et si délicieusement remplies, nous ne pouvons résister au plaisir
de retracer le curieux et piquant tableau, présenté parla caravane
au moment de son arrivée à Ferrières , lieu fixé pour le rendez-
vous général.
3
— 34 —
Sur la place du bourg de Perrières, avec une précision toute
mathématique, près de la porte de la modeste auberge où se trou-
vait préparé le déjeuner, débouchèrent et s'arrêtèrent en même
temps, les voitures amenant les divers Sociétaires, appartenant
aux cinq Sections du département.
Là, se trouvèrent réunis près de 40 excursionnistes, sous la
présidence de M. le marquis de Pontécoulant, et sous celles de
MM. Garro père, Eugène Grésy, Anatole Dauvergne, présidents
de Sections. M. Félix Bourquelot, vice-président de la Société,
obligé de prendre part aux examens annuels de l'École des Char-
tes, s'était fait excuser, ainsi que M. Jules David, président de la
Section de Fontainebleau, retenu par ses fonctions administratives.
1" JOURNÉE. — 18 JUILLET 1865.
ÉGLISE ET CHATEAU DE DERRIÈRES.
Suivant l'expression pittoresque de nos voisins d'Outre-Manche,
le château de Ferrières était the qveal ^attraction de la journée, mais
la jolie petite église du lieu,. naguère si délabrée, aujourd'hui en
cours de réparation, dut avoir le pas sur la splendide habitation
du Roi de la Finance.
Placée sous le vocable de saint Rémi , archevêque de Reims ,
construite aux xiii^ et xiv^ siècles, ornée de vitraux de la même
époque, l'église de Ferrières est regardée généralement comme
l'un des édifices les plus complets de la Brie champenoise.
Nous y avons remarqué plusieurs dalles tumulaires fort intéres-
santes, que nous espérons bien voir relever prochainement le long
des parois de l'église, afin d'éviter leur totale destruction.
Deux choses méritent d'attirer l'attention du visiteur^ à son en-
trée dans la chapelle de la Vierge : d'abord une épitaphe , puis un
tableau représentant Marie soutenant l'Enfant-Jésus. L'épi taphe
est celle de Léonard de Goulas, qui mourut à Paris le 19 juillet 16G1,
seigneur châtelain de Ferrières, et secrétaire des commandements
de S. A. R. Mg' Gaston de France, duc d'Orléans. Ce ne dut pas
être, signalons-le en passant, une vaine sinécure que l'emploi du
seigneur de Goulas. Avec ses trames continuelles, conspirateur et
dupé tour à tour, Gaston du! donner de la tablature à tous ses
secrétaires, et surtout ù, M. de Goulas.
Les annalistes sont loin d'être d'accord sur l'origine du tableau
— 35 —
ornant la chapelle de la Vierge. Les uns veulent simplement qu'il
ait été offert par M. Racine de Jonquoy, trésorier-général des ponts-
et-chaussées, qui posséda la seigneurie de Ferrières vers 1737 ;
d'autres prétendent qu'il est l'œuvre de cet ancien seigneur.
Château de Ferrières.
Par un de ces privilèges qui demeurent acquis à la province de
la Brie meldoise, presque tous les lieux de cette contrée rappel-
lent des noms célèbres , des événements mémorables , de grandes
illustrations de race. — Dût-elle, comme on l'en a accusée dédai-
gneusement quelquefois, ne ramasser que les miettes de l'histoire^
l'archéologie provinciale s'estime encore heureuse de pouvoir
rattacher à l'histoire générale de notre pays , le récit des événe-
ments qui se sont accomplis à l'ombre de ces forteresses du temps
passé, derrière ces antiques et imposants manoirs.
Ne nous hâtons donc pas de dire que l'Archéologie n'avait rien
à constater à Ferrières. L'habitation du banquier des têtes cou-
ronnées, comme on l'a surnommé, est, il est vrai, toute moderne,
mais le village de Ferrières est souvent cité dans nos vieilles
chroniques.
Dans la généalogie des grands officiers de la Couronne, figure
un des anciens seigneurs de Ferrières , Raoul ou Radulfe , qui
donna vers 1150, au prieuré de Gournay , une dîme lui appar-
tenant. — En compulsant les annales de la maison de Montmo-
rency, on voit qu'en 1366, il fut fait hommage du fief de Ferrières-
en-Brie , au seigneur de Montmorency, comme ayant le bail de
damoiselle Philippe de Montmorency. ~
Aux xvi'' et xvn' siècles, la terre de Ferrières fut possédée par
divers représentants des deux familles parlementaires de Marillac
et de La Briffe. Pierre-Armand de La Briffe, procureur-général
au parlement de Paris, mort en 1700, obtint du roi Louis XIV
l'érection de la seigneurie de Ferrières en marquisat.
Louis Bossuet, maître des requêtes, neveu de Bossuet , évêque
de Meaux, épousa la fille de ce La Briffe le 22 février 1700. La voix
du grand orateur sacré se fit entendre plus d'une fois sous les
voûtes de l'église de Ferrières. L'abbé Ledieu, chanoine, secrétaire
de Bossuet, sous la date du 26 septembre 1702 , a consacré dans
son Journal quelques lignes à l'ancien château.
0 La maison est à l'antique, dit-il, mais grande et logeable, avec
» une galerie raisonnable et de beaux fossés à sec bien revêtus.
— 36 —
» Toute la vue est sur un étang et sur le parc, grand et spacieux,
» bien planté tout autour de l'étang. Les allées y sont belles ; la
» chapelle est très-propre , bien ornée et bien placée pour la dé-
» cence et la commodité. »
Le domaine de Ferrières appartient depuis plus de 30 ans à
M. le baron James de Rothschild. Il a été acquis par lui des
héritiers de Pouché, duc d'Otrante, moyennant 2,600,000 fr. Con-
sidérablement agrandi et augmenté depuis, il comprend aujour-
d'hui plus de 1500 hectares.
Dans un siècle un peu trop enclin à croire à l'infaillibilité du
pouvoir de l'or, pourquoi ne signalerions-nous pas un l'ait étrange
et piquant à la fois? — Gomme un simple métayer villageois,
M. de Rothschild est assujetti aux servitudes de la propriété ru-
rale. Au beau milieu de son vaste domaine, se trouve une gênante
enclave de six hectares , qui coupe une superbe avenue et dont il
ne p'ut faire l'acquisition. Grande leçon morale, bien faite pour
démontrer hautement qu'il n'est pas de puissance vraiment abso-
lue sur la terre !
Constatons encore une particularité digne de remarque. Les
deux royautés financières de notre époque se touchent h la ville
comme à la campagne. Si Ferrières appartient aux Rothschild, les
fr"^res Péreire possèdent les terres contiguës d'Armainvilliers. Les
deux puissances rivales et presque parallèles da marché Européen,
semblent donc destinées à vivre côte à côte, à se rencontrer et à se
heurterpartout, aussi bien sur le théâlre de leurs opérations indus-
trielles,que dans les loisirs de leur villégiature.
Personne n'avait encore été autorisé à prendre, même sur un
album , l'esquisse du château tout nouvellement construit de
Ferrières, avant la visite de l'Empereur qui eut lieu le 16 dé-
cembre 1862. Avec les trésors dépensés par M. de Rothschild
pour la réparation de l'ancien château et l'édification du nouveau,
la France eût pu être dotée d'un chef-d'œuvre do plus. Mais cons-
truit dans un genre bâtard, le château do Ferrières, à l'extérieur,
manque, il faut bien le dire, de style et de véritable grandeur. On
reconnaît, dans l'œuvre de l'anglais Paxton, de nombreuses rémi-
niscences de Ghambord et de Ghenonceaux; mais que n'a-t-il égale-
ment emprunt ('■ la majesté et l'élégance architecturales de ces
deux palais jumeaux des bords de la Loire !
Admirablement dessiné, mais complètement dépourvu d'acci-
dents de terrain , et privé de perspectives , le parc de Ferrières
ressemble fort au bois de Boulogne et au pré Gatelan. Les bassins
— 37 —
sont immenses et bien empoissonnés , mais les eaux , comme à
Trianon, manquent de cette limpidité sans égale qU'e possèdent
celles de Fontainebleau. — Notre attention s'est également portée
sur le Sequoïagtgontea , planté dans le parc par l'Empereur, sui-
vant la coutume allemande, en souvenir de sa visite. Cet arbre
exotique a déjà pris un développemient rercarquable.
Si la demeure de M. de Rothschild ressemble à une moderne
et somptueuse villa , transportée des Champs-Elysées dans les
plaines de la Brie; si la construction extérieure du palais de Fer-
rières donne quelque prise à la critique, on est forcé d'admirer sans
restriction le bon goût et la richesse de la décoration intérieure.
Un escalier à double révolution conduit dans le Hall. Cette im-
mense pièce occupe le milieu du château, en prend toute la hau-
teur, et se trouve fermée h 20 mètres du sol, par une toiture vi-
trée, éclairée le soir par 1,150 becs de gaz comme le Théâtre- Ly-
rique. Par sa disposition, le Hall rappelle l'immense salle des
gardes, dans laquelle se déroule l'incomparable escalier à double
vis et en forme de tire-bourre du palais de Chambord.
Autour du Hall rayonne une suite d'appartements qui n'en sont
séparés que par une charmante galerie. Tout est admirablement
combiné pour le comfort et la commodité des possesseurs et des
hôtes de cette princière demeure. Par un véritable raffinement de
prévoyance, qu'on ne saurait trop apprécier dans la saison d'au-
tomne, outre les escaliers de service, il existe un escalier spécial,
ménagé pour les chasseurs, afin de ne pas troubler le sommeil des
autres invités, par le bruit de leur départ matinal.
La plume se refuse à décrire toutes les raretés artistiques, ren-
fermées dans ce véritable musée qu'on appelle le Hall, oîi règne
beaucoup de profusion unie à quelque peu de confusion. Nous ne
pouvons que citer, h la hâte, un splendide fauteuil bysantin, des
toiles de Joseph Vernet, de Velasquez, du Guide, de Van Dyck,
du Giorgone, de Van Mole, des tapisseries de haute lice, et enfin
une bibliothèque de 8,000 volumes environ.
Dans le salon de famille, est exposé le trône de l'Empereur de
Chine, qu'un membre de la maison de Rothschild a rapporté de
Pékin. Une riche étofie orientale couvre cette espèce de lit' de re-
pos, surmonté du dragon à cinq griffes. C'est dans le petit salon
particulier de M. de Rothschild, orné de tapisseries des Gobelins,
faites sur les dessins de Boucher (( qu'au milieu de la charmante
» journée du 16 décembre, » l'Empereur s'est retiré pour prendre
une demi-heure de repos et expédier ses dépêches.
— 38 —
La chambre à coucher possède plusieurs merveilles picturales
anciennes, au milieu desquelles on aperçoit, non sans quelqu'éton-
nement, l'un des chefs-d'œuvre de Roqueplan : u Rousseau con-
duisant par la bride la monture des demoiselles de Galley et de
Graffenried, et les aidant à traverser un ruisseau. »
Ce charmant épisode des Confessions si délicieusement interprété
par l'élégant pinceau du peintre français, fait regretter plus vive-
ment encore l'absence du tableau du même artiste, faisant pen-
dant et qui représente Jean Jacques monté dans l'arbre, lançant
des cerises dans... le tablier de ces rieuses et aimables jeunes
filles.
Le fumoir tout tapissé en cuir de Russie, couleur tabac, avec
ses fresques d'Eugène Lami, la petite salle à manger avec ses ani-
maux de Philippe-Rousseau, mériteraient une description détail-
lée, mais pour laquelle le temps nous manque.
A l'extrémité du salon, se trouve un petit oratoire Israélite ;
tout y est simple et de bon goût. Cette simplicité plaît au milieu
du luxe des autres pièces; elle repose l'âme et l'esprit, et invite
à la méditation.
Dans la salle à manger, pour la plus grande facilité du service,
des crédences sont établies sur toutes les faces de l'appartement,
orné de solives apparentes et peintes, rappelant la belle salle des
gardes de Fontainebleau.
C'est ici l'occasion, après cette halte à Ferrières, de dire un mot
des débuts de la fortune des Rothschild, et des causes de la juste
et universelle considération qui entoure, depuis trois quarts de
siècle, ces Rois de la Finance. — En 1793, Meyer Rothschild, ban-
quier à Francfort, fut choisi comme dépositaire de l'immense for-
tune du Landgrave de Hesse-Cassel. Plein de confiance, le prince
ne voulut pas accepter le reçu de son banquier. Peu de temps
après, Meyer Rothschild perdit une grande partie de sa fortune
dans le pillage de sa maison, mais il fut assez heureux pour sau-
ver le dépôt du prince, et le faire valoir dans de fructueuses opé-
rations financières. Au retour des années paisibles, il le restitua
fidèlement au Landgrave, avec les intérêts accumulés. Telle est l'o-
rigine de la royale clientèle et do l'immense crédit des Rothschild.
De pareils traits sont d'incontestables et solides titres -de no-
blesse pour cette maison, dont le prestige et la puissance se sont
encore accrus avec les années. Ce sont là, sans contredit, les plus
beaux fleurons de la couronne de ces hauts barons de la Finance.
— 39 —
E..%GI1Y.
Mais le temps qui nous presse, nous force de quitter ce lieu en-
chanté, et de gagner Lagny. Station intermédiaire entre Ferrières
et Meaux, Lagny, par lessouvenirs historiques et littéraires qu'elle
rappelle^ se recommandait à l'attention d'rno Société qui compte
parmi ses membres plusieurs lauréats des concours académiques
et littéraires. — Dans ses recherches, Pasquier constate qu'une
institution pareille à celle des Jeux floraux de Toulouse, existait
déjà de son temps à Lagny, et que chaque année des récompenses
y étaient décernées aux fêtes de la Pentecôte. Lagny a donné
le jour à un littérateur du commencement du xiii* siècle : Geof-
froy de Leigny ou de Lagny, généralement regardé comme le
continuateur du Roman de la charrette ou de Lancelot, commencé
par Chrestien, de Troyes. — Une autre illustration de Lagny, fut
le chancelier de France, Pierre d'Orgemont, mort en 1389.
Le remarquable cartulaire de Lagny, formé pendant le règne de
François I" et conservé à la Bibliothèque impériale, est l'œuvre
de Nicolas Vincelot de Lagny, procureur fiscal sous l'abbé Fran-
çois de Clermont, cardinal-archevêque d'Auch.
Suger, le savant abbé de Saint-Denys, ministre de Louis VII,
rapporte qae Lagny était le centre d'opérations commerciales fort
importantes, et que les églises pauvres y engageaient leur argen-
terie.
Le vieux monastère de Saint-Furcy fondé, suivant la tradition,
par Saint-Furcy, gentilhomme irlandais, est aujourd'hui complè-
tement délaissé et converti (ô profanation !) en écuries et en maga-
sins. — De ce couvent, véritable et vénérable pépinière de saints
et de doctes bénédictins, il ne reste plus qu'une seule arche en
plein cintre. •
L'Église paroissiale de Lagny, bâtie en 1017, brûlée et recons-
truite en 1206, restaurée au xvi'' siècle, est remarquable par un
large et profond iriforium^ ouvert et semi-circulaire, qui contourne
l'abside. Deux personnes de front peuvent circuler librement dans
ces tribunes hautes.
A Lagny, la caravane abandonna les voitures pour se rendre di-
rectement à Meaux, par la voie ferrée. Dès son arrivée dans cette
ville, elle s'empressa de se diriger vers la Cathédrale, pour en
— 40 —
admirer les beautés. Il était alors environ sept heures du soir.
Eclairée comme nous l'avons vue au déclin du jour par les feux
du soleil couchant, la façade de la vieille basilique nous sembla
revêtir alors un double et incontestable caractère de majesté et de
grandeur.
Le tympan du portail du milieu de la façade principale est orné
de ces sculptures symboliques, si familières aux architectes du
moyen-âge. On donne à cette page sculpturale une interprétation,
que nous rapportons sans prétendre en garantir l'exactitude.
« A droite, l'enfer est indiqué par des flammes; à gauche, le pa-
radis est tiguré par des saints placés dans leurs niches. Un
homme, couronne en tête, Philippe-le-Bel, semble vouloir se diri-
ger résolument vers le paradis, mais un ange le retient sévère-
ment par le bras, et l'empêche d'aller plus loin. Sa femme, Jeanne
de Navarre, qui dota si généreusement la cathédrale de Meaux,
intercède auprès de Saint-Pierre, armé de son énorme clef, et sem-
ble demander grâce en faveur du roi faux-monnayeur. »
La physionomie, à la fois rébarbative et paterne du gardien du
paradis, reflète spirituellement ses irrésolutions. Lorsque l'œil se
détache de cette œuvre sculpturale, on demeure presque convaincu
que les grâces éloquemment suppliantes de la reine Jeanne, ne tar-
deront pas à vaincre la résistance du prince des Apôtres.
Dans son Histoire de Meaux, notre confrère M. Carro a repro-
duit cet ingénieux commentaire de la principale voussure de la
cathédrale, emprunté à feu M. Letronne, membre de l'Institut.
Détruite par les Normands, recontruite par Gautier l" dit le
Sage, évêque de Meaux, la cathédrale renferme des beautés de
premier ordre. On remarque tout d'abord la hauteur, la délica-
tesse du sanctuaire, et surtout l'abside qui s'élève brillante de
grâce, de légèreté et d'harmonie dans une atmosphère paisible et
lumineuse, tamisée par des vitraux du plus pur style flamboyant.
Si l'on en croit la tradition, la tête couronnée placée dans le
rond-point du chœur, serait celle de Jeanne de Navarre, qui con-
sacra des sommes considérables pour la construction des voûtes du
rond-point et de la flèche.
Le nom de Bossuet, on peut le dire, est inséparablement lié à
l'évôché de Meaux, dont il est l'honneur et la gh^re impérissables.
— Dès qu'on pénètre sous les voûtes de la vieille cathédrale, les
yeux se portent instantanément sur cette chaire dont il a franchi
tant de fois les degrés, pour l'illustrer à jamais. L'un des pan-
neaux porte encore la date de 1618. Pendant près de 20 ans, du
— 41 —
haut de cette tribune catholique, a retenti la voix éloquente du plus
puissant de nos orateurs sacrés.
On aime à se représenter Bossuet dans cette chaire, l'œil en feu,
le front inspiré, les mains étendues sur la foule qu'il tenait hale-
tante et suspendue aux mâles accents de son génie. Sous cette
froide statue de marbre, tristement reléguée dans une nef latérale,
sous cette physionomie placide et reposée, nous reconnaissons dif-
ficilement le grand évêque, à la parole tonnante et majestueuse. Il
n'a, certes, pas été heureusement inspiré, l'artiste qui nous a re-
présenté l'auteur des Oraisons funèbres assis, et non debout dans
la chaire où nul ne l'a surpassé depuis. Le sculpteur nous a, peut-
être, donné l'image exacte de l'écrivain méditant le Discours sur
'histoire universelle, mais à coup sûr, nous eussions préféré l'ora-
teur sacré.
La mémoire du riche et libéral bourgeois Jean Rose, véritable
Petit Manteau bleu du moyen-âge, s'est conservée depuis cinq siè-
cles, avec une vénération non interrompue, parmi la population
Meldoise. Cédant à la générosité de son cœur, et tout en faisant
le commerce du blé, Jean Rose achetait un peu plus cher que les
autres en temps de baisse, et la hausse venue, il vidait ses greniers
sur place, à un prix moins élevé que le cours. Il fonda, en 1336, un
hôpital pour 23 pauvres aveugles et pour 10 jeunes enfants qu'il
fit instruireà ses frais, y joignit 12 lits pour les pauvres sans asile,
établit deux religieux pour desservir l'hôpital converti, dès 1647,
en chapelle pour le Séminaire.
La pierre tombale de Jean Rose a été relevée récemment, et en-
castrée dans le mur d'une des chapelles du bas-côté de droite delà
cathédrale. Cette dalle est remarquable par d'élégantes ornemen-
tations du xiv'^ siècle et des incrustations en marbre blanc; deux
personnages y sont figurés côte à côte. L'inscription indique que
Jean Rose mourut en 1364, et sa femme en 1328, bien avant la
fondation de son hôpital.
Il était huit heures du soir, lorsque nous quittâmes la cathé-
drale et le chapitre. Nous ne pûmes que parcourir à la hâte les di-
verses pièces de l'appartement, oii l'un de nos plus dévoués con-
frères, M. Lefebvre-Thiébault, a su réunir une intéressante et
nombreuse collection de médailles, colliers, bagues, fibules,
faïences, tableaux, etc., etc.
Nous aurions désiré visiter le palais épiscopal et le fameux ca-
binet de Bossuet, mais nous craignîmes d'être indiscrets, vu l'heure
tardive. Nous apprîmes le lendemain, que notre docte et pieux
— 42 —
Évêque, monseigneur Allou, comptait sur notre visite, et eût
voulu être notre Cicérone, dans les jardins qui abritèrent le grand
orateur chrétien.
Un souper confortable et fraternel termina la journée, et réunit
toute la caravane.
DEUXIÈME JOURNEE. — 19 JUILLET 1865.
ÇUI]«CY, — COIIII.E.Y.
Les programmes les plus complets ont toujours quelques fis-
sures par où l'imprévu fait brèche. Aussi, la nécessité de parcou-
rir un trop grand nombre de localités dans la même journée, nous
força-t-elle d'opérer quelques éliminations dans notre itinéraire.
Bien que composée, comme eût dit Rabelais « de gens studieux,
» grands amateurs de pérégrinités et singularités de la Brie cham-
)) penoise, » l'escouade archéologique fut obligée (qu'on nous par-
donne ce néologisme), de « brûler » dans la première journée,
plusieurs stations intermédiaires, telles que : Villeneuve-le-Comfe^
Bussy-Saint-Georges, Guermanies, S aint-Thibaut-des- Vignes, et dans
la seconde Pierre^Levée et Montceaux.
Après avoir franchi les faubourgs de Meaux, et gravi le coteau
qui sépare Nanteuil de Mareuil, notre première visite fut pour le
village de Quincy, déjà mentionné dans une vieille charte octroyée
par le roi Saint-Louis. Quincy est célèbre par l'héroïque résis-
tance que les Réformés de ce bourg opposèrent, dans l'intérieur
de l'église, à deux mille Ligueurs. Irrités de la vigoureuse défense
des habitants, retirés sur les voûtes de l'église qu'ils avaient per-
cées de meurtrières, les Ligueurs mirent le feu aux bancs, aux
coffres de l'édifice, et une centaine de protestants périrent étouffés
dans les flammes.
Reconstruite à l'époque de la Renaissance, l'église de Quincy
possède encore deux arcs-doubleaux du xni" siècle. Son lutrin
en fer est très-remarquable comme travail de serrurerie.
Au-delà de Quincy, au bord de la vallée du Grand-Morin, sont
assis les deux villages voisins de Saint-Germain et de Couilly,
séparés seulement par un pont jeté sur la rivière. Après avoir
fait une halte de quelques instants chez M. Laurent-Thomas,
qui voulut bien nous souhaiter la bienvenue dans le pays, après
un coup-d'œil rapide à la chapelle vicariale do Saint-Germain,
nous dûmes visiter avec plus d'attention la jolie et très-élégante
— 43 —
église de Couilly, qui mériterait à juste titre d'être classée parmi
les monuments historiques.
Signalons en passant une des particularités saillantes de cet
édifice : la clef de voûte de l'église, divisée en six branches,
est d'une seule pièce. Chaque branche est terminée par une cor-
niche délicatement sculptée et ornée de diverses figurines. Le
chœur, bien disposé, est précédé de plusieurs colonnettes, reliées
entr'elles, surplombant des piliers cylindriques. Le pilier à droite
du chœur porte le millésime de 'lo42. On voit dans une des nefs
l'épitaphe de Guillaume Poulain, chapelain de l'Annonciation de
Meaux, natif de Couilly, et décédé en 1509.
Quelques annalistes attribuent à Lebrun une peinture, assez
bien conservée, représentant un épisode connu de la vie de sainte
Elisabeth : la sainte rêve qu'elle est fiancée au Divin Sauveur ;
l'Enfant Jésus est dans les bras de la Vierge et passe un
anneau au doigt d'Elisabeth. Ce tableau, ainsi qu'une jolie statue
en marbre blanc de la Vierge, proviennent des libéralités des
anciennes abbesses de Pont-aux-Dames. Par ses proportions,
cette statue rappelle le bijou sculptural de Saint- Ayoul, de Pro-
vins, mais il y a moins de naturel et plus de mièvrerie dans la
pose de la Vierge de Couilly.
L'abbaye de Pont-aux-Dames, située jadis près de Couilly,
n'existe plus. Ce fut là que Louis XVI, dès son avènement au
trône, relégua momentanément la comtesse Du Barry.
La sacristie de Couilly renferme aussi un fort curieux chapier,
donné par M""^ Lefèvre d'Ormesson, qui fut consacrée abbesse
de Pont-aux-Dames par Bossuet.
Au moment de quitter Couilly, nous fûmes rejoints par M. le
comte Audéric de Moustier, qui vint à notre rencontre, et s'as-
socia dès ce moment à toutes les explorations archéologiques de la
seconde journée. Ce confrère, si gracieusement secondé par M"*^ la
comtesse de Aloustier, qui devait nous offrir une hospitalité aussi
affable que courtoise au château de Villegodet, avait hâte de nous
faire les honneurs de La Chapelle-sur-Crécy, regardée comme la
plus jolie église du diocèse, après la cathédrale de Meaux.
CRÉtY. — LA C'uapklm:-sur-c:rÉ€y.
L'heure nous pressant, il fallut traverser promptement la petite
ville de Crécy, digne pourtant d'un examen plus attentif et plus
prolongé. Ce fut à regret que nous nous contentâmes d'entrevoir la
_ 44 —
vieille muraille, fermant l'antique cité jadis si bien fortifiée et
flanquée de nombreuses tours.
Cette ville, fière d'avoir eu pour l'un de ses premiers seigneurs
le vieux favori de Hugues Gapet, Bouchard, comte de Melun et
de Gorbeil, mort en 1012, n'a pas même aujourd'hui de faubourg,
ni de jardins. Le territoire de Grécy, le plus petit du départe-
ment, est tellement étroit que, pour établir un cimetière, la ville
a été obligée d'acquérir un terrain situé sur une commune limi-
trophe.
Crécy s'honore, ajuste titre, d'avoir donné naissance au savant
mathématicien Camus, admis à l'Académie des Sciences dès l'âge
de vingt-huit ans, et mort le 4 mai 1768.
L'église de La Chapelle-sur-Crécy est digne de sa réputation;
l'extérieur en est majestueux , et l'intérieur vraiment ravissant.
On comprend, en la visitant, la faveur toute particulière dont elle
a été l'objet de la part de Sa Sainteté Pie IX qui, dès 1857, lui a
accordé un autel privilégié. Elle est malheureusement fort en-
terrée, le sol ayant été exhaussé de dix pieds. Le chœur, éclairé
par trois étages de fenêtres superposées, conserve le caractère de
l'architecture de la fin du xiii" siècle. Le large et profond triforium
de l'abside forme une véritable tribune.
Près du baptistère, qui porte le millésime de 1531, on remarque
une statue du xv'^ ou du xvi^ siècle, représentant le Père Eternel,
coiffé de la tiare, et supportant .Jésus-Christ, crucifié, sur ses
mains. L'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, à Paris, possède
une statue exactement semblable à celle de La Chapelle-sur-Crécy.
M. le comte Audéric de Moustier. auteur d'un Voyage dans
V Asie-Mineure et dans la Phénicie^ frère de notre ambassadeur
près la Porte-Ottomane, a pris l'initiative d'une utile et heureuse
innovation, dont nous ne saurions trop recommander l'adoption
dans toutes les paroisses. Sur les murs intérieurs de la sacristie
sont tracés, en lettres saillantes, les fastes de l'église de La Cha-
pelle, avec rénumération sommaire des diverses phases de l'his-
toire de cet édifice.
On peut parcourir en quelques secondes ces archives authen-
tiques et facilement accessibles pour tous. Une mélhode aussi
simple et aussi ingénieuse, si elle était mise en pratique à la fois
dans nos églises et dans nos mairies communales, faciliterait et
mettrait à la portée du plus grand nombre la connaissance exacte
et succincte des faits civils et religieux, intéressant l'histoire parti-
culière de chaque localité. C'est là une de ces mesures efficaces
— 45 —
et importantes, 'qu'on ne saurait signaler avec trop d'insistance
à la vigilante attention de Leurs Excellences les Ministres de
l'intérieur, de l'instruction publique et des cultes.
Les archives départementales de Seine-et-Marne sont également
redevables à M. le comte de Moustier de les avoir généreusepient
enrichies de pièces et de titres, concernant le comté de Grécy et
le château de La Chapelle. Il serait fort à désirer que l'exemple de
notre confrère fût suivi par les nombreux détenteurs d'archives
provinciales; les documents relatifs aux divers fiefs seigneuriaux
pourraient être alors consultés avec fruit par ceux qui se livrent
aux études historiques.
Au seuil de son château, et avant de s'adjoindre pour le reste
de la journée à notre groupe archéologique, M. le comte de
Moustier a bien voulu, en des termes empreints de courtoisie et
d'une spirituelle modestie, attribuer uniquement à la remarquable
église de La Chapelle ce qu'il a appelé la bonne fortune d'avoir pu
accueillir (comme convives) les excursionnistes du 19 juillet.
Un parc heureusement accidenté, coupé par de délicieux om-
brages, une galerie historique de portraits de famille, remontant
jusqu'au xiir siècle, auraient dû nous retenir plus longtemps à
La Chapelle-sur-Crécy . Nous ne pûmes ni les traverser, ni les
parcourir, pressés que nous étions d'arriver à Maisoncelles et à
Jouarre.
L'église nouvellement restaurée de Maisoncelles, avec les deux
élégants petits clochers qui la surmontent, était indiquée comme
la première étape de notre après-midi. Notre confrère, maire et
châtelain de la commune, M. Bayard, a présidé, avec le goût et
le dévouement qu'on lui connaît, à la consolidation extérieure do
cet édifice. M. Bayard, rivalisant de prévenance avec son col-
lègue de La Chapelle, avait tout préparé pour une seconde et cor-
diale réception ; mais nous ne pûmes que nous asseoir à sa table,
sans y faire honneur.
A la suite de fouilles pratiquées récemment dans son parc,
M. Bayard a trouvé, enfouis au pied 'd'une croix, plusieurs bas-
reliefs, qu'il a fait placer dans l'église, à droite et à gauche de
l'autel de la Vierge. Ces remarquables sculptures sur pierre
représentent l'Annonciation et l'adoration des Mages et l'entrée
de Jésus à Jérusalem.
— 46 —
M. Anatole Dauvergne pense que ces bas-reliefs ont pu orner,
autre fois, le rétable de Montgodejroy. Il les regarde comme un
des plus beaux spécimens de la sculpture du mh'' siècle.
Sur une pierre commémorative, placée à gauche de la chaire,
se lit l'inscription suivante : (( Cy gist messire Christophe de
» Hidricam, vivant chevalier s'' de Maisoncelles, Saint-Gorge-les-
» Rocher en Toureine et autres lieux, décédé le 7 aoiit 1639, le
» 63^ de son âge, qui a été ynumé dans cette église, à la diligence
)) de dame Marte de Bonneval, son épouse. »
L'église de Maisoncelles possède plusieurs statues en bois du
moyrn-àge : un saint Denis portant sa tête, et une sainte Elisa-
beth, dont la tête est ornée d'une couronne en ter battu.
Nous voici arrivés à Jouarre. Nous renvoyons, pour les détails
sur l'église et sur les célèbres cryptes, à l'excellente et complète
notice faite en collaboration par nos confrères, MM. Bourquelot
et Dauvergne.
L'église paroissiale de Jouarre a été reconstruite dans le courant
du xv^ siècle. Toute la légende de sainte Madeleine est repré-
sentée sur un vitrail du chœur, peint suivant le style de la
Renaissance. Le long de l'un des piliers octogones du chœur se
trouve adossé un joli bas-relief en albâtre, peu remarqué pour-
tant, et représentant le crucifiement du Christ. Le trésor de
l'église, entr'autres richesses, renferme un beau reliquaire et le
crâne entier de saint Potentien.
L'église de Jouarre possède encore les huit châsses déposées
jadis dans l'Abbaye, et contenant les reliques de sainte Ebré-
gésiile, saint Prix et saint Hilaire, sainte Pélagie, sainte Julie,
saint Potentien, les saintes Abbesses, saint Valérien, saint Clau-
dien.
Il appartenait à nos confrères, M. Dauvergne et M. l'abbé
Denis , l'érudit et bienveillant chanoine de la Cathédrale, de nous
exposer ex pi'ofesso toutes les raretés antiques, toutes les merveilles
artistiques des deux célèbres cryptes deJouarre^, dont la première
est ornée de chapiteaux en marbre excavé, ravagé par seize ou dix-
sept siècles, et des colonnes romaines, galbées, renflées par le bas,
surmontées du nénuphar, symbole de la chasteté. Le tombeau de
sainte Théodechildc, est le plus ancien peut-être de toute la France.
La seconde crypte, construite aux dixième et onzième siècles,
en exhaussement de la première, offre moins d'intérêt et n'en
forme en réalité qu'une seule avec celle-ci. Une des différences
consiste dans le style des colonnes à peine dégrossies ; elles sont
- 47 —
surmontées du symbole de la charité, c'est-à-dire de colombes
buvant dans un vase.
L'ancien cimetière , communiquant avec cette nécropole , sera
prochainement converti en un square, au milieu duquel s'élève
une belle croix monolithe du xiii^ siècle. Il faut traverser le cime-
tière pour se rendre à la chapelle, récemment reconstruite, des
Bénédictines, et dans laquelle nous fûmes introduits par M. l'abbé
Pleurnoy, grand-vicaire du Diocèse. Les stalles des religieuses, le
nouveau trône del'abbesse supérieure, témoignent du soin qui pré-
side à l'ornementation du couvent actuel.
Plusieurs essais ont été tentés pour déchiffrer exactement les
inscriptions du tombeau de Théodechilde. D'après MM. Dauver-
gne et Bourquelot, il faudrait lire sur le côté droit du tombeau :
Hoc membra. post. ultima. teguntur. fata sepulcro beatœ ( Theo-
diecheldis intemeratœ virginis génère nobilis meretis) fulgem slrinua.
moribus. flagravit in Deo flammam.
Et sur le côté gauche, beaucoup plus endommagé ;
Cenubii hujus mater sacratas Deo Vir {gines sumen) tes oleum cum
lampadibus prudent {i invitât) sponso filias occurri. rex. pius. has
dernum exultât par [adisi in gloria.)
Plusieurs savants ecclésiastiques qui nous accompagnaient à
Jouarre, ont fait imprimer une nouvelle interprétation de ces in-
scriptions, qu'ils ont communiquée à tous les excursionnistes, et
que nous reproduisons également :
A parte meridianâ.
\ hoc. membra. post. ultima. teguntur. fata. sepulchro. beatœ
Tlieodlecheldis. intemeratœ. virginis. génère, nobilis. meretis. fulgens.
strinua. moribus. flagravit in dogmata aima.
A parte septentrionali.
Cenubii. hvjus mater, sacratas. D. ô. Vir gines sumenles. oleum.
cum. lampadibus. prudentes, docuit sponso filias occurrire. x p. m
hcec demû exultât par adisi. triumpho.
Cette seconde traduction que , dans notre impartialité , nous
avons cru devoir citer textuellement , tout en nous abstenant de
nous prononcer entre l'une et l'autre , diffère assez sensiblement
de la première.
— 48 —
Une pensée naît inévitablement dans l'esprit , à la vue des élé-
gantes basiliques , des gigantesques constructions élevées par nos
pères, durant le cours du moyen-âge ; aussi , ne peut-on s'empê-
cher de reconnaître que cette époque , si décriée de nos jours , n'a
pas été sans profit pour la culture des arts et pour la grandeur du
monde. On se rappelle alors ce cri si éloquent et si vrai , inspiré
naguère à l'un des habitants de Fontainebleau , l'illustre poète
Auguste Barbier, en contemplant les ruines de Larchant :
Nous n'avons pas surpassé jusqu'ici
Ces trois sublimités des choses idéales ,
Le livre de Gerson, Dante et les Cathédrales.
Mais revenons au couvent de Jouarre , dont nous nous sommes
écarté un moment. C'est ici que doit prendre place un des épisodes
les plus intéressants de ces deux journées. Sous les voiites méro-
vingiennes de la crypte de Jouarre, nous était réservée la surprise
d'une apparition non moins agréable qu'inattendue. Tout un
essaim des dames les plus élégantes et les plus distinguées de
Coulommiers, vint se mêler inopinément à la caravane, et prendre
part à nos explorations.
Narrateur trop véridique , peut-être , pourquoi n'avouerions-
nous pas qu'en présence du groupe gracieux, qui venait renforcer
notre bataillon d'archéologues, l'attention des touristes {'ut légè-
rement divisée? — On délaissa bien un peu la tombe de la très-
sainte et vénérée abbesse Théodcchilde. — Tout en lui pardonnant
d'avance et bien volontiers ce blasphème , nous avons entendu le
plus courtois et le plus gentilhomme des antiquaires , mieux dis-
posé alors au madrigal qu'à l'archéologie, établir un parallèle peu
édifiant et peu flatteur entre cette science qu'il appelait : u l'amour
des vieilles choses », et la néologie qu'il définissait d'une fa(,'on
aussi spirituelle que galante « l'étude de la jeunesse et de la
beauté. »
Tiiii.i*onT.
Une pluie battante, survenue intempestivement entre Jouarre
et Trilport, nous empêcha d'admirer à notre aise le coteau de
La Ferté-Sûus-Jouarre, justement réputé comme l'un des beaux
points de vue de la Brie meldoise.
N'oublions pas de relever une erreur biographique trop long-
— 49 —
temps accréditée. On avait cru à tort, jusqu'à nos jours, que la
marquise de Pompadour était née à La Perté-sous-Jouarre en 1722.
Un des chercheurs les plus persévérants de notre Société, M. Th.
Lhuillier, en compulsant les registres de la paroisse St-Eustache,
a acquis la preuve certaine que madame de Pompadour est née à
Paris, le 29 décembre 1721. Son père, François Poisson, était
écuyer de S. A. R. le duc d'Orléans, et son parrain fut Jean Paris
de Montmartel , écuyer, conseiller-secrétaire du Roy, maison,
couronne de France et de ses finances.
Il nous a été donné, au château de Trilport, où s'est terminée
notre excursion, d'admirer chez notre confrère M. le vicomte de
Ponton d'Amécourt, maire de la commune, une rare et riche col-
lection numismatique. Parmi les exemplaires de haute rareté qui
ont passé sous nos yeux , citons le splendide et unique médaillon
de Constantin, qui permet de rétablir la.porta inclyta de Trêves. —
L'art grec, l'art macédonien, l'art égyptien, l'art romain, repré-
sentés par des types en or les plus irréprochables, par des têtes de
collection, nous conduisent à travers l'histoire, jusqu'à l'époque mé-
rovingienne. C'est encoreM. d'Amécourt qui possède, presqueà
lui seul, les témoins delà dynastie carlovingienne. La Gaule étale
toutes les phases de son monnayage : 1500 monuments, la plupart
en or, classés par provinces et par cités épiscopales, nous révèlent
toute la géographie politique de la France du vu" siècle. Que dire
des séries relatives à notre histoire nationale? — Cette collection
offre une des plus riches séries de monnaies royales en or, depuis
le moyen-âge jusqu'à l'époque contemporaine. Qu'il nous suffise ,
pour donner une idée des trésors numismatiquesde notre confrère,
d'indiquer le prix d'achat d'une de ses pièces capitales : — un
Clovis II, frappé à Orléans , a été acquis, par lui, au prix de
1650 francs.
Avant de clore cette lecture, nous tenons à consigner, dans nos
annales, l'expression de la gratitude de toute la caravane excur-
sionniste. Que M. le comte et Mme la comtesse de Moustier, que
M. Bayard, que M. et Mme Laurent-Thomas, que M. le vicomte et
Mme la vicomtesse de Ponton d'Amécourt, reçoivent nos publics
remercîments pour leur réception si large et si hospitalière, pour
l'accueil si intime et si cordial dont ils nous ont entourés pendant
les haltes charmantes, faites successivement à Saint-Germain-lès-
Gouilly, à La Chapelle-sur-Crécy, à Maisoncelles et à Trilpori.
En terminant notre relation , nécessairement incomplète, de la
seconde excursion de la Société archéologique de Seine-et-Marne ,
4
— 50 —
qui compte à peine 18 mois d'existence, nous ne pouvons nous
défendre d'une dernière réflexion qui nous est suggérée par l'in-
fluence réelle que se sont déjà acquise nos Sociétés provinciales.
Ce serait , à coup sûr, un objet d'étude fort intéressant par lui-
même, que de rechercher le nombre et la nature de tous les tra-
vaux utiles et sérieux que nos Compagnies savantes ont déjà
enfantés, provoqués, encouragés et couronnés.
Combien , parmi ces mémoires ou ces thèses modestes , récom-
pensés uniquement par des médailles ou de simples mentions
honorables, ont servi de piédestal à des monuments plus élevés ,
et sont devenus, par une habile transformation , de prôcieux trai-
tés, de bons livres et d'excellents ouvrages ! Tout borné qu'il soit,
notre but, si nous savons l'atteindre, est encore assez étendu.
Sachons donc, chers Confrères , choisir un sujet assez restreint
quant aux développements qu'il exigera ; suffisamment vaste ,
pour que les questions particulières qu'il renferme se rattachent
aux principes généraux de l'art, de l'histoire , de la littérature et
de la philosophie. Etudions, marquons dans ce sujet des points
jusqu'alors inaperçus ; éclairons d'une lumière nouvelle ceux que
nos devanciers ont déjà découverts ; marchons , à travers une
discussion méthodique, à une conclusion nette et précise, qui
grossisse , ne fût-ce que d'une obole , le trésor de la science. A ce
compte , nous aurons accompli la mission à laquelle peut raison-
nablement prétendre une Société départementale , et notre ambi-
tion devra être légitimement satisfaite.
Mais je me hâte de finir , chers Confrères, et de céder la parole
à des voix plus autorisées que la mienne. Je suis plus avide et
plus impatient que vous-mêmes encore, s'il est possible, d'écouter
nos maîtres en l'art de penser, de parler et d'écrire.
51
CHAMPOLLION JEUNE
PAR M. JULES DAVID,
Président et membre fondateur ( Seetîoa de S^ontainefolca» ).
Au moment où l'un des plus grands événements de ce siècle se
prépare, où les eaux de la Méditerranée vont se confondre avec
celles de la Mer-Rouge, il n'est pas indiiTérent de rappeler que
c'est à deux français que l'Egypte devra, à la fois, et les preuves
de son éclat primordial, eL les chances de sa prospérité future.
Laissons à M. Ferdinand de Lesseps l'honneur d'achever son
œuvre, avant de l'apprécier à sa haute valeur , et contentons-nous
aujourd'hui d'examiner les travaux de son véritable prédécesseur,
de l'initiateur patient et perspicace de cette célèbre contrée, du
savant qui vint après le héros, de celui qui conquit des annales à
l'histoire, comme Napoléon 4" avait conquis, trente ans plus tôt,
une terre illustre à la France.
Il est rare de rencontrer chez un philologue ce feu sacré qui
enflamme l'imagination, cet esprit de divination qui ouvre de
nouvelles et profondes perspectives à travers les âges, au delà
des temps connus et des idées acquises. 11 en fut un, pourtant,
qui, par une merveilleuse découverte, rendit aux ancêtres du
monde leur part de jloire, contestée parfois, mystérieuse tou-
jours, et qui réalisa le rêve historique que Bossuet avait fait ;
est-il besoin de nommer Ghampollion jeune? Né à Figeac, dé-
partement du Lot, le 24 décembre 4790, son origine n'en était
pas moins du Dauphiné plutôt que du Quercy, car sa famille
venait de Grenoble et devait y retourner. A l'époque de sa jeu-
nesse, l'enseignement public n'était plus qu'une des épaves du
naufrage révolutionnaire, et l'on ne rencontrait que bien diffici-
lement l'instruction et surtout la science. Mais un père patient,
éclairé, et un ecclésiastique dépossédé de sa chaire, firent peut-être
plus vite et mieux la première éducation de Ghampollion que la
banale épellation d'une école. Aussi, dès l'âge de neuf ans, quand
il quitta Figeac pour Grenoble, connaissait-il les classiques grecs
— 52 —
et latins, et meublait-il sa mémoire des imaginations d'Homère
et de Virgile, plutôt que de celles de Perrault et de Florian.
On dirait qu'à la façon des grands hommes orientaux, il fut
prédestiné à l'œuvre qui l'a immortalisé. Dès son jeune âge, en
effet, il montra une rare aptitude aux recherches historiques, et
une curiosité d'imagination qui aidait singulièrement sa mémoire.
A mesure qu'il lisait dans Plutarque un règne de roi ou la vie
d'un grand homme, il prenait un carton, dessinait à sa manière,
et comme il se les figurait, les traits de celui dont les actes l'a-
vaient frappé, et derrière ce portrait de fantaisie il inscrivait deux
dates, celle de la naissance et celle de la mort. Ces cartons juvé-
niles furent plus tard si nombreux et si bien classés qu'ils ser-
virent com.me seules notes aux premières leçons, dans la chaire
d'histoire, du professeur à la faculté de Grenoble. Ce charmant
enfant, dont les récréations étaient des études, qui jouait avec la
science jusqu'à ce qu'il la dominât, et qui, un jour, voyant pour la
première fois des caractères chinois, les déchiffrait avec ardeur et
prétendait, par leur moyen, parvenir à lire les hiéroglyphes, cet
enfant si laborieux eut, du reste, le bonheur de rencontrer dans
sa famille une affection profonde, un appui dévoué et un aide
efficace dans le frère qui le précédait de dix ans dans la vie. Ce
frère aine, déjà établi à Grenoble, possesseur d'une bibliothèque,
mieux choisie que considérable, vivait sans cesse avec lui, l'aidait
dans ses recherches, l'excitait dans ses travaux,, et s'efforçait de lui
procurer tous les livres, tous les manuscrits, tous les textes dont il
avait besoin. C'est ainsi qu'après avoir étudié à Paris de 1807 à 1809
les langues orientales, et particulièrement le copte, Champollion
jeune put achever et imprimer dans une ville de province les deux
premiers volumes de son Egypte sons les Pharaons, ouvrage prodi-
gieux pour l'âge de l'auteur, et dont Pontanes écrivait : « Ce livre,
» si plein d'érudition, ne pourrait avoir aux yeux les plus prévenus,
» qu'un seul défaut, l'âge de l'auteur ; mais on aime à se le rap-
» peler pour trouver encore dans cette œuvre un mérite de plus. »
Et Fontanes avait raison, car la partie géographique, seule pu-
bliée, résume si bien les notions acquises, critique avec tant de
sens les dénominations grecques et romaines , choisit ses sources
coptes avec tant de sagacité, décrit si exactement les lieux, qu'elle
a servi depuis un demi-siècle aux savants comme aux voyageurs,
et que tous en ont répété les détails depuis Wilkinson et Lepsius
jusqu'à MM. Ampère et Barthélémy Saint-Hilaire.
Lorsqu'à l'âge de 19 ans, grâce à ses études déjà brillantes et
— 33 —
fructueuses , Champollion jeune fut nommé professeur-adjoint
d histoire à la faculté de Grenoble, il trouva dans cette ville
comme premier magistrat l'illustre Fourier, ce savant encyclo-
pédique, tout enthousiasmé encore de son voyage en Egypte, pé-
nétré de la grandeur des ruines qu'il venait de parcourir , ayant
la conscience d'une civilisation primordiale qu'il avait devinée
sans la connaître. Quels conseils une intelligence, si admirable-
ment conformée, ne donna-t-elle pas à ce jeune professeur, qui
avait si judicieusement choisi sa voie à travers les siècles! De
quelles confidences le secrétaire perpétuel de l'Institut d'Egypte
ne l'honora-t-il pas pour renforcer sa vocation littéraire? Quels
matériaux ne lui confia-t-il pas pour éveiller sa pensée? Quel
élan enfin n'imprima-t-il pas, par ses encouragements, par ses
conversations, à cet esprit né chercheur, et qui ne pouvait se con-
tenter ni d'une renommée banale, ni d'une gloire facile? Le sa-
vant généralisateur avait deviné juste en comptant sur son pro-
tégé ; et peut-être Fourier fut-il aussi pour quelque chose dans le
choix définitif de la contrée dont Champollion jeune devait nous
révéler les annales incomprises.
En 1815, la faculté des lettres de Grenoble fut supprimée, et le
jeune professeur d'histoire , loin de se plaindre de cette perte
d'une fonction honorable, mais qui pour lui ne pouvait que le dis-
traire de ses études spéciales, s'absorba tout entier dans son
Egypte bien-aimée. Dès lors la carrière scientifique de Champol-
lion était définitivement fixée, et elle fut suivie par lui avec cette
résolution ferme, cette ardeur raisonnée, cette rare perspicacité,
qui allaient le faire peu à peu pénétrer les arcanes les plus secrets
de la nation la plus ignorée. Une de ses intuitions les plus sagaces
fut de prévoir tout de suite que l'étude du copte, cette langue des
descendants directs des peuples pharaoniques, devait être la route
la plus sûre pour atteindre son but, et comme sa première étape;
contrairement à Vossius et au père Hardoin, qui nièrent l'identité
du copte et de l'ancien égyptien, Champollion l'affirma, s'y mit
tout entier, et pour s'assurer des instruments d'exploration aussi
exacts que surs, il refondit la grammaire de cet idiome, et en
composa un dictionnaire, accessoires pleins d'intérêt et d'impor-
tance dans son œuvre. Mais ne voulant pas, comme tant d'autres,
borner à une syntaxe et à un lexique, le commencement de ses
travaux , il entreprit en même temps le tableau général de
l'Egypte, dont nous avons parlé, et dont malheureusement il n'a
eu le temps de publier que la partie géographique. Puis, tout en
— 54 —
SB rendant un compte sévère des versions admises sur le grand
peuple dont il voulait approfondir les destinées, tout en contrô-
lant les récits sincères d'Hérodote avec les amplitications roma-
nesques de Diodore de Sicile, le trait de lumière jeté par Clément
d'Alexandrie sur les trois sortes d'écritures égyptiennes avec les
critiques modernes, mais infécondes encore, des Deguignes et des
S. -de Sacy, il ne manquait pas non plus d'aller en avant et de ré-
pondre avec persévérance à son pressentiment de découverte. Lui
aussi, il étudiait la célèbre pierre de Rosette, à l'inscription en
trois caractères, le grec, l'hiéroglyphique, et le troisième indéchif-
frable, et dont Thomas Young avait tenté des interprétations,
reconnues tour à tour erronées ou douteuses. Lui aussi, il se
trompa, se rectifia, fit plusieurs fois fausse route; et ce ne fut
qu'après douze ans d'un travail assidu , réfléchi, comparatif et
créateur à la fois, qu'il parvint en 1822 à cette vérité tant cher-
chée, et qu'il en développa toutes les merveilles dans sa lettre à
M. Dacier.
La grande découverte âe Ghampollion jeune a été de discerner
la composition mixte des inscriptions égyptiennes, et leur système
graphique, combiné, comme leur système religieux, au moyen
de la triade. Il existe, en effet, trois caractères différents et mé-
langés dans l'écriture hiéroglyphique, le signe-figure, le signe-
symbole, le signe-son ; ainsi, peindre un homme pour indiquer
l'homme, c'est le signe figuratif; représenter un lion pour donner
l'idée de la force, c'est le signe symbolique ; enfin former un trait
pour rappeler un son de la langue parlée, c'est le signe phonétique.
Que ce dernier, le seul employé par les autres nations, soit un
progrès de l'esprit humain, cela ne fait aucun doute; mais que,
par suite du respect des traditions, les deux premiers, qui sont les
rudiments de l'autre, aient été conservés et gravés à toute époque
sur les monuments religieux, et mêlés pour les légendes royales
à cette écriture phonétique, dérivée des signes figuratifs, n'est-ce
pas là le problème qui fut si longtemps insoluble, et que seul un
savant inspiré pouvait deviner à force d'études et de méditations?
Honneur donc à cette découverte, qui, une fois faite, permit à son
auteur de reconnaître huit-cents figures dans l'écriture primitive,
puis l'abréviation de ces figures dans l'écriture hiératique, enfin
le mélange de ces figures abrégées avec des traits formant de
véritables lettres dans l'écriture démotique. Cette dernière fut
réservée tout d'abord pour les besoins ordinaires, contrats, lettres
d'affaires, comptes de commerce, tandis que les premières plus
— . 3 —
picturales et plus nobles, restaient employées dans le style lapi-
daire. Ainsi trois écritures, la première figurative, la seconde
abréviatrice de la première, la troisième, abrégé encore de la se-
conde, et procédant des deux autres en leur empruntant une figure
comme valeur de lettre : cette combinaison logique, quoique en
dehors des formes graphiques des autres nations, avait été cause
des erreurs des premiers philologues, Champollion seul ne s'y
trompa point.
Une fois maître de cette découverte philologique, véritable
lampe merveilleuse sous les rayons de laquelle il lira couramment
dans les ténèbres de la tradition, il ne se croise pas les bras^ il ne
se repose pas, comme tant d'autres, après son vaillant effort; bien
au contraire, plein d'une ardeur nouvelle , tempérée par la plus
sûre des critiques, il perfectionne tous les jours sa découverte, il
accumule ses observations, il classe les huit-cents signes qu'il a
reconnus, il forme son alphabet phonétique, et a bientôt épuisé
tout ce que les musées de notre pays pouvaient offrir à sa péné-
tration infatigable. Or, à cette époque, au refus du gouvernement
français, le gouvernement sarde avait acquis de M. Drovetti,
ancien consul général à Alexandrie, une collection inappréciable de
restes égyptiens, cénotaphes, momies, statues, inscriptions, papy-
rus. Quelle mine de découvertes pour Champollion, quelle heureuse
préparation au voyage oriental qu'il méditait ! Il sollicita et obtint,
en 1824, une mission en Italie, pour y continuer ses recherches
et se dirigea tout d'abord sur Turin, sans négliger ni Rome, ni
Naples ; car tous les pays civilisés et tous les gouvernements
avaient été curieux de rassembler des débris d'une des civilisations
primordiales, quoique chacun ne vit que des énigmes dans ses
inscriptions et que des dessins bizarres dans ses écritures. Du
reste, toutes ces études diverses, tous ces matériaux dispersés,
toutes ces lectures disparates, ne furent réellement que les prolé-
gomènes des démonstrations que Champollion se préparait à accu-
muler en faveur de son système. Il lui fallait l'Orient, il lui fallait
cette Egypte qu'il découvrit, ainsi que Colomb l'Amérique. Mais
comme le hardi navigateur génois, il ne recueillit pas tout d'abord
les sarcasmes des grands et le refus des princes; tout au contraire,
on doit cette justice à Charles X et à son digne représentant,
M. de Blacas, qu'ils acquirent, en 1826, sur ses instances, lacollec-
tion Sait, et la convertirent en musée égyptien dont il fut nommé
le conservateur; puis, qu'ils préparèrent et décrétèrent à son pro-
fit, en 1828, une sorte de nouvelle expédition d'Egypte, véritable
— 56 —
corollaire ou plutôt couronnement de la première, au point de vue
de la science. C'était là, en effet, que Champollion devait perfec-
tionner son œuvre et préciser ses découvertes, et les lettres qu'il
adressa à son frère, à Paris, pendant deux ans, au fur et à mesure
de sa marche initiatrice, ont eu un tel retentissement et conser-
vent une telle importance que nous croyons devoir en analyser les
principaux faits, pour démontrer qu'elles sont le véritable et seul
principe de ce que nous savons encore sur la patrie des Pharaons.
Avant Champollion, l'antique Egypte était pour nous un sphynx,
ses habitants ne nous apparaissaient que comme un peuple de
statues, statues jadis animées sans doute, mais roides, compassées,
aux gestes rectangulaires, à la démarche automatique; grâce à lui
nous avons reconnu une grande nation dans les épitaphes de ces
nécropoles creusées dans des montagnes, un grand art sous ces
forêts de colonnes, un grand sens dans ses inscriptions naguère
indéchiffrables, et toute une civilisation s'est dégagée peu à peu de
l'inconnu : la langue découverte, le peuple fut retrouvé. -
IL
Champollion avait ce style ferme, sobre et net, qui est indispen-
sable à ces penseurs qui vont de la réflexion à la découverte, de la
méditation à la certitude. Rien d'orné, rien de trop; il grave sa
pensée en résumant ses recherches, ou il avance vers les arcanes
de la science de ce pas leste et vif qui caractérise les trouveurs.
Ses premières lettres de Sicile sont d'une excellente et charmante
érudition classique. Il regrette de ne pas voir les temples d'Agri-
gente, et caractérise en quelques mots justes et sentis les côtes qu'il
rase: c'est l'éducation classique se développant avec grâce et
naturel, éducation préparatoire, si nécessaire pour comprendre le
grand, et juger les aïeux par les fils, l'extrême antiquité par les
civilisations moyennes. Mais le voilà qui aborde à Alexandrie, et
son enthousiasme éclate avec la naïveté des grands esprits; il
baise, en débarquant, le sol égyptien, ce sol de ses rêves comme
de ses études, ce sol dont il pénétra les mystères, et dont il nous
eut dévoilé l'histoire la plus immémoriale, s'il eut vécut la vie
d'un de Sacy ou d'un Daunou.
Dès Saïs, il est stupéfait de la grandeur égyptienne par l'aspect
de ses nécropoles : ces bouches béantes et sombres du royaume
des morts, ces ténèbres habitées par un i)Puple de momies, ces
grottes immenses, et qui furent trop étroites encore pour loger
— 57 —
les nombreuses générations d'une race archiséculaire, ces mon-
tagnes creusées en longueur et en largeur pour y faire tenir des
millions de créatures, ces étages d'ossements, ces puits où l'on
entassait le trop plein des cadavres; et parmi ces aspects terri-
fiants, sous ces dômes noirs et étouffés, ces représentations de
l'existence active et en plein air, ces scènes peintes de la vie
rurale ou militaire, cette histoire écrite de tous ces mouvements
dans cette immobilité; quel spectacle pour un savant enthou-
siaste, qui, le premier, ne se contentait pas d'admirer des ta-
bleaux, mais allait en lire les exergues et en surprendre les
secrets ! Aussi, Champollion ne laisse-t-il rien sans l'étudier, et
observe-t-il à la fois dans les grottes sépulcrales les traces des
princes et celles des gens de métiers et d'arts, et découvre-t-il des
peintures relatives à la vie civile et à la classe militaire. Rien de
plus merveilleux, d'ailleurs, que ces hypogées qui contiennent
des dessins de toutes les conditions humaines, preuves que l'art
égyptien n'était pas si raide et sans mouvements que le prétend
le commun des observateurs; tout au contraire, dans le portrait
des guerriers, on rencontre des poses très- variées et comme un
système de gymnastique militaire; puis des dessins zoologiques
fort exacts et supérieurement exécutés, poissons, oiseaux, quadru-
pèdes. Ces derniers arrivent même à une ressemblance si par-
faite, que lorsqu'ils furent soumis à l'illustre Cuvier, notre grand
naturaliste n'hésita pas un instant à inscrire sous l'image égyp-
tienne le nom de chaque animal qu'elle représentait. Les diffé-
rentes découvertes de Champollion à Saïs et à Beni-Hassan,
révèlent déjà toute une civilisation.
Plus loin, Champollion s'extasie devant les temples de Den-
derah, en admire l'architecture, mais critique les bas-reliefs, art
en décadence, la sculpture s'étant dégradée avant l'architecture
sous Cléopâtre. A Thèbes, l'enthousiasme redouble, il restitue à
Rhamsès-Meïamoun le tombeau prétendu d'Osymandyas; il cons-
tate un édifice de l'Ethiopien Tharaca, un petit palais de Touth-
mès III, enfin le colossal palais de Rhamsès-Meïamoun; puis les
tombes, creusées au ciseau dans la montagne, des rois de Thèbes
des xviii% xix*^ et xx^ dynasties. Le palais principal de Louqsor,
aux deux obélisques de granit rose et aux quatre Colosses, c'est
encore du Rhamsès; les autres parties sont de Mandouaï-Horus
et Aménophis-Memnon, plus des additions de Sabacon; enfin,
Karnac, le chef-d'œuvre de la contrée, a une salle de cent qua-
rante colonnes, et contient des bas-reliefs représentant toutes les
— 58 —
victoires égyptiennes. Quant aux temples dlbsamboul, ils datent
aussi du temps de Rhamsès-le-Grand, et leurs magnifiques co-
losses sont des portraits du prince et de sa femme Nofré-Ari, sur-
nommée Ahmosis (née de la Lune).
Ce n'est pas de la présomption, c'est la confiance de la con-
viction, c'est la certitude d'un travail approfondi, c'est ce senti-
ment de force et de conscience qui s'exprime à la fin de la lettre
que Ghampollion adresse à M. Dacier. D'un bras aussi intelligent
qu'audacieux, il a soulevé le voile de l'Isis mystérieuse; mais la
mort jalouse a bien vite séché cette main hardie qui s'apprêtait à
dévoiler des secrets séculaires. Néanmoins, tant qu'il vit, il espère;
il sent que, grâce à lui, les Egyptiens feront à l'avenir dans l'his-
toire plus belle figure que par le passé. Il déduit du respect des
femmes le degré de civilisation, en voyant la femme du gouver-
neur des terres méridionales arrivant devant Pharaon après son
mari, et avant les autres officiers de la province. Il découvre
que Sésostris avait un lion apprivoisé, qui combattait avec lui, et
que Rhamsès est un nom patronymique de Rha-msès (l'esprit du
Soleil). On saisit à merveille la logique de ses déductions qui, de
découvertes en découvertes, de comparaisons en comparaisons,
restitue à la vérité son flambeau. Gomme il a voulu tout d'abord
prendre une idée générale du pays et parcourir l'ensemble de ces
textes de pierre qu'il va déchiffrer pour la première fois, il pousse
jusqu'à la seconde cataracte, et énumère en passant les merveilles
qu'il étudie. Il trouve le prototype de la colonne dorique dans le
temple d'Amada, du temps de Moeris; il ne croit pas, lui, à l'im-
mobilité de l'art égyptien ; il y discerne, au contraire, des diffé-
rences sensibles, une apogée et une décadence. Mais voyez comme
Ig, vérité a de peine à percer : M. Barthélémy Saint-Hilaire écrit
encore en 1860 : L'art immobile des Egyptiens. Il constate aussi
un temple élevé par l'Ethiopien Erkamen, après la conquête de
Cambyse, et l'indépendance reconquise de la Nubie; ces Ethio-
piens, ainsi que lesLagides, ont refait les monuments détruits par
les Perses. G'est donc souvent une seconde édition de temples,
moins celui d'Amada, qui est resté primitif et pur.
Véritable voyageur scientifique , Ghampollion rectifie ses idées
^ mesure qu'il avance , qu'il observe : il reconnaît la triade
d'Ammon-Ra , de Mouth et de Kons , et sa manifestation sur la
terre, par Ilorus, Isis et Malouli. Tous les autres dieux étaient
des dieux intermédiaires, sorte de patrons de certains pays, adorés
spécialement dans certaines villes, mais reconnus par toutes; et
— 59 —
cette mythologie ne s'est altérée ni modifiée depuis les temps les
plus anciens Jusqu'à l'établissement du Christianisme en Egypte.
A Silsilis, il constate que des montagnes de grès , profondément
fouillées par les architectes égyptiens , l'ont été à partir d'Horus ,
le conquérant de l'Ethiopie , et que ce grès très-beau servit h
élever le Rhamesseum et les autres palais de Rhamsès-le-Grand.
Il critique le temple d'Edfou , du temps des Ptolémées, décadence
de l'art, qui remplace par la profusion des ornements , la simpli-
cité et la sobriété grandioses de l'architecture pharaonique. Du
temple d'Edfou, passez au temple d'Esnèh , construit sous les em-
pereurs romains, et qu'on croyait si ancien, et ce n'est plus qu'un
papillotage insupportable , un bavardage de pierres insipide au
lieu de l'éloquence antique. Il trouve enfin à Eléthya une nomen-
clature des rois de la xviii^ dynastie sur un tombeau, qui confirme
la science et peut servir de supplément à la table d'Abydos.
De retour à Thèbes , il prouve de nouveau par les inscriptions
qu'il traduit , que ce fut Aménophis-Memnon , de la xviu'' dynas-
tie, qui a fait élever une partie des palais de Louqsor. Mais à
Louqsor il y a deux régimes de palais, ceux d'Aménophi? et ceux
de Rhamsès-le-Grand ; et voilà pourquoi ces deux constructions
ïie sont pas au même alignement; excellente remarque , ainsi que
celle relative aux inscriptions qui couvrent les obélisques : loin
d'être , en effet , des mystères astrologiques ou religieux , les in-
scriptions des obélisques ne sont, en réalité, que des dédicaces
explicatives de l'objet des édifices. Partout, dans son exploration
si intelligente , Ghampollion distingue parfaitement les âges d'ar-
chitecture, reconnaît les restaurations , les apprécie et les classe ;
c'est là de la véritable archéologie. Ainsi , outre les deux grands
groupes de monuments d'Aménophis et de Rhamsès-le-Grand, il
constate, à Thèbes, une porte refaite par l'éthiopien Sabacon, chef
de la xxiv^ dynastie , et une autre restauration de Ptolémée-Phi-
lopator. Se retrouver ainsi dans ces forêts de pierres , devenues
confuses par le temps , inextricables pour une science vulgaire ,
est à la fois une preuve d'un grand sens et d'une étiidç métho-
dique supérieure.
Mais si les restes colossaux des palais pharaoniques sont sen-
sibles aux yeux les plus ignorants , quelle autre série d'observa-
tions et de réflexions n'offrent pas, à l'initié, les hypogées de Içi
vallée de Biban-El-Moulouk ; là existent seize tombeaux qui con-
tiennent, dans leur intérieur, tout un résumé de la philosophie
égyptienne. C'est d'abord la destinée terrestre et ultérieure çly
— 60 —
roi-soleil , son passage dans le jour (sur la terre) , son coucher
(sa mort), sa traversée dans les mondes fantastiques qui séparent
les deux existences, le monde des peines et le monde des récom-
penses, précédé du jugement des âmes; puis un enfer, avec le
paradis sur l'autre face , enfer digne de Dante par la variété des
supplices et leur rigueur symbolique: ici, des processions de corps
sans tête; là, des files de pendus les pieds en l'air; plus loin, des
vases oh brûlent éternellement des cœurs et des éventails , l'é-
ventail est l'image du bonheur , ingénieux emblème sous un ciel
de feu, dans un air embrasé. D'autre part, c'est le voyage céleste
du Pharaon, dans une barque, sur l'éther, le fleuve céleste, divisé
en autant de bassins qu'il y a d'heures du jour. Plus loin, la salle
du jugement, avec Osiris pour président et 42 assesseurs , chacun
répondant affirmativement ou négativement sur 42 vices, dont ils
sont chargés de faire la recherche, l'instruction et le rapport. Puis
des salles de symboles, d'astronomie, d'astrologie, do théologie
et de mysticités. Il y a là une science que Ghampollion aurait
complètement détaillée, si la mort ne l'avait arrêté brusquement.
Partant ensuite de l'explication de ces sculptures poétiques, il
rectifie l'opinion qu'on avait que les types figurés des peuples di-
vers, dans les tombeaux , étaient ceux de nations vaincues ; ce
ne sont que les divers habitants de la terre éclairée par le soleil ,
ce n'est que l'indication des quatre parties du monde d'après
l'ethnographie égyptienne , consistant en l'Egypte , à elle seule
partie du monde, séjour de la race par excellence; puis viennent
l'asiatique, le nègre et l'européen, tous difTérenciés par la phy-
sionomie. Ensuite il découvre, dans le tombeau de Rhamsès-
Meïamoun, des salles ornées de sculptures industrielles, pour ainsi
dire , l'une de l'art de l'ébénisterie , l'autre de la fabrication
des armes , une autre des barques et canges royales , puis des
produits des saisons, puis des joueurs de harpe. Ghampollion,
riche de toute sa science , ne fait qu'esquisser tous ses aperçus
si lucides, toutes ses présomptions si acceptables : c'est avec le
Kasch sévère de l'égyptien qu'il écrit, plutôt qu'avec le Kalem
fleuri de l'asiatique.
Mais c'est surtout le Rhamesseum qui devient pour Gham-
pollion le texte sculptural le plus fécond. Tl y voit l'histoire des
conquêtes de Sésostris, et la preuve écrite de la grandeur de ses
institutions; puis, la salle des panégyries, ces assemblées géné-
rales des peuples égyptiens; puis, d'autres tableaux de victoires
contre les tfchito (Bactricns); puis, des solennités religieuses'
— 61 —
pleines de promesses de prospérité, dons gracieux des dieux pro-
tecteurs du héros; puis, l'investiture suprême par la faulx des
batailles, l'arme invincible par excellence ; enfin, une galerie de
portraits des vingt-trois fils du roi, tous pourvus d'une charge
près de sa personne, porteurs d'éventails dans les cérémonies,
commandants de troupes pendant la guerre. Ce fut le treizième,
Ménéphtha, qui lui succéda.
Après ces salles publiques, viennent les appartements parti-
culiers, ornés de tableaux, où des Dieux inférieurs adorent Am-
mon-Ra et lui recommandent leur chorRhamsès; enfin, la biblio-
thèque indiquée par les portraits sculptés de Thoth à tête d'Ibis,
l'inventeur de l'écriture, et de la déesse Saf, la dame des lettres,
la Clémence Isaure des Égyptiens.
Après le dépouillement du Rhamesseum, il passe au nord, au
fond d'une vallée, où les restes d'un temple peu exploré l'amènent
à reconnaître et à attester l'existence des ruines pharaoniques,
avant Thoutmès III, et à établir les premiers princes de la
xvni^ dynastie. C'est ainsi que par la comparaison des monu-
ments, l'explication des sculptures et la lecture des hiéroglyphes,
il en arrive à dévoiler le secret des temps, à discerner des régences,
des règnes de princesses, et même, par certains martelages
constatés, à caractériser les tentatives d'usurpation d'une sorte
de maire des palais pharaoniques, tyran obscur, dont ses con-
temporains ont cherché à effacer toute trace, et dont l'œil de la
science pénètre et découvre l'infamie pour la faire maudire par
l'histoire, à trente siècles de distance.
'L'Aménophium, ce magnifique temple, qui n'est autre que le
Memnonium des Grecs, est rendu à son véritable objet, et ses
statues sont déclarées, non celles du dieu Memnon, mais celles
du roi et de la reine. Il détruit aussi la croyance à un temple
d'Isis, derrière l'Aménophium, et l'explique par le culte d'Hathôr
et de Thmeï réunies, c'est-à-dire Vénus et Thémis. Enfin, il lave
de l'accusation barbare de sacrifices humains les sculptures du
temple le plus antique de Médinet-Habou, celui qui contient
plusieurs représentations des victoires de Rhamsès-Meïamoun,
vainqueur de tant de peuples du Nord et du midi, qu'on prétend
reconnaître jusqu'à des Hindous dans la physionomie des prison-
niers que le roi traîne derrière lui. C'est peut-être là, du reste,
un des plus splendides monuments du beau siècle de l'art égyptien ;
hauteur des colonnes, vaste étendue des salles, perfection des
sculptures, grands tableaux de batailles, d'investitures et de piété,
— 6î2 —
éclat des peintures, richesse des ornements, vérité des types re-
présentés, développement des inscriptions, tout concourt à faire
de ces ruines le spécimen le plus grandiose de la plus gigantesque
puissance.
Ironique effet du temps ! Le peuple qui, peut-être, s'était le
plus préoccupé de la postérité, qui, pour elle sans doute, avait
écrit sur tous ses murs le nom de ses rois, le progrès de ses con-
quêtes, le nombre de ses exploits, les attributs de ses dieux; qui
avait reproduit à l'infini les images de ses chefs; qui les avait
sculptés dans le marbre de ses temples, dans la pierre de ses
palais; qui les avait expliqués par une écriture à la fois populaire
et hiératique; le plus soigneux de sa renommée, le plus jaloux de
sa prépotence, ce peuple fut ignoré par ses descendants immé-
diats, calomnié par ceux -qui lui empruntaient sa civilisation et
ses arts, et il fallut, après plus de quarante siècles, qu'un homme
de science enthousiaste et d'esprit inventif retrouvât, sous les
ruines de la nature et de la barbarie, les titres de sa gloire et les
preuves de sa grandeur 1 La haine des vainqueurs, l'antagonisme
des races firent plus encore;, il est vrai, que la marée montante
des alluvions et les tempêtes répétées de sable. Ghampollion voit
partout les traces de destructions systématiques et successives ;
les Perses d'abord, les Arabes ensuite, s'épuisèrent à détruire,
comme les Égyptiens à élever. Le fanatisme religieux rasa sans
pitié, autour de Thèbes, la Thoph vénérée des prêtres et des rois,
sur l'une et l'autre rive du Nil: ici, les temples des deux Rhamsès
et le palais élégant de Kourna, attribué à Ménéphtha 1"; là, les
gigantesques monuments de Karnac et de Louqsor, les chefs-
d'œuvres d'un art et d'une civilisation qui précédèrent et dépas-
sèrent un moment toutes les autres. Aussi, quelle dispersion sur
le sol, que de bris de statues, que de morcellements de colonnes,
que de martelages d'inscriptions, et quelle intelligence ne faut-il
pas pour reconnaître et classer ces prodigieuses ruines! L'archéo-
logie moderne y travaille depuis trente ans avec une ardeur crois-
sante; mais aussi, la découverte d'un seul homme en avait dévoilé
le mystère, et, en pénétrant le système des écritures hiérogli-
phiquos, il avait trouvé le mot de l'énigme des siècles.
Le sens poétique est indépendant du mode qu'on emploie dans
l'expression de lu pensée : Bossuet est poëte dans ses sermons,
Pourier dans ses dissertations scientifiques , Arago dans ses
calculs, Ghampollion dans ses recherches. Si nous osions donc
soumettre à l'analyse l'esprit de Ghampollion, il ne nous serait
— 63 —
pas difficile d'y rencontrer les plus hautes qualités : le sens poéti-
que, source de l'inspiration, l'enthousiasme, ce feu sacré qui entre-
tient la persévérance, la conscience, qui est la vertu du vrai savant,
l'ordre , preuve d'une grande valeur intellectuelle , la foi dans
l'ensemble de son œuvre, le doute dans le détail, en un mot tout
ce qui constitue cette aptitude à la patience, qu'on a décoré d'un
si beau nom, le génie. Mais le temps a manqué à Champollion
pour son œuvre, et Dieu lui compta les jours, si la postérité ne lui
compte pas la gloire.
III.
A son retour en France ses lettres d'Egypte, publiées dans le
Moniteu7\ et dont nous avons cherché à donner une idée, avaient
excité l'attention de toute l'Europe savante et provoqué l'intérêt
de tous les esprits sérieux. L'académie des Inscriptions et Belles-
lettres, qui, selon l'expression de son secrétaire perpétuel, M. Sil-
vestre de Sacy, s'étonnait de ne point le compter encore dans ses rangs,
le reçut membre le 7 mai 1830; et le gouvernement lui maintint
la conservation du musée Égyptien, qu'il avait créé, pour ainsi
dire, en le faisant acquérir, en le classant si intelligemment, et
en le dotant d'une de ses pièces les plus belles et les plus curieuses,
un sarcophage en basalte vert. Puis, malgré une révolution qui
interrompit brusquement l'exécution de ses plans, sa découverte
était si importante qu'elle résista aux préoccupations publiques,
et fut adoptée par le gouvernement de Juillet. Champollion trouva
dans le nouveau ministre de l'instruction publique un digne pro-
tecteur et un sérieux appui, et c'est pour le premier denos égypto-
logues que M. Guizot institua au Collège de France la chaire
d'archéologie égyptienne. Malheureusement, c'en était déjà fait
des forces et de la santé de notre grand découvreur ; son voyage
si laborieux , ses travaux si répétés , ses longues stations sous un
soleil de feu, les ardeurs de son cerveau, les préoccupations de
son esprit avaient brûlé son sang et épuisé sa vie ; et comme
Le Tasse au Capitole, Champollion n'apparut au Collège de France
que pour y mourir.
Ainsi s'éteignit à quarante-un ans, le 4 mars 1832, le corps
épuisé, la tête pleine de projets et de pensées, celui qui venait de
créer une nouvelle science historique, la lecture des hiéroglyphes.
Il laisait une veuve désolée, une fille orpheline, une famille dans
les larmes; car à sa science profonde il joignait le caractère le plus
— 64 —
affable et les vertus les plus douces. Son frère aîné lui survivait,
dépositaire de ses œuvres, gardien de sa renommée, collaborateur
de cœur et d'esprit à la fois, qui, avec une abnégation bien rare,
s'était complètement dévoué à lui, et qui, malgré un précoce suc-
cès, une médaille conquise à l'Académie des Inscriptions et Belles
lettres, ne travaillait plus que pour son illustre cadet. Ce dernier
l'eut associé à sa gloire, s'il eut vécu plus longtemps. Et néan-
moins quelques savants égarés et quelques envieux de renommée
l'attaquèrent; mais Dacier l'avait encouragé, Silvestre de Sacy
prononça son éloge, Arago lui rendit Justice, l'explorateur anglais
de Sait, d'abord son adversaire, finit par devenir son disciple,
l'illustre allemand Niebuhr le glorifia, Letronne |Ie défendit, et
J.-J. Ampère, avec ce style attrayant qu'on lui sait, ce don de plaire
à chacun et de mettre à la portée de tous les recherches îles plus
abstruses, écrivit sur lui cette belle page que nous ne (résistons
pas au plaisir de répéter ici, quelque tort qu'elle puisse faire à nos
appréciations sans autorité et sans nom : « Oui, la' lumière
1) des hiéroglyphes, oui, la main inspirée deChampolIionaallumé
» un flambeau dont l'éclat toujours plus vif, percera de ses rayons
n la nuit séculaire d'oii ce flambeau a été tiré ! La gloire de
» Champollion est déjà l'une des plus éminentes gloires de l'éru-
» dition française ; elle grandira par tous les travaux que suscitera
» la découverte de ce grand homme, et qui seront un hommage h
» son génie. Aujourd'hui la méthode de Champollion a conquis
)) le monde savant; l'Angleterre, l'Italie, l'Allemagne, TAmé-
» rique, laproclament ; la France pourrait-elle ne pas l'honorer? Et
I) la vraie manière de l'honorer, n'est-ce pas de la continuer ?
» Par une inintelligence qui serait de l'injustice et de l'ingrati-
1) tude, la France voudrait-elle nier un des plus beaux titres d'hon-
» neur qu'elle ait reçu du siècle où nous vivons? Non, il n'en sera
» point ainsi. Et si d'incroyables aberrations prétendaient faire
1) rebrousser chemin à la science, découvrir ce qui a été trouvé,
» chercher dans le pays des rêves ce que le génie a placé dans la
» sphère des réalités, j'opposerais à cet aveuglement la voix de
» l'Europe savante, l'autoriléde l'Académie des Inscriptions et les
» travaux de plusieurs de ses membres. »
Pourtant, par une fatalité déplorable, la fin hâtive de Cham-
pollion, en laissant son œuvre incomplète, et son enseignement
interrompu, sembla compromettre pour un temps sa mémorable
découverte. Avant sa mi&sion en Egypte , il n'avait pas eu le
temps de former des élèves, et ses collaborateurs français étaient
— Go-
des dessinateurs plutôt que des savants , sauf Nestor Lhôte et
Charles Lenormant, trop jeunes, d'ailleurs, pour prétendre à lui
succéder. Quant à la commission toscane, annexée à celle dont il
était le chef, elle ne se composait comme érudits que d'un pré-
somptueux, Rossellini, et d'un traître , Salvolini. Le présomp-
tueux lit beaucoup de brait et assez peu de besogne ; le traître
vola son maître au lit de mort, pour s'attribuer plus tard la
science qu'il avait dérobée. Il fallut attendre le prussien Lepsius
pour perfectionner le déchiffrement hiéroglyphique, et l'anglais
Birch pour entreprendre la traduction des grandes inscriptions
historiques. Puis , cette chaire d'archéologie , si longtemps va-
cante, ne fut remplie après Ghampollion, que par un savant in-
génieux et fécond, mais dont la spécialité philologique était le
grec et non le copte, et dont les précédents travaux se rappor-
taient aux traditions helléniques et non égyptiennes. Aussi, que
fitLetronne? Il étudia l'Egypte par l'intermédiaire de ses plus
illustres conquérants ; il élucida l'histoire des Lagides, restaura
telles inscriptions, rectifia telles autres, et mit fin, avec sa clair-
voyance et sa perspicacité ordinaires, à deux préjugés ridicules :
l'âge fabuleux des zodiaques ramené au temps de la domination
romaine, les causes toutes matérielles des sons que rendait la
statue dite de Memnon, laquelle statue, on le sait maintenant,
n'est point celle d'un dieu, mais celle d'un homme, et laquelle
vibrait mais ne parlait pas. Tel fut l'enseignement du judi-
cieux Letronne; c'était là dégager et préparer le terrain des
égyptologues, mais non continuer directement Ghampollion.
Qu'était devenue cette grammaire égyptienne, œuvre de pré-
dilection de Ghampollion, qu'il s'était hâté d'achever à la fin de
4831, et qu'il avait remise à son frère aîné quelques jours avant
sa mort, en lui disant : « voici ma carte de visite à la postérité » ?
On ne s'occupait donc plus d'hiéroglyphes? Si, on s'en occu-
pait ; on les étudiait avec conscience , mais on les méditait
dans l'ombre : les uns avec une ardeur qui bientôt devait se dé-
tourner vers de plus neuves investigations, comme MM. de
Saulcy et Brunet de Presle, les autres dans un but historique ou
descriptif, comme MM. Ampère et Th. Devéria, d'autres enfin
dans un but plus spécial, plus direct, et temporairement plus
utile, comme MM. Aug. Mariette, Ghabas, de Horrack, Th.
Henri Martin. Pour de tels élèves, si sérieux, si résolus, si ca-
pables, il fallait un maître qui joignit une érudition étendue à
une connaissance toute particulière de la grande découverte phi-
3
— 66 —
lologique, l'autorité critique à la persévérance de travail, le goût
à l'esprit, le style à la pensée. Ces hautes qualités M. de Rougé
les possède, et nous n'avons pu qu'applaudir à sa nomination à la
chaire de Ghampollion. On lui devait déjà une étude sur une stèle
Egyptienne, œuvre de science si avancée, publication si impor-
iante qu'elle suffit pour lui mériter un fauteuil à l'Institut ; puis
des études sur le Rituel funéraire des anciens Egyptiens^ oti la nou-
veauté des faits et l'intérêt de la dissertation dénonçaient un sa-
vant capable de lutter avec la patience des allemands, la perspi-
cacité des anglais, la fougue studieuse des italiens, et de main-
tenir la France à la tête des nations qui s'adonnent à l'Egypto-
logie; enfin des notions instructives, et des rapports que lui seul
alors pouvait écrire. Aussi, lorsque le 19 avril 1860, il ouvrit son
cours au Collège de France, une élite d'auditeurs, avides de renouer
la chaîne des temps, afflua à sa première leçon. Il remplaçait di-
rectement Charles Lenormant, homme d'un savoir incontestable,
d'un talent aussi distingué que brillant, mais dont l'esprit ency-
clopédique, avait trop erré de sujets en sujets, de connaissances
en connaissances, d'opinions en opinions, et pour qui l'Egypte
n'était qu'un épisode dans son existence scientifique, qu'un cha-
pitre dans ses études générales. Contrairement à Charles Lenor-
mant, M. de Rougé semble vouloir se renfermer dans l'Egypte,
bien suffisante pour occuper et remplir toute une vie. Nous l'en
félicitons sincèrement, comme aussi, après son excellent résumé
des travaux de ses prédécesseurs et de l'importance de l'Egypto-
logie, d'avoir renfermé son cours dans un cercle tout philologique.
Qu'il fasse des élèves dans sa chaire et réserve pour le cabinet ses
études approfondies et variées, desquelles nous pouvons espérer
un jour une Chrestomathie égyptienne, et tout le monde continuera
à l'applaudir.
En résumé, que savions-nous sur l'antique Egypte il y a un
siècle? Nous n'en connaissions que les apparences, et les conjec-
tures grecques et romaines. La Bible ne nous offrait que quelques
jalons pour nous aventurer dans ce désert des siècles. Selon n'en
avait rapporté que des inspirations. Moïse que des anathèmes. Si
Josèphey avait vécu, c'était chez des conquérants temporaires, les
Hyksos; si Cambyse y avait passé, c'était pour y porter le ravage
et la destruction ; si Alexandre y avait laissé une colonie, c'était
pour la transformer en l'assimilant à l'esprit hellénique; si les
Romains l'avaient conquise, il était trop tard pour l'étudier avec
fruit et en pénétrer les secrets. Le consciencieux Hérodote en avait
— 67 —
raconté quelques traditions grandioses; le romanesque Diodore de
Sicile quelques usages curieux; le sage Plutarque ne nous avait
laissé que quelques détails sur sa Théodicée. Un seul homme du
pays, un seul membre de ses collèges de prêtres, inquiets de leur
destinée et jaloux de leur science, Manéthon, avait parlé, mais
son œuvre perdue et que des extraits contradictoires nous ont à
peine conservée, ne nous relate que des noms propres de rois, que
des listes dynastiques. Telles sont les sources maigres et avares
dont les historiens modernes devaient se contenter. Aussi, sauf
Bossuet, qui pressentit sa grandeur et qui la prit comme type du
gouvernement-modèle auquel il incitait le fils de Louis XIV,
l'histoire de l'antique Egypte, répétée sans critique, présumée
sans vérité, ou calomniée sans justice, fatigua les lecteurs et dé-
couragea les écrivains. Voltaire s'en moqua avec grâce, mais sans
bonne foi ; Volney n'y chercha qu'un texte à déclamations ; et les
savants de cette mémorable expédition, conçue par un homme de
génie et exécutée par des héros, nous laissèrent d'admirables des-
sins de ruines, mais sans pouvoir ni en deviner les âges, ni en
déterminer l'emploi, ni en déchiffrer les écritures sculpturales.
Enfin Ghampollion vint, et cette étude des hiéroglyphes, qui
avait provoqué tant de chimères, devint réelle et féconde. Il classa
les temples de l'énigmatique contrée, leur restitua des dates cer-
taines, expliqua leurs tableaux, lut les noms de leurs princes,
rendit leur valeur aux listes de Manéthon, et pénétra les rites,
les coutumes, les mœurs du grand peuple, dont les monuments
sublimes protestaient contre l'oubli des siècles. Ce que la
brièveté de sa vie empêcha Ghampollion d'amener à terme, car il
avait tout projeté et tout entrepris , d'autres plus heureux le
firent : Bunsen rendit à l'antique Egypte son rôle dans l'histoire
du monde, Birch rendit sa gloire à Touthmès III, l'un de ses con-
quérants, Wilkinson résuma ses mœurs, Brugsch reconstitua sa
géographie, Leemans décrivit ses monuments, M. Brunet de
Presle rectifia sa chronologie, M. Chabas retrouva sa morale, en
nous traduisant des extraits du livre de préceptes dû à Phthah-
Hotep, contemporain d'Abraham, M. de Rougé enfin retrouva sa
poésie, en nous faisant connaître le poème de Pen-ta-our, qui chante
les exploits de Rhamsès-le-Grand, le Sésostris classique. D'un
autre côté les explorations et les fouilles se continuaient avec une
ardeur et une sagacité croissante : outre celles de Lepsius et de
Wyse, M. Aug. Mariette, qui resta tout d'abord quatre ans en
Egypte, obtint à force de persévérance et de tact les résultats les
- 68 —
plus précieux : le déblayement du Sérapeum de Memphis qui nous
confirma le culte d'Apis, celui du Sphinx-Colosse de Gisèh, qui
n'est autre chose qu'un rocher taillé sur place, et qui date de cette
quatrième dynastie à laquelle nous devons les Pyramides ; enfin
l'emplacement reconnu d'Avaris, la dernière ville du Delta habitée
par les pasteurs, et d'où Amosis de Thèbes les chassa pour tou-
jours, en permettant ainsi à la XVUP dynastie, la plus célèbre
peut-être, de poursuivre sans obstacles intérieurs ses glorieuses
destinées. Certes, voilà d'excellents travaux, et il suffit de les pour-
suivre avec zèle pour régénérer l'histoire égyptienne, et justifier
une fois de plus le mot si juste et si vrai : Ex Oriente lux.
— 69 —
LE PIGNON DE SxilNTE-AUBIERGE,
PAR M. VICTOR PLESSIER,
Membre fondateur (Section de Coulommlcrs.)
C'est SOUS ce nom que l'on désigne, à cause de sa forme, un
immense bloc de grès qui se voit à Beautheil, dans l'arrondisse-
ment de Coulommiers, entre l'Yères et l'Aubetin, sur le point
culminant du plateau qui sépare ces deux rivières. 11 est à cent
mètres environ de la digue du vaste étang des Rigauds et au
sommet de celui de Pierrefitte. Sa hauteur est de 3 mètres 50 cen-
timètres au-dessus du sol ; son épaisseur ne dépasse pas 30 cen-
timètres. Large de 2 mètres 23 centimètres à sa base, il va s'étré-
cissant peu à peu et se termine en pointe. Il fait face au soleil de
dix heures et s'incline légèrement devant l'astre qui l'inonde de
ses rayons. On remarque à 80 centimètres de terre sur la grande
face exposée au sud-est, une rainure peu profonde de 3 centi-
mètres de largeur qui s'étend horizontalement d'un bord à
l'autre.
Il n'est fait mention de ce monolithe ni dans l'histoire du dé-
partement de Seine-et-Marne par le docteur Pascal, ni dans les
essais historiques de M. Michelin. Le seul ouvrage, à ma con-
naissance , où il en soit parlé , est l'intéressante histoire de
l'abbaye de Faremoutiers, par M. Eugène de Resbecq, un des
membres distingués de notre Société. « Il existe , dit-il, dans le
champ de Pierrefitte, appartenant h M. le Vicomte Pinon, un
espèce de menhir sur lequel on raconte une légende. »
Cette pierre, dont la pose est antérieure à notre ère, appartient
aux monuments primitifs. Elle est de celles que l'on appelle drui-
diques. La caste sacrée de Gaule , dit M. Henri Martin, absorbée
dans une sombre adoration de la nature, ne voulut pas d'autres
temples que ses forêts saintes et ne marqua pas son passage sur
la terre par la création d'une architecture religieuse. Ses cons-
tructions ne sont que de simples pierres brutes, d'énormes blocs
dressés et fichés en terre , isolément ou en longues avenues
— 70 —
{peulwen, menhir), rangés en cercle ou en ellipse [cromlech) , rap-
prochés ou réunis par une ou plusieurs autres grandes pierres
plates posées horizontalement [dolmen). Les menhirs , espèces
d'obélisques grossiers, sont nommés dans nos campagnes pierres-
fittes, pier?'es-lcvées, pierres- fichées, etc.
Les preuves du caractère monumental de cette roche abondent.
Plantée debout dans un terrain sans aspérité et mollement ondulé,
elle se distingue par un cachet spécial et grandiose des pierres de
la contrée que, dans leur état naturel, on trouve couchées et recou-
vertes par la terre végétale. Ce contraste témoigne de l'interven-
tion humaine. En un temps éloigné de notre civilisation, il fallut
déployer beaucoup d'art et de force pour dresser sur sa tranche
un bloc dont le poids, en y comprenant la partie enfoncée, ne
peut être moindre de 30 mille kilogrammes. Aussi les voyageurs
qui parcourent les chemins voisins du champ où il se fait remar-
quer, sollicités par son aspect extraordinaire, s'en approchent,
et plusieurs, s'en faisant un passeport pour la postérité, ont eu la
patience d'y graver leurs noms. On m'a assuré qu'un certain
nombre de personnes vont s'agenouiller devant ce monument et
y récitent des prières.
Une autre preuve, indépendante des conditions physiques du
menhir, consiste dans le nom que lui a emprunté la contrée. La
terre oii il se dresse, l'un des étangs qui l'avoisinent, les bois de
chênes qui l'entourent, s'appellent le champ, l'étang et les bois de
Pierrefitte (petra fixa), dénomination usitée dans nos campagnes,
comme l'a constaté M. Henri Martin, pour la désignation des
Menhirs. Il est donc vrai de dire que le doute n'est pas possible
puisque la chose frappe notre vue, et le nom, qui la caractérise,
nos oreilles.
La légende fournit une nouvelle preuve, quoique sa tendance
soit de rapporter au christianisme une œuvre qui l'a précédé. —
Saintc-Flodobertc , ayant achevé sa chapelle d'Amillis, voulut
offrir à sa sœur Sainte-Aubiergo qui construisait la sienne à
Saint-Augustin une pierre propre à constituer l'un des pignons de
l'édifice. Elle la lui portait sur l'épaule, lorsqu'à mi-chemin les
deux sœurs se rencontrèrent. Gomme Sainte-Aubierge lui apprit
qu'elle avait également terminé son oratoire, elle laissa tomber la
pierre devenue inutile qui, do son propre poids, entra en terre et
y demeura debout. Cette tradition, suivant l'usage , fait une large
part au surnaturel. Ici le transport et l'érection de la roche sont le
fait d'une religieuse qui la laisse tomber en chemin. Ailleurs, c'est
— 71 —
le travail d'une fée accompli dans des conditions analogues. Ailleurs
encore c'est le diable qui, effrayé à la vue de la vierge, abandonne
la pierre qu'il portait. Un digne ecclésiastique me faisait remar-
quer que la légende est nécessairement apocryphe puisqu'elle pré-
sente Sainte-Flodoberte et Sainte-Aubierge comme sœurs et con-
temporaines, tandis qu'elles ont vécu à cent ans l'une de l'autre.
Mais peut-être sous sa forme naïve et merveilleuse, est-elle plus
près de la vérité qu'on n'est disposé h le croire. Je m'explique.
Ces noms d'Aubierge et de Flodoberte , en même temps qu'ils
désignent les deux saintes femmes , sont aussi les dénominations
géographiques par lesquelles on indique les lieux de deux anti-
ques pèlerinages à Saint-Augustin et à Amillis, comme les vieilles
cartes de France en font foi. Là, sont des sources jouissant de la
réputation de rendre la santé aux malades. A côté, s'élèvent des
chapelles. Quelle est l'origine de ces noms? Sont-ils antérieurs à
l'existence des saintes? Viennent-ils d'elles? Ou les ont-elles re-
çus des institutions que leur piété sut détacher d'un ancien culte
pour les ranger sous la protection de la religion chrétienne?
Aubierge ou auberge se disait en celtique par deux mots : al
berga ; l'un, article , l'autre, substantif, dont le sens pur de toute idée
mercantile se traduit par le refuge, l'habitation, la maison. Rien
déplus facile à suivre que la transformation d'al berga en auberge.
Al a fait au par le changement si commun de i en u. Ber est une
syllabe, qui s'est conservée intacte. Et la terminaison sonore ga
s'est adoucie. Selon la loi générale de notre langue, on a laissé
tomber l'a pour faire place à l'e muet. C'est ainsi qu'on a obtenu
Auberge. Entre ce mot et Aubierge, toute la différence gît dans l'e,
qui , absent dans auberge s'est introduit dans aubierge. Mais la
même diversité se retrouve trop fréquemment dans des mots ayant
un même radical pour s'y arrêter. Il suffit de citer miel et mé-
lasse, bénéfice et bienfait. Il est si vrai qu'on ne doit attacher
aucune importance à Vi que, quoique la prononciation la plus
usitée maintenant soit Aubierge, on a dit autrefois, et on dit encore
indifféremment Ethelberge et Aubierge , ainsi qu'on le voit dans
V Histoire de l'abbaye de Faremo7i(ie?'s, par M. E. de Resbecq et
V Histoire du département de Seine-et-Marne, par le docteur Pascal.
Frodobert ou Frodoberg, Flobert ou Floberg, Flaubert et
Flauberg font aussi les formes diverses d'un même mot (l). Les
radicaux sont Fro et berg ; on a fait flo par la conversion usitée
(1) Dictionnaire français de Trévoux au mol frodberf, et dict. latin v.flodobertus.
— 72 —
de r en /. La variante orthographique berg ou hert n'est sen-
sible, dans la prononciation, qu'au féminin, bert faisant berte,
et berg berge. Gomme déjà nous avons donné le sens de ce
dernier monosyllabe, il ne nous reste plus, pour achever la tra-
duction de Flodoberte, qu'à expliquer flod. Ce radical, sous ces
diverses formes : froc, flot ou flod, signifie source.
Aubierge désigne, d'une manière indéterminée, un refuge, une
maison, et flod est un préfixe qui confère à floberte ou floberge le
sens de refuge ou maison de la fontaine. Ce sont là, indubitable-
ment, les noms d'une chose, d'un édifice. La fréquentation des
sources engagea nos premiers pères à y établir un abri pour pro-
téger les visiteurs contre les incommodités du temps. Mais com-
ment ces noms devinrent-ils ceux de deux saintes femmes ?
Les Gaulois adoraient les sources et les autres puissances de la
nature, que le druidisme déifia. L'espérance de guérison qui con^
duit encore aujourd'hui de rares malades vers les eaux autrefois
réputées salutaires, est un vestige de la superstition de nos aïeux.
Le christianisme est contraire à ces croyances d'origine essentiel-
lement panthéiste. Mais pour se propager, les théories les plus
pures ont dû partout et toujours transiger avec les préjugés enra-
cinés. La disparition de vieilles erreurs accréditées pendant de
longs siècles, exige un grand progrès dans le développement des
lumières et ne s'opère que par le renouvellement de plusieurs gé-
nérations. Mais les âmes ferventes qui introduisirent et propa-
gèrent en France la religion chrétienne, durent commencer par
détrôner les faux dieux, en substituant les autels catholiques aux
établissements du paganisme. Inspirées par un pieux zèle, deux
femmes dévouées à Dieu parvinrent, sans doute, à renverser l'o-
pinion qui attribuait la vertu imaginaire des deux sources à l'in-
fluence des pratiques druidiques, et elles curent l'immense hon-
neur de faire passer ces fontaines dans les possessions du christia-
nisme. Faut-il donc s'étonner que l'Église reconnaissante d'une
pareille œuvre et vraisemblablement des conversions opérées dans
les populations d'alentour, ait voulu perpétuer le souvenir de ces
faits glorieux en sanctiOant et les deux dignes femmes et le
théâtre de leur illustration? Pourquoi se refuserait-on à admettre
que, par un usage qui n'a pas encore complètement disparu de nos
mœurs, les deux saintes soient connues sous le nom des lieux dont
la chrétienté leur doit la conquête? (1).
(1) On semble d'autant mieux autorisé à voir dan? Flobert un nom de lieu, qu'il
— 73 —
Ainsi interprétée, la légende dont notre pierre a fourni le sujet
est en harmonie avec l'histoire, puisqu'elle assigne une origine
commune et contemporaine à l'érection du menhir et aux pèleri-
nages d'Amillis et de Saint-Augustin. L'établissement d'églises,
de chapelles, de croix, dans les endroits consacrés au paganisme
celtique, est un fait commun : « Sur les ruines du vieux monde
payen, dit M. de Golombel, se sont épanouis de toutes parts, sous
forme de pieuses fondations chrétiennes, les germes du monde
nouveau. »
Mais j'abandonne la légende pour entrer dans un autre ordre
d'idées. Quelle est la situation géographique du menhir? Est-il pos-
sible d'asseoir quelques conjectures sur les causes de son érection?
Posé sur le faîte du plateau qui fait la séparation de l'Yères et
de l'Aubetin, il marque le partage des eaux de la Brie, entre la
Marne et la Seine, l'Yères se jetant immédiatement dans le
fleuve, et l'Aubetin se perdant dans le Grand-Morin, tributaire de
la Marne. Il occupe le centre même du plateau de la Brie, puis-
qu'il se trouve à distance presqu'égale des deux grands cours d'eau
qui la bordent, l'un au sud et l'autre au nord, et aussi à distance
égale d'Alfort, qui est à la limite occidentale de cette ancienne
province, et d'Allemand h l'orient sur le sommet de la colline for-
mée par le terrain tertiaire, au pied de laquelle se développe la
plaine basse et crayeuse de la Champagne. L'Yères, dont le versant
septentrional est couronné par le menhir, fit la délimitation du
territoire des Senons et de celui des Meldes, démarcation d'autant
plus importante que ceux-là faisaient partie de la grande famille
des Galls, qui occupèrent primitivement la Brie, et que ceux-ci
appartenaient à la branche des Kimris qui n'y arrivèrent que cinq
ou six siècles avant notre ère. Cependant, il ne me paraît pas qu'on
doive en induire que ce monolithe ait jamais servi de limite.
Mais en considérant attentivement le menhir, plusieurs corré-
lations m'ont paru le rattacher à l'étang des Rigauds et à celui de
Pierrefitte.
La chaussée de ces étangs est revêtue d'un appareil en grès, de
la même nature que ce monolithe. En mentionnant cette analogie,
je ne me dissimule pas que, pouvant provenir uniquement des
conditions minéralogiques de la contrée , elle serait sans valeur si
elle était isolée.
a ét(j employé dans ce sens, au siècle dernier, par un habitant de Couloramiers,
qui ajoutait à son nom de famille le litre de marquis de Montflobert.
— 74 —
Mais, par une coïncidence très-digne d'attention , le pignon de
Sainte-Aubierge occupe précisément le point où les axes longitu-
dinaux des deux étangs viennent se couper à angle droit. L'axe
de l'Etang des Rigauds, dont la nappe d'eau occupait le couron-
nement du vallon, s'abaisse perpendiculairement sur les larges
laces du menhir. Par contre , celui de l'étang de Pierrefltte , posé
sur le versant septentrional, s'aligne avec le profil de la pierre.
Sur la colline opposée fut un troisième étang , appelé l'Étang
Neuf, d'une date relativement récente, comme l'indique son nom.
Cette disposition géométrique de la roche, en harmonie avec les
axes des deux étangs qui l'avoisinent, est-elle un accident fortuit?
ou plutôt n'est-elle pas le résultat d'une savante combinaison?
Ce menhir offre une autre particularité dont l'importance res-
sort suffisamment de ce fait qu'on n'en connaît pas d'autre exemple.
Je veux parler de la rainure horizontale , faite évidemment de
main d'homme, allant d'un bord à l'autre sur la face qui regarde
l'Étang des Rigauds. J'ai constaté, ^ l'aide d'un niveau, que la
crête de la digue de cet étang surmonte de 0°" 80 la hauteur
de cette marque. Or, la différence représente l'intervalle toujours
réservé entre le niveau de la nappe d'eau et le sommet de la
chaussée. N'est- on pas autorisé à en induire que cette ligne ré-
sume les travaux de nivellement opérés pour l'établissement des
étangs, et est le repère du déversoir réglementaire assurant l'éva-
cuation du trop-plein de l'étang supérieur et l'alimentation de
l'étang inférieur? Il n'y a pas d'autre explication possible de cette
barre.
L'inclinaison du menhir n'est pas non plus indifférente : cette
inclinaison, déterminée par un Cl à-plomb, de 0'"55 pour toute
la hauteur de la pierre, correspond au mouvement de retraite,
autrement dire, à la pente du revêtement de la paroi intérieure
des digues.
A ces rapports, on peut encore ajouter qu'il est probable que la
pierre de forme triangulaire a été choisie intentionnellement pour
représenter la configuration superficielle de l'Étang des Rigauds ,
avec laquelle elle est d'une ressemblance remarquable.
Un tel concours de circonstances n'est-il pas concluant? Toutes
les indications qu'il était utile d'exposer au point central des tra-
vaux pour. guider les constructeurs, no s'y trouveraient-elles ras-
semblées que par l'effet du hasard? Identité de matière entre le
monolithe et le revêtement des digues ! Concordance des faces et
du profil de la pierre avec les axes des deux étangs! Correspon-
— 75 —
dance entre la rainure et le déversoir! Autre rapport, entre l'in-
clinaison du monolittie et la pente intérieure des digues! Enfin,
la forme de la pierre figurant la nappe d'eau de l'étang principal !
Je ne puis croire que toutes ces choses soient sans signification.
Ici se présente une question archéologique : Est-il vraisem-
blable que les étangs des Rigauds et de Pierrefitte soient, comme
l'érection de la Pierre, un travail gaulois? Je n'ai pu me pro-
curer aucun renseignement sur l'origine de la construction des
étangs, dont l'historique est encore à faire, s'il n'a pas échappé à
mes recherches. Loin de rien affirmer sur ce point obscur, je me
borne à rappeler que les Gaulois, devenus sédentaires, se sont
livrés à l'agriculture, ont fait usage de marne pour l'amende-
ment des terres, ont élevé des villes et créé des fortifications.
L'établissement d'une digue ne dépassait donc pas les limites de
leur industrie. Il semble qu'ils aient dû s'adonner à l'éducation
des poissons, dont ils faisaient une ample consommation, au
rapport de Posidonius, qui s'assit souvent à leurs tables, de même
qu'ils se livraient à l'élève du bétail. On peut croire aussi que la
chose n'est pas moins ancienne que le mot : Etang se disait, en
latin, stagmim, et en celte, sfanc, stancq.
J'ai cru obéir aux incitations de notre Société en vous entretenant
d'un antique monument, à peu près inconnu en dehors de la loca-
lité qui le possède. Si incertaines que soient les conjectures que
j'ai exposées, j'ai cru convenable de vous les soumettre : la multi-
plicité des observations peut seule dévoiler la connaissance des
faits que cachent, à nos yeux, les ténèbres des siècles anté-histo-
riques .
— 77 —
ESSAI
SUR L'HISTOIRE DE Lk MUSIQUE DES FRANCS
(ÉPOQUE MÉROVINGIENNE).
PAR M. TORCHET ,
Membre fondateur (Slectlon de Meaux).
Dans quelques-unes de nos réunions intimes et particulières,
j'ai eu l'honneur, Messieurs, d'entretenir plusieurs de nos col-
lègues de la Section de Meaux, d'un sujet que l'on traite rare-
ment dans les Sociétés archéologiques. Quoi de plus intéressant
cependant, quand il s'agit de la recherche des origines, que de
s'occuper de celle de l'art musical, cette langue divine des sons?
Toutes les muses d'ailleurs ne sont-elles pas sœurs?
Il n'y a dans les arts qu'une famille où tout se tient, où les con-
trastes eux-mêmes se rapprochent par de mystérieuses relations
dont l'œil clairvoyant trouve le fil.
« La musique est une architecture de sons, et l'architecture une
musique de pierres, » s'écriait Novalis, une des plus nobles intel-
ligences que les temps modernes aient produites, et il ajoutait :
M la sculpture est la l'orme fixe; la musique, la forme fluide.
Entre la sculpture et la musique, entre la forme fixe et la forme
fluide, la peinture sert de transition. »
Il se peut que je me trompe; mais on ne saurait, à mon sens,
rien écrire de si vrai, de si juste, de si définitif, sur la nature élé-
mentaire des beaux-arts, sur cette consanguinité virtuelle qui les
unit et les enchaîne. Plastique, musique et poésie; tels sont les
éléments que des circonstances passagères seules divisent, et qui,
tôt ou tard se rejoignent.
Assurément, c'était un véritable Athénien celui qui prétendait
qu'on ne devait jamais assister sans musique au spectacle d'un
chef-d'œuvre de l'art plastique ; comme aussi, d'autre part, il
fallait se garder d'entendre une symphonie, si ce n'était au sein
d'une harmonieuse et royale architecture.
— 78 —
Je ne me le dissimule pas, Messieurs, elle est rude et difficile
pour moi, qui dans le temple de la science, ne devrais être qu'un
écouteur aux jiortes^ la tâche que j'ai entreprise de décrire l'histoire
de la musique des races anciennes qui se sont agglomérées et fixées
sur le sol que nous habitons.
Déjà, dans une autre enceinte et à huis-clos, j'ai essayé de tracer
successivement le tableau de la musique des Gaulois, des Gallo-
Romains, des premiers chrétiens et des Francs, à, l'époque de
leurs invasions. Mon intention aujourd'hui est de jeter un coup-
d'œil rapide sur la situation de l'art musical pendant la période
Mérovingienne.
En continuant mon travail devant un auditoire tout à la fois
aussi brillant et aussi gracieux, j'éprouve deux sentiments bien
opposés. D'abord, celui bien naturel de mon insuffisance, puis,
la conviction d'être utile en cherchant à élucider des faits qui
ne sont point assez connus et à répandre dans l'art musical un
peu de lumière historique, flambeau nécessaire pour en embras-
ser l'ensemble.
J'abrite ces timides et faibles essais littéraires sous mon pro-
fond amour de l'art à la propagation duquel j'ai consacré mon
existence, encouragé et enhardi d'ailleurs par l'ardente initiative
de notre docte et dévoué président, qui a fait appel à la bonne
volonté de tous et qui désire que chacun, dans la mesure de ses
forces et de ses capacités, contribue au succès de l'œuvre entre-
prise.
Le cinquième siècle, Messieurs, est certainement remarquable
parmi les autres siècles. Sa physionomie, sa couleur sont dis-
tinctes. Son histoire est comme le dernier acte de ce drame inti-
tulé : Décadence du monde Romain, dont les scènes se sont dé-
roulées pendant plus de quatre cents ans et qui a pour dénoue-
ment, l'an 476, la chute de l'empire d'Occident.
Mais un fait que le génie de Leibnitz et que de nombreux tra-
vaux historiques ont prouvé jusqu'à l'évidence : c'est qu'il n'y a
jamais de solution de continuité dans la vie de l'humanité ! «Dieu,
dit Ghâteaubriant, qui, d'une main abaissait l'Empire Romain,
élevait de l'autre l'Empire Français. Augustule déposait le dia-
dème l'an 476 de J.-G., et l'an 481, Glovis couronné de sa longue
chevelure, régnait sur ses compagnons. »
Le dernier des Romains avait été Aétius, vainqueur d'Attila et
de ses hordes barbares. Après lui, les torrents que vit rouler l'Em-
pire d'Occident étaient comme les fleuves qui, descendant des
— 79 —
Alpes et se dirigeant vers des mers opposées, avaient soudain, dé-
tournant leurs cours, fondu ù flots communs sur celte riche et
fertile contrée. Tout avait péri dans leurs dévastations et la fuite
avait été le seul moyen de salut pour les artistes et les savants.
Gonstantinople , Athènes, Alexandrie , leur avaient offert des
asiles restés paisibles jusque-là. Heureusement pour l'humanité,
ils avaient pu y reprendre en sécurité le cours de leurs travaux.
Voilà ce qui nous explique la rapide décadence delà musique dans
l'Occident à une époque oîi le même art était encore cultivé avec
succès par les Grecs.
Le plain-chant ecclésiastique, formé des débris de la musique
grecque, dont on avait été obligé de simplifier le système pour
l'accommoder aux besoins et à l'inexpérience des fidèles ; le plain-
chant, cet assemblage d'antiques mélopées sans rythme, sans
modulation et sans tonalité précise, le plain-chant enfin, dont
l'altération devait donner plus tard le Jour à un art nouveau, comme
les langues modernes naquirent de la corruption de la syntaxe
latine et de l'instinct des peuples; le plain-chant formait toute la
science musicale de nos pères à cette époque fatale où, la lu-
mière intellectuelle se trouvant éteinte devant le souffle barbare,
d'épaisses ténèbres paraissaient devoir envelopper pour longtemps
l'Europe occidentale.
N'oublions pas. Messieurs, que si un peu de vie artistique a pu
se conserver au milieu du chaos qu'amena cette irruption des
peuplades du Nord sur le Midi, c'est à l'Église que nous le
devons. A cette époque, toutes les cathédrales avaient une école
qu'on appelait école épiscopale. C'était une sorte de séminaire où
les clercs étaient formés, sans qu'on empêchât les laïques de par-
ticiper aux leçons qu'on y donnait. Là s'enseignait ce qu'on
nommait les sept arts libéraux, c'est-à-dire la Grammaire, la Dia-
lectique, la Rhétorique, la Géométrie, l'Astrologie, l'Arithmétique
et la Musique. Nous verrons plus tard comment Charlemagne
recueillera ces rares étincelles pour ranimer le foyer des beaux-
arts, presque éteint dans ces siècles de douleur et de désolation.
Clovis, le fier sycambre, le guerrier terrible qui, la framée à la
main, abattait la tête de ses ennemis vaincus, et mutilait les monu-
ments de la civilisation romaine, Clovis, ce type de l'héroïsme
brutal, n'était cependant pas toujours insensible aux charmes que
produisent les arts sur les cœurs les plus farouches.
Vous vous rappelez la cérémonie de son baptême; c'était la
veille de Noël de l'année 49G.
— 80 —
La solennité eut lieu à Reiras, et tout ce que la civilisation
romaine fournissait encore de brillant fut déployé avec profusion
pour orner le triomphe des évêques. Les rues étaient décorées de
tapisseries; des voiles de diverses couleurs, tendus d'un toit à
l'autre, interceptaient, comme aux jeux du cirque, l'éclat du
jour; de joyeuses fanfares, de pieux cantiques retentissaient dans
les airs. Le pavé était jonché de fleurs, et des parfums brûlaient
en abondance. L'évêque de Reims marchait, en habit doré, à côté
du roi de France, qu'il appelait son fils spirituel.
« — Patron, lui dit celui-ci, émerveillé de tant de pompe,
n'est-ce pas là ce royaume du ciel où tu as promis de me con-
duire? »
L'école romaine brillait, à cette époque, d'un assez vif éclat.
Désireux d'égaler la magnificence de Théodoric, roi des Ostro-
goths, Glovis le pria de lui envoyer un musicien qui sût parfai-
tement chanter et jouer des instruments. C'est ainsi que le chantre
Acorède, désigné par le savant et infortuné Boëce, vint à la cour
de France.
Sous la direction de ce maître habile, les prêtres et les chan-
teurs de Clovis commencèrent à chanter plus agréablement et
« ayant appris à jouer des instruments, ce grand monarque, dit
Diipeyrat, s'en servit pour le service divin; ce qui a continué sous
ses successeurs et jusqu'au déclin de sa lignée, que la musique a
toujours été en usage à la cour de nos premiers rois. » Ainsi, nous
trouvons dès le début de la monarchie française, un corps de mu-
siciens régulièrement organisé, placé sous la direction d'un chef
habile, possédant ses statuts, ses règlements, sa hiérarchie, et
chargé de la double mission d'embellir de ses chants les solen-
nités religieuses, et d'amuser les loisirs du roi et de ses courtisans.
Les enfants de Glovis suivirent son exemple, et Thierry I", roi
d'Austrasie, eut comme son père, des prêtres musiciens attachés
à son service. Dans un voyage qu'il fit en Auvergne, accompagné
de la reine, il découvrit le jeune Gall dans un monastère où l'on
venait de toutes parts admirer sa belle voix. Quelques mois suffi-
rent pour compléter l'éducation du jeune chanteur, et son début
à la cour produisit un effet merveilleux. Gall fut dès lors dans les
bonnes grâces du roi, et quelques années après, lorsque (Juin tien
fat mort, Thierry nomma son protégé au siège épiscopal de Gler-
mont. Il y est mort en 554, ses vertus le lirent canoniser et Saint-
Gall est compté parmi les patrons des musiciens.
Fortunat, tout h. la fois pontife et poète, chapelain de Sainte-
— 81 —
Radegonde, femme de Clolaire P% et auteur de plusieurs hymnes
adoptées dans les offices, parmi lesquelles on cite le Vexilla régis
prodeimt, nous parle avec détail des cérémonies de l'église de Paris
dans un éloge qu'il fait de Saint-Germain et de son clergé.
Déjà, à cette époque, les chants sacrés étaient accompagnés des
flûtes, des trompettes et de plusieurs autres instruments, comme
l'attestent les distiques que nous devons à la muse de cet évêque,
l'un des meilleurs poètes de vi" siècle :
Hinc puer exiguis attemperat organa cannis,
Inde senex largam ructat ab ore tubam.
Cymbalicœ voces calamis miscentur acutis,
Disparibusque tropis fislula dulce .fonat,
Tympana rnuca senum puerilis tibia mulcet
Atque hominum reparant verba canora lyrarn.
Grégoire de Tours rapporte un fait qui, dans ces temps bar-
bares, semble empreint d'une couleur pittoresque.
L'inhumation de la reine Glotilde, dit-il, se fît avec un chœur
nombreux de psalmodistes, C'î<m îna^no^srt//e«//o, ses restes mor-
tels furent transportés de Tours à Paris, et le convoi était accom-
pagné de plusieurs prêtres qui chantaient par les chemins.
La psalmodie formait donc à cette époque une des parties les
plus importantes de l'office liturgique. La traduction des psaumes
de l'hébreu en grec, et du grec en latin, a dû nécessairement faire
subir à la mélodie des altérations inévitables. Il faut que ce chant
antique ait une puissance bien merveilleuse pour avoir conservé,
à travers cette transmission par les manuscrits et la tradition
orale, des Juifs aux fidèles de l'Orient, de ceux-ci aux églises de
Milan et de Rome, une telle beauté, une telle influence sur l'es-
prit, le cœur et l'imagination.
De nos jours encore, lorsque des psaumes sont bien chantés par
le chœur et par le peuple, avec les ressources vocales d'une maî-
trise bien dirigée, il en résulte l'effet le plus grandiose que la mu-
sique puisse produire. Je regrette de ne pouvoir vous faire con-
naître ici quelques-unes des nombreuses instructions prescrites
par le manuscrit du monastère de Saint-Gall, relativement à la
précision qu'on exigeait dans la psalmodie au ix* siècle : elles vous
prouveraient que nos aïeux attachaient plus d'importance que nous
à la bonne exécution de ces mélodies antiques.
Si jamais vos loisirs vous permettent de voyager sur la ligne de
l'Est, entre Paris et Strasbourg, lorsque vous serez arrivés au
U
— 82 —
bourg de Chelles, arrêtez vos yeux sur la vaste plaine de verdure
qui s'étend à gauche, vers l'antique villa des rois mérovingiens ;
vos regards découvriront un petit monument de pierre, fragment
d'une ancienne croix qui mérite de fixer l'attention des archéo-
logues. Un savant mémoire lu, il y a quelques années, à la Sor-
bonne, par l'auteur érudit de l'histoire de la ville de Meaux, récit
que corrobore l'autorité de la tradition, en fait remonter la base à
cette époque, berceau de notre histoire.
Cette colonne rappelle un souvenir, celui deChilpéric I", assas-
siné à cette place même en 584. Cet homme, espèce de Néron
sauvage, fut cependant le premier prince Franc qui cultiva
les lettres. C'était un composé bizarre de barbarie atroce et de
civilisation corrompue et mal comprise. Il se piquait de savoir
la musique aussi bien que la poésie. Mais sa Muse boiteuse blesse
à la fois la mesure et l'harmonie. Il traita des questions de théolo-
gie, rédigea sur la Trinité un ouvrage absurde, et composa des
hymnes et des messes, dont la critique qu'en a faite Grégoire de
Tours ne doit pas nous faire regretter la perte, nlia opuscula com-
posuit, hymnos el missas quœ nullo modo recipi possunt.
Vers ce temps, c'est-à-dire h la fin du vi'' siècle, Gontram , le
meilleur des quatre fils de Lothaire I", rendait le dernier soupir.
Il fut sans doute regretté de ses sujets, car il est connu dans l'his-
toire, sous le nom du bon Gontram. Ce prince, mis par quelques
auteurs au nombre des saints, était si passionné pour la musi-
que qu'il ne pouvait prendre ses repas sans entendre exécuter,
avec beaucoup de perfection , les psaumes et répons de l'office
divin.
Un séjour que Gontram, roi de Bourgogne, fit à Orléans, nous
permet déjuger de son goût mélomane.
« A son arrivée , dit le chroniqueur , une foule de peuple de
toutes les races vient à sa rencontre avec des enseignes et des dra-
peaux, en chantant ses louanges. Bientôt , sa faveur est grande
auprès des habitants, car il va dans leurs maisons lorsqu'ils l'in-
vitent, et accepte les repas qu'ils lui offrent. Il en reçoit beaucoup
de présents, et sa bienfaisante libéralité les leur rend avec abon-
dance. Grégoire , évoque de Tours, se trouvant à Orléans , Gon-
tram se présente au logis. L'évêque se lève joyeux, va au-devant
du roi, et après lui avoir fait l'oraison, lui présente les Eulogies
de saint Martin , c'est-à-dire le pain bénit, Gontram entre avec
bonté, boit un coup, invite l'évoque et ses prêtres à sa table, et
s'en va joyeux. »
— 83 —
« Pour égayer le festin, ajoute Grégoire , le roi commanda que
» je fisse chanter mon diacre qui, le jour précédent , avait chanté
» les psaumes et répons à la Messe. Il voulut, de plus, que tous
» les prêtres qui étaient présents , chantassent aussi devant lui ,
» selon l'ordre et le rang que je leur prescrirais. Tous ayant donc
» été disposés par moi, chacun se mit à chanter, comme il put,
« un répons. «
Avec un goût aussi prononcé pour le chant, il est très-probable
que ce roi musicien mêlait volontiers sa voix à celle de ses clercs.
Je n'affirmerais même pas que le bon monarque n'ait souvent lui-
même donné l'intonation ou dirigé l'exécution de cette société cho-
rale de date peu récente.
Clotaire II, orphelin à l'âge de six mois, fils d'une mère accusée
et mal justifiée de la mort de son époux, possesseur peu assuré
du plus petit royaume de France , envié et toujours attaqué par
ses plus proches parents, devint roi par la méchanceté imprudente
de sa tante Brunehaut, et réunit sous son sceptre toute la mo-
narchie française.
« Les Saxons s'étant révoltés, dit un chroniqueur, il les dompta
si pleinement par les armes, qu'il fit périr tous les mâles de cette
race, dont la taille surpassait la longueur de son épée. Il voulait
que le souvenir toujours vivant de cette immortelle épée, étouffât
l'audace de leurs enfants.
Un chant de triomphe, en vers monorimes , destiné à célébrer
cette victoire de Clotaire , nous a été conservé dans une vie de
saint Faron , évêque de Meaux, attribué à Hildegaire , autre
évêque de la même ville, sous Gharles-le-Ghauve. On y exalte la
charité de saint Faron, qui sauva de la mort les députés vaincus.
Il ne reste de ce chant que les deux couplets suivants, dont voici
la traduction.
I
« Chantons Clotaire , le roi des Francs , qui alla combattre la
» nation saxonne. Les députés saxons auraient été traités sévère-
» ment, si Faron, de nation bourguignonne, n'eût intercédé pour
» eux.
Il
» A l'arrivée des Ambassadeurs en France , où Faron était
— 84 —
» prince, Dieu leur inspira de passer par la ville de Meaux , pour
» les sauver de la mort que leur roi leur préparait. »
I
De Clotaria est canere, rege Francorum,
Qui ivit pugnare cum génie Snxonum
Quuni graviter jirovenissct rnissis Saxo?mm
Si non fuisset inclitus Faro de gente Burgundionum.
II
Quando veniunt in terram Francorum,
Faro ubi erat princeps, missi Saxonum
Lutinctu Dei transeunt per urbeni Meldorum,
Ne interficiantur a rege Francorum.
Sidoine-Apollinaire qui , dans une de ses lettres, reproduit les
fragments de celte chanson , nous apprend qu'elle l'ut chantée à
pleine voix, magna vociferatione, dans tout le royaume.
Le biographe de samt Faron , parlant de cette bataille, atteste
la même chose. On composa, sur cette victoire, dit-il , un chant
populaire qui, à cause de sa rusticité, volait de bouche en bouche
jusqu'au fond des campagnes, où tout le monde le chantait, même
les femmes qui le disaient en formant des rondes et en battant
des mains.
En général, l'air de toute chanson avait, à cette époque, une
affinité complète avec les hymnes religieux. C'étaient des mélodies
prises du chant grégorien, auxquelles on adaptait des paroles en
langue vulgaire.
Dans les premiers temps de la conversion des Gaules , on eut
soin d'opposer aux hymnes druidiques les invocations du nouveau
culte.
Redites avant ou après la bataille, celles-ci prenaient souvent le
caractère des chansons militaires. Le Franc, converti, marchait
contre les Sarrazins du Midi et contre les païens du Nord, en ré-
pétant pour cris d'armes, un Alkluia, un A'ijrie eleison ou un
Gloria in excelsis.
Les plus hauts dignitaires de l'Église, souvent présents au mi-
lieu des troupes, et quelquefois exerçant eux-mêmes le métier des
armes, devaient naturellement encourager ces pieuses tendances,
qui répondaient au caractère auguste dont ils étaient revêtus.
Dagûbert naquit dilettante. Sans doute, vous n'attendez pas de
— Hb —
moi, Messieurs, que sur la foi de je ne sais quel historien, je vous
donne de véridiques détails sur l'origine de cette ballade burlesque
qui a transformé le premier ministre de Dagobert en valet de
chambre toujours occupé à surveiller la garde-robe de son maître
et h réparer le désordre de sa toilette , même dans les usages les
plus familiers de la vie. Cette cantilène de carrefour, variée sur
tous les tons et ajustée sur une fanfare de cors qui, probablement,
a plus d'une fois lacéré votre nerf auditif , n'a que trop accrédité,
sinon justifié, la maladresse de ce monarque Franc.
Dagobert avait une immense renommée dans l'Occident. Sa
cour fastueuse, les hommes illustres, comme saint Ouen et saint
Éloi qu'il avait pour ministres, les abbayes qu'il fit construire,
les lois Salique et Ripuaire qu'il lit rédiger, font, de son règne, la
période la plus brillante de l'histoire des Neustriens. Les Francs
semblaient avoir remplacé les Romains dans l'Occident; aucun
peuple ne pouvait lutter de puissance et de gloire avec eux.
Ce prince, dont Grégoire de Tours se dispense de nommer les
maîtresses, parce que, dit-il, elles sont en trop grand nombre,
savait merveilleusement allier la galanterie aux pratiques exté-
rieures de la piété,
A l'église, si je m'en rapporte h l'étymologie de son nom , qui ,
selon quelques auteurs , signifie chantre héroïque , il mariait ad-
mirablement bien sa voix à celle des clercs et des prêtres; nul ne
chantait avec plus de ferveur et de dévotion un verset ou un ré-
pons de l'office.
Dans son palais , où il avait conservé l'usage du triclinium
romain, des bains parfumés et des moelleux tapis de l'Orient, il
vivait couronné de fleurs au milieu des poètes et des parasites qui
égayaient ses repas; nul ne le surpassait en amabilité auprès des
dames ; aussi sa mollesse l'avait-elle fait surnommer le Salomon
de la France.
Un jour, il se rend à l'abbaye de Romilly pour y remplir ses
devoirs religieux. Tout à coup, il entend sortir du sanctuaire une
harmonie semblable au chœur des esprits célestes. Dagobert, h
genoux et en prières , se lève ; il s'avance vers le lieu d'où s'é-
chappe ce merveilleux concert. Un timbre ravissant, délicieux, a
soudain frappé son oreille et fait tressaillir son cœur. Son ardente
imagination transforme, poétise, embellit des formes les plus
séduisantes l'âme d'où s'exhale une si tendre mélodie. Il voit l'a-
nalogie la plus frappante entre deux beaux yeux noirs et deux
tierces mineures tendrement soupirées par la virtuose dont le chant
— 8G —
suave vient de percer son cœur. Dagobert est ivre de bonheur.
Après l'office, il sonne à la grille du monastère. Les deux bat-
tants de la porte s'ouvrent devant Je roi des Francs. Paré de la
longue chevelure qui distingue sa puissance , et revêtu d'un vête-
ment d'écarlate que recouvre la pourpre consulaire qui lui a été
envoyée de Gonstantinople , l'illustre monarque se présente à
l'abbesse. Il passe en revue les recluses, et bientôt sa sympathie a
reconnu celle dont les accents mélodieux ont fait vibrer les cordes
de son cœur.
Dagobert n'avait pas été l'objet d'une illusion. La beauté de
Nantilde égalait ses talents et ses grâces. C'était le plus admirable
ensemble de distinction et de poésie, que l'imagination puisse rêver.
Protecteur des arts, le prince s'oppose à ce qu'un si riche trésor
reste plus longtemps enfoui dans la solitude d'un cloître. Il a
bientôt déclaré sa passion à la jeune professe. Nantilde, les yeux
baissés, prononce à peine quelques mots confus; elle tremble , de
grosses larmes roulent comme des perles brillantes le long de ses
joues virginales. Elle éprouve des sentiments inconnus; une
émotion nouvelle l'agile; Dagobert a îail miroiter à ses yeux
l'éclat des diamants, le scintillement des pierreries ; il lui a offert
son trône et sa main. C'en est fait ! la séduisante religieuse est
vaincue; elle voit avec plaisir l'hymen qui va lui donner le titre
de reine et, sans délai, elle sacrifie l'asile de l'innocence et de la
prière à l'atmosphère embaumée de la cour ; elle consent à échan-
ger le voile de la vierge contre les insignes de la royauté.
Cependant une difficulté se présente. Dagobert était marié. No
croyez pas, Messieurs, que cet obstacle puisse comprimer la
passion du roi et éteindre la flamme qui le consume. Il est tout-
puissant; il a toujours fermement tenu le sceptre royal. — Sa
venue, dit Frédegaire , frappait de terreur les évêques et les
grands. — Sa volonté saura bien rompre le lien qui l'unit à la
reine Gomatrude.
Son mariage est cassé, annulé, et de nouvelles noces sont cé-
lébrées avec beaucoup de magnificence et d'appareil. Tous les
Leudes de la Neustrie sont convoqués. Rangés en demi-cercle, ils
tirent tous à la fois leurs épées , et les brandissant en l'air, pré-
sentent leurs hommages à la nouvelle reine.
Heureuse et fière de sa position, Nantilde devint encore plus
belli! ; elle porta avec dignité le poids de la conronno; elle resta
grande ri;iiie sans cesser d'être une musicienne émineiile, une
virtuose de cette époque.
— 87 —
Admirez ici l'influence magique de la musique. Toute une
population est en émoi. Les grands s'agitent, les prélats s'assem-
blent; une jeune religieuse renonce aux vœux éternels qu'elle a
prononcés aux pieds des autels; un roi devient parjure, il viole la
loi de l'indissolubilité du mariage; et pourquoi tout ce mouve-
ment, toute cette agitation? pour quelques sons plus ou moins
mélodieux, pour quelques notes plus ou moins suaves échappées de
la poitrine d'une jeune fille; — qui sait? peut-être pour un verset
du magnificat^ soupiré sur un mode plus ou moins passionné.
En vérité, on chercherait vainement dans l'histoire des arts un
fait plus extraordinaire. Pour moi, je ne doute pas que cet épisode,
traité par une plume habile, ne soit de nature à balancer le succès
de la scène du couvent du Domino noi7\
Après cette digression que j'ai crue nécessaire pour vous faire
apprécier le règne de Dagobert sous un point de vue différent de
celui que nous offre la grotesque chanson qui a bercé notre en-
fance, j'arrive tout naturellement et sans transition, à son mi-
nistre Éloi.
Saint Éloi, lui aussi, devait aimer les arts avec passion, car il
nous reste de lui des chefs-d'œuvre en orfèvrerie qui excitent en-
core aujourd'hui l'admiration des antiquaires. La vie du ce saint
fait mention d'un chantre de Clotaire II, nommé Maurin, que les
applaudissements de la Cour avaient rendu vain et pi^ésomptucux .
Nous voici arrivés à la période des rois que l'histoire a flétris
du nom de rois fainéants. Malgré leur faiblesse, et peut-être même
à cause de cette faiblesse, ils excitent votre compassion. Pauvres
rois! du bouclier sur lequel on les élevait jadis, onlesajctés dans
un fourgon traîné par des bœufs; désormais, retenus dans le fond
de leur palais transformé en monastère, ils sont là comme de
pauvres fleurs privées d'air et des rayons du soleil. Vous les voyez
pâles et tremblants, accablés qu'ils sont par le poids de la lourde
couronne que leur a léguée Glovis. Enfants, ils montent sur le
trône, et enfants ils en descendent dans la tombe. A les voir ainsi,
il semble, hélas ! que le manteau bleu-saphir des Francs, qui
couvre leurs épaules, doive bientôt leur servir de linceul.
Thierry III fut l'un de ces princes infortunés. Le moine An-
grade, dans la vie de saint Ansbert, rapporte que ce roi avait des
chantres et des joueurs de toutes sortes d'instruments de musique.
Leurs concerls ravissaient tellement le saint, alors chancelier de
Thierry qu'il s'écriait, dans son enthousiasme religieux et mu-
sical :
— 88 —
« 0 mon Dieu, si vous donnez aux mortels une industrie ca-
» pable d'élever ainsi nos âmes jusqu'à vous, que sera-ce d'en-
» tendre dans le ciel le cantique éternel des anges et des saints? »
Sous le règne de ces rois dégénérés, la musique qui, je dois le
dire, a été surtout et presqu'exclusivement liturgique sous la pé-
riode mérovingienne, la musique dut nécessairement s'engourdir
dans la mollesse et l'oiseveté, car les arts reflètent exactement le
milieu prédominant des mœurs d'une époque historique. Tantôt
religieuse, guerrière, dramatique, l'expression musicale revêt, à
chaque siècle, la forme, je dirais presque le costume de la société
où elle se produit. C'est ainsi que l'archéologie de la musique doit
devenir tôt ou tard l'auxiliaire de l'histoire générale. Mais bientôt
les maires du palais s'emparaient du pouvoir qui allait les élever
sur le trône, et on pressentait déjà dans Charles-Martel le digne
précurseur de Charlemagne, le puissant monarque qui devait
bientôt jeter les premières bases de l'université.
Ce prince voulut que la musique fût enseignée dans les écoles
qu'il avait établies, comme on le voit au livre I" des Capitulaires :
Carolus constiluit in singulis monasteriis et episcopiis scholas esse,
ubi ingenuoruin et servorum filii grammaticam , musicam et arithme-
ticam docerentur.
Charles établit dans chaque monastère et dans chaque ville
épiscopale des écoles où l'on enseignait la grammaire, la musique
et l'arithmétique aux enfants des hommes libres et des serfs.
Puisse, Messieurs, cet article des Capitulaires, qui date de 800
et qui, après plus de dix siècles, vient d'être remis en vigueur par
S. Exe. le grand-maître de l'université, ne pas de nouveau rester
lettre morte dans les archives du conseil impérial de l'instruction
publique.
La musique parle à l'âme, comme le dessin parle aux yeux et
les langues à TespriL : ne scindons pas deschosessi bien faites pour
se compléter par leur ensemble. Rien n'est isolé, tout s'enchaîne
et s'unit dans la vaste synthèse des connaissances humaines. L'en-
seignement de l'art musical mérite tout notre intérêt. C'est à nous
à le relever à sa véritable hauteur, à la hauteur de renseignement
scientifique.
— 89
DE PARIS k FONTAINEBLEAU,
PAR M. LÉON ESCUDIEll,
Membre fondateur (Section de Mcanx).
I
C'était autrefois à petites journées qu'on faisait le voyage de
Paris à Fontainebleau, parfois le sac au dos, en touriste avide de
souvenirs historiques, s'arrêtant à chaque village et à chaque
bourgade, consultant sa mémoire et visitant les monuments qui
s'alignent, comme des jalons, le long de la route menant de la
capitale h cette résidence royale qu'un étranger appela avec raison
un rendez-vous de châteaux.
Nous avons changé tout cela; nous ne voyageons plus mainte-
nant, nous arrivons. Entraînés par une chaudière quigaloppe sur
des rainures, nous supprimons le temps et les distances ; mais
combien d'intéressants souvenirs nous chassons ainsi de notre mé-
moire! Ce qui était un plaisir est devenu une affaire, et les affaires
s'accomodent médiocrement delà poésie des souvenirs.
Vite, l'heure sonne, le monstre fait entendre sa bruyante respi-
ration, impatient de remorquer la cargaison humaine qu'on attèle
à sa suite. En route pour Fontainebleau! Le signal est donné,
la machine s'ébranle, elle court, elle vole, elle nous emporte. Tout
semble fuir sur son passage, les arbres et les maisons, les coteaux
et les villages.
Voici Gonflans, au confluent de la Seine et de la Marne, et son
château que François de Harlay bâtit vers la fm du xvii'' siècle ;
la populace déchaînée en 1831 le saccagea impitoyablement en
haine du prélat qui l'occupait. Et voici Charenton-le-Pont, cette
sentinelle avancée de Paris, qui a toujours jeté le cri d'alarme
quand l'étranger a voulu s'approcher de la capitale et toujours en
a arrêté la marche, ne fut-ce qu'un instant. C'est ici que la belle
— 90 —
Gabrielle reçut dans sa demeure, située alors à l'endroit même oh.
se trouve aujourd'hui la mairie, son auguste et volage adorateur.
Plus loin, c'est Maisons-Alfort, tout peuplé du souvenir de
Diane de Poitiers, que nous retrouverons plus tard à Fontainebleau.
Qui aurait pa prévoir qu'elle serait un jour habitée par Maxi-
milien Robespierre! Plus loin encore c'est Ivry-sur-Seine, qui
était déjà debout au ix" siècle, et qui garde encore intacte l'habi-
tation dans laquelle mourut la femme de Philippe-Égalité.
On s'arrête un instant: c'est déjà Villeneuve-Saint-Georges ;
son nom est devenu une antiphrase : Villeneuve est un village qui
remontealaplushautcantiquite.il fut rudement éprouvé pen-
dant les luttes de la ligue. A Tendroit môme où la locomotive s'est
arrêtée, était le pont que Turenne enleva au duc de Lorraine.
En marche de nouveau ! Nous voyons derrière nous Crosnes,
où naquit l'auteur des Épîtres et des Satires, de l'Art poétique et
du Lutrin.
Ce domaine qui disparaît à notre gauche est celui de Gros-
Bois. Un Valois, digne aïeul de cette misérable intrigante qui se
fit appeler comtesse de Lamothe, et qui doit sa triste célébrité à
l'affaire du collier de la reine, en avait fait un atelier de faux-
monnayeurs. Si nous pouvions nous arrêter, nous irions visiter ce
joli manoir qu'on nomme le château de La Grange et dont la gra-
cieuse Al""^ Favart fut priée de faire les honneurs, auprès de son
illustre persécuteur le maréchal Maurice de Saxe, sans que la
belle cantatrice consentit jamais à oublier son mari, le fondateur
de rOpéra-Gomique , — le pauvre Favart qui l'adorait, et encore
moins à trahir ses devoirs d'épouse. Mais la vapeur ne permet
pas ces retours vers le passé. Elle nous entraîne. Laissons nos re-
grets au château de La Grange, et traversons la vallée d'IIyères
qui s'ouvre à nos pieds.
Quels souvenirs à la fois terribles et intéressants n'éveille-t-clle
pas, cette riante vallée? C'est ici où les guerres de la Fronde furent
plus sanglantes et plus acharnées ; c'est ici qu'elles s'éteignirent
après avoir si cruellement déchiré la France ; c'est dans la vallée
d'IIyères que Turenne força le duc de Lorraine à livrer son pont
de bateaux et à quitter le royaume avant que Condé pût venir à
son secours.
l'jicoro quelques inslanis d'arrêt, Nnus sommes à Montgeron,
— Ul —
le bourg tout émuillé do castcls et de manoirs. Le parc du dernier
de ces châteaux touche à la Ibrôt de Senart, où la fille Poisson ,
qui devait changer son nom roturier contre celui de Le Normand
d'Etiolés, et y ajouter plus tard le titre de marquise de Pompa-
dour, sut attirer les regards de Louis XV.
Étrange et fatal jeu de l'amour et du hasard ! Voilà une femme
qui, née dans les rangs les plus obscurs, devint presque reine de
France et plus que reine. Par contre, une autre femme, née riche
et noble, mais qui, par une suite singulière d'événements, se croyait
la fille d'un ouvrier, refusa d'épouser un patricien, un ambassa-
deur, le général comte Dupont-Ghaumont, qu'elle aimait et dont
elle était adorée, et mourut de douleur, si cruel était le sacrifice
qu'elle s'imposa. On voit encore, non loin de l'obélisque de Se-
nart, la tour qui perpétue le souvenir de la noble et infortunée
Thérésia, et sur laquelle est incrusté son nom en lettres d'or. .. On
sait comment mourut la Pompadour!
Mais voici Brunoy, la halte oii les voyageurs d'autrefois pas-
saient inévitablement la nuit avant de reprendre le chemin qui
conduit h Fontainebleau.
On ne saurait s'empêcher de ressentir un sentiment de tristesse
et de patriotisme froissé, quand on songe que le titre de marquis
de Brunoy fut conféré par décret de Louis XVIII au général duc
de Wellington, après la bataille de Waterloo ! Par bonheur, le
titre s'éteignit avec la vie du titulaire anglais.
Un autre marquis de Brunoy, — un fou et un dissipateur, celui-
Ici, — le célèbre Armand de Montmartel, qui entra dans le monde
par une porte dorée en héritant de vingt millions, trouva le moyen
de laisser plus de six millions de dettes, quand il mourut renfermé
dans un cloitre sous le coup d'une lettre de cachet. Tout Brunoy
fut en deuil : ce qui n'étonnera pas, si l'on sait qu'une seule pro-
cession de la Fête-Dieu coûta à ce prodigue Épulon la somme de
deux cent mille livres !
Talma , l'illustre comédien , lui aussi devait faire des folies à
Brunoy, mais autrement modestes que celles d'Armand de Mont-
martel. 11 y habitait la maison du complice d'Ankarstrœin, le
meurtrier de Gustave III; devenu propriétaire d'un terrain, il
y fît construire une villa charmante, puis il acheta le terrain
vis-à-vis de l'autre côté delà rue, fit abattre la jolie maison de
campagne fraîchement bâtie et la fit reconstruire sur le nouvel
emplacement.
. — 9i —
Passons Bussy, et avant d'arrivor à Quincy, où l'on doit voir
encore la maison , sinon le moulin de Michaud , le naïf hôte de
Henri IV ; saluons Jarcy ou Gercy, où est la tombe de Lusignan ,
et qui était la demeure de Boïeldieu. C'est à Gercy qu'il écrivit la
Dame Blanche^ œuvre acclamée pendant plus de mille représenta-
tions, et toujours fraîche et jeune comme si elle datait de la veille !
On sait avec quel enthousiasme fut accueillie la partition que
Boïeldieu apporta modestement, sous son bras, do Gercy à la salle
Favart. On sait de quels applaudissements unanimes fut salué ce
pas de géant fait dans l'art, cette orchestration tout à la ibis sa-
vante et limpide qui se pose entre Mehul et Rossini , ce mouve-
ment, cette vivacité musicale, ce souffle large et sonore qui
traverse l'œuvre tout entière, cet écrin étincelant de joyaux
mélodiques, cette soudure d'or, pour me servir de l'heureuse
expression d'un critique, cette soudure d'or entre le passé et l'a-
venir de rOpéra-Comique.
On sait aussi avec quelle modestie et avec quelle délicatesse de
sentiments, Boïeldieu accepta les manifestations de l'enthousiasme
général et repoussa le parallèle que les partisans de l'ancien ré-
gime musical firent en défaveur de Rossini. — « Quoi qu'on dise
» ou que l'on fasse, répondit Boïeldieu, je ne prends des compli-
» ments que l'on m'adresse que la part qui m(^ revient. On ne
» peut toucher à celle que l'Europe a faite à Rossini, sans donner
» une preuve d'ingratitude ou de mauvaise foi. » Voilà comme
un esprit élevé et un caractère droit faisaient justice de ce trou-
peau de flagorneurs qui ne trouvent d'autre moyen, pour exalter
un homme de génie, qu'en cherchant à dénigrer ses émules !
Mais pendant que je m'arrêtais au souvenir de ce chef-d'œuvre
de l'art musical, qu'on appelle la Dame Blanche, nous avons passé
le village do Quincy, celui de Gombs-la- Ville avec son pont du
Diable, et Lieusaint,où fut assassiné le Courrier de Lyon en 1796.
Infortuné Lesurques, tu portas la tète sur l'échafaud , innocente
victime d'une erreur judiciaire, et ton procès n'a pas encore été
révisé!... qu'importe! ta mémoire est depuis longtemps réhabi-
litée et ton nom s'accouple désormais à celui de Calas, martyr
comme toi !
Nous franchissons le plateau de la Bric, nous passons la Seine
sur un pont d'une hardiesse prodigieuse, et nous sommes à Mc-
lun , la ville aux brillants souvenirs. Le train ne s'y arrête que
trois minutes. Dérision! Mais l'imagination le dislance; elle ne
— 93 —
s'arrête pas une seconde, la iblle da logis ! Elle évoque , en quel-
ques instants, toute l'histoire de l'ancienne ville d'Isis, de Melo-
dunum, comme la nomme César dans ses Commentaires ; rappelle
le siège qu'y établit Childéric et l'horrible carnage qu'il fit de la
garnison de Gillon, le patrice romain; le combat à outrance, dit
jugement de Dieu , soutenu sous Louis-le-Bègue , pour le pape
Engelbert contre Contran, pour défendre la comtesse du Gàtinais,
injustement accusée de meurtre et d'adultère; les ravages que les
Normands firent de la ville dans la seconde moitié du neuvième
siècle; le siège que Robert, fils d'Hugues Capet, vint y mettre à
la dernière année du siècle suivant; les embellissements qu'il fit à
Melun, sa résidence favorite et le lieu de sa mort; la guerre civile
qui suivit ; l'avènement de Louis-le-Jeune ; l'académie qu'y fonda
Abeilard; l'installation d'une cour de Justice sous Philippe-Au-
guste; l'invasion des Anglais qui occupèrent la ville et y restèrent
jusqu'à ce que Duguesclin vint les -en chasser; mais ils se vengèrent
sur le prince de Barbazan et sur cinq ou six-cents des principaux
habitants de la ville, qui furent vengés à leur tour par l'expulsion
définitive des Anglais sous Charles VII...
Mais avant même que la mémoire ait pu s'échelonner et rap-
peler les prodiges de valeur de Henri IV, lors des guerres de la
ligue, et les épreuves qu'eut à subir Melun, à l'époque de la
Fronde, la locomotive a quitté Melun, a dépassé Bois-le-Roi
qu'on voit h gauche, dominant la ligne ferrée, et voici qu'elle s'en-
ferme dans les ombres de la forêt tant de fois séculaire.
Nous sommes h Fontainebleau.
Que nous reste-t-il de ce rapide parcours? De magnifiques points
de vue si tôt disparus qu'aperçus, d'intéressants souvenirs si tôt
effacés qu'éveillés pour faire place à d'autres souvenirs, refoulés à
leur tour dès qu'un nouveau site, un château, un village se pré-
sentaient et s'enfuyaient.
Mais la station est de nature à nous indemniser de tout ce que
la précipitation du voyage nous a fait regretter.
Entrons au château.
FONTAINEBLEAU.
II
Fontainebleau, le plus beau et le plus riche fleuron du diadème
— 94 —
de la France, toute notre histoire est gravée sur les pierres de ton
magnifique palais dont chacune est un monument ! Le poète,
l'artiste, le philosophe, Thomme d'état, l'écrivain, tous y trouvent
à s'inspirer ou à méditer. But d'un incessant et éternel pèlerinage,
on te cherche avec avidité, on te visite avec admiration, on te
quitte avec le plus profond regret, le désir ardent d'y revenir au
plus tôt, le cœur plein d'émotions, la mémoire pleine de souve-
nirs !
Tout a retenti dans ton auguste enceinte : joyeux propos, aveux
passionnés, mélodieux accords, chants d'amour, hymnes de vic-
toire, cris de détresse, paroles d'adieu, sanglots déchirants, éclats
de rire, longs gémissements. Tu as été tout à la fois fier donjon,
palais de délices, séjour de rois, prison de pape, salle de confé-
rences, rendez-vous de chasse, musée, boudoir, théâtre, tout!
On averse bien des larmes entre tes murs, on y a versé du
sang!
Chaque dynastie et chaque roi y ont laissé leur trace, depuis
Louis VII, qui datait une de ses chartes de Fontene-Bleaudi,
nnno domini 1169, jusqu'à Napoléon qui data de Fontainebleau sa
double abdication. La royauté et la beauté — cette royauté de la
femme, — l'art et la poésie, la magniOcence et l'hospitalité, la
gloire et l'amour, le mystère et la douleur, ont tous collaboré
pour rendre imposante, splendidc et intéressante cette superbe
résidence.
Les souverains d'abord, — Philippe-Auguste en tête, qui l'habita
longuement. Viennent ensuite, Louis IX, le monarque croisé,
le saint roi qui vint y mériter le céleste bonheur en faisant celui
de ses sujets sur la terre ; il y fit bâtir un hôpital. On le reconnaît
bien là! Philippe-le-Bel qui y naquit et y mourut. Celui-là com-
prenait tout autrement le triomphe de notre religion; il croyait
l'exalter et l'assurer en persécutant les juifs et en faisant brûler
les Templiers. Ses successeurs, qui, Charles VII notamment,
ajoutèrent de nouvelles constructions au château favori de leurs
augustes ancêtres. Louis XI qui n'y devait pas regretter son sé-
jour du Plessis-lès-Tours et qui y ajouta une bibliothèque.
Louis XII qui fit transporter à Blois tous les volumes que son
prédécesseur avait choisis pour le palais de Fontainebleau, Blois
étant devenu résidence royale et siège du gouvernement. Fran-
çois I'"' qui y établit une bibliothèqur* enrichie de précieux ma-
nuscrits et y appela les artistes dont il fut le Mécène et fanii ;
— 95 —
il y donna hospitalité à Charles-Quint en échange de la prison que
l'Empereur lui avait donnée à Madrid. Henri II qui continua
l'œuvre de son père et prodigua les peintures et les riches orne-
mentations à la salle que la postérité a connue sous son nom.
François II, qui fut baptisé dans la chapelle de Fontainebleau
ainsi qu'Elizabeth de France devenue, plus tard, femme de Phi-
lippe II et reine d'Espagne. Charles IX, qui marqua son séjour
dans le château royal par une foule d'embellissements dus prin-
cipalement au pinceau et au ciseau des meilleurs artistes.
Henri III, son frère, roi de Pologne, qui lui succéda et qui na-
quit à Fontainebleau ; Henri IV, qui oubliait les fatigues du camp
aux pieds delà belle Gabrielle d'Estrées, et qui, plus tard, n'était
l'énergique opposition de Sully, y eût épousé Henriette d'En-
tragues pour se consoler delà mort de Gabrielle. Mais on sait que
ce roi galant savait mener de front les affaires de la France et les
siennes, la guerre et l'amour; il agrandit considérablement le
domaine royal de Fontainebleau, en y ajoutant les constructions
et la cour des offices et en y annexant la seigneurie du Mont-
ceau. Pourquoi faut-il que l'arrestation et l'exécution du maré-
chal de Biron viennent mettre une tache à la page de son séjour à
Fontainebleau! Louis XIII qui, y naquit et fut baptisé dans cette
chapelle que plus tard il devait décorer splendidement. Etant
encore dauphin, il y lava pour la première fois les pieds aux
pauvres, usant ainsi d'un privilège qui était réservé aux rois.
Le château royal lui doit aussi le grand escalier de la cour du
Cheval-Blanc. Louis XIV, qui devait y signer, hélas! la révoca-
tion de l'édit de Nantes. Louis XV, qui épousa dans la chapelle
du palais Marie Leczinska. Louis XVI, qui se borna à visiter
Fontainebleau , sans montrer pour cette résidence royale la
même prédilection que ses prédécesseurs. Napoléon I", qui y dé-
pensa six millions ; qui y fit entendre pour la première fois le
mot de divorce à Joséphine; qui y amena l'année suivante l'impé-
ratrice Marie-Louise ; qui y signa le décret ordonnant de brûler
toutes les marchandises anglaises ; qui y tint prisonnier le pape
Pie VII, et qui, enfin, après avoir abdiqué en faveur de son fils
et de sa femme régente, se résigna à l'abdication complète. Les
adieux à la garde sont gravés dans tous les esprits. Un an plus tard,
il passa en revue dans la même cour du Cheval-Blanc ces mômes
débris de l'armée auxquels il avait fait de si touchants adieux.
C'était la dernière fois qu'il devait revoir Fontainebleau. Son
nouveau règne ne durera que cent jours ; son voyage ne s'arrêtera
— 96 —
que sur un rocher de l'Atlantique ! Louis XVIII, qui ne vint
qu'une ibis à Fontainebleau pour le mariage de son neveu le duc
de Berry ; Charles X qui y vint chasser tous les ans ; Louis-Phi-
lippe qui fit faire des travaux importants et qui voulut qu'on y
célébrât en 1837, le mariage de son fils, le duc d'Orléans, avec la
princesse Hélène de Mecklembourg; il faillit y être victime de
l'attentat deLecomte. Enfin, Napoléon III qui a tiré Fontainebleau
de l'oubli dans lequel l'avait plongé la restauration.
Voilà pour les monarques français.
Et voici maintenant pour les augustes hôtes étrangers.
î On y a vu Charles- Quint s'arrêter et traverser la France
pour aller mettre à la raison les révoltés de Gand. Il fut reçu
à la lisière de la forêt par une troupe de divinités champêtres
et, arrivé à l'avenue qui porte le nom de Maintenon, il y trouva
François I" qui lui donna l'accolade ; puis ce furent des fêtes
splendides dgnt la duchesse d'Étampes faisait les honneurs. Dans
un moment d'abandon, le roi qui causait avec la favorite s'adres-
sant soudain à Charles-Quint lui dit : « Savez-vous ce qu'elle me
conseille? De vous retenir prisonnier.
1) — Si le conseil est bon, mon frère, il faut le suivre, répondit
l'empereur en souriant. »
Seulement, comme avant de se mettre à table, la duchesse pré-
senta à l'auguste hôte de Fontainebleau une aiguière d'argent
pour qu'il y trempât les doigts, Charles-Quint y laissa tomber,
comme par mégarde une magnifique bague à laquelle brillait un
diamant de valeur. « Je vois, dit-il , qu'elle veut changer de
maître, » et il pria la duchesse de l'accepter en souvenir de lui. La
favorite accepta et n'eut garde de renouveler à son royal amant le
conseil qu'elle venait de lui donner.
Qui sait, n'était cet acte de magnificence politiquç, ce que se-
raient devenues les destinées de l'empire, voire celles de la
France !
En 1064, Henriette de France, l'épouse de l'infortuné Charles I"
d'Angleterre, vint habiter Fontainebleau, et le cardinal jMazarin
n'était pas homme h rendre moins cruelle sa peine par un séjour
plus confortable.
Un demi-siècle plus tard, Charles Stuart, chassé de son royaume,
trouva un refuge dans le château de Fontainebleau.
— 97 —
Dans l'intervalle, en 1637, Christine de Suède, qui avait ab-
diqué trois ans auparavant, fut invitée par Louis XIV à résider à
Fontainebleau. Elle devait ensanglanter ce château par l'assas-
sinat de Monaldeschi. Il fut frappé à Textrémité de la galerie des
Cerfs, qui était au rez-de-chaussée sous celle de Diane, et dont le
nom lui venait d'une quantité considérable des plus grands bois
de cerfs que Henri IV y avait fait placer avec symétrie.
Le czar Pierre-le-Grand vint passer h. Fontainebleau , au mois
de mai de l'année 1770.
En 1808, Charles IV, roi d'Espagne, y fut détenu pendant
vingt-quatre jours.
Le Pontife Pie VII, enlevé du palais du Quirinal, trois ans au-
paravant, arriva au château le 19 juin 1812, ne reçut la visite de
l'Empereur qu'au mois de janvier suivant, et resta à Fontaine-
bleau jusqu'au 24 juin 1814.
Sous la Restauration, on vit dans cette résidence royale le duc
de Glocester, le prince Frédéric-Auguste, qui devint après roi de
Saxe, François I", roi des Deux-Siciles , son frère le prince de
Salerne, Marie-Christine d'Espagne, etc.
Les favorites , qui ont habité le palais de Fontainebleau , sont
innombrables. Nous avons nommé la duchesse d'Etampes , Ga-
brielle d'Estrées, Henriette d'Entragues. Ajoutons la comtesse
de Chateaubriand, conviée à Fontainebleau lorsque François l",
déclarant qu'une cour sans dames ressemblait à un printemps sans
roses, invita toutes les jeunes châtelaines du temps aux fêtes de
Fontainebleau; Diane de Poitiers, dont le souvenir est si perpétué
dans ces royales résidences; Marie Touchet , la belle orléanaise
qui voulut le cœur, non la puissance de son royal ami Charles IX,
et qui le garda tant qu'il vécut; mademoiselle de La Vallière e/
iutti quanti.
Quant aux artistes, le Primatice en tête; quant aux musiciens ,
à commencer par l'auteur du Devin du Village, qu'on joua à Fon-
tainebleau; quant aux poètes et aux écrivains célèbres: il suffit de
rappeler que ce château fut habité par François P', par Louis XIV
et par Napoléon , pour comprendre qu'il serait aussi long que
7
— 98 —
difficile d'énumérer toutes les étoiles de l'immense et lumineuse
pleïade qui gravita, pendant trois périodes successives , autour de
ces trois soleils.
III
Tout parle à l'imagination dans cet édifice splendide sur lequel
chaque siècle a laissé son empreinte et chaque souverain son nom.
Tout y réveille un souvenir, depuis l'armure de François P'' jus-
qu'à la table sur laquelle Napoléon signa l'acte d'abdication ! Ici ,
les voûtes de ces salles retentirent des accords joyeux d'une fête
éblouissante; là, de ces balcons, une cour brillante assista à des
joutes et à des tournois; plus loin, dans ce pavillon, on tint la
fameuse conférence à laquelle vinrent prendre place les plus sa-
vants et les plus illustres représentants de l'Église romaine et de
l'Église réformée ; plus loin encore , on vous montre le corridor
où fut décidé le sort du malheureux maréchal de Biron qui,
pressé pendant toute une journée de faire l'aveu des intrigues
dont Henri IV s'occupait, et n'ayant rien voulu révéler, fut en-
voyé à Paris, jugé sommairement, condamné et exécuté aux flam-
beaux dans la cour de la Bastille.
Ces chiffres entrelacés rappellent les amours de la belle Diane
de Poitiers, dont l'irrésistible influence s'étendit du rogne de
François I*"" à celui de Henri II , et qui contrebalança , sous le roi-
chevalier, la puissance de la duchesse d'Étampes, opposant religion
à religion, politique à politique. Elles personnifiaient même, dit
un historien, deux doctrines artistiques et littéraires, car sur ce
terrain aussi elles luttaient à armes égales , l'une plus jeune ,
l'autre plus séduisante; l'une encore aimée du roi régnant, l'autre
déjà aimée de l'héritier présomptif; l'une dominant le père, l'autre
gouvernant le fils. Xie Primatice et Jean Goujon nous ont laissé,
tous deux , le portrait de cette fille du seigneur de Meudon, qui
avait nom Anne de Pisseleu et qui fut, plus tard, la duchesse
d'Etampes. L'un a immortalisé ses traits sur la toile, l'autre dans
le marbre.
Elle sut s'entourer de poètes et de savants. Elle protégea Rabe-
lais, qu'elle fit nommer curé de Meudon, et Clément Marot, à qui
elle fit traduire en vers les psaumes. Elle sut consoler François 1"
de toutes les misères qu'il eut à subir et de tous les revers qu'es-
suya le royaume ; le monarque oublia à ses pieds la défaite de
— 99 —
Pavie, ]a trahison du connétable , les ennuis de l'exil et de la
captivité , les sacrifices que lui avait coulés sa rançon, tout, jus-
qu'au départ de ses deux fils livrés à l'empereur Charles-Quint, à
titre d'otages, pour l'exécution du traité de Madrid.
Gomme sa fière rivale en puissance et en beauté , Diane de Poi-
tiers, fille du seigneur de Saint- Yallier, posa devant le Primatice
et devant Jean Goujon. Le marbre et la toile témoignent de la
grâce naïve et de la beauté rayonnante d'une toute jeune femme ,
et cependant elle avait dix-neuf ans de plus que le prince qu'elle
savait captiver. La liaison de François I" avec la duchesse d'É-
tampes avait duré sans trouble pendant vingt-et-un ans. Henri II
aima pendant trente ans la même femme , Diane de Poitiers ,
d'une passion sincère, d'une inaltérable tendresse. Ces deux favo-
rites semblent démentir ces vers d'une adorable insouciance que
François I" traça sur la vitre de la pointe diamantée de sa
bague :
(1 Souvent femme varie
» Bien fol est qui s'y fie. »
C'est au château de Fontainebleau que le passage, dans ce
monde, des deux puissantes favorites se révèle d'une façon plus
durable. Il est vrai qu'on pourrait d'ailleurs écrire l'histoire de
Fontainebleau, rien qu'en écrivant la vie des royales favorites, de-
puis Agnès Sorel, la poétique et chevaleresque amie de Charles VII ,
jusqu'à la frivole et énervante marquise de Pompadour, cette
reine de boudoir, qui ne laissa derrière elle aucun regret. Cap
Versailles ne date réellement par sa splendeur que de Louis XIV,
tandis que Fontainebleau remonte jusqu'à Louis VII. Qu'on cal-
cule le nombre de reines de la main gauche qui se sont succédées !
Et combien d'entr'elles ont eu assez de pouvoir, assez d'influence,
sinon pour gouverner la France, du moins pour engager les rois
qui en étaient épris à des actes qui, sans elles, n'eussent probable-
ment pas été accomplis! Sans Agnès Sorel, sans son vigoureux ap-
pel au patriotisme et à la chevalerie, Charles VII n'eutpoint quitté
ses chasses et ses jardins et n'eut pas expulsé les anglais de son
royaume; sans M°"= de Maintenon, Louis XIV n'eut peut-être pas
eu la triste énergie de signer la révocation de l'Édit de Nantes
qui causa tant de larmes et de sang à la France. Et nous ne pre-
nons que les points presque les plus éloignés de l'histoire des favo-
rites. Entre le 3 novembre 1437, jour de l'entrée solennelle de
— 100 —
Charles VII dans sa capitale, et le 22 octobre 1685, date de la si-
gnature au château de Fontainebleau de la funeste révocation de
l'Édit de Nantes, il y a près de deux siècles et demi !
Que d'artistes ont prêté leur concours à l'embellissement de
cette résidence ! L'escalier dit du fer-à-cheval , dont la double
rampe de degrés est l'œuvre de Lemercier. Les quatre anges en
bronze de la chapelle de la Trinité et les statues de Gharlemagne
et de Saint-Louis, sont de Germain Pilon. La galerie des fresques,
aux sujets allégoriques , est due au pinceau délicat d'Ambroise
Dubois; celles de la galerie de François I'', sont l'œuvre du Rosso
et du Primatice.
La salle du Trône est ornée d'un portrait de Louis XIII, par
Philippe de Champagne. Les deux statues de la Force et de la
Paix, qu'on admire à la salle des gardes, ont été sculptées par
Francarville. L'énumération serait longue, des chefs-d'œuvre
comme des souverains.
IV
Et quel jardin enchanté ! Le parterre fut dessiné par Le Nôtre.
Quels délicieux ombrages dans le parc, traversé par un magnifique
canal ! l'étang est un petit lac.
Mais si intelligent, si habile que soit le travail de l'art, il est
forcé de céder à l'œuvre bien autrement imposante de la nature.
La forêt est là pour le constater. Le bourgeois de Paris ne connaît
généralement l'opulente forêt de Fontainebleau que par les ta-
bleaux et les études que messieurs les paysagistes envoient régu-
lièrement, chaque année, au salon de l'exposition. D'habitude,
ce sont les mêmes chênes, les mêmes motifs, les mêmes points de
vue. Le paysage est, il faut l'avouer, singulièrement routinier. Il
s'inspire quelque peu de Panurge. On ne dirait pas, à voir les toiles
des artistes qui font le pèlerinage annuel de Fontainebleau, on ne
dirait pas que cette forêt est si vaste, si riche, si accidentée. Et,
cependant, la nature l'a généreusement douée. Le paysage abrupt
et sauvage de Salvator Rosa y alterne avec le paysage majes-
tueux et calme de Claude Lorrain. Brilly y donne la main au
Poussin. Roches, ravins, plaines, vallées, arbres séculaires,
sites pittoresques, clairières, sinuosités, lumière, ombre, mys-
tère, tout s'y trouve. Un peut dire qu'ici la nature s'est faite
— 101 —
artiste, ou, comme dit Le Tasse en parlant des Jardins d'Ar-
mide : a Elle imite, en jouant, sa propre imitatrice. »
« L'imitatrice sua, scherzando, imita. »
Quels plus agréables points de vue et quels sites plus pittores-
ques, chacun dans son genre, que les Plâtrières, le mont d'Assy, le
nid de l'Aigle, la vallée de la Sole, le rocher des Deux-Sœurs avec
sa roche cristallisée, la gorge et le vallon d'Aprcmont, d'une pro-
fondeur si mystérieuse? Et la caverne des Brigands, aujourd'hui
si sûre; et l'Ermitage de Franchard, avec sa roche qui pleure, et
la gorge du Houx, et la croix du Grand-veneur, avec sa sombre
légende, qu'on dirait éclose dans la Forêt-Noire!
Quelle est la forêt au monde qui réunisse la magnifique prome-
nade de la Reine, le rocher d'Avon, la gorge aux Loups, la mare
aux Évées, le rocher des Marsouins, celui des Écureuils, la grotte
de Georgine, la roche de Léviathan et celle du Diable ?
Non, jamais plus magnifique château ne fut enchâssé dans une
plus riche parure naturelle!
Et Napoléon I" avait bien raison de dire à Sainte-Hélène, en
parlant de Fontainebleau :
(( — Voilà la vraie demeure des rois, la maison des siècles;
» peut-être n'est-ce pas rigoureusement un palais d'architecte,
» mais c'est assurément un lieu d'habitation bien calculé et parfai-
» tement convenable. C'est ce qu'il y a sans doute de plus com-
» mode, de plus heureusement situé en Europe pour un souve-
» rain Fontainebleau est en même temps la situation politique
» et militaire la plus convenable. »
Pourquoi maintenant cette forêt, qui ne mesure pas beaucoup
moins de vingt mille hectares de superficie et près de cinquante
kilomètres de pourtour — la distance qui est entre Paris et Fon-
tainebleau! — pourquoi, dis-je, cette forêt était-elle dans l'ori-
gine appelée la forêt de Bierre, ou Bierra?. On a prétendu, il est
vrai, que Bierra était un guerrier normand, surnommé Côte-de-
Fer, qui en 843 s'arrêta en cet endroit avec son corps d'armée,
après y avoir commis d'effroyables ravages. Les anciens guerriers
normands sont très-commodes pour les étymologistes. Il est moins
commode, pour ces derniers, de fournir des preuves de leurs
assertions le plus souvent hypothétiques.
Mais je m'adresse ici à une réunion de savants et d'archéo-
— 102 —
logues. Je prends la liberté de poser la question au sujet du vieux
nom de la forêt de Fontainebleau. Plus heureux que moi et plus
à môme de la résoudre, ils seront assez aimables pour me rensei-
gner, comme ils ont été assez indulgents pour m'écouter.
— 103 —
DE LA GMYURE,
ÉCOLE DITE DE FONTAINEBLEAU (1),
PAR M. II. GÂULTRON,
Secrétaire et membre fondateur (Section de Fontaineblean ).
Messieurs,
Dans les chefs-d'œuvre de la gravure, il est une collection éparse
connue sous le nom d'École dite de Fontainebleau.
Cette collection est en partie le travail des maîtres peintres,
sculpteurs, architectes, qui ont orné le château de Fontainebleau,
et dont les disciples ont gardé et continué le caractère.
Ces gravures offrent les plus grandes qualités souvent de style,
toujours d'élévation dans la composition; elles sont la plupart au-
jourd'hui le souvenir d'oeuvres disparues, telles que la galerie
d'Ulysse, celle des Cerfs, le pavillon de Pomone, la chambre
d'Alexandre et tant d'autres; les unes appartiennent à des graveurs
connus par leurs noms et par leurs chiffres, les autres sont des
pièces anonymes qui ne laissent aucun doute sur le genre, le goût
de cette époque, et cataloguées sous ce titre.
La Société d'archéologie, section de Fontainebleau, sur les ins-
tances d'un de ses membres, a pensé qu'elle pouvait mettre res-
pectueusement sous les yeux de Sa Majesté le projet de la
conservation de cette précieuse collection, que. le château si riche
en souvenirs historiques pourrait la recevoir et que les maîtres
qui ont concouru aux splendeurs de cette demeure, à ses travaux
perdus aujourd'hui, y trouveraient un refuge et une nouvelle illus-
tration.
A cet effet, elle a demandé l'appui de M. le ministre de la mai-
son de l'Empereur, et s'autorisant des écrits des commentateurs
des peintres-graveurs, elle a pris la liberté, dans un mémoire-
appendice, de lui en montrer les indications déjà connues pour la
forme.
(1) Lu en Séance générale, à Fontainebleau, le 15 octobre 1865.
— lOi —
Les noms des italiens, Messieurs, qui ont décoré le château de
Fontainebleau, sont la plupart fameux. Ils sont nombreux, aussi
le temps ici ne nous permet pas d'en énumérer les titres. Les gra-
veurs contemporains qui nousont conservé, parles estampes, leurs
magnifiques travaux, et pour lesquels nous désirons aujourd'hui
une conservation durable, sont aussi dignes de notre admiration.
Mais à la suite des recherches que nous avons faites pour leur
donner une conservation durable, il nous a semblé qu'il n'était pas
sans intérêt d'y ajouter devant vous quelques mots, sans nuire
toutefois à leur consécration.
Tout en rendant justice à l'éclat que cette génération d'artistes
en tous genres a montré, on a beaucoup exagéré les bienfaits de
l'influence italienne sur les travaux de nos peintres et de nos
sculpteurs ; on a oublié que le xvV siècle, chez nous, portait déjà
l'empreinte de notre nationalité.
Si la renaissance italienne est venue créer dans notre pays un
art de tradition, un art renouvelé du paganisme, qui tranchait
complètement avec le moyen-âge chrétien et gothique, et qui com-
mença une phase nouvelle, l'art français, en perdant un moment
son originalité pour obéir à l'impulsion des italiens, devait se con-
tinuer et se reconnaître dans les Glouët et Jean Cousin.
Les hommes qui apparurent ici et qui couvrirent nos murs, il
faut le dire, n'appartiennent pas à la grande famille des maîtres.
Us gardent sans doute quelque chose des traits disLinctifs de la
race, une certaine noblesse naturelle, une véritable aisance dans
les allures, et dans la physionomie du talent, mais cette aisance
semble moins procéder d'un fond de vigueur morale que d'un
contentement de soi-même ; cette expression de noblesse s'exagère
trop et dégénère en ostentation. Chez elle, rien ne subsiste de la
grâce persuasive, de la sérénité, pourrait-on dire, avec laquelle les
artistes italiens de la belle époque, et Raphaël, mieux que tout
autre, instruisaient la pensée et les yeux de la l'ouïe.
A voir ces œuvres pompeusement futiles, ces œuvres composées
au hasard de l'heure présente, on croirait que la peinture n'a
d'autre principe que la fantaisie, d'autre lin que l'étalage de la fa-
cilité, et que l'office du peintre est de nous montrer non pas ce
qu'il a senti en face de la nature, mais ce qu'il lui aplû d'imaginer
en dehors d'elle. Et cependant, malgré la manière conventionnelle,
malgré les caractères outrés, les jactances fréquentes du style, les
incorrections, les injures h la vérité, au goût, il est impossible de
ne pas admettre l'abondance des idées pittoresques, de ne pas être
— 105 —
frappé de l'harmonie somptueuse et facile qui relie, les unes aux
autres, les diverses parties de si grands travaux. Ces hommes mé-
ritent donc qu'on honore en eux les derniers représentants, les der-
nières gloires de l'art italien.
Le Primatice entre tous est un grand talent, une intelligence
puissante, c'est un artiste par l'abondance des idées, par la har-
diesse de sa mise en œuvre, par l'habileté de sa pratique. Si l'on
blâme l'excès de cette habileté, si le maître a mésusé des dons
reçus, toujours est-il que ne cède pas qui veut à de pareils entraî-
nements, et que pour dépenser avec cette prodigalité, il faut avant
tout être en fonds de richesses.
Mais en imposant le spectacle d'œuvres à la Michel-Ange, en
faussant le goût de l'École française, ils ont dû devenir antipa-
thiques aux inclinations, aux habitudes, au génie même de l'art
national. Ils ont méprisé la manière un peu minutieuse, mais pro-
fondément sincère, de nos vieux imagiers, le sentiment judicieux
de nos vieux pourtraitistes, comme on les appelait, l'expres-
sion d'exactitude qui caractérisait déjà l'art français, et qui, s'af-
firmant de plus en plus, malgré leurs bruyants succès, devait dans
le siècle suivant se formuler avec une autorité supérieure sous le
pinceau de Lesueur et de Nicolas Poussin.
On a donc exagéré cette influence ; en les appelant en France, on
a eu le tort, ajouterai-je, de délaisser les gens dont les ayeux
avaient, entr'autres œuvres méritoires, sculpté les figures des
porches de la cathédrale de Chartres, peint les plus belles ver-
rières que l'on connaisse aujourd'hui, enrichi de miniatures
exquises les pages des chroniques et des missels.
Oh sont, en effet, les signes évidents de progrès, les preuves de
l'action salutaire exercée par eux, les trouve-t-on dans les pein-
tures refroidies qui suivirent, de Toussaint Dubreuil, d'Amboise
Dubois, de Fréminet? dans ces contrefaçons d'un art dont les
qualités principales sont la verve et la facilité? Est-il juste de rap-
porter aux maîtres de Fontainebleau les progrès qui s'accom-
plirent plus tard? Ces progrès, au contraire, ne deviennent sérieux"
qu'à partir du moment oii les peintres français répudient les
exemples qu'on leur avait imposés d'abord. Les traces s'en arrêtent
et ne se voient plus dans les travaux qui se sont succédés depuis
le xvii'^ siècle jusqu'à nos jours. La manière italienne n'a pas,
dans l'histoire de la peinture française, le caractère et les consé-
quences d'une révolution, elle y fut unç exception.
Nos peintres, quoi qu'en aient dit les descendants du Rosso et
— i06 —
du Primatice, sont de race libre, et s'il fallait leur assigner une
origine, on la chercherait dansl'art des Van-Eyckctdes Memling.
Dans le domaine de la statuaire et de Tarchitecture, il faut le
reconnaître, l'influence italienne a été plus positive et plus heu-
reuse. L'art national a gagné en correction, en élégance, par l'in-
troduction des ordres antiques et du style italien dans les formes
architectoniques. Les disciples sont devenus des maîtres, — tels
Philibert de Lorme, Pierre Lescot, Jean Goujon.
En restaurant leurs œuvres à peu près efTacées, notre pays rend
à l'art un véritable hommage, et à ces étrangers qui ont illustré
notre cité. Nous y ajoutons le désir d'en voir conserver les traces
par le recueillement de leurs travaux gravés, mais aussi nous de-
vons affirmer, à l'honneur du génie français, qu'ils n'ont eu chez
nous qu'un glorieux et isolé passage ; néanmoins, la collection qui
les rappelle et qui nous occupe doit présenter encore et toujours
le plus grand intérêt.
— 107
ÉTUDE D'ARCHÉOLOGIE CYNÉGÉTIQUE.
DES CAPITAINERIES DES CHASSES
DU DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-MARNE,
PAR M. DOMET,
Membre fondateur (Section de Fontainebleau).
Avant la révolution de 1789 , parmi les nombreuses charges,
parfois au moins inutiles, qui, achetées à beaux deniers comptants,
se transmettaient de père en fils comme un héritage, une des plus
recherchées, des plus importantes, surtout dans les environs de
Paris, était sans contredit celle de Capitaine des chasses. Le rôle
de celui-ci, ses fonctions, ses privilèges sont à peu près ignorés
de tout le monde aujourd'hui; le nom seul est resté dans la so-
ciété actuelle, mais ne s'applique plus qu'à une charge de cour
presque honorifique. Peut-être quelque chasseur, ami des choses
du passé, nous pardonnera-t-il de faire revivre ces personnages
d'autrefois, et de raconter ce que nous savons des Capitaineries
établies dans les pays qui forment maintenant le département de
Seine-et-Marne.
Pour bien comprendre cette institution, il est utile de remonter
plus haut que les temps qui l'on vu naître, et de passer rapide-
ment en revue les principales ordonnances qui, dès le principe,
ont régi la chasse en France.
Les Romains pensaient que les animaux sauvages, n'ayant pas
de maître, appartenaient au premier qui s'en emparait. La consé-
quence de leur maxime , qu'ils importèrent avec eux dans les
Gaules, était la faculté pour chacun de chasser en tous lieux,
même sur le fond d'autrui. Ce principe est encore dominant dans
beaucoup de pays du midi, notamment en Italie.
Les chefs Francs étaient trop chasseurs, et par conséquent trop
jaloux pour s'accommoder de cette sorte de communisme cynégé-
tique. Cependant le gibier se rencontrait encore abondant dans le
— 108 —
pays qu'ils venaient de conquérir, et ils se bornèrent longtemps
à interdire la chasse sur leurs domaines propres.
Plus tard la féodalité s'établit, et la chasse devint, un droit
féodal appartenant aux seuls seigneurs de fiefs. Un arrêt de
Philippe-Auguste, du 1" mai 1:^10, le déclara personnel , et dé-
fendit de le céder ou l'affermer. Un arrêt de Philippe-le-Long , de
1318, interdit aux vilains de l'exercer, et les empêcha même de se
servir de furons et rezeuls {rezeul, de reticulum, petit ret, bourse)^
quoique ce genre de chasse ait été flétri du nom de cuisinière par
les anciens règlements.
Cependant le pouvoir royal commençait à s'affermir en France,
et cette longue lutte qui ne devait finir qu'à Louis XIV, se pour-
suivait entre le souverain et ses vassaux. Un des droits les plus
disputés était encore celui de la chasse. La maxime des Romains
fut remise en honneur, avec un léger changement ; les légistes
enseignaient: que les animaux sauvages, n'ayant point de maître,
appartenaient non pas au premier qui s'en emparait, mais au roi;
que le droit de les tuer et de se les approprier faisait partie des
attributions de celui-ci, et que les seigneurs n'en jouissaient que
comme simples concessionnaires. Conformément à ce principe, on
inséra dans les ordonnances une clause qui permettait aux nobles
de chasser sur leurs propres terres. Comme ce qu'on permet peut,
le lendemain, être défendu, un roi se trouva, Louis XI, qui in-
terdit la chasse à tous, nobles comme vilains, mais il rencontra
une opposition désespérée, et dut, malgré le déploiement d'une
sévérité inouie, renoncer à ce projet qui fut, suivant les chroni-
queurs du temps, une des principales causes de la guerre du Bien
public.
François I" reprit l'œuvre de Louis XI d'une façon moins ra-
dicale, mais plus durable; il ne s'appropria la chasse que sur cer-
taines surfaces déterminées; pour la garder il commit des officiers
appelés Capitaines des chasses du roi, d'où le nom de Capitainerie
donné aux réserves royales. Cette spoliation du droit ancien des
possesseurs de fiefs se reproduisit bientôt sur presque tous les
points de la Franco, non-seulcmcnl an profit du souverain, mais
aussi des princes apanagistes dans leurs domaines, et même de
quelques gouverneurs de villes autour de leurs murailles. Seules
les provinces du midi avaient été trop pénétrées par la civilisation
romaine pour supporter patiemment un régime si contraire à
leurs mœurs, cl la Guienne, la Gascogne, le Dauphiné, la Pro-
vence et le Languedoc n'eurent jamais de Capitaineries; bien plus,
— 109 —
dans ce dernier pays, Louis XII dut, par des lettres-patentes, de
octobre 1501, confirmées de règne en règne, permettre aux rotu-
riers de chasser librement, sauf les grosses bêtes, lièvres, perdrix,
faisans et hérons.
Dans l'enceinte des Capitaineries on se borna d'abord à confis-
quer le droit de chasse aux propriétaires, puis, petit à petit, on
leur imposa, pour la conservation du gibier qu'ils ne devaient pas
tuer, des mesures vexatoires, souvent même onéreuses. Nous
allons en passer les principales en revue : Henri IV, par une or-
donnance de juin 1601 , défendit de chasser le menu-gibier, à
moins d'une lieue des réserves , et les sangliers , chevreuils,
daims, lièvres et perdrix à moins de trois lieues ; puis, de mener
dans l'étendue des Capitaineries, aucun chien qui ne fut en laisse
ou qui n'eut un billet au cou, ou une jambe rompue; les chiens
des bergers ne devaient être lâchés qu'au moment du besoin ,
pour la conduite des troupeaux. Une autre ordonnance de juillet
1607, prohiba le port de toute arme à feu, pour quelque raison
que ce fut, sous peine de dix livres d'amende. Louis XIV, par
une ordonnance du 7 décembre 1660, défendit de laisser aucun
échalas dans les vignes, une fois les feuilles tombées. Par une
autre, en date du 9 août 1666, il enjoignit aux propriétaires et
fermiers de ficher en terre cinq épines par arpent , dans les huit
jours qui suivaient la récolte, à peine de dix livres d'amende par
épine manquante. Les bergers étaient tenus, pour repiquer con-
venablement celles qu'arracheraient leurs bestiaux , de ne jamais
sortir sans s'être munis d'une cheville en fer. La même loi dé-
fendit, à peine d'amende arbitraire, d'établir aucun mur ou fossé,
aucune haie ou barrière sans permission expresse, de couper ou
arracher les chaumes avant le 1" octobre ; de faire exploiter les
taillis, couper, faucher ou arracher de l'herbe dans les champs
avant le jour de. saint Jean-Baptiste. C'est à grand peine qu'on
obtint, plus tard, la permission d'échardonner, après une visite
du garde du canton. Un règlement du 17 octobre 1707 soumit à
toutes ces prescriptions les parcs et jardins enclos de murs ; les
Capitaines pouvaient se les faire ouvrir et y chasser quand bon
leur semblait. Sous Louis XV, un arrêt du conseil du 6 sep-
tembre 1735 ordonna que visite serait faite des chemins à con-
server ; que les propriétaires ou fermiers seraient tenus de creu-
ser, le long de ceux-ci, des fossés de trois pieds de largeur sur
deux pieds de profondeur, en observant de cinquante toises en
cinquante toises des passages de quatre pieds ; et de détruire et
— 110 —
labourer tous les autres. Le propriétaire , son fermier ou son ber-
ger, purent seuls passer hors des routes ordinaires.
Les délits de chasse étaient punis, dans l'étendue des Capitaine-
ries, des mêmes peines que dans le domaine propre du roi. Fran-
çois I" réunit ces dernières en un code complet, par son ordonnance
de mars 1513 : les chasseurs ou receleurs de grosses bêtes étaient
condamnés à une amende de deux cent cinquante livres tournois,
— au fouet, et au bannissement à quinze lieues, pour la première
récidive ; aux galères pour la deuxième; et à mort en cas dïnfrac-
tion de bans. S'il ne s'agissait que de menu gibier, les délinquants
étaient punis d'une amende de vingt livres ; puis du fouet, sous la
custode jusqu'à effusion de sang; et du fouet suivi de bannisse-
ment à quinze lieues, s'il y avait récidive. Toutefois il est à croire
que ces prescriptions ne reçurent pas une application immédiate ,
et que, pendant quelques années encore, les peines continuèrent
à être infligées au bon plaisir du magistrat, comme il en avait
été jusque là, car un jugement de la Table de marbre de Paris,
de mars 1517, condamna Robin Durandon, pour avoir chassé
dans la forêt de Bierre, à faire amende honorable à genoux, en
chemise, tête et pieds nus, avec une torche ardentée à la main, et
à 40 livres d'amende. Quoi qu'il en soit le seul changement impor-
tant qui survint dans cette pénalité, jusqu'à la révolution , n'eut
lieu que sous Louis XIV qui, par sa célèbre ordonnance d'août
1669, abolit absolument la peine de mort pour délit de chasse.
Grâce à toutes ces mesures la chasse devait être fort belle dans
les plaisirs du roi, comme on disait alors; mais celui-ci n'en pro-
fitait que dans un petit nombre de Capitaineries dites royales et
situées aux environs de Paris ; partout ailleurs, c'étaient les heu-
reux Capitaines qui seuls en usaient, et même quelquefois abu-
saient; s'il faut en croire mainte réclamation de ce temps-là. Tout
chasseur comprendra combien devaient être nombreuses et pres-
santes les sollicitations qui assiégeaint les souverains pour obtenir
la création de nouvelles Capitaineries : favoris, grands seigneurs,
princes du sang même, c'était à qui achèterait de ces charges qui
conféraient, d'une manière absolue, la jouissance de réserves si
étendues et si giboyeuses, tout en donnant en même temps une
grande considération. Aussi les Capitaineries se multiplièrent à
un tel point qu'au commencement du règne de Louis XIV il y
en avait plus de cent en France. L'édit de mars 1515 décida en
principe leur création ; mais ce ne fut qu'en 1334 que la première
fut établie à Fontainebleau, au dire du père Dan.
— m —
Capitainerie de Fontainebleau. — Nous n'avons pu nous procurer
cette ordonnance de François I"; mais il en existe une de
Henri ÏI, du 10 janvier 1549, qui la reproduit exactement. Elle
donne seulement l'énumération des principales localités qui sont
comprises dans la Capitainerie, sans indiquer les limites de cette
dernière; ce sont les buissons qui sont près de Moret, ceux de
Barbeau et de Molesmes, du seigneur de Boulas, des dames de la
Voye, du seigneur de la Vo de Malvoisines du commandeur de
Beauvoir, du seigneur de Bouron, de Thousée, de la Ghenaye,
Estrange-le-Beau et Bouvillon , ceux de Fretoiseau et du mo-
nastère de Fontainebleau, les bois Boutez, celui du Milieux, celui
de Lige, la Forêt de la Reine, les taillis du Tirant, Motz, Gomery
et le buisson des Rougères. Le roi, quoique se réservant la chasse
dans tous ces lieux, permet aux propriétaires gentilshommes d'y
courre le lièvre et d'y voler la perdrix, en personne, sur leurs
terres, hors des bois et buissons, et excepté toutefois dans les sa-
blons de Moret, les plaines, vignes et sablons de Bouron, les
plaines de Laque-Fontaine jusqu'à Melun et Ghavois, où toute
chasse est absolument interdite, sous peine de 100 livres parisis
d'amende et de confiscation des engins, chiens, etc. Il est dé-
fendu, dans l'étendue de la Capitainerie à tout propriétaire de bois
taillis de les couper au-dessous de huit ans ; François 1" exigeait
qu'ils aient dix ans. Cette mesure, prise dans le principe pour
créer des demeures au gibier, fut plus tard étendue à toute la
France, par deux ordonnances de Charles IX, de septembre 1563
et août 1573, dans l'intérêt de la conservation des bois qu'épui-
saient des révolutions trop courtes. François P"", qui affectionnait
particulièrement Fontainebleau , où il venait très-souvent , ne
trouvant pas sa forêt de Bierre suffisamment gardée^ avait, par
ordonnances d'avril 1532 et août 1534, créé, pour la surveiller
spécialement, elle et ses dépendances, un Grand-maître des eaux
et forêts qui s'appelait aussi le grand forestier ; cette fonction et
la Capitainerie des chasses furent réunies à la charge de concierge
du palais, beaucoup plus importante alors qu'elle ne le fut depuis.
Le concierge s'appela bientôt gouverneur; la Grande -maîtrise,
étendue à toute F Ile-de-France , fut transportée à Paris sous
Henri IV, et remplacée à Fontainebleau par une maîtrise particu-
lière pour le bailliage de Melun ; mais, malgré ces changements
de noms, la même personne continua à être investie des trois
places et l'était encore à la révolution.
Jusqu'en 1538 les officiers forestiers connaissaient seuls des
— 112 —
faits de chasse ; ils se réunissaient de temps en temps en tribunal
par devant lequel l'un d'eux et le procureur du roi poursuivaient
les délinquants; par une déclaration du 12 décembre 1538, Fran-
çois I" voulut leur enlever cette juridiction, pour la donner au
prévôt des maréchaux ,' mais la maréchaussée prenait la loi îi la
lettre et infligeait consciencieusement aux délinquants les peines
encourues ; or, comme on a pu lo voir, elles étaient vraiment dra-
coniennes, et il fallait user de grands ménagements dans leur ap-
plication, aussi, devant la réprobation universelle, une ordon-
nance d'avril 1345 rendit-elle aux forestiers le pouvoir déjuger les
faits de chasse. Par déclaration du 20 janvier 1398, Henri IV le
donna, dans l'étendue des Capitaineries, aux Capitaines et à leurs
lieutenants, mais sans qu'ils puissent condamner à plus de qua-
rante livres d'amende ; dans les causes plus importantes , les
accusés devaient, après instruction sommaire, être renvoyés par-
devant les maîtres particuliers. Deux ans après, une ordonnance de
janvier 1600 supprima cette restriction pour les deux Capitaineries
de Fontainebleau et Saint-Germain , lieux où le roi habitait le
plus souvent, et donna l'instruction et le jugement de tous les
procès de chasse aux officiers de robe longue, c'est-à-dire qui
avaient pris leurs grades. On pouvait en appeler au Parlement des
décisions de ce tribunal spécial ; presque tous les conseillers
avaient des maisons de campagne aux environs de Paris, ils
étaient donc frappés directement par les lois si dures des Capi-
taineries, et ils en entravaient l'exécution, le plus possible, en
acquittant tous les prévenus. Louis XIII , par une ordonnance du
20 mai 1618, attribua alors au grand conseil l'appel des fails de
chasse dans les Capitaineries du Louvre, de Saint-Germain, de
Versailles et de Fontainebleau ; Messieurs du grand Conseil sui-
vant les même errements, Louis XIV le donna au Conseil d'État
pac une déclaration du 9 mai 1656.
Le père Dan nous apprend que , vers la fin du règne de
Louis XIII, le Capitaine des chasses avait sous ses ordres : un
lieutenant à Fontainebleau et un autre au Chàtelet-en-Brie, dix
gardes spéciaux pour la forêt et vingt pour les environs, dont la
moitié était à cheval. Une déclaration royale du 16 décembre 1598
leur avait accordé, à tous, l'exemption des tailles et impôts de la
ville; d(; plus ils étaient chauffés : le Capitaine, tant en cette
qualité qu'en celle de gouverneur de Fontainebleau, recevait
soixante cordes de bois d'officier, c'est-à-dire ayant huit pieds de
couche sur quatre de hauteur et quatre de longueur de bûches,
— H.i ~
les lieutenants et lu premier des gardes avaient droit h dix cordes,
et les autres gardes h trois; la plupart de ces prérogatives étaient
loin d'être concédées à titre gratuit; les charges de capitaine,
comme presque toutes les places en France depuis Henri II,
étaient des offices vénaux; aussi, quand la célèbre ordonnance
de 1669 eut détendu absolument toute délivrance de bois de chauf-
fage, on dut rembourser la valeur de celui-ci aux officiers des
chasses; des arrêts du conseil en fixèrent le prix général, par
corde, du capital de six livres de rente. Le capitaine de Fontai-
nebleau avait la jouissance de deux garennes, dans la forêt, afler-
mées moyennant treize cents livres : celle de la Queue-de-Fontaine
et celle de Grosbois ; il faisait de plus exploiter, h son profit, les
taillis de cette dernière, et depuis l'achat effectué par Henri IV
en 1609, ceux de la butte du Montceau; ces coupes rapportaient
encore de six cents à sept cents livres par an. L'act ) de réforma-
tion de la forêt de Bierre, de 1664, prescrivit la rachat de toutes
ces prérogatives.
En 1623 Louis XIII donna à son capitaine, qui était alors M. le
baron de Persan, et aux successeurs de celui-ci, la maison ainsi
qu(3 les revenus dépendant de la terre du Montceau. Louis XV y
ajouta, par arrêt du conseil du 30 mai 1721 en faveur de M. de
Montmorin Saint-Hérem, les cens, rentes, grains et argent, droits
seigneuriaux et féodaux, et autres généralement quelconques de
la seigneurie , le to^ut estimé environ sept cent quarante livres, à
charge de payer aux Mathurins de Fontainebleau une rente an-
nuelle de trois cent vingt livres douze sous six deniers, représen-
tant la valeur des droits seigneuriaux qui leur avaient été aban-
donnés en 1612, de trois muids et demi de blé et de deux poules
qui leur avaient été accordés sur ce domaine en 1610. Le capi-
taine prétendit que parmi les droits qui lui étaient concédés se
trouvaient compris ceux de langayage des porcs, poids le roi, me-
sure, roulage, minage du marché de Fontainebleau, ainsi que
ceux de labellionage de ladite ville ; le contrôleur général du do-
maine le lui contesta, et un procès eut lieu, sur lequel intervint
le 28 novembre 1724 un arrêt du conseil qui, sans juger au fond,
accorda à M. de Saint-Hérem et à ses successeurs ce qu'il récla-
mait.
Louis XIV payait au capitaine de Fontainebleau une pension
de six mille livres ; elle fut réduite à trois mille à la mort de
François-Gaspard de Montmorin, en 1701, puis reportée à six
mille livres. Sous Louis XV, le capitaine se faisait donner,
8
— lu —
sans aucun titre, un boisseau d'avoine par chaque tête de bétail
qui allait en pâture dans laforôt; il exigeait aussi une somme
d'argent des carriers qui travaillaient.
M. Duvaucel, grand maître de l'Ile-de-France, chargé en 1750
de la réformation de la forêt de Bierre, s'éleva avec force contre
ces abus , mais rien ne prouve qu'il soit parvenu à les faire
cesser.
Il y avait beaucoup de vague dans renonciation primitive des
limites de la Capitainerie de Fontainebleau; ce fut l'usage, à dé-
faut de titre bien clair, qui les fixa pendant longtemps; les offi-
ciers avaient pris l'habitude de défendre la chasse jusqu'à cer-
taines limites, et personne ne réclamait contre une aussi ancienne
coutume, mais il se trouva des capitaines qui négligèrent de faire
garder la même étendue que leurs prédécesseurs, et quand on
voulut revenir aux anciens errements , des contestations sur-
girent; on dut marquer les circonscriptions par des bornes, de
manière à ne plus laisser de doute. Il en fut ainsi pour la plupart
des Capitaineries. Un édit de Louis XIV, en date de novembre
1687, régla rigoureusement l'étendue de celle de Fontainebleau,
et défendit absolument à tous seigneurs, gentilshommes, hauts-
justiciers et autres, de quelque qualité et condition qu'ils fussent,
de chasser ni faire chasser sur le territoire compris entre les li-
mites suivantes : le ruisseau de Trois- Moulins de Melun à Fon-
tenailles et à LaChapelle-Rablais, de La Chapelle, par les grands
chemins, à Gurcy, à Forges et à Montereau-laut-Yonne, de là à
Dormeil, Nanteau, Nonville, Grez, La Chapellc-la-Reine, Feuil-
lard, Noisy et Milly, puis le ruisseau de l'École jusqu'à Pon-
thierry, et la Seine jusqu'à Melun. Un arrêt du conseil du 9 no-
vembre 1698 précisa encore plus ces limites; il indiqua qu'elles
devaient passer, en partant de La Chapelle-RablaiSj par le Petit-
Villeneuve, les Bordes, Villeneuve-le-Comte jusqu'à Gurcy, puis
de Gurcy à Montigny, et le long des bois de Montigny et Gou-
tençon par les grands chemins, jusqu'à Forges. Enfin un autre
arrêt du conseil , du 20 décembre 1700, réduisit un peu cette
étendue en rectifiant la ligne de La Ghapelle-Kablais à Forges, et
en laissant Gurcy en dehors. La Capitainerie garda ces dernières
limites jusqu'à la Révolution.
On cite parmi les capitaines des chasses de Fontainebleau :
MM. Daugas, de Miraumont, de Vitry, du Hallier, do Persan,
Jean de Souvré marquis de Courtenvaux, qui avait la place en
1634, Mich(;l Sublet marquis d'Heudicourt, qui troqua sa charge
contre celle de grand loiiveLicr, en 1G55, avec François-Gaspard
de Montmorin marquis de Saint-Hérem ; ces ibnctions restèrent
dans la famille de Montmorin jusqu'à la Révolution : à François
Gaspard succéda, en nOl, Charles François, puis à ce dernier,
en 1722, Jean Baptiste, et enfin à Jean-Baptiste, Louis-Victoire
Luce, qui fut massacré le 2 septembre 1792, à la prison de la
Conciergerie. Saint-Simon parle quelque part dans ses mé-
moires de Madame de Montmorin, la femme du premier capitaine
des chasses de ce nom, et la tourne un peu en ridicule; il raconte,
entr'autres choses, qu'elle avait grand'peur de l'orage, et qu'au
premier coup de tonnerre elle faisait monter tous ses gens sur son
lit, et se glissait bien vite dessous, espérant ainsi échapper à la
foudre. Elle aimait à se baigner dans la Seine, à Valvins , et
quand l'eau était trop froide, elle en faisait bouillir quantité et
verser dans la rivière afin de réchauffer celle-ci.
Capitainerie de Corbeil. — Après la capitainerie de Fontaine-
bleau, la plus ancienne de Seine-et-Marne et probablement de
toute la France, fut celle de Corbeil, fondée par lettres patentes
du 10 février 1538. On en confia, dans le principe, la surveillance
au gruyer de Senart et Rougeau , c'est-à-dire au forestier chargé
de la direction des bois royaux de ces deux localités ; ce n'est
qu'au commencement du règne de Louis XIV qu'un capitaine
spécial fut institué.
Aux dates près, les histoires de toutes les Capitaineries se res-
semblent fort ; les limites ne furent pas tout d'abord indiquées
beaucoup plus clairement à Corbeil qu'à Fontainebleau ; elles
suivaient la Seine, disent les lettres patentes de fondation, des
ponts de Melun à celui de Charenton, et devaient comprendre les
lieux et endroits environnés des rivières de Seine et de Marne,
puis aussi depuis Corbeil jusqu'à deux lieues tirant vers Fontai-
nebleau et Montléry, ainsi que ladite étendue se pourrait le plus
aisément prendre et régler. Gomme à Fontainebleau, il était dé-
fendu aux propriétaires de bois taillis de les exploiter avant l'âge de
dix ans.
Henri II, par lettres patentes du 10 janvier 1349. confirma celles
de son père ; mais il n'empêcha la chasse d'une manière absolue
que sur le territoire compris entre la Seine et le grand chemin
allant de Villeneuve-Saint-Georges à Melun ; partout ailleurs les
propriétaires gentilshommes pouvaient courre le lièvre ou voler
la perdrix, en personne, et hors des bois et buissons. Tout con-
trevenant était puni d'une amende de cent livres parisis. L'âge
— 110 ~
auquel les taillis des particuliers devraient être coupés fut abaissé
de dix à huit ans ; les châtaigniers destinés à faire des cercles ne
furent pas compris dans ces prescriptions. Une déclaration de
Henri III, du 2 mai 1580, renouvela simplement les défenses ci-
dessus.
Henry IV, le 5 février 1599, exempta les officiers et gardes de
la Capitainerie de Gorbeil du paiement de toutes tailles, comme il
venait de le faire, l'année précédente, pour celle de Fontainebleau.
Louis XIII confirma ces exemptions par lettres patentes du 12 dé-
cembre ICI 3.
Il n'y avait pas de résidence royale dans la Capitainerie de Gor-
beil ; aussi les souverains y chassaient peu et elle fut toujours
bien moins importante que sa voisine, de beaucoup la plus consi-
dérable du département. Sous Louis XIII, en 1634, on n'y
comptait que cinq gardes. Les officiers de robe longue n'y eurent
l'instruction et le jugement de tous les procès qu'en décembre 1G62.
Louis XIV diminua beaucoup son étendue par une déclaration du
3 mai 1694 ; il lui donna pour limites, sur la rive droite de la
Seine : la Marne, de Charenton au ruisseau de Morbras, ce dernier
jusqu'à Sucy, puis une ligne passant par Boissy, Villecresne,
Villemenu, Coulaville (pour Combs-la ville), IMoissy-Cramayel,
Plessis-Picard, Pouilly-le-Fort et les portes de Melun, c'est-à-
dire à peu près la grande route qui va de l'embouchure de la
Marne à Brie-Comte-Robert et à Melun. Sur la rive gauche n'é-
taient plus compris dans la Capitainerie que les territoires
d'Essonne, de Saint-Jean-en-l'Isle et d'Evry-sur-Seine. Les sei-
gneurs justiciers pouvaient chasser librement, en personne, dans
l'étendue de leur haute justice, sauf dans les bois et buissons du
Grand et Petit-Sénart et de Rougeau, et aussi entre la Seine, de-
puis Villeneuve-Saint-Georges jusqu'au pont de Charenton, la
Marne, le ruisseau de Morbras, Sucy, Boissy et Villeneuve, par
les grands chemins.
La grueric, puis Capitainerie de Gorbeil, appartint très-long-
temps à divers membres de la famille de Neuville, seigneurs de
Villeroy ; ils la possédaient en 1580 et en 1G9-4.
Capitainerie de Livry et Bondij. Nous ne connaissons pas la date
de la création de cette Capitainerie ; elle existait déjà depuis plu-
sieurs années, quand Louis XIII, ayant appris qu'un cerf avait été
tué dans la forêt de Livry, rappela, par une ordonnance du
27 janvier 1619, que la chasse était «absolument défendue dans les
bois de Groslay, Gouldray, Buisson-Saint-Martin, Buisson-Saint-
_ 117 —
Denis, Garenne-du-Tremblay, Bois-le-Vicomlc, Bousure, Ville-
parisiSj Momy, Mullct, Glaye, Villevaiidé, Montjai, Saint-Martin,
Ciiiâlis, Pomponne, Forêts, Brou, Bois-d'Tzanc, Montguichet,
Avon, Montercau, Neuilly et les plaines enclavées trois lieues es
environ. »
Le règlement des tailles de janvier 1634 affranchit les olïïciers
de tout impôt, et fixa le nombre des gardes à huit.
Louis XIV, par une ordonnance du 22 mars 1659, confirma les
défenses qu'avait éditées son père, puis, par une déclaration du
31 octobre 1663, donna aux officiers de cette Capitainerie l'ins-
truction et le Jugement des procès de chasse, en leur accordant de
prononcer sans appel dans les affaires qui n'entraînaient pas une
condamnation supérieure à quatre-vingts livres d'amende.
Les trois Capitaineries de Livry, de Vincennes et du bois de
Boulogne se touchaient vers Le Bourget, et des contestations s'é-
levèrent entre les officiers au sujet des limites ; il intervint, le
5 juillet 1682, un règlement qui déclarait neutre le terrain situé
entre Le Bourget et la Marne, sur mille cinq cents pas de large.
Une déclaration du 10 octobre 1700 arrêta définitivement les li-
mites de la Capitainerie de Livry et Bondy : elles partaient de
Lagny, suivaient la Marne jusqu'à Annet, un ruisseau traversant
Claye, Gressy, Compans, l'étang de Thieux, Villeneuve-sous-
Dammartin, puis une ligne passant par Mauregard, Louvres,
Gonesse, Pont-lblon, Le Bourget, Drancy, Petit-Drancy, Bau-
bigny, Noisy-le-Sec, Rosny, Péray, et enfin la Marne jusqu'à
Lagny.
Louis XV, par édit de Juin 1761, supprima la Capitainerie de
Livry, réunit à celle de Vincennes à peu près la partie située en
dehors du département actuel de Seine-et-Marne, et rendit sur le
reste la chasse aux propriétaires des fiefs.
Les seigneurs de Livry furent en possession presqu'exclusive
de la Capitainerie de Livry et Bondy; pourtant, en 1639, c'était
un sieur Dechampré-Ménardeau qui en était titulaire.
Capitainerie de Montceaux et Varenne de Meaux. Elle en forma,
dans le principe, deux bien distinctes; la date de leur création ne
nous est pas connue, elles existaient en 163i, car le règlement du
mois de janvier de cette année-là, qui exempte de toute taille les
officiers des chasses de Livry et Bondy, accorde les m^êmes privi-
lèges à ceux des Capitaineries de la Varenne de Meaux et de
Montceaux. Il fixe le nombre des gardes à douze pour la première
et à cinq pour la deuxième.
- 118 -
Une ordonnance du 20 octobre 1666 rappelle que les limites de
cette dernière s'étendaient à deux lieues en tous sens, à compter
du pied du château de Montceaux, et M. de Barillon, commissaire
départi en la généralité de Paris, qui venait de terminer la rélbr-
mation de la forêt de Bierre, fut chargé de les marquer sur les
lieux.
La célèbre ordonnance de 1669 donna l'instruction et le juge-
ment des procès de chasse, sans distinction, aux officiers de robe
longue de ces deux Capitaineries, comme elle le fit, du reste, pour
toutes les autres oii une loi spéciale n'était pas encore intervenue.
M. le marquis de Vitry, qui était titulaire de la Capitainerie de
la Varenne de IMeaux, s'étant démis de sa charge, Louis XIV, par
lettres de provision du 19 avril 1670, la donna à M. le duc de
Gesvres, déjà capitaine de Montceaux. Un édit de septembre 1691
réunit définitivement les deux Capitaineries, supprima le lieu-
tenant et cinq gardes à pied de la Varenne de Meaux.
Louis XIV rappela, le 18 octobre 1714, que cette dernière Capi-
tainerie devait avoir cinq quarts de lieue en tous sens ; mais à la
suite de diverses contestations, une déclaration royale du 24 jan-
vier 1718 spécifia, pour la première fois, les limites des deux
Capitaineries réunies : celle de Montceaux était comprise entre le
chemin qui, depuis la Marne à Mareuil, conduit à la Grange-
Dumont, et de là au grand chemin de Meaux à Crécy, ce grand
chemin jusqu'au rû de Ségy ; le rû jusqu'au chemin de Meaux à
Coulommiers, celui-ci passant par Sancy et Maisoncelles, jusqu'à
une demi-lieue plus lom que ce village, une ligne allant gagner la
chaussée de l'Étang-de-Saint-Denis, traversant Signy-Signets, la
Marne au bac de Fay, et allant joindre le grand chemin de la
Ferté-sous-Jouarrc à Lizy ; ce chemin jusqu'au pont de Lizy, la
rivière de TOurcq, puis celle de la Marne jusqu'à Mareuil. La
Capitainerie de la Varenne de Meaux était bornée par une ligne
partant de la Marne au ruisseau ditBrasset de Saint-Faron, allant
à'Crépy, puis revenant joindre la Marne au moulin de Poincy, par
les hauteurs.
A ces quatre Capitaineries existant dans le département de
Seine-et-Marne, et qui en couvraient plus de la moitié, il faut
ajouter celle de Nemours, une des douze de l'apanage du duc
d'Orléans. Le seul privilège que conférait l'érection de ces derniers
consistait en une permission de chasser sur les terres qui y étaient
comprises, sans que le di'dil en lût cnlcvr' aux possesseurs des
fiefs. Du resteja Capitiuurrjc de Nemours, dont IV'Ienduerut fixée
— !11) —
par un règlement du 15 septembre 1677, fut supprimée en même
temps qu'un grand nombre d'autres, par déclaration du 12 oc-
tobre 1699.
Les Capitaineries étaient fort impopulaires en France. Ce qui
excitait le plus de plaintes, ce n'était pas la confiscation du droit
de chasse à la classe restreinte des possesseurs de fiefs : cela ne
touchait pas beaucoup la masse de la population qui, dans aucun
cas, ainsi que l'avons dit, ne jouissait de ce privilège; mais c'était
l'énorme quantité de gibier que les capitaines entretenaient, au
grand préjudice de l'agriculture. L'ordonnance de 1669 avait
essayé de remédier à ce mal, au moins partiellement ; elle avait
prescrit aux officiers des chasses, sous peine de 500 livres d'a-
mende et de suspension, de faire fouiller et renverser tous les
terriers, dans les forêts du roi. En cas d'inexécution de cet ordre
les officiers des maîtrises devaient y pourvoir. Mais la chasse aux
lapins a bien des attraits ! les capitaines étaient, d'ailleurs, des
personnes de la première qualité aux volontés desquelles on ne
s'opposait guère, et malgré les réclamations de tous paysans et
forestiers, l'ordonnance resta lettre-morte. Plus tard, sous
Louis XVI, un arrêt du Conseil du 6 janvier 1776 permet aux
propriétaires de détruire eux-mêmes les lapins dans les bois d'une
contenance inférieure à cent arpents, et partout ailleurs, même
dans les bois du roi, après s'être muni d'un certificat de l'inten-
dant constatant que des dommages avaient eu lieu ; le produit de
la chasse devait être remis aux gardes de la Capitainerie. Mais
tant de restrictions furent apportées à cette autorisation, il fallut
remplir un tel nombre de formalités pour en jouir, que l'arrêt
devint à peu près inapplicable. En 1789, le 21 mars, l'assemblée
des trois ordres des bailliages de Melun et Moretcrut devoir
adresser au roi un mémoire spécial pour demander la diminution
des bêtes rousses et noires, ainsi que du menu gibier, et la des-
truction totale des lapins. Le civisme était alors de mode, et le
capitaine des chasses de Fontainebleau, M. de Montmorin, con-
sentit à la proscription de cette vermine des bois, selon l'expres-
sion pittoresque de M. le grand-maître Duvaucel. Une lettre,
conservée aux archives du département, montre qu'il croyait
agir avec une certaine grandeur d'âme : il était membre de l'as-
semblée ; ses collègues, craignant qu'il ne vît une personnalité
dans leur résolution, étaient fort embarrassés ; enfin, un jour, il
s'absenta et aussitôt on rédigea et envoya, séance tenante, le mé-
moire en question. A son retour, M. de Montmorin apprit ce qui
— 120 —
s'était passé; il écrivit à l'assemblée pour se plaindre qu'on Tait
cru incapable de se sacrifier pour ses semblables : « Le titre qui a
» pu m'adraettre ici, dit-il, est celui de citoyen, et je ne me ren-
» drais pas digne de porter ce nom si l'intérêt personnel pouvait,
)) un moment, m'aveugler sur le bonheur de tous Me per-
» mettriez-vous de mettre sor.s Vos yeux un trait arrivé à un de
» mes ancêtres? Un Montmorin, gouverneur d'Auvergne, reçut
» l'ordre de Charles IX de faire exécuter le massacre delà Saint-
» Barthélémy dans son gouvernement ; il répondit au roi : Sù^e,
» j'aurais cru mal servir Votre Majesté de lui obéir ; elle a été trompée,
» je suis prêt à donner ma tête, mais jamais je ne serai l'instrument
» du malheur de mes concitoyens Il fut donc assez heureux, en
)) exposant sa tête, de sauver ses concitoyens. Combien petit est
)) mon sacrifice, en comparaison de celui qu'il a dû faire, et avec
)) quel plaisir je ferai tous ceux qui pourront contribuer au
» bonheur de nos concitoyens ! »
La haine que l'on portait au système des Capitaineries avait en-
core pour cause les nombreuses vexations, aggravées par les abus
qui s'étaient introduits, que devaient supporter les propriétaires et
leurs fermiers. Un mémoire, dressé en mars 1789 par le clergé
des bailliages de Melun et Moret, pour être joint au cahier du
député aux états généraux, reproduisit les griefs de tous ; il se
trouve aux archives départementales, et nous en devons la con-
naissance, ainsi que celle delà lettre de M. Montmorin que nous
venons de citer, à l'obligeance gracieuse de M. Lemaire. Voici un
extrait de cette pièce, rédigée par un sieur Gaucher, chapelain de
la collégiale de Milly : « La Capitainerie de Fontainebleau, sans
» parler des autres, est une cause de dépopulation ; toutes les
)) paroisses qui se trouvent enclavées dans l'extension qu'on lui a
» donnée, en fournissent une preuve évidente. Les remises mul-
)) tipliécs établies dans toutes les paroisses, au milieu des terres
» cultivées, et choisies de meilleure qualité, privent le cultivateur
)) du fond que l'on n'a point payé. La construction et l'entretien
» des murs et treillages ruinent les paroisses ; les frais en montent
» dans certaines, telles que celle de Chailly et autres, de vingt à
» soixante mille francs. Les habitants sont obligés de faire garder
1) pour éloigner les fauves pendant la nuit; d'après calcul fait, les
» gages qu'on donne à cffs gardes font un état do dix mille livres.
» Les gardes enlèvent les épines dans les champs de leurs enne-
» mis et leur dressent le lendemain dos procès-verbaux. Les
» gardes se livrent d'ailleurs à d'aulrcs concussions. Hvemple :
— 1:21 —
)) les habitants du La Chapelle- Gauthier prirent des i'usils pour
» accompagner le Saint-Sacrement, le jour de la Fête-Dieu ; ils
» furent attaqués par les gardes, un d'eux a été assigné et con-
» damné par le tribunal de la Capitainerie h dix écus d'amende.
» Les officiers vendent le droit de chasse à diverses personnes,
» sur des terres où, faute de chemins, le roi ne peut Jamais aller
» chasser de Fontainebleau, savoir: Courance, Milly, Villecerf,
» qui sont inabordables aux voitures et aux chevaux. »
Les capitaineries disparurent sous le premier souffle révolu-
tionnaire ; une loi du H août 1789, complétée par une autre du
30 avril de Tannée suivante, les supprima, déclara que chacun
avait le droit de chasser chez lui, et recommanda au roi de gra-
cier ceux qui étaient aux galères, bannis ou en prison pour con-
travention aux anciens règlements. Toute trace du passé ne fut
cependant pas effacée . et un paragraphe de la nouvelle loi attri-
bua exclusivement au souverain la chasse sur les enclaves parti-
culières situées au milieu des forêts dont la jouissance lui était
abandonnée. Les propriétaires des districts de Melun et de Ne-
mours tirent une pétition h l'assemblée constituante contre cette
restriction au droit commun, si récemment proclamé. Sur ces
entrefaites Louis XVI ayant écrit à l'assemblée, Is 27 août 1790 :
»> qu'il tenait surtout à ne jouir d'aucun plaisir qui pût être oné-
» rcux à quelqu'un de ses sujets, » celle-ci, par un décret du
14 septembre suivant, ne maintint les réserves précédentes que
sur les propriétés enclavées dans un certain nombre de parcs à
enclore de murs aux frais de la liste civile; encore la chasse n'é-
tait-elle défendue aux possesseurs que les jours oii le roi pren-
drait en personne cet exercice , ce qui devait être signifié la veille
avant midi. C'était d'un excès tomber dans l'autre ; du moins
c'est ce que pensa Louis XVI qui ne sanctionna pas le décret, et
fît aussitôt vendre ses équipages. Il ne fut plus question des
chasses de Sa Majesté. Plus tard, quand un sénatus-consulte du
30 janvier 1810 désigna les forêts qui devaient faire partie de la
dotation de la couronne, on se retrouva sous l'empire de la loi du
3 avril, et les propriétaires des enclaves durent se résoudre à ne
pas jouir de leur chasse. Des arrêts de la cour de cassation des
2 juin 181-4 et 31 mai 1822 maintinrent cette jurisprudence, qui
cessa' d'être appliquée en i830. La loi, encore en vigueur, du
3 mai 1844 effaça enfin de nos codes ces restes d'une législation
d'un autre âge, que bien peu de chasseurs de notre époque démo-
cratique seraient, je crois, disposés à subir.
LISTE DES PrBLICATIONS
OFFERTES
A LA SOCIÉTÉ DEPUIS L'IMPRESSION DU DERNIER BULLETIN.
§ 1". Par le Ministère de l'Instruction publique:
RcTiic des Sociétés savantes des départements (4^ série) ; Paris, Imprimerie im-
périale ; mars 1865, mars 1866, 9 livraisons in-8".
Diistribiition des récompenses accordées aux Sociétés savantes le 22 avril 1865,
à la Sorbonne ; Paris, Imprimerie impériale, 1865, in-S".
Rapport fait à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres , au nom de la Com-
mission des Antiquités de la France, par M. B. Hauréau (7 juillet 1855); Paris,
in-4° .
Projet de classification des poignards et épées en bronze; Paris, Didier, 186G,
in-8° avec planches (Extrait de la Revue archéologique). — Tirage à part pour la
Commission de la topographie des Gaules.)
Projet de classification des haches celtiques, avec planches (Extrait de la Revue
archéologique).
Mémoires lus à la Sorbonne, dans les séances extraordinaires du Comité impérial
des travaux historiques, en avril 186S. — Histoire, philologie et sciences mo-
rales ; Archéologie. Paris, Imprimerie impériale, 2 vol. in-S" de 926 pages el
401 pages, et planches.
§ 2^ Par les Sociétés correspondantes :
Bulictin de la Société académique de Brest; tome 111, 1862-1863. Brest, 1865,
1 vol. in-S"; — tome IV (1" liv.) 1865, 200 pages in-S".
niémoires de la Société Impériale des Antiquaires de France, pour 1864; Paris,
Lahure, 1865, un volume in -8".
Uiilletin de la Société Impériale des Antiquaires de France, 1865, 4 livraisons
trimestrielles, in-8°.
lUéiiioire» de la Société d'émulation du Doubs, pour 1864 ; Besançon, 1865,
in-S".
Annale.s de la Société historique et archéologique de Château-Thierry (Aisne) ;
1" fascicule, 1864, in-8<» de 32 pages; — 2<= fascicule, 1865, in-S" de 70 pages.
Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie; 1865, no^ 1, 2, 3, 4 (189 p.);
Amiens, Lemer, in-S»; — 1866, n" 1, 46 pages iii-S".
Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers (Hé-
raiill); 2'^ livraison du tome III, 2^ série ; — 1865, in-8'' de 32 pages.
Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, à Poitiers; 1"^' et 2* trimestres
de 1865, iu-8» de 159 pages et 12 plauclies;— 3'' el 4= trimestre ISG.'), iii-S» de
90 pages; — \'' trimestre 1866, de 43 jiage.s
— Î2i —
Compte-roniln des travaux de la Commission des monuments et documf.Mits iiislo-
riques de la Gironde; 1862-1864. Paris, Didron, 1865, in-S" de 136 pages.
Bnlletin du Comité archéologique deNoyon; 1863, une livraison, in-S".
Hecacil de notices et mémoires de la Société Archéologique de la province de
Constantine, 1864 etlSUo; Constantine, 2 volumes in-8o.
Travaux de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Maurienne, à Saint-Jean
de Maurienne; Chambéry, Puthod, 1865, in-S".
Kcciieil des travaux de la Société liljre d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-
Lettres de l'Eure, années 1862-1863. Evreux, 1863, in-8° de 840 pages.
Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne à Auxerre ; année 1865 ; l«r tri-
mestre, sciences physiques et naturelles, 1 vol. in-8° de 283 — XXH^ pages et
planches; 2'= trimestre. Sciences historiques, 1 volume in-8" de 273 — XLVIll pages
et planches; 3^ trim., Sciences historiques et naturelles, 80 pages et planches.
Annales de la Société musicale et littéraire de Meaux, l'Orphéon; Meaux, Co-
chet, 1864, 1863, 1866, 4 fascicules, in-8".
JMéuioIres de la Société des Antiquaires de Normandie; Caen, septembre 1865;
3e volume de la 3^ série, tome XXIII; in-4° de 530 pages.
Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, année 18G3 ;
Le Havre, 1864, in-S" de 475 pages.
Mémoires de l'Académie impériale des Sciences, Inscriplions et Belles-Lettres
de To)ilouse; 6^^ série, tome 3 ; Toulouse, 1865 iu-S» de 540 pages.
Bailcîlndela Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Poligny (Jura) ; 6" année
1865, nos 8, 9 et 10, in-8.; 7*^ année 1866, nos {^ 2, 3, in-S".
Uulietin du Comité flamand de France; tome HI, n°s 1 à 18, de janvier 1863 à
décembre 1863, 17 cahiers in-B» ; tome l'\^, n" 1 (1" trimestre 1866, in-8o de
48 pages.
Annales du Comité flamand de France, tome VH, 1863-1864; Dunkerque, Bac-
quet, in-S» de 466 pages et planches.
Coniptc-rcndu des travaux de la Société du Berry, à Paris, 11^ année; Paris,
Chaix, 1865, grand in-8o de 632 pages.
niéiaoires de l'Académie impériale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie;
2c série, tomes Vil et "VIII; Chambéry, 18G4, 2 vol. in-S».
Bulletin de la Société d'études d'Avallon; 7^ année, 1865; Avallon, Odobé, in-S"
de 215 pages.
Bulletin de la Société académique de Boulogne-sur-Mer, 1864-1865, 4 fascicules
in-8"; 1866, n» 1 de 20 pages in-S".
IMémoires de la Société archéologique d'Avesnes (Nord) ; tome II, Avesncs, Pou-
let, 18GG, in-S» de V — 20 pages et planches.
Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d'Alsace;
■IS6i-18G5, 2<= série, 2« liv. ; Strasbourg, in 4° et planches.
Bulletin de la Société archéologique du Vcndomois, 4"= année, 'N'endùme, 1865,
in-S» de 276 pages.
.'saéuioircs de la Société impériale archéologique du midi de la France; tome 8
(5"^ série), 1<^ et 8« liv.; Toulouse, 1866, in-4o de XI-65 pages.
Bulletin de la Société prolectrice des animaux; Paris, lévrier 18U6, in-S" de
32 ])ages.
niéntoircN ri documents publiés par la Société Savoisienne d'Histoire cl d'Ar-
ciiéolngic; lomelX; Chambéry, 1865, in-S» de 443 pages.
Annales de la Société littéraire, scienlilique et artistique d'Ajit (Vauclii.-c; :
2» année, 1864-()5 ; 1 fascicule de 128 p.Trcs iii-S".
— 125 —
MénioircH de la Société académique de Maine-et-Loiie, 17» volume; travaux di-
vers; Angers, 18G5, in-8ode270 pages; 18<= volume; sciences physiques et natu-
relles; 1865, in-8» de 203 pages.
Hiillctiii de la Société archéologique et historiqiîc du Limousin; tome XV; Li-
moges, 1865, in-8o de 96 pages.
liCs registres consulaires de la ville de Limoges , publiés par la Société du Li-
mousin ; 12 feuilles in-8° (à continuer).
Bulletin de la Société d'Agriculture, Industrie, Sciences et Arts de la Lozère;
Mende, janvier et février 1866, in-S" de 80 pages.
Bulletin de l'Académie Delphinale, année 1865, 3^ série, 1er yqI. ; Grenoble,
in-S» de XLiII-459 pages.
Comptes-rendus et mémoires du Comité archéologique de Senlis, année 1865 ;
Senlis, Duriez, in-S" de 75 et 300 pages.
Bulletin de la Société d'Anthropologie de Paris (juillet-décembre 1865); Paris,
in-8° de la page 481 à la page 775.
Mémoires d'histoire naturelle; tome 2. — Catalogue des lépidoptères du dépar-
ment de Saône-et-Loire, par M. Constant. (Publication de la Société Eduenne).
Autun, 1866, grand in 8° de 368 pages.
§ 3°. Par les sociétaires et par divers :
Ktndc historique et paléographique du rouleau mortuaire de Guillaume des Barres,
etc., par M. Eugène Grésy; 1865, in-folio avec planche. — Hommage de l'auteur.
IVotice sur une inscription découverte dans le Novarrais, par M. Alfred Maury, de
l'Institut. — Hommage de l'auteur [conservé à la section de Meaux.)
Essai sur les sanctuaires primitifs, par M. Charles ïoubin, in-8" — Hommage de
l'auteur {conservé à la section de Meaux).
Mémoire sur les monuments primitifs, par M. Carro; in-S". — Hommage de l'auteur
[conservé à la section de Meaux).
I-e Culicc de Chelles, par M. Eugène Grésy, broch. in-8° et planches. — Hommage
de l'auteur [conservé à la Section de Fontainebleau),
Gerbes glanées, poésies par M. Julien Travers (de Caen) ; Bavius et Mévius ;
vie de Richard Lenoir; biographie de Jean Simer; biographie de Louis Dubois;
bréviaire de Huet; toast au banquet de Dives ; par M. Julien Travers. — Hom-
mage de l'auteur [conservé à la section de Fontainebleau).
Asphaltes etc., par M. Huguenet. — [Conservé à la section de Fontainebleau).
JVotes sur les silex, et sur l'ancien hôtel de ville d'Amiens, par M. A. Dubois, chef
de bureau à la mairie de cette ville; in-12.
La I^igue, documents relatifs à la Picardie, d'après les registres de l'échevinage
d'Amiens, par le même; 1859, in-8.
Justice et bourreaux, à Amiens; XV" et XVl^ siècles; par le même; in-8° de
32 pages.
Ei'œuvro de Blasset, célèbre sculpteur Amiénois, par le même; 1862, in-8» de M2
pages, portrait et autogr. — Hoimnage de l'auteur.
Rechcrclies sur l'âge de pierre quaternaire dans les environs de Paris, suivies de
quelques observations sur l'ancienneté de l'homme, par M. Anatole Roujou; Paris,
1865, in-8<'de46 pages. — Hommage de l'auteur.
Inventaire des archives anciennes de l'hotel-Dieu de Sens; in-4° de 17 pages à
2 colonnes.
— 126 —
Hecuoil de Charles, el pièces relatives au prieuré Notre-Dame des Moulineaux et
ù la chitellenie de Poigny, par M. Auguste Moulié, correspondant du ministère,
secrétaire de la Société archéologique de Rambouillet; Paris, Didot, 1846,
grand in-4°.
Introduction au recueil précédent, par le même ; Paris, Didol, 1847, gr. in-4o de
125 pages et pi. — Hommage de l'auteur.
Kotîcc sur les comtes de Joigny, par M. l'abbé Carlier, président de la Société
Archéologique de Sens; 18G4, in-S» de 23 p. — Uommcuje de l'auteur.
E,e Gallicanisuio et l'Ultramoutanisme au raoyea-àge, par le même; Sens, 1864,
in-8° de 23 p. — Hommage de l'auteur.
De rArchitccturc en province, par M. Victor Calland, élève de l'Kcole des
Beaux-Arts; Soissons, Arnoult fils, in-S" de 15 p.
De l'Avcnîp du monde, par le même; Sens, Billot, 1842, in-8" de IG p.
Congres du département de Seine-et-Marne, pour l'étude et l'application des
questions sociales, par le même; projet et statuts; 18i8, in-8» de 11 p.
Fondement de la science sociale, par le même; Paris, 1848, in-8" de 31 p.
Revue du Socialisme chrétien, par le même ; 7 livraisons, de janvier à juillet
1850, in-S" de 16 p. chacune.
Palais de famille, projet d'un établissement social à Beausite, près Jouarre; pros-
pectus in-4<'.
ISupiiresMion des loyers par l'élévation des locataires au droit de propriété, par le
même; Paris, Ledoyen, 1857, in-18 de G4 p.
Régénération de la vie sociale par l'institution du palais de famille, par le
même; 3^ édition,' Paris, 1858, in-18 de 64 p.
l»e la Science sociale au point de vue catholique, réponse aux politiques du jour,
par le même; Paris, Dubuisson, 1859, in-S" de 32 p.
li'union sociale catholique, projet de compagnie générale de fondation des associa-
tion civiles, industrielles, agricoles, etc. ; 18G0, 1/4 de feuille.
Fondation d'un institut libre des hautes sciences sociales, etc. ; par une réunion
de catholiques ; La Ferté-sous-Jouarre, 1862, in-S° de 16 p.
Congrès international tenu à Bruxelles le 22 septembre 1862. Discours prononcé
dans la section de législature comparée, par M. Victor Calland, ingénieur; in-4''
Fondation d'un établissement de retraite pour la vieillesse dans le département
de Seine-et-Marne, par le même; Meaux, Cochet, in-S" de 15 p.
l*ro|(osi(ion à JIM. les capitalistes, médecins, directeurs d'institutions et chefs
d'industrie à Paris, par le même ; Meaux, in-4°.
Hommage de il/™e veuve Calland, de Jouarre.
Journal historique de Jean Patte, bourgeois d'Amiens (1587-1617), publié par
M. J. Garnier, secrétaire-perpétuel de la Société des antiquaires de Picardie;
Amiens, 1863, in-S» de 194 p. — Hommage de M. Garnier.
La Catliédralc de Bourges, description historique et arciiéologique, par MM. le
baron de Girardot et H. Durand; Moulins, Desroziers, 1849, in-12 de 238 p.
Mystère des actes des apôtres, représenté à Bourges en avril 153G, publié
d'après le manuscrit original, par M. le baron A. de Girardot, correspondant des
comités historiques ; Paris, Didron, 1854, in-4°.
»es Administrations départementales, électives et collectives, parle même; Paris
Guillaumin, 1857, iii-8".
Les Ministres de la République français", Roland et M™e Roland, par le même;
Paris, Guillaumin, 18G0, in-8" de 2C7 p.
— 1^7 —
Rapport de M. Desplanque, archiviste de Lille, sur une communication de docu-
ments faite à la commission historique du Nord, in-8" de 19 p.
Hommage de M. le baron de Girardot.
Catalugiic des Inscriptions du Musée gallo-romain de Sens, par M. G. Julliot
secrétaire de la Société archéologique de Sens et conservateur du musée ; Sens,
Ducliemin, in-8ode 40 p. — Offert par l'auteur.
€an.<«crie sur Poinsinet, par M. G. Leroy; Fontainebleau, Bourges, 1866
in-8» de 8 p.
Antitgnités gallo-romaines delà place Notre-Dame de Melun, par M. G. Leroy;
Meaux, 1866, in-80 et pi. — Offert par l'auteur.
tes Maoïial)^, extrait d'une histoire de la poésie orientale, par M. Jules David
(Extrait de l'annuaire de l'institut des provinces, pour 1865) ; Caen, Le Biauc-
Hardel, 1864, in-8» de 28 p.
Raynoiiarcl, sa vie et ses œuvres, par le même ; (Extrait des Mémoires de l'Aca-
démie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen); Caen, 1865, in-8° de 46 p.
— Hommage de l'auteur.
Rapport au ministre sur les recherches archéologiques faites en 1865, à Gien-le-
Vieux, par M. A. Bréan, membre correspondant; manuscrit avec plans et un
album de photographies. — Hommage de l'auteur.
Etude archéologique et historique sur l'Afrique française, par M. A. de Crozant-
Bridier; Toulouse, 1865, in-8° de 16 p. — Hommage de l'auteur.
Examen des avantages attachés à l'étude des langues classiques, par M. Siraudin,
de la Société des Sciences et Belles-Lettres de Bayeux (Membre correspondant) ;
Melun, 1850, in-8" de 32 p. — Hommage de l'auteur.
Essai sur les croisements Ethniques, par M. J. A. N. Périer, médecin en chef de
l'hôtel des Invalides (Membre correspondant); Paris, 1865, in-80 de 112 p. (Ex-
trait du bulletin de la Société d'Anthropologie. — Hommage de l'auteur.
Annuaire des Sociétés savantes de la France et de l'étranger, par M. le comte
Achmet d'Héricourt ; 4 livraisons, in-80. — Acquisition de la Société.
I¥ouvche méthode éclectique de sténographie, par M. Hippolyte Léchopié,
(Membre correspondant) ; Paris, Rigaud, in-8" de 32 p. et pi. — Hommage de
l'auteur.
Rcelicrehes sur la maison où naquit Du Gange, à Amiens, par M. A. Dubois,
membre correspondant; Amiens, in-80 de 8 p. (Extrait du bulletin de la Société
des antiquaires de Picardie). — Hommage de l'auteur.
— 129 —
NOTE
SUR UNE VILLA ANTIQUE PRÈS DE MELUN
ET sua DES rOTIERS GALLO-P.OMAINS.
f
4
PAU SI. G. LEROY,
Membre fondateur (Section d© jlIcIuaB).
Dans un agréable vallon situé à l'ouest de Melun coule un ruis-
seau dont les eaux, après quelques détours, viennent se perdre
dans la Seine au bas de la montagne du Mée. La principale des
sources qui lui donne naissance s'appelle la Fontaine-la-Reine, nom
qui, s'il faut croire certaine tradition populaire (1), tire son origine
de la prédilection d'une reine capétienne pour ce site. Quoi qu'il en
soit, l'existence de la Fontaine-la-Reine remonte à une haute anti-
quité, et de tout temps l'aspect pittoresque de ce vallon et de ses
coteaux fixa l'attention des populations locales.
Sur le plateau qui domine la source, s'élevait, au commence-
ment du siècle actuel, un monticule factice, formé de débris de
murs écroulés, sur lequel croissaient à l'envi les épines et les
ronces. Quelles avaient été cas constructions, et à quelle cause
pouvait-on en 'attribuer la destruction? Nul ne pouvait le dire. Les
habitants du Mée, des Fourneaux et de Saint-Barthélémy ne
conservaient aucune tradition qui put servir à baser la moindre
supposition.
Il y a une trentaine d'années environ, un jardinier-maraîcher
commença le défrichement du monticule dont les dernières ondu-
lations finissaient à la Fontalne-la-Reine, et le mot de l'énigme
devint moins obscur. Les fouilles auxquelles il procéda lui firent
(1) Cette tradilinn subsiste chez tous les vieiHatds de la localité. Notre honoré
confrère M. Labiche, qui a toujours habité le quartier Saint-Barthélémy, se rap-
pelle l'avoir entendu raconter il y a une soixantaine d'années, par des personnes
qui étaient alors extrêmement âgées. Je ne pense pas, malgré l'orthographe de cer-
taines chartes du moyen-âge, que le surnom de cette source vienne de Raine, Rai-
nette, Rana, petite grenouille terrestre. Du reste, la municipalité melunaise a suivi
la tradition en adoptant le nom de Rue de la Foulaine-ia-Reine.
9
— 130 —
découvrirent d'énormes pans de murs, de larges tuiles à rebords,
une grande quantité de poteries et beaucoup de petits objets en fer,
en bronze et en cuivre dont il ne fit aucun cas. Peut-être les ma-
tières précieuses, s'il s'en rencontra, sont-elles venues s'engloutir
dans le creuset des orfèvres de Melun. Ce qu'il prisa le plus, m'a-
t-il dit, furent les pierres qui lui servirent à bâtir sa maison.
Les choses étaient en cet état, lorsqu'il y a une dizaine d'années,
un amateur distingué, M. Jacob Desmalters, dont le nom est ho-
norablement connu dans l'industrie artistique, commença sur son
terrain des travaux analogues à ceux de son voisin le maraîcher.
A peine les terrassiers eurent-ils fait quelques déblais, que M. Ja-
cob reconnut la nature de la ruine qu"il explorait. Le monticule
de la Fontaine-la-Reine n'était rien moins que les restes d'une villa
antique, dont la destruction fut consommée par les invasions du
V^ siècle, ou peut-être, avec plus de vraisemblance, par les hordes
normandes dans la période carlovingienne.
En première ligne des charmes offerts par l'étude de l'antiquité,
on doit placer les émotions d'une fouille. Quoi de plus attrayant,
en effet, que d'interroger le sol sur l'histoire des siècles écoulés et
de lui arracher ses secrets? Quelquefois, après avoir rêvé l'inconnu,
après avoir goûté en expectative des joies indicibles, l'archéologue
voit s'anéantir son rêve et s'effacer ses illusions. Mais aussi, lors-
que par une bonne fortune, dont les exemples ne sont pas rares,
il découvre une mine féconde, sa jouissance est grande et sa ré-
compense bien douce. Alors, il n'est plus soumis aux caprices du
hasard, il marche avec certitude, et, à l'exemple de ces géologues
qui pressentent des eaux abondantes dans un endroit aride, il
prévoit ce que l'outil de l'ouvrier va mettre au jour, et, s'il en était
requis, il décrirait l'objet. C'est une fouille de cette nature que
M. Jacob Desmalters a eu le bonheur de suivre, et dont il a bien
voulu me raconter les péripéties.
Il constata l'existence de murs occupant une étendue de plu-
sieurs ares, d'un hypocauste régnant sou& la construction, de
fourneaux et de vestiges de bains. L'intérieur des appartements
était décoré do peintures murales variées dans chaque pièce. A en
juger par ces apparences, c'était une habitation somptueuse et
importante que celle qui s'élevait sur les hauteurs de la Fonlaine-
la-Reine, au temps oii la Gaule était soumise h la domination
Romaine.
Les différents objets recueillis par M. Jacob sont des plus inté-
ressants, et annoncent également le rang occupé dans l'ordre so-
— m —
cial par les possesseurs de cette demeure champêtre. On a pu les
voir sous les vitrines de notre exposition des Beaux-Arts, aux
mois de mai et juin -1864. Lé catalogue dressé à cette occa-
sion, les a, le premier, signalé aux antiquaires et aux ama-
teurs. C'est d'abord un dauphin en bronze d'un bon style et
assez bien exécuté. Ses dimensions indiquent qu'il pouvait être
fixé sur une porte ou servir à la décoration d'une salle de bains.
Puis, viennent des bijoux antiques, émaillés en taille d'épargne,
des fibules en cuivre et en bronze, et un petit nécessaire de toi-
lette, qui prouve le raffinement des gallo-romains dans le soin de
leurs personnes. La pince à épiler, la lame pour les ongles, le
cure-dents, le cure-oreilles, couverts de ciselures, s'y trouvent
réunis. C'est, à ma connaissance, le premier objet de cette nature
qui ait été trouvé dans notre région.
Avec ces spécimens de l'orféverie antique se trouvait une grande
quantité de poteries de luxe, en terre dite de Samos, recouvertes
d'un vernis éclatant et décorées de scènes de chasse, de nymphes,
de génies, de rinceaux de feuillages et d'ornements courants d'un
grand goût artistique. Il s'y rencontra aussi un vase en jade taillé
à facettes, des poteries communes et des fragments de vases striés,
en terre rougeâtre, imitation grossière des poteries de Samos. Ces
vases, qu'on attribue aux premiers temps de la monarchie franque.
peuvent fixer sur l'époque à laquelle fut détruite la villa de la
Fontaine-la-Reine, destruction que des parties de murs calcinés
font attribuer à un violent incendie. On peut croire que cette ha-
bitation partagea le sort de Melodunum, lors des invasions nor-
mandes, en 854, 888 et 909.
Les poteries conservées par M. Jacob Desmalters ont en outre
un autre intérêt. Les noms et les marques dont elles sont revêtues
ont une importance qui n'échappe à personne. Des archéologues
émérites, Gori dans son Recueil d'inscriptions et Dagin court dans
son travail sur les Antiquités en terre cuite, nous apprennent que
les lois de l'ancienne Rome contraignaient les artistes cérames à
marquer leurs produits, pour en garantir la bonne exécution, et
peut-être aussi pour en assurer le droit de reproduction. Ces lois
furent observées dans la Gaule, du moins pour la poterie de luxe.
Or, n'y a-t-il pas pour nous un charme puissant à relever, après
un silence de plus de douze siècles, le nom des fabricants dont les
œuvres étaient en usage dans nos localités? La curiosité ne doit
pas servir de guide dans cette recherche; une plus haute pensée
doit y présider. C'est une étincelle qu'il convient de faire jaillir du
— 132 —
milieu des ténèbres : et vous savez, Messieurs, que l'étincelle pro-
duit le rayon et le rayon la lumière.
Les potiers de l'antiquité avaient coutume d'abréger les mots de
leurs légendes. Une grande diversité règne dans ces abréviations;
cependant il en est plusieurs qu'on rencontre très-fréquemment et
qui apparaissent toujours à peu près de la môme manière. Ainsi
M ou MA placés à la suite d'un nom expriment Manu et suivant
Brongniart Magnario (1) PIC, FictiUs, GP Curavit Facere et 0 ou
OP Officina. Nous avons ici de nombreux exemples de ce dernier
cas :
0 SEVRI
. OFLICINIVA
OFPRIMI
OFRVFNI
La première de ces marques nous montre l'P de l'abréviation
Officina insérée dans la lettre 0, ce qui est assez rare (2).
La deuxième offre à la fin les lettres VA accolées (3), abrévia-
tion du prénom du tabricani.
Les autres noms que j'ai relevés sur les poteries de la Pontaine-
la-Reine sont les suivants :
LOGIRNI
FELIX
OFVI .... (Le reste nous manque.)
Peut-être est-ce Vidicvs, ViUanos, Viry, Virthus ou F/V/ï qui sont
autant de noms de potiers gallo-romains, trouvés en diirérentes
parties de la Prance.
AEROF (Saxofœre officina?)
AR . . . . (Arcanus, Ardici, Arici?)
ORPia: (it)-Marcatùr, Mercator, Nestor, Pastor?
. . lA (Maïa. Midia?)
EN
EVNV
OPAO ....
Il résulte de ce qui précède que quatorze fragments de poteries,
(1) Traité des arts céramiques.
(2) Ld typographie n'a pas permis de reproduire cotte particularité. Il aurait
fallu un type spécial.
(;5) Môme objcrvalion.
— 133 —
portant des noms de fabricants différents, ont été recueillis par
M. Jacob Desmalters dans les fouilles qu'il a pratiquées h laFon-
taine-la-Reine. Six de ces noms seulement sont complets ou peu-
vent être restitués avec certitude ; les autres ne donnent lieu qu'à
des conjectures.
La plaine de la Varenne de Melun, où la ville s'étendit après le
passage de César, et dans laquelle on rencontre de nombreux dé-
bris céramiques, est loin de présenter autant de documents sur les
potiers de l'époque ; bien peu d'ailleurs ont été constatés.
Notre honoré confrère, M. le docteur Gillet, a soumis à nos
séances deux anses d'amphores portant ces noms :
GAPIIOF (Gapii Officina).
SAXOFERRE 0 (Officina).
Un autre de nos confrères, M. Gabry, vient de gratifier le
Musée de Melun d'une coupe en poterie de Samos, portant ce nom :
FELIXF (ecit).
Enfin, j'ai trouvé dans un terrain de la rue de Dammaric, le
fond d'un vase sur lequel est gravé OFNI, probablement Officina
Nimi, nom de potier qu'on rencontre dans plusieurs localités.
Pour compléter cette nomenclature d'artistes céramiques, dont
les produits subsistent dans le pays Melunais, il me reste à citer
le nom de LIBERIVS gravé dans un vase en terre de Samos,
trouvé à Vosves, commune de Dammarie-les-Lys. Le Musée de
Melun, auquel il appartient, en doit la possession à la libéralité
gracieuse de notre honoré confrère, M. Gabry.
Les noms de potiers catalogués jusqu'à ce jour sont très-nom-
breux. Plusieurs antiquaires se sont appliqués à les recueillir, et
un d'entre eux, M. de Longpérier, membre de l'Institut, en a
dressé une liste de plus de 3,000. Il n'est guère possible après une
telle publicité, de pouvoir signaler des noms inédits, car les mêmes
marques et noms de fabricants se retrouvent dans toutes les parties
de la France. G'est ainsi que dans la nomenclature ci-dessus, les
noms de SEVERVS, LIGINVS, PRIMVS et SAXOFERRE ont
été constatés sur des poteries gallo-romaines du Bourbonnais (1).
Quant aux autres, peut-être font-ils partie des listes de M. de
Longpérier, qu'il ne m'a pas été possible de consulter. Si, par
hasard, ils étaient nouveaux et particuliers à notre pays, je serais
heureux de leur avoir consacré ce faible souvenir, et d'avoir pu
les rattacher ainsi, à l'histoire de l'industrie manufacturière de
Seine-et-Marne.
(1) Tudûre. Figurines Gauloises.
— 135 —
COMPTE-RENDU DES TRiYAUX
DE LA
SOCIÉTÉ D'ARCHÉOLOGIE, SCIENCES, LETTRES ET ARTS
du département de Seine-et-Marne
Pendant sa deuxième année d'existence,
PAR M. TII. LIIUILLIER,
fS^cci'ûtairc-géncral de la l§oeictc
Mesdames, Messieurs et chers Confrères,
Avant d'aborder le compte-rendu annuel des travaux de la So-
ciété d'Archéologie, Sciences, Lettres et Arts de Seine-et-Marne,
qu'il me soit permis de remercier mes confrères de la bienveillante
sympathie dont ils viennent de me donner une nouvelle preuve.
Nommé secrétaire-général pour la seconde fois, je m'efforcerai de
justifier cette marque de confiance en continuant à travailler à la
prospérité d'une Société capable maintenant de rendre des services
et qui prend chaque jour de nouveaux développements.
Notre association compte deux années d'existence, pendant les-
quelles elle a obtenu — je ne dirai pas des succès, le mot se-
rait trop prétentieux, — mais les encouragements les plus flatteurs.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler qu'en 1866, elle est du petit
nombre de celles qui reçoivent des allocations du ministère de
l'Instruction publique ; c'est un honneur que vous savez appré-
cier.
Depuis un an, elle a conquis 37 membres correspondants. Cin-
quante-huit Sociétés savantes échangent avec nous leurs publica-
tions, et plusieurs de ces appels de confraternité émanent des points
extrêmes de l'empire : de Brest et de Toulouse, de Dunkerque et
de Béziers, de Strasbourg et de ConsLantine...
Trente nouveaux membres titulaires sont venus accroître la
force des diverses sections. Nous avons éprouvé aussi, il est vrai,
des pertes sensibles, pour lesquelles notre digne Président a voulu
exprimer lui-même publiquement les regrets de tous.
Peut-être, disons-le, serions-nous plus nombreux encore si le
— 136 —
titre de notre Société n'effrayait, bien à tort, des personnes ins-
truites, qui se recommandent dans les lettres et dans les arts, mais
trop modestes, et qui ne se croient aucune aptitude pour Tarchéo-
logie.
Le champ de l'archéologie pourtant est vaste, et parmi les
sciences auxquelles l'isolement des petites localités permet de s'ap-
pliquer, en est-il qui offre plus de facilités, plus de satisfactions
légitimes; où les découvertes, oii les services soient plus à la por-
tée de tous?
Un de nos confrères l'a dit. Messieurs : a En archéologie, avec
des notions élémentaires et un coup de pioche heureux, on peut
prétendre à quelques-uns de ces succès de la presse et de l'opinion
qu'ambitionnent longtemps les littérateurs et les artistes. »
Cette science, compagne fidèle de l'histoire, cultivée avec ardeur,
avec désintéressement, avec succès, s'est heureusement répandue;
ses progrès ont été rapides, et elle est devenue une nécessité de
notre époque. La tendance des études, la sévérité de la critique
historique, veulent qu'on ne se contente plus d'ingénieuses conjec-
tures, qu'on n'adopte plus sans examen la parole même des grands
penseurs et des plus sérieux historiens ; il faut justifier ses idées,
aujourd'hui, autrement que sur des récits; il faut s'appuyer de
preuves puisées aux sources, connaître les monuments qui servent
à contrôler le passé ei> contribuent à assigner aux faits leur véri-
table caractère.
Pour les membres qui n'écrivent point, — un rôle non moins
actif leur est réservé dans les Sociétés archéologiques, et leur con-
cours n'est pas moins précieux.
Dès 1830, M. Guizot, dans une circulaire ministérielle, recom-
mandait la création de sociétés savantes dans les provinces : « les
(( monuments et les antiquités, disait-il, doivent être mis à l'abri
« de la dégradation; il est bon qu'on le sache partout, et que d;ins
(( les villages même on veille par amour de l'art à leur conserva-
(( tion. »
De nombreuses associations ont vu le jour depuis cette époque,
et leurs efforts assurément ont rendu de véritables services; ces
Sociétés ont signalé des antiquités inconnues, sauvé de précieuses
ruines, contribué à la restauration de superbes édifices, agrandi
le domaine de l'histoire et de la science; mais, hélas! que le bien
marche lentement! et qu'il reste encore h faire pour répandre le
goût du beau, pour l'aire respecter dans nos campagnes les an-
tiquités et les monuments /)rtr amour de Vart!...
— 137 —
C'est là, en effet, Messieurs, un des résultats auxquels doivent
tendre les institutions comme la nôtre. 11 leur appartient d'exhu-
mer de l'oubli les vestiges du passé ; de sauver, de décrire, d'étu-
dier les objets d'art ou les titres dispersés au souffle des événe-
ments et qui sont trop souvent détruits par ignorance ; mais il
faut aussi inspirer le respect de ces antiquités locales, et faire com-
prendre, selon l'expression de S. Ex. M. Diiruy, « ce qu'il y a de
(( religieux dans ce culte rendu par la science à la mémoire des
« ancêtres. » Cette utile mission, la Société de Seine-et-Marne la
remplit à chaque instant, grâce à ses nombreux représentants sur
les divers points de la Brie, que leur goût, leur aptitude et leur
devoir portent vers ce but.
Si les cinq Sections ont payé largement, durant l'année qui vient
de s'écouler, leur tribut, aux séances particulières et générales,
par la lecture de mémoires importants, elles n'ont pas moins heu-
reusement contribué à la conservation de monuments épigraphi-
ques, d'objets curieux, de documents intéressants pour l'histoire
locale, et — dans leur sphère modeste — pour la science et pour
les arts.
Le second volume du Bulletin de la Société, publié il y a quel-
ques mois, atteste à la fois cette activité des Sections, la variété et
— nous pouvons le dire — la solidité de leurs travaux.
Nous allons passer rapidement en revue- la part que chacun à
prise à l'œuvre commune, depuis notre précédent compte-renda.
La Section de Coulommiers, dans ses séances trimestrielles, a
entendu des lectures pleines d'intérêt, notamment de M. Anatole
Dauvergne, président, et de AL Victor Plessier.
L'ancienne Commanderie de Chevru, appartenant tour-à-tour
aux Templiers et à l'Urdre de Malte, a fourni à M. Dauvergne le
sujet d'une notice historique et archéologique marquée au coin
d'une érudition curieuse et sûre.
M. Plessier, après avoir exposé, dans sa SectionetàlaSorbonne
en I860, des idées neuves sur la formation du plateau et des val-
lées de la Brie, a décrit, dans deux éludes courtes mais très-subs-
tantielles, les pierres celtiques de Saint-Brice, canton de Provins,
et de l'étang de Maillard, près de Beautheil.
Depuis, le même sociétaire a présenté une notice sur Bossuet,
parrain dans l'église de Bannost.
Plusieurs découvertes ont été signalées par MM. Dauvergne et
Chemin; un obituaire de Saint-Barthélemy-en-Beaulicu, manus-
— 138 —
crit du XVI* siècle, a été communiqué par M. Flamand; des mé-
dailles, une hache celtique, des matrices de monnaie romaine, un
marbre tumulaire, etc., ont été offerts par MM. Teyssier des
Farges, Plessier, le comte de Courcy et Cinot.
A Fontainebleau^ o\i nous a réunis la séance générale d'octobre
1865, les travaux de la Section présentent une agréable variété : à
côté d'une remarquable étude de M. Jules David, président, sur la
vie et les travaux du célèbre orientaliste Ghampollion le jeune, se
placent des mémoires habilement traités par M. le docteur Tabou-
ret sur Lavater, sur les mariages arabes et sur les cloches des en-
virons de Fontainebleau ; — par M. Domet, sur les Capitaineries
des Chasses ; — par M. Gaultron sur la gravure, au point de vue
des œuvres de l'école dite de Fontainebleau.
M. Maxime Beauvilliers, outre une étude bibliographique sur la
Bible de l'humanité, de MicheleL, a fait un rapport détaillé sur la
seconde excursion archéologique de la Société.
Enfin, M. Etienne David nousconduit en Amérique, et raconte,
dans un style vif et imagé, un bel épisode de la vie du général
Paëz.
Dans cette Section, comme à Melun, les séances sont mensuelles
et elles se trouvent parfois remplies de communications orales
qui provoquent, entre quelques membres, cet échange d'idées et
de souvenirs, ces éclaircissements, si souvent utiles et profitables
à l'instruction de tous.
Nous arrivons à la Section de DJeaux, dont nous avons constaté
déjà, il y a un an, la vie active et laborieuse.
M. A.Carro, président, a lu à la séance générale de Provins un
charmant travail intitulé : La Ferté-Milon et Racine; tout récem-
ment, il a communiqué dans sa Section un mémoire sur l'institu-
tion des Chevaliers de l'Arc; ces deux notices ont obtenu les
honneurs de la Sorbonne, en 1860 et en 18G6.
On doit encore à M. Carro, indépendamment d'une étude sur
les Grottes dites des Fées à Crouy et à La Ferté-Gaucher, une
notice sur quelques facéties artistiques du moyen-âge, le récit
d'une visite aux ruines du château de Boissy et à l'église de Forfry
et d'une autre excursion à Oissery, motivée par la découverte
récente de sépultures du ni'= siècle au bord d'une ancienne voie
romaine.
— i39 —
M. le docteur Le Roy a étudié avec beaucoup de soin des osse-
ments fossiles trouvés dans une carrière de sable.
La Section a entendu un rapport de M. de Golombel sur le
projet d'établissement d'un Musée à Mcaux, et une monographie
de la commune du Plessis-l'Evêque, pleine "de recherches sérieuses,
par M. l'abbé Bécheret.
M. le vicomte d'Amécourt a examiné, en numismate émérite,
une médaille mérovingienne en or frappée à Lieusaint; M. de
Ginoux. une monnaie de Sedan trouvée à Meaux, et M. Lefebvre-
Thiébault de nombreux et très-curieux spécimens numismatiques.
M. Lefebvre a fait aussi d'intéressantes communications au sujet
de deux sceaux de la famille Cosset, et sur un vase en faïence aux
armes de la fille du Régent, abbesse de Chelles.
Une esquisse pittoresque de M. Léon Escudicr, intitulée : de
Paris à Fontainebleau à vol d'oiseau, a été applaudie à la séance
générale de Fontainebleau.
Les sujets abordés par M. Torchet : l'histoire do la musique des
Francs, la légende relative . au goût de Charlcmagne pour la
musique, et la légende de Ste-Cécile, ont été traités avec un rare
esprit d'investigation : vous entendrez tout à l'heare sa notice sur
un concours musical au temps de Louis XIV et de Bossuet.
Le savant historiographe du diocèse, M. J'abbé Denis, s'est
occupé des anciennes peintures murales qui décoraient la chapelle
du Chevet dans la cathédrale de Meaux : vous allez entendre éga-
lement la lecture de ce travail.
Enfin M. Tnbbé Petithomme a bien voulu se charger de rendre
compte de la brochure de M. Plessier sur la formation du plaleau
de la Brie.
De nombreuses communications d'objets de curiosité ou d'an-
tiquité ont encore été faites à la Section de Meaux par MM.
Lefebvre, Demarsy, de Blavette, le docteur Le Roy, Lespermont
et Muret, sociétaires; ainsi que par MM. Rondel, Carre,
Desgeans, Plicque, Andrieux, Sterlin, Duvoir, André, Mavré,
Moquet, Benoist, Houzelot et Haran, tous étrangers à la Société.
Les travaux de la Section de Melun n'ont pas été moins abon-
dants.
AL Eugène Grésy qui alors, la présidait, a communiqué un
mémoire sur le fief et hôtel Lecocq, à Melun, logis des ducs de
Longueville, qu'il a lu aussi à la Sorbonne ; de savantes notices,
accompagnées de dessins, sur les sculptures légendaires du portail
— 140 —
de St-Loup-de-Naud ; snr un rétable du XVIP siècle, sculpté par
Jacques Ségogne, de Recloses ; sur des méreaux de l'abbaye de
St-Père de Melun et du chcipître de Champeaux.Onlui doit égcde-
inent un appendice à la biographie, déjà publiée dans les Archives
de l'Ai't Français^ par M. Taillandier, l'un de nos membres corres-
pondants, de Daniel Gittard, célèbre architecte du siècle de
Louis XIV, originaire de Blandy.
M. Louis Leguay a traité des monuments dits druidiques et des
sépultures de Maintenon (Eure-et-Loir); il a lu à la séance publique
de Provins ainsi qu'à la Sorbonne, une note sur une pierre à
polir les silex, trouvée en septembre 1800 à la Varenne-SL-Hilaire,
près Paris.
M. Anatole Roujou a entretenu aussi la section de Melun, des
silex taillés trouvés dans le diluvium des environs de la capitale.
Nous avons tous gardé bon souvenir de la lecture qu'à faite à
Provins M. Bréan, membre correspondant, sur les Gaulois primi-
tifs; depuis, M. Brcan nous a gratifiés d'un remarquable rapport,
accompagné de dessins, plans et photographies, offrant le résultat
des fouilles archéologiques qu'il a opérées en J 865, aidé parle
ministère de l'instruction publique, sur l'emplacement de Gien-le-
Vieux (Loiret).
M. Paul Quesvers a recherché l'étymologie du nom de Montereau.
Des documents nouveaux ou peu connus ont permis à M.
Lemaire de communiquer un ancien inventaire de la fabrique de
Brie-Comte-Robert et de retracer la fondation des Célestins de
Marcoussis. M. Lemaire a signalé la découverte, en novembre
dernier, de deux cercueils de pierre, d'un anneau abbatial et de
poteries du moyen-âge, à Melun, dans la cour d'honneur de la
préfecture, ancien couvent de Bénédictins.
Un autographe de St-Vincent-de-Paul, conservé à Brie-Comte-
Robcrt, a fourni à M. Camille Bernardin, l'occasion d'une étude
sur la confrérie de charité qui a existé dans cette ville, de 1631 à
Ja Révolution. M. Bernardin a donné aussi une notice sur les
foires de Brie-Comtc-Robert.
M. Sollier a communiqué deux mémoires, l'un sur une lettre
autographf;, écrite par Colbert à Mazarin dans des circonstances
tout particulières; l'autre à propos de l'nncicn couvent de
Moret et de la célèbre Mouresse de ce monastère, qui a toujours
passé pour fille de Louis XIV ; ce dernier travail, plein de recher-
ches et de détails curieux, a été lu récemment à la Sorbonne et a
mérité à Fauteur les approbations les plus flatteuses.
— 141 —
M. G. Leroy, outre un excellent rapport sur les fouilles exé-
cutées à Melun en 1865, s'est occupé des épidémies qui ont affligé
cette localité à diverses époques ; il a restitué les détails d'une lete
officielle sous Louis XV, les noms des potiers de Melodunum
connus d'après les vases et les fragments de poteries recueillis
tant au Musée départemental que par des amateurs ; il a esquissé
une visite h Saint-Loup-de-Naud et retracé l'historique de la com-
pagnie d'arquebusiers de Melun et le tableau de cette ville au
temps d'Henri IV. Dans la séance générale de Fontainebleau, au
mois d'octobre dernier, M. Leroy a fait une causerie biographique
sur le littérateur Poinsinet, qui a été imprimée à part.
M. Labiche a donné lecture d'une fantaisie mythologique sur le
culte traditionnel d'Isis à Melun, et d'un certain nombre de fables
et de poésies inédites, empreintes de naturel et d'élégance.
Votre secrétaire général, Messieurs, a présenté à la Section de
Melun, l'état du comté de Grécy-en-Brie au XVIP siècle, mettant
en regard des charges qui pesaient sur ce domaine royal engagé,
les droits seigneuriaux, les prérogatives et les revenus qui en
constituaient alors toute l'importance. Jl a retracé l'érection de
Fontainebleau en paroisse par Louis XIV, et essayé de raviver le
souvenir d'une famille de peintres , valets de chambre du roi
(Ambr-oise Dubois et ses fils). Une autre notice a été consacrée à
la mémoire de l'abbé Seguy, académicien aujourd'hui peu tîonnu,
mort chanoine de Meaux en 1761, et qui laissa sa modeste succes-
sion à l'hôpital général de cette ville.
En rendant compte de diverses publications offertes à la Société,
votre secrétaire a dû s'attacher surtout à faire ressortir ce qui pré-
sentait, pour notre pays, un intérêt particulier.
Enfin, diverses communications d'objets antiques ou intéres-
sants, de médailles, de sceaux, de poteries romaines ou gauloises,
ont été faites à la Section de Melun par MM. Courtois, les
docteurs Gillet etBallu, La Joye, Grésy, Latour, Leraaire, Sollier,
Leroy, Gaucher et Laffiley.
C'est à Provins que la Société s'est assemblée en séance générale
au mois de mai 1865. Nos confrères n'ont pas oublié le discours
prononcé dans la circonstance par M. le comte d'Harcourt qui
avait pris pour sujet Hégésippe Moreau, le poète de la Voulzie;
ni les lectures de M. Félix Bourquelot, sur le sentiment de la
nature au moyen-âge^ de M. l'abbé Puyo sur les pierres druidi-
ques branlantes, de M. Jules Michelin sur la tour du bourreau
— 142 —
de Provins, excellentes études dans des genres bien différents.
Depuis, M. Félix Bourquelot a savamment traité des livres
provinoises ou sous du sénat, qui eurent cours en Italie du XIP
au XV° siècle.
D'autres communications étaient soumises en même temps à
cette Section par M. le marquis de Pontécoulant sur des recherches
pratiquées sur une des buttes de Mirvault et dans les puits de
Châteaubleau, par MAI. Teyssier des Farges et Burin; en-
trautres objets mis au jour par la dernière de ces fouilles, nous
avons cité déjà de nombreux moules monétaires gallo-romains.
Grâce encore au concours éclairé et généreux de AI. Teyssier
des Farges, de belles tombes seront prochainement relevées dans
l'église de Pecy et préservées ainsi de la destruction.
Enfin des monnaies, trouvées à Soignolles et à Vimpelles, ont
été adressées à la Section de Provins par des personnes étrangères
à la Société.
Ce n'est pas tout. Alessieurs, que ce contingent de travaux des
Sections; mais je ne vous redirai pas après M. G. Leroy, dont le
rapport a été inséré au Bulletin, le résultat des fouilles archéolo-
giques entreprises, l'été dernier, sur la place Notre-Dame de
Alelun, à l'aide des subventions de la Commission de topographie
des Gcfules, du Conseil municipal, de Al. le préfet, de la Section
de Melun et aussi de quelques souscriptions particulières. Je
dois cependant mentionner avec quel soin, avez quel zèle, cette
laborieuse exploration a été dirigée et suivie par une commission,
dont AI. Leroy, ses collègues lui rendent cette justice, était
la cheville ouvrière : les fouilles ont coûté 800 fr., et elles ont
été pendant deux mois un travail de tous les instants.
D'importants fragments antiques précieusement recueillis :
autels, cippcs, tombeaux, inscriptions, céramique, numisma-
tique, enrichissent aujourd'hui le musée de Melun.
Dans le cours de l'été dernier aussi, une seconde excursion à
laquelle 40 sociétaires ont pris part, a été organisée dans l'arron-
dissement de Meaux.
En deux jours on a visité, un peu trop rapidement peut-être,
Ferrières et son château princier, Lagny, Meaux, Quincy, Gouilly,
Crécy, La Chapelle, Maisoncelles, Jouarre et sa crypte antique,
puis Trilport.
Notre confrère, M. Maxime Beauvilliers, dans son rapport lu iV
— 143 —
la section de Fontainebleau, s'est chargé de consigner tout l'intérêt
de cette exploration artistique, de démontrer son utilité, ses résul-
tats, et de dire avec quelle rare courtoisie la caravane a été
accueillie sur son passage.
Le programme de la Société ne s'étend pas seulement aux
excursions scientifiques, aux fouilles archéologiques et à la publi-
cation de son Bulletin : l'article 2 des statuts comprend encore
l'ouverture de concours et la distribution de prix sur des
sujets archéologiques ou historiques relatifs au pays que nous
habitons.
Déjà des médailles d'honneur ont été décernées en dSGo aux
lauréats des premiers prix d'histoire de France, dans la classe
la plus élevée des trois collèges de Melun, Meaux et Provins.
Des récompenses seront également acquises aux personnes qui
auront fourni les renseignements les plus utiles pour la rédac-
tion d'un dictionnaire historique et archéologique de Seine-et-
Marne.
Mais jusque-là le vœu de nos statuts, sur ce point, ne se trou-
vaitpas complètement rempli. Aujourd'hui, grâce à la libéralité
d'un de nos honorables confrères, de M. le baron de Beauverger,
député, la Société est en mesure d'ouvrir un véritable concours.
L'auteur des meilleures « Recherches historiques sur l'agricul-
ture et les conditions des populations rurales, dans les contrées
correspondant au département de Seine-et-Marne, aux xvii" et
xvni'^ siècles, » recevra une médaille d'or de 200 fr. dans la séance
publique qui nous réunira à Melun, au mois de mai 1867.
Enfin, Messieurs, puis-je passer sous silence les Conférences
publiques du soir ?
Sans prendre dans les Sections le patronage direct'de ces Con-
férences, dont les bienfaits tendent à se répandre de toutes parts ,
la Société d'Archéologie a eu l'avantage de voir son Président ,
récemment nommé officier d'Académie , entreprendre à la fois
durant l'hiver dernier , et partout avec un égal succès, des cau-
series populaires sur l'Astronomie, dans les villes de Melun, de
Meaux, de Fontainebleau et de Provins.
Plusieurs de nos Confrères, bien inspirés, ont suivi l'impulsion
donnée par M. le marquis de Pontécoulant; nous citerons dans
cette ville de Meaux , M. Carro; à Fontainebleau , M. le docteur
Tabouret; à Provins, M. le comte d'Harcourt; à Donnemarie,
— IM —
M. Delcttre; à Saints, MM. Chemin et Lefèvre; à La Ferté-Gau-
cher, M. Plessier. Et partout, le choix des sujets, la manière dont
ils ont été traités, ont justifié le succès des Conférences populaires,
tout en faisant honneur aux personnes instruites qui y ont pris
part.
S'il est permis, en terminant, de jeter un coup-d'œil sur notre
lendemain :
Une troisième excursion archéologique se prépare dans l'ar-
rondissement de Coulommiers;
Un troisième Bulletin est sous presse, et quelques-unes des
lectures que vous allez entendre seront les prémisses d'un qua-
trième volume déjà riche de promesses.
La Société se propose aussi de participer à l'Exposition univer-
selle de 1867 et d'y apporter sa pierre à ce superbe édifice de
l'histoire du travail. Pour y parvenir, les mesures préalables ont
été prises et une commission, constituée dans ce but, étudiera en
même temps l'ensemble de l'exposition aux divers points de vue
scientifique, archéologique et artistique.
Tel est, Messieurs, le résumé sommaire, incomplet malgré
son étendue, de vos principaux travaux pendant une seule année.
Permettez-moi d'espérer .que ce zèle, qui peut étonner, ne se
démentira pas. Un petit nombre seulement d'entre nous ont pris
jusqu'ici une part active aux travaux, aux lectures : chacun tiendra
à honneur d'y concourir selon ses aptitudes.
La scène sans doute est étroite pour les esprits supérieurs,
poiir les hommes éminents qui nous honorent de leur confrater-
nité ; mais, Ci'mme l'a dit M. le comte de Portails dans une disser-
tation sur l'utilité des académies de province : «Tout ce qu'on
fait pour la petite patrie, tourne au profit et à l'avantage de la
grande. )> •
Enfin, Messieurs, s'il nous ett indispensable pour continuer à
progresser, de compter sur l'activité des sociétaires, nous n'avons
pas moins besoin da la sympathie et du concours de tous nos
concitoyens, des lumières de tous les hommes éclairés; leurs
efforts en se joignant aux nôtres, augmenteront l'importance et
l'intérêt des travaux des Sections.
C'est ainsi que la Société ne cessera de mériter les approbations
flatteuses qu'elle a obtenues, et les encouragements que lui a
donnés en particulier M. le ministre de l'instruction publique.
Déjà d'utiles communications ont été faites dans les Sections,
par des personnes étrangères ù nos rangs ; on a offert à la Société
— 145 —
des objets antiques qui, naguère, eussent été brisés ou perdus par
une ignorante insouciance ; on a signalé avec empressement des
découvertes de quelque valeur; aujourd'hui encore, la présence
dans cette enceinte d'un public nombreux et distingué, prouve
qu'au detiors on n'est pas indifférent aux efforts de la Société
Archéologique. Nous constatons avec bonheur ces témoignages
d'intérêt qui méritent toute notre gratitude, parce que nous les
considérons comme un véritable progrès accompli et qu'ils sont,
— il faut le reconnaître, — autant de gages précieux pour
l'avenir.
10
147
POÉSIES
PAR 31. LABICHE,
Membre fondateur (Vlco-I»résidcnt de la Section de Mclun).
LE MYOSOTIS .
OU NE M'OUBLIEZ PAS.
POÉSIE LÉGÈRE.
Petite fleur, simple et modeste,
Sois heureuse de ton destin:
N'as-tu pas la couleur céleste
De l'air azuré du matin?
Quand d'un beau jour paraît l'aurore,
Ne reçois-tu pas ses doux pleurs?
Et le rayon, si frais encore,
Qui vient ranimer tes couleurs?
Quand le soleil, les vents, l'orage,
Froissent l'espoir des laboureurs,.
Petite, tu braves l'outrage
Qui vient flétrir tes grandes sœurs.
Lorsque tout dort dans la nuit sombre
Et que rien n'en trouble le cours.
Si le ver-luisant chasse l'ombre,
C'est pour éclairer tes amours.
Près de toi, quand sur la verdure
Viennent soupirer deux amants,
Tu peux entendre le mumure
De leurs voix et de leurs serments:
Petite fleur, reste muette.
Si tu disais le nom si doux
— 148 —
Que redit ma bouche indiscrète,
Tu me ferais trop de jaloux.
L'oiseau frileux qui fuit la France,
Le guerrier par le 1er atteint.
Les amants qu'afflige l'absence.
Et la vieillesse qui s'éteint.
Tout dit ton nom sur cette terre;
Nul ne s'en va, loin ou là-bas,
Sans soupirer avec mystère
Ces doux mots: ne m'oubliez pas.
LA ROSE ET LA JEUNE FILLE.
FABLE.
J'attendais le rayon qui devait m'entr'ouvrir,
Quand, ce matin, tombaient les larmes de l'aurore;
Il a brillé ce soleil qui dévore,
Et tu daignes, ce soir, à peine me cueillir!
Un seul jour a suffi pour faner ma corolle
Qui va se disperser par le souffle d'Éole.
Mais à toi, jeune fille, il faut bien moins encor
Pour flétrir tes beaux jours et désoler ta vie :
Un seul mot prononcé par la haine ou l'envie,
Fût-ce une calomnie.
Et te voilà perdue! et ni le rang, ni l'or
Ne peuvent t'abriter d'une pareille atteinte;
Il te faut, avec l'air, en respirer la crainte.
Contre la voix du mal Dieu même ne peut rien ;
Elle est comme le flot qui monte et nous inonde.
Fuis'donc, si tu le peux, et le bruit et le monde,
De la réserve en tout adopte le lien ;
Sois comme la rosée une amante de l'ombre,
Si ta pudeur préfère au soleil un jour sombre,
Enfant, tu t'en trouveras bien;
Car, tu le vois, lien non t à peu de chose
Le renom d'une femme et l'éclat d'une rose.
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ D'ARCHÉOLOGIE '
SCIENCES. LETTRES ET ARTS
nu DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-MAIINE.
A Meaux. chez liE Bl-OWMEIi, libraire de la Société.
A Paris, chez Auguste AUBRY, 1(3, rue Dauphine.
A Melun, chez M""' V" THUVIEN, libraire.
A CouLOMMiERS, chc'z BRODARD, libraire.
.\ Fontainebleau, chez LAGODRE, libraire.
A Provins, chez LE HERICHÉ, iraprimour-libraire.
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ D'ARCHÉOLOGIE
SCIENCES, LETTRES ET ARTS
DU DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-MARNE
Fondée à MELUN, le 16 mai 1864
9 i; A T R B E IV9 13 A IV IV £ K
M EAUX
TYPOGRAPHIE DE J. CARRO
IMfSt?-»: F.UI8 nu BLXI.ETII\' UE I,» .«iOClÉTii
18(37
SOCIÉTÉ D'ARCHÉOLOGIE
SCIENCES, LETTRES ET ARTS
DU DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-MARNE.
PROCÈS-VERBAUX DE LA SOCIÉTÉ,
SÉANCE GÉNÉRALE ET PUBLIQUE
TENUE A MEAUX LE 21 MAI 1866.
La Société d'Archéologie, Sciences, Lettres et Arts de Seine-et-
Marne tient sa première réunion générale de l'année J866 le
vingt-un mai, dans la ville de Meaux.
Sont présents : MM. le marquis Ad. de Pontécoulant, prési-
dent; Félix Bourquelot, vice-président sortant; A. Carro père,
vice-président; Anatole Dauvergne, le vicomte de Ponton d'Amé-
court, Félix Lajoye et le comte B. d'Harcourt, présidents de Sec-
tions; Th. Lhuillier, secrétaire-général; Courtois, trésorier; Le-
maire, archiviste ; Gauthion, vice-président de la Section de Fon-
tainebleau ; l'abbé Denis, vice-président de la Section de A^Ieaux;
le comte Eug. de Fontaine deResbecq, membre delà Commission
du bulletin ; Eymard , membre de la Commission des finances ;
de Colombel, délégué delà Section de Meaux; Maxime Beauvil-
]iers, de Fontainebleau; l'abbé Bécheret, curé de Monthyon ;
Jules Carro, de Meaux ; Paul Cère, de Lagny ; Amynthe Cinot,
de Saint-Martin-lès-Voulangis ; Cochet, de Meaux ; Decœur, de
1
Lagny ; Charles Ficliot, de Melun ; de Ginoux, de Meaux ;
Eug. Godin, de Melun ; Laurent-Thomas, de Saint-Germain-
lès-Gouilly ; Latour, de Melun ; Le Blondel, de Meaux ; Louis
Leguay, de Melun ; docteur Le Roy, de Meaux ; Léon Litzel-
mann, de Fontainebleau ; Morlot, de Meaux; l'abbé Petithomme,
curé de Villcnoy ; Victor Plessier, de La Ferté-Gaucher ; l'abbé
Torchet, de Chelles ; Torchet, de Meaux ; Troublé, de Meaux, et
autres qui ont omis de signer la feuille de présence.
Ont exprimé leurs regrets de ne pouvoir assister à la séance :
LL. EE. MM. Duruy, ministre de l'instruction publique, etDrouyn
de Lhuys, ministre des affaires étrangères; M. le baron deLassus
Saint-Geniès, préfet de Seine-et-Marne ; MM. le baron de Beau-
verger et Josseau, députés ; Jules David, président de la Section
de Fontainebleau, l'abbé Gillet, le comte Jules de Lasteyrie,
Bourges, Bayard, G. Leroy, Sénèque et Sollier.
L'ordre du jour divise la Séance en deux parties : séance admi-
nistrative et lectures publiques.
SÉANCE ADMINISTRATIVE :
A une heure, les Sociétaires sont réunis dans la principale salle
do la bibliothèque publique, h l'Hôtel-de- Ville. Après diverses
communications par le Président de la Société, le Secrétaire-gé-
néral rend compte du résultat des élections qui ont eu lieu les
G et 7 mai 1866, pour le renouvellement du Bureau central ; il
donne lecture de la protestation d'un membre de la Section de
Meaux, contre de prétendues irrégularités commises lors de ces
élections, protestation h laquelle se sont associés plusieurs autres
membres de la môme Section. Il est également donné lecture de
diverses pièces relatives à cet incident, notamment du procès-ver-
bal des opérations qui ont eu lieu dans la Section de Meaux. A la
suite de quelques explications, il est décidé, par acclamation,
qu'aucun article du règlement n'ayant été violé, il n'y avait pas
lieu à protestation, et il est passé à l'ordre du jour.
M. Courtois, trésorier, a la parole pour rendre compte de l'état
financier de la Société au 1" janvier 1866. On entend avec in-
térêt la lecture du travail de M. Courtois ( voir ci-après), qui est
approuvé; sur la proposition du Président, des remercîments
sont unanimement votés au Trésorier, tant pour sa gestion intel-
ligente que pour ses avances gratuites.
Le Présidunt entretient lu Société du rapport do la commission
— 3 —
nommée à la dernicro séance du Comité central alin de déterminer
les bases du concours ouvert pour iSQl, grâce à la munificence de
M. le baron de Beauverger, député, membre de la Section de
Melun, sur cette question : Recherches historiques sur l'agriculture
et la condition des populations rurales dans les contrées correspondant
au département de Seine-et-Marne, auxxYîi^ et xviii'' siècles. — Com-
paraison avec répoque actuelle.
Le programme de ce concours, dont les conditions générales
sont d'ailleurs réglées par les statuts, est distribué aux membres
présents.
En raison de l'heure fixée pour la séance publique, la séance
administrative, suspendue à deux heures, est reprise à cinq heures
du soir. On entend alors un rapport de M. Félix Bourquelot, au
nom d'une commission chargée d'examiner la demande de modi-
fication de l'art. 80 du règlement de la Société. Après un débat, du-
quel il ressort qu'il convient, avant de rien modifier aux statuts
en assemblée générale, de consulter préalablement chaque Sec-
tion, les opinions sont divisées lorsqu'il s'agit de décider si l'on
prendra pour base de la majorité le nombre des membres qui
auront exprimé un avis, ou le nombre des Sections elles-mêmes ;
l'assemblée décide le renvoi à la commission et la question est
ajournée.
M. Félix Bourquelot qui, pour des raisons de santé, a décliné
l'honneur de sa réélection aux fonctions de vice-président de la
Société, est nommé, par acclamation, vice-président honoraire.
Le Président de la Société fait ensuite observer que quatre
membres seulement ayant obtenu la majorité des suffrages dans
les Sections, pour la composition de la Commission du bulletin,
lors de la dernière élection, et les votes s'étant divisés pour un der-
nier membre à élire, il y a lieu de procéder en assemblée générale
à la nomination de ce cinquième membre. M. le comte de Cir-
court, de Fontainebleau, qui avait réuni le plus grand nombre
de suffrages au premier tour, est élu par acclamation. Le Prési-
dent propose à l'assemblée de laisser à l'avenir à chaque Section
la nomination d'un membre pour la Commission du bulletin.
Cette proposition est adoptée.
Un amendement à l'art. 4" des statuts, proposé par plusieurs
Sections, pour l'admission des dames s'occupant sérieusement des
lettres, de sciences ou d'arts, et renvoyé par le Comité central à la
décision de la Société, en assemblée générale, est mis en délibéra-
tion. Après une discussion à laquelle prennent part MM. le docteur
Le Roy, Torchet, l'abbé Petithomme, Plessier, Courtois, le vicomte
d'Amécourt et quelques autres membres, l'assemblée décide qu'il
y a lieu, non de modifier à cet égard, l'art l"des statuts, mais seu-
lement d'interpréter l'expression hommes d'études. Par un vote au
scrutin secret, la Société déclare que le sens le plus large doit être
donné à ce mot, laissant, bien entendu, à chaque Section le soin
déjuger de l'opportunité d'admission et d'apprécier les titres des
dames, lors de la présentation des candidatures. |
A six heures et demie, la séance est levée.
SÉANCE PUBLIQUE :
A deux heures, le grand salon de l'Hôtel-de-Ville, gracieuse-
ment mis, par l'autorité municipale, à la disposition delà Société,
est rempli d'invités parmi lesquels les dames sont en grand
nombre. Le Bureau et les membres de la Société prennent leurs
places sur une estrade disposée à cet effet. A côté de M. le mar-
quis de Pontécoulant, Président, se trouve M. de Marcilly, sous-
préfet de l'arrondissement de Meaux.
La musique du régiment des Lanciers de la Garde, sous l'habile
direction de M. Hippolyte Martin, annonce l'ouverture de la
séance en exécutant un morceau d'Auber.
Les membres nouvellement élus pour former le Bureau central
de la Société, du mois de mai -18G6 au mois de mai 1867, sont ins-
tallés dans l'ordre suivant :
Président : M. le marquis Ad. de Pontécoulant ;
Vice-président: M. A. Carro, père;
Secrétaire-général : M. Th. Lhuillier ;
Trésorier: M. Courtois;
Archiviste: M. Lemaire.
Membres de la Commission du Bulletin :
MM. Brunet de Presle, de l'Institut;
Le comte P. de Ghampagny ;
Le comte Eug. de Fontaine de Resbecq ;
Le vicomte de Ponton d'Amécourt.
Membres de la Commission des Finances:
MM. Eymard,
Cautiiion,
de Gorny
M. Maxime Beanvilliurs, l'un des Secrétaires do la Section de
Fontainebleau, adresse au Président les paroles suivantes, au sujet
de la médaille d'or qu'ont voulu lui offrir les auditeurs de ses
conférences pendant l'hiver dernier, ainsi qu'un grand nombre de
Sociétaires :
« Monsieur le Marquis,
» En m'accordant pour un moment la parole, permettez-moi,
dès l'ouverture de cette séance, de vous féliciter de votre réélec-
tion.
» Par la confirmation de vos pouvoirs, cher Président et ami,
la Société d'Archéologie de Seine-et-Marne, a voulu vous donner
une preuve toute particulière de son dévouement et de son affec-
tion.
» Aujourd'hui, vous allez recevoir, en séance solennelle, la mé-
daille qui vous est offerte à titre de reconnaissance, tant par divers
membres de la Société que vous avez si puissamment contribué à
fonder et à consolider, que par les auditeurs des conférences gra-
tuites, faites et multipliées par vous aux diverses extrémités du
département.
» Vous aviez cru devoir réserver à l'initiateur d'une souscription
dont le succès a dépassé toutes ses espérances, la satisfaction de
vous remettre lui-même cette médaille.
» Laissez-moi, Monsieur le Marquis, décliner cet honneur. Je
ne suis que l'un des producteurs et l'un des travailleurs les plus
zélés de notre Compagnie. Il me manque, sinon l'âge, du moins
l'autorité nécessaire en pareille circonstance.
» Je prie donc, au nom de tous les souscripteurs, M. le Sous-
préfet de l'arrondissement de Meaux de vous faire la remise de
cette médaille qui rappellera les incontestables services rendus
par vous à la science archéologique et à l'œuvre des conférences
publiques.
» Fidèle observateur des traditions de votre famille, vous aurez
un souvenir de plus à inscrire dans les annales de votre vieille
maison, qui a toujours tenu à honneur de se distinguer doublement
par la plume et par l'épée. »
En recevant des mains de M. le Sous-préfet la médaille qui lui
est offerte, M. le Marquis de Pontécoulant a remercié à peu près
en ces termes :
(( Les expressions me font défaut pour vous dire les senti-
ments de gratitudo que j'éprouve au témoignage d'intérêt que
vous me présentez au nom de mes confrères et de mes auditeurs
et qui gagne encore à m'être transmis par M. le Sous-préfet.
» Mais je me demande ce que représente ce témoignage? Ce ne
peut être un encouragement, à mon âge on n'en reçoit plus. Ce
n'est pas non plus le prix de mon savoir, car je reconnais mon
incapacité ; je ne puis donc voir, dans ce don, qu'une fleur que
l'on veut bien placer par anticipation sur mon tombeau. Je vous
avoue, Messieurs, que je suis fort heureux de ne pas laisser à mes
héritiers, le soin de vous en remercier. »
Puis il a prononcé le discours suivant :
(( Permettez-moi , Messieurs, en ouvrant cette séance , de vous
exprimer combien je suis fier, combien je me sens touché delà
marque d'estime que vous voulez bien me donner en m'appelant,
pour la seconde fois, h l'honneur de présider la Société d'Archéo-
logie, Sciences, Lettres et Arts de Seine-et-Marne.
» Je profite de cette occasion qui réunit des représentants de
toutes les Sections, pour les prier d'offrir à mes confrères mes
bien vifs remercîments. Le passé, Messieurs, répond de l'avenir :
j'ai fait pour la Société et pour les Conférences tout ce que j'ai
pu, et je n'ai qu'un regret, c'est celui de n'avoir pu faire davan-
tage.
» J'aurais dû, peut-être, avoir conscience de ma faiblesse et dé-
cliner l'insigne honneur que vous me décernez aujourd'hui; s'il n'en
a pas été ainsi, c'est que, je vous l'avoue. Messieurs, votre choix a
été pour moi si flatteur que j'ai cédé, malgré la profonde conviction
de mon insuffisance, à l'orgueil de vous diriger encore et de vous
maintenir dans la voie que vous avez d('jà si dignement parcou-
rue, espérant, en déployant le môme zèle et le même dévouement
que pur le passé, me rendre digne de votre honorable confiance.
Ce qui m'a encouragé dans cette détermination, c'est la pensée
que vous aussi. Messieurs, quand vous avez daigné jeter, pour la
seconde fois, les yeux siu^ moi et oublier en ma llivinu' le nom de
tant d'hommes éruditsqui brillent dans vos rangs, que vous aussi,
dis-je, avez dû croire que l'amour de la science et qu'un dévoue-
ment sans borne àla prospérité de notre jeune association pouvaient
tenir lieu de savoir. Telles sont, mes chers Confrères, les considé-
i-ations qui m'ont encouragé à accepter l'honneur que vous voulez
bien me faire; ce sont elles encore qui me soutiendront dans le
cours de mes fonctions et qui, en me rappelant les conditions de
votre confiance, me retraceront sans cesse l'étendue de mes
devoirs.
» Ces devoirs pourront parfois devenir difficiles, fatigants, pé-
nibles même, mais veuillez en être persuadés, jamais votre Prési-
dent ne faillira à leur exigence. Et d'ailleurs, pour m'aider à
remplir les obligations qui me sont imposées, j'ai près de moi
votre Comité central dont tous les membres sont connus de chacun
de vous, par leur mérite éminent et par un zèle ardent et éprouvé.
» Comptant donc sur le concours de leurs lumières et m'appuyant
sur leur expérience et leurs conseils, je me sentirai plus fort pour
la tâche qui m'est confiée. Assuré d'avance de votre indulgence
et de vos amitiés, j'espère pouvoir atteindre avec vous le but si
noble, si élevé, que vous avez eu en vue en fondant, il y a deux
ans, la Société d'Archéologie, Sciences, Lettres et Arts du dépar-
tement.
» Puisque votre pensée, mes chers Confrères, se trouve reportée
vers le principe et le but de notre association, permettez-moi de
m'y arrêter un instant pour examiner et définir en quelques mots,
en présence de ces honorables auditeurs qui ne les connaissent pas
encore , la portée et l'utilité des travaux qui sont l'objet de vos
études et de vos méditations.
» Je ne m'arrêterai pas ici, croyez-le bien, à vous signaler les
avantages sans nombre qui s'attachent à l'existence des associations
scientifiques ou littéraires, car ces avantages ne sont contestés que
par quelques esprits chagrins, qui n'aperçoivent jamais, même
dans les beaux ouvrages de l'homme ou de la nature, que les
taches, que les erreurs ou les imperfections, comme si l'imperfec-
tion et l'erreur n'étaient pas inhérentes à tout ce qui est l'homme
ou tient de l'homme. L'histoire des principaux corps savants et
l'exposition des services qu'ils ont rendus, fourniraient une foule
d'arguments à opposer à leurs détracteurs. Mais la meilleure
réponse à faire à ceux qui nient le mouvement, c'est de marcher
devant eux : c'est celle que, depuis des siècles, l'humanité fait à
ceux qui contestent le progrès; c'est celle-là aussi, Messieurs, que
vous préférez : c'est par vos travaux que vous répondez à ceux qui
semblent douter de vos aptitudes.
«D'ailleurs, en dehors de tous les arguments tirés de l'histoire
des sciences, il est un fait bien remarquable, fait qui caractérise
spécialement notre époque et qui conclut d'une manière décisive
en faveur de ces institutions; c'est cette tendance d'association qui
— 8 —
éclate aujourd'hui chez tous les peuples civilisés, et qui se mani-
feste aussi bien dans le domaine du travail matériel que dans celui
du travail purement intellectuel. Partout, en effet, on voit s'élever
de pareilles associations et leurs relations se multiplier en raison
du progrès des sciences et des arts. Cette tendance ne serait-
elle qu'une espèce de hasard, de caprice, un de ces phénomiènes
passagers qui ne tiennent à rien, ni dans le passé, ni dans l'ave-
nir, que la mode a fait naître et qui disparaissent avec elle?
Je ne saurais admettre cette idée, et je crois au contraire que ce
fait constitue un dss mouvements les plus rationels de l'activité
humaine.
» A mesure qu'une science va s'étendant, se divisant et se subdi-
visant, il devient toujours plus difficile et bientôt même impossible
pour l'individu d'embrasser, par sa seule intelligence, toutes ses
ramifications. Alors, chacun de ses rameaux vigoureux devient
l'objet de méditations particulières et d'études spéciales. Mais
le besoin de réunion se fait sentir; le travail commun, le tra-
vail social devient une nécessité pour refaire, pour reconstruire,
en quelque sorte, le grand corps de la science, décomposé par
l'analyse individuelle. C'est ainsi, qu'il me soit permis de faire ici
ce rapprochement , que dans l'ordre scientifique et littéraire
comme dans l'ordre industriel, les progrès même de la civilisa-
tion, ramènent aujourd'hui l'humanité à cette loi conservatrice
d'association, si puissante au moyen-âge et dont elle semblait s'être
momentanément séparée.
» Vous n'avez donc fait, mes chers Confrères, qu'obéir à un
grand besoin de notre époque, quand vous avez résolu de mettre
en commun vos efforts et vos lumières, de rapprocher vos intelli-
gences et vos cœurs pour l'étude de ces lettres que vous aimez tous
avec ardeur; de ces arts que la plupart d'entre vous pratiquent
avec succès; de l'archéologie, cette belle et vaste science que vous
cultivez avec tant d'intérêt.
» Vous avez donc rendu, Messieurs, un service signalé au dé-
partement, le jour où vous avez fait appel h tous ces hommes labo-
rieux qui fouillent avec ardeur les décombres épars sur le sol, qui
secouent la poussière des archives pour y rencontrer les traces du
passé, pour en rechercher les débris et réédifier pour ainsi dire
les monuments des temps qui ne sont plus, pour raviver de leur
talent les souvenirs fastes ou néfastes des siècles qui nous ont pré-
cédés
» L'histoire, Messieurs, vous aura de grandes obligations, car
— 9 —
c'est surtout pour elle que vous travaillez, que vous recueillez,
que vous préparez ces précieux matériaux qu'elle recevra de vos
mains, contrôlés, éprouvés par une sage critique. Aussi, pour satis-
faire à cette partie de votre mission, vous portez vos regards scru-
tateurs surtout ce qui se rattache au passé si intéressant de notre
département : histoire, coutumes, légendes, proverbes, poésie, chants,
tableaux, monuments, inscriptions, tombeaux, etc. : tout est de votre
domaine et subit vos investigations.
» Mais ce qui vous distingue surtout, Messiours, des autres
sociétés savantes et littéraires créées dans ce département, c'est
votre ardeur à seconder, à encourager cette réaction moderne de
respect et de vénération [;our ce qui vient de nos ancêtres, réaction
généreuse qui fait honneur à l'esprit réparateur de notre époque,
mais qu'il ne faut pas laisser livrée à elle-même, car elle a besoin
d'être sans cesse éclairée et dirigée.
» Ce respect des choses belles et saintes, que notre Société est
appelée à inspirer, fera que l'on ne verra plus, comme nous en
avons été souvent témoins, fouler aux pieds les restes d'un grand
homme, ou briser, pour en faire des dalles, la pierre de son tom-
beau. Eclairée par vos travaux, par vos instructions, par vos con-
seils, la génération nouvelle, animée du véritable amour du pro-
grès, jettera un regard en arrière. Elle comprendra que nos
ancêtres ont fait de grandes et belles choses dont il importe de
garder la mémoire. Elle comprendra également que tout ne doit
pas tomber sous la pioche du démolisseur. Cette génération sen-
tira qu'elle doit à un passé glorieux les mêmes respects qu'elle
demandera un jour, du fond de son sépulcre, à ses arrière-neveux.
Elle saura surtout que si c'est un devoir pour l'humanité d'élever
de nouveaux temples, c'est un devoir également pour elle de sou-
tenir ceux qui sont encore debout et d'en étayer les colonnes
prêtes à s'écrouler.
» Par votre aide, enfin, mes chers Confrères, l'esprit de nos
campagnes se formera, se développera, s'agrandira en raison de
l'estime que le peuple saura accorder et conserver pour ce qu'il y
a de beau dans le passé, pour tout ce qui a distingué les nations
précédemment établies sur le sol natal.
» Vous aurez donc des droits à la reconnaissance du mora-
liste comme à celle du savant. Et cette étude si consciencieuse
de nos vieux temples, à laquelle vous vous livrez avec tant d'ar-
deur, ne sera puS un moindre titre aux yeux du pays et surtout
à ccQX des amis des arts, car l'art, dans le département de Seine-
— 10 —
et-Marne, est essentiellement religieux; ses plus beaux monu-
ments sont l'expression d'une pensée pieuse, la matérialisation
imposante d'une aspiration de l'homme vers la divinité; et,
vous le savez, par le style comme par la pensée, l'art religieux
sera toujours le type le plus noble et le plus pur de la véritable
grandeur.
» Ainsi donc : du point de vue artistique et monumental comme
du point de vue historique, vos travaux sont avant tout la réalisa-
tion d'une pensée morale et généreuse; puissent-ils devenir un
jour un monument dont aient à s'enorgueillir la science et le pays!
» Vous le voyez, chers Confrères, votre mission est grande et
belle. En vous l'imposant, vous avez eu la conscience de vos forces
et le sentiment du bien que vous êtes appelés à produire. De
toutes parts ont éclaté les plus vives sympathies pour vos efforts.
Vous voyez à chacune de nos réunions les hommes les plus émi-
nents par leurs noms, par leur savoir, par leurs talents, par leur
position, répondre avec empressement à votre appel et s'associer à
vos travaux; qu'ils reçoivent les remercîments de la Société pour
l'honneur qu'ils lui font de vouloir bien assister aujourd'hui à cette
séance.
» Vous avez décidé. Messieurs, qu'un Répertoire historique et
archéologique du département serait dressé et rédigé par les soins
de la Société. Pour obtenir sur chaque commune le plus de rensei-
gnements possible, vous vous êtes adressés à différentes personnes
et particulièrement à MM. les instituteurs, en leur faisant par-
venir un questionnaire. Afin d'exciter leur zèle à y répondre, un
membre de la Société a offert une médaille d'or et une de vermeil
pour récompenser les auteurs des deux meilleurs travaux. Ces
prix devaient être distribués dans cette séance, mais le petit nom-
bre de questionnaires retournés jusqu'à présent force la Société à
reculer d'une année le terme d'abord fixé. Voulant cependant re-
connaître le zèle des premiers travailleurs, la Société, tout en
réservant leurs droits au concours ouvert, croit devoir offrir
une médaille d"encouragemont à MM. le corale de Lélourville,
maire de Pontault; Giot, cultivateur à Chevry-Gossigny ; Droui-
ncau, de Lizy-sur-Ourcq ; lladidcau, instituteur à Saint-Martin-
en-Bierre; Lhioreau, instituteur à, Moisenay; Gouère, instituteur
à Gretz ; Sarazin, instituteur au Plessis-'Placy; Dubois, insti-
tuteur à Coulommes; Leclcre, instituteur à Augers; Boutillier,
instituteur à Guérard; Flon, instituteur aux Chapelles-Bourbon,
et Baussant, instituteur h La Chapelle-Iger.
— 11 —
» Au dehors, Messieurs, votre voix a été entendue, vos travaux,
vos recherches ont eu du retentissement; déjà on vient de diffé-
rents côtés vous signaler des épaves ignorées ou retrouvées. Ces
témoignages d'intérêt, ce recours à votre savoir sont la meilleure
preuve que vous avez été compris et que l'on a confiance en vos
lumières. La Société doit et adresse des remercîments à toutes les
personnes qui lui ont donné preuve de bon vouloir par lears inté-
ressantes communications; la liste, en tête de laquelle figure
M. le baron de Lassus St-Geniès, qui porte à la Société un vif in-
térêt, serait trop longue à citer (1).
» Votre début, Messieurs, est trop heureux, la route h parcourir
est trop belle et votre dévouement trop réel, trop sincère, pour
n'être pas certain des brillantes destinées que l'avenir réserve à
notre jeune association. Mais n'oublions pas qu'en toute chose, ici-
bas, le travail est la première, la plus rigoureuse condition de
l'existence et du succès. Travaillons donc, et surtout ne remettons
que le plus rarement possible au lendemain ce que nous voudrions
faire aujourd'hui; songeons sans cesse que le temps et la mort
nous talonnent.
))Je suis fâché. Messieurs, de vous rappeler dans ce jour mémo-
rable pour vous, des idées tristes, et de remplir ici l'emploi de cet
esclave romain qui, accompagnant le char du triomphateur, lui
criait de temps à autre : Souviens-toi que tu es homme! Mais c'est
un devoir pour moi de vous signaler les pertes éprouvées par la
Société.
» La section de Coulommiers a fait une perte regrettable dans
la personne de M. Montagne, membre de l'Institut, et dans celle
de M. Mauger, juge de paix.
» La mort est venue frapper à Fontainebleau, M. Colbrandt.
» Meaux et Melun n'ont heureusement aucun membre à regretter.
)) Mais de toutes nos sections la plus éprouvée est celle de Pro-
vins, qui a perdu cinq de ses membres dans l'espace de six mois :
M. Meunier, maire de Provins; M. Marin, architecte de la même
ville; M. le comte de Saint-Chamans, M. Muret et M. V. Juin.
» Je viens de vous rappeler les personnes qui ne sont plus, don-
nons-leur un souvenir et un regret, car elles furent des premières
à venir prendre place dans nos rangs. Plusieurs d'entre elles
avaient promis, avaient annoncé des travaux à leurs Sections, et
(1) Voir le compte-rendu des travaux, lu par le Secrétaire-général à la séance
publique de Meaux, et inséré ci-après.
— 12 —
leurs papiers prouvent que leurs promesses n'étaient pas vaines;
elles avaient déjà ensemencé le champ, elles se préparaient à en
réunir les fruits quand la mort, cette moissonneuse aveugle, im-
pitoyable, est venue enlever à la fois le laboureur et sa récolte.
» Un de nos éminents confrères manque aujourd'hui au ren-
dez-vous, c'est la première fois que nous nous trouvons privés
de sa présence. Il avait trouvé, vous le savez, dans ses travaux
scientifiques leurs récompenses naturelles : au dedans la paix de
l'âme, au dehors la considération jointe à la renommée. Mais
Dieu lui avait réservé une bien douloureuse épreuve, la mort
d'un fils à peine âgé de dix-neuf ans, qui, pour la bonté, la mo-
destie et le savoir, marchait à grands pas sur les traces de son
père. Je crois devoir témoigner publiquement, au nom de la
Société, à Monsieur Brunet de Presle, notre estimé confrère, la
part que nous prenons tous à la perte qu'il vient d'éprouver, ainsi
que nos vifs regrets au souvenir de cette jeune vie qui vient de
s'éteindre tout h coup au milieu des plus belles espérances, sans
avoir encore engagé le combat ni subi aucun mécompte.
') Vous avez été étonnés sans doute, mes chers Confrères, de
voir la seconde place du Bureau de la Société occupée aujourd'hui
par une autre personne que celle que vous étiez habitués à y aper-
cevoir depuis sa création. Notre honorable confrère M. Félix Bour-
quelot, par des raisons de santé seulement, a refusé toute espèce
de candidature. S'il abandonne les fonctions de la vice-présidence,
M. Félix Bourquelot nous a promis du moins de nous continuer
ses bienveillants conseils et de nous faire participer à ses précieux
travaux. Nous avons respecté les désirs de notre confrère ; nous
n'avons pas voulu que la santé de M. Bourquelot eût à souffrir des
exigences de notre Société, car c'eût été faire un vol à la science
qu'il sait enrichir chaque jour. Nous devons des remercîments à
notre honorable Confrère pour les soins et tout le temps qu'il a
consacrés à l'organisation de la Société dont il a été un des douze
premiers créateurs, et pour tous les conseils dont il a constam-
ment entouré votre Président. C'est une dette, Messieurs, que
nous avons contractée envers M. Bourquelot, et comme les dettes
de reconnaissance sont les plus sacrées, je demande que pour y
satisfaire nous proclamions, séance tenante, M. Félix Bourquelot
vice-président honoraire de la Société (1).
(1) Cette nomination a été ralifiée par l'acclamation unanime do tous les membre?
présents, à la séance administrative.
— i3 —
» Nos dettes et de reconnaissance et de souvenirs acquittées, je
termine en vous disant : je compte sur vous, mes chers Confrères,
et veuillez compter sur moi. Je suis trop fier de vos suffrages pour
ne pas consacrer avec zèle et avec bonheur tout ce qu'il peut y
avoir en moi de force et de dévouement, à la réalisation de nos
communes espérances. Ma récompense sera bien douce si je puis
dire en me joignant à vous, mes chers Confrères : Nous aussi,
nous avons coopéré aux progrès des sciences, aux progrès des
lettres et des arts; nous aussi avons été utiles à nos concitoyens,
et nous aussi, nous avons contribué à la gloire du département.»
Après ce discours couvert d'applaudissements, le Secrétaire-
général rend compte des travaux de la Société pendant l'année
1865-1866; en résumant l'œuvre commune, il démontre l'activité
des Sections, activité féconde qui peut étonner chez quelques-unes,
et qui pourtant, il faut l'espérer, ne se démentira pas dans l'a-
venir.
M. Lhuillier proclame aussi les noms des douze personnes étran-
gères à la Société, qui ont fourni jusqu'à présent les renseigne-
ments écrits les plus utiles sur diverses communes, en réponse
au questionnaire répandu pour parvenir à la rédaction d'un Ré-
pertoire historique et archéologique de Seine-et-Marne. Un Socié-
taire ayant voulu, pour encourager ces communications, en dehors
du concours ouvert pour le même objet jusqu'au mois de mai 1867,
que des médailles de remercîment fussent décernées dès à présent
aux douze auteurs de ces premiers renseignements, elles sont
acquises h MM. le comte de Létourville, maire de Pontault ;
Drouineau, propriétaire à Lizy ; Giot, cultivateur à Ghevry-
Cossigny ; Gouère, instituteur à Gretz ; Lhioreau, instituteur à
Moisenay; Radideau, instituteur à Saint-Martin-en-Bierre; Flon,
instituteur aux Chapelles-Bourbon ; Boutillier, instituteur à
Guérard ; Baussant, instituteur à La Chapelle-Iger ; Leclère,
instituteur à Angers ; Sarazin, instituteur au Plessis-Placy, et
Dubois, instituteur à Coulorames.
Plusieurs médailles sont décernées immédiatement à celles de
ces personjies qui assistent à la séance ; les autres seront remises
par les soins des Présidents de Sections.
M. Carro, vice-président de la Société, prononce quelques pa-
roles pour encourager les communications archéologiques et pour
démontrer tout l'intérêt que peuvent offrir parfois les plus mo-
destes renseignements. Il cite, h ce propos, le précieux collier
— \l _
antique, signalé par M. Plicque, maire de Vigncly, et qui, formé
de simples fragments de coquillages, n'en excite pas moins en ce
moment l'intérêt des plus savants archéologues.
La parole est accordée ensuite à M. Max. Beauvilliers (de la
Section de Fontainebleau), qui lit une notice sur des autographes
de Henri IV et de Louis XIV, conservés aux archives de l'hôpital
du Mont-Perreux à Fontainebleau ; il expose la cause première
de la faveur dont jouît autrefois la famille de Béringhein, et re-
lève, d'après l'un de ces autographes, une erreur reproduite dans
diverses monographies, au sujet du fondateur de l'hôpital du
Mont-Perreux.
M. Garro, — au nom de M. Domet, membre de la Section de Fon-
tainebleau, qui n'a pu se rendre à la réunion, — donne lecture
d'un mémoire historique sur les Capitaineries des chasses.
Dans une notice sur un Concours musical au xvii° siècle,
M. Torchet, de Meaux, présente le résultat de curieuses re-
cherches au sujet de deux maîtres de chapelle de cette ville, con-
temporains de Louis XIV et de Bossuet.
M. Victor Plessier (de la Section de Coulommiers), dans une
étude archéologique, a fait connaître, avec les légendes qui s'y
rattachent, une pierre celtique située près de Beautheil, et connue
dans le pays sous le nom de Pignon de Saînte-Aubierge.
Enfin, M. l'abbé Denis (de la Section de Meaux) rappelle
d'intéressantes peintures décoratives, qui ornaient l'ancienne cha-
pelle Notre-Dame-du-Chevet, dans la Cathédrale de Meaux, au-
jourd'hui reconstruite.
Avec ces lectures, vivement applaudies, a alterné l'excellente
exécution de morceaux de musique qui n'ont pas peu contribué
au charme de la séance. Un air varié de Bériot et un Concerto de
Vieutemps ont été rendus avec un talent remarquable, sur le
violon, par M. Lamoury. M. Perrier, ténor-solo de l'église Saint-
Eustache de Paris, a délicieusement interprété deux mélodies de
Quidant et de Gounod {Ma barque et le Vallon). Des artistes et
amateurs émérites ont accompagné la 1'''= partie du Concerto en la
mineur, de Hummel, pour piano, qui a été parfaitement exécutée
par Mme Jules Garro. Enfin, un air varié, par un habile clari-
nettiste des Lanciers de la Garde, M. Gibert, a fort agréablement
terminé la série des lectures et des morceaux de musique.
M. le président ayant exprimé les remercîments de la Société
aux artistes et aux auditeurs, la Séance est levée à ciiKi heures.
— 15 —
COMITÉ CENTRAL.
EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 16 AVRIL 1866.
Présidence de M. BOURQUELOT, vice-président.
La Commission nommée par le Comité central, pour étudier le
meilleur mode à suivre dans la distribution des médailles d'encou-
ragement à l'étude de l'Histoire nationale, s'est réunie, à une
heure après midi, sous la présidence de M. Bourquelot.
Étaient présents :
MM. Bayard, Fournials, Hautôme, vicomte de Ponton d'Amé-
court, Thibault; M. Brunet de Presle s'est excusé par une lettre
de ne pouvoir pas assister à la séance. M. Lhuillier s'est égale-
ment excusé.
M. le Président donne lecture d'une lettre de M. Fournials,
principal du collège de Melun, dans laquelle il demande que la
médaille attribuée à chaque collège par la Société d'Archéologie,
Sciences, Lettres et Arts, ne soit pas réservée pour le cours d'his-
toire de la classe la plus avancée, mais qu'elle soit accordée au
cours dans lequel les élèves se seront le plus distingués par leur
zèle et leurs progrès.
Après délibération, et considérant surtout qu'il serait assez
difficile de comparer d'une manière exacte les résultats de cours
dont les programmes ne sont pas les mêmes, et qui sont faits
souvent par divers professeurs, la Commission est d'avis que
la médaille, comme l'année dernière, soit décernée à l'élève qui
aura obtenu le prix d'histoire dans la classe la plus avancée.
M, le Président de la Société d'Archéologie ayant fait pressen-
tir que les ressources pourraient ne pas permettre de continuer
d'accorder tous les ans une médaille à chaque collège, exprime
l'avis que la Société pourrait se borner à une seule médaille,
donnée successivement à chacun d'eux; la Commission est una-
nime pour prier M. le Président de prendre des mesures afin de
continuer le don annuel d'une médaille par collège, dùt-on, par
économie, substituer L; bronze à l'argent.
— IG —
PROCÈS-YERBAUX DES SECTIONS,
SECTION DE CQULOMMIERS.
SÉANCE DU 25 FÉVRIER 1866.
Présidence de M. Anatole DAUVERGNE.
L'an 1866, le dimanche 25 février, à deux heures et demie, la
Section de Coulommiers de la Société archéogique de Seine-et-
Marne, se réunit dans une des salles de l'Hôtel-de-ville, en con-
formité de l'article 4 de son règlement, sous la présidence de
M. Anatole Dauvergne. Sont présents : MM. Josseau, député;
Despommiers, membre du conseil général; Ludovic de Maussion,
maire de Coulommiers; Ad. Bayard, maire de Maisoncelles;
Chemin, maire de Saints; le marquis de Varennes; Edmond
Marc; Liénard, de Mortcerf ; V. Plessier, de La Ferté-Gaucher;
Flamand, de Rebais; P. Lefèvre, des Aulnois; Fernand Ogier
de Baulny, vice-secrétaire, qui tient la plume en l'absence de
M. Adam, empêché pour cause de maladie.
Après l'adoption du procès-verbal de la précédente séance, M. le
président donne lecture de la correspondance. Deux membres de
la Section donnent leur démission : M. Manger, juge de paix du
canton de Coulommiers, se regardant comme un membre inutile;
M. Mie, purement et simplement, sans indiquer la cause de sa
démission. Ces deux démissions sont acceptées. — M. Leloup, de
La Houssaye, adresse au président et aux membres de la Section
une longue lettre pour réclamer contre un article des statuts que
la Section n'a pas mission do modifier.
M. le comte de Courcy, président de la Société d'agriculture et
membre de la Section, on adressant ses excuses de ne pouvoir as-
sister à la séance, a bien voulu joindre à sa lettre plusieurs mé-
dailles et monnaies qui seront déposées au musée de l'arrondisse-
ment : 1° Unécud'orde François 1", à la Salamandre; 2" un franc
— 17 -
d'argent de Henri III; 3" un gros sol parisis ; 4° un denier
d'Edouard d'Angleterre, Givitas London; 5" un Gordien III en
argent; 6° un beau bronze de Domitien; — ces deux dernières
trouvées à Ostie, près de Rome. Les autres ont été rencontrées
dans des démolitions à Nesles-la-Gilberde, près de Rozoy. M. le
Président est invité à adresser à M. de Courcy l'expression de la
gratitude de la Section , à l'occasion de cet envoi intéressant.
M. V. Plessier dépose sur le bureau pour le musée de Goulom-
miers : i° un fragment de flèche ou de couteau celtique en silex;
2" une monnaie d'argent de Gordien III et deux moules en terre
de pièces romaines, provenant des fouilles faites dans plusieurs
puits de Châteaubleau, sous la direction de M. Burin, instituteur
à Saint-Just, et aux frais de M. Teyssier des Farges, membre de
la Société d'archéologie (section de Provins). Ces objets précieux
intéressent vivement la Section, qui félicite M. V. Plessier d'a-
voir bien voulu les lui faire connaître.
M. le Président annonce que M. Teyssier des Farges est dans
l'intention d'offrir à chaque Section de la Société d'archéologie
un certain nombre de ces moules. Au mois de septembre 1866
de nouvelles fouilles doivent être entreprises dans les puits de
Châteaubleau en présence de plusieurs niembres de la Société
d'archéologie, et il est permis d'espérer de nouvelles découvertes
sur ce territoire déjà si fécond.
M. Flamand, de Rebais, communique un manuscrit en par-
chemin découvert dans la commune de Saint- Barthélémy- en
Beaulieu. C'est un obituaire ou nécrologe datant de la fin du
xvi^ siècle. Ce registre sera examiné par M. Anatole Dauvergne.
Il est procédé à l'élection de deux membres présentés par
MM. Despomraiers,le marquis de Varennes et Anatole Dauvergne :
MM. Eugène Liénard, percepteur des contributions directes à
Saint-Ouen, canton de Rebais, et Eugène Liébert, archiviste au
château de La Grange-Bléneau, canton de Rozoy. Leur admission
est prononcée à l'unanimité des membres présents , moins une
voix.
M. Brayer, instituteur communal à Boissy-le-Ghâtel , envoie à
la Section pour la collection d'autographes de la Bibliothèque pu-
blique de Goulommiers, un brevet sur parchemin donné à U7i (aille-
basse de sa musique par Philippe d'Orléans, frère de Louis XIV.
Ce document est curieux à plus d'un titre. Des remercîments se-
ront adressés à M. Brayer, qui se montre l'un de nos plus zélés
correspondants.
2
— 18 —
Dans l'une de ses dernières séances, plusieurs membres de la
Section de Melun ont présenté , pour faire partie de la Société
d'archéologie, des dames ayant acquis une certaine notoriété dans
les sciences ou dans les arts. Après discussion, la proposition a
été renvoyée au Comité central pour l'interprétation de l'article l*""
des statuts généraux, mais le Comité central n'avait pas cette com-
pétence : la Section de Coulommiers consultée, repousse à l'una-
nimité des membres présents la proposition qui lui est soumise.
M. Victor Plessier lit une note intitulée : Bossue^ parrain d
Bannost. Ce travail est renvoyé à la Commission du bulletin.
Il est ensuite donné lecture de trois notices, ou plutôt de ré-
ponses au questionnaire adressé à tous les instituteurs du dépar-
tement, sur l'histoire des communes auxquelles ils sont attachés.
MM. Boutillier , de Guérard ; Pion, des Chapelles-Bourbon, et
Beaussant , de La Chapelle-Iger, ont produit des renseignements
intéresssants qui apporteront un secours des plus utiles à la com-
position du Dictionnaire historique et archéologique de notre dé-
partement. La Section n'ayant, pour le présent, aucun moyen
de récompenser le zèle de ces honorables correspondants , prie
M. le Président de leur adresser des félicitations, avec mention
spéciale du procès-verbal de la séance.
M. le marquis de Varennes propose l'acquisition par la Section
d'une carte de l'arrondissement de Coulommmiers (celle dite du
dépôt de la Guerre), destinée à noter les objets d'art ou d'anti-
quité découverts sur le territoire. En fixant ainsi et de la ma-
nière la plus certaine les lieux , les circonstances particulières à
chaque trouvaille , on éviterait bien des erreurs aux archéologues
futurs , et l'on rendrait plus faciles les recherches de monuments
appartenant à une même région. Une entière adhésion est donnée
à cette proposition qui sera communiquée aux autres Sections de
la Société d'archéologie.
M. le Président fait remarquer qu'il n'a reçu aucun renseigne-
ment à propos de la conservation d'une dalle tumulaire existant
dans l'ancienne commanderie de Chevru. Il déplore la destruction
des ruines de La Celle (Église du Prieuré) aujourd'hui définitive.
On ne verra plus désormais qu'un monceau de décombres qui
disparaîtra à son tour. Du fragment de tombe que plusieurs
membres de la Section espéraient conserver , on a réclamé
500 francs. La valeur vénale de cette pierre était de 15 francs
tout au plus; il n'y avait point à insister, is'éanmoins, ce souvenir
ne serj •pas tout à fuit perdu ; un estampage complet est déposé
— 19 —
au musée de Goulommiers , et il suffit ù l'étude de ce qui reste
de l'inscription.
En revanche, M. le Président se complaît à signaler h la Section
un acte gracieux d'un membre de la section de Meaux, M. Cinot,
propriétaire à Crécy. M. Cinot, voulant être agréable à la ville de
Goulommiers^ a adressé à M. Anatole Dauvergne une dalle de
marbre noir et de provenance inconnue, trouvée h Crécy, et sur
laquelle on avait lu le nom de Longueville. Un estampage de
l'inscription a démontré l'inexactitude de cette lecture. Il s'agit
d'un chevalier de Longvillies de Poincy, dont la famille, origi-
naire du Ponthieu, posséda la terre de Poincy. aux environs de
Meaux. D'après les renseignements fournis à M. Anatole Dau-
vergne par le savant historiographe du diocèse de Meaux, M. l'abbé
Denis, plusieurs personnages du nom de Poincy ont figuré, au
siècle dernier, parmi les chevaliers de Malte et les gouverneurs
des possessions françaises aux Antilles et en Amérique ; l'une des
femmes aurait .donné naissance à l'impératrice Marie-Françoise-
Joséphine Tascher de la Pagerie, première femme de Napoléon P^
Le fait mérite d'être étudié. Ce marbre sera offert pour la collec-
tion de l'hôtel de Gluny ; un estampage en restera déposé aux
archives de la Section de Coulômmiers.
La séance est levée à quatre heures et demie.
SÉANCE DU LUNDI 7 MAI 1866.
Présidence de M. Anatole DAUVERGNE.
L'an 1866, le lundi 7 mai, à deux heures et demie, la Section de
Coulômmiers de la Société d'Archéologie de Seine-et-Marne
s'est réunie en l'une des salles de l'hôtel-de-ville, en conformité de
l'article 4 du règlement de cette Section, sous la présidence de
M. Anatole Dauvergne. Étaient présents : MM. Chemin, maire
de Saints ; Edmond Marc, de Coulômmiers ; V. Plessier, de La
Ferté-Gaucher ; Maricot, notaire à Rozoy , le docteur Ernest
Delbet, de La Ferté-Gaucher; Fernand Ogier de Baulny, secré-
taire-adjoint. S'étaient fait excuser : MM. Ludovic de Maussion,
le comte Jules de Lasteyrie et Eugène Liébert.
Le secrétaire-adjoint donne lecture à la Section, du procès-
— 20 —
verbal de la dernière séance, qui est adopté sans discussion, et de
plusieurs lettres adressées à M. le Président :
\° Par M. l'abbé Huguenot, curé de Voinsles, demandant que,
lors de l'excursion prochaine de la Société, une visite soit faite
aux églises de Rozoy, Voinsles, Nesles et Bernay. Renvoi de cette
demande à la Commission spéciale chargée d'organiser cette pro-
menade archéologique ;
2" Par M. le comte Jules de Lasteyrie, insistant dans les termes
les plus gracieux pour la Société, afin d'ofîrir la visite au château
de la Grange et le déjeûner, demandant la permission, dans le
cas où les membres de la Société ne déjeûneraient pas à la
Grange, de les suivre où ils iraient pour passer quelque temps
avec eux. Renvoi à la Commission de l'excursion, et vifs remer-
cîments à M. de Lasteyrie;
3° Par M. Adam, secrétaire-trésorier de la Section, annonçant
que son état de maladie ne lui permet pas de continuer ses fonc-
tions, avec prière de pourvoir à son remplacement. La Section
demande à M. le Président de transmettre à AI. Adam, dont le
dévouement est bien connu, l'expression de ses regrets et de ses
sympathies.
M. Plessier lit une note intitulée : Bossuet parrain de la grosse
cloche de Saint-Martin-des-Champs et de celle de La Ferté-Gaucher
(fragment de Souvenirs inédits de Bossuet dans les paroisses de la
conférence de La Ferté-Gaucher). Ce travail consciencieux, que la
Commission du bulletin devra apprécier, constate principalement
les relations qui ont existé entre l'évoque de Meaux et la famille
du chancelier Michel Letellier. M. Plessier termine ainsi sa
notice :
{( En présentant dans leur ordre chronologique les faits connus
» de la liaison qui a existé entre les Letellier et Bossuet, notre
» but a été d'abord de faire ressortir les changements survenus
» dans leurs relations. Ensuite, nous avons espéré attacher i\ des
» événements de localité l'importance qui leur appartient réelle-
» ment, lorsqu'ils jettent quelque lumière sur une vie qui est du
» domaine de l'histoire.
» Les deux cloches n'existent plus : celle de La Ferté-Gaucher
» a péri en 1734, d'un coup de foudre qui renversa le clocher; on
» ignore quel a été le sort de celle de Saint-Martin, d
M, Chemin lit ensuite une note sur les sépultures trouvées près
du hameau d'Épieds, commune de Saints. Six squelettes ont été
rencontrés dans lu tranchiM.' laite pour rétublii' lu chemin vicin.il
— 21 —
qui conduit d'Épieds au hameau des Courrois. Tous (étaient placés
dans une môme direction, la tête regardant le levant, vers lequel
sont tournés les pieds. L'état fruste des ossements, complètement
desséchés, ne permet pas de croire à un cimetière improvisé, soit
lors de l'invasion de 1814, soit pendant les guerres du xiv" et du
xv*" siècles, dites des Lorrains. Mais aucun objet trouvé dans
le sol n'autorisait à déterminer l'âge de ces sépultures. En
fouillant, le 28 avril 1866, de concert avec M. Anatole Dauvergne,
quelques parties inexplorées de la berge d'un champ de luzerne,
M. Chemin a rencontré de nombreux fragments de tuiles plates
et à rebords, de fabrication ancienne. Plus de doute, ces sépul-
tures sont antiques. Le champ est situé sur le sommet du
plateau, à trois cents mètres environ du chemin paré qui va
de Chailly à Pommeuse. Mais quel était l'établissement, villa ou
poste militaire, qui longeait presque la voie ancienne? C'est ce
qu'il sera peut-être permis de connaître quand, à l'automne
prochain , on pourra entreprendre des fouilles régulières. La
Section félicite M. Chemin et demande le dépôt de sa note aux
archives, en attendant qu'il puisse la compléter par de nouveaux
renseignements.
M. le Président fait un rapport verbal sur le Martyrologe ou
Obituaire de la paroisse de Saint-Barthélemy-en-BeauIieu, pré-
senté à la Section par M. Flamand, de Rebais.
C'est un manuscrit, sur parchemin in-8°, contenant 90 feuillets,
qui ne mentionne aucun acte antérieur à 1595 et s'arrête au com-
mencement du xviii'^ siècle. Ce nécrologe, toujours intéressant
pour l'histoire des communes, présente à la marge gauche, à côté
des chiffres, tracés en vermillon de mauvaise qualité, des lettres
majuscules ornées, dessinées à l'encre, qui semblent appartenir à
une époque antérieure. Ces lettres, barbares comme celles des
manuscrits des ix* et x'' siècles, sont remplies de figures gro-
tesques, plus ou moins coiffées, la bouche ouverte, montrant les
dents et tirant la langue. Il est prorbable que le calligraphe-dessi-
nateur s'est inspiré de modèles plus anciens, qu'il a interprétés
avec un sentiment personnel.
MM. Ernest Delbet et Victor Plessier font remarquer que les
Obituaires manuscrits peuvent provenir d'une fabrication spé-
ciale, d'une industrie organisée pour fournir ces registres, en
quelque sorte obligatoires. Leur similitude , malgré quelques
variantes, autorise cette supposition; il est peu probable que
chaque église ait possédé un calligraphe ecclésiastique ou laïque
— 22 —
capable d'exécutei' ce travail, qui n'est point dépourvu d'art.
Cette hypothèse est confirmée par l'examen d'un registre de
même nature, adressé par M. Carbonnier, ancien maire d'Aulnoy
et membre de la Section, qui présente des chiffres semblables à
ceux de l'Obituaire de Saint-Barthélémy. Les lettres majuscules
sont plus simples dans le Martirologe de l'église parrochialle de
Nostre-Dame d'Aulnoy^ au diocèse de Meaux. Également en par-
chemin, il contient 44 feuillets de 0"3o de hauteur, et de 0" 23 en
largeur. La plus amcienne mention porte la date de 1446; toutes
celles qui y ont été inscrites au xvi" siècle sont de la même main,
et le formulaire ne varie pas :
« Nous ferons le service de feu Jehan qui a laissé à la
» fabrique et marguilerie de céant solz de rente à prendre etc.
)) à la charge que les marguiliers feront faire, direct célébrer, cha-
)) cun an, en ladicte église une messe (basse ou haulte), et pour
» offrir pain, vin, chandelle, pour le salut et remède de l'âme
» dudict defPunct, etc. »
Parmi les donateurs, on^ trouve : Bernard Dernier^ tabellion à
Coulommiers, en 1447; Jehan Chabert , en 1519; Jean Bobé ^
marchand à Coulommiers, en 1333.
Le résumé des revenus de l'église d'Aulnoy constate qu'elle
possédait au milieu du siècle dernier : 1° 22 arpents 20 perches
de terres labourables; 2° 6 arpents 2 perches de pré; 3° une
masure, un jardin et une partie de pré ; 4" un muid plus un septier
de froment ; et 3° 56 livres 18 sols de rente.
M. Anatole Dauvergne présente à la Section : 1° trois monnaies
romaines en potin offertes au musée de Coulommiers, par M. Fré-
noy, instituteur communal à Neufmoutier ; 2° une carte de l'élec-
tion de Coulommiers au xvni'^ siècle, donnée par M. Achille Viré,
clerc d'avoué à Coulommiers. Un gisement considérable de mé-
dailles, qu'on évalue à plus de quinze cents pièces, a été rencontré
sur le territoire de la commune de Neufmoutier. Remercîments
à M. Frénoy qui promet un envoi plus considérable de ces mon-
naies;
M. Dauvergne communique les plans, coupes et élévation
de ranci(mne église priorale des Bénédictins de La Celle, exécutés
ï)ar M. Achille Viré avec un dévouement des plus louables. Ce
travail, composé de douze feuilles, devient précieux pour l'Iiistoire
du monument, totalement détruit aujourd'hui. La Section prie
AL le Président de féliciter vivement M. Viré pour cette très-inté-
ressante communication.
— sa-
line commission chargée d'étudier le programme de l'excur-
sion archéologique proposée pour le mois de juin prochain est
nommée; elle se compose de MM. Victor Plessier , président,
et le docteur Ernest Delbet, pour le canton de La Ferté-Gaucher;
Flamand pour celui de Rebais ; Maricot et Liébert pour celui
deRozoy, et pour la ville de Goulommiers , de MM. Anatole
Dauvergne et Fernand Ogier de Baulny.
Il est ensuite procédé à l'élection des membres du bureau central
de la Société d'archéologie, ainsi qu'à l'élection des membres du
bureau de la Section de Goulommiers, dont les résultats seront
proclamés à la réunion générale qui se tiendra à Meaux, le
21 mai 1866.
La séance est levée à cinq heures un quart.
SECTION DE FONTfllNEBLERU.
SÉANGE DU 26 FEVRIER 1866.
Présidence de M, Jules 1)A VI D.
La séance est ouverte à 2 heures.
Sont présents :
MM. David, Multigné, Gillet, Beauvilliers, le comte d'Erceville,
Marin-Darbel, Tabouret, Bourges et Ronsin.
Le procès-verbal de la dernière séance est adopté sans observa-
tion.
M. le Président fait à l'assemblée plusieurs communications ;
Il rappelle que dans la séance du 10 juin 1865, la Section de
Fontainebleau, comme toutes les autres Sections, avait décidé qu'on
ferait parvenir à MM. les curés et les instituteurs de l'arrondis-
sement, un questionnaire archéologique pouvant les mettre à
même de fournir des renseignements sur les richesses archéolo-
giques que leur offriraient les différentes localités qu'ils habitent.
Jusqu'ici aucune réponse n'est parvenue au bureau de la Section
qui a lieu de s'en étonner; après examen, il est reconnu que le
Gomité central ne s'étant point expliqué sur les moyens d'exécu-
tion, et n'ayant pas dit à quelle source financière devaient iiicom-
bep les frais d'impression de ce questionnaire archéologique, qu'il
était nécessaire d'adresser à toutes nos communes, il en est ré-
sulté que l'invitation du Comité central n'avait point eu de suite,
et, par conséquent, était restée sans effet.
Reste donc à prendre des informations nouvelles pour réaliser
le projet relatif au dictionnaire archéologique du département (1).
M. David donne lecture d'une lettre du Président de la
Société et du Comité central, demandant l'avis des Sections, sur la
possibilité d'admettre comme membres titulaires les dames qui sol-
liciteront leur entrée dans la Société archéologique. Si les Sections
répondent affirmativement, il serait important de modifier l'ar-
ticle premier de nos statuts généraux qui, sans l'interdire absolu-
ment, ne se prononce pas assez en faveur de cette admission. Dix
signatures étant nécessaires pour apporter des modifications aux
articles du règlement, la question est mise en délibération.
M. le Président expose que les antécédents ne sont point à créer
en pareille matière, que les Jeux floraux, la Société des Arcades
de Rome, la Société philotechniquC;, comptent un grand nombre de
dames dans leurs rangs. Il est vrai que dans ces Sociétés, les dames
n'ont titre que de membres auditeurs et prennent quelquefois un
nom d'homme, sous lequel elles sont inscrites au rôle des sociétaires;
mais l'on peut, cependant, se départir de cette coutume, et
d'ailleurs, ajoute M. David, ce détail, sur lequel nous ne sommes
point appelés à nous prononcer, relève du mode administratif qui
pourra être ultérieurement mis en œuvre.
Le Président pense qu'admettre les dames dans nos assemblées
est un heureux moyen de donner de la publicité à des ouvrages
de mérite, qui trouveraient avec avantage leur insertion dans nos
Bulletins semestriels.
Cette exposition a rallié tous les avis de l'assemblée, qui a voté
à la presque unanimité l'admission des dames dans le sein de notre
Société Archéologique.
La Section fera parvenir au Comité central les dix signatures
nécessaires à la modification de l'article premier du règlement
général.
La parole est donnée à M. Beauvilliors qui lit la deuxième partie
de son rapport sur l'excursion archéologique dans l'arrondisse-
(1) La Section ignorait sans (Joule qu'an moment oii son Président réclamait,
1200 exemplaires du questionnaire avaient été distribués depuis plusieurs mois, par
les soins du Secrétaire général de la Société.
— 25 —
ment deMeaux. Ce récit, auquel M. Beauvilliers mAlc Thistoire
et la chronique, offre un intérêt plus marqué qu'un simple contre-
rendu ; dans chaque localité, il exhume les chartes, les coutumes,
les épisodes qui se rattachent aux gloires de la contrée, leurs ri-
chesses architecturales et artistiques sont exposées par une main
habile, par un esprit dont la charmante érudition a mis tout à
profit dans cette rapide excursion.
Un des membres de l'assemblée, M. Ronsin, annonce qu'il
se propose de soumettre à la Section dans la séance prochaine,
une lettre autographe de Louis XIV.
Il signale, dans une habitation de Fontainebleau, un petit
monument archéologique décoré d'une fort belle salamandre,
et demande qu'une commission soit nommée pour aller étudier
sur place quelques précieuses œuvres d'art dans la ville de
Fontainebleau.
L'ordre du jour épuisé, la séance est levée à quatre heures.
SÉANCE DU 26 MARS 1866.
Présidence de M. Jules DA VID.
M. le Président nomme une commission pour étudier les restes
d'architecture qui se trouvent dans une ancienne maison de Fon-
tainebleau.
M. Lepage, avoué à Fontainebleau, est présenté comme membre
titulaire.
MM. Cauthion et Lepage mettent sous les yeux de l'assemblée
une copie de documents originaux qui se trouvent classés aux
archives de Melun et établissent d'une manière certaine la
date à laquelle le bourg de Fontainebleau fut érigé en paroisse.
Ces pièces sont au nombre de trois (J) : 1° Copie d'une informa-
tion ou enquête de commodo et incommodo datée du 18 mars 1662 ;
2° Procès-verbal où sont inscrites les délimitations devant cons-
tituer la nouvelle paroisse; 3° Lettre de la main de Louis XIV
du 18 novembre 1661, établissant pour le bourg de Fontainebleau
le droit de se séparer de la commune d'Avon et de s'ériger en
(i) Elles ont déjà tait l'objet d'une notice lue par le Secrétaire général à la
séance publique de Provins et insérée au 2^ vol. du Bulletin; — 1805, p. d09.
— 26 —
paroisse. 6,000 livres prises sur le revenu de la ferme lui sont
assurées pour les nouveaux besoins de la cure.
M. Jacquemin demande la création d'un musée archéologique
local. Une commission est nommée pour faire la recherche des
richesses à l'aide desquelles on pourrait commencer la réalisation
de ce projet.
M. le Président rend compte de la dernière session du Comité
central dans laquelle plusieurs affaires d'intérêt général ont été
traitées ;
La question de l'envoi du questionnaire aux instituteurs et aux
curés dans le but des recherches archéologiques reste à l'ordre du
jour.
Indication de l'élection des bureaux respectifs des Sections ; —
l'assemblée générale de Meauxest fixée au 21 mai.
SÉANCE DU 30 AVRIL 1866.
Présidence de M. Jules DA VID.
Lettre de M. le M'^ de Pontécoulant, président de la Société,
qui annonce la prorogation d'une année pour le concours ouvert
pour le dictionnaire historique et archéologique.
MM. le comte d'Armaillé, Dumesnil et Lepage présentés dans
les séances précédentes sont admis membres titulaires.
Offre faite par MM. Uumesnil et Leroy de deux notices; la pre-
mière, sur la restauration intérieure de l'église de Nemours ; la
seconde, Causerie sur Poinsinet.
M. Beauvilliers, désigné comme rapporteur de la commission
nommée pour les recherches archéologiques, s'excuse de ne pou-
voir communiquer son travail, divers renseignements essentiels
lui manquent el des indications nouvelles lui sont annoncées.
Il est donné avis des élections prochaines pour le Comité central.
M. le président donne lecture de la circulaire indiquant le plan
de classement des œuvres caractérisant diverses époques de l'His-
toire du travail que la commission impériale se propose d'adopter
pour l'Exposition de 18()7.
M. .Iules David termine sa lecture sur Champollion jeune,
après l'avoir fait précéder d'un résumé oral de la vie, des études,
des voyages et de l'immortelle découverte du grand égyptologue.
Cette dernière partie de l'œuvre du Président ne peut paraître
dans le Bulletin de la Société parce que, étant un aperçu de l'his-
— 27 —
toire et des mœurs de l'Egypte d'après Champollion, c'est plutôt
une esquisse qu'un travail complet et que cet appendice doit être
de la part de l'auteur l'occasion de nouvelles recherches.
SÉANCE DU 28 MAI 1866.
Présidence de M. Jules DA VLD.
M. le Président fait part à l'assemblée des votes émis pour
l'élection des membres du Comité central et de ceux émis pour
l'élection des membres du bureau de la Section. Il communique
une lettre de M. le M'' de Pontécoulant qui exprime à la Section ses
remercîments pour l'unanimité des votes qui lui ont été accordés,
et qui annonce que l'admission des femmes est désormais auto-
risée au sein de la Société. — Rapports des commissions : la pre-
mière, pour la création d'un musée archéologique; il est décidé
qu'il sera demandé plus tard au conseil municipal un local appro-
prié à cet effet. La deuxième, ayant pour objet une recherche
archéologique dans la ville de Fontainebleau. 11 est convenu que
MM. les membres de cette dernière commission se réuniront le
lundi 4 Juin.
M. Thibault, délégué près le Comité central, rend compte de la
décision prise pour continuer le don annuel d'une médaille, par
collège, à l'élève qui aura obtenu le prix d'histoire dans la classe
la plus élevée; l'assemblée y Joint son adhésion, mais pour l'année
courante; elle pense que cet encouragement de la Société ne peut
devenir une fondation, se réserve de le juger à nouveau et même
d'en ajourner l'emploi
M. Beauvilliers, présent à la séance générale de Meaux, par un
compte-rendu très-succint, fait connaître aux membres qui n'ont
pu y assister tout l'intérêt de cette séance.
Don de médailles par M. le docteur Le Boyer, de Misy.
SEANCE DU 25 JUIN 1866.
Présidence de M. Jules DA VI D.
En réponse aux préoccupations de la Section relativement au
questionnaire dont aucun exemplaire n'aété retourné au Président,
M. le Président général annonce à la Section qu'il va le faire
imprimer et distribuer à nouveau. Une commission sera nommée
pour rendre compte des réponses et distribuer des récompenses.
— 28 —
Les médailles offertes à la Section seront soumises à l'examen de
M. le vicomte de Ponton d'Amécourt, numismate distingué de la
Société de Seine-et-Marne.
M. Beauvilliers lit la première partie de son travail sur les curio-
sités archéologiques renfermées dans plusieurs maisons de Fon-
tainebleau.
Il a signalé et décrit en détail les sculptures existant sur trois
gresseries remarquables exposées dans le mur d'un bâtiment de
l'habitation de M. Bordereau, rue des Sablons, n° M. Ces gres-
series sont placées paralhMement à une hauteur égale. Chaque
chapiteau formé par des cariatides ou génies ailés dont les queues
se réunissent et se confondent pour figurer le croissant de Diane
de Poitiers. Le soubassement du chapiteau de gauche est supporté
par une tête de satyre barbu à oreilles pointues, le pendant figuré
par une tête de femmo. TIno sorte d'écharpc est nouée au-dessus
des oreilles. Suivant la loi des contrastes, les figurines surmontant
la tête du satyre sont du sexe féminin, celles au-dessus de la tête
de la nymphe sont du sexe masculin. .
Au-dessus, encastrée dans la muraille, une salamandre aussi
en gresserie, parfaitement conservée, diffère du type le plus fré-
quemment adopté à Fontainebleau. — Au lieu de vomir des
flammes au-dessus de sa tête, elle les lance sous son ventre. La
vigueur de la sculpture et Tanatomie fermement prononcée
de sa forme, les nervures profondément fouillées assignent une
valeur artistique à cette salamandre.
M. Beauvilliers n'a pas cherché à découvrir un sens caché à la
position de cette sculpture, il a pensé que les artistes qui ont en-
richi les palais de Ghambord et de Fontainebleau, ont surtoutobéi
au caprice et à la fantaisie.
La majorité de la commission a partagé l'avis de M. Beau-
villiers: elle a pensé que ces morceaux ont été rapportés dans la
maison de M. Bordereau par suitedo démolitions faites au château.
Rien n'indique dans la construction de la maison ni dans les
titres de propriété, que cette habitation ait eu jadis une destina-
tion seigneuriale ou religieuse.
Le rapporteur émet le vœu que les sculptures soient modelées
en plâtre ou photographiées. L'assemblée vote l'envoi de ce rap-
port au Comité central.
M. Paul Domet commence la lecture d'un travail sur la forêt
de Fontainebleau ; cette œuvre qui captive l'attention de l'assem-
blée sera continuée.
— 29 —
SÉANCE DU 30 JUILLET 186G.
Présidence de M. Jules DA VID.
M. le comte d'Armaillé offre à la Société l'Histoire des poteries,
faïences et porcelaines de M. Marryat, traduite de l'anglais par
MM. d'Armaillé et Salvitat, préface de M. Riocreux, conserva-
teur du Musée de Sèvres, 2 beaux vol. in-S", ornés de plus de
600 gravures et monogrammes.
MM. Bourges et Tabouret présentent, comme membre titu-
laire, M. Peyre, ministre protestant à Fontainebleau, qui est
admis à l'unanimité.
M. Beauvilliers donne lecture de la deuxième partie de son
rapport arcliéologique local. Il rend compte de la visite faite par
la Commission dans la maison de M. Pauly, rue de France, 83,
où elle a constaté des boiseries dans le goût Louis XV, ornés de
camayeux, attributs, fleurs et oiseaux, œuvres dis élèves de Bou-
cher qui peignit, au château, les peintures et décorations de la
chambre, aujourd'hui, du conseil. Il cite l'ancien hôtel de la
Coudre, aujourd'hui converti en brasserie, ancienne demeure du
grand écuyer de France, de plusieurs amiraux, du grand faucon-
nier, et réuni en 1791 au domaine de la Couronne. Il décrit la
porte principale ornée de sculptures en gresserie ; la maison du
sieur Ladmirault, située impasse d'Avon, qui possède, à l'inté-
rieur, des rinceaux et des sculptures sur bois dans le style
Louis XV.
« Messieurs, dit le Président, vous venez d'approuver l'excel-
» lent rapport de M. Maxime Beauvilliers, l'un de nos plus zélés
» confrères. Vous vous souvenez aussi avec quel soin, avec quelle
» conscience il vous a analysé, il y a un mois, la pièce principale
» de nos explorations locales : les cariatides et la salamandre de
» la rue des Sablons.
» Cette salamandre est. en effet, travaillée avec un goût et
» rendue avec une vigueur qui révèlent la main d'un artiste.
n Quant aux cariatides, elles nous semblent d'un mérite différent.
» Celle à figure masculine a de l'énergie, du caractère, un style
» accentué; celle à figure de femme, au contraire, est un peu
» molle, commune et sans originalité évidente. M. Beauvilliers
» nous a paru un peu indulgent à ce sujet.
» Vous avez écouté, aujourd'hui, avec non moins d'intérêt, son
» appréciation de l'appartement Pompadour de M. Pauly, et ses
— 30 —
» recherches sur les traces encore existantes de quelques maisons
» seigneuriales, dans notre ville si peu riche en antiquités.
» 11 n'a rien laissé passer inaperçu, il n"a rien dédaigné. Mais
» tous ces restes ont-ils une valeur réelle, en face de ce colossal
» Musée que nous offre le Palais impérial de Fontainebleau, com-
n posé de trois châteaux différents d'époque , de style et d'his-
» toire?
» Est-il permis de s'arrêter ici à quelques gresseries égarées en
» ville et probablement détournées de leur centre somptueux?
» Assurément non, au point de vue des touristes; mais l'archéo-
» logue est plus curieux que le touriste, plus consciencieux sur
» tout, et son devoir est de ne laisser rien oublier, de ne rien
» négliger de ce qui peut fixer un point de l'histoire de l'art ou de
» celle des empires.
» C'est à ce titrs que je réclame de votre satisfaction, d'abord,
)) un vote de remercîments pour le travail distingué de l'un de
» vos secrétaires ; ensuite, l'expression de votre vote unanime, je
» l'espère, pour que cette seconde partie, aussi bien rendue que
» sagement pensée, soit recommandée, comme la première, au
» Comité central, pour être insérée dans un prochain Bulletin de
)) la Société d'Archéologie de Seine-et-Marne.
» Je demanderai aussi, avant de finir, à M. Beauvilliers , de
» mentionner, chez M, Pauly, la reproduction en plâtre de la
)) belle madone, attribuée à Benvenuto Cellini. Cette madone est
» la vraie Pan-Aya du culte grec, la toute-sainte, la Vierge au
1) diadème, aux tresses somptueuses et h la robe brillante; elle est
» riche dans ses atours, magnifique dans ses vêtements, et elle
)) semblerait coquette, n'était sa dignité grave, sa grâce divine et
» son amour maternel. Elle ne s'enquiert, en effet, ni de l'or qui
I) l'entoure, ni des pierres précieuses qui la couvrent. Elle ne voit
» que son bmnbino sacré, et songe plutôt au ciel qu'à la terre, h
» l'apothéose qu'au Calvaire. »
Il est décidé que cet intéressant rapport sera recommandé au
Comité central pour être inséré dans le bulletin de la Société.
M. Paul Domet continue la lecture de son travail sur la forêt
de Fontainebleau. Il en raconte les origines, comme domaine royal.
Selon lui, les premières acquisitions faites au pays de Bière pour
les rois de France remontent à Robert le Pieux, et le domaine de
Fontainebleau fut bientôt, à 2,000 arpents près, constitué comme
il est de nos jours. Saint-Louis en aliéna une assez notable
partie : près de 2,o00 arpents furent donnés par ce roi à l'abbaye
— 31 —
du Lys et surtout aux Trinitaires de Fontainebleau. La contenance
de la forêt resta à peu près la même pendant bien longtemps. En
1664, M. Barillon D'Amoncourt en fit, pour la première fois,
une délimitation générale et un bornage. Louis XIV décida en
principe et commença le rachat des terres concédées par Saint-
Louis; mais ce n'est que sous Louis XV qu'elles furent toutes
réunies au domaine ; le prince fit faire en 1750 par M. Duvaucel
un nouveau bornage de la forêt et en fît lever un plan exact: la
contenance fut trouvée de près de 33,000 arpents.
A la révolution, le domaine s'accrut de divers bois appartenant
à l'ancien clergé. Napoléon P'' fit quelques acquisitions, ainsi que
Charles X et Louis Philippe, dès lors l'étendue n'a plus sensible-
ment changé : elle est actuellement en chiffres ronds de 17,000 hec-
tares.
Il a été, après cette lecture, exprimé à M. Domet le désir de
voir cet intéressant travail accueilli par le Bulletin de la Société,
mais M. Domet, dont l'intention est d'en faire une publication
particulière, a vivement remercié la Section.
SECTION DE MEAUX.
SÉANCE DU 9 AVRIL 1866.
Présidence de M. CARRO père.
Le Président dépose sur le bureau les objets suivants offerts à la
Société :
1° Un tronçon d'épée avec la poignée, trouvé dans un terrain
à 200 mètres au nord de l'hospice de Meaux et donné par M. le
docteur Houzelot. Cette épée dont la date a été d'abord controver-
sée, a été rapprochée d'un fragment semblable trouvé dans la terre
auprès d'Epernay, et se rapportant au siège de cette ville par
Henri IV ; l'analogie est d'une parfaite évidence. L'épée de Meaux
peut donc être considérée comme un témoin des guerres de la
Ligue;
2° Deux pièces de monnaie et un ornement indéterminé en
bronze, provenant des sépultures Gallo-Romaines d'Oissery;
— 32 —
3° Un cachet ou sceau trouvé à Montceaux, dans la propriété de
M. Mavré qui en avait déjà envoyé des empreintes;
4° Des monnaies, étrangères pour la plupart, rencontrées dans
le lit de la Marne à La Ferté-sous-Jouarre, et envoyées par
M. l'ingénieur Moquet;
5° L'empreinte sur papier, d'une belle pierre tumulaire de l'é-
glise d'Oissery, prise avec beaucoup de soin par M. Benoist,
instituteur de la commune.
11 est donné lecture : d'une lettre de M. Numa Lafontaine, de
Lagny, qui souscrit au nom de M""'' veuve Lafontaine et de ses
fils, à la médaille offerte à M. de Pontécoulant, voulant ainsi, en
mémoire du vénérable M. Lafontaine père, témoigner de l'affection
qu'il portait à la Société d'Archéologie dont il était l'un des mem-
bres fondateurs;
D'une autre lettre de M. le comte de Jaucourt prenant part à la
même souscription ;
Et enfin, d'une lettre dans laquelle le secrétaire de la Société
française de numismatique constate l'intérêt que lui a inspiré,
ainsi qu'à d'autres archéologues, le cabinet de médailles et d'objets
antiques de notre confrère M. Lefcbvre-Thiébault.
On procède à la nomination d'une commission qui sera chargée
de l'organisation de la séance publique que la Société tiendra à
Meaux, le lundi 21 mai; cette commission se compose de MM. Le-
febvre, Jules Carro, Torchet, Le Blondel, docteur Leroy, Morlot,
Troublé, Plée et l'abbé Denis.
L'assemblée entend ensuite la lecture :
D'une curieuse notice de M. Torchet, sur un Concours musical
au xviii'= siècle, sous Louis XIV et Bossuet, concours auquel
prirent part deux maîtres de chapelle de la cathédrale de Meaux;
De notes sur une excursion à Oissery, par M. Carro, président;
Et des réponses au questionnaire, envoyées par M. Sarazin, ins-
ti tuteur du Plessy-Placy, etM. Dubois, instituteur de Coulommes.
Des remercîments sont unanimement votés aux personnes aux-
quelles on doit les dons mentionnés précédemment, à colles qui
ont fourni les intéressants documents contenus dans les réponses
au questionnaire, ainsi qu'à MM. Ilaran et Delamarre fils,
d'Oissery.
L'assemblée s'associe à l'intérêt déjà témoigné par la Société
d'agriculture au Concours d'orphéons qui aura lieu le 13 mai
à Lagny, en votant ainsi que cette Société, une médaille de ver-
meil qui sera attribuée à l'un des Orphéons de l'arrondissement.
— 33 —
SÉANCE DU 7 MAI 186G.
Présidence de AI. CARRO père.
Cette séance n'a pour objet que le vote relatif à l'élection du
Comité central, élection dont le résultat général sera proclamé
dans la séance publique du 21 mai.
SÉANCE DU 9 MAT 1866.
Présidence de M. CARRO père.
La séance est employée au dépouillement des bulletins cachetés
reçus dans le cours de la semaine, pour le renouvellement du
bureau de la Section. Ce dépouillement a donné les résultats
suivants :
Président M. le V"' de Ponton d'Amécourt.
Vice-président M. l'abbé Denis.
Délégué - M. DE COLOMBEL.
Secrétaire M. l'abbé Petithomme.
Archiviste M. Lefebvre-Thiébault.
Trésorier M. Le Blondel.
SÉANCE DU 2 JUILLET 4866.
Présidence de M. l'abbé DENIS, vice-président.
M. de Pontécoulant, président de la Société, procède à l'instal-
lation du bureau de la Section ; au regret de tous ses collègues,
M. de Ponton d'Amécourt, nouveau président, retenu par une
indisposition, ne peut assister h la séance.
L'assemblée entend la lecture d'une lettre de M. le Surinten-
dant des Beaux-Arts, relative aux objets d'antiquité à présenter
pour l'Exposition universelle de 1867, et d'une lettre de M. Burdel,*
de Lagny, accompagnant l'envoi de quelques médailles romaines
de l'empire, trouvées à Neufmoutiers, canton de Rozoy.
Des remercîments sont votés à M. Burdel. Il en est de même
cl propos de la copie d'une inscription trouvée lors de la restaura-
tion du pont de Chelles, copie transmise par M. Desgeans,
conducteur des ponts et chaussées , ainsi que pour une médaille
3
— 34 —
de Pic IX portant la date du 22 mars 1848, et une pièce d'ar-
gent, de Louis XV, très-bien conservée, données par M. Lesper-
mont.
M. l'abbé Denis, vice-président, communique diverses pièces
de monnaie, une petite cuiller à encens du xiv* siècle et un frag-
ment de parchemin contenant un acte de i3oO, trouvés dans les
combles de l'église de May, où ils avaient sans doute été caches
dans les temps de troubles.
M. Le Blondel présente de la part de M. Alphonse Langlois, de
Saône-et-Loire , qui en fait hommage à la Société, deux volumes
ayant pour titre : Études topographiques , historiques, hygiéniques,
morales, sur le canton de Bourbon-Lancy. Des remercîments sont
votés ù M. Langlois.
L'assemblée entend avec intérêt un compte-rendu par M. l'abbé
Petithomme, delà première journée de l'excursion archéologique
dans l'arrondissement de Goulommiers. L'insertion complète de
cette relation au registre des procès-verbaux est unanimement
votée par les membres présents qui regrettent que M. Petithomme
n'ait pu assister à la seconde journée.
On entend encore une savante et très-complète notice historique
et archéologique sur la commune de Germigny-sous-Goulombs, par
M. l'abbé Bécheret, et le compte de gestion rendu, comme tréso-
rier, par M. Le Blondel: ce compte est présenté avec une clarté
qui vaut à M. Le Blondel les félicitations dé ses collègues.
SÉANCE DU 6 AOUT 18G6.
Présidence de M. l'abbé DENIS, vice-président.
M. d'Amécourt, président, retenu par une indisposition, lait
offrir à la Section, une gravure de 4728, représentant la façade,
les autels latéraux et la principale entrée du chœur de la cathé-
drale de Meaux. Il prie le vice-président de vouloir bien donner
lecture d'une notice, accompagnée de dessins, sur une pierre
lumulaire de l'église de Vinantes, du commencement du xiv'' siècle,
par M. Ch. Marcilly. Cette lecture présente un haut intérêt his-
tori([ue. L'auteur ayant rencontré sur cette pierre le nom de Raoul
Maufillâtre, et l'indication suivante, xxxvii, terminaison d'une
date, conclut après une discussion savante que Raoul Maulillâtre
— 35 —
de Vinantes, décédé l'an 1337, est l'un des derniers représentants
de l'ancienne famille de ce nom qui a dû s'éteindre vers la (in du
xiv*^ siècle; cette famille n'a aucun rapport avec les Malfilàtre
de Normandie.
M.Carro rend compte delà séance tenue à Paris le 2 août, par
la commission nommée pour organiser l'exposition, en 1867, des
œuvres caractérisant les diverses époques de l'histoire du travail.
Il donne lecture d'une circulaire qui sera adressée aux princi-
paux habitants de Seine-et-Marne, pour leur faire part de l'or-
ganisation de cette exposition, avec prière d'indiquer à l'un des
Présidents de Sections la nature des objets qu'ils seraient dans
l'intention d'y faire figurer.
M. l'abbé Bécheret continue et achève la lecture de sa notice
historique et archéologique sur la commune de Germigny-sous-
Goulombs. MM. Torchet et le docteur Leroy émettent l'avis qu'il
soit fait par l'auteur un résumé de cette notice pour le bulletin.
Une belle photographie de l'église de La Ghapelle-sur-Crécy est
présentée au nom de M. le comte de Moustier, à qui des remercî-
ments sont votés. Le secrétaire est chargé de lui en faire part.
M. l'abbé Denis donne des notes détaillées sur des pièces de
monnaies trouvées dans l'église de May-en-Multien.
M. Ginot dépose sur le bureau deux planchettes en chêne
peint, provenant d'un ancien couvent, et portant un mono-
gramme qui doit dater du commencement du xviii'= siècle.
Sont admis comme membres titulaires :
MM. L. Vesseron, de Meaux; l'abbé Ravaux (Pierre-Joseph),
professeur de sciences au petit Séminaire de Meaux ; Burdel, de
Lagny; Thoumy, vérificateur en bâtiments à la La Ferté-sous-
Jouarre, et Bourgoin Alphonse, de la même ville.
SÉANGE DU 3 SEPTEMBRE 1866.
Présidence de M. le vicomte de PONTON d'A3IÉ COURT.
M. le vicomte de Ponton d'Amécourt, président, fait hommage
à la Section de trois exemplaires de l'annuaire de la Société
française de numismatique et d'archéologie; il ofi're aussi une
Veue de la ville et vieulx marché de Meaux, par Ghastillon, de 1600
à 1610. Gette gravure donne une idée complète de la ville à cette
— 36 —
époque, avec ses fortifications et la porte monumentale qui défen-
dait l'entrée du Marché.
M. Lefebvre - Thiébault communique une pièce de monnaie
trouvée par M. Ghéron, iérblantier à Meaux, qui en fait don à la
Société. C'est un blanc de Jean-sans-Peur , duc de Bourgogne,
poignardé le 10 septembre 1419, à Montereau (Seine-et-Marne).
Le secrétaire donne lecture d'une notice archéologique sur l'é-
glise de Couilly et sur les anciens remparts de cette commune,
par M. Quéru, instituteur. Des félicitations unanimes ont accueilli
ce travail.
La Société entend ensuite une première lecture d'un travail
de M. le curé de Chelles, sur le trésor de son église. L'auteur
fait une description scientifique des châsses qui sont au nombre
de dix et donne des notes pleines d'intérêt sur les reliques : osse-
ments, linges, authentiques et étiquettes an iennes. Ce chapitre
,est terminé par une exposition pleine de détails utiles à connaître
au sujet du calice de saint Éloi et des sandales dites de sainte
Bathilde, qui sont conservées dans un coffret dépourvu d'au-
thentique.
Sur la demande de plusieurs membres de la Section, il est décidé
qu'à l'avenir les réunions auront lieu tous les mois.
M. Laurent (Léon-Anatole), conducteur des ponts et chaussées,
est admis à l'unanimité comme membre titulaire ; — renvoi au
Comité central.
A l'issue de la séance, M. le Président a invité les membres
présents à visiter les ateliers de peinture sur verre de M. Plée,
leur collègue. Parmi les travaux en cours d'exécution, on a sur-
tout remarqué une Verrière avec sujet, destinée à l'église de Fon-
tenay-Trésigny.
SÉANCE DU 1" OCTOBRE 18GC.
Présidence de M. l'abbé DENIS, vice-président.
M. l'abbé Denis ouvre la correspondance par une lettre de M. le
vicomte de Ponton d'Amécourt, président, qui remercie M. Le-
febvre de l'hommage de sa notice sur les méreaux de la ville de
Meaux , et demande que cette notice soit envoyée à la commis-
sion du bulletin.
— '61 —
M. le marquis de Pontécoulant, président général, communique
deux circulaires relatives : l'une, au Congrès archéologique inter-
national d'Anvers qui se tiendra l'an prochain; l'autre au Congrès
archéologique de France qui aura lieu, à Nice, dans le courant de
janvier. Il annonce aussi que la deuxième réunion générale de la
Société, pour i8G6, aura lieu le dimanche 21 octobre, à Goulom-
miers.
Le Président de la Section nomme une commission chargée
d'étudier les fouilles qu'il serait utile de faire sur le territoire de
Meaux, dans l'intérêt de la science. Sont désignés pour en faire
partie : MAI. Carro père, le docteur Le Roy, Lefebvre, Morlot
et Laurent (Léon).
M. l'abbé Torchet, curé de Chelles, fait hommage de la notice
historique qu'il a publiée sur Luzancy. Il continue sa lecture
sur les reliques de Chelles. Après la partie descriptive ou pure-
ment archéologique qui avait fait l'olijet d'une première partie,
lue à la séance précédente, il restait à envisager les reliques sous
le rapport historique. L'auteur le fait dans son deuxième cha-
pitre , en notant jusqu'aux moindres événements qui s'y rat-
tachent , depuis la mort des personnages auxquels elles ont
appartenu jusqu'à nos jours.
Une trouvaille d'environ douze cents médailles et de divers ins-
truments ayant été faite dernièrement à Guiry (Aisne), Al. Le-
febvre, archiviste, vrai sauveteur d'antiquités, n'a pas manqué de
s'y rendre; il a voulu recueillir quelques épaves de cette décou-
verte, et cent soixante-quinze médailles romaines forment son bu-
tin. Ce sont des petits bronzes et des cuivres purs. Le plus grand
nombre , dit M. Lefebvre dans son rapport , appartiennent à
Posthume qui se fit nommer Empereur par ses légions l'an 237
de J.-C. Il signale une médaille très-rare de Lselien , un des
lieutenants de Posthume, qui prit la pourpre à Alayence. Elle
porte pour légende : Imp.C. Lœlianus aug.
Vient ensuite la liste des tètes qui se trouvaient avec celles de
Posthume; M. Lefebvre en compte treize.
L'enfouissement de ces monnaies a dû avoir lieu vers l'an 270,
sous Quintille, frère de Claude le Gothique, c'est-à-dire à l'époque
connue sous le nom des Trente Tyrans, bien qu'en réalité il n'y en
eût jamais que dix-neuf ou vingt.
M. le docteur Le Roy dépose sur le bureau des ossements
trouvés dans une carrière à Villenoy et lit une note à ce sujet.
Ce sont des tibias de rongeurs, le radius d"un ruminant de la
— 38 —
taille et de la famille des chevreuils, un cubitus très-remarquable
dont les apophyses énormes dénotent un animal analogue aux
taureaux ou buffles de l'époque actuelle, mais plus grand et plus
fort. Ces ossements qui gisaient dans le sous-sol du calcaire la-
custre inférieur, remontent à une haute antiquité.
Dix-sept moules de monnaies, en terre cuite, provenant des puits
(inépuisables) do Ghuteaubleau , sont offerts à la Section par
M. Teyssier des Parges; deux de ces moules renferment encore
la pièce qui a été coulée.
M. l'abbé Bécheret enrichit les archives d'une lettre autographe
de Volncy, et de quatre lettres de M. de Monthyon, de la part de
M. Gredelue, de Saint-Soupplets. On ne saurait trop recommander
la recherche et la conservation de ces sortes de pièces. Combien
de manuscrits qui sont détruits chaque jour, et qui, cependant,
fourniraient des renseignements utiles pour redresser des erreurs
ou confirmer l'histoire. — Remercîments à M. Gredelue.
La prochaine séance est fixée au lundi 5 novembre.
SÉANCE DU 5 NOVEMBRE 1866.
Présidence de M. le vicomte de PONTON d'AMÉCOURT.
Dès l'ouverture de la séance, l'attention des membres se porte
sur un vieux cahier manuscrit, le plus ancien registre des actes de
l'état civil de Villemareuil, communiqué par M. le baron d'Avène.
On trouve dans ce registre, entre autres pièces intéressantes,
l'acte du baptême de Marie-Marguerite de Lorraine, 8 août IGol,
fille du duc d'Elbœuf, alors seigneur de Villemareuil, et les si-
gnatures de plusieurs personnages de la famille.
M. Gabriel Leroy, membre fondateur, secrétaire de la Section
de Melun, l'ail don d'une brochure ayant pour titre : Le retour de
Mars, comédie en un acte et en vers, 1746, par Sauvé de la Noue,
poète dramatique né h Meaux.
M. Andrieux, prolusseur au collège de Meaux, offre deux sta-
tuettes en cuivre.
La Société reçoit ensuite les communications suivantes :
Par M. Lelcbvre-Tliiébault, d'une pièce d'or françaises de l'é-
poque mérovingienne;, sur laquelh; on lit : Parmusciv. Arnoaldus ;
Par le secrétaire, de trois monnaies romaines de l'empereur
Gonst;iiilin-]e-Grand, .'{()(i à .'{.'{7.
— 39 —
M. Torchet, inspecteur des orphéons du département, donne
lecture d'un travail sur l'Histoire de la musique des Francs, —
époque Carlovingienne, VJI" siècle, Maires du Palais, Pépin-le-Bref.
M. Bouvier, pasteur protestant de Meaux , présenté par
MM. Le Blondol et Morlot, est admis eu qualité de membre ti-
tulaire, par la Section ; son admission sera proposée au Comité
central.
Le Président exprime le désir de voir s'élever dans les villes ou
villages de notre département les statues des principaux per-
sonnages qui les ont illustrés; on pourrait au moins, ainsi qu'il
est pratiqué dans beaucoup d'endroits, établir des inscriptions sur
les maisons où ils ont vécu. Cette heureuse idée ne peut manquer
de porter ses l'ruits.
SECTION DE lYlELUN.
SÉANCE DU DIMANCHE M MARS 1866.
Présidence de M. GRÉ S Y. •
La séance est ouverte à une heure.
Sont présents : MM. Auberge, Ballu, Courtois, Desprez,
comte d'Erceville, Eymard, Gaucher, docteur Gillet, Hautôme,
Hérisé, Labiche, Leroy, Liabastrss, Latour, Lhuillier et Sollier.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
Dépouillemenl de la correspondance : M. le marquis de Béthisy
exprime ses regrets de ne pouvoir assister à la séance. — Accus';
de réception du Bulletin par la Société des Antiquaires de Pi-
cardie.— Hommage à la Société par M. Siraudin, membrecorres-
pondant, d'une brochure intitulée : Examen des avantages attaches
à r étude des langues classiques ; 1850, in-8° de 32 pages.
Des demandes d'admission, comme membres titulaires, sont
faites par M. Gassies, artiste peintre à Barbizon, présenté par
MM. Courtois et Leroy, et par M. Dorlin, licencié ès-sciencfs,
chef d^institution à Melun, présenté par MM. Courtois et Cotelle.
Le Secrétaire signale à la Section les documents qui lui ont
été adressés pour servir à la rédaction du Dictionnaire archéolo-
— 40 —
gique de Seine-et-Marne, par les personnes ci-après nommées :
MM. Radideau, instituteur à Saint-Martin-en-Bierre,
Giot, cultivateur à Ghevry-Gossigny,
Le comte de Létourville, maire de Pontault,
Lhioreau, instituteur à Moisenay,
Gouôre, instituteur à Gretz,
Des remercîments sont votés à ces correspondants, et leurs
communications renvoyées à la commission du Dictionnaire.
M. le Président annonce que, dans sa dernière séance tenue
à Paris le 8 mars courant, le Gomité central de la Société a voté,
aune grande majorité, le principe d'admission des dames, et ren-
voyé à la prochaine Assemblée générale le vote de la modification
qu'il convient d'apporter aux statuts, en vue de cette admission.
M. Sollier donne une nouvelle lecture de sa Notice sur l'ancien
couvent de Moret et la religieuse connue sous le nom de négresse de
Aforet, notice qu'il se propose de lire aux réunions de la Sorbonne
au mois d'avril prochain.
Conformément aux instructions de S. E. le Ministre de l'Ins-
truction publique, la Section, par un vote au bulletin secret et à
l'unanimité de quinze voix, autorise la lecture en Sorbonne.
M. G. Leroy lit un mémoire intitulé : Le Commerce et l'Indus-
trie à Melun avant 1789.
M. Labiche donne lecture d'une fable qui a pour titre :
Le Chien de l'Aveugle^ et d'une poésie intitulée : Sur la liose.
La séance est levée à trois heures.
Nota. — H n'y a pas eu de séance au mois d'avril, eu raison de la réunion des
Sociétés savantes à la Sorbonne,
SÉANCE DU 5 MAI 18(56.
Présidence de M. SCHREUDER, doyen d'dyc.
La séance est ouverte à une heure.
Sont présents : MM. BuUu , Gosteau , Cotolle , Courtois ,
Desprez, F]ymard , Fournials, marquis de Fraguicr, Fuser,
Gaudard, Gillct, Ilautômc, Ilérisé, Labiche, Lalour, Lcmaire,
Leroy, Lhuillier, de May, Poyez; Sertier et Sollier.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
— 41 —
Le secrétaire donne lecture de ]a correspondance, comprenant
notamment deux lettres de MM. Grcsy et H. Fréteau de Pény,
par lesquelles ces Sociétaires font savoir qu'ils donnent leur
démission : le premier de membre de la Société, et le second de
vice-président de la Section de Melun. Il est également lu une
lettre de M. E. Lefèvre, de Brie-Comte-Robert, qui s'excuse de
ne pouvoir assister à la séance de ce jour, et une circulaire de la
Société de l'Aveyron, relative à la publication de la correspon-
dance'inédite de Monteil, décédé à Gély, canton-sud de Melun, le
20 février 1850.
La démission de MM. Grésy et Héracle Fréteau de Pény donne
lieu à des explications, à la suite desquelles la Section décide, à
l'unanimité, qu'il sera écrit à ces honorables membres, pour les
informer du regret que leur détermination fait éprouver à tous
les Sociétaires présents. La Section de Melun ne saurait oublier
qu'elle doit sa prospérité actuelle au dévouement et à l'érudition
de ses anciens président et vice-président. Le secrétaire est chargé
du soin de faire parvenir cette décision à MM. Grésy et Fréteau
de Pény.
Il est ensuite procédé :
Premièrement, — au vote pour l'élection du Bureau de la
Section pendant l'année 1866-1867.
Deuxièmement, — et à deux autres votes sur la proposition
d'admission de M. Gassies, artiste peintre à Barbizon, présenté
par MM. Courtois et Leroy; et de M. Dorlin, chef d'institution,
licenciées-sciences à Melun, présenté par MM. Courtois et Cotelle.
Ces opérations donnent les résultats suivants :
Renouvellem^t du Bureau.
Votants, 23. — Majorité absolue : 12.
Président : MM. Félix La Joye, 17 voix ; — Çirésy, 2; — Gillet,
2 ; — De Bonneuil, 1 ; — De Champagny, 1 . *
Vice- Président : MM. Labiche, 17 voix; — Latour, 2 ; —La Joye,
2; — H. Fréteau de Pény, 1 ; — Lemaire, 1.
Délégué au Comité central : MM. Poyez, 19 voix; — SoUier, 3;
— De Bonneuil, 1.
Secrétaire .• M. G. Leroy, 22 voix.
Secrétaire-adjoint : M. Lhuillier, 22 voix.
MM, La Joye, Labiche, Poyez, Leroy et Lhuillier ayant obtenu
la mnjorito absolue des suffrages exprimés , sont proclamés
membres du Bureau de la Section de Melun, pour l'année 1866-
1867, dans l'ordre suivant :
— 42 —
Président : M. Félix Lajoye.
Vice-Présidsnt ; M. Labiche.
Délégué au Comité central : M. Poyez.
Secrétaire : M- G. Leroy.
Secrétaire-adjoint : M. Lhuillier.
Admission de AL Gassies : VoLants, 19. — Majorité absolue,
10. — Pour l'admission, 19.
L'admission de M. Gassies sera soumise au Comité central.
Admission de M. Dorlin : Votants, 19. — Majorité absolue, 10.
— Pour l'admission, 19.
L'admission de M. Dorlin sera également soumise au Comité
central.
Une demande d'admission est faite par M. Adrien Delacourtic,
ancien avoué à Paris, membre du Conseil d'arrondissement de
Melun, demeurant à La Planche, commune de Perthes; ses pré-
sentateurs sont MM. l'abbé Delaforge et G. Leroy. La Section
décide qu'il sera statué sur cette demande dans la prochaine
séance, conformément au règlement.
Il est ensuite donné lecture des travaux suivants .•
Par M. Sollier : — L'Ancienne auberge de la Belle-Image, à
Moret.
Par M. Lemaire : — Notice historique et topo graphique sur V ab-
baye de Barbeau.
Et par M. Labiche : — Les deux Mariés, fable.
Ces travaux, accueillis avec un vif intérêt, sont renvoyés au
Comité central, pour être soumis à la Commission do lecture, et,
s'il y a lien, insérés dans IcBulletin de la Société.
Attendu la prochaine réunion générale, f[ui d«it êtn^ tenue à
Moaux, la Section de Melun ne se réunira pas au mois de Juin.
La séance est levée à quatre heures.
SÉANCE DU 1"^ JUILLET 186(3.
Prôsidmcc de M. LAJOYE.
La séance est ouverte à une tiouro.
Sont présents : MM. J^a.Joye, Courtois, DL'cuiirbi!, hurliii,
Eyniard, Gillet, Labiche, Lemaire, Lhuillier et G. Leroy.
M. La Joye prend la parole cl s'exprime en ces termes :
— 43 —
Messieurs,
(( Permettez-moi de vous adresser tous mes remerciments de
)) m'avoir nommé Président de Section dans notre Société d'Ar-
n chéologie. Je ne puis me dissimuler que ce ne sont pas mes
» mérites qui m'ont valu cette très-honorable distinction ; ce n'est
» donc qu'à votre bienveillance que je dois cette haute fortune, je
» n'en sens que davantage le prix. Mais pourquoi faut-il qu'au
» milieu de mes joies viennent se mêler de cruels regrets? Pour-
» quoi faut-il que je ne doive qu'à l'abstention de notre collègue,
» M. Grésy, de me voir assis dans ce ftiuteuil? Hélas! Messieurs,
» nous avons perdu un des plus beaux fleurons de notre couronne.
» Espérons tous que nous verrons rentrer dans nos rangs ce
» membre si distingué.
» Veuillez agréer, de nouveau, l'hommage de ma reconnais-
)) sance. »
Le Secrétaire donne lecture du procès-verbal de la précédente
séance, qui est adopté sans observation.
Il procède ensuite au dépouillement de la correspondance :
M. le marquis de Béthisy exprime ses regrets de ne pouvoir
assister à la séance de ce jour, et M. le comte d'Erceville, membre
de la Société, adresse une Note détaillée sur Vhistoinque et les anti-
quités de la commune de Machault, qu'il habite et dont il est maire.
Cette Note est renvoyée à la Commission du Dictionnaire archéo-
logique, et des remerciments sont votés à M. le comte d'Erceville.
Lecture est donnée de la circulaire relative au concours ouvert,
par la Société, pour le prix de 200 francs, institué par M. le baron
de Beauverger, en faveur de l'auteur du meilleur mémoire sur
le sujet suivant : Recherches historiques sur V agricultur^e et la
condition des populations rurales, dans les contrées correspondant au
département de Seine-et-Marne, aux xvii'' et xyiii*^ siècles. — Compa-
raison avec l'époque actuelle. Des exemplaires de cette circulaire
sont remis aux membres présents, qui sont invités à prendre part
à ce concours.
Le scrutin ouvert pour l'admission, comme membre titulaire, de
M. Adrien Delacourtie, ancien avoué à Paris, conseiller d'arron-
dissement, demeurant au château de La Planche, commune do
Perthes, dont les présentateurs sont MM. Delaforge et Leroy,
donne le résultat suivant :
Votants, 9. — Majorité absolue, 5. — Pour Tadmission, 9.
L'admission de M. Delacourtie sera soumise au Comité central.
Une demande d'admission, comme membre titulaire, est faite
— 44 —
par M. Kerckhoffs, professeur de langues vivantes au collège de
Melun. Ses présentateurs sont MM. Fournials et Decourbe. Le
vote sur cette demande aura lieu à la prochaine séance.
M. Courtois présente un rapport sur Fétat des finances de la
section.de Melun pendant l'exercice de 1865.
Il résulte de ce rapport que les recettes se sont
élevées à :216fr, »
Et les dépenses h 208 50
En sorte qu'il y a un excédant de recettes de . , 7 50
Lequel figurera à l'actif du compte de 1866.
Les conclusions du rapport de AL Courtois sont adoptées, et, h
l'unanimité, des remercîments lui sont votés pour les soins et le
dévouement qu'il apporte dans l'accomplissement de la mission
dont il a bien voulu se charger.
M. Lhuillier fait un compte-rendu de différents ouvrages offerts
à la Société par des compagnies correspondantes, et d'une publi-
cation récente de M. Liébert, membre titulaire de la Société
de Seine-et-Marne, publication qui a pour titre : le ChôAeau de La
Gram/e.
M. Labiche lit deux fables intitulées : La Fleur cl l'Abeille, le
Rossignol et l'Oiseleur.
M. La Joye donne lecture d'une étude historique, statistique et
topographique sur Le Châtelet-en-Brie.
Toutes ces communications sont renvoyées au Comité central.
Enfin M. G. Leroy, fait hommage à la Société et aux membres
présents, des publications suivantes dont il est l'auteur :
» liapports présentés ci la Société d'Archéologie de Seine-et-Marne,
sur les fouilles exécutées sur la place Notre-Dame de Melun en 1865.
Broch. in-8° de 30 pages avec planches; Meaux, imp. .1. Garro.
» Causerie sur Poinsinet; mémoire lu à la séance générale de
Fontainebleau en octobre 1865. Opuscule in-12 de 8 pages. Fon-
tainebleau, imp. Bourges.
1) IJ effroyable assassinat, commis à Sermaisc, commune de Dois-le-
Roi, par la bande des Chauffeurs, en germinal an IV. Broch. iu-S"
de 8 pages, Melun, imp. Hérisé.
» Notice sur les épidémies qui ont sévi éi Melun Broch. in-8'' de
24 pages, Melun, imp. Michelin.
La séance est levée à 4 heures.
— 45 —
SÉANCE DU U AOUT 1860.
Présidence de M. LAJOYE.
La séance est ouverte à 3 heures.
Sont présents MM. La Joye, Decourbe, Dorlin, Hérisé, Labiche,
Lemaire, Lhuillier, Schreuder, Sollier et Leroy.
Le procès- verbal de la séance précédente est adopté.
Le Secrétaire donne lecture de la correspondance :
M. Hennecart exprime ses regrets de ne pouvoir assiste'r à la
séance de ce jour. Le secrétaire général du Congrès archéologique
de France annonce que la 34" session de ce Congrès aura lieu l'hiver
prochain à Nice, dans le courant de janvier, en même temps que
la 5° session des Assises scientifiques de la Provence. M. Burin,
membre de la Société, instituteur à Saint-Just, canton de Nangis,
envoie à la Section de Melun, des moules ayant servi à la fabri-
cation de médailles romaines, trouvés à Châteaubleau, dans des
fouilles faites par les soins de M. Teyssier des Farges, membre de
la Société.
La Section de Melun exprime ses remercîments à MM. Teyssier
des Farges et Burin; elle arrête, conformément au désir des do-
nateurs, que ces moules seront déposés au musée.
Il est également donné lecture d'une note adressée par M. Lhio-
reau, instituteur à Moisenay, dans le but de compléter les rensei-
gnements qu'il a déjà envoyés pour servir à la publication du
Dictionnaire archéologique de Seine-et-Marne. La Section, remer-
ciant de nouveau M. Lhioreau, renvoie sa seconde note à la
commission du Dictionnaire.
A ce sujet, M. le Président entre dans certains détails histori-
ques et archéologiques sur la commune de Moisenay, voisine de
celle qu'il habite, et qu'il connaît particulièrement.
Il est ensuite procédé au vote sur l'admission de M. Kerckhoffs,
professeur de langues vivantes au collège de Melun, dont les pré-
sentateurs sont MM. Fournials et Decourbe.
Ce scrutin donne les résultats suivants :
Votants 10 ; — pour l'admission 10.
M. Kerckhoffs ayant réuni l'unanimité des votes exprimés, son
admission sera soumise au Comité central, conformément aux
statuts.
M. Leroy annonce que la commission nommée au sein de la
Société, pour prendre part à l'organisation de l'exposition de
— 46 —
l'Histoire du Travail, à l'Exposition universelle de 1867, s'est
réunie le 2 août courant. Il a été pris différentes mesures pré-
paratoires en vue de' cette organisation. La Commission a égale-
ment décidé qu'une demande serait faite à chacune des Sections
pour contribuer, à raison d'un franc sur la part leur revenant
dans la cotisation de chaque membre, aux frais que cette exposi-
tion pourra entraîner.
M. le Président, prenant en considération le nombre restreint des
sociéiiaires présents à la séance de ce jour, plusieurs autres
réunions coïncidant avec cette séance, propose de renvoyer le vote
demandé à la plus prochaine réunion de la Section de Melun, où
il espère qu'un plus grand nombre de sociétaires assisteront. La
proposition est unanimement adoptée.
Ensuite, M. le Président communique une note relative à la
découverte d'un cercueil en plomb renfermant un squelette, sur
l'emplacement de l'ancienne chapelle du château de La Borde, com-
mune deChâtillon, canton du Châtelet.
M. Labiche donne lecture d'une fable ayant pour titre : Le bû-
chc?'on et les deux cognées.
M. Leroy fait hommage à la Société et aux membres présents
de deux brochures intitulées : Les arcJiers et les arquebusiers de
Melmi, in-8° de 20 pages. Melun, imp. Michelin. — 3Ielun sous
Henri IV, 1590-1610, in-8° de 30 pages. Melun, imp. Hérisé.
Attendu l'heure avancée, les autres communications inscrites à
l'ordre du jour sont renvoyées à la prochaine séance.
Avant de se séparer, la Section décide qu'en raison des vacaaces
et de l'absence d'un certain nombre de ses membres , elle ne se
réunira pas au mois de septembre.
La séance est levée à quatre heures et demie.
SEANCE DU 7 OCTOBRE 1866.
Présidence de M. LAJOYE.
La séance est ouverte à 1 heure.
Sont présents : MM. La Joye, Auberge, Ballu, Dardenne, Do-
courbe, Eymard, Fontaine, Gaucher, Gaudard, Gillet, Kerkliolfs,
Labiche, Latour, Lemaire, Lhuillier, Schreuder, Sertier, Sollier
et Leroy.
— 47 —
Après lecture du procès-verbal de la précédente séance, ce prô-
cès-verbal est adopté.
Dépouillement de la correspondance : — MM. le marquis de
Béthisy, Dorlin et Qucsvcrs expriment leurs regrets de ne pouvoir
assister à la réunion de ce jour. — M. le marquis de Pontécoulant,
président de la Société, annonce que l'Assemblée générale doit
avoir lieu à Goulommiers , le 21 octobre courant. M. le comte
d'Harcourt, président de la Section de Provins, annonce que cette
Section a voté un franc sur la cotisation de chacun de ses membres,
pour subvenir aux irais qu'entraînera la participation de la Société
dans l'organisation de l'Exposition des œuvres caractérisant les
différentes époques de l'Histoire du Travail, à Paris, en 1867.
M. Garnier, membre de la Société, envoie la liste des objets qu'il
se propose de faire figurer à cette exposition. — Indication des
sujets mis au concours pour l'année 1867 , par la Société acadé-
mique de Saint-Quentin.
Après délibération , la Section de Melun vote à l'unanimité le
prélèvement d'un franc sur la portion qui lui est attribuée dans
la cotisation de chacun de ses membres , pour subvenir aux frais
d'organisation de l'Exposition concernant l'Histoire du Travail,
dont il vient d'être parlé.
Il est ensuite donné lecture des travaux ci-après :
Par M. Kerkhoffs, — Rapports entre les idées religieuses et l'art
monumental ;
Par M. Sùllier, — Notice sur la maladrerie de Moret;
Par M. Lhuillier, — La nourrice de Louis XIV et le père nourri-
cier de Louis XVI, esquisses biographiques ;
Et par M. Gaucher, — Notes sur plusieurs objets antiques
trouvés à Drachy , hameau dépendant autrefois de Nanteuil-sur-
Marne. '
Ces mémoires sont renvoyés au Comité central.
M. Lhuillier dépose sur le bureau :
1° Une notice sur les jetons et méreaux inédits de la ville de
Meaux, par M. Lefebvre, membre de la Société, qui en fait hom-
mage à la Section de Melun.
2° Un titre original de 1432, concernant l'église collégiale de La
Chapelle-sur-Crécy , dans lequel il est fait mention de Denis de
Chailly, bailli de Meaux et de Crécy. La Section, à laquelle ce
titre est donné par M. Cinot, membre de la Société, décide qu'il
sera- remis aux archives départementales, où sont conservées un
— 48 —
grand nombre de pièces originales du même temps ou de même
nature.
3° Le moulage en plâtre d'un médaillon antique, trouvé sur le
bord de la voie Gallo-Romaine de Bibracte à Genabum. Cet objet
qui est offert à la Société par M. Bréan, membre correspondant ;\
Gien, sera déposé au musée de Melun.
Des remercîments sont adressés à MM. Lefebvre, Cinot et
Bréan.
M. G. Leroy dépose également sur le bureau :
1° Une monnaie romaine remarquable par sa conservation et sa
patine, à l'effigie de Julia Domna, femme de Septime-Sévère,
morte en l'an 217. Cette monnaie a été trouvée à Machault,
canton du Ghâtelet, au lieu dit le Camp de César^ par M. Richard,
cultivateur, qui en a fait don au musée de Melun.
20 Des moules en terre cuite pour la fabrication des monnaies, à
l'effigie de Gordien, Philippe, Posthume, etc. trouvés à Ghâteau-
bleau, canton de Nangls, et donnés à la Section de Melun par
MM. Teyssier des Farges et Burin, ainsi qu'il a été annoncé à la
précédente séance.
3° Le croquis géométrique d'une cave du xiii'' siècle, située à
Melun, rue du Pour, sous une maison qui vient d'être mise à l'ali-
gnement, opération qui a fait perdre à la cave en question ses pro-
portions et son caractère. M. Leroy explique que de semblables
substructions, également remarquables et datant aussi des xii'^ et
xiii'^ siècles, existent à Melun dans les rues des Nonettes, d'Abei-
lard, de Saint-Aspais, de l'Hôtel-de-Ville, de la Juiverie, Neuve
et du Presbytère. Les plus curieuses sont celles des maisons n° 14
de la rue Saint-Aspais et n° 12 de la place de Pointe. Cette partie
de la communication de M. Leroy est renvoyée à la Commission
du Dictionnaire archéologique de Seine-et-Marne. ,
L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à trois heures.
— 49 —
SECTION DE PROVINS.
SÉANCE DU 14 MAI i866.
Présidence de M. Jules MICHELIN, vice-président.
L'an mil huit cent soixante-six, le quatorze mai, à deux heures,
La Société d'archéologie. Section de Provins, se réunit nu
lieu ordinaire de ses séances, à l'Hôtel-de- Ville de Provins, sous
la présidence de M. Jules Michelin, vice-président de la Section.
Sont présents : MM. J. Michelin, Husson, E. Bourquelot,
A. Arnoul, Moulenq, Le Hériché et A. Lenoir, secrétaire.
M. le comte d'Harcourt, retenu par une indisposition, a
informé par lettre M. le Vice-Président qu'il ne pourrait assister
à la réunion.
Le Secrétaire donne lecture du procès-verbal de la dernière
séance.
Il est ensuite procédé au dépouillement des votes adressés
pour l'élection des membres devant composer en 1866-67 le
bureau de la Section ;
Ont pris part au vote :
MM. Moulenq, Michelin, comte d'Harcourt, Husson, Puyo,
Durvelle , P. Bourquelot, Fourtier, Bourgeat, Boby de La
Chapelle, E. Bourquelot, Delettre, Chaubart, De Haut, Burin,
Le Hériché, Blanc, Arnoul, Auguste Lenoir et Presles : — 20
votants.
Les voix se sont réparties comme il suit :
Président, MM. le comte d'Harcourt, 19 voix.
Brunet de Presle, 1
Vice-Président, Jules Michelin, 19
Délégué, Félix Bourquelot, 18
Teyssier des Farges, 1
Conservateur-archiviste, E. Bourquelot, 19
Secrétaire-trésorier, Auguste Lenoir, 19
MM. Jules Michelin et E. Bourquelot ont ensuite présenté une
demande d'admission dans la Société d'archéologie, Section de
Provins, formée par M. E. de Lépinois, auteur de plusieurs ou-
4
— 50 —
vrages d'archéologie et conservateur des hypothèques à Glermont
(Oise).
La Section, consultée, a été d'avis à l'unanimité que cette
admission l'ut prononcée par le Comité central de la Société.
M. le Vice-Président a donné lecture d'une communication de
M. Puyo, curé-doyen de Villiers-Saint-Georges, membre de la
Section, relative aux antiquités récemment découvertes à Augers;
puis il a donné la parole à M. Auguste Lenoir, qui a lu une
notice sur Durand de Villegagnon, provinois.
La séance est levée à 5 heures.
SÉANCE DU 18 OCTOBRE 1866.
Présidence de M. le comte B. d'HARCOURT.
Sont présents : MM. d'Harcourt, Jules Michelin, Boby de La
Chapelle, Brunet de Presle, Puyo et Aug. Lenoir, secrétaire.
Le Secrétaire-trésorier présente la situation financière de la
Section pour l'année 1863. Cette situation se résout par une encaisse
de 52 francs, qui devra s'augmenter du quart des cotisations res-
tant encore à toucher, soit pour 8 cotisations 24 francs, ce qui
portera l'encaisse totale à 76 francs.
Le compte du trésorier est adopté et joint au registre des déli-
bérations.
M. le Président donne lecture d'une lettre de M. le Secrétaire
de la Commission pour l'Exposition universelle de 1867, et sou-
met au vote des membres présents le prélèvement d'un franc sur la
portion attribuée à la Section dans la cotisation annuelle de chaque
membre pour 1866. Ce prélèvement a pour but la coopération de
la Section dans les frais qu'entraînera, pour la Société, la réunion
de curiosités archéologiques répandues dans le département et
pouvant figurer à l'exposition des œuvres caractérisant les diverses
"époques de l'Histoire du Travail.
La proposition est adoptée à l'unanimité de tous les membres
présents.
M. le Président présente ensuite de M. Victor Arnoul, comme
membre titulaire de la Section de Provins.
Les Sociétaires proposent cette admission à l'adoption du Co-
mité central.
M. le comte d'Harcourt expose qu'on pourrait appliquer aux
— ol —
monuments do l'arrondissement de Provins une mesure qui, dans
d'autres localités a donné de bons résultats. Cette mesure consiste-
rait à placer sur les principaux monuments des plaques, où seraient
gravées une date et une mention sommaire indiquant l'origine et
la destination primitive de l'édifice. Ce serait une sorte d'instruc-
tion primaire archéologique, à l'aide de laquelle on porterait à la
connaissance de tous des notions claires et précises sur les monu-
ments qui ne rappellent, chez le plus grand nombre, que des sou-
venirs assez confus. Ces plaques pourraient aussi être regardées
comme un porte-respect, et défendraient moralement les édifices
contre les libertés que des voisins sont trop souvent disposés à
prendre vis-à-vis des vieilles ruines. On les défendrait en même
temps contre les erreurs et les hyperboles des cicérones, qui sont
loin de puiser toujours à bonne source les récits et les descriptions
qu'ils font aux voyageurs.
Après une discussion à laquelle tous les membres présents
prennent part, la mesure proposée par M. le comte d'Harcourt
est adoptée en principe.
Rien n'étant plus à l'ordre du jour, la séance est levée.
TRAVAUX.
DEUXIÈME COMPTE-KENDU ANNUEL DU TRÉSORIER
PAR M. COURTOIS,
Membre fondateur (Section de Mclan), Trésorier central de la Société.
Messieurs et très-chers Confrères,
Honoré de Balzac a dit quelque part : « L'avarice commence où
)) la pauvreté cesse. » Si cela est vrai, rassurez-vous; ce n'est pas
encore cette année que nous pourrons être atteints de ce vilain
défaut, s'il a réellement pour cause unique h possession. Mais, à
mon sens, le grand écrivain s'est trompé; son aphorisme paraît
plus profond qu'il n'est juste, Dieu merci, car il ne peint qu'une
exception, — les Harpagons; et malgré la forme rapide et incisive
de sa sentence, elle porte à faux. Loin d'être l'avarice, l'ordre et
l'économie sont presque des vertus, au moins des qualités, et sans
leur pratique la pauvreté ne cesse guère ou revient bien vite ; c'est
là une vérité presque banale. Et peut-être, Messieurs et honorés
Confrères, trouverez -vous assez naturel que votre trésorier ne
puisse prendre pour modèle cet homme de génie qui, dans un
jour de bonne humeur, sans doute, et probablement pour résumer
son système personnel d'économie fmancière, disait si plaisam-
ment que s"il avait un sou à lui il le ferait encadrer.
Cela dit, voyons, pour la seconde fois, quel est l'état de nos
finances et tâchons de tirer de cet examen un profit pour l'ave-
nir, en dépit du moraliste, comme d'aucuns nomment aujourd'hui
l'illustre auteur de la Comédie humaine.
C'est une tâche assez ingrate que celle qui consiste h. manier des
chiffres, car les chiffres sont tellement ennuyeux qu'ils déteignent
toujours un peu sur les doigts qui les touchent. Mais, vous le
savez mieux que moi, Messieurs, il n'est pas donné à tout le
monde d'aller à Gorinthe sur les ailes de la poésie ou par les
sentiers plus ou moins pénétrables de l'archéologie : les Muses
n'ont de sourires que pour leurs adorateurs; les sphinx de muettes
— 54 —
révélations que pour les pionniers de la science qui savent les in-
terroger et leur arracher leurs secrets...
Votre indulgence, Messieurs et honorés Confrères, m'est donc
nécessaire plus qu'à tout autre, et j'ai le ferme espoir que vous
voudrez bien me l'accorder.
Ainsi que vous allez bientôt en être convaincus, ce n'était pas
sans de justes appréhensions que, déjà l'an passé, je prêchais
l'ordre et l'économie comme cela incombe rigoureusement à ma
fonction, — j'allais dire à mon personnage; — car, s'il vous en
souvient, notre premier exercice se soldait en prc'y/szon, non par un
excédant de recettes, mais par un petit déficit qui s'est accru
quelque peu, sans que cela ait pris une importance sérieuse. Ce
petit déficit avait d'ailleurs son explication, son excuse même,
— presque sa raison d'être, — dans la nécessité où nous avions été
de faire supporter par la seule première année les frais d'organi-
sation de notre Société, alors que, d'autre part, le nombre de nos
sociétaires ne pouvait, au début, égaler celui que l'avenir devait
légitimement nous promettre, et alors aussi qu'aucune allocation
officielle n'avait même pu encore être sollicitée.
Or, cette année-ci, c'est-à-dire durant l'exercice 1865, nous
n'avons plus eu de frais de premier établissement, le nombre de
nos adhérents a augmenté, — justifiant ainsi nos espérances, —
et cependant, malgré ces circonstances favorables, au lieu de com-
bler le déficit du premier exercice, nous l'avons élevé !
D'oîi cela provient-il?
C'est ce que j'ai la mission de vous faire connaître, et pour vous
fixer sur l'état véritable de nos finances d'une manière à la fois
aussi complote et aussi succincte qu'il me paraît utile de le faire,
permettez-moi, Messieurs et honorés Confrères, non de repro-
duire simplement nos recettes et dépenses, jour par jour, dans un
relevé où seraient confondus et noyés, pour ainsi dire, les résultats
généraux et les causes, — qu'il importe surtout de connaître, —
mais, en quelque sorte, de disséquer mon compte, — si vous voulez
bien me passer la métaphore, — et de vous en soumettre la subs-
tance. La seule balance de la situation à ce jour nous parlera déjà
assez éloqucmment par elle-même, et nous n'aurons plus alors
qu'à la commenter, — qu'à l'expliquer, — qu'à nous en souvenir
surtout.
situation de la cnisi^o ji eo Jour SI mal 1800.
DÉPENSES.
Lus dépenses effectives acquittées depuis le premier compte
— 55 —
jusqu'à ce jour pour différents exercices s'élèvent à la somme
de 3,870 f. »
RECETTES.
Tandis que les recettes, effectives aussi, opérées
sur les mêmes exercices depuis la même époque, ne
s'élèvent qu'à 3,601 70
D'où il résulte une avance de la part du trésorier
central de. 268 30
Somme absolument conforme à la balance de ses écritures.
Cette première indication est déjà fort utile, je pense, puis-
qu'elle donne un renseignement précieux : l'état de la caisse, —
moyen de contrôle de tout compte et base de tout budget, — mais
elle serait insuffisante à cause de son laconisme, et il me paraît
nécessaire de vous présenter une situation raisonnée qui per-
mettra d'apprécier facilement, je l'espère, les résultats de chaque
exercice en particulier, en même temps qu'elle fera connaître la
nature des dépenses auxquelles la Société a eu à faire face et les
ressources dont elle a pu disposer pour y satisfaire jusqu'à due
concurrence. Due concunrence, vous le comprenez. Messieurs et
honorés Confrères, vous ferait suffisamment pressentir un déficit
si je ne venais déjà de vous l'annoncer positivement; mais n'anti-
cipons pas sur l'ordre de ce travail.
Les dépenses faites postérieurement au premier compte, — et
que je place ici les premières parce qu'elles sont supérieures
aux recettes, — les dépenses, vous l'avez vu, se sont élevées jus-
qu'à ce jour à 3,870 francs, et les recettes à*3,601 fr. 70 c. ; mais
ce n'est pas assez de le dire, il faut le jjustifîer, et sans vouloir
entrer ici dans des détails qui ne me paraissent pas indispensables,
il est bon, je crois, de vous indiquer sommairement en quoi ont
consisté ces dépenses et ces recettes.
Indication soninialre des ISépcnscs.
Elles se composent d'abord des frais d'impression du Bulletin
de 1864, de factures payées à M™" Thuvien, libraire à Melun, et
à MM. Massue, marchand de papier, et Berthault, imprimeur-
graveur à Paris; de deux autres petites factures payées à des per-
sonnes de Paris, enfin de reliquats de frais du premier exercice
réclamés par les Sections de Goulommiers, Fontainebleau et
Meaux, le tout applicable à l'exercice de 1864, et non payé lors
du premier compte-rendu faute de production des factures jusque
— 56 —
là; ensemble l,428f.3o
2° des frais du Bulletin de 1865, y compris dessins,
gravure, etc., suivant état que j'ai l'honneur de vous
mettre sous les yeux, ci 1,836 32
3° de déboursés faits pour les séances générales
de Provins et Fontainebleau, montant à 299 15
4° des frais de correspondance pour 1865, qui se
sont élevés, savoir :
Ceux de M. le Secrétaire général, à 82 f. 05 1
Et ceux de votre Trésorier central à 4 25 f °^'' ^^ ^^
5° de pareilles dépenses s'appliquant à 1866. . . 28 45
6° de la faible somme de 36 fr. 43 qui, avec
230 fr. figurant au premier compte-rendu comme dé-
penses s'appliquant à 1865, a suffi à faire face aux
frais de correspondance et autres de M. le Prési-
dent, ci 36 43
7° Enfin de pareilles dépenses à celles du n° 6 s'ap-
pliquant à 1866 .^ 155
Somme égale aux dépenses générales ci- dessus an-
noncées, comme ayant été faites depuis le premier
compte 3,870 »
Indication sommaire des Roecttes.
1° Balance du premier compte du Trésorier cen-
tral 8i3f.^io
2" Encaissement de 8 cotisations de l'exercice 1864
sur les 16 qui restaient à recouvrer, savoir :
Section de Goulommiers-, 4 \
— Fontainebleau, 2 > ensemble 8 à 12 f. 96 »
— Molun, 2 )
3" Petit solde du compte de 1864 du Trésorier de
Goulommiers 1 35
4° Encaissement de 227 cotisations, à 9 fr. l'une,
sur l'exercice de 1865, et dont .je donnerai plus loin
le détail 2,043 »
5° Recettes de 13 droits de diplômes ?i 6 fr., dont
5 par le Trésorier central et 8 par M. le Trésorier de
Provins 78 »
6° Vente de 3 Bulletins par le Trésorier central. . 7 50
A reporter 3,069 70
— 57 —
Report 3,069 70
7° Allocation ministérielle pour 1863 3oO >•
8° Versement de M. le Trésorier de Fontainebleau
à compte sur le même exercice 182 »
Somme égale au chiffre ci-dessus annoncé pour les
recettes générales faites depuis le premier compte. 3,601 70
. Les recettes et les dépenses ainsi connues, il me semble, pour être
logique, qu'il y a lieu tout d'abord d'en extraire les éléments pro-
pres à établir les résultats définitifs de notre premier exercice, —
résultats que nous n'avions pu qu'entrevoir lors du premier compte,
attendu que certaines recettes et dépenses restant alors à faire ne
pouvaient être appréciées d'une manière défmitivc à cette époque,
faute de documents précis.
Apnrcnicnt do Texercicc fS04.
Ainsi qu'on le voit dans mon premier compte-rendu (page 33 du
Bulletin de la 2° année), le déficit prévu approximativement pour
l'exercice 1864 devait être d'environ 123 fr. 60. Ce chiffre, par
suite d'une petite erreur de 1 fr. produite dans la dernière sous-
traction et passée inaperçue parce que, s'agissant de prévisions,
il n'y avait pas le contrôle du fait, — ce chiffre doit être ramené
à 124 f. 60
Mais, les dépenses payées depuis cette époque — et
qui soldent, je l'espère, le débit de cet exercice, — se
sont élevées (voir le 4" art. des dépenses générales
ci-dessus) à l,428f.33
Et comme elles n'avaient été prévues
provisoirement que pour 1,318 43
Il est résulté de ce chef un excédant de
dépenses de 109 90
D'autre part, au disponible alors en
caisse, et qui était de 843 fr. 83 (voir le 1"
article des recettes ci-dessus), j'avais cru
pouvoir ajouter l'encaissement probable de
10 cotisations sur les 16 restant à recou-
vrer de cet exercice. Or, il n'en est encore
rentré que 8, ce qui fait, pour les deux
cotisations non encaissées, un déficit sur
les prévisions de. 24 »
Et nous donne un mécompte de . . . 133 90 133 90
qui, ajoutés au déficit prévu, élèvent le déficit défini-
tif de 1864 à . . 258 50
— 58 —
En termes plus généraux, aux dépenses déjà acquittées lors du
premier compte-rendu et qui se montaient à . . . 1,749 f. 15
Moins le retranchement qui a été fait de la
somme s'appliquant à l'exercice 1865, soit . . . 230 »
Ce qui les réduisait en réalité pour 1864 à . . . 1,519 15
Il y a lieu d'ajouter les dépenses payées depuis
pour complément de cet exercice et portées ci-dessus
pour 1,428 35
Ce qui élève les dépenses de l'exercice 1864 à. . 2,947 50
Tandis que, aux recettes qui s'élevaient h la même
époque, à 2,593 f. »
Il n'y a lieu d'ajouter que l'encaisse-
ment de 8 cotisations à 12 fr. l'une, soit. 96 »
Ce qui porte les recettes du même
exercice à 2,689 » ci. 2,689 »
Et donne bien un déficit semblable à celui sus-
indiqué pour 1864 de 258 50
Ce point ainsi acquis et contrôlé, voyons quelles sont, parmi les
recettes et les dépenses générales, celles qui s'appliquent à l'exer-
cice 1865, et quel est le résultat provisoire de cet exercice.
EXERCICE 1865.
DÉPENSES.
Les dépenses s'appliquant à cet exercice sont :
1° Les frais du deuxième Bulletin, imprimeur, graveur, etc.,
portés sous le n° 2 du chapitre intitulé : Indication sommaire des
dcpenses, soit 1,836 f. 32
2° Les frais des séances générales de Provins et ~
Fontainebleau 299 15
3° Les frais de correspondance et autres de M. le
Président, savoir :
Ceux portés au premier compte, mais s'appliquant
à 1865 230f. »
Et le complément porté au présent
compte, soit 36 43
Ensemble 266 43 266 43
4° Enfin, les frais de correspondance de M. le Se-
crétaire général el du Trésorier central, soit. . . S6 30
Ce qui porte les dépenses applicables à l'exercice
1865 à 2,488 20
— 39 —
RECETTES.
Les recettes, également applicables à l'exercice 1865, se compo-
sent :
1° De l'encaissement de 227 cotisations sur cet exercice, à 9 fr.
l'une, déduction laite du quart alloué aux Sections, soit 2,043 f. »
{Je donnerai plus loin le relevé par Section de ces encais-
sements.)
2° Du coût de 13 diplômes, à 6 fr 78 »
3° Et de la vente de 3 Bulletins, à 2 fr. 50. . . . 7 50
Ce qui porte le total des recettes applicables à 1865
à f r 2,128 50
BALANCE.
Les dépenses de l'exercice 1865 étant de ... . 2,488 20
Et les recettes seulement de 2,128 50
Il en résulte que cet exercice se solde, quant à pré-
sent, par un déficit de 359 70
Pour abréger autant que cela est possible ce travail, forcément
un peu long à cause de la nécessité — qui n'existait pas lors de
mon premier compte-rendu — d'apurer notre premier exercice
et de vous présenter séparément le résultat définitif de cet exercice
(1864) et le résultat provisoire de 1865; pour abréger, dis-je, je
supprime ici un tableau que j'avais dressé et dans lequel, — après
avoir retiré des recettes et dépenses générales tout ce qui s'appli-
quait aux exercices 1864 et 1866, — j'arrivais à donner, par ce
simple procédé, la preuve absolue, incontestable^ de l'exactitude
du compte ci-dessus pour l'exercice de 1865.
Mais chacun pourra suppléer à l'absence de ce tableau en se re-
portant aux chapitres intitulés : Indication sommaire des dépenses, —
indication sommaire des recettes, — et en y voyant que les articles de
recettes et dépenses relevés ci-dessus pour l'exercice 1865, sont
bien les seuls articles qui ont dû être extraits de ces chapitres
pour former le compte de cet exercice.
Néanmoins, pour être aussi clair et aussi complet qu'il me semble
qu'on puisse l'être lorsqu'il s'agit d'une comptabilité de la nature
nécessairement un peu compliquée de la nôtre, — par suite de
réparpillement obligé des éléments de cette comptabilité, — - il ne
sera peut-être pas inutile de vous faire connaître le nombre de nos
sociétaires pendant l'année 1865; le chiffre des encaissements
— 60 —
opérés sur cet exercice dans chacune des Sections; enfin, d'addi-
tionner les déficits de nos deux premiers exercices et de vous indi-
quer comment, d'après mes appréciations, ils pourront se modifier
et s'atténuer.
Ce qui va suivre étant comme le couronnement de ce qui précède,
j'estime, dès lors, que ce ne sera pas la partie de mon travail qui
offrira le moins d'intérêt, et je vous prie en conséquence, Mes-
sieurs et honorés Confrères, de vouloir bien me continuer quelques
instants encore votre bienveillante attention.
Slclcvé eoniparatif du noiubre dos Slociétaircs en 1S04 et 1N05^ du
chiffre do coti.^sitlons cucais>sces Ji ce jour dans chacune des tUce-
lions, et de colles restant & rocouvrer.
SECTIONS DE
Goulommiers..
Aieaux
Melun
['"ontainebleau
Provins
Totaux....
en 1864
37
42
80
81
23
263
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en 1865
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44
7
48
6
82
2
81
0
39
16
294
31
COTISATIONS
DE
l'exercice 1865
en-
caissées
27
42*
71
00
27
997
à re-
couvrer
17
6
H
21
12
67
Observations
*dont une par
le trésorier
central.
11 résulte, comme on le voit, de cet état, que le nombre de nos
sociétaires, qui était en 1804 do 263, s'est élevé en 1865 h 294, ce
qui a donné une augmentation de 31 membres pour la deuxième
année; et que, ainsi que cela est établi dans mon compte, 227 co-
tisations de cet exercice ont été encaissées jusqu'à ce jour; il reste
donc, pour compléter le chiffre de 294 membres, 67 cotisations ?i
recevoir ou h passer en non-valeur. 67 cotisations en retard sur
294 ! c'est beaucoup; la première année les encaissements s'étaient
— 61 —
mieux faits : 247 cotisations avaient été encaissées sur 263 au mo-
ment du compte-rendu, et sur les d6 qui étaient restées en souf-
france 8 ont été encaissées depuis. Nous verrons tout à l'heure
quelle est la cause principale de cet arriéré, relativement impor-
tant, de 67 cotisations sur notre deuxième exercice, et ce qu'il y
a à en attendre.
Ces renseignements. Messieurs et honorés Confrères, vous
étaient, je crois, indispensables à connaître à plus d'un titre, et ils
vont me servir à vous fixer d'une manière aussi approximative que
possible sur le résultat final de nos deux premiers exercices.
Résultats réunis des exercices 1S64 et 1965.
On peut, je pense, regarder aujourd'hui comme n'étant plus
susceptible de modifications — au moins de modifications sé-
rieuses — le déficit de l'exercice 1864 qui, comme l'on s'en sou-
vient, est de 258 f. 50
En y ajoutant provisoirement, pour son chiff're ac-
tuel, celui de 1865 susceptible, lui, de modifications,
et qui est de 359 70
On trouve que notre déficit à ce jour, bien et dû-
ment établi, est de 6Ï8 20
Mais, dès à présent, il est tardivement réclamé sur
cet exercice : par M. Michelin, imprimeur, une note
de 18f.50
EtparM'^'^Thuvien, lithogr., unenote de 16 40
Ensemble 34 90 ci. 34 90
Ce qui, à supposer qu'il ne soit plus présenté aucun
mémoire s'appliquant à 1865, élèvera le déficit des
deux premiers excercices à 653 10
Mais il semble 'que nous pouvons légitime-
ment espérer recouvrer encore un certain nombre
des cotisations arriérées de l'exercice 1865, et en les
portant seulement à 27, à 9 fr. l'une, cela nous don-
nera un chiffre de recettes nouvelles de 243 »
Ce qui pourra réduire notre déficit à environ (1), . 410 10
(1) Malheureusement quelques efforts qu'ait faits votre trésorier pour présenter un
résultat à peu près définitif, surtout pour l'exercii^e 18Gi, et alors qu'il croyait y être
arrivé, il a le regret d'annoncer que pendant l'impression du présent rapport, plu-
— 62 —
Ainsi, Messieurs et honorés Confrères, comme j'ai eu l'honneur
de vous le dire en commençant, au lieu de combler le déficit de
notre premier exercice nous l'avons augmenté, mais d'un chifTre
heureusemeut peu important, en résumé; et au besoin, pour l'at-
ténuer et môme pour l'efTacer presque entièrement, nous avons
dès h. présent en caisse une recette nouvelle de 350 fr,, montant de
l'allocation généreuse de S. Exe. M. le Ministre de l'Instruction
publique.
Voilà les faits; voyons maintenant les causes :
Trois causes principales ont concouru à céer le déficit signalé :
En première ligne, il faut placer les frais imprévus et relative-
ment considérables de dessins et gravure pour le Bulletin de la
seconde année.
En second lieu, les frais également imprévus des deux séances
générales de Provins et Fontainebleau en 1865, qui se sont élevés
à près de 300 fr. — Pour ordre, celle de Melun, en 1864, n'avait
rien coûté ou à peu près.
Enfin, l'irrécouvrabilité presque certaine d'environ 40 cotisa-
tions sur l'exercice de 1865, chiffre énorme comparé à celui de
l'exercice 1864 qui n'a été en définitive que de 8 seulement.
Cette importante non-valeur provient pour la moitié environ de la
Section de Fontainebleau. C'est un gros mécompte qui devait être
assez imprévu aussi, attendu que si nous n'avions rien fait pour
attirer à nous ces membres déserteurs, nous avons tous la con-
science d'avoir moins fait encore, — si cela est possible, — pour
les éloigner.
Et à cet égard, Messieurs et honorés Confrères, veuillez me per-
mettre une réflexion qui a dû vous venir à l'esprit comme à moi,
et cette réflexion est celle-ci : on se demande quelles ont bien pu
être les bonnes raisons qu'ont dû avoir des gens sérieux entrés
dans une société dont le programme leur était connu, pour n'y rester
que ce que durent les roses?
Certes, nul plus que moi ne respecte la liberté d'autrui, et je ne
crois pas mériter d'être traité d'incendiaire en faisant cette ré-
flexion. La question qui en résulte peut avoir son importance
pour l'avenir, et le jour où l'on retouchera aux statuts, peut-être
verra-t-on s'il n'est pas nécessaire d'imposer un minimum quel-
sieurs réclamations tardives, montant à plus de 400 fr., lui ont éli laites; de
sorte que notre déficit dépassera 800 fr. C'est beaucoup; espérons du moins que ce
sera le dernier chiffre de notre mécompte.
-■ G3 -
conque de durée d'engagement? Des souscripteurs, qui ont brigué
l'honneur de figurer sur nos premières listes, ont trouvé des pré-
textes pour ne pas même payer leur première cotisation; de sorte
qu'ils auront été sociétaires sans jamais avoir payé un centime.
Gela n'est pas très-exemplaire, car le plus impérieux de tous les
devoirs est de satisfaire à ses engagements.
Quoi qu'il en soit, Messieurs et honorés Confrères, je crois être
l'écho de vos sentiments en disant que, comme moi, vous regret-
terez ceux qui nous abandonnent, moins pour le tort matériel
qu'ils causent à la Société, que pour le tort moral que leur départ
pouvait lui faire, — et que vous les regretterez surtout pour eux-
mêmes.
Ce petit devoir confraternel rempli, laissez-moi revenir, en ter-
minant, aux considérations par lesquelles' j'ai commencé:
En dépit de M. de Balzac, l'ordre et l'économie sont nécessaires
dans toutes les conditions, et, dans notre situation présente, ils sont
indispensables absolument ; aussi, pour mon compte, je vous prie
de croire que je ne me départirai pas de ces principes salutaires.
Le mal est heureusement insignifiant et il faut non-seulement
nous appliquer à empêcher qu'il augmente, mais encore à le
réparer.
— « Ne pouvait-on le prévoir, le prévenir ? » diront d'aucuns.
Gela était difficile, pour ne pas dire tout à fait impossible, avec
notre mode de procéder.
— « Au moins l'expérience nous profitera-t-elle ?
Il faut l'espérer quoique, malgré l'expérience, on fasse encore
chaque jour des écoles en toute matière.
— H Mais ne pourrait-on, par un budget préparé à l'avance,
régler nos recettes et nos dépenses? »
C'est là où gît le mal, peut-être aussi le remède, — le poison et
l'antidote. Pour les Recettes^ la difficulté est grande, car c'est
l'imprévu presqu'absolu, puisqu'elles dépendent non-seulement
du nombre fluctuatif des membres de la Société, mais encore de
la rentrée des cotisations; cependant on pourrait peut-être essayer
de résoudre cette première difficulté en exigeant rigoureusement,
d'une part, conformément aux statuts, le versement de toute coti-
sation due pour l'année commencée avant la démission; et d'autre
part, en ne faisant pas de dépenses sérieuses avant l'entier encais-
sement des cotisations. Mais ces mesures sont-elles possibles en
pratique? Je n'oserais l'affirmer.
Pour les Dépenses , la difficulté est peut-être moins grande :
— 64 —
réduire le plus possible les dépenses générales, et ne mettre à exé-
cution tel ou tel projet qu'après s'être assuré à la fois et de la dé-
pense qu'il doit entraîner pour la Société, et de l'état au moins
probable de nos ressources.
Gela est très-désirable, et d'ailleurs il faut de toute nécessité
qu'il en soit ainsi : car aucune Société, aucun trésorier ne pour-
raient continuer une existence ou des fonction^ alors que les
budgets annuels se solderaient constamment par des déficits.
(( Nous avons une Commission des finances, » dira-t-on? Oui,
mais par suite de la forme fédérative de notre Société et du choix
fait dans plusieurs arrondissements des membres de cette Com-
mission, peut-elle, en pratique, fonctionner d'une manière utile?
la meilleure réponse c'est qu'elle n'a pas fonctionné jusqu'ici, et
fonctionnât-elle, qu'il est douteux qu'elle puisse faire mieux ou
moins mal , si l'on veut, que ce qui a été fait.
Le Président et le Trésorier sont donc, par la force des choses,
— et encore le Trésorier très-secondairement, — amenés à avoir
seuls la lourde responsabilité des finances. La sollicitude toujours
si vive de notre aimé et honorable Président, son zèle véritable-
ment infatigable pour les intérêts de la Société; et. Je crois pou-
voir le dire, l'ordre et la vigilance de votre Trésorier central, et
l'obligation pour lui d'aligner, comme on dit en matière de comp-
tabilité, garantissent autant que possible la Société de tout mé-
compte sérieux.
Il va de soi que je tiens à la disposition de mes honorables col-
lègues de la Commission des finances et de tous les membres de la
Société, la justification de tous les articles de recettes et dépenses
figurant au présent compte-rendu.
Je vous devais. Messieurs et honorés Confrères, ces détails, —
un peu longs peut-être, — non pour vous seuls, mais aussi pour
la Société qui a bien voulu me confier l'honneur périlleux de
veiller à sa prospérité financière, et j'aurai accompli l'une "des par-
ties essentielles de ma tâche si j'ai réussi à porter la lumière dans
vos esprits.
— (io —
ICONOGRAPHIE DE SAINT-LOUP
EMPRUNTÉE PKINCIPALEMEiNT AUX MONUMENTS DE L'aKT LOCAL,
PAU M. ELG. Cil ES Y,
Ancien membre fondateur (SecJ5«n de i%il«>liiia).
Saint Loup ou saint Leu {Lujms)T\é, suivant la légende, de race
royale à Orléans, vers 573, fut élu archevêque de Sens en 609 et
mourut en 623.Saiete se célèbre le ■l'^'' septembre, et sa translation
le 23 avril. Son culte était très en honneur dans la Brie, et, pour
preuve de cette popularité, nous nous contenterons de donner la
liste des églises qui lui sont consacrées dans Seine-et-Marne.
Bellot, Bransles, Chatenoy, Ghenoise, Gourquetaine, Grôpoil ,
Grisy-sur-Seine, Le Vaudoué, Luzancy, Neufmoutiers, prèsRozoy,
Nonville, Planoy, Rouilly, Saint-Loup-de-Naud, SamoisetTigeaux
l'invoquaient comme premier patron.
A Melun, la riche corporation des bouchers s'était aussi rangée
sous son patronage et c'était justice, puisque c'est dans cette ville
que la légende place un de ses plus éclatants miracles. On voit
encore dans l'église Saint- Aspais l'élégante chapelle et la splendide
verrière que les bouchers firent élever en son honneur. Nous avons
même la date de l'année à laquelle la corporation en fit les frais, par
l'inscription placée à la naissance de l'ogive : ranMXV''XVII ay esté
faicte {des) deniei^s de la côfrarie S. Loup. Au sommet de l'ogive
brillent les insignes de l'état : un couperet, un couteau de boucher
et le fusil à aiguiser. Au bas de la verrière, à droite, on remarque
un élégant cartouche rehaussé d'arabesques où l'explication des trois
scènes représentées se trouve ainsi résumée : Comment S. Loup
fut consacré, puis fut chassé. Le panneau supérieur donne l'intronisa-
tion de saint Loup. A genoux, les mains jointes, il vient de recevoir
la croix primatiale à double trayerse , à laquelle lui donnait droit
le titre de primat des Gaules; c'est le moment où les deux évèques
qui l'assistent lui posent la mître sur la tête, en présence d'un car-
dinal : sur le devant de la scène, dans les compartiments voisins,
six diacres et sous-diacres en dalmaliquc l'ont l'oltice de clercs
— 66 —
servants et complètent le cérémonial en portant des chandeliers.
D'après la légende dorée, « pour ce que saint Loup n'avait donné
nul don à Parulf, sénéchal envoyé à Sens, celui-ci le diffama, si
que le roi Glotaire l'envoya en exil. » Dans le panneau suivant,
le prélat est accompagné d'un concours de peuple qui manifeste
ses regrets, mais il jette son anneau épiscopal dans les fossés de
la ville en déclarant qu'il ne reviendrait que quand on l'aurait
retrouvé. En effet, peu de temps avant son retour, fut péché à
Samois, près de Alelun , un barbeau dans le corps duquel fut
trouvé l'anneau du Saint, anneau qu'on montre encore dans le tré-
sor de la cathédrale. Papirius-Masson a même trouvé une autre
version : ce ne serait, selon lui, que du règne de Louis VII qu'au-
rait été péché le barbeau, et l'édification de l'abbaye de ce nom
aurait été entreprise avec le prix de. la pierre précieuse. On raconte
de S. Grat, treizième évêque de Ghâlons-sur-Saône, une légende
absolument semblable : ayant été attardé pour dire sa messe, le
saint prélat, dans son humilité, se crut indigne de continuer
l'exercice du sacerdoce, il jeta donc son anneau pastoral dans la
Saône et alla s'enfouir dans la retraite avec sa sainte mère ; il y
avait sept ans qu'un pieux ecclésiastique leur apportait leur nour-
riture quotidienne, lorsqu'un jour le fidèle serviteur acheta un
poisson qui avait l'anneau pastoral de S. Grat dans le gosier. On
répand la nouvelle de ce miracle dans la ville; aussitôt chacun
s'émeut, la multitude se dirige vers la demeure du prélat, l'ar-
rache de sa cellule et le ramène en triomphe à la cathédrale.
M. Maury, dans ses études légendaires, cite plusieurs affabula-
tions du môme genre : dans les récits arabes un poisson rapporta
à Salomon un anneau magique qu'il avait perdu. Dans la légende
écossaise sur la vie de saint Kentigern, une femme laissa tomber
son anneau dans un fleuve pour justifier son innocence aux yeux
de son époux jaloux et, par l'intercession du saint, un poisson le
rapporta du fond des eaux.
Mais revenons h notre vitrail de l'église Saint-Aspais. Au troi-
sième panneau, S. Loup, précédé d'un clerc, qui porte la croix
primatiale, s'avance sur le pont de Melun, étend sa main bénis-
sante vers le château et arrête l'incendie qui allait le dévorer. Un
détail curieux, c'est qu'on reconnaît dans le pinceau du peintre
verrier l'intention de retracer notre château du moyen-âge, avec
son donjon , ses tourelles, ses courtines et môme les contreforts
de la double enceinte qui le protégeait contre les inondations de
la Seine.
— 67 —
Quoique la légende de S. Loup n'ait rien de commun avec
celle de saint Gilles, leur culte est presque toujours associé parce
que leur fête tombe le même jour ; aussi le saint solitaire figure-t-
il sur la verrière de Saint-Aspais et la biche qui est son attribut
ordinaire forme pendant à l'autre extrémité du vitrail.
Dans l'église de Grisy, près de Montereau, le rétable est occupé
par une peinture du xvn^ siècle représentant S. Loup arrêtant
l'incendie deMelun.
Autrefois à Châlons-sur-Saône, c'était la coutume lors des incen-
dies, de baigner le chef de S. Loup dans deux tonneaux de vin
et d'eau qu'on jetait sur le feu. Après cette cérémonie, ceux qui
apportaient la précieuse relique faisaient un tour en procession
près du lieu embrasé, mais pendant tout le temps que la relique
était absente de l'abbaye, il fallait qu'un des échevins y restât en
otage.
Dans sa Vie des Saints illustrée, un habile graveur de Louis XIV,
Sébastien Leclercq, a représenté le même épisode de la vie de
S. Loup. Aussi, lorsqu'après la séance générale tenue à Provins,
plusieurs membres de notre Société proposèrent une excursion à
l'église de Saint-Loup-de-Naud, j'avoue que l'espoir d'y découvrir
le miracle de Melun exécuté par un tailleur de pierres vives du
douzième siècle, avait pour moi un bien puissant attrait. Toutefois
je n'avais pas oublié que deux de nos savants confrères, MM. Félix
Bourquelot (1) et Pichot (2), avaient déjà (Jonné en grande partie
l'explication des sculptures légendaires du portail ; après d'aussi
habiles explorateurs, je ne pouvais donc compter que sur un gla-
nage bien chétif. Le porche de S. Loup-de-Naud est aussi
muet que la légende dorée sur l'anneau pastoral et l'incendie
de Melun ; j'en dois conclure que ces épisodes de la vie du saint
prélat sont des interpolations dans sa légende, qui pourraient bien
ne dater que du xiv® ou du xv'' siècle. En compensation, l'archi-
volte du portail de Saint-Loup-de-Naud nous offre vingt-six sujets
de sa vie légendaire. Le plus excentrique et le plus original est
évidemment celui qui représente un personnage à genoux affublé
d'une cloche en guise de chemise ; l'anse et le cerveau de la
cloche se détachent merveilleusement de ses parois et semblent
former nimbe au-dessus de la tête du suppliant ; on y remarque
encore, fixés, le marteau du timbre et la corde de rappel de
(1) Bibliothèque de l'école des Charte?,, T. If, ?,'' livraison.
(2) Les Monuments de Seine-et-Marne, p. 139.
— H8 —
l'horloge. On ne pouvait rendre d'une façon plus ingénieuse et
plus conforme aux lois de l'acoustique le miracle d'une cloche
qui change de son.
Voici comment le rapporte la légende dorée : « Le roy dotai re
« ouyt que les cloches de S. Etienne avoient merveilleuse doul-
« ceur en leur son,*si envoya dire qu'elles fussent apportées
« à Paris afin qu'il le ouyst sonner et il despleut au benoist sainct
« Loup , et si comme ilz furent dehors de la cite ils perdirent la
« doulceur de leur son et quand le roy ouyt, il commanda qu'elles
« fussent restituées, et tantost que elles furent à sept lieues de la
« ville ilz sonnèrent leur son arrière, ce sainct Loup alla à l'en-
(( contre et reçut à grand honneur ce qu'il avoit perdu dolent. »
Le nimbe bizarre dont la tête du personnage est décorée
m'avait fait supposer d'abord que c'était le saint lui-même invo-
quant la puissance divine pour obtenir ce phénomène d'acous-
tique, mais je me range tout à fait de l'avis de notre savant
confrère, M. le comte de Bonneuil (1) qui y reconnaît l'envoyé
du roi Glotaire rapportant la cloche à Sens, en faisant en quelque
(1) En 1850, flans un congrès de la Société française, M. le comte de Bonneuil a
donné de vive vnix une notice sur le portail de Saint-Loiip-ile-Naud, et il est re-
grettable que le Uultelin inoinancntal n'ait jm iiu'lmi faire simplement mention
(no 3, XVI l» vol. p.. 160.)
— 69 —
sorte amende honorable pour le rapt commis par son maître. En
effet, le personnage est à genoux dans une attitude qui exprime
plutôt l'humiliation et l'affaissement, et ce qui est encore plus
concluant, c'est qu'il est en costume séculier : avec les grègues
collantes.
L'exorcisme du démon que le saint tient emprisonné dans un
vase à boire pendant toute une nuit, pour avoir voulu le tenter
par la soif, donne une idée piquante des naïvetés superstitieuses de
l'époque ; mais notre siècle est-il bien sûr d'être moins simple,
et, par exemple, combien voyons-nous de pauvres d'esprit porter
leur argent aux somnambules ?
Parmi les sujets qui n'ont pas encore été expliqués, je crois
pouvoir désigner avec une certaine assurance celui qui occupe le
sommet de l'ogive : le saint voyageant à cheval se penche sur sa
selle pour écouter les voix des anges qui chantent l'oraison domi-
nicale (1); ceux-ci, portés sur un nuage, tiennent ensemble un
philactère à la main comme des musiciens qui exécuteraient un
motet.
Pour ne pas troubler la symétrie architecturale, les comparti-
ments sont, en général , divisés à peu près également et il en ré-
sulte forcément une certaine obscurité dans les compositions. En
effet, l'artiste a pu être quelquefois obligé de rejeter dans un com-
partiment voisin les personnages qui concourent à une seule et
même scène et la complètent ; ainsi , dans la délivrance des pri-
sonniers liés et garottés, ils sont tenus en laisse par un geôlier qui
occupe une case supérieure. Les portes de l'église Saint-Aignan
d'Orléans s'ouvrent d'elles-mêmes à la prière du saint qui tombe à
genoux dans une autre bande parallèle; le musicien qui joue de
la viole me paraît fêter la réconciliation du roi Clotaire et de S.
Loup qui occupent une division inférieure. A côté de deux femmes
qui s'embrassent, figureraient les deux clercs qui les regardent avec
des yeux de concupiscence, mais qui, par la prière du saint prélat,
obtiennent de résister h la tentation. Du reste , le dessin que
M. Fichot a donné de ce portail- dans ses JMonununts de Seine-et-
Marne, est im chef-d'œuvre d'exactitude si consciencieuse que l'on
peut y étudier tous les détails de la sculpture avec autant de con-
fiance que sur le monument même.
La représentation la plus capitale est celle qui figure debout et
de grandeur naturelle sur le pilier d'estanfiche, le prélat, revêtu
(1) Orationem dominicam nh angelis decantari audit (Acti SS. apud Boll).
— 70 —
de ses habits pontificaux, crosse et mitre, foulant aux pieds deux
dragons qu'on chercherait vainement dans la légende ; évidemment
c'est ici remblôme de ses victoires remportées sur le paganisme,
car l'évangélisation paraît résumer la somme capitale de la vie de
S. Loup, et il faut se rappeler que, dans la zoologie mystique,
le dragon est la personnification du démon. Ne sont-ce pas les
mêmes traditions qui ont fait représenter S. Loup foulant aux
pieds un lion, conformément au passage de l'Écriturea conculcabis
leonem et draconem » ? C'est ainsi que nous le voyons sur deux
enseignes de pèlerinage en plomb provenant d'Esserant , près
Sentis, et remontant au xv" siècle (1). Le prélat, revêtu delacha-
sublc et la tète mitrée, tient à la main sa croix de primat des
Gaules, mais à une seule traverse. A ses côtés sont h genoux deux
petits pèlerins, probablement des enfants, car on invoquait spé-
cialement S. Loup pour les convulsions, l'épilepsie, et la peur
qui dispose souvent les enfants à ces deux terribles maladies. Il
ne serait donc pas impossible que la crédulité naïve de nos mères
ait attribué ce mérite à S. Loup sur la foi de son nom. Les
évangiles des quenouilles allaient jusqu'à prétendre qu'il faut préa-
lablement faire son offrande à S. Loup, si l'on veut manger
impunément d'un animal étranglé par un loup; néanmoins, l'ex-
plication que donne M. le président de la Société académique de
Beauvais du lion de S. Leu d'Esserant , me semble bien ha-
sardée ; M. Danjou le prend pour un rébus picard, la dégénéres-
cence d'un loup {leu en patois), par allusion au nom du saint.
Il existait autrefois à Vernelle, dans le canton de Brie-Gomte-
Robcrt, une chapi'lle dédiée à S. Leu, où avaient lieu de nom-
breux pèlerinages pour la guérison des convulsions des enfants.
La tradition locale était que le saint archevêque de Sens, au retour
de son exil en Etrurie, avait passé par Paris pour guérir le roi
qui l'y avait mandé, et qu'en se dirigeant vers Sens le couvent de
Vernelle était le premier endroit oii il s'était arrêté pour passer la
nuit. Depuis ki réunion de ce prieuré ù Tabbayc d'Hivernaux,
cette chapelle a été transférée dans Téglise d'Evry-les-Ghâteaux,
où l'on conserve sur l'autel une statuette du saint pouvant remonter
au XV" siècle, mais tellement fruste et mutilée qu'elleest dépourvue
d'intérêt. Les pèlerinages s'y continuent encore de nos Jours et,
selon une ancienne pratique, chaque mère qui vient invoquer le
(1) V. CollectvM de plombs historiés trouvés dans lu Seine, par M. A. Forgeais.
2« série, p. IRR.
— 71 —
saint ne manque pas de lui offrir un éohcveau de fi] qu'elle lui
passe au cou .
Enfin, la cathédrale de Sens garde dans son trésor un des types
les plus précieux des peignes mérovingiens au vii° siècle. Ce
peigne en ivoire est à deux fins , c'est-à-dire qu'un côté a de fortes
dents pour démêler et l'autre de plus fines; c'est à peu près ce que
notre docte correspondant, M. l'abbé Cochet, a observé dans les
tombeaux mérovingiens .d'Envermeu, mais celui de Sens est orné
d'une garniture de cuivre et rehaussé de deux lions affrontés qui
s'élancent sur une tête de bouc et semblent révéler un sens moral
sous leur signification symbolique. Une inscription du xiii* siècle
porte : Pectensoncti Lupi, et témoigne de l'antiquité de la tradition
qui attribue l'objet au saint évêque. On ajoute que le vénérable
pontife s'en servait dans les ordinations, lorsqu'il consacrait à
Dieu quelque représentant de cette race chevelue. Tout le monde
sait qu'alors le signe de l'entrée dans l'église était la déposition de
la chevelure : « comaque capiiis déposifâ monachus facius est » est-il
dit de Gamardus, seigneur de Villy-sur-Yère qui, au vii^ siècle,
se plaça, sous la conduite de S. Wandrille, dans le monastère
de Fontenelle (1), et lorsqu'en 6-40, S. Eloi fut ordonné malgré lui,
son illustre biographe a soin de l'appeler a invitum detonsum. » (2)
Dans ces données, la relique, qui n'éveille aux yeux du vulgaire
que l'idée d'un objet de toilette assez prosaïque, revêt réellement
un caractère sacré et doit prend rang parmi les insignes de la
prélature mérovingienne. «
(1) Gallia Christiana, T. XII, p. 161. — La Normundie souterraine, par l'abbé
Cochet, p. 255.
(2) Vie de S. Eloi, par S. Ouen.
— 73 —
LES CLOCHES
DE L'ARRONDISSEMENT DE FONTAINEBLEAU,
PAU M. A. TABOURET,
Membre fondateur (Section de Fontainebleau).
Qui n'entend qu'une cloche, n'entend qu'un son; or, j"fii l'inten-
tion de vous faire entendre le son de toutes les cloches de l'arron-
dissement de Fontainebleau, ou plutôt de vous tracer l'historique
de ces êtres, je dirais presque animés, qui sont les compagnes insé-
parables de notre existence.
Si par leur ding, ding, din, dong, comme le dit notre sublime
chansonnier, les cloches aiment à fêter un baptême, elles ne refusent
point de s'associer à notre deuil le jour où. le créateur a prononcé
pour quelqu'un de nous l'arrêt qui le rappelle à lui ; elles s'attris-
tent avec ceux qui restent, elles pleurent, elles se lamentent avec
eux.
Un de nos écrivains les plus harmonieux du siècle, Chateau-
briand, n'a-t-il pas dit : les cloches sont des voix placées entre le
ciel et la terre ? Si nos belles églises, nos immenses cathédrales
attestent la vigueur du génie chrétien, les cloches, ces courriers
célestes, sont destinées à le proclamer. Elles parlent au cœur de
l'homme avec cette puissance magique dont l'écho sans cesse nous
poursuit. Pour l'exilé sur la terre étrangère, c'est le clocher de
son village qui vient le plus souvent se dresser dans le mirage des
souvenirs de la patrie absente; c'est qu'aussi le clocher de son vil-
lage lui rappelle les beaux jours de ses premières années, ses
parents, ses amis, toutes ses joies perdues. Voix de la cité popu-
leuse, leur son anime aussi la solitude de nos plus humbles cam-
pagnes; elles régnent en un mot en souveraines sur tout l'empire
du monde civilisé, car pendant qu'autrefois le beffroi de î'hôtel-de-
ville de Paris retentissait pendant trois jours et trois nuits à la nais-
sance du Dauphin de France, pendant qu'aujourd'hui les cloches
de Notre-Dame, semêlantan bruit du canon, aflirment ladurée de
la dynastie impériale, pendant que la cloche du Capitole par sef^
— 74 —
longs mugissements annonce l'exaltation ou la mort du saint Pon-
tife, la cloche du plus petit de nos hameaux prévient aussi qu'un
bras de plus est donné h la terre, ou qu'un bras vient de lui être
retiré.
Les cloches sont habituellement lessymboles de paix et d'actions
de grâce, mais malheureusement aussi elles ont servi de signal au
fanatisme et aux cruautés : c'est au son des cloches de Palerme
qu'en 1282 périssaient les Français le jour des Vêpres Siciliennes,
c'est au son de la cloche de St-Germain l'Auxerrois que les massa-
cres de la St-Barthélemy étaient annoncés à la cité parisienne.
De nos jours elles sonnent parfois les révolutions et les incendies,
hélas ! elles ne chôment pas souvent.
J'aurais pu laisser parler les cloches elles-mêmes, car vous
n'ignorez pas qu'elles parlent, qu'elles babillent volontiers; comme
nous elles ont reçu le baptême, on a prononcé aussi pour elles le
mot éphetà ( ouvre-toi ) et en leur accordant le droit de parler, on
leur en a sans doute inspiré le désir. Cependant elles ont besoin
d'un intermédiaire pour vous raconter aujourd'hui les fêtes qui
ont présidé à leurs destinées. Elles m'ont chargé de ce soin dont
je m'acquitte d'autant plus volontiers qu'il y a toujours eu entre
les cloches et moi une parfaite harmonie. Je n'ose vous en dire la
raison, la gravité d'une séance archéologique m'interdit cette petite
excursion dans le domaine de ma personnalité : si je le faisais, vous
me croiriez plus babillard que le plus échevelé des carillons.
Lex cloches chez différents peuples.
En vous parlant de mon amour pour les cloches, j'ai bien peur
de faire mon procès, car l'auteur du traité des superstitions ( J. B.
Thiers, curé de Vibraye) prononce formellement cet arrêt: la ca-
naille aime le son des cloches. Et malheureusement, si nousconsul-
tonsl'histoire, nous sommes forcés d'admettre cetteautrcconclusion:
plus un peuple est policé, moins il aime le son des cloches. Les
Grecs avaient peu ou point de cloches, les Romains ne connais-
saient point les grosses cloches, les Italiens en général n'en ont
que de fort petites; mais, par contre, les Allemands et les Flamands
n'en ont que de très -grosses et en fort grand nombre. En Russie
c'est un véritable luxe de cloches, et tout le monde a entendu parler
de la fameuse cloche du Kremlin sous laquelle vingt personnes
pouvaient tenir parfaitement fi l'aise. En France, ce paysde liberté,
nous donnons asiliî h toutes les fantaisies du gennn
— 7o —
Un peiiplo, le peuple Chinois se signale, non par le volume exces-
sif de ses cloches, mais par la prodigalité de ses clochettes; on
pourrait avec difficulté compter le nombre de celles appendues
aux tours polygonales d'un temple chinois. Cet excès ne prouve
certes pas que le peuple Chinois soit un peuple grossier, mais il nous
laisse à penser que, malgré la civilisation avancée qu'on invoque en
faveur des Chinois, ce peuple est resté un peuple d'enfants. Le
cadeau le plus apprécié que puisse faire chez nous une nourrice à
son poupart est encore un petit chapeau chinois orné de mille clo-
chettes.
Chez les Arabes, ce peuple grave et silencieux, les cloches ont
été absolument proscrites. La voix du muezzin est seule chargée
d'appeler du haut du minaret les fidèles croyants à la prière. Le
calme et le silence des villes orientales permettent seuls à leur in-
vocation rhythmée de se faire entendre au loin à toutes les heures
prescrites par le Koran.
Effet des cloches chez les gem du monde.
Dans le monde, les gens grossiers aiment à sonner les cloches, les
fous sont fous de cloches, mais leur son importune les gens spiri-
tuels, ils prétendent que cela leur casse la tête. Louis XV rési-
dant à Choisy-le-Roi, dont il avait fait son habitation privilégiée,
ordonna que dans la construction de la nouvelle Eglise, le clocher
fût moins élevé que les combles afin de n'être point abasourdi par
le son des cloches. Qui de nous n'a point tressailli une fois au
moins au tintement métallique, inopportun, de la sonnette de la
rue ? Plus d'un de nous a regretté qu'on ait mis fin à la dynastie
des marteaux dont le son grave et prolongé, donne le temps à la
réflexion, et, certes, est bien moins impératif que le son aigu de la
sonnette qui semble vous dire qu'elle veut être obéie à l'instant.
Aussi la sonnette pour nos usages domestiques est presque une
invention récente. Elle devait naître sous le règne de celui qui
disait: l'État c'est moi. Le duc de St-Simon prétend que ce petit
tintinnabulum fut créé pour éviter à lafière madame de Maintenon
de se déranger trop souvent, alors qu'elle n'était encore que dame
de compagnie dans une opulente maison de Paris.
Effet des cloches 5w?* les animaux.
Les animaux eux-mêmes sont désagréablement irapn'ssionnés
_ 76 —
par le son des cloches. A part maître baudet qui chemine insou-
ciant et rêveur avec une lourde clochette très-près de ses longues
oreilles, à part la génisse qui reste indifférente au milieu du pâtu-
rage au son argentin de sa clochette et de celles de ses compagnes,
la plupart de nos animaux domestiques supportent impatiemment
ce bruit douloureux à leur tympan: le chien mêle son hurlement
lugubre au glas funéraire de la paroisse voisine, ainsi que le con-
firme St-Amund, l'auteur de Moyse sauvé.
Le clocheteur des trépassés,
Sonnant de rue en rue,
De frayeur rend les cœurs glacés,
Bien que le corps en sue :
Et mille chiens, oyant sa triste voix,
Lui répondent à longs abois.
Les oiseaux voyageurs fuient de toute la rapidité de leurs ailes les
vibrations des cloches qui se font entendre sous eux au moment
de leur passage : et si vous me permettiez de prendre un exemple
qui sent un peu son bas lieu, je vous dirais que l'on raconte dans
une chronique de la mère Michel, que son chat devint toi par la
malice d'une voisine qui attacha un grelot au col de la pauvre bête.
Cloches au moyen-âge.
Dans le moyen-âge on chéinssait fort les cloches, nos églises ne
se contentaient point d'une seule, il leur en fallait au moins deux;
quelques églises abbatiales en comptaient jusqu'à sept : nombre
très en honneur dès la plus haute antiquité, mais de plus consacré
dans la religion de Moïse comme dans les rites du christianisme.
Maintes bonnes âmes de cette époque envoyaient une partie de
leur argenterie pour contribuer à la fonte des cloches, excès de dé-
votion qui, au temps où nous sommes, trouverait très-peu d'imita-
teurs.
Au règne des sept cloches, M. l'abbé de St-Séverin se rendait à
sa paroisse avec son vassal et deux serfs. Le premier tenait un
beau faucon sur le poing, les deux autres menaient en laisse deux
superbfîs lévriers. En ce temps là M. l'abbé marchait l'égal du
grand seigneur.
Au règne des sept cloches, messire Jehan et tous les clercs de la
basoche, au son de toutes les cloches, se promenaient le dimanche
dans les rues de Paris, en chantant les psaumes de David. En
— 77 —
certaines occasions Messieurs du Ghâtelet mêlaient au son des
cloches le bruit de leur musique guerrière; musiciens et écoliers
se groupaient ensemble, le jour de la monstre pour taire célébrer
une messe solennelle à la cathédrale de Paris. Ce jour-là, bien cer-
tainement, Quasimodo se tenait dans la tour du sud et ne manquait
pas de donner à la maîtresse cloche ses plus étonnantes vibrations.
A cet appel tous répondaient, car au moyen âge il existait entre les
cloches et les hommes un lien religieux, politique et social.
Un pouvait dire à cette époque que l'Église était un monument
national. Dans ces jours de misère^ c'était le seul bâtiment dans
lequel toutes les classes de la nation se trouvaient réunies ; le seul
oii chaque homme oubliait son intériorité sociale relative, le seul
bâtiment qui sous ses ombres majestueuses laissait entrevoir au
cœur de l'homme le symbole de l'égalité.
Aussi nos immenses cathédrales d'alors , ces édifices élevés
à la foi religieuse, politique et sociale, semblent impérissables.
Vainement la hache des révolutions, plus terrible que la fureur
des guerres religieuses, s'est heurtée contre la cité du peuple.
Les cathédrales ont résisté à tous ces outrages et leurs clochers
nous répètent encore que la cité du peuple est la cité de Dieu.
Nos tours gothiques, de leur sublime hauteur, jettent un défi
au temps et à la main des hommes. L'Église était si bien alors
la maison du peuple, que les jeux, les divertissements n'étaient
point, à certains jours, proscrits de son enceinte. Le sacré s'y mê-
lait parfois au profane. Ai-je besoin de vous rappeler la fête de
l'âne, celle des fous, — qui ne furent interdites qu'à la fin du
xv^ siècle ; le jeu de la pelotte ou du ballon, qui jusqu'en 1338
faisait dans l'église même les délices du peuple et de messieurs
les chanoines de la cathédrale d'Auxerre ?
Autorité des cloches.
En ce temps-là les cloches jouissaient de la plus grande autorité.
Leur voix était écoutée avec le plus grand respect. Sous Louis VII
voulait-on mettre fin à quelque perturbation publique, on sonnait
les cloches et notamment la cloche du chœur de Notre-Dame, la
cloche en colère {campana irata). Voulait-on tirer justice de quel-
que méfait public, on faisait cesser tout service divin, mais ce qu'il
y avait de plus sensible au cœur du peuple, c'est qu'on interdisait
la sonnerie des cloches. Les seigneurs souverains enlevaient les
cloches aux villes rebelles : c'est ainsi que vers 1530 les Bordelais,
— 78 —
les habitants de Montpellier, ceux de Marennes, lurent privés de
leurs cloches pour avoir refusé de payer l'impôt de la gabelle. Heu-
reux et soulagé d'un grand poids était le peuple quand enfin, le soir
arrivé, il entendait le couvre-feu,
La cloche de la Sorbonne
Qui toujours à neuf heures sonne. (Villon)
Origine des cloches.
Les cloches datent de loin ; sans parler de Moïse, des Grecs et
des Romains, arrivons de suite à l'an 604 oîi, de par le pape Sébas-
tien, l'usage des cloches fut prescrit dans toutes les églises pour an-
noncer le service divin. Elles avaient déjà une certaine importance,
car si nous nous en rapportons au dire de plusieurs historiens qui
racontent tous de la même façon la même anecdote, l'air "était si
vivement ébranlé par les vibrations terribles des cloches de Sens,
qu'elles mirent en fuite toute l'armée de Glotaire II.
Au temps des premiers chrétiens, quand, pour fuir la persécution,
le culte cherchait un asile dans les catacombes de Rome, ou quand
au IP siècle il venait cacher la profondeur de ses mystères dans
les premières cryptes de la Gaule, l'usage des cloches eût été un
véritable danger. Les réunions se faisaient au moyen d'une trom-
pette, dont les accents mystérieux étaient seuls connus des fidèles;
plus tard on se servit d'une crécelle, qu'un cursor ou courrier fai-
sait vivement tourner en passant devant chaque maison, ou bien
d'un marteau frappant sur une plaque de bois comme cela se pra-
tique encore pendant la semaine sainte aux offices des ténèbres.
Origine du carillon.
Il est à présumer que les premières cloches furent petites et ti-
mides, car les premiers tintinnabula employés au service divin
étaient tenus à la main par un moine ou par un clerc, qui les faisait
tinter h. la porte du temple ou du haut d'une plate-forme. Mais
elles ne tardèrent point à croître en force et en volume, et nous
voyons le bon roi Robert qui aimait tant à faire des dons gracieux à
ses églises, en donner une à Orléans, qui pesait 2,000 livres. Nous
sommes encore loin du fameux bourdon de Notre-Dame dont Louis
XIV et Marie-Thérèse furent parrains en 1GS4, et qui pesait 32 mil-
liers de livres, sans le battant qui à lui seul pesait OGO livres.
A l'époque du roi Robert, la cloche n'a qu'un son, qu'il soit bon
— 79 —
ou mauvais, peu importe, pourvu qu'il soit fort. Une cloche, deux
cloches, sept cloches avaient un son quelconque dont la force cons-
tatait seule la valeur. Vous comprenez qu'on ne put pas longtemps
se contenter de cela, le goût vint en sonnant. On imagina donc de
faire deux cloches d'une proportion d'alliage différente, de manière
à produire deux intonations, l'une grave, l'autre aiguë. Dès lors
l'harmonie dans la cloche fut créée. On ne s'arrêta pas à ce premier
essai; on fondit bientôt pour le même édifice un plus grand nom-
bre de cloches d'alliages variés, que l'on combina suivant une
proportion arrêtée et que l'on disposa en table d'harmonie : nous
possédions le carillon.
On pourra désormais servir tout le monde à sa guise, et alors les
gens d'esprit aimeront les cloches tout comme les autres : à votre
tristesse on servira du faux bourdon, à la naissance de vos enfants,
au mariage de votre fille, on vous offrira une très-jolie cantate,
seulement il faudra dans ce cas mettre votre bourse en harmonie
avec la sonate du carillon. Vous pourrez donc, à coup sûr, revêtir
vos habits de fête ou de deuil, et suivant les modulations diffé-
rentes de la cloche, prendre en sortant de chez vous l'air de
figure qui conviendra à la circonstance.
Le carillon est une très-jolie invention, et dès sa nais-
sance il arriva à une perfection presque complète. Il consiste en
une collection de cloches accordées de manière à former une échelle
chromatique d'environ deux octaves ou même trois. On les accorde
en limant les timbres, en les amincissant sur le tour. Ainsi dispo-
sés, ces timbres sont mis en vibration au moyen de ressorts mus
par un double clavier. Le premier de ces claviers servira à jouer
les notes intermédiaires en frappant les touches avec le poing,
tandis que l'autre clavier placé plus bas donnera les notes graves
et se jouera avec les pieds.
Je vous ai dit que le goût vint en sonnant, il vint également en
carillonnant. On ne se contenta plus de ce premier carillon qui
laissait une trop large part à la plus ou moins grande habileté de
l'artiste carillonneur, on voulut un carillon qui fit entendre sous
la main la moins expérimentée une multitude d'airs tout faits.
Dans le nouveau carillon, les marteaux frappants sont mis en ac-
tion par des pointes métalliques fixées à une roue, comme cela
se passe dans une vielle ou un orgue de barbarie, et alors on put
faire entendre tous les airs à la mode sur toutes les variations
connues.
Dans le clocher d'Anvers on voit un carillon qui se compose de
— 80 —
99 cloches; pourquoi pas 100? Messieurs les musiciens nous le
diront. Le son de ces cloches de différentes grosseurs donne toutes
les gammes à plusieurs octaves. La tour du Kremlin possédait,
dit-on, avant son incendie, le carillon le plus formidable. Citons
les carillons d'Amsterdam, de Mons, de Malines, de St-Omer et,
pour mémoire, celui de la Samaritaine près du Pont-Neuf à Paris.
Le carillon se permet un grand nombre de fantaisies qui n'iraient
pas bien aux allures de nos grosses cloches; quelquefois, il chante
sans retenue, il se croit tout permis, et souvent il a fallu mettre
arrêt à sa verve qui s'égare volontiers dans les airs des plus nou-
veaux comme des plus anciens opéras, sans tenir compte du lieu
ni des circonstances.
Ce môme mécanisme de la serinette fut adopté pour certaines
horloges et chaque division de l'heure fut accompagnée d'un air de
musique. De plus, on voulut y joindre un appareil scénique, ce qui
donna naissance aux jacquemards, cette personnification du temps
qui, avec son marteau, vient frapper l'airain sonore et nous annonce
que « le temps passe et qu'il ne faut point laisser écouler sans pro-
fit l'heure présente. » Dans quelques Jacquemards, chefs-d'œuvre
de mécanique du moyen-âge, à l'heure de midi, Saint-Pierre avec
tous les apôtres viennent processionnellement frapper douze fois le
timbre de l'horloge, la Vierge se présente à son tour et sonne
l'heure de l'Angélus. Dans le nord, cette petite représentation a son
cercle d'habitués comme le canon du Palais-Royal à Paris.
Les sonneurs de cloches.
Autrefois, n'étnit pas qui voulait sonneur de cloches; dans les
premiers temps de l'Eglise, il fallait certaine condition pour rem-
plir cet emploi : n'être point souillé de péché. Ce soin était donc
confié à des religieux, h un diacre, à un sous-diacre ou h une cor-
poration de marguilliers. Cet office était complètement interdit
aux femmes, — la raison en est simple, je pense, c'est que considé-
rant leur force relative, on craignait de les fatiguer. Aujourd'hui
tout le monde peut prétendre à l'honneur de sonner les cloches et
personne n'ignore le dicton:
a Pour être bon sonneur de cloches
u 11 faut être bon videur de brocs.
Plusieurs ordonnances réglaient les diverses manières de sonner
— 81 —
les cloches; sonner les cloches était souvent même une redevance,
une servitude imposée. C'est ainsi que le curé de St-Remy, h
Meaux, était dans l'obligation de venir en personne dans cer-
taines occasions, sonner les cloches de la cathédrale de Meaux
et témoigner ainsi la servilité de l'église St-Remy à la dite
cathédrale.
Pour parler des cloches, il faut les décrire; une description
technique n'est point toujours chose amusante, mais ici je parle
d'un objet connu de tous, et si vous voulez porter vos regards sur
la clochette officielle de M. le président, vous pourrez facilement
suivre sans grand ennui la description que je vais en faire.
La cloche offre à considérer:
1" La patte ou bord inférieur, ce bord qu'on amincit quand on
veut la disposer pour les variations du carillon ;
2° La panse, partie la plus épaisse, contre laquelle frappe le bat-
tant;
3'' Les saussures, partie moyenne, de forme cylindrique;
4° La gorge ou la fourniture, passage entre les saussures et la
panse ;
5° Le vase, partie supérieure à peu près cylindrique, entre les
saussures et le cerveau ;
6° Le cerveau, calotte supérieure où le battant est suspendu ;
1° Enfin le battant, en forme de poire alongée, terminé par un
appendice ou poids destiné à lui donner la volée.
La cloche par sa forme, dit l'auteur du Symbolisme des cloches,
est une véritable merveille de l'art. Elle possède à la fois l;i
pureté des lignes, la juste mesure des proportions, la précision
des notes et la justesse des accords. En effet, cette forme elle-mêmtj
est une particularité, constituant un type unique, différant à tous
égards de toutes les formes connues, et qui n'a d'autre déno-
mination que son type même: en forme de cloche.
Fonte des cloches.
Les cloches se fondent aujourd'hui dans des ateliers dont l'en-
trée est généralement interdite au public. Autrefois c'était l'occa-
sion d'une grande solennité. On procédait en plein jour à cette
opération, que l'on pratiquait dans un fossé près de l'Eglise
à laquelle la cloche était destinée. Une foule nombreuse faisait
cercle autour des ouvriers de l'art; les moines étaient les fondeurs
privilégiés de cette époque. Le nom du moine Tanchon est par-
6
— H"! —
venu jusqu'à notre époque : il passait pour le plus habile fondeur
de cloches. Plus près de nous on cite comme très-habile fondeur
Jean Jouvente qui fondit, en iSTl, la cloche qui donna le signal
de la St-Barthélemy.
Au moment de la fonte d'une cloche, les poitrines des specta-
teurs sont haletantes; la fonte va-t-elle réussir? sous quelle forme
va sortir de sa chrysalide cet être si impatiemment attendu? Voilà
les préoccupations de cette immense assemblée, muette tant elle est
religieusement attentive. Si l'épreuve ne réussit pas, le désespoir
pénètre dans tous les cœurs, le deuil est sur tous les visages, on
présage quelque grand malheur, on se i;etire en silence; mais si
l'épreuve est bonne, entendez les vivats, les cris de joie et d'en-
thousiasme.
Composition des cloches.
Le bronze n'est pas la seule matière qui entre dans la composi-
tion des cloches, les métaux les plus précieux, l'or, l'argent en
font très souvent partie. En Russie, dans ce pays ami des cloches,
un ancien usage est encore en pratique aujourd'hui. Quand on
doit fondre une cloche, les habitants sont convoqués à l'œuvre
sainte. Trois vases sont déposés près du lieu consacré et destinés
à recevoir les offrandes en métaux de tous ceux qui veulent par-
ticiper à la confection de la cloche. Personne ne manque guère
à une convocation de cette nature ; les hommes, les femmes, les
enfants viennent y jeter leurs bijoux, — bagues, colliers, brace-
lets, — soit en or, soit en argent, soit en cuivre. Le zèle n'a beso'n
que d'être ralenti, car il est rare que les offrandes volontaires ne
dépassent point le poids désiré et l'on se trouve souvent dans
l'obligation de faire de nombreuses restitutions.
'Noms donnes aux cloches.
Quand cette belle vierge sort de son creuset, elle porte pres-
que toujours sa légende d'invocation, son nom et l'inscriplion du
jour de sa naissance. Ce que je regrette c'est que belle comme
elle est, on ne lui donne pas toujours un nom de femme, qui
va si bien pourtant avec sa belle forme crinolinée, avec ses allures
de fille de l'air qui peut faire entendre sa voix à 140 mètres di;
hauteur. Aussi quelle surprise, queldésappoinlemontquandon vient
à lire sur les restes de la superbe cloche de Moissac cette appel-
— 8.'] —
lation faite par elle-même : je me nomme Paul ( Paulus vocor) ! A la
bonne heure, madame la cloche delà cathédrale de Paris, on vous
nomme Jacqueline, c'est-à-dire la diligente, la bonne ménagère,
toujours levée avant que le soleil ne vous surprenne.
Ornements des cloches.
Les cloches, ne vous en étonnez pas, les cloches suivent la mode;
celles du XVIIP siècle sont entourées de fanfreluches, leur dur
habit est orné de fleurs et de rinceaux, elles portent des sceaux,
des armoiries, elles se font aussi coquettes qu'elles peuvent.
Baptême des cloches.
Avant que notre belle châtelaine quitte la terre et monte dans son
sublime donjon, elle reçoit la consécration religieuse, on célèbr.'
son baptême. La bénédiction des cloches est certainement fort an
cienne, il faudrait, je crois, la faire remonter à la pr>^mière clochi-
de nos églises. Cependant c'est seulement du pape Jean XIII (972
que datent les édits qui en règlent le cérémonial.
Le baptême des cloches ne fut pas toujours chose acceptée ; au
plaid tenu par Charlemagne en mars 789, le grand roi siégeant
comme chef de l'Eglise, comme évêque des évêques, défendit plu-
sieurs superstitions, entre autres le baptême des cloches (H. A'Iar-
tin). Il s'opposait à ce que l'on conférât à un vil métal un sacre-
ment qui doit racheter tout être chrétien du péché originel.
Toutefois, le parrain et la marraine choisis, on procède h la
bénédiction. La cloche est suspendue à un échafaudage improvisé,
l'église est parée comme au jour de ses plus belles solennités. Les
armoiries des grands dignitaires du clergé décorent les piliers de la
nef et du chœur, on ressuscite les écussons des hauts et puissants
barons et chevaliers qui ont illustre la contrée. Les parois du temple
sacré sont revêtues de leurs plus riches et de leurs plus brillantes
tapisseries; c'est jour solennel. L'époque où pour cause d'utilité
publique on est venu deshériter nos églises de leurs voix d'airain,
est un jour de deuil encore présent aujourd'hui au souvenir du
clergé de France, et la bénédiction d'une nouvelle cloche nous
représente, en quelque sorte, le retour de l'en^mt prodigue qui
vient frapper au seuil de la maison.
La cloche est couronnée par un dais formé de dentelles du plus
haut prix, qui retombent en magnifiques flots jusqu'au dessous
du limbe et lui constituent une véritable robe de baptême; l'ar-
chevêque impose ses mains sacrées sur le bronze, récite les prières
— 84 —
d'usage et de &es doigts enduits de l'huile sainte, trace plusieurs
signes de croix en prononçant les noms que lui ont donné le par-
rain et la marraine. Trois beaux rubans sont fixés au battant de
la cloche, un pour le haut dignitaire officiant, les deux autres sont
confiés aux mains du parrain et de la marraine. Ces rubans met-
tent alternativement en mouvement le battant de la cloche et sont,
pour ainsi dire, les traits d'union qui, parleur tintement distinctif,
établissent un langage intime entre l'Eglise et la cloche répondant
ainsi elle-même. Suivent les trois aspersions en dedans et en de-
hors et le reste du cérémonial usité.
Le choix du parrain et de la marraine est chose très-importante.
Il faut des représentants dignes du glorieux enfant ; à ces filles
de haut parage, il faut des têtes couronnées ou au moins des têtes
ducales, c'est Louis XIV et Marie-Thérèse qui sont les parrain
et marraine du bourdon de Notre-Dame, fondu en 1684. De nos
jours, il faut l'avouer, elles sont descendues quelque peu de cette
haute parenté; quelques préfets, quelques maires, quelques con-
seillers municipaux participent à cet honneur. Malgré ce petit
échec porté à leur amour-propre, elles n'en sonnent pas moins
dans la circonstance à double carillon.
J'ai dit en commençant que j'avais l'intention de vous faire en-
tendre le son de toutes les cloches de l'arrondissement de Fontai-
nebleau. Combien y en a t-il? Je vais vous le dire, — approximati-
vement du moins. Il y a dans l'arrondissement de Fontainebleau
sept cantons, autant qu'il y avait de cloches dans certaines abbayes
du moyen-âge. Ces sept cantons comportent cent-trois communes:
or, en mettant seulement une cloche dans chaque commune, c'est
donc la description de cent-trois cloches que je vous dois. C'est
beaucoup, et si j'étais homme de parole je vous paierais aujour-
d'hui madette mtégralement. Mais, comme le dit le bon Virgile :
haiidùjnara malt, miseris succwTere disco. Ce qui veut dire que cela
vous fatiguerait, et moi également. Aussi je ne me propose aujour-
d'hui de vous parler que des cloches du canton de Fontainebleau.
Nous n'avons donc que six communes à parcourir, Fontainebleau,
Avon,Samoreau, Vulaines, Samois et Bois-lc-Roi. Nous commen-
cerons notre petite excursion par Fontainebleau ; à tout seigneur
tout honneur.
FO.\'TAII¥EBLE.4U.
L'édification de l'église Saint -Louis par le roi Louis Xlfl
marque une période entièrement nouvelle pour la ville de Fontai-
— 85 —
nebleau. Le simple rendez-vous de chasse de Louis-lc-Jeunc est
devenu un magnifique chcâteau^; le clocher de l'église parois-
siale a groupé autour de lui les rangs pressés d'une population
industrieuse ; les modestes habitations des gardes-chasse ont fait
place à des bâtiments réguliers, à des rues parfaitement alignées,
en un mot Fontainebleau est devenu une des plus élégantes
et plus jolies villes de la contrée. Ville au parfum aristocra-
tique, séjour privilégié de la cour, rendez-vous des nobles étran-
gers.
Mais ne perdons point de vue notre clocher. Quel destin ont
subi les cloches qui, les premières, glorifièrent l'église de Saint-
Louis? Je ne vous en dirai rien, car dans les archives de la localité
qu'il m'a été possible de consulter, je n'en ai rencontré aucune
trace. Il faut que nous arrivions jusqu'au 26 octobre 1745 pour
assister à la bénédiction des quatre nouvelles cloches auxquelles
Louis XV et la reine voulurent bien donner leur nom.
« Lazare- Joseph-Buisson, — dit le procès-verbal conservé h la
« mairie, — étant curé de la paroisse royale de St-Louis de Fontai-
« nebleau, Jean-Louis Marrier, lieutenant de la maîtrise des eaux
« et forêts, Pierre-Nicolas Guyon, receveur de la capitationdu dit
« Fontainebleau, Louis-Gratien Aubinaut, vitrier des bâtiments
« du roi, étant marguilliers en charge de la dite paroisse ;
« Gejourd'hui, mardi 26 octobrel745, ont été bénites dans la nef
« les quatre cloches de la dite église par raessire Jean-Joseph
(c Languet, archevêque de Sens. Les quatre cloches ont été nom-
« mées :
« La 1'° Louise-Marie, par le roy et la reyne présents,
« La 2° Louise-Anne-Henriette, aussi par le roy avec Madame,
<( présents.
« La 3" Marie-Thérèse par monsieur le Dauphin et madame la
« Dauphine, présents.
« La ¥ Louise-Marie-Adélaïde , aussi par monsieur le Dauphin
« avec madame Adélaïde, présents.
Tous ont signé:
Louis,
Marie,
Louis,
Marie-Thérèse ,
' Henriette, Anne,
et nous Joseph, archevêque de Sens,
Marrier, Guyon, Aubinaut, Euisson, curé.
— 86 —
Que sont devenues ces belles cloches? Je dis belles, si je m'en
rapporte à la haute parenté qui assista à leur entrée dans le monde.
Ont-elles subi le sort des persécutions auxquelles les cloches elles-
mêmes ont payé un large tribut? Il est probable que, comme un
très-grand nombre de leurs compagnes, elles furent transformées
en canons de bronze, alors que la patrie faisait canon de tout pour
repousser l'invasion étrangère. Nous aurions peut-être pu le savoir,
si nous avions eu à notre disposition un précieux document qu'on
nous a dit avoir existé dans les archives de la préfecture et por-
tant pour titre: Inventaire de la paroisse de Fontainebleau fait en
1793.
De nouvelles cloches vinrent occuper leur place au moment où
nos églises furent rendues au culte religieux. Mais la même obscu-
rité règne sur la période de temps qui s'écoula du Concordat jus-
qu'en 1827, époque qui donna naissance aux trois Jolies cloches
que nous possédons aujourd'hui, et dont voici la description.
Au dessous du niveau de la panse, on lit surchacune d'elles en
lettres majuscules ; Osinond, fondeur du roi, m'a faile à Paris pour
l'exposition de 1827.
La première de ces trois cloches, la plus forte, mesure 90 centi-
mètres de diamètre ; elle porte sur le vase, au dessous de son cer-
veau, une inscription tracée à l'anglaise ainsi conçue : « le 20 X'"'"
1827 ¥ année du règne de Charles X. Charlotte-Marie-Thérèse
a été baptisée, ayant le roi pour parrain et madame la Dauphine
pour marraine, représentés par M. le comte et madame la com-
tesse de Polignac. »
Des ornements très- variés décorent la surface de cette première
cloche; comme servant de trait à l'inscription dont nous venons
de parler, se dessine un charmant cordon enguirlandé, interrompu
par quatre embrasses pendantes et recevant dans la concavité de
ses courbes des portraits alternés du parrain et de la marraine.
Sur un des côtés de la surface comprenant les saussures et la gorge,
on voit la vierge Marie couronnée d'un diadème et tenant sur les
bras l'enfant Jésus : deux anges sont près d'elle.
Sur l'autre côté se dresse un Christ en croix. Ces ornements
sont en relief et quatre grandes iïeurs de lys occupent l'espace
restant entre les deux tableaux religieux. En bas, au-dessus de la
patte, règne un cordon ou cable circulaire.
La deuxième cloche, d'un moindre diamètre, — 80 centimètres —
porte pour inscription au-dessous de son cerveau: ((le 26 mars,
moi, Julie-Nicole, ai eu pour marraine la Ville de Fontainebleau,
— 87 —
représentée par M. Charles-Nicolas, baron do FAriiiina, cciiycr,
maire conservateur, chevalier de la Légion-d'honneur, et par
madame Marie Julie. »
Sous cette inscription une guirlande circule ornée de lys et riche-
ment ouvragée. Sur les côtés de la cloche, un Christ est avec une
Madeleine, accostée d'une femme à tête couronnée, et d'une seconde
tête d'altesse royale. Deux grosses fleurs de lys complètent cette
décoration du milieu. A l'opposé du Christ, la Vierge couronnée
de fleurs do lys, entre deux vases de fleurs; un cordon de perles
termine la basa de la cloche.
Sur la troisième cloche, la plus petite, — 70 centimètres de dia-
mètre,— nous lisons : (cmoi, Anne-Caroline, ai eu pour marraine
la ville de Fontainebleau, représentée par Charles Le Dreux, pre-
mier adjoint au maire, et par madame Lemoine, Anne-Caroline.»
Un cordon de perles remplace la guirlande des deux premières
cloches ; plus bas, un Christ accosté de deux écussons fleurdelysés;
taisant face au Christ, la vierge Marie; un cordon de perles
métalliques couronne la patte ou extrémité inférieure de la cloche.
1827 est une date récente, et cependant aucune trace de procès-
verbal de la bénédiction de ces trois cloches n'existe dans les
archives de la paroisse. Les recherches faites par l'estimable
M. l'abbé Boutroy n'ont pu me donner satisfaction à cet égard.
Malheureusement cette lacune regrettable se renouvellera pour
la plupart des cloches du canton dont nous nous occupons; 'elle
est regrettable à tous égards, car sans ces documents , notre
étude doit rester évidemment incomplète. Notre seule ressource
est d'aborder résolument le clocher. Mais aborder une cloche, par-
venir jusqu'à son cerveau pour en déchiffrer l'inscription est,
!a plupart du temps, chose presque impossible. Tout au plus
si, par suite de la disposition des lieux , il nous est permis d'ap-
procher du bord inférieur de la cloche. Tenter une ascension
au-delà et, comme me le conseillait certain sonneur émérite, mon-
ter à cheval sur une première cloche pour lire l'inscription delà
seconde, ne serait pas toujours considéré sans danger par un plus
habile gymnasiarquo que moi. Que notre bon vouloir, tout im-
puissant qu'il est, me serve d'excuse, si je ne dis que ce que je puis
vuii'.
ATOUÎ.
En bonne justice, j'aurais dû commencer mes entretiens par la
— 88 --
cloche d'Avon, car Avon fut le berceau de Fontainebleau jusqu'au
milieu du xvii° siècle. Cette petite église avait ouvert son asile sacré
aux premières populations qui vinrent se grouper autour du prieuré;
Fontainebleau n'est en réalité qu'une émigration brillante d'Avon,
mais qui, comme bien des filles de notre époque, est parvenue
bientôt à éclipser sa mère.
L'église d'Avon porte encore, dans presque tout son ensemble,
les traces accusées de l'architecture romane. Si j'avais trouvé là
par hasard une cloche d'une époque voisine du ix'= ou du x^ siècle,
je n'en aurais point été étonné, je m'en serais réjoui ; mais non,
celles qui auraient pu porter une pareille date ont été enlevées,
détruites, que sais-je? Nous avons tant perdu de choses depuis
quelque temps que chacun est maintenant préoccupé de rétablir
l'inventaire du passé.
Le clocher d'Avon n'a pas toujours été réduit à la seule cloche
qu'il possède aujourd'hui ; la disposition des lieux indique
clairement qu'il y avait là , dans les temps de la splendeur
paroissiale d'Avon, trois cloches, peut-être quatre, parlant toutes
ensemble , et il me semblait de la place où j'étais , ces jours
derniers dans le clocher , apercevoir l'heureux carillonneur les
mettant toutes quatre en joyeuse harmonie. L'unique cloche que
je vois n'a probablement aucun souvenir de celles qui l'ont de-
vancée, car l'inscription gravée autour de son cerveau porte :
« fut donnée en 1611 par Louis de Bourbon XIII, roy de France
et de Navarre, fils de Henri-le-Grand. » Au niveau des saus-
sures se présente une croix à pied dont les ornements en rinceaux
sont délicatement travaillés. L'inscription que je donne, je no la
donne point complète, elle possède encore, sans doute, d'autres
ornements, mais hélas ! malgré quelques essais de gymnastique,
j'e n'ai pu me mettre directement en rapport avec elle. Heureux
cependant, puisque j'ai pu surprendre un secret que beaucoup
d'autres qu'elles cherchent à cacher, — la date de sa naissance. Il me
restait un moyen, c'était d'aller arracher ces mystères aux archives
municipales. Ici encore ce document nous a manqué. Une main
curieuse, trop curieuse pour ne point lui donner une autre épi-
Ihète, a déchiré et emporté le feuillet du IGll qui concerne la
cloche de l'église d'Avon. Il faut donc nous contenter de ce que
rapporte la tradition : son diamètre dépasse un mètre, elle pèse
OjoOO livres; quand le son qu'elle projette dans les airs est distinc-
tement entendu de l'endroit oîi nous sommes, il est d'un favo-
r.ibl'! augure, il nous promet beau temps. Kilo nous l'envoie en
— 89 —
souvenir sans doute de ses anciennes relations de famille avec
la ville de Fontainebleau.
tSAMOHEAlC.
La cloche de Samoreau, — l'unique cloche de cette commune a
perdu tous ses papiers de famille. Ni les archives de la mairie, ni
celles de la cure ne possèdent les titres de son passé, mais heureu-
sement elle porte encore sur elle la date de sa noble antiquité.
Son inscription en belles lettres gothiques nous dit : « L'an mille
cinq cent, je fus faicte h Samoisseau, en Brie et je fus nommée
Marie. » — Tout le pays sur la rive droite de la Seine faisait proba-
blement à cette époque partie de la Brie —Au-dessous do l'inscrip-
tion existent deux monogrammes : Jésus Christus ; Ave Maria. Elle
n'a point d'autres décorations qu'une croix à pied sans ornement.
Elle est modeste et coquette à la fois; son tintement argentin
est frais et juvénile, on la dirait d'origine italienne. Son diamètre
n'excède pas 65 centimètres.
Le jour où elle a conquis sa place dans le monde des harmonies
religieuses^ elle a sans doute été appelée à jouer un rôle plus
^'b^illant que celui auquel elle est réduite aujourd'hui. La petite
église de Samoreau, à la nef romane, était une dépendance de l'an-
cienne abbaye de Samoreau, qui faisait autrefois partie du do-
maine des religieux de Saint-Gerraain-des-Prés. Son clocher,
vu du pont de Valvins, se détache admirablement au milieu d'un
bouquet de verdure qui, par sa position pittoresque, nous offre
l'aspect d'un oasis flottant dans une des courbes de la Seine.
Un artiste de notre localité, M. Splindler , vient de faire don à
cette modeste cure d'un tableau représentant Jésus-Christ remet-
tant les clefs du paradis à saint Pierre, tableau que les amateurs
sont venus plusieurs fois admirer à Fontainebleau dans l'atelier
du maître.
Le parrain et la marraine de la cloche ne nous sont point
révélés, mais il est certain que cette charmante cloche fut assistée
à son baptême par quelque grand seigneur du lieu , peut-être
par Son Éminence le cardinal d'Amboise, peut-être même par
Louis XII en personne. Ne lui faisons pas l'injure de croire qu'on
avait dérogé à son égard aux coutumes si fort en usage à ces
époques de royale mémoire.
— 90
vuLAfiXEg-sra-SESJïE.
La commune de Vulaines possède une toute petite église qui
possède une toute petite cloche ; l'une et l'autre sont très-intéres-
santes. L'église était primitivement, à n'en pas douter, une cha-
pelle de construction romane, dépendante d'un prieuré. Au temps
des guerres de religion, elle fut en grande partie détruite, car la
nef a subi des reconstructions qui appartiennent au commence-
ment du xv° siècle. Les arceaux qui parcourent la voûte viennent
au centre se terminer en cul-de-lampe^ portant un écusson chargé
d'une croix à pied, de deux bâtons et de trois merlettes, 2 et 1. Le
badigeon laissant peu distincts les ornements que je décris, je ne
veux pas en garantir l'exactitude.
Avant de monter au clocher , permettez-moi de signaler
comme ornement de cette petite église une peinture sur bois qui
a au moins quelque mérite de composition : dans une prairie, la
Vierge assise porte sur ses genoux l'enfant Jésus, un autre enfant,
saint Jean probablement, vient vers lui et cherche à l'amuser en
lui présentant des fleurs des champs. Trois anges aux ailes dé-
ployées prennent leurs ébats au milieu des herbages, un d'eux,
plein de grâce, chevauche sur un mouton. Cette petite composition
qui n'a point de signature, figure tout un panneau à la manière de
Boucher.
Nous avons dit que la cloche est fort petite, elle ne mesure
guère que 55 centimètres. Sa surface nous montre une croix aux
bras fleurdelysés, une troisième fleur de lys couronne le sommet
de la croix. D'autres ornements doivent exister sur le côté
opposé. Sa position ne nous permet ni de les découvrir , ni
de lire complètement l'inscription; mais grâce à l'obligeance de
M. le comte d'Ercevillc, maire de la commune, qui a bien voulu
en relever la lettre au moment où la cloche fut descendue en 1849,
nous possédons eji entier son état-civil.
«En 1692, dit-elle elle-même, j'ai estébéniste par messire Claude
Pierron, vicaire perpétuel de Saint-Étienne de Bourges, curé de
Vulaines, et nommée Marguerite par messire Edouard do Pous-
scmote de l'Estoilc, chevalier, sire et comte de Graville, baron
d'tiéricy, conseiller du roy en ses conseils, président en sa cour
des aides; la marraine dame Marguerite Martincau, épouse de
messire Louis de la Grange-Trianon, seigneur de Nandy, ancien
président des requcstes». Plus bas : «François Moreau m'a fait».
— 91 —
Un mot cffcicc «.... an do Viilaincs. Piurro Garnier, marguillicr.»
Une seconde croix termine l'inscription.
L'intérieur d'un clocher n'est point, en général, la partie la plus
soignée d'une église, experto crede Roherto. L'édilité locale et spé-
ciale n'y fait que de rares visites, les sonneurs n'ont pas tous le
feu sacré de Quasimodo et ne surveillent point assez les accidents
que doivent, à la longue, déterminer les vibrations répétées des
cloches. Il en était ainsi au mois d'août 1849 pour la cloche de
Vulaines, qui, par les soins vigilants de M. le comte d'Erceville,
fut descendue le 6 août ; la charpente fut réparée, et le 29 du
même mois la cloche alla reprendre possession de sa demeure
aérienne.
SAIIIOII>i.
La commune de Samois, dont l'église romane, quant à sa con-
struction primitive, vient d'être restaurée avec une si louable in-
telligence par M. Mollet, curé de la paroisse, possède à elle
seule trois cloches ; il paraît que c'est le moins qu'elle puisse avoir
pour répondre, si ce n'est aux besoins du service, au moins aux
goûts de la population qui est demeurée, à n'en pas douter, très-
sensible aux vibrations de cette triple harmonie.
La première de ces cloches date de l'époque de notre grande
régénération sociale. Le 9 décembre 1789, elle prenait possession
du clocher de Samois qu'elle n'a pas quitté depuis. Fille d'une
époque qui fermait la barrière aux abus du privilège , elle n'a
pas cependant subi le sort de beaucoup de ses voisines; et si,
pour un temps donné, elle est restée muette pendant cette période
où tout se taisait, oîi tout faisait silence pour écouter la voix tou-
jours tumultueuse d'unesouveraineté nouvelle, — celle du peuple, —
elle a, sitôt qu'elle a pu, repris la parole, et les jours de grande fête,
de grand émoi ou de grands désastres elle lance, à cris répétés,
les vibrations sonores de son fa naturel. Elle pèse, dit-on, sans
son battant, 650 à 700 kilogrammes; nous avons trouvé dans les
archives de la commune toutes les pièces qui établissent son
identité.
Marie, tel est le nom qui lui fut donné à son baptême, est
parfaitement apparentée. Son parrain et sa marraine sont de qua-
lité; c'est, d'un côté, messire Philippe Dufresne, aumônier du roi,
ministre de la maison des chanoines réguliers de la Trinité de
Fontainebleau; de l'autre, Marie-Anne Bobusse, veuve de messire
— 92 —
de Moransel , écuyer , ancien contrôleur des bâtiments du
roi.
Elle reçut le baptême des mains de messire Nègre, prieur-curé
de Samois, au milieu d'une nombreuse assemblée dans laquelle
figurèrent les desservants de toutes les paroisses environnantes :
Messires Protat, curé d'Héricy, Jean-Baptiste Roux, prieur de
Barbeau ; Vallin de Surge, curé de Sumoreau ; Dessepart, desser-
vant d'Avon; Etienne Pastoris, prieur-curé de Saint-Ambroise
de Melun; à ceux-ci étaient venus se joindre les autorités admi-
nistratives, messire Oudot, procureur du roi, et d'autres fonction-
naires éminents de la province.
Elle est restée longtemps seule en sa vieille tour carrée, et très-
tard elle dut subir le voisinage des deux sœurs cadettes. Ce fut
seulement le 18 octobre 1857 qu'on échelonna sous elle les
deux nouvelles arrivantes; je ne sais si cette manière de super-
poser l'une sur l'autre les trois cloches , doit ou peut contribuer à
l'harmonie de chacune d'elles, si le son de la cloche inférieure est
renforcé, ou diminué, ou perverti parcelle qui la domine? — Ques-
tion musicale sur laquelle je me déclare incompétent.
Toutes deux arrivaient le même jour des ateliers de M. Le
Gousset, fondeur à Metz. Toutes deux le même jour reçurent la
bénédiction, à la fête de Saint-Luc. L'une donne le fa , l'autre
le sol et elles sont parfaitement concordantes. Leur différence
en poids est minime. La première, qui mesure un mètre cinq cen-
timètres de diamètre, pèse 491 kilogrammes avec son battant. La
seconde n'offre que 90 centimètres de diamètre et pèse seulement
337 kilogrammes. Les noms des parrain et marraine ainsi qne la
date du baptême sont inscrits à la base de leur cerveau ; sur le
côté de l'une d'elles, la moins considérable, existe un bas-relief de
12 à 15 centimètres de longueur artistement exécuté, qui repré-
sente la Cène du Christ à la manière de Léonard de Vinci. Elle
porte, sans doute, d'autres ornements, mais la position difficile,
■ nécessaire pour s'en assurer, ne nous a point permis de le cons-
tater.
Ce qui particulièrement caractérise les nouvelles cloches de Sa-
mois et leur donne une importante valeur locale, c'est que toutes
deux furent fondues aux frais de quelques habitants du pays. La
première a été payée des deniers de feu Laurent Jumeau, ancien
passeur, marinier à Samois; trois personnes ont contribué h. la
solde de la seconde, MM. Jacques-Abraham Brou, serrurier; Mi-
chel Petit, vigneron, et Jacques Mollet, curé desservant de Samois.
— 93 —
A la vue de cette offrande qui, en général, ne sort pas
du rang moyen de la société, ne vous semble-t-il pas que nous
sommes revenus au temps de cette foi robuste où chacun portait
ha pierre à la construction de l'édifice sacré?
Si un simple ouvrier, le passeur Jumeau, a fait h lui seul les
frais de Tune des deux cloches, un prince et une princesse ont
voulu la baptiser. Les noms d'Anne et de Nicolas sont ceux donnés
le jour du baptême par le prince et la princesse russes Trowbetzkoï,
propriétaires du château de Belle-Fontaine^ voisin de Samois.
L'autre cloche n'a point eu la faveur de se voir des princes pour
parrain et marraine; Marie-Charlotte fut assistée pendant la pieuse
cérémonie par la première autorité locale, M . Charles Fleury , maire
de Samois, et par madame Florentine Brou, née Aliène.
Le ministre du culte, fut par délégation de monseigneur l'évêque
de Meaux, M. Charpentier, archiprêtre, chanoine honoraire et curé
de Fontainebleau, auquel sont venus prêter leur concours MM. Ca-
valier, GilletdeKervéguen, GlésetCahès, — des noms bien connus
de nous.
Cloche de Bois-le-Roi, cloche dévastée, portant les traces de la
persécution ou, du moins, d'une émigration pendant laquelle elle
aura beaucoup souffert, et aura été mise tellement à l'étroit dans
sa cachette , qu'elle n'a pu être ramenée au grand jour en
son entier.
Ce n'est pas le seul exemple d'émigration, d'emprisonnement,
que nous pourrions présenter ; une cloche d'un arrondisse-
ment voisin a passé le temps de la Terreur sous les eaux de la
Seine. Quand les temps plus heureux reparurent , ceux qui lui
avaient choisi cet asile la ramenèrent en triomphe, mais elle
avait tant souffert que sa voix, par suite d'une fêlure irréparable,
n'a jamais reconquis la pureté de son timbre.
La cloche de Bois-le-Roi a éprouvé sur sa patte, ou bord infé-
rieur, plusieurs pertes de substance considérables; le large cordon
qui couronne le limbe, sur lequel sans-doute étaient inscrits le
nom du fondeur et le lieu de sa provenance, est presque totalement
effacé; le Christ et la Vierge qui, de chaque côté, ornaient sa sur-
face, ne présentent plus qu'un relief indistinct; à peine aperçoit-on
les fleurs de lys qui enchatonnaient les bras et l'extrémité supé-
rieure de la croix du Christ.
— 94 —
Aussi, n'est-ce pa sans hésitation que je donne comme lui appar-
tenant l'extrait de baptême relevé dans les actes de la paroisse.
(( Ce jourd'hui, 21 décembre 1790, la seconde cloche de cette
église a été bénite par nous prêtre, curé de cette paroisse, et nom-
mée Louise-Marie, parmessire Louis-Victor-HippolyteLuce, comte
de Mont-morin, maire de Fontainebleau, maître particulier des
eaux et forêts, colonel du régiment de Flandre etc. , et Louise-
Angélique-Jean-BapListe Dezonance de Grigny, femme de François
Menon, comte de Menon, maréchal des camps et armées du roi,
commandant de l'ordre de Saint-Lazare, parrain et marraine ; les-
quels n'ayant pu se trouver à la bénédiction de ladite cloche, ont
été représentés par messire François-Pierre Gillet de La Renom-
mière, chevalier de Saint-Louis, major d'infanterie, commandant
en second de la garde nationale de Fontainebleau et lieutenant des
chasses, qui a répondu au nom de messire de Mont-morin, et
par M"^ Anne-Geneviôve-Pétronille de La Renommière, sa fille,
qui a répondu au nom de madame de Menon.
(( La dite bénédiction faite en présence du plus grand nombre des
habitants de la paroisse et nommément de MM. Gaspard-François
Gobaut , électeur ; Adrien-Claude Girardot, commandant de la
garde nationale de ladite paroisse; Joseph Gonin, maire de cette
paroisse; Sébastien Dagneau, marguillier ; Jean Varly, officier
municipal; Augustin Lcfèvre, greffier de la municipalité, qui ont
signé ainsi que M. et M"" de La Renommière , représentant M. lu
parrain et M""" la marraine de ladite cloche, et MM. les curés de
Chartrettes et de Samois.
(( Signé : Gillet de La Renommière; Pétronille de La Renommière;
Girardot; Gobaut; Gouin : CahouëL, curé de Chartrettes; Nègre,
prieur de Samois, et Aide, curé de Bois-le-Roi. »
Tels sont, messieurs, les renseignements que j'ai pu me pro-
curer sur les cloches de Fontainebleau. Je ne suis pas le dernier
h. m'apercevoir combien ils s'éloignent de la précision que réclame
toute étude archéologique ; l'étude des cloches demande bien
d'autres appréciations. Un intérêt plus précieux que celui que je
vous ai exposé, consisLerail iï envisager les cloches au point de
vue de leur métallurgie, de leur harmonie musicale. D'autres le
feront mieux que Je ne pourrais le faire sans doute. Sachez-moi
gré seulement aujourd'hui d'être monté aussi haut que j'ai
pu monter.
— 95
NOTICE HISTORIQUE ET DESCRIPTIVE
Sur d'anciennes peintures de la chapelle Notre-Dame-du-Chevet, dans la Cathédrale
de Meaux,
Découvertes en septembre 1863.
PAR M. l'abbé F. -a. DENIS,
Membre fondateur (Section de Kleaiix).
Les travaux entrepris pour la restauration des chapelles absi-
dales de notre cathédrale depuis le mois de juillet 1857, ont mis à
jour d'anciennes peintures cachées sous un enduit de plâtre ou
sous des boiseries. Déjà, le Journal de Seine-et-Marne a entretenu
ses lecteurs du sujet de celles qui ornaient les deux chapelles
du nord, et également, mais avec plus de détails, de celles des
chapelles du midi (1). Quant à la chapelle centrale, autrement
dite Notre-Dame-du-Chevet, nous ne voyons pas que les fresques
dont elle était primitivement décorée, et qui n'ont été mises en
lumière qu'en septembre 1863 , aient été signalées à l'attention
publique. Je sais qu'elles ont excité* l'intérêt de plusieurs amateurs
distingués ; mais jusqu'ici, elles n'ont pas été décrites. Elles le
méritaient cependant. Une partie même eut dû être relevée et re-
produite, sinon par la peinture au moins par un dessin quel-
conque. Elles étaient plus anciennes que celles des autres cha-
pelles, leur exécution avait été beaucoup mieux soignée, et enfin
nous avons des renseignements précis sur leur époque. Les anna-
listes Janvier et Rochard (2), dans leurs manuscrits, aussi bien
que Dom Duplessis (3), dans son histoire imprimée, ont men-
tionné ces fresques. L'ensemble des onze tableaux, ou environ,
qu'elles comprenaient formait un tout complet, une sorte de gra-
cieux poëme, destiné à rappeler les premiers traits, les premiers
mystères de la vie de Marie. Il est vrai qu'une grande partie de
(1) Voir l'article du n" du 3 août 1861, intitulé : Travaux de la Cathédrale.
(2'> Claude Rochard, Mémoires 'sur l'Histoire et les antiquités de la ville de
Meaux, tome 1. p. 53.
(3) Uoin Toussaint Duplessis, Histoire de l'Église de Meaux, tome I, p. 303
— OG —
ce beau travail avait été profondément altérée. Toutefois, les mor-
ceaux qui en étaient restés laissaient deviner ce qu'il devait être
dans son état primitif, et même deux dessins pouvaient être étu-
diés dans la plupart de leurs détails. Tout annonçait l'œuvre
d'un artiste éminent de la fin du xv^ siècle.
Il fallait se hâter, pour saisir l'ensemble de ces peintures et en
étudier les parties encore conservées. Cachées sous de grandes
boiseries, le défaut d'air avait maintenu les murailles dans un état
constant d'humidité; mais bientôt la chaleur extérieure et la pous-
sière allaient les envahir : puis le marteau en faisait disparaître
la plus grande partie.
La chapelle de la Sainte-Vierge forme le sommet du plan de la
cathédrale et elle est nommée, pour cette raison, la chapelle du
Chevet. Elle présente le même genre de construction et la même
dimension que les autres chapelles, dont deux sont situées à sa
droite et deux à sagauche; celles-ci, avec elle, constituent la grande
abside du monument. On peut considérer chacune d'elles comme
une petite abside, ou absidiole. Leur plan est très-simple :
quatorze arcatures saillantes terminées en haut par une pointe
ogivale se détachent sur le soubassement de la muraille et y
régnent circulairement, suivant le dessin que présente la construc-
tion ; elles sont réunies deux à deux entre huit colonnettcs assez
grosses, qui profilent depuis le sol de la chapelle jusqu'au rond
point de la voûte. C'est ainsi que ces arcades géminées corres-
pondent aux doubles lancettes des cinq verrières et des deux
fausses verrières qui les surmontent. Tout ce travail architec-
*
tural est de la fin du xiii" siècle ou du commencement du xiv** (1).
La double arcade placée près de l'autel, du côté de l'épitre, avait
été disposée pour servir de piscine. Elle offrait, il est vrai, la
même construction que les autres : mais tout en conservant
par devant la forme géminée, on avait creuse dans le mur une
arcade unique qui présentait une certaine profondeur. Cette dis-
position ménagée dans un but d'utilité était assez ingénieuse.
Les arcades qui avoisinent l'autel de Saint-Eloi, près la petite
porte, sont une imitation de ce genre de travail, avec cette dif-
férence que la piscine est double. Plus tard , sans doute au
xvii*^ siècle, lors de la première restauration des ornements de
(1) Co ne fut que dans le courant du xiV siècle que les architectes donnèrent
plus de pruibudeur à la chapelle qui formait le chevet des églises. Nous en avons
un exemple à Nangis.
— 1)7 —
cette chapelle , on trouva que cette arcade intérieure était trop
vaste ; elle fut réduite aux proportions d'une seule arcade exté-
rieure, celle de droite (1); en même temps, le niveau du sol
ayant été probablement exhaussé, la pierre qui servait d'appui et
qui avait été creusée au milieu, en forme de vase quadrilobe, avec
conduit pour l'écoulement des eaux, dut s'élever davantage. Il
était facile de remarquer tout au bas de l'arcade en question, une
rigole taillée dans une pierre ; cette rigole correspondait au con-
duit dont nous parlons ; l'eau se perdait sous le dallage.
Dans la double arcade qui suivait celle-ci, vers la gauche, au
fond de îa chapelle, la colonnette du milieu avait disparu, aussi
bien qu'un des côtés de l'ogive qui la surmontait. Dans quel but
avait été opérée cette destruction, cette sorte de vandalisme, pour-
rait-on dire ? Le voici : au siècle dernier , quand la chapelle reçut
ces grandes boiseries de salon que nous avons vu régner jusqu'en
1863, on avait pratiqué un escalier secret en forme d'échelle de
moulin pour parvenir jusqu'à l'extrémité supérieure du rétable,
c'est-à-dire jusqu'à la niche qui renfermait la chasse de Saint-
Fiacre. Cette niche, très-élevée, servait, comme on a pu le remar-
quer, de couronnement à tout cet édifice de boiseries.
Il faut encore signaler la disparition de deux fûts ou colon-
nettes à la deuxième arcade du côté nord. Les autres détails d'ar-
chitecture de cette chapelle n'étaient point endommagés. Nous
avons remarqué plusieurs chapiteaux dont la peinture était d'une
conservation parfaite.
Or les tableaux qui vont nous occuper, se suivaient en allant de
gauche à droite sur la muraille semi-circulaire jusqu'à la piscine :
il y avait probablement un sujet distinct pour chaque arcade qui
était peinte de haut en bas. Les colonnettes et les ogives qu'elles
supportaient étaient également décorées. Ainsi, les fûts étaient
marqués d'un rouge foncé ; aux bases et aux chapiteaux on avait
appliqué une dorure sur un fond de vermillon. Entre les ogives,
sous le bizeau saillant du bas des fenêtres, étaient peintes des dra-
peries fleuronnées. Cette sorte de dessin servait d'encadrement
aux divers sujets, ainsi qu'une bordure de teinte un peu foncée
qui figurait au bas des arcatures. Seule, la double arcade servant
de piscine et qui^ comme nous l'avons dit, était placée, la seconde,
du côté sud, ne portait la marque d'aucune couleur.
(1) Ce changement tenait à la nouvelle rubrique adoptée depuis cette époque:
e prêtre n'alla plus comme autreTois, après la cù.uuiunionj se laver les mains dans
a piscine.
7
— 98 —
De temps immémorial, ]e vocable principal de notre chapelle (J)
était la Conception de la sainte Vierge ; aussi le sujet des compo-
sitions est emprunté à la première partie de la vie de Marie. Oh
était placé le sujet dominant, celui qui rappelait le mystère de la
Conception? c'est ce qu'il a été difficile de découvrir, d'autant
plus que les deux arcades du fond étaient entièrement effacées.
La première arcade du côté septentrional de la chapelle laissait
voir encore quelques traits d'un personnage que nous n'avons pu
déterminer ; il portait un vêtement de couleur verte. Le sol sur
lequel posaient ses pieds était formé par un grand nombre de pe-
tits carrés inscrits dans un autre plus grand de même forme, mais
d'une seule pièce. Au bas paraissait une légende, composée de
deux vers en minuscules gothiques; il n'a été possible de lire que
ces mots :
Cy est.... de Joachim.
Marie sa fille
Peut-être le personnage en question était-il saint Joachim, père
de la Sainte-Vierge.
L'arcade suivante porte aussi la trace d'une légende, mais rien
n'a pu être déchiffré.
Dans la cinquième , figure un personnage portant un nimbe
rouge : le fond du tableau est vert.
La sixième était assez bien conservée ; l'archange Gabriel nimbé de
rouge avec des ailes bleues, est à gauche et se présente à la Sainte
Vierge qui est h droite. Celle-ci se tient à genoux dans une attitude
d'étonnement; elle a le nimbe rouge et le manteau bleu. Entre
les deux personnages s'élève en flottant une banderolle de couleur
blanche, sur laquelle sont écrits ces mots : Ave Maria, Dniis tecum.
Plus haut dans l'ogive do l'arcade, le soleil placé un peu à gauche
étincelle de feux, au milieu d'un ciel rouge.
Examinons présentement la dernière arcade, celle qui est à l'en-
trée du côté sud de la chapelle.
Quoique cette arcade soit encore conservée, puisqu'elle est
placée au-dessous de la lausse fenêtre et qu'elle appartienne ?i la
muraille qui n'était pas sujette à une reconstruction , néanmoins
(1) C'était bien le titre de !a première chapellenie : il y avait encore deux autres
bcinTices affectes à l'autiil di; celle chapelle : tous deux étaient sous le vocable de
la décollation de Saint-Jean-Baptisto.
— 99 —
depuis deux ans et demi qu'elle a été découverte, les couleurs
semblent avoir disparu ; c'est à peine si l'on peut encore recon-
naître l'ensemble de la scène. Mais au moment de l'enlèvement
des boiseries , il était bien facile d'en saisir presque tous les
moindres détails. Nous nous plaisons h décrire ce tableau ; on
comprendra plus loin qu'il mérite de l'intérêt à plus d'un titre :
Il s'agit de l'Adoration des rois Mages : la sainte Vierge est
assise sur un trône ; elle porte sur les épaules un ample manteau
bleu avec des galons d'or et sur la tête une couronne nimbée. Sur le
bras gauche elle tient l'enfant Jésus , également couronné et
nimbé. Ici, le nimbe est crucifère; c'est l'attribut distinctif du
Dieu-Rédempteur. Jésus plonge les deux mains dans un vase d'or
à pied; ce vase a la forme d'un large calice ou ciboire orné, sur la
coupe et sur le pied^, de longues saillies ou côtes perpendiculaires.
Ce genre de décoration indique bien le style du xiv^ siècle. Les
pièces d'or qui remplissent le vase sont placées sur champ. Le
Mage qui offre ce présent est à genoux ; il a déposé sa couronne,
il est revêtu d'un manteau rouge avec de larges bandes ou orfrois
tissus d'or et sur lequel se jouent de gracieuses volutes ou enrou-
lements plus ou moins fortement nuancés.
Les deux autres Mages, debout à la droite du premier et plus
jeunes que lui, sont d'une belle taille. Ils sont couverts de riches
vêtements relevés par une ceinture ; leurs têtes portent des cou-
ronnes de haute forme et pointues à leur extrémité supérieure ; à
ces divers traits, on reconnaît des princes orientaux. Les vases
qu'ils portent à la main sont fermés et de plus petite dimension
que celui qui renferme l'offrande de l'or : cependant, ils sont de
même style. Au fond du tableau apparaît la tête de différents per-
sonnages ; ils prennent part à cette scène dont le dessin est si bien
touché et dont l'ensemble est si gracieux. Des feuilles vertes de
palmier sont jonchées sur le sol au pied des adorateurs.
Le ton des couleurs, le mouvement donné aux principaux ac-
teurs de cette scène, la dignité imprimée sur les traits de la sainte
Vierge, la grâce et la joie qui respirent dans le Dieu-enfant, tout
révèle le travail soigné en môme temps que la touche d'an artiste
éminent.
Mais c'est le portrait du premier Mage, de celui qui fait Tof-
frande de l'or que l'artiste s'est appliqué à représenter ; c'est ce
personnage qui semble avoir été l'objet d'une étude spéciale. Ce
Mage est plus âgé que ses compagnons. Ses joues sont colorées,
son œil bleu est à la fois doux et animé ; son front est entièrement
_ 100 —
chauve; ses traits sont empreints d'une grande finesse; il porte
une longue barbe de couleur blonde ; c'est un peu le portrait de
saint François de Sales, sauf que le front est moins élevé et^iuele
menton est moins large ; toute cette figure d'un personnage qui
agit et semble parler en même temps est vraiment bien touchée.
Je ne crois pas me tromper en découvrant, dans ce premier
Mage, l'évêque de Meaux (l-4o8-'1473), Jean du Drac qui fit exé-
cuter les peintures de cette chapelle. Voici les motifs qui semblent
autoriser cette opinion ; c'est d'abord le soin particulier avec
lequel ce tableau a été exécuté. Si nous établissons une compa-
raison entre celui-ci et tout ce qui nous a été conservé des autres,
nous devons reconnaître que l'adoration des Mages présente
une facture plus soignée ; l'attention de l'artiste s'est portée
spécialement sur jle premier Mage et le vêtement qu'il porte est
évidemment une chape d'église. De plus, l'emplacement adopté
pour cette peinture qui se trouvait, la première à l'entrée de la
chapelle, du côté droit, n'avait-il pas été choisi avec intention ?
Car en observant l'ordre de la galerie, on remarque que ces
tableaux se suivaient en commençant par la gauche ; c'était
d'ailleurs l'ordre naturel. Or, ici se présente une inversion.
L'arcade qui précède et dont nous n'avons pas encore parlé
contient des armoiries et une légende, qui sont là comme une
suite, comme une dépendance du tableau de l'Adoration des
Mages et qui sont destinées à le compléter. Le premier Mage
étant à genoux tourné vers l'orient, il en résulte que les armoi-
ries qui figurent dans l'arcade suivante sont devant lui et à ses
pieds et qu'elles servent à le désigner personnellement. Ce rap-
prochement est d'une grande valeur ; c'est un indice qui fournit
un degré puissant de présomption, nous pourrions dire de certi-
tude en faveur de notre sentiment. Ces armoiries étaient écar-
telées au premier et au quatrième des du Drac, d'or au dragon
de sinople, au deuxième et troisième des vicomtes d'Aï ; on ne
distinguait que la couleur de ce dernier écu; il est de sinople.
Jacqueline ou Jacquette d'Aï, dernière héritière des vicomtes de
ce nom était mère de l'évoque de Meaux.
Une légende était placée au-dessus des armoiries, nous n'avons
pu lire que le mot terra, à la fin d'une ligne et les mots per quem
meruitau. commencement de la ligne suivante, tout le reste avait
disparu.
Jean Meunier, prédécesseur de Jean du Drac (14-47-1458), sur
le siège de Meaux avait doté la cathédrale de riches tapisseries
— 101 —
de Flandre. Sur l'une des pièces était représenté le couronnement
de la Vierge par Dieu le père et Dieu le fils , au milieu d'un
groupe d'anges. Au bas, figurait le prélat à genoux et les mains
jointes ; à ses pieds Técusson de ses armoiries. N'est -il pas per-
mis de croire que du Drac ait voulu être représenté mais d'une
façon plus discrète et plus délicate dans ces peintures dues à sa
pieuse libéralité , ou mieux, n'est-ce pas là le caprice intéressé
d'un artiste qui voulait laisser un hommage à l'évèque en perpé-
tuant son souvenir ? Cette idée de représenter un donateur sous la
transparence d'un personnage biblique qui offre des présents à
Dieu, ne s'est-elle pas souvent rencontrée à l'époque dont nous
parlons. Avouons qu'aucune scène de l'histoire évangéliquo ne
pouvait se prêter plus heureusement à la flatterie ingénieuse du
peintre.
Il faut reconnaître qu'aucun autre de nos anciens prélats
n'eut peut-être autant de droits que Jean du Drac à vivre dans la
mémoire de la postérité; il compte parmi les bienfaiteurs insignes
de notre belle cathédrale (1). Héritier de grands biens, entre
autres de la seigneurie de Glaye dont il rebâtit le château, il s'ap-
pliqua , comme ses prédécesseurs et dans des conditions plus
larges, à réparer les désastres que la funeste invasion des Anglais
avait causés à la cathédrale. On lui doit la restauration des piliers
de la grande nef. Sur l'un de ces piliers sont sculptés deux dra-
gons grimpants ; il fit poursuivre activement les travaux de la
grande tour. Mais la chapelle du Chevet, Notre-Dame de la Con-
ception fut l'objet privilégié de sa dévotion et de sa munificence.
Un titre bénéficiai de chapelain fut fondé par lui pour y célé-
brer la messe non pas tous les jours , comme le dit Dom du
Plessis (2), mais tous les lundis de l'année : c'était pour le repos
de son âme; il y fut inhumé suivant le désir exprimé dans son
testament.
Les travaux que l'on vient d'exécuter pour la reprise des fonda-
tions de cette chapelle ont amené la découverte de trois tombes
maçonnées; on a recueilli, auprès des squelettes, différents vases,
tels qu'on en plaçait encore au xv'' siècle dans les cercueils ; ils
étaient, suivant l'usage, remplis de charbons; mais aucun orne-
ment, aucun attribut n'a pu faire distinguer le corps de l'évêquc
(1) Voir Dûin du Plessis, Histoire de l'église de Mcaux. tome I. i
l'Essai historique et archéologique sur Pecy, p. 93 et G4,
(2) Voir l'endroit cité plus haut.
— 102 —
Jean du Drac. On n'a pas reconnu davantage celui d'un célèbre
chanoine, Juste Tenelle, mort dans le siècle suivant. Montaigne,
dans le Journal de son Voyage, raconte qu'en passant à Meaux, il
visita ce personnage , l'un des plus savants hellénistes de son
temps. Il avait été envoyé en Orient, par François I", et il en rap-
porta un grand nombre de manuscrits grecs.
On demandera peut-être à quelle époque furent endommagées
ces riches peintures dont nous venons de parler?
Les divers historiens de notre ville nous racontent que
l'année 1562 , le 25 juin, la cathédrale fut pillée par les Réformés
et livrée à une complète dévastation. Un grand nombre d'objets
d'art et d'ornements précieux périrent dans le désastre ; il fallut
plus d'un siècle pour en effacer les traces.
En l'année 1661, Dominique de Ligny, évêque de Meaux s'oc-
cupa de décorer la chapelle du Chevet (1); mais ce fut sous l'in-
fluence des idées artistiques qui régnaient à cette époque. Le se-
cret de la peinture cultivée au xv^ siècle, était perdu comme celui
de l'architecture ogivale. Au reste, cette restauration paraît avoir
été entreprise dans des proportions assez restreintes. Un tableau
de l'Annonciation, copié de Stella (2), d'autres disent de Se-
nelle (3), et que l'on conserve à la cathédrale, est signalé comme
l'ornement principal qui figura dans la chapelle. Il était réservé
au siècle suivant (1755), de lui donner une décoration plus com-
plète et plus grandiose. Celle-ci, opérée à grands frais, devait en-
core moins s'harmoniser avec le style de l'édifice. Le sol de la cha-
pelle fut exhaussé; de grandes boiseries de salon couvrirent toutes
les murailles jusqu'à la naissance des verrières, et un immense
rétable se dressa en pyramide derrière l'autel (4). 11 fallait donc
qu'une reconstruction de la chapelle fît tomber toutes ces boiseries
et nous révélât, au moins durant quelque jours, des fragments de
peintures si dignes d'intérêt.
(1) Voir Dom du Plessis, Histoire de l'église de Meaux, tome 1. p. 305.
(2) Idem, au même endroit.
(3) Voir Rochard, Mémoires citô plus haut tome I. p. 68.
(4) En Ijlàmant cette ornementation de la chapelle, exécutée, il y a un siècle,
nous ne la considérons qu'au point de vue de l'architecture de notre cathédrale. Re-
lativement à son époque, c'était une œuvre assez remarquable : elle avait l'avan-
tage de s'accorder avec les autres décorations du même genre, alors multipliées
dans cet édifice. La niclie, qui reniermait la belle statue de marbre d'une vîergo-
mère dominait le maltre-autel de façon à être aperçue toute entière du fond de
l'église.
— 103 -
Qu'il me soit permis, en finissant, de formuler une expression
d'espérance. Déjà uîie intéressante restauration rend à nos cha-
pelles absidales toute la beauté de l'architecture primitive, toute
la perfection de ses détails. De riches et gracieuses verrières s'a-
joutent à des travaux habilement conduits,
Pourquoi la peinture ne viendrait-elle pas compléter cette sorte
de résurrection? Pourquoi des fresques ne reproduiraient-elles
pas, dans les nouvelles arcades, les traits historiques, les mystères
qui" figuraient, si à propos, dans les anciennes.
Tant de patientes recherches ont été faites de nos jours pour
retrouver et reproduire les œuvres du moyen-âge ! Bien des fois
déjà ont été signalées les formes diverses sous lesquelles plusieurs
artistes anciens traduisaient les histoires sacrées. Le sujet des
mystères de la Sainte Vierge 'est un de ceux qui furent le mieux
étudié et le plus pieusement retracé au temps que nous rappelons.
On le voyait sculpté aux portes des cathédrales, peint aux verrières
des fenêtres, brodées sur les tapisseries et les ornements d'église
avec les variantes que le génie, propre à chaque artiste, savait lui
inspirer.
Permettez-moi, Messieurs, d'ajouter encore un mot. Et si le
vœu que j'émets parvient à se réaliser, il serait encore permis au
généreux donateur de ces tableaux futurs, quand même il ne se-
rait pas évêque de Meaux, de laisser reproduire son portrait sous
la figure d'un Mage adorateur ou de tout autre personnage secon-
daire soit de l'Ancien, soit du Nouveau Testament.
NOTE SUPPLÉMENTAIRE
Au Mémoire Historique et Archéologique sur les peintures de la chapelle Nolre-
Dame-du-Chevet dans la Cathédrale de Meaux.
Vous voudrez bien. Messieurs, me permettre d'ajouter un mot
au mémoire qui vous a été communiqué à la séance du mois de
février dernier. Depuis cette époque, me trouvant un jour à
Paris, j'allai voir chez M. Gurmer, le célèbre libraire-éditeur de
livres illustrés : Les Heures demaistre Etienne Chevallier^ qui sont
en voie de publication. Rien de plus frais, de plus pur, de plus
splendide que ces miniatures coloriées du xV-' siècle, qui sont
— 104 —
l'œuvre d'un grand artiste, d'un peintre français. Ces riches des-
sins appartiennent à la même époque que les belles peintures
que nous regrettons. Le sujet de l'Adoration des Mages, l'un de
ceux qui ont paru, est d'une noble et magnifique conception. De
nombreux personnages figurent dans cette scène et y sont grou-
pés avec art. On est saisi à la fois et de l'éclat du coloris et du
mouvement donné à chacun des personnages. Ici le principal
adorateur, celui qui présente l'offrande de l'or n'est pas même
transparent : c'est un grand seigneur magnifiquement habillé h
la manière de son époque : vêtements courts et étroits. Ne devrait-
on pas trouver dans ce fait une nouvelle preuve, propre à faire
reconnaître l'évêque Jean du Drac dans les peintures de notre
cathédrale. Mais alors se présente une autre question : à quel ar-
tiste devons-nous attribuer ces peintures? Sur la fin du règne de
Charles VII et au commencement de celui de Louis XI, il n'est
possible de distinguer que quatre peintres dont les noms aient
laissé quelque célébrité. Guillaume Jossequi travailla au Louvre;
Nicolas Pion, à Saint-Germain-des-Prés ; Philippe de Foncières
et Jehan Foucquet. Ce dernier, né à Tours, avait étudié à Rome
dans sa jeunesse. Actif et laborieux, il put dans le cours d'une
longue vie produire un grand nombre d'œuvres remarquables.
Sonnom jusqu'à nos jours était à peine connu. C'est grâces à de
patientes recherches que l'on a découvert qu'il était patronné par
Etienne Chevalier, de Melun, trésorier général de France sous
Charles VII et Louis XI et favori du premier de ces rois. Fouc-
quet composa pour ce personnage le beau livre d'Heures que notre
siècle devait voir publier. Louis XI le nomma son peintre en titre
d'office. « Le premier, dit M. Ch. Louandre, auquel nous em-
)) pruntons ces détails, il forma une véritable école, et en mou-
» rant il laissa deux fils qui s'adonnèrent également à la pein-
» ture. »
C'est à Jehan Foucquet qu'il faut attribuer deux beaux tableaux
placés autrefois derrière le chœur de l'église collégiale de Notre-
Dame de Melun. Aucun doute ne peut s'élever désormais à ce
sujet. Or, no serait-il pas permis d'attribuer à ce grand maître
ou du moins à son école les fresques de la chapelle du chevet de
notre cathédrale. Voilà l'hypothèse que je me permets do formuler ,
en désirant que le temps et les heureuses investigations laites par
des hommes habiles lui donnent de la n'alité.
— 105 —
UNE FAMILLE DE PEINTRES DU ROI
A FONTAINEBLEAU.
LES DUBOIS (XVI% XVIP ET XVIIP SIÈCLES)
PAR M. TH. LHUILLIER,
Membre fondateur ( Section de llelun ) Secrétaire général.
L
Après les célébrités italiennes attirées chez nous sous le règne
de François P'', et qui commencèrent la transformation du château
de Fontainebleau ; après Léonard de Vinci , Andréa del Sarto,
Serlio de Bologne, Le Rosso, Nicolo dell' Abbate, Le Primatice,
une colonie de peintres français, admirateurs de cette belle époque,
voulut aussi concourir à l'exécution de travaux si heureusement
entrepris. Roger deRogery, Bunel, Jean de Brie, Blin de Fonte-
nay, Martin Fréminet, Dubreuil, Lérambert, Toussaint Dumée,
Vernausal, Maugras, s'y succédant presque tous de père en fils,
avaient créé à Fontainebleau, du temps de Henri IV, une seconde
époque de peinture toute dilférenLe, il est vrai, de la première et
qui resta loin derrière elle.
Tandis que Dubreuil et Fréminet se plaçaient à la tête de cette
école française, Ambroise Dubois, suivi par Jean de Hoëy et Paul
Bril, importait au milieu d'eux l'école flamande et dotait Fontaine-
bleau de remarquables productions.
Dubois, originaire d'Anvers, devint dans sa nouvelle patrie la
tige d'une famille heureusement douée, chez laquelle les traditions
d'honneur et de loyauté devaient marcher de pair avec les saines
traditions artistiques; cette famille, alliée aux Fréminet, aux
Dupont de Gompiègne, aiix Dupont de Vieaxpont, s'est perpétuée,
et sa descendance, si nous sommes bien informés, n'est pas éteinte
autour de nous (1).
(1) Les principales alliances de la famille Dubois et son ancienneté à Fontaine-
bleau se trouvent ronslatées dans une inscription tumulaire du cimetière de la pa-
roisse, rapportée déjà par M. l'abbé Tisserand ; elle est ainsi conçue : « Ici, près de
— 106 —
IL
La naissance d'Ambroi'se Dubois remonte à l'année 1543, puis-
qu'il avait 23 ans, en 1368, lorsqu'il arriva h Paris. On ignore
quel avait été son maître, mais déjà le jeune artiste possédait un
véritable talent; un gracieux portrait de femme, dit-on, le fit
apprécier en haut lieu et lui valut l'honneur de travailler au
Louvre.
Vers 1378, il épousa la fille d'un peintre médiocre, maintenant
oublié, Charles de Maugras, également occupé lui-même tantôt
aux travaux de Fontainebleau, tantôt à ceux du Louvre.
Ce n'est que douze ans plus tard, vers 1390, que Henri IV ap-
pela Ambroise Dubois h Fontainebleau (1).
Le moment était favorable. Considérés et bien traités par le roi
qui aimait leur caractère, les artistes le sont aussi au dehors ; ils
s'identifient à cette somptueuse demeure que leur talent enrichit,
ils s'y plaisent, et, renonçant à une vie en quelque sorte nomade,
ils se fixent ici d'une manière définitive. La plupart d'entre eux
avaient tout à gagner à se faire mieux connaître, dans cette exis-
tence solitaire et laborieuse. Les familles distinguées de la ville
les recherchent et s'honorent de les admettre dans leur société;
les gens titrés, les officiers de la garde du roi, le prévôt de Fon-
tainebleau les choisissent pour tenir leurs enfants sur les fonts de
baptême; on donne de préférence h ces enfants les noms des maî-
tres en vogue : Roger, Martin, Claude, Toussaint, Ambroise;
puis, ces fils de famille s'unissent aux filles des peintres, des sculp-
teurs, des architectes, des jardiniers-ingénieurs du roi.
Leur bonne renommée les fait accueillir avec non moins de fa-
veur dans les paroisses du voisinage ; les peintres et les tailleurs
son père Antoine Dupont de Compiègne, de sa mère Louise Dubois de Fréminet,
de son frère Henri Dupont de Compiès'ne, de sa sœur et de ses autres parents, re-
pose le corps d'Af,4aé Dupont de Compiègne, noble rejeton d'une famille qui édifie
notre ville depuis 350 ans par sa fidélité à Dieu et au roi. — Deion timere regern
honorifxcnte. »
Les Dubois se sont distingués par leur générosité envers l'Iiospice de Fontaine-
bleau. En 1724, madame Jean Dubois, née Tiron, donnait 3,000 livres à cet éta-
lilissement, et tout récemment encore, en 1839, madame de Lagorsse, née Dubois
d'Arneuville, laissait 117,000 fr. pour fonder à l'hospice un service de maternité,
à charge d'une pension vi.igère envers madame de Maugras.
(1) Il fut installé dans U- pavillon situé à l'angle nord de la cour des cuisines, au
deuxième étage.
— 107 —
d'images, — comme l'a remarqué M. l'abbé Tisserand (1), —
ornent les petits châteaux, à temps perdu, ou décorent les églises
de villages en dînant joyeusement avec le curé.
C'est ainsi que le château de Fleury-en-Bierre, bâti par Pierre
Lescot, fut enrichi de peintures du Primatice; que, plus tard, Fré-
rainet exerça son pinceau à Saint-Ange, à Barbeau , et qu'Am=
broise Dubois ébaucha dans la modeste église de Saint-Martin-en-
Bierre des fresques aujourd'hui perdues par l'humidité et le
mauvais état de l'édifice.
En 1595, à la naissance de son fils Jean, Dubois prend sur les
registres paroissiaux d'Avon la qualité de peinlre du ro«, et dans les
années suivantes celles de 'peintre ordinaire et de maître peintre
pour Sa Majesté en son château de Fontainebleau.
En 1599 et 1600 c'est à Paris qu'il exerce son pinceau.
« Grand travailleur, sans ambition et gagnant peu, » d'après les
notes d'un de ses confrères, Ambroise obtint pourtant, en 1601,
des lettres de naturalité avec le titre de valet de chambre du roi.
Ce fut pour lui l'occasion de redoubler d'ardeur. Sa position s'était
améliorée : on le traite alors de noble homme, et ses gages s'élè-
vent à une centaine de livres tournois par année (2).
Cinq ans plus tard, Marie de Médicis devait aussi se l'attacher
plus particulièrement , car il prend la qualification de maître
peintre pour la reine, et pendant la régence de cette princesse elle
l'occupe au Luxembourg, ensuite au Louvre pour la décoration
de la salle dite des sept cheminées ; puis, avec Bunel, Duméc et
Gabriel Honnet, aux travaux de la petite galerie brûlée en 1660.
Dubois revint mourir à Fontainebleau , où il se sentait plus à
l'aise que dans la capitale. Il succomba à la tâche le 29 janvier 1614,
au moment où son chevalet venait de recevoir une-troisième toile
pour la chapelle haute. 11 avait 71 ans. On lui fit l'honneur de
l'inhumer dans l'église paroissiale d'Avon (3), où sa tombe existe
toujours au pied du sanctuaire, côté droit.
(1) Auteur d'un bon travail .sur les curieux registres paroissiaux d'Avon et de
Fontainebleau ("Bull, des Comités histor. 1834).
(2) Les finances royales étaient en fort mauvais état. Fréminet, « premier peintre
du roi, » ne recevait aussi que 100 livres tournois ; encore les Comptes des Bâti-
ments royaux, fiour 1609, portent ils en regard de ce chiffre: « N'a pu être payé
fdulte de fonds. »
En revanche, on allait le nommer chevalier de Saint-Michel.
Quelques aniiOes plus tard, les artistes furent mieux rétribués.
(.3) Le château de Fontainebleau dépendait alors de la paroisse d'Avon.
— 108 —
Les écrivains, assez rares d'ailleurs, qui ont signalé cet artiste,
ne sont pas d'accord sur la date de sa mort, que la pierre tumu-
laire elle-même donne d'une manière inexacte.
L'épitaphe, dont l'erreur s'explique sans doute par l'époque
tardive de son érection, est ainsi conçue :
Ci-gist. honorable, homme, feu Ambroise.
Dubois, natif. d'Anvers, en Braban.
vivant valet, de. chambre, et
paintre. ordinaire, dv. Roy. Leqvel.
est. deccédé. le XXVII""" décembre MVIXV.
Priez. Diev. povr. son. âme.
Les registres de l'état-civil d'Avon, qui ont levé le doute et per-
mis de rectifier cette date fautive (1), témoignent aussi de la haute
estime dont le peintre était entouré, en constatant qu'il fui tour à
tour parrain d'une quinzaine d'enfants de 1596 h 1607.
Sans approcher de la perfection des grands maîtres, Dubois et
Fréminet dépassèrent tous leurs compagnons de travail et nul de
leurs élèves ne songea à les échpser; leurs successeurs, au con-
traire, selon de Piles, laissèrent tomber la peinture française dans
un goût flide, qui dura jusqu'au moment où Blanchard et Vouet
revinrent d'Italie.
On a dit avec raison que Ambroise Dubois, appelé ici quelques
années avant Fréminet, avait été le véritable fondateur de l'École
de Fontainebleau, de cette école laborieuse où, durant une certaine
période et non sans quelques succès, les leçons des maîtres italiens
furent mises en pratique. Parmi ses élèves, ceux qui lui firent
le plus d'honneur sont ses deux fils Jean et Louis, — son neveu
Paul Dubois — Maugras, parent de sa femme, — et un flamand
(1) A ce sujet, j'ai un fait rcgretlabie à signaler. J'avais pris note depuis plu-
sieurs années de la véritable date du décos d'x\mb. Dubois, et passant récemment
à Avon, je voulus contrôler mon renseignement à la mairie. Les registres étaient
en meilleur état que je ne les avais vus autrefois : ils étaient reliés, — pas toujours,
il est vrai, dans un ordri' parlait; mais, fatalement, le feuillet dont j'avais besoin,
contenant des décès de 1613-1614, avait été coupé et enlevé!
La mention du décès de Dubois, mailrc peintre de la reine, à la dale du 29 janv.
1614, a été vue aussi et heureusement relevée, il y a une douzaine d'années, par
M. l'abbé Tisserand. (Bull, des Comités histor. 1854).
On a peine à concevoir ce? actes de vandalisme.
— 109 —
nommé Nivet. Antoine, son troisième fils (1), également peintre
d'histoire, n'eut qu'un talent très-médiocre.
Les œuvres d'Ambroise Dubois, autrefois nombreuses à Fon-
tainebleau, sont devenues rares : ce qu'il en reste, pourtant, per-
met d'apprécier sa couleur transparente, son dessin rond, mais
bien accentué. Gomme tous les flamands du xvi'^ siècle , selon
M. Ch. Blanc (2), dans son Histoire des Peintres, c'est un flamand
croisé d'italien, d'une abondance de verve, d'une facilité pittoresque,
qui laissent à désirer plus d'expression et de chaleur. Sa compo-
sition est sage, mais dénuée de mouvement ; sa couleur pâle n'est
pas toujours harmonieuse; ses figures ni longues ni courtes, n'ont
ni le caractère de l'élégance ni celui de la force. Pourtant les con-
naisseurs s'accordent à lui reconnaître une touche large et spiri-
tuelle, et M. Blanc lui-même proclame que ses figures de femmes,
peintes avec douceur et d'un ton efTumé, semblent annoncer
Lesueur.
La galerie de Diane, qui passait pour son chef-d'œuvre, a malheu-
reusement été détruite depuis plus de 50 ans. A côté de sujets allé-
goriques, peu édifiants sans doute, mais bien traités, qui célébraient
les amours d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées sous les traits de
Diane, se trouvaient 23 grands tableaux consacrés aux victoires du
roi. En 1840, on est parvenu à en replacer des fragments dans la
galerie des fresques, et en 1858 MM. Gatteaux et V. Baltard ont
publié à grands frais une suite de gravures, imprimées en rouge,
reproduisant sur les dessins de l'architecte Gh. Percier, l'œuvre
capitale de Dubois (3).
A l'extrémité de la célèbre galerie d'Ulysse, il avait peint la
reddition d'Amiens en 1597 ; on lui devait plusieurs sujets tirés de
l'histoire d'Adam et d'Eve, exécutés dans un appartement situé au
rez-de-chaussée, sous celui de Monsieur.
Lorsque, après la visite de don Pèdre de Tolède, ambassadeur
d'Espagne, le Béarnais résolut de loger la divinité aussi dignement
que les hommes^ Ambroise Dubois et Fréminet chargés de créer
la chapelle de la Trinité, firent preuve d'un grand talent; aussi
les mêmes artistes eurent-ils aussitôt, avec Paul Bril, la mission
(1) Né à Fontainebleau le 5 décembre 1605. Son parrain fut Gracieux Jamin,
concierge du château.
(2) Hist. des peintres, école française ; appendice. Paris, veuve Renouard, in-f».
(3) Galerie de In Reine, dite de Diane, à Fontainebleau, peinte par Ami). Dubois
en iCm, sous Henri IV ; Paris, Gatteaux et Baltard, 1858, in-f».
— MO —
do décorer la salle dite des Nobles , chambre ovale où naquit
Louis XIII. Si l'on se reporte à cette époque de dégénérescence
pour les arts, on ne s'étonne guère de n'y point retrouver l'éclatant
appareil, les grâces, l'élégance, le goût de la Renaissance; il ne
faut pas s'étonner davantage si les peintres, au lieu do choisir les
épisodes d'un poème d'Homère pour décorer le salon des Nobles,
s'inspirent des aventures de Théagène et Ghariclée, roman que la
traduction de Jacques Amyot avait seule pu mettre un instant à la
mode.
C'est également là que Dubois a peirït Louis XIII enfiint, à che-
val sur un dauphin.
Enfin, le maître peintre de la reine avait orné encore, avec un
goût parfait, une volière construite au fond du jardin de l'Oran-
gerie, qu'un incendie détruisit à la fm du xviii* siècle.
On possède un portrait de Dubois ; d'après un usage ancien et
presque constant, le peintre s'est représenté dans son quinzième
tableau du salon des Nobles [Uiiion de Théagène et Chcmclée), au-
jourd'hui transporté dans la salle dite de saint Louis; il est vêtu
d'une robe rouge et placé entre Sully et le financier Zaraet. C'était
selon la tradition, un homme de médiocre stature, vif, ardent
laborieux ; son portrait nous l'offre tel : on reconnaît ce caractère
à l'accentuation des traits, à l'expression de la physionomie; on
devine les qualités du peintre dans cette tête de quasi-vieillard
fièrement posée, à la barbe rousse, au regard pénétrant.
Presque tout ce qu'il avait produit disparut peu à peu. A peine
— 111 —
retrouve-t-on de cet excellent artiste quelques peintures dans
la chapelle haute de Saint-Saturnin, des fragments de l'histoire
de Tancrède et de Clorinde, dans les anciens appartements du roi
et de la reine, et une suite de tableaux restant des aventures de
Théagène etChariclée, dont le Louvre conserve aussi un panneau :
Chariclée subissant répreuve du feu.
III.
Ambroise Dubois avait eu cinq enfants, dont deux filles Elisa-
beth et Marie (1).
Dès le 15 mai 1596, on le voit marier sa fille aînée, à Fontaine-
bleau (2). Jean, son premier fils, né et ondoyé le 10 janvier de
l'année précédente, paraît n'avoir été baptisé que le 26 février 1604
dans la chapelle royale; il eut pour parrain le peintre flamand
Jean de Hoëy, ami de la famille et beau-père de Préminet.
Il était jeune encore lorsque son père mourut, mais formé à
bonne école, il faisait preuve déjà d'un talent distingué.
Sa mère, qui avait conservé en survivance l'entretien des pein-
tures d'Ambroise Dubois, abandonna cette charge à Jean Dubois,
en 1615 , avec les 1,200 livres qu'elle rapportait. Celui-ci avait
alors 20 ans; il épousa aussitôt Marie Outrebon, fille d'un jardi-
nier valet de chambre du roi (3), et se mit au travail avec non
moins de succès que d'ardeur.
En 1635, Claude de Hoëy fils, qui avait l'entretien des pein-
(1) Une tradition populaire qui, Jit-on, s'est perpétuée à Fontainebleau, attribue
4 Amb. Dubois trois filles, qui seraient nées, auraient vécu et seraient mortes cé-
libataires dans une petite rue, en face de la Cour des Offices. On aurait, en leur
lionneur, donné à cette rue le nom des Trois-Pucel/es, changé en 1839 en celui de
Montébello. Mais c'est évidemment là une tradition fort hasardée.
Nous n'avons retrouvé la trace que de deux filles du peintre, lesquelles, étant les
aînées, ne paraissent pas avoir vu le jour à Fontainebleau. Si elles y étaient nées,
c'eût été, comme deux de leurs frères, au château, dans le pavillon de la Cour des
Offices, où Ambroise Dubois avait son logement.
Les registres paroissiaux prouvent d'ailleurs que la première se maria dès 159G.
La qualification de demoiselle qu'on donnait alors aux personnes de qualité et
qui leur est donnée dans des actes de baptême des 28 novembre, 21 avril 1(J2G,
9 mars 1636, etc., aura aidé peut-être à la piquante explication du nom de la rue
des Trois-Pucelles.
Nous croyons qu'il en faut chercher une autre.
(2) Reg. d'Avon. — M. l'abbé Tisserand; publications des Comités hist., 18')4.
(3) Marié à Atine de Hoëy, lille de Jean, et tœur de Claude et de Fraugoise,
femme de Fréminet.
— il2 —
tures et vieux tableaux des salles, galeries et cabinets de Fon-
tainebleau , avec 1,200 livres d'appointements , se démit de
ses fonctions; Louis XIII, pour récompenser le zèle de Jean
Dubois, le gratifia par brevet du 26 décembre 1635, de l'emploi
qui devenait ainsi vacant. Neuf ans plus tard, nous ne savons pour
quelle cause, on lui enlève l'entretien de toutes les peintures qui ne
sont pas dues à son père, et ses émoluments se trouvent réduits à
1,000 livres (26 octobre 1644). Puis, le 14 juillet 1651, non-seu-
lement, on rétablit l'état ancien des choses, mais encore Jean Du-
bois, sur la démission de son frère Louis, est chargé d'entretenir
les peintures de Préminet, dans la chapelle de la Trinité, avec
200 livres de gages. Il est, en outre, pourvu de la conciergerie
des écuries de la reine.
Cet artiste termina sa carrière en 1679, sans avoir jamais quitté
sa ville natale, et l'abbé Guilbert, dans sa Description de Fontaine-
bleau, rend de lui cet honorable témoignage que Jean Dubois, aussi
modeste qu'habile, se montra parfait imitateur de la probité et du
pinceau de son père.
Il avait décoré rappartement de la reine, mais on cite plutôt de
lui, comme d'une composition parfaite, la Nativité dans la chapelle
haute et une Descente de Croix sur l'autel de la chapelle de la
Trinité.
Dans la salle du Trône, Louis XIV lui avait fait remplacer le
portrait de Louis XIII par Flore et Zéphyre, que l'Empire enleva
pour faire place au portrait de Napoléon; sous la Restauration, on
y mit Louis XV; enfin, Louis-Philippe eut l'heureuse idée d'y
restituer l'œuvre de Philippe de Champagne.
Jean Dubois a laissé deux fils, Jean et Louis, peintres du roi.
IV.
Le second fils d'Ambroise, Louis Dubois, après avoir été un
de ses meilleurs élèves, se fit peu remarquer par ses productions.
En 1644, on l'avait néanmoins chargé, comme nous l'avons dit, de
l'entretien des œuvres de Fréminet; il était déjà qualifié alors de
l)eintre valet de chambre de Sa Majesté.
Au décès de Louis Fréminet fils, en 1651 (1), Louis Dubois
(1) C'est à tort que M. Villot (notice sur les tableaux du Louvre), à qui nous^
empruntons quelques détails, dit que Fréminet fils était frère de mère de Louis
Dubois.
— 413 —
ayant obtenu la pension de 2,000 livres dont ce dernier .jouissait,
se démit, en faveur de son frère aîné, de l'entretien de la chapelle
de la Trinité.
Il est mort sans postérité quelques années après.
Ses neveux Jean et Louis, puis ses petits-neveux, conservèrent les
revenus et les titres de Louis Dubois jusqu'au milieu du xviii' siècle,
tout en cumulant les fonctions que Arabroise avaient précédem-
ment remplies.
Je^n (2^ du nom) , né en 1640 (1) , valet de chambre du roi et
concierge des écuries de la reine, figure sur l'état des officiers du
château de Fontainebleau pour la survivance de l'entretien des
peintures, et les Comptes des bâtiments pour 1673 font connaître
les charges de son emploi, dont le traitement était réduit à 600
livres :
(( A Jehan Dubois, peintre, ayant le soin et nettoyement des
» peintures, tant à fresques qu'à huisles, anciennes et modernes,
)) des salles, galeries, etc., la somme de 600 livres pour ses ap-
» pointemens de 1673, à la charge de rétablir ceux qui sont gastés,
» nettoyer les bordures des tableaux et de fournir le bois, charbon
» et fagots pour brûler esdittes salles, galeries, chambres, etc.,
» pour la conservation d'iceux... »
Louis, né le 4 avril 1646 (2), se fit moins remarquer, mais il eut
lui-même un fils que mit en relief une certaine habileté ; celui-ci, né
en 1673, est mort peintre ordinaire du roi et concierge de la Cour
des Fontaines le 12 avril 1702, laissant un héritier de son nom et
de son talent.
V.
A l'époque des Dubois et à coté d'eux, florissaient à Fontaine-
bleau plusieurs autres familles d'artistes, originaires de la localité.
Sans qu'aucun membre de ces familles, peut-être, n'ait brillé du
plus vif éclat, quelques-uns ont acquis un mérite relatif et joui
d'une réputation honorable, dont le souvenir local, aussi bien que
celui des Dubois, doit être soigneusement conservé.
Gomme l'exprimait récemment M. Amédée Thierry (3) : «C'est
(1) Baptisé seulement le 18 mai 1645 ; mort en 1694.
(2) Baptisé le 16 au château; parrain, Louis Dubois, son oncle; marraine. Ga-
brielle Tabouret, femme de Claude de Hoëy. Marié en 1671 à Xainte Jamiu.
(3) Compte-rendu à la Sorbonne, 1864.
8
— Mi —
» une des meilleures missions des Sociétés savantes de la province,
» que de conserver le patriotisme des gloires locales et d'en raviver
» le souvenir quand il menace de s'éteindre. » Nous savons tous
que le nom des artistes de premier ordre ne s'efface pas ; c'est
donc aux talents secondaires , dont la renommée est toute locale,
qu'il nous faut d'abord songer.
Ne dédaignons pas ces humbles réputations dans la carrière
difficile des arts; loin de les repousser ne doit-on pas, au con-
traire, publier ces exemples d'enfants de modeste condition, se
complaisant dans la vue du beau, se formant le goût et l'esprit
devant ces galeries superbes, alors en cours d'exécution ; quittant
les jeux de leur âge pour aider les maîtres à broyer des couleurs ;
puis, entraînés par un irrésistible courant, embrassant avec réso-
lution cette rude carrière où les guidaient, en les encourageant,
les Rosso, les Primatice, les Fréminet, dont ils devaient un jour,
bien qu'à distance, continuer l'œuvre?...
Mais nous ne pouvions songer à étendre davantage cette étude;
laissons-en le soin à de plus habiles (1).
La Section de Fontainebleau est nombreuse; nous y comptons de
vrais amis des arts , habiles à bien dire ; ils aborderont, espérons-le,
le sujet que nous n'avons fait qu'indiquer, et grâce à leur talent,
la réputation des Dubois, des Voltigean, des Nivelon, des Bouzé,
des Desbouts, des Jamin, des Lefèvre, sera mieux connue, appré-
ciée, popularisée, et leur nom pour quelques-uns, peut-être, sauvé
de l'oubli.
(1) Cette notice a été lue à la séance publique de Fontainebleau, le 15 octobre
18G5.
Mo
LES GROTTES DES FÉES
LA FERTÉ-GAUGHER — GROUY-SUR-UURGQ
PAR 31. A. CARRO,
Membre fondateur (^ecîSom de Idéaux) Vice-Président de la Société.
A quatre ou cinq kilomètres à l'orient de la jolie petite ville de
La Ferté-Gaucher, sur le territoire de la commune de La Gha-
pelle-Véronges, se trouve un vallon resserré, ombreux et solitaire,
où coule le Grand-Morin, qui malgré son nom, tout relatif et
nullement prétentieux, n'est guère là qu'un simple ruisseau. La
rive droite du cours d'eau est dominée par le flanc boisé du
coteau, que surmontent des bancs de rochers abrupts d'une cin-
quantaine de mètres de hauteur.
Ges rochers sont bien plus qu'un accident pittoresque dans un
séduisant paysage ; ils ont une importance spéciale par leur noto-
riété bien méritée.
Dans leurs anfractuosités se trouvent quatre grottes , dont trois
n'ont qu'une importance secondaire, mais une autre assez grande,
et réceptacle fort habitable, a été réellement habitée. On l'appelle
la Pierre, ou la Grotte aux Fées.
Les documents qui se rattachent à cette dénomination et à la
tradition qui la concerne, sont en général si peu répandus que j'ai
pensé qu'il pourrait ne pas être sans quelque intérêt d'en faire le
sujet d'une notice.
Vous vous doutez bien qu'il ne s'agit pas ici de fées contempo-
raines de Peau -d'âne et de Gendrillon , nous allons remonter
beaucoup plus loin. Permettez-moi de vous conduire rapidement,
par la pensée, au-delà de nos temps historiques.
Nous ne limitons plus notre histoire nationale aux Druides ; on
sait que leurs doctrines, et leur culte ne nous furent apportés de
l'Asie occidentale que vers l'an 580 avant J.-G., par Esus, person-
nage demi-historique, demi-légendaire, qui semble avoir, comme
Mahomet, réuni les divers caractères de chef militaire et de légis-
lateur politique et religieux.
— Ht) —
Or, avant l'invasion d'Esus et des Kimris, c'est le nom donné à
ses compagnons, avant, par conséquent, l'introduction d'une doc-
trine qui enseignait un Dieu suprême, souverain créateur de toutes
choses, les populations qui habitaient déjà le sol sur lequel nous
vivons aujourd'hui, adoraient les fleuves, les lacs, les fontaines,
les pierres, les montagnes, les forêts (1), sans représentation ma-
térielle toutefois de la divinité, sans idoles en un mot. Elles sym-
bolisaient seulement ces objets par l'imagination, leur donnaient
ainsi des formes humaines et vivantes, et celles de ces formes
entre autres qui représentaient une essence féminine, ont trans-
mis un souvenir jusqu'à nos temps : ce sont les Fées, qui, après
avoir été des objets d'adoration pour nos pères, ont quelquefois
efTrayé, mais souvent aussi amusé leurs petits-enfants.
Le nom de fée ne remonte pas, il est vrai, à cette époque, il ne
nous a pas été transmis d'une langue que nous ne connaissons
plus, il est un peu plus moderne, nous y reviendrons.
La notion des êtres fantastiques qu'il personnifie est, au reste,
fort répandue sur toute l'étendue de la France et même de l'Eu-
rope. Ainsi on compte quantité de localités où se irouveni la Pi'etTe
aux Fées, la Grotte des Fées, la Combe c'est-à-dire la vallée des
fées, etc., (2), ou des noms analogues suivant le patois ou suivant
la langue. On a même applique improprement le nom de pierres
des fées à quelques grossiers monuments primitifs, ouvrages de
l'homme, et qui n'étaient que des sépultures, mais les grottes des
fées proprement dites, sont des antres ou cavernes dans les ro-
chers aux flancs de certains vallons. Telle est, nous venons de le
voir, la pierre aux fées de la Ferté-Gaucher, telle est une autre
qui, dans notre contrée aussi, avoisine la ville de Grouy-sur-
Ourcq ; telle en est peut-être, une encore dans la vallée de Mcun,
commune d'Achcres au sud de la forêt de Fontainebleau; telles
sont, enfin sur des points forts distants, plusieurs grottes que j'ai
visitées ou dont j'ai pu lire la description.
La grotte de Crouy n'a pas conservé le caractère sauvage et
mystérieux que l'on remarque à celle de La Ferté-Gaucher. Le
vallon qui avoisine Crouy, couvert de bois autrefois, est dénudé
maintenant; le roc est moins âpre et abrupt qu'aux rives du
Grand-Morin, mais l'analogie n'en est pas moins évidente, indé-
pendamment du nom transmis par la tradition.
(1) Alfred Maury, Les Fées du moyen-âge, pafre 4.
(2) Comba, locus déclivis in vullem désinem. Ducange.
__ 117 —
« Les antres furent les premier.^ temples » dit avec raison
M. Gh. Toubin, auteur d'un remarquable £ssai sur les sanctuaires
primitifs; là, en effet, séparé des objets extérieurs, plongé dans
l'obscurité ou ne percevant qu'une lueur incertaine, l'homme si
faible en face des roches gigantesques qui l'entouraient devait
éprouver un sentiment de frayeur religieuse ou du moins de re-
cueillement; il devait être atterré ou s'exalter, suivant ses disposi-
tions ou les enseignements reçus.
Le druidisme ne détruisit pas entièrement le premier culte de
nos ancêtres, il se combina seulement avec lui. M. Maury dans
sa savante étude intitulée : Les Fées du moyen-âge, en donne de
nombreuses preuves. La divinité eut alors des prêtres et des prê-
tresses. Les druides ne construisaient pas de temples, les bois
leur en tenaient lieu', et surtout dans les bois beaucoup plus éten-
dus alors sur notre territoire qu'aujourd'hui, les parties les plus
sauvages, les plus empreintes d'un solennel isolement et par con-
séquent les vallons et les rochers. C'était dans ces retraites
sombres, dans ces bois sacrés que se tenaient leurs réunions et se
célébraient leurs mystères. Plusieurs d'entre eux ainsi que des
druidesses y faisaient leur constante demeure.
Les druidesses furent naturellement les intermédiaires des divi-
nités féminines, elles parlèrent en leur nom; en leur nom elles
annoncèrent l'avenir, les destinées, fata, radical latin dont est
venu d'abord le mot fafuœ, puis le nom de fée, remplaçant leur
ancien nom de vala (d'oîi véléda, voluspa).
Les vêtements des druides étaient blancs, et les druidesses
étaient revêtues de robes blanches. Elles durent bien souvent dans
l'ombre des forêts, dans l'obscurité des cavernes, s'offrir comme
une apparition vaporeuse, aérienne, insaisissable; la divinité et la
prêtresse durent se confondre dans l'imagination, et les fatidiques
dames blanches devinrent les objets d'une vénération crain-
tive.
Les rapprochements que je pourrais faire ici entre les fées et les
druidesses nous entraîneraient bien trop loin, on peut les suivre
avec intérêt dans l'ouvrage que j'ai cité plus haut de notre honoré
confrère M. Alfred Maury.
Un jour vint où l'adversité atteignit les fées elles-mêmes, à la
suite de l'invasion des Romains : Rome jalouse les proscrivit avec
les druidesses. La persécution de Claude continuée par ses succes-
seurs (période de 40 ans environ), pesa cruellement sur elles, et
les grottes cachées au fond des sombres vallées servirent de re-
— 118 —
traite aux prêtresses, protégées encore par la crainte superstitieuse
ou l'affection des populations.
Lechritianisme vainqueur du druidisme amoindrit surtout l'au-
torité morale des fées sans toutefois pouvoir en dissiper le souve-
nir. Les chrétiens leur firent mauvaise réputation. Au lieu de
l'épithète de 6o>ines qui était originairement leur titre attributif
ord'maire, les Bonnes mères, les Bonnes dames (1), on vit figurer
dans les récits, dans les légendes, les méchantes fées, les fées en-
vieuses, les fées vindicatives; on les fit vieillir, on en fit des sor-
cières. La dame blanche apparut encore, mnis le plus ordinaire-
ment pour annoncer un malheur ou comme un signal de mort.
C'est ainsi que les fées, sauf pourtant quelques figures gracieuses,
Urgande, Viviane, Morgane, Urgèle, Melusine, etc., ont passé à
travers tout le moyen-âge, figurant dans les fabliaux et les récits
émouvants de la veillée, défrayant les poètes, les conteurs, et en-
fin il faut bien le dire, les mères et les nourrices. Longtenips encore
cependant on les prit au sérieux . on a célébré jusque dans le xvii"
siècle à l'église de Poissy une messe pour préserver le pays de la
colère des mauvaises fées, et des pièces du procès de Jeanne-d'Arc
constatent que tous les ans le curé de Donremy allait chanter
l'évangile près de l'arbre des fées, pour les chasser {^2).
Des traces, sinon d'habitation, du moins de fréquentation et de
séjour se remarquent fort bien dans la grotte de Crouy ; la roche
étant peu résistante aux instruments tranchants, il semble qu'on a
cherché à arrondir les voûtes ; on peut y distinguer môme des in-
dices do nervures et d'ornementation. Est-ce le travail de quelque
solitaire, ou le produit du loisir de quelque pâtre du xiii" siècle gar-
dant ou censé garder son troupeau dans la vallée; ou bien encore
n'aurait-on point établi ou tenté d'établir en ce lieu un oratoire,
une sorte de petite chapelle pour le purifier et le sanctifier? Un
exemple fort notable de ces sanctifications se trouve précisément
dons le voisinage, c'est No(re-Dame-du-Ch:ne, ancien but d'un pè-
lerinage qui y avait détermine la fondation d'un couvent. La sta-
tuette de Notre-Dame consacrait au culte chrétien un de ces arbres
auxquels jusqu'au temps deCharlemagne, suivant les capitulairos,
un reste de super;;tition paycnne venait encor.> offrir des luminaires
et apporter des offrandes.
Nous ne sommes réduits ici qu'à des conjectures; mai^3 nous
(1) Ali'. Maury^ Les Fc'es du Moijen-Ag", pp. 10 et 35.
(2j 1(1., i^ -62.
— 119 —
savons avec certitude que la grotte de La Ferté-Gaucher a été ha-
bitée, elle l'a surtout été de nos jours; cela remonte à trente et
quelques années seulement, et déjà l'individu qui y fit sa demeure
prend dans la contrée les proportions d'un personnage légendaire
sous le nom de l'ermite de la grotte ; il est vrai que c'était un
étranger, un Italien, et déplus un octogénaire.
Au risque d'irrévérence envers la légende, je vais donner sur
l'habitant quasi-mystérieux de la Pierre aux fées, quelques détails
authentiques ; je les tiens de l'obligeance de notre confrère
M. Plessier qui habite La Ferté-Gaucher, et en compagnie duquel
j'ai visité la grotte.
Michel Théard, né à Monclia, dans la république de Gènes,
habita la grotte aux fées une dixaine d'années. Ce n'était point un
ermite dans le sens religieux ordinairement reçu de ce mot, il
était marié, il l'avait même été cinq fois. Il est vrai que s'étant
marié pour la première fois à l'âge de cinquante ans, il n'avait
épousé successivement que des femmes de plus en plus âgées qui
n'avaient pu le suivre dans sa carrière de longévité. Lors de son
dernier mariage il avait 78 ans.
On ne sait pas bien par quelles circonstances il avait été amené
à La Ferté-Gaucher où avait eu lieu son premier mariage, c'était
sans doute à la suite de nos premières campagnes en Italie. Quoi
qu'il en soit, il était resté, tant à La Ferté que dans le voisinage
et notamment à La Chapelle- V oronges, travaillant comme simple
journalier, se faisant aimer par son obligeance et la douceur de
son caractère.
"Il avait souvent fréquenté les bois et les champs avoisinant la
Pierre aux fées, qui n'avait plus rien d'extraordinaire ni de redou-
table pour lui, aussi obtint-il de s'y loger, sans doute par écono-
mie de loyer. Quand l'âge ne lui permit plus de travailler bien
fructueusement, il ne fut pas abandonné, nombre de gens des en-
virons et même de la ville qui prenaient plaisir à le visiter, le se-
couraient de leurs dons; il avait d'ailleurs une petite cloche qui
lui servait à se rappeler à leur souvenir. Il mourut paisiblement
dans sa grotte, le 20 août 1832, âgé de 85 ans.
J'ajouterai ici l'indication d'un curieux rapprochement que m'a
communiqué notre confrère le docteur Delbet, propriétaire de la
grotte aux fées, qui a pendant plusieurs mois parcouru la Palestine ;
c'est que la grotte de La Ferté-Gaucher présente une très-grande
similitude d'aspect intérieur avec celle d'OdoUam oii se retira pen-
— 120 —
dant que] que temps David fuyant la colère de Saûl. Celle d'Odollam
est seulement trois ou quatre fois plus grandr.
Notre vieil ermite avait exécuté dans sa retraite solitaire quel-
ques travaux de clôture et d'appropriation qui ont à peu près dis-
paru depuis. On n'y voit plus qu'un petit fragment de mur, les
parois cyclopéennes et tourmentées du roc, et l'ouverture par la-
quelle, comme entourée d'un cadre sombre, apparaît mélancolique
et presque solennelle encore la vallée qu'elle domine. A cela se
,ioint le souvenir, distant déjà de plus de deux mille ans, des rites
mystiques qu'elle a vu s'accomplir.
Un dernier mot, à l'adresse de la légende. Michel Théard fut
d'abord appelé le père Génois du nom de son pays; puis, par cor-
ruption, il ne fut plus connu que sous le nom du père Chinois. Si
mon humble notice ne survit pas, rien ne s'oppose à ce qu'il ne
soit bientôt avéré comme tradition, qu'un habitant de la Chine
était venu chercher une retraite dans les rochers du Grand-
Morin.
— 121 —
L'ANCIENNE AUBEROE DE LA BELLE-IMAGE
A MORET,
PAR M. SOLLIER,
Membre fondateur ( Section do Mclun ).
La petite ville de Moret, dont l'origine remonte à une haute
antiquité, est riche de souvenirs historiques. Ses anciens monu-
ments, qui presque tous ne sont plus aujourd'hui que des ruines,
sont néanmoins un précieux sujet d'études pour ceux qui s'occu-
pent de recherches archéologiques. Dans les premiers siècles de la
monarchie française, cette ville et les villages qui l'entourent ont
dû à leur position topographique d'avoir été le théâtre de laits
mémorables, et la guerre y a laissé, à plusieurs reprises, des
marques de son funeste passage. A une époque plus rapprochée de
la nôtre, l'inutilité de ses fortifications et, plus encore, la prospé-
rité croissante de Fontainebleau diminuèrent son importance et
la reléguèrent au second plan. Toutefois, elle ne tomba pas dans
une complète obscurité : le voisinage de l'une des plus splendides
résidences de nos souverains, la proximité de la belle foret de
Bière et les sites charmants et pittoresques qui environnent la
campagne de Moret, lui ont conservé jusqu'à nos jours la faveur
d'être visitée par d'illustres personnages, parmi lesquels on compte
des rois et des reines de France.
L'histoire de cette petite ville ne serait donc pas sans intérêt,
car le souvenir du passé est gravé, pour ainsi dire, sur chacun de
ses vieux édifices et même sur quelques-unes de ses modestes
habitations.
Je n'ai pas l'intention d'entreprendre en ce moment cette his-
toire. Ce serait un trop long travail pour qu'il me soit possible de
le mener à bonne fin. Mais, comme les recherches auxquelles je
me suis livré m'ont déjà fourni quelques renseignements utiles
sur plusieurs des anciennes maisons de Moret , je vous deman-
derai, au fur et à mesure que j'aurai pu les compléter, la permis-
sion de vous les communiquer sous forme de petites mono-
graphies.
Celle que je viens vous présenter aujourd'hui a pour objet une
maison située dans la principale rue de Moret, en face de l'iiôtel-
de-ville. C'était, il y a quarante ans environ, une vieille auberge
i-)o
noire et enfumée qui avait pour enseigne une grossière peinture
représentant la sainte Vierge, avec cette inscription : A la belle
image. Je ne vous ferai pas la description de cette hôtellerie, qui a
disparu pour faire place à une belle habitation bourgeoise et qui,
d'ailleurs, ne mériterait pas de fixer l'attention , si elle n'avait eu
l'honneur, à des époques et dans des circonstances bien différentes,
d'abriter pendant la nuit deux hommes diversement illustres, tous
deux bannis, tous deux revenant de l'exil : Voltaire, à son retour
de Ferney, et Napoléon T", à son retour de l'île d'Elbe.
Dans sa retraite de Ferney, Voltaire jouissait d'une immense
célébrité. L'Europe était remplie de son nom et de ses écrits.
Autour de lui, florissait une population de douze cents personnes
qu'il avait attirées dans sa terre et qui le chérissaient en recon-
naissance de ses bienfaits et de sa générosité. Placé au milieu d'un
paysage majestueux et enchanteur, son château réunissait tous les
avantages de la solitude et de la société, et il en avait fait, à pro-
prement parler, lô centre du monde littéraire et du monde savant.
Mais ni l'éclat de sa brillante renommée, ni les charmes de sa
résidence, ni les agréments d'une existence paisible et animée tout
à la fois ne suffisaient à remplir son cœur toujours avide de gloire,
et ne pouvaient satisfaire l'activité juvénile qu'il avait conservée
malgré son grand âge et ses infirmités.
Le patriarche de Ferney voulait revoir Paris et, bien que l'ordre
qui lui en interdisait le séjour n'eût pas été levé, il conçut le projet
d'y revenir pour faire représenter sa tragédie d'Irène.
Ce fut le 5 février 1778, au plus fort de l'hiver, que Voltaire,
âgé de 84 ans, partit de Ferney en compagnie de son secrétaire
Wagnière. 11 traversa Dijon , et arriva le 8 au soir , à Joigny,
où il passa la nuit. Le 9, vers un lieu voisin de ceux qu'on
appelle Le Colombier et Le Vaustin, sur le territoire de Varennes,
à une lieue et demie de Moret, l'essieu de son carrosse se rompit. 11
fallut envoyer chercher à laville les secours nécessaires pour le répa-
rer. Heureusement, le marquis de Villette(l) était venu au-devant
de Voltaire jusqu'à Moret etl'y attendait depuis la veille. A la nou-
velle de l'accident, il va chercher l'illustre vieillard et l'amène dans
son propre carrosse à l'auberge de la belle image. Il était alors
cinq heures du soir. La population de Moret, avertie de son ar-
rivée, se pressait a;!X abords de l'hôtellerie pour apercevoir les
traits de l'auteur de le //mmc^t'. Le voyageur, souffrant et fatigué,
(1) Voltaire considérait le marquis de Viiictte comme son tils. Il l'avait marié à
IM"" d»i Varicourt, qu'il nommait te//e et bonne.
— 123 —
dut se soustraire à l'ovation villageoise, prélude de l'accueil en-
thousiaste que lui réservait Paris. Il ne voulut recevoir personne,
et il passa la soirée avec son secrétaire et le marquis de Villette(i).
Quel fut le sujet de leur conversation ? Nul ne le sait. Mais il est
probable que Voltaire, se rappelant les premières années de sa
jeunesse, leur parla des voyages qu'il avait faits à Moret plus de
soixante années auparavant, alors qu'il recevait, au château de
Saint-Ange, la gracieuse hospitalité de M. de Gaumartin, marquis
de Saint-Ange, comte de Moret et intendant des finances (2). Que
d'événements depuis lors avaient rempli cette vie laborieuse et
agitée! Que d'œuvres impérissables avaient suivi le célèbre poème
épique composé par le jeune Arouet (3) sur les bords de la rivière
d'Orvanne! Tous ces souvenirs, en reportant son esprit aux débuts
de sa longue et orageuse carrière, n'ont-ils pas impressionné vive-
ment le poète-philosophe; et, le lendemain, lorsqu'à neuf heures du
matin, il quitta Moret, ne dut-il pas laisser tomber un regard d'adieu
et de regret sur ce pays, qui avait été le témoin de ses plus pures
inspirations poétiques et qu'il traversait pour la dernière fois?
Ce serait sortir de mon sujet que de raconter la suite du voyage
de Voltaire, son arrivée à Paris, l'ovation dont il fut l'objet de la
part du peuple, de la cour et de l'Académie elle-même, et sa mort
arrivée le 30 mai 1778. Qu'il me suffise d'avoir appelé l'attention
sur la petite auberge qui avait abrité l'un des plus grands génies
littéraires du dix-huitième siècle et oià, trente-sept ans plus tard,
le plus grand génie guerrier des temps modernes vint chercher
l'hospitalité.
On sait que Napoléon partit de Vile d'Elbe sur le navire l'In-
conskmt, le 26 février, à huit heures du soir; qu'il aborda au golfe
Juan le 1" mars; qu'après avoir traversé Grenoble, Lyon et
Auxerre , entraînant avec lui toutes les troupes échelonnées sur
son passage ou envoyées pour le combattre , il arriva le 19 au soir à
Moret avec un corps d'armée composé de quatre divisions ; qu'il y
(1) Tous ces détails sont de la plus grande exactitude. Je les tiens de M. Che-
vreauj vieillard instruit et intelligent, mort il y a quelques années, qui avait, à
l'âge de dix ans assisté à l'arrivée de Voltaire à Moret. Sa mémoire était très-fidèle;
car il se rappelait jusqu'aux noms des deux postillons jui conduisaient le carrosse
du voyageur et qui s'appelaient Courcelle et Floucaud.
(2) Voir la remarquable notice do M. Lljuillier sur le cbàleau de Saint-Ange,
insérée dans le premier bulletin de la Société, page 203.
(y) Arouet (François Marie), ajouta le nom de Voltaire à son nom de Cmiille au
mois de novemi;re 171^. Il avait alors 2'i nnsetileini.
— 124 —
passa une partie de la nuit en attendant le retour des grand'gardes
qui avaient été expédiées en éclaireurs pour sonder la forêt ; qu'il
arriva le 20, à quatre heures du matin, à Fontainebleau et que le
soir même, après une marche triomphale que la postérité regar-
dera comme un des prodiges les plus étonnants de l'histoire, il fit
son entrée dans la capitale du royaume, redevenue par sa seule
présence la capitale de l'empire.
A Moret, où il ne séjourna qu'environ six heures, l'Empereur
vint s'intaller, avec son état-major, dans un corps de logis qui
dépendait de l'ancienne auberge de la belle image , et il y occupa
une modeste chambre, préparée à la hâte, dans laquelle il consacra
plus de temps au travail qu'au sommeil, et qu'il quitta bien avant
le jour.
Cette chambre existe encore telle qu'elle était à cette époque.
Les travaux de construction de la maison qui remplace aujourd'hui
l'auberge, ne l'ont pas atteinte et le propriétaire, M. Clément, a
conservé les objets dont Napoléon a fait usage , notamment un
beau saladier en porcelaine qui, par une méprise du grand homme,
a reçu, en cette nuit mémorable, une destination tout à fait étran-
gère à ses ordinaires attributions.
Il y a dix ans environ, M. Desmarets, maire de Moret, a fait
placer au-dessous de l'unique fenêtre qui éclaire sur la grande rue
la chambre où a couché l'Empereur, une plaque en marbre noir,
sur laquelle est gravée en lettres d'or l'inscription suivante :
« Napoléon I", au retour de l'île d'Elbe, a passé dans cette
» chambre la nuit du 19 au 20 mars 1815. »
Pour terminer l'historique de l'auberge de la belle image, j'ajou-
terai que, lors de sa démolition, on a trouvé dans les terres que
recouvrait le pavé de la cour , un certain nombre de monnaies
romaines à l'effigie des empereurs Vespasien, Trajan et Marc-
Aurèle. Je n'en concluerai pas que l'hôtellerie remontait au temps
des Césars et des Antonins; je tiens à constater seulement que
les Romains ont laissé sur son emplacement, comme en plusieurs
autres endroits de la ville, des traces de leur passage.
Je vous demande pardon de vous avoir entretenu d'un sujet de
si peu d'importance. Mais, comme l'histoire locale me paraît avoir
pour principal objet d'enregistrer les faits particuliers que dé-
daigne l'histoire générale, j'ai pensé qu'il n'était pas sans quelque
intérêt de conserver le souvenir du court séjour que firent à Moret
Voltaire et Napoléon.
PL.I
JDevareime.
DALLE FUNERAIRE A SAINT-LOUP-DE-NAUD.
!2o
UNE VISITE A SAINT-LOUP-DE-NAUD.
PAR M. G. LEROY,
Membre fondateur (Section de Meliin).
Au lendemain de la séance générale de la Société d'Archéologie
de Seine-et-Marne, tenue à Provins le 25 mai 1863, plusieurs
Sociétaires, qui y avaient assisté, se dirigeaient vers Saint- Loup-
de-Naud (1). Sous l'émotion que leur avaient inspirée les curio-
sités archéologiques de l'ancienne capitale des comtes de Cham-
pagne , ils pouvaient croire qu'ils étaient au terme de leurs
admirations; il n'en était rien. L'édifice qu'ils se proposaient de
visiter soutint aisément le rapprochement avec les monuments
provinois qu'ils venaient de quitter. Favorablement disposés,
d'ailleurs, par l'agrément des sites qu'ils traversèrent pédes-
trement, pour se rendre de la station de Longaeville au lieu de
leur excursion, ils ne purent retenir un cri d'enthousiasme,
lorsque le portail de Saint-Loup apparut devant eux. Il n'y eut
qu'une voix pour en proclamer' la beauté, pour en exalter le triple
caractère, artistique, hiératique et mystique; pour en louer la
conservation, fait rare dans notre pays, que tant de guerres ont
dévasté.
L'architecture intérieure de l'église répond au portail. Tout
y est beau, complet et harmonieux. Le style du xi" siècle s'y
montre dans son impostante sévérité, accolé au style plus élégant
du siècle suivant, qui employa, concurremment et avec bonheur,
le plein-cintre et l'ogive.
La description de l'église de Saint- Loup demande une mono-
graphie spéciale et de laborieuses études. Deux de nos confrères,
MM. Félix Bourquelot et Fichot, ont abordé ce sujet et l'ont
traité avec le talent et le savoir qui les caractérisent (2). Après
avoir trouvé les historiens qui ne pouvaient lui faire défaut, ce
monument ne saurait être privé, non plus, des réparations dont
(1) C'étaient MM. Beauvilliers, Carro, Courtois, Grésy, Lhuillier et G. Leroy.
(2) Notice sur l'ancien prieuré de Saint-Loup-de-Naud, avec pièces justificatives,
par M. Félix Bourquelol ; Bibliothèque de l'école des Chartes. — Les Monuments
de Seine-et-Marne, par MM. Fichot et Aufauvre.
— mi —
il a tant besoin, pour l'arracher à une ruine imminente. Si le
portai], si l'extérieur tiennent les promesses de leur renommée ;
si les troubles du moyen -âge ont épargné ce que les générations
contemporaines des premiers Capétiens ont élevé, le temps, qui
ne respecte rien, se montre plein de menaces. Une humidité cons-
tante et un défaut presque absolu de réparations, mettent en péril
la partie orientale de la construction. Les voûtes et les arcades
sont étayées, en prévision d'une chute prochaine; le culte n'est
plus exercé que dans les travées voisines du porche. Le bon aspect
des murs extérieurs et du portail, la solidité du clocher roman et
des absides trinitaires font naître des espérances qui s'éva-
nouissent en franchissant le seuil. Un sentiment de tristesse
succède à la satisfaction qui semblait réservée. Mais, en présence
de ce délabrement, on aime à penser que l'Administration supé-
rieure, qui déjà s'est chargée de la conservation du portail, en le
classant parmi les monuments historiques, étendra sa sollicitude
à l'église entière, qui la mérite au même titre. L'urgence de cette
mesure est grande, si l'on veut éviter des ruines plus fâcheuses,
qui pourraient être irrémédiables.
Sous l'influence de ces réflexions, les Archéologues, qui visi-
taient Saint-Loup, le 26 mai dernier, se dédommageaient, par
l'examen des détails de l'édifice, de la privation d'un aspect d'en-
semble plein de grandeur et d'harmonie, et de l'absence d'une
élégante perspective rompue par des cloisons et des étais. Ils
admiraient ici de charmantes colonnettes géminées du xn" siècle,
supportant les voûtes de la salle des cathécumènes; plus loin, une
délicate menuiserie, véritable dentelle, dont le coquet agencement
le dispute au fini. Ils s'essayaient à déchiffrer le sens caché des
sculptures, ou bien à lire les pierres funéraires dont le sol est
parsemé.
Au milieu de leurs recherches et de leurs attrayantes surprises,
une pierre du dallage, placée dans le côté droit du transept, attira
leur commune attention. Ce n'était pas la tombe d'un moine ou
d'un prieur de Saint-Loup; encore moins celle d'un haut et
puissant seigneur; elle ne présentait pas cette imagerie splendide
qui excite, à bon droit, l'intérêt des amateurs. Aucun nom,
aucune légende n'y étaient inscrits, mais trois signes y étaient
gravés. Et il suffit de ces signes pour mériter à la modeste pierre
l'attention recueillie de nos Archéologues, Quel était donc ce
mystère, quels étaient ces caractères, ces hiéroglyphes, dont le
mutisme avait tant d'éloquence ?
!0
-J.t
Dans cette dalle , ornée d'une croix trilobée de la fin du
XTi'' siècle, d'un marteau et d'une équerre, il était impossible de
méconnaître la sépulture d'un architecte, d'un maître de l'œuvre
ou appareilleur, — comme on voudra le qualifier, — qui concourut
à la construction de l'église, et dont le nom, par un profond sen-
timent d'humilité, s'est englouti, avec son talent, dans le silence
de la tombe (i). Et, dès lors, comment rester impassible devant
une si grande abnégation, que rehausse surtout l'importance de
l'édifice oh elle se produit? Un religieux artiste du moyen-âge put
seul accomplir ce sacrifice. Ce qui confirme cette opinion, ce sont
les prescriptions de l'ordre de Saint-Benoist , auxquelles était
soumis le prieuré de Saint-Loup. Le fondateur de cet ordre
célèbre avait fait, de l'humilité, la première, et, pour ainsi dire, la
seule recommandation de sa règle aux moines qui cultivaient les
arts. — a S'il y a des artistes dans le monastère, avait-il dit, qu'en
» toute humilité et révérence ils exercent leur art, si l'abbé le
» permet. Que si quelqu'un d'eux s'enorgueillit pour la science de
» son art, parce qu'il lui semble être de quelque utilité au monas-
» tère, qu'il soit arraché à sa pratique, et qu'il n'y revienne qu'a-
» près l'ordre de l'abbé. »
Il semble qu'on ne pouvait exiger plus d'humilité et d'obéis-
sance de la part de subordonnés; mais, chose remarquable, les
disciples s'astreignirent plus rigoureusement encore aux instruc-
tions du maître. La tombe de l'architecte de Saint-Loup en est un
éclatant exemple. L'auteur d'une œuvre, qui est une étincelle de
génie, ne réclama rien autre chose pour la décoration de sa sépul-
ture, que la croix au pied de laquelle il cherchait ses inspirations,
que le marteau et l'équerre qui lui servaient à les traduire. Son
nom peut demeurer ignoré. Qu'ajouterait-il au monument où
rayonne son talent, et qu'en résulterait-il de plus pour sa gloire ?
Ce qui vaut mieux qu'un nom, c'est l'œuvre elle-même, et ici, elle
subsiste intacte, pure, belle et grande, comme l'artiste la conçut,
telle qu'il l'exécuta. Le mystère qui environne ce nom offre, au
contraire, certain attrait qui pique la curiosité, intrigue et invite
à pénétrer davantage dans la personnalité de celui qui le fait
naître. L'imagination fait revivre le moine artiste, dont l'unique
(1) Dans son Traité d'architecture monaâtique, M. Albert Lenoir cite l'exemple
«l'une tombe sans légende, trouvée dans les catacombes de Rome, sur laquelle se
trouvaient gravés un marteau, une équerre, un ciseau, etc. Il n'hésite pas a y
reconnaître la sépulture d'un architecte.
— 128 —
préoccupation fat d'entrevoir un rayon de la véritable beauté,
dont la pensée lut une contemplation, l'œuvre une formule de foi.
Une pompeuse inscription n'aurait pas le pouvoir des signes que,
dans sa modestie, et pour seule oraison funèbre, il fit graver sur
sa dalle funéraire !
129
COMPTE -RENDU
Des dépenses occnsionnées par les fouille ; de la place Notre-Dame de Melun,
PAR M. G. LEROY,
Membre fondateur («îicction de Meliin).
Messieurs,
La Commission que vous avez nommée le 4 septembre 1864,
pour diriger les fouilles de la place Notre-Dame, vous a rendu
compte, par mon intermédiaire, des résultats archéologiques de sa
mission, dans la séance du 9 juillet 1863 (1). Aujourd'hui, chargé
par elle de l'honneur de vous entretenir de la situation financière
de ses opérations, je viens m'acquitter de ce soin.
Pour commencer les fouilles, votre Commission disposait d'une
somme de 600 francs, fournie moitié par la Commission de la
Topographie des Gaules, instituée près le Ministère de l'Instruc-
tion publique , et moitié par le Conseil municipal de la ville de
Melun en 1864. La difflculté des travaux ne tarda pas à absorber
cette ressource; c'était avec le plus profond regret que votre com-
mission se voyait forcée d'interrompre son entreprise, et cela au
moment même où les découvertes de chaque jour devenaient des
plus précieuses. Elle intéressa de nouveau à sa cause la Commis-
sion delà Topographie des Gaules et le Conseil municipal de notre
ville provoqua une souscription entre les membres de la Société,
obtint une allocation de M. le PréleL, et vous voulûtes bien aussi
accorder une pareille allocation sur les fonds réservés à la Section
de Melun. Une nouvelle somme de 700 francs, ainsi réunie, per-
mit de mener à bonne fin. des fouilles véritablement exception-
nelles par les difficultés qu'elles présentaient et l'importance de
leurs résultats. Les travaux , auxquels quatre ouvriers ont été
occupés chaque jour, ont duré près de trois mois. lisent nécessité
(1) Voir le Bulletin de la SociéU;, année 1868.
9
— 130 —
l'emploi de la mine, l'intervention de charpentiers , de maçons et
maintes fournitures d'un prix élevé. Mais je me hâte d'ajouter
que les prévisions n'ont pas été dépassées, et que nos comptes pré-
sentent un exédant actif.
Notre honoré confrère, M. Latour, receveur municipal de la
ville de Melun, a été constitué dépositaire d'une somme de 800
francs composée :
1° Des 300 francs accordés par MM. les Membres de
la Commission de la Topographie des Gaules en 1864. . 300'' »
2" De pareille somme votée par le Conseil municipal
de Melun, dans la môme année 300 »
3° De 100 francs votés par le même Conseil, le 13 juin
dernier 100 »
4° Et de semblable somme allouée le 24 juillet aussi
dernier, par M. le Préfet de Seine-et-Marne. ... 100 »
Ensemble 800 »
M. LaLour a payé :
Au sieur Mauraud , chargé des travaux de terrassement , de
ceux de charpente et de dilférentes fournitures :
Le 6 juillet, pour journées d'ouvriers, en deux man-
dats 384^ 04
Le même jour, pour poudre de mine 'J G5
Le 8 , pour journées de charpentiers , réparations
d'outils et fournitures 74 65
Le 42 août, pour journées de terrassiers. . .' . . 293 12
Et le même jour , pour fournitures diverses . . . 37 94
Total égal 800 »
Le compte de M. Latour se trouve ainsi complètement soldé, et
nous n'avons plus qu'à remercier notre excellent confrère de son
empressement à faciliter la tâche de la Commission.
Notre autre confrère, M. Courtois, trésorier central de la So-
ciété, n'a pas craint d'ajouter au labeur des nombreuses fonctions
dont il est chargé, le surcroît d'un nouveau compte spécial aux
Ibuilles. Avec sa bienveillance et son empressement habituels, il
s'est fait aussi le trésorier de votre commission.
Ses recettes, faites ou à laire, consistent dans :
1" 100 francs alloués par la Section de Melun, le 9 juillet
— 131 -
dernier iOÙ^ »
2° 200 francs accordés de nouveau par la Commission
de ]a Topographie des Gaules. ........ 200 »
3° Et semblable somme à laquelle s'est élevé le mon-
tant de la souscription ouverte entre les membres de la
Société . . • 200 ..
Ensemble 500^ »
M. Courtois a payé :
1° Le 22 juillet pour fournitures diverses,
photographies de l'aspect des fouilles, impres-
sions de circulaires, affranchissements, répa-
rations de poteries et gratifications aux ou-
vriers 83^ 65
2° Le 5 août, au sieur Mauraud, pour solde
de journées et fournitures . 157 13
3° Le 16 du même mois, au sieur Lucas,
maître maçon, pour journées et fournitures . 45 »
4° Le 25 septembre, à M. Louviot , pour
photographie des principales antiquités. . . 30 »
5" Et à M. Decourbe , pour dessins qui
ont été gravés et figurent au Bulletin de 1865 40 »
Total des dépenses 355^78 355^ 78
Il restera donc disponible, sur la somme
encaissée par M. Courtois 144^ 22
Cette somme recevra la disposition que vous jugerez h propos.
En terminant, permettez-moi, messieurs, de vous soumettre
quelques réflexions.
La conservation de nos antiquités est de la plus haute impor-
tance. Il est urgent de les mettre à l'abri du contact du public et
de leur épargner toute dégradation qui serait une perte irrémé-
diable pour l'histoire et la science. Ce ne sont pas seulement des
pierres qui sont réunies sous les galeries de l' Ho tel-de-ville, c'est
une longue suite d'annales, c'est l'histoire, jusqu'alors inconnue
de notre cité pendant les quatre premiers siècles de l'ère chrétienne.
Qu'on juge après cela du soin que leur conservation réclame ! La
ville de Melun en doit être aussi fière que de ses vieilles traditions
de gloire et de patriotisme. Or, une lettre effacée dans une inscrip-
tion, la mutilation d'une sculpture peuvent altérer, détruire même
— 132 —
la preuve de faits et de déductions qui constituent ces annales et
cette page historique.
Je n'ai pas besoin d'insister davantage ; vous partagez, Mes-
sieurs, toute ma conviction et. comme moi , vous reconnaissez
qu'il est indispensable d'élever une légère barrière entre les dé-
bris des édifices de Melodunum et le public du xix*' siècle , —
public dont je ne voudrais pas mal parler , — mais qui, dans son
indifférence ou dans sa légèreté, pourrait bien ne pas avoir pour
ces contemporains d'un autre âge tout le respect auquel ils ont
droit. Ai-je besoin d'ajouter que parmi lui sont les enfants, sou-
vent portés au malin plaisir de détruire.
Notre Société réunit, en un nombre qui l'honore, des membres
du Conseil municipal de Melun. Leur concours a lieu de me ras-
surer sur le sort de nos antiquités. Leur dévouement aux intérêts
de la cité, leur patriotisme et leurs lumières me donnent le ferme
espoir qu'ils voudront bien se faire, au sein du Conseil, les avocats
de la conservation des souvenirs de Melodunum^ et qu'ils l'assure-
ront en y associant tous leurs collègues.
Après la lecture de ce rapport, la Section décide que « le reli-
» quat actif qui s'y trouve constaté, restera déposé entre les mains
» de M. Courtois, trésorier de la Société, pour recevoir la desti-
» nation qui sera indiquée ultérieurement. Elle maniiéste le désir
» que ce nouveau travail de M. Leroy, sur les fouilles de la place
» Notre-Dame de Melun, figure au Bulletin et, à cet effet, elle en
» ordonne le renvoi au Comité central. »
— 133 -
NOTICE SUR UN DOUBLE DENIER DE SEDAN,
TROUVÉ DANS LES ENVIROiNS MEAUX,
PAR M. DE GINOUX
Membre fondateur ( Section de nieaux ).
Des ouvriers employés à l'exploitation d'une sablonnière, ont
trouvé, en décembre -1860, dans la Varenne de Meaux, une pièce
de monnaie ancienne qui, bien qu'ayant au premier aspect, l'ap-
parence de l'or, était, en réalité, de cuivre. Sa valeur intrinsèque
est donc tout à fait nulle, mais il n'en est pas absolu ment de même
de sa valeur historique. C'est du moins ce que font penser les
détails qui suivent.
Cette pièce qui est du module et de l'épaisseur d'une pièce de
dix francs de notre monnaie d'or, et sur laquelle sont inscrits,
au revers, les mots : (( double de Sedan, » est un double denier
de la petite principauté indépendante qui a porté le nom de cette
ville. On y voit en outre distinctement trois fleurs de lys héral-
diques, une tour surmontée d'une autre fleur de lys de moindre
dimension, et deux croissants.
La face représente la tête d'un personnage que désigne claire-
ment la légende suivante :
F. M. D. L. TOVR. DVC- D. BOVILLOiN.
Indication qu'on peut considérer comme très-précise, les La
Tour d'Auvergne ayant été ducs de Bouillon et princes de Sedan.
L'époque où la pièce dont il s'agit a été frappée, resterait incer-
taine, aucun millésime n'y étant inscrit, si l'histoire ne suppléait
à cette insuffisance et si elle n'enseignait qu'il a existé un duc de
Bouillon du nom de Frédéric-Maurice.
Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turennu, père de
Frédéric-Maurice, avait acquis tout à la fois le duché de Bouillon
et la principauté de Sedan par son mariage (1591) avec Charlotte
de la Murck, lille de Henri Robert de la Marck, duc de Bouillon.
Mais les titres que cette union lui avait conférés, et que le testa-
— 134 —
ment de la duchesse, morte en 1594, avait confirmés, ne devaient
pas appartenir longtemps à sa famille. Frédéric-Maurice qui
trempa dans la conjuration de Cinq-Mars, en fut puni, dès 1642,
par la réunion à la France de la principauté dont la mort de son
père l'avait investi en 1623. C'est donc entre cette mort du pre-
mier prince de Sedan, de la maison de la Tour d'Auvergne, et la
déchéance de son fils, c'est-à-dire entre 1623 et 1642, qu'il faut
placer la date à laquelle fut frappée la pièce de monnaie qui nous
occupe.
Le châtiment infligé au duc de Bouillon n'eut pas du reste
grande efficacité. On le voit en effet devenir bientôt l'âme du
parti de la Fronde que le maréchal de Turenne, son frère, devait
embrasser à son tour.
La présence d'un double de Sedan dans un lieu voisin de Meaux,
semble naturellement expliquée par les troubles auxquels le duc
de Bouillon lut mêlé. Les Espagnols qui envahirent la France à
l'appel des chefs de la Fronde, ravagèrent particulièrement le pays
meldois, et il est permis de penser que la principauté de Sedan
leur fournit son contingent de soldats.
Quand au double lui-même, on peut le considérer comme un
objet relativement assez rare, le duc de Bouillon Frédéric-Maurice
n'ayant pu, en vingt ans au plus, en frapper qu'un nombre très-
limité. Mais il est précieux à un autre titre encore.
On sait que le droit de battre monnaie était un attribut essentiel
et presqu'exclusif de la royauté. Los seigneurs féodaux, les arche-
vêques, les évêques, les principaux barons, en fabriquèrent dans
leurs terres au mojen-âge ; mais le pouvoir royal ayant absorbé
peu à peu ces petites souverainetés, le droit de battre monnaie
finit par se concentrer dans la main du chef de l'état. On peut
donc admettre avec raison que la principauté de Sedan a fourni
l'un des derniers exemples de l'exercice de ce privilège.
— 136 —
CONSTÂNTINOPLE ,
FRA(ÎMEKT D'UN JOUKNAL DE VOYAGE EN ITALIE, EN (il'.EGE
ET EN TUUQUIE, EN 1861 (1),
PAR M. FÉLIX nOLRQUELOT
Membre foticlateur (Section de Provins).
Samedi 24 rmtd. — Le Jour commence à paraître; notre navire à
vapeur, le Phnse, quittant les Dardanelles, entre et s'avance fière-
ment dans les eaux du Bosphore de Thrace. Nous voguons au
milieu d'un long canal, limité à droite par la côte d'Asie, qui
porte les mosquées, les habitations et le cimetière de Scutari, à
gauche par la côte d'Europe, sur laquelle s'échelonnent en amphi-
théâtre la ville de Constantinople proprement dite, et, au-delà du
goMe étroit et profond de la Corne d'Or, les quartiers de Galata et
de Péra. Une vapeur assez intense voile, dans les premiers mo-
ments, quelques lignes du tableau mouvant qui s'offre à nos yeux;
mais le soleil, en se levant dans un ciel d'azur, dissipe peu à peu
la brume matinale et fait resplendir tous les objets d'un éclat in-
fini. Des murailles garnies de tours crénelées, qui semblent sor-
tir du sein des flot^ , des collines couvertes de maisons aux cou-
leurs vives, aux fenêtres treillissées , de longues suites de palais ;
des dômes resplendissants, des minarets dont les colonnes sveltes
et gracieuses montent vers le ciel comme la prière du croyant,
une multitude de jardins dont la verdure s'éparpille entre les
murs et les toits, en formant les contrastes les plus inattendus,
une incroyable variété de tons et d'aspects, un ensemble magni-
fique et des détails enchanteurs, voilà ce qui m'a frappé dans un
rapide coup d'œil jeté avec ime curiosité avide sur la ville des
sultans. Que l'on ajoute les eaux transparentes et pailletées du
Bosphore, les navires rangés comme une armée dans l'échancrure
qui forme l'entrée de la Corne d'Or, les caïqs, bateaux longs,
légers, élégants, qui passent avec la vitesse de l'oiseau, manœu-
(1) D'autres fragments de ce voyage o.ii pnru dans les Nouvelles annales des
votj(i<je% (septembre 1863), et dan.< les M é m •ires de la Société des antiquaires de
France.
— 136 —
vrés par de robustes rameurs, une Inmicrc éclatante, un ciel du
bleu le plus pur, et l'on comprendra le sentiment de plaisir et
d'admiration que le voyageur éprouve quand il visite ces lieux
pour la première fois : C'est comme un doux rêve. La baie de
Naples, dont cependant l'efTet saisit si vivement l'imagination,
doit, ce me semble, céder la palme de la beauté ; elle est, selon
moi, acquise au Bosphore.
Constantinople, la ville de Constantin, que les turcs appellent
htamhoul ou Stamboul, par corruption des mots grecs zlç ttjv toXiv
(à la ville), portait, comme on sait, primitivement le nom de By-
sance. Fondée au vii'^ siècle avant J.-C, elle pnssa des mains des
Grecs dans celles des Perses, auxquels les Grecs la reprirent. Après
avoir été déclarée ville libre parles Romains, elle fut réduite par Ves-
pasienà la condition de province romaine, et Constantin le Grand,'
l'érigeant en capitale, la combla de faveurs et l'embellit, de somp-
tueux éditices. Elle vit décliner sa prospérité sous le gouvernement
des empereurs d'Orient ; conquise par les Croisés en 1203 et 1204,
elle retomba, en 1261, au pouvoir de Michel VIII Paléologue, qui
y rétablit le siège de l'empire grec. Enfin, en 1453, elle devint la
proie des Turcs , commandés par le sultan Mahomet II, et depuis
lors, elle sert de capitale à la monarchie Ottomane.
Constantinople se compose de trois parties distinctes : 1° Stam-
boul, sur un sol triangulaire, limité de deux côtés par les eaux
du Bosphore et de la Corne d'Or, fermé du troisième par une
muraille fortifiée, et contenant le palais du sérail, les mosquées
de Sainte Sophie, d'Ahmed, de Nouri-Osmani, la Suleimanié, le
Mohamadié, etc, les bazars, l'ancien hippodrome; — 2° sur la
rive opposée de la Corne d'Or et au bor;l du Bosphore, les villes
de Féru et de Galata, peuplées en partie d'Européens, les villages
et les résidences impériales deTop-Hané, de Foundouklu , de
Bechik-Tasch, d'Orta-Kcuï, ctc ; — 3" en Asie, sur la rive Orien-
tale du Bosphore, la ville deScutari, qui occupe la base, les flancs
et le sommet d'une colline assez proéminente.
Nous voici au port! La douane visite nos elï'els, qu'une barque
(le caïq ne convient pas pour de lourdes charges), transporte
vers la côte d'Asie. C'est là, dans le quartier élevé et bien aéré de
Baglar-Bachtchi, que nous devons trouver l'hospitalité dans une
famille amie. Notre barque, après un assez long dctoui', qui lui
permet d'éviter la violence des coûtants, nous dépose à l'échelle de
Scu tari, espèce de plancher avancé, près duquel peuvent se ran-
ger les embarcations.
— 137 —
Une vaste placo est ouverte devant nous. A gauche on remarqu(î
un café, aux abords duquel de nombreux fumeurs, assis sur des
bancs, hument tranquillement la vapeur odorante du tabac ; un
peu au-delà, entre des touffes de verdure, se dresse le minaret,
s'arrondissent la coupole et les dômes en plomb de la mosquée do
Buyuk-Djumi ; au centre, s'élève une jolie fontaine de marbre
blanc, peinte, dorée, ornée d'arabesques et d'inscriptions en re-
lief, et couverte d'un toit en auvent. La place, qui sert de mar-
ché, est pleine de monde ; des fruits et des légumes de toute sorte
sont déposés sur le sol ou sur des étaux en bois. Une foule
d'hommes aux costumes variés et pittoresques, des voitures ba-
riolées de couleurs voyantes, des chevaux, des porteurs chargés
de fardeaux, s'agitent autour des marchands; un murmure
étrange sort des groupes. Co ne sont plus nos vêtements, nos
mœurs, notre langage; la vie orientale apparaît dans toute son
originalité.
Le fils de nos hôtes, qui nous avait rejoints et accompagnés de-
puis les Dardanelles, nous fît monter dans un talika (sorte de
fiacre), qui devait nous conduire àBaglar-Bachtchi, tandis que les
bagages, confiés à des portefaix ou hammals, partaient de leur côté.
Notre talika, point en rouge, décoré de fleurs et d'ornements d'or,
est surmonté d'un toit qu'encadre une petite tenture rouge. La
caisse, dépourvue de portières, est presque complètement ouverte
sur le devant et sur les côtés, et on entre avec assez de peine par
une échancrure pratiquée entre les banquettes. Je ne raconterai
point notre voyage à travers des chemins montueux et mal pavés;
il suffit de dire qu'il se termina sans accident, sinon sans se-
cousses, et qu'en arrivant, nous fûmes reçus avec beaucoup d'em-
pressement et de grâce par les amis qui nous attendaient,
La maison dans laquelle nous entrions peut servir de type aux
habitations des gens aisés dans ce pays. Elle est construite en
bois, et se compose d'un rez-de-chaussée et de deux étages. La plus
grande partie du rez-de-chaussée est occupée par une vaste salle,
qu'une cloison basse et percée de deux petites portes termine du
côté de la rue, en formant vestibule. Un épais badigeon couvre les
murs; une fontaine en marbreblanc se montre entre un double
escalier orné de colonnes qui mène à fétage supérieur. Cet étage
prolongé en appentis, est close par des vitrages qui s'ouvrent au
besoin pour laisser arriver l'air {;ur qui circule ici en abondance,
tandis qu'on se ;'r>rantit du soleil au moyen de volets. Une anti-
chambre nue, un salon entouré de divans et de banquettes, deux
— 138 —
chambres sanscheminccs, une fontaine remplissent en entier cette
partie de la maison. La disposition du second étage est à peu près '
la même. Il y a un jardin, mais petit et mal tenu.
Après le repas, nous sommes allés nous promener hors de le
ville. Des jardins et des villas bo-rdent les chemins. La végétation
n'a plus la vigueur exhubérante qu'on admire à Messine et à
Malte. Grâce à la position élevée, et au voisinage de la Mer-Noire,
la chaleur est tempérée par une brise continuelle, et le ton de la
verdure, l'aspect des arbres planlés sur les routes, rappellent
presque nos contrées occidentales. Nous avons rencontré plusieurs
grandes voitures ou arabas, dans lesquelles étaient entassées des
femmes voilées, comme doivent l'être toutes les Mahométanes.
Mais le diable ne perd pas grand'chose h ces précautions inventées
par la jalousie masculine. Le voile est plus ou moins transparent,
plus ou moins serré; d'ailleurs l'œil se voit, l'œil brille d'un éclat
très-vif dans ce cadre de mousseline. Les voyageuses chantaient
une cantilène assez monotone , que j'ai vainement cherché à
retenir.
Un marchand s'arrête devant nous; il dresse une petite table
qu'il porte avec lui ; il étale avec prestesse une boutique à compar-
timents, qui renferme des bombons et des conlitures; il nous vend
moyennant quelques paras (três-faible monnaie) des morceaux
blancs ou roses de Rahat Loucoumia, sorte de pâte parfumée et
molle, composée de sucre et d'amidon, puis il continue sa
marche.
En rentrant à la maison, j'ai contemplé la vue qui de ses fenê-
tres, s'offre aux regards ; elle est immense et magnifique. D'un
côté, on découvre des campagnes verdoyantes, lamer de Marmara
et les îles des Princes, qui ressemblent à de grands navires se
reposant sur les flots ; de l'autre, l'œil parcourt Sculari dans tous
ses détails, passe sur le Grand champ des morts, sur les belles
eaux du Bosphore, et s'arrête avec admiration sur les lignes gra-
cieusement indécises de Gonstantinople.
Dmianche, 25 (loîit. — Ges dames sont allées chercher l'office
divin dans la chapelle catholique de iScutari. J'ai traversé avec
elles plusieurs rues, dont toutes les maisons présentent des espèces
de miradores en saillie, disposés les uns au-dessus des autres, et
produisant, sous leurs formes diverses, des effets très-originaux.
La chapelle catholique n'a rien de remarquable. L'église armé-
nienne grégorienne ou schismatique, qui s'élève à peu de distance,
mérite d'avantage d'attirer l'attention. G'est un édifice assez élé-
— 139 —
gant, avec un vestibule et une net surmontée d'une petite coupole.
Les hommes seuls peuvent pénétrer dans le temple proprement
dit; les femmes se tiennent dans des tribunes. Les fidèles, pour
la plupart, croient devoir, avant d'entrer dans la nef, se dépouiller
de leurs souliers, et ils les déposent les uns sur les autres dans le
vestibule où ils forment une assez étrange montagne. Quelques-
uns sont assis les jambes croisées, à la façon orientale; d'autres
s'agenouillent ; d'autres enfin restent debout. A certains moments
de l'office, on baise la terre plusieurs fois. Près de l'entrée,
dans un petit pavillon, orné d'une image de la vierge (la Pana-
ghia, comme les grecs l'appellent) se vendent des cierges qu'un
sacristain allume à mesure qu'ils ont été payés, et qu'il place
devant la représentation sacrée ; cette pratique ne diffère pas de
celle qui a lieu dans nos églises catholiques. J'ai suivi avec une
curiosité attentive toutes les cérémonies de l'office; un voile tendu
devant l'autel, en cache la plus grande partie. De temps en temps
le voile est levé et l'on peut contempler le prêtre revêtu d'un
brillant costume. Un chant d'une facture assez originale se fait
entendre, accompagné à certains passages par une sorte de vielle.
Une cour, un jardin planté d'arbres et quelques bâtiments forment
l'entourage de l'église. L'office terminé, j'ai vu défiler les fidèles
retournant à leurs demeures. Les Arméniennes, comme les femmes
musulmanes ont le visage en partie couvert par le féredgé, sorte
de manteau à capuchon, sans manches, en laine ou en soie, teint
de couleurs plus ou moins voyantes, qui porte sur les épaules et
dessine les formes du corps.
Quelques lecteurs vont peut-être s'étonner. Quoi ! à Gonstanti-
nople, chez les turcs, des églises chrétiennes et catholiques, oh
l'on peut aller librement chanter et accomplir les devoirs du culte?
— Sans doute, et chez nous, qui nous croyons si avancés, l'esprit
de liberté n'a rien fait de plus.
Dans la journée, nous nous sommes rendus au cimetière maho-
métan, ou au Grand champ des morts de Scutari. En suivant pour
y arriver la rue principale de Balglar-Bachtchi, on passe près d'une
fontaine circulaire, qui dépend de la mosquée voisine. Un banc,
abrité par les rebords avancés du toit, règne autour de l'édifice,
et des tasses attachées aux pierres par des chaînettes, permettent
aux fidèles de faire leurs ablutions et aux passants d'étancher leur
soif. Un peu plus loin, s'élève un corps dj garde d'architecture
classique, qui jure avec tout l'entourage; devant la porte sta-
tionnent des soldats que le pantalon étroit et la redingotte bleu-
— 140 —
foncé dont on les afTiibli.', ivndent singulirToment mesquins et dis-
gracieux.
Le Grand champ des morts deScutari occupe un terrain inégal,
de plus d'une lieue de longueur, coupé par plusieurs allées et om-
bragé par un bois de cyprès. La renommée de ce cimetière est
immense en orient; le rôle important qu'a joué la ville de Scutari
dans le développement do l'islamisme, l'idée, assez répandue chez
les turcs que leur nation sera un jour chassée d'Europe, lui donnent
un caractère particulièrement respectable et l'ont fait choisir pour
lieu de repos par une foule de grands personnages. Les cyprès
peuplés de colombes, qui se dressent à peu de distance les uns des
autres et balancent doucement dans les airs leurstiges vêtues d'un
sombre feuillage, ont un aspect à la fois triste et imposant. Le
système des monuments funéraires est fort simple et ne fournit
guère à l'art l'occasion de se produire. Ils consistent pour la plu-
part en tables de pierre ou de marbre plus ou moins inr'linées, et
en colonnes surmontées de la figure d'un turban ou d'un fez. Des
épitaphes, des versets du coran, des emblèmes, palmiers, rosiers,
paniers pleins de fruits ou de fleurs, raisins, figues, grenades ou-
vertes, sont gravés sur plusieurs monuments. Les tombes de
femme se distinguent par la forme anguleuse et effilée de leur
sommet. Quelques turbés aux arcades moresques, quelques sépul-
cres de famille entourés de grilles dorées, sortent de la foule; un
dôme, soutenu par six colonnes de marbre, abrite le cheval préféré
du sultan Mahmoud.
Aucun soin du reste ne préside à l'entretien et à la conservation
des tombeaux; une partie d'entre eux est brisée, et les pierr. s jon-
chent le sol sans que personne semble s'en inquiéter. On marche
sans scrupule sur les sépultures, le pied s'enfonce parfois jusqu'aux
cadavres mis à nu par des éboulements, et le cimetière sert au
public de lieu de promenade et de récréation. Des cafés sont éta-
blis jusque dans l'enceinte réservée aux morts, et les pierres des
tombeaux y servent de bancs pour les fumeurs. Les choses se pas-
sent de la même manière dans tous les cimetières musulmans. J'en
exprimais un douloureux étonnement. Je comprends, disais-je,
qu'on travaille, ([ii'un s(,' promène, qu'un s'amuse même au milieu
(lu flomaiiic (le lii nmi'l : cela p(.'ut tenir à des idées philosophiqut.'S
très-respectables, et no dénoter auciinc intention profanatrice.
Mais il y a dans la disposition même des cimetières mahométans,
dans le soin que l'on a d'y planter des arbres funèbres, dans l'habi-
tude où l'on est de consacrer des monuments aux morts, une
— iU —
contradiclion Ilagranleavec la négligence et l'abandcn flans lesquels
sont laissés les tombeaux. — On m'a répondu que cette négligence
est un effet de l'indifférence générale des Orientaux, qui s'abstien-
nent même de réparer leurs maisons croulantes, et de leurs idées
sur la mort. Pour eux, le regret causé par le trépas de ceux qu'on
a connus et aimés a une forme très-différente de celui que nous
éprouvons. Les premiers cris poussés, les premiers devoirs rem-
plis, tout est fini, et le mieux est d'oublier.
Lundi 26 aoid, — Notre journée devait être consacrée à la visite
des quartiers de Galata, de Péra et d'Orta-Keuï. Nous quittâmes la
maison dans la matinée, et nous descendîmes vers la mer, en tra-
versant Scutari et en passant par le quartier qu'habitent les bohé-
miens ou tsingari. Ces pauvres gens, qui se distinguent par le ton
olivâtre de leur teint et par l'extrême vivacité de leurs yeux, sont
vêtus de la manière la plus misérable; on les voit, sur le devant de
leurs portes ou dans l'intérieur des maisons largement ouvertes,
travailler le fer ou tresser des paniers. Plus loin, sur notre route,
des cris déchirants sortirent tout-à-coup d'une maison fermée avec
le plus grand soin ; quelqu'un venait d'y mourir, et la douleur
était bruyante. Une femme arriva, criant elle-même de toutes ses
forces. La porte s'ouvrit pour la laisser entrer eL se referma aussi-
tôt. Enfin, nous parvînmes à la place dont j'ai déjà parlé et nous
gagnâmes l'embarcadère avec l'intention de prendre un des ba-
teaux à vapeur-omnibus, qui font le trajet de Scutari à Stam-
boul.
Après que nous eûmes acquitté le prix du passage, on nous par-
qua dans une petite salle grillée distincte de celle qui renfermait
les femmes turques, et il fallut attendre dans ce triste réduit
l'arrivée du pyroscaphe. Il vint enfin; on ouvrit la porte desortie,
la foule se précipita sur le pont et chacun s'y casa comme il put.
Il n'y a aucune distinction de places. Des bancs et de détestables
tabourets s'offrent aux plus agiles ; les autres se tiennent debout ,
s'asseoient par terre, sur les auvents de la machine, sur les corda-
ges, partout oïl ils le peuvent. Les femmes turques ont une chambre
réservée, où elles s'entassent avec leurs enfants. Le navire part,
chacun allume son chibouque ou sa cigarette, et, au bout de vingt
minutes, nous entrons dans la Corne d'Or et l'on nous dépose sur
le pont qui réunit Stamboul aux faubourgs de Galata et de Péra.
Ce pont, construit sur bateaux, formé de planches mal jointes,
présente deux élévations fort incommodes aux endroits où il a fallu
réserver de hautes arches pour l'introduction des bâtiments dans
— J42 —
l'intérieur de la Gorne-d'Or. Ces parties peuvent au besoin se sé-
parer de la masse et laisser aux navires un libre passage. La circu-
lation sur le pont est des plus actives. Voyageurs et promeneurs à
pied, à cheval ou à âne, en calèche ou en araba, hommes, femmes,
porteurs de fardeaux, tous les costumes, toutes les religions, toutes
les races, toutes les conditions sociales s'y rencontrent, s'y pressent
et s'y bousculent. C'est un va-et-vient singulier, un bruit de pas
sans relâche, un bourdonnement continuel de voix diverses ; on
est tout h la fois étourdi et ébloui.
Suivons du côté opposé à Stamboul l'espèce de trottoir réservé
aux piétons, qu'une traverse de bois disposée sur toute la longueur
du pont sépare de la voie dans laquelle se meuvent les voitures,
les bêtes de somme et les autres gros animaux. Nous voici dans le
faubourg de Galata, qui occupe sur la côte septentrionale de
la Corne-d'Or une colline de forme conique. Du point où dé-
bouche le pont, partent plusieurs rues, les unes suivant le rivage
du Bosphore, les autres s'élevant vers Péra. Galata est le princi-
pal séjour des Francs ; il a été, depuis l'an 1216, le siège d'une
colonie de Génois presque indépendante, souvent redoutable aux
empereurs, et qui ne perdit son individualité qu'après la conquête
de Mahomet II. Là, se trouvent les comptoirs des plus riches né-
gociants, les bureaux-des bateaux à vapeur, des messageries fran-
çaises et du Lloyd autrichien, la douane, la police, etc. On y re
marque l'église de Saint-Georges, de jolies fontaines turques, et
la tour ronde bâtie au xin'' siècle par les Génois, qui porte le nom
de Tour de Golata, et qui domine d'une façon très-pittoresque tous
les édifices du faubourg. La partie inférieure et la grande rue
montante de Galata, que bordent de nombreuses boutiques de
fruitiers, de tailleurs et quelques cafés, ont presque autant d'ani-
mation que le pont. Une multitude de gens affairés y afflue ; les
porteurs de fardeaux se font faire place en poussant leur cri signi-
ficatif : garda, garda! des marchands ambulants offrent de tous
côtés aux passants de la limonade, des glaces ou doulourma,c[ sur-
tout de l'eau fraîche, qui se vend ici comme une denrée rare. Les
costumes de Toccident dominent sur ceux de l'orient; la forme des
maisons, la disposition des boutiques, la langue dans laquelle sont
écvxies les enseignes {à la ville de Troges, par exemple), les noms
des marchands rappellent l'Europe, mais d'une manière presque
toujours abâtardie. Le caractère national, qui, pour le voyageur,
entoure d'un si vif intérêt le pays qu'il visite, a disparu, sans être
remplacé par la propreté, par l'élégance de nos grandes villes.
— 14;} —
Le iaubourgde Galata, comme celui de Pcra, n'est qirun ramas-
sis informe de toutes les nations.
Péra, bâti sur les hauteurs qui dominent Foundouklu, Top-
Hané et Galata, est séparé de ce dernier faubourg par une mu-
raille percée de portes et ayant pour limites deux cimetières,
le Grand et le Petit champ des morts. C'est un quartier en partie
renouvelé, par suite de l'incendie effroyable de 1831 et de celui de
1853 ; les rues ont sur celles de Stamboul l'avantage de porter des
noms et d'être éclairées au gaz. L'ambassade de France, installée
en vertu du traité qui fut conclu en 1535 entre le roi François I"
et le Sultan, les ambassades d'Angleterre, de Russie, d'Autriche,
et les autres légations étrangères, ont leurs sièges dans le fau-
bourg de Péra ; elles y forment des espèces de gouvernements
particuliers, avec des cours de justice et des institutions protec-
trices pour les nationaux. Péra renferme en outre, les bureaux
des consulats, la poste aux lettres, les théâtres, les principaux
hôtels dans lesquels peuvent se loger les Européens, etc. On y
prend d'assez bonnes glaces, soit dans les cafés, soit chez les con-
fiseurs.
Nous avons fait avec nos hôtes une visite dans une maison de
Péra oîi l'on parlait grec et un peu italien. On nous y a offert, se-
lon l'usage, des rafraîchissements consistant en confitures accom-
pagnées d'eau fraîche. Le pot de confitures, les cuillers, les verres
d'eau, sont disposés sur un plateau de grande dimension que le
porteur présente successivement aux assistants, et chacun puise à
son t(3ur une part de confitures. Nous sommes ensuite redescen-
dus, en traversant Galata, au pont, où nous avons trouvé avec
quelque peine, parmi les nombreux bâtiments qui font le service
du Bosphore, celui qui pouvait nous transporter au village d"Orta-
Keuï. La disposition est la même que celle du vapeur que nous
avions pris le matin, sauf l'addition d'une tente grossière qui ne
nous abrite du soleil qu'à la condition de nous étouffer. J'y re-
trouve la cloison en planches percée de jalousies, qui protège les
femmes turques et arméniennes et un public mélangé, dans lequel
on remarque plusieurs officiers de l'armée du sultan, que la
redingotte et le pantalon européens habillent décidément fort mal.
Le nom d"Orta-Keuï, première station des bateaux à vapeur du
Bosphore, veut dire village du milieu. Une mosquée nouvelle, qui
ne manque pas d'élégance, forme le principal ornement du lieu.
C'est à Orta-Keuï que devait s'élever un magnifique palais des-
tiné à la sultane Faihmé, l'une des filles d-'Abdul-Medjid ; mais
— 144 —
l'édifice commencé a été abandonné iaute d'argent, et il n'en reste
qu'un jardin, qui s'étend depuis la côte Jusque sur la hauteur qui la
domine. Nous sommes entrés dans la maison, maintenant inhabi-
tée, de nos hôtes, maison tout à jour, comme celle de Baglar-
Bachcthi, entourée de terrasses et embellie de fontaines. On nous a
introduits dans les jardins de Fathmé ; ils sont remarquables par
des serres étendues et bien fournies, par de belles eaux, enfermées
dans des bassins de marbre, par des arbres agréables et des fleurs
brillantes, et, dans la partie élevée, par de frais ombrages et une
admirable vue du Bosphore.
Quand nous regagnâmes le quai d'Orta-Keuï , les .bateliers
vinrent en foule nous offrir leurs services. Nous arrêtâmes im
caïq à deux paires de rames et nous partîmes. J'ai déjà dit
quelques mots de la rapidité de ces bateaux longs, légers, élé-
gants, qui peuvent lutter avantageusement avec les gondoles de
Venise. Il est nécessaire d'y entrer avec précaution et de s'y tenir
presque sans mouvement, sous peine de chavirer. On s'assied au
fond de la barque sur un coussin, les jambes allongées ou croisées,
et l'on se fie à la vigueur et à l'habileté des caïqdgis, qui sont en
réalité très-grandes. Le passage des bateaux à vapeur qui soulève
de hautes vagues, imprime aux caïqs des mouvements violents et
parfois dangereux.
Nous avons abordé sur la côte d'Asie, h Beyler-Bey, village où
se trouvent une mosquée et un grand palais en bois construit par
Mahmoud II. Après avoir gravi, à pied, dans un chemin poudreux,
bordé de deux hautes murailles, la montagne qui domine Beyler-
Bey, nous avons eu la bonne fortune de rencontrer untalika, dont
le cocher, moyennant cinq piastres (environ 15 sous), nous a ra-
menés chez nous à la nuit tombante.
Mardi, 27 septembre. — Le canon avait annoncé depuis le matin
des régates qui devaient avoir lieu dans les eaux de Gadi-Keuï,
village bâti sur la côte d'Asie, au point où la mer de Marmara, se
rétrécissant, change son nom en celui de Bosphore. C'était une
excellentf occasion pour faire connaissance avec les populations de
l'Orient, et nos aimables hôtes voulurent nous conduire à Cadi-
Keuï. Une voiture retenue d'avance vint vers midi, nous prendre
à la maison. Rien de plus brillant, de plus gai que notre talika,
peint en rouge de feu, et relevé de dessins dorés. Nous y entrâmes
au nombre de quatre, et après avoir traversé la grande rue do
Baglar-Bachtchi et le Grand champ des morts, nous gagnâmes le
bord de la mer. Là, le chemin devint assez difficile. Il est bordé
— 14o —
d'un côté par une ligne de murailles; de l'autre, au contraire, il
est tout à fait découvert, et, sur une longueur assez considérable,
les eaux l'envahissent et le couvrent entièrement. Le cheval et la
voiture qui nous portaient furent obligés de marcher pendant près
de dix minutes dans la mer, dont les flots venaient battre les ro-
chers entassés au pied du mur. Heureusement, un calme parfait
régnait sur l'onde aplanie, et nous avions, pour nous donner con-
fiance, la vue de plusieurs voitures qui faisaient devant nous sans
accident un semblable trajet. Enfin nous parvînmes nous mêmes
sur un sol plus élevé et à sec. A quelque distance de la route, sont
établies dans l'eau des cabanes destinées aux bains de mer; on y
parvient par de longues chaussées en planches plus ou moins mo-
biles. En continuant notre chemin, nous rencontrâmes des bandes
de Circassiens et de Circassiennes qui se rendaient à la fête; les
hommes étaient reconnaissables à leurs longs bonnets feutrés.
Le village de Gadi-Keuï (village du juge) a de très-nobles origi-
nes. Il occupe l'emplacement de l'antique ville de Ghalcédoine, qui,
dit-on, fut fondée plusieurs années avant Bysance. C'est là qu'eut
lieu le fameux concile œcuménique qui condamna les doctrines
d'Eutychès. Les turcs détruisirent Ghalcédoine de fond en comble.
Mais Gadi-Keuï, dans l'agréable position qu'il occupe, avec son
port, ses cafés au bord de la mer, ses élégantes villas, est encore
un lieu plein d'attrait. Aujourd'hui, la place du village est animée
par un grand concours d'étrangers et surtout d'Européens , de
Grecs et d'Arméniens. Pour ces derniers, c'est la fête de la Vierge,
les autres viennent jouir du spectacle recherché des régates.
Les maisons de plaisance que possède Gadi-Keuï méritenE d'être
signalées. Gelle de M. Ignace Gorpi, riche négociant auquel notre
hôtesse nous a présentés, m'a paru surtout remarquable. Elle est
précédée d'un petit jardin bien dessiné, et s'annonce par un porti-
que à colonnes; on entre ensuite dans une immense salle, séparée
par des vitraux d'un second salon qui a vue sur la mer. De ce côté
s'étend un large balcon, d'ovi l'œil, après s'être promené sur d'au-
tres jardins pleins de verdure, rencontre l'azur étincelant des flots
et, dans le lointain, Stamboul, avec ses mosquées, le dôme et les
minarets de Ste-Sophie. En ce moment, la mer est sillonnée par
une multitude de barques, de caïqs, de bateaux à vapeur, de bâti-
ments à voiles, qui sont venus pour assister ou pour prendre part
à la lutte, et leur réunion ajoute à l'imposante grandeur du tableau
le charme du mouvement et de la vie.
Après avoir pris les rafraîchissements qui nous ont été offerts
10
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et fumé le tabac tin et doré qu'on nous a apporté dans des coupes
persanes, nous avons quitté la compagnie pour nous diriger vers
le point d'oîi l'on pouvait le mieux voir les régates. Le chemin
contourne la montagne presque à pic que baigne la mer; il est
abrité de place en place par d'énormes térébynthes. C'est là que se
presse la foule des curieux; quelques talikas gravissent pénible-
ment la côte ou stationnent sur le bord du chemin; chacun attend
avec impatience le moment où les courses vont commencer.
Ce moment est venu ; un grand mouvement se manifeste parmi
les embarcations ; la musique militaire fait entendre ses fanfares
joyeuses; on va partir, on part Mais, ô fortune contraire! Tout
à coup, le vent se met à soufler avec violence, la mer grossit, la
pluie tombe en abondance, dissipe les spectateurs et interrompt la
course. Quant à nous, nous nous hâtons de regagner la maison
hospitalière qui nous a déjà reçus.
Quand cette pluie malencontreuse, gui avait mis fin à la fête,
eut cessé, nous remontâmes en voiture et nous allâmes visiter l'é-
glise inachevée et le palais que M. Brunnoni, archevêque catho-
lique de Constantinople, a fait élever à Cadi-Keuï, au moyen des
aumônes des fidèles. Ce sont de fort laides constructions , et l'on
accuse le prélat d'avoir, en cette affaire, consulté plutôt ses intérêts
personnels que ceux de la religion. Je me borne à mentionner la
petite chapelle que l'on montre à Cadi-Keuï comme ayant fait par-
tie de la basilique de Ste-Euphémie et servi aux séances du con-
cile; cette tradition est tout à fait inacceptable.
En route maintenant pour Phanar-Bachtchi, petit cap du voisi-
nage, dont la disposition est fort pittoresque! Nous traversons une
campagne d'un aspect singulier, des marais peuplés de hautes
touffes de jonc, un long canal dans lequel pénètrent les eaux de la
mer, et tout un pays tristement étrange où se montrent de loin en
loin quelques pauvres maisons. Enfin, nous parvenons à la langue
déterre étroite et allongée qui forme la pointe ou le cap de Phanar-
Bachtchi. La voiture s'arrête et nous descendons près d'une plate-
forme à laquelle conduisent de plusieurs côtés des escaliers de six
à sept marches. Des platanes énormes croissent dans cette enceinte
et l'abritent de leurs feuilles découpées. Un bassin carré est creusé
au. centre et reçoit les eaux vives que lui verse par quatre goulots
de bronze une petite fontaine en marbre. A côté s'élève un café.
Cet ensemble est délicieux d'ombre, de fraîcheur et de poésie.
C'est là que se donnent rendez- vous la plupart des gens venus à
Phanar-Bachtchi pour y jouir dos plaisirs de la promenade. Les
— 147 —
uns se tiennent accroupis au bord du bassin, avec un contentement
calme, qui n'a besoin que d'air pur, de soleil et de verdure; d'au-
tres entourent de petites tables oîi on leur sert des rafraîchisse-
ments. Les chevaux des voitures qui ont laissé leurs habitants sur
la plage viennent se désaltérer successivement à la fontaine. A
Tune des extrémités de la plate-forme, des bateleurs juifs font la
parade, environnés d'un cercle de spectateurs qui les regardent et
les écoutent avec une attention avide, peinte sur leurs visages.
L'un des bateleurs est vieux et tient à la main un tambour de bas-
que qu'il fait de temps en temps résonner; l'autre, tout jeune est
armé d'une batte, dont il frappe son compagnon sur les joues et
sur le dos. Je ne puis rien entendre au dialogue, mais je vois l'as-
sistance rire aux éclats, comme chez nous, des coups de batte que
reçoit le vieillard.
Nous quittons la plate-forme, pour parcourir la plaine de Pha-
nar-Bachtchi, et nous y trouvons des aspects qui se diversifient à
mesure que nous avançons. Le cap, qui s'allonge, comme je l'ai dit,
en une étroite langue de terre, porte à son extrémité un phare au-
quel il doit son nom. Le sol uni, semé de gazon, offre en même
temps sur trois côtés, la vue, toujours séduisante de la mer. En se
plaçant près du phare, on découvre en face de soi l'entrée du Bos-
phore de Thrace; un peu à droite, paraissent derrière le canal
d'azur dont les eaux baignent leurs pieds, les merveilleuses collines
sur lesquelles s'étend la ville de Stamboul; à gauche sont la mer
de Marmara et les îles des Princes. La plaine est plantée de cyprès
et de térébynthes, qui lui donnent de l'ombre, sans cacher tout-à-
fait le ciel; les cyprès, aux troncs élancés, aussi droits, aussi hauts
que des mâts de navires, aux touffes d'une couleur sombre ; les
térébynthes, aux masses larges et puissantes, aux feuilles d'un ton
clair et tendre, mélangent de la manière la plus harmonieuse leurs
lignes et leur verdure. Vers le centre, s'élève un édicule sépulcral,
un Coubé, dont les murs dorés par le temps, dont les coupoles
arrondies se couronnent joyeusement de feuillage. Dans cet Eden,
la foule prend ses ébats. De petites cuisines sont établies en plein
air ; un brave homme fait tourner au-dessus d'un brasier pétillant
une brochette en fer qui tient enfilés d'appétissants morceaux de
mouton; c'est ce que l'on appelle kebab, mets très-friand et très
prisé des Orientaux. Ici on se promène, là on se repose doucement
sur l'herbe, on fait le kief, pour me servir d'une expression habi-
tuelle en ce pays. Les Arméniens figurent en majorité à Phanar-
Bachtchi ; la fête du jour est chez eux en grand honneur, et ils
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cherchent à égayer leur loisir. Les femmes, vêtues de pantalons
larges, couvertes du féredgé aux couleurs voyantes, des broderies
d'or dans les cheveux, sont nonchalemment assises ou couchées
sous les arbres. Des musiciens, jouant de la mandoline, du violon
et de divers autres instruments, prennent place à côté des groupes
et font entendre des airs du pays.
L'originalité et le charme du spectacle qu'offrait en ce moment
le cap de Phanar-Bachtchi a produit en moi une très-vive impres-
sion. La nature et la vie orientale s'y présentaient ensemble dans
leur plus doux éclat. Ces flots bleus et tranquilles, cette terre
ombreuse, ces scènes de plaisir, d'une animation tempérée, cette
harmonie errante formaient un ensemble si gracieux, si reposant
que j'avais peine à m'en arracher : Il semblait qu'on respirait le
bonheur. Enfin, nous rejoignîmes notre talika , arrêté près de la
fontaine et nous nous remîmes en route pour Baglar-Bachtchi, où
nous étions avant la tombée de la nuit.
Jeudi 28 août. — Je n'ai rien dit encore des chiens, que l'on ren-
contre à chaque pas dans les rues de Constantinople et de Scutari.
Leur nombre est en effet très-considérable. Entourés d'une sorte
de respect de la part des musulmans, ils vivent et dorment en
public, sans attaquer les passants et sans que personne songe à les
inquiéter. Les chiens de Constantinople et de Scutari, jaunes,
noirs ou blancs, au poil raz, au naseau allongé, sont d'une laide
apparence. Ils se repaissent d'ordures jetées ou laissées sur la voie
publique, dont ils sont en quelque sorte les balayeurs. Au besoin,
les mosquées et les dévots musulmans prennent soin de leur nour-
riture. Devant beaucoup de maisons, il y a des vases plus ou moins
élégants, que l'on tient remplis d'eau à leur intention. Ces pré-
cautions, l'état de liberté dans lequel elle vit font que les cas de
rage sont extrêmement rares dans la population canine. Ceux qui
ont été observés en ces derniers temps, ont eu lieu dans les quar-
tiers chrétiens, où l'on a beaucoup moins de soin des chiens que
dans les quartiers musulmans. Lors de la guerre de Crimée, plu-
sieurs de ces animaux ont été détruits à Galata et à Péra.
Je suis allé visiter le cimetière arménien de Scutari. Il est situé
dans la circonscription de Baglar-Bachichi. C'est un vaste terrain,
en partie découvert, en partie abrité par des arbres. Les monu-
ments funéraires s'y montrent beaucoup moins pressés que dans
les cimetières turcs. La forme des tombes est très-simple. Elles
consistent généralement en do grandes tables de pierre ou de
marbre, posées à plat sur le sol, et portant quelques gravures ou
— 149 —
reliefs qui représentent les insignes ou les instruments de travail
du défunt, et des inscriptions en langue arménienne, qui relatent
son nom, la date de sa mort, etc. Les tombeaux les plus considé-
rables et les plus ornés ont la iorme d"un grand cotfre avec des
moulures. Chez les Arméniens, comme dans les cimetières musul-
mans, des cafés sont installés au milieu des sépulcres. On s'assied,
on se couche, on fume sur les mausolées; les chevaux paissent
librement entre les tombes. Au moment oùje suis arrivé, on venait
de terminer un enterrement; il y a\ait grand concours de monde.
Les quatre papas qui avaient présidé à la cérémonie, après avoir
ôté les insignes particuliers de leur ministère, se dirigèrent vers
le café, et y prirent place sur une plate-forme qui y est attenante.
Les assistants vinrent ensuite se ranger autour d'eux, on apporta
des tchibouques et chacun se mit à fumer.
Je renouvellerai, à propos du cimetière arménien de Scutari,
une observation déjà émise plus haut : c'est que, dans l'empire
Ottoman, dont les populations manifestent encore de temps en
temps un extrême fanatisme, la liberté religieuse, quant à l'exer-
cice des cultes étrangers, est légalement très-grande. A côté de
la mosquée musulmane s'élèvent l'église grecque , la synagogue
Israélite , l'église arménienne et l'église latine. Chaque religion
a ses cérémonies publiques, son cimetière spécial, ses assemblées
délibérantes, et se livre aux pratiques qu'elle préfère, sans que
les musulmans ou l'administration paraissent y mettre des obs-
tacles. 11 y a, au point de vue religieux deux sortes d'Arméniens :
les Arméniens schi?matiques, qui refusent de croire à la double
nature de Jésus-Christ, à la procession du Saint-Esprit ex paire ^
au purgatoire, à la suprématie de l'évêque de Rome, etc; les Ar-
méniens unis ou catholiques, qui se reconnaissent dépendants du
pape et dont les doctrines ne ditfèrent que par quelques détails
de celles de l'église catholique. L'appel à la prière se fait pour
les Arméniens par des espèces de hérauts, qui chantent le matin
dans les rues un air doux, un peu plaintif et assez semblable à
celui dont le muezzin se sert pour chanter Allah! du haut des
minarets. Ce chant me réveille chaque jour en passant dans la
grande rue de Baglar-Bachtchi. Le chanteur frappe de temps en
temps le pavé avec un bâton armé de fer.
Jeudi, 29 août. — Il s'agissait de faire connaissance avec les
bazars de Constantinople, que les turcs appellent tsarsi ou tchar-
chi. Le bazar , dans les villes d'Orient, est une espèce d'exposition
permanente des denrées du pays et des produits des industries
— loO —
locales ; c'est un marché général, où se vendent des objets de
toute sorte, depuis ceux dont la valeur est la moins élevée,
jusqu'aux étoffes, aux bijoux, aux diamants les plus précieux. Des
magasins ou khans particuliers sont seulement réservés à la vente
en gros des marchandises venues des pays étrangers. Les bazars
de Gonstantinople jouissent d'une renommée universelle, soit à
cause de leur étendue, soit à raison des richesses qu'ils ren-
ferment. Le grand bazar s'ouvre le matin vers neuf heures, et se
ferme au moment du coucher du soleil.
Le bateau à vapeur qui traverse le Bosphore nous a déposés
sur le pont de Galata. Après nous être réunis à une dame qui
s'était chargée de nous servir de guide, nous sommes entrés dans
Stamboul par la porte de fer qui termine le pont de ce côté, et lais-
sant à gauche la mosquée nouvelle ou Yéni-Djami , nous nous
sommes engagés dans des rues montantes, irrégulières, mal pavées
et encombrées de gens à pied, de chevaux, d'ânes et de voitures.
Les charrettes ne sont guère employées ici au transport des far-
deaux. Les objets les plus pesants sont transportés parles hommes
ou par les bêtes de somme. Les hainmah ou portefaix sont ordi-
nairement des turcs robustes et bien bâtis; leurs jambes nues
laissent voir des muscles énormes. lisse servent, pour tenir les
fardeaux en équilibre, d'un appareil fort ingénieux. C'est une sorte
de boîte dont l'extrémité inférieure est beaucoup plus épaisse que
la partie supérieure, et qui se place sur le dos, accrochée aux
épaules par des courroies solides. Pour peu que le hammal se pen-
che en avant, la surface de l'appareil devenant horizontale, il peut,
sans fatigue manœuvrer les plus lourdes charges. Je suis disposée
croire que cette méthode est plus avantageuse que colle des cro-
chets verticaux dont usent nos portefaix. D'autres porteurs, réu-
nis en troupes de deux, quatre, six, huit personnes, suspendent les
objets à de longues perches qu'ils appuyent sur leurs épaules. Le
bois, les pierres, les poutres, etc., sont attachés sur le dos des
chevaux et des ânes, qui souvent les traînent ;\ travers les rues en
mettant en [jéril la vie des passants.
Nous voici arrivés au Khan des Egyptiens ou au bazar des
drogues. C'est une longue galerie couverte et mal éclairée, dans
laquelle sont réunies les couleurs, les matières appartenant à la
chimie et à la pharmacie, les parfums, les objets servant à la cui-
sine, les épiccs, etc. Les marchands sont accroupis dans leurs
cases particulières entre les sacs et les paquets, et le public circule
au milieu de la galerie, comme dans un passage.
~ loi —
En dehors du Khan des Egyptiens, dans la rue qui communique
avec lui, se trouve un restaurant (qu'on me passe le mot), renommé
pour la confection du kebab et où nous sommes entrés. Nous nous
trouvons dans une petite salle voûtée en berceau et ornée de quel-
ques arabesques ; la moitié de cette salle est occupée par un plan-
cher élevé de deux ou trois pieds, et séparée de la rue par un
grillage; dans la partie basse, réservée pour la cuisine et où tra-
vaillent les cuisiniers, sont la cheminée, la tablette sur laquelle
s'étale la pâte du pain et l'étalage de la boutique, avec le pot de
basilic, qui forme l'ornement obligé d'une fenêtre en orient. Nous
montons sur l'esplanade qui sert de salle à manger ; on nous
apporte d'abord (nous étions six) plusieurs de ces détestables ta-
bourets, si communs ici, dont le fond très-bas est dépassé par la
saillie des montants, et un énorme plateau, qui prend lui-même
place au milieu de nous sur un tabouret ; Puis on se met à fabri-
quer le mets qui nous est destiné, c'est-à-dire le fameux kebab.
Bientôt le plat tout brûlant est déposé sur le plateau que nous
entourons. C'est un composé de petits morceaux de mouton em-
brochés et cuits sur le gril, et de lames à demi grillées d'un pain
azyme que la graisse ruisselante du mouton imbibe et colore. Des
verdures d'oignon sont servies à part sur des soucoupes, et chacun
est libre d'en assaisonner sa portion. Point d'assiettes, du reste,
et, pour me servir d'une expression un peu triviale, on pêche au
plat. Les verres sont rares ; l'eau, la seule boisson qui soit per-
mise aux musulmans, se distribue dans une grande cruche d'étain,
qui passe à la ronde. Comme chrétiens nous pûmes rougir notre
eau avec du vin de Bordeaux que notre compagne avait eu l'atten-
tion d'apporter. Le kebab fut mangé de bon appétit ; c'est un mets
très-bon et très-friand. Mais les six portions qu'on nous avait
préparées étaient beaucoup trop abondantes pour nos estomacs, et
nous en laissâmes plus de la moitié au grand déplaisir des prépa-
rateurs. — Ne l'avez-vous pas trouvé bon, nous disaient-ils tris-
tement?— Nous les rassurâmes de notre mieux, et, ayant payé
notre écot, nous sortîmes accompagnés de leurs salutations et de
leurs souhaits.
Après avoir traversé le khan des Persans, qui peut contenir un
nombre considérable de marchands, nous avons pénétré dans l'une
des mille galeries du grand bazar. La plupart d'entre elles sont
surmontées de voûtes et éclairées par de petites fenêtres percées
au sommet ; quelques-unes ont d'élégantes arcades, soutenues par
des colonnes; il y a des fontaines pour les ablutions, et où l'on
— do2 —
peut se désaltérer. Les diverses parties du bazar appartiennent à
des époques différentes et se distinguent par des caractères parti-
culiers d'architecture. Les rues se multiplient à l'infini et forment
un vaste labyrinthe oij, sans une grande habitude, on a peine h se
retrouver. Dans les parties anciennes, les boutiques ne consistent
guère qu'en une élévation en planches sur laquelle se tient le mar-
chand, et en une série de rayons qui portent les marchandises. Sur
certains points, des chambres intérieures communiquent avec la
boutique et servent au dépôt des objets les plus précieux. Tels sont
les magasins d'un marchand arménien, appelle Ludovic, auquel
M. Théophile Gauthier a donné une certaine célébrité, en parlantde
luidanssa remarquable description deConstantinople. Ludovic pos-
sède en effet une belle collection de curiosités, et il les montre facile-
ment ; mais son principal mérite m'a paru être de vendre beaucoup
plus cher que les autres. Les diverses boutiques placées à une
même hauteur, ne sont séparées les unes des autres que par une
barrière très-peu apparente. Cependant, et quoique la réunion des
articles semblables dans des quartiers particuliers doive faire naitre
de continuelles occasions de rivalité, je n'ai vu aucune dispute, je
n'ai entendu aucun mot désobligeant échangé entre les voisins, au
moment où l'acheteur passait d'une boutique à une autre. Le mar-
chand abandonné remettait tranquillement en ordre les objets qu'il
avait étalés, et attendait qu'on revint à lui pour proposer un prix
inférieur. Il faut dire que, depuis quelques années, l'habitude de
surtaire s'est introduite dans le commerce turc ; pour ne point être
trompé, il faut offrir au vendeur le tiers seulement du prix qu'il a
demandé. Les boutiques du bazar et en général les boutiques tur-
ques sont tenues par des hommes. La femme, ici, n'occupe aucune
place ni dans la vie religieuse, ni dans la vie civile, elle est l'épouse
et la mère de famille, voilà tout. Sa présence dans une boutique,
le contact néce.-isaire qu'elle y aurait avec les hommes, répugnent
à la rigidité musulmane.
En parcourant les galeries anciennes du bazar par lesquelles
notre tournée avait commencé, nous avions fait quelques acquisi-
tions. Nous avions obtenu pour des prix peu élevés, des draps
brodés, dont les dessins sont si originaux et si éclatants, des fichus
de tête ou de cou {kalem/dars), qui sont peints à la main et dont le
tissu est si moelleux et si léger, etc. Nous passâmes aux galeries
modernes. Celles-ci sont disposées à l'Européenne et beaucoup plus
commodes que les autres. Là se trouve une boutique, remplie de
riches étoffes de soies, dans laquelle le sultan vient quelquefois
— 153 —
s'asseoir pendant le temps du Baïram; un canapé et quelques meu-
bles y sont installés à demeure, attendant la présence du souverain.
Le bazar des armes, qui occupe le centre du tsarsi est extrême-
ment curieux; on doit s'abstenir d'y fumer. Lesjoaillierssont relé-
gués dans de misérables boutiques, dont quelques-unes renferment
d'immenses richesses. Les bijoux qui ne sont pas déposés dans des
coffres sont étalés dans de petites cages de verre dont la transpa-
rence permet à l'observateur de se faire une idée de l'état de l'art
de la, joaillerie et de la bijouterie chez les Orientaux,
Près du bazar, se voit la mosquée de Bajazet. Cet édifice, qui
donne sur une vaste place, est réputé la plus élégante mosquée de
Constantinople.il est flanqué de deux minarets à une seule galerie.
Deux cours s'ouvrent à l'intérieur ; la seconde se recommande par
une jolie fontaine et par un portique ogival en marbre blanc et
rouge, que soutiennent des colonnes en marbre précieux, à chapi-
teaux en ruche de miel. De beaux arbres ombragent cette cour;
ils sont peuplés d'une multitude de pigeons, que l'on entretient au
moyen d'une dotation spéciale, et qui descendent, dit la tradition,
de deux ramiers que Bajazet donna à la mosquée après les avoir
achetés d'un pauvre homme auquel il faisait l'aumône.
Des alentours du Bajazidié, on aperçoit les bâtiments du Seras-
kierat, ministère de la guerre, et la tour qui les surmonte; c'est le
point le plus élevé de Constantinople. Deux portes donnent entrée
dans la cour du Seraskierat: l'une du côté du nord, l'autre en face
de la mosquée de Bajazet. Près de cette dernière, est ménagée une
loge grillée dans laquelle se place le sultan pendant les fêtes qui
terminent le Rhamazan.
En repassant par une des rués qui avoisinent le bazar, nous
avons eu la curiosité d'entrer dans une boutique où se fait ce qu'on
nomme le Mouchalébi. C'est un composé de lait, de poitrine de
poulet hachée et de sucre, que l'on saupoudre de canelle au moment
de le manger. Le prix de cette friandise assez agréable est des plus
minimes.
Vendredi 30 août. — Constantinople a ses derviches tourneurs,
Scutari, ses derviches hurleurs. Jongleurs ou illuminés, trompeurs
ou convaincus, ces espèces de moines musulmans sont très-intéres-
sants à observer. Par une disposition contraire à celles qui distin-
guent les institutions religieuses des mahométans, les derviches
permettent aux giaours de pénétrer dans leurs tékics et les laissent
volontiers assister à leurs exercices, pourvu qu'ils aient soin de se
déchausser. Les derviches hurleurs de Scutari sont visibles le
— 154 —
vendredi de chaque semaine. Je cherchai leur tékié ; mais de mau-
vaises indications et mon ignorance de la langue turque m'empê-
chèrent de le découvrir, ce que je regrettai vivement.
Ayant manqué le spectacle des derviches hurleurs, je résolus de
visiter mieux que je ne l'avais fait jusqu'alors quelques quartiers
de Scu tari. Les fontaines sont ici très-nombreuses; elles varient
de forme, de dimension et d'importance. Quelques-unes ne consis-
tent qu'en de simples plaques de marbre blanc, encastrées dans
les murs des maisons particulières, avec des inscriptions en relief
et de petits robinets de cuivre; d'autres se distinguent par des
colonnettes, des toits cannelés, des bassins et des arabesques ;
d'autres enfin sont isolées et forment des monuments compliqués
et élégants. L'activité des rues principales de Scu tari, surtout aux
environs de la plage est toujours très-grande. J'ai revu la mosquée
de Bujuk-Djami, devant laquelle plusieurs bons musulmans fai-
saient leurs ablutions, et dont l'intérieur était occupé par d'autres
fidèles en prières, et par des derviches couchés et endormis. A
peu de distance s'élève la mosquée de la sultane Validé, avec deux
minarets à double galerie, un portique ogival soutenu par des
colonnes arrondies, et le tarbé ou tombeau de la fondatrice surmonté
d'une grille de 1er en forme de dôme.
Arrivé sur la grande place, je m'assis devant le café dont il a
déjà été question et je demandai du café et un narghilé. En Orient,
le café se prépare tout autrement que chez nous. Réduit en poudre
impalpable, on le fait cuire en quelque sorte dans l'eau poussée
jusqu'à l'ébulition, et on sert tout ensemble la liqueur et le marc
dans une petite tasse en porcelaine, qui se porte sur un godet à
pied en métal auquel on donne le nom de zarf. Il y a de ces
godets en filigranes d'argent inscrusté d'or, mêlé de pierreries et
de perles, dont le travail charmant fait honneur à l'industrie de
ces contrées. Quant au narghilé, c'est une pipe perfectionnée,
consistant en un vase en partie rempli d'eau, un fourneau à tabac
qui communique avec l'eau par un tube de verre, et un long ser-
penteau aboutissant à la partie vide du vase et terminé par un
bouquin. Le tabac dont on se sert pour ces sortes de pipes, le
lomfjc'ld , est l'objet d'une préparation particulière, et l'aspira-
tion qu'en fait le fumeur, diifé rente de celle qui a lieu pour le
tchibouk, ofl're quelque difficulté à un commençant. Mon inexpé-
rience à cet égard et ma maladresse à tenir le zarf et à avaler un
café bourbeux auquel je n'étais pas accoutumé devaient être assez
ridicules. Chez nous, les habitués, tournés de mon côté, m'auraient
1U u
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considéré avec une curiosité étonnée et auraient au moins laissé
éciiapper un sourire. Ici, le respect de la liberté que chacun veut
pour soi et entend laisser aux autres est bien plus étendu. Six ou
huit individus étaient installés autour de moi ; pas un ne se déran-
gea, ne porta ses regards de mon côté et ne parut s'apercevoir de
mon embarras. Un fait du même genre m'avait déjà frappé quelques
jours auparavant. Nous étions, au nombre de trois ou quatre, dans
une boutique de fruitier pour acheter du raisin; un musulman
était assis sur les planches en bois de l'étalage et lisait le Koran.
Notre arrivée ne lui fit pas faire un mouvement; il ne leva pas les
yeux, il n'interrompit pas sa lecture. Quelque temps se passa
pendant que nous arrêtions notre choix et que nous convenions du
prix. Notre homme n'avait pas bougé ; ce fut seulement lorsque
la lecture fut terminée qu'il posa avec calme son livre à côté de lui
et qu'il parut rentrer dans les conditions ordinaires de la vie.
Tandis qu'en observant je prenais lentement mon café, et que
j'essayais de fumer le narghilé dont j'avais voulu prendre le plaisir,
un mouvement inusité se manifesta sur la place. Les soldats du
corps de garde s'agitaient; des chevaux préparés d'avance sem-
blaient attendre, et des curieux en assez grand nombre se pres-
saient du côté de la plage. Au bout de quelque temps, on vit
arriver des navires à voiles, qui amenaient au port un bataillon de
zouaves ottomans. Cette troupe, dont le costume est imité de celui
de nos zouaves, se rangea sur la place, fut passée en revue par ses
chefs, et se dirigea, musique en tête, vers sa caserne. Les soldats
paraissaient embarrassés de leurs nouveaux uniformes; ils mar-
chaient dans un ordre satisfaisant, mais ils tenaient fort mal leurs
carabines. Les autres militaires qui portaient l'ancien costume,
regardaient les nouveaux venus avec envie; ils annonçaient à ceux
qui les voulaient écouter que, sous l'influence du nouveau sultan
Abdul-Azis, toute l'armée turque allait quitter le pantalon et la
redingote que Mahmoud avait adoptés comme un signe de la part
prise par ses sujets aux bienfaits de la civilisation européenne.
Cet Abdul-Azis, que nos journaux ont tant prôné, doit-il, comme
on l'a cru dans les premiers temps de son règne, changer la face
de l'empire Turc? D"après ce que j'ai vu et ce que j'ai entendu dire,
il n'y a rien de s ,'mblable à espérer. Le nouveau souverain paraît
plus disposé que son prédécesseur, Abdul-Medjid, à favoriser les
vieilles routines, à maintenir les anciennes barrières. Quanta la
durée même de la monarchie Ottomane, la guerre de Crimée l'a-
t-elle assurée pour longtemps ? Je ne le crois pas. Il y a en Turquie
— 156 —
des éléments de dissolution qui n'ont pas cessé, qui necessent
pas d'agir, et qui doivent fatalement lui donner le coup de la mort.
Ceux qui rêvent la conservation de l'état de choses fondé par
Mahomet IT, le soutiennent au moyen des arguments que
voici : Au dehors, la plupart des puissances Européennes
sont intéressées au maintien de l'empire Turc ; cet empire
ue peut être partagé, parceque Gonstantinople est un point
unique au monde, et que les gouvernements occidentaux ne con-
sentiront jamais à ce qu'il reste aux mains de l'un d'entre-eux. —
Au dedans, les chrétiens sont nombreux, il est vrai, plus nom-
breux que les musulmans, mais très-divisés et leurs diverses frac-
tions grecque, catholique, arméno-grégorienne , arméno-catho-
lique, préfèrent les turcs aux dissidents. De plus les turcs font
des progrès constants; ils sont lents, sans doute, mais ils sont
réels. Le sort des chrétiens a été sensiblement amélioré, et, par
l'exclusion du service militaire, il est devenu au point de vue des
charges publiques, meilleur que celui des musulmans. D'autre
part, les chrétiens sont entrés dans la vie politique et l'on peut
citer parmi les hauts fonctionnaires : Callimaki , Vogoridès ,
Davoud-Oghlou, etc. Enfin le régime des impôts a été considéra-
blement perfectionné. On n'exige plus d'un pacha, avant qu'il
parte pour son gouvernement, le versement d'une somme des.inée
à entrer dans le trésor, et dont le gouverneur se recouvre ensuite
en pressurant ses administrés. L'impôt est perçu au nom de l'E-
tat ; les pachas sont payés par l'Etat. Les douanes même ne sont
plus affermées. Il faut aussi reconnaître que, pour récompenser les
services rendus, les sultans montrent une générosité qui tend à
multiplier ces services; elle est poussée, suivant quelques per-
sonnes, jusqu'à la prodigalité. Voilà certes d'assez bonnes rai-
sons; mais
Samedi 31 août. — Le Bosphore, que l'on regarde comme ayant
été ouvert par un tremblement de terre, ibrmie un canal dont la
longueur est d'environ vingt-sept kilomètres, et dont la largeur
varie de cent cinquante à trois cent mètres. Les sinuosités de
ses rives sont disposées en une série de bassins dans lesquels le
courant venant de la Mer-Noire fait des zig-zag très-prononcés.
Des souvenirs mythologiques cl historiques s'atttachcnt au détroit
du Bos;»hore. Son nom Bo/jç n^çoc, passage du Bœuf, vient, dit-on,
de ce que la vache lole traversa h la nage. Ses eaux ont porté les
vaisseaux des Argonautes, It.'s Hottes de Darius, des Turcs, des
Croisés.
— io7 —
Je connaissais les rives du Bosphore qui s'étendent de la mer
^8 Marmara à la Corne d'Or, d'un côté, et de l'autre, àScutari. 11
merestait à visiter les côtes européenne et asiatiquejusqu'à l'entrée
de la Mer-Noire, qui passent pour un des endroits les plus char-
mants que l'on puisse admirer. Cette visite est très-facile, à l'aire, et
■desbateaux à vapeur parcourent plusieurs fois par jour le canal, en
s'arrêtant aux points les plus importants pour déposer ou prendre
les voyageurs. Un caïq nous ayant transportés à bord de l'un de
ces bâtiments, nous partîmes du j ont de Galata, par un temps
magnifique, et nous pûmes contempler à loisir le panorama qui
se déroulait successivement devant nos yeux. Je ne dirai que quelques
mots de cette ravissante promenade. Depuis Top-Hané, oii l'on
stationne en sortant de la Corne d'Or, jusqu'à l'entrée de la Mer-
Noire, la rive européenne, formée d'un sol déclive et verdoyant,
présente une suite variée et pittoresque de maisons aux vives cou-
leurs, de cafés dont les terrasses s'avancent dans la mer, de
palais élégants, de jardins, de kiosques, de places ombragées
où se presse une foule bigarrée, d'anses heureusement découpées
dans lesquelles s'abritent les navires, de cimetières avec leurs
cyprès, etc. L'intérêt ne cesse pas pendant un seul instant, et
après avoir vu, on voudrait arrêter le navire qui passe, pour voir
plus longtemps encore. Voici la mosquée de Top-Hané; voici celle
d'Orta-Keuï, avec ses deux minarets et sa jolie coupole; voici Ar-
naout-Keuï, habité par des Grecs, Bebek, l'antique Ghelee, dont la
disposition autour d'une baie arrondie a tant de prestige, Rou-
meli-Hissar, château, tours et murailles à créneaux, bâtis par
Mahomet II en 1-451 , Balta-Liman, Stenia, Therapia, où s'élèvent
les maisons de campagne des ambassadeurs de France et d'Angle-
terre, et enfm Bujuk-Déré, dont le quai est à certains jours un
lieu de promenade très-fréquenté.
C'est à peu de distance de Bujuk-Déré, au cap de Mézar, que le
Bosphore se termine en un canal très-étroit, qui le fait communi-
quer avec la Mer-Noire. Notre bâtiment change de direction, et
bientôt nous nous trouvons à portée de la côte asiatique. Elle est
moins peuplée que la côte européenne, mais elle a aussi des aspects
pleins d'originalité et d'attrait. On y remarque le mont du Géant,
la plus haute montagne de ces parages, un joli kiosque construit
par le dernier sultan, la magnifique plaine de Beykoz, le vieux
château d'Anatoli-Hissar, dont il ne reste que quelques tours à
demi-ruinées, Chamlidgé, sur une pointe pittoresque du même
nom, la belle prairie et le palais impérial des Eaux-Douces d'Asie,
— 158 —
Kandili, Kouléli et Beyler-Bey. Enfin nous arrivons à Scutari,
enchantés de tant de merveilles.
Dimanche i''^ septembre. — J'ai eu ce matin l'occasion d'observer
dans tous leurs détails les cérémonies d'un enterrement arménien.
Il s'agissait d'une jeune fille. On apporta la défunte sur un bran-
ard où elle était couchée le visage découvert et paré d'ornements
d'or. En avant du cortège, marchaient cinq ministres ou prêtres,
ayant des vêtements noirs sur lesquels des croix blanches étaient
tracées à l'endroit de la poitrine et des épaules, et des bonnets assez
semblables aux toques de nos avocats. En même temps des ma-
nœuvres étaient occupés à creuser une fosse, qui resta très peu
profonde. Le corps fut laissé quelque temps de côté et un des
assistants se mit à coudre autour de lui un linceul, en s'abritant
derrière une espèce de voile rouge qui le dérobait en partie aux
regards. Enfin, on prit le cadavre, on le plaça dans la fosse, dont
la terre avait été préalablement bénie, et chacun des assistants se
hâta de jeter sur lui un morceau de la terre environnante. Puis,
les fossoyeurs achevèrent de remplir la fosse; on distribua des
verres, de la liqueur alcoolique appelée raki et des bonbons, les
prêtres dépouillèrent leurs ornements sacerdotaux et l'on se retira.
Bientôt après l'assistance se trouva réunie presque en entier devant
un café voisin, établi dans l'enceinte même du cimetière, un cercle
fut formé, dans lequel figuraient le frère de la défunte, les prêtres
et les invités ; on but et on fuma en commun; enfin, la foule se
dispersa, et le cimetière reprit son silence et sa solitude.
La chaleur diminue ; il est cinq heures. Partons pour chercher
sur un sommet élevé une vue que l'on dit admirable. La montagne
qu'il s'agit de franchir, et que l'on désigne sous le nom de Grand-
Ghamlidgé, doit être la même que celle que MM. Joannect Isam-
bert appellent mont BouUjourlou dans leur Itinéraire de l'Orient^ si
utile aux voyageurs. Nous suivons, pour nous y rendre, la rue
principale de Baglar-Bachtchi dans le sens opposé au Grand
champ des morts, en laissant à gauche le cimetière arménien, et
à droite un café ou casino, d'où s'échappe le bruit d'une musique
joyeuse. Cette musique se fait entendre le dimanche pendant toute
la journée; les airs qui se succèdent à peu d'intervalle viennent
indubitablement d'Europe, et l'on peut, en les entendant, se figu-
rer un de nos cafés-concerts. La musique, et ce genre de musique
en particulier sont-ils donc une des voies par lesquelles lu civili-
sation européenne doit s'introduire en Orient?
Nous voici sur une grande route, bordée de villas, parmi les-
— 159 —
quelles on m'a montré celle de Véli-Pacha, l'ancien gouverneur de
l'île de Crète, l'ambassadeur de la Porte à Paris. Cette suite
d'habilations forme une partie du village de Topanel-Oghlou. On
commence ensuite à monter par une pente douce, et après avoir
côtoyé un cimetière musulman aussi négligé que les autres, on
s'élève dans un chemin en zig-zag, pratiqué le plus agréablement
du monde parmi les bosquets et les vignes. Cette pente est un^v^é-
ritable jardin. Nous ne sommes pas les seuls du reste qui fassions
l'ascencion du Chamlidgé. Outre les piétons, on rencontre des
cavaliers, des promeneurs en voiture; les uns remplissant d'élé-
gants et légers talikas, les autres sont entassés dans des arabas de
forme archaïque. L'araba est d'ordinaire traîné par des bœufs; c'est
une longue voiture (je pourrais dire un charriot) portée par des roues
massives, couverte d'un toit en berceau, avec franges rouges à
l'entour, enfin presque totalement ouverte au fond et sur les côtés.
Les banquettes sont disposées dans le sens de la longueur. La sus-
pension consiste en quatre pivots de bois établis sur un brancart,
qui lui même repose sur le moyeu des roues. Les bœufs sont
tenus en éveil par le mouvement d'une série de fils de laine sus-
pendus au-dessus du cou par une tige de bois ou de fer recourbée
en arrière, qui s'attache sur le sommet de la tête de l'animal.
Des troupes de femmes sont accumulées dans les arabas qui
passent près de nous ; on les voit s'agiter, on les entend chanter
et rire, tandis que le char s'avance avec une lenteur magistrale,
et il ne semble pas vraiment qu'elles se trouvent trop malheu-
reuses de leur isolement et de leur servitude. En ce pays d'ail-
leurs, on est très-souvent en fêtes ; les musulmans se reposent et
s'amusent le vendredi, les chrétiens le dimanche. Ces jours-là, on
fait des promenades aux environs de la ville ; on va se divertir,
manger dans la campagne, sur l'herbe, dans les endroits les plus
agréables et les plus pittoresques. Les habitudes des Orientaux à
cet égard manifestent un sentiment vif des beautés de la nature;
je l'avais déjà remarqué à Phanar-Bachtchi, je le constatai de
nouveau au Grand-Chamlidgé.
Au bout d'une assez longue marche, nous arrivâmes près d'un
café construit sur une esplanade bien unie et ombragé d'arbres
magnifiques. De ce point, où s'arrêtent nécessairement les voi-
tures, on a déjà une perspective très-étendue et très-belle. Mais
on gagne encore en montant davantage. Nous nous remîmes à
marcher sur un terrain rocheux, abrupte, et où verdissent seule-
ment quelques touffes massives de plantes odorantes et épineuses.
— 160 —
Au moment où nous atteignîmes le sommet de la montagne, sur
lequel quelques bouquets de hêtres et de pins parasols dressent
leurs vigoureuses silhouettes, le soleil se couchait, nous le
voyions descendre lentement, rouge, large et majestueux, vers les
hauteurs qui bornent l'horizon du coté de Gonstanlinople. C'était
un spectacle d'une singulière magnificence. A notre droite, se
découpaient le sol accidenté de la côte d'Asie, et pardessus tout, la
cîme du mont Géant ; une suite de collines verdoyantes de l'as-
pect le plus animé et le plus riant s'abaissait doucement vers les
flots, et les eaux du Bosphore, colorées par les derniers feux du
jour, circulaient, comme un grand fleuve, dans les profondeurs de
la vallée ; en face de nous, paraissaient Gonstantinople, ses dômes,
ses minarets, son port peuplé de mâts et dévoiles; à gauche enfin,
s'étendait la mer de Marmara, entrecoupé par son gracieux archi-
pel d'îles montueuses.
Lundi, 2 septembre. — Pour un étranger, ignorant la langue
usuelle, il est assez difficile de se diriger seul dans Stamboul. Il
a affaire à un sol inégal, à un dédale infini de rues irrégulières
qui se croisent dans tous les sens, et aucun écriteau, aucune déno-
mination ne permettent de les reconnaître. Je m'adressai donc à
un de pes guides, ordinairement Israélites, qui abondent à la tête
du pont de Galata, et il se chargea de me donner les indications
nécessaires pour retrouver les principaux monuments qui restent
des temps antiques. Après avoir traversé le bazar, j'arrivai près
d'une colonne de bronze qu'on nomme la colonne murée et qui
est aujourd'hui enfermée dans les murs d'un jardin particulier.
Elle a, dit-on, été apportée de Rome par Gonstanlin-le-Grand. La
foudre a renversé la statue d'Apollon, qui surmontait son chapi-
teau. Plus loin, je vis le turbé du suUan Mahmoud, édifice de
style moderne, travaillé avec soin, et décoré de pilastres ioniques;
il renferme à la l'ois les restes de Mahmoud, do la sultane Va-
lidé, et ceux des enfants du Sultan. — Un peu plus loin encore,
on me signala la citerne des mille colonnes, qui s'annonce aux alen-
tours par plusieurs effondrements de voûtes, restés sans aucune
réparation. Elle esta sec; des cordiers exercent leur industrie
dans ses profondeurs, qu'éclairent avec peine quelques rayons de
soleil. Les colonnes très-allongées sur lesquelles porte une série
encore assez bien conservés d'arceaux en briques et en pierres,
sont au nombre, non pas de mille, mais de deux cent vingt-quatre,
ce qui est déjà considérable. Vers la base, il y a un renflement
très-prononcé, dont la destination paraît être de diminuer pour
— 161 — ,
l'œil l'effet désagréable que produit la maigreur des colonnes.
Les chapiteaux en marbre sont assez grossièrement sculptés.
Gonstantinople possède plusieurs autres citernes du même genre
qui ont été construites par les Empereurs.
De là, je me suis rendu à la place de VAi-meïdan (place des che-
vaux), qui est l'ancien hippodrome de Bysance, et qui a conservé
du passé divers monuments remarquables. L'hippodrome, fondit
par Septime Sévère et terminé par Gonstantin-le-Grand, était
divisé par un petit mur ou spina qui marquait l'axe du cir-
que; des gradins le dominaient sur les grands côtés; il était en-
touré dôcolonnes et orné de statues et de figures en marbre ou en
bronze, parmi lesquelles on remarquait les fameux chevaux de
Lisippe qui sont aujourd'hui à Saint-Marc de Venise. L'At-
meïdan est une place assez régulière, en fonme de rectangle,
dont un des grands côtés est limité par la grille qui ferme le jar-
din de la mosquée d'Achmet. Les beaux arbres de ce jardin, les
arceaux et les dômes de la mosquée donnent un grand charme
à cette partie de la place. Un peu plus loin, dans un enfon-
cement ombragé par un énorme platane, se tient un marché
oîi la foule afflue; les dômes et les minarets de Sainte-Sophie
dominent l'ensemble. Sur l'un des petits côtés se voient les restes
d'une mosquée en ruines ; les autres côtés sont bornés par des
maisons de médiocre apparence. La ligne médiane, celle de la
Spina, est occupée par deux obélisques et une colonne de bronze.
Le sol s'est considérablement exhaussé, et les bases des monu-
ments, que l'on a déblayées depuis peu, se trouvent maintenant
dans des espèces de puits qu'il a fallu entourer de grilles.
L'obélisque de Constantin, qu'on appelle aussi la pyramide mu-
rée, indiquait jadis la limite de l'hippodrome. Il est formé d'un
assemblage de grandes pierres régulièrement taillées, qui reposent
sur un piédestal 'de marbre. Ces pierres, autrefois revêtues de
plaques de bronze qui ont complètement disparu, sont profondé-
ment rongées par le temps et disjointes pour la plupart; la partie
supérieure n'est plus d'aplomb et menace ruine. La tradition et
une inscription grecque gravée sur le piédestal attribuent la répa-
ration de ce monument à Constantin Porphyrogénète, dont le nom
lui est resté.
A quelque distance^ se voit une petite colonne en bronze connue
sous le nom de colonne serpentine. Elle a la forme de trois serpents
enroulés, dont les anneaux, d'un très-petit diamètre à la base, où
leurs queues se dessinent, augmentent successivement de gros-
11
^ 162 —
seur, puis finissent par diminuer. La partie supérieure, qui de-
vait comprendre les têtes, est brisée, et la hauteur actuelle de la
colonne n'est plus que de cinq mètres quarante-cinq centimètres.
Elle repose sur un socle de granit, qui est enfoncé dans le sol à
plus de deux mètres. Il n'y a pas longtemps que des travaux in-
telligents ont dégagé la portion du monument enfouie dans la
terre, et ont permis de l'étudier.
La colonne serpentine est un des plus précieux restes de l'anti-
quité que nous possédions. Placée primitivement |dans le temple
de Delphes, elle y soutenait le trépied d'or consacré par les Grecs
à Apollon après la bataille de Platée. Constantin-le-Grand la trans-
porta dans l'hyppodrôme de Bysancc. Sur les orbes inférieurs
formés par les serpents, on distingue encore l'inscription en carac-
tères et en dialecte doriques que les Lacédémoniens y firent graver,
et qui, conformément au récit de Thucydide, donne les noms des
cités grecques dont les guerriers mirent en déroute l'armée de
Mardonius. Des versions très -diverses ont été mises en avant
pour expliquer la disparition de la partie supérieure de la colonne
serpentine et la destruction des têtes des serpents. On raconte
entre autres que Mahomet II, entrant vainqueur à Constanti-
nople, et voulant donner une preuve de son adresse, coupa une
des têtes avec sonépée; les deux autres auraient été détachées par
des voleurs, mais beaucoup plus tard.
L'obélisque de Théodose, monolithe en granit rose, dressé à
environ cinquante mètres au nord de celui de Constantin, toujours
sur la ligne de la Spina, est élevé d'une trentaine de mètres
et s'appuie sur quatre socles ou pieds en bronze, qui reposent
eux-mêmes sur un piédestal de marbre blanc. Des hiéroglyphes
sont gravés sur les quatre laces du monument; le piédestal est
orné de bas-reliefs, qui représentent l'empereur, sa cour, des am-
bassadeurs étrangers qui viennent lui rendre hommage, des fêtes
publiques, et les opérations au moyen desquelles l'obélisque a été
élevé. Certains détails sont extrêmement curieux. Deux inscrip-
tions se lisent sur les faces est et ouest, l'une en latin, l'autre en
grec. Elles mentionnent toutes deux l'empereur Théodosc comme
ayant ordonné, et Proclus comme ayant surveillé l'éreclion de
l'obélisque.
La mosquée de Sainte-Sophie est très-voisine de l'At-Meïdan.
Je dirigeai mes pas vers cet édifice, qui, chacun le sait, est un
des plus anciens monuments du Christianisme. Construite en
825, par Constantin, en l'honneur de la sagesse divine, agrandie
— 163 —
par Constance, incendiée deux fois en 404 et en 532, elle flit rebâ-
tie par Justinien avec la plus grande magnificence. Les meilleurs
architectes du temps furent chargés de la direction des travaux ;
on employa les marbres les plus précieux, les colonnes les plus
belles qu'on pût trouver el qu'on enleva pour la plupart aux
temples du paganisme ; la peinture, la dorure, l'art de la mo-
saïque furent mis à contribution ; enfin, on accamula dans l'église
nouvelle, les vases, les croix, les candélabres, pour lesquels furent
prodigués l'or, l'argent, les diamants, les pierres dures et les
perles. La basilique de Sainte-Sophie fut achevée en 548. Les
Turcs maîtres de Constantinople, la convertirent en mosquée et
l'augmentèrent successivement de quatre minarets et de plusieurs
constructions qu'ils exécutèrent, soit pour l'appliquer au culte
musulman, soit pour la consolider.
Ces constructions empêchent de retrouver aujourd'hui du de-
hors le plan primitif de la basilique de Sainte-Sophie, que nous
connaissons par Procope, par Paul le Silentiaire et par un ano-
nyme du xi^ siècle. Quatre minarets très-élevés, une coupole d'une
grandeur extraordinaire (35 mètres de diamètre), entourée h sa
base d'une couronne de fenêtres cintrées et soutenue par des murs
aux assises alternativement blanches et roses, deux demi-cou-
poles à l'orient et à l'occident, voilà les principales parties qui se
distinguent au premier abord. On remarque en outre une belle
porte, ornée de colonnes en marbre et en porphyre, d'autres
portes plus ou moins soignées, des turbés, des bains, une fontaine
pour les ablutions, dont la forme, l'ornementation et les dorures
produisent un effet très-agréable.
Il me restait à voir l'intérieur de Sainte-Sophie. Or, on sait que
l'entrée des mosquées est interdite aux giaours, et qu'il faut pour
l'obtenir un firman de Sultan qai se paie fort cher. Dans les hô-
tels, les voyageurs se procurent assez aisément des permissions
de ce genre, dont le prix, partagé entre un grand nombre de per-
sonnes, finit par devenir fort minime. Mais l'étranger, logé chez
des particuliers n'a pas les mêmes ressources ; il est obligé de
faire diverses démarches, de s'adresser à l'ambassadeur de sa
nation, et de supporter la totalité des droits. Je tenais fort à éviter
tous ces ennuis. J'eus recours à mon guide juif, et je lui deman-
dai si, moyennant une somme qui m'avait paru raisonnable, la
visite de Sainte-Sophie ne me serait pas possible. Il me quitta
pour s'en informer, et revint bientôt me dire que, pour la somme
annoncée (15 francs ou 150 piastres), un de ses amis, ce jour-là
— 164 —
de service, se faisait fort de m'introduire dans la mosquée. Tout
fut ainsi convenu, et, lorsque je me présentai, je ne rencontrai
aucun obstacle; seulement, comme c'était le moment de la prière,
je dus m'abstenir d'entrer dans la partie réservée aux dévotions
des tidèles, et me contenter de tout voir par les galeries qui en-
tourent le temple.
Une rampe tournante en pente douce m'a conduit sous les
voûtes de ces galeries ; au-dessous de moi, j'avais le sol de la
mosquée, couvert de tapis et peuplé de dévots agenouillés; au-
dessus, la grande coupole et les arcs au nombre de quatre sur les-
quels elle repose, et presque au même niveau les deux demi-cou-
poles orientale et occidentale. L'effet général est des plus sai-
sissants. Grandeur des proportions, hardiesse, légèreté des voûtes
et des arceaux, heureuse disposition des fenêtres et des colon-
nades, tout concourt à former un ensemble qu'on ne retrouve pas
ailleurs, et qui dépasse en beauté Saint-Pierre-de-Rome. Voici les
principales dispositions : la basilique proprement dite, précédée
par une cour rectangulaire à portiques dont il ne reste que des ves-
tiges informes, et par un double vestibule, est divisée en trois
parties : la nef, surmontée par la grande coupole et par les deux
demi-coupoles, qui lui donnent une forme ovoïde, — et deux
galeries latérales ou bas-côtés. Les arcs de la grande coupole sont
soutenus par quatre énormes piliers ; au nord et au midi, l'espace
est rempli par un mur percé de plusieurs étages de fenêtres et
orné de colonnades ; au levant et au couchant, des hémisphères
plus petits, viennent prénétrer les demi-coupoles. Trois absides
s'ouvrent autour de l'hémicycle que recouvre la grande demi-cou-
polo orientale.
La basilique de Sainte-Sophie était toute revêtue de plaques de
marbre précieux et de mosaïques qui représentaient des sujets re-
ligieux et les figures de Justinien et de sa femme Théodora. Une
grande inscription en lettres enclavées courait autour de la cou-
pole et faisait connaître les noms des fondateurs. Les principes de
la religion musulmane en matière d'images, ont obligé les sultans
h cacher les magnificences de cette décoration ; on a recouvert les
mosaïques d'un badigeon qui en laisse apercevoir seulement quel-
ques traces. Les gardions recueillent les petits cubes de verre doré
ou de marbre qui tombent des murailles ou des voûtes, ils aident
même probablement au besoin à les faire tomber, et ils les mettent
presque de force dans les mains des visiteurs, qui donnent de l'ar-
gent en retour. D'immenses disques verts, portant des versets du
— 165 —
Koran, écrits en lettres d'or, sont pendus aux murailles. Les gale-
ries supérieures, avec leurs colonnes en marbre vert, à chapiteaux
blancs et noirs, avec leurs voûtes heureusement ordonnées, avec
leurs fenêtres à plein cintre, ont un très-bel aspect. J'ai distingué
sur le sol de la mosquée deux urnes colossales en albâtre, le mih-
rab, indiquant la direction de la Mecque et qui ne se trouve pas
au centre de l'édifice, la chaire élégamment découpée, dans la-
quelle se fait tous les vendredis la lecture du Koran, et la loge du
sultan, avec une grille en fer doré.
En rentrant, après avoir vu aux alentours du palais de la
Sublime-Porte les apprêts que l'on faisait pour la réception du
vice^roi d'Egypte en ce moment à Gonstantinople, j'ai trouvé à la
maison un médecin arménien dont les récits donnaient une idée
intéressante de l'état actuel de la liberté religieuse en Turquie,
(i Le patriarche arménien de Jérusalem vient de mourir, disait-il;
or une constitution solennelle, un règlement adopté l'an dernier
veut que, lors du décès d'un patriarche, le nouveau titulaire soit
élu par des représentants des populations arméniennes de l'empire
Ottoman, sur la présentation du clergé local. Cette fois le clergé
de Jérusalem prétendait faire l'élection, et il avait pour cela de-
mandé l'agrément du patriarche de Gonstantinople, qui n'avait pas
manqué de consentir. Sur ce, grande émotion. Les Arméniens de
Gonstantinople et des provinces se sont réunis au nombre de plu-
sieurs mille personnes pour protester contre la violation de la
loi. Le ministre de la police a cru devoir intervenir, et, ayant
pénétré incognito dans la salle des délibérations, il a pris part au
débat, et s'est trouvé interpellé assez vivement par un des princi-
paux délégués. — Vous ne savez pas, s'écria alors le ministre, à
qui vous vous adressez. — Je le sais, répondit son interlocuteur;
je sais que vous êtes rauchir et ministre delà police; mais vous-
même, savez-vous qui je suis? Je ne vois en rien à quel titre vous
êtes ici. Nous délibérons d'affaires religieuses, auxquelles vous
n'avez en rien à vous mêler. Moi, je représente mes co-réli-
gionnaires, et j'agis ici en vertu de mon mandat et de mon droit.
Le ministre a du céder; le patriarche a été obligé d'adhérer aux
décisions de l'assemblée et d'approuver l'élection faite, autre-
ment, il lui eût fallu donner sa démission. »
Mardis 3 septembre. — Nous partons en voiture pour une excur-
sion au petit Ghamlidgé. On suit d'abord la même route que pour
aller au grand Ghamlidgé, puis on tourne à droite, et l'on monte
par des chemins bordés de haies et d'arbres, sinueux, ombreux,
— IC6 —
variés, et qui laissent de temps en temps, par échappées, paraître
les horizons bleus de la mer. Après une marche enchante-
resse, on parvient à une esplanade, qui marque le point où s'ar-
rêtent les voitures. C'est un lieu de rendez-vous, admirablement
disposé pour la vue, et au milieu duquel s'élève un magnifique
pin parasol. Au moment où nous arrivions, cinq ou six Turcs
étaient occupés à faire leur prière; ils étaient rangés en ligne,
les pieds déchaussés, sur un tapis tourné comms eux vers la
Mecque. Mon attention tout entière se porta de leur côté : ils
multipliaient leurs génuflexions, ils baisaient la terre, ils ac-
complissaient les pratiques voulues avec une dignité, une placi-
dité, une indifférence de ce qui se passait autour d'eux, un oubli
des regards des autres qui me parurent à la fois touchants et
admirables. Je ne pus m'empêcher de remarquer que ces
hommes, dont nous traitons les croyances avec un si profond
dédain, montrent dans la manifestation de leurs sentiments re-
ligieux un sérieux, un air de conviction qui manquent à beaucoup
de chrétiens.
Il restait à faire une ascension assez rude pour parvenir au som-
met du petit Ghamlidgé. A la différence de l'autre pointe mon-
tueuse que j'avais visitée quelques jours auparavant, le Bosphore
ne fait pas partie de la perspective que celle-ci présente; mais, du
côté opposé, la vue, plus complète, est vraiment splendide. La
mer de Marmara, les îles des Princes, les montagnes et les plaines
d'Asie forment un tableau admirable, surtout au coucher du so-
leil; étendue, lignes, couleur, tout y est.
Mercredi^ 4 septembre. — Un caïq, dans lequel nous sommes
montés, h défaut du bateau à vapeur déjà parti, nous a déposés à
l'échelle de Top-Iiané. Top-Hané (maison du canon) tire son nom
de la fonderie de canons et des établissements d'artillerie qui s'y
trouvent. J'ai déjà signalé la mosquée de ce village; sa fontaine
mérite une attention toute particulière. C'est un édifice quadran-
gulaire, orné sur toutes ses faces d'inscriptions et d'arabesques, et
qui peut passer pour une des plus gracieuses productions de l'art
turc.
De Top-Hané, nons nous sommes dirigés vers Péra, et particu-
lièrement vers le quartier des postes étrangères. Ayant trouvé la
poste française fermée, je m'adressai à la poste autrichienne pour
aflVanchir des lettres et pour changer du papier-monnaie. Ce pa-
pier remplace aujourd'hui presqu»,' exclusivement à Conslantinoplc
les espèces métalliques. L'unité monétaire est la piastre, dont
— 167 —
la valeur, après avoir été de huit francs an xiv'= siècle, est
descendue à quatre sous de notre monnaie ; la piastre se divise
en 40 paras et même en une monnaie plus petite. La piastre est
en argent. Au-dessus d'elle, il y a l'écu d'argent, ou Medjidieh
(20 piastres), la demi-livre d'or, Ellilik (50 piastres) et la livre
d'or, Juslik (100 piastres). Les espèces en papier s'appellent
Caïmés. Il y a des caïmés de 10 piastres, de 20 piastres et au-
dessus. La valeur du papier monnaie est très-inférieure à celle
de la monnaie réelle. Ainsi, la piastre argent étant, comme je
l'ai dit, à peu près égale à 4 sous, un caïmé de 20 piastres
devrait équivaloir à 4 francs et il passe pour 2 francs seulement ou
2 fr. 50 centimes. La piastre papier est donc d'environ 12 centimes;
ce taux varie du reste d'un jour à l'autre.
La création du papier monnaie, montre dans quel état déplo-
rable se trouvent les finances de la Turquie. Cette pénurie du tré-
sor est une des plaies les plus vives de l'empire Ottoman. Depuis
plusieurs années, le gouvernement fait des efforts louables pour
remettre de l'ordre dans les finances et pour rétablir l'équilibre
entre les recettes et les dépenses. Jusqu'à présent, rien n'a réussi.
L'impôt est loin de rendre ce qu'il devrait produire dans un état
aussi vaste et aussi riche que la Turquie. La corruption infecte
les services de l'Etat. Le gouvernement, pour répondre aux né-
cessités journalières, se voit forcé de recourir à des emprunts rui-
neux. Pendant que j'étais à Constantinople, il a fait un appel de
numéraire, en donnant du papier pour de l'argent et en s'enga-
geant à rembourser dans un certain nombre d'années les caïmés
au taux de la piastre réelle. Mon hôte, qui croit à la durée de
l'empire Ottoman a pris des titres de cet emprunt et m'engageait à
suivre son exemple ; j'ai jugé prudent de m'abstenir.
En parcourant de nouveau la grande rue de Péra, je l'ai trouvée
moins déplaisante que lors de ma première visite. Elle manque de
caractère, voilà son principal défaut. Les rues latérales ont des
plaques sur lesquelles leurs noms sont inscrits, ce qui, ainsi qu'on
l'a vu, n'existe pas à Stamboul. La grande rue de Péra mène à un
cimetière musulman qu'on appelle le Petit champ des morts ^ ou
simplement le petit champ. Il est, comme les autres, ombragé de
cyprès, rempli de tombes plus ou moins en ruine, percé de
quelques chemins que bordent des débris tumulaires, et il sert de
lieu de promenade. Un café nommé Bella-vista, s'élève à son extré-
mité. Ce qui le distingue, c'est sa situation. Etabli sur un grand
espace de terrain qui s'étend de la Corne d'Or au sommet de la
>» 168 —
colline de Péra, il offre de ses parties élevées, un admirable spec-
tacle. Le Bosphore, jusqu'aux Eaux douces d'Asie, Stamboul, ses
onduleuses déclivités, sa verdure, ses édifices, se déroulent aux
regards avec une variété d'aspects, une richesse de couleurs, qui
jettent l'esprit dans l'enthousiasme.
Sur le bateau à vapeur, encombré de monde, qui m'a ramené à
Scutari, j'ai pu observer, avec soin, le costume des femmes
turques, et il m'a paru peu gracieux. Les bottines jaunes des
dames, leurs pantoufles traînantes, cachent le bas de la jambe et
l'attache du pied, et donnent à la démarche un air, non-seulement
de nonchalance, mais de gaucherie; le téredjé enveloppe leurs
épaules et leurs corps, sans même indiquer les contours do la
gorge et les lignes de la taille ; le voile blanc qui couvre leur tôle,
supprime pour l'œil les trésors de la chevelure, et ne laisse voir
que le nez et une partie des yeux. La jalousie des Ottomans a dis-
posé les choses avec un art implacable, et l'on se demande
qui pourrait devenir amoureux de leurs épouses sous les cou-
vertures qu'ils ont inventées pour dissimuler les charmes fémi-
nins. Il paraît, pourtant qu'à travers ces obstacles le cœur devine,
et deviner est une grande chose dans les afïaires d'amour ; mais
que d'erreurs et de déceptions? Gomme compensation, les belles
musulmanes, au tsarsi, dans les promenades publiques, se décou-
vrent, dit-on, assez volontiers et laissent voir bien des choses,
sous prétexte que le vent, le mouvement ont dérangé leurféredgé;
de plus, le voile qui encadre leur visage est souvent léger et
presque transparent. En somme J'aime mieux le vêtement de
nos parisiennes.
Jeud)^ 5 septembre. — Nous sommes allés visiter avec nos hôtes
une famille grecque dont l'habitation est située à peu de distance
de la nôtre. Je n'ai pas besoin de dire que l'on nous a offert des
confitures et du café ; c'est l'indispensable de la politesse orientale.
J'ai retrouvé dans la maison où nous étions la disposition carac-
téristique que j'ai précédemmiMit signalée : la substitution
presque complète pour les salons et les chambres d'habitation des
vitrages aux murailles. Le constructeur est obligé de réserver nu
côté pour les coinmunications avec le reste de la maison ; mais il
s'en tient là, et il use de tous les moyens, il profite do toutes les
circonstances pour se mettre, autant que; possible, dans l'air et dans
la lumière. Il pare, au moyen des volets, aux inconvénients do la
chaleur; mais le soir, lorsqu'aïuivi; uni; douce fraîcheur, le divan
se trouve, pour ainsi dire, au milieu de la campagne, on peut
— 169 --
voir la nature sous tous ses aspects et dans toutes ses splendeurs.
D'ici, particulièrement, le panorama est magnifique : Cadi-Kenï,
Phanar-Bachtchi, la mer de Marmara et les îles des Princes, d'un
côté, de l'autre les pointes du grand et du petit Gharalidgé ,
forment le paysage le plus grandiose et le plus heureusement ac-
cidenté. Pour nous, les splendeurs du ciel s'ajoutent aux beautés
de la terre et des flots ; le disque enflammé du soleil descend vers
l'horizon et se cache derrière les montagnes lointaines, en laissant'
de tous côtés les traces lumineuses et décroissantes de son pas-
sage; l'air a une telle transparence, qu'éclairées par les reflets du
soleil disparu, les lignes conservent toute leur pureté, les détails
toute leur importance. Le ciel prend successivement et par gra-
dations ménagées , des tons d'un rouge éblouissant , d'un rose
tendre, des nuances Jaunâtres, violacées dont la variété, dont la
finesse feraient le désespoir du peintre et du poète. Pour rendre
de telles merveilles, nos moyens sont impuissants ; heureux ceux
dont l'œil a pu les contempler !
L'instituteur des enfants du maître de la maison, M. Baphiadès
a eu l'aimable pensée de me faire présent d'une sorte de calen-
drier de sa façon, rédigé en langue grecque et imprimé à Constan-
tinople. C'est un recueil intéressant, qui contient des détails très-
divers, des poésies, une chronologie des sultans, des fragments
d'histoire et d'économie, des correspondances entre le sultan So-
liman, le roi François I" et le schah de Perse. L'ouvrage, intitulé
Xçovoç, ^(jLspoXoytov Tou sSou? 186i2, est enrichi de plusieurs gravures sur
bois, représentant des figures d'empereurs grecs et de sultans.
Vendredi 6 septembre.— Il était plus de deux heures quand nous
partîmes, ma femme et moi, pour les eaux douces d'Asie, dans un
joli talika, rouge et doré, qu'on avait retenu pour nous moyen-
nant 70 piastres. Nous avons passé, en sortant de Baglar-Bacthchi,
à côté d'un cimetière juif, qui occupe le versant et le sommet de
deux collines. Les tombes sont plates, sauf quelques unes, dont la
dalle principale est surmontée d'une longue pierre hexagone*
L'aspect de ce grand espace dépourvu de verdure, où les enfants
d'Israël trouvent un abri tranquille, après les déboires de la vie,
m'a vivement impressionné. Pour ceux qui ne savent pas que la
liberté des cultes existe'en Turquie, il montre au moins qu'ici la
mort assure le respect aux liommos, même quand ils n'ont pas
pratiqué la religion de l'état. De là, nous sommes descendus au
village de Beyler-Bey, par une pente longue et très-rapifle. L'a-
rabadgi, dans les moments difficiles, quittait son siège placé très-
— 170 —
bas, et prenait le cheval parla bride, ou, de côte et à distance, par
les rênes plus ou moins allongées. C'était un grec fort habile dans
l'art de conduire. Après avoir traversé Beyler-Bey, nous nous
sommes trouvés dans des campagnes agréablement accidentées et
entrecoupées de charmantes villas. Parfois, le chemin passe au
bord de la mer, et alors la vue, en s'étendant sur le côté Européen
du Bosphore, rencontre des effets splendides. Mais presque ]a-
■ mais on ne se trouve sur un sol uni et régulièrement aplati ; ce
ne sont que rudes montées et rapides descentes. Dans les villages,
le chemin qui les traverse est pavé, mais si mal pavé que, quoique
la voiture soit bien suspendue, la caisse éprouve des cahots
effroyables et semble à chaque instant prête à se briser. Plusieurs
fois, ma tête brusquement soulevée a heurté les ais de notre plafond ;
heureusement l'une et les autres ont résisté au choc. Dans beaucoup
d'endroits, la route est tellement étroite, que deux voitures seraient
incapables de passer de front. Malgré ces difficultés, le cocher fait
courir vivement son cheval, descend d'un saut leste, quand il le
faut, soutient au besoin la voiture avec la main, si elle penche
trop de côté ou en avant, et quand on n'aurait pas les distractions
que donnent la beauté de la nature et la variété des jardins et des
habitations, on ne songerait pas à craindre de verser. A un en-
droit que l'arabadgi a appelé Our-Bachtchi , on remarque une
vaste esplanade, plantée de grands et beaux arbres, et qui sert, à
juste titre, de lieu de promenade et de rendez-vous de plaisir.
Nous avons traversé Kandili, long village où les aspérités de la
route ont rendu plus violentes encore qu'auparavant les secousses
dont nous étions victimes, et après avoir suivi pendant quelque
temps la rive du Bosphore d'où l'on aperçoit sur la côte opposée
le château-fort de Roumelie-Hissar, nous avons franchi sur un
pont de bois le Gueuk-Sou, ou ruisseau céleste, dont les eaux se
jettent près de là dans la mer, et nous sommes parvenus à la fa-
meuse plaine des Eaux douces. Cette plaine est bornée d'un côté
parles ilôts du Bosphore; du côté opposé, s'élève une ligne de
collines assez arides; à gauche paraît le château d'Anatolic-Hissar;
à droite la vue se porte sur le kiosque^ artistement disposé du
sultan. Quelques arbres, malheureusement trop rares, jettent de
l'ombre dans la prairie.
C'était un vendredi, jour de fête musulmane et adopté pour les
promenades élégantes dans ce lieu. Une longue suite de voitures,
de toutes formes et de toutes couleurs, circulait lentement dans
la plaine des Eaux douces. Les_femmes turques, dans leurs toi-
— ni —
Jettes les plus brillantes , enveloppées de fercdgés en soi(! aux
nuances vives, parées de diamants, étalaient, aux regards le plus
qu'elles pouvaient de leurs charmes. Les marchands de bonbons et
de Rachat-Loucoum dressaient au milieu des groupes de curieux
les petites tables rondes qu'ils portent toujours avec eux, tandis
que les marchands d'eau fraîche promenaient, en criant , leurs
cruches et le verre unique que remplissait, à chaque instant, la
liqueur simple et bienfaisante que les Turcs aiment encore, quoi'
qu'on en dise. Des troupes de musiciens s'efforçaient d'attirer la
foule autour d'eux et de recueillir quelques paras. Les alentours
du palais étaient particulièrement animés.
Ce palais est un édifice quadrangulaire, dont la mer baigne un
des côtés, et qu'entoure une grille fermée par des portes monu-
mentales. Il ne manque pas d'élégance, mais il pêche par l'excès
des ornements; pas une pierre ne paraît au dehors, qui ne soit
découpée ou sculptée. Par un heureux hasard, le nouveau sultan,
Abd-ul-Azis, était venu passer quelques heures dans son kiosque
des Eaux douces. Nous le vîmes, assis près d'une fenêtre qui don-
nait sur la plaine, regardant le spectacle qui s'étalait à ses pieds
et causant avec ses familiers. Son visage paraissait beau et régu-
lier ; on distinguait la barbe noire qui l'encadre et qu'il ne laisse
croître que depuis qu'il est sur le trône. Soncaïq, très-svelte, em-
belli d'ornements d'or et d'argent, stationnait devant la porte du
palais qui donne sur la mer, tandis que les caïqs des grands qui
l'accompagnaient, étaient mouillés à l'embouchure du Gueuk-Sou.
Les caïcqdgis du prince, mêlés à la foule, se distinguaient par
leurs costumes blancs et leurs belles chemises de soie. Du reste,
la présence du sultan ne paraissait pas émouvoir les assistants ;
chacun se promenait paisiblement sans paraître s'apercevoir qu'il
était là.
Beaucoup de femmes se tenaient assises ou plutôt accroupies
près de la grille du palais, de façon à suivre le défilé des voitures;
d'autres étaient réunies aux abords d'une fontaine voisine, dont
les murailles et la toiture les abritaient du soleil. Quant à nous,
nous parcourions la plaine, examinant avec des yeux curieux les
types variés qui s'offraient à nous, lorsque des soldats, dans leur
affreux costume européen bâtard, nous abordèrent, et, autant que
nous pûmes comprendre, non par leui s mots turcs, mais par leurs
gestes, ils nous enjoignirent de ne pas passer ensemble sur tels
ou tels points de la promenade. En effet , la séparation des
hommes et des femmes est devenue plus rigoureuse depuis l'avè-
— 172 —
nement du sultan actuel ; telle partie de la plaine était réservée
aux dames, telle autre aux hommes , et les deux personnes de
notre couple devaient prendre la route que son sexe marquait à
chacune d'elles. Pour échapper à cette importune formalité ,
comme il ne nous restait plus rien à visiter, nous prîmes le parti
de remonter dans notre voiture, d'où nous pouvions jouir, tant
que nous voulions, de la vue générale de la plaine et des prome-
neurs. La foule commençait à s'éclaircir; nous nous remimes en
route et nous gagnâmes, à travers une campagne délicieuse, un
autre lieu de promenade, désert ce jour là, qui porte le nom de :
Les Grandes Eaux-douces. C'est encore une plaine, entourée de la
manière la plus heureuse , que le voisinage du Gueuk-Sou ,
l'abondance des grands arbres , la vue du château d'Anatolie-
Hissar, enfin la disposition du site nous font préférer aux Eaux-
douces.
Après une courte pause, nous nous engageâmes de nouveau dans
le chemin que nous avions suivi le matin, et nous rencontrâmes
sur ses bords un grand nombre de femmes en habits de fête, qui
regardaient, assises et conversant les unes avec les autres, passer
les promeneurs et les voitures ; à sept heures, nous étions rentrés
dans la maison hospitalière de Bagiar-Bachtchi.
Samedi, 7 septembre. — Le moment de quitter Constantinople
pour continuer notre voyage approchait ; il fallait arrêter notre
passage sur un bâtiment allant à Smyrne et remplir les formali-
tés du passeport. Je ne donnerai pas le détail de mes ennuis ; je
dirai seulement qu'à la police turque (iman odassi), on a refusé,
sous prétexte de manque de monnaie, de recevoir mes caïmés, qui
sont le papier légal, et que je n'ai pas trouvé au consulat de
France toute l'obligeance et même toute l'urbanité qu'un français
a droit d'attendre des agents de son pays.
Les affaires terminées à Galata et à Péra, je me dirigeai vers
Stamboul, avec l'intention de prendre connaissance des murailles
fortifiées qui l'entourent. Eu partant du pont de Galata, et en
suivant le rivage de la Gorne-d'Or, on trouve ces murailles éta-
blies dans la môme direction, à quelque distance de la mer.
Des maisons ont été bâties, des rues ont été disposées sur le sol
inoccupé. En certains endroits, le mur, avec ses tours carrées,
forme un des côtés de la rue ; ailleurs, il est enclavé dans les mai-
sons et l'on ne peut voir que les créneaux au-dessus des toits ou
des pans à demi-ruinés. On rencontre de ces habitations, qui
sont placées, comme des nids sur le taîtc do la muraille; leurs
— 173 —
fenêtres vitrées et ornées de moucharabis, les plantes ver-
doyantes qui les entourent, et retombent en longues guirlandes
jusqu'au sol inférieur, offrent des échappées fraîches et pitto-
resques au possible. A mesure que l'on s'éloigne du pont de
Galata, les tours deviennent plus multipliées ; de place en place,
la construction est uniquement en pierres, mais presque toujours
elle est en pierres mêlées de briques. J'ai rencontré plusieurs
portes ; Zindar-Kapou, Odoun-Kapou, Oun-Kapoussi, Djoubath-
Kapou, léni-Kapou, etc. ; elles ne se distinguent par aucune
particularité remarquable.
En marchant ainsi au pied des murailles, j'avais d'abord tra-
versé des marchés couverts où abondent les carpouses, des rues
vivantes et très-fréquentées, où fonctionnent des marbriers en
grand nombre, puis d'énormes chantiers de bois; j'avais passé
le point où le pont de Mahmoud, aujourd'hui incendié, reliait
jadis le Petit champ des morts de Galata à Stamboul ; enfin, fran-
chissant le quartier du Phanar, j'avais atteint l'endroit où le mur
quitte la ligne de la Corne-d'Or, pour aller joindre les rives de la
mer de Marmara. Le quartier du Phanar, ainsi nommé, dit-on,
parce qu'il fut fortifié à la lueur des flambeaux, est habité par les
Grecs et renferme l'église patriarcale et plusieurs autreséglises du
rite grec. La rue principale, mal pavée et presque déserte, est
assez large et bordée de jolies maisons en pierre, de forme mau-
resque.
L'heure déjà avancée me força de quitter pour ce jour-là la
visite des murailles de Stamboul. J'étais rentré à Baglar-Bacht-
chi, il faisait nuit noire, lorsque tout à coup le canon gronde.
Qu'annonce ce bruit sinistre? J'apprends que c'est un incendie.
Le feu a pris à Beschik-Tacsh ; nous voyons de nos fenêtres, sur
l'autre rive du Bosphore les rouges lueurs des flammes. A
ceux qui n'ont été avertis ni par le son du canon ni par la vue de
l'incendie, l'autorité musulmane envoie un autre appel ; des agents
spéciaux sont chargés d'éveiller l'attention du public et de requé-
rir les secours. L'un d'eux parcourt la grande rue de Baglar-
Bachtchi ; de distance en distance, il frappe avec un bâton armé de
fer les pierres du chemin, en criant d'une voix grave ces mots
dont il traîne longuement la dernière syllabe : langhin- Var^ Bes-
chick-Tasch! Notre émotion fut vive; on sait ce que sont les in-
cendies dans une ville de bois comme Gonstantinople, et nos hôtes
ont leur maison de ville à peu de distance des quartiers atteints.
Heureusement, au bout de peu de temps, la lueur du feu a cessé
— 174 —
de briller, et nous apprenons que tout est fini ; une maison ou
deux seulement ont péri.
Dimanche, 8 septembre. — La promenade des Eaux-Douces
d'Europe est avec celle des Eaux- Douces d'Asie, une des plus
aimées de la société élégante de Constantinople. Elle a lieu le
dimanche, mais elle ne dure que pendant une partie de l'année.
Nous nous trouvions au jour consacré, et quoique la saison ne fût
pas celle que choisit la foule, nous résolûmes de faire notre visite
aux Eaux-Douces d'Europe. Un cafetier de Scutari, gros turc un
peu lettré, que l'on décore à cause de cela du titre d'Effendi, et
auquel nos hôtes avaient rendu quelques services, s'était chargé
de nous arrêter d'avance un caïq à deux paires de rames. Nous
trouvâmes en effet un caïq élégant et sculpté avec soin, qui nous
attendait à l'échelle de Scutari ; il était gouverné par deux musul-
mans de bonne mine, l'un jeune, l'autre vieux et à barbe blanche,
qui savaient leur métier, sans posséder peut-être la vivacité et
l'énergie ordinaire des caïqdgis. Pendant qu'ils se tenaient, les
rames en main, sur le plancher qui doit les porter, nous nous
installâmes, un de nos amis , ma femme et moi, dans l'espace
étroit qui nous était réservé, et où nous nous rangeâmes de
notre mieux, les jambes étendues et le dos appuyé sur les parois.
Le soleil brillant et chaud, — soleil d'Orient bien caractérisé, —
nous forçait de nous abriter sous un de ces parapluies blancs,
dont on aime à se servir dans le pays.
Nous traversâmes le Bosphore, et entrant dans la Corne-d'Or
par une des arches du pont de Galata, nous avançâmes dans
le canal de plus en plus étroit, ayant à notre gauche Stamboul et
particulièrement le quartier du Phanar, et à droite Galata, Péra
et le Grand champ des morts. Le second pont, dévoré par un in-
cendie, n'existe plus qu'en partie. Après l'avoir franchi, on passe
à côté du quartier des Juifs, de l'École de médecine, de l'Arsenal
et du Kiosque impérial qui tient à cet établissement. La colline
de Péra, du côté qui regarde la Corne-d'Or, est loin d'avoir un
aspect aussi agréable que la côte où Stamboul est assis. On n'y
rencontre presque plus de jardins, à cause de la cherté dos ter-
rains, et, pour l'œil, ce n'est plus guère qu'une masse informe de
toits aplatis.
Le lit du canal se resserre; on voit les murs de Stamboul
s'éloigner en tournant des bords de la mer et monter sui- la col-
line; les arbres se multiplient entre les villas, et l'on Unit par
arriver au point où le Barbizôs se jette dans la Corne-d'Or. C'est
— 175 —
là que, sur la droite, on distingue la jolie mosquée d'Eyoub, avec
ses minarets élancés, son dôme de métal reluisant au soleil, ses
petites coupoles et sa verdure merveilleusement entremêlées.
L'ensemble est charmant. On pénètre dans la rivière, dont le lit
est encore assez important, et la vallée commence à se dessiner,
faiblement dominée par des hauteurs pelées et sans arbres. Des
joncs d'un vert tendre parsèment le bord. La rivière devient
de moins en moins large, et la plaine, s'étendant peu à peu, se
peuple avec beaucoup d'agrément de grands saules et de magni-
fiques térébynthes. Bientôt notre caïq est obligé de s'arrêter ; des
soldats turcs s'occupent à faire et à défaire un pont de bateaux
sur le Barbizès, et interceptent le passage. Nous abordons et nous
continuons notre route, en suivant à pied la rive. Tout à coup,
des clochettes retentissent; une caravane de chameaux qui était en
repos se lève et se met lentement en marche. C'étaient les pre-
miers chameaux que j'eusse vus en Orient. Un âne chemine en
avant, portant avec une certaine dignité l'homme conducteur de
la bande ; puis viennent sept chameaux attachés par une corde
les uns aux autres ; un second âne ferme la marche.
En avançant nous-mêmes dans la campagne que sillonne le
Barbizès, nous percevons les variétés et comme les nuances d'un
même paysage ; c'est toujours la plaine unie dont les ardeurs de
l'été ont jauni l'herbe, les douces montagnes qui la séparent du
ciel, la rivière ondulant en mille gracieux détours les saules, et les
térébynthes, qui semblent disposés pour un paysage de conven-
tion, et au-dessus de tout cela une mer d'azur, d'oti coulent des
torrents d'une incomparable lumière. Ajoutez des ponts en bois,
des compagnies de promeneurs mangeant à l'ombre ou jouant,
courant et se poursuivant sur l'herbe, des petites cuisines établies
dans le creux des arbres ou bâties en terre et dans lesquelles se
fabriquent le kébab et le café, quelques marchands d'eau fraîche,
et des débitants de Loucoum, portant leurs balances, leur petite
table ronde et leurs bonbons en étalage, des bateleurs juifs par-
venant avec leurs farces grossières, à attirer autour d'eux un
cercle de curieux; ajoutez encore au bord de la rivière un
kiosque impérial, aujourd'hui abandonné, mais dont les ponts,
les édifices, les jardins s'harmonisent bien avec la nature envi-
ronnante, et vous pourrez peut-être vous faire quelque idée de la
délicieuse sensation que j'ai éprouvée en contemplant ces lieux
enchanteurs. Avec presque rien, le tableau est rempli sans être
confus ; on le voit, on en jouit, sans avoir la peine de le regarder,
— 176 —
il vous environne, il vous saisit doucement, comme un rêve de
bonheur. En d'autres temps de l'année, la plaine des Eaux
Douces est plus animée et plus bruyante; une foule variée s'y
presse et s'y coudoie ; les caïqs couvrent la rivière, les talikas,
les arabas traînés par des bœufs circulent ou attendent; les femmes
émaillent la prairie des milles couleurs de leurs féredgés, et ce coin
du monde devient un lieu de plaisir et de bruit. Je ne regrette pas
de l'avoir vu dans son calme naturel.
Nous visitâmes le palais du sultan. Les portes des cours et des
jardins étaient ouvertes et nous pûmes nous y promener à notre
aise. C'est, ou plutôt c'était, une très-agréable habitation. Des pa-
villons h colonnes de marbre, à toitures moresques, sont disposés
sur les bords du Barbizès; des cascades ont été ménagées dans un
canal aujourd'hui presque sans eau, et où l'on ne peut plus que
les imaginer; les jardins négligés abondent en verdure. Dans un
espace découvert s'élève un grand kiosque arrondi ; en mettant
l'œil dans les intervalles de l'étoffe qui sert seule à le fermer, on
aperçoit les colonnes dorées de l'intérieur, les divans et les canapés
oh le maître se reposait en fumant. Près de là sont dressées des
tables de marbre sur lesquelles on a tracé en lettres d'or des ver-
sets du Koran, pour la prière du sultan, une estrade demi-circu-
laire à trois marches, qui lui servait à monter à cheval. De là, et
des balcons du palais principal, la vue s'étend, en une longue allée
d'eau et de verdure jusqu'au village des Eaux-Douces, dont les
maisons blanches brillent dans le lointain sur le versant de la col-
line opposée.
Pendant la promenade, nos caïqgis étaient venus nous rejoin-
dre; nous remontâmes en bateau, après qu'ils eurent pris le café
et mangé des carpouses, et nous descendîmes la rivière, en passant
près d'un autre palais impérial. La solitude était devenue presque
complète, et nous distinguâmes seulement dans la plaine une autre
compagnie de chameaux, les uns debout, les autres reposés sur leurs
genoux. Le soleil se couchait, lorsque nous arrivâmes à la hauteur
d'Eyoub et je pus admirer encore une fois, sous l'influence d'une
autre lumière, l'heureuse disposition de ce lieu. A quelque dis-
tance, sur un bateau, un musulman faisait sa prière: je le regardai
avec la sympathie que j'avais ressentie déjà en semblable occasion.
Quelle est cette prière, que disait dans son cœur le batelier soli-
taire? Elle doit être simple et belle, elle doit exprimer avec force
une idée profondément religieuse, puisqu'elle inspire à ceux qui
la répètent un recueillement si absolu, puisqu'elle élève h une si
~- 17; —
noble hauteur Tesprit des petits comme celui des grands. Le voya-
geur Pococke raconte qu'une dispute s'étant élevée entre les
Maures qui étaient sur son navire, et leur chef s'étant aperçu
qu'ils allaient en venir aux coups, il entonna une litanie mahomé-
tanc à laquelle ils répondirent, et tout fut apaisé. (1) Chez les
musulmans, aujourd'hui encore, les incrédules et les négligents
font exception.
Nous voici rentrés dans la Corne cVOr; le soleil, descendu der-
rière l'horizon, n'a plus laissé dans le ciel qu'une lumière douce
et légèrement dorée, sur laquelle les édifices et les arbres de Stam-
boul forment une silhouette originale, tandis que, sur la rive
opposée, les collines de Galata et de Péra en sont encore illumi-
nées. Un aqueduc antique et à demi-ruiné, dont les arceaux
dominent les maisons du Phanar, produit surtout un admirable
effet. Du côté de Galata, dans la cour d'une caserne turque, nous
voyons des soldats nègres, dansant éperdument au son continu du
tambourin, et des rondes fantastiques se dessinent dans la pénom-
bre, comme une protestation vivante de la gai té contre les exi-
gences de la discipline. De nombreux caïqs filent dans le canal;
ils ramènent dans leur quartier, fort considérable, des familles
juives, qui se sont un instant mêlées aux plaisirs de la foule. J'ai
pu observer en cette occasion l'habileté des caïqdgis, qui, dans
une course à toutes rames, lancés les uns sur les autres, par-
viennent à s'avertir, à se tourner et à s'éviter. On tremble, ils
vont se couper en deux; le temps de lever les yeux, on les trouve
rangés et passant tranquillement à côté les uns des autres.
La nuit arrive, avec un rayon de lune qui l'éclairé faiblement.
Nous franchissons le pont de Galata, et les courants nous, forcent
à faire un détour considérable pour regagner l'échelle de Scutari.
Les bateliers nous déposent sur la rive, contents de 50 piastres
que nous leur donnons, au lieu de 40 qui étaient convenues. La
montée jusqu'à Baglar-Bachtchi était assez difficile, dans les rues
mal pavées, peuplées de chiens et dépourvues de tout éclairage.
Heureusement nous rencontrons le cafetier Suleyman-Effendi à
cheval, et cet honnête homme, qui nous attendait, voulut absolu-
ment que nous prissions son talika pour retourner chez nous.
Lundis 9 septembre. — Il me restait à voir plusieurs monuments
de Stamboul, les colonnes de Alarcien et d'Arcadius, l'aqueduc de
Valens, une partie des murailles, diverses mosquées, etc. Mais,
(1) Description de l'Orient, T. IV, p. 218.
12
— ilH —
dans le peu de temps dont Je pouvais disposer, m'était-il permis de
prétendre à ne rien laisser inobservé'? Je résolus de parcourir
la ville, en m'arrêtant à tous les points qui me sembleraient
mériter quelque attention.
Le premier édifice qui se présente à moi est la mosquée de la
sultane Validé, ou Yéni-Djami, qui a été bâtie pour la mère du
sultan Mahomet IV. Cette mosquée se distingue par deux mina-
rets à trois galeries, un dôme flanqué de quatre demi-coupoles et
de plusieurs petits dômes, et une double galerie extérieure à co-
lonnes de marbre et à arceaux moresques. Un portique carré, in-
terrompu par deux portes opposées, environne la cour. Sous les
voûtes de ce portique, plusieurs familles ont établi leur domicile ;
on y voit des lits, des couvertures entassées, des femmes cou-
chées. Plus loin, une sorte d'assemblée solennelle paraît se tenir.
Un vieux musulman, de belle et noble apparence, au visage doux
et bienveillant, est assis à genoux et appuyé contre une colonne.
Une douzaine de personnages l'entourent et s'asseyent comme lui;
puis arrive un nouvel assistant, qui lui donne une double accolade.
Alors, le vieillard prend la parole et prononce un long discours ;
les autres parlent après lui chacun à leur tour. Qu'était-ce que
cette assemblée et quels en étaient les membres? Je ne pus me
livrer qu'à des conjectures.
Autour de la mosquée de Yéni-Djami, est établi un marché oti
règne une grande animation. On y voit étalés des assortiments
nombreux de vêtements tout faits, les uns légers, les autres
épais et fourrés, des pardessus, des objets de coutellerie, dont la
plus grande partie m'a paru venir de France et d'Angleterre, des
armes, des poignards damasquinés, de la feronnerie, des étoffes,
du savon, etc. Parmi les boutiques de ce marché, il y a des bou-
cheries, des rôtisseries oti opèrent des faiseurs de kébab, etc.
En quittant ce quartier, je me suis dirigé vers le sérail (palais),
qui occupe la rive la plus occidentale de Stamboul et l'emplace-
ment de l'Acropole de l'antique Bysance. Construit par Maho-
met II, affecté d'abord à la résidence des femmes des sultans
morts, habité ensuite par les sultans eux-mêmes, qui laissèrent
pour s'y installer l'Eski-Serail (aujourd'hui le Seras kiérat), le
sérail a repris sa destination primitive, quand Abdul-Medjïd s'est
transporté au palais de Dolma-Bachtchi. Il est entouré de toutes
parts de murailles crénelées, et flanqué de tours, qui, du côté de
la mer, se confondent avec les murs de la ville. Cette vaste en-
ceinte présente à peu près la forme d'un œuf dont on aurait coupé
- i7l)
irrégulièrement une des extrémités ; l'autre extrémité est ce cap
célèbre que l'on désigne sous le nom de Pointe-du-Sérail. Elle
comprend une multitude de bâtiments, de portes, de cours, de
jardins, une haute tour carrée, l'ancienne église de Sainte-Irène,
bâtie par Constantin et transformée en arsenal, le palais propre-
ment dit du sultan, les écuries, le pavillon des eunuques noirs,
la caserne des bostandgis, les cuisines, avec leurs petits dômes
surmontés de longues cheminées, de nombreux kiosques, entre
autres ceux du harem, la colonne de Théodose, en granit noir,
couronnée d'un chapiteau corinthien, la colonne de Gul-Hané, la
porte Auguste ou Bab-Humaioun, en marbre blanc avec des co-
lonnes de vert antique, la charmante fontaine d'Ahmet III, et
quelques constructions faites lors de la guerre de Crimée.
Je n'ai vu le sérail qu'en passant ; certaines parties sont ouvertes
au public, dans d'autres on ne pénètre qu'avec un fîrman et d'autres
sont tout à fait fermées. Les jardins, peuplés d'arbres séculaires
(fui y croissent en liberté et y répand£nt un délicieux ombrage,
ont un singulier attrait; les édifices, élevés sans ordre, n'offrent
rien de bien remarquable que leurs couleurs variées et les gril-
lages de leurs fenêtres. Mais la position est admirable, et elle
montre une fois de plus chez le peuple Turc, l'instinct des beaux
sites que j'avais déjà observé et qui avait frappé également
M. de Lamartine.
Après avoir passé près de Sainte-Sophie et traversé l'At-Meï-
dan, dont les monuments demandent une longue étude, j'ai re-
joint les murailles de Stamboul, dans lesquelles on retrouve en-
core, mais plus rarement que sur les rives de la Corne-d'Or, la
disposition des grandes pierres entremêlées de briques. Dans
cette partie de la ville, que baigne la mer de Marmara, le mouve-
ment ordinaire d'une grande capitale a tout à fait disparu.
Quelques jardins, dont la verdure monte au-dessus de leur clô-
ture, d'immenses terrains vagues, qui semblent avoir été dévas-
tés par le feu, quelques pauvres habitations et une jolie petite
mosquée, voilà ce que j'y ai rencontré. Les rues, au moment où
je les parcourais, c'est-à-dire vers trois heures, étaient absolu-
ment désertes ; on entendait dans les intérieurs quelques bruits
d'enfants qui jouaient; mais à l'extérieur, rien ne paraissait.
Point de boutiques, point d'ateliers de travail. Les femmes
étaient enfermées, les hommes avaient quitté la maison.
Mon retour ne s'est pas accompli sans difficulté. Après avoir
une première fois perdu" mon chemin, j'étais parvenu à gagner
— 180 —
la belle mosquée Osmanié, puis celle de Bajazet et enfin le grand
bazar. Mais là, dans le dédale des rues qui s'y croisent , mon
embarras recommença. Je voulus interroger, en me servant tour à
tour du grec, du français et de l'italien ; on ne m'entendit pas
ou on eut l'air de ne pas m'entendre. Les derniers marchands
auxquels je m'adressai parurent se méprendre sur le sens de mes
questions et refusèrent durement de me répondre. La nuit appro-
chait, ma perplexité devenait pénible. Enfin, par bonheur, en
marchant au hasard, je me trouvai hors du tsarsi dans une rue
que je connaissais, et je pus arriver au bateau à vapeur qui me
ramena à Scutari.
Mercredi, \i septembre. — C'était le jour fixé pour le départ;
nous 'avons fait nos remercîments et nos adieux aux bons amis
qui avaient exercé l'hospitalité envers nous avec tant de grâce, et
un caïq nous a transportés, nous et nos bagages, de l'échelle
de Scutari sur le pont de l'Europa, bâtiment à vapeur du Lloyd
autrichien, en destination pour Smyrne.
Nous voici en marche. Encore quelques regards sur cette con-
trée qu'il faut quitter et que j'ai trop peu vue ! Une terre, cour-
bée en un immense demi-cercle, se penche doucement vers les
eaux azurées du Bosphore ; cette terre, qui porte la vieille By-
sance, la ville des empereurs et des sultans, n'a point d'égale au
monde pour la grandeur pittoresque, pour la brillante variété des
tableaux offerts à ceux qui la contemplent. Soit qu'à la naissance
du jour, elle sorte des vapeurs transparentes du matin, soit que
le soir, le soleil la colore amoureusement de ses derniers feux,
Constantinople est toujours belle et séduisante. On ne peut la voir
sans être charmé. J'ai cherché à rendre de mon mieux l'impres-
sion qu'elle a produite en moi au moment où, du haut du pont du
Phase, je l'apercevais pour la première fois ; plume impuissante !
Je sens combien elle a trahi mes efforts. Que dirai-je aujourd'hui?
Comment peindrai-je cette fois Constantinople? Vanter la magie
des couleurs, dont l'éclat est à la fois si vif et si doux, la souplesse
des lignes, le mélange heureux des arbres et des habitations, la
disposition originale desédifîces, dômes étincelants, tours superbes,
minarets élancés, le jeu harmonieux de la lumière et de l'ombre
sur tous les objets, est-ce faire passer dans l'esprit des autres
l'enthousiasme que ces merveilles inspirent quand on les voit?
Ne vaut-il pas mieux se contenter des jouissances d'une admira-
tion muette !
Cependant le navire s'éloigne, les objets diminuent et Cons-
— 181 —
tantinople s'efface peu à peu ; ce sont tour à tour de nouveaux
aspects, de nouveaux tons, beaux et saisissants encore. Puis, tout
se fond, et les minarets se distinguent seuls, laissant une ligne
blanche dans la pénombre bleuâtre qui environne les rives du
Bosphore. Enfin, on cesse de percevoir les lignes et les couleurs ;
le soleil se couche dans les splendeurs de l'horizon Constan-
tinople n'est plus pour moi qu'un souvenir.
— 183 —
LES SOCIÉTÉS PROVINCIALES
DE BRIE ET DE CHAMPAGNE AU DIX -HUITIÈME SIÈCLE.
PAR M. LE COMTE B. d'hARCOURT,
Membre fondateur ( Section «le Provins. )
Messieurs, les Sociétés qui s'occupent, soit d'archéologie, soit
de lettres, soit de sciences, ont, comme les individus, des devoirs
vis-à-vis de leurs ascendants; et parmi ces devoirs vous trouverez
peut-être qu'on doit ranger celui de mentionner quelquefois leur
nom, d'évoquer leur souvenir, de rappeler leur existence. Les
sociétés qui se fondent de nos jours ont quelque intérêt à jeter, de
temps à autre, un regard sur les associations qui les ont pré-
cédées, qui ont vécu et fonctionné dans la même région, à une
autre époque. Mon désir est de vous parler un instant des sociétés
provinciales de Brie et de Champagne, au xv!!!"" siècle. Je serai,
sur ce sujet, aussi bref que je le pourrai; car je me ferais et vous
me feriez un reproche d'employer, à vous parler des sociétaires
d'autrefois, une partie notable du temps qui sera si utilement
consacré à entendre les intéressants travaux des sociétaires d'au-
jourd'hui.
Il y a peu de chose à dire des sociétés champenoises, au com-
mencement du xviii" siècle; soit que le mouvement de l'opinion
publique ne se dirigeât pas de ce côté, soit que ses manifestations
rencontrassent des obstacles, on n'aperçoit pas du tout, dans les
premières années du xviii'' siècle, cette tendance à se réunir, à
s'entretenir en commun des questions générales, qui devient si
marquée un peu plus tard. La grande atïliire locale, qui passionna
les esprits pendant cette première période, fut la querelle des vins
de Champagne et des vins de Bourgogne. Ce débat, qui donna
lieu à une polémique si vive, avait eu, à son origine, des propor-
tions restreintes : Deux jeunes étudiants, originaires de la Bour-
gogne, ayant à soutenir leur thèse devant la Faculté de médecine
de Paris, embarrassés peut-être de choisir un sujbt, et ne se dou-
tant pas de l'orage qu'ils allaient soulever, attribuèrent au vin de
Champagne de graves défauts, au point de vue hygiénique. Suivant
eux, ce vin attaquait les nerfs, donnait naissance aux affections
— 184 —
goutteuses, et c'était avec grande raison que Fagon, premier mé-
decin de Louis XIV, lui en avait interdit l'usage. Cette thèse eut
du retentissement et ne tarda pas à être connue à Reims, où elle
produisit l'impression la plus lâcheuse. Plusieurs habitants de la
ville s'associèrent pour relever le gant par une publication, qui
eut lieu en 1700.
Malheureusement, ils n'eurent point la sagesse de rester sur le
terrain de la défense; ils prirent aigrement l'offensive, prodi-
guèrent le mépris au vin de Bourgogne, et lui rendirent outrage
pour outrage. Une étourderie déjeune homme mettait ainsi deux
provinces aux prises. Les Bourguignons répliquèrent, et ne se
firent pas faute d'employer des arguments blessants : a Le vin de
Champagne, disaient-ils, est faible, mou, aqueux, et manque de
cette qualité qu'on nomme générosité; il ne doit sa réputalion
qu'aux m'nistres Letellier et Colbert, qui, ayant des propriétés
près de Reims et voulant en accroître le revenu, avaient vanté
outre mesure les produits qui en sortaient. » Les Champenois,
dans un nouveau factum, soutinrent que ni Letellier, ni Colbert
n'avaient jamais possédé de vignobles en Champagne; que la célé-
brité de leurs crûs était bien antérieure à ces deux ministres;
qu'à la vérité, les personnes qui accompagnaient Louis XIV à son
sacre, ayant eu occasion de boire du vin des environs de Reims,
en parlèrent plus tard avec éloge, et contribuèrent à en répandre
le goût, mais que le vin de Champagne devait sa renommée à ses
mérites, et non point à la faveur.
Tout cela fut dit avec une extrême animation, en prose et en
vers, en français et en latin. Pour assigner le rang des vins, on
versa des flots d'encre. Les journaux de l'époque se posèrent en
champions de l'un ou de l'autre des deux adversaires, et mirent h
défendre leurs clients une ardeur qu'ils ne pouvaient déployer en
d'autres matières.
Imprimeurs et journalistes étaient astreints, par la législation
du temps, à des règlements sévères; les peines corporelles, et
même la pendaison, étaient prononcées contre ceux qui conlre-
veuaient aux édits défendant de rien publier sans être spécialement
autorisé à cet effet. Mais, quand les vins de Champagne et de
Bourgogne étaient seuls en cause, on laissait une grande latitude
aux écrivains, lesquels étaient charmés de trouver un sujet qui
intéressait tout le monde et qui ne portait ombrage h personne.
A mesure qu'on avance dans le xviii" siècle, la situation se pré-
sente sous un nouvel aspect; les lois restent les mômes, mais elles
— 185 —
sont modifiées parles mœurs; les intérêts purement locaux ne
prennent plus, dans les préoccupations de chacun, une place
exclusive. Les réunions, les associations de toute sorte deviennent
un des besoins de la province; elles s'établissent avec l'assenti-
ment et le concours du gouvernement. Tout le monde était frappé
des avantages que présentait la création, sur un grand nombre de
points, de centres intellectuels oii l'on put échanger et mûrir ses
idées, se connaître, s'encourager et s'éclairer mutuellement. On
comprenait que faute de cette excitation salutaire, beaucoup de
bons esprits restaient ignorés et inutiles, semblables à ces tisons
épars dans un foyer, qui s'éteignent si on les laisse isolés, et qui
projettent la chaleur et l'éclat si on les rapproche.
Le laps de temps qui s'est écoulé de 1750 à 1789, est peut-être
la période la plus brillante des sociétés provinciales. On y agitait les
sujets les plus élevés et les plus délicats; ainsi, l'Académie de Ghâ-
lons- sur-Marne, qui était une des plus marquantes, mettait au
concours, ou faisait discuter dans son sein, les questions suivantes:
Quel est le meilleur système d'éducation pour l'ensemble de la na-
tion? — Quelles sont les lois pénales les plus efficaces pour conte-
nir et réprimer le crime, en ménageant l'honneur et la liberté des
citoyens? ~ Quels perfectionnements pouvaient être apportés au
mode d'administration de la Champagne? — Quels seraient les
moyens les plus propres à y créer de nouvelles routes, en amé-
liorant la condition des travailleurs? — Un ingénieur des ponts
et chaussées, M. Viallet, développait, devant ses collègues de
l'Académie châlonnaise, un plan pour établir dans le royaume
une seule mesure et un seul poids. — Un médecin distingué, le
docteur Gellé, se livrait à des études comparatives pleines d'in-
térêt, sur la proportion dans laquelle la population s'accroissait.
On voit que l'Académie de Ghâlons ne craignait pas d'aborder les
sujets les plus vastes et les plus variés. D'autres sociétés spécia-
lisaient leurs efforts et s'occupaient, les unes de beaux-arts, les
autres de sciences; à Reims, deux sociétés s'étaient fondées, vers
1750. Jean Hélard était à la tête d'une Académie de peinture et de
sculpture. Dans la même ville, une association, qui portait le nom
de Société d'émulation, se réunissait au couvent des Augustins ;
on y entendait, non-seulement des habitants de la localité, mais
des savants venus du dehors. Le célèbre physicien Pilatre de
Rosier et l'abbé Nollet, dont les leçons et les ouvrages scienti-
fiques avaient alors une .grande réputation, y firent ce qu'on
appellerait aujourd'hui des conférences. L'agriculture eut aussi sa
part dans le mouvement qui portait les hommes du xviii'' siècle
— 186 —
à mettre leurs observations et leurs connaissances en commun,
pour les rendre plus fécondes. Les comices agricoles ont com-
mencé à fonctionner, dans la région qui nous entoure, dès 1761.
C'est au commencement de cette année que se fonda une asso-
ciation appelée Société royale d'agriculture, dont le ressort s'éten-
dait sur toute la généralité de Paris; elle se divisa en sections,
dont l'une comprenait la Brie et avait son siège à Meaux. On
trouve, dans ses procès-verbaux, le reflet des discussions très-
animées auxquelles l'état de l'agriculture et la législation des
céréales donnèrent lieu à cette époque. Tout ce qui se rapportait
aux conditions de production de la terre était alors l'objet d'une
sorte d'enquête permanente. Le recueil des procès-verbaux dont
je parle, contient un questionnaire en 54 articles, destiné à faire
connaître la situation et les besoins de la population rurale.
La Société royale d'agriculture ne se contentait pas de discuter;
elle agissait et subventionnait. Des prix étaient donnés par elle à
ceux qui obtenaient la récolte^ de froment la plus abondante, sur
un terrain de cinq arpents, entièrement travaillé à la charrue; elle
distribuait des semences, donnait de la publicité à tout ce qui pou-
vait intéresser les habitants des campagnes, et cherchait à propa-
ger les meilleures méthodes de culture, à l'aide d'encouragements
pécuniaires qui représentaient une somme considérable.
En dehors de ces associations, il y en avait encore d'autres dont
l'importance était moindre et dont je ne parle pas, parce qu'il
faudrait entrer dans des explications assez longues, pour montrer
l(îs tendances qui se cachaient parfois sous des dénominations
excentri(iues et sous des apparences un peu frivoles. Les limites
de temps dans lesquelles je dois me renfermer, et que j'espère
n'avoir pas dépassées, m'ont obligé à indiquer seulement les prin-
cipales sociétés qui ont existé dans la Brie et dans la Champagne,
au xviii" siècle. J'ai cru qu'une mention, môme sommaire et in-
complète de ces so^iétés, ne serait pas jugée inopportune dans une
réunion de personnes habitant le même sol, continuant la même
œuvre, faisant des choses d'autrefois une de ses préoccupations
principales, acceptant l'héritage de ses devanciers pour- le trans-
mettn!, accru et amélioré, à ses successeurs. Il semble, en effet,
qu'aux sociétés comme celle qui tient aujourd'hui sa séance à
Coulommiers, on pourrait appliquer avec justesse cette pensée
d'un ancien poète : « Tout ce qui prend ses racines dans le passé a
pour feuillage l'avenir. »
— 187 —
UN CONCOURS MUSICAL AU XVIP SIÈCLE.
DEUX MAITRES DE CHAPELLE DE L'ÉGLISE CATHÉDRALE DE MEAUX
SOUS LOUIS XIV ET BOSSUET.
PAR M. TORCIIET ,
Membre fondateur ( Section de Meaux ).
Lorsqu'on lit les chroniques du temps de Louis XIV, on est
surpris qu'elles ne le montrent pas comme un grand homme. Jamais
prince, en effet, n'excita autant de haines jalouses; peu de rois
eurent à lutter, au dehors, contre des ennemis aussi acharnés ; au
dedans, contre tant d'erreurs et de préjugés.
Et cependant, quel siècle plus glorieux étonnera les races fu-
tures? Quel règne a répandu autour de lui une auréole plus lumi-
neuse de gloire et de majesté? Paris est le centre des lettres :
Racine, Molière, Bossuet, Fénelon, Mansard, Le Nôtre, semblent
s'être donné rendez-vous, pour créer ce siècle grand, ce siècle
illustre entre tous.
La plus grande gloire de Louis XIV, sans contredit, c'est d'a-
voir excité, dirigé le mouvement des arts, qui prirent un si grand
essor sous son règne, et de s'être montré, à part quelques rares
exceptions, généreux, prodigue même, envers les hommes d'élite
qui les cultivaient. La musique et les musiciens furent surtout, de
sa part, l'objet d'une protection spéciale.
Transportez-vous, par la pensée, en l'année 1683. Déjà, à cette
époque, un événement remarquable s'était accompli. Le premier
parmi tous les rois, Louis XIV avait pris sous sa protection le
spectacle nommé opéra, h la splendeur duquel devaient concourir
tous les beaux-arts, mais seulement pour faire cortège à la mu-
sique, qu'on entourait ainsi à son berceau de luxe et d'éclat, comme
un enfant d'un sang royal.
A cette époque, Lulli tenait en France le sceptre de l'art.
Amené de Florence à Paris [;ar le chevalier de Guise, Lulli
avait préludé à sa brillante carrière de compositeur dramatique,
par un modeste emploi de marmiton, dans les cuisines de M'"" de
Montpensier. Bientôt le Florentin a déserté les fourneaux; il s'est
— 188 —
élancé dans la grande bande des violons du roi, et c'est à lui qu'on
s'adresse pour composer la musique des divertissements de la
cour, divertissements où figuraient les plus grands personnages
de France, et dans lesquels Louis XIV lui-même ne dédaignait
pas de déployer les grâces de sa personne.
Autour de Lulli, dominateur jaloux, on voyait un groupe assez
nombreux de bons musiciens, que son humeur envieuse savait tenir
à distance.
C'était l'abbé Henry Dumont, sous-maître de chapelle du roi,
excellent compositeur et organiste, qui, par un scrupule religieux,
et pour obéir aux décisions du concile de Trente, refusa longtemps,
malgré le désir de Louis XIV et les conseils de l'archevêque de
Paris, Mgr de Harlay, d'ajouter à ses motets des accompagne-
ments d'orchestre. Sa messe en plain-chant, si bien connue sous
le nom de messe de Dumont, est encore, de nos jours, appréciée
et entendue avec plaisir, au milieu des pompes du culte catho-
lique.
C'était Michel de Lalande, auteur de motets estimés, qui, refusé
par Lulli comme violoniste, de dépit brisa son instrument et re-
tourna à l'étude de la composition.
C'étaient encore Guillaume Minoret, Marc-Antoine Charpentier,
Loulié, professeur et théoricien, premier inventeur du métro-
nome. Marchand, Couperin, et d'autres que je m'abstiens de
nommer.
Il n'est pas. Messieurs, que vous ne vous rappeliez ces vers de
Boileau :
Mùlii'u'e, avec Tartufe^ y doit jouer sou rôle;
Kl Lambert, qui plus est, m'a douné sa parole.
C'est tout dire, en un mot, et vous le connaissez.
— Quoi ! Lambert? — Oui, Lambert : à demain. — C'est assez.
Vous VOUS demandez quel était ce Lambert, dont le donneur de
festins faisait en ti^cvoir la présence comme une bonne fortune, que
n'égalait pas même celle de Molière? Lambert était le musicien
par excellence, sous Louis XIII et sous Louis XIV. Il chantait,
jouait du luLli, du Ihéorbe et du clavecin et, déplus, composait
de fort jolis airs. Jamais artiste ne fut plus à la mode; de la place
Royale à la rue Saint-Denis, dans les salons de la noblesse comme
dans ceux delà finance et de la ])ourgcoisie, on se disputait la faveur
de le posséder; il était l'âme des fêli.'S et dos réimions inlimos.
— 189 — .
Partout on l'invitait, mais ne l'obtenait pas qui voulait; le qui
plus est des vers de Boileau en fournit la preuve.
Quand La Fontaine veut donner une idée de la perlection du
chant, dans sa fable le Lion, le Singe et les deux Anes, il dit :
(( Vous surpassez Lambert. »
Tel était ce Michel Lambert dont le nom, comme celui de Phi •
lidor, fut porté par une famille nombreuse d'artistes. Parmi eux,
je ne saurais ici passer sous silence Charles Lambert, professeur
de piano au Conservatoire, dont le gendre, Théodore Labarre,
peut compter parmi les illustrations musicales de notre époque,
et dont la fille, Honorine Lambert, soutient encore aujourd'hui,
dans notre ville de Meaux, l'honneur musical attaché à ce nom
célèbre parmi les musiciens.
Transportez- vous par la pensée, vous disais-je, à cette année
digne d'être mentionnée dans les annales de la musique. Louis XTV
proiite des loisirs que lui laissent ses gigantesques entreprises,
ses travaux d'administration intérieure et les intrigues du palais,
pour régénérer la musique de sa chapelle.
Pour y parvenir plus promptement , les abbés Dumont et
Robert, après avoir été récompensés de leurs services, sont mis
à la retraite; et, malgré le préjugé de cette époque, qui réprouvait
l'usage des violons dans les églises, l'orchestre est définitivement
introduit dans la musique sacrée.
Lulli, surintendant de la musique du roi, propose alors de par-
tager le service de la chapelle par quartiers; lisait que l'ennui
naquit un jour de l'uniformité : il veut que l'introduction d'un plus
grand nombre de compositeurs donne plus de variété au genre de
musique que la cour entendra dans le temple saint.
Le roi décide donc qu'il soit ouvert un grand concours musical,
auquel pourront prendre part tous les musiciens du royaume.
Tous devront faire chanter des motets, pour que l'on puisse
plus facilement juger quels sont ceux qui sont capables de pos-
séder, non-seulement les deux nouvelles charges, mais encore les
deux anciennes, remplies jusqu'à ce jour par les deux sous-maîtres
de la chapelle royale, vieux et malades.
Voilà, Messieurs, l'idée principe des concours, l'origine de ces
tournois pacifiques qui, dans notre siècle, excitent une si puissante
et si heureuse émulation parmi tous les artistes.
De toutes parts on répondit à, l'appel du roi. Les direc-
teurs des maîtrises, les chapelains des cathédrales se préparèrent
à la lutte. Des artistes de premier ordre, des virtuoses distin-
— m) —
gués, des chanteurs émérites se disposèrent à entrer- dans la lice.
Trente-six concurrents se présentèrent , parmi lesquels oj^
remarquait Lorenzani, Nivers, Fossard, Mignon, Dcsmarets,
Lesueur.
C'est que tous désiraient s'attacher au grand roi par le triple
lien de l'intérêt^ de la reconnaissance et de leur propre gloire.
Où, en effet, auraient-ils trouvé un patronage plus intelligent,
plus généreux et plus noble? On auraient-ils rencontré un auditoire
plus capable d'apprécier leurs talents que cette cour si brillante,
si spirituelle, si passionnée pour tout ce qui était grand et beau?
Aussi, la lutte fut vive et acharnée, le prix disputé avec
ardeur.
Parmi tous ceux qui s'étaient distingués le plus par leur mérite,
huit musiciens avaient été surtout jugés dignes de la haute mission
qui devait -leur être confiée. Louis XIV voulut, — usage qui se
pratique encore de nos jours, pour le concours du prix de Rome,
— qu'on enfermât ceux qui devaient entrer dans la lice, chacun
séparément, pour composer la musique du psaume Beati quorum.
Conformément à cet ordre, les huit concurrents furent gardés
dans une maison, les portes closes, et traités pendant six jours
aux dépens du roi, sans communiquer avec personne. Chacun
travailla de son mieux sur le thème donné, et l'émulation fut telle
qu'elle donna à leur œuvre, si l'on s'en rapporte au verdict du
jury, uns parfaite égalité de mérite.
Un semblable jugement vous étonne. Messieurs. Il prouve en
effet, jusqu'à l'évidence, que les appréciations des jurés ne furent
pas sérieuses; nous ne saurions admettre que huit compositions^
sur un même sujet, pussent présenter une entière similitude de
valeur.
Sur les huit rivaux, quatre candidats étaient principalement
recommandés à la bienveillance de Louis XIV.
Minoret avait un puissant protecteur dans l'archevêque de
Reims, Charles-Maurice Letellier, premier pair ecclésiastique de
• France, et maître de chapelle en titre du roi.
De son côté, Luîli, tout puissant auprès de Louis XIV, recom-
mandait fortement son élève Colasse.
La musique du disciple ne faisait pas beaucoup d'honneur au
maître, témoin cette épigramme faite sur un opéra dû à la colla-
boration de Gampistron et Colasse :
Entre Gampistron et Colasse,
Grand débat s'émeat au Parnasse,
— I!)l —
Sur ce que l'opéra n'a pas un sort heureux.
De son mauvais succès nul ne se croit coupable;
L'un dit que la musique est plate et misérable.
L'autre que la conduite et les vers sont affreux;
Et le grand Apollon, toujours juge équitable,
Trouve qu'ils ont raison tous deux.
Un troisième prétendant à la place en litige mérite de fixer
notre attention. C'est l'abbé Goupillet , le directeur de notre
maîtrise, le maître de musique de l'église de Meaux. L'abbé Gou-
pillet ne s'était pas encore fait connaître par quelque œuvre im-
portante; jusqu'alors, il était resté inconnu. Toutefois, s'il n'était
pas un musicien fort habile, du moins passa-t-il, dans cette cir-
constance solennelle, pour un habile homme, car il parvint, à
force de sollicitations et d'intrigues, à se faire un parti puissant à
Versailles. Notre maître de chapelle, dont on ne saurait cependant
contester le zèle intelligent, zèle qu'il déployait dans la majesté
des offices de l'église épiscopale, se trouvait aidé et encouragé par
Bossuet.
Vous savez, Messieurs, que la manière de vivre du grand
évêque de Meaux, dans sa famille et avec ses amis, était toujours
noble et amicale ; toujours il recherchait les occasions de rendre
service à ceux de ses gens qui lui étaient attachés. C'était à ses
témoignages et à son crédit qu'un grand nombre d'entre eux
étaient redevables des places honorables qu'ils remplissaient à
Paris et à la cour.
« On croit, disait le vertueux prélat, que je ne pense qu'à mes
livres; voyez si ce que je viens de faire pour tel et tel n'est pas
convenable. » Aussi, la reconnaissance se réunissait-elle à tous
les sentiments d'estime et d'admiration qu'il commandait à ceux
qui l'approchaient.
Goupillet profita de cette bienveillance naturelle de son évêque,
pour se faire appuyer par lui auprès de la Daupliine, dont il était
le premier aumônier. Il était encore recommandé par l'abbé
Robert, qui se retirait delà maîtrise de Paris, et qui avait supplié
le roi de vouloir bien agréer son protégé.
Lesueur , maître de musique de Notre - Dame de Rouen,
figurait aussi parmi les concurrents à la place de maître de cha-
pelle du roi. Musicien d'un génie fécond, nourri de fortes études,
cet artiste réunissait toutes les conditions de mérite et de capacité
désirable-. Mais comme il ne comptait, parmi les hommes in-
fluents de l'époque, aucun personnage qui se chargeât d'appuyer
— 192 —
chaudement sa candidature, il avait désiré se faire connaître,
avant d'aborder le concours, par une œuvre sérieuse et de haute
portée. Il avait donc fait exécuter un de ses motets à la messe
du roi : c'était le psaume lxx.
Au septième verset, cadent à latere tuo (vos ennemis tomberont
à votre gauche), Lesueur, pour se conformer au goût du temps,
avait joué sur le mot cadent, en faisant descendre tour à tour
chaque partie sur une roulade, qui se terminait au grave, afin
d'imiter la chute d'un homme roulant du haut d'une montagne.
Le roi el toute sa cour écoutaient le motet avec une grande
attention, lorsqu'un plaisant, frappé de l'effet de cette combinaison
musicale, s'écria : « En voilà un à bas^ qui ne se relèvera pas ! »
Cette plaisanterie avait fait fortune, tout le monde avait ri aux
éclats, et le roi avait partagé l'hilarité générale.
Cependant Louis XIV se rappelant qu'il était dans le temple du
seigneur avait réprimé cette saillie de gaité ; le motet continuait,
le silence s'était rétabli.
Au dixième verset Et flagellmn non appropinquabit (et le fouet
ne vous atteindra pas). Lesueur qui ne s'était pas mis au-dessus
de toutes les puérilités scholastiques, avait trouvé un nouvel effet
au mot flagellmn (fouet), en imitant le bruit, long, aigu, sifflant
des fouets et des disciplines. « Oh ! dit un autre plaisant^, depuis
que ces gens-là se fouettent ils doivent être tout en sang.» Un
rire homérique avait agité l'assemblée et le motet s'était trouvé
étouffé sous une grêle de bons mots et d'épigrammes. Malgré
son mérite éminent, Lesueur avait dû renoncer aux espérances
qu'il avait conçues. Ses rêves d'avenir s'étaient évanouis sous
d'inintelligents et vulgaires sarcasmes.
Le service de la chapelle royale fut donc reparti entre Goupillet,
Golasse, Minoret et Lalande, qui ne devait cette position qu'à son
talent et à la haute opinion que Louis XIV en avait conçu.
Le quartier de janvier avait été confié au maître de chapelle de
notre cathédrale; celui d'avril à Lalande; celui de juillet à Colasse,
et le quartier d'octobre était échu à Minoret. Mais le protégé de
Bossuet se trouva fort embarrassé pour se maintenir dignement
au poste qui lui avait été assigné ; car, il faut bien le dire, s'il
l'avait brigué, c'était plutôt par vanité que par envie et espérance
de l'obtenir, ses motets n'avaient pas toujours le bonheur de plaire
aux oreilles des seigneurs et des dames de la cour. Toujours sa
présence à la chapel'e était accueillie avec les préventions les
plus hostiles.
— 493 —
Une certaine année, le quartier du pauvre musicien allait com-
mencer. « En voilà pour trois mois de supplice, disait M. de
Noailles, qui avait confié l'éducation musicale de ses filles à La-
lande. » Vraiment, répondait la marquise de Nangis, le quartier
de Goupillet devrait venir en carême ; le chapelain de l'église de
Meaux infligerait une pénitence salutaire à nos oreilles. M. Bos-
suet, ajoutait la maréchale d'Estrées a eu une malheureuse dis-
traction, il a placé son protégé dans le sanctuaire et lui a donné
le bâton de mesure ; mais c'était à la porte de l'église qu'il fallait
laisser Goupillet en lui mettant un goupillon à la main.
Telles étaient, Messieurs, les épithètespeu flatteuses qui accom-
pagnaient l'arrivée de notre maître de chapelle à la cour de Versailles.
Cependant le quartier de janvier s'ouvrit, et au lieu de lourdes
et monotones mélodies auxquelles on s'attendait , on fut tout sur-
pris d'entendre un motet plein d'éclat et de vigueur sur le psaume
dominus regnavit, exsultet terra. Le roi était ravi, transporté, et tous
les seigneurs de la cour, vrais moutons de Panurge, conformant
leur physionomie sur celle du monarque, lui disaient du regard
qu'ils éprouvaient une admiration au moins égale à la sienne.
Contre l'attente générale, et en dépit des sarcasmes, Goupillet
eut un vrai triomphe. Chacun manisfestait sa surprise et son
étonnement. Larochefoucault rencontrant Bossuet dans une gale-
rie de Versailles, lui dit : « Par Dieu. Monsieur, j'étais bien sûr
que vous ne pouviez mettre la main sur un homme médiocre, et
que le talent du directeur de votre maîtrise se révélerait tôt ou
tard. » Bossuet s'inclina et passa sans mot dire.
D'où venait donc ce changement, cette métamorphose subite
dans l'appréciation du talent musical de l'abbé Goupillet ; c'est
que notre musicien pour faire honneur à sa réputation et ne pas
compromettre l'évêque de Meaux, à qui il était redevable de sa
position, avait eu recours, moyennant finance, à Desmarets
ieune artiste d'un mérite réel, mais pauvre et inconnu. Desma-
rets composait la musique, et Goupillet la faisait exécuter, comme
si lui-même fût l'auteur des mélodies qu'il achetait à un prix dé-
battu à l'avance.
C'est ainsi que Goupillet brilla pendant douze ans dans son
emploi, et parvint à fermer la bouche à ses détracteurs. Mais à la
fin, soit malice, soit besoin, Desmarets voyant le succès de ses
compositions, révéla le secret et confia à plusieurs personnes le
mystère du nouveau talent musical du maître de chapelle.
Informé de cette supercherie, Louis XIV fit venir le protégé de
13
— 194 —
Bossuet, et lui demanda si les motets qu'il faisait exécuter lui ap-
partenaient : « Assurément, Sire, répondit le maître de chapelle,
ils sont à moi, au même titre que les sermons de l'abbé Roquette
sont à lui.
On dit que l'abbé Roquette
Prêche les sermons d'autrui,
Moi qui sais qu'il les achète,
Je soutiens qu'ils sont à lui. »
Un sourire effleura les lèvres du monarque. — Et, dit le roi,
avez-vous payé le prix convenu pour ces motets? — Sire, j'ai rem-
pli mes engagements avec une scrupuleuse exactitude.
Louis XIV indigné, fît défendre à Desmarets de paraître de-
vant lui, et obligea Goupillet à donner sa démission.
Pour achever l'histoire de notre maître de chapelle, il me reste
à vous dire que le roi, en lui accordant sa retraite, ajouta un cano-
nicat à un bénéfice dont il jouissait, de sorte que les dernières
années de notre bon abbé s'écoulèrent fort paisiblement au milieu
des douceurs d'une honnête aisance et des marques d'estime et
d'affection de tous ses amis de la ville de Meaux.
S'il est des artistes qui, comme l'abbé Goupillet, ne recherchent
que le bruit et l'éclat; il en est d'autres aussi. Messieurs, dont la
vie, fort occupée, s'écoule dans un tel calme, — dont, malgré le ta-
lent, la personnalité s'efface derrière une sorte de renoncement si
absolu à toute pensée d'ambition et de vanité, — que n'étaient leurs
œuvres et les souvenirs qu'ils ont laissés , il serait impossible de
reconstituer leur existence , de retrouver leur passage en ce
monde.
Tel fût le second maître de chapelle de la cathédrale de Meaux,
dont il me reste à vous ^entretenir en peu de mots.
Sébastien de Brossard, né en IGGO, fut d'abord prébende, dé-
puté du grand chœur, et maître de chapelle de la cathédrale de
Strasbourg. Je ne saurais vous nommer ni la ville, ni le collège
où il fît ses études littéraires et musicales; mais le style de ses
compositions nous porte à croire que ce fut à Paris, ou dans
quelque ville de l'ancienne France, car son harmonie rappelle
exactement celle des musiciens français de cette époque.
Il est incontestable aussi que Brossard s'est rendu, jeune encore,
en Alsace, car la facilité avec laquelle il écrivit et parla l'Alle-
mand, prouve qu'il apprit cette langue de bonne heure. Il fut or-
donné prêtre, aussitôt qu'il (;ut atteint l'ùge fixé par les canons.
— 195 —
Dès lors, il ne cessa de remplir, avec la plus scrupuleuse exac-
titude, les nouveaux devoirs de sa profession. Sa conduite, comme
homme, comme artiste, comme prêtre, fut toujours recomman-
dable.
En 1698, Brossard s'était déjà fait connaître par plusieurs com-
positions, dans le style religieux, le seul qu'il ait jamais cultivé.
Ces premiers travaux furent si bien accueillis à Strasbourg, et
excitèrent, parmi le monde musical , une telle admiration , que
la place de directeur de la chapelle de la cathédrale de Meaux étant
devenue vacante, il y fut élu d'un commun avis.
A l'époque où vivait Brossard, les livres intéressants et instruc-
tifs sur la musique n'existaient nulle part en France. Il est le pre-
mier musicien de mérite qui ait abordé l'étude de l'art, par ses
trois principaux aspects : par la théorie des principes, par l'his-
toire de ses transformations, par la biographie des artistes et des
savants qui ont contribué à étendre la limite et la puissance de
l'art musical.
Sans méconnaître la valeur des nombreuses compositions reli-
gieuses qui sont dues à la plume infatigable de Sébastien de Bros-
sard, je dois reconnaître que c'est dans son Dictionnaire de
musique qu'il a concentré tous ses efforts.
La première édition de cet ouvrage, qui a paru en 1703, ren-
ferme une dédicace, adressée à l'évêque de Meaux, à Bossuet.
Bossuet, alors âgé de 75 ans, un an seulement avant sa mort, ne
dédaignait pas d'accepter l'hommage du principal maître de mu-
sique du diocèse qu'il administrait depuis vingt-deux ans.
Cette adresse du grand chapelain de notre cathédrale à son
évêque, nous prouve. Messieurs, que Bossuet n'était pas insen-
sible aux charmes de la musique. Rien, dit Gicéron, n'est plus
près de notre âme que la musique. Et quelle âme que celle de
Bossuet ! Cette épître dédicatoire, dont la brièveté du temps qui
m'est donné m'empêche de vous citer le texte, nous montre encore
le zèle du grand évêque à s'acquitter, avec scrupule, de toutes ses
fonctions épiscopales.
(( Jamais, dit l'historien de sa vie, aucune affaire, de quelque
nature qu'elle fût , jamais aucune considération de bienséance
n'empêcha le vertueux prélat de se rendre à Meaux, aux approches
des fêtes solennelles. Il ne crut pas même que ses fonctions de pre-
mier aumônier de madame la Dauphine fussent une excuse suffi-
sante, pour le dispenser d'une obligation qu'il regardait comme
le premier de ses devoirs. »
— 196 —
(( Bossuet, ajoute-t-il, avait même rempli, avec une telle assi-
duité, cette loi qu'il s'était faite, qu'après sa mort, le chapitre de
sa cathédrale, dans un procès qu'il eut avec son neveu, au sujet
des réparations de l'église, fit entrer les réparations des orne-
ments dans l'état de ses réclamations. »
Le chapitre représenta alors «que feu M. de Meaux avait usé
les ornements les plus riches de son église, en officiant lui-même,
aux dix-sept fêtes solennelles de chaque année, » et demandait, en
conséquence, cinq mille livres d'indemnité.
Brossard fut le premier en France qui, comme je vous l'ai dit,
s'occupa de la littérature de la musique, et en fit une étude
sérieuse et profonde. Jean-Jacques Rousseau qui a censuré, avec
amertume, son travail, en a tiré tout ce qu'il dit sur la musique
des anciens et celle du moyen-âge.
A l'exemple des artistes savants, notre maître de chapelle n'a-
vait d'autre richesse, d'autre capital que sa bibliothèque. Elle se
composait de quantité d'ouvrages précieux sur la théorie, l'his-
toire et la pratique de l'art musical.
Elle renfermait une collection de manuscrits, d'œuvres im-
portantes disséminées de toutes parts, que cinquante années de
patientes recherches n'avaient pas encore rendue complète. Plus
tard, il en fit don à Louis XIV qui, en l'acceptant, fit remettre à
Brossard le brevet d'une pension de douze cents francs sur un bé-
néfice, et lui en accorda un autre, de même somme, sur le trésor
royal.
Un repos de vingt-six années suivit la publication du Diction-
naire de musique de Brossard; et, circonstance singulière, il pa-
raît que dans ce long espace de temps, le maître de chapelle de
notre cathédrale écrivit peu de musique pour l'église. Ce ne fut
que peu de temps avant sa mort, et lorsqu'il touchait à sa 70° an-
née, qu'il sembla se réveiller d'un long sommeil, par la publica-
tion d'une brochure écrite à l'occasion du système de notation de
Demotz. — Il mourut à Meaux, le 10 août 4730, et fut inhumé
dans la cathédrale.
Je regrette. Messieurs, de ne pouvoir vous donner lecture de
son acte mortuaire. Ce document nous manque. Les registres de
la paroisse de Saint-Étienne n'existent dans les archives de notre
ville qu'à partir de 1737, tandis que ceux des autres paroisses
datent du xvi" siècle.
Vous pouvez voir sa pierre tumulairc: clic est placée dans la nef
latérale de notre cathédrale, à gauche, vis-à-vis la chaire, entre le
— 197 —
premier et le second pilier. Elle porte cette simple inscription :
Ci-gît Messire, Sébastien de Brossard, prêtre du diocèse du Mans,
chanoine de cette église, décédé le 10 août 1730.
En parcourant les œuvres diverses de la collection gigantesque
que Brossard avait entreprise, et dont les matériaux gisent au-
jourd'hui dans la poussière de la Bibliothèque Impériale, en me-
surant d'un regard la richesse de ces débris précieux, on admire,
comme le dit si bien l'illustre Halévy, dans la préface du Dic-
tionnaire de musique de notre confrère M. Léon Escudier, on
admire les transformations successives de l'art musical, de cet
art toujours le même et pourtant toujours jeune, renaissant de
lui-même à l'instant qu'il vieillit, qui descend jusqu'au peuple
en restant un mystère: semblable à ces fleuves bienfaisants qui
coulent à pleins bords, et dont on ignore les sources cachées ; de
cet art qui éveille au fond de l'âme la prière pour la porter au
ciel, et qui est, pour ceux qui le cultivent, un bonheur de plus
dans les jours heureux, une consolation suprême dans la douleur.
— 199 —
LE COMMERCE ET L'INDUSTRIE A MELUN
AVANT 1789,
PAR M. G. LEROY,
Membre fondateur (!§ection de Melun).
Antérieurement à la révolution, la ville de Melun n'avait
qu'une importance commerciale et industrielle très-secondaire ;
tout concourait cependant à lui assurer une prospérité qui lui fut
toujours inconnue : entourée des plaines fertiles de la Brie, tra-
versée par la Seine, voisine de forêts qui auraient pu alimenter
les fourneaux de nombreuses usines, assise sur un sol qui offre
des ressources à l'art céramique, tous ces dons semblent avoir été
méconnus, ou s'ils ont été mis en œuvre, ce fut avec une telle ré-
serve qu'il n'en reste, pour ainsi dire, aucun témoignage.
L'industrie locale se bornait aux nécessités premières. En effet,
les anciens terriers, sur lesquels figure la propriété foncière de
notre cité, en montrent les possesseurs uniformément livrés à un
commerce de détail ou è des travaux manuels sans importance.
Différentes causes engendraient cet état de choses. La principale
fut la protection insuffisante de l'autorité royale, détournée peut-
être de ses desseins à ce sujet, par les luttes et les difficultés de
toute nature qui s'opposèrent longtemps à l'affermissement de sa
puissance. D'autre part, la condition même du régime féodal sur
nos territoires, où se heurtaient les intérêts de la royauté, de la
noblesse, du clergé et du peuple, constituait un obstacle dont le
temps seul pouvait avoir raison. D'ailleurs, les possesseurs de fiefs,
au cas 011 ils l'eussent voulu, manquaient des moyens propres à
favoriser les transactions et la création d'établissements indus-
triels. Quels eussent été les résultats de franchises accordées aux
habitants d'une petite ville ou d'une seigneurie de village, par
exemple, si les pays voisins restaient soumis à un asservissement
complet? Là, où le commerce et l'industrie prirent le plus d'ex-
tension, le sol appartenait à de grands feudataires, dont l'autorité
réelle ou morale s'étendait au loin ; ou bien ce fut au sein de villes
populeuses s'administrant elles-mêmes. Ce qui se passait, dès les
premiers Capétiens, dans les vastes domaines des comtes de
— 200 —
Champagne et de Brie , et dans les villes de la Flandre en est une
preuve manifeste.
Melun n'était pas dans ces conditions. Ville du domaine royal,
elle était absorbée par le voisinage de Paris et des autres cités im-
portantes, également comprises dans l'apanage des rois de France.
Vainement, le moyen-âge tenta d'y fonder quelques établisse-
ments, des foires et des marchés , leur existence ne put résister
aux difficultés qui surgirent autour d'eux.
Aussi, en essayant de savoir ce que fut l'industrie Melunaise
aux siècles écoulés, la tâche devient aussi modeste que le sujet
lui-même.
Dès le XI"" siècle, les marchands qui fréquentaient ordinaire-
ment les marchés de Melun, étaient en butte à de nombreuses
exactions. Les droits légitimement dus, les amendes encourues
pour délits ou contraventions étaient perçus d'une manière inique
et selon l'arbitraire de ceux qui exerçaient l'autorité. 11 ne fallut
rien moins que l'intervention du roi de France pour mettre fin
aux abus. Une charte accordée par Louis-le-Gros en 1178, fournit
de précieux renseignements sur l'état du commerce en ces temps
éloignés. Elle détermine les devoirs réciproques des acheteurs cl
des vendeurs, le mode de régler leurs différends, les droits qu'ils
devaient acquitter; enfin, elle atteste l'existence du fameux coche,
ce primitif véhicule de nos ancêtres à jamais détrôné par la va-
peur, et dont il ne reste plus qu'un vague souvenir. Voici la te-
neur de ce document, que l'analyse pourrait dénaturer : (1).
(1) Le texte original est ainsi conçu :
In nomine sanctee et individuae Trinitatis, amen.Ludovicus, Dei gratia Francorum
rex, providentes animœ nostraj saluti et subjcctorum nobis attendentes utilitatem,
pravas consuetudines quœ Meledunij diebus nostris, per avariliaiii servientium nos-
trorum nobis ignorantibus fuerant introductse duximus reprobandas. Recepto itaque
hominum antiquorum juramento et testimonio, statuimus ne homines in clauso et
foro Meleduni manenles extra clausum vel forum placilandum trahantur, sed ibi
placitent et ibi bella consumment, etforifacta de LX solidis ad V solides et de V so-
lidis ad XII denarios redigantur, et districtum majoris ad quatuor denarios. Si ta-
men homines de clauso vel foro ad presens ioriiactum intercepti fuerinl, in die
mercûti placitabunt et emendabunt sicut aiii homines de Castro vendentes acrumen
in foro. Si in viga vendiderint, pro viga I denarium dabunt, quotquot oneris vigc
fucrint parti cipes. Si vero in terra vendiderint, pro unoquoque acervo unam picta-
vinam dabunt. Preco nullam vioienliam faciet venditoribus, sed ei semper aliquid
dabitur secundum voluntatem venditoris. Venditori vigarum, absente emptore, et
emptori absente vendilore, teloneum suum reddere licebit : Corpora hominum pro
— 201 —
» Au nom de la Sainte et indivisible Trinité, Amen. Louis, par
» la grâce de Dieu, roi de France, voulant pourvoir à notre salut,
» et au bien de nos sujets, nous avons cru devoir réprouver d'in-
)) justes coutumes introduites à Melun, de notre temps et à notre
» insu, par nos gens de justice. C'est pourquoi, ayant reçu le ser-
» ment et le témoignag' d'hommes anciens, nous avons réglé que
» les habitants du Clos et Marché de Melun ne soient point con-
» traints de plaider hors desdits clos et marché, mais qu'ils y
» plaident et vident leurs différents; que les amendes soient ré-
)) duites de soixante sols à cinq sols, et de cinq sols à douze de-
n niers, et l'honoraire du juge à quatre deniers. Si cependant
» des habitants du Clos ou Marché étaient pris en flagrant délit
» un jour de marché, ils seront traduits et jugés comme les habi-
debito aliquo non capientur, nisi primo eis terra nostra vetita fuerit. Qui si post
prohibitionem ex parte nostra factam in terra nostra inventi fuerint, capi eos licebit
Baccus Meled'jni applicans pro rivagio I denarium tantum dabit et quotcumque mer-
caturas déférât, nihil amplius capietur; et cochetus similiter I obolium. Mercatores
euntes ad nundinas, dato pedagrio in eundo, infra quindecim redeuntes nihil dabunt.
Sua autem soia manu poterit mercator probare quod infra quindecim redierit, si
inde fuerit requisitus. Navis ducens mercenium per arcum pontis, quotquot fuerint
mercenii participes, non dabit bonitatem ultra quinque solidos, et tantum semel in
anno. Pro fructu vero vel pro alia mercantura consuetudinem debente nuUa bonitas
prestabitur. Quid ad prepositum clamorem fecerit pro aliquo forifacto, si clamor re-
ceperit emendationem ab eo de quo clamorem fecit, nuUam ipse clamator inde fa-
ciet preposito emendationem. Nullus émet vinum Meleduni ad revendendum in eadem
villa, nullus pisces Meleduni vel in totabauliva emel ad revendendum. Omnes mensurée
Meleduni ad mensuram regiam formabuntur (1). Haec omnia ut perpetuam obtineant
firmitatem, presens scriptum sigilli nostri auctoritate ac regii nominis caractère fe-
cimus confîrmare. ActumParisiis, anno ab incarnatione Domini millésime centesimo
.sepluagesimo octavo, astantibus in palatio nostro, quorum nomina supposita sunt et
signa. Signum comitis Theobaldi, dapiferi nostri. Signum Guidonis, buticularii.
Signum Raginaldi, camerarii. Signum Radulphi, constabularii.
(Copie du xvi^ siècle. Archives municipales; Série DD.)
Cette charte fut confirmée par différents rois, notamment par Louis Xll, en dé-
cembre 1512.
(1) Voici quelles étaient ces mesures et leur capacité: Meleduncm. — Modins bladi
Paris valet I modium, III minellos, I boissellum Meleduni ; et de illis boissellis, IIIl faciunt
minellum ; et XII sextaria faciunt modium Meleduni.
Mûdius avene Paris valet I modium, I minellum, I boissellum meleduni; et de illis boissel-
lis, septem faciuBt minellum; et XII sextaria avene faciunt modium ibi.
Modius vini Meleduni valet XXI sextaria, III cbopinas Paris.
« Des poids et mesures au xive siècle, » par M. E. Boutaric, Revue des Sociétés savantes.
2e série. Tome 3. 1860, 1er semestre, page 328.
Parmi les autres localité- des arrondissements de Melun et Fontainebleau qui avaient leurs
mesures particulières, on peut citer Flagy, Lorrez-le-Bocage, Grèx, La Chapelle-la-Reine,
Moret, Samoi», etc.
— 202 —
» tants du quartier du Château vendeurs de légumes au mar-
)) ché. S'ils vendent en voiture, ils donneront un denier par voi-
)) ture, quel que soit le nombre de ceux qui en auront fait le
» chargement. S'ils vendent par terre, ils donneront une poitevine
» (ou pi te) par tas. Le crieur ne fera pas violence au vendeur,
» mais il sera toujours donné quelque chose selon la volonté du
» vendeur. Le vendeur à la voiture, en l'absence de l'acheteur, ou
» l'acheteur en l'absence du vendeur, pourra payer le droit. L'ar-
» restation des débiteurs ne pourra avoir lieu, sans qu'auparavant
» notre terre leur soit interdite. Si, après défense de notre part,
» des délinquants sont trouvés sur notre terre, il sera permis de
)) les arrêter. Le bateau qui amarrera à Melun au bord de la ri-
» vière, ne donnera qu'un denier, et quelles que soient les mar-
)) chandises qu'il porte, on ne prendra rien de plus. Le coche
)> donnera aussi une obole. Les marchands qui iront aux foires
» et qui auront acquitté le péage en allant , ne donneront rien
» s'ils repassent dans les quinze jours. Le marchand pourra
« prouver, simplement en levant la main, qu'il est revenu dans
^» les quinze jours, s'il en est requis. Le bateau qui passera des
)) marchandises sous le pont, quel que soit le nombre des expé-
» diteurs, ne donnera pas plus de cinq sols, et seulement une fois
» l'an. Quant aux fruits et autres marchandises sujettes à cou-
)) tume, on ne payera rien. Si quelqu'un défère un délit au Pré-
)) vôt, et qu'il obtienne ensuite satisfaction amiable de celui contre
» qui il a réclamé, il n'aura pas à payer l'amende pour plainte
n mal fondée. Nul n'achètera de vin à Melun pour le re -
» vendre en la môme ville. Nul n'achètera de poisson à Melun ou
n dans toute la banlieue pour le revendre. Les mesures de
» Melun seront réglées sur la mesure du Roi. Afin de rendre
1) stable à toujours ce que dessus, nous avons fait confirmer
» la préeente charte de l'autorité do notre sceau et du signe
» de notre nom royal. Fait à Paris, l'an de l'Incarnation du Sei-
» gneur MCLXXVIll, en présence, dans notre palais, de ceux
') dont les noms et les signatures sont ci-dessous. — Sceau du
» comte Thibault, maître d'hôtel. S. de Guy, bouteiller. S. de
» Regnault, chambellan. S. de Raoul, connétable. »
Louis-le-Gros autorisa aussi les chanoines de la collégiale
Notre-Dame de Melun à tenir dans la ville, quatre foires franches
aux fôtes de la Vierge, 2 février, 25 mars, 45 août et 8 septembre
de chaque année. II déTendit h ses officiers et sergents d'y faire
aucun exploit de justice, ni d'y réclamer aucune prestation, re-
— 203 —
devance ou coutume (1). Dès lors, les chanoines n'avaient plus
rien à envier aux moines de l'abbaye du Mont Saint- Père, qui, de-
puis un temps immémorial, avait le monopole d'une foire ouverte
au mois d'août dans le faubourg Saint-Barthélémy, foire très-fré-
quentée, et dont ils tiraient grand profit (2).
En accordant ces insignes privilèges, Louis VI était vivement
pénétré du bien-être des habitants de ses domaines. Malheureu-
sement, ses efforts, qui tendaient à convertir la royauté en une
véritable magistrature publique devaient demeurer sans résultat.
A la faveur des prérogatives qui venaient de lui être octroyées,
le commerce de Melun se ranima. Sans dépasser la sphère mo-
deste dans laquelle il gravitait, il put s'exercer avec sécurité et
assurer à ceux qui s'y livraient une juste rémunération de leurs
labeurs. Il n'en fut pas longtemps ainsi; l'ordre social était trop
souvent ébranlé pour qu'un jour pût répondre de son lendemain.
Sous les règnes qui suivirent, à peine peut-on citer le nom de
quelques monarques sincèrement dévoués à la prospérité pu-
blique. Un d'entre eux, qui s'y montra plus favorable, Charles IV,
créa, en 1322, la foire de Blandy, se tenant le jour de Saint-Ma-
thieu, 21 septembre, et fréquentée de nos jours encore par les
marchands de la ville de Melun (3). Déjà Philippe-le-Long y
avait permis l'établissement d'un marché le jeudi de chaque
semaine (4). Ces institutions étaient dues au crédit des vicomtes
de Melun, hôtes habituels du manoir de Blandy.
Les guerres des xiv'' et xv*" siècles furent, pour notre pays, la
cause des plus cruelles calamités qu'il ait jamais éprouvées. Les
abus, les impôts onéreux, l'altération des monnaies, le pillage des
gens de guerre furent autant de fléaux qui ruinèrent les popula-
tions et tarirent ia source de leur industrie. L'ennemi mettait le
comble à ces maux en élevant outre mesure les droits perçus dans
les lieux soumis à son autorité. « C'est ainsi, rapporte Rouillard,
» qu'en l'an 1339, alors que les Anglois et les Navarrois occu-
» paient le château de Melun, de toutes marchandises qui pas-
» soient sous la maîtresse arche du pont, on levoit d'excessifs et
(1) Notes et documents recueillis au xviii'= siècle, par M. Gauthier, sur la collé-
giale Notre-Dame de Melun (Archives municipales), — Histoire de N.-D., par
M. Bernard de La Fortelle, page 6, — Rouillard, Histoire de Melun, pp. 286, 287.
(2) Notes de M. Gauthier. '
(3) Histoire du ctiâleau et dU bourg de Blmdy-les-Tours, par M. Taillandier,
un vol. in-S", 1854, page 34.
(4) Histoire de Blandy, page 33.
— 204 —
» d'estranges subsides : savoir, dechaqne tonneau de vin six escus
)) d'or, de chasque muid de bled deux escuz, de ce qu'ils appe-
)) loient couple de foin huict escuz, d'un millier de co Itérez un
» escu d'or, et des autres denrées mesme levée ou à l'équipol-
» lence. (l) » On était loin, comme on voit, des cinq sols perçus
en vertu de la charte de 1178.
Le règne de Charles V mit trêve à l'épuisement général. Des
règlements dus à ce prince remédièrent momentanément à ces
maux, et le commerce fleurit jusqu'au jour oîi, sous Charles VI
et Charles VII, il retomba dans un affreux marasme. De cette
époque, date l'anéantissement complet des fameuses foires de
Champagne et de Brie. La foire de Blandy, qui;, grâce à la pro-
tection des seigneurs du lieu, avait pris une extension considé-
rable, fut également interrompue. Les marchands n'osaient plus
confier aux hasards et aux périls des grands chemins, leur fortune
et leur existence. « Ce n'était partout, dit un chroniqueur con-
temporain, que pilleries, voleries et meurtres. Les habitants des
campagnes, complètement ruinées, ne fréquentaient plus les mar-
chés. » Une ordonnance rendue par Charles VI, en 1392, pour le
rétablissement de la foire de Blandy, confirme ce dire : « Par le
» fait des guerres et mortalités qui depuis ont été partout nostre
» royaume, mesmement environ ladite ville de Blandy, le peuple
» et les marchands avoient délaissez de fréquenter icelle foire et
» marché, tellement qu'ils en étoient et sont de tout adnihi-
» lez. (2)»
Les pertes occasionnées par des troubles aussi profonds sont
longues à se réparer, quels que soient, d'ailleurs, les éléments na-
turels de richesse et de bien-être d'un pays. Il peut subvenir
promptement aux nécessités les plus impérieuses, mais les bases
sur lesquelles s'appuient le commerce et l'industrie sont pour long-
temps altérées. Les efforts de Louis XI, tendant à favoriser les
transactions, à leur donner plus d'importance et à rétablir le crédit
public, n'eurent que des résultats incomplets : au temps seul ap-
partenait cette consécration.
La foire du Mont-Saint-Père de Melun, qui avait cessé d'être
fréquentée pendant les troubles, notamment à l'époque du siège
de la ville en 1420, ne put jamais être rétablie, malgré les efforts
{1} Histoire de la ville de Melun, par Sébastien Rouillard ; Paris^ un vol. in-4",
1628, page 455.
(2) Histoire de Blandy, page 202.
— 205 —
des religieux. Quant aux réunions commereiales des fêtes de la
Vierge, elles étaient abolies depuis le rachat que Philippe-le-Bel
en avait fait des chanoines de Notre-Dame, en l'an 1308 {i).
La suppression de ces grands marchés, oii s'accomplissaient
encore quelques transactions, eut un fâcheux contre-coup sur
l'industrie locale. Si l'on consulte les doléances présentées par les
habitants, à différentes époques, pour obtenir l'abaissement de la
taille, on y lit uniformément : « Que le pays est pauvre; que le com-
merce est nu] ; qu'il est ruiné de longue date par les guerres , les
pillages des hommes d'armes, par les mauvaises années, et que
chacun y est dans une profonde détresse (2). » — En tenant compte
de l'exagération de ces plaintes, il demeure certain que la plupart
d'entre elles étaient fondées.
Les impressions personnelles de Claude Haton, qui certes n'écri-
vait pas de parti pris, sont un tableau exact de la triste situation
de la Brie durant le xvi^ siècle (3). On s'explique par son récit le
découragement des populations et le délaissement du commerce et
de rindustrie.
Après avoir présenté en termes généraux ce que pouvait être
l'état commercial de la ville de Melun au moyen-âge, je pas-
serai aux détails que me fournissent les documents de nos ar-
chives.
Les rues de notre cité , aujourd'hui larges et belles, garnies de
brillants magasins et de luxueuses boutiques , présentaient un
autre aspect à quelques siècles de nous , et même à un intervalle
moins éloigné. Sur l'emplacement des maisons à triple étage, qui
font l'ornement de la voie publique, s'élevaient alors de chétives
constructions en pans de bois, surmontées de pignons aigus et
ouvrant sur la rue les fenêtres borgnes de leurs boutiques basses,
étroites et obscures. Dans ces boutiques, dont des spécimens ont
survécu jusqu'en ces derniers temps, trafiquaient les marchands
du lieu. Le luxe y était inconnu, tout y respirait une simplicité
primitive, et c'est à peine si, le soir venu, une chandelle fumeuse
répandait sa lueur incertaine sur le comptoir de l'établissement.
Veut-on savoir quels en étaient les possesseurs et quel genre de
(1) Notes Gauthier. — Histoire de Notre-Dame de Melun, page 16.
(2) Archives municipales de Melun. Pièces diverses, série CC. — Voir aussi les
documents concernant les Elections. Archives départementales de Seine-et-Marne.
(3) Mémoires de Claude Haton, curé du Mériot, près Provins, publiés par M. Félix
Bourquelot, sous les auspices du ministère de l'instruction publique. 2 vol. in-4o.
— 206 —
commerce s'y pratiquait? Des terriers et d'anciens comptes vont
nous l'apprendre (1):
Nous sommes à la fin du xiv® siècle, sous le règne de Charles VI.
Les possesseurs de la maison faisant le coing du Martroy et de la
Grand'Rue, attenant le cimetière de l'Ostel-Dieu-Saint-Jacques,
sont les hoirs feu Jehan Tuleu (2). A la suite, en remontant vers
la porte tirant sur la Brie, vient la maison de Pierre Maillart le dra-
pier. Chez lui, deux aulnes et demi de camelot, propres à vestir
une servante, valent à raison de x sous l'aulne, xxv sols. Viennent
les deux maisons et la granche de Jehan le Maignen , puis la de-
meure de Hanri le chandelier, qui vend la livre de chandelle xii de-
niers. Suit Robin Liboire, oillier, chez lequel la chopine d'huile
vaut également xii deniers. En continuant, se trouvent la maison
de VAsne Rayé^ appartenant à Pierre Lemaistre; celle de Philippe
la Richère, l'ostel de Jehan Pichars, sergent; la maison du Gros-
Towmois; la demeure d'Estienne Chiquausts, cousturier, qui prend
pour façonner cotte, chaperon et chausses m sous, y compris le fil,
etc. etc. Chez Drion Daniel, boucher, qui habite la Gerclerie, un
collet de veau se paie xii deniers , un demi-quartier de mouton
XVI deniers, et un porcel gras à faire lard xxvi sols parisis (3).
Dans la grand'rue Saint-Aspais , sont des boutiques d'aussi
mince apparence, où se fait un commerce également modeste, sous
les enseignes du Cygne couronné^ du Prescheur, du Dieu d'Amour,
du Griffon, du Gantelet, de /'A (9 /e, des Troys Pucelles, du Singe vo-t,
des Marmousets, des Trois Piliers, etc. (4).
D'autres rues possèdent aussi quelques boutiques , mais en
moins grand nombre. La magistrature et la bourgeoisie habitent
les ostels des rues Jehan Chastelain , de la Juiverie et de la Frap-
perie (5).
A l'encoignure de la rue Saint-Aspais et du Martroy , s'élèvent
(1) Archives départementales de Seine-et-Marne, de l'Hôtel-de-Ville et de l'Hôtel-
Dieu de Melun, etc.
(2) Comptes dcrHôtel-Dieu Saint-Jacques de Melun, pour l'année 1389, série E,
12. — Inventaire des titres, pièces et chartes de l'Ilùlel-Dieu de Melun, dressé par
l'auteur, 1 vol. manuscrit de 100 pages. 1865.
(3) Tous ces renseignements sont tirés du compte de 1389. Vide suprn.
(4) Terriers de Carrois (vicomte de Melun) et de l'abbaye du Mont-Saint-Pùre.
(Archives départementales de Seine-et-Marne).
(5) En ces dernières années, on voyait encore dans ces rues de vieilles maisons,
les plus importantes du vieux Melun, (pii ont disparu dans les alignements ou que
les haljitudes moilerne» ont tout à fait trani'urmées.
— 207 —
les petites halles, dont la propriété appartient à l'abbé de Saint-
Père, en vertu de privilèges remontant à l'an 1141, confirmés par
lettres royales de février 1322. Les bouchers paient annuellement
pour droit d'étal 40 livres (l).
Les grandes halles, qui appartiennent au roi, sont à l'encoi-
gnure de la rue Aulain, proche le Ghastelet; à certains jours, on
y vend la chair, le poisson frais, la marée et autres denrées (2).
Un demy baril de harengs salés vaut m francs iv sols, un chapon
et deux poussins iv sols, etc. (3).
En face les halles, la rue de la Pescherie est habitée par les
pêcheurs et les potiers de terre. Aux maîtres pêcheurs de Melun
appartient, en vertu d'une concession royale, le privilège de pêcher
dans la rivière de Seine, depuis le lieu de la Pierre de Seine, près
Montereau , jusqu'à celui appelé l'Ecole attenant Saint-Assise;
mais ils doivent se rendre en personne, aux grands jours tenus à
Fontainebleau par le maître particulier des eaux et forêts, pour
lui payer x sols parisis (4). Par un contrat qui rappelle celui
d'Esaii avec Jacob, l'abbé de Saint-Père, possesseur d'un droit de
pêche sous le Pont-aux-Fruits, le cédait aux pêcheurs de Melun
pour deux plats de poisson (5).
Le four banal de la paroisse Saint-Aspais est également situé
dans la grande rue, presque en face la rue aux Fromages ou du
Sonneur. La cuisson d'une mine de blé coûte vi deniers (6).
Après avoir dépassé la voûte du Ghastelet, et en s'engageant sur
le Pont-aux-Fruits, se trouve, à droite, la poterne des Plastriers,
donnant dans le quartier appelé Trou de Chiau, autrement dit
Trou de Chaux. Là, existent plusieurs fours à cuire la pierre à
chaux, et aussi loin que le regard peut s'étendre, on voit sur la
rive droite de la Seine , en tirant vers Paris , nombre d'éta-
blissements semblables qui écoulent leurs produits dans la capi-
tale, 011 la chaux de Melun et des Fourneaux jouit d'une réputation
méritée (7). Tous les marchés de construction passés à cette
(1) Archives départementales. Fonds de Saint-Père.
(2) Archives départementales. Domaine royal.
(3) Compte de 1389. Hôtel-Dieu Saiut-Jacqnes. Vide supra.
(4) Lettres patentes pour les maîtres-pêcheurs de Melun, antérieures au xiv^ siècle,
confirmées par Henri IV le 7 septembre 1593, et par Louis XIV en décembre 1669.
— (Archives municipales. Communautés d'arts et métiers. Série HH.)
(5) Archives départementales. Fonds de Saint-Père. Inventaire des titres de l'abbaye.
(6) Compte de 1389.
(7) Ces fours ont été en activité jusqu'en ces derniers temps. L'exploitation de
— 208 —
époque, contiennent l'obligation pour le maître maçon de n'em-
ployer que de la chaux de Melun (1).
Les moulins faisant de blé farine, surchargeant autrefois les ar-
ches du Pont-aux-Fruits, ont disparu depuis que l'abbé de Saint-
Père les a cédés à Philippe-Auguste en 1210 (2).
La paroisse Saint-Etienne, ce berceau de Melun, forme une
cité particulière, distincte des autres parties de la ville. Elle pos-
sède des fortifications qu'entoure la Seine, une collégiale, un
Hôtel-Dieu, un prieuré, et à l'occident s'élève le château des rois
de France sous les tours duquel tant de prouesses et de hauts faits
se sont accomplis. Le four banal de la paroisse est placé dans
la rue du Four ; il appartient à l'Hôtel-Dieu Saint-Nicolas qui en
tire grand profit (3). Dans la grande rue^ s'exerce le commerce du
quartier, commerce sans importance, adonné seulement aux prin-
cipaux objets de consommation qui se vendent aux enseignes du
Compas, du Pot d'œillet, etc. Près du Château sont les ostelleries
du Lion-Ancré, de la Bastille, où s'arrêtent les voyageurs du
coche (4).
Sur la Seine, près du prieuré Saint-Sauveur, est le moulin de
ce nom, servant au foulage des draps (5) ; non loin, existe la ruelle
des Etuves, où des bains chauds sont préparés à toute heure du
jour. Quatre moulins à farine, appartenant aux établissements
religieux de la localité, encombrent le pont qui unit l'île Saint-
Etienne à la paroisse Saint-Ambroise (6).
L'industrie principale de cette dernière partie de la ville con-
siste dans les tanneries de la rue de la Rose, à laquelle ce nom a
été donné, par ironie sans doute, pour la mauvaise odeur qu'elle
exhale en tout temps. Plusieurs hôtelleries et quelques boutiques
complètent le commerce du quartier. Dans l'origine, avant la
venue des Anglais, le prieur de Saint-Sauveur avait droit d'étal
carrières de chaux est encore une industrie locale. (Voir ma notice : Recherches sur
l'industrie des provinces. La chaux de Melun. M^ inédit.)
(1) Les monuments de Seine-et-Marne, par MM. Aufauvre etFichot. 1 vol in-folio.
Paris, 1858. Paj^'e 8.
(2) Trésor des Chartes, par M. Teulet. Tome 1er, page 349. — Archives impé-
riales, J. 158, (Melun 1, n" 2).
(3) Archives de l'Hùtel-Dii-u de Melun. Fonds de Saint-Nicolas.
(4) Anciens terriers de la collégiale Notre-Uarae. Arciiives de la préfecture de
Seine-et-Marne.
(5) Notes Gauthier. Prieuré de Saint-Sauveur de Melun. Archives municipales.
(G) Topographie ancienne de la ville de Melun. Plans conservés auï archives mu-
nicipales.
— 209 —
sur la place des Mailletz, au bout du PonL-aux-Monlins {\).
Enfin, en citant les tanneries du pont d'Alemont, le moulin de
Poignet, faisant de blé farine, les fours à tuiles et à chaux, et les
nombreuses boulangeries du faubourg Saint-Liesne (2), on aura
un aperçu de ce qu'étaient le commerce et l'industrie de Melun au
moyen-âge. La ville possédant à peine trois mille habitants, les
transactions devaient y être fort restreintes, car les relations
commerciales, sauf l'exportation des cuirs et de la chaux, étaient
entièrement locales.
On serait dans une erreur étrange, en pensant que les mar-
chands que nous avons entrevus exercent librement leur modeste
négoce. Il n'en est rien. Les règlements et les ordonnances pres-
crivent les droits et les devoirs de chacun, et malheur à celui qui
s'en écarte, caria corporation rivale, scrupuleusement conserva-
trice de ses privilèges, recourt volontiers à la justice pour les sau-
vegarder. Le serrurier fabrique-t-il un clou, procès de la part des
cloutiers ; le chapelier vend-il un bonnet, procès des bonnetiers,
et de même entre les cordonniers et les savetiers, les bouchers et
les charcutiers, les pâtissiers et les rôtisseurs, les barbiers chi-
rurgiens et les simples barbiers, les apothicaires et les dro-
guistes, etc. (3).
Le roi, le vicomte de Melun, et d'autres seigneurs, sont pos-
sesseurs de droits sur certaines corporations de la ville. Au roi et
au vicomte, les boulangers, cuisant à l'intérieur des vieux murs,
doivent six sols parisis, et un pain la veille de Toussaint ; les pâ-
tissiers une poitevine ou un gâteau ; les cordonniers seize deniers
parisis ; les merciers une redevance en nature ; les mégissiers ou
corroyeurs deux lanières ; les tonneliers besongnant de leur métier
sur le pavé de Melun, demi-corvée, et les bouchers neuf deniers.
Il n'est jusqu'à un métier infâme qui ne soit lui-même taxé. Chaque
fille d'amour, venant de nouveau à Melun, doit au vicomte quatre
deniers parisis ou l'estendue. Enfin des droits de péage sont exi-
gés sur toutes les marchandises qui passent dans la ville (4).
(1) Notes Gauthier. Prieuré de Saint-Sauveur.
(2) En 1356, il n'y avait pas moins de quatorze boulangers dans le faubourg
Saint-Liesne. (Ordonnances des rois de France, tome IV, page 592). On doit croire
qu'ils expédiaient leurs produits à Paris, comme un grand nombre de boulangers
des environs de la capitale. Autrement, la population ne leur eût assuré qu'un
faible débit.
(3) Les archives du greffe du bailliage en fournissent la preuve.
(4) Titres et pièces de la vicomte et du domaine de Melun. (Archives de la pré-
fecture).
14
— 210 —
Après cette visite dans les quartiers commerçants du vieux
Melun, je reprendrai au point où je l'ai laissé, l'historique de
l'industrie locale.
Les anciennes administrations municipales ont souvent tenté
d'encourager les transactions commerciales et de faciliter leur dé-
veloppement. Pour atteindre ce but, elles mirent en œuvre leur
crédit, et en des circonstances fréquentes, elles furent aux prises
avec les officiers qui percevaient les droits de minage, jaugeage
rouage, forage, tonlieu, étalonnage, banalité, coutumes, etc. La
communauté des habitants ne craignit pas d'engager des procès
onéreux, que les formes et les lenteurs de la procédure perpétuaient
à loisir.
L'ouverture d'un grand centre de réunion, pour raviver le com-
merce de la ville, fut longtemps le désir de l'édilité. Mais, outre
les temps peu favorables pour réussir dans ces projets, il fallait
aussi compter avec les résistances des localités voisines, dotées de
semblables institutions. Jusqu'à la fin du xvi^ siècle, Melun fut
privé de cet avantage, et peut-être n'en dut-elle la possession ulté-
rieure qu'à l'anarchie qui s'introduisit alors dans l'administration
du royaume.
En 1588, au plus fort de la Ligue, Melun, resté fidèle à
Henri III, obtint de ce prince des lettres ainsi conçues, datées du
mois de juillet et du 24 novembre (1).
« En considération du fidèle debvoir rendu par les habitants de
» Melun en la conservation et défense de la dicte ville contre ceux
» qui, au préjudice de nostre autorité l'auroient peu de jours au-
» paravant assiégée et tenté de la forcer et ester de nostre pou-
» voir et obéissance, leur accordons une foire franche par chascun
» an pour estre commune à toutes les paroisses indifl'éremment
» tant de nostre dicte ville que faubourgs d'icelle, durant quatre
» jours entiers, le premier d'iceux commençant le premier jour de
n lundi eschéant immédiatement après le jour et feste de Tous-
» sainctz, et finissant au vendredy ensuivant, pendant lesquelz
» jours tous marchands et autres pourront trafficqucr, aller, sé-
» journer et retourner, vendre, acheter, permuter et troquer li-
» brement et franchement toutes sortes de marchandises et den-
» rées non prohibées, etc. »
La continuation des troubles et leur accroissement ne permirent
(1) Archives municipales. Foires et Marchés. Série H. H.
— 2H —
pas aux Melunai3 de jouir de ces privilèges. On connaît les maux
qui les accablèrent à l'occasion du retour des Ligueurs au cona-
mencement de l'année 1389, et de la prise de la ville par Henri IV,
en avril 1390. La paroisse Saint-Aspais, emportée d'assaut, fut
mise à sac par les vainqueurs. Au mois de septembre suivant, les
faubourgs furent incendiés et détruits de fond en comble (1). Le
commerce, cruellement éprouvé, sortit difficilement de cette crise,
malgré les ordonnances rendues par Henri IV, en faveur de plu-
sieurs corporations de la ville et la sollicitude de son administra-
tion pour les intérêts industriels. Ce fut seulement après la red-
dition de la capitale et des principales villes des environs de Paris,
que la population Melunaise put véritablement jouir de quelque
repos et se livrer avec sécurité aux opérations du négoce.
En 1397, des gentilshommes obtinrent l'autorisation de créer h.
Melun une manufacture de verrerie, qui semble être restée à l'état
de projet (2). Nulle part, dans les archives locales et dans les
nombreux documents que j'ai compulsés, je n'ai trouvé trace de
sa réalisation. L'établissement analogue, qui existait autrefois dans
les bâtiments occupés par le magasin des fourrages militaires,
remontait seulement aux premières années de la Révolution.
Encouragés par les intentions royales, les habitants de Melun
sollicitèrent la confirmation des franchises qu'ils devaient à la
libéralité de Henri III, faveur qui leur fut accordée par lettres
données à Fontainebleau au mois de novembre 1602, registrées
en la cour des aydes le 27 octobre de l'année suivante (3) :
« Pour la considération du voisinage de la ville et de nostre
» chasteau et maison de Fontainebleau, y est-il dit, désirant à
» ceste occasion voir la ville de Melun améliorée et accomodée de
» marchandises, vivres et autres commodités pour l'usage de
« nostre cour et ensuites fois pour s'en ayder ou prévaloir pendant
» le passage fréquent, commun et ordinaire que nous faisons en
» icelle, allant ou retournant de nostre dicte maison, soict au
» séjour que nous faisons audict Fontainebleau ; estant pour ce
a mesme subject raisonnable de remettre les habitants des dom-
» mages et récompenser de ce qu'ils souffrent d'incommoditez de
(1) Voir ma publication : Melun sous Henri IV 1590-1610. — .Melun, Imp. Hé-
rhé, 1866; broch. in-g" de 30 pages.
(2) Henri Martin, Histoire de France. — Bulletin des Comités historiques, pu-
blié sous les auspices du .Ministère de l'instruction publique.
(3) Archives municipales. Foires et Marchés, série H. H.
— 212 —
» nostre dicte cour, et ensuite pendant le séjour, notamment
» depuis quelque temps, du logement du régiment de nos gardes,
» nous, pour ces causes, leur octroyons, etc. »
Il ressort de cet acte que la présence de la cour dans une loca-
lité n'entraînait pas de grands avantages, puisque l'octroi d'un
privilège devenait plus tard la compensation des inconvénients
qui en résultaient.
La nouvelle foire n'eut pas le succès qu'il était possible d'en espé-
rer. Sa tenue coïncidait presque avec le 11 novembre, jour de
Saint-Martin, qui est, dans nos environs, l'époque du paiement
des fermages, des rentes, du renouvellement des baux, du louage
des domestiques, et dès lors un jour généralement consacré aux
transactions commerciales et agricoles. Cette circonstance semblait
devoir contribuer à sa prospérité ; cependant il n'en fut pas ainsi.
Des villes peu éloignées, de simples villages même, possédaient,
de temps immémorial, des réunions analogues que les populations
avaient l'habitude de fréquenter. Il est difficile de changer les
usages profondément enracinés chez les habitants des campagnes.
Aussi, la foire de Melun, désertée par les acheteurs, fut bientôt
abandonnée par les vendeurs. Après avoir végété pendant quelques
années, elle tomba tout à fait en désuétude. Vainement, à plu-
sieurs époques, on tenta de la rétablir. Reconstituée de nos jours,
sa plus grande importance consiste dans la vente des vins, qui ne
donnaient lieu jadis qu'à des affaires restreintes.
Au commencement du règne de Louis XIV, la ville de Melun
était extrêmement affaiblie ; la peste et la lamine (1) l'avaient vi-
sitée différentes fois, et son commerce était nul ; les troubles de
la Fronde y avaient eu un douloureux retentissement dont le
con Ire-coup se fît sentir durant de longues années. Les habitants
se trouvaient dans l'impossibilité de subsister, et encore moins de
subvenir aux contributions , tailles et charges qu'on exigeait
d'eux. Ce fut dans ces circonstances que le maire, les échevins et
les principaux citoyens représentèrent au roi (2) ; « que leur
» ville est située en bon pays, sur la rivière de Seine; qu'es en-
» virons sont plusieurs autres villes, boUrgs et villages fertiles et
» abondants en grains, denrées et bestiaux ; et qu'il y a un pont
» qui est le plus fréquent passage du pays, par lequel on com-
(i) Voir ma notice intitulée : Les épidémies delaville de Melun. Broch. in-S" de
24 pages. Melun, Michelin, 18G6.
(2) Requête pour l'établissement d'un marché franc à Melun. Foires et Marchés.
(Archives municipales, série II. H.)
— 213 —
» munique avec les villes et provinces circonvoisines. » — S'ap-
puyant sur ces motifs, ils demandaient la création d'un marché
franc pour faciliter le rétablissement du commerce. Leur démarche
fut couronnée de succès. Dos lettres datées à Paris du mois de
septembre 1655, signées Louis, et sur le reply de Guénégaud,
portent ce qui suit (1) : — « Créons et érigeons en nostre dite
» ville de Melun un marché franc tous les premiers jeudis de
» chascun mois de l'année, pour y estre tenu, gardé et observé
» perpétuellement et à toujours, auquel jour de marché nous
» voulons que tous marchands français, étrangers et autres per-
I) sonnes puissent aller, venir, séjourner, vendre, acheter, tro-
» quer et échanger toutes marchandises licites et permises, bœufs,
» moutons, porcs et autres bestiaux avec toutes franchises, pri-
» viléges , exemptions généralement quelconques , dont ils
» jouissent aux autres marchés-francs, etc. »
En accordant ces franchises, le roi n'avait pas songé à son fer-
mier des aides, dont les droits allaient éprouver un notable préju-
dice. Le marché fut tenu quelques fois, est-il dit dans un mé-
moire daté du 15 novembre 1690 (2). Mais les marchands forains,
qui s'y trouvaient avec leurs bestiaux et marchandises, en furent
détournés par cette seule raison que le préposé des aides préten-
dait y percevoir les huitième et vingtième sols par livre. Le pro-
cès qui s'en suivit ayant donné gain de cause au fermier, par arrêt
du 16 août 1672, le marché fut délaissé. Aux symptômes de pros-
périté qu'on signalait dans la ville, succédèrent le décourage-
ment et la gêne. Des magasins se fermèrent, des maisons furent
abandonnées et tombèrent en ruines, faute d'être habitées ou
louées. Ces faits n'ont rien d'exagéré. Ils sont consignés dans le
mémoire déjà cité, qui fut dressé pour obtenir l'exécution des
franchises. — (c Le marché-franc subsistant, y est-il dit, c'est le
» seul et unique moyen de restablir cette pauvre ville de Melun,
» et de faire revenir les citoyens habiter ou louer leurs maisons,
» et d'y rétablir le commerce, par le moïen duquel un chascun
)) des pauvres habitants taschera de trouver sa subsistance et les
» moyens de contribuer au soulagement du roy pour les affaires
» de son estât. »
La cause était défmitivement perdue. Les efforts des magistrats
municipaux restèrent sans résultat. Il faudrait entrer dans de
(1) Requête pour l'établissement d'un marché iranc à Melun. Foires et Marchés.
(Archives municipales, série H. H.)
(2) Archives municipales. Série H, H. Note écrite de la main de M. Guibert,
échevin et notaire royal à Melun.
— 214 —
trop longs détails pour rappeler les débats qui eurent lieu à cette
occasion et les difficultés qui se produisirent entre le lieutenant-
général du bailliage et les officiers de l'hôtel-de-ville. Faut- il le dire,
des intérêts personnels, auxquels on sacrifiait ceux des habitants,
étaient en jeu. Si l'on doit croire le maire et les échevins, la tenue
du marché rencontrait une si vive opposition de la part du lieu-
tenant-général par le motif que ce magistrat craignait un notable
préjudice « pour le grand commerce et négoce qu'il faisait de
» grains, vins et autres marchandises. » C'est là tout le secret
de l'affaire.
Sous le règne presque séculaire de Louis XIV, les intérêts
commerciaux furent-ils toujours protégés et encouragés? Devant
des iaits de la nature de ceux qui précèdent, peut-être est-il per-
mis d'en douter. On se confirme encore dans cette idée en scru-
tant l'esprit et la lettre des instructions données par Golbert en
1669, sur le fait de la confection des étoffes et de leur vente en
détail. Il existe aux archives municipales de Melun un volumi-
neux dossier concernant la mise en pratique de ces instructions,
dossier dont l'étude engendre une douloureuse surprise (1). Les
réclamations des intéressés, leurs protestations contre les exi-
gences nouvelles, contre la surveillance vexatoire et abusive à
laquelle ils étaient soumis, attestent le préjudice et les difficultés
qu'elles leur causaient. Certes, les marchands de Melun sont
gens pacifiques ; et quand on les voit protester avec véhémence
contre les instructions du ministre, refuser les jurandes qu'on
veut leur imposer ou ne les accepter que dans la crainte de
perdre leurs maîtrises, évidemment on peut croire que les inté-
rêts de leur modeste commerce se trouvaient gravement compro-
mis. Les visites domiciliaires auxquels les drapiers furent sou-
mis, la vérification obligée de leurs marchandises, le poinçonnage
de chaque pièce d'étoffe à l'hôt'-l-de-ville — qualifié, pour ce motif,
du nom de manufacture, — les nombreux arrêts, rendus à cette
occasion, n'étaient-ce pas autant de sujets d'effroi pour les inof-
fensifs négociants? Ces craintes étaient fondées. Un arrêt du
Conseil d'État, du 24 décembre 1670, déterminait les pénalités
encourues pour contraventions. (2) Un fabricant mettait-il à ses
produits une trame de plus ou de moins, la pièce défectueuse,
après avoir été attachée sous un écriteau racontant !o méfait aux
passants, était coupée, déchirée, brûlée ou confisquée. Ceci était
(1) Archives mrinicipalcs. — Usines et Manulactures, série H. H.
(2) Arrcst du Conseil d'Es'al, qui ordonne des peines contre les marchands et
— 215 —
pour la première fois. En cas de récidive, le marchand montait en
personne au pilori et prenait place à côté de l'étoffe incriminée.
Voilà les faits qui justifient l'émotion des drapiers et des merciers
melunais, émotion commune à tous leurs confrères du royaume.
Gomme il était à peu près impossible d'exécuter à la lettre le
règlement du ministre de Louis XIV, la crainte du pilori restait
véritablement sérieuse.
Il est encore d'autres causes qui s'opposaient à la prospérité du
commerce. Je pourrais les citer, mais à quoi bon? Ne sait-on pas
que les maîtrises constituaient un monopole étrangement exclu-
sif; que la création de nouveaux offices, de tout nom, de tout
genre, véritables sinécures ou taxes déguisées, affaiblissaient à
l'infini les corporations d'arts et métiers qui, à leur tour, se dé-
dommageaient sur leur clientèle? Tous ces faits sont de l'histoire,
et en interrogeant le passé commercial de notre cité , il était diffi-
cile de les laisser entièrement dans l'ombre. Il est vrai que si les
règlements ministériels gênèrent plus d'une fois la liberté du
commerce, l'élan qu'ils communiquèrent au travail et à la pro-
duction compensèrent peut-être les fautes qu'il est possible de
leur reprocher. Golbert, en voulant fonder l'industrie en France,
oublia trop que les moyens d'y parvenir sont la protection et la
liberté.
De nouvelles tentatives furent faites au commencement du
xvm^ siècle, pour raviver les affaires dans la ville de Melun. Les
essais infructueux des officiers municipaux les avaient sans
doute découragés, car cette fois, ce fut un seigneur des environs
qui prit l'initiative. Des lettres-patentes données par le roi, à Ver-
sailles, au mois de janvier 1701,àmessire Henri-Charles de Beau-
manoir, marquis de Lavardin, lieutenant-général des armées de
Sa Majesté, seigneur de Vaux-à-Pénil, de Saint-Liesne-lez-Melun
et autres lieux, autorisèrent la création, au faubourg Saint-Liesne,
de deux foires annuelles, les jours Saint-Jean-Baptiste et Saint-
Martin d'hiver, et d'un marché-franc le dernier jeudi de chaque
mois (1). Malheureusement, les mêmes difficultés qui s'étaient
déjà produites s'opposèrent encore à la réussite de ce nouvel essai.
ouvriers qui fabriquent et exposent en vente des marchandises défectueuses et non
conformes aux règlemens, du 24 décembre 1670. — A Paris, chez F. Muguet,
imprimeur du Roy, rue delà Harpe, à l'adoration des trois Roys, MDCLXXI. De
l'exprès commandement de Sa Majesté. — (Archives municipales. Usines et Manu-
factures, série H. H.
(1) Archives départementales de Seine-et-Marne. Registres de l'Election; série C.
— 216 —
D'ailleurs, le marquis de Lavardin mourut sur ces entrefaites, et
ses héritiers ne semblent pas avoir eu la même prédilection pour
les habitants de son domaine. La Saint-Jean-Baptiste et la Saint-
Martin restèrent ce qu'elles étaient de longue date, c'est-à-dire des
réunions ou fêtes fréquentées par les habitants des campagnes,
notamment par les domestiques qui s'y louaient pour les travaux
des fermes.
En compensation, il était d'au 1res lieux de réunion qui pre-
naient plus d'extension. Les affaires y devenaient de plus en
plus considérables. Je veux parler des marchés d'approvision-
nement de la ville. De temps immémorial , ils se tenaient ,
comme aujourd'hui encore, les mercredi, vendredi et samedi de
chaque semaine. Abondamment fournis de denrées apportées par
les paysans des environs, il s'y faisait un grand trafic.
Depuis l'abandon du marché du faubourg des Carmes, dans le
cours du xv"" siècle, et avant 1737, époque de la création de la
place Saint-Jean, le marché se tenait dans les rues du quartier
Saint-Aspais. Le beurre, les œufs, la volaille se trouvaient dans
la rue de Boissettes; la viande dans la rue du Miroir et du Son-
neur; les légumes dans la rue de la Savaterie (Jacques Amyot) ; la
marée dans la rue de la Frapperie (du Presbytère) ; et la lingerie,
la quincaillerie et autres marchandises dans la rue aux Oignons
(de l'hôtel-de- ville) (1). Si l'on se représente le peu de largeur
des rues en ce temps, on jugera de l'encombrement et du dé-
sordre qui devaient y régner les jours de marché. Cependant, per-
sonne ne s'en plaignait; au contraire, à différentes reprises, après
qu'il eut été transféré sur la place Saint-Jean, les habitants de-
mandèrent et obtinrent le rétablissement de leur marché dans
les rues, tel qu'il était autrefois.
Pendant la durée éphémère des marchés-francs, la rue aux Oi-
gnons servait d'étape aux vins. — 11 n'est pas de produit, dont,
alors, la vente soulevait de plus vives contestations. Aux xiv'^ et
xv'= siècles, les cabaretiers et les habitants se trouvaient aux prises
avec les seigneurs qui jouissaient du droit di; forage, de courte-
pinte, etc; plus tard, ce fut avec les commis des aides. Que de
fois, l'élection de Melun fut saisie d'aflaires de cette nature! Tan-
tôt c'étaient des luttes entre les commis et les habitants, des rixes
oii le sang coulait; d'autres fois, c'étaient un échange de grosses
injures, des accusations calomnieuses frappant tout le monde in-
distinctement, jusqu'à des prêtres de campagne inculpés, bien à
(l) Registres des délibérations municipales de Melim. xvii'^ ot xviii* siècles; série
B. B.
— 217 —
tort, sans doute, de vendre vin à faux bouchon. Que de scènes ri-
dicules ou burlesques s'en suivaient, témoin comme en 1695
lorsque deux commis des aydes, pénétrant dans l'auditoire de l'É-
lection de Melun, racontèrent l'aggression dont ils avaient été vic-
times de la part d'un hôtelier de Saint-Liesne et de sa femme qui
s'étaient rués sur eux à coups de pieds et à coups de poings « leur
» avaient arraché leurs perruques, les avaient rompues en pièces
» et jetées dans la rue, avec le registre portatif (1).» Que résulte-
t-il de ces faits, sinon la preuve de l'élévation des droits et des en-
traves apportées à la liberté du commerce.
D'autres difficultés entre les corporations elles-mêmes se pro-
duisaient jusque sur les places publiques, et cela au grand désa-
vantage des consommateurs. Ainsi, les boulangers et les charcu-
tiers de village, qui n'avaient pas satisfait aux règlements sur la
maîtrise, ne pouvaient étaler dans les marchés des villes. Plusieurs
fois, pour ce fait, le prévôt de Melun les menaça de saisir leurs
marchandises. Il leur reconnaissait seulement le droit de vendre
aux portes de la ville, mais sans pouvoir franchir l'enceinte for-
tifiée. Les officiers municipaux protestaient, en alléguant notam-
ment, comme ils le firent le 30 janvier 1672, que c'était aller contre
la liberté publique et le soulagement de la garnison; que la con-
currence des marchands forains produisait une diminution no-
table sur les denrées, etc. (2). Le prévôt, sans tenir compte de ces
dires philanthropiques passait outre et chassait les marchands.
Ainsi le voulaient les ordonnances sur les maîtrises. Le droit de
travailler et de contribuer au bien-être de son semblable, consti-
tuait un privilège. — Le plus important des anciens marchés heb-
domadaires de Melun, était le marché aux grains, se tenant le sa-
medi sur la place du Martroy, dans la seigneurie des moines de
Saint-Père. Au temps où la vente sur échantillon était inconnue,
la place était toujours abondamment garnie. Les droits déminage
et jaugeage constituaient un profit du Trésor royal. Les bénédic-
tins de Saint-Père possédaient le tonlieu, c'est-à-dire le droit de
place. A l'Hôtel-Dieu Saint-Jacques appartenait le minage des
grains mis en vente devant l'entrée de l'établissement (3). Aux
jours de marché, on voyait circuler dans la foule un homme à
mine sinistre , dont chacun s'écartait précipitamment. C'était
l'exécuteur des sentences crimmelles du bailliage de Melun, qui
(1) Archives départementales. Registres de l'Election, C. 123.
(2) Archives municipales. Foires et marchés, série H. H.
(3) Archives départementales de Seine-et-Marne. Fonds des Saint-Pères. — Ar-
chives de l'Hôtel-Dieu de Melun. Fonds de Saint-Jacques. A. 10.
— 218 —
prélevait les droits attachés à son lugubre métier. Il prenait une
cuillerée de menu grain sur le contenu de chaque sac. Mais la
cuillère étant devenue démesurément grande, les contribuables
réclamèrent, et, de là, plaid et procès au Présidial qui en régla les
dimensions (1).
On manque de renseignements exacts sur la quantité de blé
figurant ordinairement au marché. On sait seulement que l'appro-
visionnement actuel est inférieur à celui du temps passé, alors
que les fermiers de la Brie se livraient exclusivement à la culture
du blé , et qu'ils ignoraient la vente en poche. Et cependant ,
la production des céréales n'était pas aussi considérable qu'à pré-
sent; car on ne saurait l'oublier, à cette époque de tailles, de taxes
et de dons gratuits, le jour où le gouvernenient élevait l'impôt,
la culture cessait dans les territoires de médiocre qualité (2).
Malgré les obstacles qui pesaient sur le commerce au milieu du
XVIII* siècle, les grands établissements industriels tendaient à se
multiplier. Aux premières années du règne de Louis XVI, une fi-
lature de coton fut fondée à Melun, dans une maison de la rue de
l'Hôtel-de-Ville, et transférée presqu'aussitôt dans le faubourg
Saint-Liesne, par un nommé Perrenod, d'origine suisse. Cet éta-
blissement, modeste à son début, prit en peu de temps une cer-
taine importance, sous la direction des sieurs Hurel et Beaufrère,
qui succédèrent à Perrenod. 11 en fut de même d'une autre manu-
facture, fondée en prairial an X, par le sieur de Surmont. En
1817, ces deux établissements, qui auraient pu devenir d'un grand
profit pour la ville, n'occupaient pas moins de cinq cent trente-trois
ouvriers. Des circonstances particulières, qu'il ne m'appartient pas
d'apprécier ici, en amenèrent la suppression vers 1830 (3).
Déjà, plusieurs années avant, la manufacture de verrerie établie
à Saint-Ambroise, et dans laquelle, sous le premier Empire, cent
soixante-quinze personnes étaient employées, avait également pris
fin.
En 1769, une fonderie de suif, pour la fabrication de chandelles,
qui existe encore aujourd'hui, avait été créée dans la paroisse
Saint-Ambroise.
Ces différents créations ou tentatives, émanant d'hommes com-
pétents, sont une preuve des ressources particulières que notre
(1) Archives municipales. Police et, règlements des marchés.
(2) Mémoires sur la Généralité do Paris. 2 vol. in-4o. Manuscrits, donués au
Musée de Melun, par M. Larné, ancien adjoint au maire de celle ville.
(3) Archives municipales. II. II.
— 219 —
pays offrait à l'industrie manufacturière. Si la réussite leur lit
défaut, c'est moins à l'élément local qu'on doit l'attribuer qu'aux
lois et règlements anti-protectionistes au quels les nouveaux éta-
blissements se trouvèrent soumis.
Pour clore ce tableau du commerce et de l'industrie locale, avant
la Révolution, j'emprunterai les citations suivantes au cahier de
doléances, rédigé par les habitant'^, de Melun, en 1789 (1). Ce sera
la conclusion du sujet que j'ai voulu traiter :
« La communauté des habitants de Melun enjoint à son député
de demander :
(( Que pour la facilité du commerce, de province à province, il
ne soit plus admis dans tout le royaume qu'un seul poids et qu'une
seule mesure.
« Que pour la liberté de ce même commerce, de quelque nature
qu'il soit, les douanes intérieures soient reculées jusque sur les
frontières.
La facilité des communications aurait pu contribuer à la pros-
périté commerciale. Malheureusement le pouvoir s'en montrant peu
soucieux, apportait la même incurie dans la création des routes et
dans leur entretien. Jusqu'au xviii'' siècle, les environs de Melun
furent privés de chemins facilement carrossables (2). Le coche,
mentionné dans la charte accordée par Louis-le-Gros en 1176, de-
meura jusqu'à nos jours le véhicule le plus usité pour le transport
des voyageurs et des marchandises. Sous Louis XV, il en passait
six, à Melun, par semaine; un d'entre eux desservait spécialement
cette ville, et les autres avaient pour destination Nogent-sur-
Seine^ Sens, Montargis, Auxerre et Montereau. Le •coche de
Melun, partant pour Paris le lundi et revenant le vendredi, ac-
complissait la route en un jour en été, et en un jour et demi en
hiver, si toutefois des accidents, assez fréquents, ne venaient pas
s'y opposer. Les tarifs furent souvent modifiés. Avant 1642, le
prix du transport de Melun à Paris était de dix sols pour l'aller
et de vingt sols pour le retour (3). Comme toutes choses suscep-
tibles de lucre, le coche constitua un monopole transmis à prix
d'argent ou gracieusement. C'est ainsi que Louis XIII, Louis XIV
et Louis XV investirent MM. de La Grange-Leroy, Fouquet et
de Caumartin, de l'exploitation du coche de Melun, exploitation
(1) Archives départementales. B. 136.
(2) Registre des déli.jcratious municipales de Melun. xvii« et XYiii» siècle.
(3) Idem. — Voir aussi la liasse intitulée: Coches d'eau. Série H. H.
— 220 —
qu'ils transmirent à des fermiers rançonnant à plaisir les voya-
geurs et les marchandises. Il en résultait procès sur procès, sen-
tences et arrêts, tournant presque toujours au préjudice des po-
pulations (1),
Le coche n'eût jamais de concurrence sérieuse ; le monopole et
le mauvais état des chemins ne le permettaient pas. On en
trouve la preuve dans une requête présentée au Conseil d'État,
par les habitants de Melun, en 1701;, pour le maintien du passage,
dans leur ville, des messageries de Fontainebleau à Paris, itiné-
raire qui avait été abandonné par le défaut d'entretien de la route
dans la plaine de Villeneuve. Ils demandaient aussi que le prix de
trente-cinq sols pour chaque personne allant de Melun à Paris, et
de quarante-cinq sols pour le retour, fut scrupuleusement ob-
servé (2).
La construction de la route de Paris à Lyon, par Melun, en
1753, fut très-profitable au commerce de notre ville. Des hôtelle-
ries s'ouvrirent de tous côtés, notamment sur la place du marché
au blé, oh avaient lieu les relais, et leur prospérité s'augmenta
dans la suite par la suppression du privilège des postes et des
messageries.
(( Que les privilèges des postes et messageries soient supprimés,
de manière à ne plus gêner la liberté des routes et interdire aux
citoyens les moyens de voiturer et voyager qu'il leur plaira choisir.
« Que toutes les entraves qui s'opposent au progrès de l'in-
dustrie, nuisent à la liberté des arts et métiers, et à celles du
commerce, soient détruites.
« Enfin, indépendamment de ces principaux objets, qui forment
la matière des voeux et doléances de l'Assemblée de la ville de Melun,
il en est de particuliers à chaque corps et corporation dont il serait
à désirer que la Nation assemblée put s'occuper; car il n'est pres-
que point de citoyen qui ne gémisse sous le poids des maux atta-
chés à chaque lieu, à chaque état, à chaqup profession. »
Tous ces vœux reçurent leur sanction. Et maintenant, le com-
merce et l'industrie, sincèrement protégés, libres d'entraves, s'a-
vancent sagement et résolument dans la voie de l'avenir, dans la
voie du progrès !
(1) Archives départementales. Titres et pièces de la Vicomte de Melun. — Ar-
chives municipales. Coche.i d'enu. si'rie H. H.
(2) Registres des délibérations municipales. Série B. B.
— 221 —
NOTES SUR LES ANTIQUITÉS DE CHAMPDEUIL
ET SUR
UN SCEAU DU COMTE DE VARAX,
SEIGNEUR UE NANTEUIL-SUR-MARNE AU XVH" SIÈCLE,
Qui a servi pour la juridiction seigneuriale de Nanteuil jusqu'à la suppression de
ces juridictions.
PAR M. GAUCHER,
Membre fondateur ( SectioM de Meaux, et momentanément de celle de Illelun.)
M. Gaucher, membre fondateur de la Société d'archéologie,
lettres, sciences et arts du département de Seine-et-Marne, rési-
dant présentementà Champdeuil, a signalé à la Section de Melun :
1° Quatre médaillons en marbre formant, à ce qu'il paraît, avec
les huit que possède l'église Saint-Aspais de Melun, — deux au
nouvel autel de la Vierge et les six autres à gauche de la porte de
la sacristie, — la collection des apôtres qui décorait autrefois
l'église de Champdeuil ;
2° Au bas du chœur de cette église, une pierre tombale qui re-
couvre la sépulture, en cet endroit, d'une dame du lieu ;
3° Trois dalles, dont deux servent de margelle au puits de la
maison d'école ; la troisième, brisée exprès, pave l'entrée d'une
porte de cette maison. Une quatrième a dû exister.
Ces dalles se trouvaient au pied d'une pyramide élevée, par les
habitants, sur la place publique, lors de la première République;
sur chacune d'elles, se lisent des paroles dictées par les idées
exaltées de l'époque.
4° Enfin, une pierre tombale, peut-être déjà connue, a été trou-
vée il y a cinq ans environ, lors du déblai des restes de la chapelle
de l'ancienne paroisse de Ghampigny-en-Brie.
Elle rappelle une dame inhumée en cet e droit.
. Brisée en quatre morceaux épars et laissée aux injures du temps,
— 222 —
cette pierre, sans aucun doute, va bientôt disparaître. Ne convien-
drait-il pas de relever l'inscription qu'elle contient, et de la faire
placer en un lieu convenable ?
SCEAU DU COMTE DE VARAX.
De gueule à la fasce d'or, accompagné de irais étoiles d'argent :
deux en chef et une en pointe.
En vous communiquant ce sceau sans légende, Messieurs, ma
démarche serait, je crois, bien infructueuse si je ne venais en
même temps vous donner la preuve de son authenticité.
Avant qu'il me fût remis , j'avais déjà , lors de la recons-
truction du mur latéral de face gauche de l'église de Nanteuil,
en 1857, et après l'enlèvement des lambris du chœur, calqué,
assez difficilement sur l'ancienne muraille à peine enduite, des
armoiries peintes entre deux piliers au milieu d'une litre ou cein-
ture funèbre. Ces armoiries que n'avait pu atteindre, en 1840, la
brosse du badigeonneur, dans l'appropriation intérieure de l'é-
difice, me donnèrent l'e-poir de reconnaître un jour le seignenr
Patron ou Haut-Justicier, pour lequel l'église avait pris le deuil à
son décès.
Je crois devoir vous décrire ces armoiries qui ne diffèrent
d'avec le sceau que par une palme entre la couronne et l'écu.
Ecu, hauteur 21 ceniimètres largeur 17 eMo centimètres :
Palmes vertes, nouées avec un cordon ou ?'uban rouge.
Couronne d'or.
Déjà aussi dans les milliers de titres que j'avais compulsés pour
établir l'ancien ordre de choses relatif au petit bourg de Nan-
teuil, j'avais trouvé une mention me faisant connaître qu'une
apposition de scellés avait été faite le 12 mai 1772, « aux armes
» de M" le comte do Varax, ancien seigneur dudit Nanteuil,
— 223 —
» pour le défaut du cachet aux armes de Monseigneur le duc de
» Montmorency, seigneur actuel du lieu. »
Les armoiries de l'église, le sceau et la mention qui précède, ne
m'avaient encore indiqué positivement à quel seigneur de Nanteuil
ces armes pouvaient appartenir. En toutes choses, et en archéologie
surtout, il faut de la patience ; le temps permet tout. Une pièce,
revêtue d'un sceau me fut remise un jour où je m'y attendais le
moins, et en fin de cette pièce, je pus lire :
(( Nous soussigné, François Royne, bailli de la chastellenie de
» Nanteuil-sur-Marne, pour Monseig"^ le comte de Varax, sei-
» gneur chastelain dud. lieu, certifions, etc., etc., — en foy de
)) quoy nous avons signé et fait apposer le cachet des armes
» dudit sei-ineur, ce septiesme jour de mai vj" quatre-vingt-
» seize (1696). »
Venaient ensuite la signature du bailli et le sceau en cire
rouge dont l'empreinte entre parfaitement dans celui qui fait
l'objet de ma communication. J'avais reconnu que ce cachet et
les armoiries peintes sur les murs de l'église étaient sinon de
Pierre Pérachon, tout au moins de Louis-Alexandre Pérachon,
son fils, tous deux comtes de Varax, seigneurs de Nanteuil-sur-
Marne dans la deuxième moitié du xvii^ siècle, comme on va le
voir ci-après.
Cette pièce est déposée aux archives municipales de Nan-
teuil.
liCs comtes de Varax, seigneurs de IVantenil.
<( Le 29 aoust \ 670, M'^ Pierre Pérachon, seigneur de Sainct-
)) Maurice et autres places, con*"" du Roi en ses conseilz et secré-
» taire de Sa Majesté, maison et couronne de France et de ses
» finances (en 1677, marquis de Varambon et de Treffort, comte de
» Varax, puis, en 1681, baron de LoyeetdeChâtillon), acquiert la
» terre et seigneurye de Nanteuil, seize sur la rivière de Marne,
» de M''^ Léon Potier, duc de Gesvres, héritier par bénéfice d'in-
» ventaire de deffunt M'''^ René Potier, pair de France, son père. »
(Archives départementales de Seine-et-Marne, E. 796).
a Le 31 mars 1689, M"' Louis-Alexandre Pérachon, comte de
» Varax, marquis de Treffort, seigneur de Nanteuil-sur-Marne,
» fils et héritier du précédent, rend foi et hommage aux adminis-
» trateurs de l'Hôtel-Dieu Saint-Gervais de Soissons, à cause du
— 224 —
» droit de dîmes réservé dans la vente laite en 1600, de cette
» seigneurie, par les administrateurs, à Louis Potier de Tresmes,
» duc de Gesvres, père de René, précédemment dénommé. »
(Archives dudit Hôtel-Dieu).
Cette seigneurie appartint ensuite en descendance collatérale à
la même famille jusqu'en 1766.
— 225
LA SUCCESSION DE L'ABBÉ SEGUY,
PAR M. TH. LHUILLIER,
Membre fondateur (Section de Alclun ), Secrétaire général.
Joseph Seguy, l'un des quarante de l'Académie française au
xviii^ siècle, bien que né dans la ville de Rodez n'est pas tout à
fait étranger à notre pays. Il a été chanoine de la cathédrale de
Meaux, et, comme son compatriote Alexis Monteil, c'est dans la
Brie qu'il termina sa carrière.
La communication de quelques documents inédits qui se rat-
tachent à la mort et à la succession de cet académicien, n'est donc
pas déplacée ici.
Sans essayer de surfaire la réputation de l'abbé Seguy, on peut
dire qu'il réussit dans la poésie et dans l'éloquence. Dès sa jeu-
nesse, le poète remportait à diverses reprises les couronnes acadé-
miques, en même temps que l'orateur sacré prêchait avec distinc-
tion au milieu de la capitale et à la Cour (1). Dans ses panégyriques,
dans l'Éloge de Louis XIV, dans les Oraisons funèbres de la reine
de Sardaigne, du maréchal de Villars et du cardinal de Bissy, il
faut reconnaître de la noblesse, de l'onction, du pathétique, joints à
une grande pureté de style ; mais on y chercherait en vain ces su-
blimes peintures, ces traits de génie, ces véritables beautés qu'on
admire dans Massillon ou dans Bossuet. Un biographe a dit, avec
raison, que Joseph Seguy était fait pour suivre les sentiers battus,
et non pour se tracer une carrière nouvelle.
Elu membre de l'Académie à trente-neuf ans (2), en remplace-
ment de Jacques Adam (de Vendôme) oublié aujourd'hui, les
épigrammes ne firent pas défaut au triomphe du jeune abbé,
(1) Seguy avait prononcé, en 1729, le panégyrique de Saint-Louis, devant l'Aca-
démie Française, et s'en était acquitté avec un talent si remarquable que cette
compagnie avait demandé et obtenu pour lui du cardinal Fleury, alors premier mi-
nistre, l'abbaye de Genlis, au diocèse de Noyon. — Lorsqu'il publia ses Panégyriques
des Saints, en 1736, il se qualifia de prédicateur du Roy.
(2) Son discours de réception et la réponse de l'abbé de Rothelin, directeur de
l'Académie, prononcés le 15 mars 1730, se trouvent au 5» vol. du Recueil des Ha-
rangues, etc., p. 182.
15
— 226 —
presque inconnu la veille, que quelques amis officieux avaient
pour ainsi dire obligé à faire les visites d'usage. On lui contesta
même la paternité de son Panégyrique de Saint-Louis, qui fut at-
tribué à tort à Lamotte ; Seguy se contenta, pour toute réponse,
de produire, dans la suite, de nouveaux discours d'un mérite su-
périeur au premier. Le triolet lancé par Piron, le lendemain de
l'élection, est le seul quolibet dont on se souvienne :
» Grâce à Monsieur l'abbé Segui,.
Messieurs, vous revoilà quarante.
On dit vous faites aussi
Grâce à Monsieur l'abbé ^egui.
Par la mort de je ne sais qui,
Vous n'étiez plus que neuf et trente :
Grâce à Monsieur l'abbé Segui,
Messieurs, vous revoilà quarante. »
Maintenant aussi, il faut l'avouer, le nom de Seguy, comme le
nom d'Adam (de Vendôme), compte parmi ceux des immortels
qu'on connaît le moins.
Le digne ecclésiastique occupa pourtant pendant vingt-cinq ans
le fauteuil de Racan», de La Bruyère et de l'abbé Fleury. Pendant
quelque temps, il assista régulièrement aux séances et partagea
avec zèle les travaux de l'Académie ; puis il vint dans la Brie,
d'où il se contenta de surveiller la publication de ses ouvrages.
A la mort du cardinal de Bissy, évêque de Meaux, qui l'avait
attiré dans cette ville, Seguy prononça l'oraison funèbre du défunt,
dans sa cathédrale, le 5 décembre 1737 ; il renonça aussitôt
après à la prédication (1).
C'était d'ailleurs un homme extrêmement modeste. Cherchant
plus à se faire oublier du public qu'à briller, il était venu h Meaux
cacher le peu de gloire qu'il avait acquis. Aussi y vécut-il retiré,
dans la compagnie d'une de ses sœurs qui, restée célibataire, s'é-
tait faite sa gouvernante (2).
L'abbé Séguy ne possédait aucune fortune personnelle, toutefois
l'abbaye de Sainte-Elisabeth de Genlis, qu'il tenait en commande
(d) Préface des Sermons pour les principaux jours de carême; Paris, Prault,
1744, in-12.
(2) Ils habitaient ensemble une maison canoniale, rue Sainl-Maiir, qui provenait
de M. Pastel et que le chapitre affermait moyennant 260 livres. Elle a été habitée
successivement ensuite par MM. Collier de la Marlière, et Mannoury chanoines.
— 227 —
dans ]e diocèse de Noyon, certains droits sur le séminaire de
Saint-Magloire (?) et les revenus de son canonicat, l'avaient mis
au-dessus du besoin, et lui permettaient toujours de soulager dis-
crètement quelque infortune autour de lui.
Au mois de janvier 1761, voyant sa santé altérée, accablé de
douleurs et d'infirmités, le digne chanoine fit son testament et y
joignit des observations qui prouvent l'ordre et le soin qu'il appor-
tait à régler ses affaires d'intérêt. Il mourut, en effet, le 18 mars
suivant, à soixante-quatre ans, et on l'enterra dans la cathé-
drale (1).
Joseph Seguy, qui remplissait avec une édifiante assiduité ses
devoirs de chanoine (2), passait à Meaux pour un homme simple,
pieux et bienfaisant ; cette réputation ne devait pas se démentir. A
l'ouverture de son testament olographe, déposé chez M'' Dela-
granche, notaire à Meaux, on apprit que le défunt avait disposé
de sa modeste succession en faveur des pauvres : l'hôpital de cette
ville était institué son légataire universel.
Les héritiers présomptifs, néanmoins, — deux frères et deux
sœurs, — avaient dû être appelés : c'étaient Antoinette Seguy, do-
miciliée à Meaux; Anne Seguy, qui habitait Rodez ; un frère, se-
crétaire du maréchal de Broglie (3), et Namas Seguy, procureur
domanial de S. A. S. le duc d'Orléans, à Aiguesperse. Tous étaient
dans une certaine aisance ; le dernier seul souleva des difficultés
pour l'exécution du testament, et ce ne fut pas avant l'année
1766 (4) que l'hôpital de Meaux obtint la délivrance du legs fait
à son profit.
Ce legs, consistant en deniers comptants, produisit net une somme
de cinq raille quatre-vingt-quatre livres, dix-neuf sols, neuf deniers.
Avant de rapporter l'acte de baptême, le texte du testament et
l'acte d'inhumation de l'abbé Seguy, ainsi qu'un résumé du compte
rendu aux administrateurs de l'hôpital, en 1776 (5), ajoutons que
sa succession à l'Académie française fut recueillie par un grand
seigneur, le prince de Rohan-Guémenée, coadjuteur de Strasbourg,
(1) Personne n'a cité cette tombe, en décrivant la Cathédrale de Meaux.
(2) Voir le discours du duc de Nivernois, en réponse au duc de Rohan, pro-
noncé à l'Académie Française, en 1761 (tome VI, p. 515 d\i Recueil des harangues).
(3) Georges, sans doute, né à Rodez le 16 janvier 1688, qui était lié avec Jean-
Baptiste Rousseau et qui donna en 1743 une édition de ses œuvres (Didot, 3 vol. in-4°
et 4 vol. in-12.)
(4) 21 avril 1766, sentence du bailliage de Meaux.
(5) Archives de l'Hôpital Général de Meaux.
— 228 —
qui possédait dans la Brie les terres de Coupvray, Montry, Ma-
gny-le-Hongre,etc.Commechanoine'deMeaux,i'abbéSeguyeutpour
successeur M. de Villedon, et son bénéfice de Sainte-Elisabeth de
Genlis passa aux mains de messire Henri-Ignace de Chaumont de
La Galezière, lequel, contrairement à l'exemple de Namas Seguy,
s'empressa de donner décharge des grosses réparations de son
abbaye, qui pouvaient être mises à la charge de l'hôpital de
Meaux.
I
naissance do l'abbé Seguy.
Extrait des registres de la paroisse Notre-Dame de Rodez (ca-
thédrale) ; registre n" 8; année 1697 (1).
« Joseph Seguy, fils du sieur Pierre (marchand) et à demoiselle
Anthoinette Drulhe, né le 19" mars, baptisé le21^ Parrain, Georges
Drulhe, — marraine, Catherine Drulhe, présents comme dessus. »
« Fontanon, vicaire. »
II
Testament olographe de l'abbé Seguy {déposé chez M" Delagrange,
notaire à Meaux ^ le 19 mars 1761).
« Voicy mon testament que je mets sous la protection de M. le
Procureur Général du Parlement de Paris.
« Je fais mon légataire universel l'Hôpital général de Meaux, et
je fais M. Cannelle, procureur du Roy au Présidial dudit Meaux,
mon exécuteur testamentaire, en chargeant ledit Hôpital général
de Meaux de faire présent à mon dit sieur Cannelle, de la pendule
de la chambre oti je couche, si ledit sieur parvient par tous ses
soins, à faire exécuter mon présent testament dans toute sa teneur.
« Item je prie ledit Hôpital général de AJeaux de laisser à ma sœur
Antoinette Seguy, qui demeure avec moy, mon portrait, et du
reste, je déclare devant Dieu que ledit hôpital ne peut, en qualité
de mon légataire universel, rien prétendre sur les meubles de
l'appartement de ma ditte sœur, lesquels appartiennent à elle ©n
(1) Cet acte permet de rectifier les dates fautives indiquées dans toutes es ûio-
graphies antérieures.
— 229 —
propre, en vertu de l'échange que je fis avec elle desdits meubles
avec ceux qu'elle apporta de Sainte-Marie, sur lesquels je n'avois
rien à prétendre, mais dont je me suis accomodé en conséquence
de l'accord fait entre nous deux, dont elle a copie signée d'elle et
de moy. Fait avec toute la réflexion dont je suis capable, lu et relu
à Meaux, ce trois janvier mil sept cent soixante-un.
(( (Signé) L'abbé Seguy. »
III
« Instruction au sujet de mon Testament, pour ceux qui pour-
roient prétendre y avoir quelque intérest pour ou contre. Je laisse
une succession qui ne peut consister qu'en meubles, m'étant fait
un principe, depuis que je suis au-dessus de mes affaires, de ne
me réserver qu'une certaine somme pour la dépense journalière
de ma maison, somme qui était épuisée au bout de chaque trois
mois et remplacée par une pareille, ce qui ne manque jamais,
moyennant l'exactitude avec laquelle je suis payé tous les quartiers
et les mesures que j'ai prises.
« Je proteste devant Dieu que je ne dois rien à personne, hors
au Chapitre (1), à qui il n'est pas possible à un chanoine de ne pas
devoir, à moins qu'il n'ay fmy son année canoniale, et qu'il n'ait
point d'absence à payer. Les dépenses trop considérables que j'ay
faittes dans ma maison ont été payées à mesure, ainsy ni maçon
ni menuisier, ni vitrier, ni tel ouvrier que ce soit, n'ont pas un sol
à demander à ma succession. Tous les lambris et boiseries que j'ay
fait faire dans ma maison, je les reconnois appartenir à la ditte mai-
son, suivant qu'il est convenu entre le Chapitre et moy, en ce que
ledit Chapitre a bien voulu m'accorder pour laditte maison. Mon
successeur dans mon abbaye (2) n'aura rien à prétendre sur ma
succession, vu que depuis trente ans et plus que je jouis de ce
bénéfice, les religieux, toujours mes fermiers, se sont chargés, par
tous les baux passés entre eux et moy, de toutes les réparations
grosses et menues des fermes, de payer toutes les impositions
actuelles et à venir, d'acquitter toutes les charges prévues et im-
prévues, et de me payer tous les ans, par quartier, deux raille
livres, même en cas de non-dépouillement de grains. Mon succes-
seur ne voulant pas connaître tout cela, ne manquera pas de faire
(1) Saint-Etienne de Meaux.
(2) Sainte Elisabeth de (îenlis, Ordre de Prémontré réformé.
— 230 —
faire une saisie sur ma succession, mais ce sera à mon exécuteur
testamentaire à mettre les religieux en cause et obtenir mainlevée
de laditte saisie. Je le conjure, luy et tous les amis des pauvres,
d'emploier leur zèle et leur crédit pour garantir ma ditte succession
de toutte déprédation, en faveur des pauvres à qui elle est destinée.
« Fait à Meaux, ce dix-huit février mil sept cent soixante-un.
Signé : l'abbé Seguy.
a A l'égard de mes meubles, mes domestiques sçavent que je n'ay
en argenterie que six couverts, une cuillère à soupe et deux cuil-
lères à ragoût ; ma sœur, quand je donne à manger, me prête les
six siens, qu'elle fit faire longtemps avant qu'elle vint chez moy,
et qu'elle fît marquer à ses armes ; n'ayant pas actuellement de
garçon domestique, je ne dois que les gages de ma cuisinière qui
est depuis environ sept à huit mois à mon service, sur le pied de
vingt écus de gages, ceux de la femme de chambre de ma sœur ne
me regardent point. J'ai neuf paires de draps de maître, environ
huit ou neuf de domestique, cent soixante et quelques serviettes,
et le linge de ma cuisine. A l'égard de mes autres meubles, comme
ils sont en place, c'en est un mémoire qui se montre aux yeux. Je
n'ay point fait de catalogue de mes livres.
A l'égard de mes papiers (je ne parle pas de mes écrits) (1),
qu'on ne soit pas surpris qu'il en manque plusieurs, ils ont été
(1) La liste des écrits publiés par l'abbé Seguy, peut être dressée ainsi :
1" Poésies, 2 vol. iii-12.
2° Sermon prononcé aux nouveaux convertis, en 1732, in-8" (reproduit dans ses
sermons pour les principaux jours de Carême.
3° Panégyrique des Saints, 1734-1736, 2 vol. in-12.
4° Oraison funèbre du maréchal de Villars, 1736, in-4''.
5° Discours de réception à l'Académie Française, 1736, in-i".
6" Discours académiques et poésies, La Haye, Néauhne, 1736, in-12.
7° Oraison funèbre de.... Henry de Thiard de Bissy, cardinal et évêque de
Meaux, prononcé dans l'église cathédrale de Meaux, le 5 décembre 1737; — Paris,
Prault père, 1737, in-4».
8" Sermons pour les principaux jours de carême ; Paris, Prault, 1744, in-12
de 670 pages.
9» Oraison funèbre d'Elisabeth de Lorraine, reine de Sardaigne, 1745, in-4°.
lO» Nouvel essai de poésies sacrées; 1756, in-12.
On lui attribue aussi, en collaboration 'avec l'abbé Trublet, la 2« édition de
l'Introduction à la 'connaissance de l'esprit humain, de Vauvenargues ; Pari»,
Briasson, 1746-1747. — Barrois aine, 1781, 1 vol. in-12.
Notre savant compatriote, le bibliographe Barbier (de Coulommiers), attribue encore
à l'abbé Séguy, mais d'une façon douteuse, la traduction de deux livres de Saint-
Augustin.
— 231 —
perdus dans mes divers déménagements par l'étourderie de gens
que j'ay employez, car quel intérêt auraient-ils pu avoir de le faire
par malice.
A Meaux, les .jour et an que cy-devant.
L'abbé Seguy.
IV
Décès de l'abbé I§iega7.
{Extrait du registre des sépultures faites en l'église cathédrale de
Meaux, année 1761.)
Cejourd'huyjeudy dix-neuf mars 1761, par M*" Philippe Pidoux
prêtre licencié en Théologie de la maison et Société Royalle de
Navarre, Doyen et Chanoine de l'Église Cathédrale de Saint-
Étienne de Meaux, député de Messieurs du Chapitre de la même
Église, a été inhumé sur les six heures et demie du soir, dans la-
ditte Église Cathédrale, dans le premier bas-côté du parvis des
Lions, entre les deux premiers pilliers vis-à-vis la Chaire, le corps
de Messire Joseph Seguy, prêtre du diocèse de Rhodez, abbé de
Sainte-Elisabeth de Genlis, diocèse de Noyon, chanoine de laditte
Église Cathédrale de Meaux, et l'un des Quarante de l'Académie
françoise, décédé le jour d'hier sur les quatre heures et demie du
soir, âgé de soixante-un ans (1), en présence de MM. Philippe-
Louis Durel, conseiller du Roy, lieutenant particulier criminel
aux baSge et siège présidial de Meaux, MM. Claude-Charles Ca-
nelle, conseiller du Roy et son procureur auxdits baâge et siège
présidial de Meaux, et encore en présence de M*'' Pierre-Ézéchiel
Le Vasseur de Rocher, Jacques-Nicolas Desmiés, prêtres grands-
chapelains, hauts- vicaires, M" François Scellier, prêtre, et Claude
Denis Plaisir, clerc tonsuré, marguillers de laditt'.' Église Cathé-
drale, témoins à ce requis, demeurans à Meaux, qui ont signé avec
mondit sieur Pidoux, doyen.
(Signé) Durel, Ganelle, Desmiés, Plaisir, Levasseur, Scellier,
Levasseur et Pidoux, doyen.
compte de la ^accession Meguy.
Il résulte du compte rendu en 1766 aux administrateurs de l'hô-
(1) C'est une erreur; le défunt avait 64 ans, moins up jour.
— 232 —
pital général de Meaux, que la succession de M. l'abbé Seguy, s'est
liquidée comme il suit:
ACTIF.
1° Prix de la vente des meubles et effets mis sous les scellés h
Meaux 6,033 liv. 14 s. 6 d.
2° Prix de la vaisselle d'argent. . . .
3° Billet Gherrier
4° Billet de partition du Chapitre. . ,
S'* Montant de la vente des meubles trou-
vés sous les scellés apposés au séminaire de
Saint-Magloire, suivant procès-verbal du
6 février 1762. . . . 1,208 1.10 s.
6° Et de l'argenterie. 239 » 10 » 6d.
369
19
»
227
10
»
100
»
))
1,448 liv. 6d. 1,448 n 6 d.
Total de l'actif 8,179 liv. 4 s.
PASSIF.
Sur cette somme on a payé :
A Meaux,
Pour capitation, garde des scellés, frais
de JLisiice et d'inhumation, frais de der-
nière maladie, etc. . . 2,15() 1. 3 s. 9 d.
Un an des gages de
Marie-Louise Colnoy ,
domestique .... (30 » »
Une tombe de mar-
bre blanc (mémoire de
.1. F. Tretté). ... 75 » »
2,291 1. 8 s,
, Od.
AuséminairedeSainL-
Magloire,
Pour frais de Justice.
.587 3
6 d.
Pour frais d'économat
au compl.ibk; ....
598 i
»
Total des dépenses.
3,4761.11s.
3d.
Excéd i
ant de raclii".
1,476 11 3 d
4,702 liv. 12 s. 9 d.
— 233 —
Report . . . 4,7021iv. 12 s. 9d.
11 faut encore ajouter : les fruits et re-
venus de l'abbaye de Genlis jusqu'au 18
mars 1761, date du décès de l'abbé Se-
guy 433 1.6 s. 7 d.
Déduisant : les deux sols
pour livre, attribués à l'é-
conome . 43 1. 6 s. 7 d.
Et pour
les frais de
saisies-ar-
rêts entre
les mains
des fer-
miers , . 7 13 »
oOl. 17 s. 7d. 50 17
Reste. . 382 1. 7 s. » 382
Il est donc entré net dans la caisse de l'hô-
pital général de Meaux 5,0841iv. 19 s. 9 d.
235
NOTES SUR LA FONDATION DES CÉLESTINS
DE LA SAINTE -TRINITÉ DE MARCOUSSIS,
PAR M. LEBIAIRE,
Membre fondateur (Section de nielun.)
L'établissement religieux dont je vais m'occuper n'a pas appar-
tenu à notre département, c'est vrai ; mais comme il s'y rattache
par ses possessions les plus considérables, j'ai pensé qu'il ne
serait pas sans intérêt de rappeler l'érection d'un monastère doté
d'une manière splendide, dès son origine, par une de ces familles
qui avaient su conquérir une large place dans le pays et qui,
encore aujourd'hui, peut être considérée à bon droit comme une
des plus honorables de France, par ses vertus, sa piété éclairée
et sa bienfaisance inépuisable connue de tous les malheureux.
Je dois le dire, c'est cette dotation même, et surtout la descrip-
tion des joyaux et des reliquaires donnés par les fondateurs, qui
ont éveillé en moi le désir de les faire connaître,
Marcoussis, où Jehan ;, seigneur du lieu et de Montagu ou
Montaigu (hameau de la commune de Ghampbourcy, entre Saint-
Germain et Poissy), édifia le monastère qu'il destinait aux Céles-
tins, est un village de l'Ile-de-France. Il paraît avoir été fondé
en l'an 661 par Saint- Wandrille, qui y fit bâtir une église. Un
château-fort construit vers la fin du xiv^ siècle, existait à Mar-
coussis ; il a été démoli en 1807, sans doute par les sieurs Joseph
Boutron et Jean Donnât, qui s'en étaient rendus acquéreurs le
28 prairial an VI.
Ce château passait pour une des plus fortes places du royaume.
L'entrée était couverte par un ouvrage avancé dans lequel on pé-
nétrait par deux ponts-levis. Après avoir traversé une première
cour on arrivait au château par un autre pont-levis jeté sur un
fossé large de 20 mètres. La forme générale de l'édifice était celle
d'un parallélogramme d'environ 55 mètres de longueur sur 30 de
largeur, dont les angles et les côtés étaient défendus par dix tours
de grandes dimensions, y compris celles qui flanquaient l'entrée
formant donjon, et plus rapprochées entr'elles que les deux du
côté opposé. (Planche II, fig. A).
— 236 —
Avant de parier des Célestins de Marcousis et de leur fonda-
teur, qu'il me soit permis de dire quelques mots sur la création de
l'ordre, qui du reste n'était qu'une branche de celui des Bernar-
dins ou Bénédictins réformés.
« Les Célestins ont pris leur nom du pape Gélestin V, qui avant
» son avènement au siège pontifical, et connu alors sous le nom
» de Pierre de Mouron, établit une congrégation de religieux ré-
» formés de l'ordre de Saint-Bernard. Cette congrégation date de
» l'an 1244 ; elle fut approuvée en 1264 par Urbain IV, et confir-
» mée 10 ans après par Grégoire X, au deuxième concile général
» de Lyon. D'Italie, les Célestins passèrent en France l'an 1300.
» Le chef de l'ordre fut établi à Paris en 1318. Vingt-trois monas-
» tères en dépendaient ; ils étaient gouvernés par un provincial
» élu tous les trois ans, et qui avait titre et pouvoir de général. »
(Dubreuil. Antiquités de Paris.
Les Célestins de Paris furent fondés par Pierre Martel, bour-
geois de cette ville ; ils jouissaient des mêmes droits et privi-
lèges que les secrétaires du roi. L'origine de ces droits vient
de ce que Robert de Jussi, reçu novice dans le monastère du
Mont-de-Ghartres, et ayant quitté l'habit avant de faire profes-
sion, s'attacha au service du roi Philippe de Valois, et fut du
nombre des conseillers -secrétaires de ce prince. L'affection
qu'il avait pour l'ordre le porta à proposer dans une assem-
blée des secrétaires du roi d'ériger une confrérie dans l'église des
Célestins de Paris. La proposition fut acceptée, et, pour donner
moyen aux religieux de subsister parce qu'ils n'étaient pas riches
en ce temps-là, ils leur accordèrent tous les mois, chacun 4 sols
parisis sur l'émolument de la bourse. Depuis ce temps, Charles,
dauphin de France, régent du royaume pendant la détention du
roi Jean, son père, leur donna une bourse semblable à celle de
chaque secrétaire du roi. {Histoire des ordres monastiques. — Tome
VI, pages 189-190).
Marcoussis est une commune de 1,350 habitants; elle fait par-
tie de l'arrondissement de Rambouillet (Seine-et-Oise). — Le
monastère établi en ce lieu doit sa fondation, ainsi que je l'ai dit
plus haut, à Jehan de Montagu (1), vidame de Laon, seigneur de
Montagu, près Poissy, de Marcoussis, du Bois-Malesherbes, de
Tournenfuye, chevalier, chambellan du roi Charles V, souverain
1) Ses armes sont : D'argent à la croix d'azi^r, cantûniiée de quatre aigles de
sable.
■!ri:i.lH:'!llil||'i|!!;ii|;|
. . Il iiii'''i|i P'iiir i
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— 2.37 --
maître de l'hôtel du roi Charles VI, et surintendant des finances
du royaume.
Jehan de Montagu fut aimé de ces deux souverains : le dernier
lui donna les maisons de Massonvilliers et de Pranconville, près
Chartres. Il acquit en 1390 le vidaraé de Laon, en échange de la
terre de Ver, et fnt capitaine du château de la Bastille. Au mois
de mai 1401, le roi lui fit don de l'hôtel de Chanteloup avec ses
dépendances, pour l'unir à la châtellenie de Marcoussis qu'il avait
acquise; c'est deux ans après qu'il le pourvut de la charge de
souverain grand maître de son hôtel.
A Jehan de Montagu succéda, comme dame de Marcoussis,
Elisabeth, sa fille aînée, veuve de Jehan VI, comte de Roucy ;
elle mourut en octobre 1429, à Lyon, d'où son corps fut porté
aux Célestins fondés par son père.
On voit ensuite, comme seigneur de Marcoussis, Jehan Mallet,
cinquième du nom, sire, de Graville, fauconnier, panetier et
maître des arbalétriers de France, qui eut pour deuxième femme
Jacqueline de Montagu, veuve de Jehan de Craon, seigneur de
Montbazon et de Moncontour en 1346.
Une troisième fille de Jehan de Montagu, nommé Jehanne,
épousa en 1417 Jacques de Bourbon, deuxième du nom, chevalier,
baron de Thury, qui se destinait d'abord à l'état ecclésiastique et
abandonna ensuite ses bénéfices. Il prit le parti de Charles de
France, dauphin de Viennois, régent du royaume, qui lui don-
nait 100 francs par mois pour être en sa compagnie. Jehanne de
Montagu mourut à Valère en Touraine, dans le mois de sep-
tembre 1420, âgée de vingt- trois ans; son corps fut aussi apporté
à Marcoussis, oii il a été inhumé le J5 mars 1468.
Les seigneuries de Montagu et de Marcoussis passèrent par
alliance dans la famille de Balzac.
Jehan de Montagu, ainsi qu'il le dit dans son acte de donation,
était fils de Girard, seigneur du même lieu, secrétaire du roi,
trésorier de ses chartes, et de Bicète de Cassinel, laquelle était
vraisemblablement nièce de Ferry Cassinel, archevêque, duc de
Reims, pair de France, seigneur de Marcoussis, par suite de
l'échange qu'il avait fait avec le roi, de sa terre de Galargues,
contre le châtel maison forte de Marcoussis et la maison de La
Ronce, en la châtellenie de Montlhéry, par acte du 9 février 1386.
Avant de fonder le monastère dont il s'agit, Jehan de Montagu
achetait de Gontier Col, trésorier de France, pour les donner en
toute propriété aux religieux qu'il patronnait, les seigneuries,
— 238 —
terres, prés, bois, étangs, cens, rentes, etc., d'Ozouer-le-Voulgis,
de Garigny et de Retal, ainsi que les manoirs, granges, écuries et
autres bâtiments en dépendant.
Je n'ai pu découvrir de qui Gontier Col tenait les domaines
achetés de lui par Jehan de Montagu, ni les noms de ses pré-
décesseurs, à moins pourtant que le premier n'ait été aux
droits de Jehan de L'Hôpital, seigneur de Montignon, àquiOzouer
aurait appartenu. Celui-ci a été naturalisé par lettres du 26
septembre 1349. Le régent du royaume, depuis Charles V, lui'
avait donné au mois d'octobre 1348, en échange d'une rente de
200 livres qu'il avait à prendre sur le trésor, la terre et seigneurie
des Allueux en Palluel, mouvant du château de Crèvecœur-en-
Brie. — (En 1416, un François de L'Hôpital était gouverneur de
ce château). On croit savoir aussi qu'en 1206, dame Jude de
Cresne devait être en possession de la terre d'Ozouer-le-Voulgis,
dont elle détachait une pièce de bois contenant 439 arpents (185
hectares 32 ares), pour la donner aux habitants, à la charge « de
)) 4 deniers parisis de cens, réduits du denier parisis, et d'un
» pain par chacun particulier habitant, feu et ménage, pour la
» reconnaissance de leur droit d'usage, » suivant le titre-nouvel,
qu'ils en ont fourni devant Sureau, notaire audit Ozouer, le 21
juin 1S82, duquel il résulte que la communauté du lieu aurait été
en possession de ces usages depuis trois ou quatre cents ans envi-
ron ; (( confessent aussi lesdits habitants que de tout tems les
» seigneurs Célestins, leurs officiers et justiciers audit Ozouer,
» ont eu, et comme ils ont encore de présent, la connaissance de
» toutes forfaitures, crimes et délits qui se sont commis et com-
1) mettent es dits bois des usages par quelconques personnes et
» pour quelque cas que ce soit. »
Si tous, nous ne connaissons pas Ozouer-le-Voulgis et Rétal,
au moins leurs noms ne nous sont pas étrangers.
Ozouer dépendait delà province de l'Ile-de-France ; il resssor-
tissait aux bailliage, présidial, grenier à sel et élection de Melun ;
il dépendait du doyenné de Melun. D'après un pouillé du dio-
cèse de Sens transcrit en 1717, le revenu de la cure d'Ozouer était
de 900 livres, elle payait 49 livres de décimes ordinaires et 70
livres de décimes extraordinaires; l'archevêque de Sens en était
collatcur, la paroisse a pour patron Saint-Martin.
Suivant une déclaration de M. François Marchand, curé du
lieu, faite devant le directoire du district de Melun, le revenu de
son bénéfice aurait été pour : le pnesbytère, cour et jardin, 100 li-
— 239 —
vres; dîmes des grains de toute nature, 4,500 livres; menues et
vertes dîmes, agneaux, vin et filasse, 400 livres; 21 arpents de
terre estimés devoir rapporter 918 livres 15 sous; autres revenus,
745 livres ; soit au total 6,663 livres 15 sous, sur lesquels il y au-
rait eu à déduire pour charges et frais de perception, 2,653 livres;
mais, attendu que la déclaration du titulaire de ce bénéfice n'a pas
été reconnue exacte dans toutes ses parties, l'administration, par
son arrêté du 16 avril 1791, a fixé le revenu de la cure d'Ozouer à
4,177 livres 2 sous; les charges à 738 livres au lieu de 2,653 livres,
et le traitement à allouer à M. Marchand à 2,688 livres 11 sous
3 deniers.
Aujourd'hui, Ozouer-le-Voulgis est une commune de 835 habi-
tants (recensement de 1866) ; cette commune fait partie du canton
et de la justice de paix de Tournan, arrondissement de Melun.En
1790, la population était de 750 âmes; elle a été en 1846, de 912.
Si l'on s'en rapporte à Sébastien Rouillard, Ozouer viendrait du
mot oratoire. Tout en n'admettant les étymologies qu'avec une
grande réserve, je ne crois cependant pas inutile de citer notre
vieux chroniqueur, qui, tout en remontant aux Romains, aux
Grecs et souvent même par delà le déluge, n'est pas toujours à dé-
daigner. Voici comment il s'exprime en son Histo're de Melun,
§ 2'= de la page 376 : « Et d'autant qu'es mêmes archives (de l'ab-
» baye du .Tard), en un aultre tiltre d'icelle année 1220, est faict
1) récit de Hugues de Voulgis, chevalier, et de son oratoire, vul-
)) gai rement nommé Osouër-le- Voulgis. le veux dire pour l'expli-
» cation de ce mot Usouër, que c'est un terme corrompu, selon la
» prononciation brioise, coustumière de mettre un S pour un R,
» àl'opposite du prouerbe Eretriensiwn Rho\ et ainsi fault dire
» Orouer, qui est la vieille diction traduicte du mot latin Ora-
» torium, tourné par les modernes en Oratoire ; et en ce sens
» OsoYER -LE- Voulgis veult signifier l'Orouer ou Oratoire du che-
» valier et seigneur de Voulgis. »
Le manoir ou hôtel seigneurial d'Ozouer, ainsi que les bâtiments
de la ferme donnés aux Célestins de Marcoussis, enveloppaient en
partie l'église paroissiale, ainsi qu'on le voit encore aujourd'hui.
En ce qui concerne les droits politiques d'Ozôuer-le- Voulgis, il
est à remarquer que les habitants n'auraient pas été représentés à
la rédaction de la coutume de Melun en 1560. On ne trouve au
procès- verbal que le nom de maître Guillaume Le Lièvre, leur
curé, qui était là évidemment comme membre du Clergé, et non
pour le Tiers-État.
— i40 —
Kn. IG14, lors de la convocation des États-Généraux du royaume
sous Louis XIII, encore enfant, ces mêmes habitants comparais-
saient à l'assemblée du bailliage de Melun, par leur syndic pour
le Tiers; le curé s'y trouvait aussi.
En 1789, l'assemblée tenue dans la paroisse, pour la nomination
des députés qui devaient comparaître à l'assemblée générale des
bailliages royaux de Melun et Moret, convoquée le 5 mars, élisait
pour ses représentants, les sieurs Pierre Chevalier et Jean-Louis
Belesme, tous deux vignerons à Ozouer.
Garigny, situé sur le territoire de la même commune devait
être un hameau avec manoir féodal, à environ 500 mètres de l'é-
glise paroissiale. Les fondations de bâtiments que l'on rencontre
encore en fouillant le terrain attestent suffisamment que cet en-
droit a été habité; mais à quelle époque peut-on faire remonter sa
destruction? il n'est pas facile de le dire, car rien dans nos anciens
documents ne vient nous révéler le fait. Toutefois, il est certain
que Garigny existait encore en 1406, puisque Jehan de Montagu
en faisait don au monastère qu'il venait de fonder ; or, nous savons
tous que, de 1420 à 1430, la Brie et le Gâtinais furent ravagés,
saccagés et brûlés par les Anglais. On peut donc, sans crainte de
trop se tromper, reporter à la fin de cette période décennale, la dis-
parition du manoir de Garigny et des autres habitations dont il
devait être accompagné.
Quant à Retal, c'est un hameau de la commune de Liverdy,
appartenant aussi au canton de Tournan. Il est situé à 2,700
mètres en ligne droite d'Ozouer-le-Voulgis, dans la direction du
N.-E. Sa population, en 1866, était de 88 habitants.
Il y aurait encore beaucoup à dire, sans doute, sur le sujet que
j'ai essayé d'esquisser, mais le temps et les moyens de recherches
m'ayant fait défaut, je passerai de suite à l'acte d'acquisition des
terres et seigneuries indiquées plus haut, et à la fondation du
monastère de Marcoussis.
Cependant, je demanderai encore la permission de faire une re-
marqua avant d'aller plus loin : c'est que les 600 livres parisis de
rente, dont nous allons voir doter ce monastère, formeraient aujour-
d'hui une somme bien considérable, car en 1405, le marc d'or
était évalué 68 livres 15 sous, et aujourd'hui il vaut en métal
monnayé environ 734 francs , ce qui fait plus que décupler la
somme. Si, en outre, on considère la valeur des terres aux deux
époques, on trouvera une bien autre différence. En effet, Jehan de
Montagu donnait au monastère qu'il fondait, sans y comprendre
— ^4.1 —
la valeur des édifices en construction, ni les bâtiments, maisons et
manoirs de ses seigneuries, environ 930 arpents d'héritages prove-
nant de la vente que venait de lui faire Gontier Col, moyennant
6,200 écus d'or de 22 sous 6 deniers chacun. Porter la valeur de
tous ces biens à un million de notre monnaie actuelle ne paraîtra
sans doute pas exagéré (1), et comme lesjCélestins de Marcoussis
ne devaient pas être plus de treize, le prieur compris, on voit que
ces bons religieux pouvaient vivre sans préoccupation du lende-
main, et que ceux qui, pour l'amour de Dieu, pouvaient faire un
tel sacrifice devaient posséder une fortune véritablement colossale
pour l'époque.
(l) Les fermes d'Ozouer-le-Voulgis et de Rétal, terres^ prés et bois en dépendant,
ainsi que le bois des Seigneurs, vendus les 18 avril et 20 août 1791, 28 juillet 1808
et 10 décembre 1818, en exécution des lois sur les biens nationaux, ont rapporté à
l'État plus de 375,000 fr. ce qui est déjà quelque chose; mais tout le monde sait
que la vente de ces biens a été loin d'atteindre leur valeur réelle, et que depuis
les époques que je viens de citer, les biens ruraux ont singulièrement augmenté de
prix; ce qui, joint à la dépréciation des métaux, vient encore ajouter à mes appré-
ciations.
Vente par Gontier Col, trésorier de France, à Jehan, seigneur de Montagu,
vidame de Loannais, de la seigneurie, château, tours, maisons, tille et terre
d'Ozouer-le-Voclgis.
A tous ceulx qui ces présentes lettres verront, Guillaume, seigneur de Tignon-
uille, chevalier, conseiller, chambellan du Roy nostre Sire, et garde de la prévôté
de Paris, Salut. Sçauoir faisons que par deuant Jehan de La Motte, et Jehan Closier,
clercs nolaires-jurés du Roy, nostre Seigneur, établi au Chastelet de Paris, fut pré-
sent en sa personne honorable homme et saige maistre Gontier Col, trésorier de
France, et afferma en bonne véritté en la présence desdicts notaires comme en ju-
gement pardeuant nous, que de son conquest par luy faict il auoit, joissoit et paisi-
blement, possédoit, et que à luy seul et pour le tout, et non à aultres, sans débats,
contredicts ou empeschements aulcuns, compectoient et apartenoient, compectent et
apartiennent les chastel, chaslellenie, maisons, tour, manoirs, hostels, reuenus, cens,
rentes, prés, bois et aultres possessions qui s'ensuiuent :
Et premièrement. Le cha.-tel, chasiellenie, tour, maisons, ville et seigneurie
d'Ozouer-le-Vougis assis au pays de Brie, auquel chastel et chaslellenie sont et
appartiennent les choses quy s'ensuiuent: C'est assauouir une maison assise auprès
ladicte tour en laquelle demeure le fermier et y a bonne cave et bon four.
Item. Une chambre assise deuant le puis estant en la cour dudict chastel.
Item. Une bonne granche couuerte de thuile, à mectre et hesbergier deulx cens
muidz de grain.
Item. Au bout de ladicte grange par deuers l'esglise, a bonne maison couuerte
16
— 242 —
de thuile, ea laquelle a deulx estables à niectre pourceaulx et deux géliniers très-
beaulx.
Ite77i. Au bout de ladicte granche à bonnes estables toutes neufues pour raectre
chevaulx, dedans la basse-cour.
liem. Hors la closture de ladicte basse-cour, à belles bergeries pour mectre grand'
foison de besles à laine, à corne et demourance pour le fermier, couuerte de chaulmes.
Item. Une maison ainsi comme elle se comporte, assise en ladicte ville d'Ozouër,
qui est esclieuë au seigneur, en laquelle a très bel jardin garni d'harbres portans.
Item. Cent et douze arpens de fleur de terre à fourment.
Ite77i, Vingt arpens d'aultres terres ou enuiron, dont une partie est baillée à cens,
et l'aultre non.
Item. Onze arpens et demy de préz ou enuiron, dont une pièce est baillée au
fermier, et l'autre est retenue pour les cheuaulx du seigneur.
. Item. Le jour Sainct Remy, chacun an, enuiron 20 livres parisis de menus cens,
portans lods, ventes, saisines, et amendes qui se perçoiuent aussi à l'huis de la tour.
Item. Le jour de la Sainct Andry, enuiron seize sous ung denier-maille parisis
de menus cens, portans lods, ventes, saisines et amendes qui se perçoiuent aussi à
l'huis de ladicte tour.
Item. Le lendemain de Noël, chascun doict rente, qui doibuent ledict cens, cinq
gelines, quatre chappons et trois septiers d'avoine.
Item. Les champarts de toutes les terres à champarts estantes autour des bois des
Usaiges, ainsi comme on a accoustumé les cueillir.
Item. Le jour de Nostre-Dame, en mars et le jeudy absolu, 4 sous ung denier
tournois de menus cens.
Item. Le jour de la Sainct Jehan-Baptiste, 18 sous 6 deniers parisis de menus
cens.
Item. Environ cent coruées que d'été que d'hiver, ou se le seigneur n'a à faire
des personnes, chacune doibt 2 sous parisis pour la cornée.
Item. Four banier en ladicte ville ou toutes les hostes dudict seigneur sont tenues
de cuyre et payer 6 deniers parisis pour seplier, communs ans.
Item. A ledict seigneur, en ladicte ville d'Ozouër et appartenances, toute justice
haulte, moyenne et basse, aulne, mesure, eschantillon et voyrie. Et tout homme
qui mène charrette on cheuaulx par les bleds ou hors la voye publique, doibt
7 sous 6 deniers parisis d'amende au seigneur, pour chacune beste ; et est amoi-
sonnée la justice, sans espaues ni forfaictures.
Item. tJne place à molin à eaue, au dessus de la fontaine.
Item. La rivière d'Hyères au lieudicl Préfontaine, laquelle appartient toute au
seigneur et non à aultre, ni aultry n'y peult peschier.
Item. La seigneurie, tiers et dangier de 365 arpents de bois en une pièce appelée
les Bois des Usaires (usages) d'Ozouër, esquels bois à très bel meirien pour mai-
sonner, et esquels aulcuns des hommes et hôstes du seigneur ont accoustumé d'auoir
leur usaige pour eux chauffer et édiffier en la terre dudict seigneur et non ailleurs,
et se aiilcuns dcsilicts usaigiers en couppoit ou l'aisoit coupper pour aullre cause
ou vendoit aulcune pièce dudict bois, il forferoit son usaige et l'amenderoit à la
voulenté du seigneur ; et se aulcnn aullre que desdicts usaigiers y estoit trouué
couppant ou emporlant bois (juelqu'il soit esdits usaires, il forfaict la charrette et
3heuaulx, les coiigiiées ou serpes et amende volontaire audict seigneur.
Item. Y a et appartiennent les fiefs cy-après declairés que tiennent les personnes
cy-après nommées :
Et premièrement, Jacqueline, femme feu Liénart Lescuyer, tient un fief auquel
— M'a —
fief à vignes, terres, prés, censives et aultres choses, et le tient à présent Girardin
de Luxembour, fauconnier, demeurant à Braye-Conte-Robert, à cause d'elle.
Item. Les Loirs et ayans cau^es de feu messire Gilles Le Gallois en tiennent un
fief, et le tient à présent Pierre de Beaumont, à cause de madame sa femme.
Item, u'icelluy fiei sont tenus trois arrière-fiefs que tiennent personnes.
Item. Simon Marin tient ung fief.
Item. D'icelluy fief est tenu un arrière-fief.
Item. Ledict Simon Morin tient ung aultre fief.
Item. Messire Guillaume de Harcourt, tient ung fief, à cause de madame sa femme.
Item. Madame jehanne de Marigny, dame du Puiset et d'Audrezel, tient ung fief.
Item. Jehan Le Bougueneau, tient ung fief.
Item. Simon Moreau, sergent à cheval au bailliage de Meleun, tient un fief que
Agnès, femme de Simon Barneau souloit tenir.
Item. Jehan de Villiers tient pareillement ung fief.
Item. Gilet Poquet tient ung iief.
Item. Jehanne de La Granche, jadis femme feu Jehan de la Granche, écuyer,
tient un fief.
Item, Deulx fiefs, qui estoient tenuz dudict Gilet Poquet, en arrière-fief d'Orouer,
et à présent sont en plein fief pour certain conquest pieça faict par Jehan de L'Hos-
pital et sa femme.
Item. Maistre Jehan Audreguel tient ung fief.
Item. Maistre Guy de Cosme, tient un fief.
Item. Les hoirs ou ayans causes de feu messire Jehan Le Mercier, tiennent ung
fief.
Item. Les hoirs ou ayans causes de feu Denisol Langlois, tiennent ung fief.
Item. Ledict maistre Guy de Cosme tient ung fief qui fust Jehan Le Fébure.
Item Messire Jehan de Fèvre, chevalier, maistre d'Ostel de la Royne, tient un
fief.
Item. Les hoirs feu messire Jehan Le Viconte, chevalier, tiennent ung fief.
Item. Madame Ysaheau La Girarde, dame de Garigny, tient ung fief.
Tout ce qui dict est, tenu et mouvant en fief, du Roy notre sire, a une seule foy
et horrfmaige, à cause de son chastel de Meleun.
Item. Une pièce de bois assise près de ladicte ville d'Orouer, nommée les Bois
du Brûlis, contenants huict vingts et dix arpens ou environ, tenant d'une part aux
chanoines du Vivier en Brie, et d'autre part à Jehan de Gragy, et sont tous en
coupe.
Item. Une aultre pièce de bois, nommée les bois de Gragy, contenante quarante
quatre arpens ou environ, tenant d'une part aux bois qui furent Liénard de Landes,
et d'aultre part ausdicts bois, du Brûlis.
Item. Deulx aultres pièces de bois contenante chascunes vingt-quatre arpens, et sont
tous lesdicts bois en coupes et tenus des seigneurs ou seigneur qui se peut mouvoir.
Item. S'ensuict la desclairation des bois de l'isle, assis près dudict lieu d'Orouer,
contenaus six vingts et dix arpens ou environ, et sont en coupes.
Item. A èsdicts bois de l'isle, justice moyenne et basse, et plusieurs nobles fiefs
tenus à cause de la seigneurie desdicts bois desquels la desclairation est telle :
Et premièrement. Messire Jehan de Montanglaust, tient son haut ostel de Vi-
gnoUes, si comme il se comporte, ensemble les jarains et vignes, terres et aultres
choses.
Item. A auxdiots bois, justice moyenne et basse, jusqu'à 60 sols 1 denier.
Item. Ledict chevalier tient ung aultre fief à cause desdicts bois, c'est asscavoir
— 244 —
sa basse maison que il a à VignoUes, appellée le bas Ostel , ensemble les vignes
terres et aultres choses appartenantes à icelluy ostel.
Item. Dudict fiefs sont tenuz sept arrière-fiefs.
Item. La femme feu maistre Jehan Gouin, tient ung fief desdicts bois de l'isle,
séant au Putoy.
Item. Messire Loys de Villiers, seigneur de Neufmoustiers^ tient ung fief à La
Chapelle-Houyes.
Tout ce que dict est, tenu en fief à une seule foy et hommaige du Roy nostre
Sire, à cause de son chastel de Tournan.
Item. L'ostel, terre, s^eigneurie et appartenances de Retalles, assises en Brie, au-
quel ostel et seigneurie appendent et appartiennent les héritaiges, reuenus et pos-
cesbious cy-après déclairés.
Et premièrement. Ung ostel ainsy comme il se comporte, clos de murs ou il y a
plusieurs salles, chambres, four et aultres hébergemens.
Item. Près d'icelluy ostel a bonne granche et estables couuertes de thuile.
Item. Derrière ledict hostel et joignant des murs, quatre arpens de bois qui ont
vingt aus.
Item. Devers Liverdis à environ vingt arpents de bois appelés le Buisson Menes-
sier, lesquels sont en coupe.
Itein. Quatrevingt arpens de terres labourables appartenant audict hostel.
Item. Cinq arpens de pré appartenans à iceluy hostel de Retalles.
Item. Au plus près dudict hostel, à un pièce de bois contenant cinquante arpens
qui furent Jehan de La Folie, tenant aux usaiges de Chastres, et sont tous bons à
coupper.
Item. Neuf solz parisis de menus cens appartenans audict hostel de Retalles; les-
quels se payent chacun an le jour de la Sainct Rémy, portans lods, ventes, saisines
et amandes.
Item. Au près des murs dudict hostel a ung étang tout refait de neuf, contenant
environ 4 arpens d'eau et est bien peuplé.
Item. A audict lieu justice moyenne et basse.
Item. S'ensuivent plusieurs fiefs appelés les fiefs de Combreux, appartenant audict
lieu de Retalles. Et premièrement, y a dix arpents ou environ de bois qui sont en
coupe, et sont vendus quatre escus l'arpent^ et sera la moitié de la vente et du paye-
ment, passé à Noël prochainement venant.
Item. Guillaume Le Harle, escuyer, tient ung fief à cause de Combreux.
Item. Jehan Robin, demeurant audict Combreux, tient ung fief.
Item. Guillaume Poulet, demeurant à Liverdis, tient ung fief.
Item. Jehan Berthault, demeurant à Villegenard, en tient ung fief.
Item. Jehan Le Vasseur, demeurant à Combreux, tient ung fief.
Item. Pierre Héron, demeurant à Combreux, tient ung fief.
Item. Denisot Le Roy, tient ung fief.
Item. Les hoirs et ayans causes de feu Jehan de Henery en tiennent ung fief, et
c'est a-sçavoir que le seigneur de Retalles est tenu de comparoir par procureur
souffi:amment fondé, aux assises de Tournant, toutes fois que elles tiennent.
Tout ce que dict est tenu et mouvant en fief du Roy nostre Sire, à cause de sou
chastel de Tournant.
Item. S'en suivent aultres bois joignant desdicts bois de Hetalles, appartenans à
ce lieu, tous en une pièce contenante cent neuf arpens, que le seigneur de Retalles
ja pièça, a acheptée de Guichart de La Folie, qui sont bons à coupper, tenuz en lief
du seigneur de Raineuille.
— 245 —
Item. Au plus près d'icelle pièce, a une aullre pièce de buis conteuaate cinquante
arpens, laquelle ledict seigneur ja pièça a acheplée de feu Liénart de Landres et de
ses enfans, tenue en fief de madame Isabeau La Girrarde, dame de Garigny.
Item. Une aultre pièce de bois appellée le bois des usaires (usages), contenante
quatrevingt dix arpens que ledict seigneur à ja pièça acheptée dudict de Landres et
ses enfans, tenue en fief des religieux Chartreux de Paris, à cause de leur justice de
Soulère (Solers); et afferma (affirma) en outre ledict mai-tre Confier Col, que les
héritaiges reuenus et pocessions dessus désignés n'étoient, ne (ni) ne sont obligés,
affermés ne hypotecqués enuers quelconques personnes que ce soit ou peust estre.
Lesqnieux seigneuries, terres, héritaiges, cens, reuenus et pocessions dessus dé-
clairés, et généralement toutes les terres et aultres héritaiges, reuenus, cens, rentes,
prés, bois, aulnois, fiefs et arrière-fiefs, appartenances et deppendances des lieux
d'Orouër, de Relaies, en quelques lieux qu'ils soient scitués et assis sans aulcune
chose en rescruer ou retenir. Icelluy maislre Gontier, de son bon gré et Youlenté,
propre mouvement et certaine science, sans aulcune force; erreur contrainte ou dé-
céuance, mais pour son cler et évident prouffit, et ces choses en mieux réformer, si
comme il disoit, reconnut et confessa avoir vendu, quictté, cédé, transporté et dé-
laissé, et par la teneur de ces présentes lettres, vend, quictte, cedde, transporte et
délaisse dès maintenant à toujours, perpétuellement et héritablement sans intencion
de jamais rappeler, ne uenir en contre, a promis, et encore promect garendir,
déliurer et deffendre enuers et contre tous, de tous troubles, dettes et aultres obli-
gations, hypothèques, seruitudes, dons, douaires, transports et contre-pièges, en-
gagements et de tous aultres empeschemens quelconques, toutefois et quantes que
mestier en sera, à noble et puissant seigneur, monseigneur Jehan, seigneur de
Montagu, vidame de Lannois (Laonnais), cheualier, conseiller et souverain maistre
d'hostel du Roy, nostre dict seigneur, achepteur pour luy, ses hoirs, et pour ceulx
qui de luy auront cause au temps aduenir. Ceste vente faicte pour le prix et somme
de 6,200 escus d'or de 22 sols 6 deniers tournois pièce, que ledict vendeur en confessa
auoir eus et receus dudict achepteur, franc et quiclte, icelluy vendeur, et dont il
se tient pour content et bien payez, et en quitta et quitte, clama bonnement, pure-
ment et absolument à tousiours, sans rappel, ledict achepteur, ses hoirs et aians
causes et tous aultres, à qui quittances en pouuoit appartenir. Et d'iceux héritaiges,
reuenus et pocessions dessus desclairés, ainsi vendus comme dict est ; icelluy ven-
deur se dessaisi et deuesti ès-mains desdicts notaires, comme en la nostre souue-
raine, pour le Roy, nostre seigneur, en voulant et consentant que par le bail et
ostancion de ces présentes lettres ledict achepteur ou son procureur pour lui, en
feust et soit mis en pocessioo et saisine, foy, hommaige ou souffrance, par tout et
où il appartiendra. Et d'abondant pour luy, démettre de la foy, hommaige, poces-
sion et sa'sine, en quoy il étoit des choses dessus dictes, icelluy vendeur fit, or-
donna, constitua el establit ses procureurs généraux, et certains messages spéciaux,
Gilol de Pont-de-Pierre, Estienne de La Croix, Jehan de Sainct-Mesmes et Robin
Auuré, et le porteur de ces présentes, et chacun de eux par soy et pour le tout;
portant ces lecttres, ausquels il donna et octroya plain pouvoir, auctorité et mande-
ment spécial de ce faire et tout ce que au cas appartiendra, promettant ledict ven-
deur, par son serment, et par la foy de son corps pour ce baillée corporellement es
mains desdicts notaires, la vente, quittance, transport et choses dessus dictes, à
auoir agréables, et tenir fermes et stables à tousiours, sans aller faire dire ou venir
en contre par luy, ne par aultre ouuertemeat ou eu appert par voye d'erreur, d'i-
gnorance, art, engin, cautelle ou déceuame, ne par qnelqu'aultre voyes, causes ou
raisons que ce soit ou peust estre. Et rendre ou payer à plain et sans plaid, tous
— 246 —
coux, fraix, mises^ dépens, dommaiges, journées et intérests qui faictz seroienl par
deffaux de ce que dict est, non tenu en terme et non accomply. Obligeant quand
ad ce ledict vendeur luy, tous ses biens et les biens de ses hoirs, meubles et im-
meubles, présens et adueuir qu'il soumit à justicier, vendre, exploicter par nous,
nos successeurs préuost de Paris et par toutes aultres justices et juridictions où ils
seront et pourront estre trouués. Renonçant en ce faict expressément, icelluy ven-
deur par sesdicls sermens es foy dessus dicts, à toutes exceptions de déception, à
toutes barres, cautelles, cauillations, raisons, deffenses et oppositions à action ea
faict, à condition sans cause ou de non juste et indue cause; à convention de lieu
et de juge, à tout ayde de faict et de droit escript et non escript, canon et ciuil, à
l'exception de ladicte somme de six mille deux cens escus d'or, non auoir eue et
receue comme dict est, à la déception d'oultre la mbitié de juste prix; à tous pri-
uiléges, grâces, respits, lecllres d'estat, dispensalions et absolutions quelconques
données ou à donner, impestrées ou à impestrer de quelque prince ou prélat que ce
soit où puisse être, et a tout ce généralement qui aider et valoir en pourroit à dire,
venir ou opposer à ces lecttres, et les choses contenues en icelles, et au droict di-
sant générale renonciation non valoir. En témoing de ce nous, à la relation des-
dicts notaires, auous mis à ces lecttres le t^ceau de ladicte preuosté de Paris, qui
furent passées et accordées doubles, l'an de grâce rail quatre cent cinq, le samedy
sixiesme jour du mois de mars. Signé Closier et de La Mothe, auec paraphe.
Collationné à l'original en parchemin ; ce fait, à l'instant rendu, par les con-
seillers du Roy, notaires au chaslelet de Paris, soussignez; cejourd'hui dixième mars
mil sept cent trente huit. Signé : Dulion et Lemoine.
Fondation du monastère des Célestins de la Sainte-Trinité de Marcoussis, par
Jehan, seigneur de Montagu et de Marcoussis, vidame de Laonnais, et Jac-
queline DE La Grange, sa femme (1).
A tous ceulx qui ces lettres verront, Guillaume, seigneur de Tignonuille, cheual-
lier, conseiller, chambellan du Roy nostre Sire, et garde de la prevosté de Paris,
Salut. Sauoir faisons que par deuant Jehan Closier et Andry Lépreux, clercs, no-
taires du Roy, nostre Sire, au Chastelet de Paris, furent présens nobles et puis-
santes personnes monseigneur Jehan, seigneur de Montagu et de Marcoussis, vidame
de Laonnais, cheuallier, conseiller et souuerain maisire d'oslel du Roy, nostre dict
seigneur, et madame Jacqueline de La Grange, sa femme, à laquelle ledict seigneur
son mary donna et octroya, et elle print et receu en elle agréablement plain pouuoir,
licence et auctorilé de faire, passer et accorder d'elle avecques liiy, ce que s'cnsuict :
lesquels seigneur et dame meus de deuotion, considérans que le pellérinaige et les
biens temporels et mondains de cette vie transitoire sont ordonnés de Dieu qui tous
biens a prestes, rérnémorans et aussy considérans les très grands biens et honneurs
que ils ont eus et receus du Roy Charles et de la royne Jehanne de Bourbon, der-
nièrement trespassés, dont Dieu ayt les âmes ; du roy Charles, nostre seigneur, et
de la royne Isabelle de Bauière, qui à présent sont, et de toute la très noble lignée
et Maison do France, et en l'oniieur, loange et réuérance de Dieu le père, le fils et
le Sainct-Esprit, ungDieu vraye et Samcte Trinité, et delà glorieuse vierge Marye,
nostre dame, sa mère; de messieurs Sainct Jchan-Raptiste et éunngéliste, et de
monsieur Sainct Jacques, grant et petit apostrcs, et de tous les benoists saiucts et
i\) Une information de (îoninioili) et inconiinoflo sur cotli; tondation a eu lieu le jeudi 17 no-
veiubru 1107, par Hugues Gunigant cl Nicolas Despre/., conniiis à cet ellet.
— 247 '
sainctes de Paradis, et pour auoir messes, prières et aultres biens espirituels perpé-
tuellement pour lesdicts roys Charles et la Royne derrenièrement trespassés ; pour
le roy Charles, nostre Sire, leur fils, et pour ladicte Royne, qui à présent sont nos
seigneur et dame; leurs enfans; les roys Loys de France et de Nauarre; M?'' le duc
de Bourgogne, Ms^ le duc de Berry, Ms^ le duc d'Orléans, et pour tous nos aultres
seigneurs et dames de France; pour le salut des âmes de leurs nobles personnages,
Ms"" Girard, seigneur de Montagu, et de madame Bicete de Cassinel, sa femme,
père et mère dudict messire Jehan, seigneur de Montagu ; de feu noble homme
Mgr Etienne, seigneur de La Grange, et de madame Marie Dubois, sa femme, père
et mère de ladicte madame Jacqueline ; pour icelluy seigneur de Montagu, grant
maistre d'ostel du Roy, nostre dict seigneur; de ladicte madame Jacqueline, sa
femme, et leurs enfans ; pour réuérens pères en Dieu, Ms' l'éveque de Chartres et
Ms'' l'éveque de Poictiers, frères dudict seigneur, et pour tous les aultres frères
et sœurs, parens et amis, prédécesseurs et successeurs ; et pour la très
grant et singulière amour, deuocion et affection que lesdicts seigneur et
dame au aient et ont enuers la saincte et dénote ordre de M' Sainct Benoist,
selon les statuts de Ms': Sainct-Père Célestin, et en accroissement et aug-
mentacion du seruice diuin, et affin que lesdicts roy Charles et la Royne derre-
nièrement trespassés, le roy Charles, nostre sire, et la Royne qui à présent sont
nos seigneur et dame, leurs enfants, lesdicts roys Loys et de Navarre, Ms'' le duc
de Berry, Ms^ le duc d'Orléans, Ms"^ le duc de Bourgogne et nos aultres seigneurs
et dames de France ; lesdicts Me's de Montagu et de Marcoussis, madame Jacqueline,
sa femme; leurs enfans et leurs frères et tous leurs prédécesseurs et successeurs soient
toujours plus accueillis et accompagnés et participans en toutes les messes, prières,
oraisons et biens spirituels qui ont esté et seront faictes par les religieux dudict
ordre, ont voulu, ordonné et disposé lesdicts seigneur et dame de Montagu et de
Marcoussis, et par cest présentes veulent, ordonnent et disposent, a l'ayde de
Dieu, ung monastère, esglise et habitacions conuenables pour ung couuent d'ung
prieur et de douze relligieux dudict ordre des Célestins, esfrefaict, construict, eddiffié
et estably à l'onneur et an tiltre de la benoiste et glorieuse Trinité, au lieu et place
ja commencée et eddiffié audict lieu de Marcoussis, assis près du chastel et parc
dudict lieu ; lequel lieu et place grant et souffisant, auecques les choses cy-après
desclairées. Iceux seigneur et dame de Montagu et de Marcoussis pour ces causes
ont donné, quicté, ceddé et transporté à tousiours, perpétuellement à Dieu, à
Saincte Esglise, audict ordre, relligion, au prouincial d'icelle et aux prieur et frères
qui seront mis et ordonnés par ledict ordre et relligion audict lieu, pour estre par
iceulx relligieux et leurs successeurs, tenus, habités et possédés perpétuellement
comme amortis, pour eulx demeurer, habiter et perpétue llement faire le seruice
diuin. Et pour la sustencion d'iceulx prieur et douze relligieux, leurs oblats et ser-
uiteurs et aultres personnes que Dieu y amènera, leur ont donné et donnent par
ces présentes, à tousiours perpétuellement, iceulx seigneur et dame de Montagu et
de Marcoussis, six cens liures parisis de rente annuelle et perpétuelle, toutes amor-
ties du Roy, nostre dict seigneur, et de tous aultres seigneurs à qui ce pourroit
toucher et appartenir en quelque manière que ce soit^ assis es lieux qui s'en-
suiuent (1). C'est assauoir la tour, hostel, maisons, manoir d'Orouer-le-Bougj', de
Gariguy et de Rétalles en Brie, auecques toutes les terres, prés, bois, viuiers, cens,
rentes, fiefs, arrière-fiefs, issues, reuenus, seigneuries, héritages et possessions, et
toutes les appartenances et appenddances d'iceulx lieux, plus à plein contenus et
(i) Cet amortissement est du 16 juin 110",
— 248 —
desclairés es lecttre? et tiltres des acquisitions d'iceulx lieux, faictes par lesdicts
seigneur et dame, lesquelles choses dessus dictes, lesdicts fondeurs ou baillé, donné
et assis à ladicte fondation et relligieux en prix, -valleur et estimacion de deux cens
et quatrevingt liures parisis de rente annuelle et perpétuelle en leur donnant
et transportant toutes les issues et reuenus des choses dessus dictes echeues depuis
l'acquisition d'icelles.
Item. L'hostel, manoir, pressoir, maisons et habitacions auecques toutes les terres,
prés, bois, vjgnes, cens, rentes, fiefs, arrière-fiefs, issues et reuenus, justices, sei-
gneuries, héritaiges et possessions de Villesauuaige et de la ville de Saclais, en
Beausse, auecques toutes les appartenances et appendances d'icelles villes, sans rien
excepter, plus à plain desclairés es lecttres et tiltres des acquisions d'iceulx lieux,
lesquels lieux baillés lesdicts fondeurs ont baillés et baillent à ladicte fondation et
relligieux, en prix, valleur et estimacion de deulx cens quaraaie livres parisis de
renie, et le surplus qui reste desdicts six cens liures parisis de rente, montant icelluy
surplus quatrevingt liures parisis de rente, sera prins, baillé et assigné à ladicte
fondation et relligieux es droicture et bois de Fouchainville, et es bois d'abondant
et es aultres terres, bois, cens, rentes, héritaiges et possessions sans labour, que les-
dicts fondeurs ont audict lien, au plus près de ladicte ville de Fouchainville qui
seront desclairés plus à plain en l'assiette qui en sera faicte. Lesquelles six cens
liures parisis de rente seront cueillies, leuées, receues, conuertis et employées es
liures utenciles, et aultres utilités dudict monastère, par ledict provincial, leur pro-
cureur des Célestins de Paris et leurs députés, selon leur ordonnance et discrétion,
jusqu'à ce que lesdicts prieur et relligieux soient mis audict monastère pour faire
l'office diuin.
Item. Lesdicts fondeurs ont voulu et ordonné, veulent et ordonnent que ledict
monastère, esglise, eddiffices et clostures d'icelluy soient faicts et parfaicts bien et
pouffisamment, et selon qu'ils sont commencés, et que icelluy monastère soit bien
et souffisamment libre de liures d'esglise et d'auctres liures de théologie et des
saincts docteurs, conuenables audict ordre et soulfisamment garny de vestemens et
ornemens, calices et joyaulx d'esglise, et aultres meubles nécessaires et utiles anx-
dicts relligieux et monastère, et aux office d'icelluy, et tellement que bien et conue-
nablement lesdicts relligieux puissent demeurer audict monastère, faire l'office diuin
et garder leur relligion. Et pour ce desja, lesdicts fondeurs entre les aultres choses
ont donné et donnent auxdits relligieux et fondation, une notable croix d'or, en
laquelle sont les imaiges du Cruxifils, de Nostre-Dame et de Sainct Jehan ; une
grant quantité de la vraie croix, une des espines de la saincte couronne de Nostre
Seigneur Jésus-Christ; et en un grant pied d'argent porl.mt icellc, sont les imaiges
prians desdicts fondeurs et deux angelos teaans un tableau auquel sont plusieurs
sainctes relliques ; lesquelles relliques desdicts fondeurs affermèrent (affirmèrent)
auoir eues et esté prinses en la présence dudict seigneur de Montagu et de Mar-
coussis, des sainctes relliques de la saincte chapelle du palais du Roy, nostre sire;
de laquelle croix tous les imaiges sont d'or, et en icelle a grant quantité de plusieurs
diuerses pierres précieuses.
Item. Ont donné et donnent, lesdicts fondeurs à iceulx relligieux et fondation,
ung iraaige d'or de M'' Sainct Jehan-Baptiste tenant ung des dens dudict M' Sainct
Jehan, que ledict M8' le duc de Berry a donné et affermé audict seigneur de Mar-
coussis, auoir esté prins au chii f de Mf Sainct Jehan-Baptiste, eslaiiL en l'esglise
de M"' Sainct Jehan d'Angéiy.
Item. Ung aultrc imaige d'or de M^ Sainct Anininr. tçiKiiil un gr:int os du bras
de M'' Sainct Antoine, que h'dict fondenr a ini pai- le moyen du J{oy, nostre dict
— 249 —
seigneur^ et estoit suuffisaînment informé que icelluy os feiist piéça donné par les
relligieux de Sainct Antoine de Viennois à ung de W.M. les ducs de Bourbon, pour
rémunération d'ung très grant seruice que il auoit faict auxdicts relligieux de Sainct
Antoine de Viennois, et à leur esglise. Et parmy ce, lesdicts relligieux, prieur et
couuent qui seront mis, rendus et ordonnés audict monastère et esglise dudict lieu
de MarcouEsis et leurs successeurs, seront tenus de faire le seruice diuin de jour et
de nuict, aux heures ad ce ordonnées et accoustumées,- et tel que à l'ordre et relli-
gion desdicts célestins appartient à faire, et par chacun an, durans les vies d'iceulx
fondeurs, seront tenus iceulx' relligieux et leurs successeurs, faire deulx seruices so-
lempnels du Sainct Esprit, à tels jours comme iceulx fondeurs feurent n'^s, et après
leurs trespassemens seront aussy tenus iceux relligieux et leurs successeurs, faire
deulx aubis et anniuersaires solempnels chacun an, perpétuellement pour le salut
des âmes des Roy, Royne, leurs enfans et seigneurs dessus nommées, et aultres
seigneurs et dames de France, et desdicts fondeurs, messeigneurs les éuesques des-
sus dicts, leurs frères, et de leursdicts feux pères et mères et aultres parens et amis,
prédécesseurs et successeurs, à telles journées comme lesdicts fondeurs yront de vie
à trespassement; et afin de, mémoire perpétuelle de toutes les choses dessus dictes,
seront tenus iceulx relligieux et leurs successeurs de les escrire et enregistrer en
ung liure de martirologe qui sera faict pour l'esglise et mouastère dudict lieu de
Marcoussis, et promistrent lesdicts fondeurs et chacun de eulx par leurs successeurs
et par la foy de son corps pour ce baillée corporellement es rnains desdites notaires,
auoir agréables et tenu ferme et estables à tousiours, ceste présente fondation, dé-
vocion et ordonnance, et toutes les choses en ces lecttres contenues et escriptes,
sans'aller, venir, faire ou dire contre par voye d'erreur, d'ignorance, de décévance
ne autrement, comment que ce soit ou peust estre, et rendre et payer à plain tous
coust, mises, deppens et intérests qui faicts et soutenus seroient, en défauts de ce
que dict est non accomply, obligeant quant ad ce, lesdicts fondeurs, tousle'irs biens et
les biens de leurs hoirs, meubles et immeubles présens et avenir, que ils soubmistrent
quant ad ce, à la juridiction et contraincte de la prevosté de Paris, et de toutes
aultres justices soubs qui juridiction ils seront et pourront estre trouvés. Et renon-
cèrent iceulx fondeurs, par leurs dicts sermens et foy, à toutes exceptions, décep-
tions, oppositions, priuiléges, lecttres, impeltrations, dispensations, absolutions, rai-
sons et défenses à action sans cause ou de non, juste et indue cause, et généralement
à toutes aultres choses quelconques, qui tant de faict comme de droit de us, de
coustumes ou aultrement aidier et valoir leur pourroient aduenir, faire ou dire
contre ces lectres, et au droict disant générale renonciation non valoir ; en tesmoing
de ce, nous à la relation desdicts notaires, auons mis le scel de la preuosté de Pa-
ris, passées et accordées le vendredy vingtuniesme jour de may, l'an mil quatre
cens et six. Signé : A. Lépreux, auec paraffe. Et sur le reply est escript : Veu le
brief et arrest du passement de cest présentes lecttres qui de prime face apert estre
signé des saings manuels de Andry Lépreux, notaire du Roy, nostre sire, au Chas-
telet de Paris, et feu Jehan Closier, en son viuant aussy notaire dudict Chastelet;
et après ce que paur Jehan du Conseil et de Jacques de Rouen, notaires aussy d'i-
celluy Chastelet, nous a esté affermé les saings manuels suscripls audict brief estre
les propres saings desdicts Andry et feu Jehan Closier, nous auons ordonné que les-
dictes lecttres seront scellées du scel de la preuosté de Paris, nonobstant que ledict
feu Closier soit allé de vie à trespassement auant le grossement d'icelles lecttres.
Faict par maistre Pierre Leroy, lieutenant, le raardy vingtdeuixiesme jour d'apuril
l'an mil quatre cent et dix. Signé : Doubsire, auec parafîe.
CoUationné à l'original en parchemin : ce fait à l'instant rendu, par les cou-
— 250 —
seillers du Roy, notaires au Chàtelet de Paris, soussij-'-nés. Cejourd'liui dix^. mars
1738.
Signé : Dulion et;Lemoine.
Nous venons de voir Jehan de Montagu recommander aux
prières des religieux qu'il établissait sur ses domaines, le Roi de
Navarre, les ducs de Bourgogne, de Berry et d'Orléans, ces der-
niers, princes du sang, oncles du roi Charles VI. Voici comment
ils l'en récompensèrent : le 7 août 1409, ils le firent arrêter par
Pierre Des Essarts, prévôt de Paris, et lui firent trancher la tête
le i7 du même mois. Son corps, attaché au gibet de Montfaucon,
en fut retiré le 28 septembre 1412 et transporté au monastère
qu'il avait commencé à faire édifier dès 1404, où il fut enterré
avec honneur. (Toutes les histoires de France.)
251 —
ANTIQriTÉS LOCilLES.
COMPTE-RENDU D'UNE EXPLORATION ARCHÉOLOGIQUE, DANS LA
VILLE DE FONTAINEBLEAU,
PAR M. MAXI3IE BEAUVILLIERS,
Membre fondateur ( iSection de Fontainebleau ).
« L'étude que nous avons l'honneur de vous communiquer,
» Messieurs, a été provoquée par un de nos collègues, M. Ron-
n sin. Sur sa proposition, une commission fut choisie dans le sein
n de la Section de Fontainebleau, pour visiter plusieurs habitations
» de la ville, signalées à l'attention de la Société.
» Elle était composée de MM. J. David, président; Max. Beau-
» villiers, rapporteur; Jacquemin, Ronsin et Gaultron.
» A cette commission , s'étaient adjoints volontairement ,
» MM. Goldschmidt, Tabouret et Saint-Marcel.
» C'est le résultat des diverses explorations de la commission,
» que votre rapporteur vient vous faire connaître aujourd'hui. »
§1".
Maison de la rne des !S»abIons.
Sur le derrière de cette maison, du côté du jardin, le long d'un
grand bâtiment faisant retour sur l'habitation principale, l'on re-
marque trois mascarons en gresserie sculptée, deux chapiteaux et
une salamandre, encastrés dans le mur, rappelant par le faire et
par le style, les œuvres des artistes qui concoururent à l'érection
et à l'embellissement de la partie du palais de Fontainebleau,
construite pendant la période de la Renaissance.
Avant dépasser à l'examen et à la description détaillés des cha-
piteaux et de la salamandre de la rue des Sablons, nous aborde-
rons et nous essaierons de résoudre une question que se pose
involontairement celui qui visite la maison de M. Bordereau.
Ces sculptures ont-elles toujours fait partie de cette propriété,
ou bien, ont-elles été rapportées et encastrées dans le mur?
Plusieurs membres ont pensé que ces gresseries faisaient corps
— 2o2 —
avec le bâtiment, dont elles décorent la façade, et qu'elles lui
avaient toujours appartenu. Ils se sont fondés pour appuyer cette
opinion sur ce qu'à l'intérieur de la pièce, une porte, siîpprimée
depuis, affecte la forme d'un plein cintre.
Poursuivant plus avant leurs hypothèses, et examinant avec
soin la disposition de la construction oblongue et étroite apparte-
nant à M. Bordereau, ces mêmes membres se sont demandé si ce
bâtiment n'aurait pas été jadis le promenoir couvert, le cloître en
un mot, des religieux Trinitaires ou Mathurinsdo Fontainebleau.
La majorité de votre commission ne l'a pas pensé. D'ailleurs,
les religieux Trinitaires ou Mathurins de Fontainebleau, ainsi que
votre rapporteur en a acquis la preuve, en consultant le P. Guil-
bert et les autres annalistes, furent constamment logés dans les
dépendances de la demeure royale.
Par sa charte de juillet 1^39, datée de Fontainebleau, le saint
roi Louis IX « donne en perpétuelle aumône » aux frères de
l'ordre de la Sainte-Trinité et des captifs, « la maison et pour-
pris » dépendant de son palais, dans lesquels demeurait son cha-
pelain, (( pour bâtir et fonder en la même maison et pourpris,
une chapelle en l'honneur de la Sainte-Trinité, un hôpital pour
les pauvres malades qui y viendront, ou y seront apportés des
lieux voisins déserts et arides, qui de circum adj àcentibus locis de-
sertis et aridis confluant \ — et pour y bâtir des offices et autres
logements à la communauté et aux religieux qui y demeureront
pour y faire le service divin. »
Plus tard, en 1529, François I" reprit aux Trinitaires les bâti-
ments de leur couvent, pour créer la cour du Cheval-Blanc, le
jardin des Pins, le Grand-Etang, la cour des Fontaines, les écu-
ries de la Reine, le Mail, etc., etc. Il les établit alors dans un pa-
villon du château, ayant vue sur les fossés. Les Trinitaires ont
changé plusieurs fois de dénomination. Cet ordre fondé en H98,
ne fut approuvé par le pape Innocent III qu'en 1209. Appelés
d'abord Trinitaires, ces religieux furent longtemps désignés sous
le nom de Frères-aux-Anes ; cette qualification, dit Mézeray, leur
fut donnée, parce que suivant les statuts de leur ordre, ils devaient
uniquement se servir de bêtes asines pour leurs montures. De-
puis, on les a plus fréquemment nommés Mathurins, parce qu'à
Paris ils étaient établis dans une chapelle consacrée à Saint-Ma-
thurin, qu'on invoque pour la folie, attendu que matto en italien,
signifie fou. (V. P. Guilbcrl, tome T", p. 51.)
Enfin, en dernier lieu, Louis XIV relégua les Trinitaires (1660)
— 253 —
dans un bâtiment situé sur la rue des Bons- Enfants, toujours
comme on le voit, à proximité de la demeure royale.
Aucun doute n'est donc possible sur l'emplacement de l'an-
cienne habitation des religieux de Fontainebleau qui fut constam-
ment fixée, soit en dedans, soit près du palais du souverain, et
non dans la rue des Sablons.
Aussi, nous a-t-il semblé plus supposable que les pierres for-
mant le plein cintre, avaient dû, ainsi que les trois mascarons,
être rapportés après coup dans la rue des Sablons.
Un moment , l'un de nous a cru que cette maison avait été
jadis possédée par un jardinier du roi (Varin), et l'on se serait
ainsi expliqué l'existence de cesgresseries qui lui auraient été concé-
dées ou vendues par le domaine royal. L'examen des titres de pro-
priété fait disparaître également cette supposition. La famille Va-
rin descend bien du jardinier du roi, mais l'immeuble vendu à
M. Bordereau est un propre de Mme veuve Varin, née Fricault,
encore vivante, et provient des ancêtres de cette dame.
Votre rapporteur, Messieurs, a profité de l'autorisation écrite
qui lui avait été donnée par M. Bordereau, pour compulser les
anciens titres relatifs à sa maison. Il s'est rendu dans les trois
études de notaires de Fontainebleau, et là, il a acquis la preuve
que le bâtiment faisant retour sur le jardin, est désigné sous le
nom de bûcher ou d'écurie. Rien n'indique que cette construction
ait eu autrefois un caractère religieux ou seigneurial.
Enfin, pour la propriété antérieure, il est référé à un contrat
passé devant M® Vergue, notaire à Paris, le 7 janvier i773.
Toutes ces considérations réunies, semblent donc nous autoriser
plutôt à croire que les deux chapiteaux, la salamandre et les
pierres formant plein cintre, ont été rapportés dans la maison de
la rue des Sablons, par suite de démolitions faites au palais de
Fontainebleau. Quoiqu'il en soit, ces sculptures méritent une des-
cription détaillée à laquelle nous allons procéder.
Voici comment se présentent ces gresseries : — Elles sont pla-
cées parallèlement, à une hauteur égale, et font face au couchant.
Chaque chapiteau est formé par deux génies ailés, dont les queues
se réunissent et se confondent, pour figurer le croissant de Diane
de Poitiers, vu de face. Cette disposition symétrique assigne une
date certaine à ces sculptures qui sont contemporaines du règne
de Henri IL
Le soubassement, en terme pratique le culot du chapiteau de
gauche, est supporté par une tête de satyre barbu, à oreilles poin-
— 254 —
tues. Sur le culot de droite, formant pendant, est figurée une tête
de femme dont le pur profil est découpé avec grâce. Une cravate
ou sorte d'écharpe est nouée au-dessus de ses oreilles.
Pour se conformer à la loi des contrastes — toujours si habile-
ment observée dans les arts, — les figurines surmontant la tête
du satyre barbu sont du sexe féminin, tandis que celles enlaçant
la tête de la nymphe, sont du sexe masculin.
A égale distance des deux chapiteaux, et au-dessus d'eux, se
trouve pareillement encastrée dans le même mur, une très-belle
salamandre en gresserie, parfaitement conservée. Cette salamandre
diffère essentiellement du type le plus ordinairement adopté à
Fontainebleau, tt en particulier de celle des bains. Elle est tour-
née en sens contraire ; au lieu de vomir des flammes au-dessus de
sa tête, elle les lance sous son ventre. Enfin, elle n'est pas entourée
de deux cornes d'abondance, mais bien de deux cordons princiers,
semblant indiquer, suivant la très-ingénieuse explication de
M. Jacquemin, l'alliance de Charles d'Orléans, comte d'Angou-
lême, avec Louise de Savoie, sa femme, mère de François P'.
Enfin, la vigueur de la sculpture, l'anatomie fermement pronon-
cée des formes, la netteté du dessin, les nervures profondément
fouillées, assignent une véritable valeur artistique à cette sala-
mandre, et révèlent la main d'un maître.
La commission s'est demandé d'abord, si la position bizarre de
cette salamandre n'avait pas sa raison d'être. En présence d'avis
différents, votre rapporteur a dû non-seulement recueillir» ses
souvenirs personnels, mais il a voulu revoir, il y a quelques jours,
la galerie de François I" au palais de Fontainebleau, et consulter
le doctus doctorum^ l'auteur le plus compétent en matière de bla-
son, le savant P. Ménestrier.
A Chambord, — cet Alhaml^ra français des bords de la Loire,
improvisé d'un coup de baguette par François 1", et que nous
avons visité en détail, — le plafond de la salle des gardes est formé
de cinq cents caissons, renfermant autant de salamandres, toutes
dans des positions différentes.
Ici, à Fontainebleau, dans notre galerie de François I", règne
également une infinie variété de salamandres, très-diversetnent
disposées. Les unes sont accroupies, d'autres sont debout, comme
des carpes sortant hors de l'eau. On courrait peut-être le risque
de tomber dans la subtilité, en voulant expliquer systématique-
ment chaque position, pour y découvrir un sens caché, et lui
assigner une signification précise.
— ÎJ55 —
Pour notre part, nous inclinons h croire qu'en cela, le sculpteur
a simplement obéi à sa fantaisie. Et quel art fut jamais plus fan-
taisiste, plus capricieux et plus créateur que celui de la Renais-
sance !
A l'appui de notre opinion, nous invoquerons au besoin l'auto-
rité de l'auteur de la Méthode raisonnée du blason, le P. Ménes-
trier. Dans ce livre, dédié aux trente-deux chanoines de l'église
de Lyon, qu'il appelle la véritable pierre d3 touche du blason
(d'après les lettres-patentes de nos rois et les bulles des papes, il
fallait être gentilhomme pour faire partie du chapitre de Lyon) ,
— dans ce livre, disons-nous, le P. Ménestrier a essayé de traiter
d'une manière géométrique pour ainsi dire, des usages et des
règles suivis en matière de blason.
A la fin de son travail, le plus complet en ce genre, le savant
écrivain héraldique avoue avec la plus modeste et la plus noble
franchise, que toutes les inventions de l'esprit humain et en par-
ticulier celle du blason, infiniment casuelles par leur nature, sont
encore plus dépendantes du caprice que d'un profond raisonnement.
Après cet aveu, échappé à la plume du P. Ménestrier, il a sem-
blé à votre rapporteur que toute explication prolongée serait
superflue, et qu'il n'avait plus qu'à s'incliner et à rendre les
armes.
Avant de quitter l'habitation de M. Bordereau, la commission
a remarqué dans une pièce abandonnée (le bûcher de la maison),
un chapiteau en gresserie, style Louis XIII, d'un genre composite,
et non sans mérite.
Il ne reste plus. Messieurs, à votre rapporteur qu'à vous sou-
mettre une proposition que vous aurez à examiner, et sur laquelle
il appelle votre attention.
La ville de Fontainebleau, étant destinée, dans un avenir plus
ou moins éloigné, à être dotée d'un Musée municipal, ne serait-il
pas convenable, utile même, dès à présent, de faire photographier
les sculptures en question? La dépense, peu considérable d'ail-
leurs, serait prélevée sur le quart des cotisations afférentes à la
section de Fontainebleau. Nous pourrions ainsi réunir successive-
ment dans un album toutes les curiosités de la ville. Notre Société
qui recherche les débris du passé, qui remet en honneur tout ce
qui a brillé, fera, nous l'espérons, bon accueil à notre proposition.
Nous réservons pour la seconde partie de notre rapport, le récit
delà continuation de cette excursion artistique dans les différents
quartiers de la ville de Fontainebleau.
— 256 —
§ n-
Maison do la rue de France, n» M3.
L'accueil sympathique fait à la première partie du travail de
votre rapporteur, l'a engagé à compléter la relation des visites
effectuées par la commission dans les diverses habitations signalées
à son examen.
Nous continuerons cette revue rapide et sommaire, par la mai-
son située rue de France, n° 83, appartenant à M. Alexandre
Pauly, ancien architecte de la ville de Fontainebleau. Le rez-
de-chaussée de la maison qu'il habite depuis plus de cinquante
ans, mérite une mention toute particulière. Les pièces éclairées
sur la rue de France, sont garnies de boiseries ornées de camaïeux,
de fleurs, d'oiseaux et d'attributs variés.
Ces peintures sur bois, d'un faire incontestablement adroit et
facile, remontent, suivant M. Pauly, à l'époque de la création du
magnifique appartement à pans coupés, connu dans le Château
sous le nom de salon de famille ou de chambre du conseil des
ministres.
Boucher, — qui revit tout entier dans cette pirce, l'une des
plus belles du palais, — a jeté sur ces boiseries toutes les mer-
veilles et les mièvreries à la fois sentimentales et galantes de sa
palette. Il est de tradition que les figures, les tableaux allégo-
riques seulement, sont l'œuvre de Boucher; quant aux fleurs,
aux encadrements des frises, ils furent exécutés par les nombreux
élèves que le maître avait amenés à Fontainebleau. Ce sont, pa-
raît-il, ces mêmes artistes, collaborateurs de Boucher, qui ont
travaillé à la décoration intérieure de la maison de M. Pauly,
dont la chambre à coucher est du plus pur style rococo, à ce
point qu'en y entrant, on se croirait transporté à cent ans en ar-
rière.
L'alcôve, en boiserie peinte, avec ses deux petites portes de dé-
gagement, décrit une courbe vraiment originale et des plus gra-
cieusement ondulées.
On remarque dans la salle à manger la figure historique de
Lucrèce^ par le Guide. L'épouse de CoUaiin^ celle qui inspira une
si vive passion à Sextus Tarquin, est représentée en pied. Debout,
armée d'un poignard, elle est prête à se percer le sein.
Plusieurs membres de la Section de Fontainebleau, peintres
eux-mêmes, notre illustre et regretté Ilerraann Goldschmidt, et
— 257 —
MM. Saint-Marcel et Gaultron, dont la compétence ne saurait
être mise en cloute, tout en appréciait les qualités picturales de
Guido Rhéni, dit le Guide, pensent que d'inhabiles restaurations
ont été faites sur ce tableau. Certaines parties sont d'une exécu-
tion un peu lâchée, qui dénotent une des œuvres de la vieillesse
du peintre. Elève des Carrache, le Guide a laissé un grand nombre
de tableaux d'un pinceau léger et coulant, d'une touche gracieuse
et spirituelle. Il excelle par la franchise des carnations, franchise
telle qu'on croirait voir réellement le sang circuler. Le Guide alliait
surtout la douceur à la force. Il mourut en 1641. Ses dernières
productions, plus hâtives que soignées, se ressentent des agita-
tions et du désordre de son existence. Joueur elfréné, il s'aban-
donnait à tous les écarts et à toutes les négligences de l'improvi-
sation. Aussi, les œuvres de la fin de sa vie sont-elles d'un mérite
bien inférieur à celles de ses débuts.
Le tableau de M. Pauly, vendu à la révolution de 93, provient
du palais de Fontainebleau. Il a été gravé par Dupuis, et on peut
voir cette gravure au cabinet des estampes de la Bibliothèque im-
périale, à Paris.
Grâce à un précieux album, possédé par M. Pauly, il a été ré-
servé à votre Commission, de retrouver la reproduction par la gra-
vure des cinquante-huit tableaux de la galerie d'Ulysse, ce(te mer-
veille des merveilles de Fontainebleau, dit le père Dan, longue de
quatre cents pieds, et retraçant toutes les aventures de l'époux
de Pénélope.
Un véhément écrivain, qui a longtemps habité Fontainebleau,
dans ce style chaleureux — un peu haut en couleur — qui lui est
propre, a flétri avec une juste indignation le vandalisme de
Louis XV, qui, trouvant trop étroites les portes de la galerie
d'Ulysse, détruisit impitoyablement les peintures du Primatice,
pour livrer passage aux paniers de la marquise de Pompadour!
Il faut lire dans un des témoins du temps, le comte Algarotti,
le récit de cette dévastation inqualifiable du roi de France, qui
excita un folle général dans l'Europe artiste et lettrée.
« J'ai revu encore une fois, à Fontainebleau, dit Algarotti, les
» admirables peintures du Primatice et de Nicolo. Elles avaient
» encore la fraîcheur, le relief et la force de coloris qu'elles possé-
» daient quand Vasari les décrivait; elles étaient toujours aussi
» dignes d'être recouvertes de riches rideaux (cortinnagi), comme
» le voulait Verdriani au siècle passé.
» Les aventures d'Ulysse, racontées par Homère, étaient le
17
— 258 —
» sujet de ces peintures. Je ne puis exprimer le plaisir quej'é-
» prouvai à admirer cette poésie visible. Cependant, si j'eusse
)) tardé de quelques heures, c'en était fait, et j'aurais à jamais à
» en déplorer la perte. Les maçons étaient déjà sur le toit de la
» galerie qu'ils démolissaient.
» Les débris de la voûte du monument tombaient sur nos tôtes,
» et il fallut supplier les ouvriers de suspendre un moment leur
)) dévastation, pour nous procurer le plaisir de contempler une
» dernière fois le chien fidèle, qui flatte et reconnaît son vieux
» maître; de voir Ulysse, qui, ayant tendu son arc puissant, défie
» les efféminés prétendants à la main de Pénélope, et tant d'autres
» miracles si vrais de cette haute peinture,
Antiphatem Scyllamque et cum cyclope Charybdim.
» Encore, si l'on avait, ajoute Algarotti, chargé quelque artiste
» habile de dessiner fidèlement et de graver ces peintures, avant
» de les détruire! Mais, en France, personne n'a copié Primatice
)) etNicolo! Ainsi, quelques jours avaient vu détruire à jamais
» l'admirable travail, qui a coûté de si longues années à ces
» grands peintres, émules d'Homère, et que François P'' avait
» attirés d'Italie, pour illustrer son règne ! »
Algarotti s'est heureusement trompé. Messieurs. L'œuvre des
grands maîtres bolonais n'a pas disparu tout entière. Le burin
l'a sauvée de l'oubli. Ce sont ces gravures qui ont passé sous les
yeux de la Commission, dans le cabinet de M. Pauly, et qui lui
ont procuré le plaisir indicible de reconstruire, par la pensée,
l'épopée picturale du Primatice, et de contempler, durant une
heure, les différents épisodes de l'Odyssée.
Vous excuserez, Messieurs, cette courte digression; mais en
traversant la ville de Fontainebleau, et en visitant les collections
qu'elle renferme, il était difficile de ne pas saluer au passage
notre admirable palais, et d'cnlr'ouvrir, de temps à autre, les
portes de ses immenses et splcndides galeries.
Entr'autres pièces intéressantes, la collection de M. Pauly ren-
ferme encore des marbres, des bronzes, un atlas contenant les
ruines de Pompeï, et le recueil des édifices anciens et modernes.
— Dans l'intérêt de l'art, il serait vivement à désirer qu'on pût
empêcher, un jour, la dispersion de ces objets, provenant pour
la plupart du château, et qui auraient leur place marquée d'a-
vance dans le musée municipal à créer à Fontainebleau.
— 259 — •
Cette exploration a permis à la Commission que vous avez
choisie, Messieurs, de retrouver, dans la maison de M. Pauly,
l'une des rares épreuves moulées de la belle Madone, attribuée à
Benvenuto Cellini. L'original en bronze de ce chef-d'œuvre fut
découvert, il y a seize an-, par M. Blouet, architecte en chef du
palais de Fontainebleau, d'une façon singulière et bien inattenduti,.
C'est à l'obligeance de notre confrère, M. Jacquemin , que nous
devons la communication des détails intéressants qui vont suivre,
et dont l'exactitude ne saurait être contestée.
La Madone (particularité étrange et pourtant vraie, à constater
dans les annales d'une société savante!) la Madone, disons-nous,
servait de dalle dans une pièce du château, renfermant les ins-
truments aratoires. Toute la partie en bas-relief était cachée et
retournée en terre. Après avoir nettoyé le médaillon, on l'enleva,
on le passa au sulfate de cuivre, et on reconnut l'œuvre attri-
buée à Cellini. — M. Blouet en commanda trois épreuves. C'est
l'un de ces plâtres, moulés par M. Jacquemin, artiste porcelainier,
que la Commission a pu voir en parcourant la collection de
M. Pauly.
Hôtel de la Coudre.
Une autre habitation avait été comprise parmi celles que devait
visiter votre Commission ; c'est V Hôtel de la Coudre^ ainsi nommé
parf^e qu'il y avait là, autrefois, une grande quantité de coudriers.
Convertie aujourd'hui en brasserie , cette maison était jadis,
suivant le père Dan, l'hôtel du grand écuyer de France, Ce logis
consistait alors en une cour spacieuse, avec un grand clos ou
verger, tenant au parc du château de Fontainebleau.
L'hôtel de la Coudre, complètement transformé et singulière-
ment déchu de sa splendeur première, offre actuellement un in-
térêt assez médiocre, sous le rapport architectural. Il faut néan-
moins citer une fenêtre bouchée, du côté du jardin, et dont le
menuiserie est ornée de losanges et d'étoiles entaillés dans le bois.
Enfin, la porte intérieure, ouvrant sur la grande cour, ne
manque pas d'élégance et de caractère. Entourée de pilastres en
grès, elle est surmontée d'un linteau en gresserie, sur lequel est
gravé un blason, accompagné à droite et à gauche de deux ancres
marines. Ici se pose une double question : Faut-il voir un cor-
dage s'enroulant autour des ancres, ou bien un ;i9 barré, pareil à
celui figurant l'anagramme de la famille d'Estrées?
— 260 —
Il y aurait matière à une dissertation assez intéressante, pour
qui voudrait expliquer le sens de cette devise. Les anciens chro-
niqueurs de Fontainebleau rapportent que l'hôtel de la Coudre
fut successivement le logis du grand écuyer de France, la maison
de plaisance d'un amiral, et qu'enfin, vers le milieu du xviii^ siècle,
il était compris dans les dépendances de la vénerie du roi, et ser-
vait d'habitation principale au grand fauconnier de la Couronne,
qui continua d'y résider jurqu'en 4791.
On peut donc se demander si c'est un membre de la famille
d'Estrées, ou bien Henri IV, qui a fait graver ce chiffre. L'une et
l'autre thèse semblent pouvoir se soutenir.
Le logis de la Coudre a peut-être appartenu momentanément à
la famille d'Estrées. Les ancres marines sculptées au linteau de
la porte rendent assez plausible cette supposition, puisqu'il est
constaté que l'hôtel de la Coudre fut, à un temps donné, la
maison de plaisance d'un marin, et que, d'ailleurs, les d'Estrées
comptent, dans leur maison, plusieurs amiraux distingués , sa
voir :
1° Jean, comte d'Estrées, fait vice-amiral en 1670, puis ma-
réchal, qui s'illustra dans la marine, sous Louis .XIV, battit
l'amiral hollandais Binkes, à Tabago, en 4677, et reprit cette île
aux Hollandais ;
2° Son fils, Victor-Marie d'Estrées, qui commanda les armées
navales réunies de Louis XIV et de Philippe V, en 1703, et con-
tribua puissamment à assurer la couronne d'Espagne au petit-fils
du grand roi.
Par le rapprochement des dates, cette seconde opinion a tout
autant les apparences de la vraisemblance que la première, car
c'est à la fin du xvi'' siècle et au commencement du xvii% que
l'hôtel de la Coudre était la résidence affectée au grand écuyer de
France et ce n'est qu'après être passé dans les mains d'un amiral,
qu'il devint en dernier lieu , vers la deuxième moitié du
xvnf siècle, une dépendance de la vénerie du roi et le séjour du
grand fauconnier.
En troisième lieu, sur la fin du xvi" siècle, l'hôtel de la Coudre
ayant déjà fait partie du domaine royal, et ayant ét4 destiné alors
à loger le grand écuyer, il se pourrait que Henri IV eût fait
sculpter son chiffre ou celui de sa maîtresse (le même, suivant
plusieurs auteurs d'une compétence irrécusable), qu'il a gravé
ouvertement dans toutes ses résidences favorites et dans Ir-nrs
annexes, à Saint-Germain, i\ Fontainebleau, au Louvre.
— 261 —
En effet, des écrivains distingués, des spécialistes, qui semblent
avoir épuisé à fond cette matière, et que nous citerons plus loin,
se sont demandé si 1'^ barré, au lieu d'être exclusivement le
chiffre de la famille d'Estrées, n'avait pas aussi appartenu aux
Bourbons de Navarre.
En présence de trois hypothèses, pouvant donner lieu à des
interprétations aussi variées que vraisemblables, votre rapporteur,
Messieurs, a cru devoir se dispenser d'adopter une conclusion
précise. Il laisse à ceux de nos confrères les plus doctes et les plus
autorisés le choix d'une solution formelle, et le soin de trancher
cette complexe et délicate question. Toutefois, il a tenu à vous
indiquer les sources diverses auxquelles il a puisé, pour essayer
d'étayer les diverses opinions qu'il soumet à votre appréciation,
M. Labarte assure que 1'^ barré est la première lettre de la
devise de la maison de Navarre : Spes. Il démontre, en outre, et
fournit la preuve que, neuf ^ns avant la naissance de Gabrielle
d'Estrées, Jeanne d"Albretet son fils, alors âgé de douze ans, pla-
çaient déjà VS barré dans les jetons qu'ils faisaient frapper comme
souverains de Navarre. D"où cette conséquence assez naturelle,
que Henri IV, devenu roi de France, a pu conserver cette devise
et la répéter sur les monuments royaux.
Un autre écrivain, Etienne Tabourot, sieur des Accords, au
chapitre de ses Bigarrures, intitulé les Rébus de Picardie, explique
que VS fermé d'un trait signifiait : fermesse, vieux mot français
synonyme de fermeté.
La légende du jeton d'Anne d'Albret, donne beaucoup de vrai-
semblance à l'explication de l'ingénieux écrivain. On sait de quelle
fermeté fit toujours preuve la reine de Navarre, et il est tout na-
turel que ses enfants aient conservé sa devise.
IMaitiuu Laïuirault.
Nous achèverons cette promenade à travers- les rues de Fontai-
nebleau, par une petite station dans la maisun Lamirault, située
impasse d'Avon. Cette propriété était occupée anciennement par
un fonctionnaire du Palais.
Les linteaux des deux portes extérieure et intérieure, sont sur-
montés des deux initiales M et B ; sculptures sur bois de l'époque
de Louis XIV, soleil placé au milieu d'un carquois : tels sont les
ornements de la porte d'entrée.
A l'intérieur, on distingue des panneaux en bois sculpté au-des-
__ 262 —
sus des portes et des cheminées. Les panneaux sont couverts de
frises et de rinceaux. Deux surtout, ont une certaine valeur artis-
tique. Sur i'un sont figurées deux syrènes pareilles au sphinx du
tableau de Gustave Moreau. L'autre représente deux jolies têtes
de femmes, terminées par des croupes de lionnes. Elles semblent
supporter un grand vase, rempli de fleurs.
En face, sont placés six panneaux sculptés, dont trois repré-
sentent un flambeau soutenu par des rinceaux. Sur les trois autres,
courent et s'enroulent gracieusement des guirlandes de fleurs en-
rubannées.
Un peu plus loin, on remarque un grand trumeau rectangulaire,
couronné par une corniche très-finement sculptée; ce trumeau,
entouré de fleurs délicatement fouillées, paraît avoir été enlevé
d'une ancienne glace qu'il a dû primitivement encadrer.
Tous ces ornements qui décèlent la légèreté de main d'un habile
menuisier, d'un véritable sculpteur sur bois, ont été encastrés et
rapportés dans les chambres de la maison Lamirault, et doivent
provenir d'une résidence seigneuriale ou princière.
En terminant, permettez-nous d'espérer que cette petite étude
d'archéologie purement locale n'aura pas été sans quelque utilité,
si notre exemple suscite des imitateurs dans les autres sections du
département, et surtout si nous parvenons à éveiller l'intérêt des
vrais amis de l'étude, par la mise en lumière de certaines œuvres
d'art, peu connues jusqu'ici, et renfermées dans plusieurs maisons
de Fontainebleau.
— 263 —
BOSSUET PARRAIN A BANNOST,
( Fragments de souvenirs inédits de Bossuet dans les paroisses de la Conférence de
La Ferté-Gaucher ),
PAR M. VICTOR PLESSIER,
Membre fondateur (Section do Conlommicrs.)
Le grand évêque de Meaux, heureux d'avoir reçu l'abjuration
d'un homme remarquable par ses connaissances anatomiques,
voulut qu'il portât ses noms; comme le montre une attestation
écrite et signée de sa main, sur le premier feuillet d'un exemplaire
de son catéchisme, dont il lui fit présent : « M. Winslou, ayant
» déjà le nom de Jacques, qui est l'un des miens, je lui ai donné,
» en le confirmant, celui de Bénigne, que je porte aussi. Et je lui
» ai donné ce témoignage le M octobre 1699. (Signé) Jacques-
» Bénigne, évêque de Meaux. » — Un fait analogue s'était passé
trois ans auparavant, dans un petit village du diocèse de Meaux,
au milieu de circonstances bien autrement intéressantes. Bossuet
ne s'y trouve pas en présence d'un personnage célèbre par son
nom, sa fortune ou ses travaux. Sa sollicitude pastorale s'étendit
sur une pauvre créature abandonnée de sa famille, dont l'origine
est encore un mystère, et qui dut à la charité publique la conser-
vation de ses jours. C'est une touchante histoire, que chacun peut
lire sur le registre de baptêmes, mariages et sipultures de la com-
mune de Bannost.
« Ce quatorzième juin mille (sic) six cent quatre-vingt-seize,
» monseigneur l'évêque de Meaux étant ici on visite, je lui pré-
» sentay un enfant qu'on avait exposé, il y a deux ans, ou environ,
)) pendant la méchante année, dans notre paroisse, à l'âge d'en-
» viron cinq ans, en ayant sept (aujourd'hui). Après mondit
» seigneur, le trouvant fort instruit, l'a coniSrmé et lui a donné
» son nom de Bénigne, disant hautement qu'il le prenait pour
» son tilleul ; je l'ai surnommé Hobat, d'un nom catalan qui veut
» dire trouvé; en foy de quoi j'ai signé, avec M. Adrien de
» — 264 —
» Warel, diacre, de présent h Bannost, Jean Biffé, maître d'es-
» cole, et M. Jacques Deshayes. prêtre- vicaire de Bannost.
n ( Signé : ) de Warel, Biffé, Deshayes, prêtre, (et) Châ-
» PERON DE Saint-André (celui-ci curé de Bannost). »
A la marge de cet acte est Ime mention également authentique,
qui relate plusieurs circonstances qui y avaient été omises ou n'y
étaient indiquées que vaguement.
(( On l'avait exposé le jour des Gendres mil six cent quatre-
» vingt-quinze, et Charles Foucault l'a retiré chez lui jusqu'au
» jour de l'Ascension 1696. Je l'ai pris dans ma maison. Il avait
» quelque marque , qui m'a empêché de le baptiser , mais je ne
» me souviens plus quelle elle était.
» ( Signé : )Ghaperon de Saint-André, curé de Bannost. »
Est-ce bien la méchante année, autrement dire la mauvaise ré-
colte qui força les parents de cette pauvre petite créature à faire
violence aux plus puissants liens de la nature pour se séparer si
cruellement d'elle? A côté de cette hypothèse indiquée par le curé
de Bannost, il s'en présente une autre plus vraisemblable. Aux
cendres, la saison de la faim et du froid a fait place au travail ré-
munérateur et à l'espérance de la prochaine moisson. Au lieu d'at-
tribuer à la misère l'exposition de l'enfant, ne serait-il pas plus
exact d'y voir un effet des persécutions, dont l'intolérance reli-
gieuse affligea la France à la fin du dix-septième siècle? Un prêtre
a pu juger convenable de couvrir d'un voile circonspect les maux
nés des contraintes exercées contre les protestants pour les faire
rentrer dans le giron de l'Eglise catholique. Les faits omis et les
renseignements contenus dans l'acte insérés sur les registres de la
paroisse de Bannost nous éclairent également. D'abord , l'enfant
qui n'avait pas moins de cinq ans et huit mois lors de son exposi-
tion, avec son intelligence précoce, devait connaître et dire son
nom de famille. Cependant l'acte ne le mentionne pas. Si l'abbé
l'eut demandé sans pouvoir l'obtenir, il n'eut pas manqué de cons-
tater l'impuissance de ses investigations : un point aussi capital
ne peut être l'objet d'un oubli. Ensuite, la marque qui ap[)arût
comme un obstacle au baptême, devait servir à établir l'identité de
l'enfant et permettre à ses parents de le réclamer. Elle a aussi
une importance qu'on ne peut se dissimuler. Et le curé dit négli-
gemment qu'il ne se souvient plus quelle elle était. Elle a donc
été détruite. Tout indice d'origine a disparu; toute trace pouvant
— 265 —
conduire à la reconnaissance est effacée. C'est qu'à cette époque un
Taux zèie n'iiésitait pas à sacrifier la famille à la religion. Enfin,
par contre, le soin de noter que l'enfant avait accompli sa sep-
tième année, n'est pas, comme on pourrait le croire à première
vue, une mention indifférente. Par là, se trouve observée une con-
dition de la validité des abjurations, selon la loi alors en vigueur.
Nul doute qu'il ne soit dérisoire d'admettre que des enfants si
jeunes sont aptes à faire choix d'une religion, à s'affranchir de
l'autorité paternelle et à lui imposer des lois ; néanmoins, en 1682,
il fut permis à ceux dont les parents n'étaient pas catholiques de
changer de religion, de quitter leurs parents et d'exiger des pen-
sions alimentaires, dès l'âge de sept ans. Personne n'ignore que
la force armée, avec toutes ses violences et ses horreurs, fut em-
ployée à la conversion des hérétiques. Le souvenir sanglant des
dragonnades fait frémir. Il fallait mourir , fuir ou abjurer. Et,
chose à peine croyable, la loi, élaborant un monstrueux système
de persécutions, édictait des peines contre les fugitifs.
Des esprits éminents ont pourtant applaudi à ces rigueurs qu'il
eut été dangereux de critiquer ! Bossuet reconnaissait aux princes
le droit de forcer leurs sujets errants au vrai culte par des lois pé-
nales. Ce grand-théologien avouait qu'une telle doctrine devait passer
pour constante dans l'Eglise qui, non seulement, avait suivi, mais
encore demandé de semblables ordonnances. Il invoquait, comme
des précédents, les cruautés dont furent victimes les Donatistes et
les AlbigQois. Il proclamait, pour la pousser au plus loin, la doc-
trine de la contrainte. Et spécialement, en ce qui concerne les en-
fants de protestants, faute par leurs parents de les envoyer aux
écoles catholiques , les seules restées ouvertes , il voulait qu'on
cherchât les moyens de les leur ôter. Ce vœu qu'il exprimait dans
une lettre du 15 juin 1698, devint l'une des dispositions impéra-
tives de la loi du 13 décembre suivant. Sa logique inexorable ne
fléchissait pas devant l'application dans son propre diocèse. Il
mandait au comte de Pontchartrain que, de quatre demoiselles de
Ghalendos, il était nécessaire de faire renfermer les deux cadettes,
et voulait qu'on usât de la même sévérité à l'égard de deux demoi-
selles de Neuville et de deux autres demoiselles de Maulien.
On tomberait dans une criante injustice si, se détachant de l'es-
prit du temps, on voulait apprécier la conduite de l'abbé de Saint-
André, au point de vue du respect de la famille et de la liberté de
conscience ou de la simple tolérance religieuse. Ces considérations
n'avaient pas de prise sur lui. 11 partageait avec une sécurité
— 266 —
aveugle les opinions absolues de Bossuet et se faisait honneur de
contribuer, dans la mesure de ses forces, à l'établissement de l'u-
nité de culte. Il n'est donné qu'à peu d'hommes de s'élever au-
dessus de leur siècle^ et de devancer le jugement de la postérité :
Bossuet lui-même, avec tout son génie, n'a pas eu ce mérite. Ce
qui s'est passé au sujet de l'enfant abandonné à Bannost se res-
sent des préoccupations dominantes de l'époque. En lui donnant
une place à son foyer et en lui procurant les choses nécessaires à
la vie, le brave Foucault obéit aux inspirations de la charité hu-
maine, sentiment admirable dans tous les pays et dans tous leâ
temps. L'abbé de Saint-André a continué la bonne œuvre de son
paroissien, mais avec la pensée d'opérer la conversion du pauvre
enfant. Il a eu en vue le bien de l'âme, non moins que la protection
du corps. Bossuet ne fut pas insensible non plus au malheur de la
faible créature qu'il rangea parmi les fidèles et releva de la dégra-
dation morale de l'exposition, en lui donnant son nom. Même
ainsi vue, l'action de chacun est honorable.
Il nous semble voir l'illustre prélat remplissant son sacré mi-
nistère, revêtu de ses ornements pontificaux, assisté de son clergé
et entouré cle la foule recueillie des fidèles, que l'étroite église de
village a peine à contenir. Le pauvre enfant, guidé par le pieux
curé, se prosterne à ses pieds. Foucault, mêlé à ses compatriotes,
suit l'enfant des yeux et attend anxieusement ce qui doit arriver.
L'évêque, ayant invoqué le Christ, étend sa main sur l'enfant, en
signe de protection, et s'écrie à haute voix, de façon à être entendu
de tous : « Qu'il soit mon filleul; je le nomme Bénigne! » puis il
le confirme. Et le peuple édifié, explique la conduite de son émi-
nent pasteur, par ces paroles du Fils de Marie : « Laissez venir à
moi les petits enfants. »
Qu'arriva-t-il de Bénigne Hobat? Après sa confirmation, on ne
le voit plus figurer sur les registres de la paroisse de Bannost. La
marque dont on le revêtit pour l'exposer, indique que la séparation,
commandée par d'impérieuses circonstances, ne devait être que
temporaire. Il est permis de penser qu'il rentra dans sa famille.
L'abbé de Saint-André devint, sous l'épiscopat de Bossuet, prieur
de Varreddes, près Meaux, et plus tard vicaire-général et archi-
diacre de Brie. Il eut l'estime, la conQance et l'amitié de l'illustre
évoque, l'assista dans la maladie qui termina ses jours, reçut ses
derniers soupirs et eut le triste honneur de lui fermer les yeux.
L'historien de Bossuet montre, au jour de sa mort, h côté de
l'abbé do Saint-André, le savant Winslou, faisant l'ouverture de
— 267 —
son corps, pour connaître la nature du mal qui mit fin à sa glo-
rieuse carrière.
Le touchant épisode que je viens de faire connaître, accompli
sans ostentation dans un petit village, oh il est demeuré inaperçu
pendant près de deux siècles, suffirait à prouver que l'homme qui
immortalisa, par son éloquence, les grands personnages dont il fit
les oraisons funèbres, savait aussi compatir aux souffrances des
plus humbles créatures et les entourer de son bienveillant patro-
nage. Le génie serait incomplet s'il n'était soutenu et inspiré par
le cœur.
— 269 —
NOTE
SLTi DES SÉPULTURES TROUVÉES PRÈS UU HAMEAU D'EPfEDS,
Commune de SAINTS, canton de Coulommiers,
PAK M. CHEMIN,
Membre fondateur (Section de Coulommiers).
L'an dernier (1865), en faisant pratiquer une tranchée par les can-
tonniers de la commune, sur le bord d'un champ de luzerne, pour
rétablir le chemin qui va, du raidi au nord, d'Epieds au hameau
des Courrois, la pioche des ouvriers rencontra à une profondeur
de 40 centimètres au plus, cinq squelettes humains, dont trois
regardaient le ciel et les deux autres étaient tournés vers le sol.
Quelques débris de ruminants existaient encore dans la terre.
L'état fruste des ossements complètement desséchés ne pou-
vait faire croire à quelque cimetière improvisé, lors des guerres
des XIV'' et xv'^ siècles, que nos campagnards les plus anciens
désignent encore par les guerres des LorTuins ; pas davantage, il
n'était possible d'admettre des inhumations isolées à l'époque de
l'invasion de 1814. Mais à quel temps faire remonter ces sépul-
tures, aucun témoignage ne venant à l'appui d'une hypothèse
quelconque?
D'ailleurs, j'étais pris au dépourvu; j'ignorais l'importance des
plus petits détails dans ces sortes d'opérations, et nécessairement
j'ai dû négliger l'observation et la conservation des débris, en ap-
parence insignifiants, et qui. plus tard, deviennent des preuves
pour la science.
J'ai invité M. Anatole Dauvergne, notre Président de Section,
à venir visiter le territoire et m'éclairer de son expérience pour de
nouvelles recherches. Longtemps empêché par un état maladif et
par la mauvaise saison, il a eu l'obligeance de se rendre à mon
désir le samedi 28 avril 1866.
Quelques coups de pioche nous firent d'abord découvrir, dans
la berge occidentale du chemin, un nouveau squelette. — Les
tibias et péronés avaient été détruits dans la première fouille,
mais les deux fémurs complets et rattachés encore aux os iliaques,
témoignaient suffisamment de la position occupée par le cadavre.
— 270 —
c'est-à-dire la tête regardant le levant vers lequel sont tournés
les pieds. Les squelettes précédemment rencontrés avaient une
direction identique, et ce seul fait prouve que nous n'étions pas
en présence d'inhumations précipitées, mais d'un cimetière régu-
lièrement disposé. — Toutefois, aucun objet ne venait révéler
l'âge de ces sépultures. M. Anatole Dauvergne, remarquant dans
la chaussée des morceaux de tuiles plates d'une forme vulgaire, et
qui pouvaient provenir du hameau d'Epieds, distant de 230 mètres
environ, insista pour connaître les fragments semblables rencon-
trés lors de la première fouille. On creusa sous la berge et il re-
connut immédiatement dans les débris exhumés des tuiles plates
et à rebords de l'époque gallo-romaine et qu'il n'est besoin de
décrire tant ils sont communs sur tout le sol de la France.
Plus de doute désormais, ce dépôt funéraire est antérieur à l'in-
vasion et au Moyen-âge, il est gallo-romain ou franc ; probable-
ment du iv'' au vi^ siècles.
Nos conjectures s'arrêtent là; et en vérité, il est difficile d'aller
plus loin pour le moment.
Renseigné sur la valeur de ce gisement, nous ne le perdrons
pas de vue. Après le détrichement prochain du champ de luzerne
qui recouvre ces alignements funéraires, nous ferons de nouvelles
tranchées en diagonale qui nous perm.ettront d'en constater l'éten-
due et de trouver peut-être les traces d'un établissement des con-
quérants de la Gaule. Rien de plus probable en effet ; c'est ici le
point culminant de tout le plateau entre les vallons du Morin et
de l'Aubetin; à trois cents mètres environ passe le Chemin paré^
qui, après avoir traversé la route départementale n" 1, à la limite
des communes de Saints, Mourouxet Goulommiers, se dirige vers
Pommeuse.
Un cimetière ne peut s'expliquer sans habitant^. Or, on peut
conjecturer que sur ce point élevé, au milieu d'une vaste plaine,
à quelques pas de la voie publique, existait une construction ; lar
quelle? nous le saurons sans doute, — villa de plaisance ou poste
d'observation correspondant à ceux des plateaux d'Aulnoy ou de
Doue.
11 y a quelques années, cet emplacement était recouvert par de
vieux toquards qui ont sans doute protégé le sol. Il est évident
qu'il n'a point été remué, et c'est ce qui nous donne l'espérance de
pouvoir l'interroger avec la certitude d'y trouver la vérité.
— UTI-
LES RELIQUES
DE L'ABBx\YE DE KOTRE-DAME DE CHELLES,
PAR M. l'aBIîÉ TORCIIET,
Membre fondateur ( Section de Meaux ).
Le bourg de Ghelles est plein de souvenirs historiques; mais les
pierres qui parlent, comme disent les Arabes du désert, ont été
dispersées par la tempête du siècle dernier.
Son palais royal, ses églises, ses chapelles, ses cloîtres, tout a
disparu sous le marteau de la démolition. Il ne reste plus pierre
sur pierre. L'archéologie n'a que des souvenirs à évoquer.
Cependant, la religion a su sauver du désastre général un trésor,
qui n'est peut-être pas moins précieux pour la science que pour la
foi : les reliques de l'abbaye.
Pendant la tourmente révolutionnaire, au moment du pillage
du monastère, les habitants de Ghelles, ayant appris qu'on Jetait
au vent leurs reliques sacrées, accoururent enfouie à l'église abba-
tiale, réclamant à grands cris ces précieux objets, derniers restes
du culte de leurs aïeux.
Il fallut bien céder. En un instant, les coffrets, dépouillés de
l'or, de l'argent, des pierreries, qui n'en étaient que les splendides
accessoires, étaient chargés sur les épaules robustes de nos braves
Ghellois. On les porta en triomphe, à travers les rues, comme au-
trefois aux beaux jours de la procession de la fête, et on les dé-
posa dans l'église paroissiale de Saint-André (1).
Gette église, la seule qui nous reste, a servi tour à tour de
grenier à foin et de club pour les assemblées républicaines. Il fut
permis d'en renverser la croix et d'en briser les autels, mais
malheur à qui eût osé porter une main sacrilège sur les châsses.
La vindicte publique lui eût aussitôt infligé un juste châtiment.
(l) Il y avait autrefois à Chellts trois églises principales : 1» Notre-Dame, à
l'abbaye; 2° Saint-Andréj église paroissiale du pays; 3° Saint-Georges, divisée en
deux parties : l'une, comprenant l'abside et le chœur, était réservée aux religieux
bénédictins qui desservaient l'abbaye; et l'autre, comprenant la nef et les bas côtés,
servait de paroisse aux officiers et domestiques du monastère.
272
C'est ainsi que Saint- André, autrefois l'humble vassale de
Notre-Dame, s'enrichit des dépouilles opimes de son infortunée
suzeraine.
Un ancien inventaire des reliques de l'abbaye, tiré d'un plus
ancien manuscrit de la maison, nous a conservé la nomenclature
de tous les ossements et autres objets sacrés qui se trouvaient
dans le trésor abbatial. On y compte plus de cent cinquante ar-
ticles.
Malheureusement, une grande partie de ces reliques avaient
été profanées quand les pieux Ghellois vinrent en arrêter le pil-
lage.
Je ne parlerai que de celles qui nous sont restées, et que nous
conservons dans onze reliquaires.
Je partagerai mon travail en deux articles. Le premier sera
consacré à la partie descriptive des châsses, telles qu'elles sont
actuellement; la seconde à la partie historique qui se rattache au
culte de ces reliques.
I. Description des Chasses.
iSaintc Bathildc.
Le reliquaire de sainte Bathilde, autrefois le plus beau de tous
par son travail, et le plus riche par sa matière, n'offre plus rien
aujourd'hui d'intéressant, ni comme sculpture, ni comme anti-
quité.
C'est un coffre de bois doré, en forme de tombeau, avec quelques
ornements d'une date toute récente.
Il renferme une caisse de chêne, scellée du sceau de Mgr Allou, <
qui en fit l'ouverture le 13 juillet 1853. On voit encore, dans un
état parfait de conservation, les restes d'anciens cachets en cire
rouge. Ils sont, les uns aux armes du monastère do Gh(^lles, et les
autres aux armes de l'abbesse Louise-Adélaïde d'Orléans.
Cette caisse contient :
1° Le corps de sainte Bathildc, en sa plus grande partie.
2° Une petite boîte scellée, dans laquelle se trouve un paquet
considérable de soie couleur olive, et de linges que l'on peut con-
sidérer comme le premier suaire de la sainte. On y voit, en effet,,
sur un morceau d'étoffe, un parchemin portant ces mots, en vieux
caractères :
(( Suaire de saincte Baplhilde, royne de France^ fondatrice de Vah-
» baye de Chelles. n
— 273 —
3" Un paquet de linge et d'étoffe, tombant en poussière par
suite de vétusté, avec cette inscription sur parchemin, en écriture
très-ancienne :
« Hœc sunt linta in quibus fuit reconditum sanctissimum corpus Beatœ
» Baptildis Reginœ cîim involutum anno Domini millesimo
» Quingentesimo quadragesimo quarto, vicesimâ nona mensis Januarii. »
4° Trois procès- verbaux :
Le premier, assez grand de forme, porte, en latin, deux écri-
tures différentes; il constate que le corps de sainte Bathilde a
été transféré dans une nouvelle châsse, d'abord le 29 janvier
de la susdite année 1544, sous le règne de François P"", et sous
l'épiscopat du cardinal Jean du Bellay, évêque de Paris; et en-
suite l'an '163o, le 30 janvier, par Jacques Gharton, grand péni-
tencier de Paris, sous l'épiscopat de Jean-François de Gondy,
archevêque de Paris.
Le deuxième est un acte assez long, relatif à l'ouverture
de cette même châsse, le 2 août 1731, par M. Daniel-Joseph de
Gosnac, prêtre, docteur en théologie de la faculté de Paris, vicaire-
général de Mgr de Vintimille, archevêque de Paris, en présence
des religieux bénédictins et de toute la communauté, à l'effet d'en
extraire une partie d'ossement, pour ]V[°"= Louise-Adélaïde d'Or-
léans, abbesse de Ghelles, qui s'était alors retirée au prieuré de
Tresnel, à Paris.
Le troisième atteste la dernière ouverture qui en fut faite par
Mgr Allou, évêque de Meaux, le 13 juillet 1833.
L'ancien inventaire des reliques constatait que l'on conservait,
de plus, dans le trésor, la crosse de sainte Bathilde et la verge
miraculeuse dont elle se servit pour faire jaillir l'eau de la fon-
taine de Ghelles.
§iainte Bertille.
Le reliquaire de sainte Bertille est, en tout, semblable à celui
de sainte Bathilde.
Il renferme également une caisse en chêne renversée sur le côté,
et sur laquelle on voit les débris de mêmes cachets.
Dans cette caisse se trouvent :
1° Une étoffe de soie blanche enveloppant le chef de la sainte.
2° Une étoffe de même couleur, avec une grande quantité d'os-
sements de la môme sainte.
18
— 21i —
3° Plusieurs linges, dont l'un renferme des étoffes de soie tom-
bant en poussière, et qui paraissent avoir été le suaire de sainte
Bertille ou avoir servi d'enveloppe à ses reliques.
4° Deux authentiques :
Le premier, marqué du sceau de l'abbaye et de celui de Louise-
Adélaïde d'Orléans, fait mention de la translation du chef de
sainte Bertille, d'un buste d'argent où il était, en un chef de ver-
meil, le 18 novembre 1721, en présence de la princesse-abbesse,
par dom Eloi Ledoux, prieur de Sainte-Croix.
Le deuxième est une reconnaissance des dites reliques, par
Mgr Allou, évêque de Meaux, le 13 juillet 1853.
Saint Eloi et saint Cîenès.
Les reliques de saint Eloi et de saint Genès sont enfermées
dans une même châsse. C'est un gracieux édicule en bois argenté.
Sur les deux faces de devant et de derrière, on voit deux niches
cintrées, dans lesquelles sont deux petites statuettes de saintes,
couvertes d'un voile. Sur les deux faces de côté, on voit également
deux niches semblables aux précédentes, avec la statuette de saint
Roch dans l'une, et dans l'autre celle de saint Louis, roi de
France. Chacune de ces niches est surmontée d'un fronton cintré,
aux armes de Louise-Adélaïde d'Orléans, et reposant sur deux co-
lonnes d'ordre ionique.
Le couvercle est en forme de toiture arrondie, surmonté d'une
petite coupole, avec sa lanterne, et d'une croix.
Ce reliquaire renferme :
1° Un morceau d'étoffe contenant un nombre considérable d'os-
sements, reconnus comme appartenant au corps de saint Genès,
archevêque de Lyon et aumônier de sainte Balhildc.
2° Un linge dans lequel est enveloppé un parchemin, avec ces
mots en écriture assez ancienne :
« C'est ici un linge que ton a tiré du reliquaire de saint Genès. »
3° Quatre authentiques :
Sur le premier on relate, en deux écritures différentes, deux
translations des dites reliques : l'une en 1544, sous l'épiscopat de
François du Bellay, évêque de Paris, et l'autre en 1621, par
Philippe de Corpéan, évoque de Nantes, sous l'abbesse Marie de
Lorraine.
Le deuxième, en parchemin comme le premier, constate égale-
— :^/o —
ment deux autres translations en des châsses plus riches; l'une,
au recto, est de 1665, l'autre, au verso, est de 1720.
Le troisième, en papier, est du 12 juin 1855, par Mgr Allou,
évêque de Meaux.
Le quatrième, du 28 février 1857, par M. Josse, vicaire-général
du diocèse.
4° Le chef de saint Genès, quant à la partie supérieure du
crâne. Il était autrefois renfermé dans un buste d'évêque, donné,
en 1651, par sœur Marguerite Bazin.
5° Le chef de saint Eloi, avec un parchemin sur lequel on lit :
(( Hoc est caput sancti Eligii épiscopi Noviomensis. »
Ce chef était également, avant la révolution, enfermé dans un
buste d'argent, d'après l'attestation d'anciennes religieuses du mo-
nastère, et comme le constate aussi l'histoire manuscrite de l'ab-
baye de Chelles.
Sainte Radegonde.
Cette châsse est en forme de tombeau, de bois argenté.
Sur les quatre faces sont sculptées douze statuettes de saintes,
parmi lesquelles j'ai distingué sainte Catherine, avec sa roue, et
sainte Bathilde instruisant sainte Radegonde. Elles sont placées
dans des arcades cintrées, reposant sur des colonnes enrichies de
différentes sculptures.
La châsse renferme les ossements de sainte Radegonde, filleule
de sainte Bathilde, comme le prouvent cinq authentiques contenus
dans le reliquaire.
Le premier est de 1544, le deuxième de 1621 et le troisième de
1635, sous les épiscopats précités. Au verso de ce dernier se
trouve le quatrième, qui est de 1720, sous M""" d'Orléans, à qui,
sans doute, on doit le reliquaire, quoique, cependant, je n'aie pas
remarqué ses armes.
Enfin, le cinquième est du 12 juin 1855.
s. jS. Florus, Fabricianus, Florentinns, martyrs.
Ce reliquaire est semblable au précédent, les statuettes excep-
tées, qui représentent des saints, parmi lesquels j'ai distingué
saint André, avec sa croix, et saint Jean, tenant un calice sur-
monté du serpent.
Il renferme :
1° Dans une petite boîte, trois ossements avec les étiquettes :
— 276 —
S. Florus, m. S. Fabricius, m. S. Florentinus, m., et un authen-
tique en parchemin, daté du 20 décembre 1690. François Nicolini,
archevêque de Rhodes et nonce près du roi de France, y cons-
tate que ces reliques proviennent du cimetière Saint-Prétextat, à
Rome.
2° Un grand sac de soie rose, marqué des sceaux de l'abbaye et
d'une abbesse de Chelles, portant l'inscription suivante sur un
linge blanc :
(( Reliques de plusieurs Saints. »
Ces ossements ne sont pas accompagnés d'authentiques. Ils
proviennent sans doute du trésor de l'abbaye, et ils auront été
sauvés par les religieuses ou par les habitants de Chelles, au mo-
ment du pillage.
3° Une seconde boîte couverte, par-dessous^, en velours violet,
et en drap d'argent sur les côtés. Elle est fermée, par-dessus,
d'une glace, à travers laquelle on distingue deux étoffes. Sur la
première on lit, en caractères anciens, ces mots :
« Cest du manteau de Notre-Dame. »
Et sur la seconde :
(( Cfest la faille ISotre-Da^ne. »
J'ai trouvé la première citation dans l'inventaire du trésor.
4" Un linge blanc enveloppant un grand nombre d'ossements,
avec l'inscription suivante :
(( Reliques de divers saints dont on ne connaît pas le nom, et auxquelles
» on a apposé le sceau épiscopal pour remplacer ceux de l'abbaye,
» qui y étaient auparavant. ))
Les sceaux, se trouvent sur la première enveloppe.
6» Un procès-verbal de 1855.
Saint Bénigne et saint Constance.
Ce reliquaire n'offre rien d'intéressant par sa forme. Il ren-
ferme les ossements de saint Bénigne et de saint Constance,
martyrs, trouvés dans le cimetière Saint-Calépode, à Rome.
Il contient trois authentiques :
Le premier, en date du 5 septembre 1691, constate que ces os-
sements ont été donnés à Jean Vivant, évoque in partibus de
Parcs ;
— 277 —
Le second, en date du U iiovombro 17i8, est une note de M. As-
seline, religieux bénédictin, curé de Saint-Georges, par laquelle
ce dernier atteste avoir reçu ces reliques de la soeur du même
prélat ;
Le troisième est de 1835.
Les reliques contenues dans ces deux dernières châsses ne sont
mentionnées ni dans l'inventaire du trésor, ni dans l'histoire ma-
nuscrite de l'abbaye. Je serais assez porté à croire qu'elles appar-
tenaient à l'église Saint-Georges.
(Saint Rocli.
La châsse de saint Roch est en forme de petit tombeau, avec
glaces. Elle est d'un style tout récent.
Elle renferme un ossement du saint, avec deux authentiques :
Le premier est de Mgr Sibour, archevêque de Paris, en date
du 6 août 1830,
Le second, de Mgr Allou, 23 juin 1851.
Nous verrons, dans la partie historique, comment cette relique,
dépouillée de son ancien authentique, a été apportée à Ghelles en
l'année 1629.
Chefs de sainte Bathilde et de sainte Bertille.
Ces chefs ne sont que des imitations des anciens chefs de ver-
meil, qui contenaient les têtes de sainte Bathilde et de sainte Ber-
tille.
Ils sont en bois doré, de date récente, et reposent sur d'anciens
socles de bois noir.
On voit, incrustés à l'intérieur de ces socles, des médaillons en
cuivre repoussé, renfermant divers ossements de saints, avec des
étiquettes très-anciennes.
Ces ossements ont été extraits du trésor abbatial, mais ils sont
dépourvus d'authentiques.
Nous verrons, dans la partie historique de cette notice, com-
ment ces médaillons remontent probablement à l'année 1687.
Tous les renseignements qui précèdent ont été puisés aux ar-
chives de l'évêché de Meaux, où se trouve une copie de tous
les authentiques et des procès-verbaux sur l'état des rehques.
Ces procès-verbaux constatent encore l'existence de deux autres
reliquaires précieux : l'un contient une parcelle du bois de la vraie
Croix, et l'autre deux parcelles des corps de saint Pierre et de
— 278 —
saint André. Ces reliques ne provenant pas du trésor de l'abbaye,
je n'en dirai rien.
liCS Sandales lîe'rholles.
La description scientifique et l'époque de l'origine des sandales
de Ghelles forment, assurément, la partie la plus embarrassante
de ma tâche; mais, heureusement, elle m'a été bien simplifiée par
la savante et consciencieuse dissertation qu'a faite, à ce sujet,
l'un des plus éminents antiquaires du département, notre ancien
collègue, M.Grésy, deMelun. [Revue archéologique ; — IS'' année).
Je veux me borner à l'analyser en conservant, autant que pos-
sible, ses propres expressions.
Le petit coffret qui renferme les sandales était, autrefois, exposé
à la vénération des fidèles, sur l'autel de Saint-Roch; mais,
comme il ne contient aucun authentique, il a dû être enlevé.
Ce reliquaire est en forme de pupitre.
« Ses dimensions donnent 0,27 c. de longueur, sur 0,19 c. de
largeur. Sa hauteur est de 0,06 c. à la face antérieure, et de 0,10 c.
à la partie postérieure. Le couvercle à charnière présente, par
conséquent, un plan incliné, garni d'un verre dormant, qui in-
dique que sa destination était d'être placé sur un autel, et de faci-
liter aux pèlerins la vue des reliques qu'il recouvre.
» L'ornementation extérieure accuse l'époque de Louis XIIL
Comme les glaces de toilette du temps, ce reliquaire est en bois
noir, orné de cuivres repoussés qui représentent, au milieu d'ara-
besques, des roses, des lys, symboles des vertus évangéliques, et
sur la surface antérieure, les initiales S. B. séparées par le mono-
gramme de Jésus J H S. »
Il renferme trois sandales; l'ornementation de Tune diffère de
celle des deux autres.
« Toutes trois sont en cordonnet noir, maroquiné à l'intérieur.
)) Celle qui est dépareillée a l'empeigne découpée au sommet,
en forme de petite mitre à fanons pendants.
» Sur les côtés, deux courroies taillées dans la même pièce,
sont dirigées de façon î\ se croiser sur le coude-pied et à être
fixées dans deux oreillettes opposées. Les festons qui les décorent
sont exécutés au point refendu ou de chaînette, avec des soies de
quatre couleurs : blanc, vermillon, vert olive et ocre jaune
» Le galbe de ces chaussures est élégant et noble; leurs quar-
tiers élevés et leur pointe obtuse rappellent la coupe de la sandale
du pape Martin \" ((549-651)
— 279 —
» Il est à remarquer que la languette de cordonnet qui l'orme
la semelle est très-étroite, sans renfort et aussi souple que les
autres pièces; par conséquent le pied portait, en grande partie,
sur l'empeigne et le quartier. Cependant, on n'y remarque aucune
trace de frottement. On serait donc induit à croire que c'étaient
des sandales de cérémonie
» Leur longueur est de 0,28 c. pour celle qui est dépareillée, et
de 0,27 pour les deux autres. Leur grosseur, mesurée à l'orteil,
donne 0,25 c. de circonférence. »
Ces dimensions appartiennent plutôt à un pied d'homme qu'à
un pied de femme.
En examinant les ornements de la sandale unique, on y dé-
couvre de l'analogie, pour la gamme et la combinaison des cou-
leurs, avec les encadrements du paralytique du cimetière de Sainte-
Agnès, dans les peintures murales des catacombes de Rome, et,
pour le style de la composition, avec les arabesques du cimetière
de Saint-Priscile et les ornements d'un ascolium au cimetière
Saint-Prétextat.
Quant aux deux autres, les découpures bordées de fils poly-
chromes et enlevées de toute l'épaisseur du cuir sur un champ de
dorures, sont tout à fait semblables aux fleurons qu'on trouve,
les uns, dans l'évangéliaire du prince de Radziwil, manuscrit du
viif siècle, et l'autre dans les encadrements qui ornent les homé-
lies de Saint-Grégoire-de-Nazianze, manuscrit du ix^ siècle.
Mais quelle est l'origine de ces sandales ?
M. Grésy, après avoir examiné tous les documents qui se rat-
tachent à cette question, semble d'abord porté à croire qu'elles
appartiendraient à Sainte-Bathilde ; le reliquaire marqué aux
sigles de la sainte, le don de l'un de ses souliers fait à l'abbaye de
Corbie, d'après Mabillon, Lebœuf et l'inventaire du trésor de ce
monastère, — ce qui explique l'absence d'une sandale, — enfin la
tradition populaire, qui attribue ces sandales à sainte Bathilde,
sont autant de raisons qui paraissent ne laisser aucun doute à ce
sujet. Cependant, si l'on considère les dimensions masculines de
ces chaussures, le silence de la Gallia christiana et de l'histoire
manuscrite du monastère sur le présent fait à Corbie, et rapporté
par les auteurs précités, enfin, si nous ajoutons à ces raisons
que l'inventaire du trésor de Chelles ne fait nullement mention
de ces souliers, tandis qu'au contraire il cite sept chaussures ayant
appartenu à différents saints et saintes, et entre autres deux
paires aux Saints Apôtres, on sera forcé d'avouer qu'il serait bien
téméraire de se prononcer sur cette question.
— 280 —
Aussi, M. Grésy laisse (( à de plus habiles le mérite d'assigner
à ces sandales historiques une date certaine. »
Pour moi , je ne saurais entrer dans la discussion ; j'aime
mieux terminer avec notre savant antiquaire, en rappelant une
pieuse pensée qu'il exprime ainsi : « Ces monuments doivent exci-
ter tout notre intérêt, en songeant que depuis tant de siècles, ils
ont attiré la vénération de nos pères à des titres si différents ;
symbolisant, par un sublime contraste, tantôt l'humilité humaine
élevée à la plus haute mission du christianisme, tantôt les gran-
deurs de la terre descendues à la condition chrétienne la plus
basse, ces deux termes extrêmes de l'enseignement divin.
« Deposuit patentes de sede et exaltavit humiles. »
II. Culte rendu aux Reliques.
L'Archéologie doit professer, à un degré éminent, le culte des
reliques. Si les tombeaux des Romains ou des Gaulois intéressent
vivement cette science, serait-elle indifférente à ceux d'une reine
des Francs, à ceux d'illustres prélats et de saintes filles qui ont
illustré la nation aux premiers siècles de son berceau ?
D'autres ont raconté l'histoire de leurs vertus et de leurs bien-
laits, pendant leur vie mortelle; j'ai pensé qu'il ne manquerait
peut-être pas d'intérêt de raconter l'histoire de leur culte, depuis
leur mort jusqu'à nous.
I.
Baihilde^ appelée aussi Beaupteur ou Beauclour, issue d'une
noble famille de Saxons, après avoir passé les premières années
de sa vie dans l'esclavage, monta sur le trône des Francs à la
droite de Clotaire II, son époux. Restée veuve avec trois enfants
en bas-âge, elle dut prendre en main la régence du royaume,
et s'acquitta de sa charge avec toute l'habileté d'une grande reine
et la sagesse d'une grande sainte.
Elle eut pour conseiller à la cour un prélat qui présente une des
plus belles figures de son siècle : Saint-Eloi qui mourut le •l'-"'' dé-
cembre 653.
Saint-Ouen nous rapporte qu'iï lu nouvelle de sa mort, on vit
arriver à Noyon, sa ville épiscopale, la reine Batliilde avec ses
■ fils, les grands du royaume et une nombreuse suite.
— 281 -
« La reine, dit-il, entra dans la ville en toute hâte, pleurant et
» gémissant de ce qu'elle n'avait pu le voir encore avant sa mort,
» et lorsqu'elle fut restée longtemps prosternée devant le cercueil
» et qu'elle eut prié avec sanglots, elle ordonna de préparer tout
» pour que le corps du saint fût transporté dans son monastère de
» Ghelles ; mais lorsqu'on vint pour enlever le cercueil, on ne put
» le remuer tant il était pesant La reine s'approcha aussi,
» voulant en faire l'épreuve par elle-même, mais ce fut comme
» si elle eut tenté de soulever une montagne énorme et elle ne put
» venir à bout de le remuer »
Bathilde, reconnaissant à ce signe la volonté de Dieu et le désir
du saint de rester parmi ses enfants, renonça à son projet et «aus-
» sitôt qu'elle eut pris cette détermination, on essaya de nouveau
» de soulever le cercueil qui devint si léger que deux hommes
» pouvaient le porter facilement. » (Trad. delà vie de Saint-Eloi,
par Saint-Ouen, par Ch. Barthélémy, p. 256).
Si le monastère de Ghelles n'a pas eu l'honneur de donner la
sépulture aux restes de Saint-Eloi, il a pu du moins, dans la suite
des temps, obtenir le chef àe, ce grand évêqae, et conserver comme
souvenir un missel, une bible et un beau calice qui avaient appar-
tenu à ce saint prélat.
« On donne à ce calice le nom de Saint-Eloi, dit l'abbé Lebœuf,
» soit qu'il ait été fait par lui, lorsqu'il exerçait l'orfèvrerie,
)) comme le croit Du Breul (L. IV, sur Ghelles), ou qu'il lui ait
» servi dans les saints mystères depuis qu'il fut évêque. La
» coupe est d'or émaillé, elle a près d'un demi-pied de profondeur
» et presque autant de diamètre. Le pied est beaucoup plus petit.
» Dom Martène (Voy. littér.) croit que ce calice a été donné au
» monastère par sainte Bathilde, qu'il servait pour les jours de
)) communion sous les deux espèces (ce qui est cause qu'il est si
» profond), et qu'on l'appelle le calice Saint-Eloi, parce que ce saint
» s'en était servi. La patène d'or fut fondue il y a plus de trois
» cents ans pour faire la châsse de Sainte-Eathilde. »
Lecointe dit de ce calice : « Il est d'or très-pur; sa coupe est
» ornée au bord extérieur et même au bord inférieur d'une rangée
» de perles et pierreries ce calice fut donné par la reine Ba-
» thilde, en souvenir et comme gage précieux aux religieux de
» Ghelles. » (Ann. Eccl., T. III. p. 491.)
Democharès, qui avait remarqué la vénérable antiquité de ce
calice et sa forme rare, en a donné un dessin aussi exact que pos-
sible dans sa panoplie sacerdotale. (Livre TU, ch, VIL PI. I).
— 282 —
C'est tout ce qui nous reste de ce précieux objet.
Une année environ s'était écoulée depuis la mort de saint Eloi,
lorsque Bathilde renonçant à toutes les grandeurs du monde,
quitta la cour pour le cloître. Elle avait eu sur le trône pour au-
mônier saint Genès, archevêque de Lyon, elle le conserva encore
pour conseiller dans son monastère de Chelles.
On pense que saint Genès y termina ses jours vers l'an 678 et
qu'il y fut enterré. Une seule chose est certaine, c'est que l'ab-
baye a toujours été dépositaire de sa dépouille mortelle.
Sainte Bathilde ne tarda pas à le suivre dans la tombe.
Atteinte de la maladie qui devait l'enlever à la terre, en même
temps que sa petite filleule Radegonde, qu'elle élevait à ses côtés
avec toute la tendresse d'une mère, a cette pitoyable reine, dit
» un vieil auteur d'une Vie des saints, s'imaginant que cette petite
» fille serait mieux en paradis, elle fit prière à N. S. de la retirer
» à luy, et que devant que de mourir elle la pût consigner au
» tombeau et lavoir parmi le chœur des vierges. 11 plust à Dieu
» d'enterriner sa requestre, car cette fille rendit l'esprit bientôt
» après dans le sein royal de la bienheureuse Bapthilde. »
Quelques heures plus tard la pieuse reine expirait elle-même
entre les bras de sainte Bertille qu'elle avait placée à la tête du
monastère (680).
« A l'instant, continue notre historien, il s'épandit une grande
» lumière par toute sa chambre, avec une splendeur si éclatante
» qu'il semblait que le paradis y fut. Devant son trespas, elle
» avait prié l'abbesse que l'on celât sa mort à tous le monde, hor-
» mis aux prestres qui seroient nécessaires pour la cérémonie de
» son enterrement ; en outre, que l'on ne s'amarât point tant à se
» plaindre de sa mort, mais qu'on s'arrestât à prier Dieu pour
» elle, qu'on l'enterrât le plus simplement que faire se pourrait,
» comme la plus petite religieuse du couvent. Go qui lui fut pro-
» mis et accordé. »
Le corps de la sainte fut enfermé dans un cercueil de pierres
avec celui de la petite Radegonde, et après les prières de l'église,
il fut mis en terre sainte, sans aucune pompe extérieure, dans
l'église de Sainte-Croix que la reine elle-même avait fait construire
à la place de celle de Saint-Georges, érigée primitivement par
sainte Clotildeà l'origine du monastère.
L'abbesse Bertille, après avoir ainsi accompli scrupuleusement
les dernières volontés de celle qui avait été sa reine et sa fille en
Dieu, continua de gouverner l'abbaye avec la sagesse la plus re-
— 283 —
marquable et les exemples d'une sainteté éprouvée. Elle parvint
à une vieillesse avancée, malgré ses jeûnes et ses austérités, et
rendit son âme à Dieu, le 5 novembre vers l'an 702 ou 704. Son
corps fut embaumé et placé à côté de celui de sainte Bathilde, dans
l'église abbatiale.
II.
Ces tombes devaient devenir glorieuses plus tard par les trans-
lations solennelles des corps saints qu'elles renfermaient.
Au commencement de l'année 833, l'empereur Louis-le-Débon-
naire, se rendant du Mans à Aix-la-Chapelle, passa par Chelles,
où il rendit visite à l'abbesse Helwide, veuve de Wolsus, duc de
Bavière, et mère de sa seconde femme, l'impératrice Judith.
C'est à cette occasion que le religieux empereur s'informa plus
particulièrement des vertus et de la sainteté de Bathilde, s'en fit
lire la vie et visita son tombeau.
Ce tombeau demeurait ignoré sous la petite église de Sainte-
Croix, à côté de la belle et vaste église romane que l'abbesse
Gisèle, sœur de Gharlemagne, avait fait bâtir sous le vocable de
Sainte-Marie ou de Notre-Dame de Chelles.
Louis-le-Débonnaire, touché de vénération pour la mémoire de
la sainte reine, donna des ordres afin que l'on procédât immédiate-
ment à la translation du corps sacré dans la grande église.
Helwide accueillit la volonté du prince, et fit tout disposer
pour cette cérémonie.
Erkenrad, évêque de Paris, accompagné d'un grand nombre
d'évêques et de seigneurs, se rendit à Chelles où l'attendaient une
foule de prêtres, de vierges et de saintes veuves.
La cérémonie avait été fixé au 17 mars.
a On tira et on ouvrit le corps sur le pavé, dit l'auteur cité plus
)) haut, et on le trouva, après avoir été cent cinquante ans dans la
» terre, aussi entier et aussi beau comme s'il fut m.ort ce même
)) jour-là. Le bruit de ce miracle étant venu à Paris, tous les Pari-
» siens, même toute la Cour y coururent avec des dévotions et des
;> acclamations sans pareilles. »
Deux paralytiques lurent guéris en présence du corps sacré : une
religieuse « qui était percluse de tous ses membres depuis long-
» temps, » et « un n immé Baudran qui n'avait jamais eu l'usage
') de ses jambes et qui ne marchait que sur les genoux. »
— 284 —
Le vénérable corps ayant été transporté en triomphe dans la
nouvelle église fut déposé derrière l'autel ; il y demeura jusqu'au
XI* siècle, époque à laquelle la sainte fut canonisée par Nicolas II.
L'évêque Erkenrad, voyant Hehvide, inquiète de caque l'on fe-
rait de la pierre qui avait servi de cercueil à la sainte, lui persuada
de la laisser dans le lieu de sa première sépulture, avec le corps de
sainte Radegonde qui n'en fut enlevé que plus tard.
Depuis, cette pierre resta toujours dans Sainte-Croix. On la
voyait encore au siècle dernier, dans une petite crypte placée au-
dessous du chœur des religieux bénédictins. .
Pour en conserver la mémoire et lui rendre le respect qui lui
était dû, on avait placé sur la muraille extérieure donnant dans la
rue Saint-Georges, une inscription datée de l'an 1690, qui aver-
tissait les passants du lieu de la sépulture de la patronne de Ghelles,
et qui les engageait à la révérer.
Les pèlerins descendaient dans la crypte pour y faire leur prière;
des vieillards m'ont raconté ce souvenir de leur enfance.
Cependant, le tombeau de sainte Bertille n'était pas moins cé-
lèbre et les prodiges qui s'y étaient accomplis demandaient égale-
ment une translation solennelle.
Cette cérémonie eut lieu par les soins de l'abbesse Marie de
Duny.
« L'an mil cent quatre vingts et cinq, en ce temps a esté faicte
» la translation de madame sainte Bertille. » (Cartulaire de Chelles,
1" vol. ad calcem).
Un acte authentique du temps nous apprend que cette transla-
tion eut lieu le sixième des calendes de mai, c'est-à-dire le 26 avril
de cette année H85, sous le roi Philippe-Auguste et sous l'évêque
Maurice de Sully, qui présida à la cérémonie.
Tous les peuples des environs accoururent ; on fit l'ouverture
du sépulcre, les ossements sacrés furent recueillis avec soin et
placés, ainsi que les habits de la sainte presque réduits en pous-
sière, dans une châsse de bois. On transporta solennellement cette
châsse dans la grande église, où on la déposa à côté de celle de
sainte Bathilde.
III.
Les vénérables reliques de Chelles eurent bien des vicissitudes
à subir pendant le moyen-âge.
Au XIII'' siècle, un violent incendie ayant détruit l'abbaye,
— 285 —
elles furent, avec la permission de l'ordinaire , portées dans
divers pays pour solliciter plus efficacement l'aumône des fidèles
en laveur d'un monastère si cruellement affligé.
A la fin du xiv'= siècle et au commencement du xv% durant la
guerre des Anglais, les religieuses, afin de se mettre à l'abri des
insultes des soldats, se retirèrent plusieurs fois à Paris emportant
avec elles leur pieux trésor; mais, à leur retour, ne trouvant plus
qu'un monastère dévasté, elles furent obligées de vendre l'or, l'ar-
gent, les pierreries et leurs châsses pour subvenir aux premiers
besoins de l'abbaye.
« En ce temps, par fortune de grosses guerres et grande néces-
» site, feut vendu la couverture du Messel Saint-Éloi, six calices,
» deux chandeliers d'argent, la croix Saint-Éloi, trois petites
» croix et une grande d'or. Et en ce temps, estoient les devent et
» derrière la châsse madame saincte Beaulteur d'or massif, le tout
» fut prins pour vivre et pour icelles guerres allèrent les reli-
» gieuses à Paris à leur maison du Mouton. » (Gart. P'' vol.)
Cette maison ou ostel du Mouton était la maison de refuge du
monastère. Aux mauvais jours, les religieuses y transportaient
leurs reliques, leurs chartes, leurs vases sacrés, tous les objets pré-
cieux, et ellesy trouvaient pouç elles-mêmes une protection assurée
contre les troubles si fréquents de cette époque.
L'hôtel de Ghelles, qui a conservé ce nom jusqu'à nos jours,
était situé dans la rue dite Jean-Pain-MoUet. Cette rue et l'hôtel
viennent de disparaître sous le marteau de la démolition.
Outre les guerres qui se prolongèrent pendant une grande partie
du xv" siècle, le monastère eut encore à supporter les malheur^
d'un nouvel incendie. Mais la paix ayant été rendue à la France
et à l'Église, l'abbaye de Chelles qui, l'une des premières, avait
embrassé la réforme monastique, retrouva bientôt son ancienne
splendeur.
C'est vers cette époque qu'il faut placer la première translation
du chef de sainte Bathilde en un reliquaire particulier; celle du
chef de sainte Bertille eut lieu quelque temps après par les
soins de Marie de Reilhac (1507-1510), à qui l'on devait les belles
stalles du chœur des Dames et le buste d'argent de la première
abbesse du monastère, tout enrichi de pierreries.
Quelques années plus tard, une grâce du ciel attirait un nouvel
honneur pour nos saints patrons. En voici l'occasion :
François I" était en guerre avec Charles-Quint. Les ennemis
vainqueurs avaient refoulé nos troupes jusqu'aux portes de Paris;
— 286 —
l'armée française campa dans les vastes prairies situées entre
Ghelles et Gournay.
La princesse Renée de Bourbon était alors abbesse de Ghelles.
Nommée par le roi, d'après le nouveau concordat de Léon X, elle
avait laissé l'administration de son abbaye, avec le titre de vicaire
perpétuelle, à Jacqueline Amignon, Alarmée du voisinage des
soldats, celle-ci résolut de se retirer h Paris avec toute la com-
munauté.
Les religieuses, au nombre de soixante-seize, partirent le 9 no-
vembre 1543 priant Dieu, par l'intercession des saints patrons, de
veiller pendant cet exil sur l'enceinte abandonnée de leur Jéru-
salem terrestre.
Leurs vœux furent exaucés, et onze jours plus tard la commu-
nauté rentrait à Ghelles.
L'église, le cloître, le bourg, tout avait été respecté.
Gette protection divine appelait un acte solennel de reconnais-
sance.
La mère vicaire perpétuelle ne crut pas pouvoir mieux s'en ac-
quitter qu'en offrant à l'église de nouvelles châsses.
Les anciennes, en eiïet, étaient dans le plus pitoyable état.
(c Elles estoient toutes rompues et despéceuz, de tous costés
» étang peu de pierreriez qui estoient à l'entour, la plupart
» estoient cheuttes et perdues longtemps avoient. Le résidu a faict
» mectre à l'ungne les liouze Apostres, et à l'aultre douze belles
)) vierges, qui accompagnent la châsse madame Saincte Bertille,
» tant le dessus que les costez. Le tout est doré et peint ê huile et
» la démontrance fort belle. Pareillement a faict faire notre dicte
» bonne mère la châsse de Monsieur Sainct Genès, archevesque
» de Lyon et grand aulmoniez de la Saincte Royne Beaulteur nre
» bône mère et fondatrice, aussy la châsse de la filiole de la sus-
» dicte Saincte Royne, nômée la Petite Beaulteur, agéedeseptans
» qt elle décéda de ce ciècle. Les quelles deux châsses estoient au-
» paravanlt faictes de bois sans nulle painture et estoient fort
» vieilles et rompues de tous costez et le bois tout pourry, et en
» plusieurs endroicts mengé de vers, la quelle elle a faict faire de
» bo bois et fort belle painture painte c huillc tant le dessus q les
» costez, et au devant et derrière a faict mectre la représentation
» du dict sainct et de la saincte, et en la cinquième châsse qui est
» de cuivre, ou estoit auparavant le corps de Madame Saincte
» Beaulteur, a faict racoustrer et mectre dedans plusieurs sanc-
» luaires, ossements, raachounpps, cheveulz avec plusieurs testez
— 287 —
)) et vêtements de aulcuns saincts qui ont été trouvez en une châsse
» de bois fort meschant.
» Et en toutes les chassez a faict faire un escript et mis dedans,
» p ]e quel est desclairés l'an et jour quelles furent faictes et posez
» au lieu oii elles sont.... etn'estabjouter la joie si grande q eurent
» toute la dévote assistance veoir les saincts corps de leur tant
» bone mère et fondatrice la b^royne Beaulteur....» (Gart. l"vol.)
On rapporte que les nouvelles châsses étaient enrichies de pierres
précieuses, qu'on y voyait des agathes d'une beauté remarquable sur
lesquelles le caprice de la nature avait admirablement représenté
des monstres marins ; on ajoute aussi que certaines personnes, à
qui on en avait confié la garde, n'en connaissant ni le prix, ni la
rareté, les vendirent à des marchands, et qu'au siècle dernier elles
se trouvaient dans le cabinet du roi.
C'était alors le temps de nos malheureuses guerres de religion ;
les calvinistes, à qui l'archéologie doit assurément peu de recon-
naissance, mutilaient nos belles églises gothiques, brisaient nos
statues des saints et jetaient au vent leurs reliques profanées. Le
monastère de Ghelles fut épargné. En réparation de ces sacrilèges,
Jacqueline pensa à perpétuer le souvenir de la translation des re-
liques, par une procession solennelle ; elle en ouvrit son cœur à
l'évêque de Paris, qui approuva sa pieuse pensée et fixa la fête
au premier dimanche après le onze juillet.
Telle est l'origine de notre fête des reliques.
Mais ce qui contribua davantage à rendre la procession plus
mémorable, ce fut une guérison miraculeuse qui arriva cent ans
plus tard, à pareil jour.
Une maladie aussi singulière qu'affligeante désolait la commu-
nauté et le bourg. Les personnes qu'elle attaquait tombaient dans
une sorte de convulsions qui leur fesaient faire des bonds et des
chutes extrêmes, a Ces accès étaient si violents, dit un manuscrit
du temps, et si extraordinaires, que les médecins n'en pouvaient
découvrir la cause. »
La princesse Marie-Henriette de Bourbon, fille naturelle de
Henri IV, et jeune abbesse de vingt ans, mourut de cette épidémie ;
six religieuses en étaient encore atteintes quand Madeleine de La
Porte, parente du cardinal de Richelieu, récemment élue abbesse,
tenta un effort suprême auprès du Ciel.
Le 13 juillet 1631, jour de la fête des reliques, elle fit ouvrir la
châsse de sainte Bathilde, par le prieur de Sainte Croix, qui en
tira un ossement et le présenta à baiser aux malades.
Les six religieuses lurent aussitôt guéries ; alors la confiance fut
sans borne, on trempa les reliques dans un bassin d'eau, on porta
cette eau aux malades du bourg, qui reçurent également le bien-
fait attendu. Dans la même circonstance, une femme nommée
Desgrés, paralytique depuis plusieurs années, recouvra l'usage de
ses membres, comme huit-cents ans auparavant le paralytique
Baudran avait marché sur le tombeau de sainte Bathilde.
Par ordonnance du 30 juillet 1632 l'archevêque de Paris, Jean-
François de Gondy, reconnut la vérité du fait après toutes, les
informations d'usage.
Madame de La Porte voulut se montrer reconnaissante envers
la sainte patronne. Elle fit exécuter, sur un beau plan, ce riche
reliquaire de sainte Bathilde dont le travail le disputait en beauté
à la richesse de la matière. Il était d'argent massif, pesait cent
soixante-huit marcs, cinq gros, deux onces et avait coûté sept mille
soixante-quatre livres, somme très-élevée pour l'époque.
La cérémonie de la nouvelle translation fut faite le 30 janvier
1635 ; on en profita pour extraire trois ossements de la sainte : le
premier pour l'archevêque de Paris qui l'avait demandé, le
deuxième pour l'abbaye de Fontevrault et le troisième pour
l'abbaye de Notre-Dame de Soissons.
IV.
Plusieurs années après. Madame de La Porte fit un semblable
présent, mais plus considérable, à l'abbaye de Gorbie, en Picardie,
qui devait également sa fondation à la piété de sainte Bathilde.
Sur les instances de dom Mathieu Jouaust, ancien prieur de
Sainte-Groix et alors prieur de Gorbie, l'abbesse fit extraire du
chef d'argent de la sainte, la moitié de la mâchoire supérieure
du côté droit à laquelle tenaient encore deux dents, et l'offrit à
l'abbaye de Gorbie dont le cardinal Mazarin était abbé.
La réception de la relique fut splcndide.G'était le 17 mars 1647,
jour anniversaire de la première translation du corps sacré. La
fête dura deux jours.
On avait fait venir toutes les plus riches tapisseries de la
province pour décorer l'église abbatiale , le trône destiné au
reliquaire, ainsi que les rues de la ville par où devait passer la
procession.
Des arcs de triomphe, des tableaux, des écussons aux armes de
— ^89 —
France et du cardinal de Mazarin, des devises, des pièces de poésie,
des reposoirs ornaient les maisons et les places publiques. Amiens,
Péronne, Montdidier, Roye, toute la Picardie était là avec sa
noblesse, sa maréchaussée, sa milice et son artillerie.
La procession fut splendide. Elle était ouverte par une troupe nom-
breuse de tambours, de musiciens, de porte-enseignes habillés en
anges ; ensuite apparaissait la châsse portée triomphalement par
des lévites, au milieu dim bataillon déjeunes hommes magnifique-
ment armés et équipés ; enfin cent prêtres, revêtus de la chape
et tenant un cierge à la main, terminaient ce majestueux cortège.
La fête recommença le soir, il y eut de brillantes illuminations,
des feux de joie, des concerts de hautbois et de violon: et, pendant
une partie de la nuit, les pièces de l'artillerie du Fort mêlèrent
leur voix solennelle aux gais carillons de toutes les cloches de la
ville.
La cérémonie se termina le lendemain par une messe en musique,
le panégyrique de la sainte, le Te Deum et le chant de YExaudiat
pour la prospérité et la gloire de la France.
La relique fut enfin déposée dans le trésor de Pabbaye. Voici
dans quels termes l'inventaire de ce monastère dressé en 1757 en
fait mention :
0 Celle à gauche (une grande figure en argent), représentant
') sainte Bathilde, reine de France et fondatrice de cette abbaye.
I) Elle parait sous la figure d'une religieuse, la tête couverte d'un
» voile et d'une couronne royale. Au bas sont renfermés, sous un
» cristal, une partie de la mâchoire supérieure, deux dents, un voile
» et un soulier de la sainte. »
La relation d'une fête aussi belle en l'honneur de la patronne
de GheUes combla de joie et les religieuses du monastère et les
habitans du bourg. M'"'^ De la Porte, à la solennité des reliques
suivantes, fit transporter la châsse de Sainte Bathilde de la sacristie,
où elle était déposée, sur un piédestal au haut de la grande grille
du chœur; ce fut l'archevêque de Bourges, M. Dardivilliers, qui
présida à la cérémonie et administra le sacrement de confirmation.
Après tous ces honneurs rendus à sainte Bathilde, l'abbesse
voulut encore s'occuper des autres reliquaires. Elle commença par
ceux de sainte Bertille et de saint Genès.
La châsse de sainte Bertille qui était due à Jaquelin Ami gnon,
était partie d'argent et partie de bois doré; la nouvelle fut d'ar-
gent massif, comme celle de sainte Bathilde. mais seulement du
prix de trois cents livres.
19
— 290 —
Celle de saint Genès, qui avait été renouvelée postérieurement
par Marie de Lorraine, était en bois ; la nouvelle fut partie de
bois et partie d'argent.
L'archevêque d'Auch fit cette translation. La cérémonie
fut une des plus pompeuses que l'on ait vues jusqu'alors, mais
ce qui en rehaussa davantage la solennité, ce fut la voix, si cé-
lèbre depuis, qui prononça le panégyrique de sainte Bertille.
Bossuet, alors âgé de 38 ans, avait déjà conquis sa renommée
de grand orateur. C'était le 22 juillet 1663, fête de sainte Made-
leine ; « le sermon, dit un manuscrit du temps , fut des plus élo-
» quents et des plus ingénieux, ayant meslé avec une adresse
» pleine d'esprit les plus beaux endroits de la vie des deux saintes.
» Il fut admiré de tout son auditoire, a
Ce panégyrique n'a pas été conservé.
Plus tard, Bossuet étant évêque à Meaux, prêcha une seconde
fois à Ghelles, à la profession de M^^^ de Roussille, sœur de l'ab-
besse Catherine de l'Escoraille de Roussille. Bourdaloue avait
prêché sa prise d'habit l'année précédente. (1684-16So).
Le zèle que Madeleine de- la Porte manifestait, pour la gloire
des saints patrons, fut partagé par plusieurs des religieuses. On
doit à la libéralité de ces dernières le chef de vermeil de sainte
Bathilde, celui de saint Genès, un reliquaire de sainte Bertille, en
forme de bras, et plusieurs autres présents considérables.
Je dois citer ici la belle relique de saint Roch que nous possé-
dons encore aujourd'hui.
Elle avait été offerte, le 13 janvier 1629, par le Sénat de Venise
à la reine mère, Marie de Médicis. L'acte de donation, dont nous
possédons une copie, est daté du palais ducal, sous les sceaux de.
saint Marc, du collège de saint Roch et de M. d'Avaux, ambassa-
deur de France.
La reine conserva religieusement la relique dans sa chapelle
pendant toute sa vie; à sa mort, M. Penny, ayant reçu l'of-
fice d'inventorier les meubles de la reine, l'accepta comme gratifi-
cation, et la remit, avec le reliquaire et son authentique, entre les
mains de M"^ Hotman de Pontenay, son épouse en secondes
noces.
Cette dame en ilL elle-même présent à notre abbaye, oii étaient
ses trois lilles Louise, Jeanne et Elisabeth Hotman, le 21 juin 1067.
Le fléau de la peste, qui décimait alors tous les pays voisins ,
amena une grande foule de pèlerins aux pieds de la sainte Relique;
mais ce qui contribua davantage à augmenter la dévotion envers
— 291 —
saint Roch fat ]a pr(5servation entière du bourg et de l'abbaye.
Une confrérie en l'honneur du Saint fut érigée canoniquement
à Ghelles , avec la permission de l'Archevêque de Paris et l'appro-
bation du pape Clément X, le 2 août 1672.
Le pèlerinage fut fixé au lundi de la Pentecôte, avec une grande
procession à laquelle, d'après les mémoires du temps, assistait
« un concours prodigieux do peuple. »
Pendant neuf jours, on faisait chaque soir un grand feu en
l'honneur de saint Roch , avec des prières spéciales contre les ma-
ladies et la peste. M""* de Brissac supprima plus tard le feu en
faveur des pauvres, mais conserva les prières que l'on récitait
dans la suite, les neuf jours durant, à la fin des vêpres.
Il ne reste plus aujourd'hui, de cette dévotion, que la messe de
saint Roch chantée le 16 août, jour de la fête, à laquelle, d'après
une ancienne coutume;, les fidèles, et spécialement tous les en-
fants viennent faire bénir, par centaines, des petites couronnes de
pain.
M""^ l'abbesse de Faremoutiers, avec l'autorisation de Bossuet,
enrichit à son tour le trésor de Ghelles, d'une relique de sainte
Fare. M™" de Roussille la fit enfermer dans un buste de vermeil
pour lequel l'orfèvre avait déployé un rare talent. Le socle conte-
nait trois médaillons avec des reliques de plusieurs saints. La cé-
rémonie de la translation fut telle que « depuis longtemps on
» n'avait vu à Ghelles une solennité si auguste. »
M""" de Roussille fit faire ensuite un travail absolument sem-
blable pour le chef de saint Eloi.
Le crâne du saint fut trouvé intact, et la mâchoire avait encore
deux dents. L'une d'elles fut envoyée à Noyon pour l'abbaye de
Saint-Eloi, qui ne possédait aucun reste de son patron.
Un autre socle, également en très-mauvais état, celui du chef
de sainte Bathilde, fut aussi entouré et enrichi de trois médaillons
aux armes de M"'" De la Porte, de JV!""* de Brissac et de M'"^ de
Roussille.
Les socles qui supportent actuellement les bustes de sainte
Bathilde et de sainte Bertille, renferment aussi plusieurs médail-
lons. L'origine de ces derniers remonte assurément à la même
époque. Ils sont en cuivre repoussé, du xvn® siècle, et contiennent
encore une partie de leurs reliques attachées sur une étoffe avec
des étiquettes très-anciennes, mais sans authentique.
Tout ceci se passait en 1687 et en 1688.
— 292 —
V.
En 1711, M""' de Villars fit descendre ]a châsse de sainte Ba-
thilde pour y ajouter quelques ornements et les faire repeindre.
M. de Boissieux, évêque de Saint-Brieuc, fut prié de présider à
la cérémonie. A la procession autour du cloître, on voyait deux
jeunes princesses, encore enfants, soutenir avec piété la sainte
relique portée par deux religieux. C'étaient les princesses d'Or-
léans : Louise-Adélaïde de Chartres et Charlotte-Aglaé de Val-
lois. Louis XIV, plein d'estime pour l'abbesse de Chelles, avait
permis au duc et à la duchesse d'Orléans de confier l'éducation de
leurs enfants aux soins intelligents et maternels de madame de
Villars. Elles reçurent dans l'église de l'abbaye le sacrement de
confirmation, et mademoiselle de Chartres eut lebonheur d'y faire
sa première communion et sa profession religieuse.
Lorsqu'elle fut nommée abbesse, elle voulut, comme celles qui
l'avaient précédée, signaler sa piété aux saints patrons du monas-
tère.
A cette fin, elle fit faire, en 1720, un chef de vermeil pour sainte
Bertille, des châsses nouvelles pour saint Genès, sainte Rade-
gonde, et probablement aussi pour les martyrs Florus, Fabricia-
nus et Florentinus, dont le reliquaire est absolument semblable à
celui de sainte Radegonde.
S'étant retirée au prieuré de Tresnel à Paris, M™^ d'Orléans de-
manda, comme souvenir de son abbaye, une relique de sainte Ba-
thilde. La communauté se rendit à sa demande. L'abbé de Cosnac
fut chargé d'en venir faire la translation, le 2 août 1731. Cette cé-
rémonie faillit être l'occasion d'une émeute. Les habitants, s'étant
faussement persuadés qu'il s'agissait d'enlever la châsse, environ-
nèrent l'église en poussant de grands cris, il fallut fermer toutes
les portes, et la foule ne se dissipa que lorsqu'elle fut assurée que
le précieux trésor ne serait pas enlevé.
Cette relique est actuellement conservée dans l'église cathédrale
de M eaux.
Depuis cette époque, il n'est plus fait mention de l'ouverture des
châsses jusqu'à l'année 1820, lorsque M. Pruneau, de si digne
mémoire, etalors directeur du petit séminaire de Ghaage, reçut
de M. de Cosnac la mission de vérifier les reliques du diocèse.
En 18o3 et 1855, Monseigneur Allou en fit par lui-même une
nouvelle reconnaissance à Chelles. Il déposa dans les châsses un
— 293 —
dernier procès-verbal par lequel il constate avoir extrait quelques
portions d'ossements de sainte Bathilde et de sainte Bertille qui
lurent envoyées , sur leurs demandes réitérées, au Sacriste de
Pie IX et à M'"^ l'abbesse de Jouarre.
Enfin, une dernière ouverture de la châsse de saint Genès a été
faite en 1857, par M. Josse, vicaire général du diocèse, à l'efTet
d'en extraire un tibia que monseigneur Allou, se rendant à Rome,
offrit lui-même à Son Éminence le cardinal de Bonald pour son
église métropolitaine de Lyon.
Corpora ipsorum in pace sepulfa sunt, et nomen eorum vivit in gene-
rationem et generationem. Eccles. 44.
— 293 —
L'ART MO^iUMENTAL
DANS SES RAPPORTS AVEC LES IDÉES RELIGIEUSES,
PAR M. AUG. KERCKIIOFFS,
Membre titulaire (Section de Melnn).
• IN ANTIQUIS EST SAPIENTIA.
L'homme se révèle dans ce qu'il est, comme dans ce qu'il fait ;
en d'autres termes , l'intelligence humaine se manifeste dans les
formes du langage, comme dans les produits des arts. Etudiées à
un point de vue philosophique, la linguistique ou la science du
langage, et l'architecture ou l'art monumental, viennent en aide
aux traditions, suppléent aux données historiques et peuvent,
parfois même, en leur absence complète, nous faire suivre la
marche et le développement intellectuels des grandes familles
humaines.
La linguistique nous fait, en quelque sorte, assister aux premiers
bégaiements de nos pères, et déroule à nos yeux, comme un véné-
rable parchemin, l'histoire de ces longues années d'enfance où fut
plongée l'humanité (1), La simple décomposition ou analyse des
mots nous montre l'homme, aux premiers âges du monde, ne
sentant, ne comprenant que la matière, puis s'élevant lentement,
au moyen de la matière, jusqu'aux plus hautes conceptions méta-
physiques. Durant ce long et laborieux enfantement, le langage
naissant a reçu de chaque âge successif une empreinte caracté-
ristique, que le scalpel du linguiste retrouve sans difficulté. C'est
ainsi que la science du langage a pu compléler les données tradi-
tionnelles sur l'origine, la vie de certains peuples , et même pour
quelques-uns d'entre eux, comme pour les anciennes peuplades
(1) Ainsi que j'ai eu occasion de !e développer ailleurs, le langage n'est ni un
don de Dieu, en ce sens que l'homme l'aurait reçu tout fait des mains du créateur
(de Bonald, Origine du Langage), ni une invention humaine et réfléchie, comme
le prétendaient les philosophes du xviii<^ siècle (Coudillac, Maupertuis, Condorcet,
etc.) ; c'est un fruit de la spontanéité^ agissant sans conscience d'elle-même, comme
sous l'impulsion vivante de la divinité (Grimm, Uirspriing der Spracfie ; Renan,
Origine du langage).
~ 296 —
noires de l'Egypte, elle a suppléé à l'ubsenee de toute tradition.
(( L'érudition moderne, a dit avec justesse M. Villemain, est
venue, après quatre raille ans, renouer entre des peuples éteints
le lien qu'ils n'avaient pas aperçu eux-mêmes, durant leur passage
sur la terre. »
En dehors du langage, tout ce qui émane de l'homme est l'œuvre
de ses mains, mais le flambeau de son intelligence les a dirigées,
et celle-ci s'y retrouve toute entière. On peut donc, avec non moins
de vérité, affirmer de l'art monumental ce que je viens de dire
pour les sociétés anciennes, de la grammaire comparée, à savoir
que ses produits nous ouvrent un nouveau livre d'histoire, où se
trouve retracé le développement des idées politiques, sociales et
religieuses des sociétés modernes.
Lorsque nous lisons les Védas ou les chants d'Homère, nous
aurions tort de n'y voir que l'œuvre de tel ou tel Brahmane, et
les rêves du plus grand des poètes ; non , c'est l'ouvrage de dix
générations successives , qu'a vues naître l'antique sol de l'Inde ;
c'est la Grèce entière, qui nous révèle ses mœurs et sa religion, et
les chantres immortels, qui nous en ont conservé le souvenir, n'ont
fait que traduire, dans un langage à la fois noble et sublime, les
idées et les croyances qui germaient, confuses, dans l'esprit de
toute la nation. De même, lorsque nous admirons un chef-d'œuvre
d'architecture, nous ne devons pas nous figurer, avec le vulgaire,
que le plan en est sorti tout fait de la tête de quelque grand
artiste, comme Minerve du cerveau de Jupiter; toute une civilisa-
tion, avec ses mœurs et ses coutumes, se dresse devant nous, dans
le monument qui frappe notre admiration, el le plan général en
germait depuis longtemps dans le cerveau de tout un peuple,
lorsque l'effort d'un génie l'en fit sortir.
« Rien dans l'architecture, ou presque rien, dit un savant cri-
tique, ne dépend du caprice des individus. Elle croît aussi fatale-
ment que les végétaux, et ses formes, ses caractères sont le pro-
duit manifeste, inévitable des grandes influences, de l'esprit
général qui animent une civilisation après l'avoir enfantée. »
Le génie dans les arts, comme dans la littérature, se borne à
idéaliser ce que fait et ce que pense tout ]e monde, et en ce sens
on peut dire, en toute vérité, que le grand poète, comme le grand
architecte, c'est l'homme dont le cœur bat à l'unisson avec les
idées de son siècle et de son pays.
L'art, ainsi envisagé, prend une signification plus profonde, une
plus haute importance : la lumière qu'il reçoit des faits, des insti-
— 297 —
tutions, des doctrines, il la leur renvoie et les éclaire à son tour.
On comprend mieux la vie des anciens, quand on voit leurs
temples, leurs statues , leurs amphithéâtres , leurs charmantes
poteries, leurs ingénieuses sépultures; on comprend mieux le
moyen-âge, quand on voit les cathédrales, les oratoires où priaient
nos aïeux, les châteaux oii s'enfermaient les barons, les splendides
hôtels qu'ils se construisaient dans les villes, les cloîtres silen-
cieux des monastères, les élégantes demeures des riches bour-
geois (1).
Nous allons examiner rapidement, dans les pages qui suivent , l'in-
fluence des religions ou desidéesreligieusessur l'art monumental.
L'art de construire étant un des premiers produits de l'industrie
humaine, et les croyances religieuses un des premiers résultats du
développement intellectuel des peuples, cette influence a dû se
manifester dès les premiers temps de l'humanité. Elle a même pu
agir avec d'autant plus de facilité qu'à l'origine des sociétés, la
caste des prêtres est, en quelque sorte, seule dépositaire de la
science , et tient à la fois dans ses mains , en les confondant
presque toujours, l'autorité spirituelle ei l'autorité temporelle!
Il s'en suit, et c'est là le point principal de ma thèse, que dans
chaque contrée l'art monumental a reçu des dogmes religieux, et
cela dès son berceau, un cachet particulier, qu'il a porté avec lui,
à travers toutes les phases de son développement.
L'histoire de l'art chez les différents peuples est là pour nous
montrer, dès les temps les plus reculés , cette union intime entre
l'art et les croyances religieuses.
Ainsi , chez les anciens peuples de l'Orient, les inspirations de
l'art , toujours dominées par des superstitions grossières , ont
créé des œuvres, parfois solides et colossales, maistoujours impar-
faites. Au lieu de prendre l'homme pour t^^e de la beauté, ils
l'ont cherché dans des créatures immondes et des idoles gros-
sières.
La religion des Assyriens attribuait la source des sciences à un
monstre moitié homme, moitié poisson; aussi les découvertes
faites dans ces derniers temps dans les ruines de Babylone et de
Ninive, présentent, à chaque pas , cet accouplement étrange de
figures moitié hommes, moitié lions et taureaux.
Chez les Egyptiens, le culte ayant eu pour objet les nom-
breuses variétés du fétichisme et les animaux les plus immondes ,
(1) Alfred Michiels, i'ArJtitecture et la Peinture.
— sos-
ie génie n'a pu trouver à cette source impure que des inspira-
tions dignes d'elles. Le peuple entier, guidé par la caste des
prêtres, qui exploitait ce culte, n'avait d'admiration que pour les
images fidèles de ses idoles, et les artistes se trouvaient condamnés
à servir d'interprètes à des superstitions dont la plupart des
peuplespayens rougissaient. Lesplus beaux templesdel'Hindoustan
sont eux-mêmes creusés dans le roc, comme les demeures souter-
raines les plus primitives ; les ministres du culte semblent n'avoir
eu qu'un but, celui d'entourer leurs temples de remparts impéné-
trables ; ils n'ont pas demandé à la technique d'aller au-delà. Les
souverains ont suivi l'exemple des pontifes, et ont donné à leurs
palais le même caractère qu'aux temples de leurs dieux, a A voir
ces masses lourdes , carrées, inaccessibles , on dirait, pour me
servir des paroles d'Un écrivain distingué, d'immenses coffres-
forts en pierre, destinés à receler les fantômes de la religion et du
pouvoir. Frapper l'imagination par une sorte de grandeur mysté-
rieuse, c'était chez ces peuples arriver à la perfection. »
Le génie de la religion grecque, au contraire, a donné au génie
de l'art les plus nobles inspirations. La parenté de la race hu-
maine avec les dieux étant le fondement du culte, le génie de l'art
a été conduit à prendre pour type des rois des cieux celui dont
ceux-ci avaient, eux-mêmes, fait le roi de la terre (1), et c'est ainsi
que, loin d'être un obstacle au développement de l'esthétique,
comme chez les autres peuples du paganisme, l'union de l'art
aux croyances religieuses a été chez les Grecs la source des plus
belles conceptions. (2).
(1) L'opinion de l'église primitive d'après laquelle Jésus-Christs'était présenté sous
une apparence matériellement laide^ opinion fondée sur un passage d'Isaïe (cap. LUI,
V.2), a exercé l'influence la plus pernicieuse sur les produits de la statuaire, pendant
toute la durée du moyen-âge; les artistes chrétiens ont cru devoir dédaigner les beautés
des formes, et ils ont pris les types de leur figure dans la nature. Leurs saints sont
tantôt représentés avec des figures soufl"r intes étiolées et languissantes, tantôt ce
sont de gros bourgeois vulgaires, bien nourris et bien joufflus. Ce n'est qu'à l'épo-
que de la renaissance que fut repris le culte de la forme, et qu'on revint à la tra-
dition qui représentait le Christ comme le plus beau entre les hommes.
(2) De Valmy, Le génie des peuples dans les arts.
On a souvent parlé d'un art particulier au peuple juif; mais suivant les auteurs
les plus récents, les Hébreux, comme M. de Saulcy l'avoue lui-même, n'ont vécu
que d'emprunts faits à l'art Egyptien et Assyrien, pendant leur captivité en
Egypte et à Babylone. Cette indigence ties juifs, au point de vue de l'art s'explique
aisément : d'une part, leur vie a été long temps nomade, et ils ont été successi-
vement esclaves en Egypte et captifs à Babylone ; d'autre part, on peut ajouter
qu'ils n'ont jamais été pari'ailemeut indépendants, au sein même de cette terre
- 299 —
Les premiers monuments, ou pour mieux dire les premières
constructions , auxquelles l'industrie et la religion des peuples
primitifs aient voulu assurer une certaine durée, ont été évidem-
ment les tombeaux. L'autel et le temple sont d'une date compara-
tivement beaucoup plus récente ; encore faut-il prendre ces der-
nières expressions dans le sens large de monuments destinés à un
culte quelconque. La croyance à des êtres invisibles , supérieurs ,
gouvernant et dirigeant le monde, est une conception métaphy-
sique, qui suppose une civilisation assez avancée, et qui n'a pu se
produire que dans une société parvenue à un certain degré de
développement intellectuel. Le culte des hommes et des bienfai-
teurs de rhumanité, a dû précéder celui des esprits et des dieux.
Il est naturel de penser que, dès les premiers jours de l'huma-
nité, alors que les hommes n'avaient encore d'autres demeures
que les grottes et les cavernes, le corps du chef de la famille ou
de la tribu, qui venait de quitter la terre, ne fut pas abandonné
au milieu des champs, mais qu'il fut déposé, avec un respect tout
religieux, dans quelque endroit écarté et solitaire de la grotte ou
de la vallée, ou sur le sommet de la colline, et que pour rappeler
le lieu, 011 gisait sa dépouille mortelle et la rendre inviolable à la
voracité des bêtes fauves, on le couvrît d'un monceau de pierres (1).
L'étude des tombeaux inspire un intérêt d'autant plus grand
qu'on croit les considérer comme la première manifestation du
sentiment religieux, et qu'ils nous fournissent les plus anciens
renseignements sur l'existence des races qui nous ont précédés.
Pour l'historien, comme pour le philosophe, le tombeau est, aux
temps anté-historiques, ce qu'est le temple aux époques de civili-
sation.
Les plus anciens tombeaux qui nous aient été conservés, ou dont
l'histoire fasse mention, sont des tertres ou monticules factices,
de Chanaan, qui était leur patrie promise. Les traces du fameux temple de Salo-
mon, construit à l'époque de leur puissance, sont si incertaines, et les descriptions
des auteurs, si contradictoires, qu'il serait bien difficile d'accorder à ce monument
l'admiration qu'on trouve consignée dans des traditions plus pieuses qu'esthétiques.
(1) Les Perses n'enterraient pas leurs morts, mais ils les exposaient aux animaux
carnassiers. Les rois ne subissaient pas cette dernière loi : il n'était permis ni de les
enterrer, ni de les brûler, de crainte de souiller la terre et le feu, que Zoroastre
veut que l'on conserve éternellement pur. C'est pourquoi on les enfermait dans des
sépulcres de pierre.
Les Guèbres, adonnés encore au magisme, abandonnent leurs morts, sur des
tours élevées, à la voracité des oiseaux de proie. — Batissier, Histoire de l'art mo-
numental.
— 300 —
affectant une forme pyramidale ou conique. Ces tumulus se re-
trouvent en assez grand nombre sur notre sol, le plus souvent au
milieu des plaines ou sur le sqmmet des collines; il y en a qui s'é-
lèvent à une hauteur de soixante mètres ; celui de Cumiac, par
exemple, a trente-deux mètres (1). Plusieurs paraissent remonter
à une antiquité très-reculée, et des archéologues ne craignent
pas d'affirmer qu'il faut en attribuer l'érection à des peuples, dont
la présence sur notre sol a précédé de longues années celle des
Celtes ou Gaulois.
A l'intérieur des plus anciens tumulus, on trouve, et cela en
quantités souvent très-considérables, les premiers ustensiles fa-
briqués par les hommes, tels que les couteaux et les haches en
pierre ou silex ; ceux d'une date plus récente renferment des bs
sculptés ou gravés, des poteries et quelquefois des objets en bronze
ou en fer (2) .
Ces objets, dit M. Leguay, dans un article très-intéressant sur
les anciennes sépultures, ont une attribution votive, « ils repré-
sentent, pour cette époque, les couronnes d'immortelles qu'au-
jourd'hui encore nous déposons sur les tombes de nos parents et
de nos amis A quelque époque que ce soit, à quelque degré de
civilisation qu'il soit arrivé, l'homme éprouve le besoin de témoi-
gner ses regrets, et si, aujourd'hui, un -peu d'argent suffit pour
exprimer les nôtres, à ces époques éloignées, chacun façonnait son
offrande, taillait son silex, et le portait lui-même (3). »
(1) Les tumulus sont appelés en latin : mercuriales, mercurii acervi; en Irlande,
terpen;en Éco?.se,mo}it-moth; en Angleterre, barroivs ; aux États-Unis, grave-hills;
en France, gals-gals, malles, mottes, huttes, tombelles, monts-joie, combels,
puys-jolys, ^nurgeis, etc.
Il est reconnu aujourd'hui que tous les tumulus n'ont pas servi de tombeaux :
quelques-uns ont eu un but militaire et paraissent avoir fait partie d'un camp, ou
d'un de ces oppida, dans lesquels se réfugiaient les populations, à l'approche de
1 ennemi (Magasin pittoresque; année 1839); d'autres ont tenu lieu de bornes
ainsi que nous le voyons dans un ouvrage du x)i<-' siècle [ArJierii Spicilegium,
T. III), où il est dit à propos d'un traité passé entre Alaric et Childéric : duos
globos terrœ elevaverunt quos utriusque fines constituerunt. Hérodote (Lib. IV,
C. 81), dit aussi que Darius voulant laisser un souvenir de sou passage dans le
pays des Odryses, désigna à l'armée un espace de terrain, où chaque soldat devait
déposer une pierre en passant. Pouqueville [Voyage en Grèce) nous apprend que
les Grecs et les Arabes ont conservé jusqu'à nos jours l'habitude d'élever un tas de
pierre, dans les lieux qu'ils veulent dévouer aux génies infernaux.
(2) Voy. Legrand d'Aussy, Sépultures nationales
(3; Bulletin de la Société d'Archéologie, 1" année.
— 301 —
En Amérique et surtout aux États-Unis, ces tumulus se rencon-
trent par milliers : les plus grands ont jusqu'à trente mètres de
haut, et les plus petits n'ont pas moins de six mètres de hauteur
sur trente mètres de diamètre à leur base. Ils renferment des
squelettes d'Indiens, du charbon, des urnes, des haches et des pi-
lons en pierre (1). ^
Gicéron (de Leg., Lib. II) nous rapporte qu'au temps de Gé-
crops, les Athéniens enterraient également leurs morts sous des
monceaux de terre; ce mode d'inhumation paraît même avoir été
en usage chez la plupart des peuples de la Grèce et de l'Asie-Mi-
neure. Les tombeaux des Amazones, des Phrygiens, d'OEnomaus,
d'Iphitus, de Tityus, etc., affectent cette forme tumulaire. Le tom-
beau de Patrocle (Illiade xxni), élevé par Achille sous les murs de
Troie, était un véritable tumulus; Hérodote et Gtésias nous repré-
sentent les monuments funéraires, élevés en l'honneur de Ninus et
de Sardanapale, comme des éminences pyramidales; c'était un im-
mense tumulus que l'on construisit à Allyates, père de Grésus
(Hérodote, Lib. I, cap. xxviii) ; Tacite (Annal., Lib. I) nous rap-
porte que Germanicus renferma dans un tumulus les ossements
blanchis des légions de Varus, qui gisaient dans les forêts de la
Germanie. ^
Il n'y a presque pas de pays où l'on n'ait constaté la présence
de ces collines funéraires : on en trouve en Angleterre, en Es-
pagne, en Portugal, en Allemagne, en Suède, sur les rives du
Volga et de l'Oural ; Spartmann (2) en a vu chez les Gaffres, et
Barow (3) en a même rencontré chez les Hottentots.
Au fur et à mesure que les sciences et les arts ont fait des pro-
grès, ces monuments primitifs ont cédé la place à des construc-
tions, sinon plus grandioses et plus durables, du moins plus inté-
ressants au point de vue de l'art, et l'ancien monceau de pierres
est devenu le riche tombeau des Mausole et des Porsenna !
En dehors des monuments funéraires que nous venons de men-
tionner, et qui sont généralement des tombeaux isolés, nous avons
à parler des lieux de sépulture communs.
Ges endroits, chez les anciens peuples, étaient très-vastes et
l'objet d'une vénération religieuse toute particulière, hes nécropoles,
(1) Voy. Dayies and Squiers, Ancient monuments of the Valley of Mississipi.
(2) Voyage au cap de Bonne-Espérance , t. III.
(3) Voyage dans la partie méridionale de l'Afrique, t. 1.
— 302 —
ainsi qu'on les a appelées, avaient quelquefois l'étendue d'une ville
entière, comme quelques-unes de l'Asie-Mineure et de l'Egypte.
M. Batissier rapporte que l'on voit dans les nécropoles de Sais,
dans la Ba'sse-Égypte, des puits perpendiculaires qui commu-
niquent à des galeries souterraines, au sein desquelles sont en-
tassés des monceaux de momies, tout un peuple de morts. Les
restes de ces nécropoles sont couverts de débris de poteries et de
fragments de figurines funéraires, et présentent des masses énormes
de plus de 80 pieds de haut, semblables à des collines bouleversées
par un tremblement de terre.
Les nécropoles les plus remarquables de l'antiquité sont celles
qu'on a taillées dans le flanc des rochers, et auxquelles on a plus
particulièrement donné le nom d'hypogées. Ce sont généralement
d'immenses souterrains dont l'entrée est annoncée par une façade,
taillée verticalement dans le rocher ; ils sont divisés intérieure-
ment en compartiments, ou chambres sépulcrales destinées à rece-
voir les sarcophages ; telles sont celles qui se voient encore aujour-
d'hui dans l'ancienne Lycie (1) et dans les provinces étrusques (2).
Les hypogées les plus considérables et les plus richement déco-
rées qu'on connaisse, sont celles de la Nubie. On peut les regarder
comme le dépôt de toutes les connaissances de l'antiquité égyp-
tienne.
Dans les grandes pièces, où sont placés les sarcophages de granit,
renfermant les dépouilles mortelles des personnages défunts, on
trouve toutes espèces d'objets précieux, qui avaient appartenu aux
morts pendant leur vie. On y voit une multitude de tableaux
sculptés, dont les uns représentent des mythes funéraires, les
autres des scènes domestiques ; ceux-ci ont trait à l'astronomie,
ceux-là aux sciences et aux arts. Les plus belles hypogées sont si-
tuées dans la vallée de Biban-el-Molouck ; elles renferment les tom-
beaux de rois appartenant à la xviii% xix'^ et xx* dynastie (3).
Les monuments sacrés qui nous restent des plus anciens peuples
ne sont souvent autre chose qu'un développement de ces premières
constructions sépulcrales dont nous venons de parler : les
SloupaSj que l'on trouve répandus dans les diverses contrées
(1) Voy. FellowSj A7i accouut of dis coveries in Lycin.
(2; Grifi, Monuru. antic. di Cere^
(3) Voy. Batiâàier, Histoire d<i l'art monumental.
— 303 —
de l'Inde (1), les dagobas de l'île de Ceylan (2), les nur-hagsde l'île
deSardaigne (3), les téocallis du Mexique (4), etc., sont de véri-
tables monuments funéraires, destinés, soità recevoir des reliques
vénérées, soit à servir de lieux de sépulture. Les pyramides de
l'Egypte elles-mêmes , ces monuments gigantesques , à la cons-
truction desquels un peuple entier travailla pendant vingt ans,
ne sont qu'un immense tombeau, dans lequel viennent se résu-
mer toutes les croyances philosophiques et religieuses de l'empire
des Pharaons.
« Il existe, dit Chateaubriand, un pays sur la terre, qui doit une
partie de sa célébrité à ses tombeaux. Voyez-vous un obélisque,
c'est un tombeau; les débris d'une colonne, c'est un tombeau,
une cave souterraine, c'est encore un tombeau. Et lorsque la lune,
se levant derrière la grande pyramide, vient à paraître sur le
sommet de ce sépulcre immense, vous croyez apercevoir le phare
même de la mort, et errer véritablement sur le rivage, où jadis le
nautonier des enfers passait les ombres. » Ajoutons avecdeLam-
menais que pour ce peuple, « l'existence commence au tombeau ;
ce qui précède n'est qu'une ombre^ une fugitive image. Ainsi, ses
(1) Les Topes ou Stoupas peuvent affecter dÏTerses formes: souvent ce ne sont
que de simples tertres ou tumulus, d'autres fois ce sont des tours rondes ou carrées,
couvertes par des toits ou par des coupoles sphériques. On les trouve placés sur
des collines ou sur des monticules factices, entourés d'une enceinte carrée de mu-
railles. Le plus remarquable est celui de Jlanikyala, qui a 24 mètres de hauteur et
95 mètres de circonférence. Voy. Ritter, Die Stupas etc.
(2) Les Dagobas ont la plus grande ressemblance avec les Stoupas; ce sont
comme eus, ou des constructions à coupoles, ou des espèces de tumulus, en forme
de cône, composés d'un monceau de terre recouvert d'un mur en briques ou en
pierres, avec espace libre à l'intérieur, destiné à recevoir des reliques. Le grand
Dagoba de Mahintala est dit avoir été bâti sur un cheveu qui poussa sur l'œil
gauche de Bouddha. Voy. Transactions of the Roy. Ascat. Soc. t. IIL
(3) Les Nur-hags sont des constructions ayant généralement la forme d'un cône
tronqué, faites avec des pierres brutes ou taillées. On en compte plus de trois mille
en Sardaigne. Aristote et Diodore de Sicile en ont eu connaissance. Petit-Radel
(notice sur les Nur-hags de Sardaigne), les attribue aus Tyrrhéniens établis en
Italie, vers l'an 1370, avant J.-C. ; Arri {Lettera intorno aiNur-hag), les croit d'o-
rigine Phénicienne.
Les Talayots, que l'on trouve dans les îles Baléares et les tours dites des Pietés,
dans les îles de Shetland^ semblent avoir eu la même destination religieuse et être
le produit de la même civilisation.
(i'j Les Te'ocallis sont les édifices les plus anciens, et les plus nombreux du
Mexique: ce sont des espèces de temples pyramidaux, à l'intérieur desquels on
pratiquait des chambres sépulcrales, dans lesquelles était renfermée la dépouille
des rois et des princes. Voy. de Huniboldt, Vues des Cordillières, etc.
— 304 —
conceptions religieuses et philosophiques, ses dogmes, en un mot,
venant aboutir à ce grand mystère de la mort, son temple a été
un sépulcre. »
Le temple a été le premier monument artistique que la main
de l'homme ait élevé : en effet, il faut autre chose dûns la cons-
truction d'un édifice religieux que le travail du maçon ou l'ou-
vrage du charpentier; il faut l'inspiration de Tartiste, qui sache
idéaliser les formes grossières du monument prototype, et donner
une expression matérielle à des idées abstraites et à des concep-
tions métaphysiques. Car, sacbons-le bien, l'architecture ne doit
être, comme on l'a dit si souvent des arts en général, « que la
forme extérieure des idées, que l'expression du dogme religieux. »
L'homme, a l'habitude de se faire une idée de la divinité
d'après celle qu'il a de lui-même et les premiers monuments
qu'il lui a construits, n'ont été qu'un développement de sa propre
demeure.
Les temples souterrains de l'Hindoustan et de la Nubie,
taillés dans les rochers, rappellent parfaitement les cavernes ou les
grottes qui servirent de refuge aux peuples troglodytes (1) ; les
temples Chinois et Japonais ont une ressemblance frappante avec
les tentes qui abritent les tribus nomades de l'Asie (2), tandis que
(1) Le temple, taillé dans le roc, le plus remarquable de l'Hindoustan est, sans
contredit, le Kiiïlaça ; il fait partie du groupe d'Ellora, et peut être considéré
comme le panthéon des divinités indiennes : toutes ses parties, travaillées de main
d'homme, forment unseul et même bloc.
On connaît actuellement quarante groupes de ces temples, et l'on suppose que le
nombre en atteint le ciiiffre de mille; la plupart se trouvent dans la présidence de
Bombay. Voy. James Fergussou, Illustrations of the Rock-cut temples of India.
(2) Cette idée a été très-bien développée par Hope [History of ardiitecture) :
« Ces nombreux piliers de bois, dit-il, sans bases et sans chapiteaux, qui supportent
le plafond des édifices, représentent les pieux primitifs ; les toits, qui, de ces pilliers
semblent projeter au loin leur dos et leurs côtes, en conservant la forme convexe,
sont les peaux et les étoffes pliantes étendues sur les cordes et les bambous. Dans
les pointes recourbées, qui frangent ces toits, nous voyons les crochets qui retenaient
les peaux déployées; enfin, dans l'étendue, le peu de hauteur et l'agglomération des
différentes part'es, nous reconnaissons les formes et le caractère distinclif des
habitations de ces pasteurs dont les Chinois sont descendus. Les maisons chinoises
semblent attachées à des pieux qui, plantés en terre, auraient fini par y prendre
racine et par s'immobiliser. »
— 305 —
la cabane, habitation des psuples voués à la culture du sol , a
servi évidemment de prototype aux chefs-d'œuvre de l'architec-
ture grecque. En effet, les colonnes, qui entourent le temple grec,
rappellent les pieux ou poteaux qui ont dû soutenir la cabane pri-
mitive; le piédestal nous représente le tas de pierres qui en en-
tourait la base pour les affermir en terre ; le fût c'est la partie
libre des pieux, et le chapiteau indique la place , oiî des liens ve-
naient les attacher aux poutres transversales qui en reliaient les
parties supérieures, et qui sont elles-mêmes représentées par la. frise
et Varchitrave ; enfin la corniche figure les extrémités saillantes des
■ planches qui recouvraient la cabane et lui servaient de toiture.
Cette idée nous est d'ailleurs confirmée par un passage de Pau-
sanias, oîi nous voyons que le premier temple de Delphes ressem-
blait à une hutte faite avec des branches de laurier (1).
Arrêtons-nous un instant à l'architecture grecque.
L'étude de l'art grec nous présente, en effet, un intérêt tout
particulier ; non-seulement il s'est élevé à une hauteur à laquelle
nul autre peuple n'a jamais su atteindre, mais encore il a exercé
une influence sensible sur toutes les constructions de l'Asie ,
et de l'Afrique (2), influence tantôt dénaturée par le génie capri-
cieux de l'Asie, lorsqu'il conservait encore son autorité, comme
au temps de Sémiramis et de Sardanapale, tantôt ramenée à une
application plus fidèle et plus intelligente, à l'époque, où la civili-
sation de l'Occident avait pénétré en Orient. Ce fut la Grèce, vaincue
et devenue province romaine, qui subjugua Rome triomphante,
et enseigna les arts aux habitants encore incultes du Latium :
Grœcia capta ferum victorem cepit, et artes
Intulit agresti Latio
Ainsi grâce au concours des Romains, grâce à leur puissance,
(1) Ou trouve aujourd'hui dans la Lycie, et principalement dans la nécropole de
Phellus, des tombeaux creusés dans le flanc des rochers^ qui présentent, dans leur
ensemble, une imitation évidente des huttes en bois (voy. Ch. Fellows, An account
of discorin Lycia). On sait également que ce qui caractérise les temples bouddhiques
les plus anciens, c'est qu'à l'intérieur on a reproduit dans la pierre la disposition
des charpentes d'édifices construits en bois.
(2) Un fait important, récemment constaté par les archéologues, ferait même sup-
poser que sous la dix-huilième dynastie, 1650 ans avant J.-C, les Grecs étaient
déjà très-policés aux yeux des Egyptiens ; car le groupe d'hiéroglyphes, qui désigne
les Grecs dans les monuments de Ptolémée, n'est qu'une reproduction fidèle de celui
qui se trouvait déjà sur des monuments de l'époque de Sésostris.
20
— 306 —
aux richesses dont ils pouvaient disposer et aux grands maîtres
accourus de la Grèce pour la seconder, l'architecture grecque
put continuer son œuvre de propagation et eut bientôt acquis un
développement prodigieux.
On retrouve le souvenir des procédés et des formes helléniques,
jusque dans les anciens temples du Mexique. Il parait même in-
contestable aujourd'hui que l'Hindoustan, le berceau de l'ancien
monde a reçu des leçons de la patrie d'Homère dans les arts, les
sciences et les lettres. Ce sont les historiens hindous eux-mêmes,
qui en ont rendu témoignage dans les écrits les plus récemment
découverts.
Ainsi, tandis que les autres peuples de l'antiquité ne sortaient
de chez eux que pour aller établir par la violence une domination
ignorante , imposer quelque nouvelle religion et changer les
hommes en esclaves , les Grecs ne franchissaient leurs frontières
que pour répandre partout les bienfaits de la civilisation, et pour
faire au loin des citoyens libres et des artistes éclairés. « Pendant
plus de quinze siècles, dit M. de Valmy , cette propagande a été
constante dans sa générosité ; elle a conquis peu à peu le monde
aux arts de la paix , au goût des belles-lettres et à l'esprit de tolé-
rance, et, par cette grande victoire de la civilisation, elle a éman-
cipé d'une tutelle stérile et tyrannique tous les peuples qu'elle a
visités. » (1).
Si nous voulons étudier les monuments grecs dans leurs rap-
ports avec les croyances religieuses, nous ne devons point perdre
de vue que le paganisme était une religion extérieure : les céré-
monies du culte avaient lieu en plein air, on immolait les vic-
times, à l'ombre des bois sacrés qui entouraient les sanctuaires ;
aussi la décoration des temples était-elle, en quelque sorte, toute
extérieure.
Les longues files de colonnes, qui ornent les nefs de nos églises
chrétiennes, se trouvaient , chez les Grecs , portées au dehors ;
leurs statues , leurs bas-reliefs ornaient principalement les murs
extérieurs. De là vient que les ruines de leurs temples présentent à
l'œil ébloui du voyageur quelque chose de majestueux et de gran-
diose que le monument, dans sa forme primitive, était, peut-être,
loin de posséder. Car , remarquons-le bien , à l'exception de
quelques monuments religieux qui avaient certainement un carac-
tère imposant et solennel, les temples grecs manquaient générale-
(1) De ValmVj Le génie des peuples dans les arts.
— 307 —
ment de grandeur, cet important élément de la beauté en archi-
tecture. La cathédrale de Notre-Dame de Paris pourrait contenir
plusieurs fois le temple de Minerve, sur l'Acropole d'Athènes, et
l'église de la Madeleine est un colosse, h. côté du Parthénon (1).
Dans beaucoup de leurs sanctuaires , dix personnes eussent été
gênées, et, comme le dit May, « le prêtre et l'idole y disparaissaient
dans la fumée d'un grain d'encens. »
Que ceci ne nous surprenne pas : l'idée que les anciens se fai-
saient de leurs dieux, auxquels ils n'attribuaient qu'une puissance
limitée, et tous les vices des hommes, ainsi que les étroites limites,
de leur propre pays, ne pouvaient guère faire naître en eux des
conceptions grandioses et colossales.
Ajoutons que les beaux-arts, chez les Grecs, n'avaient point ce
caractère exclusivement religieux que nous leur trouvons, chez les
peuples mystiques de l'Orient ; ils offrent à la fois une institution
sociale et religieuse ; le temple grec était même moins le
sanctuaire des croyances du peuple que celui de ses arts et de ses
illustrations nationales ; c'était un véritable musée. On y renfer-
mait les actes importants de l'état, les traités de paix et même les
trésors publics (2). On y voyait, au dire de Pausanias, outre les
autels et les statues des divinités, les chefs-d'œuvre de peinture
des artistes grecs, les portraits peints sur bouclier des grands ci-
toyens qui avaient illustré leur pays, des vases, des armes, des
vêtements, suspendus aux voûtes et aux parois des murs, et dé-
diés, en mémoire d'un grand événement, à la divinité du lieu ;
(1) Le plan de la cathédrale de Paris offre les dimensions suivantes: longueur
totale dans œuvre : 130 mètres : longueur du transsept, 48 mètres ; hauteur des
voûtes ,35 mètres ; hauteur des tours 68 mètres. On y compte 5 nefs, 37 chapelles
3 rosaces de plus de 13 mètres chacune, 113 fenêtres, 75 colonnes ou piliers isolés,
et 297 colonnes, y compris les colonnes engagées et les colon nettes. On entre par
6 portes, et un escalier de 380 degrés conduit à la plate-forme des toars. (L'abbé
Bourassé, Les plus belles églises du monde.)
Le Parthénon, bâti par les architectes Jctinus et Callicrates sous le direction de
Phidias, avait 79 mètres de long, sur 34 de larg. et 22 de haut.
(2) L'usage de conserver dans les temples les archives de la nation et tout ce qui
à rapport à l'organisation sociale, a été emprunté par les Grecs aux peuples de
l'Asie, comme on peut le voir par la description que donne Hérodote (L. L C.
xxviii) du temple de Belus à Babylone. Ce temple de Belus n'est autre chose que
le célèbre édifice connu dans la Bible, sous le nom de Jour de Babel. D'après
M. Oppert, qui s'est livré à d'activés recherches à ce sujet, on trouverait les ruines
de la fameuse tour, à 9 kilomètres S. 0. de Hillah, sur l'emplacement de la vieille
ville Chaldéenne de Borsippa ; ce dernier nom signifie également confusion des
langues.
— 308 —
enfin les trônes, les sièges votifs, les trépieds, les candélabres for-
maient une partie importante de l'ameublement. Dans plusieurs
temples on voyait même des statues équestres, des chevaux, des
bœufs, des chars, le tout en bronze, enfin des lits sur lesquels
les prêtres couchaient les statues des dieux dans les pompes sa-
crées.
Les Romains qui s'étaient approprié tous les arts des Grecs, et
même leurs dieux, adoptèrent également les formes architecto-
niques de leurs temples ; ils n'y introduisirent qu'une légère mo-'
dification, caractérisée par l'emploi de la voûte et de l'arcade.
« Mais comme de plus grandes ressources leur suggérèrent de
plus grands dessins, ils accrurent le's édifices en largeur et en
hauteur : les entreprises, qu'Athènes et Lacédémone eussent
jugées colossales, paraissaient mesquines aux maîtres du monde. »
La société romaine, a dit un philosophe, se retrouve avec ses
caractères dans les productions de l'art. Les arcs de triomphe (1),
élevés jusqu'au fond des plus lointaines provinces, les magni-
fiques colonnes d'Antonin et de Trajan, les palais même des
gardes prétoriennes, près de quelques demeures impériales, rap-
pellent et l'esprit martial, la fierté et la gloire du peuple qui sou-
mit tous les autres peuples. Ces monuments, les premiers surtout,
sont purement romains. On croit voir, en les contemplant, les
nations se courber pour passer sous ces voûtes ornées de leurs dé-
pouilles (2).
Ce fut sous le règne d'Auguste et sous celui des Flaviens et des
Antonins que l'art romain produisit ses plus beaux chefs-d'œuvre :
sous leur règne le sol de l'Italie se surchargea, pour ainsi dire^ de
théâtres, d'arènes, de thermes, de portiques, de môles et somp-
tueuses villas.
Seulement, n'oublions pas que chez les Romains, l'art est essen-
tiellement municipal ; chez eux, il n'est plus une sorte d'article de
foi, une croyance, comme chez les peuples de l'Orient, ou une
institution sociale et religieuse, comme chez les grecs ; c'est,
comme dit de Mercey, u un moyen de domination, un auxiliaire
du pouvoir dont les productions tendent à rehausser la splendeur;
(1) Le plus beau monument de ce genre qui nous reste de la domination ro-
maine est l'Arc d'Oranrje. Cet arc a 22 mètres de hauteur sur 21 mètres de lar-
geur ; c'est un des plus grands arcs que nous ait légués l'antiquité, mais il est loin
davoir les dimensions de l'Arc de l'Etoile qui à 49 mètres de hauteur, 44 de lai-
geur et 22 d'épaisseur.
(2) De Lamennais^ E^qui^se d'une /Jdlosophie.
— 309 — ,
c'est surtout un nouveau moyen de plaisir (1). » Aussi les temples
romains n'avaient rien de solennel et de majestueux : c'étaient
moins des édifices religieux que des monuments élevés à l'orgueil
et à la vanité. Les architectes appelés à élever des palais pour
des empereurs livrés à toutes les débauches, et pour des dieux que
la corruption avait souillés, ne pouvaient pas s'inspirer aux nobles
sentiments de l'amour de la patrie, de la gloire et de la religion,
qui animaient tous les citoyens, dans les plus petites villes de la
Grèce (2).
Nous passons maintenant à l'architecture chrétienne et nous
allons voir quelle magique influence peut exercer sur les arts,
une religion qui sait s'emparer des âmes et exciter l'enthousiasme
religieux, et comment, grâce à des artistes pleins de foi et de
piété, son temple a pu devenir l'expression de ses dogmes (3).
Pendant les premiers siècles du christianisme , la haine des
empereurs romains ne permit guère aux chrétiens d'avoir des
lieux publics de réunion. Pour se soustraire à la rage de leurs
persécuteurs ils se réunirent dans les arenariœ, ou galeries sou-
terraines, creusées pour l'extraction de la pouzzolane, auxquelles
on a donné le nom de catacombes. C'est là qu'ils inhumèrent égale-
ment les martyrs et tous ceux qui appartenaient à la communion
(1) De Mercey, Études sur les Beaux-Arts.
(2) Le premier temple de marbre ne fut élevé que 147 ans avant J.-C, par Mé-
tellus le Macédonien; la première basilique ne fut achevée que 184 ans avant J.-C,
par Porcins Cato; le premier palais de marbre fut bâti par Lucius Crassus, en l'an
104 avant J.-C.
(3) Voici un tableau indiquant avec leurs époques les différents styles d'architec-
ture, qui ont régné en France, depuis l'époque Gallo-Roiaaiue jusqu'à la Renais-
sance :
Style latin
Style roman
Style roman o-ogi val ou de tran-
sition
Style primaire ou à lancette. .
Style secondaire ou rayonnant.
Style tertiaire ou flamboyant .
Architecture
à
plein-cintre.
Architecture
à
ogive.
Architecture
de la
Renaissance.
du iv« au xie siècle.
xie siècle et l^e moitié du xii^.
2^ moitié du xii<= siècle.
xiii^ siècle,
xiv^ siècle.
xye siècle et xvis (1" moitié).
Depuis la 1'^ moitié du xvie siècle.
— 310 —
chrétienne. Mais sous le règne d'Hadrien, les persécutions ces-
sèrent (1), et la nouvelle religion étendit si rapidement ses con-
quêtes que, dès le m® siècle, les chrétiens formaient, dans Rome,
un peuple entier; suivant Optât (2), on y comptait déjà plus de
quarante églises.
Dès qu'il fut permis aux chrétiens de célébrer leurs mystères
au grand jour, ils cherchèrent, parmi les monuments qui les en-
touraient, un genre de construction qu'ils pussent adapter à leur
culte. Les basiliques parurent s'y prêter mieux que tous les autres
monuments de l'architecture gréco-romaine.
Les basiliques servaient à la fois de tribunaux et de bourses de'
commerce. On s'y réunissait pour parler d'affaires, pour étaler
et vendre ses marchandises, comme dans nos halles ou nos ba-
zars.
A l'intérieur, deux rangs parallèles de colonnes ou de pilastres
divisaient l'édifice en trois parties inégales, dans le sens de la
longueur. La galerie centrale était la plus large et la plus élevée ;
elle était occupée en partie par les marchands, les plaideurs, les
avocats, et en partie par le peuple. Les plaideurs et les curieux
se plaçaient aussi, à droite et à gauche, dans les deux ailes laté-
rales.
A l'extrémité de ces trois galeries, il y avait un espace peu
profond qui , comme dans nos tribunaux actuels , était réservé
exclusivement aux avocats, aux greffiers et aux autres officiers de
justice, et qui se terminait par un enfoncement semi-circulaire,
placé vis-à-vis de la galerie centrale. C'était au milieu de cet hé-
micycle que s'asseyait le président ou premier juge, ayant à ses
côtés les juges assesseurs.
Les basiliques une fois transformées en églises, il ne fut pas
difficile d'adapter les cérémonies religieuses à la disposition du
local.
L'évêque ou le prêtre qui officiait, entouré des prêtres assis-
tants, se plaça au fond de l'hémicycle, appelé tribune, où siégeaient
.auparavant les juges sur un siège, cathedra^ ordinairement en
marbre, et qui s'élevait au-dessus des bancs en pierre, adossés à
l'abside et destinés aux autres prêtres : de là, il dominait et pré-
sidait l'assemblée. L'espace réservé aux avocats, enlre l'hémi-
(i) Ce fut. après avoir lu l'apologie rie saint Quarlrat^ que l'empereur permit aux
chrétiens de se réunir dans de petits édifices qui prirent le nom d'IIadriances.
(2) Contrai Parmcnl, ï\b. 1.
— 311 —
cycle et les nefs, devint une enceinte privilégiée pour les chantres
et autres ecclésiastiques; il prit le nom de chœur \ l'autel fut
placé à peu près entre le chœur et le presbyterium, ou tribune.
Les galeries ou nefs des basiliques furent occupées par les fidèles;
le côté droit était celui des hommes, et le gauche celui des
femmes (1).
Après avoir fait usage des basiliques romaines, les chrétiens
en élevèrent eux-mêmes. Pour rappeler le temps des persécutions,
où les fidèles célébraient les mystères dans les catacombes, sur
les tombeaux des martyrs, à la sombre lueur des lampes, on
creusa sous l'autel un caveau, oh furent déposés les restes des
chrétiens morts en odeur de sainteté; des lampes et des cierges
brûlaient autour. Pour rappeler les catacombes elles-mêmes, on
construisit, sous le chœur, des crypte^ ou églises souterraines.
Bientôt l'espace entre l'abside et les nefs s'allongea pour former
le transsept, et le plan du nouvel édifice prit la forme de la croix,
sur laquelle était mort le Christ; enfin, trois portes donnèrent
accès aux trois nefs, des rosaces furent ouvertes dans la grande
nef et le transsept, et les parties essentielles du temple catholique
étaient trouvées.
C'est l'avènement de Constantin, converti à la religion nouvelle,
qu'on peut considérer comme le point de départ d'un art chrétien.
Grâce à son ardeur, de nombreuses églises s'élevèrent bientôt
dans tout l'empire romain; son zèle pour le christianisme alla
même si loin, qu'il ordonna de démolir tous les temples de l'an-
cien culte (2). « Pendant plus d'un siècle, dit un chroniqueur,
l'univers retentit du bruit des marteaux, qui renversaient les
chefs-d'œuvre des Scopas, des Polyclète et des Gallimaque. Enfin,
l'ardeur fut si vive , que les barbares, dans leurs irruptions
dévastatrices, trouvèrent la besogne de destruction presque ache-
vée (3). ))
C'est à l'occasion de la construction de Sainte-Sophie, de Cons-
tantinople, par Constantin, que l'on résolut d'abandonner défini-
tivement le plan des basiliques payennes, et d'en remplacer le
parallélogramme par la forme de la croix grecque, symbole uni-
(1) De Caumont, Abécédaire d'archéologie.
(2) Eusèbe , Hist. eccles. et de vita Constantini.
Cette allégation d'Eusèbe doit surtout s'appliquer au paganisme en Orient; car
il est établi que, les monuments antiques furent assez respectés en Italie, jusqu'au
règne de Théodose. Voy. Beugnot, Chute du Paganisme.
(3) Libanius, Orat. 10, in Juli. necem.
— 312 —
versel du culte chrétien des premiers siècles. Justinien la fît re-
bâtir avec le luxe, la richesse et la solidité qui convenaient h la
métropole d'un grand empire; et depuis, la forme de l'église, le
caractère des ornements, le luxe de la décoration et des peintures
sont devenus le type de l'architecture chrétienne en Orient.
Ce style, auquel on a donné le nom de byzantin^ n'était qu'une
forme corrompue du style grec : la superstition, le bigotisme et
l'idolâtrie des chrétiens du Bas-Empire avaient affaibli le génie
des artistes, que la décadence de l'art payen avait déjà égarés, et
la nouvelle église fut, au point de vue de l'esthétique, une vio-
lation flagrante des règles de l'art antique, violation que la ri-
chesse des ornements et la grandeur imposante de l'ensemble
peuvent un instant faire oublier, mais qu'elles ne sauraient com-
plètement cacher.
Introduit chez les Moscovites par les apôtres grecs, le style
byzantin s'est conservé jusqu'à nos jours en Russie, sans modifi-
cations considérables.
Il a été également adopté par les sectateurs de Mahomet; avec
eux il s'est répandu en Perse, dans l'Inde et enfin en Espagne, où,
sous le nom de style mauresque, il a produit le palais de l'Al-
hambra, une des merveilles du monde.
Malheureusement la religion musulmane, en interdisant la
représentation de la figure humaine dans ses temples, a isolé le
génie de l'une de ses sources les plus fécondes, et a conduit l'art
oriental à chercher la richesse et la vie dans le luxe de la déco-
ration, qui ne peut éblouir que les regards des peuples en déca-
dence ou ignorants des vrais principes du beau.
Si nous tournons nos regards vers l'Occident, et en particulier
vers nos contrées, et que nous nous reportions au iv" siècle,
nous trouvons l'architecture en proie aux innovations : elle
tente péniblement de se débarrasser des traditions du passé,
et cherche au hasard des combinaisons appropriées aux besoins
d'un culte nouveau, d'une société moralement transformée, mais
dont la forme extérieure est encore toute payenne.
Nous n'avons que des renseignements très-vagues et peu
intéressants sur l'histoire de l'art, depuis le iv° siècle jusqu'au
X'' siècle. Il ne paraît pas que, pendant cette longue période, on
ait rien fondé de bien grandiose, ni de bien durable. La pratique
de l'art romain était tombée dans une si complète décadence,
qu'on ne trouvait memu plus de sculpteurs pour décorer les édi-
fices publics. On comprend, en effet, que les arts n'aient pu pros-
— 313 —
pérer au milieu des luttes religieuses, clos guerres intestines et
des nombreuses invasions, qui remplissent l'histoire des premiers
siècles de la monarchie française (1).
L'idée chrétienne, cependant, s'affermit, mais ce fut plutôt une
réaction contre les croyances du passé qu'un véritable progrès (2).
Celui-ci ne se manifeste qu'avec le règne de Gharlemagne : ce
grand prince releva non-seulement les lettres et les arts, mais il
déracina les idées et les superstitions payennes; avec lui, l'art
commence à s'affranchir des traditions antiques et à devenir
chrétien.
C'est grâce aux relations que ce prince put établir avec l'empire
d'Orient, et aux architectes appelés de Constantinople, que nous
devons les premières coupoles byzantines. Mais l'Occident
était trop pauvre, et le caractère de ses habitants était encore
trop barbare, au ix'' siècle, pour adopter généralement le style
pompeux de Sainte-Sophie dans la construction de ses églises.
C'est en vain que Charles-le-Chauve appela, à son tour, des ar-
tistes grecs, pour achever la régénération des arts commencée par
Charlemagne; ses efforts restèrent impuissants, et l'empire re-
tomba bientôt dans la plus complète barbarie.
Le x^ siècle nous offre le tableau de la plus affreuse misère
physique et morale. « Il semble, comme le dit M. Duruy, que la
mort physique va s'emparer du monde, que la mort intellectuelle
a déjà presque entièrement conquis; lui-même croit qu'il va
périr. L'an 1000, auquel une croyance religieuse avait assigné la
fin du monde, approche; on ne bâtit plus, on ne répare plus, on
donne au clergé ses terres, ses maisons, mundifine appropinquante ,
parce que la fin du monde approche. »
Enfin^ avec le commencement du xi^ siècle, le monde se ré-
(1) Batissier, Histoire de l'art monumental.
L'ignorance de l'art de bâtir était même devenue si grande qu'on ne savait plus,
pour ainsi dire, construire les v.ùtes. Quand elles existent, il est très probable qu'elles
ont été faites après coup, et qu'elles sont plus récentes que le reste de l'édifice.
(2) Dans son zèle contre les restes de l'idolâtrie le clergé du vi^ siècle y comprit
même l'élégance du langage. Le pape Saint-Grégoire-le-Grand, apprenant que
Didier, évêque de Vienne, donnait des leçons de grammaire, lui écrit : « On me
rapporte une chose que je ne puis répéter sans honte : On dit que ta Fraternité
explique la grammaire.... Nous en sommes affligés, car les louanges de Jupiter ne
peuvent tenir dans une seule et même bouche avec celle de Jésus-Christ.... Quant à
moi, je n'évite pas le désordre du barbarisme; je dédaigne d'observer les cas des
prépositions; car je regarderais comme une iniquité de plier la parole divine sous
les lois du grammairien Donat. » Voy. Demogeot, Hist. de la litiér. franc.
— 314 —
veille. L'humanité ressaisit avec bonheur une vie qu'elle s'était
crue si près de perdre. Elle se remit à travailler, à bâtir; dans sa
reconnaissance pour ce Dieu, qui prolongeait ses jours, elle lui
éleva, de tous côtés, de nouveaux temples (1). « On eût dit, sui-
vant l'expression d'un chroniqueur contemporain, que le monde
dépouillait tout à coup sa vieillesse, et se revêtait tout entier d'une
blanche robe d'églises (2). »
La plus haute expression de l'art chrétien d'Occident , au
xii^ siècle, et la plus noble formule du style roman est, sans con-
tredit, Saint-Saturnin, de Toulouse; de même que Sainte-Sophie
est la plus haute expression de l'art chrétien d'Orient , au
VI® siècle. « Mais Sainte-Sophie est l'œuvre suprême d'une civili-
sation qui se précipitait vers la décadence, tandis que Saint-Sa-
turnin est l'expression d'un retour aux grands principes de
l'art. »
L'enthousiasme extraordinaire, qui avait marqué les premières
années du xf siècle, continua d'animer les esprits jusqu'à la fin
du xiii'= siècle (3). Alors apparaît l'époque la plus remarquable
(1) En huit siècles 1108 églises seulement avaient été bâties en France ; 326
s'élèvent au xie siècle, et 702 au xii^.
(2) « Erat enim instar ac si muncUis ipse, excutiendo semet, rejecta vetustate,
passim caudidam ecclesiarum vestem indueret.j) Glaber, Lib. III, 4.
(3) Non contents de contribuer par des offrandes à la construction des nouvelles
églises, les fidèles se réunissaient en congrégations, accouraient en foule dans les
lieux, où l'on en élevait, pour prendre part aux travaux les plus pénibles. Souvent
même la nuit n'interrompait pas les travaux, et Haimon, abbé de St-Pierre-sur-
Dive, rapporte dansune lettre écrite, en H45, qu'on allumait des cierges sur les
chariots autour des églises en construction, et qu'on travaillait en chantant des
hymnes et des cantiques.
Ainsi les chroniques rapportent que pendant treize ans plus de cent mille per-
sonnes, excitées par la piété, furent employées journellement à la construction de
la cathédrale do Strasbourg; des indulgences, du pain et quelques racines étaient
leur unique salaire (Voy. Grandidier, Essai historique sur lu cathédrale de
Strasbourg) .
Mais ce furent les corporations ou associations des francs- maçons qui rendirent
les plus grands services dans la construction des nouvelles cathédrales. Quoique
les maçons français fussent associés entre eux, comme les membres des autres
corps de méliers, les véritables corporations des francs-maçons nous sont venues
de l'Italie, où elles jouissaient dès le vm* siècle, de privilèges exclusifs. Les mem-
bres n'étaient initiés au secret du grand art de bàlir, qu'après s'être ^onmisàun
noviciat, à des épreuves, et s'être engagés à un silence absolu : après avoir passé par
les divers degrés d'apprentissage, ils étaient reçus maîtres et avaient droit d'exercer,
partout et pour leur propre compte, leur profession. Les souverains, dans chaque
royaume, accordèrent des privilèges aux confréries de fraucs-maçons, et les papes
— 313 —
du moyen-âge, pour l'architecture religieuse. Les croisades avaient
donné une nouvelle impulsion à l'esprit religieux et chevaleresque
des peuples, et la foi, ravivée par je ne sais quel souffle poétique,
se montrait capable de produire les plus grandes merveilles. <( Le
génie irançais, pour me servir des paroles de M. Duruy, versait à
tous les pays voisins comme un flot de grande poésie, et, sans les
guerres qui vont venir, c'est du xiii^ siècle qu'on aurait daté la
Renaissance. » L'architecture romane était abandonnée, et les
traditions du polythéisme n'asservissant plus l'imagination des
artistes, le catholicisme entra en possession de l'architecture qui
lui était propre, architecture jusqu'alors inconnue et toute chré-
tienne d'expression, c'est-à-dire de l'architecture gothique ou ogi-
vale.
Pour comprendre l'architecture gothique, il faut nous rappeler
ce que j'ai dit en commençant, que, dans tous les siècles, les
croyances religieuses ont puissamment influé sur les caractères de
l'architecture. Ainsi, chez les Grecs et les Romains, la religion
toute matérielle, on pourrait dire toute naturelle, a produit et de-
vait produire une architecture basée sur des proportions, qui ne
dépassaient pas ce qu'on est convenu d'appeler le bon goût ; l'en-
semble des parties devait montrer cette grâce, cette élégante sim-
plicité, et en même temps cette richesse, que nous admirons dans
les édifices des anciens, parce que l'imagination était fixée sur des
choses naturelles, et que le type du vrai beau, par rapport à eux,
ne sortait pas de la nature physique ; ils visaient à la beauté ab-
solue.
La forme est donc tout dans l'architecture antique ; dans l'ar-
chitecture ogivale, il faut voir avant tout la pensée : <( le gothique
veut rivaliser avec l'élan mystique des âmes et s'élancer vers le
ciel, au risque d'en tomber. » Aussi, si nous comparons les temples
les leur garantirent pour les pays catholiques, où ils allaient traTailler. Tous les
frères étaient liés entre eux par un contrat solidaire d'hospitalité, de secours et de
bons offices, ce qui leur permettait de faire, à peu de frais et en sûreté, les plus
longs voyages.
l^orsque les progrès des connaissances humaines eurent divulgué les procédés,
longtemps tenus secrets, de l'art de bâtir, les sociétés maçonniques cessèrent d'avoir
leur but et leur utilité, mais elles continuèrent d'exister sous une autre forme, et,
gardant ponr base le principe de la fraternité, elles perpétuèrent^ par des noms
et des signes symboliques (le tablier de peau, la truelle, l'équerre, le compas), le
souvenir de ce qu'elles avaient été. — Cf. Renouvier et Ricard, Des maîtres de pierre
et autres artistes gothiques de Montpellier.
— 316 —
de la Grèce aux belles cathédrales du moyen-âge, nous ne pouvons
nous empêcher d'accorder la préférence à ces dernières; non pas
que nous croyons l'art chrétien supérieur à l'art payen, c'est une
question jugée depuis longtemps , mais nous trouvons dans
les monuments du moyen-âge une expression de grandeur
qu'on chercherait vainement ailleurs, et qui tient à l'essence
même de la religion qui les a inspirés. L'architecture gothique
respire la majesté et l'austérité du dogme chrétien, et Michiels a
pu dire, en toute vérité, que « l'expression de ses formes appartient
au genre sublime et dépasse la portée des âmes vulgaires. »
Qu'on compare un instant sans prévention, comme sans parti
pris, l'église de la Madeleine, qui est un véritable temple de Min
nerve, à la cathédrale de Notre-Dame, et l'on sera forcé de recon-
naître toute la justesse de notre assertion.
Dès qu'on a franchi le seuil d'une cathédrale et qu'on pénètre
dans ces froides enceintes, oii règne la poésie du silence et du re-
pos, on est saisi d'un sentiment éminemment religieux. A la vue
de ces pierres sépulcrales dont sont pavées les nefs, de ces tom-
beaux qui se dressent dans les murs latéraux, de ces images du
Christ expirant sur la croix, la pensée se reporte involontairement
sur la durée éphémère de la vie, et les regards se tournent vers
l'éternité. Et lorsque nous parcourons ensuite ces longues nefs,
dont l'extrémité semble échapper à nos yeux, et que nous exami-
nons ces murs aériens, sur lesquels sont semées mille découpures
et élégantes broderies, ces gracieuses colonettes, qui s'élancent d'un
seul jet du sol vers les cieux, et ces voûtes gigantesques et élevées,
où semblent flotter les esprits célestes, une tristesse calme et poé-
tique s'empare de notre âme, et semble vouloir la détacher de ce
monde pour la transporter dans les abîmes de l'infini.
Le xiii^ siècle, comme je l'ai dit plus haut, a été le beau temps
de l'architecture gothique. « C'est alors que se sont élevées ces
montagnes de pierres ciselées àjour, ces cathédrales de Paris, de
Rouen, d'Amiens, de Chartres, de Reims, de Bourges, de Stras-
bourg, et tant d'autres chefs-d'œuvre, où se montrent toutes les
hardiesses de la pensée, toute l'élévation, toute la ferveur du sen-
timent religieux. »
Dès le XIV'' siècle, une décadence se manifeste dans l'architec-
ture. Le désir d'innover, de faire mieux, qui se révélait dans
l'ordre religieux et moral, comme dans l'ordre politique et litté-
raire, poussait vers la richesse et l'hyperbole, et les qualités se
changèrent en défauts.
— 317 —
Enfin au xv*^ siècle, le moyen-âge s'écroule, et c'en est fait de
l'architecture religieuse: en cherchant la beauté dans la décoration
de luxe et la profusion des ornements, elle perd complètement son
caractère grave et sévère ; elle semble avoir oublié le sens des vieux
symboles. Les écussons de la noblesse s'étalent maintenant aux
endroits les plus apparents, comme au sommet du pignon et dans
le tympan des portes. Les vitraux, à leur tour, se chargent d'ar-
moiries, de portraits, d'arbres généalogiques, d'inscriptions vani-
teuses, en un mot, la foi s'attiédit et a l'homme atteint, par le
doute, comme le dit un écrivain, ne songe plus à faire à ses
croyances un abri immortel. »
Cette architecture du moyen-âge était née avec le christianisme
et avait grandi avec lui ; n'ayant demandé ses inspirations qu'à la
religion, elle était devenue l'expression Adèle des idées du temps.
Dans les cathédrales gothiques, on voit, en effet, à côté des pa-
raboles de l'Apocalypse, des légendes du déluge, de Job et de Jo-
seph, les animaux fantastiques, les créatures bizarres, les basilics,
les chouettes, tous souvenirs confus des superstitions qui s'étaient
mêlées aux premières croyances chrétiennes. Aussi l'art gothique,
comme le dit de Valney né en même temps que ces idées, ne pou-
vait être et n'a été que transitoire.
Nous avons parlé de l'architecture gothique, au point de vue du
sentiment religieux ; si nous la considérons au point de vue de
l'esthétique, nous y trouvons à chaque pas les infractions les plus
graves aux principes de l'art. « L'architecture gothique, dit
M. Viollet-le-Duc, pleine de jeunesse et de force dans les pre-
mières années du règne de saint Louis, commençait à tomber
dans l'abus en 1260 Les membres de l'architecture s'amaigris-
sant, la sculpture se complaît dans l'exécution des infiniment
petits, le sentiment de la vraie grandeur se perd, on veut étonner
par la hardiesse, par l'apparence de la légèreté et de la finesse (1). »
« Connaissez-vous l'architecture de nos vieilles églises qu'on
nomme gothiques? dit Fénélon. N'avez-vous pas remarqué ces
roses ces points, ces petits ornements coupés et sans dessin suivi,
enfin tous ces colifichets dont elle est fleurie ? Voilà en architec-
ture ce que les antithèses et les autres jeux de mots sont en élo-
quence. L'architecture grecque est bien plus simple. Elle n'admet
que des ornements majestueux et naturels : on n'y voit rien que
de grand, de proportionné, de mis en place »
(1) ViûUet-le-Duc. Dictionnaire de /'architecture française.
— 318 —
Perçant partout les murailles, dit à son tour Mérimée, les archi-
tectes gothiques voulurent forcer le spectateur à l'étonnement, et
le raisonnement seul peut lui faire croire à la solidité des masses sus-
pendues au-dessus de sa tète. Pourtant il fallut bien songer à cette
solidité, et pour soutenir en l'air des voûtes, à une prodigieuse hau-
teur, on dut augmenter successivement les contre-forts, il fallut
étayerde tous côtés, par des arcs-boutants, ces masses pyramidales,
qui menaçaient le ciel et les habitants de la terre. Si, en entrant dans
une église gothique, nous admirons la hardiesse des voûtes, l'élance-
cement des colonnes, en en mot, sa fabrique toute aérienne, on
éprouve, en la contemplant de loin, le sentiment pénible qu'excite
la vue d'une ruine chancelante et soutenue par des étais.... « Tous
ces ars-boutants extérieurs qui, avec tant de légèreté et de har-
diesse, viennent détruire la poussée des voûtes, sont d'un pauvre
effet, malgré ce qu'ils ont de rationnel, parce qu'ils ne se rattachent
pas suffisamment à l'édifice, ils l'embarrassent, ils en masquent
les lignes principales, et ils semblent des hors-d'œuvres, appelés
après coup à donner à la construction une stabilité qu'elle aurait
dû avoir par elle-même. »
Les artistes du moyen-âge croyaient que la règle était un
obstacle au progrès et à Tinspiration, et que les intelligences su-
périeures pouvaient être paralysées par des principes sévères
et monotones ; ils se sont donc donné, dans le domaine de
l'art, une liberté d'autant plus grande que dans celui du dogme
ils n'en pouvaient avoir aucune, et c'est ainsi qu'en n'admettant
d'autre règle que celle du caprice et de la fantaisie, ils ont
entraîné l'architecture dans une voie où elle s'est fatalement
perdue.
Avec le xvi® siècle, l'aurore d'une vie nouvelle apparaît à l'hori-
zon : (( l'humanité, àlaquelle, l'Évangile a enseigné de nouvelles ver-
tus va entrer en possession de l'héritage du paganisme et réunir
dans un vaste lit les flots épars de la tradition. » Une régénération,
qu'on a appelée Va. Renaissance, se produit dans toutes les classes de
la société, aussi bien parmi les artistes que parmi les théologiens,
en architecture comme en religion.
En môme temps que les idées superstitieuses du passé sont
abandonnées, et qu'on en vient à un sentiment religieux plus rai-
sonné, le génie de l'art se reporte vers les beaux modèles de
— 319 —
l'antiquité, et l'art de construire va être basé désormais sur les saines
traditions des Grecs et des Romains; les artistes se dégagent des
étroites entraves, dans lesquelles les avaient trop longtemps retenus
des idées religieuses qui proscrivaient toute beauté corporelle,
comme entachée d'impureté payenne, et qui n'ofTraient à leur gé-
nie d'autres sujets d'étude que les images d'un âpre ascétisme,
de scènes de douleurs, de pénitence, oii le cilice et le suaire affligent
la vue et attristent l'esprit : ils reviennent au culte de la forme et
abandonnent le type de la nature souffrante et languissante, que
représentaient les figures gothiques, pour les remplacer par des
images fidèles de la nature humaine. « Il se fait, comme dit de
Lammenais, une alliance entre l'art antique et l'art chrétien. »
De plus, la vie civile se sépare complètement de la vie religieuse;
et l'art, après avoir passé par l'état théologique à l'état métaphy-
sique, va devenir positif et pratique, indépendant, en un mot, et
si je puis m'exprimer ainsi, va vivre de sa propre vie !
La rénovation, que la Renaissance a introduite dans l'art monu-
mental, consiste moins dans la copie ou dans l'imitation des monu-
ments des anciens, que dans l'adoption des règles, qui avaient di-
rigé ceux-ci dans la construction de leurs immortels chefs-d'œuvre,
règles exposées par Vitruve, et basées sur l'essence même du beau,
c'est-à-dire sur l'harmonie et la proportion (1).
Ce n'est pas ici l'endroit de nous demander ce que c'est que le
beau^ sur quelle théorie il s'appuie ; constatons simplement qu'en
architecture, il ne saurait reposer sur d'autre principe que sur les
proportions données aux divers éléments et sur l'harmonie de ces
éléments entre eux.
Par quels procédés les Grecs sont-ils parvenus à en fixer les
principes et les règles ?
Par un seul : en s'inspirant des modèles les plus parfaits donnés
par la nature. C'est ainsi que d'abord ils composèrent le type de
la beauté humaine, en réunissant dans une figure les proportions
les plus parfaites, données par la nature à leur race, c'est-à-dire
en réunissant l'harmonie à la vérité. Ces proportions une fois
établies, ils s'en sont servis pour fixer celles qu'il convenait
(i) Aristote s'exprime ainsi : « Les iormes essentielles du beau sont l'ordre^ la
symétrie, la détermination, la limitation : dire beauté, c'est dire grandeur et ordre.»
« Rien n'est beau sans harmonie, dit Platon : en toutes choses la mesure et
l'harmonie doivent être réunies pour constituer la beauté absolue. » [Pliilèbe.) Voyez
Ch. L'évêque, La science du beau :
— 320 —
de donner aux parties essentielles de leurs monuments (1).
Ils ont ainsi formulé le type de la beauté dans l'art de construire
et en ont déterminé les principes et les règles avec une précision,
pour ainsi dire mathématique, afin que le caprice ne vînt pas,
comme chez les autres peuples, altérer les proportions que l'étude,
l'expérience et le génie de leurs plus grands maîtres avaient adoptées,
comme les plus parfaites. C'est donc en basant la théorie de l'art
sur les règles d'harmonie et de proportion que Dieu a mises dans
ses œuvres, que l'art grec est devenu la plus haute expression de
l'intelligence humaine ; c'est en suivant ces mêmes principes, en
s'inspirant à la même source sacrée, que l'art moderne va enfanter
ses merveilles (2).
La Renaissance a été inaugurée en Italie, dès la fin du xiv® siècle,
par Brunelleschi dans la construction du dôme de Florence. L'ar-
chitecte a emprunté au temple grec ses lignes élégantes, en
conservant la variété des ornements délicats du style ogival, et en
substituant aux formes légères et sveltes des flèches gothiques la
large voûte latine.
Introduite en France, sous le règne de François I", la Renais-
sance s'est montrée dans tout son éclat, sous le règne de Louis XIV
et de Louis XVI ; c'est alors qu'ont été élevés le palais de Ver-
sailles, le dôme des Invalides, le Palais-Royal, le Panthéon, le
Val-de-Gràce et tant d'autres chefs-d'œuvre qui, grâce à une
application large et bien entendue des règles de l'art antique, ont
mérité toute l'admiration de la postérité.
Mais le plus beau chef-d'œuvre de l'art moderne et l'église la
plus grandiose et la plus parfaite du monde, c'est, sans contredit,
la basilique de Saint-Pierre, de Rome (3).
Presque toutes les églises du xvii'' et du xviii^ siècle l'ont prise
(1) Vitruve rappelle la tradition sur la formation primitive des ordres dans les
termes suivants :
« Comme ils ne savaient pas bien quelle proportion il fallait donner aux colonnes
qu'ils voulaient mettre à ce temple; ils cherchèrent le moyen de les faire assez
fortes pour soutenir le faix de l'édifice et de les rendre agréables à la vue. Pour
cela ils prirent la mesure du pied d'un homme, qui est la sixième partie de s%
hauteur, sur laquelle mesure ils formèrent leur colonne, en sorte qu'à proportion
de cette mesure qu'ils donnèrent à la grosseur de la tige de la colonne, ils la firent
six fois aussi haute, en comprenant le chapiteau, et ainsi la colonne (dorique) fut
premièrement mise dans les édifices, ayant la proportion, la force et la beauté du
corps de l'homme. » (Traduction Perrault, éd. 1G84.)
(2) De Valmr, Le génie rfe? peuples dam les arts.
(3) Fondée sur les plans de Bramante, elle a été en grande partie achevée par
/
— 321 —
pour modèle, c'est-à-dire ont admis la l'orme de la croix latine,
la net séparée des bas-côtés par des pilastres supportant un enta-
blement, la voûte en berceau avec pénétrations pour l'introduction
du Jour, et une chapelle à chacune des extrémités du transsept.
Mais la plupart de ces églises ont les défauts de leur modèle,
sans en posséder les qualités : si les cathédrales gothiques violaient
les règles de l'art, elles possédaient, en retour, une expression
frappante de grandeur et de majesté, tandis que celles-ci n'ont ni
valeur artistique ni caractère religieux ; « la grandeur maté-
rielle et la grandeur morale, — pour me servir des paroles de
M. Léonce Reynaud, — y manquent également. » On dirait que le
souffle de l'indifférence et de l'incrédulité a glacé le génie des ar-
tistes qui les ont élevées.
C'est donc dans les palais, les hôtels-de-ville, les demeures privées,
plutôt que dans les monuments religieux, qu'il faut chercher les
merveilles de la Renaissance. C'est là, sur les façades fleuronnées,
dans les escaliers, les galeries, le Couronnement des toitures, qu'elle
s'épanouit dans toute sa richesse.
Aujourd'hui les idées religieuses s'affaiblissent, les plus saintes
croyances comme les principes les plus sacrés sont ébranlés, l'art
lui-même semble revenir sur ses pas; le génie impétueux et irré-
fléchi du xix" siècle, établissant son empire sur les esprits, a inau-
guré une ère de doute et d'indécision dans les arts, comme dans
les lettres et la politique, et cela au moment, où un nouvel avenir
plein d'espérance paraissait s'ouvrir pour l'art monumental.
Cependant nous ne désespérons point des destinées de l'architec-
ture.
Quoique la théorie de l'art ne soit plus londée sur aucune re-
ligion, et qu'aucun souffle divin ne vienne l'animer ;^ malgré les
clameurs, qui s'élèvent de tous côtés contre l'impuissance dont
notre génie national serait à jamais frappé, il me semble, — et je
voudrais ne pas être seul de cet avis, — il me semble que notre
siècle porte en lui-même les germes d'un brillant avenir !
Michel-Ange. On a évalué à environ 300 millions de francs les sommes dépensées
à sa construction. En voici les principales dimensions :
Longueur extérieure, 219 mètres. — Longueur intérieure, 188 ra. — Longueur
du transsept, lo4 m. — Largeur intérieure de la nef, 27 m. — Hauteur de la
voùle, 48 m. — Hauteur totale, 136 m.
21
— 322 —
L'art^ il est vrai , traverse un moment des plus critiques : une
liberté, sans principes et sans règle, a enfanté dans le domaine des
arts une licence, qui se traduit quelquefois en véritable anarchie ;
mais dans un siècle, dont le souffle prodigieux bouleverse l'œuvre
de cinquante générations, renverse à la fois les idées et ceux qui
les représentent , et ébranle le monde entier , l'instabilité des
théories, comme l'absence des principes, est une fatalité du mo-
ment.
N'est-ce pas la marche trop rapide du progrès lui-même, qui
donne comme le vertige à l'artiste, et entraîne momentanément le
génie vers le nouveau et l'inconnu, sans lui laisser le temps de
s'arrêter et de se reconnaître ?
L'accroissement même de la prospérité publique, qui facilite
à toutes les classes de la société l'acquisition des richesses, devient
un danger pour l'art, en permettant aux dépositaires des biens
de la fortune, qu'aucune tradition n'a pu éclairer , de distribuer
leurs largesses sans discernement, et de soutenir par leurs faveurs
des productions, qui n'ont d'autre mérite que celui de flatter des
instincts vulgaires et des goûts dépravés.
Mais un siècle, où les plus touchants dévouements, et cela de-
puis les marches du trône, jusqu'aux rangs les plus humbles de
la société, deviennent des vertus ordinaires ; un siècle, où, du cœur
des masses s'élèvent les plus nobles aspirations pour la liberté,
où le sentiment de la dignité humaine a atteint toute sa délica-
tesse et fait éclore les plus généreux élans, un tel siècle, et c'est le
nôtre, ne saurait inaugurer une époque de décadence ; il a le sen-
timent du beau, parce qu'il a celui du vrai et du juste^, et si, dans
le domaine des arts, il paraît un instant arrêté dans son développe-
ment, c'est qu'il lui faut du temps pour se recueillir, c'est que
tout sentiment, avant de pouvoir se traduire au dehors et -être
formulé par l'esprit, a besoin de germer et de prendre racine dans
le cœur.
D'ailleurs, un heureux concours de circonstances s'apprête au-
jourd'hui à favoriser le développement des beaux-arts : les pro-
grès des sciences et de l'industrie, le développement de l'instruc-
tion et du bien-être général, enfin une ère de calme et de sage
liberté, que rien ne semble devoir de sitôt troubler.
Et quelle voie suivra l'art architectural dans cet avenir qu'il me
semble entrevoir?
Pera-t-il retour au style gothique?
Non; élevés dans un style, auquel font défaut les règles et les
— 323 —
principes, les monuments du moyen-âge n'ont dû leur hauteur qu'à
l'inspiration des corporations religieuses et municipales ; l'art ne
saurait reproduire, à une époque d'indifférence, les chefs-d'œuvre
que le génie de la foi a seul été capable d'inspirer.
Louons les églises gothiques, élevées au xiv" et au xv^ siècle,
d'avoir répondu au caractère religieux d'une époque, oià le culte
chrétien s'était identifié à des tendances mystiques et trop exclu-
sives ; mais ne craignons pas de dire que le caractère trop clé-
rical du style gothique ne répond plus au caractère humanitaire
du christianisme, et ne convient pas à. une époque de civilisation
avancée. Ne voyons-nous pas, d'ailleurs, une démonstration de
cette vérité dans l'impuissance, où sont aujourd'hui des architectes
d'un talent considérable, de créer un monument gothique d'une
valeur réelle ? Leurs églises ne sont-elles pas restées au-dessous
des églises du moyen-âge, et leurs édifices les plus simples ne
sont-ils pas tombés à un degré de médiocrité qui frappe tous les
yeux (1) ?
Peut-être l'art cherchera-t-il à associer le style grec au style
gothique !
Ceci nous le croyons encore moins : ce serait renouveler
l'erreur des premiers temps delà Renaissance et produire un style
hétérogène, renversant tous les principes de la science. Un style
est un tout homogène dont les proportions sont calculées pour
harmoniser les différentes parties d'une construction.
Non, l'architecture reviendra nécessairement aux principes de
l'antiquité.' Mais hâtons-nous d'ajouter que ce n'est pas à dire
que l'art moderne devra imiter l'art antique dans ses expressions
diverses, et copier servilement les monuments qu'il nous a laissés :
ce serait prendre ces monuments pour l'art lui-même, tandis qu'ils
ne sont que l'expression donnée à l'art parles anciens, pour répon-
dre aux exigences de leur culte et de leur civilisation. Cet art n'est
ni un temple, ni un atrium, ni une basilique, il consiste, comme
le dit très-bien M. de Valmy, dans les éléments qui composent ces
édifices, et dans les règles qui permettent d'en assembler les par-
ties, de manière à former un tout harmonieux et régulier.
C'est à la sage et intelligente application de ces règles que nous
devons les immortels chefs-d'œuvre des Pierre Lescot, des Phili-
bert Delorme, des Perrault et des Mansart. Ces artistes nous ont
montré que l'art grec est parfaitement applicable à nos mœurs ,
(1) De Valmy. Le génie du peuple dans les arts.
— 324 —
à nos besoins, à notre climat et à notre civilisation chrétienne.
« Quel faux orgueil pourrait d'ailleurs nous interdire de prendre,
pour guide du progrès de 'l'art moderne, le code esthétique du
peuple qui a été le plus grand dans l'art de construire, non moins
que dans les sciences, les lettres et toutes les branches du savoir?...
Les Romains, libres de choisir entre toutes les théories du monde,
dont ils étaient les maîtres, n'ont-ils pas dédaigné l'art des Baby-
loniens et des Egyptiens, malgré la grandeur de leurs œuvres,
et adopté la théorie que le génie de la Grèce avait créée pour les
arts et les lettres? Quel aveuglement pourrait nous égarer, quand
nous voyons la peinture et la sculpture se régénérer en puisant
à cette source? Quel préjugé national pourrait nous condamner
aujourd'hui à répudier un legs de l'antiquité, si heureusement re-
cueilli par les grands hommes des siècles de Léon X et de
Louis XIV? Les œuvres, accomplies depuis trois siècles par les
plus grands artistes de la France et de l'Italie, ont-elles cessé
d'être françaises ou italiennes, parce qu'elles doivent leur perfec-
tion aux traditions des écoles de Rome et d'Athènes? Le domaine
de l'art n'est-il donc pas la patrie commune de tous les peuples
civilisés, et ses trésors le véritable fonds commun de tous les âges
et de toutes les nations ?» (1)
Nous avons la ferme conviction que notre siècle, comprenant
sa mission, entrera dans la voie qui s'ouvre devant lui, et que nos
arrière-neveux le marqueront dans l'histoire des Beaux-Arts
comme l'époque la plus glorieuse de l'humanité.
Sachons donc attendre, et, tout en saluant de nos vœux l'astre
qui brille à l'horizon du monde moderne, tournons nos regards
vers le passé, et répétons ce vieil adage, si plein de vérité et qui
résume toute notre thèse :
IN ANTIQUIS EST SAPIENTIA.
'■»
(1) De Valmy, loc. cit.
325
L'ANCIENNE LÉPROSERIE DE MORET,
PAR M. SOLLIER,
Membre fondateur ($$ec(ion de Melun.)
A un kilomètre de Moret, sur le bord de la route de Montereau,
on voyait encore, il y a vingt ans, les ruines pittoresques d'une
construction qui avait dû être assez importante, mais dont il ne
restait plus debout que les murailles et la voûte à moitié dégra-
dées d'une antique chapelle.
Placée au pied d'une colline, dans une situation des plus sa-
lubres et des plus agréables, cette Chapelle n'était cependant fré-
quentée depuis longues années que par les bergers et les labou-
reurs^ qui venaient y chercher un abri contre les ardeurs du
soleil ou un refuge pendant l'orage, et, quelquefois aussi, par
des troupes de bohémiens, qui y faisaient une halte pour quelques
jours et en prenaient possession comme de la maison du bon
Dieu.
Aujourd'hui, sur ce lieu naguère désert et abandonné, s'élèvent
des maisons d'habitation qui en ont complètement changé l'aspect
et lui ont enlevé ce charme indéfinissable et ce cachet d'antiquité
si chers aux poètes et aux amateurs des vieux souvenirs. Les
pierres, qui gisaient çà et là sur le sol, ont été enlevées, ainsi que
le lierre et les ronces qui serpentaient alentour. La chapelle existe
encore, il est vrai ; mais elle a disparu du paysage et elle est
comme enchâssée dans les dépendances symétriques d'une maison
bourgeoise.
En un mot, il n'y a plus de traces extérieures de ces vénérables
bâtiments, dont la construction remonte à plus de sept cents ans,
et le souvenir même de leur existence s'effacerait bientôt si la
colline n'avait pas conservé son ancien nom de montagne de
Saint-Lazare.
On sait que l'ordre de chevalerie de Saint- Jean de Jérusalem,
fut créé en Palestine, vers l'an 1104, par quelques nobles français,
pour défendre les saints lieux, protéger les pèlerins et soigner les
malades. Quelques années après sa fondation, une scission se pro-
duisit dans l'ordre de Saint-Jean, et plusieurs des chevaliers s'en
— 326 —
séparèrent pour former une association spéciale, sous l'invocation
de Saint-Lazare, nommé vulgairement Saint-Ladre, patron des
pauvres et des souffreteux. Ils se vouèrent spécialement au soula-
gement des lépreux, et, dans ce saint ministère, ils se signalèrent
par un dévouement et une abnégation sans bornes.
Pendant ce temps-là, des débris des croisades, échappés au fer
des Sarrazins et aux mille autres dangers de ces lointaines expédi-
tions, avaient importé d'Orient en Occident l'affreuse maladie de
la lèpre, et le fléau commençait à étendre sur la France ses ter-
ribles ravages. Le roi Louis-le-jeune, qui avait apprécié dans la
Palestine les services des chevaliers de Saint-Lazare, en emm.ena
un grand nombre avec lui lors de son retour dans son royaume,
et il leur confia la noble et périlleuse mission de combattre les
progrès de la maladie. Par lettres-patentes datées de 1154, il leur
fit donation de son château de Boigny, près d'Orléans, où ils éta-
blirent le siège et le chef-lieu de leur ordre. Grâce aux libéralités
du roi, les frères hospitaliers de Saint-Lazare fondèrent dans l'Ile-
de-France, l'Orléanais et le Gâtinais, plusieurs de ces petits
hôpitaux qui ont reçu le nom de léproserie ou de maladrerie, et
dans lesquels les malheureuses victimes de la contagion, exclues
du sein des villes et se traînant sur les chemins et dans les cam-
pagnes, trouvèrent un refuge et tous les secours de la charité
chrétienne (1). Des états du roi de France, l'institution des mai-
sons de Saint-Lazare se répandit promptement dans les autres',
parties de l'ancienne Gaule et gagna bienLoL l'Europe entière. Si
l'on en croit Mathieu Paris, historien normand du xiii'^ siècle, il
existait de son temps dix-neuf mille ladreries dans la chrétienté.
(1) L'inventaire des archives de Seine-et-Marne (vol. 2, série H. et supplément)
contient la mention de titres et documents coucernant trente-cinq maladrerics qui
existaient autrefois sur le territoireconipris dans la circonscription de ce deiartement.
Ces maladreries sont celles de Chailly, Rebais et Rozoy, pour l'arrondissement de
Cou/ommiers ; Courbelon, Courbuisson, Fossard, Giez^ Moret, Nemours, Pontraut-
lès-Château-Landon, Samois, Vernou et Voulx, pour l'arrondissement de Fon-
tainebleau; Champs, Coulombs, Coupvray, Crécy, Dammarlin-en-Gi ële, Lizy-sur-
Ourcq, May-en-Multien, Meaux, Mitry, Oissery, Pomponne, Ru-de-Veroust, à
Jouarre, Sablonnières et Vendrest, pour l'arrondissement de Meaux ; Champeaux
et Melun, pour l'arrondissement de Me/un; Dray-sur-Seine, Close-Barbe, à Provins,
Donnemarie, Montigny-Lencoup, Nangis et Villiers, pour l'arrondissement de
Provins. Cette nomenclature est évidemment incomplète, surtout en ce qui con-
cerne les arrondissements de Melun et de Coulommiers. Il paraît certain qu'un
assez grand nombre de maladreries ont disparu aux quinzième et seizième siècles,
sans qu'il soit resté dans nos archives publiques de traces de leur existence.
— 327 —
Quelque exagéré que ce nombre puisse paraître, il est certain que
l'ordre de Saint-Lazare prit en peu de temps un accroissement
prodigieux et devint l'un des plus riches et des plus importants
de l'Europe. Louis VIII, dans son testament fait en 1225, légua
cent sols ( environ 225 francs de notre monnaie ) à chacune des
deux mille léproseries de son royaume, et Saint-Louis, après la
cinquième croisade, prit de sages mesures dans le but d'accroître
leurs ressources et d'en régulariser l'emploi.
En 1490, les propriétés de l'ordre de Saint-Lazare étaient si con-
sidérables qu'elles excitèrent la jalousie et la convoitise des cheva-
liers de Saint-Jean de Jérusalem. Ceux-ci, déjà enrichis d'une par-
tie des dépouilles des Templiers (en 1312), eurent encore assez
d'influence pour faire prononcer par le pape Innocent VIII la
suppression à leur profit de l'ordre des chevaliers de Saint-Lazare.
Mais la bulle du pape ne fQt pas exécutée en France, et ces frères
hospitaliers, qui y avaient rendu et y rendaient encore de si grands
services, conservèrent comme auparavant leur nom, leur grand-
maître et l'administration de leurs biens.
Cet état de prospérité s'accrut encore sous Henri IV par la réu-
nion à l'ordre de Saint-Lazare de celui de Notre-Dame-du-Mont-
Carmel; mais l'objet de l'institution primitive s'était sensiblement
modifié et les anciennes maladreries tendaient à disparaître avec
les causes qui leur avaient donné naissance.
N'ayant à m'occuper que de la léproserie de Moret, je laisserai
de côté la suite de l'histoire de l'ordre qui l'a fondé, et je me bor-
nerai à consigner ici le résultat des recherches que j'ai faites pour
jeter quelques lueurs sur le passé de ces tristes ruines, usées par
le contact de tant de générations et menacées aujourd'hui d'un
éternel oubli.
Il est difficile d'indiquer d'une manière précise la date de la fon-
dation de l'hôpital des lépreux établi près de Moret, à peu de dis-
tance du lieu où se trouvait la croix de pierre qui marquait la
limite séparative des possessions du roi de France et du duc de
Bourgogne. Cependant, il est probable que cet hôpital fût bâti
un des premiers. Au temps où Louis-le-jeune donnait aux cheva-
liers de Saint-Lazare son château de Boigny, en 1154, il faisait
édifier l'église de Moret (1) et il mettait la dernière main à la
construction du puissant manoir dont il ne reste de nos jours que
l'imposante tour carrée qui domine la ville. Si, comme le dit dom
(l) J'ai trouvé la date de 1134 gravée sur une des gargouilles de l'église.
— 328
Morin, le roi Louis-le- Piteux prenait ses ébats à Morei et s'y plaisait
grandeiïient, il est à supposer qu'il aura voulu dpter ce pays qu'il
affectionnait, d'un de ces précieux établissements qui apportaient
tout à la fois des soulagements aux lépreux et une garantie de sé-
curité pour les populations environnantes.
On peut donc selon toute vraisemblance admettre que l'hôpital
de Saint-Lazare a été édifié de 1154 à 1160. A en juger par ses
derniers vestiges et d'après les souvenirs laissés par la tradition,
cet hôpital occupait une assez grande étendue de terrain. Outre
les pièces nécessaires pour le service de l'infirmerie et le logement
des frères hospitaliers, les bâtiments comprenaient une petite
chapelle, oii les religieux et les malades assistaient aux offices
divins.
En 1373 , un ecclésiastique du nom de Jacques Faleus était
attaché au service de cette chapelle. C'était, suivant nos anciens
documents judiciaires, un homme vicieux et débauché. Accusé
par le bruit public de vols et d'actes d'immoralité, il fut arrêté et
mis en prison par ordre du prévôt de Moret. Son procès s'instrui-
sit et lorsque, traduit devant ses juges, il se vit accablé sous le
poids des preuves de sa culpabilité, il prit le parti de décliner la
compétence de la justice laïque, en invoquant son privilège de
cléricature et en demandant à être renvoyé devant l'archevêque de
Sens ou son officiai. Le prévôt rejeta le déclinatoire et condamna
le coupable à être pendu et étranglé jusqu'à ce que mort s'en suivit.
Cette sentence fut exécutée, toutefois après que la tête du con-
damné eût été recouverte d'un voile noir, afin de cacher aux yeux
du public la tonsure oU;, comme on disait à cette époque, la cou-
ronne cléricale.
Malgré cette singulière précaution, le clergé n'en considéra
pas moins la décision du prévôt de Moret, comme un excès de
pouvoir et un abus de juridiction, et l'archevêque de Sens se pour-
vut devant le parlement de Paris pour obtenir la réparation de
l'insulte faite aux droits et aux privilèges de l'église.
Le prévôt avait peut-être quelques bonnes raisons à opposer à
la plainte de l'archevêque et il est à croire qu'il ne manqua pas
de les invoquer pour justifier sa conduite. Malheureusement pour
lui, les éditset ordonnances étaient formels «t les peines, en pareil
cas, étaient d'une extrême sévérité.
Après de longs débats, le parlement rendit un arrêt par lequel
le prévôt de Moret et ses officiers lurent condamnés à faire dé-
pendre par le bourreau le corps du supplicié, à le faire conduire à
— 320 —
la porte de l'église cathédrale de Sens, à s'y trouver en personnes
avec des torches ardentes en leurs mains et à dire, nu-tête et h
genoux, ces mots : « Voici le corps de défunt Jacques Faleus, que
» nous, par inadvertance, avons fait pendre et mourir; lequel
» corps nous rendons à vous et à l'église, parce que ledit Jacques,
» au moment de sa mort, portait la tonsure cléricale. » L'arrêt
contient, en outre, condamnation du prévôt à payer, à titre
d'amende, cent livres à l'archevêque et pareille somme au roi (1).
Ainsi, le roi et l'archevêque durent être satisfaits. Mais l'infor-
tuné prévôt ne le fut guère; car l'arrêt du parlement fut exécuté
dans toute sa rigueur et le clergé déploya même dans la cérémo-
nie expiatoire une solennité extraordinaire qui prouva qu'à ses
yeux la réparation n'était pas excessive eu égard à la gravité de
l'offense.
Au jour et à l'heure fixés, au moment où, pour obéir aux dis-
positions de la sentence, le prévôt et ses officiers se présentèrent
à la porte de la cathédrale de Sens, tous les cierges des autels
étaient éteints, les calices et les objets sacrés couverts en signe de
tristesse et de calamité. Puis, quand le magistrat civil, nu-tête et
à genoux, eût récité les paroles sacramentelles dictées par le parle-
ment et que toutes les autres formalités de l'amende honorable
furent accomplies , les cierges se rallumèrent comme par enchan-
tement, les vases sacrés reparurent au grand jour, et un cantique
d'actions de grâce fut chanté solennellement, en présence d'un
concours immense de populations.
Tel est le seul souvenir authentique qui se rattache à la mala-
drerie de Moret, dans les premiers siècles qui ont suivi l'époque de
sa fondation. Certes, il eut mieux valu qu'un tel scandale fut épar-
gné au modeste et pieux établissement, et que le nom de Jacques
Faleus n'eut pas acquis une aussi triste notoriété. Mais l'histoire
nous prouve que, depuis les temps les plus reculés, le vice et le
crime mènent plutôt à la célébrité que la vertu, et c'est pourquoi
le nom de Jacques Faleus est parvenu jusqu'à nous, tandis que
nous ne connaissons aucun de ces dignes chevaliers de Saint-La-
zare dont l'existence toute entière a été consacrée au service des
pauvres et des lépreux !
Jusqu'en 1609, on ne trouve ni dans les documents historiques,
ni dans les archives publiques, rien d'intéressant sur la maladrerie
de Moret. Mais, le 14 septembre 1609, M'' Ragousseau, notaire,
(1) Registres criminels, manuscrits du Parlement, fol. 434.
— 330 —
reçut la déclaration des biens qui en dépendaient alors, et cette
déclaration fut faite par M. Bellamy, maître cordonnier, commis-
saire établi par justice au régime et gouvernement du revenu
temporel de la maison de Saint-Lazare. Cet acte fait connaître que
les ressources de cette maison comprenaient (( quelques droits de
» menu cens, plus le revenu de six arpents de terre et pré ès-envi-
» rons de Moret, affermés seize livres par an, et le droit de
» prendre et percevoir sur le domaine de Melun, la quantité de
» onze setiers de blé méteil, mesure racle dudit Melun. » Il cons-
tate aussi que, dès avant cette époque, les propriétés de la mala-
drerie de Moret avaient cessé d'être administrées par les religieux
de Saint-Lazare, sans doute à la suite des mesures prises par
Charles IX, Henri III et Henri IV (1), pour la réformation des hô-
pitaux, aumôneries, maladreries, hôtels-Dieu et autres lieux
pitoyables du royaume, mesures qui furent depuis conlirmées et
complétées par des lettres-patentes de Louis XIII, du 4 octobre
1612.
Quoi qu'il en soit, il est certain que ce petit hôpital, avec une
aussi faible dotation, ne pouvait avoir désormais qu'une existence
précaire et sans grande utilité; en effet, les dons et les au-
mônes, qui constituaient autrefois sa principale richesse, ne de-
vaient pas se renouveler, dès lors que, le fléau de la lèpre ayant
perdu son intensité et son caractère épidémique, la générosité pu-
blique n'était plus stimulée au même degré par les élans de la
charité ou par la crainte de la contagion. Il existait, d'ailleurs,
dans la ville même de Moret, un Hôtel-Dieu fondé au xii'' siècle (2),
qui, bien que peu spacieux et médiocrement rente, suffisait àpour-
voir en temps ordinaire aux besoins des malades et des vieillards
indigents de la ville.
(1) Voir notamment, les articles 65 et 66 des édits de Blois du mois de mai
1579. L'article 65 dispose qu'attendu les plaintes auxquelles a donné lieu la mauvaise
administration des hôpitaux et maladreries du royaume, « ne pourront désormais
« être établis commissaires au rég-ime et gouvernement des fruits et revenus des
ii dits maladreries et hôpitaux, autres que simples bourgeois, marchands ou labou-
« reurs, et non personnes ecclésiastiques, gentilshommes, archers, ofliciers publics,
« leurs serviteurs ou personnes par eux interposées.»
(2) L'holel-Uieu de Moret n'a de remarquable, en fait d'architecture, qu'une
porte ogivale du douzième siècle. Son retenu actuel est d'environ deux mille francs,
indépendamment du produit de la veute du sucre d'orge fabriqué par les religieuses,
produit qui s'élève à plus de dix-huit cents francs par an. Les archives de cet éta-
blissement ne contiennent aucun document antérieur au dix-septième siècle.
— 331 —
Cependant, la maladrerie de Moret subsista encore plus de
quatre-vingts ans (1). Ce ne l'ut qu'au mois de mars 1693, qu'un
édit de Louis XIV, abrogeant un précédent édit du mois de dé-
cembre 1672, par lequel les biens des maladreries avaient été ren-
dus aux ordres de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Car-
mel, leur retira définitivement la possession de ces biens et les
attribua aux hôpitaux et hôtels-Dieu les plus voisins, sous la
condition d'en supporter les charges, telles que fondations et ser-
vices religieux.
Cet édit ayant été exécuté en faveur de l'hôtel-Dieu de Moret,
en vertu d'un arrêt du Conseil d'État du 15 avril 1695, et de
lettres-patentes du roi, du mois de mai 1697, l'hospice fut mis en
possession des biens de la maladrerie supprimée, lesquels, d'après
un procès-verbal d'enquête des 29 et 30 octobre 1699, conservé
dans les archives de l'hôtel-Dieu, comprenaient, outre les bâti-
ments et la chapelle, sept arpents et demi de terre et pré aux envi-
rons de Moret, affermés vingt-deux livres par an, et une redevance
de deux muids de blé, évalués cent cinquante livres, à la charge
du domaine de Melun. Le même procès-verbal fait connaître que
les charges de cet abandon consistaient dans l'acquis d'une fonda-
tion de douze messes par an et dans l'obligation d'entretenir la
chapelle qui était alors en très-mauvais état. Il y est mentionné,
en outre, que l'hôtel-Dieu possédait auparavant quatre cent cin-
quante livres de rentes, sur lesquelles se prélevaient quarante
livres pour le traitement du chapelain et cent livres pour les gages
de la gardienne et concierge de l'hôpital ; de sorte qu'après ces
deux prélèvements, il ne restait qu'une bien faible somme pour
parer aux frais de l'entretien des bâtiments et du traitement des
malades. Mais il faut considérer qu'en ce temps-là, les dépenses de
cette nature étaient bien moindres qu'elles ne le sont aujourd'hui;
car il est constaté dans une délibération remontant à l'année
1708 (2), que l'indemnité allouée à la concierge pour prix de la
nourriture de chaque malade admis dans la maison, ne s'élevait
(1) Le seul document de quelque intérêt trouvé dans les archives des notaires con-
cernant cette période de tempS; est un acte passé devant M" Lecoq, notaire à Moret,
le 13 novemljre 1668, constatant la prise de possession de la maladrerie par Edme
Montcourt, marchand à Moret, en vertu des lettres de provision données par le Roi
le 9 du même mois, sur la nomination et présentation du cardinal Barberin, grand-
aumônier de France.
(2) Inventaire des archives de Seine-et-Marne, vol. 2, supplément à la lettre H,
page 26.
— 332 —
qu'à quatre sous par jour et qu'elle lut à cette époque portée à sept
sous, attendu le renchérissement des denrées.
Après sa réunion à l'hospice de Moret, la maladrerie fut entiè-
rement abandonnée et les bâtiments ne tardèrent pas à tomber en
ruine. Toutefois la chapelle fut réparée et entretenue jusqu'au
moment de la révolution. En 1793, elle partagea le sort de la plu-
part des monuments religieux, elle fut complètement dévastée et
dépouillée de ses ornements sacrés. Puis le temps continua l'œuvre
de destruction commencée par la main des hommes ; les murs se
dégradèrent peu à peu ; la voûte s'écroula en partie et il ne resta
bientôt que le triste squelette de ce petit édifice auquel se ratta-
chait, depuis plus de sept siècles, le lugubre souvenir des infortu-
nés qui l'avaient rempli de leurs prières et de leurs gémissements.
Enfin, les restes de la chapelle et le terrain environnant ont été
vendus par la commission de l'hospice le 15 juin 1834, et, depuis,
sur son emplacement s'est élevée une habitation bourgeoise, au
milieu de laquelle la respectable raine, dissimulée aux regards
du public, est renfermée et conservée comme l'est un objet de
curiosité dans le cabinet d'un antiquaire.
— 333 —
LA VENDANGE DRINE,
RÉTABLE DU XVP SIÈCLE, SCULPTÉ PAR JACQUES SÉGOGNE,
Dans l'église de Recloses, près Fontainebleau,
PAR M. EUG. GRÉSY,
Ancien membre fondateur (!l»ection de Slcliin).
En entrant ici, sur cette terre classique des arts, il m'a semblé
que je ne saurais mieux captiver votre bienveillante attention
qu'en vous parlant d'art et en vous révélant l'existence d'un ar-
tiste ignoré jusqu'ici dans le pays qui l'a vu naître. Il est vrai que
Jacques Ségogne, de Recloses, sculpteur et miniaturiste du
xvi'' siècle, est venu à une époque où Fontainebleau ne prêtait son
soleil qu'aux artistes italiens. L'école de la Renaissance n'avait
d'enthousiasme que pour les monuments de l'antiquité et son ci-
seau comme ses pinceaux étaient tout au service de la mytho-
logie païenne. J. Ségogne, au contraire, artiste éminemment
français, éminemment chrétien et ne demandant ses inspirations
qu'à la Bible ou aux pieuses légendes , confiait à une modeste
église de campagne , qui nous ies a conservés , les curieux
spécimens de son œuvre.
Les bas-reliefs en chêne sculpté que nous allons essayer de dé-
crire, portent chacun à leur revers un numéro d'ordre avec nom,
prénom de l'artiste et la date de 1351. A quelle époque a-t-on con-
signé cette mention ? Le style de l'écriture ne permet pas de la re-
culer au-delà du xviii^ siècle ; d'ailleurs qu'elle soit ou non con-
forme à une tradition locale, nous n'aurons pas de peine à démon-
trer qu'elle est erronée, toutefois la précision de la date me porte
plutôt à croire qu'elle a été recueillie dans quelque document con-
temporain, et qu'à la lecture on aura confondu le o avec le 3, deux
chiffres qu'un œil inexercé peut facilement prendre l'un pour l'autre
dans les manuscrits du seizième siècle. La véritable date à réta-
blir serait, selon nous, 1531. Un des sujets traités par l'imagier
d'après la vie de saint Eloy, ne nous permet aucun doute sur ce
point, c'est celui où Ségogne nous représente le saint rapportant à
Ghlotaire la commande qu'il en avait reçue; en efTet, le roi Méro-
— 334 —
vingien y porte le costume et la coiffure caractéristiques de
Louis XII, la longue houppelande et le chapel à visière avec la
couronne fleurdelisée passée autour de la forme. Dans ce bas-re-
lief aussi remarquable par l'élégance de la composition que par la
correction du dessin et le jet libre des draperies, le ciseau de
J. Ségogne a suivi pas à pas le texte de saint Ouen : Ghlo-
taire avait remis à saint Eloy tout l'or nécessaire pour exécuter
une « sella regia^ » mais son orfèvre fît preuve d'autant de probité
que d'habileté en lui rapportant deux trônes au lieu d'un ; seule-
ment l'artiste adoptant une traduction trop littérale du latin, in-
terprétation dont on a fait justice au xvn^ siècle, a naïvement re-
produit ici deux selles de cheval.
Sur son second bas-relief, figure sainte Aure à la porte du mo-
nastère dont elle était abbesse et que saint Eloy avait fondé, à
Paris, dans son propre logis ; aussi sur le môme bloc de bois voit-
on sculptée d'une façon très-pittoresque, la forge du célèbre or-
fèvre avec son soufflet à plusieurs vents, le foyer incandescent ;
au-dessous, le cendrier, l'enclume, le marteau à terre et jusqu'à
l'auge ou réservoir destiné à tremper les pièces forgées ; sainte
Aure semble regarder avec inquiétude ; le troisième épisode qui
nous offre l'incendie de l'église Saint- Martial à Paris, miraculeu-
sement arrêté par saint Eloy, fondateur de cette église (1).
Il nous a paru indispensable de donner, tout d'abord, l'explica-
tion de ces trois premiers groupes , car leurs numéros d'ordre
tendent à les faire confondre avec les sujets qui vont suivre, bien
qu'ils se rapportent à une légende tout à fait distincte. Mais le ré-
table le plus curieux, dont J. Ségogne ait doté l'église de son
pays , est certainement la Vendange divine , composée de six
groupes en bois de chêne sculpté, représentation allégorique pro-
bablement unique dans son genre, car jusqu'ici on ne connaissait
que trois verrières inspirées du môme sujet qu'on désigne aussi
sous le nom de pressoir mystique. Ce mystérieux emblème qui
avait trait à la passion, à l'elfusion du sang de J.-G. et à l'institu-
tion eucharistique, avait été suggéré aux artistes du moyen-âge,
par la célèbre prophétie d'Isaïe, ch. lxiii, v. 3. « Torcular calcavi
solus et de gcntibus non est vir mecum, » « j'étais seul à fouler
au pressoir et nul ne m'a prêté son bras. » La figure du sang de
(1) Dans le poëme des Miracles de Saint-Eloi, publié par M. Peigné-Delacourt,
est reproduite une miniature qui a beaucoup d'aaalogie avec cette sculpture do J.
Ségogne, chap. XVI, p. 41.
PL. m
cliiioar. -par Coruturu ,
E QrcsydeJ^
J^a Peruicnce cL l Eicchurtshe.
Itnp II
mn Lemercier ei C^Pans
— 335 —
la vigne dont parle déjà la Genèse (1), rapprochée du sacrifice de
la nouvelle alliance, le Cantique des cantiques (2) confirmé par
les paroles que saint Jean met dans la bouche du Sauveur (3),
n'avaient pu échapper aux pères de l'église ni à tous les anciens
commentateurs.
Or, voici l'ordre dans lequel ces sculptures devraient être réta-
blies, leur sens anagogique est sublime et mérite d'être livré aux
pieuses méditations des fidèles. Il est à déplorer qu'on les dérobe
presqu'entièrement à la vue, pour les employer en guise de socle,
à soutenir une grande vierge en plâtre moderne qui est loin d'a-
voir leur valeur artistique :
En haut, sur le planje plus éloigné, les patriarches et les pro-
phètes de l'ancienne loi se livrent à la culture de la vigne qu'ils
taillent et labourent. A la suite, se placent les apôtres (figures de
même dimension qui doivent, par conséquent, occuper le même
plan), iis font la vendange , l'un, courbé sous la hotte de vendan-
geur, et deux autres portant une benne suspendue par les anses à
un levier qui s'appuie sur leurs épaules.
Le sujet à mettre au-dessous, toujours suivant les lois de la
perspective, est le baquet ou chariot chargé de la vendange mys-
tique ettrainépar les figures symboliques des quatre évangélistes.
Le lion, le bœuf et l'aigle forment l'attelage, et l'homme ailé fait les
fonctions de guide. Ensuite, doit être présenté le sujet principal :
J.-G. couronné d'épine et étendu dans le pressoir d'où s'échappe
son sang qui est recueilli dans un baquet et mis dans des ton-
neaux. Derrière le pressoir on remarque la tour, les ceps et la
haie vive si clairement décrits par le prophète ef que le Sauveur
rappelle dans sa- parabole des vignerons (4). Dans l'espace resté
vide, de chaque côté de la tour, J. Ségogne a même peint,
avec autant de finesse que de correction, deux lamentables épi-
sodes de cette parabole : le domestique du maître et son fils lui-
même sont successivement lapidés, assommés et mis à mort par les
(1) Lavabit in vino stolara suara et in sanguine uvse pallium suum. Genèse, XLIX,
H.
(2) Dilectus meus mihii, in vineis Engaddi, Gant. 1-13.
(3) Ego sum vitis Yeraet pater meus agricola...
Ego sum vitis et vos palmites, S. Joh. XY , 1 et 5.
(4) Plautavit (vineam) electam et cedificavit turrim in medio ejus et torcular ex-
truiit in eâ., [saie V. 2.
Plantavit vineam et sepem circumdedit ei et fodit in eà torcular et œdificavit
turrim. S. Matth. XXI, 33.
— 336 —
infidèles colons dans la cour de la métairie. Ces spirituelles petites
miniatures peintes à l'huile ont beaucoup souffert, brutalisées par
une main ignorante et vandale.
Les deux derniers sujets sont la vivante image des sacrements
qui dérivent des symboles précédents. La pénitence est mise en
scène par un prêtre assis devant l'autel et donnant l'absolution à
un personnage à genoux devant lui; Sur le seuil de l'église s'ar-
rête, par discrétion sans doute , un voyageur qui semble se dispo-
ser à comparaître au même tribunal. Un détail assez curieux à
noter, c'est que l'autel est disposé selon l'antique liturgie : au fond
s'élève un diptyque sur les volets duquel on distingue, à la loupe,
le sacrifice d'Abel et par opposition celui de Caïn ; de chaque côté
sont tirés les rideaux, appelés custodes, pour voiler le mystérieux
sacrifice.
Enfin, sur le pendant, la scène se passe sur une place publique :
un prêtre, précédé d'un officier d'église, porte le ciboire et vient
d'administrer le saint viatique. Quatre passants tombent à genoux
et font acte d'adoration. Un bourgeois à sa fenêtre porte la main à
son bonnet pour se découvrir.
A Paris , c'est aux verrières de l'ancien charnier de l'église
Saint-Etienne-du-Mont, que la symbolique de la Vendange divine
a reçu son développement le plus complet; là, elle a eu le privilège
d'exercer le pinceau d'un verrier assez célèbre au x\if siècle. On
pourrait même reprocher à Nicolas Pinaigrier d'avoir poussé un
peu loin ses raffinements allégoriques, mais suivant les conjec-
tures très-fondées de Levieil, il n'a fait que reproduire les cartons
de son aïeul Robert Pinaigrier qui avaient été déjà exécutés à
Chartres en 1527 : ainsi, outre tous les épisodes que nous venons
de signaler à Recloses et qui sont très-légèrement modifiés, il nous
montre saint Pierre foulant la vendange dans la cuve ; il fait
figurer, au premier plan, les princes de l'église et les rois de la
terre remplissant les fonctions de véritables tonneliers mystiques :
des papes, des cardinaux , des archevêques et des évêques revêtus
de leurs plus riches insignes, pressant les grappes dans leurs
mains, transvasent le vin du pressoir divin dans des baquets, l'en-
tonnent dans les futailles et descendent les pièces dans le cellier.
Il n'est pas jusqu'au roi de France, reconnaissable à son manteau
fleurdelisé, qui ne vienne h. leur aide, pour manœuvrer l'espèce
d'échelle servant de traîneau, que les gens du métier appellent
le poulain, tandis qu'un pape et un cardinal s'efforcent de filer le
câble et de l'enrouler. Ce qu'il y a de plus piquant, c'est qu'à en
PL, . N
s^Èi^mm
dttlay. ^oj- Conj-iiz^t-s
.e SaaiL ViaJioux-
Jmp LanerctiT el Cf Paris
— .'^37 -
croire Sauvai, tous ces personnages n'étaient pas points de caprice ;
sur la verrière originale de Robert Pinaigrier, on reconnaissait
les portraits de Paul III, du cardinal de Châtillon, et même celui
de François 1". Tout porte à croire que, dans la copie faite en
1622, suivant l'étiquettu habituelle, le petit-fils aura substitué à
cette dernière figure, celle de Louis XIII. Malheureusement la
tête est détruite , je l'ai restaurée tant bien que mal dans le dessin
que j'ai l'honneur défaire passer sous les yeux de la Société, et je
m'étonne qu'il soit resté jusqu'ici inédit. La particularité la plus
intéressante dans ce vitrail symbolique, c'est que sous chaque épi-
sode le verrier a pris soin d'inscrire des quatrains qui en font bien
comprendre le sens dogmatique et moral.
La banderole près des vignerons porte :
Les anciens patriarches qui le futur ont sceu
Pour leur salut ne fu à cultiver la vigne.
Le chariot traîné par les animaux symboliques est ainsi désigné :
Tous les cantons de ce large uniuers
En ont gusté par les éuangélistes
Edifiés ont esté les peruers
Laissant d'Adam les anciennes pistes.
Au-dessous du pressoir on lit :
Ce pressoir fut la uénérable croix
Ou le sang fu le nectar de la vie.
Quel sang celuy par qui le roy des rois
Rachepta l'homme et sa race asseruie
Dans des vaisseaux en réserue il fut mis
Par les docteurs de l'église pour estre
Le sauveraent de nos péchez commis
Mesme de ceux qu'on a uenant à naître.
Sous l'autel où l'on donne la communion est inscrit ce quatrain :
Tous vrais chrestiens ledoiuent receuoir
Auec respect des prebtres de l'église
Mais il conuient premièrement auoir
L'âme contriste et la coulpe remise.
Au bas du cellier un philaitère porte cette inscription :
Papes, prélats, princes, rois, empereurs,
22
— 338 —
L'ont au cellier mis auec réuérence
Ce vin de uie efface les erreurs
Et donne à l'âme une saincte espérance.
Enfin, dans un riche cartouclie sont encadrés six vers qui
résument ainsi le sens anagogique de la composition générale :
Heureux homme chrestien, si fermement tu crois
Que Dieu pour te sauuer à souffert à la croix,
Et que les sacrements retenus à l'église
De son sang précieux ont eu commencement :
Qu'en les bien receuant toute offense est remise,
Et qu'on ne peut sans eux auoir son sauuement.
In te domine speravi non confundar inœternum. Psal. 30.
Non nobis Domine non nobis sed nominituo da gloriam. Psal. 113.
On ne s'étonnera pas d'apprendre que la commande de cette ver-
rière avait été faite par un riche commerçant en vins, Jean Le Juge,
marguiller de Saint-Étienne-du-Mont. En effet, un tel sujet de-
vait être cher à l 'amour-propre de toute la corporation, aussi Sau-
vai rapporte-t-il que les marchands de vins de Paris s'empressèrent
d'adopter, pour en orner leur chapelle patronale, ce symbole qui
sanctifiait si poétiquement les attributs de leur métier,
A l'église Sainte-Foy de Couches, près Évreux, le vitrail de la
chapelle de la Vierge représente aussi l'allégorie du divin pressoir
avec le passage d'Isaïe, pour tout commentaire : Torcular calcavi
solus. Les ouvriers qui travaillent à la vigne figurent d'un côté, et
de l'autre les donateurs de la verrière.
A la cathédrale de Troyes, le même symbole exprimé avec en-
core plus de concision est de la main d'un célèbre verrier du pays,
Linard Gonthier; il est remarquable par la beauté des draperies et
la vivacité du coloris : entre les donateurs, on voit Jésus-Christ
couché sur le pressoir, dont la croix forme la table de pression. Le
sang du Rédempteur jaillit de sa plaie et est recueilli dans un ca-
lice d'or qui rappelle la légende de saint Graal, et de son corps naît
un cep de vigne, dont les différents rameaux se terminent par des
calices de fleurs, portant chacun une figure d'apôtre représentée
à mi-corps avec ses attributs.
Cette représentation mystique paraît avoir continué d'être en
vogue au xvii* siècle, car elle a été plusieurs fois traitée par le
burin du graveur Wierix, en ajoutant certains détails que lui à
suggérés le spiritualisme allemand; ainsi, il fait tourner la vis du
— 339 —
pressoir par le Père éternel, tandis que le Saint-Esprit (sous la
figunj d'une colombe) se pose sur l'extrémité de la croix; ailleurs,
il fait courber le Sauveur, portant sa croix, sous la force motrice
du pressoir auquel sont suspendus tous les instruments de la pas-
sion.
La plus ancienne image que je connaisse de Jésus-Christ sous le
pressoir se trouve dans la belle bible historiale de la Bibliothèque
impériale (1) ; elle ne me paraît pas remonter au-delà du xv* siè-
cle, elle sert de type au psaume Asaph, et le texte nous apprend un
curieux détail de liturgie, c'est qu'on en chantait les versets en
septembre dans les pressoirs, en s'accompagnant de l'instrument
qui est dit Haguitit: «pour Dieu loer do l'abondance des fruicts et
» Dieu qui estoit espraint es pressouers Aussi, les bons Gres-
)) tiens chantent et loent Dieu en saincte esglise du fruict de son
n précieus corps et du vin de son précieus sang, mais les pêcheurs
)) sont, de Dieu, punis. »
Si la renommée distraite a dédaigné de retenir l'humble nom du
sculpteur, le pays natal de Ségogne a été plus hospitalier et moins
ingrat : il a pris soin de le recueillir en le perpétuant dans sa des-
cendance. Il existe, en effet, à Recloses, encore aujourd'hui, plu-
sieurs personnes du nom de l'artiste, et, suivant toute probabilité,
ce sont les rejetons directs d'une rnême lignée.
Puisse cette rapide esquisse tomber sous leurs yeux, les édifier
sur la valeur artistique de leur ancêtre, et les engager à faire mieux
respecter désormais une œuvre qui n'est pas seulement un monu-
ment cher à la piété, mais encore un précieux titre de famille !
(1) Fonds français, F. 166, sous le n» 6,829. P. 123, v».
— 341 —
LA BOUCHERIE-JUREE A COULOMMIEKS
EN 1503,
PAR M. LEMAIRE,
Membre fondateur ( !icction de aielun ).
Appelé, par décision ministérielle, à classer et à inventorier les
archives hospitalières du département, à l'exception de celles de
Provins, j'ai rencontré dans ces opérations diverses pièces histo-
riques qui ne manquent pas d'intérêt ; tel est un règlement im-
posé en 1503, par le bailli de Coulommiers, aux bouchers de cette
ville.
Sans être, quand même, l'ami du bon vieux temps, on ne peut
méconnaître la sagesse des moyens adoptés dans beaucoup de cir-
constances pour le bien public, notamment pour la police des
villes. Si nous consultons nos vieilles annales, nous y trouvons
l'indication de certaines mesures de salubrité qui font honneur à
ceux qui les ont prescrites ; et sans aller plus loin on peut prendre
pour exemple la coutume de Melun, rédigée en 1560 par trois
hommes éminents (1).
On trouve au titre xxv des règlements qui prescrivent, en ces
termes, l'usase d'élever certains animaux: <( Art. cccxxxix. —
) N'est permis nourrir en la ville bestes de la qualité marquée, —
) N'est loisible aux habitants de la ville de Melun, tenir et nourrir
) dans icelle, bestes à laine, oies et canes, sur poine de confiscation
') desdictes bestes et d'amende arbitraire. — Xvi. ccgxli. — Dé-
') fenses de nourrir 'pigeons ni lapins dans Mtiun. Nul ne peut
nourrir pigeons pattes et non pattes, ne pareillement avoir cla-
piers à connils (lapins). — Art. cccxlii. — Défenses d'élever des
porcs dans Melun. Aussi nul ne peut nourrir porcs dedans la-
dicte ville, ne sur les grands chemins passans des faulxbourgs
d'icelle, sur peine de confiscation desdicts porcs, et d'amende
(1) Christophe de Thou, président, Barthélémy Faye et Jacques Viole, con-
seillers au Parlement de Paris, commis à cet effet par le roi François II, suivant
1- ttres patentes du 24 juillet 1559, données eu conséquence de celles de Henri H
du 12 février 1558.
— 342 —
arbitraire : à cette fin seront tenus les propriétaires des lieux
èsquels à présent y a toits à pourceaux^ de les appropriera autre
usage. — Art. cccliii. — Concernant les immondices ou ordures.
) Si aucun est trouué portant, jettant, ou auoir porté et jette im-
mondices ou ordures deuant la maison d'autrui, places ou rues
vides, ou près des portes de ladictc ville, ou dedans les fossés
) d'icelle, et aussi près les églises et autres lieux publics, doit être
) la première fois condamné en dix sols parisis d'amende ; pour
) la seconde en vingt sols parisis, et pour la tierce en soixante
sols parisis ; et s'il est coustumier de ce faire sera puni corpo-
rellement, etc. »
Je ne me ferai pas le panégyriste des menaces souvent réitérées
d'amendes arbitraires, ni des peines corporelles, mais on ne peut
nier l'opportunité de ces mesures de police sanitaire, surtout à une
époque oii les villes, vieilles comme la nôtre, étaient resserrées
entre de hautes murailles, et percées de rues, la plupart étroites
et tortueuses.
Il faudrait remonter aux Romains pour trouver les premières lois
qui obligent les bouchers à prendre soin de leurs tueries et de leurs
étaux. En France, et surtout pour Paris, les édits, ordonnances,
déclarations, statuts et règlements sont si nombreux qu'il y aurait
présomption de ma part à vouloir les citer.
Du reste. Messieurs, que les premiers mot^ placés en tête de
ce mince travail ne vous effrayent pas ; je ne viens point, et pour
cause, vous offrir l'historique des maîtrises et jurandes. D'autres
ont traité cette matière si controversée, avec une autorité telle, que
je ne voudrais pas même tenter de l'analyser.
Avant de donner lecture du document qui suit, je vous deman-
derai la permission, puisqu'il s'agit de boucherie, de rappeler que
celle dite de Carême, n'appartenait pas, comme on pourrait le
croire, plutôt h un établissement qu'à un autre. Dans presque
toutes les villes où il y avait un Hôtel-Dieu, le droit de vendre de
la viande en temps de jeûne lui était réservé; si ce droit n'était
pas exploité directement par les maîtres et gouverneurs des
lieux hospitaliers, il était adjugé au plus offrant, à condition
par celui-ci do livrer la viande destinée aux malades, à peu
près h moitié prix de celui auquel le public pouvait l'obtenir,
sur le vu, toutefois, d'un certificat de médecin ou du curé de la
paroisse.
Cette digression terminée, je passe au règlement donné par le
bailli de Coulommiers.
i
— 343 —
« A tous ceulx qui ces présentes lectres verrons, Jehan Gallope,
licencié es loix et décretz, aduocat en Parlement et bailly de la
ville et chastellenye de Coulommiers estant en la main du Roy
nostre Sire, par le déceps de feu M^'' le duc de Nemours, per de
France, salut. Savoir faisons que pour le bien, prouffict et utilité
de la chose publique, et pour obuier aux grandes faultes, frauldes
et abuz qui se peuuent faire, commectre et perpectrer par chacun
jour sur le faict et mestier de Boucherie en ladicte ville de Cou-
lommiers. Si nous, par délibération du Conseil, avons faict, jnsti-
tué, ordonné et estably ; faisons, ordonnons, jnstituons et esta-
blissons sur ledict mestier, les ordonnances qui s'ensuivent.
» Article I". — Et premièrement que il y a Boucherie-jurée
audict Coulommiers, tellement privillégiée que nul n'y doit ou
peult vendre chair, s'il n'est juré pardeuant la Justice dudict lieu ;
le maistre boucher de la Boucherie, présent et appelé, lequeJ le
affermera (affirmera) estre expert et soLiffisant ad ce, et qu'il n'ayt
faict son chef-d'œuvre en la forme et manière accoustumées, sur
peine de (iO sols tournois d'amende pour la première foys, et de
contiscation de la chair qu'il auroit tuée ; et pour la seconde foys
d'amende arbitraire à la discrétion de justice, sinon qu'il exersast
ledict mestier soubz l'un des maistres.
» Article IL — Item^ et ne pourront aucuns estre maistres
bouchers-jurez, ne estre receuz à vendre chair en ladicte Bou-
cherie, s'ils ne sont fils de maistres bouchers-jurez audict lieu, ou
qu'ils n'ayent esté apprentiz et aprins ledict mestier de boucherie
audict Coulommiers, en l'hostel des maistres ou de l'un d'iceulx,
par l'espace de quatre ans, et seront tenus païer, lesdicts appren-
tiz, à l'entrée de leur apprentissaige, chacun cinq solz tournois à
la Torche (1), et dix solz tournois aux maistres jurez dudict
mestier.
» Article IIT. — Item, et après que aulcun desdicts apprentiz
aura aprins ledict mestier et acheué son apprentissaige, se il veult
estre maistre-juré-passé en ladicte ville, il sera tenu faire son chef-
d'oeuvre bien et convenablement au dict des maistres bouchers-
jurez, ou de deulx d'entre eulx, esleuz par les aultres, et païer la
somme de 60 solz tournois à ladicte Torche, auec troys disners et
ung soupper, pour son pas, en la manière accoustumée ; et s'il est
fils de maistre, il ne paiera que ung disner pour son pasté, et
trente solz tournois à ladicte Torche, en faisant chef-d'œuvre
(1) Ancienne fondation pieuse faite en l'église Saint-Denis de Coulommiers.
— 344 —
comme les aultres, et en ce faisant lisseront receuz maistres dudict
mestier, en faisant le serment par deuant nous, ou nostre lieute-
nant, et en affermant (affirmant) par ledict maistre boucher qu'ils
sont souffîsans ad ce.
» Article IV. — Item^ et s'aucun s'efforce faire le contraire, et
que il s'efforce vendre en ladicte ville s'il n'est maistre-juré, il
l'amendera de 60 solz tournois, et si, sera la chair par lui exposée
en vente, confisquée.
» Article V. — Item, lesdicts bouchers-jurez d'icelle Boucherie,
ne pourront tuer aucunes bestes pour exposer en vente, s'elles ne
sont convenables et seines, pour vendre en icelle Boucherie, en
peine, s'elle est trouuée aultre par la justice ou par le maistre
boucher, quant elle sera ainsy en vente. en icelle Boucherie, de
perdre la chair et de lajecter en la rivière, et de païer l'amende ar-
bitraire à la Justice dudict lieu.
» Article VI. — Item, lesdicts bouchers ne pourront vendre,
détailler, ne mectre en vente leur chair quand ils l'auront apportée
à la Boucherie, jusques ad ce que elle soit visitée par ledict maistre
boucher-juré, et qu'il ayt donné congié de la vendre, sur peine
d'amende, sans ce que lesdicts bouchers soient tenus appeler la
Justice se elle n'y va de sa voulenté.
» Article VII. — Item, et ne pourront lesdicts bouchers vendre
ne exposer en vente, en icelle Boucherie, aulcune beste fyeuse ou
qui ayt bosse ou apostume, en peine d'en estre pugniz par Justice,
et que la chair qui sera trouuée telle, soitarse etbrullée publicque-
ment, et se ne pourront vendre chair de porc nourrye en l'ostel
(maison) de barbier ne d'uillier ; ne aultre chair quelle qu'elle soit,
nourrye par personne ladre, sur pein» de perdition de la chair et
d'amende arbitraire.
» Article VIII. — Item, aussy ne pourront ou deuront vendre
chair qui ayt esté tenue ou entamée de loups ne aullres bestes, se
premièrement elle n'est senée (saignée ?) et guarye, sans congié et
auctorité de justice, sur peine d'amende.
» Article IX. — Item, aussy ne pourront iceux bouchers, expo-
ser en vente en icelle Boucherie, aucune chair s'elle n'est abatue ou
tuée dedans les quatre portes d'icelle ville.
» Article X. — Item, que nul no pourra tuer ne vendre au-
cuns veaulx en jcelle Boucherie, s'ilz n'ont trois sepmaines acom-
plif.'s, et qu'ilz ayent loy et gresse compétant. Et sy no pourront
vendre moutons coullars depuis la Magdcleine jusques à la ^'ainct-
Alartin d'iuer, sur peine de ladicte amende.
— 345 —
» Article XT. — Item, aussy ne pourront vendre ne exposer en
vente en icelle Boucherie, aucune chair de porc surseine, mais la
pourront bien vendre hors icelle, en signiffîant par eulx, qu'elle
est surseinée ; et si ne pourront vendre chairs s'elles n'ont loix
compectans, le tout sur peine de 60 sols tournois d'amende ; aussy
ne pourront vendre ne exposer en vente chair soufflée, ne emplye
de vent, ne chair chaulde, se en ce cas il n'y a nécessité de chair,
et qu'il n'y ayt aultre chair froide en ladicte Boucherie.
» Article XTI. — Item, aulcuns des habitans ne tauerniers de
ladicte ville de Goulommiers ne pourront, ne deuront tuer chair pour
vendre en leurs hostelz, ne autres en icelle ville, exempté à la foire
dudict Goulommiers, séant audit lieu le jour Saint-Denis, en oc-
tobre : qu'ilz ne pourront tuer et vendre, ladicte foire durant, de-
puis la veille d'icelle foire, heure de midy, jusques au lendemain
de ladicte foire, heure de midy, qui sont deux jours entiers, et non
autre temps. Auquel cas lesdicts habitans seront tenus faire visiter
leurs bestes et chair qu'ils vouldront tuer et vendre en icelle foire,
par ledict maistre boucher, sur peine d'en estre pugniz à la discré-
tion de Justice.
» Article XIII. — Item^ ledict maistre boucher, à cause de la
charge qu'il a de faire icelles visitations, a privilège de visiter le
poisson de eaue doulce, mort et marée qui se expose en vente au-
dict Goulommiers, et ne pourra aucun vendre poisson de eaue
doulce, mort ou marée audict lieu, qu'il ne soit visité par le
maistre boucher, sur peine de l'amende, et si est franc et exempt
de tonlieu, de minaige et de aller à la justice s'il ne lui plaist,
pourueu que s'il faict faulte à ladicte Visitation, il en sera pugny
d'amende, à la discrétion de justice, en le payant de ses droiz de
Visitation.
» Article..XIV. — Item, en gardant et obseruant les chose^
dessus dictes, par ledict maistre boucher, et autres bouchers-jurés
d'icelle ville, ils sont et seront tenuz et abstrainz de tenir ladicte
Boucherie fournie de chair, par chacun jour que l'on mangera
chair jusques à l'heure de quatre heures après midy, depuis
Pasques jusques à la Sainct-Rémy, et depuis la Sainct-Rémy jus-
ques à Pasques, à l'heure de trois heures, sur peine d'amende,
excepté es jours de dimanche comme cy après sera faict mention,
et es jours dont on ne mangera point de chair les lendemain aus-
quelz jours ils ne seront tenuz fournir que jusques à troys heures
après midy par tout ledict temps, et pourront, lesdicts bouchers,
saller la chair qui leur demeurera du jeudy et autres jours, et
— 346 —
icelle chair sallée rapporter à la Boucherie et exposer en vente auec
leur chair fresche, en déclairant par eulx icelle chair estre sallée,
et seront tenuz fournir souffisammcnt ladicte Boucherie de chair
fresche, et au cas qu'ilz rapporteront chairs sallées en ladicte Bou-
cherie, pour vendre se elles sont trouuées infaictes et pugnaises,
non dignes de vendre, celluy ou ceulx qui telles chairs rapporte-
ront, l'amenderons de 60 sols tournois.
» Article XV. — Item, et ne pourront doresnauent lesdicts
maistres bouchers, et ne seront tenuz aussy fournir ladicte Bou-
cherie es jours de dimanche et festes sollempnelles, depuis le ma-
tin jusques au premier coup de la grant'messe paroissiale d'icelle
ville, que jncontinant ilz seront tenuz oster leurs chairs et fermer
leurs estaulx, sur peine de 60 sols tournois d'amende, et sans
estaller lesdicts jours autrement que dessus.
» Article XVI. — /fem, que lesdicts bouchers seront tenuz de
escorcher les bestes par eulx tuées sans faire cousteleure es cuyrs
et peaulx, et au cas qu'ilz y feront cousteleure, celluy qui fera
icelle cousteleure, sera tenu pour chacune, en deulx deniers tour-
nois d'amende pour les plaintifs qui en seront venus.
» Article XVII. — Item, lesdicts bouchers ne pourront ou
devront estre communs ensemble à une beste aumaille, fors seul-
lement que deulx d'iceulx bouchers si ceste beste ne vault plus de
100 solz tournois, et se ne pourront estre que deulx à ung pour-
ceau, mouton ou veau, et non plus; mais iceulx bouchers pourront
estre quatre à une aumaille le mercredy etlejeudy, et autres jours
dont le lendemain on ne mange point de chair, et laquelle chair
par eulx exposée en vente en ladicte Boucherie, ils pourront vendre
si longuement et tandis qu'elle sera bonne, digne de vendre et
menger à corps humain, sans ce qu'ils soient tenus en demander
congé à justice, et aussy s'ils en exposent en vente qu'elle ne soit
fresche, indigne de vendre et qu'elle soit infaictc, celui qui telle
chair aura exposée en vente, l'amendera d'amende à la discrétion
de justice, et si, sera jectée en la rivière.
» Article XVIII. — Item, auons ordonné et ordonnons que
quant il viendra multitude de gens en ladicte ville de Coulom-
miers, en temps qu'il n'est point de pélerinaige, et arrive ù heure
de deux ou trois heures après midy, au cas que lesdicts survenans
leueront toute la chair de ladicte Boucherie promptement, en ce
cas lesdicts bouchers ne seront tenuz d'amende, mais seront tenuz
de aller tuer de la chair fresche le plus tost et dilligcmmcnt que
faire le pourront.
— 347 —
» Article XIX. — Item, et si seront teniiz jceulx bouchers,
toutes et quantes fois qu'ils partiront de ladicte Boucherie, et n'au-
ront point de chair et qu'ils fermeront leur estai, de retourner et
renverser la planche de leur estai sur laquelle ils détaillent leur
chair, en peine de 3 sols neuf deniers tournois d'amende, ou la
ratisser pour obuier aux inconvénients qui s'en pourroient ensuir,
ou couurir ladicte planche d'une esselle cheuillée aux deux bouts,
aussy grande comme l'autre.
» Article XX. — Item, et pour lesquelles ordonnances tenir,
entretenir et accomplir de point en point, selon leur forme et te-
neur, auons faict évocquer et appeler par deuant nous tous les
maistres bouchers de ladicte ville de Coulommiers, auxquels et à
chacun d'eulx, auons fait commandement et injonction de par
ledict seigneur et nous, que lesdictes institutions et ordonnances
ils entretiennent bien et dueument sans les enfraindre, selon leur
forme et teneur, et sur les peines contenues en icelles. Entesmoing
de ce, nous auons scellé ces présentes du scel et contre scel dudict
bailliage de Coulommiers, estant de présent en la main du Roy
nostre sire, par le déceps de feu monseigneur le duc de Nemours,
que Dieu absoillc, qui furent faictes et données es assizes par nous
tenues audict lieu, le vingt sixiesme jour de janvier, l'an mil cinq
cens et troys. Signé : Feullet. »
3iî)
NOTICE SUR LA COMMUNE DE PLESSIS-L'EVÊQUE,
Canton de Dammartin, arrondissement de Meaux,
(Seine-et-Marne),
PAR M. l'abbé DÉCHERET,
Membre fondateur (SectBon rie Meaux).
Je désire, Messieurs, en esquissant le site du village nommé le
Plessis-l'Evêque, en racontant ce que j'ai pu savoir de ses vieux
souvenirs, appeler particulièrement votre attention sur deux ma-
gnifiques pierres tombales qui décorent actuellement le pavé de
son église. Bientôt, je l'espère, des dalles les remplaceront, et on
verra, adossées aux murs intérieurs, ces pierres restaurées qui fi-
gureront avec honneur, transmettant aux siècles futurs quelques
traits saillants d'une histoire locale des siècles passés.
J'émettrai un regret que tous, Messieurs, nous sentons vive-
ment, c'est que les archives de nos paroisses n'aient pas, en géné-
ral, une plus haute antiquité ; la plupart ne remontent pas au-delà
du milieu du xvii*^ siècle. L'histoire générale n'a pu tenir compte
des petits faits locaux ; son allure serait trop retardée ; elle ne
signale dans son ensemble que l'action perpétuelle de la Provi-
dence dirigeant les événements humains, comme l'a si bien fait
notre immortel Bossuet , elle suit les grandes lignes et n'enregistre
que les faits de premier ordre.
De là résulte pour l'annaliste une grande difficulté, s'il veut dé-
crire la naissance, les progrès, les faits et gestes des différents
groupes d'habitations qui forment nos villages actuels.
Un mot d'abord sur le nom de Plessis-l'Évêque et son étymo-
logie.
I
Arrivés à l'entrée du village de ce nom, si vos regards se
portent vers les différents points de l'horizon , vous ne pouvez
vous défendre, d'une agréable surprise. Au nord, et à une
distance très-rapprochée , on remarque, se dessinant dans un
riche vallon, la ferme de Ghambrefontaine, qui ne conserve plus
-- 330 —
de son ancienne splendeur, comme abbaye, que de très-faibles
vestiges dans quelques murailles d'enceinte, où l'ogive apparaît
encore. 11 est vrai qu'une maison nouvellement construite, co-
quette, grandiose, où l'utile est mêlé à l'agréable, semble faire
renaître de ses cendres cette demeure autrefois religieuse et agri-
cole. Mais du plan de la maison abbatiale primitive, il ne reste
absolument rien. Des vignes plantées sur le coteau, et probable-
ment sur les ruines de l'ancien monastère, de grands bois, des
terres cultivées terminent de ce côté l'horizon. On voit aa nord-
est se dresser sur la cime d'une montagne, le village de Monthyon,
dont le nom rappelle un souvenir de bienfaisance ; au sud-est,
celui d'Iverny, riche de culture, que traverse une belle route se
dirigeant vers l'antique et illustre Juilly ; au sud, le hameau de
La Baste et le Plessis-aux-Bois qui naguères encore possédait un
château splendide, avec parc princier, dont les murs d'enceinte
sont toujours debout. Vous apercevez entin à l'ouest, suspendu à
mi-côte, le village de Montgé, ayant à ses pieds celui de Cuisy.
Or, en présence de ces charmants points de vue, ne faut-il pas
louer les premiers fondateurs du Plessis-l'Évêque de l'heureux
emplacement qu'ils ont choisi pour créer un village, et ne trouvez-
vous pas que sa situation topographique explique facilement l'éty-
mologie du nom qu'ils lui ont donné? Pour moi, cela ne fait au-
cun doute.
Le mot deplessis, plexetum, dans son acception étymologique
primitive, signifiait un espace de terrain fermé de haies vives.
Plus tard, il désigna une maison de plaisance. Le nom en est resté,
dit l'auteur d'un savant dictionnaire, à plusieurs terres seigneu-
riales et à plusieurs pays. Ainsi, dans notre département, le Ples-
sis-aux-Bois , le Plessis-feu-Aussous, le Plessis-Placy, rappellent
trois centres de population, trois villages, remontant incontesta-
blement h une haute antiquité.
Primitivement le Plessis-l'Èvêque portait le nom de Plexetum.
Un peu plus tard il prit celui de Plassetum^ comme on le voit dans
un acte passé au mois d'août H95. Ansoldus de Plasseto (Anseau du
Plessis) assistait comme témoin à la donation (1) de 20 arpents de
terre situés aux plâtrières de Montbulun (aujourd'hui Montbou-
lon), que fit Barthélémy de Monthyon à l'abbaye de Chambrefon-
taine. Dans d'autres actes de la môme époque, on lit Pleizelum
^ simplement, et Pleizetum domini Gillonis. C'est ainsi que ce village
(1) D. T. Duplessis. Hist. de Meaux; pièces justifie. CCCXXXVI.
— 351 —
est désigné au Nécrologe de Charab refontaine, décembre 1223.
Plus tard, on écrivit Plesseiimi, et encore Plexetumepiscopi, suivant
la première dénomination ; c'était en 1363.
Depuis cette époque, le village garda le nom de Plessis-l'Evêque.
Il le perdit un instant pendant nos troubles civils, alors qu'on
proscrivait tout souvenir de religion, de monarchie et de féodalité;
on l'appela, comme autrefois, le Plessis-Gilon, mais bientôt il re-
prit celui que plusieurs siècles déjà lui avaient consacré.
Ce qui n'est pas douteux, c'est que ce village tira son nom de la
demeure seigneuriale, du lieu de plaisance où elle fut bâtie et au-
tour de laquelle vinrent se grouper diverses habitations.
Mais quel emplacement occupait cette demeure? C'est une ques-
tion difficile à résoudre. Aucun vestige apparent ne l'indique,
et les documents à cet égard font défaut. On sait néanmoins que
presque toujours le manoir seigneurial était proche de l'église du
village. De cette induction générale ne serait-il pas permis de con-
clure que la ferme principale *du Plessis-l'Évêque, située à une
très-faible distance de l'église, aura été primitivement la demeure
■du seigneur féodal? Nombre de faits analogues nous autorisent
dans cette conjecture.
II
Seigneurs du Plessis-l'Evêque.
Anseau (Ansoldus) dont j'ai parlé plus haut, est le plus ancien
seigneur qui soit connu. Était-il parent ou allié de la famille de
Guisy, dont plusieurs enfants portèrent le titre de seigneurs du
Plessis? Etait-il étranger à cette famille ? A-t-il vendu ou donné
sa terre? Aucun renseignement n'a pu nous mettre à même de
trancher cette question.
Toujours est-il que dès l'année 1230 on voit figurer, comme
seigneur du Plessis, Gilles, troisiènie fils de Milon de Guisy et
d'Agnès, son épouse.
Ge personnage, qui avait le titre de chevalier, parmi les legs
indiqués dans son testament du mois d'octobre 1238, laissa
XX sous (solides) au curé du Plessis (1) qu'il désigne par ces mots,
wesbytero meo de Plesseto, — et à sa chapellenie capellaniœ meœ de
Plesseto, sa part d'un pré qu'il avait échangé.
(1) Hist. de l'égl. de Meaux. — Pièce justif. CCCXXV-
— 352 —
Cette chapellenie, dont il vient d'être question, avait été fondée
dans l'église du Plessis sous le titre de Saint-Nicolas. Plus tard, au
mois de juillet 1239, le chevalier Ancel de Guisy, frère de Gilles,
au moment de son départ pour la terre sainte, mentionna, dans son
testament, le don d'un arpent de terre en faveur du chapelain du
Plessis-Gilon, pour la célébration future de son anniversaire (1).
Il est à croire que Gilles, dont l'épouse s'appelait Marguerite,
ne laissa pas d'héritiers directs, puisque Aléaume (Alernus), son
frère, huitième fils de Milon de Guisy, lui succéda dans la posses-
sion du domaine du Plessis-l'Évêque, vers l'année 1255. Ce per-
sonnage, entré dans l'état ecclésiastique, ne quitta la dignité de
chantre de la cathédrale que pour monter sur le siège épiscopal de
Meaux. Successeur de Pierre de Guisy, son frère, il gouverna
pendant douze ans l'église confiée à ses soins et mourut le 13 oc-
tobre 1267. C'est alors que le village du Plessis-Gilon prit le nom
de Plessis-l'Évêque, qui lui resta. ^
On ignore qui, après la mort d' Aléaume, porta le titre de sei-
gneur du Plessis. Pendant un laps de temps d'une centaine
d'années, il est impossible, faute de documents, d'établir la liste
de ces personnages.
Au siècle suivant, un ecclésiastique, d'abord archidiacre, puis
évêque de Meaux le 3 décembre 1378, Guillaume de Dormans,
fils de Guillaume de Dormans, chancelier de France, et de Jeanne
Baude, dame de Silly, possédait, entr'autres domaines, celui du
Plessis-l'Évêque. Il était seigneur de Dormans , de Lizy, de
.Montceaux, de Goussainville , du Plessis-l'Évêque et de Da-
mery. Ce prélat fut transféré à l'archevêché de Sens et mourut
en 1404.
Pendant son épiscopat sur le siège de Meaux, il eut pour vicaire
général Simon du Plessis, qui tint en cette qualité le synode dans
l'église cathédrale le 21 septembre 1385. Simon du Plessis était
en même temps abbé de Châage, et l'auteur de V Histoire de l'église
de Meaux, dit qu'il a été l'un des plus recommandablcs d'entre ceux
qui ont gouverné cette abbaye. On le loue surtout d'avoir relevé
à grands frais les bâtiments du monastère.
Simon avait pour frère Jean du Plessis, à la fois chanoine de
Meaux et d'Arras. Celui-ci, par acte testamentaire du 25 jan-
vier 1394, légua à l'abbé de Châage un gobelet d'argent, en môme
temps qu'il faisait don à l'église cathédrale de ses deux bréviaires,
(1) Hist. de régi, de Meaux. Pièce juslif. CCCXXIX.
— 353 —
« qui seront, dit-il, enchaînés à mes frais, auprès de la stalle que
(( j'occupe au chœur (1). »
Ces deux personnages, que l'on peut croire originaires du Ples-
sis-l'Évêque, ne pourraient-ils pas être considérés comme des ar-
rière-neveux de l'évêque Aléaume ? Certainement ils n'étaient pas
en possession de la seigneurie du Plessis, domaine de Guillaume
de Dormans, mais ils pouvaient appartenir à une famille distin-
guée de ce village.
Le Collège de Beauvais est indiqué comme seigneur du Ples-
sis-l'Évêque, en 1756, dans un ouvrage intitulé : Généralité de Paris^
imprimé à cette époque.
A mon grand regret, je dois clore cette liste des seigneurs du
Plessis-l'Évêque en nommant le marquis du Coudray, qui, le
dernier, porta ce titre. Ce seigneur avait été créé lieutenant géné-
ral des armées du Roi le 1" mars 1780.
Depuis la loi qui anéantit l'ordre de la noblesse, avec ses droits
et ses privilèges, il n'y eut plus que des propriétaires possesseurs
des domaines autrefois appelés seigneuries.
La propriété principale du Plessis-l'Évêque ne sortit point de la
famille qui la possédait avant la révolution. M. Hilaire Rouillé,
marquis de Boissy du Coudray, posséda cette terre. Après la
mort de madame la marquise, elle échutà mademoiselle de Boissy,
qui devint marquise d'Aubusson. Elle est maintenant la propriété
des héritiers de madame la princesse de Beauvau, née d'Aubusson.
IIL
Église. — Pierres tombales.
Le village du Plessis-l'Evêque, aujourd'hui du canton de Dam-
martin, arrondissement de Meaux, appartenait autrefois à la géné-
ralité de Paris, à l'élection et au bailliage de Meaux; sa population
n'a jamais été bien importante (2).
(1) Hist. de régi, de Meaux. Pièce justif. DX.
(2)' Suivant un document de nos archives départementales, la situation de cette
paroisse, établie en 1771, donnait comme chiffre de la population 50 feux, environ
200 âmes. D'après la statistique moderne, en 1806 on comptait 184 habitants, 202
en 1845, et au dernier recensement 146 habitants seulement.
Le territoire comportait en 1771, 1,042 arpents. On y exploitait deux plàtrières ;
une ferme appartenant au seigneur (c'étaient alors MM. du collège de Beauvais),
une autre ferme, propriété de l'abbaye de Chambrefontaine ; puis une petite dixme
23
— 354 —
C'était et c'est encore une paroisse du diocèse de Meaux et de
l'archidiaconé de France. Elle avait autrefois pour annexe le Ples-
sis-aux-Bois, appelé primitivement le Plessis-Pomponne, Plexetum-
Pomponiœ en 1363, et avant Plexetum-Domini-Bugonis, J223.
La chapelle de cette annexe et celle fondée dans l'église du
Plessis-l'Evêque étaient desservies par un vicaire qui jouissait de
ce double bénéfice. Le Plessis-Pomponne fut érigé en cure sous
le pontificat de Bossuet, en 1685. Cette église, celle du Plessis-
l'Evêque et de la chapelle Saint-Nicolas, étaient à la présentation
du prieur de Sainte-Céline de Meaux.
Sur le revenu de la cure du Plessis-l'Evêque qui était de 500
livres, le curé payait à l'état le décime d'impôt qui s'élevait à 16
livres 12 sous. Le chapelain de Saint-Nicolas était taxé à 36 sous.
L'aspect extérieur de l'église, dans son ensemble, ne présente
absolument rien de remarquable. Ce n'est pas un monument à
signaler par son architecture; la construction est toute simple (1).
Le clocher forme avant-corps. Quatre arcades à jour supportaient
autrefois toute la masse ; ces arcades étaient légèrement ogivales.
Depuis la restauration générale de l'église et la restauration par-
tielle du clocher en 1859, deux de ces arcades ont été complète-
ment bouchées. Des deux autres, celle qui donne entrée au portail
a été rebâtie avec une ogive mieux dessinée ; l'autre, qui donne
entrée dans l'église, a conservé son ancien style.
La cloche est d'un poids assez faible ; elle m'a paru peser envi-
ron 150 kilogrammes. C'est peut-être l'une des plus anciennes
du diocèse. Elle a pour seule épigraphe, ces mots : « Je svis
» nommée Marie et fuct faicte l'an 1596. »
de la cure. En 1744, la taille fixe de la paroisse était de 2,100 livres; en 1770,
elle était de 2,620 livres.
Le territoire actuel, d'après la matrice cadastrale, ne comporte plus que 384
hectares en exploitation. Le domaine de cette commune est purement agricole. On
y compte 35 maisons, 2 fermes, le chiffre des contributions s'élève à 4,193 francs.
(1) D'importantes réparations ont été faites à la nef en 1773, et pour les payer
on fit une imposition de 1,875 livres 15 sous, dont les 5;6 grevèrent les biens-
fonds de la paroisse, et le 1/6 les taillahles et cotes d'office, suivant l'arrêt du
Conseil d'Etat du 3 novembre 1772 et l'ordonnance de Mgr l'intendant du 23 dé-
cembre 1772.
Denis-Pierre Dubourg, arpenteur royal, et Jean-Pierre Dubourg, clerc paroissial,
lurent chargés de la répartition au marc la livre.
Parmi les imposés de biens-fonds, figure le marquis du Coudray, comme sei-
gneur du Plessis-l'Evêque. 11 paraît certain que c'est dans l'année 1772 ou en 1773
qu'il acquit de MM. du collège de Beauvais le domaine du Plessis- l'Évêque.
— 355 —
Il faut descendre deux marches pour entrer sous le portail et
une autre marche pour pénétrer dans l'église.
Comme style architectural, l'intérieur n'offre rien que de
simple. Une seule nef sans abside, avec un collatéral : telle est
l'église, éclairée par sept fenêtres qui ne présentent de nos jours
aucun caractère. Cet édilice mesure en longueur 16 mètres 30 cen-
timètres, et en largeur 9 mètres 10 centimètres.
Le sanctuaire consiste en une seule travée ; il est pourvu d'une
voûte ogivale de construction récente, les arceaux reposent sur
des piliers. Le chœur, la nef et son collatéral sont plafonnés avec
poutres apparentes et forment trois travées. Tout l'édifice à l'inté-
rieur est soutenu par quatre piliers cylindriques.
On voit dans le chœur six stalles en vieux bois de chêne, qui
m'ont paru fort anciennes et présenter quelque intérêt. Chacune
des miséricordes est ornementée. Sur la première de droite sont
sculptées des armes épiscopales ; une crosse domine l'écusson, sur
le champ duquel est un gland couronné ; sur la seconde est une
fleur de lys; sur la troisième, un cœur transpercé.
A gauche, sur la miséricorde de la première stalle est sculptée
une levrette ; sur la seconde, une guirlande. La troisième stalle
n'a pour siège qu'une simple planche.
Le pavé de l'église, dans le sanctuaire et dans le chœur, est
composé de dalles carrées dont un grand nombre sont verdâtres et
mangées par l'humidité. C'est au pied du sanctuaire et au milieu
de ces dalles que se trouvent les belles pierres dont j'ai à vous
faire la description.
PREMIÈRE PIERRE.
Sur la plus ancienne figurent deux personnages couchés et les
mains jointes. Celui de droite est un chevalier avec armure de
mailles, visible au bas du cou, aux bras et aux pieds. Le reste du
corps est couvert d'une cotte d'armes descendant jusqu'à mi-
jambes. Au-dessous des mains nues se voit la garde de son épée,
que recouvre son écu suspendu par deux courroies. Les pieds
reposent sur un chien couché. La tête est couverte d'un casque
sans cimier, portant au milieu une croix tréflée aux deux bras
et pointue aux deux autres extrémités. Sur la visière abaissée sont
pratiquées quatorze ouvertures linéaires formant trois lignes su-
perposées.
Le deuxième personnage est une dame dont la tête est couverte
— 356 —
d'un voile. Son manteau descendant jusqu'à terre est relevé du
côté droit jusqu'à la hauteur du genou par un pli formant dra-
perie sous le coude. La robe qu'il recouvre en partie est très-
longue; elle a des manches étroites, fermées au poignet. A gauche
apparaît la doublure du manteau.
Au-dessus des deux personnages est un double dais formé de
deux ogives trilobées, surmontées de frontons garnis de crochets
avec fleurons. Au tympan se dessine un trèfle à lobes aigus. De
chaque côté des frontons on voit trois anges. Celui du milieu de-
bout et la tête nimbée tient de chaque main étendue une couronne
au-dessus des deux défunts. Les deux anges qui sont à droite et à
gauche, également nimbés, agitent un encensoir qui paraît sus-
pendu au sommet des ogives.
On lit en majuscules gothiques autour de cette pierre qui a 2
mètres 33 centimètres de longueur sur 1 mètre 10 centimètres de
largeur :
(c f Ici. gist. feu. Mesire. Ancel. de la Pierre, qui. trespassa.
en. l'an. de. grâce. MGGXXIX. (1229). Ci. gist. feu. Madame.
Isabel. sa. femme, qui. trespassa. en. l'an. de. grâce. MCCXX IIL
(1223?). Priez, pour. les. âmes. deus. Amen, n
Quant à cette dernière date on ne peut lire d'une manière cer-
taine que MCG. Viennent ensuite deux XX, puis un espace illisible
et trois unités.
DEUXIÈME PIERRE.
Le personnage principal représente une dame, les mains jointes,
portant une robe dont les manches ouvertes et élargies laissent
les deux tiers de l'avant-bras à découvert. Au bras gauche pend
un chapelet. La tête est voilée avec guimpe. Sous ses pieds sont
deux chiens, symbole de la fidélité.
Au-dessus des épaules et de chaque côté des hanches se trouvent
placés quatre écussons, à l'épaule droite et au côté gauche orlés au
lion grimpant ; à l'épaule gauche et au côté droit on distingue une
bande.
La dame est encadrée ans une ogive trilobée avec crochets et
fleurons au milieu, et accompagnée de chaque côté de contreforts
à quatre étages. Ces contreforts sont ornés d'ogives avec frontons
aigus et terminés par trois clochetons garnis de crochets.
Au-dessus de l'ogive principale règne une galerie divisée en cinq
ogives. Dans celle du milieu, qui est trilobée, on voit la Sainte-
— 357 —
Vierge assise avec F Enfant-Jésus. Dans les quatre autres surmon-
tées de frontons aigus avec trèfles au tympan, et accompagnées de
clochetons, se trouvent représentés quatre anges. Ceux des extré-
mités, debout, portent un flambeau avec un cierge allumé. Des
deux autres, celui de droite est à genoux les mains jointes, et celui
de gauche assis tient un livre ouvert sur ses genoux.
Cette pierre, bien conservée, mesure 2 mètres 25 cent, de lon-
gueur sur 1 mètre 65 de largeur. On lit autour également en ma-
juscules gothiques : ^
« t Ici. gist. Denmoiselle. Jeanne, de. la. Pierre, iadis. famme.
Pierre, de. Fresnoy. escuier. q. trespassa. l'an. M. CGC. XXX.
(1330) le. jour. de. feste. Saint. Martin, diver. Priez, p^ l'âme,
de. lui. que. Diev. Li. face, pardon. Amen.
Outre ces deux magnifiques pierres tombales, on voit encore
deux fragments séparés d'une troisième pierre. L'un des deux
fragments est incomplet.
Sur la plus grande portion est représenté un chevalier armé de
brassards et de cuissards.
En réunissant ce qui restede l'inscription sur les deux fragments
on lit seulement ces mots ; « de chlr. qui. trespassa. en.
)) l'an. de. grâce. MGGGXXIII. lundi Rémi, uniesme.
n d'octembre. »
Qu'étaient ces personnages dont l'existence au Plessis-l'Evêque,
pendant le xiii® et le xiv® siècle, se trouve attestée par les pierres
qui recouvrent leurs cendres? — Une tradition populaire vient
ici élucider la question; elle est corroborée par des faits irrécu-
sables.
Parmi les lieux dits qui désignent les diverses parties du terri-
toire du Plessis-l'Evêque, il en est un qui porte le nom de Jar-
din de la Pierre. A l'entrée de ce terrain est un fossé destiné à re-
cevoir les égouts des terres ; il traverse la route, et le ponceau qui
y est construit porte le nom de Pont de la Pierre.
De plus, si l'on examine la configuration de ce terrain, on ne
peut s'empêcher de reconnaître l'emplacement naturel d'anciennes
constructions. D'ailleurs, à diverses époques en travaillant le sol
— 358 —
on a mis à jour des pierres d'assises qui indiquent suffisamment
l'emplacement de l'ancien manoir.
C'était là certainement que résidaient les seigneurs de la Pierre.
Ce fief, cette habitation féodale touchait au village du côté de l'est.
Le souvenir s'en est perpétué et ici la tradition populaire me pa-
raît offrir une présomption respectable.
Outre les seigneurs de la Pierre dont il a été précédemment
question, il en est un qui vivait au commencement du xiv" siècle ;
il portait le nom d'Adams de la Pierre. Dans un Jugement rendu
le 16 avril 1311, par le connétable de France Gaucher de Châtil-
lon, Adams de la Pierre se porta avec d'autres chevaliers des envi-
rons de Meaux, caution de certains personnages de sa qualité qui
avaient été accusés d'avoir blessé un chanoine et tué son clerc, au
moment où ceux-ci se rendaient à l'office de la cathédrale. [Extrait
des lettres adressées aux auteurs de la nouvelle Gaule chrétienne et à
Dont Toussaint du Plessis, par Gh. J. Thomé, chanoine de Meaux.
— Paris, 1748.)
Comment disparut le fief de la Pierre, et à quelle époque, Je
n'ai point à le dire, la question me paraît insoluble et Ton ne sau-
rait à cet égard former la plus simple conjecture.
— 359 —
LE FOYER D'UNE CHEMINÉE,
PAR M. CHEMIN,
Membre fondateur (§iection de Coulommiers).
Le fo^er d'une cheminée, dans une des pièces de la ferme de la
Boisserotte (ancienne commune de LaBoissière, aujourd'hui réunie
à celle de Saints), est formé d'une pierre quicontientle texte d'une
fondation faite à la fin du xvii'' siècle, par Jean Charlier^ marchand
en draps, or et soie, et Catherine Ghauchet, sa femme, dans l'é-
glise de Saint-É tienne de Touquin, de messes et saluts « pour le
» repos des âmes desdits sieur et dame Charlier, moyennant le
» don d'un demi arpent de pré, et un ornement complet de damas
» blanc à fleur d'or, » ainsi qu'il est exprimé dans le contrat de
cette fondation passé devant Monbelot, substitut du tabellion de
Tournan, établi à Touquin, les 14 juillet 1686 et 2 mars 1687.
Cette pierre existait-elle dans l'église de La Boissière, démolie
depuis longtemps, ou dans celle de Touquin? Nous n'avons pu le
savoir.
Ce document n'a pas une grande importance historique, mais
rapproché de l'acte dont il fait mention, il n'est point sans intérêt
pour la paroisse de Touquin et pour celle, aujourd'hui disparue,
de La Boissière.
Peut-être aussi ce document se rattache-t-il à une chapelle de l'é-
glise de Touquin, sous le titre de la Magdeleine, détruite en 1687.
D. 0. M.
(( Les Marguilliers présents et à venir de cette Église et Pa-
)) roisse de Saint-Étienne de Touquin en Brie, sont obligés de
» faire dire, chanter et célébrer à perpétuité et à toujours au
» chœur de ladicte Église le jour et fête de Pasques, sur les cinq
)) à six heures du soir, un salue solennel pour le repos des âmes
» de défunts sieur Jean Charlier, marchand en draps, or et soyc,
» et Catherine Chauchet, sa femme^ auquel sera chanté le répons
» Christum t^egem, la prose Victimœ paschali, Magnificat, l'antienne
— 360 —
» du jour de Pasques; ensuitte sera faicle la procession, en chan-
» tant les litanies et l'antienne Regina cœli, devant l'autel de la
» Saincte Vierge, sur laquelle seront exposés, pendant ledict Sa-
» lut, quatre cierges d'un quarteron chacun, puis sera chanté le
)) psaume Exaudiat, Domine^ salvum fac regem, le De profundis
» et oraisons, et en fin d'iceluy salut seront distribués aux parents
» desdicts Charlier et sa feme, et autres qui assisteront au salut,
» deux livres de bougie blanche des trente à la livre, pour laquelle
» présenté fondaôn a été donné à la d" œuvre et fabrique, un
» demy arpent de prez et ornement complet de damas blanc à fleur
» d'or, ainsy que plus au long est contenu au contrat de la d^ fon-
» dation, passé devant Monbelot, substitud du tabellion (l)de
)) Tournan, establys à Touquin en Brie, les 14 juillet 1686 et
» 2e mars 1687.
» Requiescant in pace. »
La pierre portant cette inscription est cassée en plusieurs mor-
ceaux, deux mots sont illisibles.
(1) Cinq lettres effacées, qu'on peut supposer former le mot royal.
^//^/"■l.caitgjar'
^ ?i
g
§
a
Pd
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S- ^
— 361 —
NOTE SUR D'ANCIENS TOMBEAUX
DÉCOUVERTS A MELUN DANS LA COUR D'HONNEUR DE LA PREFECTURE,
en Décembre 1865,
PAR M. LEMAIRE,
iMembre fondateur (iSection do Hclun ).
L'ancienneté, on peut même dire l'antiquité de la ville de Me-
lun, ne se discute plus : les preuves abondent tellement qu'il est
superflu d'en rechercher de nouvelles. Si nous n'avions pas sous
les yeux de nombreux restes de monuments, les débris humains
trouvés en tant d'endroits suffiraient seuls d'arguments incon-
testables, car le sol de notre ville peut être considéré comme un
vaste cimetière ; en effet, partout où l'on creuse, on retrouve les
ossements de ceux qui nous ont précédé.
Dernièrement encore (du 5 au 8 décembre 1865), en pratiquant
un trou dans la principale cour de la préfecture, pour remplacer
un arbre, on a mis à découvert deux tombeaux en pierre. M. le
préfet informé du fait, prescrivit leur extraction. Le premier,
amené à l'hôtel-de-ville, pour y être conservé avec d'autres mo-
numents de l'espèce précédemment recueillis, renfermait le sque-
lette d'un personnage qui a pu être l'un des abbés des Béné-
dictins du M ont-Saint-Père, si l'on en juge d'après un anneau
en cuivre trouvé dans le tombeau même, avec la phalange du
doigt qui le portait. Cet anneau paraît avoir reçu une légère
dorure, peut-être afin d'éviter l'oxidation qui aurait pu se dé-
poser sur les parties de la main en contact immédiat avec lui.
Pour savoir si les abbés réguliers avaient le droit de porter
un anneau, j'ai feuilleté le petit nombre d'ouvrages dont je dis-
pose ; mes investigations étaient restées vaines, lorsque, en con-
sultant le dictionnaire de Furetière, à l'article abbé, voici ce que
je trouvai : « les abbés mitres sont ceux qui ont droit de porter
)) les ornements épiscopaux, comme la mitre, les sandales, les
» gants. Vanneau et la crosse ; et pour les distinguer des évoques,
» Clément IV ordonna que les abbés exempts porteraient des
— 362 —
» mitres brodées (1) , mais sans pierreries et sans lames d'or et
» d'argent; et les non-exempts des mitres blanches unies. »
Plusieurs personnes m'avaient affirmé qu'en effet les abbés
réguliers portaient l'anneau; parmi ces personnes, je citerai
M. l'abbé Dégoût et M. le marquis de Pontécoulant. D'après le
digne et infatigable président de notre Société, ces abbés ne pou-
vaient porter qu'un anneau de cuivre : ce que viendrait confirmer
la découverte faisant en partie l'objet de cette note.
Je consens volontiers à me ranger à cette opinion, pourtant
je ne puis m'empêcher de faire une remarque : je demanderai
si ces hommes admis dans les grandes assemblées du clergé
(synodes, conciles, etc.), vêtus comme les prélats, portant la crosse
comme eux, et élevant la prétention de coiffer une mitre sem-
blable à la leur; je demanderai^ dis-je, si ces hommes se rési-
gnaient véritablement à orner leur doigt d'un simple anneau de
cuivre? J'ajouterai que l'anneau dont il s'agit ici, ne contient sur
son chaton aucune empreinte, aucun signe distinctif, et qu'il n'a
dû être porté que pendant un court laps de temps, par la raison
que les arêtes existant à la réunion de ce chaton avec l'anneau
lui-même, sont encore très-vives.
Je reviens au premier des tombeaux cités plus haut : il mesure
en longueur 2 m. 10 c. ; en largeur, à la tête, 75 c, aux pieds,
46 c, et en hauteur extérieure, 45 c.
Suivant M. Andoque, commis de M. Senèque, architecte du
département, ce tombeau serait en pierre statuaire provenant des
carrières de Château-Gaillard en Poitou. On n'y remarque, comme
signe décoratif, qu'une simple croix grecque indiquée extérieure-
ment à la tête par un trait f . Il était sans couvercle, ainsi que le
second, et renfermait, outre l'anneau dont j'ai parlé, plusieurs
vases d'une terre assez grossière et de forme sans élégance, rem-
plis de charbon destiné à brûler l'encens qnc l'on y mettait pour
combattre les mauvaises odeurs. Le charbon contenu dans les
vases que j'ai l'honneur de présenter à la Société, paraît s'être
éteint aussitôt après y avoir été introduit, ces vases (placés entre-
les jambes du squelette qu'ils accompagnaient), n'ayant pas comme
beaucoup d'autres trouvés dans des circonstances identiques, de
trous ni de fentes longitudinales pour faciliter la circulation de
l'air et accélérer la combustion.
Les plus petits de ces vases ont été trouvés en pleine terre,
(1) Brodés en or, d'après l'Encyclopédie du xviii* siècle.
— 363 —
avant la découverte des premiers ; ils contenaient également
quelques charbons.
Je laisse à d'autres, plus versés que moi en ces matières, le
soin de déterminer l'époque à laquelle peuvent appartenir les
objets dont je viens de parler, ce qui du reste ne paraît pas facile,
car d'après M. de Gaumont, le savant antiquaire de la Normandie,
dans son Abécédaire d'archéologie, le même genre d'inhumation
se serait continué du xi^ au xvi" siècle ; il pourrait même remonter
au-delà, sans parler des époques gallo-romaine et mérovingienne.
Quant au second tombeau trouvé dans la cour de la préfecture, il
contenait aussi un squelette entier, mais sans aucun autre objet.
Ce tombeau, qui paraissait intact après avoir été dégagé, est
tombé en morceaux aux premiers efforts faits pour le sortir de
terre.
Les cercueils en pierre étaient d'un usage si général, et leur
nombre si considérable, que le savant archéologue cité plus haut,
parle de cimetières ruraux en Poitou, en Saintonge et en Cham-
pagne, où l'on en compte jusqu'à 20,000, ce qui laisse supposer
une période d'inhumation, dans les mêmes lieux, d'autant plus
longue que l'on trouve souvent plusieurs squelettes dans le même
cercueil. (Archéologie religieuse, page 223.)
L'endroit où ont été découverts les tombeaux dont je m'occupe,
a bien évidemment servi de cimetière aux religieux de l'abbaye du
Mont-Saint-Père, depuis le vi^ siècle jusqu'au 25 août 1792, date
de la suppression générale des ordres monastiques, puisqu'il y
a quelques années déjà d'autres tombeaux ont été trouvés au
même lieu.
La forme des tombes démontre que ce cimetière n'a été établi
que postérieurement à la destruction du monastère par les Nor-
mands, et après sa reconstruction ordonnée par Hugues Capet,
suivant une charte donnée à Gompiègne, le 26 septembre 991, rap-
portée par Sébastien Rouillard. (Histoire de Melun, pages 234 et
suivantes.)
D'un autre côté, il y a lieu de supposer que ces tombeaux sont
antérieurs au xvi^ siècle. L'abbaye des Bénédictins ayant été une
seconde fois détruite à peu près complètement au mois de septembre
1590, de nouveaux édifices vinrent remplacer ceux que l'incendie
avait anéantis, et l'on doit croire que si le cimetière avait encore
servi aux inhumations à cette dernière époque, les Bénédictins
l'auraient respecté en procédant à la reconstruction de leur mo-
— 364 —
nastère, et qu'ils n'auraient pas établi en un lieu consacré par la
religion leur basse-cour, avec bergeries, pressoirs et divers autres
bâtiments de service.
( Voir le plan ci-joint, représentant V abbaye comme elle était encore en
18J8).
— 365 —
NOTE SUR UN VASE
PROVENANT DE L'ABBAYE DE GHELLES
PAR M. LEFEBVRE-THIÉBAULT ,
Membre fondateur (Section de lUeaux
Le vase que je viens de déposer sur le bureau faisait partie
d'une officine de pharmacie, il est en faïence et décoré en camaïeu
bleu.
Tous les pots et vases qui ornaient les pharmacies, au siècle
dernier, et au commencement de celui-ci, étaient en faïence de
Rouen, de Nevers, etc. Le musée de Sèvres en possède d'italiens,
de franco-italiens, de flamands , d'espagnols, et, entr'autres, un
pareil à celui que je vous présente; ils étaient, à ce qu'il paraît,
fabriqués dans tous les grands centres où se faisait la faïence.
Ils avaient tous des formes différentes : les uns sont avec goulot,
pour verser le liquide, ce sont les plus communs ; généralement
l'inscription est imprimée dessus, tandis que sur les autres on a
laissé un espace blanc pour y mettre une étiquette.
L'hospice de Meaux conserve encore dans sa pha^^-^'aoïe huit ou
dix de ces vases en faïence, avec un décor bleu - Inns sont variés
de forme. Il y avait aussi, il y a quelques années, dans le même
établissement deux aiguières en faïence de Nevers, décorées en
camaïeu bleu ; sur leurs pannes on voit des paysages qui sont
fins de décor; elles ont été données à un amateur de notre ville.
La porcelaine opaque et la porcelaine ont remplacé la faïence de
nos ayeux ; a-t-on gagné au change, je ne le crois pas ; en re-
vanche, les amateurs ont formé de riches collections.
La plus belle collection est, sans contredit, celle de la manufac-
ture de Sèvres, où l'on voit des faïences de toutes les fabriques ;
on en voit aussi de belles au musée de Cluny, et nous connaissons
à Paris plusieurs amateurs qui en ont d'importantes suites.
Nous avions cru que notre vase était en faïence de Rouen, mais
le savant conservateur du musée de Sèvres, M. de Riocreux, à
qui nous l'avons fait voir, l'attribue à l'école de Rouen, et ajoute
qu'il a été fabriqué à Paris, chez Digne, rue de la Roquette, au-
quel a succédé un nommé Tricatelle, puis un sieur Gauthier.
Ce vase est du xvni° siècle, et ce qui doit le rendre plus inté-
— 366 —
ressant pour nous, c'est qu'il a fait partie de l'officine de l'an-
cienne abbaye royale de Ghelles.
Vous voyez sur sa panse l'écusson en losange aux armes d'Or-
léans : ordinairement les abbesses portaient l'écu en losange,
entouré d'un chapelet, la crosse posée en pal derrière l'écu, timbré
de la couronne de leur noblesse. Sous l'écusson il a été ménagé un
espace blanc pour mettre une étiquette de la substance que le vase
devait contenir.
Ces armoiries, dont le lambel n'est pas bien marqué, appar-
tiennent à Marie-Adélaïde d'Orléans, fille du duc d'Orléans, régent
sous la minorité de Louis XV; elle prit l'habit de religieuse le
30 mars 1717, et vécut, les uns disent six ans, et les autres seize,
dans cette retraite; elle est morte au Trainel, à Paris, le 16 février
1743.
On trouve, dans l'extrait de la correspondance d'Élisabeth-
Charlotte, duchesse d'Orléans, qui était grand'mère de Marie-
Adélaïde, le portrait de cette princesse :
Après avoir vanté sa beauté, parlé de ses talents pour la mu-
sique et pour la danse, elle ajoute : « Elle persista dans son projet
» de se faire religieuse, il me semble qu'elle convient mieux au
» monde mais c'est une folie qui s'est plantée dans sa tête;
» elle a pourtant des goûts de vrai garçon : elle aime les chiens,
» les chevaux, les cavalcades ; toute la journée elle manie la
» poudre, fait des fusées et d'autres feux d'artifices ; elle a une
» paire de pistolets avec lesquels elle tire sans cesse. Elle n'a peur
» de rien au monde, elle n'aime rien de ce qui plaît aux femmes,
» voilà pourquoi je ne saurais imaginer qu'elle soit bonne reli-
» gieuse. »
On lui fit faire, en 1718, ses vœux à Ghelles, dans le dessein de
l'élever à la dignité d'abbesse, mais Agnès de Villars en était
pourvue; on déposséda celle-ci en lui donnant une pension de
8,000 livres, et en 1719 la jeune princesse entra en possession de
l'abbaye de Ghelles.
Madame de Sévigné rapporte, dans une de ses lettres : a qu'une
» sœur de Mlle de Fontanges ayant été nommée abbesse de
» Ghelles, la cérémonie de son sacre fut faite en très-grande
» pompe, les tentures de la couronne, les diamants, la musique,
» les parfums, et surtout le nombre des évoques qui y officiaient,
» surprirent tellement une femme do province, qu'elle s'écria,
» dans l'ivresse de l'admiration : a G'est ici un Paradis....! » « Eh
» non, madame, lui dit-on, il n'y aurait pas tant d'évôques. »
— 367 —
BOSSUET PARRAIN DES GROSSES CLOCHES
DE
SAINT-MARTIN- DES-CHAMPS ET DE LA FERTÉ-GAUCHER,
FRAGMENTS
de souvenirs inédits de Bossuet, dans les paroisses de la Conférence de La Ferlé-Gaucher
PAR M. VICTOR PLESSIER,
Membre fondateur (Section de Coulonimlers.)
Bossuet donna deux fois la confirmation dans l'église Saint-
Romain de La Ferté-Gaucher, en 1683 et 1692. Les registres de
l'état civil de la paroisse n'en font nulle niention ; mais les traces
de la présence de l'illustre prélat à La Ferté-Gaucher se trouvent
dans divers autres actes , auxquels il a concouru , intéressant soit
l'hôtel-Dieu, soit l'école gratuite des filles charitables. Une note
inscrite sur les registres de Ghartronges, contient aussi la liste
des enfants qui furent confirmés à La Ferté-Gaucher, en 1692.
Il fut parrain de la plus grosse des trois cloches de Saint-Mar-
tin-des-Ghamps, le 15 novembre 1694. L'acte de bénédiction,
porté sur les registres de l'état civil, dit qu'elle a été nommée
Marie-Jacques-Bénigne-Elisabeth, par illustrissime et révéren-
dissime seigneur Jacques-Bénigne Bossuet, conseiller du roi en
son conseil, évêque de Meaux, et par haute et puissante dame
Elisabeth Herpin, femme ou plutôt veuve de messire Michel
Le Tellier, vivant chancelier de France, et seigneur châtelain de
La Ferté-Gaucher et de plusieurs autres lieux. Toutefois, ni Bos-
suet ni madame la Ghancelière ne comparurent en personne au
baptême. Ils furent représentés savoir : « ledit seigneur évêque, par
M. Nicolas Gaudron, prêtre, prieur et curé de La Ferté-Gaucher,
et ladite dame par Claude Lirot, femme de François Honnet, pro-
cureur de madite dame, fondés à cet effet des procurations desdits
seigneur et dame.» Si les pouvoirs avaient été annexés au registre,
la commune posséderait un autographe de Bossuet ou tout au
moins sa signature.
Il fut également parrain, et Madame Le Tellier marraine de la
— 368 —
grosse cloche de La Ferté-Gaucher, le 15 novembre 1694 ; l'acte
énonce qu'elle a été bénite sous le nom de la glorieuse vierge
Marie et de sainte Elisabeth. Les principaux titres de Bossuet y
sont pompeusement rappelés : son parrain, est-il écrit, est Mgr
l'illustrissime et révérendissime Jacques-Bénigne Bossuet, évêque
de Meaux, ci-devant précepteur de Mgr le Dauphin, premier au-
mônier de M'"'^ la Dauphine, conseiller du roi en ses Conseils, et
ordinaire en son Conseil d'Etat, protecteur des droits de l'univer-
sité de Paris, prieur de la maison de Navarre, etc., représenté par
M. Claude-Alexandre Bouré, curé de Saint-Remy de la Vanne; la
marraine, haute et puissante dame Elisabeth^ Herpin , veuve de
haut et puissant seigneur messire Michel Le Tellier, en son vi-
vant chancelier et garde des sceaux de France, commandeur des
ordres du roi, seigneur de La Ferté-Gaucher et de plusieurs
autres lieux, représentée par M"^ Claude Lirot, femme de
M. François Honnet, procureur fiscal de ladite dame. Les procu-
rations n'ont pas été non plus jointes au registre.
Ce fait commun aux deux cloches qu'elles étaient dans l'étendue
du diocèse de Meaux, dont Bossuet était l'évêque, et de la seigneurie
de La Ferté-Gaucher, qui appartenait à la veuve de Le Tellier, ne
suffit pas pour expliquer le concours de ces deux grands noms aux
deux baptêmes. L'évêque et la dame n'étaient pas nécessairement
parrain et marraine de toutes les grosses cloches de la circonscrip-
tion diocésaine et seigneuriale. D'autres circonstances qui occu-
pent une place importante dans la vie de Bossuet, ont amené cette
double affinité spirituelle : ce sont les relations nombreuses qui
ont existé entre le grand évêque de Meaux et la famille du chan-
celier. Il n'est peut-être pas sans intérêt d'observer les modifica-
tions qu'elles ont éprouvées , et dont la trace se retrouve jusque
dans les deux actes de bénédiction de cloches que nous venons de
relater.
Il faut remonter à 1661 pour trouver l'origine des rapports de
Bossuet avec les Le Tellier. En cette année, un fils de Michel Le
Tellier, Charles-Maurice, alors âgé de vingt ans, qui fut plus tard
coadjuteur, puis archevêque de Reims, donna à Bossuet une preuve
de dévouement. Celui-ci avait trente-et-un ans et prêchait déjà à
Paris, où l'avaient fait appeler les succès qu'il avait obtenus à
Metz, dans une population partagée entre le catholicisme et le pro-
testantisme, par des prédications où se révélèrent dans un grand
éclat, l'immensité de ses connaissances théologiques, l'ardeur en-
traînante de son prosél^'tisme et les mâles beautés do son éloquence.
— 369 —
M. de Bédacier^ évêque d'Auguste, qui avait su l'apprécier, rési-
gna en sa faveur le prieuré de Gassicourt près Mantes. Mais
certaines conditions, exigées pour la validité de la transmission de
ce bénéfice, n'étaient pas entièrement accomplies à la mort du ré-
signant; les droits de Bossuet furent contestés. Toutefois, grâce à
l'intervention de Charles-Maurice Le Tellier, un autre bénéfice
fut mis à la disposition du compétiteur de Bossuet. La difficulté
se trouva ainsi résolue à la satisfaction commune des intéressés.
Pour apprécier la valeur de ce service, il suffit de savoir que Bossuet
posséda le prieuré de Gassicourt, d'un revenu de 6,000 fr., pen-
dant plus de quarante ans.
La recommandation de Charles-Maurice Le Tellier valut à
Bossuet la bienveillance et l'appui du chancelier qui ne fit pas tou-
jours un aussi bon usage de son crédit. Michel Le Tellier doit être
mis au rang des promoteurs de l'élévation de Bossuet : il fut l'un
des premiers à faire entendre à l'oreille de Louis XIV le nom du
protégé de son fils. Les sermons de Bossuet à la cour apprirent
ensuite au Roi les avantages qu'il était possible de tirer de
son prodigieux talent. Son génie se complaisait à proclamer
l'alliance de l'église et de l'état, et à montrer en Dieu le fondateur
de la monarchie et dans le prince le protecteur né de la religion.
Lorsqu'après dix ans de glorieuses prédications dans les églises
de Paris, Bossuet fut nommé évêque de Condom, Charles-Maurice
Le Tellier, devenu co-adjuteur de l'église de Reims, eut l'honneur
de le consacrer. Cette cérémonie s'accomplit avec une solennité
extraordinaire le 21 septembre 1670, dans l'église des Gordeliers
de la ville de Pontoise, où se tenait une assemblée du clergé de
France. On ne peut s'empêcher toutefois de remarquer que des
deux prélats, le plus jeune et le plus éminent dans la hiérarchie
devait à sa naissance la dignité dont il était revêtu, et que le très-
modeste évêché confié à l'autre, n'était qu'une faible récompense
de ses rares mérites.
A la mort de Michel Le Tellier, Bossuet plein de reconnaissance
honora sa mémoire en prononçant son oraison funèbre dans l'église
paroissiale de Saint-Gervais le 25 juin 1685, et en officiant à l'église
de l'hôtel des Invalides le 22 mars 1686, jour où Fléchierfit à son
tour le panégyrique du chancelier.
L'ordre chronologique des faits place ici la bénédiction delà grosse
cloche de Saint-Martin et de celle de La Ferté-Gaucher. On voit
par ce qui précède que la double affinité spirituelle qui se forma
entre Bossuet et la veuve de Le Tellier, est une suite des longs ser-
24
— 370 —
vices échangés entre lui et la iamille du chancelier. Mais le carac-
tère de ces rapports devait s'altérer; ainsi le voulait logiquement,
en dehors de toute autre cause, la disparité des conditions. En
comparant entr'eux les actes de bénédiction des deux cloches, que
sépare un intervalle de trois années, il semble que déjà se montre
le germe de certaines dissensions. La plus ancienne des deux
cloches fut nommée Marie-Jacques-Bénigne-Elisabeth ; après
le nom de la vierge viennent les deux noms patronymiques de
Bossuet, précédant celui de Madame Le Tellier, — tandis que la
cloche baptisée en dernier lieu n'a d'autres noms que Marie-
Elisabeth; c'est-à-dire que l'on conféra à celle-ci, religieusement
et respectueusement le nom de la vierge et celui de la marraine,
en négligeant ceux du parrain. Cette omission si choquante est
un signe de la déchéance que subit Bossuet dans l'affection des
Le Tellier. Les rapports sans être rompus se modifient; le
vieux chancelier n'est plus. Le souvenir du grand Louvois
s'efface avec le temps ! Les Le Tellier déclinent. D'une autre
part, le protégé a grandi; il fait ombrage. On juge opportun de
lui faire sentir par la disparition de son nom que les inégalités
sociales ressortant de la difTérence des extractions ne s'équilibrent
pas par les talents personnels.
Ce changement dans la disposition de la famille Le Tellier à
l'égard de Bossuet, se montra un peu plus tard ouvertement dans
une circonstance mémorable. Je veux parler de l'assemblée du
clergé qui se tint à Saint-Germain-en-Laye en 1700. La précédente
assemblée avait prescrit de nommer à la présidence des arche-
vêques et des évêques en nombre égal. Cette règle était observée
depuis plus d'un siècle. Bossuet, le doyen des évêques de la réunion
semblait désigné pour la présidence par son âge comme par ses
talents. Il prit la parole pour montrer qu'il serait d'un dangereux
exemple de voir les évêques perdre un droit consacré par l'usage
et justifié par des titres incontestables. Mais l'archevêque de
Reims, Le Tellier, et l'abbé Louvois, son neveu, pesèrent de
toutes leurs forces sur les députés pour les décider à n'accorder
la présidence qu'à des archevêques. Il fut indubitable qu'ils avaient
en vue l'élimination de Bossuet. Ils réussirent. L'assemblée arrêta
qu'elle ne nommerait que deux archevêques présidents. Cette dis-
grâce à laquelle l'évêque de Mcaux se résigna dignement, fut
moins un effet de l'envie excitée par la grandeur de son génie, que
de l'humilité d'une naissance bourgeoise. Telle était sa supériorité
intellectuelle qu'au sentiment de tous, elle le plaçait hors ligne,
— 371 —
mais aux yeux des nobles personnages dont la majorité de l'assem-
blée se composait, c'était chose à peu près indifférente que le titre
d'archevêque ou d'évêque : la faveur en disposait souvent en ce
temps d'inégalités sociales, la distinction de race était la chose
essentielle à maintenir ; l'élévation de la noblesse au-dessus de la
plèbe était le principe indispensable à respecter. Quel nom plus
roturier que celui de Bossuet ? son étymologie rappelle le travail
forcé du joug : Bos Sueius. Les nobles eussent cru s'abaisser en
honorant de la présidence un plébéien. Cette interprétation de
leur conduite est si vraie que dans les assemblées qui suivirent, le
partage de la présidence entre les archevêques et les évêques fut
rétabli. Mais lors de ces retours à la règle, Bossuet n'existait plus.
D'Alembert, dans son éloge, a rappelé que l'illustre évêque de
Meaux , présentant un jour le père Mabillon à Louis XIV , le
désigna comme le religieux le plus savant de son royaume
ajoutez : et le plus modeste, dit l'archevêque de Reims, qui pré-
tendait faire une épigramme contre Bossuet. Si l'évêque de Meaux
eut été d'une famille patricienne, Le Tellier ne se fut pas permis
cette offense, surtout en présence du roi.
Il existe dans les événements humains un enchaînement qui les
relie les uns aux autres si étroitement qu'on ne peut les apprécier
en les isolant. La bénédiction des grosses cloches de La Ferté-
Gaucher et de Saint-Martin-des-Ghamps, n'est pas seulement un
fait intéressant pour ces deux communes ; elle divise, si je ne
m'abuse, en deux phases bien distinctes, les relations de Bossuet
avec les Le Tellier. La première partie, toute d'aménité, est cou-
ronnée par le baptême de la cloche de Saint-Martin, où les noms
patronymiques de Bossuet et de la veuve de Le Tellier, sont
associés honorablement. Le baptême postérieur de la cloche de
La Ferté-Gaucher, décèle le commencement de la seconde période,
d'un esprit opposé, en laissant tomber dédaigneusement les pré-
noms de Bossuet, devant celui de la marraine demeuré debout.
En présentant dans leur ordre chronologique les faits connus de
la liaison qui a existé entre les Le Tellier et Bossuet, notre but a
*été d'abord de faire ressortir les changements survenus dans leurs
relations. Ensuite nous avons espéré attacher à des événements de
localité l'importance qui leur appartient réellement, à cause des
lumières qu'ils jettent sur une vie qui est du domaine de l'histoire.
Les deux cloches n'existent plus. Celle de La Ferté-Gaucher a
péri en 1734, d'un coup de foudre qui renversa le clocher. On
ignore quel a été le sort de celle de Saint-Martin.
— 373 —
JEANNE D'ARC A MELUN.
PAR M. G. LEROY,
Membre fondateur ($$ection de nielun.)
Le 18 novembre 1420, la ville de Melun, réduite à la dernière
extrémité, ouvrit ses portes aux Anglais, qui la tenaient assiégée
depuis cinq mois (J). Les glorieux faits d'armes et les actes de dé-
sintéressement qui s'étaient succédés durant les longs jours du
siège, ne purent empêcher ce fatal dénouement (2). Ce que le
nombre des assaillants et l'énergie de leur attaque avaient été im-
puissants à faire, la famine le réalisait.
Neuf années d'oppression et de souffrance s'écoulèrent avant que
Melun pût reconquérir son i-ndépendance.
Alors. Jeanne d'Arc apparut , donnant l'essor aux sentiments
d'amour de la patrie, de haine et de vengeance contre la domina-
tion anglaise, de dévouement à la cause royale qui subsistaient
partout. Souvenir infiniment précreux, dont nous devons nous
enorgueillir, comme de tout ce qui rappelle l'héroïne qui porta
si bien l'épée de la France, son nom se rattache intimement à la
délivrance de Melun. Mais hélas! combien sont légères les traces
qu'elle a laissées sur notre sol, les preuves de ses exploits sous
nos murs? J'essaierai cependant de les raviver, pour associer sa
glorieuse mémoire aux traditions de la ville qui nous est si chère :
La levée du siège d'Orléans, et le sacre de Charles VII à
Reims, avaient suscité une explosion de patriotisme, sans autre
précédent en France que l'enthousiasme des Croisades. L'Ile-de-
France s'était soulevée (3), mais plusieurs de ses villes, fortement
(1) Monstrelet. Juvénal-des-Ursins. Rouillard. De Sismondi, etc.
(2) On peut voir, pour le récit du siège, la ciironique de Jehan Juvénal-des-Ur-
sins. Les archives municipales de Melun possèdent plusieurs documents qui s'y rat-
tachent aussi, notamment l'obligation par les principaux bourgeois d'entretenir et
solder les hommes d'armes du capitaine de Barbazan; le dépôt, en garantie d'un
semblable engagement, des vases précieux de l'église Saint-Aspais de Melun, de
la collép'iale de Cham peaux, etc.
(3; De Sismondi. Précis de l'Hàtoire des Français, tome II, page 74.
— 374 —
gardées, avaient dû rester étrangères au mouvement, et de ce
nombre était Melun, dont la situation excitait au plus haut degré
toutes les préoccupations des Anglais. En ce temps, où l'approvi-
sionnement de Paris se faisait par eau, la possession d'une ville
fortifiée, commandant la navigation de la Seine, avait son impor-
tance. Aussi, la garnison y était-elle nombreuse (i).
Une autre circonstance empêcha les Melunais d'imiter les habi-
tants des villes voisines dans leur tentative d'expulser les étran-
gers : — Au moment même où se déclarait cet élan de patrio-
tisme, c'est-à-dire vers le mois d'août 1429, le duc de Betdfort
traversait Melun, à la tête de 10 h 12,000 combattants, pour se
porter à la rencontre de Charles VII, qui était à Provins. Le mo-
narque s'avança lui-même jusqu'à la Motte-Nangis. Mais, ne
jugeant pas prudent d'engager la bataille, le duc, au rapport d'un
chroniqueur contemporain, <( ne l'alla pas trouver et revint à Pa-
ris avec son ost (2). » Ce corps d'armée passant et séjournant
dans nos murs, à deux reprises différentes, fut la cause princi-
pale qui contint les habitants sous le joug des Anglais. Néan-
moins, la haine qu'ils leur portaient et leurs sentiments patrio-
tiques, étaient trop vifs pour que, six mois plus tard, ils laissassent
échapper l'occasion qui s'offrit à eux. Animés d'ailleurs ,de l'ins-
piration produite par le nom et les exploits de la Pucelle, ils
avaient à cœur de participer au mouvement général.
Vers la fête de Pâques 1429 (1430, suivant la chronologie ac-
tuelle), la garnison de Melun, composée de « tout grand nombre
de gens, » dit Alain Chartier, qui nous a conservé ces détails, était
commandée par Dreux de Humicres, au nom de Jean de Luxem-
bourg, gouverneur et capitaine du château, celui-là môme qui
s'empara de Jeanne d'Arc, à Compicgne, et la vendit aux Anglais.
Les vivres commençant à manquer, ou peut-être dans le but de
ravitailler Paris, la garnison, ne laissant au château qu'une di-
zaine de personnes, quitta la ville pour se diriger vers Yèvre,
bourgade du Gâtinais, où elle savait devoir trouver des bes-
tiaux (3).
Dans de telles circonstances, en confiant le soin de sa garde
(1) Alain Chartier. — Sébastien Rouillard. Histoire de Melun, page 561.
(2) Perceval de Caf^ny. Mémoires sur Jeanne d'Arc, i)ui)liés par M. Quichcral.
Tome IV, page 78. — Notre savant confrère, M. F. Bourquelot, rapporte également
ces détails dans son Histoire de Provins, tome 11, pages 80 à 84.
(3) Rouillard, page 561,
— 375 —
personnelle h une population si désireuse de recouvrer ga liberté,
les Anglais commettaient une imprudence qu'ils eurent sans doute
lieu de regretter. On doit croire qu'ils ne l'ignoraient pas, car,
avant leur départ, ils usèrent de ruse pour déterminer les habi-
tants à faire bonne garde, et surtout pour les mettre en suspicion
contrôles troupes de Charles Vil, ou les bandes d'aventuriers qui
tenaient la campagne. Ils publièrent qu'à Pontoise « y avoient
» grand foison de gens d'armes Picards, qui prétendaient venir
» en garnison à Melun, et vouloient estre maistres des gens où
» ils se trouvaient dans les villes, si disoient qu'ils n'y entreroient
n ja (1). » Cet épou vantail demeura sans effet.
Après le départ des troupes, les Melunais n'eurent rien déplus
pressé que de s'emparer des clés de la ville, de fermer les portes,
et d'envoyer « promptement quérir le capitaine de Samois, le
)) commandeur de Giresme, et Messire Denis de Ghailly, qui se
» boutèrent en la ville et en l'isle du Ghastel (2).
A leur retour, les Anglais trouvant les ponts-levis dressés, les
portes closes et les remparts défendus par une garnison nombreuse
et aguerrie, jugèrent prudent de se retirer à Gorbeil, qui était
encore soumis à leur domination. La nouvelle de ces événements
se répandant au loin, ce les gens du roy vinrent au siège de toutes
parts, » rapporte Alain Ghartier, dont je continue à citer les
propres termes, « et ceux de Gorbeil descendirent par la rivière,
» pour y cuider entrer. Et quand ils sçurent que la bataille estoit
n en l'isle du Ghastel, ils s'en retournèrent (3). »
Ce fut dans ces entrefaites que Jeanne d'Arc vint à Melun.
Malgré le silence de Ghartier, il reste constant que l'héroïne fai-
sait partie des gens du roy qui vinrent au siège de toutes parts, peut-
être même des premières troupes amenées par Nicolas de Giresme,
et Denis de Ghailly, tous deux compagnons d'armes de la Pucelle,
(1) Alain Chartier. Rouillard.
(2) Idem. — Monstrelel rapporte ainsi ce fait : « Durant ces tribulations (vers
Pâques 1430), se rendirent en l'obéissance du roy Charles, la ville et chasteau de
Melun, laquelle par avant avoit été baillée en garde au seigneur de Ilumières, qui,
pour l'entretennement d'icelle, y avoit constitué aucuns de ses frères à certain
nombre de gens d'armes; lesquels, par les habitants de ladite ville, en furent dé-
boutés et mis dehorsj dont ledit roy Charles et ceux de son parti furent moult
joyeux, pourtant que par le moyen d'icelle, ils pouvoient par là passer à leur plaisir
par la rivière de Seine; et avecque ce étoit située et assise au plus fort lieu de tout
le pays environ. »
{Chroniques d'Enguerrand de MonMrelet. Édition Buclion, tome V, page 283).
(3) Idem.
— 376 —
dans ses principales entreprises (1). Voici, en effet, plusieurs té-
moignages de ce point si intéressant pour notre histoire locale :
« Après la prise de Ghinon, en 1429, dit un auteur allemand
qui écrivit d'après les chroniques contemporaines, Jehanne se
rendit en toute hâte vers la forteresse de Melun, que les Anglais
assiégeaient avec de grandes forces et qu'elle parvint à déga-
ger (2). » N'est-ce pas là une corrélation des faits rappelés par
Ghartier?
M. de Barante, n'est pas moins explicite dans son Histoire des
ducs de Bourgogne : — (( Le roi, dit-il, envoya toutes ses forces
vers Paris : la Pucelle s'y rendit aussi. Son avis était qu'on ne
pouvait trouver la paix qu'au bout de la lance. Dès que Jeanne et
les secours qu'elle amenait furent arrivés, tout commença à pros-
pérer mieux encore pour les Français. La garnison anglaise de
Gorbeil, et les gens venus de Paris, furent repoussés devant Melun
qu'ils voulaient reprendre (3). »
Du 8 au 15 avril 1430, dit encore un autre historien, Jeanne
combattait pour notre cité, qui, grâce à la courageuse jeune lille,
demeura sous l'obéissance du roi de France (4).
Evidemment, les Anglais ainsi expulsés de Melun tentèrent d'y
rentrer. Peine inutile, la présence de Jeanne d'Arc, inspirant l'en-
thousiasme de ceux qui l'entouraient, et la terreur aux ennemis,
suffit pour déjouer leurs efforts.
Sans autres preuves que les précédentes, la certitude de la
venue de la Pucelle demeurerait acquise à nos chroniques. Mais
Jeanne elle-même nous fournit un document bien autrement pré-
cieux, en ce sens, qu'outre une indication précise, il est particu-
lièrement empreint du merveilleux qui fait le véritable caractère
de sa mission.
Dans son interrogatoire du 10 mars 1430 (1431), le premier qui
l'ut tenu dans sa prison, on lit ce passage ainsi rapporté par
M. Quicherat :
(1) Voir : Le rncit du siège par un hourgeoit d' Orlp'nn<i ; les «lociiments publiés
par MM. Quicherut, Micfiaud, Poujoulat, Guida Gœrres, Michelel, etc., etc.
(2) Guulo Gœrres. Vie de Jehanne d'Arc, d'après les chroniques contemporaines.
Traduction de M. L. Bore. Paris, Didot, 1843, page 284.
(3) Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois. Tome III, page 389.
(4) Histoire de Charles VII, roi de France, et de son époque, \)a.v M. A. Vallet
(de Viriville), tome 11, page 141. — M. Vallet cite pour preuves de son dire : —
Procès, I, H5. Cagny, ibidem, IV, 32. Chasiclain, ibidem, page 441. J. Chartier,
iii-lG. 1, 120, i2'6 et suiv. Monslrelei, chapitres 81, 84.
— 377 —
(( Interroguée s'ello iisL celte saillie du commandement de sa
» voix : respond que en la sepmaine de Pasques dernièrement
» passé, elle estant sur les fossés de Meleun, luy fut dit par ses vois,
» cest assavoir, sainte Katherine et sainte Marguerite qu'elle
» seroit prinse avant qu'il fust la Saint-Jehan, et que ainsi l'aillait
» qu'il fust fait, et qu'elle ne sesbahist, et print tout en gré, et
» que Dieu lui aideroit. »
« Interroguée se, depuis ce lieu de Meleun, luy fut point dit
» par ses dictes vois qu'elle seroit prinse : respond que ouil, par
» plusieurs fois et comme tous les jours (1). »
Cette vision de Jeanne est une des phases les plus importantes
de sa rapide et touchante carrière. A partir de ce jour, sa con-
fiance dans sa mission disparaît ; elle doute de l'avenir et ressent
déjà les atteintes du découragement. — a Depuis ce qu'elle olse
» révélation à Melun qu'elle seroit prinse, dit-elle dans une autre
» séance de son interrogatoire (2), elle se rapporta le plus du faict
» de la guerre à la volonté des capitaines, et toutefois ne leur di-
» soit poin' qu'elle avait révélation de être prinse. »
Qu'il y a loin de cette sombre destinée pi^edite à Melun, aux
rayonnantes apparitions sous l'arbre des Fées de Donremy ! C'est
entre ces deux époques — par la date si proche et par le contraste
si éloigné — qu'il faut placer la plus belle partie d'une admirable
légende qui est cependant une incontestable histoire. Dans la vie
de Jeanne d'Arc, Donremy et Melun sont des points extrêmes
fixés à l'enthousiasme, comme Compiègne et Rouen sont des
termes qu'on dirait marqués par la fatalité. Triste prérogative,
Melun vit briller un dernier reflet de l'inspiration guerrière, qui
devait faire éclore la pensée de la patrie !
Jeanne d'Arc prise, tout retombe, pour quelque temps encore,
(1) M.CCCC.XXX-X. Martii. Prima vice in carcere :
« Interrogata utrum fecit illam salitionem (sa tentative d'évasion à Compiègne)
» de prfficepto vocis suœ : Respondit quod, in septimana Pascliali novissime preete,
» rita, ipsa existente supi^a foisata villœ Meleduni, fuit eidera dictum per voces
» suas, videlicet, per voces sanctarum Katharina et Margaretee, quod ipsa caperetur
» antequam esset festum Beati Jjhannis, et quod ita opportebat fieri; et quod inde
» non obstupesceret sed acciperet gratanter, et quod Deus adjuvaret eam.
» Interrogata an, depost iilum locum de Meleduno, fuerit dictuuine sibi per voces
» suas prœdictas quod ipsa caperetur : re&pondit quod sic, multoliens et quasi quo-
» tidie
» Quicherat. Procès de Jeanne d'Arc. Tome I, pages 114 et 115. »
(2) Notice sur Jecume d'Arc. Nouvelle collection des mémoires pour servir à
l'Histoire de France, par Michaud et Poujoulat. Tome III, page 29.
— 378 —
dans la langueur et !e découragement. Les Anglais s'emparent de
nouveau de notre cité, qui ne peut les chasser définitivement
qu'en juillet 1435, alors que Charles VII, reprenant l'œuvre de la
vierge lorraine, fondait l'unité nationale.
Ainsi se résume, d'après les documents connus, la participation
de la Pucelle d'Orléans, à la délivrance de Melun.
En terminant ces recherches, me sera-t-il permis d'espérer que
le souvenir de la sainte et héroïque jeune fille nous sera restitué et
conservé? Que la Municipalité veuille, et quelque chose sera fait
en mémoire de Jeanne d'Arc. Son nom, qui pourrait être gravé
sur les murs qu'elle défendit, donnerait à Melun ce qui peut-
être lui fait défaut, un peu d'amour, un peu d'orgueil du sol, de
ses traditions, de ses souvenirs. Profit, justice, reconnaissance,
telles seraient la vertu et l'expression de cet acte !
379 —
ACCORD ET DÉLAISSEMENT
DE PLUSIEURS IMMEUBLES PAR MADAME FOUQUET, A DES
CRÉANCIERS PRIVILÉGIÉS.
COMMUNICATION DE M. FÉLIX LAJOYE,
Membre fondateur ( i§ectiora de ]llelun ).
La pièce que j'ai l'honneur de mettre sous vos yeux , donne
des renseignements sur les dépenses faites par M. Pouquet, lors
de la construction de son château de Vaux : J'ai pensé que ce
contrat pouvait vous offrir quelque intérêt et que l'on pouvait vous
le faire connaître : il désigne aussi quelques œuvres qui sont dues
à ses entrepreneurs.
Ce titre notarié est fort long : il contient six rôles minutés : la
lecture qui en serait faite vous serait fastidieuse; j'ai cru devoir
l'abréger le plus possible en en conservant la substance et en sup-
primant les interminables circonlocutions de la pratique.
Je hasarderai quelques observations sur l'appréciation qui me
paraît paradoxale, au sujet d'un écrit attribué au surintendant et
qui ne doit pas lui être donné.
La gérance des biens de M. Fouquet, avait été attribuée à
M™^ Fouquet, non commune en biens avec son mari : mais
M. Salverte, maître des requêtes au Conseil d'État, et intendant
de la finance du roi, à Soissons, avait été désigné pour être son
conseil et son procureur fondé.
Toutes les opérations financières et contractuelles sont donc
faites et autorisées par lui.
Voici l'accord dont il est question :
Par arrêté de la chambre de justice du 19 mai 1673, les créan-
ciers de M. Fouquet, délaissent à M™" Fouquet, les vicomtes de
Melun et de Vaux, et plusieurs autres terres et seigneuries, pour
la somme de 1 ,250 mille francs, sous la promesse qu'elle fait de
payer dans un délai de dix années, les créanciers privilégiés, tou-
tefois après une liquidation contradictoire entre elle et eux, si
— 380 —
mieux n'aiment ceux-ci, prendre dès h présent, des terres ou héri-
tages en paiement et de gré à gré.
Par suite de cet accord et promesse, M. Bergeron, entrepreneur
des bâtiments du roi, en son nom et comme se portant fort des
héritiers de feu Villedot, pour être payés d'une somme de
49,671 francs, à eux adjugée par la chambre de justice du 19 jan-
vier 1669, déclare qu'ils usent du droit d'option et qu'ils pren-
dront des terres au prorata de leur dû, il offre d'en convenir avec
ladite dame Fouquet.
Cette dame confesse qu'il est dû la somme de 49,671 livres,
mais qu'il convient d'en déduire: l"les sommes données à-compte
depuis la détention de M. Fouquet; 2° le prix et estimation du
pavé de marbre du salon et celui du pavé en pierre de Gaen
vestibule du château de A'aux, lesquels pavés restaient à faire
audit château et que lesdits Bergeron et feu Villedot s'étaient
obligés de confectionner suivant l'acte passé devant Bruneau et
Coussinet, le 25 février 1661 ; et enfin, qu'il doit être déduit et
compensé au sieur Bergeron, les dommages et intérêts résultants
de plusieurs poutres cassées, plafonds ruinés et autres défectuo-
sités, qui sont dans la construction dudit château de Vaux, et que
lesdits Bergeron et Villedot sont tenus de garantir par l'acte du
25 février 1661; que ces 'déductions faites, ladite dame déclare
n'avoir moyen de s'empêcher de payer le surplus de ce qui se
trouverait dû par privilège.
Pour se conformer à la demande de garantie formulée par
i|y[me Fouquet, le sieur Bergeron en son nom et en celui des héri-
tiers Villedot, s'engage à parfaire les pavés de marbre et de pierre
de Caen, du château, et modère à 41,749 livres tournois, la de-
mande qu'ils avaient introduite de 49,671 livres : la modération
devra porter d'abord sur les intérêts qui sont exigibles par arrêt
de la chambre de justice, depuis le 21 mai 1663, c'est-à-dire depuis
six années.
Ceci posé et arrêté, M. Bergeron en son nom et en celui des
héritiers Villedot, opte pour pouvoir prendre des biens terriens au
lieu de numéraire, et, d'un commun accord il lui est cédé, trans-
porté et délaissé par M. de Salvertc, procureur fondé de M""" Fou-
quet, les immeubles suivants , savoir :
1" La ferme des Hautes-Loges, à Andrezel, avec ses bâtiments,
jardins et terres labourables, contenant 220 arpents ou plus.
2° La terre et seigneurie de Bouy-le-Neuf, située paroisse de
;j.si —
Brinon-l'Archevêque, en Champagne, consistant en château, parc,
maisons, granges, cour et 228 arpents de terre labourable, bois et
garenne, cens, droits seigneuriaux de haute, moyenne et basse
justice et droits de rivière.
3° La Ferme des Grandes-Maisons, sise en la paroisse du Ghâ-
telet, bâtiments d'exploitation et 200 arpents de terre ou plus.
4° La ferme de Saveteux, même paroisse, avec maison manable,
bâtiments d'exploitation et les bois qui en dépendent.
Ce qui lui est consenti par M. de Salverte et M™ Pouquet
audit nom et enregistré par la chambre de justice.
Une note intéressante est jointe à ces comptes : c'est une quit-
tance ainsi conçue :
Reçu de M. de la Planche, trésorier des bâtiments du roi, neuf
mille huit cent vingt-huit livres, pour le prix détroit cent soixante-
quatre demi-muids de terre de Hollande, qui ont été portés du
château de Vaux aux châteaux de Versailles, pour le service de sa
majesté (janvier 1669).
J'ai essayé d'estimer la différence de valeur qui existe mainte-
nant entre ces immeubles et celle qu'ils avaient le 19 mai 1673.
Voici par approximation, le résultat que l'on peut fixer :
1° La ferme des Hautes-Loges 230,000 fr.
2° La seigneurie de Bouy-le-Neuf : elle a perdu ses
droits seigneuriaux qui lui donnaient de l'impor-
tance alors 60,000 »
3° La ferme des Grandes-Maisons ; elle vient d'être
vendue 140,000 »
4° La ferme et les bois de Saveteux achetés en 1720
neuf mille francs (1) 100,000 »
550,000 fr-
Ces biens ont été délaissés par M."^" Pouquet, pour
quarante-et-un mille sept cent quarante-neuf francs,
ci 41,749 »
Mais la valeur du marc d'argent ayant doublé et plus, depuis
1673, cette somme peut être portée à 140 mille francs de nos
jours.
(1) Suivant contrat passé le 8 avril 1632, avec J.-F. de Gondy, oncle du cardi-
nal de Retz, et premier archevêque de Paris, Louis XIII, achète le vieux château
de Versailles, qu'Albert de Gondy avait acquis des Lomenie, moyennant soixante
mille livres en pièce de 16 sols, qui équivalent à 137 uiilli; francs de nos jours.
— 382 —
Il y aurait donc une plus-Viilue, par approximation actuelle, de
'40O mille francs en\iron.
On voit par le détail de ce délaissement et les délais mis à payer
les intérêts des sommes dues, le peu d'ordre qui existait dans la
comptabilité particulière du surintendant ; le prix d'acquisition des
immeubles qui lui appartiennent n'est pas encore soldé et il est
redu sur chacun d'eux : la même négligence existe de la part des
fermiers dans le paiement des fermages, et cependant il écrit à
Pélisson, je suis sur mon quatorzième million. La construction du
château continuait toujours.
Lorsque Ton examine la beauté de cette habitation et lorsque
l'on réfléchit à la valeur des monnaies à cette époque, l'on eSt ef-
fîrayé de la dépense qu'il a fallu faire pour terminer cette magni-
fique construction : l'on se demande s'il n'est pas juste de croire
que la fortune publique en a fait les freds.
Si l'on considère aussi les richesses amassées par Richelieu et
par Mazarin, et laissées à leur famille, il est facile de se convaincre,
que ^L Fouquet n'avait fait que ce qu'avaient fait ses prédéces-
seurs; seulement, il n'eut ni le génie, ni la fermeté de caractère
de Richelieu, ni l'astucieuse habilité de Mazarin ; ensuite, le
temps avait marché, l'ordre s'était rétabli à peu près partout et
ce que les premiers ministres avaient pu faire impunément dans
ces époques de trouble, ne pouvait plus s'exécuter impunément
alors; en outre, il n'y avait pas chez M. Fouquet, la forte étoffe
de ses prédécesseurs : il ne put maîtriser les événements que son
manque de politique avait souvent fait naître et qu'il ne sut pas
conjurer. Puis, il n'eut pas à faire à un roi timide et indécis
comme Louis XIIL II se heurta tout d'abord à Louis XIV, qui
eut plus que tout autre souverain le sentiment de l'autorité et de sa
dignité, qui voulait être roi par lui-même et qui a été roi soixante
ans.
Le surintendant n'était cependant pas un homme ordinaire :
les historiens et les chroniqueurs lui accordent de brillantes qua-
lités : aux agréments du corps, il joignait, disent-ils, les charmes
de l'esprit, il était l'égal du roi pour les grâces et la distinction :
sa générosité était sans bornes, mais le faste de ses prodigalités et
ses téméraires amours causèrent promptement sa ruine.
— 383 — •
Au mois de septembre 1661, le roi fit un voyage h Nantes:
M"^^ de la Vallière, Golbert et Pouquet l'accompagnaient. Louis
XIV avait cru s'apercevoir que le surintendant avait attiré sur
lui l'attention de M"° de la Vallière : sa perte fut résolue: à l'ar-
rivée à Nantes, le capitaine d'Artagnan l'arrêta au nom du roi.
Il fut transporté au mois d'octobre à Amboise, puis de là à Vin-
cennes, où son procès fut instruit par des commissaires. L'instruc-
tion de ce procès dura longtemps. Il fut condamné à un banisse-
ment perpétuel qui fut commué en un emprisonnement aussi per-
pétuel, pour crime de péculat. Il ne revit plus son château de
Vaux.
Le chapitre que le président Hénault consacre à ce fameux pro-
cès, jette une vive lumière sur cette condamnation, qui eut un
grand retentissement; il prouve que si M. Fouquet eut des torts,
il fut sacrifié aussi à l'implacable haine et à l'ambition de Golbert:
Le roi, dit ce judicieux historien, « fit arrêter à Nantes, le 5
» septembre 1661, M. Fouquet, surintendant des finances, qui
» s'était défait fort imprudemment de sa charge de procureur géné-
» rai au parlement de Paris ; de tant d'amis, Pélisson fut presque
» le seul qui lui resta fidèle. Il fut condamné par des commis-
» saires à un bannissement perpétuel, qui, pour des raisons d'Etat,
» fut changé en une prison pareillement perpétuelle : ce fut dans
» la citadelle de Pignerol qu'il fut enfermé et il y mourut en 1680,
» âgé de 63 ans.
» M. d'Ormesson, conseiller d'Etat, rapporteur au procès,
» résista avec fermeté aux ministres qui voulaient le faire périr :
» M. Fouquet, père du surintendant, s'était fait le même hon-
» neur dans de pareilles circonstances : M. Fouquet, eut pour
» avocat Le Vayer de Varigny, qui composa à cet effet un traité
)) sur le péculat.
» M. Golbert était ami de M"'' de Ghevreuse, qui lui servit
» beaucoup à déterminer la reine-mère à abandonner M. Fouquet.
» Golbert succéda au surintendant dans sa charge de contrôleur
» général, et il entra au conseil. Golbert acheta aussi la charge de
» Duplessis-Guénégaud, qui ayant été compris dans la chambre
» de justice, alors établie contre tous ceux qui avaient eu quelque
» part aux finances, y fut dépouillé de la plus grande partie de
» ses biens et obligé de vendre sa charge. »
Depuis longtemps, Golbert poursuivait de sa haine implacable
le surintendant Fouquet : le délicieux petit cabinet de Vaux, qui
prend ses jours sur les jardins, représente au milieu de peintures
— 381 —
de treilles et de feuillages, la couleuvre (Goluber), armes parlantes
de M. Golbert, poursuivant l'écureuil de Fouquet.
Je vais essayer ici de discuter le singulier plan de révolte et
l'appel à la guerre civile, attribué à M. Fouquet.
Le projet de défense conçu et rédigé par Fouquet, pour le cas ovi
on tenterait de l'arrêter a été apprécié en ces termes : « ce projet,
» loin d'être vague et inoffensif, comme l'ont pensé beaucoup
)) d'historiens qui en ont parlé sans le connaître _ est un plan de
» révolte à main armée, follement, mais nettement combiné. Ce
» n'était rien moins que la guerre civile. »
Cette manière de voir appelle forcément la discussion et le con-
trôle.
Avant que les historiens s'occupassent de ce projet de défense,
les commissaires, c'est-à-dire les juges d'un tribunal exceptionnel,
s'en étaient occupés, eux ; ils avaient dirigé, ces ennemis mortels
de Fouquet, toute la procédure, consulté, fouillé, discuté, tous les
papiers du surintendant aussitôt son arrrestation, et il est bien évi-
dent qu'un pareil écrit et de pareils juges auraient promptement
alors mené Fouquet au fatal billot.
Gomment, en outre^ le surintendant pouvait-il croire qu'il atté-
nuerait ses torts s'il en avait, en excitant à la guerre civile. Il s'en
donnait, au contraire, et des plus sérieusement graves.
Gomment croire aussi que beaucoup d'écrivains qui se sont
occupés de M. Fouquet aient parlé de ce projet sans le connaître,
et que d'autres, l'ayant lu, aient pu le regarder comme vague,
lorsqu'il est nettement combiné, et que d'autres encore considèrent
comme inoffensif un plan de révolte à main armée n'étant rien
moins que la guerre ci'Wle.
Gomment ne vient-il pas, sur le champ, à l'esprit, que cet écrit
est apocryphe, et que pendant la longue instruction du procès, les
impitoyables juges, nommés par les ennemis de Fouquet, ont,
pour les besoins de leur cause, admis dans le dossier, un écrit
compromettant, qui ne viendrait pas de l'accusé, « pour essayer,
comme dit le président Hénault, de le faire périr (1). »
Ce fait de supposition d'un écrit compromettant était venu à
l'esprit d'une personne qui devait s'y connaître : c'est La Fontaine
qui rapporte le fait en ces termes :
(1) La Chambre de justice ne prit pas en considûration cette accusation d'excita-
tion à la guerre civile, puisqu'il n'y eut condaïuualiou que pour lo crime de pé'
culat.
— 385 —
« Jannart (Jean Jeannart), c'était son oncle, Conseiller du Roi,
» substitut du Procureur général au parlement de Paris, avait sol-
» licite le périlleux honneur d'assister de ses conseils madame Fou-
» quet, qui poursuivait alors le redressement d'abus commis dans
)) l'inventaire des papiers de son mari. » Golbert, qui regardait
comme son ennemi personnel quiconque portait intérêt à Fouquet,
obtint aussitôt une lettre de cachet qui exilait Jannart à Limoges,
et La Fontaine voulut partager l'honorable exil de son oncle.
Le projet de révolte armée, qui n'était rien qu'une excitation à
la guerre civile, était peut-être un des abus commis dans les pa-
piers du surintendant, et dont Mme Fouquet demandait le redres-
sement.
Le surintendant, qui avait vu sous ses yeux périr ses amis et
d'illustres contemporains, devait savoir quels étaient les dangers
de la guerre civile, et que même en méprisant ces dangers il fallait
s'appuyer, soit du parti de la noblesse, soit sur le peuple, dont le
parlement était la manifestation.
Mais qu'était donc la noblesse sous le roi Louis XTIT ? elle avait
voulu conspirer, Richelieu y avait mis promptement bon ordre.
Monsieur, frère du roi, trois fois engagé dans des révoltes fac-
tieuses, avait été forcé de quitter trois fois le sol de sa patrie.
Chalais, compromis à son tour, avait été décapité en 1626.
La Reine mère, mêlée à toutes ses brigues, est obligée de se réfu-
gier à Bruxelles. Après avoir erré onze ans, tant en Flandre qu'en
Angleterre, elle meurt le 3 juillet 1642, à Cologne, dans un grenier.
Le 10 mai 1632, le maréchal de Marillac, jugé par des commis-
saires, est décapité.
Le 30 octobre de la même année, Henry de Montmorency, duc,
pair et maréchal de France, a la tête tranchée, à Toulouse, à l'âge
de 37 ans.
Le comte de Moret, fils naturel de Henry IV, et de la demoiselle
de Beuil, disparait au combat de Castelnaudary ; on dit qu'il est
allé se faire ermite.
Cinq-Mars et de Thou sont condamnés à mort, l'un pour avoir
conspiré contre le roi, et l'autre pour n'avoir pas révélé le complot.
La Fronde, malgré les noms du grand Condé et de Turenne,
finit par le ridicule : elle est tuée par des couplets.
Il est probable que M. Fouquet n'avait pas oublié tous ses sup-
plices.
Le Parlement n'offrait pas plus de sécurité et d'appui aux cons-
pirateurs que la noblesse elle-même ; le surintendant aurait pu
25
— 386 —
.compter sur le Parlement de Paris, dont il était procureur géné-
ral, mais il venait de vendre sa charge à prix d'argent.
Il est vrai que cette Compagnie s'était quelquefois montrée très-
arrogante envers Tautorité royale. C'était pendant des minoritées
ou sous des rois débonnaires. Mais lorsque vint un roi jeune, qui
entrait, au retour de la chasse, en la grand'-chambre du parle-
ment, botté, éperonné et le fouet à la main, et qui disait à ses
sujets : « l'État, c'est moi, » il ne restait plus aux mutins qu'une
chose à faire : c'était d'obéir et de se taire.
En 1639, le roi allait avoir sur pied six grandes armées, ce n'é-
tait pas le moment de conspirer.
Louis XIV ne fut pas, au reste, le seul souverain qui ai fait
sentir au parlement la pesanteur de son sceptre (l).
On lit dans le recueil d'Isambert, tome XII, le récit suivant, re-
produit dans l'histoire des résidences royales de la Loire. On va
voir avec quelle hauteur superbe et dédaigneuse les rois traitaient
ces magistrats si fiers de leurs prérogatives.
H II s'agissait de faire ratifier et enregistrer, par le Parlement,
la pragmatique sanction (2) ; celui-ci mettait beaucoup de lenteur à
cette opération, qu'il accueillait avec regret ; enfin, il se décida à
envoyer deux de ses membres, Lyonne et Verjus, porter ses re-
montrances au roi François I", qui était avec la Cour au château
d'Amboise.
» Ils arrivèrent le 14 janvier 1518.
» Le roi les tint six semaines sans les recevoir; enfin, le 18 fé-
vrier, il les fit appeler à l'issue de son dîner, et après leur avoir
prêté quelque attention : « N'avez- vous, leur dit-i], que cela à me
» dire? mon chancefier m'a dit mieux et plus bref; il n'y a qu'un
» roi en France ; ce que j'ai fait en Italie, on ne le défera pas ici ;
» je ne souffrirai pas qu'il s'établisse dans mon royaume un sénat
» comme à Venise.
» Je ne veux plus d'ecclésiastiques dans le parlem.ent (les con-
» seillers clercs) : ces gens s'imaginent qu'à cause de leurs immu-
» nités l'on ne pourrait pas leur couper la tête.
(1) Ce roi, qui frappait souvent fort, savait aussi, frapper juste : témoinla décla-
ration de 1682, qui consacra la victoire de l'autorité administrative sur l'autorité
ecclésiastique, et confirma les propositions de la Sorbonne de 1663.
(2) Quelle singulière affaire que cette pragmatique sanction ! La conclusion en est
encore plus bizarre : les rôles s'intervertissent : le pape, seigneur spirituel, prend le
temporel, et le roi, seigneur temporel, prend le spirituel.
— 387 —
» Portez mes ordres au Parlement, et partez demain au lever
» du soleil. »
» La Loire avait débordé et les chemins étaient devenus impra-
ticables ; les conseillers firent demander un sursis.
» Si demain, dit François, avant six heures, ils ne sont pas
» partis, je les ferai prendre et jeter dans un cul de basse fosse. »
En résumé, il est avéré qu'aux temps où vivait M. Fouquet, on
n'était plus à cette époque où les Guises pouvaient espérer renver-
ser la dynastie des Valois, et monter sur le trône à leur lieu et
place : La Ligue, que dirigeait la maison de Lorraine, n'avait pas
d'autres motifs ; mais tous dangers pour la stabilité du trône de
Louis XIV et de sa dynastie s'étaient évanouis depuis longtemps.
Tout se bornait alors à de misérables intrigues pour supplanter
la favorite ou le ministre du jour.
En outre, les mœurs douces, faciles et élégantes du surinten-
dant, 'la légèreté et la frivolité de son existence ; le dévoûment que
lui témoignèrent madame de Sévigné et madame de Maintenon
elle-même ; l'amitié si touchante de Lafontaine et de Pelisson ;
l'intérêt qui s'attacha malgré tout à son nom ; les triomphes que lui
prodiguaient les populations des pays qu'il traversa, lorsqu'on le
transféra àPignerol, la restitution de ses biens, les hautes dignités
de l'État dont ses fils et petits-fils furent revêtus, ne légitiment
pas de si grandes accusations.
En digne commis de Mazarin, qui touchait sans contrôle les re-
venus de l'État et en rendait seulement quelque chose au roi son
maître, M. Fouquet, qui le remplaça, dilapida le trésor public ; il
fut, c'est très-possible, l'amant imprudent de la maîtresse du roi,
mais il est peu probable qu'il ait légué, par testament, à ses
compatriotes, les horreurs de la guerre civile, et le renversement
de la dynastie de Louis XIV.
— 389 —
NOTES SUR CRÈVECOEUR ET BECOISEAU,
PAR M. LEMAIRE,
Membre titulaire (S»oction de Meliin).
Il existe, dans notre antique pays de Brie, une petite localité
bien humble, bien modeste, qui se dérobe à tous les regards en se
cachant au milieu des bois et des broussailles, dont elle semble
s'être fait un nid.
Ce tout petit endroit est le village de Grèvecœur, l'une des nom-
breuses communes du canton de Rozoy ; il se trouve à l'entrée de
la forêt de Grécy, dans l'un de ses angles de la partie sud. Il doit
être fort ancien, car on trouve dans le recueil des Olim (anciens
registres du parlement de Paris) une démonstration ou aveu fait
en 1270, par les gens du roi de Navarre, comte de Champagne et
de Brie, portant : « Ne monstrèrent pas les gens li roi de Navarre,
» Crécy ne la chastelerie, ne les fores de Crèvecœur, qui sont de la
» chastelerie, lesquiex choses sont totes d'où fié le devant dit roi
» de Navarre. »
Crèvecœur possède, d'après l'arpentage fait en 1787, en vertu
d'une ordonnance de l'intendant de la Généralité de Paris, un ter-
ritoire de 2,521 arpents 34 perches à 18 pieds 4 pouces pour perche,
ou 1,7S0 arpents 35 perches, mesure de roi, et suivant le cadastre
exécuté en 1831, 919 hectares.
Sa population n'a jamais dû être bien considérable, si l'on en
juge par le peu d'étendue du village, et cette population semble
s'amoindrir encore à chaque période quinquennale du recense-
ment. Si elle paraît vouloir se relever un peu, on la voit s'abaisser
de suite. En effet, d'après le recensement prescrit par le décret du
22 floréal an II (11 mai 1794), pour ia formation d'un livre de la
bienfaisance nationale, Crèvecœur possédait 189 habitants ; en
1819, 201 ; en 1825, 205 ; en 1831, 200; en 1836, 232; en 1841,
230; en 1846, 171 ; en 1851, 156; en 1856, 148; en 1861, 161;
enfin le dernier recensement porte 147 seulement, dont 99 pour
le chef-lieu de la commune, et le surplus pour les hameaux, fermes
ou maisons isolées qui en dépendent.
Grèvecœur relevait et relève encore du diocèse de Meaux, la cure
— 390 —
était à la collection de l'évêque , et l'église avait pour patron saint
Jean-Baptiste.
La paroisse ressortissait h la généralité de Paris, élection et
subdélégation de Rozoy; grenier à sel de Pontenay, maîtrise des
eaux et forêts de Grécy, comme dépendant du comté de ce nom,
qui appartenait au roi et suivait tout naturellement le sort du do-
maine principal, c'est-à-dire que si Grécy était cédé à titre d'enga-
gement , Grèvecœur l'était aussi, et par conséquent rentrait dans
la main du roi lorsqu'il y avait lieu à retrait aux termes des con-
trats d'engagements. La seigneurie avait droit de haute, moyenne
et basse justice. Le roi était représenté par un prévôt dont il se
réservait la nomination, et qui se trouvait indépendant du bailli
de Meaux, dont la juridiction s'étendait cependant fort loin, puis-
qu'elle comprenait Provins, Bray et Montereau.
Le droit de censive se percevait à raison de 6 deniers tournois
par arpent. Le roi avait, en outre, un droit de bourgeoisie et un
droit de feu applicables à certaines maisons seulement. On trouve,
dans un compte de recettes et dépenses rendu en 16^0, par Péron
Ghalemot, receveur du domaine de Grécy, que les censitaires de la
seigneurie de Grèvecœur étaient au nombre de 29 résidants, plus
le curé et les marguilliers représentant la fabrique de l'église pa-
roissiale, et 21 habitant Maries et La Houssaye. Parmi les rési-
dants, quatre occupaient Grosbois, et un seul Gourtesoupe.
Si l'on compte cinq personnes par famille, on aura 146 habi-
tants, plus le curi', ce qui forme juste la population actuelle. Les
redevances payées au seigneur s'élevaient, en totalité, d'après le
compte de l'année 1620, à 168 sols 7 deniers.
Parmi les censitaires de la seigneurie on ne voit guère, en 1620,
comme notable habitant, que « messire Gharles Deraonceau, che-
)) valier, seigneur de Visines, possesseur d'un logis qui consiste
» en deux corps d'hôtel, écuries, bergeries, granges, ostables,
)) haulte et basse cours ; le tout clos et fermé de murailles et de
» deux grandes portes, y ayant quatre tours aux quatre coins des-
» dits logis ; avec les jardins clos de murailles, de hayes vives et
» d'un fossé, formant en fonds de terre trois arpents ou environ ;
» tenant la totalité d'une part à la rue qui conduit à Rozoy,
» d'autre part à la rue de La Houssaye, d'un bout à la même
)» rue, et par derrière aux terres labourables du déclarant (1). »
Plus loin on trouve, comme riverain des héritages du M. Demon-
(1) L'haliitalion décrite dans ce paragraphe n'existe plus. Voir le plan cadastral.
•— 391 —
ceau, Nicolas Séguier, correcteur eu la Chambre des Comptes.
Au mois de mai 1704, une autre notabilité, messire Gaston de
La Framboisière, sieur de Saveilly, est mort à Crèvecœur où il
demeurait.
Le curé recevait du roi ou du seigneur engagiste de Crécy, h
titre de fief et aumône, une rente de 4 muids 4 setiers de grain
sur le moulin de Prémol, paroisse de Guérard (1).
J'ai comparé les noms des familles qui habitaient Crèvecœur en
1620, avec ceux inscrits aux états de sections établis en 1831, et
j'ai pu me rendre compte qu'un seul de ces noms se retrouve dans
les deux documents consultés : c'est celui de Ledoux, qui est inscrit
en tête des censitaires de la seigneurie.
Ainsi, en 211 ans, à l'exception d'un seul, tous les noms du lieu
ont disparu.
Si la pauvre petite bourgade qui m'occupe est sans importance
et oubliée depuis plus de 400 ans, il n'en a pas toujours été ainsi :
elle a dû voir s'accomplir de terribles exploits guerriers, tant de
la part des troupes commises à sa garde, que de celles intéressées
à sa destruction.
En effet, elle s'abritait à l'ombre d'une de ces nombreuses
maisons fortes, répandues non-seulement dans nos plaines, mais
jusque sur les lisières de nos forêts. Que de peines et de misères
n'ont pas eu à souffrir les malheureux habitants pendant les
sièges mis devant les châteaux sous la protection desquels ils
étaient venus se réfugier ! Qui pourrait dire aujourd'hui combien
de fois la population de Crèvecœur a dû être détruite entièrement,
depuis la fondation de sa forteresse jusqu'à sa destruction, re-
montant à l'époque où les Anglais venaient de porter, pour la
dernière foiS;, le fer et la flamme dans nos contrées, c'est-à-dire de
1430 à 1436. Epoque néfaste s'il en fût, car il arrivait souvent que
des commissaires royaux envoyés dans la Brie et dans le Gâtinais,
pour y faire certaines enquêtes, ne trouvaient plus dans les lieux
qu'ils avaient à explorer, aucun habitant pour obtenir les rensei-
gnements dont ils avaient besoin ; sans parler des guerres san-
glantes suscitées plus tard par les Valois, sous prétextes d'exter-
mination des réformés, qui, à l'occasion, le leur rendaient bien.
Ainsi pendant cinquante ans encore les pays qui nous environnent
(1) La mesure en grain du domaine de Crécy avait pour unité le muid équivalant
à 12 setiers et 2 mines;.la mine valait 2 ininots; le minot, 2 bicbels uu iioisseaux;
ce dernier était de 6 pintes 1;2, soit 10 litres 739 millièmes.
-- 392 ~
ont été sillonnés par les troupes royales, par celles des princes,
misérables ambitieux qui n'avaient qu'un but, celui de s'emparer
du trône, et encore par les mercenaires que les partis belligérents
appelaient à leur aide pour ravager plus sûrement les provinces
qu'ils parcouraient en tous sens et presque sans interruption.
Les restes considérables du château de Crèvecœur, font con-
cevoir, sans peine, quel acharnement défenseurs et assaillants de-
vaient apporter dans la défense et dans l'attaque.
Ce château se compose encore maintenant d'un énorme massif
de maçonnerie, d'environ 55 mètres de longueur sur une largeur
moyenne de 47 mètres, défendu par des tours placées aux angles.
Autour de ce massif semble avoir régné un chemin de ronde,
ensuite duquel était, sans doute, une muraille appuyée aussi sur
des tours. Venait enfin un tossé rempli d'eau, large et profond,
qu'il fallait combler et franchir pour arriver au pied du premier
mur. Si j'osais avancer ici une hypothèse, je dirais qu'à une dis-
tance qui varie d'environ 25 à 60 mètres de ce fossé, on devait en
trouver un autre enveloppant le tout, et qui pouvait servir à la
défense des tronpes campées près du château pour le couvrir ;
mais il est positif qu'une seconde enceinte, sinon une troisième,
garantissait le village lui-même, et sa petite église située au nord
du château, en face du pont-levis, tout près du dernier fossé qu'on
distingue encore parfaitement dans presque toute son étendue.
On ne se douterait guère, en voyant ces ruines, qu'elles ont
servi de résidence royale ; pourtant il en est ainsi, car on lit dans
le recueil des ordonnances des rois de France, qu'en avril 1349,
Philippe VI, étant à Crèvecœur en Brie, signe des lettres patentes
ordonnant que l'abbaye de Saint-Mesmin (Loiret), placée sous la
sauvegarde royale, aura le bailli de Chartres pour gardien.
En septembre 1219, Hugues de Châtillon rendait foi et hom-
mage pour les forteresses de Crécy, Crèvecœur, Moressart et
Villeneuve-le-Comte dépendant de sa châLellcnie de Crécy , ù,
Blanche, comtesse de Troj'es, femme de Thibault V et mère de
Thibault VI, le posthume ou le chansonnier, devenu roi de Na-
varre du chef de sa mère.
C'est ce même Hugues de Châtillon et Guy, son frère, qui, par
un acte daté de Crécy, en mars 1220 (1221), ont fondé la chapelle
du château do Crèvecœur. Ils la dotèrent de diverses rentes en
nature h prendre dans leur mensc de Crécy, d'un arpcnl de vigne
au territoire de Crèvecœur et de quelque argent, monnaie de Pro-
vins.
PL. VU.
Plan d\i village et du Château de Crevec<cur en Brie,
J-Bevarenne
JmpXemercier & C^.Pâns
— 393 —
Après 1340. Crécy, Goulommiers, Becoiseau et le lieu dont je
m'occupe, passèrent à Blanche, fille de Charles IV le Bel, et de
Jeanne, fille de Louis de France, comte d'Evreux, — née le 1" avril
1328, deux mois après la mort de son père, et mariée le 13 jan-
vier 1345, à Philippe de France, duc d'Orléans, fils puîné de
Philippe de Valois et de Jeanne^ fille de Robert II, duc de Bour-
gogne.
Jeanne d'Evreux ne conservait plus, sur ces domaines, que la
jurée, droit que payaient annuellement à leurs seigneurs, les
bourgeois, pour cause d'affranchissement, afin d'obtenir justice en
cas de procès.
Le 25 janvier 1367, le duc d'Orléans consentit à la donation que
sa femme voulait faire au roi Charles V, de ses terres de Crécy,
Goulommiers et Crèvecœur (1). Cette donation a été réalisée le
jeudi 3 juillet 1371.
A diverses époques on a trouvé, soit sur le massif ou motte du
château de Crèvecœur, soit aux abords, une masse considérable
d'étriers, des ustensiles de cuisine et un vase en bronze qui sert,
depuis longues années, de bénitier portatif.
Je dois ces derniers renseignements à M. Ledoux, maire de la
commune pendant plus de trente ans.
J'ajouterai, d'après cet estimable fonctionnaire, que le château
se ramifiait à celui de la Malmaison, au territoire de Guérard, par
un souterrain dont l'une des ouvertures serait sous l'église de
Crèvecœur. M. Ledoux m'a affirmé être descendu à l'âge de douze
à treize ans dans ce souterrain , mais qu'ayant rencontré des
obstacles causés sans doute par un éboulement, et saisi d'ail-
leurs par une panique puérile, il s'était hâté de remonter au grand
jour.
Pour moi, je ne crois guère à ces ramifications de château à
château, attendu que si l'on s'en rapportait aux traditions, il n'y
aurait pas eu deux forteresses voisines qui ne fussent dans le
même cas; je suis convaincu que si, contre toute vraisemblance,
Crèvecœur était relié de la sorte à un château du voisinage, ce se-
rait plutôt à celui de Becoiseau, situé au bas du village de Mort-
cerf, autrefois Moressart, qu'à celui de la Malmaison.
(1) Des titres relatifs au comté de Crécy et aux terres de sa dépendance, existent
aux archives de l'Empire, sous h'n cotes P. 20, 27 à 29, 91, 204 et 2,198. On y trouve
notamment des procès-verbaux du xvi^ siècle, portant estimation de tous les bien
de la chàtellenie.
— 394 —
Si on m'en demandait la raison je répondrais : Crèvecœur est
plus près de Becoiseau que de la Malmaison, et d'ailleurs j'ai
remarqué à Becoiseau, des détails de construction parfaitement
identiques à ceux que je venais d'observer à Crèvecœur. Ces dé-
tails consistent dans la forme de certaines voûtes très-basses,
très-rapprochées l'une de l'autre et donnant (dans le dernier lieu
au moins) sur une galerie de même hauteur également voûtée.
Quant à déterminer l'usage de ces voûtes, je ne l'essaierai
point, tout en regrettant de ne pouvoir pas même établir de con-
jectures à ce sujet.
J'ai avancé plus haut que la destruction du château dont je
m'occupe, devait être attribuée aux Anglais, voici sur quoi je me
fonde : j° à l'époque de leur invasion, le château était assez im-
portant pour que la garde en soit confiée à des hommes de valeur;
on remarque parmi les anciens gouverneurs : Robert de Ver-
sailles, capitaine-iliàtelain de Crèvecœur-en-Brie ^ remplacé le 11 no-
vembre 1415, par Eustache de Gaucourt, dit Tassin, seigneur de
Viry, chambellan du roi, grand fauconnier de France, mort
en 1415; — François de L'Hôpital, seigneur de Soisy-aux-Loges,
vulgairement Choisy(l), remplacé le 10 octobre 1416, par Jacques
Lempereur, écuyer, auquel succéda, le 29 juillet 1418, Guillaume
d'Orgemont, trésorier des guerres et conseiller au grand Conseil,
seigneur de Méry-sur-Oise, mort en 1421, et qui a été enterré
dans l'église des Augustins de Pomponne.
Il est regretter que cette liste n'ait pu être continuée jusqu'en
1430, époque présumée de la ruine de Crèvecœur.
2° Dans un extrait des comptes du domaine de Crécy, on lit ce
qui suit : « Des cens en grains dus chacun an à Crèvecœur, au
» jour saint Martin d'hiver, qui souloient valoir 6 setiers de blé,
» néant, parce que longtemps y a que le chastel et la ville de Crè-
» vocœur sont en ruines et de nulle valeur, et n'y demeure per-
» sonne, comme appert par semblable partie de comptes précé-
» dents, et par le premier article du cahier de non-valeurs audit
(1) Ce François de L'Hôpital était le second fils de Jeiian de L'Hôpital, clerc des
arbalétriers, seif^neiir de Matignon et d'Ozouer-le-Yoïilgis, naturalisé par lettres du
26 seplepibre 1349. H obtint de Charles V, alors régent du royannie, au mois d'août
1358, la terre et seigneurie des Alleux eu Pallnel (Picardie), mouvant du cluiteau de
Crèvecœur en Brie, en échange d'une rente de 200 livres à prendre sur le Trésor
royal. — Le capitaine de Crèvecœur recevait pour ses gages annuels 100 livres tour-
nois. Celui de Crécy ne touchait que 50 livres. (Ordonnance de Charles VI, sur la
police du royaume. Paris, 25 mai 1413).
— 395 —
)) Crécy, rendu sur le compte de l'année finie à la Magdeleine
» 4487. » Cette note ou son équivalent, se trouve reproduite dans
le compte de 1610, cité plus haut.
Si en l-i87, il y avait déjà longtemps que Grèvecœur était ruiné,
il n'y a rien d'exagéré à faire remonter sa destruction à l'année 1430.
Si la France a été constamment agitée depuis l'expulsion des
Anglais jusqu'à la mort, arrivée en 1461, de celui qui laissa
lâchement assassiner l'héroïne de Domremy, plus tard et pendant
tout le règne de Louis XI son fils, d'astucieuse mémoire, —
nous ne voyons pas que la Brie ait été en proie à de nouvelles dé-
vastations, comme le midi et le centre de la France, la Norman-
die, la Flandre, la Picardie, la Bourgogne, le Gâtinais et même
le Hurepoix , c'est-à-dire toutes les provinces qui nous entourent.
On peut donc encore conjecturer de là, sans crainte de se tromper,
que Grèvecœur a bien été ruiné par les troupes anglaises, et que
depuis leur retraite (1453) jusqu'à ce jour, la forteresse dont je
viens de m'occuper ne fit que dépérir, d'autant que ses murs
servent de carrière pour les nouvelles constructions du pays ,
constructions assez rares du reste.
En 1831, le cadastre de Grèvecœur a été opéré; le château et ses
fossés inscrits sous les numéros 277 et 278 de la section B, appar-
tenaient au sieur Armand Beaudoin, cultivateur. Gomment cette
partie du domaine royal est-elle passée aux mains d'un particulier?
Rien ne l'indique. En effet, les restes de ce château n'ont pas été
vendus nationalement, et lorsque le 6 floréal an XI, le Commis-
saire nommé par le Préfet de Seine-et-Marne s'est présenté dans
la commune, à l'effet de procéder à l'estimation des propriétés na-
tionales à vendre, l'adjoint au maire, en l'absence de celui-ci, a
déclaré qu'il n'y avait dans la localité aucun bien tombant sous
l'application de la loi. Gela laisse supposer avec quelque raison
que le vieux château de Grèvecœur a dû être vendu par le comte
d'Eu (1), échangiste du comté de Grécy, contre la principauté de
(1) Louis-Charles de Bourbon, comte d'Eu, né le 15 octobre 1701, mort le 13
juillet 1773, était fils de Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, prince légitimé
de France, né à Versailles le 31 mars 1670, mort le 14 mai 1736. Ce dernier était
le second fils de Louis XIV et de Mme de Montespau.
Le comte d'Ru, après avoir été autorisé à porter le surnom de Bourbon (janvier
1680), fut déclaré prince souverain de Bombes, avec tous les anciens privilèges
attachés à la terre. (Février 1681.)
Lorsque Mlle de Montpensier négocia la mise en liberté de Lauzun, elle dut, entre
autres conditions qui lui furent imposées, faire l'abaïuion au duc du Maine, du
comté d'Eu et de la principauté de Dombes, valant ensemble 200,000 livres de rente.
— 396 —
Dombes (1762), ou par le duc de Penthièvre (t), son cousin-ger-
main et son héritier.
Le territoire de Grèvecœur comprenait , outre la seigneurie
principale : 1° le fief de Baloquin, appartenant en 1665 à dame
Marie d'Anneau, veuve de noble homme Etienne Stample, méde-
cin ordinaire de feu S. A. R. (frère du Roi?) ; 2° le fief de Beau-
regard, comprenant le château de ce nom, possédé en 1560 par
Jean Vinchet, secrétaire du Roi; en 1595-1604, par demoiselle
Antoinette d'Aumale, veuve d'Antoine de Ligny, premier écuyer
du prince de Gondé, et en 1665, par messire Pierre Poncher,
écuyer, tous qualifiés sieurs de Beauregard.
J'ai prononcé le nom de Becoiseau : je demanderai la permis-
sion d'ajouter ici les renseignements recueillis sur cette ancienne
demeure féodale, devenue la propriété de l'un de nos honorables
députés, M. J.-B. Josseau, qui s'est créé une habitation remar-
quable et de très-beaux jardins sur des ruines, tout en donnant
à ces superbes restes un aspect des plus pittoresques.
Voici ce que j'écrivais dans le cours de l'année dernière :
(( Le château de Becoiseau est très-probablement (avec celui de
Grèvecœur) l'un des plus anciens de la Brie, bien que sa cons-
truction soit attribuée à la reine Blanche, mère de Louis IX. »
« Ce qui paraît positif, c'est que Becoiseau appartenait aux
comtes de Grécy des la plus haute origine, et que ces comtes
étant seigneurs de Moressart ou Mortcerf, il est présumable que
ce sont eux qui firent édifier le château et la chapelle de Notre-
Dame de Lorette en dépendant, dont ils restèrent toujours col-
lateurs. Ges fondations peuvent remonter au-delà du xiii'' siècle,
car un titre de l'an 1217 lait mention de cette chapelle, sous le
nom de chapelle de Mortcerf, — localité qui venait d'être érigée
en paroisse. »
« Dom Toussaint Du Plessis, le savant bénédictin, dit dans son
histoire de l'église do Meaux, tome I", page 267 : — « A Mores-
» sart, il y a, au château royal de Bec-Oiseau qui tombe on ruines,
)) la chapelle Notre-Dame de Lorette à la nomination du Roi. »
Gette chapelle, d'un très-modique revenu, fut unie par décret de
l'évoque de Meaux (Mgr de La Roche de Fontenille), en date du
(1) Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, dernier héritier des fils de
Louis XIV, légitimés de France, est né à Rambouillet le 16 novembre 1725. Il était
issu du mariage du comte de Toulouse et de Mme Marie-Victoire-Sophie de
Noailles, avant veuve de M. de Goudrin.
— 397 —
2 janvier 1732, aux prébendes de l'église collégiale Saint-Georges
de Grécy. »
« Il est donc à présumer que Becoiseau eut pour possesseurs et
pour hôtes les mêmes comtes que le château de Grécy. Gomme ce-
lui-ci. il devint château royal par suite du mariage de Jeanne de
Navarre avec Philippe IV (le Bel). D'après l'abbé Lebœuf, ce roi,
au retour d'un voyage en Ghampagne, s'arrêta pendant quatre
jours (du dimanche 47 au mercredi 20 novembre 1308), à son
château de Becoisea.u{Becum-Avis); le 22 du même mois on le ren-
contre au château du Vivier, près Ghaumes. Gharles-le-Bel, au
mois d'août 1326, — Philippe VI de Valois, le 30 août 1330
et au mois de juin 1341, ainsi que Jeanne d'Évreux, veuve de
Gharles IV, de 1338 à 1349, datent de Becoiseau {Becoisellum villa
regia in sylva Grisiasensi in pagus Briegio) plusieurs lettres, titres
ou ordonnances qu'on retrouve, en partie, dans la collection des
ordonnances des rois de France. »
(( Le roi Jean II (le Bon), était à Becoiseau au mois de janvier
13S0; c'est de cette résidence qu'il rendit, le 21 du même mois,
son ordonnance sur les monnaies, et d'où il alla visiter le seigneur
d' Aigrefin ou des Aigrefins, dans la forêt de Grécy, au territoire
de Neufmoutiers, à une lieue de Becoiseau. »
« En 1645, par lettres patentes du 12 janvier, le domaine de
Grécy (et sans doute ses dépendances) fut donné par Louis XI à
Antoine de Ghabannes, comte de Dammartin, qui, en 1428, avait
partagé les exploits de Jeanne Darc. A la mort du comte de Dam-
martin, Grécy fit retour à la Gouronne, et depuis il fut presque
toujours tenu à titre d'engagement jusqu'à l'époque où le roi
Louis XV en fit l'échange avec le comte d'Eu, contre sa princi-
pauté de Dombes, par acte du 19 mars 1762.
» Dans la nuit du 4 au 5 janvier 1594, le sieur de Maulny qui
» avait autrefois servi le Roi, et qui, depuis peu, avait pris parti
» pour les ligueurs, s'empara du château de Becoiseau, sur la pa-
» roisse de Mauressart (1). d
« Au xv!!!*^ siècle, ce château, alors démantelé, une ferme qui
s'y trouvait jointe et un étang qui en dépendait, étaient loués par
le seigneur engagiste du comté de Grécy à divers particuliers de
Mortcerf.
') Avant cette époque le revenu était de nulle valeur, ainsi qu'on
(1) Toussaint Du Plessis. Histoire de l'église de Meaux; tome I, page 417,
§ CXXXVlllj d'après le manuscrit de Lenfant, déposé actuellement à la bibliothèque
publique de Meaux.
— 398 —
le peut voir par un compte du domaine de Grécy, portant : « Ter-
)) rages de Bec, échéant le jour Saint-Martin, mais non perçus de
)) longtemps, les biens sur lesquels ils étaient dus étant en haut
» bois. »
« Becoiseau avait été érigé en capitainerie suivant ce qui résulte
d'une déclaration fournie au terrier de l'église Saint-Pierre de Pro-
vins, par « Gaspard Boutonnet, garde à cheval des plaisirs du Roi
» en sa capitainerie de Becoiseau, paroisse de Mortcerf, demeu-
» rant à Chenoise, détenteur d'une portion de la maison oii pend
» pour enseigne l' Image Saint-Pierre, sise en la rue du Murot
» (1) » — (1662-1666.)
En réponse à une question de M. Josseau, j'ajoutais :
« Quant aux souterrains qui auraient joint Becoiseau à d'autres
forts, notamment à la Malmaison et à Crèvecœur, la tradition en
fait mention comme de chose certaine (2). (Voir ce qui a été dit à
ce sujet, page 393).
» Pour s'assurer d'un fait qui n'est pas sans intérêt pour l'his-
toire locale, il serait à désirer qu'on pratiquât vers le nord, une
tranchée parallèle et au-delà du fossé d'enceinte de Crèvecœur. »
Si le résultat était satisfaisant, on pourrait alors chercher à re-
connaître, autant que possible, la direction du ou des souterrains,
et au moyen de sondages faits de distances à autres, on arriverait
à se guider d'une manière à peu près certaine.
Le domaine de Becoiseau a été vendu en exécution des lois
sur les biens devenus nationaux. Adjugé le 4 messidor an VI
(22 juin 1798), au citoyen Pierre-Honoré Barbereau, homme de
loi, demeurant à Melun, celui-ci en a fait déclaration de command
au profit du citoyen Jean-Baptiste Beaujot, chaufournier à Mort-
cerf. Le montant de l'adjudication était de 310,000 fr. sur la mise
à prix de 13,563 fr. 75 c. et après estimation s'élevant à 40,012
livres 10 sous. (3)
Ce domaine appartenait au moment de la vente faite au nom de
la République, par l'administration du département de Seine-et-
Marne, à madame Louise-Marie- Adélaïde de Bourbon-Penthièvre,
veuve de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans, duc d'Orléans, (Phi-
lippe-Egahté) déportée conformément à la loi du 19 fructidor
an VL
(1) Archives de Seine-et-Marne, série G, w" 33G, fol. 78, v°.
(2) M. le docteur Robillard, dans sa notice sur Crécy, écrite en 1852, dit avoir
parcouru la partie accessible du souterrain qui reliait Crèvecœur à Becoiseau.
(3) Archives départementale», acte numéroté 65 F. 2.
— 399 —
La désignation suivante, extraite du procès-verbal d'expertise,
pourra donner une faible idée de l'importance qu'a eue la for-
teresse de Becoiseau :
Art. i. — A l'entrée de la cour, à droite du couchant, est une
tour de 24 pieds de diamètre sur 30 de hauteur, sans plancher ni
couverture.
Art. 2. — Attenant la dite tour est un grand corps de logis de
80 pieds de long, 24 pieds de costière et 25 pieds de large dans
œuvre; les pignons en costière ont 3 pieds 1/2 d'épaisse;ir.
Art. 3. — A gauche de l'entrée de la dite cour m\ une tour pa-
rallèle à la précédente, étant dans son entier, avec créneaux et cou-
verte. Elle a 48 pieds de hauteur. Un escalier pratiqué dans l'inté-
rieur dessert les chambres et greniers d'un corps de logis y tenant.
Art. 4. — Sur la ligne de l'article 2, sont d'anciens vestiges de
bâtiments d'une longueur de 956 pieds, dont les murailles de 6
pieds de hauteur, servent de clôture à un jardin potager.
Art. 5. — Attenant l'article ci-dessus, est un pignon dans tout
son entier, d'environ 48 pieds de hauteur, sur 30 de face et 3 1/2
d'épaisseur, contre lequel est adossé un bâtiment servant de
grange.
Art. 6. — Tenant à cette grange sont des anciens vestiges de
costières d'un grand corps de logis, bordant au midi un ancien
fossé, du septentrion la cour, du levant un ancien pignon existant
dans toute sa hauteur.
Art. 7. — Près d'iceux et séparé par un ancien fossé sont des
vestiges de bâtiments faisant face au levant et au midi , contenant
48 pieds de long, 28 de large, et 24 de hauteur, sur 3 pieds 1/2
d'épaisseur.
Art. 8. — Attenant, et du côté du nord, il existe une pointe de
pignon dans laquelle sont 3 ouvertures d'une porte cintrée, et 2 fe-
nêtres également cintrées. Ce pignon est d'une hauteur de 48 à 50
pieds, il a 23 pieds de face et 3 pieds 1/2 d'épaisseur, avec une tour
de même hauteur y tenant , et ayant 14 à 15 pieds de diamètre,
etc. (1)
L'enclos de Becoiseau avec l'emplacement des bâtiments, anciens
vestiges, fossés et cours, contient 13 arpents 73 perches à la me-
sure de 18 pieds pour perche et 100 perches pour arpent, soit en
mesures nouvelles 4 hectares 70 ares.
(1) La simple inspection de ces restes fait reconnaître qu'ils ont appartenu à la
chapelle du château.
— 401 —
ICONOGRAPHIE DE BRIE-COMTE-ROBERT
ET DES LOCALITÉS VOISINES,
PAU M. CAMILLE BERNARDIN,
Membre fondateur (Section do Mclun).
Cemmunication faite à la Section de Melnn, de Portraits, Vues, Flans,
Dessins, Armoiries,
reoueillis sur la ville de Brle-Comte-Robert et ses anciennes mouvances féodales.
i. Costume des filles de la Croix de Brie-Comte-Robert.
2. Gravure concernant la Confrérie du Saint-Sacrement, établie
en l'église Saint-Étienne de Brie. — La planche a été gravée
en 4766 des deniers de cette Confrérie.
3. Gravure représentant le baron de Besenval conduit dans le
vieux château-fort de Brie-Comte-Robert, le 10 août 1789.
4. Reproduction de la gravure représentant une vue de la tour
Saint-Jean du vieux château de Brie-Comte-Robert (1835).
5. Reproduction au crayon de deux ogives de l'ancienne cha-
pelle Saint-Éloi de l'Hôtel- Dieu de Brie-Comte-Robert (monument
historique).
6. Dessins au crayon représentant Louis, duc d'Orléans, comte
d'Angoulême, Jean d'Orléans, comte d'Angoulême, et Philippe
Chabot, amiral de France, tous trois seigneurs de Brie.
7. Reproduction à l'encre des ciselures , figurées au fond de
deux plats en étain, appartenant à la compagnie des arquebusiers
de Brie-Comte-Robert en 1719 et 1722.
8. Esquisse de la maladrerie de Saint-Lazare de Brie-Comte-
Robert.
9. Dessin au crayon représentant une tour de l'ancien château
deTournan.
10. Plan et devis de la porte de ville de Brie, dite du beau
Guillaume, 1776.
11. Plans relatifs à la grande route de Provins, traversant la
ville de Brie, 1730.
26
— -402 •
12. Élévation de l'ancienne chapelle Saint-Éloi de l'Hôtel-Dieu
de Brie-Gomte-Robert, 1715.
13. Plan de la propriété des religieux Minimes de Brie, 1779.
14. Plan concernant la grange dixmeresse de Brie-Gomte-Ro-
bert (sans date).
15. Élévation de la propriété des Carmes déchaussés à Brie-
Gomte-Robert (sans date).
16. Plan de la seigneurie de Goubert et la Grange-Leroy.
17. Plan de Grisy, le Ménil, Meunière, Villemain, Gherelle et
la Blanchardière.
18. Plans des fiefs de Villiers, Servolles, les Quins et Villepa-
tour.
19. Plans des fiels de Gourquetaine et Montgazon.
20. Plans des fiefs de Montétis, les Agneaux et la Grande-
Romaine.
21. Plans des fiefs deLésigny, Perrolles, la Jonchère, SousGar-
rière, Villarceaux, Maison-Blanche, la Petite-Romaine, et des
ruines de la Ménagerie.
22. Plan de l'ancien château de Brie, en 1810.
23. Plan général de la ville do Brie, antérieur à 1789.
24. Plan du moulin seigneurial de Gornillau, en 1736.
25. Plan du 3 brumaire an V, indiquant les portes fortifiées de
la ville de Brie.
26. Plan du grand moulin banal de Brie, 1736.
27. Plan de Ghamprose, levé en 1756, par Ghaillou, géographe
du Roi.
28. Plan de la Queue, par le même (sans date).
29. Plan du manoir do Mandegris-Uieuleman et du moulin de
Mandegris.
30. Plan de Grisy, la Blanchardière et Gherelle, 1738.
31 . Plan du bois du parc de Brie, oîi sont indiqués la ruine de la
chapelle de Braye et les fiefs de la Borde, Gossigny et la chapelle
Saint-Martin.
32. Plan de la seigneurie de Lésigny, château et parc, 1784.
33. Élévation de la ferme seigneuriale de Ghevry , 1746
(4 -feuilles).
34. Plan de la seigneurie de Sansalle, par Ghaillou, 1762.
35. Plan du Ménil, par Ghaillou, en 1762.
36. Plan, sans date, de Maries, où sont indiquées les fortifica-
tions et les portes Saint-Roch, Saint-Pierre, Saint-Germain.
37. Plan du moulin seigneurial de Ghevry, en 1771.
— i03 —
38. Plan do la iDaison seigneuriale de Helle-Assise (Villemo-
neux, commune de Brie) 1707, où sont indiqués les fiefs Mélian,
de la Polie, et la Ghapelle-Saint-Martin.
39. Fac-similé d'une plaque en cuivre, trouvée sur la tombe de
messire Gaspard Donneau de Vizé, colonel de cavalerie et lieute-
nant des gardes du Roi, décédé à Paris le 8 octobre 1673, et
inhumé dans l'église des Minimes de Brie.
40. Pac-simile d'une plaque en cuivre, trouvée sur une boîte en
plomb dans l'église des Minimes de Brie, et renfermant le cœur
de François-Marie de Lhôpital, duc de Vitry, fondateur de cette
maison, décédé en 1G79, à l'âge de 57 ans. Au revers de cette
plaque, il y a une pleureuse assez bien gravée.
41. Fac-similé d'une plaque en cuivre, trouvée dans l'église des
Minimes de Brie, sur une boîte en plomb renfermant le cœur de
maître André de Païot, seigneur de Plovis et Gordon, etc., décédé
le vingt-troisième jour de septembre 1661, âgé de 37 ans.
42. Fac-similé d'une plaque en cuivre, trouvée au même en-
droit, sur une boîte en plomb renfermant le cœur de la femme du
seigneur ci-dessus (sans date).
43. Fac-similé d'une pierre tombale, trouvée dans la chapelle
Saint-Éloi de l'Hôtel-Dieu de Brie, sur le cercueil de sœur Anthoi-
nette du Terte, religieuse pendant quarante-deux ans en cet Hôtel-
Dieu, et qui mourût le 19 mai loo7. — La religieuse est sculptée
au bas de cette pierre.
44. Fac-similé de l'encadrement qui entoure l'authentique des
reliques de sainte Irénée et saint Rufin, provenant de l'église des
Minimes de Brie.
45. Plan géométrique de l'église de Brie-Gomte-Robert, avant
la révolution (sans date) ; les chapelles latérales y sont indiquées
sous leurs vocables. (Monuments historiques.)
46. Fac-similé de la première pierre posée lors de la construc-
tion de l'ancienne église de Grégy, en 1540; sur cette pierre sont
gravés soixante-quatre vers français (sans signature).
47. Quarante et un sceaux , concernant la ville de Brie-Gomte-
Robert, la Société populaire, le Gomité révolutionnaire de cette
ville, etc.
48. Plans de la terre de la Heuse, 1770.
49. Plan de la seigneurie de Vaulouis, appartenant aux Garmes
de Brie, dressé par Mahau, en 1760.
50. Plan de Ghevry, en 1737, avec légende indiquant le nom
des habitants à cette époque.
— 404 —
51. Plan de Grisy, en 1762, dressé par Chaillou, où sont indi-
qués les fiefs et arrière-fiefs.
32. Plan de Lésigny, en 1738, avec légende contenant le nom
des habitants à cette époque.
53. Plan de la fontaine de l'ancien château de Brie, 1811.
54. Fac-similé d'une pierre tombale , placée par les soins de
M. Camille Bernardin dans l'église de Brie ; sur un côté de la
pierre, sont représentés un prêtre et ses assistants, et, au-dessous,
la date du décès de Pierre Germain, bourgeois et marchand, de
Braye-Comte-Robert , décédé le dimanche d'après la mi-août
1419. — De l'autre côté de la pierre, sont représentées plusieurs
femmes, avec l'indication (sans date) que cette épitaphe a été
faite antérieurement au décès de Marguerite, femme dudit Pierre
Germain.
53. Plan du bois du parc de Brie, mai 1666. — La ville de Brie,
son château, ses fortifications, etc., y sont figurés en arrachement
et en élévation, ainsi que plusieurs autres fiefs et seigneuries.
56. Fac-similé de dessins et légendes , d'après les anciens
registres de la Confrérie des vignerons, dite de Saint-Vincent de
Brie-Comte-Robert.
57. Plan géométrique des ruines de la porte de la petite tour
carrée de l'ancien château royal de Brie-Comte-Robert.
58. Trois écussons, représentant les armes de la ville de Brie,
d'après trois auteurs différents.
59. Les armes authentiques de la ville de Brie, dessinées d'a-
près celles qui sont figurées sur le contre-scel de la prévôté de
Braye, pendant au bas d'un parchemin de 1428.
60. Quarante-sept écussons, portant les armoiries de tous les
seigneurs et dames de Brie-Comle-Robert qui se sont succédé,
sans interruption, dans la seigneurie de Brie-Comte-Robert, de-
puis 11 00 jusqu'en 1789.
61. Soixante-dix-huit écussons, portant les armes d'autant de
seigneurs qui devaient au comte de Brie foi et hommage, aveu et
dénombrement à cause de leurs seigneuries, relevant de ce do-
maine en plein fief ou arrière-fief.
62. Plan de la ville, du château et des seigneuries de Brie-
Comte-Robert, dressé par Desquinemarre, en 1736, avec légende
rapportant les noms de tous les propriétaires de cette époque.
03. Portrait du duc de Penthièvre, dernier seigneur de Brie,
commencé par Fessard cl terminé par Aug. de Saint-Aubin.
— 403 —
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
SUR QUELQUES PUBLICATIONS OFFERTES PAR M. DUBOIS (d'Amiens).
Ayant eu l'occasion d'entrer en relation avec M. A. Dubois, chef
de bureau à la mairie d'Amiens et membre de la Société d'ému-
lation d'Abbeville, j'ai été chargé d'offrir en son nom à la Société
d'archéologie de Seine-et-Marne diverses brochures dont il est
l'auteur.
Permettez-moi de vous entretenir un instant de ces publications,
qu'aussitôt leur réception j'ai lues avec intérêt.
Je ne mentionnerai que pour mémoire deux notes très-courtes,
sur la formation des silex et sur l'ancien hôtel-de- ville d'Amiens,
afin d'arriver à trois opuscules plus importants.
Le premier, sous le titre de la Ligue (104 p. in-S"), est le résul-
tat d'une étude sérieuse des registres de l'échevinage, conservés à
la mairie d'Amiens. Le récit des événements et les réflexions de
l'auteur laissent presque toute la place à des renseignements au-
thentiques et inédits, extraits de ces précieux registres.
La première assemblée de protestants dans la ville d'Amiens
eut lieu le 8 mars 1360; c'est là le point de départ des recherches
de M. Dubois, qui les poursuit avec soin, relevant nombre de
faits intéressants, jusqu'à l'entrée de Henri IV dans cette ville, le
18 août 1594. Repoussés, maltraités, persécutés, les quatre-vingts
religionnaires de 1360 fir3nt, paraît-il, tant d'adeptes, qu'en 1367
les trois quarts de la population amiénoise suivait la religion ré-
formée. L'époque de la Ligue n'est donc pas moins féconde en
événements locaux dans la capitale de la Picardie que dans notre
pays meldois.
Dans sa seconde brochure, M. Dubois publie de curieuses re-
cherches sur la justice et les bourreaux de la même ville, aux xv"
et XVI'' siècles ; les citations, également puisées aux sources au-
thentiques, donnent l'idée la plus exacte du sujet. On sait déjà
ce qu'était alors et comment s'exécutait la justice à Amiens
comme ailleurs; néanmoins, M. Dubois a mis en relief de nou-
velles particularités. Là, toutes les juridictions, — police, justice
civile, justice criminelle, étaient réunies dans les mains de l'ad-
ministration municipale, qui s'attribuait la meilleure part des
— 406 —
amendes, laissant au roi une sorte de décime. On voit le gibet
dressé pour vol, tandis que l'homicide n'est le plus souvent con-
damné qu'à l'amende ; on retrouve la condamnation à mort de
bestiaux accusés de meurtre, le brûlement de livres censurés, l'ex-
position au pilori, par la main du bourreau, de tuiles mauvaises
et de fausse qualité. Mais, plus loin, nous apprenons qu'en 1442,
on pousse la cruauté jusqu'à enterrer une fille toute vive pour ses
démérites; qu'on punit de verges ceux qui sont atteints du mal
Mgr Saint-Jean-Daptiste ou qui contrefont le malade de molvais mal.
L'adultère est tenu de faire amende honorable, le cierge à la main;
une tentative de viol équivaut à un souffleté! entraîne une amende
de vingt sols.
La superstition, comme on saiL, tenait sa large place dans la
décision des juges; des malheureux sont brûlés vifs comme
blasphémateurs, et l'on condamne, en 1466, Jehan Lefebvre à
être pendu et étranglé pour un simple larcin, commis le jour du
bnoit vendredi que N. S. J.-C. mourût pour V humain lignage. Un
siècle plus tard, en 1S74, une marchande paie cinq sols d'amende
pour exposer en vente des fromages ayant la forme à' angelots.
Le bourreau d'Amiens était un personnage ; il se qualifiait d'of-
ficier de la Haute Justice et n'avait pas seulement dans ses attri-
butions l'exécution des sentences criminelles; il tenait encore cer-
taines charges, jouissait de toutes exemptions et percevait des
droits qui n'étaient pas sans importance. Outre son traitement
fixe, par exemple, il touchait des émoluments pour chaque exécu-
tion, avait le privilège de tenir brelans et de dixmer sur les filles
de joie, dont il conservait toujours la direction; il percevait aussi
unepellée de sel sur chaque bateau abordant au quai, une pellée
de charbon sur chaque voiture, etc. Maintes fois on tenta de por-
ter atteinte aux immunités du bourreau, mais des délibérations et
des arrêts y mirent bon ordre; et, lorsque la ville voulut appor-
ter, au XVI'' siècle, des réformes sur les droits de ce fonctionnaire,
elle fut contrainte pour le conserver dans son emploi de lui accor-
der des gratifications à toutes les bonnes fêtes, des rémunérations
et compensations exceptionnelles, de pourvoir à son logement, à
son chauffage d'hiver, etc.
Enfm , la troisième publication, dont j'ai entrepris de vous
rendre compte, est une étude biographique et artistique sur Nico-
las Blasset, sculpteur amiénois (1660-16o9), et sur sa famille.
Cette notice, accompagnée d'un portrait, d'une fouille d'auto-
graphes et de pièces justificatives, est habilement étudiée; on sent,
~ 407 —
h la lecture, qu'elle est d'un compatriote, recherchant avec plaisir
tout ce qui fait honorer la mémoire d'une illustration locale, fouil-
lant tour à tour les papiers de famille, les actes de l'état-civil et
les minutes de notaires, lorsqu'ils peuvent fournir d'utiles rensei-
gnements. Mais c'est moins à ce point de vue que je dois m'é-
tendre ici sur une biographie picarde, qu'à cause d'une particu-
larité qu'elle présente et qui nous intéresse plus directement. La
famille Blasset (d'Amiens) ou Blassel, comme le préfère M. Du-
bois, a fourni plusieurs artistes de talent dans le cours des xvi' et
xvir siècles; il dit un mot de chacun ; sur l'un d'eux, Pierre Blas-
set, né le 12 janvier 1610, — le plus jeune de sept enfants, et
cousin seulement de Nicolas, sculpteur ordinaire du roi, — l'au-
teur a rencontré fort peu de renseignements dans le cours de ses
recherches. Pourtant, Pierre Blasset a joui d'une certaine réputa-
tion. Il est vrai qu'ayant quitté sa patrie vers l'âge de trente ans,
il a dû y laisser peu de traces et qu'il n'y revînt pas ; à peine con-
naît-on de lui quelques sculptures exécutées dans l'église de
Montdidier, en 1641 et 1642.
De notre côté, nous le retrouvons dans la Brie; il a longtemps
travaillé à Provins, et il y termina même sa carrière.
Lors de la dernière réunion générale de la Société, nous avons
pu admirer, en compagnie de plusieurs confrères qui, assurément,
en ont conservé bon souvenir, le rétable d'autel, les boiseries
sculptées et le délicieux tabernacle de l'église Saint-Ayoul de
Provins : ils sont l'œuvre de Pierre Blasset, qui les avait exécutés
pour l'église des religieux Cordeliers de la même ville.
Le 25 janvier 1663, quand Blasset mourut, on l'inhuma auprès
de ses sculptures, chez les Cordeliers, ainsi que ses deux filles,
mortesjeunes, lesquelles, suivant la tradition, l'avaient aidé dans
ses travaux les plus délicats.
A la suppression des couvents, les sculptures des Cordeliers,
heureusement préservées de la destruction, ont été transportées à
Saint-Ayoul, où le rétable se trouve, il est vrai, trop à l'étroit et
un peu défiguré. La sépulture de l'artiste ne quitta pas son œuvre :
elle a été aussi apportée dans le chœur de l'église Saint-Ayoul, et
sur une dalle carrée, fort modeste, on lit l'inscription suivante,
déjà signalée par notre savant vice-président, dans son histoire
de Provins :
« Cy gist honorable honime P. Blasset, natif de la ville d'Amiens,
» en son vivant sculpteur en bois, pierre et marbre, qui peu de
» temps auparavant son décez a faict tous ces beaux ouvrages que
))
— 408 —
» voyez en cette église, et en d'autres lieux. Ensuite, N. Seigneur
1) l'ayant appelé en l'aage de 51 ans, le 25 janvier 1663, p. le
1) récompenser de la félicité des bienheureux, vu les soins qu'il
» avait apportés pendant le cours de sa vie à la décoration de ses
» temples, je vous supplie, passant, en considérant tous ces beaux
édiffices d'avoir mémoire de lui en vos prières, au moins de luy
» dire un
» Resquiescat in pace.
» EtgissentaussyMagdeleine et Marie-Agnès Blasset, ses filles.
» Fait par- Pierre Godot, son apprenti, n
L'auteur des boiseries provinoises, presque inconnu à Amiens
sa patrie, était doué d'un talent consommé, qui eût mérité dans
le livre de M. Dubois, une mention honorable toute spéciale; son
rétable de Saint- Ayoul est majestueux, le tabernacle plein d'élé-
gance, de délicatesse, de fini ; enfin, les boiseries voisines repré-
sentant les scènes de la Bible, témoignent d'un artiste de goût,
qui ne manquait ni de génie, ni d'originalité.
Maintenant qu'il lui est signalé plus amplement, M. Dubois,
dans une seconde édition, rendra certainement hommage au ta-
lent de Pierre Blasset, comme il l'a si heureusement fait pour
d'autres artistes de la même famille.
Je ne doute pas, Messieurs, que l'envoi gracieux de M. Dubois,
ne soit favorablement accueilli par vous, le genre de ses études
rentrant tout à fait dans notre cadre.
Avant de remercier l'auteur, qu'il me soit permis devons pro-
poser de déférer à cet ami de l'histoire provinciale, à ce chercheur
consciencieux, le titre de correspondant de la société d'Archéologie
de Seine-et-Marne, — comme le Comité central l'a fait pour un
certain nombre d'érudits et d'archéologues recommandables par
leurs travaux.
Si vous partagez mon estime pour les publications dont je vous
ai entretenus, et si vous appuyez ma proposition, la nomination de
M. Dubois — pour laquelle rien dans nos statuts n'entraîne des
délais nécessaires lorsqu'il s'agit de membres titulaires — sera
immédiatement soumise au Comité central qui, je n'en doute pas,
ratifiera votre décision (1).
Th. Lhuillier.
Melun, 13 août 1865.
(l) Cette proposition a été accueilliu à l'iiuuiiimilé et M. Dubois iiniiimé iiieiiilne
correspondant.
— 409 —
CAUSERIE ARCHEOLOGIQUE ET LITTÉRAIRE
SUR LE VERCINGÉTORIX,
Poème de M. BRÉAN,
PAR M. MAXIME BEAUVILLIERS,
Membre fondateur ( Section de Fontainebleau ).
Bien qu'elle ne compte encore que deux années d'existence ,
notre jeune Société archéologique de Seine-et-Marne, s'est déjà
enrichie d'un certain nombre d'ouvrages et de brochures qui lui
ont été offerts par divers membres et correspondants.
Analyser, critiquer même au besoin, d'une façon aussi cons-
ciencieuse que courtoise, les œuvres qui nous sont adressées par
les auteurs ; ce sera d'abord un moyen, pour ainsi dire, d'inven-
torier notre bibliothèque, en même temps qu'une occasion toute
trouvée, d'acquitter une dette de reconnaissance envers nos dona-
teurs.
L'examen attentif et sérieux des oijvrages qui garnissent déjà
les modestes rayons de nos archives, aura cet utile avantage
d'encourager et de susciter de nouvelles libéralités.
Divers motifs m'ont porté à choisir de préférence, pour but de
cette causerie, le Vercingétorix de M. Bréan, correspondant de
notre Société ; l'ingénieur Giennois, malgré la distance qui le sé-
pare de nous, a déjà pris part à nos travaux et a lu à la séance
générale de Provins une étude savante sur la Gaule.
Fouilles, poèmes, brochures, tous les travaux de M. Bréan ont
eu, pour but unique depuis quatre ans, de retrouver l'emplace-
ment du Genabum gaulois.
« N'aimer, en littérature, qu'à s'occuper uniquement du pré-
sent et du livre du jour, c'est aimer la mode; c'est suivre et cou-
rir le succès, ce n'est pas chérir les lettres elles-mêmes. Mais
aussi que de conditions pour se reporter à loOO ou 1000 ans en ar-
rière ! Il faut tout d'abord se recueillir et s'isoler de la vie pré-
sente, puis s'imposer quelques heures de retraite, de demi-ombre
et de silence. N'allez pas, à vos jours de communion littéraire avec
l'antiquité, lire tous les journaux du matin! »
— 4i0 —
Ces sages et ingénieux prétextes d'un sagace et spirituel cri-
tique, nous sont revenus à la mémoire en jetant les yeux sur
l'ouvrage de M. Bréan.
Avouons-le sans détour, ce titre de Vercingétorix, il y a trente
ans, au temps où brillait, de tout son éclat, le grand drame du
moyen-âge, eût peut-être étonné la critique et les spectateurs.
Actuellement,, un pareil sujet serait, ce semble, plus facile-
ment accepté du public, grâce au récent décret sur la liberté des
théâtres, qui a inauguré une nouvelle ère pour la littérature dra-
matique, et grâce, surtout, à une haute influence qui a su diriger
l'attention de savans sur l'époque Césarienne.
Si l'on veut apprécier avec équité l'œuvre de notre confrère, il
convient, nous le croyons, de se retremper par la pensée dans le
milieu historique où il s'est momentanément placé. L'admirable
traduction de la vie de César de Plutarque, par le naïf et excellent
Jacques Amyot, est une indispensable préparation, pour asseoir
un jugement définitif sur le poème de M. Bréan. C'est une lecture
préliminaire que l'on peut indiquer aux lettrés et aux airieux de
notre Société.
Sans grandes complications scéniques, le drame de M. Bréan
est simplement et convenablement agencé. Le premier acte se
passe en forêt, chez les Carnutes. Un otage, un chef gaulois,
Accon, vient d'être assassiné par les Romains. Les dévoués com-
pagnons d'armes de ce guerrier regretté, déplorent sa perte, quand
survient Vercingétorix. Il annonce que l'heure de la délivrance
est venue ;
Si vous voulez ma vie,
Pour vous sauver; mon sang, pour venger la patrie,
Je les offre avec joie
Je veux sauver la Gaule, et mourir avec vous?
A la voix de Vercingétorix, la douleur des gaulois s'apaise, leur
patriotisme se réveille :
Lui seul peut nous sauver de César et de Rome,
s'écrient-ils. D'un commun accord, le commandement suprême,
(lia super-intendance générale de la guerre, » suivant l'ingénieuse
expression d' Amyot, sont confiés à Vercingétorix.
Le vieux Camulogône lui-même, qui semblait, au premier
abord, inquiet et jaloux de la gloire naissante de son rival, se ré-
— 4Ji —
concilie avec le Jeune Arverne, et lui promet la main de sa fille
Gamma. C'est ainsi que le drame s'engage.
Au second acte, l'auteur place le lieu de l'action à Genabura.
Le poète fait alors place à l'archéologie, et c'est à ce point de vue
également, que son œuvre a droit à notre intérêt.
Nous sommes dans la maison d'un jeune et élégant patricien,
le romain Cita, séducteur de Gamma, la fiancée de Vercingétorix;
le tricliniu7n est richement éclairé, les esclaves achèvent les pré-
paratifs d'un festin somptueux.
Ici, M. Bréan a prodigué la couleur locale, et nous a révélé
toute sa réelle érudition. Rien ne manque au banquet. Les tables
sont garnies de murènes que l'on engraisse avec du son gaulois,
de vin de Lesbos que l'on vieillit au feu. L'auteur n'a point
oublié le piment de Narba, les vases à l'eau de rose pour les ablu-
tions.
Et le linge frangé pour essuyer les taehes.
La minutieuse exactitude de la mise en scène rend l'illusion
complète, et l'on pourrait se croire transporté à dix-neuf siècles
en arrière.
Mais l'infortunée Gamma va bientôt devenir mère, et déjà l'indo-
lent et blasé chevalier romain paraît indifférent aux charmes de sa
belle esclave. Sourd aux prières de sa maîtresse. Cita veut la sa-
crifier et la jeter en pâture à son lion noir. Irrité par la lâcheté de
son rival, le glorieux vaincu d'Alise s'apprête à venger son amante.
Sur un signe de Gamma, le bras déjà levé de Vercingétorix re-
tombe, et Camulogène immole le séducteur de sa fille.
M. Bréan, qui s'était scrupuleusement conformé à la vérité his-
torique pendant tout le cours de sa pièce, a cru devoir s'en écarter
au dénouement. On sait qu'après six ans de captivité, Vercingé-
torix fut étranglé dans un cachot. L'auteur a préféré nous intro-
duire au milieu d'un amphitéâtre romain, garni de spectateurs.
Vercingétorix, Gamma et Camulogène, qui se tiennent étroitement
embrassés, sont conduits dans l'arène , et, sur un signe de César,
ils meurent dévorés par les lions.
Amené, comme il le dit dans sa préface, par de précédentes
études, à rechercher tous les faits contemporains de Vercingétorix,
M. Bréan s'est épris d'un rétrospectif et très-légitime enthou-
siasme pour le défenseur des villes de Bourges et de Glermont ;
mais ne peut-on pas se demander, en retour, si le poète n'a pas été
— 412 —
un peu trop sévère pour Jules César, et s'il a toujours complète-
ment rendu justice à cet incomparable capitaine, qui, suivant Plu-
tarque, « se trouva en cinquante batailles rangées, toujours plus
» faible en nombre, jamais vaincu, toujours vainqueur, et qui en
)) moins de dix ans que dura la guerre des Gaules, força huit cents
n villes et subjugua 300 nations? » D'ailleurs,
Pour les héros et nous il est des poids divers !
Cette belle pensée de Lamartine peut s'appliquer aussi bien à
César qu'à Napoléon I". Nous aurions voulu que le poète-archéo-
logue oubliât ses griefs contre le général romain pour se rappeler
le grand historien auquel nous devons les Connnentaires, ce livre
écrit d'un style si pur, nous dit l'illustre Melunais, dans son gra-
cieux langage, « que les Muses bien peignées ne voudraient ni
« ne pourraient parler plus exquisement. »
L'épreuve de la représentation, si elle doit avoir lieu, démon-
trera la nécessité de plusieurs coupures. Ceci nous rappelle un aveu
que nous faisait un jour un homme d'esprit, en nous offrant son
livre, dans lequel il indiquait lui-même des corrections indispen-
sables : « La première édition, disait-il, devrait toujours n'être
que la seconde. » Tous ceux qui manient la plume reconnaîtront
combien est profondément vrai, le mot de notre correspondant.
En résumé, la muse de M. Bréan nous paraît plus portée à
exprimer la tendresse des sentiments que l'énergie des passions.
On rencontre d'heureuses inspirations dans les scènes d'amour.
Le dialogue est naturel et bien coupé. Son vers iacile, trop facile
parfois, devra se prêter aisément à la récitation théâtrale.
— 413 —
SUR LA FORMATION SIMULTANÉE
DU PLATEAL' ET DES VALLÉES DE LA BRIE,
Par M. Victor PLESSIER; Provins, Lebeau, 1864, m-8° de 43 pages.
COMPTE-RENDU PAR M. l'aRRÉ PETITHOMMË,
Membre fondateur (Secrétaire de la fiicction de Meaux).
M. PJessier expose avec beaucoup de méthode, dans un style à
la fois agréable et sérieux, le mode de formation du plateau et des
vallées de la Brie.
Sa théorie consiste à expliquer la formation du plateau de la
Brie par le flux et le reflux de la mer, et celle des vallées par les
mêmes causes, modifiées sous la puissance des cours d'eau pré-
existants.
Une description topographique place tout de suite le lecteur sur
un terrain connu. Prenant possession de la crête qui sépare la Brie
de la Champagne, et forme la limite extrême du bassin géologique
de Paris, entre Montereau-faut-Yonne et Épernay, il embrasse
ensemble les 7,000 kilomètres carrés que mesure sa superficie.
L'auteur divise cet immense losange en sections et fait remarquer
que les altitudes des divers sommets de la ligne de partage des
eaux, sur la rive droite delà Seine dans la Brie, s'élèvent graduel-
lement de l'ouest à l'est ; et pareillement, que celles de la rive
gauche de la Marne présentent une progression régulière de l'oc-
cident vers l'orient.
En conséquence de cette loi, il établit mathématiquement le
degré métrique d'élévation des points culminants, selon la longi-
tude et la latitude.
Les collines ont généralement une double pente, dont l'une per-
pendiculaire au cours d'eau est fortement accusée, l'autre, longitu-
dinale, est moins sensible. Or, il résulte de ces judicieuses obser-
vations des appréciations intéressantes sur la formation du plateau
et des vallées de la Brie, et la préexistence des cours d'eau.
(i Le plateau s'est formé graduellement, de bas en haut, par
l'accumulation lente et successive des matériaux qui le constituent;
le flux et le reflux de la mer ont été les artisans de l'œuvre. Venu
— 414 —
de l'ouest par la Seine et ses affluents, dans le sens opposé à la
double inclinaison du plateau, le flot s'est étendu aussi loin que le
poussa la force d'expansion. Il s'est élevé sur son propre travail
par la puissance de la marée. Mais chaque rivière a maintenu son
cours, en expulsant les matières qui lui eussent fait obstacle, et a
ouvert ainsi la vallée. »
Dans ce résumé gît tout le système de l'auteur. Sa théorie
explicative de la formation du plateau est fondée sur la progression
des altitudes, et il explique, par des études savantes d'hydrogra-
phie locale, la préexistence des cours d'eau, la formation des vallées
et les sinuosités des rivières. Pourquoi ici ces vastes varennes?
Pourquoi cette colline qui se dresse comme un mur le long du
courant, tandis que sa parallèle correspondante en est tant éloi-
gnée? Quelle puissance a élevé ce contrefort du terrain crétacé qui
porte le vieux Provins, aussi bien que ces coteaux gracieux et
hardis qui l'entourent comme une garde d'honneur?
Qui donc a jeté cette butte de Doue, découverte de tous côtés,
et cette autre isolée dans la plaine deLumigny? L'auteur donne
sur toutes ces questions des développements scientifiques, des so-
lutions raisonnées.
En terminant, il repousse le système de formation des vallées
par érosion, et soutient que l'inclinaison du plateau est indépen-
dante de tout soulèvement.
M. Plessiera vraiment rendu attrayante l'étude des phénomènes
de l'écorce terrestre de notre sol. Il sera suivi sans doute dans la
voie qu'il a ouverte, et les matériaux scientifiques s'accumulant,
finiront par former un jour la carte géologique de la Brie, qui figu-
rera très-bien dans nos annales, à côté de la carte archéologique de
Seine-et-Marne.
413
CO:\IPTE-I\ENDU
DES PUBLICATIONS DE QUELQUES SOCIETES CORRESPONDANTES (1 ).
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES ET BIOGRAPHIQUES.
Messieurs et chers Confrères,
Depuis que j'ai eu l'honneur de vous entretenir, il y a plusieurs
mois, des ouvrages offerts à la Société d'Archéologie de Seine-et-
Marne, de nouvelles compagnies savantes sont entrées en corres-
pondance avec nous, elles sont aujourd'hui au nombre de cin-
quante. C'est des publications que plusieurs d'entr'elles nous ont
adressées dont je vais essayer de vous rendre compte.
Ces résumés succincts, consacrés par l'usage dans la plupart des
associations du genre de la nôtre, ont pour objet de faire connaître
à tous la direction des travaux dans les autres sociétés, les branches
de la science le plus en honneur chez elles, et de permettre à cha-
cun de consulter, à coup sûr, les mémoires qui traitent de sujets
selon ses goûts ou ses besoins.
J'espère, Messieurs, qu'en raison de l'avantage, sinon de l'inté-
rêt, que présentent toujours de tels résumés, vous ne les trouverez
pas déplacés dans nos séances particulières , et que plusieurs
d'entre vous voudront bien suivre mon modeste exemple, et, plus
habiles, se charger de rendre compte, dans une prochaine séance
de quelques ouvrages importants qui nous ont été offerts.
I
La Société archéologique de la province de Constantine (Algérie)
nous a fait parvenir ses publications de 1864 et de 186o, 2 vol. in-S"
de près de 300 pages, avec planches.
L'Afrique septentrionale est très-féconde en monuments an-
tiques ; aussi les mémoires de cette Société offrent-ils un intérêt
particulier pour les archéologues.
Dans le volume de 1864, M. Péraud, interprète de l'armée, a
(1) Lu à la Section de Melun au mois de janvier 1866.
— 416 —
décrit de nombreux monuments algériens, tout h fait analogues aux
monuments celtiques de nos contrées: des cromlechs, des dolmens
et des menhirs. M. le commandant Payen a signalé des inscrip-
tions et surtout des débris hydrauliques dont le travail atteste le
séjour des Romains: ce sont des ruines de barrages, de canaux,
de travaux d'assainissement et d'irrigation.
Une notice intéressante aussi, est celle de M. Péraud, sur les
Oulad-ald-en-Nour, grande tribu de la province de Constantine,
qui compte plus de 20,000 âmes, et s'étend dans les hautes plaines
entre cette ville et Sétif.
Le recueil de 1865 renferme de nouvelles indications sur des ves-
tiges de l'aqueduc romain venant de Toudja à Bougie, et sur di-
vers autres ouvrages hydrauliques, par un officier de tirailleurs,
M. Mélix; une notice de M. Féraud, sur l'expédition du comte
O'Reilly contre Alger, en 1775 ; diverses notes sur des fouilles, sur
des inscriptions arabes et romaines, sur des inscriptions funé-
raires, etc.
II
La Société Eduenne d'Autun remonte à 1836 ; elle a consacré
une large part de ses ressources à l'impression d'ouvrages inédits,
intéressant l'histoire du pays ; elle a publié aussi des annales en
1836-37, 18-44, 1845, 1853-57, 1860-62 et 1862-1864. C'est ce der-
nier volume d'annales qui nous a été offert (in-8" de 406 p. et pi.)
M. Am. Thierry, dans son rapport lu à la Sorbonne en 1864,
constatait que l'histoire et l'archéologie locales sont menées de front
à Autun, mais on peut remarquer que, dans cette savante Compa-
gnie, les antiquités ecclésiastiques forment la plus large part des
travaux. Les sujets y sont ordinairement bien traités et les mé-
moires présentent un véritable intérêt.
Après la relation (extraite d'un manuscrit conservé autrefois au
couvent de Château-Chinon) d'un mirach; qui a guéri une fille
possédée, à Quémigny-sur-Seine, le 18 décembre 1698, se trouve
une étude remarquable sur Jehan de Vesvres, poète latin etérudit
du xvi^ siècle, par M. de Fontenay, secrétaire de la Société; des
notices sur les maladies épidémiques qui ont affligé Autun depuis
le xvi" siècle, par M. le d'' Guyton, et sur la correspondance litté-
raire de Bénigne Germain, par M. do Charmasse.
A côté de nombreuses notes sur des découvertes d'inscriptions
et de poteries antiques, à propos de nouvelles armoiries sur unsar-
— 417 —
cophage du musée d'Autun, sur les tombeaux de Morlet (Saône-et-
Loire), sont publiées des lettres inédites du savant abbé Lebeuf,
un mémoire du même auteur sur l'introduction d'un faux culte
dans le bréviaire d'Autun ; deux lettres adressées en lo2o par
Jean Munier, avocat, auteur de mémoires historiques sur cette
ville, à André Duchesne, historiographe du roi.
Citons encore deux articles, l'un biographique sur Jules Carion,
naturaliste, par M. J. Berger, et l'autre bibliographique, surSaint-
Symphorien et son culte, par M. de Charmasse.
La Société Eduenne a annoncé, en outre, à notre président, l'en-
voi prochain de trois ouvrages importants publiés par ses soins :
\° Traduction des discours d'Eumène, par MM. l'abbé Lan-
driot et l'abbé Rochet, avec le texte, des notes critiques et philoso-
phiques, etc. ; Autun, 1854, gr. in-S" ;
2° Étude historique sur la mission, les actes et le culte de Saint-
Bénigne, apôtre de la Bourgogne, et sur l'origine des églises de
Dijon, d'Autun et de Langres, par M. l'abbé Bougaud; Autun,
1859, gr. in-8°;
S" Cartulaire de l'église d'Autun, par M. A. de Charmasse;
1865, in-4° de 416 pages.
III
La Normandie est riche de sociétés savantes, les études y sont
en haute estime, et, comme l'a encore fait remarquer M. Amédée
Thierry, si les travaux historiques fleurissent dans cette grande et
belle province, si la Normandie possède beaucoup de savants et
produit de bons livres, c'est qu'une population éclairée s'y inté-
resse, c'est que les pouvoirs publics s'empressent de donner aux
savants une sympathie, à la publication des livres une assistance
dont les uns et les autres ont toujours besoin.
La Commission départementale des antiquités de la Seine-Infé-
rieure, avec laquelle nous sommes entrés en relations, a été créée
en 1818 par un préfet longtemps regretté, M. le comte de Kerga-
riou. C'est l'une des plus anciennes associations scientifiques de
France, pour les recherches archéologiques et la conservation des
édifices.
Ses archives possèdent des documents précieux, la plupart iné-
dits. La Normandie monumentale lui doit beaucoup : elle a sauvé
du péril bon nombre de monuments et contribué à leur restaura-
tion. Mais elle a peu publié jusqu'ici. Le volum.e qm- nous avons
27
— 418 —
sous les yeux forme le recueil des procès-verbaux des séances, de-
puis 1818 jusqu'en 1848 (tome P''), que la Commission a fait im-
primer l'année dernière.
Nous nous bornerons à signaler cet intéressant répertoire, ne
pouvant songer à l'analyser ; il ne se compose lui-même que d'a-
nalyses, dont la table des matières ne tient pas moins de cinquante
pages in-8°.
Notons cependant une date en passant, que nous y avons relevée
avec plaisir : c'est le premier pas archéologique fait en 1834, par
un des plus célèbres antiquaires de notre temps, M. l'abbé Cochet,
alors séminariste d'Étretat, — qui ne s'est pas arrêté depuis sur
le chemin de la science, et que la Société de Seine-et-Marne a
l'honneur de compter au nombre de ses correspondants.
IV
— Académie impériale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de
Caen; in-8° de 536 pages, 1865. —
Dans le volume de mémoires que vient de publier cette Académie
et qu'elle nous a adressé, la littérature tient la place d'honneur.
Nous avons pu remarquer aussi que les membres correspondants
ont produit un contingent essentiel pour cette publication.
Quelques savantes études, comme celles de M. Girault, sur la
recherche d'une orbite au moyen d'observations géocentriques, ou
la relation, par M. Bichner, du voyage arctique du d"" Berna, re-
présentent les sciences. L'histoire de la province ne figure \h que
par une bonne étude de M. E. des Essarts sur le siège d'Honfteur,
au moment de la Ligue. Puis viennent les belles-lettres, qui
tiennent une large part dans le bulletin, et y sont d'ailleurs di-
gnement représentées.
M. Caillemer, membre correspondant, a fourni une étude sur
le jurisconsulte Antoine de Govéa; M. A. Joly, des réflexions sur
la tragédie au xvii^ siècle, à propos de Corneille, et une savante
appréciation d'Antoine de Montchrétien, poète et économiste nor-
mand ; on doit à M. Sorbier, membre correspondant, des pensées
et réilexions morales ; à M. de RobilJard de Beaurepaire, membre
correspondant, une étude sur les satires de Sonnet de Gourval,
poète virois du xvii^ siècle^ etc.
Des souvenirs littéraires, par M. Théry, recteur de l'Académie
de Caen, donnent des détails pleins d'intérêt sur Lacretelle, An-
— 419 —
drieux, Picard, Raynoiiard, etc. Un élégant tribut est payé h la
poésie par Mme Lucie Gouëfûn;, et par MM. Julien Travers et
Collas.
N'omettons pas de mentionner un compte-rendu des travaux de
l'Académie, par M. Travers, secrétaire perpétuel, et les rapports
de MM. Maurière et Joly, au sujet de deux concours ouverts
en 1865, l'un sur le rôle des feuilles dans la végétation des
plantes (prix de 3,000 fr.), et l'autre sur Jean Marot, poète nor-
mand, père de Clément Marot (prix de 500 fr.)
V
On sait que Toulouse aussi, est un ardent foyer d'études au
milieu duquel son Académie impériale des Sciences, Inscriptions
et- Belles-Lettres, occupe une place honorable. Les mémoires de
1864 (vol. in-8'' de 475 p.) forment le tome II de la vi'' série de ses
publications.
Ici, le domaine est partagé franchement. La classe des sciences
a produit des travaux sérieux : sur la théorie de la génération mo-
dulaire et ombilicale des surfaces du second ordre, par M. Tillol ;
sur une herborisation à Muret, sur les eaux potables de la Haute-
Garonne, par MM. Filhol, Desbarreaux et Lecassin, sur les eaux
thermales de Luchon, sur les eaux limoneuses de la Garonne, sur
le mode de formation du calcaire et de la dolomie ; sur les marais
souterrains, sur le mécanisme de l'audition, etc. etc.
La classe des Inscriptions et Belles-Lettres nous offre, sous ce
titre : Un Dieu de trop dans la mythologie des Pyrénées, une notice
intéressante de M. Barry, sur un hôtel romain dédié à un pré-
tendu dieu Etéïoi ; M. Astre a retracé l'historique de l'ancienne
Bourse de Toulouse, en rappelant ses attributions; M. Deval aîné,
correspondant, a fait des recherches historiques et archéologiques
sur la commune de Montricour (Mont-Rude) ; M. Waïsse, une
étude pleine d'intérêt, sur le philosophe Lucilio Vanini (1585-1 6i9) ;
M. Hamel, un mémoire sur les origines de l'histoire en Grèce,
et M. Baudouin, une introduction de l'histoire de France au
xi^ siècle.
Ce volume contient encore des notes sur quelques découvertes
d'antiquités, deux discours des présidents, des rapports sur le
grand prix de 1864 (sciences), par M. Filhol , et sur les médailles
d'encouragement pour l'étude de l'histoire et de l'archéologie lo-
— 420 —
cales, par M. Baudouin, ainsi qu'un résumé des procès-verbaux
des séances.
Ces travaux, on le voit, sont importants, et le président, — le
savant M. Filhol, de l'École de Médecine de Toulouse, — nous ap-
prend que le recueil ne contient pas, à beaucoup près, tout ce que
l'Académie a produit de bon et d'utile : des mémoires importants,
que l'insuffisance des ressources n'a pas permis de faire entrer
dans les publications de la compagnie savante, ont dû paraître
dans divers journaux.
VI
La Société archéologique du Vendômois date seulement du
mois de janvier 4861 ; elle a grossi peu à peu, mais, comme l'in-
dique son titre, son domaine ne s'étend guère au-delà de Ven-
dôme et des environs, et son budget n'est pas gros. Néanmoins elle
a publié trois petits volumes in-S", qui attestent des travailleurs
sérieux et l'ont avantageusement placée. Le second volume (année
1863) est épuisé; il n'a pu, conséquemmcnt, nous être adressé;
nous avons reçu les deux autres. On assiste d'abord à l'organisation
de la Société et à la formation, dont elle s'est aussitôt occupée, de
collections comprenant les gravures, la numismatique et l'histoire
naturelle. Jeune encore, la Société Vendômoise a visité Pezou, — le
Belfogium des romains, —et Thoré, où elle a constaté l'existence
de curieux puits funéraires; elle a fait exécuter des fouilles ùTour-
telines, commune de Naveil; enfin, en 1864, elle signalait à la
Sorbonne la découverte du théâtre d'Areines, et recevait du minis-
tère une subvention de 400 fr.
M. Launay, secrétaire, a fait un rapport sur le cimetière gallo-
romain de Pezou, et M. Bouchet est entré dans quelques détails
sur les sépultures anciennes. M. Achille Lacroix après avoir pro-
posé la rédaction d'une biographie Vendômoise, a écrit, pour
donner l'exemple, la vie de Maillé-Beuchart, et M. Jeannotes-
Bozérain la biographie de Ronsard. M. l'abbé Tremblay a signalé
la découverte d'un monument gallo-romain entre Landes et La-
côme. Des notions géologiques, par M. Pilly; des études de nu-
mismatique par M. Chautard, un résumé météorologique de l'an-
née 1867 par M. G. Boutrais, des poésies de MM. Ch. Chautard
et Richard de La Hautière, varient agréablement les travaux et
ont dû offrir un puissant attrait aux réunions.
M. le comte Lacroix de Rochanib(iau a communiqué l'extrait
.— 421 —
d'un procès-verbal de translation de reliques , à Vendôme , ce
procès-verbal conservé à la bibliothèque impériale, est relatif aux
reliques de saint Candide, saint Donat, saint Boniface, saint
Didier , saint Benoist et sainte Victoire, tous martyrs.
Un sujet des plus intéressants et dont on s'est beaucoup occupé
depuis quelques années, les silex taillés anté-diluviens et celtiques,
ont été étudiés par M. le marquis de Nadaillac et par M. l'abbé
Bourgeois, qui a offert, au musée Vendômois, des instruments de
pierre provenant du Grand Pressigny.
Le fief de Villeprouvaire a été, de la part de M. de Trémaull,
l'objet de recherches dont il donne le résultat; c'est une suite des
seigneurs depuis la fin du xiv*^ siècle.
M. de Déservillers a lu une vie d'Hiklebert, évêque du Mans
au xi^ siècle, natif de Lavardin, et M. de Pétigny fils, un mé-
moire posthume de M. de Pétigny père (de l'Institut), sur les mo-
numents celtiques du Vendômois. A propos de la géographie an-
cienne. M. Maréchal-Duplessis a communiqué une dissertation
dialoguée entre Mercator et Hipparque , à laquelle se trouvent
jointes deux planches de mappemondes 'et planistères selon Mer-
cator , selon tlipparque (dont le système est modifié) , et selon
M. Babinet. — M. Neilz, cultivateur, a donné sur Beaufou une
notice contenant de judicieuses observations sur le lieu où la ba-
taille de Freteval fut livrée en H9-4.
La partie bibliographique a également sa place dans ce volume
elle comprend le compte-rendu d'une brochure de M. Laudau,
curé de Chousy, sur Notre-Dame de Villethiou, au diocèse de
Blois; un rapport de M. Ch. Bouclot, sur un mémoire géolo-
gique et historique de M. de Meckenheim relatif à la commune de
Ghauvigny, — et un autre rapport de trois sociétaires sur la mo-
nographie de la commune de Thoré, par M. de Rochambeau.
VII
La Société académique de BouIogne-sur-Mer, fondée en 1864
et dont les statuts se rapprochent beaucoup des nôtres, n'étend
guère l'admission de ses membres et le cercle de ses travaux au-
delà de l'arrondissement de Boulogne. Subventionnée dès son
début par l'administration municipale et par le conseil général du
Pas-de-Galais, cette compagnie a pu ouvrir en ISGo un concours
où la science, l'histoire et la poésie ont été admises. Elle n'a
— 422 --
encore imprimé , outre son règlement, que quatre fascicules pro-
duisant 7'2 pages.
Nous citerons, dans ce recueil, plusieurs communications de
M. l'abbé Haigneré, secrétaire-général : sa notice sur M. Bou-
chard-Chantereaux et sa note sur une inscription romaine, dé-
couverte à Boulogne, transmise à la Société des Antiquaires de
France, et dont l'interprétation, la lecture même est encore fort
douteuse.
Un autre membre titulaire, M. Hamy, a communiqué deux en-
seignes de pèlerinage ; l'une d'elle prouve, une fois de plus, com-
bien était répandue la dévotion au patron de la Brie et comment
étaient fréquentés de toutes parts les célèbres pèlerinages au tom-
beau de saint Fiacre, près Meaux. M. Arthur Forgeais, dans sa
belle collection de plombs historiés trouvés dans la Seine, a pu-
blié en 1863, dix-huit enseignes de saint Fiacre, parmi lesquelles
n'est pas décrite l'enseigne qui vient d'être trouvée à Boulogne.
Celle-ci, attribuée au xv^ siècle, est en étain, carrée, à sommet
triangulaire, avec quatre anneaux ou bélières pour l'attacher aux
vêtements ; dans le champ on voit saint Faron en habits épisco-
paux, crosse à senestre et mitre ; à droite, saint Fiacre vêtu de
l'habit monastique et portant la bêche traditionnelle ; à gauche, la
Becnaude qui accuse l'anachorète de sortilège ; on lit autour de
l'enseigne la légende : S. FIACRE. S. FARON HOVOPDEE.
VIII
Une autre société nouvelle, notre voisine, la Société Historique
et Archéologique de Château-Thierry, créée au mois de septembre
18G4, nous a envoyé le premier fascicule de ses publications, —
32 pages in-8°. Ce sont les procès-verbaux des séances d'organisa-
tion et d'installation, son règlement, des rapports, etc. Dans ce
bagage préliminaire, nous avons rencontré un nom nouveau se
rattachant à notre biographie départementale.
Pierre-Faron Hébert, né h Meaux au milieu du xviii" siècle, a
été d'abord curé de Mandres, au diocèse deToul. Lorsque la révo-
lution éclata, il dut se réfugier à Château-Thierry, chez M. Hou-
det, son parent, dont le fils était député de Meaux.
L'ubbé Hébert était un homme modeste etdechétive apparence,
mais instruit, studieux, lettré, savant même; c'était aussi un
homme vertueux ; il paraît qu'une brochure sévère qu'il publia
contre l'usure, lui attira assez de désagréments pour n'être pas
— 423 —
compris, en 1802, dans la partie active des prêtres du diocèse. La
sévérité de ses principes avait déplu. Ce n'est qu'en mai 1807 qu'il
fut nommé curé de Lucy-le-Bocage ; il a restauré à ses frais l'église
de sa paroisse, il a répandu autour de lui d'abondantes et discrètes
aumônes, et s'est livré à l'étude jusqu'à son dernier jour, le 21 mai
1818.
A Lucy-le-Bocage, la mémoire de l'abbé Hébert est toujours vé-
nérée. Il a laissé, comme fruit de ses loisirs, deux gros volumes de
mémoires pour servir à l'histoire de Château-Thierry (in-4'' de
plus de 600 pages chacun). Ce manuscrit existe en double, à la bi-
bliothèque du séminaire de Soissons et à la cure de Château-
Thierry ; (( c'est, dit M. l'abbé Goumain, secrétaire, une œuvre
» curieuse, intéressante, bien pensée, pleine de faits inédits, et
» qui appelle un éditeur. Un livre de ce mérite ne doit pas rester
» ignoré. »
IX
Les bulletins de la Société des Antiquaires de l'Ouest, pour les
deux premiers trimestres de 1865, nous sont également parvenus.
Nous n'avons pas besoin de rappeler l'importance, justement ac-
quise par cette Compagnie, <( qui domine le mouvement intellec-
» tuel, non-seulement en Poitou, mais dans les provinces environ-
» nantes, quoique dans cette région chaque département ait son
» centre scientifique particulier, et souvent plusieurs. »
Outre les procès-verbaux des séances mensuelles, elle a fait im-
primer au^ commencement de cette année : l'inventaire de seize
chartes du xii'' siècle, relatives à l'abbaye de Pontevrault, travail
dû à M. Paul de Fleury ; des notes communiquées par MM. de
Longuemar et Ménard, sur l'enlèvement des mosaïques et la ques-
tion deVascia; des renseignements donnés par M. Mai^ry, sur
Bertrand Ogeron de La Brouère, réformateur des flibustiers de
Saint-Domingue, au xv!!*" siècle; et enfin, une notice généalo-
gique sur la maison du Plessis-Richelieu, par M. Martineau.
Ce dernier travail est fort étendu, plein d'excellentes recherches,
mais nous devons le signaler particulièrement à cause des rensei-
gnements qui s'y rencontrent sur une famille dont le souvenir
n'est pas étranger à la Brie.
On ignore assez généralem.ent que c'est grâce au médecin de
Charles IX, que le grand-père du futur cardinal de Richelieu, —
Louis du Plessis, — fit recevoir son fils François, enfant du roi.
— 424 -
<
De ce jour, la famille du Plessis eut un pied à la cour. Le méde-
cin du roi était François Pidoux, de bonne noblesse, et poitevin
comme les du Plessis. Cette famille Pidoux, en effet, originaire
des environs de Ghàtellerault, a joui, auprès des derniers Valois,
d'une influence à laquelle plusieurs de leurs compatriotes durent
en grande partie la leur. M. Martineau démontre le fait qu'il
avance, par le passage suivant d'un mémoire manuscrit dressé
au xvii' siècle, pour prouver l'anoblissement des Pidoux, sous
Henri II ; ce manuscrit appartient aujourd'hui à M. Pidoux, de
Secondigny (Deux-Sèvres) :
« M. François Pidoux, médecin du roy, estoit en la faveur de
» la reine Catherine, pour raison de sa science et expérience et
» habileté, ce qui lui occasionna souventes foys servir les gens de
» son pays ; M. du Plessis, père du père de M. le cardinal de Ri-
» chelieu, s'ayda de cette faveur par la femme d'iceluy ^^idoux, fit
» nourrir un sien fils enfant du roy, et le mit en chemin de la for-
» tune, lequel fils fut père de M. le cardinal et prévôt de l'hostel. »
François Pidoux, médecin recommandable par son savoir, mou-
rut doyen de la faculté de Poitiers, en 1577. Son fils Jean devint à
son tour médecin de Henri IV, après avoir accompagné Henri III
en Pologne.
Plusieurs membres de cette famille occupèrent d'honorables po-
sitions : Pierre fut trésorier de France, maire de Poitiers de 1581
à 1615, et mourut à quatre-vingt-six ans, le 8 mars 1036 ; Jean
était maire en 1618; un autre Jean Pidoux, médecin, fut maire en
1631 (Voir le journal de Guillaume et Michel Leriche, p. 338,
182 ; voir Dreux du Radier, etc.l
Un membre de la famille Pidoux, nommé Jean, vint, dans le
cours du xvi'^ siècle, s'établir à Coulommiers. François, son fils,
bailli de cette ville, eut deux enfants : Valentin, qui lui succéda
dans sa charge en 1014, et Françoise, qui épousa d'abord un nommé
Le Jay, puis Charles de La Fontaine, et fut la mère de notre im-
mortel fabuliste.
En 1687, Henri Pidoux, de Coulommiers, se qualifiait seigneur
de Montangios et des fiefs de La Forte-Maison, de Bois-Tocquin et
de Francheville-en-Brie.
Enfin cette branche de la famille a fourni une prieure au couvent
de bénédictines de Moret, —en 1754 un prieur à Saintc-Foy de
Coulommiers, — et à l'église de Meaux des chanoines et un doyen.
— 425 —
X.
Je ne terminerai pas cette communication, sans vous signaler
l'hommage que vient de l'aire à la Société M. J. Garnier, secrétaire
perpétuel de la Société des antiquaires de Picardie, du Journat de
Jehan Patte, bourgeois d'Amiens, qu'il a publié il y a deux ans
(1 vol. in-8°, de 194 pages).
Ce journal, rappelle les mémoires de Claude Haton, publiés
par notre savant vice-président M. Félix Bourquelot ; il date de
la même époque et donne, pour la Picardie, des détails sur les
mêmes événements que notait le curé du Mériot pour la Cham-
pagne et la Brie.
Jehan Patte, qui vivait au temps de la Ligue, raconte les faits
avec exactitude, avec liberté et indépendance. Dans une position
extrêmement modeste (il avait été journalier jusqu'à 22 ans), il a
laissé de curieux mémoires sans prétention; son style souvent in-
correct, est simple et clair, son récit parsemé d'épisodes anecdo-
tiques est intéressant : comme l'a pensé M. Garnier, la chronique
de Jehan Patte a une valeur sérieuse.
Le bourgeois d'Amiens cite parfois des faits qui se rattachent
moins étroitement à son pays, et, dans sonjournal, nous trouvons
à glaner pour la Brie :
Page 60, février 1590 ((Durantce temps, dit-il, M. leducdu
Maine estoit à Meaulx, qui attendoit le duc de Palme (Alexandre
Farnèse), qui foisoit une grosse armée pour venir lever le siège de
Paris; celui-cy y arriva le 2P jour d'aoust, avec une belle harmée,
et y avoit la plus grande partie des princes d'Espagne. Entr'aultres,
il y avoit le prince de Palme (Parme), le prince de Cimay, fils du
duc d'Ascot, chef de la chevalerie, le marquis de Renty, chef de
l'infanterie, M. de la Motte et M. de Cogny, qui estoient raares-
chal-des-camps, M. de Monsdragon, gouverneur de la citadelle
d'Amiens, etc. ; ils firent la monstre générale autour de Mieaulx,
là oii on admirait la belle harmée, et les aiant mis en ordre,
prindrent Laigny, en passant d'assault, où il y eut grand nombre
de gens du roi tués ; de là, on fut droit sur Paris »
Plus loin, — à la fin de janvier 1594, — a le roy estoit devant
» La Ferté-Milon, l'ayant siégée, mais M. de Guise avec lecomte
» Charles, espagnol, le fit lever sur le commencement de lévrier,
» et se retira à Meaulx. n
On y trouve aussi le récit de la mort, à Doullens, du duc de
Nevers, M. de Longueville, seigneur de Gouiommiers.
— 126 —
Enfin, Jehan Patte raconte encore « que le jeudi 14 septembre
» 1606 on a baptisé, à Fontainebleau, Mgr le Dauphin et ses deux
» sœurSj encores qu'on eût l'aict dès longtemps grand appareil de
)) magnificence à Paris, mais à cause de la grande maladye de
» pestilence survenue en cette ville, on fut contraint à tout faire à
» Fontainebleau. »
Th. L.
— 4;J7 —
FABLES
PAR M. LABICHE,
Membre fondateur (Section de Meliin).
LA PLEUR ET L'ABEILLE.
Dès que paraît l'aurore,
Abeille, je te vois ;
Tu viens, puis tu t'en vas, puis tu reviens encore,
Et te reposes chaque fois
Sur ma corolle parfumée.
L'amitié nous unit ; dis-le moi, suis-je aimée?
Mais las ! pourquoi
Ne suis-je comme toi
La fille de Zéphyre?
Pourquoi ne puis-je errer dans le céleste empire?
Je suivrais ton vol, car je crains
L'inconstance.
Déjà plus longue est ton absence,
Plus tiède est ton ardeur ;
Mais ton aile frémit, tu vas fuir, et peut-être
Ne te verrai-je plus dans ces lieux reparaître,
0 douleur !
Et pourtant, doux abri, nectar de mon calice,
Rien ne t'est refusé ;
Tu pars ! reviendras-tu? dis-le sans artifice.
— Que veux-tu, pauvre fleur, ton miel est épuisé.
Que de gens imitent l'abeille.
En rencontre pareille.
— 428 —
•LE ROSSIGNOL ET L'OTSELEUR.
Habitant d'un riant bocage,
Un rossignol, la nuit, le jour,
Chantait son tendre et chaste amour.
Pris aux lacs, il fut mis en cage,
Et plus ne soupirait sa voix.
Pourquoi tes chants, comme autrefois,
Ne se feraient-ils plus entendre.
Lui disait l'oiseleur,
Pour toi je ne cesse de prendre
Des soins pleins de douceur :
Gage dorée, onde nouvelle et pure.
Délicieuse nourriture.
Dis-le, manque-t-il à tes vœux
Quelque chose pour être heureux ?
Hélas ! lui répondit la douce créature,
Il est vrai que pour moi grande est votre bonté;
Mais pour qui sent le prix des dons de la nature,
Il n'est pas de bonheur dans la captivité.
Rien ne vaut notre liberté.
LE FABULISTE ET JEAN LAPIN.
Des hommes sérieux, on peut bien le prédire,
Il en viendra toujours assez
Pour diriger notre navire,
Au travers des périls, sur sa route, pressés ;
Quant au commun de l'équipage,
Est-ce un mal s'il n'est sage
Et s'il flotte en aveugle au gré de ses désirs,
Et même sur l'écueil s'il rêve les plaisirs?
Je dirai non, c'est ma croyance ;
Tout bien considén'', vive l'imprévoyance!
Mais je ne prétends point
Faire au Lu ri lé sur ce point ;
— 429 —
En cela, s'il vous plait, écoutez bien mon maître,
Vous le croirez peut-être.
Mon ami Jean Lapin, maintenant à nous deux :
La nature à mon sens te fit de bonne étoffe.
Je te tiens pour un sage et profond philosophe ;
Causons un peu, si tu le veux,
Des appréhensions qui tourmentent la vie,
Eclaire-nous, je t'en convie :
J'aime l'ombrage et le calme des bois,
Et dans la solitude,
Plus d'une fois
Tu m'as servi d'étude ;
Tu pourrais bien, avec raison,
Du chasseur redouter l'adresse :
Il va sur toi lancer une foudre traîtresse.
Tu folâtres encore et broute le gazon
Sans nulle inquiétude ;
On dirait que le sort.
Adoucissant pour toi notre instant le plus rude.
Veut qu'en jouant tu reçoives la mort.
La belette
Est là qui te guette.
Tu devrais y songer ;
Car pour toi ce danger,
Auprès ou loin de ta demeure.
Se présente à toute heure !
Mais bah ! tu ne crois au péril
Que si l'oreille ou l'œil t'indique sa présence ;
Sans encombre pour toi ce moment passe-t-il,
Tu reprends aussitôt ta gaie indifférence.
Et te voilà, comme devant.
Cherchant, flairant, broutant
L'herbe tendre et fleurie
Qu'au bord du bois nourrit quelque prairie.
— Eh ! me réplique Jean Lapin,
Quand la crainte ou l'effroi m'attristerait sans cesse
Cela changerait-il les arrêts du destin ?
Vous, humains inquiets, qu'aucun instant ne laisse
Dans un véritable repos.
Que la peur du trépas l'ait trembler jusqu'aux os.
Qui prévoyez ceci, redoutez telle chose,
— 430 —
Qui pleurez aujourd'hui pour les maux de demain,
Même pour l'incertain,
Et qui, de tout enfin.
Allez cherchant la cause.
En êtes-vous, dites-moi, plus heureux ?
Vos plaintes et vos pleurs me disent le contraire.
Eh ! que serait-ce donc, si le vouloir des cieux
Ne vous faisait prudent mystère
De l'heure oh. doit sur vous s'étendre un peu de terre?
Mais ce serait vraiment, pour vous, cent l'ois mourir.
Mon ami Jean Lapin, je savais, pour finir.
Que ta leçon ne pouvait qu'être bonne ;
Pour le moins qu'on raisonne,
Et qu'à sonder la vie on ne soit pas buté,
On voit qu'approfondir tout effet redouté
Ne nous donne que triste et chagrine science :
Et qu'au rebours, l'imprévoyance
Est la mère de la gaîté.
— 431 —
BROCHURES
OFFE»\TES A LA SOCIETE D'ARCHÉOLOGIE DE SEINE-ET-MARNE (1),
Far M. 6. LEROT^ membre titulaire.
Recherches sur la maison patrimoniale de Jacques Amyot, par G. Leroy. Melun,
imp. Michelin, 1837, in-S" de 12 pages avec plan.
Essai biographique sur Sébastien Rouillard, avocat au parlement de Paris,
historien de Melun, par le même. Imp. Michelin, 1860, in-8° de 16 pages.
nrérlcault Destouches, membre de l'Académie française, gouverneur des ville
et château de Melun, par le même. Paris, Dumoulin, 1862, in-8° de 30 pages.
IWotrc-»anie de Pringy, son culte et sa légende, par le même. Paris, Dumou-
lin, 1862, in-8o de 11 pages, sur papier vergé.
Excursions historiques et archéologiques au pays de Bierre, par le même. Melun,
imp. Michelin, 1862, in-8" de 46 pages, sur papier vergé.
Relation des miracles opérés par les reliques conservées à Brie-Comte-Robert au
XV« siècle, publication du même auteur. Melun, imp. Michelin, 1862, in-8° de
11 pages.
li'effroyable assassinat commis à Sermaise, commune de Bois-le-Roy, par la bande
des chauffeurs, le 17 germinal an IV. Melun, imp. Hérisé, 1866, in-8° de 10
pages.
nfoticc sur les épidémies qui ont sévi à Melun, par le même. Imp. Michelin, 1866,
in-8° de 24 pages.
liCs Archers et les Arquebusiers de Melun, par le même. Melun, imp. Michelin,
1866, in 8» de 21 pages.
Molnn sous Henri IV, 1590-1610, par le même. Imp. Hérisé, 1866, in-8o de
30 pages.
Une excursion à Chaumes-en-Brîe, par le même. Imp, Hérisé, 1867, in-8° de
20 pages.
(1) Voirie 1er fascicule, page 123, pour les autres publications offertes à la Société en 1866.
— 432 —
EMATA
p. 273 ligne U
36
2Zi
30
1
37
28
au lieu de linta,
— corpéan,
le nom, —
cordonnet, —
id. —
aux religieux,—
s'amarât, —
lisez : lintea.
— Cospéan.
— les noms,
cordouan.
id.
aux religieuses,
s'amusât.
21. Le relevé du cartulaire doit être rétabli de la manière
P. 27Zi —
P. 276 —
P. 278 —
P. 279 —
P. 281 —
P. 282 —
P. 285 —
suivante :
^< Elles étaient toutes rompues et despécées de tous costez, et ung
« peu de pierreriez qui estoient à Tentour, la plupart estoient cheuttes
« et perdues longtemps avoient. Le résidu a faict mectre aulx dictes
« chassez et a faict faire le devant et derrière d'argent, où est la repré-
« sentation des dictes Sainctes fort belle, et aulx deux costez a faict
« mectre à l'ugne les douze Apostres, et à Taultre douze belles viergeS: etc. »
P. 288 ligne 21, au lieu de Notre-Dame-de-Soissons, lisez : Notre-Dame-
de-Sens.
TAELE DES MATIÈRES.
SÉANCE générale et publique tenue à Meaux
COMITÉ CENTRAL.— Extrait du procès-verbal de la séance du 16 avri
PROCÈS-VERBAUX des sections de Coulommiers
— — Fontainebleau
— — Meaux . .
— — Melun . .
— — Provins . .
1 1866
Pages
1
15
16
23
31
39
49
TRAVAUX.
COMPTE-RENDU annuel du Trésorier général, par M. Courtois .... 53
ICONOGRAPHIE DE SAINT-LOUP, empruntée principalement aux monu-
ments de l'art local, par M. Grésy 65
LES CLOCHES de l'arrondissement de Fontainebleau, par M. Tabouret . 73
NOTICE historique et descriptive sur d'anciennes peintures de la chapelle
Notre-Dame-du-Chevet, dans la cathédrale de Meaux, par M. l'abbé Denis. 95
UNE FAMILLE DE PEINTRES DU ROI à Fontainebleau. — Les Dubois
(xvie, xviie et xviii« siècles), par M. Th. Lhuillier 105
LES GROTTES DES FÉES. —La Ferlé-Gaucher - Crouy-sur-Ourcq, par
M. A. Carro 115
L'ANCIENNE AUBERGE DE LA BELLE-IMAGE, à Moret, par M. Sollier. 121
UNE VISITE A SAIN'r'LOUP-DE-NAUD, par M. G. Leroy 125
COMPTE-RENDU des dépenses occasionnées par les fouilles de la place
Notre-Dame de Melun, par M, G.Leroy 129
NOTICE sur un double denier de Sedan, trouvé dans les environs de Meaux,
par M. DE Gisoux 133
CONSTANTINOPLE, fragment d'un journal de voyage en Italie, en
Grèce et en Turquie, en 1861, par M. Félix Bourquelot 135
LES SOCIÉTÉS PROVINCIALES de Brie et de-Champagne,'au xvine siècle,
par M. le comte d'HARCOURi 183
UN CONCOURS MUSICAL AU XVII^ SIÈCLE; deux maîtres de chapelle
de l'église cathédrale de ]Meaux, sous Louis XiV etBossuet, par M. Torchet. 187
LE COMMERCE ET L'INDUSTRIE A MELUN avant 1789, par M. G. Leroy. 199
NOTES sur les antiquités de Champdeuil, et sur un sceau du comte de Varax,
seigneur de Nanteuil-sur-Marne au XVIll^ siècle, par M. Gaucher . . . 221
— 434 —
LA SUCCESSIOxN DE L'ABBP: SEGUY, parM. Th. Lhuillier 225
NOTES sur la fondation des CiHeslins de la Sainte-Trinité de Marcoussis,
par M. Lemaire 235
ANTIQUITÉS LOCALES. — Compte-rendu dune exploration archéologique
dans la ville de Fontainebleau, par M. Beauvilliers 251
BOSSUET PARRAIN A BANNOST, fragment de souvenirs inédits de Bossuet
dans les paroisses de la confrérie de La Ferté-Gaucher, parM. V. Plessier. 263
NOTE sur des sépultures trouvées près du hameau d'Epieds, par 31. Chemin. 269
LES RELIQUES de l'abbaye de Notre-Damede Chelles, par M. labbé Torchet. 271
L'ART MONUMENTAL dan? ses rapports avec les idées religieuses, par
M. Kerckhoffs 295
L'ANCIENNE LÉPROSERIE DE MORET, par M. Sollier 225
LA VENDANGE DIVINE, rétable du XVl^ siècle sculpté par Jacques Ségogne,
dans l'église de Recloses près Fontainebleau, par M. Eug. Grést. . . . 333
LA BOUCHERIE JURÉE A COULOMMIERS EN 1503, par M. Lem.ure . . 341
NOTICE sur la commune du Plessis-l'Évêque, par M. l'abbé Bécheret. . . 349
LE FOYER D'UNE CHEMINÉE, par M. Chemin 359
NOTE sur d'anciens tombeaux découverts à Melun, dans la cour d"honneur
de la Préfecture, par M. Lemaire 361
NOTE sur un vase proveuanl de l'abbaye de Chelles, parM. Lefebvre-Thiérault. 365
BOSSUET parrain des grosses cloches de Saint-Martin-des-Champs et de
La Ferté-Gaucher, par M. V. Plessier 367
JEANNE DARC A MELUN, par M. Leroy 373
ACCORJ» ET DÉLAISSEMENT de plusieurs immeubles par M-neye Fouquet
à des créanciers privilégiés; communication de M. Félix La.ioye. . . . 379
NOTES sur Crèvecœur et Becoiseau, par M. Lemaire .'Î89
ICONOGRAPHIE de Brie-Comte-Robert et des localités voisines, par
M. Camille Bernardin 401
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE sur quelques publications offertes par M. Dubois
(d'Amiens), par M. Th. Lhuillier 40.'}
CAUSERIE archéologique et littéraire sur le Vercingétorix, poème de
M. Bréan, par M. Maxime Bealvilmers 409
SUR LA FORMATION SIMULTANÉE du plateau et des vallées de la Brie,
par M. V. Plessier; compte-rendu par M. l'abbé Petitiiomme 413
COMPTE-RENDU des publications de quelques Sociétés correspondantes,
par M. Th. Luuillier 445
FABLES, par M. Labiche :
La Fleur et l'Abeille, 427
Le Rossignol et l'Oiseleur 428
Le Fabuliste et Jean Lapiu 428
BROCHURES offertes à la Société par M. Leroy 431
ERRATA . . . • 4.32
ETTYCE
,1 I
ER LIBRARY